Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at|http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl
t s .V
. /
\
\\ ^-'
\
REVUE
DE
BRETAGNE, DE VENDÉE & D'ANJOU
Tome ix. — Janvier 1893.
JOSEPH FOUCHÉ
DUC D'OTRANTE
D'APRÈS UNE CORRESPONDANCE PRIVÉE INÉDITE*
PUBLIÉE
PAR DOMINIQUE CAILLÉ
AVANT-PROPOS
Dans une lettre à la Convention^ Fouché s'exprime ainsi : « Nulle puis-
sance humaine ne pourra effacer le jugement prononcé par la postérité
sur nia mémoire : Il fut bon fils, bon ami, bon époux, bon père et bon
citoyen'. » Fut-il bon citoyen, comme il le dit dans son style lapidaire P
C'est une question que je me garderai bien d'étudier dans cette Revue
où toute discussion politique doit être laissée à l'écart. Il a sans doute,
comme beaucoup d'hommes célèbres, commis des fautes, et peut-être
même des fautes graves, au milieu des agitations passionnées d'une
époque exaltée et tumultueuse ; mais il est bien certain que, s'il n'avait
jamais rien fait et n'avait été capable de ne rien faire de bon. Napoléon P%
qui n'était pas un imbécile, ne l'eût pas fait Grand Aigle de la Légion
d'honneur et duc d'Otrante^ et que Louis XVIII, qui n'était pas un naïf,
ne l'eût pas choisi pour ministre et fait asseoir dans le Conseil de la
couronne. On s'est bien trompé jusqu'ici sur le lieu et l'époque de sa
naissance en le confondant avec un jeune frère mort en bas âge, qui
portait le même prénom que lui, et on l'a fait naître à la Martinière en
< Cette collection de lettres appartient à M^^ Euf^ène Riom, née Adine Bro-
bant. petite nièce de Fouché, duc d'Otrante.
* Biographie bretonne, tome I, p, 715, note a.
6 JOBEPH FOUGHt, DUC D-OTRANTB
1754, alors qu'il était né au PeUerin le a8 mai 175g. Pourquoi donc» si
Ton a commis une telle erreur matérielle sur son état-civil, ne se serait-
on pas trompé parfois dans Tappréciation de ses rôles politiques P Peut-
être n'a-til accepté des fonctions sous tous les régimes, que pour ne pas
priver sa patrie de ses services et de ses talents P En lisant les quelques
lettres adressées à diverses époques à sa famille et nullement destinées au
public, on aura sans doute une meilleure opinion de Fouché, que Ton
trouve partout aimant et bon, dans une humble position comme au
milieu des grandeurs, donnant des conseils presque toujours fort sages
et pleins de bon sens, indigné des accusations lancées par ses adversaires
d'avoir profité de sa situation pour amasser des richesses scandaleuses,
obligeant les siens dans la fortune et montrant une grande fermeté dans
l'adversité.
PREMIÈRE LETTRE
A SA Sœur.
A Vendôme, de r École royale militaire j 3 juin.
J'ai enfin reçu une lettre de notre cousin ; j'ai touché les 3oo fr.
que ma mère a eu la complaisance de lui faire passer, renouvelez-
lui-en mes remerciements. Vous trouverez ci-joint mon petit billet,
que vous voudrez bien lui remettre. J'attends avec la plus vive im-
patience des nouvelles de votre cher époux et celles de mon frère^ :
ils seront probablement au Pellerin dans le courant du mois d'août.
Je ferai tous mes efforts pour me réunir à eux. Je serai en vacance
dès que mes élèves auront soutenu leur thèse^ la première sera ou-
verte mercredi la, par l'inventeur des ballons, qui est venu passer
trois semaines chez le comte de Rochembeau (cordon bleu). Sitôt
que je serai débarrassé de mes classes, j'aviserai au moyen de "por-
ter mon corps ou plutôt ma frêle lanterne au Pellerin. Vous ne
m'avez jamais vu si maigre, mes os traverseront dans peu toute ma
garde-robe^ j'ai besoin de deux mois de repos pour me remplumer.
* Ils naviguaient.
JOSEPH POUCHÉ. DUC D'OTR/INTE 7
Dites, je vous prie, à ma tante, que je me repose sur son zèle du
soin d'habiller mes flûtes. Adieu, ma chère sœur, je vous embrasse
de tout mon cœur, ainsi que vos tendres enfants. Mon respect à
maman et à ma tante. iBien des amitiés à toute la famille et à Lau-
jardière. Je lui écrirai dans le courant de la semaine prochaine.
FoucHÉ DE l'Oratoire.
DEUXIÈME LETTRE
Paris 37 floréal.
Je VOUS remercie, ma chère sœur, des détails que vous me donnez
sur nos affaires communes.
Je vais envoyer ma procuration à Croîzet, afin qu'il puisse signer,
voir, compter, agir à ma place comme je le ferais moi-même si je
pouvais me rendre au milieu de vous. Ce moment est encore loin
de nous, ma chère sœur. Je vois avec douleur que notre session
conventionnelle n'est pas achevée, que nous aurons encore bien
des orages à traverser, bien des factions à combattre pour consoli-
der la République sur des bases solides et conformes au bonheur
de tous Quoi qu'il arrive, rien ne peut affaiblir les liens d'amitié
sincère et d'affection tendre qui m'attacheront à vous jusqu'à mon
dernier soupir. Ils se fortifient par les pertes que nous faisons, par
le besoin que nous sentons de nous rapprocher davantage pour ré-
parer une partie de nos malheurs, pour nous consoler en pleurant
ensemble.
Conservez votre santé, ma chère sœur, pour votre mari, pour vos
enfants et pour le seul frère qui vous reste. Je vous embrasse tous
au nom de ma femme et de mon enfant.
FoucHÉ.
P. 5. Comme nous sommes menacés d'une démonétisation des
assignats, je pense qu'il est prudent de n'en conserver que ce qui
est absolument nécessaire pour l'usage habituel. Je vous prie de
faire remettre ceux qili me reviennent au cabinet du citoyen Du-
8 JOSEPH FOUCHË, DUC D'OTRANTB
phesne, négociant à la Fosse, n" i3. Quand vous les aurez comptés,
vous me le marquerez. Je me les ferai rembourser ici par Duchesne.
Ceux qui sont dans la puissance d'acquérir des biens nationaux
n'ont rien à craindre, la République nd manquera jamais de
loyauté', mais ceux qui n*ont que le nécessaire' doivent prudem-
ment prendre, dans cette circonstance, les mesurés les plus promptes.
Bien des amitiés à nos parents et amis, et surtout à Croizet.
TROISIÈME LETTRE
A LA CITOYENNE BrOBAND-,
Sur la Fosse, près le Saniiat, Nantes (Loire- Inférieure).
St-Leu, i3 nivôse an 5.
Je viens de recevoir votre lettre, ma chère sœur, et je vous en
remercie en mon nom et en celui de ma femme. J'ai reçu une lettre
de votre mari, il y a quelque temps, et c'est celle dont vous me
parlez.
Je n*ai point l'acte qui concerne Legris, vous devez l'avoir ? Il est
important de savoir l'époque où il a été passé, vous m'obligerez de
me le dire'. . . .
Adieu^ ma chère sœur. Ma femme et moi nous vous embras-
sons, votre mari et tous vos chers enfants ; il me tarde de vous voir:
J. FOUCHÉ.
* La Restauration confirma les contrats de la République. L'article q de la
charte constitutionneUe est en effet ainsi conçu « : Les propriétés sont tnrto-
lableSf sans exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant
aticune différence entre elles. »
s Cette lettre démontre que Fouché ne s'était pas enrichi puisqu'il ne pou-
vait acheter des biens vendus h. vil prix et dans l'avenir desquels il avail
confiance. La lettre suivante montrera Tindignation de Fouché contre ceux qui
l'accusaient d'avoir profité de sa situation pour acquérir des richesses scan-
daleuses.
3 Nous avons supprimé ici quelques lignes où il est question de comptes de
famille sans intérêt pour le lecteur. 9
JOSEPH FOUCHÊ, DUC D'OTRANTE 9
P.-S. Je prie Broband de m'écrire le plus tôt possible relative-
ment à Legris, et de me répondre aux divers articles de ma dernière
lettre, il m'obligera.
Bien des choses à notre famille. Je souhaite que la Guérîn ait
trouvé un honnête homme : ils sont si rares I
Je viens d'apprendre qu'on me donne à Nantes de beaux châteaux.
Ils sont sans doute en Espagne. Les misérables ! si je leur ressem-
blais j'aurais en effet beaucoup de richesses. A ma place ils au*
raient fait une fortune immense. Comment concevoir que j'ai tout
sacrifié à la patrie, et qu'il ne me reste que mon travail et mes
talents? Les fripons, ils n'ont plus le droit de croire à la vertu ;
heureux ceux qui peuvent se mettre à Fabri de leurs persécutions I
Il n'a pas dépendu d'eux de couvrir de sang la République, et c'est
par prodige que vous, mon cher Broband, et moi, avons échappé
à leur rage.
Dîtes à tous ceux qui croient les contes qu'ils débitent à dessein
que je fais la remise à qui voudra de tous les châteaux et de tout
ce que j'ai acheté depuis la Révolution, je lègue tout sans réserve.
J'avoue que ce n'est pas sans orgueil que je contemple ma si-
tuation, je rougirais d'être riche, je le serai assez de mon travail' et
de mes économies. Adieu. J'attends votre réponse au plus tôt, sur
tous les articles que je vous demande. Je vous embrasse.
QUATRIÈME LETTRE
Paris, 3o pluviôse an 7.
Il y a longtemps, ma chère sœur, que je n'ai eu le plaisir de
vous écrire. J'ai reçu à Milan une lettre de mon neveu. Je l'aurais
placé, si j'avais pu compter rester longtemps dans mon ambas-
sade, mais à peine étais-je arrivé, que j'ai songé à m'en retourner à
' Nous apprenons par le Moniteur du 9 novembre lygS, que Fouché envoya
à la Convention 1091 pièces d'or et d'argent. Dans le mcme temps, il faisait filer
du iîn dans la vallée de Montmorency pour élever sa jeune famille.
iO JOSEPH FOUGHË, DUC D'OTRANTE
Paris. Si je puis loi ôtre utile ici, vous pouvez être assurée que, je
le servirai de tout mon cœur. Quoi que je soye éloigné de vous et
de vos enfants, je ne prends pas .moins d'intérêt à eux et à leur
avancement.
Je ne sais si je pourrai aller à Nantes ce printemps : ce voyage
dépendra des événements. Il faudra bien prendre un parti relati-
vement au peu de bien que j'ai dans notre pays, il doit être en
fort mauvais état depuis les désastres de la Vendée*.
Vous m'obligerez de remettre l'argent que vous avez à moi au
capitaine Godard, chef des services militaires de la compagnie
Rochefortà Nantes, et vous me. ferez passer sa quittance.
Si votre mari a besoin du ministre de la marine pour assurer
notre créance à Saint-Domingue, il peut disposer de moi, s'il en a
besoin. Pour mon neveu, il peut également compter sur mon zèle.
Je vous embrasse tous de tout cœur.
FoucnÉ.
P.'S. — Bien des amitiés à nos parents et surtout à Croizet.
CINQUIÈME LETTRE
Liberté, Egalité
Paris, le lo fructidor, an 7 de la République une et ihdiyisible*
Le ministre de la pouce générale de la République
AU citoyen Croizet
Mon cher Croizet,
Je te prie, mon ami, de prévenir ma sœur que j'ai obtenu la
liberté de son fils'. Je l'attends à Paris, je l'emploierai dans mon
ministère. Recevez tous mes embrassements.
FOUCHÉ.
' Par un fragment'de sa correspondance, nous apprenons que Fouché donna
à ses nièces tout ce qu*il possédait au Pellerin.
* Il était prisonnier en Angleterre.
.•
JOSEPH POUGHÉ, DUC D'OTRàNTE 1!
SIXIÈME LETTRE
Paris, le a germinal an iS.
Le sénateur ministre de la police générale de VEmpire,
grand officier de la Légion d'honneur.
Je ne vous écris point, ma chère sœur, parce que les lettres ne
prouvent rien et que je n'ai pas le temps de les écrire, mais vous
pouvez être bien, assurée que je saisirai toutes les occasions d'être
utile à vous et à votre mari.
Jamais je ne recevrai de vos nouvelles avec indifférence. Donnez-
m'en souvent. Quelque part que je sois, en Italie ou en France, je
lirai avec beaucoup d'intérêt tout ce que vous me marquerez.
Je vous embrasse tous de bien bon cœur. Sachez que vous n'a-
vez pas un meilleur ami au monde.
FOUCHÉ.
Mes amitiés à Laujardière, à sa femme et à ses enfants. Ce n'est
pas ma faute s'ils ne sont pas encore au Prytanée.
SEPTIÈME LETTRE
Paris, II juin i8o6.
Je vous préviens, ma chère sœur, que je viens de faire nommer
votre fils à la place d'inspecteur dans les Bouches-du-Rhône. Cette
place est avantageuse et bien au-dessus de celle qu'il occupait.
S'il continue à satisfaire ses chefs par sa conduite et par son intel-
ligence, je le ferai arriver promptement à une place supérieure. Je
n'ai point désiré qu'il restât à Nantes parce qu'il y a des liaisons
qu'il doit rompre : il ne faut pas qu'il songe à se marier avant
d*avoir obtenu une direction. Le bien-être de votre fils demande
cpi'il voyage avdnt de se fixer près de vous.
12 JOSEPH FOUCHË, DUC D'OTRANTE
C'est un sacrifice, ma chère sœar^ajouté à celui de l'éloignement
de vos filles. Je vous invite à ne pas les distraire de leur éducation.
Elles ont commencé trop tard pour prendre des vacances. Exhortez^
les de ma part à une application soutenue, elles ne peuvent aller
dans le monde sans une bonne éducation. Vous avez soigné leur
cœur depuis leur enfance-, il est urgent de donner de la culture à
leur esprit. Il ne faut pas songera leur établissement avant deux ans.
Lorsque votre fils aura reçu sa nomination du ministre des fi-
nances, il prendra les ordres de son directeur et se rendra à son
poste. Vous lui défendrez de passer par Paris : c'est un lieu de
dissipations où il ne viendra qu'à un âge plus mur et quand je l'y
appellerai. Je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que votre
mari et vos chers enfants. -
Votre frère,
FOUCHÊ.
HUITIÈME LETTRE
A Madame Broband.
Chez M. Brillaud de Lavjardière, membre dv Conseil de préfecture
à Nantes {Loire-Inférieure),
Cette lettre porte un cachet de cire armorié des armes d'Otrante, d'azur à la
colonne d'or accolée d'un serpent de même d'un semis de cinq mouchetures
d'hermines d'argent posées a, a et i, au franc quartier de comte ministre, au
chef de duc brochant sur le quartier.
Paris, a 8 mars 1807.
Vous pouvez être tranquille, ma chère sœur, sur la conduite de
votre fils, il travaille et on est content de lui. Je l'ai recommandé
aux soins du maire de Marseille, qui est un homme respectable ;
il le surveille avec exactitude et me rend compte tous les mois
de sa manière de vivre.
JOSEPH FOUGHÉ, DUC D'OTAANTE 13
Je VOUS invite à me donner des nouvelles de mes nièces. Vous
devez faire une grande attention aux sociétés qu'elles fréquenteront :
c'efit une chose très importante pour elles dans cette circonstance,
et qui aura une grande influence sur leur avenir. Recommandez-
leur beaucoup de réserve dans leurs discours et de sévérité dans
leur maintien. Les femmes les plus recherchées dans le monde
sont celles qui accordent moins aux hommes.
Âccoutumez-les de bonne heure à méditer sur leur situation. Si
elles sont légères et frivoles, on leur fera la cour, mais on ne les
estimera pas. Qu'elles sachent bien que Tempire d'une femme
dans la société est établi sur la solidité de ses principes, de son
esprit et de ses mœurs ; que cet empire est détruit le jour où la
femme oublie ses devoirs.
On m'assure qu'elles profitent de l'éducation que vous leur don-
nez. J'en suis charmé : une femme vertueuse qui a l'esprit orné
devient plus aimable et plus intéressante.
Je vous embrasse, ma chère sœur, ainsi que toute notre famille.
Mes amitiés à Brillaud et à tous.
FoucnÉ.
NEUVIÈME LETTRE
A M. BwLLAUD DE Laujaudière, Nanïes.
Prague, a4 may J817.
J'ai reçu ta lettre du 17 avril. Je regrette bien plus ce que ma
disgrâce fait perdre à mes amis qu'à moi. Je vis heureux et tran-
quille ici, loin des affaires, par conséquent des tracasseries et des
orages qui les accompagnent. Je suis fort de la conscience du bien
que j'ai fait et du mal que j'ai empêché, ma récompense est assez
grande par l'estime de l'Europe.
Je ne m'attends pas que mon neveu soit placé en ce moment, je
compte peu sur la reconnaissance de ceux qui ont imploré jadis ma
protection et reçu mes bienfaits. Je connais le commun des
hommes et les passions honteuses qui les agitent.
14 JOSEPH POUGHt, DUC D'OTRAIITS
Je puis suppléer à ce qui manque à mon neveo pour oonchire le
mariage auquel j'avais consenti lorsqu'il occupait une place avan-
tageuse et qu'U avait l'espoir et le droit de la conserver. Je me
charge bien volontiers de lui faire la même rente que tu donnes à
ta fille, jusqu'à ce qu'il ait un emploi qui soit au moins l'équiva-
lent de cette rente.
Je vois dans ce mariage Texécution de mes anciens projets. Ta
fille, devenue ma nièce, me sera doublement chère.
Je regrette dt ne pouvoir assister aux solennités de son union :
j'aurais, ce me semble» quelque droit à exercer.
Adieu ! Mes amitiés à ta femme et i ta petite famille. Dis à ma
sœur mille choses tendres, ainsi qu'à son mari et à ses enfSmts.
Duc d'Otrahtb.
DIXIÈME LETTRE
Prague, i& septembre 1817.
Mon CHER IIEVSU ET MA CHBRE HliGE*,
Je me félicite d'avoir contribué à votre union. J'y répandrai le
plus d'aisance que je pourrai, comptez sur mon attachement.
Rendez-vous heureux l'un et l'autre, vous, Broband, par des
soins, par des égards assidus, et vous, Alexandrine, par une dou-
ceur inaltérable, par les vertus domestiques qui donnent tant de
dignité dans un âge plus avancé.
Imitez vos pères et vos mères, ils vous ofiGrent d'utiles leçons.
Après de longues années de mariage leur amour subsiste toujours
parce qu'ils s'estiment réciproquement. Il n'y a de sentiments du-
rables que ceux qui sont fondés sur l'estime. Occupez-vous donc
de bonne heure à vous faire un capital de considération.
Adieu I Soyez auprès de vos parents les interprètes de mon afiec-
tion pour eux. Chargez-vous de les embrasser comme je vous
embrasse. Le duc d'Otrantb.
* Lettre écrite au père et à la mère de H<°* Riom, connue dans le monde des
lettres sous les pseudonymes de Louise d*Isolb et de comte db Saiht-Jejoi. Sa
grand'mère, Louise Fouché, dame Broband, était la sœur de Joseph Fouché, duc
d*0trante.
JOSEPH FOUCHfi, DUC D'OTRANTE 15
ÉPILOGUE
Ces lettres de Fouché finissent, comme un roman, par un mariage et
des conseils aux jeunes époux. Nullement écrites en vue de la publicité^
elles mettent en pleine évidence la sensibilité du cœur et la sagesse de
l'esprit de Fouché, qui, s'il s'est montré parfois implacable envers ses
ennemis politiques, l'a été sans doute par système et non par cruauté*.
Son cercueil est fermé : Dieu l'a jugé, silence 1
Laissons-4e reposer près des siens dans un coin de son parc de Fer-
rières*y annexé depuis au cimetière du village, et que la croix du Christ,
que dans un jour de folie révolutionnaire il avait voulu répudier de la
pierre tombale, abrite à jamais de son ombre miséricordieuse le sommeil
de Joseph Fouché I
* « Nous n'écoutons que Is cri du peuple, écrivait Fouché k la Convention,
qui veut gue tout le sang des patriotes soit vengé d'une manière prompte
et terrible^ pour que Vhumanité n'ait plus à pleurer de le voir couler de
nouveau » (MonrrEURdu a4 nov. 1793).
* Il avait été d'abord enterré dans la chapelle Saint-Just de la cathédrale de
Trieste. H fut ramené en France et enterré dans son parc de Ferrières. près de son
ancien chftteau. C'est derrière les boiseries du salon principal de ce château que
Atrent cachés les papiers de Fouché, dérobés aux recherches de la police par ses
fils et dont quelques uns seulement, et non tous, comme le raconte M. Ernest
Merson dans ses Mémoires d'un journaliste^ d'après le prince Napoléon qui
tenait le fait de son père, ont pu été brûlés près du lit de mort de l'ancien ministre.
CHANTS DE DIVERS PAYS
Par lIlPPOLYTfi LUCAS
(SuiU)
POESIES i:fEDlTES
Ode à Bacchiis*
Quand Tautoinne à la verte vigne
A suspendu tous ses trésors,
De rOlympe, ainsi qu'un beau cygne,
Bacchus, tu descends sur nos bords ;
Suivi des Grâces et des Heures,
Tu vois les plus sombres demeures
S'ouvrir et fêter tes autels.
Le vieillard, que l'âge en vain glace.
Te reçoit et croit prendre place
A la table des Immortels !
Tu dérides le front austère,
Tu trahis l'homme lâche et faux ;
Bacchus^ tu répands sur la terre,
Comme un Léthé, Toubli des maux ;
Tu guéris jusqu'à la blessure
Que, de sa flèche la plus sûre.
L'amour a pu faire en un cœur :
Ariane, triste et brisée,
Cesse de regretter Thésée
A ta vue, aimable vainqueur î
' Grèce antique.
h
CHANTS DE DIVERS PAYS 17
Sans nul efibrt tu conquis Tlndc,
Sur tes pas naissent les moissons.
Les Muses, sur le haut du Pinde,
Pour toi composent des chansons.
Que ton thyrse heureux nous prolr^''^- î
Nous voulons, en un gai cortège,
A ton temple porter des fleurs ;
Bacchus, ami de Pespérance,
Toi seul sais de toute souffrance
Dans les festins noyer les pleurs.
La Vepdapgeuse^
Porte le raisin noir sur ton épaule blanche
O vierge, et qu'à longs flots le jus divin séj anche
Dans le pressoir du vendangeur !
Le vendangeur charmé, dépouillant sa corbeille,
Sourit et de ta joue à sa liqueur vermeille
Compare la vive rougeur.
Lorsque le travail cesse, aux laborieux groupes
Verse un vin déjà vieux en parfumant les coupes
De roses chères à Vénus ;
Prends le luth et prélude aux joyeuses cadeiic( s :
Bacchus, ô jeune fille, aime à voir dans les danses
Tes bras et tes seins demi-nus.
Mais, crois-moi, si tu veux que l'hymen seul dénoue
Ta pudique ceinture où le zéphir se joue,
Prends garde au fils de Sémélé.
11 le faut enivrer pour n'avoir rien à craindre.
Verse encor ; tu fuiras, sans qu'il puisse t'atteindre,
Quand ses pas auront chancelé.
' Grèce antique.
Tome n. — Ja:(vieu iSgS.
'^7 -Terr-
is CHANTS DE DIVERS PAYS
Platon'
ïCUe était jeune, elle était belle
Gomme la iîHe de Gérés,
Elle aimait à jouer comme elle
Au bord des flots et des forêf s.
Sitôt, hélas, perdre la vie !
Elle avait à peine vingt ans.
Pluton Ta vue et Ta ravie,
La terre a perdu son printemps.
Désolet ainsi nos familles
Pour embellir ton sombre lieu !
Sinistre amant des jeunes filles,
N*as-lu pas de honte^ ô vieux dieu ?
i-'Hôtesse'
Voici le temps où la terre est fleurie,
Où les oiseaux chantent sur le chemin ;
Pour protéger l'honneur de sa patrie
Le voyageur repartira demain.
Il a ferré sa monture fidèle
De fers d'argent avec de beaux clous d'or,
D'un bleu velours il a garni sa selle,
Et caressé son coursier, son trésor.
11 est minuit ! Eclairant l'heure noire,
Au voyageur l'hôtesse verse à boire,
A chaque coup lui redisant encor :
* Chanson grecque.
' Chants populaires de la Grèce.
CHANTS DE DIVERS PAYS 1)
— Quand le jour va renaître,
Que je parte avec toi :
£mmène<moi , mon maître.
Mon maitre, emmène-moi !
« J'apprêterai de doux mets pour ta bouche,
Je te ferai ton lit pour sommeiller.
Et tout auprès je placerai ma couche
Discrètement, de peur de t'éveiller.
— Non, où je vais, toute fillette y manque.
Les jouvenceaux, les braves seuls y vont.
— Eh bien ! je veux mTiabiller à la franque.
D'un chapeau d'homme, allons, couvre mon front.
Sur un cheval à la selle azurée
Je te suivrai de contrée en contrée,
Nuls jouvenceaux ne me devanceront.
Quand le jour va renaître.
Que je parte avec toi :
Emmène- moi, mon maitre.
Mon maitre, emmène-moi !
La jeape Fille d'AtIj>èpes*
Pourquoi vers l'autre monde,
0 ma fille, partir ?
La route en est profonde,
On n*en peut plus sortir.
Vois notre peine amère.
Reste, nous t'aimons tant.
— Je ne le puis, ma mère,
Caron, Caron m'attend!
Chants populaires de la Grèce.
■m - ..^1 V*
y^i_: • 1'^ >KîW.*..ti'.»V*^*''<5.' :TS<.T-.T»/f T.'«.*^||<if ^c;?Rf^W^f^«i^^
«
20 CHANTS DE DIVERS PAYS
Ne sais-tu pas, ma fille.
Le doux prix d'un baiser !
Te voyant si gentille,
Jani veut t' épouser.
Amour n'est pas chimère.
Reste : il sera constant.
— Je ne le puis, ma mère,
Garon, Caron m'attend ! ;
Vois, ma douce colombe,
Le printemps est si doux.
Ne va pas dans la tombe,
N'y va pas avant nous.
Pauvre fleur éphémère,
Brille encore un instant.
>— Je ne le puis, ma mère,
Caron, Caron m'attend !
Les Plaiptes de Rigi*
Rigi pleure, elle se lamente,
La tourterelle et la perdrix
N'ont pas de plainte plus charmante.
Yachos accourt à ses cris.
(( Fille blanche comme la neige^
Qu'as-tu doncP d'où vient ta douleur?
S'il faut un bras qui te protège.
Tu peux compter sur ma valeur. »
Rigi, que la grâce accompagne,
Répond : « A-l-çn rien vu de tel ?
Je cherche en vain sur la montagne
La plante qui rend immortel. »
* Chanson gfecque
CHANTS 0E DIVERS PAYS 2 i
- - Gesse de pleurer de la sorte,
Dit-il, en ce riant séjour !
Puis il s'éloigne et lui rapporte
Une des plantes d'alentour.
Rigi la prend et la respire.
Or c'était la plante d'amour^ '
Et voilà que Rigi soupire,
Pâlit et rougit tour à tour.
La belle s'écrîe éperdue
En versant de nouveau des pleurs
tt Un voile s'étend sur ma vue,
Quel frisson m'agite P Je meurs ! . . . »
— Non, non, que son charme t'enivre 1
Viens, ma Rigi, viens à l'autel.
C'est la plante qui nous fait vivre,
Plante d'amour rend immortel.
Rigi pleure, elle se lamente^
La tourterelle et la perdrix
N'ont pas de plainte plus charmante.
Jeune Yachos, toi, tu souris.
Myrtl)il'
Dans la prairie une source ruisselle.
Sage fillette y vient puiser de l'eau.
Près d'elle accourt avec sa tourterelle
Le blond Myrthil, berger galant et beau :
— Cède aux vœux d'un amant fidèle,
Lui dit-il, et prends mon oiseau :
— Je ne veux, répondit la belle.
Ni de toi, ni de ton cadeau.
Chanson grecque.
22 CHANTS DE DIVERS PAYS
Dans la prairie une source ruisselle,
Sage fiUelie y vient puiser de Teau.
Une croix d or à la main, plein de zèle,
Le beau Myrthîl s'avance de nouveau :
— Cède aux vœux d'un amant fidèle»
Lui dit-il, et prends ce joyau.
— Je ne veux, répondit la belle,
Ni de toi, ni de ton cadeau.
Dans la prairie une source ruisselle,
Sage fillette y vient puiser de l'eau.
Myrlhil enfin à la jeune rebelle,
Mieux avi^é, présente un simple anneau :
— Cède aux vœux d'un amant fidèle,
Lui dit-il, et prends mon cadeau.
— Je veux bien, répondit la belle.
Voici ma m^n pour ton anneau.
{A suivre. J
-•^sr ê
NECROLOGIE
M. SIMEON LUGE
Le i/i décembre 1892, est mort à Paris, d*une mort subite, fou-
droyante, M. Siméon Luce, tombé pendant qu'il traversait la place du
Chàtelet, et^ quelques minutes après, expiré.
M . Luce, membre de TAcadémie des Inscriptions, professeur à TÉcole
des Chartes, directeur de la Section historique aux Archives Nationales,
n'était pas seulement un érudit, un critique de premier ordre, comme
le prouvent les huit volumes des Chroniques de Froissart publiées
par lui et tous ses autres ouvrages. C'était un écrivain, un histo-
rien original, émlnent. Il avait Tart d'exposer les résultats de ses re-
cherches de façon à les faire comprendre, aimer, goûter, dans leur
nouveauté et leur saveur pittoresque, par les gens du monde. Tous ceux
qui ont lu sa Jacquerie, sa Jeanne d*Arc à Domrémi^ sa Jeunesse de Ber-
trand du Gaesclin, ont éprouvé le charme de cette manière d'écrire l'his-
toire qui, avec les grands événements fouillés dans tout leur détail,
donne la physionomie caractéristique des mœurs et des idées de
répôque où ils se produisent.
La mort de M. Luce est pour la science et la littérature historique
une perte capitale, -^ en particulier pour la Bretagne. — Dans sa Jeu-
nesse de du GuescUn il avait élevé à ce « grand Breton », — la plus pure
gloire peut-être de la Bretagne, — il avait élevé le fronton d'un monu-
ment admirable, qu'il eût mené à bonne fin et qui maintenant, hélas !
est condamné à rester inachevé.
Ce n'est pas là d'ailleurs Tunique obligation que la Bretagne ait à
M. Luce. Aussi, le 22 décembre dernier, à la Faculté des Lettres de
Rennes, au début de sa conférence hebdomadaire sur l'histoire de Bre-
tagne, M. Arthur de la Borderie adressait-il à son auditoire les paroles
suivantes :
Messieurs,
Avant d'entamer cette conférence, permettez-moi de déplorer avec vous la
perle d*un homme dont l'œuvre, le talent, le souvenir resteront chers et sacrés
pour tous les amis de la Bretagne et de son histoire, particulièrement pour tous
les amis de nos conférences bretonnes, ^ M. Siméon Luce. membre de l'Institut,
mort le i4 de ce mois.
1
^*'»B!f?rT''*
?4 NÉCROLOGIE
NoD seulement M. Luce avait écrit cette histoire de la Jeunesst de du
Gueselin^ qui est à tous les points de vue un monument historique de premier
' ordre, en Thonneur d*un des plus glorieux flls de la Bretagpne ;
Non seulement cela «- mais M. Luce avait efficacement contribué à fonder
Tœuvre de nos conférences bretonnes ; dans une lettre reçue do lui quelques
^ jours avant sa mort, le 8 du présent mois, et dont je vous demande la permission
de lire quelques passafi^es. il me le rappelait encore en ces termes :
« Mon cher ami, je crois bien que Je mUntéresse à votre cours I C'est moi •>—
et j'en suis fier •>— qui en ai donné à votre regretté doyen Dupuy la première
idée. Cette idée lui sourit beaucoup, mais il me fit cette objection : u N*y aura-
« t-il pas, de tel ou tel c6té, quelque opposition f — Allez toujours, lui dia-je,
« s'il y en a, je me fais fort d'arriver h la lever, n Nous nous trouvions
alors sur le boulevard Saint-Michel, à quelques pas de chez moi ; vous voyez
comme toutes ces circonstances me sont présentes. Eh bien, le succès de votre
cours a suscité et suscitera dos imitations. L'année demièro, on a fondé h Bor-
deaux une chaire d'histoire du Sud-Ouest de la France. Hier on fondait à Nancy
une chaire d'histoire de l'Est de la France. Mais vous aurez, vous Bretons, l'hon-
neur d^a voir commencé.
« Merci de vos documents sur la Culture de la Vigne en Bretagne^ ils m'ont
particulièrement intéressé. Toutefois, ce n'est pas dan^ des tonneaux ni dans des
caves ^u'il faut chercher le vin généreux qui fait la gloire de la Bretagne : c*est
bien plutôt dans le cœur des Bretons. »
M. Luce n'était pas Breton, quoiqu'il touchât la Bretagne par le lieu de sa
naissance ; il était de Coulances. Mais vous penserez et vous direz avec mol.
Messieurs, que — comme beaucoup d'autres Normande, d*ailleurs — il était digne
d*étre Breton, qu'il était un de ces Bretons d'adoption auxquels nous sommes si
heureux de faire accueil, et dont nous pleurons la pjrle comme nous le ferions
pour un Breton de race.
SOUVENIRS
D UN
VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE
Publiés par son Fils
(î=^UITE')
Septembre i8a8. — Evacuation des Turcs. — Le 3i août, la Z)/-
ligenie nous annonça lapparition de la division égyptienne, nous
appareillâmes dans la soirée, et le lendemain matin nous recon-
nûmes dans le sud ouest 87 voiles françaises et dans le sud-est une
vingtaine de bâtiments turcs. Nous ne tardâmes pas à nous trouver
au milieu des nôtres, qui, escortés par le brick le Hussard ^ arri-
vaient avec la cavalerie de l'armée ; on les expédia aussitôt pour
Calamata^et, laissant derrière nous les Turcs, nous nous dirigeâmes
vers Navarin où nous arrivâmes le i" septembre. Le leodemain,
quinze navires d'Alexandrie, dont trois frégates avec le vaisseau
anglais l'Océan, jetèrent l'ancre près de nous, au fond de la baie.
Aussitôt corvées de pleuvoir, 11 fallut que des embarcation» croi-
sassent toutes les nuits entre eux et la côte, afm de les empêcher d'y
débarquer des noirs ou d'embarquer des esclaves , et Ion posta
des élèves partout où il y avait des hommes à terre, afin de pré-
venir ou d'arrêter les collisions qui pourraient survenir entre eux
et les Arabes.
Le 3, Tamiral russe entra au mouillage, et le lendemain matin
Ibrahim pacha qu'on attendait avec la plus grande impatience,
* Voir la livraison d'ojlobre 1892.
26 -SOUVENIRS
parut sur la côte avec une escorte de près de i5o chevaux. U s'y ar-
rêta quelque temps et fît route pour la ville de Navarin. Le soir il eut
avec Famiral de Rigny une conférence secrète qui dura jusqu'à
orne heures et demie. C'est un homme d'une taille moyenne et d'un
extrême embonpoint ; sa barbe droite donne de la dureté à sa phy-
sionomie^ sur laquelle se peignent avec mobilité ses vives passions;
il était accompagné de son drogman et d'un secrétaire intime de
son père«
Le lendemain, l'entrevue entre lui et les trois amiraux eut lieu à
bord de ÏAsia. Elle fut longue et orageuse. L'amiral Codrington^
sur le point de r^ourner en Angleterre, voulait terminer avant son
départ les affaires de Morée et conclure à tout prix un traité avec
Méhémet-Ali. U y proposait que aoo hommes de troupes turques
occupassent les places de la Morée jusqu'à ce que le Grand Sei-
gneur eût reconnu l'indépendance de la Grèce ; mais la mission du
général Maison, qui avait ordre de s^emparer des places fortes, se
trouvait en opposition avec cet article. Ibrahim demanda trois jours
pour se décider ; pendant ce temps les ambassadeurs arrivèrent et
les conférences furent continuelles.
Nous eûmes en ce moment l'occasion de constater jusqu'à quel
point peut être poussée l'insolence des Grecs. Une goëlette de cette
nation, qui croisait depuis longtemps devant la rade, s'avisa d'y
entrer et de mettre en panne au milieu de la baie. Cela rappelait
absolument le coup de pied de i'àne. Aussi M. de Rigny, indigné,
ordonna- t-il au capitaine de VAlcyonef qui se trouvait à bord du
Conquérant, de s'en retourner promptement, de chasser celte goë-
lette à coups de canon, de la poursuivre jusqu'à ce qu'il l'eût
atteinte, et de dire à son commandant que s'il approchait doré-
navant de l'entrée du port à trois portées de canon, on le coulerait
bas. M. Turpin l'ayant précisément rencontré en retournant à son
bord lui en donna l'avis ; le Grec ne se le fit pas répéter deux fois
et sortit.
Entre temps on s'occupe à retirer ce qu'on trouve de bon dans
les carcasses de navires qui nous entourent. Nous sommes par-
venus, à bord du Conqvérant, à arracher une ancre et un canon de
•ji en bronze qu'on évalue à plus de S.ooo francs. Il me semble qu'il
D'UN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE 27
Serait bon d'attendre pour ces opérations que les Turcs aient com-
plètement évacué la rade, car enfin tout cela leur appartient.
Le 8 au soir, arrive un bateau à vapeur qui nous annonce qu'une
brigade de l'armée expéditionnaire s'est retranchée devant Coron,
que la frégate VAmphyirite et VJphiginie sont embossées devant la
ville, et que l'attaque doit avoir lieu le lendemain. VAlcyone part
aussitôt pour empêcher cet acte d'hostilité, dont la nouvelle
transporte Ibrahim de fureur ; il défend l'embarquement de ses
troupes, se. rend au conseil des troiâ amiraux^ leur déclare que,
puisque les articles du traité d'Alexandrie ne sont pas exécutés, il
n'évacuera point la Morée, et qu'au surplus il sera biea aise d'essayer
ses Arabes contre des soldats dignes de leur tenir tête. On resta en
conférence jusqu'au soir : le pacha finit par se calmer, et il fut
décidé que l'embarquement se ferait le lendemain. Dès six heures
du matin, nos embarcations furent occupées au transport des
Turcs sur les a8 navires, frégates , corvettes et bricks, disposés
pour les recevoir. Le lo, on embarqua les chevaux à bord du
vieux vaisseau retiré de la côte, mais toutes ces opérations traînent
en longueur, parce que les Anglais apportent mille entraves au
traité, tantôt refusant le transport des vivres à terre pour nourrir
les Turcs qui arrivent de différents points pour s'embarquer, tantôt
s opposant à ce que les esclaves grecs, qui demandent à ne pas
quitter leurs maîtres, s'en retournent avec eux. Une chose à remar-
quer, c'est que presque toutes les esclaves femmes veulent suivre
les Turcs, très peu désirent rester dans leur patrie.
Le II, on craignit encore des protestations en apercevant
sur la côte, vers la nuit, plusieurs compagnies de grenadiers.
C'étaient 3oo sapeurs du génie qui venaient faire une reconnais-
sance et construire des forts pour larmée, qui allait bientôt
manquer de biscuit. Ibrahim se contenta de l'explication et rem-
barquement de ses troupes n'en subit aucun retard. Il estime
beaucoup les Français et les croit sur parole.
Le lâ, je fus employé toute la journée à porter à bord du vieux
vaisseau turc de l'orge pour les chevaux qu'on y avait embarqués.
Il est impossible de voir un bâtiment en plus piteux état, et il sera
fort heureux s'il se rend à bon port à Alexandrie. On ne la point
fs., '^. r ïiï;»FPf JPï'
1% SOUVENIRS
lesté suffisament ; sa première batterie est au moins à 1 5 pieds
au dessus de la flottaison : il devra rouler d'une manière effrayante.
Plusieurs de ses sabords n'en font qu'un ; ces énormes trous ont
été simplement bouchés avec des planches en sapin que le pre-
mier coup de mer défoncera. Le malheureux navire à été tellement
criblé par les boulets , que toutes ses œuvres mortes ne sont plus liées
et qu'il risque de s'entr'ouvrîr au premier mauvais temps. L'amiral
de Kigny a proposé à Ibrahim de mettre à sa disposition tous les
charpentiers de la division pour réparer ce vaisseau, m^is le pacha
a refusé, bien qu'il s'expose à perdre des valeurs considérables, car
son lest se compose exclusivement d'une grande quantité de
canons en bronze sauvés des débris de la flotte. Je ne parle pas de
l'odeur qui s'exhale de ce bateau, elle est insupportable.
Le 16 septembre, a6 bâtiments turcs appareillèrent avec la Sirène
pour Alexandrie. Ibrahim a encore ici environ 10,000 hommes de
ses meilleures troupes. Le même jour, le général Maison arrive avec
. son état>major sousM'escorte d'un piquet de lanciers et campe à
mi'CÔte, près des moulins.
Le 17. YAmphiirite et 3 a transports français apportèrent les
bagages de l'armée, et dans l'après-midi l'avant-garde française
parut sur les coteaux occupés par le génie. On avait signifié aux
Turcs qui occupaient un petit plateau au-dessus du camp français
de l'abandonner aussitôt, et un grand nombre de mulets et de
chevaux que les Éygptiens envoyaient au fourrage dans la plaine
qui entoure le marais se trouvèrent isolés de la position ; l'officier
arabe qui commandait le détachement servant d'escorte aux fourra-
gours, n'ayant pas été prévenu à temps et voyant une compagnie
de voltigeurs et un escadron de lanciers débarquer devant lui à mi-
'cote, crut qu'il allait être attaqué. Nous le vîmes se langer immé-
diatement en bataille près du chemin, en s'appuyant sur un petit
monticule couvert de broussailles épaisses, et s'y maintenir assez
longtemps, attendant l'attaque; mais, en présence de l'immobilité
des nôtres, qu'on avait arrêtés, et ayant probablement reçu des
ordres, il se replia en se portant vers la hauteur, d'où les bagages du
petit camp turc furent promplement enlevés. Du bord nous suivions
attentivement celte manœuvre et nous remarquâmes avec étonne-
7— rfi-r
D'UN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE 2Î)
ment la promptitude avec laquelle ces deux cents Arabes, surpris
par l'apparition subite de nos voltigeurs et de notre cavalerie, se
formèrent en bataille et se mirent en état de défense, car dans leur
marche précédente ils ne paraissaient conserver aucun ordre. Si
une affaire se fût engagée, elle eût été chaude : les Arabes, une
fois habitués à combattre ensemble et non plus en tirailleurs à la
débandade, sont aussi solides que les Russes, ils ne plient plus et se
font teraser jusqu'au dernier avant de rompre. Dès que nos volli-
g^eurs furent maîtres de la position évacuée, ils mirent le feu sur
tous les points de la colline pour consumer les cabanes^ la vermine
et des cadavres en putréfaction que les Arabes n'avaient pas enterrés.
Enfin, le i8 au matin, l'armée débouqua par un petit vallon
près duquel est situé le quartier général. L'aile gauche s'étendit
sur trois lignes à différentes hauteurs le long du coteau, et l'aile
droite se rangea dans la plaine, de Fautre côté de la rivière.
Les bataillons de l'artillerie et du génie occupèrent le centre,
derrière le quartier général. Toute la journée nous fûmes occupés
à débarquer les transports, les tentes et les effets de campement,
et le lendemain nous les vîmes toutes dressées ; chaque compagnie
construisit alors, sur l'arrière de sa ligne de tentes, des baraques
en feuillage pour mettre à couvert ceux qui manquaient de loge-
ments, car la toile ne suffisait pas.
Cependant de nombreux navires arrivaient en baie de Navarin :
tous ceux qui étaient restés mouillés à Pétalidi, des bricks turcs,
un dernier convoi français portant une de nos brigades et qui avait
été dispersé par un coup de vent, deux vaisseaux russes et le reste
des transports égyptiens, en tout plus de deux cents navires de
toutes les nations et de toutes les grandeurs. A chaque instant on en
voyaitentrer ou sortir, et jamais je n'avais été témoin d'un pareil
mouvement naval. Le 3o, vingt-deux bâtiments turcs sortirent du
port et le lendemain quarahte-six transports mirent sous voile, les
uns destinés pour Alexandrie, sous l'escorte de la Circé^ les autres
portant l'une de nos divisions à Patras.
Le même jour, Ibrahim, qui désirait voir les Français sous les
armes, se rendit au camp avec les amiraux et passa la revue de la
brigr^de Igonet. Il admira la belle tenue de nos troupes ; mais les
30 SOUVENIRS
mouvements qu'on exécuta devant lui le laissèrent assez froid, car
ses Arabes manœuvrent avec autant de précision et de facilité que
nos meilleurs régiments.
On avait établi un poste français près de Navarin, parce qu'Ibrahim,
ne pouvant emporter avec lui tous les chevaux et les mulets qu'il
avait au camp, les avait abandonnés. Aussitôt une foule de Grecs,
qui se trouvent toujours là où il y a quelques rapines à faire,
s'étaient précipités sur eux et avaient même commis des violences
envers des Turcs qui ne se souciaient pas de leur livrer leurs che-
vaux ; un piquet de chasseurs arriva heureusement et dispersa ces
honnêtes gens ; puis une compagnie de voltigeurs s'établit près
de là jusqu'au départ définitif des Arabes, pour la garde des che-
vaux qui devaient rester la propriété de l'armée. .Mais les Grecs
n'abandonnent pas si facilement ce qu'ils croient pouvoir enlever :
pendant la nuit les sentinelles furent inquiétées plusieurs fois, des
coups de fusils furent échangés, et il fallut que l'un des pillards
fût tué par un factionnaire pour ralentir l'ardeur des autres et
les disperser.
Enfin, le 4 octobre, Ibrahim s'embarqua sur le brick égyptien le
Crocodile. Il eut, le soir, à son bord, une longue conférence avec
Tamiral de Rîgny et le général Maison ; puis le lendemain il mit
sous voiles avec une corvette turque, s'arrêta en passant devant les
places de Modon et de Coron» et quitta définitivement cette mal-
heureuse Morée qu'il avait ravagée si longtemps, qu'il laissait in-
culte et dépeuplée et où il avait perdu les deux tiers de son armée
par la famine, la fatigue et les maladies.
1 1 octobre. — Prise comique de Navarin, de Modon et autres'
places, -7 Toutes les familles turques qui habitaient Modon et Na-
varin s'étaient embarquées sur différents transports quelques jours
avant le départ du pacha, en sorte qu'il ne restait, dans chacune
de ces deux places, que quatre à cinq cents hommes qui refusèrent
d'en ouvrir les portes.
Le 5 octobre, sur le refus formel de nous laisser entrer dans
Navarin, le Breslnw s'embossa à portée du canon de la ville et sd
mit en branle-bas de combat. Gependant les compagnies du 1 6%
•*.llilB«!l|ir*!^-.-K
D'UN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE 31
qui occupaient des postes vis-à-vis la citadelle, n'empêchaient pas
les Turcs d*aller prendre de l'eau à une fontaine voisine et la meil-
leure intelligence régnait entre les deux partis. Le 6, deux batail-
lons arrivèrent du camp, et sur la plage on embarqua dans trois
chaloupes tous les engins nécessaires pour le siège. Ce qu'il y
avait de plaisant, c*est qu'on allait tes débarquer sur une petite
cale à demi-portée de canon de la ville, sans être le moins du monde
inquiété. Les amiraux avaient même été reçus dans la place, mais
ils en étaient sortis sans avoir rien pu obtenir des assiégés. A deux
heures de l'après-midi, le général Igonet, le colonel du t6*,
quelques sapeurs du génie et M. Navoni se présentèrent à une
brèche jadis faite par Ibrahim lorsqu'il enleva la place aux Grecs
et qui n'avait pas été réparée. Plusieurs Turcs fumaient la pipe 9ur
les remparts avec tout le flegme qui les caractérise. On demanda
le bey, et le drogman lui dit que, puisqu'il ne voulait pas ouvrir ses
portes, on allait les enfoncer ouïes faire sauter, et que, s'il ne voulait
perdre aucun homme^ il n'avait plus qu'à les faire retirer des
environs ; qu'en attendant, on allait entrer par la brèche. Les as-r
sièges répondirent qu'ils ne permettraient jamais d'entrer dans la
place, mais que, n'ayant pas les moyens de la défendre, ils étaient
forcés de laisser faire. Nos ofBciers montèrent aussitôt sur le itiur
et entrèrent sans que les Turcs se donnassent la peine de se dé-
ranger. Pendant ce temps l'on attaquait la porte à grands coups
de hache, lorsque l'on entendit quelqu'un crier de l'intérieur, en
français, d'attendre un instant, qu'il était seul, et qu'il lui fallait du
temps pour enlever les barricades qui tenaient la porte fermée.
C'était un officier français qui, ayant escaladé la muraille de l'autre
côté, venait à l'aide des assiégeants, après avoir traversé la ville au
milieu des Turcs impassibles. La porte ouverte, nos troupes pé-
nètrent sans le moindre obstacle. Cependant le pavillon blanc
flottait déjà sur le fort : c'était Trogofi qui, après avoir porté à la
cale tous les objets nécessaires au siège, voyant qu'ils ne servaient
à rien» avait couru avec Rosamel aux remparts et de là sur le fort,
où ils avaient arboré le pavillon.
Telle fut la prise comique de Navarin, qu'un an auparavant nous
avions labouré de boulets véritables.
'W
D'UN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE 93
Le 18, on reçut la nouvelle que les troupes sorties de Patras
avaient demandé à passer en Roumélie ; que, sous ce prétexte,
dles s'étaient enfermées dans le château de Morée qui défend le
détroit de Lépante, et que là on ne voulait entendre parler d'aucune
capitulation. Le général Shneider établît aussitôt son camp devant
le fort et fit ses préparatifs pour Tattaque. En même temps on fit
presser en toute hâte rétablissement d'un hôpital à Navarin, dans
les bâtiments qui servaient de magasins à Ibrahim, afin d'y trans-
porter les malades que les exhalaisons des marais, dépouillés des
roseaux, avaient frappés de fièvres intermittentes ; puis on em-
barqua sur les transports l'artillerie de siège^ des gabions, et
toutes les munitions nécessaires pour se rendre en force à Patras.
Le ai au matin^ la division mit sous voile. Nous avions abord
le général Maison, son état-major et cent sapeurs du génie. Entre
Zante et la côte de l'Arcadie, un navire qui venait de Patras nous
mit au désespoir en nous annonçant que la place s'était rendue,
mais le lendemain, à la pointe du jour, nous fûmes agréablement
détrompés par le bruit des canons des redoutes françaises établies
par le général Shneider devant le fort de Morée. C'était huit pièces
de dix-huit débarquées de l'Arm/de, de la Duchesse de Berry et
de la Didon, et servies par des matelots pour protéger les travailleurs
qui commençaient à ouvrir la tranchée.
Le a3, nous mouillâmes avec la division devant Patras. Cette ville
n'est, comme toutes les villes grecques, qu^un amas de mauvaises
cases entourées de vieilles fortifications vénitiennes. Elle est située
en amphithéâtre assez près de la mer, sur le flanc d'une chaîne
de oiontagnes élevées.dont la cime est couronnée d'une forêt de
chênes verts. Les faubourgs, bien plus considérables que la ville,
sont parsemés des ruines de plusieurs monuments jadis importants.
Les environs, en particulier une belle plaine un peu inclinée vers
la mer et divisée par un large torrent, paraissent avoir été autrefois
couverts de maisons de campagne et de jardins dont les débris de
murs coupent le terrain dans tous les sens ; maintenant on n'y voit
plus un arbrQ : le jonc et la réglisse couvrent seuls la plaine.
A deux lieues environ dans le nord de Patras, à l'extrémité d'une
pointe de sable qui ferme le détroit de Lépante, se trouve situé
TouE IX. — Janvier 189a. 3
f"«
• "•' ••■ "Tï»^
34
SOUVENIRS
le fort de Morée. C'est encore une construction vénitienne^ assez
moderne, que sa solidité seule a préservée des injures du temps ;
car les Turcs et les Grecs ne se sont jamais avisés de réparer les
forteresses qu'ils occupaient, même lorsque des pans de murailles
entiers s'écroulaient de vétusté.
Le château est dominé par quatre grosses tours et défendu du
côté de la terre par deux demi-lunes qui le couvrent en partie : le
fort de Roumélie, qui se trouve de l'autre côté, à l'entrée du détroit,
parait moins considérable et n'est guère à redouter que du côté
de la mer. La passe qui sépare les deux forts n^a qu'un mille de
largeur, en sorte que leurs feux peuvent facilement se croiser.
Le lendemain de notre arrivée, les généraux et l'amiral visitèrent
les travaux à l'ouverture de la tranchée, mais leur groupe, aperçu
par les Turcs, fut bientôt dispersé par quelques pièces de canon
qu*ils pointèrent sur eux et dont quelques boulets leur passèrent
très près A son retour, l'amiral de Rigny envoya un canot, avec
TrogofT et deux élèves, pour sonder dans les environs de la forteresse
et voir s'il était possible de s'y embosser. Ils s'approchèrent des
remparts à la faveur d'une fumée épaisse, provenant de l'incendie
de plusieurs baraques au milieu desquelles avait éclaté une bombe
envoyée des redoutes françaises, et après avoir longé, sans être vus,
la partie du fort qui regarde la pleine mer, ils se disposaient à
doubler la pointe de sable la plus extérieure, lorsqu'ils furent
aperçus par une sentinelle. L'alarme donnée, on les fusilla pendant
quelque temps et on leur tira môme trois coups de canon à boulet,
mais, grâce à la maladresse des Turcs, ils s'en tirèrent après avoir
terminé leur mission avec quelques balles dans les avirons et le
canot : personne ne fut blessé. Le résultat de Fexpédition fut qu'il
était presque impossible de s'embosser de l'autre côté du fort :
on y avait trouvé a8 à 3o brasses d'eau, un courant violent changeant
de direction, un mauvais fond, et un vent de nord-est très frais
qui durait depuis plusieurs jours et ne paraissait pas devoir cesser
de si tôt.
Le 25, YAtalante reçut l'ordre d'aller mouiller sur la côte 'de
Roumélie en se mettant hors de la portée des canons de la place.
Elle envoya aussitôt un canot avec M. Navoni pour inviter le pacha
rr'Mf*?- ■ r . •• ,. ■ i . ^T . r-'
D'UN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE 3b
r
à engager les Turcs du château de Morée à se rendre avant qu'on
ne les y forçât, attendu qu'il leur était impossîble^de tenir long-
temps. Le pacha répondit que, loin de leur conseiller de se rendre,
il leur ordonnait de se défendre jusqu'à b dernière extrémité, que
sans cela il né les recevrait jamais, il assurait du reste qu'il ne
voulait pas se mettre lui-même en guerre avec les Fraifçaîs et il de-
mandait que les communications fussent ouvertes avec lui comme
si le siège du château de Morée n'avait pas lieu.
Cependant les travaux étaient poussés de ce côté avec beaucoup
d'activité. Les canonniers de la batterie destinée à protéger les
travailleurs, après avoir réussi à démonter toutes les pièces qui se
trouvaient sur les remparts, empêchaient les Turcs d'en remettre
d'autres pendant le jour, en sorte qu'on n'était guère inquiété que
par des bombes et par quelques coups de canon envoyés pendant
la nuit. Le 27, la tranchée étant ouverte à cinquante toises de la
demi-lune, on se disposa à y établir la batterie de brèche : on dé-
barqua l'artillerie de siège des bâtiments marchands, les frégates
en fournirent aussi, et nous envoyâmes du Conquérant deux pièces
de 24 avec des munitions pour 4oo coups de canon. Nos pièces se-
ront servies par des matelots du bord : un officier et un élève sont
chargés du service et doivent être relevés toutes les a4 heures.
Envoyé plusieurs fois aux lignes pour porter des ordres, j'ad-
mirai la grande étendue des travaux exécutés en si peu de temps
et la manière dont on peut, sans être vu, s'approcher d'une forte-
resse^ malgré tous les efforts qu'elle peut faire pour vous en em-
pêcher. Les travailleurs étaient à l'abri de murs formés avec des
gabions et surmontés de sacs de terre; mais il fallait néanmoins
circuler aïKC précaution, car les Turcs n'apercevaient pas plutôt
quelqu'un de leurs meurtrières, que plusieurs balles lui sifflaient
a-jx oreilles. Dans les fossés, nos voltigeurs fusillaient aussi, à travers
les intervalles des sacs de terre, ceux des assiégés qu'ils pouvaient
entrevoir sur les remparts, en sorte qu'un feu très vif était en-
tretenu pendant toute la journée, mais sans être meurtrier pour
les nôtres.
Le 3 octobre se trouvant pour moi un jour de tranchée, je
m'y rendis la veille, dans l'après-midi. La batterie de brèche était
•
k très peu près iDStallée et prâte k faire feu. Oa lui avait donné le
nom de battefie de Charles X el de Georges IV ; elle comptait
i4 pièces de gros calibre dôDt quelques-unes anglaises. A l'extrémité
de celle-ci se trouvaient trois canons de 18, désignés sous le nom
de batterie Dauphin et destinés k battre aussi en brèche une
partie du Hastioa. Plus loin, la batterie d'Angouléme était com-
posée de pièces de campagne et devait empêcher l'ennemi de
paraitre sur les remparts. Derrière, à petite distance, trois mortiers,
quatre obusiers et trois canons de 18 devaient aussi occuper les
assiégés sous le nom de batterie de Bordeaux. Enfin la batterie
d'Henri IV, la première dressée, et dont on avait enlevé quelques
pièces, restait en réserve. ■
Le soir, nous reçûmes l'ordre de nous tenir prêta à faire feu le
lendemain malin k six heures, au premier signal. Nous passâmes
ime partie de la nuit en derniers préparatifs, tels que : démasquer
les pièces, mettre les poudres à l'abri du .feu et cependant en lieu
commode pour les approvisionnements, remplir les parcs de bou-
lets, etc. ; puis nous nous étendîmes dans une petite baraque en
planches qui nous était destinée et je m'endormis au bruil des
hurlements que poussaient les Turcs toutes les nuits et des coups
de fusil qu'ils tiraient constamment sur tout ce qu'Us apercevaient
de mobile.
A 5 heures, le lendemain, nous étions k nos postes, attendant
avec impatience qu'on lançât tes trois fusées à la congrève qui de-
vaient être le signal de l'attaque. A six heures elles furent aperçues,
et aussitôt plusieurs bombes provenant des dernières batteries et
d'une bombarde anglaise embossée à portée du fort allèrent ré-
veiller les malheureux Turcs. Peu après le feu commenta de toutes
parts et en quelques minutes nous entamâmes le mur. L'ennemi
ne se montra pas d'abord, et ce ne. fut que deux heures après le
commencement de l'action que nous eûmes à essuyer de sa part
une vive fusillade à laquelle les voltigeurs répondirent avec ac-
tivité. Enfin, k dix heures, lorsque le feu paraissait le plus animé
de part et d'autre et que des pans de muraille entiers s'écroulaient
sous l'action des boulets, promettant bientôt un passage facile, le
pavillon rouge fut amené et le drapeau blanc arboré sur la plus
-.-^Vi»'
D'UN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE 37
haute tour, puis les Turcs se montrèrent sur les remparts en faisant
signe de cesser le feu. Nous reçûmes aussitôt Tordre de charger
et de pointer nos pièces, mais de ne plus tirer, et Ton célébra la
victoire par les cris ordinaires. ,
Deux compagnies d'élite furent alors envoyées dans la place pour
Foccuper et désarmer la garnison ; elles trouvèrent la porte ouverte
et furent étonnées du sang-froid et du calme imperturbables des
Turcs qui; s'étant rendus à discrétion, s'attendaient à être massa-
crés ou tout au moins pillés et maltraités par les vainqueurs. Les
généraux entrèrent ensuite avec uû régiment d'infanterie, et nous
nous occupâmes à désarmer nos pièces.
' Ainsi fut pris, après quatorze jours de tranchée et avec une
perte de quatre hommes, ce fort de Morée qui paraissaient aux Turcs
inexpugnable.
L'après-midi, quoique l'entrée de la place fûit interdite à tout ce
qui ne portait pas de. grosses épaulettes, je parvins à m'y glisser et
je pus visiter à mon aise les dégâts qu'avaient faits les bombes et
les boulets. Pas une maison n'était intacte, la terre était profon-
dément labourée de tous côtés, et le feu qui avait pris dans
plusieurs endroits s'était éteint faute d'aliments. Je ne rencontrai
aucune pièce de canon en batterie : toutes celles des remparts
avaient été démontées. Ce qui m'étonnà fut de trouver peu de sang
répandu et pas un cadavre, si ce n'est ceux d'un chameau et d'une
vache. Nous apprîmes plus tard que les Turcs avaient jeté leurs
morts dans une citerne et qu'ils avaient évacué leurs blessés au
fur et à mesure sur Lépante. Six cents hommes se trouvaient encore
dans le fort ; ils avaient rassemblé leurs femmes dans une case-
mate très obscure et dans quelques cases qui n'avaient pas été
démolies par les bombes. Aucune d'elles ne paraissait effrayée.
J'étais entré dans le fort une heure et demie après la reddition et
tous les habitants vaquaient à leurs occupations ordinaires avec
la plus grande tranquillité, c'est-à-dire fumaient leur pipe et pré-
paraient leur dîner. Je rencontrai sur les remparts, dans une
baraque à moitié démolie par les boulets, une vieille femme qui,
lorsque nous passâmes, semblait sortir de dessous les décombres
et venait mettre qudques lambeaux de linge à sécher. Il est vrai
38 SOUVENIRS
de dire que si ce calme extraordinaire des Turcs nous a frappés,
noire modération ne les a pas moins surpris, car on s'est con-
tenté de leur faire déposer les armes. Rien autre chose ne leur a
été pris et pas une de leprs femmes n'a été touchée.
Je fus relevé le soir et je m'en retournai à bord avec trois hommes
qui avaient été blessés h l'une de nos pièces par l'explosion d*une
gargousse.
Cependant les Grecs couvraient en grand nombre les travaux
d'approche et faisaient tous leurs efforts pour s'introduire dans la
place, sans doute pour y piller. Ces misérables, qui pendant le siège
n'avaient fait qu'apx>araiire au sommet des montagnes et avaient
refusé, môme moyennant salaire^ de nous aidera faire des gabions,
s'étaient rués par nàilliers sur nous lorsque la citadelle avait amené
son pavillon. Ils poussaient l'audace jusqu'à se donner des airs
d'arrogance qui étaient fort loin de leur convenir ; aussi nos soldats
et surtout nos matelots les traitèrent-ils comme ils le méritaient
en les chassant à coups dl bâton ou en cern&nt ceux qui les regar-
daient travailler et les forçant, une houssine à la main, à démonter
et à embarquer les pièces que nous enlevions de Itios batteries.
Il était temps que l'affaire se terminât, car un orage très violent,
accompagné d'une pluie battante, éclata dans la nuit du 3i, et, la
tranchée se trouvant presque entièrement faite dans le sable où
dans une terre glaise très molle, les terrassements se fassent éboulés
en grande partie ; il nous eût été fort difQcile de manœuvrer nos
pièces et les Turc» auraient eu beau jeu contre nous qui serions
restés presque entièrement à découvert.
Décembre 1828. — Hivernage à Smyrne, —Le 1°' novembre, le
Breslau, VIphigénie et YAialante embarquèrent des troupes ; nous
primes, avec nous Tétat-major et le ^énie, et le a au matin on
appareilla pour Navarin ; mais il n'y avait plus de raison de conti-
nuer notre insipide croisière, et, le i5, après avoir constaté que
rétablissement des hôpitaux était activement poussé, l'amiral fit
mettre à la voile pour Smt/rne et s'arrêta, chemin faisant, à Paras,
où les ambassadeurs des trois puissances se trouvaient réunis avec
plusieurs vaisseaux anglais et russes.
/*
TF*"^
D'DN VIEUX CAPITAmE DE FRÉGATE
33
Le 3o novembre, nous laissions tomber l'ancre devant Smyrne,
où nous rencontrâmes la Fleur-de-Lis, à bord de laquelle se trou-
vaient les élèves de Técole sortis dans la marine un an après lhu .
Dès le lendemain, on s'occupa de réparations qui promettaient
un long séjour : on dévergua les voiles, on prépara des change-
ments considérables, et Ton fit descendre un grand nombre de
nos malades atteints du scorbut au nouvel hôpital français du
Coulât, installé depuis peu au milieu d'un vaste jardin. Notre
hiver s'annonce mieux que celui de Tannée dernière. Les Turcs ne
sont plus sous l'impression de la défaite de Navarin. En dehors
du service, notre temps se passe en fêtes que nous donnons aux
élèves de la Fleur-de-Lis et que ceux-ci nous rendent, et en soirées
ou bals chez M. Van Lennep, le consul de Hollande chargé des
affaires de France au Cassin, et dans les différentes maisons parti-
culières.
Entre temps nous prenions des bains turcs. Voici la description
de mon premier bain j nous entrâmes dans une grande salle en-
tourée de canapés et de lits de repos, où l'on nous déshabilla ;
puis^ couverts d'un peignoir et chaussés de sandales^ on nous fit
passer dans une petite chambre pavée en marbre où coulait uA
ruisseau d'eau chaude qui la maintenait à une température assez
élevée. Après avoir pris là des Grecs qui devaient nous mener dans
la salle du bain, nous nous assîmes sur des bancs pour fumer la
pipe turque indispensable ; on séjourne dans cet endroit près de
dix minutes pour se préparer à la forte chaleur que l'on rencontre
au bain. On nous introduisit alors dans une grande salle ronde re-
couverte d'une voûte sphérique et percée d'un grand nombre d'ou-
vertures qui, fermées par des verres lenticulaires très épais, ne
permettent qu'à une lumière douce de pénétrer. Elle est pavée en
marbre et plusieurs petits jets d'eau chaude s'échappent au milieu
d'une plate-forme circulaire et sur des estrades situées en face de la
porte et des deux côtés. Les quatre intervalles entre les fontaines
sont occupés par des cabinets dans lesquels on trouve de grandes
baignoires en pierres, et sur les plates-formes sont disposés de
petits lits de repos en planches sur lesquels nous nous étendîmes.
Bientôt la forte chaleur et la grande quantité de vapeur renfer-
n"
40 SOUVENIRS
«
mée dans la salle nous fit transpirer de toutes parts. Le Grec
que chacun de nous avait choisi nous lava alors le corps en frot-
tant fortement avec une peau de chameau assez rude ; puis il fit
mousser du savon dans un vase, nous en baigna entièrement, et
acheva en nous lavant avec une éponge douce. Après avoir été bien
essuyés et recouverts de peignoirs chauds, nous passâmes dans la
seconde chambre, où nous fûmes soumis pendant quelques mi-
nutes à une. température moins élevée ; enfin nous trouvâmes dans
la première chambre un lit de repos où nous nous couchâmes et
où l'on nous, apporta la pipe et le café. Le bien-être que l'on
éprouve pendant cette demi-heure de repos est extraordinaire : le
calme de tous les sens est tel qull setnble qu'on ait un avant-goût
de la béatitude ; et Ton conçoit que les Turcs en usent souvent^
car ces bains ne coûtent pas plus cher que ceux que Ton prend
en France dans une simple baignoire.
Le i3 décembre, nous aperçûmes au Château la frégate la Du-
chesse-de-Berry^ qui peu après s'y échoua ; il paraît que les bancs
ont changé de position et que les pilotes ne s*y reconnaissent plus,
car, depuis quelques jours, plusieurs bricks y sont restés fort long-
temps et nous avons été obligés d'aller leur porter secours avec
notre chaloupe. Cette frégatç escortait un convoi qui ramène les
restes des malheureux Turcs de Patras et de Modon, que, sans
cesser d'être leurs amis, nous avons forcés de s'expatrier. Bizarre
manière d'être en paix avec un pays I Mais la raison du plus fort
est toujours la meilleure.
Nous varions nos plaisirs en visitant quelques monuments turcs^
en particulier la caserne que le pacha a fait construire l'année der-
nière pour les troupes régulières qu'il forme et qu'il exerce. C'est
un vaste bâtiment de 3oo pas de long, faisant face à la mer, et
dont les deux ailes, perpendiculaires au corps de logis, encadrent
une grande cour fermée sur le rivage par une belle grille. La
distribution en est bien conçue, mais la construction n'est pas
de nature i braver longtemps les injures du temps.* Les ga-
leries qui régnent tout autour, et où l'on peut facilement exercer
les troupes en cas de pluie, sont soutenues par de frêles co-
lonnes en bois enduites d'épaisses ôouches de chaux qui leur
r •
DUN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE 41
donnent de la forme, mais qui ne tarderont pas à se dégrader.
Les chambres des divers étages peuvent contenir chacune en-
viron quarante hommes et ont pour tout ameublement un râte-
lier d'armes et une espèce de lit de camp placé tout autour. Les
Turcs du peuple ne sont pas habitués à la mollesse, et, pourvu qu'ils
puissent coucher sur une natte, ils ne demandent rien de plus. Un
jeune soldat^ avec la permission de Tofficierqui était de garde, nous
conduisit partout , et nous fûmes obligés d'assister à une séré-
nade que nous donnèrent les tainbours et les fifres du régiment
qui habitent la caserne. Les Turcs ont une véritable passion pour
les exercices militaires ; si quelqu'un d'entre eux vient visiter le
bord, la première chose qu'il demande est un fusil, pour mon-
trer comment il fait l'exercice . J'eus beaucoup de peine à me dé-
barrasser d'un soldat qui voulait à toute force m'en faire manier
un ; je n'étais pas disposé à lui inontrer ma maladresse, mais je
fus obligé de traverser toute la galerie de la caserne en marchant à
ses cotés au pas ordinaire.
Une visite plus pittoresque fut celle du palais du pacha qui se
compose de cinq corps de logis différents, disposés sans aucu];ie
symétrie et renfermant deux cours et un petit jardin planté
d*orangers. Comme toutes les habitations du pays, ces maisons
n'ont que deux étages qui avancent en surplomb, sur le rez-de-
. chaussée, leurs toits dépassant de beaucoup la muraille servent
en quelque sorte de parasol. Ne pouvant demander à visiter le pa-
lais, parce que nous ne parlions pas la langue turque, nous réso-
lûmes d'y pénétrer jusqu'à ce qu'on nous arrêtât. Nous entrâmes
donc comme si nous étions des habitués et nous montâmes un
grand escalier en bois qui nous conduisit dans une vaste salle carrée.
Sur le plafond étaient dessinés grossièrement en noir et rouge
des vaisseaux et des paysages. Latéralement étaient disposés quatre
cabinets laissant entre eux un même nombre d'espaces fermés par
des grilles, autour desquels étaient placés des divans. Là étaient
assis plusieurs Turcs au maintien grave, à la longue barbe blanche,
qui nous invitèrent à nous asseoir près d'eux, mais qui, contre
l'ordinaire, ne nous offrirent pas la pipe. Nous montâmes ensuite
au second étage^ disposé à peu près de la même loanière, mais
43 SOUVENU»
avec plus de luxe. Les décorations de la salle étaient mieux soi-
gnées et UQ riche râtelier d'armes régnait au-dessus des divans. lÀ
encore se trouvaient beaucoup de gens qui ne parurent pas plus
s'occuper de notre entrée dans ce lieu que si nous eussions eu
coutume de nous y trouver tous les jours. Plusieurs ofliciers et
soldats promenaient dans un long vestibule dans lequel nous nous
engageâmes ensuite et qui nous conduisit dans une sorte d'anti-
chambre, puis dans une autre salle du même genre que les deux
premières, où se trouvaient encore quelques Turcs de belle appa-
rence qui regardaient aux fenélres ou circulaient gravement Nous
n'osâmes pas pousser l'audace jusqu'à ouvrir plusieurs portes qui
donnaient sans doute correspoodanca avec un aulre corps de logis,
et nous bornâmes là notre visite, fort surpris ' de l'indlRérence
parfaile avec laquelle on nous avait laissés manœuvrer.
Près de là nous visitâmes la mosquée, choisissant Unstant où
les musulmans venaient de sortir de la prière, afin d'y trouver
le moins de monde possible. L'édifice, dans lequel, conformémenL
à l'usage, nous entrâmes après nous être déclîaussés, est situé sur.
une petite place au milieu du bazar, et précédé d'une belle fon-
taine en marbre blanc recouverte d'un pavillon où l'on pratique
l'ablulion avant de pénétrer dans le lieu saint. On traverse ensuite
une petite cour ("ermée par des grilles, puis on se trouve sous un
vaste péristyle formé par des colonnes assez élevées qui supporte •
la voûte, composée d'autant de crottes sphériques qu'il y a d'en-
trecolonnements au-dessus du portail ; sur une plaque de marbre
blanc sont gravés en lettres d'or des articles du Coran relatifs à la
majesté du lieu, et des deux côtés sont peintes sur la muraill<'
plusieurs inscriptions. On entre alors dans le temple propremt ni
dît, qui se compose d'une vaste coupole soutenue par douze grosses
colonnes peintes de différentes couleurs, surmontées d'un grand
nombre de colonnes plus petites dont les intervalles servent à
donner du jour. Au centre est suspendu un lustre portant sur
plusieurs cercles concentriques une immense quantité de lampes
rictiement ouvragées. Cette coupole principale est entourée de
huit autres coupoles moins élevées qui forment les bas-côlés du
temple. En {ace de la porte est disposé le sanctuaire, espèce de
i ■»-
D»UN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE 43
niche en ogive .richement décorée, dans laquelle on aperçoit plu-
sieurs inscriptions sur de pelîls. cadres rouges, verts ou bleus ; à
droite, une grande lampe en or ; à gauche, une petite chaire pra-
tiquée dans la muraille, à laquelle conduit un escalier toum&nt en
bois doré. En face du sanctuaire, au-dessus de la poite d'entrée,
est disposée une vaste tribune le long de laquelle règne une longue
inscription. Le pavé est recouvert de riches tapis et de belles nattes
sur lesquels on s'agenouille. Quatre ou cinq musulmans, épars
sur ces tapis, adressaient sans doute au ciel de ferventes prières,
car ils ne s'aperçurent point de notre approche et nous parurent
incapables d'avoir la moindre distractipn, bien différents de beau-
coup de nos dévots de France qui n'entendent pas le plus petit
bruit dans une église sans s'inquiéter de ce qui lui a donné lieu
et qui passent généralement l'inspection de tous les assistants.
a8 février 1829. — Egine. — Le 21 février, nous appareillâmes
en disant adieu au carnaval de Smyrne, et, après une traversée
contrariée par des calmes, nous mouillâmes le a5 à Egine, au
milieu de trois vaisseaux et de deux frégates russes. On nous permit
de visiter Tile, et le lendemain, ayant loué de mauvaises mules,
nous nous dirigeâmes vers le temple de Jupiter Panhellénien,
situé sur un promontoire qui regarde Athènes. Après deux heures
de marche par des chemins affreux, le long de coteaux assez bien
cultivés ou dans des gorges couvertes d'arbres et fort pittoresques,
nous arrivâmes au temple dont il reste encore vingt-trois colonnes
recouvertes de leur entablement. Il n'a pas été construit en marbre
blanc comme le Parthénon et comme les temples du cap Sunium
et de Délos, mais son architecture simple et élégante rachète ce
défaut d'éclat, et ses colonnes, d'un calcaire gris et dur, ont bien
résisté aux injures du temps. '
Le panorama dont on jouit du péristyle est magnifique et d'une
immense étendue. Athènes s'aperçoit au nord, à une distance de
trois ou quatre lieues, et derrière la ville la chaîna de Penthélique
borne l'horizon. A droite, le mont Hymète se prolonge jusqu'au
cap Sunium^ dont on devait facilement distinguer le beau monu-
ment lorsqu'il existait en entier ; puis l'œil se perd sur les mon-
D'UN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE 45
manœuvres : les matelots travaillent avec une ardeur qu'ils n'ont
encore montrée que rarement. Un bon vent nous pousse : puisse-
t-il ne pas changer de direction avant notre arrivée au port 1
a6 mars. — Situation critique, — Dans la nuit du i4 au i5, nous
passons devant Malte, et le surlendemain un coup de vent de sud-
ouest nous fait promptement doubler la Sicile. Nous longeons la
Sardaîgne, et, le 17, nous nous présentons aux bouches de Bonit'acio.
Mais là la brise nous abandonne complètement et nous force de
nous diriger ail large. Le calme dure jusqu'au 28 : nous doublons
enfin le Cap Corse et nous atteignons la côte du Piémont. Enfin
nous passons rapidement entre les îles d'Hyères ; mais en sortant
de la passe, le vent nous ayant manqué tout à coup, nous restons
en calme à deux encablures de la côte avec une mer très houleuse.
C'est donc à l'entrée du port que je me suis trouvé dans la position
la plus critique de ma navigation.
Nous restâmes en effet, pendant deux heures, à une encablure
des rochers, ne faisant pas assez de chemin pour nous en retirer et
n'ayant pas même la ressource de mouiller, par des fonds de 80
brasses. Le vaisseau était perdu si une petite risée ne nous eût fait
sortir tout à coup de ce mauvais pas ; car, si nous avions eu le
malheur de toucher dans cet endroit, la houle eût promptement dé-
moli le navire.
Le 26 mars, à une heure de la nuit, nous mouillâmes au lazaret
de Toulon, et le lendemain, au lever de Taurore, je saluai la terre
de France que je n'avais pas vue depuis 27 mois.
Deux jours après notre arrivée, nous apprenons qu'une promotion
de 3o enseignes de vaisseaux vient d'avoir lieu ; nous en faisons
provisoirement partie, mais nous sommes placés les derniers sur
la Uste'et nous ne recevrons nos brevets qu'après notre admission
définitive dépendant du résultat de notre examen. 11 y a loin de là
aux promesses qui nous avaient été faites à la suite des demandes
de l'amiral. Nous devions recevoir notre brevet sans examen, à
dater de l'expiration exigée pour notre admissibilité, c'est-à-dire au
i" décembre 1828. Nous sommes remis dans le rang : il ne nous
reste plus qu'à nous mettre à l'ouvrage pour subir notre examen le
plus tôt possible en utilisant les loisirs de la quarantaine.
%
t
''■*^-r''
r
fi
t.
:• ,-
46 SOUVENIRS D*UN VIEUX CAPITAINE DE FRÉGATE
i8 avril. — Notre quarantaine purgée, nous mouillons le i6
en grande rade, entre le fort Balaguet et la grosse tour ; le i8
au matin, samedi saint, nous sommes admis à la libre pratique.
Subra et moi, nous demandons aussitôt au commandant la per-
mission de nous établir à terre pour préparer nos examens ; elle
nous est accoïdée.
Mai iSag. — Le ii mai, je subis mon examen d'enseigne, et, le
lA, je vais reprendre à bord mon service d'élève^ mais il n'est
pas aussi pénible qu'autrefois^ je suis admis à la table des ofQciers
et sur sept jours je n'en ai que trois de service. Cependant les
épaulettes n'arrivent pas et les corvées d'élèves n'en vont pas
moins leur train.
Juin 182g. — Enfin, le 8 juin, à Tinspection, le commandant nous
remet nos brevets d'enseignes. Mais ce qui me flatte moins, c'est
qu'on me débarque du Conquérant pour me placer sur le vaisseau
la Provence, qui arme dans le port à destination de la croisière d'Al-
ger'. Subra subit avec moi le même sort. Nous espérions conti-
nuer la campagne avec l'amiral ; il n'y faut plus songer. Ce qui
nous console, c'est qu'on arme plusieurs bombardes destinées pour
Alger. Il y a donc lieu d'espérer qu'on tirera quelques coups de
canon.
FIN I)K LA PUEUlEllE CAMPAGME
* Jo ferai ici ia mciiic remarque qu*au début : u laissons-nous guider philo-
sophiqueraenl par la Fortune, ou mieux, par la Providence. » De même qu'on
partant pour sa première campagne mou père ne pré> oyait pas qu'il allait
prendre part à la bataille de Navarin, de même, en celle circonstance, il ne sup-
posait pis qu'il allait cire acluur dans le drame d'où dcxait sortir la conquête
d'Alger.
M. STÉPHANE DE LA NICOLLIÈRE-TEIJEIRO
Archiviste de la ville û* Nantes
•*0»-
Nantes^ qui fut la vraie capitale de la Bretagne, avant sa réunion
à la France^ a eu la bonne fortune de posséder parmi ses habi-
tants des historiens qui l'ont passionnément aimée. Gela n'a rien qui
doive surprendre. Quand des coteaux de Saint-Sébastien on voit
au delà des iles vertes de la Loire et des longues lignes des ponts, se
développer cette ville immense que dominent sa majestueuse ca-
thédrale, son château gothique, le beffroi de Sainte-Croix, le clo-
cher de Saint-Nicolas, plus haut que celui du Kreisker, la tour carrée
du palais Dobrce et la coupole de l'église Notre-Dame, on trouve
que peu de cilés en Europe présentent un aspect plus imposant, et
CD ne s'étonne pas du sentiment de Michelet qui la considérait
comme « une dés belles villes du monde » (Histoire de la Révolu-
tion, t. vn, p. 196). Les souvenirs historiques y sont abondants.
Depuis saint Félix, que de grandes et dramatiques figures : Alain
Barbe-Torte, Jean de Montfort, Olivier de Glisson, Arthur de Ri-
chement, Pierre Landais, Anne de Bretagne, le duc de Mercœur,
Pontcallec, Gassard, Baco, Gharette, Gambronne, La Moricière et
bien d'autres ! Que de scènes brillantes ou lugubres dont Nantes
a été le théâtre I
M. Stéphane de la NicoUière est depuis vingt- trois ans archi)|îste
de la ville, où il est né le 26 mars 1824. C'est un descendant du cé-
' lèbre architecte Germain Boffrand. Tous ceux qui ont eu affaire à
lui pour des recherches historiques et l'ont vu à l'hôtel de ville,
dans son cabinet, parmi des gravures et des statuettes rappelant
des souvenirs nantais^ n'oublieront point son aimable accueil et
son obligeance.
48 M. STÉPHANE DE LA NIGOLLIËRE-TEIJEIRO
Il connaît à fond les richesses du dépôt qui lui est confié et en a
dressé l'inventaire dans une publication dont la préface est curieuse
par les détails qu'elle renferme sur l'état des archives de la ville
aux différentes époques. Elles étaient restées dans un désordre ex-
trême jusqu'en i848, date à laquelle M. H. Etiennez fut chargé de
les classer, ce qu'il commença à faire avec beaucoup de soin et
d'intelligence. « Malgré des pertes regrettables provenant de causes
« très diverses, ce dépôt, dit M. de la NicoUière, mérite une place
« distinguée parmi ceux dont s'honorent les plus grandes villes de
rt la République . . . L'histoire de Nantes s'y retrouve presque en
u entier. Non seulement les origines de ses institutions municipales
« se suivent pas à pas depuis le XIV* siècle, mais aussi leur rapide
« développement sous le duc Jean V et surtout sous François II et
« la reine Anne. »
Très laborieux et très chercheur, M. de la Nicollièré utilise ses
loisirs en puisant dans ce trésor pour mettre en lumière des per-
sonnages ignorés ou mal connus. Venu après de nombreux his-
toriens et annalistes, il a trouvé encore la matière de plusieurs
volumes remplis d,e documents nouveaux. Nous voudrions jeter un
coup d'oeil sur son œuvre, qui mérite un sérieux intérêt.
On sent dans tous ses travaux un attachement profond à la patrie
bretonne. C'est bien pour augmenter les gloires de son pays qu'il
déchiffre avec tant de patience et de sagacité les vieux titres épar-
gnés par le temps et les hommes. C'est aussi pour que les nou-
velles générations ne les ignorent pas et que les grands souvenirs
se présentent à elles rafraîchis par des études plus scientifiques. Ce
sentiment éclate dans le livre qu'il a intitulé : Le cœur de la reine
Anne de Bretagne, historique des funérailles et du reliquaire. Il
y a rassemblé des pièces qui prouvent l'affection des Nantais pour
leur dernière souveraine bretonne, cette femme intelligente et
amie des arts qui eût mieux aimé rester duchesse indépendante
que de devenir l'épouse de deux rois. Il a enrichi son ouvrage de
plusieurs portraits d'elle, connus seulement de quelques amateurs,
et y donne des renseignements précis et fort attristants sur les
dangers courus par l'admirable tombeau de François II pendant la
période révolutionnaire et même le Consulat.
ARCHIVISTE DE LA VILLE DE NANTES 49
Car bien peu de gens savent qu*après avoir été enfoui pendant des
aimées sous le fumier, dans un coin du Jardin des Plantes, le chef-
d'œuvre de Michel Colombe fut, en 1800, sur le point d'être dépecé
et employé à l'ornement de la place de la Préfecture.
C'est également le sentiment patriotique qui lui a inspiré deux
jolies notices où il rappelle Antoinette de Magnelais, maîtresse de
François II» sacrifiant un splendide collier de diamants à la défense
de la Bretagne, et ce prince lui-même donnant en gage son cha-
peau ducal et ses plus beaux bijoux pour avoir l'argent nécessaire
à Tentretien de ses troupes en lutte contre Louis XI.
De la même époque (i86o-i865) datent ses étude^ :
Sur Olivier de Machecoul {Xlll^ siècle) ;
Sur Une pierre tombale de Vabbaye d'Aindre (VIII* siècle) ;
Sur l'Église de Saintf-Saturnin et le Prieuré de la Madeleine^ k
Nantes ;
Ses Considérations sur les origines religieuses du diocèse et de la
cathédrale de Nantes ;
Sa Monographie historique et archéologique de l'église royale et
collégiale de Notre-Dame de Nantes, qui forme un volume de plus
de 4oo pages.
I/existence de cette collégiale, dont il nous reste de si charmants
débris, a été « intimement liée à Thistoire ecclésiastique et civile,
non seulement de la ville, mais aussi de la Bretagne ». Bâtie par
Alain Barbei^^Torte pour perpétuer le souvenir de sa victoire sur les
Normands, elle servit quelque temps de cathédrale provisoire, et au
XY* siècle cinquante prêtres ne suffisaient pas à y dire les prières
demandées parles fidèles, tant ce sanctuaire cher aux princes. et
au peuple inspirait de vénération. M. de la Nicollière a su grouper
autour de l'ombre de la vieille église des figures qui composent
un tableau moyen âge très attachant. Son étude sur Y hermine parut
dans la Revue de Bretagne et Vendée en 187 1.
Ainsi qu'il le dit « Thermine, comme la fleur de lis, possède ses
tt légendes, son histoire, ses formes variées et nombreuses. Si
« pour les yeux les moins exercés la fleur de lis du XIII« siècle est
€ loin de celles des XV« et XVIIP, l'hermine de Pierre Mauclerc est
€ également bien différente de celles de Jean IV et de François II.
Tome ix. — jAPivisa iSgS. 4
• '. r'ï'ST. ■ ïi-' *•
50 M. STÉPHANE DE LA NICOLLIÈKE-TEIJEIRO
(( Le type le plus pur de remblème de la France capétienne est
(( celui des règnes de Philippe-Auguste et de saint-Louis, c'est-à-
(( dire le type le plus rapproché de son origine. Au contraire, le
« symbole de la Duché de Bretaigne devient plus élégant de forme
i( et de dessin à mesure qu'il s'éloigne de son début pour arriver
« à la perfection sous le dernier duc et la reine Anne sa fille. >»
Les historiens ne sont pas d'accord sur l'époque à laquelle l'her-
mine et l'écu d'hermipes plein devinrent le blason de la Bretagne
et de ses ducs. Dom Lobineau, d'Ârgentré, Travers et autres pré-
tendent que ce fut Pierre Mauclerc qui apporta les hermines en
Bretagne. Le Pèie Anselme, dans son Histoire des grands officiers
de la Couronne (tome i, p. 446 ; t. m, p. 53), est d'un avis diffé-
rent et donne même un écusson d'hermines plein à Conan IV le
Petit (i i56-i 171). M. de la Nicollière se range du côté de dom Lo-
bineau, mais Ja question est encore très discutée et bien desérudits
adoptent l'opinion du Père Anselme dont l'autorité en matière de
blason est d'un grand poids.
En 1868 il avait publié Y Armoriai des éuêques de Nantes qui lui
avait demandé des recherches très difficiles, les tombeaux de la
cathédrale ayant été brisés, les archives de l'évâché, détruites en
1793* et ceUes de la ville n'offrant que très peu d'exemplaires des
anciens mandements.
Ce n'est que vers le XIII* siècle que les armoiries apparaissent
sur les sceaux des évèques de Nantes, qui, antérieurement au
X.V siècle, usaient de « lanneau sigillaire chargé de leur mono-
« gramme ou de celui du Christ. . . A l'anneau succéda le sceau
€ pendant longtemps orné de figures religieuses. Mais à partii du
« XlIP siècle, alors que les armoiries deviennent une marque dis-
« tinctive de la noblesse^ aux évèques bénissants, aux insignes ou
u armes des patrons de la cathédrale, se substitue l'écusson per-
« sonnel, soit dans le bas, soit aux côtés du sceau dont il occupe
(( bientôt le champ entier. La crosse figure souvent seule, puis al-
« terne avec la mitre. Vint ensuite le chapeau et enfin au dessus
« de celui-ci la couronne. . . A la mort des évèques, leurs sceaux
« étaient brisés et déposés dans leurs cercueils. »
La série sigillographiquë commence à Quiriac en io53 et la série
héraldique 9 Maurice de Blason en 1 184, mais il existe des lacunes,
AUCHIVISTE DE LA VILLE DE NANTES 51
et les armes des évoques ne se suivent d'une manière complète
qu'à partir d'Olivier Saladin en iS3^,
M. de la Nicollière a lui-même dessiné et gravé les sceaux et les.
écussons de son Armoriai, U les a accompagnés de notices sub- W
stantiellesMepuis io5a jusqu'à 1868.
Ayant terminé Y Armoriai des évêques, il voulut faire celui des
maires de Nantes. Associé à M. Alexandre Perlhuis. il publia en
1873 le Livre doré de l'hôtel de ville de Nantes avec les armoiries
et les jetons des maires.
C'eJst un magnifique ouvrage, divisé en trois parties :
1** Le conseil des bourgeois, de i333 à i564 ;
a* La mairie de Nantes, de i565 à lyc^o ;
3* La municipalité nantaise, de 1790 à 1873.
La première partie était tout à fait nouvelle et « embrasse une
A période de 23 1 ans, depuis le premier acte qui nous montre
u les Nantais se cotisant pour s'affranchir de lourdes impositions
« peu favorables au commerce jusqu'à l'établissement de la mairie.»
Le Livre doré avait pour but de conserver les noms des maires,
échevins et consuls. Afin d'enlever un peu de a cette aridité que
présentent toujours les longues listes de noms », MM. Perthuis
et de la NicoUière ont fait connaître l'état civil ainsi que la famille
de chacun des premiers magistrats de la ville.
En i883, M. de la NicolUère donna un complément à ce travail
en éditant dans la collection de la Société des Bibliophiles bretons
les Privilèges de la ville de Nantes, recueil des titres qui constatent
les privilèges accordés à ses habitants par les ducs de Bretagne et
les rois de France. Il s'ouvre par une savante introduction sur
l'histoire de ce cartulaire et ses différentes éditions. Celle de M. de /
la NicoUière, la dixième, est de beaucoup la plus étendue, car il a
ajouté aux précédentes de très nombreuses pièces inédites. « Tous
(f ces documents^ dit-il, sont coUationnés avec soin sur les (»rigi-
u naux. Rigoureusement placés dans leur ordre chronologique, ils
« foraient un ensemble à peu près complet depuis le duc Jean 111
(I (r33i) jusqu'à Louis XV (1733). C'est pris sur Jp vif, le tableau
« du développement et des progrès des immunités municipales de
'.< lu ville de Nantes pendant quatre siècles. C'est une peinture
52 M. STÉPHANE DE LA NIGOLLIËRE-TEIJEIRO
« calme et tranquille : point de révolte ni de soulèvement, conmie
« dans l'origine de beaucoup de communes de France. La bienveil-
(( lance des ducs accorde aux habitants, en récompense de leur
« fidélité, de leurs services, de leur obéissance et « vraye amour »,
(( quelques prérogatives d'abord peu importantes. La ^paternelle
(( administration de Jean V les augmente et les régularise. Le duc
u François II les étend encore, et le roi Charles IX les couronne en
(( 1 564 par l'érection de la mairie, décrétée par son prédécesseur
(( en iSSg, mais à laquelle s'opposaient les mesquines influences des
« officiers de justice et de police, jaloux de voir ainsi amoindrir
a leur juridiction. »
Les choses de la mer ont un vif attrait pour M. de la Nicollière.
Il a entrepris d'écrire une Histoire des corsaires de Nantes. D'a-
bord il s'est attaché à bien établir le vrai rôle des corsaires et à
prouver que parmi eux il y a eu des hommes qui ont rendu d'imv
menses services à leur pays et infligé des pertes incroyables au
commerce de l'Angleterre.
En attendant que cette histoire soit terminée, il a fait paraître
dans diverses Revues des études maritimes fort intéressantes.
C'est ainsi qu'il a publié un Essai historique sur la marine bre-
tonne aux XV* et XVP siècles ;
Un Récit du combat de Belle-Ile ou des Cardinaux (20 novembre
1769), un Episode de r expédition de Charles -Edouard en 17 U5 ;
Une Croisière en Van VI,
Et une Page de la marine militaire du port de Nantes.
lia tiré de l'obscurité où ils étaient plongés des héros « qui ont
« souflert et péri sans mot dire pour le salut de la France et dont
(( le dévouement n'est ignoré que parce qu'il fut silencieux. »
Qui connaissait avant lui Raoul Berthelot, Jean Leiauhé, Pierre
Valteau, Jean Crabosse, Jean Vie, François Âregnaudeau, Alexis
Grassin ?
Son ouvrage le plus important relatif aux marins bretons est une
ample Étude historique et biographique d'après les documents inédits
des archives du ministère de la marine^ des archives nationales et
autres dépôts, sur Jacques Cassard.
U y discute et combat preuves en mains, souvent avec une élo-
i-j.f.:i
ARCHIVISTE DE LA VILLE DE JANTES 53
quence émue, certaines accusations dirigées contre ce grand
homme que poursuivit la haine implacable du cardinal de Fleury
et des courtisans de Louis XV . Comme La Bourdonnais, Dupleix
et Lally-Tollendal» il succomba sous les intrigues des antichambres
de Versailles.
Après des exploits merveilleux et des sacrifices énormes faits à
la France, « Cassard, dit M. de la Nicollière, dont la vie pouvait
<x être belle, calme^ aisée, honorée, réduit à la pauvreté, à la mi-
€ sère^ à la simple demi-solde de capitaine de vaisseau réformé
tt que l'Etat n'ose marchander à ses pressantes sollicitations, se
9 voit éconduit, dédaigné, méprisé ! Enfant du peuple, brave sans
« courtisanerie, ne devant qu'à son courage la fortune qu'il dé-
(( pensa sans compter au "service de la France, il mit dans ses
c justes revendications une insistance tellement gênante qu'on
€ lui proposa des pensions que sa dignité lui défendit d'accepter.
« Blessé dans son amour-propre, dans ses sentiments les plus gé-
« néreux, il tente une démarche suprême. Mal reçu, impatiemment
« écouté, il injurie le ministre qui, voulant s'en débarrasser, le
(( fait passer pour fou et Tenvoie mourir oublié entre les quatre
« murs d'une prison d'Etat. »
M. de la Nicollière rappelle que Nantes a placé sur le péristyle
de son palais de la Bourse une statue de Cassard, mais on sent
qu'il juge avec raison cet hommage insuffisant. C'est un colosse
de bronze, sur un piédestal de granit, au milieu d'une vaste place,
qu'il faudrait élever pour glorifier cet homme extraordinaire.
Entre Jacques Cassard et Hervé Rielle^ maître-pilote du Croisic,
il n'y a point de parallèle à établir, mais Hervé Rielle, est un petit
personnage bien intéressant, qui a sauvé une flotte française et
a été chanté par un poète célèbre, Robert Browning, endormi main-
tenant sous les daUes de l'abbaye de Westminster, parmi les illus-,
trations de la Grande-Bretagne.
C'était le 3i mai 169a, après la bataille delaHougue. Vingt-
deux vaisseaux de l'escadre de Trou ville, poursuivis par les Anglais,
se présentèrent devant Saint-Malo pour y chercher refuge; mais tous
les pilotes déclaraient qu'aucune passe n'avait la profondeur d'eau
nécessaire, et il avait été décidé d'échouer cette flotteet de la brûler
X ' ?i rr'
H M. STÉPHANE DE LA NlCOLLieRE^TEIJBIRO
quand Hervé Rielle, simple pilote côtier, promit sur sa tète de la
faire entrer dans la Rance. Il exécuta sa promesse et ne demanda
pour récompense qu'un congé absolu, afin de retourner près de
sa femme qu'il appelait la Belle-Aurore et dont le vrai nom était
Jeanne Jubeî.
Après de longues recherches^ M. de la Nicollière a établi ce fait
historique d'une manière indiscutable. A cette occasion il fournit
sur le combat de la Hougue des renseignements d'où il résulte
qu'il ne fut pas aussi désastreux qu'on le croit généralement
L'amour d'Hervé Rielle pour la Belle-Aurore trouve comme pen-
dant celui de Lapérouse pour sa femme, une Nantaise, Louise-
Ëléonore Broudou, dont notre archiviste et historiographe a raconté
Texistence malheureuse. Son opuscule contient une lettre admirable
de Lapérouse au maréchal de Castries au sujet de ce mariage.
Aux ouvrages que nous venons de mentionner, il faut en ajouter
beaucoup d'autres, parmi lesquels nous signalerons :
Un essai historique sur YEglise des Cordeliers de Nantes. Cette
église était remplie de tombeaux d'illustres personnages dont il
serait désirable que l'on conservât le souvenir par quelque inscrip-
tion peinte ou gravée dans la nouvelle chapelle de la Retraite, bâtie
sur ses ruines ;
Une excellente histoire de VAfybaye de Notre-Dame de la Chaume,
près Machecoul(io55 à 179^), où se trouvent des pages charmantes
inspirées par les souvenirs d'enfance de llauteur ;
Des études sur la Chapelle de Notre-Dame de Bethléem,. en Saint-
Jean-de-Boiseau, sur la paroisse poitevine de Mazerolles, sur le
Prieuré des Couè'ts en i^oU ;
Une Promenade à travers les registres de l'état civil ;
Des Notes sur Noirmoutier fi577'î589J , sur les Clefs de la
ville de' Nantes;
La Légende de Tharon au pays de Retz ;
Des notices nourries de faits sur Gérard Chabot et Jeanne de Ray s
(XIV' siècle) ; Pierre du Chajfault, Simon de Langres^ Pierre Ha-
mon, évêques de Nantes ; Pierre Kervéla^ apothicaire au XVI* siècle ;
Jean Hulot de Braquis, les Harrouys^ Cambronne^ d'Haveloose,
VsibhéPrqnzat de Langlade,}Ar\ Amélie de Gouvello, lamiral de
Cornulier ;
ARCHIVISTE DE LA VILLE DE NANTES t 55
Et enfift d'innombrables articles disséminés dans les Revues et
journaux de Bretagne.
L'importance et la variété des études de M. de la Nicolliao, le
nombre considérable de documents qu'il a exhumés» son érudition,
son souci de la vérité et de la précision le placent à un rang très
honorable parmi les écrivains qui ont travail!^ avec le plus de
science et de talent à l'histoire de Nantes et du pays nantais.
On voit en lisant ses œuvres que la poussière des archives n'a
pas flétri chez lui la fleur des sentiments. Il sait découvrir dans les
vieilles chartes les traits qui peignent les mœurs des générations
disparues et le fonds poétique de beaucoup d'anciennes coutumes.
Il a conservé, bien que déjà avancé dans la vie, Selon l'expression
de Henri Heine, a l'enthousiasme des choses sublimes, que le sens
« commun et la prose estiment peu, il est vrai, mais pour lesqueUes
a tout ce qu'il y a de noble, de beau et de bon sur cette terre, rêve,
u soui&e et saigne. »
Joseph Rousse.
A GAMLEZ 57
En bro Goelo e zo eur vro .
Kamleziz vad, c*houi am c'hlevo.
En bro Goelo e zo eur vro,
Eut barouz hanvet Plourio .
Eurbe zo 6no el lanno,
Kamleziz vad, c'houi am c'hlevo,
Eur be zo eno el lanno,
Be sant Hervé eo he hano.
Sant Hervé eo tad ar gwerjo,
Kamleziz vad, c'houi am c'hlevo,
Sant Hervé eo lad ar gwerjo :
He vé zo war lann Blourio.
« War ve ar zant, ni a zavo, »
Kamleziz vad, c'houi am c'hlevo,
(( War ve ar zant ni a zavo
« Eur chapel », eme tud ar vro.
« Ha rok sevel ar chapel-ze, »
Kamleziz vad, klevet ive,
« JBa rok sevel ar chapel-ze,
« E vored d'imp kad mené Ere.
(( Red a vo d'imp kad mené Bre » ,
Kamleziz vad, klevet ive,
« Red a vo d'imp kad mené Bre » ,
« Dindan ar chapelig neve.
^•^
A CAMLEZ 50
Goude-ze uz da Vreiz-lzel,
Kamleziz vad, chileoet well,
Goude-ze uz da vreiz-lzel,
Hervé neuz bet c'hoaz eur chapel.
War vene Bre, huel huel,
Kamleziz vad, chileoet well,
War vene Bre, huel huel.
Renkaz tregeriz he zevel.
Gant doan ne deuse tud Goelo,
Kamleziz vad, c'houi am c'herdo,
Gant doan ne deuse tud Goelo,
Da dougen Bre da Blourio,
« Eman hon zant wrar ar mené, »
Kambeziz vad, kredet ive,
(( Eman hon zant war ar mené, »
Elere goeloiz neuze.
« Enoret vel ma kle bean, »
Kamleziz vad^ kredet breman,
(( Enoret vel ma kle bean ! . . . .
« Le zomp ar mené le'h ma man. »
Pell a zo boue m'eo tremenet,
Kamleziz vad c'houi neuz kredet,
Pell a zo boue m'eo tremenet,
Ar pez am euz an\an kanet.
'fiSJjsrrw •9'yr-":"*^-i!'-'f:i>, • • •:i*'^ -^a ^v,.
is;fij-r -^ v.r fS:'.^'-^:
A GAMLEZ
61
War don : Jézuz, pager braz e.
« Doue, oll vadelez,
« Gret eur zell war Gamlez :
« N'euz ket paouroc'h nemeur
« Vit iliz sant Treuveur* ,
^ Reit eta, ma otro,
« KuremadPlourio,
ce Reit-han da Gamleziz t ,
« D'adsevel ho iliz.
2 wech.
Vieil air inédil.
I ^1- ii j, j=^^
^^m
E - lig Kam - lez, ka -> net hi - rie : Sa - vet eo ann
^3izî=i^q^Sf\i&s:l=^dm^^
i - liz neve.
Sa vet eo I - liz Sant Treuveur; Ker koant ha
^^^^^^g^
lii neuz ket ne - meur.
ËHg Kaiulez, kanet hirie :.
Saveteo ann iliz neve,
Savet eo iliz Sant Treuveur ;
Ker koant ha hi n'euz ket nemeur.
* Sant Treuveur ao patron Kamlez.
^^ «*'•'* •»•'.:: :--'^.
A CAliLEZ
6?
Savet ho deuz eun iUz,
Eur baradoz d'ehaa,
Hag hen rei da Gamleziz
Ann Ee da diskouizan .
C'houi a bleustro da c'hortoz
Hoc'h ilîzig neve :.
Eno kefet baradoz,
Kreiz poanio ar vue.
— Keret bepred ho person,
Keret ho peleien ;
Ha roet d'in vit ma zon
Eur peonadig peden.
Laouenanig sant Ervoan
.-,^ w - - , . -.-, _-.
14
i-'^
BÉNÉDICTION DE LA NOUVELLE ÉGLISE
A CAMLEZ
18 D£!CBMBRB 1892
Ce chant est dédié à M. BEAUVERGER, recteur de Camlez, et à
M. BILER, son vicaire, aujourd'hui aumônier des Bretons,
à Angers.
Vieille légende de la chapelle de Saint-Hervé sur le mené Bré et sur
les landes de Plourivô.
Tréguer est bien au-dessous de Goélo, braves gens de Camlez,
vous m'entendez, Tréguer est bien au-dessous de Goélo, et aussi
au dessous longtemps sera. — Au pays de Goélo il est un pays. . .
une paroisse qui a nom Plourivô'. — Il y a un tombeau sur les
landes. . • le tombeau de saint Hervé est son nom. — Saint Hervé
est le père des gwerz (des bardes). . . Sa tombe est sur la lande de
Plourivô. ~ <( Sur la tombe du saint nous bâtirons... unecha-
pelle, » dirent les gens du payB. — « Et avant de bâtir cette
•
chapelle, braves gens de Camlez. entendez aussi ... il faut
que nous ayons le mené Bré, — Il faut que nous ayons le mené
Bré... pour assise à la chapelle. — S'il y avait dans les
pays voisins. •• des hommes comme nous, nous l'y pourrions
porter. — Nous transporterions ici le mené Bré. • . sous la cha-
pelle de saint Hervé. — Ni en Tréguer, ni en Comouaille. • . il
* Plourivô est une g^rande paroisse du canton de Paimpol (G.-d.-N.). LeTrieux
et le Leff en font une presqu'île. Au nord de la paroisse, dans les landes il
existe une croix normande, la plus remarquable qu'on puisse voir, et, à côté, les
ruines de la chapelle de Saint-Houarné ou Saint-Houarno. Les vieilles gens vous
disent, en montrant une dépression de terrain : c'est le tombeau de saint Hervé.
Les mères autrefois y portaient leurs enfants.
BÉNÉDICTION DE LA NOUVELLE ËGUSE A GAMLEZ
n'y eut personne à pouvoir leur aider. - lis (les gens de Goélo )ne
trouvèrent que des hommes à demi. . . pouvant à peine soulever
une pioche. — Lors donc ils bâtirent une chapelle, braves gens de
Cafidez, écoutez mieux • . à saint-Hervé, sur les landes an loin.
— Une chapelle qu'on voyait de loin . . . au-c(essus des terres de
Pleudaniel. — Plus tard^ au-dessus de la Basse-Bretagne . . . Hervé
a eu encore une chapelle. — Sur le mené Bré bien haut^. . les
Trégorrois durent la bâtir, — de crainte que les gens de Goélo ne
vinssent.^, emporter Bré à Plourivô. — « Notre saint est sur la
montagne, » braves gens de Camlez, croyez-le encore, . . disaient
alors les gens de Goéio. — « Il est honoré comme il doit l'être. . . »
laissons la montagne où elle est. — Voilà longtemps que s'est
passé, braves gens de Camlez, vous l'avez cru, ce que je viens de
vous chanter.
LA LÉGENDE DE LA NOUVELLE ÉGLISE DE CAMLEZ
Un jour allant par pays en Goélo, lange de Camlez s'arrêta à
Plourivô. — Les gars de Plourivô alors peinaient pour bâtir leur
église neuve. — Et les gars de Plourivô disaient : « Nous ne
sommes pas de force à lutter contre notre vicaire*. — Si nos an-
cêtres autrefois avaient trouvé des hommes comme lui, au pays de
Saint-Tudual, — des hommes de sa force, ils auraient transporté
la montagne de Bré en Goélo. — Des hommes doux et forts comme
lui, (car) son pareil ne se rencontre pas dans nos cantons. —
Transportant les gros matériaux sur la civière^ il était seul d'un
boutf nous, trois, à l'autre, et nous ployions encore sous le faix. »
— Et le bon ange de Camlez, dès qu'il a vu (ce courage du vicaire),
vers le ciel a pris son vol.
