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Critiques de livres

Amélie Nothomb
Ni d'Ève, ni d'Adam
Paris
Albin Michel
2007
245 p.

Monophily d'un amour nippon
par Michel Torrekens
Le Carnet et les Instants n° 148

«Il n'est pas banal que j'écrive une histoire où personne n'a envie de massacrer une personne.» Dans son dernier opus, Amélie Nothomb précise elle-même ce qui constitue l'originalité de ce roman, Ni d'Ève, ni d'Adam. En effet, ses livres précédents avaient pour habitude de mettre en scène des relations de domination, où souvent une jeune fille frêle est soumise aux bons vouloirs de ses tortionnaires du moment. C'était le cas notamment dans son premier roman publié, Hygiène de l'assassin, ou encore dans Antechrista, mais aussi avec Stupeur et tremblements, dont Amélie Nothomb ellemême précise qu'il s'agit d'un livre parallèle à Ni d'Ève, ni d'Adam. Si Stupeur et tremblements raconte les avilissements et le harcèlement moral qu'elle a subis dans une des plus grosses entreprises de Tokyo, celui-ci parle de son amour pour Rinri, un Japonais exquis, doué pour la gentillesse, d'une authentique attention à l'égard de la Belge. Amélie Nothomb entrouvre donc pour nous son journal intime de jeune fille de 21 ans, à une époque où elle retrouve, après seize années d'absence, un pays qui l'a profondément marquée.

Après Amélie San, l'Amélie docile employée, voici donc Amélie Sensei, l'Amélie maîtresse. Professeur de français mais également amante. Car c'est à l'occasion de cours particuliers que va naître son grand amour. Ce qui nous vaut quelques quiproquos linguistiques, propres à deux étrangers qui se rencontrent dans des idiomes qu'ils maîtrisent mal. Nothomb va jusqu'à nous assener des vocables japonais que nous sommes censés connaître comme yakusas, shamisen et autres furoshiki.

Le roman rebondit de scène en scène, plus cocasses les unes que les autres, et se déroule comme un monopoly sur lequel on avance de case en case, mais qu'Amélie préfère appeler «monophily». Ce n'est d'ailleurs pas le seul néologisme dont elle sertit ses pages, puisque nous aurons également droit à bourrelle (féminin de bourreau), descension (antonyme d'ascension) ou encore conversationneuse. On sait également le goût qu'elle a de vocables peu communs comme ergastule, réplétion, fantasmes érémitiques. Amélie Nothomb enchaîne donc les scènes avec une facilité étonnante et nous fait découvrir sans prétention divers aspects de la vie nipponne : un feu d'artifices au parc Shirogane, une visite d'Hiroshima (qui entraîne un hommage discret à Marguerite Duras), un dîner entre amis où sont exposées les règles de la conversation à la japonaise, les cinémas à Tokyo, les sélections d'entrées aux meilleures écoles primaires, etc. Nous avons également droit à quelques suggestions d'excursions au pays du soleil levant, en particulier sur les monts Fuji et Kumotori Yama, «la montagne du nuage et de l'oiseau», hantée par la sorcière Yamamba. Elle y exprime une belle excentricité égotique lorsqu'elle raconte ses dons d'alpiniste, n'hésitant pas à se comparer à Zarathoustra. Amélie n'est d'ailleurs pas avare de ce genre d'excentricités autobiographiques mais comme elles sont l'occasion de se moquer surtout d'ellemême, on lui pardonne facilement. Ajoutez à cela quelques recommandations gastronomiques comme l'okonomiyaki, plat de gingembre, crevettes et chou avec lequel elle nous refait le coup de la madeleine de Proust, ou le kori, une glace pilée arrosée d'un sirop au thé de cérémonie, et vous obtenez une plongée dans un monde exotique à souhait avec une guide à l'enthousiasme débordant.

Mais Amélie Nothomb ne serait pas Amélie Nothomb si elle n'agrémentait ses histoires de considérations diverses sur l'existence. Parlant de l'amour qui est la grande affaire de ce roman, elle se lance dans une distinction entre les êtres granitiques et les êtres fluides, au regard de la Bible, excusez du peu, pour expliquer le miracle des fiançailles qui permettent aux jeunes filles effrayées comme elle par le mariage et la maternité de contourner l'obstacle. Car, conclut-elle, «gagner du temps est la grande affaire de la vie». Nous vous laissons la surprise d'autres sentences de ce type.

Gageons que cette année encore, comme les quinze précédentes, les journalistes s'empareront à nouveau de ce livre qui vaudra bien des articles à son auteur devenu sujet de société autant que de littérature (jusqu'à trois entrées différentes, dont la une, dans un même quotidien vespéral lors d'une rentrée précédente), que ses admirateurs crieront à nouveau au génie et ne seront pas déçus car ils retrouveront la patte de leur romancière préférée, que ses délateurs ne se réconcilieront pas davantage avec ce roman nourri des mêmes ingrédients, trucs, astuces et ficelles que les précédents. Amélie, elle, n'en a cure. Elle écrit déjà le(s) suivant(s).