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Full text of "Poètes d'aujourd'hui, morceaux choisis accompagnés de notices biographiques et d'un essai de bibliographie .."

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1v 


KM 


POÈTES    D'AUJOURD'HUI 


A  LA  MÊME  LIBRAIRIE 


POÈTES    d'aujourd'hui,    iome   II  i 

Camille  Mauclair.  —  Stuart  Merrill.  —  Ephraïm  Mikhaël.  —      ^ 
Albert  Mockel. —  Robert  de  Montesquiou. —  Jean  Moréas. — j 
Comtesse  Mathieu  de  Noailles.  —  Pierre  Ouillard.  —  ErnesO 
Raynaud.—  Henri  de  Rég-nier.  —  Adolphe  Retté.  —  J.-A.V 
Rimbaud.  —  Georg-es  Rodenbach.    —  P.-N.    Roinard.    — 
Saint-Pol-Roux.  —  Albert  Samain.  —  Fernand  Séverin. — 
Emmanuel  Sig-noret. —  Paul  Souchon.  ~  Henry  SpiessJ  — 
Laurent  Tailhade.   —    Paul  Valéry.  —  Charles  Van  Ler- 
berghe.  —  Emile  Verhaerea.  —  Paul  Verlaine.  —Francis 
Vielé-Griffîn. 


D 


AD  VAN  BEVER  &  PAUL  LÊAUTAUD 


oètes  d'Aujourdhui 

Morceaux  choisis 


Accompagnés  de  Notices  bibliographiiiues  et  d'un  Essai  de  Bibliographie 


HENRI    BAUBUSSE.    HENRI    BATAILLE. 

TRISTAN  CORBIÈRE.  —  LUCIE   DKLARUE-MARDRUS. 

BMILE    DKSPAX.    MAX    ELSKAMP.     —  ANDRÉ    FONTAINAS.    PAUL    FORT. 

RENÉ    GHIL,    REM  Y   DE  GOLRMONT.     —  FERNAND  GREGH. 

CHARLES  GUÉRIN.    —    A. -FERDINAND    HEROLD. 
GÉRARD   d'hOUVILLE.    —    FRANCIS    JAMMES,    —    GUSTAVE  KAHN, 

JULES   LAFORGUE.     LÉO    LARGUIER.    RAYMOND    DE    LA    TAILHÈDE. 

LOUIS   LE   CARDONNEL.     SÉBASTIEN   CHARLES  LECONTE. 

GRÉGOIRE    LE  rA^.    JEAN    LORRAIN.  PIERRE   L0UY8. 

MAURICy  MAETERLINCK.    MAURICE   MAGRE 

STÉPHANE     MALLARMÉ. 

Vingt-cinquième  édition 


PAKIS 
MERGVRE    DE    FRANGE 

XXVI,  RVE  DE   CONDÉ,  XXTI 


M  C  M  X  1 1 1 


Lf.  ^e  s 


BIBLIOTHECA 


IL    A    ETE    TIRE    DE    CET    OUVRAGE  I 


Douze  exemplaires  sur  papier  de  Hollande,  numérotés  de  i  à  12. 


JUSTIFICATION    DU    TIRAGE  : 


24679 


PQ 

Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés  pour  tous  pays. 


INTRODUCTION 


Voici  une  nouvelle  édition  d^un  ouvrage  auquel 
le  public  a  bien  voulu  faire  un  excellent  accueil. 
C'est  autant  ce  succès  que  le  souci  de  tenir  à  jour 
et  de  compléter  notre  travail  qui  nous  a  enj^açés  à 
le  reprendre,  et  nous  avons  toutes  raisons  de  croire 
qu'on  en  sera  satisfait.  La  production  poétique  a 
les  mêmes  phénomènes  que  la  vie  elle-même.  Depuis 
la  publication  de  Poètes  d'aujourcriiiii  sous  sa 
première  forme,  quelques-uns  des  poètes  qui  y  figu- 
raient sont  morts  ;  d'autres  ont  poursuivi  leur 
œuvre;  d'autres,  au  contraire,  sont  restés  station- 
naires ,  au  même  point  où  nous  les  avions  trouvés  ; 
enfin,  de  nouveaux  poètes  se  sont  révélés,  qui  ont 
mérité  en  peu  de  temps  de  se  faire  un  nom,  pres- 
que une  réputation.  On  trouvera  des  témoignages 
de  tout  cela  dans  cette  nouvelle  édition,  où  tout 
d'abord  nous  nous  sommes  occupés  de  présenter 
chaque  poète  d'une  façon  plus  complète,  plus  docu- 
mentée, où  nous  avons  augmenté  les  choix  de  poè- 
mes en  raison  des  nouvelles  œuvres  publiées,  et 

1. 


POETES    D  AUJOURD  HUI 


OÙ  nous  avons  fait  entrer  plusieurs  noms  nouveaux, 
tant  de  poètes  que  notre  premier  cadre  ne  nous 
avait  pas  permis  d'accueillir,  que  de  ceux  qui  se 
sont  révélés  depuis.  Pour  la  forme  que  nous  avons 
observée,  elle  est  demeurée  la  même,  dont  on  trou- 
vera l'explication  à  la  fin  de  notre  première  intro- 
duction. On  nous  l'a  beaucoup  empruntée,  pour  des 
ouvrages  analogues  au  nôtre,  et  que  son  succès 
paraît  bien  avoir  surtout  inspirés  :  Anthologie  des 
Poètes  du  Nord,  Anthologie  des  Poètes  français, 
Anthologie  des  Poètes  du  Midi.  Ce  n'est  pas  pour 
nous  en  plaindre.  Nous  trouvons  seulement  là  une 
indication  que  notre  méthode  n'était  pas  mauvaise 
et  que  nous  pouvions  la  conserver. 

Après  cela,  il  est  bien  certain  qu'on  ne  manquera 
pas  de  nous  faire  de  nouveau  quelques  objections, 
tant  sur  le  choix  des  poèmes  que  sur  le  choix  des 
noms.  Sur  celui-ci,  surtout.  Les  poètes  de  talent 
sont  si  nombreux  !  Nous  pensons  y  répondre  à 
l'avance  en  répétant  que  nous  n'avons  eu  d'autre 
intention  que  de  composer  des  «  morceaux  choisis  », 
et  nullement  une  «  antholoi*^ie  ». 

Nous  ne  saurions  manquer,  en  terminant,  d'ex- 
primer nos  remerciements  aux  poètes  qui  nous  ont 
aidés  pour  nos  notices,  en  même  temps  qu'aux  édi- 
teurs qui  ont  bien  voulu  nou^  accorda  les  autorisa- 
tions nécessaires. 


INTRODUCTION    A  LA  PREMIÈRE  ÉDITION 


C'est  ici  un  ouvrat,^e  diflartiqne,  si  Ton  veut  :  un 
guide  de  la  poésie  récente.  Des  livres  des  mieux 
connus  d'entre  les  poètes  qui  participèrent  au  mou- 
vement littéraire  appelé  «  svmholiste  »  nous  avons 
extrait,  non  pas  toutes  les  belles  pièces,  mais  quel- 
(pies-unes  seulement  des  plus  belles  pièces,  et  sous 
le  titre  qu'on  voit  à  ce  travail  nous  les  apportons 
au  public  comme  un  témoig-naq^e  du  parfait  labeur 
d'art  où  se  vouèrent  ces  écrivains  et  comme  un 
renseig^nement  direct  sur  leur  œuvre.  Et  c'est  ici  un 
livre  de  Morceaux  choisis ^  sans  plus. 

Nous  ne  pensons  pas  qu'il  nous  soit  défendu  de 
marquer  que  la  composition  de  ce  volume, en  mèine 
temps  qu'elle  fut  un  peu  délicate,  manqua  parfois 
d'ai;rén»cnt.  Outre  que  nous  avons  en  somme  bien 
peu  travaillé  pour  nous,  de  qui  l'un,  depuis  Ron- 
sard jusqu'à  M.  Charles  Ciuérin,  sait  de  mémoire 
tous  les  vers  à  peu  près  qu'il  aime,  souvent  il  nous 
fallut  aller  à  l'encontre  de  notre  ffoùt.  Si  nous 
avions,  en  elFet,  écouté  notre  seul  jjlaisir,  tels  poê- 
les, par  exemple,  que  nous  avons  accueillis,  près- 


POETES    D  AUJOURD  HUI 


que  sûrement  eussent  été  négligés,  tandis  que  tels 
autres,  au  contraire,  non  point  oubliés,  mais  que 
nous  ont  fait  omettre  de  multiples  nécessités,  tout 
de  suite  auraient  eu  leur  place,  au  lieu  d'être  remis 
à,  peut-être,  un  second  bouquet.  Et  ces  minces 
tristesses  nous  les  avons  retrouvées  quand,  avec 
la  même  douceur  que  si  nous  eussions  inventorié 
les  salles  à  peine  connues  de  petits  musées  tantôt 
éclatants  et  sonores,  et  tantôt  monotones  et  voilés, 
nous  dûmes  décider  du  choix  des  poèmes,  et  qu'à 
la  place,  parfois,  de  telles  pièces  d'une  beauté  trop 
neuve  ou  trop  vive  il  nous  fallut  prendre  telles 
autres  qui,  de  tous  points,  nous  semblaient  conve- 
nir mieux.  Mais  avant  tout  nous  faisions  un  livre 
pour  le  public,  et  seule,  cette  considération  devait 
être  notre  guide.  Avant  tout,  nous  faisions  un  livre 
que  tout  le  monde  pourrait  lire,  où  chacun  sûre- 
ment trouverait  sa  complaisance...  Et  s'il  faut  le 
dire,  dans  ce  sens,  nous  ne  sommes  pas  loin  de 
croire  que  nous  avons  réussi. 

Il  nous  semble  qu'on  pourra  juger  de  notre 
impartialité  quant  au  milieu,  à  la  production  et 
au  procédé  d'art,  si  l'on  veut  bien  examiner  la  liste 
des  poètes  qui  figurent  dans  cet  ouvrage  et  consta- 
ter —  les  morts,  et  surtout  Paul  Verlaine  et  Sté- 
phane Mallarmé,  tous  deux  hors  du  temps,  mis  à 
part  —  que  nous  avons  accueilli  aussi  tranquille- 
ment M.  Fernand  Gregh,  fêté  dans  les  salons,  que 
M.    Raymond  de  La  Tailhède,   de  qui  le  nom  n'a 


INTRODUCTION 


guère  franchi  un  cercle  d'écrivains;  que  nous  som- 
mes allés  de  M.  Henri  de  Régnier,  dont  l'œuvre 
déjà  compte,  jusqu'à  M.  l^aul  Valéry,  qui  n'a  encore 
publié  aucun  livre  ;  et  qu'à  côté  de  poètes  usant 
de  préférence  du  vers  libre,  comme  MM.  Gustave 
Kalin,  Emile  Verhaeren,  Francis  Vielé-Griffin,  etc., 
nous  avons  admis,  les  reliant,  pour  ainsi  dire,  par 
MM.  Francis  Jammes,  Maurice  Magre,  etc.,  qui 
pratiquent  un  alexandrin  libéré,  et  par  M.  Paul 
Fort,  dont  les  Ballades  sont  en  prose  rythmée, 
des  poètes  très  proches  du  Parnasse  ou  tout  au 
moins  demeurés  fidèles  à  la  teclmi([ueparnassi»'nne, 
comme  MM.  Henri  Barbusse,  Pierre  Louys,  Pierre 
Quiliard,  etc. 

Nous  n'avons  toutefois  pas  cru  devoir  observer 
le  même  détachement  quant  aux  indications  con- 
tenues au  paragraphe  a  consulter  de  chacune  des 
bibliographies.  Là,  en  effet,  nous  avons  tenu  à  évi- 
ter l'encombrement  autant  qu'à  ne  sij^naler  que  des 
documents  où  se  reporter  utilement.  Nous  avons 
donc  omis  très  absolument  d'y  rappeler  à  la  fois 
ces  notes  et  courtes  chroniques,  dans  les  journaux, 
lors  de  la  parution  d'un  livre,  et  qui  n'apprennent 
rien  sur  son  auteur,  et  ces  écrits  montrant  le  parti- 
pris  et  n'ayant  nul  rapport  avec  la  critique  non 
plus,  souvent,  qu'avec  la  littérature,  comme,  par 
exemple,  les  articles  de  M.  HenrvFouquier  au  sujet 
de  Paul  Verlaine  et  de  Stéphane  Mallarmé. 

11  ne  nous  reste  plus  qu'à  exprnjuer  la  rm-lhode 


10  POÈTES    d'aujourd'hui 


de  classement  que  nous  avons  observée  et  qui  est 
tantôt  l'ordre  alphabétique  et  tantôt  Tordre  chro- 
nolog-ique. 

Les  poètes  sont  rangés  selon  l'ordre  alphabétique. 

Les  poèmes  se  suivent  selon  l'ordre  chronolog"!- 
que,  c'est-à-dire  selon  l'ordre  de  leur  création  ;  à 
ceux  figurant  sans  titre  dans  le  volume  original, 
nous  avons,  pour  plus,  de  clarté,  donné  comme  # 
titre  soit  le  premier  vers,  soit  le  début  du  premier 
vers  ;  chaque  poème  est  suivi  du  nom  de  l'ouvrage 
duquel  il  est  extrait  ;  et  les  poèmes  non  accompa- 
gnés d'une  telle  indication  sont  des  poèmes  ou  tout 
à  fait  inédits  ou  qui  n'ont  pas  encore  été  publiés  en 
volume. 

Chaque  bibliographie  comprend,  principalement  : 
LES  ŒUVRES  et  A  CONSULTER,  cc  dcmicr  paragraphe 
divisé  lui-même  en  deux  parties  :  les  livres,  puis  les 
journaux  et  les  périodiques.  Les  œuvres  sont  ran- 
gées selon  l'ordre  chronologique,  c'est-à-dire  selon 
Tordre  de  parution.  Et  Tordre  alphabétique  par 
noms  d'auteurs  a  été  observé  pour  tout  le  para- 
graphe :  A  CONSULTER,  qu'il  faut  lire  ainsi  :  nom 
d'auteur,  titre  du  livre,  lieu  d'édition,  nom  d'édi- 
teur, et  date  d'édition  ;  puis  :  nom  d'auteur,  titre  de 
l'article,  titre  du  journal  ou  périodique  le  conte- 
nant, et  date  dudit. 


(^•'\' 


HENRI  BARBUSSE 

1874 

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,  M.  Henri  Barbusse  est  né  à  Asnières  (Seine),  le  17  mai  1874-  H  • 
/•ctc  laijr('at  du  concours  de  poésie  de  L'Echo  de  Paris  en  1893, 
I  et  il  a  t'pousë,  en  1898,  la  fille  cadette  de  M.  Catulle  Mendes. 
M.  Barbusse,  qui  a  éN'*  critique  dramati(|ue  à  la  Grande  Revue,  et 
qui  est  aujourd'hui  rédacteur  en  chef  du  mai^azine  Je  Suis  Tout, 
n'a  publié,  comme  poète,  que  ce  volume  Pleureuses,  dont  sont  ex- 
traits les  poèmes  qu'on  va  lire.  M.  Catulle  Mendès  l'a  apprécié  en 
ces  termes  quand  il  pardt:  a  C'est  plulôl  un  poème,  ce  livre, un  lonjç 
poème,  qu'une  succession  de  pièces,  tant  s'y  dt'roule  vis.blement 
l'histoire  intime  et  lointaine  d'uue  seule  rêverie.  Les  Pleureuses 
viennent  l'une  après  l'autre  ;  tous  leurt  yeux  n'ont  pas  les  marnes 
larmes, mais  c'est  le  même  convoi  qu'elles  suivent,  le  convoi, dirait- 
on,  d'une  âme  morte  avant  de  naître...  C'est  bien  une  âme,  oui, 
plutôt  même  qu'un  cœur,  qui  se  désole  en  ce  poème,  tant  tous  les 
sentiments,  l'amour,  les  désespoirs,  et  les  haines  aussi  s'y  font 
TQVt...  Les  Pleureuses  pieureni  en  des  limbes,  limbes  de  souvenance 
où  se  serait  reflété  le  futur. Et  en  cette  brume  de  douceur,  de  pâleur, 
de  lantîueur,  rien  qui  ne  s'estompe,  ne  se  disperse,  ne  s'évanouisse, 
sans  disparaître  délicieusement...  Pas  de  plainte  qui  ne  soit  l'écho 
d'une  plainte  qui  fut  un  écho.  Et  c'est  le  lointain  au-delà  du  loin- 
tain...» Depuis,  M.  Barbusse  semble  s'être  tourné  de  préférence 
vers  l'art  du  romancier,  avec  Les  Suppliants  et  L'Enfer,  deux 
romans  parus  le  premier  en  igoS,  et  le  second  en  1908. 

Bibliographie  : 

Les  (irvuEs.  —  Pleureuses,  poésies.  Paris,  Pasquelle,  1<*95,  iu-18.  —  Les 
Suppliants,  roman.  Paris,  Fasquelle,  ll>03,  in-18.  —L'Enfer,  romau.Paris, 
Libr.  Mondiale,  i9(>8,  in-18. 

A  coNst'i.TEn.  —  F.  Coppée  :  Mon  franc-parler,  4«  série.  Paris,  Lem  rr  , 
1896.  —  Catulle  Meodès  :  Rapport  sur  le  Mouvement  poétique  françai» 
de  /567  <f  1900.  Piiii^,  imprimerie  Nulioualc,  190J,  et  Fas<iuellc,  1903,  iii-8. 


13  POETES    D  AUJOURD  HUI 


Henri  Ghantavoine  :  Poètes  et  poésies.  Journal  des  Débats,  21  noverabr 
1895.  —  Cadille  Mendès  :  Henri  Barbusse.  Echo  de  Paris,  30  avril  1895 

—  L.  Muhlfelil  :  Chronique  de  ta  littérature.  Revue  blanche,  1"  juin  1895 

—  Pierre  Quillard  :  Benri  Barbusse.  Mercure  de  France,  août  1895. 


LE  SOURIRE 

Sa  fragilité  nous  unit. 

Ma  sœur,  quand  tu  souris,  on  croit 
Que  c'est  ton  âme  sur  la  terre... 
Mais  pour  moi,  c'est  le  grand  mystère 
Qui  m'éblouit  au  seuil  de  toi  ! 

Le  sourire,  c'est  ce  qu'on  donne!... 
C'est,  un  mensoniiçe  parfois  vrai, 
C'est,  dans  tes  beaux  yeux  de  secret, 
La  caresse  autre,  quoique  bonne. 

Il  faudrait  tant,  couple  royal, 
Sur  la  grand'route,  avec  vaillance, 
Passer  dans  l'éclat  du  silence 
Et  le  grave  mépris  du  mal  ! 

Pourtant,  ton  rire  de  lumière 
Restera  notre  pureté. 
Ce  sera  dans  l'éternité 
Notre  vague  et  pauvre  prière. 

Notre  prière  et  notre  foi, 

Et  ton  regard  dans  notre  église  ; 

Ce  sera  l'image  précise 

De  ta  bouche  qui  pense  à  moi. 

Après  toute  métamorphose, 
Lorsque  le  soir  sera  l'oubli. 
Je  verrai  ton  rire  pâli 
Rester  comme  la  seule  chose. 

Jusqu'au  moment  assoupissant 
Où,  calme  à  tes  mains  disparues, 


HENRY  BATAILLE 

4872 


M,  Hpnry  Ralaillc  est  né  à  Nîmes  en  1879,  et  n'a  publié,  comme 
poète,  niTiiD  seul  livre  :  Le  Beau  Voyage,  (^e  livre  seromjtosr  de  Iroi» 
parties  distinctes  :  La  Chambre  blanche.  Le  Beau  Voyage  et  Et 
voici  le  Jardin,  dont  la  première  parut  d'abord  en  plaquette  en  iSgb, 
avec  une  préface  de  Marcel  Schwob,  dont  nous  extrayons  ces  pas- 
sages :  «  Voici  un  petit  livre  tout  blanc,  tout  tremblant,  tout  balbu- 
tiant. Il  a  l'odeur  assoupie  des  chambres  paisibles  où  l'on  se  sou- 
vient d'avoir  joué,  enfant,  pendant  les  longues  après-midi  d'été. 
Toutes  les  petites  tilles  y  sunt  coloriées  comme  dao&  les  livres 
d'images,  et  elles  ont  des  noms  semblables  à  des  sanglots  puérils. 
Toutes  les  petites  maisons  y  sont  de  vieilles  petites  maisons  de  vil- 
lage, où  de  bonnes  lampes  brûlent  la  nuit;  et  toutes  leurs  petites 
chambres  sont  des  cellules  de  souvenir  que  traversent  des  poupées 
lasses,  souriantes  et  fanées  ;  et  on  y  entend  le  crépitement  de  la  pluie 
sur  le  toit;  et  au-dessus  des  croisillons  des  fenêtres  on  voit  fuir  1rs 
canards  gris;  et  le  matin,  au  cri  du  coq,  on  est  saisi  p.ir  l'haleine 
des  roses.  Doux  petit  livre  qui  s'attarde  1  Ses  paroles  sont  murmu- 
rées ou  minaudées,  ses  phrases  emmaillottées  par  d'anciennes  mains 
tendres  de  nourrices,  ses  poèmes  étendus  dans  des  lits  frais  et  bor- 
dés où  ils  sommeillent  à  demi,  rêvant  de  pastilles,  de  princesses,  de 
nattes  blondes  et  de  tartines  au  miel...  • 

On  remanjuera  sans  doute  dans  les  poèmes  de  La  Chambre  blan- 
che une  certaine  parenté  avec  ceux  de  M.  Francis  Jammes,  au  moins 
pour  les»  motifs»,  car  la  manière  du  poète  d  Orthez  est  plus  directe, 
plus  sincère  et  plus  vraie,  on  pourrait  pres(juc  dire  :  moins  artiste. 
A  lire  les  dates  des  poèmes  de  La  Chambre  blanche,  il  parait  bien 
Cependant  qu  il  n'y  a  nullement  eu  intluence  de  M.  Jammes  sur 
M.  Bataille.  Les  deux  poètes  se  sont  simplement  rencontrés,  peut-^tre 
même  en  s'ignorant  l'un  l'autre.  Comme  le  disait  .Marcel  Schwob  dan^i 
ta  préface,  ils  sout  tous  deux  «  pocte  des  chosci   luaniuues  et  des 


l8  POÈTES    d'aujourd'hui 


bctcs  muettes.  Ce  sont  deux  âmes  sœurs,  pareillement  sensibles,  et 
qui  tressaillent  aux  mrincs  allouclieincnts.  » 

Depuis  (pielques  années, M.  Henry  Bataille  s'est  fait  une  place  assez 
remanjuable  comme  auteur  dramatique.  Après  avoir  débuté  au  Tbéâ- 
tre  de  l'Œuvre,  avec  La  Relie  nu  Bois  dormant  et  Ton  Sanrj.  repré- 
sentés en  i8<j/|  et  18^)7,  il  a  fait  jouer  successivement  La  Lépreuse 
à  la  Comédie  Parisienne,  L'Enchantement,  à  l'Odéon,  R.'surrection, 
épisode  tiré  du  roman  de  Tolstoï,  é^'-aleinent  à  l'Odéon,  Le  Masque, 
Maman  Colibri  et  La  Marche  Nuptiale,  au  Vaudeville,  et  La 
Femme  nue,  à  la  Renaissance. 

M.  Henry  fialaille  a  collaboré  au  Journal  des  Artistes,  au  Mer- 
cure de  France,  à  la  Vo/ue  (nouvelle  série  i8(»(»),  au  Matin,  au 
Figaro,  elc. 

Bibliographie  : 

Les  œuvres.  —  La  Belle  an  bols  dormant,  f<'crie  lyrique  en  3  aclps,  en 
collalioralioii  avrc  .M  JîoltcrL  d'IItiniiùics,  repiésonirc  sur  la  scène  du  Tlit'àlre 
de  l'ituvre,  en  1894.  (Voyoz  :  La  /Jette  au  bois  dormant,  etc.,  niusi(iuc  de 
riPor;;os  IIup,  r('(liif>lion  jiour  piano  par  Henry  Fronc,  1895,  in-fol.).  —  La 
Chainlire  blanche,  po/sies.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1S03,  in-16. 
(Hrirniir.  dans  Le  Jiniu  voijatje,  Paris.  Fasqucilc,  1904.  in-18).  —  Ton  Sang, 
précrdé  de  la  Lrpreuse,  lln'âtre.  Paris,  Soc. du  Mercure  de  France,  1897. 
—  L'l']n('hantement,  coniMic  dramalii|uc  en  4  actes,  rcprésenlée  sur  la  scène 
du  Th.'àlre  de  lO.l.'on,  le  10  mai  19ii0.  Taris,  Fasc|ucl!e,  1901-.  in-18  (publiée 
avec  Maman  Cotilji-i  ;  voir  plus  loin).  —  Tôles  et  rensécs,  Ii(lioi,M-.  el  écri- 
tes. (Portraits  de  Tristan  Bernard,  Alfred  Capus,  Jules  Case,  Maurice  Don- 
nay.  Faut  Fort,  Andri'.  Gide,  Guatavc  Kahn,  Jean  Lorrain,  IHerre  J.ouxjs^ 
Octave  Mirijeau,  Jloliert  de  Montesrpiiou,  Catulle  Mendcs,  Lucien  Muhl- 
feld,  André  Picard,  /fenri  de  Bi'i/nier.  Jutes  B  nard,  Georges  Bodcnliacli, 
Edmond  Sée,  Jean  de  Tinan,  Pierre  Valitai/nc,  Fernamt  Vandérem.  Witly.) 
Paris,  OlIendorlT,  1901,  ^r.  in-4.  —  Le  IVIasquc,  comédie  eu  trois  actes, 
représentée  sur  la  scène  du  Vaudeville,  le  24  avril  1902.  Paris, FaMiuelle.  1907. 
in-18  (publiée  avec  In  Mnrrlie  nuptiale,  voir  plus  loin).  —  Itésurrection. 
drame  en  cinq  arles  el  un  proIo]ïue  d'aj)rè.s  le  roman  de  Tolstoï,  représenté  sur 
la  scène  du  Tliéàlre  de  lOdéon,  le  14  novembre  1902.  el  repris  sur  la  scène  de 
la  Porlo-Sainl-Marlin,  le  25  janvier  1905.  Paris,  Fasqucilc.  1905.  in-18.  — 
IVIaiii.'tn  Colibri,  comédie  en  (juatrc  actes,  représentée  sur  la  scène  du  Vau- 
deville, le  S  novembre  19)4  (publiée  avec  l'Enchantement,  voir  l'article  sui- 
vant). —  Théâtre  :  L'Enchantement,  Maman  Colibri.  Paris.  Fas- 
quelle,  1904,  in-18.  —  Le  Beau  voyage,  poésies  [La  Chambre  tdnnche.  Le 
Beau  voyage.  Et  voici  le  jardin],  avec  un  portrait  de  l'auteur,  en  lithopra- 
phie,  par  lui-môme.  Paris,  Fasquellc,  190i,  in-18.  —  La  Marche  nuptiale, 
pièce  en  quatre  actes  [représentée  sur  la  scène  du  Vaudeville,  le  27  oilobre 
1905].  Paris,  s.  1.  n.  d.  (Imprimerie  de  «  rillustralion  »).  1905,  in-8.  — 
Pollche,  comédie  en  4  actes  [représ,  à  la  Comédie-Française,  le  lOdéc. 
190C].  Paris,  s.  1.  n.  d.  Mmpr.  de  u  llllustralion  .)  1007,  iii-'s.  —  ThéAlre  : 
Le  lVlas(|ue.  La  Marclui  nn|tti:(l<v  Paris,  Fa>^quelle,  1907,  in-lf<. 

Préface.  —  Marcel  Cruppi  :  La  Violence.  Paris,  B.  Grasset,  1908,  in-18. 


niNRY    BATAILLE  I  () 


A  cossiJi.TiR.  —  Léon  HIuni  î  Au  Théâtre.  Pari».  S>c  '  '  '  '■  •^■-  • 
arlUl.,  l'JOô,  in-18.  —  H«>iiiy  <le  Giniriiioiit  :  Le  II*  Inr 
l'arir».  Soc.  «lu  M«'r«!urr  de  France,  Ih'.'n,  ui-18  — Georges  Lr  i  ..n  <>  >iitM-i 
<»l  Cil  Velly  :  La  Littérature  contemporaine,  /Sr/î,  rlc.  Ptri'»,  Nx: .  ilu 
Mcnrurc  de  Frauce,  IO06,  in-18.  —  Juie*  Leinailre  :  Imprtt.t.nt  de 
tlièàtre,  10»  série,  l'ari;»,  Leccuc  el  Oii.l.ii,  l^y*.  lu-lr».  —  Hobi»"l  de 
Soii/.n  :  La  l'in'aie  populaire  et  le  lyritme  tenlimenlal.  l'ar»,  Zsoc.  du 
MiMcurcdc  FraïKM-,  l'^'J'J.  in-18. 

Ernest  (àauberf:  Henry  liataille.  Uprcure  de  Frauce,  16  «Tril  1909. 

Iconographie  : 

IfiMiry  \\i\\aï\\e:  Ltth>i)raphir.\Hi\,\uccn\.(-\<'iU'\<<\<\\i>T\ 
f'ario.    Faviiuollo,    IÎU14,  ii)-J8.  —  F.  Vallolton  :   ,1/r^^YI/<  .  .! 
dfs  Maxijurx,  de  H.  «le  fïoiirmonl.  Pari!»,  Sor.  du  Mrrnjre  ili-  FjAj.t.-,  l- 
8em  :  M.  Henry  Uatnilli\  auteur  du  c   Manque  ».   Jourud,  24  avril  ;     .: 

LE  MOIS    .MOUILLÉ 

.Pnr  1rs  vitrrs  (^risrs  ^\c  la  lavarulcri»*. 

J'ai  vu  tornhrr  la  iiiiil  d'aiitotniic  (]ii(>  voilà... 

Ouel(|u'un  niarclie  le  lonjç  des  fo.ssés  pleins  de  pluie... 

\'«)vaiî('ur,  voyai^eiir  de  jadis,  qui  t'en  vas, 

A  l'Iieure  où  les  her^ers  (h'scendenl  des  monlatrnes, 

HîUe-toi.  —  Les  foyers  sont  cteiots  où  lu  vas, 

(lloses  les  portes  au  p.Tys  <jue  tu  rei^atfries... 

La  tjrande  route  est  vide  el  le  bruit  des  luzernes 

Vient  de  si  loin  qu'il  ferait  peur...  Dépéche-toi  : 

I-«s  vieilles  earrioles  ont  .soufflé  leurs  lanternes... 

(i'e.st  raulonine  :  elle  s'est  fissise  et  dort  de  froid 

Sur  la  chaise  de  paille  au  fond  de  la  cuisine... 

L'.iutoinne  elmnte  dans  les  sarments  morts  des  vijfnes.., 

('/est  le  moment  où  les  cadavres  introuvés, 

Les  blancs  noyés,  flottant,  sonifeurs,  entre  deux  ondes, 

S;iisis  eux-mêmes  aux  premiers  froids  sotilevés, 

Descendent  s'abriter  dans  les  vases  profondes. 

{La  Chambre  blanche.  Fasqurlle.) 

L.\    NUIT    D'OCTOnRB 

0  ma  lampe,  <^  ma  pauvre  amie, 
Causons  un  brin  de  souvenir... 
La  fenêtre  ouverte  à  demi 


20  POÈTfiS    d'aujourd'hui 


Nous  enverra  Tancien  zéphir 
Qu'ont  caressé  bien  des  poètes... 
Nous  reverrons  le  triste  temps 
Où  1  on  faisait  les  amourettes 
En  mélancolie  de  printemps, 
Quand  on  avait  de  longs  cheveux, 
Qu'on  raclait  des  airs  de  bohème, 
Au  printemps  des  premiers  aveux.  — 
Et  rêvons  les  mansardes  blêmes,  ! 
Et  les  pots  de  vin  engloutis 
De  ces  crânes  aux  fortes  lèvres 
Qui,  le  cœur  brisé,  sont  partis 
Dans  des  ciriielières  de  fièvres, 
Au  pays  des  premiers  amours... 
De  ces  i:^ueux  à  la  taille  fine. 
Au  boléro  de  troubadours, 
Qui  s'en  allaient  dans  la  ravine 
Pleurer  celles  qui  ne  sont  plus, 
Ceux  qui  sont  morts  sans  qu'on  palisse, 
Au  temps  des  longs  chapeaux  pointus, 
En  pronûn(;ant  le  nom  d'Alice... 
El  qui,  sous  les  saules  d'hiver. 
Songent  morts  à  leur  endormie... 
Et  ce  temps-là,  c'était  hier, 
0  ma  lampe,  à  ma  pauvre  amie  !.. 

O  ma  lampe,  ô  ma  pauvre  amie. 
Le  temps  n'est  plus  où  sous  tes  yeux 
Sous  ton  froid  regard  de  momie. 
Les  poètes  dcvolieux. 
Avec  leurs  muses  d'élégie 
Sanglotaient  des  sani^lols  frileux... 
Triste  nuit,  de  leur  sang  rougie, 
Toi,  pâle  Muse  aux  doux  yeux  bleus. 
Qui  chantais  à  la  pleine  lune. 
Tout  est  passé,  conmie  le  cri 
D'un  oiseau  blessé  dans  la  hune... 
Ta  j»anvre  robe  a  défleuri. 
Fille  (l(.'s  âmes  solitaires... 


HENHY   SATAILUI  SI 


Temps  des  romances,  Irmps  naits. 
Quand  les  amants  aux  cimelirres 
S'en  allaient  pleurer  sous  les  ifs... 
Oui  (If)nc  remettra  vos  parures 
tt  vos  bojKjuets  aliandounés, 
O  lanj^ou'reuses  créatures, 
Portraits  aux  cadres  écornas? 
Quand  reverrons-nous,  près  des  tablca 
Où  veillaient  les  jeunes  Pf^veurs, 
Les  amoureuses  charitables 
Prier  tous  bas  avec  ferveur?... 
O  jadis  !  douces  nuits  de  mai... 
O  temps  des  lonii^ues  «lilii^ences... 
Des  dames  en  cabriolet... 
Je  suis  né  tard  et  sans  croyances. 
Voici  la  pluie  avec  le  vent.  ,  . 
J'entends  hurler  la  cheminée, 
Comme  une  sorcière  avinée, 
Et  s'égoutter  l'eau  sur  l'auvent. 

(La  Cluimbre  blanche.  Fasquelle.) 

LES  SOUVENIRS 

Les  souvenirs,  ce  sont  des  chambres  sans  serrures, 

Des  chambres  vides  où  l'on  n'ose  plus  entrer. 

Parce  que  de  vieux  parents  jadis  y  moururent. 

On  vit  dans  la  maison  où  sont  ces  chambres  closes... 

On  sait  (pi'elles  scmt  là  comme  à  leur  habitude. 

Et  c'est  la  chambre  bleue  et  c'est  la  chambre  rose... 

La  maison  se  remplit  ainsi  de  solilude, 

YA  l'on  y  continue  à  vivre  en  souriant... 

J'accueille  quand  il  veut  le  .souvenir  qui  passe, 

Je  lui  dis  :  «  Mets-toi  là...  Je  reviendrai  te  voir...  » 

Je  sais  toute  ma  vie  cju'il  est  bien  à  sa  place. 

Mais  j'oublie  quelquefois  de  revenir  le  voir.  — 

Ils  sont  ainsi  beaucoup  dans  la  vi«Mlle  demeure. 

Ils  se  sont  résignés  à  ce  qu'on  les  oublie, 

El  si  je  Dc  viens  pas  ce  soir  ni  tout  a  l'heure, 


33  POETES    D  AUJOURD  HUI 


Ne  demandez  pas  à  mon  cœur  plus  qu'à  la  vie... 
Je  sais  qu'ils  dorment  là,  derrière  les  cloisons. 
Je  n'ai  plus  le  besoin  d'aller  les  reconnaître  ; 
De  la  route  je  vois  leurs  petites  fenêtres,  — 
Et  ce  sera  jusqu'à  ce  que  nous  en  mourions. 
Pourtant  je  sens  parfois,  aux  ombres  quotidiennes, 
Je  ne  sais  quelle  angoisse  froide,  quel  frisson. 
Et  ne  comprenant  pas  d'où  ces  douleurs  proviennent 
Je*p£isse... 

Or,  chaque  fois,  c'est  un  deuil  qui  se  fait. 
Un  trouble  est  en  secret  venu  nous  avertir 
Qu'un  souvenir  est  mort  ou  qu'il  s'en  est  allé.  . . 
On  ne  distingue  pas  très  bien  quel  souvenir, 
Parce  qu'on  est  si  vieux,  on  ne  se  souvient  guère... 

Pourtant,  je  sens  en  moi  se  fermer  des  paupières. 

{La  Chambre  blanche.  Fasquelle. 

L'ADIEU 

Mon  enfance,  adieu  mon  enfance.  —  Je  vais  vivre. 

Nous  nous  retrouverons  après  l'affreux  voyage, 

Quand  nous  aurons  fermé  nos  âmes  et  nos  livres, 

Et  les  blanches  années  et  les  belles  images... 

Peut-être  que  nous  n'aurons  plus  rien  à  nous  dire  ! 

Mon  enfance...  tu  seras  la  vieille  servante, 

Qui  ne  sait  plus  bercer  et  ne  sait  plus  sourire. 

Et  moi,  plein  de  ton  amertume  vigilante, 

J'ensevelirai  le  mystère  des  paroles... 

Adieu.  —  Nous  rouvrirons  les  portes  du  village, 

Et  ce  sera  la  nuit  de  fête  qui  console... 

Et  la  pluie  mouillera  ces  tendres  paysages. .  . 

Les  paysans  d'alors  dormiront  dans  leurs  chambres... 

Et  les  jardins  auront  leur  place  accoutumée... 

Ce  sera  quelque  nuit  limpide  de  décembre, 

Avec  la  même  route  unie  et  parfumée... 

Et  les  branches  qui  font  des  silences  soudains... 

Les  femmes  qui  traversent  une  lampe  à  la  main... 


BENRT    BATAILLB  a3 


Les  chiVns  niaiilcrcs  et  plats  étendus  sur  le  sal)Ie... 

Le  bruit  dans  les  massifs  des  grands  rhododendrons... 

Ces  poussières  d'amour  que  nous  ramasserons, 

El  tous  nos  bons  regrets  assis  à  notre  table... 

Je  vous  retrouverai  le  soir  d'une  journée,  — 

Les  étoiles  du  champ  viendront  à  là  veillée, 

Et  vous  me  laisserez  pleurer,  sur  vos  genoux. 

Nous  entendrons  le  vent  s'endormir  dans  les  arbres  ;  — 

Puis  je  rec^arderai  mes  deux  mains  apaisées. 

Sous  !e  clair  silence  du  vieil  abat-jour  vert... 

Peut-être-un  souffle  triste  ouvrira  la  croisée... 

On  entendra  passer  les  lont^s  chemins  de  fer... 

Et  la  lune  ne  sera  pas  enror  levée.  — 

Pauvre  petite  vieille  enfance  retroiivée, 

Ce  sera  comme  si  je  n'avais  pas  soufTert. .. 

Pas  souffert?  est-ce  vrai?  nous  n'avons  pas  pleuré. 

Pas  soulTerl?  oh!  répèle-Ie,  nia  y^risc  amie,  — 

Et  vienne  ce  beau  soir  <]ue  j*évo(|uc  à  mon  gré. 

Où  nous  caresserons  nos  lèvres  endormies.  .. 

Ce  soir-là,  ce  soir-là,  je  saurai  bien  des  choses... 

Je  ne  te  plaimlrai  plus  de  n'avoir  pas  de  roses... 

Je  comprendrai  la  joie  du  phalène  qui  meurt... 

Alors  nous  éteindrons  la  lampe  avec  douceur. 

{La  Chambre  blanche.  Fasquelle.) 

DL\LOGUE  DE  RENTRÉE 


Avant  d'entrer,  assieds-toi  là,  sur  cette  malle. 

N'importe  où...  oui,  là...  que  nous  nous  rei^ardions 

Pour  la  première  fois  dans  les  yeux.  Oui  es-tu  ? 

Que  peux-tu  être  ?  d'où  me  viens-tu, 

Avec  ce  i^rand  visatje  pâle? 

Je  n'avais  jamais  vu  tes  yeux  dans  toute  leur  étendue. 

Comme  ils  sont  trrnnds  !  Oh  î  <|ui  es-tu. 

Toi  qui  viens  m'apporler  la  chideur  de  ces  in.iins? 


a^  POÈTES  d*aujourd'hui 

A^-tu  pleuré?  —  Oui,  j'ai  pleuré.  —  As-tu  souffert? 

—  Oui,  j'ai  soufTert.  —  Et  qu'en  as-tu  pi-ardé?  —  Rien. 
Des  dates  comme  de  vieilles  lettres...  Oui,  j'ai  soulTertl 
Un  mouvement  incessant  vers  des  demeures  nouvelles 
M'a  porté  jusqu'à  vous.  —  Et  les  reçrets  ?  —  Non.  Quels 

—  Pourtant  les  lieux  que  l'on  aimait...  —  J'ai  tant  voyage! 
Ne  vous  ai-je  pas  dit  que  souvent  je  me  lève 

Pour  chercher  un  objet  que  je  crois  avoir  posé 

Dans  telle  chambre,  à  tel  endroit...  a  Mais  non,  je  rêve. 

C'était  à  Bordeaux,  dis-je,...  non,  c'était  à  Lyon... 

Ou  la  dernière  fois  que  je  fus  à  Marseille...  » 

J'ai  quelquefois  pleuré  de  tout  ce  qui  s*éveille 

Et  renaît  d'une  si  mystérieuse  confusion, 

—  Oui,  vous  me  l'avez  dit,  c'est  vrai,  je  me  rappelle... 
Et  bien,  voici  encore  une  demeure  nouvelle 

Où  vous  allez  entrer.  Ça  ne  vous  effraie  pas  ? 

Combien  de  temps  resterez- vous?... 

Je  tâclierai  d'être  bon  ce  temps-là... 

C'est  si  joli  le  ton  de  vos  paupières  près  des  joues  ! 

Tu  l'as  beaucoup  aimé  ?  —  Oui,  nous  nous  sommes  séparés 

Sans  un  mot.  La  voiture  allait  au  pas.  Je  regardais 

La  route;  le  conducteur  était  assis 

Sur  le  brancard  avec  un  grand  chapeau  de  feutre  gris... 

Comme  il  y  a  longtemps  de  cela,  mon  dieu  ! 

—  Douce  voix  !  douce  voix  !  éternelle  figure  1 
Je  te  consolerai,  tu  verras,  de  mon  mieux. 

Je  voudrais  te  bercer  avec  un  grand  murmure, 

D'une  religion  profonde,  sans  paroles, 

Chère  tête,  et  par  avance  résigné 

Au  phénomène  argenté  de  tes  pleurs,  mon  beau  saule  ! 

—  Je  te  sens  bien  à  tort  tout  émotionnée  : 

Nous  allons  entrer  là.  Il  y  fait  bon  vivre  :  on  me  l'a  dit. 
Le  pays  ravissant  que  ton  désir  caresse 
Tu  le  sais  chimérique,  et  vaine  ta  tristesse  ! 
Etire-toi,  va.  Etends  tes  belles  mains  à  la  nuit.. . 

—  Vous  ne  m'en  voulez  pas  ?  —  Non.  Et  soit  béni 
L'apprentissage  douloureux  de  tant  d'années 

Qui  t'a  suavement  habituée  aux  lèvres.  . . 


HENRY   BATAILLS  s5 


—  Dire  que  c'est  ici  que  vous  m'avrz  menée  1. . . 

Voilà  ma  vie.  Et  vous?. . .  —  Oh  !   moi. .  . 

Tu  ne  com[»r«*n(lrais  pas,  tu  es  birn   trop  jolie. 

Chut!  ne  dis  rien,  t;iis-l(ji..,  je  te  vois,  je  le  vois 

A  travers  tes  yeux  d'eau  que  le  ciel  a  remplis, 

Je  te  vois  à  travers  (f>n  front  où  j'ai  soiifllè, 

A  travers  ta  souffrance  et  ta  siniplicit»-, 

.le  te  vois,  je  te  devine,  tu  es  là, 

Détcanlée  à  jamais  pour  mes  mains  enlr'ouvertes. 

Et  du  îçesle  divin  de  la  tristesse  oflerle 

Tu  as  ramené  toute  l'ombre  sur  nous  deux... 

Allons,  on  peut  entrer  maintenant?  —  Si  lu  veux. 

(Le  Beau  Voyage.  Fasquclle.) 

LA  FONTAINE  DE  VlTlt 

Les  larmes  sont  en  nous.  C'est  la  séciirité 

des  peines  de  savoir  qu'il  y  a  des  larmos  toujours  prêtes. 

Les  cœurs  désabusés  les  savent  bien  Hdèles. 

On  apprend,  dès  l'enfance,  à  n'en  jamais  douter. 

Ma  n)ère  à  la  première  a  dit  :  «  Combien  sont-elles?  > 

Des  larmes  sont  eu  nous  et  c'est  un  c^rand  mystère. 

Cœur  d'enfant,  cœur  d'enfant,  que  tu  me  fais  de  peine 

à  les  voir  prodit^uer  ainsi  et  t'en  di'faire 

à  tout  venant,  sans  peur  de  tarir  la  dernière. 

Et  celle-là,  pourtant,  vaut  bien  qu'on  la  retienne  I 

Non,  ce  n'est  pas  les  fleurs,  non,  ce  n'est  pas  i'ét© 
qui  nous  consoleront  si  tendrement,  c'est  elles. 
'Elles  nous  ont  connus  petits  et  consolés. 
Elles  sont-là,  en  nous,  vii^ilantes,  tidèles. 
Et  les  larmes  aussi  pleurent  de  nous  quitter. 

{Le  Beau  Voyage.  Faïqucile.) 

NOCTIUNE 

Sur  le  banc  vert  où  dort  la  pluie, 
C'est  là  que  va  s'asseoir  ma  peine, 


96 


POETES    D  AUJOURD  UUl 


Vers  le  milieu  de  la  nuit... 

Seuls,  sans  son  maître,  quand  nous  dormons, 

Elle  sort  de  la  maison, 

Et  ce  n'est  pas  moi  qui  la  mène... 

Nous,  là-haut,  nous  rêvons,  en  bruines  paisibles... 

Alors  elle  s'assied  sur  le  banc  de  rouille, 

Délassée,  et  le  plus  commodément  possible. 

Elle  ne  sent  presque  pas  que  la  pluie  la  mouille, 

Ma  peine,  ma  bonne  peine,  ma  vieille  peine... 

De  là  elle  entend  bien  les  fontaines, 

Les  rainettes  au  frais,  —  toutes  les  autres  tristesses 

Coni[)atissanles  de  la  nuit... 

Elle  sommeille,  tousse  un  peu,  s'éveille,  et  puis 

Rep^arde  nos  persiennes  et  la  lueur  qui  baisse. 

Elle  dit  :  «  Mon  dieu,  mon  dieu!...  » 

Elle  sait  que  nous  ne  sommes  pas  heureux. 

Que  nous  ne  le  serions  pas  plus  sans  elle. 

Et  que  nous  ne  le  serons  jamais... 

Et  la  pluie  sent  les  fleurs  nouvelles. 

Et  la  pluie  a  le  bruit  de  la  paix.  — 

Est-ce  ma  peine,  est-ce  la  tienne? 

Je  l'ai  mêlée  avec  la  mienne, 

Quelle  est  la  mienne^  quelle  est  la  tienne  î 

Quelle  est  celle  qui  parle  en  bas?... 

—  Et  quand  je  la  retrouve,  au  réveil,  dans  les  draps. 
Ainsi  qu'au  soir  d'hiver,  entre  moi  et  toi. 
Belle  comme  au  matin  sont  belles  les  fenêtres, 
Je  sens  qu'elle  a  l'odeur  d'une  nuit  de  poète. 

(Le  Beau  Voyage,  Fasquelle.) 

LA  DERNIÈRE  BERCEUSE 

Chante  bellement,  Killoré, 

La  la  hu  lalla  !  mon  petit  oiseau 

Dans  le  rosier! 

Chante  bellement  pour  l'enfant  qui  pleure. 

Qu"a-t-il  donc  l'enfant  à  pleurer  ainsi  ? 


UE.NHY    BATAILLM 

â 


Dis-moi  donc  pourquoi  tout  ce  lerrand  souci  ? 
Le  cœur  de  IVrifant  est-il  donc  un  cœur 
Plus  lourd  que  celui  qui  saute  en  l'oiseau, 
Dans  le  rosier? 

La  la  hu  lalla,  dodo,  petit,  do, 
Entre  la  pente  i^azonné*'  et  la  prairie 
Il  y  a  de  quoi,  tu  sais  bien, 
Aller  s'endormir  dans  le  romarin, 
Dans  le  romarin  ({ui  sent  boa  la  pluie. 
Pour  ail» T  rejoindre,  en  bas,  sous  la  terre, 
La  fraîcheur  de  l'eau  qui  court  en  plein  bois 
Et  ne  savoir  plus  ce  qu'est  la  lumière, 
Il  y  a  de  quoi. 

C'<Lst  non  loin  de  ma  métairie, 

D'où  s'en  vient  l'odeur  des  doux  colombiers, 

Que  se  calmera  cet  enfant  qui  crie, 

Sais-tu  ce  (pi'il  faut?  il  faut  l'emporter. 

La  la  hu  biia  ! 

Du  cùlé  de  .Moux  et  de  Pexiora... 

Sais-tu  ce  qu'il  faut  pour  mrttre  à  couvert 

Le  plus  bel  amour  qui  soit  sur  la  terre  ?... 

Pas  plus  qu'il  n'en  faut  pour  un  arbre  vert  I 

Sais-tu  ce  qu'il  faut  pour  mettre  à  l'abri 

Tout  l'amour  du  ciel  et  de  mon  royaume, 

Le  plus  çrand  chagrin,  le  plus  t^rand  souci. 

Et  la  belle  histoire  que  j'ai  dite  aux  hommes 

(Jue  porta  le  monde  sur  son  vieux  dos  gris?.,. 

Un  petit  arbre  solitaire, 

Très  terre  à  terre, 

Droit  ou  pointu. 

Avec  une  pie  dessus, 

La  la  hu  !  .. 

Avec  une  pie  dessus  ! 

{Le  Bfau   Voyngf.  Paftqucllr.) 


TRISTAN  CORBIÈRE 
1841-1875 


Edouard-Joachim  (dit  Tristan)  Corbière  naquit  à  Coat-Cougar, 
domaine  situé  dans  la  commune  de  Ploujean,  à  quelques  lieues  de 
Morlaix,  le  i8  juillet  i84o.  H  était  le  fils  de  Jean-Antoine-René- 
Edouard  Corbière  (1793-1875)  fort  connu  en  son  temps  comme  au- 
teur de  romans  maritimes  :  Le  Négrier,  Les  Pilotes  de  lIroise,Le 
Banian,  Tribord  et  Bâbord,  etc.,  etc.  Nous  puisons  dans  l'ouvrage 
de  M.  René  Martineau,  qui  s'est  fait  l'historiographe  pieux  et  exact 
du  poète  des  Amours  jaunes,  les  renseignements  de  cette  notice. 
L'enfance  de  Corbière  fut  débile.  Déjà  aussi, il  manifestait  ce  carac- 
tère fantasque  qu'on  devait  lui  voir  plus  tard,  et  l'on  raconte  qu'il 
s'administrait  des  drogues  pour  ne  pas  aller  à  l'école.  Quand  sa 
mère,  qu'il  obligeait  à  des  soins  continus  par  sa  mauvaise  santé,  le 
plaignait  et  l'engageait  à  ne  pas  se  tracasser  pour  ses  devoirs  : 
•«  Pourtant,  lui  répondait-il,  navré,  en  se  fra[)panl  le  front,  je  sens 
qu'il  y  a  quelque  chose  là  I  »  A  douze  ans,  il  entra  au  lycée  de  Saint- 
Brieuc,  mais  ne  put  y  rester  que  deux  années  et  demie,  obligé,  par 
sa  santé,  à  rentrer  à  la  maison  paternelle.  Ses  parents  l'envoyèrent 
ensuite  chez  un  cousin,  à  Nantes,  où  il  suivit,  comme  externe,  les 
cours  du  lycée.  Une  seconde  crise  de  maladie  vint  interrompre  défi- 
nitivement, au  bout  de  deux  ans,  ses  éludes.  Après  un  séjour  à 
Cannes,  il  vint  alors  s'établir  à  RoscoflF.  Corbière  avait  à  cette  épo- 
que dix-neuf  ans,  et  la  tournure  la  plus  singulière  :  grand,  maigre, 
une  barbe  inculte  en  pointe,  un  nez  énorme,  accoutré  bizarrement, 
tantôt  en  forçat, avec  le  bourgeron,  le  pantalon  de  toile  et  les  sabots, 
tantôt  en  matelot,  avec  les  bottes  de  mer  montant  jusqu'aux  genoux, 
et  un  feutre  cabossé.  Il  voulut  d'abord  être  peintre,  puis  dessina- 
teur, sans  jamais  avoir  appris  à  dessiner.  C'était  là,  comme  sa  poé- 
sie, pure  aspiration  d'artiste,  au  vrai  sens  du  mot.  Il  peignait  des 
démons,  des  diables,  toutes  figures  portant  l'empreinte  de  son  phy- 
sique, hanté  qu'il  était  par   son  type,  et  crayonnant  sa  charge  sur 


thiîstan  Lx>nBiKnE 


*9 


liiiis  les  murs.  Fils  de  marin,  Corbière  avait  aimé  de  bonne  heure 
ia  itier  et  les  marins.  l'eu  après  son  installation  à  Iloscoff,  il  eut  le 
d(  :>ir  de  pos&rder  un  canot  ;  son  père  lui  en  Ht  construire  un,  et  il 
navi(^ua  ainsi  quelques  ann«'es  sur  la  mer  de  son  pays, le  canot  bien- 
tôt remplace  par  un  cotre,  appel»*  le  Sëcjrier,  en  souvenir  d  ij 
paternels,  dont  il  était  «^rand  admirateur.  C'est  au  cours  <.  .,- 
menadcs  maritimes  qu'il  composa  ses  premiers  poèmes  :Mateiots,Le 
Mousse,  Bossu-liit()r,Le  liénegat,La  Fin,  Le  Douanier, <i»u6  IcMiuels 
les  «  f^eos  de  mer  »,  comme  il  les  appelait  lui-même,  sont  chant'-s 
comme  ils  l'ont  clé  rarement.  Le  séjour  de  Corbière  à  HoM-ofF  fut 
interrompu  à  deux  reprises,  en  i8C8  et  \?>f>(j,  par  deux  vova_'es  qu'il 
6l  en  Palestine  et  en  Italie  avec  le  peintre  Hamon.  On  trouve  dans 
son  œuvre  des  souvenirs  de  son  passade  en  Italie,  pays  qui  lui  dé- 
plaisait : 

Voir  Naples  et...  Fort  bien,  merci,  j'en  viens.  Patrie 
D'Anglais  en  vrai,  mal  |M,*inls  sur  fond  bleu-perruquier. 

Pendant  la  guerre  de  1870,  trop  malade  pour  prendre  part  à  la 
campai^ne,  Corbière  resta  à  HoscofF.  C'est  la  que  vint  le  chercher 
en  1871,  alors  qu'il  semblait  ne  plus  devoir  quitter  celte  villr,  l'aven- 
ture la  plus  imporlantede  sa  vie,  ipji  devait  lui  fournir  le  titre  de  sou 
livre  et  lui  en  inspirer  les  pièces  les  plus  curieuses.  Ayant  fait  con- 
naissance à  la  table  de  sa  pensiun  avec  deux  touristes,  le  comte  de 
B...  et  sa  maitresse.il  en  résulta  pour  lui  une  liaison  sentimentale 
(|ui  amena  bientôt  son  départ  pour  Paris.  Installé  rue  Montmartre, 
dans  une  petite  chambre  où  il  n'avait  pour  (ont  mobilier  qu'un 
cofTre  à  bois  sur  lequel  il  couchait  tout  habillé.  Corbière  commença 
alors  cette  existence  de  bohème  noctambule  qui  devait  le  tuer,  dor- 
mant le  jour,  déjeunant  à  minuit,  traînant  dans  les  cafés  littérai- 
res, travaillant  en  flânant.  Il  publia  quelques  vers  dans  la  Vie 
Parisienne,  exactement  dans  six  numéros  {mai  à  octobre  18731. 
et,  conquis  définitivement  par  la  littérature,  s'occupa  de  reunir  ses 
poèmes.  L'éditeur  trouvé,  et  son  père  ayant  consenti  a  paver  uuc 
partie  des  frais  d'édition.  Les  Amours  Jaunes  parurent  en  décem- 
bre 1873.  L  indifférence  la  plus  complète  accueillit  ce  volume,  dont 
personne  ne  parla  à  l'ejUique,  Cet  insuccès  ne  pouvait  affecter  Cor- 
bière, qui  ne  songeait  guère  au  public  en  écrivant.  Le5  Aniours  Jau- 
nes parus,  il  se  remit  au  travail,  songeant  à  publier  un  autre  volume 
qu'il  voulait  intituler  Mirlitons.  .Malheureusement,  malade  (H)ur 
ainsi  dire  de  naissance,  les  veilles  ne  tardèrent  pas  à  l'user  complè- 
tement. Un  matin,  des  amis  le  trouvèrent  évanoui  sur  le  carreau 
de  sa  chambre.  On  le  transporta  à  la  Maison  Uubois.  où  il  resta 
quehiue  temps,  n'ayant  rien  perdu   de  sa    dure    moquerie,  toujourt 


5©  POÈTES  d'aujourd'hui 


aussi  dcdai^iieu>:  de  tout  élalage  sentimental.  «  Je  suis  à  Dubois 
dont  on  fait  les  cercueils  >»,  écrivait-il  à  sa  mère.  Hamené  daus  un 
état  pitoyable  à  Morlaix,  il  y  mourut  peu  après,  le  i"'  mars  1875, 
à  l'âge  de  trente  ans,  et  fut  ealerré  au  cimetière  Saint-Martin, 
dans  le  caveau  de  la  famille.  A  Taris,  cette  mort  passa  inaperçue, 
comme  était  passe  inaperçu  le  livre  de  Corbière.  Plus  tard,  ou 
le  traita  de  fou,  et  son  œuvre  d'outrage  à  la  morale.  11  en  fut 
ainsi  jusqu'au  jour  où  Paul  Verlaine  publia  ses  Poètes  maudits, 
(i884).  dans  lesquels  trois  études  étaient  coiisacrécs  à  Corbière  et  à 
son  œuvre.  La  même  année,  J.-K.  Huysmans  publia  A  Rebours, 
et  fît  également  une  place  aux  Amours  Jaunes  parmi  les  œuvres 
préférées  de  son  beros  des  Esseinics.  Jules  Laforgue,  qui  a  beau- 
coup emprunté  à  Corbière,  a  ainsi  défini  son  art  :  a  Pas  de  la 
poésie  et  pas  des  vers,  à  peine  de  la  littcraUire,  —  un  métier  sans 
intjérèt  plastique,  —  l'intérêt  est  dans  le  cinglé,  la  pointe  sèche,  le 
calembour,  la  fringance,  le  haché  romantique...  »  M.  Uéuiy  de 
Gourmont  l'a  appréciée,  à  son  tour,  en  ces  termes:  «  Son  talent  est 
fait  de  cet  esprit  vantard,  baroque  et  blagueur  d'un  mauvais  goût 
imprudent,  et  d'à-coups  de  génie  ;  il  a  l'air  ivre,  mais  il  n'est  que 
laborieusement  maladroit  ;  il  taille,  pour  en  faire  d'absurdes  cha- 
pelets, de  miraculeux  cailloux  roulés,  œuvres  d'une  patience  sécu- 
laire, mais  aux  dizaines,  il  laisse  la  petite  pierre  de  mer  toute  brute 
et  toute  nue,  parce  qu'il  aime  la  mer,  avec  une  grande  naïveté,  et 
parce  que  sa  folie  du  paradoxe  le  cède,  de  temps  en  temps,  à  une 
'ivresse  de  poésie  et  de  beauté.  »  Tristan  Corbière,  que  sou  cousin 
Pol  Kalig  a  défini  «  un  tendre  comprimé  »  et  (jue  M.  Martineau 
appelle  «  le  plus  irrégulicrel  le  plus  audacieux des/jot/es  timudits  », 
s  e>t  d'ailleurs  peint  lui-même  de  façon  saisissante  daus  ces  vers, 
écrits  par  lui  en  guise  d  épitaphe: 

Mélange  adultère  de  tout  : 

De  la  forluue  et  pas  le  sou. 

De  l'énergie  et  pas  de  force, 

La  liberté,  mais  une  eulorse. 

Du  cœur,  du  cœur!  de  l'âme,  non  — 

Des  amis,  pas  un  compagnon, 

De  l'idée  et  pas  une  idée, 

De  lamour  et  pas   une  aimée, 

La  paresse  et  pas  le  repos. 

Vertus  chez  lui  furent  défaut, 

Ame  blasée  inassouvie, 

Mort,  mais  pas  guéri  de  la  vie. 

Gâcheur  de  vie  hors  de  propos, 

Le  corps  à  sec  et  la  tête  ivre, 


TRISTAN    COnBlFIII  3| 


Espérant,  niant  l'avenir. 

Il  mourut  en  s'attendanl  vivre 

Et  vécut  s'allendant  mourir. 

Bibliographie  : 

Lf4  tri. vnF.fl.  —  Les  Amours  Jannet  (fa    ./7arrror»  «. 

nmhx.  Armor.  Cent  if>  M,  r.  Uindrls  jxiur  ajint).  Kn  I  ,,t 

(]o    l'iiiilpiir   |iar    lui  ni<'rii<',    à   IVaii-forlo.    Pari<.,  (JlaJy,   1^73,  lu-lS.    —  Le» 
AinoiirH  .lamics,   /•ditioii  rnmplMo.    F'ari*.  Vanirr.    1S91.  iii-18  (JUi  m*,;..'. 
lroi>i<>iiio  /^<litioii    avor    un  portrnil  t\o   l'anlrur  puLlir  drjà  <Ian^  la  pr 
/■(iilinii  t\f  l'oitex  Maudits.  Pari»*,  M»-— -rin  Micrf»^«iriir  «!•' VaiinT],  llHjî. 

—  (jîens  de  Mer,    Extrait  de$  a  Amour»   Jaune*  •.   l'aris,    Vani<>r,  1891 
iii-lK. 

A  «:()>sti.Ti  II.  —  n^my  «le  (lOurmont  :  Lr  Livre  dcn  }f,t.%que».  Paris,  .^w, 
(lu  Morruro  di«  France,  1M»G,  iii-ls.  Jules  I^forijne  :  Œuvrt*  eomplrt*-», 
Afi'lnnfje*  poxlhumra  [Voxpi  :  Aotrs  sur  Corhn  rr  .  l'aris,  .Soc.  du  Urrriirc  de 
Fraiiro.  1903,  in-l«.  —  Hené  Martioeau  :  Tristan  Corbirre.  Ktaai  de 
bioijrajihif  et  dt:  biblioqrapfiir.  Avec  doux  |)Orlr.  d«'  Tristan  Corbière.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1904,  in-I8.  —  Emile  Michelct  :  C<  ■ 
notice  pul.lice  dans  les  l'ortrails  du  prochain  sirclr.  Paris,  fiirar.' 
iii-lS.  —  Paul  Verlaine  :  Les  Poètes  maudits.  Paris,  Vanier.  I>i84  el  ;  . 
iu-ls. 

.1     Ajalhert  :  A'n  iJretaijne  :  f'n  jxtrte  de  la  mrr.  S 
31  mai   iv'ii   —  V.  Iluet  :  ISolcssur  Tristan  Corl.i.rr.  I   . 

—  Hen<''  Martiiieaa  :  Autour  de    Tristan  Corbière    Wcrcurw  de  France, 
16  sei»l<'iiil(if   19<i7. 


Iconographie 


■M 


Tristan  CorMrre  :  Tristan  Corbière  par  /t/i-m^mr,  eau-Torle,  1 
dcsAmuurxJauuis,  1873;  Id..  Caricature  en  couleurs,  ri'\>roi\.  dans  l'om 
de  Hené  Marlineau  :  Tristan  Corbi,rc,  Paris,  Soc.  du  Mircurc  de  Ki 
1904,  in- 18.  —  Anonyme  :  L'ortrait  à  la  plume.  l.uliVe.  Î4  août  iss:i.  ,1 
!'•  M.  des  Portes  maudits,  1884.  —  Luquo  :  Portrait  u  la  plume  publié 
dans  Les  l'oètes  maudits,  J*  éd.,  1888.  el  dans  La  Plume,  15  août  1891.  — 
F.  Val  lotion  :  Masijue,  dans  Le  Livre  d,s  M.isiiues,  de  R.  de  Gounnonl. 
Paris,   Soc.  du  Mercure  de  France,  1896. 


LA  RAPSODE    FORAINE  ET  LE  PARDON  DE  SAINTE-ANNE 

La  Pnlad,37  Août,  jour  du  Pardon. 


Bénite  est  l'infertile  plaiçc 
Où,  comme  la  mer,  tout  est  nud. 
Sainte  est  la  chapelle  sauvage 
De  Saiule-ADue-iJe-la-Palud.., 


POÈTES    d'aujourd'hui 


De  la  Bonne  Femme  Sainte  Anne, 
Grand'lante  du  petit  Jésus, 
En  bois  pourri  dans  sa  soutane 
Riche...  plus  riche  que  Crésus  ! 

Contre  elle  la  petite  Vierçe, 

Fuseau  frêle,  attend  VAngelas ; 

Au  coin,  Joseph,  tenant  son  ciercre,  ^ 

Niche,  en  saint  qu'on  ne  fête  plus... 

•C'est  le  Pardon.  —  Liesse  et  mystères  — 
Déjà  l'herbe  rase  a  des  poux. .. 

—  Sainte  Anne,  Onguent  des  belles-mères/ 
Consolation  des  époux  !... 

Des  paroisses  environnantes  : 

De  Ploutrastel  et  Loc-ïudy, 

Ils  viennent  tous  planter  leurs  tentes. 

Trois  nuits,  trois  jours,  —  jusqu'au  lundi. 

Trois  jours,  trois  nuits,  la  palud  groçne. 
Selon  l'antique  rituel, 

—  Chœur  séraphique  et  chant  d'ivrogne  — 
Le  Cantique  spirituel. 


Mère  taillée  à  coups  de  hache. 
Tout  cœur  de  chêne  dur  et  bon; 
Sous  Vor  de  sa  robe  se  cache 
Vàme  en  pièce  d'un  franc  Breton  ! 

—  Vieille  verte  à  la  face  usée 
Comme  la  pierre  du  torrent. 
Par  des  larmes  d'amour  creusée, 
Séchée  avec  des  pleurs  de  sang.,» 

—  Toiy  dont  la  mamelle  tarie 
S'est  refait,  pour  avoir  porté 
La  Virginité  de  Marie, 

Une  malt  virginité  l 


TRISTAN    COHBlànS  33 

A. 


—  Servante-matlresse  altière, 
Très  haute  (levant  le  Très- Haut', 
Au  pauvre  monde,  pas  Jirre, 
Dame  pleine  de  cnmme-il-faut  t 

—  B  fi  ton  des  aveugles  !  Jit'</uil/fi 
Des  vieilles  !  Bras  dfs  nouveau-nés/ 
Mère  de  madame  ta  Jille  I 
Parente  des  nhandonnès  ! 

—  O  Fleur  de  la  pucelle  neuve  / 
Fruit  de  l'épouse  au  sein  (jrossi  I 
Bepfisoir  de  lu  femme  veuve... 
El  du  veuf  Dame-de- merci  l 

—  Arche  de  Joachim  !  A  ïeule  ! 
Médaille  de  cuivre  effacé  ! 

Gui  sacré  !  Trèfle  (juatre- feuille  i 
Mont  d'Uoreb  I  Souclic  île  Jessé! 

—  O  toi  (fui  recouvrais  In  irndre^ 
Qui  filais  comme  on  fait  cher  naiiSf 
Quand  le  soir  venait  à  descendre^ 
Tenant  r\]sy\>i r  sur  tesijenou.c; 

Toi  (/ni  fus  /(i,  seule^  pour  f  lire 
Sun  tnatllot  à  Bctlilècm, 
El  là,  pour  Coudre  son  suaire 
Douloureux^  à  Jérusalem  !... 

Des  croix  profondes  sont  tes  rides. 
Tes  cheveux  sont  Idancs  comme  Jils.,. 

—  Présente  des  rfijards   arides 
Le  berceau  de  nos  petits-fils... 

Fais  venir  et  conserve  en  Joie 
Ceux  à  naître  et  ceux  qui  sont  néSy 
Et  verse,  sans  que  Dieu  te  voie. 
L'eau  de  tes  yeux  sur  les  damnés/ 


34  POÈTES  d'aujourd'hui 

Reprends  dans  leur  chemise  blanche 
Les  petits  qui  sont  en  langueur... 
Rappelle  à  l'éternel  Dimanche 
Les  vieux  qui  traînent  en  longueur, 

—  Dragon-qardien  de  la  Vierge^ 
Garde  la  crèche  sous  ton  œil. 

Que,  près  de  toi,  Joseph-concierge 
Garde  la  propreté  du  seuil  ! 

Prends  pitié  de  la  fille-mère^ 
Du  petit  au  bord  du  chemin... 
Si  quelqu'un  leur  jette  la  pierre. 
Que  la  pierre  se  change  en  pain  f 

—  Dame  bonne  en  mer  et  sur  terre. 
Montre-nous  le  ciel  et  le  port. 
Dans  la  tempête  ou  dans  la  guerre,,, 
O  Fanal  de  la  bonne  mort  ! 

Humble  :  à  tes  pieds  n'as  point  d'étoile, 
Humble...  et  brave  pour  protéger  ! 
Dans  la  nue  apparaît  ton  voile, 
Pâle  auréole  du  danger. 

—  Aux  perdus  dont  la  vie  est  grise, 

( —  SauJ  respect  —  perdus  de  boisson) 
Montre  le  clocher  de  l'église 
Et  le  chemin  de  la  maison. 

Prête  ta  douce  et  chaste  Jl anime 
Aux   chrétiens  qui  sont  ici... 
Ton  remède  de  bonne  femme 
Pour  tes  bêteS'à'Corne  aussi  / 

Montre  à  nos  femmes  et  servantes 
L'ouvrage  et  la  fécondité... 

—  Le  bonjour  aux  âmes  parentes 
Qui  sont  bien  dans  l'éternité  ! 


TniSTAN  GORDIÈRB  35 


—  Nous  mettrons  un  cordon  de  cirCj 
De  rin'-rierf/p  jaune  autfjur 

De  ta  chapelle  et  ferons  dire 
Ta  messe  basse  au  point  du  jour. 

Préserve  notre  cheminée 
Des  sorts  et  du  monde  malin. . . 
A  Pàf/ues  te  sera  donnée 
Une  quenouille  avec  da  lin. 

Si  nos  corps  sont  puants  sur  terrty 
Ta  grâce  est  un  bain  de  santé  ; 
Répands  sur  nouSj  au  cimetière^ 
Ta  Imnnc  ndrur  de  sainteté. 

—  A  l'an  prochain  !  —  Voici  ttm  cierge 
(C'est  dcii.r  lirres  f/u'il  a  coûté) 

. . .   licspects  à  Madame  la  Vierge, 
Sans  oublier  la  Trinité. 


.  . .  Fa  les  fMlrl»»»,  en  rhemise. 
Sainte  Anm^  ayez  pitié  de  nous! 
Font  trois  fois  If  tour  de  l'ëçlisc 
Kn  se  traînant  sur  leurs  «jenoux, 

Et  boivent  l'eau  nuracuieuse 
Où  l«'s  J(t|»  teiti^iieiix  ont  lavé 
Leur  luuiité  contai;;ieuse. . . 
A  lier  :  la  Foi  uous  a  sauvé  !  - 

C'est  là  que  tiennent  leurs  cénacles 
Les  pauvres,  frères  de  Jésus. 
—  Ce  n'est  pas  la  cour  des  miracles, 
Les  trous  sont  vr.iis  ■    VI  df  lit  fus  f 

Sout-ils  pas  divins  sur  it  ih>  ciaies, 
Qu'auréole  un  nimbe  vermeil. 


3Ç  POÈTES  d'aujourd'hui 


Ces  propriétaires  de  plaies, 
Rubis  vivants  sous  le  soleil  ! . . . 

En  aboyant,  un  rachitique 
Secoue  un  moignon  désossé, 
Coudoyant  un  épileplique 
Qui  travaille  dans  un  fossé. 

Là,  ce  tronc  d'homme  où  croît  l'uli-ère. 
Contre  un  tronc  d'arbre  où  croît  le  g-ui. 
Ici,  c'est  la  fille  et  la  mère 
Dansant  la  danse  de  Saint-Guy. 

Cet  autre  pare  le  cautère 
De  son  petit  enfant  malsain  : 

—  L*eofant  se  doit  à  son  vieux  père... 

—  Et  le  chancre  est  un  ^agne-pain  1 

Là,  c'est  l'idiot  de  naissance. 

Un  visité  par  Gabriel, 

Dans  l'extase  de  l'innocence. . . 

—  L'innocent  est  [tout]  près  du  ciel  !  — 

—  Tiens,  passant,  res^arde  :  tout  passe. 
L'œil  de  l'idiot  est  resté. 

Car  il  est  en  état  de  çrâce . . . 

—  Et  la  Grâce  est  l'Eternité  !  — 

Parmi  les  autres,  après  vêpre, 
Oui  sont  d'eau  bénite  arrosés, 
Un  cadavre,  vivant  de  lèpre. 
Fleurit,  souvenir  des  croisés. . . 

Puis  tous  ceux  que  les  Rois  de  Franco 
Guérissaient  d'un  toucher  do  ddiii^ls.  .. 

—  Mais  la  France  n'a  plus  de  Rois, 
Et  leur  dieu  suspend  sa  clémence. 

—  Charité  dans  leurs  écuelles  !.., 
Nos  aïeux  ensemble  ont  porté 


XaiSTA^N    CURBIEKE 


Ce3  fleurs  de  lis  en  écronelles 
Dont  ces  choisis  ont  hérité. 

Miserere  pour  les  ripailles 
Des  An/co/crifjnets  et  K<ikoiis  /... 
Ces  inoiifiions-là  sout  des  tenailles, 
Ces  bétpiilles  donnent  des  coups. 

Risquez-vous  donc  là,  pens  ingambes, 
Mais  i^are  pour  votre  toison  : 
Gare  aux  bras  crochus!  gare  aux  jambes 
En  kyrie-tleison  ! 

..  .  Va  dcluurne-toi,  jeune  fille. 
Oui  viens  là  voir,  et  prentire  Pair.,. 
Peut-être,  sous  l'autre  guenille. 
Percerait  la  «guenille  eu  eliair. .  , 

C'est  (pi'ils  chassent  là  sur  leurs  terres  I 
Leurs  peaux  sont  leurs  blasons  béants  : 

—  Le  droit  —  du  —  seigneur  à  leurs  serres  !,,, 

—  Le  droit  du  Seigneur  de  céans  !  — 

Tas  A'ejc-roto  de  carne  imjnire, 
Charnier  d'élus  pour  les  cicux, 
Chez  le  Sriu^neur  ils  sont  chez  eux  I 

—  Ne  sont-ils  pas  sa  créature... 

Ils  ii^rouiilent  dans  le  cimetière, 
On  dirait  les  morts  déroutés 
N'ayant  tiré  de  sous  la  pierre 
Que  des  membres  mal  rcboulcs. 

—  Nous,  taisons-nous  !. ..  Ils  sont  sacrés. 
C'est  la  faute  d'.Vdam  punie, 

Le  doiiçt  d'Ln-haut  les  a  mar(|ués  : 

—  La  droite  d'Ln-haut  soit  In^nie  I 

Du  ï^rand  troupeau,  boucs  émissaires 
Chargés  des  forfaits  d'ici-bas. 


38  POÈTES  d'aujourd  hui 


Sur  eux  Dieu  purge  ses  colères  1 . . . 

—  Le  pasteur  de  Sainte-Anne  est  gras.  — 

Mais  une  note  pantelante, 
Echo  grelottant  dans  le  vent, 
Vient  battre  la  rumeur  bêlante 
De  ce  purgatoire  ambulant. 

Une  forme  humaine  qui  beugle 
Contre  le  calvaire  se  tient  ; 
C'est  comme  un  moitié  d'aveugle  : 
Elle  est  borgne  et  n'a  pas  de  chien. .. 

C'est  une  rapsode  foraine 
Qui  donne  aux  gens  pour  un  iiard 
Ulstoyre  de  la  Magdalayne, 
Du  Juif  Errant  ou  d'Abaylar. 

Elle  haie  comme  une  plainte, 
Comme  une  plainte  de  la  faim. 
Et,  longue  comme  un  jour  sans  pain, 
Lamentablement,   sa  complainte... 

—  Ça  chante  comme  ça  respire, 
Triste  oiseau  sans  plume  et  sans  nid 
Vaffuant  où  son  instinct  l'attire  : 
Autour  des  Bon-Dieu  de  granit. . . 

Ça  peut  parler  aussi,  sans  doute. 
Ça  peut  penser  comme  ça  voit  : 
Toujours  devant  soi  la  grnnd'route.  . . 

—  Et,  quand  c'a  deux  sous,  ça  les  boit. 

—  Femme  :  on  dirait,  hélas  !  —  sa  nippe 
Lui  pend,  ficelée  en  jupon; 

Sa  dent  noire  serre  une  pipe 
Eteinte...  —  Oh,  la  vie  a  du  bon  !  — 

Son  nom.  . .  ça  se  nonmie  Misère. 
Ça  s'est  trouvé  né  par  hasard. 


.TRlbTAN    COnBlénE  3() 

Ça  sera  trouvé  mort  par  terre... 
La  même  chose  —  quelque  part. 

Si  tu  la  rencontres,  Poète, 

Avec  son  vieux  sac  de  soldat  : 

C'est  notre  so'ur.  . .  donne  —  c'est  fête  — 

Pour  sa  pipe,  un  peu  de  tabac  ! .  .  , 

Tu  verras  dans  sa  face  creu^r 
Se  creuser,  comme  dans  du  hois. 
Un  sourire  ;  et  sa  main  galeuse 
Te  faire  un  vrai  sij^ne  de  croix. 

{Les  Amours  Jaunes .  ) 

RAPSODIE   DU  SOUHD 

A  Madame  D'*\ 

L'iiomme  de  Tari  lui  dit  :  —  Fort  l)i('n,  restons-en  là 
Lp  traitement  est  fait  :  vous  êtes  sourd.  Voilà 
Comme  jpioi  vous  avez  l'orti^aiie  bien  penlu.  — 
Et  lui  comprit  trop  bien,  n'ayaiH  pas  entendu. 

Eh  bien,  merci,  Monsieur,  vous  qui  daijj;nez  me  rendre 

La  tète  comme  un  bon  cercueil. 
Désormais,  à  crédit,  je  pourrai  tout  entendre 

Avec  un  léijitime  orgueil... 

À  Cœll.  —  Mais  gare  à  l'œil  jaloux,  t^ardant  la  place. 
De  l'oreille  au  clou  !...  —  Non.  —  A  «pioi  sert  de  braver  ? 
...  Si  j'ai  siitlé  trop  haut  le  ridicule  en  face. 
En  face,  et  bassement,  il  pourra  me  braver  I... 

Moi,  mannequin  muet,  à  Ç\\  banal  !  Demain, 
Dans  la  rue,  un  ami  peut  me  prendre  la  main, 
En  me  disant  :  vieux  pot...,  ou  rien,  m  radouci; 
Kt  je  lui  répondrai  :  —  Pas  mal  et  vous,  merci!  — 

Si  l'on  me  corne  un  mot,  j'enrage  de  l'entendre; 
Si  quelque  autre  se  tait  :  serait-ce  par  pitié?... 


^o  POÈTES  D'aujourd'hui 


Toujours  comme  un  rébus,  je  travaille  à  surprendre 
Un  mot  de  travers...   —  Non.  —  On  m'a  donc  oublié  ! 

—  Ou  bien  —  autre  guitare  —  un  officieux  être 
Dont  la  lippe  me  fait  le  mouvement  du  pâtre, 
Croit  me  parler...  Et  moi  je  tire,  eu  me  rongeant. 
Un  sourire  idiot  —  d'un  air  intelligent  1 

Bonnet  de  laine  grise  enfoncé  sur  mon  âme  ! 

Eh  —  coup  de  pied  de  Tàne...  Hue  !  —  Une  bonne  femme 

Vieille  Limonadière,  aussi  de  la  Passion  ! 

Peut  venir  saliver  sa  sainte  compassion 

Dans  ma  trompe  d' Eastache,  à  pleins  cris,  à  plein  cor, 

Sans  que  je  puisse  au  moins  lui  marcher  sur  un  cor  ! 

—  Bête  comme  une  vierge  et  fier  comme  un  lépreux, 
Je  suis  là,  mais  absent...  On  dit  :  Est-ce  un  gâteux, 
Poète  muselé,  hérisson  à  rebours? 

Un  haussement  d'épaule,  et  ça  veut  dire  :   un  sourd. 

—  Hystérique  tourment  d'un  Tantale  acoustique  ! 
Je  vois  voler  des  mots  que  je  ne  puis  happer  ; 
Gobe-mouche  impuissant,  mangé  par  un  moustique, 
Tète  de  turc  gratis  où  chacun  peu  taper. 

0  musique  céleste  :  entendre,  sur  du  plâtre, 
Gratter  un  coquillage  !  un  rasoir,  un  couteau 
Grinçant  dans  un  bouchon...  Un  couplet  de  théâtre  ! 
Un  os  vivant  qu'on  scie  !  un  monsieur  !  un  rondeau!... 

—  Rien.  —  Je  parle  sous  moi...  des  mots  qu'à  l'air  je  jette 
De  chic,  et  sans  savoir  sî^  je  parle  en  indou... 

Ou  peut-être  en  canard,  comme  la  clarinette 
D'un  aveugle  bouché  qui  se  trompe  de  trou. 

—  Va  donc,  balancier  soûl,  affolé  dans  ma  tcte  ! 
Bats  en  branle  ce  bon  tam-tam,  chaudron  fêlé 
(jm  rend  la  voix  de  IVmme  ainsi  (ju'une  sonnette, 
Q'uu  coucou  I...  quelquefois  :  un  moucheron  aile... 


TRISTAN    COnBlFrXE  ^1 


—  Va  te  coucher  mon  cœuri  et  ne  bats  pins  de  l'aile. 
Dans  la  lanterne  s()iir<le  éloiilTons  la  chandelle, 
El  tout  ce  qui  vibrait  \k  —  je  ne  sais  plus  où  — 
Oubliette  où  l'on  vient  de  tirer  le  verrou. 

Soyez  muette  pour  moi,  contemplative  Idole, 
Tous  les  deux,  l'un  par  l'autre,  oubliant  la  parole, 
Vous  ne  me  direz  mot  :  je  ne  ri'pondrai  rien... 
Et  rien  ne  pourra  dcdorer  l'entretien. 

Le  Silence  est  d'or  (Saiot  Jean  Cbrysostûme). 


LUCIE    DELARUE-MARDRUS 
4880 


M"»»  Lucie  Delarue-Mardrus  est  née  le  3  novembre  1880  à  Hon. 
fleur.  Son  père,  également  né  en  Normandie,  «"st  avocat  à  la  Cour 
de  Paris.  Elle  a  <'pousé,  en  1900,  le  docteur  J.-C.  Mardrus,  auteur 
d'une  traduction  des  Mille  et  une  Nuits. 

M"""  Delarue-Mardrus,  qui  a  beaucoup  voyagé  aux  côtés  de  son 
mari,  a  gardé  un  grand  culte  à  son  pays  natal  qu'elle  a  souvent 
chante  dans  ses  poèmes.  On  a  d'elle,  dans  ce  sens,  un  très  beau 
vers  :  Ah  !  je  ne  guérirai  jamais  de  mon  pays  !  —  qui  embellit  à 
lui  seul  toute  son  œuvre.  On  s'est  plu  à  reconnaître  en  M°«  Dela- 
rue-Mardrus, dès  ses  dt'buts,  une  très  vive  originalité  comme  p(»cle. 
Elle  a  de  la  fougue,  en  effet,  une  inspiration  curieuse,  et  un  style 
bien  à  elle.  Elle  donne  même  cette  impression  qu'elle  n'a  pas  de 
sa  langue  une  connaissance  très  complète,  créant  pour  son  besoin 
tel  ou  tel  mot  rarement  heureux,  donnant  à  des  adjectifs  des  sens 
de  substantifs,  n'hésitant  devant  aucune  image,  aucune  comparai- 
son si  discordantes  soient-elles,  avec  des  préciosités  qui  veulent 
étonner,  et  des  repétitions  puériles.  «  Moi,  je  parle  bizarre  comme 
d'autres  parlent  français  »,  lui  a  fait  dire  M.  Charles  Maurras  (11. 
On  peut  trou>er  en  elle  le  dernier  de  nos  «  décadents  »  et  la  pre- 
mière de  nos  «  précieuses  »  actuelles. 

M"'*  Delarue-Mardrus,  qui  fait  partie  du  Comité  du  Prix  de  La 
Vie  //eureuse, a  collaboré  à  la  Revue  blanche,  a^\x  Mercure  de  France, 
à  La  Plume,  à  la  Revue  de  Paris,  à  la  Revue  des  Deux-Mon<!cs, 
à  La  Vie  Heureuse,  à  la  Revue,  a\x  Censeur,  à  la  Revue  hebdoma- 
daire, à  L'Ermitage,  à  Antèe,  etc.  Auteur  dramatique,  elle  a  fait 
jouer,  en  190G,  Sapho  désespérée,  tragédie  antique,  au  Théâtre 
d'Orange,  et  en  1907,  Aa  Prêtresse  de  Tanit,  poème  dramatique,  au 
Théâtre  anti<iue  de  Garthage.  Elle  a  donné  également  des  articles, 
contes  et   nouvelles  au  Gil    Rlas  (1903-1906;,  au  Malin    (igoO),  au 

(1)  Le  Romantisme  féminin  :  M"*  Delarue-Mardru»,  Minerra,  mai  1903. 


LUCIE    DELARUK-MARDRl'S  4^ 


Gaulois  '1907)  et  publie  régulièrement, depuis  1906,  dei  contes  dam 
Le  Journal. 

Bibliographie  : 

Lis  œlvbf*.  —  Occident,  po/«iM.  Piiris,  éd.  de  m  la  Rerue  Blanche  », 
i'/Oft,  in  8.  —  Ferveur,  |)0«Mo<*  Pari»,  fd.  «le  «  la  |{cru«Bl.in(  lioa.  lî)t'2.in  !«. 
—  Hf»rlzons,  poAxif».  Pari*,  Fa«/niollp,  lOOi,  in-l«.  —  Hnplio  (lé«(>H|><^r(''e, 
IraK"'»''^  aiili«|uccn  deui  actes  rcpr<^»rnt<^c  au  'nn''illpiMrOran;:r,  |p  6  amlt  lOitfi^ 
et  sous  ce  titre  :  l'haon  victorieux,  au  Tli«'';\(rc  Ki'-niiniii  dcH  (Miaui|M  Klv..io^, 
le  It  mars  19<i6  (non  publié).—  La  Figure  de  Proue,  poè»ie«.  Parité  Fas- 
quell«\  l'JOS,  in- 18. 

Pour    paraître  :  Keine    «lo  M«'r,  ilramo  en   trois  actes  en  rcrs. 

A  coN8Li.Tt:n.  —  (;por(|os  C.-istMIa  et  Krncat  (înuhert  :  /^  Nvurtllt 
littérature,  IS9r,l905.  Pari;»,  San«ot.  1906,  in-J8.  —  ErueRl  Ch.nrlea  :  Ac» 
Samrilis  titti'rairrs,  .'î'  sôric.  Pari«,  .'^aii^l,  1905,  iu-18.  —  Kobert  (lo 
M4Mili'»qiiiou  :  l'rofestiunnvlle»  bi  auti't.  Paris,  Juven,  1905,  in-IS.  —  C. 
r»oiu.>.()l  :  Antlioloi/ie  di-i  /tin-liM  normands  contemporains,  Pari*,  Flourr, 
t,  in-18.  —  C^h.  -  Th.  Férel  :  l'oètesset  normandes.  Du  Uidet  an 
■  M»'.  Paris.  Uoy.    1908.  in-8. 

■**  :  MmUime  Lucie  Delarut-hfnrdrus.  Madame  tt  Monsieur,  Il  aoât 
i>.<;.  —  Henri  llldou  :  Miulnuie  Itelaruc-Mardrux  au  /ku/s  dis  Aniftrs. 
Iji  Vie  IIiMiriMi-.c,«,cplfuilue  19:1);  Madame  Detnrur-Mardrut  ehes  les  Mara- 
bouts du  Maroc,  illuslr.  !,a  Vie  llourousr,  juillet  1906.  —  Georf(os  Csiioila  : 
Mailame    Lucie  Dclarue- Mardrus,  ill.    Iteviin    Illu«*tr<'T,    .')  janvier    19ii6.  — 

Cli;irles    Maurrati   :  Le   nomnntixmf   fiminin.   Minerva.  !♦'  mai   1903.  

Léon  l'ai'Kons  :  Le  Docteur  et  Madame  Mardrus  au  désert.  Globe  Trot- 
ter, 12  oilol.re  1905.  —  Voir  en  outre  le  numéro  de  «  Fémioa  »  du  l"  octo- 
bre 19o5  (uombr.  i!tu»lr). 

Iconographie  : 

AllxMt  lieflnard  :  Portrait  en  pied,  aquarelle,  exposée  &  la  Soc.  nat.  des 
Bi-aui  .\ils,  IUu3  (App.  à  M"*  Delarue-Mardrus).  *-  Haymond  de  Itrou- 
tellcs  :  Itusle,  bronze,  exposé  au  Salon  d'automne,  19oG.  _  Capicllo  : 
AijXianUe  repro<luilc  dans  La  Vie  Parisienne,  19(»6.  —  Jeoffroy  :  L'art- 
€ature.  Cri  de  Paris,  mars  1907.  —  Rouveyre  :  Dessin  pul)lié  dans  Car- 
casses divines,  portraits  et  monographiet  dessinés,  1906  et  1907  Paris. 
J.  bo»c,  19U7,  in-4.  ^ 

RÉVEIL 

Que  renc^oiirdissenicnt  des  choses  et  des  ^Ires 
Tressaille,  d'un  frisson  précurseur  de  réveil  ! 
Sous  cha(jue  porte  hrAle  un  filet  de  sulril, 
Le  beau  ciel  bleu  de  mars  entre  |)ar  les  tenélres. 

Allons  avec  nos  doitris  tachés  d'encre  au  jardin, 
Mêler  nos  cœurs  troublés  à  In  terre  intjuièle  ; 


44  POÈTES    d'aujourd'hui 


Si  l'air  y  est  resté  sans  parfum,  dès  demain 
Tout  le  Printemps  tiendra  dans  une  violette. 

Les  gazons  n'ont  encor  de  fleurs  ni  de  bourdons, 
Mais  de  l'herbe  est  poussée  entre  les  pierres  sèches, 
Et,  tendrement  plies,  quelques  cotylédons 
Crèvent  le  sol  épais  avec  leurs  têtes  fraîches. 

Déjà  chaque  bourgeon  goudronné  s'est  ouvert  ; 
Un  sourd  travail  émeut  le  plus  dur  épiderme  ; 
Les  vieux  marrons  tombés  risquent  un  mince  germe 
Plein  de  précaution  et  rampant  comme  un  ver. 

Je  songe  sur  la  pierre  où  je  me  suis  assise  ; 
Le  Printemps  est  miré  dans  mes  yeux  matinaux  : 
Autour  de  mon  repos,  la  saison  indécise 
Fait  de  tous  les  côtés  piailler  les  oiseaux. 

Le  beau  temps  délicat  chauffe  ma  gorge  nue 

Où  repose  ma  voix,  douce  comme  un  pigeon. 

Je  sens  avec  mon  cœur,  au  fond  de  l'étendue, 

Le  pauvre  cœur  humain  claquer  comme  un  bourgeon . .. 

Hélas  ! . ..  l'air  déjà  tiède  où  le  printemps  progresse. 
Où  les  sens  sont  surpris  d'un  premier  abandon, 
N'aura-t-il  pas  un  peu  de  paix  et  de  pardon 
Pour  tout  ce  qui  sanglote  au  monde  de  détresse  ?. . , 

(Ferveur.  Fasquelle.) 

AVENIR 

Normandie  herbagère,  éclatante  et  mouillée, 
Mon  csj^rit  et  mon  sang,  mon  amour,  mon  pays. 
Nous  voulons  venir  vivre  un  jour,  doux  et  vieillis 
Parmi  tes  prés,  au  fond  d'une  maison  rayée, 

Et,  possc'dant  un  clos  planté  de  beaux  pommiers, 
(Quelques  bêles,  des  blés  et  du  cidre  en  barriques. 
Essayer  que  nos  cœurs,  comme  ceux  des  fermiers, 
Se  fassent  plus  noueux  et  plus  forts  que  des  triques. 


LUCIE    DELABUE-MAilDRUS  ^5 

Noire  Itirn  s'i-tcnflra  du  côté  de  Rouen. 
La  cathédrale  au  loin  dépassera  la  haie, 
l^a  Seine  imbibera  notre  lierbat^c  en  jouant, 
Et  nous  aurons  à  nous  une  petite  baie. 

Par  des  après-midi  de  printemps  visfoureux, 
Quand  les  aub(''{)iniers  attendent  «ju'on  les  cueille, 
Nous  irons  doucement  par  les  verts  chemins  creux 
Où  l'on  se  croit  roulé  dans  une  immense  feuille. 

L'été,  nous  rêverons,  quand  la  nuit  sent  le  foin. 
Nous  aimerons  aussi  les  craquantes  automnes. 
Et  riiiver  étendu  sur  les  pré's  monotones, 
Quand  l'énorme  feu  flambe  et  qu'on  s'assied  au  coin. 

Afin,  quand  nous  mourrons,  que  notre  corps  s'enlise 
Au  cn-ur  (lu  sol  natal  par  la  pluie  arrosé'. 
Sous  des  pommiers,  autour  de  la  petite  ée^lise, 
Où  dort  jirofondément  nm  race  au  ne/  rusé, 

Et  qu'étant  au  milieu  des  femmes  et  des  hommes 

Oui  vécurent  lassés  dans  un  rnérue  horizon, 

Il  tombe  sur  nous  tous,  selon  chaque  s.iison. 

Les  fleurs  de  ces  pommiers,  leurs  feuilles  ou  leurs  pommes. 

{Horizons.  Fasquelle.) 

LA  Fir.URE  DE  PROUE 

La  fic^ure  de  proue  allonjçée  k  l'étrave, 
\'ers  les  «piatre  intinis,  le  visaçe  en  avant 
S'élance  ;  et,  majj^niti(jue,  enorij;ueilli  de  vent. 
Le  bateau  tout  entier  la   suit  comme  un  esclave. 

Ses  yeux  ont  la  couleur  du  lars^e  doux-amer, 
Mille  relents  salins  ont  çonflé  ses  narines. 
Et  sa  bouche  entr'ouverte  a  bu  toute  la  mer. 

Lors  de  son  j>remier  choc  contre  la  vai^ue  ronde, 
Quand,  neuve,  elle  quilU  le  Drcmierde  ses  ports, 

4. 


fJO  POÈTES    d'aujourd'hui 


Elle  mit,  pour  voler  toutes  voiles  dehors. 

Et  ses  jeunes  marins  criaient  :  a  Au  nord  du  monde  !  » 

Ce  jour  la  mariait,  vierge,  avec  l'Inconnu. 
Le  hasard,  désormais,  la  £;^uetle  à  chaque  rive, 
Car,  sur  la  proue  aiguë  où  son  destin  la  rive, 
Qui  sait  quels  océans  laveront  son  front  nu  ? 

Elle  naviguera  dans  l'oubli  des  tempêtes 
Sur  l'argent  des  minuits  et  sur  l'or  des  midis, 
Et  ses  veux  pl'Miroront  l«'s  liAvres  arrondis 
Quand  les  lames  l'attaqueront  comme  des  bêles. 

Elle  saura  tous  les  aspects,  tous  les  climats, 

La  chaleur  et  le  froid,  l'Equateur  et  les  pôles  ; 

Elle  rapportera  sur  ses  frêles  épaules 

Le  monde,  et  tous  les  ciels  aux  pointes  de  ses  mâts. 

Et  toujours,  face  au  large  où  neigpnt  des  mouettes. 
Dans  la  sécurité  comme  dans  le  péril, 
Seule,  elle  mènera  son  vaisseau  vers  l'exil 
Où  s'en  vont  à  jamais  les  désirs  des  poêles  ; 

Seule,  elle  aflronlera  les  assauts  fui'ihonds 
De  l'ennemie  énigniati(jue  cl  ses  grands  calmes  ; 
Seule,  à  son  front,  elle  ceindra,  telles  des  palmes. 
Les  souvenirs  de  tant  de  sommeils  et  de  bonds. 

Et  quand,  ayant  blessé  les  flots  de  son  sillage, 
Le  chef  coilîé  de  goémons,  t^auvagruient, 
Elle  s'en  reviendra  comme  vers  un  aimant 
A  son  port,  le  col  ceint  des  perles  du  voyage, 

Parmi  toutes  les  mers  qui  baignent  les  pays, 
Le  mirage  profond  de  sa  face  effarée 
Aura  divinement  n>p«Miplé  la  marée 
D'une  ullin)e  sirène  aux  r«gards  inouïs. 


LUCIE    DBtARUE-MAnDnLS  4? 


...  J'ai  voulu  le  destin  des  Mi^iires  de  proue 
Oui  tôt  quillenl  le  port  ot  (jiii  reviennent  tard. 
Je  suis  jalouse  tlu  retour  et  du  di'pnrt 
El  des  coraux  mouillés  dont  leur  gor^e  se  noue. 

J'affronterai  les  mornes  cçris,  les  brûlants  bleus 

De  la  mer  Hi^urée  et  de  la  mer  rreile, 

Puisque,  du  fund  du  ris(jue,  on  s'en  revient  plus  belle, 

Rapportant  un  visage  ardent  et  fabuleux. 

Je  serai  celle-là,  de  son  vaisseau  suivie, 
Qui  lève  haut  un  front  des  houles  baptise, 
Kl  dont  lecœur,  juscpi'à  la  mort  inapaisé, 
Traverse  bravement  le  voyai^e  et  la  vie. 

(La  Figure  de  Proue.  Fasquelle. 

r.IIANT  DE  L\  PASSION 

Le  r.hrist  en  croix  avec  des  clous  dans  ses  paumes. 

Avec  des  clous  dans  ses  deux  pieds. 
Ses  yeux  de  mendiant  prometleul  des  royaumes 

A  ses  dernières  amitiés. 

Sa  mère,  doucement,  repose,  évanouie 

Dans  les  bras  désolés  de  Jean. 
Madeleine  est  debout,  toison  épanouie. 

Ses  cheveux  sont  d'or  cl  d'argent. 

Mad«"leine  est  debout,  blanche  cl  la  gorge  haute, 

Le  corps  fier,  l«*  chef  ortrueilleux. 
Elle  palpite  encor  de  la  mulliple  faute, 

Ses  cils  font  la  nuit  sur  ses  yeux. 

La  pécheresse  et  Dieu,  l'un  en  fnee  de  l'autre, 

Sont  ainsi  sur  le  Goisrothn. 
Et  Madelrinr  dit  :  «  Mallre,  vois  luu  elat  ! 

Vois  ta  mère  el  vois  ton  apôtre  I 

«  Ils  succombant  au  poids  do  leurs  propres  douleurs, 


48  poèTES  d'aujourd'hui 


Néerlisr^ant  la  suprême  Tienne. 
Si  moi  spiile,  debout,  je  t'assiste  sans  pleurs, 
C'est  que  je  ne  suis  pas  chnHienne. 

«  Tous  les  tiens  se  noieront  dans  ce  tiède  chagrin, 

Car,  à  cause  de  toi,  leur  àme 
Sera  faible  en  dessous  des  cilices  de  crin, 

O  Jésus,  ô  fils  de  la  Femme  ! 

a  Tu  meurs  sans  avoir  su  ce  qu'était  le  bonheur, 

La  joie  ici-bas,  seule  vraie. 
Sur  tes  sillons  humains,  ù  morose  semeur. 

Croît  la  tristesse,  cette  ivraie. 

«  Moi,  j'avais  sur  tes  pieds  répandu  mon  parfum. 
Croyant  t'embaumer  jus(ju'à  Tàrne. 

Mais  t'essuyant  avec  mes  cheveux  chauds  de  fenvme 
Je  n'ai  fait  qu'un  geste  importun. 

«  Car  tu  n'as  pas  compris  que  l'essence  coûteuse 

Et  le  frisson  de  mes  cheveux, 
C'était  l'enseignement  de  la  chair  amoureuse, 

La  leçon  de  la  Vie  aux  Dieux. 

<c  11  est  plus  de  mystère,  il  est  plus  de  musique 

Parmi  les  choses  d'ici  bas, 
Il  est  plus  d'infini  dont  on  n'approche  pas 

Que  dans  ton  ciel  métaphysique. 

«  Or,  Madeleine,  l'amoureuse  que  voilà, 
T'enseiî^ne,  ô  moribond  farouche  1 

Apprends  d'elle  aujourd'hui  comment  tout  l'Au-Delà 
Tient  dans  un  baiser  sur  la  bouche  !» 

Madeleine  étreignant  le  Christ  assassiné, 

Dont  la  face  se  désespère, 
Mord  la  bouche  qui  crie  :  «  0  mon  Père,  mon  Père. 

Pourquoi  m'avoir  abandonné  ?  » 

Et  Madeleine  dit  :  «  Ineffable  victime 

De  mes  lèvres  rotiges  d'émoi, 
Les  femmes  avenir  feront  toutes  le  crime 


LUCIE  DF.i.Ant'r-MARonrs  49 


De  t'ainifr  rl'amour  rommemoi. 

«  Dinniiir,  ô  doux,  o  MuihI,  vumlra  de  ton  haleine 

Kt  (|ii:i[id  elle  pritTa,  la  riiiil. 
Elle  ne  saura  pas  (]ir(>lle  est  la  Madeleine 

Kprise  du  \)\v\i  «prelle  suit. 

«  Pounjuoi  t'rlre  prnrh»*  vrrs  une  courtisane, 

Knininniirl,  loi  (pie  j'aimais? 
Tout  ton  «Miscii^inMiHMit,  sous  mon  soufflf  profane 

Dt'faille  d'amour  à  jamais. 

c  Sur  la  ruine  des  sens  ta  morale  est  bâtie, 

M:ùs  tu  n'as  pas  pn-vu  la  fln^ 
Toi  (pii  n'as  pas  pnvu  le  l>aisrr  de  l'hostie, 

Dont  tant  dr  bouches  auront  faim. 

c  Tu  croyais  n'avoir  fait  «pi'une  dure  promesse 

De  para<lis  apr«'*sla  mort  ; 
Mais  voici  n-parallre  au  travers  de  la  messe 

Mou  parlum  et  mes  cheveux  d'or. 

<(  Resçnrde  s'élever  sous  ta  pauvre  (ruelle, 
—  De  |)ierre  et  de  verre  l)rillant,  — 

Une  bellr  maison    myslifpie  t'i  sensuelle, 
Parfumée  aux  crains  d'Orient. 

«L'hori/on,  hérisse  déjà  de  cath«'drales, 
Ilrniplit  tes  yeux  mourants  d'efTrui. 

O  Habbi  !  Je  l'entends  «pii  te  plains  et  qui  râles  : 
Peut-être  as-tu  perdu   ta  foi  ! 

«  Mrurs  !  Tout  mon  parfum  resti«à  travers  ton  histoirr  ! 

()  loi  t|ui  ur  mr  rrait^nais  |ioinl, 
Mes  cheveux  sont  dans  (a  doctrine,  et  c'est  ma  çloirc 

De  l'avoir  à  tout  jamais  oint. 

«  Meurs  !  Kroiite,  en  dépit  dr  la  parole  austère, 

Autour  «le  la  croix,  folleuicnt. 
Crier  vers  loi  l'.Xmour,  revanche  de  la  lerrc, 

0  Jésus,  éternel  amunt  !  m 


EMILE   DESPAX 
4881 


M.  Emile  Despax  est  né  k  Dax  (Landes),  le  i4  septembre  1881.  Il 
est  l'arrière-petit-fils  du  médecin  Jean  Hameau,  qui,  le  premier,  écri- 
vit un  Traité  des  Virus,  nia  la'«  génération  spontanée  »  et  fut  le 
précurseur  de  Pasteur. M. Emile  Despax, emmené  très  jeune  aux  colo- 
nies, passa  son  enfance  aux  îles  Comores  et  à  La  Réunion.  Rentré  en 
France,  il  passa  quelques  années  au  lycée  de  Bordeaux,  puis  vint  â 
Paris  achever  ses  études  au  lycée  Henri  IV.  II  était  encore  coUéçieB 
qu'il  collaborait  déjà  au  Mercure  de  France,  à  La  Plume,  à  L'Ermi- 
tage età  \ai  Renaissance  latine.Vae  petite  plaquette  qu'il  publia  hors 
commerce,  Au  seuil  de  la  lande,  le  fit,  en  igoa,  alors  qu'elle  n'é- 
tait encore  qu'à  l'état  de  manuscrit,  candidat  au  prix  Sully-Prud- 
homme.  Classé  premier,  il  se  vit  cependant  refuser  le  prix,  pour  n'a- 
voir pas  observé  rigoureusement  dans  ses  poèmes  la  technique  par- 
nassienne. Quelque  temps  après,  il  publia  un  recueil  de  tous 
ses  vers  :  La  Maison  des  Glycines,  auquel  l'Académie  française, 
plus  libérale  en  même  temps  que  plus  clairvoyante  que  le  Comité 
du  Prix  Sully-Prudhomme,  décerna,  en  1906.  le  Prix  Archon- 
Despérouses.  Depuis  190S,  M.Emile  Despax  est  attaché  au  Cabinet 
du  minisire  des  Colonies,  comme  chef  du  secrétariat  particulier, 

M.  Emile  Despax  est  vraiment  Timai^e  du  poète  dans  sa  jeunesse, 
sensible  et  rêveur,  tendre  et  mélancolique,  et  il  est  également  peu 
de  débutants  chez  (jui  l'on  sente  une  aussi  belle  sincérité,  et  ce  souci 
de  n'exprimer  que  ce  qui  estbien  soi,  sans  emprunts  ni  imitations. Ses 
poèmes  sont  faitsde  détails,  de  souvenirs,  d'impressions  et  d'obser- 
vations de  sa  vie  de  chaque  jour,  dont  un  grand  don  d'harmonie  a 
composé  des  ensembles  pleins  d'émotion. Il  y  a  là  beaucoup  de  vers 
qu'on  peut  relire,  ce  qui  est  souvent  rare  chez  un  jeune  poète. 

Bibliographie  : 

Lts  ŒuvHEs.  —  Au  Seuil  de  l.i  Lande,  poésies,  couverture  de  Georges 
Lergès.  Paris,  éd.  du  Mercure  de  France.  19u2,in-8,  130  ex.  (Les  vers  de  celt« 


éviILS    PESPAX  5l 


pla(|tiPtto  ont  Hfi  r/'imprimés  dans  l'oarrege  tuiranl).  —  I^  Maison  des 
<ilyt'iiies,  1890-1 UU5,  poènu-*».  Taris,  Soc.  du  Mercure  de  Frame,  19<"5, 
iu-i8. 

A  CONSULTER.  —  Georges  Cnseila  et  Ernest  Gaiibert  :  Aa  Nouvelle 
littérature,  1895-1905  Paris,  Saii>ot,  19<>6,  in-18.  —  J<>an  (le  (ioiirmont  : 
Portes  nouveaux.  Morrure  de  France,  !•'  septembre  19<i0.  —  Pierre  (gail- 
lard :  Les  Poèinca.  Mfrcurc  do  Fraiict»,  IT)  diVrinlirc  1905.  —  S.  (Henri 
(ili.uilavoine)  :  Au  Jour  It  Jour.  Jeune»  puelct.  Jourual  des  Uùbals,  i6  mat 
tytjc. 

Iconographie  : 

Claiidfo  Castolurho  :  Portrait,  pemUir.^  (l'.":î;    —  Uichard  Miller: 

Portrait,  bduguiue  (19oC).  [Ces  deux  portraits  appirltcuucul  au  pocle.j 


SONNETS 

I 

Les  cœurs,  les  pauvres  cœurs  dt^laissés  qu'on  renie 
Ont  julort*  les  cœurs  qui  les  ont  cmisolés. 
Pclilf  sœur  de  bon  amour,  accueillez-les. 
Les  vers  pieux  eu  (jui  mon  cœur  vous  a  bénie. 

Comme  deux  cloches  d'or  diraient  leur  litanie, 
Vos  lèvres  ont  chanté  les  bonheurs  exilés. 
Mes  veux  étaient  encor  bien  tristes,  bien  troublés 
Au  souverjir  trop  cher  de  raiiiitiè  l)annie  ; 

Mais  vous  avez  posé  vos  mains  pures  sur  eux, 
llonnne  pour  ellacer  le  rêve  douloureux, 
Comme  pour  éloigner  la  mauvaise  chimère  ; 

Kt  j'ai  frémi,  eroyanl  sentir  dans  sa  douceur, 
Descendre  le  baiser  camlide  d'une  su'ur 
Où  treniMt  r  lit  mi  peu  de  l'iime  il'n».»'  nu're. 


II 


Je  rêve  un  soir  de  cliarme  ffrave.  Les  vallons 
Seraient  bleus  sous  le  noir-violet  des  collines  ; 


52  POÈTES   d'aujourd'hui 


Des  ramiers  reviendraient  vers  les  sourdes  glycines 
Bourdonneuses  au  vol  doré  des  lourds  frelons. 

Nous  aurions  rencontré  pleurant  des  enfants  blonds 

Egarés  dans  le  calme  odorant  des  ravines  ; 

Et  la  nuit  monterait  anxieuse  et  divine, 

Ses  pieds  d'argent  noyés  dans  l'ombre  des  sillons. 

Avec  comme  un  parfum  triste  de  fleurs  fanées, 
Les  vents  tièdes  fuiraient  en  laissant  des  traînées 
D'airs  de  flûtes  errer  aux  franges  des  roseaux, 

Et  vers  les  joncs  obscurs  où  la  lune  se  lève, 

Nos  âmes  descendraient  le  silence  des  eaux. 

En  souriant,  comme  deux  sœurs,  au  même  rêve. 

(1901.) 

DITES-LUI 

Dites-lui  que  j'ai  mal  parce  que  je  suis  lâche  ; 

Qu'en  mon  cœur  son  amour  est  comme  un  coup  de  hache 

Et  qu'il  saigne,  ce  cœur,  sous  le  coup,  et  se  fend  ; 

Dites-lui  que  je  suis  son  chien  ou  son  enfant 

Suivant  qu'elle  m'éloigne  ou  bien  qu'elle  m'attire  ; 

Mais  dites-lui  que  je  préfère  ce  martyre 

A  tout  ce  qui,  faisant  le  bonheur,  n'est  pas  vous, 

Bel  art  des  vers  français  sonores,  forts  et  doux. 

Elle  vous  aime.  Elle  n'est  pas  de  vous  jalouse. 

Dites-lui  que  le  ciel,  les  arbres,  la  pelouse. 

Les  filles  qui,  le  soir,  rentrent  des  ateliers 

Avec  de  grands  fils  blancs  pris  dans  leurs  tabliers, 

La  lueur  du  matin  sur  les  toits,  l'avenue 

Où  danse  en  se  dorant  une  lumière  nue. 

Que  Notre-Dame  et  les  clochers  aériens, 

Que  les  anges,  que  Dieu,  que  tout  cela  n'est  rien. 

Soleil  et  ciel,  azur  et  mer,  vendange  et  vigne. 

Qu'elle  est  tout.  Que  je  suis,  moi,  son  enfant,  indigne 

De  la  flatter  avec  mes  doigts  lourds,  et  d'oser, 

Même  en  fermant  les  yeux,  toucher  à  son  baiser. 


éMILS    DESPAX  53 

Et  que  c'est  de  cela  que  me  vient  ma  soufirance. 
Dites-lui,  par  ce  soir  où  les  femmes  de  France, 
(>omme  les  beaux  rosiers  des  mntins  arifeiilés, 
Se  couvrent  des  moiteurs  trouhl;intes  de  Télé, 
Oue  j'ai  laissé,  vaisseau  sans  voiles  et  sans  rames. 
Son  souvenir  béni  voyat^er  dans  mon  Ame  ; 
Que  je  n'ai  pas  soulTert  d'entendre  dans  le  soir, 
i'.r  bertfer  eu  béret  qui,  le  loniç  du  trottoir, 
Silllait  l'air  du  pays  de  Béarn  à  ses  chèvres  ; 
(Jiie  j'ai  senti  ses  cils  boui!;'er  contre  mes  lèvres 
Kl  que,  comme  j'étais  bien  j)Ale  et  désole, 
1)  vers  qu'elle  aime  tant,  vous  m'avez  consolé. 

{La  Maison  des  Glycines.) 

BONHEUR 

0  cher  hôte  d'un  soir,  Bonheur,  c'est  vous,  voyez  : 
Voici  l'encre,  voici  les  livres,  les  cahiers; 
Voyez  :  voici  les  vers  (jue  j'écrivis,  pour  elle. 
Vous  qui  vous  attristez  d'un  chant  de  tourterelle, 
Si  vous  lisez  ees  vers,  vous  verrez,  par  moments, 
Uu'ils  sont  doux  et  blessés  comme  un  roucoulement. 
Mais,  ce  soir,  si  j'écris,  c'est  sous  votre  dictée. 
}*;ule/.-moi.  Cher  Bonheur,  vous  Pavez  donc  quittée? 
Elle  dort,  n'est-ce  pas?  Et,  tandis  (ju'elle  dort, 
Un  reflet  de  la  nuit  joue  à  ses  onjçles  d'or? 
Le  ciel  a  cell»'  fois  tant  d'étoiles,  (^est  l'heure 
Où  la  veille  retient  ouverts  les  yeux  qui  pleurent. 
Vous  n'êtes  pas  parti  parce  qu'elle  pleurait? 
.le  puis  vous  arcueillir,  ô  Boidieur,  sans  ret^^ret. 
Je  puis  v«>us  dire:  Ami,  vous  tcarder,  vous  sourire 
N'ous écouler.  Je  puis  tout  croire  et  tout  écrire? 
l'Jle  m'aime.  Je  l'aime.  Et  votis,  vous  êtes  là. 
C'est  vous  que  si  lonî^temps  notre  amour  appela. 
Dites  :  Ea  vie  est  belli-  et  le  destin  contraire. 
Coinme  vous  ressemblez  au  (M)ai;:rin,  votre  frère 
Mais,  lorscpie  vous  venez,  on  ne  vous  entend  pas. 
I..ui,  nous  faisait  du  mal  ipiand  il  venait.  Son  pas 


54  POÈTES  d'aujourd'hui 

Etait  lourd  sur  la  terre  et  bien  plus  lourd  sur  l'âme. 
Depuis  combien  de  jours,  Bonheur,  on  vous  réclame! 
11  fait  chaud.  On  dirait  que  vous  marchez  pieds  nus. 

Je  vous  ai  deviné  quand  vous  êtes  venu. 

On  eût  dit  que  mon  cœur  avait  pris  sa  volée 

Avec  lodeur  du  soir  dans  la  brise  en  allée. 

On  eût  dit  que  mes  yeux  soudains  s'étaient  ouverts 

Pour  la  première  fois  devant  des  arbres  verts. 

Devant  l'azur  profond  des  voûtes  constellées. 

Bonheur,  vous  habitez  très  loin,  dans  des  vallées 
Heureuses,  où  l'on  voit  descendre  avec  le  soir 
Les  troupeaux  piétinants  que  mène  un  bélier  noir; 
Vous  habitez  la  terre  innocente,  les  rades 
Des  ports  où  le  soleil  fait  craquer  les  grenades. 
Les  îles  d'or  qui  sont  les  fleurs  des  océans  ; 
Vous  habitez  les  cols  perdus  des  monts  géants; 
Vous  habitez  où  va  notre  mélancolie, 
Les  villas,  les  cyprès,  les  rosiers  d'Italie. 
Bonheur,  nous  nous  mettons  quelquefois  à  genoux 
Et  nous  pleurons  sur  notre  amour.  Emmenez-nous. 
Je  ne  sais  ni  quel  bien  ni  quel  mal  vous  me  faites. 
On  dit  qu'il  faut  beaucoup  souffrir,  que  les  poètes 
Doivent  avoir  le  cœur  saiq^nant  et  qu'on  ne  peut 
Ecrire  de  beaux  vers  parce  qu'un  soir  est  bleu 
Ou  parce  qu'un  matin  sur  l'âme  reposée 
Verse  tous  les  parfums  et  toutes  les  rosées. 
El  j'ai  peur,  car  la  mort  est  noire  dans  l'oubli. 