« Dieu, toute bonté, jetez un regard sur Camlez, dit-il : il n'y a
a pas de plus pauvre, ou peu s'en faut, que l'église de saint
* Le recteur de Camlez, M. Beauverger, est originaire de Langoat, près de
Tréguier, le pays de Saint-Tual ou Tudual.
Tome rx. — JAiiviBa 1893. 5
I
«6 BËNSDICTION de L\ NOlVfLLB ËGLISe A. CAMLEZ
H Trémeur'. ~ Accordez donc, mon Seigaeur, le bon vicaire de
■ Plourivô aux Camléziens, aBo qu'il reb&tisso leur église. »
Chantez aujourd'hui, ange chéri de Camlez : l'église neuve est
bâlie, l'église de Saint-Trémeur ! Il eu est peu d'aussi gentilles. —
Il eu est peu, il n'y en a pas, en Tréguer, d'aussi jolie qu'elU ; et
aussi haute que la montagne de Bré, elle s'élance vers le ciel.
Quand les gars de Plonrivi^ vont i la foire de Bré, ils disent aujour-
d'hui à leurs enfants: - (iVoyezIà-haut.c'est Camlez. Impossible de
« trouver meilleur que son recteur — Quand nous bâtissions notre
'c église, il était notre vicaire — Et pour lui donner la main,
« puisqu'il nous a aidés, nous lui avons donné un vicaire*, — ud
« vicaire pour lui aider k bâtir une église aux fidèles de Camlez.*
c — Vovâz combien gentille est k voir l'église que le bcm recteur
0 a construite ! n
Aux gens de Camlez, en mon chant, je dis aussi merci. Ce n'est
pas seulement dans leur cœur qu'ils aiment Dieu : ils lui ont bâti
une église, un paradis sur terre. Dieu leur donnera un jour le repos
du ciel. — Vous fréquenterez en attendant votre^ gentille église
neuve. Elle sera le ciel pour voua dans les tristesses de l'exil. —
Aimez toujours votre recteur, aimez vos prêtres, et, en retour de
mon chant, accordez-moi un petit bout de prière.
Roitelet ue sai^^t Yves,
COINS DE BRETAGNE
•MwMUWAK**
MARIE-ROSE
(Suite )
II
Près de la beUe église qui remplace enfin le massif clocher de la
collégiale de Notre-Dame de Blaic, la famille Le Turdu habile une
maison en pierres grises, haute d'un étage et percée de vasles fe-
nêtres à petits carreauîLverdàtres. La porte, enlre ses deux doubles
pilastres, est^urmoutée d'un fronton triangulaire, dans le tympan
duquel on lit sur trois lignes, qui partagent en deux la date 1611 :
Diev soit céans.
Tfaurian accompagna sa cousine jusque-là. Sur le seuil, Marie-
Rose dut se retourner pour rallier la turbulente jeunesse, toujours
à la traîne lorsqu'il faut rentrer au gite après une bonne journée
de vacances.
Le regard de la jeune fille rencontra celui de Thurian :
— Est-ce votre dernier mot, Marie- Rose?
— Oui, répondit-elle, le cœur dans un étau.
Rapide il s'éloigna, dévorant sa peine. 11 n'avait pas vu, l'ingrat.
qu*une main prompte soulevait un rideau de vitre au rez-de-chaus-
sée de la maison, et le sourire d'un joli minois fut perdu. . .
Quand Marie-Rose, brisée cette fois^ pénétra dans la cuisine
* Voir la livraison de novombre 189a.
=-»-•»
BfARIE-ROSE 09
sœur s'efforcèrent, dès lors, de remplacer à la maison le père mort,
la mère contrainte à une cruelle immobilité. Marie-Rose, en s'en-
• g-ageant ainsi, prévoyait- elle les sacrifices qu'elle s'imposait ? Non ;
mais Dieu savait et voulait.
Marie-Rose choyait Louisane, qu'elle considérait un peu comme
sa fille ainée.
Par coquetterie, Louisane a quitté la coiffe quintinaise — mode
surannée — pour le bonnet ruche, broderies et dentelles, seyant
sur les ondes naturellement crépelées de ses cheveux cendrés.
— Laisser voir sa chevelure ! . . . changer son costume * . . . quel
scandale pour Vincente Le Turdu !
Aussi les reproches, soulignés de l'inévitable formule : de mon
temps! pleuvaient dru sur la pauvre cadette, dont Içs yeux bleus,
doux et profonds^ s'emplissaient soudain de larmes sous leurs cils
m
retroussés.
— Laissez-la donc, ma mère ! dit un jour Marie-Rose. Louisane
est tout votre portrait. Je la trouve ravissante, moi, avec ses che-
veux blonds, son teint fleur de pêche et ses deux pervenches
mouillées !
Et Yincente Le Turdu, flattée de se retrouver ainsi embellie dans
« un vivant portrait ))^ laissa Marie-Rose gâter Louisane, qui devint
de jour en jour plus coquette sous l'égide très aflectueuse de son
aînée.
Mille soins, ce jour-là, aidèrent Marie-Rose à échapper aux im-
pressions bizarres qui, pour la première fois, troublaient sa
quiétude.
Louisane aime Thurian. . . et pourquoi pas ?. . .
Dans la chambre aux lits jumeaux dont les rideaux clairs enve-
loppent les songes pareils des .deux jeunes filles, Marie-Rose,
quelques heures plus tard, regardait Louisane dormir.
Marie-Rose ! . deux aflections aujourdliui se partagent son
cœur. L'une .. comment le reconnaît-elle 'sous un nom qu'elle ne
soupçonnait pas ?.. . L'autre, oh! l'autre affection date de plus
loin encore, puisqu'elle daté de l'ineffable moment où l'on a mis
Louisane, qui venait de naître, entre les bras de sa « grande sœur » .
Affection si profonde, si ancienne, qu'elle semble n'avoir pas eu
UASIB-fiOSE
«
I commencement. Aussi, ce soir mêmS. Uadia qu'elle coatemple
ixieusemeut Louisaoe endormie, Marie-Rose pressent que pour
surer le bonheur terrestre de l'enfaot choisie, elle n'hésitera pas'
i face du plus complet des sacrifices !
Les heures tintent sonores dans ce silence de paix où Quintin
pose ; Marie-Rose les compte toutes^ les unes après les autres,
, comme le Christ, qu'elle a volontairement pris pour modèle,
le veille seule à Gethsémani !
IB
Du jour oh il a inutilement livré son secret à Marie-Rose, Thurian
euduger cesse d'aller rue de l'Eglise. Une aussi étrange abstention
est point laite pour plaire k Vincente Le Turdu, toujours prête
jaser! u Thurian savaitles nouvelles et les racontait bien. Pourquoi
e vient-il plusî... Que lui a-t-on liait ? n C'est en regardant- Marie-
ose que la pauvre paralysée se pose ces quesUons indiscrètes.
Marie-Rose paraît bien indiilérente à l'absence du cousin I Si
a l'interpelle à ce propos, c'est une réponse brève qu'on obtient.
Un observateur curieux lirait peut-être à livre ouvert sur ce
eau visage où la vie semble ankylosée ; mais, en dehors des
etits racontars, qui donc, dans cette cité si paisible, s'inquiète de
âme du voisin? .. Louisane, qui pense à lui sans cesse, n'ose
lus parler de Thurian.
Vingt fois le jour, elle regarde Marie-Rose;un mot est nurses
vres : sais-tu pourquoi ? . . . Devant le Iront plus sévère, plus triste
e sa sœur, elle n'ose risquer ces trois mots, qui seraient si simples,
lais auxquels on ue répondrait pas.
Pauvre Louisane I aux heures où d'ordinaire son cousin arrivait
- tous les jours, hélas ! — elle écoute, anxieuse, les pas dans la rue.
Qu'on s'arrête, qu'on franchisse le seuil, son cœur bat fol-
ment. . . et ce n'est jamais lui.'. . . Alors; à son attente fébrile
iccède le découragement d'une vie qui s'envole, d'un avenir fermé
our jamais... Oh! si elle pouvait ne plus vivrel. . . Même lutte
lez Marie-Rose, mais plus virile, avec cette volonté tenace de
MARIE-ROSE 71
dompter toutes les impressions d^àme, de tailler tout ce qui ne doit
pas* vivre.
Et Marie-Rose, comme une mère vigilante^ suit dans les ailuies
nouvelles de Louisane ces péripéties étranges d*une déception
cruelle qui se renourelle sans cesse.
La tristesse profonde, les défaillances morales, le visage parlant
de Louisane l'inquiètent maintenant. Peu s'en faut qu^elle n'en
veuille à Thurian du chagrin d*enfant dei Louisane I De quel droit,
pourquoi les torture-t-il ainsi?
Un matin, sous le porche de la Collégiale^ le coupable croisa ses
deux cousines. Marie-Aose marcha droit à lui en lui tendant la
main :
— Bonjour Thurian! pourquoi ne vous voit-on plus? C'est mal
d*abandonner ainsi vos amis.
Louisane, elle, ne parlait pas, mais ses yeux bleus ! • . .
Thurian baissa la tête. Rien de changé dans la détermination
prise, il le sent bien au timbre de voix douce^lent glacé de Marie-
Rose Seulement^ heureux de l'entendre, ravi d'être rappelé par
elle. . . il ne ^ait plus ce qu'il veut faire.
— Venez ce soir, insiçta-t-elle, notre mère vous réclame.
Il revint.
Sa vieille tante — pour la forme — lui tlemanda la raison d'un
caprice inexpliqué, et les causeries quotidiennes reprirent sous le
manteau de la cheminée, en famille, comme si rien ne s'était passé.
Satisfaction amère. la seule qui lui soit permise I Thurian Leu-
duger vient là, chaque jour^ admirer à la dérobée ce cher visage de
Marie-Rose, entendre cette voix musicale, croiser ces regards noirs
et doux. . . Marie-Rose a désormais tant de courses à faire,, tant de
lessives « à mener »^ qu'on ne la rencontre presque plus chez elle.
Louisane, en revanche, est toujours là,* et Louisane, trouvant
enfin le champ libre, entreprend résolument la conquête de son
cousin.
Comment s'y prendre?. . . Elle n'en sait rien. Sans plan tracé,
avec une hardiesse juvénile et la résolution très arrêtée de ne plus
subir les tortures des derniers temps, elle admire naïvement Thu-
rian et elle l'aime.
s ••- »
MARIE-ROBK 73
Eh bien^ soit t conclut-il philosophiquement, je veux rêver à
toutes les deux ! Nous verrons bien un jour ou l'autre laquelle me
convient le mieux, a Louisane n'est pas aussi grave que sa sœur,
aussi froide^ » pense avec dépit Thurian ; « n'a-t-elle pas, dans
un autre genre aussi plaisant que le genre de Marie-Rose, des
qualités qu'un honnête homme est fier de reconnaître à la
compagne qu'il s'est choisie» la grâce, la gaité, la douceur et
l'afTection?. .. »
Pauvre Marie-Rose, oubliée maintenant !
Lorsque Thurian, à Tétage inférieur, est là, tout près d'elle, entre
sa mère et Louisane, Marie-Rose écoute sans le vouloir. Elle tres-
saille quand la voix forte de Thurian vient jusqu'à elle^ mêlée à la
voix perlée de Louisane.
Avant eux, jalouse du bonheur qu'elle a refusé, Marie-Rose com-
prit qu'ils s'aimaient.
Alors, dans sa solitude héroïquement acceptée^ abandonnant ce
masque rigide et fait d'indifférence qu'elle s'impose, la pauvre fille
se croit encore, parfois, dans la prairie de la Roche-Longue, à cette
minute suprême où, — debout près d'un Thurian qui n'existe déjà
plus, — elle répétait, au mépris de ses propres angoisses : « Je ne
me marierai jamais I »
Eh bien, foUe, il est là, paré de tout son prestige, le bonheur re-
fusé : Us s'aiment I . . .
Ils s'aiment, ils vont se l'avouer sous tes yeux, et toi . , .
Ah ! si ses devoirs ne l'enchaînaient pas au foyer de la famille,
entre sa mère infirme et les enfants, comme elle briserait d'un mot
le cœur de Louisane, à certains jours ! . . .
Briser le cœur des autres, à quoi bon? pense Marie-Rose.
Un jour qu'elle souffrait davantage, elle ouvrit, au hasard, le
livre consolateur et lut : Elle a choisi la meilleure part.
Ce jour-là, rassurée, Marie-Rose descendit pour reprendre sa
place entre Yincente, Louisane et Thurian.
Nul ne soupçonna le rude combat qu'elle venait de subir ; sa
fermeté de chrétienne jamais ne l'avait trahie.
Les jours, les mois passent. Le printemps ramène avec le 4 mai
MAHIB-ROSE
fête de la Ceinture. GeofTroy V — uD seigneur de Qalntin —
iporta de Terre-Saiote, en i4o5, cette ceinture, Siée par la Vierge
>-'méme.
ivec quelle indéfinissable impresaïoo les lèvres se posent sur le
stal épais qui sauvegarde cette précieuse relique, dont l'authen-
ilé s'affirme par des miracles I
^est vraiment l'œuvre des mains divines.
^ 1600, un incendie, qui dura quatre jours, réduisit en cendres
»>llégiale de N.-D. de Blain. La ceinture avait disparu sous les
Membres. On la croyait perdue, lorsqu'on la retrouva intacte. Le
Fret qui la renfermait était entièrement consumé, les serrures
idues. Quelques taches rousses, imprimées comme autant de
ngs privés sur la laine blanche et fine travaillée par la Vierge
rie, attestaient qu'un miracle seu/ l'avait protégée.
'^AtavaAA^ fils de la Vierge, ceux-là; le feu ne peut rien où les
lins de la mère du Christ ont passé 1
Le 4 mai, la procession de la Ceinture met en liesse tout Quintin.
^ourlimposantecérémonie, que préside l'évèque du diocèse', les
pulalions environnantes accourent
La ceiuture de la Vierge étant une relique authentique, il faut
idre les rue^ où passe )a procession. Daoa la pieuse cité, nui ne
nage sa peine, les maisons sont enguirlandées. Le soir, en ville
lans h campagne, sur les côtes de haut, les côtes de bas, jusqu'au
lulio de Saint-Fiacre, tout le long du Gou£t (rivière de sang) ,
: les bords si gracieux de Bnn-d Argent, des cordons de lumières
ireut à profusion sous les masses verdoyantes, en l'honneur de
rie reine des cieux.
S. l'occasion de la solennité annuelle, tous les enfants de Vincente
Turdu, l'abandonnant cette seule fois, suivaient la procession.
rhurian était dans le cortège.
ijuand les ondulations de la foule le rapprochaient brusquei
ses cousines, Louisaneetluirougissaientcomme deux coupables.
le parlerai, pensait Tburian.
A.UX sons joyeux du carillon, qui, B.çTh?. \' Angélus du soir, clôl
f
MARIC-ROSE 75
ce grand Jour de fête, il aidait les deux jeunes filles à illuminer
a giorno toutes les fenêtres de la vieille maison grise.
Yincente Le Turdu ne pçut prendre autrement part à la réjouis-
sance quintinaise, elle veut que son antique logis resplendisse et
qu'on réconnaisse entre toutes la demeure d'une bonne catholique.
Thurian s'était rapproché de Marie-Rose, seule dans l'angle d'une
croisée.
Une demièrefoiSfil voulait scruter ce visage énigmatique et sérieux.
Les feux des lanternes vénitiennes portaient des ombres vacil-
lantes sur Marie-Rose. Elle ne détourna même pas ses regards pour
voir ce que près d'elle Thurian attendait.
— Non,. pensa-t-il amèrement, elle ne m'a jamais aimé.
Alors, avec dépit: «J'ai à vous parler, Marie-Rose . . c'est de
votre sœur, cette fois, » dit-il sèchement.
Les paupières de Marie-Rose battirent, elle regarda en face son
cousin.
— Vous l'aimez, Thurian, n'aUendez plus pour le lui dire.
— Tout de suite I riposta-t-il, furieux.
n s'en alla. Au rez-de-chaussée, par toutes les fenêtres ouvertes,
Marie-Rose entendit, d'une voix vibraote, dire de douces paroles...
puis un silence éloquent.
Au-dessu&des gerbes lumineuses qui font de Quintin, ce soir^
une féerie, les sons des cloches tombent, un à un maintenant,
près de mourir
Marie-Rose les écoute, ces voix multiples du bronze, joyeuses
sous le ciel sombre criblé d'étoiles.
Ses regards se lèvent instinctivement pour l'holocauste, son
visage prend une expression terrifiante, sublime. . .
Si Thurian Leuduger. au lieu de s'enfuir, fût resté là, de celte
vaillante fille il n'eût plus osé dire peut-être : « Elle ne m'a jamais
aimé! ;>
Sylvane.
NOTICES ET COMPTES RENDUS
Les Chars aux diverses époques, parle baron de Wismes. — Paris,
Alphonse Picard et fils, éditeurs, 1893.
■ Le mot < char > désignant tous les véhicules anciens et modernes,
depuis le quadrige romain jiisqu'i'i l'omnibus parisien, peu de sujets
sont au$si vastes que l'tiistoire du char et oCTrent à l'érudition une aussi
grande variété d'aperçus. Je comprends qu'une (elle histoire ait tenté
le baron Christian de Wismes. digne héritier de la science et de la verve
paternelles. Notre jeune confrère a su faire un usage discret des docu-
ments retrouvés au cours de ses recherches, et son livre est toujours
agréable en ne cessant jamais d'être savant.
Le programme de celte substantielle étude, que les lecteurs du Balletin
de la Société Archéologique de la Loirc-lnférieureont connue les premiers,
tient dans ces lignes du sous-titre : c Histoire anecdotique et pittoresque
des chars, carrosses et voitures de luxe, Sacres ot omnibus, postes,
messageries, diligences et chemins de fer, » Ce programme est rempli
de point en point, il est presque dépassé même, car nous avons une page
piquante sur la mode et la folie du vélocipède, un véhicule qui n'ap-
partient à aucune des catégories énumérces.
Sur les chars antiques, le carpentam des rois fainéants ; sur les petits
messagers de l'Universilé au Xlll* siècle (ne se forme-t il pas aujourd'hui,
pour ta plus grande commodité des gens pressés, une société des petitt
mettagers parisieiu ?); sur la grandeur et la décadence du carrosse de
cour; sur le Cabriolet, le landau. le phaéton, qui transportaient les élé-
gants de l'Empire et de la Restauration ; sur les voilures publiques qui se
résument dans le flacre et trouvent dans l'omnibus leur plus démocra-
tique expression ; sur les voilures de poste enfin, le coche, la berline, la
patsche, la diligence, si propice aux intimités et si méchamment mise à
mal par le chemin de fer ; sur le triomphe, les évolutions, l'avenir de
ce dragon rouge prédit par Merlin et maudit par Brizeux, M. de Wismes
est intarissable et sème à pleines mains le fait historique, l'anecdote
plaisante, la réflexion relevée d'une pointe de philosophie. Les journaux
ont été fouillés, livrant leurs secrets oubliés.
La littéiature de toutes le^ époques, depuis Boileau jusqu'aux frères
Cogniard, a été mise à contribution par l'infatigable chercheur. Et de
fait, quel précieux accessoire le roman, le Ihéàlre ont-ils trouvé dans la
voilure, dans le char ! Les l oiiures versées, c'est le tilre d'un opéra co-
mique de Boteldieu. Combien d'intrig'ues se sont nouées dans les pièces
NOTICES ET COMPTES RENDUS 77
de Picard ou même de Scribe, pendant que Ton réparait la chaise de poste
brisée au détour du chemin ! Sans le coche d*Arras, Desgrieux n'eût pas
rencontré Manon. Aujourd'hui encore la Diligence de Ploêrmel, relevée
par un écrivain et un artiste, peut servir de cadre aux plus amusantes
aventures. Ceci a tué cela, quand le chemin de fer est venu. Pourtant
un homme d*esprit, Eugène Verconsin* a pu encore ébaucher un ma-
riage sur une rencontre en wagon. Je ne dis rien du train qui roule,
ni du tramway qui passe. . . dans les couplets de café- concert : ils re-
joignent certain fiacre jaune de mauvaise compagnie.
Si je me suis laissé entraîner à bavarder, c'est un peu la faute de
M. de Wismes. On devient disert en le fréquentant. Je voulais le féliciter
encore de son travail si complet sur les omnibus, qui furent bien
inventés à Nantes, en i8a6, s'ils n'y furent guère perfectionnés. A tous
lesdocmnents de première main qu'il a recueillis de M. £. Dagault, fils
du comptable de M. Baudry, fondateur de l'entreprise, je lui conseille
d'ajouter un règlement de police du 12 décembre i83a, signé Ferdinand
Favre, maire, et Maurice Duval, préfet, où je trouve un article dont les
conducteurs actuels des tramways nantais devraient faire leur profit :
« Défense expresse est faite aux conducteurs et aux cochers d'admettre
dans les voitures un plus grand nombre de personnes que celui qu'elles
peuvent contenir. •
Le sujet traité par M le baron Christian de Wismes est si bien à Tordre
du jour, que tout un chapitre du livre récent de J. Grand -Garteret,
Le XJX* siècle, est consacré aux moyens de transport et à la locomotion.
Mais pour venir de Bretagne, les Chars de M. de Wismes n'en ont pas
moins sur le grand ouvrage parisien la supériorité du tableau sur
l'esquisse. Olivier de Gourguff.
Li Comtesse de Chajibrun. — Ses poésies. Paris, Calmann-Lévy,
éditeur, 1898.
Dernièrement je rendais compte, dans celte revue, d'un livre où M. le
comté de Chambrun résumait éloqucmment ses conclusions sociolo-
giques. Aujourd'hui j'ai sous les yeux le recueil des poésies de la comtesse
de Chambrun, qui fut la compagne d'élite de ce philosophe chrétien et
termina, le 27 juillet 1891, une vie toute remplie du culte et du bien et
de l'amour du beau .
M"»" de Chambrun fut une artiste, au sens le plus élevé du mot ; mais
les hommages que lui rendirent les premiers musiciens, peintres et
poètes de ce temps^la touchèrent moins sans doute que les sentiments de
reconnaissance des pauvres et des affligés^ objets de sa constante sollici-
tude et de son inépuisable charité. La biographie qui remplit une partie
du volume ne peut être que l'œuvre d'un témoin de sa vie : elle est re-
haussée» embellie à chaque instant par des extraits de ses lettres
78 NOTICES ET COMPTES RENDUS
intimes, où les efTusions du cœur empêchent d'admirer toutes les fines-
ses de l'esprit Je ne sache qu'Eugénie de Guérin à' qui je puisse adresser
un semblable éloge.
Orné d*un portrait de la comtesse et de la reproduction des chefs-
d'œuvres d'art au milieu desquels elle a vécu, le livre renferme une soi*
xantaine de poésies, des épi très, de petites odes, des souvenirs de voyages
ou de lectures, même un proverbe à la Musset, d*une inspiration très dé«-
licate. Une douce mélancolie met un charme de plus dans ces vers d'une
forme pure et distinguée ; l'idéal religieux y est toujours visible au-
dessus des m^eilles de la nature et de Tart. La comtesse de Chambrun
avait visité nos provinces de l'Ouest et gardé delà Bretagne un durable
souvenir. Voici une pièce qui a sa place marquée dans notre Revue.
UN PÈLERINAGE VENDÉEN
Le ciel était sévère et sombre «
Gomme nos peasers soucieux,
Mais de cet horizon plein d'ombre
Jaillissait un rayon des cieux.
Il tombait sur un sanctuaire
Cher à tout enfant vendéen ;
La silhouette de lumière
Défiait le dôme d'airain.
Nos entrâmes dans la cha{:cUe,
Inquiets et désespérants.
Mais bientôt la clarté fut telle
Qu'elle changea nos sentiments..
Un héroïne, une martyre.
Avait prié là maintes fois,
Et du ciel semblait nous sourire
Kn nous montrant le fils des rois,
('/était r éternel lo Espérance
Qui se lève sur les tombeaux.
C'était la gloire de la France
Sortant du sang de ses héros . .
Cette poésie confirme le mot de Vauvenargues : t les grandes pensées
viennent du cœur. *
Olivier de Gourcuff
• ♦
DÉCADENCE, par Thomas Maisonneuve. — Paris, 189a.
€ Mon livre n'a pas de feuille de vigne et je m en flatte ». disait Richepin
Ce mot pourrait servir d'épigraphe au roman de Maisonneuve, qui est
dédié au • maitre puissant » Emile Zola. Ce roman renferme des pages
NOTICES ET COMPTES UENDUS 79
•
snperbes d'un style finen^ent ciselé et coloré : celles, par exemple, qui
ouvrent le chapitre où Tauteur décrit les impressions de jeunesse de
son héros. « C'était pour lui, dit-il, un ravissement d'entendre dans Tim-
mense paix des hautes voûtes les psalmodies latines, de regarder les
ornements dorés, de voir briller les vitraux, où, dans leurs poses hiéra-
tiques, les saintes et les bienheureux s*agenouillaient . Il aimait ar-
demment, avec des tendresses maladives, les jours de grandes fêtes, se
grisant à pleins poumons du parfum des encens et des arbustes fleuris
entourant le mailre-autel . • Mais à côté de ces pages d'une pureté ex-
quise il en est d'autres singulièrement osées et capables d'effaroucher
le lecteur français, qui, au dire de Boileau, veut être respecté, et c'est
vraiment dommage, car elles empêchent de mettre ce livre sur la table
de famille. L'auteur a, parait-il, l'intention d'écrire prochainement un
livre absolument chaste, nous l'en félicitons, dans Tintérèt de son re-
marquable talent, et nous attendons avec impatience ce prochain vo-
lume pour Tanalyser et en recommander la lecture.
D. G.
*
Li DUCHESSE DE Berry EN Vendée ET A Blaye, par Imbert de Saint-
Amand. — Paris, Dentu, éditeur, 1893.
Nous avons eu déjà, à deux reprises, l'occasion de parler du talent
littéraire de M. Imbert de Saint-Amand, précisément à l'occasion de deux
livres sur la'duchesse de Berry, dont l'un est tout entier réédité dans le
volume qui nous occupe. Dans ce dernier livre se trouve le chapitre in-
titulé « V Agathe 1^ qui reproduit un document des plus curieux, au dire
de M. Imbert de Saint-Amand, publié en 1887 par la Revue de Bretagne
et de Vendée et qui permet de suivre en détail la traversée de la duchesse
de Berry depuis la baie Richard jusqu'à Palerme. Nous ne rééditerons
pas ici nos éloges à un écrivain dont la réputation, assise sur plus de
trente volumes d'histoire, n'est plus à faire, et nous nous contenterons
de signaler les principales illustrations de son nouveau volume grand
in-4'' magnifiquement édité par £. Dentu, libraire de la Société des gens
de lettres, L'énumération de ces gravures formera comme un tableau
mnémotechnique qui permettra au lecteur de repasser dans son esprit
la vie de la duchesse de Berry en Vendée, à Nantes et à Blaye, et qui
donnera peut-être à ceux qui ne connaissent qu'imparfaitement les in-
cidents de cette existence mouvementée l'envie de l'approfondir dans un
ouvrage qui offre tout l'intérêt d'un véritable roman avec la vérité en
plus.
Ce volume s'ouvre par le Poutrait de S. A. R. Madame la duchesse
DE Berky, par M. Ris, et donné par Madame, à sa sortie de Blaye, au
marquis et à la marquise de Dampierre. Nous remarquons ensuite les
portraits hors texte du comte Lucchesi^Palli duca délia Grazia et de Fran-
NOTICES ET COMPTES RENDUS
iTAaslria Este, liaea ai Modena Reggio e Mirandola,
mlê de Sainl-Priesl, duc ^'Alimazan,àe Loau-FlorUai-
olay, de MatbUde Lebescku, dame d'atour de S. A. R.
de ChareUe, du comte Henri de Paiseax, du vicomte
tonl, du comte Henri de Monli de Rezé, aide de camp
elle, de Berryer fils, dépati, portrait dessiné dans la
le i^ juillet i833. par H. de Trobrîant, de Lou'u—
jhaisne, maréchal comte de Beaamont, de Jacquet
1 Chape ronnière, près Jallais, le 37 mai i833. Nous
celui de Hidame la uuchessk de Berht en paysan
'lie Pauline du Guiny, ceux de Thiert, de Achille Gui-
», de Chateaubriand, du docteur Menière. du gêniral
Emmanuel de Brissae, de la comtesse d'Hauteforl. née
nceue de Bauffremonl, d'Antoine-Louis-Marie Henne-
lur royale de Paris, du marqais de Oampierre. Tous
hors tcïte, ainsi que les gravures représentant la
l'Holyrood, le palais de Massa, la ferme où Madame
débarqué, la rivière de la Moine, dans laquelle Ma-
lière entrevue de Madame avec Deuiz, l'arreslalion de
dormes, la tour du Pirmil à Nantes, la vae générale
te. Il y a aussi de nombreuses gravures dans le texte
-sonnages tels que : Loais-Charles de Bonnechose, page
ï comte Charles de Mesnard, ou des châteaux, des
liges ayant trait à l'histoire de la duchesse de Berry
long d'énumérer. C'est par exemple le château de la
. de Mlle da Guiny, où Madame resta cachée du lùjain
!, près du château de Nantes, et la fenêtre de la man-
lage sur la cour, qui servait de eache'.le à Madame el à
biec, la plaque de la cheminée qui masquait la cach^ll«,
neur de la citadelle de Blaye, où Madame/ul emprison-
ceux qui connaissent l'histoire de la duchesse de
ses iUustrations encore une fois la font revivre toute
noire et lui donnent un nouvel attrait, Le livre de
:-Amand est à tous les points de vue un livre ins-
t, que nous nous empressons de recommander à nos
Dominique Caillé.
Le Gérinl : R. Lapolye.
- Imprimarie Lafolie, 3, place des liixt.
COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE'
•«>«O0«>«»
LE RÈGNE DE JEAN IV
DUC DE BRETAGNE
1364-1399
Première Partie.
Avènement de Jean IV
Sa lutte contre le roi de France Charles V
i364-i373.
L'an dernier, nous avons mené l'exposition générale deThistoire
de Bretagne jusqu'à la bataille d'Aurai, c'est-à-dire jusqu'à la fin
de cette longue lutte si célèbre par ses beaux coups d'épée et ses
brillants exploits, mais si dure, si pénible pour la Bretagne, qu'on
appelle la guerre de Blois et de Montfort. Le dénouement de cette
lutte a mis sur le trône breton, non une nouvelle dynastie ducale,
mais une nouvelle branche de la dynastie issue de Pierre de Dreux,
branche connue dans l'histoire sous le nom de maison de Montfort^ ^
et c'est cette maison de Montfort qui régnera sur la Bretagne jus-
qu'au moment où le vieux et glorieux duché s'unira à la monar-*
chie française.
Cette dynastie produisit six ducs ; son époque — la troisième
époqu^ de l'histoire de Isl. Bretagne-duché — embrasse six règnes,
de la bataille d Aurai (i364) au mariage de la duchesse Anne avec
' Cours (Vhisioire de Bretagne^ professé à la Faculté des lettres de Rennes^
'3* année, leçon I (i^ décembre iSga).
^ Ainsi nommée parce que celte branche possédait en France le comté de
.Montfori-rAmauri, aujourd'hui cheMieu de canton de Tarrondissement do Ram-
bouillet, département de Seine-et-Oise.
Tome ix. — Janvier 1893. 6
X'
82 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
le roi de France Charles YIII (i^gi), mariage qui, sans opérer
encore d'une façon définitive T union de la Bretagne à la France, la
rend, on peut le dire, inévitable.
Dans cette époque, il n'est plus question de luttes entre le duc et
ses vassaux ; l'autorité ducale, placée au-dessus de toute attaque,
est universellement respectée. Il y a encore des luttes cependant,
parfois même fort acharnées, mais elles procèdent presque toutes
de cette terril^e et vivace semence de division et de discordre, pro-
fondément enfoncée hélas I dans le sol breton par la longue et
cruelle guerre de Blois et de Montfort. Dans cette époque aussi il y
a autre chose que des luttes ; le XV* siècle breton offre, grâce à
Dieu, de longs espaces de paix et de prospérité.
Sur ce fond changeant, tantôt paisible et serein^ tantôt sombre
et troublé, nous verrons passer, se dessiner, se mouvoir, de grandes,
d attrayantes, d'intéressantes figures historiques : le duc Jean IV
d'abord, caractère très discutable, mais très personnel et curieux à
étudier ; les deux célèbres connétables, Glisson et Richemont ; deux
princesses incomparables^ Françoise d'Amboise et Anne de Bre-
tagne ; et encore l'illustre thaumaturge saint Vincent Ferrier, —
le plus grand prêcheur du XV* siècle, Olivier Maillard, — le
poète Meschinot, etc. Car, chemin faisant, nous étudierons aussi
les œuvres artistiques et littéraires, les monuments, les mœurs, les
institutions, l'état de l'industrie et du commerce, en un mot tout
ce'qui constitue la vie d'une nation.
Commençons par indiquer brièvement, au point de vue poli-
tique et social, les traits qui caractérisent l'époque que nous allons
étudier.
Caractères généraux de l'époque de la maison
de Montfort^
La guerre de Blois et de Montfort acheva, quant au développe-
ment du pouvoir ducal, l'œuvre entreprise par les ducs de la mai-
son de Dreux. Cette lutte, tant qu'elle dura, sembla relever l'im-
portance de la noblesse, parce que les deux compétiteurs pour se
l'attacher rivalisaient de ménagements et de concessions gra-
cieuses ; mais les désastres de la guerre, les dépenses qu'elle im-
RÈGNE DE JEAN IV 83
posait aux seigneurs ruinèrent la plupart d'entre eux et les forcèrent
de recourir aux bienfaits du duc. D'ailleurs, ainsi qu'il arrive
toujours, cette longue période d'anarchie, de discorde et de boule-
versement amena un épuisement universel, un universel besoin
de repos, et, comme dernière conséquence^ une tendance générale^
spontanée et invincible à fortifier le seul pouvoir capable d'assurer
à la nation le bienfait de la paix. Ce qui succomba à Aurai, plus
irrémédiablement que la cause des Penthièvre, c'est la puissance
politique de l'aristocratie : désormais l'autorité ducale est acceptée
par tous comme souveraine, comme protectrice universelle de la
paix publique et des droits de chacun, — et nul ne lui dispute
plus les prérogatives indispensables à l'accomplissement de cette
suprême fonction.
Mais une si haute situation entraine de grands devoirs, de
grandes charges, de grandes dépenses. Le nombre des officiers de
justice, de police et d'administration — sans parler de la force
militaîre — doit être doublé. La majesté souveraine, incitée d'ail-
leurs par le goût et les exemples du temps, exige une cour
luxueuse. La guerre civile a grevé le vainqueur lui-même d'une
grosse dette (plus de douze millions de nos jours) contractée en-
vers les bandes anglaises auxquelles il doit le trône. Les revenus
ordinaires du domaine ducal, jadis suffisants pour tous les besoins
de nos ducs, ne sont plus qu'une goutte d'eau dans ce torrent de
nouvelles dépenses. Force est donc de recourir à l'impôt public,
création nouvelle en Bretagne, et qui, dès le premier jour de son ins-
titution régulière, s'y montre déjà sous la double forme qu'il a
encore aujourd'hui : d'une part la contribution directe^ c'est-à-
dire un impôt de répartition s'adressant à la propriété foncière,
et connu sous le nom de fouage parce qu'on le levait dans le prin-
cipe par ménage ou par feu (focus, à'oxxfocagium, fouage); d'autre
part la contribution indirecte^ sous forme de droits proj^ortionnels
prélevés sur les marchandises, tant à l'entrée qu'à la sortie,
dans les principaux ports de Bretagne ; on appela ces droits impo-
silions ou plus spécialement entrées et issues. Tel est le système
qu'on trouve en Bretagne dès i365 ou 1 366, au lendemain de la
bataille d' Aurai.
t\ COURS D'HISTOIHE DE BRETAGNE
Mais en Bretagne, un principe toujours et universellement re-
connu, proclamé par Ions nos ducs, à commencer par Jean IV,
c'est que, pour établir un impôt, il faut le consentement exprès des
trois ordres de la nation, clergé, noblesse, tîers-état, assemblés,
dans la personne de leurs représentants, en Etats-généraUx ou
Parlement général du duché. A cette assemblée seule, réunie autour
du duc, apparteoait aussi la puissance législative et môme le droit
babituel, sinon absolu, de décider de la paix et de la guerre. Mais
si le duc ne la convoquait pas, ces droits sommeillaient. La nécessité
de l'impôt amena la convocation fréquente, bientût la tenue régu-
lière des Etats. L'impôt n'était voté que pour un terme assez court,
quatre ou cinq ans au plus dans le principe, et depuis le milieu du
XV* siècle, pour un ou deux seulement. Le terme expiré, U fallût
de nouveaux Etats ; là, chaque membre de l'assemblée pouvait
soulever les questions importantes du moment ou solliciter toutes
les réformes qui lui paraissaient urgentes ; le gouvernement de la
Bretagne prit ainsi le caractère d'une véritable monarcbie repré-
sentative.
L'iostitutioa des impôts publics produisit d'autres conséquences
non moins notables. Le fonds le plus sur de l'impôt c'est la pros-
périté du pays, spécialemeut celle de l'agriculture, de l'industrie et
du commerce ; dans cette triple source l'Etat va cbercber l'argent
dont il a besoin pour ses dépenses ; plus la source est abondante,
et plus il est facile d'y puiser. Au XV' siècle, le commerce, l'in-
dustrie, l'agriculture, qu'est-ce autre chose que le tîers-état ?
La prospérité du tiers-état est donc directement liée à celle du
trésor public. Tous les princes de la maison de Montfort le com-
prirent, et s'attachèrent soigneusement h protéger cetoidre, c'est-
à-dire, en définitive, la masse de la nation. Eclairés par l'étendue
même de leur puissance et par les nécessités de leur gouvernement,
ils comprirent d'une façon plus large et plus complète que leurs
devanciers l'état social de leur peuple et leur mission de souve-
rains. Au delà des rangs supérieurs de la nation, ils aperçurent
une classe nombreuse, active, laborieuse, qui nourrissait toutes
les autres par l'agriculture, qui par le commerce et l'industrie enri-
chissait peu à peu le pajrs et eUe>mâme, qui s'éclairait par l'étude
RÈGNE DE JEAN IV 85
des lettres et des lois^ qui aspirait à monter, à prendre dans l'Etat
non un rôle prépondérant mais une place distincte, qui d'ailleurs
était dévouée au prince et à la patrie, — et ils jugèrent que ce
pouvait bien être la partie la plus vivace^ la plus résistante de la
nation, qu'il était utile, nécessaire, de lui tendre la main et de
s'appuyer sur elle. Ils agirent en conséquence.
Sans abandonner aucune de leurs prérogatives, sans déprimer
l'importance sociale du clergé et de la noblesse déjà réduite en des
bornes plus étroites, ils montrèrent pour le sort du tiers-état une
sollicitude inconnue avant eux. Ils s'efforcèrent d'assurer une pro-
tection efficace aux droits des plus humbles de leurs sujets ; pour
soustraire les faibles aux vexations et aux tracasseries des forts,
pour leur procurer autant que possible le bien-être et la sécurité,
ils entreprirent, au XY^ siècle, toute une série de réformes adminis-
tratives et judiciaires, poursuivies avec constance pendant plus de
quarante ans. Quand au commerce, ils le développèrent par de nom-
breux traités, par une protection constante, et par d'excellentes
mesures d'administration. Ils donnèrent des privilèges aux corpo-
rations industrielles, et favorisèrent ouvertement l'établissement
des communautés municipales, c'est-à-dire la plus complète mani-
festation de l'existence politique du tiers-état. Depuis iSog les
villes de Bretagne députaient aux Etats, mais avant i364 pas une
seule ne possédait d'organisation municipale La plus ancienne des
municipalités bretonnes (Guingamp) parait sous le règne de Jean
IV, vers i38o ; puis Nantes et Rennes sous Jean V, de i4io à i43o ;
enfin, après i45o, ces institutions se multiplient notablement, il y
en a bientôt dans toutes les villes.
Donc, ce qui caractérise essentiellement le règne de la maison de
Montfort en Bretagne, c'est le mouvement ascensionnel du tiers-état,
favorisé par une série de profondes réformes administratives, et
concordant avec l'importance croissante de l'assemblée des Etats
dans le gouvernement du duché.
Ce gouvernement prenait de plus en plus la forme de ce que
l'on a appelé la monarchie représentative, dont jouissait dès lors
aussi l'Angleterre, et qui était certainement le gouvernement le
plus modéré, le plus régulier et le plus libéral sous lequel put
vivre, au XV* siècle une nation chrétienne.
86 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Ces changements dans les institutions commencèrent à se pro-
duire presque au lendemain de la bataille d'Aurai.
Jean IV après la bataille d' Aurai.
(i364-i36d)
Il est sûr, d'ailleurs, que cette victoire mettait le comte de Mont-
fort dans la plus belle situation et le rendait maître du duché dans
les conditions les plus favorables. Les vingt années de guerre civile
qui venaient de s'écouler avaient créé dans toute la Bretagne une
misère et une lassitude extrêmes, par suite un invincible besoin de
repos. Les partisans des Penthièvre le ressentaient au moins autant
que tout le monde; et si le parti, quoique affaibli, subsistait encore,
il était réduit à l'impuissance par sa fatigue même, et ne désirait
rien tant que la paix. Le sentiment de la nécessité publique, le
sentiment universel du pays l'y poussait, l'y forçait, et ne lui per-
mettait plus de tenter immédiatement aucune entreprise. Aussi les
places, en assez grand nombre, qui tenaient encore pour Charles
de Blois lors de la bataille d'Aurai, Aurai lui-même, Malestroît,
Redon, Jugon, Quimper, etc., se rendirent au vainqueur à peu
près sans coup férir.
Un incident qui marqua la reddition de Quimper, l'une des villes
jusqu'au bout les plus fidèles à Charles de Blois, montre au vrai ce
qu'était alors le sentiment universel des Bretons. Après quelques
jours de siège, pris pour sauver l'honneur du drapeau et attendre
du secours, l'évêque de Cornouaille GeolFroi de Coetmoisan, ne
voyant nulle autre issue honorable, était d'avis de capituler ; mais
quelques gentilshommes enfermes dans la ville voulaient tenir.
L'évêque, pour connaître les véritables sentiments de la popu-
lation, convoqua dans son manoir une assemblée générale des
habitants de Quimper. Là ceux-ci, tout d'une voix, s'écrièrent
qu'ils n'entendaient point continuer la guerre ni garder davantage
les remparts, et que plutôt que de s'y soumettre ils sauteraient hors
de la ville par-dessus les murailles.
Au commencement de Tan i365, quand s'entamèrent les négo-
ciations entre le vainqueur d'Aurai et les ambassadeurs du roi de
RÈGNE DE JEAN IV 87
France^ on vit mieux encore (s'il est possible) combien toute la na-
tion bretonne était affamée de paix et de repos, combien ce besoin
était profond et universel.
Le3 négociations eurent lieu pendant le carême, à Guérande»
parce que là, au bord de la mer^ la nombreuse affluence de sei-
gneurs et d'importants personnages attirés par cette affaire trou-
vait facilement, pour se nourrir, bons poissons et bons vins à
foison. Or pendant tout le carême, dans toute la Bretagne, le peuple
et les gens d'église ne cessèrent (disent les chroniques contem-
poraines) de faire oraisons, processions sur processions aux plus
dévots sanctuaires, pour obtenir la prompte conclusion delà paix.
On était arrivé à la semaine sainte, tout allait assez bien, et Ton
espérait signer le traité avant Pâques, quand tout à coup, le ven-
dredi saint 1 1 avrils sur une certaine prétention des ambassadeurs
français, tout fut rompu.
Aussitôt ce fut dans toute la ville et dans tous les alentours un
émoi, presque une émeute, mais une émeute de larmes, une la-
mentation universelle. « Tout le peuple (dit notre vieil historien
c Pierre Le Baud) leva un si merveilleux et horrible cri qu'il fit
« pitié à tous ceux qui l'dïrent. Et adonc jura le comte de Mont*
tt fort (Jean IV) qu'il feroit paix, et deut-il laisser passer beaucoup
tt du sien. Pourquoi recommença le traictié [les négociations] dès
u celui jour. Et fut le lendemain^ vigile de Pasques, la" jour du
« mois d'apvril, ladite paix faite, accordée, jurée solennellement
a en l'église Monsieur saint Aubin de Guerrande. « (Le Baud,
p. 333).
Principales conditions du traité de Guérande :
Jean de Montfort possédera tout le duché de Bretagne et en
fera hommage au roi de France qui le reconnaîtra pour duc,
sous le nom de Jean IV de Bretagne.
La maison de Penthièvre conservera tous ses biens, tous ses
apanages en Bretagne, et en fera hommage au duc. Toutefois on
dispensait de cet hommage la veuve de Qharles de Blois, Jeanne de
Penthièvre, qui avait si longtemps porté le titre de duchesse. Mais
ses enfants et tous ses héritiers y seront astreints.
Les Penthièvre recevront de plus, en France, les seigneuries de
Limoges, de Réthel et autres valant lo.ooo livres de rente.
rrw
88 COURS D*HIST01RE DE BRETAGNE
Quant à la succession du duché de Bretagne, il fut stipulé que,
tant qu'il y aurait des mâles du sang de Bretagne, nulle femme
n'y succéderait, — et que par conséquent, si la ligne masculine
«venait à faillir dans la maison de Montfort, le duché passerait aux
Penthièvre.
Au dedans du duché, après ce traité, nul obstacle pour le vain-
queur d'Aurai. Au dehors, pas davantage.
La France sortait du règne si désastreux du roi Jean, durant
lequel les Anglais, les Navarrais et les Ëtats-généraux avaient mis
la monarchie et la nationalité françaises à deux doigts de leur
perte. Elle était encore sous le coup du funeste traité de Brétignî,
aux prises avec les armées du roi de Navarre, à la merci de ces
routiers des Grandes Compagnies qui en avaient fait, disaient-ils,
leur chambre.
' Le roi Charles V, bien digne du no^l de Sage que son peuple
lui décerna, avait assez d'habileté pour retirer son royaume de
ce gouCBre. Mais il savait mieux que personne tout ce qu'il y fal-
lait de prudence. Il avait désiré très certainement le triomphe
*des Penthièvre ; leur cause une fois perdue, ce n'est pas lui qui
'fût allé la relever. Car ce qu'il voulait avant tout, ce qu'il prépa-
'raitdès lors, c'était de délivrer la France des Anglais; et pour y
bien réussir, pour enlever aux insulaires leur porte la plus corn-
-mode sur le royaume, il fallait à Charles V être en paix, en amitié
'avec le prince qui gouvernait la Bretagne. Aussi ne négligea-t-il
rien dans ce but. Le traité de Guérande conclu (il le fut le la avril
i365), le roi , après quelques retards dus aux formalités de la
diplomatie, le ratifia sous un an (en mai i366), reçut peu de temps
après Jean de Montfort, devenu Jean IV de Bretagne, à faire hom-
mage du duché (décembre 1 366), et cessa dès lors d'honorer Jeanne
de Penthièvre du titre de duchesse, encore qu'il eût déclaré pré-
cédemment ce titre de pure courtoisie et sans préjudice aux
' droits de Montfort ; il donna en outre une première satisfaction
aux demandes de ce dernier pour la restitution de ses terres de
l'Aigle, de Réthel et de Nevers situées en France ; il renvoya enfin
' sans difficulté à la cour du duc certaines causes évoquées contre les
RfiGNE DE JEAN IV 89
libertés de Bretagne au parlement de Paris : ce dont Jean IV
s'était plaint. Aussi Lobineau a-t-il raifion de dire que « le roi
tâchoitde contenter le duc en tout. » (Hist. de Bret.. 1, 383).
Ces dispositions du roi s'accordaient merveilleusement avec
celles de la grande majorité des Bretons. Certes les Bretons de ce
temps ne voulaient être que Bretons, ils étaient décidés à repousser
énergiquement toute tentative d'absorption, soit par la France, soit
par rAngleterre» et pourtant ces deux nations n'avaient point
même rang dans leur sympathie : ils désiraient vivre en paix, en
bonne amitié avec la France » et n'auraient point détesté de frapper
8ur les Anglais.
Dans ces conjonctures, la politique de Jean lY semblait toute
tracée. Le premier besoin de la Bretagne c'était le repos, c'est-à-
dire la paix au dedans et au dehors. Son second besoin, celui que
Tesprit national ressentait peut-être le plus vivement, c'était, par
l'exclusion de toute influence étrangère dans les affaires du pays,
d'être relevée enfin du long et déplorable vasselage qu'elle venait
de subir pendant les vingt années de guerre civile. Jean IV ne
devait donc être ni Anglais ni Français, mais Breton, et gouverner
avec des Bretons, il devait, par sa modération et ses dispositions
bienveillantes, adoucir pour le parti vaincu l'amertume de la dé-
faite, l'anéantir en le gagnant, enfin féconder le repos de son
peuple par une administration réparatrice et sagement réforma-
trice^ dont les meilleures qualités de son esprit et l'énergie naturelle
de sa volonté le rendaient éminemment capable.
Malheureusement, les sympathies personnelles de Jean IV, ses
obligations de toute sorte envers l'Angleterre qui l'avait mis sur le
trône, lui imposèrent une politique différente.
Le roi anglais Edouard III connaissait si bien ses dispositions
qu'il ne se gênait nullement avec lui et le traitait encore comme
son pupille. Voici pat exemple les instructions, pour mieux dire, le
programme de gouvernement qu'il lui adressait ou plutôt lui inti-
mait par un envoyé exprès, en janvier i366 ; j'en reproduis textuel-
lement quelques articles'.
* Nous rapprochons des formes actuelles, pour la faire mieux comprendre^ la
langue angio française de ce document.
4 Les ohoses données en cl
de Bretalgne, par nostre s
duc son cher fils.
< Premièrement, pDur éviter ics y^na 4U1 eu |»uiibicui auiotu, ic
roi voudrolt en toutes manières que la garde du chAteau de Brest fut
confiée à quelque surSsant et loyat Anglois, sans être ni demeurer
jamais en la garde d'aucun Breton.
< Item, que la ville de Saint-Mathieu (de Fineterre) ni aucune autre
ville ni château sur les ports ni sur les côtes de la mer ne soient placés en
aucune taçon sous ta garde et le gouvernement des Bretons, mais sous
celui de bons et suffisants Anglois et de nuls autres.
t Item, que le duc ne se confie pas trop aux Bretons ni h leurs con-
seib, mais s'entoure de bons Anglois et se gouverne par eux et par leur
conseil, car ils no lui ont jamais fait défaut jusqu'à présent ; et au con-
traire le roi a été souvent prévenu par plusieurs seigneurs de France,
mâme par des parents et amis du duc, que le duc n'est pas bien aimé
de cœur parmi les Bretons.
< Item, pour les causes susdites, [le roi demande] que le duc montre
meilleure amitié et fasse meilleure chère en temps à venir aux Anglois
qu'il n'a fait jusqu'à présent, car le roi a entendu dire qu'il n'avait pas
fait en cela tout ce qu'il fallait.
• Item, le roi voudrait que le duc vint vers lui en Angleterre, l'été
prochain, chasser et prendre son plaisir avec le roi, pourvu toutefois
qu'il laisse son pays bien et suffisamment garni (de gens de guerre), et
deux ou Irois Anglois bons et loyaux pour le gouverner en son absence,
de façon à le garder de tout péril , . > Etc. (Bibliolh. nat. Mss. coll.
Bréquigni, vol. LXXVII).
Cette pièce peut se passer de commentaire. Maïs on ne s'ex-
plique guère les reproches, même adoucis, du roi d'Angleterre
au duc, car ce dernier avait pris d'avance pour règle de sa con-
duite les prescriptions ci-dessus.
Toute sa maison, tous ses officiers de confiance étaient .\ng1ais ;
il était toujours entouré d'.\nglais qu'il comblait de faveurs. A
Knolle. en i365, il avait donné les deux belles baronnîes de Rougé
et de Derval ; à un autre capitaine anglais, Walter Huet, l'immense
baronnie de Ketz, la garde du fort du Golet (près Bourgneuf], la
RÈGNE DE JEAN IV 91
clef de la Bretagne du cftté du Poitou, et encore (en i366, i4 no-
vembre) la. jouissance du domaine ducal de Loyaux. — Olivier
de Glisson avait eu beau lui demander la forêt du Gâvre pour
arrondir sa seigneurie de Blain, le duc la lui avait refusée pour
en gratifier l'Anglais Ghandos, provoquant ainsi la colère par-
faitement juste de Clisson^ qui en apprenant le fait s*éoria :
u Je donne au diable si jà Anglais sera mon voisin ! » et tout
bouillant s*en courut au Gâvre, en démolit le cbâteau, et en fit
porter les pierres à Blain pour construire son donjon . Puis Jean
IV, pour s'en venger, Tayant frustré de la seigneurie de Châ-
teauceaux à laquelle il avait droit: u Haa ! messire, lui dit Clisson,
vous m'avez fait Olivier sdns terre , mais vous ne serez pas
duc sans guerrel » Ce qui ne fut que trop vrai.
Ainsi Jean IV, docile aux prescriptions d'Edouard III, pré-
férait «f les bons et loyaux Anglais » aux Bretons mêmequi s'étaient,
corps et biens, sacrifiés pour lui, comme plus que tout autre
Clîsson, auquel était due en grande partie la victoire d' Aurai,
d'où il était revenu- gravement blessé, avec un œil de moins.
11 /aut dire aussi qu'en suivant si fidèlement le programme poli-
tique d'Edouard 111, Jean IV, outre son goût naturel pour les An-
glais, subissait la loi d'une fâcheuse nécessité de position. Il devait
des sommes énormes au roi d'Angleterre^ à ses capitaines et à ses
bandes, prix du secours qu'on lui avait prêté : en politique les
Anglais prêtent et ne donnent pas. Tant que la guerre avait duré,
ils avaient attendu patiemment ; maintenant que leur protégé
tenait son duché, ils arrivaient de tous côtés lui présenter
leurs mémoires. Le pauvre duc se trouvait donc dans la situation
désagréable d'un débiteur que ses créanciers ont fait pourvoir
d'une grosse place, afin de toucher son traitement, et à qui l'on
témoigne sans équivoque qu'on veut être payé.
LiUte de Jean IV contre la France.
(1369-1373)
La situation du duc ne devint toutefois vraiment difficile qu'après
la reprise de la guerre entre la France et l'Angleterre, suspendue
depuis le traité de Brétigni. Le roi Charles V s'était donné la noble
RÉGNE DE JEAN IV 93
manifesta parmi les seigaeurs bretons. Dans le même temp^, du
Guesclin, élevé à la dignité du connétable du royaume (a octobre
1870), entraînait sous les drapeaux de la France nombre de ses
cooipatriotes ; et moins d'un mois après (le 28 octobre), il se ren-
dait dans une alliance solennelle frère d'armes de Clisson, quî>
jaloux d'ouvrir par un exploit Fère de cette fraternité glorieuse,
s'en allait, avec une troupe de chevaliers bretons, attaquer et
détruire près de Saint-Mahé un corps de laoo Anglais, prêt à s'y
embarquer pour l'Angleterre.
L'an 1371 ne fut marqué, en ce qui regarde la Bretagne, que
par l'enquête pour la canonisation de Charles de Blois, qui se fit
à Angers, et que le roi appuyait par ressentiment de la conduite
équivoque du duc Jean IV. Mais Tannée suivante (1373) fut dé-
cisive : on peut dire que la politique, le caractère même du duc
de Bretagne s'y dévoile complètement.
Cette année 1872 s'ouvre par une ambassade du roi d'Angleterre
au duc, de laquelle on sait peu de chose, mais qui mit en défiance
les Bretons : les principaux d'entre eux déclarèrent à leur sou-
verain qu'au cas où ils le surprendraient à donner aide aux Anglais,
ils l'abandonneraient et même le chasseraient de Bretagne.
Le roi de France, de son côté, conçut quelques soupçons ; il
voulut sonder les dispositions du duc et le pria de lui envoyer des
ambassadeurs. Jean IV eût bien désiré éviter cette démarche so-
lennelle, qui devait, aux yeux du public, l'engager envers le roi ;
mais il fallait endormir la vigilance de Charles V, il prit le parti
de lui prodiguer les belles paroles et lui écrivit la lettre suivante*.
Au Roy mon ires souverain seignoar.
Mon ires souverain seigneur, plaise vous savoir que j'ay très grant
désir de savoir de vostre très noble et bon estat^ que Dieu par sa grâce
vuille toudis maintenir au désir de votre cuer. Si vous suppli, mon très
souverain seignour, qu'U vous plaise m*en mander et certefier par les
* Trésor des chartes. Arch. nai. J. 346, n» i3i.
RÈGNE DE JEAN IV 95
continuaient, se renouvelaient, et ne cessaient de répéter au roi sur
tous les tons leurs explications, leurs assurances et leurs plaintes.
Dans le3 documents diplomatiques que ces ambassades nous ont
laissés, le duc proteste que s'il a des Anglais dans sa maison et
autour de lui, c'est qu'ayant été élevé parmi celle nation, il y a
nécessairement conservé de nombreuses affections de personnes ;
mais il serait, ajoute-t-il, au désespoir d'introduire ces ennemis de
la. France dans son duché, et il est très fâché de voir deux capi-
taines anglais tenir malgré lui deux de ses places. Bécherel et
Derval (Knolle était dans celle-ci) ; s'il a précédemment livré
passage à Tarmée anglaise en 1370, c'a été uniquement pour le
service du roi, persuadé qu'elle aurait fait moins de mal en Gas-
cogne qu'ailleurs, si elle avait pris sa route par l'Anjou et le
Maine, etc. Puis vient le chapitre des griefs : le duc reproche au
roi d appuyer les démarches faites pour la canonisation de Charles
de Blois ; il se plaint de du Guesclin, qui ne lui avait point en-
core fait hommage; de Clisson, qui ne voulait lui obéir et ne cher-
chait qu'à le desservir près du roi ; il demande surtout très instam-
ment qu'on lui rende ses terres de Réthel et de Nevers. D'ailleurs
il ne désire rien tant que de servir le roi, et de faire avec lui un
nouveau traité d'alliance contre tous leurs ennemis communs.
Quand on lit ces belles choses, et bien d'autres encore, dans les
instructions diplomatiques de Jean IV que nos Bénédictins ont
imprimées, on demeure véritablement confondu de cet excès de
duplicité. Charles V lui-même s'y laissa prendre, à ce point qu'il fit
rédiger et envoyer au duc une formule de serment d'alliance pour
que ce prince y mît son sceau*.
En même temps, le roi promettait de faire suspendre Tenquête
pour la canonisation de Charles de Blois, d'obliger du Guesclin à
rendre son hommage, et de procurer l'obéissance de Clisson envers
le duc. Bien plus, se trouvant hors d'état de restituer immédia-
tement les terres de Réthel et de Nevers, Charles V, par une lettre
datée du 8 septembre 1872', s'engageait à servir, au nom de
Jean IV, une rente de 10.000 livres, que celui-ci, en vertu du traité
* Voir Trésor des Chartes, Archives nationales, J, a46, n* a6.
' Trésor des chartes de Bret. T. E, aS.
\
96 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
deGuérande, devait à la comtesse de Penthièvre ; et Jean IV accep-
tait cette obligation jusqu'à nouvel ordre^ comme une compensation
suffisante.
Il n*y avait pas longtemps que cet accord du S septembre venait
d'être conclu, quand les Anglais, appelés en Bretagne^ on s'en sou-
vient, par le traité du ig juillet précédent, parurent et débarquèrent
à Saînt-Mahé. L'audacieuse comédie jouée par le duc touchait à son
terme. Ce débarquement ne permettait plus aucun doute sur la
trahison de Jean lY : Tarmée française, sous le commandement de
du Guesclin et des ducs de Bourbon et de Berri, frères du roi,
entra en Bretagne. Jean lY, confiant dans sa fourbe, qui l'avait
jusque-là si bien servi, tenta de protester encore contre l'évidence :
il n'avait, disait-il^ appelé les Anglais que pour l'aider à remettre
Clisson dans le devoir ; puisque le roi de France en prenait om-
brage, il allait se hâter de les renvoyer en Angleterre. Chose
presque incroyable, et qui montre combien la France cherchait peu
la guerre, cette ruse grossière réussit à demi : les frères du roi
firent un mouvement de retraite ; mais sur de nouveaux soupçons,
peut-être sur les conseils mieux inspirés de du Guesclin, ils se ravi-
sèrent bientôt, et un incident curieux vint enfin^ à point nommé,
dévoiler le mensonge et confondre le menteur.
L'armée française s'était avancée entre Gaël et Rennes, quand la
duchesse de Bretagne sortit de cette dernière place pour se rendre à
Vannes, auprès du duc. Ignorant la présence des ennemis dans le
voisinage, elle tomba, avec son bagage et son escorte, aux mains
d'un parti de 5oo hommes d'armes envoyés à sa poursuite. « Ame-
« née (dit Lobineau) devant le duc de Bourbon, elle s'écria : Haha !
« beau cousin, suis-je prisonnière P A quoi le duc répondit que non,
« et qu'il ne faisoit point la guerre aux dames. » On lui donna une
escorte de l'armée française, on lui laissa sa suite, et on lui rendit
tout son bagage, — moins un morceau de parchemin, — l'original
du traité d'alliance conclu par Jean IV avec le roi d'Angleterre, en
date du 19 juillet 137a'.
* Dom Morice ea a public le texte sous le titre de Ligue offeïisive et défen^
site entre le duc de Bretagne et le roi d'Angleterre^ dans les Preuves de
rhist, de Bret, II, col. Ao-45.
RÉGNE DE JEAN iV 97
Ce parchemin, promené par toute la Bretagne^ devint contre le
duc une arme aussi formidable que Tépée d*e du Guesclin. On se
rappelle cette menace des Bretons à Jean IV : que slls le sur-
prenaient à donner aide aux Anglais, ils le chasseraient de son
duché. Longtemps ils avaient refusé de croire à la culpabilité
du duc. Mais quand on produisit le traité original du 19 juillet,
quand on vit au bas de cette triste pièce le sceau hermine
de Bretagne pendant côte à côte avec celui du roi d'Angle-
terre, il fallut bien se rendre à l'évidence ; et les gentilshommes
bretons, voyant le moment venu détenir leur parole, quittèrent
en grand nombre le parti de Jean IV. Ce résultat obtenu, on apporta
à Paris l'utile parchemin, et on le déposa dans le Trésor des chartes
du roi, où il est encore, et où je l'ai manié. C'est une superbe
endenture, d'une fort belle écriture et d'une fraîcheur surprenante.:
curieux monument de la duplicité de l'ami des Anglais.
Le roi, si longtemps dupe des mielleuses épitres du duc et de ses
fausses protestations de fîdélilé, prit sur lui, par la plume d'abord,
tine éclatante revanche dans une lettre éloquente où il mettait en
lumière et réfutait péremptoirement tous ses subterfuges^ tous
ses mensonges, et le sommait d'avoir à expulser immédiatement
les Anglais de son duché' . Il ne se borna point à lancer cette lettre
au duc, il en fit un véritable manifeste qui fut répandu par toute
la Bretagne et envoyé particulièrement aux principaux seigneurs,
que le roi faisait çn quelque sorte juges entre lui et le duc^ et
auxquels il adressait cet appel :
tt Comme nostredit cousin (le duc Jean IV) ait fait venir les
Anglois nos ennemis dans le duché de Bretagne, ainsi que vous
pouvez le voir clairement par les lettres ci-dessus ; comme nous
tenons fermement que vous êtes et toujours avez été bons et loyaux
'François et avez en haine de tout votre cœur les Anglois nos enne^
.mis (comme nous l'avons su par expérience de fait), — nous vous
.prions très acertes et^ comme votre seigneur suzerain, vous
requérons que vous ne receviez nosdits ennemis en vos villes ou
* Trésor des chartes de France, Arch. nat. J a46, 11* i33.
Tome ix. — Février iSqS. ' . .- . 7- .
r^t
98 OOWtë D'HISTOIRE DE BRETAGNE
forteresses, mais les grevez et endommagez, comme nos ennemis
et les vôtres, de tout votre pouvoir. Donné à Paris le a4* jour de
novembre (1871) ».
Le duc Jean IV eut le courage de risquer une réponse à celte
formidable apostrophe. Comme Taraignée dont un coup de balai
vient de broyer la toile la recommence obstinément sans rien
changer, Jean IV donne une nouvelle édition, nullement amendée,
des subtilités, des équivoques, des mensonges qui lui avaient
longtemps réussi, sans paraître se douter que le manifeste du roi a
mis en poudre toute cette artificieuse phraséologie'.
Mais le duc usait en vain ses dernières finesses : le temps des
subterfuges et des équivoques était passé. Indignés de la conduite
de leur souverain, émus de haine contre l'Anglais, les Bretons se
f
tournaient en masse du côté de la France.
En vain, dans les premiers mois de l'année suivante (i373), une
grosse flotte anglaise s'en vint débarquer à Saint-Malo. Du Gues-
din, avec une armée française, entra en Bretagne pour saisir le
duché sur le duc, et le pays tout entier se joignit à lui. Partout
Jean IV se vit refuser par ses propres sujets Feutrée de ses villes et
de ses châteaux ; Tarmée anglaise, contrainte de se rembarquer
honteusement, se sauva dans le port de Brest, et le jeudi après la
Quasimodo, le 28 avril 1378, le duc, chassé de ses États par les Bre-
tons, s'embarqua à Concarncau suivant les uns, à Brest suivant
d'autres, pour se réfugier en Angleterre.
Comme il mettait à la voile, un chroniqueur contemporain, écho
de la voix publique, saluait son départ des lignes suivantes, qui
montreront s'il est vrai — comme on Ta dit parfois — que les
Bretons d'alors préféraient FAngleterre à la France :
<c Sachent tous les fidèles du Christ que Tan de Notre-Seigneur
1873, le jeudi après Quasimodo, illustre et vaillant prince Jean, duc
de Bretagne, comte de Montfort et de Richement, partit de Brest
pour s'en aller en Angleterre, parce qu'on lui refusait partout l'en-
trée de ses villes et châteaux, à cause de la séquelle d'Anglais on
* Ibld., J a46, n« i3o. Cettô réponse de Jean IV à Charles V est datée du
sS décembre (1372).
I
RÈGNE DE JEAN IV ,99
Saxons qu'il tramait après lui. Les Bretons en effet ne voulaient
point souffrir qu'ils eussent le gouvernement du duc, craignant
d'être, eux et leur duc, chassés et déshérités de leur sol natal par
la trahison desdits Saxons, si Ton laissait ceux-ci entrer dans les
villes. Car ils se rappelaient encore, les Bretons, comment les
Saxons avaient jadis chassé leurs ancêtres de la Grande-Bretagne
et massacré traîtreusement quatre cent soixante de leurs comtes et
barons, au temps du roi Vorligern' . »
Tels furent pour Jean IV les premiers fruits de son anglomanie.
Nous le suivrons bientôt dans son exil, nous le verrons remon-
ter sur le trône, et, ce qui est surtout curieux, nous nous
convaincrons que sa chute et sa restauration — événements par-
faitement contradictoires — n'en sortent pas moins d'une seule
et même cause : 'Rattachement inébranlable des Bretons à leur iU'*
dépendance nationale.
Arthur de l\ Borderie.
de VlnstiiaL
{A suivre)
* Chronique de Saial-Brieuc, daas dom Morice, Preuves de rhistoire de
Bretagne, I, col. 46.
LES GRANDES SEIGNEURIES
DE HAUTE-BRETAGNE
Congrues dans le territoire actuel du département dlUe-et-Vilaine.
(Suite)
BÉCHEREL (Baronme)
Bécberel', placé au sommet d'une des collines les plus élevées du
pays de Rennes, fut sans doute au temps des Romains une station
militaire coomiandant la voie qui passait à ses pieds. Les sires de
Dinan remarquèrent cette position éminemment stratégique et
construisirent en ce lieu un château-fort qui donna bientôt nais-
sance à une petite ville. Notre intention n'est pas de faire ici This-
toire de Bécherel, qui joua un certain rôle dans les guerres du
moyen âge, nous voulons seulement donner la suite de ses
seigneurs et faire connaître l'importance et retendue de leur ba-
ronnie.
Alain de Dinan^ deuxième fils de Geffroy^sire de Dinan, peut être
considéré comme le fondateur du château de Bécherel, qui, primi-
tivement, faisait partie de la paroisse de Plouasne*. Alain mourut
avant ii48'.
Roland de Dinan, son fils, tut ensuite seigneur de Bécherel ;
n'ayant pas d'enfant, il adopta son neveu Alain de Vitré, fils de Ro-
bert, sire de Vitré, et d'Emma de Dinan^ et lui laissa sa seigneurie.
Alain de Vitré, dit de Dinan^ mort en 1197» eut «une fille ap-
pelée Gervaise de Dinan, qui fut dame de Dinan et de Bécherel, et
épousa successivement : i*^ Juhel, baron de Mayenne f laao; a*^Gef-
* Voir la livraison de décembre 1891. '
' Chef-lieu de canton, arrondissement de Montfort.
' Bécherel ne fut érigé en paroisse qu^en 11 64.
* De Barthélémy : Mélanges archéologiques sur la Bretagne, 111, 16.
LES GRANDES SBIQNEURUSS 10^
froydeRohanf iaa!i, et 3*Richard Mareschal, seigneur de Lon-
gueville.
Marguerite de Mayenne, issue du premier lit, eut en partage les
ieigneuries de Dinan et de Bécherel, qu'elle porta à son mari Henri
de Penthièvre, seigneur d'Avaugour, lequel mourut en laSi. Leur
fils, Alain d'Avaugour, mort avant son père, vers ia65, épousa
Marie de Beaumont et eut d'elle plusieurs enfants, entre autres une
fille nommée Havoise, mariée à Olivier de Tinténiac, seigneur
dudit lieu*.
C'est à ces derniers qu'échut la baronnie de Bécherel, qu'ils lais-
sèrent en mourant à leur fils Guillaume, sire de Tinténiac et de Bé-
cherel, vivant en i3o3. Olivier de Tinténiac, fils de Guillaume,
fut & son tour seigneur de Tinténiac et de Bécherel (iSig),
et eut de son union avec Eustaice de Ghftteaubriand deux fils^
Briand et Jean, qui lui succédèrent en ses seigneuries. Briand
étant mort^ en effet, sans laisser d'enfants, Bécherel passa à son
frère cadet Jean^ mari de Jeanne de Dol. Celui-ci^ l'un des héros
du combat des Trente, décéda en i35a, ne laissant qu'une fille,
Isabeau de Tinténiac, qui épousa Jean de Laval , seigneur de
Châtillon, en Vendelais^ et lui apporta les seigneuries de Tinténiac,
Bécherel, etc.
De cette union naquit une fille, Jeanne de Laval, dame de Bé-
cherel, qui épousa d'abord l'illustre connétable Bertrand Dugues-
clin, puis son cousin Guy XII, sire de Laval et de Vitré : elle mourut
le 37 octobre i433'.
A partir de ce moment, les barons de Vitré — que nous retrouve-
rons plus tard -7 possédèrent la seigneurie de Bécherel jusqu'en
1636. Cette année-là, le i4 février, Henri de la Trémouille, baron
de Vitré, et Marie de la Tour de Bouillon sa femme vendirent la
baronnie de Bécherel à quatre associés : Jean Glé , seigneur de la
Costardaye, en Médréac ; François Glé, son frère, seigneur du Pan,
et les seigneurs de la Bouexière et de Bienassis. En 16217, ceux-ci
< Mb« de la Motte -Rouge : Les Dinan et leurs juveigneurs.
9 Du Paz : Histoire généalogique des maisons de Bretagne^ b'jS,
DE HAUTE-BRETAGNE tOS
• • •
Quoique morcelée au commencement du XVII* siècle^ la sei-
gneurie de Bécherel s'étendait encore en 1770 en dix-huit paroisses :
Bécherel, Miniac, Longaulnay, Piouasne, Guitté, Guenroc, Piou-
balay, Le Quiou, Calorguen, TréfumeU Saint-Juvat, Evran, Me-
dréac, Gaulne, Saînt-Pem, Saint-Maden, Saint-Judoce et Yvignac,
Les aveux rendus au roi le 22 mai i5o4 par le comte de Laval et
le 10 juin 1680 parla marquise de la Vaiiière' vont nous faire
connaître la baronnie de Bécherel :
Voici d'abord le cheMieu de la seigneurie» c'est-à-dire a la ville,
lauxbourgs et paroisse dudict Bécherel où il y a encore les vestiges
et apparences d'un vieil chasteau qui fut, il y a longtemps, démoli
durant les guerres civiles de cette province ; et au bout de ladite
ville il y a deux grandes portes, et se gouvernent les habitans de la
dicte ville en toutes choses comme (ceux des) autres villes closes
de la province. »
De ce château de Bécherel » pris en .1168 par Henri II, roi
d'Angleterre^ brûlé par Geffroy, duc de Bretagne en ii8a, et
reconstruit par les sires de Dinan, pris de nouveau par les Anglais
en i35o et assiégé par Duguesclin en 1871, restauré par* Anpe de
Laval en i4i9 et définitivement ruiné par les guerres de la fin du
XV* siècle, il reste peu de chose ; dès i5o4i ses remparts n'étaient
pbiB que des débris : u Aussy y a en ladite ville de Bécherel
monstre et emplacement de chasteau où y a encore une tour qui
par la guerre qui, puis naguères de temps, a eu cours en ce pays,
a esté bruslée par les ennemis. » On prétend que c'est cette même
tour démantelée qu'on aperçoit encore près du presbytère.
Quant à l'enceinte de ville, jadis bien fortifiée, eUe ne présentait
plus depuis longtemps que quelques débris de courtines, mais elle
conservait néanmoins naguère une belle porte appelée porte Saint-
Michel, qui constituait un monument intéressant du passé : des
vandales viennent récemment d'abattre ce dernier reste des fortifia
cations de Bécherel.
Dans l'enceinte de la petite ville se trouvaient « grande et double
halle, c'est-à-dire haulte et basse, où estaient les marchands*toutes
> Arch. (Fllle'et-MLaiiicei de la Loire^Inférieure, .
DE HAUTE*BRETAGNE 10&
liombre de terres nobles, parfois assez importantes, telles, que les
seigneuries de.Guitté, deBeaumont, de Couëlan, dTvignac^ de la
Costardaye, du Lattay, de Lesnen, de Caradeuc^ du Hac, de Li*
-gouyer» de Médréac, de la Houssaye, du Bois-de-Miniac, de Mon-
tifaut, de la Rivière en Tréfumel, etc., etc.
Les presbytères de Bécherel et de Longaulnay en relevaient aussi.
Il nous reste à faire connaître les droits féodaux de la baronnie
de Bécherel offrant quelque singularité ; ils étaient en 1680 comme
en i5o4 au nombre de trois : laquintaine, le saut des poissonniers
et le brûlement des lins.
La quintaine est décrite avec détail comme il suit :
« A cause de ses dites terre et baronnie de Bécherel (le seigneur
du lieu) a un droit sur les habitans de ladite ville et fauxbourg
de Bécherel, nommé quintaine^ qui est tel que tous les nouveaux
mariés desdits ville et fauxbourg sont tenus l'an de leurs nopces,
chacun d'eux au lundy des fériés de Pasques, de courir, estant à
cheval, une gaule de bois à la main, aultrement appelée lance,
par trois fois, et (doivent) en frapper du bout dans un escusson
armorié des armes de ladite seigneurie en un post de bois qui est
planté au lieu ordinaire nommé la quintaine ; et si (la lance) n'est
rompue la première, seconde ou troisième course, (le coureur) dst
tenu payer l'amende suivant l'usance du fief : et ne doibvent les-
dits nouveaux mariés chausser les espérons, monter à cheval,
prendre ladite lance, courir ny descendre de cheval, sans au préa-
lable demander, (pour) chacune desdites choses, congé* au seigneur
ou à ses officiers qui pour luy assistent audit lieu. Si iceux nou-
veaux mariés estoîent en défaut de comparoistre et de faire chacune
desdites choses en la manière susdite, ils seroient tenus de poyer
l'amende^ le seigneur ou ses officiers leur fournissant le cheval,
les espérons et les lances. »
Le saut des poissonniers demande quelques mots d'explication.
On sait qu'autrefois l'accomplissement rigoureux du devoir d'abs-
tinence en carême faisait naître certains usages qui nous semblent
aujourd'hui fort bizarres : on commençait par les foUes du carême-
t C'ost-à-dire permission.
rss:-:y :;.■";-• ^t"»^w7^.
10< LES GRANDES SEIGNEURIES
prenant, on continuait par la procession grotesque de la mi-
carême et on terminait par le saut des poissonniers. Aux fêtes de
Pâques, en effet, pour témoigner sa joie d'être enfin débarrassé du
régime maigre suivi pendant la sainte Quarantaine, on jetait volon-
tiers à Teau les marchands de poissons qui pendant de si longs
jours avaient forcé les. fidèles à s'approvisionner à leurs étaux. lien
était ainsi à Bécherel : le lundi de Pâques, tous ceux qui avaient
« vendu du poisson le caresme précédent » étaient tenus de venir
€ sauter ledit jour dans Testang nommé Testangde Bécherel en
endroit raisonnable » ; et après s'être « dépouillés pour sauter »,
devaient a chacun d'eux demander congé au seigneur ou à ses
officiers pour sauter dans ledit estang, et avant d'en sortir (devaient
également) demander congé ». Le saut des poissonniers avait lieu
à Bécherel au grand ébaudissement de la populace « soubs peine
d'amende » que pouvaient payer toutefois ceux qui craignaient un
rhume à la suite de ce bain souvent intempestif.
« Le territoire de Bécherel — écrivait Ogée au siècle dernier —
est fertile en lin qui fait le plus beau et le meilleur fil de la Bre-
tagne'. » Aussi le seigneur du lieu — pour favoriser l'industrie
textile en stimulant le zèle des travailleurs et en punissant les pa-
resseux — s'était-il réservé un droit ainsi décrit dans l'Aveu de
1680: ce Ledit jour des lundy des fériés de Pasques (le baron de Bé-
cherel) a droit et est en possession immémoriale de faire brusl^r §n
sa dite ville en lieu public tous les lins et chanvres qui seront
trouvés encore à broyer et à teiller, et (peut) en faire ledit seigneur
à sa volonté, et ceux et celles chez qui lesdits lins et chanvres seront
trouvés doibvent poyer l'amende, et cela se fait à ce que les femmes
ne soient paresseuses de faire accommoder lesdits lins et
chanvres qui sont fort bons dans retendue de ladite seigneurie. »
Terminons par un détail qui peint bien Tesprit religieux animant
alors la société féodale : c'est le chapitre des rentes de fondations
pieuses faites par les anciens sires de Bécherel. u Sur les moulins
de la seigneurie étaient dues quinze mines et demye de froment
à l'abbaye de Boquien, une mine à l'abbaye de Montfort et a3
* JHct, deBret.
DE HAUTE-BRETAGNE 107
livres de renie au chapitre delà collégiale Saint-Tugdualde Laval »,
à quoi il faut ajouter les honoraires des six chapelains fondés &
Notre-Dame de Bécherel et les dîmes abandonnées aux religieux
du prieuré de Saint-Jacques.
Aujourd'hui Bécherel ne se distingue que par sa pittoresque
position, 176 mètres au-dessus du niveau de la mer. « Le pano-
rama qui se déploie sous les regards du spectateur, contemplé de
la cime où se dressaient jadis les tourâ du château de Bécherel,
est un des plus vastes, des plus ravissants qu'offre la Haute-Bre-
tagoe. Toute la vallée de la Rance est sous vos pieds, ses plans
divers s'échelonnent vers le nord-ouest en ondulations succes-
sives jusqu'à rhorizon de Dinan ; plus loin, vers Touest, on aper-
çoit, à Tarrièr^e-plan, les crêtes du Menez; au nord, la vue plonge
parfois par échappée jusqu'au littoral\ »
L'abbé Guilloti^ de Corson,
chan, hon.
(A suivre, J
• Paul de la Bigae- Villeneuve : Brft, contemporaine ~ lUe-et-V Haine, 7A.
cherche, et la vieille femme qui demeurait à côté était bien coq-
< Voir la livraison de septambre 1891.
CONTES DE LA HAUTE-BRETAGNE 109
tenté, car elle pensait tous les renvoyer chercher les Merveilles
pour avoir leur fortune. Le second fils s'endormit comme son frère^
et fut transformé en dindon.
Belle-Ëtoi)e, ne voyant pas revenir ses frères^ partit à leur re*
cherche ; elle fit mine de s'endormir, et, comme Toiseau arrivait,
la croyant endormie» pour lui faire comme à ses frères, elle le saisit
par la patte et le fourra dans sa cage, puis elle lui dit :
— Rends-moi tout de suite mes frères, ou je ne te donnerai pas
la liberté.
— Laisse-moi sortir auparavant, dit l'oiseau.
— Non, répondit Belle-Ëtoile.
— Prends une des plumes de ma queue et va les ressusciter.
Elle toucha ses frères et les autres dindons qui reprirent leur
première forme, et redevinrent hommes, et il y en avait qui étaient
rois et princes.
Elle dit alors à l'oiseau :
— Donne -moi les trois Merveilles.
L'oiseau lui indiqua où elles étaient, et ils partirent, emportant
l'oiseau.
Ils firent un grand repas où la vieille fat invitée. On avait mis
Toiseau au milieu de la table dans une jolie cage. Mais il savait
bien ce que la vieille bonne femme avait dit, et il le répéta devant
tout le monde, ce qui mit la vieille femme fort en colère, et elle
eut tant de honte qu'elle s'en alla.
(Conté en 1880 par Mme Araadi, de Dinan,)
^LES DEUX FRÈRES
Il y avait une fois une femme qui avait deux jumeaux. Comme
elle n'était pas riche, elle allait dans la forêt chercher du bois pour
se chauffer, et elle emportait ses enfants avec elle. Un jour qu'elle
venait de ramasser sa fouée» elle vit accourir un ours : elle eut
110 CONTES DE LA HAUTE-BRETAGNE
grand'peur, elle prit un de ses enfants sous chaque bras; mais en
courant elle laissa tomber un de ses enfants et n'eut pas le cou-
rage de s'arrêter pour le chercher. Le lendemain elle retourna à la
forêt, ej ne vit point de trace de sang à l'endroit où son fils était
tombé. '
L'ours emporta l'enfant dans sa tanière, et réleva comme un de
ses petits : il était poilu comme un ourson et marchait aussi à
quatre pattes, et était fort comme une bête.
L'enfant qui était resté chez sa mère grandit, et, quand il eut
vingt ans, il dit à sa mère :
— Je vais partir pour aller chercher mon frère, m'est avis qu'il
n'est pas mort.
Il prit un cheval et un sabre, et alla dans la forêt où se trouvait,
disait-^on, une bête si forte que plusieurs soldats envoyés pour la
tuer n'avaient pu ni la prendre ni lui faire mal.
Il rencontra la bête et il se battît pendant deux heures avec elle,
mais ils ne se firent point de mal. Comme ils étaient lassés, ils
cessèrent de lutter, et ils s'assirent l'un i côté de l'autre. Le jeune
garçon se mit à manger du pain» la bête en ramassa aussi un mor-*
ceau et le mangea avec plaisir. Ensuite elle s'allongea sur le dos,
comme pour montrer à l'homme qu'elle ferait tout ce qu'il voudrait.
Il se mit en route avec elle, et arriva dans un endroit où était un
géant qui lui dit :
— 11 faut que tu te battes avec moi.
La bête fit signe au jeune garçon qu'elle voulait aller & sa place,
elle prit ses habits et arriva au château du géant, qui prit une
barre de fer et l'enfonça en terre si profondément qu'on n'en
voyait plus qu'un petit bout ; puis il dit :
— 11 n'est pas nécessaire de se battre ; si tu peux enlever
cette barre de fer, tu seras vainqueur.
La bête saisit la barre de fer avec ses grifies et l'arracha
facilement.
— Ah ! dit le géant, tu es le plus fort. .
T S^
GÛNTBS DE LA HAUTE-BRETAGNE tlt
La béte assomma le géant et vint rejoindre son maître. Gomme il
avait besoin de se raser, il alla chez un perruquier avec sa bôte^ et
elle lui fit signe qu'elle voulait aussi être rasée.
Le perruquier se' mit à la raser, et à mesure que le poil
tombait, on voyait paraître une figure d homme, et quand ce fut
fini, le jeune garçon reconnut son frère qui lui ressemblait comme
se ressemblent deux gouttes de lait. Il Tembrassa, et la bête lui dit :
— J'avais bien vu que tu étais mon frère ; sans cela je t'aurais
écharpé comme les soldats qu'on avait envoyés pour me tuer.
Maintenant, nous allons voir notre mère.
Ils arrivèrent chez eux, et la mère fut malade huit jours de la
joie qu'elle eut de revoir son fils qu'elle avait cru perdu.
(Conté en 1880 par Auguste Macé, de Saînt-Cast.)
XI
PETIT PIERRE, OU L'ENFANT DE SEPT ANS
Il y avait une fois une bonne femme qui n'avait qu'un fils ; mais
elle était si pauvre qu'elle avait encore peine à lui donner du pain.
Un Jour elle lui dit :
— Mon petit Pierre, si tu veux m'en croire, nous allons prendre
un bissac et aller chercher notre pain de porte, en porte.
— Non, répondit-il, j'aime mieux voyager, peut-être que sur
notre route nous pourrons trouver de l'ouvrage.
Les voilà donc partis, et quand ils furent bien loin,. bien loin»
ils aperçurent une forêt et ils y entrèrent. Il était tard, et ils n'a-
vaient pas mangé de la journée ; mais ils étaient si lassés qu'ils ne
pouvaient plus mettre un pied l'un devant l'autre. Le petit Pierre
dit à sa mère :
— Nous allons coucher ici, et demain matin nous partirons pour
aller encore plus loin.
Quand il se réveilla, il s'aperçut qu'il était couché au pied d'un
pommier : il grimpa dedans et cueillit toutes les pommes, puis il
CONTES DE LA HAUTE-BRETAGNE 311.
XII
LE CHEVAL BLANC
Il y avait une fois un jeune garçon que sa mère voulait mettre
hors de chez elle sans s'inquiéter de ce qu'il deviendrait.
Gomme il s'en allait bien triste, il rencontra son petit cheval
blanc, qui lui dit :
— Tu as Tair bien chagrin, mon ami.
— Hélas ! oui| ma mère ne veut plus de moi à la maison, et je
ne sais ce que je vais devenir.
— Tu vas aller chez le roi, et lui demander s'il ne lui manque
pas un domestique : quand tu auras besoin de moi, tu m'appel-
leras et je viendrai à ton secours.
Le petit gars alla trouver le roi et lui dit :
— Bonjour, sire, n'auriez-vous pas besoin d'un gardeur de vaches?
— Si, répondit le roi, le nôtre est parti, et je te prends à sa
place^ mais à la condition que tu feras tout ce que je te dirai.
Quelques jours après que le gardeur de vaches fut entré en
service, le roi lui dit :
— Il faut que tu ailles me chercher la plus belle fille du monde :
si tu me l'amènes, tu seras récompensé ; mais si tu ne réussis pas,
je te brûlerai dans trente* six fagots.
Le jeune garçon appela son petit cheval blanc, qui accourut
aussitôt et lui dit :
— Qu'as-tu à pleurer, mon ami ?
— C'est, répondit-il, que le roi m'a ordonné d'aller lui chercbet*
la plus belle fille du monde, en jurant que si je ne pouvais la lui
amener, il me ferait brûler dans trente<six fagots.
— Tiens, voici une petite carte ; tu verras arriver trois vapeurs,
ta la montreras à leur capitaine, et tu ne seras pas encore brûlé
cette fois-ci.
Le jeune garçon alla se promener sur le bord de la mer, il vit
Tome jx. — Février iSgS. 8
H4 CONTES DE L\ H\UTE-BRETAGNE
trois vapeurs, et dès qu'il eut montré sa carte, ils arrivèrent et le
capitaine lui demanda jce qu'il voulait :
— Je veux, dit 41, la plus belle fille du monde.
Les vapeurs s'éloignèrent, et quand ils revinrent, ils amenaient
la plus belle fille du monde. Mais elle était si en colère qu'elle jeta
ses clés en or dans la mer, et en passant près la forêt elle lança sa
bague d'or au plus épais des buissons. Il amena au roi la belle
fille ; mais, quelques jours après, le roi le fit venir et lui dit :
-— Ce n'est pas assez d'avoir été chercher la plus belle fille du
monde, il faut que tu me rapportes ses clés d'or, ou tu seras brûlé
dans trente-six fagots.
Le jeune garçon appela encore son petit cheval blanc :
— Qu'as-tu aujourd'hui, mon ami ? lui demanda-t-il.
— Le roi m'a ordonné d'aller chercher les clés d'or de la belle
fille, et il m'a dit que si je ne les retrouvais pas, il me ferait brûler
dans trente- six fagots.
— Tout cela n'est pas bien difficile, répondit le cheval - blanc :
les clés d'or sont dans la mer ; tu vas prendre un morceau de pain
et le mettre sur un rocher. 11 viendra un petit poisson pour le
manger, et tu le prieras de t'apporter les clés.
Le jeune garçon prit un morceau de pain et alla le placer sur
un rocher de. la mer ; il vit aussitôt apparaître un petit poisson
rouge qui lui dit :
— Donne«moi ton morceau de pain, et je te rendrai service si tu
as besoin de moi.
— Ah ! poisson, répondit le petit gars, tu peux me sauver la vie :
va chercher les clés d'or que la plus belle fille du monde a jetées
dans la mer; si je ne les apporte pas, le roi veut me brûler dans
trente-six fagots. ^
Le petit poisson rouge plongea dans la mer, et ne tarda pas à
rapporter les clés d'or.
Quand le roi les eut, il dit à son domestique :
— Ce n'est pas, le tout que d'avoir les clés d'or, il faut encore
que tu ailles chercher la bague d'or que la. belle fille a perdue dans
la forêt ; si tu ne l'apportes pas, tu seras brûlé dans trente-six
fagots.
CONTES DE LA HAPTE-BRETACr^E 115
Le petit garçon appela le cheval blanc à son secours, et lui ra-
conta ce que le roi exigeait encore :
— Monte sur mon dos, et n'aie pas peur, lui dit le cheval blanc.
11 alla dans la forêt qui était pleine de bétes de toutes sortes ;
mais le: cheval blanc les étrangla toutes, et il trouva la bague dTor
dans le ventre d'un loup.
Le petit gars la rapporta au roi ; mais le loup en Tavalant lui
avait donné un coup de dent, et elle était un peu écornée. Le rcA
lui dit :
■ 4
t
^ La bague est écornée : si d'ici trois jours tu ne peux la rac-
commoder si bien qu*on ne s*aperçoivepas de l'endroit où elle a été
éraillée, je te ferai brûler dans trente-six fagots.
Le petit gars appela son cheval blanc, et lui dit en pleurant :
— Je suis perdu cette fois, le roi m'a dit qu'il me brûlera
dans trente-six fagots si je ne pouvais faire disparaître la trace de
sa cassure.
— Monte sur mon dos, lui dit le cheval blanc ; voici une petite
bouteille, je vais entrer dans le cimetière et faire le tour du Gel-
\raire jusqu'à ce qu'elle soit remplie des gouttes d'eau du bon Dieu.
Quand la bouteille eut été remplie des gouttes d'eau du bon
Dieu, le cheval blanc dit au petit gars :
— Tu te mettras une goutte d'eau sur la langue^ et le feu ne te
fera aucun mal.
Au bout de trois jours la bague n'était pas raccommodée : le roi
Gt mettre trente-six fagots dans la cour du château, et on attacha
le petit garçon au milieu ; mais les trente-six fagots brûlèrent
sans lui faire aucun mal. Les domestiques allèrent chercher
d'autres fagots, et ils en brûlèrent trente-six mâts sans pouvoir
parvenir à faire mal au petit garçon.
Us allèrent prévenir le roi qui arriva et lui dit :
— Pourquoi les flammes ne t'ont-elles point fait de mal ?
— Croyez-vous que je vais me laisser brûler quand j'ai un moyen
sûr d'empêcher le feu d'avoir prise sur moi ?
— Comment as-tu fait ?
— C'est avec de l'eau qui a pouvoir sur le feu.
— Va m'en chercher, je veux essayer.
Il appela son cheval blanc et monta sur son dos ; mais, au lieu
de remplir sa bouteille avec l'eau du bon Dieu, il la remplit d'eau
de mer.
Le roi fit laire un bûcher de trenta-six fagots et se mit au milieu.
Le jeune garçon et le petit cheval blanc BOufDaient le feu : le roi,
malgré sa bouteille, fut grillé.
Le petit garçon épousa la plus belle Qlle du monde, et il fut
heureux, et le petit cheval blanc eut de l'avoine pour le restant de
ses jours.
{Conté en 1880 par Auguste Macé, mousse, âgé de iU ans.)
(A suivre j Paul Sédillot.
POÉSIES FRANÇAISES
I
LE VITRAIL DU CHEVALIER
■
Dans un bourg de la Suisse, au fond d'une vallée
Où gronde un torrent écumeux,
Tombant d^ne montagne abrupte et dentelée,
Couverte de sapins neigeux.
Je me souviens qu'un jour une vieille chapelle
Au toit par la mousse jauni,
Que drapent des rameaux de rose pimprenelle,
A Faube me servit d'abri.
La foudre sillonnait les flancs noirs, des nuages ;
Ses éclats ébranlaient les airs ;
La montagne tremblait dans ses gorges sauvages.
Qu'enflammaient de fauves éclairs.
Cette chapelle n'a qu'une grande fenêtre
Faisant face à l'humble portail,
D'où l'on voit se dresser, sitôt qu'on y pénètre,
Un chevalier dans le vitrail.
Il est debout, vêtu de sa gothique armure
Et coifié d'un casque de fer ;
Sa visière est baissée et cache sa figure ;
Ses mains seules montrent sa chair.
f
ï
118
LE VITRAIL DU CHEVALIER
Et tout autour de lui brillent des armoiries
Aux fantastiques écussons,
Où se mêlent, sur l'or, les fleurs^ les pierreries.
Des licornes et des lions.
Du chevalier masqué j'ai demandé l'histoire,
Mais le peuple ne la sait plus ;
Les livres sont muets ; s'il a connu la gloire,
Les siècles d'oubli sont venus.
Joseph Rousse,
k.
^
• m
POÉSIES FRANÇAISES
II
LA MORT DU BARDE
Ces gwerz que tu chantais dans les Quatre-Cantons,
Autour de notre feu, le soir, nous les chantons.
Pauvre barde ! on voyait accourir aux villages
Les vieillards amaigris etles enfants sauvages ;
Et, dans mes souvenirs, toujours vivants^ je vois
Les larmes ruisseler aux accents de ta voix.
Tu nous parlais deç temps heureux de la Légende
Quand les Saints, fils des Rois, venaient bénir la Lande.
Âh ! parle, parle-nous de ce temps si lointain.
Printemps tout imprégné des brumes du matin,
Epoque — trop lointaine, hélas ! — par Dieu choisie.
Où les Saints nous versaient la divine Ambroisie
Où sur les Landes, sur les Flots, le long du jour,
Les âmes s'enivraient des Paroles d'amour.
Puisque nous allons vers la Tombe qu'on nous creuse.
Bon vieillard^ parle-nous de la Bretagne heureuse.
*
Votre barde n'est plus, ô peuplades d'Arvor !
C'est un peu de ton âme, ô Breiz, qui meurt encor.
J'entends au fond des bois la lugubre chouette,
Présage de la mort : Ankou déjà te guette.
Contre le Grand Faucheur, en vain tu te défends,
Pauvre mère, ta vie était dans tes enfants.
Les aines ne sont plus ; les jeunes vont poursuivre
Une folle chimère et veulent le survivre.
Pour moi qui, loin de toi, te pleure, en mon exil,
Je t'aime avec tes blancs cheveux, mère si douce.
Des nouveautés mon cœur est las : je les repousse.
Dieu puissant, garde-moi d'être un esprit subtil.
Yanu-ar-Minouz, tu 6s couler de douces larmes,
Tu ne connus ni môB terreurs, ni mes alarmes...
Dans la patrie aimée, heureux celui qui meurt :
Tu dors en terre sainte au pays de Pleumeur.
VvEs Berthou.
NOUVELLES ET RÉCITS
-«0»<
TRISTAN MORGAN
11 était dans une ville d'Armorique. dont j'ai oublié le nom, un
pauvre diable de poète pour qui lé chemin de la vie n'avait jamais
été semé de roses. Sans doute 1 étoile qui avait éclairé sa naissance
était une nébuleuse répandant sa lueur néfaste dans la partie la
plus sombre de l'Empyrée. Hélas ! où sont-elles allées» les bonnes
fées qui venaient» au temps jadis, près desberceauic, dissiper par
leurs douces incantations les maléfices du sort mauvais ? Ah ! notre
malice railleuse, notre esprit incrédule ont chassé les bonnes fées,
et notre vie est restée livrée au caprice de ce démon ténébreux qui
tient dans ses pattes crochues le fil de notre existence ! Aucune de
ces mystérieuses protectrices n'avait été la marraine de ce pauvre
diable de poêle.
Le don fatal de faire des vers ne pouvait lui avoir été donné que
par ce lutin noir des malechances> dont le plaisir consiste à nous
prodiguer les qualités qui peuvent mettre le plus d'entraves à notre
bonheur. Faire des vers !. . . prendre plaisir à cadencerdes rythmes
et à marier des rimes I • . . goûter un bonheur extravagant à saisir
la couleur des svllabes et la nuance des mots !. . écouter le chant
du rossignol quand il est l'heure de dormir, et suivre le vol des
^ nuages pendant que son potage froidit ! . . . mais c'est de la pure
folie ! c'est oublier extraordinairement la règle de la société qui est
d avoir une position, celle de la considération publique qui est de
gagner de largent : c'est être le petit moucheron sur lequel
marchent les gros éléphants.
^
122 TRISTAN MORGAN
Nous qui eûmes toqjours pitié de ces êtres déclassés, de ces pa«
rias de Thumanité» nous allons narrer la navrante histoire du
poète Tristan Morgan.
* •
J*ai recherché en vain son nom de famille ; on assure qu'il n'en
eut jamais. Il s'appelait, de son nom de baptême, Mathurin. A mon
avis (sauf le respect dû à tous les saints), ce vocable prosaïque
donné à notre poète n'occupe pas un échelon bien élevé dans Té-
chelle harmonique du calendrier ; mais les Muses, bonnes filles,
d'ordinaire, ont prouvé, — du moins depuis le seizième siècle» —
qu'on pouvait être de la pléiade tout en s'appelant Mathurin. Gela
n'empêcha pas notre poète de grandir dans leur estime. Ce n'est
qu'après avoir colligé les feuilles manuscrites de ses u Harmonies
prinlanières)^, que, sacrifiant à l'esprit romantique de l'époque,
il emprunta au cycle Arlhurien le pseudonyme de Tristan Morgan,
Ici je ne puis me défendre d'une réflexion sur les discordances
bizarres de la nature, qui, sans doute, ne sont qu'apparentes et
obéissent aux lois de ses secrètes harmonies. C'est au hasard des
vents que les fleurs se sèment sur la terre. Les plus belles peuvent
se disperser sur des terrains ingrats. Les âmes sont comme des
graines tombées du ciel, de la main du grand semeur qui peuple
le monde. Les plus resplendissantes reçoivent . souvent des enve-
loppes difformes, où leur éclat et leur parfum demeurent enfouis
mystérieusement.
Le pauvre Tristan était un être composé de cette laideur physique
et de cette beauté morale : autant il avait l'âme divinement pétrie»
autant son corps accumulait toutes les difformités les plus disgra-
cieuses. On dit que sa mère l'aima ; car, seules, les mères dénatu-
rées n'aiment pas leurs enfants. Mais, quand elle fut morte, il n'y
eut jamais plus personne à l'aimer. Cependant, ce fut la plus
cruelle des situations d'amour, - - un amour sans espoir, — qui,
sous l'auréole de ses sanglantes épines, le sacra poète.
♦ »
Elle réalisait, en sa beauté brune, le rêve idéal de son âme d'ar-
tiste, et séduisait ses yeux par le charme désiré que révélait l'allure
TRISTAN MORGAN 123
de son corps. Elle était le type préfère, répanouîssement superbe
de tout ce qu'il aimait. Du moment qu'il la vit, pour la première
fois, danser un soir de fête, oh ! avec quelle passion douloureuse
il Tadora 1 avec quel élan impétueux le cœur ardent qui animait
ce corps avorté bondit vers l'objet qui le faisait battre et soufirir,
combien souffrir! Car ne devait-il pas, amoureux ridicule, se
résoudre à se consumer en silence d'une tendresse inassouvie. Ce
fut alors, chez le malheureux, une lamentable torture de tous les
instants. Sa laideur même s'accrut à ses propres yeux, à mesure
qu'ils se repaissaient davantage de la désirable beauté. L'extase
intérieure succédait à la vision réelle, faisant durer l'épouvantable
supplice de l'éternel éloignement
Le chant est frère de la douleur beaucoup plus que de la joie.
Pour se soulager^ l'amoureux chanta sa peine. Sa pensée s'absorba
dans une rêverie intérieure, pleine de langueur maladive, qui mo-
dulait au fond de lui, comme une lyre plaintive faite des fibres de
son cœur, la tristesse de son mal d'amour. Il fit des vers qui
célébraient, sous un nom supposé, les cheveux de nuit, la nuque
d'ambre, les yeux flamboyants et veloutés de sa bien-aimée :
Pour moi rien n'est plus doux que tes yeux ; si nacrée,
Si claire sous tes cils de velours, je crois voir
Ta prunelle briller comme un diamant noir,
Ayant pris pour écrin ta paupière dorée.
Cette intense et continuelle fixité dans le désir et le désespoir
d'amour firent autour de son esprit un vide de tout ce qui ne se
rapportait pas à elle, up anéantissement de toutes choses devant
l'obsession unique, la vision agrandie et idéalisée de la femme
aimée, — jusqu'à l'absence du réel, jusqu'à la folie. Il s'entretint
en strophes funambulesques avec la fleur, l'oiseau, l'arbre, la
source, retrouvant, pour comprendre la nature et traduire ses
émotions naïves, la candeur primitive des êtres antérieurs aux
civilisations. Mais toute sa ferveur poétique avait un but unique :
glorifier son idole par la splendeur de son art et faire monter vers
elle, comme un mystique encens, la renommée de son œuvre. Il
TRISTAN MORGAN 125
avec la pointe de son couteau» les plus délirantes de ses élégies.
Les hiboux effrayés s'envolaient du creux des gargouilles. Les
chauves- souris tournaient autour de son visage en le frôlant de
leurs ailes visqueuses ; mais aucune terreur .nocturne ne troublait
son travail magique. Il grava, toute la nuit ; il grava, tant qu'il y
eut de la place sur l'airain
Le lendemain matin, — c'était jour de fête, — la foule endi-
manchée se pressait sur la place de Téglise à l'appel de la cloche
sonnant les sons de messe. Un homme émacié, hagard, échevelé,
les habits en désordre, arrêtait la foule près du portail en criant
d*une voix formidable et suppliante :
— Ecoutez ! écoutez-la ! Vous l'entendez, la cloche ?
. • ». Ecoutez la cloche I . . . .
— C'est Mathurin le fou, disait le peuple.
Et Ton passait en haussant les épaules. Mais Tristan Morgan,
le poète» dressé de toute sa hauteur, les bras étendus vers la
cloche, écoptait, dans l'extase, la voix qui pour lui clamait ses vers,
et répétait doucement avec elle :
Pour moi rien n*est plus doux que tes yeux !...
Jos Parier.
LA BRETAGNE AU THEATRE
C'est toute la Bretagne, avec ses landes fleuries, ses grèves et ses rocs
que le Ilot bat incessamment, avec ses processions pieuses et ses noces
rustiques, avec ses maisons vieilles comme le temps et ses âtres tout
peuplés de légendes, avec ses marins à la rude écorce et ses vierges au
«BUT pur, avec son ciel enfin, tout nojc de grise mélancolie, qui nous
Dit apparue l'aulre soir (le i8 février), sur une des scènes les plus pari-
siennes de Paris. On jouait, au Grand-Théâtre, Pécheur d'Islande, de
MM. Loti, Ticrcclinet Ropartz.
Nous n'apprendrions rien à nos lecteurs en racontant le roman, un
des rares livres d'imaginalion qui peuvent être mis dans toutes les
mains. Mais est-ce bien un roman, le récit dtà chastes amours de Gaud,
cette sœur de la Mariede Brizcux et d'Yann, le dur et pensif matelot, qpi
a toute la fierté farouche do sa race ? C'est un poème aussi bien une
douloureuse et navrante épopée, ou encore c'est un tableau qui a, tantôt
la largeur d'une fresque, tantôt la finesse d'une aquarelle.
Le mi&l de Péchear d'Islande est très simple et semblait peu se prêter
à une adaptation scénlque. Notre collaborateur M, Louis Tiercelin et
M. Loti lui-même n'ont eu que plus de mérite à en ciitraire un drame
tout plein de saines et fortes émotions et qui contraste violemment avec
les fadeurs équivoques du théâtre contemporain. Le procédé des auteurs
a consisté à découper dans le roman, avec beaucoup d'adresse et presque
sans y rien changer, une série de neuf tableaux. Ce mot < tableau >
n'est pas ici un terme d'affiche, il désigne parfaitement les décors, qui
reproduisent avec une exactitude mervuilleuse et tout à l'honneur du
metteur en scène les paysages et les intérieurs bretons.
La place publique de Paimpol, avec ses maisons tendues de blanc, en-
guirlandées de fleurs pour la procession des Islandais, la noce où Yann
et Gaud échangent leurs premiers aveux, l'intérieur patiiarcal des
Gaos, celui des Mével, où la rgand'mére Moan apprend la mort de son
LA BRETAGNE AU THÉÂTRE 1?7
1
petit Silyestre, le pont d'un navire qui vogue sur la mer d'Islande, la
chaumière de la vieille Moan, devant laquelle le rude Yann cède enfin
au charme naïf de Gaud, une autre noce, celle de nos ùeux amoureux,
que la mer séparera bientôt, la chapelle de Notre-Dame des Naufragés
où vont prier les femmes de marins^ le calvaire enfin au pied duquel
5*est réfugiée la malheureuse, attendant toujours celui qui ne reviendra
pas : tels sont^ brièvement décrits» les épisodes du drame de MM. Loti et
Tiercelîn.
Un autre Breton, un jeune et distingué compositeur, M. Guy Ropartz,
avait écrit pour Pêcheur d'Islande une importante partition, dont nous
n'avons pu, à cause des exigences scéniques, entendre que des fragments.
Au moins a-t~on laissé subsister, en tôte de chacun des tableaux, des
préludes d'orchestre où beaucoup de science s'allie à un sentiment très
profond de la nature et de Tâme bretonnes.
Les interprètes — en tête M"»' Marie Laurent, admirable dans le rôle
de la grand'mère, M"« Blanche Dufresne, M. Guitry — ont eu leur bonne
part du succès très littéraire et très consolant de Pêcheur d'Islande,
0. DE GOURCUFP
.->r*''.k f .
