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POÈTES D'AUJOURD'HUI
A LA MÊME LIBRAIRIE
POÈTES d'aujourd'hui, iome II i
Camille Mauclair. — Stuart Merrill. — Ephraïm Mikhaël. — ^
Albert Mockel. — Robert de Montesquiou. — Jean Moréas. — j
Comtesse Mathieu de Noailles. — Pierre Ouillard. — ErnesO
Raynaud.— Henri de Rég-nier. — Adolphe Retté. — J.-A.V
Rimbaud. — Georg-es Rodenbach. — P.-N. Roinard. —
Saint-Pol-Roux. — Albert Samain. — Fernand Séverin. —
Emmanuel Sig-noret. — Paul Souchon. ~ Henry SpiessJ —
Laurent Tailhade. — Paul Valéry. — Charles Van Ler-
berghe. — Emile Verhaerea. — Paul Verlaine. —Francis
Vielé-Griffîn.
D
AD VAN BEVER & PAUL LÊAUTAUD
oètes d'Aujourdhui
Morceaux choisis
Accompagnés de Notices bibliographiiiues et d'un Essai de Bibliographie
HENRI BAUBUSSE. HENRI BATAILLE.
TRISTAN CORBIÈRE. — LUCIE DKLARUE-MARDRUS.
BMILE DKSPAX. MAX ELSKAMP. — ANDRÉ FONTAINAS. PAUL FORT.
RENÉ GHIL, REM Y DE GOLRMONT. — FERNAND GREGH.
CHARLES GUÉRIN. — A. -FERDINAND HEROLD.
GÉRARD d'hOUVILLE. — FRANCIS JAMMES, — GUSTAVE KAHN,
JULES LAFORGUE. LÉO LARGUIER. RAYMOND DE LA TAILHÈDE.
LOUIS LE CARDONNEL. SÉBASTIEN CHARLES LECONTE.
GRÉGOIRE LE rA^. JEAN LORRAIN. PIERRE L0UY8.
MAURICy MAETERLINCK. MAURICE MAGRE
STÉPHANE MALLARMÉ.
Vingt-cinquième édition
PAKIS
MERGVRE DE FRANGE
XXVI, RVE DE CONDÉ, XXTI
M C M X 1 1 1
Lf. ^e s
BIBLIOTHECA
IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE I
Douze exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de i à 12.
JUSTIFICATION DU TIRAGE :
24679
PQ
Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.
INTRODUCTION
Voici une nouvelle édition d^un ouvrage auquel
le public a bien voulu faire un excellent accueil.
C'est autant ce succès que le souci de tenir à jour
et de compléter notre travail qui nous a enj^açés à
le reprendre, et nous avons toutes raisons de croire
qu'on en sera satisfait. La production poétique a
les mêmes phénomènes que la vie elle-même. Depuis
la publication de Poètes d'aujourcriiiii sous sa
première forme, quelques-uns des poètes qui y figu-
raient sont morts ; d'autres ont poursuivi leur
œuvre; d'autres, au contraire, sont restés station-
naires , au même point où nous les avions trouvés ;
enfin, de nouveaux poètes se sont révélés, qui ont
mérité en peu de temps de se faire un nom, pres-
que une réputation. On trouvera des témoignages
de tout cela dans cette nouvelle édition, où tout
d'abord nous nous sommes occupés de présenter
chaque poète d'une façon plus complète, plus docu-
mentée, où nous avons augmenté les choix de poè-
mes en raison des nouvelles œuvres publiées, et
1.
POETES D AUJOURD HUI
OÙ nous avons fait entrer plusieurs noms nouveaux,
tant de poètes que notre premier cadre ne nous
avait pas permis d'accueillir, que de ceux qui se
sont révélés depuis. Pour la forme que nous avons
observée, elle est demeurée la même, dont on trou-
vera l'explication à la fin de notre première intro-
duction. On nous l'a beaucoup empruntée, pour des
ouvrages analogues au nôtre, et que son succès
paraît bien avoir surtout inspirés : Anthologie des
Poètes du Nord, Anthologie des Poètes français,
Anthologie des Poètes du Midi. Ce n'est pas pour
nous en plaindre. Nous trouvons seulement là une
indication que notre méthode n'était pas mauvaise
et que nous pouvions la conserver.
Après cela, il est bien certain qu'on ne manquera
pas de nous faire de nouveau quelques objections,
tant sur le choix des poèmes que sur le choix des
noms. Sur celui-ci, surtout. Les poètes de talent
sont si nombreux ! Nous pensons y répondre à
l'avance en répétant que nous n'avons eu d'autre
intention que de composer des « morceaux choisis »,
et nullement une « antholoi*^ie ».
Nous ne saurions manquer, en terminant, d'ex-
primer nos remerciements aux poètes qui nous ont
aidés pour nos notices, en même temps qu'aux édi-
teurs qui ont bien voulu nou^ accorda les autorisa-
tions nécessaires.
INTRODUCTION A LA PREMIÈRE ÉDITION
C'est ici un ouvrat,^e diflartiqne, si Ton veut : un
guide de la poésie récente. Des livres des mieux
connus d'entre les poètes qui participèrent au mou-
vement littéraire appelé « svmholiste » nous avons
extrait, non pas toutes les belles pièces, mais quel-
(pies-unes seulement des plus belles pièces, et sous
le titre qu'on voit à ce travail nous les apportons
au public comme un témoig-naq^e du parfait labeur
d'art où se vouèrent ces écrivains et comme un
renseig^nement direct sur leur œuvre. Et c'est ici un
livre de Morceaux choisis ^ sans plus.
Nous ne pensons pas qu'il nous soit défendu de
marquer que la composition de ce volume, en mèine
temps qu'elle fut un peu délicate, manqua parfois
d'ai;rén»cnt. Outre que nous avons en somme bien
peu travaillé pour nous, de qui l'un, depuis Ron-
sard jusqu'à M. Charles Ciuérin, sait de mémoire
tous les vers à peu près qu'il aime, souvent il nous
fallut aller à l'encontre de notre ffoùt. Si nous
avions, en elFet, écouté notre seul jjlaisir, tels poê-
les, par exemple, que nous avons accueillis, près-
POETES D AUJOURD HUI
que sûrement eussent été négligés, tandis que tels
autres, au contraire, non point oubliés, mais que
nous ont fait omettre de multiples nécessités, tout
de suite auraient eu leur place, au lieu d'être remis
à, peut-être, un second bouquet. Et ces minces
tristesses nous les avons retrouvées quand, avec
la même douceur que si nous eussions inventorié
les salles à peine connues de petits musées tantôt
éclatants et sonores, et tantôt monotones et voilés,
nous dûmes décider du choix des poèmes, et qu'à
la place, parfois, de telles pièces d'une beauté trop
neuve ou trop vive il nous fallut prendre telles
autres qui, de tous points, nous semblaient conve-
nir mieux. Mais avant tout nous faisions un livre
pour le public, et seule, cette considération devait
être notre guide. Avant tout, nous faisions un livre
que tout le monde pourrait lire, où chacun sûre-
ment trouverait sa complaisance... Et s'il faut le
dire, dans ce sens, nous ne sommes pas loin de
croire que nous avons réussi.
Il nous semble qu'on pourra juger de notre
impartialité quant au milieu, à la production et
au procédé d'art, si l'on veut bien examiner la liste
des poètes qui figurent dans cet ouvrage et consta-
ter — les morts, et surtout Paul Verlaine et Sté-
phane Mallarmé, tous deux hors du temps, mis à
part — que nous avons accueilli aussi tranquille-
ment M. Fernand Gregh, fêté dans les salons, que
M. Raymond de La Tailhède, de qui le nom n'a
INTRODUCTION
guère franchi un cercle d'écrivains; que nous som-
mes allés de M. Henri de Régnier, dont l'œuvre
déjà compte, jusqu'à M. l^aul Valéry, qui n'a encore
publié aucun livre ; et qu'à côté de poètes usant
de préférence du vers libre, comme MM. Gustave
Kalin, Emile Verhaeren, Francis Vielé-Griffin, etc.,
nous avons admis, les reliant, pour ainsi dire, par
MM. Francis Jammes, Maurice Magre, etc., qui
pratiquent un alexandrin libéré, et par M. Paul
Fort, dont les Ballades sont en prose rythmée,
des poètes très proches du Parnasse ou tout au
moins demeurés fidèles à la teclmi([ueparnassi»'nne,
comme MM. Henri Barbusse, Pierre Louys, Pierre
Quiliard, etc.
Nous n'avons toutefois pas cru devoir observer
le même détachement quant aux indications con-
tenues au paragraphe a consulter de chacune des
bibliographies. Là, en effet, nous avons tenu à évi-
ter l'encombrement autant qu'à ne sij^naler que des
documents où se reporter utilement. Nous avons
donc omis très absolument d'y rappeler à la fois
ces notes et courtes chroniques, dans les journaux,
lors de la parution d'un livre, et qui n'apprennent
rien sur son auteur, et ces écrits montrant le parti-
pris et n'ayant nul rapport avec la critique non
plus, souvent, qu'avec la littérature, comme, par
exemple, les articles de M. HenrvFouquier au sujet
de Paul Verlaine et de Stéphane Mallarmé.
11 ne nous reste plus qu'à exprnjuer la rm-lhode
10 POÈTES d'aujourd'hui
de classement que nous avons observée et qui est
tantôt l'ordre alphabétique et tantôt Tordre chro-
nolog-ique.
Les poètes sont rangés selon l'ordre alphabétique.
Les poèmes se suivent selon l'ordre chronolog"!-
que, c'est-à-dire selon l'ordre de leur création ; à
ceux figurant sans titre dans le volume original,
nous avons, pour plus, de clarté, donné comme #
titre soit le premier vers, soit le début du premier
vers ; chaque poème est suivi du nom de l'ouvrage
duquel il est extrait ; et les poèmes non accompa-
gnés d'une telle indication sont des poèmes ou tout
à fait inédits ou qui n'ont pas encore été publiés en
volume.
Chaque bibliographie comprend, principalement :
LES ŒUVRES et A CONSULTER, cc dcmicr paragraphe
divisé lui-même en deux parties : les livres, puis les
journaux et les périodiques. Les œuvres sont ran-
gées selon l'ordre chronologique, c'est-à-dire selon
Tordre de parution. Et Tordre alphabétique par
noms d'auteurs a été observé pour tout le para-
graphe : A CONSULTER, qu'il faut lire ainsi : nom
d'auteur, titre du livre, lieu d'édition, nom d'édi-
teur, et date d'édition ; puis : nom d'auteur, titre de
l'article, titre du journal ou périodique le conte-
nant, et date dudit.
(^•'\'
HENRI BARBUSSE
1874
/
r'
, M. Henri Barbusse est né à Asnières (Seine), le 17 mai 1874- H •
/•ctc laijr('at du concours de poésie de L'Echo de Paris en 1893,
I et il a t'pousë, en 1898, la fille cadette de M. Catulle Mendes.
M. Barbusse, qui a éN'* critique dramati(|ue à la Grande Revue, et
qui est aujourd'hui rédacteur en chef du mai^azine Je Suis Tout,
n'a publié, comme poète, que ce volume Pleureuses, dont sont ex-
traits les poèmes qu'on va lire. M. Catulle Mendès l'a apprécié en
ces termes quand il pardt: a C'est plulôl un poème, ce livre, un lonjç
poème, qu'une succession de pièces, tant s'y dt'roule vis.blement
l'histoire intime et lointaine d'uue seule rêverie. Les Pleureuses
viennent l'une après l'autre ; tous leurt yeux n'ont pas les marnes
larmes, mais c'est le même convoi qu'elles suivent, le convoi, dirait-
on, d'une âme morte avant de naître... C'est bien une âme, oui,
plutôt même qu'un cœur, qui se désole en ce poème, tant tous les
sentiments, l'amour, les désespoirs, et les haines aussi s'y font
TQVt... Les Pleureuses pieureni en des limbes, limbes de souvenance
où se serait reflété le futur. Et en cette brume de douceur, de pâleur,
de lantîueur, rien qui ne s'estompe, ne se disperse, ne s'évanouisse,
sans disparaître délicieusement... Pas de plainte qui ne soit l'écho
d'une plainte qui fut un écho. Et c'est le lointain au-delà du loin-
tain...» Depuis, M. Barbusse semble s'être tourné de préférence
vers l'art du romancier, avec Les Suppliants et L'Enfer, deux
romans parus le premier en igoS, et le second en 1908.
Bibliographie :
Les (irvuEs. — Pleureuses, poésies. Paris, Pasquelle, 1<*95, iu-18. — Les
Suppliants, roman. Paris, Fasquelle, ll>03, in-18. —L'Enfer, romau.Paris,
Libr. Mondiale, i9(>8, in-18.
A coNst'i.TEn. — F. Coppée : Mon franc-parler, 4« série. Paris, Lem rr ,
1896. — Catulle Meodès : Rapport sur le Mouvement poétique françai»
de /567 <f 1900. Piiii^, imprimerie Nulioualc, 190J, et Fas<iuellc, 1903, iii-8.
13 POETES D AUJOURD HUI
Henri Ghantavoine : Poètes et poésies. Journal des Débats, 21 noverabr
1895. — Cadille Mendès : Henri Barbusse. Echo de Paris, 30 avril 1895
— L. Muhlfelil : Chronique de ta littérature. Revue blanche, 1" juin 1895
— Pierre Quillard : Benri Barbusse. Mercure de France, août 1895.
LE SOURIRE
Sa fragilité nous unit.
Ma sœur, quand tu souris, on croit
Que c'est ton âme sur la terre...
Mais pour moi, c'est le grand mystère
Qui m'éblouit au seuil de toi !
Le sourire, c'est ce qu'on donne!...
C'est, un mensoniiçe parfois vrai,
C'est, dans tes beaux yeux de secret,
La caresse autre, quoique bonne.
Il faudrait tant, couple royal,
Sur la grand'route, avec vaillance,
Passer dans l'éclat du silence
Et le grave mépris du mal !
Pourtant, ton rire de lumière
Restera notre pureté.
Ce sera dans l'éternité
Notre vague et pauvre prière.
Notre prière et notre foi,
Et ton regard dans notre église ;
Ce sera l'image précise
De ta bouche qui pense à moi.
Après toute métamorphose,
Lorsque le soir sera l'oubli.
Je verrai ton rire pâli
Rester comme la seule chose.
Jusqu'au moment assoupissant
Où, calme à tes mains disparues,
HENRY BATAILLE
4872
M, Hpnry Ralaillc est né à Nîmes en 1879, et n'a publié, comme
poète, niTiiD seul livre : Le Beau Voyage, (^e livre seromjtosr de Iroi»
parties distinctes : La Chambre blanche. Le Beau Voyage et Et
voici le Jardin, dont la première parut d'abord en plaquette en iSgb,
avec une préface de Marcel Schwob, dont nous extrayons ces pas-
sages : « Voici un petit livre tout blanc, tout tremblant, tout balbu-
tiant. Il a l'odeur assoupie des chambres paisibles où l'on se sou-
vient d'avoir joué, enfant, pendant les longues après-midi d'été.
Toutes les petites tilles y sunt coloriées comme dao& les livres
d'images, et elles ont des noms semblables à des sanglots puérils.
Toutes les petites maisons y sont de vieilles petites maisons de vil-
lage, où de bonnes lampes brûlent la nuit; et toutes leurs petites
chambres sont des cellules de souvenir que traversent des poupées
lasses, souriantes et fanées ; et on y entend le crépitement de la pluie
sur le toit; et au-dessus des croisillons des fenêtres on voit fuir 1rs
canards gris; et le matin, au cri du coq, on est saisi p.ir l'haleine
des roses. Doux petit livre qui s'attarde 1 Ses paroles sont murmu-
rées ou minaudées, ses phrases emmaillottées par d'anciennes mains
tendres de nourrices, ses poèmes étendus dans des lits frais et bor-
dés où ils sommeillent à demi, rêvant de pastilles, de princesses, de
nattes blondes et de tartines au miel... •
On remanjuera sans doute dans les poèmes de La Chambre blan-
che une certaine parenté avec ceux de M. Francis Jammes, au moins
pour les» motifs», car la manière du poète d Orthez est plus directe,
plus sincère et plus vraie, on pourrait pres(juc dire : moins artiste.
A lire les dates des poèmes de La Chambre blanche, il parait bien
Cependant qu il n'y a nullement eu intluence de M. Jammes sur
M. Bataille. Les deux poètes se sont simplement rencontrés, peut-^tre
même en s'ignorant l'un l'autre. Comme le disait .Marcel Schwob dan^i
ta préface, ils sout tous deux « pocte des chosci luaniuues et des
l8 POÈTES d'aujourd'hui
bctcs muettes. Ce sont deux âmes sœurs, pareillement sensibles, et
qui tressaillent aux mrincs allouclieincnts. »
Depuis (pielques années, M. Henry Bataille s'est fait une place assez
remanjuable comme auteur dramatique. Après avoir débuté au Tbéâ-
tre de l'Œuvre, avec La Relie nu Bois dormant et Ton Sanrj. repré-
sentés en i8<j/| et 18^)7, il a fait jouer successivement La Lépreuse
à la Comédie Parisienne, L'Enchantement, à l'Odéon, R.'surrection,
épisode tiré du roman de Tolstoï, é^'-aleinent à l'Odéon, Le Masque,
Maman Colibri et La Marche Nuptiale, au Vaudeville, et La
Femme nue, à la Renaissance.
M. Henry fialaille a collaboré au Journal des Artistes, au Mer-
cure de France, à la Vo/ue (nouvelle série i8(»(»), au Matin, au
Figaro, elc.
Bibliographie :
Les œuvres. — La Belle an bols dormant, f<'crie lyrique en 3 aclps, en
collalioralioii avrc .M JîoltcrL d'IItiniiùics, repiésonirc sur la scène du Tlit'àlre
de l'ituvre, en 1894. (Voyoz : La /Jette au bois dormant, etc., niusi(iuc de
riPor;;os IIup, r('(liif>lion jiour piano par Henry Fronc, 1895, in-fol.). — La
Chainlire blanche, po/sies. Paris, Soc. du Mercure de France, 1S03, in-16.
(Hrirniir. dans Le Jiniu voijatje, Paris. Fasqucilc, 1904. in-18). — Ton Sang,
précrdé de la Lrpreuse, lln'âtre. Paris, Soc. du Mercure de France, 1897.
— L'l']n('hantement, coniMic dramalii|uc en 4 actes, rcprésenlée sur la scène
du Th.'àlre de lO.l.'on, le 10 mai 19ii0. Taris, Fasc|ucl!e, 1901-. in-18 (publiée
avec Maman Cotilji-i ; voir plus loin). — Tôles et rensécs, Ii(lioi,M-. el écri-
tes. (Portraits de Tristan Bernard, Alfred Capus, Jules Case, Maurice Don-
nay. Faut Fort, Andri'. Gide, Guatavc Kahn, Jean Lorrain, IHerre J.ouxjs^
Octave Mirijeau, Jloliert de Montesrpiiou, Catulle Mendcs, Lucien Muhl-
feld, André Picard, /fenri de Bi'i/nier. Jutes B nard, Georges Bodcnliacli,
Edmond Sée, Jean de Tinan, Pierre Valitai/nc, Fernamt Vandérem. Witly.)
Paris, OlIendorlT, 1901, ^r. in-4. — Le IVIasquc, comédie eu trois actes,
représentée sur la scène du Vaudeville, le 24 avril 1902. Paris, FaMiuelle. 1907.
in-18 (publiée avec In Mnrrlie nuptiale, voir plus loin). — Itésurrection.
drame en cinq arles el un proIo]ïue d'aj)rè.s le roman de Tolstoï, représenté sur
la scène du Tliéàlre de lOdéon, le 14 novembre 1902. el repris sur la scène de
la Porlo-Sainl-Marlin, le 25 janvier 1905. Paris, Fasqucilc. 1905. in-18. —
IVIaiii.'tn Colibri, comédie en (juatrc actes, représentée sur la scène du Vau-
deville, le S novembre 19)4 (publiée avec l'Enchantement, voir l'article sui-
vant). — Théâtre : L'Enchantement, Maman Colibri. Paris. Fas-
quelle, 1904, in-18. — Le Beau voyage, poésies [La Chambre tdnnche. Le
Beau voyage. Et voici le jardin], avec un portrait de l'auteur, en lithopra-
phie, par lui-môme. Paris, Fasquellc, 190i, in-18. — La Marche nuptiale,
pièce en quatre actes [représentée sur la scène du Vaudeville, le 27 oilobre
1905]. Paris, s. 1. n. d. (Imprimerie de « rillustralion »). 1905, in-8. —
Pollche, comédie en 4 actes [représ, à la Comédie-Française, le lOdéc.
190C]. Paris, s. 1. n. d. Mmpr. de u llllustralion .) 1007, iii-'s. — ThéAlre :
Le lVlas(|ue. La Marclui nn|tti:(l<v Paris, Fa>^quelle, 1907, in-lf<.
Préface. — Marcel Cruppi : La Violence. Paris, B. Grasset, 1908, in-18.
niNRY BATAILLE I ()
A cossiJi.TiR. — Léon HIuni î Au Théâtre. Pari». S>c ' ' ' '■ •^■- •
arlUl., l'JOô, in-18. — H«>iiiy <le Giniriiioiit : Le II* Inr
l'arir». Soc. «lu M«'r«!urr de France, Ih'.'n, ui-18 — Georges Lr i ..n <> >iitM-i
<»l Cil Velly : La Littérature contemporaine, /Sr/î, rlc. Ptri'», Nx: . ilu
Mcnrurc de Frauce, IO06, in-18. — Juie* Leinailre : Imprtt.t.nt de
tlièàtre, 10» série, l'ari;», Leccuc el Oii.l.ii, l^y*. lu-lr». — Hobi»"l de
Soii/.n : La l'in'aie populaire et le lyritme tenlimenlal. l'ar», Zsoc. du
MiMcurcdc FraïKM-, l'^'J'J. in-18.
Ernest (àauberf: Henry liataille. Uprcure de Frauce, 16 «Tril 1909.
Iconographie :
IfiMiry \\i\\aï\\e: Ltth>i)raphir.\Hi\,\uccn\.(-\<'iU'\<<\<\\i>T\
f'ario. Faviiuollo, IÎU14, ii)-J8. — F. Vallolton : ,1/r^^YI/< . .!
dfs Maxijurx, de H. «le fïoiirmonl. Pari!», Sor. du Mrrnjre ili- FjAj.t.-, l-
8em : M. Henry Uatnilli\ auteur du c Manque ». Jourud, 24 avril ; .:
LE MOIS .MOUILLÉ
.Pnr 1rs vitrrs (^risrs ^\c la lavarulcri»*.
J'ai vu tornhrr la iiiiil d'aiitotniic (]ii(> voilà...
Ouel(|u'un niarclie le lonjç des fo.ssés pleins de pluie...
\'«)vaiî('ur, voyai^eiir de jadis, qui t'en vas,
A l'Iieure où les her^ers (h'scendenl des monlatrnes,
HîUe-toi. — Les foyers sont cteiots où lu vas,
(lloses les portes au p.Tys <jue tu rei^atfries...
La tjrande route est vide el le bruit des luzernes
Vient de si loin qu'il ferait peur... Dépéche-toi :
I-«s vieilles earrioles ont .soufflé leurs lanternes...
(i'e.st raulonine : elle s'est fissise et dort de froid
Sur la chaise de paille au fond de la cuisine...
L'.iutoinne elmnte dans les sarments morts des vijfnes..,
('/est le moment où les cadavres introuvés,
Les blancs noyés, flottant, sonifeurs, entre deux ondes,
S;iisis eux-mêmes aux premiers froids sotilevés,
Descendent s'abriter dans les vases profondes.
{La Chambre blanche. Fasqurlle.)
L.\ NUIT D'OCTOnRB
0 ma lampe, <^ ma pauvre amie,
Causons un brin de souvenir...
La fenêtre ouverte à demi
20 POÈTfiS d'aujourd'hui
Nous enverra Tancien zéphir
Qu'ont caressé bien des poètes...
Nous reverrons le triste temps
Où 1 on faisait les amourettes
En mélancolie de printemps,
Quand on avait de longs cheveux,
Qu'on raclait des airs de bohème,
Au printemps des premiers aveux. —
Et rêvons les mansardes blêmes, !
Et les pots de vin engloutis
De ces crânes aux fortes lèvres
Qui, le cœur brisé, sont partis
Dans des ciriielières de fièvres,
Au pays des premiers amours...
De ces i:^ueux à la taille fine.
Au boléro de troubadours,
Qui s'en allaient dans la ravine
Pleurer celles qui ne sont plus,
Ceux qui sont morts sans qu'on palisse,
Au temps des longs chapeaux pointus,
En pronûn(;ant le nom d'Alice...
El qui, sous les saules d'hiver.
Songent morts à leur endormie...
Et ce temps-là, c'était hier,
0 ma lampe, à ma pauvre amie !..
O ma lampe, ô ma pauvre amie.
Le temps n'est plus où sous tes yeux
Sous ton froid regard de momie.
Les poètes dcvolieux.
Avec leurs muses d'élégie
Sanglotaient des sani^lols frileux...
Triste nuit, de leur sang rougie,
Toi, pâle Muse aux doux yeux bleus.
Qui chantais à la pleine lune.
Tout est passé, conmie le cri
D'un oiseau blessé dans la hune...
Ta j»anvre robe a défleuri.
Fille (l(.'s âmes solitaires...
HENHY SATAILUI SI
Temps des romances, Irmps naits.
Quand les amants aux cimelirres
S'en allaient pleurer sous les ifs...
Oui (If)nc remettra vos parures
tt vos bojKjuets aliandounés,
O lanj^ou'reuses créatures,
Portraits aux cadres écornas?
Quand reverrons-nous, près des tablca
Où veillaient les jeunes Pf^veurs,
Les amoureuses charitables
Prier tous bas avec ferveur?...
O jadis ! douces nuits de mai...
O temps des lonii^ues «lilii^ences...
Des dames en cabriolet...
Je suis né tard et sans croyances.
Voici la pluie avec le vent. , .
J'entends hurler la cheminée,
Comme une sorcière avinée,
Et s'égoutter l'eau sur l'auvent.
(La Cluimbre blanche. Fasquelle.)
LES SOUVENIRS
Les souvenirs, ce sont des chambres sans serrures,
Des chambres vides où l'on n'ose plus entrer.
Parce que de vieux parents jadis y moururent.
On vit dans la maison où sont ces chambres closes...
On sait (pi'elles scmt là comme à leur habitude.
Et c'est la chambre bleue et c'est la chambre rose...
La maison se remplit ainsi de solilude,
YA l'on y continue à vivre en souriant...
J'accueille quand il veut le .souvenir qui passe,
Je lui dis : « Mets-toi là... Je reviendrai te voir... »
Je sais toute ma vie cju'il est bien à sa place.
Mais j'oublie quelquefois de revenir le voir. —
Ils sont ainsi beaucoup dans la vi«Mlle demeure.
Ils se sont résignés à ce qu'on les oublie,
El si je Dc viens pas ce soir ni tout a l'heure,
33 POETES D AUJOURD HUI
Ne demandez pas à mon cœur plus qu'à la vie...
Je sais qu'ils dorment là, derrière les cloisons.
Je n'ai plus le besoin d'aller les reconnaître ;
De la route je vois leurs petites fenêtres, —
Et ce sera jusqu'à ce que nous en mourions.
Pourtant je sens parfois, aux ombres quotidiennes,
Je ne sais quelle angoisse froide, quel frisson.
Et ne comprenant pas d'où ces douleurs proviennent
Je*p£isse...
Or, chaque fois, c'est un deuil qui se fait.
Un trouble est en secret venu nous avertir
Qu'un souvenir est mort ou qu'il s'en est allé. . .
On ne distingue pas très bien quel souvenir,
Parce qu'on est si vieux, on ne se souvient guère...
Pourtant, je sens en moi se fermer des paupières.
{La Chambre blanche. Fasquelle.
L'ADIEU
Mon enfance, adieu mon enfance. — Je vais vivre.
Nous nous retrouverons après l'affreux voyage,
Quand nous aurons fermé nos âmes et nos livres,
Et les blanches années et les belles images...
Peut-être que nous n'aurons plus rien à nous dire !
Mon enfance... tu seras la vieille servante,
Qui ne sait plus bercer et ne sait plus sourire.
Et moi, plein de ton amertume vigilante,
J'ensevelirai le mystère des paroles...
Adieu. — Nous rouvrirons les portes du village,
Et ce sera la nuit de fête qui console...
Et la pluie mouillera ces tendres paysages. . .
Les paysans d'alors dormiront dans leurs chambres...
Et les jardins auront leur place accoutumée...
Ce sera quelque nuit limpide de décembre,
Avec la même route unie et parfumée...
Et les branches qui font des silences soudains...
Les femmes qui traversent une lampe à la main...
BENRT BATAILLB a3
Les chiVns niaiilcrcs et plats étendus sur le sal)Ie...
Le bruit dans les massifs des grands rhododendrons...
Ces poussières d'amour que nous ramasserons,
El tous nos bons regrets assis à notre table...
Je vous retrouverai le soir d'une journée, —
Les étoiles du champ viendront à là veillée,
Et vous me laisserez pleurer, sur vos genoux.
Nous entendrons le vent s'endormir dans les arbres ; —
Puis je rec^arderai mes deux mains apaisées.
Sous !e clair silence du vieil abat-jour vert...
Peut-être-un souffle triste ouvrira la croisée...
On entendra passer les lont^s chemins de fer...
Et la lune ne sera pas enror levée. —
Pauvre petite vieille enfance retroiivée,
Ce sera comme si je n'avais pas soufTert. ..
Pas souffert? est-ce vrai? nous n'avons pas pleuré.
Pas soulTerl? oh! répèle-Ie, nia y^risc amie, —
Et vienne ce beau soir <]ue j*évo(|uc à mon gré.
Où nous caresserons nos lèvres endormies. ..
Ce soir-là, ce soir-là, je saurai bien des choses...
Je ne te plaimlrai plus de n'avoir pas de roses...
Je comprendrai la joie du phalène qui meurt...
Alors nous éteindrons la lampe avec douceur.
{La Chambre blanche. Fasquelle.)
DL\LOGUE DE RENTRÉE
Avant d'entrer, assieds-toi là, sur cette malle.
N'importe où... oui, là... que nous nous rei^ardions
Pour la première fois dans les yeux. Oui es-tu ?
Que peux-tu être ? d'où me viens-tu,
Avec ce i^rand visatje pâle?
Je n'avais jamais vu tes yeux dans toute leur étendue.
Comme ils sont trrnnds ! Oh î <|ui es-tu.
Toi qui viens m'apporler la chideur de ces in.iins?
a^ POÈTES d*aujourd'hui
A^-tu pleuré? — Oui, j'ai pleuré. — As-tu souffert?
— Oui, j'ai soufTert. — Et qu'en as-tu pi-ardé? — Rien.
Des dates comme de vieilles lettres... Oui, j'ai soulTertl
Un mouvement incessant vers des demeures nouvelles
M'a porté jusqu'à vous. — Et les reçrets ? — Non. Quels
— Pourtant les lieux que l'on aimait... — J'ai tant voyage!
Ne vous ai-je pas dit que souvent je me lève
Pour chercher un objet que je crois avoir posé
Dans telle chambre, à tel endroit... a Mais non, je rêve.
C'était à Bordeaux, dis-je,... non, c'était à Lyon...
Ou la dernière fois que je fus à Marseille... »
J'ai quelquefois pleuré de tout ce qui s*éveille
Et renaît d'une si mystérieuse confusion,
— Oui, vous me l'avez dit, c'est vrai, je me rappelle...
Et bien, voici encore une demeure nouvelle
Où vous allez entrer. Ça ne vous effraie pas ?
Combien de temps resterez- vous?...
Je tâclierai d'être bon ce temps-là...
C'est si joli le ton de vos paupières près des joues !
Tu l'as beaucoup aimé ? — Oui, nous nous sommes séparés
Sans un mot. La voiture allait au pas. Je regardais
La route; le conducteur était assis
Sur le brancard avec un grand chapeau de feutre gris...
Comme il y a longtemps de cela, mon dieu !
— Douce voix ! douce voix ! éternelle figure 1
Je te consolerai, tu verras, de mon mieux.
Je voudrais te bercer avec un grand murmure,
D'une religion profonde, sans paroles,
Chère tête, et par avance résigné
Au phénomène argenté de tes pleurs, mon beau saule !
— Je te sens bien à tort tout émotionnée :
Nous allons entrer là. Il y fait bon vivre : on me l'a dit.
Le pays ravissant que ton désir caresse
Tu le sais chimérique, et vaine ta tristesse !
Etire-toi, va. Etends tes belles mains à la nuit.. .
— Vous ne m'en voulez pas ? — Non. Et soit béni
L'apprentissage douloureux de tant d'années
Qui t'a suavement habituée aux lèvres. . .
HENRY BATAILLS s5
— Dire que c'est ici que vous m'avrz menée 1. . .
Voilà ma vie. Et vous?. . . — Oh ! moi. . .
Tu ne com[»r«*n(lrais pas, tu es birn trop jolie.
Chut! ne dis rien, t;iis-l(ji.., je te vois, je le vois
A travers tes yeux d'eau que le ciel a remplis,
Je te vois à travers (f>n front où j'ai soiifllè,
A travers ta souffrance et ta siniplicit»-,
.le te vois, je te devine, tu es là,
Détcanlée à jamais pour mes mains enlr'ouvertes.
Et du îçesle divin de la tristesse oflerle
Tu as ramené toute l'ombre sur nous deux...
Allons, on peut entrer maintenant? — Si lu veux.
(Le Beau Voyage. Fasquclle.)
LA FONTAINE DE VlTlt
Les larmes sont en nous. C'est la séciirité
des peines de savoir qu'il y a des larmos toujours prêtes.
Les cœurs désabusés les savent bien Hdèles.
On apprend, dès l'enfance, à n'en jamais douter.
Ma n)ère à la première a dit : « Combien sont-elles? >
Des larmes sont eu nous et c'est un c^rand mystère.
Cœur d'enfant, cœur d'enfant, que tu me fais de peine
à les voir prodit^uer ainsi et t'en di'faire
à tout venant, sans peur de tarir la dernière.
Et celle-là, pourtant, vaut bien qu'on la retienne I
Non, ce n'est pas les fleurs, non, ce n'est pas i'ét©
qui nous consoleront si tendrement, c'est elles.
'Elles nous ont connus petits et consolés.
Elles sont-là, en nous, vii^ilantes, tidèles.
Et les larmes aussi pleurent de nous quitter.
{Le Beau Voyage. Faïqucile.)
NOCTIUNE
Sur le banc vert où dort la pluie,
C'est là que va s'asseoir ma peine,
96
POETES D AUJOURD UUl
Vers le milieu de la nuit...
Seuls, sans son maître, quand nous dormons,
Elle sort de la maison,
Et ce n'est pas moi qui la mène...
Nous, là-haut, nous rêvons, en bruines paisibles...
Alors elle s'assied sur le banc de rouille,
Délassée, et le plus commodément possible.
Elle ne sent presque pas que la pluie la mouille,
Ma peine, ma bonne peine, ma vieille peine...
De là elle entend bien les fontaines,
Les rainettes au frais, — toutes les autres tristesses
Coni[)atissanles de la nuit...
Elle sommeille, tousse un peu, s'éveille, et puis
Rep^arde nos persiennes et la lueur qui baisse.
Elle dit : « Mon dieu, mon dieu!... »
Elle sait que nous ne sommes pas heureux.
Que nous ne le serions pas plus sans elle.
Et que nous ne le serons jamais...
Et la pluie sent les fleurs nouvelles.
Et la pluie a le bruit de la paix. —
Est-ce ma peine, est-ce la tienne?
Je l'ai mêlée avec la mienne,
Quelle est la mienne^ quelle est la tienne î
Quelle est celle qui parle en bas?...
— Et quand je la retrouve, au réveil, dans les draps.
Ainsi qu'au soir d'hiver, entre moi et toi.
Belle comme au matin sont belles les fenêtres,
Je sens qu'elle a l'odeur d'une nuit de poète.
(Le Beau Voyage, Fasquelle.)
LA DERNIÈRE BERCEUSE
Chante bellement, Killoré,
La la hu lalla ! mon petit oiseau
Dans le rosier!
Chante bellement pour l'enfant qui pleure.
Qu"a-t-il donc l'enfant à pleurer ainsi ?
UE.NHY BATAILLM
â
Dis-moi donc pourquoi tout ce lerrand souci ?
Le cœur de IVrifant est-il donc un cœur
Plus lourd que celui qui saute en l'oiseau,
Dans le rosier?
La la hu lalla, dodo, petit, do,
Entre la pente i^azonné*' et la prairie
Il y a de quoi, tu sais bien,
Aller s'endormir dans le romarin,
Dans le romarin ({ui sent boa la pluie.
Pour ail» T rejoindre, en bas, sous la terre,
La fraîcheur de l'eau qui court en plein bois
Et ne savoir plus ce qu'est la lumière,
Il y a de quoi.
C'<Lst non loin de ma métairie,
D'où s'en vient l'odeur des doux colombiers,
Que se calmera cet enfant qui crie,
Sais-tu ce (pi'il faut? il faut l'emporter.
La la hu biia !
Du cùlé de .Moux et de Pexiora...
Sais-tu ce qu'il faut pour mrttre à couvert
Le plus bel amour qui soit sur la terre ?...
Pas plus qu'il n'en faut pour un arbre vert I
Sais-tu ce qu'il faut pour mettre à l'abri
Tout l'amour du ciel et de mon royaume,
Le plus çrand chagrin, le plus t^rand souci.
Et la belle histoire que j'ai dite aux hommes
(Jue porta le monde sur son vieux dos gris?.,.
Un petit arbre solitaire,
Très terre à terre,
Droit ou pointu.
Avec une pie dessus,
La la hu ! ..
Avec une pie dessus !
{Le Bfau Voyngf. Paftqucllr.)
TRISTAN CORBIÈRE
1841-1875
Edouard-Joachim (dit Tristan) Corbière naquit à Coat-Cougar,
domaine situé dans la commune de Ploujean, à quelques lieues de
Morlaix, le i8 juillet i84o. H était le fils de Jean-Antoine-René-
Edouard Corbière (1793-1875) fort connu en son temps comme au-
teur de romans maritimes : Le Négrier, Les Pilotes de lIroise,Le
Banian, Tribord et Bâbord, etc., etc. Nous puisons dans l'ouvrage
de M. René Martineau, qui s'est fait l'historiographe pieux et exact
du poète des Amours jaunes, les renseignements de cette notice.
L'enfance de Corbière fut débile. Déjà aussi, il manifestait ce carac-
tère fantasque qu'on devait lui voir plus tard, et l'on raconte qu'il
s'administrait des drogues pour ne pas aller à l'école. Quand sa
mère, qu'il obligeait à des soins continus par sa mauvaise santé, le
plaignait et l'engageait à ne pas se tracasser pour ses devoirs :
•« Pourtant, lui répondait-il, navré, en se fra[)panl le front, je sens
qu'il y a quelque chose là I » A douze ans, il entra au lycée de Saint-
Brieuc, mais ne put y rester que deux années et demie, obligé, par
sa santé, à rentrer à la maison paternelle. Ses parents l'envoyèrent
ensuite chez un cousin, à Nantes, où il suivit, comme externe, les
cours du lycée. Une seconde crise de maladie vint interrompre défi-
nitivement, au bout de deux ans, ses éludes. Après un séjour à
Cannes, il vint alors s'établir à RoscoflF. Corbière avait à cette épo-
que dix-neuf ans, et la tournure la plus singulière : grand, maigre,
une barbe inculte en pointe, un nez énorme, accoutré bizarrement,
tantôt en forçat, avec le bourgeron, le pantalon de toile et les sabots,
tantôt en matelot, avec les bottes de mer montant jusqu'aux genoux,
et un feutre cabossé. Il voulut d'abord être peintre, puis dessina-
teur, sans jamais avoir appris à dessiner. C'était là, comme sa poé-
sie, pure aspiration d'artiste, au vrai sens du mot. Il peignait des
démons, des diables, toutes figures portant l'empreinte de son phy-
sique, hanté qu'il était par son type, et crayonnant sa charge sur
thiîstan Lx>nBiKnE
*9
liiiis les murs. Fils de marin, Corbière avait aimé de bonne heure
ia itier et les marins. l'eu après son installation à Iloscoff, il eut le
d( :>ir de pos&rder un canot ; son père lui en Ht construire un, et il
navi(^ua ainsi quelques ann«'es sur la mer de son pays, le canot bien-
tôt remplace par un cotre, appel»* le Sëcjrier, en souvenir d ij
paternels, dont il était «^rand admirateur. C'est au cours <. .,-
menadcs maritimes qu'il composa ses premiers poèmes :Mateiots,Le
Mousse, Bossu-liit()r,Le liénegat,La Fin, Le Douanier, <i»u6 IcMiuels
les « f^eos de mer », comme il les appelait lui-même, sont chant'-s
comme ils l'ont clé rarement. Le séjour de Corbière à HoM-ofF fut
interrompu à deux reprises, en i8C8 et \?>f>(j, par deux vova_'es qu'il
6l en Palestine et en Italie avec le peintre Hamon. On trouve dans
son œuvre des souvenirs de son passade en Italie, pays qui lui dé-
plaisait :
Voir Naples et... Fort bien, merci, j'en viens. Patrie
D'Anglais en vrai, mal |M,*inls sur fond bleu-perruquier.
Pendant la guerre de 1870, trop malade pour prendre part à la
campai^ne, Corbière resta à HoscofF. C'est la que vint le chercher
en 1871, alors qu'il semblait ne plus devoir quitter celte villr, l'aven-
ture la plus imporlantede sa vie, ipji devait lui fournir le titre de sou
livre et lui en inspirer les pièces les plus curieuses. Ayant fait con-
naissance à la table de sa pensiun avec deux touristes, le comte de
B... et sa maitresse.il en résulta pour lui une liaison sentimentale
(|ui amena bientôt son départ pour Paris. Installé rue Montmartre,
dans une petite chambre où il n'avait pour (ont mobilier qu'un
cofTre à bois sur lequel il couchait tout habillé. Corbière commença
alors cette existence de bohème noctambule qui devait le tuer, dor-
mant le jour, déjeunant à minuit, traînant dans les cafés littérai-
res, travaillant en flânant. Il publia quelques vers dans la Vie
Parisienne, exactement dans six numéros {mai à octobre 18731.
et, conquis définitivement par la littérature, s'occupa de reunir ses
poèmes. L'éditeur trouvé, et son père ayant consenti a paver uuc
partie des frais d'édition. Les Amours Jaunes parurent en décem-
bre 1873. L indifférence la plus complète accueillit ce volume, dont
personne ne parla à l'ejUique, Cet insuccès ne pouvait affecter Cor-
bière, qui ne songeait guère au public en écrivant. Le5 Aniours Jau-
nes parus, il se remit au travail, songeant à publier un autre volume
qu'il voulait intituler Mirlitons. .Malheureusement, malade (H)ur
ainsi dire de naissance, les veilles ne tardèrent pas à l'user complè-
tement. Un matin, des amis le trouvèrent évanoui sur le carreau
de sa chambre. On le transporta à la Maison Uubois. où il resta
quehiue temps, n'ayant rien perdu de sa dure moquerie, toujourt
5© POÈTES d'aujourd'hui
aussi dcdai^iieu>: de tout élalage sentimental. « Je suis à Dubois
dont on fait les cercueils >», écrivait-il à sa mère. Hamené daus un
état pitoyable à Morlaix, il y mourut peu après, le i"' mars 1875,
à l'âge de trente ans, et fut ealerré au cimetière Saint-Martin,
dans le caveau de la famille. A Taris, cette mort passa inaperçue,
comme était passe inaperçu le livre de Corbière. Plus tard, ou
le traita de fou, et son œuvre d'outrage à la morale. 11 en fut
ainsi jusqu'au jour où Paul Verlaine publia ses Poètes maudits,
(i884). dans lesquels trois études étaient coiisacrécs à Corbière et à
son œuvre. La même année, J.-K. Huysmans publia A Rebours,
et fît également une place aux Amours Jaunes parmi les œuvres
préférées de son beros des Esseinics. Jules Laforgue, qui a beau-
coup emprunté à Corbière, a ainsi défini son art : a Pas de la
poésie et pas des vers, à peine de la littcraUire, — un métier sans
intjérèt plastique, — l'intérêt est dans le cinglé, la pointe sèche, le
calembour, la fringance, le haché romantique... » M. Uéuiy de
Gourmont l'a appréciée, à son tour, en ces termes: « Son talent est
fait de cet esprit vantard, baroque et blagueur d'un mauvais goût
imprudent, et d'à-coups de génie ; il a l'air ivre, mais il n'est que
laborieusement maladroit ; il taille, pour en faire d'absurdes cha-
pelets, de miraculeux cailloux roulés, œuvres d'une patience sécu-
laire, mais aux dizaines, il laisse la petite pierre de mer toute brute
et toute nue, parce qu'il aime la mer, avec une grande naïveté, et
parce que sa folie du paradoxe le cède, de temps en temps, à une
'ivresse de poésie et de beauté. » Tristan Corbière, que sou cousin
Pol Kalig a défini « un tendre comprimé » et (jue M. Martineau
appelle « le plus irrégulicrel le plus audacieux des/jot/es timudits »,
s e>t d'ailleurs peint lui-même de façon saisissante daus ces vers,
écrits par lui en guise d épitaphe:
Mélange adultère de tout :
De la forluue et pas le sou.
De l'énergie et pas de force,
La liberté, mais une eulorse.
Du cœur, du cœur! de l'âme, non —
Des amis, pas un compagnon,
De l'idée et pas une idée,
De lamour et pas une aimée,
La paresse et pas le repos.
Vertus chez lui furent défaut,
Ame blasée inassouvie,
Mort, mais pas guéri de la vie.
Gâcheur de vie hors de propos,
Le corps à sec et la tête ivre,
TRISTAN COnBlFIII 3|
Espérant, niant l'avenir.
Il mourut en s'attendanl vivre
Et vécut s'allendant mourir.
Bibliographie :
Lf4 tri. vnF.fl. — Les Amours Jannet (fa ./7arrror» «.
nmhx. Armor. Cent if> M, r. Uindrls jxiur ajint). Kn I ,,t
(]o l'iiiilpiir |iar lui ni<'rii<', à IVaii-forlo. Pari<., (JlaJy, 1^73, lu-lS. — Le»
AinoiirH .lamics, /•ditioii rnmplMo. F'ari*. Vanirr. 1S91. iii-18 (JUi m*,;..'.
lroi>i<>iiio /^<litioii avor un portrnil t\o l'anlrur puLlir drjà <Ian^ la pr
/■(iilinii t\f l'oitex Maudits. Pari»*, M»-— -rin Micrf»^«iriir «!•' VaiinT], llHjî.
— (jîens de Mer, Extrait de$ a Amour» Jaune* •. l'aris, Vani<>r, 1891
iii-lK.
A «:()>sti.Ti II. — n^my «le (lOurmont : Lr Livre dcn }f,t.%que». Paris, .^w,
(lu Morruro di« France, 1M»G, iii-ls. Jules I^forijne : Œuvrt* eomplrt*-»,
Afi'lnnfje* poxlhumra [Voxpi : Aotrs sur Corhn rr . l'aris, .Soc. du Urrriirc de
Fraiiro. 1903, in-l«. — Hené Martioeau : Tristan Corbirre. Ktaai de
bioijrajihif et dt: biblioqrapfiir. Avec doux |)Orlr. d«' Tristan Corbière. Paris,
Soc. du Mercure de France, 1904, in-I8. — Emile Michelct : C< ■
notice pul.lice dans les l'ortrails du prochain sirclr. Paris, fiirar.'
iii-lS. — Paul Verlaine : Les Poètes maudits. Paris, Vanier. I>i84 el ; .
iu-ls.
.1 Ajalhert : A'n iJretaijne : f'n jxtrte de la mrr. S
31 mai iv'ii — V. Iluet : ISolcssur Tristan Corl.i.rr. I .
— Hen<'' Martiiieaa : Autour de Tristan Corbière Wcrcurw de France,
16 sei»l<'iiil(if 19<i7.
Iconographie
■M
Tristan CorMrre : Tristan Corbière par /t/i-m^mr, eau-Torle, 1
dcsAmuurxJauuis, 1873; Id.. Caricature en couleurs, ri'\>roi\. dans l'om
de Hené Marlineau : Tristan Corbi,rc, Paris, Soc. du Mircurc de Ki
1904, in- 18. — Anonyme : L'ortrait à la plume. l.uliVe. Î4 août iss:i. ,1
!'• M. des Portes maudits, 1884. — Luquo : Portrait u la plume publié
dans Les l'oètes maudits, J* éd., 1888. el dans La Plume, 15 août 1891. —
F. Val lotion : Masijue, dans Le Livre d,s M.isiiues, de R. de Gounnonl.
Paris, Soc. du Mercure de France, 1896.
LA RAPSODE FORAINE ET LE PARDON DE SAINTE-ANNE
La Pnlad,37 Août, jour du Pardon.
Bénite est l'infertile plaiçc
Où, comme la mer, tout est nud.
Sainte est la chapelle sauvage
De Saiule-ADue-iJe-la-Palud..,
POÈTES d'aujourd'hui
De la Bonne Femme Sainte Anne,
Grand'lante du petit Jésus,
En bois pourri dans sa soutane
Riche... plus riche que Crésus !
Contre elle la petite Vierçe,
Fuseau frêle, attend VAngelas ;
Au coin, Joseph, tenant son ciercre, ^
Niche, en saint qu'on ne fête plus...
•C'est le Pardon. — Liesse et mystères —
Déjà l'herbe rase a des poux. ..
— Sainte Anne, Onguent des belles-mères/
Consolation des époux !...
Des paroisses environnantes :
De Ploutrastel et Loc-ïudy,
Ils viennent tous planter leurs tentes.
Trois nuits, trois jours, — jusqu'au lundi.
Trois jours, trois nuits, la palud groçne.
Selon l'antique rituel,
— Chœur séraphique et chant d'ivrogne —
Le Cantique spirituel.
Mère taillée à coups de hache.
Tout cœur de chêne dur et bon;
Sous Vor de sa robe se cache
Vàme en pièce d'un franc Breton !
— Vieille verte à la face usée
Comme la pierre du torrent.
Par des larmes d'amour creusée,
Séchée avec des pleurs de sang.,»
— Toiy dont la mamelle tarie
S'est refait, pour avoir porté
La Virginité de Marie,
Une malt virginité l
TRISTAN COHBlànS 33
A.
— Servante-matlresse altière,
Très haute (levant le Très- Haut',
Au pauvre monde, pas Jirre,
Dame pleine de cnmme-il-faut t
— B fi ton des aveugles ! Jit'</uil/fi
Des vieilles ! Bras dfs nouveau-nés/
Mère de madame ta Jille I
Parente des nhandonnès !
— O Fleur de la pucelle neuve /
Fruit de l'épouse au sein (jrossi I
Bepfisoir de lu femme veuve...
El du veuf Dame-de- merci l
— Arche de Joachim ! A ïeule !
Médaille de cuivre effacé !
Gui sacré ! Trèfle (juatre- feuille i
Mont d'Uoreb I Souclic île Jessé!
— O toi (fui recouvrais In irndre^
Qui filais comme on fait cher naiiSf
Quand le soir venait à descendre^
Tenant r\]sy\>i r sur tesijenou.c;
Toi (/ni fus /(i, seule^ pour f lire
Sun tnatllot à Bctlilècm,
El là, pour Coudre son suaire
Douloureux^ à Jérusalem !...
Des croix profondes sont tes rides.
Tes cheveux sont Idancs comme Jils.,.
— Présente des rfijards arides
Le berceau de nos petits-fils...
Fais venir et conserve en Joie
Ceux à naître et ceux qui sont néSy
Et verse, sans que Dieu te voie.
L'eau de tes yeux sur les damnés/
34 POÈTES d'aujourd'hui
Reprends dans leur chemise blanche
Les petits qui sont en langueur...
Rappelle à l'éternel Dimanche
Les vieux qui traînent en longueur,
— Dragon-qardien de la Vierge^
Garde la crèche sous ton œil.
Que, près de toi, Joseph-concierge
Garde la propreté du seuil !
Prends pitié de la fille-mère^
Du petit au bord du chemin...
Si quelqu'un leur jette la pierre.
Que la pierre se change en pain f
— Dame bonne en mer et sur terre.
Montre-nous le ciel et le port.
Dans la tempête ou dans la guerre,,,
O Fanal de la bonne mort !
Humble : à tes pieds n'as point d'étoile,
Humble... et brave pour protéger !
Dans la nue apparaît ton voile,
Pâle auréole du danger.
— Aux perdus dont la vie est grise,
( — SauJ respect — perdus de boisson)
Montre le clocher de l'église
Et le chemin de la maison.
Prête ta douce et chaste Jl anime
Aux chrétiens qui sont ici...
Ton remède de bonne femme
Pour tes bêteS'à'Corne aussi /
Montre à nos femmes et servantes
L'ouvrage et la fécondité...
— Le bonjour aux âmes parentes
Qui sont bien dans l'éternité !
TniSTAN GORDIÈRB 35
— Nous mettrons un cordon de cirCj
De rin'-rierf/p jaune autfjur
De ta chapelle et ferons dire
Ta messe basse au point du jour.
Préserve notre cheminée
Des sorts et du monde malin. . .
A Pàf/ues te sera donnée
Une quenouille avec da lin.
Si nos corps sont puants sur terrty
Ta grâce est un bain de santé ;
Répands sur nouSj au cimetière^
Ta Imnnc ndrur de sainteté.
— A l'an prochain ! — Voici ttm cierge
(C'est dcii.r lirres f/u'il a coûté)
. . . licspects à Madame la Vierge,
Sans oublier la Trinité.
. . . Fa les fMlrl»»», en rhemise.
Sainte Anm^ ayez pitié de nous!
Font trois fois If tour de l'ëçlisc
Kn se traînant sur leurs «jenoux,
Et boivent l'eau nuracuieuse
Où l«'s J(t|» teiti^iieiix ont lavé
Leur luuiité contai;;ieuse. . .
A lier : la Foi uous a sauvé ! -
C'est là que tiennent leurs cénacles
Les pauvres, frères de Jésus.
— Ce n'est pas la cour des miracles,
Les trous sont vr.iis ■ VI df lit fus f
Sout-ils pas divins sur it ih> ciaies,
Qu'auréole un nimbe vermeil.
3Ç POÈTES d'aujourd'hui
Ces propriétaires de plaies,
Rubis vivants sous le soleil ! . . .
En aboyant, un rachitique
Secoue un moignon désossé,
Coudoyant un épileplique
Qui travaille dans un fossé.
Là, ce tronc d'homme où croît l'uli-ère.
Contre un tronc d'arbre où croît le g-ui.
Ici, c'est la fille et la mère
Dansant la danse de Saint-Guy.
Cet autre pare le cautère
De son petit enfant malsain :
— L*eofant se doit à son vieux père...
— Et le chancre est un ^agne-pain 1
Là, c'est l'idiot de naissance.
Un visité par Gabriel,
Dans l'extase de l'innocence. . .
— L'innocent est [tout] près du ciel ! —
— Tiens, passant, res^arde : tout passe.
L'œil de l'idiot est resté.
Car il est en état de çrâce . . .
— Et la Grâce est l'Eternité ! —
Parmi les autres, après vêpre,
Oui sont d'eau bénite arrosés,
Un cadavre, vivant de lèpre.
Fleurit, souvenir des croisés. . .
Puis tous ceux que les Rois de Franco
Guérissaient d'un toucher do ddiii^ls. ..
— Mais la France n'a plus de Rois,
Et leur dieu suspend sa clémence.
— Charité dans leurs écuelles !..,
Nos aïeux ensemble ont porté
XaiSTA^N CURBIEKE
Ce3 fleurs de lis en écronelles
Dont ces choisis ont hérité.
Miserere pour les ripailles
Des An/co/crifjnets et K<ikoiis /...
Ces inoiifiions-là sout des tenailles,
Ces bétpiilles donnent des coups.
Risquez-vous donc là, pens ingambes,
Mais i^are pour votre toison :
Gare aux bras crochus! gare aux jambes
En kyrie-tleison !
.. . Va dcluurne-toi, jeune fille.
Oui viens là voir, et prentire Pair.,.
Peut-être, sous l'autre guenille.
Percerait la «guenille eu eliair. . ,
C'est (pi'ils chassent là sur leurs terres I
Leurs peaux sont leurs blasons béants :
— Le droit — du — seigneur à leurs serres !,,,
— Le droit du Seigneur de céans ! —
Tas A'ejc-roto de carne imjnire,
Charnier d'élus pour les cicux,
Chez le Sriu^neur ils sont chez eux I
— Ne sont-ils pas sa créature...
Ils ii^rouiilent dans le cimetière,
On dirait les morts déroutés
N'ayant tiré de sous la pierre
Que des membres mal rcboulcs.
— Nous, taisons-nous !. .. Ils sont sacrés.
C'est la faute d'.Vdam punie,
Le doiiçt d'Ln-haut les a mar(|ués :
— La droite d'Ln-haut soit In^nie I
Du ï^rand troupeau, boucs émissaires
Chargés des forfaits d'ici-bas.
38 POÈTES d'aujourd hui
Sur eux Dieu purge ses colères 1 . . .
— Le pasteur de Sainte-Anne est gras. —
Mais une note pantelante,
Echo grelottant dans le vent,
Vient battre la rumeur bêlante
De ce purgatoire ambulant.
Une forme humaine qui beugle
Contre le calvaire se tient ;
C'est comme un moitié d'aveugle :
Elle est borgne et n'a pas de chien. ..
C'est une rapsode foraine
Qui donne aux gens pour un iiard
Ulstoyre de la Magdalayne,
Du Juif Errant ou d'Abaylar.
Elle haie comme une plainte,
Comme une plainte de la faim.
Et, longue comme un jour sans pain,
Lamentablement, sa complainte...
— Ça chante comme ça respire,
Triste oiseau sans plume et sans nid
Vaffuant où son instinct l'attire :
Autour des Bon-Dieu de granit. . .
Ça peut parler aussi, sans doute.
Ça peut penser comme ça voit :
Toujours devant soi la grnnd'route. . .
— Et, quand c'a deux sous, ça les boit.
— Femme : on dirait, hélas ! — sa nippe
Lui pend, ficelée en jupon;
Sa dent noire serre une pipe
Eteinte... — Oh, la vie a du bon ! —
Son nom. . . ça se nonmie Misère.
Ça s'est trouvé né par hasard.
.TRlbTAN COnBlénE 3()
Ça sera trouvé mort par terre...
La même chose — quelque part.
Si tu la rencontres, Poète,
Avec son vieux sac de soldat :
C'est notre so'ur. . . donne — c'est fête —
Pour sa pipe, un peu de tabac ! . . ,
Tu verras dans sa face creu^r
Se creuser, comme dans du hois.
Un sourire ; et sa main galeuse
Te faire un vrai sij^ne de croix.
{Les Amours Jaunes . )
RAPSODIE DU SOUHD
A Madame D'*\
L'iiomme de Tari lui dit : — Fort l)i('n, restons-en là
Lp traitement est fait : vous êtes sourd. Voilà
Comme jpioi vous avez l'orti^aiie bien penlu. —
Et lui comprit trop bien, n'ayaiH pas entendu.
Eh bien, merci, Monsieur, vous qui daijj;nez me rendre
La tète comme un bon cercueil.
Désormais, à crédit, je pourrai tout entendre
Avec un léijitime orgueil...
À Cœll. — Mais gare à l'œil jaloux, t^ardant la place.
De l'oreille au clou !... — Non. — A «pioi sert de braver ?
... Si j'ai siitlé trop haut le ridicule en face.
En face, et bassement, il pourra me braver I...
Moi, mannequin muet, à Ç\\ banal ! Demain,
Dans la rue, un ami peut me prendre la main,
En me disant : vieux pot..., ou rien, m radouci;
Kt je lui répondrai : — Pas mal et vous, merci! —
Si l'on me corne un mot, j'enrage de l'entendre;
Si quelque autre se tait : serait-ce par pitié?...
^o POÈTES D'aujourd'hui
Toujours comme un rébus, je travaille à surprendre
Un mot de travers... — Non. — On m'a donc oublié !
— Ou bien — autre guitare — un officieux être
Dont la lippe me fait le mouvement du pâtre,
Croit me parler... Et moi je tire, eu me rongeant.
Un sourire idiot — d'un air intelligent 1
Bonnet de laine grise enfoncé sur mon âme !
Eh — coup de pied de Tàne... Hue ! — Une bonne femme
Vieille Limonadière, aussi de la Passion !
Peut venir saliver sa sainte compassion
Dans ma trompe d' Eastache, à pleins cris, à plein cor,
Sans que je puisse au moins lui marcher sur un cor !
— Bête comme une vierge et fier comme un lépreux,
Je suis là, mais absent... On dit : Est-ce un gâteux,
Poète muselé, hérisson à rebours?
Un haussement d'épaule, et ça veut dire : un sourd.
— Hystérique tourment d'un Tantale acoustique !
Je vois voler des mots que je ne puis happer ;
Gobe-mouche impuissant, mangé par un moustique,
Tète de turc gratis où chacun peu taper.
0 musique céleste : entendre, sur du plâtre,
Gratter un coquillage ! un rasoir, un couteau
Grinçant dans un bouchon... Un couplet de théâtre !
Un os vivant qu'on scie ! un monsieur ! un rondeau!...
— Rien. — Je parle sous moi... des mots qu'à l'air je jette
De chic, et sans savoir sî^ je parle en indou...
Ou peut-être en canard, comme la clarinette
D'un aveugle bouché qui se trompe de trou.
— Va donc, balancier soûl, affolé dans ma tcte !
Bats en branle ce bon tam-tam, chaudron fêlé
(jm rend la voix de IVmme ainsi (ju'une sonnette,
Q'uu coucou I... quelquefois : un moucheron aile...
TRISTAN COnBlFrXE ^1
— Va te coucher mon cœuri et ne bats pins de l'aile.
Dans la lanterne s()iir<le éloiilTons la chandelle,
El tout ce qui vibrait \k — je ne sais plus où —
Oubliette où l'on vient de tirer le verrou.
Soyez muette pour moi, contemplative Idole,
Tous les deux, l'un par l'autre, oubliant la parole,
Vous ne me direz mot : je ne ri'pondrai rien...
Et rien ne pourra dcdorer l'entretien.
Le Silence est d'or (Saiot Jean Cbrysostûme).
LUCIE DELARUE-MARDRUS
4880
M"»» Lucie Delarue-Mardrus est née le 3 novembre 1880 à Hon.
fleur. Son père, également né en Normandie, «"st avocat à la Cour
de Paris. Elle a <'pousé, en 1900, le docteur J.-C. Mardrus, auteur
d'une traduction des Mille et une Nuits.
M""" Delarue-Mardrus, qui a beaucoup voyagé aux côtés de son
mari, a gardé un grand culte à son pays natal qu'elle a souvent
chante dans ses poèmes. On a d'elle, dans ce sens, un très beau
vers : Ah ! je ne guérirai jamais de mon pays ! — qui embellit à
lui seul toute son œuvre. On s'est plu à reconnaître en M°« Dela-
rue-Mardrus, dès ses dt'buts, une très vive originalité comme p(»cle.
Elle a de la fougue, en effet, une inspiration curieuse, et un style
bien à elle. Elle donne même cette impression qu'elle n'a pas de
sa langue une connaissance très complète, créant pour son besoin
tel ou tel mot rarement heureux, donnant à des adjectifs des sens
de substantifs, n'hésitant devant aucune image, aucune comparai-
son si discordantes soient-elles, avec des préciosités qui veulent
étonner, et des repétitions puériles. « Moi, je parle bizarre comme
d'autres parlent français », lui a fait dire M. Charles Maurras (11.
On peut trou>er en elle le dernier de nos « décadents » et la pre-
mière de nos « précieuses » actuelles.
M"'* Delarue-Mardrus, qui fait partie du Comité du Prix de La
Vie //eureuse, a collaboré à la Revue blanche, a^\x Mercure de France,
à La Plume, à la Revue de Paris, à la Revue des Deux-Mon<!cs,
à La Vie Heureuse, à la Revue, a\x Censeur, à la Revue hebdoma-
daire, à L'Ermitage, à Antèe, etc. Auteur dramatique, elle a fait
jouer, en 190G, Sapho désespérée, tragédie antique, au Théâtre
d'Orange, et en 1907, Aa Prêtresse de Tanit, poème dramatique, au
Théâtre anti<iue de Garthage. Elle a donné également des articles,
contes et nouvelles au Gil Rlas (1903-1906;, au Malin (igoO), au
(1) Le Romantisme féminin : M"* Delarue-Mardru», Minerra, mai 1903.
LUCIE DELARUK-MARDRl'S 4^
Gaulois '1907) et publie régulièrement, depuis 1906, dei contes dam
Le Journal.
Bibliographie :
Lis œlvbf*. — Occident, po/«iM. Piiris, éd. de m la Rerue Blanche »,
i'/Oft, in 8. — Ferveur, |)0«Mo<* Pari», fd. «le « la |{cru«Bl.in( lioa. lî)t'2.in !«.
— Hf»rlzons, poAxif». Pari*, Fa«/niollp, lOOi, in-l«. — Hnplio (lé«(>H|><^r(''e,
IraK"'»''^ aiili«|uccn deui actes rcpr<^»rnt<^c au 'nn''illpiMrOran;:r, |p 6 amlt lOitfi^
et sous ce titre : l'haon victorieux, au Tli«'';\(rc Ki'-niiniii dcH (Miaui|M Klv..io^,
le It mars 19<i6 (non publié).— La Figure de Proue, poè»ie«. Parité Fas-
quell«\ l'JOS, in- 18.
Pour paraître : Keine «lo M«'r, ilramo en trois actes en rcrs.
A coN8Li.Tt:n. — (;por(|os C.-istMIa et Krncat (înuhert : /^ Nvurtllt
littérature, IS9r,l905. Pari;», San«ot. 1906, in-J8. — ErueRl Ch.nrlea : Ac»
Samrilis titti'rairrs, .'î' sôric. Pari«, .'^aii^l, 1905, iu-18. — Kobert (lo
M4Mili'»qiiiou : l'rofestiunnvlle» bi auti't. Paris, Juven, 1905, in-IS. — C.
r»oiu.>.()l : Antlioloi/ie di-i /tin-liM normands contemporains, Pari*, Flourr,
t, in-18. — C^h. - Th. Férel : l'oètesset normandes. Du Uidet an
■ M»'. Paris. Uoy. 1908. in-8.
■** : MmUime Lucie Delarut-hfnrdrus. Madame tt Monsieur, Il aoât
i>.<;. — Henri llldou : Miulnuie Itelaruc-Mardrux au /ku/s dis Aniftrs.
Iji Vie IIiMiriMi-.c,«,cplfuilue 19:1); Madame Detnrur-Mardrut ehes les Mara-
bouts du Maroc, illuslr. !,a Vie llourousr, juillet 1906. — Georf(os Csiioila :
Mailame Lucie Dclarue- Mardrus, ill. Iteviin Illu«*tr<'T, .') janvier 19ii6. —
Cli;irles Maurrati : Le nomnntixmf fiminin. Minerva. !♦' mai 1903.
Léon l'ai'Kons : Le Docteur et Madame Mardrus au désert. Globe Trot-
ter, 12 oilol.re 1905. — Voir en outre le numéro de « Fémioa » du l" octo-
bre 19o5 (uombr. i!tu»lr).
Iconographie :
AllxMt lieflnard : Portrait en pied, aquarelle, exposée & la Soc. nat. des
Bi-aui .\ils, IUu3 (App. à M"* Delarue-Mardrus). *- Haymond de Itrou-
tellcs : Itusle, bronze, exposé au Salon d'automne, 19oG. _ Capicllo :
AijXianUe repro<luilc dans La Vie Parisienne, 19(»6. — Jeoffroy : L'art-
€ature. Cri de Paris, mars 1907. — Rouveyre : Dessin pul)lié dans Car-
casses divines, portraits et monographiet dessinés, 1906 et 1907 Paris.
J. bo»c, 19U7, in-4. ^
RÉVEIL
Que renc^oiirdissenicnt des choses et des ^Ires
Tressaille, d'un frisson précurseur de réveil !
Sous cha(jue porte hrAle un filet de sulril,
Le beau ciel bleu de mars entre |)ar les tenélres.
Allons avec nos doitris tachés d'encre au jardin,
Mêler nos cœurs troublés à In terre intjuièle ;
44 POÈTES d'aujourd'hui
Si l'air y est resté sans parfum, dès demain
Tout le Printemps tiendra dans une violette.
Les gazons n'ont encor de fleurs ni de bourdons,
Mais de l'herbe est poussée entre les pierres sèches,
Et, tendrement plies, quelques cotylédons
Crèvent le sol épais avec leurs têtes fraîches.
Déjà chaque bourgeon goudronné s'est ouvert ;
Un sourd travail émeut le plus dur épiderme ;
Les vieux marrons tombés risquent un mince germe
Plein de précaution et rampant comme un ver.
Je songe sur la pierre où je me suis assise ;
Le Printemps est miré dans mes yeux matinaux :
Autour de mon repos, la saison indécise
Fait de tous les côtés piailler les oiseaux.
Le beau temps délicat chauffe ma gorge nue
Où repose ma voix, douce comme un pigeon.
Je sens avec mon cœur, au fond de l'étendue,
Le pauvre cœur humain claquer comme un bourgeon . ..
Hélas ! . .. l'air déjà tiède où le printemps progresse.
Où les sens sont surpris d'un premier abandon,
N'aura-t-il pas un peu de paix et de pardon
Pour tout ce qui sanglote au monde de détresse ?. . ,
(Ferveur. Fasquelle.)
AVENIR
Normandie herbagère, éclatante et mouillée,
Mon csj^rit et mon sang, mon amour, mon pays.
Nous voulons venir vivre un jour, doux et vieillis
Parmi tes prés, au fond d'une maison rayée,
Et, possc'dant un clos planté de beaux pommiers,
(Quelques bêles, des blés et du cidre en barriques.
Essayer que nos cœurs, comme ceux des fermiers,
Se fassent plus noueux et plus forts que des triques.
LUCIE DELABUE-MAilDRUS ^5
Noire Itirn s'i-tcnflra du côté de Rouen.
La cathédrale au loin dépassera la haie,
l^a Seine imbibera notre lierbat^c en jouant,
Et nous aurons à nous une petite baie.
Par des après-midi de printemps visfoureux,
Quand les aub(''{)iniers attendent «ju'on les cueille,
Nous irons doucement par les verts chemins creux
Où l'on se croit roulé dans une immense feuille.
L'été, nous rêverons, quand la nuit sent le foin.
Nous aimerons aussi les craquantes automnes.
Et riiiver étendu sur les pré's monotones,
Quand l'énorme feu flambe et qu'on s'assied au coin.
Afin, quand nous mourrons, que notre corps s'enlise
Au cn-ur (lu sol natal par la pluie arrosé'.
Sous des pommiers, autour de la petite ée^lise,
Où dort jirofondément nm race au ne/ rusé,
Et qu'étant au milieu des femmes et des hommes
Oui vécurent lassés dans un rnérue horizon,
Il tombe sur nous tous, selon chaque s.iison.
Les fleurs de ces pommiers, leurs feuilles ou leurs pommes.
{Horizons. Fasquelle.)
LA Fir.URE DE PROUE
La fic^ure de proue allonjçée k l'étrave,
\'ers les «piatre intinis, le visaçe en avant
S'élance ; et, majj^niti(jue, enorij;ueilli de vent.
Le bateau tout entier la suit comme un esclave.
Ses yeux ont la couleur du lars^e doux-amer,
Mille relents salins ont çonflé ses narines.
Et sa bouche entr'ouverte a bu toute la mer.
Lors de son j>remier choc contre la vai^ue ronde,
Quand, neuve, elle quilU le Drcmierde ses ports,
4.
fJO POÈTES d'aujourd'hui
Elle mit, pour voler toutes voiles dehors.
Et ses jeunes marins criaient : a Au nord du monde ! »
Ce jour la mariait, vierge, avec l'Inconnu.
Le hasard, désormais, la £;^uetle à chaque rive,
Car, sur la proue aiguë où son destin la rive,
Qui sait quels océans laveront son front nu ?
Elle naviguera dans l'oubli des tempêtes
Sur l'argent des minuits et sur l'or des midis,
Et ses veux pl'Miroront l«'s liAvres arrondis
Quand les lames l'attaqueront comme des bêles.
Elle saura tous les aspects, tous les climats,
La chaleur et le froid, l'Equateur et les pôles ;
Elle rapportera sur ses frêles épaules
Le monde, et tous les ciels aux pointes de ses mâts.
Et toujours, face au large où neigpnt des mouettes.
Dans la sécurité comme dans le péril,
Seule, elle mènera son vaisseau vers l'exil
Où s'en vont à jamais les désirs des poêles ;
Seule, elle aflronlera les assauts fui'ihonds
De l'ennemie énigniati(jue cl ses grands calmes ;
Seule, à son front, elle ceindra, telles des palmes.
Les souvenirs de tant de sommeils et de bonds.
Et quand, ayant blessé les flots de son sillage,
Le chef coilîé de goémons, t^auvagruient,
Elle s'en reviendra comme vers un aimant
A son port, le col ceint des perles du voyage,
Parmi toutes les mers qui baignent les pays,
Le mirage profond de sa face effarée
Aura divinement n>p«Miplé la marée
D'une ullin)e sirène aux r«gards inouïs.
LUCIE DBtARUE-MAnDnLS 4?
... J'ai voulu le destin des Mi^iires de proue
Oui tôt quillenl le port ot (jiii reviennent tard.
Je suis jalouse tlu retour et du di'pnrt
El des coraux mouillés dont leur gor^e se noue.
J'affronterai les mornes cçris, les brûlants bleus
De la mer Hi^urée et de la mer rreile,
Puisque, du fund du ris(jue, on s'en revient plus belle,
Rapportant un visage ardent et fabuleux.
Je serai celle-là, de son vaisseau suivie,
Qui lève haut un front des houles baptise,
Kl dont lecœur, juscpi'à la mort inapaisé,
Traverse bravement le voyai^e et la vie.
(La Figure de Proue. Fasquelle.
r.IIANT DE L\ PASSION
Le r.hrist en croix avec des clous dans ses paumes.
Avec des clous dans ses deux pieds.
Ses yeux de mendiant prometleul des royaumes
A ses dernières amitiés.
Sa mère, doucement, repose, évanouie
Dans les bras désolés de Jean.
Madeleine est debout, toison épanouie.
Ses cheveux sont d'or cl d'argent.
Mad«"leine est debout, blanche cl la gorge haute,
Le corps fier, l«* chef ortrueilleux.
Elle palpite encor de la mulliple faute,
Ses cils font la nuit sur ses yeux.
La pécheresse et Dieu, l'un en fnee de l'autre,
Sont ainsi sur le Goisrothn.
Et Madelrinr dit : « Mallre, vois luu elat !
Vois ta mère el vois ton apôtre I
« Ils succombant au poids do leurs propres douleurs,
48 poèTES d'aujourd'hui
Néerlisr^ant la suprême Tienne.
Si moi spiile, debout, je t'assiste sans pleurs,
C'est que je ne suis pas chnHienne.
« Tous les tiens se noieront dans ce tiède chagrin,
Car, à cause de toi, leur àme
Sera faible en dessous des cilices de crin,
O Jésus, ô fils de la Femme !
a Tu meurs sans avoir su ce qu'était le bonheur,
La joie ici-bas, seule vraie.
Sur tes sillons humains, ù morose semeur.
Croît la tristesse, cette ivraie.
« Moi, j'avais sur tes pieds répandu mon parfum.
Croyant t'embaumer jus(ju'à Tàrne.
Mais t'essuyant avec mes cheveux chauds de fenvme
Je n'ai fait qu'un geste importun.
« Car tu n'as pas compris que l'essence coûteuse
Et le frisson de mes cheveux,
C'était l'enseignement de la chair amoureuse,
La leçon de la Vie aux Dieux.
<c 11 est plus de mystère, il est plus de musique
Parmi les choses d'ici bas,
Il est plus d'infini dont on n'approche pas
Que dans ton ciel métaphysique.
« Or, Madeleine, l'amoureuse que voilà,
T'enseiî^ne, ô moribond farouche 1
Apprends d'elle aujourd'hui comment tout l'Au-Delà
Tient dans un baiser sur la bouche !»
Madeleine étreignant le Christ assassiné,
Dont la face se désespère,
Mord la bouche qui crie : « 0 mon Père, mon Père.
Pourquoi m'avoir abandonné ? »
Et Madeleine dit : « Ineffable victime
De mes lèvres rotiges d'émoi,
Les femmes avenir feront toutes le crime
LUCIE DF.i.Ant'r-MARonrs 49
De t'ainifr rl'amour rommemoi.
« Dinniiir, ô doux, o MuihI, vumlra de ton haleine
Kt (|ii:i[id elle pritTa, la riiiil.
Elle ne saura pas (]ir(>lle est la Madeleine
Kprise du \)\v\i «prelle suit.
« Pounjuoi t'rlre prnrh»* vrrs une courtisane,
Knininniirl, loi (pie j'aimais?
Tout ton «Miscii^inMiHMit, sous mon soufflf profane
Dt'faille d'amour à jamais.
c Sur la ruine des sens ta morale est bâtie,
M:ùs tu n'as pas pn-vu la fln^
Toi (pii n'as pas pnvu le l>aisrr de l'hostie,
Dont tant dr bouches auront faim.
c Tu croyais n'avoir fait «pi'une dure promesse
De para<lis apr«'*sla mort ;
Mais voici n-parallre au travers de la messe
Mou parlum et mes cheveux d'or.
<( Resçnrde s'élever sous ta pauvre (ruelle,
— De |)ierre et de verre l)rillant, —
Une bellr maison myslifpie t'i sensuelle,
Parfumée aux crains d'Orient.
«L'hori/on, hérisse déjà de cath«'drales,
Ilrniplit tes yeux mourants d'efTrui.
O Habbi ! Je l'entends «pii te plains et qui râles :
Peut-être as-tu perdu ta foi !
« Mrurs ! Tout mon parfum resti«à travers ton histoirr !
() loi t|ui ur mr rrait^nais |ioinl,
Mes cheveux sont dans (a doctrine, et c'est ma çloirc
De l'avoir à tout jamais oint.
« Meurs ! Kroiite, en dépit dr la parole austère,
Autour «le la croix, folleuicnt.
Crier vers loi l'.Xmour, revanche de la lerrc,
0 Jésus, éternel amunt ! m
EMILE DESPAX
4881
M. Emile Despax est né k Dax (Landes), le i4 septembre 1881. Il
est l'arrière-petit-fils du médecin Jean Hameau, qui, le premier, écri-
vit un Traité des Virus, nia la'« génération spontanée » et fut le
précurseur de Pasteur. M. Emile Despax, emmené très jeune aux colo-
nies, passa son enfance aux îles Comores et à La Réunion. Rentré en
France, il passa quelques années au lycée de Bordeaux, puis vint â
Paris achever ses études au lycée Henri IV. II était encore coUéçieB
qu'il collaborait déjà au Mercure de France, à La Plume, à L'Ermi-
tage età \ai Renaissance latine.Vae petite plaquette qu'il publia hors
commerce, Au seuil de la lande, le fit, en igoa, alors qu'elle n'é-
tait encore qu'à l'état de manuscrit, candidat au prix Sully-Prud-
homme. Classé premier, il se vit cependant refuser le prix, pour n'a-
voir pas observé rigoureusement dans ses poèmes la technique par-
nassienne. Quelque temps après, il publia un recueil de tous
ses vers : La Maison des Glycines, auquel l'Académie française,
plus libérale en même temps que plus clairvoyante que le Comité
du Prix Sully-Prudhomme, décerna, en 1906. le Prix Archon-
Despérouses. Depuis 190S, M.Emile Despax est attaché au Cabinet
du minisire des Colonies, comme chef du secrétariat particulier,
M. Emile Despax est vraiment Timai^e du poète dans sa jeunesse,
sensible et rêveur, tendre et mélancolique, et il est également peu
de débutants chez (jui l'on sente une aussi belle sincérité, et ce souci
de n'exprimer que ce qui estbien soi, sans emprunts ni imitations. Ses
poèmes sont faitsde détails, de souvenirs, d'impressions et d'obser-
vations de sa vie de chaque jour, dont un grand don d'harmonie a
composé des ensembles pleins d'émotion. Il y a là beaucoup de vers
qu'on peut relire, ce qui est souvent rare chez un jeune poète.
Bibliographie :
Lts ŒuvHEs. — Au Seuil de l.i Lande, poésies, couverture de Georges
Lergès. Paris, éd. du Mercure de France. 19u2,in-8, 130 ex. (Les vers de celt«
éviILS PESPAX 5l
pla(|tiPtto ont Hfi r/'imprimés dans l'oarrege tuiranl). — I^ Maison des
<ilyt'iiies, 1890-1 UU5, poènu-*». Taris, Soc. du Mercure de Frame, 19<"5,
iu-i8.
A CONSULTER. — Georges Cnseila et Ernest Gaiibert : Aa Nouvelle
littérature, 1895-1905 Paris, Saii>ot, 19<>6, in-18. — J<>an (le (ioiirmont :
Portes nouveaux. Morrure de France, !•' septembre 19<i0. — Pierre (gail-
lard : Les Poèinca. Mfrcurc do Fraiict», IT) diVrinlirc 1905. — S. (Henri
(ili.uilavoine) : Au Jour It Jour. Jeune» puelct. Jourual des Uùbals, i6 mat
tytjc.
Iconographie :
Claiidfo Castolurho : Portrait, pemUir.^ (l'.":î; — Uichard Miller:
Portrait, bduguiue (19oC). [Ces deux portraits appirltcuucul au pocle.j
SONNETS
I
Les cœurs, les pauvres cœurs dt^laissés qu'on renie
Ont julort* les cœurs qui les ont cmisolés.
Pclilf sœur de bon amour, accueillez-les.
Les vers pieux eu (jui mon cœur vous a bénie.
Comme deux cloches d'or diraient leur litanie,
Vos lèvres ont chanté les bonheurs exilés.
Mes veux étaient encor bien tristes, bien troublés
Au souverjir trop cher de raiiiitiè l)annie ;
Mais vous avez posé vos mains pures sur eux,
llonnne pour ellacer le rêve douloureux,
Comme pour éloigner la mauvaise chimère ;
Kt j'ai frémi, eroyanl sentir dans sa douceur,
Descendre le baiser camlide d'une su'ur
Où treniMt r lit mi peu de l'iime il'n».»' nu're.
II
Je rêve un soir de cliarme ffrave. Les vallons
Seraient bleus sous le noir-violet des collines ;
52 POÈTES d'aujourd'hui
Des ramiers reviendraient vers les sourdes glycines
Bourdonneuses au vol doré des lourds frelons.
Nous aurions rencontré pleurant des enfants blonds
Egarés dans le calme odorant des ravines ;
Et la nuit monterait anxieuse et divine,
Ses pieds d'argent noyés dans l'ombre des sillons.
Avec comme un parfum triste de fleurs fanées,
Les vents tièdes fuiraient en laissant des traînées
D'airs de flûtes errer aux franges des roseaux,
Et vers les joncs obscurs où la lune se lève,
Nos âmes descendraient le silence des eaux.
En souriant, comme deux sœurs, au même rêve.
(1901.)
DITES-LUI
Dites-lui que j'ai mal parce que je suis lâche ;
Qu'en mon cœur son amour est comme un coup de hache
Et qu'il saigne, ce cœur, sous le coup, et se fend ;
Dites-lui que je suis son chien ou son enfant
Suivant qu'elle m'éloigne ou bien qu'elle m'attire ;
Mais dites-lui que je préfère ce martyre
A tout ce qui, faisant le bonheur, n'est pas vous,
Bel art des vers français sonores, forts et doux.
Elle vous aime. Elle n'est pas de vous jalouse.
Dites-lui que le ciel, les arbres, la pelouse.
Les filles qui, le soir, rentrent des ateliers
Avec de grands fils blancs pris dans leurs tabliers,
La lueur du matin sur les toits, l'avenue
Où danse en se dorant une lumière nue.
Que Notre-Dame et les clochers aériens,
Que les anges, que Dieu, que tout cela n'est rien.
Soleil et ciel, azur et mer, vendange et vigne.
Qu'elle est tout. Que je suis, moi, son enfant, indigne
De la flatter avec mes doigts lourds, et d'oser,
Même en fermant les yeux, toucher à son baiser.
éMILS DESPAX 53
Et que c'est de cela que me vient ma soufirance.
Dites-lui, par ce soir où les femmes de France,
(>omme les beaux rosiers des mntins arifeiilés,
Se couvrent des moiteurs trouhl;intes de Télé,
Oue j'ai laissé, vaisseau sans voiles et sans rames.
Son souvenir béni voyat^er dans mon Ame ;
Que je n'ai pas soulTert d'entendre dans le soir,
i'.r bertfer eu béret qui, le loniç du trottoir,
Silllait l'air du pays de Béarn à ses chèvres ;
(Jiie j'ai senti ses cils boui!;'er contre mes lèvres
Kl que, comme j'étais bien j)Ale et désole,
1) vers qu'elle aime tant, vous m'avez consolé.
{La Maison des Glycines.)
BONHEUR
0 cher hôte d'un soir, Bonheur, c'est vous, voyez :
Voici l'encre, voici les livres, les cahiers;
Voyez : voici les vers (jue j'écrivis, pour elle.
Vous qui vous attristez d'un chant de tourterelle,
Si vous lisez ees vers, vous verrez, par moments,
Uu'ils sont doux et blessés comme un roucoulement.
Mais, ce soir, si j'écris, c'est sous votre dictée.
}*;ule/.-moi. Cher Bonheur, vous Pavez donc quittée?
Elle dort, n'est-ce pas? Et, tandis (ju'elle dort,
Un reflet de la nuit joue à ses onjçles d'or?
Le ciel a cell»' fois tant d'étoiles, (^est l'heure
Où la veille retient ouverts les yeux qui pleurent.
Vous n'êtes pas parti parce qu'elle pleurait?
.le puis vous arcueillir, ô Boidieur, sans ret^^ret.
Je puis v«>us dire: Ami, vous tcarder, vous sourire
N'ous écouler. Je puis tout croire et tout écrire?
l'Jle m'aime. Je l'aime. Et votis, vous êtes là.
C'est vous que si lonî^temps notre amour appela.
Dites : Ea vie est belli- et le destin contraire.
Coinme vous ressemblez au (M)ai;:rin, votre frère
Mais, lorscpie vous venez, on ne vous entend pas.
I..ui, nous faisait du mal ipiand il venait. Son pas
54 POÈTES d'aujourd'hui
Etait lourd sur la terre et bien plus lourd sur l'âme.
Depuis combien de jours, Bonheur, on vous réclame!
11 fait chaud. On dirait que vous marchez pieds nus.
Je vous ai deviné quand vous êtes venu.
On eût dit que mon cœur avait pris sa volée
Avec lodeur du soir dans la brise en allée.
On eût dit que mes yeux soudains s'étaient ouverts
Pour la première fois devant des arbres verts.
Devant l'azur profond des voûtes constellées.
Bonheur, vous habitez très loin, dans des vallées
Heureuses, où l'on voit descendre avec le soir
Les troupeaux piétinants que mène un bélier noir;
Vous habitez la terre innocente, les rades
Des ports où le soleil fait craquer les grenades.
Les îles d'or qui sont les fleurs des océans ;
Vous habitez les cols perdus des monts géants;
Vous habitez où va notre mélancolie,
Les villas, les cyprès, les rosiers d'Italie.
Bonheur, nous nous mettons quelquefois à genoux
Et nous pleurons sur notre amour. Emmenez-nous.
Je ne sais ni quel bien ni quel mal vous me faites.
On dit qu'il faut beaucoup souffrir, que les poètes
Doivent avoir le cœur saiq^nant et qu'on ne peut
Ecrire de beaux vers parce qu'un soir est bleu
Ou parce qu'un matin sur l'âme reposée
Verse tous les parfums et toutes les rosées.