S'il  est  \Tai,  laissez-moi  souffrir.  Voici  le  lit 

Où  j'ai  si  longuement  sangloté,  quand  ma  bouche 

Mordait  les  draps  avec  des  cris.  J'ai  fait  ma  couche 

Bien  étroite  et  je  lai  mesurée  à  mon  corps. 

Ainsi,  déjà,  je  suis  couché  comme  les  morts. 

Mais  je  vis.  Mais  je  puis,  debout  à  chaque  aurore, 

Lire,  écrire,  rêver,  aimer,  pleurer  encore. 

Après  la  mort,  qu'ainsi,  durant  des  jours,  des  mois, 

Quelque  chose  de  beau  vive  encore  après  moi. 


ÛMlLm   DBSPAX  55 

Donc,  laissez-moi  soufFrir,  s'il  le  faut.  Mais,  près  d'elle, 
Assryez-vous.  Soyez,  Bonheur,  l'ami  fidèle. 
Portez-lui  les  parfums  qu'elle  adore,  en  rêvant. 

Allez,  Bonheur.  Soyez  auprès  d'elle  souvent. 

Dites-lui,  quand,  traînant  mon  Ame  harassée, 

Je  lui  fiiis  cliarjiie  soir  le  don  d'une  pensée, 

fJ'J'"  j  ''•»  hriilalement,  pour  lui  faire  ce  don 

Contraint  mon  cœur  qui  s'en  allait  à  l'abandon  ; 

Que  je  l'ai  de  mes  doiçls  déchiré,  <]u'il  en  saii^ne  ; 

Qu'il  n'est  pas  un  seul  vers  que  tout  njon  san^  ne  teigne  ; 

Que  les  plus  dédaijrnés  autant  que  les  plus  chers 

Sont  le  sanu"  de  mon  saritr  '"t  l-"»   chair  de  ma  chair; 

Dites-lui  qu'il  lui  faut  pardonner  à  mes  raines 

Les  mots  dont  elle  n  pu  soullVir  et  les  outrages 

Oui  l'ont  faite  si  p;'ile  et  la  trouhlent  encor. 

Allez  la  voir,  demain,  à  Iheure  où  l'auhe  éveille 

La  prairie  et  le  lac,  la  lumière  et  l'abeille. 

Allez.  La  nuit  est  belle,  ù  Bonheur.  Elle  dort. 

{La  Maison  des  uiycines.) 

A  NANIE 

Si  vous  parlez  à  votre  scpur,  parlez  tout    bas. 
Si  c'est  à  moi,  je  ne  veux  pas,  ne  parlez  pas. 
Le  silence  vaut  mieux,  c'est  lui  que  je  réclame. 
Nous  ne  nous  dirions  pas  ce  que  rêvent   nos  Ames. 
C^onune  deux  tombeaux  blancs  que  sépare  un  cyprès, 
Jalousement,  nos  c(curs  ont  tçardé  leurs  secrets. 
C'est  vraiment,  entre  nous,  un  désert,  ce  silence. 
Nous  aurions  dû  grandir  ensentbie  dès  lenfance, 
Sur  une  plage  d'or,  au  bout  d'un  fleuve  bleu. 
Lire  en  nous  eilt  été  le  plus  doux  de  nos  jeux. 
Torture  de  ne  rien  connaître  de  notre  âme. 
D'être,  moi  déjà  l'homme,  et  vous  déjà  la  femme. 
A  quoi  m'aura  servi  de  rêver  de  douceur, 
Puiscpie  j'ai  vécu  seid,  sans  parler  ?  ()  ma  sœur. 
Ma  stjeur  dans  la  douleur,  ma  sœur  dans  1  harmonie, 


56  POÈTES  d'aujourd'hui 

Je  vous  avais  déjà  pressentie  et  béuie, 

Lorsque,  aux  niatins  rêveurs  de  ma  jeune  saison, 

J'allais  m'assi'oir  au  seuil  doré  de  la  maison, 

Lorsijue,  joii^naiit  mes  doii^ls  coiimie  pour  la  prière, 

Je  tendais  mes  deux  mains  en  coupe  à  la  lumière. 

Si  vous  étiez  venue,  en  un  matin  pareil, 

Je  vous  aurais  l'ait  don  d'un  rayon  de  soleil. 

Mais  j'ai  vécu  surpris,  vaincu,  hanté  par  l'ombre 

Et  n'ai  peut-être  aimé  que  votre  robe  sombre. 

Ce  cœur  qui  n'oublia  jamais,  oul)liez-le. 

Sur  votre  robe  et  vos  yeux  noirs  un  ciel  trop  bleu 

Sourit.  J'en  souffrirais.  Fermez  cette  croisée. 

Que  de  larmes  sont  dans  mes  yeux  !  Que  de  rosée 

Pèse  sur  ce  rosier  et  pend  à  ce  rameau  ! 

Silence.  Je  sais  tout.  Silence,  Pas  un  mot. 

Je  sais  tout.   Que,  sur  vous,  rose  en  feu,  se  balance 

L'amour  d'un  autre  à  qui  vous  parlerez.  Silence. 

{La  Maison  des  Glycines. 


LE  GARDE-FRANÇAISE 

A  R.  Lefèvre, 

Cavalier  du  guet, 
Ne  me  gronde  pas  1 
J'ai  fait  pour  tes  bas 
Des  nœuds  de  muguets. 

Ecarte  la  toile 
De  celte  araic^nee. ,, 
La  sœur  des  étoiles, 
Vois-tu,  s'est  peignée... 

Ces  fds  blancs  et  bleus 
Dans  ce  rayon  d'or. 
Ce  sont  SCS  cheveux 
Qui  volent  encor. 


b^ILF.     DKâPAX 

Toutes  les  cerises, 
Toutes  les  (Jraif«H*s 
Qu'ail  salon  j'ai  prises 
Je  les  ai  inanî^f-es, 

Mais,  rui  de  mon  crriir, 
Entre.  Prends.  El  l)ois. 
J'ai  mis  la  li<]ueur 
Dans  le  coffra  à  bois. 

Qu'as-lu  qui  te  iç^ne  ? 
Tu  n'es  pas  à  l'ais^î... 
As-tu  de  la  peine 
Beau  i^arde-franraisc  ? 

—  J'ai  perdu,  parldeu, 
Vinift  «'cus  aux  des. 

—  V'iniçt  cous,  mon  Dion, 
Les  ai-je  cardes  ? 

—  Vinçt  TOUS  tintanls  ! 

—  Tiens.  Prends.  C'est  l'arçenl. 
Que  fais-tu?  —  Entends 

La  voix  du  scri^rnt. 

Adieu,  la  servante, 
Je  vais  chez  ThtTcse. 

—  C'est  mal,  tu  te  vantes, 
Beau  garde-franraise. 

Sur  le  pavé  plat. 
Ce  bruit  qui  drcroît 
C'est  son  pas.  Holà  I 
Chcvau  de  llocroi, 

Holà,  qui  va  là  ? 

—  Service  du  Hoy  ! 


[La  .Vaiion  d«$  Glycine*.) 


5ê  POÈTES    d'aujourd'hui 


A  MADAME    DE  NOAILLES 

Il  m'cD  souvient.  C'était  le  matin.  Des  citrons 

Couvraient  le  port.  Je  re^-ardais  les  avirons 

Tourner  entre  les  doigts  violets  des  rameuses. 

La  France  s'éveinait  sur  la  terre  brumeuse, 

Au  loin.  La  mer  heurtait  TEspaiçne  au  pied  des  monts. 

J'étais  là,  les  yeux  morts,  le  cœur  frais,  les  poumons 

Brûlés  de  sel.  Dans  le  remous  qui  suit  la  rame, 

Je  sentais  s'enfoncer,  en  tournoyant,  mon  âme. 

La  mer  indifFérente  et  douce  m'attirait. 

Depuis,  j'aurais  vécu  dans  l'ombre  où  sa  forêt 

Fleurissait  l'algue  d'or  de  rouges  actinies 

Et,  dans  sa  paresseuse  et  mouvante  harmonie. 

J'aurais  fermé  les  yeux  à  la  vie  en  rêvant  ; 

Depuis,  ni  le  soleil  riche  en  feux,  ni  le  vent 

Chargé  du  goût  des  miels  et  de  l'odeur  des  gommes. 

Ne  m'eussent  vu,  debout,  sourire  aux  autres  hommes, 

Si,  plus  haut  que  la  joie  et  le  désir  mortels, 

La  Lyre  ne  chantait,  vivante,  dans  le  ciel. 

Elle  chante.  Elle  seule  chante.  Et  je  l'écoute. 
Des  hommes  l'ont  tenue.  Et  j'en  vois  sur  ma  route. 
Et  je  leur  parle.  Ils  sont  violents,  fiers  et  doux. 
Et  vous  voici,  poète,  avec  eux.  C'est  bien  vous. 
Et  je  dis  :  Quand  on  a,  comme  vous,  la  premitre, 
F'ait  du  jour  sur  le  monde  en  s'écriant  :  Lumière  1 
Quand,  en  disant  :  Amour,  on  a  vu  tous  les  cœurs, 
Dans  l'ombre,  chanceler  d'ardeur  et  de  langueur  ; 
Quand,  sensible  au  destin  des  plus  obscures  choses, 
On  n'a  pas  seulement  aimé  d'orgueil  les  roses. 
Mais  qu'à  la  moindre  plante  on  a  dit  :  O  douceur, 
Vous  vivez,  et  je  vis,  et  vous  êtes  ma  sœur  ; 
Quand,  dans  la  vie,  on  a   tant  exalté  son  âme 
Que  l'avenir  naîtra,  plus  fort,  de  cet  élan, 
il  est  touchant  de  n'être,  à  nos  yeux,  qu'une  femme 
Jeune  et  belle  et  qui  rit  au  fond  d'un  salon  blanc. 

(La  A/aison  des  Glycines.] 


BMILK    OKSJ'AX 


STANCF, 

Comme  un  jonc  qui  mollit  ol  irame  à  la  dérive. 
Mon  àine,  au  Hl  des  jours,  en  flolLint,  s'alanu;^uit. 
Lors<jue  l'hiver  revient,  le  bec  içourmand  des  j^rivea 
De  nouveau  se  reprend  aux  fruits  gluants  du  tçui. 

Et  l'amour  me  reprend  et  c'est  encor  trop  vi>Te. 
Et  je  vais  à  la  mort,  quoique  je  sache  bien 
Que  ce  sera  très  noir  lorscjtie,  de  tous  mes  livres, 
Le  livre  préféré  ne  me  dira  plus  rien. 

(La  Maison  dei  Glycines.) 

ULTIMÀ 

A  Fred.  Despax. 

Il  pleut.  Je  rêve.  Et  je  crois  voir,  entre  les  arbres 

De  la  place  vide  qui  luit, 
Un  buste  eu  pierre  blanche  et  le  socle  de  marbre. 

Mon  frère  passe  et  dit  :  CTesl  lui. 

Mon  frère,  vous  aurez  aimé  les  ports,  les  lies, 

Surtout  le  ciel,  surtout  la  mer; 
Moi  les  livres,  les  vers  parfaits,  les  jours  tranquilles. 

Et  nous  aurons  beaucoup  souffert. 

(La  Maison  des  Gli/i  incs.) 


MAX  ELSKAMP 

4862 


M.  Max  Elskamp  est  né  a  Anvers,  de  père  flamand  et  dt;  mère 
fran(;aise,  le  5  mai  18G2.  Il  raconte  son  enfance  en  ces  termes  :  0  La 
rue  Saint  Paul, où  je  suis  né,  est  une  rue  à  consulats,  rnarilime.  joi- 
g^nant  l'Escaut.  Noire  maison  se  trouvait  pour  ainsi  dire  enclavée 
dans  l'éy^lise  Saint-Paul  et  mon  enfance  s'est  passée  sousles  cloches, 
au  milieu  des  corneilles  et  tout  contre  un  horrifnjue  calvaire  en 
grès  où  l'on  voj-ait,  entre  des  barres  de  fer,  Christ  au  tombeau,  et 
dans  de  |;îrandes  et  terribles  flammes  rouges  brûler  sans  fin  les  âmes 
du  Purgatoire.  En  août  passaient  par  chez  nous  les  baleines,  les 
géants  des  ommegauks  (cortèges)  flamands,  et  les  hivers,  si  près 
du  fleuve,  les  nuits  d'hiver  surtout  étaient  vraiment  affreuses  et  trop 
^nplies  des  bruits  du  vent,  des  glaces  et  de  la  marée.  Chez  mes 
jiçrands-parents  paternels  régnait  Marchandise  :  thé,  sucre,  poudre 
d'or,  huile  de  palme,  cafés  et  raisins  de  Corinlhe  que  nous  appor- 
taient un  brick  appelé  l'Ortelius  et  un  trois-màts  carré  baptisé  Le 
Louis.  Je  crois  que  ce  que  j'ai  fait  a  été  très  influencé  par  ces  cho- 
ses de  ma  petite  enfance.  Après,  la  vie  m'a  pris,  plus  neutre,  me 
semble  t-il,  et  à  part  la  pratitjue  des  métiers  et  ce  qui  touche  à 
l'âme  traditionnelle  du  peuple,  peu  de  choses,  je  pense,  ont  réagi 
sur  moi.  »  «  M.  Max  Elskamp  est  le  poète  de  la  Flandre  heureuse, 
a  écrit  M.  Remy  de  Gourmont.  Les  idées  se  •présentent  presque  tou- 
jours à  lui  sous  la  forme  d'images  significatives;  sa  [)oésie  est  em- 
blemalicjue. ..  L'âme,  personnifiée  en  im  jeune  homme,  en  une  jeune 
fille,  en  un  enfant,  traverse  des  paysages,  agit  sur  les  éléments,  subit 
la  vie,  travaille  à  des  métiers,  se  promène  en  barque,  pèche,  chasse, 
danse,  souflre,  cueille  des  roses  ou  des  chardons;  c'est  très  mièvre 
le  plus  souvent,  et  diffamé  par  une  naïveté  qui  a  d'elle-même  une 
conscience  trop  précise.  »  {Le  II*  livre  des  Masques.) 

M.  Max  Elskampa  collaboreau  Spectateur  caitiolique.k  La  ]Val- 
lonie,  à  Floréal,  à  La  Société  Nouvelle,  au  Coq  J{outje,  au  Réveil, 
kLa  Belgique  artisiiqueel  littéraire, à  La  Revue  internationale,  de. 


MAX    KLSKAMF  Gl 


Bibliographie  : 

Lkh  (f  I  viif.H.  --  Dominical,  |iii.'»io>-,  couverture  ornée  par  llcory  Vm,  ,!.. 
Vrille.  Auvcr»,    P.    buschtiianti,  Ih'Jî,   in-8.  (Réimpr.  :  Dominical,  liru 
I^cuiulilez,   18'J2,  iii-IG,et  daii!>  /.a  Louamjr  delà   Vie.  Pari».,  So<:.  dti  M-..  ..• 
de  France,  1898,  iu-18).  —  Saliil.ilioiis.  dont  (rAufiéliqui*»,  |.o.  >jiv  rou- 
vert, orni'-c  par  Henry  Vande  Veltle.  lirutillrs,  Lirumblez,  l>«'J3,  m  k  i|;.  ..  • 
dant  La  Luuatuje  de  la  Vie,  etc.).  —  Eu  Symbole  vers  l'Apustolul 
»ie»,  couvert,   onii^e    par   Henry  Van   de  Velde.    Hru&elles,    I.a<  omlil.i,    \^.'j, 
in  8.  (Héiiiipr.  dans  La  Ltmanije  de  ta    Vie,   etc  ).  —  six  Chansons  «le 
pauvre  homme,  jxjur  cvtehrer  la  aemaine  de  Flandre,  poé-u»'»,  impnnu-es 
clir/  l|ciii\    \.iii  de  Velde.  TiHen  de  chapitre  et  cul^-de-lalnpe  fravi-^  sur  bon 

<r  i  auteur  et  Uri-%  en  couleurs   à  15ti    c\.  brukellc^,  Ltt  oiiiMer,    I8y«>.  in-8. 

'inipr.  dans  La  Luuaiuje  de  la   Vie,   etc.),  —  \m  I.ouauye  de   la    Vie 
: '  mtmicnl.  Salulations,  dont  d'anqi'ln/ues.  En  Symb'de  vers    l    '• 

r  Chansons  de  pauvre  liommci.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de   Fr 
111-18.  —  I-Juliiminiire»  (f'aysayrs.  Heures,    Vies.  Chansons.  (, 
poi^sies,   avec-  d«»  liois  gravi'"*  par  l'auteur  et  tirés  en  couleur.  Un: 
conililez,  IS'JS,  in-8.  —  L'Alphabet  d«   \ofre Dame  la  Vlerije.  Album 
de  ^-ravures   sur  boi»,  on   Cdiileuis.  Anvers,  td.  du  Cou>crvaloire  de  la  Tradi- 
tmii  populaire,  I9U!,  gr.  iu-8. 

Ou  liou\e  des  ver»  de  Max  KUkamp  dans  l'ouvrage  de  l'ol  de  Monts  ; 
I»i>èle>i  bfl(|oH  d'ex|>ressioii  française.  .Vlmelo.  W.  Ililanus.  IM19,  10- ik. 

l'oi>ifc«»  »ii>».s  i:n  jiLsiui  k  :  I)  Aniicr,  iuu3i<|iie  par  Krue-d  Itelleure.  brutelles, 

iil.  de  ■  La  Lutte  »,  1808;  ÏS'oel,  par  In  ni^me,  6dit.  du  .'^|>ectateur  calliuli- 
juo  1807;  Dimanche,  mu!»i(|ue  de  Gabriel  Fabre.  L'Illustration,  a*  de  janvier 
iyo3. 

A  cosBUi.TtM.  —  Andrù  Keaiinier  :  La   Poésie  nouvelle,   Paris,   Soc.  du 
Mercure  de  France,   lU"».'.  m  !x.   —   Kemy  de  (îourmoul  :    Le   II*  Lirre 
des  .l/</.»YUt'j.  Paris, Soc.  du  Mercure  de  France,  Is'JS,  in-18.  —  (laniilie  !.«• 
niounier  :  La   Vie  Hclije.    Paris,  Fas4|uel!e,   l'Jnj,  m-ig.  —  Halnlle  .Mfn 
lU'ti  ;  /lujifuirt  sur  le  mouvement  }mji  (njue  français  de  1867  a    iifoo.   l'an* 
liiipniiiene   Nationale,    tOnS,  et  Fa.H4|uelle,   1<J03,   in-8.  —   Victor  lleinou- 
chamim  :  .Max   LisKmiiji,  notice  publiée  dans   itti  Portraits  du  procliatn 
siicle.  Paris,  (iiranl,  lM>i.  iu-18. 

I.ron  llenneliiiM|  :  Mas  /:7.ïAaf/i/).  Nouvelle  rorue  Ii^  il,.,  l«»juin 
'-  'i.         \irlor  KInou  :  Max  l\lskamp  et  la  J'oésie  «A    -  1  ••  ^. 

cur  callioli.pie,  juin   1898.  —  !\leler  (;r;te(.>  :  [Max  Elskaïupj. 
...:•  Kiiclierfreunde,    1898,  fasc.   10.  —Albert  .Mockel  :    ^<'    Lei.         1  ■.,... 
çaises  en  Itelijique.  Revue  Enc)cIopédi(|ue.  24  jinll.t  1897.   -  l*ol  de^lont  • 
^fnx  I-.'lskamp  et   Fraus  Melrkers.    N.derlai.'  "    "    :       \ 

luiii  ls9ti.  —  Chnrles-Loiiis  IMilll|i|ie  :   ' 
.„.,rs  |yn7.  —  Georyes  Kauiaekers  :  Max  Li^kamp.  L*  lAiiii.juc  oriiiU^u^ 
cl  littéraire,  mars  ll'OS. 

Iconographie  : 

F.  Vallotloii  :  Masque,  repro.luil  dans  le  Ih  Ltrre  des  Mast/ues  de 
Reiin  de  (.oiiriii.i.  Paris.  Soc.  du  Mcrcun»  de  France,  1898.  iul8.  —  Henri 
Van  de  Vel.lf  i'urlruit,  |>ciulur»  *  iliuiie.  tiifv^  4uS«lou  de  lArl  ladc- 
Vciivlaul,  à.iVu>er»,  1901. 


02  POLTKS    o'aUJuURd'hUI 


DE  SOIR 


Et  tout  au  fond  du  domaine  loin, 
Où  sont  celles  que  l'on  aime  bien, 
La  plus  aimée  me  pleure,  perdue 
De  ma  mort  aux  semaines  venue  ; 

La  plus  aimée  de  mon  cœur  s'attriste, 
Et  plons^e  ainsi  que  des  fleurs  ses  mains, 
Aux  sources  de  ses  yeux  de  chaÊTi-jn, 
La  bien-aimée  de  mon  cœur  s'altrisle. 

Et  tout  au  fond  du  domaine  loin, 

La  bien-aimée  a  mis  ses  patins, 

Se  sentant  dans  le  cœur  de  la  glace, 

Et  loin  vers  moi  s'efYorce  et  se  lasse  ; 

La  bien-aimée  accroche  aux  vitraux 

De  la  chapelle  d'où  l'on  voit  loin, 

Avec  le  pain,  le  sel  et  les  anneaux. 

Ma  pauvre  âme,  elle  qui  ne  meurt  point. 

Et  tout  au  fond  du  domaine  loin, 
La  bien-aimée  ne  pleurera  plus 
Les  beaux  jours  de  ftUes  révolus. 
Aux  bagues  de  famille  à  ses  mains  ; 
La  bien-aimée  m'a  vu  comme  un  saint 
Promettant  un  éternel  dimanche, 
Aux  âmes  enfantines  et  blanches, 
Et  tout  au  fond  d'un  domaine  loin. 

{La  Louange  de  la  Vie^l 

CONSOLATRICE  DES  AFFLIGÉS 

Or,  l'hiver  iii'a  donné  la  main, 

J'ai  la  main  diiiver  dans  les  mains, 

Et  dans  ma  Irte,  au  loin,  il  brûle 
Les  vieux  étés  de  canicules; 


MAX    OAKAMP 

Et  Hans  mes  yeux,  en  candeurs  lentes, 
Très  blancbennent  il  fait  des  tentes, 

Dans  mes  yeux  il  fait  des  Siciles, 
Puis  des  Iles,  encor  des  Iles. 

Kt  c'est  tout  un  voyatçe  en  rond, 
Trop  vite  pour  la  guérisou, 

A  tous  les  pays  où  l'on  meurt 

Au  loniç  cours  des  mers  et  des  heures  ; 

Va  c'est  tout  un  voyajçe  au  vent, 
Sur  les  vaisseaux  de  mes  lits  blancs 

(Jui  boulent  avec  des  étoiles 
A  l'cntour  de  toutes  le»  voiles. 

Or,  j'ai  le  ^oût  de  mer  aux  Irvrfs 
Conmie  une  rancœur  de  îçenicvre 

Bu  pour  la  très  mauvaise  oriçie 
Des  dë|^arts  dans  les  tabagies; 

Puis  ce  pays  encor  me  vient  : 
Un  pays  de  neiiçe  sans  fin...; 

Marie  des  bonnes  couverture», 
raitcs-y  la  neige  moins  dure 

Et  ccuirir  moins,  comme  des  lièvres. 
Mes  maius  sur  mes  draps  blancs  de  fiè\Te. 

{La  Louange  de  la  Vie.) 


AUX  YRUX 

El  me  Toici  vers  vous,  les  hommes  et  les  femmes, 
Avi'c  inos  plus  beaux  jours  pour  le  cctur  cl  |>our  l'Ame 


03 


64  POÈTES  d'aujourd'hui 


Et  la  bonne  parole  où  tous  les  mots  qui  s'aiment, 
Semblent  des  enfants  blancs  en  robes  de  baptême  . 

Car  c'est  en  aujourd'hui,  la  belle  Renaissance 
Où  ma  douce  sœur  Joie  et  son  frère  Innocence 

S'en  sont  allés  cueillir,  en  se  donnant  la  main, 
Sous  des  oiseaux  chantants  les  fleurs  du  romarin. 

Pour  fêter  paix  venue  au  jardin  de  jouvence, 
Qu'ouvrent  ici  la  foi  et  la  bonne  espérance. 

Or^  voici  doux  pays  et  lors,  à  mes  couleurs, 
La  vie  comme  un  bouquet  de  joies  et  de  senteurs, 

Et  dimanche,  les  yeux,  dans  le  très  bon  royaume 
Des  bêles  et  des  gens,  des  maisons  et  des  chaumes, 

Et  tout  mon  peuple  heureux  de  sages  et  de  fous 
Mais  attentifs  aux  croix,  du  cœur  jusqu'aux  genoux  ; 

Or,  c'est  fête,  les  yeux,  et  réjouissez-vous 

Ainsi  que  des  enfants  dans  mes  jours  les  plus  doux, 

Car  c'est  le  temps  venu  après  bien  des  prières. 
Et  des  villes  bâties  toits  à  toits,  pierre  à  pierre, 

De  la  maison  promise  et  dont  le  seuil  est  prêt 
A  tous  ceux  de  travail  pour  du  bonheur  après; 

Et  c'est  voiles,  au  loin,  dès  mon  pays  sans  leurre. 
Parlant  à  guidons  bleus  pour  devancer  d'une  heure 

Ma  paix  haute  déjà  dans  les  meilleures  âmes  ; 
Mais  réjouissez -vous  lors,  les  hommes,  les  femmes 

Et  selon  tout  mon  cœur  en  rêve  de  bonté, 
Pour  un  prêche  aujourd'hui  d'amour  et  charité. 

{La  Louange  de  la  Vie,) 


MAX   £LSKAMP  65 


UN  PAUVRE  IIO.M.MF:  EST  ENTKÉ... 

Un  pauvre,  homme  est  entré  chez  moi 
Pour  (les  «liansoiis  (ju'il  venait  ven«lre, 
Comme  P;^(jiie  chantait  en  Flandre 
Kt  mille  oiseaux  doux  à  entendre, 
\Jn  pauvre  liouirne  a  chanté  chez  moi. 

Si  huiiil)!('ini>(il  (|ue  c'était  moi 
Pour  les  refrains  et  les  paroles 
A  tous  et  toutes  bénévoles, 
Si  humhlemerjt  (jue  c'était  moi 
Selon  mon  cœur  comme  ma  foi, 

Or  pour  ces  chansons,  les  vuiri. 
Comme  mon  âme  la  voilà. 
Sainte  Cécile,  entr«'  vt>s  bras. 
Or,  ces  chansons  bien  les  voici. 
Comme  voilà  bien  mon  pays, 

Où  les  cloches  chantent  aussi 
Entre  les  arbres  qui  s  embrassent 
Devant  les  «jens  h«'ureux  cpii  passent, 
Où  les  cloches  chantent  aussi 
Des  Dimanches  aux  Samedis  ; 

Et  c'est  pour  toute  une  semaine 
Ou'ici  uïon  cœur,  sur  tous  les  tons, 
Chante  les  joies  de  la  saison, 
El  c'est  dans  toute  une  semaine 
Où  chaque  jour  a  Ba  chanson. 

(Sïjc  chansons  de  pauvre  homme j 

OR  POUR   rOMMENCFR  TOUT  EN  FOI 

I 

Or  pour  commencer  tout  en  foi, 
ù  la  faenn  des  tçens  des  bois 
qui  soûl  les  pauvres  de  chez  moi, 

S. 


65  POÈTES  d'aujourd'hui 


avant  de  dire,  en  joies  ou  peines, 
mon  pays  tout  d'eaux  et  de  plaines, 
voici  fait  mon  signe  de  croix 

en  l'amour  des  sots  et  des  sas^es, 
car  aujourd'hui  c'est  la  chanson 
des  fenêtres  de  ma  maison, 

d'où  les  villes  et  les  villages 
et  le  plus  beau  des  paysages, 
bêtes,  gens,  arbres  et  nuages, 

passent,  rient,  vivent  et  s'en  vont 
avec  leur  geste  et  leur  langage 
pour  l'ornement  des  horizons. 

Or,  c'est  lors  mon  cœur  en  voyage, 
et,  prête  à  la  bonne  espérance, 
mon  âme  avec  sa  confiance, 

qui  s'en  va  sur  terre  aux  agneaux 
et  sur  mer  suivant  les  vaisseaux 
au  hasard  du  vent  et  des  eaux, 

puis  par  les  bois  et  par  les  routes 
où  chante  pour  ceux  qui  l'écoutent 
la  simple  Vie  bonne  entre  toutes  ; 

et  c'est  ainsi  qu'elle  est  chez  moi 
quand  c'est  matin  sur  tous  les  toits 
avec  la  rosée  goutte  à  goutte, 

et  voici  ce  qu'on  dit  chez  moi, 
à  la  façon  des  gens  des  bois, 
quand  c'est  Marie-des-prime-routes. 

II 

ON  DIT  : 

Marie,  épandez  vos  cheveux  : 
voici  rire  les  anges  bleus 


MAX   EL8KAMP  tf 


et  dans  vos  bras  Jésus  qui  boutée, 
avec  ses  pieds  et  ses  mains  rouges, 

et  puis  encor  les  anfijes  blonds 
jouant  de  tous  leurs  violons. 

Or,  c'est  matin  vert  aux  prairies 
et,  Marie,  regardez  la  Vie  : 

comme  elle  est  douce  infiniment 
depuis  les  arbres,  les  étangs 

jusqu'aux  toits  loin  qui  font  des  îles; 
el,  Marie,  regardez  vus  viiîes 

heureuses  comme  des  enfants 
avec  leurs  cloches  proclaïuant 

les  paix  naïves  d'évanirile 

du  haul  de  tous  les  ranipaniles 

dans  l'aube  en  or  aux  horizons 
(jue  saluent,  Marie-des- .Maisons, 

les  miens  des  tAches  couluinières 
et  dévoués  tout  à  la  terre. 

Mais  lors  chantez,  gais  lalnjureurs 
de  mon  pays  où  le  meilleur 

est  Flandre  douce  aux  alouettes 
et  dont  les  voix  de  joie  concertent, 

et  passez  au  loin,  les  vaisseaux 
sur  la  mer  qui  rit  aux  drapeaux, 

car  Jésus  tend  ses  mains  ouvertes, 
Marie,  pour  embrasser  la  fête 

que  fait  le  ciel  au  prime  jour 
ici  de  soie  et  de  velours. 


68 


POETES    D  AUJOUBD  HUI 


III 
ET    MARIE    LIT    UN    EVANGILE 

Et  Mnrie  Jit  un  cvano^ile 

avec  ses  deux  mains  sur  son  cœur, 

et  Marie  lit  un  évans^ile 

dans  la  |)rairie  qui  chante  fleure. 

et  Therbe,  et  toutes  les  couleurs 
des  fleurs,  autour  épanouies 
lui  disent  la  joie  de  letir  vie 
avec  des  moîs  tout  en  douceur. 

Or,  les  anui-es  dans  les  nuées 
et  les  oiseaux  chantent  en  chœur, 
et  les  hcLcs,  icles  baissées, 
paissent  les  plantes  de  senteur; 

mais  Marie  lit  un  évangile, 
oubliant  les  heures  sonnées 
avec  le  temps  et  les  années, 
car  Marie  lit  un  évangile  ; 

et  les  mations  (jui  font  les  villes 
s'en  vont  leur  tâche  terminée, 
et  les  co([s  d'or,  sur  les  campaniles, 
passent  le  vent  et  les  nuées. 

{Enluminures.) 

ET  MAINTENANT  VOICI  L'HIVER 

Et  maintenant  voici  l'hiver, 
et  mon  cœ.ur  qui  s'était  allé, 
revenu  heureux  dans  sa  terre 
sachant  que  tout  est  à  aimer, 

depuis  le  ciel,  depuis  la  mer 
jusque  mieux  et  plus  humblement 


MAX    BLSKAMP  6q 


les  objets  dr  toutes  manières 
fidèles  inenableineiit. 

Or  foi  mise  ainsi  dans  les  choses 
alors  voici  nion  testament, 
aux  bois,  à  l'eau,  aux  fleurs  de  roses, 
léîçuant  mes  joies  d'homme  et  d'enfant, 

car  en  arbres,  toits  et  maisons, 
à  mains  rouij^es  mieux  qu'rn  prirres, 
tout  me  fut  tloux,   tout  me  fut  boa 
selon  l'outil,  selon  la  pierre, 

et  repos  me  soit  à  présent 
en  eux  après  labeur  et  peine, 
et  de  mon  ble,  m.iuvais  et  bons 
à  vous  ici  corbeille  pleine. 

{Entuminaret.) 


ANDRÉ  FONTAINAS 

1865 


M.  André  Fontainas,  poète,  critique  d'art  et  romancier,  est  né  , 
Bruxelles,  le  5  février  i865.  Ses  premiers  vers  parurent  dans  / 
Basoche  (i884-i885i,  petite  revue  qu'il  avait  fondée  avec  quelques 
camarades  de  l'Université  de  Bruxelles.  C'est  seulement  ensuite 
qu'il  vint  se  fixer  à  Paris,  en  1888.  Très  influencé  de  Mallarmé, 
après  la  publication  de  son  premier  recueil  :  Le  Sang  des  Fleurs, 
Mi  Fontainas  s'est  fait  de  bonne  heure  une  originalité  dans  le 
domaine  du  rythme  et  des  images,  notamment  dans  ses  poèmes  en 
vers  libres,  qui  sont  d'un  ton  et  d'une  harmonie  tout  à  fait  person- 
nels. A  le  juger,  d'ailleurs,  sur  l'ensemble  de  son  œuvre  poétique, 
M.  Fontainas  est  plutôt  un  poète  du  vers  libre  que  de  l'alexandrin 
traditionnel.  Gomme  romancier,  M.  Fontainas  n'a  publié  que  deux 
romans  :  L'Ornement  de  la  Solitude,  L'Indécis,  livres  curieux,  et 
de  style  un  peu  cherché,  difficile..  11  semble  que  l'influence  de  Sté- 
phane Mallarmé  s'y  retrouve  encore,  comme  dans  ses  premiers 
vers.  Comme  critique  d'art,  on  doit  à  M.  Fontainas,  qui  a  rédigé, 
de  1897  à  1900,  la  chronique  d'Art  moderne  au  Mercure  de  France, 
une  Histoire  de  la  Peinture  française  au  XIX''  siècle,  très  com- 
préhensive  et  nouvelle  de  vues.  Enfin,  traducteur  d'écrivains  étran- 
gers, M.  Fontainas  a  publié  une  traduction  de  l'ouvrage  de  Thomas 
de  Quincey  :  De  l'assassinat  considéré  comme  un  des  Beaux-arts 
et  des  Poèmes  de  John  Keats.  On  a  également  de  lui  une  traduction 
du  Samson  Agoniste,  tragédie,  et  du  Comus,  masque,  de  John 
Milton. 

M.  André  Fontainas  a  collaboré  à  La  Jeune  Belgique,  à  La  Basa 
che,  au  Coq  rouge,  à  La  Société  Nouvelle,  à  L'Art  Moderne,  à  La 
Belgique  artistique  et  littéraire,  au  Petit  Bleu  de  Bruxelles,  à  La 
Wallonie,  à  La  Cravache,  au  Mercure  de  France,  à  La  Plume,  à 
L'Ermitage,  à  La  Vogue,  à  L'Européen,  à  La  Raison,  à  Vers  et 
Prose,  aux  Arts  de  la  Vie,  au  Beffroi,  à  Poésie,  à  La  Patrie  de 
Rome,  à  Flègréa,  à  La  Belgique  artistique  et   littéraire  et  à  Die 


ANDRB    FOXTAINA8  7' 


Zeit,  etc.  On  troure  é^^alement  de  ses  vers  dans  V Almanach  dex 
Poètes  (Mercure  de  France,  1896  et  1897)  et  dans  l'album  :  Les  Pé' 
chés   capitaux,  eaux-fortes  par  H.  Detouche.  Paris,  Boudet,  190a 

Bibliographie  : 

Les  CEUVRE9.  —  Le  Sang  des  Fleurs,  poésies.  Bruxelles,  Imprimerie 
Veuve  Monnom,  1889,  gr.  in-4.  —  Les  Vergers  Illufloires.  por^sies.  Paris, 
Lilirairio  de  l'Art  Inrl^^pendant,  1892,  in-18.—  Nuits  «rFpipliftiiles,  poi^^ies. 
Paris,  Soc.  du  .Mercure  de  France,  1894,  in-16.  —  Les  Estuaires  d'ombre, 
poiî^sies.  Gand,  Imprimerie  du  H<''veil,  1895,  mi-18  (hors  commerce).  —  Cré- 
puscules {Les  Verijers  Illusoires.  Nuits  d'Epiphanie».  Les  Estuaire* 
d'ombre,  augmentés  d'Idylles  et  Eléijies.  L'Eau  du  Fleuve).  Paris,  Soc. 
du  Mercure  de  France,  1897,  in-18  —  L'Ornement  de  la  Solitude,  roman. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1899,  in-18.  —  De  l'Assassinat  consi- 
déré comme  un  des  Beaux-Arts,  traduit  de  l'anglais  de  Thomas  de 
Quiiuey.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1901,  in-18.  —  Le  Jardin  de» 
Iles  Claires,  poimes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  do  France,  1901,  in-8  (Héimpr. 
dans  La  Nef  di'si'mparce.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1908,  in-18).  — 
Le  Frisson  des  Iles,  conférences.  Bruxelles,  édition  de  la  Libre  Esthétique, 
1902,  in-8.  —  L'Indécis,  roman.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1903, 
in-18.  —  Cinq  poèmes  de  John  Keats,  traduit  de  l'anglais.  Toulouse, 
Bibliothèque  de  «  Poésie  ».  1906,  in-8  (100  ex. 1.  —  Histoire  de  ia  Peinture 
française  au  XIX»  siècle  1801-I900.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  190G,  in-18.  —  Hélène  Pradier,  comédie  en  trois  actes.  Bruxelles, 
E«l  de  la  Belgique  artislicpie  et  littéraire,  1907,  in-18.  —  La  Nel  désem- 
parée (Z-e  Jardin  des  Iles  Claires.  La  Nef  désemparée).  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1908,  in-18. 

On  trouve,  en  outn-,  des  poèmes  de  M.  André  Fontainas  dans  le  Parnasse 
de  la  jeune  Belgique.  Paris.  Vanier,  1887,  gr.  in-8;  r.Mmaiiach  des 
poètes,  1896  et  1897  (Paris,  édit.  du  .Mercure  de  France.  1895  et  1896,  2  vol 
in-16)  et  dans  le  recueil  publié  par  Pol  de  Mont  :  I*oètes  belges  d'ex- 
pression Irançalse.  Almelo.  \V.  liil.inu?,   1899,  in-18,  etc. 

A  ciiNsi  iTF.it.  -  Remy  de  Giiurmont  :  Ae  //•  Lirrr  des  Ma.^ques,  Pans, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1898,  in-18.  —  Henri  de  ilégnier  :  André  Fon- 
tainas, noiici*  àans  les  Portraits  du  prochain  Siccle,  Paris,  Girard,  1894. 

G.  Conrado  :  André  Fontainas,  Per  l'Arle  (Parme),  7  juin  1900.  — 
Eugène  Demolder  :  Andri^  Fontainas,  Art  Moderne  (Bruxelles),  10  »ep- 
tembre  |s<.t9.  —  Huhcrt  Krains  :  André  Fontainas.  Art  Moderne  (Bruxel- 
les), 3  janvier  1904.  —  Stuart  Merrill  :  Critique  drs  pothnrs.  Ia  Plume, 
1"  mars  1903.  —  Pierre  Quiilard  :  André  Fontainas,  Mercure  de  France, 
septembre  1894. 

Iconographie  : 

Boleslas  Itiegas  :  fiusfe,  exposé  au  Salon  de  la  Soo.  nationale  des  Beaux- 
Arts,  1907  (app.  à  M.  André  Fontainas).  —  Peské  :  Portrait,  fusain  (appart. 
k  l'artiste).  —  F.  Vallotton  :  Masque,  dans  Le  II*  Livre  des  Alasques,  de 
R.  de  Gourmont,  Paris,  Soc.  du  .Mercure  de  France,   1898. 


73 


POÈTES    D  AUJOURD  HUI 


VOIX  VIBRANTE  DE  REVE... 

Voix  vibrante  de  rêve  et  de  cbant  qui  m'affoles, 
O  voix  frêle  et  sonore,  où  planent  par  essaims 
Les  rires  éclatants  plus  clairs  que  des  tocsins, 
O  sa  voix...  je  rccoulc  autant  que  ses  paroles. 

Je  retrouve  en  sa  voix  vos  inflexions  molles. 
Ame  des  vieux  rebecs,  esprit  des  clavecins. 
Baisers  épanouis  en  rapides  larcins, 
Confidences  d'amour  des  anciennes  violes. 

Sa  voix,  c'est  la  douceur  des  songes  innocents, 
C'est  un  souffle  d'iris,  de  cinname  et  d'encens. 
C'est  un  enivrement  d'harmonie  et  d'optique. 

Et  c'est,  au  fond  de  moi,  fait  d'un  vivant  soleil 
De  fierté  lumineuse  et  de  rythme  vermeil, 
Le  plus  éblouissant  et  le  plus  pur  cantique. 

(Le  Sany  des  Jleurs.f 


SUR  LE  BASALTE,  AU  PORTIQUE... 

Glunto  mi  vidi  ove  mirabil  cosa 
Mi  torse  il  viso 

DANTE    ALIGUIEBI. 


Sur  le  basalte,  au  portique  des  antres  calmes. 
Lourd  de  la  mousse  des  fucus  d'or  et  des  algues 
Parmi  l'occulte  et  lent  frémissement  des  vai!:ues 
S'ouvrent  en  floraisons  hautaines  dans  les  alignes 
Les  coupes  d'orgueil  de  glaïeuls  grêles  et  calmes... 

Le  mystère  où  vient  mourir  le  rythme  des  vagues 
txliale  en  lueurs  de  longues  caresses  calmes. 
Kl  le  rouge  corail  où  se  tordent  des  algues 
Mtcnd  à  la  mn-  des  bras  sanglants  de  fleurs  calmes, 
IJui  mirent  leurs  reflets  sur  le  repos  des  vagues. 


ANDRÉ    PONTAINAS  73 


l'.t  te  voici  parmi  les  jardins  fleuris  (ialsjups 
l.a  la   nocturne  et  lointaine  chanson  des  vatfucs, 
Keine  dont  les  reçards  pensifs  en  clartés  calmes 
Sont  dp  triatiqups  t^Iaïeuls  érlLToant  sur  Ips  vac^iirs 
Leurs  vasques  au  pleurs  doux  du  corail  et  des  alloues. 

{Les  Vergers  illusoires.) 

LA  PROPICE  H  ENCONTRE 

Voici  l'aube  propice  et  le  divin  matin 

Sourire  à  l'Esseulé  de  la  foret  mauvaise, 

L'Apre  et  longue  rumeur  des  nuits  lourdes  s'apaise. 

Le  chant  clair  du  soleil  s'éveille  au  ciel  lointain. 

Au  frais  parfum  nouveau  de  la  s.'uijçe  et  du  thym 
Son  Ame  s't'hlouil  et  la  brise  i]ui  baise 
La  mer  cérulcenne  au  pied  de  la  falaise 
A  refleuri  d'espoir  l'ori^ueil  de  sou  destin. 

Il  sent  renaître  en  lui  la  «gloire  de  la  Joie 
Et  l'ardeur  de  son  rêve  héroïque  flamboie 
Telle  la  fête  en  feu  de  ce  malin  vermeil, 

Et  bienliU  ses  yeux  voient  à  l'horizon,  très  calmes, 
Au  pas  de  leurs  chevaux,  et  lui  tendant  leurs  palmes, 
Les  ilois  qu'il  a  crus  morts  marcher  dans  le  soKil. 

{Nails  d'Epiphanics.) 

FLEUIIS,  TOUT  L'ESPOIIl   DES  CROIX... 

Fleurs,  tout  l'espoir  des  croix,  et  l'or  roux  y  rutile, 
Leurs  vœux,  flottille  ancienne  au  vent  d»*s  cîeux  marins^ 
S'ai^enouillent  au  seuil  (i'(Mi  montent,  l'clcrins. 
Avec  vos  voix  les  voix  d'airain  d'uo  camp;uiile. 

l/ennui  quotidien  de  la  vie  inutile, 
Ames  d'amour,  et  par  quels  miracles  sereins? 
EolTtl,  du  irisl»'  champ  q>rarrosnitiil  vos  chag-rins, 
Claires  corolles  eu  guirlande  au  péristyle. 


74  POÈTES  d'aujourd'hui 

Le  fleuve  d'oubli  sombre  où  plongent  nos  cyprès 
Roule  rép.'iis  gravier  du  rêve  et  des  regrets 
Sous  le  miroir  terni  de  son  obsidiane. 

Délaisse  un  songe  vain  et  tes  vœux  insensés, 
Etranger  qu'un  exil  lit  pâtre  en  Sogdiane, 
Le  rêve  est  malfaisant  et  vivre  c'est  assez. 

{Les  Estuaires  d'ombres.) 


VERS  LE  NORD 

A  travers  les  brouillards,  sous  l'horreur  impassible 
D'un  ciel  morne,  chargé  de  torpeur  et  d'ennui, 
Si  nul  ne  peut  s'ouvrir  un  chemin  dans  la  nuit 
Vers  l'eftroi  glacial  du  Pôle  inaccessible, 

Du  moins,  ceux  qui  sont  morts  ou  qui  doivent  mourir 
Dans  la  foi  du  triomphe  et  la  gloire  du  rêve 
Auront  connu  l'orgueil  d'une  volupté  brève, 
Fleur  d'espoir  que  nul  deuil  ne  pourra  plus  flétrir. 

Mais  toi  qui  fus  déçu  par  l'immuable  envie 
D'aimer  et  d'être  aimé  longuement  poursuivie. 
Tu  sais  la  vanité  des  stériles  combats, 

Tu  portes  en  ton  cœur  une  ironie  amère 

Et  tu  vois  sans  pitié  les  chercheurs  de  chimère 

'eufoncer  au  néant  du  gouffre  où  tu   tombas. 


FRONTISPICE 

{A.M.'A.  Ferdinand  Flerold .) 

Les  gemmes  et  les  ivoires 
Et  les  clairs  chrysobérils 
Mêlent  déclairs  |>uérils 
Le  deuil  des  tulipfts  noires  i 


Avoni  rosTAiNAS  7S 


Fleurs  lourdes  du  jardin  triste 
Où  pleure  un  jet  d'eau  loinlaio 
Le  sourire  du  m^tliri 
Vous  v«ît  d'or  et  d'améthyste: 

En  fêtes  sentimentales 
S'attardent  sous  les  halliers, 
Un  à  un  des  clicvalicrs 
Auprès  des  princesses  piles 

Dont  les  doigts  las  sont  des  fleurs 
Qui  apaisent  leurs  douleurs. 

(  l,a  Sef  désemparée.) 

INVITATION 

Le  rubis  que  mon  vœu  décerne 
Au  sourire  de  ta  beauté 
Est,  à  coup  sûr,  ensanglanté 
Par  des  feux  de  miroir  moins  terne. 

La  glace  avec  la  flamme  alterne 
Et  ton  œil  dur  par  dii^nité 
Meurtrit  le  désir  sangloté 
D'être  un  rien  que  la  main  gouverne. 

Mais  songe  là-bas  que  des  eaux 
Ont  bercé  l'espoir  des  vaisseaux 
Vers  l'Ile  secrète  et  future, 

Et  viens  en  l'oubli  des  hivers 
Eollrnient  voguer  à  travers 
La  voluptueuse  aventure. 

{La  Nef  désemparée.) 

ÉVEILLE-TOI  ! 

Éveille-toi  I 

Cesl  parmi  l'heure  hivernale  une  joie 

De  plonger  k  la  vitre  toute  fleurie  de  givre, 


76  poètES  d^aujouru'hui 


Vois  :  les  pétales  qui  scintillent  et  flamboient 
Ouvrent  des  allées  que  veut  le  rêve  suivre. 

Eveille-toi.  Le  njatin  pur  éclate  et  vit, 
C'est  l'heure  de  l'extase  où  rire  au  soleil  calme. 
Et  rien,  sinon  en  sonî^e,  au  jardin  clair,  nul  bruit 
Qu'un  loni^  frémissement  imaginaire,  ô  palmes! 

Vois  revivre  et  fleurir  en  le  silence  vaste 
Que  ton  res^ard  anime  en  frissonnant  d'amour, 
O  chère  !  l'ardeur  ancienne,  enthousiaste. 
Dont  t'eutourait  la  paix  de  mon  profond  amour. 

(Le  Jardin  il  es  Iles  claires. 


AUTREFOIS,  DISAIS-TU... 

Autrefois,  disais-tu  en  paroles  plaintives. 

J'aimais  l'ombre  frissonnante  des  grands  arbres 

Oui  inclinent  leurs  frondaisons  sur  les  rives 

Du  ruisseau  au  clair  murmure  entre  les  pierres  ; 

J'aimais  !  j'aimais  la  paix  dormeuse  où  le  villaçe, 

Au  long  des  jours,  au  long  des  heures. 

Parmi  l'oubli  paciH(jue  de  la  vie. 

S'élire  inconscient  même  de  son  bonheur  ; 

Autrefois,  nous  allions  rêver  par  les  prairies. 

Tranquilles  comme  les  bètes  et  les  herbes, 

Les  doifçts  mêlés,  et  mes  yeux  achevant  tes  pensées, 

Tous  deux,  seule  à  seul,  triomphants  et  superbes, 

Isolés,  et  d'autant  plus  superbes  ! 

Autrefois  !  Et  c'est  dt^à  le  passé 

Ce  temps  d'insouciance  et  de  frivole  ivresse; 

Autrefois  !  Mais  rejette  le  souvenir 

Pesant  comme  une  chape,  et  redresse 

Ta  taille  fière  vers  l'avenir  : 

Qu'importe'?  ce  qui  fut  n'est  que  poussières, 

La  vile  poudre  des  chemins 

Ternit  moins  les  pieds  nus  et  meurtris  qui  s'y  traînent 


ANORé  rOXTAIMAS  Jf 


Que  le  repfret  décevant  qui  nous  fait  perdre  haleine 
Ne  nous  lasse  à  la  poursuite  de  demain  ! 

Q'importc?  Heure  présente,  heure  révolue, 

Ce  qui  passe  d«'jà  n'est  plus, 

l'A  seul  l'avenir  nous  attache  ; 

Tout  ce  qui  s'écoule  et  ruiss<*lle 

Kn  vain  par  tas  s'amoncelle  : 

Jouis  d'un  instant;  laisse-le  fuir,  s'il  fuit; 

Tu  aimes  le  Jour,  il  est  la  nuit  * 

I^  jour  va  renaître  à  l'aurore 

Kt  notre  joie  étinccler  encore 

Si  le  soleil,  demain,  se  lève  et  luit 

Sur  notre  espoir,  parmi  la  foule  et  la  cité 

Où  fermente  et  bruit 

Confusément,  foison  étrancje,  la  heaaté 

Universelle  et  pacifique  de  la  vie. 

Alors!  l'homme  fn'missant,  telle  une  feuille, 

S'éveille  siduer  l'aurore,  et  accueille 

Comme  un  frère  de  sa  gloire  le  rêve  : 

0  Ilève, 

Hève  que  nous  verrrons  poindre  avec  l'auln;  demain... 

Oublions  le  passé,  rêvons,  donne  tes  mains. 

{Le  Jardin  des  Iles  claires.) 

LA  VIE  EST  CALME... 

La  vie  est  calme 

('omme  ce  soir  de  doux  été 

Où  les  oiseaux,  parmi  les  arbres  apaîsiis. 

Au  bord  du  fleuve  se  sont  lus. 

Leaii  même  aux  joncs  des  rives  ne  jase  plus, 

Tout  est  calme, 

Et  la  nuit  paciKque  et  sas^e 

S'endort  sans  un  frisson  sous  un  ciel  saDS  nuage 

La  vie  est  calme! 

0  chère  sœur,  c'est  ton  visojçe 


^8  POÈTES  d'aujourd'hui 

Lui-même  qui  sourit  à  peine  à  du  bonheur. 

C'est  ton  visage  la  vie,  ô  claire  sœur, 

Si  calme; 

Gomme  la  vie  et  ton  bonheur, 

Ton  visage  calme  est  pacifique  et  sans  nuage. 

Le  fleuve  même  est  taciturne 

Parmi  ses  rives  et  les  roseaux, 

Des  fleurs  y  tombent  l'une  après  l'autre; 

Heures  suaves  et  taciturnes 

La  vie  est  calme  auprès  des  eaux 

Où  s'émerveille,  ma  sœur, 

Des  heures,  des  eaux  et  des  soirs  le  bonheur 

De  aous  sourire  en  l'éclair  tendre  de  tes  yeux. 

^Le  Jardin  des  Hes  claires. 


PAUL  FORT 

1872 


M.  Paul  Fort  est  né  A  Reims  le  i»*"  février  187a,  A  vu  ni  de  débu- 
ter dans  les  lettres,  il  fonda,  en  janvier  1890,  le  Thrntre  cTArt,  essai 
thé^lilral  qui  permit,  à  une  époque  où  le  naturalisme  dominait  en- 
core, (le  prcs'  riter  au  [)uljlic,  en  mCme  temps  que  des  oeuvres  dra- 
matiques dédaignées  ou  méconnues,  des  paçes  d'écrivains  nouveaux. 
Très  jeune,  seul,  et  presque  sans  rcasources,  M.  Paul  Fort  fil  inter- 
préter ainsi  LesCcnci  de  Shelley,  La  Tragique  histoire  da  docteur 
Faust  de  Marlowe,  Les  Uns  et  les  Autres  de  l'aul  Verlaine.  L'In- 
truse, Les  Aveugles  At  M.  Maeterlinck,  La  Voix  da  sang.  Madame 
la  mort  de  Madame  Hachilde,  Théodat  de  M.  Uemy  de  (  i 
Les  Flaireurs  de  Van  Lerberghe,  des  poèmei  d'Huu'<^,  " 
Afailarmé,  Jules  Laforgue,  Arthur  Rimbaud,  de  MM.  Catulle  Men- 
dès.  Pierre  Quillard.  et  jusqu'à  une  adaptation  du  premier  chant  de 
Vlliade. 

Ajirès  cette  tentative  dramati({ae,  qui  6t  grand  bruit  et  prit  fi 
i8<jl<,  M.  Paul  Fort  commença  à  j)ublier  de  petites  pièces  déiac       < 
dans  La  Société  Nouvelle  (iSgS).  Puis  vibrent  des  plaquettes,  publiées 
pour  la   plupart  sans  indication  d'éditeur,  et  qui,  réunie^  plus  tard 
en  volume,  formèrent  son  premier  livre  :  Les  Rnllndrs  françaises. 

Empruntant,  sous  les  aspects  de  la  prose,  1  1  ic  et  la  ryth- 

mique du  vers,  mêlant  aux  images  les  plus  1  le  coloris  cru 

des  réalités,  l'art  de  ce  poète  éclate  dans  de  petits  tableaux  vifs  et 
nets,  où  l'habileté  du  peintre  ne  le  cède  en  rien  au  lyrisme  ému  de 
l'évocateur.  Son  talent,  a  très  bien  dit  M  Rt-my  de  (Jourmont,  est 
une  manière  de  sentir  autant  qu'une  manière  de  dire. 

•  Voici  le  frère  de  Jules  Laforgue,  a  écrit  d'autre  part  M.  Pierre 
Louys  dans  sa  préface  aux  Ballades  /ninçaise»  : —  un  grand  poète, 
un  écrivain  dont  cha(pie  lii;nc  cmeut,  à  la  fois  parce  qu'elle  est  belle 
et  parce  qu'elle  est  profouilémcnt  Traie,  sincère  et  dou«e  de  vie... 
Les  Ballades  françaises,  ajoute-t-il«  sont  de  petits  poèmes  en  vers 


8o  POÈTES  d'aujourd'hui 

polymorphes  ou  en  alexandrins  familiers  (i),  mais  qui  se  plient  à 
la  forme  normale  de  la  prose,  et  qui  exigent  (ceci  n'est  point  néçli- 
g'eable)  non  pas  la  diction  du  vers,  mais  celle  de  la  prose  rythmée. 
Le  seul  retour,  parfois,  de  la  rime  et  de  l'assonanc^  distingue  ce 
style  de  la  prose  lyrique. 

«  11  n'y  a  pas  à  s'y  tromper,  c'est  bien  un  style  n<  uveau.  Sans 
doute  M.  Pëlarlan  {Qiieste  du  Graal)  et  M.  Menôcs  (Lieder)  avaient 
tenté  quelque  chose  d'approchant,  l'un  avec  une  richesse  de  voca- 
bulaire, l'autre  avec  une  virtuosité  de  syntaxe  qui  espacent  aisé- 
ment les  rivaux... 

«  On  trouve,  d'ailleurs,  des  ancêtres  aux  méthodes  les  plus  per- 
sonnelles, et  celle-ci  serait  mauvaise  si  elle  était  sans  famille. 

«  M.  Paul  Fort  l'a  faite  sienne  par  la  valeur  théorique  qu'il  lui  a 
donnée,  par  l'importance  qu'elle  affecte  dans  son  œuvre  et  mieux 
encore  par  les  développements  infîniiSent  variés  dont  il  a  démontre 
qu'elle  était  susceptible. 

«  Désormais,  il  existe  un  style  intermédiaire  entre  la  prose  et  le 
vers  français,  un  style  complet  qui  semble  unir  les  qualités  contrai- 
res de  ses  deux  aînés.. .   ■ 

On  pourrait  ajouter  que  M.  Paul  Fort  n'a  pas  toute  la  réputation 
qu'il  mérite.  Dans  leur  couleur  de  chansons  populaires,  ses  Balla- 
des sont  pleines  de  traits  ingénieux,  charmants,  de  vraie  poésie 
hbre,  abandonnée  et  pénétrante.  On  les  recherchera  peut-être  un 
jour,  comme  les  témoignages  d'un  art  à  peu  près  unique  à  son 
époque. 

M.  Paul  Fort  a  également  fondé,  avec  plusieurs  écrivains  de  sa 
génération,  Le  Livre  d'art  (i8(j6-i897),  et  il  dirige  aujourd'hui  Vers 
et  Prose,  recueil  trimestriel  de  littérature,  fondé  par  lui  en  1905. 
Il  a  en  outre  collaboré  à  de  nombreux  périodiques,  entre  autres  ; 
La  Société  Nouvelle,  Mercure  de  France,  L'Ermitage,  Le  Réveil  de 
Gand,  Le  Coq  Rouge,  etc. 

Bibliographie  : 

Les  œuvres.  —  La  Petite  Rête,  comMie  en  un  acte,  en  prose.  Paris, 
Vanicr,  1890,  in-8.  —  Plusieurs  Choses  ,  poésies.  Paris,  Librairie  de  lArt 
Indépendant,  1894,  in- 16.  —  Premières  lueurs  sur  la  colline,  poésies, 
i'aris.  Librairie  de  l'Art  Indépendant,  1894,  in-16. —  IVIonnaic  de  1er,  poé- 
sies et  i)oèmc9  en  prose.  Paris,  Librairie  de  l'Art  huii'-prndaut,  1894,  in-16. 
—  Presque  les  doigts  ;iux  clés.  Paris,  Librairie  de  l'Art  Indépendant, 
1895,  iu-16   —  Il  y  a  là  des  cris,  poébies.  Paris,  édit.  du  Mercure  de  Frauce, 


(1)    Proposons   de    désigner  ainsi  les  alexandrins  qui   comprennent  douie 
eUlabes  sonores  et  laissent  quelques  luucttes  élidécs. 

L.    P. 


PAUL  FORT 


lfi95,  in- 16.  —  Ualladca  {Ma  Létjende.  Me$  Léfjenffr$y.  poèmes  en  i»ro«e. 
paris,  MU.  (lu  Mercure  de  Franro,  ls'.>0,  in- 16.  —  Ballades  {La  Mer.  Le» 
Cloche».  Le»  Lhninp»\,  pof-mo^  <n  pro^c.  F'ari»,  édition  du  •  Litre  d'Art  •  el  de 
€  L' /'ypreuve  »  1890,  in-l«i.  —  ltnll:iiles  La  >'<ii«'nu.  Aux  etutmp»,  tur  la 
roule  et  devant  l'Aire.  Me»  Léijendet.  L'  ■  ine»  en  pr^ 

du  Mercure  do  France,  1896,  in-16.  —  liai  it»  XI,  r 

poi-uies  en  iirosf.  ['aris,  Mit.  du   Mercure   de  1  -  "•,  lu  lo.         I!:illa- 

de»  FYaoçaUe»  (/'oème*  et  llalladea  1891-1  •  !■  e  de  Pierre  Ix>uys 

Pan»,  Sor.  du  Mercun;  de  France,  1897,  in-l8.  --  Muiitayne    h'^rét.  /'/■> 
.^fcr),  bal!ade<i  Fran<;ai$e!),    Il*  svric.  Paris,  Soc.  du  Menurr  île  Kianrp,    '.  -    • 

is.  —  Le    lloman  de  Louis  XI,  BalUden  Fraurai'».  i.  III*  -.rie    I 
.  du  Mcn  lire  de  France,  lh99,  in-18.  —  Le»  Idylle»  .\iitii|iioH.  lia 
Françaises,     1\*    série.    Paris.  Soc.    du    Memire    de  France,  l'.»"'.   in-t'* 
L'Amour  marin,  Ballades  Françaises,   V»  •.«'•rie.  l'aris.  Soc.  «lu  Mcrcur.    !.• 
France,    1900,    in-18.    —    Paris  Sentimental   Ou    le  lloman     de  non 
vingt  ans.  Ballades  Franrai'<es,  VI*  sciie.  Pans,  ."-^oc  du  Mfr<  urc  de  Frun  •• 
1002,  in-18,  —  Les   Hymnes  de  feu   prôcédi's  de   Lucienne,  B.i 
françaises,  Vil'  série.  Pans,  Soc.  du  Mercure  de  France,  I9(i3,  in-18.  —  <      x 
comb  ou  l'iioinme  tout  nu  tombé  du  Paradis,   Ballailes  Fran' 
VHP  série.  Pari»,  Soc.  du  Mercure  de  France,  190^,  in-18.  —  lle-de  France 
[Paris],    iùlilé   par  les  soins  de  *  Vers  el  Prose  »,  [1908],   in-18  (hors  com- 
merce). —    Salnt-Jean-aux-bolH.    Coury-le-Ch-ileau  et  Jouy^en-Jotas . 
l'aris,  «Vers  cl  Prose  u  [190^1,  in-10  (hors  commerce}. 

Poème  mis  e^i  musiulk.  —  Une  Ballade  française  a  été  mise  en  musique  |t«r 
M.  Gabriel  Fabre. 

A  c.o?i»iiTr.n.  —  André   Beaunier  :  La  fn-'^i--  nouvelle.   Par 
Meicurc  de  France.  i9n2,  m- 18.  —  Heiny  de  <i«Mirmont  :  Le  II' 
Musi/ue».  l'aris.  Soc.  du   Mercure  de  France,  1898,  in-i8.  —  Paul-Arinind 
liirMch  :  Paul  Fort,  nolico  dans  Ici  Portraits  du  prochain   Siècle.  I  iio, 
Girard,  lti94,  in-18.  —  Guornes  Le  f^ardonnel  et  Charles  Vellay  :  La 
Littérature  contemporaine,  t'J(i5.  Opinion»  des  écrivains  de  ce  temps.  P.»ri«, 
Soc.  du   Mercure  de   France,    1906,  in  18.  —  Ilob.  de   Souza  :    La  I 
Populaire  et  le  Lyrisme  Sentimental.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France.  ;•. .', 
in-18.  —  V.  Tlionipson  :    French   Portrait»    ibein^;    appréciations   of    tb« 
•vriters  of  youny  France).  Boston,  BichartI,  G.  Itadper  el  C»,    I9o0.  in-8. 

Ilen<^  Boyiesve  :  Sur  le»  nouvelle»   Hallades  de  Paul  Fort.  Erroits^C^ 
iii.vrs  is'.ts  F.  Goppée  :   Que'que»   poète».   Journal,  7   o.  '   '         * -'"    — 

l-Mmund  Uosse  :  The   Poetry  of  M.    Paul    Fort.    The    I' 
5  juillet  !9(«î.  — Pierre  Louys:  f*au//brr.Fi  i  isyo        I-     Mêlé 

(iriiliD.  /'<!«/    Fort.    Frmita^e.   mai    1897.  -  le  de  Visan  :  Sur 

l'tFtivre  de  l'aul  Fort.  Vers  et  prose,  juin-aoùl  . 

(l'n    ^rand    nombre  d'études  consacrées   à  M.  Paul  Fort  ont  été  recueillies 
dans  un  numéro  spécial  de  La  Procince  Aouvelle,  Auicrrc,  septembre  1897.) 

Iconographie  : 

Henry  IlaL-xille     Tête»  de  '      -          'nh    et  ^r.,  Paris,  c              r  )^|^ 

gr.  m  4         I".  >nll..U«»n      V  '     //•  livre  d,s  .»/                    H   de 

Gourmonl.  1  Joan  Veber  .  /'  '•- 

trait  ou  C  »  ■              _  .     ■  r  l»9«. 

«. 


82  POÈTES  d'aujourd'hui 


Des  «  BALLADES  DES  CLOCHES  » 

Ahl  que  de  joie,  la  flûte  et  la  musette  troublent  nos  cœurs 
de  leurs  accords  charmants,  voici  venir  les  gars  et  les  fillettes, 
et  tous  les  vieux  au  son  des  instruments. 

Gai,  gai,  marions-nous,  les  rubans  et  les  cornettes,  gai, 
gai,  marions-nous,  et  ce  joli  couple,  itou! 

Que  de  plaisirs  quand,  dans  l'église  en  fête,  cloche  et  clo- 
chettes les  appellent  tertous,  —  trois  cents  clochettes  pour 
les  yeux  de  la  belle,  un  gros  bourdon  pour  le  cœur  de  l'époux. 

Gai,  gai,  marions-nous,  les  rubans  et  les  cornettes,  gai,  gai, 
marions-nous,  et  ce  joli  couple,  itou  ! 

La  cloche  enfin  tient  nos  langues  muettes.  Ah  I  que  de 
peine  quand  ce  n'est  plus  pour  nous...  Pleurez,  les  vieux,  sur 
vos  livres  de  messe.  Qui  sait  ?  bientôt  la  cloche  sera  pour 
vous. 

Gai,  gai,  marions-nous,  les  rubans  et  les  cornettes,  gai, 
gai,  marions-nous,  et  ce  joli  couple,  itou  1 

Enfin  c'est  tout,  et  la  cloche  est  muette.  Allons  danser  au 
bonheur  des  époux.  Vive  le  gars  et  la  fille  et  la  fête!  Ahl  que 
de  joie  quand  ce  n'est  pas  pour  nous. 

Gai,  gai,  marions-nous,  les  rubans  et  les  cornettes,  gai,  gai, 
marions-nous,  et  ce  joli  couple,  itou  ! 

Que  de  plaisir,  la  flûte  et  la  musette  vont  rajeunir  les  vieux 
pour  un  moment.  Voici  danser  les  gars  et  les  fillettes.  Ah! 
que  de  joie  au  son  des  instruments  ! 

(Ballades  françaises.) 

DES  «  BALLADES  AU  HAMEAU  » 
Celte  fille,  elle  est  morte,  est  morte  dans  ses  amours. 


PAUL    FOriT 


83 


Ils  l'ont  j)or(ce  en  lerro,  m  trvrc  nu  point  fin  j-i'". 

Ils  l'ont  couchée  toute  seule,  toute  seule  en  ses  atours. 

Ils  l'ont  couchée  toute  seule,  toute  seule  en  son  cercueil. 

Ils  sontrev'nus  gaîment,  e^aînient  avec  le  jour. 

Ils  ont  chante  gaîincnt,  a^aîinrnf  :  «   r.h.irini  son  four. 

«  Celte  fille,  elle  est  morte,  est  iiiortr  dans  ses  amours.  » 

Ils  sont  allés  aux  champs,  aux  champs  comme  tous  les 

jours... 

i/itilld'Irs  rruni-iiisrs.) 

DES  «  BALLADES  DE  LA  NUIT  » 

A   Slaart  Merrill. 

L'ombre,  comme  un  parfum,  s'exhale  des  monlasi-nos,  et  le 
silence  est  tel  que  l'on  croirait  mourir.  On  entendrait,  ce  soir, 
le  rayon  d'une  étoile,  remonter  en  tremblant  le  courant  du 
zéphyr. 

(Contemple.  Sous  ton  front  que  les  yeux  soient  la  source  qui 
charme  de  reflets  ses  rives  dans  sa  course...  Sur  la  terre 
I  toilée  surprends  le  ciel,  écoute  le  chant  bleu  des  étoiles  en  la 

rosée  des  mousses. 

Respire,  et  rends  <à  l'air,  fleur  de  l'air,  ton  haleine,  et  que 
'm  souffle  chaud  fasse  embaumer  des   fleurs,  respire  pieusc- 
lent  en  retc^rdant  le  ciel;  et  que  ton  souffle  humide   étoile 
•  ncore  les  herbes. 

Laisse  nager  le  ciel  entier  dans  les  yeux  sombres,  et  mô!e 
ton  silence  à  l'ombre  de  la  terre  :  si  ta  vie  ne  fait  pas  inn- 
onilue  sur  son  ombre,  tes  yeux  et  sa  rosée  sout  les  miroirs  «les 
sphères. 


84  POÈTES  d'aujourd'hui 

Sens  ton  Ame  monter  sur  sa  tiîz^e  éternelle  :  l'émotion  divine, 
et  parvenir  aux  cieux,  suis  des  yeux  ton  étoile,  ou  ton  àme 
éternelle,  entr*ouvrant  sa  corolle  et  parfumant  les  cieux. 

A  l'espalier  des  nuits  aux  branches  invisibles,  vois  briller 
ces  fleurs  d'or,  espoir  de  notre  vie,  vois  scintiller  sur  nous, 
—  scels  d'or  des  vies  futures,  —  nos  étoiles  visibles  aux 
arbres  de  la  nuit. 

Ecoute  ton  rejçard  se  mêler  aux  étoiles,  leurs  reflets  se 
heurter  doucement  dans  tes  yeux,  et  mêlant  ton  reg-ard  aux 
fleurs  de  ton  haleine,  laisse  éclore  à  tes  yeux  des  étoiles 
nouvelles. 

Contemple,  sois  ta  chose,  laisse  penser  tes  sens,  éprends-toi 
de  toi-même  épars  dans  cette  vie.  Laisse  ordonner  le  ciel  à  tes 
yeux,  sans  comprendre,  et  crée  de  ton  silence  la  musique  des 
nuits. 

{Ballades  françaises.) 


DES  «  BALLADES  DE  LA  MONTAGNE,  DES  GLACIER. 
ET  DES  SOURCES  » 

Du  coteau,  qu'illumine  l'or  tremblant  des  genêts,  j'ai  vu 
jusqu'au  lointain  le  bercement  du  monde,  j'ai  vu  ce  peu  de 
terre  infiniment  rythmée  me  donner  le  vertige  des  distances 
profondes. 

L'azur  moulait  les  monts.  Leurs  pentes  alan^-uies  s'ani- 
maient sous  le  vent  du  lent  frisson  des  mers.  J'ai  vu,  mêlant 
leurs  lignes,  les  vallons  rebondis  trembler  jusqu'au  lointain 
de  la  fièvre  de  l'air. 

Là,  le  bondissement,  au  penchant  du  coteau,  des  terres 
labourées  où  les  sillons  se  tendent,  courbes  comme  des  arcs 
où  pointent  les  moissons,  avant  de  s'élancer  vers  le  ciel  dans 
l'air  tendre. 

Là  se  creuse  un  vallon,  sous  des  prés  en  damier,  que  blesse 


WÂVL   FORT 


83 


en  un  repli  la  flrche  d'un  clocher  ;  ici,  des  roches  roucres  aux 
arêtes  brillantes  se  gonflent  d'argent  pur  où  croule  une  eau 
fumante. 

Plus  loin  encore  s'étage  une  contrée  plus  belle,  où  luisent 
des  pommiers  près  de  leur  ombre  ronde.  Là,  dans  un  creux 
huileux  de  calme,  le  soleil,  où  vit  une  prairie,  fait  battre  une 
émeraude. 

Et  je  voyais  des  terres,  des  terres  encore  plus  loin,  en  mar- 
che vers  le  ciel  qui  semblaient  plus  pures  ;  l'une  où  tremblait 
le  fard  jsrris-perle  des  lointains  ;  les  autres,  au  bord  du  ciel> 
étaient  déjà  l'azur. 

Je  restai  jusqu'au  soir  à  contempler  cette  œuvre,  à  suivre 
l'ondulation  de  celte  mer,  et  je  sentais  très  doucement  faiblir 
mon  cœur  au  bercement  sans  fin  des  vaçues  de  la  terre. 

Comme  un  bouillonnement  de  vagues  déchaînées,  devant 
moi  jusqu'aux  grèves  en  feu  du  soleil,  je  vis  vallons  et  monts, 
nuages  et  ciel  d'été  remonter  l'infini  des  clartés  et  s'y  perdre. 

Je  me  tenais  debout  entre  les  genêts  d'or,  dans  le  soir  où 
Dieu  jette  un  grand  cri  de  lumière...  et  je  levais  tremblant  la 
palme  de  mon  corps  vers  celte  grande  Voix  qui  rythme 
ri'nivers. 

[Montagne.) 


DES  •  BALLADES  DE  LA  MONTAGNE,  DES  GLACIERS 
ET  DES  SOURCES  » 

La  colline  boisée  vient  border  la  rivière  et  dans  son  eau 
tranquille  elle  se  continue  :  une  m(»ilié  ombreuse  berce  les 
arbres  verts  et  l'autre  moitié  bleue,  la  profondeur  des  nues. 

Ici  vogue  l'esquif  eu  |>erle  d'un  nuage  et  1;^,  non  loin  de 
lui,  nage  un  radeau  de  branches...  Voici  que  sous  mes  yeux 
la  vai^^ue  d'un  barrage  mêle  voile  et  radeau  dans  sa  brunie 
Iroultlante. 


80  roÈrES  d'aujourd'hui 


Imnsfes  de  nos  rêves,  voilà  donc  le  naufras^e,  radeau,  voile 
sans  biif,  dont  la  vaiçue  est  le  port,  rêve  d'ombre,  rêve  Ijiru, 
brisés  sur  le  barrau^e,  disparus  dans  la  vague  et  mêlés  dans  la 
mort. 

La  colline  boisée  vient  border  la  rivière.  Sur  l'autre'rive 
tremble  un  cliamp  de  boutons  d'or.  Dans  le  ciel  nua^-eux 
glissent  de  blancs  éclairs...  Hélas!  d'autres  images  viendront 
mourir  encore  1 

{Monta  f/ne.) 


L'ALERTE 

A  M.  G.  Conrodo. 

Le  soir  tombe.  Les  faunes,  aux  toisons  fatiguées,  ont  hiissé 
dans  les  sources,  en  remontant  les  rives,  les  naïades  iluides 
couler  sur  le  gravier,  s'échapper  de  leurs  bras  les  tailles 
fugitives. 

Ils  ouvrent,  s'y  plongeant,  les  roseaux  en  corbeilles,  et 
dorment.  Leurs  bras  velus  s'étendent  sur  les  sources.  Non- 
chalamment pendantes,  les  mains  fauves  y  baignent,  cares- 
sant les  échines  des  nymphes  dans  leur  course. 

Les  doigts,  où  fuît  l'eau  vive,  peignent  les  crins  dorés  :  l'eau 
se  ride  entraînant,  avec  les  chevelures,  ce  qtii  tombe  d'étoiles 
à  travers  la  feuilléc  ;  et  Ton  entend  les  faunes  rontlcr  sur  le 
murmure. 

C'est  Iheure  où  Pan,  rêveur,  siffle  dans  la  forêt.  Le  rossi- 
gnol cîjiché  lui  répond;  et  leurs  trilles  montent,  se  poursuivant 
dans  les  arbres  qui  brillent,  tant, pour  les  écouler,  la  lune  est 
venue  près. 

Le  satyre  s'est  tu,  et  l'oiseau  se  lamente...  Plus  un  bruit... 
Hors  des  sources,  les  naïades  ont  sauté,  d'un  saut  si  doux 
qu'un  faune  ne  fut  pas  éveillé.  Elles  courent  !  Dans  la  plaine 
est-ce  un  berger  qui  chante  V 


PAL'U   FOUT  87 

Pan  humo,  autour  de  lui,  l'at^réable  vapeur  qui  se  n  |>.ni<l 
gous  bois  (le  laiit  d'épaules  nues,  el  suit,jus4]u'à  l'orée,  le  sil- 
\agc  d'odeur  de  (Jalalée  furtire,  et  qu'il  a  reconnue. 

Toutes,  sur  la  lisière,  sont  couchées  attentives  à  de  çrands 
bruits  secrets,  dans  l'horizon  perdus,  et  le  satyre,  inquiet,  se 
penche  pour  ravir  un  chant  que  n'entend  pas  son  oreille  poilue. 

Il  s'est  préci[»ilé,  grimpant  au  [)lus  haut  ch«^ne  qui  tord  ses 
noirs  rameaux  sur  le  ciel  étoile.  Vif,  il  n**       *  '  tries 

vent»  dépouillée,  et  ses  regards  phospli  ^  •  nt  la 

plaine. 

Toute  la  terre  est  nue  jusqu'à  ITiorizon  courbe,  où  la  plaine 
ee  fond  aux  regards;  et  nul  arbre,  nid  foyer,  nul  troupeau, 
nulles  formes  ne  boujjfent  :  au  clair  de  lune  la  plaine  herbeuse 
luit  comme  un  marbre. 

Sur  sa  branche  craquante,  el  siftlanl,  Pan  Iréj^iijne,  et  la 
for^t  profonde,  feuille  à  feuille,  frémit.  Haussant  leurs  cornes 
d'or,  qui  trouent  lancent  des  cimes,  mille  têtes  crépues  émer- 
gent autour  de  lui. 

Le  dos  de  la  for^t  sfrouille  de  toisons  fauves;  le  crand 
chêne  panique  en  est  comme  échevelé.  I^s  feuilles  sont  des 
mains  ;  cha(|ue  branche  est  un  faune  auquel  des  mains  s'agri|>- 
pent,  qui  veulent  se  hisser  ! 

Emportée  vers  les  cimes,  la  troupe  des  naïades  semble  nafçer 
dans  l'air  entre  les  bras  velus.  Alerte  !...  A  leur  clameur 
douliMireuse  el  sauvage,  des  trompettes  de  guerre,  faunes, 
ont  répontlu  ! 

Comme  une  vatçue  se  gonfle  en  [vircourant  la  mer,  tous 
voient  se  rapprocher,  livide,  l'hori/on  noir.  Et  des  fleurs 
métalli(jues  jettent  de  froids  éclairs,  sur  le  sombre  cristal  de 
l'air  au  fond  du  soir. 

(l'est  la  forêt  en  marrlu*  ilt»s  j.»\<«Io|s  el  des  piques;  le^  cri- 
nières tloUentf  où  bombe    le  li.«ui  t'roulou  des  char>;  c'e^l  la 


88  POÈTBS    D  AUJOURD  HUI 


houle  bleuâtre  des  cimiers  héroïques,  et,  dominant  hi  houle, 

la  face  de  César. 

{Idylles  antiques.) 


LE  LIEN  D'AMOUIl 

  Antonio  de  la  Gandara. 

Pourquoi  renouer  l'amourelte  ?  C'est-y  bien  la  peine  d'ai- 
mer ?  Le  cable  est  cassé,  fillette.  C'est-y  toi  qu  a  trop  tiré  ? 

C'est-y  moi?  C'est-y  un  autre  ?  C'est-y  le  bon  Dieu  des  Chré- 
tiens ?  Il  est  cassé  ;  c'est  la  faute  à  personne  ;  on  le  sait  bien. 

L'amour,  ça  passe  dans  tant  de  cœurs  ;  c'est  une  corde  à 
tant  d* vaisseaux,  et  ça  passe  dans  tant  d'anneaux,  à  qui  la  faute 
si  ça  s'use? 

Y  a  trop  d'amoureux  sur  terre,  à  tirer  sur  l'mcme  péché. 
C'est-y  la  faute  à  l'amour,  si  sa  corde  est  si  usée  ? 

Pourquoi  renouer  l'amourette  ?  C'est  y  bien  la  peirie  d'ai- 
mer ?  Le  câble  est  cassé,  fillette,  et  c'est  toi  qu'a  trop  tiré. 

{VAnioixr  marin.) 

SUR  LE  PONT  AU  CHANGE 

Ce  soir,  on  vend  des  fleurs  sur  le  Pont  au  Change.  L'air, 
par  bouffées,  sent  la  tubéreuse  et  la  poussière.  C'est  demain 
Sainte-Marie.  Une  heure  dorée  coule  au  fond  du  ciel  occiden- 
tal et  sur  les  quais,  et  jette  un  éclat  fauve  au  milieu  de  la 
foule.  On  voit  le  mouvement  trouble  de  la  place  du  Châlelel, 
où  des  fiacres  sursautent,  où  glissent  les  tramways.  D'un 
square  qu'on  arrose,  il  monte  une  bure,  qui  donne  un  flulte- 
ment  doux  à  la  Tour  Saint-Jacques...  L'air,  par  bouffées,  sent 
la  tulxTCUse  et  la  poussière...  Sur  le  pont  embaumé,  j'erre 
parmi  la  foule.  Les  œillets  et  les  roses  drbonlcut  les  parapets, 
s'écroulent  des  trottoirs  eu  cascade,  et  se  mêlent  aux  roues 


PAUL    FORT  89 

qui  1rs  fmporlent  lentement  dans  leurs  rois,  aux  jupes  qui  les 
frôlent,  aux  pas  qui  les  entraînent. 

Sept  heures  vont  sonner  à  l'horloiçe  du  Palais.  —  I/occi 
(lent,  sur  Pnris,  est  comme  un  lac  d'or  plain.  Dans  l'est  nua 
i^eux  içronde  un  oras^e  incertain,  l/airesl  chaud  par  houiïi'es, 
à  peine  l'on  respire.  Kt  je  sonife  à  .Manon  et  deux  fois  je  sou- 
pire. L'air  est  chaud  par  boulTrcs  et  berce  l'cnleur  lartçe  de 
ces  fleurs  qu'on  écrase...  On  soupire  en  voyant  de  frais  cou- 
rants violets  s'étirer  sous  les  arches  du  Pont- .Neuf  qui  pou- 
droie sur  le  soleil  mourant.  —  0  Tu  le  sais,  toi,  Manon,  si  je 
t'ai  bien  aimée  !  >  L'orage  gronde  au  loin.  L'air  est  chaud 
par  biiuffées. 

Kntre  les  pots  (!«•  tleurs,  les  gerbes,  les  bouquets  et  la  ran 
jçée  h  jours  des  balustres,  on  peut  voir  un  fleuve  lent  l'Usiner 
sous  des  reflets  d'or  noir.  Il  semble  q«ie  la  Seine  oppressée 
va  mourir  île  la  mort  du  soleil  vers  <]ui  elle  s'étire.  Son  eau 
soulTrante,  aux  lon^s  dcchirrniftits  violets,  entraine  au  loin 
les  roses  tombées  des  parapets.  Un  dernier  rayon  bas  et  fié- 
vreux du  soleil  a  pris,  entre  les  ijuais,  la  larç«'ur  de  la  S«'ine, 
et  bat  d'un  pouls  brillant  chaque  flot  (jui  soupire...  Triste- 
ment, je  m'accoude  au  c^arde-fou  du  quai...  L'air  chariç^é  de 
parfums  est  plein  de  souvenirs,  cl  je  songe  â  .Manon  qui  m'a 
tant  f.iit  SDulTrir  ! 

Sur  le  Louvre  loirUnin,  quelle  étoile  seiiiltlic  où  le  ciel  est 
cotileur  d'espérance  ?  Ah  1  je  sais.  .Manon  me  l'a  chantée  : 
«  C'est  l'étoile  d'amour...  Desamants,  des  maîtresses,  là-haut, 
s'ainient  toujours?...  »  Tu  brilles  dans  nies  larmes,  Ct  Véinis 
dianiantée  !  Mais  une  fumée  noire  m'en  dérol)e  le  siifne, 
comme  un  présent  amer  elTace  un  doux  {>assé.  Qu'importe  à 
la  fumée  les  pleurs  et  la  mis.'re  des  amants  qui  s'aceouilent, 
le  soir,  aux  parapets  '.'  —  Je  fermerai  mon  cœur  à  toutes  ces 
chimères.  —  Qu'une  rosée  d'étoiles  envelop^x'  la  nuit,  ou 
bien  que  cet  oraj^e  endeuille  le  ciel  vert,  rirn  ne  touche  le 
C(eur  qui  ne  bat  que  pour  lui.  l'n  jour,  Manon  chantait  : 
a  L'amour  est  éphémère  1  »  —  «  ('A)nime  votre  In-aulé.  luidis- 
je,  et  votre  chair...  »  Ces  fleurs  seront  flétries  qui  trcmblcul 


go  POÈTES  d'aujourd'hui 

sous  l'orage...    Le  ciel   éclaire    et    tonne.  ^îoi,    j'ai   repris 
courage. 

0  grave,  austère  pluie,  où  monte  l'âme  des  pierres  et  qui 
portez  en  vous  une  froide  lumière,  glacez  mon  âme  en  feu, 
rendez  mon  cœur  sévère,  imposez  la  fraîcheur  aux  mains  que 
je  vous  tends  1  L'averse  tombe  un  peu...  elle  tombe...  j  at- 
tends.  . .  Quoi  !  la  lune  se  lève  ?  Quoi  !  l'orage  est  passé  ?  Quoi  ! 
tout  le  ciel  en  fleurs  ?  et  l'air  sent,  par  bouffées,  l'œillet,  la 
tubéreuse,  la  rose  et  la  poussière  ?  Une  étoile  d'amour  sur  le 
Louvre  a  glissé  ?  J'achète  des  bouquets  !  quoi  !  je  suis  insen- 
sé ?  Et  je  ris  de  mon  cœur,  et  je  cours  chez  Manon,  des  roses 
plein  les  bras,  implorer  mon  pardon  ? 

{Paris  sentimental.) 


LA  VISION  HARMONIEUSE  DE  LA  TERRE 

A  Edmand  Gosse. 

Epousez-vous,  mes  sens,  toucher,  regard,  ouïe.  J'ai  gravi 
la  montagne  et  je  suis  en  plein  ciel.  La  terre  est  sous  mes 
yeux.  Oh  !  qu'elle  me  réjouit  !  Vaporeuse  à  mes  pieds,  comme 
la  terre  est  belle,  et  distincte  et  joyeuse  au  delà  des  vapeurs  ! 
La  courbe  d'un  vallon  m'a  laîl  battre  le  cœur.  Et  je  sens  que 
mon  plus  beau  jour  est  aujourd'hui.  Epousez-vous,  mes  sens, 
toucher,  regard,  ouïe. 

Je  vois  la  plaine  au  loin  vibrante  comme  un  son,  qui  par- 
court la  paroi  remuée  d'une  cloche  d'or.  Doucement  les  mois- 
sons, frappées  du  soleil,  sonnent. Un  champ  de  coquelicots  est 
comme  un  son  plus  fort.  Juscju'où  le  ciel  rejoint  la  terre,  la 
vibration  parcourt  la  nappe  immense  des  épiscjui  frissonnent. 
Que  j'aime  des  grands  blés  la  douce  intle.vion  !  Et  le  bout  de 
la  plaine  est  mourant  comme  un  son. 

La  terre,  je  la  vois,  la  terre,  je  l'entends,  la  terre  est  sous  mes 
yeux  et  vit  dans  mon  oreille.  Rythmique  et  musicale,  elle  est 
encore  plus  belle  !  Ses  bleus  étages  descendent,  remontent, 
prennent  un  temps.  Un  lent  dernier  plateau  de  bruyères  sur  la 


PAl'L    FORT  91 

pininn,  dévale,  puis  cVsl  la  plaine  avec  ses  moissons  d'or  !  I^ 
terre  est  sous  mes  yeux  rytliml<]ue  et  musicale,  et  telle  que  je 
l'entends,  plus  musicale  encore. 

Je  voudrais  de  mes  doiiçLs  caresser  la  nature,  comme  un 
\h'\  instrument  qui  rt* ponde  A  mon  r^ve.  —  Faire  sortir  d'un 
cl«<"ne  un  son  que  l'air  achrve  î  —  Je  vous  ferais  chauler 
comme  la  mer  aux  zéphyrs,  t^rands  blés,  si  je  pouvais  m*c- 
teriilre  avec  loisir,  h  la  fa<;on  des  vents  heureux;  si  je  pou- 
vais!... j't'prouvrrais  partout  la  terre  en  sou  murmure.  Je 
voudrais  de  mes  doigts  caresser  la  nature. 

Mais  toute  la  nature  est  au  seuil  de  mon  creur.  I>a  terre  cl 
le  soiril  ont  la  nu^ine  rad»Mîr«\  rythmée  à  Tuiii^son  des  batte- 
ments de  ma  vie.  La  lumière  du  jour  te  pénètre,  A  ma  vie  1 
Klle  s'ajoute  à  moi  comme  une  récompense,  quand  je  laissa 
mes  sens  errer  de  l'astre  aux  Heurs.  La  terre  et  le  soleil  ea 
moi  sont  en  cadence,  et  toute  la  nature  est  entrée  dans  mon 
cœur. 

Il  est  ivre  de  joie.  —  L'émotion  se  propai^e  sur  la  terre, 
d'un  uraud  vent  de  joie  ivre  agitée,  l^s  blés  s'enibrassent,  et 
dans  les  prairies  enchautéfs  le  cou  des  peupliers  se  tourne  et 
leur  front  nage,  voluptueusement,  au  gré  des  vents  d'élc. 
Mon  cœur  a  la  nature  entière  pour  empire.  Klle  est  fondue  en 
lui,  et  lui  en  elle.  O  vivre,  ainsi,  toujours,  bercé  du  mouve- 
ment des  arbres... 

Kt  ne  voyez-vous  pas  que  les  hommes  seraient  dieux,  s'ils 
voulaient  m'écouteT,  laisser  vivre  leurs  sens,  dans  le  vent,  sur 
la  terre,  en  plein  ciel,  et  loin  d'eux  !  Ahl  que  n'y  mrllent  ils 
un   peu   de   complaisance.   Tout    l'univers  alors   (r  isc 

adorable!)  serait  leur  âme  éparse,  leur  cœur  inrpw. -,.;.»  .  Kl 
que  dis-jc  ?  Ils  ont  tous  le  moyen  d'être  heureux,  c  lotisse 
penser  tes  sens,  homme,  et  tu  es  ton  Dieu.  * 

0  terre  —  dans  mon  coeur  —  rythmique  et  musicale,  des- 
cends avec  tes  neij;«*s,  rem»>ii(e  avec  tes  vignes  ;  que  les  tor- 
rents y  croulent  ;  (|ue  ce  tleuve  y  dévale  ;  que  j'écoute  en 
mon  cœur  l'augusle  chant  des  ligues  1  J'eleuds  les  bras.  Mes 


9>  roÂTES  d^aujourd'hui 

mains  caressent  l'horizon  doux  et  souple,  où  s'incline  la  nappe 
des  moissons",  qui  vont  sous  le  ciel  bleu  coucher  un  flot  {)Ius 
pâle,  et  la  nu'me  caresse  est  en  moi,  musicale. 

J'ai  p^ravi  la  montag^ne  —  ma  vue  tombe  du  ciel.  La  terre 
et  le  soleil  sont  la  même  patrie  :  mais  la  terre  est  mon  doux 
sujet  de  frénésie.  Au  gré  de  tous  mes  sens,  oh!  que  la  terre 
est  belle!  Dans  un  air  cristallin  s'accusent  des  boury^ades. 
Toits  rouges,  notes  claires  des  vallons  sous  les  arbres  !  Et  les 
clochers  d'ardoise,  limpides  au  soleil,  ont  le  reflet  changeant 
des  gorges  de  tourterelles. 

{Leg  Hymnes  de  Feu.) 

PHI  LOME  LE 

Chante  au  cœur  du  silence,  ô  rossignol  caché  I 
Tout  le  jardin  de  roses  écoute  et  s'est  penché. 

L'aile  du  clair  de  lune  à  peine  glisse-t-elle. 

Pas  un  souffle  en  ces  roses  où  chante  Philomèle  ? 

Pas  un  souffle  en  ces  roses  dont  le  parfum  s'accroît 
de  ne  pouvoir  jeter  leur  âme  à  cette  voix  ! 

Le  chant  du  rossignol  est  dans  la  nuit  sereine 
comme  un  appel  aux  dieux  de  l'Ombre  souterraine, 

mais  non,  hélas  !  aux  roses  dont  le  parfum  s'accroît 
de  ne  pouvoir  mourir,  d'un  souffle,  à  cette  voix  ! 

N'est-ce  pas  le  silence  qui  chante  avec  son  cœur  ? 
Un  rosier  qui  s'efl"euille  ajoute  à  la  torpeur... 

Silence  traversé  d'éclairs  comme  un  orage, 
puis  bercé  mollement  comme  un  léger  nuage, 

par  cet  hymne  voilé,  pur,  stri(l<'nt,  modulé, 
qu'exhale,  au  clair  de  lune,  l'âme  de  Philomèle  I 

Est-elle  d'un  oiseau  cette  voix  immortelle? 
Ahl  —  Son  eochaiitemeut  ne  devrait  pas  tinir. 


PAUL'  FORT  g3 

Vient-elle  des  Enfers  cette  voix  immortelle? 

Mais  il  n'est  plus  uu  souffle,  à  présent,  |K)ur  mourir. 

Sans  un  souffle  pourtant,  que  de  métamorphoses  ! 
I^c  clair  de  lune  assiste  à  la  ruine  des  roses. 

I  )éjà  tous  les  rosiers  ont  fléchi  sur  leurs  titres. 

II  passe  une  rafale  de  roses  en  vertijçc 

dans  le  rapide  espace  <jue  fait  l'herbe  couchée, 
s'cITrayant  <lc  ton  hytime,  ô  rossignol  caché  1 

l 'n  lonç  frisson  de  crainte  en*euille  le  jardin. 
La  lune  n)et  des  masques  ;  elle  hrille  et  sVteinl. 

Dans  le  gazon  j)eureux,  pétales  trrelottants, 
tournez-vous  vers  la  terre  et  vers  ce  qu'on  entend. 

ICcoutez!  cela  vient  du  plus  profond  de  l'Ombre. 
Lst-ce  le  cœur  du  monde  «{ui  bat  sous  le  jardin  ? 

On  entend  un  coup  sourd,  deux  coups,  trois  coups  qui  monlcut; 
d'autres  précipités,  sonores  et  qui  montent. 

IVisonnier  de  la  terre,  un  cœur  approche  ;  il  vient 
le  bruit  d'un  cœur  immense  à  travers  rbcrl)e  rase. 

Les  pétales  volettent.  I^a  terre  se  soulève. 

Ll,  le  corps  sous  les  roses  bleuies  de  clair  de  lune, 

réternelle  déesse,  la  puissante  C.yhèle, 
douce  et  levant  le  front,  écoule  I*hilomcle. 

(Caxcomb.) 


RENÉ    GIIIL 

4862 


D'origine  belge  par  gon  père  et  française  par  sa  mère,  M.  René 
Ghil  est  né  à  Tourcoing  (Nord)  le  27  septembre  i86a.  Sa  plus  grande 
gloire  est  d'avoir  inventé  la  Poésie  scientifique,  qui  eut  un  moment 
devogi^ue  aux  environs  de  1887.  M.  René  Ghil  fit  ses  t'iudes  au  Lycée 
Condorcet,  où  il  fut  le  camarade  d'Ephralm  Mikhaël  et  de  MM.  Pierre 
Quillard,  Stuart  Merrill  et  André  Fontainas.  Son  premier  livre 
parut  en  i885.  Il  avait  pour  titre  :  Légendes  d'Ames  et  de  Sang,  et 
contenait  une  préface  dans  laquelle  M.  René  Ghil  basait  déjà  sur  la 
science  l'œuvre  qu'il  se  proposait  d'écrire.  A  cette  époque,  M.  René 
Ghil  était  encore  très  fortement  sous  l'influence  de  Stéphane  Mal- 
larmé. Collaborateur  au  Scapin,  petite  revue  où  l'on  trouve  son 
nom  presque  à  chaque  numéro,  il  y  publiait  des  sonnets  très  imités 
de  son  maître,  tels  ceux  qu'on  lira  en  tète  de  notre  choix.  Sa  per- 
sonnalité commença  à  se  manifester  en  1886,  quand  il  publia  le 
Iraité  du  Verbe.  C'est  en  effet  dans  cette  petite  plaquette  (jue 
M.  René  Ghil  exposa  pour  la  première  fois  sa  nouvelle  th('orie 
poétique,  appelée  par  lui  l'Instrumentation  verbale.  Curieuse  théo- 
rie, qu'il  est  resté  le  seul  à  professer.  Déjà,  Arthur  Rimbaud 
avait  découvert  des  couleurs  aux  voyelle»,  M.  René  Ghil,  s'inspi- 
rant  de  lui,  allait  encore  plus  loin.  D'abord,  il  dérangeait  un  peu 
l'ordre  de  Rimbaud.  Ce  n'était  plus  : 

A  noir,  E  blanc,  I  rouge,  0  vert,  U  bleu, 

comme  dans  le  fameux  sonnet.  C'était  : 

A  noir,  E  blanc,  I  bleu,  O  rouge,  U  jaune. 

De  plus,  associant  dans  sa  méthode  les  consonnes  aux  voyelles, 
il  leur  découvrait  à  sou  tour  des  correspondances  avec  des  instruments. 
Selon  lui,  telle  consonne,  placée  devant  telle  voyelle  suggérant  telle 
couleur,  répondait  au  son  de  tel  instrument  et  évoquait  telles  id<>s. 
Ou  devait  avoir  ainsi  dans  un  livre  de  vers  un  double  plaisir,  celui  de  la 


lecture  et  celui  d«  la  musique.  Le  seul  défaut  de  cette  méthode,  c'était 
quVIle    était    complètement    imalisalile.   M.   HeDc     Ghil     lui  m'^ine 
avait  modifié  leg    th'ories  de  UitiiliAiid.    Chaque   lecteur  pouvait  a 
son  tuur  ini/difier  les  siennes   suivant  son  propre  sen^  visuel  et  son 
propre  sens  auditif.    Où  le  poêle    voyait  rouge  et  voulait  faire  en- 
tcodre  des  cuivres  BU(;gérant  des  id/es  de  gloire  et  de  luxe,  il  pou- 
vait très  bien  voir  gris  et    n'entendre  qu'un  accordéon  lui  évwjuanl 
des  idrcii  de   vie  provinciale.    On  al>(>iiu>.sail   ainsi  à  une  poésie  qui 
n'était  compréhensible  qur  pour  non  auteur.  Oltc  drcouverte  orches 
traie  n'en  fit   pas  moins  «{uelque  bruit  à  réj)<>(|uc.    Les  journaux  les 
moins  coutumiera  d'articles  littéraires,  en   France  comme  i  l'étran- 
ger, voulurent  dire    leur  mot    sur   la  question,  les  uns  pour  vanter, 
les  autres  pour  dénij^rer.    Il    en    fut  de  rnt^me   rhez  les   jrun«*«  erri 
▼ains,  dont  les  uns  prirent  parti  pour  les  théories   inslru;; 
les  autres  contre.  Cn    fut  un    vrai   concert  d  «  luijes  et  de  r 
Cependant,  M.  Hené  Ghil,  gardant  toute  mesure,  travaillait  i   amé- 
liorer sou  Traité  du  Verbe,  et  l'année  siiivanle,  en  1887.  d    '        '  '  t 
une  nouvelle  édition,  dans  lacjuelle   il   d.  ilnissait  plus  mw 
sa  méthode  de  l'instruinentation  verbale.   Cette  | 
Tic  la    même  ann>  e  de  la  fondation,    par   M.  Cas"  - 

Ecrite  pour   l'Art,  une  petite   revue  qui   derait  grouper,   sous  le 
bâton  de  M.  René  Ghil,  les  jeunes  poètes         '         s  des  lh«  <  -' 
trumentistes.   l'nis,  en     i8hH,    M.    Hené  1  .la   une 

édition  du   Traité  dû     Verbt,    encore    revue   cl  augmentée  ;    i 
mentation  consistait    ux'me  ea    une  nouvelle  innovation.    L«  (  - 
n'i'tait  plus  seulement  doublé  d'un  musicien,    il  devenait  aussi    ua 
savant,   et  dan^  un   expose   aussi  harmonieux  qu<  -    M.    Kené 

Ghil  d»-Gnissail   complclemeiit  cette    f-.j-ci    la    i<  .  ^*    de  s^'n 

œuvre,  laquelle  partait  du  transformisme  et  donnait  comme  1 
l'idi-e  portique  l'idrc  scienlitique.   Aint>i  le  trouva  crcee  parle  ^      .: 
novateur    de    M.  Hcoé  Ghil  et  son    habileté  à   réunir  les  mots  les 
moins  fait.s    pour    être    assembles    la    Poésie  le,   faite  des 

couleurs  des   vovelles,  des  correspondances  ;>cs  avec  des 

sons  d  instruments,  et  des  mystères  les  plus  allrayants  de  la  bi  - 
logie,  de  rhistolo(;ic,  de  lachimie,  de  la  sociologie,  etc.,  etc.  Eiiiin, 
en  i88<j.  M.  Hené  Ghil  passant  de  la  ihéoris  à  la  pratique,  com- 
mença l'oeuvre  qu'il  avait  annoncée.  Cette  oeuvre,  %ows  le  titre  tout 
simple  ii'Œuvre,  se  divise  eu  trois  par!  --s:  Dirtdu  Mieux  —  Dtrt 
des  Sawjs  —  Dire  de  la  Loi.  La  première  est  achevée  complstemeat 
avec  cinq  livres  .Le  Meilleur  Devenir,  Le  Gtatê  ingénu, La  Preuir 
égoïste,  Le  Voeu  de  Vivre  et  L'Ordre  Altruiste,  formant  ensemble 
huit  volumes.  La  deuzicme  partie  a  il  "  romintuc-e  en  i8<p<  avec  .m 
premier  livre  :  Le  Pas  humain,  formaot  un  volume.  ï...>-  >c  co-ti- 
nuera  par  quatre  autres  livres  :  Lee  Génilureê^  Les  Sens  nouvtaujc. 


gô  POÈTES  d'aujoui\u^hui 

Le  Monde  mortel  et  Le  Devenir.  Puis  viendra  la  troisième  partie, 
avec  plusieurs  livres,  qui  formeront  eux-mêmes  plusieurs  volumes. 
«  L'œuvre  est  une.  De  même  que  tous  les  volumes  se  relient  les 
uns  aux  autres,  se  font  suite  et  se  pénètrent  par  l'idée  générale  et 
les  motifs  musicaux,  comme  les  instants  d'un  drame  lyrique,  de 
même  tous  les  poèmes  sont  solidaires  et  se  complètent,  voix  multi- 
ples pour  un  dire  unique.  C'est  pourquoi  ces  poèmes  n'ont  point  de 
titre,  comme  habituellement,  mais  simplement  des  numéros  de  cha- 
pitre. Seuls,  la  marche  et  le  mouvement  des  idées  y  marquent  des 
sortes  de  strophes,  un  peu  irrégulières,  car  la  strophe  ancienne  est 
répudiée  par  le  poète  au  même  titre  que  les  silves  de  poèmes  sans 
pensée  générale  et  écrits  uniquement  selon  l'inspiration.  Le  rêve 
scientifique  domine  cette  œuvre  où  l'auteur,  dans  son  écriture,  veut 
synthétiser  les  différentes  formes  d'art,  littéraire,  musicale,  picturale 
et  plastique.  Toute  œuvre  poétique  n'a  de  valeur  qu'autant  qu'elle  se 
prolonge  en  susrgestion  des  lois  qui  ordonnent  et  unissent  l'Etre 
total  du  monde,  évoluant  selon  des  mêmes  rythmes,  conclura,  en  1 904, 
l'édition  définitive  sous  le  titre  ne  variétur  de  En  méthode  à  l'Œu- 
vre, que  portait  déjà  l'édition  de  i8yi.  Et  l'auteur  procédant  en 
compositeur  bien  plus  qu'en  littérateur,  il  faut  le  comprendre  comme 
le  musicien  verbal  d'un  grand  drame  où  se  fait,  avec  seulement  des 
mots  auxquels  il  prétend  donner  des  significations  orchestrales,  une 
synthèse  à  la  fois  biologique,  historique  et  philosophique  de  l'Homme 
depuis  les  Origines.   » 

Ainsi,  du  moins,  l'explique  M.  René  Ghil. 

Comme  on  le  voit,  et  comme  on  le  verra  encore  mieux  en  le  lisant, 
M.  René  Ghil  n'a  aucun  des  défauts  du  poète.  Il  ne  laisse  rien  à 
l'inspiration,  à  la  fantaisie,  au  charme  changeant  de  la  rêverie. 
Tout  dans  son  œuvre  est  réglé  d'avance,  le  nombre  et  le  titre  des 
volumes,  le  sujet  et  la  place  des  poèmes,  peut-être  même  la  quantité 
de  vers  de  chacun.  C'est  qu'un  poète  qui  chante  la  Science  se  doit 
d'être  clair  et  sensé,  et  de  bannir  de  son  œuvre  toutes  les  séduc- 
tions du  style  et  de  l'imagination. 

M.  René  Ghil  a  collaboré  à  La  Décadence,  au  Décadent,  à  La 
Pléiade,  V*  série,  au  Scapin  et  k  La  Vof/ue,  i"  série,  1H8G  ;  —  aux 
Ecrits  /jour  l'Art,  1887-1890;  — à  La  ]Vallonie,  1887.88  et  89  ;  — 
à  la  Revue  indépendante,  /j*  série,  1889  ;  —  à  L'Art  littéraire,  i8y4; 
—  h  La  Question  sociale,  1897,  etc.  Il  a  également  fait  reparaître, 
BOUS  sa  direction  et  celle  de  M.  Jean  Royère,  Les  Ecrits  pour  l'art, 
pendant  une  année  (1905-1906).  11  publie  régulièrement, depuis  1904, 
des  études  sur  la  poésie  française  dans  la  revue  Viessy  (la  Balauce), 
de  Moscou. 


KKnà  OBIL  97 


Bibliographie  : 

I.M  .»!  viii.-..  —  I./*yf»nileB  d'Amet  et  df  tangt,  rem.  Pari»,  Frinrinr  rt 
C"',  IH81,  in-JO.—  Le  Traité  du  Verbr.  l'ari*,  Gi:  in-16.    I 

pn-Mioiis  :  /-€    Traité    du    Vtrbe,  «fniiUon  r<'Tiu'  ol    a  Tari». 

I/vv,  I8»7,  ia-8;  Z.«  Traité  du   Verln.-,  ('-«Iitiou  ivvup  ri   . 
trair,  bruiellrt,  éd.  Dem&n,  1888,  in-8.  —  La  («enta  Iny  un 
P*ri«»,  Vaiiicr,  1887,  in-18.  —  Œuvre:  En   Méthode  à  l'Œuvre.  Lirrc- 
prrfacu,    «édition   uouvcllo    du    Traité  du     l'     '<,  av.v    (K>rtrai(    de    laulrur. 
l'uriff,  IK'Jt.  io  12.  —  Œuvre.  1"  Partie  :  IMre  du   Mieux  :  L.  l  et  II  :  A« 

Meilleur  d)  venir.  Le  dette  ingénu,  Paris,  Ifcfe'J,  in-lî.  —  L  11!  :  /  ■   "■    

éijoi.rl.  .  i'aris,    1890,  in-l2.    —   h.  IV  :  Le  Va-u  de  vivre.   Pari», 

et  IH'JJ.  3  »ol.  in-li.  —  L.  V  :  L  Ordrr  ultruitle.   Paris,  1894.  IhV^  .i  i-^;, 

3  vol.  iu-12  (1).— Œuvre. H*  ParUe  :  Dire  des  Sang»  :  L.  I  :  Le  l'a»  humain, 

Paris.  M.  du  Morcurc  do  France,  1898.  m  li.  —  1^  Il  :  L€  Toit   t 

Paris,  éd.  du   Mercure  de   France,   1901,    m- 12.  —  Le   Pantouii 

touD,     potiue   javanais      -uivi    d'un    levi<|ue].     Paris   et   Batavia,   1.    1.     m  S 

(couv.    urnce).   —    Maroel    Leoolr,   Etude  lue    devant    la  Société   c  l'Art 

pour  toii!»  >,  PII  l'Atcliir  <lf  M.ir<-)>|  Ijraoir  (83,  rue  de  la  Tombe-Issoire,  Paris), 

(liupr.  (J.  de  .Mallierlx'  ,  l'J<>0,  ^raiid  in-8. 

E"i  <:t)L't»  vt  nbU'.KTion.  —  (Kuvre.  (Dire    du   Mieux  .  no 
enli«'Ti-ini-iit  n>niaiiiro  el  aucnicutre,  aiinuLiiit  tout^-^  l<-»  •■.iltH)l|^  .tn 
En    Mrlliode  il   l'tl'Iuvre,  éililiou  nouville    et    revup  ilu   /';-.i(.'<     tiu   \ 
A*'-'  >iu  |")rlr.iil  do   I  autour  (1887;.    l'.in*,    Me«..^iu,    19<'4,  ni  t'*.         lHii%ri' 
iUre  (lu  Mieux  :  L.  I  et  II  :  Le  .Ucilti  ur  devenir.  Le  Gcite  tnijénu.  J"  in-.. 
M.-^viu.  l'JHj,  iu-18.  —  L.  m  :    Le   Wru  de  vivre,  t.  1  et  II.  Paru,  Me»»ciu, 
<>19U7,  2  TOl.  io  18. 

A  c(jM»tLT«n.  —    A* -M.  Gossex  :  Poitet  du  Nord.  IS80-190f.  Marteaux 
ehoisis,  etc.  Paris,  OlleudorlT.   [9i)i,  in-18.   —  Remy  de  («ourmont  :  Le 

II*  Livre  des  MasfjucM.  Pans,  Soc.  du  Mercure  de  Kr '-    -         f.        -  -    s 

Le  Cardounel  et  Ch.  Vellay  :  La  Littérature  <■ 
nions  il>s  écrit  mus  de  ce  Innji^.  Pans.  .^^o^".  di.  ^! 
—  Jult>S  llurut  ;   Ln.ptéte  sur   i Kvolutwn 

1891.  m  8.  —  Charles  Saunier  :  Itené  Ohil.  iioîic  I  u!  ;.  .    1,11-  1.  «  /  _.r 
traits  du  prochain  siècle.  Paris,  Girard,  1894,  in-18.  —  Julet  Teliier  .   \vs 
Poètes    l'an*.  I>es|irit.   tss.S.  in-18. 

Valére  llrusaov  .    h'iudc,  avec  deux  portr.  et  un  atifo-rv;>?i'«   V»«^«v    l^ 
Balanri>\  Mosrou.  1904.  —  G.  et  J    Couturat  :  Af 
pendant^,  août  Is'Jl  ;  J#.  Jtené  tihil  et  la  jtoésir  ?-• 
dantr.  iiuv<'Mil>r<'  ls'.>2.  —  /abel  F^s«uik'an  :  /•; 
pfii^'    M' .ii-t,uitiuiii>I<-  .    mars    I'.' '4  llené    ttlni 

l'oètes.  Bulletin  du  tx»nprés,  etc..  I  an»,  l.* 
•    '  le  ».  Ecrits  pour  l'Art,  uout.  sJ-t     l.<"'.     ',/:. 

{La  Poésie  scientifit^ue  et  le  symbolisme).  M     ■>iil"r.   55  niaf».  1,  8  et  J'.' 
1907.  —  l^iurence  Jerrold   :   l'n  livre   d,     .M.  John   lKiiflA,,u    In 
scientifique  anylais  en  1905.  Ecrits  )iour  l'Art,  nouv.  aéne.  ji 
A.  Lauge  :  Le  Pantoun  des  Pantoun,  arec  des  traductions.  .\^...^...  /«u- 

(1)  I.e^  Itvrm  de  l'^Furrr,   suiris  teuleiMll  de  la  ■■al ion  :  Paris,  et  de  la 
date,  ont  (mru  sans  nom  d'éditeur. 


gS  POÈTES  d'aujourd'hui 


Bovie),  1904.—  Marius-Ary  I.eblond  :  Lq  Poésie  tcientifique.  Revue  des 
Revues,  décembre  1904.  —  Emile  Michelet  :  li.  Ghil.  Alrlhode  érululive 
instrumentiste.  Revue  iiiil(''jiendanle,  mai  1889.  —  G.  Moch  Le  Calcul  et 
la  réalisation  des  auditions  colorées.  Revue  scienlifique,  20  août  1898.  — 
Gaston  Moreilhou  :  Tn  liiTe  de  M.  René  Ghil.  Ecrits  pour  l'Art,  nouv 
sc'Tie,  juin  1905.  —  T.  S.  Perry  :  The  Latetl  Litcrary  Fashion  in  France. 
The  Cosmoi.oliUn  (New-York),  juillet  1892.  —  C.-M.  Savarit  :  M.  Itené 
Ghil.  La  HcDaissance,  7  avril  1896.  —  Ch.  Soubilié  :  [Un  poème  java- 
nnia  en  France].  Semarang-Courant  (Java),  18  mars  1903  —  F.  I*r!ck  van 
\VeIy  :  [Java  dans  la  Poésie  française].  Bataviaasch  Nieuwsbiad,  21  mars 
1903.  —  E.  Verhaeren  :  Articles.  Art  moderne  (Bruxelles),  5  décembre 
1886  et  24  avril  1887.  —  Paul  Verlaine  :  Ilené  Ghil.  Les  Hommes  d'aujour- 
d  hui,  n»  338.  Paris,  Vanier,  s.  d. 

Iconographie  : 

Luqiie  :  Purtrait-charye,  dans  Les  Hommes  d'aujourd'hui,  n*  338.  Paris 
Vanier.  —  Hobuchon  :  Portrait  d  la  plume,  1893  (reproduit  daus  Le  Cour- 
rier français,  15  janvier  1893).  —  Couturier  :  Portrait  à  la  plume,  1895 
(reproduit  dans  le  Don  Juan,  octobre  1895). —  F.  Vallotton  :  Masque,  dans 
Le  II'  Livre  des  Alasques.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1898.  —  F.  Vez- 
zani  :  Peinture,  1899  (aj)parlicnl  à  M.  Keué  Ghil).  —  Marcel  Lenoir  : 
Portrait,  fusain  et  pciulure  à  l'huile,  1907.  (Ces  deux  portraits  appart.  à 
M.  René  Ghil.) 

SONNET 

Mais  leurs  ventres,  éclats  de  la  nuit  des  Tonnerres  I 
Désuétude  d'un  jj^rand  heurt  de  prime  cieu.x 
Une  aurore  perdant  le  sens  des  chants  hyninaircs 
Attire  en  souriant  la  vanité  des  Yeux. 

Ah  !  l'éparre  profond  d'ors  extraordinaires 
S'est  apaisé  léger  en  ondoienienls  nerveux, 
Et  ton  vain  charme  humain  dit  que  tu  dégénères! 
Antiquité  du  sein  où  s'épure  le  mieux. 

Et  par  le  voile  aux  plis  trop  onduleux,  ces  Femmes 
Anjoureuses  du  seul  semblant  d'épilhalames 
Vont  irradier  loin  d'un  soleil  tentateur  : 

Four  n'avoir  pas  sontçé  vers  de  hauts  soirs  de  glaives 
Que  de  leurs  lianes  pouvait  naître  le  Hédcnjpteur 
(Jui  doit  sortir  des  temps  inconnus  de  nos  rêves. 

(i886.) 


ncNé  omL 


POUH  L'ENKAM  ANCIENNE 


99 


Tue  en  IVlonncmrnt  de  no»  yeux  mutuels 
Q\n  d.'livrrrrnt  l.j  l'^r  âr  latrrilrs  t^loirfs, 
"u«',  veuve  dans  le  Trniple  aux  siLTurs  rituels, 
•iidr  d'cJcrDiti*  rcpnmve  nos  njéiiiuin-s. 

Tel  instant  qui  naissait  des  heurts  éventuels 
Tout  palmes  de  doit^Ls  loniçs  aux  nuits  ondulaloircf 
V  rais  m  le  drtnïe  espoir  des  vols  perpitii.ls 
N<Mjs  ouvrit  les  pa.s.s  de  nos  pures  hisUjirc» 

Une  moire  de  vains  soupirs  pleure  sous  les 
Trop  seuls  saints  riants  par  nos  v<pux  exhalés, 
Aussi  haut  qu'un  n«-ant  de  plumes  vers  1rs  ifnoscs. 

Advenus  rêves  des  vitraux  pleins  de  demains 
I>m:iv  et  nuls  à  pirurer,  et  d'jin  midi  de  roses, 
Nous  venons  r.ni  '.  l'^-iire  en  élevant  les  mains. 


(i8S6.) 


EN  M'EN  VENANT  AU  TARD  DE  NUIT... 