NOTICES ET COMPTES RENDUS
Armoriqle et Bretagne, par René Kerviler, iSgS'.
Je ne voudrais pas dire trop de mai des revues, surtout ici où ce
serait vraiment abuser de l'iiospitalité, mais ii faut bien convenir
qu'elles ont par trop morcelé le travail littéraire et scientifique de
notre époque. Grâce à elles, on ne voit plus d^ouvrages étendus,
mais une infinité d'articles, de notices et de monographies. Le lecteur
s'y est du reste fort bien accoutumé; il a tout juste maintenant
la force de se réveiller un peu pour lire une petite étude bien faite^ où
Tauteur a concentré toute la lumière de son savoir ; quant à lui flaire
parcourir les énormes séries de tomes que nos pères franchissaient
autrefois d'un pas leste, il n'a plus assez de jarret pour cela.
Si les revues ont llnconvénient de trop diviser les travaux d'un
même écrivain, elles ont aussi l'avantage de réunir un nombre énorme de
notes sur des sujets variés et d*en faire un ensemble assez heureux,
('omme nos cathédrales du moyen âge, elles sont l'œuvre d'une masse
de travailleurs de bonne volonté, apportant chacun sa pierre à l'édifice :
ceux-ci de solide mortier, d'autres de simples moellons ; puis les maistres
imagiers, se mêlant à la foule, ont sculpté ça et là ces délicieuses figu-
res qui donnent toute la vie au monument .
Mais cependant, si leur œuvre ressort mieux sur ces murailles un peu
grises, elle fait aussi corps avec la construction. Dès lors il devient
dinicUe d'apprécier dans son ensemble tout le talent de l'artiste puisque
ses meilleurs ouvrages sont encastrés à des places souvent fort éloignées,
les plus habiles étant toujours sollicités à donner leur concours sur un
plus grand nombre de points.
Aujourd'hui, c'est la galerie d'un maître imagier de ce genre que nous
avons la bonne fortune de trouver toute formée. Espérons que son
' Recueil d'études sur Tarchéologie, Thistoire et la biographie bretonnes —
Ijubliécs de 1873 à 189a — revues et complètement transformées par René
Kerviler (3 beaux vol. in-8o avec cartes et planches). Honoré Champion, libraire,
9, quai Voltaire, Paris ; et Vannes, Veuve Lafolye et fils, imprimeurs.
NOTICES ET COMPTES RENDUS 129
exemple décidera notre grand historien breton* à rassembler tous les
trésors dont il a enrichi tant de revues, de bulletins et d'annuaires,
dispersion qui oblige à une véritable science de bibliophile pour les
retrouver.
Sous ce titre : Armorique ei Bretagne^ M. René Kerviler a réuni trois
séries d'articles du plus haut intérêt, c On ne cherchera point de
transition pour relier entre eux les différents mémoires du présent
recueil, — dit Fauteur dans sa préface» — ce sont des morceaux
détachés. Les hasards de la fortune, habituellement favorables aux
chercheurs intrépides, leur ont donné successivement naissance. Mais
un lien commun les rassemble tous et leur impose une physiono-
mie fraternelle : c*est Tamour de la patrie bretonne^ un amour franc,
loyal et désintéressé, dont les autres provinces sont parfois jalouses et
qui caractérise les gens de notre race. Bretons nous sonmies et Bretons
nous voulons demeurer, tout en restant bons Français. Ce sentiment
profond, inaltérable, pénètre toutes nos études ; grâce à lui leur diversité
disparait et fait place à une réelle unité. J*espère que mes lecteurs
voudront bien les apprécier en Bretons : ce serait pour moi une sûre
garantie de succès. »
Le premier volume est consacré à Tarchéologie. Là nous retrouvons
remaniées de fond en comble les belles études de M. de Kerviler sur la
géographie de notre péninsule, les voies romaines, la campagne de César
et en première ligne le célèbre Chronomètre de Penhouêt. Arrêtons-nous
un moment à cette maltresse pièce, si rudement attaquée par de' re-
doutables adversaires qui ont tenté de la fausser dans la lutte ; mais elle
en est sortie mieux trempée qu'au premier jour, et du choc de la discus-
sion a jailli une lumière nouvelle.
Depuis un demi- siècle les archéologues de Bretagne explorent avec un
zèle infini les anciens monuments de la contrée. Dolmens, tumulus et
xneiihirs ont donné de toutes parts un grand nombre de ces armes en
pierre dure et de ces parures en roche précieuse consacrées aux rites
funéraires de notre antiquité. Mais de ces peuples, si morts que leur nom
même a disparu, on ne retrouvait que des tombeaux.
Tout à coup, dans les gigantesques travaux du bassin qull créait à
Saint-Nazaire, M. Kerviler découvrait une foule d'objets usuels de la
période dolménique, non plus celte fois sous forme de souvenirs aux
morts, mais dans la pleine activité d'un port préhistorique.
* M. de la Borderie a bien réuni une petite partie de son œuvre, mais ce
recueil, fort rare du reste, est loin d*étro aussi complet que le public le désirerait.
Tome ix. — Féviuëe 1898. ^ 9
ISO NOTICES ET COMPTES RENDUS
Le splendide bassin où se mirent sur les eaux bleues les frégates de
haut bord et les transatlantiques, était alors une interminable carrière
de plus d'une lieue de tour, sillonnée par des trains de wagonnets enle-
levant à toute vapeur les terres que détachaient des milliers d'ouvriers.
Les travaux étaient rendus à une assez grande profondeur, lorsque Ton
trouva les armes de pierre, les ancres^ les pièces de navires, les poteries
et les ossements qui ont rendu ce gisement célèbre. Tous ces objets
étaient abondants, et bien des fois j*ai été à même d'en retrouver çà et
là les curieux débris.
Descendons un moment au fond de ce bassin : devant nous s'étendent,
à la hauteur d*une maison à trois étages, les énormes parements que
Ton a taillés à pic dans les vases durcies. Sur ces parois grisâtres se
détache une ligne rouge, marquée par des fragments de poterie romaine
et de briques à rebords. Cette raie s'étend à a™ 5o au dessus du fond :
c*est la trace d'un gisement romain exploré pendant les travaux et où
l'on a recueilli une monnaie du 111*^ siècle, un petit bronze de Tétricus.
Plus bas, au pied de la coupure» se trouve la couche sableuse contenant
les objets de la période dolménique.
Frappé de la superposition si nettement tranchée de ces objets,
M. Kerviler se demanda s'il n'y avait pas là les éléments d*un calcul
permettant de trouver l'âge tant cherché de nos armes de pierre. Les
ô'n qui séparent le niveau moderne de la couche gallo-romaine avaient
mis x6 siècles à se former par l'apport lent et continu des vases. Chaque
siècle était donc représenté par le iG< de 6"", ou 37*. Maintenant, pour
descendre de la raie rouge des débris romains jusqu'au niveau où se
trouvaient les objets de pierre polie, il y avait a™ 5o. En appliquant la
mesure précédente, c'est-à-dire 37*^ pour un siècle, on trouve en 2°» 5o
6 fois et demi 37% par conséquent 6 siècles et demi. Les épées de bronze
el les haches de pierre remonteraient donc à 65o ans avant Tétiicus, soit
au V« siècle avant notre ère.
Bientôt une nouvelle preuve vint confirmer la précision de ce chro-
nomètre : le temps ayant altéré peu à peu la coupure lisse des parois
taillées dans les vases, on distingua sur leur surface une série de petites
couches alternativement composées de sable et de terre**: Or, dans la
* M. Paul du Chatellicr accompagnait M. René kerviler lors de cette curieuse
conslatation. Des échantillons des vases de Pcnhouët indiquant très bien les
différentes couches sont placées avec la splendide collection des fouilles de
Penhouct au musée départemental de la Loire-inférieure, et sont souvent
étudiés par les archéologues français et étrangers.
NOTICES ET COMPTES RENDUS tSl
hauteur de 87 centimètres, attribuée ,par le calcul précédent à la
formation d'un siècle, il y avait juste cent couches de vases séparées par
de petits apports sableux. Ces couches représentaient donc exactement
le dépôt d'une année : la minute du fameux chronomètre était trouvée.
On devine Texplosion que le résultat de ce calcul fit éclater parmi les
coryphées de Técole matérialiste, habitués à promener leurs adeptes
dans les paysages fantastiques des âges de la pierre. Ce qui les exaspérait
surtout, c*était de voir un Breton tirer lui-même les conclusions de se&
trouvailles.
Profitant des travaux de tous les archéologues de France et de Na-
varre, ils les encouragent en disant : « Travaillez, prenez de la peine ; >
maïs ils ajoutent tout bas : < Vous en profilerez le moins. » Et, de fait,
ils ont si bien canalisé les découvertes que seuls ils ont le monopole des
conclusions à tirer.
Par exemple, je ne sais pas comment ces augures modernes peuvent
se regarder sans rire, car leurs oracles se contredisent toujours.
Quoi qull en soit, M. Kerviler tint bon. Voyant que les violentes
attaques le trouvaient ferme, on fit jouer la conspiration du silence ;
mais, au lieu d'enterrer raffaire, il se trouve qu'elle couve sous la cendre^
ce qui est le meilleur moyen d'entretenir longtemps un solide brasier.
La ligne de mardelles gauloises de la Loire Inférieure. — De cet immense
retranchement de g lieues de long, je ne veux rien dire ici, ayant été le
premier à l'étudier et à le décrire, comme le constate fort aimablement
^f. Kerviler. J'aurais toutefois à relever en passant une légère critique,
f^'auteur me reproche de ne pas avoir connu la note d*Ogée, dans son
dictionnaire de Bretagne, sur les* retranchements de St-Mars-la-Jaille.
Je la connaissais fort bien, au contraire, et tous les antiquaires du Comté-—
nantais aussi. Mais, comme elle avait parmi eux à peu près la même
réputation que le grand serpent de mer dans les récits de nos marins,
je me suis bien gardé d'appuyer des recherches sérieusement faites sur
un texte qui leur eût, à cette époque, àié toute créance.
César et Brivates Portas nous reporte à ces luttes homériques des ar-
chéologues nantais s'efTorçant de conquérir le champ de bataille de Brutus
contrôles Vcnètes. Que d'érudition dans ce brillant tournoi I Que de
passion dans les recherches et parfois aussi dans la discussion I En reli-
sant le travail de M. Kerviler, il me semblait Tentendre, lors de sa pre-
mière lecture, sous les voûtes de TOratoire. De sa voîx ferme> incisive, il
précisait avec une clarté admirable les points compliqués de la polé-
132 NOTICES ET COMPTES RENDUS
mique. Les historiens, les géographes de Tantiquité défilaient sous sa
plume, non en phalanges serrées, mais par date, à leur tour, de façon à
ce que chacun vint donner la note juste.
Les études sur la Géographie armoricaine et les Voies romaines en Armo^
rique sont accompagnées de cartes et résument des travaux très étendus,
faits avec science et conscience. Je reprocherai cependant à M. René
Kerviler trop de déférence pour F importons ouvrage de M. Desjardins
sur la Gaule romaine. G*est Tœuvre d*un membre de l'Institut, qui,
de son fauteuil, inspectait toute la Gaule avec les lunettes des autres,
et, pour nos parages en particulier, il eut souvent la main malheureuse .
Le tome II a pour titre la Bretagne avant la Révolution. Il débute
par une étude sur les chaires extérieures.^ ces rarissimes édicuies que
M. Kerviler a cependant retrouvés en certain nombre dans notre contrée.
De belles gravures de 0. de Rochebrune accompagnent la i''*' édition de
ce travail dans Isl Revue artistique de Bretagne,
Après une Etude historique sur Saint-Nazaire^ du XV* au XVIII* siècle^
pleine de documents intéressants et inédits, apparaissent deux belles
figures de Bretons du dix- septième siècle : Tacadémicien de Caumarlin,
et P. Hay du Ghatelet, le père de Thistorien de Duguesclin. Ils sont
splendidement campés tous deux, et ces portraits en pied ont de fins dé-
tails et des clairs éblouissants, à la manière dd Van Dyck.
Jean-François de Gaumartin, qui reçut la croix de chevalier de Malte
en tétant sa nourrice, comme un petit cadeau de son parrain de Gondi,
fut abbé de Busay, puisévèque de Vannes. G hancelier à l'Académie fran-
çaise, il eut un jour à recevoir le vaniteux comte-évèque de Noyon,
M. de Glermont-Tonnerre, candidat imposé par le roi. Si les titres de
l'intrus étaient excellents pour monter dans les carrosses de la cour, ils
ne valaient rien pour un fauteuil dans le fameux cénacle. Aussi Tabbé
de Gaumartin voulut bien faire sentir que la docte assemblée n'était pas
dupe delà qualité du candidat. Dans sa harangue il s'escrima avec tant
d'adresse que M. de Noyon sentait à peine la pointe de Tépée caresser
doucement sa gloriole, tandis que les assistants se pÀmaient en la voyant
plonger jusqu'à la garde dans l'épaisse vanité du seigneur.
Ge discours de Gaumartin est absolument un chef-d'œuvre* d'ironie
et de malice, il est bien Français par l'esprit, bien Breton aussi avec
cette fougue inouïe dans l'attaque.
* Le trait de l'abbé de Gaumartin lui coula cher : il fallut levangélique bonté
de sa victime pour Taider à se tirer d'affaire . C'est là un des actes de mansué-
tude les plus4ouchanls qui se puissent voir.
-ifc
NOTICES ET COMPTES RENDUS 133
Olivier de Morvan, un poète du Finistère, lauréat de rAcadémie fran*
çaise et guillotiné sous la Révolution, termine ce second volume et nous
fait pressentir les mauvais jours. Avec le deuxième volume^ nous y
entrons en plein.
L'étude de la Révolution cause toujours une impression de malaise^
comme si Ton voyait fouiller les entrailles putréfiées d'un cadavre sur
la table de marbre d'un amphithéâtre. L'opérateur déroule des viscères
gluants qui grouillent avec un clapotis lugubre, et, tout en fredonnant
ou en blaguant avec ses aides^ il essuie de gros caillots de sang sur les
chairs blanchies du mort. La gaieté révolutionnaire est dans cette
gamme, et, par suite, d'un aloi très douteux Enfin, pour qu'un peuple
chante encore dans de pareilles circonstances, il faut qu'il ait un singulier
diable au corps.
C'est au point de vue de cette note caractéristique que M. Kerviler a
relevé çà et là les traits les plus saillants de la première étude.
Après les Clubs et Clubistes du Morbihan, — le Conventionnel lorientais
Louis-Urbain Bruê et la Disette en Î795, nous respirons une bonne
brise de mer dans VHistoire de la fondation du port de Saint-Nazaire.
M. Kerviler était bien placé pour traiter ce sujet. C'est à sa haute intelli-
gence, à son activité opiniâtre que Ton doit le prompt achèvement du
bassin qui est maintenant le port de Saint-Nazaire'. ,
Dans les Bretons à Vlnstitut nous trouvons : M. J. de la Gournerie,
Fingénieur nantais qui a rendu l'immense service d'expérimenter le
premier rapplication de l'air comprimé aux travaux hydrauliques, — -
Armand du Chatelliery le père de l'éminent archéologue breton. L^œuvre
d'Armand du Chatellier est considérable : pendant cinquante- neuf ans
le laborieux érudit a publié une foule d'études historiques, presque
toutes consacrées à notre contrée.
En relisant le compte rendu que j'ai tenté de faire, je m'aperçois qu'il
ne donne qu'une très faible idée des trois beaux volumes de M. Kerviler.
Mais, pour esquisser sur un simple papier ce palais à trois étages, il
faut des raccourcis violents. Je ne regrette pas du reste d'avoir trop
* Les édiles de cette ville seraient tout juste reconnaissants en donnant son
nom à l'une des places des nouveaux quartiers. Peut être nos neveux y verront-
ils plus tard, coulée en bronze^ une belle Ggure à barbe pointue qu'ils prendront
sans doute pour un de ces gentilshommes j^uerriers et lettrés du temps de
Louis XIII.
r
Ik
134 NOTICES ET COMPTES RENDUS
serré les lignes, bien persuadé que tous les lecteurs de la Revue aimeront
mieux connaître par eux-mêmes AnMORiguE et Bretagne.
P. DE LiSLE.
La Mennajs, daprh des documents inédits, par Alfred Roussel, de
l'Oratoire de Rennes. — a vol. in-i6 avec portrait inédit de La
Mennais. — Rennes, Caillière, éditeur, 189a.
On a beaucoup écrit, sur La Mennais, et tout récemment encore le
regretté M. de la Villerabel, par une importante publication, a projeté
de nouveaux jours sur La Mennais intime. «
Il semblait qu'après cela une plume habile pût enfin entreprendre
l'histoire complète de ce célèbre et malheureux fils de la Bretagne. Ce-
pendant une telle œuvre eût été prématurée. Nous en donnons pour
garants les deux beaux volumes, pleins de documents inédits, que
M. Tabbé Roussel, de TOratoire de Rennes, vient de livrer au public
par Tentremise de notre zélé et distingué éditeur # rennais, M. Hya-
cinthe Gaillière.
Ces documents nouveaux sont venus à. l'abbé Roussel par diverses
voies. Ce sont des manuscrits que conservait avec un religieux respect le
dernier disciple de La Mennais, le vénérable chanoine Houet, supérieur
de l'Oratoire de Rennes ; ce sont des lettres adressées par Féli à son con-
citoyen malouin, M. Querret, et dont son fils s^est dessaisi avec plaisir
pour les rendre publiques. Enfin l'Institut de Plocrmel a ou vert toutes
grandes ses archives, et les petits neveux de La Mennais se sont empressés
de fournir toutes les correspondances et renseignements inédits qui
pouvaient mieux faire connaître leur illustre grand-oncle
L^analyse de tant de documents concernant tant de circonstances di-
verses de la vie de La Mennais est une tâche impossible. Aussi nous bor-
nerons-nous à indiquer les points qui nous ont personnellement le
plus frappé dans les deux volumes de Fabbé Roussel .
Rien de plus commun dans les livres de spiritualité et sur les lèvres
des hommes de Dieu que ce sage conseil : < Etudiez votre vocation, et
ne vous engagez pas dans l'état ecclésiastique si vous ne vous y sentez
pas appelés par Dieu ; car, s'engager sans vocation dans cet état,
c'est s'exposer pour cette vie à toute une série de malheurs, et pour
l'autre à une éternité de peines. »
NOTICES ET COMPTES RENDUS 135
Comment dès lors s'expliquer la conduite de l'abbé Carron, de Tabbé
Bruté, et surtout celle de l'abbé Tey^seyre, de Saint-Sulpice, qui préci-'
pilèrent — le mbt n'est pas trop fort — Féli La Mennais dans l'état
ecclésiastique ? Féli avait pour le sacerdoce une répugnance invincible.
Aussi J'abbé Jean, apprenant que son frère va recevoir les saints ordres,
s'étonne-t-il d'une < détermination dont Féli semblait depuis long-
temps s'éloigner chaque jour davantage > (I, 84). c Je suis enchanté^
écrit-il, de n'être pour rien dans cette décision-là > (I, 78).
Mais lesulpicien,dans son zèle immodéré, s'indignait des irrésolutions
de Féli , et il le poussait^ le poussait sans cesse. Après lavoir fait s'en-
gager irrévocablement, il constatera sans repentir que le nouveau
sous-diacre marche dans le chemin de la croix « sans goût et sans con-
solations B. « Il a reçu le sous-diaconat en victime ; c'est ainsi — ose-
t-il ajouter — qu'il va recevoir le diaconat et le sacerdoce » (I, 9a).
€ C'est contre le marbre de cet autel — nous disait tout récemment,
dans la cathédrale de Vannes, un de nos plus illustres littérateurs
bretons — que La Mennais, poussé par des amis inconscients, allait se
choquant la tète pour tomber tout éperdu aux genoux de l'évêque
consécrateur. •
Terrifié par l'engagement qu'il venait, malgré lui et pour toujours,
de contracter, Féli écrira des lettres déchirantes à son frère Jean. Et
c'est l'abbé Teysseyre, avec son inconscience de la gravité de la faute
commise, qui entreprendra de consoler le frère désolé. Et par quelles
consolations? Qu'on en juge par cette phrase qui fait frémir: c II
(Féli) pousse l'obéissance jusqu'à célébrer presque tous les jours, malgré
l'horreur qu'il semble avoir du sacerdoce ; et nous mettons tout en œuvre
pour occuper et distraire son imagination^ qui est folle jusqu'à ]& fureur, »
Voilà la grande faute, la cause première de tout le mal : La Mennais
est entré dans le sacerdoce sans vocation. A qui la faute ?
Enveloppé de cette tunique de Nessus dont on l'a de force habillé ,
La Mennais se trouvera sans cesse gêné dans ses généreuses aspirations.
Son désir fut toujours de défendre l'Eglise. Mais il aura affaire à forte
partie-: les gallicans, évèques et prêtres, entraveront son œuvre par
tous les moyens. Laïque, il eût pu aller quand même ; prêtre, il devra se
taire. « Que voulez-vous dire au milieu d'un concert perpétuel d'in-
juresy de calomnies et de malédictions ? — écrîra-t-il . . . . Quand nous
ne serons plus là pour défendre ceux qui nous persécutent, la persécu-
tion ira vite. .. . Voilà où les évêques en seront dans peu de temps. Ils
l'auront voulu : qu'y pouvons-nous? » (II, i2-i3.)
celle fois-ci... >
Le Pape lui-même voulait garder le silence sur les Paroles d'an
Croyant, comme il l'avait écrit à un personnage parisien ; mais les poll-
Uciena lui forcèrent la main. Les gouvernements, et surlout le gouver-
nement françab, avaient tremblé à la parole du prophète de la Chênaie ;
tes ambassadeurs firent leur œuvre : La Mennais fut sacrifié.
NOTICES ET COMPTES RENDUS 137
Dans ces circonstances^ Tévèque de Rennes sentit renaître en lui le
soldat et le royaliste : ses coups furent les plus cruels. Trop tard, il est
vrai, il les regretta. Par son intervention, il sépara les deux frères.
Et, après avoir achevé d'aigrir Fcli, il disgracia Jean, coupable d*ètre le
nrère de son frère. Après cela, ce fut la curée, ce fut la période des coups
de pied d'âne, même contre le saint abbé Jean, et le vénéré chanoine
Houet ne fut pas sans en sentir les atteintes. Il nous semble encore
entendre la parole émue du dernier disciple de La Mennais nous narrant
ces trbtes choses.
Si, au lieu de ces attaques passionnées, La Mennais eût, dès le début de
ses épreuves, trouvé des âmes compatissantes, pleines de charité chré-
tienne, un de ces évèques dont il vantait le « caractère si bon, si aimant
et si aimable » (I, 36), un de ces «saints aimables > qui l'eût mis dans son
cœur et auquel il eût ouvert le sien (I, 87), qui eût compris les tortures
d'une âme hors de sa vocation et les susceptibilités de cet être tout de
nerfs, il est à croire que ce grand Breton serait mort fidèle aux prin-
cipes de sa race.
Sans doute, cet évéque « à entrailles >, comme disait l'abbé Jean, il se
trouva. Le bon Me de Quélen, archevêque de Paris, faisait dire à Féli que
son cœur ne lui serait jamais fermé (II, 3ao). Mais c'était déjà trop tard,
car à peine ce génie eut>il chancelé que des inconnus s'empressèrent
d'accourir : ils le plaignirent, flattèrent ses passions, entretinrent ses
haines contre ce qu'il avait aimé et, se déclarant ses seuls vrais amis,
lui servirent "de gardes du corps pour empêcher ceux qui auraient pu
lui rappeler son ancienne foi de parvenir jusqu'à lui. a II serait affreux
que M. de la Mennais se démentit à la mort » (II, 378). chuchotaient
ces misérables. lis gagnèrent si bien le pauvre Féli, que lui-même disait :
c Mon retour en arrière serait une apostasie. » Et, à toutes les supplica-
tions de sa pieuse nièce pour qu'il reçût un prêtre, il ne savait plus
que répondre : « Non, non, non, qu'on me laisse en paix ! »
Il serait hardi de se prononcer sur le salut de La Mennais : Dominus est
quijudicat. Il reconnaissait lui-même la gravité de son état lorsqu'il
répondait à un ami qui l'exhortait à prier : « Je ne le puis plus ; la prière
est une grâce, et cette grâce, je ne l'ai pas » (II, 4o3). Cependant il
espérait encore en Dieu : « Je sens que c'est fini, disait-il à sa nièce : il
faut se résigner à la volonté de Dieu ; je serai bien quand je me repo-
serai près de lui » (II, 898;.
Nous voulons croire que Féli a trouvé grâce auprès de Dieu. C'était
l'espérance de son dernier disciple, qui maintes fois nous affirma que
\
i
138 NOTICES ET COMPTES RENDUS
son malheureux maître n'avait plus, à la fin, sa responsabilité. G*est
aussi la nôtre, car si le grand malheur pour Féli fut d'entrer sans voca-
tion dans rétat ecclésiastique, son excuse est qu'il y entra malgré lui.
Ce que nous venons de dire n'est que le résumé de quelques-uns des
documents publiés par l'abbé Roussel. On pourra déjà juger par là de
l'intérêt et de l'importance de cette publication D^ailleurs la rapidité
avec laquelle s*est écoulée la première édition de ces deux beaux volumes
traduit assez les impressions des amateurs de bons et beaux livres.
Gh. Robert,
de VOratoire de Rennes.
La Baronnie de Kostrenen, par M""* la comlessc du Laz.
Il y a un an, nous avions l'honneur de saluer dans cette Revue les
débuts archéologiques de l'auteur d'une très intéressante notice sur
Jehan de Kerlouêt, un des fidèles compagnons de Bertrand Duguesclin,
et son manoir près Carhaix*. exprimant l'espoir de voir bientôt paraître
quelque nouveau bijou historique de son riche trésor d'archives et de
souvenirs cornouaillais.
Nous n'avons pas été déçu.
Madame la comtesse du Laz nous donne aujourd'ui, dans un véri-
table volume de deux cents pages', une monographie complète de la
baronnie de Rostrenen et de ses seigneurs établie sur documents choisis
avec un tact et une critique digne, des plus sévères Bénédictins. Aucune
source historique n*a été négligée : archives, bibliothèques provinciales
et nationales, chroniqueurs anciens et modernes ont été fouillés avec une
constante préoccupation d'arriver à la vérité. Le positivisme, la dé-
fiance des légendes sont même poussés jusqu'à faire peu de cas de
celle, bien ancienne pourtant, donnant pour origine à celte longue
lignée de grands chrétiens, de bienfaiteurs insignes de leurs concitoyens
et de vaillants guerriers, un connétable de Louis le Débonnaire, au
* Mevue de Bretagne^ de Vendée et d'Anjou^ t. vi, p. 5o'i.
' Vannes, Lafolje, 1892.
\
NOTICES ET COMPTES RENDUS t?9
neuTième siècle, dont Texistence n'a pourtant rien d'incompatible
avec les données les plus sérieuses de Thistoire. S'il est, en effet, impos-
sible d'admettre des Rostrenen à une époque où, chez nous, les noms
de familles héréditaires n'étaient pas encore en usage, rien ne s'oppose
à ce qu^un des anciens princes de Poher, leurs auteurs reconnus, dont
plusieurs sont mentionnés dans les chartes très authentiques du Caria-
laire de V abbaye de Redon contemporaines des deux premiers empereurs
carloving^ens, ait été investi d'une des grandes charges de leur empire,
comme leur chef, le grand Nominoê, était très certainement en posses-
sion, sous leur autorité, de celle de duc des Bretons. Le contraire serait
plutôt improbable.
Mais, pourquoi chercher les infiniment petits et rarissimes points
contestables d'une œuvre excellente dans son ensemble ? Mieux vai^t en
souhaiter une pareille à chacune de nos anciennes circonscriptions
féodales.
Si celle-ci eût parue il y a cinquante ans, son auteur n'eût assurément
pas eu à stigmatiser avec une juste indignation la perle d'autant de
précieux monuments de la région. Le vandalisme est rarement conscient
snr notre terre celtique, où le culte des ancêtres est dans tous les cœurs.
Mais on ne savait pas, on ne sait pas encore assez. Où pouvait-on,
d'ailleurs, apprendre à connaître véritablement les générations des
héros et des saints couchés sous les dalles ou posés sur les autels de
nos vieilles églises, quand le public n'avait guère à sa disposition, en
fait d'enseignements sur les paroisses, que des livres comme le Diction^
naire historique d*Ogée, fourmillant d'erreurs de faits et d'appréciations
faussées par les passions antireligieuses du philosophisme du dernier
siècle? S'il avait pu connaître cette étude palpitante de patriotisme, le
prêtre si pieux, si foncièrement breton*, que l'on a vu, en 1866, après
une vie toute de zèle sacerdotal, se dévouer jusqu'à la mort en assistant
ses paroi^iens de Mûr décimés par une épidémie, au lieu de faire
briser, pour l'établissement d'une vulgaire marche de table de commu-
nion, les tombes des sires de Rostrenen, dans l'église de Kergrist-
Moëlou, leur Saint-Denis, eût certainement mis tous ses soins à les
conserver.
Si elles avaient été depuis lontemps mieux connues, les chroniques
locales, dont l'ensemble fait l'histoire nationale, notre grand poète afiamé
* Le vénérable abbé Le Bihan, ancien recteur d<t Korgrist-Moclou, mort du
choléra, victime du devoir pastoral.
140 NOTICES ET COMPTES RENDUS
d'idéal, dans Tadmirable Elégie de la Bretagne^ son chant du signe mou-
rant', n'eût pas eu à s'écrier non plus, avec tant d'éloquente amer-
tume, au souvenir des ruines de sa patrie :
Les châteaux sont détruits et nue est la campag^ne ;
Des chanteurs sans. abris les accords ont cessé.
L'ardent souflle s'éteint au cœur de la Bretagne
Et partout l'intérêt jette un souffle glacé !
Sortez d'entre les morts, hommes des anciens âges !
Mettez en nouK la force et les simples penchants l
Ah I plutôt que vieillis, conservez-nous sauvages
Comme aux jours où les cœurs s'animaient à vos chants.
Et, dans les clartés mystérieuses de l'âme prête à rompre ses derniers
liens terrestres, voyant renvahissement prochain de la terre de ses pères
par l'industrialisme moderne :
C'est le grand ennemi (le chemin de for), pour aplanir sa voie.
Menhirs longtemps debout, chênes, vous tomberez I
L'ingénieur vous marque et l'ouvrier vous broyé.
, Tombez aussi, tombez, ô cloitres vénérés.
L'artiste couperait ses deux mains, nobles pierres,
Avant de mutiler ce qu'on ne refait pas :
Mais cloitres et donjons ne sont que des carrières
Pour ces froids constructeurs qui n'ont que leur compas.
De la tombe d'Arthur ils feraient une borne I
Ils n*ontplus de patrie et Vargent est leur Dieu;
L'usine leur sourit, enfer d'un peuple morne,
Hébété par le bruit, desséché par le feu.
Prophétie saisissante de lucidité de la débâcle morale à laquelle la
négation du surnaturel divin a conduit notre société livrée, énervée par
les ivresses du culte du veau d'or, à Texploitalion de la ploutocratie,
dont il nous faut aujourd'hui boire jusqu'à la lie les hontes sans précé-
dents dans notre histoire .
Cette remarquable monographie vient bien à son heure pour relever
les cœurs dans notre atmosphère infectée d'égoïste sensualisme, en nous
montrant, sou< leurs véritables traits empreints d'honneur et de géné-
• Elle a été publiée dans la Revue de l^retagne et de Vendée^ pour la pie-
miôre fois, fn 1857, peu do temps avant W mor^ de Brizeux«
NOTICES ET COMPTES RENDUS 141
rosiié,Ies graves figures de cette longue lignée de femmes pieuses et fortes
et de vaillants serviteurs de Dieu et du pays, éteinte, au dix-scpticme
siècle, en la personne d'une noble et malheureuse fille du sang cheva-
leresque des Beaumanoir. Rien de plus instructif et de plus réconfortant
à la fois. G. K.
Bouquinistes et bouqli:ïeurs. — Physiologie des quais de Paris,
DU Po:«T-RoYAL AU PoNT-SuLLY, par Octave Uzanne. — Paris,
ancienne maison Quantin, May et Motteroz, directeurs,,! 898.
Au beau temps des Physiologies^ vers 18^0, nul n'écrivit celle du bou-
quiniste et du bouquineur. Le sujet fut seulement eflleuré par Charles
?(odier et Jules Janin. Les Voyages littéraires sur les quais de Paris, pu-
bliés, vingt ans après, par M. Fontaine de Resbecq, ne tinrent pas les
promesses du titre, malgré Tappendice engageant de la deuxième édi-
tion : « Mélanges de littérature tirés de la boite à quatre sols, » Le livre
qui se faisait désirer, le livre de flânerie parisienne, d'éiudition pim-
pante^ le livre de collectionneur délicat et de moraliste mondain,
nous est donné aujourd'hui par M. Octave Uzanne. 11 est écrit, dirait
La Fontaine, < pour ceux qui ont le goût difficile. »
Avec sa couverture qui déroule, d'un plat à l'autre, le panorama d«
Paris, vu du Pont-des-Arts, et les arbres des quais, baignés de soleil
printanier ; avec son frontispice à l'eau-forte, un vrai décor de la co-
médie parisienne, soutenu par les fées du bouquin ; avec sa multitude de
vignettes, spirituelles et vraies, qui évoquent tous les types et les por-
traits de la gent bouquinière, la Physiologie porte le cachet d'élégance
originale des livres de M. Uzanne. Elle a les jolis mérites extérieurs de
VEventail, du Miroir da monde ou du Paroissien du célibataire. Mais com-
bien est-elle plus précieusement utile aux dévots du livre, à ces amou-
leux dont toujours la flamme se réveille» à ces gourmands dont l'appétit
croit avec l'âge et pour qui elle deviendra le guide souhaité, le témoin
et le confident !
Charles Monselot disait qu'on ne bouquine bien qu*à Paris. Quel
merveilleux champ de récoltes et d'observations ofli'ent aux curieux de
vieux livres ces quais où s^étale, à perte de vue, la vaste littérature des
temps très anciens et des temps très nouveaux I On ne fait plus de trou-
142 NOTICES ET COMPTES RENDUS
vailles^ disent les gens moroses. D'où vient donc que le nombre des fu-
reteurs grossit sans cesse ? Le gibier diminue, les chasseurs augmentent :
c'est très gentil déjà, au bout de ^ajournée, de rapporter un simple lapin.
Eh ! Yovons^ chers confrères, lequel d'entre vous n'a pas éprouvé de-
vant une plaquette rare, un livre convoité et déniché dans les boites
des bouquinistes, nos écrins à nous, le petit frisson des grandes joies ?
Mais je m'écarte du livre de M. Octave Uzanne, le plus difQcile du
monde à louer dignement et à analyser, car il faudrait le citer encore et
toujours, en détacher tant de fines études sur Thistoire de la bouqui-
nerie, sur les étalagistes passés et présents, sur les diverses catégories de
bouquineurs, y compris les bouquineuses et les voleurs de livres dont
lés tricheries sont dévoilées, les trucs débinés.
Sous des noms d'emprunt, La Bruyère a peint les originaux de son
temps. M. Octave Uzanne, qui n'a pas mêlé de fiel à son encre, a eu le
droit de nommer les bouquinistes, dont au passage il crayonnait les
silhouettes, et ces nouveaux caractères, accusés d'un trait vif, sont légers
et charmants. Nous aimons à retrouver, en cette galerie mouvante et
animée, tous les types du quai : MM. Jacques et Chanmoru, ces socialistes
inofifensifs ; M. Laporte, Y apôtre bibliographe, et M. Gorroenne, le cazino-
phile; Gustave Boucher, le lettré, et Ghevalier, V illettré ; le galant M. Humel
et vingt autres de ces protégés du bon Xavier Marmier, de ces convives
de son banquet posthume.
Je m'adresse aux bibliophiles bretons mes frères, et j'aurais tort de
leur parler plus longtemps d*un livre que tous voudront lire, car il est
plein de cet amour des livres qui prépare, disait Âmbroise-Firmin
Didot, une vieillesse heureuse.
Olivier de Gourcuff.
« •
La femme dans la Grèce ancienne. — La femme dans l'ancienne
Rome. — Deux brochures, par Em. M. — S L. N. D.
Il n'y a pas d'indiscrétion, croyons-nous, à trahir le demi-pseudonyme
de l'auteur de ces deux, brochures. G'est M. Emile Maillard, le poète
délicat, le critique qui dans ses grands ouvrages ; VArt à Nantes, Nantes
et le département de ta Loire^Inférieure, a amassé de si précieux docu-
NOTICES ET COMPTES RENDUS 143
ments. M. Maillard nous communique le fruit de ses recherches sur la
condition des femmes dans l'antiquité,* et ces pages paraîtront trop
courtes à ceux qui en auront apprécié La sérieuse valeur.
0. DE G.
*
Les chants oralx du pelple russe, par M. Achille MilUen.
Paiis, Honoré Champion, 1898.
La Russsie rend aujourd'hui à la France un peu dç ce que lui a prêté
celle-ci, au point de vue intellectuel. Nous voulons connaître ses poètes,
ses romanciers, qui communiquent aux nôtres quelques rayons de leur
charité ardente, de leur pitié pour les humbles et les souffrants, et voici
que nous pénétrons dans sa littérature orale, dans^'ce domaine pri-
mitif de rimaginatlon populaire où Tâme slave a dû laisser de bien
autres empreintes que dans les œuvres des écrivains de profession.
Notre guide en ces terres inexplorées est un érudit et un poète dont
les ouvrages en vers sont nombreux et estimés. Depuis une trentaine
d'années^ M. Achille Millien^ lauréat de TAcadémie française, a fait
alterner les volumes de ses poésies personnelles avec des recueils de
chants populaires de la Grèce, de la Serbie, du Monténégro, ou de sa
province natale, le Nivernais. Tout récemment nous lisions de lui un
poème très vibrant, Christophe Colomb, publié à l'occasion du quatrième
centenaire de la découverte de l'Amérique.
Cette fois il nous donne les Chants oraux du peuple russe, et c*e^t
encore de Tactualité, car Français et Russes se promettent de nouveaux
témoignages d*amitié. Dans une introduction savante, — je n*ai pas dit
pédante, — M. Millien proclame ces chants « une mine incomi)arable ».
Les plus beaux, les plus complets sont des byllnes ou chants histo-
riques, héroïques. Il serait intéressant de rapprocher ces épisodes rimes
des annales de la Russie ; la Vision du prince Dmitri, par exemple, la
yaissance de Pierre-le^Grand, la Mort de Feodor Bezrodny, Thetman
des Kosaks, de tel fragment de l'histoire légendaire de la Bretagne, tiré
du BarzaZ'BreiZy cette autre mine qui recèle tant de métaux précieux.
En Russie comme en Bretagne, un homme de génie a manqué pour
écrire Fépopéc dcflnitive ; mais faut-il se plaindre, devant toutes ces
Iliades en raccourci, de n'avoir pas eu un Homère ?
144 NOTICES ET COMPTES RENDUS
Pour la traduction de œs chants, qui tantôt célèbrent la guerre et
l'amour, les noces et les funérailles , et tantôt, plus humbles, plus
intimes, souhaitent la bienvenue au printemps, accompagnent le paysan
aux fêtes rustiques ou détournent les maléfices des sorcières, M. Achille
Millien a tour à tour employé la prose, qui se calque exactement sur
l'original, et la poésie, qui rend plutôt l'esprit que la lettre. Voici une
courte pièce d'une saveur bien originale :
En attendant le flancé,
Soleil rouge, va-t*en plus vite et tout entier !
Mais, toi, lune, parais, monte dans le ciel sombre,
Brille jusqu'au matin sans voile^ chasse Tombre
Qui s'étend sur la route et couvre le sentier.
Prête à mon fiancé l'aide de ta lumière,
Pour que mon cher Ivan no puisse s'égarer,
Revenir sur ses pas, longtemps sans guide errer,
Perdu dans la forêt, mouillé dans la rivière ;
Gare-le des méchants prêts à fondre sur lui ,
Comme des chiens cruels flairant déjà sa piste. . .
Hélas ! que loin de lui ma vie est lourde et triste
Et que mon cœur est plein d'amertume et d*ennui !
En nous initiant aux beautés naïves de la littérature populaire,
M. Achille Millien se rappelle et nous rappelle qu'il est poète lui-même.
Nous ne sommes pas assez folkloriste pour lui en vouloir.
* O. DE GOURCUFF.
«
*
* *
UN POÈTE DU CLOCHER
Les heures calmes, par F.-E. Adam. — Paris, Alphonse Lemerre,
éditeur, MDCCCXCII.
« Elle est de Gœthe cette phrase : Poète, occupe-toi de ton pays; là sont
tes chaînes d'amour, là est le monde de tes pensées. Il faudrait croire que
tous les' Bretons ont lu la phrase de Gœthe. Tous, en effet, s'occupent de
leur pays, tous enferment leurî» pensées dans ce monde, tous reviennent,
un à un -— et quelquefois de loin — à ces chaînes d'amour... Ah!
comme ils l'aiment donc la terre de granit recouverte de chênes !
Gomme ils en connaissent le moindre viUage I Comme ils s'éveillent après
& • «
NOTICES ET COMPTES RENDUS 14!>
ces noms évoqués, noms à demi-barbares, si durs à lire, si doux à en-
tendre ! Et quelles visions doivent leur passer par l'esprit, quelles émo-
tions doivent leur traverser le cœur, en pensant à ces tristes et revèches
paysages, à ces landes abruptes, à ces genêts^ à ces dolmens, au vague
de ces légendes, à la terreur de ces superstitions, à l'inefTable poésie de
ce ciel rude et pluvieux ! »
Ainsi s'exprimait Gbarles Fuster au début de son beau livre des
Poètes du Clocher^ où, laissant de côté Tordre alphabétique^ il donnait
le pas à la Bretagne, au point de vue poétique, sur tous les autres pays
de France et en particulier sur FAnjou.
L'Anjou a pourtant ses poètes qui Font chanté aussi avec une piété
toute filiale, et à leur tète je pourrais citer F.-E. Adam, Fauteur des
Heuiès calmes, qui ne se trouve pas dans le livre de Fuster. A mon pays
D*AiiJou> ce livre est finalement dédié^ écrit le poète à la première page de
son volume, et il ajoute ce vers en guise d'épigraphe :
J*ai beau vivre aux cités, Je suis toujours d'ici.
Et, en effet, si, comme le lui a dit Goppée, « les champs d'Ion te, les
pastorales grecques, le pays amoureusement idyllique et frais du dieu
Pan ensoleillent ses vers par riantes éclaircies, i il n'en est pas moins
vrai que M. F.-E. Adam n*est jamais mieux inspiré que lorsqu'il laisse
parler son cœur pour célébrer les beautés de sa petite patrie, FAnjou,
éclairée par un doux soleil et la puissance de la grande patrie, la France,
avec ses nobles souvenirs, ses jours de deuil et ses jours de gloire.
Je voudrais citer tout entier la magnifique pièce intitulée Les voix
natales, charmante comme la Tristesse dVlympio de Victor Hugo^ le
MiUy de Laniartine, le Petit Lire de Joachim du Bellay, et le Bourg
natal de Joseph Rousse :
J'arrive. — O mon vieux bour^f, salut I -^ Une voix douce
Et vibrante me vient des buissons, des fossés ;
Autour de moi, partout, dans les airs, sous la mousse.
Je respire Fodeur de mes printemps passés I
J*arrive. — O ma forêt harmonieuse et verte l
Voici mes grands ormeaux, le bouleau qui frémit,
Et la clairière vaste, au grand soleil ouverte.
Où mon rÔYo d'enfant tant de fois s'endormit.
Tome ix. — Février 1898. to
NOTICES ET COMPTES RENDUS 147
— Nous qui savons vouloir — et c'est notre génie —
Qui marchons droit au but sans plier le genou,
O frères, unissons pour une œuvre bénie
La virile Bretagne au doux pays d*Anjou.
Marchons ensemble, et quand viendront les jours d'orage,
61 notre cœur est las d'un eiTort trop puissant,
Pour retrouver en nous la force et le courage,
Pareils à Beaumanoir, nous boirons notre sang I
J'aurais pu envisager le livre de F.-E. Adam à d'autres points de vue et
faire un rapprochement entre son Roi des monts et la Mort da loup de
Vigny, entre son Midi et ceux de Leconte de Liste et de Lacaussade ; mais
j'ai préféré insister sur la note dominante du volume qui est celle de
l'amour de la petite patrie et de la grande, et signaler l'auteur à Charles
Fuster pour la prochaine édition de ses Poètes du clocher,
Dominique Caillé.
*
La DécEV.\?fCE du Vrai, par Edmond Thiaudière.
M. Edmond Thiaudière a publié dernièrement chez Westhausser un
volume, la Décevance du Vrai, où l'on retrouve les qualités à la fob solides
et brillantes de l'auteur de la Proie du Néant et de la Complainte de
VEtre. La pensée y est triste^ ainsi que l'indique le sous-titre : Notes d'un
Pessimiste, mais elle est profonde. M. Edmond Thiaudière est un. des
philosophes de ce temps qui ont le plus fouillé et le mieux analysé leurs
sentiments intimes. C'est de plus un maître écrivain qui sait donner à
sa pensée un tour et un relief particuliers. La sentence de Salomon,
Vanitas vanitatum, pourrait servir d'épigraphe à ce recueil de maximes,
plein de vérités cruelles, mab salutaires, et dont nous ne saurions trop
conseiller la lecture à ceux que la frivolité de la vie n'a pas entièrement
délachés de toute réflexion sur la destinée de l'homine ici-bas. L'auteur
est surtout un esprit sincère. Il pourrait dire, comme Montaigne, qu'il
a écrit un livre de bonne foi. Il se dégage de l'œuvre tout entière un
parfum d'honnêteté et un sentiment de noblesse tout à l'honneur de
l'écrivain. Ajoutez à cela un style bien personnel dont la gravité n'ex-
clut pas la fine ironie et l'humour. M. Thiaudière a un scepticisme à
^rf^^
148 NOTICES ET COMPTES RENDUS
part, essentiellement bienveillant. Il aime Thumanité et souffre de ses
conclusions pessimistes Son livre, bien pensé, bien écrit, est un livre
de chevet, comme Ta dit M. Ledrain dans une excellente préface.
L. L.
Grains de Sable, par M. Maugeret.
Sous ce modeste titre : Grains de sable ^ M . Maugeret a fait paraître
chez Savine un volume de pensées des plus piquantes. Il est divisé en
deux parties : A travers le cœur et A travers Vespril, Il y a du cœur et il
y a de l'esprit dans ce petit recueil, brillant comme un écrin et rempli
d'observations fines et délicates aussi limpides que l'eau de roche cou-
lant à travers les sentiers fleuris. On doit déjà au même auteur un
volume de vers intitulé : Choses effeuillées, et plein de charme dans
sa mélancolie pénétrante. Mais en même temps que le poète, il y a
chez M. Maugeret un esprit qui lutte pour des principes spiritualisles
et chrétiens, auxquels il est fermement attaché. C*est ce mélange de rêve
et de lutte qui constitue son originalité propre et inspire la sympathie
Ces grains de sable sont le reflet de toute une vie plus que remplie par
les effervescences du sentiment et celles de la pensée. On y sent battre
m
un cœur généreux qui n*a plus, il est vrai, Tenlhousiasme des premiers
jours, mais qui n'en conserve pas moins un peu d'espoir, malgré les
poignantes réalités de l'existence. L. L.
*
L'anglicanisme et les sectes dissidentes, par M. Tabbé Delisle,
in-8'', VII-374 pages. — Retaux, Paris ; Lafolye, Vannes, 1893.
Un siècle et demi s'était à peine écoulé depuis le moment où Luther
avait jeté au monde son cri de révolte contre Rome, que Bo^uet
signalait comme un signe évident de la fausseté de sa doctrine les divi-
sions chaque jour plus apparentes et plus multipliées de la prétendue
Réforme. < L'Ëglise du Christ est une, leur disait-il, et vous^ i^ous êtes
légion, »
Cette désagrégation continue, j'allais dire cette décomposition inintcr-
NOTICES ET COMPTES RENDUS . 149^
rompue,n*a fait que s*accentuer depuis lors. Plus de trois cents sectes, toutes
séparées de croyances, toutes ennemies les unes des autres, se partagent
et se disputent aujourd'hui, par exemple^ les dépouilles de cette magni-^
fique Église d'Angleterre, que la débauche et Torgueil jetèrent dans
l'apostasie.
G*est ce que M. Tabbé Delisle vient de mettre en lumière dans son
trop court travail sur l'Anglicanisme et ses nombreuses ramifications.
h'Eglise établie nous est d*abord présentée avec sa hiérarchie, son gros
budget, ses livres et sa liturgie, mais aussi avec ses divisions intestines,
ses faiblesses et son insuffisance. Nous voyons ensuite défiler devant
nous, un peu rapidement, semble-t-il, Presbytériens et Gongrégatio-
nalistes. Méthodistes et Baptistes, Quakers et Unitaires. L'Armée du
Salut {Salvation Army), cette ridicule et grotesque invention de notre
siècle, nous est montrée avec ses processions désordonnées, ses prê-
cheurs boufifons, ses musiciens ambulants.
Rien de plus navrant que ce spectacle d'hommes, de bonne foi souvent,
se débattant au fond d'un gouffre d'incompréhensibles erreurs.
M. l'abbé Delisle nous fait entrevoir, en ternvinant, les nobles figures
des cardinaux Newman, Manning et Yaughan. Je ne sais si, lorsqu'il traçait
ces dernières pages, il cherchait un contraste ; en tout cas il existe frap-
pant, instructif. D'un côté, c'est l'émiettement et la division en tout ; de
l'autre, une imposante et parfaite unité de croyances comme de rites ; ici
des ministres bien rentes, vivant sans embarras au milieu de leurs
rieuses familles ; là des prêtres pauvres soutenus pour l'ordinaire et par
l'obole du pauvre, entourés des petits et des déshérités ; ici des varia-
tions sans cesse renaissantes sur les points les plus essentiels ; là une sta-
bilité qui déûe les siècles comme les attaques.
Cette étude, que plusieurs séjours de M. Delisle en Angleterre lui ont
permis de composer sur place, sera goûtée de tous ceux qui s'intéressent
aux choses religieuses ou même simplement historiques de notre époque.
Ils y trouveront agrément et profit. P. Bliard, S. J.
*
Histoire de lv Littérature française, depuis ses origines jusqu'à
nos jours, par le P. Caruel, de la Compagnie de Jésus, in-i8,
X-544 pages. — Tours, Alfred Gattier, 1898.
Le P. Caruel vient de donner à ses Etudes sur les Auteurs français
leur complément nécessaire et désiré. L'Histoire de la Littérature fran^
laa NOTICES ET COMPTES HKNLIUS
çaite qu'il vous présente offre toutes lei qualités de ses autrei ouvrages.
C'est la même habileté à mettre en relief les points saillants^ la même
clarté dans rexpositian et surtout la même sûreté d'appréciation, — Ace
propos, une légère réserve cependanl. Assurément on aime k connaître
les jugements des critiques modernes sur nos belles œuvres littéraires,
i savoir ce qu'ils en pensent. 11 a donc raison de les citer. Hais l'auteur
ne s'en tienl-il pas trop exclusivement à nos contemporains ) Pourquoi,
lorsqu'il en vient à Bourdaloue, par exemple, au lieu de se cantonner
dans Sainte-Beuve et Brunetière, ne rapporte-1-il pas sur le célèbre
prédicateur quelques-uns des mots si topiques de M*"* de Sévigné ?
Pourquoi ne fait-il point parler Féoelon, Voltaire, Maury ? lis mérite-
raient pourtant d'être entendus.
On peut regretter encore que le cadre restreint d'un livre destiné à
des élèves n'dit pas permis au P. Caruel des études plus complètes et
plus approfondies sur plusieurs de nos grands écrivains. Sans doute il a
voulu laisser aux professeurs de rhétorique l'occasion de développe-
ments oratoires, d'éloquentes explications. C'est excès d'amabilité.
Cette Hiiloire de la LUléralarr, malgré ses petits desiderata, n'en
mérite pas moins de prendre place dans les pupitres, quelque bourrés
qu'ils soient, de nos candidats au baccalauréat : elle fera bonne Bgure au
milieu de leurs livres classiques.
P. Dabblï,
professeur de rhétoriqae.
Un poète de chevet, par Charles Kusler — Paris, librairie
Fîschbaclier, 1893.
Nos lecteurs se souviennent d'une élude très originale que M. de la
Grasserie publia ici-mème sur Iliiipolïtc Lucas et les Heures d'amour.
Le même poète et le même livre viennent d'inspirer un écrivain dont
le talent s'épure et s'aflirme sans cesse, M. Charles Fuster, Hippolyte
Lucas, disciple, selon son jiropre aveu, d'André Chénier dans les Désirs
et les Ivresses, précurseur de SuUv Prudhoinme dans les pièces médita-
tives et touchantes des Regrets, comme aussi dans les Dernières poésies :
telssonl les deux aspects de l'étude de M. Fuster. et nos éloges resteraient
au disons de la flamme généreuse qui anime ces pages, du sentiment
NOTICES ET COMPTES RENDUS IM
întense et profond qui les fait vibrer. Hippolyte Lucas fut bien, comme
^*&ppelle son dernier critique^ un des poètes de chevet de ceux qui ont
'^écu et souffert. Son livre — c'est une expression très juste de M. Fuster
"- < ne fait pas honte à l'homme actuel en lui rappelant Tadolescent
d'autrefois. » Telle de ses pièces — Les larmes, La sœur grise. Le frère
Jumeaa — est grave, presque austère, et le renouveau posthume de la
renommée du poète leur assure une place dans les anthologies de l'avenir.
O. DE G.
La GLocHE-SonifETTE GALLO-ROM Ai?iE DES Gléons, par Féllx Ghaillou.
Nantes, imprimerie centrale, 1892.
M. Félix Ghaillou, dont le musée gallo-romain, ingénieux essai de
reconstitution d*une petite Pompéi bretonne, attire chaque année de
jioixû)reux visiteurs, vient de retrouver encore, dans ce sol fertile des
Qléons, un intéressant objet. G'est une cloche-sonnette de 33 centimètres
de circonférence extérieure, en cuivre mêlé d'alliage, que l'éminent
archéologue croit avoir été utilisée dans un établissement de bains. Deux
belles photographies, figurant deux aspects différents de la cloche*
sonnette,accompagnent cette dissertation, qui fait le plus grand honneur
à la sagacité de M. Ghaillou. O. de G.
*
La Revue littéraire, publiée par le journal V Univers, répond ainsi à
une demande adressée par un groupe de lecteurs sur le choix d'un
Journal illustré :
1 Au point de vue catholique, on peut préférer la France illustrée , qu,
s'efforce de rivaliser, pour la valeur artistique et l'actualité, avec le
Monde illustré et VUaivers illustré. Administration : rue La Fontaine, UO,
Paris^Auteuil , >
CHRONIQUE DES BIBLIOPHILES
SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES BRETONS
DE L'HISTOIRE DE BitiiTAGNE
SÉANCE DU 11 FÉVRIER 1893
Présidence de M. Authuii de la BoanERiE, de l'Institut, président.
La Société des Bibliophiles Bretons et de misloire de Bretagne a
tenu une séance le samedi 1 1 février, à S heures du soir, dans un
des salons du cercle des Beaux-Arls, rue Voltaire, 4, à Nantes, sous
la présidence de M. Arthur de la Borderie, président.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
ADMISSIONS
Cinq nouveaux membres sont admis au scrutin secret : .
I. La Bibliothèque de la ville de Quiuper, présentée par MU.
Luzel et A. de la Borderie ;
II. M. SÉUH Aaondel de HiiYEs, à Paris, présenté par MH. Olivier
de Gourcuff et Dominique Caillé ;
III. M. l'abbé Hautreux, vicaire & Saint-Crespiu sur Maine (Maine-
et-Loire), par MM. l'abbé Chéries Uraeau et Dominique
Caillé;
lY. M. l'abbé François Dtirve , professeur à l'institutioa Saint-
Martin, rue d'Antrain, Rennes;
SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES BRETONb lb3
V. M. Tabbé Cadig, vicaire à la paroisse Saint-Gildas d'Auray, à
Auray, présenté par MM. A. de la Borderie et Perthuis.
M. Selim Arondel de Hayes est admis dans la salle des séances
après la proclamation du résultat du scrutin.
ÉTAT DBS PUBLICATIONS
M. le président parle de la troisième série des Actes et Mande-
ments de Jean V, qui vient d'être distribuée aux membres de notre
Société. Il annonce que la quatrième série' formera notre prochain
volume in-4* ; puis, après avoir fait allusion à divers projets de pu-
blication pour notre Petite Bibliothèque bretonne, projets qui ne
sont pas suffisamment étudiés et mûris^ il propose de suspendre la
publication des Poésies inédites d'flippolyte Lucas, commencée
récemment dans la Revue de Bretagne, de Vendée et d'Anjou, sous
le titre de chants de divers pays, et de les réunir en un coquet
petit volume qui pourrait sous peu être expédié à nos sociétaires.
Cette proposition rallie les suffrages.
COMMUNICATIONS DIVERSES
M. le secrétaire donne lecture de deux lettres du ministre de
l'Instruction publique et des Beaux- Arts ayant pour objets Tune de
demander à notre Société de désigner des délégués pour le Congrès
des Sociétés savantes qui aura lieu à Paris les 4, 5, 6, 7, 8 avril
prochain, et l'autre de l'engager à envoyer ses volumes publiés
en 189 1 au Ministère qui les expédiera à l'Exposition de Chicago.
11 donne ensuite cômmunicatioa d'un rapport de M. Olivier de
Gourcufî, délégué des Bibliophiles Bretons à Paris, relatif à la vente
effectuée à la Comédie-Française d'un portrait présumé de Le Sage,
acheté, en i884, à M. Vaillant, de Boulogne, par la Société des
Bibliophiles Bretotts. Voici le texte de ce rapport :
« Au mois de mai 189a, je reçus de la Société des Bibliophiles Bre-
tons^ pour le faire figurer à l'Exposition Lesagienne, ouverte au
foyer du Théâtre de l'Odéon, le portrait « présumé » de Le Sage,
que celte Société avait acquis en i884 par l'entremise de M. le
fparquis de Granges de Surgères.
.«•*■ ' f"f*
\h\ SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES BRETONS
« La Société des Bibliophiles Bretons me chargeait en même temps
de négocier, au mieux de ses intérêts, la vente de ce portrait à un
musée ou à un amateur.
(( Après de nombreuses démarches, une proposition me fut faite
par M. Roblin, marchand de tableaux, rue Saint-Lazare, à Paris.
Mais j'avais entrepris des pourparlers avec la Comédie-Française,
représentée par son bibliothécaire-archiviste, M. Monval, et je
réussis à lui vendre le portrait dans des conditions à la fois plus
avantageuses et plus flatteuses pour Tamour-propre de mes col-
lègues les Bibliophiles Bretons,
« La Comédie'Française, en concluant l'aiTaire (voir le reçu cî-
après), m'a prié courtoisement de lui communiquer toutes les
garanties nouvelles d'authenticité du portrait que je pourrais re-
cueillir.
« Je me suis adressé aux deux personnes les plus susceptibles de
m'éclairer à ce sujet, M. Fabbé Luco (de Vannes),, qui avait entre-
tenu une correspondance avec l'ancien possesseur du portrait,
M. Vaillant [de Boulogne), et M. le marquis de Surgères. C'est de
M. l'abbé Luco seul que j-ai obtenu quelques renseignements, son
état de santé et la perte de ses çianuscrits dans un incendie l'ont
empêché de mieux répondre à mon appel.
(( Je prie la Société de vouloir bien rechercher s'il n'existe dans ses
archives aucune pièce pouvant être jointe au dossier du portrait. »
Copie du reçu délivré à la Comédie-Française le 8 février 1893.
(( Je soussigné, agissant au nom et en qualité de délégué à Paris
de la Société des Bibliophiles Bretons, reconnais avoir reçu de l'ad-
ministration de la Comédie-Française la somme de deux cent cin^
qaante francs j pour prix de la vente d'un portrait peint à l'huile au
xvui" siècle, qu'une tradition ancienne et plusieurs témoignages per-
mettent de regarder comme un portrait d'Alain-René Le Sage.
(( Paris, 8 lévrier iSgS. — Olivieh de Gourcuff. »
La Société des Bibliophiles Bretons adresse ses remerciements à
son délégué pour l'heureuse conclusion de la vente du portrait de
Le Sage à la Comédie-Française*
SOCIÉTÉ DES HiBLlOPUILES BRETONS 155
EXHIBITIONS
Par M. A. D£ LA Bouderie :
1* t Les Vies el actions mémorables de trois des plus signalez re-
liyieux de l ordre des FF. prêcheurs de la province de Bretagne en
France (le B. Yves Mahyeuc, évêque de Rennes, le B. Alain de la
Roche, le vénérable P. Pierre Qoinlin), le tout extrait des œuvres
du R. P.Jean de Rechac de Sainte Marie. . . A Paris ^ chez Claude
Le Beau, i644. »
In- 13 de 12 ff. liminaires et de 370 pp. chiffrées Volume fort rare.
Dans la Vie du B. Alain de la Roche, détails de haute et curîeuse
myslicilé.
A ce volume est joint un petit feuillet imprimé à Rennes, après
la mort du B. Yves Mahyeuc (i54i)^ présentant la figure des croix
que l'on trouva empreintes sur le corps de ce pieux évêque après
8â mort, et au-dessous de cette empreinte une oraison latine en son
honneur.
2* t Bealus Alanus deRupe redivivus- . . aucthore R. FF. Joanné
Andréa Coppestein... Neapoli apud Roncagliolium (s. d.). Titre
iascrit sur un frontispice gravé représentant S. Dominique et le
B. Alain de la Roche. »
In-8° de 58i pages. Abrégé des œuvres d'Alain de la Roche,
composé au XVII" siècle.
2* « Statvts II sYNODAvx POVR || LE DIOCESE DE || Sainct-Brieu . Il
Faicts de Vauthorité de Révérend \\ Père en Dieu Messire MELcmoR ||
DE Mauco.^îîay, Euesque \\ dudict lieu, Van 1606, \\ — A. S. Malo, |
pai PiEKKE Marcigay, Im II primeur et Libraire. | M. DC. VI. »
In 8'Me 187 pages. La plus ancienne impression authentique
delà ville de Saint Malo. Très rare.
Par M. Emile Giumaud :
1* Marie, roman. Petit in-12 de ix-274 pp. Paris, Urbain Canel,
libraire, rue du Bac, n* io4. MDCCCXXXII.
C'est la première édition du chef-d'œuvre de Brizeux, dont le
nom ne figurait pas sur le livre.
J
l:>G SOCIÉTÉ DES B[BLI0PIIILE3 BRETONS
■a* Poésies d'an proscrit, par Raymond du Doré. In-t8, 3o8 pp.
Paris, Ebrard, libraire- éditeur, 1837.
Volume devenu rare. Il a élé acheté par l'auteur au Saloa
littéraire de la rue Piron, i. k Nantes, doDt il porte le cachet en
plusieurs endroits. Donné par M. du Doré à M. Emile Grimaud ;
celui-ci a fait réimprimer S pages qui manquaient (de laa h i3a).
Par M. le marquis de Breho^id d'Ars Migré :
1" Une tellrc éarile par sa grand mÈre sur la mort de Louis XVI,
Une partie de cette lettre est écrite à l'encre ordinaire, elle donne
.en termes révolutionnaires et pour le cabinet noir, sans doute, la
nouvelle de la mort du tyran ; l'autre, toute cODlidentielle, est écrite
avec de l'encre sympathique; dans celte seconde partie qui remplit
les interlignes elle manifeste toute son indignation contre la mort
de ce roi victime de sa trop longue bénignité.
3" Un journal da grand-pire de M. A. de Bremond d'Ars, écrit sur
des feuilles volantes que son pelit-fils a fait relier sous le titre de
Jours d'exil.
Par M. DoM!7«iQUE C.ullk :
Ua portrait intitulé : Joseph Foucué, duc d'Oranle, sénateur,
ministre d'Etat, décoré au Grand Aigle delà Légion d'honnear, né le
29 mai Î763 à Nantes, département de la Loire-Injérîeure (par Jos.
Eymard d'Aix). A raris, chez l'auteur, rue de Touraine, n° 5. Fau-
bourg Saint-Germain.
M. D. Caillé fait remarquer l'erreur commise par le portraitiste
sur la date et le lieu de la naissance de Foucbé, qui n'est pas plus
né en 1763 à Nantes qu'en 1754 à la Martinière près de Paimbceuf,
mais, comme il a eu occasion de le dire eu publiant des lettres de
ce personnage, en f]^çf, au Pellerin.
OUVRAGES OFFERTS
Par la Société historique et archéologique du M.mne :
Revue historique et archéologique du Maine. Tome trenle et
unième. Année 189^' Premier semestre.
^^^ ' '
SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES BRETONS f57
Par M. Jul]e:s Robuchon :
M. Jules Robuchon: Paysages et monuments de la Bretagne (eau- .
serielittéraire d'Edmond Biré). Vannes, imprimerie Lafolye, 1892.
Par le vicomte Paul de Chabot :
Notice généalogique de la maison de la Fontenelle, Vannes, librairie
Lafolye, 1892.
Par M"* Ferdinat^d Le Boug^ie :
i'' Quelques pensées f parle R. V. Lécuyer. Lyon, Vilteet Perrussel,
éditeurs, i883.
2"^ Jeanne d'Arc, par Kerhalvé. Nantes, imprimerie PaulPlédran.
3' Le saint Evangile de Jésus-Christ, t selon saint Mathieu (3 vol.),
//• selon saint Luc (i voL), ///' selon saint Jean (i vol.), traduit en
français avec une explication tirée des saints Pères et des Autheurs
ecclésiastiques, A Paris, chez Guillaume Desprez, imprimeur lib.
ord. du Roy, rue Saint-Jacques, à Saint-Prosper et aux Trois- Vertus,
'vis-à-vis la porte du cloître des Maturins, MDCCXGVII, avec
approbation et privilège de Sa Majesté.
Par le Ministre de lInstruction publique et des Beaux-Arts :
Congrès des Sociétés savantes. Discours prononcés à la séance
générale du Congrès, le samedi 11 juin 1892, par M. Jaussen,
membre de Tlnstitut^ et Léon Bourgeois, ministre de l'Instruction
publique et des Beaux- Ar(s . Paris , imprimerie nationale ^
MDCCGXCII.
Bibliographie des travaux historiques et archéologiques publiés
par les sociétés savantes de la France, dressée sous les auspices
du ministère de Tlnstruction publique par Robert de Lasleyrie et
Eugène Lefèvre-Pontalis. Tome II, 3* livraison. Paris, imprimerie
nationale, MDCCGXCII.
Par M. E. Emerique :
The vîeu) of France — Un Aperçu de la France telle qu'elle était
vers Fan 1598, par Robert Dalling ton, secrétaire de l'Ambassadeur
158 SOGIÉTIr; DES BIBLIOPHILES BRETONS
d'Angleterre auprès de la Cour de France. Traduit de l'anglais par
E. Emeriquey d*après un exemplaire de leditîon imprimée à
Londres, par Symon Siaffbrd, i6o4. Versailles de l'imprimerie Cerf
et C**, 59, rue Duplessîs^ 1893.
Livre curieux sur papier de luxe^ tiré à i5o exemplaires numé-
rotés.
Par M"' RiOM :
Manuscrit du livre des Femmes poètes bretonnes, publié récem-
ment par la Société des Bibliophiles Bretons.
Par M. DoMWiQUE Caillé ;
i" Poésies, par Dominique Caillé, troisième édition (1881-1891).
Vannes, imprimerie Lafolye, 1892. Ouvrage tiré à aSo exemplaires,
hors du commerce.
' 2* Fouché, duc dOtrante, d'après une correspondance privée
inédite , publiée par Dominique Caillé. Vannes , imprimerie
Lafolye, 1898.
Tirage à part d'un article paru dans la Revue de Bretagne, de
Vendée et d'Anjou.
Par M. le marquis A. de Bkémond d'Ars :
1' Le capitaine Satre, ancien maire de Pont-Aven, ancien sup-
pléant du juge de paix. Quimperlé, imprimerie de l'Union agricole
et maritime, 189a.
2* Cantic Spirituel en henor da Sant Leyer. Quimperlé, impri-
merie L. Th. Clairet, Grand'Rue^ 1889.
3® Compte-rendu du Concours et Fête agricole donnés à Pont-
Aven le 38 septembre 1871, parla Société d'agriculture deQuimperlé
et les comices de l'arrondissement, sous la présidence de M. A.
de Bremond-el-d'Ars, conseiller général, président du Comice agri-
cole de Pont-Aven. Quimperlé, imprimerie de l'Union agricole et
maritime 1891.
4* L Ancienne église de Ricc et le château de la Porte-Neuve.
Documents inédits. Quimper, imprimerie Ch. Cotonnec, place
Saint-Corentin, 54, 1888.
\
SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES BRETONS 159
5® Bibliographie saintongeoise ^ catalogue des diverses publica-
tions de MM. Anatole Théophile et Guy de Bremond d'Ars avec
indication de leurs travaux manuscrits. Quimper, imprimerie Gh.
Colonnec, place Saint-Corentîn, 54, 1890.
M. de Bremond d'Ars agrémente Toffre de ses brochures de
renseignements d'un vif intérêt, et M. le président le remercie au
nom de notre Société et de son (}on et de ses communications
Par M. Reî«é Blanciiahd :
Un Cimetière de V époque mérovingienne à Machecovl (Loire-
Intérieure), par René Blanchard, lauréat de l'Institut. Vannes, im-
primerie Lafolye, î893.
Par la Société académique de Nantes et du Département
DE LA Loire-Inférielre :
Volume 3* de la 7* série 1892. — Premier semestre. Nantes,
!iteUinet, imprimeur de la Société académique.
Par M. Alexandre Perthuis :
!• Las Primeras Tierras descurbiertas par Colon. Ensayo critico
por D. Patricio Montojo, capitan de Navio. de i* classe Con la Tra-
duccîon al idioma francès y très laminas para illustrar al texto.
Afac/rid Establecimentio tipografico « succesores de Rîvadeneyra »
impresores de la Real Casa paseo de San Vicente, ao, 189a.
a** Peregrinacion de los Aztecas y nombres geographicos indi-
gènes de Sinaloo obra compuesta por cl lie Eustaquio Buelna, etc.
Secunda edicion. Mexico, 189a ;
3* Quatrième centenaire de la découverte de l'Amérique, Société
historique de Compiègne, MDCCCLXXXXIL
Par Excmo. s' José M. de Berenges, ministre de Marina en
Agoslode 189a.
La Nao Santa Maria capitana de cristobal Colon en el descubri-
miento de las ludias occidentales reconstituîda por incîativa del
ministerio de Marina y ley votada en Cortes en el Arsenal de la
Carraca para Solemuidad del centenario cuarto del suc^so.
/
COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE'
•!»♦•
LE REGNE DE JEAN IV
• DUC DE BRETAGNE
(1364-1399)
Deuxième Partie
Exil et Restauration de Jean IV
(i373-i38i)
Jean IV resta six ans en exil, privé du trône, rejeté, comme avant
i364, dans la triste et subalterne situation d'un prince à la solde
de l'Angleterre. Pendant cet espace de temps, il ne tenta qu'une
seule fois (en i375) de reconquérir son duché par les armes ; mais,
par divers autres moyens^ personnellement, ou par ses amis anglais,
il s'efforça de protester contre sa dépossession. Nous allons
esquisser son histoire et celle de la Bretagne pendant ces six ai^s.
L'EXIL DE JEAN IV
1373
Pendant que le duc Jean IV, chassé par ses sujets, partait de
Brest (a8 avril 1873) et cinglait vers l'Angleterre, du Guesclin,
connétable de France, réunissait à Angers une armée française
pour enlever la Bretagne à ce prince perfide et la mettre en la
* Cours d'histoire de Bretagne professé à la Faculté des lettres de Rennes,
3* anmée, leçon 11 (8 décembre 1893).
Tome ix. — Mars 1898. 11
i^^ COURS D'MISTOIEUe DE BHETAGNE
main du roi. Dans le commandement de celte armée, forte (selon
Foiesart)de 4ooo lances et de toooo hommes de pied, le conné-
table était assisté de Louis, duc de Bourbon ; pour principaux chefs
ou capitaines, on y voyait, avec les comtes d'Alençon, du Perche,
de Boulogne, etc., la fleur de l'aristocratie bretonne, entre autres
le vicomte de Rohan, Olivier de CUbsod, les sires de 'Beaumanoir,
de Rocbefort, etc. Cette armée marcha droit à Rennes qui ouvrit
ses portes immédiatement', puis delà & Fougères, « Fougiere la
Rons (la Ronde) où l'en fait les draps ", dit la Chronique du duc
Loys de Bourbon. Il y eut là quelque résistance, la garnison (an-
glaise évidemment) fit une sortie où elle perdit plus de cent
hommes, et les Français, en la poursuivant, entrèrent dans la ville.
De là, ils allèrent à Tiuténiac* ou plutôt & Montmurao, car il n'y
eul jamais de forlifications à Tinténiac, mais le château de Mont-
muran. chef-lieu de ta seigneurie de Tinténiac, se trouve souvent
désigné sous ce dernier nom'. Cette place se rendit sans résistance,
ainsi que la plupart des suivantes, meulionnées par Froissart
et par Cabaret d'Orville comme les principales étapes de cette
expédition*, savoir :
Dinan, qui avait pour capitaine Maurice de TréziguidJ, « le plus
vaillaut homme de Bretagne (dit Cabaret), car il fut l'un des chefs
de la bataille des Trente. »
Jugoo, dont te capitaine Robert de Guitté « avoit ungflls, le plus
« bel luicteur qu'on peust trouver », — place qui donna lieu à
du Guesclin de citer le célèbre dicton :
Qui a Bretaigne sans Jugon,
Il a chape uns chaperon.
' Proiutrt, édition Lues, viii, p. ii4, iiS.
* Cabsret d'Orville, Chronique du bon duc Loyt de Bourbon, jdilion d*
la Sociét6 de l'biituire de France, p. I,i.
■ Cdbaiet d'Urviite dit i Tlnléniac >. Mais, dans ion Livre dt* bon Jehan,
due de lireiaigne, Guillaume de Saint Andié, plus «ucl en «a qualiLA de
Breton, remplace ce nom par celui de Monlmuran (voir Chronique ritni» de
du Quetetin, édition Charrière. t. Il, p. &3&).
* Les noms ds cw places sont placés, ou plutôt Jelés, dans Froissart et
Caluret, hds aucun ordre ; mais il n'est pas dilBcile, avec ces noms, de
rétablir (comme nous le faisons) l'itinériiro rationnel, oa psut dire l'iliniraire
< obligi de l'armie rrançalie.
RÈGNE DE JEAN IV 16)
Et» auprès de Jugon, le château patrimonial du connétable, la
Hotte-Broon (Cabaret, p. 43).
De \k, continuant sa route vers TOuest^ du Guesclin fit recon*
naître l'autorité du roi dans les deux plus fortes places de l'évéché
de Tréguer : Guingamp et la Roche- Derrien ; puis dans Févéché de
Léon, notamment à Saint-Mahé de Fineterre, considérable alors
par son abbaye, son port, son commerce et ses fortifications ; et
au château de Goëlet-Forest, dont il importait de s'assurer à cause
du voisinage de Brest (Cabaret, p. 44 ; Froissart, édition Luce
YIII p. 127); mais on n'attaqua pas Brest à ce moment.
Jusque-là pas de résistance. En Cornouaille on en trouva un peu
plus : Quimper et Concarneau, défendues par leurs garnisons an-
glaises, furent prises d'assaut'. Quimperlé et le Faouet ouvrirent
leurs portes de grand cœur (Froissart, et Cabaret, ibid.).
A Hennebont. la garnison anglaise voulut d'abord résister ; lès
habitants de la ville refusant de lui prêter main-forte, elle se rendit
(Froissart, ibid., p. 129). Ainsi fit Vannes à première réquisition,
mais les Anglais qui gardaient le château de Sucinio se défendirent
intrépidement pendant quatre jours, furent pris d'assaut et tous
tués (Froissart, ibid., 127).
Pendant que du Guesclin exécutait autour de la Bretagne cette
promenade niilitaire — et triomphale — le comte de Salisburi dé-
barquait à Saint-Malo une forte armée anglaise. Le connétable, qui
venait d'occuper sans coup férir Ploërmel et Josselin^ remonte de là
à marches forcées vers Saint Malo pour avoir le plaisir d adminis-
trer à ces bons Anglais une volée de bois vert. Mais quand il arrive,
ils sont partis : Salisburi, très prudent, s'était i^mbarqué et cinglait
vers Brest pour renfermer là son corps d'armée (Froissart, ibid.,
p. ia7, ia8).
Alors du Guesclin et le duc de Bourbon, chargeant une partie
de leurs troupes sur des navires malouins, s'en vont attaquer
Jersei et Guernesei, prennent les châteaux de ces deux îles et
y laissent bonnes garnisons (Cabaret, p. 45-47).
* Concameau, qui est oertainement le Konke de Froissart et le Conk de
Cabaret, ftit pris vers la fin de mai (voir Froissart, édition Luce, VIII, Som-
maire, p. Lxxix, note i).
r
U4
COURS DW8T0IRE DE BRETAGNE
)
%
f
Sitôt revenu sur le continent, du Guesclin descend de nouveau
avec son armée dans le Sud de la Bretagne : Redon et Guérande le
reçoivent avec acclamation ; il va assiéger Derval, place qui appar-
tient à Robert Knolles, très bien fortifiée par lui, munie d'une
excellente garnison et de grands approvisionnements. Le siège traî-
nant en longueur, et du Guesclin, n'ayant pas besoin de toute son
armée, envoie un fort détachement, commandé par Olivier de
Clisson, assaillir Brest.
Cette place est pressée d*un dur blocus, si' bien, dit Froissart,
« que un oiselet par terre n'en fût point issu qu'il ne fût vu. » La
garnison afiamée en est réduite à manger ses chevaux. Mais six
navires anglais viennent ravitailler la place, et les Bretons lèvent le
siège. Celui de Derval n'aboutit guère mieux : du Guesclin, ayant
fait une convention avec la garnison en vue d'une reddition éven-
tuelle, va se présenter devant Nantes avec son armée (Cabaret,
p. &7-A8; Froissart, ibid., p. i33-i34).
Les bourgeois, qui gardaient fort bien leur ville, viennent parle-
menter avec lui entre les portes et les barrières. Ils se déclarent
bons Français, décidés à repousser les Anglais et même le duc de
Bretagne s'il voulait les introduire dans leur ville ; mais ils ne
veulent pas le renier pour leur seigneur, ils le reconnaîtront pour
tel quand il se sera accordé avec la France. Du Guesclin leur dit
que le roi est prêt à le recevoir dans sa grâce « dès qu'il voudra se
reconnaître » et se détacher des Anglais. Sur quoi les Nantais re-
çoivent le connétable dans leur ville et acceptent son autorité
comme commissaire du roi de France. Il passe huit jours dans les
murs de cette cité, puis s'établit aux portes de Nantes « en un moult
« biau manoir, qui est au duc, séant sur la rivière de Loire » (le
manoir de la Touche), et y réside quelque temps pour mettre ordre
aux affaires du duché (Froissart, ibid., p. i34' à i36).
Après cette expédition, il ne restait plus en Bretagne que quatre
places au duc Jean lY, ou plutôt aux Anglais : Brest, Derval, Aurai,
Bécherel ; encore cette dernière était-elle fortement assiégée par un
gros corps d'armée formé de Normands et de Bretons (Froissart,
ibid.^ p. 117-118).
Le roi nomma pour lieutenant-général en Bretagne son frère
Ék.
RËGNE DE JEAN IV 165
le duc d'Anjou ; mais le duché fut en réalité gouverné par du
Guesclin.
Le duc Jean lY ne fit aucun effort, en 1873, pour rétablir son au-
torité dans son duché ni pour reprendre aucune de ses villes où du
Guesclin avait implanté celle du roi de France. Pourtant contre
celui-ci il voulut, dès 13781 se donner le plaisir de la vengeance, et
il y réussit ; mais cela ne toucha nullement la Bretagne.
Quand Jean IV passa en Angleterre, le duc de Lancastre préparait
une grande expédition contre la France avec une armée d'environ
16000 hommes qui débarqua à Calais à la fin de juillet. Jean IV
se mit, avec Lancastre, à la tète de cette armée. La France n'a-
vait point de forces suffisantes pour leur livrer bataille ; mais du
Guesclin, Clisson et plusieurs autres chefs français formèrent de
petits corps de troupes, légers et solides, avec lesquels ils ne
cessaient de harceler cette grosse colonne, lui causant beaucoup
de pertes, faisant autant que possible le désert autour d'elle.
L'armée anglaise traversa ainsi le royaume par TArtois^ la I^car-
die, rile-de-France^ la Champagne, la Bourgogne, l'Auvergne, le
Limousin, le Périgord, pour aboutir à Bordeaux, où elle arriva
seulement le a5 décembre. L'hiver surtout fut très dur pour elle;
outre les escarmouches qui lui furent en général très funes^s, le
froid, la pluie, la disette, et, par suite, toutes sortes de maladies, la
maltraitèrent tellement qu'en arrivant à Bordeaux elle était réduite
à cinq mille hommes.
Qu'avait fait notre duc dans cette galère ? Il était parti fièrement
en lançant au roi de France un défif ou, si l'on veut, une déclaration
de guerre, où il l'accusait de Favoir traîtreusement chassé de son
duché, d'avoir manqué envers lui à tous les devoirs auxquels un
suzerain est tenu envers son vassal (c'était justement le con-
traire), déclarant qu^il le renie pour son seigneur, et c'est pour-
quoi (ajoule-t-il) le roi ne se pourra « merveUler » si je lui fais
autant de dommage que je pourrai pour a moi revenchier des
a très grans outrages, torts et villenies qu'il m'a faits » (Dom Mo-
rice. Preuves, II, 67). C'était là le langage officiel du duc, hautain
et arrogant. Mais de plus on fit circuler, à Tusage du public,
une autre version ou paraphrase de cette pièce beaucoup plus
\
IA6 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
insolente, où le roi était traité de ton, de scéliêrat, d'usurpateur, où
le duc le défiait en bataille rangée, et lui déclarait qu'en attendant
« il allait détruire tout son royaume par le fer et par le feu »
Chronicon Briocense, ms. Biblioth. Nat., ms. lat. 6oo3, f. io5 v»).
Cette expédition ne fut pas d'ailleurs, pour Jean IV, remplie
d'agrément : à moitié route environ, Lancastre se brouilla avec
lui et lui signifia d'avoir à quitter l'armée et de marcher à part
avec les troupes qu*il payait sur ses deniers, ce qui se bornait à
une soixantaine d*hommes d'armes. Séparée du gros de l'armée,
cette petite escouade courut plus d'une fois de très grands périls,
desquels Jean IV sut se tirer très vaillamment (il n'était pas pour
rien le fils de sa mère). 11 arriva à Bordeaux sans le sou, mais il y
trouva des barques de Guérande chargées, de sel et d'autres mar-
chandises provenant de son propre domaine, dont la vente le remit
à flot.
l374
Cette année-là le duc de Bretagne vint de Bordeaux voir la du-
chesse qui était restée à Aurai, mais il n'y fut pas longtemps, ne fit
aucun exploit de guerre et retourna bientôt en Angleterre. Il n'avait
plus, on l'a dit, que quatre places en Bretagne : Aurai, Derval,
Bécherel et Brest. Bécherel fut pris, au cours de Tannée 1874, par
les Franco-Bretons'.
Depuis la bataille d'Aurai et même depuis i35o, cette place était
toujours restée aux mains des Anglais ; dès 1871, elle avait été
assiégée par du Guesclin avec des troupes françaises. A ce siège et
à cette année 1871 se rapporte le plus ancien usage de l'artillerie
en Bretagne, authentiquement venu à notre connaissance par suite
d'une circonstance assez singulière. Dans l'enquête de canonisa-
tion de Charles de Blois (qui se faisait cette année même à Angers),
un bourgeois de Saint-Malo, appelé Guillaume Juste, dépose avoir
ouï dire à plusieurs personnes venant du siège de Bécherel « qu'un
1 DomMorice, Histoire de Bretagne, I, p. 35o; (Froiisart, édition Luce, VIII,
p. 193^
RÈGNE DE JEAN IV 117
c écuyer prenant part à ce siège et appelé Bertrand de Beaumont^
« ayant dit qu'il ne croyait point à la sainteté de Charles de Blois,
« et que même, s*il l'avait pu, il aurait tiré le canon sur lui, cet
a écuyer [peu de temps après] fut tué d'un coup de canon envoyé
fl par renoemi », c'est-à-dire par la place de Bécherel (D. Mo-
rice, Preuves, II, 3o). Voilà le premier coup de canon tiré — au-
Ihentiquement - en Bretagne. Mais le propos même de Bertrand
de Beaumont semble prouver qu on s était servi de l'artillerie en
ce pays avant la mort de Charles de Blois.
Quoi qu'a en soit, la prise de Bécherel par les Franco-Bretons
en 1874 réduisit les possessions de Jean IV en Bretagne à trois
places : Brest^ Aurai, Derval.
1875
Cette année-là, pendant le carême, un peu avant Pâques', c'est-
à-dire en avril, le duc Jean IV et le comte de Cambridge débarquent
à Brest avec une armée anglaise d'environ 6,000 hommes. Us
prennent et brûlent les places et villes de Saint -Mahé (Saint Ma-
thieu) et de Saint-Pol-de Léon (celle-ci le 3 mai^ fête de l'Invention
de la sainte Croix), — puis assiègent longuement Saint-Brieuc,
c'estrà-dire la cathédrale fortifiée de celte ville et peut-être aussi
la tour de Cesson, sans pouvoir prendre cette place. Jean IV alors,
apprenant que cinq des principaux seigneurs bretons, savoir Clis-
son, les sires dé Rohan, de Laval, de Beaumanoir (le fils de celui
du combat des Trente) et de Rochefort, sont à Quimperlé avec peu
de monde, s*enva assiéger cette placé, la serre de très près, et refuse
toute capitulation aux assiégés qu'il veut avoir à sa discrétion sans
condition, ne dissimulant pas ses projets de vengeance, très mena-
çants surtout contre Clisson. Mais avant la reddition de la place,
arrive la nouvelle de la trêve conclue à Bruges (le 27 juin
1875, pour un an) entre l'Angleterre et la France et comprenant
aussi la Bretagne, ce qui délivre les cinq seigneurs bretons et
' Pâques était le a a avril en i375, et les Cendres le 7 mars.
1 G8 COURS D*H1ST01RE DE BRETAGNE
oblige le duc Jean IV à lever le siège. Il va retrouver sa femme
à Aurai, où il passe tout l'ère; et d'où, en septembre, il regagne
TAngleterre avec la duchesse.
En 1376, la trêve de Bruges ; en 1877, la mort du roi d'Angle-
terre Edouard III, réduisirent Jean IV à l'inaction.
1378
En 1378, au mois de juillet, le duc de Lancastre et le comte de
Cambridge débarquèrent à la côte de Saint-Malo une armée qui,
selon Froissart, ne comptait par moins de ia,ooo hommes, avec
une artillerie très nombreuse, 4oo canons, assure-t-il ; mais ce ne pou-
vait être des canons de siège, des bombardes comme on disait alors,
ou du moins sur ce grand nombre il y en avait bien peu. La plu-
part de ces pièces étaient sans doute de petites coulevrines que
deux hommes pouvaient porter, manœuvrer, et qui, en s'aliégeant
et se transformant peu à peu, finirent par devenir des arquebuses.
Les bombardes elles-mêmes, malgré leur gros calibre, étaient moins
terribles que bruyantes ; formées de bandes de fer soudées entre
elles, réduites encore à lancer des boulets de pierre, elles étaient
d'un maniement difficile, d'un service très lent, et si l'on essayait
de presser le tir, presque toujours elles crevaient.
Néanmoins ce genre d'engins encore peu connu ne manquait
jamais d'effrayer ceux qui y étaient en butte. Les Malouins inti-
midés songèrent à capituler ; mais Lancastre, se croyant sur de les
avoir bientôt à discrétion, refusa les conditions demandées. Les
Malouins se défendirent bravement, et bientôt le roi envoya à leur
secours une petite armée,moins nombreuse que celle des Anglais mais
aux ordres de du Guesclin, qui se porta à Saint-Servan et de là
surveilla, harcela sans cesse l'armée anglaise. Dès que les Anglais
tentaient une opération contre la place — escalade ou sape — qui
occupait une grande partie de leurs forces, — du Guesclin pous-
sait contre leur camp une attaque qui forçait les assiégeants d'a-
bandonner les murailles pour venir défendre leurs tentes. D'autre
part, la mer empêchait de bloquer sérieusement la ville. Lancastre
RÉGNE DE JEAN IV 161
essaya d'y pénétrer par un boyau de mine ; mais cette mine fut
découverte, et même, une nuit, un quartier de son camp surpris par
les assiégés qui y firent un boau massacre. Ayant perdu beaucoup
de monde, voyant qu'après plusieurs mois il n'aVançait à rien,
Lancastre prit le' parti de rembarquer ses troupes et de regagner
l'Angleterre.
Dans le même temps, Glisson prenait Aurai. Derval avait aussi
succombé. Il ne restait plus à Jean lY dans -toute la Bretagne,
d'autre place que Brest, ou plutôt elle n était même plus à lui, car
par un traité du 5 avril 1878 il en avait formellement confié la
garde au roi d'Angleterre, ce qui était la donner aux Anglais.
Le roi de France jugea qu'il était temps d'en finir, — et il
avait raison.
Jean IV , par ses trahisons répétées envers son suzerain^ par son
cartel de défi, par sa campagne à travers la France, s'était absolu-
ment mis dans le cas félonie et, en droit féodal, rien n'était plus
juste que de le priver de son fief, de le déclarer déchu du duché de
Bretagne.
Mais à côté de ce vassal félon il y avait des héritiers^ il y avait
toute une autre branche de la maison ducale de Bretagne qui n'était
nullement complice — au contraire — des félonies de Jean IV, qui
n'y avait pris aucune part et ne devait pas en souffrir, — d'autant
plus que cette branche représentait en Bretagne l'influence fran-
çaise, la sympathie pour la France.
L'opinion unanime en Bi^tagne s'attendait à l'intronisation de
la branche de Penthièvre et l'eût accueillie comme parfaitement juste.
Si l'on se plaçait au point de vue du fait accompli, c'est-à-dire
du traité de Guérande, ce traité — dans le cas d'extinction ou de
défaut d'héritier mâle de la branche de Montfort — appelait au
trône la branche de Penthièvre. Jean IV déchu, au point de vue
féodal c'était Jean IV mort, et il n'avait point d'enfant. Donc
Penthièvre devait succéder, f
Si on laissait le fait de côté pour s'en tenir au pur droit féodal,
l'arrêt de Conflans, l'arrêt de la cour suzeraine qui avait investi
Penthièvre du duché de Bretagne, et dont l'exécution ne s'était vue
empêchée que par la force, c'est-à-dire par le traité de Guérande,
170 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
— ^ du moihent où ce traité deveaait caduc en raison de la félonie de
Jean IV, l*arrét de Gonflans devait être exécuté.
Enfin, dans Tétat où se trouvait la Bretagne, tous les Bretons, qui
tenaient à la fois au maintien de leur indépendance nationale et des
bons rapports avec la France, se seraient ralliés unanimement
autour de la dynastie représentée par cette femme généreuse qui
avait donné tant de preuves d'énergie et de courage, Jeanne de
Penthièvre.
Cependant le conseil du roi Charles V avait une tout autre idée
il voulait la confiscation pure et simple du duché de Bretagne et sa
réunion, son incorporation absolue au domaine royal.
Contre cette opinion il y avait une objection de droit et une raison
politique.
En droit — en droit féodal — la Bretagne ne pouvait, ne devait
point être réuqie au domaine royal, parce qu'elle n'en avait point
été distraite, parce qu'elle était un état particulier, dont les souve-
rains reconnaissaient par un hommage simple la suprématie de la
France, mais ce n'était point leroi de France qui avait constitué leur
fief en leur donnant une partie de son domaine, et au contraire —
dans l'opinion du XIV* siècle qui admettait complètement la fable
de Conan Mériadec, premier roi de Bretagne, — la principauté bre-
tonne était antérieure de plus d'un siècle à la hionarchie de Clovis.
La raison politique opposée à la confiscation, à l'annexion de la
Bretagne au domaine royal, c'est qu'une telle mesure ne pouvait
manquer de susciter en Bretagne, chez tous les Bretons, un profond
mécontentement et une opposition formidable.
Près d'un politique habile, d'un esprit sage et prudent comme
le roi Charles V, cette raison seule aurait dû suffire à écarter cette
mesure violenté, extrême de la confiscation.
11 n'en fut rien.
Les débats de cette grande cause commencèrent au Parlement
royal, en présence des pairs de France, le 9 décembre 1378*. Ils
n'occupèrent pas moins de huit séances. Dans celles des 10^ 11,
* Jean IV avait été cité dès le aojuin à comparaître le k septembre; d'autres
disent (avec plus de vraisemblance) le 30 juillet pour le A décembre 1379 (Voir
Preuves de Vhistoire de Bretagne, II, 301).
I
RÈGNE DE JEAN IV 171
i3, 16 et 17 décembre, les députés delà comtesse de Penthièvre
exposèrent (sauf la raison politique) jpus les arguments ci-dessus
indiqués et beaucoup d'autres encore, pour faire repousser la con-
fiscation et attribuer le duché de Bretagne aux Penthièvre.
Vains efforts. Le 18 décembre, la sentence du Parlement, ex-
pression d*une Yolonlé inflexible — celle du roi — prononça la
réunion du duché de Bretagne à la couronne, c'est-à-dire la sup-
pression de 1 indépendance et de la nation bretonnes.
Quel put être en cette occasion le mobile de Charles V ?
Avec un esprit et une âme de cette trempe, on ne peut chercher
qu'un mobile élevé.
L'idée constante, incessante, de Charles Y dans tout son règne,
c'a été de rétablir l'intégrité de la France, de chasser de son sol
l'étranger, l'Anglais. Dans la réunion de la Bretagne à la couronne,
il vit sans douté un moyen plus efficace, plus définitif, d'assurer
la clôture de cette porte qui depuis un demi-siècle avait livré trop
souvent, trop facilement, aux armées anglaises l'entrée de la France.
C'est sans doute cette préoccupation exclusive qui guida Charles
V. — Elle fut cruellement trompée ; mais elle provoqua une mani-
festation si énergique, si grandiose de la nationalité bretonne que,
pour nous Bretons, il n'y a guère lieu de regretter cette faute royale.
LA RESTAURATION DE JEAN IV
1379
Les premiers mois de l'année suivante (1379) coulèrent tranquil-
lement : on n'entendait nul bruit en Bretagne.
Pourtant Charles Y avait quelques inquiétudes. A Pâques (10
avril) il manda près de lui plusieurs des principaux barons de
Bretagne les plus influents, les plus dévoués à la France, entre
autres le vicomte de Rohan, le comte de Laval baron de Vitré,
etc , et il les pria d agir, d'user de toute leur influence sur leurs
compatriotes pour leur faire comprendre, accepter, chérir la
sentence du Parlement qui supprimait l'indépendance bretonne,
le duché de Bretagne et le réunissait è la couronne. Ainsi inter-
172 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
pelles, les barons, n'osant contredire le roi en face, firent des
réponses évasives ou gardèrent un silence attristé, et rentrèrent
chez eux le plus tôt possible.
A ce moment même, et depuis le commencement de l'année, il
se faisait en Bretagne un travail souterrain, mais incessant, dont
on allait bientôt voir le résultat.
La sentence du Parlement fut peu à peu connue de tous les Bretons
dans le courant du mois de janvier 1379; le mois suivant, toutes
les classes de la nation, les unes après les autres, en sentirent toute
la portée : on vit que c'était la ruine de l'indépendance et de la
nation bretonnes. Quand on eut compris cela, l'indignation, comme
une marée irrésistible, monta dans toutes les poitrines. Sans par-
ler on se prépara à agir, on agit même tout de suite, car en mars
et en avril il se forma dans toute la Bretagne une vaste associa-
tion, où entrèrent fraternellement toutes les classes, pour le
maintien ou plutôt le recouvrement de l'indépendance nationale, ou,
comme on disait alors, du droit ducal de Bretagne^ — la dignité et le
droit du duc étant le symbole de l'indépendance de la nation.
Nous avons encore le texte de l'acte d'association qui servit de
base à cette ligue patriotique', rien n'est plus intéressant. En voici
quelques extraits :
(( Nous et chacun, pour nous et nos alliés, nous avons promis, gréé
et conjuré les uns aux autres nous entr'aider à la garde et la défense
du droit ducal de Bretagne, contre tous ceux qui voudraient s'en
eÉlparer sans y avoir droit > (Article a).
« Quiconque voudra aller contre ou s'accorder [séparément] avec
les ennemis du droit ducal, nous leur courrons sus comme à
faux et à parjures » (Art. 4, 5).
On nomme ensuite des chefs civils et militaires, pour former le
gouvernement de cette ligue bretonne et de la Bretagne elle-même.
Quatre maréchaux d'abord, c'est-à-dire quatre chefs militaires :
messires Amauri de Fontenai, GeofTroi de Kerimel, Etienne Goyon,
Eustache de la Houssaie (Art. 3).
Puis quatre gouverneurs, quatre chefs civils, tous quatre des
• Dom Morice, Preuves 11, ai4-2i6.
RËGNE DE JEAN IV \73
premières maisons de Bretagne : les sires de Montfort, de Monta-
filant, de Beaumanoir et de la Hunaudaie (Art. lo).
Tous les membres de la ligue devront obéir à ces chefs, notam-
ment aux maréchaux qui seront dépositaires des engagements et
serments de tous les associés pour la défense du droit ducal de
Bretagne (Art. 6, 7).
Les « retenues » (ou nominations) aux emplois civils et militaires
seront faites par les quatre gouverneurs, qui auront aussi Tadmi-
nistration des revenus publics du duché, tant ordinaires qu'extraor-
dinaires, lesquels seront tous employés d'abord au paiement des
gens d'armes. Et s'il reste ensuite quelques fonds libres, les quatre
gouverneurs décideront du meilleur usage qu'on en pourra faire
pour la défense du pays (Art\ 10, 11, i3).
Amauri de Fontenai, le premier des quatre maréchaux, qui était
aussi capitaine de Rennes, avait le droit de faire, pour les besoins
militaires, des ordonnances de paiement qui étaient acquittées par
le trésorier de la ligue bretonne, Jamet de Très-la Cohue, receveur
ordinaire de la vUle de Rennes (Art. la).
Outre les statuts généraux de l'Association, les conjurés ou li-
gués de chaque diocèse formaient une section particulière ayant
des statuts et des règlements spéciaux pour assurer, selon les lieux,
la meilleure défense possible du pays.
Les statuts de la section du diocèse de Rennes nous sont restés,
ils sont aussi fort curieux : ils soïàt signés, acceptés par plus de
deux cents Bretons, tous personnages importants, nobles ou
bourgeois'.
La ligue constituée, ayant son gouvernement, ses chefs et ses
soldats, son trésor et son armée, voulut agir sans retard pour ar-
river à son but, le rétablissement du droit ducal, c'est-à-dire de
l'indépendance bretonne. Pour cela, il fallait nécessairement faire
revenir le duc. Le gouverneur et le conseil de la ligue bretonne
écrivirent donc à Jean IV la lettre suivante :
a Au très doublé seigneur monseigneur de Bretaigne,
« Très doubté seigneur, plaise vous savoir que nous çnvoions
* Dom Morice» Preuves lU ai6-ai8.
IT4 CODRS D'HISTOlEtE DB BRETAONe
par devers vous monsieur Estienue Gouyon, monsieur RollaDd de
Kersallio, Berthelol d'Engolleveul et Jehau deQuélen, pour vous dire
et exposer de par nous plusieurs choses et paroles qui longues se-
roieot à vous escrire, lesquelles touchent lebonour et proulît de vous
et de nous et de tout vostre duchié. Si vous supplions, si cher corne
vous aimez le recouvrementde vostre duchié de Bretaigne, qu'il vous
plaise les croire en ce qu'ils vous diront de par nous et de par
les chevaliers, escuiers, bourgeois, bonnes villes, et dou commun
estât de tout vostre duchié, et que sur ces choses il vous plaise
mettre bonne etbrieve diligence, et de ce ne nous vueiUez faillir.
Escript en Bretaigne le IV» jour de may, {Signé) Raoul, sire de
Montfort ; Charles, sire de Montafllant ; Jehan, sire de Beaumanoir ;
Pierre, sire de la Hunaudaie; Olivier, sire de Hontauban; Roland,
de vicomte Quoitmen ; Raoul de Monlfort, sire de Kaergorlé ; Robin
deGuité.EustaicedelaHoussaie et GeofTroi de Kaerimel. * {Seetlé
de leurs sceaux. Château de Nantet, Q. F. la; dans D. Horice,
Preuves, II. aiS).
Débarquement de Jeati IV a Dinard
(3 août 1379)
Celtelettrefutécritele 4 mai 137g; elle parvint au duc en An-
gleterre dans le courant de ce mois. Jean IV, on le pense, y St bon
accueil, mais il y avait quelques préparatifs, quelques précauUons &
prendre avant de passer en Bretagne.
Enfin le prince s'embarqua & Norihamptoa le aa Juillet 1379,
suivi de quelques petits bâtiments portant une escorte de deux
cents hommes commandés par Robert KnoUes ; on voit que I&
du moins, à cette nouvelle rencontre du duc avec son peuple — et
c'était de la part du prince une grande pteuve de tact — il n'y eut
que très peu d'Anglais.
La flotille arriva h. l'entrée de la Raace le 3 août par an beau
soleil.
Le débarquement se St sur le rivage de Dinard — car la ville
de Saint-Malo était occupée par les Français. Ce débarquement
fut une scène épique.
RÈGNE DE JEAN IV 175
Tous les coteaux qui couronnent le gracieux hémicycle de la rade
de IMnard étaient couverts d'une foule compacte, en habits de fête»
et qui descendait jusqu'à la grève. Eu avant, sur la plage, des flots
de riches bourgeois et de belle noblesse, ayant en tète tous les
grands seigneurs de Bretagne, Laval, Roban, Beaumanoir, Montfort^
Malestroit, Goëtmen, etc., tous en riches costui^es, étofTes de soie
de vives. couleurs^ colliers et bijoux d*or et d argent. Dès qu'on put
distinguer le vaisseau qui portait le prince, un inmiense cri de
bienvenue ébranla le fleuve et le rivage. Quand la barque ducale
s'approcha de la côte, les barons se jetèrent à Teau, se précipitant
au devant de Jean IV, pendant que la foule entassée sur la plage
s'agenouillait et que les cris, les vivat recommençaient. Il y eut là,
dans cette explosion solennelle du sentiment national, une
réconciliation spontanée ou plutôt une expansion de joie et d'émotion
universelle qui unit, qui fondit ensemble tous les cœurs^ depuis le
plus humble des assistants jusqu'à celui du prince. Des larmes
d'allégresse coulaient de tous les yeux, c est un témoin oculaire qui
le dit : Fauteur de la Chronique rimée de Jean IV ^ Guillaume de
Saint-André, dans ses rimes naïves s'exprime ainsi :
II* s*en vint en belle ordonnance'
Jusqu'en Bretaigne, qu'il doit amer,
- Très noblement par sur la mer,
et trouva belle compagnie.
Droite flour de chevalerie.
De ses Bretons qui Tattendoient. "^
Grand désir de le voir avoint ;
Si se vont tous agenouiller
Par devant lui sur le gravier
Et disoient : c Notre droit seignour.
Aujourd'hui Dieu vous dôînt bonjour
Et vous gard de vilain reprouche ! >*
A donc envers eux il s'aprouche
Et les va lever doucement.
Et les baisa en soupirant
* Jean iV.
t Dom Morice, Preuves II, 34^.
176 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
fEt les salua tous ensemble.
Et si ploura, comme il me semble^
\ De grand esmoi qu'au cuer avoit
Quand devant lui là les voioit.
Si le prince était ému, la foule ne l'était pas moins.
« Une vibration électrique parcourut tout ce peuple k la vue -de
l'homme en qui s'incarnait en ce jour Tidéë de la liberté et de la
nationalité bretonnes. On voulut Tétreindre, l'enlever en triomphe,
et le vieux cri national : Malo! Malo au riche duc ! éclata en salves
joyeuses, de Saint-Servan à Saint-Enogat^ sur les deux rives de la
Rancè.
(( Ce fut là l'un des plus beaux, peut-être même le plus beau
Jour de notre histoire ; depuis les temps de Nominoë on ne lui
trouve pas de pendant pour la majesté et la grandeur du spectacle.
Plus de partisans de Blois ou de Montfort, plus de seigneurs et
de bourgeois, plus d'amis de l'Angleterre ou de la France sur cette
plage historique de Dinard, mais une nation, un peuple, une race,
une Bretagne* ! »
M. de la Yillemarqué a publié dans le Barzaz-Breiz un chan
intitulé Le Cygne, qui célèbre ce retour triomphant de Jean lY. On
a, je le sais, élevé des critiques, des doutes sur l'authenticité litté-
rale de plusieurs pièces de ce recueil ; quand il serait vrai que Té-
minent éditeur les eût retouchées, elles n'en restent pas moins
d'admirables poésies, où vibre énergiquement la fibre bretonne, où
s'exprime avec éclat le sentiment breton tel qu'il se manifesta dans
les divers événements célébrés par ces chants. Qu'on ^en juge
sur les strophes suivantes du Cygne :
Un cygne, un cygne d'outre-mer, au sommet de la vieille tour du
château d'Armor !
Dinn, dinn, daon ! au combat ! au combat I Oh I dinn ! dinn ! daon 1
je vais au combat.
Heureuse nouvelle aux Bretons I et malédiction . rouge aux Français !
Dinn, dinn ! daon ! au combat ! au combat I etc.
Un navire est entré dans le golfe, ses blanches voiles déployées ;
' Biogrtphie bretonne I, p. 64 1.
RËGNE D£ JEAN IV 177
Le seigneur Jean est de retour, il vient détendre son pays ;
Nous défendre contre les Français qui empiètent sur les Bretons.
Un cri de joie part, qui fait trembler le rivage.
Les montagnes du Laz résonnent, la cavale blanche hennit et bondit
d'allégresse. »
Les cloches chantent joyeusement dans toutes les villes, à cent lieues à
la ronde.
L'été revient, le soleil brille^ le seigneur Jean est de retour.
Le seigneur Jean est un bon compagnon, il a le pied vif comme Toeil.
Frappe toujours I tiens bon, seigneur duc ! frappe dessus ! courage
lave-les (dans leur sang), lave-les !
Quand on hache comme tu haches, on n*a de suzerain que Dieu.
Tenons bon, Bretons, tenons bon ! ni merci ni trêve ! sang pour sangl
Le foin est mûr, qui fauchera ? Le blé est mûr, qui moissonnera ?
Le foin, le blé, qui les emportera ? Le roi prétend que ce sera lui.
Il va venir faucher en Bretagne avec une faux d'argent ;
• Il va venir foucher nos prairies avec une faux d'argent et moissonner
nos champs avec une faucille d'or.
