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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Saint Gervais - Martigny : métrique mais internationale

Composée de deux lignes, l’une française (36,6 km) et l’autre suisse (19,1 km), la voie métrique unissant Saint Gervais à Martigny constitue un cas particulier à plusieurs égards sur le réseau ferroviaire français : voie métrique alimentée en 3ème rail sous 850 V, elle est interconnectée avec une ligne secondaire suisse comprenant une section à crémaillère sur une pente à 20% quand la section française constitue un record en adhérence simple à 9%. Historiquement exploitée de façon indépendante de chaque côté de la frontière, la desserte Mont Blanc Express permise par l’arrivée d’un nouveau matériel compatible a constitué un changement majeur. Cependant, pour en arriver là, il fallut convaincre une SNCF qui, à l’origine, était plus sceptique quant à l'utilité et l’avenir de la ligne.

Une voie métrique plutôt qu'un tunnel

Dans le Plan Freycinet de 1879, figurait une ligne de La Roche sur Foron à Saint Gervais et Chamonix, qui devait être établie à voie normale et franchir le Prarion en tunnel. Une antenne vers le Val d'Aoste sous le massif du Mont-Blanc était également réservée à titre optionnel. Ce projet fut abandonné au profit d'une ligne à voie métrique plus économique, d'autant que les Suisses cherchaient un accord avec la France pour une liaison entre Martigny et la frontière. D'emblée, le PLM proposa une ligne électrique, choix innovant pour l'époque. Cependant, les autorités militaires se montrèrent très réticentes sur le projet, proposant des variantes que la compagnie refusa systématiquement car elles compliquaient l'exploitation et éloignaient la ligne des villages et sites touristiques.

Il fallut un peu plus de 2 ans pour construire la ligne côté français et la première section du Fayet à Chamonix fut mise en service le 25 juillet 1901, deux semaines après son inauguration. Le train atteint Argentière le 25 juillet 1906, tandis que côté Suisse, le Martigny -Châtelard ouvre le 18 août de la même année. La jonction par le tunnel des Montets fut difficile à réaliser et le chantier, engagé en 1905, ne fut achevé qu'en 1908, avec une mise en service le 1er juillet.

L'exploitation n'était alors assurée à l'année que du Fayet à Chamonix puis à Argentière, mais il fallut protéger l'infrastructure et progresser en matière d'équipements de déneigement pour parvenir à une exploitation à l'année.

Succédant aux automotrices d'origine à caisse en bois, les Z600 livrées en 1958 incarnèrent la première modernisation de la ligne. La tension du 3ème rail passe de 600 à 800 V, le plan de voies est simplifié dans les gares du fait de l'abandon du trafic marchandises et plusieurs opérations de renouvellement permettent de relever la vitesse grâce aux performances accrues des nouvelles automotrices. Cependant, la ligne échappa de justesse à la grande vague de fermeture des lignes secondaires de la fin des années 1960, surtout après l'ouverture du tunnel routier du Mont-Blanc. La SNCF chercha régulièrement à obtenir la fermeture de la ligne, mais les élus locaux surent se mobiliser pour contrer ces tentatives et replacer le train au coeur de la vie touristique de la vallée de Chamonix.

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Saint Gervais - 1965 - La Z207, une des rames d'origine du chemin de fer de la vallée de Chamonix. Les voitures à caisse en bois ont circulé plus de 50 ans sur la ligne. © J.H. Manara

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Montroc - 1974 - La Z606 à l'arrière d'une rame en direction de Vallorcine, qui va s'engager dans le tunnel de Montroc récemment modernisé. Ces rames avaient permis d'améliorer la performance de l'exploitation avec les progrès de la traction électrique par rapport au matériel d'origine PLM. © J.H. Manara

La renaissance n’était pas acquise : constituant un isolat technique, la SNCF entretenait a minima la ligne. Pour essayer de réduire le trafic et convaincre les élus de l'inutilité de cette voie métrique, elle décidé en 1993 de tripler le barème kilométrique, alors que jusqu'à présent, le tarif de base était doublé au titre d'un parcours de montagne. Suscitant un fort mécontentement, elle revint en 1997, au barème doublé. Parallèlement, les premières mesures tarifaires pour attirer les touristes étaient mises en place. Devant la mobilisation locale et le souci des élus de la vallée et du secteur touristique pour tirer profit des commodités procurées par le chemin de fer, la SNCF engagea une première modernisation avec l’installation du système Eclair gérant l’ensemble de la ligne par radio, un progrès pour l’exploitation toujours régie par un block manuel.

La catastrophe du tunnel routier du Mont-Blanc et la pollution croissante de la vallée de Chamonix poussa les élus locaux à promouvoir la gratuité du train pour les touristes qui peuvent utiliser gratuitement le train entre Servoz et Vallorcine. Il en est de même pour les travailleurs saisonniers.