El j'ai peur, car la mort est noire dans l'oubli.
S'il est \Tai, laissez-moi souffrir. Voici le lit
Où j'ai si longuement sangloté, quand ma bouche
Mordait les draps avec des cris. J'ai fait ma couche
Bien étroite et je lai mesurée à mon corps.
Ainsi, déjà, je suis couché comme les morts.
Mais je vis. Mais je puis, debout à chaque aurore,
Lire, écrire, rêver, aimer, pleurer encore.
Après la mort, qu'ainsi, durant des jours, des mois,
Quelque chose de beau vive encore après moi.
ÛMlLm DBSPAX 55
Donc, laissez-moi soufFrir, s'il le faut. Mais, près d'elle,
Assryez-vous. Soyez, Bonheur, l'ami fidèle.
Portez-lui les parfums qu'elle adore, en rêvant.
Allez, Bonheur. Soyez auprès d'elle souvent.
Dites-lui, quand, traînant mon Ame harassée,
Je lui fiiis cliarjiie soir le don d'une pensée,
fJ'J'" j ''•» hriilalement, pour lui faire ce don
Contraint mon cœur qui s'en allait à l'abandon ;
Que je l'ai de mes doiçls déchiré, <]u'il en saii^ne ;
Qu'il n'est pas un seul vers que tout njon san^ ne teigne ;
Que les plus dédaijrnés autant que les plus chers
Sont le sanu" de mon saritr '"t l-"» chair de ma chair;
Dites-lui qu'il lui faut pardonner à mes raines
Les mots dont elle n pu soullVir et les outrages
Oui l'ont faite si p;'ile et la trouhlent encor.
Allez la voir, demain, à Iheure où l'auhe éveille
La prairie et le lac, la lumière et l'abeille.
Allez. La nuit est belle, ù Bonheur. Elle dort.
{La Maison des uiycines.)
A NANIE
Si vous parlez à votre scpur, parlez tout bas.
Si c'est à moi, je ne veux pas, ne parlez pas.
Le silence vaut mieux, c'est lui que je réclame.
Nous ne nous dirions pas ce que rêvent nos Ames.
C^onune deux tombeaux blancs que sépare un cyprès,
Jalousement, nos c(curs ont tçardé leurs secrets.
C'est vraiment, entre nous, un désert, ce silence.
Nous aurions dû grandir ensentbie dès lenfance,
Sur une plage d'or, au bout d'un fleuve bleu.
Lire en nous eilt été le plus doux de nos jeux.
Torture de ne rien connaître de notre âme.
D'être, moi déjà l'homme, et vous déjà la femme.
A quoi m'aura servi de rêver de douceur,
Puiscpie j'ai vécu seid, sans parler ? () ma sœur.
Ma stjeur dans la douleur, ma sœur dans 1 harmonie,
56 POÈTES d'aujourd'hui
Je vous avais déjà pressentie et béuie,
Lorsque, aux niatins rêveurs de ma jeune saison,
J'allais m'assi'oir au seuil doré de la maison,
Lorsijue, joii^naiit mes doii^ls coiimie pour la prière,
Je tendais mes deux mains en coupe à la lumière.
Si vous étiez venue, en un matin pareil,
Je vous aurais l'ait don d'un rayon de soleil.
Mais j'ai vécu surpris, vaincu, hanté par l'ombre
Et n'ai peut-être aimé que votre robe sombre.
Ce cœur qui n'oublia jamais, oul)liez-le.
Sur votre robe et vos yeux noirs un ciel trop bleu
Sourit. J'en souffrirais. Fermez cette croisée.
Que de larmes sont dans mes yeux ! Que de rosée
Pèse sur ce rosier et pend à ce rameau !
Silence. Je sais tout. Silence, Pas un mot.
Je sais tout. Que, sur vous, rose en feu, se balance
L'amour d'un autre à qui vous parlerez. Silence.
{La Maison des Glycines.
LE GARDE-FRANÇAISE
A R. Lefèvre,
Cavalier du guet,
Ne me gronde pas 1
J'ai fait pour tes bas
Des nœuds de muguets.
Ecarte la toile
De celte araic^nee. ,,
La sœur des étoiles,
Vois-tu, s'est peignée...
Ces fds blancs et bleus
Dans ce rayon d'or.
Ce sont SCS cheveux
Qui volent encor.
b^ILF. DKâPAX
Toutes les cerises,
Toutes les (Jraif«H*s
Qu'ail salon j'ai prises
Je les ai inanî^f-es,
Mais, rui de mon crriir,
Entre. Prends. El l)ois.
J'ai mis la li<]ueur
Dans le coffra à bois.
Qu'as-lu qui te iç^ne ?
Tu n'es pas à l'ais^î...
As-tu de la peine
Beau i^arde-franraisc ?
— J'ai perdu, parldeu,
Vinift «'cus aux des.
— V'iniçt cous, mon Dion,
Les ai-je cardes ?
— Vinçt TOUS tintanls !
— Tiens. Prends. C'est l'arçenl.
Que fais-tu? — Entends
La voix du scri^rnt.
Adieu, la servante,
Je vais chez ThtTcse.
— C'est mal, tu te vantes,
Beau garde-franraise.
Sur le pavé plat.
Ce bruit qui drcroît
C'est son pas. Holà I
Chcvau de llocroi,
Holà, qui va là ?
— Service du Hoy !
[La .Vaiion d«$ Glycine*.)
5ê POÈTES d'aujourd'hui
A MADAME DE NOAILLES
Il m'cD souvient. C'était le matin. Des citrons
Couvraient le port. Je re^-ardais les avirons
Tourner entre les doigts violets des rameuses.
La France s'éveinait sur la terre brumeuse,
Au loin. La mer heurtait TEspaiçne au pied des monts.
J'étais là, les yeux morts, le cœur frais, les poumons
Brûlés de sel. Dans le remous qui suit la rame,
Je sentais s'enfoncer, en tournoyant, mon âme.
La mer indifFérente et douce m'attirait.
Depuis, j'aurais vécu dans l'ombre où sa forêt
Fleurissait l'algue d'or de rouges actinies
Et, dans sa paresseuse et mouvante harmonie.
J'aurais fermé les yeux à la vie en rêvant ;
Depuis, ni le soleil riche en feux, ni le vent
Chargé du goût des miels et de l'odeur des gommes.
Ne m'eussent vu, debout, sourire aux autres hommes,
Si, plus haut que la joie et le désir mortels,
La Lyre ne chantait, vivante, dans le ciel.
Elle chante. Elle seule chante. Et je l'écoute.
Des hommes l'ont tenue. Et j'en vois sur ma route.
Et je leur parle. Ils sont violents, fiers et doux.
Et vous voici, poète, avec eux. C'est bien vous.
Et je dis : Quand on a, comme vous, la premitre,
F'ait du jour sur le monde en s'écriant : Lumière 1
Quand, en disant : Amour, on a vu tous les cœurs,
Dans l'ombre, chanceler d'ardeur et de langueur ;
Quand, sensible au destin des plus obscures choses,
On n'a pas seulement aimé d'orgueil les roses.
Mais qu'à la moindre plante on a dit : O douceur,
Vous vivez, et je vis, et vous êtes ma sœur ;
Quand, dans la vie, on a tant exalté son âme
Que l'avenir naîtra, plus fort, de cet élan,
il est touchant de n'être, à nos yeux, qu'une femme
Jeune et belle et qui rit au fond d'un salon blanc.
(La A/aison des Glycines.]
BMILK OKSJ'AX
STANCF,
Comme un jonc qui mollit ol irame à la dérive.
Mon àine, au Hl des jours, en flolLint, s'alanu;^uit.
Lors<jue l'hiver revient, le bec içourmand des j^rivea
De nouveau se reprend aux fruits gluants du tçui.
Et l'amour me reprend et c'est encor trop vi>Te.
Et je vais à la mort, quoique je sache bien
Que ce sera très noir lorscjtie, de tous mes livres,
Le livre préféré ne me dira plus rien.
(La Maison dei Glycines.)
ULTIMÀ
A Fred. Despax.
Il pleut. Je rêve. Et je crois voir, entre les arbres
De la place vide qui luit,
Un buste eu pierre blanche et le socle de marbre.
Mon frère passe et dit : CTesl lui.
Mon frère, vous aurez aimé les ports, les lies,
Surtout le ciel, surtout la mer;
Moi les livres, les vers parfaits, les jours tranquilles.
Et nous aurons beaucoup souffert.
(La Maison des Gli/i incs.)
MAX ELSKAMP
4862
M. Max Elskamp est né a Anvers, de père flamand et dt; mère
fran(;aise, le 5 mai 18G2. Il raconte son enfance en ces termes : 0 La
rue Saint Paul, où je suis né, est une rue à consulats, rnarilime. joi-
g^nant l'Escaut. Noire maison se trouvait pour ainsi dire enclavée
dans l'éy^lise Saint-Paul et mon enfance s'est passée sousles cloches,
au milieu des corneilles et tout contre un horrifnjue calvaire en
grès où l'on voj-ait, entre des barres de fer, Christ au tombeau, et
dans de |;îrandes et terribles flammes rouges brûler sans fin les âmes
du Purgatoire. En août passaient par chez nous les baleines, les
géants des ommegauks (cortèges) flamands, et les hivers, si près
du fleuve, les nuits d'hiver surtout étaient vraiment affreuses et trop
^nplies des bruits du vent, des glaces et de la marée. Chez mes
jiçrands-parents paternels régnait Marchandise : thé, sucre, poudre
d'or, huile de palme, cafés et raisins de Corinlhe que nous appor-
taient un brick appelé l'Ortelius et un trois-màts carré baptisé Le
Louis. Je crois que ce que j'ai fait a été très influencé par ces cho-
ses de ma petite enfance. Après, la vie m'a pris, plus neutre, me
semble t-il, et à part la pratitjue des métiers et ce qui touche à
l'âme traditionnelle du peuple, peu de choses, je pense, ont réagi
sur moi. » « M. Max Elskamp est le poète de la Flandre heureuse,
a écrit M. Remy de Gourmont. Les idées se •présentent presque tou-
jours à lui sous la forme d'images significatives; sa [)oésie est em-
blemalicjue. .. L'âme, personnifiée en im jeune homme, en une jeune
fille, en un enfant, traverse des paysages, agit sur les éléments, subit
la vie, travaille à des métiers, se promène en barque, pèche, chasse,
danse, souflre, cueille des roses ou des chardons; c'est très mièvre
le plus souvent, et diffamé par une naïveté qui a d'elle-même une
conscience trop précise. » {Le II* livre des Masques.)
M. Max Elskampa collaboreau Spectateur caitiolique.k La ]Val-
lonie, à Floréal, à La Société Nouvelle, au Coq J{outje, au Réveil,
kLa Belgique artisiiqueel littéraire, à La Revue internationale, de.
MAX KLSKAMF Gl
Bibliographie :
Lkh (f I viif.H. -- Dominical, |iii.'»io>-, couverture ornée par llcory Vm, ,!..
Vrille. Auvcr», P. buschtiianti, Ih'Jî, in-8. (Réimpr. : Dominical, liru
I^cuiulilez, 18'J2, iii-IG,et daii!> /.a Louamjr delà Vie. Pari»., So<:. dti M-.. ..•
de France, 1898, iu-18). — Saliil.ilioiis. dont (rAufiéliqui*», |.o. >jiv rou-
vert, orni'-c par Henry Vande Veltle. lirutillrs, Lirumblez, l>«'J3, m k i|;. .. •
dant La Luuatuje de la Vie, etc.). — Eu Symbole vers l'Apustolul
»ie», couvert, onii^e par Henry Van de Velde. Hru&elles, I.a< omlil.i, \^.'j,
in 8. (Héiiiipr. dans La Ltmanije de ta Vie, etc ). — six Chansons «le
pauvre homme, jxjur cvtehrer la aemaine de Flandre, poé-u»'», impnnu-es
clir/ l|ciii\ \.iii de Velde. TiHen de chapitre et cul^-de-lalnpe fravi-^ sur bon
<r i auteur et Uri-% en couleurs à 15ti c\. brukellc^, Ltt oiiiMer, I8y«>. in-8.
'inipr. dans La Luuaiuje de la Vie, etc.), — \m I.ouauye de la Vie
: ' mtmicnl. Salulations, dont d'anqi'ln/ues. En Symb'de vers l '•
r Chansons de pauvre liommci. Paris, Soc. du Mercure de Fr
111-18. — I-Juliiminiire» (f'aysayrs. Heures, Vies. Chansons. (,
poi^sies, avec- d«» liois gravi'"* par l'auteur et tirés en couleur. Un:
conililez, IS'JS, in-8. — L'Alphabet d« \ofre Dame la Vlerije. Album
de ^-ravures sur boi», on Cdiileuis. Anvers, td. du Cou>crvaloire de la Tradi-
tmii populaire, I9U!, gr. iu-8.
Ou liou\e des ver» de Max KUkamp dans l'ouvrage de l'ol de Monts ;
I»i>èle>i bfl(|oH d'ex|>ressioii française. .Vlmelo. W. Ililanus. IM19, 10- ik.
l'oi>ifc«» »ii>».s i:n jiLsiui k : I) Aniicr, iuu3i<|iie par Krue-d Itelleure. brutelles,
iil. de ■ La Lutte », 1808; ÏS'oel, par In ni^me, 6dit. du .'^|>ectateur calliuli-
juo 1807; Dimanche, mu!»i(|ue de Gabriel Fabre. L'Illustration, a* de janvier
iyo3.
A cosBUi.TtM. — Andrù Keaiinier : La Poésie nouvelle, Paris, Soc. du
Mercure de France, lU"».'. m !x. — Kemy de (îourmoul : Le II* Lirre
des .l/</.»YUt'j. Paris, Soc. du Mercure de France, Is'JS, in-18. — (laniilie !.«•
niounier : La Vie Hclije. Paris, Fas4|uel!e, l'Jnj, m-ig. — Halnlle .Mfn
lU'ti ; /lujifuirt sur le mouvement }mji (njue français de 1867 a iifoo. l'an*
liiipniiiene Nationale, tOnS, et Fa.H4|uelle, 1<J03, in-8. — Victor lleinou-
chamim : .Max LisKmiiji, notice publiée dans itti Portraits du procliatn
siicle. Paris, (iiranl, lM>i. iu-18.
I.ron llenneliiiM| : Mas /:7.ïAaf/i/). Nouvelle rorue Ii^ il,., l«»juin
'- 'i. \irlor KInou : Max l\lskamp et la J'oésie «A - 1 •• ^.
cur callioli.pie, juin 1898. — !\leler (;r;te(.> : [Max Elskaïupj.
...:• Kiiclierfreunde, 1898, fasc. 10. —Albert .Mockel : ^<' Lei. 1 ■.,...
çaises en Itelijique. Revue Enc)cIopédi(|ue. 24 jinll.t 1897. - l*ol de^lont •
^fnx I-.'lskamp et Fraus Melrkers. N.derlai.' " " : \
luiii ls9ti. — Chnrles-Loiiis IMilll|i|ie : '
.„.,rs |yn7. — Georyes Kauiaekers : Max Li^kamp. L* lAiiii.juc oriiiU^u^
cl littéraire, mars ll'OS.
Iconographie :
F. Vallotloii : Masque, repro.luil dans le Ih Ltrre des Mast/ues de
Reiin de (.oiiriii.i. Paris. Soc. du Mcrcun» de France, 1898. iul8. — Henri
Van de Vel.lf i'urlruit, |>ciulur» * iliuiie. tiifv^ 4uS«lou de lArl ladc-
Vciivlaul, à.iVu>er», 1901.
02 POLTKS o'aUJuURd'hUI
DE SOIR
Et tout au fond du domaine loin,
Où sont celles que l'on aime bien,
La plus aimée me pleure, perdue
De ma mort aux semaines venue ;
La plus aimée de mon cœur s'attriste,
Et plons^e ainsi que des fleurs ses mains,
Aux sources de ses yeux de chaÊTi-jn,
La bien-aimée de mon cœur s'altrisle.
Et tout au fond du domaine loin,
La bien-aimée a mis ses patins,
Se sentant dans le cœur de la glace,
Et loin vers moi s'efYorce et se lasse ;
La bien-aimée accroche aux vitraux
De la chapelle d'où l'on voit loin,
Avec le pain, le sel et les anneaux.
Ma pauvre âme, elle qui ne meurt point.
Et tout au fond du domaine loin,
La bien-aimée ne pleurera plus
Les beaux jours de ftUes révolus.
Aux bagues de famille à ses mains ;
La bien-aimée m'a vu comme un saint
Promettant un éternel dimanche,
Aux âmes enfantines et blanches,
Et tout au fond d'un domaine loin.
{La Louange de la Vie^l
CONSOLATRICE DES AFFLIGÉS
Or, l'hiver iii'a donné la main,
J'ai la main diiiver dans les mains,
Et dans ma Irte, au loin, il brûle
Les vieux étés de canicules;
MAX OAKAMP
Et Hans mes yeux, en candeurs lentes,
Très blancbennent il fait des tentes,
Dans mes yeux il fait des Siciles,
Puis des Iles, encor des Iles.
Kt c'est tout un voyatçe en rond,
Trop vite pour la guérisou,
A tous les pays où l'on meurt
Au loniç cours des mers et des heures ;
Va c'est tout un voyajçe au vent,
Sur les vaisseaux de mes lits blancs
(Jui boulent avec des étoiles
A l'cntour de toutes le» voiles.
Or, j'ai le ^oût de mer aux Irvrfs
Conmie une rancœur de îçenicvre
Bu pour la très mauvaise oriçie
Des dë|^arts dans les tabagies;
Puis ce pays encor me vient :
Un pays de neiiçe sans fin...;
Marie des bonnes couverture»,
raitcs-y la neige moins dure
Et ccuirir moins, comme des lièvres.
Mes maius sur mes draps blancs de fiè\Te.
{La Louange de la Vie.)
AUX YRUX
El me Toici vers vous, les hommes et les femmes,
Avi'c inos plus beaux jours pour le cctur cl |>our l'Ame
03
64 POÈTES d'aujourd'hui
Et la bonne parole où tous les mots qui s'aiment,
Semblent des enfants blancs en robes de baptême .
Car c'est en aujourd'hui, la belle Renaissance
Où ma douce sœur Joie et son frère Innocence
S'en sont allés cueillir, en se donnant la main,
Sous des oiseaux chantants les fleurs du romarin.
Pour fêter paix venue au jardin de jouvence,
Qu'ouvrent ici la foi et la bonne espérance.
Or^ voici doux pays et lors, à mes couleurs,
La vie comme un bouquet de joies et de senteurs,
Et dimanche, les yeux, dans le très bon royaume
Des bêles et des gens, des maisons et des chaumes,
Et tout mon peuple heureux de sages et de fous
Mais attentifs aux croix, du cœur jusqu'aux genoux ;
Or, c'est fête, les yeux, et réjouissez-vous
Ainsi que des enfants dans mes jours les plus doux,
Car c'est le temps venu après bien des prières.
Et des villes bâties toits à toits, pierre à pierre,
De la maison promise et dont le seuil est prêt
A tous ceux de travail pour du bonheur après;
Et c'est voiles, au loin, dès mon pays sans leurre.
Parlant à guidons bleus pour devancer d'une heure
Ma paix haute déjà dans les meilleures âmes ;
Mais réjouissez -vous lors, les hommes, les femmes
Et selon tout mon cœur en rêve de bonté,
Pour un prêche aujourd'hui d'amour et charité.
{La Louange de la Vie,)
MAX £LSKAMP 65
UN PAUVRE IIO.M.MF: EST ENTKÉ...
Un pauvre, homme est entré chez moi
Pour (les «liansoiis (ju'il venait ven«lre,
Comme P;^(jiie chantait en Flandre
Kt mille oiseaux doux à entendre,
\Jn pauvre liouirne a chanté chez moi.
Si huiiil)!('ini>(il (|ue c'était moi
Pour les refrains et les paroles
A tous et toutes bénévoles,
Si humhlemerjt (jue c'était moi
Selon mon cœur comme ma foi,
Or pour ces chansons, les vuiri.
Comme mon âme la voilà.
Sainte Cécile, entr«' vt>s bras.
Or, ces chansons bien les voici.
Comme voilà bien mon pays,
Où les cloches chantent aussi
Entre les arbres qui s embrassent
Devant les «jens h«'ureux cpii passent,
Où les cloches chantent aussi
Des Dimanches aux Samedis ;
Et c'est pour toute une semaine
Ou'ici uïon cœur, sur tous les tons,
Chante les joies de la saison,
El c'est dans toute une semaine
Où chaque jour a Ba chanson.
(Sïjc chansons de pauvre homme j
OR POUR rOMMENCFR TOUT EN FOI
I
Or pour commencer tout en foi,
ù la faenn des tçens des bois
qui soûl les pauvres de chez moi,
S.
65 POÈTES d'aujourd'hui
avant de dire, en joies ou peines,
mon pays tout d'eaux et de plaines,
voici fait mon signe de croix
en l'amour des sots et des sas^es,
car aujourd'hui c'est la chanson
des fenêtres de ma maison,
d'où les villes et les villages
et le plus beau des paysages,
bêtes, gens, arbres et nuages,
passent, rient, vivent et s'en vont
avec leur geste et leur langage
pour l'ornement des horizons.
Or, c'est lors mon cœur en voyage,
et, prête à la bonne espérance,
mon âme avec sa confiance,
qui s'en va sur terre aux agneaux
et sur mer suivant les vaisseaux
au hasard du vent et des eaux,
puis par les bois et par les routes
où chante pour ceux qui l'écoutent
la simple Vie bonne entre toutes ;
et c'est ainsi qu'elle est chez moi
quand c'est matin sur tous les toits
avec la rosée goutte à goutte,
et voici ce qu'on dit chez moi,
à la façon des gens des bois,
quand c'est Marie-des-prime-routes.
II
ON DIT :
Marie, épandez vos cheveux :
voici rire les anges bleus
MAX EL8KAMP tf
et dans vos bras Jésus qui boutée,
avec ses pieds et ses mains rouges,
et puis encor les anfijes blonds
jouant de tous leurs violons.
Or, c'est matin vert aux prairies
et, Marie, regardez la Vie :
comme elle est douce infiniment
depuis les arbres, les étangs
jusqu'aux toits loin qui font des îles;
el, Marie, regardez vus viiîes
heureuses comme des enfants
avec leurs cloches proclaïuant
les paix naïves d'évanirile
du haul de tous les ranipaniles
dans l'aube en or aux horizons
(jue saluent, Marie-des- .Maisons,
les miens des tAches couluinières
et dévoués tout à la terre.
Mais lors chantez, gais lalnjureurs
de mon pays où le meilleur
est Flandre douce aux alouettes
et dont les voix de joie concertent,
et passez au loin, les vaisseaux
sur la mer qui rit aux drapeaux,
car Jésus tend ses mains ouvertes,
Marie, pour embrasser la fête
que fait le ciel au prime jour
ici de soie et de velours.
68
POETES D AUJOUBD HUI
III
ET MARIE LIT UN EVANGILE
Et Mnrie Jit un cvano^ile
avec ses deux mains sur son cœur,
et Marie lit un évans^ile
dans la |)rairie qui chante fleure.
et Therbe, et toutes les couleurs
des fleurs, autour épanouies
lui disent la joie de letir vie
avec des moîs tout en douceur.
Or, les anui-es dans les nuées
et les oiseaux chantent en chœur,
et les hcLcs, icles baissées,
paissent les plantes de senteur;
mais Marie lit un évangile,
oubliant les heures sonnées
avec le temps et les années,
car Marie lit un évangile ;
et les mations (jui font les villes
s'en vont leur tâche terminée,
et les co([s d'or, sur les campaniles,
passent le vent et les nuées.
{Enluminures.)
ET MAINTENANT VOICI L'HIVER
Et maintenant voici l'hiver,
et mon cœ.ur qui s'était allé,
revenu heureux dans sa terre
sachant que tout est à aimer,
depuis le ciel, depuis la mer
jusque mieux et plus humblement
MAX BLSKAMP 6q
les objets dr toutes manières
fidèles inenableineiit.
Or foi mise ainsi dans les choses
alors voici nion testament,
aux bois, à l'eau, aux fleurs de roses,
léîçuant mes joies d'homme et d'enfant,
car en arbres, toits et maisons,
à mains rouij^es mieux qu'rn prirres,
tout me fut tloux, tout me fut boa
selon l'outil, selon la pierre,
et repos me soit à présent
en eux après labeur et peine,
et de mon ble, m.iuvais et bons
à vous ici corbeille pleine.
{Entuminaret.)
ANDRÉ FONTAINAS
1865
M. André Fontainas, poète, critique d'art et romancier, est né ,
Bruxelles, le 5 février i865. Ses premiers vers parurent dans /
Basoche (i884-i885i, petite revue qu'il avait fondée avec quelques
camarades de l'Université de Bruxelles. C'est seulement ensuite
qu'il vint se fixer à Paris, en 1888. Très influencé de Mallarmé,
après la publication de son premier recueil : Le Sang des Fleurs,
Mi Fontainas s'est fait de bonne heure une originalité dans le
domaine du rythme et des images, notamment dans ses poèmes en
vers libres, qui sont d'un ton et d'une harmonie tout à fait person-
nels. A le juger, d'ailleurs, sur l'ensemble de son œuvre poétique,
M. Fontainas est plutôt un poète du vers libre que de l'alexandrin
traditionnel. Gomme romancier, M. Fontainas n'a publié que deux
romans : L'Ornement de la Solitude, L'Indécis, livres curieux, et
de style un peu cherché, difficile.. 11 semble que l'influence de Sté-
phane Mallarmé s'y retrouve encore, comme dans ses premiers
vers. Comme critique d'art, on doit à M. Fontainas, qui a rédigé,
de 1897 à 1900, la chronique d'Art moderne au Mercure de France,
une Histoire de la Peinture française au XIX'' siècle, très com-
préhensive et nouvelle de vues. Enfin, traducteur d'écrivains étran-
gers, M. Fontainas a publié une traduction de l'ouvrage de Thomas
de Quincey : De l'assassinat considéré comme un des Beaux-arts
et des Poèmes de John Keats. On a également de lui une traduction
du Samson Agoniste, tragédie, et du Comus, masque, de John
Milton.
M. André Fontainas a collaboré à La Jeune Belgique, à La Basa
che, au Coq rouge, à La Société Nouvelle, à L'Art Moderne, à La
Belgique artistique et littéraire, au Petit Bleu de Bruxelles, à La
Wallonie, à La Cravache, au Mercure de France, à La Plume, à
L'Ermitage, à La Vogue, à L'Européen, à La Raison, à Vers et
Prose, aux Arts de la Vie, au Beffroi, à Poésie, à La Patrie de
Rome, à Flègréa, à La Belgique artistique et littéraire et à Die
ANDRB FOXTAINA8 7'
Zeit, etc. On troure é^^alement de ses vers dans V Almanach dex
Poètes (Mercure de France, 1896 et 1897) et dans l'album : Les Pé'
chés capitaux, eaux-fortes par H. Detouche. Paris, Boudet, 190a
Bibliographie :
Les CEUVRE9. — Le Sang des Fleurs, poésies. Bruxelles, Imprimerie
Veuve Monnom, 1889, gr. in-4. — Les Vergers Illufloires. por^sies. Paris,
Lilirairio de l'Art Inrl^^pendant, 1892, in-18.— Nuits «rFpipliftiiles, poi^^ies.
Paris, Soc. du .Mercure de France, 1894, in-16. — Les Estuaires d'ombre,
poiî^sies. Gand, Imprimerie du H<''veil, 1895, mi-18 (hors commerce). — Cré-
puscules {Les Verijers Illusoires. Nuits d'Epiphanie». Les Estuaire*
d'ombre, augmentés d'Idylles et Eléijies. L'Eau du Fleuve). Paris, Soc.
du Mercure de France, 1897, in-18 — L'Ornement de la Solitude, roman.
Paris, Soc. du Mercure de France, 1899, in-18. — De l'Assassinat consi-
déré comme un des Beaux-Arts, traduit de l'anglais de Thomas de
Quiiuey. Paris, Soc. du Mercure de France, 1901, in-18. — Le Jardin de»
Iles Claires, poimes. Paris, Soc. du Mercure do France, 1901, in-8 (Héimpr.
dans La Nef di'si'mparce. Paris, Soc. du Mercure de France, 1908, in-18). —
Le Frisson des Iles, conférences. Bruxelles, édition de la Libre Esthétique,
1902, in-8. — L'Indécis, roman. Paris, Soc. du Mercure de France, 1903,
in-18. — Cinq poèmes de John Keats, traduit de l'anglais. Toulouse,
Bibliothèque de « Poésie ». 1906, in-8 (100 ex. 1. — Histoire de ia Peinture
française au XIX» siècle 1801-I900. Paris, Soc. du Mercure de
France, 190G, in-18. — Hélène Pradier, comédie en trois actes. Bruxelles,
E«l de la Belgique artislicpie et littéraire, 1907, in-18. — La Nel désem-
parée (Z-e Jardin des Iles Claires. La Nef désemparée). Paris, Soc. du
Mercure de France, 1908, in-18.
On trouve, en outn-, des poèmes de M. André Fontainas dans le Parnasse
de la jeune Belgique. Paris. Vanier, 1887, gr. in-8; r.Mmaiiach des
poètes, 1896 et 1897 (Paris, édit. du .Mercure de France. 1895 et 1896, 2 vol
in-16) et dans le recueil publié par Pol de Mont : I*oètes belges d'ex-
pression Irançalse. Almelo. \V. liil.inu?, 1899, in-18, etc.
A ciiNsi iTF.it. - Remy de Giiurmont : Ae //• Lirrr des Ma.^ques, Pans,
Soc. du Mercure de France, 1898, in-18. — Henri de ilégnier : André Fon-
tainas, noiici* àans les Portraits du prochain Siccle, Paris, Girard, 1894.
G. Conrado : André Fontainas, Per l'Arle (Parme), 7 juin 1900. —
Eugène Demolder : Andri^ Fontainas, Art Moderne (Bruxelles), 10 »ep-
tembre |s<.t9. — Huhcrt Krains : André Fontainas. Art Moderne (Bruxel-
les), 3 janvier 1904. — Stuart Merrill : Critique drs pothnrs. Ia Plume,
1" mars 1903. — Pierre Quiilard : André Fontainas, Mercure de France,
septembre 1894.
Iconographie :
Boleslas Itiegas : fiusfe, exposé au Salon de la Soo. nationale des Beaux-
Arts, 1907 (app. à M. André Fontainas). — Peské : Portrait, fusain (appart.
k l'artiste). — F. Vallotton : Masque, dans Le II* Livre des Alasques, de
R. de Gourmont, Paris, Soc. du .Mercure de France, 1898.
73
POÈTES D AUJOURD HUI
VOIX VIBRANTE DE REVE...
Voix vibrante de rêve et de cbant qui m'affoles,
O voix frêle et sonore, où planent par essaims
Les rires éclatants plus clairs que des tocsins,
O sa voix... je rccoulc autant que ses paroles.
Je retrouve en sa voix vos inflexions molles.
Ame des vieux rebecs, esprit des clavecins.
Baisers épanouis en rapides larcins,
Confidences d'amour des anciennes violes.
Sa voix, c'est la douceur des songes innocents,
C'est un souffle d'iris, de cinname et d'encens.
C'est un enivrement d'harmonie et d'optique.
Et c'est, au fond de moi, fait d'un vivant soleil
De fierté lumineuse et de rythme vermeil,
Le plus éblouissant et le plus pur cantique.
(Le Sany des Jleurs.f
SUR LE BASALTE, AU PORTIQUE...
Glunto mi vidi ove mirabil cosa
Mi torse il viso
DANTE ALIGUIEBI.
Sur le basalte, au portique des antres calmes.
Lourd de la mousse des fucus d'or et des algues
Parmi l'occulte et lent frémissement des vai!:ues
S'ouvrent en floraisons hautaines dans les alignes
Les coupes d'orgueil de glaïeuls grêles et calmes...
Le mystère où vient mourir le rythme des vagues
txliale en lueurs de longues caresses calmes.
Kl le rouge corail où se tordent des algues
Mtcnd à la mn- des bras sanglants de fleurs calmes,
IJui mirent leurs reflets sur le repos des vagues.
ANDRÉ PONTAINAS 73
l'.t te voici parmi les jardins fleuris (ialsjups
l.a la nocturne et lointaine chanson des vatfucs,
Keine dont les reçards pensifs en clartés calmes
Sont dp triatiqups t^Iaïeuls érlLToant sur Ips vac^iirs
Leurs vasques au pleurs doux du corail et des alloues.
{Les Vergers illusoires.)
LA PROPICE H ENCONTRE
Voici l'aube propice et le divin matin
Sourire à l'Esseulé de la foret mauvaise,
L'Apre et longue rumeur des nuits lourdes s'apaise.
Le chant clair du soleil s'éveille au ciel lointain.
Au frais parfum nouveau de la s.'uijçe et du thym
Son Ame s't'hlouil et la brise i]ui baise
La mer cérulcenne au pied de la falaise
A refleuri d'espoir l'ori^ueil de sou destin.
Il sent renaître en lui la «gloire de la Joie
Et l'ardeur de son rêve héroïque flamboie
Telle la fête en feu de ce malin vermeil,
Et bienliU ses yeux voient à l'horizon, très calmes,
Au pas de leurs chevaux, et lui tendant leurs palmes,
Les ilois qu'il a crus morts marcher dans le soKil.
{Nails d'Epiphanics.)
FLEUIIS, TOUT L'ESPOIIl DES CROIX...
Fleurs, tout l'espoir des croix, et l'or roux y rutile,
Leurs vœux, flottille ancienne au vent d»*s cîeux marins^
S'ai^enouillent au seuil (i'(Mi montent, l'clcrins.
Avec vos voix les voix d'airain d'uo camp;uiile.
l/ennui quotidien de la vie inutile,
Ames d'amour, et par quels miracles sereins?
EolTtl, du irisl»' champ q>rarrosnitiil vos chag-rins,
Claires corolles eu guirlande au péristyle.
74 POÈTES d'aujourd'hui
Le fleuve d'oubli sombre où plongent nos cyprès
Roule rép.'iis gravier du rêve et des regrets
Sous le miroir terni de son obsidiane.
Délaisse un songe vain et tes vœux insensés,
Etranger qu'un exil lit pâtre en Sogdiane,
Le rêve est malfaisant et vivre c'est assez.
{Les Estuaires d'ombres.)
VERS LE NORD
A travers les brouillards, sous l'horreur impassible
D'un ciel morne, chargé de torpeur et d'ennui,
Si nul ne peut s'ouvrir un chemin dans la nuit
Vers l'eftroi glacial du Pôle inaccessible,
Du moins, ceux qui sont morts ou qui doivent mourir
Dans la foi du triomphe et la gloire du rêve
Auront connu l'orgueil d'une volupté brève,
Fleur d'espoir que nul deuil ne pourra plus flétrir.
Mais toi qui fus déçu par l'immuable envie
D'aimer et d'être aimé longuement poursuivie.
Tu sais la vanité des stériles combats,
Tu portes en ton cœur une ironie amère
Et tu vois sans pitié les chercheurs de chimère
'eufoncer au néant du gouffre où tu tombas.
FRONTISPICE
{A.M.'A. Ferdinand Flerold .)
Les gemmes et les ivoires
Et les clairs chrysobérils
Mêlent déclairs |>uérils
Le deuil des tulipfts noires i
Avoni rosTAiNAS 7S
Fleurs lourdes du jardin triste
Où pleure un jet d'eau loinlaio
Le sourire du m^tliri
Vous v«ît d'or et d'améthyste:
En fêtes sentimentales
S'attardent sous les halliers,
Un à un des clicvalicrs
Auprès des princesses piles
Dont les doigts las sont des fleurs
Qui apaisent leurs douleurs.
( l,a Sef désemparée.)
INVITATION
Le rubis que mon vœu décerne
Au sourire de ta beauté
Est, à coup sûr, ensanglanté
Par des feux de miroir moins terne.
La glace avec la flamme alterne
Et ton œil dur par dii^nité
Meurtrit le désir sangloté
D'être un rien que la main gouverne.
Mais songe là-bas que des eaux
Ont bercé l'espoir des vaisseaux
Vers l'Ile secrète et future,
Et viens en l'oubli des hivers
Eollrnient voguer à travers
La voluptueuse aventure.
{La Nef désemparée.)
ÉVEILLE-TOI !
Éveille-toi I
Cesl parmi l'heure hivernale une joie
De plonger k la vitre toute fleurie de givre,
76 poètES d^aujouru'hui
Vois : les pétales qui scintillent et flamboient
Ouvrent des allées que veut le rêve suivre.
Eveille-toi. Le njatin pur éclate et vit,
C'est l'heure de l'extase où rire au soleil calme.
Et rien, sinon en sonî^e, au jardin clair, nul bruit
Qu'un loni^ frémissement imaginaire, ô palmes!
Vois revivre et fleurir en le silence vaste
Que ton res^ard anime en frissonnant d'amour,
O chère ! l'ardeur ancienne, enthousiaste.
Dont t'eutourait la paix de mon profond amour.
(Le Jardin il es Iles claires.
AUTREFOIS, DISAIS-TU...
Autrefois, disais-tu en paroles plaintives.
J'aimais l'ombre frissonnante des grands arbres
Oui inclinent leurs frondaisons sur les rives
Du ruisseau au clair murmure entre les pierres ;
J'aimais ! j'aimais la paix dormeuse où le villaçe,
Au long des jours, au long des heures.
Parmi l'oubli paciH(jue de la vie.
S'élire inconscient même de son bonheur ;
Autrefois, nous allions rêver par les prairies.
Tranquilles comme les bètes et les herbes,
Les doifçts mêlés, et mes yeux achevant tes pensées,
Tous deux, seule à seul, triomphants et superbes,
Isolés, et d'autant plus superbes !
Autrefois ! Et c'est dt^à le passé
Ce temps d'insouciance et de frivole ivresse;
Autrefois ! Mais rejette le souvenir
Pesant comme une chape, et redresse
Ta taille fière vers l'avenir :
Qu'importe'? ce qui fut n'est que poussières,
La vile poudre des chemins
Ternit moins les pieds nus et meurtris qui s'y traînent
ANORé rOXTAIMAS Jf
Que le repfret décevant qui nous fait perdre haleine
Ne nous lasse à la poursuite de demain !
Q'importc? Heure présente, heure révolue,
Ce qui passe d«'jà n'est plus,
l'A seul l'avenir nous attache ;
Tout ce qui s'écoule et ruiss<*lle
Kn vain par tas s'amoncelle :
Jouis d'un instant; laisse-le fuir, s'il fuit;
Tu aimes le Jour, il est la nuit *
I^ jour va renaître à l'aurore
Kt notre joie étinccler encore
Si le soleil, demain, se lève et luit
Sur notre espoir, parmi la foule et la cité
Où fermente et bruit
Confusément, foison étrancje, la heaaté
Universelle et pacifique de la vie.
Alors! l'homme fn'missant, telle une feuille,
S'éveille siduer l'aurore, et accueille
Comme un frère de sa gloire le rêve :
0 Ilève,
Hève que nous verrrons poindre avec l'auln; demain...
Oublions le passé, rêvons, donne tes mains.
{Le Jardin des Iles claires.)
LA VIE EST CALME...
La vie est calme
('omme ce soir de doux été
Où les oiseaux, parmi les arbres apaîsiis.
Au bord du fleuve se sont lus.
Leaii même aux joncs des rives ne jase plus,
Tout est calme,
Et la nuit paciKque et sas^e
S'endort sans un frisson sous un ciel saDS nuage
La vie est calme!
0 chère sœur, c'est ton visojçe
^8 POÈTES d'aujourd'hui
Lui-même qui sourit à peine à du bonheur.
C'est ton visage la vie, ô claire sœur,
Si calme;
Gomme la vie et ton bonheur,
Ton visage calme est pacifique et sans nuage.
Le fleuve même est taciturne
Parmi ses rives et les roseaux,
Des fleurs y tombent l'une après l'autre;
Heures suaves et taciturnes
La vie est calme auprès des eaux
Où s'émerveille, ma sœur,
Des heures, des eaux et des soirs le bonheur
De aous sourire en l'éclair tendre de tes yeux.
^Le Jardin des Hes claires.
PAUL FORT
1872
M. Paul Fort est né A Reims le i»*" février 187a, A vu ni de débu-
ter dans les lettres, il fonda, en janvier 1890, le Thrntre cTArt, essai
thé^lilral qui permit, à une époque où le naturalisme dominait en-
core, (le prcs' riter au [)uljlic, en mCme temps que des oeuvres dra-
matiques dédaignées ou méconnues, des paçes d'écrivains nouveaux.
Très jeune, seul, et presque sans rcasources, M. Paul Fort fil inter-
préter ainsi LesCcnci de Shelley, La Tragique histoire da docteur
Faust de Marlowe, Les Uns et les Autres de l'aul Verlaine. L'In-
truse, Les Aveugles At M. Maeterlinck, La Voix da sang. Madame
la mort de Madame Hachilde, Théodat de M. Uemy de ( i
Les Flaireurs de Van Lerberghe, des poèmei d'Huu'<^, "
Afailarmé, Jules Laforgue, Arthur Rimbaud, de MM. Catulle Men-
dès. Pierre Quillard. et jusqu'à une adaptation du premier chant de
Vlliade.
Ajirès cette tentative dramati({ae, qui 6t grand bruit et prit fi
i8<jl<, M. Paul Fort commença à j)ublier de petites pièces déiac <
dans La Société Nouvelle (iSgS). Puis vibrent des plaquettes, publiées
pour la plupart sans indication d'éditeur, et qui, réunie^ plus tard
en volume, formèrent son premier livre : Les Rnllndrs françaises.
Empruntant, sous les aspects de la prose, 1 1 ic et la ryth-
mique du vers, mêlant aux images les plus 1 le coloris cru
des réalités, l'art de ce poète éclate dans de petits tableaux vifs et
nets, où l'habileté du peintre ne le cède en rien au lyrisme ému de
l'évocateur. Son talent, a très bien dit M Rt-my de (Jourmont, est
une manière de sentir autant qu'une manière de dire.
• Voici le frère de Jules Laforgue, a écrit d'autre part M. Pierre
Louys dans sa préface aux Ballades /ninçaise» : — un grand poète,
un écrivain dont cha(pie lii;nc cmeut, à la fois parce qu'elle est belle
et parce qu'elle est profouilémcnt Traie, sincère et dou«e de vie...
Les Ballades françaises, ajoute-t-il« sont de petits poèmes en vers
8o POÈTES d'aujourd'hui
polymorphes ou en alexandrins familiers (i), mais qui se plient à
la forme normale de la prose, et qui exigent (ceci n'est point néçli-
g'eable) non pas la diction du vers, mais celle de la prose rythmée.
Le seul retour, parfois, de la rime et de l'assonanc^ distingue ce
style de la prose lyrique.
« 11 n'y a pas à s'y tromper, c'est bien un style n< uveau. Sans
doute M. Pëlarlan {Qiieste du Graal) et M. Menôcs (Lieder) avaient
tenté quelque chose d'approchant, l'un avec une richesse de voca-
bulaire, l'autre avec une virtuosité de syntaxe qui espacent aisé-
ment les rivaux...
« On trouve, d'ailleurs, des ancêtres aux méthodes les plus per-
sonnelles, et celle-ci serait mauvaise si elle était sans famille.
« M. Paul Fort l'a faite sienne par la valeur théorique qu'il lui a
donnée, par l'importance qu'elle affecte dans son œuvre et mieux
encore par les développements infîniiSent variés dont il a démontre
qu'elle était susceptible.
« Désormais, il existe un style intermédiaire entre la prose et le
vers français, un style complet qui semble unir les qualités contrai-
res de ses deux aînés.. . ■
On pourrait ajouter que M. Paul Fort n'a pas toute la réputation
qu'il mérite. Dans leur couleur de chansons populaires, ses Balla-
des sont pleines de traits ingénieux, charmants, de vraie poésie
hbre, abandonnée et pénétrante. On les recherchera peut-être un
jour, comme les témoignages d'un art à peu près unique à son
époque.
M. Paul Fort a également fondé, avec plusieurs écrivains de sa
génération, Le Livre d'art (i8(j6-i897), et il dirige aujourd'hui Vers
et Prose, recueil trimestriel de littérature, fondé par lui en 1905.
Il a en outre collaboré à de nombreux périodiques, entre autres ;
La Société Nouvelle, Mercure de France, L'Ermitage, Le Réveil de
Gand, Le Coq Rouge, etc.
Bibliographie :
Les œuvres. — La Petite Rête, comMie en un acte, en prose. Paris,
Vanicr, 1890, in-8. — Plusieurs Choses , poésies. Paris, Librairie de lArt
Indépendant, 1894, in- 16. — Premières lueurs sur la colline, poésies,
i'aris. Librairie de l'Art Indépendant, 1894, in-16. — IVIonnaic de 1er, poé-
sies et i)oèmc9 en prose. Paris, Librairie de l'Art huii'-prndaut, 1894, in-16.
— Presque les doigts ;iux clés. Paris, Librairie de l'Art Indépendant,
1895, iu-16 — Il y a là des cris, poébies. Paris, édit. du Mercure de Frauce,
(1) Proposons de désigner ainsi les alexandrins qui comprennent douie
eUlabes sonores et laissent quelques luucttes élidécs.
L. P.
PAUL FORT
lfi95, in- 16. — Ualladca {Ma Létjende. Me$ Léfjenffr$y. poèmes en i»ro«e.
paris, MU. (lu Mercure de Franro, ls'.>0, in- 16. — Ballades {La Mer. Le»
Cloche». Le» Lhninp»\, pof-mo^ <n pro^c. F'ari», édition du • Litre d'Art • el de
€ L' /'ypreuve » 1890, in-l«i. — ltnll:iiles La >'<ii«'nu. Aux etutmp», tur la
roule et devant l'Aire. Me» Léijendet. L' ■ ine» en pr^
du Mercure do France, 1896, in-16. — liai it» XI, r
poi-uies en iirosf. ['aris, Mit. du Mercure de 1 - "•, lu lo. I!:illa-
de» FYaoçaUe» (/'oème* et llalladea 1891-1 • !■ e de Pierre Ix>uys
Pan», Sor. du Mercun; de France, 1897, in-l8. -- Muiitayne h'^rét. /'/■>
.^fcr), bal!ade<i Fran<;ai$e!), Il* svric. Paris, Soc. du Menurr île Kianrp, '. - •
is. — Le lloman de Louis XI, BalUden Fraurai'». i. III* -.rie I
. du Mcn lire de France, lh99, in-18. — Le» Idylle» .\iitii|iioH. lia
Françaises, 1\* série. Paris. Soc. du Memire de France, l'.»"'. in-t'*
L'Amour marin, Ballades Françaises, V» •.«'•rie. l'aris. Soc. «lu Mcrcur. !.•
France, 1900, in-18. — Paris Sentimental Ou le lloman de non
vingt ans. Ballades Franrai'<es, VI* sciie. Pans, ."-^oc du Mfr< urc de Frun ••
1002, in-18, — Les Hymnes de feu prôcédi's de Lucienne, B.i
françaises, Vil' série. Pans, Soc. du Mercure de France, I9(i3, in-18. — < x
comb ou l'iioinme tout nu tombé du Paradis, Ballailes Fran'
VHP série. Pari», Soc. du Mercure de France, 190^, in-18. — lle-de France
[Paris], iùlilé par les soins de * Vers el Prose », [1908], in-18 (hors com-
merce). — Salnt-Jean-aux-bolH. Coury-le-Ch-ileau et Jouy^en-Jotas .
l'aris, «Vers cl Prose u [190^1, in-10 (hors commerce}.
Poème mis e^i musiulk. — Une Ballade française a été mise en musique |t«r
M. Gabriel Fabre.
A c.o?i»iiTr.n. — André Beaunier : La fn-'^i-- nouvelle. Par
Meicurc de France. i9n2, m- 18. — Heiny de <i«Mirmont : Le II'
Musi/ue». l'aris. Soc. du Mercure de France, 1898, in-i8. — Paul-Arinind
liirMch : Paul Fort, nolico dans Ici Portraits du prochain Siècle. I iio,
Girard, lti94, in-18. — Guornes Le f^ardonnel et Charles Vellay : La
Littérature contemporaine, t'J(i5. Opinion» des écrivains de ce temps. P.»ri«,
Soc. du Mercure de France, 1906, in 18. — Ilob. de Souza : La I
Populaire et le Lyrisme Sentimental. Paris, Soc. du Mercure de France. ;•. .',
in-18. — V. Tlionipson : French Portrait» ibein^; appréciations of tb«
•vriters of youny France). Boston, BichartI, G. Itadper el C», I9o0. in-8.
Ilen<^ Boyiesve : Sur le» nouvelle» Hallades de Paul Fort. Erroits^C^
iii.vrs is'.ts F. Goppée : Que'que» poète». Journal, 7 o. ' ' * -'" —
l-Mmund Uosse : The Poetry of M. Paul Fort. The I'
5 juillet !9(«î. — Pierre Louys: f*au//brr.Fi i isyo I- Mêlé
(iriiliD. /'<!«/ Fort. Frmita^e. mai 1897. - le de Visan : Sur
l'tFtivre de l'aul Fort. Vers et prose, juin-aoùl .
(l'n ^rand nombre d'études consacrées à M. Paul Fort ont été recueillies
dans un numéro spécial de La Procince Aouvelle, Auicrrc, septembre 1897.)
Iconographie :
Henry IlaL-xille Tête» de ' - 'nh et ^r., Paris, c r )^|^
gr. m 4 I". >nll..U«»n V ' //• livre d,s .»/ H de
Gourmonl. 1 Joan Veber . /' '•-
trait ou C » ■ _ . ■ r l»9«.
«.
82 POÈTES d'aujourd'hui
Des « BALLADES DES CLOCHES »
Ahl que de joie, la flûte et la musette troublent nos cœurs
de leurs accords charmants, voici venir les gars et les fillettes,
et tous les vieux au son des instruments.
Gai, gai, marions-nous, les rubans et les cornettes, gai,
gai, marions-nous, et ce joli couple, itou!
Que de plaisirs quand, dans l'église en fête, cloche et clo-
chettes les appellent tertous, — trois cents clochettes pour
les yeux de la belle, un gros bourdon pour le cœur de l'époux.
Gai, gai, marions-nous, les rubans et les cornettes, gai, gai,
marions-nous, et ce joli couple, itou !
La cloche enfin tient nos langues muettes. Ah I que de
peine quand ce n'est plus pour nous... Pleurez, les vieux, sur
vos livres de messe. Qui sait ? bientôt la cloche sera pour
vous.
Gai, gai, marions-nous, les rubans et les cornettes, gai,
gai, marions-nous, et ce joli couple, itou 1
Enfin c'est tout, et la cloche est muette. Allons danser au
bonheur des époux. Vive le gars et la fille et la fête! Ahl que
de joie quand ce n'est pas pour nous.
Gai, gai, marions-nous, les rubans et les cornettes, gai, gai,
marions-nous, et ce joli couple, itou !
Que de plaisir, la flûte et la musette vont rajeunir les vieux
pour un moment. Voici danser les gars et les fillettes. Ah!
que de joie au son des instruments !
(Ballades françaises.)
DES « BALLADES AU HAMEAU »
Celte fille, elle est morte, est morte dans ses amours.
PAUL FOriT
83
Ils l'ont j)or(ce en lerro, m trvrc nu point fin j-i'".
Ils l'ont couchée toute seule, toute seule en ses atours.
Ils l'ont couchée toute seule, toute seule en son cercueil.
Ils sontrev'nus gaîment, e^aînient avec le jour.
Ils ont chante gaîincnt, a^aîinrnf : « r.h.irini son four.
« Celte fille, elle est morte, est iiiortr dans ses amours. »
Ils sont allés aux champs, aux champs comme tous les
jours...
i/itilld'Irs rruni-iiisrs.)
DES « BALLADES DE LA NUIT »
A Slaart Merrill.
L'ombre, comme un parfum, s'exhale des monlasi-nos, et le
silence est tel que l'on croirait mourir. On entendrait, ce soir,
le rayon d'une étoile, remonter en tremblant le courant du
zéphyr.
(Contemple. Sous ton front que les yeux soient la source qui
charme de reflets ses rives dans sa course... Sur la terre
I toilée surprends le ciel, écoute le chant bleu des étoiles en la
rosée des mousses.
Respire, et rends <à l'air, fleur de l'air, ton haleine, et que
'm souffle chaud fasse embaumer des fleurs, respire pieusc-
lent en retc^rdant le ciel; et que ton souffle humide étoile
• ncore les herbes.
Laisse nager le ciel entier dans les yeux sombres, et mô!e
ton silence à l'ombre de la terre : si ta vie ne fait pas inn-
onilue sur son ombre, tes yeux et sa rosée sout les miroirs «les
sphères.
84 POÈTES d'aujourd'hui
Sens ton Ame monter sur sa tiîz^e éternelle : l'émotion divine,
et parvenir aux cieux, suis des yeux ton étoile, ou ton àme
éternelle, entr*ouvrant sa corolle et parfumant les cieux.
A l'espalier des nuits aux branches invisibles, vois briller
ces fleurs d'or, espoir de notre vie, vois scintiller sur nous,
— scels d'or des vies futures, — nos étoiles visibles aux
arbres de la nuit.
Ecoute ton rejçard se mêler aux étoiles, leurs reflets se
heurter doucement dans tes yeux, et mêlant ton reg-ard aux
fleurs de ton haleine, laisse éclore à tes yeux des étoiles
nouvelles.
Contemple, sois ta chose, laisse penser tes sens, éprends-toi
de toi-même épars dans cette vie. Laisse ordonner le ciel à tes
yeux, sans comprendre, et crée de ton silence la musique des
nuits.
{Ballades françaises.)
DES « BALLADES DE LA MONTAGNE, DES GLACIER.
ET DES SOURCES »
Du coteau, qu'illumine l'or tremblant des genêts, j'ai vu
jusqu'au lointain le bercement du monde, j'ai vu ce peu de
terre infiniment rythmée me donner le vertige des distances
profondes.
L'azur moulait les monts. Leurs pentes alan^-uies s'ani-
maient sous le vent du lent frisson des mers. J'ai vu, mêlant
leurs lignes, les vallons rebondis trembler jusqu'au lointain
de la fièvre de l'air.
Là, le bondissement, au penchant du coteau, des terres
labourées où les sillons se tendent, courbes comme des arcs
où pointent les moissons, avant de s'élancer vers le ciel dans
l'air tendre.
Là se creuse un vallon, sous des prés en damier, que blesse
WÂVL FORT
83
en un repli la flrche d'un clocher ; ici, des roches roucres aux
arêtes brillantes se gonflent d'argent pur où croule une eau
fumante.
Plus loin encore s'étage une contrée plus belle, où luisent
des pommiers près de leur ombre ronde. Là, dans un creux
huileux de calme, le soleil, où vit une prairie, fait battre une
émeraude.
Et je voyais des terres, des terres encore plus loin, en mar-
che vers le ciel qui semblaient plus pures ; l'une où tremblait
le fard jsrris-perle des lointains ; les autres, au bord du ciel>
étaient déjà l'azur.
Je restai jusqu'au soir à contempler cette œuvre, à suivre
l'ondulation de celte mer, et je sentais très doucement faiblir
mon cœur au bercement sans fin des vaçues de la terre.
Comme un bouillonnement de vagues déchaînées, devant
moi jusqu'aux grèves en feu du soleil, je vis vallons et monts,
nuages et ciel d'été remonter l'infini des clartés et s'y perdre.
Je me tenais debout entre les genêts d'or, dans le soir où
Dieu jette un grand cri de lumière... et je levais tremblant la
palme de mon corps vers celte grande Voix qui rythme
ri'nivers.
[Montagne.)
DES • BALLADES DE LA MONTAGNE, DES GLACIERS
ET DES SOURCES »
La colline boisée vient border la rivière et dans son eau
tranquille elle se continue : une m(»ilié ombreuse berce les
arbres verts et l'autre moitié bleue, la profondeur des nues.
Ici vogue l'esquif eu |>erle d'un nuage et 1;^, non loin de
lui, nage un radeau de branches... Voici que sous mes yeux
la vai^^ue d'un barrage mêle voile et radeau dans sa brunie
Iroultlante.
80 roÈrES d'aujourd'hui
Imnsfes de nos rêves, voilà donc le naufras^e, radeau, voile
sans biif, dont la vaiçue est le port, rêve d'ombre, rêve Ijiru,
brisés sur le barrau^e, disparus dans la vague et mêlés dans la
mort.
La colline boisée vient border la rivière. Sur l'autre'rive
tremble un cliamp de boutons d'or. Dans le ciel nua^-eux
glissent de blancs éclairs... Hélas! d'autres images viendront
mourir encore 1
{Monta f/ne.)
L'ALERTE
A M. G. Conrodo.
Le soir tombe. Les faunes, aux toisons fatiguées, ont hiissé
dans les sources, en remontant les rives, les naïades iluides
couler sur le gravier, s'échapper de leurs bras les tailles
fugitives.
Ils ouvrent, s'y plongeant, les roseaux en corbeilles, et
dorment. Leurs bras velus s'étendent sur les sources. Non-
chalamment pendantes, les mains fauves y baignent, cares-
sant les échines des nymphes dans leur course.
Les doigts, où fuît l'eau vive, peignent les crins dorés : l'eau
se ride entraînant, avec les chevelures, ce qtii tombe d'étoiles
à travers la feuilléc ; et Ton entend les faunes rontlcr sur le
murmure.
C'est Iheure où Pan, rêveur, siffle dans la forêt. Le rossi-
gnol cîjiché lui répond; et leurs trilles montent, se poursuivant
dans les arbres qui brillent, tant, pour les écouler, la lune est
venue près.
Le satyre s'est tu, et l'oiseau se lamente... Plus un bruit...
Hors des sources, les naïades ont sauté, d'un saut si doux
qu'un faune ne fut pas éveillé. Elles courent ! Dans la plaine
est-ce un berger qui chante V
PAL'U FOUT 87
Pan humo, autour de lui, l'at^réable vapeur qui se n |>.ni<l
gous bois (le laiit d'épaules nues, el suit,jus4]u'à l'orée, le sil-
\agc d'odeur de (Jalalée furtire, et qu'il a reconnue.
Toutes, sur la lisière, sont couchées attentives à de çrands
bruits secrets, dans l'horizon perdus, et le satyre, inquiet, se
penche pour ravir un chant que n'entend pas son oreille poilue.
Il s'est préci[»ilé, grimpant au [)lus haut ch«^ne qui tord ses
noirs rameaux sur le ciel étoile. Vif, il n** * ' tries
vent» dépouillée, et ses regards phospli ^ • nt la
plaine.
Toute la terre est nue jusqu'à ITiorizon courbe, où la plaine
ee fond aux regards; et nul arbre, nid foyer, nul troupeau,
nulles formes ne boujjfent : au clair de lune la plaine herbeuse
luit comme un marbre.
Sur sa branche craquante, el siftlanl, Pan Iréj^iijne, et la
for^t profonde, feuille à feuille, frémit. Haussant leurs cornes
d'or, qui trouent lancent des cimes, mille têtes crépues émer-
gent autour de lui.
Le dos de la for^t sfrouille de toisons fauves; le crand
chêne panique en est comme échevelé. I^s feuilles sont des
mains ; cha(|ue branche est un faune auquel des mains s'agri|>-
pent, qui veulent se hisser !
Emportée vers les cimes, la troupe des naïades semble nafçer
dans l'air entre les bras velus. Alerte !... A leur clameur
douliMireuse el sauvage, des trompettes de guerre, faunes,
ont répontlu !
Comme une vatçue se gonfle en [vircourant la mer, tous
voient se rapprocher, livide, l'hori/on noir. Et des fleurs
métalli(jues jettent de froids éclairs, sur le sombre cristal de
l'air au fond du soir.
(l'est la forêt en marrlu* ilt»s j.»\<«Io|s el des piques; le^ cri-
nières tloUentf où bombe le li.«ui t'roulou des char>; c'e^l la
88 POÈTBS D AUJOURD HUI
houle bleuâtre des cimiers héroïques, et, dominant hi houle,
la face de César.
{Idylles antiques.)
LE LIEN D'AMOUIl
 Antonio de la Gandara.
Pourquoi renouer l'amourelte ? C'est-y bien la peine d'ai-
mer ? Le cable est cassé, fillette. C'est-y toi qu a trop tiré ?
C'est-y moi? C'est-y un autre ? C'est-y le bon Dieu des Chré-
tiens ? Il est cassé ; c'est la faute à personne ; on le sait bien.
L'amour, ça passe dans tant de cœurs ; c'est une corde à
tant d* vaisseaux, et ça passe dans tant d'anneaux, à qui la faute
si ça s'use?
Y a trop d'amoureux sur terre, à tirer sur l'mcme péché.
C'est-y la faute à l'amour, si sa corde est si usée ?
Pourquoi renouer l'amourette ? C'est y bien la peirie d'ai-
mer ? Le câble est cassé, fillette, et c'est toi qu'a trop tiré.
{VAnioixr marin.)
SUR LE PONT AU CHANGE
Ce soir, on vend des fleurs sur le Pont au Change. L'air,
par bouffées, sent la tubéreuse et la poussière. C'est demain
Sainte-Marie. Une heure dorée coule au fond du ciel occiden-
tal et sur les quais, et jette un éclat fauve au milieu de la
foule. On voit le mouvement trouble de la place du Châlelel,
où des fiacres sursautent, où glissent les tramways. D'un
square qu'on arrose, il monte une bure, qui donne un flulte-
ment doux à la Tour Saint-Jacques... L'air, par bouffées, sent
la tulxTCUse et la poussière... Sur le pont embaumé, j'erre
parmi la foule. Les œillets et les roses drbonlcut les parapets,
s'écroulent des trottoirs eu cascade, et se mêlent aux roues
PAUL FORT 89
qui 1rs fmporlent lentement dans leurs rois, aux jupes qui les
frôlent, aux pas qui les entraînent.
Sept heures vont sonner à l'horloiçe du Palais. — I/occi
(lent, sur Pnris, est comme un lac d'or plain. Dans l'est nua
i^eux içronde un oras^e incertain, l/airesl chaud par houiïi'es,
à peine l'on respire. Kt je sonife à .Manon et deux fois je sou-
pire. L'air est chaud par boulTrcs et berce l'cnleur lartçe de
ces fleurs qu'on écrase... On soupire en voyant de frais cou-
rants violets s'étirer sous les arches du Pont- .Neuf qui pou-
droie sur le soleil mourant. — 0 Tu le sais, toi, Manon, si je
t'ai bien aimée ! > L'orage gronde au loin. L'air est chaud
par biiuffées.
Kntre les pots (!«• tleurs, les gerbes, les bouquets et la ran
jçée h jours des balustres, on peut voir un fleuve lent l'Usiner
sous des reflets d'or noir. Il semble q«ie la Seine oppressée
va mourir île la mort du soleil vers <]ui elle s'étire. Son eau
soulTrante, aux lon^s dcchirrniftits violets, entraine au loin
les roses tombées des parapets. Un dernier rayon bas et fié-
vreux du soleil a pris, entre les ijuais, la larç«'ur de la S«'ine,
et bat d'un pouls brillant chaque flot (jui soupire... Triste-
ment, je m'accoude au c^arde-fou du quai... L'air chariç^é de
parfums est plein de souvenirs, cl je songe â .Manon qui m'a
tant f.iit SDulTrir !
Sur le Louvre loirUnin, quelle étoile seiiiltlic où le ciel est
cotileur d'espérance ? Ah 1 je sais. .Manon me l'a chantée :
« C'est l'étoile d'amour... Desamants, des maîtresses, là-haut,
s'ainient toujours?... » Tu brilles dans nies larmes, Ct Véinis
dianiantée ! Mais une fumée noire m'en dérol)e le siifne,
comme un présent amer elTace un doux {>assé. Qu'importe à
la fumée les pleurs et la mis.'re des amants qui s'aceouilent,
le soir, aux parapets '.' — Je fermerai mon cœur à toutes ces
chimères. — Qu'une rosée d'étoiles envelop^x' la nuit, ou
bien que cet oraj^e endeuille le ciel vert, rirn ne touche le
C(eur qui ne bat que pour lui. l'n jour, Manon chantait :
a L'amour est éphémère 1 » — « ('A)nime votre In-aulé. luidis-
je, et votre chair... » Ces fleurs seront flétries qui trcmblcul
go POÈTES d'aujourd'hui
sous l'orage... Le ciel éclaire et tonne. ^îoi, j'ai repris
courage.
0 grave, austère pluie, où monte l'âme des pierres et qui
portez en vous une froide lumière, glacez mon âme en feu,
rendez mon cœur sévère, imposez la fraîcheur aux mains que
je vous tends 1 L'averse tombe un peu... elle tombe... j at-
tends. . . Quoi ! la lune se lève ? Quoi ! l'orage est passé ? Quoi !
tout le ciel en fleurs ? et l'air sent, par bouffées, l'œillet, la
tubéreuse, la rose et la poussière ? Une étoile d'amour sur le
Louvre a glissé ? J'achète des bouquets ! quoi ! je suis insen-
sé ? Et je ris de mon cœur, et je cours chez Manon, des roses
plein les bras, implorer mon pardon ?
{Paris sentimental.)
LA VISION HARMONIEUSE DE LA TERRE
A Edmand Gosse.
Epousez-vous, mes sens, toucher, regard, ouïe. J'ai gravi
la montagne et je suis en plein ciel. La terre est sous mes
yeux. Oh ! qu'elle me réjouit ! Vaporeuse à mes pieds, comme
la terre est belle, et distincte et joyeuse au delà des vapeurs !
La courbe d'un vallon m'a laîl battre le cœur. Et je sens que
mon plus beau jour est aujourd'hui. Epousez-vous, mes sens,
toucher, regard, ouïe.
Je vois la plaine au loin vibrante comme un son, qui par-
court la paroi remuée d'une cloche d'or. Doucement les mois-
sons, frappées du soleil, sonnent. Un champ de coquelicots est
comme un son plus fort. Juscju'où le ciel rejoint la terre, la
vibration parcourt la nappe immense des épiscjui frissonnent.
Que j'aime des grands blés la douce intle.vion ! Et le bout de
la plaine est mourant comme un son.
La terre, je la vois, la terre, je l'entends, la terre est sous mes
yeux et vit dans mon oreille. Rythmique et musicale, elle est
encore plus belle ! Ses bleus étages descendent, remontent,
prennent un temps. Un lent dernier plateau de bruyères sur la
PAl'L FORT 91
pininn, dévale, puis cVsl la plaine avec ses moissons d'or ! I^
terre est sous mes yeux rytliml<]ue et musicale, et telle que je
l'entends, plus musicale encore.
Je voudrais de mes doiiçLs caresser la nature, comme un
\h'\ instrument qui rt* ponde A mon r^ve. — Faire sortir d'un
cl«<"ne un son que l'air achrve î — Je vous ferais chauler
comme la mer aux zéphyrs, t^rands blés, si je pouvais m*c-
teriilre avec loisir, h la fa<;on des vents heureux; si je pou-
vais!... j't'prouvrrais partout la terre en sou murmure. Je
voudrais de mes doigts caresser la nature.
Mais toute la nature est au seuil de mon creur. I>a terre cl
le soiril ont la nu^ine rad»Mîr«\ rythmée à Tuiii^son des batte-
ments de ma vie. La lumière du jour te pénètre, A ma vie 1
Klle s'ajoute à moi comme une récompense, quand je laissa
mes sens errer de l'astre aux Heurs. La terre et le soleil ea
moi sont en cadence, et toute la nature est entrée dans mon
cœur.
Il est ivre de joie. — L'émotion se propai^e sur la terre,
d'un uraud vent de joie ivre agitée, l^s blés s'enibrassent, et
dans les prairies enchautéfs le cou des peupliers se tourne et
leur front nage, voluptueusement, au gré des vents d'élc.
Mon cœur a la nature entière pour empire. Klle est fondue en
lui, et lui en elle. O vivre, ainsi, toujours, bercé du mouve-
ment des arbres...
Kt ne voyez-vous pas que les hommes seraient dieux, s'ils
voulaient m'écouteT, laisser vivre leurs sens, dans le vent, sur
la terre, en plein ciel, et loin d'eux ! Ahl que n'y mrllent ils
un peu de complaisance. Tout l'univers alors (r isc
adorable!) serait leur âme éparse, leur cœur inrpw. -,.;.» . Kl
que dis-jc ? Ils ont tous le moyen d'être heureux, c lotisse
penser tes sens, homme, et tu es ton Dieu. *
0 terre — dans mon coeur — rythmique et musicale, des-
cends avec tes neij;«*s, rem»>ii(e avec tes vignes ; que les tor-
rents y croulent ; (|ue ce tleuve y dévale ; que j'écoute en
mon cœur l'augusle chant des ligues 1 J'eleuds les bras. Mes
9> roÂTES d^aujourd'hui
mains caressent l'horizon doux et souple, où s'incline la nappe
des moissons", qui vont sous le ciel bleu coucher un flot {)Ius
pâle, et la nu'me caresse est en moi, musicale.
J'ai p^ravi la montag^ne — ma vue tombe du ciel. La terre
et le soleil sont la même patrie : mais la terre est mon doux
sujet de frénésie. Au gré de tous mes sens, oh! que la terre
est belle! Dans un air cristallin s'accusent des boury^ades.
Toits rouges, notes claires des vallons sous les arbres ! Et les
clochers d'ardoise, limpides au soleil, ont le reflet changeant
des gorges de tourterelles.
{Leg Hymnes de Feu.)
PHI LOME LE
Chante au cœur du silence, ô rossignol caché I
Tout le jardin de roses écoute et s'est penché.
L'aile du clair de lune à peine glisse-t-elle.
Pas un souffle en ces roses où chante Philomèle ?
Pas un souffle en ces roses dont le parfum s'accroît
de ne pouvoir jeter leur âme à cette voix !
Le chant du rossignol est dans la nuit sereine
comme un appel aux dieux de l'Ombre souterraine,
mais non, hélas ! aux roses dont le parfum s'accroît
de ne pouvoir mourir, d'un souffle, à cette voix !
N'est-ce pas le silence qui chante avec son cœur ?
Un rosier qui s'efl"euille ajoute à la torpeur...
Silence traversé d'éclairs comme un orage,
puis bercé mollement comme un léger nuage,
par cet hymne voilé, pur, stri(l<'nt, modulé,
qu'exhale, au clair de lune, l'âme de Philomèle I
Est-elle d'un oiseau cette voix immortelle?
Ahl — Son eochaiitemeut ne devrait pas tinir.
PAUL' FORT g3
Vient-elle des Enfers cette voix immortelle?
Mais il n'est plus uu souffle, à présent, |K)ur mourir.
Sans un souffle pourtant, que de métamorphoses !
I^c clair de lune assiste à la ruine des roses.
I )éjà tous les rosiers ont fléchi sur leurs titres.
II passe une rafale de roses en vertijçc
dans le rapide espace <jue fait l'herbe couchée,
s'cITrayant <lc ton hytime, ô rossignol caché 1
l 'n lonç frisson de crainte en*euille le jardin.
La lune n)et des masques ; elle hrille et sVteinl.
Dans le gazon j)eureux, pétales trrelottants,
tournez-vous vers la terre et vers ce qu'on entend.
ICcoutez! cela vient du plus profond de l'Ombre.
Lst-ce le cœur du monde «{ui bat sous le jardin ?
On entend un coup sourd, deux coups, trois coups qui monlcut;
d'autres précipités, sonores et qui montent.
IVisonnier de la terre, un cœur approche ; il vient
le bruit d'un cœur immense à travers rbcrl)e rase.
Les pétales volettent. I^a terre se soulève.
Ll, le corps sous les roses bleuies de clair de lune,
réternelle déesse, la puissante C.yhèle,
douce et levant le front, écoule I*hilomcle.
(Caxcomb.)
RENÉ GIIIL
4862
D'origine belge par gon père et française par sa mère, M. René
Ghil est né à Tourcoing (Nord) le 27 septembre i86a. Sa plus grande
gloire est d'avoir inventé la Poésie scientifique, qui eut un moment
devogi^ue aux environs de 1887. M. René Ghil fit ses t'iudes au Lycée
Condorcet, où il fut le camarade d'Ephralm Mikhaël et de MM. Pierre
Quillard, Stuart Merrill et André Fontainas. Son premier livre
parut en i885. Il avait pour titre : Légendes d'Ames et de Sang, et
contenait une préface dans laquelle M. René Ghil basait déjà sur la
science l'œuvre qu'il se proposait d'écrire. A cette époque, M. René
Ghil était encore très fortement sous l'influence de Stéphane Mal-
larmé. Collaborateur au Scapin, petite revue où l'on trouve son
nom presque à chaque numéro, il y publiait des sonnets très imités
de son maître, tels ceux qu'on lira en tète de notre choix. Sa per-
sonnalité commença à se manifester en 1886, quand il publia le
Iraité du Verbe. C'est en effet dans cette petite plaquette (jue
M. René Ghil exposa pour la première fois sa nouvelle th('orie
poétique, appelée par lui l'Instrumentation verbale. Curieuse théo-
rie, qu'il est resté le seul à professer. Déjà, Arthur Rimbaud
avait découvert des couleurs aux voyelle», M. René Ghil, s'inspi-
rant de lui, allait encore plus loin. D'abord, il dérangeait un peu
l'ordre de Rimbaud. Ce n'était plus :
A noir, E blanc, I rouge, 0 vert, U bleu,
comme dans le fameux sonnet. C'était :
A noir, E blanc, I bleu, O rouge, U jaune.
De plus, associant dans sa méthode les consonnes aux voyelles,
il leur découvrait à sou tour des correspondances avec des instruments.
Selon lui, telle consonne, placée devant telle voyelle suggérant telle
couleur, répondait au son de tel instrument et évoquait telles id<>s.
Ou devait avoir ainsi dans un livre de vers un double plaisir, celui de la
lecture et celui d« la musique. Le seul défaut de cette méthode, c'était
quVIle était complètement imalisalile. M. HeDc Ghil lui m'^ine
avait modifié leg th'ories de UitiiliAiid. Chaque lecteur pouvait a
son tuur ini/difier les siennes suivant son propre sen^ visuel et son
propre sens auditif. Où le poêle voyait rouge et voulait faire en-
tcodre des cuivres BU(;gérant des id/es de gloire et de luxe, il pou-
vait très bien voir gris et n'entendre qu'un accordéon lui évwjuanl
des idrcii de vie provinciale. On al>(>iiu>.sail ainsi à une poésie qui
n'était compréhensible qur pour non auteur. Oltc drcouverte orches
traie n'en fit pas moins «{uelque bruit à réj)<>(|uc. Les journaux les
moins coutumiera d'articles littéraires, en France comme i l'étran-
ger, voulurent dire leur mot sur la question, les uns pour vanter,
les autres pour dénij^rer. Il en fut de rnt^me rhez les jrun«*« erri
▼ains, dont les uns prirent parti pour les théories inslru;;
les autres contre. Cn fut un vrai concert d « luijes et de r
Cependant, M. Hené Ghil, gardant toute mesure, travaillait i amé-
liorer sou Traité du Verbe, et l'année siiivanle, en 1887. d ' ' ' t
une nouvelle édition, dans lacjuelle il d. ilnissait plus mw
sa méthode de l'instruinentation verbale. Cette |
Tic la même ann> e de la fondation, par M. Cas" -
Ecrite pour l'Art, une petite revue qui derait grouper, sous le
bâton de M. René Ghil, les jeunes poètes ' s des lh« < -'
trumentistes. l'nis, en i8hH, M. Hené 1 .la une
édition du Traité dû Verbt, encore revue cl augmentée ; i
mentation consistait ux'me ea une nouvelle innovation. L« ( -
n'i'tait plus seulement doublé d'un musicien, il devenait aussi ua
savant, et dan^ un expose aussi harmonieux qu< - M. Kené
Ghil d»-Gnissail complclemeiit cette f-.j-ci la i< . ^* de s^'n
œuvre, laquelle partait du transformisme et donnait comme 1
l'idi-e portique l'idrc scienlitique. Aint>i le trouva crcee parle ^ .:
novateur de M. Hcoé Ghil et son habileté à réunir les mots les
moins fait.s pour être assembles la Poésie le, faite des
couleurs des vovelles, des correspondances ;>cs avec des
sons d instruments, et des mystères les plus allrayants de la bi -
logie, de rhistolo(;ic, de lachimie, de la sociologie, etc., etc. Eiiiin,
en i88<j. M. Hené Ghil passant de la ihéoris à la pratique, com-
mença l'oeuvre qu'il avait annoncée. Cette oeuvre, %ows le titre tout
simple ii'Œuvre, se divise eu trois par! --s: Dirtdu Mieux — Dtrt
des Sawjs — Dire de la Loi. La première est achevée complstemeat
avec cinq livres .Le Meilleur Devenir, Le Gtatê ingénu, La Preuir
égoïste, Le Voeu de Vivre et L'Ordre Altruiste, formant ensemble
huit volumes. La deuzicme partie a il " romintuc-e en i8<p< avec .m
premier livre : Le Pas humain, formaot un volume. ï...>- >c co-ti-
nuera par quatre autres livres : Lee Génilureê^ Les Sens nouvtaujc.
gô POÈTES d'aujoui\u^hui
Le Monde mortel et Le Devenir. Puis viendra la troisième partie,
avec plusieurs livres, qui formeront eux-mêmes plusieurs volumes.
« L'œuvre est une. De même que tous les volumes se relient les
uns aux autres, se font suite et se pénètrent par l'idée générale et
les motifs musicaux, comme les instants d'un drame lyrique, de
même tous les poèmes sont solidaires et se complètent, voix multi-
ples pour un dire unique. C'est pourquoi ces poèmes n'ont point de
titre, comme habituellement, mais simplement des numéros de cha-
pitre. Seuls, la marche et le mouvement des idées y marquent des
sortes de strophes, un peu irrégulières, car la strophe ancienne est
répudiée par le poète au même titre que les silves de poèmes sans
pensée générale et écrits uniquement selon l'inspiration. Le rêve
scientifique domine cette œuvre où l'auteur, dans son écriture, veut
synthétiser les différentes formes d'art, littéraire, musicale, picturale
et plastique. Toute œuvre poétique n'a de valeur qu'autant qu'elle se
prolonge en susrgestion des lois qui ordonnent et unissent l'Etre
total du monde, évoluant selon des mêmes rythmes, conclura, en 1 904,
l'édition définitive sous le titre ne variétur de En méthode à l'Œu-
vre, que portait déjà l'édition de i8yi. Et l'auteur procédant en
compositeur bien plus qu'en littérateur, il faut le comprendre comme
le musicien verbal d'un grand drame où se fait, avec seulement des
mots auxquels il prétend donner des significations orchestrales, une
synthèse à la fois biologique, historique et philosophique de l'Homme
depuis les Origines. »
Ainsi, du moins, l'explique M. René Ghil.
Comme on le voit, et comme on le verra encore mieux en le lisant,
M. René Ghil n'a aucun des défauts du poète. Il ne laisse rien à
l'inspiration, à la fantaisie, au charme changeant de la rêverie.
Tout dans son œuvre est réglé d'avance, le nombre et le titre des
volumes, le sujet et la place des poèmes, peut-être même la quantité
de vers de chacun. C'est qu'un poète qui chante la Science se doit
d'être clair et sensé, et de bannir de son œuvre toutes les séduc-
tions du style et de l'imagination.
M. René Ghil a collaboré à La Décadence, au Décadent, à La
Pléiade, V* série, au Scapin et k La Vof/ue, i" série, 1H8G ; — aux
Ecrits /jour l'Art, 1887-1890; — à La ]Vallonie, 1887.88 et 89 ; —
à la Revue indépendante, /j* série, 1889 ; — à L'Art littéraire, i8y4;
— h La Question sociale, 1897, etc. Il a également fait reparaître,
BOUS sa direction et celle de M. Jean Royère, Les Ecrits pour l'art,
pendant une année (1905-1906). 11 publie régulièrement, depuis 1904,
des études sur la poésie française dans la revue Viessy (la Balauce),
de Moscou.
KKnà OBIL 97
Bibliographie :
I.M .»! viii.-.. — I./*yf»nileB d'Amet et df tangt, rem. Pari», Frinrinr rt
C"', IH81, in-JO.— Le Traité du Verbr. l'ari*, Gi: in-16. I
pn-Mioiis : /-€ Traité du Vtrbe, «fniiUon r<'Tiu' ol a Tari».
I/vv, I8»7, ia-8; Z.« Traité du Verln.-, ('-«Iitiou ivvup ri .
trair, bruiellrt, éd. Dem&n, 1888, in-8. — La («enta Iny un
P*ri«», Vaiiicr, 1887, in-18. — Œuvre: En Méthode à l'Œuvre. Lirrc-
prrfacu, «édition uouvcllo du Traité du l' '<, av.v (K>rtrai( de laulrur.
l'uriff, IK'Jt. io 12. — Œuvre. 1" Partie : IMre du Mieux : L. l et II : A«
Meilleur d) venir. Le dette ingénu, Paris, Ifcfe'J, in-lî. — L 11! : / ■ "■
éijoi.rl. . i'aris, 1890, in-l2. — h. IV : Le Va-u de vivre. Pari»,
et IH'JJ. 3 »ol. in-li. — L. V : L Ordrr ultruitle. Paris, 1894. IhV^ .i i-^;,
3 vol. iu-12 (1).— Œuvre. H* ParUe : Dire des Sang» : L. I : Le l'a» humain,
Paris. M. du Morcurc do France, 1898. m li. — 1^ Il : L€ Toit t
Paris, éd. du Mercure de France, 1901, m- 12. — Le Pantouii
touD, potiue javanais -uivi d'un levi<|ue]. Paris et Batavia, 1. 1. m S
(couv. urnce). — Maroel Leoolr, Etude lue devant la Société c l'Art
pour toii!» >, PII l'Atcliir <lf M.ir<-)>| Ijraoir (83, rue de la Tombe-Issoire, Paris),
(liupr. (J. de .Mallierlx' , l'J<>0, ^raiid in-8.
E"i <:t)L't» vt nbU'.KTion. — (Kuvre. (Dire du Mieux . no
enli«'Ti-ini-iit n>niaiiiro el aucnicutre, aiinuLiiit tout^-^ l<-» •■.iltH)l|^ .tn
En Mrlliode il l'tl'Iuvre, éililiou nouville et revup ilu /';-.i(.'< tiu \
A*'-' >iu |")rlr.iil do I autour (1887;. l'.in*, Me«..^iu, 19<'4, ni t'*. lHii%ri'
iUre (lu Mieux : L. I et II : Le .Ucilti ur devenir. Le Gcite tnijénu. J" in-..
M.-^viu. l'JHj, iu-18. — L. m : Le Wru de vivre, t. 1 et II. Paru, Me»»ciu,
<>19U7, 2 TOl. io 18.
A c(jM»tLT«n. — A* -M. Gossex : Poitet du Nord. IS80-190f. Marteaux
ehoisis, etc. Paris, OlleudorlT. [9i)i, in-18. — Remy de («ourmont : Le
II* Livre des MasfjucM. Pans, Soc. du Mercure de Kr '- - f. - - s
Le Cardounel et Ch. Vellay : La Littérature <■
nions il>s écrit mus de ce Innji^. Pans. .^^o^". di. ^!
— Jult>S llurut ; Ln.ptéte sur i Kvolutwn
1891. m 8. — Charles Saunier : Itené Ohil. iioîic I u! ;. . 1,11- 1. « / _.r
traits du prochain siècle. Paris, Girard, 1894, in-18. — Julet Teliier . \vs
Poètes l'an*. I>es|irit. tss.S. in-18.
Valére llrusaov . h'iudc, avec deux portr. et un atifo-rv;>?i'« V»«^«v l^
Balanri>\ Mosrou. 1904. — G. et J Couturat : Af
pendant^, août Is'Jl ; J#. Jtené tihil et la jtoésir ?-•
dantr. iiuv<'Mil>r<' ls'.>2. — /abel F^s«uik'an : /•;
pfii^' M' .ii-t,uitiuiii>I<- . mars I'.' '4 llené ttlni
l'oètes. Bulletin du tx»nprés, etc.. I an», l.*
• ' le ». Ecrits pour l'Art, uout. sJ-t l.<"'. ',/:.
{La Poésie scientifit^ue et le symbolisme). M ■>iil"r. 55 niaf». 1, 8 et J'.'
1907. — l^iurence Jerrold : l'n livre d, .M. John lKiiflA,,u In
scientifique anylais en 1905. Ecrits )iour l'Art, nouv. aéne. ji
A. Lauge : Le Pantoun des Pantoun, arec des traductions. .\^...^... /«u-
(1) I.e^ Itvrm de l'^Furrr, suiris teuleiMll de la ■■al ion : Paris, et de la
date, ont (mru sans nom d'éditeur.
gS POÈTES d'aujourd'hui
Bovie), 1904.— Marius-Ary I.eblond : Lq Poésie tcientifique. Revue des
Revues, décembre 1904. — Emile Michelet : li. Ghil. Alrlhode érululive
instrumentiste. Revue iiiil(''jiendanle, mai 1889. — G. Moch Le Calcul et
la réalisation des auditions colorées. Revue scienlifique, 20 août 1898. —
Gaston Moreilhou : Tn liiTe de M. René Ghil. Ecrits pour l'Art, nouv
sc'Tie, juin 1905. — T. S. Perry : The Latetl Litcrary Fashion in France.
The Cosmoi.oliUn (New-York), juillet 1892. — C.-M. Savarit : M. Itené
Ghil. La HcDaissance, 7 avril 1896. — Ch. Soubilié : [Un poème java-
nnia en France]. Semarang-Courant (Java), 18 mars 1903 — F. I*r!ck van
\VeIy : [Java dans la Poésie française]. Bataviaasch Nieuwsbiad, 21 mars
1903. — E. Verhaeren : Articles. Art moderne (Bruxelles), 5 décembre
1886 et 24 avril 1887. — Paul Verlaine : Ilené Ghil. Les Hommes d'aujour-
d hui, n» 338. Paris, Vanier, s. d.
Iconographie :
Luqiie : Purtrait-charye, dans Les Hommes d'aujourd'hui, n* 338. Paris
Vanier. — Hobuchon : Portrait d la plume, 1893 (reproduit daus Le Cour-
rier français, 15 janvier 1893). — Couturier : Portrait à la plume, 1895
(reproduit dans le Don Juan, octobre 1895). — F. Vallotton : Masque, dans
Le II' Livre des Alasques. Paris, Soc. du Mercure de France, 1898. — F. Vez-
zani : Peinture, 1899 (aj)parlicnl à M. Keué Ghil). — Marcel Lenoir :
Portrait, fusain et pciulure à l'huile, 1907. (Ces deux portraits appart. à
M. René Ghil.)
SONNET
Mais leurs ventres, éclats de la nuit des Tonnerres I
Désuétude d'un jj^rand heurt de prime cieu.x
Une aurore perdant le sens des chants hyninaircs
Attire en souriant la vanité des Yeux.
Ah ! l'éparre profond d'ors extraordinaires
S'est apaisé léger en ondoienienls nerveux,
Et ton vain charme humain dit que tu dégénères!
Antiquité du sein où s'épure le mieux.
Et par le voile aux plis trop onduleux, ces Femmes
Anjoureuses du seul semblant d'épilhalames
Vont irradier loin d'un soleil tentateur :
Four n'avoir pas sontçé vers de hauts soirs de glaives
Que de leurs lianes pouvait naître le Hédcnjpteur
(Jui doit sortir des temps inconnus de nos rêves.
(i886.)
ncNé omL
POUH L'ENKAM ANCIENNE
99
Tue en IVlonncmrnt de no» yeux mutuels
Q\n d.'livrrrrnt l.j l'^r âr latrrilrs t^loirfs,
"u«', veuve dans le Trniple aux siLTurs rituels,
•iidr d'cJcrDiti* rcpnmve nos njéiiiuin-s.