Voudraient-ils savoir, ces Français, si les Bretons sont manchots ?
Voudrait-il apprendre, le seigneur roi, s*il est homme ou Dieu ?
Les loups de la Basse-Bretagne grincent des dents en entendant le
ban de guerre ;
En entendant les cris joyeux, ils hurlent : à Todeur de Tennemi ils
hurlent de joie... >
Là où les Français tomberont, ils resteront couchés jusqu*au jour du
jugement
L'égoùt des arbres sera Teau bénite qui arrosera leur tombeau.
Dinn ! dinn ! daon I au combat ! au combat t Oh ! dinn, dinn, daon !
je vais au combat.
La LUTTE CONTRE LA FttANCE
(i379-i38o)
Ce beau jour du 3 août 1879 eut un lendemain digne de lui.
Jean IV, s'étant rendu à Dinan pour y tenir sa cour et délibérer
sur la marche k suivre dans ces graves circonstances, vit les Bre-
tons de toute classe — prêtres, nobles, bourgeois — affluer^
se serrer autour "" de lui en rangs presses, protester de leur dé-
ToBiE IX. — Mars i8g3. ià
17B COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
vouement à soa service, a Le peuple de toutes parts y accoufoit
« et s'assembloit pour le voir ea processions soleaneltes, cfaaa-
B tant hymnes et louanges à nostre Seigneur » (Le Baud, p. 365J.
Du 6 au i5 août, qu'il demeura h Dinan, ce fut un concours
perpétuel. Le lo, il y eut une assemblée et une détîbéradon solen-
nelles. Le duc y exposa ses griefs contre le roi de France et
contre les Français en général :
u Leur avidité, s'écria-t-il, est prodigieuse ; Us ne peuvent »e
rassasier d'or et d'argent ; ils se jettent sur notre Bretagne pour
nous voter nos biens et nos rentes, dont nous avons toujours, grâce
ù Dieu, joui paisiblement ! Et encore cela ne les satisfait pas, ils
veulent maintenant nous mettre en perpétuel esclavage. Ils veulent
notre honte ! . . Mais nous avons toujours été libres, et quand le
monde entier se coaliserait pour opprimer notre liberté, nous sau-
rions la défendre énergiquement et. Dieu mdant, la garder", »
Sa conclusion, c'était de répondre immédiatement h ces préten-
lione en lançant l'armée bretonne sur la France'.
Autour du duc se pressaient tous les principaux barons et
seigneurs de Bretagne-, entre autres, les sires de Montfort, de Mon-
tauban, de Malestroit, de la Hunaudaie, deCo€tmen, du Chaste, de
Rostrcnen, de Pont-l'Abbé, de Rochefort, de Chàteaugîron, de
Beaumanoir, le vicomte de Rohan, et en têlela vénérable duchesse
Jeanne de Penlhièvre. 11 y eut dans toute l'assemblée une émotion
profonde quand cette lemme si énergique, qui avait si longtemps
combattu Montfort, vint s'incliner devant lui, l'encourager à
défendre son droit et celui de la Bretagne, lui promettre pour cela
tout son concours :
< Si vous lancez votre armée en France, dit-elle, la victoire est
certaine. Cette lutte, tous les Bretons la désirent. Hâtez-vous donc,
messire, d'aller reprendre Ce que le ciel ne peut vous refuser. Hâtez-
vous de relever noire cause, à nous tous Bretons. Pour vous y aider,
' a Quam enim libcrlalem nostram ai omnes cbrlstiant conarcntur nobit eri-
père, laborareniHs uliqiioomnl niau rMisturc, ul oam. Deo «uil liante, retinere-
9iu> » {Chronie.' Brioc. Bibl. \at, , ma. lalin 6oo3, françaii luB v').
> « NoslruQ] ciarcilum in regno regia Franck in^arc parmi lUmui
{Chronie. Brioc. Vota Morlce, Prturet I, 55).
RËGNË DE J£AN IV 179
je mets à votre disposition toutes les forces militaires de mes do-
maines*.
Autant en dirent et en firent tous les barons^ tous les seigneurs
présents : cette résolution fut acclamée par toute l'assemblée, on
peut dire par toute la population. Elle répondait au sentiment,
au désir de toute la Bretagne. Un contemporain nous a laissé des
Bretons et de leurs dispositions à ce moment une curieuse peinture :
« Se croyant déjà maître de la Bretagne, le roi 'avait mis sur
pied des capitaines et des compagnies toutes fraîches de « gentilz
François bien polis », qui se réjouissaient à l'idée de voir les
Bretons venir d'eux-mêmes se ranger sous leurs enseignes. . ,
« Us pensaient avoir sans débat la Bretagne et ses habitants^
pour les tondre comme des moutons.
« Les Bretons avaient souffert tant de maux en défendant la
Frapce contre l-oppression (étrangère) ! Us étaient tout défigurés,
balafrés, mutilés, borgnes ou estropiés, la peau du visage ridée
comme une écorce, leurs chevaux morts, leurs habits en lam«
beaux ou montrant la corde, leurs bourses & sec, presque tous
blessés — mais par devant !
c Les Français, au contraire, étaient bien peignés, la peau
douce et fine, la barbe taillée en fourche, — Bien dansoienl en
salles jonchées, Et si chanioient comme sirènes. ^ Us étaient couverts
de perles et de broderies... tout frisques et tout mignons; les
Bretons, à leur avis, lourds et sots, et ilsn*en faisaient nul cas.
tt Mais quand vint le moment décisif, les Bretons tiennent con-
seil^ ils aiguisent leurs épées^ et pour se défendre corne que fast,
chacun cherche fer 'et bois, plaques d'acier, cuirasses, bassinets,
tiarnais de jambes, gantelets, cottes (de mailles), haches, massues,
frondes, dagues tranchantes; chacun vend son bœuf, sa vache
pour acheter cheval ou coursier, tant ils craignent d'avoir de nou-
' « Si partes Gallicanas adiré volueriiis vel vestrum excrcitum mittere, non
dubito qain (riampho potiamur... En congressus omnibus Britonibus deside*
randus. Fesllna erigo rccipere et recuperare quod Deus non dififerfc largiri.
FesUna nos omnes Britones exalta re... Ut aulem hoc proficlatis, omnem vim
armaftaJD lerritorU mei vobis presentabo » [Chron, Brioe», mi. latin 6o83, fol.
100, et dom Morice, Preuves l, 55).
\
**lf
180 COURS. D'HISTOIRE DE BRETAGNE
veaux maîtres ! tant ils sont résolus à défendre leur liberté jusqu'à
la mort :
Car la liberté est délectable,
Et belle et bonne et profitable ;
Pour ce chacun la desiioit
Garder très bien : c'étoit leur droit !
De servitude avoient horreur
Quand ils véoient tretout entour
Gomment en France elle régnoit,
Foui estoit qui paoar n*en avoit !
« Aussi aimaienl-ils mieux mourir en guerre que de se mettre
en servitude, eux, leur pays et leur race*, n
Etant donné cet état d'esprit, on ne s'étonnera point de voir,
dans un instant, beaucoup de Bretons partir en guerre avant
rheure officiellement marquée par le duc, qui avait indiqué Vannes
pour point de concentration de l'armée bretonne.
La Bretagne, depuis 1373, s'était montrée si sympathique à la
France qu'il e&t semblé superflu d'y entretenir de grosses garnisons ;
à peine y en avait-il, et fort peu nombreuses^ dans une dizaine de
places', dont les principales étaient Nantes, Morlaix, Saint-Malo.
Dans cette dernière se trouvait alors du Guesclin, qui ne prit point
de part à cette guerre, ne pouvant, lui connétable, combattre le
roi, ni lui Breton, la Bretagne. Mais sur la frontière normande,
dans l'Avranchin, se concentra sous les ordres du duc d'Anjou
une armée française.
En même temps, pour la combattre, se rassemblait à Vannes
l'armée bretonne. Mais avant qu'elle fût prôte^ plusieurs bandes
bretonnes, impatientes de frapper — nous dirions aujourd'hui
des corps francs — se formèrent sous Beaumanoir, La Bellière et
* Nous avens résumé et rapproché ici les traits les plus caractérisques de
Guillaume de Saint- André, dans dom Morioe, Preuves II, 344, 345.
* Voici les places où on peut constater la présence de garnisons françaises :
Nantes, et près de cette ville la tour de Piremil et le château de Toufou ; sur la
côte sud de la Bretagne, Redon, Aurai, Goncameau ; sur la côte nord, Morlaix,
6aint*Malo, le ch&teau de Léhon ; à Test, Saint-Aubin du Cormier ; dans Tinté-
Heur, Ploërmel.
RÈGNE DE JEAN IV t8l
^vers autres chefs, se jetèrent,les unes sur la Normandie, les autres
^^r l'Anjou vers Pouancé, la Roche-d'Iré, ravagèrent largement
ces frontières et revinrent avec un gros butin. D'autre part, une
flotte espagnole au service du roi de France, ayant mis à terre des.
^upes qui attaquèrent le Groisic, Saint-Nazaire, Guérande, cette
attaque échoua piteusement.
Cette fougue des Bretons, ces petits succès, enlevés par eux au
pas de course^donnèrent à réfléchir au duc d'Anjou, qui, ne voulant
point pousser les choses à Textréme, conclut avec la Bretagne une
*i^ve d'un mois, puis, sur la demande de Jean IV (formulée le 4 oe-
stre 1879), accepta (le 26 octobre) d'être médiateur entre lui et le
roi de France pour régler leurs dififrends.
L ARMÉE DE BuCKINGHAM EN BrETAGNE
(i38o-i38i)
I
^Uc de Bretagne, doutant du bon résultat de cette médiation»
CiuvSt^iVx^ contre la colère du roi Charles V un point d'appui dans
^Wtefuge ordinaire, l'Angleterre: le i" mars i38o, il conclut avec
\e roi anglais Richard II un traité d'alliance offensive et défensive
(ratifié le 17), par lequel Richard II s'engageait à fournir au duc
les forces qui lui seraient nécessaires contre ses ennemis, notam-
ment contre le roi de France (Dom Morice, Preuves, II, 287).
Les Etats de Bretagne, rassemblés à Rennes le mois suivant,
n'auraient sans doute pas confirmé ce traité, car, le 18 avril i38o,
ils envoyèrent à Charles V une adresse officielle protestant de leur
fidéUté envers la couronne de France et du désir qu'ils avaient de
rentrer dans les bonnes grâces du roi. Sur quoi celui-ci répondit
(le aa mai) qu'il les y recevrait très volontiers, s'ils voulaient, ainsi
que leur duc, accepter pour médiateur le comte de Flandre et se
soumettre à sa décision {Ibid,, 285-286).
T^éanmoins, l'armée anglaise promise à Jean IV par Richard II,
forte de 6 000 hommes aux ordres du duc de Buckingham, débarqua
à Calais le 20 juillet i38o, et peu de temps après se mit en marche
à travers la France pour se rendre en Bretagne, sans rencontrer
nul obstacle, car du Guesclin venait de mourir (i 3 juillet i38o) et
^.
j- i
ial COURS D-HISTOIRE DE BRETAGNE
Charles V, 1res malade, rejoi^it son connétable (le i6 septembre
i38o) avant que Buckiogham eût atteint la frontière bretonne.
Celle mort modifïabeaucoup les dispositions de Jean IV. Il voyait
en Charles V, à tort ou à raison, un ennemi personnel ; contre
Charles VI il n'avait aucune antipathie, aucune prévention ; selon
Froissart, il dit même : « Cette mort diminue bien de moitié ma
0 rancune contre la France : tel a haï le père qui aimera le fils, et
• tel a guerroyé le père qui aidera au Sis. » Jean IV désirait donc,
comme les Etats de son duché, une pain prochaine et solide avec
la France.
En de tels sentiments, l'armée de Buckingham, qui entra en Bre-
tagne au mois d'octobre i38o par Châteaubriant, ne lui était plus
utile et ne pouvait que le compromettre vis-à-^is de ses sujets et du
nouveau roi : aussi ne songea-t-il plus qu'à s'en défaire bonne*
lement.
Il envoya d'abord à Ghâleaubrianl, en ambassade, l'évéque de
Léon, les seigneurs de Montboucher, de la HouBsaie. de Kerimel,
etc., pour complimenter de sa part Buckingham et lui exposer sa
situation ; que la plupart des Bretons, gentilshommes et autres,
voyaient d'un très mauvais œil des étrangers dans leur pays ; que les
bourgeois de ville n'étaient pas mieux disposés et pourraient bien
leur fermer leurs portes; que Nantes s'était déjà formellement dé-
clarée pour le roi de France. Le duc priait donc Buckingham de se
diriger sur Rennes, où il irait bieolôt le rejoindre.
En conséquence, l'armée anglaise va à Rennes, dont les habitants
lui refusent l'entrée, mais lui permettent de se loger dans les fau-
bourgs ', on n'admet dans la ville close que Buckingham et cinq ou
six des principaux chefs. Jean IV les laisse là quinze jours sans pa-
raître, puis vient conférer avec Buckingham, et la conclusion de
cette conférence, c'est que celui-ci mènera son armée faire le siège
de Nantes, où, quinze jours après son arrivée, le duc le rejoindra
avec des troupes pour lui prêter main forte. Buckingham met son
armée en marche vers Nantes.
JeanlV, malgré tout, restait toujours Anglais de cœur; il en donna
en ce terops>là une curieuse preuve. Prévoyant que l'antipathie de
ses sujets contre l'Angleterre le forcerait bientôt d'un traité, peut-
HÉGNE DE JEAN IV 183
être à une alliance avec la France, il voulut constater occultemcnt,
mais authentiquement, ses sentiments personnels. Le a8 octobre
i38o, au château de Rennes et devant trois témoins, il fit ré-
diger par un notaire apostolique un acte où, après avoir rappelé
tous ses griefs contre les rois de France Philippe VI. Jean II,
Charles V, et aussi tous les bienfaits reçus par lui des rois
d'Angleterre Edouard III et Richard II (alors régnant), il déclara
sa volonté de rester toujours fidèle à l'alliance anglaise et « pro-
a testa que s'il lui arrivait de traiter avec le roi de France, il ne le
« feroit que par crainte de la mort et de la perte de ses Etats, et
« par conséquent il vouloit que tout ce qu'il signeroit en ce cas fût
« nul, comme extorqué et contraire au bien de son duché » (Dom
Morice, HUt. I, p. 877 ; Pr, II, agi).
Curieuse coïncidence : Olivier de Clisson, l'adversaire de Jean IV,
le principal représentant de Tinfluence française en Bretagne, fut
créé le même jour, aS octobre i38o, connétable de France'.
Le siège de Nantes par l'armée de Buckingham dura, selon
Froissart, « environ deux mois et quatre jours, d Commencé avant
la Saint Martin (i I novembre i38o), il fut levé vers le 10 janvier
i38i'. Les principaux chefs de l'armée anglaise étaient, après le
duc de Buckingham, KnoUes et Calverly, bien connus en Bre-
tagne depuis la guerre de Blois-Montfort. Les Anglais, selon Frois-
sart^ s'établirent devant les trois portes de Saint- Pierre, à l'ouest
delà ville, — de Saint-Nicolas et de Sauveteur, à Test. Us lais-r
saient ainsi libre le côté sud de la place et la ligne des nombreux
ponts passant sur les divers bras de la Loire\ Cabaret d'Orville,
dans sa Chronique de Louis, duc de Bourbon, tout en constatant que
la ligne des ponts était libre, place un corps anglais à la Sauzaie^,
ce qui est contradictoire. Froissart doit être plus exact.
Avant l'arrivée des Angj^ais, un corps de 4oo hommes d'armes
français, venant de Pouancé, s*était enfermé dans la place, dont la
' Ses lettres de provision sont datées du 28 novembre seulement ; mais le 4
novembre, il assista à Reims comme connétable au sacre du roi Charles YI.
' Froissart, Uvre II, chapitre 76, édition Buchon, II, p. 118.
s Id. ibidU
* Edition de la Société de l'histoire de France, p. 131. La Sauzaie est
«ujourd*hu{ Tile Feideau.
114 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
garnison fut encore grossie par d'autres troupes du même genre qui
entraient sans difficulté, jusqu'à atteindre ou à peu près le chiffre
de a,ooo hommes, non comptés les habitants. Les chefs de ces
gens d'armes français étaient Jean de Chftteaumorand, Le Barrais,
Jean de Bueil, tous trois d'une brillante valeur, et leurs troupes
excellentes. Aussi pendant les deux mois de novembre et de dé-
cembre firent-ils presque incessamment de vigoureuses sorties, où
les Anglais perdirent beaucoup de monde.
Buckingham attendait toujours Jean IV, qui, malgré sa pro-
messe ne vint pas et ne lui envoya nul secours. Les Anglais ne
semblent d'ailleurs avoir tenté aucun assaut, ni poussé aucune
attaque sérieuse contre la place. Voyant donc qu'ils n'avançaient à
rien, qu'ils passaient leur temps à grelotter et se faire tuer devant des
murailles inaccessibles^ ils finirent par se lasser de cette position
fatigante et ridicule : ils détalèrent piteusement un beau matin
(versée lo janvier i38i) et tirèrent vers Vannes, où était le
duc, qui alla au devant d'eux, s'excusa comme il put de son
manque de parde, et fit loger dans Vannes une partie de leurs
troupes, à condition qu'elles en sortiraient à la première requête
des habitants.
Le reste de l'armée anglaise fut dirigé sur Hennebont et sur
Quimper. Mais ces deux villes ayant refusé de leur ouvrir leurs
portes, les Anglais furent contraints de se loger dans les faubourgs
et dans la campagne, où ils souffrirent beaucoup tout lliiver du
froid et de la disette, ayant été réduits^ assure-t-on, à faire du pain
de chardon, et à voir crever de faim presque tous leurs chevaux.
RÉCONCILIATrON AVEC LA FrANCE
(i38i)
Pendant ce temps, les princes français (ducs d'Anjou et de Bour-
gogne) et les principaux seigneurs bretons travaillaient à faire un
' Sur ce siège de Nantes, curieux à étudier en détail, il faut surtout voir
Froisiart, livre II, chapitre yS ot 76, édition Buchon, tome II, p. 118 à taa, et
Cabaret d'Orville, édition Ghazaud pour la Société de l'histoire de Francie,
p. 130 à iig*
RÈGNE DE JEAN IV 185
bon traité entre le roi de France et le duc de Bretagne. Les termes
en furent arrêtés le i5 janvier i38i ; il fut juré et ratifié par les
négociateurs français et bretons, dans la chapelle de Notre-Dame
la Blanche à Guérande, le l\ avril suivant. En voici les principales
w
clauses r
Le duc, avec telle suite de seigneurs bretons qui lui plaira, ira
trouver le roi, s'agenouillera devant lui avec eux, et dira :
— (( Mon très redouté seigneur, je vous supplie que vous me
« veuillez pardonner de ce que je vous ai courroucé, dont il me
« deplaist fort et de tout mon cuer. »
Le roi répondra qu'il lui pardonne et le reçoit en sa bonne grâce ;
alors le duc fera au nouveau roi Thommage qu'il lui doit pour le
duché de Bretagne.
n jurera d'être bon et loyal sujet (vassal) au roi et au royaume,
il s'alliera au roi et au royaume contre tous autres princes, spé-
cialement contre les rois d'Angleterre et de Navarre, et le roi s'alliera
de même au duc et à son duchés s'engageant spécialement à ne
faire aucun traité avec l'Angleterre, où le duc, ses terres et héri-
tages ne soient compris.
Le duc s'engagera enfin par serment à maintenir les droits, privi-
lèges et libertés de l'église, de la noblesse et du peuple de Bretagne,
et à n'employer aucun Anglais comme capitaine de forteresse ou
membre de son conseil^ quoiqu'il lui soit loisible d'en conserver en-
core quelques-uns pour « officiers et serviteurs de son hostel, et
lelzqu'ilz ne puissent porter nuisance au roi ni au royaume. » (Dom
Morice, Preuves y II, 298).
Et encore : le duc paiera au roi aoo 000 livres pour indenmité
de guerre; mais le roi remettra de suite le duc en possession de ses
terres de France, savoir le comté de Montfort TAmauri, la sei-
gneurie de Ghâteauceaux, les terres de Rethel et de Nivernois.
Enfin anmistie générale, de part et d'autre, pour tous les faits
de guerre, et restitution des biens confisqués.
Par ordre du duc, à partir du 10 avril, le traité fut solennellement
approuvé et ratifié par les évêques, abbés, chapitres, par les prin-
cipaux seigneurs de Bretagne en grand nombre, et enfin par les
bourgeois des villes, entre autres par ceux de Rennes, de Nantes,
186 COURS DHISTOIRE DE BRETAGNE
de Vannes, de SUBrieuc, de Guingamp, de Dinan^de Guérande,
de Dol, de Lamballe, etc. /
Qui fut stupéfait, consterné de cette paix P Ce fut Buckingham
et ses Anglais, surtout de l'article du traité par lequel Jean lY
s'alliait au roi de France tout spécialement contre le roi d'Angle-
terre. Le duc eut beau expliquer qu'il s'était réservé le droit, malgré
ce traité, de ne jamais « soy armer de sa personne » contre les An-
glais' ; Buckingham indigné ne voulut ni le voir ni l'entendre,
s'embarqua dès qu'il apprit cette nouvelle(ii avril i38i) et repassa
en Angleterre avec tout ce qui restait de son armée, à demi détruite
par le malfaisant hiverqu'elle avait eu à subir presque sans pain et
sans toit.
Le duc contracta une alliance spéciale avec le duc d'Anjou (g
mai 1 38 1) et, ce qui est plus étonnant, une autre du même genre
avecClisson le So mai, confirmée le 17 février suivant. Et ce
mêmejour 3omai^ leshuitou dix place de Bretagne tenues par
les Français furent rendues au duc.
Enfin, le 27 septembre i38i, ce prince alla à Compiègne pré-
senter au roi l'hommage du duché de Bretagne et lui demander
pardon du passé, selon les termes du nouveau traité de Guérande.
Par cette démarche, il rentra définitivement en possession régulière
de la couronne ducale, il confirma, affermit, consolida cette bien-
heureuse paix donnée par lui au duché et qui comblait les ardents
désirs du peuple breton.
Arthur de la Borderie,
de nnsiilat.
{A ,sulrrc).
Uom Morice, Preuves, U, 376.
LES GRANDES SEIGNEURIES
DE HAUTE-BRETAGNE
Comprises dans le territoire actuel du département dllle-et-Vilaine
{Suitey
LA BELINAYE (Vicomte)
La Belinaye^ est un des rares manoirs de Haute-Bretagne pos-
sédés depuis cinq cents ans par une noble famille qui porte tou-
jours honorablement son nom.
C'est au commencement du XV* siècle qu'Olivier Fouque, de-
meurant à Fougères en i4o8f prit le nom de la Belinaye, que con-
servent ses descendants'. Son fils Etienne de la Belinaye fut père
de Jean P' de la Belinaye, Tun des trente gentilshommes désignés
en i483 par le duc François II pour la garde du château de Fou-
gères. De son union avec Jeanne du Matz, ce Jean de la Belinaye
laissa un fils nommé aussi Jean, qui épousa Alix de Montmoron,
dame de Moreul. Ce dernier, Jean II de la Belinaye, figure en i5i3
comme possesseur du manoir et de k seigneurie de la Belinaye, que
sa iamiUe tenait en main depuis un siècle déjà. Il dut mourir vers
* Voir la livraison de février iSgZ.
3 Commune de SainUChristophe-de-Valatns, canton de Saint-Aubin-du-Cor-
mi«r, arrondissement de Fougères.
• De Courcy : Nobiliaire de Bretagne,
)
'•^
1S8 LIS GRANDES SEIGNEURIES
i5i8 et sa femme vers i53i, car, le i6 février iSSg, Jean III de la
Belînaye, leur fils, rendit aveu au roi pour sa seigneurie, déclarant
avoir perdu son père depuis vingt et un ans et sa mère depuis huit
ans. Jean III était alors depuis cinq ans veuf de Jeanne du Hallay,
qui lui avait laissé une fille encore mineure, nommée Jeanne. En
i54i, Jean de la Belinaye se présenta aux montres, « monté et
armé en état d'archer, et déclara ledit seigneur avoir cent vingt
livres de revenu noble^ »
Jean IV de la Belinaye, vivant en 1574, épousa Madeleine du
Han. Il dut mourir vers i58o, car Jacques de la Belinaye, son hé^
ritîer et probablement son fils aîné, rendit aveu vingt-deux ans
après sa mort, le i *' juin i6oa, pour ses manoir et seigneurie de la
Belinaye'. Ce dernier chevalier avait épousé Guillemette de Romilley,
dont il ne semble pas avoir eu d'enfants.
César de la Belinaye, seigneur dudit lieu en i6i4, fils également
de Jean IV, était uni dès 1699 à Catherine Satin, dame de la Teil-
laye, laquelle, étant veuve,, fit en 1627 une fondation au couvent des
Carmes de Rennes'.
Charles I*' de la Belinaye, leur fils, épousa en i638 Catherine.de
Launay^ fut maintenu dans la noblesse en' 1668^ et fut inhumé aux
Grands-Carmes de Rennes le a6 janvier 1669 : il laissait la seigneurie
de la Belinaye à son fils aine François de la Belinaye. Celui-ci
épousa, ie 27 décembre 167a, Marie du Boislehou, obtint en i68a
rérection en vicomte de sa terre de la Belinaye, et décéda le 20 jan-
vier 1709.
Charles II de la Belinaye, fils du précédent, rendit aveu au roi
pour la vicomte de la Belinaye le i4 mai 171 2. Il eut pour suc-
cesseur son frère Armand de la Belinaye, mari de Thérèse Frain
de la VlUegontier. Ces derniers moururent au manoir du Boislehou
en Luitré, Armand le 10 février 1777, et sa femme dès le mois d'oc-
tobre 1766. Leur fils aîné, Charles-René de la Belinaye, vicomte
dudit lieu, avait épousé en 1760 Anne-Jacquette de Miniac de la
' Bibliothèque de Rennes, Mss. de Missirien.
* Archives de la Loire-Inférieure.
^ Archives d'Ille-et'Vilaifie y 20, H, 3.
4 Réformation de la noblesse de Bretagne (Bibliothèque de Rennes).
M*
DE HAUTE-BRETAGNE 189 \
Villèsnouveaux, décédée le 3 juin 1766 et inhumée à Saint-Chris-
tophe-de-Valains. Il jouissait en 1786 d^une belle fortune territoriale
et prenait les titres de seigneur de la Belinaye, Orange, la Dobiaye,
la Teillaye, la Bouëxière, le Bertry, le Moulin-Blot, le Boislehou, etc.
Chevalier de Saint-Louis et maréchal des camps et armées du roi,
père de trois garçons, il émigra quand vint la Révolution. Son
château de la Belinaye fut vendu par la nation le a8 messidor
an IV' et lui-même mourut à Chantilly le i4 février 1S21.
La terre seigneuriale de la Belinaye, relevant à l'origine de la
baronnie de Fougères^ fut érigée en vicomte pour François de la
Belinaye par lettres patentes de Louis XIV données en décembre
1681 et enregistrées au parlement de Bretagne en i684. Dans ces
lettres le roi fait Téloge de la famille de la BeUnaye^ disant vouloir
récompenser les services que lui ont rendus le père de François de
la Belinaye «, commandant cent hommes d'armes du régiment de
la Trémouille», son bisaïeul Jean de la Belinaye, '< gouverneur
de Fougères, » son oncle Jacques de la Belinaye, « chevalier de
Malte, tué au service du roi, » et son propre frère Paul de la Beli-
naye, <i aussi chevalier de Malte, décédé sur mer' ».
Pour former la vicomte de la Belinaye, le roi unit d'abord onze
petites seigneuries appartenant à François de la Belinaye, savoir :
la Belinaye en Saint-Christophe, Moreul en Saint-Mard-ie-Blanc, la
Gravelle fen le Tiercent, les Deffais en Vieuxvy, TAsnerie, les Alleux,
les Haut et Petit-Racinoux, et le Rocher-Poirier en Saint-Ouen-des
Alleux, enfin la Motte et Saint-Etienne en Saint-Etienne-en-Coglaîs :
le tout fut érigé en vicomte sous le nom de la Belinaye. De plus,
le roi autorisa le nouveau vicomte à bàtiv une halle et un audi-
toire à Saint-Ouen-des-Alleux, et à tenir en ce bourg un marché
tous les mercredis et deux foires par an, Tune le mardi de la Pen-
tecôte, Tautre à la fête de saint Pierre-ès-Liens ; il lui concéda, en
outre, une troisième foire au bourg de Saint-Christophe^ le jour de
la fête de saint Jacques et saint Christophe'.
' La famille de la Belinaye racheta plus tard ce château.
^ Archives du Parlement.
' Ibidem»
'?r!*-^
190 LES GRANDES SBlGNiSUIUES
Le domaine proche de la vicomte de la Belinaye comprenait
« le principal manoir de la Belinaye avec colombier, chapelle,
jardins, bois de futaye, etc., — les anciens manoirs de Moreul,
du Haut-Racinoux« des Alleux, delà Trousselardière, de TAsuerie,
et des Deffais, — les métairies de la Belinaye» des Bas et Petit-Raci-
noux, du Tronsay et les moulins de la Servaye, de Bécherel, du
Moulin-Neuf», etc. De plus il était dû au seigneur de la Belinaye
par le possesseur du moulin à papier de Br^imblin u quatre
rames de papier chaque année ».
Quant aux fiefs, nombreux et assez considérables, ils s'étendaient
dans les huit paroisses de Saint-Christophe, Saint-Mard-le-Blanc,
le Tiercent^ Saint-Ouen-des-AUeux , Saint-Hilaire-des-Landes,
Saint-Etienne, Saint-Sauveur et Vieuxvy, et avaient haute, moyenne
et basse Justice.
Le seigneur de la Belinaye était fondateur de l'église paroissiale
de Saint-Christophe-de-Valains, a estant en possession immémo-
riale d'avoir dans le chanceau de ladite église deux pierres tom-
bales élevées avec les écussons en relief armoyés des armes de la
Belinaye, enfeu prohibilif, ceinture et lizière en dedans et au de-
hors de ladite église, armoyée' des mesmes armes, et deux bancs
à queue et accoudoir^ Tun proche le chanceau, du costé de l'ëpitre,
et l'autre dans la nef, du costé de l'évangile' ». Aujourd'hui l'on re*
trouve encore sculptées sur deux anciens autels de cette église les
armoiries de la Belinaye : d argent à trois rencontres de bélier de
sable, et Ton assure que sous le parquet du chœur demeurent
cachées les deux lombes ornementées des anciens seigneurs de la
paroisse.
Le vicomte de la Belinaye était aussi fondateur de l'église parois-
siale de Saint-Ouen-des- Alleux, et dans l'église de Saint-Mard»le-
Blanc il jouissait d'un banc et d'un enfeu devant l'autel de Notre-
Dame à raison de sa terre de Moreul.
Le château actuel de la- Belinaye est un manoir portant tous les
caractères architecturaux de la première moitié du XVII* siècle.
Devant sa façade c s'étend une cour d'honneur, bornée à son
' Avêude i7î2.
DE HAUTE-BRETAGNE t9\
entrée par une magnifique balustrade en granit ; cette cour con-
duit au grand escalier extérieur qui lui-même est décoré de ba-
lustres rampants en granit et du meilleur goût. Un clocheton char-
mant termine le pavillon en forme de dôme qui couronne cefte
façade' v. Le tout est un joli monument de l'art sous Louis XIII
en Bretagne.
LE BOISFÉVRIER (Marquisat)
La terre seigneuriale du Boisfévrier^ tire son nom de la famille
Février qui la possédait au XIV* siècle. Geffroy Février, l'un des
capitaines les plus renommés de son temps, fut compagnon de Du-
guesclin dont il reçut en 1870 la capitainerie de la Guerche. Son
sceau en i38o porte : de sable au cerf rampant dor. Il descendait
d'un Guillaume Février, voyer féodé de la forêt de Fougères, et eut
un fils nommé Jean.
Ce Jean Février rendit aveu au baron de Fougères le ai mars
i434 pour ses terre et seigneurie du Boisfévrier, et son successeur,
Olivier Février, « sergent féodé es bailliages de Fougères et du Lo-
roux », fit la même chose le a5 mai i444'.
Hais, dès i43i, Simon de Langan, seigneur des Portes en Ba-
zouges, avait épousé Isabeau Février, fille de Jean Février et de
Guillemette Husson ; cette dame était probablement sœur d'Olivier
Février, dentelle recueillit l'héritage avant i466^- époque à laquelle
Olivier de Langan, seigneur du Boisfévrier, rendit lui-même aveu
pour cette sdgneurie.
Nous ne pouvons faire ici l'histoire de la famiUe de Langan, qui
posséda pendant quatre siècles consécutifs le Boisfévrier, et qui
joua un rôle assez important dans notre pays ; mentionnons seule-
ment ce qui dans sa fiUalion se rattache au Boisfévrier.
Etienne de Langan, seigneur du Boisfévrier, ambassadeur de
* Marteville : DUst, de Bret.
' Commune de Pleurigné, canton et arrondissement de Fougères.
' Archives de la Loire-Inférieureé
DK HAUTE^BRETAGNE 193 :
René de Langan avait épousé cette dame en 1570 et il en avait eu '.
Pierre de Langan, qui rendit aveu pour le Boisfévrier le 5 novembre ;
1619, et épousa, la même année, Sainte Le Febvre des RouxièrQs. >
César de Langan, fils aîné des précédents, se maria le a 3 sep-
tembre i64o avec Charlotte Constantin, qui mourut veuve à la Vi-
sitation de Rennes en i665. Leur fils Gabriel de Langan, reçu con • ;
seiller au parlement de Bretagne en 1660 et premier marquis du
Boisfévrier, épousa :.i® le i3 février 1666, Claude de Visdelou ; a^ en .
167a, Jeanne Bruslart de Sillery. Du premier mariage naquit en 1667 •
Pierre de Langan, marquis du Boisfévrier, et époux de Marie de
Puisaye, qui mourut le 6 février 1780 et fut inhumé en l'église de
Fleurigné.
Le fils aine de ces derniers, Louis-Charles de Langan, né le ,
13 avril 1704, devint marquis du Boisfévrier, et épousa : i** Louise
de Montgommery ; a* le a6 juillet 1735, Bonne de Farcy de Pont-
iarcy. Il décéda le 3 novembre 1781 et fut inhumé près de son
père. Sa veuve se retira chez les Ursulines de Laval, où elle mourut ,
en 1780.
Louis-Marie de Langan, marquis du Boisfévrier, rendit aveu pour
cette terre en 1753 et s'unit à Laval en 1770 à Françoise de Farcy, ,
dont il eut Eugène de Langan et M""* Treton de Yaujuas. Le marquis
du Boisfévrier, émigra avec son fils ; il périt accidentellement dans ,
leaeauxdela Meuse en 179a, et son fils, dernier de son nom, .
tomba noblement, les armes^ la maln^ à la descente de Quiberpn .
en 1795.
La seigneurie du Boisfévrier fut érigée par Louis XIY en faveur
de Gabriel de Langan, d'abord en baronnie en i658, puis en mar-
quisat par lettres patentes de 1674, enregistrées le i3 février de la ,
même annéeV
C'était à lorigine le gage féodé de la vairie ou sergenterie de
Fleurigné, et son possesseur devait faire chaque année à la recette
de Fougères rapport et l'acquit des rentes dues au baron de Fou-
gères dans rétendue de la vairie. Mais le seigneur du Boisfévrier
avait, à raison de sa sergenterie, outre les droits ordinaires attachés
< De Courcy : Noàil, de Bret,
TOME IX. — MARS 1893. l3
ISi LES GHANUES SEIGNEURIES
i sa chaîne, celui de hava^ i la foire de )a Madeleine, près Fou-
gères <aa juillel), ainsi qu'i l'assemblée de Beaucé le jour de la Mie
de stdot Armel. Il avait, en outre, un droit de bouletllage de
4 deniers Eurchaquo pipe de vin (amenée à chevaux > dans la ville
de Fougères k la destination d'autres que des bourgeois, et de
8 deniers sur celles qui étaient a amenées k bœufs ». Par contre il
devait rendre et pajer au château de Fougères l'acquit de deux
muids da vin, h moitié d'entre Chartres et Mayenne, moitié de la
quinte d'Anjou ii, dont les fîkts et les lies devaient lui être rendus*.
Le marquisat du Boisfévrier se composait de trois anciennes
seigneuries, sises en Fleurigné : le Boisfévrier, Fourgon et Mont-
brault. On voyait à Fourgon une motte féodale, et Honthrault avait
à l'origine un ancien château « clos de fossés, murailles et pont-
levis », dont on retrouve encore l'assiette.
Le domaine proche du marquisat se composait du manoir du
Boisfévrier — des anciens manoirs convertis en termes de Fourgon
et de Montbrault — des métairies de la Guiberdière, de la Jous-
saye et du Haut-Montbrault — et des moulins de Février et du
Bas -Montbrault. Tous ces bieus furent vendus nationalement pen-
dant la Révolution'.
La juridiction du Boisfévrier était une haute justice qui s'exer-
çait au bourg de Fleurigné. Cette seigneurie comprenait un certain
nombre de Ôefs s'étend 'nt en Fleurigné, Laîgnelet, Luitré et la
Celle-en-Luitré ; mais les fiefs de ces d«ux premières paroisses rele-
vaient seuls de la baronoie de Fougères, ceux des dernières rele-
vaient de ta baronnie de Vitré*.
Le marquis du Boisfévrier était seigneur préémînender et fon-
dateur de l'église de Fleurigné : dès 1A94 il est fait mention de ses
armoiries dans les verrières de ce sanctuaire et de la litre ou
Usière qui présentait ce même blason à l'intérieur et k l'extérieur
du temple. Dans le chœur et du côté de l'évangile on remarque
encore at^ourd'hui un enfeu d'aspect monumental, réservé aux
> UiupUlé : tfotiees fur la paroitaet det eantctu da Fougères, 36.
' H. ds Vauju**, m«rl d'Emilie de Ltngan, rachttD plua tard le Boistévrier,
> Archices ffllte-tl-Vilaiiie.
•v-J«»-5f;-,
NOTES
SUR LES
FAMILLES LE RAY DE LA GLARTAIS
BT
LE RAY DU FUMET
Eq 1780, le maire de Nantes se nommait René Le Ray du Fumet.
Vers 1750, son cousin Jacques-Donatien Le Ray de la Clartais, né
à Nantes le 1*' septembre 17^5, qui fut Tami de Franklin et le pro-
tecteur du sculpteur Nini, achetait le château historique de Ghau-
mont-sur-Loire^ où son fils donna en 1808 Thospitalité à M"^* de
Staël exilée de Paris par Napoléon.
En i855 on élevait sur les quais de Pornic une statue au contre-
amiral Théodore Le Ray, parent des deux premiers.
Je savais que ma grand'mère Rousse, née HîUeret, était fille d'une
demoiselle Le Ray, et j'avais trouvé dans les papiers de mon père
des lettres de l'amiral son cousin et d'autres Le Ray dont le nom
était accompagné de celui de la Giartaîs. J'ai voulu étudier d un
peu près ces familles et savoir quels liens les unissaient. C'est le
résultat de mes recherches qui fait l'objet de cette notice.
Ma bisaïeule Marie-Anne Le Ray, épouse de « noble homme
Joseph Hilleret, capitaine de navire », demeurant à la Plaine^
avait deux frères, Jean Le Ray, négociant à Nantes, consul des
marchands en 1776, et Honoré Le Ray, capitaine de navire, de-
meurant à Pornic. Leur père, également capitaine de navire^ se
nommait Honoré Le Ray et leur mère Julienne Bonamy*.
* Acte de parta^ du 16 mars 1776 que possède actuellement une arrière-
petite-fllle de Marie- Anne Le Ray, Madame Choilet, veuve de M. J.-L. ChoUet,
ancien conseiller général de la Loire-Inférieure pour le «anion de Pornic.
à « Alexandre-
seigneur de la
chevalier de la
1 de Marcé, son
triage en date,
ubert, notaires
I de la préfec-
;*signer, à côté
an épouse, Le
Anne Le Ray
irents de Jean
omte Régis de
e I" pagegi,
liëre.lea lignes
Qçois Penin et
lambre d'hon-
ge de 87 ans,
.déla!de-Gécile
M. Goguet de
Ire Boulonnais
de la Courbe-
oiselle Rose de
lUne Le Ray et
3 d'après le re-
r l'année 1779,
lante-dlx-neuf,
:he dernier aux
le de Sainl-Lu-
e par le certiQ-
tres bancs et la
ir accordée par
•^P^'-'??!^*
193 NOTES SUR LES FAMILLES LE RAT DE LA GLARTAIS
« M*' révéquede Nantes, en datte du jour d'hier^ signé de Boissieu,
« vicaire génér.,< le tout dûmetit insinué et controUé le même jour,
a ont été par nous soussigné, docteur en théologie, recteur de cette
<( paroisse, fiancés et reçus à la bénédiction nuptiale, en la cha-
M pelle Saint-Julien, à la Fosse, messire Alexandre-Emmanuel Per-
« rin, seigneur de la Gourbejollière, âgé de vingt-neuf ans^ file m<l-
« jeur de feu messire Jean-François Perrin, vivant seigneur de la
tt Gourbejollière, et de dame Adélaïde-Renée de Gouyon, présente et
« consentante, natif de la paroisse Notre-Dame de Glisson et domi-
K dlié de celle de Saint-Lumine slisdit,
tt Et demoiselle Marie^ Anne Le Ray, âgée de dix-huit ans, fille
« de noble homme Jean Le Ray, ancien consul et négociant en cette
tt' ville, et de dame Catherine-Françoise BauUon, présens et consen-
tt tans,natifve de la paroisse de Pomic, en ce diocèse^ et domi-
« ciliée depuis plusieurs années de celle-ci à vis la Bourse. '
tt Ont assisté comme témoins du présent mariage, du côté de
tt répoux, outre la dame sa mère ci-dessus, messire Jean Perrin,
tt chevalier de la Gourbejolière, son frère, demeurant ensemble- pa-
a roisse Sainte-Lumine de Glisson ; messire Cliarlés Ambry de
tt Fourché de Quéhillao, son cousin -germain au maternel^ capi-
tt taine de dragons au régiment dd colonel général-, demeurant
tt ordinairement sur le Porl*au-Vin.
tt Du côté de l'épouse, outre ses père et mère ci-dessus, écuyer
« Augustin Ghàret, son beau-frère, à cause de dame Jea'nné-Fran-
'(( çoise*MarieLe Ray, sœur de Tépouse, demeurant aus^i ensemble
tt au haut de la Fosse, et noble homme Yalentin-^ Laurent Valton,
tt demeurant Isle-Feydeau, paroisse de Sainte-Croix, lesquels ont
« signé avec nous et du très présents à la cérémonie.
u (Signé) Marie-Anne Leray, Alexandre-Emmanuel Perrin delà
« Gourbejollière, J. Leray, Gouyon delà Gourbejollière, Cécile Perrin
tt de la Gourbejollière, Jean Perrin de la Gourbejollière, Baullon-
« Leray, Gharet-GlaTtais, V.^L. Valletoù, de Fourché de QuéhiUac.
« Richard de la Rivellerie, recteur. »
Augustin Gharet, qui avait épousé," comme on le voit par cet
acte, une ûllede Jean Le Ray^ nommée Jeanne -Françoise-Marie, et
qui signait Gharet-Giartais sans doute parce que sa femme était une
ET LE RAY DU FUMET 199
demoiselle Le Ray de la Glartaîs', appartenait à une famille origi-
naire de la Savoie dont la filiation est détaillée dans la Généalogie
de la maison de Cornulier, pages agy et 298 du Supplément. Il avait
deux frères et quatre sœurs dont Tune Madeleine-Moniqiie Charet
s'était mariée, le ao avril 1770, à Jean-Baptiste-René de Couëtus,
officier de cavalerie au régiment de Royal-Etranger, qui devint,
pendant la Révolution, chef des* insurgés du pays de Retz,
commanda en second le corps d*année du général de Charelte et
fut fusillé à Ghallans en 1795.
Une petite-fille de Madeleine-Monique Charet, Céleste-Claire de
Couëtus, épousa Albert Hippolyte-Henri de Cornulier-Lucinière
(pages 296 et 297 du même ouvrage).
Puisque Marie-Anne Le Ray, épouse d'Alexandre-Emmanuel
Perrin de la Courbejollière, et sa sœur Jeanne-Françoise, mariée à
Augustin Charet, étaient des demoiselles Le Ray de laClartais^ leur
aïeul Honoré Le Ray, père de Jean, d'Honoré et de Marie- Anne Le
Ray-Hiileret, était un membre de la famille Le Ray de la Clartais.
La parenté de cette faiAille avec les Le Ray du Fumet, sans
remonter à son origine (ce qui demanderait de longues recherches),
ressort de plusieurs pièces, entre autres d'un acte de baptême porté
sur les registres de la paroisse Saint-Nicolas de Nantes au i*' février
1734 et qui est ainsi conçu :
c Feuvrier 1724.
€ Le premier (février) fut batîsé en cette église par moy recteur
0 soussigné, René, né de ce jour, fils de noble homme René-Fran-
<( çois Le Ray, sieur de la Clartais, et de demoiselle Françoise
tt Bouvet sa fttnme. Fut parrain noble homme Jacques Bouvet,
« ancien consul des marchands, ayeul du batisé, et maraine de-
« moiselle Elisabeth Doré, veuve de noble homme Jan Le Ray,
tt ayeule du batisé, demeurant à la Fosse soussignés.
tt Signé : Elisabeth Dorré, Bouvet, Jacques Bouve.t, Le Ray de
« la Clartais, Le Ray du Fumet. — J.-B. ArnoUet, recteur. »
' Dans l'Inventaire sommaire des archives de ta Loire^hiférieure^ par
M. Léon Maitre, tome v, p. 375, E, 335i, je trouve la mention suivante:
« Commune de Saint-Méme. Livre des baptêmes, mariages et sépultures* Le
SOO NOTES SUR LES FAMILLES LE RAT DE LA GLARTAIS
MM. A. Perthuis et Stéphane de' la Nicollière-Teijeiro constatent
cette parenté des Le Ray dû Fumet et des Le Ray de la Glartais
dans le Livre doré de l'hôtel de ville de. Nantes, au cours de leur
notice sur René Le Ray du Fumet.
Cette notice étant intéressante, fe la reproduis textuellement :
« 1730-1733
« LXXIV- maire
« M. René Le Ray, sieur du Fumet.
« Armes : D'argent au chevron de gueules, accompagné de deux
« étoiles de sable en chef et d'une raie dans une mer de même en
(( pointe.
« Jeton : De la mairie de M. Le Ray du Fumet, lieutenant civil et
« criminel du présidial de Nantes. — Armes de la ville : R. Sit
(( gemino sub sidero tuta. Exergue^ 1730. Armes du maire : Gou-
u ronne de comte'.
(( André Portail eut 3oo 1. pour le portrait de M. Le Ray. Dans
«. l'Assemblée du :•' mai 1730, M. Le Ray du Fum^ eut 87 piques,
« M. Darquistade, ancien échevin, 69, et M. René Montaudbuin,
(( ancien juge en chef des marchands, 54. Par lettres datées du i5
(( juin 1730, ouvertes dans l'Assemblée générale du i*'' août^ le roi
« nomma maire M. Le Ray du Fumet qui fut installé, ainsi que
« les deux échevins , le 7 du môme mois , avec le cérémonial
« accoutumé.
« La succession de M. Mellier était difiiciie. Voici comment la
« lettre écrite par la communauté de ville relate les qualités excep-
« tionnelles des candidats désignés pour le remplacer :
« Le premier est le' sieur Le Ray du Fumet, lieutenant civil et
tt criminel du présidial de cette vilie, juge de TinAgrité la plus re-
u connue, de la connaissance la plus parfaite de toutes sortes
(( d'affaires tant publiques que particulières, du travail le plus
« assidu pour tout ce qui lui est confié, et de la plus haute estime
tt parmi la noblesse et la bourgeoisie ; le second est le sieur Dar-
« 16 juillet 1790, baptême de Lucie, fillo d'Alexandre-Emmanuel Perrin de la
« CourbejoUière, écuyer, et de dame Marie- Anne Leray son épouse. PaiTain,
« Augustin Charet de la Glartais, écuyer. Marraine, Adélaïde Theuret. »
* On peut voir un de ces jetons au musée archéologique de Nantes.
ET LE RAY DU FUMET
c quistade, ancien échevin, aussi zélé pour le bien public qu'expé-*
<( rimenté pour tout ce qui peut le procurer^ distingué parmi la
« plus saine partie des négociants et très capable de travailler avec
c( succès tant pour le service du roi que pour l'avantage de la corn-
«munauté; le troisième est le sieur Montaudouin, conseiller
u secrétaire du roi, ancien échevin, et la plus ferme colonne du
« commerce de cette ville, connu dans tout le royaume et chez
tt tous les étrangers pour le bien infini que ses différentes entre-
tt prises, toujours conduites avec sagesse et exécutées avec succès,
« ont procuré depuis trente ans à l'Etat en général et à cette ville
« en particulier, d'un génie étendu, toujours bien intentionné et
tt un des sujets du roi qui ont travaillé le plus utilement pour le
« bien de son service.
« M. Maître René Le Ray, sieur du Fumet\ naquit le lo mai
« 1686, obtint le diplôme d'avocat au Parlement de Paris et fut
a reçu le 16 novembre 171 1 dans l'office de conseiller du roi, lieu-
« tenant particulier, civil et criminel de la sénéchaussée, siège
tt présidial et prévôté de Nantes^ auquel il avait été nommé par
« provisions datées de Versailles le 4 du même mois (Archives du
tt tribunal civil de Nantes, registre Officesdu présidial, 1709-1715).
tt n épousa demoiselle Anne-Louise Robard, de laquelle il eut
« entre autres enfants : Renée-Louise, baptisée à Bourgneuf-en->
« Retz^ le 6 septembre 171a, inhumée à Saint-Denis le a4 mars
< 1781 ; René, baptisé à Saint-Denis de Nantes le 16 janvier 17 15,
« qui eut pour parrain Gabriel Robard, auditeur à la Chambre des
ff comptes, vraisemblablement frère de sa mère ; François, baptisé
« à Saint-Denis le !•* mars 1723, qui eut pour parrain René-Fran-
« çois Le Ray de la Clartais, et pour marraine Perrine. Le Ray,
« dame de la Guerche-Deruais ; Anne Le Ray de la Roussière, inhu-
tt mée à Saint-Denis le 3 septembre 1745 à l'âge de 17 ans; Jean*
c Baptiste Le Ray du Fumet, existant encore à Nantes en 1790.
« René Le Ray obtint en 1739 des lettres patentes enregistrées
« à la Chambre des comptes le a6 mars 1740^ l'autorisant à par-
« tager ses enfants noblement et dans lesquelles il est dit a que
* Le Fumet est une terre située dans la paroisse de Bourgneuf-en«Retz.
T^r^v
202 NOTES SUR LES FAMILLES LE RAY DE LA CLARTAIS
« l'exposant se trouve proche parent de plusieurs familles ùoblee
« de la province de Bretagne' ».
tt René-François Le Ray de la Glartais^ fils de Jean Le Ray, sieur
« de la Clartais, et d'Elisabeth Doré, négociant, consul en 1735,
u puis conseiller secrétaire du roi et chevalier de Tordre de Saint-
ce Michel, était de la même famille que le maire, sans que nous
(( puissions préciser leur degré d'étroite parenté.
Le second fils du sieur de la Clartais, Jacquies-Donatien,
« baptisé à Saint-Nicolas de Nantes le i*' septembre 1725, devint
« grand-maître des eaux et forêts de France', et acquit vers 1750
a les comté et baronnie de Ghaumont'sur-Loire dont ses descen-
« dants prirent le nom.
« n fonda dans ce château une manufacture de poteries et de
« produits céramiques. Des médaillons» en terre de Ghaumont,
« des personnages célèbres de l'époque^ de Franklin, de Louis
c XVI, de Marie-Antoinette, attestent les talents de l'Italien Nini,
tt directeur de cette fabrique, et sont encore recherchés par les
« amateurs^. Durant son séjour en France^ Franklin s'était lié
« d'amitié avec M. Le Ray qui envoya aux défenseurs de la liberté
« américaine un vaisseau armé à ses frais et chargé de munitions
f Loiseleur, bibliothécaire d'Orléans, Notice sur Chaumonl.)
« Son fils l'imita et étant passé en Amérique, où il se fit natu-
(' raliser, se maria et devint père de M. James Le Ray de Ghaumont,
« qui épousa; vers i84i^ Mlle Jenny de Yalori, doijit l'aïeule était
« la dernière représentante d'une vieille famille parlementaire de
' Sur les manuscrits de M. Dupont-Do ville, conseiller au parlement de
Remies, relatifs à la Réformation de la noblesse de 1668, etc., qui sont aux
archives de la Loire-Inférieure (tome n folio 3og), se trouve une note ainsi
conçue : « Le Ray du Fumet anobly par lettres enregistrées le 7 mars xTSg. »
s Puis intendant de Thôtel royal des Invalides
'En 186 a, M. A. Yillers, directeur du musée de Blois, a publié une notice sur
Nini, inUtulée : Jean-Baptiste Nini, ses terres cuites. Elle est résumée dans
le premier supplément du Grand Dictionnaire de Pierre Larousse, p. 11 18.
Nini était né en Italie vers 17x6 et mourut à Chaumont-sur-Loire en 178e, Ses
médaillons sont de petits chefs-d'œuvre.M™* veuve Armand Guérand, née Yéron,
en possède deux charmants, Tun en bronze de J.-Z>. Leray de Cfuiumotvt,
intendant des Invalides, et l'autre en terre cuite, de sa femme Thérèse
Jogues, daté de 1776.
ET LE RAY DU FUMET 203
« Provence, les Thomassin, marquis de Saint-Paul. Le fils unique
« de ce mariage, M. Charles Le Ray de Chaumont, comte de
« Saint-Paul, a épousé en 1867 M"* Diane Feydeau de Brou, fille
€ unique du marquis de Brou, de la maison de l'intendant de Bre-
f tagne, qui a donné son nom à Tile Feydeau (Notes de MM* de
« Bondy, E. de Comulier, etc.). M. de Courcy attribue à tort le
« maire de Nantes et la terre du Fumet aux Le Ray de la Mori-
« vière ; ce magistrat appartient aux Le Ray de la Rairie de
#( Ghaumont, etc. , ainsi que le démontrent les armoiries qu'il
« portait et nos propres recherches. »
Parmi les signataires de la célèbre protestation adressée à Louis
XVI contre ses ministres par la noblesse de Bretagne le a6 mai
1788 pour défendre les libertés de la patrie bretonne, figure un Le
Ray du Fumet. G'est/selon toute son apparence, Jean-Baptiste, fils
du maire de Nantes, qui vivait encore dans cette ville en i790,disent
MM. A. Pertfauis et de la NicoUière.
On voit par ce qui précède que Jacques Donatien Le Ray de la
yClartais, propriétaire du château de Chaùmont-sur-Loire et inten-
dant des Invalides, était un homme fort intelligent 6t ami des arts.
H avait épousé M^'* Thérèse Jogues, ainsi que cela résulte d'un
acte de baptême inscrit sur les registres de la paroisse Saint-Nicolas
de Nantes, le i5 mars 1762/ et dont voici la copie :
« Le quinze mars mil sept cent cinquante-deux a été baptisée en
t cette église par moi vicaire soussigné, Thérèse-Alexandrin'e, née
« de ce jour, fille de messire Jacques-Donatien Leray, chevalier,
a seigneur^u comté-baronnie-chatellenie de Chaumont-sur-Loîre,
» Rilly, Veuveneuvés, la Pinière et autres lieux, et de dame Thérèse
« Jogues, son épouse, demeurant Porl-au-Vin. Ont été parrain,
« écuyer René-François Leray, sieur de la Clartais, chevalier de
u l'ordre de Saint-Michel, représentant noble homme Alexandre
u Jogues, tous deux ayeuls de la baptisée, et maraine, dame Fran*
« çoise Bouvet, épouse dudit sieur René-François Leray, aussi son
tt ayeuld, qui signent avec nous et le père présent.
« (Signé) Françoise Bouvet-Leray — Leray de la Clartais —
€ Leray de Ghaumont — Collet, vicaire. »
Une autre fille de J.-D. Le Ray de Ghaumont et de Thérèse Jogues
204 NOTES SUR LES FAMILLES LE RAY DE LA CLARTAIS
naquit à Orléans. Elle sô nommait Marie- Françoise. Elle épousa le
lo décembre 1887, après la mort de son père, François Vérondu
Verger, sieur de Forbonnais, publiciste, inspecteur général des
monnaies, qui fut membre de l'Institut (Voir la Revue des provinces
deVOaest, année i858, page Sag, article de M. P. Levot).
Le fils de Jacques-Donatien Le Ray, qui avait passé aux États-
Unis pendant la Révolution, probablement attiré par le souvenir
de Franklin, essaya^ dit le Grand Dictionnaire de Pierre Larousse
(article Chaumont-sur-Loire), a de fonder sur les bords de l'Ohî»
« une colonie à laquelle il donna le nom de . Chaumont. Pendant
(( son absence. M"""* de Staël, liée avec lui et avec sa famille par des
c relations d'affaires et, d'amitié, vint s'installer à Chaumont alors
« que, poursuivie par le despotisme ombrageux de Napoléon, elle
« reçut Tordre de quitter Paris. L'illustre exilée ne tarda pas à être
« entourée dans sa retraite d'une petite cour d'amis et d'admira-
€ teurs où brillaient au premier rang Benjamin Constant, Prosper
« de Barante, les comtes de Sabran et de Salaberry, le duc Mathieu
tt de Montmorency, et cette charmante M°^* Récamier, qui apprit d^
tt l'auteur de Corinne l'art de présider à un salon et d'y réunir les
« hommes les plus opposés d'esprit et d'opinion. Mais quels que
« fussent les agréments qu'elle trouva dans le séjour de Chaumont,
« M"»* de Staël regrettait toujours Paris. Un jour' que Benjamin
« Constant lui faisait admirer le magnifique panorama qui se dé-
(( roule au pied du château : « J'aime mieux, lui dit-elle, le ruis-
« seau d'eau noire et bourbeuse que je voyais à Paris couler sous
"K mes fenêtres que cette Loire avec ses ondes claires el limpides. »
Touchard-Lafosse, dans son ouvrage La Loire historique (t. 3,
pages 809 et suivantes, édition de i843)^ raconte d'une façon assez
piquante l'arrivée de M*"' de Staël à Chaumont :
u Au moment de* la Révolution, dit-il, la terre de Chaumont
« appartenait à M. Le Ray, qui en avait joint le nom au sien. Ce
« gentilhomme a laissé dans le pays le souvenir le plus honorable
a de ses bontés et de sa bienfaisance, a Tous ses vassaux sont à
c leur aise, écrivait Foumier en 1786, et bénissent tous les jours
« le seigneur sous lequel ils ont le bonheur de vivre. »
« Durant les jours où toute noble tête était menacée, M. Le Ray
-jpfKirr' î' r
ET LE RAY DU FUMET 21b
(( se fit industrie], il donna de l'extension à une faïencerie et à
« une poterie qu'il avait fondées précédemment et qui existaient
« encore en 1811.
« Vers 1808, et tandis que M. Le Ray était aux Etats-Unis d'A-
ce mérique, le château de Ghaumont reçut une hôtesse illustre ; la
tt manière dont elle y fut introduite est assez curieuse pour être
• citée.
« H""* la baronne de Staël ne fut pas toujours l'ennemie de Na-
« poléon, loin de là. M. le comte de Nacbonne, qui avait bien
« quelque expérience des excentricités poétiques de l'auteur de
« Corinne, nous disait un jour à Moscou : L'admiration que le
u grand homme inspirait à cette dame était si expansive au début
« de sa glorieuse carrière, qu'il en vint à redouter les invasions de
« sa tendresse beaucoup plus que les attaques de Wurmser et
« d'Alvinzy. » M"* de Staël avait porté un sceptre orné de myrtes et*
« de roses sous la monarchie constitutionnelle de Louis XVI,
«< sous le Directoire exécutif. A ces deux époques, des guerriers,
« des hommes d'Etat, des publicistes, des représentants de la na-
« tion, avaient pris * à son petit lever^ quelquefois auparavant, le
« mot d'ordre de leur conduite politique ; elle se flatta un moment
« que Napoléon agirait de même. Il fallut renoncer à cet espoir ;
« alors la fille de Necker devint hostile au premier consul, à l'em-
" pereur; elle se fit exiler à une certaine distance de Paris, puis
« hors de France.
u Revenue d'un premier exil et roulant en poste sur la levée qui
u borne la rive droite de la Loire, elle fit arrêter son postillon
« pour admirer le château de Ghaumont^ masse imposante qui, se
« détachant sur un massif de verdure, attirait le regard et corn-
« mande la rêverie à l'esprit.
« — Postillon, voilà un superbe château.
M — C'est ben vrai tout de même, madame.
« — A qui appartient-il?
tt^ AM. Le Ray de Ghaumont... un ci-devant, mais bon
« comme le bon pain, le bienfaiteur du pays, quoi.
(( — Postillon, mon voyage est fini pour le moment.
« — Je croyais que madame allait à Tours et nous ne sommes
( qu'à Onzain.
206 NOTES SUR LES FAMILLES Lt: R.VY DE LA CLARTAIS
r
« — J'ai changé d'avis.
« A ces mots, M** de Staël sauta de sa chaise de poste, la fit re-
c miser dans une maison voisine, demanda un hatelet, se fit passer
« à Ghaumont et se rendit directement au château.
(( Nous avons dit que le propriétaire de ce heau domaine était
« alors aux Etats-Unis ; la noble aventurière s'adressa au régisseur
c ({ui« si nos renseignemmts sont exacts, était le maire actuel de
i< la commune.
— « Monsieur , le château de Ghaumont est un monument
a magnifique et sa situation est ravissante.
« — Madame, c'est l'opinion de tous ceux qui l'ont visité .
« — Us ont dû vous exprimer leur admiration ; moi je viens
(c vous prouver la mienne ; je m'établis au château.
« — Madame ma tait l'honneur de me dire . . . . ,
« — Que je m'établis au château.
« — Madame est ime parente de M. Le Ray ?
« — Non, monsieur.
(( — Une amie de sa famille, sans doute ?
« — Pas davantage ; je n'ai même jamais eu J 'honneur de ren-
a contrer M. Le Ray dans le monde... Mais on me nomme la bâ-
ti ronne de Staël... et je suis la fille de Necker.
« — Oh ! Madame, fit l'intendant, qui n'avait point oublié celui
(( que le cardinal de Loménie nommait l'honmie de l'opinion...
« Or, M"^* de Staël, ayant pris ce oh ! pour un témoignage d'as-
(( sentiment, s'avança dans les appartements, ouvrit les persiennes
(f des croisées donnant sur le cours de la Loire, et, s'étant arrêtée
« dans une chambre qui lui convenait^ elle reprit : Je serai bien ici.
« — Mais, Madame; c'est l'appartement de M. Le Ray, et nous
« l'attendons.
« — Je le lui rendrai à son arrivée, si, contre mon attente, il
0 n'était pas assez galant pour me le laisser... Mais c'est peu pro-
c bable, ajouta la baronne en redressant sa coiffure devant une
(' glace.
u Que pouvait faire l'intendant? On n'envoie pas chercher les
« gendarmes pour chasser de vive force la fille d'un grand nû-
« nistre, la femme d'un ancien ambassadeur qui s'appelait ilfa^/iii^.
-... AT^rii^-- >
ET LB RAY DU FUMET 207
« Il autorisa le séjour plus que militaire de M""** de Staël et fut
« approuvé au retour par son patron. Si^' la noble exilée se fût
« bornée à s'abandonner aux plus doux penchants de son cœur,
(' si elle n'eût écrit de Chaumont que des protestations de tendre
« attachement au tribun Benjamin Constant, il est probable que
a le duc de Rovigo, ministre de la police, eût fait semblant d'où-
« blier cette dame aux bords de la Loire. Mais elle s^efiorça de re-
a nouer le fil rompu de ses intrigues politiques ; ses amis vinrent
« la voir à Chaumont ; leur affluence fut grande et incessante. On
« vit presque se renouveler à cette époque, sur la rive gauche de
« notre grand fleuve, la cour voyageuse qui, durant le siècle pré-
ft cèdent, visitait le duc de Ghoiseul exilé à Chanteloup. L*empe-
« reur apprit qu'on délibérait hostilement dans le vieux manoir
« des sires d'Amboise ; M""*^ de Staël dut s'en éloigner et se fixer
« un moment chez M. de Salaberry au petit château de Fossé. Par
« un mode de transmission qui nous est inconnu, Chaumont
« passa delà famille Le Ray dans celle de M. d'Etchegoyen. »
Quand le fils de Madame de Staël édita les Œuvres complètes de
sa mère, en 183 1, il mit en tête de Touvrage qui a pour titre Dix
années (texil, un avertissement où il expose les faits d'une autre
manière :
« Elle alla, dit-il, s'établir près de Blois dans le vieux château de
(( Ghaumont-sur-Loireque le cardinal d'Amboise, Diane de Poitiers,
> Catherine de Médicis et Nostradamus ont jadis habité. Le pro-
c priétaire actuel de ce séjour romantique, M. Le Ray, avec qui mes
a parents étaient liés par des relations d'affaires et d'amitié^ était
a alors en Amérique. Mais, tandis que nous occupions son châ-
« teau, il revint des Etats-Unis avec sa famille, et quoiqu'il voulût
« bien nous engager à rester chez lui, plus il nous en pressait
« avec politesse, plus nous étions tourmentée de la crainte de le
(( gêner. M. de Salaberry nous tira de cet embarras avec la plus
« aimable obligeance en mettant à notre disposition sa terre de
« Fossé. >>
Dans le Nobiliaire et Armoriai de Bretagne par M. Pol de Gourcy
(a"** édition 1862, tome a"', page 3a4), on trouve sur la famille
Le Ray l'article suivant :
•^rr.l
%08 NOTES SUR LES FAMILLES LE RAY DE LA CLARTAIS
« Ray (Le), sieur de la Raine, paroisse du Pont-Sain t-Hartin, ^
« des Rambergères, paroisse de Saînte-Pazanne, — de la Glartais, —
« de Chaumont-sur-Loire, — de Saint-Même» paroisse de ce nom.
« D'argent au chevron de gueules, accompagné de deux étoUes de
(( sable en chef et d'une raie dans une mer de même en pointe.
a Deux secrétaires du roi en 1735 et 1783, un grand maître des
c eaux et forêts de Blois en 1766.
« Un membre de cette famille a été substitué de nos jours au
(( nom et armes de Valory. »
Maintenant comment l'amiral Théodore Le Ray^ dont la statue
orne les quais de Pomic, se rattachait-il aux Le Ray de la Glartais
et du Fumet ?
Voici son acte de naissance :
c( Extait des registres des naissances de la ville de Brest, dépar-
« tement du Finistère pour Tan quatre (1796) f* 46 v*. Du vingt-
ci troisième jour du mois de brumaire, l'an quatre ou mil sept
« cent quatre-vingt-quinze (quatorze novembre), à quatre heures
« du soir^ est comparu en la maison commune de Brest par devant
« moi Joseph-Marie Sorio, officier public, Julien Le Ray, capitaine
c de vaisseau, domicilié sur cette commune, première section,
« assisté de André DurviUe, ex-accusateur militaire, domidlié pre-
€ mière section^ et Julien Martinière, commerçant, domicilié sus dite
« section, lequel m'a déclaré que Jeanne Le Ray, son épouse en
<i légitime mariage, est accouchée ce jour, à quatre heures du matin,
« en son domicile, d'un enfant mftle auquel ont été donnés les
« prénoms Théodore-Constant ; d'après cette déclaration et la pré-
« sentatîon de l'enfant, j'ai, en vertu des pouvoirs qui me sont
« délégués, rédigé le présent acte que le père et les témoins ont
« signé avec moi.
' « Constaté suivant la loi par nous Joseph-Marie Sorio, adjoint
« faisant les fonctions d'officier public de Tétat civil soussigné,
« après lecture donnée. Signé : Le Ray, Durville, Martinière et
« Sorio. »
Ainsi Tamiral Théodore Le Ray était fils de Julien Le Ray et de
Jeanne Le Ray, qui s'étaient mariés à Pornic le 17 octobre 1786.
Jeanne Le Ray avait pour père Honoré Le Ray, capitaine de na-
^ <
ET LE RAY DU FOMET 20a
vire à Pomic, frère de Jean Le Ray et de Marie-Anne Le Ray-
Hilleret ma bisaïeule. Sa mère se nommait Jeanne Guichard*
On a vu que Jean Le Ray maria sa fille Marie- Anne à Alexandre-
Emmanuel Perrin de la GourbejoUière, le 27 avril 1779, et qu'au
contrat signèrent plusieurs membres de la famille Le Ray du
Fumet, ce qui indique une parenté entre cette famille et Jean Le
Ray, dont l'autre gendre Augustin Gharet, depuis son mariage,
se faisait appeler Gharet de la Glartais.
Julien Le Ray, père de Tamiral Théodore, était fils de < noble
homme Pierre Le Ray de la Rochandière' » , capitaine de navire, et
de Renée Daviau.
U parait que Julien Le Ray, capitaine de vaisseau au moment de
la naissance de son fils Théodore (1795)^ devint plus tard contre*
amiral, car je lis dans un article de M. Emile de la Bédollière, pu-
blié par le journal Le Siècle et reproduit par le Courrier de Nantes
du jeudi 6 septembre i855, à l'occasion de Tinauguration de la
statue, œuvre du sculpteur Âmédée Hénard : « G'était un homme
« digne des honneurs posthumes que Théodore-Gonstant Le Ray,
(c qui, fils du contre-amiral Le Ray, suivit si noblement les traces
< de son père.
tt Mousse en i8o4, à Tàge de neuf ans, aspirant de marine en
« i8ia, lieutenant de vaisseau en i8a3, Théodore-Gonstant Le Ray
« fut pendant la campagne de la Grèce chef d'état-major de l'ami-
« rai de Rigny et y fit preuve d'une haute capacité comme militaire
« et comme marin. Gapitaine de frégate après cette guerre^ il fut
« chargé de missions diplomatiques importantes. U conquit le
« grade de contre-amiral en contribuant à la prise de Bougie,
« en montant un des premiers sur les remparts de Vera-Gruz,
a en bloquant Tunis à la tète d'une division navale. L*amiral
« Le Ray avait été envoyé à la Ghambre* de i836 par le collège
« électoral de Paimbœuf, et il fut réélu & la presque unanimité
« en i84i et i842. Deux fois meniibre du Gonseil général de la
« Loire-Inférieure, il y soutint les intérêts du département avec
* La Rochandière est une terre située dans la paroisse de Sainte-Marie, près
Pomic.
Tome ix. — Mars iSqS. i4
1
210 NOTES SLU LES FAMILLES LE RAY DE LA CLARTAIS
« le même zèle qu'il avait apporté aux affaires publiques. Ainsi
« la marine, la guerre, la négociation, l'administration, les travaux
r
« législatifs occupèrent cette existence qui, commencée le i3
t( novembre 1796, s'ëteignil prématurément le a3 avril 18Â9. ^
Tbéodore Le Ray, qui avait échoué aux élections législatives de
i846, était sur le point d'obtenir un siège à la Chambre des Pairs
quand éclata la Révolution de i848. On peut lire à ce sujet une
lettre qu'il écrivait de Paimbœuf le 4 août i846.à H. Guizot, mi-
nistre des afTaîres étrangères, dans la Revue rétrospective qui parut
peu après cette Révolution.
Il avait épousé M'^* de Roussy, sœur d'un conseiller dTtat, di-
recteur général de la comptabilité publique ; elle devint sous l'Em-
pire surintendante des maisons de la Légion d'honneur.
Le musée de Nantes possède le portrait de l'amiral Le Ray par
Alexis Pérignon, et la Biographie bretonne de Levot contient sur lui
une notice exacte, mais incomplète. Dans V Illustration du 2 juin
1849 ^^ trouve aussi son portrait avec une biographie composée de
notes écrites par lui-même quelque temps avant sa mort. Le même
journal, lors de l'inauguration de sa statue à Pornic, qui eut lieu le
19 août i855, publia une gravure représentant la fête, mais accom-
pagnée d'indications erronées.
L'amiral Le Ray aimait beaucoup le pays de Retz d'où sa famille
était originaire, et il y avait une maison de campagne nommée
Ghanteloup, dans la commune de Saint-Michel-Ghef«Chef. Il y
passait l'été depuis qu'il avait renoncé à la marine pour se con-
sacrer à la politique. Son petit-fiis, M. Le Ray d'Etiolles, a vendu
cette terre récemment.
M. Emile Maillard d'Ancenis, dans son livre intitulé Nantes et
le département au XIX* siècle, page 91, dit que l'amiral Théodore
Le Ray avait pour frère le poète Antoine Le Ray, né à Nantes le
16 mai 1800. Guépin, dans son Histoire de Nantes (page 576) et
F. Piet, dans ses Mémoires sur la vie et les ouvrages d'Edouard
Richer (pages 296 et suivantes du tome i*' des Œuvres littéraires
d'Edouard Richer), en parlent comme d'un jeune homme très dis.
tingué, et ses amis lui firent élever en 1829, ^^ cimetière de Misé-
ricorde, à Nantes, un tombeau monumental terminé par une py-
e urne de bronte
Antoine Le Ray
l'avait que deux
[787, et Adélaïde
I9, et dont mon
i s'est mariée au
îkt, à dis heures
officier de l'état
lier de la Légion
nt, cirier, âgé de
Te- François Gai-
urant rue Clavu-
beures du soir, le
e vingt-neuf ans,
Ray et de dame
de sa mère, sise
ts ont signé avec
au registre : Gai-
anne Monier, ne
lay, fils de Julien
1 cousin, comme
1 père de l'amiral
:t le i3 décembre
li.
généalogies com-
nsîdérables sens
: des souvenlrB
paru mériter nn
le de Pomic, en
onzée de l'amiral
sur son épée, en
lay, aujourd'hui
CONTES DE LA HAUTE-BRETAGNE
II
LE DIABLE ET SES HOTES
I
MADEMOISELLE LA NOIRE
Il y avait une fois un quartier-maitre qui était fort à son aise :
il n'avait qu'un fils, et quand il fut obligé de s'embarquer pour le
service^ il lui dit : — Je te laisse le maître à la maison, fais bien
attention à ne pas dépenser mal à propos Targent que j'ai eu
tant de peine à gagner.
Le fils du quartier-maître promit à son père d'être ménager, et
il tint d'aboixl sa parole ; mais un jour qu'il s'ennuyait, il rencontra
un homme qui lui proposa de faire une partiede cartes. Us jouèrent
d'abord de petites sommes que le jeune homme gagna, puis ils
s'échanflèrent, firent des enjeux plus gros, et comme la chance
avait tourné, il perdit tout l'argent de son père, et fut réduit à de-
niander la charité pour vivre.
Un jour il rencontra un monsieur qui lui dit :
— Qu'as^u à être triste ?
— J'ai joué aux cartes et j'ai perdu : toute la fortune de mon
père y a passé, et il me grondera bien fort quand il sera de retour.
1\'t CONTES DE L\ HAUTE-BRETAGNE
— Si tu veux, dit le monsieur, venir avec moi pour un an et
un jour, je vais te la rendre.
— J'y consens, répondit le jeune homme,
— Eh bien, dit l'homme enlui remettant une bourse bien garnie,
dans un an et un jour, tu viendras me chercher à la Montagne verte.
•
Quand le quartier -maître fut de retour, il trouva sa fortune
intacte, et il dit à son fils :
— Tu f es bien conduit, et tu n'as guère dépensé.
— C'est, répondit le fils, que j'avais du chagrin de ne plus te*
voir. Mais j'ai promis à un monsieur d'aller passer avec lui un an
et un jour.
— Vas y, puisque tu as promis, répondit son père.
Le jeune homme se mit en route : le voilà parti loin, bien loin.
Quand il eut beaucoup marché, il rencontra une vieille bonne
femme et lui dit :
— Savez-vous, où est la Montagne verte ?
— Oui, répondit la vieille, c'est sur elle qu'est la^maison de
Tribe-le-Diable et elle est à six cents lieues d'ici.
Il marcha encore, et, après plusieurs jours de roule, il fit encore
la rencontre d'une vieille femme, à laquelle il demanda s'il était
éloigné de la maison de Tribe-le-Diable.
— Elle est à quatre cents lieues d'ici, répondit la vieille.
A force de marcher, le jeune garçon fit beaucoup de chemin, «t
arriva à la maison du diable qui lui dit :
— Te voOà, mon garçon : si tu accomplis les trois épreuves que
je vais te donner, tu auras une de mes filles en mariage ; mais si
lu n*en viens pas à bout, tu seras tué. . . .
— Quels sont ces travaux P demanda le jeune homme.
Tribe-le-Diable mit un coq dans le haut d'un arbre :
— Voilà, dit-il, un coq qu'il faut que tu altrappes ^ns te servir
de gaule, ni de fusil, et «aps grimper après l'arbre, mais tu pourras
te servir de l'échelle qui est posée" à terre,
CONTES DE LA UAUTE-BRETAGN^ 215
V
Le jeune garçon était bien embarrassé, car l'échelle était toute
petite et n'arrivait pas au tiers de la hauteur, et il se mit à réfléchir
sans pouvoir découvrir le moyen de venir à bout de cette entreprise
difficile. Une des fliles du diable, qui se nommait la Noire, vint le
voir, et lui dit :
— Quelle est l'épreuve que mon père vous a imposée 1^
— Il m'a ordonné de prendre le coq qui est dans le haut de cet
aibre^ sans monter à l'arbre, et sans me servir de fusil.
— Tu vas, dit la Noire, me tirer tous mes os, et les mettre les uns
sur les autres ; ainsi tu arriveras au haut et avec uq bâton tu frap-
peras le coq ; il faudra que tu aies bien soin de ramasser ensuite
tous mes os.
Le jeune homme fit ce que la demoiselle lui avait ordonné, et il
attrapa le coq, mais oublia de ramasser un des doigts de pied qui
fut perdu.
— C'est bien, lui dit Tribe- le- Diable, tu as encore deux autres
choses à faire : pour commencer tu vas planter une épingle dans le
tronc d'un chéne^ et tu seras à plus de trente pas de l'arbre.
Voilà le garçon bien embarrassé. La Noire vint encore à son
secours :
— Je vais, dît-elle^ te donner un pistolet ; tu feras entrer
répingledans un de mes os, tu mettras l'os dans le pistolet, et en
tirant tu atteindras l'arbre.
— Maintenant, lui dit le diable quand il vit l'épingle piquée
dans l'arbre, il faut que tu attrapes un louis d'or qui est dans
le haut d'un chêne, et quand tu l'auras, tu t'envoleras.
La fille dit au fils du quartier-maitre :
— Tu vas prendre mes os et les mettre bout à bout, et, quand,
tu auras pris le louis d'or, tu te tiendras sur mes os^ et tu t'envo-
leras avec.
Lorsque la troisième épreuve eut été accomplie, la Noire dit au
fils du quartier-mailre.
— Rends-moi tous mes os, et fais bien attention à n'en perdre
aucun.
Il les ramassa tous, mais il eut beau chercher, il ne put trouver
le petit doigt de pied.
Le diable, voyant que les épreuves était accomidiea, banda les
yeux au jeune homme et lui dit de choisir enta« ses deux filles qui
étaient habillées pareillement et avaient la figura voilée. 1« garçon
leur tàta les pieds, et il choisit celle i qui manquait un doigt .
Cependant la Noire dit à son mari :
— U nous faut partir ; car mon père et ma mère vont vouloir te
tuer parce que c'était ma soeur qu'ils voulaient te donner.
lisse mirent en route, et la femme dudiable alla à leur poursoite.
Quand la fille vit paraître de loin sa mère, elle dit :
— Que je sois changée en église, et toi en prêtre.
La Temme du diable entra daas l'église, et dit :
— Vous n'auriez point vu passer par ici M'" la Noire avec un
jeune homme ?
— Dominus vobiscum, répondit le prêtre.
- La femme du diable retouraa à son mari :
— Les as-tu vus ? demanda-t-il.
— Non, je n'ai rien vu qu'une église et un prêtre à l'auld.
— C'étaient eux, dit le diable ; retourne les chercher.
Cependant la Noire avait repris sa lorme naturelle, «on mari
aussi, et tout en fuyant elle lui disait :
— Regarde bien ; ne vois-tu rien ?
— Si, j'aperçois une grosse fumée.
— C'est le diable ou sa femme ; je vais me changer en caue et
loi en canard, et nous allons barboter dans le ruisseau.
Quand la femme du diable arriva au ruisseau, elle dit : .
— Vous n'avez pas vu par ici M"* la Noire et sou mari î
— Quand ! quand I quand ! répondirent les canards.
La femme retourna 1 iàa mari, et lui dit :
— Je n'ai encore rien vu, qu'un canard et une cane.
— C'étaient eux, dit le diable ; retourne à leur poursuite.
La Noire et son mari avaient repris leur première forme ; elle dit
à son mari tout en fuyant :
f *
CONTES DE LA HAUTE-BRETAGNE 217
— Regarde bien ; que vois -tu ?
— Un nuage de poussière.
— Eh bien I je vais me chauger en maison, et toi en maçon ^
tu vas me couvrir de mortier.
— Maçon, n'avez-vous point vu M"* la Noire et son mari?
— Donnez-moi du mortier, répondit le maçon.
— Les avez-YOUs vus ?
— Je suis à travailler ; au lieu de me parler, donnez-moi du
mortier* .
Elle revint trouver le diable et lui dit :
— Je n'ai rien vu qu'une maison en construction, et un maçon
qui demandait du mortier.
— C'étaient eux,dit le diable; retourne et tâche d'être plus fine.
— Regarde bien, disait la Noire à son mari en fuyant ; ne vois-
tu rien ?
— Si, je vois une grosse poussière.
— Je vais me changer en poule et toi en coq.
— N'avez-vous point vu M'^* la Noire et son mari P leur demanda
la femme du diable ?
— Cocolico I répondit le coq.
La fenmie retourna et dit à son mari :
— Je n'ai rien vu, qu'une poule et un coq.
— C'étaient eux, dit le diable : es-tu sotte I retourne bien vite.
Elle courut, et la Noire et son mari fuyaient :
— Regarde bien, continua la Noire, ne vois-tu rien venir ?
— Si, je vois un gros tourbillon.
— Je vais me changer en ourse et toi en lion, dit«elle.
Quand la femme du diable arriva, elle dit :
— Vous n'avez point vu M^^* la Noire et son mari ?
— Dans mon ventre, s'écria l'ourse ; elle et le lion se jetèrent sur
la fenmie du diable et la dévorèrent, et je pense qu'ils se sont
sauvés.
(Conté en 1880 par François Marquer, de Saint-Cast, mousse âgé
de iU ans.)
218 COMTES DE LA HAUTE-BRETAGNE
II
LA FILLE DU DIABLE
Il était une fois un garçon qui allait voir les filles ; un jour
il rencontra 8ur sa route un crapaud qui lui barrait le passage
et qui ne se dérangeait pas ; il entra dans le champ et vit devant
lui une châsse (bière) ; il se détourna encore, et sur le nouveaa
sentier qu'il prit se montra un corps mort qui se tournait toujours
devant lui quand il voulait marcher. Il revint sur ses pas et raconta
à sa mère ce qu'il avait vu ; elle lui conseilla d'aller à confesse ; le
prêtre lui dit :
— Tu as bien fait de ne pas essayer de passer ; car fuserais mort.
Malgré que le garçon eût eu grand peur, il retourna voir les
filles ; dès qu'il fut sorti de chez lui, le crapaud s'élança sur ses pas
et il le suivait toigaurs ; au bout de quelque temps il se transforma
en chien, puis le chien devint un singe et le singe un homme qui
se mit à marcher auprès de lui et lui dit :
— Pourquoi vas-tu voir les filles dans cette maison ? Il ne faut
pas y retourner; viens plutôt avec moi faire une partie de cartes.
Le garçon suivit l'homme et ils jouèrent ensemble; mais l'homme,
qui était le diable gagnait toujours, et il finit par lui enlever tout ce
qu'il possédait, et même une somme si forte que jamais le garçon
n'aurait pu la payer.
Comme il se désolait, le diable lui dit :
— Je ne te demande rien, et si dans trois mois tu v«ttx venir me
voir, je te donnerai autant d'argent que tu pourras en emporter.
Au bout de trois mois le garçon alla à l'endroit que la diable lui
avait indiqué.
^^ Vous voilà, dit le diable^ je vois que vous êtes de parole ;
mais avant d'emporter l'argent et de sortir d'ici, 0 vous faut
éteindre le feu de ce brasier avec cette baguette.
Il laissa auprès du brasier le pauvre garçon qui se désolait.
CONTES DE LA HAUTE-BRETAGNE 219
La fille du diable vint le voir et lui dit :
~ Pourquoi restez-vous là à rien taire ?
— C'est, répondit-il, que je ne sais comment m'y prendre pour
éteindre ce brasier avec cette gaule.
— Ah ! malheureux, lui dit-elle ; si vous ne le faites pas, mon
père va vous tuer. Mais je vais vous aider ; vous allez me saigner,
Youfl creuserez le bout de votre baguette et avec mon sang que
vous mettrez dedans vous éteindrez le feu.
11 creusa le bout de sa gaule, saigna la fille du diable, et.avec son
sang il éteignit le brasier, puis il mit le bout de sa gaule aboucher
le trou de la saignée.
Il alla chez le diable lui dire que son ouvrage était fait.
~ Tu as encore, lui répondit le diable^ deux épreuves à subir;
si tu en viens à bout, je te donnerai une de mes filles. Maintenant
il faut que tu épuises toute Teau de ce grand étang sans te servir
d'aucun vase.
Le diable laissa sur le bord de Fétang le jeune garçon qui se
dépitait encore plus que la première fois. La fille du diable vint le
voir et lui :
— Ah ! malheureux, vous restez là sans rien faire ! Si votre tâche
n'est pas accomplie, mon père vous tuera. Mais je vais vous aider.
Tuez le premier cochon que vous rencontrez, enlevez^ui la vessie^
et mettez-la dans l'étang ; toute Teau qui s'y trouve y viendra, et en
peu.de temps il sera à sec.
Le garçon fit ce qui lui était recommandé^ et, sa besogne finie,
il vint trouver le diable qui, voyant l'étang à sec, lui dit :
— Tu es sorcier, mais voici la troisième épreuve qui est plus
difficile que les autres. Voici des haches ; tu vas abattre tous les
arbres de la forêt et construire un navire.
Le garçon aUa à la forêt, mais les haches étaient en verre, et elles
se brisaient au premier coup ; il vint en demander d'autres au
diable qui lui donna de nouvelles haches en lui disant :
— Si tu ne construis pas le navire, ta mort est au bout.
Il cassa encore ces haches, et il s'assit sur une bûche de bois,
bien désolé. La fille du diable vint le voir et lui dit :
-^ Ah ! malheureux, vous ne faites rien ; mon père vous tuera ;
TREGUIER ET TREGASTEL
M. l'abbé Guy omard, premier vicaire delà cathédrale deTréguier^
vient d'être nommé recteur de Trégastel, près de Lannion, Nous
envoyons nos sincères félicitations au recteur de TrégasteU l'ai-
mable introducteur des pèlerins^ à Finauguration du tombeau de
saint Yves. Trégastel est une paroisse de choix» un pays incompa-
rable. Les touristes bretons ont tous visité ses grèves pittoresques,
ses grottes merveilleuses^ ses riches calvaires. Caché dans les bois,
le bourg domine la grande mer. Sa gentille église gothique est
toute pieuse.
Mais nous regrettons le départ de M. Guyomard de Tréguier.
Nous aimions à le retrouver près du tombeau de saint Yves, dont
il fut le dévot fervent et actif. Le Roitelet Va chanté avec son cœur.
Son gwerz nous rappelle doucement les jours du grand pardon de
Tréguier. On le chantera longtemps à Trégastel.
,"î#T
TRÉGUIER ET TRfiGASTEL
29 JANVIER 1693
W*W«^k^t^^^r^'^r^F«^«^h^i^
A M. Guyomard^ mon confrère, vicaire à Tréguier, aujourd'hui
recteur à Trégaslel. — Ce ^a;6rz a été chanté devant les Trégastelins.
Vieux airs adoptes par P. Briatcd.
Adieu donc» Tréguier, ô ville bénie, cité d'Yves et de Tudvval,
bâtie au bord de la mer ! Adieu, terre sainte, qui vis passer les
vieux saints de ma Basse-Bretagne que j'aimerai toujours. —Adieu
donc, Tréguier, adieu, église cathédrale i Aussi belle pour mol,
on ne vit jamais : dentelle vos murs, denteUe vos tours ! Sous vos
nefs j'ai souvent prié, comme on prie dans les cieux. — Adieu,
tombeau de saint Yves, fait d'or et de larmes I Je ne verrai plus
sur vous, souriant à la mort, je ne verrai plus mon saint chéri,
souriant comme autrefois, quand la mort le vint prendre au
manoir de Kermartin. — Adieu donc, Tréguier, cité épiscopale I
Sous le toit de ton saint curé, j'avais retrouvé ma maison^ la
maison d'un père et d'un^mi, comme on n'en trouve plus.
Aujourd'hui l'on est sans cœur pour les petits. — Adieu donc,
Tréguier^ et vous Trécorrois I Je vous aimais avec mon cœur et ne
m* en lassais pas. Deux choses, les meilleures, pour vous j'ai dési-
rées: sagesse en ce monde et joie en paradis ^^— Adieu donc,
Tréguier, adieu^ pardons ! Beaux pardons de saint Yves, avec leurs
processions. Je n'entendrai plus les saints (du pays) de Tréguier,
joyeux autour de son tombeau, chanter à saint Yves ses nouveaux
\
TKËGUIER ET TRÉGASTEL 223
\
cantiques. — Adieu donc^ Tréguier, ô cité bénie ! Sois fidèle à tes
prêtres : ils te portent (dans leur cœur). Sois fidèle à tes prêtres et^
un jour viendra, tu seras encore cité épiscopale, comme tu Tétais,
il y a cent ans. — Sois fidèle à tes prêtres, et fidèle à Jésus, et tu
verras accourir bientôt des pèlerins en foule, qui se presseront,
toute Tannée^ autour du tombeau de saint Yves, le plus beau qui
soit en Bretagne. — Toute Tannée, tes cinq cloches fameuses chan-
teront les pèlerins, que le chemin de fer transportera jusque dans
tes murs. Tu seras heureux alors et riche aussi : la crainte de
Dieu iLOus mérite tous les biens.
Du seuil de ma porte^ chez moi, à Plougrescant, j'aperçois
Notre- Dame de la Clarté en sa haute et gentille chapelle. — De la
fenêtre de ma chambre, je vois la demeure de dom Jean, le recteur
de Trègastel. — De la grève, plus loin que Tanvéec (une des Sept-
lle8)jevois blanchir la vague sur les rochers de Trègastel. —
Quand le vent se tait sur les Sept-Iles, j'entends au loin les cloches
de mon ami, qui chantent les liesses de Trègastel. — Je n'oublierai
jamais mon vieux temps de Tréguier î Ma pensée suit de loin le
cher et heureux recteur de Trègastel.
Et alors ma prière s'élève vers Dieu, une prière ardente pour
ceux que j'aimai, pour ceux que j'ai aimé, jusqu'à ce jour, en ma
vie, pour dom Jean, mon ami et votre nouveau recteur. — Et je
dis à Dieu : « Faites que les Trégastelins apprécient le recteur qui
officie en leur église. Difficilement ils en trouveraient un autre
aussi bon, aussi loyal ! Longtemps il fut à Técole d'Yves et de
Tudwal. — On apprend^ à Técole des saints, à aimer ses semblables.
Oh ! si les bonnes gens savaient ce que sont leurs prêtres ; s'ils
voulaient les écouter^ comme faisaient leurs ancêtres, ils auraient
sur terre un avant-goût des joies du paradis.
(Je bois). A votre santé, ami fidèle et joyeux I Soyez toujours
heureux à Trègastel ! Et avec vous les Trégastelins, puisqu'ils sont
des sages, seront longtemps heureux, j'en suis sûr.
RorrELET DE Saint-Yves.
1^
.«
TRÉGUIER ET TRËGASTBL
Kenavo'ta» Landreger, ô kerig vinniget,
Kerig Ervoan ha Tuai, war lez ar mor zavet !
Kenavo, douar santel, a welaz g tremen
Sent koz ma bro Breiz-Izel a garin da vikei^ !,
2%S
KeDavo. 'ta, Landreger, kenavo, iliz vraz 1
Ken kaer ha c'houî evid-on neoe gwelet biskoàz :
Dantelez ho mogerio,. dantelez ho tourio !
Enn hoc'h liez meuz pedet,. vel ma rer enn Envo. .^
j .
Kenavo, be gant Ervoan, gret gant aour ha daero !
Ne welin ken ewar-n-hoc*h o c'hoerzin d'ar maro.
Ne welin ken ma zant kez, vel gwech-all o c'hoerzin,.
Pa dez ar maro d'en klask enn maner Kerverzin.
Kenavo 'ta» Landreger, & kerig eskopti I
Enn ti da berson santel e moa kavet ma zi,
Ti eunn tad hag eur mignon, evel ne gaver ken ;
Breman ouz ar re vian ar c'halono zo eip.
Kenavo 'ta, Landreger, ha c*hoiii> Landregeriz !
Gant ma c'halon ho karenn, hag ho karenn diskuiz.
Daou zra, hag ann daou v^ellan, evid-hoc h meuz goullet :
Fumez ebarz ar bed-man, hag enn Ee joausted.
Kenavo 'ta, Landreger, kenavo, pardonio !
Pardonio kaer sant Ervoan, gant ho frosesiono.
Ne glevin mu sent Treger, joauz enn dro d'he ve,
O kanan da zant Ervoan he gantiko neye.
Kenavo 'ta, Landreger, ô kerig yinniget I
Bez fidel (t'az pelvien, gant-he te zo dougeL
Bez fidel d'az peieien, hag eunn de a vçzo,
E vi c'hoaz ker eiJiLopti, vel ^a^oaz kant la so.
TOME IX. — Mars i8g3
i5
226
TRÉGUlÉa ET TRÉGASTEL
Bez fidel d'az beleien ha fidel da Jezu?.,
Ha hep dale te welo o tiredeg joauz.
Te welo pelerined, enn pad ar bla, eleiz,
Enn dro da ve saut Ervoan, ar c*haeran zo ena Breiz.
Ena pad ar bla e sono da bemp kloc'h ken brudel ;
Ann hent houarn a gaso du ze pelerined.
Neuze te vo pinvidig hag evuruz ive :
Ann oll vado deu bepred war lerc'h doujanz Doue.
AUegro moderalo.
^m
î
?
£
f
« ms-
^^
f
Di - war dreuz ma dor, du - man, en Plou-vous-
î
3
¥
^
f
f
f
kant, Di - war dreuz ma dor du - man, en Plou - vous ; kant.
^
î
i
i
^
^
s
'f
f
t
r
Me wel, me wel —
I - - tron ar Sker - der, ena he
raU.
t
1?;
t
cha - pe--lig koant hag ,huel.
Diwar dreuz ma dor^ du-man^ en Plouvouskant (^ wech)
Me wel, me wel
Itron ar Skerder, edn he chapelig koant
Hag huel.
Douz prenest ma champ, me wel dreist d*ar mor don^
Me wel, me wel,
Me wel ti dom Jann, me a wel ti person
Tregaalel*
TRËGUIER ET TRÉGASTEL
227
Ha diwar ann od, pelloc'h vit Tanvéek,
Me wel, me wel
Gwacho gwenn ar mor o lampet war gei'ek
Tregaatel.
Pa dao aun avel enn dro Seiz Enez,
Me gleo a bell
Kleier ma mignon o kanan levençz
Tregaste).
I^'ankouAin biken m'amzer gox Landreger !
Me zonj a-bell
Em mignon dom lann, breman person seder
Tregastel.
Larghetto.
Ha neu - ze da gad Dou - - é e ka - san
P-J' ■ J:lir7-H-y-iJ-g1^^^^
ma fe - den, £ur be-den a greiz ka--lon vit ar re
r J j' .k\jh-^
^ l c f: Tl
a ga - - renn,
Vit ar re a -meuz ka - ret be -
^^^çà-r^^=m
^^
te hent em bu e,
r p ^
3
E - vit dom Yann ma
^
Bï
I
mi — gnon hag ho per - -^ - son ne - ve.
Ha neuze da gad Doue e kasan ma feden,
Eur beden a greiz kalon vit ar re a garenn,
Vit ar re a meuz karet bete bent em bue,
Evit dom lann, ma mignon hag ho person neve.
22S
TRÉOUIER ET TRÉGASTBL
Ha da Doue e laran : Gret dà Dregasteliz
Goud piou ar person neve a gan enn bo iliz.
Diez e vo d'he kavet ken mad ha kea leal !
Er skol eo bet pell amzer gant Ervoah ha Tuai.
Eu skol ar zent e tisker karet ar gristenieu,
O I ma ouife amdud vad piou eo bo beleîeu,
Ma ouifent senti out-he^ vel ma re ar re goz^
E tanvajent er bed-man joaio ar baradoz.
Allegro.
rfrrj j^^^^ jtt^
D'ho iec' - hed mi - gnon fi - - del, Ha joa -
^
j' J. I r- f I
s
uz I
Bet be - pred enn Tre - gas - tel E - yu -
Tuz ! Ha gan-hac'h tud Tre - gas - tel, Pa nint fur,
M j'
^gs
;' j. I jzj3^^^
A vo e - - vu - ruz pell^ pell, Me zo zur i
Dlioc'b iec'hed, mignon fidel
Ha joauz !
Bet bepred enn Tregastel^
Evuruz !
Ha gan-hac*h, tud TregasteU
Pa nint fur,
A vo evuruz peU, pell,
He zo zur \
LAOU£NA.fIG SaîIT-ErVOAJ^
POÉSIES FRANÇAISES
•«0»-
IDYLLE
■■^<ww<Wiiw»w«"
Parfois, dans le passé je promène mon rêve. ....
Aujourd'hui, j'ai revu sur une étrange grève,
De goémons vêtus ainsi que de toisons,
Des rocs qui ressemblaient, épars, à des bisons,
Tels qu'en découvre au loin, roux écueils des savanes,
La curiosité lasse des caravanes.
Et nous étions venus auprès de ces rochers
Sur For pâle du sable accroupis ou couchés :
A gauche clapotait, dans une passe étroite.
Un bras de mer couleur de jade glauque ; — à droite,
On voyait frissonner sous les baisers tie l'air
Des flots harmonieux de verdure au ton clair :
Châtaigniers, coudriers, bouleaux à branches fines.
Chênes sur les. talus, ajoncs dans les ravines,
Le tout bleui par les diaphanes tissus
De légères vapeurs qui planaient au-dessus.
Nous marchions doucement le long de ce rivage ;
Nos cœurs s'ouvraient au tendre et calme paysage,
Ivres de le comprendre et de s'y reposer :
Tel un être avec qui Ton croit sympathiser.
Et nous entremêlions de lentes causeries
L'essor vague de nos intimes rêveries.
Nous allâmes ainsi^ devisant et songeant,
Jusqu'au bord d'un bouquet de frênes, ombrageant
Une chapelle basse, à clocher granitique,
Au mur couvert de mousse et de lichen antique,
230 IDYLLE
Et qui, dans sa simplesse et dans sa vétusté,
Semblait nous accueillir avec sérénité.
Tout proche, s'écbappant d'une profonde source,
Un ruisselet portait son murmure et sa course,
Parmi les varechs bruns et les galets polis,
Jusqu'à la mer qui l'absorbait dans ses replis ;
Et la source elle-même, entre de hautes pierres,
Où Ton avait taillé des figures grossières,
Bien que limpide, était mélancolique à voir,
Gomme une glace épaisse en cristal sur fond noir.
Arrivés là, disséminés, nous nous assîmes,
Les uns dans le bosquet, les autres sur des cimes
De rochers, — les petits, sur le soubassement
ITune croix où pendait, reproduit gauchement.
Un Christ, de forme grêle et raide, que l'artiste
Avait fait grimaçant, voulant le faire triste.
Hais nous, près de la source installés, souriant,
Dans le miroir des eaux versatile et brillant
Nous faisions apparaître en soudaines images
L'expressive fraîcheur de nos jeunes visages ;
Et nous riions très fort, si, comme on se mirait,
D'un coup de main funeste à l'instable portrait.
L'un ou l'autre agitant la mobile surface
Détirait, contractait et nous brouillait la face.
Puis, lassés de ce jeu, nous reprimes encor
La chère causerie, et nous tombions d'accord
Pour trouver, tous les deux, cette journée exquise,
La plus aimable et la meilleure, à notre guise :
Car tout nous paraissait plus suave ce jour-là.
Le ciel n'avait brillé jamais d'un tel éclat,
Et notre âme, jamais^ de toute notre vie,
D'un transport plus charmant n'avait été ravie !
IDYLLP 2J1
Tout à coup elle prit, on eût dit en tremblant, '
Une très fine aiguille à son corsage blanc.
Une aiguille d acier lumineux, qui scintille,
Luisante entre ses doigts roses de jeune fille
Et, l'abaissant avec un scrupule infini
Sur le miroir des eaux parfaitement uni,
Elle essayait pour voir si Taiguille ténue
En équilibre sur Fonde se fût lenue^
Et levait ses grands yeux de temps en temps vers moi
Qui l'observais, plein de je ne sais quel émoi.
Or, l'aiguille posait presque sur la fontaine....
La jeune fille alors, du succès incertaine.
Osa pourtant làcber les doigts et tout quitter,
Et je crus que la frêle aiguille allait flotter !
Imagination ! — Dès qu'elle fut laissée,
De sa pointe crevant la nappe d'eau blessée.
L'aiguille d'un reflet livide la moira.
Puis, submergée en un clin d'oeil, elle sombra ;
Et tant qu'elle coulait, comme une étoile file
Par la nuit ténébreuse et l'espace immobile,
Elle traçait sous l'onde un sillon de clarté
Qui de la source illumina l'obscurité.
Bientôt tout s'éteignit, tandis qu'elle, confuse,
Et pareille aux enfants ingénus qu'on abuse,
Sur la source tenait son regard attaché
D'un air si morne que je me sentis touché :
a Pourquoi, dis-jfey faut-il vous voir ainsi dolente ?
Assez vite le deuil en nos âmes se plante.
Ne nous attristons point pour d'infimes sujets.
Laissons là votre aiguille et la source de jais ! »
Mais elle, d*une voix grave et toute meurtrie :
« Ne savez-vous donc pas, méchant, qu'on se marie
Dans Tannée, et qu'on a le bonheur assuré
Quand Taiguille sur l'eau mise n'a pas sombré ? »
\
232 IDYLLE
Ellei'dit éf rougit du rouge des cerises
Qu'empourpre le soleil et que frôlent les brisés.
Et ces mots, une fois de sa lèvre gUssés,
Elle e&t voulu ne pas les avoir prononcés.
Pour moi, j'aurais voulu qu'elle parlât encore,
Voyant poindre et briller en caressante aurore,
Par delà ce reproche enveloppé d'aveux,
Son chaste amour, objet candide de mes vœux,
lé repris : « Le bonheur ne tient .pas aux aiguilles ! . . .
Qu'elles flottent ou non sur les ondes tranquilles.
L'hymen ne dépend pas d*un sort si hasardeux. . .
11 suffit, 'n*est-ce pas ? qu'on aime, et d'être deux
Qui brûlent de s'unir l'un à l'autre. . . » Mais elle,
Se levant, d'un sursaut rapide de gazelle :
u Pressons-nous de partir, fit-elle^ on nous attend ;
Voyez, Tombre du soir sur la plage s'étend,
Les arbres et la mer assombrissent leurs teintes,
Les solaires splendeurs au ciel se sont éteintes. »
Nous hâtâmes le pas sans rien dire, n*osant
Plus rompre le silence, et gênés à présent.
Jusqu'à ce que^ rendus en face du cottage.
J'eus à cœur de ne pas me taire davantage,
Et, ma main saisissant sa main, je murmurai :
« L'aiguille sûrement ne vous a pas dit vrai I
L'aiguille s'est trompée, et je. . . » Rebelle et preste,
Elle ne me laissa pas achever le reste,
S'enfuyanl. . . Mais je pus Tenlendre vivement
Chuchoter : « Je vous crois, et que l'aiguille ment ! n
Souvenirs du passé, félicité trop brève,
Dont révocation met du bleu dans mon rêve I
Ch. le Coz.
SI janvier i8g3.
V^. V
POÉSIES FRANÇAISES
SURSIS
r
Quand me résîgnerai-je à regarder la vie
De loin» comme une scène où mon rôle est fini P
Planches d'où l'insuccès et Tâge m'ont banni.
Adieu ! ^ Place à les sœurs, muse que j'ai servie !
Attendrai-je, écoutant ma rage inassouvie
De vieux tragédien, dont le masque est jauni,
Que le gaz soit éteint et I9 décor terni.
Et déserte, la salle où la foule est ravie ?
N'est-ce donc pas assez que, par grâce, ce soir.
Parmi les spectateurs je puisse encor m'asseoir.
Moi qu'une autre coupole appelle entre ses hôtes ?
(Coupole sans lumière ! ô voûte du tombeau I)
— Mais, puisqu'il m'est permis de voir le jeu nouveau.
Que j'en profite au moins pour connaître mes fautes.
Frêdêbig Plessis.
NECROLOGIE
LE COMTE ERNEST DE GORNULIER-LUGiNIËRE
M. le comte de Gornulier-Lucinière, chef de nom et d*armes de Tan-
cieniU famille bretonne des jCornulier ou Gornillé, vient de s'éteindre,
à Orléans, après une longue existence toute de devoir et d'honneur.
Fils du comte Jean-Baptiste de Cornulier-Lucinière, qui avaitipris
une part active à l'expédition de Quiberon et rempli sous la Restaura-
tion diverses charges publiques, Ernest-François- Paulin-Théodore de
Cornulier-Lucinière naquit à Nantes le 4 janvier i8o4. Une brillante
carrière dans la marine le conduisit au grade de lieutenant de vaisseau.
Nommé chevalier de la Légion d'honneur le i4 août 1 84 a, il fut admis à
la retraite, sur sa demande, l'année suivante. Il avait déjà fait paraître
des ouvrages spéciaux. Depuis son admission à la retraite, il se consacra
à des travaux d'histoire, de philosophie, de jurisprudence^ publiant
rimportant Dictionnaire des flefs da Comté Nantais, une des sources les
plus sûres d'informations sur cette partie de la Bretagne, une Eiade de
morale comparative, un livre sur Le droit de tester. Mais il est surtout
connu par ses publications héraldiques, la Généalogie de la maison de
Vélard, la Généalogie historique de la maison de Cornulier. Ce dernier ou-
vrage, qui arrivait, en 1889, à sa quatrième et définitive édition, est pré-
cédé d'une introduction sur les Qénéalogies^ leur utilité domestique et
sociale, que les meilleurs juges n'ont pas hésité à qualifier d'admirable.
Ces pages unissent, en efTet, au spiritualisme chrétien du gentilhomme,
la profondeur philosophique d'un Tainc ou d'un Fustel de Coulanges.
