La chatte de Bukowski de Laurent Whale

 

SF et piraterie (Prix Rosny Aîné 2011 pour les Pilleurs d’âmes chez Ad Astra, qui vient d’être réédité dans la collection Hélios chez Mnémos), space-op , post-ap et tout dernièrement thriller historique sur les traces (uchroniques ?!) de Billy the kid, ça défouraille dur chez Laurent Whale ! De l’aventure pur jus énergique mais déliée d’une plume trempée dans l’humour avec de la tendresse dedans. Une générosité d’écriture que ce faux macho nous révèle encore aujourd’hui avec ce beau cadeau d’une nouvelle inédite (voui, rien que pour nous. Donc, rien que pour vous) dans la peau de ce vieux provocateur de Bukowski. Merci et, chapeau, mon Laurentounet !

WHALE 2

sa biblio par là : http://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Whale, ou par là sur le site de nooSFere :   http://www.noosfere.com/icarus/livres/auteur.asp?numauteur=-44099

 

La chatte de Bukowski.

Putain, ça fait mal.
C’est chaque fois pareil. Le rouge, ça me fait toujours ça, si j’en bois pendant deux ou trois jours d’affilée. Ouais, je m’explose le fion. C’est comme balancer une grenade dans un tas de tomates bien mûres. La cuvette est crépie façon chocolat-ketchup.
Beurk.
C’est ma première réincarnation. « Bienvenue au pays » qu’ils ont dit quand je suis sorti du frigo. Il paraît qu’un fan à la mords-moi l’nœud avait dépensé une fortune pour que je revive. Et dans le même corps, en plus ! Celui d’un alcoolo décrépi et dépressif jusqu’à la moelle. Je t’en foutrais, moi, des bienvenues ! Le plus drôle a été de comprendre pourquoi : ce con inculte traînait sur lui une photo d’Hemingway à 30 balais. Je dois admettre que cette vieille canaille avait de l’allure en ‘36, bardé de cartouchières au milieu des paysans farouches de l’Espagne.
La tronche qu’ils ont tirée quand la matrice s’est ouverte valait à elle seule le déplacement !
Ils n’ont pas compris que je m’étais bu à mort, ces abrutis. Ils ne comprennent jamais rien. L’Histoire est devenue une branche de la politique. Lorsque tout ce qui subsiste du passé est prisonnier de 0 et de 1, il est facile de le modifier pour satisfaire aux exigences du présent. Certaines choses ne changeront jamais. De plus, ici – et maintenant, surtout – je ne suis plus personne. Que dalle, rien, NADA ! Un écrivain géniâââl… tu parles, Charles !
Ils lisent dans des bouquins virtuels des trucs sino-hindous où je ne pige rien. Le monde avait besoin de mon retour comme d’une troisième couille.
Les cons !

En manière de compensation, ils m’ont trouvé une espèce de cabane high-tech, en haut de la plage. On dirait une boîte de McDo géante posée à même le sable. C’est déjà ça. Paraît que c’est un cadre qui sied à mon art. J’t’en foutrais, moi, de mon art ! Quand mon bienfaiteur s’est rendu compte que je ne serai jamais le faire-valoir magnifique qu’il espérait, il s’est désintéressé de mon sort. Bon retour à Trouduc’land, connard.
Il peut s’estimer heureux, j’ai entendu dire qu’un type avait ressuscité Charles Manson… On cherche encore ses morceaux !

Depuis, je me fais des potes de passage. Certains sont d’authentiques « première vie », mais c’est assez rare dans ce coin. La plupart ont déjà vécu plusieurs retours. J’y puise un peu de jus pour les nouvelles que les canards en ligne de New Angeles m’achètent parfois. Ça paie le scotch (de synthèse) et la bouffe, vu que la cahute est gratos.

Donc, je sortais des chiottes quand Suzy – une première vie – s’est pointée. Après deux ou trois verres, elle est allée pisser. Chaque fois que j’y pense, j’en rigole encore.
— Putain de merde ! qu’elle a gueulé depuis les cagoinces. T’as fait quoi ici ? C’est dégueulasse !
Et elle a gerbé. Mais comme elle avait la vessie au bord de la rupture, elle s’est fait dessus en se purgeant les tripes. Faut choisir la bonne position, surtout pour gerber. Elle a pris la moins pire. En tout cas, les chiottes puent moins longtemps avec de la pisse. Quand elle est sortie, elle ne savait plus où se foutre. Je lui ai dit qu’elle pouvait balancer son jean dans la baignoire, que je ferai couler la flotte dessus, mais elle ne voulait pas l’enlever. Enfin, trois verres plus tard – je crois bien qu’on a fait du mélange pinard Brandy – le jean a giclé dans la baignoire. Rapport à mon nez, c’était mieux. Aussi.

