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Piquant et délicieux.

Je n’ai pas lu beaucoup de romans de Brigitte Aubert. Mémoires secrets d’un valet de cœur était une bonne occasion de rattraper ce retard.

Aubert1910 à Paris, Dédée est la star d’une très chic et très discrète maison : l’hôtel Sélignac. Un lieu où les messieurs de la bonne bourgeoisie parisienne peuvent venir assouvir des désirs inavouables : coucher avec des travestis. Car Dédée est née André.

Soixante ans plus tard, à plus de 80 ans, Dédée se souvient de cette année là, quand à 20 ans, avec la fougue de la jeunesse, elle se passionnait pour les enquêtes policières et pour des pratiques encore balbutiantes, celles de la police scientifique. Une police scientifique qu’elle va pouvoir voir à l’œuvre quand autour des dames de l’hôtel Sévignac des travestis sont sauvagement assassinés.

Je ne vais pas vous dire que c’est le roman de l’année, mais c’est un polar que l’on lit avec un réel plaisir.

Tout d’abord, et dès l’entame du premier chapitre, grâce au ton grinçant et à la vivacité de l’écriture. C’est drôle, acide, juste, rythmé, on lit le sourire aux lèvres. Et ce jusqu’à la dernière ligne.

Ensuite parce que ce ton est parfaitement adapté au propos, et à l’époque. On vit alors dans les dernières années d’insouciance avant les deux monstruosités que furent les guerres mondiales. Le monde, et surtout Paris, est d’une certaine façon plus libre qu’aujourd’hui, moins obnubilé par l’hygiénisme, avec moins d’interdits malgré une société totalement corsetée par la religion. Un paradoxe très bien rendu par le récit. Tout comme celui d’un monde extrêmement dur pour les plus pauvres, mais qui, étonnamment, semble aussi proposer plus de petits moments de joie, d’évasion, et de foi dans l’avenir.

Et c’est d’autant plus évident que, par son artifice d’écriture, l’auteur nous fait vivre le récit de quelqu’un qui a vécu une bonne partie de 20° siècle et raconte les choses avec recul.

Alors certes, il y a un petit coup de mou au milieu (du moins à mon goût), mais l’humour noir, l’empathie que l’on ressent pour des personnages hors du commun, et l’intrigue parfaitement menée font que l’on prend un grand plaisir à déguster ce bonbon … au poivre.

Brigitte Aubert / Mémoires secrets d’un valet de cœur, Seuil (2017).

Brigitte Aubert, La ville des serpents d’eau

J’ai découvert Brigitte Aubert il y a peu, avec le monstrueux et réjouissant Le souffle de l’ogre. Puis j’ai lu quelques-uns de ses romans pour préparer sa venue à TPS en 2011. Comme j’ai apprécié, j’essaie maintenant de suivre ses nouveautés. La dernière en date : La ville des serpents d’eau.

AubertUne petite ville des US, proche de la frontière canadienne, à la veille de la période de Noël. Il y a une quinzaine d’années, cinq fillettes ont été enlevées. Les corps de quatre d’entre elles ont été retrouvés, dans les lacs du coin, le dernier n’a jamais réapparu. Et voilà que fait surface une gamine maigre, salle et muette, semblant sortie de nulle part. Elle est prise en charge (si on peut dire) par Black Dog un SDF noir, immense et légèrement demeuré. Chose qui ne semble étonner personne, sauf Limonta, ex flic newyorkais, viré après une très grosse bavure due à sa consommation excessive d’alcool. Limonta traine sa déprime dans sa ville d’origine mais va trouver là l’occasion de se rendre utile, une dernière fois, avec l’aide d’un ex rappeur revenu, lui aussi, croupir dans sa ville natale.

Je ne vais pas vous raconter d’histoires, on n’a pas là le chef-d’œuvre de l’année qui va révolutionner le genre ou vous hanter pendant des mois. Mais je l’ai lu en une journée, impatient de le retrouver chaque fois que je le laissais pour retourner à la « vie normale ». Ce qui est un signe infaillible que l’on a là un polar impeccable, parfaitement construit, avec ce qu’il faut d’épaisseur des personnages, de suspense, de coups de théâtres, de surprises, de fausses pistes …

Bref, exactement ce qu’il faut de temps en temps quand on veut passer un bon moment de lecture sans forcément trop se prendre le chou. Et c’est déjà beaucoup …

Brigitte Aubert / La ville des serpents d’eau, Seuil/Policiers (2012).

Un privé dans les îles.

Je continue à lire pour TPS. Brigitte Aubert est, avec Paco Ignacio Taibo II invitée d’honneur, et c’est un auteur que je connais peu, mis à part l’horrible et jubilatoire Souffle de l’ogre. Comme sa bibliographie est fort abondante j’ai pêché un peu au hasard. Requiem Caraïbe, bonne pioche.