Marié en i833 à M'** de la Barre de Garroy, le comte Ernest de Cor-
nulier-Lucinière habitait Orléans depuis cette époque. Il avait dirigé et
rédigé en chef, pendant plusieurs années, le journal légitimiste le Moni-^
leur Orléanais. Il^vivait à l'écart des bruits du monde, et sa haute valeur
n'avait d'égale que sa modestie. On nous permettra pourtant de rap-
peler que, duYant le bombardement d'Orléans par les Prussiens, le
courage et la charité du comte et de la comtesse de Cornulier-Luci-
nière furent au-dessus de tout éloge.
O. DE G.
NOTICES ET COMPTES RENDUS
RÉPERTOIKE GÉNÉRAL DE BlO- BIBLIOGRAPHIE BRETONNE, par René
Kerviler. — Seizième fascicule (Breo-Brous). — Rennes, F. Plihon
et L. Hervé, 1898.
M. René Kerviier ne noua communique pas encore les résultats du
petit plébiscite d*où dépendent les destinées de son grand ouvrage, mais
il nous les laisse entrevoir. La grande majorité des intéressés le sollicite
avec nous de continuer, sur le même plan, comme il a si bien commencé.
Et ce nouveau fascicule, qui marque presque l'achèvement de la lettre
B, nous confirmera dans Topinion que nous avons formulée ici-mème ;
il est plein d'intérêt et comprend deux des noms les plus chers aux
Bretons, Saint-Brieuc et Brizeux.
Beaucoup d'autres noms sont ici dignes d*attention. Citons les Brian t
qui ont produit Briant de Laubrière, un des précurseurs de Pol de
Courcy dans Fétude de V Armoriai breton, les Brichet de Kerilis et les Bri-
çonnet dont les représentants, Manceaux ou Tourangeaux d'origine, ont
occupé d'éminentes situations en Bretagne, les Brignac, les Brignon, avec
un jésuite célèbre du XVIP siècle, les Brîlhac, la famille chevaleresque de
Broons, les Brossaud de la Blanchetière et de Juigné, originaires du
Poitou, établis en Bretagne.
L'Eglise réclame le cardinal Godefroy Brossay Saint-Marc, un des
prélats les plus lettrés, les plus spirituels qui se soient assis sur le siège
archiépiscopal de Rennes. Les mandements et lettres pastorales de
M >* Saint-Marc ont été relevés par M. Kerviler avec un soin aussi mi-
nutieux que les moindres opuscules de Broussais, le grand physiologiste
et médecin malouin, qu'une lettre de sa vieillesse nous montre, ô mer-
veille ! croyant toujours à la médecine.
236 NOTICES ET COMPTES RENDUd
La poésie bretonne compte ici une de ses plus ferventes zélatrices,
que TEmpire et le romantisme n'auraient pas manqué de comparer à
Sapho. Sous ses pseudonymes et même sous son nom de M»* Riom
apparaît Adine Brobant, dont la bibliographie, depuis VOscarfde i85o
jusqu'aux Femmes poètes bretonnes de 189a, occupe trente et un numéros.
Voici encore^ côte à côte avec M. Aristide Briand, le journaliste» et
M. René Brice, le député-jurisconsulte, un littérateur délicat, Charles
Brillaud- Laujardière, dit CaroUis Brio. Les quatre volumes de nouvelles
mentionnés par M. Kerviler ne constituent pas toute l'œuvre littéraire
de Garolus Brio, qui a écrit au moins un roman, la Petite Chrétien,
publié dans divers journaux de Paris. On a aussi des articles et de^
nouvelles de lui dans la Revue V Hermine. "— C'est lui, et non son père'
qui fût membre fondateur de la Société des Bibliophiles Bretons.
Notre grand et cher Brizeux a la plus belle part dans ce fascicule, et
j*ai cherché longtemps avant d'ajouter deux petits articles aux quinze
pages de biographie, de bibliographie, d'iconographie, qui lui sont
consacrées.
Etienne Dupont. — A Brizeux, Stances couronnées par la Société Utté^
raire « la Pomme > (i885;, in- 18 de 8 pages, en vente chez les principaux
libraires de Normandie et de Bretagne (Avranches, imprimerie Jules Du-
rand, s. d.). M. Etienne Dupont est un avocat d'Avranches, auteur de
plusieurs volumes de vers, en particulier des Rimes salées*.
Louis Bohneau. — Aaguste Brizeux, poésie insérée dans la Revue de
Bretagne d'octobre 189a et tirée à part (chez Lafolye).
Peut-être cette dernière brochure n'était-elle pas imprimée quand
M. Kerviler a livré son propre travail à l'imprimeur.
La partie anecdotique (ce mot est bien de mise quand il s'agit de gens
de théâtre) n'est pal^ absente du Répertoire de Bio- Bibliographie bretonne»
C'est ainsi qu'une simple note, à la fin de l'article « Brochard > nous
rappelle un roman mondain et son héroïne M"« Marsy . Est-il bien utile
de remarquer que le renvoi à la 4* série des Jolies actrices de Paris, de
M. Paul Mahalin, n'est pas très exact, et que la charmante comédienne
débuta au Théâtre-Français, non dans l'hiver de i885, mais dans celui de
i883 ? Mi^« Marsy est en bonne compagnie dans ce fascicule. M. Kerviler
' M. Etienne Dupont est aujourd'hui juge-suppléant à Saint-Malo. Rappe-
lons qu*à ce concours ouvert par la Pomme en i885, le i*' prix, un objet d'art
de la manufacture de Sèvres, fut obtenu par Mme Mathilde Jacob, dé Dinan.
Soii poème a-t-il été imprimé ?
bre dynastie des in-
mort toute récente
I : « La Revue illatlrée
< slgDéa Brioux. i Ce
e Nantes, en iS5S,
: NanUt, et Une prai-
muet sur ce peintre,
poème comico-poli-
aeobinomackU, et les
re la manie de porter
lur, jouent un petit
r le grain de sel ^i
sa dbGourcupp.
ne (Gomouaille et
cteur A. Corre. —
e aux siècles passés,
t les crimes ou délits
9 rénéchaussées, et le
-ésout, avec de nom-
lé de Quimper, H. le
leur a extraites des
ir le plus curieux sur
I longtemps la plus
s par de sagaces ré-
luents autrelols, les
Jours, et que le sui-
A. bas le progr^ t
0. DE G.
Î38 y NOTICES ET COMPTES RENDUS^
• •
Les Aventures de la princesse Sou.nuaiii, roman bouddhiste, par
Mary Summer. — Paris, Alph. Lemerre, 1893.
Madame Mary Summer, qui met beaucoup de science et de talent
au service d'une infatigable activité littéraire, délaisse aujourd'hui le
siècle dernier et le siècle présent, ses sujets favoris d'étude, pour une
des époques les plus mystérieuses de Thumanité, llnde ancienne. Elle
écrit un roman bouddhiste. L*auteur ne nous en voudra pas de com-
parer à un conte de fées l'ingénieuse fiction qui sert de trame à son
récit. Elle-même nous dit que « comme dans le bon Perrault %, la
petite princesse Soundari et son heureux époux, l'ascète bouddhiste
Apagoupta, devenu le souverain légitime de Mithila. eurent une nom-
breuse postérité. Ces deux intéressants personnages passent par des
épreuves extraordinaires : Soundari n'échappe à un odieux mariage
avec le rajah de Guzerate et aux flammes du bûcher dont la menacent
d'affreux sauvages, les Bhillas, que pour entrer dans un couvent où le
bonheur vient enfin la chercher. Quant au sage et pieux Oupagoupta,
nous renonçons à compter les étapes qui séparent son rustique oratoire
du trône repris à 1* usurpateur Agnimitra où il n'arrive qu'en passant
sur les corps d'amazones assez semblables à celles de Behanzin.
N'oublions pas que nous sommes en Orient, tout près du pays des
UWle et une nuits, et que le collier révélateur de la naissance royale
d'Oupagoupta ne doit pas nous rappeler les vieux mélodrames. Les péri-
péties de l'action sont, d'ailleurs, égayées par les espiègleries de la fleu-
riste Parispoukà et les saillies du bouflbn Mànavaka, deux types qu'on
dirait sortis d'une comédie romanesque de Shakespeare. Mais le livre de
M"»* Mary Summer a une portée plus haute. En même temps qu'il met
en opposition, dans la personne de leurs prêtres, la religion de Brahms
et celle du Bouddha (cette dernière honorée de toutes les préférences de
l'auteur), il sert de prétexte à des descriptions colorées où revivent la
société et la civihsation de l'Inde merveilleuse, quasi-légendaire.
Nous pénétrons tour à tour chez les rois les plus raffinés et chez les
sauvages les plus grossiers, dans le gynécée et dans le monastère ; et les
<'
-*^,
. NOTICES ET COMPTES RENDUS 239
paysages ne nous étonnent pas moins que ne nous charment^les scènes
d'intérieur Une telle reconstitution du monde antique est pour nous
d*un très grand prix et^ devant plus d'une des pages qui encadrent les
aventures de la princesse Soundari, nous avons pensé à l'Egypte de
Gautier, à la Garthage de Flaubert. < M^* Mary Summer nous indique
ses sources. Elle consulte et met à proût, avec les textes indiens de Kali-
dasa et de Bhavanhobli, les travaux des érudits français ou anglais
Fergusson, Gunningham. Burnouf, Rousselet, Foucaux. Son livre d'un
charme tout féminin est plein aussi d'une science virile.
O. D£ G.
*
» m
Nous souhaitons la bienvenue à Bretagne-'Revue, qui vient de jse ionder
à Rennes avec une rédaction très distinguée, et des éléments d'intérêt
tout spécial tirés de l'illustration photographique. Le premier numéro
paru en mars renfermait de fort beaux vers d'Hippolyte Lucas sur la
Bretagne, et une délicieuse pièce de M. Léon Berthaut intitulée : Fleurs
fanées (Rennes, directeur éditeur, 9, rue de la Gochardière).
Nous formons les mêmes souhaits, en faveur du journal de la Famille
Française créé tout récemment à Paris, et dont le rédacteur en chef,
M. Paul Gabillard, s'est fait remarquer, il y a quelque temps, par la
publication d'un remarquable volume de vers publié chez Sauvaitre,
SQos le titre d'Elévations poétiques.
L. L.
M. Léon Séché, dont le zèle pour les travaux historiques est bien
connu, a fondé, au commencement de cette année,une revue^V Archiviste^
qui a déjà offert au public sérieux des documents inédits de haute
valeur. Gitons. parmi les collaborateurs de M. Séché dans cette entre-
prise nouvelle qui obtient un succès mérité, MM. Querruau-Lameyrie,
V»* Closmadeuc, Paul Bénétrix.
240 NOTICES ET COMPTES RENDUS
M. Léon Séché publie dans V Archiviste des chapitres de son grand
ouvrage en préparation sur les Origines da Concordai de i Soi.
Ne quittons pas M. Séché sans annoncer à nos lecteurs qu'il ouvre
une souscription pour Térection prochaine à Ancenis d'une statue à
Joachim du BeUay, le rival presque breton de Ronsard.
• i
Un concours de mélodies sur des paroles imposées (les strophes A ma
mère eniràiies du volume de M. Edouard Beaufils, les Chrysanthèmes)
est ouvert par la revue musicale mensuelle, le Sonneur de Bretagne. Les
intéressés recevront le programme du concours en le demandante
M. Sullian Gollin, directeur du Sonneur de Bretagne, aa, rue d'Antrain.
à Rennes.
Educateurs et Moralistes, par Léon Séché. — i voL in-iS à 3,5o
— Librairie Galmann Lévy.
M. Léon Séché, qui a pris à tâche de continuer le Port-Royal de Sainte*
Beuve, vient de publier sous le litre : Educateurs et Moralistes, un Joli
petit volume dans lequel il nous montre, à Faide de leur correspondance
privée, les Jansénistes de la dernière génération,s*occupant, au sein du
foyer domestique, de Téducation de leurs enfieuits et partageant leur
existence entre les bonnes œuvres et Tétude des questions politiques e(
sociales.
Rien de plus instructif et de plus amusant tout ensemble que les cha-
pitres consacrés à M°>* de Rémusat et à Lanjuinaîs ; rien de plus pathé-
tique que le roman janséniste dans lequel M. Léon Séché nous raconte
la vie de M. et M"'* de Barante. Ce roman est le morceau capital du
livre. Aussi Téditeur a-t-il mis en tète un ravissant portrait de VL^*, de
Barante, d'après une miniature dlsabey.
■
]
NOTICES ET. COMPTES RENDUS 241
Lb sacré Cceur de N.-S. Jésus-Christ. Petites Glanes. Lyon, li-
brairie Emmanuel Yitte. — En vente chez les principaux libraires
catholiques de Nantes au profit d'une œuvre de charité.
Ce joli volume renferme, outre de hautes leçons de morale et d*ëdi-
flantes prières tout à fait de circonstance dans ce temps de carême où
nous sommes, de superbes citations de grands orateurs, de grands écri-
vains et de grands poètes : saint Grégoire de Nazianze, saint François de
Sales, saint Alphonse de Liguori, Bossuet, de Montalembert, Mrd^Hulst,
Lamartine, Victor Hugo, de Laprade. Nous remarquons de ce dernier
notamment un magnifique poème sur Jeanne d'Arc, d'autant plus inté-'
renant' qu'il est question à Theure actuelle de canoniser la libératrice de
la France. Nous recommandons d'autant plus volontiers ce peti tlivre
qu'il aie vend au profit d'une œuvre de charité,
D. C.
HiSTomB DU CONCOURS Delaunat et la QUESTION DES CONCOURS, par
A. Legendre, architecte. —Nantes, imprimerie centrale, 1893.
»
Bans cette brochure M. Legendre fait une critique acerbe du concours
ouvert récemment à Nantes pour élever un monument commémoratif
AU célèbre peintre Delaunay, puis il traite d'une manière générale la
question des concours» Cet opuscule qui prend à partie plusieurs nota-
bilités est d'une analyse difficile dans cette revue. Nous le signalons
parce qu'il se rattache à des questions artistiques intéressant la princi-
pale ville de Bretagne.
, D. C.
Tome h. —^ Mars 1893. 16
Ml I HOTIGBS BT OMirTtS MDIDDS
• •
SomrEHmBD'cH ravr capitaihb db PRiGATB (Joseph Kenrite) pubués
PAE SON FILS (René Kerviler). Campagne du Lerant 1826-29. —
Paris, Honoré Champion, libraire» 9^ quai Voltaire, 1893.
M* René Kerriler vient de Dure parallxe en volome la première partie
de rintéresiant Journal de son père, « journal sincère, écrit au jour le
Jour, au milieu des événements, ayec une franchise toute bretonne et
avec l'ardeur primesautîère de la jeunesse. Le drame 7 touche souvent
lliistoire^ et comme les sensations sont vives, il se dégage de ces sou-
venirs une intensité de vie toute particulière. On assiste aux diven^
phases d'une édosion maritime, en pleine réalité, avec ses déboires du
début, ses découragements passagers, ses réveils subits, ses enchante-
ments déflnitilji. De fraîches descriptions, des rappels à la mythologie
et à rhistoire, des traits de mœurs typiques, coupent le rédt, imposent
l'attention et rompent la monotonie des apfiareillages sans cesse renou-
velés et l'andenne chasse aux pirates. » Ainsi s'exprime If. René Kerviler
dans la remarquable introduction placée en tète du volume et écrite par
une touchante attention le 16 septembre 1889, dixième anniversaire de
la mort de son père. Nos lecteurs, sous les yeux desquels ont passé suc-
cessivement, depuis le i'"* Janvier 1890, toutes les pages de ce beau fiwe.
savent que la piété filiale n'a pas été^ seule à inspirer cette appréciation,
mais que le talent d'écrivain est ith' apanage de la fàmiUe Kerviler :
QaatispaUr^ taUiJUwt. D. C.
Un des vétérans de la poésie bretonne et des plus anciens abonnés de
la Bévue de Bretagne, M^ Raymond du Doré, vient d'adresser 1m. :Ters
suivants, pleins d'humour et de bonhomie, à un de ses jeunes confrères :
A M. DOMINIQUE CAILLÉ
1
1 ■ 1 • . . . . •
Je suis dans la brume...
(Oui, c'est bien le mot);
Préte-moi ta plume.
Mon ami Grimaud.
NOTICES ET COMPTES RENDUS
24»
La muM à ma porte
Frappe..., mais si peu...
lia chandelle est morte.
Je n'ai plut de feu I
Tout ce que J*aUume
S'éteint auMitôt...
Préte-moi ta plume.
Mon ami Grimaud. .
11
Void mon affaire :
J'ai, tout récemment,
Reçu d'un confrère
Son livre charmant.
Quel charmant poète 1
(Un Nantais, aussi t)
Et Je lui répète
Bien dea fois : « Merci 1 »
Mais que puis-je dire,
Avec ce seul mot 7
Préte-moi ta lyre,
Emile Grimaud.
Ratmond du Doré.
• •
£tuds8 bt Leçons sur la Rêvolutiox Française, par F.-A. Aulard,
professeur de le^ Faculté des Lettres de Paris, Biblioihiqae
contemporaine. — Paris, Félix Alcaiii éditeur, boulevard âaint-
Germain, 1893.
Le yp^ii^tfi!Élf^d/UxfU^(^n8 ^ur la Révohiiion Française que M. Aulard
Tient de faire paraître à la librairie Félix Alcan n'est pas un recueil d*ar-
. I ' * * • *
d'iiistoire, rédigés d'après des documents originaux, et classés selon
^^•■'Tjf
t44 NOTICES ET COMPTES RENDUS
l'ordre chronologique des événements. La leçon d*ouverture du cours
d'histoire de la Révolution à la Sorbonne, le serment du Jeu-de-Paume,
la politique d* André Gh^nier, le Club des Jacobins, la proclamation de
la République en 179a, la prétendue vénalité de Danton, le rôle de la
presse sous la Terreur, les responsabilités de Garnot, la mort de Robes-
pierre, tels sont les principaux si^ets que M. Aulard a traités djune
façon neuve et d'après des sources peu explorées jusqu'ici. Ge qui ijoute
encore à Tintérét de ce volume, ce sont des fac-similé hors texte qui
reproduisent les arrêtés les plus dramatiques du Comité de salut public
avec les signatures des principaux chefs de la Terreur (i vol. in-i8 de Im.
Biblioihêque d*Hutoire contemporaine, 3 fr. 5o PéUx Alcan, éditeur).
Le Gérant : R. Làpoltb.
Vannas. — Imprimerie LAfoIye, a, place des Ueee.
• 1
COURS D HISTOIRE DE BRETAGNE'
-«0»>
LE RÈGNE DE JEAN IV
DUC DE BRETAGNE
(1364-1399)
Troisième Partie
Querelle de Jean IV et du connétable de Clisson
^i384-i395)
Lex six années qui suivirent le second traité de Guérande —
— i38i à 1387 — peuvent être considérées comme les meilleures
du règne de Jean IV, les plus paisibles, les plus profitables pour la
Bretagne, les plus honorables pour son duc, dans toute cette longue
période qui va de i364 à 1399.
Mettant un frein méritoire à son anglomanie, Jean IV, durant
ces années, se rapprocha de la France, à laquelle lui et ses Bretons
rendirent de grands services, même contre l'Angleterre, dans les
guerres de Flandre de i383 et i383, jusqu'à ménager un accom-
modement entre les deux couronnes (D. Morice, Hist, de Bret., I,
p. 385 à 389).
Profitant habilement de ce grand et énergique courant du sen-
timent national qui l'avait remis sur le trône, le duc sut se conci-
lier, à peu d'exceptions près, tous les chefs de Taristocratie bretonne^
tous ces barons qui avaient si longtemps, si ardemment combattu
contre lui et contre sa cause dans la guerre de Blois-Montfort. Il
* Cours d* Histoire de Bretagne, profossé à la Faculté des lettres de Rennes,
leçon III (1 5 décembre 1893).
TOMB IX. — AVBIL 1893. 17
246 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
s'employa à amortir peu à peu les ressentiments de celte longue
lutte ; il fortifia son autorité, en usa pour assurer à son peuple la
bieniait d*un gouvernement juste, protecteur de tous les droits^ et
d'une administration vigilante, soucieuse de tous les intérêts.
Nous reviendrons sur cette politique intérieure de Jean IV^ la
meilleure partie de son règne. Aujourd'hui, comme il importe
d'embrasser d'un seul coup d'œil, dans un seul récita les péri-
péties beaucoup moins s^itisfaisantes, mais très dramatiques, de sa
querelle avec Clisson^ toute la leçon sera consacrée à Thisloire de
cette lutte.
Les sources de la querelle,
(i384-i387).
Jeanne de Penthièvre, veuve de Charles de Blois, mourut à
Guingample lo septembre i384, sans avoir revu ses deux premiers-
nés, Jean et Gui de Blois ou de Bretagne-Penthièvre, condamnés
depuis i356 à tenir prison en Angleterre jusqu'au parfait paiement
de rénorme rançon de leur prère, dont une grande part restait en-
core en souffrance et que sa veuve était manifestement incapable
de parfaire.
Un article du premier traité de Guérande (celui de 1 365) avait
stipulé que Jeanne de Bretagne-Montfort, sœur du duc Jean IV^
épouserait Jean de Bretagne-Penthièvre, Tatné des fils de Charles de
Blois ; que le duc Jean IV fournirait à cette occasion looooo francs
pour la rançon de ce prisonnier et s'emploierait avec zèle & obtenir
la libération définitive des deux princes de Penthièvre. Cet article
était resté lettre morte, le mariage n avait point eu lieu, et Jean IV
n'avait rien fait pour procurer la délivrance des de Penthièvre.
Gui, le puiné, était mort en Angleterre peu de temps après sa
mère ; et pour Jean, l'ainé^ abandonné de tout le monde, ayant
moins de chance que jamais de revoir sa patrie et de recouvrer sa
liberté, il s'était vu récemment mis à une rude épreuve.
Les Anglais gardaient rancune à Jean IV du tour que, bien mal-
gré lui pourtant, il leur avait joué en les appelant en Bretagne en
.
KÈGNE DE JEAN IV Ul
i38o pour leur faire faire la plus piteuse des campagnes et les ren-
voyer ensuite honteusement chez eux l'année suivante. Pour se
venger ils imaginèrent de lui jeter dans les jambes Jean de Pen-
thièvre, qui n*eût pas eu de peine à triompher de Montfort destitué
du secours de l'Angleterre, ou même combattu par les Anglais.
Donc, dit Froissart, « Jean de Bretagne fut amené en présence du
« roi (d'Angleterre) et des seigneurs. Et lui fut dit qu'on le feroit
t duc de Bretagne^ et auroit à femme madame Philippe, fille au
t duc de Lancastre^ mais que le duché|de Bretagne voulsist' tenir en
« foi et en hoitimage et relever du roi d'Angleterre. . . La dame
« fiUe du duc (ajoute Froissart), il l'eût bien prise par mariage ;
« mais, jurer contre la couronne de France', il ne l'eût jamais fait,
• pour demourer autant en prison quil y avoit été ou toute sa
« vie » (livre III, chap. 63^ édit. Bucbon, II, 58o). Ce refus cou-
rageux et magnanime « refroida les Anglais de lui faire grâce » :
on le renvoya à sa prison et on ne lui cacha pas que, comme on ne
rabattrait rien de sa rançon, il avait toute chance d'y pourrir et d'y
mourir.
Après la mort de sa mère, Jean de Penthièvre, qui ne pouvait, de
sa prison, administrer son apanage de Bretagne ni la vicomte de
Limoges et les autres terres de France qui lui appartenaient, fut
dans la nécessité de se donner un alter ego sous le titre de lieu-
tenant-général. Il lui fallait un homme sûr, puissant, capable de
gouverner et défendre ce grand héritage, et dont les sympathies
pour la maison de Penthièvre ne fussent pas douteuses.
En Olivier de Clisson il trouvait tout cela ; aussi lui conféra-t-il
cette lieutenance générale, c'est-à-dire le gouvernement de tous
ses biens, par acte du 6 janvier i385 n. st (D. Mor. p. 892, Preuves,
H, 482).
C'était un devoir de cette charge de rappeler au duc Jean IV
l'obligation que lui imposait le traité de Guérande de travailler à la
délivrance de Jean de Penthièvre, et d'y consacrer au moins
1000 000 francs. Clisson le fît, mais sans succès. Jean IV resta très
^ « PMirvu qu*tl voulût tenir le duché », olc.
* G'<«ft-à->dtre» m tourner contre la Franco et porler à l'Angleterre Thommage
de Ul Bretigne.
24S COURS U'HISTOIHE DE BRETAGNE
froid sur cet article et commença même de U à concevoir des soup-
çons contre le connétable.
Celui-ci n'en continua pas moins ses démarches pour tâcher de
procurer la délivrance du fils de Charles de Blois. Dans les pre-
miers mois de 1387, il sut que le roi d'Angleterre, voulant favo*
riser Robert de Vere, comte d*Oxford, et lui aider à supporter les
charges du gouvernement d'Irlande auquel il l'avait nommé, venait
(a3 mars 1387) de lui donner le comte de Penthièvre en lui per-
mettant de le mettre à telle rançon qu'il voudrait. Clisson envoya
aussitôt un homme de confiance au duc d'Irlande (c'est le titre que
prenait Robert de Vere) pour savoir ses exigences ; le duc fixa la
rançon du comte de Penthièvre à lao 000 livres ; alors l'envoyé de
Clisson se rendit près de ce prince et, de la part du connétable, lui
offrit tout à la fois le paiement de sa rançon et la main de la seconde
fille de Clisson appelée Marguerite : double offre que ce prince
accepta sans hésiter.
Le bruit de ces démarches, quoique non publiques, arriva bientôt
au duc Jean IV et le mit en grand émoi. Entre Clisson et lui son
anglomanie avait créé un antagonisme qui, jusqu'en i38o, s'était
en maintes circonstances hautement manifesté. Après le second traité
de Guérande, Jean IV, en se rapprochant delà France, s'était aussi
rapproché du connétable ; il avait même fait avec lui un traité
d'alliance particulier, portant garantie mutuelle et personnelle de
tous leurs biens et de tous leurs droits réciproques, écritd'un style
exprimant^ on l'aurait cru, un véritable sentiment de bonne amitié' .
Mais tous les soupçons, toutes les haines de Jean IV, mal éteintes,
se rallumèrent en un clin d'oeil. Dans le mariage projeté par le
connétable, il vit un complot à bref délai contre son trône, — et il
ne rêva plus que du moyen d'en prévenir l'explosion.
11 avait d'ailleurs d'autres motifs de vouloir mal à Clisson.
Le roi Charles VI, s'il n'avait pas la prudence, Thabileté po-
litique de son père Charles le Sage, avait du moins la même haine
contre l'étranger envahisseur du royaume, la même passion pour
* Traité conclu le 3o mai i38i, confirmé le 17 février i38s, dans D. 4forioa,
Preuves, II, Syo et 379.
RÈGNE DE JEAN IV 249
l'indépendance et Tintégrité de ia France. Son imagination et sa
jeunesse le poussaient même à des desseins grandioses, plus
ou moins téméraires. Pour délivrer la Guienne et les provinces du
Midi encore courbées sous le joug anglais, le meilleur moyen lui
semblait être une puissante invasion en Angleterre, qui aurait
pour résultat d*écraser l'Anglais chez lui.
En i386, une flotte lormidable fut équipée et concentrée dans le
port de l'Ecluse (en Flandre). Les chefs principaux et les plus
zélés de cette expédition étaient le duc de Bourgogne, oncle' du
roi, et le connétable de CUsson. Celui-ci se rendit à l'EIcluse avec
une flotte de 7 a voiles rassemblée dans les ports du Penthièvre, et
de plus une ville de bois de 3ooo pas de diamètre, construite dans
le pays de Tréguer, qui pouvait être eu peu de temps montée,
dressée, construite sur le sol anglais au lieu du débarquement,
formant ainsi pour l'armée française une base d'opération et,
s'il en était besoin, une place de refuge très solide.
Mais les manœuvres d'un autre oncle du roi, le duc de Berri,
très opposé à Texpédition, peut-être gagné aux Anglais, ses in-
trigues et ses retards prémédités rendirent cet armement inutile.
Le roi ne voulant point partir sana cet oncle, celui-ci se fit telle-
ment attendre que, quand il arriva enfin à l'Ecluse avec ses
troupes, l'automne était trop avancée, la saison trop mauvaise pour
que Ton pût risquer le passage sans craindre de voir la flotte dé-
truite par la tempête. On fut donc forcé de remettre la partie à
Tannée suivante, 1887.
En eflet, cette année suivante, dès le printemps, on travaillait
activement à rassembler de nouveau une flotte, une armée, et le
plus ardent, le plus actif à la besogne, c'était Clisson, qui sur la côte
de Tréguer enrôlait des hommes d'armes, frétait des navires, ré-
parait sa ville de bois que la tempête avait un peu maltraitée.
Devant ces préparatifs l'Angleterre tremblait ; le duc de Bre-
tagne s'effrayait, pour lui-même d'abord, du pouvoir irrésistible, de
rautorité accablante que donnerait à Clisson la réussite d'une telle
entreprise. Puis, comme au fond il était toujours très Anglais, il
sinquiétait, s'effrayait aussi pour ses amis d'outre-mer. Il cherchait
quelque moyen de détourner d'eux ce péril.
150 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Il savait combien ils lui en voulaient de la piteuse aventure de
Tannée de Buckingham (en i38i), à ce point qulls avaient voulu
susciter contre lui Jean de Penthièvre et le faire duc de Bretagne à
sa place. Jean IV désirait vivement apaiser cette rancune et se
remettre en la bonne grâce des Anglais. A force d*y songer^ il
crut en avoir trouvé le moyen. Mais ici je laisserai parler Froissart,
pour n'être point accusé d'interpréter les choses par voie de con-
jecture et à la couleur de mon esprit. Froissart, lui^ va nous
donner, avec sa bonne foi constante et sa fidélité ordinaire, l'opi-
nion courante» incontestable, de son siècle sur l'événement.
a S'avisa le duc de Bretagne^ d'un merveilleux avis et jeta son
imagination sur ce que il feroit, dont les Anglois lui en sauroient
gré. Car il savoit bien que l'homme au monde que les Anglois
doubtoient ethayoîentleplus, c'était messire Olivier de Cliçon, con-
nestable de France. Car, au voir dire, Cliçon ne faisoit jour et nuit
que soutiller^ pour porter contraire et dommage aux Anglois, et
Tarméede TEcluse (en i386^ vainement lavait-il jetée', avisée et
commencée ; et si éioit conduiseur (en 1387) de celle qui se faisoit
à Harfleur et par Lantriguer. Il dit en soi-mesme (le duc de Bre-
ragne Jean lY) que, pour complaire aux Anglois et retourner en
leur grâce et à eux montrer qu'il ne faisoit pas trop grand compte
de l'amour et de la grâce des François, il romproit et briseroit le
voyage [l'expédition en Angleterre de 1387], non que il dût à ses
gens défendre que nul n'alldt en Angleterre. Nennîl, il vouloit
ouvrer* plus couvertement ... Il prendroit le connestable de
France et l'occiroit ou feroit noyer. Et les Anglois lui en sauroient
gré, car ils le hayoient fort. »
Ainsi, pour frapper Clisson, Jean lY avait un double motif :
d'une part, le désir de servir puissamment les Anglais et de se re-
mettre dans leur bonne grâce; de l'autre, la crainte personnelle
causée au duc par les projets d'alliance intime de Clisson avec les
Penthièvre. De cette double source, filtrait et s'épanchait goutte k
* Froissart, liv. 111, chap. 63 ; éd. Buchon H, p. 58o.
* Slngénier subitoment.
* Imaginée.
* Agir.
RÈGNE DE JEAN IV 251
goutte dans le cœur de Jean IV ud courroux qui, peu & peu mon-
tant, bouillonnant, allait produire tout à l'heure une sinistre ex-
plosion.
Guet-apens de Jean IV contre Clisson
(26 juin 1887).
Prendre ou frapper Clisson ouvertement, ce n'était pas facile.
Aussi le duc (Froissart nous le dit) comptail-il bien agir couverte-
menty c'est-à-dîre par ruse.
Depuis son retour en Bretagne en 137g, Jean IV tenait fréquem-
ment les Etats et le parlement général du duché ; il y faisait de
belles ordonnances, y rendait bonne justice ; nous avons conservé
notamment, du moins en partie, les registres ou procès-verbaux
des parlements généraux de i384 et i386, nous aurons lieu d'y
revenir. — Le duc convoqua donc les Etats de Bretagne à Vannes
pour le mois de juin 1387. ^^^^ 1^ lettres de convocation il an-
nonçait, pour cette session, des délibérations importantes. « Par
<( espéciai », dit Froissart, dans la lettre adressée à Clisson, f il le
M pria moult affectueusement qu'il vint et n'y voulsist point faillir,
tf car il Ty verroit plus volontiers que nul des autres » (livre III,
chap. 19, édit. Buchon, II, p. 58i).
L'assemblée se tint au temps fixé; elle eut (dit d'Argentré) « des
« délibérations importantes pour le bien public, la police, la no-
<f blesse, les Estats eux-mêmes n, sans préjudice de quelques di-
vertissements, v festins et dévier agréables ». Le dernier jour, le duc
réunit tous les membres de l'assemblée dans un grand banquet en
son château ducal de la Motte, banquet fort beau et fort gai, où on
ne parla (dit d'Argentré) « que de choses plaisantes, d'amours, de
« dames, de musique. > Le connétable, qui avsît ^n logis dans
les faubourgs, convia toute la compagnie, le duc compris, à diner
pour le lendemain. Beaucoup y allèrent, le duc vint vers la fin du
repas^ « print des confitures» (dit d'Argentré), causa amicalement,
' Hist, de Bret, ,édii. 1618, liv. X, chap. 3, p. 663.
252 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
familièrement, en bon prince, « leur montrant plus grand sem-
€ blant d'amour qu'il n'avoit oncques fait » (Froissart, édit. Bu-
chon, II, p. 58a).
Le diner fini (on dînait à midi), avisant quelques-uns des princi-
paux seigneurs, entre autres, le connétable, le sire de Laval son
beau-frèré, le vicomte de Rohan son gendre, son ami et serviteur
Robert de Beaumanoir :
— Beaux seigneurs, leur dit-il, avant de partir, venez donc voir,
je vous prie, mon château de THermine que je fais bâtir à Vannes,
ces temps-ci, et qui est bientôt fini.
On monte à cheval, on y va. « Le duc les mène de chambre en
« chambré, d'office en office, et devant le cellier où il les fait
« boire > (Froissart). Arrivé au pied de la maîtresse tx)ur, dont la
porte était ouverte :
' — Messire Olivier, fait le duc, montez là-haut, je vous prie. 11 n'y
a homme de çà la mer si bon connaisseur que. vous en ouvrage
de maçonnerie ; si celui-ci vous agrée, il restera tel ; si non, je le
ferai amender par votre conseD.
Le connétable veut que Jean IV passe le premier :
— Merci, dit le duc, je suis un peu essoufflé ; pendant que vous
serez là-dédans, je causerai d'affaires avec le sire de Laval.
Glisson monte sans défiance ; au premier étage sort d'une
chambre une grosse troupe d'hommes armés, qui se jettent sur
lui, le désarment, l'enchaînent de trois paires de fer, et lui
disent :
— Monseigneur, pardonnez-nous ce que nous faisons, car il
nous le faut faire ; ainsi nous est-il enjoint et commandé par
Monseigneur de Bretagne.
Enméme temps on fermeà double tourla porte du donjon, devant
laquelle Laval était resté causant avec le duc. Voyant fermer cette
porte, percevant quelque bruit à l'intérieur, Laval s'alarme,
« tout son sang lui commence à frémir, • et, voyant le duc « plus
vert que la feuille » :
— Ah ! Monseigneur, s'écrie-t-il, que voulez-vous faire ? Pour
Dieu, ne &ites aucun jnal à mon beau-frère le connétable !
RÉGNE DE JEAN IV 259
— Montez à cheval, sire de Laval^ répond le duc, partez, je n ai
pas besoin de vous, je sais ce j'ai à faire.
Laval ne part pas. Beaumanoir vient réclamer son maître, et
comme il s'écrie qu'il veut le voir, qu'il veut ôtre avec lui et comme
lui, le duc écumant lui porte sa dague au visage et crie :
— Si tu veux être comme lui, Beaumanoir, il faut d'abord te
crever un œilM
Puis il le fait saisir, enfermer dans une chambre du donjon et
enchaîner, conmie le connétable, de trois paires de fer.
Laval s'attache au duc, le suppliant instamment d'épargner
Clisson, de lui rendre la liberté. Le duc ne répond rien, rentre au
château de la Motte, ou il mande Jean de Bazvalen, capitaine du
château de l'Hermine, et lui ordonne de faire noyer le connétable
• ceste nuict, environ la my nuict, le plus secrètement possible >
(Alain Bouchart, édition de i53a, f. 129).
Ce bon serviteur eut le courage de résister, de combattre par trois
fois cet ordre d'assassinat. Il ne s'attira que des rebufïades :
— Je veux m'en défaire, c'est l'homme que je hais le plus au
monde ! Obéissez, Bazvalen, ou c'est vous qui mourrez ! Et au
surplus taisez- vous, € car si m'en rébarbez plus, je vous destruirai
de fond et de racine I » (Bouchart).
Bazvalen sorti, Laval rentre, adresse au duc une longue et tou-
chante prière, pleine des meilleures raisons d'honneur, de senti-
ment, d'intérêt.
— Sire de Laval, vous m'ennuyez, répond brutalement le duc.
Laissez-moi reposer, je vous prie. J'ai bien ouï toutes vos raisons,
nous en causerons demain .
Et, en se mettant au lit, le duc se dit :
— Homme au monde ne m'empêchera d'être cette nuit débar-
rassé de Clisson.
Sur cette joyeuse idée il s'endort. Au milieu de la nuit il se ré-
veille, sa grande colère tombée. Dans sa conscience, réveillée aussi,
les prières et les raisons de Laval et de Bazvalen reprennent leur
• Clisson avait perdu un œil en combattant pour Jean IV à la bataille d'Aurai.
> Bouchart, édit. i53a,f. lag V«.
254 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
force, leur valeur. Surtout, la crainte monte. H voit son attenlat
armant contre lui le roi de France, les trois quarts des Bretons» et
lui-même bientôt encore une fois chassé de Bretagne. Dès le pietit
jour il fait venir Bazvalen :
— Eh bien, Bazvalen, qu*a8-tu fait cette nuit ?
— Ce que votre seigneurie m avait ordonné; puis j'ai enterré le
corps dans un jardin.
— Hélas! Bazvalen, répondit le duc, voici un piteux réveille-
matin ! Pourquoi ne t'ai-je pas cru hier soir ! Je n*aurai plus dé-
sormais un instant de repos AUez*vousen, messireJean, que je
ne vous voie plus !
Et le prince tout le jour ne fait que gémir et se désoler, refusant
toute visite, toute nourriture, errant seul parmi les salles, les ga-
leries du vieux château ducal, avec toutes les marques d'un déses-
poir sombre et affolé. Bazvalen, instruit de tout, jugeant que les
remords du duc étaient sincères et solides, pensa vers le soir qu'il
était temps de se remontrer :
— En vérité, Monseigneur, fait-il, permettez-moi de le dire, vous
vous désolez trop ; car enfin, il y a remède à tout.
— A tout, Bazvalen sauf à la mort I
— Si c est cela qui vous afflige, Monseigneur, réjouissez-vous
donc ; il m'a été impossible cette nuit d'exécuter vos ordres. Mon-
seigneur le connétable vit encore.
— Quel bonheur! crie le duc, qui saute au cou de son serviteur
avec des larmes de joie et lui fait compter sur Theure dix mille
florins d or.
Le sire de Laval, averti, revient assiéger le duc jusqu'à ce qu'il en
ait tiré la promesse de relâcher le connétable, mais sous les con-
ditions d'un traité que le prince s'occupa de faire libeller et qui fut
signé le lendemain^ 37 juin 1887.
Les conditions de ce traité étaient fort dures (D. Morice, Preuves
II. 540-542).
Le connétable s'engageait à payer au duc une rançon de
10 0000 francs d'or, — à lui remettre toutes les principales places
de ses domaines et l'apanage de Penthièvre, nommément les dix
RÈGNE DE JEAN IV îbb
suivantes : Josselin, cheMieu du comté de Porhoet, résidence habi-
tuelle de Glisson, - Broon et Jugon3iAin,Cii88on,Ghâteaugui près
Oudon, forteresse nouvellement construite par le connétable, ^ en-
fin Lamballe et Guingamp, Châtelaudrem et la Roche-Derien, les
quatre principales places de Tapanage de Penthièvre.
En outre le duc reprenait tous les dons faits à Clisson pour ses
grands services à diverses époques, c'est-à-dire les villes, terres et
châteaux de Jugon, du Gàvre, de Cesson et d'Erqui ; bien plus, il
prétendait enlever au connétable et s'approprier, sans bourse délier,
deux seigneuries importantes, achetées et payées régulièrement
par ce dernier depuis plus de quinze ans, la chAtellenie de Broon
et l'immense comté de Porhoët avec son annexe de Guillac, sur
laquelle Jean IV (on* ne sait pourquoi) prétendait avoir un droit
spécial.
Enfin, le connétable renonçait par ce traité à poursuivre la déli-
vrance du comte de Penthièvre, à administrer son apanage comme
lieutenant-général» à lui faire épouser sa fille Marguerite.
C'était là les principales clauses. Glisson signa — sans lire et sans
hésiter. Pour sortir des griffes du duc il en eût signé bien d'autres.
Mais, avant de lui rendre la liberté.Jean IV voulait un gage sérieux,
avoir les 100,000 francs d'or et les dix places ci-dessus dénom-
mées. Le jour même du traité (27 juin), Beaumanoîr courut au
château de Josselin chercher cette forte somme et la rapporta à
Vannes. Les trois jours suivants, !i8, 29 et 3o juin^ des commis-
saires députés par Glisson allèrent remettre les dix places aux
gens du duc. Gomme il fallut quelques jours pour que l'on fût,
à Vannes^ dûment informé de cette remise, le connétable sortit
du château de l'Hermine seulement le 4 juillet. Sa prison avait
duré huit jours.
Voilà, on le devine, non seulement l'expédition contre l'Angleterre
rompue, avortée, anéantie, mais aussi une nouvelle semence de
gnerre civile en Bretagne pour huit ou dix ans.
25« COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Guerre civile en Bretagne. — Intervention du roi de France
{1387-1391).
Clisson, de Vannes^ va droit à Paris à cheval, avec deux pages^
en deux jours. Il se jette aux pieds du roi, lui raconte la trahison
du duc de Bretagne et lui remet Tépée de connétable : (( Car, dit-il,
après un pareil outrage, qui intéresse directement la majesté royale
en la personne d*un de ses grands officiers, je n*ai plus l'autorité
requise pour exercer dignement un si haut office. » — Le roi insiste
vivement pour qu'il reste connétable, lui promet d'assembler
promptement la cour des pairs qui le vengera pleinement de l'ou-
trage du duc. Le roi était très sincère et prenait vraiment l'affaire
à cœur.
Il n'en allait pas de même de ses oncles, les ducs de Bourgogne
et de Berri. Ce dernier d'ailleurs, à demi Anglais et très opposé aux
aux grandes expéditions militaires, détestait Clisson et le lui fit bien
voir. Le duc de Bourgogne, qui pourtant estimait le connétable, ne
laissa pas de le railler un peu, lui reprochant de s'être laissé prendre
comme un enfant h cette souricière du château de l'Hermine :
— « Mais, Monseigneur (dit Clisson), il montrait tant de beaux
semblants que je ne lui osois refuser. »
— u Connétable (répondit le duc) en beaux semblants sont les dé-
ceptions. Je vous cuidois plus subtil que vous n'êtes. » (Froissart, 11,
66;édit. Buchon, II, p. 589.)
Pour éclairer la suite de cette histoire, il est nécessaire de dire
un mot des luttes d'influence à la cour de France, en ce temps.
Il y avait deux partis, entre lesquels hésitait le jeune roi*.
D'un côté, les grands féodaux, les grands et puissants seigneurs
ayant à leur tète les oncles du roi, qui ne rêvaient que fêtes, luxe,
richesse, pompes orgueilleuses, et ne se souciaient nullement de
continuer la politique de Charles Y.
Voir Michelel, Histoire de France (i»"* édition, iS/io}, IV, p. 4a.
REGNE DE JEAN IV 2b7
De l'autre coté, les petites gens, anciens conseillers de Charles Y,
honunes de cabinet, de prudence et de haute habileté, petits ou
moyens gentilshommes mais rudes guerriers, le sire de la Rivière,
révêquede Laon, Clisson et les lieutenants de du Guesclin, qui
tous tendaient à continuer la politique du règne précédent, c'est-à-
dire à purger le sol français de Timpudent étranger qui en détenait
encore une partie'.
Par son patriotisme très vit, très réel, Charles VI tenait à ce
dernier parti. Mais son imagination un peu extravagante, son
amour des fêtes somptueuses et de la chevalerie théâtrale le li-
vraient de temps à autre à l'influence des grands féodaux. En ce
moment c'était le tour de ceux-ci ; aussi malgré les sympathies
personnelles du roi, le connétable ne trouva pas à la cour un appui
efQcace.
Mais Clisson n'était pas homme k s'émouvoir de si peu. 11 revint
en Bretagne et à l'aide de ses nombreux amis se mit en devoir de
reprendre par la force ce que la ruse lui avait enlevé.
Avant la fin de 1387^ il avait repris Guingamp, Lamballe, Chà-
telaudren^ et enlevé au duc Chàleaulin surTrieu (château très fort,
voisin de Pontrieu), le Plessix- Bertrand (en SaiBt*Coulomb), et la
ville de Saiut*Malo qui se donna au roi. Au commencement de
i388, le parti du connétable recouvra encore Clisson, Chàteaugui,
Jugon ; il ne resta plus au duc^ des places extorquées par lui, que
Josselin, Blain, Broon^ et peut-être (mais c'est peu probable) la
Roche-Derien.
En outre, dans le mois de novembre 1887, Clisson fit payer au
duc d'Irlande la moitié de la lançon de Jean, comte de Penthièvre,
soit 60,000 livres, lui fournit pour cautions du paiement de l'autre
moitié les plus grands seigneurs de France (D. Morice, Preuves^ II,
538-5^9), et obtint l'élargissement du comte, qui épousa au mois
de janvier i388 la^ledu connétable, Marguerite de Clisson.
Tous ces succès relevèrent bien le parti de Clisson en Bretagne
et commencèrent à donner de sérieuses inquiétudes au duc. Le
parti des Marmousets — c'est à dire des anciens conseillers du
' Les féodaux, pour railler leurs adversaires, appelaient ce parti les i/ar<-
mouseU»
258 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
roi Charles ie Sage — ayant repris de Tinfluence à ia cour de
France\ résolut de pacifier les troubles de Bretagne qui pouvaient,
le cas échéant, devenir pour le ijpyaume un gros embarras.
Le roi notifia au duc Jean IV qu'il se rendait personnellenient
arbitre de sa querelle avec Clissod* et Tajourna, pour exposer ses
raisons, aux Etats convoqués et tenus à Orléans un p^u après
Pâques (le ag mai i388). Clisson vint è Orléans et plaida très bien sa
cause devant les Etats. Jean IV, quoiqu'il eût accepté Tarbitrage
du roi, ne se rendit pas à Orléans. — Mais sur une nouvelle
sermonce du roi, et sur la remontrance très fortement motivée de
son propre conseil^ il se résigna enfin à comparaître devant
Charles VI.
Dans cette délibération du conseil de Bretagne, fort curieuse,
reproduite en substance par Froissart, deus^ traits surtout mé-
ritent d*étre notés. — L'un des principaux arguments des con-
seillers de Jean IV pour l'engager à faire la paix avec Clisson,
c'est que la plus saine partie des <( prélats barons, chevaiiersr cités
a et bonnes villes de ce pays (de Bretagne) sont tous contre lui. »
Et le seul argument du duc contre la paix qu'on lui conseille est
celui-ci : « Comment se pourroit nourrir parfait amour où il n'y
(( a que toute haine ?Comment pourrois-je aimer Olivier de Cliçon P
« La chose au monde dont je me repens le plus, c'est de ne l'a-
ce voir fait mourir quand je le tins en mon pouvoir au chastel
« de TErmine'. »
Néanmoins il alla à Paris à l'été de i388, mais après avoir pris la
précaution singulière, très caractéristique, de formuler par devant
notaire une protestation secrète et préalable contre toutes les
concessions qu'il pourrait faire à Clisson comme lui étant ex-
torquées par la force (D. Morice, Preuves j II, 543); il plaida sa
cause devant le roi, qui prononça le ao juillet sa sentence dont
les clauses sont très-simples (D. Morice, Preuves, II, 552-555) :
i** Jean IV rendrait à Clisson les 100,000 fraqcs extorqués de
lui pour sa rançon, les trois places et les deux terres deCliaaon que
* Voir MieheM, ffistoire de France, édit. i84o, IV, (2.
* Lettres du 37 novembre 1387, dans D. Morice, Preuves^ It, 544-545.
* Froissart, III, loS; éd. Buchon, 11, p. 69i, 69t.
HÊGNE DE JEAN IV 259
le duc tenait encore, savoir (les (rois places) : Josselin, Blain et
Broon, (les deux terres) Guillac et le Gâvre ;
a* Clisson remettrait à Jean IV les places prises par lui sur
le duc ou sur ses partisans, savoir : Jugon, le Plessix-Bertrand^
Chàteaulin sur Trieu, — Saint-Malo restant acquis au roi.
3* Les places de Lamballe, Guingamp, GhAtelaudren et la
Roche-Derien seront mises en séquestre entre les mains du roi^
Jusqu'à ce qu'il soit décidé à qui elles doivent appartenir (clause
singulière, car ces places, faisant incontestablement partie inté-
grante de Tapanage de Penthièvre, appartenaient forcément au
comte de Penthièvre) ;
4* Enfin il était enjoint au duc et au connétable de vivre désor-
mais en bonne intelligence, eux et leurs partisans, le passé oublié.
Le duc et le connétable jurèrent ce traité : le premier, il est vrai,
avait pris ses précautions en prolestant d'avance. Le roi les flt
manger à sa table et, en signe de réconciliation, boire à la même
coupe. Cette paix n'en fut pas plus solide.
Le duc, semble-t-il, restitua les places qu'il tenait encore^ mais
comme il ne se mettait nullement en peine de rendre les 100,000 fr.
extorqués à Clisson, celui-ci refusa (assez logiquement) de lui re-
mettre les places dont il s'était emparé (Jugon, Chàteaulin-sur-
Trieu, le Plessix-Bertrand*), — et bientôt les hostilités recommen-
cèrent. Nous n'en pouvons suivre le détail. Mais d'Argentré a peint
en (rois lignes Fétat de la Bretagne dans ces années 1889 à 1391 :
o Le duc et Clisson (dit-il) entrèrent en forte guerre, tenant chacun
« d'eux des hommes d'armes en ses places, lesquels à chacune fois
« sortant aux champs, faisoient prises et rançonneries sur les sub-
« jects de l'autre, avec villains et horribles meurtres d'une part et
€< d'autre sans mercy : il en advint de terribles maux. » {Hist. de
BreL, édit. 1618, p. 666, X, 10).
En 1 391, ces hostilités prirent un caractère plus vif : le duc fit
* Sur le refui de remetlre ces places aux commissaires du duc, voir Morice,
Hisi,yï, p. 4o6vet Trésor des Chartes de Bret., M. D. g, et R. A. i5.
' D*aprè6 la Chronique de Haint-Brieue (Preuves t I, 6a), Jean IV prit en
1.190 ou 1S91 un fort construit k Plancoët par Clisson. D. Morioe croit aussi qu'il
y eut un traité de paix conclu le 18 mars iStji entre Clisson et le duc par Tin-
tsrttédiairt det liresde Laval, Rohan, etc. (Morico^Hi^lMl, p. 4oS); ce n'est pas aûr,il
260 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
même incursion sur le territoire de France et prit Cliàteauceaux
(D. Morice, Preuves, l], 555], sans doute parce que cette place ap-
partenait au neveu du comte de Penthièvre, le jeune duc d*Anjou ; en
même temps (juillet i3()i)ilfaisait des politesses aux Anglais»qui lui
rendaient la jouissance du comté de Richemont {Preuves, II, 676).
Le roi de France dut encore intervenir pour arrêter cette guerre de
Bretagne toujours renaissante, toujours périlleuse pour le royaume.
Il envoya des ambassadeurs inviter Jean IV à venir à Tours, où le
roi examinerait avec soin les difficultés encore pendantes entre
CHsson et le duc, et rendrait sa décision. Le duc se trouva tellement
choqué de certains propos des ambassadeurs, qu'il lut, dit-on, sur le
point de les faire arrêter. Mais il se ravisa et se rendit, dans la seconde
quinzaine de décembre iSqi, à Tours\ où le roi prononça, le a6
janvier suivant, la sentence ou transaction, par laquelle il voulait
terminer cette interminable et sanglante querelle de Bretagne.
Dans celte nouvelle sentence ou accord, il n^était plus question
des places ni des seigneuries que les parties devaient se restituer
Tune à l'autre : chacun était apparemment rentré dans son bien .
Mais cette pièce constate que la restitution des cent mille francs ex-
torqués à Clisson par le duc n'était pas encore commencée ; le traité
porte queSo.ooo francs devront être comptés au connétable, au châ-
teau de Rieux, avant le 18 mai prochain, et telle était la confiance
qu'inspirait, pour l'accomplissement de cette clause, l'exactitude
ou la bonne volonté de Jean IV, que vingt seigneurs bretons durent
se rendre personnellement caution de ce paiement, chacun pour
une somme déterminée, jusqu'à concurrence de 80,000 francs.
Pour Clisson, depuis son arrestation au château de l'Hermine
il avait la constante habitude de porter tous ses procès au par-
lement de Paris, au mépris des droits du duc de Bretagne et de ses
devoirs de vassal. Le roi annule tous les appels ainsi formés par
lui, renvoie ses causes aux tribunaux de Bretagne, lui enjoint de
se contormer au droit féodal et de suivre à l'avenir la cour de son
suzerain (Morice, Histoire, l, p. 4ii ; Preuves y II, 586, 687).
faudrait voir la pièce du Château de Nantes, N. B. 3. En tout cas, ce traité
n'était guère solide.
• I^s sûretés ou sauf-conduits donnés au duc pour aller a Tours sont datés des
la, t5, 19 déc. 1391 (Morice, Preuves^ 11, 677-78. Cf., Hist,, 1, 409).
RËGNE DE JEAN IV 261
Assassinat de Clisson par Pierre de Craon
(i4 juin 1^92).
Il semble que cette guerre doit finir ici, que cette querelle étrange,
si prolongée, manque désormais d*a]iment.
Ici commence, au contraire, le second acte de la tragédie. Lé
premier s*était ouvert par le guet-apens du château de l'Hermine ;
celui-ci est inauguré par l'assassinat de la rue Sainte-Catherine en
1393, deux attentats dirigés contre le même personnage, contre
Clisson.
La tentative d'assassinat de Clisson par Pierre de Craon dans la
nuit du i3 au i4 juin 1893 est racontée avec beaucoup dévie et
de détails curieux par l'inimitable chroniqueur Froissart, qui à ce
moment était à Paris et qui fit sur l'événement une minutieuse
enquête comme un bon reporter de nos jours. — Ce qui est moins
connu, ce qui est beaucoup moins clair, c'est la cause du crime, le
motif de la haine qui poussa Pierre de Craon à massacrer le con-
nétable.
Pierre de Craon était un seigneur fort riche, jeune, possesseur non
de la châtellenie de Craon, mais des seigneuries non moins consi-
dérables de Sablé et de la Ferté-Bernard. Peu de temps avant le
crime, il avait fait partie de la maison du frère puîné de Charles VI,
le jeune et brillant Louis de France, alors qualifié duc de Touraine
et plus connu dans l'histoire sous le lilre de duc d'Orléans que
nous lui donnerons ici. — Pierre de Craon n'était pas seulement
Tun des gentilshommes du duc d'Orléans, c'était son favori, asso-
cié à ses secrets, à ses plrîsirs. Il perdit subitement cette faveur, il
fut chassé de la cour e.*- de la maison du duc de Touraine (ou d'Or-
léans) pour avoir révélé à la femme de ce prince, la belle Yalentine
de Milan, une intrigue galante de son mari. Pierre de Craon^ attri-
buant sa disgrâce à Clisson^ en conçut contre lui une haine féroce :
de là son assassinat. Mais pourquoi s'en prit-il à Clisson, que ni
Froissart, si éveillé sur ce sujets ni aucun autre chroniqueur^ ne mêle
Tome ix. — Avril 1898. 18
ou I
C0UK8 D'HISTOIRK DE BHETAGNE
à celte aflaire? C'est là ce qu'il faut tâcher d eclaircir, car c*est là
ce qui douneà l'événement son caractère, c'est ce qui nous dira si
ce crime est vraiment un épisode, ou plutôt une des péripéties es-
sentielles de la lutte de Jean IV contre le connétable.
Pierre de Craon, dans sa première jeunesse, avant de s'attacher
au duc de Touraine [ou d'Orléans), avait servi un autre prince de
France, un autre Louis de France, duc d'Anjou et frère du roi
Charles V, qui, appelé en i38o au trône de Naplespar le testament
de la reine Jeanne T", passa en Italie en 1882 pour conquérir ce
trône\ y resta deux ans sans réussir dans son entreprise, vit fondre
par la maladie, par la misère, l'armée qu'il y avait amenée, et
mourut lui-même sans le sou, fort misérable, dans une petite
bourgade (BisegUa) voisine de Bari (le 31 septembre i38'i), pen-
dant qu'il attendait pour relever sa fortune l'arrivée de secours pé-
cuniaires qu'il avait envoyé chercher en France par un de ses ser-
viteurs, et qui n'arrivèrent jamais.
Le serviteur chargé de cette suprême mission, c'était Pierre de
Craon : il avait reçu en France de grosses sommes, à lui remises
par la duchesse d'Anjou pour les porter k son mari. Léger et très
ami du plaisir, Craon, revenant en Italie^ au lieu d*aller droit vers
Naples, passa par Venise, y dépensa en fêtes, en débauches, une
grande part du trésor de son maître, et comme il y était encore quand
Louis d'Anjou mourut, il revint en France avec le reste. A la cour
beaucoup de gens le tenaient pour un elTronté voleur ; le duc de
Berri, frère du duc d'Anjou, lui dit un jour : « C'est toi, méchaDt
• traitre,qui as causé la mort de mon frèrel » Clisson devait être des
plus vifs à invectiver à cette occasion Pierre de Craon ; car la du-
chesse d'Anjou, femme du malheureux prince mort à Bari, n'était
autre que la princesse Marie, fille de Charles de Blois, sœur de
Jean, comte de Penthièvre, et nous avons vu combien Clisson était
profondément lié, par l'alTection non moins que par lintérêt, à la
famille de Penthièvre.
Malgré cela, je le répèle, aucun chroniqueur, aucun témoignage
contemporain ne montre la main de Clisson dans le coup qui
* Sur Charles, duc de Durazzo, qui roccupait alors.
RÉGNE DE JEAN IV 2 83
chassa Pierre de Craon de la maison du duc de Touraine. — Où
Graon put-il prendre cette idée P Nous n'en sommes point réduit
aux conjectures. Froissart, qui lit, je le ré^te, sur cet événement
une enquête si soigneuse^ nous rapporte, sans la moindre hésita-
tion, ce que tout le monde disait là-dessus de son temps et ce qui
est, non seulement vraisemblable» mais certain.
Pierre de Craon avait pour mère Marguerite de- Flandre, cousine
de Jeanne de Flandre, comtesse de Montfort, mère de Jean lY ;
par li ilcousinait avec notre duc. Se voyant chassé de la maison du
duc de Touraine^ il vint en Bretagne plaindre son infortune» et,
selon Froissart, Jean IV lui dit aussitôt : « Beau cousin, confortez-
« vous, c'est Cliçon qui vous a brassé tout CQla\ » Et aussi, ajoute
le chroniqueur, c souvent ils parloient ensemble de messire Olivier
« de Cliçon, comment et par quelle manière ils le mettroient à
« mort. Et trop se repentoit le duc de Bretagne qu'il ne Tavoit
ce occis, quand il le tint à son aise au chastel de l'Ermine'. »
Voilà donc, tirée au clair, la genèse^ l'origine de l'attentat de
Pierre de Craon, partie essentielle, on le voit, de la lutte de Jean IV
contre Clisson^ — et maintenant en voici l'exécution :
Pierre de Craon avait à Paris, au lieu où fut depuis le cimetière
Saint-Jean, un grand hôtel, laissé en son absence à la garde d'un
conderge. Vers le carême de Tan i^gs', Craon soudoya en province,
successivement, un certain nombre de sacripants, d'hommes à
tout faire, qu'il expédiait à Paris, au concierge de son hôtel,
chargeant celui-ci de les habiller, de les armer, de les héberger,
et de les garder très soigneusement au logis sans les montrer, en
attendant l'arrivée du maître.
Quand il en eut assemblé ainsi une quarantaine, il vînt à Paris,
prit langue, s'informa. L'été commençait ; il sut bientôt que, le
soir du jeudi de la Fête-Dieu qui était le 1 3 juin, le roi cowtiptait
donner, à l'hôtel Saint-Pol, une fête qui se prolongerait assez avant
dans la nuit, et où le connétable assisterait. Ciaon fait son plan
' FroUsart, IV, ai; édU. Buchon, in,p. ii8.
« Id., IV, aS ; Ibid., p. i46-iiî7.
> En i39a, Piques le i4 avril, les Gendres le 27 février.
26i COUaS D*HISTOIIlE DE BRETAGNE
là-dessus. Dans la nuit du i3 au i4 juin, vers minuit, avec ses
quarante estafîers à cheval, il se poste à un carrefour de la rue
Sainte-Catherine, par où Glisson devait passer nécessairement pour
regagner son hôtel situé dans la rue de Paradis.
Un peu après une heure du matin, survient Glisson avec huit de
ses gens, k cheval comme lui, qui portaient des torches, mais sans
armes. Quand ils arrivent à la hauteur de l'embuscade, la bande
de Pierre de Graon, débouchant de la rue voisine, fond sur le cor-
tège du connétable et commence par éteindre les flambeaux.
Glisson croit à une espièglerie du duc de Touraine qui aimait
beaucoup les farces de ce genre, et il s'écrie gaiment :
— « Monseigneur, par ma foi, c'est mal fait. Mais je le vous
€ pardonne, car vous êtes jeune, tout est jeu et amusement pour
« vous. »
Gette illusion ne dure guèx^e. Graon tire son épée avec un cri
sinistre :
— « A mort 1 à mort, Glisson ! Gi vous faut mourir.
— « Qui es-tu qui dis de telles paroles ? répond Glisson.
-- a Je suis Pierre de Graon, votre ennemi. Vous m'avez tant de
fois couroucé que ci vous faut amender. Avant ! criet-ilà ses gens;
j*ai celui que je demande et que je veuil avoir V »
Les gens du connétable, n'ayant pas d^armes, ne le pouvaient
défendre et se dispersèrent. Tous les coups se concentrèrent sur
Glisson, qui lui-même n'avait pour arme' qu'un coutelas de deux
pieds de long dont il s'escrimait de son mieux ; il se défendit très
vaillamment. Il est vrai aussi que les quarante braves, à qui Ton
n'avait point dit contre qui ils allaient se battre, entendant le nom
du connétable, s'effrayèrent de leur besogne; ils frappaient
€ paoureusement », dit Froissart^ et leurs coups pour la plupart
n'avaient pas grande puissance. Glisson 6nit pourtant par recevoir
sur la tète un coup d'épée vigoureusement asséné, qui le fît tomber
de cheval. Gette chute aurait dû être sa mort, elle fut son salut.
En cet endroit de la rue Sainte-Gatherine logeait un boulanger
qui, lorsque la bagarre commença, venait de se lever pour pétrir
« FroUtart, IV, aS ; édit. Buchon, HT, p. i49.
RÈGNE DE JEAN IV 2G5
sa pâte et cuire le pain du lendemain. Entendant tout ce tapage sur
le pavé, il fut curieux et il entr'ouvrit son huis pour voir ce que
c*était. Clisson, tombant de cheval, heurta l'huis du dos, le poussa
à l'intérieur et le fit ouvrir au large, si bien que son corps tout
entier se logea dans la boutique du boulanger. La porte était trop
basse et trop étroite pour laisser passer un homme à cheval ; d'autre
part, les sacripants ne se souciaient pas de mettre pied à terre pour
donner le coup de grâce à GLisson, d'autant que les premières
lueurs de l'aurore commençaient à pâlir l'ombre. D'ailleurs, ils
le croyaient bien fmi, Pierre de Graon dit à ses hommes :
— « Allons, allons, nous en avons assez fait ; s'il n'est mort,
certes il mourra du coup de la téte^ qui a été frappé d'un bon bras. »
Et toute la bande, poussant ses chevaux au galop, s'envola par
. la porte Saint^Antoine, car, depuis la révolte des Maillotins (i38a),
les portes de Paris n'étaient plus closes.
Jugez de l'embarras du boulanger, d'avoir un tel hôte et en tel
état chez lui. Bientôt les gens du connétable revinrent en force au
M
lieu de la bataille voir ce qu'était devenu leur mattre, et l'ayant
trouvé là le soignèrent de leur mieux.
La nouvelle du crime vola de suite jusqu'au roi, à l'hôtel Saint-
Pol. Gharles VI sauta du lit, prit des souliers, une houpelande sur
sa chemise, courut chez le boulanger, où sa première parole fut :
— Connétable, comment vous sentez-vous ?
— Cher sire, petitement et faiblement.
Mais les médecins du roi, mandés en hâte, ayant examiné les
blessures, reconnurent qu^aucune n'était mortelle et promirent de
remettre Glisson sur pied^ ou plutôt à cheval, dans le délai de
quinze jours. ^
Le roi assura alors le connétable qu'aucun crime ne serait si
chèrement payé et châtié que celui-ci. Le connétable remercia le
roi de sa « bonne Visitation », et le prince rentra à l'hôtel Saint-Pol.
201) COURS D'HISTOIHE DE BRETAGNE
Les suites de t assassinat
(1392- 1396).
CLisson ne mit pas longtemps à guérir, et le roi, qui voulait tenir
sa parole, somma le duc de Bretagne de livrer le coupable, car
Pierre de Craon s'était réiugié chez ce prince qui Taccueillit volon-
tiers, non sans lui faire toutefois de vifs reproches :
— Vous êtes un chétif, dit-il, de n'avoir pu occire cet homme,
étant quarante contre un !
— € Monseigneur, dit Tautre confus, c'est bien diabolique chose !
Je crois que tous les diables d'enfer (à qui il est) l'ont gardé et dé-
livré de mes mains, car il y eut sur lui lancé et jeté plus de soixante
coups d^épées et de grands couteaux*. »
Charles VI avait donc bien raison de chercher l'assassin en Bre-
tagne. Jean IV toutefois répondit « qu'il ne savait où était Pierre de
Craon et ne s'en inquiétait pas, que ses querelles avec Ciisson ne le
regardaient pas. » Jean IV se croyait bien fort parce que, prévoyant
la sommation du roi, il avait fait partir Craon pour l'Espagne. Mais
le roi^ qui n'entendait pas être joué, forma en juillet — malgré
toute l'opposition de ses oncles Berri et Bourgogne — une grosse
armée qui était au Mans au commencement d'août 139a, et à la
tète de laquelle il partit pour punir Jean IV de sa mauvaise foi et
de son évidente complicité avec Pierre de Craon.
Qu'allait opposer Jean IV à celle avalanche qui roulait vers lui
et qui^ si elle l'atteignait, ne pouvait faillir de l'écraser?
Les Bretons, en face de cet assassinat, ne l'auraient pas plus
soutenu qu'en 1373. Aussi chacun s'attendait à le voir tout à
rheure, chassé de Bretagne, aller pour la troisième fois chercher
asile chez ses amis les Anglais.
Mais tout à coup une péripétie plus imprévue, plus étrange en-
core que celle dont nous venons de parler, vint changer du tout au
tout le cours des événements.
' Froissart, IV J9 ; édition Buchoii, III, p. i53.
•RÈGNE DE JEAN IV ' 267
On était au 5 août (139a), « c'était le milieu de Tété, les jours
brûlants, les lourdes chaleurs. Le roi [qui avait eu peu de temps
auparavant une sorte de fièvre chaude] était enterré dans un habit
de velours noir, la lé te chargée d*un chaperon écarlate, aussi de
velours. Les princes [toujours opposants et de mauvaise humeur]
traînaient derrière sournoisement et le laissaient seul, afin, disaient-
ils, de lui faire moins de poussière. Seul il traversait les ennuyeuses
forêts du Maine, pauvres d'ombrages, avec les mirages éblouis-
sants à midi sur le sable des clairières. . .
« Comme il traversait ainsi la forêt l^vers Sablé], un homme de
mauvaise mine, sans autre vêtement qu'une méchante cotte
blanche, se jette tout à coup à la bride du cheval du roi, criant
d*une voix terrible :
(' — Arrête, noble roi, ne passe pas outre, lu es trahi ! »
On lui fit lâcher la bride, mais on le laissa suivre le roi et crier
une demi-heure. '
« Il était midi, et le roi sortait de la forêt pour entrer dans une
plaine de sable 011 le soleil frappait d'aplomb. Tout le monde souf-
frait de la chaleur. Un page qui portait la lance royale s'endormit
sur son cheval, et la lance tombant alla frapper le casque que
portait un autre page. A ce bruit d'acier, à celle lueur, le roi tres-
saille, tire répée, et piquant des deux il cric :
— « Sus, sus aux traîtres I Ils veulent me livrer ! »
« Ilcourt ainsi répée nue surle duc d'Orléans. — Le duc échappa,
mais le roi eut le temps de tuer quatre hommes avant qu'on Teût
arrêté. Il fallut auparavant qu'il se fût lassé : alors un de ses che-
valiers vint le saisir par derrière. On le désarma, on le descendit de
cheval, on le coucha doucement par terre. Les yeux lui roulaient
étrangement dans la tête ; il ne reconnaissait personne et ne disait
mot. Ses oncles, son frère étaient autour de lui ; tout le monde
pouvait approcher et le voir*. »
Le pauvre roi était fou, la grande calamité de la France com-
mençait.
La première conséquence de cette folie fut de rompre l'expédition
« Michelet, Histoire de France^ édition i84o, IV, (')a-6^.
je. .
268 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
de Bretagne. L'armée fut licenciée, congédiée^ Les oncles du roi
revinrent à Paris et s'emparèrent du gouvernement. Ce fut le plein
triomphe du parti des grands féodaux. Les anciens conseillers de
Charles le Sage furent tous mis en prison. Clisson seul échappa.
Mais bientôt on lui fît un procès pour prétendues concussions; il
fut jugé, condamné. On le destitua de l'office de connétable, qui
fut donné, le 19 décembre 1892, k Philippe d'Artois, comte d'Eu,
gendre du duc de Berri ; mais il refusa sa démission et garda tou-
jours répée, insigne de sa charge.
Le duc de Bretagne élait demeuré paisible jusqu'à la un de l'an
139a, il avait même pris des mesures pour avancer, conformément
au traité de Tours, la restitution des cent mille francs extorqués à
Clisson. Mais quand il vit, au commencement de 1893, que, par
suite de la révolution survenue à la cour de France, la disgrâce du
connétable était complète, il jugea le moment bon pour lui déclarer
de nouveau la guerre sans danger. Il accueillit de nouveau Pierre
de Craon à sa cour, lui prodigua ses faveurs, et quand il alla
assiéger Josselin, résidence du connétable, jetant bas toute honte
et tout masquC; il mit Craon à la tète d'un des deux corps chargés
d'investir la place, — d'où Clisson trouva moyen de sortir dans la
nuit du 39 au 3o avril. Donc bien lui en prit, car Josselin se trouva
serré de très près et aurait été contraint de se rendre, si le vicomte
de Rohan ne fût parvenu, par l'intermédiaire de la duchesse,
à obtenir du duc un traité de paix qui sauva Josselin, mais qui, en
fin de compte, ne fut pas ratifié par Clisson et n'empêcha pas la
reprise des hostilités, que le duc dirigea surtout contre le territoire
de Saint-Malo'.
En 1394, le roi, ayant repris sa santé et sa raison, casse toutes les
condamnations portées contre Clisson, et s'efforce de rétablir la
paix entre lui et Jean IV — mais d'abord inutilement (D. Morice,
p. 4 19 ; Hist. , I . Preuves yll, 622, 628). - Au contraire, le duc rentre en
campagne, assiège sans succès Montcontour, pille les faubourgs
de Lamballe, prend et rase la Roche-Derien. Puis, pendant qu'il
* Voir Morice, Bist. de Bret.y F, p. 4i8 ; Le Baud, /îiQ-^ao; d'Argentré(édit.
1618), p. 684-685.
RÈGNE DE JEAN IV 2P9
se relire à Morlaix et congédie son armée, Glisson, renforcé par les
secours que )ui a envoyés le duc d'Orléans, entre à son tour en
campagne, prend la ville et la cathédrale fortifiée de St-Brieuc,
emporte les châteaux de la Rochejagu, du Perier (en Kermoroch)
et rasece dernier (D. Morîce, Hist., I, p. 419 ; d'Argentré, éd. 1618,
p. 685-686).
L,e duc alors fait une armée de 6000 hommes, vient à Hilion, d'où
il ofljre la batailUe en rase campagne à Glisson retranché dans la
tor te rosse de Saint-Brieuc, mais qui, n'ayant que 2 000 hommes,
tiU ^SLide d*accepter le combat. Le duc alors se dispose à venir
assiég^er Saint-Brieuc.
iVIais le roi et le duc Bourgogne, redoublant d'efforts, réus-
sfen t i^ arrêter les hostHités. Le duc de Bourgogne est chargé
par 1^ roi de porter encore une fois une sentence — la troisième
8^11 t^x:i.ce royale — destinée à pacifier les deux partis.
L*^ duc Bourgogne vient à Angers (le 16 octobre iSgi), puis à
Aûc^ixis le 1 2 novembre et, pendant qu'il y est le duc de Bretagne,
fecoMacate de Penihièvre et le connétable s'étant soumis à son arbi-
^rag'^^e', il retourne à Angers pour entendre les parties en leurs
plâîxx t. ^s, leurs défenses et leurs répliques, —puis il rend sa sen-
lenc^ à Paris, le 24 janvier 1895 (D. Morice, Hist. de Bret., I, p.
i2i -/i ^2 ; Preuves, IL 629 et 633-642).
^^-xxs cette sentence arbitrale ce qu'on lit de plus notable, c'est
unô ciX^iuse d'où il résulte que le paiement des 100 000 francs extor-
qufea ^Glisson en 1887 n'était point encore achevé. D'ailleurs,
coitxrir^^ut s'étonner que Jean IV s'exécutât de si mauvaise grâce
sur cr^t; article, alors qu'il avait tant de fois, môme en public, sans
auavi.1:^^ Yergogne, manifesté le vif regret de n'avoir pas, au château
de X 1: termine, traîtreusement massacré le connétable?
^"■^^ autres clauses de la sentence arbitrale n'ont pour but que de
regl^i:^ réparer ou compenser les dommages subis par le duc, le
cotmélable et leurs partisans^ dans les hostilités entre les deux par-
Vift» surtout en 1393 et £394. G'est un détail infini qu'on ne peut
\cv reproduire.
* Pî^r actes dea 21 octobre, a4 novembre, 7 décembre i3yi, dans D. Morice,
preuve*, lï, 64a-6/i3 ; voir ainsi Histoire, I, p. 4ii.
270 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Quoique cette sentence edt été, peu de temps après sa promul-
gation, publiée dans tout le duché de Bretagne à titre de paix défi-
nitive, elle ne semblait pas devoir être bien plus solide que les pré-
cédentes.
La preuve, c'est que^ le 8 juin iSq/i, au mépris d'un des articles
de cette paix, Jean IV fit raser le cbàteau de Tonquédec» et que peu
de temps après, sans doute par représailles, Clisson trouva moyen
de détrousser le duc et de lui enlever sa vaisselle d'or et d'argent.
Réconciliation définitive
(i395).
On devait donc s'attendre à voir les hostilités et toutes les cala-
mités des discordes civiles renaître et pulluler de plus belle en
Bretagne — quand, par un de ces coups de théâtre si fréquents
dans cette histoire, la paix définitive —et vraiment définitive cette
fois — vint de celui-là même qui y avait été le plus contraire jus-
qu'alors, de celui qui avait ouvert cette ère de haine et de combats
fratricides par le guetapens de THermine.
Un jour, à l'automne de iStjS, étant à Vannes où il faisait sa ré-
sidence habituelle, Jean IV se renferma dans sa chambre avec un
de ses secrétaires, auquel il dicta une lettre pour Clissoa, sincère-
ment affectueuse et amicale, par laquelle il l'invitait à venir de
Josselin le trouver, lui duc de Bretagne, à Vannes, pour avoir en-
semble un entretien tête à tête, où ils régleraient de bonne foi tous
leurs différends, de façon à rendre enfin la paix au pays. La lettre
fut portée à Josselin par un homme de confiance, qui avait ordre de
n'en parler à personne et de rapporter fidèlement la réponse de
Clisson. Celui-ci étonné lut la lettre deux fois, réfléchi t,~et répondit :
— J'irai volontiers, pourvu que vous veuilliez bien,' Monsei-
gneur, m'envoyer pour otage votre fiU aîné.
— C'est juste, dit le duc en recevant ce message; il a le droit de
se défier.
KEGNE DE JEAN IV 271
Et faisant appeler le vicomte de Hohan, il lui remet l'héritier de
Bretagne en lui disant :
— Vous le mènerez à Josselin et vous l'y laisserez, pendant que
Clisson viendra ici avec vousr ; il me trouvera dans l'église des Reli-
gieux dominicains.
Glisson, très touché des procédés de Jean IV et convaincu de sa
bonne foi, ramène avec lui le jeune prince à Vaones et va trouver
le duc au lieu indiqué.
Sortant de l'église dans le jardin du couvent, tous deux suivent
le ruisseau qui traverse ce jardin jusqu'au port de Vannes, où une
barque est amarrée. Ils y entrent et font ensemble sur le golfe du
Morbihan une promenade de deux heures.
En deux heures donc, tête à tête, sans aucun conseiller ni aucun
»
intermédiaire, ils arrangent tous leurs dillérents et finissent par
se promettre paix loyale et bonne amitié jusqu'à leur mort.
Parole en effet fidèlement tenue^ dont les engagements furent
peu après formulés dans un traité régulier dit traité d'Aucfer, li-
bellé et daté le 19 octobre iSgS (D. Morice, Preuves, II, col. 655).
Ce n'était guère qu'un abrégé et une confirmation delà sentence ar-
bitrale du duc de Bourgogne. Mais cette sentence avait été dès le
lendemain méconnue, foulée aux pieds par les deux parties. Le traité
d'Aucfer, au contraire, fut inviolablement observé.
Ainsi prit fin cette dure et cruelle lutte, nouveau lléau de la Bre-
tagne né des passions violentes, des implacables raucuucs semé( s
dans les âmes par l'interminable guerre civile suspendue, nou
close, en i364t aux champs d'Aurai.
Ici, toutefois, partager également entre les deux antagonistes la
responsabilité, la culpabilité de cette seconde guerre civile^ serait
fort injuste.
Jean IV, ici, est le premier coupable. C'est lui qui ouvre la guerre,
et il l'ouvre par un guet-apens ; il la rouvre par un assassinat.
Après avoir pris Clisson, par trahison elTroulée, dans une souri-
cière, — il passe sa vie à regretter cyniquement de ne l'avoir pas,
là môme, égorgé, et se coalise avec un bandit pour réparer cette
faute — sans pouvoir y réussir.
7Ti COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Chez Glisson, nulle part on ne trouve même la velléité d*ua re-
cours à de pareils moyens. Il est brutal, violent, soit ; il ne se gène
pas (Jean IV non plus) pour déchirer avec le glaive les traités,
même tout frais signés» qui le gênent. Mais quand il combat, il
est loyal, il combat ouvertement, il attaque son ennemi en face,
jamais il n'aurait Tidée de labattre par un crime ignoble ou par un
coup de trahison. A travers ses passions et ses colères, en lui vibre
un sentiment essentiellement français : celui de Thonneur.
Sentiment que Jean IV semble ignorer et qu*il n*avait pas
appris en Angleterre, où il s'était, au contraire, tout à loisir
imprégné de cette maxime, si souvent pratiquée au moyen âge
— et depuis — par la politique anglaise : que contre un ennemi
tout est permis.
Jean IV avait, heureusement, de meilleurs côtés : ce sont ceux
qu'il nous reste à étudier.
Arthur de la Borderie,
Membre de VlnsUtul.
(A suivre).
LES GRANDES SEIGNEURIES
DE HAUTE-BRETAGNE
Comprises dans le territoire actuel du département dllle-et-Vilaine
(Suite/,
LE BOISGEFFROY (Marquisat)
C'est vraisemblablement un Geffroy qui donna son nom au châ-
teau et à la seigneurie du Boisgeifroy' ; peut-être lût-ce GefTroy,
seigneur du Boisgeffroy, auteur d'une fondation faite à Tabbaye de
Saint-Melaine, qu'acquittait en 1229 Geffroy de Melesse' ? Toujours
estril qu'au XIV* siècle, le Boisgeffroy appartenait à Georges de
Saint-Gilles, seigneur de Betton, dont les possesseurs le conser-
vèrent jusqu'au milieu du XVI' siècle.
Ce Georges de Saint-Gilles, mari de Jeanne Chesnel, mourut le
8 aioût idgS, laissant ses seigneuries à son fils Jean de Saint-Gilles,
qui^ par acte du i3 septembre i4o9, fonda en son manoir du
Boisgeffroy une chapelle sous l'invocation de Notre-Dame et de
Saint-Jacques^. Jean de Saint-Gilles fut chambellan et conseiller du
duc de Bretagne et épousa Jeanne de Montauban qu'il laissa veuve
le 17 octobre i435.
* Voir la lifraison de mara 1893.
• Commune de Saint-Médard-sur-lUe, canton de Saiiit-Aubin d'Aubigné,
arronditsement de Rennes.
* Cartul. sandi Melanii, aaS.
♦ Arch. d'Ille-^t'Vil., 9, G. 44,
274 LES GRANDES SEIGNEURIES
Sa succession fut recueillie par son gendre et sa fille, Guillaume
de Rocheforl et Bonne de Saint-Gilles, qui rendirent alors aveu au
duc pour Belton et le Boisgeffroy'.
Devenue veuve. Bonne de Saint-Gilles se remaria à Charles de la
Feuillée, seigneur de la Uubaudière, en Montauban, dont elle eut
une fille, Raoulette de la Feuillce, décédée sans postérité, quoique
trois fois mariée. Quant à Bonne de Saint-Gilles, elle mourut le i5
octobre 1487, et ce ne fut que le 5 février 1496 que son héritier
Pierre de Saint-Gilles rendit aveu pour Belton et le Boisgeffroy.
Ce dernier décéda le 25 novembre i537, laissant ses seigneuries
à Georges de Saint-Gilles, qui mourut lui-même le 33 juillet i55a.
L'héritière de ce dernier, Catherine de Saint-Gilles, rendit aveu en
i554 pour Belton et le Boisgeffroy, et s'unit peu de temps après à
Nicolas de Denée, seigneur de la Motte de Gennes, qui mourut dès
la fête Saint-Jean i56o.
Il est probable que Catherine de Saint-Gilles mourut elle-même
sans postérité, et que les terre et seigneurie du Boisgeffroy furent
achetées après sa mort par Jacques Barrin, président au parlement
de Bretagne, qui prenait en i585 le titre de seigneur du Boisgeffroy,
De son mariage avec Jeanne Rhuys , Jacques Barrin eut un fils,
André Barrin, qui épousa en i6o3 Renée Bourgneuf de Cucé, fut
conseiller au parlement de Bretagne et devint à son tour seigneur
du Boisgeffroy, dont il obtint l'érection en marquisat en i644. H
mourut le 10 juillet 1649.
Jean Barrin, fils des précédents, conseiller au parlement comme
son père et marquis du Boisgeffroy, épousa en i633 Perrine Harel,
dame du Bois de Pacé, dont il eut à Rennes, en 1689, Henri Barrin^
son successeur. Ce dernier, également conseiller au parlement de
Bretagne^ et plus tard premier maître d'hôtel de Monsieur, duc
d'Orléans, épousa le 6 novembre i663 Isabelle Le Gouvello', mou-
rut en décembre 1699, et fut enterré le i" janvier 1700 dans Té-
glise de Saint-Médard où l'on voit encore sa tombe. Il laissait son
marquisat à sa fille unique nommée Perrine.
* Arch. de la Loire-Inférieure.
* Cette dame mourut au Boisgreffroy, en 173S.
DE HALTE-BRETAGNE 275
Dès le 19 mars 1689, Perrine Barrin avait épousé Gaston de
Mornay, comte de Montchevreuil, qui ne lui donna qu'une fille
Marie-Gaëtane de Mornay, née en 1691 et mariée le la décembre
1707, dans la chapelle de Boîsgelïroy, à Anne-Bretagne de Lannibn
qui devint ainsi marquis du Boisgeffroy. Ce seigneur fut tué en i734
dans une bataille en Italie, laissant un fils, Hyacinthe- Gaëtan de
Lannion, vicomte de Rennes, qui épousa en 1738 Marie-Charlotte
de Clermonl -Tonnerre et mourut sans postérité.
Le 17 janvier 1752, Marie-Gaëtane de Mornay, marquise douai-
lièfedu Boisgeffroy, vendit à Michel Picot de Préménil ses châ-
teau, terre et seigneurie du Boîsgeffroy, pour 85, 000 liv., s'en ré-
servant toutefois l'usufruit jusqu'à sa mort. Douze ans plus tard,
cette dame mourut au Boisgeffroy le 1 4 octobre 1764. Son corps
fut. inhumé en Téglise de Saint-Médard « dans le tombeau de ses
illustres ancestres' ».
Mais M. Picot — qui rendit hommage au roi le 26 janvier i752
pour le Boisgeftroy, — ne conserva point cette belle terre, elle passa
aux mains de François-Joseph de Vaucouleurs, seigneur de la Vil-
landré en Dingé, veuf de Madeleine Barrin. Il avait, de celte
dame, entre autres enfants, une fille, Marie-Anne de Vaucouleurs,
mariée le 26 août 1762 dans la chapelle de la Cité, à Rennes, à
Jean-François de Quilfislre, comte de Bazvalan. Ce fut celle der-
nière qui, à la mort de son père arrivée en 1768, apporta à son
époux la seigneurie du Boisgeffroy.
Jean-François de Quilfislre perdit sa mère à Vannes, où il ha-
bitait ordinairement, le 27 avril 1790; lui-même émigra peu de
temps après et vînt mourir, le 29 février J792, à Jersey où il fut
inhumé dans le cimetière de Saint-Hélier'.
Le Boisgeffroy était à l'origine une chàtellenie d'ancienneté te-
nue en juveignerie de la baronnie d'Aubigné. L'importance de
cette seigneurie fut augmentée dès 1618 par Louis XllI qui, par
lettres patentes datées du mois de mars, lui unit les fiefs du
I>omaine et de la Haute-Touche en Saint-Rémy- du-Plain et Romazy,
* Reg. par, de Saint-Médard,
> De L*Eftourbeillon, Famille hret. émigrées à Jersey,
276 LES GRANDES SEIGNEURIES
et autorisa son possesseur à tenir trois foires : l'une, le premier
jour de mai, à la Budorais en Saint-Médard, et les deux autres les
I*' août et 21 septembre^ au bourg de Montreuil-sur-IUe.Ces lettres
furent enregistrées le 7 juin suivantV André Barrin, seigneur de
Boisgefiroy, fut encore mieux traité par Louis XIV qui en i644
érigea sa chàtellenie en marquisat'. Enfin, par lettres patentes de
1690, la seigneurie de Chambellé en Feins fut également unie à
celle du Boisgeffroy et en augmenta l'importance'. Aussi au com-
mencement du siècle dernier le délégué de l'intendant de Bre-
tagne estimait-il (( le revenu du marquisat du Boisgeffroy 12.000 K »
Le domaine proche du marquisat du Boisgeffroy comprenait :
le château du Boisgeffroy — les métairies de la Porte du Boisgef-
froy, de la Budorais, de Chambellé, de Surgon, de la Boulais et
des Champsblancs — les moulins du Boisgeffroy , de Montreuil-
sur-Ille, du Boulet et de Saint-Médard — la forêt de Cranne, —
plusieurs autres bois et plusieurs étangs, etc.
La juridiction en haute, moyenne et basse justice, s'étendait
dans une douzaine de paroisses : Saint-Médard , Guipel , Saint-
Aubin d'Aubigné, Chevai^né, Melesse, Saint-Rémy-du-Plain, Ro-
mazy, Saint-Germain-sur-Ille, Feins,. Andouillé, Montreuil-sur-Ille
et Dingé. Le marquis du Boisgeffroy était seigneur supérieur et
fondateur de l'église de Saint-Médard^ et prééminencier et fonda-
teur seulement de l'église de Montreuil-sur-Ille.
Le château du Boisgeffroy devait avoir au moyen âge une réelle
importance. Construit au bord d'un étang dont les eaux rem-
plis'sent ses douves, il se composait en 1680 d'un grand carré flan-
qué de « quatre grosses tours et de quatre pavillons » ; devant cette
forteresse se trouvait une avant-cour cernée elle-même de grandes
• Arch, du Parlement de Bret.
■ De Courcy, Nobl. de Bret.
• Arch, du château de Combourg,
^ L*église de Saint-Médard conserve de précieux souvenirs de la générosité
pieuse des seigneurs du Boisgeffroy. C'est un calice, un ciboire et un ostensoir
en \ermeil finement ciselés dans le style de Louis XHI. Le calice est oouTort
d'un semis de fleurs de lis et de papillons alternés rappelant les armoiries des
anciens sires du Boisgeffroy, les de Saint-Gilles portant d^azur semé de fleurs
de lys d'argent, et les Barrin d'azur à trois papillons d*or.
DE HAUTE-BRETAGNE 277
terrasses et orlifiées de deux autres loun^ ; « dans un coin de ces
terrasses^ se trouvait la chapelle fondée en 1^09 de deux messes
hebdomadaires par Jean de Saint-Gilles.
De cette vaste construction féodale il ne reste que les terrasses
de Tavant-cour et les deux tours de celle-ci, encore ont-elles été re-
bâties en grande partie de nos jours. Quant au château propre-
ment dit, vendu nationalement, le a8 pluviôse an VII, pour la
somme de 4,3a5 fr., il dut être démoli à cette époque par son ac-
quéreur ; mais les anciennes douves subsistant toujours permettent
encore de reconnaître son emplacement ; au milieu de cette en-
ceinte a été construite une habitation moderne qu'occupent les pro-
priétaires actuels, M. et M"** deMontcuit. Quoique moins grandiose
que jadis, le château du Boisgeffroy a encore fort bon air aujour-
d'hui, avec ses tours et terrasses, ses douves et son étang, sa posi-
tion dans un vallon ombragé de grands bois, et le bel aspect que
présente son entrée.
BONNEFONTAINE (Baronnie)
Vers la fin du Xi' siècle, Geffroy Chaussebœuf donna aux religieux
de Saint-Florent sa terre de Bonnefontaine, située près de la route
de Tremblay à Antraîn. Cette terre fut-elle le noyau de la seigneu-
rie de Bonnefontaine ? Ne fut-elle pas plutôt ce qu*on appela aux
siècles suivants la métairie de l'Abbaye , voisine du château de
Bonnefontaine? Nous ne le savons point, mais ce qu'il importe de
constater, c*est l'existence dès cette époque reculée d'une terre en
An train, appelée Bonnefontaine.
Quant à la formation de la seigneurie de Bonnefontaine', nous
croyons volontiers, avec M. Maupillé', qu'elle fat le résultat suc-
cessif des alliances de la famille de Porcon — qui semble de bonne
heure propriétaire de la maison de Bonnefontaine — surtout avec
* Arch» nation.
' Commune et canton d'Antrain, arrondissement do Fougères.
3 Notices sur les paroisses du canton cTAntrain»
Tome ix. — Avwl iSgS. 19
278 LES GRANDES SEIGNEURIES
les héritières de Saint-Brice et de Tiercent, riches maisons ayant
plusieurs fiefs aux environs d'Antrain.
Quoi qu'il en soit, le premier seigneur de Bonnefontaine qui
nous apparaisse dans l'histoire est Jean de Porcou — fils d'Olivier
de Porcon « l'un des plus vaillants capitaines qui suivirent Ber-
trand du Guesclîn en toutes ses guerres et expéditions tant» en
France qu'en Espagne' . »
Ce Jean de Porcon, vivant en i38o et i4i6, épousa Jeanne de
Saint-Brice et fut seigneur de Bonnefontaine en An train et de Por-
con en Saint-Meloir-desOndes. Lea3 septembre i435» Guillaume de
Porcon, seigneur duditlieu, rendit aveu à la baronnie de Fougères
pour ses terres et seigneuries de Bonnefontaine et du Fail en Saint-
Etieune-en-Coglais. Son fils, Jean de Porcon, seigneur de Porcon et
de Bonnefontaine, fit de même le 6 juin 1476 ; il avait rendu de
grands services au duc François II et se trouvait capitaine d'Aa<
Irain en 1469. Il épousa Marguerite du Tiercent dont il eut, entre
autres enfants, Arthur de Porcon, chambellan de la duchesse Anne
et capitaine de Fougères en 1489. Celui-ci fut marié deux fois :
1^ avec Marguerite de Saint-Gilles, a* avec Catherine de L'Hôpital.
Jean de Porcon, sorti du premier lit, tut seigneur de Porcon et
de Bonnefontaine après son père ; il s'unit le 9 février i488 à
Jeanne d'EstouteviUe, mais mourut sans postérité. Sa succession
fut recueillie par son frère François de Porcon, seigneur des Carrées
eu Cherrueîx, mari de Jeanne de Pouez, dame de la Cherbaudièie
en Saint-Hilaire-des-Landes'.
De cette union naquit Gilles de Porcon, qui le 1 5 juillet 1Ô27
rendit aveu pour ses manoir et seigneurie de Bonnefontaine. Il
épousa Radegonde Bourgneuf, fille du seigneur de Gucé, décéda
le 1 5 janvier i533 et fut inhumé dans l'église d'Antrain'.
Le seigneur de Bonnefontaine ne laissait que deux filles : Tainée
nommée Françoise de Porcon, dame de Porcon, Bonnefontaine,
« Du Paz, Hist. généalog. de Bret, 685.
s Celte dame fit par tefllamoai vers i5a^ une fondation au couvent de Bonne-
Nouvelle à Rennes où elle fut inhumée.
' Nous avons publié le compte rendu de ses obsèques dans les Récits de
Bret 1, 178.
DE HAUTE-BRETAGNE 2TÎ>
le Fail, la Cherbaudîère, elc, apporta toutes ses seigneuries à son
mari» Pierre de la Marzeiière, seigneur dudit lieu, en Bain ; elle-
même en rendit aveu le lo juin i54o'.
Uannée suivante^ Pierre de la Marzeiière se présenta à la revue
militaire des gentilshommes eu qualilé de seigneur de Bonnefon-
laine, n monté et armé en estât d'homme d*armes, accompagné
d'un aultre homme d'armes armé à la légère et de deux pages » ;
il déclara posséder de 8 à 900 1. de revenu noble'.
Ce seigneur obtint permission en i547 ^^ fortifier Bonnefontaine
qu'il laissa à son fils aine, Renaud de la Marzeiière, créé en 1678
baron de Bonnefontaine, décédé en i588 et époux de Marie du Gué.
De cette union sortit autre Renaud de la Marzeiière, gouverneur de
Fougères et mari d'Anne du Guémadeuc. Celui-ci rendit aveu pour
Bonnefontaine le 4 juin i6o3 et fut tué en duel Tannée suivante.
Comme ce seigneur ne laissait pas d'enfants, son frère François
de la Marzeiière lui succéda ; mais, ce dernier, marié à Gillonne
d'Harcourt, n'eut que deux ûlies, dont l'ainée, Françoise de la
Marzeiière, devint dame de Bonnefontaine.
Celte dame avait épousé Malo, marquis de Coëtquen^ auquel elle
apporta ses^ g^randes seigneuries de la Marzeiière, du Gué et de
Bonnefontaine ; il mourut en août 1674, et elle-même le suivit au
tombeau le i4 juillet 1677.
Leur fils aine, Malo, marquis de Goëtquen et baron de Bonne-
fontaine, épousa Marguerite de Rohan-Chabot et mourut en 1679*
L'année suivante, son fils Malo-Auguste, marquis de Goëtquen,
rendit aveu pour sa baronnie de Bonnefontaine.
Cette. seigneurie passa ensuite aux petites filles du marquis de
Goëtquen, qui enjouirentd'abord par indivis; mais, s*étant mariées,
l'une à Charles de Rochechouart, duc de Mortemart, et l'autre à
Emmanuel de Durfort, duc de Duras, et la première étant venue à
mourir le 3 juin 1746, Bonnefontaine échut tout entier à la seconde.
La duchesse de Duras ne conserva pas longtemps Bonnefontaine,
elle vendit bientôt cette seigneurie à Jean-Pierre de la Motte de
Lesnage qui en 1756 prenait le titre de baron de Bonnefontaine.
* Areh. de la Loire-Inférieure.
> Bibliûth* de Rennes, Mm. de Missirien«
fc-TT-
280 LES GRANDES SËlGiNEURlES
Fils de Pierre delà Motte et de Servaime Miniac, seigneur et dame
du Bignon en Saint-Suliac, le nouveau seigneur de Bonnefontaine
épousa Anne-Thérèse du Fresne et mourut sans postérité en 1779.
Sa succession fut recueillie par son frère Julien de la Motte, sei-
gneur de Trans, époux de Marie Bouleau, qui décéda lui-même eu
1787. La baronnie de Bonnefontaine échut alors au fils aine de
ce dernier défunt, Pierre-Martial de la Motte, seigneur de Mont-
muran. Celui-ci émigra à la Révolution, vit vendre nationalemeat
ses château et terre de Bonnefontaine et mourut, en iSaS, sans
laisser de postérité de Charlotte de Guibert sa femme.
Bonnefontaine, chàtellenie d'ancienneté relevant de la baronnie
de Fougères, fut érigée elle-même en baronnie par lettres patentes
d'Henri III, données en juillet 1678 et vérifiées le 3o octobre suivant.
Par ces lettres le roi unit à Bonnefontaine les seigneuries du Fail,
de la Cherbaudière et de Langle, et forma du tout la nouvelle
baronnieV
Le château de Bonnefontaine, d'abord simple manoir, avait été
remplacé au XVI* siècle par une vraie forteresse qui subsiste encore,
admirablement restaurée de nos jours. C'est en i547 qullenri 11
autorisa Pierre de la Marzelière à construire ce beau château qui
tint garnison pendant la Ligue. Le principal corps de logis riche-
ment décoré dans le style ogival fleuri est défendu à une de ses
extrémités par une grosse tour qui est une sorte de donjon ; il
présente à Tautre bout deux autres tours, Tune cylindrique, Tautre
octogonale particulièrement élégante. Un nouveau corps de logis,
ajouté à l'ancienne construction et également de style fleuri, se
termine par une dernière grosse tour qui fait le pendant du donjon.
Cette belle demeure du XVP siècle, aménagée avec art de façon à
satisfaire toutes les exigences des mœurs de nos jours, fait grand
honneur à ses propriétaires qui l'ont restaurée et qui l'habitent,
M. et M*^* de Guiton. Ajoutons qu'un magnifique parc arrosé d'eaux
vives entoure ce somptueux château.
La baronnie de Bonnefontaine se composait en 1680 de ce qui
suit : le château de Bonnefontaine avec « ses tours, fossés et pont-
• Arch, du Parlement de Bret.
DE HAUTE-BRETAGNE 981
levis n , sa chapelle dédiée à Notre-Dame et fondée de messes, son
colombier, ses bois et rabines, ses étangs et moulins, etc. ; — les
anciens manoirs de Langle, de la Barbotais et de Vaublain ; — les
métairies de Bonnefontaine, de Perrousel, de la Bertinière, du
Vivier, de TAbbaye, delà Fauvelais, des Juanderies ; — les moulins
du Vivier en Antraîn, de Briand en Tremblay, plus trois moulins
en Chauvigné.
La haute justice de Bonnefontaine s'exerçait à Antrain même, et
s*étendait sur plusieurs fiefs appartenant aux douze paroisses d' An-
train, Tremblay, Chauvigné , Rimou, la Fontenelle, Songeai,
Bazouges-la-Pérouse, Marcillé-Raoul, Saint-Brice, la Celle en Co-
glais, Saint-Hilaire-des-Landes et Saint-Mard-le-Blanc. A Antrain
aussi le seigneur de Bonnefontaine avait droit de tenir un marché
le samedi de chaque semaine et des foires aux fêtes de saint Luc et
de saint André*. Dans Téglise paroissiale d' Antrain le même sei-
gneur était prééminencier et prétendait même être fondateur ; il
jouissait d'un enfeu et d'un banc dans le chœur qu'entourait une
litre à ses armes, et avait, en outre, un autre enfeu et un autre
banc armoriés dans la chapelle de la sainte Vierge'.
Hors d' Antrain le baron de Bonnefontaine était regardé comme
seigneur fondateur des deux églises de Chauvigné et de celle de la
Fontenelle. Il avait aussi en Chauvigné le droit de foire aux jours
de la Mi-Carême, de saint Georges et de la Transfiguration.
De toutes les dimes de grains recueillies en cette même paroisse
de Chauvigné par le recteur du lieu et le prieur de Saint-Sauveur-
des-Landes. les pailles, balles, vannures et écussons appartenaient
au seigneur de Bonnefontaine ; les tenanciers étaient obligés de les
charroyer et conduire à ses faneries.
M. de Bonnefontaine avait aussi le droit de pêche prohibitive
dans les rivières de Couesnon et de Loisance en toute l'étendue de
ses fiefs.
Terminons par l'énumération de certains devoirs plus singuliers
que gênants que devaient rendre à leur seigneur les tenanciers de
' En i5&7 Henri II lui avait accordé ce marché et quatre foires par an.
• i4rcA. d'Ille-et-Vil., g, G, 6.
282 LES GRANDES SEIGNEURIES
BonnefontaiDe. C'est ainsi qu'en la ville d*Anirain plusieurs habi-
tants jouissaient de leurs maisons à la condition d'acquitter
chaque année quelques redevances, sous peine chacun de soixante
sous d'amende : l'un devait une gibecière^ l'autre un jeu de quilles
et deux boules ; celui-ci un gant de fauconnier et celui-là un
collier à lévrier avec laise de soie aux couleurs du seigneur;
d'autres enfin devaient des sonnettes d'argent pour un épervier,
plusieurs étrilles, une boule de buis, etc.
A Chauvigné le recteur de la paroisse était tenu, à cause de sa
maison presbytériale relevant de Bonnefontaine, d'offrir au seigneur,
le jour du sacre, sous peine de soixante sous d'amende, « un
chapeau de roses », c'est-à-dire une couronne de fleurs de rosi^.
Au bourg de Chauvigné se trouvait aussi une autre maison dont
le propriétaire devait donner une mesure d'avoine au cheval du
baron de Bonnefontaine ou à la haquenée de sa femme, lorsque
ces seigneurs et dame venaient à la messe en l'église de Chauvigné.
LE BORDAGE (Marquisat)
Comme les deux châteaux qui précèdent, le Bordage' fut une
forteresse au moyen âge, mais moins heureux qu'eux il n'a pas vu
de nos jours relever ses tours et reconstruire ses murailles. L'his-
toire de cette place forte et des puissants seigneurs qui l'habitèrent
depuis le XIV' siècle serait bien intéressante à écrire et nous re-
grettons de n'en pouvoir donner ici qu'un simple résumé.
Le premier seigneur du Bordage connu est Renaud 1°' de Mont-
bourcher, auquel en i3ia le duc Jean III accorda les droits d usage
dans ses forêts de Rennes et de Liffré*. Ce Renaud était le second
fils de Geoffroy, sire de Montbourcher en Vignoc, ayant pris la
croix en 1271 pour accompagner en Terre-Sainte le duc Jean Le
Roux, et de Tiphaine de Tinténiac. Renaud fut garde des sceaux
du duc de Bretagne et épousa : i» Anne de Saint-Brice, a* Cathe-
rine de Coesmes.
' Commune d'Eroé près Liffré, canton de Lifliré, arrondissement de Rennes.
« Arrêts de Frain, 636. Ce droit fut confirmé par Henri IV, en iBçS.
DE H\tJT&BAETAGNE StS
Bertrand de Montbourcher, son fils» fut ensuite seigneur du Bot-
dage et épousa Mahaud Gouyon dont il eut Renaud II de Mont-
bourcher, vaillant compagnon de du Guesclin en Espagne et
seigneur du Bordage, mari d'Honorée Raguenel. C'est cette der-
nière dame qui le 3 juin i368 favorisa l'établissement à Rennes des
dominicains, en leur permettant de construire dans son fiet leur
monastère de Bonne-Nouvelle^
Renaud II laissa deux fils» Alain et Simon, qui furent successive-
ment seigneurs du Bordage. Le premier décéda en mars iSgo,
n'ayant eu de Jeanne Le Yayer sa femme qu'un fils nommé Ber-
trand, mort sans postérité. Quant à Simon de Montbourcher, écuyer
du duc de Bretagne dès i38o, il épousa en iSga Tiphaine de
Champaigné, dont il eut Bertrand de Montboucher, seigneur du
Bordage en 1427^.
Ce Bertrand s'unit d*abord à Jeanne de Beloczac, puis en lAaQ
à Jeanne de Québriac, dame de Chasné ; il fut chambellan du duc
de Bretagne en 14^6, puis' capitaine de Saint-Aubin du Cormier
en i434, et mourut le 12 juillet i454. Il laissa deux fils, seigneurs
du Bordage l'un après l'autre : François^ qui n'eut pas d'enfants de
sa femme Catherine de Lesbiet, et René III, marié à Béatrice de la
Duchaye. Cedemierfuttuéen 1 488 à la rencontre de Saint- Aubin du-
Cormier, laissant deux enfants, Arthur, qui mourut jeune, et René.
René IV de Montboucher, seigneur du Bordage, rendit aveu
pour cette terre le 3 janvier 1499, comme héritier de son père et de
son frère aîné^ ; il fut gouverneur de Rennes et lieutenant général
en Bretagne, et décéda le a4 juillet i54o. De son mariage avec
Raoulette Thierry, fille du seigneur du Boisorcant, il laissa Fran-
çois de Montbourcher, son successeur. Ce dernier seigneur du
Bordage épousa: i"^ Jeanne de Malestroit, dame de Saint-Gilles,
dont il était veuf en i563 ; a* Bonaventure de Belouan, dame du
Bois de la Motte. Du premier lit sortit René V de Montbourcher,
seigneur du Bordage, gouverneur de Vitré et chevalier des ordres
• Arch. d'Jlle-et'YiL, 1, H. 5.
« Arehiv. de la Loire-Inférieure.
^Arch. d'IUe-et-Vil,
284 LES GRANDES SEIGNEURIES
du roi, qui s'unit en 1674 à sa parente Françoise de Montbourcher,
dame de Montbourcher et du Pinel. Cette union ne fut pas heu-
reuse, si l'on en croit le Journal de Pichart\ et le sire du Bordage
mourut, empoisonné, dit-on, le aS janvier ^iSqS.