En  m'en  venant  au  tird  Ar  mut 

se  sont  éteintes  les  ételles 

Ah  !  qu«'  les  roses  ne   sont-elles 

tard  au  rosirr  de  mon  ennui 

et  mon  amante,  que  n'est  elle 

morte  en  m'aimant  dans  un  njînuil. 

Pour  m'entendre  plrurer  tout  haut 

à  la  plus  haute  nuit  de  terre 

le  rossiifiii.l  ne  viMit  se  taire: 

et  lui,  que  n'est-il  moi  plutl^t 

et  son  amante  ne  ment-elle 

Cl  «pi'il  en  meure  dans    l'ortneau. 


En  iii'rii  vrnant  au  tard  «le  nuit 


BIBLIOTHECA    ]] 


100  POSTKS    D  AUJOURD  HUI 

se  sont  éteintes  les  ételles  : 
VOUS  lui  direz,  ma  tendre  mère, 
qne  l'oiseau  aime  à  tout  printemps... 
Mais  VOUS  mettrez  le  tout  en  terre, 
mon  seul  amour  et  mes  vingt  ans. 

{Dli-e  du    Mieux  :  le  Vœu  de  vivre.) 


FRAGMENT 

Dites,  qu'on  ne  sort  de  la  çuerre 

que  par  la  g-uerre  !  —  et  l'heure  des  trompettes,  dure 
au-dessus  des  étreintes  de  qui  vont  mourir  ! 
De  sang,  de  gorges  singultuant  de  rupture  — 
dure. . . 

Elles  éplorent  le  soir  des  banqueroute» 
d'Etats,  les  trésors  vides  par  la  paix-armée 
et  la  terreur  des  Uns  à  grand  geste  alarmée 
et  l'angoisse  des  détenteurs  mauvais  de  1  Or 
sentant  hideusement  aussi  que  vient  la  mort  — 
car  n'entendez-vous  pas? 

il  passe  des  Bruits  sourds 
il  passe  des  Bruits  d'hommes  dans  les  alentours  : 
ils  passent  en  marquant  le  pas,  ils  passent  en 
hurlant  par  toute  route  et  en  des  heurts  tintant  : 

...  allons  (la  terre,  la  terre  ronde), 
allons  légèrement,  hardiment  — 
la  terre  vaste,  la  terre  ronde 
est  une  mère  de  tout  le  monde  ! 
allons  la  terre,  Ii-n^t-rement  !... 

ils  passent  en  manjuant  le  pas,  ils  passent  en 

hurlant  par  toute  route  et  en  des  heurts  tintant 

vers  ailleurs  (jui  s'en  aillent  pour  pouvoir  vivre,  ou 

pour  mourir  :  et  leurs  poings  puissants  maîtrisent  d'armes 

la  nuit  venante  aux  plis  de  hauts  drapeaux  d'alarmes  I... 


nE.Né  QHIL  101 

Elles  sonnent  les  Hévollcs  el  lîanqueroutcs... 

cl  les  horiinjes  ilcs  IJaiiqucs  du  sauiç  et  de  l'or 

à  tous  l'^tal^,  (le  rois  et  parlements  !  ont  dit  : 

—  a  \'(»lre  Krnpirc  ne  tient  qu'autant  que  nous  tenons 

veutrij)olcnts  el  vos  maîtres,  et  tous  nos  noms 

se  mêlent  dans  l'histoire  énorme  de  la  Faim 

des  peuples!  Nos  trésors  meurent  dans  vos  trésors 

et  quou]u'ils  n'aient  maiif^é,  les  peuples  aux  poings  tors 

de  toute  f)nrt  partis  viennent  rcrs  notre  Fin  : 

qu'ils  aillent  vers  la  leur  I 

Ils  gardent  la  hantise 
cruante  des  mots  qui  mentent!  patrie,  en  eux 
retentira  au  sens  de  meurtres,  et  haineux 
le  vent  haut-soulevant  dos  trompettes  attise 
le  sang  des  Kaces  !  —  Ils  ont  le  goût  du  sang,   et 
de  leur  ventre  vide  plus  déments,  tas  muet, 
ils  entreront  dans  les  poitrails  les  uns  des  autres 
ainsi  (|u"ils  entreraient,  tratçi»jues,  dans  les  nôtres  ; 
ô  rois  et  pseudo-rois  I  l'heure  des  Ban<]ueroutes 
de  tout,  sonne!  et  d'aller  entreprendre  les  routes...  » 

Aux  armes  I  Cités  du  Monde  — 

le  soir  de  deuil 
est  arrivé  ! . . . 

Haine  immortelle  de  nos  Aïeux 
tressaille  dans  nos  artères,  et 
[«  sonne  1 

contre  nous,  teint  de  tous  lieux 

l'ilcudnrd  sant^Iant  se  K-ve  !  —  aux  armes  I 

et  sonne  dans  l'horizon  muet 

du  heurt  en  nos  puitrinrs  d'alarmes 

du  heurt  ardent  de  notre  saniT,  et 

batsl... 

Faisant  notre  entraille  pleuroir 
nous  sommes  rhcmlit/*  vivante 
(les  ventxes  qui  hurlent  rt:)|>opée 

1. 


102  POETES    D  ALJaLRIi  HUI 

du  sang  large,  où  se  meurtrit  le  soir 
qui  rutilait  au  long  de  l'épée  : 

au  vent  des  trompettes  d'épouvante 

qui  s'empourpre  de  notre  haleine  !  —  en 

val  et  mont  qui  ne  sont  pas  patrie 

et  peuplant  de  nos  morts  d'autres  sols 

ô  toi  !  que  nos  veines  ont  nourrie  ! 

oui,  mrne  aux  meurtres  et  mène  aux  viols 

ta  géniture  où  hurle  l'élan 

et  sur  les  peuples  d'âme  tarie 

tiens  notre  étendard  teint  de  tous  lieux  I 

Haine  immortelle  de  nos  Aïeux!... 

...  Et  les  peuples  entrèrent  au  guet-apens... 

{Dire  du  Mieux  :  L'Ordre  altruiste,  vol.  i.) 


FRAGMENT 

D  ne  veut  pas  dormir,  mon  enfant... 

mon  enfant 
ne  veut  dormir,  et  rit  I  et  tend  à  la  lumière 
le  hasard  a^-rippant  et  l'unité  première 
de  son  geste  ini^énu  qui  ne  se  sait  porteur 
des  soirs  d'Hérédités,  —  et  tend  à  la  lumière 
ronde  du  haut  soleil  son  geste  triomphant 
d'être  du  rnoode  1... 

Ta  mère  va,  mon  enfant 
qui  te  donnes  à  la  vie  1 
clore  les  rideaux,  lourds  d'une  nuit  en  lenteur 
d'atomes,  eu  lenteur  de  sang  !...  Ah  !  la  nuit  tendre 
ainsi  qu  une  eau,  tu  ne  sais  pas  —  où  se  détendre 
la  douleur  de  nos  Yeux  et  de  l'inassouvie 
Vie,  l'Apre  elTort  !... 

...  Il  est  un  seul  naviie    cl,  haut 
monte  au  haut  mât  d'où  Ton  voit  tôt  !) 


RkfXt    GHIL 


ic3 


il  est  un  seul  navire  à  l'eau 
Où  mon  Amant  est  matelot... 

Des  tropiques  du  temps  (et,  haut 
monte  au  haut  mât  d'où  Ton  voit  tôt  !) 

des  tropirpics  tant  loin  de  nous 
(juc  m'.ipj)()rt<*  niitri  Ami  doux.. 

Du  soleil  de  la  Vie  (et,  haut 

monte  au  haut  mAt  d'où  l'on  voit  tôt  I) 

du  soleil  ton  Amant  t'apporte 

À  en  dorer  toute  ta  porte  : 

et  tu  le  trouveras  (aidants 
aidés  d'étoiles  naiçe  au  port  1) 
et  tu  le  trouveras,  emmi 
des  transes  sur  mon  lointain  sort 

et  même,  au  demain  de  ma  mort  : 
dessous  le  nom  d'Amour,  dedans 
mon  sein 

tant  loin  qui  s'est  ^émi  I.. 

Mais  il  ne  veut  dormir,  mon  enfant... 

mon  enfant 
ne  veut  dormir,  et  pleure  !  et  tend  à  la  lumière 
qu'il  sait  trop —  l'idiplorant  ijeste  tie  son  exil 
au.x  ondes  du  néant  où  se  désole-l-il 
d'errer.  ..  —  Or,  ouvre  les  rideaux  de  miit  !  ô  .Mère 
de  silence  :  (pie  luise  entre  les  doiirts  en  y<EU 
de  Joie, 

le  soleil  vaste  !  le  pren>ier  dieu... 

(Dire  du  mieux  :  L'Ordre  altruiste^  vol.  III.) 


FR  \r.Mî-\T 

TorrenlTi  1  — 

Tc\\\\ç  son  sens,  l'œuvre  en  soi  même  des  N.Uims 
•  normes  !  El  les  astres  tournant  leurs  ruptures 


I04  POÈTES    d'aujourd'hui 

ijLTnées,  et  l'Astre  sous  les  appels  de  qui  — 
quand  de  la  nuit  d'hiver  en  strideurs  il  a  lui  ! 
se  graine  rhumide  entraille  de  Tout, 

(Astre  1 

Tout  Te  le  doit^  qui  nourris  la  vie,  ô  Toi  !  le 
prosternement  lent  et  redressé  hélant) 

et  les 
granits,  et  les  humus  poussant  drus  et  mêlés 
les  mondes  de  ramure  et  les  Animaux  vagues 
en  des  ruts,  et  les  Mers  d'équipoUentes  vagues 
dont  les  âges  œuvés  emphosphoraient  les  nuits  : 
ô  Mères  ! 

en  vous  emplissant  de  vos  Petits 
depuis  l'éternité  qui  vient,  vous  ont  emplies 
du  sens  universel  dont  les  pierres  mollies 
se  reprennent  à  respirer,  et  dont  vos  aines  — 
d'éternel  orient  de  la  tète  —  sont  pleines  ! 

Etre  vient  de  savoir.  — 

Et  de  si  grands  méats 
qu'à  la  tête  nouvelle  et  qui  r'ouvre  d'os  mous 
l'atavique  total,  se  soient  vos  longs  genoux 
ouverts  :  si  vous  ne  savez  pas  1  —  et,  le  Hanté 
d'éternité,  de  qui  l'éternel  est  le  terme  ! 
l'aveugle  Vagissant  qui  vous  surgit  du  germe 
innuméré  des  Morts,  si,  de  son  unité 
au  point  pensant  du  Moi  ramenant  toute  l'onde  ' 
s'il  ne  se  sait  l'instant  de  l'unité  du  Monde 
à  soi-même  s'énumérant  :  vous  n'avez  pas 
créé  !.. 

Du  mélange  éternel  des  Morts,  d'un  point  de  vie 
qui  tend  tangentïel  son  désir  de  renaître 
au  long  de  l'elliptique  Plus,  —  elles  n'ont  pas 
créé  : 

d'avoir  laissé  maudire  la  germure 
de  leurs  ventres,  et  de  l'avoir  vouée  aux  rites 
de  l'expiation  l'un  de  l'autre,  de  1  Homme 


RENÉ  GRIL  I05 

t  du  Dieu-Homme,  —  où,  n'étendant  que  les  limites 
du  (It'scspoir  humain  et  de  la  vaine  somme 
de  l'L/uivers  poussant  d'une  içésine  impure  — 
trnde  à  mourir  en  soi  la  Vie  inassouvie  : 
la  \'ie,  que  de  tout  son  amas  de  mémoire 
continue  à  t;"ormer  l'Amour  !.. 

(Dire  du  Mieux,  Le  Voeu  de  vivre,  tome  /.) 

LA  HACHE  DE  PIEBRE 

...  Mais  par  les  horizons  engloutissants  des  lourds 
continents  d'Ages  morts, 

plus  épais  que  l'Espace 
et  le  Temps  qu'ils  avaient  pénétrés,  les  saujc^s  sourds 
unissent  et  divisent  aux  veines  de  Uace 
les  hommes  sous  les  sorts. 

Les  temps  s'attroupent,  des 
cornes  luisantes  et  pointues  du  Botail 
(lonq)té,  —  (jui  tout  autour  des  toits  s'eii  vuiil  t,^uidés 
après  les  nuits  sans  lune  où  le  vent  du  poitrail 

•  ride  d'inquiétude  auprès  des  Feux,  par  le 
croissant  nouveau  de  la  douce  Vache... 

Après  les  nuits  sans  lunes  où  l'àme  des  Morts,  parle... 

...  La  hache 
chasse  dans  les  roseaux  noueux  et  les  prairies 
de  plants  épais,  et  taille  à  içrandes  voix  meurtries 
aux  tètes  à  la  mort,  de  la  proie  !  —  la  hache 
teinte  du  temps  des  vieux  sauijs  noirs  (le  saniç  des  morts 
donne  la  mort  !),  la  hache  —  et  l'épieu  roui^e  hors 
(le  l'entrailK-  que,  transissant  d'un  sourd  tumulte 
le  ventre  aux  sourdes  vies  des  Forêts,  insulte 
coléreusement 

rilomme-de-quatre-mains  ras- 
étendu  d'ati^iiets  aux  rameaux,  et  dont  exulte 
la  haine,  delà  les  terres  et  samùdras  I 


I06  POÈTES   d'aujourd'hui 

La  hache 
chasse  de  reins  plies  aux  limites  haïes 
des  Forêts,  et  s'appuie  au  grand  sol  des  prairies 
lourdes  et  pas  lent  à  pas  lent  —  sous  la  transe  ondée 
des  hautes  plantes  largues  de  vent  :  précédée 
de  1  Q!^il  qui  voit  où  doit  aller  la  Main, 

la  hache 
chasse  dans  les  prairies  au  loin  des  Toits,  et 
surt^it  à  la  trte  rampante  des  voleurs 
de  Bétail  !  dont  les  hordes  aux  dos  que  le  guet 
a  tendus,  à  ras  de  terre  suivent  leurs  Yeux 
ainsi  que  vont  des  tueurs-tii^res  les  longueurs 
souples,  —  et  i>'ont  sur  la  poussière  de  leurs  Feux 
construit  ni  toits  ni  souvenirs! 

Lourde,  la  hache 
chasse  à  main  pendante  au  long  du  ventre  d'orage 
qui  passe  sur  le  vent  des  prairies  ainsi 
qu'un  nuage  de  pierre  !  —  au  long  du  ventre  du 
cheval  qui  va  vite 

par  le  parquage  des 
chevaux  haut-hennissant  de  naseaux  hasardés 
à  l'épouvante  de,  d'un  pantoîment  transi, 
sentir  sur  leur  dos  souple  et  implié  d'dutrage 
sauter  le  saut  qui  rampe  des  Voleurs  I... 

La  hache 
chasse  dans  les  prairies  en  ronds  de  vents,  guette 
et  tourne  en  les  détroits  tournants  de  la  montagne 
tourmentée  : 

car  on  ne  vole  pas,  l'on  gagne 
TAnimal  qui  de  pieds  de  quatre  heurts,  emporte 
plus  vite  que  l'entour  d'une  poussière  morte 
et  le  soulèvement  meurtri  des  graines  dont  s'étête 
des  j)lantes  le  poids  mûr,  emporte  1  Ame  où  vente 
le  vertige  gouttant  de  sueurs  de  sa  levante 
crinière  I... 

...Battant  de  mes  talons  et  ma  hache 


RENE    GUIL  107 


ifi  ventre  innncrennl  le  vent,  de  mon 
cheval  qui  sait  nies  Yeux  ! 

f)a  plus  long 
crin  de  sa  queue,  très  loni^ueiuetit 
mon  poiri^  «h-roule  de  déuouerurnt 
de  serpent  et  de  Feu,  ~r-  celte  tresse 
que  nous  avons  tressée  : 

aux  pieds,  aux 
cous,  dans  leur  lunuille  de  nu.iir»* 
aheurlant  en  hii-nirine  un  ora:,?»' 
de  i^alops  et  d'haleines,  —  d'anneaux 
de  Serpent  et  de  Feu 

CClf''    ti'vs-/^ 

que  notis  avons  tresst-e,  ah  I  illr  a 
et  me  tient,  aussi  haut  (jue  se  dresse 
la  temj)ète  de  ses  naseaux,  la 
capture  de  mes  points  durs  ! 

car  l'oQ 
ne  vole  pas,   l'on  ijai^m'  (hi  lutiî^ 
nd'ud  qui  l'arrêle,  l'Auimal  d«>Mt 
les  pieds  vont  plus  vite  quVlre  las: 
et  qui  n'en  a  trai^iiés  w  |»fut  pas 
encore,  se  dii'c  uu  iloinme  !... 

Hauts 
les  pointas!  les  grands  Ciai^neurs-df-j^alops 
à  la  hauteur  du  tas  de  mes  toit^ 
reviennent  à  grande  allure,  aux  voix 
lonfç  ululantes  de  plaisir,  aux 
mains  tapanles-haiit  des  Femmes,  -  -  sur 
l'orai^e  Irainrur  de  vent  du  pur 
cheval  qui  porte  mon  Ame  ! 

Battant  de  mes  talons  et  ma  hache 
le  ventre  mani^eant  le  vent,  de  moa 
cheval  qui  sait  mes  Yeux  : 


io8  POÈTES  d'aujourd'hui 

par  la  Vache 
céleste  qui  paraît  sur  le  mont 
de  la  nuit,  quand  l'Astre  rouge  n'est 
plus  là,  el  à  ras  terre  quand  naît 
en  même  temps  la  parole  humide 
des  Morts  :  il  est  vrai  dans  l'œil  avide 
de  suivre  mon  galop  dont  transit 
le  plus  grand,  —  que  le  plus  grand  Gagneur 
coursant  l'air, 

c'est  moi  !,.. 

Le  long  Récit 
de  mon  tour  de  prairies  guetteur 
et  vite  sous  le  vent,  est  si  long 
aux  replis  de  ma  langue,  et  (selon 
tout  mon  geste  passé  remplissant 
et  vidant  la  lumière)  à  mes  doigts 
mus  de  signes,  —  qu'au  repos  des  toits 
dont  le  rêve  me  voit  el  me  sent 
tenir  au  poing  les  Hennissants  !  durt 
mon  Récit, 

autant  que  l'âme 
de  silence,  des  grands  Feux... 

Autant 
que  gagnés  en  arrêts  trépignes 
et  luttants,  mes  épaules  el  ma 
poitrine  d'air  rougi  qu'entama 
la  pierre  à  neuve  dent  de  ma  hache  — 
portent  des  entailles  : 

les  entailles 
de  ma  hache,  —  qui  n'en  montre  pasl 
pas  plus  que  s'il  tenait  aux  entrailles 
de  sa  mère,  ne  peut  pas  !  au  ras 
de  mon  talon  ne  peut  pas,  se  dire 
un  Homme  1 . . . 

Mais  moi,  d'entre  les  Femmes 
telles  que  ma  narine  respire 


RENé  CilX-  >^0 

en  ont  tordu  sur  Inirs  deiiLs,  leurs  ârnrs... 
Aux  tours  et  détours  de  mon  toits,  elles 
qui  sont  sorties  loni^-ululaiites 
à  l'Astre-pàle  dans  son  pli'in,  lentes 
comme  en  rau(]uent  les  loups  : 

de  leur  pas 
courant  le  i^uel  de  mes  pas  el 

tressaute  l'outre  de  leurs  man» 

déroruit  la  nuit  et  leurs  vuix  entre 
leurs  dents  de  pierre  dure,  ell<*s  m'ont 
attendu,  qui  de  leur  rein  ({iii  rentre 
imitaient  un  {^alop  de  Femelles 
du  Uapide, 

et  m'ont  montré  leur  ventre 
qui  remue  —  ainsi  (ju'un  rouge  amas 
de  Bètes  sous  ma  hache  !... 

Ma  hache 

.  parmi  les  voix  humides  d's  Morts 
en  leurs  dents  dures  di^allt  le^  Sorts  — 
bat  le  ventre  de  ma  monture... 

(Dire  des  Santjs  :  Le  Toit  des  hommes.) 

FRAGMENT 

La  petite  Javanaise  l' ine. 

Autotir  des  îles  les  poissons-volant.** 
s'il  .sautent,  ont  lui  du  sel  de  la  mer  : 
Hélas!  les  souvenirs  sortis  du  temps 
ont  du  temps  qui  les  prit  le   goût  amer... 

Yiau... 
ait  Fête  —  hier,  dans  Batavia.  Tout  en  haut 
de  l.i  mer,  et  ses  soleils  qui  sont  dans  ma  l<^le 
ainsi  qu'un  resplendissement  de  regn-ls  !  ah 
tout  en  haut  de  mes  Yeux  en  détresse,  il  monta 
des  voiles  et  des  mAts,  et  des  ailes  [li^s,  es 
au  dos  de  rêve  de  dragons,  d'ediuiii^'-tshiua  (1)  : 

(i)  EklioDg-tsdiiaâ.  —  Jonque  chiiiuiM 


IIO  POÈTES  d'aujourd'hui 

et,  trouant  Ihorizon  des  lourcJes  Iraverséfs  ! 

en  roulis  de  soniiniMl  (jui  sont  pleins  du  (L'part 

les  vapeurs  s'en  allaient  vers  l'ouest  —  où  va  trop  tard 

la  lumière  d'aurore  entr'ouvrant  mes  pensées... 

Le  murmure  du  vent  roulé  —  soumarouwoun'g  — 
du  vent  roulé  parmi  les  plantes,  parle  doux. 
iMnis  la  nuit,  le  vent-mèlé-de-pluie  à  grands  trous 
d'eaux,  a  tapé  dans  les  plantes  :  ah  !  ma  roumah  (1) 
a  tressailli  dans  son  immense  et  sourd  oumoun'g 
ainsi  qu'une  Ame  d'homme  qui  ne  peut  reprendre 
haleine  !   et  dans  mes   mains  ouvertes   l'air   était 
chaud,  et  sourd... 

Et  mes  doigts  eussent  voulu  s'étendre  ! 
et,  ngoun'ggout'-toun'ggout'!  et  gcmïr  à  doux  hoijuct 
le  retroussis  aigu  de  mes  lèvres  arides... 

Et  mes  yeux,  qui  de  tous  les  soirs  d'ouest  se  sont  tus 

ont  revu  les  vapeurs  au  loin  de  soleil»  vides  : 

les  vapeurs  diroupa  (2)  qui  ne  m'emportent  plus  I 

Le  murmure  du  vent  roulé  —  soumarouwoun'g  — 
du  vent  roulé  parmi  les  plantes,  tarcJe  et  dort. 

Mon  repos  est  pareil  au  lent  germe  JUn'loun'g 
d'où  naît  la  grappe  des  pissang'  (3)  >  lunes  d'or. 

Le  vent  s'endort  dans  les  rameatix  dw  ketapan'  : 
un  tendre  oiseau  qui  veut  attendre  en  ïui,  l'aurore. 

Vers  ma  mère  goûtant  des  dents  le  nx  kelan' 
le  noir  sourire  de  mes  paupières,  se  dore. . . 

{Le  Pantoun  des  Panloun.) 

(Poème  Javanais) 


(i)  Roumah.  —  Maison  indigène, 
(a)  Iroupa.  —  Europe. 
(3)  Pissang.  -  liauane. 


REMY  DE  GOURMONT 
1858 


M.  Rfmy  de  Gourmont  est  né  au  château  de  La  Motte,  k  Bazo- 
cJies-en-IIouIme  (Orne),  le  4  avril  i858.  Il  descend  de  la  famille  dci 
jicinlres,  graveurs,  lypuj^raplics  dos  xr*  et  xvi*  siècles,  au  nombre 
desquels  fut  Gilles  dcGourmont,à  qui  Too  doit  les  premières  impres- 
sions faites  à  Paris  en  caractères  tarées  et  hébreux.  Autre  détail  : 
M.  Kerny  de  (iourmoiil,  (lar  sa  mère,  se  rattache  directement  à  la 
famille  de  François  de  Malherbe. 

M.  liemy  de  Gourmont  vint  à  l'aris  en  i883,  et  entra  presque 
aussitôt  à  la  Uibliothcque  nationale.  Il  fut  révoqué  quelques  années 
plus  tard,  pour  avoir  publié  dans  le  Mercure  de  France  lavril  i^'^i) 
un  article  :  Le  Joujou  patriotisme,  dont  se  trouva  froissé  le 
patriotisme  officiel.  Le  premier  ouvratre  de  M.  Remy  de  Gourmont 
parut  eu  i88r>.  C'était  un  roman  :  Merletle,  dans  !e(]uel  son  ori^i- 
ualilé  se  montrait  peu,  et  qui  valait  surtout  par  d'at^réables  descrip- 
tions de  la  cam{)aç:ne  normande.  Il  faut  plutôt  considérer  comme 
son  vrai  début  Sixtme,  •  roman  de  la  vie  cérébrale  »,  {>aru  en  iS.,o. 
Sous  de»  différences  de  style  fort  sensibles  et  le  tour  d'esprit  des 
jeunes  ecrivauis  de  l'époque,  on  retrouve  bien  aujourd'hui  dans  ce 
livre,  où  l'analyse  est  poussée  à  ses  extrêmes  limites,  les  promesses 
de  cette  curiosité  et  de  cette  souplesse  i(l«ol.>iri(|ues  cpii  sont  <i 
nues  la  caractéristique  du  talent  de  M.  Heiny  de  Gourmont.  < 
borateur  au  Mercure  de  France  dès  sa  fondation. M.  Hemy  de  Gour- 
mont, de  i8(jti  à  iH(j/i,  collabora  en  ménje  tea.ps  au  Journal,  puis  à 
L'Fcho  de  Paris,  où  il  donna  la  plupart  des  contes  (pii  composent 
aujourd'hui  Histoires  magiques  cl  D'un  pays  lointain.  Mais  le 
journalisme  contem|H)rain  ne  pouvait  convenir  à  sou  art  n\  a  son 
indépendance  d'esprit,  et  il  l'abandonna  bientôt  pour  revenir  à 
runiipie  collaboration  aux  revues  littéraires  où  il  trouvait  en  même 
temps  que  plus  de  jçoùt  plus  de  liberté.  On  se  rendra  compte  à  la 
bibliot^rnphie  de  l'errivnin  {les  iriivres)  combien  la  place 
raitdaus  uiie  simple  notice  comme  celle-ci  pour  analyser,  m 


112  POÈTES    D  ÀUJOURD  HUI 


brièvement,  les  travaux  de  M,  Remy  de  Gourmont.Il  n'est  certaine- 
ment pas  dans  la  nouvelle  littérature  défigure  plus  importante  que 
la  sienne,  et  par  l'étendue  et  la  diversité  de  ses  connaissances  comme 
par  la  variété  de  ses  productions  il  peut  être  placé  à  côté  de  M. Ana- 
tole France.  Poète,  critique,  dramatiste,  érudit,  biologiste,  philosoplie 
et  romancier,  philolop;ue  et  grammairien,  son  œuvre  embrasse  tous 
les  domaines  intellectuels,  montrant  chez  lui  un  esprit  sans  cesse 
renouvelé,  sans  cesse  enrichi  de  nouvelles  acquisitions,  découvrant 
sans  cesse  de  nouveaux  points  de  vue,  sans  cesse  adroit  à  de  nou- 
velles déductions.  C'est  un  extraordinaire  dissociateur  d'idées,  a-t-on 
dit  de  lui.  On  pourrait  dire  aussi  :  un  extraordinaire  excitateur 
d'idées,  tant  la  lecture  de  ses  livres  met  en  mouvement  notre  propre 
intelligence  et  amène  à  des  aperçus  auxquels  on  n'aurait  peut-être 
pas  songé.  Il  semble  que  ce  soit  dans  cette  supériorité  intellectuelle 
encore  plus  que  dans  l'isoleineut  où  il  se  complaît  qu'il  faille  trou- 
ver la  raison  du  silence  relatif  qu'observe  la  critique  vis-à-vis  de 
M.  Hemy  de  Gourmont.  Un  écrivain  qui  a  des  idées,  de  vraies  idées 
et  qui  le  prouve  dans  tout  ce  qu'il  écrit  (i),  qui  reste  presque  seul  à 
savoir  toutes  les  choses  qu'on  ne  sait  plus,  et  dont  l'œuvre  ne  s'en 
montre  pas  moins  claire,  aisée,  souple,  écrite  comme  pour  s'amuser, 
cela  déroute  nos  juges  littéraires,  et  de  peur  de  se  tromper  autant 
que  parce  qu'ils  ne  savent  pas  trop  par  quel  point  commencer,  ils  se 
taisent.  Nullement  dédain.  Ils  connaissent  l'œuvre.  Uniquement 
timidité  et  embarras.  On  ne  pourrait  d'ailleurs  rien  écrire  de  plus 
exact  et  de  plus  clairvoyant  sur  M.  Uemy  de  Gourmont  que  l'élude 
de  M.  Louis  Dumur,  parue,  en  octobre  igoS,  dans  la  Weeklij  cri- 
tical  Review.  La  voici  presque  entière  : 

«  Chez  lui,  rien  qui  sente  la  particularité  d'une  province,  cet  exo- 
tisme intérieur.  11  n'est  ni  l\Iéridional,  ni  Breton  ;  il  n'est  pas  non 
plus  Parisien.  C'est  un  Français  de  France,  et  même  de  la  vieille 
France.  Il  sera,  si  vous  voulez,  un  peu  du  Nord,  de  ce  Nord  qiii  fut 
le  berceau  de  la  langue  d'Oïl,  le  point  où  s'opéra  le  plus  intimement 
la  fusion  du  Romain,  du  Celte  et  du  Franc,  et  d'où  sortit,  en  défi- 
nitive, l'histoire,  la  langue  et  l'esprit  de  ce  pays.  A  travers  les  mail- 
les d'une  individualité  propre,  rien  n'est  intéressant,  chez  un  écri- 
vain, comme  de  surprendre  ainsi,  visible  et  rassurant,  le  solide  et 
pur  tissu  tramé  par  les  siècles,  d'en  reconnaître  le  style  et  d'en  manier 
la  moelleuse  noblesse. 

Il  faut  donc  être  lettré  pour  goûter  pleinement  M.  de  Gourmont. 
Son  œuvre  ne  saurait  s'imposer  dès  l'abord  à  la  foule  simpliste  et 
ignorante.  Nul,  certes,  n'est  plus  moderne  que  lui;  mais  son  modcr- 

(1)  «  J'écris  pour  clariûer  mes  idées  »,  »-V-U  dit  quelque  part.. 


RE5IV    DE    OOURMONT  ||3 


nismc  suppose  le  passé,  cl  il  est  nécessaire  d'avoir  grayi  toute 
l'échf^Ile  pour  moltre  le  pied  sur  ce  dernier  échelon.  Il  est  de  la 
ipraiide  litjnée  liitéraire;  il  y  prend  naturellement  sa  place,  en  soq 
l«'mps,  Iradilionaliste  parce  que  la  race  pétille  en  lui,  novateur 
parce  (ju'il  n'y  a  de  talent  et  de  raison  d'exister  que  dans  l'évolu- 
tion conséquente  des  id»'cs.   du  tour,  du  tempérament. 

Si  l'on  voulait  dresser  l'arbre  généalogique  de  M.  de  Gourmont, 
ce  ne  serait  pas  un  jeu  absolument  vain.  Il  me  semble  qu'on  y  ver- 
rait fit^urer,  à  leur  rang  d'ascendance  b'gilime,  Hcnan,  Halzac.Sten- 
dlial,  Chateaubriand,  Voltaire,  Fénelon,  Montaii^ne;  on  y  inscrirait, 
mnli^ré  ses  protestations  probables,  Builcau  et  Vaugelas.  Gel  arbre 
plongerait  ses  racines  de  tous  côtés  dans  le  Moyen-Age,  le  pivot 
restant  acquis  à  la  scholaslicpie  et  à  la  thcoloçie;  le  sol  profond  de 
l'anliquilé  latine  le  j)orterait  ;  on  aurait  garde  doublier  la  souche 
du  folklore  et  de  la  liltt'rature  populaire;  le  b'gcr  afilux  éiranirer 
serait  représenté  par  l'Italie  d'abord,  par  l'Allemagne  de  Nietzsche 
ensuite;  aux  marges,  enfin,  on  pourrait  ajouter,  à  titre  de  quartiers 
contestables,  Villicrs  de  l'Isle-Adam,  (îérard  de  Nerval,  Chamforl... 
et  peut-être  le  marquis  de  Sade. 

La  famille  spirituelle  de  M.  I\emy  de  Gourmont  est  considérable. 
Elle  l'a  grandement  établi  ;  elle  a  doté  sa  raison  ;  elle  lui  a  donné 
les  règles  et  l'étiquette  qui  gouvernent  sa  pensée.  Elle  ne  l'a  point 
conUsipié  ni  tenu  en  tutelle.  Comme  ces  riches  héritiers  qui  ne  se 
contentent  pas  de  vivre  sur  leurs  rentes,  mais  veulent  à  leur  tour 
accroître  leurs  revenus,  n'hésitant  pas  à  les  transformer  au  besoin, 
suivant  les  fluctuations  de  l'époque,  il  a  opéré  de  savants  déplace- 
ments de  fonds,  réussi  de  belles  spéculations,  et  la  fortune  qu'il 
possède  est  aujourd'hui  bien  h  lui. 

Ce  ne  fut  pas  sans  peine,  sans  grande  intelligence,  ni  surtout  sans 
un  don  spécial,  aussi  rare  que  précieux,  et  qui  me  paraît  la  pro- 
priété princifiale  et  caractéristiijuc  de  ce  remarquable  esprit  :  le  don 
de  transposer,  je  veux  dire  de  multiplier  les  facettes  de  sa  sensibi- 
lité, de  manière  à  augmenter  presque  à  l'infini  le  nombre  desan:cles 
de  vision  et  par  suite  celui  des  aspects.  Le  cerveau  de  M.  de  Gour- 
mont est  comme  l'œil  d'une  mouche.  Il  voit  tout  et  chaifue  fois  dif- 
féremment. Appliquez  le  fonctionnement  ph'noménal  de  cet  organe 
à  la  quantité  immense  de  sujets  dont  sa  siience,  sa  vaste  lecture, 
son  imagination  vive  et  sa  pénétration  aii,'ué  le  mettent  à  même  de 
disposer, et  vous  aurez  quelque  idée  de  l'œuvre  prodigieusement  com- 
plexe et  attrayante  qui  en  est  le  produit. 

L'appareil,  actuellement  parfait  et  dont  il  tira  un  si  merveilleux 
parti,  ne  lui  tomba  pas  tout  agencé  du  ciel.  Sa  bonne  fée  en  épar- 
pilla saus  doute  les   piècas  sur  sod  berceau,  mais   encore    fallait-il 


11^  POÈTES   d'aujourd'hui 


les  monter  et  apprendre  à  s'en  servir.  On  peut  suivre,  le  Ions:  de 
toute  l'œuvre  de  M.  de  Gonrmont,  à  partir  des  essais  du  début 
jusqu'aux  excellents  résultats  obtenus  depuis,  l'industrieuse  progres- 
sion de  son  travail  d'ajustement.  Chaque  expérience  a  laissé  son 
témoin.  C'est  même  un  des  cas  les  plus  complets  de  mise  au  point 
et  d'accommodation  de  soi  que  l'on  puisse  rencontrer  en  litl''rdlure. 
A  ce  titre  aucune  de  ses  productions,  fût-ce  la  moindre,  n'est 
négligeable. 

Je  crois  que  dès  l'enfance  il  écrivit.  Au  reste,  ses  premières  pages 
se  perdent-elles  dans  les  limbes  d'un  crépuscule  que  ne  parviendra 
jamais  à  percer  la  perspicacité  du  plus  subtil  des  bibliophiles.  Il 
existe  de  lui  nombre  d'études,  d'articles,  de  morceaux  d'histoire  ou 
de  critique,  voire  des  romans,  que  l'on  chercherait  en  vain  au  cata- 
lo^j-ue  de  ses  ouvrages.  On  trouvera, entre  autres,  sous  sa  signature, 
une  collaboration  importante  aux  premiers  tomes  de  la  Grande  En- 
ciiclopêdie.  Un  long  stage  à  la  Bibliothèque  Nationale,  d'où  il  sortit 
avec  un  certain  éclat,  à  la  suite  de  la  publication  d'un  article  que 
l'on  jugea  manquer  de  patriotisme,  lui  permit  de  s'adonner,  au  cœur 
même  du  couvent,  à  ses  plaisirs  de  bénédictin.  On  lui  a  quelquefois 
reproché  cette  érudition.  La  critique  a  pu  être  fondée  alors  «lue,  la 
canalisation  n'étant  pas  complète,  l'écrivain  se  laissait  volontiers 
déborder  par  la  curiosité  du  fureteur.  Elle  ne  l'est  plus.  D'ailleurs, 
ceux  qui  se  livrent  à  de  pareilles  appréciations  ont  vraiment  trop 
l'air  de  ne  le  faire  que  pour  justifier  leur  sordide  ignorance.  M.  de 
Gourmont  n'a  pas  daigné  être  un  ignorant,  et  cela  n'a  nui  ni  à  son 
sens  esthétique  ni  à  son  originalité. 

Muni  de  cet  ample  bagage,  nanti  de  documents  colligés  aux  meil- 
leures sources,  opulemment  fourni  de  faits  et  d'idées,  ce  fut  alors 
qu'il  se  découvrit  en  possession  de  son  étonnant  instrument  d'opti- 
que. Il  braqua  l'objet.  Les  premières  épreuves  ne  furent  pas  d'une 
netteté  parfaite.  Elles  étaient  déjà  très  intéressantes,  mais  elles 
semblaient  obtenues  comme  à  travers  une  espèce  de  brouillard  ;  la 
main  de  l'opérateur  avait  tremblé,  ou  le  jour  n'était  pas  bon.  Ce  fut 
d'abord  un  roman,  Sixtine.  Quelle  que  fût  l'incertitude  de  la  ma- 
nière, il  y  transparaissait  de  rares  qualités  de  vision,  d'écriture  et 
d'analyse.  Le  livre  fut  une  révélation.  Son  auteur  se  classait  d'un 
coup  parmi  les  écrivains  de  la  nouvelle  génération  dont  on  devait  le 
plus  attendre. 

A  dater  de  ce  début,  la  collaboration  de  M.  Remy  de  Gourmont 
aux  revues  fut  constante.  Articles, contes,  poèmes  en  prose,  poésies 
alternèrent  avec  des  ouvrages  de  plus  longue  haleine,  parmi  les- 
quels il  faut  citer  un  poème  dramatique,  Lilith,  un  i^oman,  /.e  Fiin- 
tôme^  et  un  important  et  savant  travail  sur  la  poésie  latine  du 
Moyen-Age,  Le  Latin  mystique.  Plusieurs  années  durant,  il  donnait  au 


REMT    DB    GOUnUONT  Il5 

Journal  la  série  des  contes  dont  la  matière  «e  trouve    rcanie  dans 
les  deux  volumes  :  Histoires  magigaes  et  D'an  pays  lointain. 

On  était  alors  en  plein  mouvement  symboliste.  Faut-il  attribuer 
à  la  déviation  i^ciiérale  des  esprits  vers  rélran;je,  le  bizarre  et  le 
mystérieux,  le  choix  des  sujets  où  semblait  se  complaire  le  çénie, 
d'ailleurs  capricieux,  de  M.  de  Gourmonl  ?  Etait-ce  la  propension 
naturelle  de  son  f^oût?Ou  ne  serait-ce  pas  plutôt  qu'il  cherchait  sur 
ce  terrain  p  irticulier  un  surcroît  d'originalité  que,  par  trop  de 
défiance  envers  lui-même, il  hésitait  à  d.f'mandcr  à  la  seule  sincérité 
de  son  talent?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  passa  lon^^lemps,  et  sans  qu'il 
eût  trop  à  réclamer,  pour  un  écrivain  d'un  abord  diflicile,  «  abs- 
cons »,  comme  on  disait  alors,  et  ne  s'adressant  (ju'à  un  p^roupc 
d'initiés.  Le  vêtement  mt'me  dont  il  aimait  à  habiller  ses  livres  —  ces 
premières  éditions  tirées  à  petit  nombre,  sur  papiers  extraordinai- 
res et  dans  des  formats  plus  extraordinaires  encore,  pour  la  plu- 
part épuisées  et  qui  font  aujourd'hui  la  joie  ou  le  désespoir  des 
amateurs  —  contribuait  à  mnmlenir  le  public,  facilement  effarou- 
ché, dans  U'  r  prudente  réserve. 

Mais  bientôt  paraissaient,  dans  La  Revue  des  Revues,  les  pre- 
miers de  ses  portraits  ou  «  masques  •  de  poètes  et  de  prosateurs 
contemporains,  et,  au  Mercure  de  France,  un  roman,  Les  Chevaux 
de  Dio/nède.  Là,  cliant^ement  notable  La  vision  se  faisait  plus  pré- 
cise; une  jolie  clarté  baignait  les  fonds;  le  dessin,  pur  et  fin  ,  se 
<!LlachMil    en    valeur    délicate    dans    un   exquis   enveloppement    de 

\:c.  Cette  fois,  on  ^tait  conquis.  M.  de  Goarmont  avait  eu  jus- 
({iic-là  dfs  admirateurs  qui  se  faisaient  un  devoir  de  le  suirre;  il 
ejit  désormais  drs  lecteurs  empresses  et  charmes. 

Un  nouvcai  Livre  des  Masques,  supérieur  encore  au  premier  un 
délicieux  roman  par  lettres,  Lt  Somje  d'une  femme,  onlin  quatre  • 
remarquables  séries  d'études  littéraires  et  philosophiques  où  se 
conr^-ntre  ce  que  la  pensée  de  .M.  de  Gourmo:it  a  produit  jus  piiri  de 
plus  fort  et  de  plus  brillant.  L'Esthétique  de  la  Lanjue  J'ciinçaise^ 
La  Culture  des  Idées,  Le  Chemin  de  Velours  et  f.e  Problème  du 
Style,  complétèrent  cette  heureuse  évolution.  Maître  maintenant  de 
•ou  talent  si  souple  et  si  divers,  il  enchante  par  le  jeu  multicolore 
d'une  pensée  toujours  en  éveil,  d'une  fantaisie  ()!eine  de  sens  et 
dune  forme  étonnamment  chatoyante.  itnatr»c,  harmonieuse  C'est 
un  magicien  Depuis  Renan,  on  n'avait  non  lu  de  comparable  à 
certaines  pages  du  Songe  d'une  femme  ou  de  La  Culture  des 
Idées.  » 

Depuis  cette  étude,  l'œuvre  de  M.Remy  de  Gourmont  s'est  encore 
enrichie.  Il  a  publié  un  ouvraj^e  de  science  naturelle:  La  Physifue 
de  l'amour.  Essai  sur  l'instincl  se.cuel.  quatre  volumes  des  EpilO' 
gués  et  Dialogues  des  Amateurs  qu'il  écrit  sur  raclualilé  dans  ch*- 


Il6  POÈTES    d'aUJOUI\D*HUI 

que  numéro  du  Mercure  de  France,  trois  recueils  d'essais  de  critique  : 
Promenades  littéraires  et  Promenades  pkilosojiliiqaes,  ^t  deux 
romans  :  Une  Nuit  au  Luxembourg  et  Un  cœur  virginal.  Il  a  éga- 
lement dirigé  la  publication  de  la  Collection  des  plus  belles  pages 
inaugurée  par  la  librairie  du  Mercure  de  France,  composant  per- 
soDuellement  les  volumes  consacrés  à  Rétif  de  la  Breto  ne,  Gérard 
de  Nerval,  Chamfort,  Rivarol,  Théophile,  Saint-Amant  et  Cyrano  de 
Bergerac.  Une  activité  intellectuelle  étonnante,  qui  lui  laisse  encore 
le  temps  des'occuper  de  fantaisies  littéraires  anonymes  ou  signées  de 
pseudonymes  et  d'écrire  des  articles  pour  des  journaux  et  revues  de 
province  et  de  l'étranger.  Pour  ses  vers  et  poèmes  en  prose,  qui  sont 
un  coin  à  part  et  de  peu  d'étendue  dans  son  œuvre  (quelques  petits 
volumes  ou  plaquettes  :  Litanies  de  la  Hase,  Fleurs  de  Jadis,  Le  Di- 
des  arbres,  Les  Saintes  du  Paradis,  Hiéroglyphes,  Oraisons  mau- 
vaises et  Simone), '\\s  seront  certainement  une  révélation  même  pour" 
beaucoup  de  ses  lecteurs,  en  attendant  que  leur  réunion  en  un  seul 
volume  les  fasse  connaître  davantage.  Poésie  curieuse,  clrange,  bi- 
zarre même,  amusement  de  lettré  et  de  raffiné  plutôt  que  poésie 
au  sens  où  on  l'entend  couramment.  Aucun  lyrisme,  à  peine  de 
rythme,  des  images  et  des  notations  qui  dépassent  nos  goûts  et  nos 
habitudes.  Elle  avait  sa  place  dans  cet  ouvrage,  comme  une  fleur 
rare  au  milieu  de  tout  un  bouquet. 

Voici  l'étatde  la  collaboration  de  M.Remy  deGourmont  aux  revues 
et  journaux.  Le  Monde,  La  Vie  Parisienne  ()88i)  ;  Le  Contempo- 
rain, Le  Monde  hebdomadaire  (1882);  Revue  de  l'Enseignement 
secondaire  des  jeunes  fillrs,  Panurge  (i883)  ;  La  Vie  .ffnderne.  Les 
Annales  politiques  et  littéraires  (i884);  Le  Semeur  (jhSô)  ;  Biblio- 
t/tèque  universelle,  Lausanne  (1887);  Le  Voltaire  (1887);  La  Revue 
générale  (1887);  Revue  littéraire  et  artistique  (1887);  Les  Mati- 
nées espagnoles  (i885);  La  Revue  du  monde  latin  1885);  Revue 
bleue.  Evénement  (ï8Sç))  ;  Revue  indépendante  {iSfjo):  L'Eclair  [iSgi); 
Revue  de  la  littérature  moderne  11891);  Chimère  (iSgi-iSga); 
Essais  d'art  libre,  Entretiens  politiques  et  littéraires  {iSgi-iSgi); 
Revue  blanche  (1892-1898';  L'Ermitage  (1892,  1897,  1906,  1907); 
Le  Livre  d'Art  [  1897);  La  France  morferne, Marseille  (1892);  Le  Jour- 
nal (1893,  1898,1894)  \L'Art  littéraire  (1898,  1894);  L'Idée  moderne 
{1894);  La  Coupe  (1895-1896);  Arte,  Coimbre  (iSgS);  L'Epreuve 
littéraire  (1890)  ;  LeCoq  rouge,  Bruxelles  (1895)  ;  L'Action  libertaire 
(1895);  La  Province  nouvelle,  Auxcrre  (1896);  Le  Réveil, Fhxnàres 
et  Wallonie  (189G);  Le  Livre  d'Art  (189G;;  L'Image  (1897);  Il  Mar- 
zocco.  Florence  (1897);  Le  Spectateur  catholique  (1897);  La  Volonté 
(1898);  Rat  blanc,  Soignics,  Belgique  (1898);  Anthologie-Revue, 
Milan  {1899);  Wiener  Rundschau,  Vienne  (1899-1900);  La  Renais- 
sance (1899);  L'Hémicycle  (1900);  H avaôr.vaia,  Athènes  (igoo-i90i)j 


I\EMY    DE    GOURMONT  II7 


la  /iassetjna  Internationale,  Florence  (1900-1901);  Flegrea  (1900- 
H(oa);  />a  A'ac/on.UiienosAyres  (1901-1907);  lievae  bihlio-ironojra- 
p/iif/ue  {ifjoi);  La  Vogue,  aouvelle  srrie  (1901)  ;  Eniporiam^Mer- 
g.irnc  (190a);  Revue  du  Xouurau  Sicrle  (\(joi);  La  l'Iaine.La  Revue 
fiefnlomadaire  (190a);  La  Roulotte,  Soi^nics,  Brl^çique  (igoS);  The 
Weekly  Critical  Revieio  (igoS);  Revue  du  Rien  (igoZ)  .L'Etal, 
journal  quotidien,  4  avril  1906  (Prospectus);  Le  Mercure  musical 
(1906);  Viessy  (La  Rtilance),  Moscou,  Antée,  liruç^es  (1907);  Flo- 
r^a/,  LuxetnhouPi^  '1908);  La  Jeuni'.  Champagne,  Le  Progrra  du 
lAilvados,  La  Phalange  ;  Sundag  Interocean,  Ch\ca>^o  ;  Das  neue 
Jnhrhunderl,  Berlin  ;  Simplicissiniut,  Munich  ;  Die  Zeit,  Vienne  ; 
Stimmen  der  Gegenwurt,  Vienne;  O  Pair,  l\io  de  Janeiro;  El 
liloht),  Madrid;  A7  Mercurio  de  /^w^r/ra,  Buenos-Aires  ;  PolitiLen, 
(]»)[)(Mih»(^ue  ;  Mnderni  Revue,  l'rao^ue  ;  le  Mercure  de  France  et  la 
Jtfvne  des  Idêft  depuis  la  fondation,  Le  Soleil,  Le  Supplément  du 
Figura,  La  Dépèche  de  Toulouse  et  le  Matin. 

Bibliographie  : 

ËDiTtons  rr  outracks  divers.  —  Un  Volcan  en  éruption,  avec  Ti^rneltet. 

Paris,  Drjîorcc-Cadot,  1882,  in-t2  (Riimpninc  pour  la  I.iiirairie  ^t^nt^rale 
de  VulgariHation.  Paris,  t885,  in-8).  —  iierlrand  Du  Uuenclin.  F*aris, 
I)o;;orco-C-idol,  1883,  in-12.  —  Tempêtes  et  naulra(|es,  avec  rif^iiettcs. 
l'aiis,  Dogorce-Cailot,  1883,  in-12.—  l'ne  ville  re<<suscltée,  avec  vi;.-notle». 
Paris,  DeROrcp-f'adot,  1883,  in-12  (lUimpriiin-  pour  la  Lilirairie  gt'-ii  rak-  Je 
Vul;:arisalion.  I'.iri«.  1885,  iD-18).  —  L«s  dernier*  {ours  de  Pompôi, 
avec  vignettes.  Pan>*,  he^-on-e  Ca(lot,s. d.  [1884J,  in- 18. —  En  Ilallon.  l'aris, 
I.iltrairic  gt^m'-rale  de  Viil-an^alion,  1884,  in-12.  Paris,  I)pporce-('.aciol  (public. 
^ll^l^lréc8),  1884,  in-4,  et  Paris,  librairie  générale  do  Viil::arisalion,  1885,  in-8 
(ii;iuresK  —  Le»  Français  au  Canada  el  en  Acadle.  50  grav.  Paris, 
Ftriiiin  Didot,  tSSX,  iu-g.  —  Chez  les  Lapons,  m^xr*.  cnutnmet  et  légtndt» 
de  la  Lapoiiie  non-t'iiicnnc,  31  grav.  I'an>*,  Firiuin-Didot,  18',M>,  in-8. 

I.fs  cKuviiES.  —  Merlette,  roman,  l'aris.  Pion  cl  Nourrit,  1886,  in-18.  — 
SIxtIne,  roman  de  ta  rit:  ct'rt'bralr  (dédié  à  Villicrs  de  risle-Adim).  Paris, 
Sa\iiie,  181)11,  in-t8.  —  Le  I>atlu  mystique  :  Les  poètes  de  l'anlii>honairf 

il  la  ayn\bolique  au  moyen  âge.   Préface  de  J.-K.  If'"' '    Miniature  de 

rdiK'cr.  Paris,  éd.  du    Mercure   de    France,  1802,  gr.  m  i-  à  220   ex.). 

Il  a  «lé  puldié,  en  outre,  deui  autre.H  éditions  8uccessi\<^  <i-  >•  i  ouvrage,  avec 
»ii'-Mn  de  Fiiiger.  Paris,  éd.  du  Mercure  de  France,  1895,  gr  in-8.  —  Lita- 
nies de  la  Itoio,  Paris,  éd.  du  Mercure  de  Fr^uce  et  «  .«e  vend  cliet  Léon 
Viuiier  »,  Ihyj,  ia-l6  ^Kéimprinié  dans  Le  Pèlerin  du  Silence   Paris.  Soc.  du 

MiTcurede France,  1896,  in-18.  —  Llllfti  71* 

d  Art  Libre  i,Tira;;e  à  pelil  nombre),  17  ud 

tira^-c  de  cet  ouvrage  qui  fut,  en  outre,  r«'-iiii|)rtmé  deui  fois,  avec  des  variao- 
tes  :  Lilitli.  Pans,  Soc.  du  Mercure  de  iiaïue,  l9iM,  in-18:  Litith,  fuiri  de 
Tluodat.  Pans,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1<K>6,  iu-i8.  —  Le  Fanlûnie, 
•Tec  %  lithographies  originales  de  licury   de   Grooi  (337   ei.}.  Paris,  éd.  du 


Il8  POÈTES    d'aujourd'hui 


Mercure  de  Franco,  1803.  pr.  in-12,  brocha,  avec  parJts  îp^ciale».  (lia  été 
juililié,  en  outre,  une  2«  éd.  de  cet  ourrage.  Paris,  éd.  du  Blercure  de  France, 
1893,  iu-8  :  Le  »?j^mf,n'im|irim^"  dans  Le  Pèlerin  du  Silence.  Pari*,  Soc.  du 
Merc'ire  de  France,  1896,  in-18).  —  Théodat,  poème  dramaliquc  en  prose 
(re|)r<'-sfnlé  sur  la  scène  du  Théâtre  d'Art  —  salle  du  Tlw'âlre  Moderne  —  le 
11  décembre  1892)  /lirafre  :  290  ex.  numérotés  et  monogrammes  par  l'autour). 
Paris,  éd.  du  Mercure  de  France,  1893,  in-i2  carré,  couverture  d'après  une 
étoffe  byzantine  (Réimpr.  :  Lilith  suivi  de  Tliéodat.  Paris,  Soc.  du  Mercure 
de  France,  1906,  in-18).  —  L'Idéalisme,  avec  un  dessin  de  Filiper  (tirage  . 
170  ex.).  Paris,  éd.  du  Mercure  de  France,  1893,  in-12  écu.  —  Fleur  de  Jadis, 
édition  elzévirienne  (47  ex.  hollande  van  Gelder,  numérotés  et  si;:n('s  par  l'au- 
teur). S.  nom  d'auteur  ni  d'édit.  (Mounoyerimprim.,  1.5  soptoinlue  1^9.!  .  iu-16 
écu  (Réimprimé  dans  Le  Pèlerin  du  Silence,  etc.  1896,  in-18).  —  Histoires 
magiques,  contenant  une  lithographie  de  Henry  de  Groux  (tirage  :  301  ex.), 
P;r.i*,  éd.  du  Mercure  de  France,  1894,  in-12  carré  (2*  édition.  Paris,  éd. 
du  Mercure  de  France,  1895.  in-12).  —  Hlérofllyphes,  poèmes,  manuscrit 
aulographique  de  19  feuillets  (0  m.  34  sur  0  m.  44\  avec  une  lithographie 
ori"inale  de  Henry  de  Groux  en  frontispice  (tirage  :  25  ex.)  Paris,  éd.  du  Mer- 
cure de  France,  1894,  in-fol.  oblong.  —  Histoire  tragique  de  la  Prin- 
cesse Phénissa,  expliquée  en  quatre  épisodes  (tirage  à  part  du  Mercure 
de  France):  publié  à  98  ex.  numérotés  et  signés  par  l'auteur.  Paris,  éd.  du 
Mercure  de  France,  1894,  in-8  royal  (Réimprimé  dans  I^e  Pèlerin  du  Silence, 
etc.  1896,  in-18).  —  Proses  moroses  (tirage  à  petit  nombre).  Paris,  éd.  du 
Mercure  de  France,  1894,  in-24.  (11  existe  une  seconde  édition  sans  date  de  cet 
ouvrage).  —Le  Château  singulier,  orné  de  32  vignellos  en  rouge  et  en 
bleu:  tirage  à  petit  nombre.  Paris,  éd.  du  Mercure  de  France,  1894,  petit  in-16 
(Réiinprinté  dans  Le  Pèlerin  du  Silence,  etc.  1896,  in-18).  —  Pliocis  avec 
une  couverture  et  3  vignettes  par  Remy  de  Gourmont.  Tirage  à  polit  nom- 
bre. Paris,  Collection  de  ^Ymagier  et  se  «  vend  au  Mercure  de  France  « 
etc.,  MDCCCXCV,  plaquette  in-12.  —  La  Poésie  populaire.  [Livret 
intitulé  de  la  Poésie  populaire  par  Remy  de  Gourmont,  avec  un  air  noté 
et  des  images,  le  tout  suivant  la  copie  imprimée  dans  ITmaf/ier  du 
mois  de  janvier  DDDCCCLXXXXVI  'i  Paris  aux  dépens  dudit  Yinaijirr  et 
se  vend  XV,  rue  de  l'Echaudé.  par  le  Mercure  de  l'^ance  au  prix  de  A'A'.Y.V* 
et  n'e»  fut  tiré  que  C  et  XX  V  copies  toutes  parcillvs  et  très  belles],  in-folio. 

Le  Mirarle  de  Théophile,  de  Rutebeuf,  texte  du  xiii*  siècle  modernisé 

publié  avec  préface).  Paris,  tiré  de  l'Ymagier  et  «  se  vend  XV,  rue  do  l'Kchaudé, 
par  le  Mercure  de  France  »,  1896,  gr.  in-4  écu.  —  Aucassiu  et  Nlcolelle 
chantefable  du  xni«  siècle,  trad.  de  Lacurne  de  Sainle-Palaye,  revue  et  com- 
plétée d'après  un  texte  original  Paris,  L'Ymagier,  9,  rue  de  Varenne,  s.  d. 
(1896),  in-4  couronne.  —  L'Ymagier.  Ouvrage  publié  en  8  fascicules  trimes- 
triels, de  64  pa;;es,  d'octobre  18'.'4  à  juillet  1896,  contenant  environ  300  gra- 
vures, reproductions  d'anciens  bois  des  xv»  cl  xvi*  siècles,  grandes  images 
coloriées,  pages  de  vieux  livres,  miniatures,  lithographies,  bois,  des>ins,  etc., 
de  M.-N.  Whistler,  Paul  Gauguin,  Filiger,  G.  d'K^pagnat,  A.  Seguin,  O'Conor, 
L.  Roy,  etc.,  Paris,  1896,  2  volumes  grand  in-4.  —  Almanacli  de  l'Yma- 
gier, 1897,  zodiacal,  astrologique,  magique,  cabalistique,  artistique,  litté- 
raire 1 1  prophétique.  Orné  de  25  liois  dessinés  et  gravés  par  Georges  d'Espa- 
gnal.  Vignettes  en  rouge  et  on  noir.  Couverture  en  4  coul,  Paris,  1\,  rue  de 
Vareauc,  petit  in-4.—  Le  PèleriD  du  Silence  {Phénissa.  Le  Fantôme.  Le 


REMT    OE   GOURMONT 


'9 


I  .  Val- 

I.    II.   de 

r.    ijiiiiurj,   A. -F.    Hornt.i 

n.tr(l.  L.  Oiiraur.O.  EekIioïKi, 

.     A.  G,.|e. 

'    M*rnll. 


.\. 


Chdtenu  sirnju'irr.  I.      /..  .  .ianxt*.   Tl 

Silence).  Fronli<tpi(re  d'Armand  Seguin,  à  la  fwn! 

dani  le»  rtcmplairc»  ilo  \\\\c,  Paris,  Soc.  (!■;   V 

—  Le  I.Ivre  des  MnKquog,  l'nrlraitx 

ntr  les  écrivains  d'Iiirr  et  (f  aujourd'hui 

lotion,   ail    nombre  do   XXX,  savoif  :    M.    ^' 

Hr';.'nii'r,  F.    Violr  Griffin,  Mailarm<',    .\ 

A.  I!<^tl-'-.  Villi.Ms.Ir-IIsle-Adam,  LTai' 

P.  Ailam,    Lautn'amont,   T.    Oirhièrp,    .\. 

p.  I.oiiyH,  I{ar|iil.lo,  J.-K.  Iluysman»,  J.  Ia' 

Sainll'ol-Iloux,   R.  de  Mnnlcs<|uioii,  G.  Kalui, 

euro  de  France,  189C,  jn-l«.  —  Les  Chevaux  •, 

Poe.  du  Mrrriirc  (!o    Fr.iiir><,   1-07,  in-18.  —  Lo    \  i«Mix    âlol 

v-  11''  (300  Cl.  num/Toli'-s  ri  |).l^,^ph''^).  Pari«.  f'\.    îi;  M 
1.  —  Dnn  Payj»  I.niiitaln.  «-v 
,  in-lH.  (Li  plupart  <io  cc«  roulC'»  n  .  .  — 

Le   II*    IJvre  de»  ManqucH    les   manquo»,  ilr>>iiiA9  par  F.   Vallollon,  aa 

nom!.n>  <\o  WIII,  savoir  :  F.  Jainmo<i.  p.  Fort,  M.  IM.  11    F    F.  ii.'nn,  !..  Blov, 

J.  I...r:un,  F.  Diijardin,  M.   RarrtS,  C.  Maiiclair,   V.  >  !,  A.   Val!   i  .-. 

M.  I  l-k.imp.  II.  Marol.  M.Schwob,  P.CIau.Iel,  H.  Ghil   ..  -     '    '     lu«, 

H.  Iî.i;.ii!le,  K.  Mikliar"!,  G. -A.  Aurier,  le«  Gr.urourt,  K.  Il-  du 

*'  '      France,  1898,   iu-18.  —   Le»    SaioleK  <lti    l'.n  i  n-  ' 

.  orn^^s  de   xix  boia   ori^^inaui  dr«>iM  -   «-l   Uill.'s  p.T 
i.  (lirap"'        ''■■    -«x.).  Paris,  «  se  rend   à  la  librairie  liii  M't.   n.'  .ic 
elc.    (A'  j'Hincr   LVI.  ruo   de  S'ine    par    C.    R«iiaudte,  le 

A\\l    janvier    M!m  .(  i  ,\(.\  liM     ^  :.   '  :* 

laii^iuo    française  {La  /' 

.  Le  vt'ra  pttjtulaire).  Paris, 
Sonfl^   (l'une   femm**    •- 


.ice. 


>  de  la 

/,'?    r<rr# 

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V  -     La  « 

sciente.  I 
r.  Le  Pu 

ris,  Soi'.  i} 
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nie  de  l'amour.  Irrr.nx 
ii-lfi.  —  I  »^s  l»t»lll.  -4 


Heviies,   /  ^    I 

P.-vri>    .■•.!.  .!.-  I  i  l..M„.  , 

IPuO,  m  H.  ((.>l  o«rra),-o  esl  entièrement  df 

•ons  niaiivalKCH  (jK>èmes),  orn(*«  par  ('< 

deux  tons,  jaune  souci  et  rert  d'Ecosse.   (1  • 

cure  de  France,  1900,  in-8  ^cu.  —  Slmonu.  ,, 

à  petit  nombre  sur  p.ipicr  rerg»*,  couverture  <-n 

eure  do   Franco,  l*M)l,   in-lf>    "- /     . 

Ceort-os  ,1  )  -|.aj;nat.  Pans,  I 

Le  t:ht>niln  de  VelourH,  .'t'<iu>nr,  a: 

Morcuro  lie  France.   l'Jdî,  m- 18.   —    Le    I' 

d'Art,  de   Lr  :    '     ■' 

noms  citi59.    I 

RéHexioM   sur  i     s  \e    \s<} 

in-18.  —  PhyHliiiie  d»»  l'.iii 

du    MtTCuio  .  1        .   m-lô. 

2*  sérU  (l^.     .     .      ;  >    -,  Soc.    du 


<irmoot). 


Oral. 


in-4).— 


dii   Slvlo. 


.it>«. 


<«. 


I20  POÈTES    d'aujourd'hui 


Judith  Gautier,  biographie  illustrée  de  portr.  et  d'autogr.  etc.  Portr. 
fronlisj).  de  John  Sarirenl.  Paris,  Biblioth.  internat,  d'édit.,  1904,  in-18.  — 
Prtmn'imdes  littéraires.    Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1904,  in-18. 

—  Promenades  philosophiques.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
190.0.  in-18.  —  Epilogues.  Hé/lexions  sur  la  Vie.  3»  série  (19ii2-1904). 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1905,  in-18.  —  Promenades  lilt«''rai- 
res.  2«  série.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1900,  in-18,  —  Lilith, 
suivi  deThéodat.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906,  in-18.  —  Une 
nuit  au  Luxeinbourçj,  roman.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906, 
in-18.  —  Un  Cœur  virginal,  roman,  couvert,  ilhistrée  par  Georpes  d'Es- 
paf:nat.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1907,  in-18.  (11  a  été  tiré  de  cette 
édit.,  20  ex.  de  format  in-8,  pour  la  Société  des  XX.  Ces  ex.  portent  la  signa- 
turc  de  l'auteur).  —  Dialogues  des  Amateurs  sur  les  choses  du 
temps  (1905-1907).  (Epilogues,  IV»  série).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1907,  in-18. 

Préfaces  et  notices.  —  G.  Albert  Aurier  :  Œuvres  posthumes.  Notice. 
Paris,  éd.  du  Mercure  de  France,  1893,  in-8.  —  Notice  biographi- 
que et  Catalogue  des  Œuvres  de  Clésinger.  Pn'faco.  Paris, 
L'Ymagier,  1895,  in-8  (2*  éd  en  1903,  in-8).  —  Gérard  de  Nerval  :  Les 
Chimères  et  les  Cydalises,  poésies.  Préface.  Paris,  Librairie  du  Mercure  de 
France,  1897,  in-i6  écu.  —  Maurice  de  Guérin  :  [je  Centaure.  Fionlis- 
picc  de  G.  d'Espagnat.  Notice.  Paris,  librairie  du  Mercure  de  France,  1900, 
in- 16  écu.  —  Georges  Duviquet  :  Hélioijabale,  raconté  par  les  historiens 
grecs  et  latins,  etc.,  préface.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1903,  in-18. — 
Ausone  :  Les  Ejiitjramnics,  Irad.  du  latin  par  Charles  Verrier.  Préface- 
Paris,  Sansot,  1903,  in-18.  —  Rétil  de  la  Bretonne  :  Les  plus  bell$* 
patjes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France.  19o5,  in-18.  —  Gérard  de  Ner- 
val :  Les  plus  belles  payes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1903,  in-18- 

—  Chamiort  :  Les  plus  belles  pages.  Paris,  Soc.  du  Mercure  do  France,  1905» 
in-18.  —  Rivarol  :  Les  plus  belles  pages.  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France' 
1906,  in-18.  —  Henri  Heine  :  Les  plus  belles  pages.  Paris,  Soc.  du  Mer- 
cure de  France,  1906,  in-18.  —  Théophile  :  Les  plus  belles  pages.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1907,  pclit  in-18.  —  Ernest  Gatibert  :  La 
Sottise  Espérantiste.  Paris,  Gras^5cl,  1907,  in-16.  —  Saint  Amant  :  Les 
plus  belles  pages.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1908,  pclil  in-18.  — 
Catalogue  de  Dessins  origin.  de  llouveyre.  Préface.  Paris,  Galerie 
E.  bruel,  114,  rue  du  Faub.-Saint-llonoré,  18-30  nov.  1907,  in-8.  —  Cyrano 
de  Bergerac  :  Les  plus  belles  pages,  l'aris,  Soc.  du  Mercure  de  1  rance, 
1908,  petit  ia-18 

On  trouve,  en  outre,  des  pages  de  M.  Remy  de  Gourmonl  dans  les  ouvrajies 
suivants  :  Congrès  intern.  pour  l'extension  et  la  culture  de  la  lan- 
gue Irançiiise,  Paris,  Champion.  1!I06,  in-8.  (Cf.  La  Criti<jue  de  la  Presse 
quotidienne)  ;  Chronique  Stcndhailenne,  etc.  A.  Milan,  chez  CotTe  et  C'*, 
éditeurs  slendhaliens,  19u7,  in-S,  etc. 

A  CON8UI.TEK.  —  I.,ouis  Doulse  :  Remy  de  Courmont,  notice  publiée  dans 
les  Portraits  du  jn-ochain  Siècle,  l'aris,  Girard,  1894,  in-18.  —  Arnold 
Gollin  :  A  propos  île  style  et  d'esthétique.  Bruvilles.  Soc.  belge  de  librairioi 
19o3.  in-8.  —  Jules  Huret  :  Enquôlc  sur  l Evolution  littéraire.  Paris, 
Charpenticr-Fasqueik',  16'Jl,  in- 18.  —  Georges  Le  Cardonuel  et  Ch. 
Vellay  :  La  Littérature  contemporaine,  1905.  Opinion  des  Ecrivains  de  ce 


HEM  Y    OB    GOLimONT  121 


tempi.  Pari»,  Soc.  du  Mercure  de  Frânre.  190«.  in-18.  —  Francis  de  Mi'»- 
mnndre  :   Vitagea.   Brupei.  A.  llerhert.   1907,  iii-8.  —    M  -C.   Poln*ol  : 

Antlintntiie  d<'g  Poâtea  normands  ri,nl-tnp',ratns.  Paris,  Floury,  1903,  in-l8. 
—  Pierre  de  Querlon  :  //'mv  '/<•  Coumiont.  biographie  i"  •-  ~  !#•  |>or- 
trailit,  (|o<«iiM,  elr.,  suivio  (roiniiinn-    df    f-i  •iitiK-nt^  et  rl'iinr  t  •'.  par 

A<!.  H.  (Ad.  van  Berer).  Pari-,  Sati-ol,  !  iM,  m  18.  —  (ilillieppfl  \orliinl  - 
l(>my  de  (iourmont.  Nnpoli,  I)elk<n  ri  P.ocholl,  1901,  in  8.  (Tiriçc  »  P*»"^  d« 

•  Fle^"*»  »)• 

Pr.hioMQrE».  —  Jacques  Balnvllle  :  ('n  ar»j>ti'-i*me  nouveau,  M.  fiemy 
de  Gourmont.  «  Minerva  »,  15  août  VM^î.  —S  '       iclH  :  Letterati  con- 

temporanri  :  firvn/  de  finurmnnt.  Kinp'Tium  .   'orne  XIV.  n*  ?*.  — 

Ellfl^no  Demolder  :  Id'my  df  dournnont.  L  An  >- 

vier  IH'JH.  —  André  du  FreBOoy  :  /f-my  de  Goui  -n 

de  France,   If)  mai   1907.  —  Louis   Duniur  :    l'ythraa  >>u 
aophiqUi-  en  l'honneur  de  M.  fiemy  de  (iourmont  et  dr  ses  pl^- 
ge».  Mercure  de  France,  mai  1894;   De  Sykomnai  den  frantka  L  i, 

illuslr.  o  Ord  och  ISdd  a.  Slokhohn,  octobre  l'^OS  ;  Rcmy  de  Gour 
kly  Critical  FU'view.  iPari>),  octobre  l'.i(t3.—    Emile   Fafluet  :  /*ro»/ 
litti'rairrs.   Hcvuc  fjitine.  25  aoiit    i9o6.  —  Anatole    France  :  /.'    <      .  . 
myxtitfue.   \jti    Temps,  Il    d/rembro    189Î.  —  Jules  dfi  C;auIlior      l'I!»- 
teiirn  délia  lin.,-  ■    '      i''»"tc.  Ha^v'pna  internarionale,   !.'>  M»pleiHbre    1'.m>0; 
De  tu   nature  d  ,  Mercure   de  France,  septembre  1901.   —   Flerra 

Lasserre    :    L' h^'ifr.^Me   ife    la    langue   française.  V  '    '         '       le, 

mai    IHIV.».   —    Jeau    I.orentowlcz  :   Z.  littcratury  y 

de  Gourmont.  kr>t\ka  ^(Iraco*  ii^.  mars  19o3.  el  I.u  "  ,>- 

tembre  0  octobre  190C.  —   Juan  Ma»  Y  PI    :  Tn  'k 

iJeforina  (la  Plala),  10  janvier  l''"7.  —  Camille  Mauel.ilr  V-  ••'■  mé- 
diullona  d'artittes  :  Id'my  de  Gourmont.  \ji  Chroni<|ue  ifc*  !i\r-.  ?'.  sep- 
tembre 1900.  —  Charles  Maurran  :  Le  iMtin  lo 
Irance,  5  titîcembre  l^y2.  —    IS'eslor      Henry   Fouijuier 

I  -ho  de   Paris    26  mar'»  1S9t.    —  l*rodiko  ;  /t'-my  de  <,  w 

I'.iienos-.Vire<<^.  f.  novembre  1906.  —   A.    i*u|i>i  :  De  qy  ■  n 

■eplique   anti-protestant.  Lo   Protestant,  journal,  2t    ■  — 

Pierre  Qilillnrd  :    Iliuiy    de    Gourmont    Memire  de   :  ,  — 

Ilarao  de  Sanio  Alberto  :  Hemy  de  <  A  T-inle  iHioile  Janeiro}* 
3avid  ISUD.  —  Marrel  Sohwob  :  /..'  /  '  '  .  M.  r,  ,ir..  .1.  France, 
novembre  1892.  —  Allred  Vnllotte  :  M  ^,  m*» 

1891. —Charles  Verrier  ; //t-my  </«;  /„.»;„ ... ..  ^.  .....ro  1904. 

Iconographie  : 

F.  Muniau«l  ;    Deux   portraits   au   fraym.   reprod.   dan»    Touvra^   de 
Pierre  do  Onerloa  :  Itevxy  de  Gnur"ii>nt.  I'.»ri».  ."^.insot,  1903,  in-18.  (1^  m^me 

ouvrage  rontient  d'autres  poilrail>  .  —  F.  \allollon:  .Vuj/K'*.  r  '     *'\n« 

la  revue  «  Onl  och  bild  n  de  ï^lorkliolm, octobre  l>»98. —  \o)et  en  r- 

Irait  publia  d'après  ua  document  |)hulo(;r.iiiliii|uo  daos  Weekiy  criiu.i>  ■><  >.•  ^v, 
1903. 


'22  PORTES    d'aujourd'hui 


LITANIES  DE  LA  ROSE 

A  Henry  de  Groux. 

Fleur  hypocrite, 

Fleur  du  silence. 

Rose  couleur  de  cuivre,  plus  frauduleuse  que  dos  ioies 
rose  couleur  de  cuivre,  embaume-nous  dans  tes  menson"-cs' 
fleur  hypocrite,  fleur  du  silence.  '     ' 

Rose  au  visage  peint  comme  une  fille  d'amour,roseau  cœur 
prostitué,  rose  au  visasse  peint,  fais  semblant  d'être  pitoyable 
fleur  hypocrite,  fleur  du  silence.  ' 

Rose  à  la  joue  puérile,  ô  vierge  des  futures  trahisons  rose 
à  la  joue  puérile,  innocente  et  rouge^  ouvre  les  rets  de  tes 
yeux  clairs,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  aux  yeux  noirs,  miroir  de  ton  néant,  rose  aux  yeux 
noirs,  fais-nous  croire  au  mystère,  fleur  hypocrite  fleur  du 
silence.  ' 

Rose  couleur  d'or  pur,  ô  cofFre-fort  de  l'idéal,  rose  couleur 
d'or   pur,   donne-nous    la  clef  de  ton  ventre,  fleur  hypocrite 
fleur  du  silence.  "  ' 

Rose  couleur  dargent,    encensoir  de  nos  rêves,   rose  cou- 
leur d'argent,    prends  notre  cœur    et    fais-en  de  la   fumée 
fleur  hypocrite,  fleur  du  silence.  ' 

Rose  au  regard  saphique,  plus  pâle  que  les  lys  rose  au 
regard  saphique,  ofl-re-nous  le  parfum  de  ton  illusoire  vir-i- 
nité,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence.  ' 

Rose  au  Iront  pourpre,  colère  des  femmes  dédaignées,  rose 
au  front  pourpre;  dis-nous  le  secret  de  ton  orgueil,  fleur  hypo- 
crite, fleur  du  silence. 

Rose  au  front  d'ivoire  jaune,  amante  de  toi-même,  rose  au 
front  d'ivoire  jaune,  dis-nous  le  secret  de  tes  nuits  virginales 
fleur  hypocrite,  fleur  du  silence.  ' 

Rose  aux  lèvres  de  sang,  ô  mangeuse  de  chair,  rose  aux 
lèvres  de  sang,  si  tu  veux  notre  sang,  qu'en  ferions-nous  ? 
bois-le,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  couleur  de  soufre,  enfer  des  désirs  vains,  rose  couleur 
de  soufre,  allume  le  bûcher  où  tu  planes,  âme  et  flamme,  fleur 
hypocrite,  fleur  du  silence. 


REMY    DE    GOUBMONT  123 


Rose  couleur  de  p^che,  fruit  velouté  do  fard,  rose  sournoise, 
rose  couleur  de  pôclie,  empoisonne  nos  dents,  fleur  hypocrite, 
fleur  du  silence. 

l\ose  couleur  de  chair,  déesse  de  la  bonne  volonté,  rose  cou- 
leur de  chair,  fais-nous  l)aiser  la  tristesse  de  ta  peau  fraîche  et 
f.KJe,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Kose  vineuse,  fleur  des  tonnelles  et  des  caves,  rose  vineuse, 
les  alcools  fous  jçainhadent  dans  ton  haleine  :  souffle-nous 
riiorreur  de  l'amour,  fleur  hypocrite,   fleur  du  silence. 

iVose  violette,  ô  modestie  des  fillettes  perverses,  rose  vio- 
lette, tes  veux  sont  plus  grands  que  le  reste,  fleur  hypocrite, 
fleur  du  silence. 

I\ose  rose,  pucelle  au  cœur  désordonné,  rose  rose,  robe  de 
mousseline,  entr'ouvre  tes  ailes  fausses,  ange,  fleur  hypocrite, 
fleur  du  silence. 

Rose  en  papier  de  soie,  simulacre  adorable  des  grAces 
incréée«,  rose  en  papier  de  soie,  n'es-tu  pas  la  vraie  rose,  fleur 
hypocrite,  fleur  du  silence  ? 

"  l\ose  couleur  d'aurore,  couleur  du  temps,  couleur  de  rien, 
6  sourire  du  Sphinx,  rose  couleur  d'aurore,  sourire  ouvert 
stir  le  néant,  nous  t'aimerons,  car  tu  mens,  fleur  hypocrite, 
fleur  du  sih'nce. 

Rose  blonde,  léçer  manteau  de  chrl^me  sur  des  épaules 
frêles,  ô  rose  blonde,  femelle  plus  forte  que  les  mAles,  fleur 
hypocrite,  fleur  du  silence  ! 

Kose  en  forme  de  coupe,  vase  rouge  où  mordent  les  dents 
quand  la  bouche  y  vient  boire,  rose  en  forme  de  couno^  nos 
morsures  te  font  sourire  et  nos  baisers  te  font  pleurt  r,  fleur 
hypocrite,  fleur  du  silence. 

i\ose  toute  blanche,  innocente  et  Cf^ileur  de  lait,  rosr  toute 
Manche,  tant  de  candeur  nous  épouvante,  fleur  hypocrite, 
fleur  du  silence. 

Rose  couleur  de  bronze,  pAle  cuite  au  soleil,  rose  couleur 
de  bronze,  les  plus  durs  javelots  sVnmussent  sur  ta  penu, 
fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

r\ose  couleur  de  feu,  creuset  spécial  pour  les  chairs  rrfrac- 
taires,  rose  couleur  de  feu,  ô  pri>viilfnce  des  hi^ueurs  en 
enfance,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  incarnate,  rose  stupide  et  pleine  de  santé,  ro»c  incar- 


124  POÈTES  d'aUJ0UI\d'hU1 

nale,  tu  nous  abreuves  et  tu  nous  leurres  d'un  vin  très  rouge 
et  très  bénin,  fleur  hypocrite,  fleur  du  siîence. 

Rose  en  satin  cerise,  munificence  exquise  des  lèvres  triom- 
phales, rose  en  satin  cerise,  ta  bouche  enluminée  a  posé  sur 
nos  chairs  le  sceau  de  pourpre  de  son  mirage,  fleur  hypocrite, 
fleur  du  silence. 

Rose  au  cœur  virginal,  ô  louche  et  rose  adolescence  qui 
n'a  pas  encore  parlé,  rose  au  cœur  virginal,  tu  n'as  rien  à 
nous  dire,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  groseille,  honte  et  rougeur  des  péchés  ridicules,  rose 
groseille,  on  a  trop  chiffonné  ta  robe,  fleur  hypocrite,  fleur 
du  silence. 

Rose  couleur  du  soir,  demi-morte  d'ennui,  fumée  crépuscu- 
laire, rose  couleur  du  soir,  tu  meurs  d'amour  en  baisant  tes 
mains  lasses,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  bleue ,  rose  iridine,  monstre  couleur  des  yeux  de  la 
Chimère,  rose  bleue,  lève  un  peu  tes  paupières  :  as-tu  peur 
qu'on  te  regarde,  les  yeux  dans  les  yeux,  Chimère,  fleur 
hypocrite,  fleur  du  silence  ! 

Rose  verte,  rose  couleur  de  mer,  ô  nombril  des  sirènes,  rose 
verte,  gemme  ondoyante  et  fabuleuse,  tu  n'es  plus  que  de 
l'eau  dès  qu'un  doigt  t'a  touchée,  fleur  hypocrite,  fleur  du 
silence. 

Rose  escarboucle,  rose  fleurie  au  front  noir  du  dragon, 
rose  escarboucle,  tu  n'es  plus  qu'une  boucle  de  ceinture,  fleur 
hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  couleur  de  vermillon,  bergère  énamourée  couchée 
dans  les  sillons,  rose  couleur  de  vermillon,  le  berger  te  res- 
pire et  le  bouc  ta  broutée,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  des  tombes,  fraîcheur  émanée  des  charognes,  rose  des 
tombes,  toute  mignonne  et  rose,  adorable  parfum  des  fines 
pourritures,  tu  fais  semblant  de  vivre,  fleur  hypocrite,  fleur 
du  silence. 

Rose  brune,  couleur  des  mornes  acajous,  rose  brune,  plai- 
sirs permis,  sagesse,  prudence  et  prévoyance,  tu  nous  regar- 
des avec  des  yeux  rogues,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  ponccau,  ruban  des  fillettes  modèles,  rose  ponceau, 
gloire  des  petites  poupées,  es-tu  niaise  ou  sournoise,  joujou 
des  petits  frères,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 


RfVY    ^^    -.OUBMONT  120 

Rose  rouge  et  noire,  rose  insolente  et  scrn'te,  rose  routée 
et  noire,  ton  insolrnce  et  ton  rouge  ont  p;'ili  parmi  les  com- 
promis qu'invcnle  la  vertu,  fli'ur  hypocrite,  fleur  du   silence. 

Hose  nrdoise,  t^risaille  des  vertus  vaporeuses,  rose  ardoise, 
tu  t^rimpes  cl  tu  fleuris  autour  des  vieux  bancs  solitaires,  rose 
du  soir,  fleur  hypocrite,  fleur  «lu  silence. 

Rose  pivoine,  modeste  vanitr  des  jardins  plantureux,  rose 
pivoine,  le  vent  n'a  retroussé  tes  feuilles  <jue  par  hasard,  et  tu 
n'en  fus  pas  mécontente,  fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  neigeuse,  coideur  de  la  neige  et  des  plumes  du  cygne, 
rose  neigeuse,  tu  sais  que  la  neige  est  fragile  et  lu  n'ouvres 
tes  plumes  de  cy^ne  qu'aux  plus  insignes,  fleur  hypocrite, 
llcur  du  silence. 

Rose  hyaline,  couleur  des  sources  claires  jaillies  d'entre  les 
herbes,  rose  hyalitie,  Hylas  est  mort  d'avoir  aimé  tes  yeux, 
lleiir  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Rose  opale,  ù  sultane  endormie  dans  l'odeur  du  harem, 
rose  opale,  Innfjueur  des  constantes  caresses,  ton  cœur  con- 
naît la  paix  profonde  des  vices  satisfaits,  fleur  hvpocrite, 
fleur  du  silence. 

Rose  améthyste,  étoile  matmale,  tendresse  épiscopale,  riisc 
améthyste,  tu  dors  sur  des  poitrines  dévotes  et  douillettes, 
gemme  oITerte  à  Marie,  ô  gemme  sacristine,  fleur  hy|>ocrite, 
fleur  du  silence. 

Rose  cardinale,  rose  couleur  du  sang  de  l'Ht^lise  romaine, 
rose  cardinale,  tu  fais  rêver  les  grands  yeux  des  mis^nons  et 
plus  d'un  t'épingla  au  nœud  de  sa  jarretière,  fleur  hypocrite, 
fleur  du  silence. 

Rose  papale ,  rose  arrosée  des  mains  qui  I)énissent  le 
monde,  rose  pa^iale,  ton  co-in*  d'or  est  en  cuivre,  et  les  larmes 
«pii  perlent  sur  la  vaine  corolle,  ce  sont  les  pleurs  du  (Ihrist, 
fleur  hypocrite,  fleur  du  silence. 

Fleur  hypocrite, 

Fleur  du  silence. 

(Litaniet  de  la  Rose.) 

HIÉROGLYPHES 

0  pourpiers  de  mon  frère,   pourpiers  d'or,  fleurs  d'Anhour, 
Mon  corps  en  joie  frissonne  quand  tu  m'as  fait  l'amour, 


126  poèxES  d'aujourd'hui 


Puis  je  m'endors  p.'iisible  au  pied  des  tournesols. 

Je  veux  resplendir  telle  que  les  flèches  de  Fior  : 

Viens,  le  kupi  embaume  les  secrets  de  mon  corps, 

Le  hesteb  teint  mes  oncles,  mes  yeux  ont  le  kohol. 

O  maître  de  mon  cœur,  qu'elle  est  belle,  mon  heure  ! 

C'est  de  l'éternité  quand  Ion  baiser  m'effleure. 

Mon  cœur,  mon  cœur  s'élève,  mon  cœur,  mon  cœur  s'envole  1 

Armoises  de  mon  frère,  ô  floraisons  sanglantes, 
Viens,  je  suis  l'Amm  où  croît  toute  plante  odorante, 
La  vue  de  ton  amour  me  rend  trois  fois  plus  belle, 
Je  suis  le  champ  royal  où  ta  faveur  moissonne, 
Viens  vers  les  acacias,  vers  les  palmiers  d'Ammonn  : 
Je  veux  t'aimer  à  l'ombre  bleue  de  leurs  flabelles. 
Je  veux  encore  t'aimer  sous  les  yeux  roux  de  Phrâ 
Et  boire  les  délices  du  vin  pur  de  ta  voix, 
Car  ta  voix  rafraîchit  et  grise  comme  Elel. 

0  marjolaines  de  mon  frère,  ô  marjolaines, 

Quand  ta  main  comme  un  oiseau  sacré  se  promène 

En  mon  jardin  paré  de  lys  et  de  sesnis, 

Quand  tu  manges  le  miel  doré  de  mes  mamelles, 

Quand  ta  bouche  bourdonne  ainsi  qu'un  vol  d'abeilles 

Et  se  pose  et  se  tait  sur  mon  ventre  fleuri, 

Ah  !  je  meurs,  je  m'en  vais,  je  m'efl"use  en  tes  bras 

Comme  une  source  vive  pleine  de  nymphéas, 

Armoises,  marjolaines,  pourpiers,  fleurs  de  ma  vie  ! 

(Hiéroglyphes.) 

AGATHE 

Joyau  trouvé  parmi  les  pierres  de  la  Sicile, 

Agathe,  vierge  vendue  aux  revendeuses  d'amour, 

Agathe,  victorieuse  des  colliers  et  des  bagues. 

Des  sept  rubis  magiques  et  des  trois  pierres  de  lune, 

Agathe,  réjouie  par  le  feu  des  fers  rouges, 

Comme  un  amandier  par  les  douces  pluies  d'automne, 

Agathe,  embaumer  j)ar  un  jeune  ange  vêtu  de  pourpre, 

Agathe,  pierre  et  1er,  Agathe,  or  et  argent, 


REMT    DB   GOURMOirr  137 


AiJ^nlIio,   chrvnlirrr  de  M.ill«», 

Saiule  Agathe,  niellez  du  feu  dans  notre  saniç. 

{Let  Sainte»  du  Paradis.) 

AGNÈS 

Ai^npIIe  épouse  de  feu,  ac^nelle  amie  de  l'Agneau, 
Ai^rirs,  plus  forte  rpio  la  mairie  des  jrunes  cheveux, 
Ay^iKs,  H llo  sacrée  du  siViic  «le  la  croix, 
A4fnés,  Agnelle  et  Danidle,  toi  qui  caressas 
n'iHJc  main  pure  la  crinirn*  cniollr  des  hrasiors, 
lilarirhe  Aulnes,  décollée  par  le  glaive  aveugle, 
Et  trenjpée  dans  la  gloire  vierge  des  lys  rouges, 
Hrcltis,  Toison,  Manteau,  tratne  et  chaîne  des  pnlliums, 
Sainte  Aj^nès,  filez  pour  nous  la  lainr  étiTMcilc 

{Le»  Saintes  du  Paradis.) 

GATHEHINE 

Contemplatrice  héroïque  du  Rêve, 
Catherine  que  le  démon  hatlait  comme  la  mer 
Bal  le  saille  irinoc«'nt  des  dunes  et  des  irrèves, 
(Catherine  visitée  par  Jésus  familièrement 
—  Jésus  venait  chanter  le  psautier  avec  elle,  — 
Catherine  au  front  orné  du  iliadéme  sanglant, 
Catherine  pleine  de  larmes,  pleine  de  charmes,  pleine  de  songes. 
Sainte  Catherine,  protégez  nos  âmes  pleines  de  songes. 
'  {Les  Saintes  du  Paradis.) 

JEANNE 

Berirère  née  en  Lorraine, 

Jeamie  cpii  avez  gardé  les  moutons  en  rohe  de  futaine, 

El  qui  avez  pleuré  aux  misères  du  peupir  de  France, 

El  qui  avez  C(mduit  le  Koi  à  Keims  parmi  les  lances, 

Jeaime  qui  étiez  un  arc,  une  croix,  un  içlaive,  un  cœur,  une  lance, 

Jeanne  que  les  gens  aimaient  comme  leur  père  et  leur  mère, 

Jeanne  blessée  et  prise,  mi^e  au  cachot  par  les  Anglais, 


128  POÈTES    D  AUJOURD  HUI 


Jeanne  brûlée  à  Rouen  par  les  Anglais, 
Jeanne  qui  ressemblez  à  un  ange  en  colère, 
Jeanne  d'Arc,  mettez  beaucoup  de  colère  dans  nos  cœurs. 

(Les  Saintes  du  Paradis.) 


MATHILDE 

Princesse  dont  les  bras  blancs  portaient  la  peine  des  pauvres, 
Mathilde  dont  les  mains  blnnches  usaient  les  durs  psautiers, 
Mathilde,  reine  de  trois  mille  et  Tune  des  mille  servantes, 
Mathilde  dont  le  cilice  de  fer  avait  trois  pointes, 
Mathilde,  dont  les  genoux  furent  le  sceau  des  dalles, 
O  Mathilde,  baisers,  sandale  et  bracelet, 
Rose  d'automne  tombée  dans  l'eau  des  pénitences, 
Sainte  Mathilde  jetez  nos  cœurs  sur  les  pavés. 

{Les  Saintes  du  Paradis.) 

PAULE 

Amie  de  saint  Jérôme,  pourpre  réduite  en  cendre, 
Epaule  où  le  vieux  moine  grava  le  nom  de  Dieu, 
Paule,  manteau  de  laine  sur  le  dos  nu  des  pauvres,     . 
Paule  couchée  par  terre,  les  yeux  vers  les  étoiles, 
Paule,  cendre,  corde  et  pierre,  fagot  d'épines, 
Crâne  rasé  comme  un  rocher  de  Palestine, 
Cœur  plein  de  la  poussière  sacrée  de  Bethléem, 
Sainte  Paule,  humiliez  nos  âmes  tristes  et  vaines. 

(Les  Saintes  du  Paradis.) 
ORAISONS  MAUVAISES 
I 

Que  tes  mains  soient  bénies,  car  elles  sont  impures  1 

Elles  ont  des  péchés  secrets  à  toutes  les  jointures  ; 

Lys  d'épouvante,leurs  ongles  blancs  font  penser,  sous  la  lampe, 

A  des  hosties  volées  dans  l'ombre  blanche,  sous  la  lampe. 

Et  l'opale  prisonnière  qui  se  meurt  à  ton  doigt. 

C'est  le  dernier  soupir  de  Jésus  sur  la  Croix. 


RF.MY    DE    GUUHMONT  129 


III 

Que  tes  seins  soient  bénis,  car  ils  sont  sacrilèi^es  ! 

Us  se  sont  mis  tout  nus,  comme  un  printanier  florilrjçe, 

Fleuri  pour  la  caresse  cl   la  moisson  des  lèvres  et  des  mains. 

Fleurs  du  bord  de  la  route,  bonnes  à  toutes  les  mains. 

Et  riiyacintlie  <jui  rêve  là,  avec  un  air  triste  de  roi. 

C'est  le  dernier  amour  de  Jésus  sur  la  croix. 


Que  ta  bouche  soit  bénie,  car  elle  est  adtiltrre  1 

Flic  a  le  goût  des  roses  nouvelles  et  le  ti^oùt  de  la  vieille  terre, 

Elle  a  sucé  les  sucs  obscurs  des  fleurs  et  des  roseaux  ; 

Ouand  elleparleon  entend  comme  un  bruilpeitide  de  roseaux, 

Kt  ce  rubis  cruel  tout  sani^^lant  et  tout  froid, 

C'est  la  dernière  blessure  de  Jésus  sur  la  croix. 

VII 

(Jue  ton  âme  soit  bénie,  car  elle  est  corrompue  ! 
Fière  émeraude  tombée  sur  le  pavé  des  rues. 
Son  opîTiieil  s'est  mêlé  aux  odeurs  de  la  boue. 
Et  je  viens  d'écraser  dans  la  «^loricase  boue, 
Sur  le  pavé  des  rues,  qui  est  uu  chemin  de  croix, 
La  dernière  pensée  de  Jésus  sur  la  croix. 

(  Or  a  isons  ma  u  va  ises .  ) 


I      LES  CIIKVEUX 

Simone,  il  y  a  un  s^rand  mystère 
Dans  la  foret  de  tes  cheveux. 

Tu  sens  le  foin,  tu  sens  la  pierre 
Où  des  bètes  se  sont  posées  ; 
Tu  sens  le  cuir,  tu  sens  le  blé, 
Quand  il  vient  d'être  vanné  ; 
Tu  sens  le  bois,  tu  sens  le  paia 
Qu'où  apport^  le  malin  ; 


l30  POÈTES    d'aujourd'hui 


Tu  sens  les  fleurs  qui  ont  poussé 

Le  lon^  d'un  mur  abandonné; 

Tu  sens  la  ronce,  tu  sens  le  lierre 

Qui  a  été  lavé  par  la  pluie  ; 

Tu  sens  le  jonc  et  la  fouçère 

Qu'on  fauche  à  la  tombée  de  la  nuit; 

Tu  sens  le  houx,  tu  sens  la  mousse, 

Tu  sens  l'herbe  mourante  et  rousse 

Qui  s'égrène  à  l'ombre  des  haies  ; 

Tu  sens  l'ortie  et  le  genêt, 

Tu  sens  le  trèfle,  tu  sens  le  lait  ; 

Tu  sens  le  fenouil  et  l'anis  ; 

Tu  sens  les  noix,  tu  sens  les  fruits 

Qui  sont  bien  mûrs  et  que  l'on  cueille  ; 

Tu  sens  le  saule  et  le  tilleul 

Quand  ils  ont  des  fleurs  pleins  les  feuilles  ; 

Tu  sens  le  miel,  tu  sens  la  vie 

Qui  se  promène  dans  les  prairies  ; 

Tu  sens  la  terre  et  la  rivière  ; 

Tu  sens  l'amour,  tu  sens  le  feu. 


Simone,  il  y  a  un  grand  mystère 
Dans  la  forêt  de  tes  cheveux. 


LA  NEIGE 


(Simone.) 


Simone,  la  neige  est  blanche  comme  ton  cou, 
Simone,  la  neige  est  blanche  comme  tes  genoux. 

Simone,  ta  main  est  froide  comme  la  neis^e, 
Simone,  ton  cœur  est  froid  comme  la  neige. 

La  neige  ne  fond  qu'à  un  baiser  de  feu. 
Ton  cœur  ne  fond  qu'à  un  baiser  d'adieu. 

La  neie;e  est  triste  sur  les  branches  des  pins, 
ToQ  liout  est  triste  sous  tes  cheveux  châtains. 


REMY   DE    GOURMONT  i3i 


Simone,  ta  sœur  la  neii^e  dort  dans  la  cour, 
Simone,  tu  es  raa  uci'^r.  et  mon  amour. 

(Simone.) 

LE  MOULIN 

Simone,  le  moulin  est  très  ancien  ;  ses  roues. 

Toutes  vertes  de  mousse,  tournent  au  fond  d'un  t^rand  trou. 

On  a  peur,  les  roues  passent,  les  roues  tournent 

Comme  pour  un  supplice  éternel. 

Les  murs  tremblent,  on  a  l'air  d'être  sur  un  bateau 
A  vapeur,  au  milieu  tie  la  nuit  et  de  l'eau  : 

On  a  peur,  les  roues  passent,  les  roues  tournent 

Comme  pour  un  supplice  éternel. 

Il  fait  noir  ;  on  entend  pleurer  les  lourdes  meules 
<Jui  sont  plus  douces  et  plus  vieilles  que  des  aïeules  : 

On  a  peur,  les  roues  pissent,  les  roues  tournent 

Comme  pour  un  supplice  éternel. 

Les  meules  sont  des  aïeides  si  vieilles  et  si  douces 
Qu'un  «iifaot  les  anOle  et  qu'un  peu  d'eau  les  pousse  : 

On  a  peur,  les  roues  passent,  les  roues  tournent 

Comme  pour  un  supplice  éternel. 

Elles  écrasant  le  blé  des  riches  et  des  pauvres, 
Elles  écrasent  le  seii^le  aussi,  l'orc^e  et  l'épeaulre  : 

Ou  a  peur,  les  roues  passent,  les  roues  tourncnl 

Comme  pour  un  Êupplicc  éternel. 

Elles  sont  «n=;si  bonnes  que  les  plus  trran(N  apôtres, 
Elles  font  le  pain  .jui  nous  Ix-nit  et  qui  nous  sauve: 

On  a  peur,  les  roues  passent,  les  roues  tournent 

Comme  pour  un  supplice  éternel. 

Elles  nourrissent  les  hommes  et  les  animaux  doux. 
Ceux  qui  aiment  notre  main  et  (|ui  nu'urent  pour  nous  : 

On  a  peur,  les  roues  passent,  les  roues  lourneul 

Comme  pour  un  supplice  éternel. 


l32  POÈTES    d'aujourd'hui 

Elles  vont,  elles  pleurent,  elles  tournent,  elles  grondent 
Depuis  toujours,  depuis  le  commencement  du  monde  : 

On  a  peur,  les  roues  passent,  les  roues  tournent 

Comme  pour  un  supplice  éternel. 

Simone,  le  moulin  est  très  ancien  :  ses  roues, 

Toutes  vertes  de  mousse,  tournent  au  fond  d'un  grand  trou. 


L'ÉGLISE 

Simone,  je  veux  bien.  Les  bruits  du  soir 

Sont  doux  comme  un  cantique 'chanté  par  des  enfants; 

L'église  obscure  ressemble  à  un  vieux  manoir  ; 

Les  roses  ont  une  odeur  grave  d'amour  et  d'encens. 

Je  veux  bien,  nous  irons  lentement  et  bien  sages, 
Salués  par  les  gens  qui  reviennent  des  foins  ; 
J'ouvrirai  la  barrière  d'avance  à  ton  passage, 
Et  le  chien  nous  suivra  longtemps  d'un  œil  chagrin. 

Pendant  que  tu  prieras,  je  songerai  aux  hommes 
Qui  ont  bàli  ces  murailles,  le  clocher,  la  tour, 
La  lourde  nef  pareille  à  une  bête  de  somme 
Chargée  du  poids  de  nos  péchés  de  tous  les  jours  : 

Aux  hommes  qui  ont  taillé  les  pierres  du  portail 
Et  qui  OQt  mis  sous  le  porche  un  grand  bénitier  ; 
Aux  hommes  qui  ont  peint  des  rois  sur  le  vitrail 
Et  un  petit  entant  qui  dort  chez  pn  fermier. 

Je  songerai  aux  hommes  qui  ont  forgé  la  croix, 
Le  coq,  les  gonds  et  les  ferrures  de  la  porte  ; 
A  ceux  qui  ont  sculpté  la  belle  sainte  en  bois 
Qui  est  représentée  les  mains  jointes  et  morte. 

Je  songerai  à  ceux  qui  ont  fondu  le  bronze 
Des  cloches  où  l'on  jetait  un  petit  anneau  d'or, 
A  ceux  qui  ont  creusé,  en  Tan  mil  doux  cent  onze. 
Le  caveau  où  repose  saint  l\ocb,  comme  un  trésor  ; 


REMY    Dl    OOURMONT 


|33 


A  ceux  qui  ont  lissé  la  luiiiquo  de  lin 
Arndue  sous  un  rideau  à  e;nurhe  de  l'autel  ; 
1*  ceux  (jui  ont  chanté  au  livre  du  lutrin  ; 
A  ceux  ijui  ont  doré  les  l'ernioirs  du  missel. 

Je  sonq-erai  aux  mains  qui  ont  touché  l'hostie, 
Aux  mains  (jui  ont  béni  et  ({ui  ont  h.qitisé  ; 
Je  songerai  aux  bagues,  aux  cierges,  aux  agonies  ; 
Je  songerai  aux  yeux  des  femmes  «{ui  ont  pleuré. 

Je  songerai  aussi  aux  morts  du  cimetitTC, 
A  ceux  (jui  ne  sont  plus  que  de  l'herbe  et   des  fleurs, 
A  ceux  dont  les  noms  se  lisent  encore  sur  les  pierres, 
A  la  croix  qui  les  garde  jus(ju'à  la  dernière  heure. 

Quand  nous  reviendrons,  Simone,  il  fera  nuit  close  ; 
Nous  aurons  l'air  de  fantômes  sous  les  sapins, 
Nous  penserons  à  Dieu,  à  nous,  à  bien  des  choses. 
Au  chien  qui  nous  attend,  aux  roses  du  jardin. 

(Simone.) 

LE  SOIR   DANS  UN  MUSÉE 

Les  seigneurs  blancs  couchés  dans  leurs  corsets  de   marbre, 

Larves  que  le  soleil  mène  à  réternité  ? 

Ces  coloniies  vêtues  de  lierre  conmi^  des  arbres, 

Ces  fontaines  «jui  virent  sourire  la  beauté  ? 

Les  évé<jues  de  cire  à  la  mitre  de  cuivre. 
Les  mères  qu'un  enfant  fait  penser  au  calvaire. 
L'angoisse  de  l'esclavi^,  l'ironie  de  la  gtiivre, 
Diane,  dont  les  seins  se  gonflent  de  colcre  ? 

Cette  femme  aux  longues  mains  pAIes  et  doulcurtuscs  ? 
Ces  beaux  regards  de  bronze,  ces  pierres  lumineuses 
Qui  semblent  encore  pleurer  un  ani  >  ir   méconnu  *? 

Non,  soumis  au  désir  qui  m'écrase  et  me  charme, 
Je  ne  voyais  rien  dans  l'ombre  pleine  dr  larmes 
Qu'une  main  nmlilée  crispée  sur  un  pird  nu. 

a8  IX.  go- 

9 


FKRNAND  GREGH 
4873 


M.  Fernand  Gregh  est  né  à  P?ris,  le  i4  octobre  1873.  Il  fit  sei 
études  aux  lycées  Michelet  etCondorcet.  L'histoire  de  sa  soudaine 
notoriété,  en  août  1896,  est  assez  amusante.  Il  y  avait  quelques  mois 
(le  8  janvier  189G),  Paul  Verlaine  était  mort.  Les  articles  à  son  sujet 
se  succédaient  dans  toutes  les  revues  et  dans  tous  les  journaux.  Un 
des  premiers,  M.  Gaston  Deschamps  avait  écrit  sur  l'auteur  de 
Sagesse,  dans  Le  Temps  du  is  janvier,  un  long  article,  rempli  de 
citations.  De  son  côté,  M.  Fernand  Gregh,  qui  collaborait  a  la 
Revue  de  Paris,  y  avait  publié,  sous  le  titre  de  Paul  Verlaine,  une 
élude  de  quelques  pages,  dans  laquelle  il  avait  reproduit,  en  faisant 
bien  remarquer  qu'il  en  était  l'auteur,  le  petit  poème  intitulé  Menuet 
qu'on  trouvera  dans  notre  choix,  et  qui  est  un  pastiche  assez  réussi 
de  la  pièce  Chanson  d'Automne  des  Poèmes  Saturniens.  On  sait 
que  M.  Gaston  Deschamps  ne  manque  pas  de  réunir  en  volume  les 
excellents  articles  de  critique  littéraire  dont  les  lecteurs  du  Temps 
ont  la  primeur-.  Le  jour  vint  donc  où  son  article  sur  Paul  Verlaine 
dut  prendre  place  dans  un  nouveau  volume  de  La  Vie  et  les  livres. 
Désira.it  sans  doute  le  renforcer  de  citations  nouvelles  et  man- 
quant probablement  des  œuvres  de  Verlaine,  M.  Gaston  l)es- 
champs  se  référa  aux  articles  publiés  ailleurs.  11  fut  ainsi  amené  à 
lire  dans  la  Revue  de  Paris  l'étude  de  M.  Fernand  Gregb,  y  fit  la 
découverte  du  Menuet,  et,  le  prenant  pour  un  poème  de  Verlaine, 
l'inséra  dans  son  article,  en  le  qualifiant  de  menu  chef-d'œuvre  {La 
Vie  et  les  Livres, l^*  série).  Si  quelqu'un  n'eut  pas  à  se  plaindre  de  la 
méprise  du  critique,  ce  fut  bien  M.  Fernand  Gregh  lui-même.  Dans 
une  lettre  que  publia  L'Echo  de  Paris  dans  son  numéro  du  3o  août  1 8<jG. 
il  la  signala  et  réclama  son  bien,  La  lettre  fit  le  tour  de  la  presse,  répan- 
dant Sun  nom  inconnu  la  veil.e.  Une  certaine  curiosité  s'en  suivit.  Oi\ 
voulut  connaître  l'œuvre  du  jeune  poète  qui  avait  donné  à  ce  point  l'il- 
lusioQ  d'un  grand  poèle.et  M.Fernand  Gregb,  à  qui  tout  ce  bruitavait 


FERN^P    GREGH  l35 


procure  un  éditeur,  ras-eml»U  sesTers  et  publia  quelques  mois  après 
son  premier  recueil  La  Maison  de  l'Enfance^  d'un  ton  à  la  fois  ju- 
vénile <•[  trrave,  el  qui  confirmait  les  craiides  qualités  d'hahilet*^  rcvé- 
jres  [tar  le  Menuet.  L'ouvrai^e,  accueilli  par  un  arlic  le  tlo^^ieux  de 
Fraiirois  Coppée,  eut  plusieurs  éditions,  el  mérita  la  même  «innée 
i  son  auteur  le  prix  Archon-Despérouses  à  l'Académie  française. 
Depuis,  M.  Fcrnand  Grec;hn*apas  cessé  de  travailler  et  de  produire  : 
Les  Cldrlès  humaines,  L'Or  des  Minutes,  deux  volumes  de  pocnirs, 
el  un  volume  de  crilicpie  :  Aa  Fenêtre  ouirr/e,élari;issanl  son  talent, 
rrnouvelanl  son  inspiration  à  cliaquc  ouvrage,  de  plus  en  plus  sen- 
sible, sincère  —  el  adroit. 

«  I^es  chants  d'amour  de  M.  Grec^h,  a  écrit  M.  Emile  F» 
ont  ce  premier  mérite  d'être  rares,  ce  i\\\\  est  une  faron  drir- 
crets,  el  ensuite,  ils  sont  d'une  absolue  sincérité, comme  tout  ce  que 
M.  Gre^h  écrit,  el  enfin  ils  sont  d'une  nuance  très  tine.  Ce  n'est  ni 
sensualité  ni,  d'autre  part,  verbiasfc  sentimental.  Cela  est  profond, 
tendre,  intime  et  très  doux  dans  une  tristesse  caressante.  Kien  ne 
rap{)cllc  plus  Sully-Priidliomme  sans  lui  ressembler...  Personnalité 
très  curieuse  et  très  syaipathiciue,  M.  Oregh  ira[)parlient.  que  je 
crois,  à  aucune  école  ;  mais  il  est  représentatif  d'une  cérjération  à 
la  fois  tendre  el  généreuse  qui  pourrait  bien  être  un  retour  de 
celle  de  i83o,  moins   ses  sublimités,  mais  aussi  moins  ses  défanis. 

Je  ne  lui  conseillerai  que  de  poursuivre,  en  déployant,  en  d>  ,-,',i- 
rant  encore  plus  toute  son  âme  ;  car,  personnellement,  il  est  vif, 
gai  et  prompt  d'esprit.  Gomme  poète,  il  est  l'homme  de  a  l'ardente 
mélancolie  »,  comme  il  a  dit,  presque  toujours.  Dans  ses  vers,  il 
est  absolument  sincère,  mais  il  n'y  est  pas  tout  entier.  Il  est  de 
ceux  (jui  n'ont  pas  à  craindre  de  mettre  dans  leurs  poèmes,  ood 
seulement  ce  qu'ils  sont,  mais  tout  ce  qu'ils  sont.  L'œuvre  totale  y 
gagnera  et  l'homme  ne  perdra  rien  à  se  révéler  dans  toute  sa 
variété  et  toute  sa  richesse.  » 

Très  mêlé  aux  discussions  poéticpies  de  notre  époqtie  et  très  dési- 
reux d'être  le  chef  d'un f groupe,  M.  Fernand  (îregh  avait  rêvé  de 
fonder  une  nouvelle  école  littéraire  :  L'/Iunianisme,  sous  le  fwilro- 
nage  de  M.  Gaston  Deschamps.  Cette  tentative  n'a  pas  abouti  et  il 
n'en  est  reste  que  le    nom,  d'une  signification  un  peu  imprécise. 

M.  Fernand  Gre:;h  a  épousé  en  190.'^  M"'  lîarlette  Hayem.  Il  a  été 
fait  officier  de  la  Ltgion  d'honneur  eu  i»ji3.  U  a  collabore  à  La 
lievue  de  Paris,  à  La  Revue  blanche,  à  La  Vojae  (nouvelle  série 
1897),  au  Mercure  de  France,  au  Gaulois,  à  la  rerue  Les  Lettres 
fondée  [».ir  lui  rn  190^»,  au  Figaro. 

Bibliographie  : 

Ln    Œuviiks.    —    La  I^laison    do   riùifaDcc,    poésies.    Taris,    f-tlgnnn 


i36  POÈTES  d'aujourd'hui 


Lév>',  1897,  in-18.  —  La  Beauté  de  vivre,  poésies.  Paris,  Calmann-Lévy- 
1900,  in-18,  —  La  lenêti'e  ouverte,  crili(|ue.  Paris,  Fasquelle,  1901,  in-18» 
—  Etude  sur  Victor  Huflo,  critique,  Paris,  Fasquelle,  1904,  in-18.  —  Les 
Clartés  Iiumaines.  poésies.  Paris,  Fasquelle,  1904,  in-18.  —  L'Or  des 
minutes,  poésie.  Paris,  Fasquelle,  1905,  in-18. 

Poèmes  mis  en  musiqce.  —  Des  poèmes  de  M.  F.  Gregh  ont  été  mis  en  musi- 
que par  MM.  R.  Bardac  et  L.  Ponzio. 

A  CONSULTER.  —  Georges  Cusella  et  Ernest  Gaubert  :  La  Nouvelle 
Littérature.  Paris,  Sansot,  1906,  in-18.  — Gaston  Deschamps:  La  Vie 
et  les  Livres,  3'  série  (article  Verlaine).  Paris,  A.  Colin.  1890.  —  Gaston 
Raneot  :  Le  Succès.  Auteurs  et  publics.  Essai  de  critique  sociologique. 
Pari*,  Alcan,  1006,  gr.  in-8  —  Georges  Le  Cardonnel  et  Ch.  Vellay  ; 
Im  Littérature  contemporaine,  1905.  Opinions  des  Ecrivains  de  ce  temps. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Frjince,  1906,  in-18. 

Lucio  d'Ambra  :  La  Poesia  de  Fernand  Gregr/i.Rassegnaintemazionalei 
15  octobre  1900.  —  L.  Blum  :  Les  Livres,  Revue  Blanche,  15  janvier  1807; 
A  propos  de  quelques  poètes.  L'Y{\imdin\\,é,  16  juillet  1904.  —  Henri  Chanta- 
voine  :  Au  Jour  le  Jour.  Journal  des  Débats,  14  mai  1900.  —  François 
Coppée  :  Littérature.  Journal,  3  décembre  1896.  —  Gaston  Deschamps: 
La  Maison  de  l'Enfance,  par  M.  Fernand  Gregh.  Le  Temps,  8  novembre 
1896;  Le  Coin  des  Poètes.  Le  Temps.  7  août  1898;  La  Vie  littéraire.  Le 
Temps,  15  avril  ISOO  ;  La  Vie  littéraire.  Le  Temps,  12  juin  1904.  —  Phil . 
Gille  :  Les  Livres,  Figaro,  26  novembre  1S96.  —  Fernand  Gregh  :  Let- 
tre.Echo  de  Paris,  30  août  1896.  —  Gust.  Lanson  :  Etude.  Revue  universi- 
taire, 15  décembre  1896.  —  Ch.  Maurras  :  Littérature,  Revue  encyclopé- 
dique, 23  janvier  1897  ;  Bévue  Littéraire.  Revue  Encyclopédique,  19  juin  1900, 
—  Ugo  Ojetti  :  [Etude].  Nuova  Anlologia,  16  février  1896.  —  Georges 
Pellissier  :  Causerie  littéraire.  Revue  Pédagogique,  15  novembre  1900.  — 
Ed.  Rod  :  A  propos  de  poésies,  Gaulois,  l*'  janvier  1897. — Edmond  Sée  : 
Fernand  Greyh.  Gil  Blas,  9  juin  1904,  —  Armand  Silvestre  :  Critique 
littéraire,  Journal,  16  novembre  1896.  —  F.  AVeil  :  Fernand  Gregh.  L'Art 
et  la  Vie,  décembre  1896. 

Iconographie  : 

Paul  Baignëres  :  Caricature,  1897  (appart.  à  M.  F.  Gregh),  —  Eugène 
Baraize  :  Portrait,  peinture  à  l'huile,  1^596  (appart.  à  M.  F.  Gregh).  — 
Uawkins  :  Dessin,  reprod.  dans  VŒuvre  d'Art  International,  octobre- 
novembre  1904.  —  iMathilde  Journaux  •  Portrait  d'enfance,  peinlure, 
1880  (appart.  à  M"'  L.  Gregh).  —  Raymond  Woog  :  Portrait,  peinture 
à  l'iiuile,  1905  (appart.  à  M.  F.  Gregh),  etc. 


DIALOGUE 

«  0  les  enfants  ouvrant  leurs  clairs  yeux  agrandis. 
Que  nous  lûmes  naguère  au  seuil  blanc  des  années  1 
—  Viens  :  les  fleurs  de  l'Avril  à  jamais  sont  fanées, 
Et  les  regrets  de  l'aube  ajjçravent  les  midis. 


FEnNAND    GIXEGH  I  37 


—  Ail  !  laisse-ziioi,  ce  jour  encor,  soni^cr  en  larmes 
Devant  le  lointain  IWeu  qui  lut  notre  horizon  ! 
Vois  les  bosquets  d'antan  et  la  i)Ianclie  innisOD... 

—  Kntends,  entends  plutôt,  là-bas,  ce  grand  choc  d'armes  ! 

Debout,  viens  !  Le  cri  d'or  des  clairons  nous  convie 

Au  combat  hcroï»jue  et  fatal  de  la  vie  ! 

Ouand  sonne  au  loin   l'espoir,  pourquoi  nous  souvenir  V 

—  Je  veux  révcr.  —  F^e  rêve  est  vain.  Vois  l'aile  immense 
De  la  (iloire  passer  au  fond  de  l'avenir  ! 

\  ieus  !  —  Uh  !  les  jours  dorés  et  calmes  de  l'enfance  !  » 
{La  Maisjn  de  Cenfance.  CalmaDa-Lcvj.) 


LE  SILENCE   DE  L'EAU 

Le  pirand  jet  d'eau  qui  sanjçlolait 
Nuit  et  jour,  àme  inconsolée, 
Sous  la  voûte  à  demi  croulée, 
Est  mort  cette  nuit  et  se  tait. 

Et  le  vent  fou  qui  l'insultait. 
Et  chassait  sa  gerbe  envolée, 
Mêle  les  feuilles  de  l'allée 
A  son  silence  qui  chantait... 

