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journal d'un lecteur compulsif, romans, essais, B.D., inédits

L'appel du 17 juin d'André Costa

 
 
L'appel du 17 juin d'André Costa est une uchronie comme son titre le laisse envisager et encore plus la couverture qui représente la une (imaginaire) du journal "L'écho d'Alger" du 22 juin 1940 titrant la France continue la guerre. Dans un encadré on voit en dessous un appel co-signé du maréchal Pétain et de Gaulle. A coté une photographie les montre passant conjointement les troupes en revue!. Le roman explore donc une autre réalité historique: si durant la bataille de France contre l'Allemagne en juin 1940 la république française n' avait pas accepté les closes drastiques de l'armistice imposées par les nazis. Qui dit uchronie dit point de divergence; ici, il se situe le 16 juin lorsque le général de Gaulle parvient à convaincre le maréchal Pétain de continuer les hostilités à partir d'Alger en s'adossant à l'empire. Le maréchal lance, le 17 juin, un appel à la résistance sur le territoire français de la métropole occupé. Ce qui change le cours de l'histoire. Une partie importante de l'armée française, hommes et matériel parviennent à s'embarquer dans les ports du sud du pays et rejoignent l'Afrique du nord dans la perspective de continuer le combat.
Les uchronies ne sont jamais neutres politiquement. Avec l'Appel du 17 juin, on a, à faire curieusement à une uchronie à la fois gaulliste et pétainiste puisque André Costa imagine que les deux militaires s'unissent pour diriger le gouvernement en exil de la République. Les deux figures historiques sont magnifiées, en particulier celle de Pétain, qui apparaît dans le livre de Costa déterminé et habile. "L'appel du 17 juin", qui est surtout une uchronie militaire, est une réhabilitation  de l'armée française de l'an 40 allant à l'encontre de l'idée largement partagée que militairement en 1940 la France était complètement dépassée. 
Si « L'appel du 17 juin » n'est pas exempt de défauts, ce n'est pas en raison d'une incompétence historique de son auteur qui semble tout savoir de l'époque dans laquelle il a ancré son roman. Il fait notamment preuve d'une grande érudition en ce qui concerne la stratégie militaire et les coulisses de la politique. Sur ce dernier point sa description des affres des membres d'une cellule parisienne du Parti Communiste après le pacte germano-soviétique le prouve. Costa fait reparaitre « l'Humanité », l'organe du PCF, sous la botte allemande. Dans la réalité si les démarches furent bien entreprises pour la reparution du journal, elles n'aboutirent pas.
Les descriptions des batailles navales sont remarquables; on croirait lire du Paul Chack, ce qui n'est pas un mince compliment dans le domaine. L'acmé de l'ouvrage est la bataille navale qui oppose la flotte franco-anglaise sous les ordres de l'amiral Darlan et la flotte italienne.  
La réussite d'une uchronie dépend en grande partie de la crédibilité de son point de divergence. Dans le cas présent ce point de divergence découle de la décision d'un homme, le maréchal Pétain. Celui d'André Costa est assez éloigné de ce que l'on connait du Pétain de 1940. Il était d'une part considérablement amorti, particulièrement influençable comme dans le livre de Costa, certes mais si dans notre Histoire il s'est fait influencé par Pierre Laval et non par le général de Gaulle. C'est tout simplement parce que Pétain avait un indéniable tropisme fasciste, où tout du moins salazariste qu'il avait contracté lors de son ambassade auprès du général Franco, sans oublier sa détestation du Front Populaire. Costa idéalise Pétain et sous estime le talent de Pierre Laval avec lequel Pétain avait en outre le point commun d'avoir été traumatisés par les pertes humaines qu'avait occasionné la Grande Guerre; ce qui les conduisit à un pacifisme allant jusqu'à l' aveuglement.