Son fils, René VI de Montbourcher, seigneur du Bordage, ap-
partenait, comme son père et son grand-père, à la religion prétendue
réformée ; il épousa aussi une protestante à Laval, le 10 octobre
t6o4, Elisabeth du Boays de Mesneuf. Il se distingua durant les
guerres de la Ligne et fut l'un des plus braves gentilhommes de
son temps ; il mourut aux Etats de Nantes en 1647, et ^^ veuve lui
survécut jusqu'au 5 novembre i657.
René VU de Montbourcher, fils des précédents et seigneur du
Bordage, épousa Marthe Durcot, dame de la Grève, et obtint en
1056 l'érection en marquisat de sa seigneurie du Bordage.
René VIIl de Montbourcher, son fils, marquis du Bordage, prit
part aux guerres de Louis XIV et abjura le protestantisme ; devenu
maréchal de camp, il fut tué au siège de Philippsbourg, dans ia
nuit du 19 au 30 janvier 1688'. Il avait épousé en 166g Elisabeth
Gouyon, fille et héritière du marquis de la Moussaye, qui mourut
elle-même en 1701.
De cette union sortirent deux enfants : René-Amaury de
Montbourcher, marquis du Bordage, décédé à Paris, âgé de 78 ans,
sans avoir contracté d'alliance, en 1744, — et Henriette de Mont-
bourcher, baptisée en 1671 au temple protestant de Cleusné, près
Rennes, et mariée en 1699 à François de Franquetot, duc de Coigny.
La duchesse de Coigny, héritière de son frère, devint marquise
du Bordage, et laissa, en mourant le 8 octobre 1761, cette seigneu-
rie à ses petits-enfants nés de Jean-Antoine de Franquetot, mort
dès 1748, et de Marie-Thérèse de Nevet ; ils en rendirent aveu au
roi le ao mai 1763.
L'aîné d'entre eux, François-Henry de Franquetot, fut duc de
Coigny à la mort de son grand' père, décédé en 1769, et marquis
du Bordage ; il avait épousé en 1765 Marie-Jeanne de Bonnevie,
' Dom Morice, Preuve de VHist. de Bret,, III, 172& et 1731.
» Voy. les Lettres de Af»« de Sévigné, VIII, aa3.
DE HAUTE-BRETAGNB tSft
morte dès 1757. Ce fut ce seigneur, pair de France et gouverneur
de Caen et de Cambrai, qui vendit, le a3 avril 1788, le marquisat
du Bordage à René-François de Montbourcher, seigneur de la
Magnanne en Andouillé, pour 45o 000 livres, y compris le mobilier
du château estimé 60 000 livres.
René-François de Montbourcher, devenu marquis du Bordage,
émigra, et son château du Bordage fut vendu nationalemen t
10 000 livres, le 4 mai 1793. Il avait épousé en 1776 Joséphine de
Kersauson, qui mourut à la Magnanne en 183a ; lui-même la suivit
dans la tombe en i835.
L'abbé Guillotin de Corson,
Chan. hon,
{A suivre. J
MÉMOIRES D'UN NANTAIS
Je suis né à Nantes le 19 mai 1793, Tannée terrible. Mon ptee
était le onzième des dix-neuf enfants de mon grand-pére. Presque
tous sont morts sans héritiers. L'un se fit bénédictin ; deux filles
se sont mariées, lune à M. du Buisson, l'autre à M. Cotelle.
M. du Buisson, officier de marine, fut tué près de Saint-Halo
en défendant les côles de France attaquées par les Anglais. Ma
tante était ma marraine, je devins l'objet de sa prédilection.
Ma mère était une demoiselle Le Tort des Perrières, dont le père
était avocat, sénéchal de Haute-GcfUlaine. Cette famille était de
Saint-Domingue, où elle avait presque toute sa fortune.
Je n'avais qu'un mois lorsque l'armée vendéenne attaqua Nantes.
Deux ans après, nous allâmes demeurer entre les Coëts et Bougue-
nais. Mon père était mort quatre mois après ma venue au monde.
Les visites domiciliaires répétées lui causèrent deux attaques de
paralysie, il succomba.
Le plus jeune de mes frères avant moi s'appelait Auguste, aussi
charmant de caractère qu'il était beau de visage. Ma mère, très
sensible à la beauté, avait une prédilection pour Auguste et pour
ma sœur Suzanne. Il en résulta une guerre continuelle que maître
Auguste soutenait en vrai polisson.
C'est pendant notre séjour à la campagne que j'ai entendu pro-
noncer un nom qui occupait déjà toute l'Europe. Un dimanche
d'hiver, les bonnes gens du village étaient assemblés au coin d'un
champ entre deux chemins. Là, aux rayons déjà réchauffants du
soleil, ils devisaient sur les affaires du temps. Je m'approchai d'eux
MÉMOIRES D'UN NANTAIS 287
comme font tous les enfants et j'entendis qu'ils parlaient de Bona-
parte^ de retour d'Egypte. Peu de temps après on rouvrit les églises
deRezé et de Bouguenais.
Je me rappelle aussi le passage de la bande de Beillevert, partisan
républicain. Il fut signalé par la disparition de mouchoirs et che-
mises étendus à sécher sur les haies.
Deux événements signalèrent les dernières années de notre séjour
aux Basses-Landes : d'abord Ventrée des chouans à Nantes en 1799,
puis Fexplosion de la poudrière du château, explosion qui fut en-
tendue à Ghàteaubriant.
Peu après nous nous embarquâmes, ma sœur et moi, dans la di-
ligence de Rennes. Suzanne avait alors dix-sept ans et était réelle-
ment une beauté ; aussi fut-elle l'objet des soins les plus assidus de
tous les voyageurs. Les routes n'étaient pas encore très sûres. Ce-
pendant il ne nous arriva rien^ si ce n'est de verser au milieu de la
route à la hauteur de Gèvres. Le lendemain, vers midi, nous arri-
vâmes. Ma tante du Buisson nous attendait.
Les mœurs grecques étaient alors en vogue et la mode pour les
femmes de se découvrir beaucoup était loin de plaire à ma tante.
Sans être sévère, elle ne voyait pas avec indifférence sa nièce imiter
les élégantes du jour. Une voisine de ma tante, M"** de la Tribo-
nière, avait une fille et deux garçons. Cette maison était triste :
M. de la Tribonière, i'ainé, colonel de chouans, venait d'être tué.
Sa mère déjà souffrante mourut peu après son fils.
Nous étions depuis peu chez ma tante lorsque nous apprîmes la
mort de mon frère Auguste. Ma mère était revenue habiter Nantes ;
Auguste lui demanda à aller se promener avec son frère [aine René
— « Non, lui dit ma mère, ton frère va aller se baigner, et je nç
veux pas que tu te baignes. » Auguste insista et promit tant de ne
pas se baigner qu'il obtînt la permission désirée. Arrivés sur la
prairie de Mauves, ils rencontrent un chirurgien qui avait soigné
Auguste. Ce médecin proposa à Auguste de lui apprendre à nager
et finit par vaincre la résistance des deux frères. Ce chirurgien Ten-
mène au large et le laisse se noyer. René n'osait plus se présenter
chez sa mère qui demandait qu'on lui rendit ses enfants morts ou
vifs. Elle n'a depuis jamais prononcé le nom de son fils, ce qui a
paru à tous une preuve de son profond chagrin.
' .•
288 MEMOIRES D'UN NANTAIS
Ma tante avait promis de s'occuper de mon instruction. Elle n'eut
garde d'y manquer. Deux sœurs qui habitaient la même maison
que ma tante, rue Veaux-Saint-Germain, confiantes dans les opinions
de ma tante, consentirent à achever de m'apprendre à lire et écrire.
L'abbé Dublot me donna des leçons de latin.
M^* du Buisson était royaliste, elle avait versé des larmes à la
mort de Louis XVI. et elle se montrait froide à l'égard des dames
qui allaient à la messe des prêtres assermentés. Cependant elle me
menait voir toutes les fêtes nationales. Elle m'achetait des estampes
représentant grossièrement les généraux illustres d'alors, avec en
marge le récit de leurs hauts faits. J'ai ainsi appris à lire avec les
noms de Plchegru, Georges Cadoudal, Charette, Jourdan, Moreau,
Lannes, Bessières, Desaix, Bonaparte. Après ce dernier, le nom que
)e remarquais le plus était celui de Charette, parce que ma tante
m*avait dit que nous étions parents de ses neveux par ma mère.
Suzanne resta quatre mois chez ma tante avec moi. Un an après
ma tante alla demeurer place des Lices, au coin de la rue Porte-
Saint-Michel. Je fus alors envoyé chez M. Hazard, rued'Orléans, près
du Pont-Neuf. C'était un ancien chouan, élève du séminaire. Puis
chez M. Baré, qui ne brillait pas par la douceur. Un jour il dit à
un élève assis auprès de moi : Le feras-tu encore? — Oui, répon-
dîs-je sans lever la tête. M. Baré furieux donne un vigoureux souf-
flet à mon camarade. Surpris et indigné je me lève : « C'est moi
qui ai dit oui. » M. Baré lève sa règle, mais s'arrête parce que je
lui observai qu'il ne me frapperait pas deux fois. La victime était
Emmanuel Gaudiche, duquelje parlerai plus d'une fois dans la suite.
M. Corbière, alors avocat distingué, était le protecteur de la fa-
mille Gaudiche. Je fus ensuite envoyé chez M. Blanchard, grand-
vicaire du diocèse, qui, par sa prévoyance, rendit les plus grands
services. Son école n'avait que le titre d'école secondaire, mais le
public l'appelait petit séminaire, et c'en était un, de fait. Tous les
professeurs étaient prêtres. M. Blanchard s'établit aux Cordeliers.
J'avais alors dix ans et demi. J'entrai en troisième.
Pendant les trois années écoulées depuis mon arrivée à Rennes,
les événements s'étaient succédé rapidement. Bonaparte, de pre-
mier consul, était devenu Napoléon V' empereur.
M •
«
-V '
• "S
MÉMOIRES D'UN NANTAIS 289
Je fis ma première communion à la paroisse Saint-Aubin. Nous
demeuiioDs place des Lices lorsque Toussaint Louverture fut
amené en France. Je l'ai vu passer accompagné par des gendarmes.
Lorsqu'on publia le traité de paix avec TAugleterre, j'étais bien
jeune ; je vois encore toute la municipalité avec les écharpes tri-
colores, M. Laurin, maire, en tête, criant : Vive Napoléon le Grandi
Ma tante me serra dans ses bras en pleurant de joie. La paix,
croyait-elle, allait rendre à ses chers neveux leurs biens de Saint-
Domingue. Espérance promptement évanouie après la mort du
général Le Clerc, beau-frère de Napoléon. On sait que la belle
veuve ramena le corps de celui qu'elle avait suivi au delà de l'O-
céan. Tropjolie pour ne pas oublier, la belle Pauline devint la prin-
cesse Borghèze.
La jeunesse de Rennes est par nature turbulente et guerrière.
Le manque de commerce fait que tous ceux qui ne se destinent
pas au barreau prennent la carrière des armes.
Arrive à Rennes un M. de Thuri. Ce personnage, qu'on a accusé,
à tort peut-être, d'être un espion du gouvernement, se mit à fré-
quenter les cafés et surtout le café Liévaux, qui était le rendez-vous
de tous les désœuvrés, et ils étaient nombreux surtout dans la no-
blesse. M. de Thuri ne tarda pas à se lier avec MM. de Pire, Dupont
et de la Bourdonnais. Le jeu qui les rapprocha fut cause de que-
relles. En ce temps-là et entre gens de cette qualité un différend ne
pouvait se terminer que par un duel. M. Dupont se mesura le pre-
mier avec le Parisien. Il passait pour bon tireur ; néanmoins il reçut
un coup d epée au travers du corps dont il fut bien heureux de ne
pas mourir. M. de la Bourdonnais prit immédiatement sa place. Le
combat cette fois eut lieu au pistolet. M. de Thuri, le sort lui étant
défavorable, dut essuyer le feu de son adversaire et reçut une balle
qui lui fracassa la mâchoire. Il ne fut pas tué. Cette affaire fit du
bruit. Pour se soustraire aux poursuites du ministère public, ces
messieurs quittèrent Rennes. M. de la Bourdonnais alla servir dans
la légion étrangère. En iSsS j'ai revu M. Dupont à Bayonne, il était
porte-étendard dans un régiment de cavalerie.
Plus heureux, M. de Pire partit pour l'Italie, se présenta à l'em-
pereur dont il était personnellement connu et obtint tout de suite
uu grade supérieur, il est devenu lieutenant-général, a figuré à
290 MÉMOIRES D'UN NANTAIS
Rennes dans les Cent Jours et en i83o. Je ne sais si son attachemen
à son bienfaiteur lui a suscité des ennemis^et s'il s'est attiré par làla
haine de la classe à laquelle il appartient par sa naissance; mais je
Tai souvent entendu accuser, surtout de n*avoir qu'une bravoure
de circonstance et qui ne se produisait jamais lorsque l'éloignement
4.11 chef lui faisait craindre de s'exposer sans profit pour son avan-
cement. On ne peut nier cependant que ce ne soit de la bravoure.
Pendant mon séjour à Rennes je vins une fois à Nantes passer les
vacances avec mon frère Benjamin, âgé de 4 ans de plus que moi.
Je fus présenté à la famille de Gharette de la Contde dans laquelle
j'allai beaucoup ensuite. Benjamin était très lié avec Tainé, Ludovic.
Le jeune Alhanase et moi sommes restés liés depuis. Athanase était
alors un gros garçon annonçant la force physique et déjà de ma
taille, quoique j'eusse près de 3 ans de plus que lui. La famille de
Gharette possédait à Nantes, rue Basse- du- Ghâteau, un hôtel qu'elle
habitait l'hiver; elle passait le commencement de la belle saison à
la Trémissinière, nonloin dé Saint*Donatien, et l'automne à laGon-
trie^ tout près de Gouffé, vieille demeure et berceau de la famille où
est né le général vendéen. Aussi la Gontrie était l'habitation de pré-
dilection. La veuve du général n'eut pas d*enfants de lui et se re-
maria au comte de Lépinay. Toute la gloire du fameux général
revintà ses neveux On raconte que lorsque M*' de Gharette se re-
maria, remployé de l'étatcivil lui dit : a Si je portais un nom comme
celui-là, je ne voudrais pas le changer. »
Je fus invité à aller avec Alhanase passer quelques jours à la
Gontrie. Aller de Nantes à Gouffé n'était pas petite affaire. La veille
du jour fixé nous vîmes arriver un métayer de Gouffé envoyé à
notre intention par M*"® de Gharette. Il avait six bœufs à son
véhicule, ce qui n'attestait pas le bon état des chemins. Ghacun
des six bœufs avait un nom que le métayer répétait tous les uns
après les autres, espèce de chant inintelligible et que les oreilles
non habituées prenaient pour une langue étrangère. Dans les
chemins creux, étroits, bordés de haies épaisses et élevées, il est
impossible de reculer, surtout si on descend. Le cri du métayer
avertit ceux qui s'avanceraient au bas de ne pas s'engager. Dans la
Biscaye espagnole les essieux en bois des charrettes ne sont point
MÉMOIRES D*UN NANTAIS 291
gnissès et font un bruit perçant qui remplit le même but. Partis
k lo heures du matin, nous arrivâmes à la Gontrie à la nuit tom-
bante : nous avions fait 3a kilomètres en lo heures. L'église de
CouQë est située sur le sommet d'un coteau en forme de pointe,
terminé de chaque côté par deux vallons délicieux au fond desquels
coulent deux ruisseaux qui confondent leurs eaux au bas du bourg
et forment le Gàvre^ qui se jette dans la Loire à Oudon. Alhanase a
depuis fait bâtir un beau château à côté de la maison où est né
son oncle, dont il a voulu respecter le souvenir et le berceau.
C'était un vieux manoir bâti à plusieurs reprises et sans plan gé-
néral. On critique beaucoup ces créations anciennes; remarquons
cependant que les constructions dont nous censurons Tirrégularilé
sont celles qui produisent^ le plus d'effet dans un paysage, avec
lequel elles se marient mieux, tandis que les maisons modernes à
la forme compassée jurent avec le négligé élégant et sans préten-
tion de la nature.
Je faisais brillamment ma rhétorique lorsque ma mère me rap-
pela près d'elle .à Nantes. Je n'obéis pas sans révolte. Ma bonne
tante, aussi peinée que son filleul, retint ses larmes et je partis.
Ma mère me laissa une liberté illimitée. Ainsi je pus m'absenter
plusieurs jours de suite sans avoir prévenu. On supposait que
j'étais à la Trémissinière, ce qui était vrai. Un jour, en compagnie
d'Athanase de Charette et autres nous faisons une partie dans un
canot loué à Barbin. C'était au commencement du printemps, Teau
était haute ; nous décidons d'aller au pont du Sens, conduire notre
petite embarcation là où n'avait jamais paru un bateau. Une épi-
thète injurieuse fut infligée à quiconque parlerait de reculer avant
le but. Par les détours nous évitâmes bien des obstacles ; mais plus
nous avancions, plus le terrain ferme se montrait, puis les branches
d'aune ou de saule attestaient qu'avant nous personne n'avait tenté
le passage. Sans le dire, le découragement s'emparait de l'équipage,
sauf d'Athanase et de moi dont le courage grandissait avec les
difficultés. Nous venions de triompher d'un obstacle sérieux lorsqu'à
an détour nous nous trouvons en face d'un arbre abattu en travers
du ruisseau. On aurait pu le croire mis exprès pour faire un pont ;
sa garniture de branches par dessous rendait notre passage impos-
292 MÉMOIRES D*UN NANTAIS
sible. Le aileuce de chacun était significatif, l'avis unanime était de
s'anrêter. Debout sur un banc du trois-ponts, dans l'attitude la plus
héroïque, je lançai une de ces harangues capable de fomenter une
révolution à Rome ou à Athènes. D abord quelques signes approbalifs
apparaissent, mais les regards s'étant portés sur le saule malencon-
treux, sa grosseur effraya mon auditoire qui resta sourd à mes
plus belles phrases. Indigné, je saute d'un bond sur la prairie : les
chaussures enlevées, le pantalon relevé, j'entre dans le ruisseau,
me glisse entre les branches, me place courbé sous Tarbre, et me
redressant, je montrai à mes matelots ébahis un superbe passage :
« Allons, paresseux^ aurez-vous au moins le courage de pousser le
canot? » Obéi alors comme un capitaine de vaisseau, deux poussent
le canot, tandis que deux autres, bravant la fange qui couvrait les
branches, soulèvent la tète ou saule, ce qui me permet de sortir
sans rentier dans Teau comme j'avais dû le faire. Par prévoyance
nous reposâmes l'arbre de manière que les branches pussent le
maintenir dans une position qui nous permit de passer au retour.
Nous étions près du pont du Sens, sous lequel nous passâmes triom-
phants ; les gens du village accoururent nous voir. Le courant aida
notre retour. Athanase, avec sa taille élevée, sa vigueur, était tou-
jours pour les aventures. .. Prédestination! Nous devînmes insé-
parables. Je lui appris à nager, il était dur au mal, presque indif.
férent à la douleur. Il était dans son caractère de vouloir réussir
tout de suite dans tous les exercices du corps, et presque toujours
il y arrivait. J étais plus prudent, opiniâtre, je préférais avancer
pas à pas et plus si^ement. Dès qu'il put se tenir sur l'eau, il
voulut se lancer au large. Cette audace me semblait téméraire ; je
le suivais avec un canot qui par un faux mouvement de sa part lui
passa sur le corps. Il eut le dos écorché. Je sautai dans Teau pour
aller à son secours ; je le vis reparaître aussitôt et gagner la rive
avec un sang-froid digne d'un âge plus avancé. Bientôt l'élève fut
plus fort que le maître.
On n'élevait pas alors les enfants avec autant de soins qu'au-
jourd'hui. L'Empire était au plus haut degré de puissance et de
gloire, du moins en apparence. La France, au bruit des Te Deum
et au récit des actions d'éclat^ applaudissait sans réserve ; la jeu-
MÉMOIRES D'UN NANTAIS 293
nesse ne rêvait que guerres et combats. On ne croyait pas que sup-
porter la fatigue, s'imposer des privations, fût un mérite : tous les
jeunes gens pratiquaient cette vie là, jugeant comme par instinct
qu'elle leur était réservée.
Napoléon a dit : t Tout Français naît soldat. » Tous les Français
d'alors s'exerçaient à Tétre. On doit admirer les mères de ce temps-
làt l'indifférence n étant pas admissible. Lorsque ma mère allait
readre visite à M"'* de Gharette, elle demandait ou nous étions :
c Je n'en sais rien, car on vient de les appeler et ils n'ont pas ré-
pondu. Suivons, si vous voulez le bord de la rivière, nous les trou-
verons dessus ou dedans. » C'était exact. Nous n'avions guère de
rivaux à la nage ou pour manier un aviron. Nous pouvions défier
les plus robustes, surtout lorsque nous eûmes dressé à tenir le
gouvernail un petit garçon appelé Marin Béas, élevé par charité
chez M'*' de Charette. Pauvre Marin ! lorsque son maître qu'il ne
quittait guère se mettait à passer sur les murs et les toits, diose
fréquente, sans que les bosses dues à sa passion grimpante pussent
le corriger. Marin tirait au renard, il fallait qu Âthanase répétât de
sa plus grosse voix : Marin, suis-moi 1 Allons, Marin ! — Quand
Marin tremblant se cramponnait où il pouvait, n'osant ni avancer,
ni reculer, son maître revenait, le saisissait et l'emportait, comme
répervier fait du petit oiseau qu'il va dévorer. Ce temps a été une
des époques des plus heureuses de ma vie.
Ma mère, en me retirant de chez ma bonne tante, interrompait
mes études : c'était me fermer la porte du barreau Je suivais à
Nantes les cours de mathématiques et de physique au lycée. Mon
professeur était M. Galbaud du Fort. Je fus très surpris la première
fois que j'assistai à son cours : il mit d'abord son crâne à nu en
ôtant sa perruque de ville, et se couvrit d'une autre perruque et
d'un bonnet de nuit apportés dans un carton. Sa parole calme et
monotone était un véritable somnifère.
Les lettres de ma tante me prouvaient que la pauvre bonne
femme ne s'habituait point à mon absence. Bientôt une idée fixe
s'empara de moi et aucun plaisir ne put m'en distraire. Ma tante
souffrait, je demandai à retourner près d'elle. Après avoir consulté,
ma mère me laissa libre. J'écrivis le jour même à ma tante, et
Tome ix. — Avril 1898, ao
2H MÉMOIRES D'UN NANTAIS
■
a4 heures après je me mis ea route à pied. Il faisait nuit et fort
mauvais temps lorsque je parliâ ; j'étais déjà hors de Nantes
lorsque jo m'aperçus que j'avars quitté la maison ûiaternelle à
minuit. Malgré la pluie et le mauvais état de la route, j'avançais,
péniblement, il est vrai. A 3 heures j'étais à Gèvres sans avoir ren-
contré âme qui vive. Je ne m'arrêtai qu'à Bout-dc-Bois, 5 lieues de
Nantes. Il faisait à peine jour. Cependant l'auberge était ouverte.
Je mangeai un morceau et me remis à marcher. Les gens de l'au-
berge, très étonnés, j'avais i5 ans à peine, vinrent voir quelle
direction je prenais. A 8 heures j'étais à Nozai, et à midi j'entrais à
Derval, 56 kilomètres de Nantes. Je diuai et dormis a heures^ et à
7 heures du soir j'arrivai à Bain, 8a kilomètres de Nantes. J'étais
fatigué. Je me couchai avec plaisir. Le lendemain je me sentis les
jambes tellement raides que je pri$ un cheval. J arrivai chez ma
tante avant l'heure convenue et vis une voiture à la porte. Ma
bonne tante, à la réception de ma lettre^ avait été efiravée de me
voir lancé sur une route si longue et allait venir au devant de moi
pour m*épargner de la fatigue.
J'avais perdu à Nantes un temps précieux. J'entrai chez M. Joûon,
avoué. Je comptais suivre l'école de droit et prendre mes inscrip-
tions. Le sort en avait décidé autrement. Ma tante fut frappée
d'apoplexie et je la perdis au bout de quelques semaines. Ma dou-
leur fdt profonde : je ne pleurai point, mais n'en souffris que plus.
Ma mère ne voulut pas me laisser à Rennes. Je fus -ainsi arraché à
ma vocation, presque au moment où les événements changeant la
face de l'Europe, Tépée allait céder la place au talent de la parole,
force dominante dans les états constitutionnels.
Je quittai Rennes avec regret, mais sans éprouver^ comme dix
mois auparavant, le chagrin d'y laisser ma tante aux mains d*uiie
bonne. Je portai son deuil comme le deuil d'une mère dont elle
avait la tendresse.
Je passai encore deux ans à Nantes ; mais mou temps ne fut pas
employé d'une manière aussi avantageuse à mon instructioQ qu'à
mon plaisir. Je suivais le cours de mathématiques de. M. Rollin^
petit homme pâle aux yeux pétillants d'intelligence. On ne pouvait
mieux démontrer, ni tracer avec plus d'adresse une figure de
MÉMOIRES D'UN NANTAIS Î9b
géométrie. Il suivait la méthode de Bésoult. Il nous faisait parcourir
dans une seule séance toute l'arithmétique^ debout auprès du ta-
bleau, la craie à la main. Toutes les propositions devaient être
démontrées sans écrire un seul chiffre. On appelait M. Rollin le
bonhomme Centime, parce qu'on lui attribuait Tinvention du sys-
tème décimai. Ma sœur, qui avait quelques notions de musique,'
m'apprit à connaître les notes. J'étudiai le violon avec un M. de
Latulais, qui avait pour rival un artiste, Carîlès.
J'appris aussi à faire des armes. Ludovic de Charette était élève
de Moreau, maître remarquable par la beauté de son jeu. La salle
Moreau était dans le J[)as de la rue du Calvaire. Comme ma mère
demeurait place du Bon-Pasteur, j'étais voisin de la salle, je me
livrai avec passion à ce noble exercice. Grâce à mon application je
pus faire assaut au bout de trois mois : dès ce moment je devins le
tenant de la salle, de cinq heures du matin à trois heures après-
midi, prêtant collet à tous ceux qui voulaient s'escrimer, forts ou
faibles. Mes progrès furent rapides; aussi les meilleurs tireurs
prenaient plaisir à les constater. M. Patoureau surtout, qui était
plutôt fort tireur que beau tireur, avec une force de poignet rare,
ne passait guère de jours sans me boutonner. 11 fallait un solide
tempérament pour résister à un exercice aussi violent, et ne pas
craindre le mal. J'avais tout le côté droit, l'épaule, le bras, la poi-
trine marbrés par les coups de bouton qu'on ne m'épargnait guère,
J*étais devenu insensible, infatigable. Ludovic, quoique inférieur à
MM. Boitard et Patoureau, était d'une jolie force. ^ Nous tirions
souvent ensemble à la salle et chez lui. Deux fois j'ai failli être
victime iie son extrême vivacité : la première fois , après l'avoir
averti que son Qeuret était démoucheté, et croyant qu'il allait s'ar-
téter, je baissai la main, il me fit à la poitrine une blessure de
trois centimètres de profondeur, bien que le quart du bouton existât
encore. On peut juger de la violence du coup. La même circons-
tance se présenta phis tard : cette fois je parai et m'effaçai, le fleuret
me passa sous le bras droit et me blessa légèrement les chairs.
A quelque temps de là le pauvre Ludovic fut moins heureux. 11
allait quelquefois dans une autre salle où il trouvait un tireur de sa
force, ils se Ibndrrenttous les deux ensemble. Ludovic manqua le
196 MEMOIRES D'UN NANTAIS
corps, tandis que son adversaire l'atteignait au milieu de la poi-
trine, et comme Ludovic avait le défaut de jeter le corps en avant^
le fleuret se brisa et le tronçon, assez long encore Jui perça la partie
droite du cou, passa entre l'omoplate et sortit dans le dos. Il eut
la force de se rhabiller et de se rendre à Barbin, d'où il se fit con-
duire en bateau à la Trémissière. Arrivé là, il se trouva mal.
M"* de Charette était à Gouffé, le médecin appelé en toute hâte
sonda la blessure et déclara qu*il n*y avait aucun daoger.
On devait penser que ces trois accidents arrivés coup sur coup
durent nous mettre sur nos g'^rdes ou provoquer quelques repré-
sentations maternelles; personne n'en eut même la pensée, tant on
était convaincu que la jeunesse était destinée à affronter la mort
sur les champs de bataille, dans les conspirations ou les affaires
particulières.
(A suivre J
CHANSONS POPULAIRES BRETONNES
DIALECTE DE VANNES.
ER HANDERW FAL
3
5
+^ j' j llJzj-4+j^-^
Me ha--ni-terw, merh me mo - rèb. Me
\h I. 1' i \i' iL.-hj j I ,1, jw^
ha - ni - tcrw, merh me mo - rèb, Me ha — ni - lerw,
ûU-y i I p-j-U
^■^J'^|Jr^^
merh me mo - rèb, Guet-n-ein d'er fi - laj é te - hèt.
I
1 , Me haniterw, merh me morèb fterj,
Guet-n-ein d'er filaj é tehèt.
2. Guet-n-oh d'er filaj n'en d*ein quet,
Ke me hoén n'en dé quet daibret.
3 — « Ke me hoén n'en dé quet daibret,
Na me seud gouéreit n'en dint quet »
4. Me haniterw, merh me morèb,
Guet-n-ein d'er filaj é tehèt.
5. Dalhet te laret mar karet,
Guet-n-oh d'er filaj n'en deint quet.
298 ER HANDERW FAL
6. — « Tihoelé'n noz, don er pouleu,
A zeur me g£u*gou mem boteu.
7. — « En amzér zou kri ha kalet,
Me mam n'hum lausk quetde honet. »
0
8. Me haniterw, merh me morèb,
Guet-n-ein d*er fiJaj é tehèt.
9. — « Guet-n-ein d*er iilaj é tehèt,
Hou mam hou lauskou de zonet. »
10. Me merh, houkoén pe vou daibret,
Kerhet d*er filaj mar karet,
11 . — « Kerhet d'er filaj mar karet,
P'en dé guet hou kanderw é het : »
II
12. — Er plah neoah e huanadé :
E halon oé lan a dristé.
13, — P'oent é honet ar en trezeu :
— « Me handerw kér, cheleu, cheleu.
14. Me hfiuiderw ker, cheleu, cheleu :
Ne houian ket petra me gleu.
15. — « Me gleu en deur doh hum bilat
Hag er piguet é kraguellat. »
16. Me haniterw deit hui brepet,
« Pen dongu et-n-oh, ne zoujet quet.
17 . — Pe oé ar en hent é honet.
Hé mouchet en dès goulennet.
18i Ne pas, me mouchet n'hou pou quet,
Chomet é ém hredans pléguet.
ER HANDERW FAL 299
19. Ama, mar dé chomet er guér.
« Hui brestou d'ein kom hou tantér.
20. « Kom men dantér hui n'hou pou quet,
Ke barlen mem broh ne tal quet.
21 Nan' talé quet barlen hou proh,
« Bout zou hoah un aral guet-n-oh.
22. — (< Ha diw arale hues ér guér;
« A nehai n'hou pou mui dobér. »
23. — E kom hé dantér é krogas,
Ar dro hé fen en er roltas.
24. — Ar dro hé fen en er roltas,
E pont Sant-Drein en hi zaulas.
25. -- Epont Sant-Drein dès hi zaulet,
Guet hé heguel dès hi plunjet.
26 . — En torfèt zou bet hanaùet :
Bout oé unan doh er selet.
27. — Bout oé unan doh er selet,
Kuhet en ur bodig hallek.
28. Bonjour d'oh, tud vad en ti men,
Filaj kaër zou guet-n-oh amen.
29. Filaj kaër zou, mœz guèl vehé,
« Pe vé hou kaniterw eue.
30. Me haniterw hi n'en dei quet :
Hi mam n*hi lausk quet de zonet.
31 . — Penaus vehé dehi donet ?
« E ma é pont Sant-Drein béet.
»
32. — « E maé pont Sant-Drein béet,
" Hou torfèt c zou hanaùet.
300 ER HANDERW FAL
33. — « Hou torfèt e zou hanaùet :
Bet oé unan doh hou selet ;
34. — « Bet oé luian doh hou selet,
Kuhet en ur bodig hallek. »
35. P'em behé gouiet en dra zé,
Bé groeit kemei)tral d'oh eùé.
36. — Ean oueit nezé en désanspoér,
Lakeit en tan é pedair kér.
37. — Pedair kér en dès bet losket,
Hag open melin Kerverùét.
LE COUSIN MÉCHANT
I
1. Ma cousine, fille de ma tante, vousviendrez avec
moi à la veillée.
2. Je n*irai pas avec vous à la veillée, car je n'ai pas.
encore soupe ;
3. — « Je n'ai pas encore soupe et n'ai point trait mes
vaches. »
4. Ma cousine, fille de ma tante, vous viendrez avec
moi à la veillée.
5. Vous pouvez insister, si cela vous fait plaisir, mais
je n'irai pas à la veillée avec vous.
6. — « La nuit est sombre, profondes sont les flaques
d'eau, je remplirai d'eau mes sabots.
7. — « Le temps est dur et mauvais, ma mère ne me lais-
sera pas aller. »
8. Ma cousine, fille de ma tante, vous viendrez avec
moi à la veillée.
ER HANDERW FAL 301
9. — « Vous viendrez avec moi à la veillée, votre mère vous
laissera venir. »
10. Ma fille, quand vous aurez soupe, vous irez à la
veillée, si vous le voulez.
11. — « Vous irez à la veillée, si vous le voulez, puisque
c'est avec votre cousin que vous devez aller. »
n
12. — Cependant, la jeune fille soupirait : son cœur était
rempli de tristesse.
13. — Au moment de franchir le seuil, elle dit : — « Mon
cher cousin, écoute, écoute ;
14. — « Mon cher cousin, écoute, écoute, je ne sais pas ce
quej*entends.
15. — a J'entendç les flots qui s'entrechoquent et les pies
qui jasent. »
16. Ma cousine, venez toujours, ne craignez pas,
puisque je suis avec vous.
17. — Tout en cheminant, il lui demanda son mouchoir.
18. Non, vous n'aurez pas mon mouchoir, il est resté
tout plié dans mon armoire.
19. Eh bien, si votre mouchoir est resté à la maison,
vous me prêterez le coin de votre tablier.
20. Vous n'aurez pas le coin de mon tablier, car le de-
vant de ma robe est en mauvais état.
21. Quand le devant de votre robe serait en mauvais
état, vous en avez une autre sur vous.
22. — « Vous en avez aussi deux autres à la maison : vous
n'en aurez plus besoin. »
23. — Il saisit le coin du tablier de sa cousine et lui en
enveloppa la tète.
»*•.
302 ER HANDERVV FAL
24. — Il lui en enveloppa la tête et la précipita dans l'eau,
au pont de Saint-Drin :
25. — Il la précipita au pont de Saint-Drin, et avec sa que-
nouille il la fit plonger.
26. — Le crime a été connu : une personne en fut témoin ;
27. — Une personne en fut témoin : elle était cachée dans
un petit bouquet de saules.
III
28. Bonjour à vous, bonnes gens de la maison, il y a
bonne veillée ici.
29. La veillée est bonne, mais elle serait meilleure, si
votre cousine y était aussi.
30. Ma cousine ne viendra pas : sa mère ne la laisse pas
venir.
31. Comment pourrait-elle venir? Elle est noyée au
pont de Saint-Drin.
32. — « Elle est noyée au pont de Saint-Drin : votre crime
est connu.
33. — « Votre crime est connu : il y avait un témoin qui vous
regardait ;
34. — « Il y avait un ténwin qui vous regardait, caché dans
un bouquet de saules. »
35. Sijel'avais su, je vous aurais fait subir le même sort.
36. — Tombant alors dans le désespoir, il met le feu à
quatre villages.
37. — Il a brûlé quatre villages, et en outre le moulin de
Kerverûet.
Becueilli et traduit par Y an Kerhlen.
PETITS POEMES VENDEENS
LA BARQUE
1793
A Olitur db Goukguff.
Jean Coupriel est-ce un nom de héros, de vainqueur?...
Retenez-le, ce nom : c'est celui d'un grand cœur.
On peut en quelques vers raconter son histoire :
11 avait une barque et péchait sur la Loire.
Comme il accompagna son père sur les flots.
Ses fils l'accompagnaient, — deux braves matelots.
C'était de leur travail que vivait la famille.
Quand leurs mannes d'osier où le poisson fourmille,
— Gardons, perches, brochets, dards, brèmes, barbillons.
Tous les fruits qu'on recueille, ô Loire, en tes sillons, —
Se vidaient, sur la Fosse, aux mains des revendeuses,
Ils ne regrettaient point tant de nuits hasardeuses.
De jours froids ou brûlants : la table de sapin,
Grèce à ces dignes gens, ne manquait pas de pain,
Et, là-haut, le logis, qui regarde le fleuve.
N'avait pas à souffrir d'une trop dure épreuve.
Si le gain était bon, la mère, aux fils, aiix sœurs.
Pouvait même parfois payer quelques douceurs.
Surtout lorsque donnaient le saumon et l'alose.
Un soir, comme ils rentraient au port, à la nuit close.
Et qu'ils se disposaient à gravir leur coteau,
Ils furent stupéfaits d'entendre d'im bateau
Sortir des cris stridents, tels que ceux des batailles,
Ceux des mourants troués d'effroyables entailles...
Par degrés le silence avait couvert ces cris.
^O'i PETITS POÈMES VENDÉENS
Nos pêcheurs, tout d'abord, n'avaient pas bien compris ;
Mais quand Tonde, au matin, fut par l'aube éclairée.
Ils la comprirent trop, cette scène abhorrée :
Leur quille rencontrait ô spectacle hideux ! —
Des corps, pour la plupart attachés deux à deux!...
La Terreur et Carrier te faisaient trembler, Nantes,
Et ta peur atteignait des hauteurs surprenantes :
Un homme ne s'est pas rencontré dans ton sein
Pour arrêter le monstre en son sanglant dessein !
Non, pas un de tes fils n'eut au cœur ce courage
D'aller l'abattre, ainsi qu'un chien pris de la rage 1
Et, presque chaque jour, le proconsul Carrier
Au grand fleuve donnait des morts à charrier.
Un soir, nulle lueur ne tombait des étoiles, —
Avec les siens Couprie a déployé ses voiles,
Et bientôt, jetant l'ancre, à voix basse il leur dit :
« Enfants, je me tiendrais pour un être maudit,
Si je ne parais pas le coup qui nous menace :
« Périsse mon bateau, son filet et sa nasse,
« Qu'il aille au fond de l'eau former comme un écueil,
« Plutôt que de servir aux noyés de cercueil !....
« Adieu donc, gagne-pain que me légua mon père,
« Tu vas sombrer!... A l'aide, ô Vierge, en qui j'espère! »
Devant Roche-Maurice et sous le ciel voilé,
La barque dans la Loire a lentement coulé,
A l'abri désormais d'une souillure infâme.
Le pêcheur Jean Couprie était une grande âme !
Emile Grimaud.
Nantes, 8 septembre 189a.
POÉSIE FRANÇAISE
LES SORTS
IPOÉSIB INJÉDITE DU € LIVRE CHAMPÊTRE >
A François Fabié.
'Ap)(eTe poixoXixSç, Ma><rai ^iXai, ^PX^"^ aoiSSfc* *
Commencez, Muses chéries, commencez uu chant pastoral.
ThAocrite, id. I.
Cherchant l'ombre et le frais dans le creux d'un sentier,
Où le chêne se penche auprès du noisetier,
Je suis entré, selon ma coutume, au village.
Logis bretons, toujours c'est le même assemblage :
— Des chaumes, des murs gris, moussus et lézardés ;
Des hangards en ruines, aux pignons accoudés,
Où Ton met le pressoir et les grandes charrettes ;
L'aire et ses tas de foins, de pailles, de billettes ;
Le puits avec son auge, où, renversant les seaux,
La vachère en chantant donne à boire à ses veaux.
Appuyant son fanon, au soleil, sur la claie.
Quelque vache rumine à l'ombre d'une haie ;
Dans la crèche im poulain sans sa mère hennit,
Et la pie au sommet d'un orme fait son nid.
Tels vous êtes restés ; et moi, toujours le même,
Conmie je vous aimais autrefois, je vous aime !
Bienhèurexix aujourd'hui le cœur de l'homme épris
Tout simplement de la beauté de son pays !
Mon vers ne rougit pas de son accent rustique ;
Elnfantj'aibule laitde cette muse antique
Qui, fuyant la satire, apprenait à ma voix
A. chanter les troupeaux, les pâtres et les bois.
En abeille de l'art pour ma ruche d'argile
Je butine vos fleurs, Théocrite, Virgile,
906 LES SORTS
Et de leur frais calice extrayant le miel d*or,
Je vole du blé noir à la lande d'Arvor.
O vous que j'ai cueilli sur ma terre natale,
Gardez, humble bouquet, l'odeur occidentale ;
Vous, poème pieux par mon âme dicté.
Approchez vous de Tart par la sincérité ;
Que mon pinceau naïf rende d'un trait fidèle
La beauté que mes yeux voyaient dans le modèle.
Je marchais au milieu des parfums et des chants :
Le printemps verdissait les semailles, les champs
Acclamaient le soleil , les ruisseaux baignaient l'herbe,
Et la fleur d*or était plus que jamais superbe.
La fermière, debout au seuil de sa maison,
Mesurait du regard l'heure sur le gazon.
Or, midi s'avançait, car, sur l'herbe nouvelle,
L'ombre tombait d'aplomb au pied de la margelle.
Un salut cordial m'accueille : « Dieu merci, '
M Les beaux jours sont enfin revenus ! Vous voici
« Dessinant de nouveau sur nos routes fleuries,
« Et, tournant en chansons vos lentes rêveries.
« Vous aimez le pays sous ses aspects changeants,
(( Et vous n'êtes pas fier avec les pauvres gens.
« Entrez donc ! — Vous, Fanchic, allez fermer l'étable ;
« Puis vous apporterez du cidre sur la table. »
Je vais toujours m'asseoir dans l'àtre. C'est ehcor
Le grand foyer ancien. Sous leurs longs cheveux d'or,
Quatre petits enfants, honneur de la fermière,
L'entouraient. Au milieu d'une étroite lumière,
Dardant obliquement ses atomes légers,
Leurs mains tressaient les primevères des vergers.
Pour parer de ces fleurs, que la fumée encense.
Une vieille sainte Anne et sa Vierge en faïçnce.
LES SOaTS 907
Mais la femme (et de pleurs ses yeux étaient noyés) :
« Ne jouez pas ainsi, mes chers petits ; priez
« Pour que le ciel conduise un absent et l'assiste !...
« Monsieur, vous me voyez et bien seule et bien triste,
«< Car mon homme est allé (Dieu le garde !) très loin,
« Tout près de Loc-Queffret (sans doute quelque coin
« Sauvage, comme on dit qu'il en est en Bretagne ;
« Quelque pays de loups perdu dans la montagne).
i< C'est plus loin que Briec et plus loin que Pleyben î
<t Quand, le pauvre, aura-t-il fait un si long chemin 1
« Or il est dans ce lieu — lieu célèbre — une femme
« Qui voit dans votre corps comme Dieu dans votre àme.
« De suite elle vous dit si vous devez guérir,
« Ou bien, tout franchement, si vous allez mourir.
« Elle ne ment jamais ; d'ailleurs, aucune adresse
« N'a pu tromper encor cette devineresse.
« Ahl si, du mal, au moins, son art avait raison I
« Il Ta pris en peinant dans la dure saison,
« Quand il usait sa force à mener seul la ferme.
« Hélas ! si vous saviez combien ce blé qui germe
« Nous a coûté de peine ! Oui (pardonnez mes pleurs),
« Dieu seul connaît le sort des pauvres laboureurs !
« C'est un rude métier que vivre de la terre,
« Et pour les citadins c'est sans doute un mystère.
« Que nous nous plaignions d'elle et que nous l'aimions tant.
« La volonté de Dieu soit faite ! Mais, pourtant,
« Avec moi, qui suis faible et que le chagnn mine,
« Que deviendraient mes quatre enfants ?. . . C'est la ruine ! . . .
« Enfin j'ai décidé le pauvre homme.
« Voilà
« Quatre grands mois passés que de ce fauteuil-là
« Il n'avait pas bougé. C'est peut-être ignorance,
« Mais dans les médecins je n'ai pas confiance :
« Leur donner son argent, c'est payer soji trépas ;
« Ce sont des fossoyeurs et des sonneurs de glas.
J'ai bien prié sainte Anne et la vierge Marie
Avant d'avoir recours à la sorcellerie.
Pourtant, si c'est le Ciel qui commande à la Mort,
Un magique secret peut dévoiler le sort ;
Et lorsqu'à votre mal il est quelque remède,
Cette sorcière, alors, peut vous venir en aide :
Une herbe . une boisson. , . sinon, n'essayez pas
De guérir quand son œil voit la Mort sur vos pas,
Car, quoi que vous fassiez pour lui barrer la porte, .
Sa charrette à son heure arrive et vous emporte. »
Pendant qu'elle parlait, grives, merles d'avril,
De leur chant printanier remplissaient le courtil.
Profitant pour s'aimer de cette saison douce
Où la terre est un lit de feuillage et de mousse.
Les enfants l'écoutaient, leurs jeux bleus grand ouvert s.
Laissant les blanches fleurs et les feuillages verts
S'échapper de leurs mains en croix sur leur poitrine.
Cependant, la fermière apprêtait la farine,
Ecrémait le lait doux, découvrait le pain noir,
M'ofifrait un bol de cidre ; — et rien ne laissait rien voir.
Quand, après un silence elle se fut signée.
Quelque souci plus fort que sa foi résignée.
Jos Parker,
A Fouesnant, en avril.
CONPÉRBNCiS DE M. CHARLES FUSTER
SUR LA BRETAGNE
Depuis la merveilleuse floraison du romahlisaie, il n*y eut, sans
doute, rien de comparable en poésie au spectacle que nous offre la
Bretagne contemporaine. De tous les coins de la lande et de la
grève sont sortis des poètes émus, sincères, pénétrants, et qui,
pour chanter la Bretagne, ont eu toutes les grâces, toutes les forces
de la pensée, toutes les finesses de la forme. C'est une levée de
boucliers bretons, une croisade pour l'idéal dont les chefs recon-
nus, Le Braz et Le Mouel, Tiercelin et Lud Jan, Le Goffic et
Parker (et combien d'autres encore, du délicat Joseph Rousse au
subtil Edouard Beaufils, à Tartiste Guy Ropartz, au simple Yves
Berthou),ont relevé, portent, courageusement la bannière de Brizeux.
Si ces poètes obtiennent la seule popularité qu'ils ambitionnent
à Paris, le suffrage des lettrés, ils le devront en partie à un autre
poète qui n'est pas Breton, mais qui les aime assez pour paraître
quelqu'un de chez eux, de chez nous. M. Charles Fuster a fait, le
lundi 17 avril, à l'Institut Rudy, une conférence sur ces deux mots,
sur ces deux idées désormais inséparables : Bretagne et Poésie,
N'est-ce pas M. de la Borderie qui a dit un jour : Bretagne est poésie P
Après avoir résumé à grands traits l'histoire de la poésie bre-
tonne en ce siècle, M. Fuster a emprunté aux poètes bretons des
traits pour peindre la nature, la vie, l'âme de ce merveilleux pays,
lia montré les côtés attachants et pittoresques, l'aspiration vers l'in-
fini de cette race indestructible comme le granit de ses rocs. Sa
parole éloquente et spirituelle, tout émaillée des beaux vers qu'il
cueillait sur notre Parnasse, a provoqué les applaudissements de
l'auditoire et la légitime fierté de tous les Bretons présents.
OMB IX. — Avril 1893. ui
310
CONFÉRENCES DE M. CHARLES FUSTER
Une des précédentes conférences de M. Fuster avait eu pour sujet
non les Bretons^ mais un Breton, cet Hippolyte Lucas en qui les
Parisiens voient un précurseur de Sully Prudhomme^ en qui ses
'compatriotes chercheront surtout un disciple de Brizeux. La publi-
cation prochaine des Chants de divers pays va servir encore la
renommée posthume d'Hippolyte Lucas.
Puisque je parle de la Bretagne à Paris^ je ne puis oublier
qu'elle a eu encore tous les honneurs de la séance solennelle de la
Société centrale de sauvetage des naufragés. Les marins de nos
côtes sont venus recevoir la récompense de leur modeste héroïsme,
et c'est aux applaudissements enthousiastes de l'assistance que
M. le D' Rocbard, l'éloquent rapporteur, a pu s'écrier : « Ces gens-
là ne sont pas seulenient soutenus par le sentiment du devoir et de
la solidarité professionnelle, ils ont un mobile plus élevé, ils ont
conservé la foi robuste des vieux Bretons >.
Olivier de Gourcuff.
Q^
NECROLOGIE
DAMASE JOUAUST
»
Ne laissons pas partir sans quelques mots d'adieu l'éditeur des
bibliophiles, D. Jouaust, qui vient de mourir à la suite d'une longue
et douloureuse maladie.
Les services qu'il a rendus aux lettres en éditant avec une rare
intelligence les chefs-d'œuvre de nos principaux écrivains sont
dans la mémoire de tous. C'était un esprit d'élite hanté par le
désir incessant du mieux, non seulement dans l'art typographique
où il exerçait une véritable maîtrise, mais encore dans les soins
qu'il apportait à mettre en relief par des travaux bibliographiques
et par des documents inédits l'œuvre de chaque auteur. Combien
d'hommes de lettres associés par lui à ses travaux lui doivent
d'être devenus, sous son inspiration^ de fervents admirateurs de
tel ou tel poète du XVII* ou du XVIII* siècle. Les bonnes fortunes
littéraires de cet intrépide chercheur ne se comptaient plus, et le
bibliophile Jacob, qui fut son collaborateur le plus assidu^ pourrait
seul dire, s'il revenait à la vie, les précieuses découvertes qu'ils
firent de concert en feuilletant les manuscrits de la bibliothèque
de l'Arsenal, pour ne citer que celle-là.
iNous prenions plaisir, quant à nous, à visiter D. Jouaustde temps
à autre dans son modeste bureau de la rue de Lille, attenant à son
imprimerie, bureau qu'il ne quittait guère, et d'où le luxe était
tellement banni qu'on avait peine à y trouver un fauteuil pour
s'asseoir. C'est que le luxe, il ne le comprenait guère que dans ses
éditions, cet honnête travailleur qui sut volontairement renoncer
à sa tâche lorsqu'il put craindre que sa passion de bibliophile ne
portât atteinte à Tavenir de sa famille. Il y avait du Breton dans ce
3(2 NÉCROLOGIE
Parisien. Les qualités de sa race d'origine perçaient à travers un
scepticisme d'emprunt et une ironie apparente. Son père l'avait
initié de bonne heure, non seulement au dur métier d'imprimeur,
mais aux responsabilités morales qu'il entraine. Un de ses oncles
paternels, le président Jouaust, un de ces magistrats formés à
récoiedes anciens parlements» un digne descendant des Dagues -
seau et des La Ghalotais par rétendue de la science et la fermeté
des principes, avait également exercé une influence salutaire sur
son caractère. C*est en s'inspirant de ces exemples dans sa propre
famille, que Jouaust sut conquérir, dajis son art, ses lettres de
noblesse et se concilier Testime pubUque : nous adressons très
sincèrement à sa famille le tribut de nos sympathiques regrets.
L. L.
M. RAYMOND DU DORÉ
Le mois dernier nous publiions des vers de M. haymond du Doré^
les derniers qu'il ait écrits. La mort est venue frapper le vaillant
poète que M. Emile Grimaud apprécie ainsi dans VEspircLnce du
Peuple :
Le poète remarquable, que Nantes vit naître le lo juin 1807, était
connu, apprécié des lettrés et des délicats, mais trop ignoré du
public, parce qu'il avait pris autant de peine pour rester dans
l'ombre que d'autres s'en donnent pour se produire à la lumière.
Nous voulons parler de M. Raymond du Doré, qui a succombé, le
soir du Samedi Saint, à son château du Doré, en Montrevault. H
a été enterré non point dans sa ville natale^ mais dans le cimetière
de son village^ qu'il a si pieusement chanté :
Là, sur l'herbe flétrie.
Les deux genoux plies,
Souvent aussi je prie
La clémence infinie
Pour les morts oubliés,
FIÉCROLOOIE SI 3
Afin qu*on se souvienne
De moi. pauvre pécheur.
Et qu*une âme chrétienne
Un jour rende à la mienne
Cette aumône du cœur.
Dans sa carrière de quatre-vingt-cinq ans, M. du Doré n'a pu-
blié qu'un nombre d'oeuvres assez restreint : Poésies d'un Proscrit
(1887), Poésies dernières {iS'] II), Sœur Denise (1880), et Poésies
dun Octogénaire (1889). Toutes sont marquées au cachet de la foi
religieuse et royaliste la plus pure comme la plus ardente. On
sait la part qu'il prit au soulèvement de i83a et qu'il paya par
quatre longues années d'exil. L'héroïsme des Vendéens l'enthou-
siasmait :
Ma bouche redit sans cesse
Leurs noms si purs et si grands,
Et j'admire avec ivresse
Cette terre vengeresse
Qui dévorait ses tyrans.
Les inspirations de M. du Doré ne sont pas seulement spiritua-
listes, beaucoup sont des plus spirituelles ; car il était, à la fois,
disciple de Lamartine et du Bonhomme. Il l'a constaté lui-même :
Depuis que j'ai la quarantaine.
Je laisse tous nos t)eaux esprits
Pour les bétes de La Fontaine.
Ces deux influences sont très sensibles dans son œuvre, et rien
ne serait plus facile que de le montrer, pièces en mains.
Avons-nous besoin de le dire, la mort de ce fervent chrétien a
été de tous points admirable et en parfaite conformité avec sa noble
existence. « Suivons toujours le droit chemin », écrivait-il dans un
de ses recueils.
Puis au terme, sans défaillance,
Mourons avec simplicité :
Notre juge, dans la balance^
Mettra le poids de sa bonté.
£. G.
NOTICES ET COMPTES RENDUS
Le Sage, par Eugène Lintilhac. — Paris, Hachette, i893.
On n'a jamais autant parlé de Le Sage depuis les jours lointains où
l'Académie mettait son éloge au concours. La Bretagne lui érige un
monument, l'Université de Paris, saluant en lui un maître du roman,
un classique de la langue, écrit sur lui des livres qui sont aussi, en leur
genre, des monuments durables. La Comédie- Française vient encore de
prouver à l'auteur de Turcaret qu*elle ne l'oublie pas : elle hésite à jouer
le chef-d'œuvre, estimant que la réalité nous offre d'autres types de
manieurs d'argent, mais elle ne veut pas qu'un portrait qui peut être
celui de Le Sage soit perdu pour le musée de ses grands hommes.
C'est le portrait moral du père de Gil Bios que nous trouvons chez
M. Lintilhac comme nous l'avons trouvé déjà chez M. Léo Claretie. Les
deux livres sont différemment excellents, et ne se portent aucun ombrage.
Le premier présentait, avec tout le luxe d'une érudition aimable, les
aspects multiples de Le Sage romancier^ le second embrasse tout Le Sage
d'une façon plus serrée et plus concise : il ajoute à cette collection de
résumés littéraires entreprise par la maison Hachette où les grands
écrivains français du passé sont étudiés par les meilleurs écrivains du
présent.
Dans son introduction M. Lintilhac montre d'abord que la malignité
des contemporains ne trouva pas à mordre sur la vie et le caractère de
Le Sage. Si cette vie demeura obscure, vouée tout entière au travail et à
la famille, ce caractère allia toujours la franchise à la dignité, restant
d'une trempe solide et vraiment bretonne. Le Sage, homme privé, est
aussi peu connu que l'illustre moraliste dont la critique le rapproche
souvent, La Bruyère. A l'inverse des héros de ses livres, il eut peu d'a-
ventures. L'un de ses rares biographes du siècle passé, Tau teur de la
préface de l'édition posthume du Bachelier de Salamanque (1759). fait de
lui ce bel éloge ; « Les exercices de l'esprit ne prenaient rien sur lessen-
« timents de son cœur. Quoique auteur de comédies et de romans, c'était
t un homme très vertueux et très estimable. > Quoique est dur.
NOTICES ET COMPTES RENDUS 315
La vie de Le Sage ne commente donc pas ses œuvrês. Mais celles-ci
sont un merveilleux miroir de la vie des autres.M. Lintilhac carac-
térise ce talent, fort voisin du génie, avec autant de finesse que d'origi-
nalité. Les dpux premières manières de Técrivain sont, selon lui, « la
période de tâtonnements > marquée par les Lettres d'Aristénète^ le Théâtre
espagnol, rimitation d*un Don Quichotte d*A.vellaneda, « la période
d*afTranchissement » où brillent déjà ces deux ouvrages exquis, Crispin
rival de son maître, un modèle de style comique, Tamusant et populaire
Diable boiteux.
Avec Turcaret et Gil Bios Le Sage entre en pleine possession de son ori-
ginalité. Que de choses piquantes et neuves M. Lintiihac nous dit sur
Turcaret^ les partisans de La Bruyère et les plus modernes traitants, les
pamphlets de Tépoque qui préparèrent la pièce, Fopposition qu'elle ren-
contra jusqu'à la levée de Tinterdiction par la cour, et qui, fomentée
par les comédiens, entrava son réel succès près du public, les rappro-
chements qu*évoquent son sujet et sa destinée avec les Effrontés
d* Emile Augier ou les Corbeaux de M. Becque.
Et Gil Bios, quel monde d'observations nouvelles n'a-t-il pas offert
à ringénieux critique ! La question d*orignalité du célèbre roman est
mieux résolue qu'en de longues dissertations par cette simple remarque
— une trouvaille de M. Linlllhac — que Le Sage a utilisé comme sources
historiques, non des livres espagnols, mais trois ouvrages /ran^aû; dont
les titres nous sont donnés : des citations mises en parallèle prouvent
jusqu'à l'évidence que les seuls emprunts venaient de là. Voici le plus
connu des prototypes littéraires de Gil Blas, le Francion de Sorel, et les
trois modèles que la vie a pu lui fournir, Alberoni, Dubois, et Gour-
ville, le laquaLn auteur de spirituels Mémoires,
fie pouvant suivre M. Lintiihac dans sa revue si vive et si complète'
des hommes et des choses de OU Bios, je lui emprunte cette phrase, un
des meilleurs jugements que je connaisse sur le héros du livre : « Gil
« Blas est naturellement gai jusqu'à la causticité et souple jusqu'à la
€ bassesse, mais partout et toujours observateur, puis réfléchi etenfin
' consciencieux^ pétri d'ailleurs de petits ^ices qui s'usent et de mé-
« diocres vertus qui se fortifient, logiquement et savamment, au courant
c de l'odyssée humaine dont il est le héros toujours intéressant. •
Parmi les œuvres moindres de Le Sage, M Lintiihac donne un rapide
coup d'œil à Guzman d'Alfarache, le plus insignifiant des romans imités
de l'espagnol ; à Estevanille Gonzalez, qui vaut mieux ; aux Aventures de
Beauchéne le flibustier, où une part de vérité historique se mêle aux fabu-
316 NOTICES ET COMPTES RENDUS
■
leux récits de bord dont Tenfanee bretonne de Taateur avait gardé le
souvenir ; au Bachelier de Scdamanque^ un f^ëre cadet, point trop dégé-
néré de Gil Blas ; à la Valise trouvée, au Mélange amusant de saillies d'esprit,
derniers produits d*une verve à peine refroidie par l'âge ; mais il examine
de plus près les cent et quelques pièces du Théâtre de la Foire, un autre
et plus précieux répertoire de saillies, et il écrit à grand renfort de ci-
tations ce chapitre sur Le Sage vaudevilliste que Sainte-Beuve avait rêvé.
Citer à propos, tirer de Tœuvre immense de Le Sage avec autant de me-
sure que de mémoire la phrase, le trait qui conviennent, c'est là un des
grands mérites de M. Lintilhac. G^est en interrogeant Le Sage qu*il nous
donne les raisons de son admiration pour l'écrivain, de son estime pour
l'historien de la vie humaine, de son indulgence pour le moraliste qui a
fait le portrait accompli de V homme moyen.
Avant de conclure et de placer Alain-René Le Sage dans le voisinage
immédiat de Molière, M. Lintilhac conduit jusqu'à la dernière des
œuvres contemporaines la postérité littéraire dé Gt7 BlaseiàeTurearet,
Comme on disait autrefois de la race d'Agamemnon, cette postérité ne
finira iamais: d'autres écrivains la suivront à travers les âges nouveaux,
à qui on peut souhaiter la finesse, la pénétration, l'élégante et éloquente
simplicité du dernier critique de Le Sage.
Olivier de Gourcuff.
*
Le Ce?ite7îaire de Casimir Delayigne (1793-1893), édition illus-
trée comprenant la vie de Casimir Deiavigne^ d'après des do-
cuments originaux, par Charles Le Goffic^ etc. — Le Havre, Lemale
et C'% 1893.
Le centenaire de la naissance de Casimir Delavigne a été célébré le 4
avril, au Havre,avec beaucoup d'éclat. L'Académie et la Comédie Fran-
çaises sont venues rendre hommage au poète qui honora l'une et l'autre,
et qui, comme il l'a dit de lui-même, eut des chants pour toutes les
gloires, des larmes pour toutes les douleurs de la patrie. Le très dis-
tingué poète et critique breton Charles Le Goffic, secrétaire du comité
des fêtes du centenaire, a voulu en perpétuer le souvenir par l'élégante
plaquette que nous avons sous les yeux . Une vie de Casimir Delavigne,
écrite par M. Le Goffic d'après des documents inédits, des fac-similé d'au-
tographes, des reproductions de portraits, de gravures, d'articles de
journaux de l'époque, vingt-trois pièces de vers inédites remontant à la
NOTICES ET COMPTES RENDUS 317
jeunesse de Casimir Delavigne et tirées d*un manuscrit appartenant à
M. Toussaint, avocat au Havre, disent assez Tintérêt que cette belle
brochure in-4* conservera pour les bibliophiles. Le jeune poète des
adolescenis^ Daniel de Venancourt a composé et fait réciter à l'occasion
du centenaire une belle poésie qu'on aura grand plaisir à retrouver ici.
O. DK G.
» «
Educateurs et Moraustes, par Léon Séché.
Nous avons annoncé le mois dernier Tapparition de ce gentil volume
dans lequel M. Léon Séché a réuni c tous les chapitres de morale et
d'éducation qui se trouvent mêlés au récit des faits historiques dans
son livre des Derniers Jansénistes » et qui montrent « quels admirables
éducateurs étaient au sein du foyer domestique ces chrétiens de l'an-
cienne foi ».
Ici, en effet, M. Léon Séché qui dans ses importants volumes sur les
derniers jansénistes, couronnés par l'Académie française, s'était montré
le continuateur de Sainte-Beuve, ne s'occupe plus tant de l'histoire et
des opinions religieuses des héritiers des hommes célèbres de Port Royal,
que de la manière dont ils entendaient l'éducation dans la famille, au
collège et dans la société. Mais il ne faudrait pas croire que le livre de
M. Léon Séché fût un traité de pédagogie sec, lourd, indigeste, en-
nuyeux, loin de là : l'auteur « n'a pas suivi le grand chemin où passe
Iliistoire en son carrosse et d'où sont bannis le buisson d'aubépine, le
liseron et l'églantier ; mais il s'est € engagé dans les sentiers de traverse
où 1 herbe pousse, où fleurit l'anecdote, où les petits détails nous
arrêtent à chaque pas » (Edmond Biré, Victor Hugo et la Restauration^ pp.
48 et 49). Le chapitre, notamment, consacré à M™« de Barante, dont
M. Léon Séché a mis en tête de son volume un délicat médaillon d'après
une miniature d'Isabey, offre, au milieu des leçons de la plus haute sa-
gesse, mille traits d'esprit et de sentiment. Voici un des billets que
l*aimab}è dame écrivait à son mari mécontent, qui lui reprochait de le
laisser sans nouvelles :
« Je ne sais dans quel livre j'ai lu qu'un homme, après un long
voyage, se disait à lui-même : Je vais trouver sûrement ma maison
brûlée, mes enfants morts, mes esclaves en fuite, ma femme infidèle.
n ne lui arriva que ce dernier malheur, et il rendit grâces aux dieux.
318 NOTICES ET COMPTES RENDUS
Eh bien ! il ne vous arrivera rien de tout cela, vous en serez quitte pour
une douzaine d*arbres... Adieu ! mon bon ami. aimez-moi bien, et ne
vous fâchez Jamais contre votre amie. >
Et M. de Barante de répondre par ce mot admirable : c Quand Je me
fâche, je ne suis pas fâché ! »
Voulez-vous maintenant un trait de sentiment de la plus ravissante
délicatesse et qui me remet en mémoire ces paroles de P.-J. Stahl dans
son Voyage d'an étudiant (p. i4 et i5) : « On dit que les absents
ont tort. Oui, sans doute, ils ont tort : tort de craindre sans cesse,
tort de se défier de la puissance du souvenir, tort de croire que Tab-
sence est contre eux et que la' pr!^sénce réelle est la vraie présence.
Oublier quelqu'un qui est là, cela se conçoit; il se conçoit même que
souvent on y tâche ; mais oublier Tabsent, oublier cet être impalpable
et commode qui ne résiste point, qui ne combat point, qui ne tient
pas de place, qui sait être, au gré de mon cœur, partout et nulle part,
qui m*apparait comme Je veux et disparait comme Je l'entends, ô
absent, comment peux-tu le croire possible ! > ~ Voici, en effet, com<-
ment M»« de Baranle écrit à son mari : - •
«... Dépéchez-vous, lui dit-elle, je ne vous donne plus que trois se-
maines à demeurer là-bas. Vous prétendez que Je vous aime mieux
lorsque vous êtes loin. Méchant 1 ce n*est pas que je ne vous aime autant
lorsque nous sommes ensemble ; mais ce que Je sens mieux lorsque
je ne vous ai pas, c'est le plaisir que j*ai lorsque nous sommes ensemble, i^
Marivaux n'eût pas mieux dit, ajoute M. Léon Séché, et il a raison.
A.U milieu des conseils les plus admirablesj*en ai trouvé un par hasard
qui m'a semblé amusant par sa rigidité même : c'est une diatribe de
Lanjuinais contre la danse où il commente cette parole de Gicéron dans
son discours Pro Murena : Nemofere saltat sobrius, nisi insanus, « On
ne voit guère danser quelqu'un s'il n'est ivrogne ou insensé » . (1 pense
que c'est un amusement dangereux, sinon coupable, que n'excuse pas la
coutume ; car la coutume, ajoute-t-il, est d'être impudent, vicieux et
déréglé. H lui semble que cet amusement condamné par un paien est
indigne d'un chrétien Je livre cette mercuriale à l'appréciation des
maîtresses de maison qui donnent un bal ou aux Jeunes filles qui pen-*
dant une soirée restent à réfléchir sur leurs chaises faute de danseurs,
et Je crains bien qu'elles n'adoptent l'avis de Paul-Louis Courier. dans
son Joli pamphlet pour les paysans qn'on empêche de danser, plut6t que les
graves avis de Lanjuinais.
Je n'insisterai pas plus longuement sur le livre de M. Léon Séehé
NOTICES ET COMPTES RENDUS 319
dans lequel, les esprits sérieux, humoristiques' ou romanesques trouve-
ront un aliment, c Qui ne connaît pas Port-Royal ne connaît pas toute
la nature humaine »> a dit Royer-GoUard. M. Léon Séché semble axolr
«
commenté cette parole dans la préface de son volume en parlant des
derniers jansénistes : c Tout en étant à cheval sur les principes, dit-il, ces
stoïciens du christianisme savaient les appliquer d'une -manière forte et
douce suivant les circonstances. Ils connaissaient à fond le cœur de
l'homme et pouvaient dire, sans manquer de modestie, que rien d'hu-
main ne leur était étranger. Si quelqu'un en doutait encore, je lui con-
seillerais de méditer ce livre pour être pleinement édifié à cet égard. »
G*est ce que ne manqueront pas de faire nos lecteurs et ce sera tout
profit pour eux. D. C.
*
Les Villes disparues de la. Loire-Inférieure, Vlll® livraison. —
Nantes avant les Normands. — Topographie et Monuments. —
lo planches, par Léon Maître. — Nantes, imprimerie Emile
Grimaud, 1898.
M. Léon Maitre, archiviste départemental de la ville de Nantes, vient
de faire paraître la VIII» livraison de son important ouvrage sur les
villes disparues de la Loire-Inférieure. Cette livraison, ornée de 10
planches, est du plus vif intérêt, surtout pour un Nantais, puisqu'elle
étudie la topographie et les monuments de Nantes avant les invasions
des Normands. Elle est divisée en huit chapitres : le premier nous en-
seigne la topographie.de Gondivicnum, capitale des Namnètes ; le second
nous parle des monuments romains que les fouilles ont misa la lumière ;
le troisième nous. fait connaître l'enceinte de la cité à cette époque loin-
taine ; le quatrième a pour objet les ruines et les villas suburbaines de
la conquête païenne, et le cinquième nous révèle les résultats de la con-
quête chrétienne ; le sixième nous initie aux mœurs, aux institutions,
aux industries de nos pères ; le septième nous indique les voies d'accès
H notre ville. L'auteur en terminant ce chapitre résume ainsi ce qu'il a
dit des origines de Nantes, de son antiquité, et de son importance : c Son
nom est signalé par les plus anciens géographes ; sa situation, identique
à celle des plus grandes cités de la Gaule, présente des avantages incom-
parables- et ses premiers habitants ont déployé de telles aptitudes dans
le commerce et l'industrie qu'ils étaient mûrs pour tous les perfection-
320 NOTICES ET COMPTES RENDUS
nements quand la civilisation romaine s*est montrée à. eux. Les subsiruc-
tions et les débris d'architecture qui chaque Jour sortent des fouilles
depuis cent ans sont des vestiges de monuments, et nom des ruines
vulgaires : ce sont des témoins irrécusables d'un centre riche et prospère.
Malgré les catastrophes, Gondivicnum n*a pas désespéré de l'avenir, elle
s*est relevée au III* siècle ; elle contenait encore tant de ressources
qu'elle a senti la nécessité d*enclore une partie de son territoire pour
les conserver. Elle est la seule ville des Namnètes qui ait eu la puissance
de bâtir une enceinte fortifiée de 1600 mètres de circuit et qui nous ait
légué une sorte de palladium de ses temples et de ses traditions le rem-
part derrière lequel les magistrats et les flamines, gardiens de sa pré-
pondérance, se sont abrités pendant plus de deux siècles.
< Sa banlieue, très populeuse, a été bouleversée par les fortiflcatfons, et,
cependant elle renferme encore les traces des établissements urbains el
curaux qui ont donné naissance à nos grands domaines féodaux. Toutes
les belles situations des rives de TErdre et de la Loire ont été occupées
dès l'époque romaine. On ne sort pas du territoire de Nantes en passant
dans les paroisses de Saint-Donatien et de Saint-Similien ; leur péri-
mètre marque celui de la cité de Gondivicnum, par cette raison que les
circonscriptions religieuses sont un calque de divisions antérieures dont
la superficie n'a pas été modifiée depuis dix-huit siècles. Leur union
avec la cité est démontrée par les règles du régime municipal, par leur
proximité de l'enceinte, par la cohésion, par la continuité de leurs
ruines et par le patronage religieux que les saints de notre banlieue ont
toujours exercé sur la ville, etc. »
Dans un appendice qui forme un huitième chapitre, jetant un coup
d'oeil sur tous ses travaux antérieurs sur la géographie de la région des
Namnètes, M. Léon Maître recommande à Tattention leurs quatre cités,
reconnaissables à leur superficie et à la beauté des vestiges qui sortent
de leurs ruines : Mauves, sur son rocher, avec ses larges horizons, station
de plaisir, Nice de la Basse-Loire ; Blain, vaste marché central ; Duretie,
sur la Vilaine, avec ses deux éléments de prospérité : la proximité d'an
fleuve navigable et une grande voie pavée qui servait au transit des mar-
chandises expédiées en Armorique ; enfin Nantes dont il vient de parler
et qui réunit en elle tout ce qui contribue à enrichir les capitales et tout
ce qui leur procure la sécurité. Puis il signale les mansiones, stations se-
condaires, pourvues de nombreuses hôtelleries pour les marchands et
les voyageurs, créées le long des voies qui sillonnaient la Gaule à Anetz,
à Saint-Géréon, aux Salles de Gouêron, à Savenay ; il nous dit un mot
NOTICES ET COMPTES RENDUS 321
de Petit-Mai*s, établissement à part créé pour des réunions spéciales,
petit poste de repos et de défense. Il signale les monnaies d*or de Tibère,
de Théodose et de Justinien, découvertes à Rougé. Moisdon, Derval,
Saint>-Vincent-de»-Lande8« la Neillerie^ et qui prouvent la pénétration de
la civilisation romaine ; il étudie en passant la question des paroisses
du pays des Namnètes dés le VI' siècle, et nous apprend que Carquefou,
Tréfleuc et Guémené sont les seules qui aient gardé Tempreinte du con-
tact des Bretons. Il nous parle encore d'un certain nombre de contrats
conclus au XP siècle dans diverses parties de notre département et où
on ne rencontre jamais de divisions inférieures à celle du pays nantais,
pagus namneticus, sauf, cependant, en ce qui touche notre littoral dont
une partie appartenait aux Venètes ; le territoire des Namnètes était com-
pris entre la Grande- Brière, le Brivet, la Vilaine, le Semnon, Gandé,
Ingrandes et la Loire. Il nous montre les Namnètes amateurs de bijoux
et d*armes, mais construisant si légèrement leurs demeures qu*il n'en
est restéaucun vestige, et il nous fait remarquer que les seuls monuments
qui restent d'eux sont des remparts de terres derrière lesquels ils ca-
chaient leurs familles et leurs richesses dans les temps d'épreuves et dln-
vasion et qu'on nomme Châtelliers. Il nous fait connaître enfin les voies
pavées romaines du pays des Namnètes qui se croisaient presque toutes
à deui centres principaux, Nantes et Blain, et nous enseigne d'après
quels principes les ingénieurs romains les traçaient.
Les travaux considérables auxquels M. Léon Maître s'est livré, pour
arriver à ces conclusions remarquables, ont certes demandé beaucoup
de peines et de soins, d'autant que M. Léon Maître n'aime pas à marcher
au hasard, mais sur un terrain solide, comme tous les archéologues
dignes de ce nom. Autrefois on s'en rapportait aux légendes. Les lé-
gendes sont certes fort séduisantes, et volontiers je dirais comme le bon
La Fontaine :
Si Peau d'Ane in*était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême ;
mais elles ne suffisent plus à notre temps avide de lumière et de vérité.
11 lui faut des documents sérieux, incontestables comme ceux que l'on a
tirés d'HercuIanum et de Pompéi surtout et qui ont fait revivre la civi-
lisation romaine tout entière. Nous n'avons pas dans notre pays beau-
coup de chance de rencontrer des villes ayant conservé sous la cendre
leurs richesses intactes, mais ça et là le sol> toujours meilleur conserva-
322 NOTICES ET COMPTES RENDUS
teur que les hommes des monuments et des choses du passé, livre à nos
recherches et à notre curiosité un buste, une j^édaille, et, comme le dit
Théophile Gautier :
Tout passe — l'art robuste
Seul a réternité.
Le buste
Survit à la cité.
Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Kévèle un empereur.
Cuvier reconstruisait un animal disparu avec quelques fragments
d*os; nos savants, à Taide de quelques débris émanés du sol. font revivre
les civilisations disparues dans toute leur activité, avec leur politique,
leurs passions, leur commerce, leurs lieux de plaisirs et de sanctifi-
cation. G*estce qua £ait M. Léon Maître pour le pays des Namnètcs et
il s'en est acquitté à merveille.
Dominique Caillé.
*
L'aut d'aimek, poème en trois chants de J.-F. llegnard, imité
d'Ovide, publié d'après un manuscrit inédit par Robert de Clan.
— Paris, librairie des Provinces de l'Ouest. MDCCCXIII.
En 1867, M. Uippolyte Lucas achetait pour la modique somme de
trois francs un manuscrit ayant pour titre : L'Isle d'Aluni ou VAuneau
magique, comédie tirée de VArioste par Regnard, Ce manuscrit de a 8
feuillets sur papier du XVlll* siècle n'était pas, il est vrai, de la main
de Regnard. mais une étude sérieuse permit de Tattribuer avec une
quasi- certitude au célèbre poète coniique héritier de la verve de Molière.
C'est un manuscrit de la même valeur que M. Robert de Clan offre
aujourd'hui au public. Dans une ingénieuse et intéressante préface il
donne les motifs probants qji lui font croire que Regnard est bien Fau-
teur de cette imitation sans prétention, légère, gracieuse, du poème
erotique d*Ovide : UAri d'Aimer, En véritable bibliophile, M. Robert de
Clan a fait paraître sa précieuse trouvaille en un beau volume in- ta,
imprimé en caractères et sur papier de luxe qui se recommande à Tama^
teur par la beauté de l'édition, sinon par rentière moralité de la poésie.
D. C,
NOTICES ET COMPES RENDUS 323
*
Archives ou château de Saffré (i 394-1610) publiées parle marquis
de rEstourbeillon. — Paris, Alph. Picard, et Vannes, veuve
Lafoiye.
On croit que l'histoire est faite, et faite depuis longtemps « Ce chà-
'eau, ce village ? il n'y a rien à en dire. Sur eux, est-ce que tout n*a pas
^ié ditP > Voilà ce qu'on entend répéter souvent.
//n'y a que les esprits frivoles à raisonner ainsi. L*histoirc, surtout
'histoire locale, est encore à faire. Il n'est pas de commune, pas de
hameau, pas de ruines qui n'aient leurs événements et souvent leurs
'fBgéiiïes. L*histoire de chaque bourgade deviendrait palpitante si
^he ëCait retracée par une main émue et éclairée. Ce ne sont pas les
A/ts «jixi manquent, ce sont les historiens.
Vf ais si les historiens sont rares, ils sont zélés et ardents, et chaque jour
il en est qui enrichissent nos annales de leurs découvertes. Parmi les
plus fictifs et les plus érudits nous devons citer M. le marquis de TEs-*
tourl>eillon, dont chaque année nous avons à saluer un nouvel ouvrage,
car cli.a,<^ue année il fait paraître un nouveau livre. M. le marquis de l'Es-
io\xi*l>eillon ne se contente pas de publier des nobiliaires et des généa-
\o^es^ véritables mines où les chercheurs viendront puiser ; non, avec
cftlle <iouce opiniâtreté des caractères forts il se fait ouvrir la porte des
cha\ea\ix et les vieilles armoires pleines de manuscrits d*un autre âge ,
^^ plonge ses mains sagaces dans ces trésors que la poussière recouvre
Vtop souvent ; il parcourt, il compulse les textes ; il interroge ces con-
tents du passé et souvent il pénètre jusqu'à la vie intime de ceux qui
ont écrit les lignes ou qui les ont dictées.
On croit généralement que l'histoire ne se compose que de récits de
batailles ou d'énumérations de traités conclus à la fin de guerres vio-
lentes. C'est une erreur profonde : l'histoire proprement dite, rhistoirc
qui nous fait connaître les véritables sentiments d'un peuple, son or-
ganisation, le fonctionnement de sa vie, cette histoire est bien plus ins-
tructive, plus attachante et plus féconde en enseignements. Or cette
histoire ne se trouve guère dans les livres, mais dans les manuscrits.
C'est pénétré de cette idée, comme il le dit lui-même, que M. de
i'Estourbeillon a en ti épris V Inventaire des Archives des châteaux bretons.
Dam cette étude que l'on peut appeler illimitée, l'auteur comprend
324 NOTICES ET COMPTES RENDUS
Texamen de tous les manuscrits particuliers enfeimés dans les châteaux.
Et ce qui le guide dans ce travail considérable, c'est moins encore le
désir de satisfaire une noble curiosité que de venir en aide aux
savants qui n*ont ni le temps ni le loisir de se déplacer.
C'est par les archives d'un château assez célèbre, bâti à la fin du moyen
ûge^ par les archives du château de Safflré» que M. de rEstourbeillon a
conmiencé sou étude. Ces archives consistent en copies et analyses
de documents compris entre le XIV« et le XVI1« siècle. Ce sont
principalement des aveux rendus aux seigneurs de Saffiré par des
vassaux de la châtellenie. On y retrouve un grand nombre de noms de
personnes, de terres et de villages désignés aujourd'hui encore par les
mêmes appellations. D'autres noms sont reconnaissables.maisilsont subi
de telles transformations quHl faut un regard attentif pour les re-
constituer.
L*ouvrage débute par un état des châtellenies bannerettes de SaiTré au
XV* siècle et par une liste des seigneurs de Saffré depuis la même
époque.
Il suffit de parcourir cette liste pour voir combien la famille de
SalTré avait des alliances élevées et quel rôle elle a joué dan^ rhistoire
de Bretagne.
Comme on le voit, tout cela est du plus haut intérêt. L'exemple de
M. de rEstourbeillon devrait être suivi partout. Partout où il y a un
château, on devrait rechercher et rassembler les archives si elles n'ont
pas été déttuites ; on devrait en faire le dépouillement et par là les
sauver de la ruine et de l'oubli. A. L.
Le Gérant : R. LiLFOLYE.
Vannes. — Imprimerie Lafolyb, a, place des Lioes.
LES AMIS DE SAINT YVES
Tous les pèlerias, tous les chrétiens, tous les curieux, venus les
uns et les autres en si grand nombre à Tréguer au commencement
de septembre 1890 pour les fêtes inaugurales du nouveau tombeau
de saint Yves, tous sans exception s'accordaient à admirer, entre
autres merveilles, la décoration de la vieille cathédrale trégoroise :
à tous les piliers brillantes bannières* à tous les arceaux festons
élégants et fraîches guirlandes, partout des gerbes de fleurs, des
couronnes et des cascades de lumière, et tout disposé, harmonisé
avec un goût artistique et historique tellement parfait^ qu'un
excellent artiste et archéologue (M. Chardin) s'écriait : On est ici en
plein XV* siècle.
Et quand les visiteurs s'enquéraient des auteurs de cette exquise
décoration, ils apprenaient qu'elle était due à une élite des dames
de la ville, en tête desquelles on nommait M^^*' Gadîau, M^^* Berthe
VîUeneufve, etc
Il y a peu de jours, c'était fête à Tréguer, parmi les fidèles amis
et amies de saint Yves. Dans la nuit tiède et claire du 11 au la
avril, un long cortège montait de la rue Saint-André vers la véné-
rable cathédrale, et de toutes les rues de la vieille cité les bons
Trégorois se rendaient à leur basilique, où bientôt se trouva réunie
une nombreuse et brillante assistance,
C'était le mariage de M'*" Berthe Cadiau avec M. Henri de la
Baronnais.
La haute nef, le chœur profond, l'admirable tombeau de saint
Yves ruisselaient de lumière ; le vaste temple était embaumé de
fleurs et de verdure.
L'archiprêtre de Tréguier, M. l'abbé Le Goff, le vrai curé de saint
Yves, le patriarche chéri et vénéré de tout le pays trégorois, cé-
lébra la messe.
■•»-
526 LES AMIS DE SAINT YVES
Le barde de saint Yves, — le vaillant et buinionieux roitelet qui
chante toujours sans jamais s'épuiser pour la gloire de la Bre-
tagne, — M. Tabbé Le Pon, chanoine honoraire et recteur de Plou-
grescant) donna aux époux la bénédiction nuptiale et leur adressa
une charmante, délicate, cordiale allocution, tout embaumée des
nobles sentiments, des fortes traditions et des généreux souvenirs
des deux familles* , et qui se termina par ces paroles :
« Certes, Madame, saint Yves vous doit quelque chose de spé-
<( cial et des grâces toutes personnelles. Plus que d'autres vous
u avez travaillé pour lui, et pour lui vous avez souflert. Je n*ou-
« blierai jamais les fleurs que, la première, vous avez déposées
a sur le marbre tumulaire du grand saint breton, privé encore de
(( sa tombe splendide, réduit k une simple dalle. . • . Voilà bientôt
« deux mille ans, et l'on parle encore, et Ton parlera toujours du
(( parfum que Magdeleine versa sur la tête du Sauveur. De même,
« Madame, on racontera aux veillées bretonnes votre dévotion au
(( tombeau de saint Yves, votre dévouement indéfectible à la glo-
« rification du grand thaumaturge. »
Gomme le digne chanoine achevait ces mots, — qui eût regardé
avec attention le tombeau du saint aurait vu la statue tumulaire se
tourner à demi vers les époux et de sa main droite, doucement
élevée, tracer dans leur direction un geste bénissant, pendant que
de ses lèvres de marbre s'échappaient, comme un murmure,
comme un souffle parti d'en haut, ces paroles : Ad mulios annos !
A. DE LA B.
* M. de la Baronnais a pour aïeul un Trogoff, proscrit dans la grande révolu-
tion ; la mère deM'^'* Gadiau appartenait aux QauUer de Kermoal, qui avai«nt
des représentants à Castelfidardo .
ee^s^
•v 1.
ROSA MYSTICA
i«<MlMMnMM>
KALENURIER HISTORIAL
DE LA VIERGE MARIE
Plusieurs de nos amis ont ei primé le désir que la Revae de Bretagne^
Vendée- Anjoa, étant l'organe d*une Société de Bibliophiles, s'occupft
plus qu'elle ne Ta fait jusqu'à présent de bibliographie et de bibliophilie.
Rien de plus naturel, rien de plus juste qu'un tel désir. Il suffit qu'il
ait été énoncé pour avoir le droit d*élre satisfait, et il ne tiendra pas à
nous qu'il ne le soit. Désormais, autant qu'il sera possible, toutes les
livraisons de la Revue contiendront des articles de ce genre, soit des do-
cuments sur rhistoire de Timprimerie, de la librairie, de la bibliographie
en Bretagne, Vendée, Anjou, soit des notices sur des livres bretons et
autres, rares et curieux, avec des échanlilloiis et des extraits de ces vo-
lumes, propres à les bien faire connaître au lecteur.
Nous commençons aujourd'hui, et — puisque nous sommes dans le
OMHS de Mai, qui est pour les chrétiens le Mois de Marie * rien de plus
naturel que de commencer par un livre tout consacré aux gloires de la
Vierge, et aussi Tun des plus rares et des plus intéressants de la
bibliographie bretonne. Je veux parler du Kalendrier hislorial de la
Vierge Marie par Vincent Charron, chanoine de Nantes, imprimé à
Nantes chez Pierre Doriou en 1687 ; beau volume in- 4^ de a 4 feuillets
liminaires (outre le titre) et de 901 pages chiffrées, dont l'intitulé très
développé, que nous allons reproduire, indique la nature, le plan et le
contenu de l'ouvrage. 11 est ainsi conçu :
<K KaLENDKIER I HISTOAIAL | DE LA GLORIEVSE | ViEAGeMaRIE MEAE |
OB Diev.
Faisant me^ition chaqve | jour de tan , de quelque chose qui la
re I garde ; de la mort de ses fidèles serui \ leurs ; du grand soing
TOME IX. -- MAI 1893. 22
3?8 KALËNDIliEU lllSTOUIAL
quils ont eu \ de la seruir ; desfaaeurs qu'elle leur \ a depariy ;
du seuere chasiimeni \ de ses ennemis, et des miracles quelle a
opéré,
Recueilly de diuers Autheurs par \ M. Vincent Chauro.x, Pre \ sire
Chanoine de l'Eglise Cathedra \ le de Nantes en Bretagne.
A Naî«tes I Par Pieiire Douiov | Imprimeur ordinaire du Roy\ »
L'ouvrage est en effet un recueil d'histoires, d'anecdotes, de traits et
récits curieux, cdiûauls, miraculeux, tous aboutissant à la glorification
de la Vierge mère de Dieu, cl distribués jour par jour, du i«' janvier
au 3i décembre, iK>ur tout le cours de Tannée.
Ces petits récits sont au nombre de 16^7, soit en moyenne quatre à cinq
pour chaque jour. Vincent Charron était un contemporain, un émule de
notre ravissant hagiographe, Albert Legrand. Il est tout à fait de la même
école : même foi, môme sincérité, même charmante naïveté ; moins de
verve et de feu peut-être, mais peut-être aussi plus de suavité ; un co-
loris irais et doux, souvent rehaussé de teintes vives, ou fondu dans des
ombres mystiques, donne à la plupart de ces petites toiles une grâce
singulière. On va en pouvoir juger, car nous en reproduisons ici une
demi-douzaine. Nous les faisons précéder de quelques extraits des pièces
de vers en l'honneur de la Vierge et de son panégyriste Vincent Char-
ron, qui occupent six des feuillets liminaires placés en tète du volmuc.
Artuua de la Bouderie,
de VInstiluL
PIÈCES LIMINAIRES
I
La Mère de Diev a l' A v tueur de ce livre.
(( Tu sçauras (cher amy), dans rimmortellc gloire,
Combien mon Fils et moy aggréons le plaisir
Que tu prens d'employer la plume et ton loisir
A graver dans les cœurs Thonneur de ma mémoire.
I Ce litre est sur le froiitisptcj gravé ; de trois exemplaires à nous connus
aucun n*a le titre imprimé, qui a dû cependant exister. La date d'impression ré-
sulte des a/iprobations, qui sont d'avril et de mai iGSy.
DE LA VIERGE MAIUE 329
(( Tu célèbres moa nom pour un temps en ce lieu, ^
J'exalteray le tien pour jamais devant Dieu ».
— Ainsi parloit la Vierge à l'Autheur de ce livre,
Luy laissant le désir, dans le cœur, de la suivre.
D. A. C.
11
Apologie de l'Avtheur av Lectevr.
Dévot, tu me diras : « Retire toy, prophane :
Qui te fait si hardy d'encenser les autels
Du divin Apollon de la céleste Diane,
Les suprêmes grandeurs entre les Immortels ?
(( Croy-tu parmi les tiens acquérir tant de gloire^
Pour auoir en leur nom recueilly quelques fleurs^
Qu'on consacre à iamais au temple de mémoire
Les fruits mal entiez de tes petits labeurs P »
— Je ne veux attenter au crédit d'vn Prophète,
Seulement imiter le freslon paresseux^
Lequel, favorisé du secours de Tavette',
Faict du miel, de nos fleurs, un peu moins savoureux.
On a promis de Thuyle et du miel d'une roche,
Autrefois, pour nourrir le peuple de Sion ;
Pour addoucir les cœurs, je serois sans reproche,
S'il sortoit de mon cœur de la dévotion.
Prens-moy pour un caillou qui rend une estincelle.
Et toy pour le fusiP ; et embrase ton cœur.
Par des soupirs ardens, d'une flamme éternelle
Qui consomme ton ame en l'amour du Sauveur.
M. M. M. P.
i Avette, abeille.
> « FiMil, morceau d'acier qui sert à faire du feu quand on bat avec uu
caillou. » (Dictionnaird do Fureticro.) C*est le sens primiUf du mot.
330 KALENDftIER IlISTORIAL
lli
A L*A\T11EVU ET AV LeCTEVR.
Geluy-là, ô Charron, qui blasme Ion ouvrage
Est un sable mourant, un flot impétueux ;
Et l'Euripe inconstant, qui cscume au rivage,
Fait voir ses sens esmeus et son œil envieux.
Il refuse à l'Esté sa rosée agréable,
Les Heurs à son Printemps, à l'Automne ses fruicts ;
En Hyver, la chaleur à sou coips iavorable ;
Au travail, le repos de ses pJus douces nuîcts.
Mais, ô docte Escrivain, par ta plume féconde,
Comme par un canal, s'escoule en l'Univers
La douceur de Marie à nulle autre seconde,
Que je prends auiourd'huy pour l'ame de mes vers.
Ne crains point qu'à l'aspect de cette pure estoile
On voye sur les mers trembler les matelots,
Et que ta belle nef voguant à pleine voile
Jamais tarde son cours par Torage des flots.
Admirons en TAutheur laflection ardente
Que la Mère de Dieu a de ses serviteurs.
Et le zèle enflammé qu'ils ont en leur attente
D'obtenir le secours de ses douces faveurs.
11 a gousté son miel par longue expérience,
Il ue peut plus long-temps tout le mettre en son cœur,
11 l'en présente un peu : prens en à sufisance :
En agréant le don, tu béniras l'Autheur.
La qualité du miel est de diverse sorte ;
Il faul soigneusement en faire élection :
Car l'un benignement adoucit et conforte,
L au Ire produit au corps contraire passion.
DE LA VIEKGE MARIE 33t
Il est bon de cueillir la céleste ambroisie
Et composer son miel des gouttes du matin :
Comme Israël faisoit de la manne choisie,
Au milieu du désert son unique festin.
Il est vray néanmoins qu'une ame bien fidelle
Peut recueillir son miel à chasque heure du iour :
Comme on voit un essain sur une fleur pucelle
Butiner, advançant sa proye et son retour.
Je ne remarque point d'image plus parfaite,
Qui représente mieux cette dévotion
Que fait, au racourcy, l'ingénieuse avette
Par l'instinct, et le soin, et par son action.
Qui ne prendrait plaisir de voir la republique
Des mousches suce-fleurs, et leur mesnagement\
Leur prudence, et police, et l'ordre juridique,
Vn abrégé du monde, et le riche ornement ?
Le monde est un bournal* qui regorge d^abeilles ;
On voit pour les régir vn grand nombre de roys :
Mais leurs sujects n'ont pas affections pareilles.
Capturez sous le joug de différentes loys.
A quelque rusche d'or on compare l'Eglise
Ou le miel gracieux des abeilles se fait :
Le Pape eu est lo chef, il est la pierre assise
Que Dieu fonda jadis de son œuvre parfaict.
Croy-tu pas que JESUS soit luy-même une abeille,
Qui sortit de sa Mère ainsi que d'un bournal,
Et luy-mesme sa fleur odorante et vermeille.
Dont il tire le miel pour le cœur virginal ?
La Vierge est donc aussi une mousche mystique,
Une rusche. un rayon distillant de douceur,
* Le gouveraomcnt, lo rcg:ime intérieur do la ruche.
» BournaU rayon de miel (Furetière) ; par extension, ruche.
332 KALENDRIEH HISTOUIAL
Que saincte Anne gousta d'un transport angélique,
Quand elle feit esclore une si belle fleur.
Le Ciel est un bournal d'avettes pacifiques^
Un Printemps éternel leur fournira des fleurs,
Un doux miel couvrira les tables magnifiques ;
Les consommez seront délices et honneurs.
Craindrons-nous désormais de bien suivre la trace
Et les exemples saincts du juste roy LOUYS,
Qui s'est tout consacré à la Mère de grâce.
Ses suiects, ses estais, sa personne, et ses lys?
Je croy que c'est atteindre au crédit d'un Prophète,
D*acquerir sainctement telle deuotion ;
Mais si lu dis I'Ave, tu seras vne Atette,
Qui produira son miel au jardin de Sion.
M. M. M. P.
IV
Ode des merveilles de la Vierce
£Ue est comme un cèdre esleuée,
Planté sur le haut du Liban,
Comme le cyprès qui, lout Tan,
Sur le mont de Syon recrée.
Et comme en Cadès le palmier
Et en Hierico le rosier.
Belle, comme aux champs est Tolive
Et le platane prez des eaux,
Comme sont aux carrois' plus beaux
La canelle, quand on arrive,
Le baulme et la myrrhe odorans :
Elle est d'odeurs plus doux flairans.
* Carroi, carref.mr, place publique^ jardin de plaisance.
DC LA VIERGE MARIE 333
Elle est du grand Seigneur le temple^
Qui seule a pieu au Fils de Dieu, .
Qu'elle a tenu en peu de lieu,
Où elle seule Je contemple,
Geluy que les deux n'ont pouuoir
De conlenir en leur manoir !
Elle est belle comme la lune,
Choisie comme le soleil,
Comme Taurore au front d'esmail
Qui se lève après la nuict brune,
Et comme les bandes aux camps
Ordonnées selon les rangs.
Elle resjouït tous les Anges^
Lorsqu'elle fut enlevée aux cieux.
Qui, la loiians à qui mieux mieux,
Benissoient Dieu en leurs louanges.
Qui Ta mise au throsne etheré
Où il sied, au siège azuré.
M. B. M.
EXTRAITS DU KALENDRIER HISTORIAL
DE LA VIERGE MARIE
»^^^^w^^»<*^^M^»^^^^>^^w»
I.
Le banquet de rAscension*
En la ville de Santarem, en Portugal^ il y a un monastère de
l'Ordre de Sainct Dominique, dont le sacristain, qui vivoit en ia46,
grand homme de bien nommé frère Bernard, instruisoit deux petits
enfans de la ville fort dociles, leur enseignant doucement les ru-
diaiens de la foy et des lettres, avec les bonnes mœurs. Il les mettoit
' Kaïeruîriey historial. p. 3oa. 5 mii.
3)4 KiLEiNDRlER HtSTOIU.VL
tous les matiDS dans uae petite chapelle de Téglise, pour y estudier
leurs leçons, sur l'autel de laquelle il y avoit une fort belle image
de la Vierge, tenant son petit enfant dans son giron, qui regardoit
d'un œil serein ces deux petits garçons. L^ après leur estude, ils
faisoient leurs petites prières, ainsi que leur maître leur avoit
appris, puis y mangeoient leur desjeuner. Et voyant que le petit
Jésus qui estoit dans le giron de sa mère les regardoit si amou-
reusement, leur tendant la main ils luy demandèrent gracieuse-
ment s'il luy plaisoit manger avec eux.
Chose merveilleuse ! L'enfant Jésus quitte le giron de sa mère^
descend avec les petits garçons et mange avec eux, puis s'en re-
tourne dVù il estoit venu. Après que cela eut continué plusieurs
jours de la sorte, Tun des enfans se plaignit à son maistre que le,
petit Jésus venoit tous les jours desjeuner avec eux, mais qu'il ne
leur apportoit rien Ce bon homme entendant ces paroles demeura
tout estonné, et ravy d admiration leur dit que, s'il rctournoit, ils
luy dissent cecy : a Monsieur, il y a desjà longtemps que vous vous
trouvez à nostre desjeuner et ne nous avez encore rien apporté :
quand vous plairat-il nous traiter avec nostre maître Bernard en
la maison de votre Père ? »
Ces enfans ne manquèrent pas le lendemain de parler au petit
Jésus comme leur avoit dit leur maistre ; Jésus, entendant cela, se
prit à sousrire et leur respondit aussitôt : c Ah! bienheureux petits
enfans, que j'ayme et honore vostre innocence ! AUez, je vous pro-
mets de vous rendre la pareille et de vous traiter k mon tour.
Dites à vostre maistre qu'il ne manque pas de se trouver icy au
jour deTAsceusion, car je veux vous traitter ce jour-là. » Ces petits
garçons ayans entendu ces paroles furent si aises que rien plus, et
s'encoururent vistement dire à leur maistre la response qu'ils
avoient eue. Le bon religieux, jugeant bien par là que sa fin estoit
proche, leur commanda de se faire braves ce jour- là, et luy mesme
se prépara à la mort par une confession générale de tous ses péchez.
En attendant le jour assigqé, il entretenoit ses petits escholiers de
là félicité éternelle.
Le jour de l'Ascension estant venu, le bon frère Bernard célébra
dévotement la saincte messe en la susdite chapelle de Nosti'e-Dame,
DE L\ MERUE: marie 33h
OÙ assistèrent ses deux petits escholiers qui la respondoient et
regardoient parfois le petit Jésus, se souriant, et luy faisant signe
des yeux qu'il se ressouvint de sa promesse. L'enfant Jésus leur
marqua, du giron de sa mère, qu'il les enlendbit et qu'ils se tinssent
prêts.
Le bon père cependant avoit tousjours et l'esprit et les yeiix
eslevez vers le ciel : et à peine eut-il dit Vite missa est, la messe
estant achevée, voilà qu'un doux sommeil les abat tous trois, et
les fait aller disner à la table des bienheureux, où Jésus les avoit
invitez. Vingt et neuf ans après leur mort, leurs corps ayant esté
relevez de terre furent trouvez aussi blancs et aussi fraiz que le
propre jour qu'ils décédèrent.
11
La Vierge et les brigands'.
Trois hommes passoient de compagnie au travers d'un bois.
Deux d'entre eux, qui marchoient en avant, furent destroussez et
mis à mort par des voleurs. Le troisième qui les suivoit au petit
pas, estant sur le point d'avoir le mesme sort, demande instam-
ment aux brigands un peu de loisir pour saluer la Mère de Dieu
et réciter sa petite Couronne de douze estoiles, qu'il souloit' réci-
ter tous les jours.
A cet effet, il se retira un peu à l'écart et se jeta à deux genoux.
Cependant les voleurs, qui remarquoient soigneusement tout ce
qu'il faisoît, aperceurent autour de luy trois dames d'excellente
beauté, dont l'une comme la maistresse estoit assise dans un
throsne d'or, les deux autres comme dames d'honneur estoient
debout devant elle. Et à mesure que ce pauvre homme recitoit le
Pater noster, elles cueilloient de belles roses vermeilles qui sor-
toient de sa bouche , et des blanches quand il recitoit ÏAve
Maria, Les ayant enfilées dans un cordon d'or en forme de cou-
* Kalendrier historial, p. 337» ao mai.
» « Siouloil, • avait coutume, du latin solebat. Les c< douze étoiles » sont
douxe Ave Maria.
330 KAI/ENDRIER HISTORIAL
ronne^ elles la pi^esentèrent avec une grande révérence à leur reine,
laquelle disparut aves ses compagnes, après l'avoir posée sur la
teste de celuy qui se recommandoit à elle du meilleur de son cœur.
Cette prière lui valut la vie et ne servit pas moins aux brigands.
Car iceux luy ayant demandé qui estoient ces dames avec lesquelles
il s*estoit entretenu^ et trouvant qu'il n'avoit rien veu de ce qui
s'estoit passé, ils luy racontèrent de point en point tout ce qu'ils
avoient aperceu : par où il connut que celte Reine d'extraordi-
naire beauté n'estoit autre que la Mère de Dieu, et les deux autres
saincte Luce et saincte Catherine, vierges et martyres. Spectacle
qui toucha si vivement ces cœurs endurcis, qu*ils se rangèrent à
la pénitence.
Quant au voyageur, il se sentit tellement redevable à sa bienfai-
trice, qu'il crut ne pouvoir mieux reconnoistre une si rare faveur
qu'en consacrant à son service le reste de ses jours : et il se fît
religieux.
m
Le diable dans un hôpital, chassé par la Vierge'.
Un certain gentilhomme pieux et dévot à ia saincte Vierge et à
saint Jean l'Evangéliste, en l'honneur desquels il récitoit sans
faillir tous les jours une oraison qui se commence 0 iniemerata,
etc. y de quoy le diable luy portant envie se présenta un jour à luy
en forme humaine, ayant à cet effet pris le corps d'un pendu à un
gibet, s'ofiTrant de le servir. Le gentilhomme, le voyant sain et
dispos^ fort prompt à obéir^ le re^eut pour servir les pauvres en
un hospital qu'il avoit fait bastir à ses propres despens. Ce com-
pagnon s'y accorde et sert en apparence avec tant d'affection que
tous les pauvres en disoient merveilles.
Il arriva une fois que ce bon varlet vint demander à son maistre
du poisson pour quelques malades qui en désiroient, ne pouvant
manger autre chose. Et n'ayant pu en trouver à la poissonnerie,
le maistre entre en un bateau avec son serviteur pour pescher. Le
' Kalendrier historiaU p. 4i6, af) juin.
DE LA VIERGE MARIE 337
diable de varlet fit tout son effort pour faire noyer son maistre ;
mais il ne put, car le bateau fut miraculeusement environné et lié
d'une corde blanche envoyée du ciel, qui le tint si ferme qu'il ne
put être chaviré.
Une autre fois, il vint demander de la venaison pour ses ma-
lades. Aussitôt, le cavalier monta à cheval pour aller à la chasse,
menant son desguisé serviteur avec soy ; et entrez qu'ils furent
bien avant dans la forest, le meschant varlet, au lieu de tirer contre
la beste fauve, tiroit sur son maistre afin de le tuer. Mais à chaque
fois qu'il tiroit contre le gentilhomme, il se trouvoit entre eux un
drap d'or qui rabattoit les coups, de sorte que le gentilhomme ne
fut aucunement incommodé, et si s'en retourna avec du gibier
pour ses pauvres malades.
Le bon gentilhomme ayant un jour prié un certain evesque de
visiter son hospital, le prélat s'y rendit volontiers et s'enquit des
malades s'ils estoient bien assistez par ce serviteur, et quoiqu'on
lui en fist de grandes louanges, il luy fut révélé incontinent que
c'estoit un diable. L'evesque l'appelle devant toute l'assistance, le
somme de dire qui il est, à quelle fin il est dans ce lieu ?
Contraint ainsi de dire la vérité, cet ennemy s'escrie d'une voix
terrible qu'il est un démon, qu'il est venu en ce lieu pour faire
mourir les malades sans confession et pour tuer le gentilhomme
contraire aux œuvres du prince des ténèbres, mais qu'il a esté
empesché de l'un et de l'autre dessein par la Mère de Dieu, à
cause d'une oraison que le gentilhomme recitoit en son honneur
tous les jours. En même temps le maudit disparait, laissant der-
rière luY une odeur de souffre abominable.
IV
Le diable et le moine peintre*.
Il y avoit un bon religieux dans un certain monastère, nommé
Hiérosme, fort dévot à la saincle Vierge et bien versé en l'art de
peinture^ lequel dépeignit une fois une très belle image de Nostre
Dame, à laquelle il ne manquoit rien que la parole, ayant le
* Kalendrier historial, p. iGG2, 3o sept.
338 KALENDRIER HISTORIAL
diable sous ses pieds, qu'il rendit par son art si vilain et si dîforme,
É
qu'il ne se pouvoit rien voir de si laid : puis en se moquant de luy,
il luy crachait au visage. De quoy le diable grandement courroucé,
s'efforça/ie se venger de l'injure reçue de ce religieux.
H luy apparut un jour en forme d'une très belle iemme, le sol-
licitant à lasciveté. Frère Hiérosme luy promit de faire tout ce
qu'elle voudroit, si elle s'y accordoit. Alors le diable sous la figure
de cette femme luy demanda s'il n'estoit pas sacristain de l'église
de ce monastère, et luy ayant respondu qu'oûy : « Eh bien, ré-
pliqua la femme, si vous voulez prendre tous les thresors de cette
église, les mettre dans un sac et les emporter, nous nous en irons
ensemble en quelque lieu écarté, où nous nous resjouyrons. » Le
pauvre frère Hiérosme, ayant résolu de faire ce larcin, se mit en
devoir de l'exécuter, et comme il le faisoit, le diable commença
à crier tant qu'il put, disant : a Accourez, messieurs, accourez !
voilà frère Hiérosme qui vole les thresors de l'église î »
Les religieux arrivez trouvèrent leur frère Hiérosme qui rom-
poit les calices et autres vazes d'or et d'argent, dont ils fureat
grandement estonnez. et luy demandant pourquoy il faisait cela,
il ne leur put respondre aucun mot, de honte et confusion qu'il
avoit. Or, d'autant que c'estoit durant la nuit que ces choses se
passoient, les religieux attachèrent à une colonne le pauvre frère
Hiérosme et se retirèrent. Le diable venant vers luy, en se moc-
quant à la pareille, luy demanda si ce n'estoit pas luy qui le de-
peignoit si difforme et si hideux, et qui par mespris luy crachoil
au nez? Puis luy dit : « D'autant que tu t'es moqué de moi, je
me moque de toy, misérable ! tu seras bruslé. Dis maintenant à
ta Marie, que tu peignois si belle, qu'elle te vienne secourir I » Le
pauvre frère Hiérosme^ se souvenant des miséricordes de la saiucte
Vierge, commença à la supplier de tout son cœur de le vouloir
assister.