Mais  sa  tristesse  survit  tonte; 
Tandis  qu'autrefois  goutte  à  goutte 
Tressaillait  l'écho  de  la  voille, 

Maintenant  l'eau  qui  remuait 

Semble  un  lac  de  pleurs  sounls...  Écoute  : 

11  y  rOde  un  sanglot  muet. 

(La  Maison  Je  L'enfance.  CalmaoD>LéTj.) 

MENUBT 

La  tristesse  des  menuets 

Fait  chanter  mes  dcsirs  mucls, 


i38  POÈTES  d'aujourd'hui 

Et  je  pleure 
D'entendre  frémir  cette  voix 
Qui  vient  de  si  loin,  d'autrefois, 

Et  qui  pleure. 

Chansons  frêle  du  clavecin, 
Notes  grêles,  fuyant  essaim 

Oui  s'efface, 
Vous  êtes  un  pastel  d'aritan 
Qui  s'anime,  rit  un  instant, 

Et  s'efface. 

0  chants  troublés  de  pleurs  secrets, 
Chagrins  qui  s'içnoreot,  les  vrais, 

Pudeur  tendre. 
Sanglots  que  l'on  cache  au  départ, 
Et  qui  n'osent  s'avouer,  par 

Orgueil  tendre, 

Ah  !  comme  vous  broyez  les  cœurs 
De  vos  airs  charmants  et  moqueurs 

El  si  tristes  ! 
Menuets  à  peine  entendus. 
Sanglots  légers,  rires  tondus, 
Baisers  tristes  !... 

{La  Maison  de  l'enfance.  Calmann-Lévy. 
Mars  i8ga. 


LE  RETOUR 

Je  te  revois.  Maison  de  ma  Tristesse  !  —  O  joie  I 
L'an  qui  passa,  rapide,  entre  nous  deux,  Maison, 
M'apporta  dans  son  vol,  du  fond  de  l'iiorizon. 
Des  lauriers,  et  ces  fleurs  dont  la  gerbe  rougeoie  : 

Roses  du  bel  Amour  dont  la  bouche  éclatante 
Rit  le  rire  odorant,  humide,  du  plaisir; 
Lauriers  tant  espérés  qui  lassaient  mon  désir. 
Et  qui  semblent  eucor  plus  beaux,  après  l'attente  1 


FEnNANO    GnCGB  | Sq 


J'ai  couronne  mon  front  des  feaillcs  toujours  vertes 
Dont  la  cnresso  xu'osl  plus  douce  encor  cent  foiji 
<Jiit'  le  fn'-rni.ssenK'nl  des  roses  sous  mes  dolents, 
Et  des  boutons,  pareils  aux  t^orgcs  découvertes. 

Je  reviens  aujourd'hui,  pensif  comme  natçuère. 
lUHeur  toujours,  penchant  mon  front  m«^me  rieur. 
Mais  le  Cd'ur  pleiti  d'un  i^rand  solrjl  intérieur, 
Comme  un  In-ros  (ju'rx.illr  un  soiivcnir-  .li-   ••i},>rro 

C.'ir,  (^  Maison,  |MMi(iafit  <jii  i.i  lu  durrn.iis  rijàc, 
J'ai  livré  la  i)ataille  au  desiiri,  j'ai  vaincu; 
Tout  le  rêve  qui  me  hantait,  je  l'ai  vécu  ; 
Je  vais  dans  la  lumière  et  dans  rapothéose. 

(]ar  toutes  les  fiertés  et  toutes  les  ivresses 
Ont  succi'dé,  mon  .Ame,  à  tes  maux;  tour  -i   i  'or 
J'ai  connu  tes  baisers  les  plus  ft>ui,aieux,  Amour, 
Et,  (iloire  !  la  douceur  de  tes  i<-raves  caresses. 

I^s  heures  de  l'ana^oisse  et  des  larmes  sont  mortes  ! 
Sahil.  Maison  !  Je  suis  plein  de  joie  et  «l'ort^ueil. 
\  ous  ipie  sur  mon  ennui,  jadis,  plus  lourd  (prun  deuil 
Je  fermais,  —  je  vous  rouvre  en  chantant,  vieilles  portes  I 

{La  Beauté  de  vivre.  (laluuDD-Lévy.) 

PROMl':.NAUK  D'AUTOMNE 

V 
J'ai  marché  Ionp:uement  A  travers  la  campas^ne, 
Sous  le  s«)leil,  rêveur  (jue  son  oni'  rnpa«^ne 

Connue  la  forme  pAle,  à  terre,  de  ~  e. 

I/étaniç  brillait;  je  suis  descendu  sur  la  içrève 
])e  beaux  cvifnes  narraient  sous  les  d.rn:ers  f  s* 

Ils  trairjaienl  derrière  eux,  calmes,  de  Main  >  - 
^>ui  ridaient  en  s'élariçissant  l'eau  solitaii 
El  semblaient  des  liens  ilaiLTeni  avec  la  terre. 
J'ai  retcardé  U»niçtemps,  assis  sous  les  vieux  charmes, 
Près  du  pont,    me  sentant  monter  aux  yeux  les  larmes 
(Jtie  fait  venir  l'aspect  de  la  lK«auté  parfaite. 


l4o  POKTKS    D'xUJOURn'HUI 


Parfois  passait,  dnns  l'or  da  bel  aiitomn*^  en  fête. 

Odeur  (le  la  Toussaint  funèbre,  attristant  l'Iieure 

Du  tendre  souvenir  lointain  des  morts  qu'on  pleure, 

Un  monotone  et  doux  parfum  de  chrysanthème. 

—  Et  soudain  j'ai  sonj^é  que  je  mourrais  moi-même... 

Et  j'ai  dit  à  l'automne,  aux  longs  rayons  obliques, 

Au  vent,  au  ciel,  aux  eaux,  aux  fleurs  mélancoliques  : 

«  Je  ne  vous  verrai  plus,  un  jour,  beauté  du  monde  ! 

Tu  ne  couleras  plus  en  moi,  douceur  profonde 

Qui,  tous  les  soirs,  des  bois  pleins  d'ombres  colossales 

Que  le  couchant  allonge  aux  prés  lointains,  t'exhales 

Et  coules  lentement  dans  ma  jeune  poitrine  ! 

Un  jour,  tu  ne  viendras  plus  enfler  ma  narine, 

Je  ne  sentirai  plus  à  mon  front  ta  caresse, 

Vent  odorant,  léger,  qui  cours  avec  paresse 

Sur  les  llrurs  que  le  soir  n'a  pas  encor  formées; 

Et  vous,  fleurs  tristes,  fleurs  paiement  parfumées, 

Un  jour,  vous  couvrirez  ma  tombe,  chrysanthèmes  I 

Mais  j'accueille  ton  nom,  ô  mort,  sans  anathèmes 

Parmi  la  vaste  paix  de  ce  couchant  d'automne  ; 

Rien,  ce  soir,  dans  ma  chair  ne  tremble  et  ne  s'étonne, 

Et  la  grande  pensée  en  moi  n'est  pas  amère  ; 

Et  je  m'endormirais  comme  au  bras  de  ma  mère, 

S'il  fallait  m'endormir  par  ce  soir  pacifique, 

Remerciant  la  vie  étrange  et  magnifique 

D'avoir  mêlé  ses  maux  de  délices  sans  nombre. 

Souriant  au  soleil,  n'ayant  point  peur  de  l'ombre, 

Espérant  dans  la  mort  d'un  espoir  invincible  : 

Car  tout  ne  trompe  pas,  car  il  n'est  pas  possible 

Que  mes  pleurs  devant  ce  beau  soir  n'aient  pas  de  cause 

Et  ne  répondent  pas  ailleurs  à  quehpie  chose. 

Que  celte  aiiij)le  beauté  si  douce  et  si  sereiuc 

Ne  couvre  pas  un  peu  de  bonté  souterraine  ; 

Et  que  mon  Ame  enfin,  douloureuse  ou  joyeuse. 

Mais  (jui  reste  j)Our  moi  toujours  mystérieuse, 

Ne  cache  pas,  peut-être  au  plus  secret  en  elle, 

Un  mystère  de  plus  qui  la  fasse  éternelle  !  » 

(La  Deaulé  de  virre.  Cahnann-Lt'vy.) 


FERVANj^    GIXEGU  i.\\ 


DOUTE 


Il  moiirt  sur  les  [«lus  li.Ttil«,s  branches 
Vu  (Innirr  rnyon  «Ir  soiril  ; 
Le  roiirharit  srme  d'ors  étrani^cs 
Le  fniillaj;<î  vert  et  vermeil. 

Au  riil  j)AIe  d'où  le  soir  tonilw, 
n.ins  l'azur  trris  roiilrur  des  t-aiix, 
fJiissent  comme  des  éclairs  d'omlire 
Les  ailes  vives  des  oiseaux. 

Il  sort  un  profond  cl  doux  charme 
De  toutes  ces  choses,  sans  fin  ; 
Tout  est  joyeux,  apaise,  calme  : 
C'est  la  vie,  où  tout  est  divin. 

Les  bruits  de  la  ville  lointaine 
Par  houfTce  arrivent  vers  moi... 
I*ounjuoi  soudain  mon  Ame  est-elle 
Pri>e  d'un  indicible  cmoi  ? 

Mon  Dieu  !  comme  devant  les  choses 
On  est  ébloui  du  <b's(in  ! 
Comme  on  est  pareil  h  des  pauvres 
Devant  un  splendide  festin  I 

Comme  cyi  t'adore  d'un  cœur  simple. 
Comme  on  te  retrouve  ici-bas. 
Partout,   dans  la  vie  amj.le  et  Siiinle, 
Mon  Dieu,  qui  n'es  peut-t*tre  |>as  ! 

(La  Beauté  (U  vivre.  CaimaDo-Lëvy.) 

JE  VIS... 

Je  suis  entré  dans  le  tojirbillon  de  la  vie... 
Je  suis  InMnblant,  haj,'ard.  brisé,  tendre,  nerveux; 
Je  SUIS  piriu  de  retrreJs,  de  ilé>irs  et  de  vœux, 
De  souvenirs,  d'espoirs,  d'envies... 


Ii52  POÈTES    d'aujourd'hui 

Je  ne  sais  plus  ce  que  je  veux  ; 

Je  trébuche  aux  tournants  des  chemins  poursuivis. 

Je  me  sens  incertain,  épars,  divers,  nombreux... 

J'içnore  sije  suis  heureux  : 

Je  vis. 

J'aime,  et  je  ne  sais  comment  j'aime  : 

Je  frissonne,  j'ai  peur  comme  un  homme  charmé. 

J'aime  de  longs  yeux  noirs,  caressants  et  soyeux, 

Tour  à  tour  {graves  au  joyeux, 

Dont  les  cils  font  une  ombre,  alors  qu'ils  sont  fermés. 

Si  douce  qu'elle  semble  un  regard  elle-même; 

J'aime  une  bouche  fraîche,  une  bouche  embaumée, 

Des  cheveux  ondoyants,  fins  comme  une  fumée, 

Des  doig-ts  légers  où  rit  une  petite  gemme. 

Et  je  ne  cherche  pas  à  savoir  comment  j'aime, 

Comment  je  suis  aimé  : 

J'aime. 

Je  veux  la  g-loire,  et  je  ne  sais 

Même  pas  bien  sije  la  veux; 

Je  pense  et  j'écris  mes  pensées 

En  mots  indécis  et  peureux. 

Je  sens  mes  vers  là,  sous  mon  front  : 

J'ignore,  s'ils  me  survivront, 

Les  dire  m'exalte  et  m'enchante  ; 

Ma  voix  ne  peut  rester  muette, 

Je  ne  sais  si  je  suis  poète  : 

Je  chante. 

Je  vis,  je  vais  parmi  des  choses: 

Bonnes,  mauvaises,  je  ne  sais, 

Car  je  suis  souvent  caressé 

Par  elles,  et  souvent  blessé. 

J'aime  Décembre  et  Juin,  les  cyprès  et  les  roses, 

Les  grands  monts  bleus,  les  humbles  coteaux  gris, 

La  rumeur  de  la  mer,  la  rumeur  de  Paris.. 

Bonnes,  mauvaises,  je  ne  sais: 

Je  vis,  je  vais,  j'aime  les  choses. 


kli\.>.»ni>   uuk.t>ti  143 


Je  vais  aussi  parmi  des  hommes  et  (Jes  femmes, 

Et  sous  les  fronts,  dans  les  retçards,je  vois  les  ûmes 

Qui  ti^lissent  en  essaims  devant  nu*s  yeux  ravis. 

Le  monde  est  connue  un   vol  d'oiseaux  d'omhre  ou  de  flamme 

Que  je  verrais  passer  du  haut  des  monts  g^ravis... 

Des  honmies  m'ont  fait  mal,  j'ai  vu  pleurer  des  femmes  ; 

J'aime  ces  hommes  et  ces  fcuimes  : 

Je  vis. 

—  Et  je  mourrai,  plus  tard,  très  tard,  bientôt,  peut-être  : 

Je  ne  sais  pas. 

Je  m'en  irai  peut-être 

Dans  l'inconnu,  la-has,  là  bas, 

Comme  un  oiseau  s'envole,  ivre,  par  la  fenêtre  1 

Je  m'en  irai  peut»(*tre 

Dans  l'inconnu  mystérieux,  là-bas, 

Au  i^aod  soleil  de  Dicureuaitre  I 

Je  ne  sais  pas. 

Ou  bien  j'irai  dormir  et  pourrir  A  jamais 
Sous  quelques  pieds  de  terre, 
Loin  (les arbres,  du  ciel  et  des  yeux  que  j'aimais. 
Dans  la  nuit  délétère. .. 

Mais  à  mon  tour  j'aurai  connu  le  goût  chaud  de  la  vie  : 

J'aurai  miré  dans  ma  prunelle, 

Petite  minute  éblouie, 

La  ii^rande  lumière  éternelle  ; 

Mais  j'aurai  bonne  joie  au  grand  festin  sacré  J 

Que  voudrais-je  de  plus? 

J'aurai  vécu. 

Et  je  mourrai. 

(Lei  Clartés  hnniainrs.  Fasqucile.) 


l44  POÈTES    d'aujourd'hui 


HUMORESQUE 


k  Jules  Laforgue. 


Qui  dira  voire  tristesse, 
Oue  tous  ne  comprennent  pas. 
Dominos  Noirs  et  Zampas 
Des  casinos  en  détresse, 

Quand  bal,  théâtre  et  régate 
A  l'équinoxc  ont  pris  fin. 
Et  qu'  «  on  est  déjà  le  vingt  », 
A  Dinard  comme  à  lloulgate  ! 

Les  brusques  froids  de  Septembre 
Ont  pâli  le  bleu  de  l'air  ; 
Le  soleil  meurt  sur  la  mer. 
On  fait  du  feu  dans  sa  chambre; 

Seul,  sous  son  kiosque  peu  sobre, 
L'orchestre  finit  le  mois, 
Et  dans  un  décor  chinois 
Bruit  jusqu'au  premier  Octobre. 

Le  vent  fait  choir  des  feuillages 
Sur  les  pupitres  moisis  ; 
I  'alto  de  ses  xiirs  Choisis, 
Un  soir,  a  perdu  deux  pages; 

Les  rafales,  par  bouffées. 
Emportent  cuivres  et  bois 
En  sonorités  parfois 
Stridentes,  puis  étouSées; 

Dans  l'air  tout  chargé  d'automne^ 
La  musique  par  instant 
Semble  faire  en  s'arrctant 
Le  silence  plus  atone  ; 


FKH.NAIfD   GnEGU 


i45 


Et  phrase  ample  ou  caressante. 
Air  de  gloire  ou  de  bonheur, 
Tout  paraît  être  en  mineur 
Dans  la  lumière  baissante. 

—  O  joyeuses  ouvertures 
Des  licruld  et  des  Auberl 
0  des  autres  Meyerbeer 
Pompes  et  fioritures  ! 

Airs  sacrés  comme  des  rites. 
Si  jê/fiis  /{oi\  Comte  Ory^ 
0  Chasse  du  Jeune  f/enri, 
0  Normas,  ô  Favorites! 

Et  loi,  vieux  Cheval  de  Bronze, 

A  t'ouvrir  trop  entt^të, 

'Ju'on  rntondil  cet  été 

Au  moins  dix  fois,  peut-être  onze, 

0"i  dira  sous  votre  joie 
Solennelle  ou  bon  enfant. 
Les  pleurs  secrets  où  souvent 
Votre  allégresse  se  noie  ; 

Vous  qutd'instinct  l'on  marie 
A  certains  coins  de  I*aris 
Hépertoires  favoris 
Des  ort,'ues  de  Barbarie, 

0  mu5i(jue3  presque  feues. 
Qui  vatfuemeul  unissez 
Au  rei^ret  des  jours  passés 
L'a  horizon  de  banlieues, 

0  sinc^ulières  musiques. 
Airs  falots  tl  faliv'ués, 
Qu'on  s«'ut  tristes  d'être  t^ais 
El,  d'être  eu  pleurs,  iroui(jucs, 


10 


l4S  POÈTES    d'aUJOUIXD'hUI 

Où,  pleine  d'un  chagrin  terne, 
Tendre  sans  savoir  pourquoi, 
Pleure  en  se  moquant  de  soi 
Notre  pauvre  âme  moderne  ! 

—  Quand  la  valse  de  Poète 
Et  Paysan  tait  son  bruit. 
On  entend  devant  la  nuit 
Sur  mer  crier  la  mouette  ; 

Et  lorsque  s'est  terminée 
La  romance  en  mi  du  cor, 
Avec  le  dernier  accord 
On  dirait  que  meurt  l'année... 

—  Ah  !  qui  dira  combien  germent 
De  pleurs  qu'on  ne  comprend  point 
Sons  les  airs  joués  au  loin, 

Dans  les  casinos  qui  ferment! 


(Les  Clartés  humaines .  Fasquelie.) 


AU  DIEU  INCONNU 


Mon  Dieu,  —  quel  que  soit  l'Être  ou  la  Chose  que  nomme 
Ce  mot  si  clair  jadis  et  pour  nous  obscurci, 
Mais  qui,  dans  la  ténèbre  où  nous  errons  ainsi. 
Reste  le  plus  doré  sur  les  lèvres  d'un  homme,  — 

Toi  que  mon  cœur  d'enfant  sage  et  simple  adorait, 
Au  temps  des  mains,  le  soir,  jointes  pour  la  prière, 
Que  mon  esprit  laissa,  dans  sa  marche,  en  arrière. 
Sans  remords  puéril  et  sans  lAche  regret, 

Mais  vers  qui  par  instants  monte  encore  mon  Ame, 
En  te  sentant  suprême  et  peut-élre  pareil. 
Comme  les  fleurs  des  bois  aspirant  au  soleil 
Ou  le  bas  de  la  tlanime  au  sommet  de  la  flamme; 


rERNANO    ORBOH  l  ^\^ 


En  celte  heure  de  paix  et  de  satiété 

Où  seul,  ardent  toujours  et  triste,  et  pourtant  calme. 

Le  front  nu  caressé  par  l'invisible  palme 

Qu'est  dans  la  nuit  le  vent  vétçélal  de  l'été. 

Ecoutant  s'afTaildir  en  moi  la  rumeur  brève 
Et  déjà  moins  allièrCj  hélas  î  des  passions, 
Devant  l'Ombre  où  tu  veux  que  nous  nous  efTacioos, 
Je  m'arrête  un  moment  sur  la  route  et  je  rêve; 

Dieu  de  nac^uère,  Dieu  d'amour  et  de  bonté. 
Ou  .Matière  infinie  et  (ju'un  rvlhrne  pénétre, 
Ou  Prnsée  apparue  nu  sourd  miroir  de  I  Etre 
Et  qui  prend  son  reflet  pour  la  grande  Clarté 

Substance  universelle  ou  Raison  souveraine, 
Vaste  Inconnu  où  tient  mon  sort,  qui  (pic  tu  sois. 
Force  (pii  m'auras  fiiit  naître  et  mourir,  —  reçois 
Dans  riiiimliii*  vérité  de  Cftle  heure  sereine, 

He«;ois  en  mon  esprit,  \c  plus  fervent  autel 

Où  tremble  encor  ta  nammr  aus^uste  qui  dévie, 

Au  mystère  où  bieiitiU  aboutira  ma  vie 

Le  consentement  jHjrave  et  tendre  d'un  mortel. 

(L'Or  des  MinnlfS.  Fas(iiirlle.) 


CHARLES  GUÉRIN 
1873-1907 


Charles  Guérir»,  qui  est  mort  le  17  mars  1907,  élait  né  à  Luné- 
rille  (Meurthe-et-Moselle),  le  29  décembre  1878,  d'une  grande  famille 
d'industriels.  Il  avait  fait  ses  études  à  Nancy,  et  vivait  en  voyaçeur, 
tantôt  en  France,  à  Lunéville  dans  sa  famille,  ou  à  Paris  avec  des 
amis,  tantôt  en  Allema£:ne,  tantôt  en  Italie.  Après  avoir  débuté  en 
1894  et  1895  par  des  plaquettes  et  des  volumes  hors  commerce  qui 
ne  faisaient  guère  prévoir  le  très  intéressant  poète  que  devait  révé- 
ler en  1898  Le  Cœur  solitaire,  Charles  Guérin  était  vite  parvenu  à 
une  assez  grande  réputation, collaborant  à  La  Revue  des  Deux  Mon- 
des en  même  temps  qu'au  Mercure  de  France,  apprécié  des  maîtres 
et  de  la  critique  comme  de  ses  camarades  de  lettres.  La  poésie  de 
Charles  Guérin,  qu'on  peut  apparenter  par  certains  côtés  à  celle 
d'Alfred  de  Vigny  et  de  Sully-Prudhomme,  est  une  poésie  de  nuan- 
ces, d'analyse,  qui  fait  penser  en  même  temps  qu'elle  émolionne. Elle 
est  aussi,  par  endroits,  la  poésie  d'un  artiste  et  d'un  raffiné.  L'au- 
teur excelle  à  commencer  un  poème  par  des  vers  pleins  de  musique 
et  de  rêverie,  qu'on  ne  peut  plus  oublier  : 

O  mon  ami,  mon  vieil  ami,  mon  seul  ami, 
Rappelle-loi  nos  soirs  de  tristesse  parmi 
L'ombre  tiède  et  l'odeur  des  roses  du  Musée... 

Beaucoup  des  poèmes  contenus  dans  Le  Cœur  solitaire  débutent 
sur  ce  ton.  On  lira  dans  notre  choix  la  pièce  A  Francis  Jammes.une 
des  plus  remarquables  de  la  nouvelle  poésie,  et,  à  notre  sens,  le  chef- 
d'œuvre  de  Charles  Guérin,  —une  pièce,  d'ailleurs,  quia  fait  école  et 
qu'on  necesse  d'imiter  sans  l'égaler.  Une  faudrait  pas  toutefois  y  cher- 
cher une  image  fidèle  et  complète  du  sentiment  et  de  l'espritqui  ani- 
maient le  poète  dans  ses  dernières  années.  Depuis qu'ill'avait  écrite, 
Charles  Guérin  avait  subi  une  crise  morale,  un  retour  au  catholi- 
cisme, ce  qu'il  a  appelé  quelque  part  :  l'inquiétude  de  Dieu.  La 


CHARLES    GUKIXIN  i  J^q 


nouvelle /dition  du  Cœur  solitaire,  en  irjo/J,  contenait  déjà  quelques 
exemples  de  celte  transformation, encore  accentuée  dans  Le  Semeur 
de  Cendres.  Mais  c'est  surtout  dans  les  poèmes  de  son  dernier  ou- 
vrai,'e,  L'Homme  intérieur,  qu'on  en  trouve  les  témoii,'na^es  les  plus 
expressifs.  Ces  poèmes  sont   souvent  froids,  sévères,  monotones,  à 
peine  éclairés  par  instants  d'un  peu  de  chaleur  et  de  couleur,  reste 
des  anciennes  inspirations  du  poète.  Ce  n  est  plus,  comme  autrefois 
le  lyn.jue  qui  vibre  et  qui  chante,  l'artiste  qui  jouit  des  mots  rares 
et  des    sonorités.   C'est    l'esprit  qui    réfléchit    et    qui    analyse,  c'est 
1  homme  qui  doute  et  qui  s'humilie,  cest  le  croyant  qui  se  détourne 
de  la  vie  pour  ne  plus  sonc^er  qu'à  la  mort.  Les  poêles  sont  rares  à 
qui  la   foi  retrouvée  donne   la  nouvelle  jeunesse  et  les  accents  d'un 
\erlame.    Chez    Charles  Guérin,  elle    semblait   plutôt  avoir    éteint 
tous  les  dons  du  poète  pour  ne  plus  laisser  place  qu'à  l'analyste,  et 
l'on  retire  presque  celte  impression,  à  lire    ses    derniers  vers,  qu'il 
n  aurait  plus,  désormais,   beaucoup  écrit. 

En  plus  du  .yercure  de  France  et  de  la  Heime  des  Deuœ  )fondes 
cites  plus  haut,  Charles  Guérin  avait  collaboré  au  Sonnet  qu'il 
avait  fondé  à  Nancy,  à /.a  lievue  Blanche.k  L'Ermitage,  à  La  Revue 
de  Pans,  à  L'Image  et  au  Réveil  de  Gand. 

Bibliographie  : 

Les  «uv„r.s.  -  Fleurs  de  Neige,  poésie,.  Nancy.  Crépin  Leblond,  1893 
in-18  (sous  le  pseudoi.une  d  lloirrias  Rugen).  (Réimprinu'-  avec  LArt  par- 
jure  sous  ce  titre  .So»ne/*  et  un  Poème.  Paris,  é.l.  .h,  Mercure  .le  France 
1897.  in-16).  -  L'Art  parjure,  poésies.  Munich.  IS'M.  i,,-IG.  H-miprimô 
avec  le  précédent  ouvrage  sous  cetilro  Sonnets  et  un  Poème.  Paris  Soc  du 
Mercure  de  France.  1897.  in-16).  _  .Foies  «rlses,  poésies,  Paris.  Olien- 
dortir  189i.  m-16.  ^  Georges  RochMih.ich.  Kssai  do  critique.  <!  I  n 
d.  [.Nancy.  Cr.'pin-Lehlond.  1894].  pr.  in-SfloO  ex.).  -  Le  Sang  des  Cré" 
piiscules.  Prélude  musical  de  Percy  Pill.  Paris.  Soc.  du  Mercure  Je  France 
18Jo  in-8  (350  ex.  I^s  ex.  de  lute  contiennent  hors-lexle  une  préface  dé 
Stéphane  Mallarmé).  _  Sonnets  et  un  Poème.  Paris,  édit.  du  Mercure 
de  France.  1897.  in-lf,.  _  Le  Cœur  Solitaire.  ,H>ésic5.  Paris  Soc  du 
Mercure  de  France.  1898.  in-8  (Héunpr.  :  Ae  Ca-ur  Solitaire,  édition  refon- 
due et  augmentée  de  plusieurs  poèmes.  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France 
1904.  in-18).  —  I/Kros  luntM)re.  suivi  do  trois  autres  poèmes  Pans  IVtilè 
colect.on  de  lErmiiage.  1900.  in-16.  -  Le  Semeur  de  Cendres.  1  Sî»8. 
llMio.  poèmes.  Pans.  Soc.  du  Mercure  de  France.  1901,  in-ls  (lia  éléiiré 
pour  la  >or,.'lé  des  X\    20ex.de  format  in-g.signés  par  Fauteur.  )-  LHomm« 

lntérleur.1901-1905.  poèmes.  Paris,Soc.  du  Mercure  deFrancel-H.ô.n-iH 
On  trouve  un  poème  de  M.    Charles  Guénn  dans  l'ouvrage  suivant       Same 

d,s  popnl.  de  poésie   anc.  et  moderne.  Concours   de  Poésie  de   l  Odéon  ifS 

avr.  1898),  etc.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Franco.  1897.  in-18 

Pnf.siKs  MISES  t-i  nusiQOf.  _  Cinq  sonnets  de  Cfiarles  Guérin.mu»  de  fiuv 

Roparlz.  Pans,  Impr.  C.  Rôder,  1D..3,  gr.  ui-8  ;  autres  poèmes  mis  en  mus.- 

que  par  M.  Poirson. 


i5o  POÈTES  d'aujourd'hui 


A  coNsci.TER.  —  Henrj  Bordeaux  :  Les  Ecrivains  et  le»  Mœurs.  1897- 

1900.  Paris,  Pion,  1900,  in-18.  —  Remy  de  Gourmont  :  Promenades 
littéraires,  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France,  1904.  in-18.  —  Emile 
Krantz  :  Un  décadent  lorrain  d  JVancy.  Paris,  Berger-Levrault,  1894,  in-8. 
—  Georfjes  Le  Cardonnel  et  Ch.  Vellay  :  La  Littérature  contempo- 
raine, 1905  Opinions  des  écrivains  de  ce  temps.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
de  France,  19i.6. in-18.  —  Christian  Rimestad  :  Fransk  Poesi  i  det  Nit' 
tende  Aarhundrede.  K']ohenh&vn,Schuhol\\(:s]te,  1905,  in-8. 

FernandBaldeDDe  -.Souvenirs  sur  Charles  Guérin,  Mercure  de  France, 
15  mai  1907.  —  Henry  Bordeaux  :  Eludes  littéraires.  Charles  Guérin. 
Correspondant,  10  mai  1907.  —  René  Boylesve  :  Charles  Guérin.  Les 
Lettres,  15  avril  1907. —  H.  Chantavolne  :  Poètes  et  Poésies.  Journal  des 
D(!-bats,  21  novembre  1895. —  François  Coppée  :  Charles  Guérin.  Gaulois, 
1"  juilletl9ù7.— Paul  Delior  :  Charles  Guérin  et  la  Poésie  philosophique. 
ilercure  de  France, l»"^ ■décembre  1907. —  Ga8ton  Desehamps  :  Le  Coin  det 
Poètes.  Temps,  7  août  1S98  ;  Le  Coin  des  Poètes.  Temps.  4  mai  1902  ;  Charles 
Guérin,  Temns,  14  avril  1907.  — Ernest  Gaubert  :  Charles  Guérin.  L'Er- 
mitage, 15  janvier  1906.  —  Jean  de  Gourmont  :  Charles  Guérin.  Vers  et 
prose,  mars-raai  19ii7.  —  Fernand  Gregh  :  Charles  Guérin.  Gaulois, 
10  avril  1907.  —  Francis  Jamines  :  Charles  Guérin,  Mercure  de  France, 
1"  avril  1907.  —  Emile  Krantz  :  Charles  Guérin.  L'Homme  et  l'Œuvre. 
Souvenirs,  avec  2  portr.  Le  Pays  lorrain,  Nancy,  20  mai  1907.  —  Pierre 
Quiiiard  :  Francis  Jamtnes  et  Charles  Guérin.  Mercure  de  France,  juillet 

1901.  —  S.  :  Un  jeune  poète.  Journa.1  des  Débats,  11  juillet  1898;  Au  Jour  le 
Jour.  M.  Charles  Guérin.  Ibid.,  1"  janvier  1906.  —  Fernand  Séverin  : 
Charles  Guérin.  Le  Samedi,  Bruxelles,  30  mars  1907.  —  André  Theuriet  : 
Voyage  au  pays  des  poètes.  Journal,  15  juillet  1898. 

Iconographie  : 

Jean  Veber  :  Lilhoijraphie,  dans  L'Ermitage  de  juin  1898.  (Voir  à  titre 
purement  documentaire  deux  portr.  photographiques  reprod.  dans  Le  Pays 
Lorrain,  Nancy,  20  mai  1907). 


JE  VOUDRAIS  ÊTRE  UN  HOMME... 

Je  voudrais  être  un  homme  ;  or  rien  dans  mes  poèmes 

Ne  repond  au  sanglot  de  la  détresse  humaine. 

Aux  heures  de  paresse  on  s'arrête  à  ce  Hvtc 

Conmie  on  entre  dans  une  auberge  somptueuse 

Pour  y  coûter  un  peu  de  paix  voluptueuse 

Au  rythme  des  chansons  et  des  belles  musiques. 

Les  al'lli|^és  s'en  vont  se  consoler  ailleurs, 

La  femme  reste  indifFérente  et  les  railleurs 

Gardent  le  pli  crispé  de  leur  sourire  amer. 

Ou  dit  :  —  Ce  sont  des  mots,  des  mots,  de  simples  mots, 


CIIAnLKS    OLERIN 


l5l 


C'est  un  enfant  qui  crie  avant  d'avoir  souffert, 

Peut-être  un  baladin  qui  mime  les  sanglots... 

Oue  vient-il  nous  parler  de  l'amour,  celui-là. 

Avec  sa  flùle  et  ses  sonnets  à  falbalas? 

Oh  !  ce  marbre  serein  des  petites  douleurs 

Que  sa  piété  soit^neusc  enguirlande  de  fleurs  !  — 

Hélas!  c'est  vrai.  Messieurs  et  Mesdames,  c'est  vrai  ! 

Donnez-moi  le  çénie  âpre  (ju'il  me  faudrait 

Pour  labourer  profondément  vos  cœurs  secrets. 

II«'las!  oui,  je  voudrais  vous  oflrir  en  écho 

Le  livre  où  chaque  amant  revivrait  ses  baisers, 

Et  piiiscjue  au  fond  tout  est  des  mots,  rien  que  des  mots, 

Savoir  au  moins  les  mots  divins  qui  font  pleurer. 

ILe  Cfrur  Solitaire.) 


A  FRANCIS  JAMMES 

0  Jammes,  ta  maison  ressemble  à  ton  visaïje. 
Une  barbe  de  lierre  y  grimpe,  un  pin  l'ondjrage, 
Eternellement  jeune  et  dru  comme  ton  cœur 
Malirré  le  vent  et  les  hivers  et  la  doideur. 

Le  mur  bas  de  ta  cour  est  doré  par  la  mousse, 

La  maison  n'a  qu'un  humble  étajçe,  l'herbe  pousse 

Dans  le  jardin  autour  du  puits  et  du  laurier. 

Quand  j'entendis,  comme  un  oiseau  mourant,  crier 

Ta  «grille,  un  tiède  émoi  me  fit  défaillir  l'Ame. 

Je  m'en  venais  vers  toi  depuis  loncftemps,  ô  Jammes, 

r.t  je  t'ai  trouvé  tel  que  je  t'avais  rêvé. 

1  li  vu  tes  chiens  joueurs  lant^uir  sur  le  pavé, 

Lt.  sous  ton  chapeau  blanc  et  noir  comme  une  pic, 
Tes  yeux  francs  me  sourire  avec  mélancolie. 

I  fenêtre  pensive  ouvre  sur  l'horizon  ; 
\  "ici  tes  pipes,  ta  vitrine  «pii  reflète 
1      •••uupaiçne  parmi  les  livres  des  poètes. 

Ami,  puisqu'ils  sont  nés,  les  livres  vieilliront. 
Où  nous  avons  pleuré  d'autres  hommes  riront  : 
Mais  que  nul  de  nous  deux,  malgré  Tî^ge,  n'oublie 


lb2  POÈTES    d'aUJOURD  HUI 


Le  jour  où  fortement  dos  mains  se  sont  unies. 
Jour  éî^al  en  douceur  à  l'arrière-saison  ; 
Nous  écoutions  chanter  les  mésanges  des  haies, 
Les  cloches  bourdonnaient,  les  voilures  passaient... 
Ce  fut  un  triste  et  long  dimanche  des  Rameaux  : 
Toi,  brisé  sur  l'amour  comme  un  roseau  sur  l'eau 
Oui  tremble  et  sous  le  flot  secrètement  sanglote. 
Moi,  frémissant,  avide  à  mourir  du  départ 
Sur  la  mer  où  tournoient  les  barques  sans  pilotes. 
Nous  écoutions  tinter  les  sonnailles  des  chars. 
Pareillement  émus  de  diverses  pensées. 
Et  le  ciel  gris  pesait  sur  nos  âmes  blessées. 
Reviendrai-je  dormir  dans  ta  chambre  d'enfant, 
Reviendrai-je,  les  cils  caressés  par  le  vent, 
Attendre  la  première  étoile  sous  l'auvent, 
Et  respirer  dans  ton  coffret  en  bois  de  rose. 
Parmi  l'amas  jauni  des  vieilles  lettres  closes, 
L'amour  qui  seul  survit  dans  la  cendre  des  choses  ? 
Jammes,  quand  on  se  penche  à  ta  fenêtre,  on  voit 
Des  villas  et  des  champs,  l'horizon  et  les  neiges; 
En  mai  tu  lis  des  vers  dehors,  à  demi-voix. 
L'azur  du  ciel  remplit  les  chéneaux  de  ton  toit..: 
Demeure  harmonieuse,  ami,  vous  reverrai-je? 

Demain,  hélas  !  Mieux  vaut  penser  au  temps  d'hier. 
Une  âme  sans  patrie  habite  dans  ma  chair. 
Ce  soir,  un  des  plus  lourds  des  soirs  où  j'ai  souffert, 
Tandis  que,  de  leur  gloire  éparse  sur  la  mer. 
Les  rayons  du  soleil  couchant  doraient  la  grève. 
Les  cheveux  lavés  d'air  et  d'écume,  j'allais. 
Roulé  comme  un  caillou  par  la  force  du  rêve, 
La  terrible  rumeur  des  vagues  m'appelait, 
Voix  des  pays  brûlés,  des  volcans  et  des  îles. 
Et,  le  cœur  plein  de  toi,  j'ai  marqué  d'un  galet 
Veiné  comme  un  bras  pur  et  blanc  couniie  du  lait 
Le  jour  où  je  passai  ton  seuil,  fils  de  \'irgile, 

{Le  Cœur  solitaire.) 


COARLCS    GUÉniN  |  53 


LE  SOIR  LKGKR... 

Le  soir  léc^pr  avec  sa  brume  claire  et  bleue 

Meurt  comme  un  mot  d'amour  aux  lèvres  de  Télé, 

(^ommc  riiumide  et  chaud  sourire  heureux  des  veuves 

Oui  r«'vent  dans  leur  chair  d'anciennes  voluptés. 

La  ville,  paciH(|ue  et  lointaine,  s'est  tue; 

Dans  le  jardin  pensif  où  le  silence  éclot 

(Jhantent  encor,  discrètement,  des  fraîcheurs  d'eau 

OuVpnrpille,  all'aihli,  le  vent  tièdf  et  norfurne  : 

Des  juj)es  font  un  bruit  de  feuilles  sur  le  sable. 

Les  truèpes  sur  le  mur  bourdonnent  à  voix  basse, 

Des  roses  (jue  les  doii^Ms  soni,'eurs  ont  elTeuillées 

Répandent  leur  énamourante  âme  de  miel  ; 

Une  aube  étran^^e  et  pAle  erre  aux  conHns  du  ciel 

Et  nïèle  en  un  profond  charme  immatériel 

De  la  lumière  en  fuite  à  de  lombre  éloilée. 

Que  me  font  les  soleils  à  venir,  que  me  font 
L'amour  et  l'or  et  la  jeunesse  et  le  4çénie  !... 
Laissez-moi  m'endormir  d'un  doux  sommeil,  d'un  long 
Sonmieil,  avec  des  mains  de  femme  sur  mon  front  : 
Ah  !  fennez  la  fenêtre  ouverte  sur  la  vie  ! 

(Le  Cœur  solitaire.) 


ENTRERAI-JE,  CE  SOIR,  SEIGNEUR,  DANS  TA  MAISON. 

Entrerai-je,  ce  soir,  Seisrneur,  dans  ta  maison, 
Sans  craindre  que  ma  chair,  vouée  aux  œuvres  viles, 
Apporte  le  relent  de  luxure  des  villes 
A  la  candeur  des  jupes  d'ombre  en  oraison  ? 

Je  songe  à  d'autres  jupes  d'ombre  qui  sont  douces 
Pour  endormir  l'effroi  des  poètes  malades, 
A  des  doi$rts  alourdis  d'anneaux  aux  pierres  troubles, 
'Troubles  comme  des  yeux  menteurs,  comme  mon  Ame. 

10. 


i54  poèxES  d'aujourd'hui 

Entrerai-je,  ce  soir,  Seigneur,  dans  ta  maison, 
Si  mon  haleine  tord  l'humble  flamme  des  cierges, 
Si  ma  prière  même  inquiète  les  vierges. 
Eau  claire  où  s'élargit  la  chute  d'un  poison  ? 

Je  songe  à  des  toisons  souples  de  courtisanes      , 
Où  les  désespérés  enfouissent  leur  sons^e, 
Bonnes  toisons  qui  font  la  nuit  sur  les  visages, 
Lourdes  comme  l'amour,  sourdes  comme  des  tombes. 

Que  votre  main  soit  rude  et  juste  et  me  châtie, 
Seigneur,  seigneur,  moi  qui  voudrais  tant  vous  aimer! 
Laissez,  lasse  de  cris,  ma  bouche  se  fermer, 
Pour  la  rouvrir  vous-même  ensuite  avec  l'Hostie. 

Je  songe  aux  nuits  de  joie  ivres  et  douloureuses 
Où  ma  soif,  accoudée  à  des  tables  mauvaises. 
Se  versait  les  boissons  de  flamme  dont  s'abreuvent 
Ceux  que  serre  à  la  gorge  un  ancien  sacrilège. 

Je  viens  vers  vous,  du  fond  de  mon  iniquité. 
Je  viens  vers  vous.  Seigneur,  à  qui  les  enfants  parlent, 
De  tout  mon  bon  vouloir  et  de  toutes  mes  larmes, 
Etre  triste  avec  vous,  moi  qui  vous  attristai. 

L'immémorial  faix  de  péchés,  le  fardeau 

De  luxure  et  d'orgueil  creuse  mes  reins  qui  saignent. 

Aux  margelles  des  puits  nulle  samaritaine 

N'a  tendu  vers  ma  soif  ses  paumes  pleines  d'eau. 

Oubliez  que  je  fus  des  serviteurs  indignes  ; 
Et  dans  l'ombre  que  font  les  collines,  le  soir. 
Celui  qui  cherche  l'âlre  et  la  pierre  où  s'asseoir 
Sentira  qu'un  pardon  se  couche  sur  les  vignes, 

La  nuit  tombe  et  m'arrête  où  dort  votre  maison  ; 
Les  ramiers  se  sont  tus,  mais  les  fontaines  chantent, 
Fraîcheur  obscure,  en  palpitant  pour  que  j'y  trempe 
^les  mains,  l'aridité  de  ma  bouche  et  mop  fropt, 


CBARLES    GL'ÉniN  l55 


L'eau  froide  et  pure  emportera  vers  les  ténèbres 
Le  souvenir  fiévreux  d'un  passé  de  caresses, 
La  mémoire  des  voix,  des  rry^ards  et  des  prestes, 
Et  le  souffle  de  feu  qui  brûle  encore  mes  lèvres. 

Faites,  Seigneur,  miséricorde  à  ma  faiblesse, 

A  celte  toute  faiblesse  des  pauvres  Ames 

Qui  n'ont  pleuré  que  pour  la  chair  tiède  des  femmes. 

Que  je  soulï're,  Seigneur,  des  ronces  qui  vous  blessent, 

Que  la  croupe  des  boucs  crispés  sur  le  portail 
Serve  d'éternel  lieu  d'exil  à  mes  péchés, 
Et  que  la  palme  offerte  aux  cœurs  purifiés 
Exalte  en  moi  l'azur  des  vierges  du  vitrail. 

Je  serai  digne  alors  de  gravir,  humble  et  pâle. 
Le  seuil  de  gloire  où  les  rois  mêmes  parlent  bas, 
Et  mon  cœur  et  mes  pieds  nus  ne  sentiront  pas 
Le  froid  de  la  divine  espérance  et  des  dalles. 

...  Cette  prière,  hélas!  n'est-ce  pas  seulement 
Le  glas  que  sur  soi-même  agite  une  âme  simple 
A  qui  les  yeux  naïfs  de  ses  ciiairrins  tl'enfant 
Ont  souri  tristement  du  plus  loin  de  leurs  limbes? 

N'est-ce  pas  le  glas  lourd  du  vain  rêve  que  font 

Dans  leurs  soirs  douloureux  les  vieilles  fois  qui  meurent  : 

Enlrerai-je,  nocturne  et  1ns,  dans  la  maison 

Où  le  Maître  de  vie  ineffable  demeure  ? 

{Le  Cœur  solitaire.) 


NUIT  D'OMBRE,  NUIT  TRAGIQUE... 

Nuit  d'ombre,  nuit  tragique,  ô  nuit  désespérée  ! 

J'étouffe  dans  la  chambre  où  mon  âme  est  murée, 
Où  je  marche,  depuis  des  heures,  âprement, 
Sans  j)i)uv(iir  assourdir  ni  trt»mper  mon  tourment, 
Et  j'ouvre  au  clair  de  lune  immense  la  fenêtre. 


i56  POÈTES  d'aujourd'hui 

Là-bas,  et  ne  laissant  que  son  faîte  paraître, 
Comme  une  symphonie  où  court  un  dessin  pur 
La  montaçne  voilée  ondule  sur  l'azur, 
Et  lie  à  l'orient  les  étoiles  entre  elles. 

De  légers  souffles  d'air  m'éventent  de  leurs  ailes. 
Une  rumeur  qui  gronde  au  revers  d'un  coteau 
Dénonce  la  présence  invisible  de  l'eau. 
Baissant  pour  mieux  rêver  les  paupières,  j'écoute 
Les  sombres  chiens  de  garde  aboyer  sur  la  route 
Où  résonnent  les  pas  d'un  marcheur  attardé. 

Alors,  sur  le  granit  dur  et  froid  accoudé. 

Douloureux  jusqu'au  vif  de  l'être  et  solitaire, 

Je  maudis  la  nuit  bleue  où  le  ciel  et  la  terre 

Sont  comme  un  jeune  couple  à  se  parler  tout  bas; 

Et  voyant  que  la  vie,  à  qui  n'importe  pas 

Un  cœur  infiniment  désert  de  ce  qu'il  aime, 

S'absorbe  dans  sa  joie  et  s'adore  soi-même. 

Je  résigne  l'orgueil  par  où  je  restais  fort, 

Et  j'appelle  en  pleurant  et  l'amour  et  la  mort. 

«  C'est  donc  toi,  mon  désir,  ma  vierge,  ô  bien-aimée  1 

Faible  comme  une  lampe  à  demi  consumée 

Et  contenant  ton  sein  gonflé  de  volupté, 

Tu  viens  enfin  remplir  ta  place  à  mon  côté. 

Tu  laisses  défaillir  ton  front  sur  mon  épaule, 

Tu  cèdes  sous  ma  main  comme  un  rameau  de  saule, 

Ton  silence  m'enivre  et  tes  yeux  sont  si  beaux, 

Si  tendres,  que  mon  cœur  se  répand  en  sanglots. 

Toi  vers  qui  je  criais  du  fond  de  ma  détresse. 

Sœur,  fiancée,  amie,  ange,  épouse,  maîtresse, 

C'est  toi-même,  c'est  toi  qui  songes  dans  mes  bras  1 

Te  voici  pour  toujours  mienne,  tu  dormiras 

Mêlée  à  moi,  fondue  en  moi,  pensive,  heureuse, 

Et  prodigue  sans  fin  de  ton  àme  amoureuse  I 

O  Dieu  juste,  soyez  béni  par  cet  enfant 

Qui  voit  et  contre  lui  tient  son  rêve  vivant  ! 

Mais  toi,  parle,  ou  plutôt,  sois  muette,  demeure 


CHARLES   GUERIN  I  5? 


JuM|u'à  ce  qu'infidèle  au  ciel  plus  pâle,  meure 
Au  levant  la  dernière  étoile  de  la  nuit. 

Déjà  l'eau  du  matin  pèse  à  IherlK;  qui  luit, 

Et  niodrianl  d'un  doiî^t  mai^ique  toutes  choses, 

L'aul)e  vide  en  riant  son  tablier  de  roses. 

L'enclume  sonne  au  loin  l'ans^elus  du  travail. 

lOcoiite  passer,  cloche  à  cloche,  le  Ix'tail 

l'A  raufjuemenJ  muçir  la  trompe  qui  le  guide  ! 

La  vallée  a  des  tons  démeraude  liquide, 

Ll,  dans  le  bourg  «jui  brille  au  milieu  des  prés  verts. 

Les  fenêtres  qu'on  ouvre  échangent  des  éclairs. 

La  fraîcheur  de  la  vie  entre   par  la  croisée; 

Je  laspire,  j'en  bois  sur  tes  cils  la  rosée, 

Kt  mêlée  à  la  trrAce  hejiretise  du  dé'cor, 

Mon  inmiorlclle  amour,  tu  ni'es  plus  chère  encor. 

Nous  tremblons,  enivrés  du  vin  de  notre  joie. 

Et,  dans  le  long  délice  où  notre  chair  se  noie. 

Songeant  que,  pour  bénir  nos  noces,  le  Destin 

A  revêtu  la  chape  ardente  du  matin 

Et  qu'il  emprunte  au  ciel  son  ostensoir  de  flanimes. 

Et  voici  qu'unissant  leurs  rêves,  nos  deux  âmes, 

A  travers  la  rumeur  grandissante  du  jour, 

Fleurent  dans  l'infini  silence  de  l'amour.  » 

L  amour  ?..  Lève  les  yeux,  mon  pauvre  enfant,  regarde  ! 

Le  val  est  toujours  bleu  de  lune,  le  jour  tarde, 

La  rivière  murmure  au  loin  avec  le  vent. 

Et  te  voilii  plus  seul  encor  qu'auparavant. 

La  bieri-aimée  au  front  pensif  n'est  pas  venue. 

Le  sein  que  tu  pressais  n  est  qu'une  pierre  nue, 

1^1  voix  qui  ravissait  tes  sens  n'est  que  l'écho 

Du  bruit  des  peupliers  tremblants  au  bord  de  l'eau  ; 

Hélas  !  la  volupté  de  celle  heure  attendrie 

Fut  le  jeu  d'un  désir  expert  en  trom{)erie. 

Va,  ferme  la  croisée,  et  quitte  ton  espoir. 
Mesure  en  t'y  penchant  ton  morne  foyer  noir  : 
N'est-ce  pas  toi  cet  Atre  éteint  où  deux  (".himèrcs 
Brillent  d  un  vain  éclat  sur  les  cendres  amères  t 


i58  POÈTES  d'aujourd'hui 

Et,  puisque  tout  est  faux,  puisque  même  ton  art 
Aux  rides  de  ton  cœur  s'écaille  comme  un  fard, 
Cherche  contre  l'assaut  de  ta  peine  insensée 
L'asile  sûr  où  l'homme  échappe  à  sa  pensée  : 
Ouvre  ton  lit  désert  comme  un  sépulcre,  et  dors 
Du  sommeil  des  vaincus  et  du  sommeil  des  morts. 

(Le  Semeur  de  Cendres.) 


MAITRESSE,  TENDRE  ET  NOBI.E  AMIE... 

Maîtresse,  tendre  et  noble  amie  au  pur  visage 
Qu'un  SLvère  destin  me  ravit  sans  retour, 
Si  quelque  triste  et  doux  hasard  t'apporte  un  jour 
Ce  livre  d'un  enfant  prématurément  sage 
Où  je  pleure  le  temps,  hélas  !  de  notre  amour, 
Où,  fidèle  et  pieux  souci,  dans  chaque  page 
J'évoque  à  mes  yeux  seuls  ton  invisible  image, 
L'ayant  lu,  ferme-le  pour  toujours.  Dis-toi  bien 
Que  tu  ne  viendras  plus,  confiante  et  paisible, 
Bercer  pour  l'endormir  ton  cœur  contre  le  mien 
Ni,  comme  un  lierre  noue  et  serre  son  lien, 
M'étreindre  de  ton  corps  frémissant  et  flexible, 
Ni  dans  une  langueur  de  rose  qui  se  rompt 
Sourire,  suspendue  à  ma  bouche  et  lassée, 
Ni  longuement  poser  tes  lèvres  sur  mon  front 
Pour  y  souffler  ton  âme  et  boire  ma  pensée. 

Recueille-toi,  regarde  en  arrière,  revois 
Les  jours  évanouis  comme  une  troupe  ailée; 
Revois  le  lac  au  pied  des  monts,  les  prés,  les  bois, 
Et  ma  vie  à  ta  vie  étroitement  mêlée; 
Notre  chambre  d'amour  sur  la  mer  et  les  soirs 
Où  la  fenêtre  ouverte  au  milieu  des  murs  noirs 
Découpait  dans  l'azur  une  baie  étoilée. 
Embrasse  d'un  coup  d'œil  d'adieu  notre  bonheur, 
Tout  ce  passé  d'hier  qu'il  nous  fut  doux  de  vivre  ; 
Et  puis,  dans  ton  nouveau  foyer,  brûle  mon  livre, 
Et  m'écartant,  malgré  toi-même,  de  ton  cœur, 


CRAixT.F.s  r.u^nm  i59 

Rejetant  le  linceul  sur  la  volupté  morte, 
Détourne  ton  espoir  de  la  (erre  :  Sois  forte. 

Va,  le  destin  te  marque  un  austère  devoir; 
N'y  manque  pas  :  Voici  la  roule.  Je  demeure 
Seul  au  sonmiel  désert  du  coteau  jusqu'au  soir, 
Attendant  que  ta  forme  au  loin  dans  l'ombre  meure. 
Va,  tu  seras  heureuse  et  fière,  tu  vivras 
Gravement  dans  la  paix  de  ton  Ame  affermie. 
Kl  maintenant,  loi  qui  dormais  entre   mes  bras, 
(Jue  la  tjrûce  de  Dieu  te  garde,  mon  amie  ! 

{Le  Semeur  de  Cendres.) 

ON  TROUVE  DANS    MES  ANCIENS  VERS... 

On  trouve  dans  mes  anciens  vers 
Une  veine  de  poésie. 
Tout  ins^énue  avec  des  airs 
De  ruisseau  bleu  qui  balbutie. 

Je  lui  laissais  hors  de  mon  cœur 
Suivre  sa  pente  naturelle  ; 
Elle  n'avait  (jue  sa  fraîcheur 
Et  sa  uégli{^euce  pour  elle. 

J'étais  libre  alors  du  souci 
D'alleindre  à  la  forme  parfaite  : 
Pourquoi  ne  suis-je  pas  ainsi 
Resté  naïvement  poète  ? 

{L'Honxme  intérieur.) 

AH  f  CE  BRUIT  AFFREUX  DE  LA  VIE... 

Ah  1  ce  bruit  affreux  de  la  vie  ! 
Et  que  dormir  serait  meilleur 
Dans  la  terre  où  le  caillou  crie 
Sous  la  bêche  du  fossoyeur  I 

Le  soleil  a  ifnite  ma  haine  ; 


i6o  POÈTES  d'aujourd'hui 

Je.  suis  rassasié  de  voir 
Sa  lumière  quotidienne 
Se  rire  de  mon  désespoir. 

Ah!  pouvoir  donc  enfin  m'étcndre 
Dans  le  seul  lit  où  l'on  soit  seul, 
Et  dans  l'ombre  attentive  entendre 
Les  vers  découdre  mon  linceul  ! 

Et,  quand  en  moi  l'être  qui  pense 
Sera  dissous  lui-même,  alors, 
Au  cœur  de  l'éternel  silence 
N'être  qu'un  mort  entre  les  morts  1 

{L'Homme  intérieur.) 


L'AMBRE,  LE  SEIGLE  MUR... 

L'ambre,  le  seigle  mûr,  le  miel  plein  de  lumière 
Dont  le  gâteau  ressemble  aux  grottes  de  Fingal, 
Comparés  aux  cheveux  dont  mon  amie  est  fière 
N'offrent  pas  un  éclat  égal. 

Que  mon  amie  heureuse  auprès  de  moi  s'endorme, 
Je  ne  puis  me  lasser  de  voir  dans  son  sommeil 
Ses  cheveux  répandus  faire  à  sa  blanche  forme 
Un  large  berceau  de  soleil. 

Quand  au  creux  de  son  bras  plié  devant  sa  joue, 
Elle  a  patiemment  peigné  leur  écheveau, 
Elle  renverse  un  peu  la  tète  et  les  secoue 
Gomme  des  torches  sur  sa  peau. 

Son  buste  nu  frissonne  en  sentant  leur  caresse  : 
Elle  est  à  son  miroir,  debout;  ils  sont  si  longs 
Que  leur  dernière  boucle  expire  avec  mollesse 
Sur  les  roses  de  ses  talons. 

(L' Homme  intérieur.) 


CHAnU^S    GUÉRIN  l6l 


BIEN  QUE  MORT  A  L\  FOI.. 

Bien  que  mort  k  la  foi  qui  m'assurail  de  Dieu, 
Jr  n'yrrtlp  toujours  la  voliipl»*  d«'  croire, 
Va  Cl'  (lissciitiiin'ut  (iciale  en  plus  d'un   lieu 
Dans  mon  livre  conlradicloire. 

Ayant  pour  mon  malheur  le  choix  de  deux  chemins 
.Ma  vie  entre  chacun  piétine,  halancéc; 
J'h«'sitc  à  prendre  un  hut,  quel  «pi'il  soit,  tant  je  crains 
!)♦•  me  dccouvrir  ma  pensée. 

.Mais,  dussé-je  partir  sans  savoir  où  j'irai, 
Il  faut  (pie  jr  m'cnfoncf  enfin  dans  une  route  : 
Je  suis  las  de  souffrir  tièlre  ainsi  déchiré 
l'ar  l«*s  violences  du  Doute. 

S'il  ni'arrive  d'errer  j)oiir  un  temps  hors  des  murs 
De  la  communauté  calholitpie  et  romaine. 
Je  n*emp«*clierai  pas  qu'au  sein  des  doiçmes  sûrs 
Cn  heureux  détour  nie  ramène  ; 

Car,  héritier  d'un  sanj^  «léjà  vieux  de  chrétiens. 
C'est  encor  lui  <jui  parle  en  moi  lors«jue  je  pense, 
Et  l'amour  qui  m'unit  sur  celte  terre  aux  miens 
.Me  fait  aimer  leur  esjK'rance. 

La  douleur  qui  m'incline  à  de  mauvais  sentiers 
N'usera  pas  l'instinct  profond  de  tout  mon  <}tre  : 
Je  veux,  quand  le  moment  viendra,  mourir  aux  pieds 
l)u  crucifix  qui  m'a  vu  naître. 

{L'Homme  inlérieur.) 


A.-FERDINAND  HEROLD 

1865 


M.  André-Ferdinand  Herold,  qui  est  le  petit-fils  da  célèbre  musi- 
cien de  Zampa  et  du  Fré-aux-Clercs,  et  le  fils  de  l'ancien  préfet  de 
la  Seine,  est  né  à  Paris  le  24  février  i8G5.  Elève  de  l'école  des  Hau- 
tes Etudes,  il  a  toujours  cultivé  avec  une  égale  passion  la  science 
des  manuscrits,  les  langues  orientales  et  la  littérature  tant  livres 
que  dramatique.  Ces  goûts  réunis  et  exercés  parallèlement  font 
de  lui  tout  à  la  fois  un  érudit,  un  savant  et  un  porte.  M.  A. -Ferdi- 
nand Herold  débuta  par  L'Exil  de  Ilarini,  un  drame  inspiré  du 
sanscrit.  Il  donna  ensuite,  tout  en  poursuivant  ses  travaux  savants, 
plusieurs  recueils  de  poèmes  :  La  Légende  de  Sainte  Liherata,  Les 
Pœans  et  les  Thrènes,  Chevaleries  sentimentales.  Le  Victorieux^ 
Intermède  pastoral.  Au  hasard  des  Chemins,  etc.,  où  il  s'est  mon- 
tré l'évocateur  adroit  et  délicat  dont  M.  Remyde  Gourmonta  écrit: 
et  C'est  un  poète  de  douceur  ;  sa  poésie  est  blonde,  avec,  dans  ses 
«  blonds  cheve**":  de  vierge,  des  perles,  et,  au  cou  et  aux  doigts, 
«  des  colliers  et  des  bagues,  élégantes  et  fines  gemmes...  Liseur  de 
«  livres  oubliés  il  trouve  là  de  précieuses  légendes  qu'il  transpose 
«  en  courts  poèmes,  souvent  de  la  longueur  d'un  sonnet...  M.  Herold 
«  est  l'un  des  plus  objectifs  parmi  les  poètes  nouveaux  :  il  ne  se  ra- 
«  conte  guère  lui-même;  il  lui  faut  des  thèmes  étrangers  à  sa  vie, et 
«il  en  choisit  même  qui  semblent  étrangers  à  ses  croyances... 
c  M.  Herold  s'est  créé  pour  son  plaisir  et  pour  le  nôtre  une  poésie 
«  de  grâce  et  de  pureté,  de  tendresse  et  de  douceur.»  [Le  Livre  des 
Masques.) 

Comme  conteur  et  romancier,  M.  A. -Ferdinand  Herold  a  pu- 
blié Les  Contes  du  Vampire  et  L'Abbar/e  de  Sainte-Aphrodise,  et 
comme  auteur  dramatique  fait  représenter  sur  ditférenles  scènes  de 
nombreuses  œuvres,  productions  originales  ou  traductions,  dont  on 
trouvera  ci-après  lénumération  complète. 

M.  A. -Ferdinand  Herold,  qui  a  fait  à  l'Ecole  des  Hautes-Etudes 
sociales,  pendant  l'exercice  1906-1907,  un  cours  sur  l'/Iisloire  delà 
Poésie  symboliste,  avec    récitations   de    poèmes,  a  collaboré   à   de 


A,-fEfiOmAHD    UXROLD  lG3 


nombreiiiei  reruef .  Voici  les  titres  de%  principalcf  :  Lês  Chroni- 
gaei  (1888),  La  Grande  Fiei'Uf.  de    Parti  et   de  Sain!  "  "  / 

(i8>^8-i889)  Lft  Entretiens  //'liti'/urs  et  littéraires  (1  ,1 

Wallonie  jiSSQ-iHya),  Le  Hevetl  <Gind,  iSij.V  etc.).  Le  Loq  Houge 
(BruxcIlM,  i8(»S-i897),  La  Revue  de  Pari»  (i8<j5),  Le  Livre  d'Art 
(iRfj.'v,  La  Société  Nouvelle  (Bruxelles,  1806).  Le  Centaure  (  1  ><  /  . 
L'Ermitage,   Mercure  de    France  oii,    i    "  -ni  d'âri 

contes  et  pot-meH.  lia  rc(li;îtMlc  iK'jGn  i<,'  <-  dramni 

—  La  Itevtie  Blanche,  Hcvue  d'Art  dramatique  (itifjf).,  /,*  Mouve- 
ment socialiste  (i8«)f»),  La  Vogue  (nouvelle  stne,  1900),  La  Plume, 
L'Europérn,  dont  il  a  t'ié  n'dacteur  en  chef  de  1901  à  k»o3,  el 
l'un  des  directeurs  de  190/1  à  190O.  On  trouva  •■L'iI»Tr.enl  de  ses 
poèmes  dans  L'Alnianach  des  Pactes  ;Soc.  du  Mercure  de  France, 
1896.   1897,  J89S). 

Bibliographie  : 

I,«»  r»i  VI. E«.  —  I.Txil  de  Ilnrlnl.  I1o^me  tlramaliqu*  «i  pro«*  et  en  t*t». 
Psri»,  |).iloti.  HHS.  in  «  —  I^'i  l.«'-qrnil«*  «If»  >.nJnl^  I-lliemla.  p<W>m««. 
Parit,  (>liam<rot,  '    -  lliinipr.  :  /.<i  l.ibtrata,  myt- 

lère.  S*  M.  roiTu  -    M.  du    V.'-rr  ■    ,     iu-ig,  pt  dans 

le    rorueil    :    lmayt$  ten<lft»  rt   rm  lan^.     Sx-,    ilu  Morrurr  d« 

Franrr.  18^7,  in-18.)  —     I.oii  l*(P.iii  l'Iirènes.  |  o«mc«.  l'An*,  1^- 

mirrr.  l^'Oi  inl8.  —  I^  Joie  (ii*  .Ma(|u<'loniie,  ini-ti-io  l'an».  I.ibr.  d« 
l'Art  lii.l  pciiil.int,  1891,  iii-lG  (Itrimpr  il*jn  |o  rfrunl  :  Imaijtê  ttndrr»  et 
merveillfUM'M  i'ari»,  Sor.  de  Mercure  de  i-'ran>'r,  1897.  in-  8).  —  Cheva- 
leries senllni«'i>l.il<««  pocmc*.  Frontupice  de  OJilon  Itedon.  l'aria, 
Libr.  de    I  Art    li  .     1893,    in- 10.    —    L'Upnnltihad    du    Grand 

Arnnynkn     inl..  i  ah«.    Libr.   de   l'Art   liidA|.oii.Uiit.    189*.    in  ' 

Florlaiio   el  P»*rsliinnl,  pointe  dramali<|ue.  Paria,  Libr.  de  l'Art  Io<! 
daul,  1894,  iiitO  I  lt<iii)|.itnit^  liant  l«  rerueil  :  Imaiita  tenHn-i  ri  » 
te».   Paria,  Soc.    du  iL-mirp    de  France.    1897,    in-18  .   —   Le    Vi 
po^nic  din:ii.»li'|uc,in-lfl.  l'aris.I.ibr.  del'Art  Ind' 

le  rerui  il  :  l'iiaifft  tendres  et  tnerveiliruirs,  f[  1 

de  l»  \alsK;in»'o,  do  In  Vie  cl    île   la    \lorl    M»»   la    llhMilnuri  use 
Vlergt*  M.irlc.   l'an»,  Mil.  du  Mernirr  di«  Fr.»n.-i'     t*-''!    pr    m-l      -   I. An- 
neau Ht*  <,'^-ikiinlal.i.  eoniMir   ' 
Bur  1.»  n*'  iK"  lin  «  I  (KiiTr««  »,  lip 

Fraïuo.    I>»'.>r.,  in-16.  i\  •■  .ittiu  tit  '  ti  <.,,... ',1.^.  «ic  .  mu.       i 

de  I'.  il«*  r.riWille.   l'ai  -     \n  *    —  |*.i|»hn<ititi«    -- 

de  Hrot'<vitlia  (tratiuci  dr*  l'a 

1807\  r.iriH.  .<o<-.  du   '.  —  Intel  ' 

ral.   0..1II1.  ;,.  r.uis.   ..i       ,  ,     -  Les  Prrafs.  in..- 

die  il  I  -livlf     lr.l.lil.ll..ll   I.  i  ;  .!-•    \.1M.  :    I...      X-  » 

acèur  «!<•  rOd«on,  b  nnvomtire  Isvot.  J   .  i  , 

tendres  et  merveilleuses  [La  J'  ... 

Floriane  et    Pertigant,    La    Ltyrniir  Ji    Sainte-LittrrQtu.   Lt    \  . 

Pan»,  Soc.  du  Mercure  de  France,    lh07.    iu-18.  —  La  Cloche  euu"-"'"* 

conte  dramatique  d«  G.    llauptinsnn  (traduction  rtprés«st4«  sur  la   acèoe  de 


,  g/^  POÈTES    D  àUJûUHD  HUI 


«  rCEuvre  »,  5  mars  1897).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1897,  in-18.  — 
Sâvitrl,  comédie  litTOïque  (représenlée  sur  la  scène  des  Escboliers,  13  avril 
1899)  l'aris,  Sor.  du  Mercure  de  France,  1899,  in-18.  —  Au  hasard  des 
Cliemins,  pot-sics.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1900.  in-18.  —  L'ne 
Jeune  k'inme  bien  flar<lée,  comédie  eu  un  acle  (représentée  sur  la  scène 
du  «  Grand  Guii-'nol  »  le  28  mai  1900).  l'aris,  Soc.  du  Mercure  de  Frauce,  19Ù0, 

ip.jg    Proinéthée,  lraj:édie  lyrique  en  trois  actes,  en  vers  (en  collahora- 

lion  avec  Jean  Lorrain),  musique  de  M.  Gabriel  Fauré,  représentée  pour  la  pre 
mière  fois  à  Béziers,  sur  le  Théâtre  des  Arènes,  le  27  août  1900.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  19u0,  iu-18.  — Le«  Contes  du  Vampire.  F'ari':.  So^  du 
Mercure  de  France,  1902,  in-18.  —  L'Abbaye  de  Sainte-Aphrodl<ie, 
roman.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1904,  petit  in-18.  —  Le  Cor 
fleuri,  féerie  Ivrique  en  un  acte  [poème  d'Ephraim  Mikhael  et  A. -Ferdinand 
Herold],  musique  de  Fernand  Halphen,  représentée  sur  la  scène  du  Théâtre 
de  rOpéra-Comiquc,  le  10  mai  1904.  Paris,  Soc.  nouv.  d'éd.  music.  [Dupont], 
1904,  in-18.  —  Le»  Hérétiques,  opéra  en  trois  actes,  musique  de  Charles 
Levadé,  représenté  pour  la  première  fois  à  Béziers,  sur  le  théâtre  des  Arènes, 
le  27  août  1905.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1905,  in-18.  —  Electre, 
tragédie  en  trois  épisodes,  un  prologue  et  un  épilogue,  trad.  d'Euripide  et  re- 
présentée pour  la  prem.  fois  sur  le  Théâtre  nat.  de  l'Odéon  le  13  février  1908. 
Paris.  Stock,  1908,  in-18. 

On  trouve  en  outre  des  poèmes  de  M.  A. -F.  Herold  dans  l'Almanach  de 
poètes,  années  1896,  1897  et  1898).  Paris,  édit.  du  Mercure  de  France,  1895, 
1896  et  1898,  3  vol.  in-16),  etc. 

PûtJiRS  MIS  EN  MUSIQUE.  —  Des  poèmes  de  M.  A. -F.  Herold  ont  été  mis  en 
musique  par  MM.  Bcrlhclin,  Joseph   Carrel,  Crèvecœur  (de).  M"'  Getty,  etc. 

A  CONSULTER.  —  Hemy  de  Gourmont  :  Ze  Livre  des  Masques.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  in  18;  A.-F.  Herold,  notice  dans  les  Por- 
traits du  prochain  Siècle.  Paris,  Girard,  1894,  in-18.  —  Georfles  Le  Car- 
dODuel  et  Ch.  Vellay  :  La  Littérature  contemporaine,  1905.  Opinions 
des  écrivains  de  ce  temps.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France.  1906,  in-18. 

Aie.  Bonneaii  :  Article  bibliographi(|ue.  Revue  Encyclopédique.  15  octo- 
bre 1891.  —  Kmile  Oespax  :  A. -Ferdinand  Heruld.  Clironii|ue  des  Livres, 
janvier  1901.  —  Pierre  Louy»  :  Le  Victorieux,  Mercure  de  France,  juin  189j. 

—  Stuart  Merrill  :  Chroniques.  Ermitage,  août  1893.  —  Pierre  Qull- 
lard  :  Chevaleries  sentimentales .  Mercure  de  France,  mai  1893.  —  Henri 
de  Régnier  :  A.-F.  Herold.  Mercure  de  France,  mars  1894. 

Iconographie  : 

Richard    Miller  :  Portrait,   peinture  à  l'huile,  1906  (appart.  au  poète). 

—  l»aul  llanson  :  Portrait  au  crayon,  1893  (appart.  à  M. -A. -F.  Herold). — 
F.  Vallotton  :  Masque,  dans  Le  Livre  des  Masques,  de  K.  de  Gourmont. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  ip-18 


VOICI  LA  DANSE  DES  FEUILLES... 

Voici  la  danse  des  feuilles  dans  les  allées  , 
Elle  emporte  l'espoir  fleuri  des  mais  Douveaux 


A.-FLHr.is  *vn    UCAOLO  iC/ 


Et  des  rythmes  de  mort  descendent  les  vallées. 

Le  vent  nutomn.il  balance  les  (grands  pavots 

gui  penchent  tn\lrnicnt  ^o^^^uri|  de  leurs  corolles  ; 

I/hivrr  attelle  ses  mystérieux  chevaux, 

Jinp.'issihirs  ri  froids  ainsi  (jiie  drs  idoN-s, 
Le  poilniil  hérissé  de  neit^e  rt  de  irLir^ns, 
Ils  passeront  avec  de  blanches  aurcoirs. 

Ils  entraînent,  loin  de  la  joie  et  des  chansons, 
Vers  les  palais  où  pleurent  les  anciennes  içloircs 
Parmi  le  souvenir  drs  défuntes  moissons. 

Ils  entraînent,  vers  1rs  içrottes  mornes  et  noires. 

Où  s'alariifuisscnt  1rs  rosrs  et  les  lilas 

Fleurs  maii(rrs  d(.nt  lennui  «lérolore  les  moires. 

Monotone,  Ir  vrnt  sonne  toujours  le  ulas 
Des  matins  lumineux  et  drs  nuits  étoilées, 
El  fait  tournoyer,  8ans  jamais  eu  tUre  las, 

La  danse  des  feuilles  mortes  dans  les  allées. 

(Chevaleries  tentimentaU».) 

MAKOZIE 

Sur  la  terrasse  ombreuse  où  sa  chair  extasie 
El  queniçuirlai.dent  les  viiçnes  aux  blonds  raisins. 
Parmi  les  cardinaux  et  1rs  ducs,  ses  cousins, 
Sièiçe,  demi-nue  et  rieuse,  Marozie. 

Drvaut  son  t^^ne  danse  une  trou|Hî  choisie 
Drs  esclaves  tillrs  drs  .niirs  varra/ins. 
Et  drs  portes  lui  murmurent  des  dizains 
Dont  le  rythme  bcrceur  charme  sa  fantaisie. 

Lnilr  rude,  jamais  aucun  oiseau  de  soir 

N«'  frôlr  son  fnuit  juvrnile  d'un  vol  noip, 

El  jamais  le  nu-pris  d'un  amant  ne  l'cutièvre. 


i66  POÈTES  d'aujourd'hui 


Le  Pape  viderait  pour  elle  des  trésors, 

Et  clercs  et  rois  mourraient,  des  chansons  à  la  lèvre, 

Pour  un  regard  ami  de  ses  yeux  semés  d'ors. 

{Chevaleries  sentimentales. 


SUR  LA  TERRE  IL  TOMBE.. 

Sur  la  terre  il  tombe  de  la  neige, 
Sur  la  terre  il  tombe  de  l'ombre. 

Où  sont  allées  les  feuilles  sèches  ? 

ISIême  les  feuilles  sèches  sont  mortes, 

Et  maintenant  de  la  neige  et  de  l'ombre  tombent. 

On  dirait  de  mauvais  anges  qui  heurtent 

Les  marteaux  rouilles  contre  les  portes. 

Des  anges  qui  nous  tuent  de  souffrances  très  lentes. 

Et,  à  l'horizon,  les  tristes  nues,  traînantes... 

Les  maisons  sont  closes  comme  des  tombes  sombres, 
Et,  partout,  c'est  de  la  neige  et  de  l'ombre  qui  tombent. 

(Chevaleries  sentimentales.) 

BERTILLA 

Aux  marges  neuves  d'un  bel  évangéliaire, 
L'Abbesse  peint  des  colombes  et  des  griffons  ; 
Elle  peint  des  rameaux  d'olivier  et  de  lierre 
Ou  des  anges  volants  parmi  des  ciels  profonds. 

Là,  Jésus  dort  en  un  berceau  de  paille  fraîche, 
Et  voici  les  trois  Rois  Mages  et  les  Bergers 
Que  l'Etoile  guida  vers  la  divine  crèche 
Avec  les  vases  d'or  et  les  fruits  des  vergers. 

La  sai^e  Abbesse  peint  de  douces  rêveries. 

Le  Précurseur,  grave  et  maigre,  et  vêtu  de  peau> 


A.-rEl|i>INAND    ULnOLD  I  G7 

Va  le  Seigneur  qui  dans  les  mystiques  prairie» 
Veille  sur  les  brebis  de  sod  chaste  troupeau. 

Va  la  tête  de  Christ  saiiruant  au  mur  se  baisse 
Pour  mieux  voir  et  sourit  à  la  savante  Abbesse. 

{Cherali'i  i'^s  ienlimen laies.) 

LE  VAL  HARMONIEUX 

C'est  un  val  odorant  de  lauriers,  où  la  lune 
Fait  traîner  et  mourir  sa  caresse  d'argent, 
Tandis  .ju'au  ciel,  çai  d'un  crépuscule  chan'4(\nnt, 
Les  sidérales  fleurs  s'entrouvrent  une  à  une. 

Là  sourd  et  s'at^randit,  parmi  l'herbe  opporlime, 
l'nc  fontaine  dont  la  Naïaile,  na^'^ant, 
Ilit  et,  charmeuse,  endort  d'un  murnuire  indulj^ent 
La  Satyresse  blonde  et  la  Dryade  brune. 

I^t  voici  que,  joyeux  du  beau  soir,  un  beriçep 
Dont  la  fltlte  soiqtire  un  air  frêle  et  léîçer 
A  quitté  le  penchant  parfumé  des  collines, 

Auprès  de  l'onde,  il  a  frémi  d'un  doux  frisson 
Lt,  les  yeux  éblouis  des  dormeuses  divines 
Il  s'arrête,  oublieux  de  finir  sa  chanson. 

[Intermède  pastoral.) 

m 

LE  FF\01D 

Nulle  flûte,  et  njènie  (pii  sanirlote,  n  cvt  ille 
L'clIki  dans  le  jardin,  le  bois  ou  le  veri^er  ; 
Et  l'hiver,  dur  au  Satyre  comme  au  berger, 
A  séché  la  prairie  et  défeuillé  la  treille. 

Le  froid,  noir  meurtrier  de  l'aurore  vermeille, 
Le  froid  qui  vente  et  crie  est  venu  saccair«'r 
Les  fleurs,  les  blondes  fleurs  à  l'arôme  h'i^er 
Dont  Koré  la  joyeuse  emplissait  sa  corbeille. 


I 


l68  POÈTES   d'aujourd'hui 

Par  les  chemins  personne,  et,  seul  au  carrefour, 
Un  Hermès  pluvieux  qui  pleure  nuit  et  jour. 
Semble  grelotter  dans  le  marbre  de  sa  gaine. 

Et,  soupir  où  meurent  les  chansons  et  les  voix, 
Un  long  gémissement  s'alanguit  et  se  traîne 
Du  jardin  au  verger  et  du  verger  au  bois. 

(Intermède  pastoral.) 

LA  FLUTE  AMÈRE  DE  L'AUTOMNE... 

La  flûte  amère  de  l'automne 
Pleure  dans  le  soir  anxieux. 
Et  les  arbres  mouillés  frissonnent 
Tandis  que  sanglotent  les  cieux. 

Les  fleurs  meurent  d'une  mort  lente. 
Les  oiseaux  ont  fui  vers  des  prés 
Où  peut-être  un  autre  avril  chante 
Son  hymne  joyeux  et  pourpré. 

Et  vous  passez,  triste  et  frileuse, 
0  mon  âme,  par  les  allées. 
Vous  cherchez,  pâle  voyageuse, 
Les  chansons,  hélas  !  envolées. 

Ah,  les  chansons  qui  nous  charmaient 
Ne  reviendront  pas  dans  l'automne. 
Verrai-je  rire  désormais 
Vos  yeux  que  les  larmes  étonnent? 

(Au  Hasard  des  chemins.) 

TRIPTYQUE 
I 

LA    CATHÉDRALE 

Sur  le  rocher  hautain  la  cathédrale  dort 
Elle  dort  lourdement,  bcte  surnaturelle, 


A. -FERDINAND    HEHOLD  2  69 


Elle  veilla  prndant  des  siècles,  et  conlre  elle 
Des  troupes  de  héros  brisèrent  leur  eflort. 

Silence.  L'air  lucide  est  chaud.  Le  vent  du  nord 
Se  tait.  Seul,  parfois,  vibre  un  vol  de  saulcrelle. 
L'église  dort.  Pas  un  souffle  qui  la  querelle. 
Est-ce  encore  la  vie  ?  est-ce  déjà  la  mort  ? 

Et  voici  que  dans  la  lumière  un  frisson  passe  : 
Une  voi.\  monte,  lente,  et  sombre,  et  comme  lasse  , 
Un  long  bourdonnement  sourd  à  travers  le  mur. 

Et.  par  les  fentes  qui  lézardent  l'or  des  pierres, 
S'écliaj)pent  vers  le  ciel  d'un  impassible  azur 
Les  murmures  de  l'orgue  et  des  vaines  prières. 


II 


USINE 

Au  pied  de  la  montaijne  blanche  et  qui  reluit 
S'alii;^n<M)t  de  longs  murs  sans  lumière  et  sans  joie  : 
On  dirait  qu'une  mort  âpre  et  lente  tournoie 
Sur  les  bâtiments  pleins  de  travail  et  de  bruit. 

Là,  dans  le  jour  dolent,  dans  l'inquiète  nuit, 
Fauves  aveiiirlcs  qu'on  écarte  de  la  proie, 
Liuiis  ahàlardis  qu'on  traîne  à  la  courroie, 
Peinent  les  douloureux  que  l'espérance  fuit. 

Hommes,  courbez-vous  sur  la  tâche  opiniâtre. 
Arrachez  du  vieux  mont  le  calcaire  et  le  plâtre, 
Sortez  la  chaux  des  fours,  ensachez  le  ciment  1 

Et,  sur  l'usine  furibonde  et  meurtrière, 

Il  semble  (jue  parfois  un  sourd  î^émissement 

Se  mêle  aux  tourbillons  de  flamme  et  de  poussière. 

11 


jmQ  POÈTES    d'aujourd'hui 


III 

LA    VILLE 

Tout  fait  silence  dans  la  ville  épiscopale. 
Les  cloches  d'autrefois  se  taisent  aux  clochers  ; 
Des  prêtres,  confesseurs  d'ennuis  et  de  péchés, 
Passent,  furtifs,  et  comme  ayant  peur  du  scandale. 

Les  pieds  meurtris  du  cuir  rugueux  de  la  sandale, 
Rigides  sous  la  bure  où  les  corps  sont  cachés, 
Des  orantes,  les  mains  et  le  front  desséchés 
S'agenouillent  dans  les  chapelles,  sur  la  dalle. 

Une  cloche  a  tinté  là-bas,  dans  un  faubourg. 
Une  autre  lui  répond.  Le  bruit  s'éveille  et  court 
De  clocher  en  clocher  parmi  toute  la  ville. 

Et  l'austère  ferveur  des  cantiques  pieux 
Monte,  morne  soupir,  vers  le  ciel  immobile. 
Cimetière  éternel  où  reposent  les  Dieux. 

{Au  Hasard  des  chemins. 


GÉRARD  D'HOUVILLE 


M°>«  Marie  de  ïleredia.  fille  puînée  de  l'auteur  des  Trophées,  qui 
a  tpouse  en  i8.,G  le  poète  Henri  de  IVirnier,  et  qui  siçne,  en  liti,>ra- 
rafur.»  (ùrard  d'Houville,  est  n.'e  à  Paris,  avenue  de  Bretcnil.  Elle 
eslphilôlconnuc  du  public  comme  romancier  [L'Incnnstanlf,  Esclave 
et  Le  Temps  d'aimer)  et  par  les  articles  qu'elle  publie  r.-£;ulicrement 
dans  Le  Gaulois,  et  les  vers  qu'on  va  lire,  en  attendant  que  soit  paru 
le  recueil  de  poèmes  qu'elle  prépare,  seront  une  rév.'lation  pour  bien 
des  lecteurs.  Ces  poèmes  ont  paru  dans  la  Reime  des  Deux-Mondes 
(i"  fevr.  1894;  i5  févr.,  i5  juin  i8cj5;  i5  d,'c.  1896;  i«'  févr. 
18,39;  ly  ài-c.  1900;  i5janv.  1902;  i5  janv.  1903  ;  i"janv.  1900; 
10  mai  1907).  dans  La  Renaissance  latine,  dans  un  numéro  de  Noël 
du  lYew-Yorlc  Herald,  sans  autre  sitrnature,  souvent,  que  trois  X 
mystérieux.  M"*  G-rard  d'Houville  montre  au  plus  haut  de-ré. 
dans  ses  livres,  ce  talent,  si  rare  ch«z  les  femmes  de  lettres,  dé 
rester  une  femme  en  écrivant.  C'est  à  elle  que  M.  .Maurice  Barres 
s'adressait  dans  son  discours  de  réception  à  l'Académie  française 
(17  janvier  1907)  quand  il  terminait  en  ces  termes  :  «  José-Mana  de 

•  Heredia  nous  laisse  un  chef-d'œuvre  immortel, et  toute  une  famille 

•  d'artistes,  où,  sous  les  traits  d'une  jeune  vivante,  chacun  croil  voir 
«  la  Poésie.  « 


I 


I    Bibliographie 


l'Inconstante,  roman.  Paris,  CalmanQ-Léry,  1903,  in-lS.  —  Escluve 
roman.  Pans,  C^almann-Uvy,  1905,  in-18.  -  Le  Temps  d'aJmer,  roman.' 
Pans,  Caimann-Lévy,  1908,  in-18. 

Kn  i-hÉPAKATiox.  —  Un  recueil  de  potlrnc» 

A  coNscLTER.  -    LéoD  Blum  :  £*»   lisaïu.    rrpexioiis   criii'iurs.    Paris 
Soc.  d  éditions  littéraires  et  artistiques.  1906,  in-18.  —  George»  Caiellà 
et   Ernest  Gaubert  :  La   Xnuvelle  littérature  1N0-..1905.    l'ans,   .<ansol 
1906,  m- 18.  -  J.  Ernesl-Cliarle»  :  Les  Samedis  littéraires.  2»  série    Paris' 
Perriu.  1904,  in-18.  -  Gilbert  de  Voisins  :  Sentiment*  (Vov.  :  C ne  prin- 
cesse de  ht  très),  Paris,  .'Mjc.  du  Morcurc  d.-  France,  19<i5.  in-ls! 

Georges  Casella  :   .1/-"  G.r„rd  d//ouv,Ue   portraits.  Kerue  Illu^tr^c 
15  juin  1905.    -    Gastou    Deschaïups  :  La    Vie    littéraire.  Le   Temps»' 


jm2  POETES   D  AUJOURD  HUI 


19  avril  1903.  —  Jean  de  Gourmont  :  Les  Nietzschéennes.  Mercure  de 
France,  juillet  1903.  —  Charles  Maurras  :  Le  Romantisme  féminin. 
Minerva,  15  avnl-lo  mai  1903.  —  A.-M.  Sorel  :  [Sur  Gérard  d'Houville.] 
Gaulois,  23  avril  1903. 

Iconographie  : 

Jules  Breton  :  Portrait  d'enfant  (appart.  à  Gérard  d'Houville). 


LES  EAUX  DOUCES    DU  SONGE 

Aux  Eaux  Douces  d'Asie,  eu    un  vert  paysage 

D'arbres  et  d'eau, 
J'ai  deviné  souvent  plus  d'un  tendre  visage 

Sous  le  réseau 

Des  voiles  transparents  qui  recouvrent  la  joue 

Et  les  cheveux, 
Mais  laissent  voir  le  rêve  éternel  qui  se  joue 

Au  tond  des  yeux. 

Dans  vos  caïques  peints,  mystérieuses  ombres, 

J'aimais  vous  voir. 
Sous  les  arbres  plus  frais,  et  sur  les  flots  plus   sombres. 

Glisser  le  soir, 

A  l'heure  où  quelquefois  le  jour  mourant  prolonge 

Son  bel  adieu, 
Peut-être  au  fil  de  l'eau,  peut-être  au  fil  d'un  songe 

Funèbre  ou  bleu. 

0  cbers  jours  disparus!  du  fond  de  ma  mémoire 

A  votre  tour 
Venez!  dans  notre  barque  irréellement  noire, 

0  charmants  jours  ! 

Vous,  dont  j'ai  vu  jadis  la  grâce  tout  entière. 

Moments  divins 
Qui  ne  me  montrez  plus  qu'une  forme  étrangère. 

Des  gestes  vains  ; 


GERARD    d'hOUVILLB  1"]^ 


Aux  eaux  douces  du  son^c  où  longuement  s'attarde 

Notre  lans^ueur, 
Fantômes  incertains,  lorsque  je  vous  regarde 

Avec  douleur, 

Ecartez  les  linceuls  qui  me  cachent  votre  âme 

Sous  tant  de  plis  ; 
Car  le  temps,  vieux  tisseur,  a  mêlé  dans  leur  trame 

Beaucoup  d'oublis. 

Souvenirs  !  souvenirs  !  arrachez  tous  ces  voiles 

Longes  et   nombreux. 
Ou  ne  me  montrez  plus,  décevantes  étoiles, 

Vos  tristes  yeux  ! 

Mais,  sur  l'onde  où  déjà  le  charme  de  cette  heure 

Est  effacé, 
La  rame  qu'on  relève,  et  qui  s'égoutte,  pleure 

L'instant  passé. 


CONSOLATION 

Ne  vous  plaii^nez  pas  trop  d'avoir  un  c<piir  très  sombre. 
Vos  yeux  seront  plus  beaux  (junnd  vous  aurez  pleuré. 
Il  naîtra  de  vos  pleurs,  il  va  croître  à  votre  ombre 
Ouelque  lys  inconnu  qu'on  n'a   pas  respiré. 

Ne  vous  plaic^nez  pas  trop  d'avoir  été  crédule 
Et  d'avoir  cru  sans  fin  ce  qui  ne  vit  qu'un  jour. 
Car  vous  comprendrez  mieux  le  t^rave  crépuscule 
(Jui  saigne  comme  un  cœur  qu'a  déchiré  l'amour. 

Ne  vous  plaignez  pas  trop  de  la  douleur  divine; 
Ceux-là  qui  sont  heureux  n'ont  pas  bi^n  écouté 
Le  battement  sacré  dont  s'entle  leur  poitrine; 
Ceux-là  (jui  sont  heureux,  ils  n'ont  pas  existé! 

Ne  vous  plaiî^nez  pas  trop  de  cette  amère  étude. 
Vous  conlen)plerez  mieux  ce  qui  passe  et  se  perd... 


11. 


1^4  POÈTES    d'aujourd'hui 


Et  vous  saurez  enfin,  sœur  de  la  solitude, 
Goûter  le  soir  qui  meuvt  dans  un  jardin  désert 


LE  REGRET 

Quand  je  refermerai  mes  grands  yeux  dans  la  mort, 

Vous  pleurerai-je,  hélas  !  amèrement,  ô  viel 

Et  vous,  âçe  du  rire  et  de  la  fantaisie  ! 

Et  vous,  ô  bel  amour,  doux,  joyeux,  sombre  ou  fort! 

Et  vous,  naïf  orgueil  de  mon  jeune  visage. 
Et  vous,  souple  fraîcheur  de  mes  bras  ronds  et  nus, 
Et  vous,  lointains  pays,  charmes  ressouvenus 
Du  départ,  du  retour,  et  du  changeant  voyage  1 

Certes,  de  tout  cela  le  multiple  regret 
Tournoiera  tout  au  fond  de  ma  mémoire  lasse, 
Long  cortège  masqaé  qui  passe  et  qui  s'efface, 
Mirage,  oubli,  bonheur,  tristesse,  ombre,  reflet... 

Mais  non,  ce  n'est  pas  vous,  grâce  de  ma  jeunesse. 
Ni  vous,  ô  liberté,  rêve  de  mon  cœur  fier. 
Que  je  verrai  s'enfuir  dans  un  sanglot  amer, 
Mais  vous,  mais  vous  I  ô  chère  et  divine  tendresse  ! 

Alors  qu'il  me  faudra  pour  jamais  oublier, 

C'est  vous,  c'est  vous  !  douceur  des  choses  coutumières. 

Vous  qui  resplendirez  de  suprême  lumière. 

Vous,  mes  humbles  objets  au  charme  familier! 

Ce  sera  février,  égrenant  les  grains  d'ambre 
De  son  beau  mimosa  duveteux  et  doré; 
Ce  seront  les  glaïeuls  de  l'automne  adoré 
Et  l'enivrante  odeur  des  roses  de  novembre; 

Ou  bien  mars,  mauve  et  rose  et  tout  glacé,  qui  sent 
La  violette  bleue  et  la  jacinthe  lisse, 
La  maison  qui  s'emplit  d'un  pnrfuni  de  narcisse. 
Plaisir  renouvelé  d'avril,  frêle  et  naissant; 


GÉRARD    d'hOUVILLB  1^5 


Les  pivoines  de  juin  tout  en  nacre  et  en  soie, 
Gerhe  claire  mirée  en  un  miroir  obscur; 
Un  bouquet  découpant  son  ombre  sur  le  mur, 
L'odeur  des  premiers  feux  qui  semblent  feux  de  joie; 

Le  goût  et  la  saveur  succulente  d'un  fruit. 
Le  rayon  de  soli'il  (jui  me  dore  la  joue, 
Et  l'heure  paresseuse  où  le  rêve  se  joue, 
Et  le  petit  croissant  de  lune  dans  la  nuit  ! 

Le  beau  rythme  secret  de  deux  strophes  égales, 
Ce  qui  pour  d'autres  cœurs  est  inutile  et  vain, 
Le  f^rand  calme  de  l'ombre  et  le  sommeil  divin, 
Les  jeux  des  papillons  et  le  vol  des  ci«>-ales  ; 

Les  torrides  midis  de  juilIetétoiifTant, 
La  voix  fraîche  des  eaux  sous  la  verte  ramure. 
Et  vous,  chère  langueur,  tristesse  douce  et  pure, 
Et  vous  !  et  vous  !  et  vous  !  rires  de  mon  enfant  I 


STANCES  AUX  DAMES   CRÉOLES 

Lorsqu'il  fait  chaud,  et  que  je  suis  songeuse  et  seule, 

Je  pense  à  vous, 
Vous  dont  je  ne  sais  rien,  je  rêve,  ô  mes  aïeules, 
K  A  vos  yeux  doux. 

Grand'mères  mortes,  et  jadis  des  ingénues 

Aux  bras  si  frais. 
Jeunes  et  tendres,  et  queje  n'ai  pas  connues 

Même  en  portraits, 

Qui  vivaient  autrefois,  toutes  petites  Hlles 

Aux  longs  cheveux 
Dans  une  sucrerie,  en  un  coin  des  Antilles 

Voluptueux. 

La  chaleur  trop  ardente  entr'ouvrait  les  batistes 
Sur  leur  sein  blanc, 


1^6  POÈTES  d'aujourd'hui 


Elles  se  balançaient,  paresseuses  et  tristes, 
En  s'éventant. 

Leurs  yeux  se  reposaient  de  la  lumière  vive 

Joyeux  de  voir 
Le  visage  lippu  d'une  esclave  furlive 

Luisant  et  noir. 

Les  bons  nègres  rieurs  dansaient  des  nuits  entières 

Leurs  bamboulas, 
Ou  bien  chantaient  des  chants  parmi  les  cafeyères. 

Câlins  et  las. 

Protégeant  votre  teint,  pâle  sous  la  mantille, 

Et  délicat. 
Vous  savouriez  dans  les  vergers  la  grenadille 

Et  Tavocat. 

Eq  rêve  sous  les  transparentes  moustiquaires 

Vous  revoyiez 
Le  vieil  aïeul  voguant  vers  l'or  des  îles  claires 

Sur  SCS  voiliers. 

Les  papillons  étaient  plus  grands  que  votre  bouche. 

Et  que  les  fleurs 
Qu'illuminait  le  vol  du  rapide  oiseau-mouche 

Tout  en  lueurs. 

La  nuit  se  parfumait  d'astres  et  de  corolles. 

Et,  peu  à  peu, 
Vous  regardiez  s'ouvrir  au  ciel,  belles  créoles  ! 

Des  fleurs  de  feu. 

Ah  !  songiez-vous  alors,  nocturnes  et  vivantes, 

Qu'un  temps  viendrait 
Où  rien  de  vos  beautés  aux  grâces  indolentes 

Ne  resterait  ? 

De  tout  ce  qui  fut  vous,  nulle  petite  trace 
N'a  subsisté, 


GÉH^nn    u  HOUVILLB  I77 


Pas  même  un  pnuvre  toit  sous  lequel  votre  race 
Ait  habité. 

Tout  est  mort,  ruiné,  dispersé  ;  les  allées 

N'existent  plus 
Qui  rnenairnt  aux  maisons,  en  marbre  frais  dallées 

Pour  les  piods  nus. 

Par  la  ç^randr  liane  et  les  forôts  sauvages 

Tout  ("<t  repris  ! 
Et  les  flots  licdes  (jui  mirrrent  vos  visages 

Se  sont  taris. 

Pas  mrnic  im  livre  usé  que  j'aime  et  je  manie 

N«r  fut  à  vous; 
l'A  l'île  où  vous  jouiez  à  Paul  et  X'iri^inie 

Sous  les  bambous, 

Si  je  pouvais  la  voir  splendide  et  ditb  rente 

Kn  aurun  lieu 
Je  ne  retrouverais  votre  mémoire  errante 

Dans  l'air  trop  bleu. 

Sous  quel  otd)li  profond,  lointain  et  solitaire 

Cùl  votre  eo'ur, 
(ie  cœur  «pii  m'a  Icj^ué  sa  flamme  héréditaire, 

Et  sa  lauijueur  ; 

<  t'  r<rur  ipii  verse  en  moi  (piel<jues  gouttes  roupies 

D'un  sansf  vermeil, 
i.l  (pli  m'aurait  transmis  toutes  vos  nostali;ies 

Loin  dti  soleil, 

Si  je  n'fNOpiais  pas  les  beautés  éternelles 

D'un  ciel  brûlant, 
Du  fond  maçique  et  noir  de  tes  lari;es  prunelles, 

O  mon  enfiiiit .' 


,.$  POÈTES   d'aujourd'hui 


LUNE  SUR  LA  MER 

Au  fond  du  crépuscule  vert 
Le  croissant  de  la  lune  a  l'air 

D'un  coquillage, 
Et  nacré,  courbe,  lisse  et  clair 
Polit  les  conques  de  la  mer 

A  son  ima^e. 

A  quelle  oreille  dans  la  nuit, 
Lune  triste  !  se  plaint  et  luit 

Mystérieuse, 
Votre  voix  pareille  à  ce  bruit 
Houleux  qui  s'enile,  et  qui  remplit 

La  conque  creuse? 

Divine  lune,  ta  rumeur 
Voudra-t-elle  bercer  mon  cœur 

Oui  se  lamente  ? 
Verse  à  mon  rêve  ta  lueur 
Ainsi  qu'à  la  nocturne  fleur 

L'arbre  et  la  plante  ! 

Le  pin  léger,  noir  et  vibrant. 
Garde  encor  ton  étrange  chant 

Sous  son  écorce  ; 
Harmonieux,  sombre  et  mouvant, 
Ton  murmure  il  le  livre  au  vent, 

Olune  torse! 

Je  garderai  dans  mes  cheveux 
Ta  verte  rumeur  si  tu  veux, 

Toi  qui  pour  plages 
A  le  ciel  rose  ou  ténébreux, 
Comme  les  grèves  sont  les  cieux 

Des  coquillages. 

Et  comme  la  plante  du  pin 
Imite  le  soupir  marin 


GLRVRD    D  HOL VILLE  I  JQ 


D'une  spirale, 
Mes  vers  répétrront  sans  fin 
Ton  écho  paisible  et  serein, 

0  lune  pâle  ! 

OFFRANDE  FL'NÊRAIRE 

Viens.  Le  soir  assonibrit  le  fleuve  aux  calmes  eaux 
Et  la  bersçe  est  humide  où  nous  cueillons  encore. 
Au  Biumiure  plus  frais  du  vent  dans  les  roseaux, 
Les  fleurs  du  crépuscule  après  les  fleurs  d'aurore. 

Tes  pas  comme  les  miens  sont  jspraves  au  retour 
Et  le  cœur  est  plus  faible  alors  que  la  nuit  tombe. 
Notre  joie  a  cueilli  toutes  les  fleurs  du  jour  ; 
Nous  les  déposerons  sur  la  prochaine  tombe. 

Ces  fleurs  qui  nous  lassaient  de  leur  poids  parfumé 
Couvriront  le  tombeau  des  mortes,  nos  so'urs  tristes. 
Le  narcisse  mourant  pour  s'être  trop  aimé. 
Les  iris  violets  comme  les  améthystes. 

Les  nénuphars  couleur  de  l'aube,  les  lys  d'eaa, 

La  jacinthe  irisée  ainsi  que  les  opales, 

Les  fleurs  qui  nous  chargeaient  d'un  odorant  fardeau 

Couvriront  le  tombeau  des  mortes,  nos  sœurs  pâles. 

Près  de  la  tombe  en  fleur  courbant  nos  jeunes  fronts. 
Restons  pieusement  dans  l'herbe  agenouillées  ; 
Nous  qui  vivons,  pensons  au  jour  où  nous  serons 
Sous  un  tertre  inconnu  des  mortes  oubliées. 

Effleurant  d'un  pied  d'ombre  un  v;aznn  ténébreux, 
Nous  rejoindrons  l'essaim  des  ànies  fuû^itives 
Et  nos  mains  cueilleront,  loin  de  ces  bords  heureux, 
Les  iris  noirs  éclos  aux  slyçiennes  rives. 

LE  JAHDIN  DE  LA  MIT 
Si  l'aile  inévitable  el  sombre  doit  s'étendre 


l8o  POÈTES    d'aUJOURd'hJI 


Sur  les  grands  yeux  si  doux  et  sur  ton  jeune  front, 
Si  l'horreur  de  la  mort  hante  ton  âme  tendre, 
Viens  :  les  fleurs  ont  des  voix  qui  te  consoleront  ! 
Sœurs  des  belles  de  nuit,  tu  sauras  les  entendre. 

Belles  de  ta  beauté,  pâles  de  tes  pâleurs. 
Les  roses  des  rosiers  éclos  au  clair  de  lune 
Dont  la  blanche  corolle  est  faite  de  lueurs, 
Mystérieusement  effeuillant  une  à  une 
Au  nocturne  jardin  leurs  lumineuses  fleurs; 

Et  les  fleurs  de  jasmin,  de  lys  et  d'ancolie 
Et  celles  que  la  nuit  seule  voit  s'entr'ouvrir. 
Ont  rinefl'able  attrait  de  ta  bouche  pâlie, 
Le  charme  douloureux  de  ce  qui  doit  mourir 
Ainsi  que  ta  jeunesse  et  ta  mélancolie. 

Ton  cœur  triste  est  rempli  par  l'horreur  du  trépas. 

Son  vol  irrésistible  en  frémissant  t'effleure  ; 

Son  souffle  effacera  la  trace  de  tes  pas. 

Ta  vie  est  le  prestige  et  le  parfum  d'une  heure, 

Et  les  fleurs  qui  t'aimaient  ne  te  survivront  pas  ! 

Mais  de  l'instant  suprême  épuisant  les  délices, 
Eloi^-ne  l'inutile  et  ténébreux  eS"roi  : 
Penche  ton  pâle  front  vers  les  pâles  calices 
Et  respire,  dans  l'ombre  exhalé  jusqu'à  toi, 
L'arôme  Iraternel  des  fleurs  consolatrices. 


FRANCIS  JAMMES 
18G8 


I 


M.  Francis  Jammes  est  né  à  Tournay  (fIaules-Pyrcnces\  le  a  dé- 
cembre 18G8.  Son  s^rand-père    (  plernerélait  docteur  en  mé'dcrinc  à 
La  Guadeloupe,  où  il  mourut  après  avoir  été  ruiné  par  les  Irtml-Ie- 
mcnts    de  terre    de  La  Poinle-à-Piire.    Il    s'appelait    Jean-Baplisie 
Jammes.  Sa  vie,  nous  a  dit  son  petit-fils,  fut  grave,  tourmentée,  ar- 
dente eî  triste.  Le  père  de  M.  Francis  Jammes  naquit  à  La  Pointe  à- 
Pftrc,  et  fut  envoyé  de  bonne  heure  en  France,  à  Orlhez,  chez  des 
Unies,  pour  faire  son  éducation. Entré  ensuite  dans  l'adminislralion, 
il  séjourna  à  Tournay,  puis  fut  nommé  receveur  de  l'Enregistrement 
i    Bordeaux.    Mort   dans  cette  ville,  il   fut    enterré  à   Orthez,  où 
M.  Francis  Jammes  vint  alors  habiter  avec  sa  mère,  et  qu'il  na  pas 
quitté  depuis.  Ces  détails  de  famille,  ces  fi-ures  et  ces  pavsa-es  de 
son  enfance,  et  jusqu'à  lenfnnt  qu'il    a  été  lui-même,  le  pocte  les  a 
évoqués  dans  bien  des  pages  de  son  œuvre,  avec  ce  ton  et  cflte  rêve- 
rie qui  n'appartiennent  qu'à  lui.  M.  Francis  Jammes  fit  ses  étude.s 
d  abord  au  collcçe   de  Pau.    puis    au  collège  de    Bordeaux.  Il    fut 
ensuite,  pendant  (juclque  temps,  clerc  dans  une  étude  de  notaire  d'Or- 
thez.  Bien  ne  saurait  rendre,  pour  ceux  qui  l'ignorent,  l'atmosphère 
morose  et  vieillotte  du  lieu  qu'est  une  élude,  encore  plus  en  pro- 
vince, et  seul  M.  Francis  Jammes  pourrait  nous  donner  un  tableau 
de  ces  salles  étroites,  historiées  d'affiches  poussiéreuses,  où  il  a  ainsi 
passé,  dans  sa  jeunesse,  quelques  heures  un  peu  gris.-s.  Il  écrivait, 
•lors  ses  premiers  vers,  qu'il  réunissait  eu  de  petits  cahiers  non  mis 
dans  le  commerce,  et  ne  portant  d'autre  litre  que  celui-ci:   Vers, 
Us  n'allèrent  pas  sans  causer  assez  d'étonnement.  ces  premiers  vers, 
et  l'on  en  trouve  un   témoignage  dans  celte  nolice  bibliographique 
publiée  dans  le  Mercure  de  France  de  décembre  i8<j3,  à  propos  d'une 
nouvello  plaquette  du  poète  : 

•  Celte  mince  plaquette  se  présente  avec  des  allures  mystérieuses 
1  bien  paruculicres.  U  oom  de  l'auteur  est  incoimu.  Esls:e  un  pscu- 

12 


îSa  POÈTES  d'aujourd'hui 

«  doayme?  Et  il  semble  que  rortho^raphe  n'en  est  pas  très  rigou- 
«  reuse  :  James  serait  plus  exact.  Le  livre  est  dédié  à  Hubert  Crac- 
«  kanlhorpe  et  à  Charles  Lacoste, 

«  A  toi,  Crackanthorpe,  déjà  célèbre  en  ton  pays,  et  qui  as  senti 
«  passer  en  toi  le  souffle  de  l'amour  et  de  la  justice  humains  (sic). 

«  A  toi,  Lacoste,  qui  resteras  peut-être  dans  l'ombre,  simple  et 
«  beau  comme  ce  rosier  que  tu  as  peint  au  fond  du  vieux  jardin 
«  triste.  ») 

«  M.  Hubert  Crackanlhorpe  existe.  C'est  un  jeune  écrivain  anglais 
«  qui  a  publié  un  volume  de  contes,  très  remarquable,  paraît-il,  un 
«  peu  dans  le  goût  de  Maupassant,  et  intitulé  Wreckage;  le  second 
fcdédicataire  m"est  inconnu. 

«  Autres  allures  mystérieuses  ;  ce  petit    livre,   aux  apparences 

anglaises,  est  imprimé  à  Orthez,  dans  les  Basses-Pvrénées.  Et  les 
«  quelques  mots  écrits  à  la  main  sur  l'exemplaire  que  j'ai  sous  les 
«  yeux  sont  d'une  graphologie  de  petite  écolière  maladroite.  » 

Aujourd'hui,  M.  Francis  Jammes  a  conquis  sa  place.  Il  a  des 
admirateurs,  un  public.  On  écrit  sur  lui  d«  copieuses  études,  où  l'on 
retrouve  ingénument  transcrit  en  prose  le  langage  de  ses  poèmes. 
Enfin,  de  jeunes  poètes  l'imitent,  ce  qui  e«t  le  signe  lo  plus  évident 
d'un  talent  bien  reconnu.  Personne,  d'ailiewrs,  en  poésie,  n'a  parlé  de 
certaines  choses  de  façon  aussi  touchante,  aussi  pénétrante,  que 
M.  Francis  Jammes.  Il  a  rafraîchi  de  siraoïicité  la  poésie  française, 
disions-nous  dans  notre  première  notice-  Le  grand  mérite  de  son 
œuvre,  en  effet,  c'est  l'absence  de  toute  déclamation,  l'absence  de 
ces  sonorités  verbales,  de  cette  emphase  et  de  ces  complications 
de  style  qui  font  tout  le  talent  de  tant  d'autres  poètes.  Quand 
M.  Francis  Jammes  évoque  un  paysage,  «ous  le  voyons,  nous  en 
respirons  l'atmosphère,  et,  pourtant,  il  n'«  souvent  écrit,  pour  nous 
le  montrer,  que  deux  ou  trois  vers.  Il  en  «tt  de  même  pour  les  sen- 
timents qu'il  nous  confie  :  ses  amours,  s*  charité  pour  les  pauvres, 
sa  pitié  pour  les  bêtes  blessées  ou  rudoyées,  son  affection  pour  les 
choses  avec  lesquelles  il  a  vécu,  sa  foi  en  Dieu.  Nous  comprenons, 
nous  éprouvons,  nous  partageons  les  premiers,  nous  sentons  pro- 
fondément vraie  la  dernière.  C'est  que  »icn  ne  vaut,  même  dans 
l'art  d'écrire,  la  simplicité  et  la  sincérité,  «t  que  M.  Francis  Jammes 
est,  par  excellence,  le  poète  simple  et  sioccre. 

La  préface  mise  par  M.  Francis  Jammes  à  son  premier  livre  de 
vers  :  De  l'Angélus  de  l'Aube  à  l' Angélus  du  Soir,  est,  au  reste, 
significative  de  l'esprit  dans  lequel  il  a  écrit  toute  son  œuvre.  Voici 
celle  préface  : 

u  Mon  Dieu,  vous  m'avez  appelé  parmi  Tes  hommes.  Me  voici.  Je 
c  souffre  et  j'aime.  J'ai  parlé  avec  la  voix  que  vous  m'avez  donnée. 
«  J'ai  écrit  avec  les  mots  que  vous  avez  eascigacs  à  ma  mère  et  à 


rKAf«r:rS    JAMMES 


i83 


.  mon  père  qui  me  leg   ont   transmis.  Je  passe  sur  la  route  rom.ne 
.  un  âne  charge  dont  r.enl  les  enfants  et  qui  bai.se  la  lête.  Je  m'en 
«  irai  ou  vous  voudrez,  quand  vous  roudrez. 
«  L'anL,'elus  sonne.   ■ 

Les  pièces  <,u'on  va  lire  offriront,  nous  lesp/rons,  un  aspect  sufH 
sant  de  la  sens.b.i.te  s.  particulière  de  .M.  Francis  iammes    et  ren 
se.çnerontul.lement  sur  l'œuvre  poétique  qu'il  a  produite  ju^qu'Ic; 
J.ur    A  la  l.re.  cette  œuvre,  dont  la  sinc^^nté  touche   parfoL  à  î. 
naïvce,  et  qu.  est  pleine  de  notations  si  directes  qu'on  en  peut  et  ! 
choqu..  on  respire  un  sentiment  dimmense  humilit'  devant  U  nature 
et  de  fo.  'nj^enue  en  Dieu.  De  tels  vers  semblent  bien  avoir  été  TZ 
comme  1  a  dit  M.  Francis  Jammes,  dans  une  petite  chambre  anciennl' 
par  des  soirs  de  septembre  lent  et  pur.  devant  un  horizon  d.  m".  I 
nos  et  de  campagnes,  en  compagnie  du  silence  et  de  son  seul  ^œu^ 
Ku  plus  des  romans  dont  mention  est  faite  à  l'indication  des  œu 
rres,  on  doit  a  .M.  Francis  Jammes  :  des  Xotes  sur  des  oZselsar 
^/y.r   Mercure  de  France  oc.obre  ,8,0;  -  Cn  n.an.fesU     tUrZ 
de   M  Francis  Jamrnes  :  le    Jarnnus,ne,  Mercure  de^'rance.  mâr. 
.807;  -  Consedsa  un  jeune  Poêle,  Mercure  de  France,  août  .",0 
-  des  pages  sur  Jean-Jacques  Rousseau  et  J/m.  de    Wnr.n, 
CHarn.eUes  et  a  CHam,.ry,  Mercure  de  Franc'e'  dectnitr^^ - 
et  des  pages  sur  Charles  Guérin,  au  lendemain  de  sa  mort    Mercure 

<ies  Poètes  (.807  et  .808).  à  LErn^UaT:.  ^TtaL'    .  X// 
k  Bibliographie  : 

Dumosn.  .  1803,  petit  in-8.  -  Vers.  plaWilc.  Par.s-OI       C^   /oitlr 

-  Un  Jour,  poème  d.aIo.u..  l'ar..  ,:.,a.  du  M.-rcure  ^.vZt  \^    ^  6 

-  I-H  ^aU8auce  du  \umo.  poème.  Hr.uoll.  *  k,|  .i,,  .  rT  *  "'■'® 
.U.12.  -  Del-Anoe.us  d«  .  Aube  à  lAnaHus  <  ù  So,î'  7^ii:^ 
poi*i..8.  Fans.  ïkk-.  du  Mercure  de  France  "h  .„  ig  \u.l,  !^^' 
res.  Orlhez,  Imprimerie  K.  Ka,.l.  juillet  Is  .s'  i. '.  .l"*  I  V"^'""*"  ''l^^' 
nue  poème.  Pans.  FVtUe  coII..l.o.,  de  V^.j:^^\^  ^,0  "î-  '"* 
dEléheuseou  1  histoire  d  uao  ancienne  c  .ne  IMêV"  ' 
du  M,rcurede  France,  lsi.9.  petit  m-I8.  -  Le  I»oè  e  ."1  i  n 

fan,.   Petite  collection  de  rtrm.laKe    1899  iu^lG        iVn        .'?"    '"  "^''• 

véres^^n^es  t89«-i9oo.  iEi^Tz!::^,!':^:';:^;^::]'^^: . 

•tau.  Poésies  duerset.  Quatorze  priVrfi    Pari,    W    1    \i  .  ^  ^'* 

1901.  ia-18.  (Il  a  été  Uré  pour  i.  ZZZ]^^  '^'^,'' ^IT'"'  f'  ^"""^«. 
u.  portcat  1.  ,i,....ur.  d^Tlauteur,  -/.liaJdVu  ÊtrlmoLT"  i^/ui^T 


l84  POÈTES    D*AUJOLhD*IlL*î 


toire  d'une  jeune  fille  passionnée,  roman.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1901,  petit  in-18.  —  Le  Triomphe  de  la  Vie,  poèmes,  1900-1901. 
{Jean  de  Noarrieu.  Existences)  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1902, 
in. 18.  —  Le  Roman  du  Lièvre.  {Clara  d'Ellébeuse.  Almaïde  d'Etre- 
mont.  Les  Choses.  Contes.  Notes  sur  des  Oasis.  Sur  J  -J . Rousseau)  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1903,  in-18.  —  Pomme  d'Anis  ou  1  histoire 
d'une  jeune  lille  infirme,   roman.  Paris,   Soc.  du  Mercure    de    France, 

1904,  petit  in-18.  —  [Cahier  de  vers],  vingt-cinq  petits  poèmes,  publiés 
sans  titre,  sans  date,  sans  indication  de  lieu  et  sans  nom  d'éditeur,  à  quelques 
exemplaires  sur  papier  de  Hollande.  Orthez,  Imprimerie  E.  Faget,  [igOS"], 
in-8  de  14  ff.  non  paginés;  couverture  grise  portant  en  tète,  et  à  droite,  le 
nom  de  l'auteur.  (Ce  môme  nom  se  trouve  reporté  au  recto  du  premier  feuil- 
let.) —  Pensée  des  Jardins,  prose  et  vers.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1006,  petit  in-18.  —  L'Eglise  habillée  de  feuilles,  poésies.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1900,  in-12.  —  Clairières  dans  le  Ciel,  1-902- 
iOOG  {En  Dieu.  Tristesses.  Le  Poète  et  sa  femme.  Poésies  diverses.  L'Eijlise 
habillée  de  feuilles),  poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906,  in-18. 
Poèmes  mesurés.  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France,  1908,  plaq.  in-18. 
(Tirage  à  petit  nombre  et  hors  commerce.) 

PnÉFACES.  —  Léon  Bocquet  :  Albert  Samaîn.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1905,  in-18  —  Colette  Willy  :  Sept  Dialogues  de  Bêtes.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1905,  in-18. 

Poésies  mises  en  musique.  —  Des  poésies  de  M.  Francis  Jammes  ont  été  mises 
en  musique  par  MM.  Raymond  Bonheur,  Henry  Février,  Gaston  Schindler, 
Souza-Mciral  ;  M"«  Blanche  Sel  va,  etc. 

A  CONSULTER.  —  André  Beaunler  :  La  Poésie  nouvelle.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1902,  in-18.  —  Henry  Bordeaux  :  Les  Ecrivains  et 
les  Mœurs,  notes,  essais  et  figurines  (1897-1000).  Paris,  Pion,    1900,  in-18. 

