Voici deux petites notes de lectures, la première est issue d’un article plutôt théorique sur la littérature SF du Moyen-Orient, la deuxième est issue d’une traduction d’un

La science-fiction arabe, une transgression littéraire pour une transgression politique – de Kawthar Ayed

Ce premier texte introductif (paru en 2013 dans la Revue LICARC, n°1, « En deçà et au-delà des limites » au éditions Classique Garnier) s’axe tout d’abord sur la naissance de la littérature de science-fiction dans le monde arabe, se concentrant sur la montée de l’anticipation dystopique. Ensuite, deux axes d’analyse sont proposé par Ayed : l’image de la dictature dans les textes dystopiques des auteurs étudiés et l’image de la femme violée, tout en mettant en évidence l’aspect symbolique et politique des récits dystopiques arabes à travers l’utilisation du rêve comme outil narratif.

L’auteur commence par situer le point de départ de la science-fiction en Egypte dans les années 1950, notant que le terme spécifique de « خيال علمي » (science-fiction) n’a émergé officiellement qu’à la fin des années 1980. Il mentionne également l’émergence du terme « الرواية العلمية » (roman scientifique) dans les années 1960, faisant écho au concept français du XIXe siècle. Ce sont des moments clés où cette forme d’écriture novatrice a commencé à prendre racine dans la littérature arabe.

Ensuite, l’auteur explore la spécificité des textes d’anticipation dystopique arabes, soulignant que contrairement à la projection directe dans le futur, comme le font souvent les romans de science-fiction occidentaux, les auteurs arabes choisissent souvent d’utiliser les rêves comme prétexte narratif. Ces rêves sont symboliques et liés à la culture et au contexte historique, offrant ainsi une vision critique du monde à travers des récits futuristes ou rétrospectifs.

L’étude met également en lumière comment cette forme de littérature est influencée par les événements politiques et sociaux, notamment l’avènement de régimes tyranniques et les inégalités globales entre les nations, soulignant les interrogations et les inquiétudes des auteurs quant à ces réalités.

Ayed aborde alors l’écriture de Ţāleb ‘Umrān de Syrie et Mustapha Kīlanī de Tunisie pour leur représentation de la dictature dans leurs œuvres. Leurs romans, « Les Temps ténébreux » et « Miroirs des heures mortes », respectivement, présentent des visions cauchemardesques de sociétés sous oppression. Ces œuvres utilisent le cauchemar comme métaphore de la tyrannie étatique et explorent les conséquences sociales et politiques de cette répression.

Dans ces deux textes de dystopie arabe, il est frappant de constater comment la féminité devient le symbole même de l’oppression, de la soumission et de la terreur. Les récits des deux auteurs illustrent de manière poignante la façon dont la femme aimée peut être transformée en une figure de la femme violée, victime des régimes tyranniques et des abus de pouvoir.

Dans « Les Temps ténébreux », le récit du viol de la belle-fille du roi révèle une tragédie où l’autorité, symbolisée par le roi, abuse de sa puissance pour commettre un acte violent. Ce viol, à la fois physique et symbolique, représente l’emprise du despote sur la nation. De même, dans « Miroirs des heures mortes », le Grand Nessness, dictateur brutal, viole Khaddūdja Al-Na‘assī de manière préméditée et sadique. Cette agression incarne la domination politique et le sadisme du pouvoir oppresseur.

Cependant, ces femmes agressées ne sont pas simplement des victimes, mais aussi présentée comme des complices, par leur silence ou leur hypocrisie. L’une d’elle par exemple, bien qu’étant victime, loue le dictateur, illustrant ainsi l’acceptation résignée et la complicité du peuple face à la tyrannie. Cette dynamique de peuple à la fois victime et complice est présentée comme amplifiée par le silence des intellectuels et l’absence de réaction collective face à la dictature.