Alors la Mère de bonté luy apparut, et luy dit : « Confortez-vous
en Dieu, Hiérosme mon ami, et prenez bon courage en vous gar-
dant des tromperies du diable ; je ne vous abandonnerai pas en
cette tribulation. » Et cela dit, elle le deslia de la colonne et y
attacha le diable en sa place.
DE LA VIERGE MARIE S39
L'heure de matines estant venue, le sacristain, par ordonnance
de la Vierge, sonna la cloche, et ayant allumé les cierges à l'autel
et ouvert les livres au chœur, il se mit en sa place ordinaire. Les
religieux, voyant tout cela, furent grandement estonnez, et courant
à la colonne y trouvèrent le diable attaché au lieu du sacristain, et
le despouillant (car il estoit en forme humaine) ils Testrillèrent
comme il appartenoit, puis le laissèrent aller hurlant et grinçant
des dents.
Frère Hiérosme^ s'estant bien confessé et ayant fait pénitence
de son forfait, racontoit à un chacun la grande miséricorde qu'il
avoit receue de la glorieuse Vierge Marie.
Office chanté par les morts'.
Au pays de Bretagne il y eut jadis un homme séculier craignant
Dieu, lequel toutes fois et quantes qu'il passoit par quelque cime-
tière, soit en allant ou en venant, s'y arrestoit pour prier pour les
trespassez. Or ce bon homme estant sur le poinct de mourir, il en-
voya prier son curé de luy apporter le sainct Sacrement. Iceluy,
craignant de s'incommoder, d'autant que c'estoit la nuit, y envoya
Daniel, son diacre, lequel y alla volontiers pour consoler et secourir
ce malade, qu'il communia et exhorta si bien qu'il mit son âme au
chemin du salut. Ce qu'ayant fait et ayant pris congé de luy, s'en
retourna^ et l'agonizant rendit peu après son àme en bonne paix.
Le diacre estant arrivé à la principale porte de l'église, qu'il avoit
très bien fermée^ la trouva ouverte de part et d'autre : et de plus,
il fut invîsiblement arresté en ce lieu, de sorte qu'il ne pouvoit se
mouvoir. En cet estât, il ouït au cimetière une voix qui s'escrioit :
— « Sus ! fidèles, levez-vous de là où vous reposez, et trouvez-vous
ensemble eh l'église, parce que notre bienfaiteur est mort^ lequel pas-
sant par icy ne manquoit jamais de prier Dieu pour nous. Ren-
dons luy ce devoir de recommander son àme à Dieu, s
Kalendrier historial, p. 789, i*"" novembre.
340 KALENDRIER HISTORIAL
Il ouït alors un grand bruit^ dans le cimetière, des corps sor-
tans des tombeaux, et Téglise fut remplie de cierges allumez. Alors
tous ces trespassez se mirent à chanter solennellement l'office des
morts, ainsi qu'on a coustume de faire aux églises cathédrales
quand quelque personne illustre meurt. Cet office parachevé, cha-
cun retourna à son repos, et le mesme biuit s'entendit, et les
cierges peu à peu furent esteints^ et le diacre, délivré de ce qui le
tenoit arresté, alla remettre le ciboire en sa place. Le bon Daniel
estoit sur le poinct d'aller conter au curé les choses qu'il avoit
veuës, lorsqu'un messager luy donna nouvelle que l'homme dévot
estoit passé à une meilleure vie.
Alors ayant veu ces choses merveilleuses, il tourna le dos au
monde trompeur, s'en alla à Tours dans le monastère de Sainct
Martin^ et là se donna au service de Dieu, où croissant en vertus
il y lut esleu prieur, et continua avec une grande ferveur à prier
Dieu pour les trespassez.
VI
Le Te coeli Reginam
ou Te Deum de la sainte Vierge'.
Le ai décembre i46f, décéda le vénérable père Dominique
Allemand, religieuse de la Chartreuse de Trêves, âgé de soixante et
treize ans. Il estoit très grand et très fidèle serviteur de Dieu,
l'aimant de tout son cœur. Un jour, comme il prenoit sa petite
réfection tout seul et en sa cellule, méditant comme TEnfant Jésus
avuit voulu sucer les mamelles de la Vierge sa saincte Mère, estre
enveloppé en de petits drappelets et emmailloté avec de petites
bandelettes, et lorsqu'il crioit, estre appaisé avec des noix ou des
pommes, puis faisant reflection sur ses propres peschez, prioit
avec crainte ce bénit Sauveur de luy faire miséricorde et grâce, en
celte sorte : « 0 le plus doux et bénin de tous les petits enfans, qui,
' Kalendrier historiaU p 856, ai dccembro.
DE LA VIERGE MARIE
341
lorsque vous reposiez entre les bras de vostre saincte Mère, avez
voulu estre appaisé avec des uoix ou des pommes à la façon des
autres petits enfants, je vous supplie d'accepter le petit labeur de
cette mienne pénitence, en rémission de tous mes péchez et me
donner vostre grâce. » En disant cela les larmes luy sorlolent des
yeux en abondance. Mais le consolateur des humbles, luy appa-
roissant en cet instant en forme d'un petit enfant très beau, s'asseit
sm- sa table, sur un coissin, et regardant amoureusement ce bon
Père en face, le remplit d'une lumière et consolation toute céleste.
Et parlant intérieurement à son cœur, luy donna une pleine et
parfaite connoissance des divins mystères et des sainctes Écritures :
puis s*en retournant au ciel, le laissa remply d'une odeur très souëf .
Il estait aussi très dévot à la Mère de Dieu en l'honneur de laquelle
il composa Thyume suivant' :
Hymne du P. Dominique en F honneur de la Vierge,
1. — Te cœU Reginam laudamus,
te mundi Dominam honoramus.
a. — Te laudant jure universie créa-
ture,
3 . — Matrem immeusse claritaUs ,
4. — Aulam summœ Trinitatis,
5 . — Sole divinitatis amicta, Lunam
bupplantaus benedicia,
6. — Tota glorificata, bis siellis es
coronata :
7. -—Tu seterni Patris fîlia dilecta,
tu FiUi Dei genltrix eiecta,
8. -» Sancta quoque sponsa Para-
cleti.
9. — Tibi Cherubim et Seraphim
iueflabiU voce proclamant :
I. — Vous, Reine du ciel, nous vous
louons ! Souveraine du monde, nous
vous honorons I
3. — A vous paient un tribut de
louanges toutes les créatures de Tuni-
vera,
3. — O mère d'une splendeur
éblouissante I
4. ~- Palais de la Trinité suprême !
5. — Le Soleil divin est votre vête-
ment, la Lune devant vous s'ciraco, 6
Vierge bénie I
ti. — Et toute rayounaato de gloire,
vous avez au front une couronne
d'étoiles :
7. — Vous la fîile chérie de Dieu le
Père, Vous la mère choisie de Dieu le
Fils.
8. — Vous Tcpouse sucrée du Saint-
Esprit.
9. — A vous d'une voix inefifable les
Chérubins et les Séraphins chantent :
' Nous y avons ajouté la traduction.
342
KALËNDKIER HISTORIAL
m
10. — « Salve I salve I salvo, ô Do-
mina glorlosa I
IX. ~ Pleiii sunt cœli et terra sua-
vitatis gratin; tuus. »
la.— Tu Aposiolorum llcgina, lu
Evangelistarum doctrina,
i3. ~^ Te prophetarum laudabilis
numerus,
i4. — Te Patriarciiarum venerali.r
cuneus.
15.-* Tu Marlyrum Victoria, tu
Gonfessoram es gloria,
i6. -^ Te paradlsi rosas Virgiiics
formosœ laucUiit , et continentes in
choro suo cunentes :
17. — < Ave, Kegina dulcissima I
Gaude, Domina nostra diguissima 1
18. — « Qute gratiam Sanctis infun-
dis, qua; libéras animas de profundisl »
19. — Te orgo et rei rogamus» ù
Genitrix Dei, succurre populo isti :
quem pretiosus Filii lui redemi t
sanguis Jesu Gtiristi ;
30. — Supcrna fac cum sanctis et
nos gloria munerari.
31. — Per te meieamur, 6 Mati.r
sancta, pie consolari,
33. ^ Tôt prœrogativis sanctitatis
coronata in gloria Patris ;
33. -~ Tôt privilegiisdignilalisgau-
dons jure Ma tris ;
a4. — Jucundare, Islarci gaude,
major omni laude,
35. — O clomcnf, ô pia, ô dulcis
Virgo Maria !
10. — u Salul ! salut I salut, ô Dame
de gloire !
11. ^ Le ciel et la terre sont pleins
de la douceur de votre grâce. »
1 3 . Vous la Heine des apôtres , tou5
la doctrine des Evangélistes,
i3. — A vous l'illustre troupe des
Prophètes,
i4. ^ A vous le batailloQ des Pa-
triarches viennent rendra leurs hom-
mages.
i5. — Vous la victoire des Martyrs,
vous la gloire des Confesseurs,
16. — A vous les belles Vierges,
ces roses du Paradis, prodiguent leurs
louanges, et les Chastes chantent en
chœur :
i7. — > c Honneur à vous. Reine très
douce, gloire à vous, Dame très au-
guste,
18. — « Qui aux Saints verses la
grâce, qui délivrez les âmes de Ta-
bime I >
19. — A vous donc, 6 Mère de Dieu,
nous pauvres pécheurs nous nous
adressons : venez au secourt de ce
peuple, racheté du précieux sang de
votre Fils Jésus-Christ ;
30. — Donnez-nous, avec les saints,
la récompense de la gloire éternelle.
ai. «- Et ici-bas, ô sainte Mère, dai-
gnez venir vous-même nous consoler:
33. «- Vous^ couronnée dans la
gloire du Père de tous les insignes de
la sainteté ;
33. — Vous honorée prcs du Fils
de tous les privilèges augustes de la
maternité;
a 4. Joie à vous, bonheur à vous l
gloire à vous I à vous qui êtes au des-
sus de toute louange,
35. O clémente, û compti tissante, ô
douce Vierge Marie !
LES TOMBEAUX
DES DUCS DE3 BRETAGNE
Par p. de Lisle du Dreneuc
Conservateur du musée archéologique de Nantes
LE TOMBEAU D'ARTHUR II
De lu lomijc crArliis ils feraient une borne.
Brizbux.
Le duc Arthur II « fut un bon Prince, bening, gracieux, homme
de justice et droiturier. . . Il mourut en un petit chasteau mainte-
nant ruiné, lequel s'appelle l'Isle, situé sur la rivière de Yillaigne,
au-dessus de la bourgade de la Roche-Bernard . . Et fut ensepvely
à Vannes en l'église des Cordeliers. » C'est en effet dans ce couvent
fondé par Jean I, en ia6o, et augmenté par le duc Arthur II, que
fut érigé le tombeau de ce prince ; mais il est fort malaisé de savoir
aujourd'hui s'il y a réellement été enseveli. L'incertitude sur un
point aussi notoire parait bizarre ; elle est cependant très réelle
et en voici la cause : Les dépouilles mortelles d'Arthur II ont été
partagées entre le couvent des Carmes de Ploërmel et celui des
Cordeliers de Vannes; d'après dom Lobineau « ses entrailles furent
enterrées aux Cordeliers de Vannes et son corps aux Carmes de
Ploërmel ».
Cette assertion, qui contredit l'opinion émise parles autres histo-
riens, semble peu d'accord avec les faits. On lisait en effet sur le
TOME IX. — MAI 1893, a 3
9U LES TOMBEAUX DES UUCri DE BRETAGNE
moQument d*Arthur II daas l'église des Gordeliers de Vannes cette
inscription : « cy glst le large prince le duc Arthur. » Puis est-il
vraisemblable que Ton ait élevé un tombeau avec Telligie du
prince sans que son corps y fùl déposé, tandis qu a Ploërmel,où il
aurait été enterié, d'après dom Lobineau, rien n'indiquerait sa pré-
sence ? Il semble plus rationnel d'admettre, comme on Ta fait, que
ce fut seulement le cœur d'Arthur II qui fut placé dans le tombeau
de son père. C'est ainsi que plus tard la duchesse Anne voulut que
son cœur fut déposé dans le mausolée de François II son père. De
même aussi, le corps de du Guesclîn eut son tombeau à Saint-Denis
avec ceux de nos rois, tandis que son cœur fut donné à sa ville de
Dinan. Mais dans Tun et Tautre cas on n*a point construit de
tombeau sur ces simples reliques, réservant cette manifestation
extérieure pour le lieu ou le corps était enterré.
Quoi qull en soit et malgré toutes ces considérations, Topiniou
de dom Lobineau est tellement précise que, si elle ne parvient à
nous convaincre^ elle suffit du moins pour nous laisser fort indécis.
Voici du reste le passage entier auquel je lais allusion. c( Arlhus II
mourut en son chasteau de Tlsle, au-dessus de la Roche-Bernard»
le 27 août i3ia. Ses entrailles furent eaterrées aux Gordeliers de
Vannes et son corps aux Carmes de Ploërmel. On lui dressa un
tombeau dans cette première église avec une épitaphe où I on
semble insinuer que tout son corps était là, ce qui donna lieu à
quelques auteurs de dire qu il aurait été enterré dans TégUse des
Gordeliers de Vannes. »
Ainsi le clairvoyant historien semble prévoir les causes d'incerti-
tude que nous signalons. Quant à dom Morice, il se contente, sui-
vant sa coutume^ de reproduire le texte de son devancier : a Ses
entrailles furent enterrées aux Gordeliers de Vannes et son corps
aux Carmes de Ploërmel », puis il ajoute : << Le tombeau qu on
lui dressa n'est pas dans cette église (Ploërmel), mais dans la
première, et son épitaphe a jeté quelques auteurs dans l'erreur. »
L'inscription qui fut, sans aucun doute, placée jadis à Ploërmel
sur les restes de ce prince, trancherait toute difficullé. Mais elle ue
nous a pas été conservée. La seule épitaphe que j'ai pu relever est
celle-ci :
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BHETAGNE
345
Cy dedans gist le
corps et est enseputturc
Artus second du nom
Duc de Bretagne
MCCCXIII
Plaquo do marbre noir
Gordeliers de Nantes (pour
V'auiioi)
Ce document est bien formel, malgré l*erreur du copiste qui a
mis Nantes pour Vannes. Le désaccord même entre la date de i3i3
et celle de i3ia donnée par dom Lobineau serait une preuve en
sa faveur, car nous retrouvons la date de i3i3 dans un ancien obi-
tier de Vannes : u Anno i3i3 oblit clarlssimus princeps Arturus
secvndus. > Malheureusement toute la force du document s'anéantit
devant le nom du transcripteur. C'est en effet dans le recueil ma-
nuscrit de Fournier déposé à la Bibliothèque publique de Nantes
que se trouve cette inscription. Or, Tingénieur Fournier était doué
d'un esprit beaucoup trop inventif pour que l'on puisse invoquer
son témoignage et nous ne donnons ici son texte que pour mémoire.
Les bâtiments conventuels des Cordeliers occupaient un terrain
jadis situé en dehors de l'enceinte de Vannes, où se trouve main-
tenant la rue nommée Saint-François, du nom le plus généralement
donné aux Cordeliers.
Sur la page d'un registre d'inventaire déposé aux Archives dé-
partementales de Vannes se trouvent les curieux renseignements
qui suivent et que nous transcrivons sur le texte publié en 1869
par M. Guyot Jomard* : « Des papiers qui se sont trouvés dans
les archives et autres endroits du couvent de Saint- François de
Vannes, duquel couvent on a trouvé la description qui suit dans un
Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, i863, p. i^*
346 LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE
ancien livre, en partie, ou il y a plusieurs autres particularités tant
du dit couvent que d'autres lieux. » Suit la description en latin.
En voici la traduction, aussi littérale que possible : c ... Le cou-
vent de Vannes a étébàli sur un terrain antique et incliné jadis en
dehors des murs de cette ville par la serenissime prince Jean I,
duc de Bretagne Àrmorique ; il fut agrandi par Arthur 11, fils de
Jean II. Devenu duc en i3o5, il mourut en i3ia. Son tombeau a
été placé au milieu du chœur. »
Dans un ancien obitier est écrit ce qui suit : « Anno i3i3 obiit
clarissimus prînceps Arturus secundus, dux Britannie, in suo cas-
tello Insulensi prope oppidum de la Roche-Bernard, fuit se-
pultus in choro Sancti Francisci Yenetensis. » Ce qui suit était
écrit sur son tombeau :
Cy gist le large prince le duc Arthur de Bretagne, fieuls du bon
duc Jean II ^ lequel mourut à Lyon, au couronnement du pape Clé-
ment V, lan de grâce 1305, qui fut fieuls de madame Beatrix fille
au roi d Angleterre Henri 5"°, qui trépassa au château de flsle lès la
Rochebernard, le XXIIIJjour du mois d'Août, surveille de la décol"
lation de saint Jean Baptiste l'an de grâce MCCCXIL
Sa vie et le service volentiers nos vos recoterrages e les
DONNES TEGHES, SI JE POLICIE, MES GESTE TOMBE NE PEUT PAS COM-
PRENDRE icY. Il fut ensepulturé avec grande feste e grand com-
pagnie DE LA NOBLESSE DE LA DUCUÉ, ET MOULT NOUS UENOURA, PRIE
Dieu que son uerme soit en repos ...
Le couvent des Cordeliers^ ruiné pendant la Révolution, a été
absolument rasé en i8o8 et il n'en reste aucune trace.
Le tombeau d'Arthur II, ou du moins sa statue, fut retrouvée et
transportée plus lard à la Préfecture par les soins de M. Lorois,
préfet du Morbihan. En i848, on eut la barbarie de prendre ces
beaux marbres et de les jeter sur la grande route d'Auray où ils
devaient servir de matériaux pour construire le pont du Pargo. C'est
peut-êlre le souvenir de cet acte de vandalisme qui a arraché à
Brizeux le cri d'indignation que nous avons pris pour épigraphe :
De la tombe dArtus, ils feraient une borne!
Par bonheur, ces précieux débris furent aperçus par M. Galles
qui les obtint de l'ingénieur chargé des travaux. Peu après, en 1849,
• t
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE 347
M. le baron de Wismes, de qui je tiens le récit de ces fails, les vit
dans la collection de M. Galles avec la statue de Jean de Malestroit'
et de Jeanne du Périer sa femme. Comme tous les archéologues
vannetais, M. Galles avait cet admirable désintéressement qui a fait
du Musée de Vannes un merveilleux trésor. Les restes de ces
statues passèrent donc de sa collection dans la tour du Connétable.
Maintenant, en attendant la réorganisation du Musée, ils sont pro-
visoirement déposés dans l'ancienne halle de cette ville.
Les débris de la statue d'Arthur II se Composent de deux^ grandes
parties donnant le buste et la taille jusqu'au dessus des genoux;
leur longueur totale est de i" i5 ; une sorte de baudrier traverse la
poitrine ; Tépée est passée dans une ceinture ornée de traverses qui
supportent reçu du prince. Les armoiries figurées sur cet écu ont
une disposition singulière. Comme on le voit sur la planche que
nous avons fait exécuter, grâce à l'autorisation de M. le Directeur
du Musée, les hermines remplissent presque tout le chef de Técu,
sauf sur les côtés, où apparaissent deux pièces de l'échiqueté de
Dreux, mais fort allongées et semblables à des billettes.
* Ix)s seigneurs de Malestroit avaient conlribuc très largement à la fondation
dn couvent des Cordeliers.
* M. I*abbé Le Mené, directeur du Musée, pense que la partie supérieure est
pont-être d*une autre statue.
948 LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE
TOMBEAU DU DUC JEAN 111
La mort de Jean 111 fut le signal de si terribles événements que
la Bretagne n'eut guère le loisir de songer à construire un monu-
ment à la mémoire de ce prince. Ogée avance cependant que
Monlfort « lui Ht ériger un magnifique tombeau de marbre aux
Carmes de Ploërmel » . Rien de plus douteux que cette assertion ;
de i34i à i345, date de sa mort, Montfort fut presque toujours
captif, et ses quelques mois de liberté furent si activement employés
en guerres, voyages et démarches de toutes sortes» qu'il n'eut certes
pas un moment pour s'occuper du tombeau de Jean III. D'ailleurs,
comment aurait-il pensé à rendre cet hommage à son prédécesseur
sans savoir s'il lui succéderait jamais.
Un autre motif qui me fait rejeter cette attribution, c'est que le
style des statues de Jean II et de Jean III est beaucoup trop diffé-
rent pour qu'il n'y ait eu, entre leur exécution, que le court
espace de temps qui s'est écoulé entre la mort de ces deux princes.
Ce ne fut donc au plus tôt que sous le règne de Jean IV, longtemps
après la mort du duc Jean III, que l'on put faire exécuter son
tombeau. Il était mort dans la ville de Caen, au retour d'une expédi-
tion dans les Flandres, où il avait été rejoindre Philippe de Valois.
Son corps fut solennellement ramené en Bretagne et déposé dans le
chœur de l'église des Carmes de Ploërmel, en face du maitre-autel
et à la suite de celui de Jean II, c'est-à-dire plus éloigné dudit
mailre-autel que celui de son aïeul.
Ce monastère, qui comptait parmi ses fondateurs JeanI et
plusieurs de ses descendants, avait une grande importance. L'église
conventuelle, d'après la description d'Ogée, avait la forme d'un
tau, était vaste et fort magnifique, u Au grand autel étaient quatre
colonnes de cuivre, avec de petits anges, et une crosse pendante
dans laquelle on déposait la sainte hostie. »
Cette église « aussi belle que les cathédrales de la province » fut
LES TOMBEAUX DES DUCS PE BRETAGNE 949
complètement détruite pendant la Ligue. En iSgS, les huguenots,
& rinstigation d'un seigneur du Crévy, qui désirait s'afTranchir
d'une rente annuelle au monastère, décidèrent que les bâtiments
abbatiaux nuisaient à la défense de Ploërmel. Les carmes avaient
eux-mêmes commencé à détruire les parties de leur établissement
qui pouvaient compromettre la s&reté de la ville ; mais ce sacrifice
fut inutile, on procéda militairement à la destruction de Téglise
et du couvent, et les huguenots déployèrent en cette occasion un
zèle véritablement impie.
Les carmes se retirèrent dans la ville de Ploërmel^ au prieuré
de Saint-Nicolas, qui se trouvait dans l'espace occupé actuellement
par rhôtel de ville. Le procès-verbal, relatant la translation
des tombes de nos ducs, a été conservé dans la collection des
Blancs-Manteaux*. On y voit ce qui suit : « Le mardi ai* jour
dejuing l'an iSqS..., en compagnie et présence des dits prieur
et religieux des Carmes, etc . • nous nous sommes transportés
audit lieu et endroit ou estait le dict couvent, et dans la grande
nef de l'église, vers le haut d'icelle, avons veu et trouvé un tom-
beau assis sur une voûte faicte en pierres, qui est le sépulchre de
l'an des dicts seigneurs ducs, à sçavoir: Jehan, troisième de ce nom,
ainsi qu il apparaissait encore par Vescrit et épitaphe e^tsmi à l'en-
tour du dict tombeau de marbre noir ; et ayant faict découvrir
et fouir sous le dict tombeau, entrez en iceluy par la descente et
entrée d'iceluy, avons veu et trouvé une longue châsse de plomb
en forme carrée ; et la dicte châsse tirée hors et faicte ouvrir, avons
veu les os du corps y étant tout entier et la tête avec des cheveux
de couleur jaune ; et apparaissaient encore dans la dicte châsse
grandes quantités du baume du dict corps.
c Ce faict, a été faict ouverture de l'autre voulte et sépulchre estant
auHlessus du précédant (Jean II).
€ Occasion de quoy les dicts ossements ont été mins dans l'autre
châsse avec ceux du dict duc Jean second (pour 3"«) et portée so-
lennellement dans le chœur du dict Prieuré Saint-Nicolas auquel
* Il nous a été communiqué manuscrit par M. le C^ de Bréhier et a été pubUé
par M S. Roparlz dans sa Notice sur Ploërmel. Saint- Brieuc, Prud'homme, i?6ii.
?,bO LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE
lieu et endroit la dite châsse et ossements des dits deux seigneurs
ducs ont été enterrés, et faict dresser le tombeau du dict marbre
noir et sur iceluy mins le portroict des dits deux ducs de marbre
blanc, en bosse avec leurs écussons etarmoeries, comme ils étaient
de para vaut au dit couvent. »
• Cette relation a un intérêt tout particulier, car elle va nous per-
mettre de retrouver avec certitude le tombeau de Jean III. Pour
cela, il nous faut d'abord rectifier une attribution erronée qui
depuis quarante ans a été rééditée dans tant de guides, de notices
et de catalogues, qu'elle est aujourd'hui reçue sans conteste. Or,
il est malaisé de faire rentrer dans l'ombre une erreur qui s'étale
au grand jour depuis un si long temps.
Nous avons à Nantes un tombeau de marbre noir provenant de
l'enclos des Carmes dePloërmel, et il a toujours été connu ici sous
le nom de tombeau de Jean II. De fait^ sa ressemblance avec la
tombe de Jean II sur la planche des bénédictins est suffisante
pour qu'on ait admis cette attribution.
En examinant de près ce monument, je fus frappé de certains
détails qui, au lieu de se rattacher comme style à la date de la
mort de Jean II (commencement du xi\^ siècle), me semblaient
au contraire beaucoup plus voisins du xv" siècle. Ainsi, les cha-
pitaux des colonnettes sont peu évasés au sommet, et rattachés par
une bague anguleuse qui, au lieu de pourtourner leur base, s'é-
carte de chaque côté et vient en pénétration se fondre dans la partie
unie de la pierre. Les socles qui soutenaient les statues ont des
moulures prismatiques encore plus rapprochées du style flam-
boyant. Tous ces indices nous portèrent à lui assigner comme date
plutôt la fin du xiv** siècle que le commencement. Ce n'est donc
pas là le tombeau de Jean II, mais bien celui de Jean III, dont
l'époque s'accorde mieux avec le caractère architectural de ce mo-
nument. Reste à prouver notre assertion par des documents.
Dans le procès-verbal de iSgS, que nous venons de citer, on
voit que les témoins n'ont retrouvé qu'un des tombeaux » en
marbre noir et portant Tépitaphe de Jehan troisième. La des-
truction du tombeau de Jean II s^explique aisément par ce pas-
sage d'Ogée qui nous montre les soldats anglais ruinant les mau-
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE 351
solées des ducs : « En descendant la charpente de Téglise, ils
prenaient plaisir à jeter dessus les grosses pièces de bois et les plus
grosses pierres lors de la démolition des murs. » Aussi, losque les
carmes eurent transporté au prieuré Saint* Nicolas les décris de ces
monuments, ils relevèrent seulement « le dict tombeau de marbre
noir et sur iceluy mirent le portraict des dits deux ducs de marbre
blanc et en bosse » .
Eni6oi, grâce à la générosité de Henri IV, on put restaurer
Tancien sanctuaire des Carmes, qui avait été si endommagé (( qu'il
ne restait que les seules arcades de l'église, y ayant des boulevarts
et espérons jusques au milieu de la dite église ».
Plus tard, « le second jour de mars de Tan 1618. . . les corps des
« ducs furent rapportés et placés en leur premier lieu dans l'un des
» sépulchres, parce que l'autre avait été rompu à la démolition du
« couvent. »
C'est pourquoi^ lorsque dom Chaperon vint dessiner les mauso-
lées de Jean II et de Jean III pour l'Histoire de Bretagne^ il ne trouva
qu'un seul tombeau supportant l'effigie des deux princes, et il le
répéta deux fois, d'abord avec la statue de Jean II , puis avec
celle de Jean III.
Le tombeau ducal du Musé4 de Nantes ne peut donc être que
celui de Jean III, puisqu'il est le seul à avoir résisté à la destruction
de iSgS, comme Tattestent tant de témoignages.
Au XVIP siècle, après la restauration de la tombe des ducs^ les
religieux composèrent deux longues et pompeuses épitaphes qui
nous ont été conservées dans le Dictionnaire de Bretagne :
Passant, tu vois ici les tombeaux magnifiques
De deux et souverains ducs des peuples armoriques.
Princes lorsqu'ils vivaient^ puissants et valeureux,
Issus du sang royal des vieux comtes de Dreux.
Le premier assista saint Louis, roi de France,
Aux pays d'outre-mer contre la mécréance
De la race ottomane, et fut au Mont-Carmel
D'où les carmes premiers vinrent à Ploërmel,
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE
Amenés par ce bon et dévot prince
Désireux d'établir cet ordre en la province,
Et après qu'il les eut logés commodément
En ce couvent par lui bàli superbement.
Au voyage qu'il fit à Lyon, sur le Rhône,
Où Clément V reçut la papale couronne,
Là, par un grand malheur, ce bon duc trépassa
Par la chute d'un mur qui tout son corps froissa.
Sa dépouille mortelle est sous ce marbre enclose :
Plaise à Dieu qu'à jamais son âme au ciel repose.
L'autre, de qui tu vois l'effigie marberine
Portant un écusson semé de mainte hermine,
C'est Jean, tiers de ce nom, et fils du duc Artus,
Et qui, sage, unissant les royales vertus
A la dévotion de son aïeul et père^
Fut plein d'un saint amour pour ce monastère.
En retournant de Flandre, où contre les Anglais
L'avait mené le roi Philippe de Valois,
Il se vit investi d'une prouance maladie
Qui le fit trépasser à Caen^ en Normandie.
Ici, près son aïeul, sont inhumés ses os.
Son âme vive au ciel en éternel repos !
En 1793, le couvent fut détruit et les tombes de nouveau
saccagées.
Sous la Restauration, le Conseil général du Morbihan fit élever,
dans le transept, du côté de l'épître de l'église Saint-Armel, un
édifice d'assez mauvais goût sur lequel furent placées les deux
statues. Au lieu de restaurer la base du tombeau de Jean III, dont
les débris étaient réunis dans le cloître des Carmes, on construisit
un lourd soubassement de marbre surmonté d une urne du style
le plus lamentable. Les deux statues furent placées sur ce mausolée
avec cette inscription :
w De tous temps la fidélité bretonne rendit hommage à ses sou-
verains. »
0
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE S&S
La Statue de Jean III est fort belle, l'artiste lui a douné les traits
d*un jeune homme de a5 nns ) 'on que le duc eut à sa mort plus
du double de cet âge.
Les cheveux longs sont entourés sur le front d'une mince cou-
ronne de pierreries. Les hermines qui décorent sa cotte d'armes
sont du plus délicieux modèle ; elles n'ont point la rigidité ordi-
naire de cet emblème héraldique, mais elles sont légèrement floren-
cées. Au côté gauche est l'épée ; à droite une petite dague.
La longueur totale de celte statue est de i^gS.
Le dais de marbre blanc qui protège la tête du duc se compose
de trois arcatures trilobées, ornées de volutes et de feuilles d'eau
que l'on attribuerait aisément au XV° siècle.
Il y a une quinzaine d'années, on déplaçait de nouveau ce mo-
nument pour le mettre dans un coin sombre, tout au bas de
réglise, où il est fort difficile de le voir*. Lorque je fis part au
recteur de mon étonnement en voyant déloger ces tombes prin-
cières comme s'il se fût agi d'un simple confessionnal, il me fut
répondu que ce tombeau n'avait pas l'intérêt que je lui supposais,
parce que les corps ne s'y trouvaient plus,
* Le F. Martial, de rinslilut do Ploermel a bien voulu photographier pour
nos planches les stalues des Ducs, ciitrepriso fort difficile à cause du manque de
clarté do cette partie de l'éfrlise.
La base du tombeau do Jean III que possède le Musée archéologique de
Nantes, est indiquée par erreur comme provenant du château de la Biliais en
Saint-Etiennc-de^Montluc. Je crois devoir donner ici les explications qui me
furent transmises par M. L. de la Biliais. « En i838 ou Sq, ma bell^sœur Mt^' de
« la Boëssière, qui habitait le château do Nulleville près Ploermel, tenta d'obte-
€ nir pour le Musée de Nantes les statues qui gisaient péleméle dans la cour
a des Carmes de Ploermel. Après bien des demandes elle obtint seulement la
« base du tombeau qui avait supporté les statues de Jean II et de Jean III.
« Je fis alors part du résultat do ses démarches au directeur du Musée,, et
« voilà comment ce tombeau est venu des Carmes de Ploermel directement à
« Nantes par mon intermédiaire, sans qu'il ait jamais eu rien de commun avec
« le château de la B.liais.
« Recevez etc. Signé : L. de la Biliais, père.
Ch. de la Biliais. 18 mai 1876.
En 187g. de nouvelles recherches dans le cloitre des Carmes de Ploermel me
firent retrouver un beau fragment du tombeau de Jean III que le Supérieur
voulut bien me donner.
(i4 suivre).
LES OUBLIES
■-46»-
JEAN-SIMON CHASSIN
Capitaipe de Frégate.
JEAN-PIERRE PILLET
Capitaipe de Vaisseau.
LE CHÊm
Le i3 août 1789^ la Fleur- Royale t magnifique trois-m&ts de six
cents tonneaux, récemment sorti des chantiers de la Fosse, et armé
par la maison L. et F. Richer frères, partait pour Je Cap-Français
(Ile Saint-Domingue) sous les ordres du capitaine Pillet.
Sa mâture solide et légère, ses formes élégantes et fines, le soin
apporté à sa construction et au choix des matériaux, faisaient de ce
navire l'un des plus beaux et des meilleurs voiliers de la rivière.
Après quelques voyages, qui permirent d'apprécier ses qualités, la
Fleur-Royale, en raison des événements politiques, changea son
nom, par trop euphonique, contre celui du Chéri, destiné à devenir
Tun des plus marquants parmi ceux inscrits sur les rôles de la
marine nantaise.
Le 5 décembre 1790, le Chéri retournait au Cap, qu'il touchait le
19 janvier 1791 . Depuis quelques temps déjà les nègres étaient en
pleine révolte. Le contre-coup des malheurs inouis, résultant de
rinsurrection, avait profondément frappé le commerce de Nantes,
si étroitement lié à la prospérité de la colonie.
A la nouvelle de ces désastres^ les négociants ouvrirent une sous-
cription et firent parvenir au roi une adresse par laqueUe ils an-
nonçaient renvoi de secours immédiats en vivres , munitions,
armes, etc. . . • Le 19 janvier l'Assemblée coloniale eut connaissance
JEAN-SIMON GHASSIN, JEAN-PIERUE PILLET 355
de ce document et des marques généreuses de réelle sympathie
dont le Chéri était porteur.
Les applaudissements les plus ciialeureux accueillirent la com-
munication faite par le président, et l'assemblée décida que le len-
demain le capitaine Pillet, ainsi que tous les capitaines nantais,
mouillés en rade, seraient invités à venir à la séance pour y rece-
voir publiquement les remerciements de la colonie entière par
l'organe de ses représentants.
Le 5 lévrier, les représentants rédigèrent la lettre suivante, dont
les termes flatteurs et honorables pour le commerce de notre ville
nous engagent à la reproduire textuellement :
<( La consternation qui s'est répandue parmi vous, en apprenant
« les désastres de notre malheureuse colonie^ le ton de sensibilité
a qui règne dans la lettre que vous avez écrite au Roi à ce sujet,
u nous ont fait voir que nous avions, dans les citoyens de la ville de
« Nantes, des frères vraiment pénétrés de nos maux et des causes
« qui les ont amenés. Vivement émus nous-mêmes à la lecture de
«I cette adresse, notre attendrissement ne nous a permis d'ex-
c< primer les sentiments qu'eUe excitait en nous, que par des ap-
i« plaudissements réitérés.
« L'Assemblée coloniale, empressée cependant de vous témoigner
« toute sa reconnaissance, a fait inviter les capitaines du com-
« mefce de votre ville à venir dans son sein pour y recevoir les
« sentiments et assurances d'admiration et d'attachement qu'a
« inspirés votre conduite noble et généreuse.
« Vous avez la gloire, Messieurs, d'avoir les premiers volé au
a secours des habitants de Saint-Domingue. Loin d'être effrayés
« de la destruction de leurs propriétés, qui fait évanouir, pour un
u temps, l'avantage des échanges, vous n'avez songé qu'à leurs
« besoins, et vous avez, sur-le-champ, réuni tout ce que vous avez
« pu pour y pourvoir. L'empressement avec lequel vous avez porté
a ce secours, la tendre sollicitude qui en a dirigé le choix vous
tt assurent la reconnaissance des habitants de Saint-Domingue.
« L'Assemblée des^ représentants en déposera le gage dans les
« archives de la colonie ; et nos neveux y liront dans la suite des
€ temps : La ville de Nantes, en apprenant les malheurs de Saint-
3bG JEAN-SIMON G11AS51N, JEAN-PIËURE PILLET
« Domingue, oublia ses propres pertes, et, sans s'arrêter à de /raids
€ calculs, envoya ses vaisseaux, ouvrit ses magasins à Vinfortune,
« et lai ojfrit des bras pour la venger,
u Plus heureux que nous^ nos neveux vous donneront des preuves
u sensibles de cette reconnaissance qui se transmettra dans tous
u les cœurs, de génération en génération.
(( Salut*. »
Du 22 septembre 179^ au 3o mars 1796^ c'est-à-dire pendant
plus de dix-huit mois, le Chéri^ frété par le gouverneraient et armé
comme corvette, porta au sommet de son grand mât la longue
flaomie nationale, signe distinctif des bâtiments de l'Etat. Com-
mandé par le capitaine Chassin, nommé lieutenant de vaisseau à
titre provisoire, il escorta les convois de vivres, ravitaillement ou
marchandises, à Tile d'A^ix, l'île de Ré, Brest, Lorient, etc., s'ac-
quiltant fort honorablement de sa mission protectrice*.
Au commencement de l'an Y, lorsque l'embargo mis sur les bâ-
timents du commerce eut été levé, le Chéri fut armé en course.
Les deux premières croisières ne démentirent point les espérances
que les armateurs fondaient, avec raison, sur un équipage dirigé
par l'habile capitaine Pillet.
Ce brave marin, en eflet, avait toujours su, par la droiture et la
fermeté de son caractère, se concilier l'estime de ses concitoyens et
Tafiection de ses matelots. Il n'était pas resté oisif, depuis qu il avait
cessé de monter le Chéri.
A la déclaration des hostilités, la République française ayant
besoin de reconstituer relTeclif des ofliciers de sa marine, que
l'émigration avait réduit à néant, M. Pillet obtint, en qualité de
capitaine de vaisseau, le commandement du Jean-Bart, avec
lequel il fit amener pavillon à I'âlexander, premier vaisseau
anglais pris par les Français dans celle guerre^.
• Feuille maritime de Nantes, N" n et i5, j4 inarb et 7 avril 1793 ; —
Journal des évéaemenls du Gap.
* Administ.de la markie du port de Nantes : armements.
' Le contre amiral NieUy. sorti de Brest avec sa division le aa octobre 1794,
rencontra le 6 novembre deux vaisseaux anglais de 86 canons : le Canada., qui
8*échappa, et I'Alexauder. Celui-ci fut rejoint, à 11 heures 30, parles Droits d$
JEAN-SIMON CHASSIN, JEAN-PIEHKE PILLET %bl
Depuis, sur la corvette la Cigogne, il soutint un glorieux combat,
dans la baie d'Audierne, pour défendre un convoi qu*ii eut le
bonheur de sauver.
Les frais de l'armement du Chéri, pour la première course, s'é-
lèvent à a47,ooo livres, divisées en a47 actions de looo livres cha-
cune*. Cent quatre-vingt-treize hommes formaient son équipage.
Percée à a4 sabords, sa batterie, comprenait : a pièces de a4 en
fonte, a de la, i4 de8, et a de 6dites de retraite, placées sur le gail-
lard d'arrière^ lo pierriers, i4 pspingoles, etc., etc.
Les immenses progrès de l'artillerie moderne, ont apportés de
tels changements dans l'armement de nos vaisseaux, que les détails
contenus dans le compte d'achat des pièces et des fournitures de
combat nous ont paru tomber complètement dans le domaine de
rarchéologie navale et mériter d'être donnés comme termes de
comparaison intéressants :
ARTU.LBE1E
A Cossée, pour a canons de a4 livres de balles en
fonte • 8/io5i lo*
A Dilhurv, pour a canons de i a, et a de 8. . . 3ooo »
A Tarmateur, pour a canons de 6, à 600 livres'. . laoo n
A Jalot, poulieur, pour trois affûts de a4^ a de la,
9 de 8, barres d'anspect, cousins, coins de mire, roues
de rechange^ et a pompes de a3 pieds chacune. • • 1733 17
A Moutier, forgeron, pour ferrure desdits alTùts,
cercles pour les pompes, ferrure de pierriers, 60 fers
Vhomtne, qui engagea le combat. Bientôt désemparé, il dut céder la place au
Jean-Bart, qui, à i heure a5. fit amener pavillon a TAnglais. {Batailles na-
vales de France t par O. Troudb, t. 11, 1796.)
* Chaque acUon du CJtéri rapporta, pour les deux sorties du corsaire,
à»63a livres, 18 sous, 5 deniers. {Liquidation générale définitive, ma collection),
^ \\ ne se trouve ici que 8 canons, les 1 2 autres de 8 avec leurs aflÛts, 5oo bou*
lets ronds, 70 rames et 66 boites de mitraille, étant compris avec le corps du
navire doubléen cuivre jusqu'à ses préceintes, agrès, apparaux, voiles, etc.,
daus le prix d'estimation, cote 72 000 fr.
358 JËAN-SlMON CHASS^N, JEAN-PIEKRE PILLET
OU menottes, ao pinces pour les canons, goupilles,
crocs de rechange» etc 2744 2
A Petit, ferblantier, pour écouvillons, refouloirs^
cuillers à canon et pierriers, tire-bourres, épingleites,
cornes à amorces, garde-feu, mesures à poudre, boites
de mitraille pour les pierriers, balles pour les fusils,
plomb pour les platines, fanaux de combat, débites
de signaux, mèches à canon, etc 1788 8
A Dacosta, i5o boulets ronds de 8, pesant ensemble
I300 L, à 3o fir. le cent. 36o »
Id. 64 boulets de 34, pesant ensemble i536 1 , à
4ofr. le cent . 6i4 8
I» Id. ai boulets rames de a4, ao dito de la, 5o de8,
et ao de 6, pesant ensemble 1708 1., à 60 fr. le cent. ioa4 lO
Id. 3o grappes de raisin de a4, à i4 1. et 5i de
«3*71 777 »
Id. 100 /(/.de 8 à 4 1. 10 s., et ao Id. de 6 à 3 1.
10 s 5ao »
Id. 3o boulets à étoile de a4, et 4i de ra, pesant
semble i55i L, à a s. la livre i5âi »
Id. ao lances d'abordage et port dû .tout à la
gabarre . 99 ^l
A Gaudin, 4o grappes de raisin de a4. • . 384 »
A divers, iio boulets ronds de a4, pesant a6oo 1.;
180 boulets de 6, pesant 1080 ; total 368o L. à aa 1.
le cent . 809 is
Id. i5o boulets ronds de i a, et 33o de 8, pesant
444ol.,àaaL 10 s. le cent . . . . . . 999 >»
Id. 3o paquets de mitraille de a4, à al. 10 s., et
4o de 8, à a livres. i55 »
Id. 80 paquets de cartouches, et 100 livres de
poudre fine 584 »
A Ponsard, armurier, pour raccommodage des fu-
sils, sabres^ pistolets de bord, fourniture de 3a fusils,
8 pistolets. 4o sabres d abordage, coffre d'armes et
outils pour l'armurier. ...:.... 1067 »
JEAN-SiMON CHASSIN. JEaN-PIERUE PILLET :h.>
A Gobert, arliiicier, pour fusées, grenades, po-
tiches, flacons inflammables, étoupilles e* caisses. 46 1 »
A Texier et François, pour 6 pierriers^ 60 haches
d'armes, 13 espingoles^ 10 fusils, 3 paires de pistolets
et 3 sabres. inji »
A Beaufranchet, pour 4^100 livres de poudre à ca-
non, ^5o s. la livre, et ao barils à 3 livres . . . 10, 3 10 »
A Proust, jeune, pour 4 pierriers, à 75I. pièce. . 3oo »
Total 4o, 0G8 i3
Le II germinal an V (3i mars 1797), par une belle matinée de
printemps, le Chéri et la Confiance, corsaire appartenant à M. Cos-
sin, commando^ar le capitaine Quirouard, mirent à la voile, en
quête d'aventures.
Les débuts ne furent pas heureux. Séparé de sa conserve, le i3
germinal, par un coupde vent de N.-O., le CAeW rencontra le 19,
vers les 9 heures du soir, un grand bâtiment qui engagea aussitôt
l'action. Le combat, très chaud de part et d'autre, durait depuis
trois heures, lorsque les adversaires, trompés d'abord par l'obscu-
rité, s'aperçurent enfin qu'ils étaient Français. C'était, en effet,
V Incroyable^ de Bordeaux^ capitaine Becs, armé de trente canons,
qui paya son incroyable précipitation par les blessures assez graves
de six hommes et de fortes avaries. Le Chéri n'eut que deux
hommes légèrement atteints et quelques boulets en plein bois et
dans ses voiles.
Quoi qu'il en soit, celte triste méprise affecta singulièrement les
équipages des deux corsaires'.
Le 35 germinal, le CAeW amarinait lebrig anglais Tue IIarriot,
introduit à Lorient Peu de jours après l'équipage du Mercury^
brig de Jersey, passait à son bord, et le navire était abandonné en
dérive. Le i*' floréal, l'américain The IIebé, amenait pavillon. Le
5, entrait en rivière le riche trois-màls anglais Tue Quee:( of Lon-
' Des lettres de Londres, en date du 9 floréal (38 avril), annoncèrent rarrivéc,
à Portsmouth, do VIncroyable, pris ^r les Anglais peu après son combat
contre notre corsaire. {Feuille Nantaise.)
Tome IV. — Mai 1893. a4
3G0 JEAiN-SIMON CllASSlN, JEAN-PlEUllE PJLLET
DON^ capitaine Williams, de Lexlron, chargé de sucre, colon, café,
dents d*éléphants» etc., capturé le 3, et précédant de peu le cor-
saire qui mouillait à Mindin le 9 floréal.
Le Chéri et la Co/i//ance reprirent de nouveau la mer le 18
prairial (6 juin 1767), naviguant cette fois de conserve avec un
bonheur, qui fit éprouver au commerce anglais des pertes sérieuses,
dont voici les noms.
|0 La Mary, brig anglais, masqué sous pavillon américain ;
a"* La Mary-Jenny, lettre de marque de 16 canons, 35o tonneaux,
4o hommes d'équipage^ chargée d'une cargaison assortie de caisses
de glaces, meubles, balles de draperies, vins de Porto, etc., prise
au moment où elle venait de taire amener un petit bâtiment de
Bordeaux, bien heureux de recouvrer ainsi sa liberté ;
3' Le Jupiter, armé de 7 canons, anglais masqué sous pavillon
danois ;
4* Le LiVËLY, anglais introduit à la Flotte ;
5^ Le Pno^Mx, trois-màls anglais d'environ 1,000 tonneaux,
armé de a 3 caionades de 9, et 100 hommes d'équipage, capitaine
llimpson. Ce navire très richement chargé de sucre, calé, cam-
pèche, etc., allant de la Jamaïque à Londres, et dont la vente
produisit 1,309.331 livres, entra en Loire le 39 messidor, escorté
par les deux capteurs et commandé par M. de la Nicollière, lieute-
nant du Chéri A la corne du vaisseau prisonnier, le drapeau fran-
çais, mollement agité par la brise, déroulait ses longs plis ondu-
leux au dessus des couleurs anglaises renversées en signe de
défaite'.
* L*ensenible de œs prises produisit près do trois miUions, sur lesquels,
pour simple droit de commission, l'armateur, M. Richer, prélevait 90,678 1. 19 s.
3 d. sans préjudice des actions. Pour pareil droit, comme capitaine, iii,&6i 1.
i4 s. 3 d. revenaient à M Pillet, possesseur, en outre, de 4o actions. Mais ce
dernier ne toucha jamais rien et no put obtenir aucun règlement de comptes.
M. Richer, dans le mémoire que nous avons sous les yeux, est accusé, par
M. Pillet, d'avoir porté l'armcmeut du Chérie évalué à lâo.ooo 1.. au chiffre de
a 67. 000 livTes, ce qui lui fit perdre tout crédit sur la place de Nantes, au point
que. lorsriu'il arma plus lard la frégate la Psyché^ personne ne voulut prendre
d'acUons. {Précis pour le sieur J.'P, Pillet contre les héritiers du sieur F.
lixher, brochure in-4"', 70 p., imprinicc à Kcniics, chez Cousin-Dancllc, i8i4).
JEAMblMÔN CUA8S1N, JEAN-PIERRE PILLET .61
Le JtPiTEii vendu à Nanles, avec sa cargaison, j5o,556, livres^
donna lieu à un procès, qui, une fois de plus, démontre la dupli-
cité avec laquelle l'Angleterre abusait des immunités du pavillon
neutre.
Le 9 vendémiaire an VI (3o septembre 1797), le Tribunal civil
de Nantes adjugeait aux deux corsaires la confiscation de leur
prise. Le capitaine Mangels soutenait que le Jupiter était danois,
mais il était en contradiction manifeste avec les règlements de
1744 et 1778. Il se pourvut donc en cassation contre la fausse
application de la loi.
La Cour française, ne pouvant et ne devant reconnaître comme
neutre que les bâtiments qui se présentaient avec les caractères
désignés par la loi établissant la neutralité, rendit, le a 5 pluviôse,
le jugement dont voici un extrait :
« Sur les mémoires présentés au tribunal de cassation par
« Henri Mangels, commandant le navire le Jupiter, en cassation
m d'un jugement rendu par le Tribunal civil du département de la
a Loire-Inférieure, séant à Nantes, le 9 vendémiaire an VI ;
a Ouï le rapport de Belot, juge^ commis rapporteur par ordon-
« nance du a6 frimaire dernier ;
a Considérant que le traité fait en 174a» entre la France et le
« Danemark^ pour quinze années, est arrivé à son terme en
« 1767, et qu'il ne parait pas que ce traité ait été renouvelé ;
(( Considérant que ce traité de 174a n'existant plus, on ne doit
• considérer que le règlement de 1744, dont le roi de Danemark
« lui-même réclamait Texécution en 1757^ et le règlement de
« 1778, qui confirme celui de 1744 ;
« Par ces motifs, et par ceux énoncés au jugement du tribunal
<( de la Loire-Inférieure, après en avoir délibéré, le tribunal rejette
« le mémoire de Henry Mangels et le condamne à l'amende de
« cent cinquante francs envers la Nation.
« Fait, jugé et prononcé au tribunal de cassation, en la séance
c publique de la section des requêtes, le a5 pluviôse an VI, etc...*»
Le aa brumaire, an VI, le Chéri quittait pour la troisième fois
• Feuille Nantaise, 5 vcnlùsc an VI.
362 JEAN-SIMON CHASSIN, JEAN-PIERRE PILLET
la rade de Mindin. Le capitaine Pillet, ne trouvant que des vents
contraires^ une mer très grosse, remarqua que son navire n'avait
pas sa marche habituelle. Exposé de plus à rencontrer des forces
supérieures, il réunit le conseil. A l'unanimité il fut décidé de
relâcher dans le port le plus voisin, afin d'y attendre un temps favo-
rable. En conséquence, le a6 au matin, le corsaire jetait Tancre à
Mindin, ayant à bord son commandant sérieusement indisposé.
La maladie de M. Pillet augmentant» l'armateur, désireux de
voir s'achever la croisière, sur laquelle restaient encore dix-sept
jours, le remplaça par son beau-frère, M. Chassin, ancien capitaine
du Ckiri, alors corvette de la République. . Mais l'équipage, at-
taché à son chef, ou peut-être sous le coup d'un de ces vagues
pressentiments souvent inexpliquables, refusa de partir.
H. Richer, dans l'intention de rendre celte croisière plus fruc-
tueuse, proposa une prorogation d'un mois, sans en exiger l'en-
tier accomplissement, si les circonstances forçaient le corsaire à
rentrer plutôt ; en vain il offrit des avances, l'équipage persista
dans son refus^ s'çbstinant à ne pas se ranger sur l'arrière pour
écouter ces propositions et répétant avec insistance : désarmez !
désarmez ! !
Le conmiissaire de la marine de Paimbœuf vint à bord et dut
se borner à dresser procès-verbal contre les révoltés, qui cepen-
dant se calmèrent et rentrèrent dans le devoir, grâce à Tinlerven-
tion de l'état-major et des officiers mariniers du corsaire.
Le 4 nivôse, à cinq heures du matin, presque à la même heure
où treize jours après il amenait son pavillon, le Chéri, par un beau
temps, joli. frais de N.-E., appareillait et quittait la rivière qu'il
ne devait plus revoir.
A part quelques navires visités et trouvés en règle, rien à si-
gnaler dans la route tenue par le corsaire jusqu'au i5 nivôse. Sur
les onze heures, ce jour-là, une goëlette parut en vue. A une
heure elle arriva et passa devant le Chéri, cherchant à le recon-
naître. Celui-ci mit ses bonnettes tribord et bâbord et commença
à tirer à boulets avec ses canons de chasse. La goëlette hissa pa-
villon anglais et continua de fuir poursuivie par le corsaire, loin
de soupçonner la ruse perfide qui le rapprochait ainsi d'un formi-
able adversaire.
JEAN-SIMON GHASSIN. JEAN-PIERRE PILLET 36
A quatre heures et demie, la chasse fut levée. L'obscurité pro-
fonde d*une longue et triste nuit d'hiver envahit l'océan encore
assombri par une brume des plus épaisses. A minuit et quart, le
temps s'étant éclaîrci permit d'apercevoir un gros navire, courant
au N.-E., et bientôt jugé frégate.
Le branle-bas général de combat à peine terminé^ le capitaine à
son banc de quart, ayant près de lui comme officier de manœuvres
le premier lieutenant de la Nicollière, le second capitaine Isaac
Boquien sur Tavant, la frégate héla le Chéri, demandant d'où il
venait. M. Chassfn répondit venir de Lisbonne, et, malgré Tinjonc-
tion de mettre le grand hunier sur le mât, continua de laisser
courir. L'anglais alors hissa pavillon appuyé d'un coup de canon,
tandis que le corsaire nantais arborait ses couleurs, assurées par
un boulet de a4, engageant ainsi fièrement le combat qui dura
une heure et demie sans interruption.
La frégate courant même bord au vent que le Chéri le dépassa
de Tavant et laissa arriver. Celui-ci étant venu au vent, elle prit le
bord rencontre sous le vent. Le capitaine Chassin, faisant promp-
tement passer son monde sous le vent^ lâcha toute sa bordée, à
laquelle la frégate riposta par quelques pièces seulement, restant
derrière à se réparer.
Le C^en laissa arriver pour gagner du chemin et utilisa égale-
ment ce moment de répit pour remplacer les manœuvres coupées.
Il avait eu deux hommes tués.
A deux heures et demie, la frégate accosta son adversaire de
très près sous le vent, et son feu continuel, des mieux nourris,
produisit les plus grandes avaries.
Dès les premières décharges de mousqueterle couvrant le pont
du corsaire d'une grêle de projectiles, M. Chassin, frappé d'un
biscaïen, qui, entré par l'épaule, se logea en pleine poitrine, tomba
mourant sur son banc de quart. Relevé immédiatement et porté
sans connaissance au poste des blessés, il fut remplacé dans le
commandement par le second, M. Isaac Boquien'.
* M. Isaac Boquien, que nous avons connu à la Basse-Indre, doit être le^rand-
oncle ou l^arrière-^rand oncle de M. Boquien, chevalier de la Légion d'hon-
neur, membre du Conseil général pour le canton du Pellerin.
364 JEAN-SIMON CHASSIN, JEAN-PIERRE PILLET
La lutte, lutte inégale et désespérée, se soutenait avec un courage
extraordinaire. L'issue n'en pouvait être douteuse, et il devenait inu-
tile, pour la continuer, de sacrifier un plus grand nombre d^hommes.
Une seule chance eût été favorable au corsaire : démâter la frégate;
il ne put y réussir.
Plusieurs boulets avaient traversé la coque è la flottaison, la
calle se remplissait d'eau, les poudres étaient noyées, une pièce de
ai et huit autres étaient démontées, cinq hommes tués, quatorze
blessés dont deux moururent peu après'. Vers quatre heures le mât
d'artimon tomba, « engageant la batterie par' le perroquet de
« fougue, qui, se trouvant embossé, élongeait en dehors le long du
« bord. Il devenait ainsi impossible sans y mettre le feu de tirer
« sur l'ennemi, qui serrait le corsaire de si près que ce dernier
c ne pouvait ni laisser arriver sans l'aborder en plein^ ni venir au
or vent pour virer de bord, toutes ses manœuvres étant hachées.
a En outre n'ayant ni grappins, ni artifices d'abordage^ avons fait
(( cesser le feu^ et hélé que nous étions amenés à quatre heures et
« demie. ..^ »
* Les morU furent : Richard, matelot^ de Nantes ; Gautry, matelot tonnelier,
de Nantes ; Bouffay, matelot, de Nantes ; Desmeule, volontaire, de Vilry ;
Guillet, mousse, de Nantes. Le deux blessés décédés furent : M. G bassin, capi*
ta i ne ; PeUteau, matelot, de Méans.
> Extrait du journal de bord de M. de la NicoUière. Get officier avait
d'abord servi sur la frégate la Vengeance^ comme chef de timonnerie, pendant
les croisières qu^elle fit aux colonies du lo décembre 1794 au 3o octobre 179C.
11 rempUt les mâmes fonctions sur la corvette la Cigogne, du 3i octobre au
23 novembre i7()6. Prisonnier de guerre sur les pontons, du 5 janvier 1798 au
8 mai 1799, comme second capitaine du Chéri il fut échangé par le citoyen
Niou, chargé d'affaires de la République française, avec la mention : « Echangé,
« suivant l'Article III de mes instructions, pour avoir combattu avec un cou-
u rage extraordinaire et jusqu'à ce que le bâtiment ait été coulé bas. Signé :
« Niou. >
Embarqué sur la frégate le Président ^ le ao juillet i8o4, comme enseigne de
vaisseau. M. de la NicoUière accomplit différentes croisières et voyages aux co-
lonies. Le a8 septembre 1806, la frégate opérant son retour en France tomba
dans une division anglaise, et malgré sa résistance fut capturée par deux vais-
seaux. Une nouvelle captivité, mais cette fois sur parole, commença pour le
lieutenant de la NicolUère, qui ne revint en France que le 3o mars 181 4, après
avoir passé un total de huit ans dix mois et sept jours en Angleterre.
En 181 1, prisonnier depuis cinq ans, saisi du désir insurmontable de re\oir
JEAN-SIMON CHASSIN, JKAN PÏEUUE PILIJ-Ï 305
Un lieutenant de la frégate vint à cinq heures et demie pour
commander la prise. Tout le monde semitaux pompes. Le poste
étant à flot, il fallut monter les blessés. A sept heures le pavillon
fut hissé en berne afîn d'avoir des chaloupes ; les Anglais quittaient
précipitamment le Chéri, qui coula à huit heures, le i6 nivôse an
VI (5 janvier 1798), n'ayant plus personne à bord'.
Arrivés sur le pont de la frégate, Tétat-major, privé de son chef,
réquipage prisonnier jettent un dernier adieu, un humide regard
au corsaire, représentant pour eux la patrie si vaillamment
défendue^ et qui sombre peu à peu. Le Chéri, un brave navire I !..
descend majestueusement sous les vagues. De larges tourbillons
semblent en se creusant lui former un lit d'honneur. Un instant
encore, les mâts vacillants indiquent la place où il s'engloutit
plutôt que de passer à l'ennemi en perdant sa nationalité; puis
tout disparaît à jamais dans l'incommensurable abime.
La frégate contre laquelle les Nantais avaient combattu à deux
reprises, pendant trois heures, était la Pomone jadis française.
Elle portait 46 pièces, Le Chéri en avait 22,
36 de 24 en batterie. 'j de 24 .
ta patrie, mais esclave de sa parole, M. de la Nicollière, à Tépoquo du renvoi
des incurables, essaya de se faire admettre parmi eux. Cinq à six jours avant la
visite, il s*abstient de toute nourriture, et le matin môme où ii doit se présenter
aux. chirurgiens, il fait une longue course qui achève de briser ses forces, et
donne à ses traits, tirés et pâlis par la souffrance, l'aspect livide et blême d*un
véritable agonisant.
Anxieux, quoique confiant dans la réussite de son stratagème, il peut èk peine
se tenir debout quand les docteurs prononcent son nom. A la vue de cette fai-
blesse Si grande et si frappante, dont ils reconnaissent parfaitement les symp-
tomes sans deviner la cause, ils refusent de l'expédier pour France^ sous pré-
texte qu'il ne pourra attendre 2e moment de s'embarquer. « Allez, allez, disent-
ils, vous n'en avez pas pour deux jours. » You worU' hold out two days.
Le but avait été dépassé. Rentré chez lui, M. de la Nicollière atterré ne s'a-
bandonna point au désespoir, il soigna sa santé fortement ébranlée par une si
rude épreuve, répara ses forces, et en dépit de l'arrêt de la faculté anglaise ne
mourut que le a avril i844, dans sa soixante-quatorzième année.
' Pavillon en berne, c'est-à-dire roulé sur lui-même dans sa longueur afin
qu'il ne puisse se déployer, signal de détresse qui appelle de prorapts secours,
«>u ♦•iicorc si<?ne de «leuil.
866 JEANSiMON CHASSIN, JEAN-PIERRE PILLET
a de la sur les gaillards d'arrière 4 de la
i8 obubiers de 3a.* i4 de 8
a de G
Une pareille bravoure, dît le rédacteur de la « Feuille Nantaise, n
en rendant compte de ce combatte 3 février 1798, mérite les éloges
du gouvernementel peut-être une récompense. Les pertes du Chéri
furent de cinq tués et quatorze blessés, y compris le capitaine,
mort en touchant la Pomone.
La lettre d*un officier du corsaire, datée de Plymouth le 9 plu-
viôse an VI (a8 janvier), à bord du vaisseau le Samso^, prison flot-
tante, nous fournît les détails suivants :
€ La frégate anglaise dans cet engagement a souffert con-
sidérablement. Elle a eu trente-deux hommes hors de combat et a
été obligée de faire voile de suite pour Plymouth, afin d*y prendre
un nouveau gréement. un mât de misaine et un grand mât.
« Nous avons eu la satisfaction de voir notre corsaire couler
aussitôt que nous avons été à bord de la frégate. Les Anglais ont
tout fait pour boucher les trous, sans pouvoir y parvenir. Ainsi
donc ils n'ont éprouvé que de la perte dans cette action. Quoique
mécontents, ils nous ont cependant assez bien soigné pendant le
temps que nous avons passé à bord.
« Mais, en débarquant, nous avons été transféré à MiU-Prisons,
où sont parqués six mille prisonniers français, traités comme de vils
criminels, ne recevant, pour a4 heures, que i4 onces de pain noir,
une demi-livre de viande vieille vache, et sans cesse exposés à la
brutalité des soldats anglais.
« Après avoir pris Tair de la prison, nous fûmes conduit sur le
vaisseau le Samso:>i, où sont détenus tous les officiers des frégates
et des corsaires. Nous nous y trouvons un peu mieux, on y est plus
* La PoHOKB de 4o canons, prise lo ?3 avril 179^ par Tescadre de Tamiral
Warren, ilo de Bat, servit de modèle aux frégates anglaises de ho. portant du
34 en batterie, qui datent de 179S, et dont la première fut rENovuicK. — >
Annales maritimes, histoire de la Marine anglaise, par Eugène Maissio,
lieutenant de frégate D'après des nouvelles de Londres du 18 octobre 1811. La
PoMONB fit naufrage en entrffnt à Porsmouth, l'équipage fut sauvé. (Journal
politigiMde la Loire 'Inférieure, 27 octobre 181 1)
JEAN-SIMON CHASSIN, JEAN-PIERRE PILLET 307
propre, le traitement et la nourriture sont les mêmes qu'à la
prison*. «
Jean-Simon Chassin, capitaine de frégate, tue dans l'engagement
du Chéri, natif de l'île d'Yeu, était fils de Jean-Simon Cbassin et de
Louise Goirau. Il avait épousé, le ii février 1783, la sœur de la
femme de M. Pillet, Jeanne-Honorée Ghauvelon, de laquelle il laissa
un fils, père de M. Ch. L. Chassin, l'historien bien connu, auteur
des Eluder documentaires sur la Révolution française. — La pré-
paration de la guerre de la Vendée, 1789- 1793, etc.
Jean-Pierre Pillet, classé à Nantes comme maître au cabotage,
fut reçu capitaine au long-cours, à l'Amirauté, le aS décembre 1773,
âge de 37 ans'.
Commandant la Ville-du-Cap, navire de Nantes de 4oo tonneaux,
armateur M. de Loynes, il fut pris par les Anglais^ le 6 septembre
1777, sur les côtes de Saint-Domingue'.
Le a8 germinal an VIÏ (17 avril 1799), les électeurs de Nantes
nommèrent le capitaine de vaisseau Pillet membre du conseil des
Cinq Cents. Il siégea ainsi à côté de Boulay-Paty, avec lequel il
plaida plusieurs fois la cause du commerce et des corsaires nan-
tais. Pendant le dépouillement du scrutin, comme M. Pillet était
en ballottage avec le citoyen Grélier, un électeur lui dit : a Capi-
laine, vous êtes dans le feu du combat, avez- vous pris des forces
à votre déjeuner? Lorsque j'ai pris TAlexander, répondit-il en
riant, j'étais à jeun !... » La ressemblance était de bon augure^.
La lettre par laquelle le capitaine Georges Oakes annonce au
capitaine Renaudin, du vaisseau le Vengeur, qu'il est échangé avec
lui, contient les lignes suivantes :
< Lorsque j'ai été prisonnier, j'ai reçu beaucoup d'honnêtetés
de la part du capitaine Pillet, qui commandait le Jean-Bart; si
vous le connaissez et si vous avez occasion de le voir, je vous prie
de lui dire que je me ferai un plaisir de rendre tous les services
Feuille Nantaise.
* Arch. départ. Amirauté, registre de réception des capitaines.
> Arch. munie, série ek 227, état des vaisseaux de Nantes pris par les Anglais
en 1778.
* Mellinet : la commune et la milice de Nantes, T. X p. 2 45
9
68 JE\N-SÏM0N GIIASSIN. JKAN-PIKUIIE HLLET
qui seront en mon pouvoir dans ce pays, à lui et à ses amis qui
pourraient tomber dans nos mains. Je serais bien aise d apprendre
de ses nouvelles' . »
Il obtint également de ses concitoyens le mandat de député au
Corps législatif, 1800-1807, et mourut pensionnaire de l'Etat, âgé
de 70 ans, le 19 mai 181G.
Ce brave marin, né à l'Ile d'Yeu, et fils de Jean Pillet, capitaine
au long-cours classé au port de Nantes, et de Marie-Ânne Drouil-
lard, épousa Charlotte-Louise Chauvelon, fille de Louis Chauvelon,
boulanger, et d Honorée Orieux. Il eut de ce mariage M"* Victoire-
Honorée Pillet,née le i5 octobre 177/1, décédée, âgée de 23 ans, en
i7()8, femme du capitaine de frégate Pierre François Leveilley.
S. i)K LA Nicom.ikuk-Tkijkiiio.
' erreurs et mensonges historiques, par M. Ch. Barthélémy : 4* *érie,
le Taissdau le Vengeur.
LES GRANDES SEIGNEURIES
DE HAUTE-BRETAGNE
Comprises dans le territoire actuel du département dllle et- Vilaine
(suite*)
Le Bordage, chàtellenie d'ancienneté^ relevait de la baronnie de
Vitré. En i565 le roi Charles IX y unit les deux autres chàtellenies
de Chasné et de Mézières, situées dans les paroisses de mêmes
noms. Par ses lettres patentes de mai i656, enregistrées au par-
lement le 1 3 octobre suivant, Louis XIV unit encore au Bordage
les chàtellenies de Montbourcher en Vignoc et de Sérigné en
Liflré, et érigea le tout en marquisat sous le titre de marquisat du
Bordage'. Ce qui dans cette nouvelle seigneurie ne relevait pas de
Vitré relevait directement du roi.
Le marquisat du Bordage ayant « sept lieues de longueur sur
quatre de largeur' » se composait donc de ce qui suit :
Le château du Bordage que nous décrirons plus loin, — les an-
ciens châteaux fortifiés de la Salle de Chasné, Mézières et Mont-
bourcher ; les anciens manoirs du Bourg d'Ercé, du Plessix-d'Ercé,
de la Rivière, de la Champagnaye et de rEslourbillonnaye ; les
métairies de Launay, i^Eslourbillonnaye, la Riollaye, le Plessix-
d'Ercé, le Clos-Lohy, la Rivière-Bodin,le Mesnil, la Champagnaye,
le Bourg-d'Ercé, les Fontaines^ la Salle de Chasné et Montbourcher ;
les moulins de Tahan, Janson, la Prée, GralTard, Quincampoix et
les Moulins-Neufs ; plusieurs étangs et grands bois, notamment la
forêt de Cheusève, etc^
' Voir la livrainoii d*avril i8(j3.
' Arch. du Parlement de Bret.
* Procès-verbal du Bordage en i656, publié par \'d lïeviœ hist. de
VOuest. VIII, documents, i83.
♦ Arch de la Loire-Inférieure.
370 LES GRANDES SEIGNF.UIUES
*
Au point de vue féodal, les cinq chàtcUenies composant le mar-
quisat du Bordage comprenaient une grande quantité de iiefs
s'étendant dans les paroisses d'Ercé, Chasné, Saint-Aubin d'Aubi-
gné, Mézières, Vignoc, Saint-Médard, Gahard, Liffré, la Bouexière,
Dourdain, Gosné, la Mézi''re, et dans les paroisses circonvoisines.
La juridiction en haute justice s'exerçait en deux auditoires, Tun
au bourg d'Ercé où l'on jugeait les causes des vassaux du Bor-
dage, de Chasné, de Sérigné, de Mézières, de TEstourbillonnaye
et de la TournioUe', l'autre au bourg de Vignoc pour les hommes
de la chàlellenie de Montbourcher.
Au bourg d'Ercé le sire du Bordage avait ses prisons, ceps et
collier pour punir les malfaiteurs, et sur la lande d'Ercé, dans
l'enclave de son fief de Vitré, des fourches patibulaires à quatre
*
piliers. — A Vignoc, comme seigneur de Montbourcher, il avait
pareillement sur la place du bourg un poteau à ses armes avec des
ceps et un collier de fer, et sur le commun des Bas-Champs, joi-
gnant le grand chemin de Rennes, un autre u gibet à quatre pots »
comme celui d'Ercé. — A Dourdain, en qualité de seigneur de
Sérigné, il avait aussi des ceps et collier dans le bourg et une po-
tence à quatre piliers sur la lande de Guinebert. — Les mêmes
droits de haut justicier lui appartenaient à Chasné et à Mézières.
Du marquisat du Bordage relevaient un grand nombre de mai-
sons nobles et de seigneuries : le Rocher-Douxemy, la Haute-
Touche et la Boucherie en Ercé ; la Roualle, le Haut-NuUier et la
Guinardaye en Chasné ; la Morlaye et la Grandaye en Saint-Aubin-
d'Aubigné; la Giraudaye, la Relaye, la Scardaye, la Ville- OUivier
et la Roussière en Mézières ; le manoir de Sérigné en LifTré, la Nor-
mandaveet le Plessix-Pillet en Dourdain, l'AubouclèreenGosné^etc.
Au marquis du Bordage appartenait encore le droit de faire cou-
rir quintaine dans trois paroisses : à Ercé, à Chasné et à Vignoc ;
chaque année, ce devoir incombait aux derniers mariés desdites
paroisses. 11 avait aussi des halles à Ercc et à Vignoc, ayant droit
d'y tenir, à Ercé, un marché tous les mardis et quatre foires par
« Les petites seigneuries de la Tourniolle et de TEstourbilIonnaye en Ercô
avaient été également unies au marquisat du Bordage.
DE HAUTE-BRETAGNE 371
an^ et à Vignoc uii marché tous les vendredis et une foire le pre-
mier jour d'août. A toutes ces foires lui appartenait, en outre des
coutumes ordinaires, un droit de bouteillage consistant en deux
pots par pipe de cidre ou de vin.
Un autre droit, bon à signaler, consistait en ce que le seigneur du
Bordage se réservait le choix du maître d'école chargé d'enseigner les
enfants de ses seigneuries, notamment en la paroisse de Chasné.
Il serait bien intéressant de faire connaître les intersignes des
droits de supériorité, fondation et prééminence qu'avait le marquis
du Bordage dans les églises et chapelles situées dans ses fiefs ;
mais ici encore il nous faut abréger. Citons toutefois quelques
extraits du curieux Procès-Verbal de i656.
En l'église d'Ërcé se trouvaient une maitresse-vitre, présentant
peintes en bannière les armoiries de Montbourcher : d'or à trois
channes de gueules ; dans le chanceau, du côté de 1 évangile,
u trois pierres tombales armoyées des mesmes armes o^ et un banc
à queue également réservé au seigneur. De chaque côté de ce
chanceau étaient les chapelles Notre-Dame et Saint-Sébastien ,
ornées l'une et l'autre des écussons du Bordage sculptés sur les
clefs de voûte et peints dans les vitraux. Ces armoiries formaient
aussi une ceinture extérieure à l'église tout entière. — L'église de
Chasné présentait les mêmes armes de Montbourcher alliées à
celles de Québriac dans ses verrières et sur ses murailles. — Eu
l'église de Dourdain les blasons des Montbourcher se retrouvaient
dans la grande verrière du chœur et dans les deux chapelles
accompagnant le chanceau ; devant le grand autel était une pierre
tombale' armoriée, présentant en une longue épitaphe toute une
suite généalogique des sires de Montbourcher ; la litre de cette
église se composait extérieurement de douze grands écussons
sculptés en pierre aux armes de Montbourcher. — Dans les églises
de Mézières, Gosné et Sérigné, c'était à peu près le môme luxe
d'intersignes en laveur du seigneur du Bordage. — Enfin léglise
de Vignoc conservait une intéressante verrière représentant un
* Qui subsiste encore à la même place, avec son iascriplion publiée par nous
dans le Pouillé hUtor, de Rennes^ IV, 563 .
372 LES GRANDES SEIGNEURIES
chevaLier de la maison de Moatbourcher, présenté à Dieu par son
saint patron' et revêtu d'une cotte de mailles blason née dé ses
armoiries ; les mêmes armes de Montbourcher se voyaient en outre
dans les autres vitraux, sur les clefs de voûte, en lisières intérieure
et extérieure, et sur plusieurs tombeaux dont l'un offrait encore
TelTigie d'un chevalier. Comme dans les autres églises, on voyait
aussi à Vignoc, près de l'enfeu prohibitif, le banc à queue du sire
de Montbourcher.
Parlons maintenant du château du Bordage.
Pendant la Ligue, le seigneur du Bordage, avons-nous dit, zélé
protestant, tenait pour le parti des Royaux ; cela n'empêcha pas les
Ligueurs de s'emparer de son château et d*y demeurer les raaiires
pendant cinq mois en iSSg*. René de Montbourcher^ étant au mois
d'août de cette année-là rentré chez lui, résolut de s'y mieux dé-
fendre : il obtint en iSgo du prince de Dombes, lieutenant général
du roi en Bretagne, permission de « fondre deux pièces de cam-
paigne et autre nombre de fauconneaux qu'il jugera lui estre né-
cessaires pour défendre sa maison du Bordage' ». L'année suivante,
le même prince de Dombes envoya cinquante arquebu^ers, sous
la conduite du capitaine La Ronce, tenir garnison au Bordage. Cette
troupe s'y trouvait encore en lôga renforcée de « trente-trois hommes
de guerre montés et armés à la légère » que commandait René de
Montbourcher lui-même^. Enfin en 1697 Henri IV permit au sei-
gneur du Bordage d'augmenter les fortifications de son château et
l'autorisa à lever une compagnie de cinquante hommes d*armes
pour le défendre.
Le château du Bordage devait être en i6d6 k peu près tel qu'au
temps de la Ligue. En voici la description d'après le Procès-Verbai
déjà cité :
a Au nord du château quatre longues et larges avenues d'arbres
aboutissaient à une grande place occupée par un jeu de paume et
un manège ; tout près étaient « les douves et fossés du chasteau à
• Journal de Pichart, Dom Morice : Preuve de l'flist. de Bret., Ill, 1703.
• Mel. hist. de Bret., I, 1 1 .
» Arch, d'Ille-et-Vil., G. 3669.
UE HAUTE-BRETAGNE 373
fonds de cuve, contenant 60 pieds de largeur avec un chemin cou-
vert le long d'icelles et unecasematte ». A l'entrée du Bordage « un
pont dormant contenait 4() pieds de longueur, fermé d*un bout de
sa herse et de l'autre de deux ponts-levis attachés au portail et
principale entrée du chasteau défendue par deux corps de garde
et deux culs de lampe de pierres de taille; sur ledit portail (étaient
sculptés) huit écussons en bannières, trois desquels portent cha-
cun trois channes, avec le collier de l'ordre de Saint-Michel ». Ce
portail faisait partie de la courtine septentrionale du château ter-
minée par « deux grosses tours de 70 pieds de hauteur basties de
pierres de taille » .
Le Bordage formait en effet un grand carré défendu de tours à
chacun de ses angles^ plus un donjon et une sixième tour au milieu
de la courtine occidentale, servant de magasin de guerre et pleine
de « mousquets, boulets de canon, pestards^ et 18 à ao cacques de
poudre, pour la défense dudit chasteau ». Une septième tour conte-
nait l'horloge delà forteresse, enlin une huitième et dernière tour ren-
fermait une poterne, avec un petit pont-levis du côté des jardins.
Des quatre grosses tours d'angle, la première « voultée de pierres
avec trois étages » se terminait par une « plate-iorme de pierres de
taille avec ses parapets et embrasures « ; — la deuxième était « com-
posée de quatre étages avec ses ouvertures sur les douves, les
chambres contenant a4 pieds de dedans en dedans, et les mu-
railles ï8 pieds d'épaisseur, et sur le quatriesme étage une plate-
forme couverte de plomb avec cinq embrasures dans chacune
desquelles sont deux fauconneaux de fonte » ; — la troisième se
trouvait « garnie de ses embrasures avec quatre longues couleu-
vrines de fonte, montées sur leur afïuz^ deux desquelles sont ar-
moyées des armes de Monlbourcher » ; — enlin la quatrième était
de pareille grosseur que les précédentes, mais « n'est eslevée que
d'un étage ».
Vis-à-vis la tour du magasin s'élevait à l'orient le donjon pré-
sentant sur ses murailles un écusson écarlelc de Monlbourcher et
de Bretagne'. C'était « une grosse tour composée de cinq étages
• Ce blasou se relrouvo sur un sceau do François de Monlbourcher, seigneur
du Bordage, en i35A.
374 LES GHANDES SEIGNEURIES
dans lesquels soûl de grandes cliauibteâ et cabinets, iadile lour
avec ses mâchicoulis par appels et galeries, paroist par la structure
et antiquité de son bastiment eslre l'ancien chasteau et demeure
des seigneurs du Bordage, défendue du coslé du midy d'une
grande douve à fonds de cuve de 60 pieds de largeur remplie
d'eau ».
L'enceinte forllRée du Bordage était divisée intérieurement en
deux parties par les écuries et bâtiments de service ; on appelait
avant- cour la portion avoisinant le grand portail; dans la cour
proprement dite se trouvaitle logis seigneurial composé de t caves,
cuisines, offices^ salles hautes et basses, chambres, antichambres
et cabinets, richement meublés avec leurs alcôves et estrades, fai-
sant six appartements complets et parfaits » Le logis était accom-
pagné d'une galerie de i^^io pieds de longueur et de ai pieds de
largeur, u à trois étages, par le bas à portiques, et au second étage
de douze croisées. /) D'après la tradition, cette galerie conduirait
au prêche huguenot qui avait au XVI* siècle remplacé la chapelle
des premiers sires de Montbourcher. Enfin, au milieu de cette cour
d'honneur, jaillissait « un jet d'eau dans son bassin de pierres de
I aille ».
Tout le château était, en outre, cerné d'une terrasse avec con-
trescarpes et doubles fossés remplis par les eaux de l'Islette, ce qui
augmentait encore la fortification de la place dont l'ensemble ne
comprenait pas moins de quatre journaux de terre.
De cette importante construction féodale il ne reste aujourd'hui
que la base de deux tours ruinées et les anciens logements de ser-
vice qu'habitent les propriétaires actuels ; tout le reste a été détruit
par la Révolution.
Nous avons nommé le prêche ou temple protestant du Bordage ;
c'est vers i563 que François de Montbourcher fit prêcher l'hérésie
dans ses terres et installa dans son château un ministre hérétique qu
fonda ce qu'on appela l'église du Bordage et d'Ercé ; l'erreur, grâce
au seigneur du lieu, se maintint dans la contrée jusqu'en 1701,
époque à laquelle ce qu'il y restait de huguenots fit son abjuration.
D'ailleurs, quinze ans auparavant, RenéVllI de Montbourcher, mar-
DE HAUTE BRETAGNE 375
quis du Bordage, et Kené*Amaury, son ûls, avaient eux-même renoncé
à l'hérésie en rentrant au giron de TEglise catholiqueV Maintenant
encore Ton montre près du château un champ qui porte le nom
significatif de cimetière des Huguenots : c'est le dernier vestige
matériel du passage de 1 hérésie à Ercé.
Comme Ton voit, l'histoire du Bordage et de ses seigneurs n'est
point dépourvue d'intérêt et deviendrait facilement l'ohjet d'une
étude historique plus étendue.
L'abhé Guillotin de Gorsou,
Cfian. /ion.
(A suivre).
* Vaurigaud, Hist. des églises réformées de Brrt., , laa. e III, 117 et 187
Tome ix. - Mai 1893. a 5
MÉMOIRES D'UN NANTAIS*
(Suite),
La salle de Moreau avait aussi ses moments de tumulte. Ce bril-
lant maître d'armes avait fort bon caractère, aimait la plaisanterie,
était sans méchanceté et ne se fâchait jamais. C'était presque tou-
jours lui qui commençait par quelques mots piquants en échange
desquels il recevait des coups de fleuret sur les épaules. 11 avait
alors recours k ses seilles toujours pleines d'eau. Il nous les vidait
sur le dos avec une dextérité admirable. Cette douche était le signal
d'un branle-bas général : fleurets, gants, sandales, masques, tout
lui était jeté à la tête au milieu d'éclats de rire sans fin. 11 évitait
ou parait presque tout avec adresse. Les murs étant dégarnis, nous
n'avions plus rien sous la main, il prenait TofTensive et nous pour-
chassait avec l'eau des seilles, à moins que, nous sentant en nombre,
nous nous précipitions sur lui. Sa force était réelle; saisi de tous
les côtés, il nous traînait d'un bout à l'autre de la salle ; si un bon
mot nous faisait rire, il en profitait pour nous échapper, et gare
leau s'il en restait. Un jour, le vacarme devint tel que les voisins
montèrent, se demandant si les cris étaient sérieux ou pour rire.
Revenus au calme, étonnés nous fûmes devoir ce groupe de figures
souriantes encadrées dans la porte. C'était le cas de s'écrier comme
M™* d'Abrantès, parlant du consulat et de l'Empire : quel temps !
— Sans doute, c'était le bon temps, puisque nous étions jeunes,
le trop-plein de vie débordait en fou rire et en luttes qui nous don-
naient conscience de nos forces. Pourquoi faut-il que Louis XIV
et Napoléon aient abusé des ressources de la France !
Nous étions alors à l'époque de la campagne qui fut terminée
par la bataille de Wagram. Un peu de repos, troublé seulement au
Sud par la guerre de l'indépendance, accompagna le mariage de
l'Empereur avec la fille des Césars. Cette alliance, qui sembla mettre
' Voir la liTraison d'Avril 1893.
MÉMOIHES D'LN NANTAIS 377
le sceau à la grandeur du chef de la Fiance et qui entraîna tant de
royalistes dans son parti, n'ébranla point les de Gharette. Dans
cette maison, tout le monde resta îidMe à son drapeau et à la ligne
tracée par le général indomptable qui mourut si dignement au haut
de la place Viarmes à Nantes. On peut dire que la constance, To-
piniàtretc, est une vertu héréditaire dans cetlo famille : les femmes
ont la fermeté, l'abnégation, aucun sacrifice ne les fait hésiter, les
hommes sont la bravoure même.
J'ai trop parlé de notre vie sévère et dure pour omettre un fait
qui prouvera qu'à Nantes comme à Rennes la jeunesse précédente
donna dans des excès, souvent condamnables, mais qui démontrent
Texallation des idées d'alors. A Nantes s'était formée la Société
des sauvages. Dans les environs de la ville avait été louée une
maison où ils se réunissaient pour se livrer à leur goiit pour la
sauvagerie. L'un d'eux, du nom de Goyau, homme remarquable
par sa belle taille et sa bravoure, cachait sous une politesse exquise
des mœurs détestables. 11 est mort sans poslérilé. Un jour que la
fameuse société était réunie, après maintes folies et beaucoup
de vin consommé, on décida que pour mériter d'une manière sa-
tisfaisante le nom de sauvage^ on d(n'ait faire un acte si sin-
gulier que personne ne put mettre en doute les sentiments qui
animaient la société. On se détermina h tirer le nom d'un des
membres qui serait immédiatement mis à la broche, rôti et mangé
par ses amis. Le sort tomba sur un gros garron appartenant à une
famille honorable. Il fut inmiéfliatement attache à une broche et
mis à rôtir devant un grand feu. L^n camarade fn! cliargo de tour-
ner et d'arroser le rôti. Malgré les nombreuses libations qui avaient
précédé, le patient ne tarda pas à trouver que la plaisanterie allait
bien loin et commença à se plaindre de la chaleur. Le ca-
marade lui rappela son serment de mourir en vrai mohican, ser-
ment qui lui interdisait toute espèce de plaintes el l'obligeait même
à célébrer son trépas par des cliants d'allégresse. Le rôtissant goûta >
peu ces raisons et redc^nblait sos ciis h mesure que le feu bien en-
tretenu prenait plus de force. Le camarade crut devoir l'arroser
copieusement avec de l'eau fraîche qui rendit plus cuisantes les
douleurs du patient. Enfin, la troupe de ces insensées altii-i'e par les
4
378 MÉMOIRES D UN NANTAIS
cris rentra au moment où le rôtisseur dégrisé venait de débrocher
le malheureux plus dégrisé encore. Goyau indigné delà I&cheté de
ses deux collègues en barbarie leur reprocha leur faiblesse en
termes énergiques, ajoutant qu'ils s'étaient déshonorés et que la
mort seule pouvait laver l'aiTront fait à la Société. Saisissant un
pistolet il Tappuya contre Toreille de celui qui ne s'était pas laissé
rôtir et fit feu avant qu'on pût deviner son intention. L*arme, non
chargée ou mal amorcée, ne partit pas. C^tte scène terrible fit ré-
fléchir les sociétaires ; Goyau lui-même demeura épouvanté du
meurtre qu'il allait commettre. L'assemblée décida qu'on se borne-
rait à exercer les prérogatives du sauvage seulement sur les ani-
maux. En conséquence chacun dut se munir de flèches et de car-
quois. Après s'être exercés au tir, les sauvages dans le simple ap-
pareil de la nature se mirent à courir les champs voisins de leur
habitation. Tant qu'ils se bornèrent à courir et à sauter les haies,
les paysans, bien que scandalisés, se contentèrent de les suivre des
yeux ; mais quand ils virent leurs bestiaux blessés par les flèches,
ils s'armèrent de fourches et donnèrent une si belle chasse à MM. les
sauvages que ceux-ci eurent mille peines à gagner leur demeure.
Assiégés dans cette retraite, ils durent payer les dommages à bons
deniers. La Société fut bientôt dissoute par l'autorité.
Après deux années passées à m'amuser plutôt qu'à terminer
mon instruction, je fus subitement amené à prendre un parti par
un décret impérial qui organisait les bataillons de haut bord pour
la marine et affectait certains départements au lecrutement spécial
de ces bataillons. La Loire-Inférieure en fit naturellement partie.
D'après les termes du décret, je pus craindre de n'être pas
exempté de la conscription par la présence de mon frère sous les
drapeaux. Je demandai à entrer dans une des écoles pour la ma-
nne fondées récemment à Brest et à Toulon. Le ministre de la
marine me répondit assez tardivement qu'il verrait. Me rappe-
lant alors que M. de Fermont, alors ministre des domaines, était
un ami de mon père, je lui écrivis pour le prier de me faire entrer
à l'Ecole militaire de Saint-Cyr. M. de Fermont me répondit sans
délai — en moins de huit jours — en m envoyant la réponse du
ministre de la guerre. Le duc de Feltre promettait de me
comprendre sur le premier travail en préparation.
MÉMOIRES D'UN NANTAIS 379
Mieux ei^jt valu pour moi de continuer mes études à Rennes et
de suivre une carrière plus indépendante que celle des armes.
Peu de temps après je me présentai à TËcole militaire com<
mandée alors par le général Bellavesne. Introduit devant lui
je fus tellement intimidé par sa prestance et son air sévère que je ne
pus répondre aux questions qu'il me fit, je crois même que je ne
les compris pas, bien que je fusse certainement plus fort que lui en
mathématiques. Il m'envoya en conséquence k Fécole préparatoire
de Versailles, tenue par M. de Lavigne, professeur à Saint-Cyr. Je
ne saurais dire le chagrin que j éprouvai de cet échec qui me parut
d autant plus humiliant que le général avait admis d'emblée des
élèves qui passaient pour n'être instruits en rien. Reprenant cou-
rage je gagnai Versailles et me présentai chez M. de La vigne avec
la lettre du général. Je ne fus pas longtemps à m 'apercevoir que
tous mes camarades m'étaient inférieurs, sans en excepter même
ceux par qui le maître se faisait suppléer. Au bout de quelques
jours je demandai à M. de La vigue à subir un examen. Après un
interrogatoire assez long j'obtins d'être mis au nombre de ceux qui
ne recevaient des leçons que du professeur, et le 56* jour j'entrai
à Saint-Cyr. C'était un succès, car tous mes camarades étaient à
l'école préparatoire depuis six mois au moins. M. de Lavigne qui
vivait de cela se montra désintéressé et à Saint-Cyr me garda au
nombre de ses élèves, prévoyant bien, m*a-t-il dit depuis, que je
lui ferais honneur. Il s'est toujours montré bon pour moi.
Que n'ai-je le talent de décrire, de peindre ce que l'Ecole mili-
taire me parut être, l'efTet qu'elle produisit sur mon imagination
lorsque j'y entrai !...
A l'époque dont je parle, l'Empire était à l'apogée de sa gloire et
de sa puissance. Nous étions à la fin de i8ii. Napoléon avait un
fils qui semblait réservé aux plus hautes destinées. L*Europe,
vaincue dans toutes les guerres, subissait le joug. La Russie seule
restait debout, encore puissante ; l'Espagne disputait sa liberté aux
armées françaises comme elle l'avait fait jadis aux Arabes et,
quoique l'affaire de Baylen eut eu lieu déjà, on n'admettait
nulle part la possibilité de faire rétrograder l'étoile du grand
homme.
380 MÉMOIRES D'UN NANTAIS
L'École militaire était le résumé de l'opinion publique exaltée au
plus haut degré sous tous les rapports d'admiration et de dévoue
ment à l'Empereur ; ajoutez à cela la discipline la plus sévère, les
idées les plus exagérées sur le point d'honneur, un esprit entière-
ment militaire joint à un dédain pour l'étude qui rappelait les temps
où l'ancienne noblesse se piquait de ne pas savoir signer, vous
aurez la clef de tout ce qui se passait d'extraordinaire. Cet établis-
sement renfermait huit cents jeunes têtes de i6 à 19 ans, toutes
plus folles les unes que les autres et mettant en pratique les idées
les plus bizarres avec le sang-froid et le calme le plus parfait. L'École
militaire formait un bataillon partagé en 10 compagnies dont une
de grenadiers et une de voltigeurs. Lorsque j'y entrai le colonel
venait de mourir ; Tétat-major se composait de a chefs de bataillon,
et 5 capitaines classés comme adjudants majors. Chaque chef de
bataillon dirigeait 2 ou 3 compagnies, les autres compagnies étaient
sous les ordres des capitaines ; mais de fait elles étaient com-
mandées par un sergent-major, /i sergents, 1 fourrier et 8 capo-
raux. Tous ces gradés pris parmi les élèves s'acquittaient de
ces fonctions avec une habileté et une rigueur remarquables. Malgré
bien des bizarreries que je signalerai, la discipline était telle qu'on
aurait pu abandonner l'Ecole à elle-même, personne n'eût songé
à profiter de Tabsence des officiers pour contester aux sous-officiers
leur autorité.
Sous les armes, le bataillon en présence du général était com-
mandé par le chef de bataillon de semaine ; à l'exercice c'était tou-
jours un élève. Jamais les officiers ne se mettaient dans le rang;
tous les pelotons étaient commandés par les sous-officiers, et à
l'exercice par des élèves gradés ou non indistinctement.
Le bâtiment que nous appelions la caserne était celui que
M""* de Mainlenon avait fait construire pour recevoir les jeunes
filles nobles et peu fortunées. La Révolution de 93 lui avait donné
une autre destination. Quand Napoléon P' voulut rétablir une
École militaire, il la plaça d'abord à Fontainebleau ; lorsque je lus
admis, il y avait déjà plusieurs années que l'École était transférée
à Saint-Cyr.
Les divers bâtiments dont se composait la caserne abou-
* ^*ÇRSr*
MÉMOIRES D*UN NANTAIS 381
tissaient à un grand carré auquel aliénait un escalier spacieux
jusqu'au second étage. Pour atteindre les mansardes dont on avait
fait de vastes études , le passage était assez étroit, ce qui en
temps ordinaire était sans inconvénient , les élèves étant tou-
jours sans armes pour aller à l'étude. Les rez-de-chaussée
étaient occupés par les salles nécessaires aux divers cours d'his-
toire, de littérature, de mathématiques et de dessin. Les cours de
fortifications avaient lieu dans les études déjà mentionnées. Il
y avait encore au rez-de-chaussée l'habillement, la lingerie, les
magasins. Au pied de l'escalier, sur le vaste carré donnaient les
cuisines et deux grandes salles servant de réfectoires. D'autres
bâtiments faisant angle droit avec ces derniers étaient séparés par
un petit espace ; dans chacun d'eux était logée une compagnie.
La chambrée était coupée en deux dans sa longueur par une cloi-
son en briques, haute de 4 à 5 pieds. Les lits étaient rangés en
ordre de bataille, la tête appuyée à la cloison qui s'arrêtait un peu
avant la porte. De sorte que, en ouvrant la porte, on voyait d'un
seul coup d'oeil tous ces lits parfaitement alignés et toujours faits
avec un soin minutieux. Le lit du sergent major était placé à droite
ou à gauche en entrant et de l'autre côté celui du fourrier. Les
sergents et les caporaux avaient leurs lits placés le long du mur
entre les fenêtres et vis-à-vis leurs subdivisions ou escouades. On
appelait cela être en serre-file ; car toutes les expressions étaient
militaires. Les officiers commandant les compagnies s'occupaient
peu de la tenue intérieure des chambrées ; ils savaient par expé-
rience que cette surveillance de leur part était à peu près inutile
par suite de la sévérité inouïe avec laquelle les élèves gradés exer-
çaient leurs fonctions.
On allait jusqu'à peigner les couvertures de laine et tracer chaque
jour des dessins. Un général à qui le commandant del'Ëcole faisait
visiter les chambres demanda de quelles manufactures provenaient
ces couvertures ; grand fut son élonnement d'apprendre que les
élèves prenaient chaque jour la peine de les former et surtout que,
pour cela et se nettoyer, on leur donnait un quart d'heure tout au
plus.
En hiver, on se levait à 5 h. moins un quart pour monter dans
^
382 MÊMOIBES D'UN NANTAIS
les études. L'été no¥8 étions plus heureux : nous nous levions uoe
heure plus tard et allions immédiatement à l'exercice qui dans la
mauvaise saison avait lieu à midi.
Il y avait douze tamhours et un tambour major^ à moitié sourd.
Lui et ses tambours étaient d anciens soldats, qui avaient pour
nous une déférence bienveillante, mêlée de respect. Ils nous con-
sidéraient déjà comme leurs supérieurs. La jeunesse inspire tou-
jours de l'intérêt à l'âge mûr. D'ailleurs ils trouvaient leur compte
à nous passer des espiègleries dont ils étaient quelquefois vic-
times, mais dont ils riaient de bon cœur, sans jamais vouloir
s'en plaindre. Ainsi, pendant longtemps, un tambour venait battre
la diane jusque dans les chambres. Cette mesure avait été ordon-
née pour mieux réveiller les élèves. On dort bien à cet âge. Un des
élèves jeta son traversin au malencontreux tambour, à la tête du-
quel arrivèrent à l'instant tous les traversins de la chambre qui
s'en donna à cœur joie. Depuis ce jour la diane ne fut battue que
dans les cours.
Le général Bellavesne était d'une grande sévérité ; mais il savait
distinguer les fautes contre la discipline des malices ne pouvant
en rien diminuer l'esprit de subordination qu*il avait su établir
dans l'École. Dans cette circonstance il rit beaucoup et ne punit
personne.
M. Bellavesne était ofQcier supérieur de l'époque de la Répu-
bUque. Adjudant général avec Ney à Tarmée dont Jourdan était le
général en chef, il eut une jambe emportée. Colonel de hussards il
s'était fait remarquer par sa fermeté à maintenir la discipline dans
son régiment. Napoléon qui se connaissait en hommes le mit à la
tête de l'Ëcole d'officiers créée au début de son règne. Le caractère
du général était plein de loyauté, de justice et même de sensibilité.
Il avait souvent de grands ménagements à garder ; beaucoup de
fils de généraux, de maréchaux de France et de grands fonction-
naires de l'Empire lui étaient recommandés d'une manière assez
spéciale pour qu'il lui fût impossible d'échapper à une sorte de
partialité. Il sentait bien qu'il ne pouvait renvoyer ceux-là que pour
des fautes extrêmement graves. Par système de compensation il leur
faisait attendre plus longtemps l'épaulette de sous-lieutenant. « Les
-^-'
MÉMOIRES D'UN NANTAIS 383
protections ne devant leur faire faute, disait-il, ils ne manqueraient
pas d*avancement. » Il s'établissait au contraire le protecteur
né de l*élève non protégé^ et s'il se conduisait bien, celui-là
était sûr d'être distingué et récompensé. Son extrême vivacité aug-
mentait sa difficulté à parler, il bégayait beaucoup. Il sut inspirer
aux élèves un grand respect pour sa personne et leur inculqua les
principes les plus honorables. Non seulement manquera sa parole
était un déshonneur, mais la donner légèrement était une faute
grave, et le scrupule à cet égard était tel qu*on avait adopté une
autre expression afin d'échapper au danger de l'habitude. Pour ar-
river k ce résultat le général avait employé un moyen bien simple,
il montrait la plus grande confiance dans la parole d'honneur d'un
élève.
{A suivre).
POÉSIES FRANÇAISES
RAYON DU CIEL
A mon jeune ami G.
I
La terre est le chemin qui mène à la Patrie ;
Mais ce chemin est long et rude à parcourir ! . . .
Dieu sème les beautés au sentier de la vie
Pour nous empêcher de faiblir.
Le divin Créateur a marqué son ouvrage
De sa sublime empreinte : un rayon de beauté
Sur toutes choses luit comme un lointain mirage
Des splendeur» de réternité;
Rayon tombé pâli du ciel en notre terre,
Doux rayon bien connu de l'àme du rêveur,
Rayon enveloppé d'ombres et de mystère
Même au calice de la fleur ;
Rayon divin planant sur l'Océan immense,
Sur le sommet du mont qui se perd dans les cieux.
Sur le petit ruisseau qui s'écoule en silence
Sous rherbe et les bosquets ombreux ;
Rayon que des oiseaux la voix harmonieuse
Chante dès le matin en des accords ravis,
Beauté qui resplendis partout mystérieuse,
Cher souvenir du paradis I
RATON DU CIEL 385
Je te vois épandu sur toute créature
Pour élever nos cœurs de la terre vers Dieu ;
C*est toi qui me sourib partout dans la nature
Et me fais prier en tout lieu.
II
Sur un front de vingt ans couronné d'innocence
Il brille, ce rayon, dans toute sa beauté,
Auréole dont Dieu pare l'adolescence,
Cette fleur de l'humanité .
Mais le vice est jaloux de cette noble flamme
Faite de pureté, d'énergie et d'honneur,
Qui reflète au dehors Tinnocence de Tàme
Et la sérénité du cœur ;
Il voudrait rétoufïer. — Gardez votre auréole,
Enfant, gardez toujours, car ce rayon divin,
C*est lui qui fortifie et dirige et console
Et mène au grand jour sans déclin.
P. GlQUELLO.
LA VIERGE AU CIBOIRE
A ma fille Anne-Marie.
Au bord de la mer, en Bretagne,
Est une église de campagne
Au clocher svelle et gracieux,
Où fut jadis une abbaye
Dédiée à sainte Marie,
La Reine des flots et des cieux.
Il ne reste du cloître antique
Qu'un souvenir mélancolique
Et la patronne du couvent.
Une Madone byzantine,
Qui conservait dans sa poitrine
Le ciboire du Dieu vivant.
Cette statue à tous est chère,
Au croyant comme à Tantiquaire,
Aux artistes comme aux penseurs.
C'est un mystérieux symbole;
Une poétique auréole
L'environne de ses lueurs.
Dans cette blanche et fraîche église,
Au bruit des flots et de la brise.
Si vous rêvez quand vient le soir,
Qu'un rayon frappe sa poitrine,
Le cœur de la Mère divine
Etincelle comme un miroir.
LA VIBRGE AU CIBOIHE 387
Et iorsqae descendent les ombres,
Sous les arceanx devenus sombres
Longtemps on voit briller encor
Sa couronne de perles fines,
Son manteau bleu semé d'hermines
El les plis de sa robe d'or.
Joseph Rousse.
Sainte-Marie, près Pornic.
I
PRO GALLIA
JLES HÉROS DE CORNEILLE
PIÈCE E^l L> ACTE Ey VERS
-i"«0*«-
1 Rodrigue.
Personnages : » Un officier français.
f La Muse de Corneille.
Un ohamp de bataille, au soleil couchant : bruita de lutte qui a'éteigneat au
loin. L*offlcier — - uniforme de 1870 — parait tête nue, la tunique poudreuae
dt iMlllée de sang, une biesiure au front.
SCÈNE I
L'officier.
Blessé I Vaincu !•• . Mon bras se brise dans Teffort,
Et je cours en aveugle au-devant de la mort
Qui plane sans m'atteindre. . . Ah ! l'horrible mégère
M'eût sauvé de moi-même et m'eût semblé légère. . .
Sans être vu, sans voir, on s*égorge de loin ;
Un lâche vous abat, embusqué dans un coin.
Mais si le vieux courage est vain, si la bataille
N'offre plus aux vaillants d'ennemis à leur taille.
Qu'importe comme il meure à qui sait bien mourir P
Survivre à sa patrie est le pire avenir.
Nous n'entendrons jamais le clairon des victoires.
Nos neveux douteront de nos antiques gloires. *
Dans les champs où les glas de deuil sont revenus
Vole aux échos le mot sinistre de Brennus.
Le pays dont l'histoire égale une épopée,
iN'a gardé, comme moi, que ce tronçon d'épée !
(// se laisse tomber au pied d'un arbre).
PRO GALLIA 389
La guerre nous riait ; c'était un jeu d*enfant
Où Ton mourait souveuL^ mais ivre cl triomphant.
Nous avons trop vécu dans le fatal mirage
De la mer toujours bleue et du ciel sans nuage.
Hélas! c'est quand pâlit l'étoile des vainqueurs,
Qu'un poète devrait nous crier : Haut les cœurs !
La grande poésie avec l'honneur sommeille. . .
Il est passé le temps des héros de Corneille^
Où Rome offrait son fils, le plus pur de son sang.
Préférant quCil mourut à le voir fléchissant ;
Où Don Diègue, exalté d'une sainte colère,
Disait : Cid, meure ou tue ! en vengeur plus qu'en père...
Mais ils étaient l'aurore et nous sommes la nuit ! • . .
(Il ferme les yeux et semble accablé, Rodrigue, du
fond du théâtre, s'avance lentement vers lui).
SCENE II
Rodrigue (co5/ume du Cid de Corneille) L'officieh.
Rodrigue (venu tout près de l'officier).
Vois dans les cieux profonds cet astre d'or qui luit,
Il se voile à présent d'une vapeur sanglante^
Mais il reparaîtra bientôt ; douce et brillante,
Sa lueur sert de guide aux générations :
C'est le phare immobile et sûr des nations .
Qui s'éclipse parfois, mais jamais ne s'altère.
Laisse tes yeux lassés s'incliner vers la terre ;
Une flamme aussi pure, et qui sera demain
Ce qu'elle était hier^ passe de main en main ;
L'homme du siècle éteint la tend au dernier homme,
Et colorant le front d'Athènes ou de Rome,
Elle éclaire le monde. Ami, c'est le Devoir.
' t
390 PKO GALLIA
L'officier (qui s'est levé et fixe Bodngue dans
une stupeur muette).
Miracle ! Vision I Je crois entendre et voir
Le Cid, roi des guerriers et fleur de courtoisie,
Qui mit d'accord l'histoire avec la poésie,
Qui reprenait haleine en contant ses exploits,
Qui fit plier l'Espagne entière sous ses lois,
Il viendrait, ce vainqueur à gloire surhumaine^
Consoler des vaincus ! . . . C'est une image vaine.
Rodrigue.
C'est bien moi. Je connais le hasard des combats.
Ayant beaucoup lutté, j'ai vu souvent à bas
La plus digne fortune et la plus noble épée.
Je sais que le malheur rend 1 ame mieux trempée.
Sans chercher la contrée où souille le bonheur,
Je vais où l'on garda fidèlement l'honneur.
Et puis j'ai des devoirs sacrés envers ]a France.
Si je fus un symbole et reste une espérance
Pour ce monde vieilli, je le dois, après Dieu,
A celui qui m'a peint avec des traits de feu.
Je suis fils de Corneille: embrasse-moi, mon frère !
L'officier.
Merci, frère, mais vois comme elle dégénère
La patrie où les chocs de glaives se sont tus,
Jadis temple d'honneur et des mâles vertus,
Aujourd'hui nation à la sève appauvrie.
Le sang coule trop lent dans sa veine tarie.
Ni sainte Jeanne d'Arc, ni le fier Duguesclin
Ne la reconnaîtraient sur son pâle déclin.