—  Thomas  Braun  :  Des  poètes  simples  :  Francis  Jammes.  Bruxelles, 
féd.  de  la  Libre  Esthétique,  1900,  in-lG.—  11.  de  Gourmout  :  Le  II'  Licre 
des  Masques.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1898,  in-18.  —  Georges 
Le  Cardonnel  et  Ch.  Vellay  :  La  Littérature  contemporaine,  1905.  Opi- 
nion des  Ecrivains  de  ce  temps  .  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906, 
in-18.  — Christ  Rimestad  :  Frank  Poesi,  etc.  Kjobenhavn,  Schubolheske, 

1905,  in-8.  —  V.  Tliompson  :  French  Portraits  (Bcing  appréciations  of 
Ihe  wrilers  of  Young   France).  Boston,  Richard   G.    Badgcr  et  G»,  19U0,  in-8, 

—  Frédéric  "Wedraore  :  On  Dooks  and  arts,  London.  Iloddcr  and  Stoug. 
hlon,   1809,  in-8. 

André  Beaunier  :  Une  sorte  de  Franciscain.  Journal  des  Débals,  29  avril 
19Ù3.  —  Ilenrj'  Bordeaux  :  Poètes.  MM.  Ch.  Guérin  et  F.  Jammes.  Revue 
hcblomadaire,  12  octobre  1901.  —  François  Coppée  :  Quelques  poètes. 
Journal,  7  octobre  1897.  —  Gaston  Deschamps  :  Jeunes  Conteurs.  Temps, 
15  octobre  1899;  Le  Coin  des  Poètes.  Temps,  28  janvier  1900.  —  Jean  de 
Gourmont  :  Litterati  contemporanei.  F.  Jammes,  avec  2  illustr.  Emporium 
(Bor;.'ame),  janvier  1905  (publié  en  français  dans  Vers  et  Prose,  mars-mai  1900); 

—  Marius-Ary  Leblond  :  Francis  Jatnmcs.  Mercure  de  France,  mai  19u3. 

—  André  Le  Breton  :  L'Œuvre  de  M.  Francis  Jammes.  Revue  de  Paris, 
15  mai  1907.  —  Jeun  Lorrain  :  Joies  de  Paris.  Nos  Poètes.  Journal, 
10  ftoût  1901.  —  eu.  Maurras  ;  Bévue  littéraire.  Revue  Encyclopédique, 
U  juill«l  1698  i  /iaue  liUiraire,  Ucvue  Cu;j<:loi)ûJiqae,  28  ocIo1)k  1S9Q  ^  , 


FnANCI^   JAMMES  |Sj 


Edmond  Pilon  :  Francis  Jammp».  Mercure  de  Franco,  l"  juillet  1907  — 
Emile  Pouvillon  :  Ecrivains  et  artiste,  du  Midi.  F.  Jammes.  U  D.'.Kcho, 
Tou).u.r.  4  août  1901.-  Pierre  QulWnrd.  Francis  Jammes  et  Charles 
Guérm,  Mf-rcure  de  France,  juillet  iy,.i.  _  m.  Schwob  :  Etude,  Journal 
des  Artistes.  16  juin  1895.  -  Arthur  Symons  :  Etude.  Saturdar  RcTiew 
(Londres),  15  octobre  1898. 

Iconographie  : 

F.  Vallollon  :  .Vasgue,dins  Le  II»  litre  des  Afasgues,  de  R.de  Courmont. 
Pans  .Soc  du  Mc-rcure  ^e  France,  1898.  -  Jean  Vebcr  :  Portrait,  litho- 
graphie, d&nsL  Ermitage,  noTerobre  1898 


C'EST  AUJOURD'HUI... 

8  juillet  i8()4 
Dimanche,  Sainte-  Virginie, 

LE   CALUXOHIER. 

C'est  aujourd'hui  la  fête  de  V'irî^inie. 

Tu  étais  nue  sous  ta  robe  de  mousseline. 

Tu  niani^cais  de  gros  fruits  au  goût  de  Mozambique 

et  la  mer  salée  couvrait  les  crabes  creu.x  et  cris. 

Ta  chair  était  pareille  à  celle  des  cocos. 
Les  marchands  te  portaient  des  pannes  cotileur  d'air 
et  des  mouchoirs  de  tête  à  carreaux  jaune-clair. 
Labourdonnais  signait  des  papiers  d'amiraux. 

Tu  es  morte  et  tu  vis,  ô  ma  petite  amie, 
amie  de  Bernardin,  ce  vieux  sculpteur  de  cannes, 
et  tu  mourus  en  robe  blanche,  une  médaille 
à  ton  cou  pur,  dans  la  Passe  de  l'Agonie. 

(De  CAngelas  de  l'Aube  à  l'Angelut  du  Soir.) 


J'AIME  DANS  LES  TE.MPS... 

J'aime  dans  les  temps  Clara  d'Kllcbeusc, 
l'écolière  des  anciens  pensionnats, 
qui  allait,  les  soirs  chauds,  sous  les  tilleuls 
lire  les  magasines  d'autrefois. 


i86  POÈTES  d'aujourd'hui 

Je  n'aime  qu'elle,  et  je  sens  sur  mon  cœur 

la  lumière  bleue  de  sa  gorge  blanche. 

Où  est-elle  ?  où  était  donc  ce  bonheur  ? 

Dans  sa  chambre  claire  il  entrait  des  branches. 

Elle  n'est  peut-être  pas  encore  morte 
—  ou  peut-être  que  nous  1  étions  tous  deux. 
La  grande  cour  avait  des  feuilles  mortes 
dans  le  vent  froid  des  fins  d'Eté  très  vieux. 

Te  souviens-tu  de  ces  plumes  de  paon, 
dans  un  grand  vase,  auprès  de  coquillages  ?.,. 
on  apprenait  qu'on  avait  fait  naufrage, 
on  appelait  Terre-Neuve  :  le  Banc. 

Viens,  viens,  ma  chère  Clara  d'Ellébeuse  ; 
aimons-nous  encore,  si  tu  existes. 
Le  vieux  jardin  a  de  vieilles  tulipes. 
Viens  toute  nue,  ô  Clara  d'Ellébeuse. 

[De  V Angélus  de  VAube  à  l' Angélus  du  Soir.) 


LA   SALLE  A  MANGER 

A  M.  Adrien  Planté. 

Il  y  a  une  armoire  à  peine  luisante 

qui  a  entendu  les  voix  de  mes  grand'tantcf., 

qui  a  entendu  la  voix  de  mon  grand-père, 

qui  a  entendu  la  voix  de  mon  père. 

A  ces  souvenirs  l'armoire  est  fidèle. 

On  a  tort  de  croire  qu'elle  ne  sait  que  se  taire, 

car  je  cause  avec  elle. 

Il  y  a  aussi  un  coucou  en  bois. 

Je  ne  sais  pourquoi  il  n'a  plus  de  voix. 

Je  ne  veux  pas  le  lui  demander. 

Peut-être  bien  qu'elle  est  cassée, 

la  voix  qui  était  dans  son  ressort, 

tout  bonnement  comme  celle  des  morts. 


FRANCIS    JAMMLS  187 


Il  y  a  aussi  un  vieux  buffet 

qui  sent  la  cire,  la  confiture, 

la  viande,  le  pain  et  les  poires  milres. 

C'est  un  serviteur  fidèle  qui  sait 

qu'il  ne  doit  rien  nous  voler. 

Il  est  venu  chez  moi  bien  des  hommes  et  des  femmes 

qui  n'ont  pas  cru  à  ces  petites  âmes. 

El  je  souris  que  l'on  me  pense  seul  vivant 

quand  un  visiteur  me  dit  en  entrant  : 

—  comment  allez-vous,  monsieur  Jammes  ? 

{De  l'Angdus  de  l'Aabe  à  C Angélus  du  Soir.) 

LE  VIEUX  VILLAGE 

A  André  Gide, 

Le  vieux  villafi^e  était  rempli  de  roses 

et  je  marchais  dans  la  çrande  chaleur 

et  puis  ensuite  dans  la  grande  froideur 

de  vieux  chemins  où  les  feuilles  s'endorment. 

Puis  je  loniçeai  un  mur  long;  et  usé; 

c'était  un  parc  où  étaient  de  j^rand  arbres, 

et  je  sentis  une  odeur  du  passé, 

dans  les  grands  arbres  et  dans  les  roses  blanches. 

Personne  ne  devait  l'habiter  plus... 

Dans  ce  grand  parc,  sans  doute,  on  avait  lu... 

Et  maintenant,  comme  s'il  avait  plu, 

les  ébéuiers  luisaient  au  soleil  cru. 

Ah  !  des  enfants  des  autrefois,  sans  doulc, 
'^'amusèrent  dans  ce  parc  si  ombreux... 

•u  avait  fait  venir  des  plantes  roui^es 
des  pays  loin,  aux  fruits  très  dangereux. 

Va  les  parents,  en  leur  montrant  les  plantes 
Irur  expliqu.uent  :  celle-ci  n'est  pas  bonne.., 
c'est  du  poison...  elle  arrive  de  l'Inde... 
et  celle-là  est  de  la  belladone. 


i88  poiTES  d'aujourohui 


Et  ils  disaient  encore  :  cet  arl)rc-cî 
vient  du  Japon  où  fut  votre  vieil  oncle... 
Il  rapporta  tout  petit,  tout  petit, 
avec  des  feuilles  grandes  comme  l'ongle. 

Ils  disaient  encore  :  nous  nous  souvenons 

du  jour  où  l'oncle  revint  d'un  voyage  aux  Indes  ; 

il  arriva  à  cheval,  par  le  fond 

du  village,  avec  un  manteau  et  des  armes... 

C'était  un  soir  d'été.  Des  jeunes  filles 
couraient  au  parc  où  étaient  de  grands  arbres, 
des  noyers  noirs  avec  des  roses  blanches, 
et  des  rires  sous  les  noires  charmilles. 

Et  les  enfants  couraient,  criant  :  c'est  l'oncle  î 
Lui,  descendait  avec  son  grand  chapeau, 
du  grand  cheval,  avec  son  grand  manteau... 
Sa  mère  pleurait  :  ô  mon  fils...  Dieu  est  bon... 

Lui,  répondait:  nous  avons  eu  tempête... 
L'eau  douce  a  bien  failli  manquer  à  bord. 
Et  la  vieille  mère  le  baisait  sur  la  tête 
en  lui  disant  :  mon  fils  tu  n'es  pas  mort... 

Mais  à  présent  où  est  cette  famille  ? 
A-t-elle  existé  ?  A-l-elle  existé  ? 
Il  n'y  a  plus  que  des  feuilles  qui  luisent, 
aux  arbres  drôles,  comme  empoisonnés... 

Et  tout  s'endort  dans  la  grande  chaleur... 
Les  noyers  noirs  pleins  de  grande  froideur... 
Personne  là  n'habite  plus... 
Les  ébéniers  luisent  au  soleil  cru. 

{De  l'Angelus  de  l'Aube  à  l'Angelas  du  Soir.) 

L'EAU  COULE... 

L'eau  coule  dans  la  boue  et  dans  le  bois,  après 

la  pluie.  C'est  maintenant  que  sont  trempés  les  prés. 


rAANClS   JAMMES  183 


Les  merles  vivent  dans  l'humidité  des  (gaules 

qui  servent  à  faire  les  paniers,  s^aules  jaunes. 

J'ai  hu  au  tuyau  de  fer  de  la  source  douce 

entouré  de  mousse  en  soleil  transparent  cl  de  rouille. 

Je  t'aurais  aimée  \h,  autrefois,  près  de  la  mousse, 

parce  que  tu  avais  une  Hj^ure  douce. 

Mais  à  présent,  je  souris  vn  fumant  ma  pipe. 

Les  rrves  ({iie  j'ai  eus  étaient  comme  les  pics 

qui  filent.  J'ai  réfléchi.  J'ai  lu  des  romans 

et  des  vers  faits  à  Paris  par  des  hommes  de  talent. 

Ah  I  Ils  n'hahitent  pas  auprès  des  sources  douces 

où  vont  se  baigner  les  bécasses  eo  feuilles  mortes. 

Qu'ils  viennent  avec  moi  voir  les  petites  portes 

des  maisons  des  bois  abandonnées  et  crevées. 

Je  leur  montrerai  les  {(prives,  les  paysans  doux, 

les  bécassines  en  argent,  les  luisants  houx.. 

Alors  ils  souriront  en  fumant  dans  leur  pi|)e, 

et,  s'ils  souiïrcut  encore,  car  les  hommes  sont  tristes, 

ils  guériront  beaucoup  en   écoutant  les  cris 

des  épcrviers  pointus  sur  quelque  métairie. 

(De  V Angélus  de  CAubt  àCAngelus  du  Soir.) 
1894 

JE  SAIS  QUE  TU  ES  PAU  VUE... 

Je  sais  que  tu  es  pau\Te  : 
tes  robes  sont  modestes. 
Mine  douce,  il  me  reste 
ma  douleur  :  je  te  l'olTre. 

Mais  tu  es  plus  jolie 

(pie  les  autres,  la  bouche 

sent  bon  —  4]uaiui  lu  me  louches 

la  main,  j'ai  la  folie. 

Tu  es  pauvre,  et  à  cause 

de  cela  tu  es  bonne  ; 

lu  veux  que  je  le  donne 

des  baisers  et  des  roses. 

«2. 


iqO  POÈTES    d'aUJOUUD'HUI 


Car  tu  es  jeune  fille, 
les  livres  l'ont  fait  croire 
et  les  belles  histoires, 
qu'il  fallait  des  charmilles, 

des  roses  et  des  mûres, 
et  des  fleurs  des  prairies, 
que  dans  la  poésie 
on  parlait  de  ramures. 

Je  sais  que  tu  es  pauvre  : 
tes  robes  sont  modestes. 
Mine  douce,  il  me  reste 
ma  douleur  :  je  te  l'offre. 

(De  l'Angelas  de C Aube  à  L'Angclus  du  Soir.) 
1888 


VOia  LES  MOIS  D'AUTOMNE... 

A  Vielé'Gi'iffin. 

Voici  les  mois  d'automne  et  les  cailles  graisseuses 

s'en  vont  et  le  râle  aux  prairies  pluvieuses 

cherche,  comme  en  coulant,  les  minces  escargots. 

Il  y  a  déjà  eu,  arrivant  des  coteaux, 

un  vol  flexible  et  mou  de  petites  outardes, 

et  des  vanneaux,  aux  longues  ailes,  dans  l'air  large, 

ont  embrouillé  ainsi  que  des  fils  de  filet 

leur  vol  qu'ils  ont  essayé  de  rétablir,  et 

sont  allés  vers  les  roseaux  boueux  des  saligues. 

Puis  les  sarcelles,  jouets  d'enfants,  mécaniques, 

passeront  dans  le  ciel  géométriquement 

et  les  hérons  tendus  percheront  hautement, 

et  les  canards  plus  mois,  formant  un  demi-cercle, 

trembloteront  là-bas  jusqu'à  ce  qu'on  les  perde. 

Ensuite  les  grues  dont  la  barre  a  un  crochet 

feront  leurs  cris  rouilles,  et  une  remplacée 

par  une  autre,  à  la  queue,  ira  fendre  à  la  tète. 

Vidé-Grifjin,  c'est  ainsi  que  l'on  est  poète, 


FHAXCIfl    JAMMES  IQI 


mais  on  ne  trouve  pas  la  paix  que  nous  cherchons, 
car  Fîasile  toujours  saiçncra  les  cochons, 
et  leurs  cris  aij^us  et  horribles  s'entendront, 
et  nous  ferons  des  monstres  de  petites  choses. ,, 

Mais  il  y  a  aussi  la  hien-aimée  en  roses, 
et  son  sourire  en  pluie,  et  son  corps  qui  se  pose 
doucement.  Il  y  a  aussi  le  chien  malade 
ret^ardant  tristement,  couché  dans  les  salades, 
venir  la  çrande  mort  qu'il  ne  comprendra  pas. 

Tout  cela  fait  un  mélange,  un  haut  et  im  bas, 

une  chose  douce  et  triste  qui  est  suivie, 

et  que  l'homme  aux  traits  durs  a  appelé  la  vie. 

{De  l' Angélus  de  l'Aube  à  CAnjclus  du  Soir.) 


IL  VA  NEIGER... 

A  Lt'opold  Dauby, 

W  va  ncitrer  dans  quelques  jours.  Je  me  souviens 
de  l'an  dernier.  Je  me  souviens  de  mes  tristesses 
au  coin  du  feu.  Si  l'on  m'avait  demandé  :  qu'est-ce? 
j'aurais  dit  :  laissez-moi  tranquille.  Ce  n'est  rien. 

J'ai  bien  réfléchi,  l'année  avant,  dans  ma  chambre, 
pendant  que  la  nriïi^e  lourde  tombait  tlehors. 
J'ai  rctléchi  pour  rien.  A  présent  conune  alors 
je  fume  une  pipe  en  bois  avec  un  bout  d'ambre. 

Ma  vieille  commode  en  chêne  sent  toujours  bon. 
Mais  moi  j'étais  béte  parce  que  ces  choses 

ne  pouvaient  pas  chanjçer  et  «jue  c'est  une  pose 
de  vouloir  chasser  les  rhiKcs  que  nous  s.ivoiis. 

Pourquoi  donc  pensons-nous  et  parlons-nous  V  C'est  drr'c; 
nos  larmes  et  nos  baisers,  eux,  ne  parlent  pas, 
et  cependant  nous  les  comprenons,  et  les  pas 
d'un  ami  sout  plus  doux  que  de  douces  paroles. 


iga  POÈTES  d'aujourd'hui 

On  a  baptisé  les  étoiles  sans  penser 
qu'elles  n'avaient  pas  besoin  de  nom  et  les  nombres, 
qui  prouvent  que  les  belles  comètes  dans  l'ombre 
passeront,  ne  les  forceront  pas  à  passer. 

Et  maintenant  même,  où  sont  mes  vieilles  tristesses 
de  Tan  dernier?  A  peine  si  je  m'en  souviens. 
Je  dirais  :  Laissez-moi  tranquille,  ce  n'est  rien, 
si  dans  ma  chambre  on  venait  me  demander  :  qu'est-ce  ? 
1888  {De  L'Angelas  de  tAube  à  l'Angelas  du  Soir.) 

MADAME  DE  WARENS 

Madame  de  Warens,  vous  regardiez  l'orage 
plisser  les  arbres  obscurs  des  tristes  Charmeties, 
ou  bien  vous  jouiez  aigrement  de  Tépinette, 
ô  femme  de  raison  que  sermonnait  Jean-Jacquesl 

C'était  un  soir  pareil,  peut-être,  à  celui-ci... 
Par  le  tonnerre  noir  le  ciel  était  flétri... 
Une  odeur  de  rameaux  coupés  avant  la  pluie 
s'élevait  tristement  des  bordures  de  buis... 

Et  je  revois,  boudeur,  dans  son  petit  habit, 

à  vos  genoux,  l'enfant  poète  et  philosophe... 

Mais  qu'avait-il?...  Pourquoi  pleurant  aux  couchants  roses 

regardait-il  se  balancer  les  nids  de  pies  ? 

Oh  !  qu'il  vous  supplia,  souvent,  du  fond  de  l'âme, 
de  mettre  un  frein  aux  dépenses  exagérées 
que  vous  faisiez  avec  cette  légèreté  ' 

qui  est,  hélas!  le  fait  de  la  plupart  des  femmes... 

Mais  vous,  spirituelle,  autant  que  douce  et  tendre, 
vous  lui  disiez  :  Voyez!  le  petit  philosophe!... 
Ou  bien  le  poursuiviez  de  quelque  drogue  rose 
dont  vous  lui  poudriez  la  perruque  en  riant. 

Doux  asiles  !  Douces  années  !  Douces  retraites  ! 
Les  sifflets  d'aulne  frais  criaient  parmi  les  hêtres... 


rnvNas  jammf.s  io3 


Le  chèvrefeuille  jaune  encadrait  la  fenêtre. 
On  recevait  parfois  la  visite  d  un  prêtre... 

Madame  de  Warens,  vous  aviez  du  çoût 
pour  cet  enfant  à  la  fi^ire  un  peu  espiègle 
manquant  de  repartie,  mais  peu  sot,  et  surtout 
habile  à  copier  la  musique  selon  les  rèjçles. 

Ah  !  que  vous  eussiez  dû  pleurer,  femme  inconstante, 

lorsque,  le  délaissant,  il  dut  s'en  retourner, 

seul,  là-bas,  avec  son  pauvre  petit  paquet 

sur  l'épaule,  à  travers  les  sapins  des  torrents... 

{Le  Deuil  de»  Primevèreê, 

AMSTERDAM 

A  Emile  van  Morts, 

Les  maisons  pointues  ont  l'air  de  pencher.  On  dirait 
qu'elles  tombent.  Les  mAls  des  vaisseaux  qui  s'embrouillent 
dans  le  ciel  sont  penchés  comme  des  branches  sèches 
au  milieu  de  verdure,  de  rouii^c,  de  r«)uille, 
de  harengs  saurs,  de  peaux  de  moutons  et  de  houille. 

Robinson  Crusoc  passa  par  Amsterdam, 

(je  crois,  du  moins,  (ju'il  y  passa),  en  revenant 

de  l'île  ombreuse  et  verte  aux  noix  de  coco  fraîches. 

Ouellc  émotion  il  dut  avoir  quand  il  vit  luire 

les  portes  énormes,  aux  lourds  marteaux,  de  celte  ville  I... 

Res^ardait-il  curieusement  les  entresols 

où  les  commis  écriv«*nl  des  livres  de  comptes  ? 

Kul-il  envie  de  pleurer  en  resoniçeanl 

à  son  cher  perroquet,  â  son  lourd  {varasol 

qui  l'abritait  dans  l'Ile  attristée  et  clémente? 

c  0  Eternel!  soyez  béni  »,  s'écriait-il 
devant  les  coffres  jieinttirlurés  île  tulipes. 
Mais  sou  cœur  ulli  i^té  par  la  joie  du  rclLtui 


194.  POÈTES  d'aujourd'hui 

regrettait  son  chevreau  qui,  aux  vijçnes  de  l'île, 
était  resté  tout  seul  et,  peut-être,  était  mort. 

Et  j'ai  pensé  à  ça  devant  les  gros  commerces 
où  l'on  sonçe  à  des  Juifs  qui  touchent  des  balances, 
avec  des  doigts  osseux  noués  de  bagues  vertes. 
Vois  !  Amsterdam  s'endort  sous  les  cils  de  la  neige 
dans  un  parfum  de  brume  et  de  charbon  amer. 

Hier  soir  les  globes  blancs  des  bouges  allumés, 
d'où  l'on  entend  l'appel  sifflé  des  femmes  lourdes, 
pendaient  comme  des  fruits  ressemblant  à  des  gourdes. 
Bleues,  rouges,  vertes,  les  affiches  y  luisaient. 
L'amer  picotement  de  la  bière  sucrée 
m'y  a  râpé  la  langue  et  démangé  au  nez. 

Et,  dans  les  quartiers  juifs  où  sont  les  détritus, 
on  sentait  l'odeur  crue  et  froide  du  poisson. 
Sur  les  pavés  gluants  étaient  des  peaux  d'orange. 
Une  tête  bouffie  ouvrait  des  yeux  tou   larges, 
un  bras  qui  discutait  agitait  des  oignons. 

Rebecca,  vous  vendiez  à  de  petites  tables 
quelques  bonbons  suants  arrangés  pauvrement... 

On  eût  dit  que  le  ciel,  ainsi  qu'une  mer  sale, 
versât  dans  les  canaux  des  nuages  de  vagues. 
Fumée  qu'on  ne  voit  pas,  le  calme  commercial 
montait  des  toits  cossus  en  nappes  imposantes, 
et  l'on  respirait  l'Inde  au  confort  des  maisons. 

Ah!  j'aurais  voulu  être  un  grand  négociant, 
de  ceux  qui  autrefois  s'en  allaient  d'Amsterdam 
vers  la  Chine,  confiant  l'administration 
de  leur  maison  à  de  fidèles  mandataires. 
Ainsi  que  Kobinson  j'aurais  devant  notaire 
signé  pompeusement  ma  procuration. 

Alors,  ma  probité  aurait  fait  ma  fortune. 

Mon  négoce  eût  fleuri  comme  un  rayon  de  lune 


FRANCIS   JAMMES  IQ! 


sur  l'imposante  proue  de  mon  vaisseau  bombé. 
J'aurais  reriis  chez  moi  les  sciçneurs  de  Bombay 
qu'eût  tentés  mon  épouse  à  la  belle  santé. 

Un  n«*'îTre  aux  anneaux  d'or  fût  venu  du  Moijol 
trafiquer,  souriant,  sous  son  ^rand  j)ar3sol  1 
Il  aurait  enchanté  de  ses  récils  sauvaij^es 
ma  mince  Hllc  ainée,  à  qui  il  eût  oil'crt 
une  robe  en  rubis  filé  par  des  esclaves. 

J'aurais  fait  faire  les  portraits  de  ma  famille 

par  quehjue  habile  peintre  au  sort  infortuné  : 

ma  femme  belle  et  lourde,  aux  blondes  joues  rosées, 

mes  Hls,  dont  la  beauté  aurait  charmé  la  ville, 

et  la  grâce  diverse  et  pure  de  mes  filles. 

C'est  ainsi  qu'aujourd  hui,  au  lieu  d'être  moi-même, 

j'aurais  été  un  autre  et  j'aurais  visité 

l'imposante  maison  de  ces  siècles  passés, 

et  que,  rêveur,  j'eusse  laissé  flotter  mon  Ame 

devant  ces  simples  mots  :  là  vécut  Francis  Jammes. 

{Le  Deuil  des  Primevère». 


PRIERE  POUR  QU'UN  ENFANT  NE  MEURE  PAS 

Mon  Dieu,  conservez-leur  ce  tout  prlil  enfant, 

comme  vous  conservez  une  herl)e  tlans  le  vent. 

Qu'est-ce  que  ça  vous  fait,  puis(|ue  la  mère  pleure, 

de  ne  pas  le  faire  mourir  là,  tout  à  l'heure, 

comme  une  chose  (jue  l'on  ne  peut  éviter? 

Si  vous  le  laissez  vi>Te,  il  s'en  ira  jeter 

des  roses,  l'an  prochain,  dans  la  Fête-Pieu  claire! 

Mais  vous  clés  trop  bon.  Ce  n'est  pas  vous,  mon  Dieu, 

qui,  sur  les  joues  en  roses,  posez  la  mort  bleue, 

à  moins  que  vous  n'ayez  de  beaux  eiulroits  où  mettre 

auprès  de  leurs  mamans  leurs  fils  à  la  fenêtre? 

Mais  pourquoi  pas  ici?  Ah!  Puisque  l'heure  sonne. 


iqÔ  POÈTES  d'aujourd'hui 


rappelez-vous,  mon  Dieu,  devant  l'enfant  qui  meurt, 
que  vous  vivez  toujours  auprès  de  votre  Mère. 

(Le  Deuil  des  Primevères.) 

PRIÈRE  POUR  ALLER  AU  PARADIS  AVEC  LES  ANES 

Lorsqu'il  faudra  aller  vers  vous,  ô  mon  Dieu,  faites 

que  ce  soit  par  un  jour  où  la  campagne  en  fête 

poudroiera.  Je  désire,  ainsi  que  je  fis  ici-bas, 

choisir  un  chemin  pour  aller,  comme  il  me  plaira, 

au  Paradis,  où  sont  en  plein  jour  les  étoiles. 

Je  prendrai  mon  bâton  et  sur  la  grande  route 

j'irai,  et  je  dirai  aux  ânes,  mes  amis  : 

Je  suis  Francis  Jammes  et  je  vais  au  Paradis, 

car  il  n'y  a  pas  d'enfer  au  pays  du  Bon-Dieu. 

Je  leur  dirai  :  Venez,  doux  amis  du  ciel  bleu, 

pauvres  bêtes  chéries  qui,  d'un  brusque  mouvement  d'oreille, 

chassez  les  mouches  plates,  les  coups  et  les  abeilles... 

Que  je  Vous  apparaisse  au  milieu  de  ces  bêtes 

que  j'aime  tant  parce  qu'elles  baissent  la  tête 

doucement,  et  s'arrêtent  enjoignant  leurs  petits  pieds 

d'une  façon  bien  douce  et  qui  vous  fait  pitié. 

J'arriverai  suivi  de  leurs  milliers  d'oreilles, 

suivi  de  ceux  qui  portèrent  au  flanc  des  corbeilles, 

de  ceux  traînant  des  voitures  de  saltimbanques 

ou  des  voitures  de  plumeaux  et  de  fer-blanc, 

de  ceux  qui  ont  au  dos  des  bidons  bossues, 

des  ânesses  pleines  comme  des  outres,  aux  pas  cassés, 

de  ceux  à  qui  l'on  met  de  petits  pantalons 

à  cause  des  plaies  bleues  et  suintantes  que  font 

les  mouches  entêtées  qui  s'y  groupent  en  ronds. 

Mon  Dieu,  faites  qu'avec  ces  ânes  je  Vous  vienne. 

Faites  que,  dans  la  paix,  des  anges  nous  conduisent 

vers  des  ruisseaux  touffus  où  tremblent  des  ccriees 

lisses  comme  la  chair  qui  rit  des  jeunes  filles, 

et  faites  que,  penché  dans  ce  séjour  des  âmes, 

sur  vos  divines  eaux,  je  sois  pareil  aux  ânes 


FnxXClS    JAMMES  I97 


qui  mireront  leur  humble  el  douce  pauvreté 
à  la  limpidité  de  l'amour  éternel. 

(Le  Deuil  des  Primevères.) 


JEAN  DE  NOARRIEU 

CHANT    PREMIEIX 

Je  ne  veux  pas  d'autre  joie,  quand  l'été 

reviendra,  que  celle  de  l'an  passé. 

Sous  les  muscats  dormants,  je  m'assoirai. 

Au  fond  des  bois  qui  chantent  de  l'eau  fraîche, 

j'écouterai,  je  sentirai,  verrai 

tout  ce  qu'entend,  sent  et  voit  la  forêt. 

Je  ne  veux  pas  d'autre  joie,  quand  l'automne 

reviendra,  que  celle  des  feuilles  jaunes 

qui  racleront  les  coteaux  où  il  tonne, 

que  le  bruit  sourd  du  vin  neuf  dans  les  tonnes, 

que  les  ciels  lourds,  que  les  vaches  qui  sonnent, 

que  les  mendiants  qui  demandent  l'aumône. 

Je  ne  veux  pas  d'autre  joie,   quand  l'hiver 
reviendra,  que  celle  des  ci^^ux  de  fer, 
(|ue  la  fumée  des  parues  j^rinrant  en  l'air, 
que  les  tisons  chantant  comme  la  mer, 
el  (jue  la  lampe  au  fond  des  carreaux  verts 
de  la  bouti(jue  où  le  pain  est  amer. 

Je  ne  veux  pas,  quand  revient  le  printemps, 
d'autre  joie  que  celle  de  l'aiq-re  vent, 
que  les  pêchers  sans  feuilles  fleurissant, 
que  les  sentiers  boueux  et  verdissants, 
que  la  violette  et  que  l'oiseau  chantant 
comme  an  ruisseau  d'oras^e  se  içor^eant. 

Mon  Dieu,  donnez-moi  l'ordre  nécessaire 

h  tout  labeur  poéticjue  el  sincère. 

On  m'a  conté  que  les  peintres  célèbres 

peignaient  longtemps  les  yeux,  longtemps  les  lèvres, 


jgS  POÈTES  d'aujourd'hui 

longtemps  les  joues  et  longtemps  les  oreilles 
des  bienheureux  que  leur  génie  éclaire. 

Je  veux  ici,  puisqu'il  faut  commencer, 
ne  point  poser  à  faux  dans  l'encrier 
ma  plume.  Et,  comme  un  adroit  ouvrier 
tient  sa  truelle  alourdie  de  mortier, 
je  veux,  d'un  coup,  à  chaque  fois  porter 
du  bon  ouvrage  au  mur  de  ma  chaumière. 

(Le  Triomphe  de  la  Vie.) 

DANS  LE  SILENCE  DE  LA  NUIT 

Dans  le  silence  de  la  nuit  chantait,  hier  soir, 
chantait  je  ne  sais  où  le  grillon  du  foyer. 
Ce  petit  chant  élargissait  encore  le  noir. 
La  flamme  triste  de  ma  bougie  s'allongeait. 

Allons.  Il  a  fallu  se  recoucher,  la  mort 
dans  Tàme,  en  se  disant  que,  pas  plus  qu'autrefois 
je  n'aurais  de  bonheur  sans  doute,  et  que  la  voix 
de  ce  cri-cri  n'était  que  moi-même,  et  rien  d'autre. 

Ecoute,  mon  enfant,  écoute  le  cri-cri. 

Tu  n'as  pour  te  calmer  que  ce  grésillement. 

Mais  comprends  comme  il  est  vaste,  comme  il  s'étend 

sur  toute  la  vallée  du  cœur  endolori... 

Tout  se  tait,  le  chagrin,  l'ennui,  l'homme,  que  sais-je  ? 
Seul  le  chant  continue  du  grillon-boulanger. 
Adresse-t-il  à  Dieu  une  plainte  légère, 
et  Dieu  laisse-t-il  seul  ce  grillon  lui  parler  ? 

Ecoute  ce  qu'il  dit.  Il  dit  le  pain  obscur 
et  le  pot  ébréché  dans  les  cendres  amères. 
Il  dit  le  chien  qui  dort.  Il  dit  la  ménagère. 
Il  dit  je  ne  sais  quoi  de  triste,  bon  et  pur. 

Il  dit  qu'il  est  ami.  Il  dit  que,  l'autre  jour. 


FRANCIS    JAMMES  If)Q 


mon  fermier  a  conduit  sa  finncée  h  l'éçlise, 

et  que  la  métairie  était  pleine  d'amour, 

ainsi  f|u'un  cerisier  est  tout  plein  de  cerises. 

Il  dit  que  les  époux  sont  venus  me   saluer 

et  que,  t^raves  et  lents,  ils  m'ont  fait  visiter 

leur  chambre  où,  dans  le  lit  nuptial  ouvert,  dormait 

la  plus  petite  sœur  de  cette  mariée, 

La  noce  est  repartie.  Et  ont  fini  les  danses. 
L'épouse  a  remplacé  sa  sœur  la  plus  petite. 
La  joie  est  simple  au  fond  de  la  chambre  bénite. 
L'horloge  et  le  grillon  s'aiment  dans  le  silence. 

(Clairières  dans  le  ciel.) 

L'ENFANT  LIT  L'ALMANACH... 

L'enfant  lit  l'almanach  près  de  son  panier  d'œufs. 
Lt,  en  dehors  des  Saints  et  du  temps  qu'il  fera, 
elle  peut  contempler  les  beaux  sii^ncs  des  cieux  : 
ChcvrCj  Taureau,  Bélier,  Poissons,  et  caetera. 

Ainsi  peut-elle  croire,  petite  paysanne, 

qu'au-dessus  d'elle,  dans  les  constellations, 

il  y  a  des  marchés  pareils  avec  des  Anes, 

des  taureaux,  des  béliers,  des  chèvres,  des  poissons. 

C'est  le  marche  du  Ciel  sans  doute  qu'elle  lit. 
Et,  quand  la  pasçe  tourne  au  sijçne  des  Balances^ 
elle  se  dit  qu'au  Ciel  comme  à  l'épicerie 
on  pèse  le  café,  le  sel  et  les  consciences. 

(Clairières  dans  le  cieL) 


ON  VOIT,  QUAND  VIENT  L  AUTO.MNE... 

On  voit,  quand  vient  l'automne,  aux  fils  télégraphiques, 

de  lonc;ues  lii^nes  d'hirondelles  grelotter. 

On  sent  leurs  petits  cœurs  qui  ont  froid  s'inquiéter. 


200  POIITES    D  AUJOURD  IlOI 


Même  sans  l'avoir  vu,  les  plus  toutes  petites 
aspirent  au  ciel  chaud  et  sans  tache  d'Afrique. 

...Sans  l'avoir  jamais  vu  !  dis-je.  C'est  comme  nous 
qui  désirons  le  Ciel  dans  notre  inquiétude* 
Elles  sont  là,  perchées,  pointues,  faisant  l'étude 
de  l'air,  ou  décrivant  le  vol  d'un  cercle  doux, 
pour  venir  repercher  à  l'endroit  qu'elles  quittent. 

C'est  dur  d'abandonner  le  porche  de  l'église  ! 

dur  qu'il  ne  soit  plus  tiède  ainsi  qu'aux  mois  passés  ! 

Oh  !  Comme  elles  s'attristent  !  Oh  !  Pourquoi  le  noyer 

les  a-t-il  donc  trompées  en  n'ayant  plus  de  feuilles  ? 

La  nichée  de  l'année  ne  le  reconnaît  point, 

ce  Printemps  que  l'Automne  a  recouvert  de  deuil. 

Ainsi  l'âme  qui  a  souffert  de  tant  de  choses, 
avant  de  traverser  les  Océans  divins 
et  de  gagner  le  Ciel  des  éternelles  Roses, 
s'essaye,  hésite,  et,  avant  de  partir,  revient. 

[Clairières  dans  le  ciel.) 

MON  HUMBLE  AMI,  MON  CHIEN  FIDÈLE... 

Mon  humble  ami,  mon  chien  fidèle,  tu  es  mort 
de  cette  mort  que  tu  fuyais  comme  une  guêpe 
lorsque  tu  te  cachais  sous  la  table.  Ta  tète 
s'est  dirigée  vers  moi  à  l'heure  brève  et  morne. 

0  compagnon  banal  de  l'homme  :  Etre  béni  ! 
toi  que  nourrit  la  faim  que  ton  maître  partage, 
toi  qui  accompagnas  dans  leur  pèlerinage 
l'archange  Raphaël  et  le  jeune  Tobie.. . 

0  serviteur  :  que  tu  me  sois  d'un  grand  exemple, 
ô  toi  qui  m'as  aimé  ainsi  qu'un  saint  son  Dieu  î 
Le  mystère  de  ton  obscure  intelligence 
vit  dans  un  paradis  innocent  et  joyeux. 

Ah  1  faites,  mon  Dieu,  si  vous  me  donnez  la  grâce 


FHANCIS    JAMMF.<)  20t 


de  Vous  voir  face  à  Face  aux  jours  d'Eternité, 
faites  qu'un  pauvre  chien  contemple  face  à  face 
celui  qui  fut  son  dieu  parmi  rimmanilé. 

(Clairières  dant  le  Ciel.) 

L'ANE  SAVANT 

Je  suis  l'âne  savant,  celui  mt^me  qui  étonne 
l'Académie.  Je  calcule  aussi  bien  qu'un  homme. 
Mon  maître,  un  fouet  en  main,  m'obliiçe  de  grimper 
sur  un  mauvais  tonneau  où  il  faut  s'équilibrer. 
Des  applaudissements  courent  dans  l'assistance. 
Ensuite,  je  descends  et  il  faut  que  je  danse. 
Où  est  Paris?  me  demande-t-on.  Je  mets  le  pied 
à  l'endroit  qu'il  le  faut  sur  la  carte  de  France. 
—  Anon  !  faites  le  tour  de  la  société 
et  puis  arrctez-vous  en  montrant  de  la  tête 
parmi  les  spectateurs  celui  qui  est  le  plus  bêle? 

...  J'obéis  et  suis  sûr  de  ne  pas  me  tromper... 
Et  je  sens,  chaque  fois  qu'une  chose  il  m'apprend, 
combien  à  chacpie  fois  l'homme  est  plus  ii^nurant. 
Et,  lorsque  vient  la  nuit  sous  la  cK'upiante  toile 
ouverte  au  vent  glacial,  tristement  je  m'endors. 
L'obsession  du  savoir  me  poursuit.  Et  alors 
mon  cauchemaj*  s'essaie  à  compter  les  étoiles. 

{Pensée  des  Jardins .  ) 

CONCLUSION 

Petit  Ane  mendiant  et  fçris,  plus  désolé 

que  la  carriole  que  tu  traînes, 
0  toi  qui  n'en  peux  plus,  ù  toi  qui  n'en  peux  mais  ! 

avoue  que  lu  n'as  pas  de  veine  ? 

Mais  que  t'importent  quehpies  horions  de  j>lus? 

Ce  n'est  point  tant  pour  la  lenteur, 
que  parce  que  tu  es  toi,  que  l'on  te  distribue 

CCS  coups  de  soulier  sur  le  cœur. 


a02  POETES    D  AUJOURD  nui 

0  mon  frère,  espérons  qu'à  cette  même  source    ' 

où  se  mire  le  Paradis  : 
toi  et  moi  nous  boirons  un  jour  une  eau  plus  douce 

que  l'ombre  de  l'aulne  à  midi. 

Nous  raillerons  alors  ceux  qui  nous  méprisèrent, 

tous  ceux  qui  ne  comprirent  pas 
qu'il  fallut  du  génie  pour  chanter  ou  pour  braire 

avec  une  certaine  voix. 

Mais  j'ai  bien  peur,  âne  si  finement  poète, 

que,  même  au  ciel,  près  du  Bon-Dieu, 

les  hommes  en  question  ne  demeurent  des  bêtes, 
et  que  nous  ne  difï'érions  d'eux. 

{Pensée  des  Jardins . 


GUSTAVE  KAIIN 
1859 


M.  Gustave  Kahn  est  né  à  Metr,  le  ai  décembre  iSSg.  Elève  da 
l'Ecole  des  Chartes  et  de  l'Ecole  des  lan2;ues  orientales. il  en  suivait 
encore  les  cours  quand  il  commença  à  publier,  en  1880,  quelquei 
articles  dans  de  petites  revues  bien  oubliées  aujourd'hui,  comme  La 
Bévue  Moderne  et  Xaluraiiste,  L'IIydropathe  et  Le  Tout-Paris.  Il 
parlit  ensuite  pour  l'Afrique,  où  il  demeura  quatre  années.  Rentré 
à  Paris  en  iH85,  il  reprit  aussitôt  ses  travaux  littéraires,  et  fonda 
l'année  suivante,  exactement  le  1 1  avril  188G,  une  petite  revue  hebdo- 
madaire, La  Vogue,  dont  les  numéros,  devenus  excessivement  rare» 
aujourd'hui,  eurent  un  succès  justifiant,  on  peut  le  dire,  son  titr«. 
C'est  dans  La  Vogue  que  M.  Gustave  Kahn  publia,  en  même  tempp 
que  la  traduction  d'une  traçédie-comédie  de  Casanova  de  Seinçalt  : 
Le  Polemoscope  ou  la  Calomnie  démasquée  par  la  Présence  d'Es- 
prit, la  plupart  des  poèmes  qui  devaient  composer  sa  première  œu- 
vre :  Les  Palais  Xomades.  De  l'avis  de  M.  Félix  Fénéon,  le  biograph» 
de  M.  Gustave  Kahn,  ces  poèmes  révélaient  «  un  poète  libre  de  toute» 
«  traditions,manircslant  sans  préambule  et  sans  atténuations  d'ine* 
«  dites  manières  de  voir  et  de  sentir,  et  capable  de  les  imposer  *. 
En  188G,  M.  Gustave  Kahn,  avec  la  collaboration  de  M.M.  Jea» 
Morcas  et  Paul  Adam,  fit  paraître  im  journal  littéraire  et  politique. 
Le  Symboliste,  et  prit  part,  en  18S8,  à  la  direction  de  la  Revue  Inde- 
p'ndanie,  oh  il  publia  une  suite  dctudcs  critiques  très  remarquée». 
Sa  deriiicre  trntalive  comme  écrivain  combatif  fut  la  publicalioa 
d'une  nouvelle  série  de  La  Vogue,  en  i88<j.  Désormais,  M.  Gustave 
Kahn  se  consacra  uni(]uement  à  son  œuvre  de  poète,  publiant  succes- 
sivement Chansons  d'Amant,  Domaine  de  Fée,  La  Pluie  et  le  Beaa 
Temps,  Le  Livre  d'Images. 

M.  Gustave  Kahn  est  un  poète  du  vers  libre.  Il  a  m^tnc  passé  à 
noe  certaine  époque  pour  l'avoir  inventé,  et  lui-même  n'est  pas  loin» 
de  le  croire.  Ou  a  prétendu,  d'autre  part,  que  le  mérite  de  cette  iauo- 


S04  POÈTES    D'AUJOUnD*IIUI 


vation  revenait  à  Jules  Laforgue.  Arihur  Rimbaud  se  l'est  vu  égale- 
ment attribuer,  et  il  n'est  pas  jusqu'à  une  poétesse  montmartroise, 
M"»  Marie  Krysinska,  qui  n'ait  réclamé  cette  gloire  pour  son  propre 
compte.  C'est  là  une  question  qui  n'est  pas  encore  bien  tranchée,  et 
le  vers  libre,  en  admettant  qu'il  n'ait  pas  toujours  existé  plus  ou 
moins,  n'a  peut-être  été,  tout  d'abord,  sous  sa  forme  actuelle,  qu'un 
des  résultats  de  l'influence  de  poètes  étrangers,  notamment  du  poète 
américain  Walt  "Whitman,  très  apprécié  des  écrivains  symbolistes. 
Quoi  qu'il  en  soit,  M.Gustave  Kahn  a  incontestablement  une  grande 
place  dans  cette  tentative  de  rénovation  poétique,  dont  il  fut  le 
théoricien  par  excellence,  au  point  qu'on  ne  dit  guère  aujourd'hui 
de  choses  sur  ce  sujet  qu'il  n'ait  dites  tout  le  premier.  De  même, 
levers  libre  de  M.  Gustave  Kahn  porte  bien  sa  marque,  ainsi  que 
ses  poèmes  dans  leur  ensemble.  C'est  un  peu  étrange  et  barbare,  en 
même  temps  qu'un  peu  mièvre  et  maniéré.  Les  images  en  sont 
éclatantes,  les  couleurs  vives,  et  le  rythme,  parfois,  déconcerte. 
N'est-ce  qu'une  impression  de  lecteur?  11  semble  qu'on  y  retrouve 
comme  des  échos  et  des  couleurs  de  ces  pays  exotiques  où  M.  Gus- 
tave Kahn  vécut  quelques  années  de  sa  jeunesse. 

Depuis  Le  Livre  d'Images,  publié  en  1897,  M.  Gustave  Kahn  n'a 
rien  donné  comme  poète.  La  critique,  où  il  montre,  encore  mieux 
qu'autrefois,  un  esprit  curieux,  renseigne  sur  tout,  et  une  intelligence 
extrêmement  pénétrante,  semble  l'avoir  pris  de  nouveau,  et  un  peu 
le  roman,  le  conte  en  prose,  et  les  études  d'esthétique.  On  en  trou- 
vera des  témoignages  à  la  partie  bibliographique,  où  sont  énumérées 
les  œuvres  qu'il  a  données  dans  ces  divers  genres. 

M.Gustave  Kahn  a  collaboré  à  La  Jeune  Belgique, a^M  Décadent, k 
La  Basoche,  La  Gazette  anecdolique,  Paris  littéraire,  La  Vie 
Moderne,  Le  Réveil  de  Gand,  La  Société  Nouvelle,  La  Revue  Ency- 
clopédique, Le  Monde  Moderne,  La  Revue  de  Paris,  Nouvelle  Revue, 
Le  Livre  d'Art,  L'Epreuve,  au  Supplément  du  Pan,  au  Mercure  de 
France,  au  Journal,  à  L'Evénement,  aux  Droits  de  l'Homme,  à  la 
Presse,  à  l'Almanach  des  Poètes  (Mercure  de  France,  189G,  1897), 
aux  Hommes  d'Aujourd'hui,  à  laRevue  Blanche,  auGil  Blas.  C'est 
lui  qui  a  créé,  en  1897,  avec  M.  Catulle  Mendès,  et  d'une  façon  très 
heureuse.  Les  Matinées  de  Poètes,  organisées  successivement  à  l'O- 
déon,  au  Théâtre  Antoine  et  au  Théâtre  Sarah-Bernhardt  pour  faire 
connaître  les  écrivains  du  mouvement  symboliste  et  de  la  généra- 
tion suivante,  —  matinées  qui,  depuis,  ont  été  très  imitées.  M.  Gus- 
tave Kahn  est  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Bibliographie  : 

Lm  œuvres.  —  Les  Palais  Nomades,  poèmes.  Paris,  Tresse  et  Stocks 
1887,  ^,  ia-8.  — •  ChUQSOUS  il'uiuuut,  poùmos.  iiruxcUca,  Lacomblex,  1801, 


CUSUàVE    ÏAHN  205 

in-lC.  —  Domaine  de  F*e,  po^mr*.  Bruipllc*,  We  Monnom,  1895,  in-l«. 
—  La  Pluie  et  le  Ueau  TcmpR.  poèmes.  T'aris,  Vanirr,  1P95.  in-lH.  _ 
Le  Roi  Poil,  roman.  Paris,  Ilarard.  1895.  in-18.  —  Limites  de  Lumière, 
poèmf's.  Brujellos,  Deman.  1895.  in-16.  —  Premier»  poèmes  iLet  /'alait 
nomariei.  Chantons  d'amant.  liomaine  de  F/t\  pr6cidé«  dune  élude  «ur  le 
rer»  libre.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1897,  in-18.  —  t>c  Livre 
d'Images,  poèmei.  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France,  1897,  in-19.  —  Le 
Conte  de  l'Or  et  du  Silence.  Paris.  Soc.  du  Mercive  de  France,  if^OH, 
ln-18.  —  Les  Pellles  Aines  prcRS«*es.  roman,  illust.  de  H.  Il^louclie 
Paris.  OllendorfT.  1898,  in-18.  —  Le  Cirque  Solaire,  roman,  r'ari»,  M.  de 
«  la  Revue  Blanche  ».  1899.  in-18.  —  Les  Tlears  de  la  Passion,  roman. 
Paris,  OllendorfT,  lOM.  m-i».  —  L'Estii^'lique  de  la  rue.  Pans,  Favjuelie, 
19  11.  in-18.  —  L  Adultère  senlimenfal.  r<.man.  Pans.  M.  de  c  la  Hevuè 
Blanche  ■,  1902,  in-lH.  —  Odes  de  la  Uai.von.  Pans,  éd.  de  •  la  Raison  » 

19  lî,  in-8.  —  Symbolistes  et  «léradenls     F'aris,  Me*»ein.  lOôî,   in-18.  

Contes  hollandais.  F'aris,  Fasquelle,  1903,  in-18.  —  Boucher.  l>io;:raphie 
crilii|ue.  illuslrée  do  24  ropro  lurlions  hors  texte.  Pans,  H.  Laurens,  1905 
in-18.  —  De  1  arlule  à  Os  Messieurs,  critique.  Paris,  Sansot,  1905,  petit 
in-16.  —  Le  Salon  du  .Mobilier.  Paris,  Gutirinel,  1905.  pr.  in-8.  —  Poli- 
chinelle (de  Guiijnol).  F'ri-ct'dc  d'une  étude.  Paris.  San«ot.  1906.  petit  in-18. 

On  trouve  en  outre  des  poèmes  de  M.  Gustave  Kahn  dans  l'Almanach  des 
Poètes  |>our  1896  et  1897  (Paris,  éd.  du  Mercure  de  France,  ISOi,  18%, 
î  vol.  in-18)  et  un  article  :  Let  Lettres  franraisft  en  Ahacr-Lor-ram^.  poy» 
lorrain  annexé,  dans  l'ouvrage  suivant  :  Congrès  international  pour 
l'extension  et  la  culture  de  la  langue  française,  r*  session.  Paris, 
II.  Cliampion,  190C.  in-«. 

Fhéfa<.e.  —Albert  Fua  ;  Le  Semeur  d'/dt^nl.  etc..  Paris,  éd.  de  la  Plume, 
1899,  in-18  —  D'  Abduilah  Djevdet  bey  :  La  Lyre  turque  (Feux  de 
paradis  et  Roses  d' enfer  i.  Vienne.  G.  Fricit.  1002,  in-I*<. 

F'otsiEs  MISES  ty  ML-siQLf.  —  Ues  poésics  de  M.  G.  Kahn  ont  été  m»^^  «■ 
musique  par   M"*    Gelty    et  M    L.  T'oniio. 

A  coNstiTER.  —  André  Ueaunier  :  La  Poésie  nouvelle.  Pari»,  Soc.  du 
Mercure  de  France.  19;'2,  in-18.  —  J.  Ernest  Charles  :  Les  Samedis  litté- 
raires. Pans,  F'erriu,  1903,  in-18.  —  Itemy  de  UourmODt  :  Le  Livre  de» 
Masques.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France.  1896;  Estliétique  de  la  Langue 

française  (le   ver»   libre).  Paris,  Soc.  du   Mercure  de  France,  1899,  in-18. 

Jules  lluret  :  Enquête  sur  l'Evolution  littéraire.  Pari»,  Giarpentier, 
1891,  iu-18.  —  Bernard  Lazare  :  Fujures  Contemporaines  Paris,  Perrin 
1895.  —  Georges  Le  Cardonnel  et  Ch.  Vellay  :  La  Littérature  contem- 
poraine, 1905.  Opiniuns  des  écrnains  tie  ce  teinjis.  F'aris.  Soc.  du  Merrun>  de 
France,  1906,  in-18.  —  G.  Ilandon  :  G.  Kahn,  notice,  publiée  dans  Le» 
Portraits  du  prochain  Siècle.  Paris,  Girard.  1894,  in-18.  —  Adolphe 
Itellè  :  Le  St/mbolisnie.  AntCilutes  et  Si.uvenir.x.  Pans.  Messcin,  19ij3,  »u-1«. 
—  Jules  Tellier  :  IVos  poètes,  l'ans.  l>«»*|>r.t.  1S*«.  in-18.  —  À.  van 
Haiiii'l  f/tt  tetterkundig  leven  van  Frankryk,  studien  en  Schesten.  lll. 
Anisterdam.  Van  Kampen  en  Zoon,  19ii7,  in-8. 

Albert  Dreyfus  :  Sur  Gustave  Kahn,  Vers  et  prose,  mars-m.^i  1007.  — 
Félix  l'énèou  Kahn  {La  Hommes  d'aujourd'hui).  Paris.  Vam.  r,  ».  d.  — 
Cuinllle  Maui'lalr  :  Troi*  poète»  moderne».  Kerue  tucvcloiic^ljque.  19 
avtil  UJti.  —   Liiin.  Filou  :    O'uiUtc    Kalm.  trmiu^'a.  (cvr.cr  l&Ctil 

44 


Î06  POÈTES   D'AtJJOURD'HUi 


Iconographie  : 

Henry  Bataille  :  Têtes  et  Pensées,  lithogr.  et  écrites.  Paris,  OUendorff, 
1901,  gr.  in-4.  —  L.  Hayet  :  Portrait, peinture  à  l'huile,  (Exposition  des 
Portraits  du  Siècle,  1893).  —  M.  Luce  :  Dessin,  1889  (les  Hommes  d'au- 
jourd'hui),  Paris,  Vanier.  —  F.  Vallolton  :  Masque,  dans  Le  Livre  des 
Masques  de  R.  de  Gourmont.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896. 


VaiX  DE  L'HEURE  IMPLACABLE... 

Voix  de  l'heure  implacable  et  lente. 
Timbre  avertisseur  du  passé. 
Encore  un  lourd  pan  de  l'attente 
Qui  s'est  écroulé  fracassé  ! 

Rien  dans  le  passé,  rien  dans  le  présent... 
Encore  un  lambeau  d'heure  évanouie  ! 
Un  semblant  qui  s'en  va  des  printemps  séduisants, 
Un  départ,  un  baiser,  une  note  inouïe. 

Oh  !  le  douloureux  infini 
Qu'on  ressent  aux  larges  musiques, 
Au  delà  des  clartés  plastiques 
Dans  les  puissances  mécaniques. 
Oh  !  le  douloureux  infini  ! 

Rien  dans  l'avenir,  rien  dans  le  remords  ! 
Le  cœur  est  blessé  d'une  flèche  étrange; 
Un  désir  pénétrant  et  vague  qui  le  mord, 
Concert  inexpliqué  qu'un  accroc  bref  dérange  ! 

[Les  Palais  Nomades.) 

CHANTONNE  LENTEMENT... 

Chantonne  lentement  et  très  bas...  mon  cœur  pleure... 
Tristement,  doucement,  plaque  l'accord  mineur  ; 
Il  fait  froid,  il  pâlit  quelque  chose  dans  l'heure... 
Un  vague  très  blafard  étreint  l'âpre  sonneur. 
Arrête-toi...  c'est  bien...  mais  ta  voix  est  si  basse  !.- 
Trouvc3-tu  pas  qu'il  sourd  comme  un  épais  sanglot  ? 


GUSTAVE    KAHN  207 


Chantonne  lentement,  dans  les  notes  il  passe, 
Vrillante,  l'àcreté  d'un  malheur  inéclos. 

Encore  1  la  chanson  s'alanguit...  mon  cœur  pleure; 
Des  noirs  accumulés  estompent  les  flambeaux. 
Ce  parfum  trop  puissant  et  douloureux  qu'il  meure. 
Chant  si  lourd  à  l'alcôve  ainsi  qu'en  un  tombeau. 
D'où  donc  ce  frissclis  d'émoi  qui  me  pénètre, 
D'où,  très  mesurément,  ce  rythme  mou  d'andante  ? 
Il  circule  là-bas,  aux  blancheurs  des  fenêtres, 
De  boudeuses  moiteurs,  des  ailes  succédantes. 

Assez  !  laisse  expirer  la  chanson . . .  mon  cœur  pleure  ; 
Un  bistre  rampe  autour  des  clartés.  Solennel, 
Le  silence  est  monté  lentement,  il   apeuré 
Les  bruits  familiers  du  va^ue  pérennel. 
Abandonne. . .  que  sons  et  que  parfums  se  taisent  î 
Rythme  mélancolique  et  poignant  !...  Oh  !  douleur. 
Tout  est  sourd,  et  grisâtre  et  s'en  va  I  —  Parenthèse, 
Ouvres-tu  l'infini  d'un  éternel  malheur  ? 

(Les  Palais  Nomades.) 

LES  VOIX  REDISAIENT... 

Les  voix  redisaient  :  la  chanson  qui  brise 
En  son  cœur,  son  cœur  enseveli 
C'est  le  son  des  flûtes  aux. accords  des  brises. 
Et  la  marche  nuptiale  des  pâles  lys. 

Et  que  des  perrons  d'idéal  porphyre 
Elle  descendrait  lente  et  front  baissé 
En  lacis  perlé  d'idéals  Ophirs 
Et  les  mains  soumises  et  lèvres  blessées 

Qu'il  faudra  bercer  la  candeur  surprise 
A  l'éveil  si  brusque  au  matin  d'aimer  — 
O  si  court  mirage  des  bonnes  méprises 
Et  réveil  si  brusque  et  fini  d'aimer. 

(Les  Palais  Homada.) 


2n8  POÈTES  d'aujourd'hui 


FILE  A  TON  ROUET... 

File  à  ton  rouet,  file  à  ton  rouet,  file  et  pleure 
Ou  dors  au  moulier  de  tes  indifférences 

Ou  marche  somnambule  aux  nuits  des  récurrences 
Seule  à  ton  rouet,  seule  file  et  pleure. 

Sur  la  route,  les  cavaliers  fringants 
Poussent  les  chevaux  envolés  dans  le  vent, 
Souriants  et  chanteurs  s'en  vont  vers  les  levants 
Sur  la  route  ensoleillée  les  cavaliers  fringants. 

File  à  ton  rouet,  seule  à  ton  rouet,  file  et  pleure. 
Seule  à  ton  rouet,  file,  crains,  pleure. 

Et  celui  dont  la  tendresse  épanouie 

Souffre  aux  nerfs^  aux  soucis,  à  l'ouïe. 
Celui-là  s'en  ira  pour  consoler  ses  doutes 
Aux  refuges  semés  le  long  des  âpres  routes  ; 

Suspends  aux  greniers  les  chanvres  rouis. 

File  à  ton  rouet,  les  chansons  sont  légères, 
Les  images  redisent  les  gloires  des  marins. 

Les  chansons  s'évidcnt  aux  heures  plus  légères. 
Proches  du  retour  sonore  des  marins. 

Et  voici,  las  des  autans  et  des  automnes 

Au  ciel  noir  des  flots  qui  tonnent. 
Le  voici  passer  qui  vient  du  fond  des  âges, 
Noir  et  brun,  et  si  triste  :  et  les  lents  marécages 
De  ses  yeux  où  demeurent  stagnantes  les  douleurs 

S'arrêteront  épars  sur  tes  yeux  de  douleurs. 
Seule  à  ton  rouet,  file  et  pleure 
Tes  candeurs  nubiles  s'en  iraient  au  gouffre. 
Au  gouffre  lamé  de  passé  qui  souffre 
Depuis  les  temps,  les  temps,  les  leurres  et  les  leurres 
File  à  ton  rouet,  seule  file  et  pleure. 

{Les  Palais  Nomades.) 


GUSTAVE    KAON  20q 


DES  CHEVALIERS  QUI  SOiNT  PARTIS... 

Des  chevaliers  qui  sont  partis 

dès  lone^temps,  pour  plus  loin,  pour  la  vie, 

des  chevaliers  qui  sont  partis, 

Dame,  savez- vous  morts  ou  vies  ? 

—  Ils  étaient  droits  sous  la  caresse 

de  mes  yeux,  leurs  yeux  noirs  pour  la  vie, 

ils  étaient  fiers  sous  la  caresse 

de  mes  yeux,  leurs  églises  pour  la  vie. 

—  Ils  partaient  en  douce  croisade, 

pour  longtemps,  pour  plus  loin,  pour  la  vie, 
ils  partaient  chercher  l'embrassade 
d'une  mort  plus  fraîche  que  la  vie 

—  Des  chevaliers  qui  sont  partis 

vers  mes  yeux,  leurs  yeux  noirs,  pour  la  vie, 
des  chevaliers  qui  sont  partis, 
passant,  savez-vous  morts  ou  vies  ? 
Philtre  de  mort  et  nuit  sur  la  vie. 

(Chansons  cTAmant.) 


VOTRE  DOMAINE  EST  TERRE  DE  PETITE  FÉE... 
Votre  domaine  est  terre  de  petite  fée. 

Des  Japonais  diserts  et  fins 

sur  des  tasses  de  poupées 

sourient  aux  grands  oiseaux  que  feint 

votre  paroi  de  royaume  de  poii{)ée. 

Un  vague  paradis  terrestre 

gambade  à  vous  des  les  matins, 

tout  vous  rit  l'accueil,  vos  poupées, 

vos  oiseaux,  vos  tasses  et  vos  mandarins. 

Votre  salon  de  faïence  peinte 

13. 


310  POÈTES   d'aujourd'hui 


reçoit  sur  son  coin  d'étagère 
les  grands  fauves  belligères 
dessinés  en  des  fables  peintes. 

Un  congrès  de  tables  s'accoude 
autour  des  vases  en  chimères, 
sans  nulles  fleurs  éphémères 
que  fleurs  en  faïence  peinte. 

U[n  synode  de  pintes  boude, 

l'aîr  lourd,  sur  un  coin  d'étagère, 

d'être  sacrifié  à  des  verres 

en  danse  de  caprices  bohémiens. 

Près  du  divan  où  tes  yeux  clos 
font  l'ombre  aux  gracieux  enclos 
des  lueurs  lunaires  captives, 
votre  théâtre  tient  clos  ses  rideaux 

en  attendant  les  féeries  fugitives 
de  ton  réveil  en  ton  château. 

Votre  domaine  est  terre  de  petite  fée. . . 

(Domaine  de  fée.) 

JE  PARERAI  TES  BRAS... 

Je  parerai  tes  bras  de  bracelets, 
ton  cou  d'un  collier, 
tes  lèvres  de  mes  lèvres, 

je  scellerai  ton  rêve  de  ma  fièvre, 
ta  gaieté  l'encouragerai 
de  toute  mon  âme  grisée, 

tes  cheveux  les  couronnerai 
des  acclamations  qu'arracherai 
aux  trouvères  surpassés. 

Puis  te  demanderai  pardon 
d'avoir  si  mal  chanté  le  don 


GUSTAVE    KAHN  Jl  | 


parfumé  de  ta  f^râce  souveraine 
et  l'assentiment  de  ta  beauté  reine. 


{Domaine  de  fée.) 


LE  VIEUX   MENDIANT 

La  masse  d'airain  du  temps  pesa  dès  son  enfance 
sur  son  front  ;  car  des  erardes  emmenèrent  son  père 
les  pieds  gènes  d'entraves,  les  mains  jointes  de  fer  : 
la  justice  en  pesa  la  tête  dans  sa  balance. 

Sa  mère,  au  souffle  de  la  colère,  s'c«?ara 

dans  les  bois  touffus,  où  des  yeux  jamais  las 

veillent  sur  tout  sentier,  meublant  la  fondrière 

de  passants  nus,  leurs  yeux  de  misère  encore  ouverts  ; 

et  l'enfant  grandissait  quand  celle  tcle  tomba. 

Il  fut  le  fils  des  assassins  ;  lors  une  pierre 
(la  marmaille  jouait)  lui  creva  la  paupièie 
et  le  mire  ne  guérissant  qu'honnêtes  gens, 
l'autre  œil  se  détruisit,  dans  son  masque  d'enfant 
pareil  dès  lors  à  un  mur  blanc. 

Puis  il  fut  un  jouet,  et  les  forts  gravèrent 
leur  rancœur  et  leur  impatience  en  cicatrices 
sur  sa  face,  muette  table  de  supplices, 
et  des  rôdeurs,  par  pitié,  le  grisèrent 
par  gouaille,  pour  qu'il  dansât 
et,  quand  il  pleura,  le  fouaillèrent. 

Comme  pour  chacun  de  ses  doigts 
sans  cesse  était  prête  une  épine, 
que  ses  |)ieds  san«,'lanls  avaient  froid 
et  (ju'on  poussait  dans  les  ravines 
son  corps  pitoyable  et  sa  face  d'effroi, 

chaque  fois  que  vers  les  auvents 
du  village  il  allait  quêtant 


sm  POÈTES  d'aujourd'hui 


par  le  soleil  ou  le  grand  vent 

son  pain,  à  la  complainte  de  son  chant^ 

il  suivit  des  vagabonds 

dont  la  gourde  lui  donnait  le  songe  ; 

il  eut  l'os  que  le  mâtin  ronge 

et  les  servit  sans  mensonge.  — 

Aussi  on  le  mit  en  prison. 

Et  lorsqu'il  fut  l'exemple  de  la  mauvaise  route 

et  des  tourments  de  la  pire  conscience, 

un  marguillier,  aux  écoutes 

des  merveilles  de  la  grâce  en  son  inconscience, 

le  plaça  pour  que  la  main  des  dames 
s'honorât  du  sou  qui  rachète  les  âmes 
sous  un  parvis  d'église  en  évidence  : 
leçons  de  choses  pour  toute  l'enfance. 

Le  vieux  mendiant  est  lézardé 
comme  la  pierre  des  piliers  ; 
ils  subissent  les  mêmes  outrages 
du  temps,  des  chiens  et  de  l'orage. 

Ils  semblent  attendre  d'un  même  âge 

parmi  le  nombreux  passage 

des  gens  recouverts  de  velours  et  de  fourrures, 

les  êtres  doux  dont  la  parure 

serait  la  douceur  aumônière 

et  l'âme  en  généreuse  prière. 

Et  le  Temps  pleut,  lentement,  lentement 
sur  leur  attente  et  leur  tourment. 

{Le  Livre  d'Images.) 

IMAGE 

Le  cabaret  est  plein  de  panses 
dévotes  devant  autant  de  brocs, 
et  c'est  fumée  dense. 


GUSTAVE    KAON 


Le  compaî^non  du  tour  de  France 
y  vient  frapper  ;  c'est  son  repos. 

Femme,  donnez-moi  le  çîte 

et  me  versez  du  vin  sans  eau.  — 

Es-tu  charpentier,  es-tu  matelot, 

es-tu  calfat  ? 
Nous  avons  ici  besoin  de  ces  çcns-ià . 
Femme,  verse-moi  plein  mon  broc. 
Voici  l'ami  compas  et  la  fidèle  équerre  ; 

je  sais  tailler  des  bibelots 
dans  le  bois  de  chêne,  avec  mon  ciseau 
et  sertir  des  saints  pour  la  proue  des  vaisseaux.   — 
Il  n'est  ici  nul  vaisseau 
que  des  barques  g^rèles  et  puis  des  radeaux, 
les  unes  pour  la  mer,  d'autres  pour  les  canaox  , 
on  taillait  des  saints  au  temps  des  prières, 
l'éf^lise  maintenant  a  une  porte  en  fer 
et  les  ex-votos  sont  en  carton-pierre. 

Alors  les  temps  sont  durs?  — 

oui,  on  manège  les  os 

et  l'on  g^ratte  la  huche  et  l'on  boit  le  vin  sûr. 

Alors,  commère,  le  gîte  et  un  broc, 

un  peu  de  fromage  et  pais  un  chantcau. 

Je  partirai  demain  plus  loin  de  la  mer. 

{Le  L  ivr9  d'Images.) 


JULES  LAFORGUE  (i) 
4860-1887 


D'origine  bretonne  par  sa  mère  (née  au  Havre,  de  parents  bretons), 
Jules  Laforgue  naquit  à  Montevideo  (Uruguay),  le  i6  août  (2)  1860. 
Cette  naissance  s'explique  ainsi.  Le  père  de  Jules  Laforgue,  Charles 
Laforgue,  né  à  Tarbes  (Haules-Pyrénées)  en  i833,  après  avoir  ter- 
Tiiné  ses  études,  partit  à  Montevideo,  où  il  devint  instituteur,  se 
lïiaxia  et  eut  tous  ses  enfants.  Vers  la  fin  de  1868,  Charles  Laforgue 
restant  seul  à  Montevideo,  sa  femme  et  ses  enfants  revinrent  à  Tar- 
i)es.  Jules  Laforgue  avait  alors  huit  ans.  Une  année  après,  le  père 
Tint  en  France  chercher  sa  femme,  avec  laquelle  il  retourna  à  Mon- 
tevideo, ne  laissant  à  Tarbes,  de  tous  leurs  enfants,  —  ils  étaient 
alors,  si  nous  ne  nous  trompons,  au  moins  quatre,  —  que  Jules 
Laforgue  et  son  frère  aîué  Emile,  qui  furent  places  tous  deux  au 
lycée  de  la  ville.  Jules  Laforgue  resta  dans  cet  établissement  à  peu 
près  sept  années,  et  M.  Emile  Laforgue  se  souvient  parfaitement 
que,  dans  les  dernières  années  —  il  devait  avoir  environ  seize  ans, 
—  le  futur  auteur  des  Moralités  commença  à  écrire  quelques  vers. 
Les  parents  rentrés  defiaitivement  en  France,  et  Charles  Laforgue 
voulant  parachever  l'éducation  de  ses  enfants  et  se  rapprocher  de 
ses  propres  parents,  toute  la  famille  vint  s'installer  à  Paris.  C'était 
fin  1876.  Jules  Laforgue  entra  au  lycée  Fonlanes,  aujourd'hui  lycée 
Condorcet,  où  il  resta  environ  deux  ans.  C'est  à  sa  sortie  de  ce  lycée, 
en  1879,  qu'il  se  lia  avec  M  Gustave  Kahn,  M.  Charles  Henry,  et 
fréquenta  le  Cercle  des  Hydropalhes.  En  même  temps  qu'il  faisait 
ainsi  ses  premières  relations  littéraires,  Jules  Laforgue  collaborait, 
comme  correspondant,  à  un  petit  journal  satirique  fondé  par  ses 
anciens  condisciples  du  lycée  de  Tarbes,  La  Guêpe,  auquel  il  envoyait 
des  vers  et  des  dessins.  Il  habitait  à  cette  époque  (1879-1880)  avec 

(1)  Nous   devons  les  renseignements  de  cette  notice  à  M.  Emile  LaforguOi 
ui|uelnous  louons  à  faire  encore  ici  nos  sincères  remerciemeuta. 
(2j  Et  non  le  22  août,  comme  on  l'a  écrii  jusqu'à  présent. 


JULES    LAFORGUE  il 5 


toute  sa  famille,  rue  Berlhollet,  num»^ro  aa.  Nous  avons  eu  l'occasion 
de  fréquenter  cette  maison.  La  chambre  de  Jules  Laforgue  devait  se 
trouver  sur  le  derrière.  Le  paysage  qu'il  a  décrit  dans  un  de  ses 
poèmes  (i)  est  resté  le  même  :  le  toit  d'une  vaste  buanderie  vieille 
et  «aie,  les  maii^res  arbres  de  quelques  jardinets  clôturés  de  glycines, 
et,  dominant  le  tout,  le  dôme  du  Val-de-(jrâce.  De  la  rue  Bcrlhollet, 
la  famille  Laforgue  alla  habiter  quelque  temps  aux  BatignoIIes,  rue 
des  Moines.  Jules  Laforgue  collaborait  alors  à  La  Vie  Moderne,  à 
L'Art  et  la  Mode,  où  il  publia  ses  premiers  vers, nous  entendons  les 
premiers  dont  il  ait  fait  étal  dans  ses  œuvres.  A  la  fin  de  1880, 
Charles  Laforgue  malade,  toute  la  famille  retourna  à  Tarbes.  Jules 
Laforgue  resta  seul  à  Paris,  logi'  dans  une  chambre  d'hôtel  de  la 
rue  Monsieur-le-Prince,  travaillant  à  des  recherches  dans  les  biblio- 
thèques pour  les  travaux  de  M.  Charles  Ephrussi,  directeur  de  La 
Gazette  des  Beaux-Arts.  C'est  à  cette  époque  de  sa  vie  que  se  place 
une  des  plus  touchantes  lettres  de  Jules  Laforgue,  écrite  à  sa  sœur,  à 
Tarbes.  Touchante,  en  effet, et  pénétrante,  celle  lettre, par  la  pauvreté 
qu'elle  révèle,  l'affection  fraternelle,  la  délicatesse  et  la  profondeur 
de  sentiment,  avec  quehjue  chose  de  ce  sourire  navré  qu'on  retrouve 
dam  tous  les  écrits  de  Laforgue.  En  voici  quelques  extraits  (a)  ; 

«  Septembre  1881.  «  Pour   toi   seule    k    lire 

Prends  garde  de  laisser  avant  de  t'endormir.  Dis  à  la 

tomber  un  petit  souvenir  cousine  que  je  lui  rembour- 

que  je  t'envoie.  serai  l'éclairage. 

«  Pauvre  chère  sœur, 

«  Il  est  sept  heures.  Je  rentre  fatigué.  On  me  donne  ta  lettre.  Ah! 
comme  je  l'attendais!  Si   tu  savais  comme  je  m'ennuie  aussi! 

«  Comme  cette  gare  était  triste  le  soir  où  vous  êtes  partis  I  Dans  ce 
wagon.  Toi  au  fond.  Je  t'appelais  voyant  tes  yeux  mouillés,  tu  ne 
répondais  pas  et  il  a  fallu  s'en  aller. 

«  ...  Le  premier  du  mois  j'ai  reçu  deux  cents  francs  d'Ephrussi. 
J'ai  rendu  cinq  francs  à  Chariot  —  payé  mon  terme  —  le  blan- 
chissage —  acheté  des  bas,  trois  gilets  de  flanelle...  puis  aujour- 
d'hui :  —  tu  sais  comme  j'étais  habillé!  veston  tout  reprise!  gilet 
en  loques,  pantalon  frangé  et  tu  ne  m'en  voudras  pas,  n'est-ce  pas? 
—  aujourd'hui,  di.s-je,  j'ai  couru  pour  voir  des  tailleurs  et  je  me 
luis  arrêté  à  un  vers  cinq  heures  —  pour  «piatre-vingts  francs  j'au- 
rai un  costume  complet  en  cheviotle,  ce  drap  que  lu  aimes  tant  I  et 

(l)  Complainte  d'un  autre  dimanche.  Poimcs.  Edition  du  Mrrrurc  de  France, 
nage  88.  Le  poème  est  daté  :  oriolno  lb84.  Erreur,  prob&LIcmcûl.  A  ceUt 
épo<|ue,  Jules  Laforgue  était  en  Alloiua|,-ue. 

(i)  Jiidanget  potHiumUt  Ed.Uu  Mercure  de  France. 


il  6  fOETES   d''aUJ0L!1VD*I1U1 


je  le  soignerai  bien  pour  aller  te  voir  en  avril  prochain,  lu  veux,  dis? 

«  ...  Hier,  dimanche,  je  me  suis  tellement  ennuyé,  j'avais  le  cœur  si 
serré  de  mon  isolement  dans  ces  foules  se  promenant,  que  cela  deve- 
nait pour  moi  une  sorte  de  jouissance  d'artiste.  Le  matin  j'ai  pris 
une  tablette  Lombard,  du  café  et  deux  sous  de  pain,  puis  j'ai  tra- 
vaillé jusqu'à  cinq  heures  dans  ma  petite  chambre.  Et  le  soir  !  Ahl 
si  tu  m'avais  vu  !  Je  me  promenais  seul,  regardant  les  foules  endi- 
manchées, rentrer  les  tramways  qu'on  prenait  d'assaut.  Et  des  détails 
qui  me  faisaient  sentir  plus  fortement  encore  ma  solitude,  une  femme 
endimanchée,  sortant  d'une  boulangerie,  tenait  à  deux  mains  sur 
une  serviette  un  rôti  fumant,  repas  de  famille,  etc.,  etc.  —  Tu  ne 
sais  pas  comment  j'ai  dîné  .  Oh  !  très  bien  !  Il  me  fallait  une  boulan- 
gerie, une  charcuterie,  une  fruiterie.  Trois  de  ces  boutiques  se  trou- 
vent tout  près,  à  ma  porte,  dans  la  rue.  Mais  je  n'aurais  pas  voulu 
que  mes  concierges  prenant  le  frais  sur  le  seuil  me  vissent;  j'ai  été 
assez  loin,  dans  une  boulangerie  j'ai  acheté  deux  sous  de  pain  qui 
ont  disparu  dans  les  profondeurs  caverneuses  de  ma  poche.  Pour  la 
charcuterie  c'était  plus  difficile.  Je  passais  et  repassais  devant  sans 
oser  rentrer. 

«  Tantôt  intimidé  de  voir  au  comptoir  deux  jeunes  charcutières  aux 
joues  roses  et  luisantes,  aux  manches  immaculées,  riant  entre  elles. 
A  quoi  bon  les  déranger?  Puis,  devant  une  autre  où  je  n'avais  pas 
le  même  prétexte,  ne  voyant  au  comptoir  qu'une  vieille  charcutière 
à  palatine  d'astrakan  chauve  sur  les  épaules,  j'hésitais  encore, 
me  demandant  si  c'était  bien  de  la  galantine  que  cette  chose  s'appe- 
lait. Enfin  à  une  autre  j'entre.  Un  homme  borgne  s'avance,  ceint  de 
son  tablier,  le  coutelas  effilé  au  côté.  De  la  galantine,  s.  v.  p.  — 
Pour  combien? —  Six  sous, balbutiai-je.  —  Truffée  ou  non  truffée? 
—  Diable,  pensais-je,  je  n'ai  jamais  goûté  de  lune  ni  de  l'autre,  et 
dans  l'éclair  d'une  seconde,  sous  l'œil  inquisiteur  du  charcutier,  je 
me  fis  à  part  moi  ce  petit  raisonnement  :  Si  je  prends  de  la  truffée, 
je  n'aimerai  peut-être  pas  la  partie  truffée  et  serai  obligé  delà  jeter, 
et  ce  sera  cela  du  poids  en  moins.  —  Or  je  l'aime  non  truffée,  et 
les  truffes  en  moins  feront  du  non  truffé  en  plus  —  et  je  conclus 
à  haute  et  intelligible  voix  :  —  Non  truffée!  Cet  être  s'attaqua 
à  un  gros  bloc  recouvert  de  gelée  ambrée  et  m'enveloppa  dans  un 
papier  une  grande  plaque  mince  qui  alla  rejoindre  les  deux  sous  de 
pain  dans  ma  poche.  Puis  dans  une  fruiterie  j'ai  acheté  pour  la  modi- 
que somme  de  dix  centimes  une  tranche  de  melon  qu'on  m'enve- 
loppa aussi,  et  je  remontai  chez  moi.  Je  m'enferme  à  double  tour  et 
je  mange  en  songeant  à  la  vie,  à  toi  qui  ne  m'écris  pas,  etc.  Puis, 
une  fois  tout  fini,  ne  voulant  pas  laisser  dans  ma  chambre  la  croûte 
de  la  tranche  de  melon,  ce  qui  aurait  révélé  ma  misère  au  garçon 
préposé  à  l  eulrelica  de  ma  chambre,  je  pris  mou   chapeau,  ^la 


JULES    LAFORGUE  217 


canne,  mig  mes  fiants,  puis  je  fis  passer  ia  dite  croûte  dans  ma 
poche.  Je  descenciis,  cl  faisant  semblant  de  me  promener  sous  les 
arcades  de  l'Odion,  j'épiai  un  momcat  favorable,  cl  laissai  lomber 
cette  croûte  à  terre. 

«r ...  Fipure-toi  que,  quoique  absolument  libre,  je  ne  puis  m'arracher 
de  mes  habitudes.  Tiens,  quand  je  sors  de  chez  Ephrussi  à  midi,  qui 
mcmprche  de  manger  dans  son  (juartier  et  d'aller  de  là  à  la  liiblio- 
Ihcque  ?  Et  non,  mes  jambes  me  portent  vite  et  instinctivement  dans 
notre  quartier,  et  je  rôde,  sans  savoir  pourquoi,  autour  de  la  rue 
Berthollcl,  où  je  n'ai  pourtant  plus  rien  à  faire!  (Juand,  le  soir, à  dix 
heures,  je  me  trouve  sortant  du  cabinet  de  Itctnrc,  je  me  hù\v  ver- 
le  quartier,  comme  si  tu  m'attendais  toujours,  puissance  des  habis 
tudes  prises  I  Le  ressort  a  été  monté  d'une  certaine  faron  par  la 
main,  et  la  machine  marche  toujours  dans  ce  sens.  Comme  ta  lettre 
est  triste,  ma  pauvre  petite  Marie  ;  mais  il  faut  de  temps  en  temps 
de  ces  séparations,  de  ces  tristesses,  pour  entretenir  la  douceur  d'en- 
fance de  son  cœur  —  tu  ne  crois  pas,  lu  me  trouves  cruel,  peut-être. 
Mais  nous  aurons  la  joie  de  nous  revoir,  la  joie  d'cchau^er  des 
lettres,  etc. 

«  ...Que  puis-je  l'envoyer  comme  souvenir  cette  fois-ci?  Je  découpe 
dans  un  coin,  derrière  la  commode,  un  morceau  de  la  tapisserie  de 
ma  pauvre  chambre,  ^arde-le  prcci«useincnl.  —  Je  t'enverrai  un  jour 
une  cassette  où  tu  mettras  uni(|uement  mes  lettres  et  tous  les  petits 
souvenirs  que  je  t'enverrai.  Nous  en  rirons  en  le-j  rcvovant.  » 

Rien  que  pour  ces  dernières  lignes,  n'est-elle  pas  admirable  et 
touchante,  cette  lettre,  et  ne  fait-elle  [)as  aimer  celui  qui  l'a  écrite? 

C'est  éf^alement  à  cette  époque  que  Jules  I^afori^ue  connut  M.  l'aul 
Bour^cl,au(iuel,  croit  se  rappeler  M.  Emile  Laforçii»*.  il  avait  envoyé 
quelques  vers,  et  qui  l'invita  h  venir  le  voir.  L'atnilié  et  rinflumce 
réunies  de  MM.  Charles  Ephrusbi  et  Paul  linur^rt  procurèrent  «lors 
à  Jules  Laforf;ue  une  place  de  lecteur  au|>rcs  de  l'Impératrice 
Augusta,  grand'mère  de  l'empereur  d'Alleinasfoe  aduel,  poste  (pi'il 
occupa  pendant  près  de  cinq  années,  de  décembre  18S1  à  septeml)re 
i88«i.  Le  père  de  Jules  Lafort^u»'  ne  connut  rien  de  ocitc  amcIioratKtn 
dans  le  sort  de  son  tils  :  il  mourut  en  novembre  i8Sr,  quatre  jours 
avant  l'entrée  de  Jules  Laforgue  en  fonction.  Il  lui  man(|ua  ainsi  de 
rien  connaître  également  de  sa  carrière  litt<'rnire,  qu'au  rebours  de 
nombre  de  pères  il  avait  beaucouj>  es(»erée  et  souhaitée.  Lui  ni  r  me, 
dans  sa  jeunesse,  avait  rcv<''  de  «  faire  de  la  litt'  rature  1»  cl  avait 
écrit  des  vers  ;  M.  Emile  Laforgue  en  a  retrouvé  des  traces  dans  un 
c  Journal  »  tenu  par  lui  de  1807  à  18G0.  On  a  quelques  détails,  dans 
les  lettres   de  Jules  Laforgue  à  M.  Charles  Ephrus!>i  (i),  sur  sea 

(1)  Mclangci  poaihumt». 

n 


Î2l8  POÈTES    d'aujourd'hui 

occupations  de  lecteur  comme  sur  l'emploi  de  ses  loisirs.  Le  malin, 
il  notait  dans  les   revues  et  journaux  français  les  articles  intéres- 
sants, résumait  les  bulletins  politiques  et  les  bibliographies,  dont  il 
allait  faire  ensuite  la  lecture  à  l'Impératrice.  La  lecture  avait  aussi 
lieu  quelquefois  le  soir,  à  sept  heures  et  demie.  Dans  ses  loisirs, 
Laforgue  lisait,  étudiait  l'allemand  et  l'anjîlais,  travaillait  à  refaire 
un  volume  de  vers  emporté  de  Paris  ou  à  écrire  des  articles  pour  La 
Gazette  des  Beaux-Arts,  ou  allait  se  promener  dans  Berlin,  visiter 
les  musées  et  les  expositions,  regrettant,  écrivait-il,   «  les  galeries 
de  rOdéon,  les  ciels  malades  que  l'on  voit  du  pont  de  la  Concorde, 
les  belles   flaques  de  la  place  de  ce  nom  »,  et  aussi    «  les  enterre- 
ments à  la  Madeleine  et  à  Saint-Augustin  et  les  rosses  résignées  et 
somnolentes  des  fiacres  »>.  C'est  vers  la  fin  de  ce  séjour  en  Allemagne 
qu'il    se   lia    avec    une  jeune    Anglaise,  Miss   Leah  Lee,  auprès  de 
laquelle  il  prenait  des  leçons  de  prononciation  et  avec  laquelle  il  se 
fiança.  En  décembre  1886,  tous  les  deux  quittèrent  l'Allemagne,  elle 
rentrant   en  Angleterre,  lui   revenant  à  Paris,  où  il  ne  passa  que 
quelques  jours,   descendu  rue  Laugier,  chez  M.   Gustave  Kahn.  Il 
partit  ensuite  retrouver  Miss  Lee  à  Londres,  où  leur  mariage  eut 
lieu,  le  3i  décembre  1886.  Depuis  quelque  temps  déjà,  Jules  Lafor- 
gue était  malade  de  la  maladie   —  la  phtisie  —  qui  devait  l'empor- 
ter. Rentré  à  Paris  avec  sa   femme  aussitôt  après  leur  mariage  et 
installé  rue  de  Commaille,  il  lui  fallut, maîgré  sa  santé  très  atteinte, 
s'occuper  de  g^agner  leur  vie  à  tous  deux,  au  moyen  d'articles  qu'il 
plaçait  çà  et  là,  collaborant  en  même  tenaps  à  La   Revue  Indéperi' 
dante  de  M.Edouard  Dujardin,  et  à  La  Vogue  de  M.  Gustave  Kahn. 
Il  en  alla  ainsi  jusqu'en  juillet  1887.  A  c«  moment,  il  eut  un  redou- 
blement de    maladie,    dont   ses   amis    sVmurent  :  M.    Théodor   de 
Wyzewa,  M.  Charles  Henry,  et  M.  Paul  Bourget,  qui  l'adressa  au 
docteur  Robin.  Le  résultat  de  la  consultation  fut  l'absolue  nécessité 
pour   Laforgue  de   quitter  Paris  pendant  quatre  ou  cinq  ans,  pour 
aller  vivre  dans  le  midi,  sous  un  climal  plus    favorable,   dans  un 
endroit  où  il  pût  «  respirer  sans  souffrance  ».  Ses  amis  s'occupè- 
rent aussitôt  de  lui  trouver  une  place  suffisante  à  Alger  et  il  comp- 
tait pouvoir  s'y  installer  dès  octobre.  «  Je  n'ai  pas  pour  deux  sous 
d'idées,  —  écrivait-il  à  sa  sœur  un  dimanche  de  juillet,  après  l'avoir 
mise  au  courant  de  sa  mauvaise  santé  et  de  son  prochain  départ,  — 
et  cependant  je   publie  des  articles,   et  c'est  pour   mon  talent  que 
mes  amis  s'intéressent  à  moi.  Il  y  a  longjtemps  que  tu  ne  sais  plus 
rien  de  mes  affaires  littéraires.  Ce  serait  trop  long  à  détailler,  mais 
sache  d'un  mot  que  j'ai  le  droit  d'être  fier;  il  n'y  a  pas  un  littéra- 
teur de  ma  génération  à  qui  on  promette  un  pareil  avenir.  Tu  dois 
penser  qu'il  n'y  a  pas  beaucoup  de  littérateurs  qui  s'entendent  dire: 
VOUS  avez  du  génie.  »  Ironie  des  choses,  où  ne  manque  pas  on  ne 


Jtff.r.S    I  ArOAGUa  il^ 


sait  quelle  mystériense  beauté!  Un  mois  après,  Laforçue  mourait, 
le  20  août  1S87,  moins  d'un  an  après  son  mariage  et  à  quatre  jours 
de  son  anniversaire,  suivi  à  huit  mois  de  distance  par  sa  femme, 
qui  avait  contracté  le  même  mal  en  le  soignant. 

La  place  nous  est  bien  mesurée  maintenant  pour  parler  de  T.tu- 
vre  de  Jules  Laforgue.  Les  écrits  en  prose  n'y  ont  pas  moins  d'im- 
portance que  les  vers,  dans  cette  œuvre,  les  uns  et  les  autres  d'une 
fantaisie  complexe  et  savante,  débordante  de  sensibilité  et  un  prn 
clownesque,  qui  a  fait  comparer  leur  auteur  à  un  Heine  français. 
«  Jules  Laforgue,  nous  a  dit  M.  Emile  Laforçue,  pour  le  connaître 
vous  n'avez  qu'à  lire  son  Hamlet  fi).  Il  est  là  tout  entier.  C'est  lui 
qu'il  a  peint.  La  ressemblance  est  frappante.  »  «  C'était  un  esprit 
doué  de  tous  les  dons  et  riche  d'acquisitions  importantes,  a  écrit 
d'autre  part  M.  Remy  de  Gourmont.  {Le  Livre  des  Masques.)  Son 
génie  naturel,  fait  de  sensibilité,  d'ironie,  d'imagination  et  de  clair- 
voyance, il  avait  voulu  le  nourrir  de  connaissances  positives,  de 
toutes  1rs  philosophies.de  toutes  les  littératures,  de  toutes  les  ima- 
ges de  nature  et  d'art;  et  même  les  dernières  vues  de  la  science 
semblent  lui  avoir  été  familières...  C'est  de  la  littérature  entièrement 
renouvelée  et  inattendue,  et  qui  déconcerte  et  qui  donne  la  sensa- 
tion curieuse  (et  siiriout  rare)  qu'on  n'a  jamais  rien  lu  de  pareil... 
Si  son  œuvre  interrompue  n'est  qu'une  préface,  elle  est  de  celles  qui 
contrebalancent  une  œuvre.  »  Enfin,  voici  sur  lui  quelques  mots  de 
M.  Maurice  Maeterlinck  :  «  11  a  vu  bien  des  choses  autrement  que 
les  autres;  et  voir  autrement  que  les  autres,  c'est  presque  toujours 
voir  un  peu  mieux  que  les  autres.  Et  puisqu'il  les  a  rus,  il  a  su 
nous  faire  voir  des  paysages,  des  images  et  des  sentiments  assez 
différents  de  ceux  qui  nous  étaient  habituels.  Mais  ce  qu'il  a,  je  croi«^ 
le  plus  clairement  aperçu  dans  une  beauté  et  une  irërité  inattendues 
c'est  une  sorte  de  sourire  puéril  et  divin  qui  est  peut-être  au  fon 
de  toutes  nos  actions,  et  qu'on  pourrait  nommer  c  le  sourire  % 
l'âme...  »  (Introduction  à  Jules  Laforgue,  Essai,  par  M.  Cam;^ 
Mauclair). 

Bibliographie  : 

Les  oeuvres.  —  Les  Complaintes,  poésies.  Vanier,  l^ss,  in-18.  —  L'I- 
mitntion  de  Notre-Dame  la  Lune,  poôsies.  Paris,  Vanior,  18S6.  in-18.— 
Paul  Oourget,  notice  biograpln.|ue,  les  Ilommes  (raujotirdhui,  n»  295, 
e»  vol.  Paris,  Vanier,  une  feuille.  -  Le  Concile  f«.'«erlque.  poème  dialo- 
gué. Paris,  éd.  de  «  la  Vogue  .,  1886.  in-18.  —  Derniers  Vers  [Des  fleurs 
de  bonne  volonté.  Le  Concile  féerique.  Derniers  Vers),  édition  définitive 
avec  toutes  les  variantes  tirées  des  manuscrits  orijj'inaux  et  classées  par 
MM.  Edouard  Dujardia  et  Félix  Fénéon.  Paris,  1890,  gr.  in-8.  (Tirajc  à  57  ex" 

(1)  iforalitét  légcndaim. 


S20  fOETES    D  AUJOUnD  IlUt 


dont  50  numi'rotfs  à  la  presse  et  réservés  aux  souscripteurs).  —  Murailles 
léfjPndaires.  six  contes  en  prose.  Paris,  éd.  de  la  Revue  Indépendante, 
1887,  in-18.  (420  ex.  num.,  porlr.  de  l'auteur  gravé  à  l'eau-forte  par  En». 
Laforfruc.)  Réimpr.  :  Moralités  léf/endaires.  Paris,  Vanicr,  1894,  in-18; 
Moralités  lér/endaires.  édition  ornée  de  fig.  sur  bois,  par  Lucien  PissaiTo 
Londres.  Hacon  et  Ricketts,  et  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France,  1897- 
1808.  2  vol.  in-8  ;  Moralités  légendaires,  etc.,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1902,  in-18.  —  Poésies  complètes  {Les  Complaintes.  L'Imi- 
tation de  Notre-Dame  la  Lune.  Le  Concile  féerique.  Derniers  vers). 
Paris,  Vanier.  1894,  in-18.  —  Œuvres  complèles  de  Jules  Laforçjue  : 
Moralités  Lénendaires.  Les  Deux  Pigeons.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1902,  in-18;  —  Ibid.  Poésies  [Le  Sanglot  de  la  Terre.  Les  Com- 
plaintes. L'Imitation  de  N.-D.  la  Lune.  Le  Concile  féerique.  Derniers 
Vers.  Des  fleurs  de  bonne  volonté).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1903, 
in-18;  —  Ibid.  Mélanges  posthumes  {Pensées  et  paradoxes.  Pierrot 
fumiste.  Notes  sur  la  femme.  L'Art  impressionniste.  L'Art  en  Allemagne. 
Lettres).  Portr.  de  Jules  Laforgue  par  Théo  Van  Rysselberghe.  Paris,  Soc. 
du  Mercure  de  France,  1903,  in-18.  (Ces  trois  volumes  ont  été  publiés  par 
M.  Camille  Mauclair.) 

A  CONSULTER.  —  André  Beaunler  :  La  Poésie  nouvelle.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1902,  in-18.  —  Médérlc  Dufour  :  L'Esthétique  de 
Jules  Laforgue  Paris,  Messein,  1905,  in-18.  —  Félix  Fénéon  :  Laforgue, 
notice,  publiée  dans  les  Portraits  du  prochain  Siècle.  Paris,  Girard,  1894, 
in. 18.  —  Ilemy  de  Gourmoni  :  Le  Livre  des  Masques,  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1896,  in-18  ;  Promenades  littéraires,  i.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1904,  in-18.  —  Jules  Laforgue  :  Lettres.  Voyez  : 
Œuvres  complètes.  Mélanges  posthumes,  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1903.  — Gustave  Kahn  :  Symbolistes  et  décadents,  Paris,  Vanier,  1902, 
in-18.  —  Camille  Mauclair  :  Jules  Laforgue,  Essai,  avec  une  introduc- 
tion de  Maurice  Maeterlinck  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  189C  ;  Aver- 
tissement aux  Œuvres  complètes.  Voyez  :  Moralités  légendaires.  Paris,  Soc. 
du  Mercure  de  France,  1902,  in-18.  —Francis  de  Miomaudre  :  Visages. 
Bruges,  A.  Herbert,  1907,  in-8.  —  Georges  Moore  :  Impressions  and 
opinions.  Two  unknown  Poets  {Rimbaud  and  Laforgue).  London,  1891,  in-8. 

A.  Symons  :   The  Symbolist movement  in  Literature.  London,  W.   Hci- 

nemann,  1899,  in-8.  —T.  de  Wyzewa  :  Nos  Maîtres.  Paris,  Perrin,  1895. 
A.vanllamel:  Franske  Symbolisten .  Amsterdam,  Gids,  1902,  in-8. 

Luclle  Dubois  :  La  France  jugée  à  l'étranger.  James  Jluncker  :  Uri 
chef-d'œuvre  d'ironie.  L'Hamlet  de  Jules  Laforgue.  (The  -Sun,  New-York, 
11  janv.  1903),  Mercure  de  France,  juin  1903.  —  F.  Fénéon  :  Jules  Lafor- 
gue. Bruxelles,  Art  ModernB,  n»*  41  et  42,  1887.  —  Gustave  Kahn  :  Jules 
Laforgue  (les  Hommes  d'aujourd'hui),  Paris,  Vanier,  s.  d.,  n»  2'J8.  —  J." 
Laforgue  :  Réponse  à  M.  Trézenik.  Lulèce,  4  octobre  1885.  —  Ednioud 
Pilon  :  Jules  Laforgue.  Ermitage,  octobre  1895.  —  Racliilde  :  Les  lio- 
mans.  Mercure  de  France,  février  1903.  —  Michel  Salomoa  :  Chronique 
littéraire.  Lea  Œuvret  complète*  de  Jules  Laforgue,  Journal  de  Genèvci 
30  mars  1903. 

Iconographie  : 

Smilo  Laforgue  ;  Portrait-charge,  dans  Let  Sonmei  d'auJourXliuif 


JULBS   LAFORGUE  S3I 


n»  208,  6»  roi.,  Paris,  Vanier;  Portrait  d  Veau-forte,  dans  Moralités 
légendaires,  Pivia,  1887.  —  Scarbina  :  Dessin,  reproduit  dans  un  programme 
du  TlK'âtre  d'Art,  Paris,  1891.  —  F.  Vallolton  :  Masques,  dans  Le  Livre 
des  Masques,  de  R.de  Gourmoiit.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  I8%,in-18. 
—  Théo  van  Rysseiberghe  :  Portrait  au  crayon,  reproduit  dans  les  Œu' 
très  complètes.  (Voy.  Mélanges  posthumes .  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1903,  in-18.) 

LA  CHANSON 

DU    PETIT    HYPERTROPHIQUK 

C'est  d'un'  maladie  d'  cœur 
Qu'est  mort',  m'a  dit  Y  docteur, 

Tir-lan-laire! 

Ma  pauv'  mère  ; 
Et  que  j'irai  là-bas, 
Fair'  dodo  z'avec  elle. 
J'entends  mon  cœur  qui  bat, 
C'est  maman  qui  m'appelle  I 

On  rit  d'  moi  dans  les  rues, 
De  mes  min's  incoDi?rues 

La-i-tou  ! 

D'enfant  saoul  ; 
Ah  !  Dieu!  C'est  qu'à  chaqu'  pas 
J'étouft',  moi,  je  chancelle! 
J'entends  mon  cœur  qui  bat, 
C'est  maman  qui  m'appelle  ! 

Aussi  j'vais  par  les  champs 
Sans^loter  aux  couchants, 

La-ri-rette  ! 

C'est  bien  bête. 
Mais  le  soleil,  j'sais  pas, 
M'  semble  un  cœur  qui  ruisselle  I 
J'entends  mon  cœur  qui  bat. 
C'est  maiman  qui  m'appelle  ! 

Ah  !  si  la  p'tite  Gen'viève 
Voulait  d'mon  cœur  qui  s'  crèvej 
Pi-lou-i  ! 


22  2  POÈTES  D'aujourd'hui 

Ah,  oui! 
J'  suis  jaune  et  triste,  hélas  l 
Elle  est  ros*,  gaie  et  belle  ! 
J'entends  mon  cœur  qui  bat, 
C'est  maman  qui  m'appelle  I 

Non,  tout  r  monde  est  méchant. 
Hors  le  cœur  des  couchants, 

Tir-lan-laire  ! 

Et  ma  mère. 
Et  jVeux  aller  là-bas 
Fair'  dodo  z'avec  elle... 
Mon  cœur  bat,  bat,  bat... 
Dis,  Maman,  tu  m'appelles  ? 

(Poésies  complètes  :  Le  Sanglot  de  la  Terre.) 

L  IMPOSSIBLE 

Je  puis  mourir  ce  soir  !  Averses,  vents,  soleil 
Distribueront  partout  mon  cœur,  mes  nerfs,  mes  moelles. 
Tout  sera  dit  pour  moi  !  Ni  rêve,  ni  réveil. 
Je  n'aurai  pas  été  là-bas,  dans  les  étoiles  ! 

En  tous  sens,  je  le  sais,  sur  ces  mondes  lointains. 
Pèlerins  comme  nous  des  pâles  solitudes. 
Dans  la  douceur  des  nuits  tendant  vers  nous  les  mains. 
Des  Humanités  sœurs  rêvent  par  multitudes! 

Oui  !  des  frères  partojt!  (Je  le  sais,  je  le  sais!) 
Ils  sont  seuls  comme  nous.  —  Palpitants  de  tristesse, 
La  nuit,  ils  nous  font  signe!  Ah!  n'irons-nous,  jamais  ? 
On  se  consolerait  dans  la  grande  détresse  ! 

Les  astres,  c'est  certain,  un  jour  s'aborderont! 
Peut-être  alors  luira  l'Aurore  universelle 
Que  nous  chantent  ces  gueux  qui  vont,  l'Idée  au  front! 
Ce  sera  contre  Dieu  la  clameur  fraternelle  ! 

Hélas  !  avant  ces  temps,  averses,  vents,  soleil 

Auront  au  loin  perdu  mon  cœur,  mes  nerfs,  mes  moelles, 


JULES    LAFOnClE  22  3 


Tout  se  fera  sans  moi  I  Ni  rêve,  ni  réveil  ! 
Je  n'aurai  pas  été  dans  les  douces  étoiles  I 

(Poésies  complètes  :  Le  Sanglot  de  la  Terre.) 

COMPLAINTE  SUR  CERTAINS  ENNUIS 

Un  couchant  des  Cosmoc^onies  l 
Ah!  que  la  Vie  est  quolich'enne... 
Et,  du  plus  vrai  qu'on  se  souvienne, 
Comme  on  fut  piètre  et  sans  génie... 

On  voudrait  s*avouer  des  choses, 
Dont  on  s'étonnerait  en  route, 
Qui  feraient  une  fois  pour  toutes  ! 
Qu'on  s'entendrait  à  travers  poses. 

On  voudrait  saic^ner  le  Silence, 
Secouer  l'exil  des  causeries  ; 
Et  non  l  ces  dames  sont  aij^ries 
Par  des  questions  de  préséance. 

Elles  boudent  là,  l'air  capable. 
Et,  sous  le  ciel,  plus  d'un  s'explique, 
Par  quel  gâchis  suresthélique 
Ces  êtres-là  sont  adorables. 

Justement,  une  nous  appelle. 
Pour  l'aider  à  chercher  sa  bague 
Perdue  (où,  dans  ce  terrain  vague?) 
Un  souvenir  d'amour,  dit-elle  l 

Ces  êtres-là  sont  adorables! 

Poésies  ccomplètes  :  Les  Complaintes.) 

COMPLAINTE  DU  ROI  DE  TIIULÉ 

Il  était  un  roi  de  Thulé, 
Inmiaculé, 


224  POETES    DAUJOURDnUI 

Oui,  loin  des  jupes  et  des  choses. 
Pleurait  sur  la  métempsycose 
Des  lys  en  roses, 
Et  quel  palais  ! 

Ses  fleurs  dormant,  il  s'en  allait. 

Traînant  des  clés, 
Broder  aux  seuls  yeux  des  étoiles. 
Sur  une  tour,  un  certain  Voile 
De  vive  toile. 
Aux  nuits  de  lait! 

Quand  le  voile  fut  bien  ourlé. 

Loin  de  Thulé, 
Il  rama  fort  sur  les  mers  grises, 
Vers  le  soleil  qui  s'agonise. 
Féerique  Eglise  ! 
Il  ululait  : 

«  Soleil-crevant,  encore  un  jour, 
Vous  avez  tendu  votre  phare 
Aux  holocaustes  vivipares. 
Du  culte  qu'ils  nomment  l'Amour. 

a  Et  comme,  devant  la  nuit  fauve. 
Vous  vous  sentez  défaillir. 
D'un  dernier  flot  d'un  sang  martyr, 
Vous  lavez  le  seuil  de  l'Alcôve  ! 

a  Soleil!  Soleil!  moi  je  descends 
Vers  vos  navrants  palais  polaires, 
Dorloter  dans  ce  Saint-Suaire 
Votre  cœur  bien  en  sang, 
En  le  berçant  !  » 

Il  dit,  et,  le  Voile  étendu, 

Tout  éperdu, 
Vers  les  coraux  et  les  naufragées, 
Le  roi  raillé  des  doux  corsages, 
Beau  comme  un  Mage 
Est  descendu  ! 


iULBS   LAFORGUE  33^ 


Braves  amants  !  aux  nuits  de  lait. 

Tournez  vos  clés! 
Une  ombre,  d'amour  pur  transie, 
Viendrait  vous  er^-mir  cette  scie  : 
«  Il  était  un  roi  de  Thulé 

Immaculé...  9 
{Poésies  complétis  :  Les  Complaintes.) 

CO.MPLAINTE 
Di  l'oubli  des  mouts 

Mesdames  et  Messieurs, 
Vous  dont  la  mère  est  morte, 
C'est  le  bon  fossoyeux 
Qui  gratte  à  votre  porte. 

Les  morts 
C'est  sous  terre  ; 
Ça  n'en  sort 

Guère. 

Vous  fumez  dans  vos  bocks. 
Vous  soldez  quelque  idylle, 
Là-bas  chante  le  coq, 
Pauvres  morts  hors  des  villes  I 

Grand-papa  se  penchait, 
Là,  le  doiçl  sur  la  tempe, 
Sœur  faisait  du  crochet, 
Mère  montait  la  lampe. 

Les  morts 
C'est  discret. 

Ça  dort 
Trop  au  frais. 

Vous  avez  bien  t\hù\ 
Comment  va  celle  alTaire  ? 
Ah  1  les  petits  morts-nés 
Ne  se  dorlotent  guère  I 

14. 


520  POÈTES    d'aujourd'hui 


Notez,  d'un  trait  égal. 

Au  livre  de  la  caisse, 
Entre  deux  frais  de  bal  : 
Entretien  tombe  et  messe. 

C'est  gai. 
Cette  vie  ; 
Hein,  ma  mie, 

0  gué  ? 

Mesdames  et  Messieurs, 
Vous  dont  la  sœur  est  morte, 
Ouvrez  au  fossoyeux 
Qui  claque  à  votre  porte  ; 

Si  vous  n'avez  pitié. 
Il  viendra  (sans  rancune) 
Vous  tirer  par  les  jiieds, 
Une  nuit  de  grand'lune  ! 

Importun 
Vent  qui  rage  ! 
Les  défunts  ? 
Ça  voyage... 
[Poésies  complètes  :  Les  Complaintes») 

ENCORE  UN  LIVRE... 

Encore  un  livre  ;  ô  nostalgies. 
Loin  de  ces  très  goujates  gens. 
Loin  des  saints  et  des  argents. 
Loin  de  nos  phraséologies  ! 

Encore  un  de  mes  pierrots  morts; 
Murt  d'un  chronique  orphelinisrae; 
C'était  un  cœur  plein  de  dandysme 
Lunaire,  en  un  drôle  de  corps. 

Les  dieux  s'en  vont  ;  plus  que  des  bures; 
Ab!  ça  devient  tous  les  jours  pis; 


JULBS    LAFORGUB  a'»7 


J'ai  fait  mon  temps,  je  dcjçuerpis 
V^ers  l'iuclii.sive  Sinécure, 

{Poésies  complètes  :  L'Imitation  de  Notre-Dame- la- Lune.) 


L'HIVER  QUI    VIENT 

Blocus  sentimenlal  !  Messnjçeries  du  Levant!... 

Oh,  toinhcc  (le  la  pluie  !  Oh!  tombée  de  la  nuit. 

Oh!  le  vent!... 

La  Toussaint,  la  Noël  et  la  Nouvelle  Année, 

Oh,  dans  les  bruines,  toutes  mes  cheminées  !. . . 

D'usines... 

On  ne  peut  plus  s'asseoir,  tous  les  bancs  sont  mouillés; 
Crois-moi,  c'est  bien  fini  jus(ju'à  l'aiinée  prochaine. 
Tant  les  bancs  sont  mouillés,  tant  les  bois  sont  rouilles, 
Et  tant  les  cors  ont  fait  ton  ton,  ont  fait  ton  tainel... 

Ah,  nuées  accourues  des  cotes  de  la  Manche, 
Vous  nous  avez  gâté  notre  dernier  dimanche. 

Il  bruine  ; 

Dans  la  forêt  mouillée,  les  toiles  d'araii^nées 

Ploient  sous  les  le^outtes  d'eau,  et  c'est  leur  ruine. 

Soleils  plénipotentiaires  des  travaux  en  blonds  Pactoles 

Des  spectacles  aiçricoles, 

Où  (îtes-vous  ensevelis? 

Ce  soir  un  soleil  Kchu  pît  au  haut  du  coteau, 

Gît  sur  le  flanc,  dans  les  içenéls,  sur  son  manteau  : 

Un  soleil  blanc  comme  un  crachat  d'estaminet 

Sur  une  litière  de  jaunes  tçenéts. 

De  jaunes  genêts  d'automne. 

Et  les  cors  lui  sonnent! 

Qu'il  revienne... 

Qu'il  revienne  à  lui  ! 

Taïaut I  taïaut  !  et  hallali! 

0  triste  antienne,  as-tu  fini  !.., 

Et  fout  les  fous  I... 


aaS  POÈTES  d'aujourd'hui 

Et  il  gît  là,  comme  une  glande  arrachée  dans  un  cou, 
Et  il  frissonne,  sans  personnel... 

Allons,  allons,  et  hallali  ! 

C'est  l'Hiver  hien  connu  qui  s'amène  ; 

Oh  !  les  tournants  des  grandes  routes. 

Et  sans  petit  Chaperon  Rouge  qui  chemine!... 

Oh  !  leurs  ornières  des  chars  de  l'autre  mois, 

Montant  en  donquichottesques  rails 

Vers  les  patrouilles  des  nuées  en  déroute 

Que  le  vent  malmène  vers  les  transatlantiques  bercails  !... 

Accélérons,  accélérons,  c'est  la  saison  bien  connue,  cette  fois. 

Et  le  vent,  cette  nuit,  il  en  a  fait  de  belles  ! 

O  dégâts,  ô  nids,  ô  modestes  jardinets  ! 

Mon  cœur  et  mon  sommeil  :  ô  échos  des  cognées!.,. 

Tous  ces  rameaux  avaient  encor  leurs  feuilles  vertes, 

Les  sous-bois  ne  sont  plus  qu'un  fumier  de  feuilles-mortes; 

Feuilles,  folioles^  qu'un  bon  vent  vous  emporte 

Vers  les  étangs  par  ribambelles, 

Ou  pour  le  feu  du  garde-chasse. 

Ou  les  sommiers  des  ambulances 

Pour  les  soldats  loin  de  la  France. 

C'est  la  saison,  c'est  la  saison,  la  rouille  envahit  les  masses, 

La  rouille  ronge  en  leurs  spleens  kilométriques 

Les  fils  télégraphiques  des  grandes  routes  où  nul  ne  passe. 

Les  cors,  les  cors,  les  cors  —  mélancoliques I.., 

Mélancoliques  !... 

S'en  vont,  changeant  de  ton, 

Changeant  de  ton  et  de  musique. 

Ton  ton,  ton  taine,  ton  ton!... 

Les  cors,  les  cors,  les  cors!... 

S'en  sont  allés  au  vent  du  Nord. 

Je  ne  puis  quitter  ce  ton  :  que  d'échos  !... 

C'est  la  saison,  c'est  la  saison,  adieu  vendanges  l.„ 

Voici  venir  les  pluies  d'une  patience  d'auge, 


/ULH8    LAFORGUE  229 


Adieu  vendnnjçcs,  et  adieu  tous  les  paniers, 

Tous  les  paniers  Walteau  des  bourrées  sous  les  marronniers, 

C'est  la  toux  dans  les  dortoirs  du  lycée  qui  rentre. 

C'est  la  tisane  sans  le  foyer, 

La  phtisie  pulmonaire  attristant  le  quartier, 

Et  toute  la  misère  des  grands  centres. 

Mais,  lainaîçes,  caoutchoucs,  pharmacie,  rêve, 

I\i(leaux  écartés  du  haut  des  balcons  des  grèves 

Devant  l'océan  de  toitures  des  faubourgs. 

Lampes,  estampes,  thé,  petits-fours, 

Serez-vous  pas  mes  seules  amours  ! 

(Oh  !  et  puis,  est-ce  que  tu  connais,  outre  les  pianos. 

Le  sobre  et  vespéral  mystère  hebdomadaire 

Des  statisti(]ues  sanitaires 

Dans  les  journaux  ?) 

Non,  non  1  c'est  la  saison  et  la  planète  falote  ! 

Que  l'autan,  que  l'nutan 

Effiloche  les  savales  que  le  Temps  se  tricote  ! 

C'est  la  saison.  Oh  déchirements!   c'est  la  saison  ! 

Tous  les  ans,  tous  les  ans, 

J'essaierai  en  chœur  d'en  donner  la  note. 

[Poésies  complètes  .-Derniers  Vers.) 


DIMANCHES 

Bref,  j'allais  me  donner  d'un  a  Je  vous  aime  » 

Quand  je  m'en  avisai  ix^n  sans  peine 

Que  d'abord  je  ne  me  possédais  pas  bien  moi-mèrac, 

(Mon  moi,  c'est  Galathée  aveuglant  Pyjçmalion  ! 
Impossible  de  moditier  cette  situation.) 

Ainsi  donc,  pauvre,  pille  et  piètre  individu 
Qui  ne  croit  à  son  .Moi  qu'à  ses  moments  perdus, 
Je  vis  s'cffacrruia  fiancée 
Emportée  par  le  cours  des  choses, 


a3o  POÈTES  d'aujourd  hui 


Telle  l'épine  voit  s'effeuiller, 

Sous  prétexte  de  soir  sa  meilleure  rose. 

Or,  cette  nuit  anniversaire,  toutes  les  Walkyries  du  vent 
Sont  revenues  beugler  par  les  fentes  de  ma  porte  : 

Vœ  soli  ! 

Mais,  ah  1  qu'importe  ? 

Il  fallait  m'en  étourdir  avant  J 

Trop  tard  !  ma  petite  folie  est  morte. 

Qu'importe  Vœ  soli  f 

Je  ne  retrouverai  plus  ma  petite  folie. 

Le  grand  vent  bâillonné, 

S'endimanche  enfin  le  ciel  du  matin. 

Et  alors,  eh  I  allez  donc,  carillonnez. 

Toutes  cloches  des  bons  dimanches  ! 

Et  passez  layettes  et  collerettes  et  robes  blanches 

Dans  un  frou-frou  de  lavandes  et  de  thym 

Vers  l'encens  et  les  brioches  ! 

Tout  pour  la  famille,  quoi  1   Vœ  soli  !  c'est  certain. 

La  jeune  demoiselle  à  l'ivoirin  paroissien 

Modestement  rentre  au  logis. 

On  le  voit,  son  petit  corps  bien  reblanchi 

Sait  qu'il  appartient 

A  un  tout  autre  passé  que  le  mien  ! 

Mon  corps,  ô  ma  sœur,  a  bien  mal  à  sa  belle  âme.;. 

Oh  !  voilà  que  ton  piano 

Me  recommence,  si  natal  maintenant  ! 

Et  ton  cœur  qui  s'ignore  s'y  ânonne 

En  ritournelles  de  bastringues  à  tout  venant. 

Et  ta  pauvre  chair  s'y  fait  mal  !.. 

A  moi,  Walkyries  ! 

Walkyries  des  hypocondries  et  des  tueries  I 

Ah,  que  je  te  les  tordrais  avec  plaisir. 
Ce  corps  bijou,  ce  cœur  à  ténor. 
Et  te  dirais  leur  fait,  et  puis  encor 


JULES   LAfOnCUB 


i3i 


La  manière  de  s'en  serrir. 

De  s'en  servir  à  deux, 

Si  tu  voulais  seulement  m'approfondir  ensuite  un  peu  I 

Non,  non  !  C'est  sucer  la  chair  d'un  cœur  élu, 
Adorer  d'incurables  organes, 
S'entrevoir  avant  que  les  tissus  se  fanent, 
En  niouonianeS)  en  reclus  ! 