Tel instant qui naissait des heurts éventuels
Tout palmes de doit^Ls loniçs aux nuits ondulaloircf
V rais m le drtnïe espoir des vols perpitii.ls
N<Mjs ouvrit les pa.s.s de nos pures hisUjirc»
Une moire de vains soupirs pleure sous les
Trop seuls saints riants par nos v<pux exhalés,
Aussi haut qu'un n«-ant de plumes vers 1rs ifnoscs.
Advenus rêves des vitraux pleins de demains
I>m:iv et nuls à pirurer, et d'jin midi de roses,
Nous venons r.ni '. l'^-iire en élevant les mains.
(i8S6.)
EN M'EN VENANT AU TARD DE NUIT...
En m'en venant au tird Ar mut
se sont éteintes les ételles
Ah ! qu«' les roses ne sont-elles
tard au rosirr de mon ennui
et mon amante, que n'est elle
morte en m'aimant dans un njînuil.
Pour m'entendre plrurer tout haut
à la plus haute nuit de terre
le rossiifiii.l ne viMit se taire:
et lui, que n'est-il moi plutl^t
et son amante ne ment-elle
Cl «pi'il en meure dans l'ortneau.
En iii'rii vrnant au tard «le nuit
BIBLIOTHECA ]]
100 POSTKS D AUJOURD HUI
se sont éteintes les ételles :
VOUS lui direz, ma tendre mère,
qne l'oiseau aime à tout printemps...
Mais VOUS mettrez le tout en terre,
mon seul amour et mes vingt ans.
{Dli-e du Mieux : le Vœu de vivre.)
FRAGMENT
Dites, qu'on ne sort de la çuerre
que par la g-uerre ! — et l'heure des trompettes, dure
au-dessus des étreintes de qui vont mourir !
De sang, de gorges singultuant de rupture —
dure. . .
Elles éplorent le soir des banqueroute»
d'Etats, les trésors vides par la paix-armée
et la terreur des Uns à grand geste alarmée
et l'angoisse des détenteurs mauvais de 1 Or
sentant hideusement aussi que vient la mort —
car n'entendez-vous pas?
il passe des Bruits sourds
il passe des Bruits d'hommes dans les alentours :
ils passent en marquant le pas, ils passent en
hurlant par toute route et en des heurts tintant :
... allons (la terre, la terre ronde),
allons légèrement, hardiment —
la terre vaste, la terre ronde
est une mère de tout le monde !
allons la terre, Ii-n^t-rement !...
ils passent en manjuant le pas, ils passent en
hurlant par toute route et en des heurts tintant
vers ailleurs (jui s'en aillent pour pouvoir vivre, ou
pour mourir : et leurs poings puissants maîtrisent d'armes
la nuit venante aux plis de hauts drapeaux d'alarmes I...
nE.Né QHIL 101
Elles sonnent les Hévollcs el lîanqueroutcs...
cl les horiinjes ilcs IJaiiqucs du sauiç et de l'or
à tous l'^tal^, (le rois et parlements ! ont dit :
— a \'(»lre Krnpirc ne tient qu'autant que nous tenons
veutrij)olcnts el vos maîtres, et tous nos noms
se mêlent dans l'histoire énorme de la Faim
des peuples! Nos trésors meurent dans vos trésors
et quou]u'ils n'aient maiif^é, les peuples aux poings tors
de toute f)nrt partis viennent rcrs notre Fin :
qu'ils aillent vers la leur I
Ils gardent la hantise
cruante des mots qui mentent! patrie, en eux
retentira au sens de meurtres, et haineux
le vent haut-soulevant dos trompettes attise
le sang des Kaces ! — Ils ont le goût du sang, et
de leur ventre vide plus déments, tas muet,
ils entreront dans les poitrails les uns des autres
ainsi (|u"ils entreraient, tratçi»jues, dans les nôtres ;
ô rois et pseudo-rois I l'heure des Ban<]ueroutes
de tout, sonne! et d'aller entreprendre les routes... »
Aux armes I Cités du Monde —
le soir de deuil
est arrivé ! . . .
Haine immortelle de nos Aïeux
tressaille dans nos artères, et
[« sonne 1
contre nous, teint de tous lieux
l'ilcudnrd sant^Iant se K-ve ! — aux armes I
et sonne dans l'horizon muet
du heurt en nos puitrinrs d'alarmes
du heurt ardent de notre saniT, et
batsl...
Faisant notre entraille pleuroir
nous sommes rhcmlit/* vivante
(les ventxes qui hurlent rt:)|>opée
1.
102 POETES D ALJaLRIi HUI
du sang large, où se meurtrit le soir
qui rutilait au long de l'épée :
au vent des trompettes d'épouvante
qui s'empourpre de notre haleine ! — en
val et mont qui ne sont pas patrie
et peuplant de nos morts d'autres sols
ô toi ! que nos veines ont nourrie !
oui, mrne aux meurtres et mène aux viols
ta géniture où hurle l'élan
et sur les peuples d'âme tarie
tiens notre étendard teint de tous lieux I
Haine immortelle de nos Aïeux!...
... Et les peuples entrèrent au guet-apens...
{Dire du Mieux : L'Ordre altruiste, vol. i.)
FRAGMENT
D ne veut pas dormir, mon enfant...
mon enfant
ne veut dormir, et rit I et tend à la lumière
le hasard a^-rippant et l'unité première
de son geste ini^énu qui ne se sait porteur
des soirs d'Hérédités, — et tend à la lumière
ronde du haut soleil son geste triomphant
d'être du rnoode 1...
Ta mère va, mon enfant
qui te donnes à la vie 1
clore les rideaux, lourds d'une nuit en lenteur
d'atomes, eu lenteur de sang !... Ah ! la nuit tendre
ainsi qu une eau, tu ne sais pas — où se détendre
la douleur de nos Yeux et de l'inassouvie
Vie, l'Apre elTort !...
... Il est un seul naviie cl, haut
monte au haut mât d'où Ton voit tôt !)
RkfXt GHIL
ic3
il est un seul navire à l'eau
Où mon Amant est matelot...
Des tropiques du temps (et, haut
monte au haut mât d'où Ton voit tôt !)
des tropirpics tant loin de nous
(juc m'.ipj)()rt<* niitri Ami doux..
Du soleil de la Vie (et, haut
monte au haut mAt d'où l'on voit tôt I)
du soleil ton Amant t'apporte
À en dorer toute ta porte :
et tu le trouveras (aidants
aidés d'étoiles naiçe au port 1)
et tu le trouveras, emmi
des transes sur mon lointain sort
et même, au demain de ma mort :
dessous le nom d'Amour, dedans
mon sein
tant loin qui s'est ^émi I..
Mais il ne veut dormir, mon enfant...
mon enfant
ne veut dormir, et pleure ! et tend à la lumière
qu'il sait trop — l'idiplorant ijeste tie son exil
au.x ondes du néant où se désole-l-il
d'errer. .. — Or, ouvre les rideaux de miit ! ô .Mère
de silence : (pie luise entre les doiirts en y<EU
de Joie,
le soleil vaste ! le pren>ier dieu...
(Dire du mieux : L'Ordre altruiste^ vol. III.)
FR \r.Mî-\T
TorrenlTi 1 —
Tc\\\\ç son sens, l'œuvre en soi même des N.Uims
• normes ! El les astres tournant leurs ruptures
I04 POÈTES d'aujourd'hui
ijLTnées, et l'Astre sous les appels de qui —
quand de la nuit d'hiver en strideurs il a lui !
se graine rhumide entraille de Tout,
(Astre 1
Tout Te le doit^ qui nourris la vie, ô Toi ! le
prosternement lent et redressé hélant)
et les
granits, et les humus poussant drus et mêlés
les mondes de ramure et les Animaux vagues
en des ruts, et les Mers d'équipoUentes vagues
dont les âges œuvés emphosphoraient les nuits :
ô Mères !
en vous emplissant de vos Petits
depuis l'éternité qui vient, vous ont emplies
du sens universel dont les pierres mollies
se reprennent à respirer, et dont vos aines —
d'éternel orient de la tète — sont pleines !
Etre vient de savoir. —
Et de si grands méats
qu'à la tête nouvelle et qui r'ouvre d'os mous
l'atavique total, se soient vos longs genoux
ouverts : si vous ne savez pas 1 — et, le Hanté
d'éternité, de qui l'éternel est le terme !
l'aveugle Vagissant qui vous surgit du germe
innuméré des Morts, si, de son unité
au point pensant du Moi ramenant toute l'onde '
s'il ne se sait l'instant de l'unité du Monde
à soi-même s'énumérant : vous n'avez pas
créé !..
Du mélange éternel des Morts, d'un point de vie
qui tend tangentïel son désir de renaître
au long de l'elliptique Plus, — elles n'ont pas
créé :
d'avoir laissé maudire la germure
de leurs ventres, et de l'avoir vouée aux rites
de l'expiation l'un de l'autre, de 1 Homme
RENÉ GRIL I05
t du Dieu-Homme, — où, n'étendant que les limites
du (It'scspoir humain et de la vaine somme
de l'L/uivers poussant d'une içésine impure —
trnde à mourir en soi la Vie inassouvie :
la \'ie, que de tout son amas de mémoire
continue à t;"ormer l'Amour !..
(Dire du Mieux, Le Voeu de vivre, tome /.)
LA HACHE DE PIEBRE
... Mais par les horizons engloutissants des lourds
continents d'Ages morts,
plus épais que l'Espace
et le Temps qu'ils avaient pénétrés, les saujc^s sourds
unissent et divisent aux veines de Uace
les hommes sous les sorts.
Les temps s'attroupent, des
cornes luisantes et pointues du Botail
(lonq)té, — (jui tout autour des toits s'eii vuiil t,^uidés
après les nuits sans lune où le vent du poitrail
• ride d'inquiétude auprès des Feux, par le
croissant nouveau de la douce Vache...
Après les nuits sans lunes où l'àme des Morts, parle...
... La hache
chasse dans les roseaux noueux et les prairies
de plants épais, et taille à içrandes voix meurtries
aux tètes à la mort, de la proie ! — la hache
teinte du temps des vieux sauijs noirs (le saniç des morts
donne la mort !), la hache — et l'épieu roui^e hors
(le l'entrailK- que, transissant d'un sourd tumulte
le ventre aux sourdes vies des Forêts, insulte
coléreusement
rilomme-de-quatre-mains ras-
étendu d'ati^iiets aux rameaux, et dont exulte
la haine, delà les terres et samùdras I
I06 POÈTES d'aujourd'hui
La hache
chasse de reins plies aux limites haïes
des Forêts, et s'appuie au grand sol des prairies
lourdes et pas lent à pas lent — sous la transe ondée
des hautes plantes largues de vent : précédée
de 1 Q!^il qui voit où doit aller la Main,
la hache
chasse dans les prairies au loin des Toits, et
surt^it à la trte rampante des voleurs
de Bétail ! dont les hordes aux dos que le guet
a tendus, à ras de terre suivent leurs Yeux
ainsi que vont des tueurs-tii^res les longueurs
souples, — et i>'ont sur la poussière de leurs Feux
construit ni toits ni souvenirs!
Lourde, la hache
chasse à main pendante au long du ventre d'orage
qui passe sur le vent des prairies ainsi
qu'un nuage de pierre ! — au long du ventre du
cheval qui va vite
par le parquage des
chevaux haut-hennissant de naseaux hasardés
à l'épouvante de, d'un pantoîment transi,
sentir sur leur dos souple et implié d'dutrage
sauter le saut qui rampe des Voleurs I...
La hache
chasse dans les prairies en ronds de vents, guette
et tourne en les détroits tournants de la montagne
tourmentée :
car on ne vole pas, l'on gagne
TAnimal qui de pieds de quatre heurts, emporte
plus vite que l'entour d'une poussière morte
et le soulèvement meurtri des graines dont s'étête
des j)lantes le poids mûr, emporte 1 Ame où vente
le vertige gouttant de sueurs de sa levante
crinière I...
...Battant de mes talons et ma hache
RENE GUIL 107
ifi ventre innncrennl le vent, de mon
cheval qui sait nies Yeux !
f)a plus long
crin de sa queue, très loni^ueiuetit
mon poiri^ «h-roule de déuouerurnt
de serpent et de Feu, ~r- celte tresse
que nous avons tressée :
aux pieds, aux
cous, dans leur lunuille de nu.iir»*
aheurlant en hii-nirine un ora:,?»'
de i^alops et d'haleines, — d'anneaux
de Serpent et de Feu
CClf'' ti'vs-/^
que notis avons tresst-e, ah I illr a
et me tient, aussi haut (jue se dresse
la temj)ète de ses naseaux, la
capture de mes points durs !
car l'oQ
ne vole pas, l'on ijai^m' (hi lutiî^
nd'ud qui l'arrêle, l'Auimal d«>Mt
les pieds vont plus vite quVlre las:
et qui n'en a trai^iiés w |»fut pas
encore, se dii'c uu iloinme !...
Hauts
les pointas! les grands Ciai^neurs-df-j^alops
à la hauteur du tas de mes toit^
reviennent à grande allure, aux voix
lonfç ululantes de plaisir, aux
mains tapanles-haiit des Femmes, - - sur
l'orai^e Irainrur de vent du pur
cheval qui porte mon Ame !
Battant de mes talons et ma hache
le ventre mani^eant le vent, de moa
cheval qui sait mes Yeux :
io8 POÈTES d'aujourd'hui
par la Vache
céleste qui paraît sur le mont
de la nuit, quand l'Astre rouge n'est
plus là, el à ras terre quand naît
en même temps la parole humide
des Morts : il est vrai dans l'œil avide
de suivre mon galop dont transit
le plus grand, — que le plus grand Gagneur
coursant l'air,
c'est moi !,..
Le long Récit
de mon tour de prairies guetteur
et vite sous le vent, est si long
aux replis de ma langue, et (selon
tout mon geste passé remplissant
et vidant la lumière) à mes doigts
mus de signes, — qu'au repos des toits
dont le rêve me voit el me sent
tenir au poing les Hennissants ! durt
mon Récit,
autant que l'âme
de silence, des grands Feux...
Autant
que gagnés en arrêts trépignes
et luttants, mes épaules el ma
poitrine d'air rougi qu'entama
la pierre à neuve dent de ma hache —
portent des entailles :
les entailles
de ma hache, — qui n'en montre pasl
pas plus que s'il tenait aux entrailles
de sa mère, ne peut pas ! au ras
de mon talon ne peut pas, se dire
un Homme 1 . . .
Mais moi, d'entre les Femmes
telles que ma narine respire
RENé CilX- >^0
en ont tordu sur Inirs deiiLs, leurs ârnrs...
Aux tours et détours de mon toits, elles
qui sont sorties loni^-ululaiites
à l'Astre-pàle dans son pli'in, lentes
comme en rau(]uent les loups :
de leur pas
courant le i^uel de mes pas el
tressaute l'outre de leurs man»
déroruit la nuit et leurs vuix entre
leurs dents de pierre dure, ell<*s m'ont
attendu, qui de leur rein ({iii rentre
imitaient un {^alop de Femelles
du Uapide,
et m'ont montré leur ventre
qui remue — ainsi (ju'un rouge amas
de Bètes sous ma hache !...
Ma hache
. parmi les voix humides d's Morts
en leurs dents dures di^allt le^ Sorts —
bat le ventre de ma monture...
(Dire des Santjs : Le Toit des hommes.)
FRAGMENT
La petite Javanaise l' ine.
Autotir des îles les poissons-volant.**
s'il .sautent, ont lui du sel de la mer :
Hélas! les souvenirs sortis du temps
ont du temps qui les prit le goût amer...
Yiau...
ait Fête — hier, dans Batavia. Tout en haut
de l.i mer, et ses soleils qui sont dans ma l<^le
ainsi qu'un resplendissement de regn-ls ! ah
tout en haut de mes Yeux en détresse, il monta
des voiles et des mAts, et des ailes [li^s, es
au dos de rêve de dragons, d'ediuiii^'-tshiua (1) :
(i) EklioDg-tsdiiaâ. — Jonque chiiiuiM
IIO POÈTES d'aujourd'hui
et, trouant Ihorizon des lourcJes Iraverséfs !
en roulis de soniiniMl (jui sont pleins du (L'part
les vapeurs s'en allaient vers l'ouest — où va trop tard
la lumière d'aurore entr'ouvrant mes pensées...
Le murmure du vent roulé — soumarouwoun'g —
du vent roulé parmi les plantes, parle doux.
iMnis la nuit, le vent-mèlé-de-pluie à grands trous
d'eaux, a tapé dans les plantes : ah ! ma roumah (1)
a tressailli dans son immense et sourd oumoun'g
ainsi qu'une Ame d'homme qui ne peut reprendre
haleine ! et dans mes mains ouvertes l'air était
chaud, et sourd...
Et mes doigts eussent voulu s'étendre !
et, ngoun'ggout'-toun'ggout'! et gcmïr à doux hoijuct
le retroussis aigu de mes lèvres arides...
Et mes yeux, qui de tous les soirs d'ouest se sont tus
ont revu les vapeurs au loin de soleil» vides :
les vapeurs diroupa (2) qui ne m'emportent plus I
Le murmure du vent roulé — soumarouwoun'g —
du vent roulé parmi les plantes, tarcJe et dort.
Mon repos est pareil au lent germe JUn'loun'g
d'où naît la grappe des pissang' (3) > lunes d'or.
Le vent s'endort dans les rameatix dw ketapan' :
un tendre oiseau qui veut attendre en ïui, l'aurore.
Vers ma mère goûtant des dents le nx kelan'
le noir sourire de mes paupières, se dore. . .
{Le Pantoun des Panloun.)
(Poème Javanais)
(i) Roumah. — Maison indigène,
(a) Iroupa. — Europe.
(3) Pissang. - liauane.
REMY DE GOURMONT
1858
M. Rfmy de Gourmont est né au château de La Motte, k Bazo-
cJies-en-IIouIme (Orne), le 4 avril i858. Il descend de la famille dci
jicinlres, graveurs, lypuj^raplics dos xr* et xvi* siècles, au nombre
desquels fut Gilles dcGourmont,à qui Too doit les premières impres-
sions faites à Paris en caractères tarées et hébreux. Autre détail :
M. Kerny de (iourmoiil, (lar sa mère, se rattache directement à la
famille de François de Malherbe.
M. liemy de Gourmont vint à l'aris en i883, et entra presque
aussitôt à la Uibliothcque nationale. Il fut révoqué quelques années
plus tard, pour avoir publié dans le Mercure de France lavril i^'^i)
un article : Le Joujou patriotisme, dont se trouva froissé le
patriotisme officiel. Le premier ouvratre de M. Remy de Gourmont
parut eu i88r>. C'était un roman : Merletle, dans !e(]uel son ori^i-
ualilé se montrait peu, et qui valait surtout par d'at^réables descrip-
tions de la cam{)aç:ne normande. Il faut plutôt considérer comme
son vrai début Sixtme, • roman de la vie cérébrale », {>aru en iS.,o.
Sous de» différences de style fort sensibles et le tour d'esprit des
jeunes ecrivauis de l'époque, on retrouve bien aujourd'hui dans ce
livre, où l'analyse est poussée à ses extrêmes limites, les promesses
de cette curiosité et de cette souplesse i(l«ol.>iri(|ues cpii sont <i
nues la caractéristique du talent de M. Heiny de Gourmont. <
borateur au Mercure de France dès sa fondation. M. Hemy de Gour-
mont, de i8(jti à iH(j/i, collabora en ménje tea.ps au Journal, puis à
L'Fcho de Paris, où il donna la plupart des contes (pii composent
aujourd'hui Histoires magiques cl D'un pays lointain. Mais le
journalisme contem|H)rain ne pouvait convenir à sou art n\ a son
indépendance d'esprit, et il l'abandonna bientôt pour revenir à
runiipie collaboration aux revues littéraires où il trouvait en même
temps que plus de jçoùt plus de liberté. On se rendra compte à la
bibliot^rnphie de l'errivnin {les iriivres) combien la place
raitdaus uiie simple notice comme celle-ci pour analyser, m
112 POÈTES D ÀUJOURD HUI
brièvement, les travaux de M, Remy de Gourmont.Il n'est certaine-
ment pas dans la nouvelle littérature défigure plus importante que
la sienne, et par l'étendue et la diversité de ses connaissances comme
par la variété de ses productions il peut être placé à côté de M. Ana-
tole France. Poète, critique, dramatiste, érudit, biologiste, philosoplie
et romancier, philolop;ue et grammairien, son œuvre embrasse tous
les domaines intellectuels, montrant chez lui un esprit sans cesse
renouvelé, sans cesse enrichi de nouvelles acquisitions, découvrant
sans cesse de nouveaux points de vue, sans cesse adroit à de nou-
velles déductions. C'est un extraordinaire dissociateur d'idées, a-t-on
dit de lui. On pourrait dire aussi : un extraordinaire excitateur
d'idées, tant la lecture de ses livres met en mouvement notre propre
intelligence et amène à des aperçus auxquels on n'aurait peut-être
pas songé. Il semble que ce soit dans cette supériorité intellectuelle
encore plus que dans l'isoleineut où il se complaît qu'il faille trou-
ver la raison du silence relatif qu'observe la critique vis-à-vis de
M. Hemy de Gourmont. Un écrivain qui a des idées, de vraies idées
et qui le prouve dans tout ce qu'il écrit (i), qui reste presque seul à
savoir toutes les choses qu'on ne sait plus, et dont l'œuvre ne s'en
montre pas moins claire, aisée, souple, écrite comme pour s'amuser,
cela déroute nos juges littéraires, et de peur de se tromper autant
que parce qu'ils ne savent pas trop par quel point commencer, ils se
taisent. Nullement dédain. Ils connaissent l'œuvre. Uniquement
timidité et embarras. On ne pourrait d'ailleurs rien écrire de plus
exact et de plus clairvoyant sur M. Uemy de Gourmont que l'élude
de M. Louis Dumur, parue, en octobre igoS, dans la Weeklij cri-
tical Review. La voici presque entière :
« Chez lui, rien qui sente la particularité d'une province, cet exo-
tisme intérieur. 11 n'est ni l\Iéridional, ni Breton ; il n'est pas non
plus Parisien. C'est un Français de France, et même de la vieille
France. Il sera, si vous voulez, un peu du Nord, de ce Nord qiii fut
le berceau de la langue d'Oïl, le point où s'opéra le plus intimement
la fusion du Romain, du Celte et du Franc, et d'où sortit, en défi-
nitive, l'histoire, la langue et l'esprit de ce pays. A travers les mail-
les d'une individualité propre, rien n'est intéressant, chez un écri-
vain, comme de surprendre ainsi, visible et rassurant, le solide et
pur tissu tramé par les siècles, d'en reconnaître le style et d'en manier
la moelleuse noblesse.
Il faut donc être lettré pour goûter pleinement M. de Gourmont.
Son œuvre ne saurait s'imposer dès l'abord à la foule simpliste et
ignorante. Nul, certes, n'est plus moderne que lui; mais son modcr-
(1) « J'écris pour clariûer mes idées », »-V-U dit quelque part..
RE5IV DE OOURMONT ||3
nismc suppose le passé, cl il est nécessaire d'avoir grayi toute
l'échf^Ile pour moltre le pied sur ce dernier échelon. Il est de la
ipraiide litjnée liitéraire; il y prend naturellement sa place, en soq
l«'mps, Iradilionaliste parce que la race pétille en lui, novateur
parce (ju'il n'y a de talent et de raison d'exister que dans l'évolu-
tion conséquente des id»'cs. du tour, du tempérament.
Si l'on voulait dresser l'arbre généalogique de M. de Gourmont,
ce ne serait pas un jeu absolument vain. Il me semble qu'on y ver-
rait fit^urer, à leur rang d'ascendance b'gilime, Hcnan, Halzac.Sten-
dlial, Chateaubriand, Voltaire, Fénelon, Montaii^ne; on y inscrirait,
mnli^ré ses protestations probables, Builcau et Vaugelas. Gel arbre
plongerait ses racines de tous côtés dans le Moyen-Age, le pivot
restant acquis à la scholaslicpie et à la thcoloçie; le sol profond de
l'anliquilé latine le j)orterait ; on aurait garde doublier la souche
du folklore et de la liltt'rature populaire; le b'gcr afilux éiranirer
serait représenté par l'Italie d'abord, par l'Allemagne de Nietzsche
ensuite; aux marges, enfin, on pourrait ajouter, à titre de quartiers
contestables, Villicrs de l'Isle-Adam, (îérard de Nerval, Chamforl...
et peut-être le marquis de Sade.
La famille spirituelle de M. I\emy de Gourmont est considérable.
Elle l'a grandement établi ; elle a doté sa raison ; elle lui a donné
les règles et l'étiquette qui gouvernent sa pensée. Elle ne l'a point
conUsipié ni tenu en tutelle. Comme ces riches héritiers qui ne se
contentent pas de vivre sur leurs rentes, mais veulent à leur tour
accroître leurs revenus, n'hésitant pas à les transformer au besoin,
suivant les fluctuations de l'époque, il a opéré de savants déplace-
ments de fonds, réussi de belles spéculations, et la fortune qu'il
possède est aujourd'hui bien h lui.
Ce ne fut pas sans peine, sans grande intelligence, ni surtout sans
un don spécial, aussi rare que précieux, et qui me paraît la pro-
priété princifiale et caractéristiijuc de ce remarquable esprit : le don
de transposer, je veux dire de multiplier les facettes de sa sensibi-
lité, de manière à augmenter presque à l'infini le nombre desan:cles
de vision et par suite celui des aspects. Le cerveau de M. de Gour-
mont est comme l'œil d'une mouche. Il voit tout et chaifue fois dif-
féremment. Appliquez le fonctionnement ph'noménal de cet organe
à la quantité immense de sujets dont sa siience, sa vaste lecture,
son imagination vive et sa pénétration aii,'ué le mettent à même de
disposer, et vous aurez quelque idée de l'œuvre prodigieusement com-
plexe et attrayante qui en est le produit.
L'appareil, actuellement parfait et dont il tira un si merveilleux
parti, ne lui tomba pas tout agencé du ciel. Sa bonne fée en épar-
pilla saus doute les piècas sur sod berceau, mais encore fallait-il
11^ POÈTES d'aujourd'hui
les monter et apprendre à s'en servir. On peut suivre, le Ions: de
toute l'œuvre de M. de Gonrmont, à partir des essais du début
jusqu'aux excellents résultats obtenus depuis, l'industrieuse progres-
sion de son travail d'ajustement. Chaque expérience a laissé son
témoin. C'est même un des cas les plus complets de mise au point
et d'accommodation de soi que l'on puisse rencontrer en litl''rdlure.
A ce titre aucune de ses productions, fût-ce la moindre, n'est
négligeable.
Je crois que dès l'enfance il écrivit. Au reste, ses premières pages
se perdent-elles dans les limbes d'un crépuscule que ne parviendra
jamais à percer la perspicacité du plus subtil des bibliophiles. Il
existe de lui nombre d'études, d'articles, de morceaux d'histoire ou
de critique, voire des romans, que l'on chercherait en vain au cata-
lo^j-ue de ses ouvrages. On trouvera, entre autres, sous sa signature,
une collaboration importante aux premiers tomes de la Grande En-
ciiclopêdie. Un long stage à la Bibliothèque Nationale, d'où il sortit
avec un certain éclat, à la suite de la publication d'un article que
l'on jugea manquer de patriotisme, lui permit de s'adonner, au cœur
même du couvent, à ses plaisirs de bénédictin. On lui a quelquefois
reproché cette érudition. La critique a pu être fondée alors «lue, la
canalisation n'étant pas complète, l'écrivain se laissait volontiers
déborder par la curiosité du fureteur. Elle ne l'est plus. D'ailleurs,
ceux qui se livrent à de pareilles appréciations ont vraiment trop
l'air de ne le faire que pour justifier leur sordide ignorance. M. de
Gourmont n'a pas daigné être un ignorant, et cela n'a nui ni à son
sens esthétique ni à son originalité.
Muni de cet ample bagage, nanti de documents colligés aux meil-
leures sources, opulemment fourni de faits et d'idées, ce fut alors
qu'il se découvrit en possession de son étonnant instrument d'opti-
que. Il braqua l'objet. Les premières épreuves ne furent pas d'une
netteté parfaite. Elles étaient déjà très intéressantes, mais elles
semblaient obtenues comme à travers une espèce de brouillard ; la
main de l'opérateur avait tremblé, ou le jour n'était pas bon. Ce fut
d'abord un roman, Sixtine. Quelle que fût l'incertitude de la ma-
nière, il y transparaissait de rares qualités de vision, d'écriture et
d'analyse. Le livre fut une révélation. Son auteur se classait d'un
coup parmi les écrivains de la nouvelle génération dont on devait le
plus attendre.
A dater de ce début, la collaboration de M. Remy de Gourmont
aux revues fut constante. Articles, contes, poèmes en prose, poésies
alternèrent avec des ouvrages de plus longue haleine, parmi les-
quels il faut citer un poème dramatique, Lilith, un i^oman, /.e Fiin-
tôme^ et un important et savant travail sur la poésie latine du
Moyen-Age, Le Latin mystique. Plusieurs années durant, il donnait au
REMT DB GOUnUONT Il5
Journal la série des contes dont la matière «e trouve rcanie dans
les deux volumes : Histoires magigaes et D'an pays lointain.
On était alors en plein mouvement symboliste. Faut-il attribuer
à la déviation i^ciiérale des esprits vers rélran;je, le bizarre et le
mystérieux, le choix des sujets où semblait se complaire le çénie,
d'ailleurs capricieux, de M. de Gourmonl ? Etait-ce la propension
naturelle de son f^oût?Ou ne serait-ce pas plutôt qu'il cherchait sur
ce terrain p irticulier un surcroît d'originalité que, par trop de
défiance envers lui-même, il hésitait à d.f'mandcr à la seule sincérité
de son talent? Quoi qu'il en soit, il passa lon^^lemps, et sans qu'il
eût trop à réclamer, pour un écrivain d'un abord diflicile, « abs-
cons », comme on disait alors, et ne s'adressant (ju'à un p^roupc
d'initiés. Le vêtement mt'me dont il aimait à habiller ses livres — ces
premières éditions tirées à petit nombre, sur papiers extraordinai-
res et dans des formats plus extraordinaires encore, pour la plu-
part épuisées et qui font aujourd'hui la joie ou le désespoir des
amateurs — contribuait à mnmlenir le public, facilement effarou-
ché, dans U' r prudente réserve.
Mais bientôt paraissaient, dans La Revue des Revues, les pre-
miers de ses portraits ou « masques • de poètes et de prosateurs
contemporains, et, au Mercure de France, un roman, Les Chevaux
de Dio/nède. Là, cliant^ement notable La vision se faisait plus pré-
cise; une jolie clarté baignait les fonds; le dessin, pur et fin , se
<!LlachMil en valeur délicate dans un exquis enveloppement de
\:c. Cette fois, on ^tait conquis. M. de Goarmont avait eu jus-
({iic-là dfs admirateurs qui se faisaient un devoir de le suirre; il
ejit désormais drs lecteurs empresses et charmes.
Un nouvcai Livre des Masques, supérieur encore au premier un
délicieux roman par lettres, Lt Somje d'une femme, onlin quatre •
remarquables séries d'études littéraires et philosophiques où se
conr^-ntre ce que la pensée de .M. de Gourmo:it a produit jus piiri de
plus fort et de plus brillant. L'Esthétique de la Lanjue J'ciinçaise^
La Culture des Idées, Le Chemin de Velours et f.e Problème du
Style, complétèrent cette heureuse évolution. Maître maintenant de
•ou talent si souple et si divers, il enchante par le jeu multicolore
d'une pensée toujours en éveil, d'une fantaisie ()!eine de sens et
dune forme étonnamment chatoyante. itnatr»c, harmonieuse C'est
un magicien Depuis Renan, on n'avait non lu de comparable à
certaines pages du Songe d'une femme ou de La Culture des
Idées. »
Depuis cette étude, l'œuvre de M.Remy de Gourmont s'est encore
enrichie. Il a publié un ouvraj^e de science naturelle: La Physifue
de l'amour. Essai sur l'instincl se.cuel. quatre volumes des EpilO'
gués et Dialogues des Amateurs qu'il écrit sur raclualilé dans ch*-
Il6 POÈTES d'aUJOUI\D*HUI
que numéro du Mercure de France, trois recueils d'essais de critique :
Promenades littéraires et Promenades pkilosojiliiqaes, ^t deux
romans : Une Nuit au Luxembourg et Un cœur virginal. Il a éga-
lement dirigé la publication de la Collection des plus belles pages
inaugurée par la librairie du Mercure de France, composant per-
soDuellement les volumes consacrés à Rétif de la Breto ne, Gérard
de Nerval, Chamfort, Rivarol, Théophile, Saint-Amant et Cyrano de
Bergerac. Une activité intellectuelle étonnante, qui lui laisse encore
le temps des'occuper de fantaisies littéraires anonymes ou signées de
pseudonymes et d'écrire des articles pour des journaux et revues de
province et de l'étranger. Pour ses vers et poèmes en prose, qui sont
un coin à part et de peu d'étendue dans son œuvre (quelques petits
volumes ou plaquettes : Litanies de la Hase, Fleurs de Jadis, Le Di-
des arbres, Les Saintes du Paradis, Hiéroglyphes, Oraisons mau-
vaises et Simone), '\\s seront certainement une révélation même pour"
beaucoup de ses lecteurs, en attendant que leur réunion en un seul
volume les fasse connaître davantage. Poésie curieuse, clrange, bi-
zarre même, amusement de lettré et de raffiné plutôt que poésie
au sens où on l'entend couramment. Aucun lyrisme, à peine de
rythme, des images et des notations qui dépassent nos goûts et nos
habitudes. Elle avait sa place dans cet ouvrage, comme une fleur
rare au milieu de tout un bouquet.
Voici l'étatde la collaboration de M.Remy deGourmont aux revues
et journaux. Le Monde, La Vie Parisienne ()88i) ; Le Contempo-
rain, Le Monde hebdomadaire (1882); Revue de l'Enseignement
secondaire des jeunes fillrs, Panurge (i883) ; La Vie .ffnderne. Les
Annales politiques et littéraires (i884); Le Semeur (jhSô) ; Biblio-
t/tèque universelle, Lausanne (1887); Le Voltaire (1887); La Revue
générale (1887); Revue littéraire et artistique (1887); Les Mati-
nées espagnoles (i885); La Revue du monde latin 1885); Revue
bleue. Evénement (ï8Sç)) ; Revue indépendante {iSfjo): L'Eclair [iSgi);
Revue de la littérature moderne 11891); Chimère (iSgi-iSga);
Essais d'art libre, Entretiens politiques et littéraires {iSgi-iSgi);
Revue blanche (1892-1898'; L'Ermitage (1892, 1897, 1906, 1907);
Le Livre d'Art [ 1897); La France morferne, Marseille (1892); Le Jour-
nal (1893, 1898,1894) \L'Art littéraire (1898, 1894); L'Idée moderne
{1894); La Coupe (1895-1896); Arte, Coimbre (iSgS); L'Epreuve
littéraire (1890) ; LeCoq rouge, Bruxelles (1895) ; L'Action libertaire
(1895); La Province nouvelle, Auxcrre (1896); Le Réveil, Fhxnàres
et Wallonie (189G); Le Livre d'Art (189G;; L'Image (1897); Il Mar-
zocco. Florence (1897); Le Spectateur catholique (1897); La Volonté
(1898); Rat blanc, Soignics, Belgique (1898); Anthologie-Revue,
Milan {1899); Wiener Rundschau, Vienne (1899-1900); La Renais-
sance (1899); L'Hémicycle (1900); H avaôr.vaia, Athènes (igoo-i90i)j
I\EMY DE GOURMONT II7
la /iassetjna Internationale, Florence (1900-1901); Flegrea (1900-
H(oa); />a A'ac/on.UiienosAyres (1901-1907); lievae bihlio-ironojra-
p/iif/ue {ifjoi); La Vogue, aouvelle srrie (1901) ; Eniporiam^Mer-
g.irnc (190a); Revue du Xouurau Sicrle (\(joi); La l'Iaine.La Revue
fiefnlomadaire (190a); La Roulotte, Soi^nics, Brl^çique (igoS); The
Weekly Critical Revieio (igoS); Revue du Rien (igoZ) .L'Etal,
journal quotidien, 4 avril 1906 (Prospectus); Le Mercure musical
(1906); Viessy (La Rtilance), Moscou, Antée, liruç^es (1907); Flo-
r^a/, LuxetnhouPi^ '1908); La Jeuni'. Champagne, Le Progrra du
lAilvados, La Phalange ; Sundag Interocean, Ch\ca>^o ; Das neue
Jnhrhunderl, Berlin ; Simplicissiniut, Munich ; Die Zeit, Vienne ;
Stimmen der Gegenwurt, Vienne; O Pair, l\io de Janeiro; El
liloht), Madrid; A7 Mercurio de /^w^r/ra, Buenos-Aires ; PolitiLen,
(]»)[)(Mih»(^ue ; Mnderni Revue, l'rao^ue ; le Mercure de France et la
Jtfvne des Idêft depuis la fondation, Le Soleil, Le Supplément du
Figura, La Dépèche de Toulouse et le Matin.
Bibliographie :
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l'aiis, Dogorce-Cailot, 1883, in-12.— l'ne ville re<<suscltée, avec vi;.-notle».
Paris, DeROrcp-f'adot, 1883, in-12 (lUimpriiin- pour la Lilirairie gt'-ii rak- Je
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I.fs cKuviiES. — Merlette, roman, l'aris. Pion cl Nourrit, 1886, in-18. —
SIxtIne, roman de ta rit: ct'rt'bralr (dédié à Villicrs de risle-Adim). Paris,
Sa\iiie, 181)11, in-t8. — Le I>atlu mystique : Les poètes de l'anlii>honairf
il la ayn\bolique au moyen âge. Préface de J.-K. If'"' ' Miniature de
rdiK'cr. Paris, éd. du Mercure de France, 1802, gr. m i- à 220 ex.).
Il a «lé puldié, en outre, deui autre.H éditions 8uccessi\<^ <i- >• i ouvrage, avec
»ii'-Mn de Fiiiger. Paris, éd. du Mercure de France, 1895, gr in-8. — Lita-
nies de la Itoio, Paris, éd. du Mercure de Fr^uce et « .«e vend cliet Léon
Viuiier », Ihyj, ia-l6 ^Kéimprinié dans Le Pèlerin du Silence Paris. Soc. du
MiTcurede France, 1896, in-18. — Llllfti 71*
d Art Libre i,Tira;;e à pelil nombre), 17 ud
tira^-c de cet ouvrage qui fut, en outre, r«'-iiii|)rtmé deui fois, avec des variao-
tes : Lilitli. Pans, Soc. du Mercure de iiaïue, l9iM, in-18: Litith, fuiri de
Tluodat. Pans, Soc. du Mercure de France, 1<K>6, iu-i8. — Le Fanlûnie,
•Tec % lithographies originales de licury de Grooi (337 ei.}. Paris, éd. du
Il8 POÈTES d'aujourd'hui
Mercure de Franco, 1803. pr. in-12, brocha, avec parJts îp^ciale». (lia été
juililié, en outre, une 2« éd. de cet ourrage. Paris, éd. du Blercure de France,
1893, iu-8 : Le »?j^mf,n'im|irim^" dans Le Pèlerin du Silence. Pari*, Soc. du
Merc'ire de France, 1896, in-18). — Théodat, poème dramaliquc en prose
(re|)r<'-sfnlé sur la scène du Théâtre d'Art — salle du Tlw'âlre Moderne — le
11 décembre 1892) /lirafre : 290 ex. numérotés et monogrammes par l'autour).
Paris, éd. du Mercure de France, 1893, in-i2 carré, couverture d'après une
étoffe byzantine (Réimpr. : Lilith suivi de Tliéodat. Paris, Soc. du Mercure
de France, 1906, in-18). — L'Idéalisme, avec un dessin de Filiper (tirage .
170 ex.). Paris, éd. du Mercure de France, 1893, in-12 écu. — Fleur de Jadis,
édition elzévirienne (47 ex. hollande van Gelder, numérotés et si;:n('s par l'au-
teur). S. nom d'auteur ni d'édit. (Mounoyerimprim., 1.5 soptoinlue 1^9.! . iu-16
écu (Réimprimé dans Le Pèlerin du Silence, etc. 1896, in-18). — Histoires
magiques, contenant une lithographie de Henry de Groux (tirage : 301 ex.),
P;r.i*, éd. du Mercure de France, 1894, in-12 carré (2* édition. Paris, éd.
du Mercure de France, 1895. in-12). — Hlérofllyphes, poèmes, manuscrit
aulographique de 19 feuillets (0 m. 34 sur 0 m. 44\ avec une lithographie
ori"inale de Henry de Groux en frontispice (tirage : 25 ex.) Paris, éd. du Mer-
cure de France, 1894, in-fol. oblong. — Histoire tragique de la Prin-
cesse Phénissa, expliquée en quatre épisodes (tirage à part du Mercure
de France): publié à 98 ex. numérotés et signés par l'auteur. Paris, éd. du
Mercure de France, 1894, in-8 royal (Réimprimé dans I^e Pèlerin du Silence,
etc. 1896, in-18). — Proses moroses (tirage à petit nombre). Paris, éd. du
Mercure de France, 1894, in-24. (11 existe une seconde édition sans date de cet
ouvrage). —Le Château singulier, orné de 32 vignellos en rouge et en
bleu: tirage à petit nombre. Paris, éd. du Mercure de France, 1894, petit in-16
(Réiinprinté dans Le Pèlerin du Silence, etc. 1896, in-18). — Pliocis avec
une couverture et 3 vignettes par Remy de Gourmont. Tirage à polit nom-
bre. Paris, Collection de ^Ymagier et se « vend au Mercure de France «
etc., MDCCCXCV, plaquette in-12. — La Poésie populaire. [Livret
intitulé de la Poésie populaire par Remy de Gourmont, avec un air noté
et des images, le tout suivant la copie imprimée dans ITmaf/ier du
mois de janvier DDDCCCLXXXXVI 'i Paris aux dépens dudit Yinaijirr et
se vend XV, rue de l'Echaudé. par le Mercure de l'^ance au prix de A'A'.Y.V*
et n'e» fut tiré que C et XX V copies toutes parcillvs et très belles], in-folio.
Le Mirarle de Théophile, de Rutebeuf, texte du xiii* siècle modernisé
publié avec préface). Paris, tiré de l'Ymagier et « se vend XV, rue do l'Kchaudé,
par le Mercure de France », 1896, gr. in-4 écu. — Aucassiu et Nlcolelle
chantefable du xni« siècle, trad. de Lacurne de Sainle-Palaye, revue et com-
plétée d'après un texte original Paris, L'Ymagier, 9, rue de Varenne, s. d.
(1896), in-4 couronne. — L'Ymagier. Ouvrage publié en 8 fascicules trimes-
triels, de 64 pa;;es, d'octobre 18'.'4 à juillet 1896, contenant environ 300 gra-
vures, reproductions d'anciens bois des xv» cl xvi* siècles, grandes images
coloriées, pages de vieux livres, miniatures, lithographies, bois, des>ins, etc.,
de M.-N. Whistler, Paul Gauguin, Filiger, G. d'K^pagnat, A. Seguin, O'Conor,
L. Roy, etc., Paris, 1896, 2 volumes grand in-4. — Almanacli de l'Yma-
gier, 1897, zodiacal, astrologique, magique, cabalistique, artistique, litté-
raire 1 1 prophétique. Orné de 25 liois dessinés et gravés par Georges d'Espa-
gnal. Vignettes en rouge et on noir. Couverture en 4 coul, Paris, 1\, rue de
Vareauc, petit in-4.— Le PèleriD du Silence {Phénissa. Le Fantôme. Le
REMT OE GOURMONT
'9
I . Val-
I. II. de
r. ijiiiiurj, A. -F. Hornt.i
n.tr(l. L. Oiiraur.O. EekIioïKi,
. A. G,.|e.
' M*rnll.
.\.
Chdtenu sirnju'irr. I. /.. . .ianxt*. Tl
Silence). Fronli<tpi(re d'Armand Seguin, à la fwn!
dani le» rtcmplairc» ilo \\\\c, Paris, Soc. (!■; V
— Le I.Ivre des MnKquog, l'nrlraitx
ntr les écrivains d'Iiirr et (f aujourd'hui
lotion, ail nombre do XXX, savoif : M. ^'
Hr';.'nii'r, F. Violr Griffin, Mailarm<', .\
A. I!<^tl-'-. Villi.Ms.Ir-IIsle-Adam, LTai'
P. Ailam, Lautn'amont, T. Oirhièrp, .\.
p. I.oiiyH, I{ar|iil.lo, J.-K. Iluysman», J. Ia'
Sainll'ol-Iloux, R. de Mnnlcs<|uioii, G. Kalui,
euro de France, 189C, jn-l«. — Les Chevaux •,
Poe. du Mrrriirc (!o Fr.iiir><, 1-07, in-18. — Lo \ i«Mix âlol
v- 11'' (300 Cl. num/Toli'-s ri |).l^,^ph''^). Pari«. f'\. îi; M
1. — Dnn Payj» I.niiitaln. «-v
, in-lH. (Li plupart <io cc« roulC'» n . . —
Le II* IJvre de» ManqucH les manquo», ilr>>iiiA9 par F. Vallollon, aa
nom!.n> <\o WIII, savoir : F. Jainmo<i. p. Fort, M. IM. 11 F F. ii.'nn, !.. Blov,
J. I...r:un, F. Diijardin, M. RarrtS, C. Maiiclair, V. > !, A. Val! i .-.
M. I l-k.imp. II. Marol. M.Schwob, P.CIau.Iel, H. Ghil .. - ' ' lu«,
H. Iî.i;.ii!le, K. Mikliar"!, G. -A. Aurier, le« Gr.urourt, K. Il- du
*' ' France, 1898, iu-18. — Le» SaioleK <lti l'.n i n- '
. orn^^s de xix boia ori^^inaui dr«>iM - «-l Uill.'s p.T
i. (lirap"' ''■■ -«x.). Paris, « se rend à la librairie liii M't. n.' .ic
elc. (A' j'Hincr LVI. ruo de S'ine par C. R«iiaudte, le
A\\l janvier M!m .( i ,\(.\ liM ^ :. ' :*
laii^iuo française {La /'
. Le vt'ra pttjtulaire). Paris,
Sonfl^ (l'une femm** •-
.ice.
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ii-lfi. — I »^s l»t»lll. -4
Heviies, / ^ I
P.-vri> .■•.!. .!.- I i l..M„. ,
IPuO, m H. ((.>l o«rra),-o esl entièrement df
•ons niaiivalKCH (jK>èmes), orn(*« par ('<
deux tons, jaune souci et rert d'Ecosse. (1 •
cure de France, 1900, in-8 ^cu. — Slmonu. ,,
à petit nombre sur p.ipicr rerg»*, couverture <-n
eure do Franco, l*M)l, in-lf> "- / .
Ceort-os ,1 ) -|.aj;nat. Pans, I
Le t:ht>niln de VelourH, .'t'<iu>nr, a:
Morcuro lie France. l'Jdî, m- 18. — Le I'
d'Art, de Lr : ' ■'
noms citi59. I
RéHexioM sur i s \e \s<}
in-18. — PhyHliiiie d»» l'.iii
du MtTCuio . 1 . m-lô.
2* sérU (l^. . . ; > -, Soc. du
<irmoot).
Oral.
in-4).—
dii Slvlo.
.it>«.
<«.
I20 POÈTES d'aujourd'hui
Judith Gautier, biographie illustrée de portr. et d'autogr. etc. Portr.
fronlisj). de John Sarirenl. Paris, Biblioth. internat, d'édit., 1904, in-18. —
Prtmn'imdes littéraires. Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, in-18.
— Promenades philosophiques. Paris, Soc. du Mercure de France,
190.0. in-18. — Epilogues. Hé/lexions sur la Vie. 3» série (19ii2-1904).
Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, in-18. — Promenades lilt«''rai-
res. 2« série. Paris, Soc. du Mercure de France, 1900, in-18, — Lilith,
suivi deThéodat. Paris, Soc. du Mercure de France, 1906, in-18. — Une
nuit au Luxeinbourçj, roman. Paris, Soc. du Mercure de France, 1906,
in-18. — Un Cœur virginal, roman, couvert, ilhistrée par Georpes d'Es-
paf:nat. Paris, Soc. du Mercure de France, 1907, in-18. (11 a été tiré de cette
édit., 20 ex. de format in-8, pour la Société des XX. Ces ex. portent la signa-
turc de l'auteur). — Dialogues des Amateurs sur les choses du
temps (1905-1907). (Epilogues, IV» série). Paris, Soc. du Mercure de
France, 1907, in-18.
Préfaces et notices. — G. Albert Aurier : Œuvres posthumes. Notice.
Paris, éd. du Mercure de France, 1893, in-8. — Notice biographi-
que et Catalogue des Œuvres de Clésinger. Pn'faco. Paris,
L'Ymagier, 1895, in-8 (2* éd en 1903, in-8). — Gérard de Nerval : Les
Chimères et les Cydalises, poésies. Préface. Paris, Librairie du Mercure de
France, 1897, in-i6 écu. — Maurice de Guérin : [je Centaure. Fionlis-
picc de G. d'Espagnat. Notice. Paris, librairie du Mercure de France, 1900,
in- 16 écu. — Georges Duviquet : Hélioijabale, raconté par les historiens
grecs et latins, etc., préface. Paris, Soc. du Mercure de France, 1903, in-18. —
Ausone : Les Ejiitjramnics, Irad. du latin par Charles Verrier. Préface-
Paris, Sansot, 1903, in-18. — Rétil de la Bretonne : Les plus bell$*
patjes. Paris, Soc. du Mercure de France. 19o5, in-18. — Gérard de Ner-
val : Les plus belles payes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1903, in-18-
— Chamiort : Les plus belles pages. Paris, Soc. du Mercure do France, 1905»
in-18. — Rivarol : Les plus belles pages. Paris. Soc. du Mercure de France'
1906, in-18. — Henri Heine : Les plus belles pages. Paris, Soc. du Mer-
cure de France, 1906, in-18. — Théophile : Les plus belles pages. Paris,
Soc. du Mercure de France, 1907, pclit in-18. — Ernest Gatibert : La
Sottise Espérantiste. Paris, Gras^5cl, 1907, in-16. — Saint Amant : Les
plus belles pages. Paris, Soc. du Mercure de France, 1908, pclil in-18. —
Catalogue de Dessins origin. de llouveyre. Préface. Paris, Galerie
E. bruel, 114, rue du Faub.-Saint-llonoré, 18-30 nov. 1907, in-8. — Cyrano
de Bergerac : Les plus belles pages, l'aris, Soc. du Mercure de 1 rance,
1908, petit ia-18
On trouve, en outre, des pages de M. Remy de Gourmonl dans les ouvrajies
suivants : Congrès intern. pour l'extension et la culture de la lan-
gue Irançiiise, Paris, Champion. 1!I06, in-8. (Cf. La Criti<jue de la Presse
quotidienne) ; Chronique Stcndhailenne, etc. A. Milan, chez CotTe et C'*,
éditeurs slendhaliens, 19u7, in-S, etc.
A CON8UI.TEK. — I.,ouis Doulse : Remy de Courmont, notice publiée dans
les Portraits du jn-ochain Siècle, l'aris, Girard, 1894, in-18. — Arnold
Gollin : A propos île style et d'esthétique. Bruvilles. Soc. belge de librairioi
19o3. in-8. — Jules Huret : Enquôlc sur l Evolution littéraire. Paris,
Charpenticr-Fasqueik', 16'Jl, in- 18. — Georges Le Cardonuel et Ch.
Vellay : La Littérature contemporaine, 1905. Opinion des Ecrivains de ce
HEM Y OB GOLimONT 121
tempi. Pari», Soc. du Mercure de Frânre. 190«. in-18. — Francis de Mi'»-
mnndre : Vitagea. Brupei. A. llerhert. 1907, iii-8. — M -C. Poln*ol :
Antlintntiie d<'g Poâtea normands ri,nl-tnp',ratns. Paris, Floury, 1903, in-l8.
— Pierre de Querlon : //'mv '/<• Coumiont. biographie i" •- ~ !#• |>or-
trailit, (|o<«iiM, elr., suivio (roiniiinn- df f-i •iitiK-nt^ et rl'iinr t •'. par
A<!. H. (Ad. van Berer). Pari-, Sati-ol, ! iM, m 18. — (ilillieppfl \orliinl -
l(>my de (iourmont. Nnpoli, I)elk<n ri P.ocholl, 1901, in 8. (Tiriçc » P*»"^ d«
• Fle^"*» »)•
Pr.hioMQrE». — Jacques Balnvllle : ('n ar»j>ti'-i*me nouveau, M. fiemy
de Gourmont. « Minerva », 15 août VM^î. —S ' iclH : Letterati con-
temporanri : firvn/ de finurmnnt. Kinp'Tium . 'orne XIV. n* ?*. —
Ellfl^no Demolder : Id'my df dournnont. L An >-
vier IH'JH. — André du FreBOoy : /f-my de Goui -n
de France, If) mai 1907. — Louis Duniur : l'ythraa >>u
aophiqUi- en l'honneur de M. fiemy de (iourmont et dr ses pl^-
ge». Mercure de France, mai 1894; De Sykomnai den frantka L i,
illuslr. o Ord och ISdd a. Slokhohn, octobre l'^OS ; Rcmy de Gour
kly Critical FU'view. iPari>), octobre l'.i(t3.— Emile Fafluet : /*ro»/
litti'rairrs. Hcvuc fjitine. 25 aoiit i9o6. — Anatole France : /.' < . .
myxtitfue. \jti Temps, Il d/rembro 189Î. — Jules dfi C;auIlior l'I!»-
teiirn délia lin.,- ■ ' i''»"tc. Ha^v'pna internarionale, !.'> M»pleiHbre 1'.m>0;
De tu nature d , Mercure de France, septembre 1901. — Flerra
Lasserre : L' h^'ifr.^Me ife la langue française. V ' ' ' le,
mai IHIV.». — Jeau I.orentowlcz : Z. littcratury y
de Gourmont. kr>t\ka ^(Iraco* ii^. mars 19o3. el I.u " ,>-
tembre 0 octobre 190C. — Juan Ma» Y PI : Tn 'k
iJeforina (la Plala), 10 janvier l''"7. — Camille Mauel.ilr V- ••'■ mé-
diullona d'artittes : Id'my de Gourmont. \ji Chroni<|ue ifc* !i\r-. ?'. sep-
tembre 1900. — Charles Maurran : Le iMtin lo
Irance, 5 titîcembre l^y2. — IS'eslor Henry Fouijuier
I -ho de Paris 26 mar'» 1S9t. — l*rodiko ; /t'-my de <, w
I'.iienos-.Vire<<^. f. novembre 1906. — A. i*u|i>i : De qy ■ n
■eplique anti-protestant. Lo Protestant, journal, 2t ■ —
Pierre Qilillnrd : Iliuiy de Gourmont Memire de : , —
Ilarao de Sanio Alberto : Hemy de < A T-inle iHioile Janeiro}*
3avid ISUD. — Marrel Sohwob : /..' / ' ' . M. r, ,ir.. .1. France,
novembre 1892. — Allred Vnllotte : M ^, m*»
1891. —Charles Verrier ; //t-my </«; /„.»;„ ... .. ^. .....ro 1904.
Iconographie :
F. Muniau«l ; Deux portraits au fraym. reprod. dan» Touvra^ de
Pierre do Onerloa : Itevxy de Gnur"ii>nt. I'.»ri». ."^.insot, 1903, in-18. (1^ m^me
ouvrage rontient d'autres poilrail> . — F. \allollon: .Vuj/K'*. r ' *'\n«
la revue « Onl och bild n de ï^lorkliolm, octobre l>»98. — \o)et en r-
Irait publia d'après ua document |)hulo(;r.iiiliii|uo daos Weekiy criiu.i> ■>< >.• ^v,
1903.
'22 PORTES d'aujourd'hui
LITANIES DE LA ROSE
A Henry de Groux.
Fleur hypocrite,
Fleur du silence.
Rose couleur de cuivre, plus frauduleuse que dos ioies
rose couleur de cuivre, embaume-nous dans tes menson"-cs'
fleur hypocrite, fleur du silence. ' '
Rose au visage peint comme une fille d'amour,roseau cœur
prostitué, rose au visasse peint, fais semblant d'être pitoyable
fleur hypocrite, fleur du silence. '
Rose à la joue puérile, ô vierge des futures trahisons rose
à la joue puérile, innocente et rouge^ ouvre les rets de tes
yeux clairs, fleur hypocrite, fleur du silence.
Rose aux yeux noirs, miroir de ton néant, rose aux yeux
noirs, fais-nous croire au mystère, fleur hypocrite fleur du
silence. '
Rose couleur d'or pur, ô cofFre-fort de l'idéal, rose couleur
d'or pur, donne-nous la clef de ton ventre, fleur hypocrite
fleur du silence. " '
Rose couleur dargent, encensoir de nos rêves, rose cou-
leur d'argent, prends notre cœur et fais-en de la fumée
fleur hypocrite, fleur du silence. '
Rose au regard saphique, plus pâle que les lys rose au
regard saphique, ofl-re-nous le parfum de ton illusoire vir-i-
nité, fleur hypocrite, fleur du silence. '
Rose au Iront pourpre, colère des femmes dédaignées, rose
au front pourpre; dis-nous le secret de ton orgueil, fleur hypo-
crite, fleur du silence.
Rose au front d'ivoire jaune, amante de toi-même, rose au
front d'ivoire jaune, dis-nous le secret de tes nuits virginales
fleur hypocrite, fleur du silence. '
Rose aux lèvres de sang, ô mangeuse de chair, rose aux
lèvres de sang, si tu veux notre sang, qu'en ferions-nous ?
bois-le, fleur hypocrite, fleur du silence.
Rose couleur de soufre, enfer des désirs vains, rose couleur
de soufre, allume le bûcher où tu planes, âme et flamme, fleur
hypocrite, fleur du silence.
REMY DE GOUBMONT 123
Rose couleur de p^che, fruit velouté do fard, rose sournoise,
rose couleur de pôclie, empoisonne nos dents, fleur hypocrite,
fleur du silence.
l\ose couleur de chair, déesse de la bonne volonté, rose cou-
leur de chair, fais-nous l)aiser la tristesse de ta peau fraîche et
f.KJe, fleur hypocrite, fleur du silence.
Kose vineuse, fleur des tonnelles et des caves, rose vineuse,
les alcools fous jçainhadent dans ton haleine : souffle-nous
riiorreur de l'amour, fleur hypocrite, fleur du silence.
iVose violette, ô modestie des fillettes perverses, rose vio-
lette, tes veux sont plus grands que le reste, fleur hypocrite,
fleur du silence.
I\ose rose, pucelle au cœur désordonné, rose rose, robe de
mousseline, entr'ouvre tes ailes fausses, ange, fleur hypocrite,
fleur du silence.
Rose en papier de soie, simulacre adorable des grAces
incréée«, rose en papier de soie, n'es-tu pas la vraie rose, fleur
hypocrite, fleur du silence ?
" l\ose couleur d'aurore, couleur du temps, couleur de rien,
6 sourire du Sphinx, rose couleur d'aurore, sourire ouvert
stir le néant, nous t'aimerons, car tu mens, fleur hypocrite,
fleur du sih'nce.
Rose blonde, léçer manteau de chrl^me sur des épaules
frêles, ô rose blonde, femelle plus forte que les mAles, fleur
hypocrite, fleur du silence !
Kose en forme de coupe, vase rouge où mordent les dents
quand la bouche y vient boire, rose en forme de couno^ nos
morsures te font sourire et nos baisers te font pleurt r, fleur
hypocrite, fleur du silence.
i\ose toute blanche, innocente et Cf^ileur de lait, rosr toute
Manche, tant de candeur nous épouvante, fleur hypocrite,
fleur du silence.
Rose couleur de bronze, pAle cuite au soleil, rose couleur
de bronze, les plus durs javelots sVnmussent sur ta penu,
fleur hypocrite, fleur du silence.
r\ose couleur de feu, creuset spécial pour les chairs rrfrac-
taires, rose couleur de feu, ô pri>viilfnce des hi^ueurs en
enfance, fleur hypocrite, fleur du silence.
Rose incarnate, rose stupide et pleine de santé, ro»c incar-
124 POÈTES d'aUJ0UI\d'hU1
nale, tu nous abreuves et tu nous leurres d'un vin très rouge
et très bénin, fleur hypocrite, fleur du siîence.
Rose en satin cerise, munificence exquise des lèvres triom-
phales, rose en satin cerise, ta bouche enluminée a posé sur
nos chairs le sceau de pourpre de son mirage, fleur hypocrite,
fleur du silence.
Rose au cœur virginal, ô louche et rose adolescence qui
n'a pas encore parlé, rose au cœur virginal, tu n'as rien à
nous dire, fleur hypocrite, fleur du silence.
Rose groseille, honte et rougeur des péchés ridicules, rose
groseille, on a trop chiffonné ta robe, fleur hypocrite, fleur
du silence.
Rose couleur du soir, demi-morte d'ennui, fumée crépuscu-
laire, rose couleur du soir, tu meurs d'amour en baisant tes
mains lasses, fleur hypocrite, fleur du silence.
Rose bleue , rose iridine, monstre couleur des yeux de la
Chimère, rose bleue, lève un peu tes paupières : as-tu peur
qu'on te regarde, les yeux dans les yeux, Chimère, fleur
hypocrite, fleur du silence !
Rose verte, rose couleur de mer, ô nombril des sirènes, rose
verte, gemme ondoyante et fabuleuse, tu n'es plus que de
l'eau dès qu'un doigt t'a touchée, fleur hypocrite, fleur du
silence.
Rose escarboucle, rose fleurie au front noir du dragon,
rose escarboucle, tu n'es plus qu'une boucle de ceinture, fleur
hypocrite, fleur du silence.
Rose couleur de vermillon, bergère énamourée couchée
dans les sillons, rose couleur de vermillon, le berger te res-
pire et le bouc ta broutée, fleur hypocrite, fleur du silence.
Rose des tombes, fraîcheur émanée des charognes, rose des
tombes, toute mignonne et rose, adorable parfum des fines
pourritures, tu fais semblant de vivre, fleur hypocrite, fleur
du silence.
Rose brune, couleur des mornes acajous, rose brune, plai-
sirs permis, sagesse, prudence et prévoyance, tu nous regar-
des avec des yeux rogues, fleur hypocrite, fleur du silence.
Rose ponccau, ruban des fillettes modèles, rose ponceau,
gloire des petites poupées, es-tu niaise ou sournoise, joujou
des petits frères, fleur hypocrite, fleur du silence.
RfVY ^^ -.OUBMONT 120
Rose rouge et noire, rose insolente et scrn'te, rose routée
et noire, ton insolrnce et ton rouge ont p;'ili parmi les com-
promis qu'invcnle la vertu, fli'ur hypocrite, fleur du silence.
Hose nrdoise, t^risaille des vertus vaporeuses, rose ardoise,
tu t^rimpes cl tu fleuris autour des vieux bancs solitaires, rose
du soir, fleur hypocrite, fleur «lu silence.
Rose pivoine, modeste vanitr des jardins plantureux, rose
pivoine, le vent n'a retroussé tes feuilles <jue par hasard, et tu
n'en fus pas mécontente, fleur hypocrite, fleur du silence.
Rose neigeuse, coideur de la neige et des plumes du cygne,
rose neigeuse, tu sais que la neige est fragile et lu n'ouvres
tes plumes de cy^ne qu'aux plus insignes, fleur hypocrite,
llcur du silence.
Rose hyaline, couleur des sources claires jaillies d'entre les
herbes, rose hyalitie, Hylas est mort d'avoir aimé tes yeux,
lleiir hypocrite, fleur du silence.
Rose opale, ù sultane endormie dans l'odeur du harem,
rose opale, Innfjueur des constantes caresses, ton cœur con-
naît la paix profonde des vices satisfaits, fleur hvpocrite,
fleur du silence.
Rose améthyste, étoile matmale, tendresse épiscopale, riisc
améthyste, tu dors sur des poitrines dévotes et douillettes,
gemme oITerte à Marie, ô gemme sacristine, fleur hy|>ocrite,
fleur du silence.
Rose cardinale, rose couleur du sang de l'Ht^lise romaine,
rose cardinale, tu fais rêver les grands yeux des mis^nons et
plus d'un t'épingla au nœud de sa jarretière, fleur hypocrite,
fleur du silence.
Rose papale , rose arrosée des mains qui I)énissent le
monde, rose pa^iale, ton co-in* d'or est en cuivre, et les larmes
«pii perlent sur la vaine corolle, ce sont les pleurs du (Ihrist,
fleur hypocrite, fleur du silence.
Fleur hypocrite,
Fleur du silence.
(Litaniet de la Rose.)
HIÉROGLYPHES
0 pourpiers de mon frère, pourpiers d'or, fleurs d'Anhour,
Mon corps en joie frissonne quand tu m'as fait l'amour,
126 poèxES d'aujourd'hui
Puis je m'endors p.'iisible au pied des tournesols.
Je veux resplendir telle que les flèches de Fior :
Viens, le kupi embaume les secrets de mon corps,
Le hesteb teint mes oncles, mes yeux ont le kohol.
O maître de mon cœur, qu'elle est belle, mon heure !
C'est de l'éternité quand Ion baiser m'effleure.
Mon cœur, mon cœur s'élève, mon cœur, mon cœur s'envole 1
Armoises de mon frère, ô floraisons sanglantes,
Viens, je suis l'Amm où croît toute plante odorante,
La vue de ton amour me rend trois fois plus belle,
Je suis le champ royal où ta faveur moissonne,
Viens vers les acacias, vers les palmiers d'Ammonn :
Je veux t'aimer à l'ombre bleue de leurs flabelles.
Je veux encore t'aimer sous les yeux roux de Phrâ
Et boire les délices du vin pur de ta voix,
Car ta voix rafraîchit et grise comme Elel.
0 marjolaines de mon frère, ô marjolaines,
Quand ta main comme un oiseau sacré se promène
En mon jardin paré de lys et de sesnis,
Quand tu manges le miel doré de mes mamelles,
Quand ta bouche bourdonne ainsi qu'un vol d'abeilles
Et se pose et se tait sur mon ventre fleuri,
Ah ! je meurs, je m'en vais, je m'efl"use en tes bras
Comme une source vive pleine de nymphéas,
Armoises, marjolaines, pourpiers, fleurs de ma vie !
(Hiéroglyphes.)
AGATHE
Joyau trouvé parmi les pierres de la Sicile,
Agathe, vierge vendue aux revendeuses d'amour,
Agathe, victorieuse des colliers et des bagues.
Des sept rubis magiques et des trois pierres de lune,
Agathe, réjouie par le feu des fers rouges,
Comme un amandier par les douces pluies d'automne,
Agathe, embaumer j)ar un jeune ange vêtu de pourpre,
Agathe, pierre et 1er, Agathe, or et argent,
REMT DB GOURMOirr 137
AiJ^nlIio, chrvnlirrr de M.ill«»,
Saiule Agathe, niellez du feu dans notre saniç.
{Let Sainte» du Paradis.)
AGNÈS
Ai^npIIe épouse de feu, ac^nelle amie de l'Agneau,
Ai^rirs, plus forte rpio la mairie des jrunes cheveux,
Ay^iKs, H llo sacrée du siViic «le la croix,
A4fnés, Agnelle et Danidle, toi qui caressas
n'iHJc main pure la crinirn* cniollr des hrasiors,
lilarirhe Aulnes, décollée par le glaive aveugle,
Et trenjpée dans la gloire vierge des lys rouges,
Hrcltis, Toison, Manteau, tratne et chaîne des pnlliums,
Sainte Aj^nès, filez pour nous la lainr étiTMcilc
{Le» Saintes du Paradis.)
GATHEHINE
Contemplatrice héroïque du Rêve,
Catherine que le démon hatlait comme la mer
Bal le saille irinoc«'nt des dunes et des irrèves,
(Catherine visitée par Jésus familièrement
— Jésus venait chanter le psautier avec elle, —
Catherine au front orné du iliadéme sanglant,
Catherine pleine de larmes, pleine de charmes, pleine de songes.
Sainte Catherine, protégez nos âmes pleines de songes.
' {Les Saintes du Paradis.)
JEANNE
Berirère née en Lorraine,
Jeamie cpii avez gardé les moutons en rohe de futaine,
El qui avez pleuré aux misères du peupir de France,
El qui avez C(mduit le Koi à Keims parmi les lances,
Jeaime qui étiez un arc, une croix, un içlaive, un cœur, une lance,
Jeanne que les gens aimaient comme leur père et leur mère,
Jeanne blessée et prise, mi^e au cachot par les Anglais,
128 POÈTES D AUJOURD HUI
Jeanne brûlée à Rouen par les Anglais,
Jeanne qui ressemblez à un ange en colère,
Jeanne d'Arc, mettez beaucoup de colère dans nos cœurs.
(Les Saintes du Paradis.)
MATHILDE
Princesse dont les bras blancs portaient la peine des pauvres,
Mathilde dont les mains blnnches usaient les durs psautiers,
Mathilde, reine de trois mille et Tune des mille servantes,
Mathilde dont le cilice de fer avait trois pointes,
Mathilde, dont les genoux furent le sceau des dalles,
O Mathilde, baisers, sandale et bracelet,
Rose d'automne tombée dans l'eau des pénitences,
Sainte Mathilde jetez nos cœurs sur les pavés.
{Les Saintes du Paradis.)
PAULE
Amie de saint Jérôme, pourpre réduite en cendre,
Epaule où le vieux moine grava le nom de Dieu,
Paule, manteau de laine sur le dos nu des pauvres, .
Paule couchée par terre, les yeux vers les étoiles,
Paule, cendre, corde et pierre, fagot d'épines,
Crâne rasé comme un rocher de Palestine,
Cœur plein de la poussière sacrée de Bethléem,
Sainte Paule, humiliez nos âmes tristes et vaines.
(Les Saintes du Paradis.)
ORAISONS MAUVAISES
I
Que tes mains soient bénies, car elles sont impures 1
Elles ont des péchés secrets à toutes les jointures ;
Lys d'épouvante,leurs ongles blancs font penser, sous la lampe,
A des hosties volées dans l'ombre blanche, sous la lampe.
Et l'opale prisonnière qui se meurt à ton doigt.
C'est le dernier soupir de Jésus sur la Croix.
RF.MY DE GUUHMONT 129
III
Que tes seins soient bénis, car ils sont sacrilèi^es !
Us se sont mis tout nus, comme un printanier florilrjçe,
Fleuri pour la caresse cl la moisson des lèvres et des mains.
Fleurs du bord de la route, bonnes à toutes les mains.
Et riiyacintlie <jui rêve là, avec un air triste de roi.
C'est le dernier amour de Jésus sur la croix.
Que ta bouche soit bénie, car elle est adtiltrre 1
Flic a le goût des roses nouvelles et le ti^oùt de la vieille terre,
Elle a sucé les sucs obscurs des fleurs et des roseaux ;
Ouand elleparleon entend comme un bruilpeitide de roseaux,
Kt ce rubis cruel tout sani^^lant et tout froid,
C'est la dernière blessure de Jésus sur la croix.
VII
(Jue ton âme soit bénie, car elle est corrompue !
Fière émeraude tombée sur le pavé des rues.
Son opîTiieil s'est mêlé aux odeurs de la boue.
Et je viens d'écraser dans la «^loricase boue,
Sur le pavé des rues, qui est uu chemin de croix,
La dernière pensée de Jésus sur la croix.
( Or a isons ma u va ises . )
I LES CIIKVEUX
Simone, il y a un s^rand mystère
Dans la foret de tes cheveux.
Tu sens le foin, tu sens la pierre
Où des bètes se sont posées ;
Tu sens le cuir, tu sens le blé,
Quand il vient d'être vanné ;
Tu sens le bois, tu sens le paia
Qu'où apport^ le malin ;
l30 POÈTES d'aujourd'hui
Tu sens les fleurs qui ont poussé
Le lon^ d'un mur abandonné;
Tu sens la ronce, tu sens le lierre
Qui a été lavé par la pluie ;
Tu sens le jonc et la fouçère
Qu'on fauche à la tombée de la nuit;
Tu sens le houx, tu sens la mousse,
Tu sens l'herbe mourante et rousse
Qui s'égrène à l'ombre des haies ;
Tu sens l'ortie et le genêt,
Tu sens le trèfle, tu sens le lait ;
Tu sens le fenouil et l'anis ;
Tu sens les noix, tu sens les fruits
Qui sont bien mûrs et que l'on cueille ;
Tu sens le saule et le tilleul
Quand ils ont des fleurs pleins les feuilles ;
Tu sens le miel, tu sens la vie
Qui se promène dans les prairies ;
Tu sens la terre et la rivière ;
Tu sens l'amour, tu sens le feu.
Simone, il y a un grand mystère
Dans la forêt de tes cheveux.
LA NEIGE
(Simone.)
Simone, la neige est blanche comme ton cou,
Simone, la neige est blanche comme tes genoux.
Simone, ta main est froide comme la neis^e,
Simone, ton cœur est froid comme la neige.
La neige ne fond qu'à un baiser de feu.
Ton cœur ne fond qu'à un baiser d'adieu.
La neie;e est triste sur les branches des pins,
ToQ liout est triste sous tes cheveux châtains.
REMY DE GOURMONT i3i
Simone, ta sœur la neii^e dort dans la cour,
Simone, tu es raa uci'^r. et mon amour.
(Simone.)
LE MOULIN
Simone, le moulin est très ancien ; ses roues.
Toutes vertes de mousse, tournent au fond d'un t^rand trou.
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Les murs tremblent, on a l'air d'être sur un bateau
A vapeur, au milieu tie la nuit et de l'eau :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Il fait noir ; on entend pleurer les lourdes meules
<Jui sont plus douces et plus vieilles que des aïeules :
On a peur, les roues pissent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Les meules sont des aïeides si vieilles et si douces
Qu'un «iifaot les anOle et qu'un peu d'eau les pousse :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Elles écrasant le blé des riches et des pauvres,
Elles écrasent le seii^le aussi, l'orc^e et l'épeaulre :
Ou a peur, les roues passent, les roues tourncnl
Comme pour un Êupplicc éternel.
Elles sont «n=;si bonnes que les plus trran(N apôtres,
Elles font le pain .jui nous Ix-nit et qui nous sauve:
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Elles nourrissent les hommes et les animaux doux.
Ceux qui aiment notre main et (|ui nu'urent pour nous :
On a peur, les roues passent, les roues lourneul
Comme pour un supplice éternel.
l32 POÈTES d'aujourd'hui
Elles vont, elles pleurent, elles tournent, elles grondent
Depuis toujours, depuis le commencement du monde :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Simone, le moulin est très ancien : ses roues,
Toutes vertes de mousse, tournent au fond d'un grand trou.
L'ÉGLISE
Simone, je veux bien. Les bruits du soir
Sont doux comme un cantique 'chanté par des enfants;
L'église obscure ressemble à un vieux manoir ;
Les roses ont une odeur grave d'amour et d'encens.
Je veux bien, nous irons lentement et bien sages,
Salués par les gens qui reviennent des foins ;
J'ouvrirai la barrière d'avance à ton passage,
Et le chien nous suivra longtemps d'un œil chagrin.
Pendant que tu prieras, je songerai aux hommes
Qui ont bàli ces murailles, le clocher, la tour,
La lourde nef pareille à une bête de somme
Chargée du poids de nos péchés de tous les jours :
Aux hommes qui ont taillé les pierres du portail
Et qui OQt mis sous le porche un grand bénitier ;
Aux hommes qui ont peint des rois sur le vitrail
Et un petit entant qui dort chez pn fermier.
Je songerai aux hommes qui ont forgé la croix,
Le coq, les gonds et les ferrures de la porte ;
A ceux qui ont sculpté la belle sainte en bois
Qui est représentée les mains jointes et morte.
Je songerai à ceux qui ont fondu le bronze
Des cloches où l'on jetait un petit anneau d'or,
A ceux qui ont creusé, en Tan mil doux cent onze.
Le caveau où repose saint l\ocb, comme un trésor ;
REMY Dl OOURMONT
|33
A ceux qui ont lissé la luiiiquo de lin
Arndue sous un rideau à e;nurhe de l'autel ;
1* ceux (jui ont chanté au livre du lutrin ;
A ceux ijui ont doré les l'ernioirs du missel.
Je sonq-erai aux mains qui ont touché l'hostie,
Aux mains (jui ont béni et ({ui ont h.qitisé ;
Je songerai aux bagues, aux cierges, aux agonies ;
Je songerai aux yeux des femmes «{ui ont pleuré.
Je songerai aussi aux morts du cimetitTC,
A ceux (jui ne sont plus que de l'herbe et des fleurs,
A ceux dont les noms se lisent encore sur les pierres,
A la croix qui les garde jus(ju'à la dernière heure.
Quand nous reviendrons, Simone, il fera nuit close ;
Nous aurons l'air de fantômes sous les sapins,
Nous penserons à Dieu, à nous, à bien des choses.
Au chien qui nous attend, aux roses du jardin.
(Simone.)
LE SOIR DANS UN MUSÉE
Les seigneurs blancs couchés dans leurs corsets de marbre,
Larves que le soleil mène à réternité ?
Ces coloniies vêtues de lierre conmi^ des arbres,
Ces fontaines «jui virent sourire la beauté ?
Les évé<jues de cire à la mitre de cuivre.
Les mères qu'un enfant fait penser au calvaire.
L'angoisse de l'esclavi^, l'ironie de la gtiivre,
Diane, dont les seins se gonflent de colcre ?
Cette femme aux longues mains pAIes et doulcurtuscs ?
Ces beaux regards de bronze, ces pierres lumineuses
Qui semblent encore pleurer un ani > ir méconnu *?
Non, soumis au désir qui m'écrase et me charme,
Je ne voyais rien dans l'ombre pleine dr larmes
Qu'une main nmlilée crispée sur un pird nu.
a8 IX. go-
9
FKRNAND GREGH
4873
M. Fernand Gregh est né à P?ris, le i4 octobre 1873. Il fit sei
études aux lycées Michelet etCondorcet. L'histoire de sa soudaine
notoriété, en août 1896, est assez amusante. Il y avait quelques mois
(le 8 janvier 189G), Paul Verlaine était mort. Les articles à son sujet
se succédaient dans toutes les revues et dans tous les journaux. Un
des premiers, M. Gaston Deschamps avait écrit sur l'auteur de
Sagesse, dans Le Temps du is janvier, un long article, rempli de
citations. De son côté, M. Fernand Gregh, qui collaborait a la
Revue de Paris, y avait publié, sous le titre de Paul Verlaine, une
élude de quelques pages, dans laquelle il avait reproduit, en faisant
bien remarquer qu'il en était l'auteur, le petit poème intitulé Menuet
qu'on trouvera dans notre choix, et qui est un pastiche assez réussi
de la pièce Chanson d'Automne des Poèmes Saturniens. On sait
que M. Gaston Deschamps ne manque pas de réunir en volume les
excellents articles de critique littéraire dont les lecteurs du Temps
ont la primeur-. Le jour vint donc où son article sur Paul Verlaine
dut prendre place dans un nouveau volume de La Vie et les livres.
Désira.it sans doute le renforcer de citations nouvelles et man-
quant probablement des œuvres de Verlaine, M. Gaston l)es-
champs se référa aux articles publiés ailleurs. 11 fut ainsi amené à
lire dans la Revue de Paris l'étude de M. Fernand Gregb, y fit la
découverte du Menuet, et, le prenant pour un poème de Verlaine,
l'inséra dans son article, en le qualifiant de menu chef-d'œuvre {La
Vie et les Livres, l^* série). Si quelqu'un n'eut pas à se plaindre de la
méprise du critique, ce fut bien M. Fernand Gregh lui-même. Dans
une lettre que publia L'Echo de Paris dans son numéro du 3o août 1 8<jG.
il la signala et réclama son bien, La lettre fit le tour de la presse, répan-
dant Sun nom inconnu la veil.e. Une certaine curiosité s'en suivit. Oi\
voulut connaître l'œuvre du jeune poète qui avait donné à ce point l'il-
lusioQ d'un grand poèle.et M.Fernand Gregb, à qui tout ce bruitavait
FERN^P GREGH l35
procure un éditeur, ras-eml»U sesTers et publia quelques mois après
son premier recueil La Maison de l'Enfance^ d'un ton à la fois ju-
vénile <•[ trrave, el qui confirmait les craiides qualités d'hahilet*^ rcvé-
jres [tar le Menuet. L'ouvrai^e, accueilli par un arlic le tlo^^ieux de
Fraiirois Coppée, eut plusieurs éditions, el mérita la même «innée
i son auteur le prix Archon-Despérouses à l'Académie française.
Depuis, M. Fcrnand Grec;hn*apas cessé de travailler et de produire :
Les Cldrlès humaines, L'Or des Minutes, deux volumes de pocnirs,
el un volume de crilicpie : Aa Fenêtre ouirr/e,élari;issanl son talent,
rrnouvelanl son inspiration à cliaquc ouvrage, de plus en plus sen-
sible, sincère — el adroit.
« I^es chants d'amour de M. Grec^h, a écrit M. Emile F»
ont ce premier mérite d'être rares, ce i\\\\ est une faron drir-
crets, el ensuite, ils sont d'une absolue sincérité, comme tout ce que
M. Gre^h écrit, el enfin ils sont d'une nuance très tine. Ce n'est ni
sensualité ni, d'autre part, verbiasfc sentimental. Cela est profond,
tendre, intime et très doux dans une tristesse caressante. Kien ne
rap{)cllc plus Sully-Priidliomme sans lui ressembler... Personnalité
très curieuse et très syaipathiciue, M. Oregh ira[)parlient. que je
crois, à aucune école ; mais il est représentatif d'une cérjération à
la fois tendre el généreuse qui pourrait bien être un retour de
celle de i83o, moins ses sublimités, mais aussi moins ses défanis.
Je ne lui conseillerai que de poursuivre, en déployant, en d> ,-,',i-
rant encore plus toute son âme ; car, personnellement, il est vif,
gai et prompt d'esprit. Gomme poète, il est l'homme de a l'ardente
mélancolie », comme il a dit, presque toujours. Dans ses vers, il
est absolument sincère, mais il n'y est pas tout entier. Il est de
ceux (jui n'ont pas à craindre de mettre dans leurs poèmes, ood
seulement ce qu'ils sont, mais tout ce qu'ils sont. L'œuvre totale y
gagnera et l'homme ne perdra rien à se révéler dans toute sa
variété et toute sa richesse. »
Très mêlé aux discussions poéticpies de notre époqtie et très dési-
reux d'être le chef d'un f groupe, M. Fernand (îregh avait rêvé de
fonder une nouvelle école littéraire : L'/Iunianisme, sous le fwilro-
nage de M. Gaston Deschamps. Cette tentative n'a pas abouti et il
n'en est reste que le nom, d'une signification un peu imprécise.
M. Fernand Gre:;h a épousé en 190.'^ M"' lîarlette Hayem. Il a été
fait officier de la Ltgion d'honneur eu i»ji3. U a collabore à La
lievue de Paris, à La Revue blanche, à La Vojae (nouvelle série
1897), au Mercure de France, au Gaulois, à la rerue Les Lettres
fondée [».ir lui rn 190^», au Figaro.
Bibliographie :
Ln Œuviiks. — La I^laison do riùifaDcc, poésies. Taris, f-tlgnnn
i36 POÈTES d'aujourd'hui
Lév>', 1897, in-18. — La Beauté de vivre, poésies. Paris, Calmann-Lévy-
1900, in-18, — La lenêti'e ouverte, crili(|ue. Paris, Fasquelle, 1901, in-18»
— Etude sur Victor Huflo, critique, Paris, Fasquelle, 1904, in-18. — Les
Clartés Iiumaines. poésies. Paris, Fasquelle, 1904, in-18. — L'Or des
minutes, poésie. Paris, Fasquelle, 1905, in-18.
Poèmes mis en musiqce. — Des poèmes de M. F. Gregh ont été mis en musi-
que par MM. R. Bardac et L. Ponzio.
A CONSULTER. — Georges Cusella et Ernest Gaubert : La Nouvelle
Littérature. Paris, Sansot, 1906, in-18. — Gaston Deschamps: La Vie
et les Livres, 3' série (article Verlaine). Paris, A. Colin. 1890. — Gaston
Raneot : Le Succès. Auteurs et publics. Essai de critique sociologique.
Pari*, Alcan, 1006, gr. in-8 — Georges Le Cardonnel et Ch. Vellay ;
Im Littérature contemporaine, 1905. Opinions des Ecrivains de ce temps.
Paris, Soc. du Mercure de Frjince, 1906, in-18.
Lucio d'Ambra : La Poesia de Fernand Gregr/i.Rassegnaintemazionalei
15 octobre 1900. — L. Blum : Les Livres, Revue Blanche, 15 janvier 1807;
A propos de quelques poètes. L'Y{\imdin\\,é, 16 juillet 1904. — Henri Chanta-
voine : Au Jour le Jour. Journal des Débats, 14 mai 1900. — François
Coppée : Littérature. Journal, 3 décembre 1896. — Gaston Deschamps:
La Maison de l'Enfance, par M. Fernand Gregh. Le Temps, 8 novembre
1896; Le Coin des Poètes. Le Temps. 7 août 1898; La Vie littéraire. Le
Temps, 15 avril ISOO ; La Vie littéraire. Le Temps, 12 juin 1904. — Phil .
Gille : Les Livres, Figaro, 26 novembre 1S96. — Fernand Gregh : Let-
tre.Echo de Paris, 30 août 1896. — Gust. Lanson : Etude. Revue universi-
taire, 15 décembre 1896. — Ch. Maurras : Littérature, Revue encyclopé-
dique, 23 janvier 1897 ; Bévue Littéraire. Revue Encyclopédique, 19 juin 1900,
— Ugo Ojetti : [Etude]. Nuova Anlologia, 16 février 1896. — Georges
Pellissier : Causerie littéraire. Revue Pédagogique, 15 novembre 1900. —
Ed. Rod : A propos de poésies, Gaulois, l*' janvier 1897. — Edmond Sée :
Fernand Greyh. Gil Blas, 9 juin 1904, — Armand Silvestre : Critique
littéraire, Journal, 16 novembre 1896. — F. AVeil : Fernand Gregh. L'Art
et la Vie, décembre 1896.
Iconographie :
Paul Baignëres : Caricature, 1897 (appart. à M. F. Gregh), — Eugène
Baraize : Portrait, peinture à l'huile, 1^596 (appart. à M. F. Gregh). —
Uawkins : Dessin, reprod. dans VŒuvre d'Art International, octobre-
novembre 1904. — iMathilde Journaux • Portrait d'enfance, peinlure,
1880 (appart. à M"' L. Gregh). — Raymond Woog : Portrait, peinture
à l'iiuile, 1905 (appart. à M. F. Gregh), etc.
DIALOGUE
« 0 les enfants ouvrant leurs clairs yeux agrandis.
Que nous lûmes naguère au seuil blanc des années 1
— Viens : les fleurs de l'Avril à jamais sont fanées,
Et les regrets de l'aube ajjçravent les midis.
FEnNAND GIXEGH I 37
— Ail ! laisse-ziioi, ce jour encor, soni^cr en larmes
Devant le lointain IWeu qui lut notre horizon !
Vois les bosquets d'antan et la i)Ianclie innisOD...
— Kntends, entends plutôt, là-bas, ce grand choc d'armes !
Debout, viens ! Le cri d'or des clairons nous convie
Au combat hcroï»jue et fatal de la vie !
Ouand sonne au loin l'espoir, pourquoi nous souvenir V
— Je veux révcr. — F^e rêve est vain. Vois l'aile immense
De la (iloire passer au fond de l'avenir !
\ ieus ! — Uh ! les jours dorés et calmes de l'enfance ! »
{La Maisjn de Cenfance. CalmaDa-Lcvj.)
LE SILENCE DE L'EAU
Le pirand jet d'eau qui sanjçlolait
Nuit et jour, àme inconsolée,
Sous la voûte à demi croulée,
Est mort cette nuit et se tait.
Et le vent fou qui l'insultait.
Et chassait sa gerbe envolée,
Mêle les feuilles de l'allée
A son silence qui chantait...