Si elle est souvent alerte, dans les prémices des descriptions de batailles, l'écriture de Costa s'encombre de considérations techniques et numériques. On a parfois l'impression de lire un morceau d'un rapport militaire. Si l'auteur est incontestablement doué pour faire parler et vivre les grandes figures historiques que sont de Gaulle, Pétain ou Churchill, il est beaucoup moins à l'aise en ce qui concerne des personnages de pure invention. Son mariage de l'uchronie et du roman historique feuilletonnesque n'est pas une réussite. Et ceci pour plusieurs raison, tout d'abord les créatures inventées par l'auteur ont une présence, surtout au début de son récit, trop sporadique. En outre ces figures sont aussi trop caricaturales. On ne parvient pas à discerner si le romanciers les a voulu emblématiques ou au contraire exceptionnels. Cette hésitation stylistique empêche le lecteur de rentrer en empathie avec elles. Les dialogues entre certains protagoniste donnent parfois des choses assez curieuses comme cette profession de foi d'un lieutenant de la SS à un de ses homologues français qu'il vient de vaincre, on se croirait dans certains Signe de Piste de la grande époque: << Notre force sera notre droit. Notre droit a ressuscité l'empire européen de Charlemagne où ni les juifs, ni les slaves, ni les arabes, ni les noirs n'auront droit de cité, non pas en raison d'une infériorité congénitale mais beaucoup plus simplement parce que notre culture et nos traditions ne sont pas les leurs!>>. A moins que l'on soit projeté dans le rêve de certains électeurs du Front National...
André Costa en réécrivant le passé ne manquait pas de prémonitions... Je rappelle que l'appel du 17 juin a été écrit en 1980. Plus loin le romancier fait dire à de Gaulle: << Pour que les français retrouvent le goût de la lutte et donc de la vie, l'ombre de la mort doit planer sur eux.>>. Je ne suis pas assez expert en gaullisme pour savoir si cette phrase a été réellement prononcée par le général mais elle me paraît à la fois bien vue et parfaitement gaullienne. A ce propos, si la narration de Costa est parfois un peu sèche, il parvient dès que le général de Gaulle, dont il a réussi à faire un formidable personnage de roman, entre en scène à lui donner toutes les couleurs d'une savoureuse épopée. On s'aperçoit vite à la lecture que l'on ne prendra pas l'auteur en défaut en ce qui concerne ses connaissances historiques. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir un regard bien particulier sur l'histoire, par exemple il héroïse les figures militaires comme le de Lattre, Leclerc et ce qui est plus surprenant l'amiral Darlan! Plus étonnant encore il transforme Darnand en héros sans reproche et en un tueur de nazis qui paraît sortir tout droit de l'Inglorious basterds de Tarentino! Bien des figures historiques de premier plan ou non apparaissent dans le livre. Passe George Mandel, Jean Fontenoy récemment tiré de l'oubli par deux romans, « Fontenoy ne reviendra plus » et « Trois coupes de champagne » d'Yves Pourcher.
Je ne sais qui est cet André Costa dont c'est le premier livre que je lis. Est-ce le même dont je lisais jadis les papiers dans l'Auto journal; des signes vont dans le sens de cette hypothèse, entre autres un certain appesantissement sur la mécanique des engins militaires. En 1980, lorsque Costa écrit son livre, il ne devait déjà pas être un poulet de l'année, espérons qu'il soit toujours parmi nous; bien des pages sentent le vécu en particulier celles, trop rares, qui se rapportent au quotidien durant la guerre. On peut penser que le jeune clampin nommé Bernard Vallon pourrait être André Costa ou tout du moins sa projection idéalisée dans cette histoire alternative.
A la lecture on sent bien quelle jubilation a eu André Costa à dézinguer du nazi et à gagner la guerre tout seul à sa table de travail. Parfois devant la presque invincibilité des alliés je me suis souvenu de certains de petits formats de bande-dessinée qui faisaient les délices de mes dix ans tel « Battler Britton » dans lequel on aplatissait du nazi avec allégresse.
Espérons que ce livre dont le suspense est haletant jusqu'à la dernière page, malgré les scories dénoncées auparavant, sera bientôt réédité (en gardant la couverture de la première édition, voir le début de l'article). Pour ma part je l'ai déniché sur un site de vente de livres d'occasion par correspondance sur la toile pour quelques kopecks...
On peut penser que Costa a écrit l'Histoire telle qu'il aurait aimé qu'elle fut. Ce qui explique que cette geste un peu trop belle qui se termine sur un coup de théâtre, soit écrite avec autant d'allégresse. 
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B
C'est bien agréable de trouver dans cette belle présentation, votre érudite recension. Il faudrait faire lire cet ouvrage à votre jeune Mathéo...si jeune et su gaulliste... ;-)
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