Et  ce  n'est  pas  sa  chair  ({ui  nie  serait  tout. 

El  je  ne  serais  pas  (pi'un  trran»!  cœur  pour  elle. 

Mais  ipioi  s'en  aller  faire  l»'s  fous 

Dans  des  histoires  fraternelles  ! 

L'ànie  rt  la  chair,  la  chair  «'l  Tàmc, 

C'est  l'rsprit  t;driii<jue  et  Hcr 

D'rtre  un  peu  l'Homme  avec  la  Femme. 

En  attendant,  oh  !  (^arde>toi  des  coups  de  tête, 
Ob  I  tile  ton  rouet  et  prie  et  reste  honnête 

—  Allons,  dernier  des  poètes, 

Toujours  enfermé  lu  te  rendras  malade  ! 

V^ois,  il  fait  beau  temps,  tout  \r  monde  est  dehors. 

Va  donc  acheter  deux  sous  «l'ellcbore, 

Ça  te  fera  une  petite  promenade. 

{Poésies  complétés  :  Derniers  Vers.) 


LE  BRAVE.  BRAVE  ALTOMXEl 

Quand  reviendra  l'automne, 
('cite  saison  si  triste. 
Je  vais  m'Ia  passer  bonne. 
Au  point  de  vue  artiste. 

Car  le  vent,  je  l'conuais. 
Il  est  de  mes  amis  ! 
Drpuis  que  je  suis  ne 
11  fait  que  j>n  ^cmis.. . 


232  POÈTES   D* aujourd'hui 


Et  je  connais  la  neiçe, 
Autant  que  ma  chair  même. 
Son  froment  me  protéine 
Contre  les  chairs  que  j'aime... 

Et  comme  je  comprends 
Que  l'automnal  soleil 
Ne  m'a  l'air  si  souffrant 
Qu'à  titre  de  conseil  1... 

Puis  rien  ne  saurait  faire 
Que  mon  spleen  ne  chemine 
Sous  les  spleens  insulaires 
Des  petites  pluies  fines... 

Ah  !  l'automne  est  à  moi, 
Et  moi  je  suis  à  lui, 
Comme  tout  à  a  pourquoi  ?  » 
Et  ce  monde  à  «  et  puis  ?  » 

Quand  reviendra  l'automne, 
Cette  saison  si  triste, 
Je  vais  m'ia  passer  bonne 
Au  point  de  vue  artiste. 

{Poésies  complètes  :  Des  Jleurs  de  bonne  volonté.) 

DIMANCHES 

J'aurai  passé  ma  vie  à  faillir  m'embarquer 
Dans  de  bien  funestes  histoires, 
Pour  l'amour  de  mon  cœur  de  Gloire  ! . . . 

—  Oh  !  qu'ils  sont  chers,  les  trains  manques 
Où  j'ai  passé  ma  vie  à  faillir  m'embarquer  I... 

Mon  cœur  est  vieux  d'un  tas  de  lettres  déchirées. 
Oh  I  Répertoire  en  un  cercueil 
Dont  la  Poste  porte  le  deuil  1... 

—  Oh  !  ces  veilles  d'échauffourées 

Où  mon  cœur  s'entraînait  par  lettres  déchirées  !.., 


JULES    LAFORGUE  j33 


Tout  n'est  pas  dit  encor,  et  mon  sort  est  bien  vert. 
0  Poste,  automatique  Poste, 
O  yeux  passants  fous  d'holocaustes, 
Oh!  qu'ils  sont  là,  vos  airs  ouverts  !... 

Oh  I  comme  vous  guettez  mon  destin  encor  vert  I 

(Une,  pourtant,  je  me  rappelle, 

Aux  yeux  grandioses 

Comme  des  roses, 

Et  puis  si  belle  ! 

Sans  nulle  pose. 
Une  voix  me  criait  :  «  C'est  elle  !  Je  le  sens  ; 
a  Et  puis,  elle  te  trouve  si  intéressant  !   » 
—  Ah  !  que  n'ai-je  prêté  l'oreille  à  ses  accents  I. ..) 

(Poésies  complètes  :  Des  fleurs  de  bonne  volonté.) 

NOTRE  PETITE  COMPAGNE 

Si  mon  Air  vous  dit  quelque  chose, 
Vous  auriez  tort  de  vous  gêner; 
Je  ne  la  fais  pas  à  la  pose  ; 
Je  suis  La  Femme,  on  me  connaît. 

Bandeaux  plats  ou  crinière  folle, 
Dites  ?  quel  Front  vous  rendrait  fou  ? 
J'ai  l'art  de  toutes  les  écoles, 
J'ai  des  Ames  pour  tous  les  goûta. 

Cueillez  la  fleur  de  mes  visasres. 
Buvez  ma  bouche  et  non  ma  voix, 
Et  n'en  cherchez  pas  davantage... 
Nul  n'y  vit  clair;  pas  même  moi. 

Nos  armes  ne  sont  pas  éc^ales, 
Pour  que  je  vous  tende  la  n)aio. 
Vous  n'èles  que  de  naïfs  niAles, 
Je  suis  rÉlernel  Féminin  l 

Mon  But  se  perd  dans  les  Etoiles  I 


234  POÈTES    d'aujourd'hui 

C'est  moi  qui  suis  la  Grande  Isis  I 
•    Nul  ne  m'a  retroussé  mon  voile, 
Ne  songez  qu'à  mes  oasis... 

Si  mon  Air  vous  dit  quelque  chose, 
Vous  auriez  tort  de  vous  gêner  ; 
Je  ne  la  fais  pas  à  la  pose  : 
Je  suis  La  Femme  !  on  me  connaît. 

{Poésies  complètes  :  Desjleurs  de  bonne  volonté. 


LÉO  LARGUIER 

i878 


M,  Léo  Larc^iier  est  né,  le  6  décembre  1878,  à  La  Grand'Combe 
(Gardj  d'une  forte  race  de  paysans  cévenols.  Il  fit  ses  études  au  Lycée 
d'Alais,  de  mauvaises  éludes,  selon  lui,  mauvais  élève  comme  l'ont 
été  beaucoup  de  poètes,  et  jusqu'à  vinj^t  ans  il  vécut  dans  sa  ville 
natale.  C'est  pendant  son  service  militaire,  à  Aix-en-Provence,  où 
il  eut  l'occasion  de  connaître  le  peintre  Cézanne,  qu'il  écrivit  ses 
premiers  vers,  qui  devaient  composer  son  livre  de  dcbul  :  La  Mai- 
son du  Poète,  publié  en  1903,  et  couronné  la  même  année  par  l'Aca- 
démie française.  M.  Léo  Lart^ier  n'aura  pas  attendu  longtemps, 
sinon  la  gloire,  du  moins  une  certaine  réf)Utation  littéraire.  11  ha 
connut  dès  son  premier  livre,  son  prix  à  l'Académie  vient  de  le 
montrer,  et  elle  s'accrut  encore  quand  il  publia  son  deuxième 
recueil  de  vers  :  Les  Isolements.  Les  poètes  de  sa  çénération,  ses 
rivaux  courtois,  se  plaisent  à  voir  en  lui  un  grand  poète  prochain, 
et  lui-même  est  plein  de  confiance  dans  sa  force  et  son  talent  pour 
leur  donner  raison  un  jour.  Peut-être  même  pourrait-on  dire 
qu'il  a  commencé,  avec  ce  même  livre  :  Les  Isolements,  oii  se  trouvent 
nombre  de  poèmes  remarquables  par  leur  lyrisme,  leurs  images,  leurs 
qualités  d'évocation,  et  l'émotion  que  l'auteur  y  a  mise.  M.  Léo  Lar- 
guier  occupe  une  place  bien  à  lui,  en  ce  sens  qu'il  est,  parmi  les  nou- 
veaux poètes,  le  seul  disciple,  on  pourrait  même  dire  le  seul  continua- 
teur de  Huço  et  de  Lamartine,  par  son  verbe  sonore,  son  éloquence, 
et  aussi  son  intransigeante  fidélité  à  l'alexandrin  régulier.  Un  néo- 
romanti<pie,  ce  terme  le  peindrait  parfaitement.  Hugo  et  Lamar- 
tine, leurs  noms  reviennent,  du  reste,  souveal  dans  ses  vers.  Leurs 
livres  sont  ses  livres,  et  ce  sont  leurs  portraits,  surtout  c^lui  de  Hugo, 
qu'il  a  devant  les  yeux  quand,  assis  à  sa  table,  il  rêve  ou  il  travaille. 
On  pourrait  aussi  y  ajouter  Vigny.  En  tout  cas,  son  influence  fut 
beaucoup  moindre  sur  lui.  Le  dernier  ouvrage  de  M.  Lt'o  Larcruier, 
dont  nous  n'avons  pu  donner  qu'un  court  extrait,  est  uoe  sorte  de 


$36  potTES  d'aujourd'hui 


romAn  en  vers  :  Jacques,  qui  s'apparente  d'assez  près  à  Jocelyn  en 
même  temps  qu'à  Olivier^  de  François  Coppée.  A  notre  époque  de 
lecture  paresseuse, c'est  une  tentative  peui-dtre  un  peu  bien  hardie. un 
peu  bien  téméraire  aussi,  un  poème  de  longue  haleine,  formant  à  lui 
seul  tout  un  volume!  Elle  prouve,  en  tout  cas,  que  M.  Léo  Larçuier, 
en  vrai  poète,  n'a  d'autre  fjuide,  dans  fon  art,  que  son  goût,  son 
inspiration,  le  songe  qui  le  séduit. 

Le  côté  anecdolique,  le  côté  curiosité  dans  la  biographie  d'un 
écrivain,  surtout  quand  elle  contient,  comme  celle-ci,  peu  de  détails, 
n'est  pas  à  dédaigner.  Voici,  dans  ce  sens,  sur  l'auteur  des  Isolements, 
qui  a  eu  l'esprit  de  s'en  amuser  tout  le  premier,  un  sonnet  humoris- 
tique paru  dans  la  revue  Psyché,  numéro  de  mai  1906. 

LEO    LARGUIER 

Poète  ayant  tété  des  muses  surhumaines, 
Dès  l'âge  le  plus  tendre  il  tutoya  Hugo  ; 

—  Il  est  fécond  —  il  chante  en  rimes  toulousainei 
Les  bourgeoises  vertus,  l'âme  du  Galico, 

Son  jardin,  sa  «  maison  »  et  le  vin  de  Suresnes  ! 

—  Il  «  raccroche  »  la  gloire.  —  il  est  illustre  et  beau  ; 

—  Ancien  sous-officier  aux  légions  romaines. 
Il  a  vaincu  Mardrus,  mis  César  au  tombeau  I 

Il  aime  Cicéron,  —  il  sera  député, 

Il  connaîtra  —  enfin  1  —  la  «  popularité  »  — 

Il  rivra  dix  mille  ans,  —  il  aura  du  génie! 

Il  est  imperator,  il  est  ménétrier, 

Membre  d'un  orphéon  et  d'une  académie, 

Et  Joseph,  et  Prud'homme,...  Ubu,...  Léo  Larguierl 

ROBUR. 

M.  Léo  Larguiera  collaboré  au  Mercure  de  France,  à  L'Ermitage, 
aux  Lettres,  au  Mouvement,  à  Antèe,  à  La  Revue  Bleue,  à  La  Revue 
forétienne,  au  Gaulois,  au  Petit  Parisien.  Il  publie  régulièrement 
des  Contes  dans  Le  Journal  et  de  petites  chroniques  pittoresques 
dans  L'Intransigeant, 

Bibliographie  : 

Lis  CEovRFs.  —  La  Maison  du  Poêle,  poèmes.  Paris,  Slorck,  1903,  in-18. 
—  Les  Isolements,  poèmes.  Paris,  Slorck,  1006,  in-18.—  Jacques, poème. 
Paris  Soc.  du  Mercure  de  France,  1907,  in-t8.  (Il  a  été  tiré,  pour  la  Société  des 
XX,  20 ex.  de  format  io-8.  Ces  exempl.  portent  tous  la  sicnalure  de  l'auteur.) 


Léo  i.AJir.uiRa  237 


A  co«ui.TfR.  —  L.  N.  Ilarannon  :  Le  Poète  Léo  Larguier.  Soleil,  4  férrier 
1908.  —Henri  Chtiiitavoliio  :  Léo  Laryuier].  Journal  de«  D/balu,  ÎO  juil- 
let 1903.  —  (;asloii  DcsciinmpK  :  [Léo  Larguier].  Le  Temps,  juillet  1905. 
—  (ioorgpR  CaKellact  1- riiest  (Jaiibert  :  La  Jeune  littérature  ^avec  un 
portr.iil  (II-  l.f'o  Lark'uitT).  Hcvue  illu*lr<'r».  15  arril  1905;  La  Nouvellt  litté- 
rature tHOS-lOOj.  Paris,  Saiisot.  19i)G.  i»-l8.  —  Eriieit  tiaubert  :  Jacquet. 
L'n  roman  modrrne  en  vers.  Iiitrunsi;;eant,  1"  février  1'.mj8.  —  Jean  de 
CiOtirmont  :  l'or  tes  nouveaux .  M<'rcun;  de  France,  1"  »eptembre  \'J'>6.  — 
George*  Le  Cardonnel  et  Charles  Vellay  :  La  Littérature  conti-mpo- 
rame,  iyii5.  Opinions  dfs  /écrivains  de  ce  temps.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
Fr&ace,  1906,  in-18.  —  liubur  :  Léo  Larguier,  sonuet.  Psyché,  mai-juio  I9u6. 


AUTOM.XE 

Un  peu  do.  ciol  scris  sur  un  Irrs  viril  arbre, 
Et  le  soir  (jui  loinhe  avant  (ju'il  soit  tard, 
Un  bassin  verdûlre,  un  vase  de  marbre, 
Deux  livres  ouverts  :  Laprade  et  Ronsard, 

Un  homme  penché  sur  un  banc  antique, 
Avec  un  front  lourd  ci  de  lontçs  cheveux, 
(Jui  chasse  du  bout  d'un  b;\lon  rusli(nie 
Les  feuillages  morts;  un  lierre  noueux 

Sur  un  puits  tari  ;  la  voix  désolée 

Du  premier  vent  froid  courbant  les  rameaux  ; 

Un  vieux  bûcheron  dans  une  vallée; 

Un  toit  noir  qui  fume  au  flanc  des  coteaux. 

Derrière  une  vitre  un  point  d'or  qui  brille. 
Une  aubertçe  sombre  où  boit  le  cocher 
De  la  dilii^i'nce  ;  une  jeune  tille 
Sortant  d'un  chemin  profond  et  caché, 

Et  voil;\  l'aulomnc  et  voilà  la  vie, 

Et  puis  me  voilà  moi-même,  ô  douceur, 

O  première  étoile,  ô  mélancolie 

Du  beau  soir  brumeux  qui  baigne  mon  cœur! 

(La  Miitsun  du  Pocle.) 


2oô  ^oÈTES  D  AUJOunD*nut 


RÊVERIE 
A  Madame  la  Comtesse  M.  de  Noailles. 

En  soupant  lentement  sous  une  treille  brune 

Dont  les  beaux  muscats  blancs  luisaient  au  clair  de  lune, 

Tandis  que  pour  moi  seul,  dans  la  nuit,  un  oiseau 

Chantait  vers  le  tilleul,  je  pensais  à  Rousseau... 

Un  soir  divin  et  frais  venait  après  l'orage. 

Devant  le  banc  de  bois  du  rustique  Ermitage, 

Une  jeune  servante  avait  mis  le  couvert. 

Quelques  gouttes  tombaient  du  feuillage  plus  vert, 

Un  vase  sur  la  nappe  était  plein  de  pervenche. 

Madame  d'Epinay  portait  —  c'était  dimanche  — 

Son  chapeau  de  bergère  et  son  corsage  ouvert. 

Pure  fraîcheur  du  soir  !  On  apportait  la  lampe, 

Et  Jean-Jacques  songeait,  un  doigt  contre  sa  tempe. 

La  servante  heurtait  les  plats  dans  la  maison, 

L'étoile  du  berger  montait  à  l'horizon, 

Et  quand  mourait  au  loin  le  bruit  du  char  qui  rentre 

On  entendait  couler  la  source  dans  son  antre 

Et  chanter  la  rainette  et  le  grillon  perdu. 

Madame  d'Epinay  caressait  son  bras  nu, 

Rose  et  rond  sur  la  table,  et  parfois  son  haleine 

Dans  son  corsage  creux  enflait  sa  gorge  pleine 

Qu'une  tremblante  et  tiède  ligne  séparait. 

Un  léger  vent  coulis  qui  passait  murmurait 

Dans  les  arbres  du  parc  une  plainte  endormie, 

Et  Rousseau,  souriant,  regardait  son  amie, 

En  feuilletant,  distrait,  un  petit  livre  gris, 

A  côté  d'un  panier  plein  de  cerises  blanches. 

Un  petit  livre  simple  et  sans  ors  sur  les  tranches 

Que  Denis  Diderot  envoyait  de  Paris. 

(La  Maison  du  Poète,] 

REMORDS 


Le  fard  blêmît  quelques  figures... 
Dans  ce  concert  de  voi.x  impures 


LEO  LAnGuien 


aSg 


Est-ce  la  voix  qu'on  entendait  ? 
Est-ce  toi  sons  celte  lanterne, 
Dans  l'air  obscur  de  la  taverne?... 
Oh!  si  ta  mère  te  voyait  ! 

Pendant  qu'éclate  cette  oriçie, 

Et  que  tu  t^aspilles  ta  vie, 

Dans  les  champs  ta  maison  s'endort, 

Seul  au  cellier  ton  père  veille, 

Avec  cette  lampe  si  vieille 

Où  l'huile  tombe  en  larmes  d'or. 

Sous  les  cyprès  la  nuit  est  sombrr, 
Hevois-tu  pas  briller  dans  rond)re 
La  pierre  blanche  d'un  tombeau, 
Cependant  (jue  monte  la  lune 
Sur  le  toit  de  ta  maison  brune... 
Ce  que  tu  fais  là  n'est  pas  beau. 

Que  tout  est  loin  !, . .  0  ta  fontaine 
En  toute  saison  fraîche  et  pleine, 
O  le  pommier  dans  ton  jardin, 
Le  ^rand  vallon  crépusculaire, 
El  le  seuil  où  se  lient  ta  mère, 
Et  l'air  limpide  du  malin  ! 

[La  Maison  da  Poète.) 


PENDANT  LA  PLUIE 

J'ai  fermé  ma  porte  à  loraere, 

11  pleut  fort  sur  les  arbres  verts, 

Je  me  sens  une  âme  de  sa^<-. 

Et  rien  n'est  beau  que  les  beaux  vers. 

J'accomplis  des  actions  paisibles. 
Je  rans^e  ces  compai;^nons  sûrs. 
Mes  bouquins,  et  deu\  vieilles  bibles, 
Pleines  de  Juives  aux  seins  durs, 


2^0  POÈTES    D^AUJOORd'uUÎ 

De  citernes  dans  les  vallées 
De  puits  que  l'Orient  dora, 
Et  de  belles  formes  voilées: 
Judith,  Agarou  Séphora. 

Je  mets  avec  un  air  de  fête, 
Je  crois  que  l'on  va  rire  haut  — 
Je  mets  la  Maison  du  Poète 
Sur  un  rayon,  près  de  Hugo. 

{Les  Isolements.) 


LORSQUE  JE  SEHAI  VIEUX... 

Lorsque  je  serai  vieux  et  qu'illustre  poète, 
En  marchant  lentement  j'inclinerai  ma  tête, 
Ne  songeant  qu'à  mes  vers  qui  m'accompagneront 
Comme  un  essaim  doré  bourdonnant  sur  mon  front. 
Où  seras-tu,  que  feras-tu,  ma  grande  aimée? 
Au  soir  de  ma  journée  et  de  ma  renommée, 
J'irai  triste  et  pensif  sentant  qu'il  se  fait  tard, 
Et  suivant  d'un  regard  désolé  de  vieillard 
Quelque  enfant  de  vingt  ans  qui  passera,  légère, 
Avec  un  chapeau  blanc  tout  fleuri  de  bergère, 
Semblable  à  celui-là  que  tu  portais  parfois. 
Je  reverrai  la  route,  efe^l'auberge,  et  les  bois, 
Dis,  et  je  referai  cet  automnal  voyage. 
Je  peuplerai  de  mes  regrets  ce  vieux  village 
Où  nous  vécûmes  quelques  jours,  ô  souvenir  I 
Etre  riche  de  tant  de  choses  et  mourir. 
Quand  toujours  après  nous  refleurira  la  rose  ! 
Mon  amour,  mon  amour,  devant  ma  porte  close. 
Je  m'assiérai  tout  seul  et,  le  regard  perdu, 
"Considérant  ma  vie  éteinte  et  le  soir  nu, 
Sur  le  banc  du  jardin  où  septembre  recueille 
Et  la  première  pluie  et  la  première  feuille 
Qui  tombe  de  la  treille  ainsi  qu'un  oiseau  mort, 
Je  revivrai  les  jours  de  cet  automne  encor. 
Kiea  ne  m'échappera,  mais  pour  revoir  la  rubci 


Léo   LArVGUIER  i^t 

Ton  bracelet  à  ton  bras  rond  brillant  dans  l'aube, 

Lorsque  lu  repoussais  l«'s  pelils  volels  verts 

Sur  les  pampres  de  rouille  et  de  j^oullcs  couverts. 

Pour  revoir  ton  sourire  et  celle  boucle  brune 

Qui  cachait  ton  beau  front,  dans  le  plein  clair  de  lune, 

Vieux,  illustre  et  proslrc  devant  ni»-s  soirs  déserts, 

Je  donnerais  ma  part  de  renom  dans  Ihisloire 

Des  hoinnips  dont  le  cœur  fut  un  rucher  de  vers, 

El  ce  laurier  flélri  que  me  ceijjnil  la  gloire  1 

(Les  Isolements.} 

TU  M'AS  DIT  QU'EN  PASSANT... 

Tu  m'as  dit  qu'en  passant,  du  doiçt  on  l'a  montrée, 

Laisse,  ne  l'émeus  pas  de  ce  ijeste,  ô  dorée  1 

Il  veut  dire  :  Voici  celle  qui  maintenant 

Porte  le  grand  manteau  pourpre,  noble  et  traînant 

Du  porte  exilé  dans  une  sombre  élude. 

Elle  seule  a  la  clef  de  celle  solitude. 

Il  a  sur  le  chemin  clos  ses  petits  volets. 

Nul  ne  l'a  vu  depuis  l'hiver;  déjà  les  blés 

Se  dorent  dans  l'air  roux  tout  pétri  de  lumière 

El  c'est  elle  qu'il  aime,  et  muse  famili»  re, 

Elle  doit  s'accouder  avec  ses  bcdux  bras  nus 

Sur  des  cahiers  fermés  où  des  vers  inconnus 

Bourdonnent  dans  la  nuit  de  sa  demeure  close. 

Reiçardez,  elle  est  grande  et  fière,  elle  est  sa  rose. 

Elle  va  le  revoir,  et  devant  sa  maison, 

Il  l'attend,  anxieux,  lui  qui,  vers  l'horizon. 

Ne  guettait  que  la  gloire  attachant  ses  sandales. 

El  voyez,  aux  rubans  de  la  claire  saison 

Qui  nouent  à  son  chapeau  des  passeroses  pAles, 

Elle  porte,  brillant  d'un  vif  éclal  guerrier. 

Quelques  feuilles  du  pur,  de  l'illustre  laurier. 

[Les  Isolements  ) 
A  PIERRE  DE  QUERLON 
Ud  orage  noclurne  écrase  mon  toit  noir, 

15 


242  t»OÈTES    fc  AL'JÔURD  IIUÎ 


Et  vous,  mon  pauvre  ami,  vous  êtes  mort  ce  soir. 

Il  fait  lourd,  il  pleut  fort,  je  suis  las,  c'est  la  vie... 

A  mes  pleurs  s'est  mêlée  une  goutte  de  pluie  ; 

Derrière  moi,  celle  que  j'aime,  en  s'endormant 

A  soupiré  dans  l'ombre  et  gémi  doucement  ; 

Quelques  couples,  surpris  par  la  soudaine  ondée. 

Rient  traversant  la  place  à  présent  inondée  ; 

Une  rose  s'effeuille  en  parfumant  encor 

Ma  chambre  tiède,  et  vous,  ami,  vous  êtes  mort. 

Naguère,  nous  parlions  de  choses  bien-aimées, 

Je  vous  portais  mes  vers  comme  un  faix  de  ramées, 

Nous  soupions  en  nous  regardant,  et,  brusquement. 

Vous  me  laissez  et  vous  partez...  Que  maintenant 

Vous  devez  être  loin  de  cette  nuit  d'orage  ! 

Et  dire  que  demain,  avec  votre  visage 

Qui  souriait  et  tout  cela  que  vous  aviez, 

On  vous  enterrera  ;  vous  n'aurez  ni  papiers, 

Ni  livres,  ni  tableaux,  et  votre  vieille  table. 

Qui  ne  vous  verra  plus  dira  :  ce  Le  maître  aimable 

Est  donc  parti  bien  loin  qu'il  ne  vient  plus  à  moi  1  » 

Malgré  l'été  naissant  vous  allez  avoir  froid, 

Car  la  terre  demain  sera  toute  mouillée. 

Et  moi  qui  reste  ici  je  verrai  la  feuillée, 

Je  vivrai,  j'aimerai,  je  pleurerai  demain  ; 

Je  marcherai,  tenant  la  blanche  et  belle  main 

De  mon  amie,  et  les  sentiers  seront  pleins  d'ombres, 

La  lune  penchera  sur  les  épaules  sombres 

Des  monts  diffus  son  rond  visage  d'argent  clair. 

Je  souperai  sous  les  lauriers,  respirant  l'air 

Qui  s'arrêta  là-bas  sur  ma  vigne  bleuie, 

Je  connaîtrai  la  joie  et  la  mélancolie, 

Et  peut-être  j'aurai  quand  je  viendrai  vers  vous 

Une  tête  de  vieux  aux  cheveux  blancs  et  doux. 

—  Vous  me  direz  :  «  Voici  le  funèbre  domaine. 

Ce  mort  qui  va  tout  seul,  près  de  cette  fontaine, 

C'est  Virgile  ;  souvent  je  l'aperçois  rêver  ; 

II  m'a  parlé  le  soir  où  je  suis  arrivé...  » 

Et  vous  me  guiderez  au  pays  taciturne. 

Pauvre  mort  !  A  prc5cut,  de  l'oraijc  nocturne 


LÉO    LARGUIER  243 


Il  ne  reste  plus  rien,  mais  il  doit  être  tard. 
Bien  qu'il  ne  pleuve  plus,  les  frondaisons  du  parc 
Font  sur  le  sol  un  bruit  monotone  d'averse, 
Chaque  arbre  est  en  silence  et  chaque  feuille  verse 
Ce  qu'elle  a  recueilli  de  l'orale  qui  fuit. 
Les  lisières  demain  auront  des  coquelourdes... 
Mais  vous,  dans  l'infini  plein  de  ténèbres  lourdes, 
Avez-vous  bien  dormi  votre  première  nuit  ? 

{Les  Isolementt.) 

JACQUES 
(Fragment.) 

C'est  ainsi  qu'un  matin  ï^aurent  fut  ébloui 
Par  l'aube  et  qu'il  sentit  confusément  qu'en  lui 
L'orale  intérieur,  amassé  goutte  à  goutte, 
Balayant  sa  douleur  avait  crevé  sans  doute. 
Car  il  sentait  son  cœur  libre,  fort  et  jovoux. 
Le  cœur  de  l'homme  est  un  creuset  mystérieux 
Où  bout  le  sang,  où  s'élabore  une  alchimie 
Magique,  quand  la  chair  pesante  est  endormie. 
Et  Laurent  repoussa  ses  volets  sur  le  jour. 
Son  regard  absorba  l'aurore  avec  amour. 
Une  virginité  tombait  du  grand  ciel  rose, 
On  devinait  devant  l'azur  que  quelque  chose 
Recommençait,  6  netteté  des  beaux  malins! 
Et  comme  les  ramiers  envolés  des  vieux  pins. 
Des  toits  luisants,  des  cours  et  des  rondes  margelles, 
L'Ame  montait  dans  les  clartés  torrentielles. 
Il  plongea  son  visage  en  un  vase  plein  d'eau. 
Et,  ruisselant,  sans  l'essuyer,  sous  un  arceau 
Formé  par  un  laurier  et  par  un  bras  de  treille 
Aux  raisins  lumineux  qu'obsédait  une  abeille. 
Pour  la  première  fois  il  écrivit  des  vers 
Immenses,  aérés,  tremblants  de  rameaux  verts. 
Ventilés,  libres,  saints,  emplis  de  grandes  ondes, 
Et  rythmés  largement  selon  des  lois  profondes... 


2/Î4  POÈTES    d'aujourd'hui 


Sous  le  pin  ocellé  du  plus  limpide  azur 

Où  tous,  chaque  matin  déjeunaient  du  lait  pur 

Qui,  crémeux,  emplissait  un  e^rand  pot  de  faïence 

Dont  des  bleuets  vernis  ornaient  la  belle  panse, 

Laurent,  qui  descendait  joyeux  vers  le  jardin, 

Ne  trouva  que  son  lait  servi  contre  le  pin. 

La  servante  passait,  il  l'arrêta... 

—  Stéphane 
Etait  malade.  Jacques,  sa  mère  et  Suzanne 
Veillaient  depuis  minuit  à  son  chevet. 

Laurent 

Sans  toucher  à  son  bol  disparut  en  courant. 
Puis  arriva  le  vieux  médecin.  Une  branche 
D'osier  vert  qui  couvrait  sa  grosse  jument  blanche 
La  défendait  des  taons  et  des  mouches.  —  Et  puis, 
Un  grand  cri  déchira  le  matin...  Près  du  puits, 
Le  jardinier  avait  laissé  sa  faux  luisante... 


Nature,  à  nos  départs  toujours  indifférente, 

On  sait  ce  que  tu  fais  de  tous  nos  pauvres  morts. 

Et  ce  que  tu  feras  quand  tu  prendras  nos  corps. 

Tu  te  tais .  Ton  ciel  bleu  brille  sur  tes  ramures, 

Et  tes  bois  sous  le  vent  s'emplissent  de  murmures. 

Un  pâtre  qui  revient  chante  dans  le  sentier  ; 

Les  abricots  sont  murs  au  vieil  abricotier. 

Tu  te  tais.  La  poussière  antique  des  ancêtres, 

Quand,  le  soir,  nos  volets  claquent  à  nos  fenêtres. 

Entre  dans  nos  maisons.  Nous  savons,  ô  tombeau. 

Ce  que  tu  fais  de  nous,  de  l'enfant  tendre  et  beau. 

Tu  te  tais.  Tu  n'as  point  envers  nous  de  colère. 

Nous  passons...  dans  un  champ  moutonne  un  peu  de  terre 

Qu'adombre  un  noir  cyprès  contre  un  mur  ancien. 

Et  ce  moutonnement  d'argile,  ce  n'est  rien, 

Mais  plus  que  tes  grands  monts  chargés  de  glace  aride 

Nous  émeut  à  nos  pieds  cette  petite  ride. 

0  Nature,  on  connaît  les  creusets  où  tu  fonds 

Les  membres  las,  les  corps  divins,  les  yeux  profonds, 

Mais  en  nous  dépouillant,  tu  laisses  fuir,  ô  tombe. 


LÉO    LARGUlEa  245 


L'âme,  de  l'infini,  radieuse  colombe. 

Et  Dieu,  pour  tes  travaux  obscurs  qu'il  accepta. 

T'abandonne  un  cœur  lourd  que  lui-même  arrêta  ! 

(Jacques.) 

POÉSIE 

A  M.  Charles  Andricux. 

Sous  les  lustres,  bouquets,  grappes  de  cristal  pur, 
Nous  les  vîmes,  mon  cœur,  ces  belles  inconnues, 
Avec  leurs  seins  pressés  dans  des  salins  d'azur. 
Et  l'ambre  bien  poli  de  leurs  épaules  nues. 

Elles  sont  à  présent  dans  leur  riche  maison... 

De  chandeliers  toullus  une  chambre  s'éclaire, 

Et  près  d'un  vaste  lit  une  blanche  toison 

Est  comme  un  ours  couché  près  d'un  yrand  roc  poIaij'.2, 

Les  deux  bras  arrondis,  se  coilTant  pour  la  nuit. 
Une  brune  au  front  bas,  une  maigre  élégante. 
Cambre  une  jambe  mince  et  découverte  oùluit 
La  boucle  du  long  bas  qui  la  moule  et  la  gante. 

Une  blonde  beauté  qui  feint  de  sommeiller 

Dans  ses  cheveux  si  lourds  qu'elle  n'a  pu  les  tordre, 

Epie  un  mari  chauve  en  train  de  dépouiller 

Ses  étoiles,  ses  croix  et  tous  ses  rubans  d'ordre. 

Une  vieille  a  quitté  sa  perruque  et  ses  dents... 
Un  jeune  homme  devant  une  table  encombrée. 
Compte  des  pièces  d'or  avec  des  yeux  ardents. 
Tandis  que,  dans  son  lit,  monte,  puissante,  ambrée 

Son  chignon  écroulé  sur  sa  nuque  d'enfant. 
Grasse,  rousse  et  pareille  à  quelque  dogaresse. 
Faisant  craquer  le  bois  sous  son  corps  triomphant. 
Monte  sans  qu'il  la  voie  une  belle  maîtresse. 

Et  nous,  nous  regardons,  ô  solitaire  cœur, 
Avant  de  nous  plonger  dans  la  nuit  de  la  chambre, 
Derrière  les  carreaux  embués  de  vapeur. 
Celle  lune  glacée  au  pur  cid  de  décembre. 


RAYMOND  DE  LA  TAILHEDE 

1867 


M.  Raymond-Pierre-Joseph  Gagnabé  de  La  Tailhède  est  né  à 
Moissac  |Tarn-et-Garo!ine)  le  i4  octobre  1SG7.  Il  fit  ses  études  à  Pa- 
ris, au  collège  Stanislas,  où  il  eut  pour  professeur  M.  René  Dou- 
mic.  îses  études  terminées,  M.  de  La  Tailhède  regagna  son  paj^s  natal, 
où  il  se  lia  avec  un  jeune  professeur  qui  devait  devenir  aussi  un  écri- 
vain et  qui  a  laissé  un  petit  nom  dans  les  lettres  :  Jules  Tellier.  Il 
revint  ensuite  se  fixer  à  Paris,  vers  1888,  écrivit  sans  bâte  ses  pre- 
miers vers,  puis  songea  à  les  réunir  en  volume.  Ce  volume  ne  parut 
point,  quelques  pièces  seulement  en  furent  connues.  L'une  fut  repro- 
duite dans  Nos  Poètes  (i),  d'autres  prirent  place  dans  l'ouvrage  pos- 
thume de  Jules  Tellier  :  Reliques.  En  1890,  M.  de  La  Tailhède  se  lia  avec 
MM.  Jean  Moréas,  Maurice  du  Plessys  et  Ernest  Raynaud,  et  fonda 
avec  eux  L'Ecole  Romane,  groupe  de  poètes  qui  puisaient  les  motifs 
et  les  formes  de  leur  inspiration  chez  les  poètes  delà  Renaissance,  et 
dont  l'exégète  et  critique  était  M,  Charles  Maurras,  que  la  politique 
n'accaparait  pas  encore.  C'était  entre  eux, —  nous  parlons  de  MM.  de 
La  Tailhède,  Moréas,  Du  Plessys  et  Raynaud,—  à  qui  ronsardiserait 
le  mieux,  et  pour  sa  contribution,  M.  de  La  Tailhède  publia  De  la 
Métamorphose  des  Fontaines,  poème  suivi  de  quelques  odes,SQanets 
et  hymnes,  qui  est  resté  son  unique  ouvrage. 

«  Gentil  esprit,  l'honneur  des  Muses  bien  parées  » 

a  dit  de  lui  son  maître  et  ami  M.  Jean  Moréas.  Pour  être  un  peu 
froids,  lents  et  mesurés  dans  leur  harmonie  quelquefois  imitée,  les 
vers  de  M.  de  La  Tailhède  sont  en  effet  loin  de  manquer  de  beautés. 
M.  de  la  Tailhède  a  montré  dans  sa  collaboration  aux  revues  de 
son  temps  la  même  réserve  que  pour  ses  ouvrages.  Les  Chroniques 
(1887)  et  La  Plume  (1889-1899)  sont  les  seules  revues  où  il  publia 

(1)  Ouvrage  de  Jules  Tellier. 


RAYMOND    DE    LA    TAILHÈDS  2^^ 


quelques  vers  et  des  contes.  Plus  récemment,  il  a  collaboré  à  La  Re- 
vue hebdomadaire  (novembre  1901)  et  à  Vers  et  Pros8  (novembre 
1906)  où  parut  le  dernier  des  poèmes  qu'on  va  lire. 

Bibliographie  : 

Le9  0ECVRE3.  —  De  la  Métamorphose  des  Fontaines,  poème,  suivi 
des  Odes,  des  Sonnets  et  des  Hymnes.  Paris,  Bibliothèque  artistique  et  lillé- 
raire,  [F^a  Plume],  1895,  iQ-4. 

Ou  liouve,  en  outre,  sous  ce  litre  :  Tombeau  de  Jules  Tellier,  trois  poè- 
mes de  M.  Ravmond  de  la  Tailhède  dans  l'ouvrage  suivant  :  Ileliquet  de 
Jules  Tellier,  'mDCCCXC,  in-18. 

E?(  pRÉPAHATioît.  —  Orphée  et  divers  poèmes,  une  adaptation  poétique  de 
YAjax  de  Sophocle. 

A  CONSULTER  — Anonymc  :  M.  flnymond  de  La  Tailhrde.  Journal  des 
Débats.  16  mars  1805.  —  Ch.  IVIniirras  :  La  Vie  littéraire.  Revue  Ency- 
clopédique, 1"  mai  1895.  —  Frne.>st  Haynaud  :  L'Ecole  romane.  Mercure 
de  France,  mai  1805.  —  Hugues  itebcll  :  La  Taillu-dc,  notice  dans  Les 
Portraits  du  prochain  siècle.  Paris,  fiirard,  1894.  in-18. —  J.  Teliier  : 
i\iis  Poètes.  Paris,  Despret,  18S8,  in-l'<  ;  A  liaymond  de  la  Tailhède,  poème 
publié  dans  Reliques  de  J.  Tellier,  1890,  in-18. 

Iconographie  : 

Croquis  à  la  plume  (non  signé).  I^  Plume,  15  juin  1892,  cl  Bévue  Ency- 
clopédique, 1"  janvier  1893. 


APPARITION 

Je  venais  du  mystère  et  des  palais  antiques 
Drapé  dans  le  manteau  rouçe  des  empereurs  ; 
A  l'horizon,  je  secouais  de  mes  fureurs 
L'océan  boréal  et  les  mers  atlantiques. 

J'avançais  devant  la  tace  des  continents 
Vers  la  horde  arrogante  et  tourbe  des  barbares; 
j;    Mon  apparition  fit  taire  leurs  fanfares, 
Le  silence  arrêta  le  vol  des  quatre  vents. 

[  L'esprit  des  foules  qui  bavarde  et  qui  ricane 

'  Me  dit:  «  Sang^lant  banni  des  royaumes  éteints 

^  Qui  semblais  autrefois  la  rose  des  matins, 

1^  Tu  pàlis  maintenant  comme  un  soleil  se  fane. 

Tu  n'as  pas  achevé  tes  rêves  insensés. 


248  POÈTES   d'aujourd'hui 

Les  peuples  furieux  ont  tué  tes  ministres, 

Tes  temples  sont  tombés  dans  des  lueurs  sinistres. 

Ta  mémoire  et  ton  nom  sont  partout  effacés. 

Si  tu  viens  parmi  nous,  nous  troublerons  tes  fêtes 
Et  nous  rirons  de  tes  chansons,  car  nous  aurons 
Dans  les  mains  une  épée  et  le  casque  à  nos  fronts  : 
Nous  vengerons  sur  toi  nos  peurs  et  nos  défaites.  » 

«  Si  je  ne  suis  plus  roi,  je  suis  aussi  cruel  : 
Contre  vous  j'armerai  la  beauté  de  vos  femmes, 
Et  pour  qu'un  vain  désir  épouvante  les  âmes, 
Vos  fils  seront  marqués  de  ce  signe  immortel. 

Lorsque  dans  mes  palais  enveloppés  de  gloires, 

Une  fête  chantait  à  la  moisson  des  fleurs, 

Vous  avez  élevé  le  cri  de  vos  douleurs 

Hors  de  l'ombre  où  planait  Teffroi  de  mes  victoires. 

Mais  moi  le  Rédempteur  qui  vins  avant  le  jour. 
Dont  le  nom  ressemblait  au  nom  de  la  lumière, 
J'ai  gardé  dans  mes  yeux  la  splendeur  meurtrière, 
Car  j'étais  votre  dieu,  peuples,  je  suis  l'Amour.  » 

,  (Les  Triomphes.) 

SOLITUDE 

Et  voilà  que  tes  yeux  profonds  se  sont  fermés  I 
Mais  ton  âme,  où  vivaient  les  Sages  d'Hellénie, 
Garde  toujours,  dans  une  éternelle  harmonie, 
Les  poètes  pareils  à  des  dieux  bien-aimés. 


Vision  immobile  et  pourtant  si  rapide 

De  cette  chambre  au  bord  du  fleuve...  0  souvenir 

Du  soleil  éclatant  dans  le  matin  limpide  ! 

Je  sens  la  peur  de  ces  heures  qui  vont  venir... 

Nous  sommes  entourés  pendant  les  nuits  tremblantes 


RAYMOND    DE    LA    TAILHhDE  Î^Q 


De  silences  aig'us  et  de  blancheurs  d'effrois. 
Toi,  les  yeux  as^randis  et  les  prunelles  lentes, 
Moi,  tressaillant  au  rêve  éloigné  de  ta  voix. 

î/anc^oissc  de  la  mort  prochaine  est  comme  un  songe 
)ù  le  délire  a  mis  de  subites  clartés  ; 
Tu  vois  venir  sur  la  lumière  qui  s'allonçe 
Tant  d'autres  jours  muets,  obscurs,  épouvantés. 

Toute  la  vie  expire  à  travers  ma  pensée, 
Devant  les  Ion  ses  res^ards  de  tes  grandes  douleurs; 
La  révélation  du  mystère  des  pleurs 
Retient  une  douceur  d'espérance  eff'acée. 

Le  silence  des  yeux  s'anime  alors  de  jour 
Et  de  la  peur  de  voir  les  formes  disparaître  ; 
Tu  sentis  tout  cela  soudain,  et  que,  peut-être. 
Tu  mourais  pour  avoir  ressuscité  l'Amour. 

^L^is  au  cri  de  mon  nom  sur  tes  lèvres  puissantes, 
Quel  effroi  prophétique  a  rempli  de  terreur 
Ton  esprit  açité  par  des  choses  vivantes, 
Et  combien  de  regrets  s'arrêtent  dans  ton  cœur  l 

Pleure,  toi  qui  connais  la  tristesse  infinie  I 
Dans  la  gloire  du  rêve  a  jamais  disparu, 
Je  suis  venu  vers  toi  comme  tu  l'as  voulu, 
Je  me  suis  étendu  sur  ton  lit  d'agonie. 

Et  je  comprends  auprès  de  toi,  sur  tes  linceuls, 
Qu'autour  de  nous  la  vie  humaine  se  recule, 
Kt  que  tous  deux,  mort  et  vivant,  nous  sommes  seuls 
Dans  ce  dernier  isolement  du  crépuscule... 

(Tombeau  de  Jules  Tellier,) 

OMBKES 

(}uand  nous  sommes  allés  vers  le  soleil  levant. 
Les  malins  étaient  blancs  comme  des  tourterelles  ; 
Des  brouillards  s'étendaient  dans  la  pourpre  du  vent 


2 DO  POETES    D  AUJOURD  HUI 

Sur  des  rivages  de  roses  surnaturelles, 
Quand  nous  sommes  allés  vers  le  soleil  levant. 

Mais,  de  l'Egypte  jusqu'aux  îles  Baléares, 
Quand  le  ciel  fut  rempli  des  clartés  de  Vénus, 
Nous  avons  oublie  les  légendes  barbares, 
Nous  avons  vu  grandir  des  astres  inconnus 
Sur  la  Sicile  et  les  quatre  îles  Baléares. 

Et  c'est  la  basilique  immense  de  la  Nuit, 
Les  étoiles  dans  le  silence  :  une  par  une, 
Elles  ont  apparu  sur  la  mer  qui  reluit, 
Toujours  plus  pâles  à  travers  le  clair  de  lune, 
Les  planètes  et  les  étoiles  et  la  nuit. 

Sur  la  plaine  des  mers  fauves  et  virginales. 
Nous  avons  regardé  des  choses  d'autrefois. 
Notre  âme  a  traversé  des  fêtes  triomphales  ; 
Les  dieux  retentissaient  avec  de  grandes  voix 
Sur  la  forêt  des  mers  fauves  et  virginales. 

Dans  le  tourment  de  sa  pensée,  il  regardait 
L'épanouissement  de  ce  rêve  nocturne  ; 
Les  larmes  de  la  vie  entière  qu'il  perdait 
Montèrent  de  son  cœur  ardent  et  taciturne 
Que  dans  l'effroi  de  sa  pensée  il  regardait. 

Alors,  me  reposant  entre  ses  mains  si  douces. 

Je  lui  dis  :  «  Pour  calmer  ton  esprit  soucieux, 

O  mon  ami,  toi  qui  jamais  ne  me  repousses, 

La  douceur  de  ma  voix  adoucira  tes  yeux, 

La  douceur  de  mes  yeux  rendra  tes  larmes  douces.  » 

Mais  la  Nuit  et  la  Mer  s'éloignaient  lentement  ; 
La  lumière  montait  au-dessus  des  royaumes, 
Et  nous  n'avons  plus  vu  les  dieux  en  ce  moment. 
Ni  les  étoiles,  créatrices  de  fantômes, 
Car  la  Nuit  et  la  Mer  s'éloignaient  lentement. 

{Tombeau  de  Jules  Tellier. 


RAYMOND    oB    LA    TAILIILUE  20  1 


SI  L'ESPOIR  D'LN  LAURIEH... 

Sî  IVspoir  d'un  laurier  de  semence  inconnue, 
O  Lyn%  te  relient  tout  entière  en  ma  voix, 
Ceux-là  seront  chéris  d'abord  à  qui  je  dois 
De  faire  sonner  haut  une  corde  chenue. 

Quand  Phéhus  d'une  pointe  ardente  et  continue 
Eclate  encor,  caché  par  le  revers  des  bois, 
C'est  un  soleil  puissant  que  sur  l'arhre  je  vois 
Dedans  le  crin  d'un  chêne  approche  de  la  nue. 

Telle  plus,  noble  Lyre,  anti(pie  lu  parais, 
Dos  mains  doctes  pressant  d'àiçe  en  âge  les  rais 
Dorés,  plus  a  grandi  le  chant  que  je  commence. 

Et  pour  que  soit  mon  front  aux  Muses  dédié, 
Ronsard,  jçiiid.int  le  trait  d'Apollon  envoy»'*, 
Aux  tonnerres  de  raitjle  a  rentlammé  la  France. 

{De  la  Métamorphose  des  fontainfs.) 

TRIOMPHE 

I 

Un  malin  de  printemps  plein  de  vives  clartés. 
Etant  le  Syrien  aux  blondes  boucles  molles 
J'entrai  dans  la  Cité  maîtresse  des  cités. 

Par  la  route  fleurie,  aux  mille  banderoles, 
Mes  soldats  apportaient  des  vases  précieux. 
Et  des  trésors  trouvés  au  fond  des  nécropoles  ; 

Puis  venait  un  essaim  de  charrons  a^racieux 

Jetant  à  pleines  mains  des  lys,  dos  hyacinthes, 

Et  dont  le  jeune  amour  enflammait  les  beaux  yeux. 

On  voyait  sur  des  chars  les  imagées  très  saintes 
Des  d!eax  que  l'on  révère  et  dont  on  craint  les  noms, 


252  POÈTES    d'aujourd'hui 


Graves  ou  bienveillants  sous  leurs  figures  peintes. 

On  entendait  au  loin  le  son  des  tympanons. 

Les  chants  accompagnant  sur  des  airs  de  cithare 

Les  danseurs  réunis  en  multiples  chaînons. 

Sur  des  tables  d'azur  et  d'or,  les  parfums  rares 
Tournoyaient  dans  les  larges  coupes,  lentement, 
Endormeurs  comme  les  douceurs  des  fleurs  barbares. 

Bercé  dans  la  langueur  de  cet  enivrement, 
Je  m'avançais  drapé  de  pourpre  orientale. 
Ainsi  qu'une  maîtresse  allant  vers  son  amant. 

Devant  ma  grâce  et  ma  jeunesse  virginale 

D'un  cri  d'amour  qu'un  cri  de  victoire  interrompt 

Rome  entière  acclamait  la  marche  triomphale. 

Par  l'étrange  splendeur  des  perles  de  mon  front, 
Par  l'éblouissement  de  ma  poitrine  nue 
Ma  gloire  surpassait  la  gloire  de  Néron  ; 

Et  les  peuples  chantaient  lorsque  je  suis  venue. 

II 

Tel,  et  plus  glorieux  qu'en  ces  jours  très  anciens, 
Je  reviens  pour  avoir  un  beau  triomphe  encore 
Avec  la  royauté  des  vers  magiciens. 

Les  poètes  marchant  du  côté  de  l'aurore 
Font  briller  les  saphirs  et  les  rouges  coraux 
Pour  fêler  le  Seigneur  que  le  rêve  décore. 

J'évoque  la  clarté  dans  les  cieux  sidéraux, 

Je  suis  resplendissant  comme  une  nuit  sans  lune, 

J'ai  la  noblesse  et  la  vaillance  des  héros. 

Les  vierges  déroulant  leur  chevelure  brune, 

Les  vierges  se  voilant  dans  l'or  des  cheveux  d'or, 

Implorent  ma  bonté  pour  que  j'en  admire  une. 


RAYMOND    DK    LA    TAILHÈDE  253 

Mais  dans  un  grand  palais  loin  du  sud  et  du  nord, 
Près  d'un  lac  où  l'éclat  des  mond«\s  se  reflfHe 
J'écoule  un  air  troublanl  qui  m'éveille  et  m'endorl. 

Et  de  jeunes  çarçons  fleuris  de  violette 
Célèbrent  en  cadence  Eros  libre  et  vainqtn.'ur 
Dont  les  yeux  sont  caches  par  une  bandelette. 

Tout  l'orgueil  d'autrefois  a  ressaisi  mon  cœur  ; 

Et  l'harmonie  a  des  douceurs  si  précieuses 

Que  mes  vers  vont  chanter  avec  1  hymne  du  chœur. 

Et  ce  sera  le  jour  des  strophes  fabuleuses, 

Du  poème  trésor  maléfique  de  beauté, 

Car  j'aurai  fait  parler  des  voix  mystérieuses. 

Dans  le  ciel  fleurira  la  rose  de  Tété, 
L'Aurore,  et  couronné  divinement  par  elle, 
Grand  par  ma  poésie  et  grand  par  ma  fierté, 

J'entrerai  radieux  dans  la  gloire  éternelle. 


ift 


LOUIS  LE  GARDONNEL 
1862 


D'origine  normande  et  lointainement  irlandaise  par  son  père,  et 

dauphinoise  et  lorraine  par  sa  mère,  M.  l'abbé  Louis  Le  Cardonnel 
est  né  à  Valence  en  1862.  Il  fit  ses  études  au  Petit  Séminaire,  puis 
«u  collège  de  cette  ville,  montrant  déjà  un  goût  très  prononcé  pour 
les  lettres  latines,  la  philosophie  et  la  poésie.  A  vinçt  ans,  il  vint  i 
Paris,  où  il  fit  ses  premières  amilirs  littéraires.  Sous  le  nom  de 
Nous  autres,  un  petit  cénacle  venait  de  se  fonder  (septembre  i883) 
qui  comprenait  notamment  MM.  George  Auriol,  Léon  Riotor,  An- 
tony  Mars  et  Paul  Morisse.  M.  Louis  Le  Cardonnel,  en  compagnie 
d'Albert  Samain,  avec  lequel  il  s'était  lié,  se  joignit  bientôt  à  eux. 
Peu  après,  M.  George  Auriol  étant  un  des  tssidus  du  Chat  Noir  de 
Salis,  tous  ses  camarades  de  Nous  Autre»  l'y  suivirent,  et  de  1884 
à  188Ô,  M.  Louis  Le  Cardonnel  fréquentâtes  soirées  du  pittoresque 
cabaret,  où  il  récitait  ses  poèmes,  comme  lous  ses  compagnons.  En 
correspondance  avant  son  arrivée  à  Paris  «rec  Stéphane  Mallarmé, 
il  était  devenu  en  même  temps  un  de  se»  intimes,  et  un  dfs  fidcios 
des  mardis  de  la  rue  de  Rome.  C'est  à  cett«  époque  que  M.Louis  Le 
Cardonnel  sentit  se  préciser  en  lui  les  s«aiiments  qui  devaient  le 
mener  plus  tard  à  la  vie  religieuse.  Pendant  quelque  temps,  il  se 
retira  au  Séminaire  d'Issy,  mais  incertain  «ur  la  solidité  de  sa  voca- 
tion, craignant  de  se  tromper,  il  le  quii»-*  bienlùt,  pour  un  court 
retour  à  la  vie  du  siècle.  Enfin,  en  i8ga,  se  sentant  cette  fois  ci 
appelé  impérativement  au  sacerdoce,  M.Lauis  Le  Cardonnel  entra  au 
Séminaire  français  de  Rome,  où  il  compléta  ses  études  philosophi- 
ques, joignant,  dans  un  même  amour,  la  théologie  et  la  poésie.  En 
1896,  il  était  ordonné  prêtre.  Après  quelques  années  de  ministère 
dans  le  diocèse  de  Valence,  M.  Louis  Le  Cardonnel  entra  comme 
novice  chez  les  Bénédictins  de  Ligugé,  où  il  resta  de  1900  à  1901, 
publiant  des  vers  dans  le  journal  de  la  communauté  :  Bulletin  de 
Saint-Martin  et  de  Saint-Benoit,  sous  son  nom  de  religieux  : 
Frère  Anselme.  Des  raisons  de  santé  l'obligèrent  malheureusement  à 


LOUIS    LB    CAKDONNKL  255 


interrompre  ce  noviciat  et  à  renoncer  à  la  vie  bénédicline.  Il  qnitia 
Ligugé,  retourna  pendant  quelque  temps  comme  vicaire  dans  son 
diocèse  de  Valence,  puis,  en  1905,  se  retira  à  Assise,  où  il  vit 
depuis,  prêtre  libre,  à  l'ombre  du  Monastère  de  Saint  François, 
priant,  méditant  et  écrivant,  tel  qu'il  s'est  dépeint  luimcme  : 

II  s'en  ira,  semant  la  Parole  céleste. 
Et,  pour  dire  le  Verbe  aux  temps  qui  vont  venir, 
Harmonieusement  il  mêlera  le  geste 
D'accorder  la  cithare  au  geste  de  bénir. 

Sous  le  souffle  divin,  il  la  fera  renaître. 

Fils  des  premiers  Voyants,  fils  des  Chanteurs  sacrés. 

Cette  antique  union  du  Poète  et  du  Prêtre, 

Tous  deux  consolateurs,  et  tous  deux  inspirés  ! 

M.  Louis  Le  Cardonnel,  qui  a  réuni, en  1904,  toute  son  œuvre  en 
un  volume  :  Poèmes,  et  qui  prépare  un  second  recueil  :  Carmina 
Sacra,  rédige  au  Afercare  de  France  la  Chronique  des  Questions 
religieuses.  Il  a  collaboré  au  Chnl  Xoir,  au  Scapin,  aux  Ecrits 
pour  l'Art,  k  La  Plume,  an  Parti  Xutional,  au  SaintGraal  ,h  Poé- 
sia,  à  L'Ermitage,  à  Vers  et  Prose,  à  Durendal,  au  Spectateur 
catholique,  à  La  Revue  hebdomadaire,  à  UEco  del  Subasio,  etc. 

Bibliographie  : 

Les  œuvres.  —  Poèraea.  Paris,  Société  du  Mercure  de  France,  1904, 
in-18.  (Il  a  été  tiré  pour  la  Société  des  XX,  20  ex.  déformât  in-8.  Cesexerapl. 
portent  tous  la  sij;nature  de  Tauleur.) 

Ou  trouve,  en  outre,  dans  un  ouvrage  de  M.  Gabriel  P«ure  :  Heures  d'Om- 
brie  (Paris,  Sansot,  1908,  in-16)  un  poème  de  M.  Louis  La  Cardonnel  intitulé  : 
Asisium. 

Poème  uis  ex  mcsiqle.  —  Un  poème  de  M.  Louis  l^e  Cardonnel  a  été  mis  eo 
musi((ue  par  M.  Gabiiol  Fabre. 

A  coNSLi.TEn.  —  Gabrielle  Deizant  :  Lettres.  IS7i-t90S,  publiées  par 
Louis  Loviot,  avec  une  préface  de  Th.  Bentzon.  Paris,  Hachette,  1906,  in-18. 
pp.  223-229.  —Pierre  Ferrez  :  Le  Poète  Louis  Le  Cardonnel.  Evolution 
d'une  âme  (Exlr.  de  l'L'niversilé  catholique).  Lyon,  imprimerie  Enmi.  Vilto, 
19115.  in-8.  —  Alphonse  Gerniaia  :  L.  Le  Cardonnel,  nolire  dans  Les 
Portraits  du  prochain  Siècle.  Paris,  Girard.  1894,  in-18.  —  Charles  Mo- 
rice  :  La  Littérature  de  tout  à  l'heure.  Paris,  Perrin,  1889,  iii-18.  ~ 
Adolphe  Retlô  :  Le  Synibulisme.  Anecdotes  et  souvenirs.  Paris,  Messcin. 
19(i3,  in-18.  —  Christ  Rime<;(a(I  :  /-ransk  Poesi,  etc.  Kjobenhavn,  Schubo- 
Iheske,  1905,  in-8  —  Kduuanl  Schuré  :  Femmes  inspiratrices  et  poète* 
annonciateurs.  Paris,  Perrin,  1908.  in-18.  (L'élude  consacrée  dans  cet  ouvrage 
à  M.  Le  Cardonnel  est  intéressante, mais  fournit  des  dates  erronées). — E.Vigié- 
Lecoeq  :  La  Poésie  contemporaine,  t884-t896.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1897,  iu-iS. 


256  POÈTES  d'aujourd'hui 


Jeau  Carrère  :  Louis  Le  Cardonnel.  Revue  hebdomadaire,  31  déc.  1904. 
—  A.  Ducrocq  :  Les  Poèmes  de  Louis  Le  Cardonnel.  La  Femme  contem- 
poraine (Besançon),  juin  190C.  —  Maurice  Dullaert  :  Louis  Le  Cardon. 
nel.  Durendal  (Bruxelles),  6  juin  1904.  —  François  Lattard  :  Louis  Le 
Cardonnel,.  illustr.  de  trois  portraits  du  poète.  La  Plume,  1-15  juin  1896.  — 
Adrien  Mithouard  -.Propos.  L'Occident,  juillet  1904.  —  Pierre  Quil- 
lard  :  Louis  Le  Cardonnel.  Mercure  de  France,  juillet  1904.  —  Octave 
Uzanne  :  Visions  de  notre  heure.  Choses  et  gens  guipassent.  Quelques 
lœures  d  la  maison  de  Notre-Dame  d  Ligugé,  Echo  de  Paris,  21  septem- 
bre 1900. 

Iconographie  : 

Paul  Audrat  :  Portrait  au  crayon,  mai  1903  (appartient  au  poète).  — 
François  Guiguet  :  Portrait  de  Louis  Le  Cardonnel  à  vingt-huit  ans. 
Dessin  reproduit  dans  la  Plume,  1-15  juin  189G. 

Voir  en  outre,  dans  le  numéro  de  la  Plume  déjà  cité  (1-15  juin  1896),  deux 
reproductions  photographiques  :  Louis  Le  Cardonnel  à  25  ans;  Louis  Le 
Cardonnel  en  1895. 


VILLE  MORTE 

Lentement,  sourdement,  des  vêpres  sonnent 
Dans  la  grand'paix  de  cette  vague  ville  ; 
Des  arbres  gris  sur  la  place  frissonnent. 
Comme  inquiets  de  ces  vêpres  qui  sonnent. 
Inquiétante  est  cette  heure  tranquille. 

Un  idiot  qui  va,  revient,  et  glousse. 
Content,  caries  enfants  sont  à  l'école; 
A  sa  fenêtre  une  vieille  qui  tousse  ; 
A  l'idiot  qui  va,  revient,  et  glousse. 
Elle  fait  des  gestes,  à  moitié  folle. 

Murs  décrépits,  lumière  décrépite 

Que  ce  Novembre  épand  sur  cette  place  : 

Sur  un  balcon  du  linge  froid  palpite. 

Pâle,  dans  la  lumière  décrépite. 

Et  puis  le  son  des  cloches  qui  se  lasse... 

Tout  à  coup  plus  de  cloches,  plus  de  vieille, 
Plus  de  pauvre  idiot,  vaguement  siiiÊre, 
Et  l'on  dirait  que  la  ville  sommeille. 


LOUIS   LE  CARDONMEL  257 


Plus  d'idiot,  de  cloches  ni  de  vieille... 
Seul,  maintenant,  le  blanc  glacé  du  linçe. 


{Poènut.) 


il. 


EN  FORÊT 

Ecoute  :  la  forêt,  que  nul  vent  ne  balance, 
Commence  à  s'assoupir  dans  sa  çrave  o[)ulence. 

Regarde  :  l'allée  est  sans  fin, 
Où  marchent  avec  nous  Octobre  et  le  Silence... 

Entre  les  feuillaisons  luit  le  couchant  divin, 

Et  battant  de  son  flot  nos  veines,  comme  un  vin 

Magicien  roule  le  rêve  : 
Mais  son  enchantement  nous  le  connaissons  vain. 

Ah  !  mourante  beauté  des  branches,  gloire  brève  1 
C'est  l'effort,  c'est  l'essor  de  la  suprême  sève, 

Puis  tout  rameau  devenant  noir 
Attendra  que  l'Avril  dans  sa  verdeur  se  lève. 

Nous-mêmes,  empourprés  par  un  dernier  espoir, 
Nous  sentirons  bientôt  tomber  aussi  le  soir, 

Et  tomber  l'hiver  sur  notre  âme... 
Mais  du  moins  pourrons-nous,  après  tant  d'ombre,  voir 

D'un  Paradis  la  porte  éternelle,  que  lame 

Tin  or  magique,  un  or  mystique,  un  or  de  flamme, 

S'entr'ouvrir,  telle  que,  là-bas, 
—  Ah  !  tandis  qu'une  voix  de  biche,  écoute,  brame  !  

Nous  voyons,  éblouis  et  de  cheminer  las, 
Resplendir,  comme  si  bientôt  ne  devait  pas 

Nous  la  cacher  l'ombre  fatale. 
Resplendir,  inondant  d'une  clarté  nos  pas, 

La  porte  d'or,  la  porte  d'or  occidentale  I 


258  POÈTES  d'aujourd'hui 


A  UN  JEUNE  AÉDE 

Aède,  aux  yeux  de  nuance  douce, 
Toujours  vers  leur  frère  Azur  tournés, 
Avec  ton  front  blanc  qui  se  renverse. 
Au-dessus  des  fronts  de  tes  aînés, 
Tu  brandis  ta  strophe  comme  un  ihyrse. 

Espoir  des  ardentes  Muses  pâles 

Qui  t'ont  sur  un  mont  donné  le  sein 

Dans  leur  Bois  antique  aux  rameaux  nobles. 

N'abandonne  pas  ton  haut  dessein, 

Et  qu'à  tes  pieds  vienne  un  fleuve  d'âmes. 

Oui,  charmant  meneur  d'odes  divines, 
Ainsi  que  des  chèvres  bondissant, 
Sois  meneur  encor  d'âmes  humaines. 
Et  que  ton  chant  clair  comme  ton  sang 
Enivre  d'amour  les  foules  fauves. 

Moi,  moi  qui  sais  l'orphique  Mystère, 
Le  premier  j'ai  lu  ton  âme  en  toi  : 
J'aimai  l'enfant  déjà  rêvant  d'œuvre, 
Et  grave  aîné  t'ai  juré  ma  foi, 
En  un  chant  qui,  grave,  se  module. 

Je  t'aimerai  dans  ton  été  riche 
Comme  je  t'aime  dans  ton  printemps  : 
Je  t'aimerai  claironneur  farouche 
Autant  que  chanteur  de  dix-huit  ans: 
Pourtant,  que  ton  mai  longtemps  fleurisse  ! 

Puis  avant  qu'un  fier  laurier  aux  tempes, 
Tu  domptes  les  haines  et  la  mort. 
Reçois,  doux  aède  épris  des  pompes 
Antiques,  jeune  homme  aux  lèvres  d'or. 
Ces  rythmes  tordus  comme  des  pampres. 

{Poèmes. 


I.OUIS    LE    CARDONXrL  25g 


LA  LOUANGE  D'ALFRED  TENNYSON 

Xolre  mélancolie  et  notre  piété 
I*our  celui  qui  partit,  riche  encore  de  flamme, 
Ne  veulent  pas  de  fleurs  de  printemps  ni  d'été: 
0  vous  qui  fleurissez  à  la  chaleur  de  Tàme, 
Fleurs  de  mélancolie  et  fleurs  de  piété. 

Tombe/'  sur  Tennyson  qui  nous  charma  les  heures, 
Sur  Tennyson,  aux  chants  si  limpidement  beaux, 
Qu'à  jamais  leur  cadence  enchante  nos  demeures 
Va  que  nos  cœurs  lui  soient  palais  plus  que  tombeaux  : 
Tombez  sur  Tennyson,  le  délivré  des  heures  ! 

Qu'importe  le  pays  de  nos  mortelles  chairs, 

Si  nous  la  connaissons,  cette  haute  Patrie 

Où  l'Inspiration  plane  dans  les  éclairs. 

Où  s'avance,  le  front  voilé,  la  Rêverie  ! 

L'âme  est  de  tous  les  cieux,  qui  survit  à  nos  chairs. 

Tennyson,  c'est  pourquoi  ce  poète  de  France 

Lri  te  rythme  un  los  <ju'il  faudrait  plus  di\in. 

Mélancolie,  et  vous,  Extase,  transparence 

Du  chant  df^s  bous  harpeurs  d'outre-mer,  est-ce  en  vain 

Que  nous  voulons  vous  joindre  à  ces  clartés  de  France? 

Le  don  mystérieux  d'éveiller  l'Infini, 

Nous  l'avons,  comme  toi,  de  par  nos  aïeux  celtes, 

Et  le  sonçe  n'est  pas  de  nos  fronts  si  banni 

Que  sur  ton  vaisseau  blanc,  peuplé  de  vierges  sveiles, 

Nous  ne  puissions  te  suivre  au  pays  d'infiui... 

Tennyson,  quelle  fée  à  la  robe  d'opale 

S'en  vint  su:-  ton  berceau  poser  sa  douce  main? 

Quelle  Muse  élancée  et  suavement  pâle 

Eblouit  devant  toi  le  nocturne  chemin? 

Quelle  Ondine,  apparue  en  un  minuit  «l'opale  ?... 

Et  quand  pour  toi  vint  l'âge  où  le  cœur  est  chantant. 


SGO  POÈTES   d'aujourd'hui 


Oh  !  qui  dira,  parmi  le  matinal  sourire, 
Ces  élans  radieux  de  l'aède,  écoutant 
A  ses  tempes  en  feu  tout  le  printemps  bruire. 
Et  ses  espoirs  vibrer  dans  le  matin  chantant  ? 

Oui  dira  tes  étés  mêlant  leurs  song-eries 
Au  calme  écroulement  des  nuages  épars. 
Le  souple  écheveau  d'or  des  longues  causeries, 
Les  belles  amitiés  lisant  dans  tes  regards? 
Qui  dira,  jusqu'au  soir,  tes  jeunes  songeries? 

Et  les  riches  pensers  dans  le  tomber  du  jour, 
Où  l'oblique  soleil  fait  les  bois  plus  magiques, 
L'anibilron  d'avoir  une  tranquille  tour, 
D"où  le  monde  entendra  lui  venir  tes  musiques, 
L'orgueil  d'être  lauré  pour  tes  rimes,  un  jour... 

Tu  nous  rendis  Spenser  aux  splendides  images, 
Wordsworth,  penché  le  soir  sur  de  pensives  eaux, 
Shellev,  presque  perdu  dans  les  ardents  nuages, 
Keats,  retrouvant  les  sons  des  antiques  roseaux  : 
Car  ton  âme  volait  d'images  en  images. 

Un  jour,  quand  s'en  alla  vers  la  paix  ton  ami, 
Tu  fis  sous  les  cyprès  s'agenouiller  la  Stance  ; 
Puis,  enrichi  d'un  feu  légué  par  l'endormi. 
Ton  génie,  en  des  cris  de  fidèle  espérance. 
Surgit  resplendissant  des  cendres  de  l'ami. 

Oh!  musique  de  l'âme  en  paroles  redite, 
Harmonieux  appel  d'un  cœur  à  d'autres  cœurs. 
Chant  léger  qui,  plus  doux  que  l'air  de  mai,  palpite, 
Sereine  mélodie,  en  qui  les  grandes  Sœurs 
Trouvent  la  majesté  de  leur  geste  redite  ! 

Bruit  des  pas  du  printemps  qui  vient  par  les  vallons. 
Frissons  de  la  forêt  magiquement  profonde. 
Où  Viviane  encor  peigne  ses  cheveux  blonds. 
Murmure,  dans  le  soir,  des  voix  de  l'autre  monde, 
Frémissements  de  source  en  de  secrets  vallons  ! 


LOUIS    I.£   CVADONNEL  20 1 


Viciîîrs  cbnnsoDS  de  ceux  qui  vivent  sur  les  ejrèves, 

El  dont  le  vent  des  mers  trempa  le  cœur  viril. 

Vapeur  des  visions,  suavité  des  rêves, 

Aux  légères  clartés  de  la  lune  d'avril, 

Voix  des  vagues  qui  vont,  vivantes,  vers  leurs  crèves! 

A  travers  la  Nature,  épanouie  en  toi, 

Tu  recueillais  la  grAce  et  la  splendeur  des  choses, 

Et  tu  les  soimieltais  à  ta  rythmique  lui, 

Et  tu  souriais,  tel  qu'un  jardin  plein  de  roses, 

Ayant  comme  un  essaim  d'abeilles  d'or  en  toi. 

Heureux  qui,  fier  ainsi,  n'a  connu  que  des  fêtes, 
Qui  s'enivre  du  son  de  sa  pensée,  et,  loin 
Dans  l'àfije,  peut  planer  au-dessus  des  poètes: 
Heureux  qui,  dans  sa  tour,  n'eut  jamais  d'autre  soin 
(Jue  d'accorder  sa  harpe  à  ses  intimes  fêles  I 

Tu  devinas  les  jours  glorieux  qui  viendront. 
Tu  vis  monter  les  jours  des  pacifiques  Eres  : 
Le  poète  est  encor  prophète  et,  sous  son  front, 
Avant  l'heure  il  entend  ce  que,  devenus  frères, 
Se  diront  au  soleil  les  hommes  qui  viendront! 

Gloire  à  qui  fait  vibrer  de  sublimes  paroles, 
r(>ur  exalter  les  ccrurs  d'un  magnili(jue  espoirl 
('.onune  un  vent  du  matin  j)armi  des  bautleroles, 
II  réveille  la  joie,  et  notre  Ame  croit  voir 
Surgir  une  Atlantide  à  travers  ses  paroles. 

Tu  fus  celui  qui  marche  au  rythme  de  la  mer, 
l.e  chantre  des  amours  profondes  et  lovales,* 
Le  soriçeur  <pie  les  ans  ne  rendent  pas  amer, 
El  qui  se  plaît  encore  aux  fêtes  nuptiales. 
Grand  vieillard  ingénu,  que  sxiluail  la  mer. 

Avec  l'âge,  ta  voix  ne  devint  pas  confuse: 
Ue  tes  lèvres,  jamais  défaillantes,  le  ehant 
Coulait  intarissable,  et  la  main  de  la  Muse 
Fut  encore  plus  belle  eu  tes  cheveux  d'argent, 

16. 


262  POÈTES    D  AUJOURD  HUI 


Et  la  mort  vînt  pour  toi  sans  ançoisse  confuse. 

Ah  !  demeure  au  milieu  des  noms  inefFacés  ! 
Dans  les  cités,  parmi  les  blés,  et  sur  la  côte, 
Tes  vers  vi\Tont  toujours  au  cœur  des  fiancés  ; 
A  jamais  tu  seras  une  lumière  haute, 
Au  plus  haut  firmament  des  noms  inefFacés. 

Et  nous  qui  souhaitons  que,  divinement  claire, 

La  poésie  enfin  retrouve  son  azur, 

Nous  adorons  surtout  t?  grâce  légendaire, 

O  Tennyson,  cor  d'ivoire  dans  le  soir  pur, 

0  Tennyson,  cloche  d'argent  dans  l'aube  claire. 

(Poèmes.j 


INVOCATIONS   D'AUTOMNE 

I 

Automne  merveilleux.  Automne  qui  me  dores 
L'horizon  de  la  vie  encore  cette  fois, 
Toi  qui,  si  doux,  épands  les  feux  de  tes  aurores 
Et  ceux  de  tes  couchants  aux  limites  des  bois, 

Mélancolique  Automne,  avec  qui  l'on  voyage 
En  des  mondes  de  songe  et  de  sérénité. 
Bel  Automne  pour  qui,  sous  le  dernier  feuillage. 
Un  oiseau,  mais  tout  bas,  poursuit  son  chant  d'été. 

Toujours  tu  m'exaltas,  saison  harmonieuse; 
Ta  ilamme  brûle  encore  en  mes  hymnes  anciens  : 
Tu  m'as  tout  pénétré  d'une  ardeur  sérieuse... 
Dis  que  tu  le  savais  et  que  tu  t'en  souviens  ! 

Pourtant,  si  je  t'invoque  aujourd'hui,  cher  Automne, 
Ce  n'est  pas  pour  revi\Te  aux  luttes  du  passé. 
Pour  remettre  à  mon  front  une  vaine  couronne, 
Et  rendre  un  peu  de  lustre  à  mon  nom  eilacé. 

Que,  dans  l'apaisement  de  cet  octobre,  meure 


LOUIS    LE    CARDONNEL 


s63 


Ce  qui  n'est  pas  en  moi  le  viere^e  attrait  du  Beau  ; 
Que,  la  Gloire  ayant  fui,  le  seuil  de  ma  demeure 
Semble  à  jamais  le  seuil  délaisse  d'un  tombeau. 

Loin  l'orgTieil,  espérant  des  revanches  tardives  ! 

Uniquement  épris  d'un  rêve  aérien, 

Je  ne  rec^arde  plus  vers  les  insérâtes  rives 

Du  monde  aveugle  et  sourd,  dont  je  n'attends  plus  rien. 

Je  ne  veux  contempler  que  de  pures  imaq^es  : 
Mon  calme  enivrement,  c'est  l'ampleur  de  les  cieux. 
C'est  ton  azur  à  peine  ofTensé  de  nuages, 
Saison  noble  au  divin  rire  silencieux. 

Ta  tendresse  me  parle  et  ma  ferveur  t'écoule  : 
Automne  inspirateur,  fais  encor  sous  tes  lois 
Tomber,  comme  un  cristal,  mes  heures,  î^outte  à  goutte  ; 
Mets  invisiblement  des  cordes  sous  mes  doiçts  ; 

r 

Et  que,  la  mélodie  affluant  dans  mes  reines, 
Ardente  comme  aux  jours  de  ma  jeune  vis^ueur. 
Sans  désir  de  frapper  les  oreilles  humaines, 
Je  chante  seulement  pour  enchanter  mon  coeur. 

{Poénies.) 

L'AVEUTISSEUSE 

Minuit,  et  je  n'ai  pas  encor  fermé  les  yeux  ! 
Un  trraud  rêve  en  moi  veille,  et  s'incpiiète  et  pleure, 
Tandis  (|ue,  lourdement,  dans  le  vide  des  cieux, 
Tombe  le  dernier  coup  de  l'heure. 

Minuit  sur  la  cité,  minuit  sur  le  jardin 
Où  le  vent,  par  instant,  se  soulève  et  sanj^Iote  ; 
Mais  qui  donc  avec  lui  s'est  lamenté  soudain? 
La  mélancolique  hulotte. 

Cependant  qu'à  travers  la  fenêtre  je  vois 
Flotter  sur  le  bassin  sans  lune  1»*  lonï^  saule, 
C'est  la  hulotte,  avec  sa  di-solante  voix, 
Qui,  tour  à  tour,  pleure  et  miaule, 


2G4  rcÈTES  d'aujourd'hui 


La  hulotte,  l'effroi  des  chevets  désertés 
Par  le  sommeil,  la  peur  des  âmes  orphelines, 
La  hulotte,  sans'fiû,  dans  la  nuit  sans  clartés, 
La  prophétesse  de  ruines  !... 

0  fatidique  oiseau  des  précoces  trépas,. 
Que  dis-tu,  dans  l'horreur  de  sa  mauvaise  veille, 
A  ce  pauvre  sonçeur  fati;o:;ué  d'ici-bas,    • 
Oui  s'accoude  et  qui  tend  l'oreille  ? 

Tu  lui  dis,  ou  plutôt  c'est  là  ce  que  j'entends  : 
L'espoir  est  bien  menteur  parfois,  la  vie  est  brève, 
L'homme,  sans  y  songer,  s'écoule  avec  le  temps 
Comme  un  fantôme  dans  un  rêve. 

Ah  !  pâles  affolés,  sur  vous  la  Mort  a  mis 
Son  onsçle  !  Respirez  une  dernière  touffe  : 
Dans  vos  fleurs,  comme  moi  les  oiseaux  endormis, 
La  Mort  vous  prend  et  vous  étouffe. 

Les  vrais,  les  seuls  vivants,  les  bons,  les  saints,  les  forts 
N'ont  qu'un  jour  pot/r  semer  l'immortelle  semence. 
Un  jour...  Puis  ils  s'en  vont,  tous  ces  bienheureux  morts, 
Conquérants  de  la  Paix  immense. 

Mais  que  d'autres,  là-bas,  oubliés  sous  les  croix, 
Hurlent,  tournant  contre  eux  leur  rage  inassouvie  : 
C'en  est  fini  de  nous  ;  nous  sommes  morts  deux  fois. 
Nous  avons  gaspillé  la  vie  ! 

Tu  dis  qu'il  faut  mener  son  sillon  jusqu'au  soir. 
Remplir  l'heure,  le  jour,  la  saison  et  l'année, 
Marcher,  et  ne  goûter  la  douceur  de  s'asseoir 
Qu'après  la  tâche  terminée. 

Et  qu'il  faut  triompher  dans  les  combats  chrétiens 
Pour  que,  coupable  encore  après  l'heure  dernière, 
La  pauvre  âme  n'ait  pas  des  yeux  comme  les  tiens 
Au  lever  de  l'autre  lumière. 


LOUIS    LE    CaIXDONNEL  2Cj 


Ainsi,  plein  de  rej^rets  pour  tant  de  jours  perdus, 
Tant  de  saisons  au  goufTre  éternel  en  allées, 
Rappelant  de  mes  bras  obstinément  tendus, 
Mes  espérances  désolées. 

Tandis  que  le  vent  noir  pleurait  au  firmament. 
Kl  «jue  tu  miaulais  dans  la  nuit  monotone, 
J'ai  compris  ton  sanglot  et  ton  miaulement, 
O  sombre  hulotte  d'automne  1 

[Pût/nes. 


SÉBASTIEN  CHARLES  LECONTE 
1865 


M.  Sébastien  Charles  Leconte  est  né  à  Arras  (Pas-de-Calais), d'une 
vieille  famille  du  pays,  le  21  octobre  i8G5  Après  avoir  fait  ses  étu- 
des de  droit,  il  entra  dans  la  magistrature  et  fut,  pendant  plusieurs 
années,  Président  delà  Cour  d'appel  à  Nouméa.  Il  profita  des  contres 
qui  lui  étaient  accordés  pour  visiter  l'Inde,  la  Polynésie,  et  étudier 
sur  place  les  religions  et  l'histoire  des  peuples  disparus.  C'est  en 
1897,  pendant  un  de  ses  rares  séjours  à  Paris,  qu'il  publia  ses  deux 
premiers  recueils  :  U Esprit  qui  pas  e  ci  Le  Bouclier  d'Arcs.  La 
même  année,  rAcadémie  française  le  couronna  au  concours  pour  son 
poème  Solamine.  Après  un  court  passage  dans  les  milieux  littérai- 
res, M.  Sébastien  Charles  Leconte  regagna  son  poste,  qu'il  quitta 
définitivement  en  1901,  nommé  à  la  Cour  de  Dôle,  où  il  est,  depuis 
1902,  Président  du  Tribunal  civil. 

La  poésie  de  M.  Sebastien  Charles  Leconte,  comme  celle  de  M.  le 
Vicomte  de  Guerne,  s'apparente  de  très  près  à  celle  de  Leconte  de 
Lisle,  au  moins  par  l'aspect.  Comme  l'auteur  des  Poèmes  barba- 
res, M.  S-^bastien  Charles  Leconte  trouve  beau  de  donner  une  ortho- 
graphe singulière  à  certains  mots.  Il  n'écrit  pas  comme  nous  Empe- 
reur, Ghaldee,  Trésor,  Moloch,  Autocrate.  Cithéron,  Taurus,  Acro- 
pole, mais  Impérator,  Kaldée,  Thrésor,  Molock,  Autokrator,  Kithé- 
ron,  Tauros,  Akropolis,  etc.  Il  aime  également  à  mettre  des  majus- 
cules à  certains  autres  :  Homme,'  Beauté,  Femme,  Monde,  Mal, 
Force, Esprit,  Amour,  etc..  Il  ne  faudrait  pas  croire,  cependant,  que, 
sous  ces  grands  mots,  M,  Sébastien  Charles  Leconte  se  désintéresse 
de  son  époque.  Au  contraire,  il  la  regarde,  et  s'y  mêle,  au  moins 
par  l'esprit,  très  ardemment,  et  l'on  voit  passer  dans  son  oeuvre, 
enveloppées  de  l'éloquence  du  poète,  les  idées  de  justice  et  de  bouté 
qui  l'animent.  S'il  apporte  dans  ses  fonctions  ces  nobles  préoccu- 
pations, nul  doute  que  M.  Sébastien  Charles  Leconte  ne  soit  le 
modèle  du  magistrat.  Au   milieu  du  mouvement  et  des  nouveau- 


SÉBASTIEN  CHARLES   LECONTK  2Ô7 

>e8  symbolistes,  M.  Sébasti^D  Charles  LecoDte  est  resté  fidèle  à  la 
)toétiqne  paraassienae  dans  toute  son  expression,  et  il  n'est  pas 
noins  éloigné  de  l'école  poéli(iue  actuelle,  faite  toute  de  sensibilité, 
.2  clarté  et  de  modernité.  M.  Sébastien  Charles  Leconte  ne  tient 
■  {'ailleurs  nullement  à  être  classé  dans  tel  ou  tel  groupe.  Un  soli- 
taire, dans  sa  vie  comme  dans  son  œuvre,  il  ne  demanda  qu'i  être 
considéré  comme  tel,  et  les  théories  poétiques  ne  lui  sont  pas  moins 
indifférentes  que  les  groupes,  c  II  importe  peu  que  l'on  fasse  des 
vers  libres  ou  que  l'on  n'en  fasse  pas,  dit-il.  L'essentiel  est  de  faire 
•  le  beaux  poèmes    Toute  théorie  est  inutile.  » 

M.  Sébastien  Charles  Leconte,  que  l'.Académie  française  a  distin- 
;iué  à  deux  autres  reprises,  en  igoa  en  lui  décernant  une  part  du 
l'rix  Archon-Despérouses,  et  en  1906  en  couronnant  une  seconde  fois 
un  de  ses  poèmes  :  L'Absolution,  a  collaboré  à  de  nombreuses» 
.•evues  :  Mgrcure  de  France,  Renaissance  latine,  Nouvelle  Revue, 
Les  Lettres,  Le  Beffroi,  Revue  socialiste.  Annales  de  la  Jeunesse 
'aïque,  Vers  et  Prosê,  Les  Poèmes,  Revue  Franco-Allnnande^ 
Humanité  nouvelle,  Le  Feu,Durendal,  Grande  Revue,  Le  Censeur, 
etc. 

Bibliographie  : 

L«9  ŒUTRKs. —  L'Esprit  qui  passe,  poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France.  11*97,  in-4. —  Le  llouclier  tlWrès,  poî-mcs.  Paris.  ?oo.  du  M»'rcure 
(le  France,  1897.  in-4.—  Salamiue, poème  couronm^  |>ar  rA<-adéraiefraaraj>e. 
Pari*, Soc.  du  Mercure  de  France,  1897,  in-4.— Les  bijoux  de  Marguerite, 
ormes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France.  1859,  in-4.  —  La  Tentation  de 
•.'Homme,  poèmes.  Pari'*,  Soc.  du  Mercure  de  Fnnce,  1903,  in-18.  —  L'Abso- 
lution, poème  couronné  par  IWcailt^nie  française,  1905  (non  publié).  —  Le 
Sauu  de  Mrduse,  poème*.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1905,  in-18. 
—  La  Gloire  de  Corneille,  scène  lyrique  représentée  pour  la  première 
fois  sur  la  scène  de  l'Académie  nationale  de  mu<ii|ue,  le  8  juin  1906  (Ceote- 
iiaire  de  Corneillel,  mu»i<j»e  de  Camille  Saint-Sa<"us  (non  publiée). 

A  COS8L-LTER.  —  A. -M.  Gosscz  :  Poète*  du  Soni,  ISSO-t?<)^.  Morceaux 
chois  s.  Paris,  OllendorlT.  1902,  in-1^.  —  tî«'or(jes  Le  (\'irdoDnel  et 
Charles  Vellay  :  La  Littérature  ■  ^  de*  écri- 

vains lie  ce  tt-rups.  Paris,  Soc.  du  M' 

Henri    Chantavolne  :    Un  Poète.   Journal  des  Débats,  ti     juillet  1897. 

-  Gaston  Deseliamps  :  Le  Poète  S.  Ch.  Lcconte.  Le  Temps.  19  h.x.mh- 
l.re  1899  ;  Le  Culte  d'André  Chénier.   Le  Temps.  11  férrier   1900  ;  Au 

et  aujourd'hui AjsTam^%,l(i  mai  1900:  Ln  T.  ,>i.,f,..,i  ,!.•  l'homme.  Le  T 

18  juillet  1903;  I\Avenir  de  la  Poésie  d'  i    Charles    L 

fx;  TeTiips,    3  juillet    1904;    Le  Sany  de   ..;...,,.  ,.    niups,  29  janvier  1  ••  .. 

-  Kinile  Fayuet  :  Quelque*  poètes.  Kerue  Bleue,  11  cl  IS  mai  1901.  — 
Gustave  Katia  :  La  Littérature  '  "  . 
Uevue  des   Hevues.  mai    1901  ;   Le  I' 

Uevue  Blanche,  1"  S4<ptembre  1901.  — .Marins  .\ry  l.oliloud  ;  Li  /'  i-- 
scientifique  contemporaine.  Kerue  dos   Kcrucs,  15  décembre.    —    Claude 


îG8 


POÈTES    d'aujourd'hui 


f  e  Brr^^an  •  Ze  Poule  Sébastien  Charles  Leconle.  H.  sanron.  imprimerie, 
r  loi  100^  in-i8  -E.  Ledrain  :  Critique  littéraire.  Nouvelle  Kevue, 
?:dïcemb;e'l897   :  -  Gaston  Stiégler  :  Un  Poète.  Ecbo  de  Pans.  6  jmn 

*^Voir  en  outre  le  numéro  du  Z^e/TToz  d'août  1901  <=«°^^"^  JP^'^'^^^^J"*^ 
Sébasl.en  Charles  Leconle.  (Arlicles  de  M.  Thérèse  Cussac,  A.-M.  Gossez,  Lcon 

Bocquet,  Floris  Delaltre.  lllustr.)- 

SAPPHO 

0  toi  vers  qui  mes  sens  allaient  sans  te  connaître, 
Tyran  tant  désiré  qu'^ippclait  tout  mon  être, 
Par  mon  sang  lourd  d'amour  si  longtemps  attendu. 
Quand  j'ai  crié,  vers  toi  qu  adorait  mon  génie, 

Ma  divine  agonie, 
0  Phaon,  c'est  ta  chair  qui  seule  a  répondu, 

Pour  dompter  de  ton  front  la  beauté  despotique, 
J'ai  jeté  mon  angoisse  à  la  strophe   impudique 
Et  tendu  vainement,  et  jusqu'à  les  briser. 
Les  cordes  de  mon  cœur  et  celles  de  ma  lyre. 

Sans  voir  en  ton  sourire 
Une  autre  âme  fleurir  que  l'àme  du  baiser. 

Pour  chanter  ta  puissance  et  pleurer  ta  caresse. 
J'ai,  du  verbe  des  Dieux  sacrilège  prétresse. 
Dans  la  coupe  du  rythme  où  buvait  mon  orgueil 
Versé  tous  les  poisons  merveilleux  de  ma  fièvre, 

Et  l'autel  de  ma  lèvre, 
Profané  par  ta  gloire,  en  gardera  le  deuil. 

L'insomnie  a  brûlé  mes  douloureuses  veines. 
Et,  dans  la  cruauté  des  étreintes  vaines, 
Tu  ne  devines  pas,  doux  maître  de  mes  sens, 
Que  vers  toi,  dans  ce  corps  que  Tamante  te  livre, 

Quand  ma  forme  t'enivre, 
Mon  immortaUté  fume  comme  comme  un  encens. 

Et  dans  l'impérieux  désir  de  les  prunelles, 

Quand  j'épiais  le  jour  des  clartés  éternelles, 

Tu  crus  que  je  cherchais,  entre  tes  bras  sauveurs. 


SÉBASTIEN  CHARLES    LECONTE  2C9 

Les  fiers  enlacements  où  les  muscles  s'embrasent, 

Quand  1rs  bouches  s'écrasent 
Comme  une  grappe  mûre  aux  charnelles  saveurs. 

Eros  t'avait  armé  de  sa  force  suprême. 
Et  de  ce  charme  obscur,  ig-noré  de  toi-mcme, 
Oui  courba  sous  les  yeux,  candide  ravisseur, 
Dans  la  mag-nificence  horrible  des  crinières, 

Les  genoux  des  guerrières. 
Devant  ta  volupté  promise,  et  ta  douceur. 

Mais  tu  ne  savais  pas,  puisque  en  toi  rien  ne  souffre. 
Que  pour  combler  mon  âme  innombrable,  ce  gouftue 
Noir  de  s.mghjts  auxquels  nulle  voix  ne  répond, 
Les  plus  belles  amours  et  les  plus  insensées 
Dont  nous  soyons  blessées, 
Etaient  moins  qu'une  fleur  jetée  à  l'Hellespont. 

Et  c'est  pourquoi  je  vais  mourir,  ô  mer  profonde  I 
Entre  les  immortels  qui  désertent  ce  monde. 
Ombre  d'un  culte  éteint,  l'Amour  était  resté  : 
Mais  le  cœur  de  Sapphù,  rassasié  de  songe, 

Renonce  à  ton  mensons^e. 
Sanctuaire  trahi  que  ses  dieux  ont  quitté  ! 

(L'Esprit  guipasse.) 
LE  TOMBEAU 

Quand  je  m'endormirai  sous  la  splendeur  des  astres, 
Mes  strophes  flamboieront  auprès  de  mon  cercueil  ; 
Les  torchères  de  fer  de  mon  farouche  orgueil 
Jetteront  dans  le  vent  la  pourpre  des  désastres  ; 

Et  les  ailes  du  Verbe,  apaisant  leur  essor. 
Grouperont  leurs  faisceaux  en  un  vol  de  victoire, 
Pendant  que  se  tairont,  autour  de  ma  mémoire. 
Les  trompettes  de  bronze  et  les  cymbales  d'or. 

Aux  quatre  angles  du  lit  funéraire  dressées, 
Témoins  en  qui  revit  mon  rêve  surhumain, 


270 


POETES    D  AUJOURD  HUI 


Surs^iront,  de  leur  glaive  éclairant  le  chemin, 
Des  figures  de  Dieux  créés  de  mes  pensées. 

Et,  brasier  colossal  où  s'accumuleront 
Les  dépouilles  du  Temple  et  les  ihrésors  des  Tentes, 
Mes  rythmes,  ouvrant  leurs  envergures  battantes, 
Voileront  de  leurs  feux  la  terreur  de  mon  front. 

Solitude  de  pierre  aux  formidables  arches. 
Mon  œuvre  étagera  ses  rampes  et  ses  tours 
Énormes,  et,  jonchant  le  pavement  des  cours. 
Les  siècles  enchaînés  en  garderont  les  marches. 

Et  quand  j'aurai  quitté  le  sol  du  Monde,  en  vain 
La  foule  impie,  avec  des  bras  tremblants  de  haine, 
Insultera  la  paix  sainte  et  la  tombe  vaine 
Où  ma  chair  de  douleur  rentre  au  néant  divin. 

Car  la  horde,  acculée  à  son  forfait  célèbre. 
Croira  voir,  dans  la  cendre  ardente  du  bûcher, 
La  main  de  l'Inconnu  s'animer,  et  chercher 
La  bâche  de  Téclair  sous  mon  chevet  funèbre, 

(Le  Bouclier  d'Ares.) 

L'ORPHELIN 

Dans  le  verger  rempli  d'abeilles 
L'enfant  Amour  s'est  endormi  ; 
Belles,  qui  tressez  des  corbeilles. 
Venez  admirer  l'ennemi. 

La  rose,  au  souffle  de  sa  bouche, 
Refleurit  dans  l'air  enivré  : 
Contemplez  le   chasseur  farouche  ; 
Entre  vos  mains  il  s'est  livré. 

Accourez,  à  dépouiller  promptes 
Le  Tyran  justement  haï. 
Le  fauteur  des  maux  et  des  hontes, 
Que  sa  force  enfin  a  trahi. 


SEBASTIFN  CHARLES    LECONTE  27  I 

Brisez  le  doux  carquois  d'aihalre. 
Ainsi  qu'un  jouet  clanclrstin  : 
Sur  son  i^enou,  la  plus  foiàlre 
Rompra  1  arc  qui  fut  son  butin. 

Que  chacune,  aux  plis  de  sa  robe. 
Ramassant  les  traits  empennés, 
Furtive  et  joyeuse,  dérobe 
Quelques  carreaux  empoisonnés. 

Et  que  la  source  aux  ondes  fraîches. 
Dans  le  creux  moussu  du  rocher, 
Garde  l'affreux  trésor  des  flèches 
Que  les  nymphes  sauront  cacher. 

Et  maintenant  que,  de  la  plaine. 
Monte  un  crépuscule  odorant, 
0  Filles,  qui  tissez  la  laine 
Teinte  de  pourpre  et  de  safran, 

Sous  les  ramures  des  yeuses 
Frissonnant  dans  le  vent  charmé, 
Cernez,  sacrilèi^^es  rieuses, 
Le  Dieu  par  vos  doigts  désarmé. 

Et,  pour  célébrer  sa  défaite, 
Que  la  cadence  de  vos  pas 

Alterne  ses  rondes  de  fêle... 
Mais  pourtant  ne  l'éveillez  jias  1 

Enfant  dieu  de  la  lieaulé  sainte, 
A  sa  Mère  il  a  survécu, 
Et  la  jeune  aurore  est  éteinte 
Qui  dora  le  front  du  vaincu. 

II  dort,  dérisoire  adversaire 
0  Viere^es    (jui   HIez  le  lin, 
Ayez  pitié  de  sa  misère. 
Et  n'éveillez  pas  lorphelin. 

{Les  Bijoux  de  Marguerite.) 


273 


POETES    D  AUJOURD  PiUI 


AU  DIEU  QUI  S'ÉLOIGNE 

Toi  dont  nous  poursuivons,  au  profond  de  loi- même, 
L'inconnaissable  essence  et  la  pure  entité. 
Que  la  crainte,  la  foi,  l'amour  et  le  blasphème 
Nomment  du  même  nom  auguste  et  redouté, 
0  Dieu,  dont  la  présence  autour  de  nous  recule, 
Dans  l'orbe  incessamment  élargi  de  nos  cieux, 
Chaque  fois  que,  pour  nous,  s'allume,  au  crépuscule, 
Un  astre  nouveau  pour  nos  yeux  ; 

Devrons-nous  donc,  de  ton  image  qu'on  mutile, 
Voiler,  en  fils  pieux,  le  simulacre  vain, 
Et  te  rayer  d'un  mot,  comme  un  terme  inutile, 
Du  problème  éternel  dont  nous  voulons  la  fin? 
Devrons-nous,  parvenus  aux  confins  du  possible, 
Comprendre  que  notre  âme  est  ton  dernier  linceul, 
Et  qu'au  jour  où  ses  sens  auront  vu  l'invisible. 
L'homme  en  lui-même  sera  seul? 

Seul  devant  la  nature  et  devant  sa  pensée, 
Devant  les  mondes  morts  et  les  cieux  à  venir, 
Et,  dans  la  grande  nuit  d'astres  ensemencée, 
Prisonnier  de  ce  tout  qui  ne  peut  pas  finir? 
Seul  dans  l'immensité  qui  toujours  renouvelle 
Son  effort  sans  limite  et  sans  commencement, 
Inconscient  désert  où  rien  ne  se  révèle 

Que  les  formes  du  mouvement  ? 

Certe,  il  regrettera  ta  sublime  chimère, 
La  sainte  volonté  dont  il  cherchait  les  lois. 
L'éternité  promise  à  son  être  éphémère 
Et  le  songe  infini  des  voyants  d'autrefois. 
L'intelligence  unique  où  son  intelligence, 
Comme  au  foyer  divin,  rêvait  de  s'abîmer. 
L'espoir  de  ta  justice,  et  jusqu'à  ton  silence 
Oui  permettait  de  blasphémer. 

Peut-être,  maudissant  l'œuvre  de  son  élude, 


StnVïTirN-    ritvnivs  rrrosTP.  2"j3 


Senlira-t-ii  sur  lui  descendre,  comme  un  deuil. 
Voûte  aux  arches  de  çlace  et  d'or,  la  solitude 
Tcirilile  de  sa  gloire  et  de  son  libre  oru,ueil. 
Et  s'allristera-t-il,  lors(jue  saines  et  prêtres 
Auront  courbe  le  front  devnnl  la  vérité, 
De  ne  pouvoir  du  moins,  comme  nous,  ses  ancêtres. 
Douter  de  ta  réalité. 

Qu'importe  !  nous  marchons,  souffle,  esprit  ou  matière. 
Vers  les  monts  de  l'ultinie  et  suprême  douleur, 
Où  croît  sur  le  roc  nu  la  certitude  entière 
De  l'arbre  de  science  allière  et  chaste  fleur  ; 
La  voie  inéluctable  est  devant  nous  ouverte, 
Notre  devoir  grandit,  avec  la  vision 
Où  frissonne,  victime  au  sacrifice  off'erte, 
Notre  chétive  illusion. 

Qu'importe  !  précurseurs  que  l'avenir  écoute. 
Nous  irons,  jalonnant  de  nos  corps  les  sillons, 
Et  dut  le  désespoir,  au  terme  de  la  route, 
Nous  accueillir  du  grondement  de  ses  lions, 
Dussicz-vous,  conquérants  de  la  future  histoire, 
Triomphateurs  laurés  d'un  jour  sans  lendemain, 
Mourir,  du  battement  d'ailes  de  la  victoire,    ' 
Nous  vous  montrerons  le  chemin  !... 

{La  Tentation  de  V Homme.) 


LE  DERNIER  CHANT  D'ORPHEE 

0  Viera^es  1  n'est-ce  pas  qu'autour  de  mon  supplice, 
Vos  danses  mèneront,  sous  la  lune  complice, 
Une  orgie  en  démence  au  rythme  bomlissant, 
Et,  de  l'antique  Olympe  ébranlant  les  murailles. 

Feront  mes  funérailles 

Ruisselantes  de  sang? 

N'est-ce  pas  que,  ce  soir,  dans  les  lorois  t!,rondante9, 
Pleines  de  soufHes  courts  et  d'haleines  stiidcnles. 
Et  chaudes  de  sueurs  et  rouges  de  flambeaux, 


%n^  POÈTES    d'aujourd'hui 


N'est-ce  pas  que  la  nuit  dionysiaque  épie 

Le  trépas  de  limpie, 
Dont  la  chair  dispersée  est  promise  aux  corbeaux  ? 

0  Femmes  !  n'est-ce  pas  que  ma  pompe  dernière, 
Quand  vos  torches,  au  vent  dénouant  leur  crinière, 
Sur  les  tigres  vaincus  et  les  lions  couchants. 
Draperont  de  leurs  feux  votre  pourpre  trophée. 

Sera  digne  d'Orphée 

Et  digne  de  ses  chants  1 

Pour  crier  ma  défaite  aux  sommets  solitaires, 
Vous  ceindrez  la  dépouille  horrible  des  panthères, 
Le  pelage  ocellé  des  lynx,  et  la  toison 
Des  monstres  de  llndos  et  les  bêtes  du  Gange, 

Et  la  fauve  vendange 
Emplira  de  fureurs  le  quadruple  horizon. 

Car  vos  haines  sans  fin  le  suivent,  ô  Prêtresses 
Le  poète  qui  va,  dédaignant  vos  ivresses, 
Altrnlif  seulement,  sous  l'éther  radieux, 
A  l'immortelle  voix  qui  lui  parle  et  l'enseigne, 

Oui  passe  et  qui  dédaigne 

Votre  culte  et  vos  dieux. 

lacchos,  fils  du  Maître  inévitable,  presse 
Sur  les  pentes  du  mont  la  harde  vengeresse, 
A  travers  le  fourré  des  halliers  chevelus... 
Le  sacrilège  est  là,  dont  le  verbe  vous  brave, 

Et  sa  lyre,  plus  grave. 
Prolonge  l'hymne  pur  qu'elle  ne  dira  plus. 

Vos  colères  ce  soir  halètent  sur  sa  trace  !. . . 
Accourez  !  la  vipère  élincelanle  enlace 
Vos  cheveux,  la  couleuvre  ondule  sous  vos  pas  ; 
Et  votre  foi  s'offense  à  le  voir  qui  regarde 

Votre  foule  hagarde. 

Et  qui  ne  l'entend  pas. 

Et  toutes,  sous  les  pins  aux  sombres  colonnades. 


8ÉBAST1KN    CHARLES    LECONTB  375 

Vous  vieudirz,  (lu  Mimas  et  de  l'Edon,  Ménades, 
Baccliantcs  dont  lo  lierre  emprisonne  le  front, 
Hurlantes,  déchaînant  la  frénétique  extase 

De  l'ardente  thyase... 
Et  vos  thyrses  i'euillus  dans  mon  s.iiiî^  fleuriront. 

Mais  quand  mon  dernier  cri,  p.i^s.ir  î  dans  leur  haleine, 
Soulèvera  d'horreur  leur  aile  surhumaine. 
Mes  strophes  porteront,  palpitantes  encor. 
Des  Monlaijnrs  de  Thrace  aux  plages  d'Ionie, 

Ma  clameur  d'ae:onie. 

Dans  leur  suprême  accord. 

Mais  la  Mort  ne  fait  pas,  en  touchant  le  Poète, 
Le  ciel  silencieux  et  la  Terre  muette, 
Puis(jue  plus  fatidique  est  le  chêne  abattu, 
Et  voici  que  la  plainte  immortelle  du  Monde 

S'éveille  plus  profonde, 
A  l'heure  où  le  Chanteur,  qui  la  disait,  s'est  tu. 

Sur  la  glèbe  fertile  et  la  lande  sauvage, 
V^oici  que  naît  et  sourd  et  s'enfle  et  se  propage, 
Comme  la  vie  obscure  au  fond  de  l'élément, 
Des  ramures  des  pins  aux  cheveux  de  l'yeuse. 

Une  onde  harmonieuse 

Irrésistiblement. 

Elle  court  et  grandit,  se  déroule,  enveloppe 
Et  rilémas  sourcilleux  et  le  morne  Khodope, 
La  terre  pélasgique  et  les  neiges  d'Œla.. . 
Et  vous  écouterez,  dans  les  nombres  du  thrène, 

Celte  ode  souveraine, 
Telle  que  nulle  oreille  encore  n'écouta, 

Des  cimes  aux  vallons,  les  accents  se  répondre 
De  l'hymne  universel  où  tout  va  se  confondre, 
Au  souffle  tout  puissant  des  rythmes  inspirés, 
Et  la  sagesse  sainte  et  le  sacré  délire. 

Et  les  voix  de  la  I^yre 

Où  vous  vous  unirez, 


2'jt 


POÈTfiS    d'aujourd'hui 


Voix  de  tout  ce  qui  vit,  voix  de  tout  ce  qui  chante  I 
La  mer  céruléenne  et  la  fauve  bacchante, 
Le  flot  inaltérable  et  l'impure  beauté. 
Afin  que  tout  anime,  afin  que  tout  célèbre 

La  victoire  funèbre 
De  celui  qui  mourut  après  avoir  chanté. 

{Le  Sang  de  Méduse.) 


GREG(3iaE  LE  ROY 
1862 


M.  GrPÊroire  Le  Roy  est  né  le  7  novembre  1862,  k  Gand  (Belgi- 
que, où  il  passa  toute  son  enfance  et  une  partie  de  sa  jeunesse.  Son 
père  était  brodeur,  et  il  a  gardé  une  profonde  impression  de  l'atelier 
paternel,  où  des  ouvrières  très  dévoles  «  alanguissaient  les  après- 
midi  par  des  cantiques  chantés  en  chœur,  et  attristaient  les  soirs  par 
le  bourdonnement  des  prières  récitées  à  haute  voix  ».  M.  Grégoire 
LcHoy  fit  ses  études  au  Gollètre  Saint- Barbe  de  Gand,  dirige  par  les 
Jésuites,  et  où  il  avait  pour  condisciples  Charles  Vaa  Lerbcrghe  et 
M.  Maurice  Maeterlinck,  dont  il  devint  bientôt  l'ami,  surtout  pour 
le  premier,  avec  lequel  le  lia  tout  de  suite  une  très  grande  amitié. 
Comme  eux,  il  fit  ensuite  son  droit,  et  après  avoir  passé  les  épreu- 
ves de  philosophie  et  de  lettres,  quitta  l'Université  pour  s'adonner  à 
la  peinture.  Il  alla  alors  vivre  pendant  une  année  environ  aux  bords 
de  l'Escaut,  à  Caslel,  un  hameau  perdu  au  cœur  de  la  Flandre.  La 
vocation  littéraire  s'('veiilait  en  même  Ic.nps  en  lui,  car  c'est  pendant 
ce  séjour  à  Castel  qu'il  écrivit  ses  premiers  vers,  qui  ne  devaient  rtre 
publiés  que  plus  tard.  Cela  se  passait  en  i885.  L'année  suivante, 
M.  Grégoire  Le  Roy  vint  passer  quelque  temps  à  Paris,  en  compa- 
gnie de  M.  Maurice  Maeterlinck.  Installés  tous  les  deiix,a2,  rue  de 
Seine,  ils  passèrent  leur  temps,  pendant  ce  séjour  de  quel(]ues  mois, 
à  visiter  ensemble  la  capitale  et  ses  musées.  M.  Grégoire  Le  Roy  fut 
même  à  cette  époque  élève  des  ateliers  Gervex  et  Humbert,  et  des 
cours  d'anatomie  de  l'Ecole  des  Beaux-Arts,  éludes  qu'il  abandonna 
bientôt,  lassé  d'un  enseignement  (jui  ne  ditFerait  sjuèrc  de  celui  des 
Académies  belges.  Il  se  sentait  d'aillei:^  attire  de  plus  en  plus  vers 
la  littérature,  par  la  fréquentation  de  nouveaux  amis,  tels  que  Vil- 
,  liers  de  l'Isle-Adam,  Ephralm  Mikhacl  et  MM.  Pierre  Quillard  et 
Rodolphe  Darzens.  Ce  fuimèmelui  qui  leur  révéla  à  tous  M.  Maurice 
Maeterlinck,  en  leur  lisant  un  soir,  chez  M.  Pierre  Quillard,  un  de 
ses  contes  :  />  Massacre  des  Innocents.  Le  lendemain,  il  leur  pré- 
senln.l  l'a'itr'-.r,  rt  cr  fit  tl-  Icur-^  r-ifr.  'i:  :^?  "•  (ans  que  napiil  bieu- 

n 


2-78  POÈTES    d'aujourd'hui 


tôt  La  Pléiade,  petite  revue  qui  n'eut  que  sept  numéros,  mais  qui 
n'en  a  pas  moins  sa  place  marquée  dans  l'histoire  symboliste.  Ren- 
tré en  Belgique  dans  l'hiver  de  1886,  pour  reprendre  avec  son  fidèle 
compagnon  Charles  Van  Lerberghe  leur  existence  provinciale, 
M.  Grégoire  Le  Roy  réunit  l'année  suivante,  en  1887,  ses  premiers 
poèmes  en  un  recueil  :  La  Chanson  du.  Soir,  tiré  seulement  à  ving^t 
exemplaires.  En  1885,  un  second  recueil  parut,  Mon  Cœur  pleure 
d'autrefois,  publié  dans  une  édition  de  luxe  rapidement  épuisée. 
Fatigué  un  moment  de  sa  vie  de  rêve,  de  son  existence  toujours 
égale  de  peintre  et  de  poète,  M.  Grégoire  Le  Roy,  à  cette  époque, 
quittant  son  isolement,  partit  pour  Bruxelles,  dans  un  grand  désir 
de  voir  de  près  la  vie  active  :  industrie,  commerce,  finance,  et  d'y 
prendre  part  lui-même.  Contraste  saisissant,  qui  ne  devait  avoir 
d'autre  résultat  que  de  lui  rendre  bientôt  le  goût  plus  profond  de  son 
ancienne  existence,  à  laquelle  il  s'empressa  de  retourner.  Depuis, 
M.  Gré"-oire  Lft  Roy  vit  dans  la  banlieue  de  Bruxelles,  avec  sa 
femme  et  ses  trois  filles,  dans  une  maison  qu'il  a  baptisée  Laethem- 
Rust  ce  qui  signifie,  —  librement,  —  «  qu'on  me  laisse  le  repos  ». 
Existence  d'un  sage,  existence  d'un  vrai  poète  que  le  désir  de  la  no- 
toriété n'a  jamais  préoccupé,  qui  vit  dans  la  compagnie  de  ses  rêves 
et  n'écrit  qu'à  sa  fantaisie,  pour  son  plaisir  et  pour  charmer  son 
isolement.  Tous  les  poèmes  de  M.  Grégoire  Le  Roy  sont  aujourd'hui 
réunis  en  un  seul  volume  :  La  Chanson  du  Pauvre,  publié  en  1907. 
A  propos  de  ce  livre,  dans  lequel  l'auteur  a  réuni,  à  vingt  ans  et 
plus  de  distance,  deux  séries  de  poèmes  :  La  Chanson  du  Pauvre 
et  Mon  Cœur  pleure  d'autrefois,  «  qui  diffèrent  de  ton  et  de  manière 
autant  que  le  rêve  d'un  jeune  homme  qui  n'a  vécu  que  dans  le  passé 
et  dans  le  futur  est  dissemblable  de  l'expérience  cruelle  de  celui  qui 
est  arrivé  à  mi-chemin  des  jours  »,  M.  Pierre  Quillard  a  ingénieuse- 
ment commenté  l'œuvre  du  poète  en  ces  termes  : 

«  Une  autre  parabole  de  l'Enfant  Prodigue  m'a  été  contée,  qui 
«  convient  mieux  aux  âmes  dolentes  et  chagrines.  Jamais  l'Enfant 
«  Prodigue  ne  quitta  la  maison  de  son  père;  mais  lors  des  aventures 
«  de  sa  jeunesse,  il  y  vécut  comme  un  étranger  ;  sa  pensée  habitait 
«  ailleurs  ;  elle  errait  dans  des  pays  merveilleux  et  funèbres,  hors 
«  des  heures  présentes  qu'elle  ignorait,  ne  connaissant  que  l'espé- 
«  rance  et  le  souvenir;  cependant  les  jours  s'écoulaient;  sans  qu'il 
«  en  eût  conscience,  autour  de  lui  les  uns  vieillissaient  et  les  autres 
«  mouraient,  et  lorsqu'il  s'éveilla  de  son  rêve  et  de  son  voyage  ima- 
«  ginaire,  tous  les  siens  avaient  disparu  et  dans  la  maison  vide  qui 
«  avait  été  pleine  de  bruits  de  fêtes  et  de  foule  joyeuse,  il  demeura 
«  seul  désormais,  en  lutte  non  plus  avec  les  formes  irréelles  de  la 
■  douleur,  mais  avec  les  vraies  souffrances  des  hommes,  livrés  sur 
c  la  terre  hostile    à  tous  les  assauts   de  la  faim  et  à   toutes  les 


GIXEGIlnE    LE    ROT  2-n 


«  ançoisses  de  la  dc'tresse.  Il  sut  alors  ce  qu'était  la  vie  des  malheu- 
«  reux  ;  et  bien  qu'il  eût  suspendu  dans  la  cheminée  son  violon  où 
«  dormaient  les  chansons  d'autrefois,  il  chanta  encore  dans  les 
•  soirs  tristes  la  misère  éparse  autour  de  lui  dans  les  maisons  bas- 
«  ses  et  renfermées  et  le  s^ouvenir  plus  amer  de  ses  vains  souve- 
«  nirs  et  de  ses  vaines  esp'-rances. 

«  Si  celte  parabole  navait  pas  été  contée,  en  effet,  il  eût  fallu 
«  1  mventer  pour  mieux  faire  comprendre  par  ima-es  et  fi-ures  la 
«  vie  poétique  de  M.  Gré-cire  Le  Roy.  «  {Mercure  de  France, 
10  juillet  1907.)  ' 

M   Grégoire  Le  Roy  a  collaboré  à  La  Pléiade,  déjà  indiquée,  à" 
La  Basoche,  a  La  Jeune  Belgique  (éludes  sur  M.    Maurice  Maeter- 
linck et  le  peintre  Théo  Van  Rysselberçhe),  à  L'Art  Moderne  létu- 
des  sur  le  sculpteur  Georges  Minne),  à  La  Wallonie,  etc. 

Bibliographie  : 

,à-\^^'^^f~  ^^ ^*^«°^o°  d'un solr.poèmes.  Gand,  imprira.  L.  Van  Melle. 
>.m-18,20exem,.ia.re>^.  (KOimprim.^  en  partie  dans  Za  C/ian^on  du  Pauvre 

l''»/.)-Mon  cœur  pleure  d'aulrefois.poèraesornésdun  frontispice  de-iné 
p^rPernand  KhnopfT  cl  de   cuN-de-lam,,e  de  Georges    Minne.  Paris,    Vanier 
.-9,in-4(200  exempl.)._La  Chanson  du  pauvre  La  Chanson  du  pauvre 
Mon  cœur  pleure  d  autrefois).  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France,  1907    in-18 
Ou  trouve,  en  outre,  des  poùraes  de  M.  Gréj.'oire   I^  Rov  dans  les  ouvrages 
suivants:  Parnasse  de  la  Jeune  Belnique.  Paris,  Vanier,  18^7,  pr.  in-8. 
Poètes  belges  d  expression  Iranraise.par  Pol  de  Mont  Almelo,  W   Hila- 
rius,  ls99,  in-18.  etc. 
A  ^^^^su.TEn.   _  At,     ^^^   pg^.gj.  .   ^^y^j^g  Maeterlinck,  etc.   Paris, 
usot,    1904,  m-I8.  -  Albert  Mockel  :  Charles  Van  Lerberghe.  Paris 
"  '  .  du  Mercure  de  France,  1904,  in-18. 
Emile    leconite:   Un   Poète  ressuscité  (Porlr.   de  Fauteur).  Le  Matin 
.^xelles),  23  mars  1907.  -Pierre  Qulllard  :  Gréfjoire  U  Roy.  Mercure 
france    16  juillet   1907.  -   V.  :  Chroni^jue  littéraire.  Gré<,oire  Le  Roy. 
Und. Tendance  belge,  27  mai  1907.  -  Charles  Van  Lerberghe:  Grégoire 
xe  /foy.  La  ^^alloule.     1889,  t.  IV.  ^ 

Iconographie  : 

Georges  Leniinen  :  Portrait,  peinture  à  Fhuile,  reprod.  dans  le  Matin  dô 
Bruxelles,  1907  (appartient  à  M .  Grégoire  Le  Roy). 