Mais sa tristesse survit tonte;
Tandis qu'autrefois goutte à goutte
Tressaillait l'écho de la voille,
Maintenant l'eau qui remuait
Semble un lac de pleurs sounls... Écoute :
11 y rOde un sanglot muet.
(La Maison Je L'enfance. CalmaoD>LéTj.)
MENUBT
La tristesse des menuets
Fait chanter mes dcsirs mucls,
i38 POÈTES d'aujourd'hui
Et je pleure
D'entendre frémir cette voix
Qui vient de si loin, d'autrefois,
Et qui pleure.
Chansons frêle du clavecin,
Notes grêles, fuyant essaim
Oui s'efface,
Vous êtes un pastel d'aritan
Qui s'anime, rit un instant,
Et s'efface.
0 chants troublés de pleurs secrets,
Chagrins qui s'içnoreot, les vrais,
Pudeur tendre.
Sanglots que l'on cache au départ,
Et qui n'osent s'avouer, par
Orgueil tendre,
Ah ! comme vous broyez les cœurs
De vos airs charmants et moqueurs
El si tristes !
Menuets à peine entendus.
Sanglots légers, rires tondus,
Baisers tristes !...
{La Maison de l'enfance. Calmann-Lévy.
Mars i8ga.
LE RETOUR
Je te revois. Maison de ma Tristesse ! — O joie I
L'an qui passa, rapide, entre nous deux, Maison,
M'apporta dans son vol, du fond de l'iiorizon.
Des lauriers, et ces fleurs dont la gerbe rougeoie :
Roses du bel Amour dont la bouche éclatante
Rit le rire odorant, humide, du plaisir;
Lauriers tant espérés qui lassaient mon désir.
Et qui semblent eucor plus beaux, après l'attente 1
FEnNANO GnCGB | Sq
J'ai couronne mon front des feaillcs toujours vertes
Dont la cnresso xu'osl plus douce encor cent foiji
<Jiit' le fn'-rni.ssenK'nl des roses sous mes dolents,
Et des boutons, pareils aux t^orgcs découvertes.
Je reviens aujourd'hui, pensif comme natçuère.
lUHeur toujours, penchant mon front m«^me rieur.
Mais le Cd'ur pleiti d'un i^rand solrjl intérieur,
Comme un In-ros (ju'rx.illr un soiivcnir- .li- ••i},>rro
C.'ir, (^ Maison, |MMi(iafit <jii i.i lu durrn.iis rijàc,
J'ai livré la i)ataille au desiiri, j'ai vaincu;
Tout le rêve qui me hantait, je l'ai vécu ;
Je vais dans la lumière et dans rapothéose.
(]ar toutes les fiertés et toutes les ivresses
Ont succi'dé, mon .Ame, à tes maux; tour -i i 'or
J'ai connu tes baisers les plus ft>ui,aieux, Amour,
Et, (iloire ! la douceur de tes i<-raves caresses.
I^s heures de l'ana^oisse et des larmes sont mortes !
Sahil. Maison ! Je suis plein de joie et «l'ort^ueil.
\ ous ipie sur mon ennui, jadis, plus lourd (prun deuil
Je fermais, — je vous rouvre en chantant, vieilles portes I
{La Beauté de vivre. (laluuDD-Lévy.)
PROMl':.NAUK D'AUTOMNE
V
J'ai marché Ionp:uement A travers la campas^ne,
Sous le s«)leil, rêveur (jue son oni' rnpa«^ne
Connue la forme pAle, à terre, de ~ e.
I/étaniç brillait; je suis descendu sur la içrève
])e beaux cvifnes narraient sous les d.rn:ers f s*
Ils trairjaienl derrière eux, calmes, de Main > -
^>ui ridaient en s'élariçissant l'eau solitaii
El semblaient des liens ilaiLTeni avec la terre.
J'ai retcardé U»niçtemps, assis sous les vieux charmes,
Près du pont, me sentant monter aux yeux les larmes
(Jtie fait venir l'aspect de la lK«auté parfaite.
l4o POKTKS D'xUJOURn'HUI
Parfois passait, dnns l'or da bel aiitomn*^ en fête.
Odeur (le la Toussaint funèbre, attristant l'Iieure
Du tendre souvenir lointain des morts qu'on pleure,
Un monotone et doux parfum de chrysanthème.
— Et soudain j'ai sonj^é que je mourrais moi-même...
Et j'ai dit à l'automne, aux longs rayons obliques,
Au vent, au ciel, aux eaux, aux fleurs mélancoliques :
« Je ne vous verrai plus, un jour, beauté du monde !
Tu ne couleras plus en moi, douceur profonde
Qui, tous les soirs, des bois pleins d'ombres colossales
Que le couchant allonge aux prés lointains, t'exhales
Et coules lentement dans ma jeune poitrine !
Un jour, tu ne viendras plus enfler ma narine,
Je ne sentirai plus à mon front ta caresse,
Vent odorant, léger, qui cours avec paresse
Sur les llrurs que le soir n'a pas encor formées;
Et vous, fleurs tristes, fleurs paiement parfumées,
Un jour, vous couvrirez ma tombe, chrysanthèmes I
Mais j'accueille ton nom, ô mort, sans anathèmes
Parmi la vaste paix de ce couchant d'automne ;
Rien, ce soir, dans ma chair ne tremble et ne s'étonne,
Et la grande pensée en moi n'est pas amère ;
Et je m'endormirais comme au bras de ma mère,
S'il fallait m'endormir par ce soir pacifique,
Remerciant la vie étrange et magnifique
D'avoir mêlé ses maux de délices sans nombre.
Souriant au soleil, n'ayant point peur de l'ombre,
Espérant dans la mort d'un espoir invincible :
Car tout ne trompe pas, car il n'est pas possible
Que mes pleurs devant ce beau soir n'aient pas de cause
Et ne répondent pas ailleurs à quehpie chose.
Que celte aiiij)le beauté si douce et si sereiuc
Ne couvre pas un peu de bonté souterraine ;
Et que mon Ame enfin, douloureuse ou joyeuse.
Mais (jui reste j)Our moi toujours mystérieuse,
Ne cache pas, peut-être au plus secret en elle,
Un mystère de plus qui la fasse éternelle ! »
(La Deaulé de virre. Cahnann-Lt'vy.)
FERVANj^ GIXEGU i.\\
DOUTE
Il moiirt sur les [«lus li.Ttil«,s branches
Vu (Innirr rnyon «Ir soiril ;
Le roiirharit srme d'ors étrani^cs
Le fniillaj;<î vert et vermeil.
Au riil j)AIe d'où le soir tonilw,
n.ins l'azur trris roiilrur des t-aiix,
fJiissent comme des éclairs d'omlire
Les ailes vives des oiseaux.
Il sort un profond cl doux charme
De toutes ces choses, sans fin ;
Tout est joyeux, apaise, calme :
C'est la vie, où tout est divin.
Les bruits de la ville lointaine
Par houfTce arrivent vers moi...
I*ounjuoi soudain mon Ame est-elle
Pri>e d'un indicible cmoi ?
Mon Dieu ! comme devant les choses
On est ébloui du <b's(in !
Comme on est pareil h des pauvres
Devant un splendide festin I
Comme cyi t'adore d'un cœur simple.
Comme on te retrouve ici-bas.
Partout, dans la vie amj.le et Siiinle,
Mon Dieu, qui n'es peut-t*tre |>as !
(La Beauté (U vivre. CaimaDo-Lëvy.)
JE VIS...
Je suis entré dans le tojirbillon de la vie...
Je suis InMnblant, haj,'ard. brisé, tendre, nerveux;
Je SUIS piriu de retrreJs, de ilé>irs et de vœux,
De souvenirs, d'espoirs, d'envies...
Ii52 POÈTES d'aujourd'hui
Je ne sais plus ce que je veux ;
Je trébuche aux tournants des chemins poursuivis.
Je me sens incertain, épars, divers, nombreux...
J'içnore sije suis heureux :
Je vis.
J'aime, et je ne sais comment j'aime :
Je frissonne, j'ai peur comme un homme charmé.
J'aime de longs yeux noirs, caressants et soyeux,
Tour à tour {graves au joyeux,
Dont les cils font une ombre, alors qu'ils sont fermés.
Si douce qu'elle semble un regard elle-même;
J'aime une bouche fraîche, une bouche embaumée,
Des cheveux ondoyants, fins comme une fumée,
Des doig-ts légers où rit une petite gemme.
Et je ne cherche pas à savoir comment j'aime,
Comment je suis aimé :
J'aime.
Je veux la g-loire, et je ne sais
Même pas bien sije la veux;
Je pense et j'écris mes pensées
En mots indécis et peureux.
Je sens mes vers là, sous mon front :
J'ignore, s'ils me survivront,
Les dire m'exalte et m'enchante ;
Ma voix ne peut rester muette,
Je ne sais si je suis poète :
Je chante.
Je vis, je vais parmi des choses:
Bonnes, mauvaises, je ne sais,
Car je suis souvent caressé
Par elles, et souvent blessé.
J'aime Décembre et Juin, les cyprès et les roses,
Les grands monts bleus, les humbles coteaux gris,
La rumeur de la mer, la rumeur de Paris..
Bonnes, mauvaises, je ne sais:
Je vis, je vais, j'aime les choses.
kli\.>.»ni> uuk.t>ti 143
Je vais aussi parmi des hommes et (Jes femmes,
Et sous les fronts, dans les retçards,je vois les ûmes
Qui ti^lissent en essaims devant nu*s yeux ravis.
Le monde est connue un vol d'oiseaux d'omhre ou de flamme
Que je verrais passer du haut des monts g^ravis...
Des honmies m'ont fait mal, j'ai vu pleurer des femmes ;
J'aime ces hommes et ces fcuimes :
Je vis.
— Et je mourrai, plus tard, très tard, bientôt, peut-être :
Je ne sais pas.
Je m'en irai peut-être
Dans l'inconnu, la-has, là bas,
Comme un oiseau s'envole, ivre, par la fenêtre 1
Je m'en irai peut»(*tre
Dans l'inconnu mystérieux, là-bas,
Au i^aod soleil de Dicureuaitre I
Je ne sais pas.
Ou bien j'irai dormir et pourrir A jamais
Sous quelques pieds de terre,
Loin (les arbres, du ciel et des yeux que j'aimais.
Dans la nuit délétère. ..
Mais à mon tour j'aurai connu le goût chaud de la vie :
J'aurai miré dans ma prunelle,
Petite minute éblouie,
La ii^rande lumière éternelle ;
Mais j'aurai bonne joie au grand festin sacré J
Que voudrais-je de plus?
J'aurai vécu.
Et je mourrai.
(Lei Clartés hnniainrs. Fasqucile.)
l44 POÈTES d'aujourd'hui
HUMORESQUE
k Jules Laforgue.
Qui dira voire tristesse,
Oue tous ne comprennent pas.
Dominos Noirs et Zampas
Des casinos en détresse,
Quand bal, théâtre et régate
A l'équinoxc ont pris fin.
Et qu' « on est déjà le vingt »,
A Dinard comme à lloulgate !
Les brusques froids de Septembre
Ont pâli le bleu de l'air ;
Le soleil meurt sur la mer.
On fait du feu dans sa chambre;
Seul, sous son kiosque peu sobre,
L'orchestre finit le mois,
Et dans un décor chinois
Bruit jusqu'au premier Octobre.
Le vent fait choir des feuillages
Sur les pupitres moisis ;
I 'alto de ses xiirs Choisis,
Un soir, a perdu deux pages;
Les rafales, par bouffées.
Emportent cuivres et bois
En sonorités parfois
Stridentes, puis étouSées;
Dans l'air tout chargé d'automne^
La musique par instant
Semble faire en s'arrctant
Le silence plus atone ;
FKH.NAIfD GnEGU
i45
Et phrase ample ou caressante.
Air de gloire ou de bonheur,
Tout paraît être en mineur
Dans la lumière baissante.
— O joyeuses ouvertures
Des licruld et des Auberl
0 des autres Meyerbeer
Pompes et fioritures !
Airs sacrés comme des rites.
Si jê/fiis /{oi\ Comte Ory^
0 Chasse du Jeune f/enri,
0 Normas, ô Favorites!
Et loi, vieux Cheval de Bronze,
A t'ouvrir trop entt^të,
'Ju'on rntondil cet été
Au moins dix fois, peut-être onze,
0"i dira sous votre joie
Solennelle ou bon enfant.
Les pleurs secrets où souvent
Votre allégresse se noie ;
Vous qutd'instinct l'on marie
A certains coins de I*aris
Hépertoires favoris
Des ort,'ues de Barbarie,
0 mu5i(jue3 presque feues.
Qui vatfuemeul unissez
Au rei^ret des jours passés
L'a horizon de banlieues,
0 sinc^ulières musiques.
Airs falots tl faliv'ués,
Qu'on s«'ut tristes d'être t^ais
El, d'être eu pleurs, iroui(jucs,
10
l4S POÈTES d'aUJOUIXD'hUI
Où, pleine d'un chagrin terne,
Tendre sans savoir pourquoi,
Pleure en se moquant de soi
Notre pauvre âme moderne !
— Quand la valse de Poète
Et Paysan tait son bruit.
On entend devant la nuit
Sur mer crier la mouette ;
Et lorsque s'est terminée
La romance en mi du cor,
Avec le dernier accord
On dirait que meurt l'année...
— Ah ! qui dira combien germent
De pleurs qu'on ne comprend point
Sons les airs joués au loin,
Dans les casinos qui ferment!
(Les Clartés humaines . Fasquelie.)
AU DIEU INCONNU
Mon Dieu, — quel que soit l'Être ou la Chose que nomme
Ce mot si clair jadis et pour nous obscurci,
Mais qui, dans la ténèbre où nous errons ainsi.
Reste le plus doré sur les lèvres d'un homme, —
Toi que mon cœur d'enfant sage et simple adorait,
Au temps des mains, le soir, jointes pour la prière,
Que mon esprit laissa, dans sa marche, en arrière.
Sans remords puéril et sans lAche regret,
Mais vers qui par instants monte encore mon Ame,
En te sentant suprême et peut-élre pareil.
Comme les fleurs des bois aspirant au soleil
Ou le bas de la tlanime au sommet de la flamme;
rERNANO ORBOH l ^\^
En celte heure de paix et de satiété
Où seul, ardent toujours et triste, et pourtant calme.
Le front nu caressé par l'invisible palme
Qu'est dans la nuit le vent vétçélal de l'été.
Ecoutant s'afTaildir en moi la rumeur brève
Et déjà moins allièrCj hélas î des passions,
Devant l'Ombre où tu veux que nous nous efTacioos,
Je m'arrête un moment sur la route et je rêve;
Dieu de nac^uère, Dieu d'amour et de bonté.
Ou .Matière infinie et (ju'un rvlhrne pénétre,
Ou Prnsée apparue nu sourd miroir de I Etre
Et qui prend son reflet pour la grande Clarté
Substance universelle ou Raison souveraine,
Vaste Inconnu où tient mon sort, qui (pic tu sois.
Force (pii m'auras fiiit naître et mourir, — reçois
Dans riiiimliii* vérité de Cftle heure sereine,
He«;ois en mon esprit, \c plus fervent autel
Où tremble encor ta nammr aus^uste qui dévie,
Au mystère où bieiitiU aboutira ma vie
Le consentement jHjrave et tendre d'un mortel.
(L'Or des MinnlfS. Fas(iiirlle.)
CHARLES GUÉRIN
1873-1907
Charles Guérir», qui est mort le 17 mars 1907, élait né à Luné-
rille (Meurthe-et-Moselle), le 29 décembre 1878, d'une grande famille
d'industriels. Il avait fait ses études à Nancy, et vivait en voyaçeur,
tantôt en France, à Lunéville dans sa famille, ou à Paris avec des
amis, tantôt en Allema£:ne, tantôt en Italie. Après avoir débuté en
1894 et 1895 par des plaquettes et des volumes hors commerce qui
ne faisaient guère prévoir le très intéressant poète que devait révé-
ler en 1898 Le Cœur solitaire, Charles Guérin était vite parvenu à
une assez grande réputation, collaborant à La Revue des Deux Mon-
des en même temps qu'au Mercure de France, apprécié des maîtres
et de la critique comme de ses camarades de lettres. La poésie de
Charles Guérin, qu'on peut apparenter par certains côtés à celle
d'Alfred de Vigny et de Sully-Prudhomme, est une poésie de nuan-
ces, d'analyse, qui fait penser en même temps qu'elle émolionne. Elle
est aussi, par endroits, la poésie d'un artiste et d'un raffiné. L'au-
teur excelle à commencer un poème par des vers pleins de musique
et de rêverie, qu'on ne peut plus oublier :
O mon ami, mon vieil ami, mon seul ami,
Rappelle-loi nos soirs de tristesse parmi
L'ombre tiède et l'odeur des roses du Musée...
Beaucoup des poèmes contenus dans Le Cœur solitaire débutent
sur ce ton. On lira dans notre choix la pièce A Francis Jammes.une
des plus remarquables de la nouvelle poésie, et, à notre sens, le chef-
d'œuvre de Charles Guérin, —une pièce, d'ailleurs, quia fait école et
qu'on necesse d'imiter sans l'égaler. Une faudrait pas toutefois y cher-
cher une image fidèle et complète du sentiment et de l'espritqui ani-
maient le poète dans ses dernières années. Depuis qu'ill'avait écrite,
Charles Guérin avait subi une crise morale, un retour au catholi-
cisme, ce qu'il a appelé quelque part : l'inquiétude de Dieu. La
CHARLES GUKIXIN i J^q
nouvelle /dition du Cœur solitaire, en irjo/J, contenait déjà quelques
exemples de celte transformation, encore accentuée dans Le Semeur
de Cendres. Mais c'est surtout dans les poèmes de son dernier ou-
vrai,'e, L'Homme intérieur, qu'on en trouve les témoii,'na^es les plus
expressifs. Ces poèmes sont souvent froids, sévères, monotones, à
peine éclairés par instants d'un peu de chaleur et de couleur, reste
des anciennes inspirations du poète. Ce n est plus, comme autrefois
le lyn.jue qui vibre et qui chante, l'artiste qui jouit des mots rares
et des sonorités. C'est l'esprit qui réfléchit et qui analyse, c'est
1 homme qui doute et qui s'humilie, cest le croyant qui se détourne
de la vie pour ne plus sonc^er qu'à la mort. Les poêles sont rares à
qui la foi retrouvée donne la nouvelle jeunesse et les accents d'un
\erlame. Chez Charles Guérin, elle semblait plutôt avoir éteint
tous les dons du poète pour ne plus laisser place qu'à l'analyste, et
l'on retire presque celte impression, à lire ses derniers vers, qu'il
n aurait plus, désormais, beaucoup écrit.
En plus du .yercure de France et de la Heime des Deuœ )fondes
cites plus haut, Charles Guérin avait collaboré au Sonnet qu'il
avait fondé à Nancy, à /.a lievue Blanche.k L'Ermitage, à La Revue
de Pans, à L'Image et au Réveil de Gand.
Bibliographie :
Les «uv„r.s. - Fleurs de Neige, poésie,. Nancy. Crépin Leblond, 1893
in-18 (sous le pseudoi.une d lloirrias Rugen). (Réimprinu'- avec LArt par-
jure sous ce titre .So»ne/* et un Poème. Paris, é.l. .h, Mercure .le France
1897. in-16). - L'Art parjure, poésies. Munich. IS'M. i,,-IG. H-miprimô
avec le précédent ouvrage sous cetilro Sonnets et un Poème. Paris Soc du
Mercure de France. 1897. in-16). _ .Foies «rlses, poésies, Paris. Olien-
dortir 189i. m-16. ^ Georges RochMih.ich. Kssai do critique. <! I n
d. [.Nancy. Cr.'pin-Lehlond. 1894]. pr. in-SfloO ex.). - Le Sang des Cré"
piiscules. Prélude musical de Percy Pill. Paris. Soc. du Mercure Je France
18Jo in-8 (350 ex. I^s ex. de lute contiennent hors-lexle une préface dé
Stéphane Mallarmé). _ Sonnets et un Poème. Paris, édit. du Mercure
de France. 1897. in-lf,. _ Le Cœur Solitaire. ,H>ésic5. Paris Soc du
Mercure de France. 1898. in-8 (Héunpr. : Ae Ca-ur Solitaire, édition refon-
due et augmentée de plusieurs poèmes. Paris. Soc. du Mercure de France
1904. in-18). — I/Kros luntM)re. suivi do trois autres poèmes Pans IVtilè
colect.on de lErmiiage. 1900. in-16. - Le Semeur de Cendres. 1 Sî»8.
llMio. poèmes. Pans. Soc. du Mercure de France. 1901, in-ls (lia éléiiré
pour la >or,.'lé des X\ 20ex.de format in-g.signés par Fauteur. )- LHomm«
lntérleur.1901-1905. poèmes. Paris,Soc. du Mercure deFrancel-H.ô.n-iH
On trouve un poème de M. Charles Guénn dans l'ouvrage suivant Same
d,s popnl. de poésie anc. et moderne. Concours de Poésie de l Odéon ifS
avr. 1898), etc. Paris, Soc. du Mercure de Franco. 1897. in-18
Pnf.siKs MISES t-i nusiQOf. _ Cinq sonnets de Cfiarles Guérin.mu» de fiuv
Roparlz. Pans, Impr. C. Rôder, 1D..3, gr. ui-8 ; autres poèmes mis en mus.-
que par M. Poirson.
i5o POÈTES d'aujourd'hui
A coNsci.TER. — Henrj Bordeaux : Les Ecrivains et le» Mœurs. 1897-
1900. Paris, Pion, 1900, in-18. — Remy de Gourmont : Promenades
littéraires, Paris. Soc. du Mercure de France, 1904. in-18. — Emile
Krantz : Un décadent lorrain d JVancy. Paris, Berger-Levrault, 1894, in-8.
— Georfjes Le Cardonnel et Ch. Vellay : La Littérature contempo-
raine, 1905 Opinions des écrivains de ce temps. Paris, Soc. du Mercure de
de France, 19i.6. in-18. — Christian Rimestad : Fransk Poesi i det Nit'
tende Aarhundrede. K']ohenh&vn,Schuhol\\(:s]te, 1905, in-8.
FernandBaldeDDe -.Souvenirs sur Charles Guérin, Mercure de France,
15 mai 1907. — Henry Bordeaux : Eludes littéraires. Charles Guérin.
Correspondant, 10 mai 1907. — René Boylesve : Charles Guérin. Les
Lettres, 15 avril 1907. — H. Chantavolne : Poètes et Poésies. Journal des
D(!-bats, 21 novembre 1895. — François Coppée : Charles Guérin. Gaulois,
1" juilletl9ù7.— Paul Delior : Charles Guérin et la Poésie philosophique.
ilercure de France, l»"^ ■décembre 1907. — Ga8ton Desehamps : Le Coin det
Poètes. Temps, 7 août 1S98 ; Le Coin des Poètes. Temps. 4 mai 1902 ; Charles
Guérin, Temns, 14 avril 1907. — Ernest Gaubert : Charles Guérin. L'Er-
mitage, 15 janvier 1906. — Jean de Gourmont : Charles Guérin. Vers et
prose, mars-raai 19ii7. — Fernand Gregh : Charles Guérin. Gaulois,
10 avril 1907. — Francis Jamines : Charles Guérin, Mercure de France,
1" avril 1907. — Emile Krantz : Charles Guérin. L'Homme et l'Œuvre.
Souvenirs, avec 2 portr. Le Pays lorrain, Nancy, 20 mai 1907. — Pierre
Quiiiard : Francis Jamtnes et Charles Guérin. Mercure de France, juillet
1901. — S. : Un jeune poète. Journa.1 des Débats, 11 juillet 1898; Au Jour le
Jour. M. Charles Guérin. Ibid., 1" janvier 1906. — Fernand Séverin :
Charles Guérin. Le Samedi, Bruxelles, 30 mars 1907. — André Theuriet :
Voyage au pays des poètes. Journal, 15 juillet 1898.
Iconographie :
Jean Veber : Lilhoijraphie, dans L'Ermitage de juin 1898. (Voir à titre
purement documentaire deux portr. photographiques reprod. dans Le Pays
Lorrain, Nancy, 20 mai 1907).
JE VOUDRAIS ÊTRE UN HOMME...
Je voudrais être un homme ; or rien dans mes poèmes
Ne repond au sanglot de la détresse humaine.
Aux heures de paresse on s'arrête à ce Hvtc
Conmie on entre dans une auberge somptueuse
Pour y coûter un peu de paix voluptueuse
Au rythme des chansons et des belles musiques.
Les al'lli|^és s'en vont se consoler ailleurs,
La femme reste indifFérente et les railleurs
Gardent le pli crispé de leur sourire amer.
Ou dit : — Ce sont des mots, des mots, de simples mots,
CIIAnLKS OLERIN
l5l
C'est un enfant qui crie avant d'avoir souffert,
Peut-être un baladin qui mime les sanglots...
Oue vient-il nous parler de l'amour, celui-là.
Avec sa flùle et ses sonnets à falbalas?
Oh ! ce marbre serein des petites douleurs
Que sa piété soit^neusc enguirlande de fleurs ! —
Hélas! c'est vrai. Messieurs et Mesdames, c'est vrai !
Donnez-moi le çénie âpre (ju'il me faudrait
Pour labourer profondément vos cœurs secrets.
II«'las! oui, je voudrais vous oflrir en écho
Le livre où chaque amant revivrait ses baisers,
Et piiiscjue au fond tout est des mots, rien que des mots,
Savoir au moins les mots divins qui font pleurer.
ILe Cfrur Solitaire.)
A FRANCIS JAMMES
0 Jammes, ta maison ressemble à ton visaïje.
Une barbe de lierre y grimpe, un pin l'ondjrage,
Eternellement jeune et dru comme ton cœur
Malirré le vent et les hivers et la doideur.
Le mur bas de ta cour est doré par la mousse,
La maison n'a qu'un humble étajçe, l'herbe pousse
Dans le jardin autour du puits et du laurier.
Quand j'entendis, comme un oiseau mourant, crier
Ta «grille, un tiède émoi me fit défaillir l'Ame.
Je m'en venais vers toi depuis loncftemps, ô Jammes,
r.t je t'ai trouvé tel que je t'avais rêvé.
1 li vu tes chiens joueurs lant^uir sur le pavé,
Lt. sous ton chapeau blanc et noir comme une pic,
Tes yeux francs me sourire avec mélancolie.
I fenêtre pensive ouvre sur l'horizon ;
\ "ici tes pipes, ta vitrine «pii reflète
1 •••uupaiçne parmi les livres des poètes.
Ami, puisqu'ils sont nés, les livres vieilliront.
Où nous avons pleuré d'autres hommes riront :
Mais que nul de nous deux, malgré Tî^ge, n'oublie
lb2 POÈTES d'aUJOURD HUI
Le jour où fortement dos mains se sont unies.
Jour éî^al en douceur à l'arrière-saison ;
Nous écoutions chanter les mésanges des haies,
Les cloches bourdonnaient, les voilures passaient...
Ce fut un triste et long dimanche des Rameaux :
Toi, brisé sur l'amour comme un roseau sur l'eau
Oui tremble et sous le flot secrètement sanglote.
Moi, frémissant, avide à mourir du départ
Sur la mer où tournoient les barques sans pilotes.
Nous écoutions tinter les sonnailles des chars.
Pareillement émus de diverses pensées.
Et le ciel gris pesait sur nos âmes blessées.
Reviendrai-je dormir dans ta chambre d'enfant,
Reviendrai-je, les cils caressés par le vent,
Attendre la première étoile sous l'auvent,
Et respirer dans ton coffret en bois de rose.
Parmi l'amas jauni des vieilles lettres closes,
L'amour qui seul survit dans la cendre des choses ?
Jammes, quand on se penche à ta fenêtre, on voit
Des villas et des champs, l'horizon et les neiges;
En mai tu lis des vers dehors, à demi-voix.
L'azur du ciel remplit les chéneaux de ton toit..:
Demeure harmonieuse, ami, vous reverrai-je?
Demain, hélas ! Mieux vaut penser au temps d'hier.
Une âme sans patrie habite dans ma chair.
Ce soir, un des plus lourds des soirs où j'ai souffert,
Tandis que, de leur gloire éparse sur la mer.
Les rayons du soleil couchant doraient la grève.
Les cheveux lavés d'air et d'écume, j'allais.
Roulé comme un caillou par la force du rêve,
La terrible rumeur des vagues m'appelait,
Voix des pays brûlés, des volcans et des îles.
Et, le cœur plein de toi, j'ai marqué d'un galet
Veiné comme un bras pur et blanc couniie du lait
Le jour où je passai ton seuil, fils de \'irgile,
{Le Cœur solitaire.)
COARLCS GUÉniN | 53
LE SOIR LKGKR...
Le soir léc^pr avec sa brume claire et bleue
Meurt comme un mot d'amour aux lèvres de Télé,
(^ommc riiumide et chaud sourire heureux des veuves
Oui r«'vent dans leur chair d'anciennes voluptés.
La ville, paciH(|ue et lointaine, s'est tue;
Dans le jardin pensif où le silence éclot
(Jhantent encor, discrètement, des fraîcheurs d'eau
OuVpnrpille, all'aihli, le vent tièdf et norfurne :
Des juj)es font un bruit de feuilles sur le sable.
Les truèpes sur le mur bourdonnent à voix basse,
Des roses (jue les doii^Ms soni,'eurs ont elTeuillées
Répandent leur énamourante âme de miel ;
Une aube étran^^e et pAle erre aux conHns du ciel
Et nïèle en un profond charme immatériel
De la lumière en fuite à de lombre éloilée.
Que me font les soleils à venir, que me font
L'amour et l'or et la jeunesse et le 4çénie !...
Laissez-moi m'endormir d'un doux sommeil, d'un long
Sonmieil, avec des mains de femme sur mon front :
Ah ! fennez la fenêtre ouverte sur la vie !
(Le Cœur solitaire.)
ENTRERAI-JE, CE SOIR, SEIGNEUR, DANS TA MAISON.
Entrerai-je, ce soir, Seisrneur, dans ta maison,
Sans craindre que ma chair, vouée aux œuvres viles,
Apporte le relent de luxure des villes
A la candeur des jupes d'ombre en oraison ?
Je songe à d'autres jupes d'ombre qui sont douces
Pour endormir l'effroi des poètes malades,
A des doi$rts alourdis d'anneaux aux pierres troubles,
'Troubles comme des yeux menteurs, comme mon Ame.
10.
i54 poèxES d'aujourd'hui
Entrerai-je, ce soir, Seigneur, dans ta maison,
Si mon haleine tord l'humble flamme des cierges,
Si ma prière même inquiète les vierges.
Eau claire où s'élargit la chute d'un poison ?
Je songe à des toisons souples de courtisanes ,
Où les désespérés enfouissent leur sons^e,
Bonnes toisons qui font la nuit sur les visages,
Lourdes comme l'amour, sourdes comme des tombes.
Que votre main soit rude et juste et me châtie,
Seigneur, seigneur, moi qui voudrais tant vous aimer!
Laissez, lasse de cris, ma bouche se fermer,
Pour la rouvrir vous-même ensuite avec l'Hostie.
Je songe aux nuits de joie ivres et douloureuses
Où ma soif, accoudée à des tables mauvaises.
Se versait les boissons de flamme dont s'abreuvent
Ceux que serre à la gorge un ancien sacrilège.
Je viens vers vous, du fond de mon iniquité.
Je viens vers vous. Seigneur, à qui les enfants parlent,
De tout mon bon vouloir et de toutes mes larmes,
Etre triste avec vous, moi qui vous attristai.
L'immémorial faix de péchés, le fardeau
De luxure et d'orgueil creuse mes reins qui saignent.
Aux margelles des puits nulle samaritaine
N'a tendu vers ma soif ses paumes pleines d'eau.
Oubliez que je fus des serviteurs indignes ;
Et dans l'ombre que font les collines, le soir.
Celui qui cherche l'âlre et la pierre où s'asseoir
Sentira qu'un pardon se couche sur les vignes,
La nuit tombe et m'arrête où dort votre maison ;
Les ramiers se sont tus, mais les fontaines chantent,
Fraîcheur obscure, en palpitant pour que j'y trempe
^les mains, l'aridité de ma bouche et mop fropt,
CBARLES GL'ÉniN l55
L'eau froide et pure emportera vers les ténèbres
Le souvenir fiévreux d'un passé de caresses,
La mémoire des voix, des rry^ards et des prestes,
Et le souffle de feu qui brûle encore mes lèvres.
Faites, Seigneur, miséricorde à ma faiblesse,
A celte toute faiblesse des pauvres Ames
Qui n'ont pleuré que pour la chair tiède des femmes.
Que je soulï're, Seigneur, des ronces qui vous blessent,
Que la croupe des boucs crispés sur le portail
Serve d'éternel lieu d'exil à mes péchés,
Et que la palme offerte aux cœurs purifiés
Exalte en moi l'azur des vierges du vitrail.
Je serai digne alors de gravir, humble et pâle.
Le seuil de gloire où les rois mêmes parlent bas,
Et mon cœur et mes pieds nus ne sentiront pas
Le froid de la divine espérance et des dalles.
... Cette prière, hélas! n'est-ce pas seulement
Le glas que sur soi-même agite une âme simple
A qui les yeux naïfs de ses ciiairrins tl'enfant
Ont souri tristement du plus loin de leurs limbes?
N'est-ce pas le glas lourd du vain rêve que font
Dans leurs soirs douloureux les vieilles fois qui meurent :
Enlrerai-je, nocturne et 1ns, dans la maison
Où le Maître de vie ineffable demeure ?
{Le Cœur solitaire.)
NUIT D'OMBRE, NUIT TRAGIQUE...
Nuit d'ombre, nuit tragique, ô nuit désespérée !
J'étouffe dans la chambre où mon âme est murée,
Où je marche, depuis des heures, âprement,
Sans j)i)uv(iir assourdir ni trt»mper mon tourment,
Et j'ouvre au clair de lune immense la fenêtre.
i56 POÈTES d'aujourd'hui
Là-bas, et ne laissant que son faîte paraître,
Comme une symphonie où court un dessin pur
La montaçne voilée ondule sur l'azur,
Et lie à l'orient les étoiles entre elles.
De légers souffles d'air m'éventent de leurs ailes.
Une rumeur qui gronde au revers d'un coteau
Dénonce la présence invisible de l'eau.
Baissant pour mieux rêver les paupières, j'écoute
Les sombres chiens de garde aboyer sur la route
Où résonnent les pas d'un marcheur attardé.
Alors, sur le granit dur et froid accoudé.
Douloureux jusqu'au vif de l'être et solitaire,
Je maudis la nuit bleue où le ciel et la terre
Sont comme un jeune couple à se parler tout bas;
Et voyant que la vie, à qui n'importe pas
Un cœur infiniment désert de ce qu'il aime,
S'absorbe dans sa joie et s'adore soi-même.
Je résigne l'orgueil par où je restais fort,
Et j'appelle en pleurant et l'amour et la mort.
« C'est donc toi, mon désir, ma vierge, ô bien-aimée 1
Faible comme une lampe à demi consumée
Et contenant ton sein gonflé de volupté,
Tu viens enfin remplir ta place à mon côté.
Tu laisses défaillir ton front sur mon épaule,
Tu cèdes sous ma main comme un rameau de saule,
Ton silence m'enivre et tes yeux sont si beaux,
Si tendres, que mon cœur se répand en sanglots.
Toi vers qui je criais du fond de ma détresse.
Sœur, fiancée, amie, ange, épouse, maîtresse,
C'est toi-même, c'est toi qui songes dans mes bras 1
Te voici pour toujours mienne, tu dormiras
Mêlée à moi, fondue en moi, pensive, heureuse,
Et prodigue sans fin de ton àme amoureuse I
O Dieu juste, soyez béni par cet enfant
Qui voit et contre lui tient son rêve vivant !
Mais toi, parle, ou plutôt, sois muette, demeure
CHARLES GUERIN I 5?
JuM|u'à ce qu'infidèle au ciel plus pâle, meure
Au levant la dernière étoile de la nuit.
Déjà l'eau du matin pèse à IherlK; qui luit,
Et niodrianl d'un doiî^t mai^ique toutes choses,
L'aul)e vide en riant son tablier de roses.
L'enclume sonne au loin l'ans^elus du travail.
lOcoiite passer, cloche à cloche, le Ix'tail
l'A raufjuemenJ muçir la trompe qui le guide !
La vallée a des tons démeraude liquide,
Ll, dans le bourg «jui brille au milieu des prés verts.
Les fenêtres qu'on ouvre échangent des éclairs.
La fraîcheur de la vie entre par la croisée;
Je laspire, j'en bois sur tes cils la rosée,
Kt mêlée à la trrAce hejiretise du dé'cor,
Mon inmiorlclle amour, tu ni'es plus chère encor.
Nous tremblons, enivrés du vin de notre joie.
Et, dans le long délice où notre chair se noie.
Songeant que, pour bénir nos noces, le Destin
A revêtu la chape ardente du matin
Et qu'il emprunte au ciel son ostensoir de flanimes.
Et voici qu'unissant leurs rêves, nos deux âmes,
A travers la rumeur grandissante du jour,
Fleurent dans l'infini silence de l'amour. »
L amour ?.. Lève les yeux, mon pauvre enfant, regarde !
Le val est toujours bleu de lune, le jour tarde,
La rivière murmure au loin avec le vent.
Et te voilii plus seul encor qu'auparavant.
La bieri-aimée au front pensif n'est pas venue.
Le sein que tu pressais n est qu'une pierre nue,
1^1 voix qui ravissait tes sens n'est que l'écho
Du bruit des peupliers tremblants au bord de l'eau ;
Hélas ! la volupté de celle heure attendrie
Fut le jeu d'un désir expert en trom{)erie.
Va, ferme la croisée, et quitte ton espoir.
Mesure en t'y penchant ton morne foyer noir :
N'est-ce pas toi cet Atre éteint où deux (".himèrcs
Brillent d un vain éclat sur les cendres amères t
i58 POÈTES d'aujourd'hui
Et, puisque tout est faux, puisque même ton art
Aux rides de ton cœur s'écaille comme un fard,
Cherche contre l'assaut de ta peine insensée
L'asile sûr où l'homme échappe à sa pensée :
Ouvre ton lit désert comme un sépulcre, et dors
Du sommeil des vaincus et du sommeil des morts.
(Le Semeur de Cendres.)
MAITRESSE, TENDRE ET NOBI.E AMIE...
Maîtresse, tendre et noble amie au pur visage
Qu'un SLvère destin me ravit sans retour,
Si quelque triste et doux hasard t'apporte un jour
Ce livre d'un enfant prématurément sage
Où je pleure le temps, hélas ! de notre amour,
Où, fidèle et pieux souci, dans chaque page
J'évoque à mes yeux seuls ton invisible image,
L'ayant lu, ferme-le pour toujours. Dis-toi bien
Que tu ne viendras plus, confiante et paisible,
Bercer pour l'endormir ton cœur contre le mien
Ni, comme un lierre noue et serre son lien,
M'étreindre de ton corps frémissant et flexible,
Ni dans une langueur de rose qui se rompt
Sourire, suspendue à ma bouche et lassée,
Ni longuement poser tes lèvres sur mon front
Pour y souffler ton âme et boire ma pensée.
Recueille-toi, regarde en arrière, revois
Les jours évanouis comme une troupe ailée;
Revois le lac au pied des monts, les prés, les bois,
Et ma vie à ta vie étroitement mêlée;
Notre chambre d'amour sur la mer et les soirs
Où la fenêtre ouverte au milieu des murs noirs
Découpait dans l'azur une baie étoilée.
Embrasse d'un coup d'œil d'adieu notre bonheur,
Tout ce passé d'hier qu'il nous fut doux de vivre ;
Et puis, dans ton nouveau foyer, brûle mon livre,
Et m'écartant, malgré toi-même, de ton cœur,
CRAixT.F.s r.u^nm i59
Rejetant le linceul sur la volupté morte,
Détourne ton espoir de la (erre : Sois forte.
Va, le destin te marque un austère devoir;
N'y manque pas : Voici la roule. Je demeure
Seul au sonmiel désert du coteau jusqu'au soir,
Attendant que ta forme au loin dans l'ombre meure.
Va, tu seras heureuse et fière, tu vivras
Gravement dans la paix de ton Ame affermie.
Kl maintenant, loi qui dormais entre mes bras,
(Jue la tjrûce de Dieu te garde, mon amie !
{Le Semeur de Cendres.)
ON TROUVE DANS MES ANCIENS VERS...
On trouve dans mes anciens vers
Une veine de poésie.
Tout ins^énue avec des airs
De ruisseau bleu qui balbutie.
Je lui laissais hors de mon cœur
Suivre sa pente naturelle ;
Elle n'avait (jue sa fraîcheur
Et sa uégli{^euce pour elle.
J'étais libre alors du souci
D'alleindre à la forme parfaite :
Pourquoi ne suis-je pas ainsi
Resté naïvement poète ?
{L'Honxme intérieur.)
AH f CE BRUIT AFFREUX DE LA VIE...
Ah 1 ce bruit affreux de la vie !
Et que dormir serait meilleur
Dans la terre où le caillou crie
Sous la bêche du fossoyeur I
Le soleil a ifnite ma haine ;
i6o POÈTES d'aujourd'hui
Je. suis rassasié de voir
Sa lumière quotidienne
Se rire de mon désespoir.
Ah! pouvoir donc enfin m'étcndre
Dans le seul lit où l'on soit seul,
Et dans l'ombre attentive entendre
Les vers découdre mon linceul !
Et, quand en moi l'être qui pense
Sera dissous lui-même, alors,
Au cœur de l'éternel silence
N'être qu'un mort entre les morts 1
{L'Homme intérieur.)
L'AMBRE, LE SEIGLE MUR...
L'ambre, le seigle mûr, le miel plein de lumière
Dont le gâteau ressemble aux grottes de Fingal,
Comparés aux cheveux dont mon amie est fière
N'offrent pas un éclat égal.
Que mon amie heureuse auprès de moi s'endorme,
Je ne puis me lasser de voir dans son sommeil
Ses cheveux répandus faire à sa blanche forme
Un large berceau de soleil.
Quand au creux de son bras plié devant sa joue,
Elle a patiemment peigné leur écheveau,
Elle renverse un peu la tète et les secoue
Gomme des torches sur sa peau.
Son buste nu frissonne en sentant leur caresse :
Elle est à son miroir, debout; ils sont si longs
Que leur dernière boucle expire avec mollesse
Sur les roses de ses talons.
(L' Homme intérieur.)
CHAnU^S GUÉRIN l6l
BIEN QUE MORT A L\ FOI..
Bien que mort k la foi qui m'assurail de Dieu,
Jr n'yrrtlp toujours la voliipl»* d«' croire,
Va Cl' (lissciitiiin'ut (iciale en plus d'un lieu
Dans mon livre conlradicloire.
Ayant pour mon malheur le choix de deux chemins
.Ma vie entre chacun piétine, halancéc;
J'h«'sitc à prendre un hut, quel «pi'il soit, tant je crains
!)♦• me dccouvrir ma pensée.
.Mais, dussé-je partir sans savoir où j'irai,
Il faut (pie jr m'cnfoncf enfin dans une route :
Je suis las de souffrir tièlre ainsi déchiré
l'ar l«*s violences du Doute.
S'il ni'arrive d'errer j)oiir un temps hors des murs
De la communauté calholitpie et romaine.
Je n*emp«*clierai pas qu'au sein des doiçmes sûrs
Cn heureux détour nie ramène ;
Car, héritier d'un sanj^ «léjà vieux de chrétiens.
C'est encor lui <jui parle en moi lors«jue je pense,
Et l'amour qui m'unit sur celte terre aux miens
.Me fait aimer leur esjK'rance.
La douleur qui m'incline à de mauvais sentiers
N'usera pas l'instinct profond de tout mon <}tre :
Je veux, quand le moment viendra, mourir aux pieds
l)u crucifix qui m'a vu naître.
{L'Homme inlérieur.)
A.-FERDINAND HEROLD
1865
M. André-Ferdinand Herold, qui est le petit-fils da célèbre musi-
cien de Zampa et du Fré-aux-Clercs, et le fils de l'ancien préfet de
la Seine, est né à Paris le 24 février i8G5. Elève de l'école des Hau-
tes Etudes, il a toujours cultivé avec une égale passion la science
des manuscrits, les langues orientales et la littérature tant livres
que dramatique. Ces goûts réunis et exercés parallèlement font
de lui tout à la fois un érudit, un savant et un porte. M. A. -Ferdi-
nand Herold débuta par L'Exil de Ilarini, un drame inspiré du
sanscrit. Il donna ensuite, tout en poursuivant ses travaux savants,
plusieurs recueils de poèmes : La Légende de Sainte Liherata, Les
Pœans et les Thrènes, Chevaleries sentimentales. Le Victorieux^
Intermède pastoral. Au hasard des Chemins, etc., où il s'est mon-
tré l'évocateur adroit et délicat dont M. Remyde Gourmonta écrit:
et C'est un poète de douceur ; sa poésie est blonde, avec, dans ses
« blonds cheve**": de vierge, des perles, et, au cou et aux doigts,
« des colliers et des bagues, élégantes et fines gemmes... Liseur de
« livres oubliés il trouve là de précieuses légendes qu'il transpose
« en courts poèmes, souvent de la longueur d'un sonnet... M. Herold
« est l'un des plus objectifs parmi les poètes nouveaux : il ne se ra-
« conte guère lui-même; il lui faut des thèmes étrangers à sa vie, et
«il en choisit même qui semblent étrangers à ses croyances...
c M. Herold s'est créé pour son plaisir et pour le nôtre une poésie
« de grâce et de pureté, de tendresse et de douceur.» [Le Livre des
Masques.)
Comme conteur et romancier, M. A. -Ferdinand Herold a pu-
blié Les Contes du Vampire et L'Abbar/e de Sainte-Aphrodise, et
comme auteur dramatique fait représenter sur ditférenles scènes de
nombreuses œuvres, productions originales ou traductions, dont on
trouvera ci-après lénumération complète.
M. A. -Ferdinand Herold, qui a fait à l'Ecole des Hautes-Etudes
sociales, pendant l'exercice 1906-1907, un cours sur l'/Iisloire delà
Poésie symboliste, avec récitations de poèmes, a collaboré à de
A,-fEfiOmAHD UXROLD lG3
nombreiiiei reruef . Voici les titres de% principalcf : Lês Chroni-
gaei (1888), La Grande Fiei'Uf. de Parti et de Sain! " " /
(i8>^8-i889) Lft Entretiens //'liti'/urs et littéraires (1 ,1
Wallonie jiSSQ-iHya), Le Hevetl <Gind, iSij.V etc.). Le Loq Houge
(BruxcIlM, i8(»S-i897), La Revue de Pari» (i8<j5), Le Livre d'Art
(iRfj.'v, La Société Nouvelle (Bruxelles, 1806). Le Centaure ( 1 >< / .
L'Ermitage, Mercure de France oii, i " -ni d'âri
contes et pot-meH. lia rc(li;îtMlc iK'jGn i<,' <- dramni
— La Itevtie Blanche, Hcvue d'Art dramatique (itifjf)., /,* Mouve-
ment socialiste (i8«)f»), La Vogue (nouvelle stne, 1900), La Plume,
L'Europérn, dont il a t'ié n'dacteur en chef de 1901 à k»o3, el
l'un des directeurs de 190/1 à 190O. On trouva •■L'iI»Tr.enl de ses
poèmes dans L'Alnianach des Pactes ;Soc. du Mercure de France,
1896. 1897, J89S).
Bibliographie :
I,«» r»i VI. E«. — I.Txil de Ilnrlnl. I1o^me tlramaliqu* «i pro«* et en t*t».
Psri», |).iloti. HHS. in « — I^'i l.«'-qrnil«* «If» >.nJnl^ I-lliemla. p<W>m««.
Parit, (>liam<rot, ' - lliinipr. : /.<i l.ibtrata, myt-
lère. S* M. roiTu - M. du V.'-rr ■ , iu-ig, pt dans
le rorueil : lmayt$ ten<lft» rt rm lan^. Sx-, ilu Morrurr d«
Franrr. 18^7, in-18.) — I.oii l*(P.iii l'Iirènes. | o«mc«. l'An*, 1^-
mirrr. l^'Oi inl8. — I^ Joie (ii* .Ma(|u<'loniie, ini-ti-io l'an». I.ibr. d«
l'Art lii.l pciiil.int, 1891, iii-lG (Itrimpr il*jn |o rfrunl : Imaijtê ttndrr» et
merveillfUM'M i'ari», Sor. de Mercure de i-'ran>'r, 1897. in- 8). — Cheva-
leries senllni«'i>l.il<«« pocmc*. Frontupice de OJilon Itedon. l'aria,
Libr. de I Art li . 1893, in- 10. — L'Upnnltihad du Grand
Arnnynkn inl.. i ah«. Libr. de l'Art liidA|.oii.Uiit. 189*. in '
Florlaiio el P»*rsliinnl, pointe dramali<|ue. Paria, Libr. de l'Art Io<!
daul, 1894, iiitO I lt<iii)|.itnit^ liant l« rerueil : Imaiita tenHn-i ri »
te». Paria, Soc. du iL-mirp de France. 1897, in-18 . — Le Vi
po^nic din:ii.»li'|uc,in-lfl. l'aris.I.ibr. del'Art Ind'
le rerui il : l'iiaifft tendres et tnerveiliruirs, f[ 1
de l» \alsK;in»'o, do In Vie cl île la \lorl M»» la llhMilnuri use
Vlergt* M.irlc. l'an», Mil. du Mernirr di« Fr.»n.-i' t*-''! pr m-l - I. An-
neau Ht* <,'^-ikiinlal.i. eoniMir '
Bur 1.» n*' iK" lin « I (KiiTr«« », lip
Fraïuo. I>»'.>r., in-16. i\ •■ .ittiu tit ' ti <.,,... ',1.^. «ic . mu. i
de I'. il«* r.riWille. l'ai - \n * — |*.i|»hn<ititi« --
de Hrot'<vitlia (tratiuci dr* l'a
1807\ r.iriH. .<o<-. du '. — Intel '
ral. 0..1II1. ;,. r.uis. ..i , , - Les Prrafs. in..-
die il I -livlf lr.l.lil.ll..ll I. i ; .!-• \.1M. : I... X- »
acèur «!<• rOd«on, b nnvomtire Isvot. J . i ,
tendres et merveilleuses [La J' ...
Floriane et Pertigant, La Ltyrniir Ji Sainte-LittrrQtu. Lt \ .
Pan», Soc. du Mercure de France, lh07. iu-18. — La Cloche euu"-"'"*
conte dramatique d« G. llauptinsnn (traduction rtprés«st4« sur la acèoe de
, g/^ POÈTES D àUJûUHD HUI
« rCEuvre », 5 mars 1897). Paris, Soc. du Mercure de France, 1897, in-18. —
Sâvitrl, comédie litTOïque (représenlée sur la scène des Escboliers, 13 avril
1899) l'aris, Sor. du Mercure de France, 1899, in-18. — Au hasard des
Cliemins, pot-sics. Paris, Soc. du Mercure de France, 1900. in-18. — L'ne
Jeune k'inme bien flar<lée, comédie eu un acle (représentée sur la scène
du « Grand Guii-'nol » le 28 mai 1900). l'aris, Soc. du Mercure de Frauce, 19Ù0,
ip.jg Proinéthée, lraj:édie lyrique en trois actes, en vers (en collahora-
lion avec Jean Lorrain), musique de M. Gabriel Fauré, représentée pour la pre
mière fois à Béziers, sur le Théâtre des Arènes, le 27 août 1900. Paris, Soc. du
Mercure de France, 19u0, iu-18. — Le« Contes du Vampire. F'ari':. So^ du
Mercure de France, 1902, in-18. — L'Abbaye de Sainte-Aphrodl<ie,
roman. Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, petit in-18. — Le Cor
fleuri, féerie Ivrique en un acte [poème d'Ephraim Mikhael et A. -Ferdinand
Herold], musique de Fernand Halphen, représentée sur la scène du Théâtre
de rOpéra-Comiquc, le 10 mai 1904. Paris, Soc. nouv. d'éd. music. [Dupont],
1904, in-18. — Le» Hérétiques, opéra en trois actes, musique de Charles
Levadé, représenté pour la première fois à Béziers, sur le théâtre des Arènes,
le 27 août 1905. Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, in-18. — Electre,
tragédie en trois épisodes, un prologue et un épilogue, trad. d'Euripide et re-
présentée pour la prem. fois sur le Théâtre nat. de l'Odéon le 13 février 1908.
Paris. Stock, 1908, in-18.
On trouve en outre des poèmes de M. A. -F. Herold dans l'Almanach de
poètes, années 1896, 1897 et 1898). Paris, édit. du Mercure de France, 1895,
1896 et 1898, 3 vol. in-16), etc.
PûtJiRS MIS EN MUSIQUE. — Des poèmes de M. A. -F. Herold ont été mis en
musique par MM. Bcrlhclin, Joseph Carrel, Crèvecœur (de). M"' Getty, etc.
A CONSULTER. — Hemy de Gourmont : Ze Livre des Masques. Paris,
Soc. du Mercure de France, 1896, in 18; A.-F. Herold, notice dans les Por-
traits du prochain Siècle. Paris, Girard, 1894, in-18. — Georfles Le Car-
dODuel et Ch. Vellay : La Littérature contemporaine, 1905. Opinions
des écrivains de ce temps. Paris, Soc. du Mercure de France. 1906, in-18.
Aie. Bonneaii : Article bibliographi(|ue. Revue Encyclopédique. 15 octo-
bre 1891. — Kmile Oespax : A. -Ferdinand Heruld. Clironii|ue des Livres,
janvier 1901. — Pierre Louy» : Le Victorieux, Mercure de France, juin 189j.
— Stuart Merrill : Chroniques. Ermitage, août 1893. — Pierre Qull-
lard : Chevaleries sentimentales . Mercure de France, mai 1893. — Henri
de Régnier : A.-F. Herold. Mercure de France, mars 1894.
Iconographie :
Richard Miller : Portrait, peinture à l'huile, 1906 (appart. au poète).
— l»aul llanson : Portrait au crayon, 1893 (appart. à M. -A. -F. Herold). —
F. Vallotton : Masque, dans Le Livre des Masques, de K. de Gourmont.
Paris, Soc. du Mercure de France, 1896, ip-18
VOICI LA DANSE DES FEUILLES...
Voici la danse des feuilles dans les allées ,
Elle emporte l'espoir fleuri des mais Douveaux
A.-FLHr.is *vn UCAOLO iC/
Et des rythmes de mort descendent les vallées.
Le vent nutomn.il balance les (grands pavots
gui penchent tn\lrnicnt ^o^^^uri| de leurs corolles ;
I/hivrr attelle ses mystérieux chevaux,
Jinp.'issihirs ri froids ainsi (jiie drs idoN-s,
Le poilniil hérissé de neit^e rt de irLir^ns,
Ils passeront avec de blanches aurcoirs.
Ils entraînent, loin de la joie et des chansons,
Vers les palais où pleurent les anciennes içloircs
Parmi le souvenir drs défuntes moissons.
Ils entraînent, vers 1rs içrottes mornes et noires.
Où s'alariifuisscnt 1rs rosrs et les lilas
Fleurs maii(rrs d(.nt lennui «lérolore les moires.
Monotone, Ir vrnt sonne toujours le ulas
Des matins lumineux et drs nuits étoilées,
El fait tournoyer, 8ans jamais eu tUre las,
La danse des feuilles mortes dans les allées.
(Chevaleries tentimentaU».)
MAKOZIE
Sur la terrasse ombreuse où sa chair extasie
El queniçuirlai.dent les viiçnes aux blonds raisins.
Parmi les cardinaux et 1rs ducs, ses cousins,
Sièiçe, demi-nue et rieuse, Marozie.
Drvaut son t^^ne danse une trou|Hî choisie
Drs esclaves tillrs drs .niirs varra/ins.
Et drs portes lui murmurent des dizains
Dont le rythme bcrceur charme sa fantaisie.
Lnilr rude, jamais aucun oiseau de soir
N«' frôlr son fnuit juvrnile d'un vol noip,
El jamais le nu-pris d'un amant ne l'cutièvre.
i66 POÈTES d'aujourd'hui
Le Pape viderait pour elle des trésors,
Et clercs et rois mourraient, des chansons à la lèvre,
Pour un regard ami de ses yeux semés d'ors.
{Chevaleries sentimentales.
SUR LA TERRE IL TOMBE..
Sur la terre il tombe de la neige,
Sur la terre il tombe de l'ombre.
Où sont allées les feuilles sèches ?
ISIême les feuilles sèches sont mortes,
Et maintenant de la neige et de l'ombre tombent.
On dirait de mauvais anges qui heurtent
Les marteaux rouilles contre les portes.
Des anges qui nous tuent de souffrances très lentes.
Et, à l'horizon, les tristes nues, traînantes...
Les maisons sont closes comme des tombes sombres,
Et, partout, c'est de la neige et de l'ombre qui tombent.
(Chevaleries sentimentales.)
BERTILLA
Aux marges neuves d'un bel évangéliaire,
L'Abbesse peint des colombes et des griffons ;
Elle peint des rameaux d'olivier et de lierre
Ou des anges volants parmi des ciels profonds.
Là, Jésus dort en un berceau de paille fraîche,
Et voici les trois Rois Mages et les Bergers
Que l'Etoile guida vers la divine crèche
Avec les vases d'or et les fruits des vergers.
La sai^e Abbesse peint de douces rêveries.
Le Précurseur, grave et maigre, et vêtu de peau>
A.-rEl|i>INAND ULnOLD I G7
Va le Seigneur qui dans les mystiques prairie»
Veille sur les brebis de sod chaste troupeau.
Va la tête de Christ saiiruant au mur se baisse
Pour mieux voir et sourit à la savante Abbesse.
{Cherali'i i'^s ienlimen laies.)
LE VAL HARMONIEUX
C'est un val odorant de lauriers, où la lune
Fait traîner et mourir sa caresse d'argent,
Tandis .ju'au ciel, çai d'un crépuscule chan'4(\nnt,
Les sidérales fleurs s'entrouvrent une à une.
Là sourd et s'at^randit, parmi l'herbe opporlime,
l'nc fontaine dont la Naïaile, na^'^ant,
Ilit et, charmeuse, endort d'un murnuire indulj^ent
La Satyresse blonde et la Dryade brune.
I^t voici que, joyeux du beau soir, un beriçep
Dont la fltlte soiqtire un air frêle et léîçer
A quitté le penchant parfumé des collines,
Auprès de l'onde, il a frémi d'un doux frisson
Lt, les yeux éblouis des dormeuses divines
Il s'arrête, oublieux de finir sa chanson.
[Intermède pastoral.)
m
LE FF\01D
Nulle flûte, et njènie (pii sanirlote, n cvt ille
L'clIki dans le jardin, le bois ou le veri^er ;
Et l'hiver, dur au Satyre comme au berger,
A séché la prairie et défeuillé la treille.
Le froid, noir meurtrier de l'aurore vermeille,
Le froid qui vente et crie est venu saccair«'r
Les fleurs, les blondes fleurs à l'arôme h'i^er
Dont Koré la joyeuse emplissait sa corbeille.
I
l68 POÈTES d'aujourd'hui
Par les chemins personne, et, seul au carrefour,
Un Hermès pluvieux qui pleure nuit et jour.
Semble grelotter dans le marbre de sa gaine.
Et, soupir où meurent les chansons et les voix,
Un long gémissement s'alanguit et se traîne
Du jardin au verger et du verger au bois.
(Intermède pastoral.)
LA FLUTE AMÈRE DE L'AUTOMNE...
La flûte amère de l'automne
Pleure dans le soir anxieux.
Et les arbres mouillés frissonnent
Tandis que sanglotent les cieux.
Les fleurs meurent d'une mort lente.
Les oiseaux ont fui vers des prés
Où peut-être un autre avril chante
Son hymne joyeux et pourpré.
Et vous passez, triste et frileuse,
0 mon âme, par les allées.
Vous cherchez, pâle voyageuse,
Les chansons, hélas ! envolées.
Ah, les chansons qui nous charmaient
Ne reviendront pas dans l'automne.
Verrai-je rire désormais
Vos yeux que les larmes étonnent?
(Au Hasard des chemins.)
TRIPTYQUE
I
LA CATHÉDRALE
Sur le rocher hautain la cathédrale dort
Elle dort lourdement, bcte surnaturelle,
A. -FERDINAND HEHOLD 2 69
Elle veilla prndant des siècles, et conlre elle
Des troupes de héros brisèrent leur eflort.
Silence. L'air lucide est chaud. Le vent du nord
Se tait. Seul, parfois, vibre un vol de saulcrelle.
L'église dort. Pas un souffle qui la querelle.
Est-ce encore la vie ? est-ce déjà la mort ?
Et voici que dans la lumière un frisson passe :
Une voi.\ monte, lente, et sombre, et comme lasse ,
Un long bourdonnement sourd à travers le mur.
Et. par les fentes qui lézardent l'or des pierres,
S'écliaj)pent vers le ciel d'un impassible azur
Les murmures de l'orgue et des vaines prières.
II
USINE
Au pied de la montaijne blanche et qui reluit
S'alii;^n<M)t de longs murs sans lumière et sans joie :
On dirait qu'une mort âpre et lente tournoie
Sur les bâtiments pleins de travail et de bruit.
Là, dans le jour dolent, dans l'inquiète nuit,
Fauves aveiiirlcs qu'on écarte de la proie,
Liuiis ahàlardis qu'on traîne à la courroie,
Peinent les douloureux que l'espérance fuit.
Hommes, courbez-vous sur la tâche opiniâtre.
Arrachez du vieux mont le calcaire et le plâtre,
Sortez la chaux des fours, ensachez le ciment 1
Et, sur l'usine furibonde et meurtrière,
Il semble (jue parfois un sourd î^émissement
Se mêle aux tourbillons de flamme et de poussière.
11
jmQ POÈTES d'aujourd'hui
III
LA VILLE
Tout fait silence dans la ville épiscopale.
Les cloches d'autrefois se taisent aux clochers ;
Des prêtres, confesseurs d'ennuis et de péchés,
Passent, furtifs, et comme ayant peur du scandale.
Les pieds meurtris du cuir rugueux de la sandale,
Rigides sous la bure où les corps sont cachés,
Des orantes, les mains et le front desséchés
S'agenouillent dans les chapelles, sur la dalle.
Une cloche a tinté là-bas, dans un faubourg.
Une autre lui répond. Le bruit s'éveille et court
De clocher en clocher parmi toute la ville.
Et l'austère ferveur des cantiques pieux
Monte, morne soupir, vers le ciel immobile.
Cimetière éternel où reposent les Dieux.
{Au Hasard des chemins.
GÉRARD D'HOUVILLE
M°>« Marie de ïleredia. fille puînée de l'auteur des Trophées, qui
a tpouse en i8.,G le poète Henri de IVirnier, et qui siçne, en liti,>ra-
rafur.» (ùrard d'Houville, est n.'e à Paris, avenue de Bretcnil. Elle
eslphilôlconnuc du public comme romancier [L'Incnnstanlf, Esclave
et Le Temps d'aimer) et par les articles qu'elle publie r.-£;ulicrement
dans Le Gaulois, et les vers qu'on va lire, en attendant que soit paru
le recueil de poèmes qu'elle prépare, seront une rév.'lation pour bien
des lecteurs. Ces poèmes ont paru dans la Reime des Deux-Mondes
(i" fevr. 1894; i5 févr., i5 juin i8cj5; i5 d,'c. 1896; i«' févr.
18,39; ly ài-c. 1900; i5janv. 1902; i5 janv. 1903 ; i"janv. 1900;
10 mai 1907). dans La Renaissance latine, dans un numéro de Noël
du lYew-Yorlc Herald, sans autre sitrnature, souvent, que trois X
mystérieux. M"* G-rard d'Houville montre au plus haut de-ré.
dans ses livres, ce talent, si rare ch«z les femmes de lettres, dé
rester une femme en écrivant. C'est à elle que M. .Maurice Barres
s'adressait dans son discours de réception à l'Académie française
(17 janvier 1907) quand il terminait en ces termes : « José-Mana de
• Heredia nous laisse un chef-d'œuvre immortel, et toute une famille
• d'artistes, où, sous les traits d'une jeune vivante, chacun croil voir
« la Poésie. «
I
I Bibliographie
l'Inconstante, roman. Paris, CalmanQ-Léry, 1903, in-lS. — Escluve
roman. Pans, C^almann-Uvy, 1905, in-18. - Le Temps d'aJmer, roman.'
Pans, Caimann-Lévy, 1908, in-18.
Kn i-hÉPAKATiox. — Un recueil de potlrnc»
A coNscLTER. - LéoD Blum : £*» lisaïu. rrpexioiis criii'iurs. Paris
Soc. d éditions littéraires et artistiques. 1906, in-18. — George» Caiellà
et Ernest Gaubert : La Xnuvelle littérature 1N0-..1905. l'ans, .<ansol
1906, m- 18. - J. Ernesl-Cliarle» : Les Samedis littéraires. 2» série Paris'
Perriu. 1904, in-18. - Gilbert de Voisins : Sentiment* (Vov. : C ne prin-
cesse de ht très), Paris, .'Mjc. du Morcurc d.- France, 19<i5. in-ls!
Georges Casella : .1/-" G.r„rd d//ouv,Ue portraits. Kerue Illu^tr^c
15 juin 1905. - Gastou Deschaïups : La Vie littéraire. Le Temps»'
jm2 POETES D AUJOURD HUI
19 avril 1903. — Jean de Gourmont : Les Nietzschéennes. Mercure de
France, juillet 1903. — Charles Maurras : Le Romantisme féminin.
Minerva, 15 avnl-lo mai 1903. — A.-M. Sorel : [Sur Gérard d'Houville.]
Gaulois, 23 avril 1903.
Iconographie :
Jules Breton : Portrait d'enfant (appart. à Gérard d'Houville).
LES EAUX DOUCES DU SONGE
Aux Eaux Douces d'Asie, eu un vert paysage
D'arbres et d'eau,
J'ai deviné souvent plus d'un tendre visage
Sous le réseau
Des voiles transparents qui recouvrent la joue
Et les cheveux,
Mais laissent voir le rêve éternel qui se joue
Au tond des yeux.
Dans vos caïques peints, mystérieuses ombres,
J'aimais vous voir.
Sous les arbres plus frais, et sur les flots plus sombres.
Glisser le soir,
A l'heure où quelquefois le jour mourant prolonge
Son bel adieu,
Peut-être au fil de l'eau, peut-être au fil d'un songe
Funèbre ou bleu.
0 cbers jours disparus! du fond de ma mémoire
A votre tour
Venez! dans notre barque irréellement noire,
0 charmants jours !
Vous, dont j'ai vu jadis la grâce tout entière.
Moments divins
Qui ne me montrez plus qu'une forme étrangère.
Des gestes vains ;
GERARD d'hOUVILLB 1"]^
Aux eaux douces du son^c où longuement s'attarde
Notre lans^ueur,
Fantômes incertains, lorsque je vous regarde
Avec douleur,
Ecartez les linceuls qui me cachent votre âme
Sous tant de plis ;
Car le temps, vieux tisseur, a mêlé dans leur trame
Beaucoup d'oublis.
Souvenirs ! souvenirs ! arrachez tous ces voiles
Longes et nombreux.
Ou ne me montrez plus, décevantes étoiles,
Vos tristes yeux !
Mais, sur l'onde où déjà le charme de cette heure
Est effacé,
La rame qu'on relève, et qui s'égoutte, pleure
L'instant passé.
CONSOLATION
Ne vous plaii^nez pas trop d'avoir un c<piir très sombre.
Vos yeux seront plus beaux (junnd vous aurez pleuré.
Il naîtra de vos pleurs, il va croître à votre ombre
Ouelque lys inconnu qu'on n'a pas respiré.
Ne vous plaic^nez pas trop d'avoir été crédule
Et d'avoir cru sans fin ce qui ne vit qu'un jour.
Car vous comprendrez mieux le t^rave crépuscule
(Jui saigne comme un cœur qu'a déchiré l'amour.
Ne vous plaignez pas trop de la douleur divine;
Ceux-là qui sont heureux n'ont pas bi^n écouté
Le battement sacré dont s'entle leur poitrine;
Ceux-là (jui sont heureux, ils n'ont pas existé!
Ne vous plaiî^nez pas trop de cette amère étude.
Vous conlen)plerez mieux ce qui passe et se perd...
11.
1^4 POÈTES d'aujourd'hui
Et vous saurez enfin, sœur de la solitude,
Goûter le soir qui meuvt dans un jardin désert
LE REGRET
Quand je refermerai mes grands yeux dans la mort,
Vous pleurerai-je, hélas ! amèrement, ô viel
Et vous, âçe du rire et de la fantaisie !
Et vous, ô bel amour, doux, joyeux, sombre ou fort!
Et vous, naïf orgueil de mon jeune visage.
Et vous, souple fraîcheur de mes bras ronds et nus,
Et vous, lointains pays, charmes ressouvenus
Du départ, du retour, et du changeant voyage 1
Certes, de tout cela le multiple regret
Tournoiera tout au fond de ma mémoire lasse,
Long cortège masqaé qui passe et qui s'efface,
Mirage, oubli, bonheur, tristesse, ombre, reflet...
Mais non, ce n'est pas vous, grâce de ma jeunesse.
Ni vous, ô liberté, rêve de mon cœur fier.
Que je verrai s'enfuir dans un sanglot amer,
Mais vous, mais vous I ô chère et divine tendresse !
Alors qu'il me faudra pour jamais oublier,
C'est vous, c'est vous ! douceur des choses coutumières.
Vous qui resplendirez de suprême lumière.
Vous, mes humbles objets au charme familier!
Ce sera février, égrenant les grains d'ambre
De son beau mimosa duveteux et doré;
Ce seront les glaïeuls de l'automne adoré
Et l'enivrante odeur des roses de novembre;
Ou bien mars, mauve et rose et tout glacé, qui sent
La violette bleue et la jacinthe lisse,
La maison qui s'emplit d'un pnrfuni de narcisse.
Plaisir renouvelé d'avril, frêle et naissant;
GÉRARD d'hOUVILLB 1^5
Les pivoines de juin tout en nacre et en soie,
Gerhe claire mirée en un miroir obscur;
Un bouquet découpant son ombre sur le mur,
L'odeur des premiers feux qui semblent feux de joie;
Le goût et la saveur succulente d'un fruit.
Le rayon de soli'il (jui me dore la joue,
Et l'heure paresseuse où le rêve se joue,
Et le petit croissant de lune dans la nuit !
Le beau rythme secret de deux strophes égales,
Ce qui pour d'autres cœurs est inutile et vain,
Le f^rand calme de l'ombre et le sommeil divin,
Les jeux des papillons et le vol des ci«>-ales ;
Les torrides midis de juilIetétoiifTant,
La voix fraîche des eaux sous la verte ramure.
Et vous, chère langueur, tristesse douce et pure,
Et vous ! et vous ! et vous ! rires de mon enfant I
STANCES AUX DAMES CRÉOLES
Lorsqu'il fait chaud, et que je suis songeuse et seule,
Je pense à vous,
Vous dont je ne sais rien, je rêve, ô mes aïeules,
K A vos yeux doux.
Grand'mères mortes, et jadis des ingénues
Aux bras si frais.
Jeunes et tendres, et queje n'ai pas connues
Même en portraits,
Qui vivaient autrefois, toutes petites Hlles
Aux longs cheveux
Dans une sucrerie, en un coin des Antilles
Voluptueux.
La chaleur trop ardente entr'ouvrait les batistes
Sur leur sein blanc,
1^6 POÈTES d'aujourd'hui
Elles se balançaient, paresseuses et tristes,
En s'éventant.
Leurs yeux se reposaient de la lumière vive
Joyeux de voir
Le visage lippu d'une esclave furlive
Luisant et noir.
Les bons nègres rieurs dansaient des nuits entières
Leurs bamboulas,
Ou bien chantaient des chants parmi les cafeyères.
Câlins et las.
Protégeant votre teint, pâle sous la mantille,
Et délicat.
Vous savouriez dans les vergers la grenadille
Et Tavocat.
Eq rêve sous les transparentes moustiquaires
Vous revoyiez
Le vieil aïeul voguant vers l'or des îles claires
Sur SCS voiliers.
Les papillons étaient plus grands que votre bouche.
Et que les fleurs
Qu'illuminait le vol du rapide oiseau-mouche
Tout en lueurs.
La nuit se parfumait d'astres et de corolles.
Et, peu à peu,
Vous regardiez s'ouvrir au ciel, belles créoles !
Des fleurs de feu.
Ah ! songiez-vous alors, nocturnes et vivantes,
Qu'un temps viendrait
Où rien de vos beautés aux grâces indolentes
Ne resterait ?
De tout ce qui fut vous, nulle petite trace
N'a subsisté,
GÉH^nn u HOUVILLB I77
Pas même un pnuvre toit sous lequel votre race
Ait habité.
Tout est mort, ruiné, dispersé ; les allées
N'existent plus
Qui rnenairnt aux maisons, en marbre frais dallées
Pour les piods nus.
Par la ç^randr liane et les forôts sauvages
Tout ("<t repris !
Et les flots licdes (jui mirrrent vos visages
Se sont taris.
Pas mrnic im livre usé que j'aime et je manie
N«r fut à vous;
l'A l'île où vous jouiez à Paul et X'iri^inie
Sous les bambous,
Si je pouvais la voir splendide et ditb rente
Kn aurun lieu
Je ne retrouverais votre mémoire errante
Dans l'air trop bleu.
Sous quel otd)li profond, lointain et solitaire
Cùl votre eo'ur,
(ie cœur «pii m'a Icj^ué sa flamme héréditaire,
Et sa lauijueur ;
< t' r<rur ipii verse en moi (piel<jues gouttes roupies
D'un sansf vermeil,
i.l (pli m'aurait transmis toutes vos nostali;ies
Loin dti soleil,
Si je n'fNOpiais pas les beautés éternelles
D'un ciel brûlant,
Du fond maçique et noir de tes lari;es prunelles,
O mon enfiiiit .'
,.$ POÈTES d'aujourd'hui
LUNE SUR LA MER
Au fond du crépuscule vert
Le croissant de la lune a l'air
D'un coquillage,
Et nacré, courbe, lisse et clair
Polit les conques de la mer
A son ima^e.
A quelle oreille dans la nuit,
Lune triste ! se plaint et luit
Mystérieuse,
Votre voix pareille à ce bruit
Houleux qui s'enile, et qui remplit
La conque creuse?
Divine lune, ta rumeur
Voudra-t-elle bercer mon cœur
Oui se lamente ?
Verse à mon rêve ta lueur
Ainsi qu'à la nocturne fleur
L'arbre et la plante !
Le pin léger, noir et vibrant.
Garde encor ton étrange chant
Sous son écorce ;
Harmonieux, sombre et mouvant,
Ton murmure il le livre au vent,
Olune torse!
Je garderai dans mes cheveux
Ta verte rumeur si tu veux,
Toi qui pour plages
A le ciel rose ou ténébreux,
Comme les grèves sont les cieux
Des coquillages.
Et comme la plante du pin
Imite le soupir marin
GLRVRD D HOL VILLE I JQ
D'une spirale,
Mes vers répétrront sans fin
Ton écho paisible et serein,
0 lune pâle !
OFFRANDE FL'NÊRAIRE
Viens. Le soir assonibrit le fleuve aux calmes eaux
Et la bersçe est humide où nous cueillons encore.
Au Biumiure plus frais du vent dans les roseaux,
Les fleurs du crépuscule après les fleurs d'aurore.
Tes pas comme les miens sont jspraves au retour
Et le cœur est plus faible alors que la nuit tombe.
Notre joie a cueilli toutes les fleurs du jour ;
Nous les déposerons sur la prochaine tombe.
Ces fleurs qui nous lassaient de leur poids parfumé
Couvriront le tombeau des mortes, nos so'urs tristes.
Le narcisse mourant pour s'être trop aimé.
Les iris violets comme les améthystes.
Les nénuphars couleur de l'aube, les lys d'eaa,
La jacinthe irisée ainsi que les opales,
Les fleurs qui nous chargeaient d'un odorant fardeau
Couvriront le tombeau des mortes, nos sœurs pâles.
Près de la tombe en fleur courbant nos jeunes fronts.
Restons pieusement dans l'herbe agenouillées ;
Nous qui vivons, pensons au jour où nous serons
Sous un tertre inconnu des mortes oubliées.
Effleurant d'un pied d'ombre un v;aznn ténébreux,
Nous rejoindrons l'essaim des ànies fuû^itives
Et nos mains cueilleront, loin de ces bords heureux,
Les iris noirs éclos aux slyçiennes rives.
LE JAHDIN DE LA MIT
Si l'aile inévitable el sombre doit s'étendre
l8o POÈTES d'aUJOURd'hJI
Sur les grands yeux si doux et sur ton jeune front,
Si l'horreur de la mort hante ton âme tendre,
Viens : les fleurs ont des voix qui te consoleront !
Sœurs des belles de nuit, tu sauras les entendre.
Belles de ta beauté, pâles de tes pâleurs.
Les roses des rosiers éclos au clair de lune
Dont la blanche corolle est faite de lueurs,
Mystérieusement effeuillant une à une
Au nocturne jardin leurs lumineuses fleurs;
Et les fleurs de jasmin, de lys et d'ancolie
Et celles que la nuit seule voit s'entr'ouvrir.
Ont rinefl'able attrait de ta bouche pâlie,
Le charme douloureux de ce qui doit mourir
Ainsi que ta jeunesse et ta mélancolie.
Ton cœur triste est rempli par l'horreur du trépas.
Son vol irrésistible en frémissant t'effleure ;
Son souffle effacera la trace de tes pas.
Ta vie est le prestige et le parfum d'une heure,
Et les fleurs qui t'aimaient ne te survivront pas !
Mais de l'instant suprême épuisant les délices,
Eloi^-ne l'inutile et ténébreux eS"roi :
Penche ton pâle front vers les pâles calices
Et respire, dans l'ombre exhalé jusqu'à toi,
L'arôme Iraternel des fleurs consolatrices.
FRANCIS JAMMES
18G8
I
M. Francis Jammes est né à Tournay (fIaules-Pyrcnces\ le a dé-
cembre 18G8. Son s^rand-père ( plernerélait docteur en mé'dcrinc à
La Guadeloupe, où il mourut après avoir été ruiné par les Irtml-Ie-
mcnts de terre de La Poinle-à-Piire. Il s'appelait Jean-Baplisie
Jammes. Sa vie, nous a dit son petit-fils, fut grave, tourmentée, ar-
dente eî triste. Le père de M. Francis Jammes naquit à La Pointe à-
Pftrc, et fut envoyé de bonne heure en France, à Orlhez, chez des
Unies, pour faire son éducation. Entré ensuite dans l'adminislralion,
il séjourna à Tournay, puis fut nommé receveur de l'Enregistrement
i Bordeaux. Mort dans cette ville, il fut enterré à Orthez, où
M. Francis Jammes vint alors habiter avec sa mère, et qu'il na pas
quitté depuis. Ces détails de famille, ces fi-ures et ces pavsa-es de
son enfance, et jusqu'à lenfnnt qu'il a été lui-même, le pocte les a
évoqués dans bien des pages de son œuvre, avec ce ton et cflte rêve-
rie qui n'appartiennent qu'à lui. M. Francis Jammes fit ses étude.s
d abord au collcçe de Pau. puis au collège de Bordeaux. Il fut
ensuite, pendant (juclque temps, clerc dans une étude de notaire d'Or-
thez. Bien ne saurait rendre, pour ceux qui l'ignorent, l'atmosphère
morose et vieillotte du lieu qu'est une élude, encore plus en pro-
vince, et seul M. Francis Jammes pourrait nous donner un tableau
de ces salles étroites, historiées d'affiches poussiéreuses, où il a ainsi
passé, dans sa jeunesse, quelques heures un peu gris.-s. Il écrivait,
•lors ses premiers vers, qu'il réunissait eu de petits cahiers non mis
dans le commerce, et ne portant d'autre litre que celui-ci: Vers,
Us n'allèrent pas sans causer assez d'étonnement. ces premiers vers,
et l'on en trouve un témoignage dans celte nolice bibliographique
publiée dans le Mercure de France de décembre i8<j3, à propos d'une
nouvello plaquette du poète :
• Celte mince plaquette se présente avec des allures mystérieuses
1 bien paruculicres. U oom de l'auteur est incoimu. Esls:e un pscu-
12
îSa POÈTES d'aujourd'hui
« doayme? Et il semble que rortho^raphe n'en est pas très rigou-
« reuse : James serait plus exact. Le livre est dédié à Hubert Crac-
« kanlhorpe et à Charles Lacoste,
« A toi, Crackanthorpe, déjà célèbre en ton pays, et qui as senti
« passer en toi le souffle de l'amour et de la justice humains (sic).
« A toi, Lacoste, qui resteras peut-être dans l'ombre, simple et
« beau comme ce rosier que tu as peint au fond du vieux jardin
« triste. »)
« M. Hubert Crackanlhorpe existe. C'est un jeune écrivain anglais
« qui a publié un volume de contes, très remarquable, paraît-il, un
« peu dans le goût de Maupassant, et intitulé Wreckage; le second
fcdédicataire m"est inconnu.
« Autres allures mystérieuses ; ce petit livre, aux apparences
anglaises, est imprimé à Orthez, dans les Basses-Pvrénées. Et les
« quelques mots écrits à la main sur l'exemplaire que j'ai sous les
« yeux sont d'une graphologie de petite écolière maladroite. »
Aujourd'hui, M. Francis Jammes a conquis sa place. Il a des
admirateurs, un public. On écrit sur lui d« copieuses études, où l'on
retrouve ingénument transcrit en prose le langage de ses poèmes.
Enfin, de jeunes poètes l'imitent, ce qui e«t le signe lo plus évident
d'un talent bien reconnu. Personne, d'ailiewrs, en poésie, n'a parlé de
certaines choses de façon aussi touchante, aussi pénétrante, que
M. Francis Jammes. Il a rafraîchi de siraoïicité la poésie française,
disions-nous dans notre première notice- Le grand mérite de son
œuvre, en effet, c'est l'absence de toute déclamation, l'absence de
ces sonorités verbales, de cette emphase et de ces complications
de style qui font tout le talent de tant d'autres poètes. Quand
M. Francis Jammes évoque un paysage, «ous le voyons, nous en
respirons l'atmosphère, et, pourtant, il n'« souvent écrit, pour nous
le montrer, que deux ou trois vers. Il en «tt de même pour les sen-
timents qu'il nous confie : ses amours, s* charité pour les pauvres,
sa pitié pour les bêtes blessées ou rudoyées, son affection pour les
choses avec lesquelles il a vécu, sa foi en Dieu. Nous comprenons,
nous éprouvons, nous partageons les premiers, nous sentons pro-
fondément vraie la dernière. C'est que »icn ne vaut, même dans
l'art d'écrire, la simplicité et la sincérité, «t que M. Francis Jammes
est, par excellence, le poète simple et sioccre.
La préface mise par M. Francis Jammes à son premier livre de
vers : De l'Angélus de l'Aube à l' Angélus du Soir, est, au reste,
significative de l'esprit dans lequel il a écrit toute son œuvre. Voici
celle préface :
u Mon Dieu, vous m'avez appelé parmi Tes hommes. Me voici. Je
c souffre et j'aime. J'ai parlé avec la voix que vous m'avez donnée.
« J'ai écrit avec les mots que vous avez eascigacs à ma mère et à
rKAf«r:rS JAMMES
i83
. mon père qui me leg ont transmis. Je passe sur la route rom.ne
. un âne charge dont r.enl les enfants et qui bai.se la lête. Je m'en
« irai ou vous voudrez, quand vous roudrez.
« L'anL,'elus sonne. ■
Les pièces <,u'on va lire offriront, nous lesp/rons, un aspect sufH
sant de la sens.b.i.te s. particulière de .M. Francis iammes et ren
se.çnerontul.lement sur l'œuvre poétique qu'il a produite ju^qu'Ic;
J.ur A la l.re. cette œuvre, dont la sinc^^nté touche parfoL à î.
naïvce, et qu. est pleine de notations si directes qu'on en peut et !
choqu.. on respire un sentiment dimmense humilit' devant U nature
et de fo. 'nj^enue en Dieu. De tels vers semblent bien avoir été TZ
comme 1 a dit M. Francis Jammes, dans une petite chambre anciennl'
par des soirs de septembre lent et pur. devant un horizon d. m". I
nos et de campagnes, en compagnie du silence et de son seul ^œu^
Ku plus des romans dont mention est faite à l'indication des œu
rres, on doit a .M. Francis Jammes : des Xotes sur des oZselsar
^/y.r Mercure de France oc.obre ,8,0; - Cn n.an.fesU tUrZ
de M Francis Jamrnes : le Jarnnus,ne, Mercure de^'rance. mâr.
.807; - Consedsa un jeune Poêle, Mercure de France, août .",0
- des pages sur Jean-Jacques Rousseau et J/m. de Wnr.n,
CHarn.eUes et a CHam,.ry, Mercure de Franc'e' dectnitr^^ -
et des pages sur Charles Guérin, au lendemain de sa mort Mercure
<ies Poètes (.807 et .808). à LErn^UaT:. ^TtaL' . X//
k Bibliographie :
Dumosn. . 1803, petit in-8. - Vers. plaWilc. Par.s-OI C^ /oitlr
- Un Jour, poème d.aIo.u.. l'ar.. ,:.,a. du M.-rcure ^.vZt \^ ^ 6
- I-H ^aU8auce du \umo. poème. Hr.uoll. * k,| .i,, . rT * "'■'®
.U.12. - Del-Anoe.us d« . Aube à lAnaHus < ù So,î' 7^ii:^
poi*i..8. Fans. ïkk-. du Mercure de France "h .„ ig \u.l, !^^'
res. Orlhez, Imprimerie K. Ka,.l. juillet Is .s' i. '. .l"* I V"^'""*" ''l^^'
nue poème. Pans. FVtUe coII..l.o., de V^.j:^^\^ ^,0 "î- '"*
dEléheuseou 1 histoire d uao ancienne c .ne IMêV" '
du M,rcurede France, lsi.9. petit m-I8. - Le I»oè e ."1 i n
fan,. Petite collection de rtrm.laKe 1899 iu^lG iVn .'?" '" "^''•
véres^^n^es t89«-i9oo. iEi^Tz!::^,!':^:';:^;^::]'^^: .
•tau. Poésies duerset. Quatorze priVrfi Pari, W 1 \i . ^ ^'*
1901. ia-18. (Il a été Uré pour i. ZZZ]^^ '^'^,'' ^IT'"' f' ^"""^«.
u. portcat 1. ,i,....ur. d^Tlauteur, -/.liaJdVu ÊtrlmoLT" i^/ui^T
l84 POÈTES D*AUJOLhD*IlL*î
toire d'une jeune fille passionnée, roman. Paris, Soc. du Mercure de
France, 1901, petit in-18. — Le Triomphe de la Vie, poèmes, 1900-1901.
{Jean de Noarrieu. Existences) Paris, Soc. du Mercure de France, 1902,
in. 18. — Le Roman du Lièvre. {Clara d'Ellébeuse. Almaïde d'Etre-
mont. Les Choses. Contes. Notes sur des Oasis. Sur J -J . Rousseau) Paris,
Soc. du Mercure de France, 1903, in-18. — Pomme d'Anis ou 1 histoire
d'une jeune lille infirme, roman. Paris, Soc. du Mercure de France,
1904, petit in-18. — [Cahier de vers], vingt-cinq petits poèmes, publiés
sans titre, sans date, sans indication de lieu et sans nom d'éditeur, à quelques
exemplaires sur papier de Hollande. Orthez, Imprimerie E. Faget, [igOS"],
in-8 de 14 ff. non paginés; couverture grise portant en tète, et à droite, le
nom de l'auteur. (Ce môme nom se trouve reporté au recto du premier feuil-
let.) — Pensée des Jardins, prose et vers. Paris, Soc. du Mercure de
France, 1006, petit in-18. — L'Eglise habillée de feuilles, poésies. Paris,
Soc. du Mercure de France, 1900, in-12. — Clairières dans le Ciel, 1-902-
iOOG {En Dieu. Tristesses. Le Poète et sa femme. Poésies diverses. L'Eijlise
habillée de feuilles), poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1906, in-18.