Cela dépeint un univers où la résistance semble presque impossible. Les individus, par peur ou par nécessité vitale, se soumettent au pouvoir tyrannique sans chercher à contester. La répression est si écrasante qu’elle étouffe toute voix dissidente. La parole devient un luxe, tandis que le silence est vital pour la survie, créant ainsi un climat de terreur où la résistance est presque inimaginable.

La conclusion tirée de ces récits pessimistes met en garde contre les dictatures, les oppressions massives et les projets visant à aliéner les masses. Les auteurs expriment leur méfiance envers ces régimes et mettent en lumière la nécessité de rêver et d’imaginer des mondes différents pour critiquer en toute sécurité les réalités politiques et sociales oppressives.

Ces œuvres de dystopie arabe reflètent les préoccupations territoriales et humaines des auteurs face à des sociétés où la liberté d’opinion et d’expression est limitée. Elles sont des réactions à l’emprise tyrannique des pouvoirs locaux et à l’exploitation des richesses. Leurs scénarios cauchemardesques offrent une lecture critique des crises que connaît le monde arabe, inspirant un sentiment de malaise et de désillusion face à ces enjeux.

Ainsi, ces textes ne se contentent pas de présenter des visions sombres de l’avenir, mais semble vouloir se présenter comme des outils de critique sociale et politique, soulignant les dangers des régimes totalitaire et la nécessité d’une prise de conscience pour espérer un changement.

En savoir plus :

Extraterrestres anciens, futurisme du Golfe et justice sociale : les visions libératrices de la science-fiction arabe – de Gasser Ali

Le texte commence par démystifier les clichés associés à la science-fiction, mentionnant sa diversité allant des récits spatiaux conventionnels aux drames existentiels perturbant la réalité. Il souligne l’importance de ce genre pour refléter des événements d’aujourd’hui.

Gasser Ali fait référence à Zakariya al-Qazwini, un écrivain du 13ème siècle, et son ouvrage « Awaj bin Anfaq », relatant l’histoire d’un extraterrestre fasciné par la culture humaine. Il souligne également l’importance d’autres travaux d’al-Qazwini, tels que « Marvels of Creatures and Strange Things Existing », considérés comme des proto-science-fictions pour avoir mêlé vérités scientifiques et fiction.

Le texte mentionne également « One Thousand and One Nights », une collection de contes folkloriques avec des éléments de science-fiction tels que les voyages galactiques et les dimensions alternatives. Il souligne que ces histoires étaient des sources d’inspiration pour des auteurs légendaires comme H. G. Wells, révélant la profondeur de la science-fiction dans la culture arabe.

Il évoque ensuite l’émergence du cinéma de science-fiction arabe, notamment la diversité des films produits au cours de la dernière décennie, allant du surréaliste à l’expérimental, en passant par le drame et à la satire. Il met en avant la singularité de ces œuvres malgré leur nombre restreint.

Il met en avant des cinéastes contemporains arabes tels que Larissa Sansour, dont les films utilisent la science-fiction pour explorer les histoires de la Palestine occupée à travers des allégories audacieuses et des images dystopiques.

L’article évoque aussi Meshal AlJaser, réalisateur saoudien, dont le court métrage « Arabian Alien » explore la dépression, la sexualité et la romance dans un contexte de restriction sociale. Il souligne également les difficultés qu’AlJaser a rencontrées pour obtenir du financement pour ses films traitant de problèmes sociaux dans la région.

Il mentionne d’autres films de science-fiction du Moyen-Orient tels qu' »Aerials » des Émirats arabes unis, mettant en scène des vaisseaux spatiaux au-dessus de Dubaï, et la série égyptienne « El Nehaya » située dans un futur dystopique, mais souligne comment ces œuvres adoptent souvent des esthétiques occidentales.

Le texte conclut en discutant du potentiel futur de la science-fiction arabe pour explorer des thèmes culturels et identitaires, soulignant à la fois les défis actuels et les opportunités pour ce genre de s’épanouir dans la région.