LA  MORT 

Ce  soir,  la  p^ueuse  fatale, 
La  vieille  livide  et  brutale 
Aux  mains  calleuses,  au  front  bas; 
Celle  qui  marche  au  millieu  des  chemins. 


aSo  POÈTES    D  AUJOURD  HUI 


Tantôt  ici,  tantôt  là-bas, 
Barrant  la  route  au  lendemain  ; 
Celle  qui  fait  sonner  les  pierres 
De  son  bâton  noué  de  fer, 
Et  de  ses  deux  sabots  d'enfer  ; 

Ce  soir,  la  mort  a,  sans  raison, 
Passé  le  seuil  de  ma  maison. 
J'étais  rêveur,  au  coin  du  feu, 
Lisant  l'espérance  et  la  vie 
Dans  les  yeux  bleus  de  mon  enfant. 

La  vieille  entra 
Et  vint  s'assoir  entre  nous  deux... 
Et  ie  n'avais  pas  vu  qu'une  chaise  était  là...  -• 

•■  1898. 

{La  Chanson  du  Pauvre.) 

LES  AVEUGLES 

Trois  aveugles  marchaient  par  la  route. 
Cherchant  à  regagner  leur  village  perdu. 
Leurs  maigres  mains,  tâtant  les  airs, 

Guidaient  leurs  pas  rendus 

Et  leur  bâton  noué  de  fer 
Piquait,  au  large,  dans  le  doute. 

Ils  marchaient  depuis  bien  longtemps, 

Avaient  passé  plus  d'un  village, 

Et  c'est  l'obole  d'un  passant 

Qui  mène,  au  loin,  leurs  longs  voyages. 

Mais  cet  argent,  pauvres  certitudes, 

Ou'étreignent  leurs  mains  mendiantes, 

Le  voilà  maintenant  qui  résonne  et  qui  chante 

Comme  un  tocsin  d'inquiétude, 

Dans  la  besace  vide  de  pain. 

Et  tout  le  long  du  long  chemin. 

Dans  l'ombre  et  la  paix  attentive, 


GllLGOinE    LE    ROT  28 1 


«     Ce  rien  d'or  fait  un  bruit  sans  pareil 
Pour  leur  Ame  craintive. 
Et  c'est  peut-être  le  réveil 
D'un  plus  pauvre  qui  dort  !... 

Ils  ont  senti  passer  la  mort  I... 

{La  Chanson  du  Pauvre.) 

ÉCHOS  DE  VALSES 

Valses  d'antan,  valses  muclte^s! 
Rythmes  bercés  aux  jardins  d'autrefois... 

Cloches  d'antan,  minces,  fluettes. 
Fuite  d'échos  qu'en  mon  âme  je  vois... 

Choses  d'antan,  subtilisées  : 
Chambre  déserte  où  se  fane  un  parfum... 

Chose  d'amour,  éternisées  : 
Fleur  de  baiser  qui  s'etreuillc  en  chacun. 

Voix  du  passé,  voix  incertaines. 
Comme  un  écho  de  refrains  bien  connus; 
Voix  qui  s'en  vont  loin,  et  lointaines, 

Bon  souvenirs,  en  allés,  revenus... 
Rythmes  en  rond  d'escarpolettes! 
Valses  d'antan...  pourquoi  muettes? 

1888. 
(La  Chanson  du  Pauvre.) 

LE  PASSÉ   QUI  FILE 

La  vieille  file  et  son  rouet 
Parle  de  vieilles,  vieilles  choses  ; 
La  vieille  a  les  paupières  closes 
Et  croit  bercer  un  vitux  jouet. 


Le  chanvre  est  bloinl,  la  vieille  est  blanche; 
La  vieille  file  louleUiCut; 


11. 


282  POÈTES    d'aujourd'hui 


Et  pour  mieux  l'écouter,  se  penche 
Sur  le  rouet  bavard  qui  ment. 

Sa  vieille  main  tourne  la  roue. 
L'autre  file  le  chan\Te  blond  : 
La  vieille  tourne,  tourne  en  rond, 
Se  croit  petite  et  qu'elle  joue. . . 

Le  chanvre  qu'elle  file  est  blond  ; 
Elle  le  voit  et  se  voit  blonde  ; 
La  vieille  tourne,  tourne  en  rond, 
Et  la  vieille  danse  la  ronde. 

Le  rouet  tourne  doucement 
Et  le  chanvre  file  de  même  ; 
Elle  écoute  un  ancien  amant 
Murmurer  doucement  qu'il  l'aime... 

Le  rouet  tourne  une  dernier  tour  ; 
Les  mains  s'arrêtent  désolées  ; 
Car  les  souvenances  d'amour. 
Avec  le  chanvre  étaient  filées... 

1887, 

(La  Chanson  da  Pauvre.) 


CELLE  D'AUTREFOIS 

Je  suis  celle  qui  s'est  enfuie 
De  ton  cœur,  un  soir  d'autrefois  , 
Celle  qui  pleure  et  qui  s'ennuie, 
Qui  n'a  plus  de  corps  ni  de  voix. 

J'étais  d'une  chair  triste  et  belle 
Et  si  lointaine  en  sa  pâleur, 
Qu'à  peine  il  te  souvient  d'elle 
Comme  d'une  morte  en  ton  cœur. 


Ah  !  c'est  que  j'étais  de  la  (erre; 
Que  j'aimais  la  ville  et  le  jour 


ORicoinE  I.E  ROT  283 


El  que  je  t'ai  vu  solitaire 
Avec  des  sonates  pour  amour  ! 

Pourtant  lorsque,  parmi  les  hommes, 
Tu  ramènes  tes  jours  brisés. 
Je  t'aime  tant  qu'à  deux  nous  sommes 
Du  souvenir  de  nos  baisers. 

C'est  que  je  suis  ta  prime  vie; 
Je  suis  l'amante  d'autrefois  ; 
La  chair  de  ta  première  envie  ; 
Celle  qu'en  rêve  tu  reçois. 

1886. 

{La  Chanson  du  Pauure.) 


LES  PORTES  CLOSES 

0  vous,  chères,  que  j'ai  connues 
Et  qu'aux  jours  tristes  je  revois. 
Vous  voici,  ce  soir,  revenues, 
Car  mon  cœur  pleure  d'Autrefois. 

Quand,  me  raj)pelant  vos  caresses, 
Je  pense  à  celles  qui  viendront, 
Mes  mains  sont  lourdes  de  paresses, 
Je  ne  tends  même  plus  mon  front. 

Car  c'est  vous  seules  que  j'écoute. 
Oui,  dans  le  crépuscule  niiné. 
De  vos  voix  où  tremble  le  Doute, 
Chantez  en  un  palais  fermé. 

Moi,  j'attends  qu'à  travers  la  j>or(»^. 
Close  par  mon  fol  abandon. 
Votre  chanson  de  di'uil  m'apporte. 
Un  peu  de  rcve  cl  di-  pardon... 

Oui,  c'est  vous  seules,  vous  lointaines, 
Dont  me  revienne  »•!••>'•  la  voix. 


aSl  POLIES  d'aujourd'iici 


0  vous  toutes  qui  fûtes  miennes 
Dans  rinoubIiaI)le  aulrefois. 

Là,  vous  êtes  dans  l'ombre,  seules, 
Telles  que  vous  m'apparnissez 
Déjà  semblables  aux  aïeules, 
Parlant  de  très  lointains  passés  , 

Et  j'entends  vos  voix  paresseuses, 
Si  douces  que  j'en  soulTre  un  peu, 
Comme  un  chœur  de  tristes  fUeuses, 
Assis,  un  soir,  autour  du  feu. 


{La  Chanson  du  Pauvre,) 


LE  ROUET  DE  VIE 

Mon  âme  tourne  sans  amour. 
Le  rouet  de  l'an  solitaire  ; 
La  nuit  efface  chaque  jour, 
Sans  que  je  regarde  la  terre. 

Mes  3'eux  sont  à  jamais  posés 
Sur  les  mensonges  dont  j'abreuve 
Ma  soif  des  idéals  baisers, 
Et  de  mon  cœur  ma  vie  est  veuve. 

Ma  vie  est  veuve  d'ici-bas  ; 
Elle  est  veuve  et  triste  sans  doute  ? 
Je  ne  sais,  n'ayant  même  pas 
Remarqué  son  deuil  sur  ma  route. 

Mais  je  la  pressens  sans  la  voir  : 
Ce  doit  être  une  fille  sombre, 
Aimant  l'automne  dans  le  soir, 
N'errant  qu'aux  étoiles,  dans  l'ombre. 

Car  n'est-ce  pas  le  soir  douteux 
Que  se  cueille  dans  les  pelouses, 


GRéGOIRE  LK   ROT  2S5 


Le  rci^arJ  des  mensonjçcs  bleus 
Eclos  au  seuil  des  nuils  jalouses  ? 

J'aime  tout  ce  qui  va  finir, 
Ce  qui  défaille  et  ce  qui  tombe, 

El  j't'iiU'iiils,  (I;ins  )«'  s  lir,  s'unir. 
S'unir  dt's  ailes  de  coImmiIjc. 

J'aime  les  chambres  de  mon  cœur, 
Où  filiTcnt  des  mains  élran^^cs  ; 
Là,  dans  un  très  ancien  bonheur. 
J'ai  vu,  je  crois,  mourir  des  ançes. 

Mon  Ame  tourne  avec  amour 
Le  rouet  des  pAles  mensonjçes  ; 
La  nuit  s'efl'aee  dans  le  jour 
Sans  me  réveiller  de  mes  songes. 

188G. 

(La  Chanson  da  l'ouvre.) 


MUSIQUE  DOMBRB 

Un  peu  de  musicjuc  incolore, 
Afin  d'clcrniscr  ce  soir, 
Et  qu'il  revive  et  dure  encore 
Aux  tristes  nuits  de  uonchaloir.., 

Résonnance  lunaire  et  lasse, 
Eclose  d'onihre  ilans  le  r»*ve. 
Et  dont  la  pinase  ne  s'acuè\'e 
Pour  qu'à  jamais  elle  s'efTace..» 

Oh  !  doucement  !  Loin  de  mes  yeux  I 
Un  peu  vers  le  cœur,  mais  dans  l'àme... 
Près  de  l'amour,  loin  de  la  femme... 
Que  je  m'en  seule  un  peu  plus  vieux  I 

D'où  vient  ce  baiser  d'inconnue 
Que  ma  lèvre  n'a  pas  rendu  ? 


286  POÈTES  d'aujourd'hui 


Elle  s'en  va,  la  bienvenue  ! 
Elle  s'en  va  !  Tout  est  perdu... 

Tout  est  pourtant  bien  dans  cette  heure  : 
La  mélodie  éteinte  en  l'ombre, 
Et  plus  de  rythme  et  plus  de  nombre 
Et  qu'elle  meure...  et  quelle  meure... 

1886. 

{La  Chanson  du  Pauvre. 


AIR  DE  GUITARE 

Je  chante  un  amour  de  ballade 
Sans  rancœur  et  sans  trahison, 
Un  amour  de  vieille  chanson, 
Dont  mon  pauvre  cœur  est  malade, 
Bien  malade... 

Il  est  dans  les  refrains  anciensj 
Rempli  de  leurs  plaintes  fatales, 
Dans  les  chansons  sentimentales, 
Et  les  vieux  airs  que  l'on  fait  siens  ; 
Je  m'en  souviens. 

Il  est  dans  toutes  les  tristesses 
De  viole  et  d'accordéons, 
Et  le  meilleur  que  nous  ayons, 
Sont  ses  rêves  et  ses  faiblesses^ 
Et  nos  faiblesses  ; 

Amour  des  aimés  radieux 
Qui  vont,  les  soirs  de  clair  de  lune, 
Avant  le  temps  de  la  rancune. 
Avant  l'époque  des  adieux. 
Tristes  adieux, 

Amour  de  tous  ceux  de  la  terre, 
Qui  s^aimèrent  aux  temps  passés, 
Amour  des  pauvres  trépassés, 


GRÉGOIRE    LE    ROY  aSy 


Celui  d'hier  et  de  naguère. 
Et  de  nasi-uère... 

Amour  au  fond  de  nos  amours; 
Un  peu  plaintif,  un  peu  malade. 
Un  peu  mesquin,  m«*me  un  peu  fade. 
Qu'on  a  dans  soi  depuis  toujours, 
Et  pour  toujours. . . 

Amour,  vieil  amour  de  ballade, 
Qui  n'a  jamais  été,  jamais  ! 
Amour  de  vieille  chanson,  mais 
Dont  mon  pauvre  cœur  est  malade, 
Bien  malade... 

1887. 
{La  Chanson  da  Pauvre.) 


PRIEIΠ

A  l'ombre  de  ma  solitude 
Lons^temps,  Seic^neur,  je  fus  assis, 
Sans  rei^rets,  sans  in-juictude. 
Sans  larmes  vaines  et  sans  cris  ! 

Mais  j'ai  vu  les  y<;ux  des  mensoncres; 
Quelqu'un  m'a  dit  et  je  comprends 
Que  mes  sons^es  étaient  des  sonsccs 
Et  que  c'est  en  vain  (|ue  j'attends. 

Maintenant  que  je  suis  sur  terre 
Et  dans  la  foule  et  parmi  vous, 
Je  vois  mon  âme  solilairr, 
Je  vois  mes  yeux  ha^j^ards  et  fous. 

Aussi,  mon  Dieu  !  quand  je  désire 
Vous  supplier  de  tous  mes  Vieux, 
Je  ne  sais  plus  ce  qu'il  faiil  dire, 
Je  ne  sais  plus  ce  que  je  veux. 


288  POÈTES  d'aujourd'hui 


Oh  1  rendez-moi  les  mains  divir-cs, 
Les  yeux  divins  de  mon  erreur  ! 
Les  mains  d'amour,  ces  mains  câlines 
Oui  ne  caressent  que  le  cœur. 

Oh  !  rendez-moi  ma  solitude, 

Son  mensonge  et  son  bercement. 

Puisque  j'ai  la  douce  habitude 

D'écouter  une  voix  qui  ment. 

1886. 

[La  Chanson  du  Pauvre.) 

LA  DERNIÈRE  VISITEUSE 

Elle  entrera  chez  moi,  comme  ma  bien-aimée. 
Sans  frapper  à  la  porte  et  familièrement, 
Ne  faisant  ni  de  bruit,  ni  de  dérangement. 
Enfin  comme  entrerait  la  femme  accoutumée. 

D'ailleurs,  comme  déjà  la  chère  le  savait. 
Elle  n'aura  pas  peur  en  voyant  mon  visage 
Si  pâle  et  si  défait,  et  bien  douce  et  bien  sage, 
S'assoiera  sans  parler  à  mon  triste  chevet. 

Et  moi,  qui  dès  longtemps  suis  fait  à  la  pensée 

D'être  un  jour  visité  par  elle,  je  serai 

Sans  émoi  de  la  voir,  et  je  la  laisserai, 

Sans  dégoût,  dans  sa  main  prendre  ma  main  glacée. 

Lors  elle  parlera,  doucement  et  très  bas, 
Des  choses  du  passé,  d'une  province  chère, 
D'une  maison  bien  close  et  pleine  de  mystère. 
Et  de  tristes  amours  que  je  n'oublierai  pas. 

Et,  maternellement,  comme  l'eût  fait  ma  mère, 
Après  m'avoir  parlé  quelque  temps  du  bon  Dieu, 
La  chère  médira  :  «  Veux-tu  dormir  un  peu?  » 
Et,  content  de  rêver,  je  clorai  ma  paupière. 

i885. 

{La  Chanson  du  Pauvre.) 


JEAN   LORRAIN 
4856-1906 


Jean  Lorrain  {de  son  vrai  nom  Paul  Duval,  et  qui  si?na  pendant 
quelque  temps  Jehan  Lorrain)  était  né  à  Ftcamp  ;Seine- Inférieure), 
le  9  août  i8ôG,  fils  d'un  armateur  de  la  région.  Son'i^'rand-père, capi- 
taine au  long  cours,  puis  armateur  également, était  fils  d'un  corsaire 
qui,  durant  le  blocus  continental  organisé  par  Napoléon  !•',  se 
signala  en  donnant  activement  la  chasse  aux  bâtiments  ancl'ais. 
Comme  l'a  note  très  justement  M.  Ernest  Gaubert  dans  sa" bio- 
graphie de  l'écrivain  ii),  on  retrouve  rà  et  là  dans  l'œuvre  de  Jean 
Lorrain  quelque  chose  decet  atavisme  de  marins.  Jean  Lorrain  entra 
comme  interne,  à  neuf  ans,  au  petit  lycée  Louis-le-Grand,  ensuite  au 
lycée  Henri  IV,  et  termina  ses  études  chez  les  Dominicains  d'Ar- 
cueil.  Là,  une  crise  de  mysticisme,  que  ses  maîtres  encourai,-aient, 
lui  fit  croire  un  moment  qu'il  avait  la  vocation  sacerdotale.  Mais 
cette  exaltation  passa  vite.  Sorti  d'Arcueil,  il  s'enga^'ea  au  la*  régi- 
ment de  hussards,  à  Saint-Germain,  passant  bientôt,  par  permuta- 
tion, aux  spahis  de  Biskra.  Il  retourna  ensuite  à  Fécamp,  |.uis  vint 
à  Paris.  Nous  laissons  la  parole  à  M  Ernest  Gaubert,  qui  l'a  connu, 
et  qui  a  moulré  qu'il  le  connaissait  bien.  «  Comme  plusieurs  écri- 
vains de  sa  génération,  Jean  Lorrain  essaya  d'abord  de  la  peinture. 
Ce  mode  d'expression  qui  ne  pouvait  guère,  semble-t-il,  convenir  à 
son  tempérament,  fut  vite  délaissé.  Il  se  tourna  vers  la  poésie  et 
débuta,  en  publiant  en  1881,  chez  l'éditeur  du  Parnasse,  des  poè- 
mes où  l'on  ne  sent  pourtant  pas  le  souci, alors  unique,  de  la  forme. 
L'auteur  de  La  Forêt  Bleue  et  du  Sani/  des  Dieua;,  en  outre  de  Gus- 
tave Moreau  et  Burnes-Jones,  présents  dans  les  attitudes  et  les 
décors,  se  souvient  de  ses  visions  d'enfant  et  de  ses  rêveries 
devant    la    mer.  Ces  vers,  réunis  à  d'autres,  formeront  plus  tard 

Sauiof^Qof  *^*'^'^^'  '^'^^J^^'''^^^'*^  -^^^^  /^rroïn,  biographie  crili.iue.  Paru, 

i8 


290  POETES    D  AUJOURD  HOI 

U Ombre  Ardente.  Ce  sont,  évoquées  dans  le  cadre  étroit  du  sonnet 
ou  dans  l'ampleur  des  stances,  les  princesses  fabuleuses  :  Typhaine, 
Aliès,    Viviane,    Morgane,    Hérodias,    et    les   éphèbes    Ganymède, 
Alies,  Narcisse,  etc...  Mais  l'éphémère  muse  moderniste   triomphe, 
cependant  que  dans  les  cénacles   de   la   rive  gauche   s'élabore,  en 
réaction  contre  le  naturalisme,  le  proche  mouvement  idéaliste.  Jean 
Lorrain   écrit  Modernités,  et  joue  à  ses  compatriotes  le  mauvais 
tour,  devenu  classique,  de  les  peindre  tout  vifs  dans  Les  Lepillier. 
Tout  Fécamp  s'indigne  et   le  jeune  romancier  continue  par  Très 
Russe,  dont  l'intrigue  se  situe  à  Yport.  A  ce  moment,  L'Evénement 
était  encore  un  grand  journal  {Scholl   y  gagnait  4o.ooo  fr.).  Jean 
Lorrain  se  trouva  heureux  d'y  entrer  ainsi  qu'an  Courrier  Français. 
Il  publie  de  nouveaux  poèmes  inspirés  de  Pater  et  Watteau  :  Grise- 
ries, et  obtient  avec  Dans  l'Oratoire,  série  de  portraits  de  gens  de 
lettres,  son  premier  succès,  succès  de  surprise  scandalisée  devant 
l'audace  mordante  d'un  débutant  «  qui  ne  s'effrayera  pas  ».  Il  se  bat 
en  duel  avec  René  Maizeroy,  son   ami  depuis  ce  jour.  Il  entre  à 
VEcho  de  Pans,  où  il  donne  la  série  «   une  femme  par  jour  »  et 
les  premiers  «  Pall-Mall  »  signes  Railif  de  la  Bretonne...  L'heure  de 
la  gloire  a  sonné  pour   lui.  Il  vient    de  dépasser  la    trentame    et 
voici   que    sa  légende   se  forme.  De  1886    à     1896,    durant    cette 
période   cahotique    de    littérature  maladive,   où  un   immense  effort 
littéraire  se  disperse  en  tous  sens,  Jean  Lorrain  témoigne  d'une  fié- 
vreuse activité  dans  la  recherche  absorbante  de  l'étrange  et  de  l'iné- 
dit... Familier  du  grenier  d'Edmond   de    Concourt,   Jean   Lorrain 
devait  se  ressentir  de  l'influence  des  maîtres  des  Frères  Zemganno... 
Ayant  souffert  de  troubles  au  cœur,  il  en  vint,  pour  réveiller  sa  sen- 
sibilité nerveuse,  à  abuser  de  l'éther.  Sept  ou  huit  volumes  devaient 
attester  sa  redoutable  emprise. . .   Edgar  Poe,    Barbey  d'Aurevilly, 
Villiers  de  l'Isle-Adam,Ouincey  et  les  Erckmann-Ghatrian  de  L'Arai- 
gnée-Crabe et  de  L'Esquisse  mystérieuse  sont  les  auteurs  favoris 
de  cette  période  de  l'activité  littéraire  de  Jean  Lorrain.  Cependant, 
cette  activité  semble  suivre  trois  courants  presque  toujours  différen- 
ciés et  parfois  confondus.  Incarné  dans  une  sorte  de  trinité  créa- 
trice, Jean  Lorrain  se  manifesta   comme   l'observateur  ironique  et 
cruel  de  son  temps,  comme  le  voyageur  insatiable  et  désolé,  revenu 
d'une  contrée  de  songes  mauvais  et  d'un  pays  de  malaria.  Songeuse, 
Buveurs  d'âmes,  Sensations  et  Souvenirs,  Un  Démoniaque,  Histoi- 
res de  Masques,  Fards  et  Poisons.  Voici  la  part  du   rêve  malsain 
ou  de  l'hallucination,  qui  aboutit  au  Vice  Errant  et  à  Monsieur  de 
Phocas.  Ce  sont  des  contes  qui  affectent  généralement  l'allure  d'une 
confession.  Ils  disent  les  angoisses  exaspérées,  les  inédites  crimina- 
lités, les  fantaisies  de  L'Amant  des  poitrinaires,  le  suicide  lent  du 
buveur  d'éther  et  les  coupables  joies  du  buveur  d'âmes...  Le  fan- 


JKAN    LORRAIN  SQI 


tc*)nne  des  nuits  d'insomnie,  dans  ces  patres,  va  de  pnir  avec  l'escarpe 
de  la  place  Mauberl  et  la  rouleiise  de  la  barrière  d'Italie.  Ames  d'au- 
tomne, âmes  de  moisissures  d*'jà  molles,  âmes  de  proie,  poignards 
et  snobismcs,  vices  et  puérilités...  Cette  série  de  volumes  aboutit  au 
Vice  Errant  et  à  Monsieur  de  Vhocas,  deux  livres  où  se  découvre 
l'extrême  des  qualités  de  Jean  Lorrain...  Nul  parmi  les  chroniqueurs 
des  grands  quotidiens  ne  fut  plus  accessible  à  la  beauté.  Il  a  lou»' 
toutes  les  formes,  toutes  les  conceptions  d'art...  Il  a  défendu  .Mae- 
terlinck, Louys,  Henri  de  Héjjnior,  Bataille,  etc.  Ses  Pall  Afull 
semaine,  au  Journal  (où  il  les  continua  après  son  départ  de  L'Echo, 
de  189G  à  1900)  lui  ont  été  plus  souvent  l'occasion  de  louer  que  de 
dénigrer.  Mais  c'est  le  sort  commun  des  violents  de  ne  se  voir 
compter  que  leurs  attaques...  Ses  notes  au  jour  le  joar,  où  défile  le 
Tout-Paris  des  premières, des  expositions,  du  boulevard  et  des  cercles 
et  qu'il  a  réunies  sous  le  titre  :  Pou.^sières  de  Paris,  sont  peut-être 
une  des  meilleures  sources  de  l'histoire  de  demain  — celle  qui  voudra 
évoquer  la  vie  et  les  vices  et  les  tares,  comme  aussi  les  beautés  et  les 
forces  de  ce  temps  (La  Petite  classe.  Madame  Daringhel,  doivent 
tire  situées  dans  ce  courant  de  l'œuvre,  celui  qui  nous  vaut  la  pein- 
ture amère  des  contemporains)...  Les  Pall  Mail  semaine  ont  fait  en 
majeure  partie  la  réputation  deJean  Lorrain...  Par  ces  chroniques,  il 
exerça  sur  Paris  une  sorte  de  royauté  de  la  mode.  Grand,  grisonnant, 
élégant,  avec  des  yeux  étranges,  un  lys  à  la  boutonnière,  d'apparence 
dédaigneux,  il  appuyait  sur  le  velours  des  loges,  les  .«oirs  de  premiè- 
res, des  mains  lourdes  de  bagues.  Il  recevait  à  Auteuil  le  jeudi, 
dans  un  cabinet  de  travail  luxueux  et  peuplé  de  nombreuses  gre- 
nouilles de  bois,  de  grès,  de  porcelaine  (de  toutes  dimensions).  Il 
venait  là  des  comédiennes,  déjeunes  poètes,  des  clubmen,  des  artis- 
tes de  toutes  sortes  et  de  tout  poil.  Avec  une  affabilité  exquise,  il 
accueillait  tout  ce  monde  et  nul  ne  marqua  jamais  dans  ses  rapports 
une  plus  large  cordialité... 

«  Jean  Lorrain  a  été  joué,  sur  bien  des  scènes  (Très  Basse,  coll. 
0.  Mélénicr,  à  la  Bodinière),  Yanthisk  l'Odéon,  Le  Conte  du  Bohé- 
mien, au  théâtre  Minuscule,  L'.lraj'^nee  d'Or,  aux  Folies- Bergère,  La 
Princesse  au  Sabhat,  La  Belle  aux  cheveux  d'or,  \Vatteau,à  l'O- 
lympia, Promélhée,aux  Arènes  de  Béziers,  et  cinq  ou  six  pièces  (en 
coll.  avec  Gustave  Coquiot)  au  Grand-GuiKUol.  > 

Après  un  séjour  de  quelques  années  à  Nice,  Jean  Lorrain  est  mort 
à  Paris,  à  la  Maison  de  Santé  du  Docteur  Prat  Dumas,  le  samedi 
80  juin  1906.  On  ne  lira  pas  sans  intérêt  ce  passage  d'une  lettre 
qu'il  écrivait  à  l'une  de  ses  cousines  quelques  mois  avant  sa  mort. 


292  POETES    D  AUJOURD  HUI 

«  Nice,  le  3o  novembre  igoB  (i). 

«  Ma  chère  Lucie, 
•    •• •..•«••     '••••••     « 

«  On  juge  les  gens  indifFérents  parce  qu'ils  se  tiennent  à  l'écart 
et  vivent  très  loin  de  nous;  ils  ne  vivent  justement  ainsi  que  parce 
qu'ils  sont  très  sensibles  et  que  tout  les  heurte  et  les  froisse,  la 
bêtise  et  la  vanité  d'autrui,  la  suffisance  de  l'un,  la  morgue  de  l'au- 
tre, la  prétention  de  tous. 

«  II  ne  faut  pas  croire  qu'on  s'endurcit  en  vieillissant  ;  au  contraire, 
on  s'écorche  à  vif,  et  plus  on  avance  en  âge,  plus  on  aime  la  soli- 
tude et  il  faut  bien  l'aimer  puisque  les  autres  ne  vous  aiment  plus  l 
Mais  assez  de  philosophie  dans  le  vide.  Tu  as  demandé  de  mes  nou- 
velles. Elles  ne  sont  pas  fameuses  et  ma  santé  n'est  guère  brillante. 
Les  eaux  de  Ghâtel-Guyon  m'ont  fait  le  plus  grand  mal.  J'en  suis 
revenu  congestionné,  dilaté,  ballonné,  avec  une  apparence  de  force 
et  de  santé  qui  a  été  un  désastre.  Voilà  deux  mois  que  je  traîne; 
mon  retour  ici,  qui  a  eu  lieu  il  y  a  un  mois,  ne  m'a  pas  rétabli;  le 
huit  novembre  j'ai  été  pris  d'une  crise  terrible  :  l'estomac,  les  intes- 
tins, la  vessie,  tout  a  été  pris.  J'en  sors  à  peine. 

a  11  paraît  qu'on  me  tirera  de  là,  mais  ce  sera  long,  très  long. 
Comme  je  veux  te  marquer  ma  gratitude  pour  l'intérêt  que  tu  as  bien 
voulu  me  porter,  je  t'envoie  ma  dernière  photographie  faite  en 
novembre  dernier.  J'y  suis  amaigri,  marqué,  déjà  souftrant;  c'est  de 
toutes  mes  photographies  celle  que  je  préfère.  Voilà  pourquoi  je  te 
la  donne.  C'est  l'image  que  je  voudrais  laisser  de  moi  à  ceux  qui 
m'auront  connu. 

0  Garde-la  en  souvenir  de  moi,  et  quand,  plus  tard,  tes  enfants  te 
demanderont  :  a  Qu'est-ce  que  c'est  que  ce  Monsieur-là?  »  tu  pour- 
ras leur  répondre  en  leur  citant  ces  beaux  vers  d'Henry  Bataille  qui 
résumeront  la  situation  : 

Une  histoire,  une  histoire,  tout  finit  en  histoire/ 

On  a  beau  crier,  souffrir, 

Et  partir  et  s'en  revenir  : 

Tout  se  calme  par  un  beau  soir. 

Ah/  toi,  mon  cœur,  toi  seul  le  sais, 

Dis-le  leur  avec  moi  qui  fus  du  voyage. 

Voici  le  feu,  la  nappe,  et  les  enfants  sont  sages... 

Une  histoire,  une  histoire,  tout  finit  en  histoire/ 

(1)  G.  Norinandy  :  Jean  Lorrain,  son  enfance,  sa  vie,  son  œuvre. 


JEAN    LORRAIN  298 

Plus  tard,  ainsi,  je  ne  serai  dans  la  famille 
Que  l'oncle  ou  le  cousin  qui  a  eu  des  malheurs 
Et  dont  on  parle  à  l'heure  fade  de  la  camomille.. 
Et  ta  finiras  là,  histoire  de  mon  cœur  / 

«  Et  là-dessus  je  t'embrasse,  loi,  les  tiens,  et  les  enfants. 
«  Mes  amitii's  à  ton  mari. 

«  Ton  cousin  : 

«    lEAN    LORRAIN.    1 

Jean  Lorrain  a  collaboré  au  Courrier  français  (1885-1893),  L'E- 
vèncinent  (1887-1890),  articles,  contes  et  nouvelles,  pour  la  plupart 
recueillis  en  volumes;  Le  Scapin  (1"  octobre  1886).  Le  Décadent 
('Jécembre  1887  et  i«' janvier  1888),  poésies;  Echo  de  Paris  I1891- 
iS^(5),  Revue  Indépendante,  Gaulois  (1895- 1900),  Revue  Illustrée 
(1893-1900),  Mercure  de  France  (1892-1895,  poésies;  La  Vogue 
(nouvelle  série,  1899)  Revue  blanche.  Revue  encyclopédique. 
Supplément  du  Figaro,  La  Plume  (1895-1900),  Le  Journal  (189S- 
1905),  Gil  Blas  (1903-1904),  I.'.<4 a /o  (1904-1900),  etc.,  elc 

Bibliographie  : 

Les  celvkes.—  Poésie,  Roman,  Contes  et  Nodvelles  :  Le  Sang  des  Dieux, 
poésies,  Paris.  A.  Lemerre,  1882,  in- 18.  —  La  Forôt  bleue,  poésies,  avec 
un  dessin  d'après  Saudro  Bolticelli.  Paris,  A.  Lemerre,  1>S3.  iu-18.—  Viviane, 
poésies.  Paris,  A.  Lemerre,  1885,  in-18.  —  Modernités,  poésies.  Paris, 
Savinc,  1885,  in-i8.  —  Les  Lepilller,  roman  [Madame  Hcrbaud.  Un  coup 

<fi'  fusil.  Dans   un  boudoir.  Installation).  Paris,  E.   Giraud,  1885.  in-18.  

'1res  Russe,  roman.  Paris,  Giraud,  1886,  in-18.  —  Les  Griseries,  |>oésies. 
Paris.  Tresse  et  Stock,  1887.  in-18.  —  Dans  I  Oratoire  portraits  de  jrens 
Jo  Icllresj.  Paris.  Dalou,  1888,  in-18.  —  Sonyeuse;  Soirs  de  Province; 
Soirs  de  Paris.  Paris,  E.  Fasquelle,  18'-M.  iii-18  (Réimpr.  de  Sunycuse. 
i'aris.  Ollendorff,  1903,  in-18).  —  Buveurs  dames,  nouvelles.  Paris.  K.  Fas- 
quolle.  !S03,  in-lS.—  Sensations  et  Souvenirs. Paris,  E.  Fas-piellc,  1895, 
iii-18.  -  Un  Démoniaque.  Esiiannes.  Histoires  du  bord  de  lean. 
Paris,  Dcnlu.  1895,  in-18.  —La  Pelïle  Classe,  préface  de  Maurice  Barrés. 
Paris,  OIlcndorlT,  1895,  in-18.  —  La  Princesse  sous  Verre.  Paris,  Tailan- 
dier,  s.  d.  (1896),  gr.  in-8.  —  Une  Femme  par  jour.  Femme  d  été, 
illustr.  de  Mittis.  Paris,  Borel,  1896,  in-18.—  L'Ombre  ardente,  poésies! 
Paris.  E.  Fasquclle.  1897,  in-18.  —  Loreley.  coutj,illuslr.  de  Calbot,  Marol, 
et  Mittis.  Paris.  Borel,  1897,  in-32.  —  Contes  pour  ilre  à  la  chandelle. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1897.  petit  in-18.  —  M.  de  Uougrelon, 
illustr.  de  Marold  et  Mittis.  Paris,  Borel.  1897,  in-32  (Réimpr.  :  M.  de  Itou- 
grêlon.  La  Dame  turque.  Sonyeuse.  Paris.  OllendorlT,  1903,  in-18.)—  Ames 
d'automne,  illustr.  d'IIeiilbrinck.  Paris,  E.  Fasquclle,  1897,  in-16.  —  Prin- 
cesse d'Itailo.  Paris,  Borel.  1898,in-32.  —  L;i  Dame  turque,  illustrations 
pliolo-rai>liiques  d'après  nature.  Paris,  Per  Lauim,  1898,  in-lO.  (Kéiinpr.  : 
a\I.  de  Douyrclon.  La  Dame  turque,  etc.  Pari>,  OllendorlT.  1903,  in-18;.  — 
Ma  P«Ute  ville.  Le  Miracle  do  Bretagne.  Un  Veuvage  d'amour. 


294 


POETES    D  AUJOURD'HUI 


llustr.  à  l'aquarelle  de  Manuel  Orazi,  gravées  à  l'eau-forte  par  Frédéric  Massé 
et  imprimées  en  couleurs.  Vignettes  décoratives  de  Léon  Ludincki.  Paris, 
L.  Henri  May,  1898,  in-8.  —  roiissières  de  Paris.  Paris,  Ollendorfî,  1899, 
.0-18.  —  Heures  d'Airique  [notes  de  voyages].  Paris,  E.  Fasquclle.  1899> 
in-18.  —  IVIadame  Baringhel.  Paris,  E.  Fayard,  1899,in-18.  —  Hi.stoire 
de  Masques,  préface  de  Gustave  Coquiot,  couverture  illustrée  dllcnry 
Bataille.  Paris,  Olleadorff,'l900,  in-18.  —  Vingt  femmes,  illustrations  pho- 
tographiques d'après  nature.  Paris,  Per  Lamm,  1900,  in-16.  —  M.  de  Pho- 
cas,  couverture  de  Geo  Dupuis.  Paris,  ollendorfî,  1901,  in-18.  (Il  a  été  tiré  pour 
la  Société  des  XX  :  20  ex.  de  format  in-8,,  signés  par  l'auteur.)  —  Sensualité 
amoureuse,  illustrations  photographiques  d'après  nature.  Paris,  Per  Lamm, 
1902,  in-16.  —  Coins  de  Byzance  ;  Le  Vice  Errant,  couverture  illustrée 
de  Lorcnt  Heilbronn.  Paris,  Ollendorff,  1902,  in-18.  —  Princesses  divoire 
et  divresse,  couverture  illustrée  de  Manuel  Orazi.  Paris.  Ollendorff,  1902, 
jn-18.  —  Quelques  iiommes,  illustrations  photographiques  d'après  nature. 
Per  Lamm,  1903,  in-16.  —  La  Mandragore,  conte,  32  illustr.  de  Marcel 
Pille,  gravées  par  Deloche,  E.  Florian,  les  deux  Froment  et  Julien  Tinayre. 
Paris,  E.  Pelletan,  1903,  in-8.  —  M.  de  Bougrelon.  La  Dame  turque, 
Sonyeuse.  Paris,  Ollendorff,  1903,  in-18.  —  Fards  et  poisons,  couver- 
ture illustrée  de  Maignien;  Paris,  Ollendorff,  1903,  in-18.  —  La  Maison 
Philibert,  illustr.  de  Boltini.  Paris,  Librairie  universelle,  1904,  in-18.  — 
Propos  d'âmes  simples,  couverture  illustrée  par  Sem.  Paris,  Ollendorff, 
1904,  in-i8.  —  Quatre  femmes  en  pièces.  Ludine.  M™'  Bolumet, 
rentière.  Josiane.  M°"  de  Larmaille,  féministe.  Paris,  Ollendorff, 
l904,  in-18.  —  L'Ecole  des  Vieilles  Femmes.  Paris,  Ollendorff,  1905, 
in-18.  —  Heures  de  Corse.  Paris,  E.  Sansot  et  C'«,  1905,  petit  in-18.  — 
Le  Crime  des  riches,  roman  [La  Biviera.  Par  les  Hautes),  couverture 
illustrée  par  Albert  Guillaume.  Paris,  Douville,  1905,  in-18.  —  Heures  de 
villes  d'eaux.  Madame  Monpalou.  Quelques  sources.  Quelques 
plages.  L'Eté  dans  les  Alpes,  couverture  illustrée  par  José  Koy.  Paris, 
Ollendorff,  1906,  in-18.  —  Ellen.  Trains  de  luxe,  couverture  illustrée 
d'Antoon  Van  Wélie.  Paris,  Douville,  1906,  in-18.  —  Le  Tréteau,  roman  de 
mœurs  théâtrales  et  littéraires.  Couverture  de  Manuel  Orazi.  Paris,  J.  Bosc, 
1906,  in-18.—  L'Aryenne.  Gens  de  mer.  Bords  de  Marne.  Bords  de 
Seine.  Paris,  Ollendorff,  1907,  in-18.  —  Maisons  pour  Dames,  roman, 
couvert,  de  Gosé.  Paris,  Ollendorff,  1907,  in-18.  —  Narkiss,  couverture  ill., 
et  14  compositions  dans  le  texte  et  hors  lexte  par  O.-D.  V.  Guillonnet,  grav. 
à  l'eau-forte  par  X.  Lesueur.  Paris,  Ferroud,  1908,  iu-8  (75  ex.).  —  iiélie 
garçon  d'hôtel,  roman.  Paris,  Ollendorff,  1908,  in-18.  (On  trouve  en  outre 
une  page  de  Jean  Lorrain  dans  l'ouvrage  suivant  :  Les  Figures  de  Paris. 
Ceux  qu'on  rencontre  et  celles  qu'on  frôle,  etc.  Paris,  Imprim.  pour  les 
Bibliophiles  Indépendants  et  se  trouve  chez  Floury,  1901,  gr.  in-4.) 

Théâtre.  —  Très  Russe,  pièce  en  3  actes,  en  collaboration  avec  Oscar 
Méténier,  représentée  sur  la  scène  de  la  Bodinière,  le  3  mai  1893.  Paris, 
E.  Fasquellc,  1893,  in-18.  —  Yanlhis,  comédie  en  4  actes,  en  vers,  représentée 
sur  la  scène  de  lOdéon,  le  10  févi-ier  1894.  F'aris,  E.  Fasquelle,  1894,  in-18. 
(Réimpression  :  Théâtre,  etc.  Paris,  Ollendorff,  1906,  iu-18.)—  Le  conte  du 
Bohémien,  lumino-conte,  représenté  au  «  Salon  des  Cent  »  de  La  Plume, 
en  décembre  1895  (quatorze  décors  d'André  des  Gâchons  ;  musique  de  scène 
de   Charles  SiWer  (publié  dans  :  Princesses  d' Ivoire  et   d' Ivresse.  Paris, 


JEAN    LORRAIN  ZqS 


Ollondorff,  1902,  in-18).  —  lirocéliaiide,  conte  en  vers,  nmsi(|iie  de  M.  de 
Wailly,  rrpréscntt'e  sur  la  «rr'nr  de  1  ÏFuvre  (salle  du  Nouveau  Théâtre),  le 
7  janvier  189G.  (Voy.  TlttàlnAlv:  Taris,  OllendorlT,  1900,  in- 18.)  —  L'Arai- 
gnée d'or,  ballet  en  1  acle,  nuisi((ue  d'&lm.  DioL,  représenté  sur  la  scène 
des  Folies-Bergère  (1800).  —  Hôve  de  Noël,  ballet  en  l  acte,  musique 
d'Kilm.  Dict,  représenté  sur  la  scène  de  l'Olympia  en  septembre  îj^OT.  —  I-A 
Princesse  an  Sal>bat, ballet  en  2  actes,  musique  de  Louis  fîanne,  représenté 
sur  la  scène  de-  l'olie^-Ocr^ère,  le  23  janvier  1809.  —  La  Belle  aux  che- 
veux d'or,  ballet  en  1  acte,  nnisiquc  arranj,'ée  d  Kdmond  I)iet,  représenté  sur 
la  scène  de  l'Olympia,  le  2  mai  1900.  —  Promélhée,  trajcédie  lyrique  en 
3  actes  (en  collaboration  avec  A. -Ferdinand  Herold),  représentée  aux  Arènes 
de  Héziers,  le  20  août  1900.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1900,  in-18. — 
\Valteau,  ballet  en  1  acte,  musifjuc  arrangée  d'Edmond  Diel,  représenté  sur 
la  srène  de  l'Olympia,  le  8  octobre  1900.  —  Deux  heures  du  matin... 
Quartier  Marbeul,  pièce  en  1  acte  (en  collaboration  avec  Gustave  Coquiot), 
représentée  sur  la  scène  du  Grand  Guiîrnol,  le  14  novembre  1903.  Paris, 
OlleudorlT,  1904,  in-18.  —  Clair  de  Lune,  drame  en  1  acte  et  2  tableaux 
(en  collaboration  avec  Delphi  Fabrice),  représenté  au  Concert  de  l'Epoque,  le 
17  décembre  1003.  Paris,  G.  Ondet,  1904,  in-18.  —  Hôtel  de  l'Ouest... 
chambre  22,  pièce  en  2  actes  (en  collaboration  avec  Gustave  Co<|uiol),  repré- 
sentée sur  la  scène  du  Grand  Guignol,  le  31  mai  19u4.  Paris,  Ollendorff, 
1904,  in-18.  —  Sainte  Roulette,  pièce  m  4  actes  (en  collaboration  avec 
Gustave  Coquiot),  représentée  sur  la  scène  du  Théâtre  Molière,  le  9  décembre 
1904.  Paris,  Ollendorff,  1905,  in-18.  —  Théâtre  (Brocéliande.  Yanthis.  La 
Mandragore.   Ennoîa).    Paris,    Ollendorff,  1000,  in-18  (Porlr.  de  l'auteur). 

Jean  Lorrain  a  fait  jouer  en  outre,  sur  bon  nombre  de  scènes  parisiennes 
une  série  de  pièces  diverses.  Savoir  :  Trumeaux  :  L'un  d'eux.  L'une  d'elles. 
Chiromancienne.  Leurs  mères.  Leurs  frères.  Chez  le  Grand  critique.  Fleur 
de  brocante.  Sans  dot,  etc.  («  Boite  à  Fursy  »  et  «  Grand  Guignol  »,  1897  et 
1808)  ;  Une  Nuit  de  Grenelle,  un  acte,  en  collab.  avec  Gustave  Coquiot 
(Théâtre  Rabelais,  décembre  1903'  ;  Ludine,  un  acte  (Théâtre  des  Capucines, 
janvier  1904)  ;  Thécla  ou  le  Drame  de  NeuMIy,  drame  représenté  à  la 
fôte  de  Neuilly  ^Baraque  Lcgois),  le  23  juin  1904;  Une  Conquête,  cométlie 
(en  collaboration  avec  Ch.  Esquier).  Paris,  Ondet,  1900,  iu-lS  ;  L'Inutile 
Vertu,  projections  lumineuses,  etc..  Ces  pièces,  de  niâmc  que  les  ballets  cités 
plus  haut,  n'ont  pas  été  publiées. 

Poèmes  his  en  mlsiqle.  —  Bonde  de  fées,  chœurs  pour  trois  voix  de  femmes, 
poésie  de  J..  Lorrain,  musique  de  Gabriel  Pierné.  Paris,  J.  Ilamelle,  1902 
gr    in-8. 

A  coNSDi.TSR.  —  Adolphe  Brlsson  :  Pointes  sèches  (Physionomies  litté 
raires).  Paris,  Colin,  1898,  in-18.  —  Marcel  Fouquier  :  f»ro/î/*  e/ pt/r- 
<r«/^y.  Paris,  l.<  merre,  1891,  in-18.  —  Anatole  France  :  La  Vie  littéraire. 
Paris,  ("almann-Lévy,  1892,  in-18.  —Ernest  Gaubert  :  Jean  Lorrain,  bio- 
graphie critique,  illustrée  d'un  portrait  et  d'un  autographe,  suivie  d'opinions 
et  d'une  bibliographie  par  Ad.  van]  l>[ever].  Paris,  Sansot,  1905,  in-18.  — 
Ilemy  de  Gourmont  :  Le  II'  Livre  des  Masques.  Paris,  Soc.  du  Mercure 
de  France.  1898,  in-18.  —  Bernard  Lazare  :  Fiyures  contemporaines, 
l'aris,  Perrin,  1895,  in-18.  —  Ernest  La  Jeunesse  :  Les  Xuits.lts  Ennuià 
(.r  les  (imes  de  nos  plus  notoires  contempurains.  Paris,  Perrin.  1S90,  in-18 
—  Marius-Ary  Leblond  ;  La  Hociété  française  sous  la   troisième  repu- 


296  POÈTES    d'aujourd'hui 


blir/ue  d'après  les  romanciers  contemporains .  Paris,  Alcan,  iOOo,  in-8.  — 
Catulle  Mondes  :  Rapport  sur  le  Mouiiement  poétique  français  de  1867 
à  iOOO.  Paris,  Imprira.  Nationale,  1902;  cl  Fasquelle,  1903,  in-8.  —  Geor- 
ges IVormandy  :  Jean  Lorrain,  1855-1906.  Son  enfance,  sa  vie,  son  œu- 
vre. Nombreux  documents  littéraires  (1).  Ouvrage  ill.  de  12  hors-texte  (suivi 
de  Jean  Lorrain  sur  la  Riviera  par  Aurel).  Paris, [Bibl.  génér.  d'édit.,  1007, 
in-18.  —  Achille  Segard  :  Les  Voluptueux  et  les  hommes  d'action.  Paris, 
Ollendorff,  1001,  in-18. 

Paul  Adam  :  Jean  Lorrain.  Journal,  1""  juillet  1906.—  Album  Illustré 
officiel  des  Fêtes  de  Béziers,  édité  par  le  Comilé-Béziers.  Bézicrs,  1000, 
in-4.  (Nombr.  illuslr.)  —Album  illustré  des  Fêtes  de  Béziers,  couver- 
ture de  Georges  Roux,  Béziers.  J.  Fabre,  éd.,  1900,  in-4.  — Album  oilicief 
des  Fêtes  de  Béziers  {Prométhée,  2«  année).  Béziers,  J.  Fabre,  éd.,  1901, 
in-4  (illustré).  —  Henry  Bataille  :  Jean  Lorrain.  La  Renaissance  latine, 
lo  juin  1902.  —  Jacques  des  Gâchons  :  Jean  Lorrain  (Photographies  et 
portrait  gravé  par  Floriau).  Revue  illustrée,  1"  juillet  189G.  —  Maurice  du 
Plessis  :  L'Œuvre  poétique  de  Jean  Lorrain.  Le  Décadent,  Iri  janvier  1888, 
• —  Gustave  Kahn  :  Au  Jour  le  Jour.  Jean  Lo7yain.  Le  ticcle,  2  juillet 
1906. —  Jean  Lorrain  :  Lettres  inédites.  Le  Feu  (Mai seille),  décembre  190G, 
février  et  juin  1007.  —  Emile  Lulz  :  Jean  Zd7vafn,  dessins  de  Widopf.  Cour- 
rier Français,  24  juin  1900.  —  Oscar  Méténier  :  Ceux  de  demain.  Revue 
Moderne,  octobre  1886.  — Le  Titan,  numéro  spécial  consacré  à  Prométhée, 
publié  avec  la  coUab.  de  Jean  Lorrain,  A. -F.  Herold,  Marc  Varennes,  IL  Rigal, 
Ilorlala,  Labarre,  Poueigh,  Ernest  Gaubert,  Sylva  Sicard,  etc.  Béziers,  25  août 
1901. 

Iconographie  : 

Henry  Bataille  :  Têtes  et  Pensées,  légende  et  lithographies  de  H.  B. 
Paris,  ÛUendoiff,  1901.  in-fol.  —  Antonio  de  la  Gandara  :  Portrait 
(pointure  à  l'huile),  Salon  de  la  Société  Nationale  des  Beaux-Arts,  1904.  — 
Angelo  Garino  :  Deux  portraits,  peinture  à  l'huile  (app.  à  M""  Duval- 
Lorrain  et  à  M.  Angelo  Garino).  L'un  de  ces  portraits  a  été  reproduit  dans 
l'ouvrage  suivant  :  Jean  Lorrain,  etc.,  par  Georges  Normandy.  Paris,  Biblio- 
thèque générale  d'éd.,  1907,  in-lS.  —  W.  Hawkins  :  Portrait-charqe, 
«  L'Œuvre  d'Art  International  »,  1902.  —  Sem  :  Albums  :  1900-1901-1903, 
reprod.au  Journal  (juillet  1902)  et  Revue  Illustrée  (13  nov.1902).  —  André 
Rouveyre  :  150  caricatures  théâtrales.  Texte  de  Nozière  et  E.  Lajeunesse, 
Paris,  Albin  Michel,  1904,  in-18.  —  F.  Vallotton  :  Masque,  dans  Le 
II''  Livre  des  Masques,  de  Remy  de  Gourmont.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1897,  in-i8.  —  Widhopf  :  Portrait-charge .  Courrier  Français, 
24  juin   1900. 

Nombreuses  photographies  ou  caricatures  au  .fli>e,au  Sourire,  Revue  Illus- 
trée, Revue  Encyclopédique,  La  Vie  Heureuse,  etc 

(1)  Ouvrage  de  compilation  médiocre.  La  bibliographie  publiée  en  appendice 
à  ce  livre  a  été  empruntée  à  peu  près  intégralement  à  l'ouvrage  suivant  : 
Ernest  Gaubert  :  Jean  Lon^ain,  biographie  critique,  etc.,  suivie  d'une  bib  io- 
graphie  par  Ad.  B.  Selon  une  coutume  peu  recommandable,  l'auteur  a 
négligé  de  citer  ses  sources. 


À 


JEAN    LORRAIN  Sfj-J 


FETE  GALANTE 

POUR   M.    EDMOND    DB    CONCOURT 

Ah  !  si  fines  de  taille,  et  si  souples,  si  lentes 
Dans  leur  étroit  peit^noir  enrubanné  de  feu. 
Les  yeux  couleur  de  lune  et  surtout  l'air  si  peu 
Convaincu  du  réel  de  ces  fêtes  galantes! 

Ah  !  le  charmant  sourire  ailleurs,  inattentif 
De  ces  belles  d'antan,  lasses  d'être  adorées 
Et  graves,  promenant,  exquises  et  parées, 
L'ennui  d'un  cœur  malade  au  fond  seul  et  plaintif. 

Qu'importe  à  Sylvanire  et  les  étoffes  rares 
Et  les  sonnets  d'Orante  et  les  airs  de  e^uitares, 
Qu'éveille  au  fond  des  parcs  l'indolent  Mezzetin  ? 

Auprès  de  Cydalise  à  la  rampe  accoudée, 
Sylvanire  poudrée,  en  e^rand  habit,  fardée 
Sait  trop  qu'Amour,  hélas  !  est  un  son^-e  lointain. 

{Les  Griseries.  Stock.) 

CHANSON 

L'Amour  ?  Un  oiseau  bleu.  La  Vie  ?  Un  oiseau  iristc. 

Avoir  été  la  fleur  qu'un  passant  égoïste 

Arrache,  et  par  caprice  etleuille  entre  ses  doigts... 

Avoir  été  l'œillet  qui  flambe  sur  sa  tige, 

Le  papillon  ailé  qui  palpite  et  voltige, 

Le  ramier  roucouleur  qui  pleure  au  fond  des  bois, 

I]t  puis,  la  volupté  du  baiser  assouvie. 

Se  réveiller  brisée...  Amour,  est-ce  la  Vie  ? 

Et  ne  vaut-il  pas  mieux,  à  l'heure  où  les  hautbois 

Et  les  flûtes  d'ébène  enchantent  le  silence, 
S'accoudt^r  incrédule  et  belle  d'indolence 
Avec  des  yeux  savants,  qui  raillent  Autrefois  ! 

{Les  Griseries.  Stock.) 

18. 


298  POÈTES    d'aujourd'hui 

EMBARQUEMENT 

POUR  MONSIEUR  EDMOND  DE  CONCOURT 

Adieu,  bergères,  adieu,  Gilles  I 
Voici  les  voiles  de  satin 
De  la  barque  aux  açrès  fragiles, 
Oui  va  vous  conduire  au  lointain 
Et  bleu  pays  des  cœurs  futiles. 

Là-bas  dans  la  brume  empourprée. 
Parmi  les  falbalas   du  ciel, 
L'île  adorable  et  désirée 
Vous  attend,  chercheurs  d'irréel, 
O  troupe  amoureuse  et  parée  ! 

Pour  la  rougissante  Cythère, 
Dans  l'or  incandescent  du  soir, 
Vous  quittez  sans  regret  la  terre. 
Pour  l'île  errante  du  Mystère 
Et  le  doux  pays  de  l'Espoir. 

«  Malheur  à  celui  qui  s'exile  », 
Dit  un  maussade  et  vieux  refrain  ; 
«  En  Sardaigne  comme  en  Sicile 
c  11  retrouvera  son  chagrin, 
a  L'éviter  est  peine  inutile.  » 

Mais  quand  Amour  est  du  voyage, 

On  rit  à  ces  oracles-là  1 

Le  crépuscule  est  sans  nuage 

Et  Gille  avec  Pulcinella 

Met  en  musique  le  présage. 

Pour  le  bleu  pays  des  chimères 
Au  son  des  violes  d'amour 
Embarquez-vous,  bergers,  bergères  ; 
Si  vous  devez  pleurer  un  jour. 
Que  les  larmes  vous  soient  légères. 


JEAN    LORRAIN  SQQ 


Bonsoir,  Arlequins,  adieu,  Gilles  ! 
Surtout  emmenez  Mezzetin. 
Peut-être  un  soir  ses  doigts  agiles 
Distrairont-ils  votre  destin 
Dans  la  plus  lointaine  des  iles. 

(Les  Griseries.  Stock.) 

LA-BAS,  OU  L'ANCIEN  PARC... 

Là-bas,  où  l'ancien  parc  envahi  de  grands  arbres 
S'ensauvage,  hanté  la  nuit  de  pas  divins 
De  Dryades;  lA-bas,  où  deux  rangs  de  Sylvains 
Veillent,  blancs  prisonniers  de  leurs  gaines  de  marbre, 

Sylvandre,  en  effleurant  du  bout  de  ses  doigts  fins 
Sa  viole,  soupire,  et  sa  voix  affaiblie, 
Lointaine,  s'harmonise  à  la  mélancolie 
Des  cascades  tombant  des  vasques  à  dauphins. 

Dans  l'ombre  au  pied  des  ifs  en  cercle  réunie, 
Des  beaux  diseurs  de  riens  la  folle  comp;ii;nie, 
Pensive,  a  mal  au  cœur  d'un  nostalgique  ennui 

Car  là-bas  sous  la  lune  errante,  qui  se  lève. 
Une  autre  voix  soupire  et  répond  dans  un  rêve, 
Douce  comme  un  regret  d'amour  évanoui  1 

{Les  Griseries.  Stock.) 

FANEKIE 

POUR    SARAH 

Des  vieilles  étoffes  fanées 
Je  suis  le  maladif  n niant. 
J'en  veux  dire  l'enchantement 
Et  les  nuances  surannées  ; 

Leurs  tons  discrets  et  douloureux 
De  vivantes  choses  anciennes 
Ll  les  lani^ueurs  patriciennes 
Des  vieux  orfrois  cadavéreux. 


3oO  POÈTES  d'aUJOLIXd'uUI 


Mon  âme,  qui  s'avive  et  souffre, 
Adore  les  sourires  las 
Et  fatigues  des  satins  soufre, 
Rayés  de  rose  et  de  lilas  ; 

Et  c'est  une  aventure  exquise 
De  retrouver  dans  un  reflet 
Tout  un  bleu  pnssé  de  marquise 
Fleurant  la  jonquille  et  l'œillet. 

Les  vieux  lampas  aux  tons  d'ae^ate. 
Lustrés  sous  l'ongle  aigu  du  temps. 
Ont  la  hautaine  et  délicate 
Tristessse  des  lointains  printemps  ; 

Les  frais  printemps  de  la  jeunesse. 
Avrils  emportés  sans  retours, 
Et  dont  les  lys  de  soie  épaisse 
S'effeuillent  dans  les  gros  de  Tours. 

Mais  pour  chanter  la  griserie 
Errante  en  ces  luxes  défunts, 
Volupté  savante  et  meurtrie 
De  vieux  baisers,  d'anciens  parfums. 

Il  faudrait  sous  mes  doigts  dociles 
Les  cordes  d'un  basson  d'amour 
Au  long  manche  de  bois  des  Iles 
Ftint  de  bergères  Pompadour  : 

Et  dans  l'ombre  aimable  et  dévote 
D'un  boudoir  obscur,  et  fardé, 
Sur  des  airs  dansants  de  gavotte, 
Moi-même,  en  habit  démodé, 

Des  vieilles  étoffes  fanées 
J'évoquerai  l'esprit  charmant 
Et  le  rêveur  enchantement 
Des  nuances,  ces  ra  fil  nées  ! 

{Les  Griseries.  Stock.) 


JEAW    LORRAIN 


3oi 


RECURRENCE 

Enchanteurs  et  sorciers,  Mnntot^na,  Léonard  I 

Des  sinirircs  de  fciinne  apparus  ilans  les  I^ouvre 

IMus  d'un  porte  une  plaie  au  flanc,  qui  p!«Mire  et  s'ouvre 

Kt  lui  fait  un  front  biènie  et  le  jçesle  hasard. 

Ce  bleu  sombre  et  profond  du  ciel   dans  le  regard, 
Ci's  Irvres  de  Vinci  f('*rocen.ent  royales. 
Ces  cheveux  roux  niinb('-s  de  pcrlrs  et  d'oj>ales 
Ont  fait  de  ma  jeunesse  une  souffrance  d'art. 

Désormais  obsédé  des  grâces  caplivant«'s 
Des  Mortes,  insensible  aux  charmes  des  vivantes, 
IMon  cœur  au  seul  fasse  veut  trouver  des  attraits  ; 
Va,  comme  un  envoiUé  des  «^olliicpies  ma-^ics. 
l'^n  proie  aux  vains  regrets  des  vaines  nostalgit^s, 
Je  suis  un  triste  et  fol  amant  d'anciens  portraits. 

(L'Ombre  ardente.  Kas  juclle.) 


L.\  TO.MBt:  JOYEUSE 

Préparez  la  tombe  joyeuse, 
Car  sous  l'érable  et  sous  l'yeuse, 
Dans  mon  amour  je  veux  dormir. 

Pareil  au  sloughi  de  l'émir, 
Sous  un  vol  erranl  de  colombes 
Agonisant  au  champ  des  tombes. 

Mon  maître  est  mort,  je  veux  mourir  1 

Mon  maître  étiit  l'amour  sublime, 
Oue  dans  ses  yeux,  troublant  abîme, 
Je  bois  depuis  mes  dix-huit  ans  ! 

Dix-huit  ans  !  Depuis  l'asphodèle 

A  fleuri  neuf  fois  et,  lidèle. 

Mon  cœur  a  fleuri  neuf  printemps. 


5oa 


POETES    D  AUJOURD  HUI 


Préparez  la  tombe  joyeuse, 
Car  sous  l'érable  et  sous  l'yeuse, 
Dans  moD  amour  je  veux  dormir. 

Pareil  au  sloughi  de  l'émir, 
Sous  un  vol  errant  des  colombes 
Agonisant  au  champ  des  tombes. 

Mon  maître  est  mort,  je  veux  mourir, 

La  désespérance  et  le  doute, 

Le  doute  amer  ont  goutte  à  goutte 

Vidé  ce  cœur  d'enfant-aïeul. 

La  fleur  une  fois  desséchée, 
De  sa  blême  tige  arrachée 
J'ai  tissé  gaîment  un  linceul. 

Préparez  la  tombe  joyeuse, 
Car  sous  l'érable  et  sous  l'yeuse. 
Dans  mon  amour  je  veux  dormir. 

Pareil  au  sloughi  de  l'émir, 
Sous  un  vol  errant  de  colombes 
Agonisant  au  champ  des  tombes, 

Mon  maître  est  mort,  je  vais  mourir. 

(L'Ombr    ardente.  Fasquclle.) 


LA  MARJOLAINE 

On  dansait  sur  le  pont  du  Nord 
Et  la  bise  y  soufflait  si  fort 
Qu'elle  enleva  la  Marjolaine, 

La  Marjolaine  et  la  futaine 
De  sa  jupe  et  ses  bas  de  laine; 
Et  le  nuage  en  son  essor 


JBAN  vonnAm 


3o3 


La  frùlait  ;  et  loiu  de  la  villr. 

La  pauvre  fille  vole  et  fil»- 

Toujours  plus  dru,  toujours  plus  fort. 

Elle  tourbillonne  et  s'écrie  : 
«  Jf'sus  et  Madame  Marie, 
Puisque  je  vo:^ue  vers  la  mort, 

Faite  qu'aussitôt  éti)urdi(^ 
De  ma  chute,  j'entre  brandie 
Dans  votre  ciel  étoile  d'or,  » 

Et  sous  la  nue  Apre  et  «placée 

Voilà  la  j)riire  exaucte. 

Au  clocher  de  Sainl-Lvremond 

La  Marjolaine,  âme  éperdue, 
Reste  tout  à  coup  suspendue 
Par  un  accroc  de  son  jupon. 

Par  la  nuit  froide  et  pluvieuse, 
La  a;ari^ouiIle  silencieuse 
Prend  s<»ujlain  parole  et  lui  dit: 

a  Peu  résistante  est  la  futaine. 
Sonî^e  à  ton  heure,  lu-las  !  prochaine, 
Entends-tu  rire  le  Maudit  ?  » 

Et  sous  le  vent  ras^eur  d'automne 
La  belle  s'épeure  et  frissonne 
Au-dessus  du  vide  entr'ouvert. 

Elle  compte  dans  la  nuit  brune 
Les  toits  bleuissant  sous  la  lune 
Et  les  saints  du  parvis  désert  ; 

Et  le  Maudit  déjà  ricane, 

Quand  un  parfum  monte  et  s'émane, 

D'encens,  de  IxMijuin  et  de  nanis, 

Et,  portant  à  la  main  des  palmes. 


3o4  POÈTES  d'aujourd'hui 

Dans  l'espace  et  sous  le  ciel  calmes 
Ascensionnent  de  grands  vieillards  ; 

De  grands  vieillards  en  robe  blanche, 
Dont  le  front  chauve  oscille  et  penche 
Sur  des  chapes  de  lourds  brocarts, 

Et  puis  ce  sont,  par  théories, 
Des  vierges  en  robes  fleuries 
D'étoiles  et  de  lys  épars. 

Les  fronts  sont  nimbés  d'auréoles. 
De  longs  archanges  en  étoles 
Font  cortège,  et  de  purs  regards 

D'azur  sombre,  où  l'on  sent  des  âmes, 
Sillonnent  de  grands  traits  de  flammes 
La  nuit,  la  lune  et  les  brouillards. 

Et  cela  monte  avec  des  psaumes 
Et  des  noëls,  anges,  fantômes, 
De  vierges  saintes  et  d'élus, 

Et  conduit  en  cérémonie 
La  Marjolaine  à  Tao^onie 
Dans  le  paradis  de  Jésus. 

(L'Ombre  ardente.  Fasqucllc.) 


PIKRRE   LOUYS 
i870  • 


M.  Pierre  Louys  est  né  à  Paris  le  lo  décembre  1870.  II  est  pelil- 
nevcu  du  général  JuDOt,  duc  d'Ahranlès,  cl  arriére  pflil-fils  du  doc- 
leur  Sabalier,  médecin  de  Napoléon  el  membre  fondateur  de  l'iusli- 
lut  en  1795.  Il  fil  SCS  éludes,  juscjuà  la  rhéloririue.  à  l'Ecole  alsa- 
cienne, instilulion  proleslanlc.  Il  acheva  sa  j.hilosophie  au  lycée 
Janson  de  Sailly, passa  ses  deux  haccalaiiréals  es  sciences  el  es-let- 
tres, et  termina  par  quelques  études  à  la  Sorboime.  M.  Pierre 
Louys,  qui  est  surtout  connu  (très  connu)  comme  n)mancier  depuis 
son  célèbre  roman  Aphrodite,  débuta  par  une  plaquette  de  vers  : 
Aslarté,  publiée  en  i8f»i .  Elle  était  composée  de  pwuus  parus  dans 
La  Conque,  jH-tite  revue  fondée  par  lui  la  même  nnn«e,  où  collaborè- 
rent notamment  MM.  Henri  de  Ucgnier,  André  Gide  et  Paul  Valéry, 
et  dont  les  onze  numéros  furent  honorés  successivement  d'imc  pasçe 
inédite  de  Lecontc  de  Lisle,  Paul  Verlain»*,  Stéphane  Mallarmé,  José 
Miria  de  Heredia,  MM.  Swinburne,  Jean  Moréas,  Léon  Dierx,  Ma- 
dame Judith  Gautier,  etc.  yuehpics  platueltes  de  prose  suivirent, 
contes  dans  le  poilt  antique,  en  même  temps  qu'une  traduction  des 
Poésies  de  Mèltwjrc  el  les  premières  Chansons  de  Dililis  (i),  puis 
M.  Pierre  Louys  publia  Aphrodite,  dont  le  premier  chapitre  avait 
paru  dans  La  Wallonie  en  décembre  if^(ja.  Tout  le  monde  aujour- 
d'hui a  lu  Aphrodite,  publiée  par  le  .yfercure  de  France  dans  ses 
numéros  de  août  i8(j5  à  janvier  189O  (sous  le  titre  L'Esclavage), 
puis  en  volume  en  mars  i8«/).  Dans  un  article  enthousiaste, 
Fraiirois  Coppée,  qui  n'avait  jamais  vu  .M.  l'ierre  Louys,  salua  en 
lui  «  un  artiste  accompli,  un  écrivain  de  ra»-*",  a  qui  l'on  devait  >it  ji 
un  livre  charmant,  el  sur  qui  les  lettres  frani^iises  avaient  le  dioil 
de  fonder  les  plus  magnifitpies  espérances  «.Ce  fut  alors  le  succès  le 

H)  C*  livre,  simple  amusomcnt  d'^ruilit,  a  si  bien  le  ton,  dans  son  imitation 

failo    tfimo    Ir.i.lurljon   do    tivn'  aiwini    qu'un  '    •  •  ■fo*<cur.  annco 

NO  (io  rK.olo  tl  Alli.n.-s  au  lu.l  M    1  ..  . ..  l.ouv>  I  -•,  lui  n^poudil, 

tu  le  rciuerciaut,  qu'il  avait  lu  bieu  a\.ail  Im  r.mvi  .0. 


3o6  POÈTES  d'aujourd'hui 

plus  éclatant.  Dans  la  même  année  de  sa  publication,  Aphrodite  fut 
tiré  au  Mercure  de  France  jusqu'à  trente-et-un  mille  exemplaires, 
et  l'on  en  a  fait  depuis  bien  d'autres  éditions,  tant  de  luxe  que  popu- 
laires, sans  compter  les  traductions,  et  quatre  livrets  d'opéra,  et 
L'Aphrodite  de  M.  Camille  Erlang^er,  représentée  à  l'OpéraComique 
en  1907.  Les  ouvrages  que  JNI.  Pierre  Louys  a  donnés  depuis  :  La 
Femme  et  le  Pantin,  Les  Aventures  du  Roi  Pausole, romains.  Archi- 
pel et  Sanffuines,  recueils  de  contes  et  de  nouvelles,  n'ont  fait  qu'ac- 
croître son  renom  de  romancier  et  de  conteur.  Cette  renommée  n'a 
toutefois  pas  fait  oublier  à  M.  Pierre  Louys  l'art  dans  lequel  il  se 
manifesta  tout  d'abord.  II  continueà écrire  des  vers,au  gré  de  sa  fan- 
taisie etde  son  inspiration,  et  de  temps  en  temps,  on  trouve  un  poème 
de  lui  dans  telle  ou  telle  revue,  témoin  ce  parfait  poème,  L'Apoffée, 
que  nous  donnons  dans  notre  choix  et  qui  parut  dans  Les  Lettres 
en  1907.  D'ailleurs,  la  renommée,  le  succès  et  son  bruit,  M.  Pierre 
Louys,  soit  indolence  naturelle,  soit  simple  goût,  ne  s'en  préoccupe 
guère,  et  où  d'autres  fussent  devenus  turbulents  et  réclamicrs,  il  est 
resté  simple  et  effacé.  Voyager,  flâner,  rêver,  collectionner  les 
livres  rares  et  lire,  il  semble  que  ce  soit  là  sa  TÏe,  plus  que  d'être 
un  auteur. 

M.  Pierre  Louys  a  épousé,  en  1899,  M^'»  Louise  de  Heredia,  fille 
cadette  du  poète  des  Trophées.  Sa  collaboration  aux  revues  et  jour- 
naux s'établit  ainsi  :  La  Revue  d'aujourd'hui  (1890);  La  Conque 
(1891);  La  Wallonie  (iSqo,  i8gi  et  1892);  Floréal  {18^2);  La  Revue 
Blanche;  Mercure  de  France  (1894,  1896,  1897,  1898,  1899^;  Le 
Centaure  (recueil  rédigé  exclusivement  par  M.  H.  Albert,  A.  Gide, 
A. -F.  Herold,  A.  Lebey,  Pierre  Louys,  H.  de  Régnier,  J.  de  Tinan, 
P.-V.  Paris,  9,  rue  des  Beaux-Arts,  1896,  a  vol,  in-4  ;  Revue 
Franco-Américaine,  L'Image  (1896-1897),  Le  yoarna/ (1900-1908). 
La  Vogue  (nouvelle  série,  1899),  La  Plume,  La  Renaissance  latine. 
Le  Figaro {K^ok),  Les  Lettres  (1907),  L'Intermédiaire  des  cher- 
cheurs et  des  curieux,  etc.,  etc. 

Bibliographie  : 

Les  cf.uvres.  —  Astarté,  poèmes,  couverture  eu  couleurs  par  Alborl  Res- 
nard.  Paris,  1891,  in-4,  cour.  (100  ex.).  —  Les  Poésies  de  Mél'»agre 
[|ir(''c»''d6es  d'une  vie  de  Mék'agrc].  Paris,  11,  rue  do  la  Cliaussrc-d'.Vnlin 
(Pelitc  collection  à  la  «  S])liinj;e  »,  scorie  anli(|ue),  18'.)3,  petit  in-8  carré.-  -Lé<Ia 
ou  la  Louange  des  Bieuheureuses  ténèbres,  conte.  Paris,  libr.  de 
l'Art  Indépendant,  1893,  petit  in-8  carré  (125  ex.).  Deux  autres  éditions,  savoir  : 
Léda  ou  la  louaruje  des  bienheureuses  tcnèbrcs,  avec  dix  dessins  en  couleurs 
par  Paul-Albert  Laurens.  Paris,  édition  du  Mercure  de  France,  1898,  in-4, 
Léda  ou  la  louange  des  bienheureuses  ténèbres,  illu.>jlralions  de  Calbet.  Paris; 
Borel,  1898,  petit  in-8.  —  Ghrysis,  fragment.  Paris,  Librairie  de  l'Art  ludé- 
pendant,  1893,  petit  in-8  carré  (125  ex.).  —  Ariane  ou  le  Chemin  de  la 


PIÉRRV  LOUYS  307 


Pnix  éternelle.  cont«.  Paris,  (Jbraîrie  de  l'Art  Ind^|»ondant,  1894,  potil  in-8 
carré.  (Réimpr.  Ariane,  etc.  illustr.  d«*  Goorecs  Roch«*^»rosse.  Paris.  Maison 
du  Livre,  1905,  in  8  (140  ex.).  —  Scènefi  de  la  Vie  de»  Coiirlisnneii,  de 
Lucien  de  Samosate,  trad.  par  F'iorre  Louyn.  Paris,  Litr.  de  l'Art  Indépen- 
dant, 1804,  pctil  in-8.  (Nourclles  ('•dilion»  :  Mima  de»  CourtisaneM  de  Lucinn, 
traduction  littérale.  Paris,  Sor.  ilu  Morrure  de  France,  1899.  in-18;  Scrnet 
de  courtisanes,  illustr.  do  Jean  llolt.  Pans,  L.  Florcl.  1902,  petit  in-8).  —  La 
Maison  sur  le  Nil  oul<»8  np|>arcDCcs  de  In  Vertu,  conte.  Paris,  Librairie 
do  l'Art  Iii(i('j)cnd.inl.  1894,  jm-III  in-8  carr«''  (125  ex.).  Le  même,  illustr.  de 
Paul  (it-rvaiâ,  Paris,  Maison  du  Livre,  190.5,  in-8  (140  ex  ).  —  I^B  Chanson» 
de  BilIllR.  traduites  du  ;.irc  par  Pierre  Louys.  Paris,  Librairie  de  l'Arl  ln<l«'-- 
pondanl  ,1894,  in-8.  (Nouvelles  éditions,  corrigées  et  au^'mentées,  savoir  :  Le* 
Chansons  de  /iilitis,  traduites  du  grec  par  Pierre  Louys  et  ornée»  d'un 
portrait  de  /lililis,  dessiné  par  P.  Albert  Laurent  d'aprè»  le  buste  poly- 
chrome  du  Musée  du  Louvre.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1898,  in-8  ; 
Les  Chanson»  de  Bilitis,  traduites  du  grec  par  Pierre  iMUy»,  deuxième  édi- 
tion. Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1898,  in-18  ;  Le»  Chanson*  de  /iiliti», 
traduites  du  grec,  édit.  ornée  de  300  gravure»  et  de  Si  plancliea  en  eow 
leurs  hors  texte  par  ISotor,  d'après  des  documents  authentique»  de»  Musée» 
d'ICurope.  Paris,  Librairie  Charpenlicr  et  Fasquelle,  1900,  in-18,  couv.  illus- 
tri'e;  Les  Chansons  de  /iilitis,  3.3  illustr.  de  RapliaM  Colin,  pravées  à  l'eau-forte 
par  Cil.  Cliessa.  Paris,  Forroud,  lUOG,  in-8).  —  Aphrodite,  m.purs  antiques 
[roman].  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1890,  in-lS.  i Editions  diverses; 
savoir  :  Aphrodite,  mœurs  anti'/urs.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896 
in-8.  (Tira^'e  :  9  ex.  japon;  10  ex.  whatman;  40  ex.  bollando  015,50  ex.  vélin, 
nuniér.)  ;  /l/j/irorfi7e,  roman  de  mrrurs  antiques,  illuslr.  de  CalLei.  Paris, 
r>orcl,  1897,  polit  in-8  ;  Aphrodite,  édition  augmentée  de  plus  de  deux  cha- 
pitres, illuslralions  de  E.  Zier.  Paris,  Tallandier,  11*03.  in-8;  Aphrodite, 
uuL'urs  anlinues.  Paris.  E. Fasquelle, 1901,  in-18.— Byblls  rliaii()ée  en  Fon- 
taine, conte,  illustration  de  J.  Wagrcz.  Paris,  luirol,  iS'S,  polit  in-8.  (Nou- 
velle édition  :  liyblis  illustré  d'environ  45  compositions  en  couleurs  par  llcnri 
Garuchct.  Préface  par  A.  Gilbi-rt  de  Voisins.  Paris,  A.  Ferroud,  1902,  iu-8 
carré).—  La  Femme  et  le  Pantin,  roman  espagnol,  orné  d'une  reproduc- 
tion en  héliogravure  du  Pantin  de  Goya.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France 
1898,  in-8.  (Il  a  été  tiré  :  20  ex.  pour  la  Soc.  des XX.  Ccsex.  |K)rlent  la  signal 
turc  de  l'auteur.)  Diverses  éditions,  savoir  :  La  Femme  et  If  Pantin,  roman 
espagnol,  deuxième  édition  (Paris,  Soc.  du  Mercure  do  France.  iS'.tS,  in-l«)  ; 
La  Femme  et  le  Pantin,  roman  espa;.'nol,  illuslralions  Calbet  et  Oédina.  Paris 
Borcl,  1899,  petitin-8  ;  La  Femme  cl  le  Pantin,  roman  ospacnol.  Paris,  E.  Fas- 
quelle, in-18,  1901  ;  La  Femme  et  le  Pantin,  65  gran  '  'Citions  en  cou- 
leurs et  or,  dont  16  hors  lexle,  de  Pablo  Koïp.  Paris,  :  ;  Art  (Piazza  et 
Ci'),  1903,  in  8).  —  Une  volupté  nouvelle,  a»ute.  ilK.^tralion  de  Marold. 
Paris,  Borol.  1899,  polil  in-8.  {Ce  coule  se  trouve  en  ouirc  réimpriinô  dans 
Sanguines.  Paris,  E.  Fasquelle,  1903,  iu-18.)—  L'ilumme  de  pourpre, 
conte,  illustration  de  Schmidt.  Paris,  Borol,  1901,  polit  in-8.  (Ce  conle  se 
trouve  n'imprimé  dans  .S'anyiiints.  Paris,  E.  Fasquolle,  1903,  in-18.)  —Les 
Aventures  du  Iloi  Pausole,  roman.  l'aris,  E.  Fas<{uelle,  1901,  in-18.  (Z,e 
mérne  :  380  ex.  de  format  in-8.  Paris,  Fasquelle,  1901.)  (Kéimpr.  :  /,«•  /toi 
Pausole,  nouv.  éd.,  illustrée  de  82  compositions  en  couleurs  de  l'ierre  Vidal. 
Paris,  blaisot,  1906,  in-4  ;  Le  Roi  Païuole,  illustr.  ea    couleur   de   Lucieo 


3o8  POÈTES  d'aujourd'hui 


Mélivct.  Paris,  Fa*qiiellc,  1906,  in-18;  Le  lîoi  Patisole,&yec  66  dessins  et  une 
couverture  de  Carlègle.  Paris,  Fayard,  1907,  in-8,  (d.  populaire).  —  Sangui- 
nes (1),  [conlcs  Pl  nouvelles  :  L'/fommp,  de  Pourpre.  Dialogue  au  soleil  cou- 
chant. Une  volupté  nouvelle.  La  fausse  Ester.  L Aventure  extraordinaire 
de  3/">'  Esquollier.  Une  Ascension  au  Vénusbery,  etc.].  Paris,  Fasquclle, 
1903,  in-8.  —  Archipel  [recueil  d'articles.  Contient  entre  autres  :  Liberté 
pour  l'amour  et  pour  le  mariafje].  Paris,  E.  Fasquclle,  1906,  in-18. 

Préfaces. —  Paul  Fort  :  Ballades  Françaises.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1897,  in-18.  —  Hené  Peter  :  La  Tragédie  de  la  Mort.  Paris,  Soc. 
du  iMercure  de  France,  1899,  in-8  et  in-18.  —  Ferdinand  de  Martino  et 
Al)(lel  Khalek  bey  Saroit  :  Anthologie  de  ^l'amour  arabe.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1902,  iu-18.  —  A.  Gilbert  de  Voisins  :  Pour  l'Amour 
du  Laurier-  Paris,  Ollcndorff,  1904,  in-18.  —  Claude  Farrère  :  Fumée 
d'opium.  Paris,  OliendorlT,  1904,  in-18.  —  Ernest  (Jaubert  :  Les  Boscs 
Z^a/ines,  poésies.  Paris,  Sansot,  1007,  in-18.  — J. -Louis  Merlet  :  Au  seuil 
des  Temples.  Paris,  Tassel,  1908,  in-8. 

Ouvrages  mis  en  mlsiqle.  —  Aphrodite,  drame  hxique  en  trois  actes,  musique 
d'Erlanger,  représenté  sur  la  scène  de  l'Opéra-Comique  en  1906.  —  Bilitis, 
poômc  en  12  chants  extr.  des  Chan.tons  de  Bilitis,  etc.,  ill.  de  IS'otor,  musi- 
que de  R.  Strolil.  Paris,  Toledo,  1900,  in-fol.  D'autres  poèmes  extraits  des 
Chansons  de  Bilitis.  do  M.  Pierre  Louj  s,  ont  été  mis  en  musique  par  M.M.  Claude 
Debussy,  Jean  Iluré,  Léon  Moreau,  etc. 

A  CONSULTER.  —  Erucst  Cîaubert  :  Pierre  Louys,  biographie  critique 
précédée  d'un  portrait,  illustrée  de  divers  dessins  et  d'un  autogr.,  suivie  d'o- 
pinions et  d'une  bibliogr.  par  Ad.  B.  Paris,  Sansot,  1904,  in-18.— Reniy  de 
GourmoDt  :  Le  Livre  des  Masgues.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Franco,  1898, 
in-18.  —  A. -Ferdinand  Ilerold  :  Pierre  Louys,  notice  publiée  dans  Z-es 
Portraits  du  prochain  Siècle.  Paris,  Girard,  1894,  in-18.  —  Georges  Le 
Cardonnel  et  Charles  Vellay  :  La  Littérature  contemporaine,  1905. 
Opinions  des  écrivains  de  ce  temps.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906, 
iu-iS. —  Achille  Segard  :  Les  Voluptueux  et  les  hommes  d'action.  Paris, 
Ollondorfl',  1900,  in-18.  —  V.  Thou'pson  :  French  Portraits  (Hciui;  appré- 
ciations of  the  writcrs  of  Young  France),  Boston,  Richard  G.  Badger  et  C", 
1900,  in-8.  —  A.  Gilbert  de  Voisins  :  Préface  à  l'édition  de  Byblis .Paris, 
A.  Ferroud,  1902;  Les  Livres,  Renaissance  Latine, 15  juillet  1903;  Sentiments. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1905,  in-18.  —  Prolessor  Wilamowitz- 
IMœllendorl  :  Pierre  Louys.  Gotlingisclie  gclehrle  Anzoigen,  1890.  — 
Teodor  de  Wyzewa  :  Nus  maîtres.   Paris,  Perrin,  1895,  in-18. 

Anonyme  :  La  Femme  et  le  Pantin,  légende  de  Cleg,  dessinsde  Sahib. 
Vie  Parisienne,  9  juillet  1898.  —  André  Ueaunier  :  Chronique.  Revue 
Bleue,  13  juillet  1901.  —  C. Alfred  Reçu  :  Pierre  Louys.El  Tiompo.  Buenos- 
Ayres),  27  janvier  1898.—  F.  Coenen  :  Pierre  Louys.  De  Kronick  (Amster- 
dam), 5  juillet  1896.  —  F.  Ooppôe  :  Pierre  Loiiys,  in-8  (éd.  populaire). 
Journal. 10  avril  1896.—  Riehanl  Debmel  :  Lieder  derBilitis,  Die  Gesell- 
scliaft  (Leipzig),  1896.  —  Henri  Delurniel  :  Pierre  Louys  préfacier. 
Chronique  des   livres,  25    oct.    1900.  —   Gaston  Deschamps  :  M.  Pierre 

(1)  Une  pièce  tirée  par  M.  Henry  de  Forge  d'une  nouvelle  do  Sanguines  : 

l'Extraordinaire  Aventure  de  Aiadame  Esquollier,  a  été  jouée  aux  «  Capu- 
cines »  (mar:>-avril  1904)  et  éditée  chez  E.  Fasquelle. 


PICIUiB   LOUTS  3o9 


Louyx.  T«-iii|><i,  7  juin  IS^'C.  —  l'nul  Ernesl  :  Dit  Lieder  der  ftiliti».  Die 
Zukuufl  (iJerlin),  jmu  IS'JG.  —  l'aiii  (^iiii^ly  :  Camerie  littéraire.  Le* 
Chantons  de  Itilitia.  Oil  Blas,  5  janvier  18'.i5.  —  A.  Cilœt.scr  :  Anatole 
France  und  Pierre  Louy»,  I)a>»  ma^azin  (ur  lillcratur,  15  août  18%.  — 
<:>iarl<>H  (iii^rln  :  Le»  Chantonn  dr  Itilitia.  L'ErmilaKe,  1808.  —Camille 
lilauciair  :  Les  Chansons  de  Hdilis.  Ucrcure  de  Fr»ncc.  arril  1895  — 
Francisque  Sarcey  :   Chronique.  Kerue  illustrée,  15  mai  1896. 

Iconographie  : 

Henry  itataille  ;  Portrait  enlilhoiiniphte, puhhù  dans  Têtes  et  Pensées, 
de  Ucuiv    liataille.   Paris,  Ollcn  iorlT,    l'jr>i,  info).   —   Jacques  Illanche 
Pitrrc  Louys  et  Henri  de  liéynier,  p*  inture,  1892.  — Peinture,  \^0i  y\[>o*fi 
la  môme    ann^e  au  Salon  de  la  Soc.  Nat.  des   iicaui-Arts).    —    Brlud«au 
Peinture,  1897  (eiposée  la  même  anni^e  au  Salon  de  la  Soc.  Nat.  des    Im  ri\ 
Arls.  A|i])arlieut  à  M.    Pierre   I»ii\s\   —    P.-A.   Laurens  ;    Pointe    y 
1898    (appartient  à   M.    Picrrr  Ix)u\'»}.  —  Méandre  :  Caricature 
à  M.  Pierre  Loiixs),  —  F.  Vallottou  :  JAn-'/uf,  <lans  Le  Livre  des 
le  \\.  (le  Gourmont.  Paris,  Soc   du  Mercure  de  France,   1896. 

En  outre  diverses  pliolo;;raphios  dans  la  Ilevue  Illustrée  du  15  mars  1904  ; 
Catalogue  du  Alercure  de  France^  1898,  etc. 

AU  PKINCE  TACITURNE 

O  toi  qui  pour  passer  les  Jleuues  taciturnes 

Ne  portes  pas  de  Jleurs  et  marches  vers  la  nuit  / 

HE^HI   OB    REGMER. 

Si  j'entre  en  la  forêt  du  frêne  et  de  l'alberge 
Attiré  par  la  lune  au  lac  lucide  et  pur 
A  l'espoir  d'entrevoir  comme  un  son^e  futur 
Ta  ciiimère  apparue  au  miroir  de  la  berge, 

Avant  d'atteindre  aux  eaux  d'où  sa  blanche  ombre  émerge 
La  manjue  de  les  pas  sêchée  au  terrain  dur 
Me  dira  quel  héros  de  l'aube  ou  de  l'azur 
A  fait  sourdre  le  sang  nuptial  de  la  vierge. 

Je  n'irai  pas  au  bois  conquérir  les  seins  froids 
Où  ta  Ioni;ue  cpée  entre  et  luit  conmie  une  croix, 
Chercheur  de  face  pâle  et  d'ànie  taciturne  ; 

Je  suivrai  le  lonc:  gué  par  les  marais  du  soir 
Et  j'irai  cunquérir,  nue  en  son  thrône  noir, 
Une  déesse  en  fleurs  dans  une  Ile  nocturne. 

{Astarté.) 


3 10  POÈTES  d'aujourd'hui 


PÉGASE 

De  ses  quatre  pieds  purs  faisant  feu  sur  le  sol, 
La  Bête  chimérique  et  blanche  s'écartèle 
Et  son  vierge  poitrail  qu'homme  ni  dieu  n'attelle 
S'éploie  en  un  vivace  et  mystérieux  vol. 

Il  monte,  et  la  crinière  éparse  en  auréole, 
Du  cheval  décroissant  fait  un  astre  immortel 
Qui  resplendit  dans  l'or  du  ciel  nocturne,  tel 
Orion  scintillant  à  l'air  glacé  d'Eole. 

Et  comme  au  temps  où  les  esprits  libres  et  beaux 
Buvaient  au  flot  sacré  jailli  sous  les  sabots 
L'illusion  des  sidérales  chevauchées, 

Les  Poètes  en  deuil  de  leurs  cultes  perdus 

Imaginent  encor  sous  leurs  mains  approchées 

L'étalon  blanc  bondir  dans  les  cieux  défendus. 

(A  star  lé.) 

LE  BOUCOLIASTE 

La  flûte  qui  fléchit  sous  les  doigts  allongés, 
Docile  à  s'animer  comme  la  femme  aux  lèvres, 
Vibre,  et  le  clair  essaim  des  trilles  encagés 
Se  mêle  aux  bêlements  bucoliques  des  chèvres. 

Le  joueur  puéril  à  ses  roseaux  légers 
Chante  en  vain  :  seule,  Echo,  lointaine  et  triste,  alterne. 
Les  Muses  sont  trop  loin  de  la  voix  des  bergers 
Qu'une  cigale  inspire  et  qu'un  vol  noir  consterne 

Mais  l'Éphèbe  :  a  Je  suis,  ô  Phoïbos  radieux, 
Boucoliaste,  et  pur  pour  le  culte  des  dieux. 
J'ai  l'espoir  du  laurier  que  ton  geste  décerne 

Et  je  veux,  pour  gagner  ton  sourire  indulgent, 

Consacrer  sur  l'autel  de  flouve  et  de  luzerne 

Ma  flûte  pastorale  à  ta  lyre  d'argent.  » 

(Astarté.) 


i 


PIERRE    LOUYS 


3ll 


CHUTE  DU  JOUR 

L'ombre  odorante  où  vibre  une  lueur  fleurie 
S'éçaye  à  la  brise  aux  reflets  du  jour  chansi^eant. 
Le  sillaçe  de  l'air  limpide  est  bleu  dansent 
Comme  un  fond  d'eau  où  le  soleil  se  colorie. 

i  A  dans  le  cadre  des  feuilles,  la  closerie 
Aérée,  où  des  libellules  vont  nat^eant, 
Avec  des  prestes  se  déchevèle  en  neiu^eant 
Des  parcelles  de  rose  amoureuse  et  mûrie. 

Le  vent  fraj^ile  vient  parmi  les  frondaisons 
Allone^cant  les  soleils  cercles  sur  les  p^azons 
Ebruiter  un  frisson  sous  les  feuilles  dorées, 

Mais  le  bois  déjà  noir  jusqu'aux  lom^fs  horizons 
S'endort  dans  la  fraîcheur  plus  sombre  des  orées 
Aux  bras  pernicieux  et  pâles  de  la  nuit. 

{Astarié.) 

SONNET  ADRESSÉ  A  M.    MALLARMÉ  LE  JOUR  OU  IL   EUT 
CINQUANTE   ANS 

Cinquante  heures  de  nuit  préparatoire,  ô  Maître  ! 
Demain  s'éblouiront  d'aurore,  et  nous  saurons 
A  l'ombre  maiçistrale  errante  sur  nos  fronts, 
Qu'on  a  vu  sourdre  l'or  et  la  lumière  naître. 

Eux  aussi  vont  jurer  que  pa»  un  ne  fut  traître 
Au  doic^t  qui  dt'sitçnait  l'aube  rousse  des  troncs. 
Le  jour  croît.  Vous  verrez  tous  les  mauvais  larrons, 
Qui  fuyaient  de  vous  suivre  au  désert,  reparaître  ! 

Ils  donneront  à  qui  méprisa  leur  troupeau 

I  .1  gloire  qu'ils  rêvaient  de  pourpre  sur  leur  peau 

\'.[  les  lauriers  d'argent  piqués  aux  fer  de  lance  ; 

•Mais  nous  u'enlendroDS  pas  ces  voix  soûles  de  bruit, 


3  12  POÈTES   D  aujourd'hui 


Car  nous  aurons  coupé  pour  le  plus  pur  silence 
Sous  vos  pieds  créateurs  les  roses  de  la  nuit. 

(77  mars  iSqs.) 

L'OiMBRE 

C'est  moi!  c'est  moi,  pauvre  âme  !  ô  trop  longtemps  pleurée! 
Aux  sources  de  l'Oronte  ivres  d'aube  et  d'oiseaux, 
C'est  moi  qui  sur  tes  pas  abaissais  les  roseaux. 
Et  de  tes  hautes  mains  prenais  l'urne  altérée. 

Et  plus  tard,  quand  Erôs  mêla  notre  destin. 

C'est  moi  qui  venais  traire  au  ventre  des  chamelles 

Le  lait  mince,  étiré  des  tremblantes  mamelles, 

Dans  l'outre  obèse  et  lisse  aux  flancs  couverts  de  thym. 

Me  connais-tu  ?  Devant  la  clairière  interdite. 

Je  gardais  les  boucs  blancs  promis  à  l'Aphrodite, 

Et  tressais  des  iris  aux  cornes  des  béliers.. . 

Approche-toi,  pauvre  âme  à  jamais  solitaire, 
Ombre  qui  viens,  fidèle  à  tes  champs  familiers. 
Revoir  l'eau  successive  et  l'immuable  terre. 


TOMBEAU  DE  BAUDELAIRE 

La  tombe  enfin  l'exalte,  et  le  vol  des  harpies 
Tourne  autour  de  sa  main  ténébreuse,  où  fleurit 
Dans  son  papier  sanglant  le  mortel  manuscrit 
Comme  un  autre  cadavre  habillé  de  charpies. 

Sa  Joie  et  sa  Douleur  le  gardent,  accroupies 
Et,  les  seins  dans  les  mains  devant  lui  qui  sourit, 
Se  touchent,  corps  de  pourpre  et  chair  de  son  esprit, 
Très  précieux  remords  de  ses  jours  très  impies. 

Mais  lui,  dieu  de  lui-même,  unique,  et  sans  aïeul. 


PIEHHE    LOUVS  3l3 


Il  sone^e  à  la  I)eautc  qui  porte  pour  lui  seul 

Une  ilaiiiiiic  à  son  front  ceint  de  verveine  et  d'ulve. 

Succube  (jui  descend  dans  le  lac  des  péchés. 
Et  sous  le  voile  noir  de  ses  cheveux  penchés 
Parmi  tous  les  iris  cueille  la  sombre  vulve. 


HAMADRYADE  ET  SATYRE 

Des  sylvaîns  et  des  pans  se  souvient-elle  encore 

Qui  troublaient  les  bois  bleus  de  leurs  bonds  turbulents? 

Un  soir;  avec  le  thyrse  et  les  tambourins  blancs, 

La  danse  des  pieds  nus  a  suivi  Terpsichore. 

Solitaire,  et  mirant  la  lune  dans  ses  yeux, 
L'haniadryade  au  vent  livre  ses  mains  rameuses. 
Les  tleurs  ne  meurent  plus  du  repos  des  dormeuses. 
Le  chêne  se  verdit  d'un  lierre  injurieux. 

Parfois,  sautant  l'eau  vive  au  ^ué  des  pierres  plates. 
Le  Chèvre-pieds  lascif  qui  tremble  sur  ses  pattes 
Etreint  le  corps  flexible,  arborescent  et  frais. 

Il  combat,  et  la  nymphe  hostile  se  révulse, 
Mais  rien  n'arrachera  de  ses  flancs  satisfaits 
La  corne  qui  la  cloue  à  l'aei^ipan  bisulce. 

L'APOGÉE 

A  l'héroïne  d'un  roman  futur. 

Psyché,  ma  sœur,  écoute  immobile,  et  frissonne. . . 
Le  bonheur  vient,  nous  touche  et  nous  parle  à  genoux. 
Pressons  nos  mains.  Sois  grave.  Ecoute  encor. .  .  Personne 
N'est  plus  heureux  ce  soir,  n'est  plus  divin  que  nous. 

î'ne  immense  tendresse  attire  à  travers  l'ombre 
NOS  yeux  pres(pie  fermés.  Que  resle-t-il  encor 
1  )u  baiser  qui  s'apaise  et  du  soupir  qui  sombre  ? 
La  vie  a  retourné  notre  sablier  d'or. 

>9 


Sl4  POÈTES  d'aujourd'hui 

C'est  notre  heure  élernclle,  éternellement  grrinde, 
L'heure  qui  va  survivre  à  l'éphémère  amour 
Conmie  un  voile  embaumé  de  rose  et  de  lavande 
Conserve  après  cent  ans  la  jeunesse  d'un  jour. 

Plus  tard,  ô  ma  beauté,  quand  des  nuits  étrangères 
Auront  passé  sur  vous  qui  ne  m'attendrez  plus, 
Quand  d'autres,  s'il  se  peut,  amie  aux  mains  légères, 
Jaloux  de  mon  prénom,  toucheront  vos  pieds  nus. 

Rappelez-vous  qu'un  soir  nous  vécûmes  ensemble 
L'heure  unique  où  les  dieux  accordent,  un  instant, 
A  la  tête  qui  penche,  à  l'épaule  qui  tremble. 
L'esprit  pur  de  la  vie  en  fuite  avec  le  temps. 

Rappelez-vous  qu'un  soir,  couchés  sur  notre  couche, 
En  caressant  nos  doigts  frémissants  de  s'unir, 
Nous  avons  cchanî.^é  de  la  bouche  à  la  bouche 
La  perle  impérissable  où  dort  le  Souvenir. 


J 


MAUUICK    MAKTKP.LINCK 


M.  Maurice  Maeieriinck  fl'olyiiore-Manc-liernard)  est  ne  à  (îand 
(Ileli^ique),  le  arj  at»ûl  18O3.  Il  a()|>arlient  à  une  vieille  famille  flainnnde 
(jui  s't'lait  fixe'e,  au  xiv*  siècle,  à  Renaix,  looalil»'-  de  la  Flamlre 
oC(  ideiitale,  dont  (înnd  est  le  rhef-lieu.  Un  de  s^s  aocitres,  bailli, 
aurait,  pendant  une  année  de  disette,  distribué  aux  pauTres  des 
mesures  de  ^rain.  De  ce  fait,  et  du  terme  qui  servait  à  désiiriicr 
cette  «  mesure  »,  dériverait  le  nom  de  Maeterlinck.  M,  Mau- 
rice Maeterlinck  fit  ses  études  chez  les  jésuites,  au  Collèpe  Sainle- 
Marbe  de  Gand,  où  il  eut  comme  condisciples  Charles  Van  Ler- 
berj,;he  et  M.  Gréf^oire  Le  Hoy.  Pour  satisfaire  aux  désirs  de  sa 
famille,  il  fit  ensuite  son  droit  à  lUniversiié,  puis  se  fit  ins- 
crire au  barreau  de  Gand.  Il  plaida  peu,  l'esprit  totirné  unique- 
ment vers  l«s  lettres,  ayant  d'ailleurs  commencé  à  écrire,  des  le  col- 
lège, quelques  essais  qu'il  ne  sonç«'ait  pas  à  publier.  C'est  en  1886 
(jue  M.  Maurice  Maeterlinck  vint  pour  la  première  fois  à  Paris.  Il 
était  nrcompajçnè  de  .M.  Gret^oire  Le  Roy.  dont  la  vie,  i  cette  époque, 
se  confond  avec  la  sienne.  Tons  deux  prirent  contact  avec  le  monde 
littéraire.  «  Je  voyais  souvent,  a  dit  (juelque  part  .M.  .Maurice  Mae- 
terlinck, Villiers  de  l'Isle-.Vdam.  C'était  à  la  Brasserie  Pousset,  fau- 
bourg .Montmarlre.il  y  avait  là  éclatement  Saint-Pol  Roux,  Ephraim 
.Mikhael.  Pierre  Ouillard,  Roilolphe  Darzens...  Catulle  Mendes  y  pas- 
sait ({ueltpicfois...  »  La  Plcindr,  foudre  comme  il  a  été  dit  dans  la 
notice  de  M.  Grégoire  Le  Roy,  M.  -Maurice  Maeterlinck  y  fit  ses 
débuts  avec  un  conte  en  prose  :  Le  Massacre  des  Innocents,  et  quel- 
[ues-uns  des  poèmes  dont  il  devait  former,  en  1889.  son  premier 
ouvrai^e  et  son  unique  recueil  de  vers  :  Serres  Chaudes  Au  bout  de 
sept  mois,  .M.  Maurice  Maeterlinck  quitta  Paris,  pour  retourner 
vivre  en  Flandre,  passant  l'hiver  à  Gand,  et  l'été  dans  sa  cauipa|;ne 
d'Oostacker,  au  milieu  de  ses  rosiers  et  de  ses  ruches  pleines  d  abeiU 
les.  Présente  en  1887  aux  rédacteurs  de  La  Jeune  Hehjtijue  par 
Georges  Rodcnbach,  il  publia  dans  cette  rerue  quelques  autres  poè» 


3i6  POÈTES  d'aujourd'hui 

mes  qu'on  rétrouve  également  dans  Serres  Chaudes,  puis,  à  la  fin 
de  i88g,  il  fit  paraître  La  Princesse  Maleine,  drame  en  cinq  actes, 
où  Ton  voulut  voir,  à  tort,  une  imitation  de  Shakespeare.  C'est  de 
la  publication  de  La  Princesse  Maleine  que  date  la  grande  réputation 
de  M.  Maurice  Maeterlinck.  Un  écrivain  se  trouva,  en  effet,  assez 
curieux  pour  lire  cette  œuvre,  assez  épris  des  novateurs  et  assez 
clairvoyant  pour  l'apprécier,  et  assez  courageux,  si  l'on  songe  à 
toute  la  routine  d'esprit  contre  laquelle  il  allait,  pour  faire  part  de 
son  enthousiasme  au  public.  Ce  fut  M.  Octave  Mirbeau,  et  l'article 
qu'il  écrivit  à  ce  sujet  dans  le  Figaro  (24  août  i8go)  rendit  célèbre 
du  jour  au  lendemain  le  nouvel  écrivain.  «  Je  ne  sais  rien  de 
M.  Maurice  Maeterlinck,  écrivait  M.  Mirbeau.  Je  ne  sais  d'où  il  est 
et  comment  il  est.  S'il  est  vieux  ou  jeune,  riche  on  pauvre,  je  ne  le 
sais.  Je  sais  seulement  qu'aucun  homme  n'est  plus  inconnu  que  lui; 
et  je  sais  aussi  qu'il  a  fait  un  chef-d'œuvre,  non  pas  un  chef-d'œu- 
vre étiqueté  chef-d'œuvre  à  l'avance,  comme  en  publient  tous  les 
jours  nos  jeunes  maîtres,  chantés  sur  tous  les  tons  de  la  glapissante 
lyre  —  ou  plutôt  de  la  glapissante  flûte  contemporaine;  mais  un 
admirable  et  pur  et  éternel  chef-d'œuvre,  un  chef-d'œuvre  qui  suffit 
à  immortaliser  un  nom  et  à  faire  bénir  ce  nom  par  tous  les  affamés 
du  beau  et  du  grand;  un  chef-d'œuvre  comme  les  artistes  honnêtes 
et  tourmentés,  parfois,  aux  heures  d'enthousiasme,  ont  rêvé  d'en 
écrire  un  et  comme  ils  n'en  ont  écrit  aucun  jusqu'ici.  Enfin,  M.  Mau- 
rice Maeterlinck  nous  a  donné  l'œuvre  la  plus  géniale  de  ce  temps, 
et  la  plus  extraordinaire  et  la  plus  naïve  aussi,  comparable  —  et 
oserai-je  le  dire?  —  su[>érieure  en  beauté  à  ce  qu'il  y  a  de  [dus  beau 
dans  Shakespeare.  Cette  œuvre  s'appelle  La  Princesse  Maleine. 
Existe-t-il  dans  le  monde  vingt  personnes  qui  la  connaissent?  J'en 
doute...  »  Une  si  éclatante  révélation  de  son  nom  ne  troubla  point 
M.  Maurice  Maeterlinck  dans  sa  vie  paisible  .Pendant  que  tout  le 
monde  discutait  autour  de  son  œuvre,  il  continua  à  travailler,  et 
bientôt  d'autres  drames  vinrent  s'ajouter  à  La  Princesse  Maleine. 
D'abord  L'Intruse,  représentée  au  Théâtre  d'Art  en  juin  1891,  dans 
une  soirée  au  bénéfice  de  Paul  Verlaine  et  du  peintre  Gauguin,  puis 
Les  Aveugles,  représentés  au  même  théâtre  quatre  mois  après,  puis 
Les  Sept  Princesses.  Entre  temps,  M.  Maurice  Maeterlinck  avait 
publié  une  traduction  de  L'Ornement  des  Noces  Spirituelles,  traité 
de  mystique  du  moine  flamand  Ruysbroeck  l'Admirable,  avec  une 
Introduction  qui  fut  la  première  de  ces  méditations  métaphysiques 
qui  composent  aujourd'hui  ces  livres  universellement  connus  :  Le 
Trésor  des  Humbles,  La  Sagesse  et  la  Destinée,  Le  Double  Jardin, 
La  Vie  des  Abeilles  et  Le  Temple  enseveli.  En  iSgS,  MM.  Lugné 
Poe  et  Camille  Mauclair  firent  représenter  aux  Bouffes-Parisiens  un 
nouveau  drame  de  M.  Maurice  Maeterlinck  :  Pelléas  et  Mélisande, 


1 


MÀUniCB    MAETERM>'CK  3l7 


dans  lequel  nos  critiques  dramaliqucs,  toujours  bons  jugées,  s'ima- 
ginèrent de  retrouver  toutes  les  situations  th«'àlrales  connues, 
d(*puis  Shakespeare  jusqu'à  M.  Courteline,  en  passant  par  Musset, 
Poe,  Feuillet  et  Aus^ier.  M.  Maurice  Maeterlinck  publia  ensuite  une 
traduction  d'Annabclla  {Tis  pity  she's  a  irliore),  drame  de  John 
Ford,  représente  au  Théâtre  de  l'CEurre  en  novembre  1894,  —  les 
trois  petits  drames  pour  marionnettes  :  Alladine  et  Palomides, 
Intérieur,  et  La  Mort  de  Tintar^iUs,  dont  le  deuxième  seul  a  été 
joué,  au  Théâtre  de  l'Œuvre,  en  mars  1895,  —  une  traduction  des 
Disciples  à  Suis  et  des  Fragments  de  Novalis.  —  et  nous  arrivons 
ensuite  au  Trésor  des  Humbles,  à  La  Sagesse  et  la  Destinée, 
Le  Double  Jardin,  La  Vie  des  Abeilles,  Le  Temple  enseveli,  sans 
oublier  Monna  Vanna  et  Joyzelle,  deux  pièces  représentées  à  Paris 
ces  dernières  années.  On  ne  saurait  dire  en  peu  de  lignes  toute  la 
beauté  profonde  et  rare  qu'on  trouve  dans  tous  les  livres  de 
M.  Maurice  Maeterlinck,  la  lumière  spirituelle  qu'ils  dégagent,  la 
voix  grave  et  unicjue  qu'on  y  entend.  «  Tous  les  journaux  et  toutes 
les  revues  du  monde,  a  dit  M.  Camille  Mauclair.  ont  commenté,  cri- 
ti(iué.  loué,  ftxposé  lonc:uement  lesprit  orij^inal  de  cette  philosophie 
psychologiijue  et  mystirpie.  le  style  pur  de  ces  drames,  leur  compo- 
sition puissamment  tragique,  la  haute  et  curieuse  aisance  d'analo- 
gies qui  s'y  révèle,  la  maîtrise,  le  sens  de  perfection  simple,  l'expan- 
sion intérieure  qui  en  vivifient  la  durable  et  particulière  beauté.  Un 
fait  suffit  :  la  voix  des  foules,  qui  a  obscurément  raisonné,  prononce 
couramment  le  nom  de  ce  jeune  homme  avec  celui  de  l'auçuste  vieil- 
lard Scandinave.  Henrik  Ibseo.  Ce  sont  des  gloires  occidentales,  au- 
dessus  de  la  mode,  et  il  y  a  là  un  signe  infaillible  de  grandeur.  J'ob- 
serverai seulement  la  dualité  de  cet  esprit.  Comme  celui  de  Poe,  il 
est  également  apte  à  la  construction  d'oîuvres  tangibles  et  saisissan- 
tes, et  à  la  spéculation  abstraite,  conciliation  naturelle  chez  lui  et  si 
difficile  aux  autres  esprits  :  c'est  l'intellectuel  complet.  Il  semble 
pourtant  préférer  la  dissertation  métaphysiijue  à  la  réalisation  litté- 
raire directe  où  il  a  trouvé  la  célébrité.  Son  évolution  l'y  cntrafne.et 
cet  homme,  qui  a  commencé  par  être  un  parfait  artiste  de  légendes, 
finira  par  renoncer  aux  drames  et  aux  œuvres  imaginatires  jx)ur 
se  consacrer  exclusivement  aux  sciences  morales.  Ce  qu'il  en  a 
esquissé  présage  un  métaphysicien  peut-<'tre  inattendu  de  l'Europe 
intellectuelle,  un  surprenant  continuateur  de  la  philosophie  imagée 
et  artiste  de  ('arlyle.  Je  répète  que  M.  .Maurice  Maeterlinck  est  un 
homme  de  génie  authentique,  un  très  grand  phénomène  de  puissance 
mentale  à  la  fin  du  xix«  siècle.  L'enthousiaste  Mirbeau  lafiproche 
à  tort  de  Shakespeare,  avec  qui  il  n'a  nulle  affinité  inlellectuolle.  L41 
vraie  figure  à  qui  fait  songer  M.  Maeterlinck,  au-dessus  de  la  vaine 

19. 


3i8  POÈTES  d'aujourd'hui 

littérature,  j'ose  dire  que  c'est  Marc-Aurèle.  »  (Camille  Mauclair  : 
Maurice  Maeterlinck.  Les  Hommes  d'aujourd'hui.) 

Vers  la  fin  de  1896,  M.  Maurice  Maeterlinck  quitta  définitivement 
la  Flandre  et  vint  se  fixer  à  Paris,  dans  une  grande  et  vieille  mai- 
son de  la  rue  Raynouard,  oii  il  a  écrit  ses  derniers  ouvrages.  Sa  vie 
est  simple.  Il  passe  ses  hivers  dans  le  midi,  l'été  il  gagne  la  Nor- 
mandie, s'installe  à  l'abbaye  de  Saint-Wandrille,  dans  la  Seine-  In- 
férieure Entre  temps,  il  voyage,  remonte  vers  le  nord,  gagne  l'An- 
gleterre ou  la  Hollande,  puis  redescend  vers  l'Italie. 

Il  écrit  au  Figaro,  dans  les  revues  anglaises  et  allemandes,  les 
magazines  américains.  Ses  livres  se  trouvent  tout  naturellement 
formés  des  essais  qu'il  publie  ainsi  pour  une  élite.  A  tout  instant  des 
machines  roulent  pour  l'impression  de  ses  spéculations,  des  théâtres 
jouent  ses  pièces  avec  succès. En  même  temps  qu'une  de  ses  œuvres 
paraît  en  France,  des  éditions  en  toutes  langues  en  sont  faites  à  l'é- 
tranger. C'est  ce  qui  explique  l'influence  considérable  qu'il  exerce 
hors  de  chez  nous,  dans  les  pays  anglo-saxons,  germaniques  et  sla- 
ves. Sa  situation  est  unique  à  Iheure  présente  dans  la  littérature. 

M.  Maurice  Maeterlinck  a  collaboré  à  La  Pléiadr,  ire  série 
(1886)  :  Le  Massacre  des  Innocents,  conte  en  prose  (mars,  n»  3). 
Cette  page,  qui  n'a  pas  été  réimprimée  dans  ses  œuvres,  porte  celte 
signature  :  Mooris  Maeterlinck.  —  La  Jeune  Belgique  [Bruxelles: 
(1887-1888-1889-1893)  Vers.  —La  Wallonie  (1887-1890).  —La 
Société  Nouvelle  (1888-1892)  :  La  Princesse  Maleine.  — La  Conque 
(1891).  —  Floréal  (1892).  —  Le  Réveil  [Gand]  (1892-1894).  — Mer- 
cure de  France  (août  1894,  août  1896  et  mai  1896),  comptes-rendus  ; 
Introduction  à  un  essai  sur  Jules  Laforgue.  —  Le  Figaro  (1894  à 
1908).  Quelques  articles  réunis  ensuite  en  volume.  —  Nouvelle  lie- 
vue  (1894-1890).  Novalis.  Essais  :  l'âme;  les  femmes;  la  morale 
mystique.  Nouveaux  Essais  :  la  Beauté  invisible;  la  Beauté  inté- 
rieure; la  Vie  profonde.  —  L'Idée  moderne  (1896).  —  Le  Coq 
Bouge  (1895).  —  L'Aube  (1896).  —  Revue  Encyclopédique  (1897)  : 
La  Mystique  flamande.  —  Revue  de  Paris,  l'Indépendance  Belge, 
The  Forum  (1898-1902).  —  La  Vogue,  nouvelle  série  (1899).  — 
Wiener  Rundschau.  Neue  Deutsche  Rundschau,  Die  Zukunft 
[Berlin].  —  Die  Insel  [Munich]  (1900),  etc... 

Bibliographie  : 

Les  ceovbes.  —  Serres  chaudes,  poèmes,  frontispice  et  culs-de-lampe  de 
Georges  Minne.  Paris,  Vanier,  1889,  in-8.  Tirage  :  155  exempl.  sur  hollande 
(Réimpressions:  5en'e«  c/iaurfes,  nouv.  édition.  Bruxelles,  P.  Lacomblez,  1890 
et  1895,  in-8;  Serres  chaudes,  suivies  de  Quinze  chansons,  nouv.  édition. 
Bruxelles,  P.  Lacomblez,  1900,  iu-8).  —  La  Priucesse  Maleiue,  drame  en 
5  actes  [couverture  et  fig.  de   Georj:c?  MinneJ.  Gand,   Imprimerie  Louis  van 


MAURICE    MAETERLINCK  SlQ 


Mellp,  1880,  in-8,  public-  à  30  cxempl .  et  non  mis  dans  le  commerce  (R^im- 
pn'ssion  :  La  Princesse  Maleine.  Gand.  Impr.  Louis  Tan  Mellc.  1880,  in-18 
(lo5  <'x.)  ;  La  Princesse  Maleine.  Bruxelles.  P.  Incombiez,  1S90,  in-18).  — 
Les  Avetiyles  [L'Intruse  (1).  Les  Avewjles  2  ].  Bruxelles,  P.  Lacombici, 
8.  d.  (18'J0),  pet.  in-8,  tirage  à  150  exenipl.  (Réimpression  :  Les  Atew/les 
[l'Intruse.  Los  Avcufjles.  Bruxelles,  P.  I^romblez,  1801,  in-18^.  —  L'Orne- 
ment des  noces  spirituelles,  de  Rnysbroeck  l'Admirable,  traduit 
du  Uaiiiaiid  cl  accompa^'iié  d'une  introduction.  Bruxelles,  P.  LocomLlcz,  1801, 
in-8  (R(^'imprcssion  :  L'Ornement  des  noces  spirituelles,  etc. ,  nouT.  édition, 
Bruxelles,  P.  Lacomblcz,  1900,  in-8).  —  Les  Sept  Princesses  [un  acte]. 
Bruxelles,  P.  Lacomblez,  1891,  in-18.  —  Pellôas  et  .Mélisande  [cinq 
aclcs]  (3).  Bruxelles,  P.  Lacomblez,  1802,  in-l<.  —  Alladliie  et  Palomi- 
des,  Intérieur  et  La  Mort  de  Tlntagllfs  :  trois  p«*tlts  drames 
pour  marionnettes  ,4  ,  culs-de-lampe  par  Georges  Miune.  lirmelles,  Col- 
leclioii  du  «  Réveil  »,  chez  Ed.  Deman.  1804,  in-18.  —  Annabella  {'Tis 
pity  sliif's  a  whore),  drame  en  5  actes  de  John  Ford,  traduit  et  adapté  pour 
le  théâtre  de  l'Œuvre.  Paris,  Ollendorff,  1805,  in-18.  —  Les  Disciples  à 
Sais  et  les  fragments  de  Novalls.  traduits  de  l'allemand  et  préct''«lés 
d'une  introduction.  Bruxelles.  P.  Lacomblez,  1805,  in-18.  — Le  Trésor  dos 
IIiiml)les.  F'aris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  in-18.  —  Aglavaine  et 
Selyfictle  [cinq  actes].  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1806,  in-ls.  — 
Douze  (Chansons,  illustrées  de  12  planches  et  12  culs-de-lampc,  par  Char- 
les Doudclet,  Paris,  P.  V.  Stock  ;lmprirn.  par  Ix>uis  van  .Melle,  à  Gand).  l'<06, 
in-4  oblong.  Tirage  000  exempl.  sur  papier  Ingres.  (Cet  ouvrage  a  été  imprimé 
avec  des  variantes  à  la  suite  de  Serres  c/iaurfe*,  à  Bruxelles,  par  P.  Lacomblez, 
1900,  in-18).  —  La  Sagesse  et  la  Destinée.  Paris,  Fasquelle,  1808,  in-18. 
—  La  Vie  des  Abeilles.  Paris,  Fasquelle,  1901,  in-18.  —  Théâtre  I.  La 
Princesse  Maleine.  L'Intruse.  Les  Aveugles.  — III.  Aglavaine  et  Sely-^ 
sette.  Ariane  et  liarbe  Bleue.  S^rur  liéalrice.  Bruxelles.  P.  Lacomblez,  1901, 
i  vol.  in-18.— Théùtre  II.  PeUéas  et  MrUsande.  Alladine  et  Palomides. 
Intérieur.  La  Mort  de  Tintagiles.  Bruxelles,  P.  Lacomblez,  1902.  in-lS.  — 
Le  Temple  enseveli.  Paris,  Fasquelle,  19o2,  in-18.  —  Monua  V.-tnna, 
pièce  en  3  actes,  représentée  pour  la  première  fois  sur  la  «cène  du  Théâtre  de 
l'CEuvrc,  le  17  mai  1002.  Pans,  Fas<iuellc.  1902,  in- 12.  —  ThtvUre  de  Mau- 
rice Maeterlinck  {La  Princesse  Maleine.  L'Intruse.  Les  Aveugles.  Pel- 
léas  et  Mélisande.  Alladine  et  Palomides.  Intérieur.  LamortdeTintagiles, 
Aijlavaine  et  Sélysette.  Ariane  et  Barbe-Iileue.  Sœur  Héatrice),  avec  une 
préface  inédite  de  l'auteur,  illustré  de  10  compositions  originales  lithographiT-es 
par  Auguste  Donnay.  Bruxelles,  Ed.  Dcman,  1002,  3  vol.  in-8.  (Tirage  110 
exemplaires).  —  Joysclle,    pièce  en    3  actes,  représentée    pour  la  première 

(1)  L'Intruse  a  été  représentée  sur  la  scène  du  Théâtre  d'Art  à  Paris,  le 
21  mai  1891. 