Poèmes mesurés. Paris. Soc. du Mercure de France, 1908, plaq. in-18.
(Tirage à petit nombre et hors commerce.)
PnÉFACES. — Léon Bocquet : Albert Samaîn. Paris, Soc. du Mercure de
France, 1905, in-18 — Colette Willy : Sept Dialogues de Bêtes. Paris,
Soc. du Mercure de France, 1905, in-18.
Poésies mises en musique. — Des poésies de M. Francis Jammes ont été mises
en musique par MM. Raymond Bonheur, Henry Février, Gaston Schindler,
Souza-Mciral ; M"« Blanche Sel va, etc.
A CONSULTER. — André Beaunler : La Poésie nouvelle. Paris, Soc. du
Mercure de France, 1902, in-18. — Henry Bordeaux : Les Ecrivains et
les Mœurs, notes, essais et figurines (1897-1000). Paris, Pion, 1900, in-18.
— Thomas Braun : Des poètes simples : Francis Jammes. Bruxelles,
féd. de la Libre Esthétique, 1900, in-lG.— 11. de Gourmout : Le II' Licre
des Masques. Paris, Soc. du Mercure de France, 1898, in-18. — Georges
Le Cardonnel et Ch. Vellay : La Littérature contemporaine, 1905. Opi-
nion des Ecrivains de ce temps . Paris, Soc. du Mercure de France, 1906,
in-18. — Christ Rimestad : Frank Poesi, etc. Kjobenhavn, Schubolheske,
1905, in-8. — V. Tliompson : French Portraits (Bcing appréciations of
Ihe wrilers of Young France). Boston, Richard G. Badgcr et G», 19U0, in-8,
— Frédéric "Wedraore : On Dooks and arts, London. Iloddcr and Stoug.
hlon, 1809, in-8.
André Beaunier : Une sorte de Franciscain. Journal des Débals, 29 avril
19Ù3. — Ilenrj' Bordeaux : Poètes. MM. Ch. Guérin et F. Jammes. Revue
hcblomadaire, 12 octobre 1901. — François Coppée : Quelques poètes.
Journal, 7 octobre 1897. — Gaston Deschamps : Jeunes Conteurs. Temps,
15 octobre 1899; Le Coin des Poètes. Temps, 28 janvier 1900. — Jean de
Gourmont : Litterati contemporanei. F. Jammes, avec 2 illustr. Emporium
(Bor;.'ame), janvier 1905 (publié en français dans Vers et Prose, mars-mai 1900);
— Marius-Ary Leblond : Francis Jatnmcs. Mercure de France, mai 19u3.
— André Le Breton : L'Œuvre de M. Francis Jammes. Revue de Paris,
15 mai 1907. — Jeun Lorrain : Joies de Paris. Nos Poètes. Journal,
10 ftoût 1901. — eu. Maurras ; Bévue littéraire. Revue Encyclopédique,
U juill«l 1698 i /iaue liUiraire, Ucvue Cu;j<:loi)ûJiqae, 28 ocIo1)k 1S9Q ^ ,
FnANCI^ JAMMES |Sj
Edmond Pilon : Francis Jammp». Mercure de Franco, l" juillet 1907 —
Emile Pouvillon : Ecrivains et artiste, du Midi. F. Jammes. U D.'.Kcho,
Tou).u.r. 4 août 1901.- Pierre QulWnrd. Francis Jammes et Charles
Guérm, Mf-rcure de France, juillet iy,.i. _ m. Schwob : Etude, Journal
des Artistes. 16 juin 1895. - Arthur Symons : Etude. Saturdar RcTiew
(Londres), 15 octobre 1898.
Iconographie :
F. Vallollon : .Vasgue,dins Le II» litre des Afasgues, de R.de Courmont.
Pans .Soc du Mc-rcure ^e France, 1898. - Jean Vebcr : Portrait, litho-
graphie, d&nsL Ermitage, noTerobre 1898
C'EST AUJOURD'HUI...
8 juillet i8()4
Dimanche, Sainte- Virginie,
LE CALUXOHIER.
C'est aujourd'hui la fête de V'irî^inie.
Tu étais nue sous ta robe de mousseline.
Tu niani^cais de gros fruits au goût de Mozambique
et la mer salée couvrait les crabes creu.x et cris.
Ta chair était pareille à celle des cocos.
Les marchands te portaient des pannes cotileur d'air
et des mouchoirs de tête à carreaux jaune-clair.
Labourdonnais signait des papiers d'amiraux.
Tu es morte et tu vis, ô ma petite amie,
amie de Bernardin, ce vieux sculpteur de cannes,
et tu mourus en robe blanche, une médaille
à ton cou pur, dans la Passe de l'Agonie.
(De CAngelas de l'Aube à l'Angelut du Soir.)
J'AIME DANS LES TE.MPS...
J'aime dans les temps Clara d'Kllcbeusc,
l'écolière des anciens pensionnats,
qui allait, les soirs chauds, sous les tilleuls
lire les magasines d'autrefois.
i86 POÈTES d'aujourd'hui
Je n'aime qu'elle, et je sens sur mon cœur
la lumière bleue de sa gorge blanche.
Où est-elle ? où était donc ce bonheur ?
Dans sa chambre claire il entrait des branches.
Elle n'est peut-être pas encore morte
— ou peut-être que nous 1 étions tous deux.
La grande cour avait des feuilles mortes
dans le vent froid des fins d'Eté très vieux.
Te souviens-tu de ces plumes de paon,
dans un grand vase, auprès de coquillages ?.,.
on apprenait qu'on avait fait naufrage,
on appelait Terre-Neuve : le Banc.
Viens, viens, ma chère Clara d'Ellébeuse ;
aimons-nous encore, si tu existes.
Le vieux jardin a de vieilles tulipes.
Viens toute nue, ô Clara d'Ellébeuse.
[De V Angélus de VAube à l' Angélus du Soir.)
LA SALLE A MANGER
A M. Adrien Planté.
Il y a une armoire à peine luisante
qui a entendu les voix de mes grand'tantcf.,
qui a entendu la voix de mon grand-père,
qui a entendu la voix de mon père.
A ces souvenirs l'armoire est fidèle.
On a tort de croire qu'elle ne sait que se taire,
car je cause avec elle.
Il y a aussi un coucou en bois.
Je ne sais pourquoi il n'a plus de voix.
Je ne veux pas le lui demander.
Peut-être bien qu'elle est cassée,
la voix qui était dans son ressort,
tout bonnement comme celle des morts.
FRANCIS JAMMLS 187
Il y a aussi un vieux buffet
qui sent la cire, la confiture,
la viande, le pain et les poires milres.
C'est un serviteur fidèle qui sait
qu'il ne doit rien nous voler.
Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
qui n'ont pas cru à ces petites âmes.
El je souris que l'on me pense seul vivant
quand un visiteur me dit en entrant :
— comment allez-vous, monsieur Jammes ?
{De l'Angdus de l'Aabe à C Angélus du Soir.)
LE VIEUX VILLAGE
A André Gide,
Le vieux villafi^e était rempli de roses
et je marchais dans la çrande chaleur
et puis ensuite dans la grande froideur
de vieux chemins où les feuilles s'endorment.
Puis je loniçeai un mur long; et usé;
c'était un parc où étaient de j^rand arbres,
et je sentis une odeur du passé,
dans les grands arbres et dans les roses blanches.
Personne ne devait l'habiter plus...
Dans ce grand parc, sans doute, on avait lu...
Et maintenant, comme s'il avait plu,
les ébéuiers luisaient au soleil cru.
Ah ! des enfants des autrefois, sans doulc,
'^'amusèrent dans ce parc si ombreux...
•u avait fait venir des plantes roui^es
des pays loin, aux fruits très dangereux.
Va les parents, en leur montrant les plantes
Irur expliqu.uent : celle-ci n'est pas bonne..,
c'est du poison... elle arrive de l'Inde...
et celle-là est de la belladone.
i88 poiTES d'aujourohui
Et ils disaient encore : cet arl)rc-cî
vient du Japon où fut votre vieil oncle...
Il rapporta tout petit, tout petit,
avec des feuilles grandes comme l'ongle.
Ils disaient encore : nous nous souvenons
du jour où l'oncle revint d'un voyage aux Indes ;
il arriva à cheval, par le fond
du village, avec un manteau et des armes...
C'était un soir d'été. Des jeunes filles
couraient au parc où étaient de grands arbres,
des noyers noirs avec des roses blanches,
et des rires sous les noires charmilles.
Et les enfants couraient, criant : c'est l'oncle î
Lui, descendait avec son grand chapeau,
du grand cheval, avec son grand manteau...
Sa mère pleurait : ô mon fils... Dieu est bon...
Lui, répondait: nous avons eu tempête...
L'eau douce a bien failli manquer à bord.
Et la vieille mère le baisait sur la tête
en lui disant : mon fils tu n'es pas mort...
Mais à présent où est cette famille ?
A-t-elle existé ? A-l-elle existé ?
Il n'y a plus que des feuilles qui luisent,
aux arbres drôles, comme empoisonnés...
Et tout s'endort dans la grande chaleur...
Les noyers noirs pleins de grande froideur...
Personne là n'habite plus...
Les ébéniers luisent au soleil cru.
{De l'Angelus de l'Aube à l'Angelas du Soir.)
L'EAU COULE...
L'eau coule dans la boue et dans le bois, après
la pluie. C'est maintenant que sont trempés les prés.
rAANClS JAMMES 183
Les merles vivent dans l'humidité des (gaules
qui servent à faire les paniers, s^aules jaunes.
J'ai hu au tuyau de fer de la source douce
entouré de mousse en soleil transparent cl de rouille.
Je t'aurais aimée \h, autrefois, près de la mousse,
parce que tu avais une Hj^ure douce.
Mais à présent, je souris vn fumant ma pipe.
Les rrves ({iie j'ai eus étaient comme les pics
qui filent. J'ai réfléchi. J'ai lu des romans
et des vers faits à Paris par des hommes de talent.
Ah I Ils n'hahitent pas auprès des sources douces
où vont se baigner les bécasses eo feuilles mortes.
Qu'ils viennent avec moi voir les petites portes
des maisons des bois abandonnées et crevées.
Je leur montrerai les {(prives, les paysans doux,
les bécassines en argent, les luisants houx..
Alors ils souriront en fumant dans leur pi|)e,
et, s'ils souiïrcut encore, car les hommes sont tristes,
ils guériront beaucoup en écoutant les cris
des épcrviers pointus sur quelque métairie.
(De V Angélus de CAubt àCAngelus du Soir.)
1894
JE SAIS QUE TU ES PAU VUE...
Je sais que tu es pau\Te :
tes robes sont modestes.
Mine douce, il me reste
ma douleur : je te l'olTre.
Mais tu es plus jolie
(pie les autres, la bouche
sent bon — 4]uaiui lu me louches
la main, j'ai la folie.
Tu es pauvre, et à cause
de cela tu es bonne ;
lu veux que je le donne
des baisers et des roses.
«2.
iqO POÈTES d'aUJOUUD'HUI
Car tu es jeune fille,
les livres l'ont fait croire
et les belles histoires,
qu'il fallait des charmilles,
des roses et des mûres,
et des fleurs des prairies,
que dans la poésie
on parlait de ramures.
Je sais que tu es pauvre :
tes robes sont modestes.
Mine douce, il me reste
ma douleur : je te l'offre.
(De l'Angelas de C Aube à L'Angclus du Soir.)
1888
VOia LES MOIS D'AUTOMNE...
A Vielé'Gi'iffin.
Voici les mois d'automne et les cailles graisseuses
s'en vont et le râle aux prairies pluvieuses
cherche, comme en coulant, les minces escargots.
Il y a déjà eu, arrivant des coteaux,
un vol flexible et mou de petites outardes,
et des vanneaux, aux longues ailes, dans l'air large,
ont embrouillé ainsi que des fils de filet
leur vol qu'ils ont essayé de rétablir, et
sont allés vers les roseaux boueux des saligues.
Puis les sarcelles, jouets d'enfants, mécaniques,
passeront dans le ciel géométriquement
et les hérons tendus percheront hautement,
et les canards plus mois, formant un demi-cercle,
trembloteront là-bas jusqu'à ce qu'on les perde.
Ensuite les grues dont la barre a un crochet
feront leurs cris rouilles, et une remplacée
par une autre, à la queue, ira fendre à la tète.
Vidé-Grifjin, c'est ainsi que l'on est poète,
FHAXCIfl JAMMES IQI
mais on ne trouve pas la paix que nous cherchons,
car Fîasile toujours saiçncra les cochons,
et leurs cris aij^us et horribles s'entendront,
et nous ferons des monstres de petites choses. ,,
Mais il y a aussi la hien-aimée en roses,
et son sourire en pluie, et son corps qui se pose
doucement. Il y a aussi le chien malade
ret^ardant tristement, couché dans les salades,
venir la çrande mort qu'il ne comprendra pas.
Tout cela fait un mélange, un haut et im bas,
une chose douce et triste qui est suivie,
et que l'homme aux traits durs a appelé la vie.
{De l' Angélus de l'Aube à CAnjclus du Soir.)
IL VA NEIGER...
A Lt'opold Dauby,
W va ncitrer dans quelques jours. Je me souviens
de l'an dernier. Je me souviens de mes tristesses
au coin du feu. Si l'on m'avait demandé : qu'est-ce?
j'aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n'est rien.
J'ai bien réfléchi, l'année avant, dans ma chambre,
pendant que la nriïi^e lourde tombait tlehors.
J'ai rctléchi pour rien. A présent conune alors
je fume une pipe en bois avec un bout d'ambre.
Ma vieille commode en chêne sent toujours bon.
Mais moi j'étais béte parce que ces choses
ne pouvaient pas chanjçer et «jue c'est une pose
de vouloir chasser les rhiKcs que nous s.ivoiis.
Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous V C'est drr'c;
nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas,
et cependant nous les comprenons, et les pas
d'un ami sout plus doux que de douces paroles.
iga POÈTES d'aujourd'hui
On a baptisé les étoiles sans penser
qu'elles n'avaient pas besoin de nom et les nombres,
qui prouvent que les belles comètes dans l'ombre
passeront, ne les forceront pas à passer.
Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses
de Tan dernier? A peine si je m'en souviens.
Je dirais : Laissez-moi tranquille, ce n'est rien,
si dans ma chambre on venait me demander : qu'est-ce ?
1888 {De L'Angelas de tAube à l'Angelas du Soir.)
MADAME DE WARENS
Madame de Warens, vous regardiez l'orage
plisser les arbres obscurs des tristes Charmeties,
ou bien vous jouiez aigrement de Tépinette,
ô femme de raison que sermonnait Jean-Jacquesl
C'était un soir pareil, peut-être, à celui-ci...
Par le tonnerre noir le ciel était flétri...
Une odeur de rameaux coupés avant la pluie
s'élevait tristement des bordures de buis...
Et je revois, boudeur, dans son petit habit,
à vos genoux, l'enfant poète et philosophe...
Mais qu'avait-il?... Pourquoi pleurant aux couchants roses
regardait-il se balancer les nids de pies ?
Oh ! qu'il vous supplia, souvent, du fond de l'âme,
de mettre un frein aux dépenses exagérées
que vous faisiez avec cette légèreté '
qui est, hélas! le fait de la plupart des femmes...
Mais vous, spirituelle, autant que douce et tendre,
vous lui disiez : Voyez! le petit philosophe!...
Ou bien le poursuiviez de quelque drogue rose
dont vous lui poudriez la perruque en riant.
Doux asiles ! Douces années ! Douces retraites !
Les sifflets d'aulne frais criaient parmi les hêtres...
rnvNas jammf.s io3
Le chèvrefeuille jaune encadrait la fenêtre.
On recevait parfois la visite d un prêtre...
Madame de Warens, vous aviez du çoût
pour cet enfant à la fi^ire un peu espiègle
manquant de repartie, mais peu sot, et surtout
habile à copier la musique selon les rèjçles.
Ah ! que vous eussiez dû pleurer, femme inconstante,
lorsque, le délaissant, il dut s'en retourner,
seul, là-bas, avec son pauvre petit paquet
sur l'épaule, à travers les sapins des torrents...
{Le Deuil de» Primevèreê,
AMSTERDAM
A Emile van Morts,
Les maisons pointues ont l'air de pencher. On dirait
qu'elles tombent. Les mAls des vaisseaux qui s'embrouillent
dans le ciel sont penchés comme des branches sèches
au milieu de verdure, de rouii^c, de r«)uille,
de harengs saurs, de peaux de moutons et de houille.
Robinson Crusoc passa par Amsterdam,
(je crois, du moins, (ju'il y passa), en revenant
de l'île ombreuse et verte aux noix de coco fraîches.
Ouellc émotion il dut avoir quand il vit luire
les portes énormes, aux lourds marteaux, de celte ville I...
Res^ardait-il curieusement les entresols
où les commis écriv«*nl des livres de comptes ?
Kul-il envie de pleurer en resoniçeanl
à son cher perroquet, â son lourd {varasol
qui l'abritait dans l'Ile attristée et clémente?
c 0 Eternel! soyez béni », s'écriait-il
devant les coffres jieinttirlurés île tulipes.
Mais sou cœur ulli i^té par la joie du rclLtui
194. POÈTES d'aujourd'hui
regrettait son chevreau qui, aux vijçnes de l'île,
était resté tout seul et, peut-être, était mort.
Et j'ai pensé à ça devant les gros commerces
où l'on sonçe à des Juifs qui touchent des balances,
avec des doigts osseux noués de bagues vertes.
Vois ! Amsterdam s'endort sous les cils de la neige
dans un parfum de brume et de charbon amer.
Hier soir les globes blancs des bouges allumés,
d'où l'on entend l'appel sifflé des femmes lourdes,
pendaient comme des fruits ressemblant à des gourdes.
Bleues, rouges, vertes, les affiches y luisaient.
L'amer picotement de la bière sucrée
m'y a râpé la langue et démangé au nez.
Et, dans les quartiers juifs où sont les détritus,
on sentait l'odeur crue et froide du poisson.
Sur les pavés gluants étaient des peaux d'orange.
Une tête bouffie ouvrait des yeux tou larges,
un bras qui discutait agitait des oignons.
Rebecca, vous vendiez à de petites tables
quelques bonbons suants arrangés pauvrement...
On eût dit que le ciel, ainsi qu'une mer sale,
versât dans les canaux des nuages de vagues.
Fumée qu'on ne voit pas, le calme commercial
montait des toits cossus en nappes imposantes,
et l'on respirait l'Inde au confort des maisons.
Ah! j'aurais voulu être un grand négociant,
de ceux qui autrefois s'en allaient d'Amsterdam
vers la Chine, confiant l'administration
de leur maison à de fidèles mandataires.
Ainsi que Kobinson j'aurais devant notaire
signé pompeusement ma procuration.
Alors, ma probité aurait fait ma fortune.
Mon négoce eût fleuri comme un rayon de lune
FRANCIS JAMMES IQ!
sur l'imposante proue de mon vaisseau bombé.
J'aurais reriis chez moi les sciçneurs de Bombay
qu'eût tentés mon épouse à la belle santé.
Un n«*'îTre aux anneaux d'or fût venu du Moijol
trafiquer, souriant, sous son ^rand j)ar3sol 1
Il aurait enchanté de ses récils sauvaij^es
ma mince Hllc ainée, à qui il eût oil'crt
une robe en rubis filé par des esclaves.
J'aurais fait faire les portraits de ma famille
par quehjue habile peintre au sort infortuné :
ma femme belle et lourde, aux blondes joues rosées,
mes Hls, dont la beauté aurait charmé la ville,
et la grâce diverse et pure de mes filles.
C'est ainsi qu'aujourd hui, au lieu d'être moi-même,
j'aurais été un autre et j'aurais visité
l'imposante maison de ces siècles passés,
et que, rêveur, j'eusse laissé flotter mon Ame
devant ces simples mots : là vécut Francis Jammes.
{Le Deuil des Primevère».
PRIERE POUR QU'UN ENFANT NE MEURE PAS
Mon Dieu, conservez-leur ce tout prlil enfant,
comme vous conservez une herl)e tlans le vent.
Qu'est-ce que ça vous fait, puis(|ue la mère pleure,
de ne pas le faire mourir là, tout à l'heure,
comme une chose (jue l'on ne peut éviter?
Si vous le laissez vi>Te, il s'en ira jeter
des roses, l'an prochain, dans la Fête-Pieu claire!
Mais vous clés trop bon. Ce n'est pas vous, mon Dieu,
qui, sur les joues en roses, posez la mort bleue,
à moins que vous n'ayez de beaux eiulroits où mettre
auprès de leurs mamans leurs fils à la fenêtre?
Mais pourquoi pas ici? Ah! Puisque l'heure sonne.
iqÔ POÈTES d'aujourd'hui
rappelez-vous, mon Dieu, devant l'enfant qui meurt,
que vous vivez toujours auprès de votre Mère.
(Le Deuil des Primevères.)
PRIÈRE POUR ALLER AU PARADIS AVEC LES ANES
Lorsqu'il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon-Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille,
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles...
Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j'aime tant parce qu'elles baissent la tête
doucement, et s'arrêtent enjoignant leurs petits pieds
d'une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J'arriverai suivi de leurs milliers d'oreilles,
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossues,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l'on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s'y groupent en ronds.
Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je Vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des ccriees
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
FnxXClS JAMMES I97
qui mireront leur humble el douce pauvreté
à la limpidité de l'amour éternel.
(Le Deuil des Primevères.)
JEAN DE NOARRIEU
CHANT PREMIEIX
Je ne veux pas d'autre joie, quand l'été
reviendra, que celle de l'an passé.
Sous les muscats dormants, je m'assoirai.
Au fond des bois qui chantent de l'eau fraîche,
j'écouterai, je sentirai, verrai
tout ce qu'entend, sent et voit la forêt.
Je ne veux pas d'autre joie, quand l'automne
reviendra, que celle des feuilles jaunes
qui racleront les coteaux où il tonne,
que le bruit sourd du vin neuf dans les tonnes,
que les ciels lourds, que les vaches qui sonnent,
que les mendiants qui demandent l'aumône.
Je ne veux pas d'autre joie, quand l'hiver
reviendra, que celle des ci^^ux de fer,
(|ue la fumée des parues j^rinrant en l'air,
que les tisons chantant comme la mer,
el (jue la lampe au fond des carreaux verts
de la bouti(jue où le pain est amer.
Je ne veux pas, quand revient le printemps,
d'autre joie que celle de l'aiq-re vent,
que les pêchers sans feuilles fleurissant,
que les sentiers boueux et verdissants,
que la violette et que l'oiseau chantant
comme an ruisseau d'oras^e se içor^eant.
Mon Dieu, donnez-moi l'ordre nécessaire
h tout labeur poéticjue el sincère.
On m'a conté que les peintres célèbres
peignaient longtemps les yeux, longtemps les lèvres,
jgS POÈTES d'aujourd'hui
longtemps les joues et longtemps les oreilles
des bienheureux que leur génie éclaire.
Je veux ici, puisqu'il faut commencer,
ne point poser à faux dans l'encrier
ma plume. Et, comme un adroit ouvrier
tient sa truelle alourdie de mortier,
je veux, d'un coup, à chaque fois porter
du bon ouvrage au mur de ma chaumière.
(Le Triomphe de la Vie.)
DANS LE SILENCE DE LA NUIT
Dans le silence de la nuit chantait, hier soir,
chantait je ne sais où le grillon du foyer.
Ce petit chant élargissait encore le noir.
La flamme triste de ma bougie s'allongeait.
Allons. Il a fallu se recoucher, la mort
dans Tàme, en se disant que, pas plus qu'autrefois
je n'aurais de bonheur sans doute, et que la voix
de ce cri-cri n'était que moi-même, et rien d'autre.
Ecoute, mon enfant, écoute le cri-cri.
Tu n'as pour te calmer que ce grésillement.
Mais comprends comme il est vaste, comme il s'étend
sur toute la vallée du cœur endolori...
Tout se tait, le chagrin, l'ennui, l'homme, que sais-je ?
Seul le chant continue du grillon-boulanger.
Adresse-t-il à Dieu une plainte légère,
et Dieu laisse-t-il seul ce grillon lui parler ?
Ecoute ce qu'il dit. Il dit le pain obscur
et le pot ébréché dans les cendres amères.
Il dit le chien qui dort. Il dit la ménagère.
Il dit je ne sais quoi de triste, bon et pur.
Il dit qu'il est ami. Il dit que, l'autre jour.
FRANCIS JAMMES If)Q
mon fermier a conduit sa finncée h l'éçlise,
et que la métairie était pleine d'amour,
ainsi f|u'un cerisier est tout plein de cerises.
Il dit que les époux sont venus me saluer
et que, t^raves et lents, ils m'ont fait visiter
leur chambre où, dans le lit nuptial ouvert, dormait
la plus petite sœur de cette mariée,
La noce est repartie. Et ont fini les danses.
L'épouse a remplacé sa sœur la plus petite.
La joie est simple au fond de la chambre bénite.
L'horloge et le grillon s'aiment dans le silence.
(Clairières dans le ciel.)
L'ENFANT LIT L'ALMANACH...
L'enfant lit l'almanach près de son panier d'œufs.
Lt, en dehors des Saints et du temps qu'il fera,
elle peut contempler les beaux sii^ncs des cieux :
ChcvrCj Taureau, Bélier, Poissons, et caetera.
Ainsi peut-elle croire, petite paysanne,
qu'au-dessus d'elle, dans les constellations,
il y a des marchés pareils avec des Anes,
des taureaux, des béliers, des chèvres, des poissons.
C'est le marche du Ciel sans doute qu'elle lit.
Et, quand la pasçe tourne au sijçne des Balances^
elle se dit qu'au Ciel comme à l'épicerie
on pèse le café, le sel et les consciences.
(Clairières dans le cieL)
ON VOIT, QUAND VIENT L AUTO.MNE...
On voit, quand vient l'automne, aux fils télégraphiques,
de lonc;ues lii^nes d'hirondelles grelotter.
On sent leurs petits cœurs qui ont froid s'inquiéter.
200 POIITES D AUJOURD IlOI
Même sans l'avoir vu, les plus toutes petites
aspirent au ciel chaud et sans tache d'Afrique.
...Sans l'avoir jamais vu ! dis-je. C'est comme nous
qui désirons le Ciel dans notre inquiétude*
Elles sont là, perchées, pointues, faisant l'étude
de l'air, ou décrivant le vol d'un cercle doux,
pour venir repercher à l'endroit qu'elles quittent.
C'est dur d'abandonner le porche de l'église !
dur qu'il ne soit plus tiède ainsi qu'aux mois passés !
Oh ! Comme elles s'attristent ! Oh ! Pourquoi le noyer
les a-t-il donc trompées en n'ayant plus de feuilles ?
La nichée de l'année ne le reconnaît point,
ce Printemps que l'Automne a recouvert de deuil.
Ainsi l'âme qui a souffert de tant de choses,
avant de traverser les Océans divins
et de gagner le Ciel des éternelles Roses,
s'essaye, hésite, et, avant de partir, revient.
[Clairières dans le ciel.)
MON HUMBLE AMI, MON CHIEN FIDÈLE...
Mon humble ami, mon chien fidèle, tu es mort
de cette mort que tu fuyais comme une guêpe
lorsque tu te cachais sous la table. Ta tète
s'est dirigée vers moi à l'heure brève et morne.
0 compagnon banal de l'homme : Etre béni !
toi que nourrit la faim que ton maître partage,
toi qui accompagnas dans leur pèlerinage
l'archange Raphaël et le jeune Tobie.. .
0 serviteur : que tu me sois d'un grand exemple,
ô toi qui m'as aimé ainsi qu'un saint son Dieu î
Le mystère de ton obscure intelligence
vit dans un paradis innocent et joyeux.
Ah 1 faites, mon Dieu, si vous me donnez la grâce
FHANCIS JAMMF.<) 20t
de Vous voir face à Face aux jours d'Eternité,
faites qu'un pauvre chien contemple face à face
celui qui fut son dieu parmi rimmanilé.
(Clairières dant le Ciel.)
L'ANE SAVANT
Je suis l'âne savant, celui mt^me qui étonne
l'Académie. Je calcule aussi bien qu'un homme.
Mon maître, un fouet en main, m'obliiçe de grimper
sur un mauvais tonneau où il faut s'équilibrer.
Des applaudissements courent dans l'assistance.
Ensuite, je descends et il faut que je danse.
Où est Paris? me demande-t-on. Je mets le pied
à l'endroit qu'il le faut sur la carte de France.
— Anon ! faites le tour de la société
et puis arrctez-vous en montrant de la tête
parmi les spectateurs celui qui est le plus bêle?
... J'obéis et suis sûr de ne pas me tromper...
Et je sens, chaque fois qu'une chose il m'apprend,
combien à chacpie fois l'homme est plus ii^nurant.
Et, lorsque vient la nuit sous la cK'upiante toile
ouverte au vent glacial, tristement je m'endors.
L'obsession du savoir me poursuit. Et alors
mon cauchemaj* s'essaie à compter les étoiles.
{Pensée des Jardins . )
CONCLUSION
Petit Ane mendiant et fçris, plus désolé
que la carriole que tu traînes,
0 toi qui n'en peux plus, ù toi qui n'en peux mais !
avoue que lu n'as pas de veine ?
Mais que t'importent quehpies horions de j>lus?
Ce n'est point tant pour la lenteur,
que parce que tu es toi, que l'on te distribue
CCS coups de soulier sur le cœur.
a02 POETES D AUJOURD nui
0 mon frère, espérons qu'à cette même source '
où se mire le Paradis :
toi et moi nous boirons un jour une eau plus douce
que l'ombre de l'aulne à midi.
Nous raillerons alors ceux qui nous méprisèrent,
tous ceux qui ne comprirent pas
qu'il fallut du génie pour chanter ou pour braire
avec une certaine voix.
Mais j'ai bien peur, âne si finement poète,
que, même au ciel, près du Bon-Dieu,
les hommes en question ne demeurent des bêtes,
et que nous ne difï'érions d'eux.
{Pensée des Jardins .
GUSTAVE KAIIN
1859
M. Gustave Kahn est né à Metr, le ai décembre iSSg. Elève da
l'Ecole des Chartes et de l'Ecole des lan2;ues orientales. il en suivait
encore les cours quand il commença à publier, en 1880, quelquei
articles dans de petites revues bien oubliées aujourd'hui, comme La
Bévue Moderne et Xaluraiiste, L'IIydropathe et Le Tout-Paris. Il
parlit ensuite pour l'Afrique, où il demeura quatre années. Rentré
à Paris en iH85, il reprit aussitôt ses travaux littéraires, et fonda
l'année suivante, exactement le 1 1 avril 188G, une petite revue hebdo-
madaire, La Vogue, dont les numéros, devenus excessivement rare»
aujourd'hui, eurent un succès justifiant, on peut le dire, son titr«.
C'est dans La Vogue que M. Gustave Kahn publia, en même tempp
que la traduction d'une traçédie-comédie de Casanova de Seinçalt :
Le Polemoscope ou la Calomnie démasquée par la Présence d'Es-
prit, la plupart des poèmes qui devaient composer sa première œu-
vre : Les Palais Xomades. De l'avis de M. Félix Fénéon, le biograph»
de M. Gustave Kahn, ces poèmes révélaient « un poète libre de toute»
« traditions,manircslant sans préambule et sans atténuations d'ine*
« dites manières de voir et de sentir, et capable de les imposer *.
En 188G, M. Gustave Kahn, avec la collaboration de M.M. Jea»
Morcas et Paul Adam, fit paraître im journal littéraire et politique.
Le Symboliste, et prit part, en 18S8, à la direction de la Revue Inde-
p'ndanie, oh il publia une suite dctudcs critiques très remarquée».
Sa deriiicre trntalive comme écrivain combatif fut la publicalioa
d'une nouvelle série de La Vogue, en i88<j. Désormais, M. Gustave
Kahn se consacra uni(]uement à son œuvre de poète, publiant succes-
sivement Chansons d'Amant, Domaine de Fée, La Pluie et le Beaa
Temps, Le Livre d'Images.
M. Gustave Kahn est un poète du vers libre. Il a m^tnc passé à
noe certaine époque pour l'avoir inventé, et lui-même n'est pas loin»
de le croire. Ou a prétendu, d'autre part, que le mérite de cette iauo-
S04 POÈTES D'AUJOUnD*IIUI
vation revenait à Jules Laforgue. Arihur Rimbaud se l'est vu égale-
ment attribuer, et il n'est pas jusqu'à une poétesse montmartroise,
M"» Marie Krysinska, qui n'ait réclamé cette gloire pour son propre
compte. C'est là une question qui n'est pas encore bien tranchée, et
le vers libre, en admettant qu'il n'ait pas toujours existé plus ou
moins, n'a peut-être été, tout d'abord, sous sa forme actuelle, qu'un
des résultats de l'influence de poètes étrangers, notamment du poète
américain Walt "Whitman, très apprécié des écrivains symbolistes.
Quoi qu'il en soit, M.Gustave Kahn a incontestablement une grande
place dans cette tentative de rénovation poétique, dont il fut le
théoricien par excellence, au point qu'on ne dit guère aujourd'hui
de choses sur ce sujet qu'il n'ait dites tout le premier. De même,
levers libre de M. Gustave Kahn porte bien sa marque, ainsi que
ses poèmes dans leur ensemble. C'est un peu étrange et barbare, en
même temps qu'un peu mièvre et maniéré. Les images en sont
éclatantes, les couleurs vives, et le rythme, parfois, déconcerte.
N'est-ce qu'une impression de lecteur? 11 semble qu'on y retrouve
comme des échos et des couleurs de ces pays exotiques où M. Gus-
tave Kahn vécut quelques années de sa jeunesse.
Depuis Le Livre d'Images, publié en 1897, M. Gustave Kahn n'a
rien donné comme poète. La critique, où il montre, encore mieux
qu'autrefois, un esprit curieux, renseigne sur tout, et une intelligence
extrêmement pénétrante, semble l'avoir pris de nouveau, et un peu
le roman, le conte en prose, et les études d'esthétique. On en trou-
vera des témoignages à la partie bibliographique, où sont énumérées
les œuvres qu'il a données dans ces divers genres.
M.Gustave Kahn a collaboré à La Jeune Belgique, a^M Décadent, k
La Basoche, La Gazette anecdolique, Paris littéraire, La Vie
Moderne, Le Réveil de Gand, La Société Nouvelle, La Revue Ency-
clopédique, Le Monde Moderne, La Revue de Paris, Nouvelle Revue,
Le Livre d'Art, L'Epreuve, au Supplément du Pan, au Mercure de
France, au Journal, à L'Evénement, aux Droits de l'Homme, à la
Presse, à l'Almanach des Poètes (Mercure de France, 189G, 1897),
aux Hommes d'Aujourd'hui, à laRevue Blanche, auGil Blas. C'est
lui qui a créé, en 1897, avec M. Catulle Mendès, et d'une façon très
heureuse. Les Matinées de Poètes, organisées successivement à l'O-
déon, au Théâtre Antoine et au Théâtre Sarah-Bernhardt pour faire
connaître les écrivains du mouvement symboliste et de la généra-
tion suivante, — matinées qui, depuis, ont été très imitées. M. Gus-
tave Kahn est chevalier de la Légion d'honneur.
Bibliographie :
Lm œuvres. — Les Palais Nomades, poèmes. Paris, Tresse et Stocks
1887, ^, ia-8. — • ChUQSOUS il'uiuuut, poùmos. iiruxcUca, Lacomblex, 1801,
CUSUàVE ÏAHN 205
in-lC. — Domaine de F*e, po^mr*. Bruipllc*, We Monnom, 1895, in-l«.
— La Pluie et le Ueau TcmpR. poèmes. T'aris, Vanirr, 1P95. in-lH. _
Le Roi Poil, roman. Paris, Ilarard. 1895. in-18. — Limites de Lumière,
poèmf's. Brujellos, Deman. 1895. in-16. — Premier» poèmes iLet /'alait
nomariei. Chantons d'amant. liomaine de F/t\ pr6cidé« dune élude «ur le
rer» libre. Paris, Soc. du Mercure de France, 1897, in-18. — t>c Livre
d'Images, poèmei. Paris. Soc. du Mercure de France, 1897, in-19. — Le
Conte de l'Or et du Silence. Paris. Soc. du Mercive de France, if^OH,
ln-18. — Les Pellles Aines prcRS«*es. roman, illust. de H. Il^louclie
Paris. OllendorfT. 1898, in-18. — Le Cirque Solaire, roman, r'ari», M. de
« la Revue Blanche ». 1899. in-18. — Les Tlears de la Passion, roman.
Paris, OllendorfT, lOM. m-i». — L'Estii^'lique de la rue. Pans, Favjuelie,
19 11. in-18. — L Adultère senlimenfal. r<.man. Pans. M. de c la Hevuè
Blanche ■, 1902, in-lH. — Odes de la Uai.von. Pans, éd. de • la Raison »
19 lî, in-8. — Symbolistes et «léradenls F'aris, Me*»ein. lOôî, in-18.
Contes hollandais. F'aris, Fasquelle, 1903, in-18. — Boucher. l>io;:raphie
crilii|ue. illuslrée do 24 ropro lurlions hors texte. Pans, H. Laurens, 1905
in-18. — De 1 arlule à Os Messieurs, critique. Paris, Sansot, 1905, petit
in-16. — Le Salon du .Mobilier. Paris, Gutirinel, 1905. pr. in-8. — Poli-
chinelle (de Guiijnol). F'ri-ct'dc d'une étude. Paris. San«ot. 1906. petit in-18.
On trouve en outre des poèmes de M. Gustave Kahn dans l'Almanach des
Poètes |>our 1896 et 1897 (Paris, éd. du Mercure de France, ISOi, 18%,
î vol. in-18) et un article : Let Lettres franraisft en Ahacr-Lor-ram^. poy»
lorrain annexé, dans l'ouvrage suivant : Congrès international pour
l'extension et la culture de la langue française, r* session. Paris,
II. Cliampion, 190C. in-«.
Fhéfa<.e. —Albert Fua ; Le Semeur d'/dt^nl. etc.. Paris, éd. de la Plume,
1899, in-18 — D' Abduilah Djevdet bey : La Lyre turque (Feux de
paradis et Roses d' enfer i. Vienne. G. Fricit. 1002, in-I*<.
F'otsiEs MISES ty ML-siQLf. — Ues poésics de M. G. Kahn ont été m»^^ «■
musique par M"* Gelty et M L. T'oniio.
A coNstiTER. — André Ueaunier : La Poésie nouvelle. Pari», Soc. du
Mercure de France. 19;'2, in-18. — J. Ernest Charles : Les Samedis litté-
raires. Pans, F'erriu, 1903, in-18. — Itemy de UourmODt : Le Livre de»
Masques. Paris, Soc. du Mercure de France. 1896; Estliétique de la Langue
française (le ver» libre). Paris, Soc. du Mercure de France, 1899, in-18.
Jules lluret : Enquête sur l'Evolution littéraire. Pari», Giarpentier,
1891, iu-18. — Bernard Lazare : Fujures Contemporaines Paris, Perrin
1895. — Georges Le Cardonnel et Ch. Vellay : La Littérature contem-
poraine, 1905. Opiniuns des écrnains tie ce teinjis. F'aris. Soc. du Merrun> de
France, 1906, in-18. — G. Ilandon : G. Kahn, notice, publiée dans Le»
Portraits du prochain Siècle. Paris, Girard. 1894, in-18. — Adolphe
Itellè : Le St/mbolisnie. AntCilutes et Si.uvenir.x. Pans. Messcin, 19ij3, »u-1«.
— Jules Tellier : IVos poètes, l'ans. l>«»*|>r.t. 1S*«. in-18. — À. van
Haiiii'l f/tt tetterkundig leven van Frankryk, studien en Schesten. lll.
Anisterdam. Van Kampen en Zoon, 19ii7, in-8.
Albert Dreyfus : Sur Gustave Kahn, Vers et prose, mars-m.^i 1007. —
Félix l'énèou Kahn {La Hommes d'aujourd'hui). Paris. Vam. r, ». d. —
Cuinllle Maui'lalr : Troi* poète» moderne». Kerue tucvcloiic^ljque. 19
avtil UJti. — Liiin. Filou : O'uiUtc Kalm. trmiu^'a. (cvr.cr l&Ctil
44
Î06 POÈTES D'AtJJOURD'HUi
Iconographie :
Henry Bataille : Têtes et Pensées, lithogr. et écrites. Paris, OUendorff,
1901, gr. in-4. — L. Hayet : Portrait, peinture à l'huile, (Exposition des
Portraits du Siècle, 1893). — M. Luce : Dessin, 1889 (les Hommes d'au-
jourd'hui), Paris, Vanier. — F. Vallolton : Masque, dans Le Livre des
Masques de R. de Gourmont. Paris, Soc. du Mercure de France, 1896.
VaiX DE L'HEURE IMPLACABLE...
Voix de l'heure implacable et lente.
Timbre avertisseur du passé.
Encore un lourd pan de l'attente
Qui s'est écroulé fracassé !
Rien dans le passé, rien dans le présent...
Encore un lambeau d'heure évanouie !
Un semblant qui s'en va des printemps séduisants,
Un départ, un baiser, une note inouïe.
Oh ! le douloureux infini
Qu'on ressent aux larges musiques,
Au delà des clartés plastiques
Dans les puissances mécaniques.
Oh ! le douloureux infini !
Rien dans l'avenir, rien dans le remords !
Le cœur est blessé d'une flèche étrange;
Un désir pénétrant et vague qui le mord,
Concert inexpliqué qu'un accroc bref dérange !
[Les Palais Nomades.)
CHANTONNE LENTEMENT...
Chantonne lentement et très bas... mon cœur pleure...
Tristement, doucement, plaque l'accord mineur ;
Il fait froid, il pâlit quelque chose dans l'heure...
Un vague très blafard étreint l'âpre sonneur.
Arrête-toi... c'est bien... mais ta voix est si basse !.-
Trouvc3-tu pas qu'il sourd comme un épais sanglot ?
GUSTAVE KAHN 207
Chantonne lentement, dans les notes il passe,
Vrillante, l'àcreté d'un malheur inéclos.
Encore 1 la chanson s'alanguit... mon cœur pleure;
Des noirs accumulés estompent les flambeaux.
Ce parfum trop puissant et douloureux qu'il meure.
Chant si lourd à l'alcôve ainsi qu'en un tombeau.
D'où donc ce frissclis d'émoi qui me pénètre,
D'où, très mesurément, ce rythme mou d'andante ?
Il circule là-bas, aux blancheurs des fenêtres,
De boudeuses moiteurs, des ailes succédantes.
Assez ! laisse expirer la chanson . . . mon cœur pleure ;
Un bistre rampe autour des clartés. Solennel,
Le silence est monté lentement, il apeuré
Les bruits familiers du va^ue pérennel.
Abandonne. . . que sons et que parfums se taisent î
Rythme mélancolique et poignant !... Oh ! douleur.
Tout est sourd, et grisâtre et s'en va I — Parenthèse,
Ouvres-tu l'infini d'un éternel malheur ?
(Les Palais Nomades.)
LES VOIX REDISAIENT...
Les voix redisaient : la chanson qui brise
En son cœur, son cœur enseveli
C'est le son des flûtes aux. accords des brises.
Et la marche nuptiale des pâles lys.
Et que des perrons d'idéal porphyre
Elle descendrait lente et front baissé
En lacis perlé d'idéals Ophirs
Et les mains soumises et lèvres blessées
Qu'il faudra bercer la candeur surprise
A l'éveil si brusque au matin d'aimer —
O si court mirage des bonnes méprises
Et réveil si brusque et fini d'aimer.
(Les Palais Homada.)
2n8 POÈTES d'aujourd'hui
FILE A TON ROUET...
File à ton rouet, file à ton rouet, file et pleure
Ou dors au moulier de tes indifférences
Ou marche somnambule aux nuits des récurrences
Seule à ton rouet, seule file et pleure.
Sur la route, les cavaliers fringants
Poussent les chevaux envolés dans le vent,
Souriants et chanteurs s'en vont vers les levants
Sur la route ensoleillée les cavaliers fringants.
File à ton rouet, seule à ton rouet, file et pleure.
Seule à ton rouet, file, crains, pleure.
Et celui dont la tendresse épanouie
Souffre aux nerfs^ aux soucis, à l'ouïe.
Celui-là s'en ira pour consoler ses doutes
Aux refuges semés le long des âpres routes ;
Suspends aux greniers les chanvres rouis.
File à ton rouet, les chansons sont légères,
Les images redisent les gloires des marins.
Les chansons s'évidcnt aux heures plus légères.
Proches du retour sonore des marins.
Et voici, las des autans et des automnes
Au ciel noir des flots qui tonnent.
Le voici passer qui vient du fond des âges,
Noir et brun, et si triste : et les lents marécages
De ses yeux où demeurent stagnantes les douleurs
S'arrêteront épars sur tes yeux de douleurs.
Seule à ton rouet, file et pleure
Tes candeurs nubiles s'en iraient au gouffre.
Au gouffre lamé de passé qui souffre
Depuis les temps, les temps, les leurres et les leurres
File à ton rouet, seule file et pleure.
{Les Palais Nomades.)
GUSTAVE KAON 20q
DES CHEVALIERS QUI SOiNT PARTIS...
Des chevaliers qui sont partis
dès lone^temps, pour plus loin, pour la vie,
des chevaliers qui sont partis,
Dame, savez- vous morts ou vies ?
— Ils étaient droits sous la caresse
de mes yeux, leurs yeux noirs pour la vie,
ils étaient fiers sous la caresse
de mes yeux, leurs églises pour la vie.
— Ils partaient en douce croisade,
pour longtemps, pour plus loin, pour la vie,
ils partaient chercher l'embrassade
d'une mort plus fraîche que la vie
— Des chevaliers qui sont partis
vers mes yeux, leurs yeux noirs, pour la vie,
des chevaliers qui sont partis,
passant, savez-vous morts ou vies ?
Philtre de mort et nuit sur la vie.
(Chansons cTAmant.)
VOTRE DOMAINE EST TERRE DE PETITE FÉE...
Votre domaine est terre de petite fée.
Des Japonais diserts et fins
sur des tasses de poupées
sourient aux grands oiseaux que feint
votre paroi de royaume de poii{)ée.
Un vague paradis terrestre
gambade à vous des les matins,
tout vous rit l'accueil, vos poupées,
vos oiseaux, vos tasses et vos mandarins.
Votre salon de faïence peinte
13.
310 POÈTES d'aujourd'hui
reçoit sur son coin d'étagère
les grands fauves belligères
dessinés en des fables peintes.
Un congrès de tables s'accoude
autour des vases en chimères,
sans nulles fleurs éphémères
que fleurs en faïence peinte.
U[n synode de pintes boude,
l'aîr lourd, sur un coin d'étagère,
d'être sacrifié à des verres
en danse de caprices bohémiens.
Près du divan où tes yeux clos
font l'ombre aux gracieux enclos
des lueurs lunaires captives,
votre théâtre tient clos ses rideaux
en attendant les féeries fugitives
de ton réveil en ton château.
Votre domaine est terre de petite fée. . .
(Domaine de fée.)
JE PARERAI TES BRAS...
Je parerai tes bras de bracelets,
ton cou d'un collier,
tes lèvres de mes lèvres,
je scellerai ton rêve de ma fièvre,
ta gaieté l'encouragerai
de toute mon âme grisée,
tes cheveux les couronnerai
des acclamations qu'arracherai
aux trouvères surpassés.
Puis te demanderai pardon
d'avoir si mal chanté le don
GUSTAVE KAHN Jl |
parfumé de ta f^râce souveraine
et l'assentiment de ta beauté reine.
{Domaine de fée.)
LE VIEUX MENDIANT
La masse d'airain du temps pesa dès son enfance
sur son front ; car des erardes emmenèrent son père
les pieds gènes d'entraves, les mains jointes de fer :
la justice en pesa la tête dans sa balance.
Sa mère, au souffle de la colère, s'c«?ara
dans les bois touffus, où des yeux jamais las
veillent sur tout sentier, meublant la fondrière
de passants nus, leurs yeux de misère encore ouverts ;
et l'enfant grandissait quand celle tcle tomba.
Il fut le fils des assassins ; lors une pierre
(la marmaille jouait) lui creva la paupièie
et le mire ne guérissant qu'honnêtes gens,
l'autre œil se détruisit, dans son masque d'enfant
pareil dès lors à un mur blanc.
Puis il fut un jouet, et les forts gravèrent
leur rancœur et leur impatience en cicatrices
sur sa face, muette table de supplices,
et des rôdeurs, par pitié, le grisèrent
par gouaille, pour qu'il dansât
et, quand il pleura, le fouaillèrent.
Comme pour chacun de ses doigts
sans cesse était prête une épine,
que ses |)ieds san«,'lanls avaient froid
et (ju'on poussait dans les ravines
son corps pitoyable et sa face d'effroi,
chaque fois que vers les auvents
du village il allait quêtant
sm POÈTES d'aujourd'hui
par le soleil ou le grand vent
son pain, à la complainte de son chant^
il suivit des vagabonds
dont la gourde lui donnait le songe ;
il eut l'os que le mâtin ronge
et les servit sans mensonge. —
Aussi on le mit en prison.
Et lorsqu'il fut l'exemple de la mauvaise route
et des tourments de la pire conscience,
un marguillier, aux écoutes
des merveilles de la grâce en son inconscience,
le plaça pour que la main des dames
s'honorât du sou qui rachète les âmes
sous un parvis d'église en évidence :
leçons de choses pour toute l'enfance.
Le vieux mendiant est lézardé
comme la pierre des piliers ;
ils subissent les mêmes outrages
du temps, des chiens et de l'orage.
Ils semblent attendre d'un même âge
parmi le nombreux passage
des gens recouverts de velours et de fourrures,
les êtres doux dont la parure
serait la douceur aumônière
et l'âme en généreuse prière.
Et le Temps pleut, lentement, lentement
sur leur attente et leur tourment.
{Le Livre d'Images.)
IMAGE
Le cabaret est plein de panses
dévotes devant autant de brocs,
et c'est fumée dense.
GUSTAVE KAON
Le compaî^non du tour de France
y vient frapper ; c'est son repos.
Femme, donnez-moi le çîte
et me versez du vin sans eau. —
Es-tu charpentier, es-tu matelot,
es-tu calfat ?
Nous avons ici besoin de ces çcns-ià .
Femme, verse-moi plein mon broc.
Voici l'ami compas et la fidèle équerre ;
je sais tailler des bibelots
dans le bois de chêne, avec mon ciseau
et sertir des saints pour la proue des vaisseaux. —
Il n'est ici nul vaisseau
que des barques g^rèles et puis des radeaux,
les unes pour la mer, d'autres pour les canaox ,
on taillait des saints au temps des prières,
l'éf^lise maintenant a une porte en fer
et les ex-votos sont en carton-pierre.
Alors les temps sont durs? —
oui, on manège les os
et l'on g^ratte la huche et l'on boit le vin sûr.
Alors, commère, le gîte et un broc,
un peu de fromage et pais un chantcau.
Je partirai demain plus loin de la mer.
{Le L ivr9 d'Images.)
JULES LAFORGUE (i)
4860-1887
D'origine bretonne par sa mère (née au Havre, de parents bretons),
Jules Laforgue naquit à Montevideo (Uruguay), le i6 août (2) 1860.
Cette naissance s'explique ainsi. Le père de Jules Laforgue, Charles
Laforgue, né à Tarbes (Haules-Pyrénées) en i833, après avoir ter-
Tiiné ses études, partit à Montevideo, où il devint instituteur, se
lïiaxia et eut tous ses enfants. Vers la fin de 1868, Charles Laforgue
restant seul à Montevideo, sa femme et ses enfants revinrent à Tar-
i)es. Jules Laforgue avait alors huit ans. Une année après, le père
Tint en France chercher sa femme, avec laquelle il retourna à Mon-
tevideo, ne laissant à Tarbes, de tous leurs enfants, — ils étaient
alors, si nous ne nous trompons, au moins quatre, — que Jules
Laforgue et son frère aîué Emile, qui furent places tous deux au
lycée de la ville. Jules Laforgue resta dans cet établissement à peu
près sept années, et M. Emile Laforgue se souvient parfaitement
que, dans les dernières années — il devait avoir environ seize ans,
— le futur auteur des Moralités commença à écrire quelques vers.
Les parents rentrés defiaitivement en France, et Charles Laforgue
voulant parachever l'éducation de ses enfants et se rapprocher de
ses propres parents, toute la famille vint s'installer à Paris. C'était
fin 1876. Jules Laforgue entra au lycée Fonlanes, aujourd'hui lycée
Condorcet, où il resta environ deux ans. C'est à sa sortie de ce lycée,
en 1879, qu'il se lia avec M Gustave Kahn, M. Charles Henry, et
fréquenta le Cercle des Hydropalhes. En même temps qu'il faisait
ainsi ses premières relations littéraires, Jules Laforgue collaborait,
comme correspondant, à un petit journal satirique fondé par ses
anciens condisciples du lycée de Tarbes, La Guêpe, auquel il envoyait
des vers et des dessins. Il habitait à cette époque (1879-1880) avec
(1) Nous devons les renseignements de cette notice à M. Emile LaforguOi
ui|uelnous louons à faire encore ici nos sincères remerciemeuta.
(2j Et non le 22 août, comme on l'a écrii jusqu'à présent.
JULES LAFORGUE il 5
toute sa famille, rue Berlhollet, num»^ro aa. Nous avons eu l'occasion
de fréquenter cette maison. La chambre de Jules Laforgue devait se
trouver sur le derrière. Le paysage qu'il a décrit dans un de ses
poèmes (i) est resté le même : le toit d'une vaste buanderie vieille
et «aie, les maii^res arbres de quelques jardinets clôturés de glycines,
et, dominant le tout, le dôme du Val-de-(jrâce. De la rue Bcrlhollet,
la famille Laforgue alla habiter quelque temps aux BatignoIIes, rue
des Moines. Jules Laforgue collaborait alors à La Vie Moderne, à
L'Art et la Mode, où il publia ses premiers vers, nous entendons les
premiers dont il ait fait étal dans ses œuvres. A la fin de 1880,
Charles Laforgue malade, toute la famille retourna à Tarbes. Jules
Laforgue resta seul à Paris, logi' dans une chambre d'hôtel de la
rue Monsieur-le-Prince, travaillant à des recherches dans les biblio-
thèques pour les travaux de M. Charles Ephrussi, directeur de La
Gazette des Beaux-Arts. C'est à cette époque de sa vie que se place
une des plus touchantes lettres de Jules Laforgue, écrite à sa sœur, à
Tarbes. Touchante, en effet, et pénétrante, celle lettre, par la pauvreté
qu'elle révèle, l'affection fraternelle, la délicatesse et la profondeur
de sentiment, avec quehjue chose de ce sourire navré qu'on retrouve
dam tous les écrits de Laforgue. En voici quelques extraits (a) ;
« Septembre 1881. « Pour toi seule k lire
Prends garde de laisser avant de t'endormir. Dis à la
tomber un petit souvenir cousine que je lui rembour-
que je t'envoie. serai l'éclairage.
« Pauvre chère sœur,
« Il est sept heures. Je rentre fatigué. On me donne ta lettre. Ah!
comme je l'attendais! Si tu savais comme je m'ennuie aussi!
« Comme cette gare était triste le soir où vous êtes partis I Dans ce
wagon. Toi au fond. Je t'appelais voyant tes yeux mouillés, tu ne
répondais pas et il a fallu s'en aller.
« ... Le premier du mois j'ai reçu deux cents francs d'Ephrussi.
J'ai rendu cinq francs à Chariot — payé mon terme — le blan-
chissage — acheté des bas, trois gilets de flanelle... puis aujour-
d'hui : — tu sais comme j'étais habillé! veston tout reprise! gilet
en loques, pantalon frangé et tu ne m'en voudras pas, n'est-ce pas?
— aujourd'hui, di.s-je, j'ai couru pour voir des tailleurs et je me
luis arrêté à un vers cinq heures — pour «piatre-vingts francs j'au-
rai un costume complet en cheviotle, ce drap que lu aimes tant I et
(l) Complainte d'un autre dimanche. Poimcs. Edition du Mrrrurc de France,
nage 88. Le poème est daté : oriolno lb84. Erreur, prob&LIcmcûl. A ceUt
épo<|ue, Jules Laforgue était en Alloiua|,-ue.
(i) Jiidanget potHiumUt Ed.Uu Mercure de France.
il 6 fOETES d''aUJ0L!1VD*I1U1
je le soignerai bien pour aller te voir en avril prochain, lu veux, dis?
« ... Hier, dimanche, je me suis tellement ennuyé, j'avais le cœur si
serré de mon isolement dans ces foules se promenant, que cela deve-
nait pour moi une sorte de jouissance d'artiste. Le matin j'ai pris
une tablette Lombard, du café et deux sous de pain, puis j'ai tra-
vaillé jusqu'à cinq heures dans ma petite chambre. Et le soir ! Ahl
si tu m'avais vu ! Je me promenais seul, regardant les foules endi-
manchées, rentrer les tramways qu'on prenait d'assaut. Et des détails
qui me faisaient sentir plus fortement encore ma solitude, une femme
endimanchée, sortant d'une boulangerie, tenait à deux mains sur
une serviette un rôti fumant, repas de famille, etc., etc. — Tu ne
sais pas comment j'ai dîné . Oh ! très bien ! Il me fallait une boulan-
gerie, une charcuterie, une fruiterie. Trois de ces boutiques se trou-
vent tout près, à ma porte, dans la rue. Mais je n'aurais pas voulu
que mes concierges prenant le frais sur le seuil me vissent; j'ai été
assez loin, dans une boulangerie j'ai acheté deux sous de pain qui
ont disparu dans les profondeurs caverneuses de ma poche. Pour la
charcuterie c'était plus difficile. Je passais et repassais devant sans
oser rentrer.
« Tantôt intimidé de voir au comptoir deux jeunes charcutières aux
joues roses et luisantes, aux manches immaculées, riant entre elles.
A quoi bon les déranger? Puis, devant une autre où je n'avais pas
le même prétexte, ne voyant au comptoir qu'une vieille charcutière
à palatine d'astrakan chauve sur les épaules, j'hésitais encore,
me demandant si c'était bien de la galantine que cette chose s'appe-
lait. Enfin à une autre j'entre. Un homme borgne s'avance, ceint de
son tablier, le coutelas effilé au côté. De la galantine, s. v. p. —
Pour combien? — Six sous, balbutiai-je. — Truffée ou non truffée?
— Diable, pensais-je, je n'ai jamais goûté de lune ni de l'autre, et
dans l'éclair d'une seconde, sous l'œil inquisiteur du charcutier, je
me fis à part moi ce petit raisonnement : Si je prends de la truffée,
je n'aimerai peut-être pas la partie truffée et serai obligé delà jeter,
et ce sera cela du poids en moins. — Or je l'aime non truffée, et
les truffes en moins feront du non truffé en plus — et je conclus
à haute et intelligible voix : — Non truffée! Cet être s'attaqua
à un gros bloc recouvert de gelée ambrée et m'enveloppa dans un
papier une grande plaque mince qui alla rejoindre les deux sous de
pain dans ma poche. Puis dans une fruiterie j'ai acheté pour la modi-
que somme de dix centimes une tranche de melon qu'on m'enve-
loppa aussi, et je remontai chez moi. Je m'enferme à double tour et
je mange en songeant à la vie, à toi qui ne m'écris pas, etc. Puis,
une fois tout fini, ne voulant pas laisser dans ma chambre la croûte
de la tranche de melon, ce qui aurait révélé ma misère au garçon
préposé à l eulrelica de ma chambre, je pris mou chapeau, ^la
JULES LAFORGUE 217
canne, mig mes fiants, puis je fis passer ia dite croûte dans ma
poche. Je descenciis, cl faisant semblant de me promener sous les
arcades de l'Odion, j'épiai un momcat favorable, cl laissai lomber
cette croûte à terre.
«r ... Fipure-toi que, quoique absolument libre, je ne puis m'arracher
de mes habitudes. Tiens, quand je sors de chez Ephrussi à midi, qui
mcmprche de manger dans son (juartier et d'aller de là à la liiblio-
Ihcque ? Et non, mes jambes me portent vite et instinctivement dans
notre quartier, et je rôde, sans savoir pourquoi, autour de la rue
Berthollcl, où je n'ai pourtant plus rien à faire! (Juand, le soir, à dix
heures, je me trouve sortant du cabinet de Itctnrc, je me hù\v ver-
le quartier, comme si tu m'attendais toujours, puissance des habis
tudes prises I Le ressort a été monté d'une certaine faron par la
main, et la machine marche toujours dans ce sens. Comme ta lettre
est triste, ma pauvre petite Marie ; mais il faut de temps en temps
de ces séparations, de ces tristesses, pour entretenir la douceur d'en-
fance de son cœur — tu ne crois pas, lu me trouves cruel, peut-être.
Mais nous aurons la joie de nous revoir, la joie d'cchau^er des
lettres, etc.
« ...Que puis-je l'envoyer comme souvenir cette fois-ci? Je découpe
dans un coin, derrière la commode, un morceau de la tapisserie de
ma pauvre chambre, ^arde-le prcci«useincnl. — Je t'enverrai un jour
une cassette où tu mettras uni(|uement mes lettres et tous les petits
souvenirs que je t'enverrai. Nous en rirons en le-j rcvovant. »
Rien que pour ces dernières lignes, n'est-elle pas admirable et
touchante, cette lettre, et ne fait-elle [)as aimer celui qui l'a écrite?
C'est éf^alement à cette époque que Jules I^afori^ue connut M. l'aul
Bour^cl,au(iuel, croit se rappeler M. Emile Laforçii»*. il avait envoyé
quelques vers, et qui l'invita h venir le voir. L'atnilié et rinflumce
réunies de MM. Charles Ephrusbi et Paul linur^rt procurèrent «lors
à Jules Laforf;ue une place de lecteur au|>rcs de l'Impératrice
Augusta, grand'mère de l'empereur d'Alleinasfoe aduel, poste (pi'il
occupa pendant près de cinq années, de décembre 18S1 à septeml)re
i88«i. Le père de Jules Lafort^u»' ne connut rien de ocitc amcIioratKtn
dans le sort de son tils : il mourut en novembre i8Sr, quatre jours
avant l'entrée de Jules Laforgue en fonction. Il lui man(|ua ainsi de
rien connaître également de sa carrière litt<'rnire, qu'au rebours de
nombre de pères il avait beaucouj> es(»erée et souhaitée. Lui ni r me,
dans sa jeunesse, avait rcv<'' de « faire de la litt' rature 1» cl avait
écrit des vers ; M. Emile Laforgue en a retrouvé des traces dans un
c Journal » tenu par lui de 1807 à 18G0. On a quelques détails, dans
les lettres de Jules Laforgue à M. Charles Ephrus!>i (i), sur sea
(1) Mclangci poaihumt».
n
Î2l8 POÈTES d'aujourd'hui
occupations de lecteur comme sur l'emploi de ses loisirs. Le malin,
il notait dans les revues et journaux français les articles intéres-
sants, résumait les bulletins politiques et les bibliographies, dont il
allait faire ensuite la lecture à l'Impératrice. La lecture avait aussi
lieu quelquefois le soir, à sept heures et demie. Dans ses loisirs,
Laforgue lisait, étudiait l'allemand et l'anjîlais, travaillait à refaire
un volume de vers emporté de Paris ou à écrire des articles pour La
Gazette des Beaux-Arts, ou allait se promener dans Berlin, visiter
les musées et les expositions, regrettant, écrivait-il, « les galeries
de rOdéon, les ciels malades que l'on voit du pont de la Concorde,
les belles flaques de la place de ce nom », et aussi « les enterre-
ments à la Madeleine et à Saint-Augustin et les rosses résignées et
somnolentes des fiacres »>. C'est vers la fin de ce séjour en Allemagne
qu'il se lia avec une jeune Anglaise, Miss Leah Lee, auprès de
laquelle il prenait des leçons de prononciation et avec laquelle il se
fiança. En décembre 1886, tous les deux quittèrent l'Allemagne, elle
rentrant en Angleterre, lui revenant à Paris, où il ne passa que
quelques jours, descendu rue Laugier, chez M. Gustave Kahn. Il
partit ensuite retrouver Miss Lee à Londres, où leur mariage eut
lieu, le 3i décembre 1886. Depuis quelque temps déjà, Jules Lafor-
gue était malade de la maladie — la phtisie — qui devait l'empor-
ter. Rentré à Paris avec sa femme aussitôt après leur mariage et
installé rue de Commaille, il lui fallut, maîgré sa santé très atteinte,
s'occuper de g^agner leur vie à tous deux, au moyen d'articles qu'il
plaçait çà et là, collaborant en même tenaps à La Revue Indéperi'
dante de M.Edouard Dujardin, et à La Vogue de M. Gustave Kahn.
Il en alla ainsi jusqu'en juillet 1887. A c« moment, il eut un redou-
blement de maladie, dont ses amis sVmurent : M. Théodor de
Wyzewa, M. Charles Henry, et M. Paul Bourget, qui l'adressa au
docteur Robin. Le résultat de la consultation fut l'absolue nécessité
pour Laforgue de quitter Paris pendant quatre ou cinq ans, pour
aller vivre dans le midi, sous un climal plus favorable, dans un
endroit où il pût « respirer sans souffrance ». Ses amis s'occupè-
rent aussitôt de lui trouver une place suffisante à Alger et il comp-
tait pouvoir s'y installer dès octobre. « Je n'ai pas pour deux sous
d'idées, — écrivait-il à sa sœur un dimanche de juillet, après l'avoir
mise au courant de sa mauvaise santé et de son prochain départ, —
et cependant je publie des articles, et c'est pour mon talent que
mes amis s'intéressent à moi. Il y a longjtemps que tu ne sais plus
rien de mes affaires littéraires. Ce serait trop long à détailler, mais
sache d'un mot que j'ai le droit d'être fier; il n'y a pas un littéra-
teur de ma génération à qui on promette un pareil avenir. Tu dois
penser qu'il n'y a pas beaucoup de littérateurs qui s'entendent dire:
VOUS avez du génie. » Ironie des choses, où ne manque pas on ne
Jtff.r.S I ArOAGUa il^
sait quelle mystériense beauté! Un mois après, Laforçue mourait,
le 20 août 1S87, moins d'un an après son mariage et à quatre jours
de son anniversaire, suivi à huit mois de distance par sa femme,
qui avait contracté le même mal en le soignant.
La place nous est bien mesurée maintenant pour parler de T.tu-
vre de Jules Laforgue. Les écrits en prose n'y ont pas moins d'im-
portance que les vers, dans cette œuvre, les uns et les autres d'une
fantaisie complexe et savante, débordante de sensibilité et un prn
clownesque, qui a fait comparer leur auteur à un Heine français.
« Jules Laforgue, nous a dit M. Emile Laforçue, pour le connaître
vous n'avez qu'à lire son Hamlet fi). Il est là tout entier. C'est lui
qu'il a peint. La ressemblance est frappante. » « C'était un esprit
doué de tous les dons et riche d'acquisitions importantes, a écrit
d'autre part M. Remy de Gourmont. {Le Livre des Masques.) Son
génie naturel, fait de sensibilité, d'ironie, d'imagination et de clair-
voyance, il avait voulu le nourrir de connaissances positives, de
toutes 1rs philosophies.de toutes les littératures, de toutes les ima-
ges de nature et d'art; et même les dernières vues de la science
semblent lui avoir été familières... C'est de la littérature entièrement
renouvelée et inattendue, et qui déconcerte et qui donne la sensa-
tion curieuse (et siiriout rare) qu'on n'a jamais rien lu de pareil...
Si son œuvre interrompue n'est qu'une préface, elle est de celles qui
contrebalancent une œuvre. » Enfin, voici sur lui quelques mots de
M. Maurice Maeterlinck : « 11 a vu bien des choses autrement que
les autres; et voir autrement que les autres, c'est presque toujours
voir un peu mieux que les autres. Et puisqu'il les a rus, il a su
nous faire voir des paysages, des images et des sentiments assez
différents de ceux qui nous étaient habituels. Mais ce qu'il a, je croi«^
le plus clairement aperçu dans une beauté et une irërité inattendues
c'est une sorte de sourire puéril et divin qui est peut-être au fon
de toutes nos actions, et qu'on pourrait nommer c le sourire %
l'âme... » (Introduction à Jules Laforgue, Essai, par M. Cam;^
Mauclair).
Bibliographie :
Les oeuvres. — Les Complaintes, poésies. Vanier, l^ss, in-18. — L'I-
mitntion de Notre-Dame la Lune, poôsies. Paris, Vanior, 18S6. in-18.—
Paul Oourget, notice biograpln.|ue, les Ilommes (raujotirdhui, n» 295,
e» vol. Paris, Vanier, une feuille. - Le Concile f«.'«erlque. poème dialo-
gué. Paris, éd. de « la Vogue ., 1886. in-18. — Derniers Vers [Des fleurs
de bonne volonté. Le Concile féerique. Derniers Vers), édition définitive
avec toutes les variantes tirées des manuscrits orijj'inaux et classées par
MM. Edouard Dujardia et Félix Fénéon. Paris, 1890, gr. in-8. (Tirajc à 57 ex"
(1) iforalitét légcndaim.
S20 fOETES D AUJOUnD IlUt
dont 50 numi'rotfs à la presse et réservés aux souscripteurs). — Murailles
léfjPndaires. six contes en prose. Paris, éd. de la Revue Indépendante,
1887, in-18. (420 ex. num., porlr. de l'auteur gravé à l'eau-forte par En».
Laforfruc.) Réimpr. : Moralités léf/endaires. Paris, Vanicr, 1894, in-18;
Moralités lér/endaires. édition ornée de fig. sur bois, par Lucien PissaiTo
Londres. Hacon et Ricketts, et Paris. Soc. du Mercure de France, 1897-
1808. 2 vol. in-8 ; Moralités légendaires, etc., Paris, Soc. du Mercure de
France, 1902, in-18. — Poésies complètes {Les Complaintes. L'Imi-
tation de Notre-Dame la Lune. Le Concile féerique. Derniers vers).
Paris, Vanier. 1894, in-18. — Œuvres complèles de Jules Laforçjue :
Moralités Lénendaires. Les Deux Pigeons. Paris, Soc. du Mercure de
France, 1902, in-18; — Ibid. Poésies [Le Sanglot de la Terre. Les Com-
plaintes. L'Imitation de N.-D. la Lune. Le Concile féerique. Derniers
Vers. Des fleurs de bonne volonté). Paris, Soc. du Mercure de France, 1903,
in-18; — Ibid. Mélanges posthumes {Pensées et paradoxes. Pierrot
fumiste. Notes sur la femme. L'Art impressionniste. L'Art en Allemagne.
Lettres). Portr. de Jules Laforgue par Théo Van Rysselberghe. Paris, Soc.
du Mercure de France, 1903, in-18. (Ces trois volumes ont été publiés par
M. Camille Mauclair.)
A CONSULTER. — André Beaunler : La Poésie nouvelle. Paris, Soc. du
Mercure de France, 1902, in-18. — Médérlc Dufour : L'Esthétique de
Jules Laforgue Paris, Messein, 1905, in-18. — Félix Fénéon : Laforgue,
notice, publiée dans les Portraits du prochain Siècle. Paris, Girard, 1894,
in. 18. — Ilemy de Gourmoni : Le Livre des Masques, Paris, Soc. du
Mercure de France, 1896, in-18 ; Promenades littéraires, i. Paris, Soc. du
Mercure de France, 1904, in-18. — Jules Laforgue : Lettres. Voyez :
Œuvres complètes. Mélanges posthumes, Paris. Soc. du Mercure de France,
1903. — Gustave Kahn : Symbolistes et décadents, Paris, Vanier, 1902,
in-18. — Camille Mauclair : Jules Laforgue, Essai, avec une introduc-
tion de Maurice Maeterlinck Paris, Soc. du Mercure de France, 189C ; Aver-
tissement aux Œuvres complètes. Voyez : Moralités légendaires. Paris, Soc.
du Mercure de France, 1902, in-18. —Francis de Miomaudre : Visages.
Bruges, A. Herbert, 1907, in-8. — Georges Moore : Impressions and
opinions. Two unknown Poets {Rimbaud and Laforgue). London, 1891, in-8.
A. Symons : The Symbolist movement in Literature. London, W. Hci-
nemann, 1899, in-8. —T. de Wyzewa : Nos Maîtres. Paris, Perrin, 1895.
A.vanllamel: Franske Symbolisten . Amsterdam, Gids, 1902, in-8.
Luclle Dubois : La France jugée à l'étranger. James Jluncker : Uri
chef-d'œuvre d'ironie. L'Hamlet de Jules Laforgue. (The -Sun, New-York,
11 janv. 1903), Mercure de France, juin 1903. — F. Fénéon : Jules Lafor-
gue. Bruxelles, Art ModernB, n»* 41 et 42, 1887. — Gustave Kahn : Jules
Laforgue (les Hommes d'aujourd'hui), Paris, Vanier, s. d., n» 2'J8. — J."
Laforgue : Réponse à M. Trézenik. Lulèce, 4 octobre 1885. — Ednioud
Pilon : Jules Laforgue. Ermitage, octobre 1895. — Racliilde : Les lio-
mans. Mercure de France, février 1903. — Michel Salomoa : Chronique
littéraire. Lea Œuvret complète* de Jules Laforgue, Journal de Genèvci
30 mars 1903.
Iconographie :
Smilo Laforgue ; Portrait-charge, dans Let Sonmei d'auJourXliuif
JULBS LAFORGUE S3I
n» 208, 6» roi., Paris, Vanier; Portrait d Veau-forte, dans Moralités
légendaires, Pivia, 1887. — Scarbina : Dessin, reproduit dans un programme
du TlK'âtre d'Art, Paris, 1891. — F. Vallolton : Masques, dans Le Livre
des Masques, de R.de Gourmoiit. Paris, Soc. du Mercure de France, I8%,in-18.
— Théo van Rysseiberghe : Portrait au crayon, reproduit dans les Œu'
très complètes. (Voy. Mélanges posthumes . Paris, Soc. du Mercure de France,
1903, in-18.)
LA CHANSON
DU PETIT HYPERTROPHIQUK
C'est d'un' maladie d' cœur
Qu'est mort', m'a dit Y docteur,
Tir-lan-laire!
Ma pauv' mère ;
Et que j'irai là-bas,
Fair' dodo z'avec elle.
J'entends mon cœur qui bat,
C'est maman qui m'appelle I
On rit d' moi dans les rues,
De mes min's incoDi?rues
La-i-tou !
D'enfant saoul ;
Ah ! Dieu! C'est qu'à chaqu' pas
J'étouft', moi, je chancelle!
J'entends mon cœur qui bat,
C'est maman qui m'appelle !
Aussi j'vais par les champs
Sans^loter aux couchants,
La-ri-rette !
C'est bien bête.
Mais le soleil, j'sais pas,
M' semble un cœur qui ruisselle I
J'entends mon cœur qui bat.
C'est maiman qui m'appelle !
Ah ! si la p'tite Gen'viève
Voulait d'mon cœur qui s' crèvej
Pi-lou-i !
22 2 POÈTES D'aujourd'hui
Ah, oui!
J' suis jaune et triste, hélas l
Elle est ros*, gaie et belle !
J'entends mon cœur qui bat,
C'est maman qui m'appelle I
Non, tout r monde est méchant.
Hors le cœur des couchants,
Tir-lan-laire !
Et ma mère.
Et jVeux aller là-bas
Fair' dodo z'avec elle...
Mon cœur bat, bat, bat...
Dis, Maman, tu m'appelles ?
(Poésies complètes : Le Sanglot de la Terre.)
L IMPOSSIBLE
Je puis mourir ce soir ! Averses, vents, soleil
Distribueront partout mon cœur, mes nerfs, mes moelles.
Tout sera dit pour moi ! Ni rêve, ni réveil.
Je n'aurai pas été là-bas, dans les étoiles !
En tous sens, je le sais, sur ces mondes lointains.
Pèlerins comme nous des pâles solitudes.
Dans la douceur des nuits tendant vers nous les mains.
Des Humanités sœurs rêvent par multitudes!
Oui ! des frères partojt! (Je le sais, je le sais!)
Ils sont seuls comme nous. — Palpitants de tristesse,
La nuit, ils nous font signe! Ah! n'irons-nous, jamais ?
On se consolerait dans la grande détresse !
Les astres, c'est certain, un jour s'aborderont!
Peut-être alors luira l'Aurore universelle
Que nous chantent ces gueux qui vont, l'Idée au front!
Ce sera contre Dieu la clameur fraternelle !
Hélas ! avant ces temps, averses, vents, soleil
Auront au loin perdu mon cœur, mes nerfs, mes moelles,
JULES LAFOnClE 22 3
Tout se fera sans moi I Ni rêve, ni réveil !
Je n'aurai pas été dans les douces étoiles I
(Poésies complètes : Le Sanglot de la Terre.)
COMPLAINTE SUR CERTAINS ENNUIS
Un couchant des Cosmoc^onies l
Ah! que la Vie est quolich'enne...
Et, du plus vrai qu'on se souvienne,
Comme on fut piètre et sans génie...
On voudrait s*avouer des choses,
Dont on s'étonnerait en route,
Qui feraient une fois pour toutes !
Qu'on s'entendrait à travers poses.
On voudrait saic^ner le Silence,
Secouer l'exil des causeries ;
Et non l ces dames sont aij^ries
Par des questions de préséance.
Elles boudent là, l'air capable.
Et, sous le ciel, plus d'un s'explique,
Par quel gâchis suresthélique
Ces êtres-là sont adorables.
Justement, une nous appelle.
Pour l'aider à chercher sa bague
Perdue (où, dans ce terrain vague?)
Un souvenir d'amour, dit-elle l
Ces êtres-là sont adorables!
Poésies ccomplètes : Les Complaintes.)
COMPLAINTE DU ROI DE TIIULÉ
Il était un roi de Thulé,
Inmiaculé,
224 POETES DAUJOURDnUI
Oui, loin des jupes et des choses.
Pleurait sur la métempsycose
Des lys en roses,
Et quel palais !
Ses fleurs dormant, il s'en allait.
Traînant des clés,
Broder aux seuls yeux des étoiles.
Sur une tour, un certain Voile
De vive toile.
Aux nuits de lait!
Quand le voile fut bien ourlé.
Loin de Thulé,
Il rama fort sur les mers grises,
Vers le soleil qui s'agonise.
Féerique Eglise !
Il ululait :
« Soleil-crevant, encore un jour,
Vous avez tendu votre phare
Aux holocaustes vivipares.
Du culte qu'ils nomment l'Amour.
a Et comme, devant la nuit fauve.
Vous vous sentez défaillir.
D'un dernier flot d'un sang martyr,
Vous lavez le seuil de l'Alcôve !
a Soleil! Soleil! moi je descends
Vers vos navrants palais polaires,
Dorloter dans ce Saint-Suaire
Votre cœur bien en sang,
En le berçant ! »
Il dit, et, le Voile étendu,
Tout éperdu,
Vers les coraux et les naufragées,
Le roi raillé des doux corsages,
Beau comme un Mage
Est descendu !
iULBS LAFORGUE 33^
Braves amants ! aux nuits de lait.
Tournez vos clés!
Une ombre, d'amour pur transie,
Viendrait vous er^-mir cette scie :
« Il était un roi de Thulé
Immaculé... 9
{Poésies complétis : Les Complaintes.)
CO.MPLAINTE
Di l'oubli des mouts
Mesdames et Messieurs,
Vous dont la mère est morte,
C'est le bon fossoyeux
Qui gratte à votre porte.
Les morts
C'est sous terre ;
Ça n'en sort
Guère.
Vous fumez dans vos bocks.
Vous soldez quelque idylle,
Là-bas chante le coq,
Pauvres morts hors des villes I
Grand-papa se penchait,
Là, le doiçl sur la tempe,
Sœur faisait du crochet,
Mère montait la lampe.
Les morts
C'est discret.
Ça dort
Trop au frais.
Vous avez bien t\hù\
Comment va celle alTaire ?
Ah 1 les petits morts-nés
Ne se dorlotent guère I
14.
520 POÈTES d'aujourd'hui
Notez, d'un trait égal.
Au livre de la caisse,
Entre deux frais de bal :
Entretien tombe et messe.
C'est gai.
Cette vie ;
Hein, ma mie,
0 gué ?
Mesdames et Messieurs,
Vous dont la sœur est morte,
Ouvrez au fossoyeux
Qui claque à votre porte ;
Si vous n'avez pitié.
Il viendra (sans rancune)
Vous tirer par les jiieds,
Une nuit de grand'lune !
Importun
Vent qui rage !
Les défunts ?
Ça voyage...
[Poésies complètes : Les Complaintes»)
ENCORE UN LIVRE...
Encore un livre ; ô nostalgies.
Loin de ces très goujates gens.
Loin des saints et des argents.
Loin de nos phraséologies !
Encore un de mes pierrots morts;
Murt d'un chronique orphelinisrae;
C'était un cœur plein de dandysme
Lunaire, en un drôle de corps.
Les dieux s'en vont ; plus que des bures;
Ab! ça devient tous les jours pis;
JULBS LAFORGUB a'»7
J'ai fait mon temps, je dcjçuerpis
V^ers l'iuclii.sive Sinécure,
{Poésies complètes : L'Imitation de Notre-Dame- la- Lune.)
L'HIVER QUI VIENT
Blocus sentimenlal ! Messnjçeries du Levant!...
Oh, toinhcc (le la pluie ! Oh! tombée de la nuit.
Oh! le vent!...
La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année,
Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !. . .
D'usines...
On ne peut plus s'asseoir, tous les bancs sont mouillés;
Crois-moi, c'est bien fini jus(ju'à l'aiinée prochaine.
Tant les bancs sont mouillés, tant les bois sont rouilles,
Et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton tainel...
Ah, nuées accourues des cotes de la Manche,
Vous nous avez gâté notre dernier dimanche.
Il bruine ;
Dans la forêt mouillée, les toiles d'araii^nées
Ploient sous les le^outtes d'eau, et c'est leur ruine.
Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds Pactoles
Des spectacles aiçricoles,
Où (îtes-vous ensevelis?
Ce soir un soleil Kchu pît au haut du coteau,
Gît sur le flanc, dans les içenéls, sur son manteau :
Un soleil blanc comme un crachat d'estaminet
Sur une litière de jaunes tçenéts.
De jaunes genêts d'automne.
Et les cors lui sonnent!
Qu'il revienne...
Qu'il revienne à lui !
Taïaut I taïaut ! et hallali!
0 triste antienne, as-tu fini !..,
Et fout les fous I...
aaS POÈTES d'aujourd'hui
Et il gît là, comme une glande arrachée dans un cou,
Et il frissonne, sans personnel...
Allons, allons, et hallali !
C'est l'Hiver hien connu qui s'amène ;
Oh ! les tournants des grandes routes.
Et sans petit Chaperon Rouge qui chemine!...
Oh ! leurs ornières des chars de l'autre mois,
Montant en donquichottesques rails
Vers les patrouilles des nuées en déroute
Que le vent malmène vers les transatlantiques bercails !...
Accélérons, accélérons, c'est la saison bien connue, cette fois.
Et le vent, cette nuit, il en a fait de belles !
O dégâts, ô nids, ô modestes jardinets !
Mon cœur et mon sommeil : ô échos des cognées!.,.
Tous ces rameaux avaient encor leurs feuilles vertes,
Les sous-bois ne sont plus qu'un fumier de feuilles-mortes;
Feuilles, folioles^ qu'un bon vent vous emporte
Vers les étangs par ribambelles,
Ou pour le feu du garde-chasse.
Ou les sommiers des ambulances
Pour les soldats loin de la France.
C'est la saison, c'est la saison, la rouille envahit les masses,
La rouille ronge en leurs spleens kilométriques
Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe.
Les cors, les cors, les cors — mélancoliques I..,
Mélancoliques !...
S'en vont, changeant de ton,
Changeant de ton et de musique.
Ton ton, ton taine, ton ton!...
Les cors, les cors, les cors!...
S'en sont allés au vent du Nord.
Je ne puis quitter ce ton : que d'échos !...
C'est la saison, c'est la saison, adieu vendanges l.„
Voici venir les pluies d'une patience d'auge,
/ULH8 LAFORGUE 229
Adieu vendnnjçcs, et adieu tous les paniers,
Tous les paniers Walteau des bourrées sous les marronniers,
C'est la toux dans les dortoirs du lycée qui rentre.
C'est la tisane sans le foyer,
La phtisie pulmonaire attristant le quartier,
Et toute la misère des grands centres.
Mais, lainaîçes, caoutchoucs, pharmacie, rêve,
I\i(leaux écartés du haut des balcons des grèves
Devant l'océan de toitures des faubourgs.
Lampes, estampes, thé, petits-fours,
Serez-vous pas mes seules amours !
(Oh ! et puis, est-ce que tu connais, outre les pianos.
Le sobre et vespéral mystère hebdomadaire
Des statisti(]ues sanitaires
Dans les journaux ?)
Non, non 1 c'est la saison et la planète falote !
Que l'autan, que l'nutan
Effiloche les savales que le Temps se tricote !
C'est la saison. Oh déchirements! c'est la saison !
Tous les ans, tous les ans,
J'essaierai en chœur d'en donner la note.
[Poésies complètes .-Derniers Vers.)
DIMANCHES
Bref, j'allais me donner d'un a Je vous aime »
Quand je m'en avisai ix^n sans peine
Que d'abord je ne me possédais pas bien moi-mèrac,
(Mon moi, c'est Galathée aveuglant Pyjçmalion !
Impossible de moditier cette situation.)
Ainsi donc, pauvre, pille et piètre individu
Qui ne croit à son .Moi qu'à ses moments perdus,
Je vis s'cffacrruia fiancée
Emportée par le cours des choses,
a3o POÈTES d'aujourd hui
Telle l'épine voit s'effeuiller,
Sous prétexte de soir sa meilleure rose.
Or, cette nuit anniversaire, toutes les Walkyries du vent
Sont revenues beugler par les fentes de ma porte :
Vœ soli !
Mais, ah 1 qu'importe ?
Il fallait m'en étourdir avant J
Trop tard ! ma petite folie est morte.
Qu'importe Vœ soli f
Je ne retrouverai plus ma petite folie.
Le grand vent bâillonné,
S'endimanche enfin le ciel du matin.
Et alors, eh I allez donc, carillonnez.
Toutes cloches des bons dimanches !
Et passez layettes et collerettes et robes blanches
Dans un frou-frou de lavandes et de thym
Vers l'encens et les brioches !
Tout pour la famille, quoi 1 Vœ soli ! c'est certain.
La jeune demoiselle à l'ivoirin paroissien
Modestement rentre au logis.
On le voit, son petit corps bien reblanchi
Sait qu'il appartient
A un tout autre passé que le mien !
Mon corps, ô ma sœur, a bien mal à sa belle âme.;.
Oh ! voilà que ton piano
Me recommence, si natal maintenant !
Et ton cœur qui s'ignore s'y ânonne
En ritournelles de bastringues à tout venant.
Et ta pauvre chair s'y fait mal !..
A moi, Walkyries !
Walkyries des hypocondries et des tueries I
Ah, que je te les tordrais avec plaisir.
Ce corps bijou, ce cœur à ténor.
Et te dirais leur fait, et puis encor
JULES LAfOnCUB
i3i
La manière de s'en serrir.
De s'en servir à deux,
Si tu voulais seulement m'approfondir ensuite un peu I
Non, non ! C'est sucer la chair d'un cœur élu,
Adorer d'incurables organes,
S'entrevoir avant que les tissus se fanent,
En niouonianeS) en reclus !
Et ce n'est pas sa chair ({ui nie serait tout.
El je ne serais pas (pi'un trran»! cœur pour elle.
Mais ipioi s'en aller faire l»'s fous
Dans des histoires fraternelles !
L'ànie rt la chair, la chair «'l Tàmc,
C'est l'rsprit t;driii<jue et Hcr
D'rtre un peu l'Homme avec la Femme.