Nouveau matériel d'abord, mais d'importants besoins sur l'infrastructure

La rénovation de la voie fut engagée en 2004 avec d’abord des renouvellements de rails, puisque la ligne était encore équipée en rails PLM-A d’origine.

La SNCF engagea aussi la commande d’un nouveau matériel avec le Martigny-Châtelard en vue de co-exploiter la ligne de bout en bout et d’entamer le retrait des Z600 : 5 automotrices Z800 ont été commandées à Vevey, ADTranz et SLM Winterthur et livrées en 1998, dont 3 pour la SNCF et 2 pour le MC.

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Argentière - 7 juin 2014 - Les Z800 ont permis de créer le service international Saint Gervais - Martigny. On note sur ce cliché la voie modernisée, symbolisant la volonté de la Région de développer la desserte. © transportrail

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Le Trétien - 7 juin 2014 - Sur le versant suisse de la ligne, croisement entre la Beh 4/8 821 et la Beh 4/8 871 récemment livrée aux TMR . © transportrail

Pour densifier l’offre et surtout achever le remplacement des Z600, un second marché de matériel est lancé, sous l’égide de la Région Rhône-Alpes avec la commande de 6 Z850 auprès de Stadler, limitées à la section française car dépourvues de crémaillère. Le MC, devenu entretemps TMR, se portait acquéreur de 2 automotrices similaires (Beh 4/8 871 et 872), mais avec crémaillère, capable de circuler sur l’ensemble de la ligne. La ligne dispose donc désormais de 7 automotrices capables d’assurer le service Saint Gervais – Martigny et 6 pour la seule partie Saint Gervais – Le Châtelard.

Enfin, la réouverture (à Vaudagne) ou la création (Chamonix Aiguille du Midi) de points d’arrêt permet de desservir plus finement la vallée, d’autant plus que les résidents, ainsi que les saisonniers et les touristes, peuvent bénéficier de la gratuité du train dans la vallée de Chamonix pour diminuer la part des transports routiers et réduire l’impact de la pollution sur les glaciers.

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Viaduc Sainte Marie - 17 septembre 2017 - Avec le tunnel de Montroc, c'est l'ouvrage majeur de la ligne. Ce viaduc n'aurait pas dû exister mais un éboulement dans la zone des Houches imposa une modification du tracé et un franchissement de l'Arve. Deux Z850 le franchissent en direction de Vallorcine. © transportrail

Notre dossier sur les matériels à voie métrique sur le réseau ferré national.

Une nouvelle signalisation pour une nouvelle desserte

La ligne a ensuite bénéficié de la modernisation de 13 km de voie, de nombreuses opérations de confortement des ouvrages (tunnels, viaducs), de la réalisation d’un nouveau pont-rail de Passy-Marlioz,  et de la rénovation d’une voie en gare de Chamonix et enfin de la création d’un terminus intermédiaires aux Houches.

Elément central du projet de modernisation, la mise en place de la signalisation suisse type MZ a été préférée à une déclinaison alambiquée du BAPR français, afin de pouvoir mettre en circulation 2 trains par heure et par sens à l’issue des travaux d’augmentation de capacité de la ligne. La nouvelle signalisation devait être opérationnelle fin 2015, mais le projet a pris 2 ans de retard, en partie en raison d'adaptations côté français et de tracasseries administratives bien peu compréhensibles étant données l'usage largement répandu en Suisse.

En outre, des survolteurs sont installés pour tenir compte du plus grand nombre de trains et de leur puissance accrue et ainsi renforcer l’alimentation électrique.

Au total, la convention de 2013 porte sur 75 M€ d’investissement, réunis non sans mal car le devis initial était de 53 M€ : les échanges furent âpres entre RFF et les financeurs.

Quant à la voie, les dernières sections renouvelées ont été traitées en 2021 : il aura donc fallu plus de 25 ans pour rénover complètement la ligne. C'est quand même un peu long...

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Chamonix - 12 mars 2016 - La Z801 quitte Chamonix pour Martigny : la neige est encore présente mais le printemps pointe son nez. Les skieurs en profitent encore et les randonneurs doivent encore patienter. Leur point commun ? Ils seront nombreux dans les trains de la vallée de Chamonix ! © E. Fouvreaux

Le tunnel de Montroc : un ouvrage mixte rail-route

C’est une particularité de la ligne : depuis 1984, le tunnel de Montroc accueille la circulation routière quand la route du col est impraticable. Un système d’alternat des circulations avait été mis en place et une chaussée étroite installée parallèlement à la voie. L’évolution des normes de sécurité a obligé RFF à engager d’importants travaux. Le coût de l’opération est de 24,5 M€ financés à hauteur de 56% par le Département de Haute Savoie, et de 19% par RFF, 17% par la Région Rhône-Alpes et le solde par l’agglomération de Chamonix.