(2)  Représentés  sur  la  même  scène  du  Théâlhe  d'Art,  le  7  décembre  1891. 

(3)  Représenté  à  Paris  au  Théâtre  dos  ISouffcs  Parisiens,  le  16  mai  1893. 

(4)  De  ces  trois  petits  drames,  tleux  ont  été  rciirésenlés.  L'un,  Intérieur,  ^élé 
donné  au  public  par  le  Théâtre  de  l'dluvre,  en  mars  lb"J5,  et  l'autre,  La  Mort 
de  Tintafjilcs,  mis  en  musique  par  Nouguès,  a  été  joué  au  Théâtre  des  MaUiu- 
rius,  le  28  déc.  1905. 


320  POÈTES  d'aujourd  hui 


fois  au  Théâtre  du  Gymnase,  le  20  mai  1903.    Paris,    Fasquelle,  1903,  in-18. 

Le  Double  Jardin.  Paris,  Fasquclle,  1004,  in-18.  (Il  a  616  tiré  pour  la 

Société  des  XX  :  20  ex.  de  format  in-8,  avec  la  sip:nature  de  l'auteur.)  — 
L'Intelligence  des  Fleurs.  Paris,  Fasquclle,  1907,  in-18. 

On  trouve  en  outre  des  extraits  de  Maeterlinck  dans  les  ouvrages  suivants  : 
Le  Parnasse  de  la  Jeune  Belgique,  pièces  diverses  de  dix-liuit  poêles 
belges.  Paris,  Vanier,  1887,  in-8.  —  Poèle.s  belges  d'expression  fran- 
çaise, par  Pol  de  Mont,  Alraelo,  W.  Ililarius,  1899,  in-18  (xxi  pièces  tirées  de 
Serres  chaudes  et  de  Douze  chansons.  Portrait  de  Maeterlinck,  d'après  une 
photographie),  etc. 

Préfaces.—  Sept  essais  d'Emerson,  traduits  pari.  Will,  avec  une  pré- 
face de  Maurice  Maeterlinck.  Bruxelles,  P.  Lacomblez,  1894  et  1899,  in-18.  — 
Exposition  des  Œuvres  de  M.  Franz.  M.  Melcher.s,  chez  Le  Barc  de 
Boutteville,  47,  rue  Le  Pcletier  (ouverture  le  vendredi  15  novembre  18'Jo), 
préface  de  Maurice  Maeterlinck.  Paris,  Edm.  Girard,  s.  d.,  in-8.  —  Jules 
Laforgue,  par  Camille  Mauclair,  avec  une  introduction  de  Maurice  Maelcr- 
linck. Paris,  éd.  du  Mercure  de  France,  189G,  in-18. 

Ouvrages  mis  en  musique.  —  Pelléas  et  Mélisaude,  drame  lyrique  de 
Maurice  Maeterlinck,  musique  de  Claude  Debussy,  représenté  pour  la  première 
fois  au  Théâtre  National  de  l'Opéra-Comiijue,  en  mai  1902.  Partition  piano 
et  chant.  Paris, E.  Fromont,  1902,  gr.  in-8.  —La  Mort  de  Tintagiles,  etc., 
mis  en  musique  par  Jean  Nouguès,  repi'éscnté  pour  la  première  fois  aux  «  Ma- 
tinées de  Georgette  Leblanc  »  (Théâtre    des  Mathurins),  le  28  décembre  19U5. 

Ariane  et  Barbe  Bleue,  conte  en  3  actes,  etc.,  musique  de  Paul  Dukas, 

représenté  pour  la  première  fois  sur  la  scène  de  l'Opéra-Comique  le  10  mai 
1907.  —  Chansons  de  Maeterlinck.  Dix  poèmes  précédés  d'un  prélude, 
instrum.  pour  violon,   violoncelle  et  piano,  par  Gabriel  Fabre  (Paris,  Hcugel, 

jn.4).  D'autres  ouvrages    (drames  et   chansons)  de  M.  Maurice  Maeterlinck 

ont  été  mis  en  musique  par  MM.  Pierre  de  Bréville;  L.  Camilieri;  Ernest 
Chausson;  Gabriel  Fabre;  Gabriel  Fauré  (Voy.  Pelléas  et  Mélisande,  suite 
d'orchestre  tir6e  de  la  musique  de  scène  de  Gabriel  Fauré.  Paris,  Hamelle, 
1901,  gr.  in-8)  ;  Henry  Février;  G.  Samazeuilh,  Eug.  Samuel,  etc. 

A  CONSULTER.  —  William  Archer  :  Stiidy  and  Stage.  Loudon,  Grant- 
Richard,  1899,  iii-18.  —  H.  Bahr  :  Ski^zen  und  Essays.  Berlin,  Fischer, 
1897,  in-8.  —  André  Beaunier  :  La  Poésie  nouvelle.  Paris,  Soc.  du  Mer- 
cure de  France,  1903,  in-18.  —  Ad.  van  Bever  :  Maurice  Maeterlinck, 
biographie  pr6cédée  d'un  portr. -frontispice,  illustré  de  diA'crs  dessins  et  d'un 
auto^^r.  suivie  d'opinions  et  d'une  bibliogr.  Paris,  Sansot,  1904,  in-18. — Adol- 
phe Brisson  :  La  Comédie  littéraire.  Paris,  A.  Colin,  1805,  in-18;  Por- 
traits intimes.  3*  série.  Paris,  A.  Colin,  1897,  in-18.  —  W.-L.  Courtney  : 
The  development  of  Maurice  Maeterlinck  and  othcr  skelches  of  forei/jn 
writers.  London,  Grant  Richards,  1904,  in-i8.  —  Virginia  M.  Crawlord  : 
Studies  in  Foreign  litéralure.  London,  Duckworth,  1899,  in-8.  —  D""  Van 
Dyk  :  Maurice  Maeterlinck.  Ein  studie  door.  Nimègues,  Tcn  Hoët,  1897, 
in.g.  —  Eugène  Gilbert  :  En  marge  de  quelques  jiages.  Paris,  Pion,  1900, 
in-18  ;  France  et  Belgique.  Etudes  littéraires.  Paris,  Pion,  1905,  in-18.  — 
Remy  de  Gourmont  :  Le  Livre  des  Masques.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1897,  in-18.  — Anselma  Heine  :  Maeterlinck. {Die  Dichlung,  Bd.  33) 
Berlin,  Schuster  et  Loefllcr,  l'J(tj,,  iu-l2.  —  Désiré  Ilorrent  :  Ecrivains 
belges  d'aujourd'hui,   1"  série.  Bruxelles,    P.  Lacomblez,  1904,  in-8.  —  R. 


MAURICE    MAETERLINCK  3a | 


Ilovey  :  Etude,  en  Ifile  de  la  tradurlion  am^Tirainc  de  la  l'rince^.ie  Molcine, 
l'Intruse,  les  Aveui/les,  les  Sipt  l'rincvsses,  I',lli:as  et  M-Jlis,in>U-.  Alln<iiue 
et  PalomidfS,  Tntéi-i,ur,  la  Mort  de  Tintaijilcs.  Chicago,  Slow  ft  Kimball, 
in-8.  —  James  lluneker  .  Iconoclasts  a  book  of  dramatist.  Niw  York, 
Ch.  Scribiiors,  lHOa,  in-8.  —  Julos  Iluret  :  En'iuête  sur  i Iholution  lit- 
téraire. F'aris,  Charpentier,  IS'JI,  iii-l<<.  —  D'  Monty  Jacobs  :  M-i-t.r-. 
linck.  Eiiu:  kritiscke  Sludie,  zur  lunfàUrung  an  seine  Werke.  !.. 
Eufî.  Diedoriclis,  i!)02,  Jn-8.—  Ilcrnard  l^'uare  :  Fiijures  cnntewf>orn,  ,,  , . 
Paris,  F'crrin,  1895,  in-18.— Georges  Le  Canlonnelet  Charles  Vollay: 
La  Littérature  contemjtorainc .  Paris,  Mercure  de  France,  l'JOO,  in-l><.  — 
Jules  Lemallre  :  Impressions  de  théâtre  :%•  aérie.  Parii,  Lecènc  et  Oudiu, 
181)5,  iu-l8.  —  Georges  Leneveu  :  Ibsen  et  J/a.'/t'r//ncit.  Paris,  Ollci.  '  r 
1902,  in-18.  —  Voa   W.    .Miessiier   :  Eine   littrarjviychuloifische 

ûber  die   Neuromantik.  Berlin,   Richard-Scliroder,    1904,  in-12.  Alherl 

Muckol  :  Qiiihjues  livi-es.  Lirgo,  Vaillant-CTrmanno,  1890,  in-8  —  !•'.  l'op- 
pen!)ery  :  Maeterlinck  (Mo<Jcrnc  Essays  3o).  Birlin,  19o3.  in-12.—  Albert 
Ite(K|io  :  Au  seuil  de  leur  dme.  Paris,  Perrin,  1905,  in-18.  —  Johaiiiies 
Schlaf  :  Maurice  Maeterlinck.  Berlin,  Bard-Marquardl  et  C»,  s.  d.  (T  i, 
in-12.  —  Edo!i:ird  Schiirô  :  Précurseurs  et  Ilévoltés.  l'aris,  Perrin,  I'.'  » 
in-18.  —  J.  Schryver  Dz  :  Martirlinck,  ein  studie.  Amsterdam,  Scliel- 
tema  et  Holkcma,  1900,  iu-l8.  —  Arthur  Syinons  :  The  Si/mbolisl  Move- 
ment  in  Literature.  London.  Ileincmann,  1900,  in-IS;  Plays,  actinq,  and 
music.  London.  lluckworlh,  1903,  iu-8.  —Hugo  P.Thi«;me  :  Guide  biblio- 
graphique de  la  littérature  française  (1800  d  1000).  Paris,  Wcllcr,  1907, 
in-8.  —  V.  Thompson  :  French  Portraits  (Being  appréciations  of  Ihe 
writers  of  Youuij  France).  Boston,  Richard  G.  Badjjer  C",  l'.'OO,  in-8.  —  A.- 
G.  Van  Hanicl  :  Ilet  lelterkundlj  levcn  van  Frankyk,  Studien  en  Schrt- 
scn.  m.  Amsterdam,  Van  Kampen  en  Zoou,  1907,  in-8.  —  A.  B.  Walkley  : 
Frances  of  Mind.  London.  Granl  Richard,  1899,  in-8,  etc. 

Gaston  Donnler  :  La  .Science  che:  Maeterlinck.  La  RoTue.  15  août 
1907.  —  P.  llornsteln  :  Maurice  Maeterlinck.  Wiener  Rundschau,  II,  19, 
20,  îl  août-seplcmbrc  1897  ;  Maurice  3/ne/er/i;»cA-.Monatschrifl  ffir  noue  Litc- 
ratur  und  Kunst,  II,  8  et 9  mai  et  juin  1898.  —  A.  Bruunenianii  :  Mnuiice 
Maeterlinck.  Berlin,  Pan,  3»  annt^e.  4«  livraison,  ls9S.  —  Cyrifl  Iluysse  : 
Maurice  Maeterlinck,  étude  publiée  avec  5  illuslr.  et  suivie  dune  copieuse 
Bibliofjraphie  publiée  par  A.  de  R.  et  G.  K.,  avec  des  notes  du  D'  lî.Tsmans. 
Den  Gulden-Winckel  [Baarnj,  15  juillet  19n2.  _  Samuel  Coruut  :  Mau- 
rice Maeti'rlin''k.  La   Semaine   littéraire   [Genève],   18   et   25  janv.   1902.  

Lionel  Dauriac  ;  In  stoïcien  du  temps  présent.  Revue  Latine,  22  juin 
1902.  —  Gaston  Deschamps  :  La  Vie  littéraire,  l^  Temps,  21  avril  1907. 

—  Artliur  Drews  :  Maeterlinck  als  Philosoph.  Prou&sische  Jahrbûcher, 
1900,  XC,  pp.  i32-2G2.  —  André  Dreux  :  Maurice  Maeterlinck.  Le  Cor- 
respondant, 25  mars  1897,  pp.  109G-1117.  —  Joseph  Galtier  :  Maurice 
Maeterlinck  raconté  par  lui-même,  l^  Temps,  29  mai  19o3.  —  Dr  Cari 
llageniann  :  Maeterlinck  und  liolsche.  Die  Propylaen  iMuuichJ,  nov.  i9ii3. 

—  Anna  Von  Hartmann  :  Maurice  Maeterlinck.  Deutsche  Rundschau, 
janvier  1903.  —  liasse:  L'Ame  philosophique  de  Maeterlinck.  Einulafze, 
mai  isyo.  —  Joscl  Ilofmillcr  :  .Maeterlinck  (Deutsches  Thealer,  11)! 
Monatshclli'  (Minncli  et  Leipzig),  octobre  1904.  —  Von  Adolf  Keller  :  .Mae- 
terlinck  als   philosoph.,  Neuc    Zurchcr  Zcilung  [Zurich],  28-29  déc.  1903. 


322  POÈTES  d'aujourd'hui 


—  Ch.  Van  Lerberghe  :  Maurice  Maeterlinck.  La  Wallonio.  1889.  — 
Lllly  Janiinsch  :  Munnot  Vanna  in  Lichte  der  sozialen  Elliik.  Elische 
KiJliir  [Ccilinj,  4  avril  1903.—  ('umille  Mauclair  :  Maurice  Maeterlinck. 
Les  Horuinos  d'aujourd'hui,  u"  434.  Paris,  Vanicr;  Intérieur,  Revue  Encyclopé- 
dique, l*'  avril  1895;  La  Belgique  par  un  Français,  Revue  Encyclopùdique. 
24  juillet  1897.  —  Ch.  IVIaurras  :  Le  Trésor  des  Humbles.  Revue  Eneyclo- 
IK'dique,  26  septembre  1896.  —  O.  Mirbeau  :  Maurice  Maeterlinck,  Fifraro, 
24  août  1890.  —  A.  Mockel  :  Une  âme  de  poète.  Revue  Wallonne  {Uiii;c), 
juin  1894.  —  E.  Norat  :  Maeterlinck  moraliste.  Revue  Bleue,  il  juin 
1004.  —  F.  von  Oppeln-Bronikowski  :  Maurice  Maeterlinck,  avec  un 
portrait.  Die  Gesellschait,  9  et  10,  1898  ;  Maurice  Maeterlinck  und  der  Mys- 
ticimus,  avec  un  portrait  à  l'eau-forte  par  J.  Lindner.  Nord  et  Siid,  décembre 
1898.  —  Annibale  Pastore  :  L'Evoluzione  di  M.  Maeterlinck.  Nuova 
Antologia,  16  mars  1903.  —  Edm.  Pilon:  Maurice  Maeterlinck,  Mercure 
de  France,  avril  1896  ;  Maurice  Maeterlinck,  La  Plume,  1"  mai  1902.  — 
Maurice  Rava  :  Maurice  Maeterlinck,  Poeta  et  Filosofo.  Nuova  anto- 
lopia,  1"  lévrier  1897.  —  Octave  l'zanne  :  La  Tliélaïdp  de  Maurice 
Maeterlinck.  Echo  de  Paris,  7  sept.  1900.  —  Alfred  Valletle  :  Pelléas  et 
Mélisande  et  la  Critique  officielle.  Uercvue  de  France,  juillet  1893,  etc.,  tkt. 

Iconographie  : 

M""*  Ad.  van  Bôver  :  Portrait,  sépia,  reproduit  dans  la  plaquette  ; 
Maurice  Maeterlinck,  par  Ad.  van  Bever.  Paris,  Sansot,  1904,  in-18.  — J.- 
K.  Doudelet  :  Portrait  en  couleur.  (Les  Hommes  d'aujourd'hui,  n*  434. 
Paris,  Vanier,  s.d.)  —  Max  Swablnzkl  -.Eau-forte,  1899.  —  F.Vallotton  : 
Masque,  reprod.  dans  Le  Livre  des  Masques,  de  Remy  de  Gourraont.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1897,  in-18.  —  Théo  Van  Hysselljeryhe  : 
Portrait  au  crayon,  reprod.  dans  la  plaq.  :  Maurice  Maeterlinck,  par  Ad. 
van  Bever,  etc.  ;  Portrait  dans  le  tableau  :  Une  lecture.  Musùe  de  Gand  (ce 
tableau  a  été  reprod. diverses  fois,  entre  autres  dans  l'ouvrage  de  Viltorio  Pica  : 
L'Arte  Mondiale  alla  VII  Esposizione  di  Venezia.  Bergamo,  Islitulo  ilal. 
d'Arti  Grafiche,  1907,  in-4). 

HEURES  TERNES 

Voici  d'anciens  désirs  qui  passent, 
Encor  des  songes  de  las^sés, 
Encor  des  rêves  qui  se  lassent  ;  • 
Voilà  les  jours  d'espoir  passés  I 

En  qui  faut-il  fuir  aujourd'hui  ! 
Il  n'y  a  plus  d'étoile  aucune  ; 
Mais  de  la  glace  sur  l'ennui 
Et  des  linges  bleus  sous  la  lune. 

Encor  des  sanglots  pris  au  piège! 


MAURICF.    AlAErERLINCK 


323 


Voyez  les  malades  sans  feu, 
Et  les  ai^ncaiix  hrouler  la  neiçe  ; 
Ayez  pilic  de  tout,  mon  Dieu! 

Moi,  j'attends  un  peu  de  réveil. 
Moi,  j'attends  que  le  sommeil  passe, 
Moi,  j'attends  un  peu  de  soleil 
Sur  mes  mains  que  la  lane  glace. 

{Serres  chaudes. 

DÉSIRS  D'HIVER 

Je  pleure  les  lèvres  fanées 
Où  les  baisers  ne  sont  pas  nés. 
Et  les  désirs  abandonnés 
Sous  les  tristesses  moissonnées. 

Toujours  la  pluie  A  l'horizon  ! 
Toujours  la  neige  sur  les  grèves  I 
Tandis  qu'au  seuil  clos  de  mes  rôvcs, 
Des  loups  couchés  sur  le  gazon, 

Observent  en  mon  âme  lasse, 

Les  yeux  ternis  dans  le  passé, 

Tout  le  sang  autrefois  versé 

Des  agneaux  mourants  sur  la  glace. 

Seule  la  lune  éclaire  enfin 
De  sa  tristesse  monotone, 
Où  gèle  l'herbe  de  l'autonjne, 
Mes  désirs  malades  de  faim. 


{St-rres  cJtaiulet  \ 


RONDE  D'ENNUI 

Je  chante  les  pAles  ballades 
Des  baisers  perdus  sans  retour  1 
S:r  l'herbe  épnrsc  de  l'anjour 
Je  vois  des  uoces  de  uialudcs. 


3^4  POÈTES   d'aujourd'hui 


J'entends  des  voix  dans  mon  sommeil 
Si  nonchalamment  apparues  1 
Et  des  lys  s'ouvrent  en  des  rues 
Sans  étoiles  et  sans  soleil. 

Et  ces  élans  si  lents  encore 
Et  ces  désirs  que  je  voulais, 
Sont  des  pauvres  dans  un  palais. 
Et  des  cierges  las  dans  l'aurore. 

J'attends  la  lune  dans  mes  yeux 
Ouverts  au.  seuil  des  nuits  sans  trêves, 
Afin  qu'elle  étanche  mes  rêves, 
Avec  ses  linges  lents  et  bleus. 


{Serres  c/iaude».) 


v^ERRE  ARDENT 


Je  regarde  d'anciennes  heures. 
Sous  le  verre  ardent  des  regrets; 
Et  du  fond  bleu  de  leurs  secrets 
Emergent  des  flores  meilleures. 

0  ce  verre  sur  mes  désirs  ! 
Mes  désirs  à  travers  mon  âme  ! 
Et  l'herbe  morte  qu'elle  enflamme 
En  approchant  des  souvenirs  1 

Je  l'élève  sur  mes  pensées, 
Et  je  vois  éclore  au  milieu 
De  la  fuite  du  cristal  bleu. 
Les  feuilles  des  douleurs  passées. 

Jusqu'à  l'éloignement  des  soirs 
Morts  si  longtemps  en  ma  mémoire. 
Qu'ils  troublent  de  leur  lente  moire. 
L'âme  verte  d'autres  espoirs. 

{Serres  chaudes,) 


MAURICE    aiAETERLINCK  3a  5 


AME  DE  NUIT 

Mon  âme  en  est  triste  à  la  fin  ; 
Elle  est  triste  enfin  d'être  lasse, 
Elle  est  lasse  enfin  d'rlre  en  vain. 
Elle  est  triste  et  lasse  à  la  fin 
Et  j'attends  vos  mains  sur  ma  face. 

J'attends  vos  doigts  purs  sur  ma  face, 
Pareils  à  des  anges  de  glace, 
J'attends  cju'ils  m'apportent  l'anncnu; 
J'attends  leur  fraîcheur  sur  ma  face. 
Comme  un  trésor  au  fond  de  l'eau. 

Et  j'attends  enfin  leurs  remèdes, 
Pour  ne  pas  mourir  au  soleil, 
Mourir  sans  espoir  au  soleil  ! 
J'allends  (juils  lavent  mes  yeux  lièdcs 
Où  tant  de  pauvres  ont  sommeil  ! 

Où  tant  de  cygnes  sur  la  mer, 
De  cygnes  errants  sur  la  mer, 
Tendent  en  vain  leur  col  moiose, 
Où  le  loni:^  des  jardins  d'hiver, 
Des  malades  cueillent  des  roses. 

J'attends  vos  doigts  purs  sur  ma  face. 
Pareils  à  des  animes  de  çlace, 
J'attends  qu'ils  mouillent  mes  regards. 
L'herbe  morte  de  mes  regards, 
Où  tant  d'agneaux  las  sont  épars  ! 

{Serres  chaudes.) 

CHANSON 

Et  s'il  revenait  un  jour 

Oue  faut-il  lui  dire? 
—  Dites-lui  (ju'on  l'attendit 

Jusqu'à  s'en  mourir... 

20 


326  POÈTES  d'aujourd'hui 


Et  s'il  m'interroge  encore 
Sans  me  reconnaître? 

—  Parlez-lui  comme  une  sœur 
Il  souffre  peut-être... 

Et  s'il  demande  où  vous  êtes 
Que  faut-il  répondre? 

—  Donnez  lui  mon  anneau  d'or 
Sans  rien  lui  répondre... 

Et  s'il  veut  savoir  pourquoi 
La  salle  est  déserte  ? 

—  Montrez-lui  la  lampe  éteinte 
Et  la  porte  ouverte... 

Et  s'il  m'interroge  alors 
Sur  la  dernière  heure? 

—  Dites-lui  que  j'ai  souri 
De  peur  qu'il  ne  pleure . . . 

(Douze  Chansons.) 


CHANSON 

Les  filles  aux  yeux  bandés, 

(Otez  les  bandeaux  d'or) 
Les  filles  aux  yeux  bandés 
Cherchent  leurs  destinées... 

Ont  ouvert  à  midi, 

(Gardez  les  bandeaux  d'or) 
Ont  ouvert  à  midi, 
Le  palais  des  prairies... 

Ont  salué  la  vie, 

(Serrez  les  bandeaux  d'or) 
Ont  salué  la  vie, 
Et  ne  sont  point  sorties... 

(Douce  Chansons.) 


MAUKICE    MAETERLINCK  827 


CHANSON 

J'ai  cherché  Ironie  ans,  mes  sœurs. 

Où  s'est-il  cache? 
J'ai  marché  trente  ans,  mes  sœurs, 

Sans  m'en  rapprocher... 

J'ai  marché  trente  ans,  mes  sœurs. 

Et  mes  pieds  sont  las. 
Il  était  partout,  mes  sœurs, 

Et  n'existe  pas... 

L'heure  est  triste  enfin,  mes  sœurs, 

Otez  vos  sandales, 
Le  soir  meurt  aussi,  mes  sœurs, 

Et  mon  âme  a  mal. . . 

Vous  avez  seize  ans,  mes  sœurs, 

Allez  loin  d'ici, 
Prenez  mon  bourdon,  mes  sœurs, 

Et  cherchez  aussi... 

(Douse  Chansons.) 

CHANSON 

Vous  avez  allumé  les  lampes, 

—  Oh!  le  soleil  dans  le  jardin! 
Vous  avez  allumé  les  lampes, 
Je  vois  le  soleil  par  les  fentes. 
Ouvrez  les  portes  du  jardin  ! 

—  Les  clefs  des  portes  sont  perdues, 
Il  faut  attendre,  il  faut  attendre, 

Les  clefs  sont  tombées  de  la  tour. 
Il  faut  attendre,  il  faut  attendre, 
Il  faut  attendre  d'autres  jours... 

D'autres  jours  ouvriront  les  portes, 
La  forêt  garde  les  verrous. 


9    g  POÈTES    d'aUJOURu'iIUI 

La  forêt  brûle  autour  de  nous, 
C'est  la  clarté  des  feuilles  mortes, 
Qui  brûlent  sur  le  seuil  des  portes... 

—  Les  autres  jours  sont  déjà  las, 
Les  autres  jours  ont  peur  aussi, 
Les  autres  jours  ne  viendront  pas, 
Les  autres  jours  mourront  aussi, 
Nous  aussi  nous  mourrons  ici... 

{Douze  Chansons. 


MAURICE  MAGRE 

4877 


M.  Maurice  Magre  est  né  à  Toulouse  le  a  mars  1877.  Apres  avoir 
quitte  cette  ville  pour  habiter  successivement  La  Rochelle  et  Ville- 
franche  de  Lauraguais,  il  y  revint  bientôt,  et  fonda,  en  189A,  Les 
Essais  d'Art  Jeune,  la  première  revue  liltt'raire  parue  à  Toulouse, 
puis,  en  1898.  L'EjJhrt,  qui  çroupa  dans  une  id»'e  commune  tous  les 
jeunes  écrivains  de  la  province.  Il  en  abandonna  peu  après  la  direc- 
tion pour  venir  se  fixer  à  Paris.  La  première  œuvre  de  M.  Maurice 
Magre  fut  une  plaquette  de  vers  :  Eveils,  écrite  et  publiée  en  1896 
avec  la  collaboration  de  son  frère  André  Maçre,  et  qu'il  fit  suivre 
d'une  pièce  lyrique  représentée  à  Toulouse,  au  Théâtre  du  Capilole, 
le  27  avril  189G.  Son  premier  recueil  important  fut  La  Chanson  des 
Hommes,  paru  en  1898,  et  dans  lequel  il  réunit  la  plupart  des  poè- 
mes qu'il  avait  publiés  dans  des  revues.  Ce  n'était  encore  que  l'œu- 
vre d'un  tout  jeune  homme,  d'une  inspiration  encore  peu  ordonnée, 
mais  sincère,  pleine  de  générosité  et  de  l'amour  candide  de  la  vie. 
«  J'ai  mis  dans  ce  livre,  écrivait  M.  Maurice  Maçre  dans  sa  préface, 
ma  foi  à  la  vie,  à  la  bonté  des  hommes...  Puisse-t-il  aller  à  tous 
ceux  qui  cherchent  comme  moi  les  roules  de  l'existence  future.  Trop 
heureux  serais-je,  si,  une  seule  fois,  dans  une  pauvre  maison,  mes 
vers  portaient  quelque  douceur  à  un  cœur  simple.  »  11  y  a  aujour- 
d'hui dix  ans  de  cela.  M.  Maurice  Magre  a  un  peu  vécu.  Cela  l'a 
mûri,  lui  a  donné  de  la  réflexion,  de  l'observation,  et  son  talent, 
toujours  fait  de  sincérité,  y  a  gasrné  comme  lui,  en  force  et  en 
émotion,  on  le  constate  à  lire  ses  nouveaux  recueils  :  Le  Poème  de  la 
Jeunesse  et  surtout  Les  Lèvres  et  le  Secret.  M.  Maurice  Magre  s'est 
essayé  aussi  dans  le  roman,  avec  Histoire  merveilleuse  de  Claire 
d'Amour.  Au  théâtre,  il  a  donne  plusieurs  pièces,  en  un  ou  plusieurs 
actes,  dont  on  trouvera  les  titres  plus  loin.  Enfin,  témoignage  que 
ïe  poète  se  double  chez  lui  d'un  observateur,  il  a  publié  tout  récem- 
ment un  petit  livre  :  Conseils  à  un  jeune  homme  pauvre  qui  vient 


33o  POÈTES  d'aujourd'hui 


faire  de  la  littérature  à  Paria,  qui  semble  bien  contenir  toute  sa 
propre  histoire.  M.  Maurice  Magre  a  collaboré  au  Mercure  de 
France,  à  L'Ermitage,  au  Mouvement,  fondé  par  lui  en  igoG.  aux 
Lettres,  au  Journal,  à  La  Petite  République,  à  Messidor,  a  L'Ac- 
tion, etc.  Il  a  été  fait  Chevalier  de  la  Légion  d'honneur  en  191I. 

Bibliographie  ; 

Les  oeuvres.  —  Eveils,  poésies  (en  collaboration  avec  André  Magre). 
Toulouse,  Vialelle  et  Perry,  1895,  in-18.  —  Le  Retour,  pièce  lyrique  en  un 
acle  et  en  vers,  représentée  à  Toulouse  le  27  avril  1896.  Toulouse,  Vialelle  et 
Perrv.  1896,  in-18.  —  La  Chanson  des  hommep,  poèmes.  Pans,  Fasquelle, 
1S98,  in-18.  —  Le  Tocsin,  drame  en  trois  actes  et  en  vers,  donné  en  repré- 
scnlation  populaire  et  gratuite  sur  le  Théâtre  du  Capitole,  à  Toulouse,  les  22  cl 
23  juillet  1900.  Toulouse,  éd.  du  Midi  artistique,  1902,  in-18.  —  Le  Poème 
de  la  Jeunesse.  Paris,  Fasquelle,  1901,  in-lS. —  L'Or,  drame  en  cinq  actes 
en  vers  représenté  au  Théâtre  des  Poètes  (Salle  du  Nouveau-Théâtre,  le  4  mars 
1002.  non  publié).  —  Le  Dernier  rêve,  pièce  en  un  acte  en  vers  représentée 
au  Théâtre  de  l'Odéon,  le  11  mars  1903  Paris,  Fasquelle,  1903,  in-18.  — His- 
toire merveilleuse  de  Claire  d'Amour,  suivie  d'autres  contes,  roman. 
Pari?.  Fasquelle,  1903,  in-18.  —  Le  Retour  de  Diane,  pièce  en  un  acte,  en 
vers,  représentée  aux  Arènes  de  Nîmes  en  1903.  Toulouse,  Soc.  Provinciale 
d'édit.,  1903,  in-18.  —  Le  "Vieil  ami,  comédie  en  un  acte,  représentée  au 
Théâtre  Antoine,  le  4  mars  1904.  Paris,  Fasquelle,  1904,  in-18.—  Les  Lèvres 
et  le  Secret,  poèmes  (avec  un  portrait  par  Henry  Bataille).  Paris,  Fasquelle, 
1900,  in-18.  —  Conseils  à  un  jeune  homme  pauvre  qui  vient  faire 
de  la  littérature  à  Paris,  Paris,  B.  Grasset,  1907,  in-18.— La  Conquête 
des  Femmes,  [suivi  de  Conseils  à  un  jeune  homme,  etc.],  Paris,  Fasquelle, 
1908,  in-18. 

Es  PRÉPARATION  :  Velléda,  tragédie  en  4  actes,  en  vers,  représentée  sur 
la  scène  de  l'Odéon  le  27  mai  1908;  Le  Marchand  de  passions,  trois  actes, etc. 

Poèmes  mis  en  mcsiqle.  —  Divers  poèmes  de  M.  Maurice  Magre  ont  été  mis 
en  musique  parSeverac,  Henri  Fescourt.  Paul  Cruppi,  etc.  Enûnon  doit  encore 
au  môme  auteur  le  texte  d'un  opéra  comique  en  deux  actes  :  Le  Cœur  du  Mou- 
lin (musique  de  Deodat  de  Severac),  qui  n'a  point  été  représenté. 

A  CONSULTER.  —  Gcorgcs  Casella  et  Ernest  Gaubert  :  La  Nouvelle 
littérature,  180o-i905.  Paris,  E.  Sansot,  1906,  in-18.  —  Georges  Le  Car- 
dounel  et  Charles  V'ellay  :  La  Littérature  contemporaine,  1905.  Opinions 
des  écrivains  de  ce  temps.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1905,  in-18. 

Henri  Bérenger  :  Chronique.  Revue  des  Revues,  15  octobre  1S98.  — 
Henri  Chantavoine  :  Poètes  et  poésie.  Débats,  21  novembre  181'5.  — 
Ernest  Gaubert  :  Les  Poètes  de  la  Jeune  Fille.  Revue  des  Revues,  15  juin 
1904.  _  Charles  Maurras  :  Revue  littéraire.  Revue  Eucyclopédique, 
14  janvier  1899. 

Iconographie  : 

Henri  Bataille  :  Portrait  en  lithographie,  reproduction  en  frontispice 
\'édition  des  Lèvres  et  le  Secret.  Paris,  1906.  —  F.  Vallotton  :  Masque. 
Uevue  des  Revues,  15  octobre  1898. 


HAUniCB    MAGRB  33 1 


QUAND  LA  VIE  EST  PASSÉE 

J'eus  une  amie,  un  jour,  aux  yeux  couleur  de  songe... 

Son  içeste  pour  filer,  le  soir,  était  très  doux 

et  j'étalais  le  lin  du  rêve  à  ses  genoux 

à  l'heure  triste  où  l'ombre  des  meubles  s'allonge. 

Nos  rêves  s'attardaient  avec  le  demi-jour. 
Elle  habitait  la  maison  close  où  meurt  l'allée 
et  quand  un  angélus  chantait  dans  la  vallée 
nos  âmes  se  berçaient  d'une  histoire  d'amour. 

Ses  yeux  étaient  couleur  de  songes  et  d'automne... 
Or,  sur  le  chemin  creux  où  se  mêlaient  nos  pas, 
un  soir,  que  nous  avions  cueilli  des  anémones, 
je  vis  passer  la  vie  en  robe  de  lilas. 

Et  comme  nous  allions  parmi  le  crépuscule 
vers  la  bonne  maison  où  parle  le  rouet, 
j'ai  laissé  fuir  mon  cœur,  oublieux  et  crédule, 
avec  la  voyageuse  au  fond  du  val  muet. 

Et  mon  amie  a  dit  :  «  Tu  vois,  le  jour  décline; 
sur  les  choses  et  dans  mon  cœur  il  se  fait  tard; 
ne  prends  |)as  le  chemin  qui  monte  la  colline 
là-bas,  près  de  l'étang  fleuri  des  nénufars. 

La  voix  des  grands  roseaux  évoque  la  passante 
qui  t'a  séduit,  enfant,  de  son  geste  d'espoir. 
Reste  le  fiancé  mystique  de  l'amante 
heureux  de  bien  m'aimer  et  de  ne  pas  savoir. 

L'heure  est  pieuse  et  seuls  les  arbres  nous  comprennent, 
prêtres  chastes  et  doux  du  rêve  et  de  la  mort. 
Reste,  et  ce  soir,  tous  deux,  mes  mains  parmi  les  tiennes 
nous  lirons  le  passé  dans  un  vieux  missel  d'or...  » 

{La  Chanson  des  hommes.  Fasquelle.) 


332  POÈTES  D'aujourd'hui 


LES  HOMMES  DES  ROUTES 

La  vie  est,  ô  Seigneur,  ce  soir,  âpre  et  méchante 
aux  pauvres  des  chemins  qui  n'ont  pas  de  maison, 
et  comme  un  vent  plus  rude  au  fond  des  arbres  chante 
las,  nous  avons  jeté  le  sac  et  le  bâton. 

Nos  espoirs  ont  saigné  dans  le  soleil  d'automne. .. 
La  nuit  descend,  le  vent  fait  mal,  le  ciel  est  gris, 
les  choses,  comme  nous  douloureuses,  entonnent 
le  cantique  profond  de  nos  cœurs  incompris. 

Les  hommes  des  labours  assis  sous  les  tonnelles, 
riches  d'espoir  en  les  semences  à  venir, 
à  leurs  frères  chassés  des  glèbes  maternelles 
n'ont  pas  voulu  prêter  la  paille  pour  dormir. 

La  Terre,  mère  bonne  et  grave,  aïeule  insigne, 
éternelle  amoureuse  aux  amours  fécondants, 
a  refusé  le  grain  des  blés,  le  sang  des  vignes 
aux  plus  déshérités  de  ses  petits  enfants. 

Les  prêtres  nous  ont  dit  d'entrer  dans  les  églises 
pour  retrouver  un  peu  de  nos  vieilles  ferveurs 
et  qu'à  l'heure  où  les  nefs  s'emplissent  d'ombre  grise 
aux  cœurs  des  malheureux  s'apaise  la  douleur. 

Mais  ce  Christ  aux  cheveux  bouclés,  aux  poses  belles, 
n'est  pas  le  Dieu  d'amour  que  nous  voulions  prier. 
Nous  n'avons  pas  trouvé  sous  l'ombre  des  chapelles 
le  vrai  Christ  toujours  bon  qui  sait  avoir  pitié. 

Ce  n'est  pas  pour  le  Dieu  des  heureux  de  la  terre, 
ô  prêtres,  que  nos  pieds  ont  si  longtemps  saigné. 
La  vie,  hélas  !  notre  vrai  christ,  christ  de  misère, 
ne  dit  pas  de  souffrir  et  de  se  résigner. 

—  0  Seigneur,  ouvre-nous  l'auberge  où  l'on  s'enivre, 
où,  ce  soir,  nous  aurons  l'espoir  qui  rend  plus  fort, 


MAUniCC    MAGRK  33S 


ie  vin  qui  fait  rêver,  le  paio  qui  fera  vivre, 
le  sommeil  bienfaisant  parmi  la  paille  d'or 

et  la  femme  au  grand  cœur  à  tous  les  pauvres  bonne 
dont  les  baisers  font  ouljlicr  les  mauvais  jours, 
amante  maternelle  et  clémente  qui  donne, 
aux  vaincus  de  la  vie,  une  aumône  d'amour... 

(La  Chanson  des  hommes.  Fasquelle.) 

LE  RETOUR  DES  POÈTES 

Les  races  qui  marchaient  sous  les  astres  antiques 
ou  celles  qui  rêvaient  à  l'ombre  des  lauriers 
pour  faire  tressaillir  l'arc  ou  le  lulh  ruslique, 
allaient  près  des  ruisseaux  cueillir  le  même  osier. 

Les  poètes  enfants  dormaient  dans  la  vallée, 
les  bois  en  s'éveillant    secouaient  leurs  cheveux 
et  les  parfums  de  menthe  et  de  roses  foulées 
donnaient  au  cœur  humain  la  nostalgie  des  Dieux. 

Les  rochers  des  torrents  et  les  pierres  des  landes 
furent  amoncelés  par  les  hommes  pieux, 
et  les  bergers,  le  soir,  eu  de  saintes  ofirandes, 
enguirlandaient  de  fleurs  les  cornes  de  leurs  bœufs. 

Les  emblèmes  sacrés  vivaient  dans  les  campagnes; 
les  troncs  d'arbres  aux  toits  des  dieux  faisaient  piliers 
et  les  simples  pasteurs  errant  dans  les  montagnes 
trouvaient  des  monuments  aux  cultes  familiers. 

Ceux  qui  savaient  prier  les  étoiles  propices 
connaissaient  le  secret  des  hymnes  immortels 
et  les  bardes  chantaient  le  chant  des  sacrifices 
quand  le  sang  des  béliers  fumait  sur  les  autels. 

La  même  voix  berçait  le  pas  égal  des  femmes 

dûut  les  cortèges  blancs  dansaient  au  bord  des  mers 

SO. 


334  POÈTES  d'aujourd'hui 

et  donnait  de  la  vie  au  bois  des  simulacres 
dont  les  faces  riaient  dans  les  temples  déserts. 

Et  quand  le  jour  tomba  sur  le  déclin  des  peuples, 
que  les  prêtres  chanteurs  turent  leurs  derniers  chants 
et  partirent  vers  les  cités  le  long  des  fleuves, 
mauvais  fils  oublieux  des  forêts  et  des  champs, 

dans  les  temples  parmi  les  acanthes  dorées 

resta  comme  un  défi  aux  barbares  futurs 

le  nom  des  Dieux  inscrit  sur  les  pierres  sacrées 

qu'ils  fouleront  aux  pieds  de  leurs  chevaux  impurs... 

—  Mais  le  temps  enseigna  la  vanité  des  rites 
et  vêtit  les  arceaux  d'une  robe  d'oubli. 
Sur  les  autels  par  les  lichens  ensevelis 
vinrent  s'aimer  des  vols  de  colombes  plaintives. 

Et  les  grands  hommes  blonds  qui  portaient  tout  l'azur 
et  le  soleil  du  nord  parmi  leurs  barbes  claires 
ne  réveillèrent  pas  avec  leurs  glaives  durs 
le  premier  rêve  humain  endormi  sous  la  terre. 

[La  Chanson  des  hommes.  Fasquclle.) 

QUAND  JE  SERAI  MORT 

Lorsque  je  serai  mort,  je  veux  que  l'on  m'emporte 
Tout  au  fond  de  l'allée,  à  côté  du  vieux  banc 
Cher  aux  jeunes  amants  et  cher  aux  feuilles  mortes, 
Sous  les  grands  marronniers,  devant  la  paix  des  champs. 

Je  désire  partir  sans  cloches  et  sans  larmes, 
Sans  fleurs  et  sans  flambeaux  et  sans  cœurs  oppressés. 
Le  vent  au  fond  des  bois  aura  bien  plus  de  charmes, 
Les  bouquets  vont  bien  mieux  aux  doigts  des  fiancés... 

Ami,  cher  compagnon  de  toute  ma  jeunesse, 
Nous  ne  lèverons  plus  nos  verres,  en  rêvant, 
Lorsque  nous  discourions  tous  deux  avec  noblesse 
Sous  la  douce  fraîcheur  d'une  nuit  de  printemps. 


MAURICE    MAGRB 


335 


Derrière  les  carreaux,  l'on  voyait  des  familles 
Rêver  dans  la  demi-clarté  de  l'abat-jour 
Et  par  g^roupes  joyeux  passaient  des  jeunes  filles 
Confondant  la  nuit  bleue  à  leur  rêve  d'amour. 

Parfois,  au  fond  d'un  champ  brillnit  une  lanterne; 
Un  forçeron  chantait  ;  riKjrizon  était  noir 
Et  les  an^es  de  l'eau  flottaient  sur  les  citernes, 
Et  nous  étions  joyeux,  buvant  le  vin  du  soir. 

Je  veux  que,  moi  parti,  rien  ne  changée  au  village. 

Que  tu  viennes  l'asseoir  sur  la  chaise  de  bois 

Et  lorsque  passeront  les  gens  du  voisinage 

Tu  répondes  gaiement  :  bonjour  I  comme  autrefois; 

Que  les  petits  garçons  surtout  et  les  fillettes 
Continuent  de  danser  quand  les  matins  sont  bleus 
Et  troublent  de  leurs  cris  les  campagnes  muettes  : 
Une  ronde  d'enfants  est  agréable  à  Dieu  ! 

Il  est  près  de  l'église  une  vieille  servante 
Dont  les  petits  yeux  gris  répandront  bien  des  pleurs 
Porte  quelques  bouquets  à  cette  âme  innocente  : 
Tu  sais  que  les  vieillards  sourient  de  voir  des  fleurs. 

Si  Ton  parle  de  moi  parfois  dans  ces  soirées 
Où  l'on  mêle  la  causerie  avec  le  chant, 
Tu  diras  :   «  Il  est  mort  un  jour  de  cette  année. 
Il  était  sans  vertu,  mais  ne  fut  pas  mécliant. 

Il  aimait  les  plaisirs,  les  fêtes  et  la  valse 
Et  la  tendre  douceur  des  jardins  solitaires. 
Il  aurait  tout  donné  pour  un  regard  de  femme  ; 
Il  croyait  à  l'amour,  mais  on  ne  l'aima  guère... 

Il  put  paraître  fier,  bien  que  son  cœur  filt  bon  ; 
Pour  sa  bouche  altérée  toute  joie  était  brève  ; 
Il  aimait  beaucoup  mieux  un  baiser  (ju'uu  beau  rêve, 
Et  la  chanson  du  vent  aue  ses  propres  chansons...  » 


33C  POÈTES  d'aujourd'hui 


—  Et  puis,  tu  t'en  iras  jusqu'au  bout  du  village  ; 
Une  blanche  villa  dort  au  fond  d'une  allée; 
Derrière  la  fenêtre  où  serpente  un  feuillage, 
Dans  les  rayons  du  soir  chante  ma  bien-aimée... 

Souvent  je  vins  m'asseoir  près  de  son  clavecin, 
Et  dans  le  clair-obscur  tamisé  des  persiennes 
Je  rêvais  au  bouquet  qui  mourait  sur  son  sein. 

—  Mais  jamais,  mon  ami,  ma  main  n'a  pris  la  sienne  I 

Tu  la  reconnaîtras  à  ses  tendres  yeux  bleus, 

A  ses  airs  ingénus,  à  son  vague  sourire  ; 

Dis-lui  :  «  C'est  un  secret  que  je  voudrais  vous  dire; 

A  l'ombre  des  tilleuls  je  vous  parlerai  mieux.  » 

Mène-la  dans  l'allée  à  l'heure  où  le  jour  meurt. 

La  nuit  se  penchera  comme  une  fleur  qu'on  cueille. 

Alors,  pour  lui  donner,  tu  prendras  une  feuille, 

—  Les  feuilles  du  tilleul  tombent  comme  des  cœurs,  — 

Et  lui  diras  :  «  Voici  le  cœur  de  ce  poète  ! 
L'amoar  qu'on  n'a  pas  dit  est  le  seul  éternel. 
Qu'il  dorme  en  un  sachet  parfumé  de  fougère 
Et  quelquefois,  respirez-le  devant  le  ciel. . .  » 

Alors,  ô  mon  ami,  si  quelque  douce  larme 
Coulait  de  ses  yeux  bleus  sur  la  terre  brunie. 
De  ce  posthume  adieu  je  goûterais  les  charmes 
Et  j'aimerais  la  mort  comme  j'aimais  la  vie... 

{Le  Poème  de  la  Jeunesse.  Fasquelle.) 


LA  COQUETTERIE  DES  HOMMES 

Nous  avons,  nous  aussi,  nos  fards,  nos  artifices, 
Nos  crayons,  nos  carmins,  nos  kols,  nos  polissoirs, 
Notre  coquetterie  auprès  de  nos  miroirs. 
Nous  peignons  savamment  nos  cœurs  avec  délice. 
Elles,  scrutent  longtemps  les  tares  de  leur  peau. 


MAURICE    MAGRE  887 


La  veine  qui  se  e^onfle,  un  signe,  un  pli  nouveau 

Kt  savent  avec  art  cacher  la  moindre  ride. 

Nous  de  même,  nous  contemplons  d'un  œil  avide 

Chaque  forme  que  peut  afTectcr  notre  esprit. 

Nous  pesons  ce  qui  pleure  et  pesons  ce  (pii  rit  ; 

Selon  le  temps,  la  femme  à  qui  nous  voulons  plaire, 

Nous  nous  montrons  avec  une  Ame  sombre  ou  claire  ; 

Nous  nous  sommes  si  bien  travestis,  corrigés, 

Avec  de  faux  désirs,  des  rêves  arraiic^és, 

Des  senïblants  d'enthousiasme  et  d'npparcnles  fièvres, 

Des  délires  plaqués  comme  du  rouge  aux  lèvres, 

Un  simulacre  d'amertume  ou  de  douleur 

Que  l'on  ne  peut  jamais  savoir  notre  vrai  cœur. 

Ah!  nous  sommes  égaux,  chacun  porte  son  masque  ! 

Nous  nous  tendons  les  bras  de  loin,  dans  l'ombie  opa(|ue 

Que  nous-mêmes  avons  tissée  autour  de  nous. 

VA\e  allonge  ses  yeux,  elle  blanchit  son  cou, 

Je  donne  à  ma  j)ensée  des  formes  impré^'ues. 

Chacun  peint  de  son  mieux  son  visage  et  son  cœur, 

L'un,  c'est  avec  des  mots,  l'autre,  avec  des  couleurs 

Vli  nous  gardons  toujours  des  âmes  inconnues. 

[Les  Livres  et  le  Secret.  I  asijuelle.) 

JE  PASSE 

Je  ne  suis  qu'un  passant  ;  le  voyage  est  mon  goût. 
Parfois,  je  creuse  un  nom  dans  l'arbre  ou  dans  la  glace. 
Mais  ce  n'est  pas  mon  nom  et  c'est  je  ne  sais  où... 
Je  regrette  toujours  les  endroits  où  je  passe. 

Ft  pourtant,  malgré  moi,  je  ne  peux  m'arrêter. 
Si  j'orne  mon  chapeau  d'un  seul  brin  de  fougère. 
Je  sen^  bien  qu'aux  objets  je  demeure  attaché 
Et  j'emporte  avec  moi  l'aromc  de  la  terre. 

Je  vous  aime,  ô  maison!  6  sentier!  mais  je  pars... 
Et  l'allégresse  alors  se  mêle  à  l'amertume. 
Mon  manteau  (jui  se  gontle  au  souffle  du  départ 
Me  soulève  et  m'enlrauie  ainsi  qu'une  aile  brune. 


338  POÈTES  d'aujourd'hui 

0  cher  groupe  d'amis,  table,  propos  du  soir, 
Récit  de  ses  amours  que  l'on  aime  à  redire  ! 
Je  ne  vous  entends  plus,  je  cesse  de  vous  voir... 
C'est  comme  un  fin  visage  où  s'efiFace  un  sourire. 

Vous  qui  vous  étonniez,  au  seuil  du  vestibule,  * 

Tandis  que  les  chevaux  hennissaient  dans  la  cour, 
Sachez  que  les  aspects  d'un  arbre  au  crépuscule, 
L'adieu,  l'ombre  et  le  froid,  ce  sont  là  mes  amours... 

Allez,  j'ai  bien  compris  le  poème  des  yeux, 
Ce  qui  venait  à  moi  de  franchise  et  de  grâce.. 
Dès  que  je  vous  ai  vue  je  vous  ai  dit  adieu... 
Ne  vous  attachez  pas  à  moi,  voyez,  je  passe... 

(Les  Lèvres  et  le  Secret.  Fasquelle.) 


LA  FEMME  DE  QUARANTE  ANS 

Trop  de  bonté  paraît  dans  ses  yeux  dévoués  ; 

elle  se  hâte  trop  d'être  tendre  et  fidèle  ; 

on  dirait  qu'elle  voit  son  horizon  borné... 

Elle  est  comme  un  oiseau  qui  sent  faiblir  ses  ailes. 

Elle  mêle  l'audace  à  la  timidité  ; 

elle  est  pressée,  hélas!  elle  se  donne  toute... 

Elle  fait  bien  valoir  tout  l'art  de  sa  beauté, 

mais  son  pouvoir  décroît,  car,  au  fond,  elle  en  doulc. 

Elle  dit  :  Reste  là,  mon  enfant  !  mon  petit  !.. . 
Dans  l'amante  vieillie  une  mère  se  cache. 
Ou  le  sent.  On  voudrait  punir  qui  vous  chérit 
et  comme  les  enfants  on  est  méchant  et  lâche. 

Pour  la  faire  souffrir,  on  est  savant  comme  eux. 
On  joue  avec  son  cœur  comme  ils  jouent  à  la  balle; 
elle  simule  en  vain  de  se  plaire  à  ces  jeux... 
Elle  est  servante  ou  mère  et  jamais  une  égale... 


MAUniCE    MAGUE  339 


L'esprit  devient  pn^'s  {l'elle  actif  et  clairvoyant; 
il  voit  le  sein  nKtiiis  pur  s'»'*crascr  sons  l'étoffe, 
la  ride  près  de  l'teih,  la  tache  d'une  dent 
et  le  içcste  des  bras  trop  içrand  (|uand  elle  s'offre. 

Elle  fait  des  efforts  pour  être  à  l'unisson; 
clic  est  soudain  joyeuse  et  soudain  puérile. 
C'est  aussi  déchirant  qu'une  belle  chanson 
qu'une  aii^re  et  fausse  voix  fait  i^émir  et  mutile. 

L'on  trouve  bien  les  n\ots  alors  qu'il  faut  trouver, 
par  pitié,  par  remords,  ou  même  par  tendresse. 
Mais  la  tjrimace  est  là  du  visage  fané 
qui  glace  le  baiser  et  sèche  la  caresse. 

Et  puis,  c'est  la  rancune  obscure,  le  désir 
de  lui  faire  du  mal,  de  lui  faire  comprendre 
par  des  mots  à  deux  sens  «pie  l'on  la  voit  vieillir 
et  qu'ouest  généreux  lors(ju'on  est  un  pou  tendre. 

Ah!  ce  n'est  pas  l'amour,  ni  même  la  beauté, 

dont  nous  cluMchiMis  j)artout  la   forme  insaisissable. 

ce  n'est  pas  le  désir,  ni  la  sincérité, 

c'est  toi,  c'est  toujours  toi,  jeunesse  irretrouvable  ! . .. 

C'est  loi,  paix  du  regard,  c'est  toi,  clarté  du  teint, 

liy;ne  A  demi  formée,  attitude  peureuse, 

ù  nu)uvement  <|ui  fais  de  tout  corps  féminin 

un  élan  de  beauté  vers  des  nuits  amoureuses... 

—  .Mors,  fuis,  cache-toi,  pauvre  ombre  de  plaisir 
(jiii  n'a  pu  de  ses  traits  déguiser  les  ravages. 
Du  banc  des  résignés,  des  tristes,  vois  partir 
ceux  ijiii  s'en  vi)iit  joyeux  pour  le   divin  vitv.iLre. 

Mais  ne  les  suis  pas  trop  de  tes  yeux  trop  aimants  ; 
cache  tes  mains;  leur  veine  est  trop  bletu'  et  ton  Ame 
pèse  avec  son  amour  moins  (]u'un  seul  cheveu  blanc... 
Couvre  de  ton  manteau  le  miroir  et  la  flanuuc... 


340  POÈTES    d'aujourd'hui 

Hélas  î  tu  sens  fléjà  que  s'empâte  ton  corps; 
ta  peau  a  par  endroits  des  rougeurs,  elle  est  rude; 
dans  la  bouche,  au  malin,  est  le  coût  de  la  mort 
et,tes  draps  ont  l'odeur  de  la  décrépitude... 


VILLES    D'EAUX    D'HIVER 

O  villes  d'eaux  d'hiver,  soleil  des  poitrinaires! 
Les  serres,  les  bosquets  gelés  et  les  tennis, 
les  voitures  passant  dans  l'oblique  lumière, 
le  marbre  des  villas  et  les  bassins  bleuis  ? 

0  visages  fermés,  visages  anonymes, 
qui  regardent  au  loin,  sur  des  balcons  d'hôtels, 
les  bois  trop  réguliers  et  la  mer  trop  sublime! 
0  ce  décor  givré,  délicat,  solennel!... 

Sous  son  plaid  bigarré,  l'étrangère  frileuse 
songe  à  d'autres  pays  autrefois  traversés, 
à  de  plus  beaux  sapins,  des  mers  silencieuses, 
aux  flots  des  lacs  battant  les  châteaux  écossais.. 

Ses  doigts  longs  et  vivants  se  crispent  sur  son  livre  ; 

elle  ferme  les  yeux  comme  pour  oublier 

et  du  vent  balsamique  et  marin  elle  est  ivre 

et  comme  un  lys  de  chair  son  cou  frêle  est  ployé. 

Quelle  tristesse  immense  est  au  fond  des  voyages  ! 
Ni  l'air  des  verandahs,  ni  le  gazon  des  parcs, 
ni  la  combinaison  des  flots  et  des  nuages 
n'atténùront  ce  vide  et  ce  goût  des  départs. 

Pourtant,  partout  les  lieux  à  ces  lieux  sont  semblables, 
c'est  la  même  fenêtre  et  le  même  souci, 
c'est  un  hôtel,  un  train,   c'est  un  arbre  et  du  sable 
et  les  visages  chers  sont  les  mêmes  aussi... 


MAUniCB  MAOnE  3:^1 


L\  M  EUE  ET  LE  FILS 

Bonne  vieille  en  bonnet  sous  l'horloçe  tu  pleures. 
Voilà  déjà  des  jours  que  ton  fils  n'écrit  plus.. , 
O  Paris  !   Le  vent  soiilHe  et  tu  comptes  les  lieiircs, 
Tes  vieilles  innins  touchent  les  livresqu'il  a  lus. 

Tu  dis  :  a  II  pense  à  moi,  cependant,  j'en  suis  sûre. 
Je  parle  dans  sa  chambre  avec  le  feu  d'hiver  ; 
J'anime  de  mon  cœur  les  formes  des  gravures, 
Ma  C(jilVe  est  un  oiseau  sur  son  balcon  de  fer. 

Mais  il  n'a  pas  le  temps  de  m'écrire,  peut-être. 
Cher  enfant!  quand  lu  peux  tu  le  fais  aussitôt. 
Je  respire  sa  vie  au  papier  de  ses  lettres. . , 
Un  poème  d'amour  est  dans  ses  moindres  mots...  » 

Ah  !  pauvre  bonnet  blanc,  fragiles  sont  tes  ailes  ! 
Souvenirs  des  mamans  ijue  vous  ries  lés^ers  I 
Il  sonore  à  la  chaleur  qui  brûle  un  poignet  frêle, 
A  ces  bruits  de  satin  lotissant  dans  l'escalier... 

Il  froisse  un  petit  gant,  il  attend,  il  écoute. 
Loni^uemrnt,  il  écrit,  mais  ce  n'est  pas  à  toi. 
Il  entend  une  voix  avec  le  bruit  des  «gouttes 
Qui  parle  tendrement,  et  ce  n'est  pas  ta  voix. 

Il  pleure  aussi!  iMais  d'autres  larmes  que  les  tiennes 
El  si  lu  les  voyais,  tu  ne  comprendrais  pas. 
Plus  (juetes  bandeaux  gris  une  boucle  a  des   charmes 
Et  le  berceau  rêvé,  ce  ne  sont  plus  tes  bras  .. 

—  Mère,  rappelle-toi...  Sous  le  foyer  de  pierre 
Il  s'amusait  avec  la  braise  et  les  sarniunts  ; 
Sa  frêle  ombre  d'enfaul  dansait  tlans  la  lumière 
Et  son  doigt  écrivit  dans  les  cendres  :  Mamau  ! 

Lettres  de  cendres  !  vous  vous  êtes  envolées 
Avec  un  peu  de  vent,  quand  la  porte  s'ouvrit... 
Et  riiorloi^o  sonna  le  récit  di'S  années 
Que  l'enfant  dans  la  cendre,  ô  mère  !  avait  écrit... 


STÉPHANE  MALLARMÉ 

1842-1898 


D'une  famille  d'oriçines  bourerui^nonnes,  lorraines  et  loîntaine- 
ment  hollandaises,  Stéphane  INIallarmé  nîjquit  à  Paris^  le  i8  mars 
18/42,  dans  une  rue  qui  s'appela  plus  tard  Passag^e  Laferrière  et  qui 
est  aujourd'hui  la  rue  Lafeirière,  tournante  et  silencieuse.  Du  côté 
paternel  et  du  côté  maternel,  ses  ascendants  présentaient  depuis  la 
Révolution  une  suite  ininterrompue  de  fonctionnaires  dans  l'admi- 
nistration de  l'Enregistrement,  chez  lesquels  le  goût  des  lettres  s'é- 
tait déjà  manifesté.  L'un  d'eux  fut,  en  effet,  syndic  libraire  sous 
Louis  XVI,  et  l'on  trouve  son  nom  au  bas  du  privilège  du  roi,  en 
tête  de  l'édition  originale  française  du  Vathek  de  Beckford,que  Sté- 
phane Mallarmé  réimprima.  Un  autre  écrivait  des  vers  badins  dans 
les  ALmanachs  des  Muses  et  dans  les  Etrennes  pour  les  Dames. 
Enfin,  Stéphane  Mallarmé  avait  connu  dans  son  enfance  un  arrière- 
petit  cousin,  M.  Magnien,  qai  était  l'auteur  d'un  ouvrage  romanti- 
que ;  Ange  et  Démon,  dont  on  voit  quelquefois  le  titre  dans  des 
catalogues  de  bouquinistes.  Stéphane  Mallarmé  commença  son  édu- 
cation à  Auteuil,  dans  un  pensionnat  riche,  fréquenté  surtout  par  des 
enfants  de  familles  nobles.  Il  aimait  à  raconter  sur  ce  sujet  l'anec- 
dote suivante.  Le  jour  qu'il  fut  amené  dans  cet  établissement  par  sa 
grand'mère  qui  l'avait  élevé,  —  il  avait  perdu  sa  mère  à  sept  ans  et 
son  père  s'était  remarié,  —  l'un  des  élèves  s'approcha  et  lui  pré- 
senta, en  les  nommant,  ses  nouveaux  camarades,  qui  portaient 
tous  des  noms  célèbres.  Quand  cette  énumération  fut  terminée  :  «  Et 
toi,  comment  t'appelles-tu?  »  lui  demanda-t-il.  «  Je  m'appelle  Mal- 
larmé. »  Aussitôt  une  grêle  de  coups  de  poings  s'abattit  sur  lui, 
comme  pour  lui  démontrer  l'insuffisance  d'un  nom  si  simple.  Se 
Eouvenant  alors  que  son  père  possédait  une  maison  au  Hameau  de 
Boulainvilliers,  il  s'empressa  d'ajouter  :  «Je  m'appelle  aussi  marquis 
de  Boulainvilliers  »,  ce  qui  eut  pour  résultat  d'éteindre  immédiate- 
ment toute  animosité.  Les  mains  se  tendirent  cordialement  rers  le 


STàPHANK    MALLARMi  343 


«  Marquis  de  BonI?iin?illiers  »  et  ce  nom  lui  resta  pendant  tout  son 
srjour  au  pensionnat.  Les  jours  de  visite  des  parents,  le  garçon 
rhartjc  de  faire  venir  les  clères  ne  l'appelait  pas  autrement,  et  il 
laissait  toujours  s'écouler  un  moment  avant  de  se  montrer,  pour  que 
sa  çrand'mère  ne  sût  pas  qu'une  si  noble  appellation  le  concernait. 
Sl'phane  Mallarmé  traversa  ensuite  bien  d'autres  pensions  et 
lycées,  pour  finir  enfin  ses  études  au  lycée  de  Sens.  11  a  raconté 
quelque  part  ses  dispositions  littéraires  à  cette  époque,  son  secret 
désir  de  remplacer  un  jour  Etranger,  rencontré  dans  une  maison 
amie,  et  qu'on  lui  avait  désigné  comme  un  g^rand  poète.  •  Il  parait 
que  c'était  trop  difficile  pour  être  mis  à  exécution,  ajoulail-il,  mais 
j'ai  longtemps  essayé,  dans  cent  petits  cahiers  de  vers  qui  m'ont 
toujours  été  confisqués.  »  A  vingt  ans,  esquivant  la  carrière  de 
fonctionnaire  à  laquelle  ses  parents  le  destinaient,  il  partit  vivre 
quelque  temps  en  Angleterre.  Il  avait  commencé  à  apprendre  l'an- 
glais pour  mieux  lire  Poe,  et  il  voulait  se  perfectionner  dans  cette 
langue,  de  façon  à  pouvoir  se  créer  comme  professeur  les  ressour- 
ces nécessaires  à  assurer  son  indépendance  littéraire.  C'est  ainsi  que 
pendant  trente  ans,  de  18G2  à  1892,  il  fut  professeur  d'anglais  dans 
divers  collèges  ou  lycées,  d'abord  à  Tournon.  puis  à  Besançon,  puis 
k  .\vignon,où  il  connut  Mistral,  Aubanel,  Roumanille,  Gras  et  Rou- 
mieux,  avec  lesquels  il  participa  au  mouvement  fJibréen,  Cela  se 
passait  avant  la  guerre.  Stéphane  Mallarmé  avait  déjà  collaboré  à  de 
nombreuses  revues,  mais  son  nom  u'ctait  j^uère  sorti  du  groupe  des 
Parnassiens.  Rentré  à  Paris  vers  1878,  il  fut  peu  après  nommé  pro- 
fesseur au  lycée  Gondorcet,  d'où  il  devait  passer  plus  tard  à  Jaoson 
de  Sailly,  puis  à  Rollin.  De  1874  à  1876,  Stéphane  Mallarmé  rédigea 
seul  La  Dernière  Mode,  Gazette  da  Monde  et  de  la  Famille,  ■  où 
étaient  promulgués  les  lois  et  vrais  principes  de  la  vie  tout  esthéti- 
que, avec  l'entente  des  moindres  détails  :  toilettes,  bijoux,  mobiliers 
et  jusqu'aux  spectacles  et  menus  de  dîners  ».  Une  notice  détaillée 
sur  cette  publication,  qui  eut  huit  ou  dix  numéros,  a  paru  en  1890 
dans  La  Revue  Indépendante  et  a  été  reproduite  dans  le  Mercure  de 
France  d'octobre  1898.  C'est  également  à  cette  époque  que  Stéphane 
Mallarmé,  sur  l'invitation  que  lui  fit  son  maître  et  ami  Théodore  de 
Banville,  d'écrire  un  poème  qui  serait  récité  par  Coquclin  afné,  com- 
posa L'Après-midi  d'un  Faune,  dont  le  projet  de  réalisation  théâ- 
trale n'aboutit  pas.  Une  des  grandes  amitiés  de  Stéphane  Mallarmé 
dans  ce  temps  fut  le  peintre  .Manet.que.  pendant  dix  ans,  il  vil  tous 
les  jours.  Avec  lui,  il  fréquentait  les  dîners  de  Victor  Hugo,  où 
celui-ci  trônait,  assis  sur  un  siège  plus  haut  que  ceux  de  ses  convi- 
ves. Il  rappelait  volontiers  la  façon  dont  l'auteur  d'/fernani  l'accueil- 
lait chaque  fois,  l'appelant  «  son  cher  poète  impressionniste  •  en  lui 
pinçant  très  amicalement   l'oreille.  A  celte   époque,  Stéphane  Mal- 


344  poèiES  d'aujourd'hui 


larmé  avait  déjà  publié  sa  traduction  du  Corbeau,  d'Edgar  Poe.Z/'^- 
près-midi  d'un  Faune,  ti  sa  réimpression  du  Vathek,  deBeckford. 
II  avait  aussi  donne  dans  de  nombreuses  revues  quantité  de  poèmes, 
comme  Le  Guif/non,  Les  Fenêtres,  Les  Fleurs,  Renouveau,  A  celle 
quiesi  tranquille,  Las  deTamer  repos  oùmaparesse  offense....  Le 
Sonneur,  Tristesse  d'Eté,  L'Acur,  Brise  marine.  Soupir,  Le  Men- 
diant, Hêrodiade,  Toast  funèbre, Le  Tombeau  d'Edffard  Poe,  cl  des 
poèmes  en  prose  tels  que  La  Pipe, Le  Petit  Saltimbanque,  Le  Démon 
de  l'analogie.  Plainte  d'automne.  Frisson  d'hiver.  Le  Spectacle 
interrrompu  et  Le  Phénomène  futur. "Slais  les  premiers  publiés  dans 
des  éditions  de  luxe  fort  coûteuses  et  les  seconds  trop  dispersi'>,  tout 
cela  était  peu  connu  et  Stéphane  Mallarmé  demeurait  ignoré.  Enfin, 
en  1884.J.-K  Huysmans  publia  son  romand  Rebours,  dont  le  héros, 
Jean  des  Esseintes,  épris  de  littératures  vraiment  belles,  et  que 
«  subjuguait  de  même  qu'un  sortilège  »  V Hêrodiade  de  Stéphane 
Mallarmé,  «  en  aimait  ces  vers  : 

O  miroir  1 

Eau  froide  par  l'ennui  dans  ton  cadre  gelée, 
Que  de  fois  et  pendant  des  heures,  désolée 
Des  songes  et  cherchant  mes  souvenirs  qui  sont 
Comme  des  feuilles  sous  ta  glace  au  trou  profond. 
Je  m'apparus  en  toi  comme  une  ombre  lointaine. 
Mais,  horreur!  des  soirs,  dans  ta  sévère  fontaine, 
J'ai  de  mon  rêve  épars  connu  la  nudité! 

«  comme  il  aimait  les  œuvres  de  ce  poète  qui,  dans  un  siècle  de 
«  suffrage  universel  et  dans  un  temps  de  lucre,  vivait  à  l'écart  des 
«  lettres,  abrité  de  la  sottise  environnante  par  son  dédain,  se  com- 
«  plaisant,  loin  du  monde,  aux  surprises  de  l'intellect,  aux  visions 
«  de  sa  cervelle,  raffinant  sur  des  pensées  déjà  spécieuses,  les  grcf- 
a  f.'int  de  finesses  byzaniines.  les  perpétuant  en  des  déductions  legc- 
«  rement  indiquées  que  reliait  à  peine  un  imperceptible  fil  ».  {A  He- 
bours,  p.  260.)  Il  semble  que  ce  soit  surtout  ce  livre  qui  ait  révélé 
alors  Stéphane  Mallarmé  aux  jeunes  écrivains  de  l'époque  et  qui  ait 
d 'cidc  de  sa  réputation.  Ils  le  proclamèrent  leur  maître  —  et  il  le 
fut  plus  encore  qu'on  l'a  dit,  plus  encore  qu'on  peut  le  croire  —  et 
lui  demandèrent  sa  collaboration  pour  leurs  revues.  En  hommage  à 
son  admirateur,  Stéphane  Mallarmé  écrivit  le  poème  Prose /)0«r  des 
Esseintes,  si  musical,  si  voilé  et  incertain,  que  publia  La  Revue  Indé- 
pendante. Puis  d'autres  poèmes  suivirent,  en  d'autres  revues,  d'a- 
bord les  sonnets  célèbres  :  Quelle  soie  aux  baumes  de  temps....  Le 
vierge,  levivaceet  le  bel  aujourd'hui....  Hommage  à  Richard  Wa- 
gner, i]r introduire  dans  ton  histoire....  Toujours  plus  souriant  au 
désastre  plus  beau. .  .,  -ejUi.,  etc.-  nuis  de  nouveaux  poèmes  en  nrose. 


STEPHANE    MALLARMli  3^5 


C'est  de  celle  époque  que  dalenl  les  mardis  de  la  rue  de  Rome,  où 
Slrphanc  Mallarmé  rcrevail  les  jeunes  écrivains.  «  C«'ux  là  s^uls  qui 
vinrenl  assidûment  visiter  sa  retraite  savent  quel  lucide,  quel 
inquiélant  esthète  fut  Su'phanc  Mallarmé,  a  écrit  Bernard  Lazare 
dans  ses  Figures  cuntt-mporaines.  Vont  connaître  les  ressources 
de  cet  esprit  d'une  nettoie  inoubliable,  il  faut  avoir  entendu  sa 
parole  pendant  des  annces.  Le  souvenir  des  soirées  de  la  rue  de 
Rome  restera  toujours  dans  la  mémoire  de  ceux  que  Stéphane 
Mallarmé  admit  auprès  de  lui,  dans  ce  salon  discrètement  éclairé, 
aufjuel  des  coins  de  pénombre  donnaient  un  aspect  de  temple,  ou 
plutôt  d'oratoire...  A  ces  auditeurs  fidèles,  Mallarmé  se  révélait 
d'une  séduction  infinie,  soit  qu'il  se  plût  à  dire  une  anecdote...,  soit 
qu'il  s'oubliât  à  rappeler  des  amis  chers  cl  disparus,  soit  qu'il 
exposât  de  séduisantes  et  hautaines  doctrines  sur  la  poi'sie  et  sur 
l'art,  sur  le  poème  en  prose  et  sur  la  chronique,  sur  la  musique  et 
sur  le  théâtre...  Plus  lard,  ceux  qui  auront  connu  Stéphane  Mal- 
larmé dans  leur  prime  jeunesse,  ceux  qui  l'auront  aimé  comme  un 
des  plus  purs,  des  plus  désintéresses  parmi  les  poètes,  ceux  qui 
l'auront  entendu  et  qui  auront  chéri  sa  parole,  raconteront  sa  vie 
comme  le  bon  Xénophon  raconta  celle  de  Socrate.  Fidèles,  scrupu- 
leux, ils  commenteront  vers  par  vers  ses  sonnets,  et  celadans  le  but 
unique  de  révéler  aux  jeunes  hommes  de  ce  temps  futur  quel  noble, 
profond  et  merveilleux  artiste  fut  Stéphane  Mallarmé.  »  (B.  Lazare: 
Figures  contemporaines.)  Ces  auditeurs  fidèles,  on  peut  même  dire 
ces  disciples,  car  l'expression  «  être  en  première,  eu  deuxième,  en 
troisième  de  Mallarmé  »  était  courante  entre  eux,  furent  d'abord, 
sans  (jue  nousprétendions  les  nommer  tous  au  complet ,  .\LM.  Edouard 
Dujardin, Théodore  Duret,  Fclix  Fénéon,  René  Ghil,  Gustave  Kahn. 
Jules  Laforp^ue,  .\lbert  Mockel,  Charles  Morice,  Henri  de  Réçnier, 
Laurent  Tailhade.  Francis  V'ielé-Griftîn,  Charles  Vitrnier,  Téodor  de 
VVyzewa.  etc.,  etc.  t...  La  causerie  naissait  vite.  Sans  pose,avec  des 
silences,  elle  allait  d'elle-même  aux  régions  élevées  que  visite  la 
méditation.  Un  geste  léger  commentait  ou  venait  souligner;  on  sui- 
vait le  beau  retrard,  doux  comme  celui  d'un  frère  afné,  finement  sou- 
rieur  mais  profond,  et  où  il  y  avait  parfois  une  mystérieuse  solen- 
nité. Nous  passions  là  des  heures  inoubliables,  les  meilleures  .«ans 
doute  que  nous  connaîtrons  jamais;  nous  y  assistions,  parmi  toutes 
les  grâces  et  toutes  les  séductions  de  la  parole,  à  ce  culte  désinté- 
ressé des  idées  qui  est  la  joie  religieuse  de  l'esprit.  El  celui  qui  nous 
accueillait  ainsi  était  lb  type  absolu  du  pokte,  le  cœur  qui  sait 
aimer,  le  front  qui  sait  comprendre,  —  inférieur  à  nulle  chose  et 
n  en  dédaignant  aucune,  car  il  discernait  en  chacune  un  secret 
eosciguement  ou  une   image  de  la  Beauté...  *  (Alb.  Mockel  :  Sté- 


3^46  POÈTES    D'AUJOURD'HUI 


phane  Mallarmé.  Un  Héros.)  Puis  quelques-uns  quittèrent,  et  à 
ceux  qui  restaient  vinrent  se  joindre  MM.  Paul  Claudel^  André 
Foulainas.  André  Gide,  A. -Ferdinand  Herold,  Pierre  Louys, 
Camille  Mauclair,  Stuart  Merrill,  Jean  de  Mitty,  John  Payne,  Adol- 
j)hc  Retté,  ]Marcel  Schwob,  Paul  Valéry,  Whibley,  elc.  Tout  cela 
dura  jusque  vers  1896,  un  peu  plus,  peut-être.  Stéphane  Mallarni- 
avait  d'ailleurs  obtenu  sa  retraite  comme  professeur,  et  dans  sa 
petite  maison  de  Valvins,  au  bord  de  la  Seine,  près  de  Fontaine- 
bleau, dont  il  avait  fait  «  le  lieu  préféré  de  sa  solitude  et  de  sa  rêve- 
rie »,  il  séjournait  plus  assidûment,  et  plus  souvent  s'apercevait  sur 
la  rivière  «  le  vol  blanc  de  sa  voile,  t  Les  travaux  de  Stéphane  Mal- 
larmé à  cette  époque  furent  successivement  un  florilège  de  ses  œu- 
vres :  Vers  et  Prose,  paru  en  1898,  des  études  publiées  dans  La 
Revue  blanche  sous  le  litre  :  Variations  sur  un  sujet,  et  qu'on 
retrouve  avec  tous  ses  écrits  en  prose  dans  Divagations,  et  enfin  : 
Un  coup  de  dés  jamais  n'abolira  le  hasard,  poème  en  prose  singu- 
lier autant  par  sa  teneur  que  par  ses  dispositions  typographiques, 
paru  dans  Cosmopolis  en  mai  1897.  Mais  ces  années  de  repos  et  de 
liberté  dans  le  travail  littéraire  ne  devaient  pas  être  nombreuses.  En 
1898,  Stéphane  Mallarmé,  relire  pour  tout  l'été  à  Valvins,  travaillait 
à  achever  son  poème  Hérodiade,  quand  une  soudaine  maladie  du 
larynx  le  prit,  et  après  trois  jours  à  peine  de  cette  indisposition,  au 
moment  même  ou  il  se  plaignait  d'étouffements  au  médecin  qui  le 
soignait,  il  mourut,  le  9  septembre  1898.  On  ne  saurait  dire  toute  la 
douloureuse  surprise  que  cette  mort  causa  dans  le  monde  des  let- 
tres, chez  les  jeunes  admirateurs  de  Stéphane  Mallarmé  comme  chez 
les  écrivains  de  sa  génération,  «  Cet  homme  qui  vient  de  mourir, 
écrivirent  MM.  Paul  et  Victor  Margueritte,  et  que  les  jeunes  gens 
avaient  appelé  durant  sa  vie  le  prince  des  poètes,  était  vraiment  un 
prince.  Il  l'était  de  par  sa  nature  élégante  et  hautaine,  qui  donnait 
tant  de  grâce  fière  au  moindre  de  ses  gestes,  tant  de  finesse  à  son 
sourire,  tant  d'autorité  à  son  beau  regard  lumineux.  II  l'était  de  par 
cette  maîtrise  de  soi,  empreinte  à  chaque  ligne  de  son  œuvre  comme 
à  chaque  ride  de  son  front,  de  par  cette  aristocratie  absolue  qui  le 
faisait  vivre  à  Técart,  et  qui,  à  peine  surgissait- il  en  quelque  réu- 
nion, le  désignait,  le  consacrait.  H  l'était  de  par  tout  son  être  exquis 
et  rare.  »  {Echo  de  Paris,  17  septembre  1898.)  Nous  ne  saurions 
songer  non  plus  à  donner  un  aperçu,  même  1res  court,  des  nom- 
breux articles  et  études  écrits  sur  Stéphane  Mallarmé  et  son  œuvre, 
avant  comme  après  sa  mort.  Voici  un  passage  d'une  élude  de 
M.  Hemy  de  Gourmont  dans  La  Culture  des  Idées  et  où  l'œuvre  du 
poète  est  analysée  de  façon  très  pénétrante,  par  un  de  ses  fidèles 
admirateurs,  a  II   y  a  au  Louvre,  dans    une  collection    ridicule. 


STÊPIIANfc:    MALLARMÉ  34? 


par  hasard  une  merveille,  une  Andromède,  ivoire  de  Cellini. 
C'est  une  femme  eUarée,  toute  sa  chair  troublée  par  l'effroi  d'être 
liée  :  où  fuir?  et  c'est  la  poésie  de  Stf'phane  Mallarmé.  Emblème 
qui  convient  encore,  puisque,  comme  le  ciseleur,  le  poète  n'acheva 
que  des  coupes,  des  vases,  des  coffrets,  des  statuettes.  Il  n'est 
pas  colossal,  il  est  parfait.  Sa  poésie  ne  représente  pas  un  large 
trésor  humain  étalé  devant  la  foule  surprise;  elle  n'exprime  pas  des 
idées  communes  et  fortes,  et  qui  galvanisent  facilement  l'attention 
populaire  eni^ourdie  par  le  travail;  elle  est  personnelle,  repliée 
comme  ces  fleurs  qui  craignent  le  soleil  ;  elle  n'a  de  parfum  que  le 
soir;  elle  n'ouvre  sa  pensée  qu'à  l'intimité  d'une  pensée  cordiale  et 
sûre.  Sa  pudeur  trop  farouche  se  couvrit  de  trop  de  voiles,  c'est 
vrai;  mais  il  y  a  bien  de  la  délicatesse  dans  ce  souci  de  fuir  les 
yeux  et  les  mains  de  la  popularité.  Fuir,  où  fuir?  Mallarmé  se  réfu- 
gia dans  l'obscurité  comme  dans  un  cloître;  il  mit  le  mur  dune  cel- 
lule entre  lui  et  l'entendement  d'autrui;  il  voulut  vivre  seul  avec  son 
orgueil.  Mais  c'est  là  le  Mallarmé  des  dernières  années,  lorsque, 
froissé,  mais  non  pas  découragé,  il  se  sentit  atteint  de  ce  dégoût  des 
phrases  vaines  qui  jadis  avait  touché  Jean  Racine  ;  lorsqu'il  se 
créa,  pour  son  usage  propre,  une  nouvelle  syntaxe,  lorsqu'il  usa  des 
mots  selon  des  rapports  nouveaux  et  secrets.  Stéphane  Mallarmé  a 
relativement  beaucoup  écrit  et  la  plus  grande  partie  de  son  œuvre 
n'est  entachée  d'aucune  obscurité;  mais  dans  la  suite  et  la  fin,  à  par- 
tir de  La  Prose  pour  des  Esseintes,s\\  y  a  des  phrases  douteuses  ou 
des  vers  irritants,  un  esprit  inatlenlif  et  vulgaire  redoute  seul  d'en- 
treprendre uue  conquête  délicieuse.  11  y  a  trop  peu  d'écrivains 
obscurs  en  français;  ainsi  nous  nous  l-.abituons  lâchement  à  n'ai- 
mer que  des  écritures  aisées,  et  bientôt  primaires.  Pourtant,  il  est 
rare  que  les  livres  aveuglément  clairs  vaillent  la  peine  d'être 
relus...  La  littérature  qui  plaît  aussitôt  à  l'universalité  des  hommes 
est  nécessairement  nulle...  L'œuvre  de  Mallarme  est  le  plus  mer- 
veilleux prétexte  à  rêveries  qui  ait  encore  été  offert  aux  hommes 
fatigués  de  tant  d'affirmations  lourdes  et  inutiles  :  une  poésie  pleine 
de  doutes,  de  nuances  changeantes  et  de  parfums  ambigus,  c'est 
peut-être  la  seule  où  nous  puissions  désormais  nous  plaire;  et  si  le 
mot  décadence  résumait  vraiment  tous  ces  charmes  d'automne  et  de 
crépuscule  on  pourrait  l'accueillir  et  en  faire  même  une  des  clefs 
de  la  viole  :  mais  il  est  mort,  le  maftre  est  mort,  la  pénultième  est 
morte.  ■  (Stéphane  Mallarmé  et  l'idée  de  décadence.) 

Stéphane  Mallarmé  a  collaboré  à:  L'Artiste,  1863.  —  Le  Parnasse 
satirique,  1864. —  La  Saison  de  Vichy,  i8G5. —  Le  Parnasse  con- 
temporain, 1866.  —  La  Revue  des  lettres  et  des  arts,  1868.  —  Le 
second  Parnasse  contemporain,  i80g.  —  Le  National,  1871  et  187a. 


348  POÈTES  d'aujourdhui 


—  La  Renaissance.  187a  cL  iS-]!i.-Lc  Toribeaii  ch  TJiÙJp:^il<i  Gau- 
tier, Paris,  Lemerre,  1873.  —  La  Revue  du  Monde  nouveau,  1874. 

—  La  Dernière  Mode,  1875.  —  La  République  des   lettres,   1876. 

—  Poé  Mémorial,  1877.  —  La  Revue  critique,  1884.  —  La  Revue 
Indépendante,  11^  série,  i885,  et  III«  série,  .887.  —  La  Revue  Wa- 
gnérienne,  i885.  —  VArt  et  la  Mode,  i885  et  1887.  —  La  Déca- 
dence, i^m.  —  Le  Décadent,  1886.—  Le  Scapin,  1886.  —  La  Wal- 
lonie, 1886.  —  La  Vogue,  V"  série,  1886,  —  Gasetta  Letteraria, 
1886.  —  The  Whirlwind,  1890.  —  La  Revue  d'aujourd'hui, 
Ï890.  —Mercure  de  France,  1890,  1891  et  1898.  —  The  National 
Observer,  1892  et  1893.  —  Entretiens  politiques  et  littéraires, 
1892.  —  Le  Figaro,  1894.  —  The  Chap  Book,  1896.  —  La  Revue 
Blanche,   1896.  —  Cosmopolis,   1897. 

Bibliographie  : 

Les  (xiJVRES.  —  Le  Corbeau,  d'Edgard  Poë,  illustré  de  5  dessins  de  Manet, 
texte  anglais  et  français.  Paris,  Librairie  de  l'eau-forte,  1874,  in-8. —  L'après- 
midi  d'un  Faune,  églogue.avec  un  frontispice  et  3  vignettes  de  Manet. Paris, 
A.  Derenne,  1870,  in-8.  iVowueZZe  erfz7jo?i.  Paris,  Vanier, 1886, in-8. ^(ù7/o?i  (Zéyî- 
n//n-e. Paris, Revue  Indépendante,  18S7  (le  titre  porte  par  erreur  1882),  in-8.— 
Valhek,  de  Beckford,  avec  avant-dire  et  préface.  Paris,  Labitte,  1876,  in-18. 
(Nouv.  édition.  Paris,  Vanier,  1880,  et  Paris,  Perrin,  1893,  in-18.)— Les  Mots 
.anglais,  petite  philologie  à  l'usage  des  classes  et  du  monde. Paris,  Trucliy,1878, 
in-18. —  Les  Dieux  antiques,  nouvelle  mythologie,  illust.,  d'après  W.  Cox 
et  les  travaux  de  la  Science  moderne,  à  l'usage  des  lycées,  pensionnais,  écoles 
et  des  gens  du  monde,  ouvrage  orné  de  260  vignettes,  etc.  Paris,  J.  Rothschild, 
,1880,  lictit  in-8. —  L'Etoile  des  Fées,  par  W.-C.  Elphinstone  Hope,  trad. 
de  l'anglais,  ill.  de  John  Laurent.  Paris,  Charpentier,  1881,  gr.  in-8.  — 
Poésies  complètes,  phologravées  sur  le  manuscrit  avec  un  ex-liliris  de 
F.  ilops.  Paris,  éd.  de  lai  Itevue  Indépendante,  1887,  iu-8.  (Edit.  publiée  eu 
9  fasc.et  tirée  à  40  ex. numérotés).  —  Le Ten  o'clock  de  M.  Wliistler,  tra- 
duction française  (Paris,  éd.  de  la  Revue  Indépendante),  1888,  gr.  in-12.  — 
LesiJOènies  d'Edfjard  Poë,  avec  fleuron  et  portrait  par  Manet.  Bruxelles, 
E.  Ueiuan,  1888,  ia-4, 100  exemplaires  (seule  édition  conforme  au  texte,  celle 
publiée  la  même  année  par  Vanier  ayant  été  désavouée  par  l'auteur).  — 
Villiers  de  risle-A.dam,  conférence.  Paris,  Libr..de  l'Art  Indépendant, 
1890.  in-8  (50  exempl.)  Nouv.  édition  :  Les  Miens;  Villiers  de  l'hle-Adam, 
avec  un  portrait  par  M.  Desboulins.  Bruxelles,  Lacomblez,  1892,  in-18.  — 
Pages,  prose.  BraxcUes,  Deman,  1891,  in-8,  frontispice  à  l'eau-forte  par 
Renoir.  —  Vers  et  prose,  florilège,  avec  portrait  par  James  Mac.  Whistler. 
Paris,  Perrin,  1893,  in-iS.  —  Oxford,  Cambridge.  La  Musique  et  les 
Lettres,  prose.  Paris,  Perrin,  1895,  in-18.  — Divagations,  prose.  Paris, 
Fasquelle,  1897,  in-18.  — Poésies  complètes,  avec  un  frontispice  de  Rops. 
Bruxelles,  Deman,  1899,  in-8.  ' 

On  trouve,  de  plus,  des  pages  de  Stéphane  Mallarmé  dans  la  revue  Cosmo- 
polis {Un  coup  de  dés  jamais  n'abolira  le  hasard,  mai  1897),  dans  La  Pha- 
lange (Poèmes  et  Vers  inédits,  15  janvier  1908),  ainsi  que  dans  l'ouvrage  sui- 
vant :  Les  Types  de  Paris,  texte  de  MM.  A.  Daudet,  J.  Richepin,  E.  Zola, 


8TÉHBANE    MALLARME  3^9 


S.  Mallarmé,  l!ogcr-Marx,  A.  Ajalbort,  J.-K.  Iluysmans,  P.  Rourget,  0.  Mir- 
Leau,  fJuy  de  Mauitassant.,  etc.  Illustrations  de  J.-Raffaelli.  Paria,  Pion,  in-4. 

pKtFACE»,  etc.,  René  (ïhil  :  Le.  Traité  du  Verôe.  fAvant-dire  de  St.  Mal- 
larmé), 1886.  —  F. -A.  Cazals  :  Iconoijraphie  de  Laurent  Tailhade,  douze 
dessins  originaux,  avec  pre'f.  de  S.  Mallarmé.  Pari»,  Bibliothèque  art  et  lit- 
téraire, 1894,  in-8.  —  Charles  Guérin  :  Le  Samj  des  Crépuscules.  Paris. 
Ed.  du  Mercure  de  France.  1895,  in-i6.  (Préface  aux  excmpl.  de  luxe.)  — 
Bcrthe  Morisot  ^iVa'/rtme  Eugène  Man>l]  Exposition  de  son  œuvre, 
du  5  au  2S  mars  1896.  Préface  du  Catalogue.  Paris,  chez  Durand-Huel, 
1896,  gr.  in-8.  —  Léopold  Dauphin  :  Raisins  bleus  et  gris.  Avanl-dire  de 
Stéphane  Mallarmé.  Pari-s,  Vanier,  1897,  in-18. 

Traductions.  —  Le  poème  en  prose  :  Phénomène  futur  a  ét^  traduit  en 
anglais  par  M.  Georges  Moore,  dans  The  Savoy,  n»  3,  juillet  1896.  —  Le  poème  : 
Hérodiade  a  été  traduit  en  vers  anglais  par  M.  Arthur  Symons  et  inséré  dans 
The  Savoy,  n»  8,  décembre  1896.  —  D'autres  poèmes  ont  été  traduits  par 
MM.  Stuart  Merrill,  George  Moore,  Vitiorio  Pica,  etc.. 

Poésies  misbs  en  musique.  —  Une  poésie  de  Stéphane  Mallarmé  :  Apparition, 
a  été  mise  en  musique  par  MM.  Bailly  et  André  Rossignol.  D'autres  poèmes 
ont  été  mis  en  musique  par  MM.  Gabriel  Fabro.  Raoul  Bardac,  etc. 

A  CONSULTER.  —  Gcorges  Grandes  :  Samlede  Skrifter.  Kjobcnhagn 
1901,  VII  :  Fransk  Lyrik,  in-8.  —  Ad.  Brisson  :  Pointes  sèches.  Paris] 
A.  Colin,  1898,  in-18.  —  W.-G.  Byvanck  :  Un  Hollandais  d  Paris  en 
i89L  Paris,  Perrin,  1892,  in-18.  —  André  Gide  :  Prétextes.  Paris,  Soc. 
du  Mercure  de  France,  1903,  in-18. —Edmund  Gosse  :  Questions  et  issue. 
London,  Heinemann,  1893,  in-8.  —  Remy  de  Gourmont  :  Le  Livre  des 
Masques.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  in-18  ;  La  Culture  des 
Idées,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1900,  in-18;  Promenades  litté- 
raires, H.  (Voy.  :  a  La  dernière  Mode  de  S. M.  %)  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1906,  in-18.  —  M.  Guillemot  :  Villégiatures  d'artistes.  Paris, 
Flammarion,  1898,  in-18.  —  J.  Ilurct  :  Enquête  sur  l'Evolution  littéraire. 
Paris,  Charpentier,  1891,  in-18.  —  J.-K.  Huysmans  :  A.  Rebours.  Paris, 
Charpciiticr,  1884,  in-18.  —  B.  Lazare  :  l  igures  contemporaines .  Paris, 
Perrin,  1895,  in-18.  —  J.  Lemaltre  :  Nos  contemporains,  5«  série.  Paris, 
Lecène  et  Oudin,  1893,  in-18.  —  G.  3Iauclair  :  Stéphane  Mallarmé.  Paris, 
Société  Nouvelle  (sans  date),  in-8.  —  Catulle  Mendès  :  La  Légende  du 
Parnasse  contemporain.  Bruxelles,  A.  Brancart,  1884,  in-18.  —  Albert 
Mockel  :  Stéphane  Mallarmé  :  Un  Héros.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1899,  in-18.  —Charles  Morice  :  La  Littérature  de  tout  d  l'heure.  Paris, 
Perrin,  1889,  in-18.  —  Viltorio  Pica  :  Letteratura  d'eccezione,  Milano, 
Baldini  et  Castoldi,  1899,  in- 18.  (Les  pages  sur  Stéphane  Mallarmé  parurent 
en  français  dans  la  Revue  indépendante,  n"  de  février  et  de  mars  1891,  sous 
ce  titre  :  Les  Modernes  byzantins.)  —  Henri  de  Régnier  :  Figures  et 
Caractères.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Fra-.e,  1901,  in-18.  —  Adolphe 
Retté  -.Le  Symbolisme.  Anecdotes  et  souvenirs.  Paris,  Mcssein,  1903,  iu-8. 
—  Christian  Rimestad  :  Fransk  Poesi  i  det  Aittende  Aarhundrede, 
Kjobenkavn,  Schubolsieskc,  1905,  in-8.  —  D.  de  RolxM'tO  :  Poeti  franc, 
eontempor.,  Milan,  Goç;Iiati,  1901,  in-18.  —  G.  Rodonbach  :  L'Elite. 
Paris,  Fasquelle,  1899.  in-18.  —  Arthur  Symons  :  Tlic  Symbolist  Mov»- 
ment  in  Literature.  Londres,  Ilciucmann,  1900,  in-8.  —  J.  Tellier  :  Aos 
foctiê.  PwU,  Uesfret,  1888,  m-l8.  —  V.  Thompson  :  French  Portrait* 


ii 


35o  POÈTES  d'aujourd'hui 


(being  appréciations  of  the  writers  of  yoiing  Fi'ance).  Boston,  Richard  G  . 
Badger  et  G",  1900,  in-8.  —  A. -G.  Van  Hamel  :  Het  letterkundiy  leven 
Frankryk,  III.  Amsterdam,  Van  Kampen  en  Zoon,  1907,  in-8. —  P.Verlaine: 
Les  Poètes  maudits.  Paris,  Vanier,  i884et  1888,  in-18.— E.  Vigié-Lecocq  : 
La  Poésie  contemporaine.,  1884-1906.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1897, 
in-18.  —  T.  de  Wyzewa  :  Notes  sur  Mallarmé.  Paris,  Ed.  de  La  Vogue, 
1886,  in-8  :  Nos  Maîtres,  Paris,  Perrin,  1895,  in-18. 

[Anonyme]  :  S.  Mallarmé,  professeur  d'anglais  (texte  d'une  lettre  de 
Mallarmé  à  Verlaine,  du  16  nov.  1885).  L'Intermédiaire  des  Chercheurs  et 
Curieux,  10  sept.  1906.  —  G.  Bec  :  Stéphane  Mallarmé.  Echo  de  Paris,  10  sep- 
tembre 1898.  —  H.  Chantavoine  :  La  Littérature  inquiète,  la  Poésie 
obscure,  le  Mallarmisme.  Correspondant,  10  mars  1897.  —  Jules  Couturat  : 
Petites  polémiques  mensuelles  :  M.  Stéphane  Mallarmé.  Revue  Indépen- 
dante, novembre  1892.  —  G.  Docquois  :  Bêtes  et  gens  de  lettres  :  M.  Sté- 
phane Mallarmé.  Revue  Indépendante,  mars  1893.  —  Emmanuel  des 
Essarts  :  Souvenirs  littéraires  sur  Stéphane  Mallarmé.  Revue  de  France, 
15  juillet  1899.  —  Arnold  Golfin  :  Stéphane  Mallarmé.  Société  Nouvelle, 
septembre  1891.  —  Paul  et  Victor  Margueritte  :  Stéphane  Mallarmé. 
Echo  de  Paris,  17  septembre  1898.  —  Camille  Mauclair  :  Stéphane  Mal- 
larmé. Nouvelle  Revue,  octobre  1898  ;  l'Esthétique  de  Stéphane  Mallarmé. 
La  Grande  Revue,  novembre  1898,  et  Chronique  des  Livres,  janv.  et  février 
1901  ;  Stéphane  Mallarmé,  Revue  Encyclopédique,  5  novembre  1898  ;  Sou- 
venirs  sur  Stéphane  Mallarmé  et  son  œuvre.  Nouvelle  Revue,  1"'  dé- 
cembre 1898.  — Ch.  Maurras  :  La  Poésie  de  Mallarmé.  Revue  Encyclo- 
pédique, 5  novembre  1898.  —  T.  S.  Perry  :  The  latest  literary  fashion  in 
France  (illustré).  The  Cosmopolitan  (New- York),  juillet  1892.  —  Pierre 
Quillard  :  Stéphane  Mallarmé.  Mercure  de  France,  juillet  1891.  —  Henri 
de  Régnier  :  Hamlet  et  Mallarmé.  Mercure  de  France,  mars  1896.  —  X. 
de  Ricard  :  Petits  mémoires  d'un  Parnassien.  Petit  Temps,  13  novembre, 
3  et  6  décembre  1898.  —  Paul  Verlaine  :  Stéphane  Mallarmé.  Les  Hommes 
d'aujourd'hui,  n"  296.  Paris,  Vanier.  —  F.  Vielé-Grilfin  :  Mallarmé. 
Entretiens  politiques  et  littéraires,  août  1891  ;Ze  Rôle  de  Stéphane  Mallarmé, 
Ermitage,  mars  1898. 

Iconographie  : 

Luque  :  Portrait-charge  dcins  les  Hommes  d'aujourd'hui,  n"  296,  Pans 
Vanier.  —  Edouard  Manet  :  Portrait.,  peinture,  1876  (reproduit  dans  Les 
Poètes  Maudits,  de  Paul  Verlaine.  Paris,  Vanier,  1884,  in-18.  —  Renoir  : 
Portrait,  peinture  (appartient  à  M"»  Mallarmé).  —  Paul  Gauguin  :  Por- 
trait,  1891  (appartient  à  M""  Mallarmé).  —  E.  Munch  :  Portrait,  1892. 
—  James  Me.  Neill  Whistler  :  Portrait,  lithographie,  1893  (dans  Vers 
et  Prose,  florilège).  Paris,  Perrin,  1893,  iu-8.  —  F.-A.  Cazals  :  Croquis, 
1893  (appartiennent  à  l'auteur).  —  F.  Vallotton  :  Masque,  dans  Le  Livre 
des  Masques,  de  R.  de  Gourmont,  Paris,  Soc.  du  Mercure,  1896,  in-8. 

LES  FENÊTRES 

Las  du  triste  hôpital,  et  de  l'encens  fétide 
Qui  monte  en  la  blancheur  banale  des  rideaux 


STÉPHANE    MALLARMÉ  35: 


Vers  le  ^and  crucifix  ennuyé  du  mur  vide, 
Le  moribond  sournois  y  redresse  un  vieux  dos, 

Se  traîne  et  va,  moins  pour  chauffer  sa  pourriture 
Que  pour  voir  du  soleil  sur  les  pierres,  coller 
Les  poils  blancs  et  les  os  de  la  maigre  fig^ure 
Aux  fenêtres  qu'un  beau  rayon  clair  veut  hâler, 

Et  la  bouche,  fiévreuse  et  d'azur  bleu  vorace. 
Telle,  jeune,  elle  alla  respirer  son  trésor, 
Une  peau  virginale  et  de  jadis  !  encrasse 
D'un  long  baiser  amer  les  tièdes  carreaux  d'or. 

Ivre,  il  vit,  oubliant  l'horreur  des  saintes  huiles. 
Les  tisanes,  l'horloge  et  le  lit  infligé, 
La  toux  ;  et  quand  le  soir  saigne  parmi  les  tuiles, 
Son  œil,  à  l'horizon  de  lumière  gorgé. 

Voit  des  galères  d'or,  belles  comme  des  cygnes. 
Sur  un  fleuve  de  pourpre  et  de  parfums  dormir 
En  berçant  l'éclair  fauve  et  riche  de  leurs  lignes 
Dans  un  grand  nonchaloir  chargé  de  souvenir  I 

Ainsi,  pris  de  dégoût  de  l'homme  à  l'âme  dure 
Vautré  dans  le  bonheur,  où  ses  seuls  appétits 
Mangent,  et  qui  s'entête  à  chercher  cette  ordure 
Pour  l'offrir  à  la  femme  allaitant  ses  petits, 

Je  fuis  et  je  m'accroche  à  toutes  les  croisées 
D'où  l'on  tourne  l'épaule  à  la  vie,  et,  béni. 
Dans  leur  verre,  lavé  d'éternelles  rosées. 
Que  dore  le  matin  chaste  de  l'Infini 

Je  me  mire  et  me  vois  ange  !  et  je  meurs,  et  j'aime 
—  Que  la  vitre  soit  l'art,  soit  la  mysticité  — 
A  renaître,  portant  mon  rêve  en  diadème, 
Au  ciel  antérieur  où  fleurit  la  Beauté  ! 

Mais,  hélas  !  Ici-bas  est  maître  :  sa  hantise 
Vient  m'écœurer  parfois  jusqu'en  cet  abri  sûr, 


352  POÈTES  d'aujouivd*hui 


Et  le  vomissement  impur  de  la  Bêtise 

Me  force  à  me  boucher  le  nez  devant  l'azur. 

Est-il  moyen,  ô  Moi  qui  connais  l'amertume, 
D'enfoncer  le  cristal  par  le  monstre  insulté 
Et  de  m'enfuir,  avec  mes  deux  ailes  sans  plume 
—  Au  risque  de  tomber  pendant  l'éternité  ? 


L'AZUR 

De  l'éternel  Azur  la  sereine  ironie 
Accable,  belle  indolemment  comma  les  fleurs. 
Le  poète  impuissant  qui  maudit  son  génie 
A  travers  un  désert  stérile  de  Douleurs. 

Fuyant,  les  yeux  fermés,  je  le  sens  qui  regarde 
Avec  l'intensité  d'un  remords  atterrant, 
Mon  âme  vide.  Où  fuir?  Et  quelle  nuit  hagarde 
Jeter,  lambeaux,  jeter  sur  ce  mépris  navrant? 

Brouillards,  montez  !  Versez  vos  cendres  monotones. 
Avec  de  longs  haillons  de  brume  dans  les  cieux 
Que  noiera  le  marais  livide  des  automnes, 
Et  bâtissez  un  grand  plafond  silencieux  ! 

Et  toi,  sors  des  étangs  léthéens  et  ramasse. 

En  t'en  venant,  la  vase  et  les  pâles  roseaux. 

Cher  Ennui,  pour  boucher  d'une  main  jamais  lasse 

Les  grands  trous  bleus  que  font  méchamment  les  oiseaux. 

Encor  !  que  sans  répit  les  tristes  cheminées 
Fument,  et  que  de  suie  une  errante  prison 
Eteigne  dans  l'horreur  de  ses  noires  traînées 
Le  soleil  se  mourant  jaunâtre  à  l'horizon  I 

—  Le  Ciel  est  mort.  —  Vers  toi,  j'accours  !  donne,  ô  matière, 

L'oubli  de  l'Idéal  cruel  et  du  Péché 

A  ce  martyr  qui  vient  partager  la  litière 

Où  le  bétail  heureux  des  hommes  est  couché, 


STÉPHANE   IfALLARMé  3.'3 

Car  j'y  veux,  puiscjue  eiifiu  ma  cervelle,  vi(I«.'e 
CDnime  le  pot  de  fard  gisant  au  pied  d'un  mur. 
N'a  plus  l'art  d'attifer  ha  samçlotante  idée, 
Luî^ubrement  bâiller  vers  un  trépas  obscur... 

Kn  vain  !  L'Azur  triomphe,  et  je  l'entends  qui  chante 
Dans  les  cloches.  Mon  Ame,  il  se  fait  voix  pour  plu* 
Nous  faire  peur  avec  sa  victoire  méchante, 
Et  du  métal  vivant  sort  en  bleus  angélus  l 

Il  roule  par  la  brume,  ancien  et  traverse 
Ta  native  agonie  ainsi  qu'un  glaive  sûr; 
Où  fuir  dans  la  révolte  inutile  et  perverse? 
Je  suis  hanté.  L'Azur  1  l'Azur  !  l'Azur!  l'Azur! 

DON  DU  POÈME 

Je  t'apporte  l'enfant  d'une  nuit  d'Idumée  ! 

Noire,  à  l'aile  saignante  et  pâle,  déplumée, 

Par  le  verre  brûlé  d'aromates  et  d'or. 

Par  les  carreaux  glacés,  hélas!  mornes  encor, 

L'aurore  se  jeta  sur  la  lampe  angélique. 

Palmes!  et  quand  elle  a  montré  cette  relique 

A  ce  père  essayant  un  sourire  ennemi, 

La  solitude  bleue  et  stérile  a  frémi. 

O  la  berceuse,  avec  ta  fille  et  l'innocence 

De  vos  pieds  froids,  accueille  une  horrible  naissance  : 

Et  ta  voix  rappelant  viole  et  clavecin. 

Avec  le  doigt  fané  presseras-tu  le  sein 

Par  qui  coule  en  blancheur  sibylline  la  femme 

Pour  des  lèvres  que  l'air  du  vierge  azur  alTarae? 

HÉRODIADE 
FRAGMENT 

HÉnODIADK 

Oui,  c'est  pour  moi,  pour  moi,  que  je  fleuris,  déserte. 
Vous  le  savez,  jardius  d'améthyste,  enfouis 


354  POÈTES  d'aujourd'hui 


Sans  fin  dans  de  savants  abîmes  éblouis, 
Ors  ignorés,  gardant  votre  antique  lumière 
Sous  le  sombre  sommeil  d'une  terre  première. 
Vous,  pierres  où  mes  yeux,  comme  de  purs  bijoux, 
Empruntent  leur  clarté  mélodieuse,  et  vous, 
Métaux,  qui  donnez  à  ma  jeune  chevelure 
Uoe  splendeur  fatale  et  sa  massive  allure  !  ^ 
Quant  à  toi,  femme  née  en  des  siècles  malins 
Pour  la  méchanceté  des  antres  sibyllins, 
Oui  parles  d'un  mortel!  selon  qui,  des  calices 
De  mes  robes,  arôme  aux  farouches  délices, 
'  Sortirait  le  frisson  blanc  de  ma  nudité, 
Prophétise  que  si  le  tiède  azur  d'été. 
Vers  lui  nativement  la  femme  se  dévoile. 
Me  voit  dans  ma  pudeur  grelottante  d'étoile, 
Je  meurs  ! 

J'aime  l'horreur  d'être  vierge  et  je  veux 
Vivre  parmi  l'effroi  que  me  font  mes  cheveux 
Pour,  le  soir,  retirée  en  ma  couche,  reptile 
Inviolé,  sentir  en  la  chair  inutile 
Le  froid  scintillement  de  ta  pâle  clarté,       ^ 
Toi  qui  te  meurs,  toi  qui  brûles  de  chasteté, 
Nuit  blanche  de  glaçons  et  de  neige  cruelle  ! 

Et  ta  sœur  solitaire,  ô  ma  sœur  éternelle, 
Mon  rêve  montera  vers  toi  :  telle  déjà, 
Rare  limpidité  d'un  cœur  qui  le  songea, 
Je  me  crois  seule  en  ma  monotone  -patrie. 
Et  tout,  autour  de  moi,  vit  dans  l'idolâtrie 
D'un  miroir  qui  reflète  en  son  calme  dormant 
Hérodiade  au  clair  regard  de  diamant... 
O  charme  dernier,  oui!  je  le  sens,  je  suis  seule. 

LA   NOURRICE 

Madame,  allez-vous  donc  mourir  ? 

HÉRODIADE 

Non,  pauvre  aïeule, 
Sois  calme  et,  l'éloignant,  pardonne  à  ce  cœur  dur. 


STEPHANE    MALLARME 


355 


Mais  avant,  si  lu  veux,  clos  les  volets  :  l'azur 
Séraphique  sourit  dans  les  vitres  profondes, 
Et  je  déteste,  moi,  le  bel  azur  ! 

Des  ondes 
Se  bercent  et,  là-bas,  sais-tu  pas  un  pays 
Où  le  sinistre  ciel  ait  les  rcj^ards  haïs 
De  Vénus  qui,  le  soir,  brûle  dans  le  feuillage  : 
J'y  partirais. 

Allume  encore,  enfantiilac^e, 
Dis-tu,  ces  flambeaux  où  la  cire  au  feu  lég^er 
Pleure  parmi  l'or  vain  quelque  pleur  étranger 
Et... 

LA    NOURRICE 

Maintenant? 

HÉRODIADE 

Adieu. 

Vous  mentez,  ô  fleur  nue 
De  mes  lèvres  ! 

J'attends  une  chose  inconnue 
Ou  peut-être,  ignorant  le  mystère  et  vos  cris, 
Jetez-vous  les  sanglots  suprêmes  et  meurtris 
D'une  enfance  sentant  parmi  les  rêveries 
Se  séparer  enfin  ses  froides  pierreries. 


ÉVENTAIL  DE  MADEiMOISELLE  MALLARMF, 

G  rêveuse,  pour  que  je  plonge 
Au  pur  délice  sans  chemin, 
Sache,  par  un  subtil  mensonge, 
Garder  mon  aile  dans  ta  main. 

Une  fraîcheur  de  crépuscule 
Te  vient  à  chaque  ballement 
Dont  \c  n^up  juisonuier  recule 
L'horizon  dtiicatement. 


356 


POETES    D  AUJOURD  HUI 


Vertige  !  voici  que  frissonne 
L'espace  comme  un  grand  baiser 
Qui,  fou  de  naître  pour  personne. 
Ne  peut  jaillir  ni  s'apaiser. 

Sens-tu  le  paradis  farouche, 
Ainsi  qu'un  rire  enseveli, 
Se  couler  du  coin  de  ta  bouche 
Au  fond  de  l'unanime  pli  ! 

Le  sceptre  des  rivages  roses 
Stagnants  sur  les  soirs  d'or,  ce  Test, 
Ce  blanc  vol  fermé  que  tu  poses 
Contre  le  feu  d'un  bracelet. 


SONNET 

Le  vierge,  le  vivace  et  le  bel  aujourd'hui 
Va-t-il  nous  déchirer  avec  un  coup  d'aile  ivre 
Ce  lac  dur  oublié  que  hante  sous  le  givre 
Le  transparent  glacier  des  vols  qui  n'ont  pas  fui  I 

Un  cygne  d'autrefois  se  souvient  que  c'est  lui 
Magnifique,  mais  qui,  sans  espoir,  se  délivre 
Pour  n'avoir  pas  chanté  la  région  où  vivre 
Quand  du  stérile  hiver  a  resplendi  l'ennui. 

Tout  son  col  secouera  cette  blanche  agonie 

Par  l'espace  infligée  à  l'oiseau  qui  le  nie, 

Mais  non  Ihorreur  du  sol  où  le  plumage  est  pris. 

Fantôme  qu'à  ce  lieu  son  pur  éclat  assigne, 
Il  s'immobilise  au  songe  froid  de  mépris 
Que  vêt  parmi  l'exil  inutile  le  Cygne. 


LE  TOMBEAU  D'EDGAR  POE 

Tel  qu'en  Lui-même  enfin  l'éternité  le  change. 
Le  Poète  suscite  avec  un  glaive  nu 


STÉPHANE    MALLARME  3^7 


Son  siècle  épouvanté  de  n'avoir  pas  connu 
Que  la  mort  triomphait  dans  celte  voix  élrang'e  ! 

Kux,  comme  un  vil  sursaut  d'hydre  oyant  jadis  l'ange 
Donner  un  sens  plus  pur  aux  mots  de  la  trihu 
Proclamèrent  très  haut  le  sortilèîçe  bu 
Dans  le  flot  sans  honneur  de  quelque  noir  mélange. 

Du  sol  et  de  la  nue  hostiles,  6  f^rief  1 

Si  notre  idée  avec  ne  sculpte  un  has-relief 

Dont  la  tombe  de  Poe  éblouissante  s'orne 

Calme  bloc  ici-bas  chu  d'un  désastre  obscur 

Que  ce  granit  du  moins  montre  à  jamais  sa  borne 

Aux  noirs  vols  du  Blasphème  épars  dans  le  futur. 


SONN'ET 

Une  dentelle  s'abolit 

Dans  le  doute  du  Jeu  suprême 

A  n'entr'ouvrir  conmie  un  blasphème 

Qu'absence  éternelle  de  lit. 

Cet  unanime  blanc  conflit 
D'une  guirlande  avec  la  même 
Enfui  contre  la  vitre  blême 
Flotte  plus  (ju'il  n'ensevelit. 

Mais  chez  (|ui  du  rêve  se  dore 
Tristement  dort  une  mandore 
Au  creux  néant  musicien 

Telle  que  vers  quelque  fenêtre 
Selon  nul  ventre  que  le  sien 
Filial  on  aurait  pu  naître. 

SONNET 
Quelle  soie  aux  baumes  de  temps 


358  POÈTES  d'aujourd'hui 

Où  la  Chimère  s'exténue 

Vaut  la  torse  et  native  nue 

Que,  hors  de  ton  miroir,  tu  tends! 

Les  trous  de  drapeaux  méditants 
S'exaltent  dans  notre  avenue  : 
Moi,  j'ai  ta  chevelure  nue 
Pour  enfouir  mes  yeux  contents. 

Non  !  La  bouche  ne  sera  sûre 
De  rien  goûter  à  sa  morsure, 
S'il  ne  fait,  ton  princier  amant. 

Dans  la  considérable  touffe 
Expirer,  comme  un  diamant. 
Le  cri  des  Gloires  qu'il  étouffe. 

«    Les  Poésies  de  S.  Mallarmé.  » 
Bruxelles.  Edm.  Deman,  i8gg. 


FIN   DU   TOME   rREMIEI\ 


N^H^fï^^ 


iMPaiMBuiE  nv  Mercvre  de  France 
(j.  Roy,  7,  rue  Victor-Hugo,  Poitiers 


^a  Bibliothèque 
Université  d»Ottawa 
Echéance 


The  Library 
University  of  OttaN 
Date  Due 


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