En attendant, oh ! (^arde>toi des coups de tête,
Ob I tile ton rouet et prie et reste honnête
— Allons, dernier des poètes,
Toujours enfermé lu te rendras malade !
V^ois, il fait beau temps, tout \r monde est dehors.
Va donc acheter deux sous «l'ellcbore,
Ça te fera une petite promenade.
{Poésies complétés : Derniers Vers.)
LE BRAVE. BRAVE ALTOMXEl
Quand reviendra l'automne,
('cite saison si triste.
Je vais m'Ia passer bonne.
Au point de vue artiste.
Car le vent, je l'conuais.
Il est de mes amis !
Drpuis que je suis ne
11 fait que j>n ^cmis.. .
232 POÈTES D* aujourd'hui
Et je connais la neiçe,
Autant que ma chair même.
Son froment me protéine
Contre les chairs que j'aime...
Et comme je comprends
Que l'automnal soleil
Ne m'a l'air si souffrant
Qu'à titre de conseil 1...
Puis rien ne saurait faire
Que mon spleen ne chemine
Sous les spleens insulaires
Des petites pluies fines...
Ah ! l'automne est à moi,
Et moi je suis à lui,
Comme tout à a pourquoi ? »
Et ce monde à « et puis ? »
Quand reviendra l'automne,
Cette saison si triste,
Je vais m'ia passer bonne
Au point de vue artiste.
{Poésies complètes : Des Jleurs de bonne volonté.)
DIMANCHES
J'aurai passé ma vie à faillir m'embarquer
Dans de bien funestes histoires,
Pour l'amour de mon cœur de Gloire ! . . .
— Oh ! qu'ils sont chers, les trains manques
Où j'ai passé ma vie à faillir m'embarquer I...
Mon cœur est vieux d'un tas de lettres déchirées.
Oh I Répertoire en un cercueil
Dont la Poste porte le deuil 1...
— Oh ! ces veilles d'échauffourées
Où mon cœur s'entraînait par lettres déchirées !..,
JULES LAFORGUE j33
Tout n'est pas dit encor, et mon sort est bien vert.
0 Poste, automatique Poste,
O yeux passants fous d'holocaustes,
Oh! qu'ils sont là, vos airs ouverts !...
Oh I comme vous guettez mon destin encor vert I
(Une, pourtant, je me rappelle,
Aux yeux grandioses
Comme des roses,
Et puis si belle !
Sans nulle pose.
Une voix me criait : « C'est elle ! Je le sens ;
a Et puis, elle te trouve si intéressant ! »
— Ah ! que n'ai-je prêté l'oreille à ses accents I. ..)
(Poésies complètes : Des fleurs de bonne volonté.)
NOTRE PETITE COMPAGNE
Si mon Air vous dit quelque chose,
Vous auriez tort de vous gêner;
Je ne la fais pas à la pose ;
Je suis La Femme, on me connaît.
Bandeaux plats ou crinière folle,
Dites ? quel Front vous rendrait fou ?
J'ai l'art de toutes les écoles,
J'ai des Ames pour tous les goûta.
Cueillez la fleur de mes visasres.
Buvez ma bouche et non ma voix,
Et n'en cherchez pas davantage...
Nul n'y vit clair; pas même moi.
Nos armes ne sont pas éc^ales,
Pour que je vous tende la n)aio.
Vous n'èles que de naïfs niAles,
Je suis rÉlernel Féminin l
Mon But se perd dans les Etoiles I
234 POÈTES d'aujourd'hui
C'est moi qui suis la Grande Isis I
• Nul ne m'a retroussé mon voile,
Ne songez qu'à mes oasis...
Si mon Air vous dit quelque chose,
Vous auriez tort de vous gêner ;
Je ne la fais pas à la pose :
Je suis La Femme ! on me connaît.
{Poésies complètes : Desjleurs de bonne volonté.
LÉO LARGUIER
i878
M, Léo Larc^iier est né, le 6 décembre 1878, à La Grand'Combe
(Gardj d'une forte race de paysans cévenols. Il fit ses études au Lycée
d'Alais, de mauvaises éludes, selon lui, mauvais élève comme l'ont
été beaucoup de poètes, et jusqu'à vinj^t ans il vécut dans sa ville
natale. C'est pendant son service militaire, à Aix-en-Provence, où
il eut l'occasion de connaître le peintre Cézanne, qu'il écrivit ses
premiers vers, qui devaient composer son livre de dcbul : La Mai-
son du Poète, publié en 1903, et couronné la même année par l'Aca-
démie française. M. Léo Lart^ier n'aura pas attendu longtemps,
sinon la gloire, du moins une certaine réf)Utation littéraire. 11 ha
connut dès son premier livre, son prix à l'Académie vient de le
montrer, et elle s'accrut encore quand il publia son deuxième
recueil de vers : Les Isolements. Les poètes de sa çénération, ses
rivaux courtois, se plaisent à voir en lui un grand poète prochain,
et lui-même est plein de confiance dans sa force et son talent pour
leur donner raison un jour. Peut-être même pourrait-on dire
qu'il a commencé, avec ce même livre : Les Isolements, oii se trouvent
nombre de poèmes remarquables par leur lyrisme, leurs images, leurs
qualités d'évocation, et l'émotion que l'auteur y a mise. M. Léo Lar-
guier occupe une place bien à lui, en ce sens qu'il est, parmi les nou-
veaux poètes, le seul disciple, on pourrait même dire le seul continua-
teur de Huço et de Lamartine, par son verbe sonore, son éloquence,
et aussi son intransigeante fidélité à l'alexandrin régulier. Un néo-
romanti<pie, ce terme le peindrait parfaitement. Hugo et Lamar-
tine, leurs noms reviennent, du reste, souveal dans ses vers. Leurs
livres sont ses livres, et ce sont leurs portraits, surtout c^lui de Hugo,
qu'il a devant les yeux quand, assis à sa table, il rêve ou il travaille.
On pourrait aussi y ajouter Vigny. En tout cas, son influence fut
beaucoup moindre sur lui. Le dernier ouvrage de M. Lt'o Larcruier,
dont nous n'avons pu donner qu'un court extrait, est uoe sorte de
$36 potTES d'aujourd'hui
romAn en vers : Jacques, qui s'apparente d'assez près à Jocelyn en
même temps qu'à Olivier^ de François Coppée. A notre époque de
lecture paresseuse, c'est une tentative peui-dtre un peu bien hardie. un
peu bien téméraire aussi, un poème de longue haleine, formant à lui
seul tout un volume! Elle prouve, en tout cas, que M. Léo Larçuier,
en vrai poète, n'a d'autre fjuide, dans fon art, que son goût, son
inspiration, le songe qui le séduit.
Le côté anecdolique, le côté curiosité dans la biographie d'un
écrivain, surtout quand elle contient, comme celle-ci, peu de détails,
n'est pas à dédaigner. Voici, dans ce sens, sur l'auteur des Isolements,
qui a eu l'esprit de s'en amuser tout le premier, un sonnet humoris-
tique paru dans la revue Psyché, numéro de mai 1906.
LEO LARGUIER
Poète ayant tété des muses surhumaines,
Dès l'âge le plus tendre il tutoya Hugo ;
— Il est fécond — il chante en rimes toulousainei
Les bourgeoises vertus, l'âme du Galico,
Son jardin, sa « maison » et le vin de Suresnes !
— Il « raccroche » la gloire. — il est illustre et beau ;
— Ancien sous-officier aux légions romaines.
Il a vaincu Mardrus, mis César au tombeau I
Il aime Cicéron, — il sera député,
Il connaîtra — enfin 1 — la « popularité » —
Il rivra dix mille ans, — il aura du génie!
Il est imperator, il est ménétrier,
Membre d'un orphéon et d'une académie,
Et Joseph, et Prud'homme,... Ubu,... Léo Larguierl
ROBUR.
M. Léo Larguiera collaboré au Mercure de France, à L'Ermitage,
aux Lettres, au Mouvement, à Antèe, à La Revue Bleue, à La Revue
forétienne, au Gaulois, au Petit Parisien. Il publie régulièrement
des Contes dans Le Journal et de petites chroniques pittoresques
dans L'Intransigeant,
Bibliographie :
Lis CEovRFs. — La Maison du Poêle, poèmes. Paris, Slorck, 1903, in-18.
— Les Isolements, poèmes. Paris, Slorck, 1006, in-18.— Jacques, poème.
Paris Soc. du Mercure de France, 1907, in-t8. (Il a été tiré, pour la Société des
XX, 20 ex. de format io-8. Ces exempl. portent tous la sicnalure de l'auteur.)
Léo i.AJir.uiRa 237
A co«ui.TfR. — L. N. Ilarannon : Le Poète Léo Larguier. Soleil, 4 férrier
1908. —Henri Chtiiitavoliio : Léo Laryuier]. Journal de« D/balu, ÎO juil-
let 1903. — (;asloii DcsciinmpK : [Léo Larguier]. Le Temps, juillet 1905.
— (ioorgpR CaKellact 1- riiest (Jaiibert : La Jeune littérature ^avec un
portr.iil (II- l.f'o Lark'uitT). Hcvue illu*lr<'r». 15 arril 1905; La Nouvellt litté-
rature tHOS-lOOj. Paris, Saiisot. 19i)G. i»-l8. — Eriieit tiaubert : Jacquet.
L'n roman modrrne en vers. Iiitrunsi;;eant, 1" février 1'.mj8. — Jean de
CiOtirmont : l'or tes nouveaux . M<'rcun; de France, 1" »eptembre \'J'>6. —
George* Le Cardonnel et Charles Vellay : La Littérature conti-mpo-
rame, iyii5. Opinions dfs /écrivains de ce temps. Paris, Soc. du Mercure de
Fr&ace, 1906, in-18. — liubur : Léo Larguier, sonuet. Psyché, mai-juio I9u6.
AUTOM.XE
Un peu do. ciol scris sur un Irrs viril arbre,
Et le soir (jui loinhe avant (ju'il soit tard,
Un bassin verdûlre, un vase de marbre,
Deux livres ouverts : Laprade et Ronsard,
Un homme penché sur un banc antique,
Avec un front lourd ci de lontçs cheveux,
(Jui chasse du bout d'un b;\lon rusli(nie
Les feuillages morts; un lierre noueux
Sur un puits tari ; la voix désolée
Du premier vent froid courbant les rameaux ;
Un vieux bûcheron dans une vallée;
Un toit noir qui fume au flanc des coteaux.
Derrière une vitre un point d'or qui brille.
Une aubertçe sombre où boit le cocher
De la dilii^i'nce ; une jeune tille
Sortant d'un chemin profond et caché,
Et voil;\ l'aulomnc et voilà la vie,
Et puis me voilà moi-même, ô douceur,
O première étoile, ô mélancolie
Du beau soir brumeux qui baigne mon cœur!
(La Miitsun du Pocle.)
2oô ^oÈTES D AUJOunD*nut
RÊVERIE
A Madame la Comtesse M. de Noailles.
En soupant lentement sous une treille brune
Dont les beaux muscats blancs luisaient au clair de lune,
Tandis que pour moi seul, dans la nuit, un oiseau
Chantait vers le tilleul, je pensais à Rousseau...
Un soir divin et frais venait après l'orage.
Devant le banc de bois du rustique Ermitage,
Une jeune servante avait mis le couvert.
Quelques gouttes tombaient du feuillage plus vert,
Un vase sur la nappe était plein de pervenche.
Madame d'Epinay portait — c'était dimanche —
Son chapeau de bergère et son corsage ouvert.
Pure fraîcheur du soir ! On apportait la lampe,
Et Jean-Jacques songeait, un doigt contre sa tempe.
La servante heurtait les plats dans la maison,
L'étoile du berger montait à l'horizon,
Et quand mourait au loin le bruit du char qui rentre
On entendait couler la source dans son antre
Et chanter la rainette et le grillon perdu.
Madame d'Epinay caressait son bras nu,
Rose et rond sur la table, et parfois son haleine
Dans son corsage creux enflait sa gorge pleine
Qu'une tremblante et tiède ligne séparait.
Un léger vent coulis qui passait murmurait
Dans les arbres du parc une plainte endormie,
Et Rousseau, souriant, regardait son amie,
En feuilletant, distrait, un petit livre gris,
A côté d'un panier plein de cerises blanches.
Un petit livre simple et sans ors sur les tranches
Que Denis Diderot envoyait de Paris.
(La Maison du Poète,]
REMORDS
Le fard blêmît quelques figures...
Dans ce concert de voi.x impures
LEO LAnGuien
aSg
Est-ce la voix qu'on entendait ?
Est-ce toi sons celte lanterne,
Dans l'air obscur de la taverne?...
Oh! si ta mère te voyait !
Pendant qu'éclate cette oriçie,
Et que tu t^aspilles ta vie,
Dans les champs ta maison s'endort,
Seul au cellier ton père veille,
Avec cette lampe si vieille
Où l'huile tombe en larmes d'or.
Sous les cyprès la nuit est sombrr,
Hevois-tu pas briller dans rond)re
La pierre blanche d'un tombeau,
Cependant (jue monte la lune
Sur le toit de ta maison brune...
Ce que tu fais là n'est pas beau.
Que tout est loin !, . . 0 ta fontaine
En toute saison fraîche et pleine,
O le pommier dans ton jardin,
Le ^rand vallon crépusculaire,
El le seuil où se lient ta mère,
Et l'air limpide du malin !
[La Maison da Poète.)
PENDANT LA PLUIE
J'ai fermé ma porte à loraere,
11 pleut fort sur les arbres verts,
Je me sens une âme de sa^<-.
Et rien n'est beau que les beaux vers.
J'accomplis des actions paisibles.
Je rans^e ces compai;^nons sûrs.
Mes bouquins, et deu\ vieilles bibles,
Pleines de Juives aux seins durs,
2^0 POÈTES D^AUJOORd'uUÎ
De citernes dans les vallées
De puits que l'Orient dora,
Et de belles formes voilées:
Judith, Agarou Séphora.
Je mets avec un air de fête,
Je crois que l'on va rire haut —
Je mets la Maison du Poète
Sur un rayon, près de Hugo.
{Les Isolements.)
LORSQUE JE SEHAI VIEUX...
Lorsque je serai vieux et qu'illustre poète,
En marchant lentement j'inclinerai ma tête,
Ne songeant qu'à mes vers qui m'accompagneront
Comme un essaim doré bourdonnant sur mon front.
Où seras-tu, que feras-tu, ma grande aimée?
Au soir de ma journée et de ma renommée,
J'irai triste et pensif sentant qu'il se fait tard,
Et suivant d'un regard désolé de vieillard
Quelque enfant de vingt ans qui passera, légère,
Avec un chapeau blanc tout fleuri de bergère,
Semblable à celui-là que tu portais parfois.
Je reverrai la route, efe^l'auberge, et les bois,
Dis, et je referai cet automnal voyage.
Je peuplerai de mes regrets ce vieux village
Où nous vécûmes quelques jours, ô souvenir I
Etre riche de tant de choses et mourir.
Quand toujours après nous refleurira la rose !
Mon amour, mon amour, devant ma porte close.
Je m'assiérai tout seul et, le regard perdu,
"Considérant ma vie éteinte et le soir nu,
Sur le banc du jardin où septembre recueille
Et la première pluie et la première feuille
Qui tombe de la treille ainsi qu'un oiseau mort,
Je revivrai les jours de cet automne encor.
Kiea ne m'échappera, mais pour revoir la rubci
Léo LArVGUIER i^t
Ton bracelet à ton bras rond brillant dans l'aube,
Lorsque lu repoussais l«'s pelils volels verts
Sur les pampres de rouille et de j^oullcs couverts.
Pour revoir ton sourire et celle boucle brune
Qui cachait ton beau front, dans le plein clair de lune,
Vieux, illustre et proslrc devant ni»-s soirs déserts,
Je donnerais ma part de renom dans Ihisloire
Des hoinnips dont le cœur fut un rucher de vers,
El ce laurier flélri que me ceijjnil la gloire 1
(Les Isolements.}
TU M'AS DIT QU'EN PASSANT...
Tu m'as dit qu'en passant, du doiçt on l'a montrée,
Laisse, ne l'émeus pas de ce ijeste, ô dorée 1
Il veut dire : Voici celle qui maintenant
Porte le grand manteau pourpre, noble et traînant
Du porte exilé dans une sombre élude.
Elle seule a la clef de celle solitude.
Il a sur le chemin clos ses petits volets.
Nul ne l'a vu depuis l'hiver; déjà les blés
Se dorent dans l'air roux tout pétri de lumière
El c'est elle qu'il aime, et muse famili» re,
Elle doit s'accouder avec ses bcdux bras nus
Sur des cahiers fermés où des vers inconnus
Bourdonnent dans la nuit de sa demeure close.
Reiçardez, elle est grande et fière, elle est sa rose.
Elle va le revoir, et devant sa maison,
Il l'attend, anxieux, lui qui, vers l'horizon.
Ne guettait que la gloire attachant ses sandales.
El voyez, aux rubans de la claire saison
Qui nouent à son chapeau des passeroses pAles,
Elle porte, brillant d'un vif éclal guerrier.
Quelques feuilles du pur, de l'illustre laurier.
[Les Isolements )
A PIERRE DE QUERLON
Ud orage noclurne écrase mon toit noir,
15
242 t»OÈTES fc AL'JÔURD IIUÎ
Et vous, mon pauvre ami, vous êtes mort ce soir.
Il fait lourd, il pleut fort, je suis las, c'est la vie...
A mes pleurs s'est mêlée une goutte de pluie ;
Derrière moi, celle que j'aime, en s'endormant
A soupiré dans l'ombre et gémi doucement ;
Quelques couples, surpris par la soudaine ondée.
Rient traversant la place à présent inondée ;
Une rose s'effeuille en parfumant encor
Ma chambre tiède, et vous, ami, vous êtes mort.
Naguère, nous parlions de choses bien-aimées,
Je vous portais mes vers comme un faix de ramées,
Nous soupions en nous regardant, et, brusquement.
Vous me laissez et vous partez... Que maintenant
Vous devez être loin de cette nuit d'orage !
Et dire que demain, avec votre visage
Qui souriait et tout cela que vous aviez,
On vous enterrera ; vous n'aurez ni papiers,
Ni livres, ni tableaux, et votre vieille table.
Qui ne vous verra plus dira : ce Le maître aimable
Est donc parti bien loin qu'il ne vient plus à moi 1 »
Malgré l'été naissant vous allez avoir froid,
Car la terre demain sera toute mouillée.
Et moi qui reste ici je verrai la feuillée,
Je vivrai, j'aimerai, je pleurerai demain ;
Je marcherai, tenant la blanche et belle main
De mon amie, et les sentiers seront pleins d'ombres,
La lune penchera sur les épaules sombres
Des monts diffus son rond visage d'argent clair.
Je souperai sous les lauriers, respirant l'air
Qui s'arrêta là-bas sur ma vigne bleuie,
Je connaîtrai la joie et la mélancolie,
Et peut-être j'aurai quand je viendrai vers vous
Une tête de vieux aux cheveux blancs et doux.
— Vous me direz : « Voici le funèbre domaine.
Ce mort qui va tout seul, près de cette fontaine,
C'est Virgile ; souvent je l'aperçois rêver ;
II m'a parlé le soir où je suis arrivé... »
Et vous me guiderez au pays taciturne.
Pauvre mort ! A prc5cut, de l'oraijc nocturne
LÉO LARGUIER 243
Il ne reste plus rien, mais il doit être tard.
Bien qu'il ne pleuve plus, les frondaisons du parc
Font sur le sol un bruit monotone d'averse,
Chaque arbre est en silence et chaque feuille verse
Ce qu'elle a recueilli de l'orale qui fuit.
Les lisières demain auront des coquelourdes...
Mais vous, dans l'infini plein de ténèbres lourdes,
Avez-vous bien dormi votre première nuit ?
{Les Isolementt.)
JACQUES
(Fragment.)
C'est ainsi qu'un matin ï^aurent fut ébloui
Par l'aube et qu'il sentit confusément qu'en lui
L'orale intérieur, amassé goutte à goutte,
Balayant sa douleur avait crevé sans doute.
Car il sentait son cœur libre, fort et jovoux.
Le cœur de l'homme est un creuset mystérieux
Où bout le sang, où s'élabore une alchimie
Magique, quand la chair pesante est endormie.
Et Laurent repoussa ses volets sur le jour.
Son regard absorba l'aurore avec amour.
Une virginité tombait du grand ciel rose,
On devinait devant l'azur que quelque chose
Recommençait, 6 netteté des beaux malins!
Et comme les ramiers envolés des vieux pins.
Des toits luisants, des cours et des rondes margelles,
L'Ame montait dans les clartés torrentielles.
Il plongea son visage en un vase plein d'eau.
Et, ruisselant, sans l'essuyer, sous un arceau
Formé par un laurier et par un bras de treille
Aux raisins lumineux qu'obsédait une abeille.
Pour la première fois il écrivit des vers
Immenses, aérés, tremblants de rameaux verts.
Ventilés, libres, saints, emplis de grandes ondes,
Et rythmés largement selon des lois profondes...
2/Î4 POÈTES d'aujourd'hui
Sous le pin ocellé du plus limpide azur
Où tous, chaque matin déjeunaient du lait pur
Qui, crémeux, emplissait un e^rand pot de faïence
Dont des bleuets vernis ornaient la belle panse,
Laurent, qui descendait joyeux vers le jardin,
Ne trouva que son lait servi contre le pin.
La servante passait, il l'arrêta...
— Stéphane
Etait malade. Jacques, sa mère et Suzanne
Veillaient depuis minuit à son chevet.
Laurent
Sans toucher à son bol disparut en courant.
Puis arriva le vieux médecin. Une branche
D'osier vert qui couvrait sa grosse jument blanche
La défendait des taons et des mouches. — Et puis,
Un grand cri déchira le matin... Près du puits,
Le jardinier avait laissé sa faux luisante...
Nature, à nos départs toujours indifférente,
On sait ce que tu fais de tous nos pauvres morts.
Et ce que tu feras quand tu prendras nos corps.
Tu te tais . Ton ciel bleu brille sur tes ramures,
Et tes bois sous le vent s'emplissent de murmures.
Un pâtre qui revient chante dans le sentier ;
Les abricots sont murs au vieil abricotier.
Tu te tais. La poussière antique des ancêtres,
Quand, le soir, nos volets claquent à nos fenêtres.
Entre dans nos maisons. Nous savons, ô tombeau.
Ce que tu fais de nous, de l'enfant tendre et beau.
Tu te tais. Tu n'as point envers nous de colère.
Nous passons... dans un champ moutonne un peu de terre
Qu'adombre un noir cyprès contre un mur ancien.
Et ce moutonnement d'argile, ce n'est rien,
Mais plus que tes grands monts chargés de glace aride
Nous émeut à nos pieds cette petite ride.
0 Nature, on connaît les creusets où tu fonds
Les membres las, les corps divins, les yeux profonds,
Mais en nous dépouillant, tu laisses fuir, ô tombe.
LÉO LARGUlEa 245
L'âme, de l'infini, radieuse colombe.
Et Dieu, pour tes travaux obscurs qu'il accepta.
T'abandonne un cœur lourd que lui-même arrêta !
(Jacques.)
POÉSIE
A M. Charles Andricux.
Sous les lustres, bouquets, grappes de cristal pur,
Nous les vîmes, mon cœur, ces belles inconnues,
Avec leurs seins pressés dans des salins d'azur.
Et l'ambre bien poli de leurs épaules nues.
Elles sont à présent dans leur riche maison...
De chandeliers toullus une chambre s'éclaire,
Et près d'un vaste lit une blanche toison
Est comme un ours couché près d'un yrand roc poIaij'.2,
Les deux bras arrondis, se coilTant pour la nuit.
Une brune au front bas, une maigre élégante.
Cambre une jambe mince et découverte oùluit
La boucle du long bas qui la moule et la gante.
Une blonde beauté qui feint de sommeiller
Dans ses cheveux si lourds qu'elle n'a pu les tordre,
Epie un mari chauve en train de dépouiller
Ses étoiles, ses croix et tous ses rubans d'ordre.
Une vieille a quitté sa perruque et ses dents...
Un jeune homme devant une table encombrée.
Compte des pièces d'or avec des yeux ardents.
Tandis que, dans son lit, monte, puissante, ambrée
Son chignon écroulé sur sa nuque d'enfant.
Grasse, rousse et pareille à quelque dogaresse.
Faisant craquer le bois sous son corps triomphant.
Monte sans qu'il la voie une belle maîtresse.
Et nous, nous regardons, ô solitaire cœur,
Avant de nous plonger dans la nuit de la chambre,
Derrière les carreaux embués de vapeur.
Celle lune glacée au pur cid de décembre.
RAYMOND DE LA TAILHEDE
1867
M. Raymond-Pierre-Joseph Gagnabé de La Tailhède est né à
Moissac |Tarn-et-Garo!ine) le i4 octobre 1SG7. Il fit ses études à Pa-
ris, au collège Stanislas, où il eut pour professeur M. René Dou-
mic. îses études terminées, M. de La Tailhède regagna son paj^s natal,
où il se lia avec un jeune professeur qui devait devenir aussi un écri-
vain et qui a laissé un petit nom dans les lettres : Jules Tellier. Il
revint ensuite se fixer à Paris, vers 1888, écrivit sans bâte ses pre-
miers vers, puis songea à les réunir en volume. Ce volume ne parut
point, quelques pièces seulement en furent connues. L'une fut repro-
duite dans Nos Poètes (i), d'autres prirent place dans l'ouvrage pos-
thume de Jules Tellier : Reliques. En 1890, M. de La Tailhède se lia avec
MM. Jean Moréas, Maurice du Plessys et Ernest Raynaud, et fonda
avec eux L'Ecole Romane, groupe de poètes qui puisaient les motifs
et les formes de leur inspiration chez les poètes delà Renaissance, et
dont l'exégète et critique était M, Charles Maurras, que la politique
n'accaparait pas encore. C'était entre eux, — nous parlons de MM. de
La Tailhède, Moréas, Du Plessys et Raynaud,— à qui ronsardiserait
le mieux, et pour sa contribution, M. de La Tailhède publia De la
Métamorphose des Fontaines, poème suivi de quelques odes,SQanets
et hymnes, qui est resté son unique ouvrage.
« Gentil esprit, l'honneur des Muses bien parées »
a dit de lui son maître et ami M. Jean Moréas. Pour être un peu
froids, lents et mesurés dans leur harmonie quelquefois imitée, les
vers de M. de La Tailhède sont en effet loin de manquer de beautés.
M. de la Tailhède a montré dans sa collaboration aux revues de
son temps la même réserve que pour ses ouvrages. Les Chroniques
(1887) et La Plume (1889-1899) sont les seules revues où il publia
(1) Ouvrage de Jules Tellier.
RAYMOND DE LA TAILHÈDS 2^^
quelques vers et des contes. Plus récemment, il a collaboré à La Re-
vue hebdomadaire (novembre 1901) et à Vers et Pros8 (novembre
1906) où parut le dernier des poèmes qu'on va lire.
Bibliographie :
Le9 0ECVRE3. — De la Métamorphose des Fontaines, poème, suivi
des Odes, des Sonnets et des Hymnes. Paris, Bibliothèque artistique et lillé-
raire, [F^a Plume], 1895, iQ-4.
Ou liouve, en outre, sous ce litre : Tombeau de Jules Tellier, trois poè-
mes de M. Ravmond de la Tailhède dans l'ouvrage suivant : Ileliquet de
Jules Tellier, 'mDCCCXC, in-18.
E?( pRÉPAHATioît. — Orphée et divers poèmes, une adaptation poétique de
YAjax de Sophocle.
A CONSULTER — Anonymc : M. flnymond de La Tailhrde. Journal des
Débats. 16 mars 1805. — Ch. IVIniirras : La Vie littéraire. Revue Ency-
clopédique, 1" mai 1895. — Frne.>st Haynaud : L'Ecole romane. Mercure
de France, mai 1805. — Hugues itebcll : La Taillu-dc, notice dans Les
Portraits du prochain siècle. Paris, fiirard, 1894. in-18. — J. Teliier :
i\iis Poètes. Paris, Despret, 18S8, in-l'< ; A liaymond de la Tailhède, poème
publié dans Reliques de J. Tellier, 1890, in-18.
Iconographie :
Croquis à la plume (non signé). I^ Plume, 15 juin 1892, cl Bévue Ency-
clopédique, 1" janvier 1893.
APPARITION
Je venais du mystère et des palais antiques
Drapé dans le manteau rouçe des empereurs ;
A l'horizon, je secouais de mes fureurs
L'océan boréal et les mers atlantiques.
J'avançais devant la tace des continents
Vers la horde arrogante et tourbe des barbares;
j; Mon apparition fit taire leurs fanfares,
Le silence arrêta le vol des quatre vents.
[ L'esprit des foules qui bavarde et qui ricane
' Me dit: « Sang^lant banni des royaumes éteints
^ Qui semblais autrefois la rose des matins,
1^ Tu pàlis maintenant comme un soleil se fane.
Tu n'as pas achevé tes rêves insensés.
248 POÈTES d'aujourd'hui
Les peuples furieux ont tué tes ministres,
Tes temples sont tombés dans des lueurs sinistres.
Ta mémoire et ton nom sont partout effacés.
Si tu viens parmi nous, nous troublerons tes fêtes
Et nous rirons de tes chansons, car nous aurons
Dans les mains une épée et le casque à nos fronts :
Nous vengerons sur toi nos peurs et nos défaites. »
« Si je ne suis plus roi, je suis aussi cruel :
Contre vous j'armerai la beauté de vos femmes,
Et pour qu'un vain désir épouvante les âmes,
Vos fils seront marqués de ce signe immortel.
Lorsque dans mes palais enveloppés de gloires,
Une fête chantait à la moisson des fleurs,
Vous avez élevé le cri de vos douleurs
Hors de l'ombre où planait Teffroi de mes victoires.
Mais moi le Rédempteur qui vins avant le jour.
Dont le nom ressemblait au nom de la lumière,
J'ai gardé dans mes yeux la splendeur meurtrière,
Car j'étais votre dieu, peuples, je suis l'Amour. »
, (Les Triomphes.)
SOLITUDE
Et voilà que tes yeux profonds se sont fermés I
Mais ton âme, où vivaient les Sages d'Hellénie,
Garde toujours, dans une éternelle harmonie,
Les poètes pareils à des dieux bien-aimés.
Vision immobile et pourtant si rapide
De cette chambre au bord du fleuve... 0 souvenir
Du soleil éclatant dans le matin limpide !
Je sens la peur de ces heures qui vont venir...
Nous sommes entourés pendant les nuits tremblantes
RAYMOND DE LA TAILHhDE Î^Q
De silences aig'us et de blancheurs d'effrois.
Toi, les yeux as^randis et les prunelles lentes,
Moi, tressaillant au rêve éloigné de ta voix.
î/anc^oissc de la mort prochaine est comme un songe
)ù le délire a mis de subites clartés ;
Tu vois venir sur la lumière qui s'allonçe
Tant d'autres jours muets, obscurs, épouvantés.
Toute la vie expire à travers ma pensée,
Devant les Ion ses res^ards de tes grandes douleurs;
La révélation du mystère des pleurs
Retient une douceur d'espérance eff'acée.
Le silence des yeux s'anime alors de jour
Et de la peur de voir les formes disparaître ;
Tu sentis tout cela soudain, et que, peut-être.
Tu mourais pour avoir ressuscité l'Amour.
^L^is au cri de mon nom sur tes lèvres puissantes,
Quel effroi prophétique a rempli de terreur
Ton esprit açité par des choses vivantes,
Et combien de regrets s'arrêtent dans ton cœur l
Pleure, toi qui connais la tristesse infinie I
Dans la gloire du rêve a jamais disparu,
Je suis venu vers toi comme tu l'as voulu,
Je me suis étendu sur ton lit d'agonie.
Et je comprends auprès de toi, sur tes linceuls,
Qu'autour de nous la vie humaine se recule,
Kt que tous deux, mort et vivant, nous sommes seuls
Dans ce dernier isolement du crépuscule...
(Tombeau de Jules Tellier,)
OMBKES
(}uand nous sommes allés vers le soleil levant.
Les malins étaient blancs comme des tourterelles ;
Des brouillards s'étendaient dans la pourpre du vent
2 DO POETES D AUJOURD HUI
Sur des rivages de roses surnaturelles,
Quand nous sommes allés vers le soleil levant.
Mais, de l'Egypte jusqu'aux îles Baléares,
Quand le ciel fut rempli des clartés de Vénus,
Nous avons oublie les légendes barbares,
Nous avons vu grandir des astres inconnus
Sur la Sicile et les quatre îles Baléares.
Et c'est la basilique immense de la Nuit,
Les étoiles dans le silence : une par une,
Elles ont apparu sur la mer qui reluit,
Toujours plus pâles à travers le clair de lune,
Les planètes et les étoiles et la nuit.
Sur la plaine des mers fauves et virginales.
Nous avons regardé des choses d'autrefois.
Notre âme a traversé des fêtes triomphales ;
Les dieux retentissaient avec de grandes voix
Sur la forêt des mers fauves et virginales.
Dans le tourment de sa pensée, il regardait
L'épanouissement de ce rêve nocturne ;
Les larmes de la vie entière qu'il perdait
Montèrent de son cœur ardent et taciturne
Que dans l'effroi de sa pensée il regardait.
Alors, me reposant entre ses mains si douces.
Je lui dis : « Pour calmer ton esprit soucieux,
O mon ami, toi qui jamais ne me repousses,
La douceur de ma voix adoucira tes yeux,
La douceur de mes yeux rendra tes larmes douces. »
Mais la Nuit et la Mer s'éloignaient lentement ;
La lumière montait au-dessus des royaumes,
Et nous n'avons plus vu les dieux en ce moment.
Ni les étoiles, créatrices de fantômes,
Car la Nuit et la Mer s'éloignaient lentement.
{Tombeau de Jules Tellier.
RAYMOND oB LA TAILIILUE 20 1
SI L'ESPOIR D'LN LAURIEH...
Sî IVspoir d'un laurier de semence inconnue,
O Lyn% te relient tout entière en ma voix,
Ceux-là seront chéris d'abord à qui je dois
De faire sonner haut une corde chenue.
Quand Phéhus d'une pointe ardente et continue
Eclate encor, caché par le revers des bois,
C'est un soleil puissant que sur l'arhre je vois
Dedans le crin d'un chêne approche de la nue.
Telle plus, noble Lyre, anti(pie lu parais,
Dos mains doctes pressant d'àiçe en âge les rais
Dorés, plus a grandi le chant que je commence.
Et pour que soit mon front aux Muses dédié,
Ronsard, jçiiid.int le trait d'Apollon envoy»'*,
Aux tonnerres de raitjle a rentlammé la France.
{De la Métamorphose des fontainfs.)
TRIOMPHE
I
Un malin de printemps plein de vives clartés.
Etant le Syrien aux blondes boucles molles
J'entrai dans la Cité maîtresse des cités.
Par la route fleurie, aux mille banderoles,
Mes soldats apportaient des vases précieux.
Et des trésors trouvés au fond des nécropoles ;
Puis venait un essaim de charrons a^racieux
Jetant à pleines mains des lys, dos hyacinthes,
Et dont le jeune amour enflammait les beaux yeux.
On voyait sur des chars les imagées très saintes
Des d!eax que l'on révère et dont on craint les noms,
252 POÈTES d'aujourd'hui
Graves ou bienveillants sous leurs figures peintes.
On entendait au loin le son des tympanons.
Les chants accompagnant sur des airs de cithare
Les danseurs réunis en multiples chaînons.
Sur des tables d'azur et d'or, les parfums rares
Tournoyaient dans les larges coupes, lentement,
Endormeurs comme les douceurs des fleurs barbares.
Bercé dans la langueur de cet enivrement,
Je m'avançais drapé de pourpre orientale.
Ainsi qu'une maîtresse allant vers son amant.
Devant ma grâce et ma jeunesse virginale
D'un cri d'amour qu'un cri de victoire interrompt
Rome entière acclamait la marche triomphale.
Par l'étrange splendeur des perles de mon front,
Par l'éblouissement de ma poitrine nue
Ma gloire surpassait la gloire de Néron ;
Et les peuples chantaient lorsque je suis venue.
II
Tel, et plus glorieux qu'en ces jours très anciens,
Je reviens pour avoir un beau triomphe encore
Avec la royauté des vers magiciens.
Les poètes marchant du côté de l'aurore
Font briller les saphirs et les rouges coraux
Pour fêler le Seigneur que le rêve décore.
J'évoque la clarté dans les cieux sidéraux,
Je suis resplendissant comme une nuit sans lune,
J'ai la noblesse et la vaillance des héros.
Les vierges déroulant leur chevelure brune,
Les vierges se voilant dans l'or des cheveux d'or,
Implorent ma bonté pour que j'en admire une.
RAYMOND DK LA TAILHÈDE 253
Mais dans un grand palais loin du sud et du nord,
Près d'un lac où l'éclat des mond«\s se reflfHe
J'écoule un air troublanl qui m'éveille et m'endorl.
Et de jeunes çarçons fleuris de violette
Célèbrent en cadence Eros libre et vainqtn.'ur
Dont les yeux sont caches par une bandelette.
Tout l'orgueil d'autrefois a ressaisi mon cœur ;
Et l'harmonie a des douceurs si précieuses
Que mes vers vont chanter avec 1 hymne du chœur.
Et ce sera le jour des strophes fabuleuses,
Du poème trésor maléfique de beauté,
Car j'aurai fait parler des voix mystérieuses.
Dans le ciel fleurira la rose de Tété,
L'Aurore, et couronné divinement par elle,
Grand par ma poésie et grand par ma fierté,
J'entrerai radieux dans la gloire éternelle.
ift
LOUIS LE GARDONNEL
1862
D'origine normande et lointainement irlandaise par son père, et
dauphinoise et lorraine par sa mère, M. l'abbé Louis Le Cardonnel
est né à Valence en 1862. Il fit ses études au Petit Séminaire, puis
«u collège de cette ville, montrant déjà un goût très prononcé pour
les lettres latines, la philosophie et la poésie. A vinçt ans, il vint i
Paris, où il fit ses premières amilirs littéraires. Sous le nom de
Nous autres, un petit cénacle venait de se fonder (septembre i883)
qui comprenait notamment MM. George Auriol, Léon Riotor, An-
tony Mars et Paul Morisse. M. Louis Le Cardonnel, en compagnie
d'Albert Samain, avec lequel il s'était lié, se joignit bientôt à eux.
Peu après, M. George Auriol étant un des tssidus du Chat Noir de
Salis, tous ses camarades de Nous Autre» l'y suivirent, et de 1884
à 188Ô, M. Louis Le Cardonnel fréquentâtes soirées du pittoresque
cabaret, où il récitait ses poèmes, comme lous ses compagnons. En
correspondance avant son arrivée à Paris «rec Stéphane Mallarmé,
il était devenu en même temps un de se» intimes, et un dfs fidcios
des mardis de la rue de Rome. C'est à cett« époque que M.Louis Le
Cardonnel sentit se préciser en lui les s«aiiments qui devaient le
mener plus tard à la vie religieuse. Pendant quelque temps, il se
retira au Séminaire d'Issy, mais incertain «ur la solidité de sa voca-
tion, craignant de se tromper, il le quii»-* bienlùt, pour un court
retour à la vie du siècle. Enfin, en i8ga, se sentant cette fois ci
appelé impérativement au sacerdoce, M.Lauis Le Cardonnel entra au
Séminaire français de Rome, où il compléta ses études philosophi-
ques, joignant, dans un même amour, la théologie et la poésie. En
1896, il était ordonné prêtre. Après quelques années de ministère
dans le diocèse de Valence, M. Louis Le Cardonnel entra comme
novice chez les Bénédictins de Ligugé, où il resta de 1900 à 1901,
publiant des vers dans le journal de la communauté : Bulletin de
Saint-Martin et de Saint-Benoit, sous son nom de religieux :
Frère Anselme. Des raisons de santé l'obligèrent malheureusement à
LOUIS LB CAKDONNKL 255
interrompre ce noviciat et à renoncer à la vie bénédicline. Il qnitia
Ligugé, retourna pendant quelque temps comme vicaire dans son
diocèse de Valence, puis, en 1905, se retira à Assise, où il vit
depuis, prêtre libre, à l'ombre du Monastère de Saint François,
priant, méditant et écrivant, tel qu'il s'est dépeint luimcme :
II s'en ira, semant la Parole céleste.
Et, pour dire le Verbe aux temps qui vont venir,
Harmonieusement il mêlera le geste
D'accorder la cithare au geste de bénir.
Sous le souffle divin, il la fera renaître.
Fils des premiers Voyants, fils des Chanteurs sacrés.
Cette antique union du Poète et du Prêtre,
Tous deux consolateurs, et tous deux inspirés !
M. Louis Le Cardonnel, qui a réuni, en 1904, toute son œuvre en
un volume : Poèmes, et qui prépare un second recueil : Carmina
Sacra, rédige au Afercare de France la Chronique des Questions
religieuses. Il a collaboré au Chnl Xoir, au Scapin, aux Ecrits
pour l'Art, k La Plume, an Parti Xutional, au SaintGraal ,h Poé-
sia, à L'Ermitage, à Vers et Prose, à Durendal, au Spectateur
catholique, à La Revue hebdomadaire, à UEco del Subasio, etc.
Bibliographie :
Les œuvres. — Poèraea. Paris, Société du Mercure de France, 1904,
in-18. (Il a été tiré pour la Société des XX, 20 ex. déformât in-8. Cesexerapl.
portent tous la sij;nature de Tauleur.)
Ou trouve, en outre, dans un ouvrage de M. Gabriel P«ure : Heures d'Om-
brie (Paris, Sansot, 1908, in-16) un poème de M. Louis La Cardonnel intitulé :
Asisium.
Poème uis ex mcsiqle. — Un poème de M. Louis l^e Cardonnel a été mis eo
musi((ue par M. Gabiiol Fabre.
A coNSLi.TEn. — Gabrielle Deizant : Lettres. IS7i-t90S, publiées par
Louis Loviot, avec une préface de Th. Bentzon. Paris, Hachette, 1906, in-18.
pp. 223-229. —Pierre Ferrez : Le Poète Louis Le Cardonnel. Evolution
d'une âme (Exlr. de l'L'niversilé catholique). Lyon, imprimerie Enmi. Vilto,
19115. in-8. — Alphonse Gerniaia : L. Le Cardonnel, nolire dans Les
Portraits du prochain Siècle. Paris, Girard. 1894, in-18. — Charles Mo-
rice : La Littérature de tout à l'heure. Paris, Perrin, 1889, iii-18. ~
Adolphe Retlô : Le Synibulisme. Anecdotes et souvenirs. Paris, Messcin.
19(i3, in-18. — Christ Rime<;(a(I : /-ransk Poesi, etc. Kjobenhavn, Schubo-
Iheske, 1905, in-8 — Kduuanl Schuré : Femmes inspiratrices et poète*
annonciateurs. Paris, Perrin, 1908. in-18. (L'élude consacrée dans cet ouvrage
à M. Le Cardonnel est intéressante, mais fournit des dates erronées). — E.Vigié-
Lecoeq : La Poésie contemporaine, t884-t896. Paris, Soc. du Mercure de
France, 1897, iu-iS.
256 POÈTES d'aujourd'hui
Jeau Carrère : Louis Le Cardonnel. Revue hebdomadaire, 31 déc. 1904.
— A. Ducrocq : Les Poèmes de Louis Le Cardonnel. La Femme contem-
poraine (Besançon), juin 190C. — Maurice Dullaert : Louis Le Cardon.
nel. Durendal (Bruxelles), 6 juin 1904. — François Lattard : Louis Le
Cardonnel,. illustr. de trois portraits du poète. La Plume, 1-15 juin 1896. —
Adrien Mithouard -.Propos. L'Occident, juillet 1904. — Pierre Quil-
lard : Louis Le Cardonnel. Mercure de France, juillet 1904. — Octave
Uzanne : Visions de notre heure. Choses et gens guipassent. Quelques
lœures d la maison de Notre-Dame d Ligugé, Echo de Paris, 21 septem-
bre 1900.
Iconographie :
Paul Audrat : Portrait au crayon, mai 1903 (appartient au poète). —
François Guiguet : Portrait de Louis Le Cardonnel à vingt-huit ans.
Dessin reproduit dans la Plume, 1-15 juin 189G.
Voir en outre, dans le numéro de la Plume déjà cité (1-15 juin 1896), deux
reproductions photographiques : Louis Le Cardonnel à 25 ans; Louis Le
Cardonnel en 1895.
VILLE MORTE
Lentement, sourdement, des vêpres sonnent
Dans la grand'paix de cette vague ville ;
Des arbres gris sur la place frissonnent.
Comme inquiets de ces vêpres qui sonnent.
Inquiétante est cette heure tranquille.
Un idiot qui va, revient, et glousse.
Content, caries enfants sont à l'école;
A sa fenêtre une vieille qui tousse ;
A l'idiot qui va, revient, et glousse.
Elle fait des gestes, à moitié folle.
Murs décrépits, lumière décrépite
Que ce Novembre épand sur cette place :
Sur un balcon du linge froid palpite.
Pâle, dans la lumière décrépite.
Et puis le son des cloches qui se lasse...
Tout à coup plus de cloches, plus de vieille,
Plus de pauvre idiot, vaguement siiiÊre,
Et l'on dirait que la ville sommeille.
LOUIS LE CARDONMEL 257
Plus d'idiot, de cloches ni de vieille...
Seul, maintenant, le blanc glacé du linçe.
{Poènut.)
il.
EN FORÊT
Ecoute : la forêt, que nul vent ne balance,
Commence à s'assoupir dans sa çrave o[)ulence.
Regarde : l'allée est sans fin,
Où marchent avec nous Octobre et le Silence...
Entre les feuillaisons luit le couchant divin,
Et battant de son flot nos veines, comme un vin
Magicien roule le rêve :
Mais son enchantement nous le connaissons vain.
Ah ! mourante beauté des branches, gloire brève 1
C'est l'effort, c'est l'essor de la suprême sève,
Puis tout rameau devenant noir
Attendra que l'Avril dans sa verdeur se lève.
Nous-mêmes, empourprés par un dernier espoir,
Nous sentirons bientôt tomber aussi le soir,
Et tomber l'hiver sur notre âme...
Mais du moins pourrons-nous, après tant d'ombre, voir
D'un Paradis la porte éternelle, que lame
Tin or magique, un or mystique, un or de flamme,
S'entr'ouvrir, telle que, là-bas,
— Ah ! tandis qu'une voix de biche, écoute, brame !
Nous voyons, éblouis et de cheminer las,
Resplendir, comme si bientôt ne devait pas
Nous la cacher l'ombre fatale.
Resplendir, inondant d'une clarté nos pas,
La porte d'or, la porte d'or occidentale I
258 POÈTES d'aujourd'hui
A UN JEUNE AÉDE
Aède, aux yeux de nuance douce,
Toujours vers leur frère Azur tournés,
Avec ton front blanc qui se renverse.
Au-dessus des fronts de tes aînés,
Tu brandis ta strophe comme un ihyrse.
Espoir des ardentes Muses pâles
Qui t'ont sur un mont donné le sein
Dans leur Bois antique aux rameaux nobles.
N'abandonne pas ton haut dessein,
Et qu'à tes pieds vienne un fleuve d'âmes.
Oui, charmant meneur d'odes divines,
Ainsi que des chèvres bondissant,
Sois meneur encor d'âmes humaines.
Et que ton chant clair comme ton sang
Enivre d'amour les foules fauves.
Moi, moi qui sais l'orphique Mystère,
Le premier j'ai lu ton âme en toi :
J'aimai l'enfant déjà rêvant d'œuvre,
Et grave aîné t'ai juré ma foi,
En un chant qui, grave, se module.
Je t'aimerai dans ton été riche
Comme je t'aime dans ton printemps :
Je t'aimerai claironneur farouche
Autant que chanteur de dix-huit ans:
Pourtant, que ton mai longtemps fleurisse !
Puis avant qu'un fier laurier aux tempes,
Tu domptes les haines et la mort.
Reçois, doux aède épris des pompes
Antiques, jeune homme aux lèvres d'or.
Ces rythmes tordus comme des pampres.
{Poèmes.
I.OUIS LE CARDONXrL 25g
LA LOUANGE D'ALFRED TENNYSON
Xolre mélancolie et notre piété
I*our celui qui partit, riche encore de flamme,
Ne veulent pas de fleurs de printemps ni d'été:
0 vous qui fleurissez à la chaleur de Tàme,
Fleurs de mélancolie et fleurs de piété.
Tombe/' sur Tennyson qui nous charma les heures,
Sur Tennyson, aux chants si limpidement beaux,
Qu'à jamais leur cadence enchante nos demeures
Va que nos cœurs lui soient palais plus que tombeaux :
Tombez sur Tennyson, le délivré des heures !
Qu'importe le pays de nos mortelles chairs,
Si nous la connaissons, cette haute Patrie
Où l'Inspiration plane dans les éclairs.
Où s'avance, le front voilé, la Rêverie !
L'âme est de tous les cieux, qui survit à nos chairs.
Tennyson, c'est pourquoi ce poète de France
Lri te rythme un los <ju'il faudrait plus di\in.
Mélancolie, et vous, Extase, transparence
Du chant df^s bous harpeurs d'outre-mer, est-ce en vain
Que nous voulons vous joindre à ces clartés de France?
Le don mystérieux d'éveiller l'Infini,
Nous l'avons, comme toi, de par nos aïeux celtes,
Et le sonçe n'est pas de nos fronts si banni
Que sur ton vaisseau blanc, peuplé de vierges sveiles,
Nous ne puissions te suivre au pays d'infiui...
Tennyson, quelle fée à la robe d'opale
S'en vint su:- ton berceau poser sa douce main?
Quelle Muse élancée et suavement pâle
Eblouit devant toi le nocturne chemin?
Quelle Ondine, apparue en un minuit «l'opale ?...
Et quand pour toi vint l'âge où le cœur est chantant.
SGO POÈTES d'aujourd'hui
Oh ! qui dira, parmi le matinal sourire,
Ces élans radieux de l'aède, écoutant
A ses tempes en feu tout le printemps bruire.
Et ses espoirs vibrer dans le matin chantant ?
Oui dira tes étés mêlant leurs song-eries
Au calme écroulement des nuages épars.
Le souple écheveau d'or des longues causeries,
Les belles amitiés lisant dans tes regards?
Qui dira, jusqu'au soir, tes jeunes songeries?
Et les riches pensers dans le tomber du jour,
Où l'oblique soleil fait les bois plus magiques,
L'anibilron d'avoir une tranquille tour,
D"où le monde entendra lui venir tes musiques,
L'orgueil d'être lauré pour tes rimes, un jour...
Tu nous rendis Spenser aux splendides images,
Wordsworth, penché le soir sur de pensives eaux,
Shellev, presque perdu dans les ardents nuages,
Keats, retrouvant les sons des antiques roseaux :
Car ton âme volait d'images en images.
Un jour, quand s'en alla vers la paix ton ami,
Tu fis sous les cyprès s'agenouiller la Stance ;
Puis, enrichi d'un feu légué par l'endormi.
Ton génie, en des cris de fidèle espérance.
Surgit resplendissant des cendres de l'ami.
Oh! musique de l'âme en paroles redite,
Harmonieux appel d'un cœur à d'autres cœurs.
Chant léger qui, plus doux que l'air de mai, palpite,
Sereine mélodie, en qui les grandes Sœurs
Trouvent la majesté de leur geste redite !
Bruit des pas du printemps qui vient par les vallons.
Frissons de la forêt magiquement profonde.
Où Viviane encor peigne ses cheveux blonds.
Murmure, dans le soir, des voix de l'autre monde,
Frémissements de source en de secrets vallons !
LOUIS I.£ CVADONNEL 20 1
Viciîîrs cbnnsoDS de ceux qui vivent sur les ejrèves,
El dont le vent des mers trempa le cœur viril.
Vapeur des visions, suavité des rêves,
Aux légères clartés de la lune d'avril,
Voix des vagues qui vont, vivantes, vers leurs crèves!
A travers la Nature, épanouie en toi,
Tu recueillais la grAce et la splendeur des choses,
Et tu les soimieltais à ta rythmique lui,
Et tu souriais, tel qu'un jardin plein de roses,
Ayant comme un essaim d'abeilles d'or en toi.
Heureux qui, fier ainsi, n'a connu que des fêtes,
Qui s'enivre du son de sa pensée, et, loin
Dans l'àfije, peut planer au-dessus des poètes:
Heureux qui, dans sa tour, n'eut jamais d'autre soin
(Jue d'accorder sa harpe à ses intimes fêles I
Tu devinas les jours glorieux qui viendront.
Tu vis monter les jours des pacifiques Eres :
Le poète est encor prophète et, sous son front,
Avant l'heure il entend ce que, devenus frères,
Se diront au soleil les hommes qui viendront!
Gloire à qui fait vibrer de sublimes paroles,
r(>ur exalter les ccrurs d'un magnili(jue espoirl
('.onune un vent du matin j)armi des bautleroles,
II réveille la joie, et notre Ame croit voir
Surgir une Atlantide à travers ses paroles.
Tu fus celui qui marche au rythme de la mer,
l.e chantre des amours profondes et lovales,*
Le soriçeur <pie les ans ne rendent pas amer,
El qui se plaît encore aux fêtes nuptiales.
Grand vieillard ingénu, que sxiluail la mer.
Avec l'âge, ta voix ne devint pas confuse:
Ue tes lèvres, jamais défaillantes, le ehant
Coulait intarissable, et la main de la Muse
Fut encore plus belle eu tes cheveux d'argent,
16.
262 POÈTES D AUJOURD HUI
Et la mort vînt pour toi sans ançoisse confuse.
Ah ! demeure au milieu des noms inefFacés !
Dans les cités, parmi les blés, et sur la côte,
Tes vers vi\Tont toujours au cœur des fiancés ;
A jamais tu seras une lumière haute,
Au plus haut firmament des noms inefFacés.
Et nous qui souhaitons que, divinement claire,
La poésie enfin retrouve son azur,
Nous adorons surtout t? grâce légendaire,
O Tennyson, cor d'ivoire dans le soir pur,
0 Tennyson, cloche d'argent dans l'aube claire.
(Poèmes.j
INVOCATIONS D'AUTOMNE
I
Automne merveilleux. Automne qui me dores
L'horizon de la vie encore cette fois,
Toi qui, si doux, épands les feux de tes aurores
Et ceux de tes couchants aux limites des bois,
Mélancolique Automne, avec qui l'on voyage
En des mondes de songe et de sérénité.
Bel Automne pour qui, sous le dernier feuillage.
Un oiseau, mais tout bas, poursuit son chant d'été.
Toujours tu m'exaltas, saison harmonieuse;
Ta ilamme brûle encore en mes hymnes anciens :
Tu m'as tout pénétré d'une ardeur sérieuse...
Dis que tu le savais et que tu t'en souviens !
Pourtant, si je t'invoque aujourd'hui, cher Automne,
Ce n'est pas pour revi\Te aux luttes du passé.
Pour remettre à mon front une vaine couronne,
Et rendre un peu de lustre à mon nom eilacé.
Que, dans l'apaisement de cet octobre, meure
LOUIS LE CARDONNEL
s63
Ce qui n'est pas en moi le viere^e attrait du Beau ;
Que, la Gloire ayant fui, le seuil de ma demeure
Semble à jamais le seuil délaisse d'un tombeau.
Loin l'orgTieil, espérant des revanches tardives !
Uniquement épris d'un rêve aérien,
Je ne rec^arde plus vers les insérâtes rives
Du monde aveugle et sourd, dont je n'attends plus rien.
Je ne veux contempler que de pures imaq^es :
Mon calme enivrement, c'est l'ampleur de les cieux.
C'est ton azur à peine ofTensé de nuages,
Saison noble au divin rire silencieux.
Ta tendresse me parle et ma ferveur t'écoule :
Automne inspirateur, fais encor sous tes lois
Tomber, comme un cristal, mes heures, î^outte à goutte ;
Mets invisiblement des cordes sous mes doiçts ;
r
Et que, la mélodie affluant dans mes reines,
Ardente comme aux jours de ma jeune vis^ueur.
Sans désir de frapper les oreilles humaines,
Je chante seulement pour enchanter mon coeur.
{Poénies.)
L'AVEUTISSEUSE
Minuit, et je n'ai pas encor fermé les yeux !
Un trraud rêve en moi veille, et s'incpiiète et pleure,
Tandis (|ue, lourdement, dans le vide des cieux,
Tombe le dernier coup de l'heure.
Minuit sur la cité, minuit sur le jardin
Où le vent, par instant, se soulève et sanj^Iote ;
Mais qui donc avec lui s'est lamenté soudain?
La mélancolique hulotte.
Cependant qu'à travers la fenêtre je vois
Flotter sur le bassin sans lune 1»* lonï^ saule,
C'est la hulotte, avec sa di-solante voix,
Qui, tour à tour, pleure et miaule,
2G4 rcÈTES d'aujourd'hui
La hulotte, l'effroi des chevets désertés
Par le sommeil, la peur des âmes orphelines,
La hulotte, sans'fiû, dans la nuit sans clartés,
La prophétesse de ruines !...
0 fatidique oiseau des précoces trépas,.
Que dis-tu, dans l'horreur de sa mauvaise veille,
A ce pauvre sonçeur fati;o:;ué d'ici-bas, •
Oui s'accoude et qui tend l'oreille ?
Tu lui dis, ou plutôt c'est là ce que j'entends :
L'espoir est bien menteur parfois, la vie est brève,
L'homme, sans y songer, s'écoule avec le temps
Comme un fantôme dans un rêve.
Ah ! pâles affolés, sur vous la Mort a mis
Son onsçle ! Respirez une dernière touffe :
Dans vos fleurs, comme moi les oiseaux endormis,
La Mort vous prend et vous étouffe.
Les vrais, les seuls vivants, les bons, les saints, les forts
N'ont qu'un jour pot/r semer l'immortelle semence.
Un jour... Puis ils s'en vont, tous ces bienheureux morts,
Conquérants de la Paix immense.
Mais que d'autres, là-bas, oubliés sous les croix,
Hurlent, tournant contre eux leur rage inassouvie :
C'en est fini de nous ; nous sommes morts deux fois.
Nous avons gaspillé la vie !
Tu dis qu'il faut mener son sillon jusqu'au soir.
Remplir l'heure, le jour, la saison et l'année,
Marcher, et ne goûter la douceur de s'asseoir
Qu'après la tâche terminée.
Et qu'il faut triompher dans les combats chrétiens
Pour que, coupable encore après l'heure dernière,
La pauvre âme n'ait pas des yeux comme les tiens
Au lever de l'autre lumière.
LOUIS LE CaIXDONNEL 2Cj
Ainsi, plein de rej^rets pour tant de jours perdus,
Tant de saisons au goufTre éternel en allées,
Rappelant de mes bras obstinément tendus,
Mes espérances désolées.
Tandis que le vent noir pleurait au firmament.
Kl «jue tu miaulais dans la nuit monotone,
J'ai compris ton sanglot et ton miaulement,
O sombre hulotte d'automne 1
[Pût/nes.
SÉBASTIEN CHARLES LECONTE
1865
M. Sébastien Charles Leconte est né à Arras (Pas-de-Calais), d'une
vieille famille du pays, le 21 octobre i8G5 Après avoir fait ses étu-
des de droit, il entra dans la magistrature et fut, pendant plusieurs
années, Président delà Cour d'appel à Nouméa. Il profita des contres
qui lui étaient accordés pour visiter l'Inde, la Polynésie, et étudier
sur place les religions et l'histoire des peuples disparus. C'est en
1897, pendant un de ses rares séjours à Paris, qu'il publia ses deux
premiers recueils : U Esprit qui pas e ci Le Bouclier d'Arcs. La
même année, rAcadémie française le couronna au concours pour son
poème Solamine. Après un court passage dans les milieux littérai-
res, M. Sébastien Charles Leconte regagna son poste, qu'il quitta
définitivement en 1901, nommé à la Cour de Dôle, où il est, depuis
1902, Président du Tribunal civil.
La poésie de M. Sebastien Charles Leconte, comme celle de M. le
Vicomte de Guerne, s'apparente de très près à celle de Leconte de
Lisle, au moins par l'aspect. Comme l'auteur des Poèmes barba-
res, M. S-^bastien Charles Leconte trouve beau de donner une ortho-
graphe singulière à certains mots. Il n'écrit pas comme nous Empe-
reur, Ghaldee, Trésor, Moloch, Autocrate. Cithéron, Taurus, Acro-
pole, mais Impérator, Kaldée, Thrésor, Molock, Autokrator, Kithé-
ron, Tauros, Akropolis, etc. Il aime également à mettre des majus-
cules à certains autres : Homme,' Beauté, Femme, Monde, Mal,
Force, Esprit, Amour, etc.. Il ne faudrait pas croire, cependant, que,
sous ces grands mots, M, Sébastien Charles Leconte se désintéresse
de son époque. Au contraire, il la regarde, et s'y mêle, au moins
par l'esprit, très ardemment, et l'on voit passer dans son oeuvre,
enveloppées de l'éloquence du poète, les idées de justice et de bouté
qui l'animent. S'il apporte dans ses fonctions ces nobles préoccu-
pations, nul doute que M. Sébastien Charles Leconte ne soit le
modèle du magistrat. Au milieu du mouvement et des nouveau-
SÉBASTIEN CHARLES LECONTK 2Ô7
>e8 symbolistes, M. Sébasti^D Charles LecoDte est resté fidèle à la
)toétiqne paraassienae dans toute son expression, et il n'est pas
noins éloigné de l'école poéli(iue actuelle, faite toute de sensibilité,
.2 clarté et de modernité. M. Sébastien Charles Leconte ne tient
■ {'ailleurs nullement à être classé dans tel ou tel groupe. Un soli-
taire, dans sa vie comme dans son œuvre, il ne demanda qu'i être
considéré comme tel, et les théories poétiques ne lui sont pas moins
indifférentes que les groupes, c II importe peu que l'on fasse des
vers libres ou que l'on n'en fasse pas, dit-il. L'essentiel est de faire
• le beaux poèmes Toute théorie est inutile. »
M. Sébastien Charles Leconte, que l'.Académie française a distin-
;iué à deux autres reprises, en igoa en lui décernant une part du
l'rix Archon-Despérouses, et en 1906 en couronnant une seconde fois
un de ses poèmes : L'Absolution, a collaboré à de nombreuses»
.•evues : Mgrcure de France, Renaissance latine, Nouvelle Revue,
Les Lettres, Le Beffroi, Revue socialiste. Annales de la Jeunesse
'aïque, Vers et Prosê, Les Poèmes, Revue Franco-Allnnande^
Humanité nouvelle, Le Feu,Durendal, Grande Revue, Le Censeur,
etc.
Bibliographie :
L«9 ŒUTRKs. — L'Esprit qui passe, poèmes. Paris, Soc. du Mercure de
France. 11*97, in-4. — Le llouclier tlWrès, poî-mcs. Paris. ?oo. du M»'rcure
(le France, 1897. in-4.— Salamiue, poème couronm^ |>ar rA<-adéraiefraaraj>e.
Pari*, Soc. du Mercure de France, 1897, in-4.— Les bijoux de Marguerite,
ormes. Paris, Soc. du Mercure de France. 1859, in-4. — La Tentation de
•.'Homme, poèmes. Pari'*, Soc. du Mercure de Fnnce, 1903, in-18. — L'Abso-
lution, poème couronné par IWcailt^nie française, 1905 (non publié). — Le
Sauu de Mrduse, poème*. Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, in-18.
— La Gloire de Corneille, scène lyrique représentée pour la première
fois sur la scène de l'Académie nationale de mu<ii|ue, le 8 juin 1906 (Ceote-
iiaire de Corneillel, mu»i<j»e de Camille Saint-Sa<"us (non publiée).
A COS8L-LTER. — A. -M. Gosscz : Poète* du Soni, ISSO-t?<)^. Morceaux
chois s. Paris, OllendorlT. 1902, in-1^. — tî«'or(jes Le (\'irdoDnel et
Charles Vellay : La Littérature ■ ^ de* écri-
vains lie ce tt-rups. Paris, Soc. du M'
Henri Chantavolne : Un Poète. Journal des Débats, ti juillet 1897.
- Gaston Deseliamps : Le Poète S. Ch. Lcconte. Le Temps. 19 h.x.mh-
l.re 1899 ; Le Culte d'André Chénier. Le Temps. 11 férrier 1900 ; Au
et aujourd'hui AjsTam^%,l(i mai 1900: Ln T. ,>i.,f,..,i ,!.• l'homme. Le T
18 juillet 1903; I\Avenir de la Poésie d' i Charles L
fx; TeTiips, 3 juillet 1904; Le Sany de ..;...,,. ,. niups, 29 janvier 1 •• ..
- Kinile Fayuet : Quelque* poètes. Kerue Bleue, 11 cl IS mai 1901. —
Gustave Katia : La Littérature ' " .
Uevue des Hevues. mai 1901 ; Le I'
Uevue Blanche, 1" S4<ptembre 1901. — .Marins .\ry l.oliloud ; Li /' i--
scientifique contemporaine. Kerue dos Kcrucs, 15 décembre. — Claude
îG8
POÈTES d'aujourd'hui
f e Brr^^an • Ze Poule Sébastien Charles Leconle. H. sanron. imprimerie,
r loi 100^ in-i8 -E. Ledrain : Critique littéraire. Nouvelle Kevue,
?:dïcemb;e'l897 : - Gaston Stiégler : Un Poète. Ecbo de Pans. 6 jmn
*^Voir en outre le numéro du Z^e/TToz d'août 1901 <=«°^^"^ JP^'^'^^^^J"*^
Sébasl.en Charles Leconle. (Arlicles de M. Thérèse Cussac, A.-M. Gossez, Lcon
Bocquet, Floris Delaltre. lllustr.)-
SAPPHO
0 toi vers qui mes sens allaient sans te connaître,
Tyran tant désiré qu'^ippclait tout mon être,
Par mon sang lourd d'amour si longtemps attendu.
Quand j'ai crié, vers toi qu adorait mon génie,
Ma divine agonie,
0 Phaon, c'est ta chair qui seule a répondu,
Pour dompter de ton front la beauté despotique,
J'ai jeté mon angoisse à la strophe impudique
Et tendu vainement, et jusqu'à les briser.
Les cordes de mon cœur et celles de ma lyre.
Sans voir en ton sourire
Une autre âme fleurir que l'àme du baiser.
Pour chanter ta puissance et pleurer ta caresse.
J'ai, du verbe des Dieux sacrilège prétresse.
Dans la coupe du rythme où buvait mon orgueil
Versé tous les poisons merveilleux de ma fièvre,
Et l'autel de ma lèvre,
Profané par ta gloire, en gardera le deuil.
L'insomnie a brûlé mes douloureuses veines.
Et, dans la cruauté des étreintes vaines,
Tu ne devines pas, doux maître de mes sens,
Que vers toi, dans ce corps que Tamante te livre,
Quand ma forme t'enivre,
Mon immortaUté fume comme comme un encens.
Et dans l'impérieux désir de les prunelles,
Quand j'épiais le jour des clartés éternelles,
Tu crus que je cherchais, entre tes bras sauveurs.
SÉBASTIEN CHARLES LECONTE 2C9
Les fiers enlacements où les muscles s'embrasent,
Quand 1rs bouches s'écrasent
Comme une grappe mûre aux charnelles saveurs.
Eros t'avait armé de sa force suprême.
Et de ce charme obscur, ig-noré de toi-mcme,
Oui courba sous les yeux, candide ravisseur,
Dans la mag-nificence horrible des crinières,
Les genoux des guerrières.
Devant ta volupté promise, et ta douceur.
Mais tu ne savais pas, puisque en toi rien ne souffre.
Que pour combler mon âme innombrable, ce gouftue
Noir de s.mghjts auxquels nulle voix ne répond,
Les plus belles amours et les plus insensées
Dont nous soyons blessées,
Etaient moins qu'une fleur jetée à l'Hellespont.
Et c'est pourquoi je vais mourir, ô mer profonde I
Entre les immortels qui désertent ce monde.
Ombre d'un culte éteint, l'Amour était resté :
Mais le cœur de Sapphù, rassasié de songe,
Renonce à ton mensons^e.
Sanctuaire trahi que ses dieux ont quitté !
(L'Esprit guipasse.)
LE TOMBEAU
Quand je m'endormirai sous la splendeur des astres,
Mes strophes flamboieront auprès de mon cercueil ;
Les torchères de fer de mon farouche orgueil
Jetteront dans le vent la pourpre des désastres ;
Et les ailes du Verbe, apaisant leur essor.
Grouperont leurs faisceaux en un vol de victoire,
Pendant que se tairont, autour de ma mémoire.
Les trompettes de bronze et les cymbales d'or.
Aux quatre angles du lit funéraire dressées,
Témoins en qui revit mon rêve surhumain,
270
POETES D AUJOURD HUI
Surs^iront, de leur glaive éclairant le chemin,
Des figures de Dieux créés de mes pensées.
Et, brasier colossal où s'accumuleront
Les dépouilles du Temple et les ihrésors des Tentes,
Mes rythmes, ouvrant leurs envergures battantes,
Voileront de leurs feux la terreur de mon front.
Solitude de pierre aux formidables arches.
Mon œuvre étagera ses rampes et ses tours
Énormes, et, jonchant le pavement des cours.
Les siècles enchaînés en garderont les marches.
Et quand j'aurai quitté le sol du Monde, en vain
La foule impie, avec des bras tremblants de haine,
Insultera la paix sainte et la tombe vaine
Où ma chair de douleur rentre au néant divin.
Car la horde, acculée à son forfait célèbre.
Croira voir, dans la cendre ardente du bûcher,
La main de l'Inconnu s'animer, et chercher
La bâche de Téclair sous mon chevet funèbre,
(Le Bouclier d'Ares.)
L'ORPHELIN
Dans le verger rempli d'abeilles
L'enfant Amour s'est endormi ;
Belles, qui tressez des corbeilles.
Venez admirer l'ennemi.
La rose, au souffle de sa bouche,
Refleurit dans l'air enivré :
Contemplez le chasseur farouche ;
Entre vos mains il s'est livré.
Accourez, à dépouiller promptes
Le Tyran justement haï.
Le fauteur des maux et des hontes,
Que sa force enfin a trahi.
SEBASTIFN CHARLES LECONTE 27 I
Brisez le doux carquois d'aihalre.
Ainsi qu'un jouet clanclrstin :
Sur son i^enou, la plus foiàlre
Rompra 1 arc qui fut son butin.
Que chacune, aux plis de sa robe.
Ramassant les traits empennés,
Furtive et joyeuse, dérobe
Quelques carreaux empoisonnés.
Et que la source aux ondes fraîches.
Dans le creux moussu du rocher,
Garde l'affreux trésor des flèches
Que les nymphes sauront cacher.
Et maintenant que, de la plaine.
Monte un crépuscule odorant,
0 Filles, qui tissez la laine
Teinte de pourpre et de safran,
Sous les ramures des yeuses
Frissonnant dans le vent charmé,
Cernez, sacrilèi^^es rieuses,
Le Dieu par vos doigts désarmé.
Et, pour célébrer sa défaite,
Que la cadence de vos pas
Alterne ses rondes de fêle...
Mais pourtant ne l'éveillez jias 1
Enfant dieu de la lieaulé sainte,
A sa Mère il a survécu,
Et la jeune aurore est éteinte
Qui dora le front du vaincu.
II dort, dérisoire adversaire
0 Viere^es (jui HIez le lin,
Ayez pitié de sa misère.
Et n'éveillez pas lorphelin.
{Les Bijoux de Marguerite.)
273
POETES D AUJOURD PiUI
AU DIEU QUI S'ÉLOIGNE
Toi dont nous poursuivons, au profond de loi- même,
L'inconnaissable essence et la pure entité.
Que la crainte, la foi, l'amour et le blasphème
Nomment du même nom auguste et redouté,
0 Dieu, dont la présence autour de nous recule,
Dans l'orbe incessamment élargi de nos cieux,
Chaque fois que, pour nous, s'allume, au crépuscule,
Un astre nouveau pour nos yeux ;
Devrons-nous donc, de ton image qu'on mutile,
Voiler, en fils pieux, le simulacre vain,
Et te rayer d'un mot, comme un terme inutile,
Du problème éternel dont nous voulons la fin?
Devrons-nous, parvenus aux confins du possible,
Comprendre que notre âme est ton dernier linceul,
Et qu'au jour où ses sens auront vu l'invisible.
L'homme en lui-même sera seul?
Seul devant la nature et devant sa pensée,
Devant les mondes morts et les cieux à venir,
Et, dans la grande nuit d'astres ensemencée,
Prisonnier de ce tout qui ne peut pas finir?
Seul dans l'immensité qui toujours renouvelle
Son effort sans limite et sans commencement,
Inconscient désert où rien ne se révèle
Que les formes du mouvement ?
Certe, il regrettera ta sublime chimère,
La sainte volonté dont il cherchait les lois.
L'éternité promise à son être éphémère
Et le songe infini des voyants d'autrefois.
L'intelligence unique où son intelligence,
Comme au foyer divin, rêvait de s'abîmer.
L'espoir de ta justice, et jusqu'à ton silence
Oui permettait de blasphémer.
Peut-être, maudissant l'œuvre de son élude,
StnVïTirN- ritvnivs rrrosTP. 2"j3
Senlira-t-ii sur lui descendre, comme un deuil.
Voûte aux arches de çlace et d'or, la solitude
Tcirilile de sa gloire et de son libre oru,ueil.
Et s'allristera-t-il, lors(jue saines et prêtres
Auront courbe le front devnnl la vérité,
De ne pouvoir du moins, comme nous, ses ancêtres.
Douter de ta réalité.
Qu'importe ! nous marchons, souffle, esprit ou matière.
Vers les monts de l'ultinie et suprême douleur,
Où croît sur le roc nu la certitude entière
De l'arbre de science allière et chaste fleur ;
La voie inéluctable est devant nous ouverte,
Notre devoir grandit, avec la vision
Où frissonne, victime au sacrifice off'erte,
Notre chétive illusion.
Qu'importe ! précurseurs que l'avenir écoute.
Nous irons, jalonnant de nos corps les sillons,
Et dut le désespoir, au terme de la route,
Nous accueillir du grondement de ses lions,
Dussicz-vous, conquérants de la future histoire,
Triomphateurs laurés d'un jour sans lendemain,
Mourir, du battement d'ailes de la victoire, '
Nous vous montrerons le chemin !...
{La Tentation de V Homme.)
LE DERNIER CHANT D'ORPHEE
0 Viera^es 1 n'est-ce pas qu'autour de mon supplice,
Vos danses mèneront, sous la lune complice,
Une orgie en démence au rythme bomlissant,
Et, de l'antique Olympe ébranlant les murailles.
Feront mes funérailles
Ruisselantes de sang?
N'est-ce pas que, ce soir, dans les lorois t!,rondante9,
Pleines de soufHes courts et d'haleines stiidcnles.
Et chaudes de sueurs et rouges de flambeaux,
%n^ POÈTES d'aujourd'hui
N'est-ce pas que la nuit dionysiaque épie
Le trépas de limpie,
Dont la chair dispersée est promise aux corbeaux ?
0 Femmes ! n'est-ce pas que ma pompe dernière,
Quand vos torches, au vent dénouant leur crinière,
Sur les tigres vaincus et les lions couchants.
Draperont de leurs feux votre pourpre trophée.
Sera digne d'Orphée
Et digne de ses chants 1
Pour crier ma défaite aux sommets solitaires,
Vous ceindrez la dépouille horrible des panthères,
Le pelage ocellé des lynx, et la toison
Des monstres de llndos et les bêtes du Gange,
Et la fauve vendange
Emplira de fureurs le quadruple horizon.
Car vos haines sans fin le suivent, ô Prêtresses
Le poète qui va, dédaignant vos ivresses,
Altrnlif seulement, sous l'éther radieux,
A l'immortelle voix qui lui parle et l'enseigne,
Oui passe et qui dédaigne
Votre culte et vos dieux.
lacchos, fils du Maître inévitable, presse
Sur les pentes du mont la harde vengeresse,
A travers le fourré des halliers chevelus...
Le sacrilège est là, dont le verbe vous brave,
Et sa lyre, plus grave.
Prolonge l'hymne pur qu'elle ne dira plus.
Vos colères ce soir halètent sur sa trace !. . .
Accourez ! la vipère élincelanle enlace
Vos cheveux, la couleuvre ondule sous vos pas ;
Et votre foi s'offense à le voir qui regarde
Votre foule hagarde.
Et qui ne l'entend pas.
Et toutes, sous les pins aux sombres colonnades.
8ÉBAST1KN CHARLES LECONTB 375
Vous vieudirz, (lu Mimas et de l'Edon, Ménades,
Baccliantcs dont lo lierre emprisonne le front,
Hurlantes, déchaînant la frénétique extase
De l'ardente thyase...
Et vos thyrses i'euillus dans mon s.iiiî^ fleuriront.
Mais quand mon dernier cri, p.i^s.ir î dans leur haleine,
Soulèvera d'horreur leur aile surhumaine.
Mes strophes porteront, palpitantes encor.
Des Monlaijnrs de Thrace aux plages d'Ionie,
Ma clameur d'ae:onie.
Dans leur suprême accord.
Mais la Mort ne fait pas, en touchant le Poète,
Le ciel silencieux et la Terre muette,
Puis(jue plus fatidique est le chêne abattu,
Et voici que la plainte immortelle du Monde
S'éveille plus profonde,
A l'heure où le Chanteur, qui la disait, s'est tu.
Sur la glèbe fertile et la lande sauvage,
V^oici que naît et sourd et s'enfle et se propage,
Comme la vie obscure au fond de l'élément,
Des ramures des pins aux cheveux de l'yeuse.
Une onde harmonieuse
Irrésistiblement.
Elle court et grandit, se déroule, enveloppe
Et rilémas sourcilleux et le morne Khodope,
La terre pélasgique et les neiges d'Œla.. .
Et vous écouterez, dans les nombres du thrène,
Celte ode souveraine,
Telle que nulle oreille encore n'écouta,
Des cimes aux vallons, les accents se répondre
De l'hymne universel où tout va se confondre,
Au souffle tout puissant des rythmes inspirés,
Et la sagesse sainte et le sacré délire.
Et les voix de la I^yre
Où vous vous unirez,
2'jt
POÈTfiS d'aujourd'hui
Voix de tout ce qui vit, voix de tout ce qui chante I
La mer céruléenne et la fauve bacchante,
Le flot inaltérable et l'impure beauté.
Afin que tout anime, afin que tout célèbre
La victoire funèbre
De celui qui mourut après avoir chanté.
{Le Sang de Méduse.)
GREG(3iaE LE ROY
1862
M. GrPÊroire Le Roy est né le 7 novembre 1862, k Gand (Belgi-
que, où il passa toute son enfance et une partie de sa jeunesse. Son
père était brodeur, et il a gardé une profonde impression de l'atelier
paternel, où des ouvrières très dévoles « alanguissaient les après-
midi par des cantiques chantés en chœur, et attristaient les soirs par
le bourdonnement des prières récitées à haute voix ». M. Grégoire
LcHoy fit ses études au Gollètre Saint- Barbe de Gand, dirige par les
Jésuites, et où il avait pour condisciples Charles Vaa Lerbcrghe et
M. Maurice Maeterlinck, dont il devint bientôt l'ami, surtout pour
le premier, avec lequel le lia tout de suite une très grande amitié.
Comme eux, il fit ensuite son droit, et après avoir passé les épreu-
ves de philosophie et de lettres, quitta l'Université pour s'adonner à
la peinture. Il alla alors vivre pendant une année environ aux bords
de l'Escaut, à Caslel, un hameau perdu au cœur de la Flandre. La
vocation littéraire s'('veiilait en même Ic.nps en lui, car c'est pendant
ce séjour à Castel qu'il écrivit ses premiers vers, qui ne devaient rtre
publiés que plus tard. Cela se passait en i885. L'année suivante,
M. Grégoire Le Roy vint passer quelque temps à Paris, en compa-
gnie de M. Maurice Maeterlinck. Installés tous les deiix,a2, rue de
Seine, ils passèrent leur temps, pendant ce séjour de quel(]ues mois,
à visiter ensemble la capitale et ses musées. M. Grégoire Le Roy fut
même à cette époque élève des ateliers Gervex et Humbert, et des
cours d'anatomie de l'Ecole des Beaux-Arts, éludes qu'il abandonna
bientôt, lassé d'un enseignement (jui ne ditFerait sjuèrc de celui des
Académies belges. Il se sentait d'aillei:^ attire de plus en plus vers
la littérature, par la fréquentation de nouveaux amis, tels que Vil-
, liers de l'Isle-Adam, Ephralm Mikhacl et MM. Pierre Quillard et
Rodolphe Darzens. Ce fuimèmelui qui leur révéla à tous M. Maurice
Maeterlinck, en leur lisant un soir, chez M. Pierre Quillard, un de
ses contes : /> Massacre des Innocents. Le lendemain, il leur pré-
senln.l l'a'itr'-.r, rt cr fit tl- Icur-^ r-ifr. 'i: :^? "• (ans que napiil bieu-
n
2-78 POÈTES d'aujourd'hui
tôt La Pléiade, petite revue qui n'eut que sept numéros, mais qui
n'en a pas moins sa place marquée dans l'histoire symboliste. Ren-
tré en Belgique dans l'hiver de 1886, pour reprendre avec son fidèle
compagnon Charles Van Lerberghe leur existence provinciale,
M. Grégoire Le Roy réunit l'année suivante, en 1887, ses premiers
poèmes en un recueil : La Chanson du. Soir, tiré seulement à ving^t
exemplaires. En 1885, un second recueil parut, Mon Cœur pleure
d'autrefois, publié dans une édition de luxe rapidement épuisée.
Fatigué un moment de sa vie de rêve, de son existence toujours
égale de peintre et de poète, M. Grégoire Le Roy, à cette époque,
quittant son isolement, partit pour Bruxelles, dans un grand désir
de voir de près la vie active : industrie, commerce, finance, et d'y
prendre part lui-même. Contraste saisissant, qui ne devait avoir
d'autre résultat que de lui rendre bientôt le goût plus profond de son
ancienne existence, à laquelle il s'empressa de retourner. Depuis,
M. Gré"-oire Lft Roy vit dans la banlieue de Bruxelles, avec sa
femme et ses trois filles, dans une maison qu'il a baptisée Laethem-
Rust ce qui signifie, — librement, — « qu'on me laisse le repos ».
Existence d'un sage, existence d'un vrai poète que le désir de la no-
toriété n'a jamais préoccupé, qui vit dans la compagnie de ses rêves
et n'écrit qu'à sa fantaisie, pour son plaisir et pour charmer son
isolement. Tous les poèmes de M. Grégoire Le Roy sont aujourd'hui
réunis en un seul volume : La Chanson du Pauvre, publié en 1907.
A propos de ce livre, dans lequel l'auteur a réuni, à vingt ans et
plus de distance, deux séries de poèmes : La Chanson du Pauvre
et Mon Cœur pleure d'autrefois, « qui diffèrent de ton et de manière
autant que le rêve d'un jeune homme qui n'a vécu que dans le passé
et dans le futur est dissemblable de l'expérience cruelle de celui qui
est arrivé à mi-chemin des jours », M. Pierre Quillard a ingénieuse-
ment commenté l'œuvre du poète en ces termes :
« Une autre parabole de l'Enfant Prodigue m'a été contée, qui
« convient mieux aux âmes dolentes et chagrines. Jamais l'Enfant
« Prodigue ne quitta la maison de son père; mais lors des aventures
« de sa jeunesse, il y vécut comme un étranger ; sa pensée habitait
« ailleurs ; elle errait dans des pays merveilleux et funèbres, hors
« des heures présentes qu'elle ignorait, ne connaissant que l'espé-
« rance et le souvenir; cependant les jours s'écoulaient; sans qu'il
« en eût conscience, autour de lui les uns vieillissaient et les autres
« mouraient, et lorsqu'il s'éveilla de son rêve et de son voyage ima-
« ginaire, tous les siens avaient disparu et dans la maison vide qui
« avait été pleine de bruits de fêtes et de foule joyeuse, il demeura
« seul désormais, en lutte non plus avec les formes irréelles de la
■ douleur, mais avec les vraies souffrances des hommes, livrés sur
c la terre hostile à tous les assauts de la faim et à toutes les
GIXEGIlnE LE ROT 2-n
« ançoisses de la dc'tresse. Il sut alors ce qu'était la vie des malheu-
« reux ; et bien qu'il eût suspendu dans la cheminée son violon où
« dormaient les chansons d'autrefois, il chanta encore dans les
• soirs tristes la misère éparse autour de lui dans les maisons bas-
« ses et renfermées et le s^ouvenir plus amer de ses vains souve-
« nirs et de ses vaines esp'-rances.
« Si celte parabole navait pas été contée, en effet, il eût fallu
« 1 mventer pour mieux faire comprendre par ima-es et fi-ures la
« vie poétique de M. Gré-cire Le Roy. « {Mercure de France,
10 juillet 1907.) '
M Grégoire Le Roy a collaboré à La Pléiade, déjà indiquée, à"
La Basoche, a La Jeune Belgique (éludes sur M. Maurice Maeter-
linck et le peintre Théo Van Rysselberçhe), à L'Art Moderne létu-
des sur le sculpteur Georges Minne), à La Wallonie, etc.
Bibliographie :
,à-\^^'^^f~ ^^ ^*^«°^o° d'un solr.poèmes. Gand, imprira. L. Van Melle.
>.m-18,20exem,.ia.re>^. (KOimprim.^ en partie dans Za C/ian^on du Pauvre
l''»/.)-Mon cœur pleure d'aulrefois.poèraesornésdun frontispice de-iné
p^rPernand KhnopfT cl de cuN-de-lam,,e de Georges Minne. Paris, Vanier
.-9,in-4(200 exempl.)._La Chanson du pauvre La Chanson du pauvre
Mon cœur pleure d autrefois). Paris. Soc. du Mercure de France, 1907 in-18
Ou trouve, en outre, des poùraes de M. Gréj.'oire I^ Rov dans les ouvrages
suivants: Parnasse de la Jeune Belnique. Paris, Vanier, 18^7, pr. in-8.
Poètes belges d expression Iranraise.par Pol de Mont Almelo, W Hila-
rius, ls99, in-18. etc.
A ^^^^su.TEn. _ At, ^^^ pg^.gj. . ^^y^j^g Maeterlinck, etc. Paris,
usot, 1904, m-I8. - Albert Mockel : Charles Van Lerberghe. Paris
" ' . du Mercure de France, 1904, in-18.
Emile leconite: Un Poète ressuscité (Porlr. de Fauteur). Le Matin
.^xelles), 23 mars 1907. -Pierre Qulllard : Gréfjoire U Roy. Mercure
france 16 juillet 1907. - V. : Chroni^jue littéraire. Gré<,oire Le Roy.
Und. Tendance belge, 27 mai 1907. - Charles Van Lerberghe: Grégoire
xe /foy. La ^^alloule. 1889, t. IV. ^
Iconographie :
Georges Leniinen : Portrait, peinture à Fhuile, reprod. dans le Matin dô
Bruxelles, 1907 (appartient à M . Grégoire Le Roy).
LA MORT
Ce soir, la p^ueuse fatale,
La vieille livide et brutale
Aux mains calleuses, au front bas;
Celle qui marche au millieu des chemins.
aSo POÈTES D AUJOURD HUI
Tantôt ici, tantôt là-bas,
Barrant la route au lendemain ;
Celle qui fait sonner les pierres
De son bâton noué de fer,
Et de ses deux sabots d'enfer ;
Ce soir, la mort a, sans raison,
Passé le seuil de ma maison.
J'étais rêveur, au coin du feu,
Lisant l'espérance et la vie
Dans les yeux bleus de mon enfant.
La vieille entra
Et vint s'assoir entre nous deux...
Et ie n'avais pas vu qu'une chaise était là... -•
•■ 1898.
{La Chanson du Pauvre.)
LES AVEUGLES
Trois aveugles marchaient par la route.
Cherchant à regagner leur village perdu.
Leurs maigres mains, tâtant les airs,
Guidaient leurs pas rendus
Et leur bâton noué de fer
Piquait, au large, dans le doute.