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Entrée d'une Z850 dans le tunnel de Montroc rénové : au premier plan, les dispositions permettant l'alernat des circulations entre le train et le trafic automobile. (cliché X)

Après 2 ans de travaux, qui ont lourdement modifié la circulation ferroviaire et notamment pénalisé la saison 2013-2014, les circulations de bout en bout ont enfin pu reprendre en 2015, puisque durant ces travaux, l’exploitation ferroviaire était neutralisée entre Argentière et Le Châtelard. La voie ferrée est désormais noyée dans la chaussée, comme pour les tramways, afin d’élargir la voie de circulation. En revanche, le 3ème rail alimenté en 850 V, n’est pas implanté le long de la voûte, ce qui devrait inciter à terme à passer à une alimentation par caténaire, le matériel moderne étant compatible avec les deux captations.

On note quand même la rapidité avec laquelle 24 M€ ont pu être mobilisés par les collectivités locales pour ce projet d'abord routier alors que, lorsqu'il fut décidé, la modernisation de l'intégralité de l'infrastructure ferroviaire n'était pas assurée. Les nouvelles installations facilitent l'interception de la voie ferrée pour le trafic routier : la route du col est coupée en moenne 15 jours par an... et il a fallu intercepter la voie ferrée pendant 2 ans. On peut aussi noter que la présence des pompiers pour escorter les convois routiers n'est plus requise.

Y avait-il une alternative ? Les TMR avaient suggéré, à l’image de ce qui se fait en Suisse, de couper la route du col pendant la période hivernale et de mettre en place une navette ferroviaire porte-voitures. Le projet avait été estimé à moins de 15M€ mais les collectivités françaises n’ont pas voulu l’étudier…

Une modernisation plus légère aurait sans doute aussi pu être menée puisque l’enjeu portait finalement sur 15 jours par an pour 400 voitures par jour maximum et avec le fait que la commune de Vallorcine restait de toute manière toujours reliée à la Suisse.

S’il est d’usage de calculer le coût par usager transporté pour expliquer que le rail est trop cher, le calcul ici n’a assurément pas été fait pour le coût de chaque passage du train. Mais avec une hypothèse de 400 voitures par jour, 15 jours par an pendant 20 ans, la modernisation du tunnel représente de fait une subvention moyenne de 200€ / passage et par voiture !

Vers un exploitant unique ?

La question mérite d'être posée. Ce n'est pas un secret que la SNCF n'a pas vraiment soutenu cette ligne et que seule la régionalisation a permis d'enrayer le déclin de la ligne. Avec une infrastructure désormais modernisée, une signalisation renouvelée et unifiée avec la section suisse, ainsi qu'un matériel moderne, la ligne peut voir l'avenir de façon plus sereine.

L'unification de l'exploitation est un sujet latent depuis plusieurs années. Il est évident que les Transports de Martigny et Région bénéficient de solides atouts par rapport à une SNCF mal à l'aise avec un isolat technique, même si l'organisation mise en place est assez adaptée avec un établissement polyalent. Ils ont en outre l'avantage de disposer d'installations de maintenance du matériel nettement plus récentes que celles du Fayet.

Les TMR ont quelques réflexions sur la partie française de la ligne. Ils considèrent notamment nécessaire d'équiper en crémaillère la rampe de Chedde (90 pour mille), non pas parce que le matériel n'est pas capable de la franchir en adhérence, mais pour diminuer la sollicitation du freinage électrique dans la descente qui se répercute sur les coûts de maintenance du matériel. Concernant l'alimentation électique, la mixité caténaire - troisième rail serait maintenu, ce dernier étant jugé plus robuste sur les couloirs de fortes chutes de neige. Aussi, certaines sections côté Suisse pourraient alors être équipées du troisième rail. Enfin, l'installation de la crémaillère sur les Z850 françaises serait engagée sur le modèle de leurs homologues suisses afin d'être interopérables, a fortiori en cas d'équipement de la rampe de Chedde.

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Versenaz - 7 juin 2014 - L'atelier moderne des TMR, à proximité de Martigny. Des installations modernes, équipées de caténaires : un élément qui compterait dans le cadre de l'unification de l'exploitation. © transportrail

Dès lors, Saint Gervais - Vallorcine pourrait constituer un exemple de déclassement du réseau ferré national, en confiant la ligne à la Région ou au Département de Haute Savoie (comme c'est le cas pour les lignes Chamonix - Montenvers et Le Fayet - Nid d'Aigle) mais vraisemblablement à la Région compte tenu des investissements qu'elle a financés sur cette ligne.

Quant à rétablir une connexion entre les trois lignes à voie métrique, les différents systèmes d'alimentation (850 V continu par caténaire et troisième rail sur la ligne de Martigny et 11000 V 50 Hz par fil aérien sur le Montenvers et le TMB) constituent - du moins pour l'instant - un obstacle technique. Mais qui sait, un jour, pourra-t-on aller directement du Fayet au Montenvers et de Martigny au Nid d'Aigle ?

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