On a passé encore un bon moment à picoler et à rire. Moi, à l’étroit dans mon futal et elle, avec une serviette sur les genoux vu qu’elle ne portait pas de culotte. Ça m’a filé une gaule du tonnerre, mais Suzy, elle n’en avait pas envie. Les gonzesses, elles se baladent à poil devant vous et elles veulent causer. C’est sûrement de là que vient l’expression « parle à ma bite ».
J’aimais bien Suzy. Née dans un des rares coins encore paumés du Canada, elle était venue tenter la chance au soleil. Ses seules armes : la quarantaine radieuse et un soleil chevillé à l’âme. Élevée au grain, quoi. Et, surtout, elle n’avait jamais entendu parler de moi. Les autres réincarnées, elles venaient se prendre pour de vraies amies en ressassant des trucs de notre époque commune dont je n’ai jamais rien eu à foutre. Côtoyer une gloire de leur siècle d’origine faisait frissonner leurs ovaires, j’imagine. Confidences et deux doigts de Brandy. Les mecs, c’était presque pire. Il n’y avait qu’à croiser leurs verres-miroir pour voir que ces types ne faisaient qu’exister ; vivre, ils ne sauraient jamais. Ni dans leurs vies passées ni maintenant. Ils ne faisaient que gaspiller de l’air – et accessoirement mon scotch.
Enfin bref, la gamine, elle, était cool.
Je savais qu’avec cette petite chose, il fallait choisir son moment. C’est le genre à manipuler avec le verbe, sinon tu gâches tout et elle te claque entre les pattes. Bon, avec ses fringues dans la baignoire j’avais quand même une fenêtre de tir. C’est pour ça que je n’ai pas brusqué les choses. J’ai fini par lui refiler une de mes chemises. Entre deux boutons du haut, j’avais un petit espoir de nichons. Suzy, elle ne s’emmerdait pas avec le superflu. Jean et tee-shirt, c’était son uniforme. J’aurais pourtant bien voulu pouvoir lui payer une de ces nouvelles tenues en spray qui faisaient fureur, mais c’était hors de ma portée.

L’applique était grise, quand on a fini le pinard. Je n’avais toujours pas vu un téton. Pourtant, agacés par le contact du coton, ils «turgeaient» grave, les salauds.
Le matin s’est levé, avec un soleil pâle tout con, et on est allés sur Venice Beach. À cette heure-là, y a encore que les clodos qui y roupillent. Du fond des temps remontaient les bulles de ma propre antiquité. Des odeurs d’huile solaire, de feu de camp et de bière – Beach boys et Duane Eddy. À présent, la flotte est tellement acide que les kids y feraient fondre leurs planches de surf. Les bons jours, on pouvait encore respirer sans masque, si le vent était de terre.
Depuis deux semaines, je n’avais rien écrit. Cette salope d’éditrice m’avait renvoyé ma dernière nouvelle toute barrée de rouge. Sans doute, pour elle, le plaisir d’écrire sur du vrai papier (je refuse toujours d’enfermer ma prose dans des 0 et des 1) primait-il toute autre considération littéraire. Le frigo sonnait creux et moi je ne bouffais plus que du riz. J’allais encore m’exploser le fondement.
Bref.
Suzy se rejouait une scène des Misfits, tu sais, celle où Marilyn danse dans la chemise trop grande de Gable avec ses godasses à la main. Ce n’est peut-être pas les Misfits, en tout cas c’est un putain de bon film. D’ailleurs, tous les films avec Norma Jean sont des chefs-d’œuvre. Soudain, je me demande si quelqu’un ne s’est jamais fait réincarner en elle – dans un clone d’elle, je veux dire. Putain de sacrilège que ça serait.
Elvis est passé, l’autre jour. Il m’a dit qu’il n’osait plus se doucher. Il venait juste de découvrir que les connards avaient truffé sa salle de bain de caméras. Des fois qu’il décide de «re-mourir» !

Enfin, passons. Elle était là, elle tournoyait en essayant de ne pas se péter la gueule dans le sable et les détritus. Moi, affalé, je guettais les moments où ma chemise s’envolait un peu trop haut. Le soleil rasant faisait luire ses frisettes. T’imagines ça ? Une authentique tuerie… Elle avait un sacré putain de joli cul, Suzy. Le plus beau cul d’Hollywood. Et c’était moi qui le matais ! Moi, pas le grand Clark, juste moi. J’ai failli me tirer sur l’asticot devant elle, mais j’ai eu peur de casser l’instant.
La magie, c’est plus fragile qu’un pucelage.
Stephen, cette grosse merde de King, m’avait dit qu’il se l’était sautée un soir. En voyant ça, je ne pouvais pas y croire. Un cul pareil, ce n’était pas pour cette bite molle d’écrivaillon pour boutonneux – même réincarné en Apollon quarterback.
C’est le plus beau souvenir que j’ai de Venice. Après, on est rentrés à mon Big Mac. Son jean avait séché et je n’ai rien pu faire pour la retenir. « Je te préfère comme ami » qu’elle m’a dit en me claquant une bise. Je suis resté comme un gros con sous ma véranda, avec une canette tiède dans chaque main et ma bite comme un putain de sous-marin nucléaire.
Rentrez le périscope, il n’y a plus rien à voir.
Le lendemain, j’ai expulsé tout mon riz dans une grande explosion écarlate. Bon Dieu que c’était bon !
Maintenant, pour me branler, je pense à Venice et aux reflets sur une chatte d’or.
Ça marche, parfois.

Amarillo, Texarizona, 24 septobre 2241

A propos de Sylvie

Gérante de la Librairie Bédéciné

Une réponse à “La chatte de Bukowski de Laurent Whale”

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