Ils marchaient depuis bien longtemps,
Avaient passé plus d'un village,
Et c'est l'obole d'un passant
Qui mène, au loin, leurs longs voyages.
Mais cet argent, pauvres certitudes,
Ou'étreignent leurs mains mendiantes,
Le voilà maintenant qui résonne et qui chante
Comme un tocsin d'inquiétude,
Dans la besace vide de pain.
Et tout le long du long chemin.
Dans l'ombre et la paix attentive,
GllLGOinE LE ROT 28 1
« Ce rien d'or fait un bruit sans pareil
Pour leur Ame craintive.
Et c'est peut-être le réveil
D'un plus pauvre qui dort !...
Ils ont senti passer la mort I...
{La Chanson du Pauvre.)
ÉCHOS DE VALSES
Valses d'antan, valses muclte^s!
Rythmes bercés aux jardins d'autrefois...
Cloches d'antan, minces, fluettes.
Fuite d'échos qu'en mon âme je vois...
Choses d'antan, subtilisées :
Chambre déserte où se fane un parfum...
Chose d'amour, éternisées :
Fleur de baiser qui s'etreuillc en chacun.
Voix du passé, voix incertaines.
Comme un écho de refrains bien connus;
Voix qui s'en vont loin, et lointaines,
Bon souvenirs, en allés, revenus...
Rythmes en rond d'escarpolettes!
Valses d'antan... pourquoi muettes?
1888.
(La Chanson du Pauvre.)
LE PASSÉ QUI FILE
La vieille file et son rouet
Parle de vieilles, vieilles choses ;
La vieille a les paupières closes
Et croit bercer un vitux jouet.
Le chanvre est bloinl, la vieille est blanche;
La vieille file louleUiCut;
11.
282 POÈTES d'aujourd'hui
Et pour mieux l'écouter, se penche
Sur le rouet bavard qui ment.
Sa vieille main tourne la roue.
L'autre file le chan\Te blond :
La vieille tourne, tourne en rond,
Se croit petite et qu'elle joue. . .
Le chanvre qu'elle file est blond ;
Elle le voit et se voit blonde ;
La vieille tourne, tourne en rond,
Et la vieille danse la ronde.
Le rouet tourne doucement
Et le chanvre file de même ;
Elle écoute un ancien amant
Murmurer doucement qu'il l'aime...
Le rouet tourne une dernier tour ;
Les mains s'arrêtent désolées ;
Car les souvenances d'amour.
Avec le chanvre étaient filées...
1887,
(La Chanson da Pauvre.)
CELLE D'AUTREFOIS
Je suis celle qui s'est enfuie
De ton cœur, un soir d'autrefois ,
Celle qui pleure et qui s'ennuie,
Qui n'a plus de corps ni de voix.
J'étais d'une chair triste et belle
Et si lointaine en sa pâleur,
Qu'à peine il te souvient d'elle
Comme d'une morte en ton cœur.
Ah ! c'est que j'étais de la (erre;
Que j'aimais la ville et le jour
ORicoinE I.E ROT 283
El que je t'ai vu solitaire
Avec des sonates pour amour !
Pourtant lorsque, parmi les hommes,
Tu ramènes tes jours brisés.
Je t'aime tant qu'à deux nous sommes
Du souvenir de nos baisers.
C'est que je suis ta prime vie;
Je suis l'amante d'autrefois ;
La chair de ta première envie ;
Celle qu'en rêve tu reçois.
1886.
{La Chanson du Pauure.)
LES PORTES CLOSES
0 vous, chères, que j'ai connues
Et qu'aux jours tristes je revois.
Vous voici, ce soir, revenues,
Car mon cœur pleure d'Autrefois.
Quand, me raj)pelant vos caresses,
Je pense à celles qui viendront,
Mes mains sont lourdes de paresses,
Je ne tends même plus mon front.
Car c'est vous seules que j'écoute.
Oui, dans le crépuscule niiné.
De vos voix où tremble le Doute,
Chantez en un palais fermé.
Moi, j'attends qu'à travers la j>or(»^.
Close par mon fol abandon.
Votre chanson de di'uil m'apporte.
Un peu de rcve cl di- pardon...
Oui, c'est vous seules, vous lointaines,
Dont me revienne »•!••>'• la voix.
aSl POLIES d'aujourd'iici
0 vous toutes qui fûtes miennes
Dans rinoubIiaI)le aulrefois.
Là, vous êtes dans l'ombre, seules,
Telles que vous m'apparnissez
Déjà semblables aux aïeules,
Parlant de très lointains passés ,
Et j'entends vos voix paresseuses,
Si douces que j'en soulTre un peu,
Comme un chœur de tristes fUeuses,
Assis, un soir, autour du feu.
{La Chanson du Pauvre,)
LE ROUET DE VIE
Mon âme tourne sans amour.
Le rouet de l'an solitaire ;
La nuit efface chaque jour,
Sans que je regarde la terre.
Mes 3'eux sont à jamais posés
Sur les mensonges dont j'abreuve
Ma soif des idéals baisers,
Et de mon cœur ma vie est veuve.
Ma vie est veuve d'ici-bas ;
Elle est veuve et triste sans doute ?
Je ne sais, n'ayant même pas
Remarqué son deuil sur ma route.
Mais je la pressens sans la voir :
Ce doit être une fille sombre,
Aimant l'automne dans le soir,
N'errant qu'aux étoiles, dans l'ombre.
Car n'est-ce pas le soir douteux
Que se cueille dans les pelouses,
GRéGOIRE LK ROT 2S5
Le rci^arJ des mensonjçcs bleus
Eclos au seuil des nuils jalouses ?
J'aime tout ce qui va finir,
Ce qui défaille et ce qui tombe,
El j't'iiU'iiils, (I;ins )«' s lir, s'unir.
S'unir dt's ailes de coImmiIjc.
J'aime les chambres de mon cœur,
Où filiTcnt des mains élran^^cs ;
Là, dans un très ancien bonheur.
J'ai vu, je crois, mourir des ançes.
Mon Ame tourne avec amour
Le rouet des pAles mensonjçes ;
La nuit s'efl'aee dans le jour
Sans me réveiller de mes songes.
188G.
(La Chanson da l'ouvre.)
MUSIQUE DOMBRB
Un peu de musicjuc incolore,
Afin d'clcrniscr ce soir,
Et qu'il revive et dure encore
Aux tristes nuits de uonchaloir..,
Résonnance lunaire et lasse,
Eclose d'onihre ilans le r»*ve.
Et dont la pinase ne s'acuè\'e
Pour qu'à jamais elle s'efTace..»
Oh ! doucement ! Loin de mes yeux I
Un peu vers le cœur, mais dans l'àme...
Près de l'amour, loin de la femme...
Que je m'en seule un peu plus vieux I
D'où vient ce baiser d'inconnue
Que ma lèvre n'a pas rendu ?
286 POÈTES d'aujourd'hui
Elle s'en va, la bienvenue !
Elle s'en va ! Tout est perdu...
Tout est pourtant bien dans cette heure :
La mélodie éteinte en l'ombre,
Et plus de rythme et plus de nombre
Et qu'elle meure... et quelle meure...
1886.
{La Chanson du Pauvre.
AIR DE GUITARE
Je chante un amour de ballade
Sans rancœur et sans trahison,
Un amour de vieille chanson,
Dont mon pauvre cœur est malade,
Bien malade...
Il est dans les refrains anciensj
Rempli de leurs plaintes fatales,
Dans les chansons sentimentales,
Et les vieux airs que l'on fait siens ;
Je m'en souviens.
Il est dans toutes les tristesses
De viole et d'accordéons,
Et le meilleur que nous ayons,
Sont ses rêves et ses faiblesses^
Et nos faiblesses ;
Amour des aimés radieux
Qui vont, les soirs de clair de lune,
Avant le temps de la rancune.
Avant l'époque des adieux.
Tristes adieux,
Amour de tous ceux de la terre,
Qui s^aimèrent aux temps passés,
Amour des pauvres trépassés,
GRÉGOIRE LE ROY aSy
Celui d'hier et de naguère.
Et de nasi-uère...
Amour au fond de nos amours;
Un peu plaintif, un peu malade.
Un peu mesquin, m«*me un peu fade.
Qu'on a dans soi depuis toujours,
Et pour toujours. . .
Amour, vieil amour de ballade,
Qui n'a jamais été, jamais !
Amour de vieille chanson, mais
Dont mon pauvre cœur est malade,
Bien malade...
1887.
{La Chanson da Pauvre.)
PRIEIŒ
A l'ombre de ma solitude
Lons^temps, Seic^neur, je fus assis,
Sans rei^rets, sans in-juictude.
Sans larmes vaines et sans cris !
Mais j'ai vu les y<;ux des mensoncres;
Quelqu'un m'a dit et je comprends
Que mes sons^es étaient des sonsccs
Et que c'est en vain (|ue j'attends.
Maintenant que je suis sur terre
Et dans la foule et parmi vous,
Je vois mon âme solilairr,
Je vois mes yeux ha^j^ards et fous.
Aussi, mon Dieu ! quand je désire
Vous supplier de tous mes Vieux,
Je ne sais plus ce qu'il faiil dire,
Je ne sais plus ce que je veux.
288 POÈTES d'aujourd'hui
Oh 1 rendez-moi les mains divir-cs,
Les yeux divins de mon erreur !
Les mains d'amour, ces mains câlines
Oui ne caressent que le cœur.
Oh ! rendez-moi ma solitude,
Son mensonge et son bercement.
Puisque j'ai la douce habitude
D'écouter une voix qui ment.
1886.
[La Chanson du Pauvre.)
LA DERNIÈRE VISITEUSE
Elle entrera chez moi, comme ma bien-aimée.
Sans frapper à la porte et familièrement,
Ne faisant ni de bruit, ni de dérangement.
Enfin comme entrerait la femme accoutumée.
D'ailleurs, comme déjà la chère le savait.
Elle n'aura pas peur en voyant mon visage
Si pâle et si défait, et bien douce et bien sage,
S'assoiera sans parler à mon triste chevet.
Et moi, qui dès longtemps suis fait à la pensée
D'être un jour visité par elle, je serai
Sans émoi de la voir, et je la laisserai,
Sans dégoût, dans sa main prendre ma main glacée.
Lors elle parlera, doucement et très bas,
Des choses du passé, d'une province chère,
D'une maison bien close et pleine de mystère.
Et de tristes amours que je n'oublierai pas.
Et, maternellement, comme l'eût fait ma mère,
Après m'avoir parlé quelque temps du bon Dieu,
La chère médira : « Veux-tu dormir un peu? »
Et, content de rêver, je clorai ma paupière.
i885.
{La Chanson du Pauvre.)
JEAN LORRAIN
4856-1906
Jean Lorrain {de son vrai nom Paul Duval, et qui si?na pendant
quelque temps Jehan Lorrain) était né à Ftcamp ;Seine- Inférieure),
le 9 août i8ôG, fils d'un armateur de la région. Son'i^'rand-père, capi-
taine au long cours, puis armateur également, était fils d'un corsaire
qui, durant le blocus continental organisé par Napoléon !•', se
signala en donnant activement la chasse aux bâtiments ancl'ais.
Comme l'a note très justement M. Ernest Gaubert dans sa" bio-
graphie de l'écrivain ii), on retrouve rà et là dans l'œuvre de Jean
Lorrain quelque chose decet atavisme de marins. Jean Lorrain entra
comme interne, à neuf ans, au petit lycée Louis-le-Grand, ensuite au
lycée Henri IV, et termina ses études chez les Dominicains d'Ar-
cueil. Là, une crise de mysticisme, que ses maîtres encourai,-aient,
lui fit croire un moment qu'il avait la vocation sacerdotale. Mais
cette exaltation passa vite. Sorti d'Arcueil, il s'enga^'ea au la* régi-
ment de hussards, à Saint-Germain, passant bientôt, par permuta-
tion, aux spahis de Biskra. Il retourna ensuite à Fécamp, |.uis vint
à Paris. Nous laissons la parole à M Ernest Gaubert, qui l'a connu,
et qui a moulré qu'il le connaissait bien. « Comme plusieurs écri-
vains de sa génération, Jean Lorrain essaya d'abord de la peinture.
Ce mode d'expression qui ne pouvait guère, semble-t-il, convenir à
son tempérament, fut vite délaissé. Il se tourna vers la poésie et
débuta, en publiant en 1881, chez l'éditeur du Parnasse, des poè-
mes où l'on ne sent pourtant pas le souci, alors unique, de la forme.
L'auteur de La Forêt Bleue et du Sani/ des Dieua;, en outre de Gus-
tave Moreau et Burnes-Jones, présents dans les attitudes et les
décors, se souvient de ses visions d'enfant et de ses rêveries
devant la mer. Ces vers, réunis à d'autres, formeront plus tard
Sauiof^Qof *^*'^'^^' '^'^^J^^'''^^^'*^ -^^^^ /^rroïn, biographie crili.iue. Paru,
i8
290 POETES D AUJOURD HOI
U Ombre Ardente. Ce sont, évoquées dans le cadre étroit du sonnet
ou dans l'ampleur des stances, les princesses fabuleuses : Typhaine,
Aliès, Viviane, Morgane, Hérodias, et les éphèbes Ganymède,
Alies, Narcisse, etc... Mais l'éphémère muse moderniste triomphe,
cependant que dans les cénacles de la rive gauche s'élabore, en
réaction contre le naturalisme, le proche mouvement idéaliste. Jean
Lorrain écrit Modernités, et joue à ses compatriotes le mauvais
tour, devenu classique, de les peindre tout vifs dans Les Lepillier.
Tout Fécamp s'indigne et le jeune romancier continue par Très
Russe, dont l'intrigue se situe à Yport. A ce moment, L'Evénement
était encore un grand journal {Scholl y gagnait 4o.ooo fr.). Jean
Lorrain se trouva heureux d'y entrer ainsi qu'an Courrier Français.
Il publie de nouveaux poèmes inspirés de Pater et Watteau : Grise-
ries, et obtient avec Dans l'Oratoire, série de portraits de gens de
lettres, son premier succès, succès de surprise scandalisée devant
l'audace mordante d'un débutant « qui ne s'effrayera pas ». Il se bat
en duel avec René Maizeroy, son ami depuis ce jour. Il entre à
VEcho de Pans, où il donne la série « une femme par jour » et
les premiers « Pall-Mall » signes Railif de la Bretonne... L'heure de
la gloire a sonné pour lui. Il vient de dépasser la trentame et
voici que sa légende se forme. De 1886 à 1896, durant cette
période cahotique de littérature maladive, où un immense effort
littéraire se disperse en tous sens, Jean Lorrain témoigne d'une fié-
vreuse activité dans la recherche absorbante de l'étrange et de l'iné-
dit... Familier du grenier d'Edmond de Concourt, Jean Lorrain
devait se ressentir de l'influence des maîtres des Frères Zemganno...
Ayant souffert de troubles au cœur, il en vint, pour réveiller sa sen-
sibilité nerveuse, à abuser de l'éther. Sept ou huit volumes devaient
attester sa redoutable emprise. . . Edgar Poe, Barbey d'Aurevilly,
Villiers de l'Isle-Adam,Ouincey et les Erckmann-Ghatrian de L'Arai-
gnée-Crabe et de L'Esquisse mystérieuse sont les auteurs favoris
de cette période de l'activité littéraire de Jean Lorrain. Cependant,
cette activité semble suivre trois courants presque toujours différen-
ciés et parfois confondus. Incarné dans une sorte de trinité créa-
trice, Jean Lorrain se manifesta comme l'observateur ironique et
cruel de son temps, comme le voyageur insatiable et désolé, revenu
d'une contrée de songes mauvais et d'un pays de malaria. Songeuse,
Buveurs d'âmes, Sensations et Souvenirs, Un Démoniaque, Histoi-
res de Masques, Fards et Poisons. Voici la part du rêve malsain
ou de l'hallucination, qui aboutit au Vice Errant et à Monsieur de
Phocas. Ce sont des contes qui affectent généralement l'allure d'une
confession. Ils disent les angoisses exaspérées, les inédites crimina-
lités, les fantaisies de L'Amant des poitrinaires, le suicide lent du
buveur d'éther et les coupables joies du buveur d'âmes... Le fan-
JKAN LORRAIN SQI
tc*)nne des nuits d'insomnie, dans ces patres, va de pnir avec l'escarpe
de la place Mauberl et la rouleiise de la barrière d'Italie. Ames d'au-
tomne, âmes de moisissures d*'jà molles, âmes de proie, poignards
et snobismcs, vices et puérilités... Cette série de volumes aboutit au
Vice Errant et à Monsieur de Vhocas, deux livres où se découvre
l'extrême des qualités de Jean Lorrain... Nul parmi les chroniqueurs
des grands quotidiens ne fut plus accessible à la beauté. Il a lou»'
toutes les formes, toutes les conceptions d'art... Il a défendu .Mae-
terlinck, Louys, Henri de Héjjnior, Bataille, etc. Ses Pall Afull
semaine, au Journal (où il les continua après son départ de L'Echo,
de 189G à 1900) lui ont été plus souvent l'occasion de louer que de
dénigrer. Mais c'est le sort commun des violents de ne se voir
compter que leurs attaques... Ses notes au jour le joar, où défile le
Tout-Paris des premières, des expositions, du boulevard et des cercles
et qu'il a réunies sous le titre : Pou.^sières de Paris, sont peut-être
une des meilleures sources de l'histoire de demain — celle qui voudra
évoquer la vie et les vices et les tares, comme aussi les beautés et les
forces de ce temps (La Petite classe. Madame Daringhel, doivent
tire situées dans ce courant de l'œuvre, celui qui nous vaut la pein-
ture amère des contemporains)... Les Pall Mail semaine ont fait en
majeure partie la réputation deJean Lorrain... Par ces chroniques, il
exerça sur Paris une sorte de royauté de la mode. Grand, grisonnant,
élégant, avec des yeux étranges, un lys à la boutonnière, d'apparence
dédaigneux, il appuyait sur le velours des loges, les .«oirs de premiè-
res, des mains lourdes de bagues. Il recevait à Auteuil le jeudi,
dans un cabinet de travail luxueux et peuplé de nombreuses gre-
nouilles de bois, de grès, de porcelaine (de toutes dimensions). Il
venait là des comédiennes, déjeunes poètes, des clubmen, des artis-
tes de toutes sortes et de tout poil. Avec une affabilité exquise, il
accueillait tout ce monde et nul ne marqua jamais dans ses rapports
une plus large cordialité...
« Jean Lorrain a été joué, sur bien des scènes (Très Basse, coll.
0. Mélénicr, à la Bodinière), Yanthisk l'Odéon, Le Conte du Bohé-
mien, au théâtre Minuscule, L'.lraj'^nee d'Or, aux Folies- Bergère, La
Princesse au Sabhat, La Belle aux cheveux d'or, \Vatteau,à l'O-
lympia, Promélhée,aux Arènes de Béziers, et cinq ou six pièces (en
coll. avec Gustave Coquiot) au Grand-GuiKUol. >
Après un séjour de quelques années à Nice, Jean Lorrain est mort
à Paris, à la Maison de Santé du Docteur Prat Dumas, le samedi
80 juin 1906. On ne lira pas sans intérêt ce passage d'une lettre
qu'il écrivait à l'une de ses cousines quelques mois avant sa mort.
292 POETES D AUJOURD HUI
« Nice, le 3o novembre igoB (i).
« Ma chère Lucie,
• •• •..•«•• '•••••• «
« On juge les gens indifFérents parce qu'ils se tiennent à l'écart
et vivent très loin de nous; ils ne vivent justement ainsi que parce
qu'ils sont très sensibles et que tout les heurte et les froisse, la
bêtise et la vanité d'autrui, la suffisance de l'un, la morgue de l'au-
tre, la prétention de tous.
« II ne faut pas croire qu'on s'endurcit en vieillissant ; au contraire,
on s'écorche à vif, et plus on avance en âge, plus on aime la soli-
tude et il faut bien l'aimer puisque les autres ne vous aiment plus l
Mais assez de philosophie dans le vide. Tu as demandé de mes nou-
velles. Elles ne sont pas fameuses et ma santé n'est guère brillante.
Les eaux de Ghâtel-Guyon m'ont fait le plus grand mal. J'en suis
revenu congestionné, dilaté, ballonné, avec une apparence de force
et de santé qui a été un désastre. Voilà deux mois que je traîne;
mon retour ici, qui a eu lieu il y a un mois, ne m'a pas rétabli; le
huit novembre j'ai été pris d'une crise terrible : l'estomac, les intes-
tins, la vessie, tout a été pris. J'en sors à peine.
a 11 paraît qu'on me tirera de là, mais ce sera long, très long.
Comme je veux te marquer ma gratitude pour l'intérêt que tu as bien
voulu me porter, je t'envoie ma dernière photographie faite en
novembre dernier. J'y suis amaigri, marqué, déjà souftrant; c'est de
toutes mes photographies celle que je préfère. Voilà pourquoi je te
la donne. C'est l'image que je voudrais laisser de moi à ceux qui
m'auront connu.
0 Garde-la en souvenir de moi, et quand, plus tard, tes enfants te
demanderont : a Qu'est-ce que c'est que ce Monsieur-là? » tu pour-
ras leur répondre en leur citant ces beaux vers d'Henry Bataille qui
résumeront la situation :
Une histoire, une histoire, tout finit en histoire/
On a beau crier, souffrir,
Et partir et s'en revenir :
Tout se calme par un beau soir.
Ah/ toi, mon cœur, toi seul le sais,
Dis-le leur avec moi qui fus du voyage.
Voici le feu, la nappe, et les enfants sont sages...
Une histoire, une histoire, tout finit en histoire/
(1) G. Norinandy : Jean Lorrain, son enfance, sa vie, son œuvre.
JEAN LORRAIN 298
Plus tard, ainsi, je ne serai dans la famille
Que l'oncle ou le cousin qui a eu des malheurs
Et dont on parle à l'heure fade de la camomille..
Et ta finiras là, histoire de mon cœur /
« Et là-dessus je t'embrasse, loi, les tiens, et les enfants.
« Mes amitii's à ton mari.
« Ton cousin :
« lEAN LORRAIN. 1
Jean Lorrain a collaboré au Courrier français (1885-1893), L'E-
vèncinent (1887-1890), articles, contes et nouvelles, pour la plupart
recueillis en volumes; Le Scapin (1" octobre 1886). Le Décadent
('Jécembre 1887 et i«' janvier 1888), poésies; Echo de Paris I1891-
iS^(5), Revue Indépendante, Gaulois (1895- 1900), Revue Illustrée
(1893-1900), Mercure de France (1892-1895, poésies; La Vogue
(nouvelle série, 1899) Revue blanche. Revue encyclopédique.
Supplément du Figaro, La Plume (1895-1900), Le Journal (189S-
1905), Gil Blas (1903-1904), I.'.<4 a /o (1904-1900), etc., elc
Bibliographie :
Les celvkes.— Poésie, Roman, Contes et Nodvelles : Le Sang des Dieux,
poésies, Paris. A. Lemerre, 1882, in- 18. — La Forôt bleue, poésies, avec
un dessin d'après Saudro Bolticelli. Paris, A. Lemerre, 1>S3. iu-18.— Viviane,
poésies. Paris, A. Lemerre, 1885, in-18. — Modernités, poésies. Paris,
Savinc, 1885, in-i8. — Les Lepilller, roman [Madame Hcrbaud. Un coup
<fi' fusil. Dans un boudoir. Installation). Paris, E. Giraud, 1885. in-18.
'1res Russe, roman. Paris, Giraud, 1886, in-18. — Les Griseries, |>oésies.
Paris. Tresse et Stock, 1887. in-18. — Dans I Oratoire portraits de jrens
Jo Icllresj. Paris. Dalou, 1888, in-18. — Sonyeuse; Soirs de Province;
Soirs de Paris. Paris, E. Fasquelle, 18'-M. iii-18 (Réimpr. de Sunycuse.
i'aris. Ollendorff, 1903, in-18). — Buveurs dames, nouvelles. Paris. K. Fas-
quolle. !S03, in-lS.— Sensations et Souvenirs. Paris, E. Fas-piellc, 1895,
iii-18. - Un Démoniaque. Esiiannes. Histoires du bord de lean.
Paris, Dcnlu. 1895, in-18. —La Pelïle Classe, préface de Maurice Barrés.
Paris, OIlcndorlT, 1895, in-18. — La Princesse sous Verre. Paris, Tailan-
dier, s. d. (1896), gr. in-8. — Une Femme par jour. Femme d été,
illustr. de Mittis. Paris, Borel, 1896, in-18.— L'Ombre ardente, poésies!
Paris. E. Fasquclle. 1897, in-18. — Loreley. coutj,illuslr. de Calbot, Marol,
et Mittis. Paris. Borel, 1897, in-32. — Contes pour ilre à la chandelle.
Paris, Soc. du Mercure de France, 1897. petit in-18. — M. de Uougrelon,
illustr. de Marold et Mittis. Paris, Borel. 1897, in-32 (Réimpr. : M. de Itou-
grêlon. La Dame turque. Sonyeuse. Paris. OllendorlT, 1903, in-18.)— Ames
d'automne, illustr. d'IIeiilbrinck. Paris, E. Fasquclle, 1897, in-16. — Prin-
cesse d'Itailo. Paris, Borel. 1898,in-32. — L;i Dame turque, illustrations
pliolo-rai>liiques d'après nature. Paris, Per Lauim, 1898, in-lO. (Kéiinpr. :
a\I. de Douyrclon. La Dame turque, etc. Pari>, OllendorlT. 1903, in-18;. —
Ma P«Ute ville. Le Miracle do Bretagne. Un Veuvage d'amour.
294
POETES D AUJOURD'HUI
llustr. à l'aquarelle de Manuel Orazi, gravées à l'eau-forte par Frédéric Massé
et imprimées en couleurs. Vignettes décoratives de Léon Ludincki. Paris,
L. Henri May, 1898, in-8. — roiissières de Paris. Paris, Ollendorfî, 1899,
.0-18. — Heures d'Airique [notes de voyages]. Paris, E. Fasquclle. 1899>
in-18. — IVIadame Baringhel. Paris, E. Fayard, 1899,in-18. — Hi.stoire
de Masques, préface de Gustave Coquiot, couverture illustrée dllcnry
Bataille. Paris, Olleadorff,'l900, in-18. — Vingt femmes, illustrations pho-
tographiques d'après nature. Paris, Per Lamm, 1900, in-16. — M. de Pho-
cas, couverture de Geo Dupuis. Paris, ollendorfî, 1901, in-18. (Il a été tiré pour
la Société des XX : 20 ex. de format in-8,, signés par l'auteur.) — Sensualité
amoureuse, illustrations photographiques d'après nature. Paris, Per Lamm,
1902, in-16. — Coins de Byzance ; Le Vice Errant, couverture illustrée
de Lorcnt Heilbronn. Paris, Ollendorff, 1902, in-18. — Princesses divoire
et divresse, couverture illustrée de Manuel Orazi. Paris. Ollendorff, 1902,
jn-18. — Quelques iiommes, illustrations photographiques d'après nature.
Per Lamm, 1903, in-16. — La Mandragore, conte, 32 illustr. de Marcel
Pille, gravées par Deloche, E. Florian, les deux Froment et Julien Tinayre.
Paris, E. Pelletan, 1903, in-8. — M. de Bougrelon. La Dame turque,
Sonyeuse. Paris, Ollendorff, 1903, in-18. — Fards et poisons, couver-
ture illustrée de Maignien; Paris, Ollendorff, 1903, in-18. — La Maison
Philibert, illustr. de Boltini. Paris, Librairie universelle, 1904, in-18. —
Propos d'âmes simples, couverture illustrée par Sem. Paris, Ollendorff,
1904, in-i8. — Quatre femmes en pièces. Ludine. M™' Bolumet,
rentière. Josiane. M°" de Larmaille, féministe. Paris, Ollendorff,
l904, in-18. — L'Ecole des Vieilles Femmes. Paris, Ollendorff, 1905,
in-18. — Heures de Corse. Paris, E. Sansot et C'«, 1905, petit in-18. —
Le Crime des riches, roman [La Biviera. Par les Hautes), couverture
illustrée par Albert Guillaume. Paris, Douville, 1905, in-18. — Heures de
villes d'eaux. Madame Monpalou. Quelques sources. Quelques
plages. L'Eté dans les Alpes, couverture illustrée par José Koy. Paris,
Ollendorff, 1906, in-18. — Ellen. Trains de luxe, couverture illustrée
d'Antoon Van Wélie. Paris, Douville, 1906, in-18. — Le Tréteau, roman de
mœurs théâtrales et littéraires. Couverture de Manuel Orazi. Paris, J. Bosc,
1906, in-18.— L'Aryenne. Gens de mer. Bords de Marne. Bords de
Seine. Paris, Ollendorff, 1907, in-18. — Maisons pour Dames, roman,
couvert, de Gosé. Paris, Ollendorff, 1907, in-18. — Narkiss, couverture ill.,
et 14 compositions dans le texte et hors lexte par O.-D. V. Guillonnet, grav.
à l'eau-forte par X. Lesueur. Paris, Ferroud, 1908, iu-8 (75 ex.). — iiélie
garçon d'hôtel, roman. Paris, Ollendorff, 1908, in-18. (On trouve en outre
une page de Jean Lorrain dans l'ouvrage suivant : Les Figures de Paris.
Ceux qu'on rencontre et celles qu'on frôle, etc. Paris, Imprim. pour les
Bibliophiles Indépendants et se trouve chez Floury, 1901, gr. in-4.)
Théâtre. — Très Russe, pièce en 3 actes, en collaboration avec Oscar
Méténier, représentée sur la scène de la Bodinière, le 3 mai 1893. Paris,
E. Fasquellc, 1893, in-18. — Yanlhis, comédie en 4 actes, en vers, représentée
sur la scène de lOdéon, le 10 févi-ier 1894. F'aris, E. Fasquelle, 1894, in-18.
(Réimpression : Théâtre, etc. Paris, Ollendorff, 1906, iu-18.)— Le conte du
Bohémien, lumino-conte, représenté au « Salon des Cent » de La Plume,
en décembre 1895 (quatorze décors d'André des Gâchons ; musique de scène
de Charles SiWer (publié dans : Princesses d' Ivoire et d' Ivresse. Paris,
JEAN LORRAIN ZqS
Ollondorff, 1902, in-18). — lirocéliaiide, conte en vers, nmsi(|iie de M. de
Wailly, rrpréscntt'e sur la «rr'nr de 1 ÏFuvre (salle du Nouveau Théâtre), le
7 janvier 189G. (Voy. TlttàlnAlv: Taris, OllendorlT, 1900, in- 18.) — L'Arai-
gnée d'or, ballet en 1 acle, nuisi((ue d'&lm. DioL, représenté sur la scène
des Folies-Bergère (1800). — Hôve de Noël, ballet en l acte, musique
d'Kilm. Dict, représenté sur la scène de l'Olympia en septembre îj^OT. — I-A
Princesse an Sal>bat, ballet en 2 actes, musique de Louis fîanne, représenté
sur la scène de- l'olie^-Ocr^ère, le 23 janvier 1809. — La Belle aux che-
veux d'or, ballet en 1 acte, nnisiquc arranj,'ée d Kdmond I)iet, représenté sur
la scène de l'Olympia, le 2 mai 1900. — Promélhée, trajcédie lyrique en
3 actes (en collaboration avec A. -Ferdinand Herold), représentée aux Arènes
de Héziers, le 20 août 1900. Paris, Soc. du Mercure de France, 1900, in-18. —
\Valteau, ballet en 1 acte, musifjuc arrangée d'Edmond Diel, représenté sur
la srène de l'Olympia, le 8 octobre 1900. — Deux heures du matin...
Quartier Marbeul, pièce en 1 acte (en collaboration avec Gustave Coquiot),
représentée sur la scène du Grand Guiîrnol, le 14 novembre 1903. Paris,
OlleudorlT, 1904, in-18. — Clair de Lune, drame en 1 acte et 2 tableaux
(en collaboration avec Delphi Fabrice), représenté au Concert de l'Epoque, le
17 décembre 1003. Paris, G. Ondet, 1904, in-18. — Hôtel de l'Ouest...
chambre 22, pièce en 2 actes (en collaboration avec Gustave Co<|uiol), repré-
sentée sur la scène du Grand Guignol, le 31 mai 19u4. Paris, Ollendorff,
1904, in-18. — Sainte Roulette, pièce m 4 actes (en collaboration avec
Gustave Coquiot), représentée sur la scène du Théâtre Molière, le 9 décembre
1904. Paris, Ollendorff, 1905, in-18. — Théâtre (Brocéliande. Yanthis. La
Mandragore. Ennoîa). Paris, Ollendorff, 1000, in-18 (Porlr. de l'auteur).
Jean Lorrain a fait jouer en outre, sur bon nombre de scènes parisiennes
une série de pièces diverses. Savoir : Trumeaux : L'un d'eux. L'une d'elles.
Chiromancienne. Leurs mères. Leurs frères. Chez le Grand critique. Fleur
de brocante. Sans dot, etc. (« Boite à Fursy » et « Grand Guignol », 1897 et
1808) ; Une Nuit de Grenelle, un acte, en collab. avec Gustave Coquiot
(Théâtre Rabelais, décembre 1903' ; Ludine, un acte (Théâtre des Capucines,
janvier 1904) ; Thécla ou le Drame de NeuMIy, drame représenté à la
fôte de Neuilly ^Baraque Lcgois), le 23 juin 1904; Une Conquête, cométlie
(en collaboration avec Ch. Esquier). Paris, Ondet, 1900, iu-lS ; L'Inutile
Vertu, projections lumineuses, etc.. Ces pièces, de niâmc que les ballets cités
plus haut, n'ont pas été publiées.
Poèmes his en mlsiqle. — Bonde de fées, chœurs pour trois voix de femmes,
poésie de J.. Lorrain, musique de Gabriel Pierné. Paris, J. Ilamelle, 1902
gr in-8.
A coNSDi.TSR. — Adolphe Brlsson : Pointes sèches (Physionomies litté
raires). Paris, Colin, 1898, in-18. — Marcel Fouquier : f»ro/î/* e/ pt/r-
<r«/^y. Paris, l.< merre, 1891, in-18. — Anatole France : La Vie littéraire.
Paris, ("almann-Lévy, 1892, in-18. —Ernest Gaubert : Jean Lorrain, bio-
graphie critique, illustrée d'un portrait et d'un autographe, suivie d'opinions
et d'une bibliographie par Ad. van] l>[ever]. Paris, Sansot, 1905, in-18. —
Ilemy de Gourmont : Le II' Livre des Masques. Paris, Soc. du Mercure
de France. 1898, in-18. — Bernard Lazare : Fiyures contemporaines,
l'aris, Perrin, 1895, in-18. — Ernest La Jeunesse : Les Xuits.lts Ennuià
(.r les (imes de nos plus notoires contempurains. Paris, Perrin. 1S90, in-18
— Marius-Ary Leblond ; La Hociété française sous la troisième repu-
296 POÈTES d'aujourd'hui
blir/ue d'après les romanciers contemporains . Paris, Alcan, iOOo, in-8. —
Catulle Mondes : Rapport sur le Mouiiement poétique français de 1867
à iOOO. Paris, Imprira. Nationale, 1902; cl Fasquelle, 1903, in-8. — Geor-
ges IVormandy : Jean Lorrain, 1855-1906. Son enfance, sa vie, son œu-
vre. Nombreux documents littéraires (1). Ouvrage ill. de 12 hors-texte (suivi
de Jean Lorrain sur la Riviera par Aurel). Paris, [Bibl. génér. d'édit., 1007,
in-18. — Achille Segard : Les Voluptueux et les hommes d'action. Paris,
Ollendorff, 1001, in-18.
Paul Adam : Jean Lorrain. Journal, 1"" juillet 1906.— Album Illustré
officiel des Fêtes de Béziers, édité par le Comilé-Béziers. Bézicrs, 1000,
in-4. (Nombr. illuslr.) —Album illustré des Fêtes de Béziers, couver-
ture de Georges Roux, Béziers. J. Fabre, éd., 1900, in-4. — Album oilicief
des Fêtes de Béziers {Prométhée, 2« année). Béziers, J. Fabre, éd., 1901,
in-4 (illustré). — Henry Bataille : Jean Lorrain. La Renaissance latine,
lo juin 1902. — Jacques des Gâchons : Jean Lorrain (Photographies et
portrait gravé par Floriau). Revue illustrée, 1" juillet 189G. — Maurice du
Plessis : L'Œuvre poétique de Jean Lorrain. Le Décadent, Iri janvier 1888,
• — Gustave Kahn : Au Jour le Jour. Jean Lo7yain. Le ticcle, 2 juillet
1906. — Jean Lorrain : Lettres inédites. Le Feu (Mai seille), décembre 190G,
février et juin 1007. — Emile Lulz : Jean Zd7vafn, dessins de Widopf. Cour-
rier Français, 24 juin 1900. — Oscar Méténier : Ceux de demain. Revue
Moderne, octobre 1886. — Le Titan, numéro spécial consacré à Prométhée,
publié avec la coUab. de Jean Lorrain, A. -F. Herold, Marc Varennes, IL Rigal,
Ilorlala, Labarre, Poueigh, Ernest Gaubert, Sylva Sicard, etc. Béziers, 25 août
1901.
Iconographie :
Henry Bataille : Têtes et Pensées, légende et lithographies de H. B.
Paris, ÛUendoiff, 1901. in-fol. — Antonio de la Gandara : Portrait
(pointure à l'huile), Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, 1904. —
Angelo Garino : Deux portraits, peinture à l'huile (app. à M"" Duval-
Lorrain et à M. Angelo Garino). L'un de ces portraits a été reproduit dans
l'ouvrage suivant : Jean Lorrain, etc., par Georges Normandy. Paris, Biblio-
thèque générale d'éd., 1907, in-lS. — W. Hawkins : Portrait-charqe,
« L'Œuvre d'Art International », 1902. — Sem : Albums : 1900-1901-1903,
reprod.au Journal (juillet 1902) et Revue Illustrée (13 nov.1902). — André
Rouveyre : 150 caricatures théâtrales. Texte de Nozière et E. Lajeunesse,
Paris, Albin Michel, 1904, in-18. — F. Vallotton : Masque, dans Le
II'' Livre des Masques, de Remy de Gourmont. Paris, Soc. du Mercure de
France, 1897, in-i8. — Widhopf : Portrait-charge . Courrier Français,
24 juin 1900.
Nombreuses photographies ou caricatures au .fli>e,au Sourire, Revue Illus-
trée, Revue Encyclopédique, La Vie Heureuse, etc
(1) Ouvrage de compilation médiocre. La bibliographie publiée en appendice
à ce livre a été empruntée à peu près intégralement à l'ouvrage suivant :
Ernest Gaubert : Jean Lon^ain, biographie critique, etc., suivie d'une bib io-
graphie par Ad. B. Selon une coutume peu recommandable, l'auteur a
négligé de citer ses sources.
À
JEAN LORRAIN Sfj-J
FETE GALANTE
POUR M. EDMOND DB CONCOURT
Ah ! si fines de taille, et si souples, si lentes
Dans leur étroit peit^noir enrubanné de feu.
Les yeux couleur de lune et surtout l'air si peu
Convaincu du réel de ces fêtes galantes!
Ah ! le charmant sourire ailleurs, inattentif
De ces belles d'antan, lasses d'être adorées
Et graves, promenant, exquises et parées,
L'ennui d'un cœur malade au fond seul et plaintif.
Qu'importe à Sylvanire et les étoffes rares
Et les sonnets d'Orante et les airs de e^uitares,
Qu'éveille au fond des parcs l'indolent Mezzetin ?
Auprès de Cydalise à la rampe accoudée,
Sylvanire poudrée, en e^rand habit, fardée
Sait trop qu'Amour, hélas ! est un son^-e lointain.
{Les Griseries. Stock.)
CHANSON
L'Amour ? Un oiseau bleu. La Vie ? Un oiseau iristc.
Avoir été la fleur qu'un passant égoïste
Arrache, et par caprice etleuille entre ses doigts...
Avoir été l'œillet qui flambe sur sa tige,
Le papillon ailé qui palpite et voltige,
Le ramier roucouleur qui pleure au fond des bois,
I]t puis, la volupté du baiser assouvie.
Se réveiller brisée... Amour, est-ce la Vie ?
Et ne vaut-il pas mieux, à l'heure où les hautbois
Et les flûtes d'ébène enchantent le silence,
S'accoudt^r incrédule et belle d'indolence
Avec des yeux savants, qui raillent Autrefois !
{Les Griseries. Stock.)
18.
298 POÈTES d'aujourd'hui
EMBARQUEMENT
POUR MONSIEUR EDMOND DE CONCOURT
Adieu, bergères, adieu, Gilles I
Voici les voiles de satin
De la barque aux açrès fragiles,
Oui va vous conduire au lointain
Et bleu pays des cœurs futiles.
Là-bas dans la brume empourprée.
Parmi les falbalas du ciel,
L'île adorable et désirée
Vous attend, chercheurs d'irréel,
O troupe amoureuse et parée !
Pour la rougissante Cythère,
Dans l'or incandescent du soir,
Vous quittez sans regret la terre.
Pour l'île errante du Mystère
Et le doux pays de l'Espoir.
« Malheur à celui qui s'exile »,
Dit un maussade et vieux refrain ;
« En Sardaigne comme en Sicile
c 11 retrouvera son chagrin,
a L'éviter est peine inutile. »
Mais quand Amour est du voyage,
On rit à ces oracles-là 1
Le crépuscule est sans nuage
Et Gille avec Pulcinella
Met en musique le présage.
Pour le bleu pays des chimères
Au son des violes d'amour
Embarquez-vous, bergers, bergères ;
Si vous devez pleurer un jour.
Que les larmes vous soient légères.
JEAN LORRAIN SQQ
Bonsoir, Arlequins, adieu, Gilles !
Surtout emmenez Mezzetin.
Peut-être un soir ses doigts agiles
Distrairont-ils votre destin
Dans la plus lointaine des iles.
(Les Griseries. Stock.)
LA-BAS, OU L'ANCIEN PARC...
Là-bas, où l'ancien parc envahi de grands arbres
S'ensauvage, hanté la nuit de pas divins
De Dryades; lA-bas, où deux rangs de Sylvains
Veillent, blancs prisonniers de leurs gaines de marbre,
Sylvandre, en effleurant du bout de ses doigts fins
Sa viole, soupire, et sa voix affaiblie,
Lointaine, s'harmonise à la mélancolie
Des cascades tombant des vasques à dauphins.
Dans l'ombre au pied des ifs en cercle réunie,
Des beaux diseurs de riens la folle comp;ii;nie,
Pensive, a mal au cœur d'un nostalgique ennui
Car là-bas sous la lune errante, qui se lève.
Une autre voix soupire et répond dans un rêve,
Douce comme un regret d'amour évanoui 1
{Les Griseries. Stock.)
FANEKIE
POUR SARAH
Des vieilles étoffes fanées
Je suis le maladif n niant.
J'en veux dire l'enchantement
Et les nuances surannées ;
Leurs tons discrets et douloureux
De vivantes choses anciennes
Ll les lani^ueurs patriciennes
Des vieux orfrois cadavéreux.
3oO POÈTES d'aUJOLIXd'uUI
Mon âme, qui s'avive et souffre,
Adore les sourires las
Et fatigues des satins soufre,
Rayés de rose et de lilas ;
Et c'est une aventure exquise
De retrouver dans un reflet
Tout un bleu pnssé de marquise
Fleurant la jonquille et l'œillet.
Les vieux lampas aux tons d'ae^ate.
Lustrés sous l'ongle aigu du temps.
Ont la hautaine et délicate
Tristessse des lointains printemps ;
Les frais printemps de la jeunesse.
Avrils emportés sans retours,
Et dont les lys de soie épaisse
S'effeuillent dans les gros de Tours.
Mais pour chanter la griserie
Errante en ces luxes défunts,
Volupté savante et meurtrie
De vieux baisers, d'anciens parfums.
Il faudrait sous mes doigts dociles
Les cordes d'un basson d'amour
Au long manche de bois des Iles
Ftint de bergères Pompadour :
Et dans l'ombre aimable et dévote
D'un boudoir obscur, et fardé,
Sur des airs dansants de gavotte,
Moi-même, en habit démodé,
Des vieilles étoffes fanées
J'évoquerai l'esprit charmant
Et le rêveur enchantement
Des nuances, ces ra fil nées !
{Les Griseries. Stock.)
JEAW LORRAIN
3oi
RECURRENCE
Enchanteurs et sorciers, Mnntot^na, Léonard I
Des sinirircs de fciinne apparus ilans les I^ouvre
IMus d'un porte une plaie au flanc, qui p!«Mire et s'ouvre
Kt lui fait un front biènie et le jçesle hasard.
Ce bleu sombre et profond du ciel dans le regard,
Ci's Irvres de Vinci f('*rocen.ent royales.
Ces cheveux roux niinb('-s de pcrlrs et d'oj>ales
Ont fait de ma jeunesse une souffrance d'art.
Désormais obsédé des grâces caplivant«'s
Des Mortes, insensible aux charmes des vivantes,
IMon cœur au seul fasse veut trouver des attraits ;
Va, comme un envoiUé des «^olliicpies ma-^ics.
l'^n proie aux vains regrets des vaines nostalgit^s,
Je suis un triste et fol amant d'anciens portraits.
(L'Ombre ardente. Kas juclle.)
L.\ TO.MBt: JOYEUSE
Préparez la tombe joyeuse,
Car sous l'érable et sous l'yeuse,
Dans mon amour je veux dormir.
Pareil au sloughi de l'émir,
Sous un vol erranl de colombes
Agonisant au champ des tombes.
Mon maître est mort, je veux mourir 1
Mon maître étiit l'amour sublime,
Oue dans ses yeux, troublant abîme,
Je bois depuis mes dix-huit ans !
Dix-huit ans ! Depuis l'asphodèle
A fleuri neuf fois et, lidèle.
Mon cœur a fleuri neuf printemps.
5oa
POETES D AUJOURD HUI
Préparez la tombe joyeuse,
Car sous l'érable et sous l'yeuse,
Dans moD amour je veux dormir.
Pareil au sloughi de l'émir,
Sous un vol errant des colombes
Agonisant au champ des tombes.
Mon maître est mort, je veux mourir,
La désespérance et le doute,
Le doute amer ont goutte à goutte
Vidé ce cœur d'enfant-aïeul.
La fleur une fois desséchée,
De sa blême tige arrachée
J'ai tissé gaîment un linceul.
Préparez la tombe joyeuse,
Car sous l'érable et sous l'yeuse.
Dans mon amour je veux dormir.
Pareil au sloughi de l'émir,
Sous un vol errant de colombes
Agonisant au champ des tombes,
Mon maître est mort, je vais mourir.
(L'Ombr ardente. Fasquclle.)
LA MARJOLAINE
On dansait sur le pont du Nord
Et la bise y soufflait si fort
Qu'elle enleva la Marjolaine,
La Marjolaine et la futaine
De sa jupe et ses bas de laine;
Et le nuage en son essor
JBAN vonnAm
3o3
La frùlait ; et loiu de la villr.
La pauvre fille vole et fil»-
Toujours plus dru, toujours plus fort.
Elle tourbillonne et s'écrie :
« Jf'sus et Madame Marie,
Puisque je vo:^ue vers la mort,
Faite qu'aussitôt éti)urdi(^
De ma chute, j'entre brandie
Dans votre ciel étoile d'or, »
Et sous la nue Apre et «placée
Voilà la j)riire exaucte.
Au clocher de Sainl-Lvremond
La Marjolaine, âme éperdue,
Reste tout à coup suspendue
Par un accroc de son jupon.
Par la nuit froide et pluvieuse,
La a;ari^ouiIle silencieuse
Prend s<»ujlain parole et lui dit:
a Peu résistante est la futaine.
Sonî^e à ton heure, lu-las ! prochaine,
Entends-tu rire le Maudit ? »
Et sous le vent ras^eur d'automne
La belle s'épeure et frissonne
Au-dessus du vide entr'ouvert.
Elle compte dans la nuit brune
Les toits bleuissant sous la lune
Et les saints du parvis désert ;
Et le Maudit déjà ricane,
Quand un parfum monte et s'émane,
D'encens, de IxMijuin et de nanis,
Et, portant à la main des palmes.
3o4 POÈTES d'aujourd'hui
Dans l'espace et sous le ciel calmes
Ascensionnent de grands vieillards ;
De grands vieillards en robe blanche,
Dont le front chauve oscille et penche
Sur des chapes de lourds brocarts,
Et puis ce sont, par théories,
Des vierges en robes fleuries
D'étoiles et de lys épars.
Les fronts sont nimbés d'auréoles.
De longs archanges en étoles
Font cortège, et de purs regards
D'azur sombre, où l'on sent des âmes,
Sillonnent de grands traits de flammes
La nuit, la lune et les brouillards.
Et cela monte avec des psaumes
Et des noëls, anges, fantômes,
De vierges saintes et d'élus,
Et conduit en cérémonie
La Marjolaine à Tao^onie
Dans le paradis de Jésus.
(L'Ombre ardente. Fasqucllc.)
PIKRRE LOUYS
i870 •
M. Pierre Louys est né à Paris le lo décembre 1870. II est pelil-
nevcu du général JuDOt, duc d'Ahranlès, cl arriére pflil-fils du doc-
leur Sabalier, médecin de Napoléon el membre fondateur de l'iusli-
lut en 1795. Il fil SCS éludes, juscjuà la rhéloririue. à l'Ecole alsa-
cienne, instilulion proleslanlc. Il acheva sa j.hilosophie au lycée
Janson de Sailly, passa ses deux haccalaiiréals es sciences el es-let-
tres, et termina par quelques études à la Sorboime. M. Pierre
Louys, qui est surtout connu (très connu) comme n)mancier depuis
son célèbre roman Aphrodite, débuta par une plaquette de vers :
Aslarté, publiée en i8f»i . Elle était composée de pwuus parus dans
La Conque, jH-tite revue fondée par lui la même nnn«e, où collaborè-
rent notamment MM. Henri de Ucgnier, André Gide et Paul Valéry,
et dont les onze numéros furent honorés successivement d'imc pasçe
inédite de Lecontc de Lisle, Paul Verlain»*, Stéphane Mallarmé, José
Miria de Heredia, MM. Swinburne, Jean Moréas, Léon Dierx, Ma-
dame Judith Gautier, etc. yuehpics platueltes de prose suivirent,
contes dans le poilt antique, en même temps qu'une traduction des
Poésies de Mèltwjrc el les premières Chansons de Dililis (i), puis
M. Pierre Louys publia Aphrodite, dont le premier chapitre avait
paru dans La Wallonie en décembre if^(ja. Tout le monde aujour-
d'hui a lu Aphrodite, publiée par le .yfercure de France dans ses
numéros de août i8(j5 à janvier 189O (sous le titre L'Esclavage),
puis en volume en mars i8«/). Dans un article enthousiaste,
Fraiirois Coppée, qui n'avait jamais vu .M. l'ierre Louys, salua en
lui « un artiste accompli, un écrivain de ra»-*", a qui l'on devait >it ji
un livre charmant, el sur qui les lettres frani^iises avaient le dioil
de fonder les plus magnifitpies espérances «.Ce fut alors le succès le
H) C* livre, simple amusomcnt d'^ruilit, a si bien le ton, dans son imitation
failo tfimo Ir.i.lurljon do tivn' aiwini qu'un ' • • ■fo*<cur. annco
NO (io rK.olo tl Alli.n.-s au lu.l M 1 .. . .. l.ouv> I -•, lui n^poudil,
tu le rciuerciaut, qu'il avait lu bieu a\.ail Im r.mvi .0.
3o6 POÈTES d'aujourd'hui
plus éclatant. Dans la même année de sa publication, Aphrodite fut
tiré au Mercure de France jusqu'à trente-et-un mille exemplaires,
et l'on en a fait depuis bien d'autres éditions, tant de luxe que popu-
laires, sans compter les traductions, et quatre livrets d'opéra, et
L'Aphrodite de M. Camille Erlang^er, représentée à l'OpéraComique
en 1907. Les ouvrages que JNI. Pierre Louys a donnés depuis : La
Femme et le Pantin, Les Aventures du Roi Pausole, romains. Archi-
pel et Sanffuines, recueils de contes et de nouvelles, n'ont fait qu'ac-
croître son renom de romancier et de conteur. Cette renommée n'a
toutefois pas fait oublier à M. Pierre Louys l'art dans lequel il se
manifesta tout d'abord. II continueà écrire des vers,au gré de sa fan-
taisie etde son inspiration, et de temps en temps, on trouve un poème
de lui dans telle ou telle revue, témoin ce parfait poème, L'Apoffée,
que nous donnons dans notre choix et qui parut dans Les Lettres
en 1907. D'ailleurs, la renommée, le succès et son bruit, M. Pierre
Louys, soit indolence naturelle, soit simple goût, ne s'en préoccupe
guère, et où d'autres fussent devenus turbulents et réclamicrs, il est
resté simple et effacé. Voyager, flâner, rêver, collectionner les
livres rares et lire, il semble que ce soit là sa TÏe, plus que d'être
un auteur.
M. Pierre Louys a épousé, en 1899, M^'» Louise de Heredia, fille
cadette du poète des Trophées. Sa collaboration aux revues et jour-
naux s'établit ainsi : La Revue d'aujourd'hui (1890); La Conque
(1891); La Wallonie (iSqo, i8gi et 1892); Floréal {18^2); La Revue
Blanche; Mercure de France (1894, 1896, 1897, 1898, 1899^; Le
Centaure (recueil rédigé exclusivement par M. H. Albert, A. Gide,
A. -F. Herold, A. Lebey, Pierre Louys, H. de Régnier, J. de Tinan,
P.-V. Paris, 9, rue des Beaux-Arts, 1896, a vol, in-4 ; Revue
Franco-Américaine, L'Image (1896-1897), Le yoarna/ (1900-1908).
La Vogue (nouvelle série, 1899), La Plume, La Renaissance latine.
Le Figaro {K^ok), Les Lettres (1907), L'Intermédiaire des cher-
cheurs et des curieux, etc., etc.
Bibliographie :
Les cf.uvres. — Astarté, poèmes, couverture eu couleurs par Alborl Res-
nard. Paris, 1891, in-4, cour. (100 ex.). — Les Poésies de Mél'»agre
[|ir(''c»''d6es d'une vie de Mék'agrc]. Paris, 11, rue do la Cliaussrc-d'.Vnlin
(Pelitc collection à la « S])liinj;e », scorie anli(|ue), 18'.)3, petit in-8 carré.- -Lé<Ia
ou la Louange des Bieuheureuses ténèbres, conte. Paris, libr. de
l'Art Indépendant, 1893, petit in-8 carré (125 ex.). Deux autres éditions, savoir :
Léda ou la louaruje des bienheureuses tcnèbrcs, avec dix dessins en couleurs
par Paul-Albert Laurens. Paris, édition du Mercure de France, 1898, in-4,
Léda ou la louange des bienheureuses ténèbres, illu.>jlralions de Calbet. Paris;
Borel, 1898, petit in-8. — Ghrysis, fragment. Paris, Librairie de l'Art ludé-
pendant, 1893, petit in-8 carré (125 ex.). — Ariane ou le Chemin de la
PIÉRRV LOUYS 307
Pnix éternelle. cont«. Paris, (Jbraîrie de l'Art Ind^|»ondant, 1894, potil in-8
carré. (Réimpr. Ariane, etc. illustr. d«* Goorecs Roch«*^»rosse. Paris. Maison
du Livre, 1905, in 8 (140 ex.). — Scènefi de la Vie de» Coiirlisnneii, de
Lucien de Samosate, trad. par F'iorre Louyn. Paris, Litr. de l'Art Indépen-
dant, 1804, pctil in-8. (Nourclles ('•dilion» : Mima de» CourtisaneM de Lucinn,
traduction littérale. Paris, Sor. ilu Morrure de France, 1899. in-18; Scrnet
de courtisanes, illustr. do Jean llolt. Pans, L. Florcl. 1902, petit in-8). — La
Maison sur le Nil oul<»8 np|>arcDCcs de In Vertu, conte. Paris, Librairie
do l'Art Iii(i('j)cnd.inl. 1894, jm-III in-8 carr«'' (125 ex.). Le même, illustr. de
Paul (it-rvaiâ, Paris, Maison du Livre, 190.5, in-8 (140 ex ). — I^B Chanson»
de BilIllR. traduites du ;.irc par Pierre Louys. Paris, Librairie de l'Arl ln<l«'--
pondanl ,1894, in-8. (Nouvelles éditions, corrigées et au^'mentées, savoir : Le*
Chansons de /iilitis, traduites du grec par Pierre Louys et ornée» d'un
portrait de /lililis, dessiné par P. Albert Laurent d'aprè» le buste poly-
chrome du Musée du Louvre. Paris, Soc. du Mercure de France, 1898, in-8 ;
Les Chanson» de Bilitis, traduites du grec par Pierre iMUy», deuxième édi-
tion. Paris, Soc. du Mercure de France, 1898, in-18 ; Le» Chanson* de /iiliti»,
traduites du grec, édit. ornée de 300 gravure» et de Si plancliea en eow
leurs hors texte par ISotor, d'après des documents authentique» de» Musée»
d'ICurope. Paris, Librairie Charpenlicr et Fasquelle, 1900, in-18, couv. illus-
tri'e; Les Chansons de /iilitis, 3.3 illustr. de RapliaM Colin, pravées à l'eau-forte
par Cil. Cliessa. Paris, Forroud, lUOG, in-8). — Aphrodite, m.purs antiques
[roman]. Paris, Soc. du Mercure de France, 1890, in-lS. i Editions diverses;
savoir : Aphrodite, mœurs anti'/urs. Paris, Soc. du Mercure de France, 1896
in-8. (Tira^'e : 9 ex. japon; 10 ex. whatman; 40 ex. bollando 015,50 ex. vélin,
nuniér.) ; /l/j/irorfi7e, roman de mrrurs antiques, illuslr. de CalLei. Paris,
r>orcl, 1897, polit in-8 ; Aphrodite, édition augmentée de plus de deux cha-
pitres, illuslralions de E. Zier. Paris, Tallandier, 11*03. in-8; Aphrodite,
uuL'urs anlinues. Paris. E. Fasquelle, 1901, in-18.— Byblls rliaii()ée en Fon-
taine, conte, illustration de J. Wagrcz. Paris, luirol, iS'S, polit in-8. (Nou-
velle édition : liyblis illustré d'environ 45 compositions en couleurs par llcnri
Garuchct. Préface par A. Gilbi-rt de Voisins. Paris, A. Ferroud, 1902, iu-8
carré).— La Femme et le Pantin, roman espagnol, orné d'une reproduc-
tion en héliogravure du Pantin de Goya. Paris, Soc. du Mercure de France
1898, in-8. (Il a été tiré : 20 ex. pour la Soc. des XX. Ccsex. |K)rlent la signal
turc de l'auteur.) Diverses éditions, savoir : La Femme et If Pantin, roman
espagnol, deuxième édition (Paris, Soc. du Mercure do France. iS'.tS, in-l«) ;
La Femme et le Pantin, roman espa;.'nol, illuslralions Calbet et Oédina. Paris
Borcl, 1899, petitin-8 ; La Femme cl le Pantin, roman ospacnol. Paris, E. Fas-
quelle, in-18, 1901 ; La Femme et le Pantin, 65 gran ' 'Citions en cou-
leurs et or, dont 16 hors lexle, de Pablo Koïp. Paris, : ; Art (Piazza et
Ci'), 1903, in 8). — Une volupté nouvelle, a»ute. ilK.^tralion de Marold.
Paris, Borol. 1899, polil in-8. {Ce coule se trouve en ouirc réimpriinô dans
Sanguines. Paris, E. Fasquelle, 1903, iu-18.)— L'ilumme de pourpre,
conte, illustration de Schmidt. Paris, Borol, 1901, polit in-8. (Ce conle se
trouve n'imprimé dans .S'anyiiints. Paris, E. Fasquolle, 1903, in-18.) —Les
Aventures du Iloi Pausole, roman. l'aris, E. Fas<{uelle, 1901, in-18. (Z,e
mérne : 380 ex. de format in-8. Paris, Fasquelle, 1901.) (Kéimpr. : /,«• /toi
Pausole, nouv. éd., illustrée de 82 compositions en couleurs de l'ierre Vidal.
Paris, blaisot, 1906, in-4 ; Le Roi Païuole, illustr. ea couleur de Lucieo
3o8 POÈTES d'aujourd'hui
Mélivct. Paris, Fa*qiiellc, 1906, in-18; Le lîoi Patisole,&yec 66 dessins et une
couverture de Carlègle. Paris, Fayard, 1907, in-8, (d. populaire). — Sangui-
nes (1), [conlcs Pl nouvelles : L'/fommp, de Pourpre. Dialogue au soleil cou-
chant. Une volupté nouvelle. La fausse Ester. L Aventure extraordinaire
de 3/">' Esquollier. Une Ascension au Vénusbery, etc.]. Paris, Fasquclle,
1903, in-8. — Archipel [recueil d'articles. Contient entre autres : Liberté
pour l'amour et pour le mariafje]. Paris, E. Fasquclle, 1906, in-18.
Préfaces. — Paul Fort : Ballades Françaises. Paris, Soc. du Mercure de
France, 1897, in-18. — Hené Peter : La Tragédie de la Mort. Paris, Soc.
du iMercure de France, 1899, in-8 et in-18. — Ferdinand de Martino et
Al)(lel Khalek bey Saroit : Anthologie de ^l'amour arabe. Paris, Soc. du
Mercure de France, 1902, iu-18. — A. Gilbert de Voisins : Pour l'Amour
du Laurier- Paris, Ollcndorff, 1904, in-18. — Claude Farrère : Fumée
d'opium. Paris, OliendorlT, 1904, in-18. — Ernest (Jaubert : Les Boscs
Z^a/ines, poésies. Paris, Sansot, 1007, in-18. — J. -Louis Merlet : Au seuil
des Temples. Paris, Tassel, 1908, in-8.
Ouvrages mis en mlsiqle. — Aphrodite, drame hxique en trois actes, musique
d'Erlanger, représenté sur la scène de l'Opéra-Comique en 1906. — Bilitis,
poômc en 12 chants extr. des Chan.tons de Bilitis, etc., ill. de IS'otor, musi-
que de R. Strolil. Paris, Toledo, 1900, in-fol. D'autres poèmes extraits des
Chansons de Bilitis. do M. Pierre Louj s, ont été mis en musique par M.M. Claude
Debussy, Jean Iluré, Léon Moreau, etc.
A CONSULTER. — Erucst Cîaubert : Pierre Louys, biographie critique
précédée d'un portrait, illustrée de divers dessins et d'un autogr., suivie d'o-
pinions et d'une bibliogr. par Ad. B. Paris, Sansot, 1904, in-18.— Reniy de
GourmoDt : Le Livre des Masgues. Paris, Soc. du Mercure de Franco, 1898,
in-18. — A. -Ferdinand Ilerold : Pierre Louys, notice publiée dans Z-es
Portraits du prochain Siècle. Paris, Girard, 1894, in-18. — Georges Le
Cardonnel et Charles Vellay : La Littérature contemporaine, 1905.
Opinions des écrivains de ce temps. Paris, Soc. du Mercure de France, 1906,
iu-iS. — Achille Segard : Les Voluptueux et les hommes d'action. Paris,
Ollondorfl', 1900, in-18. — V. Thou'pson : French Portraits (Hciui; appré-
ciations of the writcrs of Young France), Boston, Richard G. Badger et C",
1900, in-8. — A. Gilbert de Voisins : Préface à l'édition de Byblis .Paris,
A. Ferroud, 1902; Les Livres, Renaissance Latine, 15 juillet 1903; Sentiments.
Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, in-18. — Prolessor Wilamowitz-
IMœllendorl : Pierre Louys. Gotlingisclie gclehrle Anzoigen, 1890. —
Teodor de Wyzewa : Nus maîtres. Paris, Perrin, 1895, in-18.
Anonyme : La Femme et le Pantin, légende de Cleg, dessinsde Sahib.
Vie Parisienne, 9 juillet 1898. — André Ueaunier : Chronique. Revue
Bleue, 13 juillet 1901. — C. Alfred Reçu : Pierre Louys.El Tiompo. Buenos-
Ayres), 27 janvier 1898.— F. Coenen : Pierre Louys. De Kronick (Amster-
dam), 5 juillet 1896. — F. Ooppôe : Pierre Loiiys, in-8 (éd. populaire).
Journal. 10 avril 1896.— Riehanl Debmel : Lieder derBilitis, Die Gesell-
scliaft (Leipzig), 1896. — Henri Delurniel : Pierre Louys préfacier.
Chronique des livres, 25 oct. 1900. — Gaston Deschamps : M. Pierre
(1) Une pièce tirée par M. Henry de Forge d'une nouvelle do Sanguines :
l'Extraordinaire Aventure de Aiadame Esquollier, a été jouée aux « Capu-
cines » (mar:>-avril 1904) et éditée chez E. Fasquelle.
PICIUiB LOUTS 3o9
Louyx. T«-iii|><i, 7 juin IS^'C. — l'nul Ernesl : Dit Lieder der ftiliti». Die
Zukuufl (iJerlin), jmu IS'JG. — l'aiii (^iiii^ly : Camerie littéraire. Le*
Chantons de Itilitia. Oil Blas, 5 janvier 18'.i5. — A. Cilœt.scr : Anatole
France und Pierre Louy», I)a>» ma^azin (ur lillcratur, 15 août 18%. —
<:>iarl<>H (iii^rln : Le» Chantonn dr Itilitia. L'ErmilaKe, 1808. —Camille
lilauciair : Les Chansons de Hdilis. Ucrcure de Fr»ncc. arril 1895 —
Francisque Sarcey : Chronique. Kerue illustrée, 15 mai 1896.
Iconographie :
Henry itataille ; Portrait enlilhoiiniphte, puhhù dans Têtes et Pensées,
de Ucuiv liataille. Paris, Ollcn iorlT, l'jr>i, info). — Jacques Illanche
Pitrrc Louys et Henri de liéynier, p* inture, 1892. — Peinture, \^0i y\[>o*fi
la môme ann^e au Salon de la Soc. Nat. des iicaui-Arts). — Brlud«au
Peinture, 1897 (eiposée la même anni^e au Salon de la Soc. Nat. des Im ri\
Arls. A|i])arlieut à M. Pierre I»ii\s\ — P.-A. Laurens ; Pointe y
1898 (appartient à M. Picrrr Ix)u\'»}. — Méandre : Caricature
à M. Pierre Loiixs), — F. Vallottou : JAn-'/uf, <lans Le Livre des
le \\. (le Gourmont. Paris, Soc du Mercure de France, 1896.
En outre diverses pliolo;;raphios dans la Ilevue Illustrée du 15 mars 1904 ;
Catalogue du Alercure de France^ 1898, etc.
AU PKINCE TACITURNE
O toi qui pour passer les Jleuues taciturnes
Ne portes pas de Jleurs et marches vers la nuit /
HE^HI OB REGMER.
Si j'entre en la forêt du frêne et de l'alberge
Attiré par la lune au lac lucide et pur
A l'espoir d'entrevoir comme un son^e futur
Ta ciiimère apparue au miroir de la berge,
Avant d'atteindre aux eaux d'où sa blanche ombre émerge
La manjue de les pas sêchée au terrain dur
Me dira quel héros de l'aube ou de l'azur
A fait sourdre le sang nuptial de la vierge.
Je n'irai pas au bois conquérir les seins froids
Où ta Ioni;ue cpée entre et luit conmie une croix,
Chercheur de face pâle et d'ànie taciturne ;
Je suivrai le lonc: gué par les marais du soir
Et j'irai cunquérir, nue en son thrône noir,
Une déesse en fleurs dans une Ile nocturne.
{Astarté.)
3 10 POÈTES d'aujourd'hui
PÉGASE
De ses quatre pieds purs faisant feu sur le sol,
La Bête chimérique et blanche s'écartèle
Et son vierge poitrail qu'homme ni dieu n'attelle
S'éploie en un vivace et mystérieux vol.
Il monte, et la crinière éparse en auréole,
Du cheval décroissant fait un astre immortel
Qui resplendit dans l'or du ciel nocturne, tel
Orion scintillant à l'air glacé d'Eole.
Et comme au temps où les esprits libres et beaux
Buvaient au flot sacré jailli sous les sabots
L'illusion des sidérales chevauchées,
Les Poètes en deuil de leurs cultes perdus
Imaginent encor sous leurs mains approchées
L'étalon blanc bondir dans les cieux défendus.
(A star lé.)
LE BOUCOLIASTE
La flûte qui fléchit sous les doigts allongés,
Docile à s'animer comme la femme aux lèvres,
Vibre, et le clair essaim des trilles encagés
Se mêle aux bêlements bucoliques des chèvres.
Le joueur puéril à ses roseaux légers
Chante en vain : seule, Echo, lointaine et triste, alterne.
Les Muses sont trop loin de la voix des bergers
Qu'une cigale inspire et qu'un vol noir consterne
Mais l'Éphèbe : a Je suis, ô Phoïbos radieux,
Boucoliaste, et pur pour le culte des dieux.
J'ai l'espoir du laurier que ton geste décerne
Et je veux, pour gagner ton sourire indulgent,
Consacrer sur l'autel de flouve et de luzerne
Ma flûte pastorale à ta lyre d'argent. »
(Astarté.)
i
PIERRE LOUYS
3ll
CHUTE DU JOUR
L'ombre odorante où vibre une lueur fleurie
S'éçaye à la brise aux reflets du jour chansi^eant.
Le sillaçe de l'air limpide est bleu dansent
Comme un fond d'eau où le soleil se colorie.
i A dans le cadre des feuilles, la closerie
Aérée, où des libellules vont nat^eant,
Avec des prestes se déchevèle en neiu^eant
Des parcelles de rose amoureuse et mûrie.
Le vent fraj^ile vient parmi les frondaisons
Allone^cant les soleils cercles sur les p^azons
Ebruiter un frisson sous les feuilles dorées,
Mais le bois déjà noir jusqu'aux lom^fs horizons
S'endort dans la fraîcheur plus sombre des orées
Aux bras pernicieux et pâles de la nuit.
{Astarié.)
SONNET ADRESSÉ A M. MALLARMÉ LE JOUR OU IL EUT
CINQUANTE ANS
Cinquante heures de nuit préparatoire, ô Maître !
Demain s'éblouiront d'aurore, et nous saurons
A l'ombre maiçistrale errante sur nos fronts,
Qu'on a vu sourdre l'or et la lumière naître.
Eux aussi vont jurer que pa» un ne fut traître
Au doic^t qui dt'sitçnait l'aube rousse des troncs.
Le jour croît. Vous verrez tous les mauvais larrons,
Qui fuyaient de vous suivre au désert, reparaître !
Ils donneront à qui méprisa leur troupeau
I .1 gloire qu'ils rêvaient de pourpre sur leur peau
\'.[ les lauriers d'argent piqués aux fer de lance ;
•Mais nous u'enlendroDS pas ces voix soûles de bruit,
3 12 POÈTES D aujourd'hui
Car nous aurons coupé pour le plus pur silence
Sous vos pieds créateurs les roses de la nuit.
(77 mars iSqs.)
L'OiMBRE
C'est moi! c'est moi, pauvre âme ! ô trop longtemps pleurée!
Aux sources de l'Oronte ivres d'aube et d'oiseaux,
C'est moi qui sur tes pas abaissais les roseaux.
Et de tes hautes mains prenais l'urne altérée.
Et plus tard, quand Erôs mêla notre destin.
C'est moi qui venais traire au ventre des chamelles
Le lait mince, étiré des tremblantes mamelles,
Dans l'outre obèse et lisse aux flancs couverts de thym.
Me connais-tu ? Devant la clairière interdite.
Je gardais les boucs blancs promis à l'Aphrodite,
Et tressais des iris aux cornes des béliers.. .
Approche-toi, pauvre âme à jamais solitaire,
Ombre qui viens, fidèle à tes champs familiers.
Revoir l'eau successive et l'immuable terre.
TOMBEAU DE BAUDELAIRE
La tombe enfin l'exalte, et le vol des harpies
Tourne autour de sa main ténébreuse, où fleurit
Dans son papier sanglant le mortel manuscrit
Comme un autre cadavre habillé de charpies.
Sa Joie et sa Douleur le gardent, accroupies
Et, les seins dans les mains devant lui qui sourit,
Se touchent, corps de pourpre et chair de son esprit,
Très précieux remords de ses jours très impies.
Mais lui, dieu de lui-même, unique, et sans aïeul.
PIEHHE LOUVS 3l3
Il sone^e à la I)eautc qui porte pour lui seul
Une ilaiiiiiic à son front ceint de verveine et d'ulve.
Succube (jui descend dans le lac des péchés.
Et sous le voile noir de ses cheveux penchés
Parmi tous les iris cueille la sombre vulve.
HAMADRYADE ET SATYRE
Des sylvaîns et des pans se souvient-elle encore
Qui troublaient les bois bleus de leurs bonds turbulents?
Un soir; avec le thyrse et les tambourins blancs,
La danse des pieds nus a suivi Terpsichore.
Solitaire, et mirant la lune dans ses yeux,
L'haniadryade au vent livre ses mains rameuses.
Les tleurs ne meurent plus du repos des dormeuses.
Le chêne se verdit d'un lierre injurieux.
Parfois, sautant l'eau vive au ^ué des pierres plates.
Le Chèvre-pieds lascif qui tremble sur ses pattes
Etreint le corps flexible, arborescent et frais.
Il combat, et la nymphe hostile se révulse,
Mais rien n'arrachera de ses flancs satisfaits
La corne qui la cloue à l'aei^ipan bisulce.
L'APOGÉE
A l'héroïne d'un roman futur.
Psyché, ma sœur, écoute immobile, et frissonne. . .
Le bonheur vient, nous touche et nous parle à genoux.
Pressons nos mains. Sois grave. Ecoute encor. . . Personne
N'est plus heureux ce soir, n'est plus divin que nous.
î'ne immense tendresse attire à travers l'ombre
NOS yeux pres(pie fermés. Que resle-t-il encor
1 )u baiser qui s'apaise et du soupir qui sombre ?
La vie a retourné notre sablier d'or.
>9
Sl4 POÈTES d'aujourd'hui
C'est notre heure élernclle, éternellement grrinde,
L'heure qui va survivre à l'éphémère amour
Conmie un voile embaumé de rose et de lavande
Conserve après cent ans la jeunesse d'un jour.
Plus tard, ô ma beauté, quand des nuits étrangères
Auront passé sur vous qui ne m'attendrez plus,
Quand d'autres, s'il se peut, amie aux mains légères,
Jaloux de mon prénom, toucheront vos pieds nus.
Rappelez-vous qu'un soir nous vécûmes ensemble
L'heure unique où les dieux accordent, un instant,
A la tête qui penche, à l'épaule qui tremble.
L'esprit pur de la vie en fuite avec le temps.
Rappelez-vous qu'un soir, couchés sur notre couche,
En caressant nos doigts frémissants de s'unir,
Nous avons cchanî.^é de la bouche à la bouche
La perle impérissable où dort le Souvenir.
J
MAUUICK MAKTKP.LINCK
M. Maurice Maeieriinck fl'olyiiore-Manc-liernard) est ne à (îand
(Ileli^ique), le arj at»ûl 18O3. Il a()|>arlient à une vieille famille flainnnde
(jui s't'lait fixe'e, au xiv* siècle, à Renaix, looalil»'- de la Flamlre
oC( ideiitale, dont (înnd est le rhef-lieu. Un de s^s aocitres, bailli,
aurait, pendant une année de disette, distribué aux pauTres des
mesures de ^rain. De ce fait, et du terme qui servait à désiiriicr
cette « mesure », dériverait le nom de Maeterlinck. M, Mau-
rice Maeterlinck fit ses études chez les jésuites, au Collèpe Sainle-
Marbe de Gand, où il eut comme condisciples Charles Van Ler-
berj,;he et M. Gréf^oire Le Hoy. Pour satisfaire aux désirs de sa
famille, il fit ensuite son droit à lUniversiié, puis se fit ins-
crire au barreau de Gand. Il plaida peu, l'esprit totirné unique-
ment vers l«s lettres, ayant d'ailleurs commencé à écrire, des le col-
lège, quelques essais qu'il ne sonç«'ait pas à publier. C'est en 1886
(jue M. Maurice Maeterlinck vint pour la première fois à Paris. Il
était nrcompajçnè de .M. Gret^oire Le Roy. dont la vie, i cette époque,
se confond avec la sienne. Tons deux prirent contact avec le monde
littéraire. « Je voyais souvent, a dit (juelque part .M. .Maurice Mae-
terlinck, Villiers de l'Isle-.Vdam. C'était à la Brasserie Pousset, fau-
bourg .Montmarlre.il y avait là éclatement Saint-Pol Roux, Ephraim
.Mikhael. Pierre Ouillard, Roilolphe Darzens... Catulle Mendes y pas-
sait ({ueltpicfois... » La Plcindr, foudre comme il a été dit dans la
notice de M. Grégoire Le Roy, M. -Maurice Maeterlinck y fit ses
débuts avec un conte en prose : Le Massacre des Innocents, et quel-
[ues-uns des poèmes dont il devait former, en 1889. son premier
ouvrai^e et son unique recueil de vers : Serres Chaudes Au bout de
sept mois, .M. Maurice Maeterlinck quitta Paris, pour retourner
vivre en Flandre, passant l'hiver à Gand, et l'été dans sa cauipa|;ne
d'Oostacker, au milieu de ses rosiers et de ses ruches pleines d abeiU
les. Présente en 1887 aux rédacteurs de La Jeune Hehjtijue par
Georges Rodcnbach, il publia dans cette rerue quelques autres poè»
3i6 POÈTES d'aujourd'hui
mes qu'on rétrouve également dans Serres Chaudes, puis, à la fin
de i88g, il fit paraître La Princesse Maleine, drame en cinq actes,
où Ton voulut voir, à tort, une imitation de Shakespeare. C'est de
la publication de La Princesse Maleine que date la grande réputation
de M. Maurice Maeterlinck. Un écrivain se trouva, en effet, assez
curieux pour lire cette œuvre, assez épris des novateurs et assez
clairvoyant pour l'apprécier, et assez courageux, si l'on songe à
toute la routine d'esprit contre laquelle il allait, pour faire part de
son enthousiasme au public. Ce fut M. Octave Mirbeau, et l'article
qu'il écrivit à ce sujet dans le Figaro (24 août i8go) rendit célèbre
du jour au lendemain le nouvel écrivain. « Je ne sais rien de
M. Maurice Maeterlinck, écrivait M. Mirbeau. Je ne sais d'où il est
et comment il est. S'il est vieux ou jeune, riche on pauvre, je ne le
sais. Je sais seulement qu'aucun homme n'est plus inconnu que lui;
et je sais aussi qu'il a fait un chef-d'œuvre, non pas un chef-d'œu-
vre étiqueté chef-d'œuvre à l'avance, comme en publient tous les
jours nos jeunes maîtres, chantés sur tous les tons de la glapissante
lyre — ou plutôt de la glapissante flûte contemporaine; mais un
admirable et pur et éternel chef-d'œuvre, un chef-d'œuvre qui suffit
à immortaliser un nom et à faire bénir ce nom par tous les affamés
du beau et du grand; un chef-d'œuvre comme les artistes honnêtes
et tourmentés, parfois, aux heures d'enthousiasme, ont rêvé d'en
écrire un et comme ils n'en ont écrit aucun jusqu'ici. Enfin, M. Mau-
rice Maeterlinck nous a donné l'œuvre la plus géniale de ce temps,
et la plus extraordinaire et la plus naïve aussi, comparable — et
oserai-je le dire? — su[>érieure en beauté à ce qu'il y a de [dus beau
dans Shakespeare. Cette œuvre s'appelle La Princesse Maleine.
Existe-t-il dans le monde vingt personnes qui la connaissent? J'en
doute... » Une si éclatante révélation de son nom ne troubla point
M. Maurice Maeterlinck dans sa vie paisible .Pendant que tout le
monde discutait autour de son œuvre, il continua à travailler, et
bientôt d'autres drames vinrent s'ajouter à La Princesse Maleine.
D'abord L'Intruse, représentée au Théâtre d'Art en juin 1891, dans
une soirée au bénéfice de Paul Verlaine et du peintre Gauguin, puis
Les Aveugles, représentés au même théâtre quatre mois après, puis
Les Sept Princesses. Entre temps, M. Maurice Maeterlinck avait
publié une traduction de L'Ornement des Noces Spirituelles, traité
de mystique du moine flamand Ruysbroeck l'Admirable, avec une
Introduction qui fut la première de ces méditations métaphysiques
qui composent aujourd'hui ces livres universellement connus : Le
Trésor des Humbles, La Sagesse et la Destinée, Le Double Jardin,
La Vie des Abeilles et Le Temple enseveli. En iSgS, MM. Lugné
Poe et Camille Mauclair firent représenter aux Bouffes-Parisiens un
nouveau drame de M. Maurice Maeterlinck : Pelléas et Mélisande,
1
MÀUniCB MAETERM>'CK 3l7
dans lequel nos critiques dramaliqucs, toujours bons jugées, s'ima-
ginèrent de retrouver toutes les situations th«'àlrales connues,
d(*puis Shakespeare jusqu'à M. Courteline, en passant par Musset,
Poe, Feuillet et Aus^ier. M. Maurice Maeterlinck publia ensuite une
traduction d'Annabclla {Tis pity she's a irliore), drame de John
Ford, représente au Théâtre de l'CEurre en novembre 1894, — les
trois petits drames pour marionnettes : Alladine et Palomides,
Intérieur, et La Mort de Tintar^iUs, dont le deuxième seul a été
joué, au Théâtre de l'Œuvre, en mars 1895, — une traduction des
Disciples à Suis et des Fragments de Novalis. — et nous arrivons
ensuite au Trésor des Humbles, à La Sagesse et la Destinée,
Le Double Jardin, La Vie des Abeilles, Le Temple enseveli, sans
oublier Monna Vanna et Joyzelle, deux pièces représentées à Paris
ces dernières années. On ne saurait dire en peu de lignes toute la
beauté profonde et rare qu'on trouve dans tous les livres de
M. Maurice Maeterlinck, la lumière spirituelle qu'ils dégagent, la
voix grave et unicjue qu'on y entend. « Tous les journaux et toutes
les revues du monde, a dit M. Camille Mauclair. ont commenté, cri-
ti(iué. loué, ftxposé lonc:uement lesprit orij^inal de cette philosophie
psychologiijue et mystirpie. le style pur de ces drames, leur compo-
sition puissamment tragique, la haute et curieuse aisance d'analo-
gies qui s'y révèle, la maîtrise, le sens de perfection simple, l'expan-
sion intérieure qui en vivifient la durable et particulière beauté. Un
fait suffit : la voix des foules, qui a obscurément raisonné, prononce
couramment le nom de ce jeune homme avec celui de l'auçuste vieil-
lard Scandinave. Henrik Ibseo. Ce sont des gloires occidentales, au-
dessus de la mode, et il y a là un signe infaillible de grandeur. J'ob-
serverai seulement la dualité de cet esprit. Comme celui de Poe, il
est également apte à la construction d'oîuvres tangibles et saisissan-
tes, et à la spéculation abstraite, conciliation naturelle chez lui et si
difficile aux autres esprits : c'est l'intellectuel complet. Il semble
pourtant préférer la dissertation métaphysiijue à la réalisation litté-
raire directe où il a trouvé la célébrité. Son évolution l'y cntrafne.et
cet homme, qui a commencé par être un parfait artiste de légendes,
finira par renoncer aux drames et aux œuvres imaginatires jx)ur
se consacrer exclusivement aux sciences morales. Ce qu'il en a
esquissé présage un métaphysicien peut-<'tre inattendu de l'Europe
intellectuelle, un surprenant continuateur de la philosophie imagée
et artiste de ('arlyle. Je répète que M. .Maurice Maeterlinck est un
homme de génie authentique, un très grand phénomène de puissance
mentale à la fin du xix« siècle. L'enthousiaste Mirbeau lafiproche
à tort de Shakespeare, avec qui il n'a nulle affinité inlellectuolle. L41
vraie figure à qui fait songer M. Maeterlinck, au-dessus de la vaine
19.
3i8 POÈTES d'aujourd'hui
littérature, j'ose dire que c'est Marc-Aurèle. » (Camille Mauclair :
Maurice Maeterlinck. Les Hommes d'aujourd'hui.)
Vers la fin de 1896, M. Maurice Maeterlinck quitta définitivement
la Flandre et vint se fixer à Paris, dans une grande et vieille mai-
son de la rue Raynouard, oii il a écrit ses derniers ouvrages. Sa vie
est simple. Il passe ses hivers dans le midi, l'été il gagne la Nor-
mandie, s'installe à l'abbaye de Saint-Wandrille, dans la Seine- In-
férieure Entre temps, il voyage, remonte vers le nord, gagne l'An-
gleterre ou la Hollande, puis redescend vers l'Italie.
Il écrit au Figaro, dans les revues anglaises et allemandes, les
magazines américains. Ses livres se trouvent tout naturellement
formés des essais qu'il publie ainsi pour une élite. A tout instant des
machines roulent pour l'impression de ses spéculations, des théâtres
jouent ses pièces avec succès. En même temps qu'une de ses œuvres
paraît en France, des éditions en toutes langues en sont faites à l'é-
tranger. C'est ce qui explique l'influence considérable qu'il exerce
hors de chez nous, dans les pays anglo-saxons, germaniques et sla-
ves. Sa situation est unique à Iheure présente dans la littérature.
M. Maurice Maeterlinck a collaboré à La Pléiadr, ire série
(1886) : Le Massacre des Innocents, conte en prose (mars, n» 3).
Cette page, qui n'a pas été réimprimée dans ses œuvres, porte celte
signature : Mooris Maeterlinck. — La Jeune Belgique [Bruxelles:
(1887-1888-1889-1893) Vers. —La Wallonie (1887-1890). —La
Société Nouvelle (1888-1892) : La Princesse Maleine. — La Conque
(1891). — Floréal (1892). — Le Réveil [Gand] (1892-1894). — Mer-
cure de France (août 1894, août 1896 et mai 1896), comptes-rendus ;
Introduction à un essai sur Jules Laforgue. — Le Figaro (1894 à
1908). Quelques articles réunis ensuite en volume. — Nouvelle lie-
vue (1894-1890). Novalis. Essais : l'âme; les femmes; la morale
mystique. Nouveaux Essais : la Beauté invisible; la Beauté inté-
rieure; la Vie profonde. — L'Idée moderne (1896). — Le Coq
Bouge (1895). — L'Aube (1896). — Revue Encyclopédique (1897) :
La Mystique flamande. — Revue de Paris, l'Indépendance Belge,
The Forum (1898-1902). — La Vogue, nouvelle série (1899). —
Wiener Rundschau. Neue Deutsche Rundschau, Die Zukunft
[Berlin]. — Die Insel [Munich] (1900), etc...
Bibliographie :
Les ceovbes. — Serres chaudes, poèmes, frontispice et culs-de-lampe de
Georges Minne. Paris, Vanier, 1889, in-8. Tirage : 155 exempl. sur hollande
(Réimpressions: 5en'e« c/iaurfes, nouv. édition. Bruxelles, P. Lacomblez, 1890
et 1895, in-8; Serres chaudes, suivies de Quinze chansons, nouv. édition.
Bruxelles, P. Lacomblez, 1900, iu-8). — La Priucesse Maleiue, drame en
5 actes [couverture et fig. de Georj:c? MinneJ. Gand, Imprimerie Louis van
MAURICE MAETERLINCK SlQ
Mellp, 1880, in-8, public- à 30 cxempl . et non mis dans le commerce (R^im-
pn'ssion : La Princesse Maleine. Gand. Impr. Louis Tan Mellc. 1880, in-18
(lo5 <'x.) ; La Princesse Maleine. Bruxelles. P. Incombiez, 1S90, in-18). —
Les Avetiyles [L'Intruse (1). Les Avewjles 2 ]. Bruxelles, P. Lacombici,
8. d. (18'J0), pet. in-8, tirage à 150 exenipl. (Réimpression : Les Atew/les
[l'Intruse. Los Avcufjles. Bruxelles, P. I^romblez, 1801, in-18^. — L'Orne-
ment des noces spirituelles, de Rnysbroeck l'Admirable, traduit
du Uaiiiaiid cl accompa^'iié d'une introduction. Bruxelles, P. LocomLlcz, 1801,
in-8 (R(^'imprcssion : L'Ornement des noces spirituelles, etc. , nouT. édition,
Bruxelles, P. Lacomblcz, 1900, in-8). — Les Sept Princesses [un acte].