Dagobert Leroy (oui son père avait un sens de l’humour assez spécial), 45 ans, est plutôt noir, plutôt baraqué, ex militaire et privé sur l’île de Saint- Martin dans les Antilles. Ce matin là on se croirait dans les années cinquante en Californie : Charlotte Dumas, métisse flamboyante et insupportable (en bref la femme fatale de cinéma) déboule avec sa mauvaise humeur dans son bureau. Il s’agit ni plus ni moins que de retrouver son père, qu’elle n’a jamais connu, qui a juste croisé sa mère vingt-cinq ans plus tôt à Sainte-Marie. Pas de piste, aucun témoin survivant ou presque, la routine pour Dag qui ne se doute pas qu’il va mettre les pieds dans un véritable nid de serpents.

Plus classique que ça, on peut pas.

Un privé baratineur, une cliente somptueuse et insupportable, la recherche a priori sans risque d’un (ou d’une) disparu, de jolies femmes, des bagarres et une situation qui part en vrille. Depuis l’invention du privé hard-boiled il y a eu des centaines de romans sur ce canevas. Alors pourquoi lire celui-là ?

D’abord parce que j’aime ça, et que quand c’est bien fait, ça marche. Ca marche chez Lehane, ça marche chez Pelecanos, ça marche  chez Block. Et bien ça marche aussi chez Brigitte Aubert. Voilà, le privé dur à cuire avec ses réflexions, ses vannes, ses répliques son sourire de tombeur, elle sait faire, comme les américains.

Et puis le décor change et ça aussi c’est bien. La balade d’une île à l’autre est bien agréable. Et puis elle maîtrise parfaitement les scènes à grand spectacle, comme celle de l’ouragan ou la confrontation finale. Et puis il y a de vrais affreux, bien convaincants, ingrédient indispensable du genre. Et puis il y a des coups de théâtres bien amenés. Et puis elle y introduit quelques variantes plutôt bienvenues … Allez, je vous révèle un petit secret … Malgré un début archi classique, le privé ne devient pas amoureux de sa cliente … Vous verrez … hihi …

Bref, une lecture extrêmement agréable.

Brigitte Aubert / Requiem Caraïbe, Seuil/Policiers (1997).

Les contes de fées interdits aux moins de 16 ans …

Le Petit Poucet, Peau d’âne, Le chat botté, Blanche neige, l’Ogre, La belle au bois dormant, Hansel et Gretel … Vous connaissez tout ça, bien entendu. Du moins, vous croyez le connaître … Et comme vous êtes des gens cultivés, intelligents, au courant, vous savez bien ce qu’il y a derrière. La psychanalyse des contes de fées et tout le tintouin. Enfin, disons que vous croyez que vous savez.

Parce que Le souffle de l’ogre de Brigitte Aubert va faire voler en éclat vos certitudes et vos cauchemars pastels. Dans un grand éclaboussement de sang, de tripe, d’horreur … et de rire.

Le petit Poucet est Sept, septième d’une fratrie qui n’a été élevée que dans le but de vendre les enfants en pièces détachées. Sept a échappé à son père, grâce aux conseils de Un, sourd, muet, aveugle, contrefait, mais pas idiot. Sept et Un ont un but, le port, pour échapper à cette contrée ravagée par la guerre, livrée aux soudards sanguinaires et à la folie destructrice du Seigneur. Un Seigneur dont la fille, Blanche, se cache dans une cabane de nains, pour échapper à la vengeance de la Reine, aussi sanguinaire que son époux. Il croiseront aussi un Infante vêtue d’une Peau d’âne qui s’est échappée du lit de son père, un ogre serial killer pédophile, un jeune escroc félin, souple et meurtrier comme un chat, et quelques autres personnages que vous reconnaîtrez …

Un petit conseil, oubliez le Prince (charmant comme il se doit) réveillant la Belle après avoir combattu le dragon, oubliez les nains sifflotant … Ici on n’est pas chez Disney. Cherchez plutôt du côté de Jérôme Bosch. Bosch et son Enfer, sa cruauté. Ici la guerre est sale, très sale, la folie atroce, la misère transforme les hommes (et les enfants) en bêtes. Ici pas de gentils. Les gentils ne survivraient pas deux minutes. Ici pour survivre il faut être dur comme le roc.

Et pourtant. Et pourtant, une certaine fraternité va naître entre les fuyards, l’idée que l’on ne peut s’en sortir qu’ensemble, et que si l’homme est capable des pires atrocités, on ne perd pas non plus forcément chaque fois qu’on décide de lui faire confiance.

Et surtout, il y a la jubilation, immense, à découvrir, à la fois horrifié (sincèrement horrifié) et amusé, comment Brigitte Aubert va détourner le conte en « se contentant » d’expliciter ce que les contes ne font que suggérer. On sent qu’au-delà de l’horreur, réelle, du récit, l’auteur s’est beaucoup amusée à mettre en scène ce grand guignol, et elle a parfaitement su faire passer dans son texte à la fois l’amusement et l’horreur.

A lire, pour rire d’horreur. Ames trop sensibles s’abstenir …

Brigitte Aubert / Le souffle de l’ogre, Fayard/Noir (2010).