Bruxelles, P. Lacomblez, 1891, in-18. — Pellôas et .Mélisande [cinq
aclcs] (3). Bruxelles, P. Lacomblez, 1802, in-l<. — Alladliie et Palomi-
des, Intérieur et La Mort de Tlntagllfs : trois p«*tlts drames
pour marionnettes ,4 , culs-de-lampe par Georges Miune. lirmelles, Col-
leclioii du « Réveil », chez Ed. Deman. 1804, in-18. — Annabella {'Tis
pity sliif's a whore), drame en 5 actes de John Ford, traduit et adapté pour
le théâtre de l'Œuvre. Paris, Ollendorff, 1805, in-18. — Les Disciples à
Sais et les fragments de Novalls. traduits de l'allemand et préct''«lés
d'une introduction. Bruxelles. P. Lacomblez, 1805, in-18. — Le Trésor dos
IIiiml)les. F'aris, Soc. du Mercure de France, 1896, in-18. — Aglavaine et
Selyfictle [cinq actes]. Paris, Soc. du Mercure de France, 1806, in-ls. —
Douze (Chansons, illustrées de 12 planches et 12 culs-de-lampc, par Char-
les Doudclet, Paris, P. V. Stock ;lmprirn. par Ix>uis van .Melle, à Gand). l'<06,
in-4 oblong. Tirage 000 exempl. sur papier Ingres. (Cet ouvrage a été imprimé
avec des variantes à la suite de Serres c/iaurfe*, à Bruxelles, par P. Lacomblez,
1900, in-18). — La Sagesse et la Destinée. Paris, Fasquelle, 1808, in-18.
— La Vie des Abeilles. Paris, Fasquelle, 1901, in-18. — Théâtre I. La
Princesse Maleine. L'Intruse. Les Aveugles. — III. Aglavaine et Sely-^
sette. Ariane et liarbe Bleue. S^rur liéalrice. Bruxelles. P. Lacomblez, 1901,
i vol. in-18.— Théùtre II. PeUéas et MrUsande. Alladine et Palomides.
Intérieur. La Mort de Tintagiles. Bruxelles, P. Lacomblez, 1902. in-lS. —
Le Temple enseveli. Paris, Fasquelle, 19o2, in-18. — Monua V.-tnna,
pièce en 3 actes, représentée pour la première fois sur la «cène du Théâtre de
l'CEuvrc, le 17 mai 1002. Pans, Fas<iuellc. 1902, in- 12. — ThtvUre de Mau-
rice Maeterlinck {La Princesse Maleine. L'Intruse. Les Aveugles. Pel-
léas et Mélisande. Alladine et Palomides. Intérieur. LamortdeTintagiles,
Aijlavaine et Sélysette. Ariane et Barbe-Iileue. Sœur Héatrice), avec une
préface inédite de l'auteur, illustré de 10 compositions originales lithographiT-es
par Auguste Donnay. Bruxelles, Ed. Dcman, 1002, 3 vol. in-8. (Tirage 110
exemplaires). — Joysclle, pièce en 3 actes, représentée pour la première
(1) L'Intruse a été représentée sur la scène du Théâtre d'Art à Paris, le
21 mai 1891.
(2) Représentés sur la même scène du Théâlhe d'Art, le 7 décembre 1891.
(3) Représenté à Paris au Théâtre dos ISouffcs Parisiens, le 16 mai 1893.
(4) De ces trois petits drames, tleux ont été rciirésenlés. L'un, Intérieur, ^élé
donné au public par le Théâtre de l'dluvre, en mars lb"J5, et l'autre, La Mort
de Tintafjilcs, mis en musique par Nouguès, a été joué au Théâtre des MaUiu-
rius, le 28 déc. 1905.
320 POÈTES d'aujourd hui
fois au Théâtre du Gymnase, le 20 mai 1903. Paris, Fasquelle, 1903, in-18.
Le Double Jardin. Paris, Fasquclle, 1004, in-18. (Il a 616 tiré pour la
Société des XX : 20 ex. de format in-8, avec la sip:nature de l'auteur.) —
L'Intelligence des Fleurs. Paris, Fasquclle, 1907, in-18.
On trouve en outre des extraits de Maeterlinck dans les ouvrages suivants :
Le Parnasse de la Jeune Belgique, pièces diverses de dix-liuit poêles
belges. Paris, Vanier, 1887, in-8. — Poèle.s belges d'expression fran-
çaise, par Pol de Mont, Alraelo, W. Ililarius, 1899, in-18 (xxi pièces tirées de
Serres chaudes et de Douze chansons. Portrait de Maeterlinck, d'après une
photographie), etc.
Préfaces.— Sept essais d'Emerson, traduits pari. Will, avec une pré-
face de Maurice Maeterlinck. Bruxelles, P. Lacomblez, 1894 et 1899, in-18. —
Exposition des Œuvres de M. Franz. M. Melcher.s, chez Le Barc de
Boutteville, 47, rue Le Pcletier (ouverture le vendredi 15 novembre 18'Jo),
préface de Maurice Maeterlinck. Paris, Edm. Girard, s. d., in-8. — Jules
Laforgue, par Camille Mauclair, avec une introduction de Maurice Maelcr-
linck. Paris, éd. du Mercure de France, 189G, in-18.
Ouvrages mis en musique. — Pelléas et Mélisaude, drame lyrique de
Maurice Maeterlinck, musique de Claude Debussy, représenté pour la première
fois au Théâtre National de l'Opéra-Comiijue, en mai 1902. Partition piano
et chant. Paris, E. Fromont, 1902, gr. in-8. —La Mort de Tintagiles, etc.,
mis en musique par Jean Nouguès, repi'éscnté pour la première fois aux « Ma-
tinées de Georgette Leblanc » (Théâtre des Mathurins), le 28 décembre 19U5.
Ariane et Barbe Bleue, conte en 3 actes, etc., musique de Paul Dukas,
représenté pour la première fois sur la scène de l'Opéra-Comique le 10 mai
1907. — Chansons de Maeterlinck. Dix poèmes précédés d'un prélude,
instrum. pour violon, violoncelle et piano, par Gabriel Fabre (Paris, Hcugel,
jn.4). D'autres ouvrages (drames et chansons) de M. Maurice Maeterlinck
ont été mis en musique par MM. Pierre de Bréville; L. Camilieri; Ernest
Chausson; Gabriel Fabre; Gabriel Fauré (Voy. Pelléas et Mélisande, suite
d'orchestre tir6e de la musique de scène de Gabriel Fauré. Paris, Hamelle,
1901, gr. in-8) ; Henry Février; G. Samazeuilh, Eug. Samuel, etc.
A CONSULTER. — William Archer : Stiidy and Stage. Loudon, Grant-
Richard, 1899, iii-18. — H. Bahr : Ski^zen und Essays. Berlin, Fischer,
1897, in-8. — André Beaunier : La Poésie nouvelle. Paris, Soc. du Mer-
cure de France, 1903, in-18. — Ad. van Bever : Maurice Maeterlinck,
biographie pr6cédée d'un portr. -frontispice, illustré de diA'crs dessins et d'un
auto^^r. suivie d'opinions et d'une bibliogr. Paris, Sansot, 1904, in-18. — Adol-
phe Brisson : La Comédie littéraire. Paris, A. Colin, 1805, in-18; Por-
traits intimes. 3* série. Paris, A. Colin, 1897, in-18. — W.-L. Courtney :
The development of Maurice Maeterlinck and othcr skelches of forei/jn
writers. London, Grant Richards, 1904, in-i8. — Virginia M. Crawlord :
Studies in Foreign litéralure. London, Duckworth, 1899, in-8. — D"" Van
Dyk : Maurice Maeterlinck. Ein studie door. Nimègues, Tcn Hoët, 1897,
in.g. — Eugène Gilbert : En marge de quelques jiages. Paris, Pion, 1900,
in-18 ; France et Belgique. Etudes littéraires. Paris, Pion, 1905, in-18. —
Remy de Gourmont : Le Livre des Masques. Paris, Soc. du Mercure de
France, 1897, in-18. — Anselma Heine : Maeterlinck. {Die Dichlung, Bd. 33)
Berlin, Schuster et Loefllcr, l'J(tj,, iu-l2. — Désiré Ilorrent : Ecrivains
belges d'aujourd'hui, 1" série. Bruxelles, P. Lacomblez, 1904, in-8. — R.
MAURICE MAETERLINCK 3a |
Ilovey : Etude, en Ifile de la tradurlion am^Tirainc de la l'rince^.ie Molcine,
l'Intruse, les Aveui/les, les Sipt l'rincvsses, I',lli:as et M-Jlis,in>U-. Alln<iiue
et PalomidfS, Tntéi-i,ur, la Mort de Tintaijilcs. Chicago, Slow ft Kimball,
in-8. — James lluneker . Iconoclasts a book of dramatist. Niw York,
Ch. Scribiiors, lHOa, in-8. — Julos Iluret : En'iuête sur i Iholution lit-
téraire. F'aris, Charpentier, IS'JI, iii-l<<. — D' Monty Jacobs : M-i-t.r-.
linck. Eiiu: kritiscke Sludie, zur lunfàUrung an seine Werke. !..
Eufî. Diedoriclis, i!)02, Jn-8.— Ilcrnard l^'uare : Fiijures cnntewf>orn, ,, , .
Paris, F'crrin, 1895, in-18.— Georges Le Canlonnelet Charles Vollay:
La Littérature contemjtorainc . Paris, Mercure de France, l'JOO, in-l><. —
Jules Lemallre : Impressions de théâtre :%• aérie. Parii, Lecènc et Oudiu,
181)5, iu-l8. — Georges Leneveu : Ibsen et J/a.'/t'r//ncit. Paris, Ollci. ' r
1902, in-18. — Voa W. .Miessiier : Eine littrarjviychuloifische
ûber die Neuromantik. Berlin, Richard-Scliroder, 1904, in-12. Alherl
Muckol : Qiiihjues livi-es. Lirgo, Vaillant-CTrmanno, 1890, in-8 — !•'. l'op-
pen!)ery : Maeterlinck (Mo<Jcrnc Essays 3o). Birlin, 19o3. in-12.— Albert
Ite(K|io : Au seuil de leur dme. Paris, Perrin, 1905, in-18. — Johaiiiies
Schlaf : Maurice Maeterlinck. Berlin, Bard-Marquardl et C», s. d. (T i,
in-12. — Edo!i:ird Schiirô : Précurseurs et Ilévoltés. l'aris, Perrin, I'.' »
in-18. — J. Schryver Dz : Martirlinck, ein studie. Amsterdam, Scliel-
tema et Holkcma, 1900, iu-l8. — Arthur Syinons : The Si/mbolisl Move-
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music. London. lluckworlh, 1903, iu-8. —Hugo P.Thi«;me : Guide biblio-
graphique de la littérature française (1800 d 1000). Paris, Wcllcr, 1907,
in-8. — V. Thompson : French Portraits (Being appréciations of Ihe
writers of Youuij France). Boston, Richard G. Badjjer C", l'.'OO, in-8. — A.-
G. Van Hanicl : Ilet lelterkundlj levcn van Frankyk, Studien en Schrt-
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1907. — P. llornsteln : Maurice Maeterlinck. Wiener Rundschau, II, 19,
20, îl août-seplcmbrc 1897 ; Maurice 3/ne/er/i;»cA-.Monatschrifl ffir noue Litc-
ratur und Kunst, II, 8 et 9 mai et juin 1898. — A. Bruunenianii : Mnuiice
Maeterlinck. Berlin, Pan, 3» annt^e. 4« livraison, ls9S. — Cyrifl Iluysse :
Maurice Maeterlinck, étude publiée avec 5 illuslr. et suivie dune copieuse
Bibliofjraphie publiée par A. de R. et G. K., avec des notes du D' lî.Tsmans.
Den Gulden-Winckel [Baarnj, 15 juillet 19n2. _ Samuel Coruut : Mau-
rice Maeti'rlin''k. La Semaine littéraire [Genève], 18 et 25 janv. 1902.
Lionel Dauriac ; In stoïcien du temps présent. Revue Latine, 22 juin
1902. — Gaston Deschamps : La Vie littéraire, l^ Temps, 21 avril 1907.
— Artliur Drews : Maeterlinck als Philosoph. Prou&sische Jahrbûcher,
1900, XC, pp. i32-2G2. — André Dreux : Maurice Maeterlinck. Le Cor-
respondant, 25 mars 1897, pp. 109G-1117. — Joseph Galtier : Maurice
Maeterlinck raconté par lui-même, l^ Temps, 29 mai 19o3. — Dr Cari
llageniann : Maeterlinck und liolsche. Die Propylaen iMuuichJ, nov. i9ii3.
— Anna Von Hartmann : Maurice Maeterlinck. Deutsche Rundschau,
janvier 1903. — liasse: L'Ame philosophique de Maeterlinck. Einulafze,
mai isyo. — Joscl Ilofmillcr : .Maeterlinck (Deutsches Thealer, 11)!
Monatshclli' (Minncli et Leipzig), octobre 1904. — Von Adolf Keller : .Mae-
terlinck als philosoph., Neuc Zurchcr Zcilung [Zurich], 28-29 déc. 1903.
322 POÈTES d'aujourd'hui
— Ch. Van Lerberghe : Maurice Maeterlinck. La Wallonio. 1889. —
Lllly Janiinsch : Munnot Vanna in Lichte der sozialen Elliik. Elische
KiJliir [Ccilinj, 4 avril 1903.— ('umille Mauclair : Maurice Maeterlinck.
Les Horuinos d'aujourd'hui, u" 434. Paris, Vanicr; Intérieur, Revue Encyclopé-
dique, l*' avril 1895; La Belgique par un Français, Revue Encyclopùdique.
24 juillet 1897. — Ch. IVIaurras : Le Trésor des Humbles. Revue Eneyclo-
IK'dique, 26 septembre 1896. — O. Mirbeau : Maurice Maeterlinck, Fifraro,
24 août 1890. — A. Mockel : Une âme de poète. Revue Wallonne {Uiii;c),
juin 1894. — E. Norat : Maeterlinck moraliste. Revue Bleue, il juin
1004. — F. von Oppeln-Bronikowski : Maurice Maeterlinck, avec un
portrait. Die Gesellschait, 9 et 10, 1898 ; Maurice Maeterlinck und der Mys-
ticimus, avec un portrait à l'eau-forte par J. Lindner. Nord et Siid, décembre
1898. — Annibale Pastore : L'Evoluzione di M. Maeterlinck. Nuova
Antologia, 16 mars 1903. — Edm. Pilon: Maurice Maeterlinck, Mercure
de France, avril 1896 ; Maurice Maeterlinck, La Plume, 1" mai 1902. —
Maurice Rava : Maurice Maeterlinck, Poeta et Filosofo. Nuova anto-
lopia, 1" lévrier 1897. — Octave l'zanne : La Tliélaïdp de Maurice
Maeterlinck. Echo de Paris, 7 sept. 1900. — Alfred Valletle : Pelléas et
Mélisande et la Critique officielle. Uercvue de France, juillet 1893, etc., tkt.
Iconographie :
M""* Ad. van Bôver : Portrait, sépia, reproduit dans la plaquette ;
Maurice Maeterlinck, par Ad. van Bever. Paris, Sansot, 1904, in-18. — J.-
K. Doudelet : Portrait en couleur. (Les Hommes d'aujourd'hui, n* 434.
Paris, Vanier, s.d.) — Max Swablnzkl -.Eau-forte, 1899. — F.Vallotton :
Masque, reprod. dans Le Livre des Masques, de Remy de Gourraont. Paris,
Soc. du Mercure de France, 1897, in-18. — Théo Van Hysselljeryhe :
Portrait au crayon, reprod. dans la plaq. : Maurice Maeterlinck, par Ad.
van Bever, etc. ; Portrait dans le tableau : Une lecture. Musùe de Gand (ce
tableau a été reprod. diverses fois, entre autres dans l'ouvrage de Viltorio Pica :
L'Arte Mondiale alla VII Esposizione di Venezia. Bergamo, Islitulo ilal.
d'Arti Grafiche, 1907, in-4).
HEURES TERNES
Voici d'anciens désirs qui passent,
Encor des songes de las^sés,
Encor des rêves qui se lassent ; •
Voilà les jours d'espoir passés I
En qui faut-il fuir aujourd'hui !
Il n'y a plus d'étoile aucune ;
Mais de la glace sur l'ennui
Et des linges bleus sous la lune.
Encor des sanglots pris au piège!
MAURICF. AlAErERLINCK
323
Voyez les malades sans feu,
Et les ai^ncaiix hrouler la neiçe ;
Ayez pilic de tout, mon Dieu!
Moi, j'attends un peu de réveil.
Moi, j'attends que le sommeil passe,
Moi, j'attends un peu de soleil
Sur mes mains que la lane glace.
{Serres chaudes.
DÉSIRS D'HIVER
Je pleure les lèvres fanées
Où les baisers ne sont pas nés.
Et les désirs abandonnés
Sous les tristesses moissonnées.
Toujours la pluie A l'horizon !
Toujours la neige sur les grèves I
Tandis qu'au seuil clos de mes rôvcs,
Des loups couchés sur le gazon,
Observent en mon âme lasse,
Les yeux ternis dans le passé,
Tout le sang autrefois versé
Des agneaux mourants sur la glace.
Seule la lune éclaire enfin
De sa tristesse monotone,
Où gèle l'herbe de l'autonjne,
Mes désirs malades de faim.
{St-rres cJtaiulet \
RONDE D'ENNUI
Je chante les pAles ballades
Des baisers perdus sans retour 1
S:r l'herbe épnrsc de l'anjour
Je vois des uoces de uialudcs.
3^4 POÈTES d'aujourd'hui
J'entends des voix dans mon sommeil
Si nonchalamment apparues 1
Et des lys s'ouvrent en des rues
Sans étoiles et sans soleil.
Et ces élans si lents encore
Et ces désirs que je voulais,
Sont des pauvres dans un palais.
Et des cierges las dans l'aurore.
J'attends la lune dans mes yeux
Ouverts au. seuil des nuits sans trêves,
Afin qu'elle étanche mes rêves,
Avec ses linges lents et bleus.
{Serres c/iaude».)
v^ERRE ARDENT
Je regarde d'anciennes heures.
Sous le verre ardent des regrets;
Et du fond bleu de leurs secrets
Emergent des flores meilleures.
0 ce verre sur mes désirs !
Mes désirs à travers mon âme !
Et l'herbe morte qu'elle enflamme
En approchant des souvenirs 1
Je l'élève sur mes pensées,
Et je vois éclore au milieu
De la fuite du cristal bleu.
Les feuilles des douleurs passées.
Jusqu'à l'éloignement des soirs
Morts si longtemps en ma mémoire.
Qu'ils troublent de leur lente moire.
L'âme verte d'autres espoirs.
{Serres chaudes,)
MAURICE aiAETERLINCK 3a 5
AME DE NUIT
Mon âme en est triste à la fin ;
Elle est triste enfin d'être lasse,
Elle est lasse enfin d'rlre en vain.
Elle est triste et lasse à la fin
Et j'attends vos mains sur ma face.
J'attends vos doigts purs sur ma face,
Pareils à des anges de glace,
J'attends cju'ils m'apportent l'anncnu;
J'attends leur fraîcheur sur ma face.
Comme un trésor au fond de l'eau.
Et j'attends enfin leurs remèdes,
Pour ne pas mourir au soleil,
Mourir sans espoir au soleil !
J'allends (juils lavent mes yeux lièdcs
Où tant de pauvres ont sommeil !
Où tant de cygnes sur la mer,
De cygnes errants sur la mer,
Tendent en vain leur col moiose,
Où le loni:^ des jardins d'hiver,
Des malades cueillent des roses.
J'attends vos doigts purs sur ma face.
Pareils à des animes de çlace,
J'attends qu'ils mouillent mes regards.
L'herbe morte de mes regards,
Où tant d'agneaux las sont épars !
{Serres chaudes.)
CHANSON
Et s'il revenait un jour
Oue faut-il lui dire?
— Dites-lui (ju'on l'attendit
Jusqu'à s'en mourir...
20
326 POÈTES d'aujourd'hui
Et s'il m'interroge encore
Sans me reconnaître?
— Parlez-lui comme une sœur
Il souffre peut-être...
Et s'il demande où vous êtes
Que faut-il répondre?
— Donnez lui mon anneau d'or
Sans rien lui répondre...
Et s'il veut savoir pourquoi
La salle est déserte ?
— Montrez-lui la lampe éteinte
Et la porte ouverte...
Et s'il m'interroge alors
Sur la dernière heure?
— Dites-lui que j'ai souri
De peur qu'il ne pleure . . .
(Douze Chansons.)
CHANSON
Les filles aux yeux bandés,
(Otez les bandeaux d'or)
Les filles aux yeux bandés
Cherchent leurs destinées...
Ont ouvert à midi,
(Gardez les bandeaux d'or)
Ont ouvert à midi,
Le palais des prairies...
Ont salué la vie,
(Serrez les bandeaux d'or)
Ont salué la vie,
Et ne sont point sorties...
(Douce Chansons.)
MAUKICE MAETERLINCK 827
CHANSON
J'ai cherché Ironie ans, mes sœurs.
Où s'est-il cache?
J'ai marché trente ans, mes sœurs,
Sans m'en rapprocher...
J'ai marché trente ans, mes sœurs.
Et mes pieds sont las.
Il était partout, mes sœurs,
Et n'existe pas...
L'heure est triste enfin, mes sœurs,
Otez vos sandales,
Le soir meurt aussi, mes sœurs,
Et mon âme a mal. . .
Vous avez seize ans, mes sœurs,
Allez loin d'ici,
Prenez mon bourdon, mes sœurs,
Et cherchez aussi...
(Douse Chansons.)
CHANSON
Vous avez allumé les lampes,
— Oh! le soleil dans le jardin!
Vous avez allumé les lampes,
Je vois le soleil par les fentes.
Ouvrez les portes du jardin !
— Les clefs des portes sont perdues,
Il faut attendre, il faut attendre,
Les clefs sont tombées de la tour.
Il faut attendre, il faut attendre,
Il faut attendre d'autres jours...
D'autres jours ouvriront les portes,
La forêt garde les verrous.
9 g POÈTES d'aUJOURu'iIUI
La forêt brûle autour de nous,
C'est la clarté des feuilles mortes,
Qui brûlent sur le seuil des portes...
— Les autres jours sont déjà las,
Les autres jours ont peur aussi,
Les autres jours ne viendront pas,
Les autres jours mourront aussi,
Nous aussi nous mourrons ici...
{Douze Chansons.
MAURICE MAGRE
4877
M. Maurice Magre est né à Toulouse le a mars 1877. Apres avoir
quitte cette ville pour habiter successivement La Rochelle et Ville-
franche de Lauraguais, il y revint bientôt, et fonda, en 189A, Les
Essais d'Art Jeune, la première revue liltt'raire parue à Toulouse,
puis, en 1898. L'EjJhrt, qui çroupa dans une id»'e commune tous les
jeunes écrivains de la province. Il en abandonna peu après la direc-
tion pour venir se fixer à Paris. La première œuvre de M. Maurice
Magre fut une plaquette de vers : Eveils, écrite et publiée en 1896
avec la collaboration de son frère André Maçre, et qu'il fit suivre
d'une pièce lyrique représentée à Toulouse, au Théâtre du Capilole,
le 27 avril 189G. Son premier recueil important fut La Chanson des
Hommes, paru en 1898, et dans lequel il réunit la plupart des poè-
mes qu'il avait publiés dans des revues. Ce n'était encore que l'œu-
vre d'un tout jeune homme, d'une inspiration encore peu ordonnée,
mais sincère, pleine de générosité et de l'amour candide de la vie.
« J'ai mis dans ce livre, écrivait M. Maurice Maçre dans sa préface,
ma foi à la vie, à la bonté des hommes... Puisse-t-il aller à tous
ceux qui cherchent comme moi les roules de l'existence future. Trop
heureux serais-je, si, une seule fois, dans une pauvre maison, mes
vers portaient quelque douceur à un cœur simple. » 11 y a aujour-
d'hui dix ans de cela. M. Maurice Magre a un peu vécu. Cela l'a
mûri, lui a donné de la réflexion, de l'observation, et son talent,
toujours fait de sincérité, y a gasrné comme lui, en force et en
émotion, on le constate à lire ses nouveaux recueils : Le Poème de la
Jeunesse et surtout Les Lèvres et le Secret. M. Maurice Magre s'est
essayé aussi dans le roman, avec Histoire merveilleuse de Claire
d'Amour. Au théâtre, il a donne plusieurs pièces, en un ou plusieurs
actes, dont on trouvera les titres plus loin. Enfin, témoignage que
ïe poète se double chez lui d'un observateur, il a publié tout récem-
ment un petit livre : Conseils à un jeune homme pauvre qui vient
33o POÈTES d'aujourd'hui
faire de la littérature à Paria, qui semble bien contenir toute sa
propre histoire. M. Maurice Magre a collaboré au Mercure de
France, à L'Ermitage, au Mouvement, fondé par lui en igoG. aux
Lettres, au Journal, à La Petite République, à Messidor, a L'Ac-
tion, etc. Il a été fait Chevalier de la Légion d'honneur en 191I.
Bibliographie ;
Les oeuvres. — Eveils, poésies (en collaboration avec André Magre).
Toulouse, Vialelle et Perry, 1895, in-18. — Le Retour, pièce lyrique en un
acle et en vers, représentée à Toulouse le 27 avril 1896. Toulouse, Vialelle et
Perrv. 1896, in-18. — La Chanson des hommep, poèmes. Pans, Fasquelle,
1S98, in-18. — Le Tocsin, drame en trois actes et en vers, donné en repré-
scnlation populaire et gratuite sur le Théâtre du Capitole, à Toulouse, les 22 cl
23 juillet 1900. Toulouse, éd. du Midi artistique, 1902, in-18. — Le Poème
de la Jeunesse. Paris, Fasquelle, 1901, in-lS. — L'Or, drame en cinq actes
en vers représenté au Théâtre des Poètes (Salle du Nouveau-Théâtre, le 4 mars
1002. non publié). — Le Dernier rêve, pièce en un acte en vers représentée
au Théâtre de l'Odéon, le 11 mars 1903 Paris, Fasquelle, 1903, in-18. — His-
toire merveilleuse de Claire d'Amour, suivie d'autres contes, roman.
Pari?. Fasquelle, 1903, in-18. — Le Retour de Diane, pièce en un acte, en
vers, représentée aux Arènes de Nîmes en 1903. Toulouse, Soc. Provinciale
d'édit., 1903, in-18. — Le "Vieil ami, comédie en un acte, représentée au
Théâtre Antoine, le 4 mars 1904. Paris, Fasquelle, 1904, in-18.— Les Lèvres
et le Secret, poèmes (avec un portrait par Henry Bataille). Paris, Fasquelle,
1900, in-18. — Conseils à un jeune homme pauvre qui vient faire
de la littérature à Paris, Paris, B. Grasset, 1907, in-18.— La Conquête
des Femmes, [suivi de Conseils à un jeune homme, etc.], Paris, Fasquelle,
1908, in-18.
Es PRÉPARATION : Velléda, tragédie en 4 actes, en vers, représentée sur
la scène de l'Odéon le 27 mai 1908; Le Marchand de passions, trois actes, etc.
Poèmes mis en mcsiqle. — Divers poèmes de M. Maurice Magre ont été mis
en musique parSeverac, Henri Fescourt. Paul Cruppi, etc. Enûnon doit encore
au môme auteur le texte d'un opéra comique en deux actes : Le Cœur du Mou-
lin (musique de Deodat de Severac), qui n'a point été représenté.
A CONSULTER. — Gcorgcs Casella et Ernest Gaubert : La Nouvelle
littérature, 180o-i905. Paris, E. Sansot, 1906, in-18. — Georges Le Car-
dounel et Charles V'ellay : La Littérature contemporaine, 1905. Opinions
des écrivains de ce temps. Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, in-18.
Henri Bérenger : Chronique. Revue des Revues, 15 octobre 1S98. —
Henri Chantavoine : Poètes et poésie. Débats, 21 novembre 181'5. —
Ernest Gaubert : Les Poètes de la Jeune Fille. Revue des Revues, 15 juin
1904. _ Charles Maurras : Revue littéraire. Revue Eucyclopédique,
14 janvier 1899.
Iconographie :
Henri Bataille : Portrait en lithographie, reproduction en frontispice
\'édition des Lèvres et le Secret. Paris, 1906. — F. Vallotton : Masque.
Uevue des Revues, 15 octobre 1898.
HAUniCB MAGRB 33 1
QUAND LA VIE EST PASSÉE
J'eus une amie, un jour, aux yeux couleur de songe...
Son içeste pour filer, le soir, était très doux
et j'étalais le lin du rêve à ses genoux
à l'heure triste où l'ombre des meubles s'allonge.
Nos rêves s'attardaient avec le demi-jour.
Elle habitait la maison close où meurt l'allée
et quand un angélus chantait dans la vallée
nos âmes se berçaient d'une histoire d'amour.
Ses yeux étaient couleur de songes et d'automne...
Or, sur le chemin creux où se mêlaient nos pas,
un soir, que nous avions cueilli des anémones,
je vis passer la vie en robe de lilas.
Et comme nous allions parmi le crépuscule
vers la bonne maison où parle le rouet,
j'ai laissé fuir mon cœur, oublieux et crédule,
avec la voyageuse au fond du val muet.
Et mon amie a dit : « Tu vois, le jour décline;
sur les choses et dans mon cœur il se fait tard;
ne prends |)as le chemin qui monte la colline
là-bas, près de l'étang fleuri des nénufars.
La voix des grands roseaux évoque la passante
qui t'a séduit, enfant, de son geste d'espoir.
Reste le fiancé mystique de l'amante
heureux de bien m'aimer et de ne pas savoir.
L'heure est pieuse et seuls les arbres nous comprennent,
prêtres chastes et doux du rêve et de la mort.
Reste, et ce soir, tous deux, mes mains parmi les tiennes
nous lirons le passé dans un vieux missel d'or... »
{La Chanson des hommes. Fasquelle.)
332 POÈTES D'aujourd'hui
LES HOMMES DES ROUTES
La vie est, ô Seigneur, ce soir, âpre et méchante
aux pauvres des chemins qui n'ont pas de maison,
et comme un vent plus rude au fond des arbres chante
las, nous avons jeté le sac et le bâton.
Nos espoirs ont saigné dans le soleil d'automne. ..
La nuit descend, le vent fait mal, le ciel est gris,
les choses, comme nous douloureuses, entonnent
le cantique profond de nos cœurs incompris.
Les hommes des labours assis sous les tonnelles,
riches d'espoir en les semences à venir,
à leurs frères chassés des glèbes maternelles
n'ont pas voulu prêter la paille pour dormir.
La Terre, mère bonne et grave, aïeule insigne,
éternelle amoureuse aux amours fécondants,
a refusé le grain des blés, le sang des vignes
aux plus déshérités de ses petits enfants.
Les prêtres nous ont dit d'entrer dans les églises
pour retrouver un peu de nos vieilles ferveurs
et qu'à l'heure où les nefs s'emplissent d'ombre grise
aux cœurs des malheureux s'apaise la douleur.
Mais ce Christ aux cheveux bouclés, aux poses belles,
n'est pas le Dieu d'amour que nous voulions prier.
Nous n'avons pas trouvé sous l'ombre des chapelles
le vrai Christ toujours bon qui sait avoir pitié.
Ce n'est pas pour le Dieu des heureux de la terre,
ô prêtres, que nos pieds ont si longtemps saigné.
La vie, hélas ! notre vrai christ, christ de misère,
ne dit pas de souffrir et de se résigner.
— 0 Seigneur, ouvre-nous l'auberge où l'on s'enivre,
où, ce soir, nous aurons l'espoir qui rend plus fort,
MAUniCC MAGRK 33S
ie vin qui fait rêver, le paio qui fera vivre,
le sommeil bienfaisant parmi la paille d'or
et la femme au grand cœur à tous les pauvres bonne
dont les baisers font ouljlicr les mauvais jours,
amante maternelle et clémente qui donne,
aux vaincus de la vie, une aumône d'amour...
(La Chanson des hommes. Fasquelle.)
LE RETOUR DES POÈTES
Les races qui marchaient sous les astres antiques
ou celles qui rêvaient à l'ombre des lauriers
pour faire tressaillir l'arc ou le lulh ruslique,
allaient près des ruisseaux cueillir le même osier.
Les poètes enfants dormaient dans la vallée,
les bois en s'éveillant secouaient leurs cheveux
et les parfums de menthe et de roses foulées
donnaient au cœur humain la nostalgie des Dieux.
Les rochers des torrents et les pierres des landes
furent amoncelés par les hommes pieux,
et les bergers, le soir, eu de saintes ofirandes,
enguirlandaient de fleurs les cornes de leurs bœufs.
Les emblèmes sacrés vivaient dans les campagnes;
les troncs d'arbres aux toits des dieux faisaient piliers
et les simples pasteurs errant dans les montagnes
trouvaient des monuments aux cultes familiers.
Ceux qui savaient prier les étoiles propices
connaissaient le secret des hymnes immortels
et les bardes chantaient le chant des sacrifices
quand le sang des béliers fumait sur les autels.
La même voix berçait le pas égal des femmes
dûut les cortèges blancs dansaient au bord des mers
SO.
334 POÈTES d'aujourd'hui
et donnait de la vie au bois des simulacres
dont les faces riaient dans les temples déserts.
Et quand le jour tomba sur le déclin des peuples,
que les prêtres chanteurs turent leurs derniers chants
et partirent vers les cités le long des fleuves,
mauvais fils oublieux des forêts et des champs,
dans les temples parmi les acanthes dorées
resta comme un défi aux barbares futurs
le nom des Dieux inscrit sur les pierres sacrées
qu'ils fouleront aux pieds de leurs chevaux impurs...
— Mais le temps enseigna la vanité des rites
et vêtit les arceaux d'une robe d'oubli.
Sur les autels par les lichens ensevelis
vinrent s'aimer des vols de colombes plaintives.
Et les grands hommes blonds qui portaient tout l'azur
et le soleil du nord parmi leurs barbes claires
ne réveillèrent pas avec leurs glaives durs
le premier rêve humain endormi sous la terre.
[La Chanson des hommes. Fasquclle.)
QUAND JE SERAI MORT
Lorsque je serai mort, je veux que l'on m'emporte
Tout au fond de l'allée, à côté du vieux banc
Cher aux jeunes amants et cher aux feuilles mortes,
Sous les grands marronniers, devant la paix des champs.
Je désire partir sans cloches et sans larmes,
Sans fleurs et sans flambeaux et sans cœurs oppressés.
Le vent au fond des bois aura bien plus de charmes,
Les bouquets vont bien mieux aux doigts des fiancés...
Ami, cher compagnon de toute ma jeunesse,
Nous ne lèverons plus nos verres, en rêvant,
Lorsque nous discourions tous deux avec noblesse
Sous la douce fraîcheur d'une nuit de printemps.
MAURICE MAGRB
335
Derrière les carreaux, l'on voyait des familles
Rêver dans la demi-clarté de l'abat-jour
Et par g^roupes joyeux passaient des jeunes filles
Confondant la nuit bleue à leur rêve d'amour.
Parfois, au fond d'un champ brillnit une lanterne;
Un forçeron chantait ; riKjrizon était noir
Et les an^es de l'eau flottaient sur les citernes,
Et nous étions joyeux, buvant le vin du soir.
Je veux que, moi parti, rien ne changée au village.
Que tu viennes l'asseoir sur la chaise de bois
Et lorsque passeront les gens du voisinage
Tu répondes gaiement : bonjour I comme autrefois;
Que les petits garçons surtout et les fillettes
Continuent de danser quand les matins sont bleus
Et troublent de leurs cris les campagnes muettes :
Une ronde d'enfants est agréable à Dieu !
Il est près de l'église une vieille servante
Dont les petits yeux gris répandront bien des pleurs
Porte quelques bouquets à cette âme innocente :
Tu sais que les vieillards sourient de voir des fleurs.
Si Ton parle de moi parfois dans ces soirées
Où l'on mêle la causerie avec le chant,
Tu diras : « Il est mort un jour de cette année.
Il était sans vertu, mais ne fut pas mécliant.
Il aimait les plaisirs, les fêtes et la valse
Et la tendre douceur des jardins solitaires.
Il aurait tout donné pour un regard de femme ;
Il croyait à l'amour, mais on ne l'aima guère...
Il put paraître fier, bien que son cœur filt bon ;
Pour sa bouche altérée toute joie était brève ;
Il aimait beaucoup mieux un baiser (ju'uu beau rêve,
Et la chanson du vent aue ses propres chansons... »
33C POÈTES d'aujourd'hui
— Et puis, tu t'en iras jusqu'au bout du village ;
Une blanche villa dort au fond d'une allée;
Derrière la fenêtre où serpente un feuillage,
Dans les rayons du soir chante ma bien-aimée...
Souvent je vins m'asseoir près de son clavecin,
Et dans le clair-obscur tamisé des persiennes
Je rêvais au bouquet qui mourait sur son sein.
— Mais jamais, mon ami, ma main n'a pris la sienne I
Tu la reconnaîtras à ses tendres yeux bleus,
A ses airs ingénus, à son vague sourire ;
Dis-lui : « C'est un secret que je voudrais vous dire;
A l'ombre des tilleuls je vous parlerai mieux. »
Mène-la dans l'allée à l'heure où le jour meurt.
La nuit se penchera comme une fleur qu'on cueille.
Alors, pour lui donner, tu prendras une feuille,
— Les feuilles du tilleul tombent comme des cœurs, —
Et lui diras : « Voici le cœur de ce poète !
L'amoar qu'on n'a pas dit est le seul éternel.
Qu'il dorme en un sachet parfumé de fougère
Et quelquefois, respirez-le devant le ciel. . . »
Alors, ô mon ami, si quelque douce larme
Coulait de ses yeux bleus sur la terre brunie.
De ce posthume adieu je goûterais les charmes
Et j'aimerais la mort comme j'aimais la vie...
{Le Poème de la Jeunesse. Fasquelle.)
LA COQUETTERIE DES HOMMES
Nous avons, nous aussi, nos fards, nos artifices,
Nos crayons, nos carmins, nos kols, nos polissoirs,
Notre coquetterie auprès de nos miroirs.
Nous peignons savamment nos cœurs avec délice.
Elles, scrutent longtemps les tares de leur peau.
MAURICE MAGRE 887
La veine qui se e^onfle, un signe, un pli nouveau
Kt savent avec art cacher la moindre ride.
Nous de même, nous contemplons d'un œil avide
Chaque forme que peut afTectcr notre esprit.
Nous pesons ce qui pleure et pesons ce (pii rit ;
Selon le temps, la femme à qui nous voulons plaire,
Nous nous montrons avec une Ame sombre ou claire ;
Nous nous sommes si bien travestis, corrigés,
Avec de faux désirs, des rêves arraiic^és,
Des senïblants d'enthousiasme et d'npparcnles fièvres,
Des délires plaqués comme du rouge aux lèvres,
Un simulacre d'amertume ou de douleur
Que l'on ne peut jamais savoir notre vrai cœur.
Ah! nous sommes égaux, chacun porte son masque !
Nous nous tendons les bras de loin, dans l'ombie opa(|ue
Que nous-mêmes avons tissée autour de nous.
VA\e allonge ses yeux, elle blanchit son cou,
Je donne à ma j)ensée des formes impré^'ues.
Chacun peint de son mieux son visage et son cœur,
L'un, c'est avec des mots, l'autre, avec des couleurs
Vli nous gardons toujours des âmes inconnues.
[Les Livres et le Secret. I asijuelle.)
JE PASSE
Je ne suis qu'un passant ; le voyage est mon goût.
Parfois, je creuse un nom dans l'arbre ou dans la glace.
Mais ce n'est pas mon nom et c'est je ne sais où...
Je regrette toujours les endroits où je passe.
Ft pourtant, malgré moi, je ne peux m'arrêter.
Si j'orne mon chapeau d'un seul brin de fougère.
Je sen^ bien qu'aux objets je demeure attaché
Et j'emporte avec moi l'aromc de la terre.
Je vous aime, ô maison! 6 sentier! mais je pars...
Et l'allégresse alors se mêle à l'amertume.
Mon manteau (jui se gontle au souffle du départ
Me soulève et m'enlrauie ainsi qu'une aile brune.
338 POÈTES d'aujourd'hui
0 cher groupe d'amis, table, propos du soir,
Récit de ses amours que l'on aime à redire !
Je ne vous entends plus, je cesse de vous voir...
C'est comme un fin visage où s'efiFace un sourire.
Vous qui vous étonniez, au seuil du vestibule, *
Tandis que les chevaux hennissaient dans la cour,
Sachez que les aspects d'un arbre au crépuscule,
L'adieu, l'ombre et le froid, ce sont là mes amours...
Allez, j'ai bien compris le poème des yeux,
Ce qui venait à moi de franchise et de grâce..
Dès que je vous ai vue je vous ai dit adieu...
Ne vous attachez pas à moi, voyez, je passe...
(Les Lèvres et le Secret. Fasquelle.)
LA FEMME DE QUARANTE ANS
Trop de bonté paraît dans ses yeux dévoués ;
elle se hâte trop d'être tendre et fidèle ;
on dirait qu'elle voit son horizon borné...
Elle est comme un oiseau qui sent faiblir ses ailes.
Elle mêle l'audace à la timidité ;
elle est pressée, hélas! elle se donne toute...
Elle fait bien valoir tout l'art de sa beauté,
mais son pouvoir décroît, car, au fond, elle en doulc.
Elle dit : Reste là, mon enfant ! mon petit !.. .
Dans l'amante vieillie une mère se cache.
Ou le sent. On voudrait punir qui vous chérit
et comme les enfants on est méchant et lâche.
Pour la faire souffrir, on est savant comme eux.
On joue avec son cœur comme ils jouent à la balle;
elle simule en vain de se plaire à ces jeux...
Elle est servante ou mère et jamais une égale...
MAUniCE MAGUE 339
L'esprit devient pn^'s {l'elle actif et clairvoyant;
il voit le sein nKtiiis pur s'»'*crascr sons l'étoffe,
la ride près de l'teih, la tache d'une dent
et le içcste des bras trop içrand (|uand elle s'offre.
Elle fait des efforts pour être à l'unisson;
clic est soudain joyeuse et soudain puérile.
C'est aussi déchirant qu'une belle chanson
qu'une aii^re et fausse voix fait i^émir et mutile.
L'on trouve bien les n\ots alors qu'il faut trouver,
par pitié, par remords, ou même par tendresse.
Mais la tjrimace est là du visage fané
qui glace le baiser et sèche la caresse.
Et puis, c'est la rancune obscure, le désir
de lui faire du mal, de lui faire comprendre
par des mots à deux sens «pie l'on la voit vieillir
et qu'ouest généreux lors(ju'on est un pou tendre.
Ah! ce n'est pas l'amour, ni même la beauté,
dont nous cluMchiMis j)artout la forme insaisissable.
ce n'est pas le désir, ni la sincérité,
c'est toi, c'est toujours toi, jeunesse irretrouvable ! . ..
C'est loi, paix du regard, c'est toi, clarté du teint,
liy;ne A demi formée, attitude peureuse,
ù nu)uvement <|ui fais de tout corps féminin
un élan de beauté vers des nuits amoureuses...
— .Mors, fuis, cache-toi, pauvre ombre de plaisir
(jiii n'a pu de ses traits déguiser les ravages.
Du banc des résignés, des tristes, vois partir
ceux ijiii s'en vi)iit joyeux pour le divin vitv.iLre.
Mais ne les suis pas trop de tes yeux trop aimants ;
cache tes mains; leur veine est trop bletu' et ton Ame
pèse avec son amour moins (]u'un seul cheveu blanc...
Couvre de ton manteau le miroir et la flanuuc...
340 POÈTES d'aujourd'hui
Hélas î tu sens fléjà que s'empâte ton corps;
ta peau a par endroits des rougeurs, elle est rude;
dans la bouche, au malin, est le coût de la mort
et,tes draps ont l'odeur de la décrépitude...
VILLES D'EAUX D'HIVER
O villes d'eaux d'hiver, soleil des poitrinaires!
Les serres, les bosquets gelés et les tennis,
les voitures passant dans l'oblique lumière,
le marbre des villas et les bassins bleuis ?
0 visages fermés, visages anonymes,
qui regardent au loin, sur des balcons d'hôtels,
les bois trop réguliers et la mer trop sublime!
0 ce décor givré, délicat, solennel!...
Sous son plaid bigarré, l'étrangère frileuse
songe à d'autres pays autrefois traversés,
à de plus beaux sapins, des mers silencieuses,
aux flots des lacs battant les châteaux écossais..
Ses doigts longs et vivants se crispent sur son livre ;
elle ferme les yeux comme pour oublier
et du vent balsamique et marin elle est ivre
et comme un lys de chair son cou frêle est ployé.
Quelle tristesse immense est au fond des voyages !
Ni l'air des verandahs, ni le gazon des parcs,
ni la combinaison des flots et des nuages
n'atténùront ce vide et ce goût des départs.
Pourtant, partout les lieux à ces lieux sont semblables,
c'est la même fenêtre et le même souci,
c'est un hôtel, un train, c'est un arbre et du sable
et les visages chers sont les mêmes aussi...
MAUniCB MAOnE 3:^1
L\ M EUE ET LE FILS
Bonne vieille en bonnet sous l'horloçe tu pleures.
Voilà déjà des jours que ton fils n'écrit plus.. ,
O Paris ! Le vent soiilHe et tu comptes les lieiircs,
Tes vieilles innins touchent les livresqu'il a lus.
Tu dis : a II pense à moi, cependant, j'en suis sûre.
Je parle dans sa chambre avec le feu d'hiver ;
J'anime de mon cœur les formes des gravures,
Ma C(jilVe est un oiseau sur son balcon de fer.
Mais il n'a pas le temps de m'écrire, peut-être.
Cher enfant! quand lu peux tu le fais aussitôt.
Je respire sa vie au papier de ses lettres. . ,
Un poème d'amour est dans ses moindres mots... »
Ah ! pauvre bonnet blanc, fragiles sont tes ailes !
Souvenirs des mamans ijue vous ries lés^ers I
Il sonore à la chaleur qui brûle un poignet frêle,
A ces bruits de satin lotissant dans l'escalier...
Il froisse un petit gant, il attend, il écoute.
Loni^uemrnt, il écrit, mais ce n'est pas à toi.
Il entend une voix avec le bruit des «gouttes
Qui parle tendrement, et ce n'est pas ta voix.
Il pleure aussi! iMais d'autres larmes que les tiennes
El si lu les voyais, tu ne comprendrais pas.
Plus (juetes bandeaux gris une boucle a des charmes
Et le berceau rêvé, ce ne sont plus tes bras ..
— Mère, rappelle-toi... Sous le foyer de pierre
Il s'amusait avec la braise et les sarniunts ;
Sa frêle ombre d'enfaul dansait tlans la lumière
Et son doigt écrivit dans les cendres : Mamau !
Lettres de cendres ! vous vous êtes envolées
Avec un peu de vent, quand la porte s'ouvrit...
Et riiorloi^o sonna le récit di'S années
Que l'enfant dans la cendre, ô mère ! avait écrit...
STÉPHANE MALLARMÉ
1842-1898
D'une famille d'oriçines bourerui^nonnes, lorraines et loîntaine-
ment hollandaises, Stéphane INIallarmé nîjquit à Paris^ le i8 mars
18/42, dans une rue qui s'appela plus tard Passag^e Laferrière et qui
est aujourd'hui la rue Lafeirière, tournante et silencieuse. Du côté
paternel et du côté maternel, ses ascendants présentaient depuis la
Révolution une suite ininterrompue de fonctionnaires dans l'admi-
nistration de l'Enregistrement, chez lesquels le goût des lettres s'é-
tait déjà manifesté. L'un d'eux fut, en effet, syndic libraire sous
Louis XVI, et l'on trouve son nom au bas du privilège du roi, en
tête de l'édition originale française du Vathek de Beckford,que Sté-
phane Mallarmé réimprima. Un autre écrivait des vers badins dans
les ALmanachs des Muses et dans les Etrennes pour les Dames.
Enfin, Stéphane Mallarmé avait connu dans son enfance un arrière-
petit cousin, M. Magnien, qai était l'auteur d'un ouvrage romanti-
que ; Ange et Démon, dont on voit quelquefois le titre dans des
catalogues de bouquinistes. Stéphane Mallarmé commença son édu-
cation à Auteuil, dans un pensionnat riche, fréquenté surtout par des
enfants de familles nobles. Il aimait à raconter sur ce sujet l'anec-
dote suivante. Le jour qu'il fut amené dans cet établissement par sa
grand'mère qui l'avait élevé, — il avait perdu sa mère à sept ans et
son père s'était remarié, — l'un des élèves s'approcha et lui pré-
senta, en les nommant, ses nouveaux camarades, qui portaient
tous des noms célèbres. Quand cette énumération fut terminée : « Et
toi, comment t'appelles-tu? » lui demanda-t-il. « Je m'appelle Mal-
larmé. » Aussitôt une grêle de coups de poings s'abattit sur lui,
comme pour lui démontrer l'insuffisance d'un nom si simple. Se
Eouvenant alors que son père possédait une maison au Hameau de
Boulainvilliers, il s'empressa d'ajouter : «Je m'appelle aussi marquis
de Boulainvilliers », ce qui eut pour résultat d'éteindre immédiate-
ment toute animosité. Les mains se tendirent cordialement rers le
STàPHANK MALLARMi 343
« Marquis de BonI?iin?illiers » et ce nom lui resta pendant tout son
srjour au pensionnat. Les jours de visite des parents, le garçon
rhartjc de faire venir les clères ne l'appelait pas autrement, et il
laissait toujours s'écouler un moment avant de se montrer, pour que
sa çrand'mère ne sût pas qu'une si noble appellation le concernait.
Sl'phane Mallarmé traversa ensuite bien d'autres pensions et
lycées, pour finir enfin ses études au lycée de Sens. 11 a raconté
quelque part ses dispositions littéraires à cette époque, son secret
désir de remplacer un jour Etranger, rencontré dans une maison
amie, et qu'on lui avait désigné comme un g^rand poète. • Il parait
que c'était trop difficile pour être mis à exécution, ajoulail-il, mais
j'ai longtemps essayé, dans cent petits cahiers de vers qui m'ont
toujours été confisqués. » A vingt ans, esquivant la carrière de
fonctionnaire à laquelle ses parents le destinaient, il partit vivre
quelque temps en Angleterre. Il avait commencé à apprendre l'an-
glais pour mieux lire Poe, et il voulait se perfectionner dans cette
langue, de façon à pouvoir se créer comme professeur les ressour-
ces nécessaires à assurer son indépendance littéraire. C'est ainsi que
pendant trente ans, de 18G2 à 1892, il fut professeur d'anglais dans
divers collèges ou lycées, d'abord à Tournon. puis à Besançon, puis
k .\vignon,où il connut Mistral, Aubanel, Roumanille, Gras et Rou-
mieux, avec lesquels il participa au mouvement fJibréen, Cela se
passait avant la guerre. Stéphane Mallarmé avait déjà collaboré à de
nombreuses revues, mais son nom u'ctait j^uère sorti du groupe des
Parnassiens. Rentré à Paris vers 1878, il fut peu après nommé pro-
fesseur au lycée Gondorcet, d'où il devait passer plus tard à Jaoson
de Sailly, puis à Rollin. De 1874 à 1876, Stéphane Mallarmé rédigea
seul La Dernière Mode, Gazette da Monde et de la Famille, ■ où
étaient promulgués les lois et vrais principes de la vie tout esthéti-
que, avec l'entente des moindres détails : toilettes, bijoux, mobiliers
et jusqu'aux spectacles et menus de dîners ». Une notice détaillée
sur cette publication, qui eut huit ou dix numéros, a paru en 1890
dans La Revue Indépendante et a été reproduite dans le Mercure de
France d'octobre 1898. C'est également à cette époque que Stéphane
Mallarmé, sur l'invitation que lui fit son maître et ami Théodore de
Banville, d'écrire un poème qui serait récité par Coquclin afné, com-
posa L'Après-midi d'un Faune, dont le projet de réalisation théâ-
trale n'aboutit pas. Une des grandes amitiés de Stéphane Mallarmé
dans ce temps fut le peintre .Manet.que. pendant dix ans, il vil tous
les jours. Avec lui, il fréquentait les dîners de Victor Hugo, où
celui-ci trônait, assis sur un siège plus haut que ceux de ses convi-
ves. Il rappelait volontiers la façon dont l'auteur d'/fernani l'accueil-
lait chaque fois, l'appelant « son cher poète impressionniste • en lui
pinçant très amicalement l'oreille. A celte époque, Stéphane Mal-
344 poèiES d'aujourd'hui
larmé avait déjà publié sa traduction du Corbeau, d'Edgar Poe.Z/'^-
près-midi d'un Faune, ti sa réimpression du Vathek, deBeckford.
II avait aussi donne dans de nombreuses revues quantité de poèmes,
comme Le Guif/non, Les Fenêtres, Les Fleurs, Renouveau, A celle
quiesi tranquille, Las deTamer repos oùmaparesse offense.... Le
Sonneur, Tristesse d'Eté, L'Acur, Brise marine. Soupir, Le Men-
diant, Hêrodiade, Toast funèbre, Le Tombeau d'Edffard Poe, cl des
poèmes en prose tels que La Pipe, Le Petit Saltimbanque, Le Démon
de l'analogie. Plainte d'automne. Frisson d'hiver. Le Spectacle
interrrompu et Le Phénomène futur. "Slais les premiers publiés dans
des éditions de luxe fort coûteuses et les seconds trop dispersi'>, tout
cela était peu connu et Stéphane Mallarmé demeurait ignoré. Enfin,
en 1884.J.-K Huysmans publia son romand Rebours, dont le héros,
Jean des Esseintes, épris de littératures vraiment belles, et que
« subjuguait de même qu'un sortilège » V Hêrodiade de Stéphane
Mallarmé, « en aimait ces vers :
O miroir 1
Eau froide par l'ennui dans ton cadre gelée,
Que de fois et pendant des heures, désolée
Des songes et cherchant mes souvenirs qui sont
Comme des feuilles sous ta glace au trou profond.
Je m'apparus en toi comme une ombre lointaine.
Mais, horreur! des soirs, dans ta sévère fontaine,
J'ai de mon rêve épars connu la nudité!
« comme il aimait les œuvres de ce poète qui, dans un siècle de
« suffrage universel et dans un temps de lucre, vivait à l'écart des
« lettres, abrité de la sottise environnante par son dédain, se com-
« plaisant, loin du monde, aux surprises de l'intellect, aux visions
« de sa cervelle, raffinant sur des pensées déjà spécieuses, les grcf-
a f.'int de finesses byzaniines. les perpétuant en des déductions legc-
« rement indiquées que reliait à peine un imperceptible fil ». {A He-
bours, p. 260.) Il semble que ce soit surtout ce livre qui ait révélé
alors Stéphane Mallarmé aux jeunes écrivains de l'époque et qui ait
d 'cidc de sa réputation. Ils le proclamèrent leur maître — et il le
fut plus encore qu'on l'a dit, plus encore qu'on peut le croire — et
lui demandèrent sa collaboration pour leurs revues. En hommage à
son admirateur, Stéphane Mallarmé écrivit le poème Prose /)0«r des
Esseintes, si musical, si voilé et incertain, que publia La Revue Indé-
pendante. Puis d'autres poèmes suivirent, en d'autres revues, d'a-
bord les sonnets célèbres : Quelle soie aux baumes de temps.... Le
vierge, levivaceet le bel aujourd'hui.... Hommage à Richard Wa-
gner, i]r introduire dans ton histoire.... Toujours plus souriant au
désastre plus beau. . ., -ejUi., etc.- nuis de nouveaux poèmes en nrose.
STEPHANE MALLARMli 3^5
C'est de celle époque que dalenl les mardis de la rue de Rome, où
Slrphanc Mallarmé rcrevail les jeunes écrivains. « C«'ux là s^uls qui
vinrenl assidûment visiter sa retraite savent quel lucide, quel
inquiélant esthète fut Su'phanc Mallarmé, a écrit Bernard Lazare
dans ses Figures cuntt-mporaines. Vont connaître les ressources
de cet esprit d'une nettoie inoubliable, il faut avoir entendu sa
parole pendant des annces. Le souvenir des soirées de la rue de
Rome restera toujours dans la mémoire de ceux que Stéphane
Mallarmé admit auprès de lui, dans ce salon discrètement éclairé,
aufjuel des coins de pénombre donnaient un aspect de temple, ou
plutôt d'oratoire... A ces auditeurs fidèles, Mallarmé se révélait
d'une séduction infinie, soit qu'il se plût à dire une anecdote..., soit
qu'il s'oubliât à rappeler des amis chers cl disparus, soit qu'il
exposât de séduisantes et hautaines doctrines sur la poi'sie et sur
l'art, sur le poème en prose et sur la chronique, sur la musique et
sur le théâtre... Plus lard, ceux qui auront connu Stéphane Mal-
larmé dans leur prime jeunesse, ceux qui l'auront aimé comme un
des plus purs, des plus désintéresses parmi les poètes, ceux qui
l'auront entendu et qui auront chéri sa parole, raconteront sa vie
comme le bon Xénophon raconta celle de Socrate. Fidèles, scrupu-
leux, ils commenteront vers par vers ses sonnets, et celadans le but
unique de révéler aux jeunes hommes de ce temps futur quel noble,
profond et merveilleux artiste fut Stéphane Mallarmé. » (B. Lazare:
Figures contemporaines.) Ces auditeurs fidèles, on peut même dire
ces disciples, car l'expression « être en première, eu deuxième, en
troisième de Mallarmé » était courante entre eux, furent d'abord,
sans (jue nousprétendions les nommer tous au complet , .\LM. Edouard
Dujardin, Théodore Duret, Fclix Fénéon, René Ghil, Gustave Kahn.
Jules Laforp^ue, .\lbert Mockel, Charles Morice, Henri de Réçnier,
Laurent Tailhade. Francis V'ielé-Griftîn, Charles Vitrnier, Téodor de
VVyzewa. etc., etc. t... La causerie naissait vite. Sans pose,avec des
silences, elle allait d'elle-même aux régions élevées que visite la
méditation. Un geste léger commentait ou venait souligner; on sui-
vait le beau retrard, doux comme celui d'un frère afné, finement sou-
rieur mais profond, et où il y avait parfois une mystérieuse solen-
nité. Nous passions là des heures inoubliables, les meilleures .«ans
doute que nous connaîtrons jamais; nous y assistions, parmi toutes
les grâces et toutes les séductions de la parole, à ce culte désinté-
ressé des idées qui est la joie religieuse de l'esprit. El celui qui nous
accueillait ainsi était lb type absolu du pokte, le cœur qui sait
aimer, le front qui sait comprendre, — inférieur à nulle chose et
n en dédaignant aucune, car il discernait en chacune un secret
eosciguement ou une image de la Beauté... * (Alb. Mockel : Sté-
3^46 POÈTES D'AUJOURD'HUI
phane Mallarmé. Un Héros.) Puis quelques-uns quittèrent, et à
ceux qui restaient vinrent se joindre MM. Paul Claudel^ André
Foulainas. André Gide, A. -Ferdinand Herold, Pierre Louys,
Camille Mauclair, Stuart Merrill, Jean de Mitty, John Payne, Adol-
j)hc Retté, ]Marcel Schwob, Paul Valéry, Whibley, elc. Tout cela
dura jusque vers 1896, un peu plus, peut-être. Stéphane Mallarni-
avait d'ailleurs obtenu sa retraite comme professeur, et dans sa
petite maison de Valvins, au bord de la Seine, près de Fontaine-
bleau, dont il avait fait « le lieu préféré de sa solitude et de sa rêve-
rie », il séjournait plus assidûment, et plus souvent s'apercevait sur
la rivière « le vol blanc de sa voile, t Les travaux de Stéphane Mal-
larmé à cette époque furent successivement un florilège de ses œu-
vres : Vers et Prose, paru en 1898, des études publiées dans La
Revue blanche sous le litre : Variations sur un sujet, et qu'on
retrouve avec tous ses écrits en prose dans Divagations, et enfin :
Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, poème en prose singu-
lier autant par sa teneur que par ses dispositions typographiques,
paru dans Cosmopolis en mai 1897. Mais ces années de repos et de
liberté dans le travail littéraire ne devaient pas être nombreuses. En
1898, Stéphane Mallarmé, relire pour tout l'été à Valvins, travaillait
à achever son poème Hérodiade, quand une soudaine maladie du
larynx le prit, et après trois jours à peine de cette indisposition, au
moment même ou il se plaignait d'étouffements au médecin qui le
soignait, il mourut, le 9 septembre 1898. On ne saurait dire toute la
douloureuse surprise que cette mort causa dans le monde des let-
tres, chez les jeunes admirateurs de Stéphane Mallarmé comme chez
les écrivains de sa génération, « Cet homme qui vient de mourir,
écrivirent MM. Paul et Victor Margueritte, et que les jeunes gens
avaient appelé durant sa vie le prince des poètes, était vraiment un
prince. Il l'était de par sa nature élégante et hautaine, qui donnait
tant de grâce fière au moindre de ses gestes, tant de finesse à son
sourire, tant d'autorité à son beau regard lumineux. II l'était de par
cette maîtrise de soi, empreinte à chaque ligne de son œuvre comme
à chaque ride de son front, de par cette aristocratie absolue qui le
faisait vivre à Técart, et qui, à peine surgissait- il en quelque réu-
nion, le désignait, le consacrait. H l'était de par tout son être exquis
et rare. » {Echo de Paris, 17 septembre 1898.) Nous ne saurions
songer non plus à donner un aperçu, même 1res court, des nom-
breux articles et études écrits sur Stéphane Mallarmé et son œuvre,
avant comme après sa mort. Voici un passage d'une élude de
M. Hemy de Gourmont dans La Culture des Idées et où l'œuvre du
poète est analysée de façon très pénétrante, par un de ses fidèles
admirateurs, a II y a au Louvre, dans une collection ridicule.
STÊPIIANfc: MALLARMÉ 34?
par hasard une merveille, une Andromède, ivoire de Cellini.
C'est une femme eUarée, toute sa chair troublée par l'effroi d'être
liée : où fuir? et c'est la poésie de Stf'phane Mallarmé. Emblème
qui convient encore, puisque, comme le ciseleur, le poète n'acheva
que des coupes, des vases, des coffrets, des statuettes. Il n'est
pas colossal, il est parfait. Sa poésie ne représente pas un large
trésor humain étalé devant la foule surprise; elle n'exprime pas des
idées communes et fortes, et qui galvanisent facilement l'attention
populaire eni^ourdie par le travail; elle est personnelle, repliée
comme ces fleurs qui craignent le soleil ; elle n'a de parfum que le
soir; elle n'ouvre sa pensée qu'à l'intimité d'une pensée cordiale et
sûre. Sa pudeur trop farouche se couvrit de trop de voiles, c'est
vrai; mais il y a bien de la délicatesse dans ce souci de fuir les
yeux et les mains de la popularité. Fuir, où fuir? Mallarmé se réfu-
gia dans l'obscurité comme dans un cloître; il mit le mur dune cel-
lule entre lui et l'entendement d'autrui; il voulut vivre seul avec son
orgueil. Mais c'est là le Mallarmé des dernières années, lorsque,
froissé, mais non pas découragé, il se sentit atteint de ce dégoût des
phrases vaines qui jadis avait touché Jean Racine ; lorsqu'il se
créa, pour son usage propre, une nouvelle syntaxe, lorsqu'il usa des
mots selon des rapports nouveaux et secrets. Stéphane Mallarmé a
relativement beaucoup écrit et la plus grande partie de son œuvre
n'est entachée d'aucune obscurité; mais dans la suite et la fin, à par-
tir de La Prose pour des Esseintes,s\\ y a des phrases douteuses ou
des vers irritants, un esprit inatlenlif et vulgaire redoute seul d'en-
treprendre uue conquête délicieuse. 11 y a trop peu d'écrivains
obscurs en français; ainsi nous nous l-.abituons lâchement à n'ai-
mer que des écritures aisées, et bientôt primaires. Pourtant, il est
rare que les livres aveuglément clairs vaillent la peine d'être
relus... La littérature qui plaît aussitôt à l'universalité des hommes
est nécessairement nulle... L'œuvre de Mallarme est le plus mer-
veilleux prétexte à rêveries qui ait encore été offert aux hommes
fatigués de tant d'affirmations lourdes et inutiles : une poésie pleine
de doutes, de nuances changeantes et de parfums ambigus, c'est
peut-être la seule où nous puissions désormais nous plaire; et si le
mot décadence résumait vraiment tous ces charmes d'automne et de
crépuscule on pourrait l'accueillir et en faire même une des clefs
de la viole : mais il est mort, le maftre est mort, la pénultième est
morte. ■ (Stéphane Mallarmé et l'idée de décadence.)
Stéphane Mallarmé a collaboré à: L'Artiste, 1863. — Le Parnasse
satirique, 1864. — La Saison de Vichy, i8G5. — Le Parnasse con-
temporain, 1866. — La Revue des lettres et des arts, 1868. — Le
second Parnasse contemporain, i80g. — Le National, 1871 et 187a.
348 POÈTES d'aujourdhui
— La Renaissance. 187a cL iS-]!i.-Lc Toribeaii ch TJiÙJp:^il<i Gau-
tier, Paris, Lemerre, 1873. — La Revue du Monde nouveau, 1874.
— La Dernière Mode, 1875. — La République des lettres, 1876.
— Poé Mémorial, 1877. — La Revue critique, 1884. — La Revue
Indépendante, 11^ série, i885, et III« série, .887. — La Revue Wa-
gnérienne, i885. — VArt et la Mode, i885 et 1887. — La Déca-
dence, i^m. — Le Décadent, 1886.— Le Scapin, 1886. — La Wal-
lonie, 1886. — La Vogue, V" série, 1886, — Gasetta Letteraria,
1886. — The Whirlwind, 1890. — La Revue d'aujourd'hui,
Ï890. —Mercure de France, 1890, 1891 et 1898. — The National
Observer, 1892 et 1893. — Entretiens politiques et littéraires,
1892. — Le Figaro, 1894. — The Chap Book, 1896. — La Revue
Blanche, 1896. — Cosmopolis, 1897.
Bibliographie :
Les (xiJVRES. — Le Corbeau, d'Edgard Poë, illustré de 5 dessins de Manet,
texte anglais et français. Paris, Librairie de l'eau-forte, 1874, in-8. — L'après-
midi d'un Faune, églogue.avec un frontispice et 3 vignettes de Manet. Paris,
A. Derenne, 1870, in-8. iVowueZZe erfz7jo?i. Paris, Vanier, 1886, in-8. ^(ù7/o?i (Zéyî-
n//n-e. Paris, Revue Indépendante, 18S7 (le titre porte par erreur 1882), in-8.—
Valhek, de Beckford, avec avant-dire et préface. Paris, Labitte, 1876, in-18.
(Nouv. édition. Paris, Vanier, 1880, et Paris, Perrin, 1893, in-18.)— Les Mots
.anglais, petite philologie à l'usage des classes et du monde. Paris, Trucliy,1878,
in-18. — Les Dieux antiques, nouvelle mythologie, illust., d'après W. Cox
et les travaux de la Science moderne, à l'usage des lycées, pensionnais, écoles
et des gens du monde, ouvrage orné de 260 vignettes, etc. Paris, J. Rothschild,
,1880, lictit in-8. — L'Etoile des Fées, par W.-C. Elphinstone Hope, trad.
de l'anglais, ill. de John Laurent. Paris, Charpentier, 1881, gr. in-8. —
Poésies complètes, phologravées sur le manuscrit avec un ex-liliris de
F. ilops. Paris, éd. de lai Itevue Indépendante, 1887, iu-8. (Edit. publiée eu
9 fasc.et tirée à 40 ex. numérotés). — Le Ten o'clock de M. Wliistler, tra-
duction française (Paris, éd. de la Revue Indépendante), 1888, gr. in-12. —
LesiJOènies d'Edfjard Poë, avec fleuron et portrait par Manet. Bruxelles,
E. Ueiuan, 1888, ia-4, 100 exemplaires (seule édition conforme au texte, celle
publiée la même année par Vanier ayant été désavouée par l'auteur). —
Villiers de risle-A.dam, conférence. Paris, Libr..de l'Art Indépendant,
1890. in-8 (50 exempl.) Nouv. édition : Les Miens; Villiers de l'hle-Adam,
avec un portrait par M. Desboulins. Bruxelles, Lacomblez, 1892, in-18. —
Pages, prose. BraxcUes, Deman, 1891, in-8, frontispice à l'eau-forte par
Renoir. — Vers et prose, florilège, avec portrait par James Mac. Whistler.
Paris, Perrin, 1893, in-iS. — Oxford, Cambridge. La Musique et les
Lettres, prose. Paris, Perrin, 1895, in-18. — Divagations, prose. Paris,
Fasquelle, 1897, in-18. — Poésies complètes, avec un frontispice de Rops.
Bruxelles, Deman, 1899, in-8. '
On trouve, de plus, des pages de Stéphane Mallarmé dans la revue Cosmo-
polis {Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, mai 1897), dans La Pha-
lange (Poèmes et Vers inédits, 15 janvier 1908), ainsi que dans l'ouvrage sui-
vant : Les Types de Paris, texte de MM. A. Daudet, J. Richepin, E. Zola,
8TÉHBANE MALLARME 3^9
S. Mallarmé, l!ogcr-Marx, A. Ajalbort, J.-K. Iluysmans, P. Rourget, 0. Mir-
Leau, fJuy de Mauitassant., etc. Illustrations de J.-Raffaelli. Paria, Pion, in-4.
pKtFACE», etc., René (ïhil : Le. Traité du Verôe. fAvant-dire de St. Mal-
larmé), 1886. — F. -A. Cazals : Iconoijraphie de Laurent Tailhade, douze
dessins originaux, avec pre'f. de S. Mallarmé. Pari», Bibliothèque art et lit-
téraire, 1894, in-8. — Charles Guérin : Le Samj des Crépuscules. Paris.
Ed. du Mercure de France. 1895, in-i6. (Préface aux excmpl. de luxe.) —
Bcrthe Morisot ^iVa'/rtme Eugène Man>l] Exposition de son œuvre,
du 5 au 2S mars 1896. Préface du Catalogue. Paris, chez Durand-Huel,
1896, gr. in-8. — Léopold Dauphin : Raisins bleus et gris. Avanl-dire de
Stéphane Mallarmé. Pari-s, Vanier, 1897, in-18.
Traductions. — Le poème en prose : Phénomène futur a ét^ traduit en
anglais par M. Georges Moore, dans The Savoy, n» 3, juillet 1896. — Le poème :
Hérodiade a été traduit en vers anglais par M. Arthur Symons et inséré dans
The Savoy, n» 8, décembre 1896. — D'autres poèmes ont été traduits par
MM. Stuart Merrill, George Moore, Vitiorio Pica, etc..
Poésies misbs en musique. — Une poésie de Stéphane Mallarmé : Apparition,
a été mise en musique par MM. Bailly et André Rossignol. D'autres poèmes
ont été mis en musique par MM. Gabriel Fabro. Raoul Bardac, etc.
A CONSULTER. — Gcorges Grandes : Samlede Skrifter. Kjobcnhagn
1901, VII : Fransk Lyrik, in-8. — Ad. Brisson : Pointes sèches. Paris]
A. Colin, 1898, in-18. — W.-G. Byvanck : Un Hollandais d Paris en
i89L Paris, Perrin, 1892, in-18. — André Gide : Prétextes. Paris, Soc.
du Mercure de France, 1903, in-18. —Edmund Gosse : Questions et issue.
London, Heinemann, 1893, in-8. — Remy de Gourmont : Le Livre des
Masques. Paris, Soc. du Mercure de France, 1896, in-18 ; La Culture des
Idées, Paris, Soc. du Mercure de France, 1900, in-18; Promenades litté-
raires, H. (Voy. : a La dernière Mode de S. M. %) Paris, Soc. du Mercure de
France, 1906, in-18. — M. Guillemot : Villégiatures d'artistes. Paris,
Flammarion, 1898, in-18. — J. Ilurct : Enquête sur l'Evolution littéraire.
Paris, Charpentier, 1891, in-18. — J.-K. Huysmans : A. Rebours. Paris,
Charpciiticr, 1884, in-18. — B. Lazare : l igures contemporaines . Paris,
Perrin, 1895, in-18. — J. Lemaltre : Nos contemporains, 5« série. Paris,
Lecène et Oudin, 1893, in-18. — G. 3Iauclair : Stéphane Mallarmé. Paris,
Société Nouvelle (sans date), in-8. — Catulle Mendès : La Légende du
Parnasse contemporain. Bruxelles, A. Brancart, 1884, in-18. — Albert
Mockel : Stéphane Mallarmé : Un Héros. Paris, Soc. du Mercure de France,
1899, in-18. —Charles Morice : La Littérature de tout d l'heure. Paris,
Perrin, 1889, in-18. — Viltorio Pica : Letteratura d'eccezione, Milano,
Baldini et Castoldi, 1899, in- 18. (Les pages sur Stéphane Mallarmé parurent
en français dans la Revue indépendante, n" de février et de mars 1891, sous
ce titre : Les Modernes byzantins.) — Henri de Régnier : Figures et
Caractères. Paris, Soc. du Mercure de Fra-.e, 1901, in-18. — Adolphe
Retté -.Le Symbolisme. Anecdotes et souvenirs. Paris, Mcssein, 1903, iu-8.
— Christian Rimestad : Fransk Poesi i det Aittende Aarhundrede,
Kjobenkavn, Schubolsieskc, 1905, in-8. — D. de RolxM'tO : Poeti franc,
eontempor., Milan, Goç;Iiati, 1901, in-18. — G. Rodonbach : L'Elite.
Paris, Fasquelle, 1899. in-18. — Arthur Symons : Tlic Symbolist Mov»-
ment in Literature. Londres, Ilciucmann, 1900, in-8. — J. Tellier : Aos
foctiê. PwU, Uesfret, 1888, m-l8. — V. Thompson : French Portrait*
ii
35o POÈTES d'aujourd'hui
(being appréciations of the writers of yoiing Fi'ance). Boston, Richard G .
Badger et G", 1900, in-8. — A. -G. Van Hamel : Het letterkundiy leven
Frankryk, III. Amsterdam, Van Kampen en Zoon, 1907, in-8. — P.Verlaine:
Les Poètes maudits. Paris, Vanier, i884et 1888, in-18.— E. Vigié-Lecocq :
La Poésie contemporaine., 1884-1906. Paris, Soc. du Mercure de France, 1897,
in-18. — T. de Wyzewa : Notes sur Mallarmé. Paris, Ed. de La Vogue,
1886, in-8 : Nos Maîtres, Paris, Perrin, 1895, in-18.
[Anonyme] : S. Mallarmé, professeur d'anglais (texte d'une lettre de
Mallarmé à Verlaine, du 16 nov. 1885). L'Intermédiaire des Chercheurs et
Curieux, 10 sept. 1906. — G. Bec : Stéphane Mallarmé. Echo de Paris, 10 sep-
tembre 1898. — H. Chantavoine : La Littérature inquiète, la Poésie
obscure, le Mallarmisme. Correspondant, 10 mars 1897. — Jules Couturat :
Petites polémiques mensuelles : M. Stéphane Mallarmé. Revue Indépen-
dante, novembre 1892. — G. Docquois : Bêtes et gens de lettres : M. Sté-
phane Mallarmé. Revue Indépendante, mars 1893. — Emmanuel des
Essarts : Souvenirs littéraires sur Stéphane Mallarmé. Revue de France,
15 juillet 1899. — Arnold Golfin : Stéphane Mallarmé. Société Nouvelle,
septembre 1891. — Paul et Victor Margueritte : Stéphane Mallarmé.
Echo de Paris, 17 septembre 1898. — Camille Mauclair : Stéphane Mal-
larmé. Nouvelle Revue, octobre 1898 ; l'Esthétique de Stéphane Mallarmé.
La Grande Revue, novembre 1898, et Chronique des Livres, janv. et février
1901 ; Stéphane Mallarmé, Revue Encyclopédique, 5 novembre 1898 ; Sou-
venirs sur Stéphane Mallarmé et son œuvre. Nouvelle Revue, 1"' dé-
cembre 1898. — Ch. Maurras : La Poésie de Mallarmé. Revue Encyclo-
pédique, 5 novembre 1898. — T. S. Perry : The latest literary fashion in
France (illustré). The Cosmopolitan (New- York), juillet 1892. — Pierre
Quillard : Stéphane Mallarmé. Mercure de France, juillet 1891. — Henri
de Régnier : Hamlet et Mallarmé. Mercure de France, mars 1896. — X.
de Ricard : Petits mémoires d'un Parnassien. Petit Temps, 13 novembre,
3 et 6 décembre 1898. — Paul Verlaine : Stéphane Mallarmé. Les Hommes
d'aujourd'hui, n" 296. Paris, Vanier. — F. Vielé-Grilfin : Mallarmé.
Entretiens politiques et littéraires, août 1891 ;Ze Rôle de Stéphane Mallarmé,
Ermitage, mars 1898.
Iconographie :
Luque : Portrait-charge dcins les Hommes d'aujourd'hui, n" 296, Pans
Vanier. — Edouard Manet : Portrait., peinture, 1876 (reproduit dans Les
Poètes Maudits, de Paul Verlaine. Paris, Vanier, 1884, in-18. — Renoir :
Portrait, peinture (appartient à M"» Mallarmé). — Paul Gauguin : Por-
trait, 1891 (appartient à M"" Mallarmé). — E. Munch : Portrait, 1892.
— James Me. Neill Whistler : Portrait, lithographie, 1893 (dans Vers
et Prose, florilège). Paris, Perrin, 1893, iu-8. — F.-A. Cazals : Croquis,
1893 (appartiennent à l'auteur). — F. Vallotton : Masque, dans Le Livre
des Masques, de R. de Gourmont, Paris, Soc. du Mercure, 1896, in-8.
LES FENÊTRES
Las du triste hôpital, et de l'encens fétide
Qui monte en la blancheur banale des rideaux
STÉPHANE MALLARMÉ 35:
Vers le ^and crucifix ennuyé du mur vide,
Le moribond sournois y redresse un vieux dos,
Se traîne et va, moins pour chauffer sa pourriture
Que pour voir du soleil sur les pierres, coller
Les poils blancs et les os de la maigre fig^ure
Aux fenêtres qu'un beau rayon clair veut hâler,
Et la bouche, fiévreuse et d'azur bleu vorace.
Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,
Une peau virginale et de jadis ! encrasse
D'un long baiser amer les tièdes carreaux d'or.
Ivre, il vit, oubliant l'horreur des saintes huiles.
Les tisanes, l'horloge et le lit infligé,
La toux ; et quand le soir saigne parmi les tuiles,
Son œil, à l'horizon de lumière gorgé.
Voit des galères d'or, belles comme des cygnes.
Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir
En berçant l'éclair fauve et riche de leurs lignes
Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir I
Ainsi, pris de dégoût de l'homme à l'âme dure
Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits
Mangent, et qui s'entête à chercher cette ordure
Pour l'offrir à la femme allaitant ses petits,
Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées
D'où l'on tourne l'épaule à la vie, et, béni.
Dans leur verre, lavé d'éternelles rosées.
Que dore le matin chaste de l'Infini
Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j'aime
— Que la vitre soit l'art, soit la mysticité —
A renaître, portant mon rêve en diadème,
Au ciel antérieur où fleurit la Beauté !
Mais, hélas ! Ici-bas est maître : sa hantise
Vient m'écœurer parfois jusqu'en cet abri sûr,
352 POÈTES d'aujouivd*hui
Et le vomissement impur de la Bêtise
Me force à me boucher le nez devant l'azur.
Est-il moyen, ô Moi qui connais l'amertume,
D'enfoncer le cristal par le monstre insulté
Et de m'enfuir, avec mes deux ailes sans plume
— Au risque de tomber pendant l'éternité ?
L'AZUR
De l'éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comma les fleurs.
Le poète impuissant qui maudit son génie
A travers un désert stérile de Douleurs.
Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
Avec l'intensité d'un remords atterrant,
Mon âme vide. Où fuir? Et quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant?
Brouillards, montez ! Versez vos cendres monotones.
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Que noiera le marais livide des automnes,
Et bâtissez un grand plafond silencieux !
Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse.
En t'en venant, la vase et les pâles roseaux.
Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.
Encor ! que sans répit les tristes cheminées
Fument, et que de suie une errante prison
Eteigne dans l'horreur de ses noires traînées
Le soleil se mourant jaunâtre à l'horizon I
— Le Ciel est mort. — Vers toi, j'accours ! donne, ô matière,
L'oubli de l'Idéal cruel et du Péché
A ce martyr qui vient partager la litière
Où le bétail heureux des hommes est couché,
STÉPHANE IfALLARMé 3.'3
Car j'y veux, puiscjue eiifiu ma cervelle, vi(I«.'e
CDnime le pot de fard gisant au pied d'un mur.
N'a plus l'art d'attifer ha samçlotante idée,
Luî^ubrement bâiller vers un trépas obscur...
Kn vain ! L'Azur triomphe, et je l'entends qui chante
Dans les cloches. Mon Ame, il se fait voix pour plu*
Nous faire peur avec sa victoire méchante,
Et du métal vivant sort en bleus angélus l
Il roule par la brume, ancien et traverse
Ta native agonie ainsi qu'un glaive sûr;
Où fuir dans la révolte inutile et perverse?
Je suis hanté. L'Azur 1 l'Azur ! l'Azur! l'Azur!
DON DU POÈME
Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idumée !
Noire, à l'aile saignante et pâle, déplumée,
Par le verre brûlé d'aromates et d'or.
Par les carreaux glacés, hélas! mornes encor,
L'aurore se jeta sur la lampe angélique.
Palmes! et quand elle a montré cette relique
A ce père essayant un sourire ennemi,
La solitude bleue et stérile a frémi.
O la berceuse, avec ta fille et l'innocence
De vos pieds froids, accueille une horrible naissance :
Et ta voix rappelant viole et clavecin.
Avec le doigt fané presseras-tu le sein
Par qui coule en blancheur sibylline la femme
Pour des lèvres que l'air du vierge azur alTarae?
HÉRODIADE
FRAGMENT
HÉnODIADK
Oui, c'est pour moi, pour moi, que je fleuris, déserte.
Vous le savez, jardius d'améthyste, enfouis
354 POÈTES d'aujourd'hui
Sans fin dans de savants abîmes éblouis,
Ors ignorés, gardant votre antique lumière
Sous le sombre sommeil d'une terre première.
Vous, pierres où mes yeux, comme de purs bijoux,
Empruntent leur clarté mélodieuse, et vous,
Métaux, qui donnez à ma jeune chevelure
Uoe splendeur fatale et sa massive allure ! ^
Quant à toi, femme née en des siècles malins
Pour la méchanceté des antres sibyllins,
Oui parles d'un mortel! selon qui, des calices
De mes robes, arôme aux farouches délices,
' Sortirait le frisson blanc de ma nudité,
Prophétise que si le tiède azur d'été.
Vers lui nativement la femme se dévoile.
Me voit dans ma pudeur grelottante d'étoile,
Je meurs !
J'aime l'horreur d'être vierge et je veux
Vivre parmi l'effroi que me font mes cheveux
Pour, le soir, retirée en ma couche, reptile
Inviolé, sentir en la chair inutile
Le froid scintillement de ta pâle clarté, ^
Toi qui te meurs, toi qui brûles de chasteté,
Nuit blanche de glaçons et de neige cruelle !
Et ta sœur solitaire, ô ma sœur éternelle,
Mon rêve montera vers toi : telle déjà,
Rare limpidité d'un cœur qui le songea,
Je me crois seule en ma monotone -patrie.
Et tout, autour de moi, vit dans l'idolâtrie
D'un miroir qui reflète en son calme dormant
Hérodiade au clair regard de diamant...
O charme dernier, oui! je le sens, je suis seule.
LA NOURRICE
Madame, allez-vous donc mourir ?
HÉRODIADE
Non, pauvre aïeule,
Sois calme et, l'éloignant, pardonne à ce cœur dur.
STEPHANE MALLARME
355
Mais avant, si lu veux, clos les volets : l'azur
Séraphique sourit dans les vitres profondes,
Et je déteste, moi, le bel azur !
Des ondes
Se bercent et, là-bas, sais-tu pas un pays
Où le sinistre ciel ait les rcj^ards haïs
De Vénus qui, le soir, brûle dans le feuillage :
J'y partirais.
Allume encore, enfantiilac^e,
Dis-tu, ces flambeaux où la cire au feu lég^er
Pleure parmi l'or vain quelque pleur étranger
Et...
LA NOURRICE
Maintenant?
HÉRODIADE
Adieu.
Vous mentez, ô fleur nue
De mes lèvres !
J'attends une chose inconnue
Ou peut-être, ignorant le mystère et vos cris,
Jetez-vous les sanglots suprêmes et meurtris
D'une enfance sentant parmi les rêveries
Se séparer enfin ses froides pierreries.
ÉVENTAIL DE MADEiMOISELLE MALLARMF,
G rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.
Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque ballement
Dont \c n^up juisonuier recule
L'horizon dtiicatement.
356
POETES D AUJOURD HUI
Vertige ! voici que frissonne
L'espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne.
Ne peut jaillir ni s'apaiser.
Sens-tu le paradis farouche,
Ainsi qu'un rire enseveli,
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l'unanime pli !
Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d'or, ce Test,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d'un bracelet.
SONNET
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui I
Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique, mais qui, sans espoir, se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.
Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie,
Mais non Ihorreur du sol où le plumage est pris.
Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne.
LE TOMBEAU D'EDGAR POE
Tel qu'en Lui-même enfin l'éternité le change.
Le Poète suscite avec un glaive nu
STÉPHANE MALLARME 3^7
Son siècle épouvanté de n'avoir pas connu
Que la mort triomphait dans celte voix élrang'e !
Kux, comme un vil sursaut d'hydre oyant jadis l'ange
Donner un sens plus pur aux mots de la trihu
Proclamèrent très haut le sortilèîçe bu
Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.
Du sol et de la nue hostiles, 6 f^rief 1
Si notre idée avec ne sculpte un has-relief
Dont la tombe de Poe éblouissante s'orne
Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur
Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.
SONN'ET
Une dentelle s'abolit
Dans le doute du Jeu suprême
A n'entr'ouvrir conmie un blasphème
Qu'absence éternelle de lit.
Cet unanime blanc conflit
D'une guirlande avec la même
Enfui contre la vitre blême
Flotte plus (ju'il n'ensevelit.
Mais chez (|ui du rêve se dore
Tristement dort une mandore
Au creux néant musicien
Telle que vers quelque fenêtre
Selon nul ventre que le sien
Filial on aurait pu naître.
SONNET
Quelle soie aux baumes de temps
358 POÈTES d'aujourd'hui
Où la Chimère s'exténue
Vaut la torse et native nue
Que, hors de ton miroir, tu tends!
Les trous de drapeaux méditants
S'exaltent dans notre avenue :
Moi, j'ai ta chevelure nue
Pour enfouir mes yeux contents.
Non ! La bouche ne sera sûre
De rien goûter à sa morsure,
S'il ne fait, ton princier amant.
Dans la considérable touffe
Expirer, comme un diamant.
Le cri des Gloires qu'il étouffe.
« Les Poésies de S. Mallarmé. »
Bruxelles. Edm. Deman, i8gg.
FIN DU TOME rREMIEI\
N^H^fï^^
iMPaiMBuiE nv Mercvre de France
(j. Roy, 7, rue Victor-Hugo, Poitiers
^a Bibliothèque
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