Quand le grand Empereur, pareil au vent d'orage,
Balayait les états qui lui portaient ombrage,
Prévoyait-il qu'un jour des barbares du Nord,
Feraient peser sur nous la revanche du sort ?
*■ V
PKO r.ALLIA 39!
Rodrigue. \
N'ayons que du mépris pour celle guerre ÎDJusle
Qui dépouille et conquiert : elle devient auguste.
Dès qu'elle arme les bras pour chasser l'étranger,
Levant l'étendard pour l'autel et le foyer.
Quand un conquérant passe au milieu des trophées,
Il se mêle aux clameurs les plaintes étouflées
Des peuples qu'on égorge et des droits abolis.
Mais la vierge par qui refleurirent les lis,
Mais le preux qui chassa ]es Sarrazins d'Espagne,
Ont des lauriers plus beaux que ceux de Charlemagne.
Corneille le savait^ et, dans le livre d'or,
S'il choisit pour héros le Cid Campeador,
Le donnant aux Français de son temps pour modèle,
C'est qu'il gardait au cœur un culte très fidèle
Pour sa douce patrie, un amour si puissant
Qu'il lui sacrifiait et sa Muse et le sang
D'un de ses fiis.
L'OFKICIER.
Tu dis qu'il aimait sa patrie,
Voudrait-il la revoir chancelante et flétrie?
Rodrigue.
11 l'eût aimée encore en voyant son beau front
Rougir de la défaite où blêmir sous l'afiront.
Il eût trouvé des chants enflammés et sublimes
Propres à susciler des vengeurs aux victimes ;
Il eût d^un hymne fier bravé les ennemis
De ce pays parfois vaincu, jamais soumis.
L'officier.
Athènes qui fêtait le sacre du poète
Eût honoré Corneille à l'égal d'un prophète.
Il opposait au joug brutal la dignité
De l'âme confiante en l'immortalité.
Tome ix. — Mai 1893. aG
\
3nî PRO GALLIA
Il enseignait comment on renonce à soi-même.
Il ne fléchissait pas devant un diadème.
Il osait mettre la Patrie avant le Roi
Qui disait aux Français : votre France, c'est moi !
Mais pour ce siècle mort, pour ce temps haïssable,
Les beaux vers du passé sont inscrits sur le sable.
ïu te souviens pourtant, ami, de ces beaux vers.
Retourne chez Corneille, il panse les revers ;
On apprend dans son livre et dans son àme allière
La vie en haut, la vie incorruptible et fière.
L'OFFICIKH.
C'est vrai: son noble esprit se ferme au j^enliment;
Il prêche le devoir et le détachement
Des liens de famille, et ses mères romaines.
Imposant ù leurs fils des vertus plus qu'humaines.
Guérissaient de leurs mains, dures à Li douleur,
Avant celles du corps, les blessures d'honneur,
Rodrigue.
Va donc lui demander qu'il te donne la force.
Qu'il fasse remonter la sève en ton écorce.
Qu'il t'accorde de vaincre
L'OFKICIEH.
Ou qu'il m'aide à mourir!
Rodrigue.
Ne désespère pas.
L'officier.
Pour croire à l'avenir,
Ai-je bien mérite d'cnleudrc un tel langage ?
PKO GALLIA 3^3
Rodrigue.
Oui^ si 1 injuste sort a trahi Ion courage,
Si tu restai fidèle^ en ce lugubre soir,
A la devise, au mot sacré : Fais ton devoir !
La Muse.
(venant se placer entre les deux hommes).
Corneille a reconnu les flammes généreuses
Qui sortent de vos cœurs, ô fils de son orgueil !
Sa grande ombre tressaille aux régions heureuses ;
Il vous attend, il vous fera le même accueil.
Vous êtes tous deux liers et de valeur égale;
Ayant d'un bras jaloux tenu votre drapeau :
Celui qui monte au ciel d'une ardeur triomphale.
Celui qui frémissant descend vers le tombeau.
La mâle poésie aux ailes bienfaitrices
Vous couvre pour jamais de son voile azuré ;
La pratique et le goût des nobles sacrifices
De rhomme intérieur font un temple sacré.
Le poète a tiré de votre conscience
La force de bien faire, avec ce seul soutien ;
Et par lui vous avez appris que la clémence
Eteint la haine inique au cœur du citoyen.
Sous un masque d'emprunt Corneille a peint sa race.
Rome et TEspagne sont un fidèle portrait
De la France. Quel pur français que cet Horace
Aimant la vie et prêt à mourir sans regret !
Quand la lyre d airain sur des cordes plus hautes
Lance Thymne vengeur, sonne avec plus d'éclat.
C'est Corneille qui dicte aux poètes, ses hôtes,
La Fille de Roland ou les Chants du soldat.
V.-
3ui PRO QALUA.
Dès qu'au soleil levant de France on voit paraître
Un poète nouveau^ plein d*amour et de foi,
Il s'incline il attend qiie Corneille, son maître,
Lui montre le devoir et lui fasse la loi.
Ta leçon d'héroïsme est toujours écoutée,
Grand homme ; indestructible ainsi qu'un monument,
Ton vers te fait ta place à côté de Tyrtée.
Ce que Corneille écrit vibre éternellement.
Pour les brades du Dal)on)ey
Le clairon rythme avec ses notes éclatantes •
La marche des soldats de France au pays noir^
Dans les taillis profonds, dans les plaines brûlantes,
Chemins du désespoir.
Le mal rampe vers eux : c'est l'homme et c'est la bête.
La nature leur tend des pièges ténébreux.
La mort est sur leurs pas, la mort toujours en quête ;
Ils vont, aventureux.
Pour que jamais leur fier courage ne défaille,
Pour guider vers la mort ou la gloire leur troupeau,
Us ont les trois couleurs : sur leur front de bataille
Claque au vent le drapeau.
Hier ils se sont heurtés à la horde africaine,
Qui voulut les briser de son effort puissant ;
Un contre dix, ils en ont balayé la plaine
Dans un soufHe de sang.
Ils cueillent par milliers de lugubres trophées ;
Us ont vu se ruer et mourir sur leur fer
Des vierges au sein nu, semblables à des fées
Qu^aurait vomies llenfer.
Ils ont (le cœur au vent de bataille se bronze)
Dépassé le barbare en féroce valeur
Et fait épanouir sur un torse de bronze
Une sanglante fleur.
396 POUK LES BKAVES DL DAHOMEY
Mais après ia journée ils se comptent ; la gloire
Lève sur les vainqueurs de terribles tributs.
Combien, ayant gagné leur part dans la victoire,
Ne s'éveilleront plus !
Plus d'un chef, en mourant, pleura la douce France.
Plus d'un petit soldat, gai comme un rossignol^
Exhala vers sa mère un soupir de souffrance
Et roula sur le sol.
Ceux-là dorment en paix : la sauvage tuerie
Les a frappés debout, en plein rêve, en plein iront
La terre qui les couvre est un coin de patrie ;
D'autres les vengeront.
Serre les rangs et prends l'arme du camarade^
Soldat, que le danger te trouve méprisant !
Et les soirs de combat, les matins de parade,
Réponds toujours : Présent !
OuVIEn DE GOLUCL'FF.
NOUVELLES ET RÉCITS
LES CROIX NOIRES!
(LÉGENDE VRAIE)
SOUVENIR D'UN PÈLERIN
Dans la baie de Kernor il y a deux croix noires. . •
Deux cHKx de fer ouvrant leurs bras frêles sur l'horizon sans fin
où se rencontrent le ciel et la mer. . •
L*une plantée dans la lande à rextrémité d'un cap, Taulrcà deux
lieues de là vers l'ouest, scellée dans la pierre, tout en haut d*un
rocher à pic que cerne et que bat sans relâche une mer déchaînée.
La première est peu visible, comme perdue au milieu des maigres
ajoncs.. •
La seconde, au contraire, attire de tous côtés les regards et donne
au passant égaré sur cette côte sauvage, sans cesse rongée par la
vague, la sensation d'une indéfinissable tristesse.
Dans les grandes marées, elle émerge solitaire au dessus des
flots, dominant gravement la lame rageuse qui déferle à ses pieds,
l'inonde au ressac de son écume.
Solidement assise sur sa base de granit, elle pourrait au besoin
être le salut de l'imprudent baigneur surpris sur cet ilôt désert par
la marée montante.
Dans les temps de calme elle sert parfois de point de ralliement
aux pêcheurs qui débarquent volontiers aux environs pour faire
du leu, prendre leurs repas et se reposer un peu des agitations de
la mer. . .
Les vieux vous diront qu a la tombée de la nuit on a vu souvent
deux cormorans accourus du large s'abattre sur les branches de
cette croix et s'y tenir des heures entières immobiles, comme s'ils
se fussent i)arlé l'un à l'autre.
« C'étaient, ajoutent-ils, deux amants qui, un soir, ont péri près
de là el venaient se redire leurs suprêmes angoisses.
395 LKS CROIX NOIRES
• •
Ceci est une liUloire vérilable.
Deux jeunes gens, deux fiancés, ont eRectivement trouvé la mort
dans cet obscur coin de baie... Ces deux croix élevées par des
mains pieuses non loin de l'endroit où Ton retrouva leurs corps
consacrent ce lugubre souvenir.
• •
C'était à la suite d'une fête donnée en leur honifeur. .. une
de ces létes inoubliables où, dans la solennité d'un repas de fian-
çailles» se scelle l'union de deux êtres qui s*aiment.
Ils étaient montés dans une barque fragile que, dans leur impa-
tience d'être enfin l'un à l'autre» ils s'obstinèrent à manœuvrer
seuls, à travers les écueils, sur une eau que remous et brisants
rendent singulièremeut perfide.
Le soir, on les attendit vainement. . .
Leurs familles alarmées, dans l'angoisse étreignante de Tattenle»
dans l'affolement qui énerve, pressentaient un malheur!
Groupées sur la falaise, elles interrogeaient anxieusement la mer.
Mais déjà la brume commençait à l'envahir, une brume opaque
noyant toute chose dans une même teinte uniforme et confuse. . .
On eût dit un voile tiré sur ce drame mystérieux et que Fœil se sen-
tait impuissant à soulever.
Le cri sinistre des oiseaux de mer, le bruit des vagues éclatant
comme une dénotation ou s'étoufTant en sanglots dans la cavité des
rochers, la nuit qui s'avançait, tout ce qu'il y a enfin d'étrange
et d'empoignant à cette heure solennelle venait ajouter son
horreur à ces mortelles inquiétudes !..
Par surcroit d'infortune une petite pluie fine s'était mise à
tomber pénétrant à la fois le corps et l'âme.
Depuis longtemps déjà la côte d'amont avait disparu à tous les
regards, mais l'ouest se teignait encore de lueurs sanglantes sur
lesquelles se profilait la ligne sombre des iles Saint-Elme sem-
blable à une chevauchée fantastique ! . . .
LES CROIX NOIRES 399
Les douaniers, les domestiques fouillaient en vain la plage ;
tout ce qu'on crut apercevoir à travers la nuit, ce fut une épave
follement balancée sur la crête du flot, comme une chose sans
âme, et qui s'en allait avec le Jusant.
«
Le surlendemain, la mer, lasse de jouer avec ses victimes et de
les bercer sur son sein, consentit enfin à les rendre, maïs elle a
gardé leur secret.
Le chalut d'un pécheur dragua l'amant tout près du rocher R. . •
non loin de l'endroit où un infortuné philosophe est venu, lui
aussi, chercher la mort. Elle, entraînée vers Tilot, fut « jetée au
plain » à la pointe aux Mauves . Là s'ouvre un puits béant creusé
par la violence du courant dans la filière. . . A la mer montante
j'y ai entrevu des choses étranges . . .
Des grouillements de crabes enlacés, des scintillements d'ar-
gent^ des formes bizarres qui montent et descendent, des u fleurs
qui vivent »... tout un monde qu'agite le retour du flot et que
fait tressaillir d'appétit l'approche de la pâtée quotidienne.
C'est là que, nouvelle « Ophélie » , elle était venue s'échouer au
milieu des algues ! . . .
Sur ses traits pàlis^ sur ses formes flétries, les limaces de mer
avaient déjà collé leur bouche impure, race minuscule de vampires
qui au travers la peau pompent la substance des corps.
Comment reconstruire ce drame lugubre, puisque tout y est
resté entre Dieu et eux ?
Se virent-ils périr? Eurent-ils le temps de donner un regret à
la vie, d^échanger un adieu, et avant de mourir de se redire qu'ils
s'aimaient ? . . . .
Du moins, j'en suis sûr, ils ne connurent point ce moment
odieux où celui qui sombre pour toujours, dans les affres de la
mort qui vient, lutte pour la vie et dispute une planche à l'être
adorô.
LES CROrX NOIHES
C est une tiisloire oubliée ! . . .
Le baigneur veuu avec les beaux jours ne songe guère à de-
mander ce que rappellent ces insignes du salul planl£s en face de
la mer . . . Non !
Les gens du pays ne sauraient guère plus le lui dire.
L'indidcreuce est un abîme aussi profond que l'Océan '.
Mais moi qui écris ces lignes, pèlerin des choses disparues, qui
ai tant de fois erré le long de ces rivages, il nie souvient d'un
jour où j'ai parcouru le chemin qui Ya de lune à l'autre de ces
croix, cueilli au pied de chacune d'elles une fleur marine, con-
templé la grande mer, et donné une prière à ceux dont le rêve
fut si court et qui moururent, hélas ! sans avoir connu le bonheur.
Dans la baie de liernor, il v a deux croix noires !
NOTlCiS ET COMPTES RENDUS
Le S£Kme?<t d'un BketOi'v ou les Refractaihes de i83a , drame
historique en cinq actes dont un Prologue, par Jules Gringoire.
— Nantes, Imprimerie Centrale, 1893.
L'écrivain nantais qui a signé de nombreux ouvrages (^u pseudo-
nyme de Jules Gringoire nous apparaît comme un des rares Bre-
tons doués du sens dramatique. Des ballets-pantomimes, des opé-
rettes, des vaudevilles, représentés sur divers théâtres, ont prouvé
la souplesse de son talent. Il s'est exercé dans le genre sérieux deux
fois au moins (nous ne parlons que des œuvres imprimées), avec la
Fiancée d'Outre-Rhin, drame en vers, dont une Revue nantaise eut
la primeur, et avec le Serment d'un Breton, qui fut joué d'abord en
1885, repris en 1887, toujours avec succès.
La scène se passe à Ghàteaubriant et aux environs, en 1832. Une
intrigue d'amour, où se font jour la loyauté et le désintéressement
d'Yvon le Breton, marche de front avec les ténébreuses menées des
réfï*actaires qui profitent des troubles de l'époque pour se mettre
hors la loi.
11 y a de l'intérêt et du mouvement dans ce drame ; malgré
quelques idiotismes locaux mis dans la bouche des paysans, on y
parle une bonne langue — ce qui n'arrive pas tous les jours à
VAmùigu,
■k
L'ÛEl vre de Zola, sa valeur scientifique, morale et sociale, sa va-
leur comme élude de Thomme, par Auguste Sautour. — Paris,
librairie Fischbacher, 1893.
Quand je vous aurai dit ou rappelé que M. Auguste Sautour est
un fervent idéaliste, que la Société d'encouragement au bien acou-
ronné ses premiers vers, et qu'il a publié un éloquent manifeste :
Idéal et Naturalisme, vous ne serez pas surpris de la sévérité des
conclusions de son étude sur M. Zola
M. Sautour est un critique de bonne foi, et, très sensible aux beautés
qui émaillent le dernier livre du célèbre romancier, il s'exprime
ainsi : « La Débâcle nous a montré une lois de plus l'écrivain puis-
402 NOTICES ET COMPTES RENDUS
sant, le peintre admirable des masses en môme temps que le narra-
teur abondant et précis que tout le monde connaît dans Zola. »
On ne saurait mieux dire. A l'abri de ces justes louanges, M. Sau-
teur se trouve plus fort pour prouver ce qu'il y a de dangereux,
de défectueux aussi et d'incomplet, dans l'œuvre de M. Zola, au
point de vue philosophique, moral, même humain.
Il se demande ensuite si Tart a le droit de tout dire, comme le veut
et surtout comme Ta voulu le chef des naturalistes. Et, passant au
côté social, il met en regard l'humanité rétrécie, déformée, terre à
terre des romans de M. Zola, et la vaste, la vraie humanité qui a
besoin du rayon consolateur.
• C'est sur des paroles de foi et d'espérance que se termine l'excel-
'* ' lent livre de M. Sau tour, tout imprégné de spiritualisme chrétien.
0. DE GOURCUFF.
U!*E Question historique. — Document inédit sur Cathelineau,
par Joseph Rousse. — Nantes, imprimerie Grimaud, 1893.
Notre collaborateur, M. Joseph Rousse, qui ne se contente pas
d'être un excellent poète, a retrouvé dans les manuscrits de la Bi-
bliothèque publique de Nantes une pièce intéressante. C'est une
supplique adressée à Louis XVIII, le 3 octobre 1814, par la marquise
de la Roche|aquelein,pour le fils de Jacques Cathelineau, et attestant
que celui-ci t a commencé la guerre de la Vendée et a été élu à
€ Saumur ^énéra^ de la principale armée par MM. de Bonchamps,
€ d'filbée, de Donnissan. de la Rochejaquelein, etc., qui par là se
« trouvaient sous ses ordres. » M. Rousse tire de ce document des
conclusions contraires à la thèse de M. Port « la légende de Cathe-
lineau i.
Le lit du Saint, légende par le V»* de Colleville. — Nice,
B. Visconti et C'% 189:1
La septième croisade est la croisade bretonne par excellence : que
de chevaliers s'armèrent alors sous le brave Mauclerc, laissant au
logis leur douce châtelaine ou leur fiancée, comme cet Enéour de
Léon, dont le V^' de Colleville nous raconte en beaux vers la tragique
histoire 1 Le poète, que connaissent bien tous les lecteurs de nos re-
vues, est un disciple attendri de Leoonte de Lisle.
NOTICES ET COMPTES RENDUS 403
*
Allocution par le T. H. P. Libeucier, pour la bénédiction et la
pose de la première pierre de la chapelle de Técole Saint-Elme, à
Arcachon. — Paris, J. Mersch, imprimeur, 1893.
Le 23 mars dernier, on bénissait solennellement à Arcacbon la
première pierre d une nouvelle chapelle^ rendue nécessaire par l'ex-
tension qu'a prise Técole Saint-Elme. Le R. P. Libercier, vicaire
général du Tiers-Ordre enseignant, a prononcé à, cette occasion un
beau discours chrétien dont nous retrouvons ici le texte. L'orateur
a comparé au temple de Jérusalem Tédifice qui sert de demeure au
Dieu de TEucharistie et, dans un langage élevé, il a développé cette
parole de TEcriture : Lapis iste vocabitur domus Lei»,
Etude sur le Sommeil et se» pué>omè>es, par Em. Maillard. «—
Savenay, J.-J. Allair, 1893.
Les souvenirs littéraires et les citations heureusement choisies
rehaussent fort agréablement le dernier livre de M. Em. Maillard.
Mais ringénieux écrivain, doublé d'un philosophe spiritualiste, étudie
encore à la lumière de la psychologie et de la physiologie les rêves,
le somnambulisme, le délire, Thallucination et les diverses manifes-
tations spirites. M. Maillard est un guide très sûr dans ces arcanes
de la pensée. 0. de 6.
M. le chanoine Guillotin de Corson nous communique le résultat
de ses études sur la Châtellenie de Bain et le Marquisat de la Mar-^
zeîière. Par la publication des Grandes seigneuries de la Haute Bre-
tagne dans cette revue, nos lecteurs sont mis à même d'apprécier
la méthode de travail et retendue des connaissances de Fauteur
très distingué du Fouillé du diocèse de Rennes,
0. DE G.
L'AiiGLETERiiE DEVANT SES ALLIES (i793-i8i4), par Paul Gottiu. —
Paris, aux bureaux de la Bévue rétrospective, 1893.
Dans une très curieuse brochure, qui doit servir de base à un
livre important, M. Paul Cottin, directeur de la Revue rétrospective.
404 NOTJCES ET COMPTES RENDUS
très apprécié pour ses études sur RestU de la Bretonne et le lieute-
nant de police d'Argenson. affirme que l'Angleterre est plus funeste
encore à ses alliés qu*à ses adversaires déclarés.
S'aidant de documents inédits ou peu connus, il montre quel fut le
rôle des Anglais vis-à-vis des royalistes ou des émigrés français à
Toulon (1793), à Quibei on et à la Guadeloupe (1795), vis-à-vis des
Anversois après la bataille de Fleurus, des Turcs en Egypte entre
Aboukir^et Héliopolis, des Italiens au moment des massacres de
Naples (1799).
Cet exposé très substantiel se termine par un 'navrant tableau des
souffrances que nos compatriotes endurèrent sur les rochers de
Cadix et les pontons de Cabrera avec la complicité de TAngleterre.
Après avoir lu le travail de M. Paul Cottin — nous en voudrions
extraire, pour nos lecteurs, le chapitre qui confirme l'opinion de
Sheridan sur TafTaire de Quiberon — il est difficile de ne pas appli-
quer à toutes les nations de l'Europe le jugement porté, en 1874,
par M. de Bismarck lui-même : « Pour les intérêts allemands, Tac-
croissement de l'autocratie anglaise sur mer est plus dangereux
que les Cosaques. >
Ce ne sont pas les marins de nos côtes bretonnes, pour qui l'An-
glais demeure l'ennemi héréditaire, qui donneront tort au chance-
lier de fer et à son commentateur M. Cottin. Le livre de celui-ci
aura une haute portée patriotique, à en juger par ce que nous en
connaissons déjà ; il nous apprendra à rccommoder aux nécessités
de l'heure présente le vieux précepte : Timeo Danaos et dona
ferentes. 0. de G.
« »
Un officier vendéen. — Le baron Duchesne de Denanl( 1777-1 868),
par le V'* P. de Chabot. — Vannes, imprimerie Lafolye, 189a.
Dans une excellente brochure dont nous nous excusons de n'avoir
pas rendu compte plus tôt, M. le \'^« P. de Chabot a retracé la car-
rière d'un brave Poitevin, compagnon d'armes de la Rochejaquelein.
de d'Elbée et de Bonchamps, Florent- Duchesne, baron de Denant,
qui prit une part glorieuse à la grande guerre ainsi qu'au soulève-
ment de 1815, et un peu délaissé par le gouvernement des Bourbons
garda pendant toute sa longue vie une fidélité inviolable à son roi.
M. de Chabot a reproduit les notes, trop brèves à son gré et au nôtre,
où le colonel Duchesne de Denant avait consigné ses souvenirs de
la chouannerie de 1815 ; il a aussi, selon une habitude que nous ap-
précions fort, inséré à la fin de son opuscule des pièces justificatives
du plus sérieux intérêt. 0. de G.
NOTICES fcT COMPTES RENDUS 40.)
La dernière livraison de. la Revue du Bas-Poitou (F" de la
6« année) publie un traTail intéressant de M. 0. de Rochebrune
sur les Pierres tombales des sires de Bodet^ illustré de belles eaux-
fortes de ce maître graveur ; une notice de M. Ëug. Louis sur le
général Belliard ; la suite des Biographies inédites des chefs ven-
déens et des chouans, de M. La Fontenelle de Vaudoré ; le commen-
cement du chapitre de VÉlection de d'Elbèe, tiré de l'ouvrage
d'Olivier de Gourcuff, en préparation, etc , etc.
M. René Vallette, directeur do la Revue du Bas-Poitoif, annonce
qu'il publiera un numéro exceptionnel et supplémentaire, relatif au
Centenaire de 1793,
Nous avons le plaisir d'annoncer que la Société d'encouragement
ïiu bien, présidée par M. Jules Simon, vient d'accorder une médaille
d'honneur — distinction fort enviée - à M. D, Caillé, pour son
charmant volume de Poésies.
\ JA roM'K DK LA PLUME, poésies par Paul Pionis. — Pais,
Fischbacher, i8r)3.
A la pointe de la plume, iQ[ est le titre ingénieux d'un recueil
de nouvelles que vient de publier M. Paul Pionis chez Fischbacher.
Ces nouvelles sont pleines de fraîcheur et tout empreintes d'une
couleur poétique qui rappelle la Chanson de mignonne, un gracieux
volume de vers o(i l'auteur nous a fait connaître déjà ses joies et ses
espérances .
M. Pionis qui est Français avant tout n'oublie pas cependant
qu'il est Angevin. Il a dans le cœur l'ardent amour de la grande et
de la petite patrie : do là des idylles comme la Veillée en Anjou par
exemple ou bien des souveuirs encore brûlants de l'année terrible
qui lui a fourni quelques-unes de ses meilleures inspirations.
Son dernier volume de nouvelles respire une touchante mélan-
colie, qui en fait le principal charme. On ne peut lire sans atten-
drissement des pages émues comme celles qui ont pour titre : la
Communiante, Grand maman poupée ou la Fcte de la France. Ces
contes d'un sentiment élevé, écrits dans un style rapide et élégant,
sans prétention, peuvent se lire sans qu'il y ait à craindre de laisser
le volume grand ouvert sur sa table, comme pour tant de romans
modernes. Le texte est accompagné de jolis dessins qui complètent
le coup d'œil et invitent à la lecture.
406 NOTICKS ET COMPTES RENDUS
Le talent de M. Paul Pionis s^afïirme de plus en plus et Tauteur
est Tun de ceux sur lesquels la littérature consciencieuse et hon-
nête, dont ravènement commence à poindre, est le plus en droit de
compter. L. L.
L'A!«GLETERKE DEVA^'T SES Alliés (lygS-iSii). — Toulon (1793). —
Anvers et Nimègue (1794J. — Quiberon (1795). — Guadeloupe
(1795). — Egypte (i798)-i8oo). — Naples (1799). — Cadix et
Cabrera (i8o8-i8i4), par PaulCottin. — Paris, aux bureaux de
la Reove rétrospective, 55, rue de Rivoli. — Un vol. de loopages^
in-S"*. Prix : j fr. 5o.
Les derniers événements du Marod et surtout de l'Egypte, où le
cabinet Gladstone vient, au mépris d'engagements solennels, d'envo-
yer de nouvelles troupes, n'ont guère pu se produire que du consen-
tement de la Triple Alliance^ dans laquelle la Grande-Bretagne
semble être définitivement entrée.
La brochure que M. Paul Gottin^ directeur de la Revuerétrospective
vient de faire paraître sous ce titre : VAnglelerre devant ses Alliés,
montre aux trois puissances continentales ce que coûte une entente
cordiale avec l'Angleterre. Elle est un réquisitoire énergique et plein
de curieux documents, groupant les preuves des crimes accomplis
par les Anglais à Toulon en 1793, à Anvers en 1794, à Quiberon et à
la Guadeloupe en 1795, en Egypte de 1798 à 1806, à Naples en 1799,
à Cadix et & Cabrera en 1808.
C'est la première fois qu'on présente un tel ensemble de faits. Us
prouvent que l'Angleterre n'est pas moins redoutable pour ses amis
que pour ses ennemis : la première condition de vie et de prospérité
pour elle, est la ruine de ses voisins, quels qu'ils soient.
Les avances faites par le cabinet britannique à celui de Berlin
n'enlèvent rien du jugement porté, le 16 juin 1874, par M. de Bis-
marck : Pour les intérêts allemands^ l'accroissement de Vautocralie
anglaise sur mer est plies dangereux que les Cosaques. > ("Lettre à.
ManteufEèl).
On en peut dire autant des intérêts de toutes les nations du con-
tinent.
Le Gérant : R, Lafolye.
Vanneh. — linprinicrie LafolNc. a, place des Lice».
COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE*
LE RÈGNE DE JEAN IV
DUO DE BRETAGNE
(1364-1399)
Quatrième Partie*
ÉVÉNEMENTS DIVERS
Art militaire en Bretagne sous Jean IV
Pour donner à Thistoire sa véritable physionomie^ il est néces-
saire de Teiposer par phases ou^ si Ton ,veut, par tableaux, en
groupant dans un même récit tous les événements issus d'une â
même cause et courant à un même résultat.
Dans rhistoire du duc Jean lY nous avons reconnu et dé-
crit trois phases successives qui embrassent, à peu de chose près,
tout le règne de ce prince et lui donnent sa physionomie propre :
I* L'avènement et le détrônement de Jean IV, de i364 à 1378 ;
2° L'exil et la restauration de ce prince, 1378 à i38i ;
3* Sa lutte contre Clisson, i384 à iSgS.
Mais il y a en outre un certain nombre d'événements intéressants,
dont nous n'avons pu parler parce qu'ils ne tiennent essentielle-
ment ni à Tune ni à l'autre des trois phases de Thistoire politique
de ce règne. Nous allons les exposer brièvement.
' Cours d'histoire de Bretagne professé à la Faculté des Lettres de Rennes
3« année, leçon IV (a a décembre iSga).
* Voir fascicule d'avril 1893.
TOME IX. — JUIN 1893. 37
.•V * .
« ■'I' ^ .
•V,
1 > •
*
408 COUAS D'HISTOIRB DE BRETAGNE
L Ordre de (Hermine
(i38i)
En i38i^ pour consacrer par une fondation chevaleresque dans
le goût du siècle le souvenir de son triomphant retour et de son
rétablissement sur le trône breton, Jean IV créa un ordre de che-
valerie dont le duc de Bretagne devait être le chef : VOrdre de
r Hermine,
C'est aux Etats réunis à Nantes en juillet ou en août i38i —
certainement avant le départ de Jean IV pour aller, le 37 sep-
tembre, rendre son hommage au roi Charles VI, — cest là que l'on
vit pour la première fois figurer des chevaliers de l'Hermine*.
Les insignes de cet ordre consistaient en un collier formé de
deux cercles d'or concentriques, séparés l'un de l'autre par un es-
pace de trois à quatre doigts environ. Cet espace enlre les deux
colliers était occupé par des hermines passantes d'argent, autour
desquelles s'enroulaient des rubans d'émail noir et blanc, portant
inscrite la devise de Tordre : A ma vie. Ce collier était fermé à la
partie supérieure et à la partie inférieure par une couronne ducale,
et sous la couronne ducale de la partie inférieure pendait une her-
mine placée sur la poitrine du chevalier. Sur le titre de V Histoire
de Bretagne de Lobineau se trouve gravé exactement le collier de
l'Hermine; mais U est là entouré d'un autre collier, celui de \ Ordre
de tEpi, qui fut fondé soixante ans après par le duc de Bretagne
François 1", petit-fils de Jean IV.
On a beaucoup discuté sur le sens de la devise : A bia vie. Toute
devise digne de ce nom doit être obscure, équivoque, un vrai ré-
bus. Celle-ci, dans le genre, me semble assez claire. Elle signifie
que tout chevalier, en recevant l'ordre, s'engageait à demeurer fi-
dèle, à sa vie, c'est-à-dire jusqu'à sa mort^ au chef de Tordre dans
lequel il entrait^.
< Voir GuiUaume de Saint-André dans dom Monce^Preuves, II, 358.
* D. Lobineau donne une autre interprétation : « Il y a de l'apparence, dit-il,
que le duc par ces deux couronnes (les deux couronnes du collier) et par la
RÈGNE DE JEAN lY 409
Le siège de Tordre de THermine était Téglise de Saint-Michel
du Champ; dont nous parlerons tout à l'heure. Là devait se tenir
tous les ans, à la Saint-Michel» l'assemblée de Tordre présidée par
le duc, et à laquelle tout chevalier par son serment était tenu à se
rendre, sauf empêchement grave. Dans ce sanctuaire se célébraient
les messes et services pour les défunts de Tordre; là aussi les hé-
ritiers de ces défunts devaient remettre les colliers que les cheva-
liers avaient portés de leur vivant, et dont le prix était employé en
ornements, en vases sacrés, en bonnes œuvresV
Enfin^ ajoute Lobineau, « ce qu'il y avait de particulier dans cette
nouvelle chevalerie^ c'est que les dames, y étaient reçues et s*appe-
laient chevaleresses , honneur qui ne leur a été fait dans aucun
autre ordre'.
Collégiale de Sainl-Michel du Champ
Vers le même temps, en i3S3, le duc mit la dernière main à
une autre fondation ayant pour but de consacrer la mémoire de
Tévénement le plus important de son règne et du XIV* siècle en
Bretagne — la bataille d*Aurai.
Quelques années après cette bataille, Jean IV avait commencé
d'élever une chapeUe sur le lieu même où elle s était livrée, lieu si-
tué à une demi-lieue nord-est de la ville d'Aurai^ mais sur le terri-
toire de la paroisse de Brech. En mémoire du jour où il avait rem-
porté celte victoire, en Thonneur du patron auquel il l'attribuait,
il dédia cette chapelle à saint Michel. En 1867 et i368, on y tra-
doTisd : A ma vie y voulut marquer qull avait conquis deux fois la Bretagne et
exposé sa vie pour conserver sa dignité. » (Histoire de Bretagne, I, 44a.) Gela
est un peu subtil ; puis d'h ibitude la devise d'un ordre ne s'applique pas seule-
ment au fondateur, elle doit avoir un sens général applicable à tous les
membres.
* Rosenzweig, Im Chartreuse cTAuray Ci863), p. ia-i3.
* Lobineau, Histoire de Bretagne, I, 442, 656 ; D. Morice, Histoire, I, 383
•t loio-ioii.
410 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
vaillait acUvemeat* ; en 1871 elle était fort avancée, le duc son-
geait à y fonder un certain nombre de prébendes pour y assurer,
dans des conditions convenables, la célébration de Toffice divin,
et le pape, à sa demande, comblait de faveurs et d'indulgences le
nouveau sanctuaire, auquel toutefois, dans sa bulle^ il donne seu-
lement le titre de chapelle^. La concession d'indulgences, qui avait
généralement pour but d'attirer dans un sanctuaire des visiteurs
plus nombreux et des aumônes plus abondantes, semble indiquer
que Ton avait besoin de fonds pour achever l'édifice, et le titre
modeste de capella prouve qu'il n'avait point encore une
dignité bien déterminée dans la hiérarchie ecclésiastique. Mais
le duc — la bulle en fait foi — avait toujours l'intention for-
melle de mener à bien cette fondation, non seulement en terminant
l'église, mais en y attachant un collège de prêtres et une ample
dotation.
Malheureusement, dès 137a, la lutte de Jean IV contre le roi
Charles V créa à notre duc de graves soucis ; en 1378 il fut, comme
on l'a vu, chassé de Bretagne, et pendant les six années de son
exil nul sans doute ne songea à la chapelle ou église de Saint-
Michel près Aurai. Même après son retour (3 aoiit 1879) et jusqu'à
la conclusion du second traité de Guérande (k avril i38i), le duc
* Parmi dei parchemins de la Chambre des comptes de Nantes trouvés en
i858 dans de vieilles reliures, existe un fragment de compte du châtelain ou
receveur ducal d' Aurai en x368, qui débute ainsi :
« Item, pour trioueir voiant pour fourer sur les chevrons de ladite chapelle^
demy eseu. — Item^ pour vue cens de clous bastarz achatez pour coudre les
coueux de ladite chapelle et fourer sur les chevrons, chescun cent vis., valant
XL s. ; valent, à xiii s. m d. escu, va escuz. — Item^ pour.... cbauz....
achatée.... de ladite chapelle,.,* — Item^ pour sable à meller à ladite
chauz, I escu. — Item, pour aporter ladite chauz à Auray, au Champ ^
comme appert par la rellation dudit Bernard, i escu. » — Le dernier article
prouve clairement que la chapelle en construction est justement celle bâtie par
Jean IV, au Champ^ & ou près Aurai, c'est-à-dire Saint-Michel du Champ.
> Bulle de Grégoire XI, du mois de février i37i, où le pape dit : « Cu-
pientes igitur ut capella S. Michaelis, quam dllectus lilius nobilis Johannea,
dux Britannie , in loco de Alreyo Venetensis diocesis canonice fundasae
dicitur et etiam construxisse, et quam sufficienter dotare intendit, congruis
honoribus frequentetur, et ut Christi fidèles eo libentius devotionis causa confluant
ad eamdem quo ex hoc uberius dono celestis gratie conspexerint se refectos.... »
{Château de Nantes^ arm. E, cass. B, n* a5.)
RfiGNB DK JBAM IV 411
eut à se débattre contre de gros embarras qui absorbèrent néces«
sairement toute son attention. Mais dès qu'il en fut sorti il revint
à sa chapelle d'Aurai; l'édifice fut achevé, meublé, décoré, pourvu
d'un clergé comprenant un doyen et huit chanoines chargés de dire
tous les jours et à perpétuité l'office canonique pour les ducs de
Bretagne morts et vivants et pour le repos des âmes de toutes les
victimes de la bataille d'Aurai. — Près de Téglise, pour la demeure
de son clergé et de tous ses serviteurs, le duc éleva de beaux logis.
Enfin cette église et ses clercs furent dotés d'un revenu de six
cents livres (3o.ooo francs valeur actuelle], et dans cette dotation
le duc fit entrer la belle châtellenie de Lan vaux qui touchait Aurai,
en sorte que ce nouveau chapitre devint tout de suite, dans la féo-
dalité bretonne^ un gros seigneur. Les chartes ducales qui cons-
tituent cette dotation sont de i383 et i385, il s'y trouve quelques
passages bons à citer. Celle de i383 (6 février) débute ainsi :
« Comme nous ayons [dit le duc) fait edififier et construire une
église collegialle nommée l'église Saint-Michel près Aurai et y avons
ordonné huit prestres pour continuellement faire le divin service
audit lieu et prier Dieu pour nous et nos prédécesseurs et succes-
seurs et pour les âmes de ceux qui au jour de la bataille décédèrent
au champauquel ladite église est sittuée. » (D. Morice, Preuves, 1, 445).
Ainsi cette église collégiale s'élevait sur le terrain même où, le
2g septembre i364, s'étaient rencontrées et combattues les deux
armées. Dans la charte de i385, non moins formelle, le duc dit :
« Comme eussions ordonné et faict édifier une église, maison et
habitations, à présent nommées la chapelle Saint-Michel au Champ,
près Aurai y ouquel par la grâce de Dieu nous eusmes victoire ^
(Ibid.^ 490).
On appelait donc cette église Saint-Michel au Champ ou Saint-
Michel du Champ, parce qu'elle était érigée précisément sur le champ
de bataille d' Aurai.
En i48o, le duc de Bretagne François II supprima le collège de
chanoines fondé par Jean lY et le remplax;a par une communauté
de Chartreux chargée de continuer le service religieux précé-
demment confié aux chanoines. C'est depuis lors qu'on prit peu à
peu l'habitude, qui dure encore, de désigner cet établissement sous
412 cocas D'HISTOIRE DE BRETAGNE
le nom de Chartreuse d' Aurai. Mais la bulle qui substitue les Char«
treux aux chanoines donne formellement à l'église le nom de Saint-
Michel du Champ {ecclesia Sancti Michaelis in Campo dAuray) et
déclare en toutes lettres que Jean IV Tavait élevée sur le champ de
bataille d' Aurai, afin que Ton priât pour les braves tombés dans
cette journée au lieu même ou ils avaient pêrP, Et deux ans
plus tard^ quand les Chartreux appelés de Nantes viennent prendre
possession de l'église fondée par Jean IV, eux-mêmes nomment leur
nouveau couvent u la maison de Saint- Michel delà Victoire au
champ (t Aurai' w.
Aux XVIP et XVIIP siècles, les Chartreux, ayant défriché toutes
les terres de la châtellenie de Lanvaux, renouvelèrent en quelque
sorte leur couvent et en firent un établissement des plus remar-
quables, que l'on venait visiter de toutes parts pour la ]^e\\e or-
donnance de ses cultures, de ses jardins, de ses bâtiments' :
établissement uniquement connu sous le nom de Chartreuse
(T Aurais titre qui finit par supplanter et effacer tout à fait le nom
primitif et historique de Saint-Michel du Champ.
Les Chartreux ayant été chassés à la Révolution, leur vaste
maison abrite aujourd'hui (depuis i8ia) une communauté de
sœurs de la Sagesse qui en a fait un asile de sourds-muets. Mal-
gré ce changement^ elle est to^jours désignée sous le nom de
Chartreuse d'Aurai.
* tt Gum olim clare memorie Johannes, dax Britannie, in looo qui dicitur
Campus d^Auray,,, quamdam victoriam reportasset, ipse Johannes dux, ob
etecnam tanti beneficii memoriam, et etiam ut pro ilLorum qui in prelio ibidem
perierunt aniirarum salute procès ad Dominum funderentur, in dicto loco
unam ecclesiam sub invocatione S. Michaelis archangeli, in cujus festivitatis
die prelium ipsum habitum fuit. . . fundavit. Et Franciscui dux (François II,
duc de Bretagne), ob singularem quem ad Cartusiensem ordinem gerit affoctum,
summopere desiderat ecclesiam ipsam in domum prefati ordinis erigi, sperans
quod exinde divinus caltus in ipsa êcclesia suscipiat incrementum . » (Bulle du
pape Sixte IV pour la fondation de la Chartreuse d'Aurai, dans D. Morioe,
Preuves, III, 378-379).
s « Noverint universi présentes et futuri religiosi qui banc domum S. Mi"
cTiaelis de Victoria in Alreycis eampis habitaturi fuerint, quod anno Domini
i48a », etc. {Ibid. 38o).
s Voir dans le Dictionnaire de Bretagne d'Ogée (ancienne édition), article
Brbch.
RËGNE DE JEAN IV 413
De l'église de Saint-Michel du Champ construite par Jean lY
rien ne reste. En i6ai, les Chartreux Tagrandirent, la modifièrent
sans la détruire complètement» même en prenant soin de conserver
de curieuses peintures murales représentant la bataiUe d'Aurai et
qui pouvaient bien remonter au temps du duc Jean IV*. Hais au
XVIIP siècle, leurs successeurs, moins scrupuleux, jetant bas
l'église restaurée en i6ai et ce qui restait de celle du XIV* siècle,
n'en laissèrent pas pierre sur pierre. Ils les remplacèrent par une
bâtisse beaucoup plus spacieuse, de proportions a grandioses >»,
disent certains auteurs, mais d'un style incontestablement plat et
lourd. Cette bâtisse n'a qu'un mérite : elle est construite sur le
même terrain, dans le même axe que l'église de Jean IV ; elle
marque donc, de la façon la plus certaine, la plus authentique, la
ligne sur laquelle se rencontrèrent, le 39 septembre i364, les ar-
mées de Jean de Montfort et de Charles de Blois, et problablement
le centre même de la bataille.
C'est donc là encore, malgré tout, un monument précieux pour
notre histoire^ et c'est pourquoi j'y insiste tant. Car, parmi les
nombreux visiteurs de la Chartreuse d' Aurai, combien peu se
doutent qu'ils foulent une terre abreuvée^ il y a cinq siècles, du
plus vaillant sang de Bretagne, théâtre d'un des plus grands événe-
ments de notre histoire nationale' !
' Rosenzweigr, La Chartreuse cCAuray^ p. 36. Selon M. Rosenzweig, ces
peintures auraient été du commencement du XVI* siècle. Il ne donne aucune
raison de cette date, les peintures sont ai^jourd'hui détruites. C'est donc une
simple conjecture, mais peu vraisemblable ; car pourquoi serait-on allé, au com«
mencement du XVI» siècle, s*inquiéter de la bataille d*Aurai ^ Un siècle plus tôt,
au contraire, dans la seconde moitié du XI V« siècle ou le commencement du
XV«, il en était tout autrement : cet événement, dont les conséquences domî
naient alors toute la situation politique de la Bretagne, était présent, vivant,
dans toutes les mémoires.
> Ce qui attire et frappe surtout aujourd'hui les visiteurs de la Chartreuse
d' Aurai, c'est le monument funéraire des victimes de Quiberon : cette chapelle
sépulcrale, construite de i8a4 à 1829, est adossée au flanc nord de Téglise de la
Chartreuse, mais n*en fait pas partie et ne communique même pas avec elle.
414 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Querelle de Jean IV aoec Saint^Malo
(i 38a- 1396)
Par la force exceptionnelle de son assiette vraiment inexpugnable
au moyen âge, par la facilité de ses communications avec l'Angle-
terre^ par rimpor tance de son commerce et Taudace de ses marins,
la ville de Saint-Malo a toujours occupé dans l'existence de notre
pays une place importante. Mais au lieu de suivre fidèlement le
courant des destinées de la Bretagne, souvent cette hardie cité
s'est efforcée de creuser pour sa propre destinée un lit spécial,
sinon dans une direction contraire, du moins distinct, parfois un
peu divergent.
Au conmiencement du XIV* siècle^ l'importance du commerce
de Saint-Malo , l'énergie de ses bourgeois et de ses marins, se
manifeste par une entreprise qui eût pu sembler bien tardive en
France, qui en Bretagne resta unique en son genre — l'établisse-
ment d'une commune jurée, avec maire, échevins, gardes, juridic-
tion, sceau de juridiction, etc.*, et cela à la suite d'un soulèvement
contre le seigneur de la ville qui n'était autre que l'évéque et le
chapitre cathédral de Saint-Malo. Cette commune existait en i3o8 ;
elle fut reconnue sous quelques réserves par Févéque et par le duc
de Bretagne, mais elle ne se soutint pas longtemps; elle n'existait
plus en i33o, et toutefois les Malouins jx'en continuaient pas moins
leur commerce et leurs expéditions maritimes, car cette année
même nous les voyons donner la chasse aux sujets de la couronne
d'Angleterre jusque sur les côtes du Portugal^.
Dans la guerre de Blois-Montfort les Malouins semblent être
restés assez froids, et en raison de cette froideur portés peut-être à
changer de cocarde selon les circonstances : en i34a ils sont dans
le camp de Montfort, dix ans plus tard dans celui de Blois ; mais
* Fait demeuré inconnu à tous les historiens, attesté et décrit txpUciteoient
dans un document de Tan i3o8, découvert et publié par moi dans la Revue de
Bretagne et de Vendée, année 1866, a* semestre, p. 476-/^78.
* Lettre inédite d*Edouard III, roi d'Angleterre, à Tévéque de Saint-Malo
du la septembre i33o.
RÈGNE DE JEAN IV 415
ils ne servent bien vivement ni l'un ni l'autre. En revanche, en
i36i-i36a, éclate une nouvelle émeute des bourgeois contre le
chapitre, un nouvel essai d'organisation municipale, qui après un
succès violent, mais éphémère, rentre dans l'ombre et disparait
comme celle de i3o8*.
En i364, après là bataille d'Aurai, l'évéque et les habitants de
Saint-Malo se soumirent sans hésiter au vainqueur. Bientôt surgit
une grosse difficulté. Pendant la guerre qui venait de finir, dans le
but de se procurer des ressources pour assurer contre tout péril la
garde et la défense de la cité malouine, l'évéque, d'accord avec
les habitants, avait mis des droits sur diverses marchandises à
leur entrée dans le port et la ville de Saint-Malo. Le duc ayant,
comme il le disait lui-même, « grand nécessité de chevance »
(grand besoin d'argent), prétendit, dès i365, se substituer à
l'évéque dans la perception de ces droits, offrant en retour de se
charger de la garde et de la défense de la ville.
Ni révêque ni les Malouins ne se souciaient d'être a gardés »
par Jean IV ; puis il était évident que, si le duc encaissait le total
de ces droits d'entrée jusqu'alors uniquement employés au profit
de la viUe et du port de Saint-Malo, la plupart de ces deniers,
sinon le tout, prendraient désormais une autre direction, en sorte
que les Malouins continueraient de payer ces taxes sans en retirer
à l'avenir aucun bénéfice. Aussi l'évéque, soutenu par les habi-
tants, opposa- t-il une ferme résistance aux prétentions de Jean lY.
Enfin intervint une trair^action : vu les besoins financiers
du duc, l'évéque consentit à lui abandonner pendant trois ans les
deux tiers des droits d entrée, dont il se réservait seulement le
tiers. Au bout de trois ans, on devait revenir à l'état de choses an-
térieur, dans lequel le duc n'avait rien*.
Cette transaction ne fut pas renouvelée, et le duc ne renouvela
pas non plus ses prétentions avant son retour d'Angleterre en
* Extrait des registres de Téglise de Saint-Malo, dans D. Morice, Preuves,
I, i544.
' D. Notice, Preuves jl, i6o3-i6o3. L'évcque qui figure dans cette transaction
est Guillaume Poulart, qui tint le siège de Saint-Malo de i359 à 1872. Voir GalJia
christiana^ XIV, 1008.
416 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
I
1879. Pendant Texil de ce prince, les Malouîns avaient pris nette-
ment parti contre l'Angleterre et pour la France ; leur ville ne ren-
tra sous l'obéissance du duc qu'au dernier moment, après sa ré-
conciliation avec le roi Charles VI par le second traité de Guérande
(4 avril i38i) C'est sans doute pour punir cette malveillance des
gens de Saînt-Malo qu*à peine son autorité reconnue par eux, il re-
nouvela instamment la prétention avancée par lui en i355 de per-
cevoir seul les taxes d'entrée, réclamant de plus pour lui la garde
de la ville, le droit d'y mettre une garnison et un capitaine'.
Toutes prétentions d'autant plus désagréables aux Malouins que
Jean IV, par son anglomanie^ leur était particulièrement suspect et
antipathique, à eux que les intérêts de leur commerce, les nécessités »
les habitudes de leur navigation mettaient en lutte constante, en ri-
valité ardente avec les Anglais et rendaient forcément anglophobes.
Aussi ne manquèrent-ils point d'encourager la résistance de leur
évéque — un Rohan, d*ailleurs — Josselin deRohan', fier deson sang
comme tous ceux de cette race, peu disposé à céder. 11 tâcha cepen-
dantd'étre conciliant et demanda au duc de soumettre la question à
un arbitrage. Proposition raisonnable qui eût peut-être été acceptée
sil'évêque n'y avait joint une prétention absolument insoutenable.
Pour donner apparemment à sa résistance un fondement plus so-
lide, il imagina de notifier au duc que la seigneurie temporelle de
l'évêché de Saint>Malo (comprenant, entre autres choses, la ville de
*■ TeUe est Torigine, la cause véritable du cpnflit entre Jean IV et la ville de
Saint-Malo ; nos historiens y font à peine allusion et rejettent tout sur Torg^eil
de Te véque Josselin de Rohan. Pourtant, dans son fulminatolre du 3o août iSSa»
ce prélat explique nettement en ces termes le point de départ du litige :
tt Gum alias iamdudum inter nobilem prlncipem Johannem ducem Britannie,
ex parte una, et nos et capitulum nostre Macloviensii ecclesie, ex altéra, orta
fuisset materia questionis super nonnullis subsidiis et obventionibus alias pro
necessitate nostre civitatis Macloviensis extraordinarie impositis, ex causls ine-
vitabilibus et neccssariis habito respectu ad statum civitatis ejusdem, que idem
dominus dux pretendebat et dicebat se debere percipere et habere,.. »
(D. Morice, Preuves, II, &a8). — Et Jean IV lui-môme, dans ses lettres du S
juin i3S4, dont nous parlerons plus loin, dit en ce qui touche le capitaine :
« Pour ce que nous disons que à nous appartient mettre capitaine de nostre
droit, révesque et le chapitre disant au contraire que à eux seulement apar-»
tient. » (Ibid. col. /i66).
» Evoque de Saint Malo, de 1875 à i38()(voir Gall. christ. XIV, 1008).
RÈGNE DE JEAN IV 417
ce nQtn)n*étaît point un fîef du duché de Bretagne, mais relevait
directement du Saint-Siège, assertion chimérique et ridicule. Non
seulement le Saint-Siège n^avait jamais réclamé ce fief, mais il
existait des faits^ il existe encore dans nos archives des actes au-
thentiques établissant d'une façon incontestable la suzeraineté des
ducs de Bretagne sur le temporel de toutes les églises de leur du^
ché, en particulier sur la seigneurie épiscopale deSaint-Malo'.
Pour protester contre cette négation étonnante de son droit de
de suzerain, Jean IV envoya trois principaux officiers de la maison
ou de l'administration ducale, — Prigent de Tréléver, son maîlre
d'hôtel, Alain de Maigné, receveur général de Bretagne, Pierre Hâte,
sénéchal de Rennes, — avec mandat de saisir le temporel de Tévê-
ché de Saint-Malo. Ces trois officiers eurent la hardiesse de s'in-
troduire dans le manoir épiscopal de Saint-Malo, de signifier àl'é-
vêque, parlant à sa personne, la saisie de son temporel, et ils
revinrent de là sains et saufs : preuve irrécusable, on peut
le dire, de la mansuétude du prélat.
C'était-là une déclaration de guerre, rien de plus ; de cette si-
gnification, simple formalité de procédure, à la saisie effective du
temporel, il y avait loin. L'acte principal, essentiel, de cette saisie,
c'eût été la prise de Saint-Malo : prendre Saint-Malo dans son île
était impossible et même le bloquer, carie duc n'avait pas de flotte
pour couper les communications par mer, et de la côte si voisine
de Normandie la ville pouvait tirer toute espèce de ressources.
Cependant le duc imagina contre elle un blocus à distance,
qui à la longue devait finir par gêner et fatiguer beaucoup
lesMalouins. 11 commença par s'emparer fortement de Tembou-
chure de la Rance en élevant sur le rocher qui la domine du côté
de Test une puissante citadelle ^ ce haut et élégant donjon de So-
lidor, encore debout — qui en ferma l'entrée aussi bien qu'aurait
pu le faire un râteau de fer. Par les protestations de Josselin de
* Entre autres, en 1 3 9^, quand le duc Jean II appela à Plocrmel tous ses
barons pour réclamer d'eux le service d'ost (service militaire) quUIs lui devaient,
révéque de Saint-Malo reconnut devoir à Tarmée du duc trente archers, ce qui
était absolument s'avouer son vassal. (Voir D. Morice, Preuves I, mh.)
418 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Rohan, des 3 et Soaoût i38a, nous savons qu'à ce moment la cons*
truction de ce donjon était toute récente et que le duc l'avait
rempli d'une garnison de soudards aussi rébarbatifs que leurs
noms, — Jean le Jambu dit Gonzalés, Thomas Jagoincel, Pierre
Toutcœur, Guillaume Roussel dit Bancibus, etc., — chargés, sous
Alain Brochereul leur capitaine, de porter le feu et le ravage dans
tous les environs de Saint-Malo. Puis de la Rance à la baie de Can*
cale le duc établit une ligne de postes serrant de très près la ville,
destinés à empêcher toute communication entre elle et le dehors ;
sous les peines les plus sévères il fait défense à tous ses sujets
d'aller à Saint-Malo, d'y envoyer aucune marchandise.
Dès lors, du côté de la terre et de la Rance, la ville ne reçoit plus
rien^ ni argent, ni denrées, ni vivres, pas même du lait, pas même
de Teau, car les gens du duc coupent les conduits menant à Saint-
Malo l'eau des sources voisines, dans l'espoir de faire périr de soif
les habitants^ qui heureusement ont la ressource de leurs citernes.
Mais ces pauvres habitants, dès qu'ils se hasardent à sortir de
leurs murailles, à s'éloigner quelque peu de la zone protégée par
elles , sont aussitôt traqués par les soudards de Jean lY qui le
plus souvent les prennent, les jettent dans de dures prisons, les
taxent à des rançons insensées, et, s'ils ne veulent ou ne peuvent
les payer, les accablent de cruautés et de mauvais traitements. Les
soudards de Solidor mettent un malin plaisir à violenter ainsi les
gens d'église ; parmi leurs victimes on cite, entre autres^ le recteur
de Saint-Servan, Thomas Guinard, et celui de Saint-Jouan des
Guérets, Guillaume Le Chat, aussi doyen de Pou-Aleth. Mais ils
n'épargnent pas plus les laïques ; nous avons une liste d'une ving-
taine de notables bourgeois qui avant septembre iSSa s'étaient vus
par eux pillés, bafoués^ tortionnés.
Après avoir longuement, vivement exposé ces griefs , l'évêque
Josselin de Rohan, dans un acte du 3o août i38a, fulmine l'ex-
communication contre les auteurs de ces méfaits*, — c'est-à-dire
contre le duc et ses gens, — répondant ainsi par Tinterdit spirituel
à l'interdit temporel dont le prince le frappait, lui, sa ville, sa terre.
« Voir D. Morico, Preuves, II, col. 4 27 et 428-431.
RËGNE DE JEAN IV 419
Mais ce que l'évêque ne dit point dans sa longue et plaintive
litanie, c'est que les Malouins, n'étant point gens à supporter
tranquillement toutes ces avanies, rendirent souvent, largement,
aux estafiiers du duc la monnaie de leurs pièces, et que d'ailleurs,
restant toujours maîtres de la mer, en communication constante
et facile avec les îles de la Manche, la côte normande et même la
côte bretonne de l'autre côté de la Rance, ils avaient toujours
moyen, malgré le blocus du côté de la terre, d'approvisionner leur
ville et d'entretenir honnêtement leur commerce.
Aussi soutinrent-ils vaillamment la lutte pendant deux ans. Au
bout de ce temps, de part et d'autre^ on commençait à se lasser.
On profita de la venue en Bretagne d'un légat du pape (l'archevêque
de Naples), naturel messager de paix, qui s'interposa entre les
parties et ménagea un accord dont la conclusion ne laissa pas
d'être un peu laborieuse. Voici d'abord comme Jean IV en prétendait
dicter les conditions aux Malouins dans ses lettres du 8 juin 1387'.
i^ Le duc tenait surtout à bien marquer^ proclamer^ faire recon-
naître par tous sa qualité de seigneur suzerain vis-à-vis de la ville
de Saint-Malo et du fief épiscopal. Aussi, d*après ses lettres du
8 juin i384, le duc devait, avant toutes choses^ faire son entrée
solennelle à Saint-Malo et y être reçu comme seigneur, d'abord par
les bourgeois et habitants allant au devant de lui hors de la ville,
tous à pied, et qui, venus en sa présence, dit-il, s'agenouilleront,
puis, (( les chaperons hors des couls, déceints, » lui demanderont
pardon comme suit :
a Très excellent et très puissant prince et très redoubté sou-
verain, véez vos bourgeoiz et habitans de Saint-Malou reconnois-
sant avoir fait aucunes choses pour lesquelles vostre majesté est
ofTendue : de quoy il lour deplaist et a, despieu grandement^ et
pour ce viennent à vous suplier et requerre merci et pardon, vous
supliant de vostre grant bontés majesté et grâce spécial, leur par-
donner et les recevoir en vostre grâce : quar librement ils mettent
corps et biens et personnes en vostre main, à faire toute vostre
volonté. »
^ Dans D. Morice, Preuves y II, ii66-468.
420 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Ensuite a l'evesque et autres gens d'église, pour Thonneur de
nous (dit le duc), iront en procession hors les murs et nous recep-
vront comme est acoustumé recevoir les roys, princes et ducs de
Bretaigne ».
A ce prix était le pardon. Voici les autres conditions :
2* Le duc prétendait mettre dans Saint-Malo Geofroi du
Pontglou, pour y être capitaine en son nom pendant trois ans. Ce
qui impliquait le droit pour le duc d*y tenir garnison.
3» Pendant dix ans, le duc voulait prendre les deux tiers des
droits d'entrée perçus à Saint-Malo, laissant l'autre tiers à l'évéque
et aux habitants.
4* Enfin le duc d'un côté, l'évéque et les bourgeois de l'autre,
devaient nommer des arbitres pour régler définitivement tous
leurs différends.
Ces conditions formulées par le duc étaient fort dures, la pre-
mière humiliante pour les Malouins, la dernière contradictoire avec
les trois autjres ; car si les arbitres qu'on devait nonuner donnaient
raison à l'évéque, ils ne pouvaient manquer de modifier les stipu-
lations ci-dessus relatives aux taxes d'entrée et au capitaine.
L'évéque et les habitants refusèrent de se soumettre à ces
exigences, et l'entrée du duc à Saint-Malo fut ajournée tout l'été.
Elle eut lieu enfin au commencement de l'automne^ les 5 et 6
octobre i384, mais dans des conditions très différentes de celles
que Jean IV avait prétendu dicter le 8 juin.
D'abord^ une convention conclue le 3 octobre entre le duc, d'une
part, l'évéque, le chapitre et les bourgeois de l'autre, remit de suite
à seize arbitres acceptés par les parties la décision de tous les diffé-
rends, sans accorder préalablement au duc ni la nomination du
capitaine pour trois ans, ni les deux tiers des taxes d'entrée i)en«
dant dix ans*. Et quant à la réception du duc dans Saint-Malo,
cette convention supprima absolument l'humiliante génuflexion
el l'humiliante harangue des bourgeois. Aussi, dans le procès-
verbal qui en a été conservé, n'en est-il nullement question.
Le duc fit son entrée à Saint-Malo le 5 octobre i384. Une pro-
« Dom Morice, Preuves, U, 468.
RËGiNE DE JEAN IV 421
cession solennelle sortit de la \ille et alla au devant de lui sur le
Sillon : Tévèque — non pas le fier Josselin de Roban : il avait re-
fusé de prendre part & cette cérémonie et s*y était fait représenter
par son collègue de Dol — Tévéque, le doyen, le chapitre, tous
les prêtres et clercs de la cité, les croix, les cierges, les ban-
nières en grande pompe, et les saintes reliques dans les cbâsses
d*or, puis ime foule énorme d'babitants. Le duc à cbeval avec sa
suite venait en sens opposé le long du rivage. A la rencontre de la
procession il mit pied à terre, s*agenouilla devant les saintes re-
liques, les baisa, puis se plaça sous le dais auprès de l'évéque et
fut reçu solennellement dans la cathédrale. Il n'y eut donc d'autre
agenouillement que celui du duc.
Le lendemain, pour la duchesse, réception toute pareille^ mais
suivie des solennelles déclarations qiri devaient sceller le rétablis-
sement de la paix. Le doyen et sept chanoines au nom de tout le
chapitre, et après eux quatre vingt-dix notables bourgeois au nom
de tous les habitants tous rassemblés dans la cathédrale, en face
des autels, ratifièrent la convention du 3 octobre, jurèrent fidélité
au duc et firent — mais sans agenouillement et sans harangue —
amende honorable de leur rébellion, que le prince s'empressa fort
explicitement de leur pardonner^ en même temps qu'il reçut le ser-
ment spécial de fidélité à lui prêté par le doyen du chapitre comme
capitaine de la ville\
Telle fut la fin du conflit. Malgré l'amende honorable, ce n'est
point le duc qui triompha, comme le disent trop naïvement tous
les historiens ; c'est lui au contraire qui fut battu, puisque, malgré
tant d'efforts continués pendant deux ans, il ne put réussir à im-
poser de haute lutte, comme il le voulait, aucune de ses prétentions
ni sur la nomination du capitaine ni sur la perception des droits
d'entrée, et se vit contraint de tout remettre au jugement d'une
commission arbitrale.
Cette commission était composée de quatre évêques (Dol,
> Le procès-verbal des réceptions du duc et de la duchesse et des prestations
de serments suit le texte de la convention du 3 octobre et commence dans D.
Morice, Preuves, II, col. 469, à la ligne 5o de cette colonne par les mots : « Item,
die Vmensis Octobris », etc.; il remplit toute la col. 470.
422 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Nantes, Vannes, Saint-Brieuc), du doyen de Rennes, des plus
grands noms de Taristocratie bretonne, les sires Laval, de Glisson,
de Rohan, de la Rivière, de Malestroit, de Derval, d'Assérac,
Guillaume d'Aubigné, etc\ 11 y avait donc là toute garantie d'in-
dépendance, de loyale et de sérieuse justice. Nous n'avons pas le
texte de la sentence des arbitres. Ils semblent avoir fait ce qu'on
nomme vulgairement une cote mal taillée : laissant à Tévêque seul
les taxes d'entrée, donnant au duc pour un temps plus ou moins
long la garde de la ville.
Il y mit en effet une garnison, plusieurs compagnies d'hommes
d'armes aux ordres des sires de.Montauban, de Ghàteaugiron et de
la Bellière. Cette garnison ne tarda pas à beaucoup s*émanciper et
à « traicter les habitants fort insolemment » (d'Argentré). Aussi en
1387, quand CUsson, échappé au guet-apens du château de
l'Hermine, se mit à faire la guerre à Jean IV, deux chevaliers du
parti du connétable, Robert de Guîtté et Geofroi Ferron, en fré-
quents rapports avec les Malouins, les décidèrent sans peine à se
soulever contre le duc.
Deux des chefs de la garnison ducale (Montauban et Château-
giron) étant sortis de la place avec leurs hommes pour faire quelque
expédition, Ferron et Guitté, prévenus par les habitants, se présen-
tèrent au pied des murs de la ville avec une petite troupe, pendant
la nuit du jeudi 10 octobre i385. Grâce à l'aide que leur prêtaient
du dedans les Malouins, ils escaladèrent la muraille, surprirent
le vicomte de la Bellière, le firent prisonnier avec son lieutenant
Mathurin des Forges^ et chassèrent la garnison. Guitté et Ferron
restèrent dans la place pour empêcher un retour offensif des troupes
ducales ; puis les Malouins se mirent sous la sauvegarde du roi
de France, qui leur envoya quelques hommes d'armes pour faire
comprendre au duc le danger qu'il y aurait de les attaquer.
Jean IV, portant impatiemment la perte de Saint-Malo^ guetta
une occasion favorable de prendre sa revanche. En iSgS, quand
le pauvre roi Charles VI, dans les premiers accès de sa folie, lais-
sait le pouvoir aux mains de ses oncles les ducs de Bourgogne et
» Voir D. Morice, Preuves ^ Ut 469.
RÈGNE DE JEAN IV 423
de Berri, ennemis de Clisson, par suite amis du duc de Bretagne,
celui-ci crut le moment venu de recouvrer Saint-Malo. (( Il fit (dit
Le Baud) basiiller' ladite ville et assiéger tellement que nul homme
<c n'y pouoit entrer ne en issir, principalement par terre, qui ne cheust
« en sa mercy. » {Histoire de Bretagne , p. 4r9). En un mot, il
renouvela le blocus de 1 38 3 décrit ci-dessus, et fit dévaster avec
un soin spécial le temporel de Tévâque. Cette fois il compléta son
opération par un essai de blocus maritime ; le sire de Matignon
avec une flotille eut ordre d'intercepter tous les navires qui ten-
teraient d'entrer dans le port de Saint-Malo ou d'en sortir ; il fit
même, dit- on, quelques prises sur les Malouins.
Malgré tout son zèle et celui des deux chefs du blocus par terre
-— Maude Radwell et Fouquet Renart — cette campagne ne réussit
pas. Du côté de la mer, les Malouins, les meilleurs marins de Bre-
tagne^ n'étaient point embarrassés pour percer le blocus de Ma-
tignon. Sur terre, la bonne garnison d'hommes d'armes que Clisson
avait mise dans la place maltraita outrageusement les lignes de
Radwell et de Renart. Au commencement de 1394, Charles VI,
ayant repris la raison, somma Jean IV de respecter la sauvegarde
royale accordée aux Malouins. Si bien qu'après quelques mois
de blocus le duc un beau jour retira ses troupes et sa flotte,
laissant la ville libre par terre et par mer, sans autre résultat de
cette campagne que le ravage du plat pays autour de Saint-Malo'.
Pour donner à leur situation internationale une forme plus ré-
gulière, à la protection royale dont ils se couvraient une base plus
authentique et une lorce plus efficace, les Malouins obtinrent du
pape Clément VII — auquel ils s'étaient donnés de nouveau — d'être
par lui rétrocédés au roi de France, ce qu'il fit dans une bulle du 4
juin iSgâ» dont les termes prouvent que la haine des Malouins
contre les Anglais entrait pour beaucoup dans lei^r rébellion
contre Jean IV, toujours affligé d'anglomanie'.
* C'est-à-dire qu'il la fit entourer de petits forts de bois, appelés bastiUéSt
destinés i bloquer à distance, comme en 1 38 a ; voir ci- dessus p 417, 4 18.
' Voir Le Baud, p. /^ig ; d'Argentré, Hist. de Bretagne, édition 1618, p. 684-
685; Dom Morice, Preuves, II, 63o-632.
I Le pape déclare aux Malouins quUl les mot dans le domaine et sous la pro-
tection directe du roi do Franco « propter Auglicorum noiinullorumquc aliorum
TOME L\. — JUIN 1893. a8
424 COURS DHISTOIRE DE BRETAGNE
Donation acceptée quelques mois après par le roi de France* ,
sous la condition qu'elle serait ratifiée par les Malouins, ce qui fut
fait à la cathédrale de Saint-Malo, dans une assemblée très solen-
nelle du clergé et des bourgeois, les ig et 30 juin iSgS*.
Le 5 juillet suivant, une ordonnance du roi Charles VI confirma
dans tous leurs droits l'église et la viUe de Saint-Malo et de plus
fit de cette cité un port franc, en exemptant de toute imposition,
de toute taxe quelconque, les marchandises entrant dans le port, dans
la ville, ou en sortant'. Précieux privilège qui augmenta notable-
ment la prospérité de Saint-Malo et l'attacha solidement à la cou-
ronne de France.
Aussi cette forte cité vécut-elle riche et paisible sous l'autorité
du roi jusqu'en i4i5, époque où Charles Yl, gracieusement et très
volontairement, la céda au duc de Bretagne successeur de Jean IV,
pour le remercier du secours de troupes qull lui avait amené dans
la désastreuse campagne d'Azincourt.
Ainsi rincurable anglomanie de Jean IV et sa lutte implacable
contre Clisson privèrent pendant trente ans la Bretagne d'une de ses
cités les plus énergiques, station maritime, commerciale de premier
ordre, nid de marins sans pair.
Le siège de Brest en 1386 et 1387
Cette anglomanie de notre duc était pourtant assez mal récom-
pensée. Les Anglais n'étaient guère aimables pour lui. Depuis la
bataille d'Aurai (i364) et malgré toutes ses réclamations, ils per-
sistaient à lui retenir, à occuper et garder pour eux un autre port
plus important encore comme situation militaire que Saint-Malo,
vestrorum ac civitatis prœdictaB (Macloviensis) invidentium et insidiantium
libertati fréquentes ad portum ejusdem civitatis adventus et hostiles insultus. »
(D. Morice, Preuves^ II, 626-637).
« La prise de possession eut lieu le ao février iSgS (nouveau style). (Voir D.
Morice, Ibid., 629.)
• Trésor des Chartes de France, J. a^i, n«" 87 et 88.
• Voir Recueil des édits, déclarations du roy, etc., en faveur de la ville de
Saint'Malo. (Saint-Malo, chez J. Le Conte, 173a, in-&0).
RÉGNE DE JEAN IV i2b
la vraie porte de la Bretagne du côté de Touest : le port et la place
de Brest.
Après avoir épuisé pour s'en remettre en possession toutes les
voies diplomatiques, Jean IV fut obligé de recourir aux armes. En
i586 et 1387, '^ ^t ^® vigoureux efforts pour reprendre Brest, et
quoiqu'il n*y ait pas réussi, ce siège mérite d^étre signalé; au point
de vue militaire il est fort curieux.
i386
Quoique la force de la place fût toute en son château, la situation
de celui-ci était, avec les moyens d'attaque de ce temps, si inexpu-
gnable, qu*il semblait inutile de tenter un siège régulier ou un
assaut ; on ne pouvait rien espérer que d'un blocus. Le château,
planté sur un rocher escarpé qui regarde le sud-ouest , est baigné
au sud par la rade de Brest, à l'ouest et au nord par la rivière de
Penfell, qui forme le port et s'embouche dans la rade par un es-
tuaire resserré entre la forteresse et les rochers de la côte opposée
(rive droite de la Penfell) qu'on nomme aujourd'hui Recouvrance
et qui au XIY* siècle faisait partie de la paroisse Saint-Pierre-de-
Quilbignon. Pour former le blocus du côté de terre, il fallait néces-
sairement occuper les deux rives de la Penfell ; pour cela on édifia
sur chacune d'elles un de ces forts dits à cette époque bastides ou
bastilles, le plus souvent construits en bois et dont l'existence
essentiellement temporaire finissait avec l'opération de guerre qui
y avait donné lieu.
L'une des deux bastilles du blocus de Brest avait une importance
exceptionneUe : c'était un véritable fort de pierre, avec des murs de
dix pieds d'épaisseur flanqués de sept tours, et qui fut construit,
dit-on, en dix-neuf jours (du 22 juin au 10 juillet i386) par mille
ouvriers, dont les travaux étaient protégés par une armée évaluée à
dix mille hommes — flagrante exagération. On l'appelait en an-
glais Dujhouse ou Dove-house (logis des pigeons), parce qu'il était
bâti sur l'emplacement d'une ancienne fuie seigneuriale. On y mit
une garnison de 3oo hommes et pour capitaine Jean de Malestroit,
ayant avec lui, comme lieutenants ou auxiliaires, La Bellière, Gom-
426 COUaS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
bour, Morfouace, Châteaubriant, le vicomte du Fou, etc. — C'est
Jean IV qui avait dirigé la construction de ce fort.
L'autre, moins considérable, avait été élevé par Ciisson. C'était
une simple bastille en bois, avec un mur assez bas, et qui même,
selon un chroniqueur, ne fut pas complètement terminée^ sa
clôture, sur une des faces, n'étant qu'une barricade faite de roues
de chariots fortement liées et entrelacées. La Chronique de Saint-.
Brieuc nomme ce second fort la bastille de Kerneguez\
Celle des deux bastilles qui devait avoir dans le blocus la lâche
la plus lourde, tant pour attaquer que pour résister aux attaques
des Anglais, c'était celle de la rive gauche de la Penfell, placée
immédiatement en face du château de Brest et chargée d'en brider
la garnison. L'autre bastille, située sur la rive droite, séparée du
château par Teau de la Penfeli, ne pouvait jamais être en butte
qu'à une petite partie de la garnison et avait essentiellement pour
mission d'empêcher les Anglais d'aller se ravitailler du côté de
Quilbignon. Il n'y a donc point lieu de douter que celui des deux
forts le plus redoutable, le plus solidement construit, c'est-à-dire
celui de Dove-House, devait être sur la rive gauche, la bastille de
Kerneguez sur l'autre, du côté de Quilbignon.
Entre les garnisons de ces deux forts et celle du château de
Brest il y eut de fréquentes escarmouches ; le blocus était sévère-
ment maintenu, et Jean Roche, le capitaine anglais de Brest, com-
mençait à en redouter l'issue, quand le fameux duc de Lancastre,
Jean de Gand, passa en vue du port avec une grosse flotte anglaise,
allant en Portugal et de là en Espagne pour conquérir la Castille.
Jean Roche aussitôt implore son secours ; Lancastre, avec
* « Aplicuit dux Lencastrie cum magna comitiva armatorum, et obsedit bas-
tiUam de Kerneguès, nondum completam nec inceptam, nisi de quadrigarum
rolibus (sic) ex uno latcre et ex alio de muro basso, et insultum fecil pluribus
vicibus illius diei ; quem Lancastrie ducem dominus de Malestricto viriliter re
sistit. »{Chron. Drioe. ad ann. i386, D. Morice, Preuves^ 1,58.^ — Mais D.Mo-
rice imprime par erreur : « bastillam de B..,ucgues^i, faute de lecture, ayant
pris le K pour un B. Le meilleur ms. de la Chronique de Saint-Brieuc^ le ms.
lat.9888 de la Bibl. Nat. (f.iaS) porte très lisiblement « Kerneguès » et lems.Iat.
6oo3 (f. 110 F«) « Kerngues ». — D'Argentré nomme cette bastille Kaerugaez
(édit. 161 8, p. 634), faute évidente de lecture ou d'impression pour JSdem0,^tt«^.
«ÈGiNE.DE JEAN IV 427
un grand son de trompettes^ entre dans le port de Brest, débarque
son armée, et installe soigneusement les dames qui j*accompagnent.
Le lendemain il attaque les bastilles, ou plutôt il cède l'honneur
de diriger l'attaque à un chef espagnol (le prieur de Saint-Jacques
en Galice) qui est repoussé avec perte. Mais le second jour après
son débarquement, Lancastre en personne marche en bataille
contre le Dove-House (le fort de pierre). Les Bretons, par audace,
par bravade, abattent leurs bailes ou barrières de défense placées
devant l'entrée du fort et se précipitent sur les ennemis. Cette im-
prudence faillit les perdre : leur attaque ayant été refoulée, ils
furent contraints de rentrer dans leur fort, l'ennemi sur les talons,
dont cent hommes d'armes y pénétrèrent avec eux. Après ceux-là
toute l'armée de Lancastre allait s'y jeter; mais Combour et Ma-
lestroit avec de grands cris ramenant au combat toute la garnison
. de Dove-House, « les Bretons (dit Froissart) fichèrent leurs lances
« et glaives en terre, et s'appuyèrent fortement sur leurs pas (sur
tt leurs pieds), et bputèrent (poussèrent) de bras et de poitrine
a courageusement sur ceux qui les avoient reculés et boutés des
« barrières dans le fort. Là convint de force et de fait les Anglois
« reculer, car ils furent si bien poussés et si durement qu'ils ne
« purent gagner terre (s'arrêter); et furent remis hors des bailes et
« bien férus et batus, ni oncques depuis ils ne purent gagner pour
« cette journée' . »
Mais pendant ce temps d'autres Anglais attaquaient le fort par
derrière, où il avait pour principale Méfense une très grosse et
forte tour, que les Anglais minèrent. La moitié de la tour tomba
sur eux et en écrasa beaucoup ; mais cette chute ouvrit dans le
fort une brèche énorme qui en rendait la prise facile, si la nuit
tombante et la retraite sonnée dans l'armée assaillante n'eussent
contraint l'ennemi à quitter le combat.
Avec cette brèche la place était intenable. On profita de la nuit
pour organiser le sauvetage des provisions, des munitions de
guerre; on l'évacua avant jour.
La bastille de Kerneguez, assaillie elle aussi par les troupes de
* Froissart, liv. 111, chap. 33, édit. Buchoo, U, p. 489.
kn COURS D'HISTOIRE DE BRETAGN E
Lancastre, avait bravement résisté*. Restée seule contre toute l'ar-
mée anglaise et pontre la garnison du château, elle n*eùt pu que
succomber. Malestroit la fit évacuer en même temps que Dove-
House.
Le lendemain matin, Lancastre trouva les deux forts des Bretons
vides. Il les fit raser.
1887
L'année suivante, de bonne heure, Jean IV les rétablit tous les
deux en pierre et plus forts qu'auparavant.
De plus il comprit que, pour bloquer sérieusement Brest, il était
indispensable de lui couper les ressources du côté de la mer,de tout
faire pour empêcher la place de recevoir les renforts, les puissants
secours que les flottes anglaises croisant dans ces parages ne pou-
vaient guère, aux moments critiques, manquer de lui apporter.
Pour parer à cet inconvénient, le duc s'appliqua à dresser un
fort en mer, dans la rade, en face de l'entrée du port de Brest. H
fut construit en bois et fondé sur des bateaux'. Il n'était sans doute
pas très solide, car Richard comte d'Arondel, amiral d'Angleterre,
et Thomas Mowbrai, comte de Notingham, s*étant présentés devant
Brest vers le mois d'avril 1387, emportèrent ce fort marin sans
beaucoup de peine, et ayant débarqué détruisirent l'une des bas*
tilles bretonnes établies en terre ferme.
Jean IV était à Morlaix quand arrivèrent à Brest les amiraux
d'Angleterre (Notingham et Arondel) ; il ne semble pas avoir essayé
de défendre ses forts, qui peut-être n'étaient pas encore achevés.
Mais, les amiraux partis, notre duc, sans se décourager, avec sa
ténacité ordinaire, rétablit ses trois forts, remit le blocus devant
Brest et pressa le siège fortement pendant l'été, notamment en
juillet 1387. A ce siège prirent part à ce moment les princi-
paux seigneurs de Bretagne, entre autres les sires de Quintin,
de Kergorlai, du Fou, du Perler, de Penhoët, de Plœuc, du
Quelenec, Maurice de Ploësquellec avec quatorze hommes d'armes,
*■ Voir ci-de88U8 p. &a6, note i.
> Voir Lobineau, Hist. de Bretagntt I, p. AS;.
RËGNE DE JEAN IV 429
Geofroi de Kerimel maréchal de Bretagne, etc., de nombreuses
bandes d'arbalétriers et jusqu'à des canonniers. Le fragment
de compte inédit d'où je tire tous ces renseignements n'en
nomme que deux, Perrot Le Potier et Guillaume Julou ; cela
suffit pour démontrer que Jean IV employa le canon contre
Brest, et c'est là l'une des anciennes mentions de Tusage de l'ar-
tillerie par les Bretons. Ce compte montre enfin que, de la mi-
octobre i386 à la fin de juillet 1387, Jean lY avait dépensé dans
ce siège 35.632 1. 17 s. 8 d., ce qui suppose un effort considérable,
cette somme répondant à 1.800.000 francs environ, valeur actuelle*.
Cet effort ne fut pas couronné de succès.
On batailla tout Tété, une partie de l'automne, puis, vers la fin
de cette saison, une nouvelle flotte anglaise aux ordres d'Henri
Perci, fils du comte de Northumberland, vint rafraîchir la garni-
son de Brest. Elle détruisit de nouveau le fort marin, et les troupes
qu'elle apportait prirent Tune des bastilles bretonnes bâties sur
ce continent et y mirent une garnison anglaise, ce qui fut la fin
du blocus.
Depuis lors, après tant d'efforts sans résultat, Jean IV parait
avoir renoncé à prendre Brest de vive force. Il se borna à mettre
dans les environs quelques postes, quelques corps de troupes assez
forts pour brider la garnison et l'empêcher de faiie des courses
sur lé plat pays. Il ne rentra en possession de cette ville qu'en
1397, et encore, nous le verrons, par l'intervention de la France.
Cette idée d'assiéger une place inexpugnable, comme Brest
rétait alors, en l'entourant d'une ceinture de forts sur terre et
sur mer, bien qu'elle n'ait pas obtenu dans l'exécution un succès
définitif, cette idée n'en est pas moins une puissante conception
stratégique, suivie avec une rare persévérance^ et qui dénote chez
son auteur (Jean IV) une aptitude militaire fort remarquable'.
< Voir ce Compte dans la Revtie ue Bretagne, de Vendée et d^ Anjou, année
18S9, 2^ semestre, p. 300 à ao3 (septembre).
s Sur les deux sièges de Brest, voir les auteurs et les documents ci-dessous. -—
Sur le siège de i386 : Knighton. dans le recueil deTwysden, p. 2677 ; Froissart,
liv. III, chap. 33, 33, édit. Buchon, II, p. A85, 489-49o; Chronicon Brioc. dans
D. Morice. Preuves,!, 58 ; Walsingham dans Camden, Anfflica, p. Ssi et 538 ;
Le Baud, Hist. de Bret. 388 à 390; d'Argentré, Hist. de Bret., édit. z6i8, p.
634-Ô35, — Sur le siège de 1387 : Knighton, ilnd,^ p. 369s ; Walsingham, ibid.,
p. 336 et bko ; Compte de 1387 cité plus haut p. 17, note i.
4:îO cours D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Progrès de îarl militaire en Bretagne som le règne
de Jean IV.
Tout^ dans l'histoire de Jean IV, décèle cette aptitude^ c'est-à-
dire un goût, une préoccupation constante de Tart militaire. Tout
à l'heure, en i38â, dans sa querelle avec les Malouins« il élevait la
forteresse de Solidor, si bien placée pour dominer la Rance et le
port de Saint-Malo. En 1887, au début de sa lutte contre Clia-
son, il construisit son château de THermine, indispensable pour
la défense de la ville de Vannes.
Jean IV, prince querelleur et belliqueux, devait naturellement
porter son attention habituelle sur lart militaire, en particulier sur
la fortification.
Clisson, son rival, l'un des premiers capitaines de son temps, uQ
pouvait pas n'être point hanté de la même passion.
D'ailleurs, la guerre de Blois et de Monlfort avait détérioré, ruiné
en Bretagne beaucoup de châteaux et d'enceintes urbaines ; il était
urgent de les rétablir.
Sous le coup de cette nécessité, sous l'influence des deux puis*
sants personnages (Jean IV ot Giisson) qui stimulaient à l'envi le
développement, le perfectionnement de l'art delà guerre, la seconde
moitié du XIV* siècle (depuis la bataille d Aurai, i364J fut, en
Bretagne, pour l'architecture militaire, les châteaux et les villes
fortes, une époque féconde, notable^ dont nous devons signaler
ici le caractère et les plus remarquables monuments.
Depuis la constitution de la iéodalité territoriale, l'art militaire
avait fait du chemin.
Au XI* siècle, le type de la forteresse, c'est la tour de bois juchée
sur une butte de terre artificielle (la motte féodale), entourée d'en-
ceintes formées de remparts de terre, de palissades et de larges
OSdés.
Au XII* siècle, plus de motte féodale^ du moins rarement elle
persiste ; ce qui caractérise la forteresse de cet âge, c'est le donjon,
tour puissante, très forte, très haute, d'ailleurs de diverses formes,
HEGNE de JEAN IV '«31
tantôt circulaire, tantôt carrée ou polygonale, etc. Autour d'elle
une petite enceinte médiocrement défendue, servant seulement de
chemise au doi^on qui est à lui seul, pour ainsi dire, toute la forte-
resse. En Bretagne, on n'en peut citer qu'un seul de ce genre,
Trémazan'.
Au XIII* siècle, le château du moyen âge se complète, se per-
fectionne ; il se compose essentiellement de trois parties :
i^ Le baile ou avant-cour, première enceinte, dont le rôle est
de couvrir l'entrée de la place, de permettre à la garnison d'en
sortir et d'y rentrer facilement ;
a"" Le corps de la place, consistant dans une enceinte étendue,
forte muraille flanquée de fortes tours, pouvant se défendre par
elle-même ;
3^ Le donjon, qui est la plus puissante tour du château, qui
prend part à la défense de l'enceinte mais peut s'en isoler et,
si Tenceinte est forcée, servir de refuge suprême aux défenseurs de
la place.
Au XIV* siècle, ce plan persiste et le rôle du donjon est le même.
En Bretagne, nous n'avons guère de donjons authentiques du
XIII* siècle, les plus beaux qui nous restent sont du XIV* et même
de la seconde moitié de ce siècle, de l'époque de Glisson et de
Jean IV. Bornons-nous à en citer quelques-uns.
On ne peut rien dire de cette grosse tour de l'Hermine qui servit de
prison à Glisson, car du château de l'Hermine il ne reste rien. La
tour dite du Connétable, dans l'enceinte actuelle de Vannes, n'a cer-
tainement point détenu Clisson^ et Glisson ne l'a même pas connue
car elle n'est que du XV* siècle. Pourtant il existe encore à Vannes,
entre cette tour du Connétable et la Porte-Prison ou porte Saint-
Patern , de longues courtines à mâchicoulis, plus vieilles certaine-
ment que le XV* siècle^ et où l'on doit reconnaître^ conmie dans la
Porte-Prison (aujourd'hui lamentablement détruite), l'œuvre du
duc Jean IV .
Hais où il n'y a pas à hésiter, c'est à Dinan et à Saint-Servan. A
* En la commune d« Lan4uovex, canton de Ploudalmézau, arrondisiement
de Breit (PinUtère).
433 COURS D'HISTOIRE DE BRETAGNE
Saint-Servan la tour Solldor, à Dinan le château sont certainement
deux œuvres de Jean IV ; le fait est prouvé par des titres authen-*
tiques venus jusqu'à nous. Ces deux édifices sont incontestable
ment deux donjons^ au vrai sens, au sens technique du mot, el
même deux donjons des plus remarquables.
Dans deux actes des 3 et 3o août i38a, que nous avons cités
plus haut (p. Âi6-4i8), Josselin de Rohan, évéque de Saint-Malo,
dénonce la construction toute récente de la tour Solidor par le duc
Jean IV et Tusage qu'en faisait ce prince, alors en guerre avec les
Malouins, pour bloquer leur ville par terre el mer'. Le style et le
plan de ce donjon sont dignes de cette époque (fin du XIV* siècle
et commencement du XV*) qui, en Bretagne du moins, sut mieux
que toute autre allier dans les constructions militaires Téiégance
et la force. Cette forteresse consiste en trois tours cylindriques
hautes d^une vingtaine de mètres, reliées entre elles ou plutôt
soudées par d'étroites courtines. Rien de gracieux comme ce donjon
trilobé^ dressant jusqu'au ciel ses trois hautes colonnes monimien*
taies de granit doré, dont le ton chaud s'enlève sur les bruns coteaux
de la Rance ou sur le bleu de la mer.
Le château de Dinan n'est pas, lui, un trilobite monumental,
mais, si le mot était d'usage, un bilobite, car il est formé de deux
tours cylindriques (hautes de 34 mètres), réunies par deux étroites
courtines, Tune (la courtine de l'ouest) portée en saillie, l'autre
(à l'est) en retrait entre les deux tours. La forme générale du plan
est ovale. L'édifice a le même aspect de force et de légèreté que la
tour Solidor ; il a pour parure spéciale une couronne de mâchi-
coulis à arcades trilobées, portées sur des consoles qui s'effilent
et descendent le long de la muraille en menus pilastres d'un effet
très élégant. Un document authentique, découvert aux Archives
des Côtes du-Nord par M. Anatole de Barthélémy, prouve que le
* tt In quodam Castro seu forlalilio vocato Stiridort, quod prefalus dominus
dux (Jeau IV) nuperet de novo edilicari fecit » (D. Morice, Preuves, II, 439).
Le nom primitif breton (car on a parlé breton dans cette région du Yi* au X*
siècle) est Steirdor, de ster ou steir, rivière, et dor, porte. Le français venu,
qui ne comprenait plus ce nom, en fit Stredor, btridor, SUridor, enfin par
euphonie Solidor.
RÈGNE DE JEAN IV 433
duc Jean lY avait connAencé cette construction dès i38a et donne
le nom de l'habile architecte, Etienne Le Tur^
En regard de ces deux œuvres du duc Jean IV plaçons main-
tenant une œuvre du connétable. Il avait beaucoup bâti, beaucoup
de châteaux et de donjons, entre autres, selon d*Argentré\ ceux
de Josselin, de Montcontour, de Blain, deClisson.
Le donjon de Clisson seul subsiste ; c'est une grosse tour de
orme circulaire, dun très grand diamètre, d'au moins cent
pieds de hauteur, accostée d'une tourelle semi-circulaire contenant
l'escalier et les retraits ou cabinets. Il n'y arien là de donné à Tart
ou à l'élégance, comme dans les deux donjons précédents ; ce qui
domine, ce qui éclate, c'est un caractère de force et de puissance,
une solidité massive et inébranlable : du bord de la Sèvre, le front
de ce géant semble se perdre dans la nue ; c'est bien là le roi de la
marche bretonne barrant fièrement le passage à l'envahisseur.
Citons encore deux beaux donjons du même temps, qui ne sont
ni de Clisson ni de Jean IV, mais bâtis sous l'influence du mou*
vement dont ces deux grands personnages étaient les promoteurs,
peut-être même sous l'influence directe de Jean IV, car les deux
seigneurs qui les ont bâtis étaient de fidèles partisans du duc,
jouissant de toute sa confiance.
Je veux parler de la célèbre ioar dElven près de Vannes et de la
tour d'Oudon près d'Ancenis : celle-ci bâtie certainement en iSga
par Alain de Maies troit, celle-là par le frère aine d'Alain, par Jean II
de Malestroit, sire de Malestroit et de l'Argouët, immense fief
(l'Argouët) dont la tour d'Elven était le chef-lieu.
Si les deux constructeurs étaient frères, leurs deux donjons le
* Par lettres du 3 Dovembre i38a, le duc Jean IV ordonne à Patri de
Châteaugiron, a garde de la ville et pay^ de Diaaii, » de faire priser « les places
et mesons » nécessaires a pour l'augmentacion de Tédifice et meson, que nous
avons ordonné (dit le duc), puix naguyères eucommencer en nostre dicte ville »
soas la direction de « Estienne Le Tur, maistre de ladicte euvre. » Voir Odo-
ricU Recherc?ies sur Dinan (iSSy), p. ^46-1^9; et Mahéo, JVo/ice historique
sur le château de Dinars (sans date), p. aS-ab : ces deux éditions soiit pas-
sablement fautives. — L'opinion très récente qui, sans aucune sorte de preuve,
veut attribuer à Anne de Bretagne la construction du donjon est, au point de
vue de Tarchéologie comme à celui de Thistoire, absolument insoutenable.
> Histoire de Bretagney édit. 161 8, liv. X, chap. 3, p. 6A3.
4:i4 COURS DHISTQÏRE DE BRETAGNE
sout aussi ; ils se ressemblent beaucoup. Ce sont deux énormes
tours octogonales ; mais Elven est un octogone régulier de neuf
mètres de côté, Oudon un octogone allongé ayant deux grands
côtés^ deux moyens, quatre petits. Elven a 44 mètres de hauteur
(i Sa pieds), Oudon 3o mètres (90 pieds) seulement. Aussi Alain
de Maiestroit, qui Ta bâtie, était-il le cadet de Jean de Malestroit,
constructeur d'Elven. Les murs d'Etven ont cinq mètres d'épaisseur,
ceux d*Oudon trois mètres : ici encore entre Tainé et le cadet la
distance est observée.
Mais les deux tours ont un même caractère d*élévation élégante,
on pourrait même dire légère, malgré leurs vastes dimensions.
L'une (Oudon) se dresse au bord de la Loire, sentinelle vigilante
du fleuve, prête à barrer le passage à toute invasion suspecte.
L'autre (Elven) domine de sa tête chenue les sommets d'un grand
bois, dernier reste de Timmense forêt qui avait donné son nom à
la seigneurie de l'Argouët. Elven a de plus une couronne de mâ-
chicoulis aux arcatures tréflées et moulurées d'un beau style, et
qui rattache tout à fait ce donjon au style des édifices de Jean IV,
où la force s'allie toujours à lelégance, et souvent à la finesse de
Tomementation.
Parmi les constructions militaires encore subsistantes que l'on
doit rapporter à Jean IV — outre celles dont j'ai parlé — il faut
noter les belles ruines du château de Sucinlo dans la presqu'île de
Ruis — la tour de Cesson près Saint-Brieuc (encore un donjon) —
les parties les plus anciennes de Venceinte de Dinan, qu'il avait
probablement reconstruite tout entière, entre autres les portes du
Jersualetde Saint-Malo, celle-ci très originale, l'autre si élégante.
Jean IV a certainement fait construire bien d'autres châteaux,
donjons, enceintes urbaines. Mais la plupart de ces constructions
ont été depuis lors détruites ou remplacées au siècle suivant par
des œuvres d'un autre style. Il en reste assez toutefois pour per-
mettre d'apprécier l'importance du règne de ce prince dans cet
ordre de choses.
Jean IV s'intéressait vivement aussi à la grande révolution qui,
de son temps, s'annonçait dans l'art militaire par l'emploi, rare
encore cependant , des armes à feu.
RÈGNE DE JEAN IV 43ô
Il est le premier de nos ducs, à ma connaissance, qui ait eu un
maitre de l'artillerie : Guillaume Garnac en iSgo, auquel succéda
Tannée suivante son fils probablement, Jean Garnac' .
Il faisait fabriquer des canons à Nantes sous ses yeux, par un
(( canonnier » ou fabricant de canons appelé Edouart. — Au siège
de Brest, en 1887, il avait^ nous Tâvons vu, des canonniers. — Et
Tannée précédente, quand il envoya trois navires chercher en
Espagne sa fiancée Jeanne de Navarre, ces navires étaient
armés de canons.
Nous avons les inventaires de deux places fortes de Bretagne
dressés après sa mort, Aurai et Vannes. Aurai n'a que deux pièces
d'artillerie, dont u un grant cannon sur son portai » ; mais Vannes
en possède déjà dix-sept ; et un mauvais petit château seigneu-
rial appelé Frinodour (situé au confluent du Trieu et du Lefl, en la
paroisse de Quemper-Guézenec) était déjà, à la même date (i4oo),
armé de six canons, ce qui est énorme à cette époque pour une
paceille bicoque et montre combien Tusage de Tartillerie était dès
lors en faveur chez les Bretons.
En tout cela assurément Ton doit reconnaître l'influence du duc
Jean IV, de son zèle et de sa constante vigilance pour les progrès
de Tart militaire.
(A suivre.)
Arthur de la Borderie^
Membre de VInstiluL
■Compte inédit de i3(ji.
LE SIÈGE DE NANTES*
(29 JUIN 1793)
Avant d*entrer dans ledétail des opérations militaires, résumons
le plan d'attaque des Vendéens contre Nantes. La première co-
lonne, celle de Bonchamps, avec Stofllet et Donnissan, était chargée
du combat traînant. Elle devait attaquer au nord-est, entre la rive
gauche de TErdre et la prairie de Mauves, située au nord de la
Loire. La deuxième colonne, la plus importante, avec d*Elbée com-
mandant en chef, Gathelineau et Talmont, était chargée de passer
TErdre et de prononcer l'attaque principale par les routes de Rennes
et de Vannes. Elle marchait enfre la rive droite de l'Entre et la
Loire. Sur la rive gauche de TErdre s'avançaient, pour relier ces
deux colonnes, des corps intermédiaires commandés par Fleuriot et
d'Autichamp, ce dernier rejoignant la colonne Gathelineau. Les
armées de Charelte et de Lyrot de la Patouillère et d'Esigny —
qu'il faut se garder de confondre, — la première venue de Legé et
restée sur la rive gauche de la Sèvre, la seconde venue du Loroux-
Bottereau, opérant sur la rive droite de la Sèvre, aux Clions, à la
Louée, d'où elle avait chassé Beysser — avaient pour objectif. Tune
Pont-Rousseau et le passage de la Loire sur ce point, l'autre la côte
Saint-Sébastien, le faubourg de Saint-Jacques et le passage de la
Loire sur ces points. L'armée, comme l'a très bien dit Savary,
« attaquait sur quatre points et tout autour de la ville ouverte de
toutes parts. ))
Le 37 juin, Gathelineau et d'Elbée attaquèrent le bourg de Nort
(improprement nommé par le représentant Ghoudieu faubourg de
* Elirait de D*Elbée généralisiimet ouvrage en préparation.
LE SIËGE DE NANTES 43^
Nantes dont il est éloigaé de trente kilomètres), pour de là tomber
sur Nantes en attaquant le camp de Saînt-Georges. Il y avait à
Nort le 3* bataillon de la Loire-Inférieure, sous les ordres de Meuris,
600 hommes secondés (selon Savary) par une partie de la garde
nationale de l'endroit et ayant du canon. Crétineau-Joly dit que
le poste était encore défendu par 4oo hommes de ligne commandés
par le marquis de Fumel, mais cette assertion n'est pas confirmée.
Le combat s'engagea le soir, la colonne d'attaque étant partie
d*Ancenis le 27 et ayant eu, pour arriver à Nort, vingt-sept kilo-
mètres à parcourir. Parmi les nombreux récits^ celui de Beau-
champ nous a paru le plus clair : « Le 37, dit cet historien, d'Elbée
« attaque le poste du bourg de Nort pour de là tomber sur Nantes
« et prendre le camp de Saint-Greorges à revers. A cette nouvelle,
« le général Canclaux accourut au camp de Saint-Georges pour
€ faire partir un renfort qui ne put arriver assez tôt. Nort n'était
« défendu que par le 3** bataillon de la Loire*Inférieure. Cette pol-
(( gnée de braves commandés par Meuris soutint pendant douze
€ heures le feu continu de l'avant-garde royaliste. D'Elbée, dé-
« courage par la résistance qu'il éprouvait et croyant avoir à com-
« battre une armée entière, allait ordonner la retraite, lorsqu'une
c( femme échappée de Nort put lui assurer qull n'était défendu que
« par 4oo hommes. D'Elbée attaqua de nouveau et fit lui-même des
« prodiges. Réduits à cinquante hommes, les républicains éva-
(( cuèrent le poste et emportèrent avec eux leurs drapeaux ; dix-sept
« de ces braves purent seulement rentrer à Nantes. » Nous croyons
que l'attaque de Nort fut un combat de nuit, une surprise, que
l'énergie des défenseurs fit échouer ; les avantages de l'heure et du
terrain expliquent, toute question de bravoure mise à part, com-
ment quelques centaines de républicains ont pu résister pendant si
longtemps à quelques milliers de Vendéens. Sur cette question de
Fheure du combat et sur celle de l'intervention de d'Autichamp,
nous avons le témoignage du récent historien de d'Autichamp,
M. Ch. d'Availles : « A la nuit tombante^ le détachement (c'est-
« à-dire le détachement d'Autichamp chargé de maintenir les
tt communications entre la colonne Cathelineàu et la colonne
f Bonchamps) et la première colonne se trouvaient devant
438 LE SIÈGE DE NANTES
« Nort. Mais ce passage que Ton espérait effectuer sans coup
(( férir fut au contraire extrêmement difficile. Retranchés der-
tt rière l'Erdre, assez forte sur ce point, 600 républicains comman-
« dés par le ferblantier Meuris tinrent tête aux forces vendéennes
a pendant toute la nuit, et d'Elbée allait donner le signal de la
(( retraite lorsque d'Autichamp, en traversant un gué, parvint à
« tourner l'ennemi et à dégager la position. » Dans V Histoire de
Bretagne de MM. Lescadieu et Laurant (i836) nous lisons déjà :
€ Une nouvelle attaque est ordonnée, d'Autichamp passe une
chaussée au-dessous de Nort avec 3oo Bretons d'élite et emporte le
bourg. » Cette intervention de d'Autichamp tournant la position
parait certaine. MM. d'A vailles et Beauchamp sont les seuls qui at-
tribuent à d'Elbée une pensée de retraite bien peu conforme à la
ténacité de son caractère. Le Bouvier des Mortiers, qui ne le mé-
nage pas, dit simplement : « L'armée avait été retardée dans sa
u marche par l'attaque de Nort. M. d*Elbée n'avait pas voulu laisser
u ce poste qui pouvait Tinquiéter sur ses derrières et il comptait
« l'emporter du premier assaut. Mais le brave Meuris soutint pen-
« daut douze heures le siège.... » Nous voyons là pourquoi les
Vendéens ont attaqué Nort, faisant un long circuit au lieu de
passer l'Erdre plus près de Nantes. Nous trouvons bien aussi la
mention de deux assauts, et la version de M''* de la Bouère qui
retient d'Elbée à Ancenis le 27 reste très acceptable : le général a
ordonné l'attaque de Nort, il dirige tout d'Ancenis ; à la nouvelle
de la résistance imprévue qui tient en échec son avant-garde, il
arrive en hâte, et sa présence, jointe à l'heureuse diversion de d'Au-
tichamp, permet d'enlever la position. Dans ce combat glorieux
pour les vaincus et si acharné qu'on y brûla, selon M"* de la Bouère,
plus de 5oooo cartouches^ Cathelineau et d'Elbée commandent les
Vendéens, mais on ne voit Cathelineau ni diriger ni agir. D'Elbée
a tout ordonné et Beauchamp nous dit qu' u il fait lui-même des
prodiges ».
En attaquant Nort, d'Elbée avait voulu supprimer le seul ob^
stacle qui le gênât pour tourner le camp de Saint-Georges qu'il
savait garni de troupes et n'osait aborder de front ; malgré la lon-
gueur d'une résistance qui permit à Canclaux de faire entrer des
LE SIÈGE DE NANTES 4:31)
munitions à Nantes, il atteignit son but : faire lever le camp, seul
ouvrage avancé et principale défense de la ville. Canclaux, en efïet,
ne trouva plus sa position sure, il ne couvrait plus les routes de
Vannes et de Rennes, au pouvoir de d'Elbée ; il voyait, par la route
de Paris, s'avancer les colonnes de Bonchamps et de SlofQet qui,
le 18, vers cinq heures du soir, attaqua son avant-garde> mais
n'échangea avec elle que quelques coups de fusil, u A dix heures 0 ,
dit-il dans son rapport que les historiens se sont bornés à para*
phraser, « l'avant garde est venue me rejoindre. Les représentants
du peuple (Merlin de Douai et Gilet) étaient seuls dans ma confi*
dence. Tout était disposé pour la retraite que personne ne s'en
doutait. A onze heures et demie elle s*exécute dans le plus grand
ordre. A peine rentrés dans la ville, l'attaque a commence à deux
heures et demie du côté des Ponts. Bientôt après, la canonnade s'est
fait entendre tout autour de la ville ; à 10 heures elle était extrê-
mement vive aux portes d*Ancenis et de Rennes. » Nous avons cité
ces dernières phrases du rapport de Canclaux pour répondre tout
de suite à une grave accusation de lenteur qui pèse sur d'Elbée.
On peut lire dans Beauchampque la prise de Nort retarda extraor*
dinairement sa marche et qu'en n'arrivant que le 29 à dix heures à
la porte de Rennes, il dérangea la combinaison d'apiès laquelle
tous les chefs vendéens devaient simultanément attaquer Nantes
au point du jour. Dans le rapport de Canclaux, tel que nous l'a
transmis Savary, nous lisons bien quart détachement parti du camp
de Saint-Georges a arrêté la poursuite des rebetles. On nous signale,
d'autre part, une phrase du rapport original où Canclaux dit avoir
eu l'intention de réunir toutes ses forces pour faire une trouée au
travers de Tarmée de d'Elbée et aller retomber sur Nort. Mais
ce projet de Canclaux n'a reçu aucun commencement d'exécution
et c'est une simple escarmouche que mentionne le rapport. On s'ex*-
plique difficilement, le passage de TErdre ayant été forcé le a8 à
cinq heures du matin, que d'Elbée ne soit entré en ligne qu'à dix
heures le lendemain et qu'il ait mis aussi plus de a4 heures à faire
les 3o kilomètres de Nort à la porte de Rennes. 11 dut donner du
repos à ses hommes fatigués par un long et terrible combat de
nuit ; peut-être s*arrêta-t-il à faiie des reciucs sur la roule, ou
TOME IX. — JUIN 1893. 29
440 LE SIÈGE DE NANTES
trouva-t-il des chemins que son artillerie eut peine k traverser.
Mais sa justification nous semble résulter du rapport même de
Ganclaux. Ce rapport dit, en effet, que bientôt après deux heures et
demie du matin la canonnade se fit entendre tout autour de la ville ;
qui donc tirait alors le canon à l'entrée de la route de Rennes si ce
n*était la colonne de d'Elbée ? Si la canonnade était très vive à lo
heures, c'est qu*à ce moment le combat était le plus acharné, mais
il avait commencé sur tous les points au petit jour et nous croyons
que d'Elbée était à son poste à la porte de Kennes^ comme Bon-
champs au sien à la porte de Paris.
Le a8 juin, à ii h. i/a du soir^ toutes les troupes républicaines
étaient rentrées dans la ville, car, devant une reconnaissance de la
cavalerie de Gharette, Beysser avait évacué le bourg des Sorinières,
le faubourg de Pont-Kousseau et ne s'occupait plus que de la dé-
fense des Ponts. Â l'aspect de la formidable attaque que les Ven-
déens préparaient^ l'alaime fut vive à Nantes. Beauchamp dit qu'il
y eut conseil de guerre. Le général Bonvoust, qui commandait
Tartillerie, trouvait audacieux ou insensé de défendre une ville
ouverte dont les abords n^étaient pas même protégés par des
ouvrages avancés. Les conventionnels Merlin et Gilet, aussi peu
braves que leurs collègues d'Angers, se rangèrent à cet avis et
proposèrent Tévacuation. Quel fut alors le rôle de GanclauxT
Beauchamp dit qu'il conforma son opinion à celle de Bonvoust et
des représentants ; mais les auteurs de Victoires et Conquêtes dxseni
qu'il s'éleva avec force contre cet avis, répondant de la sûreté de
la ville si l'on voulait suivre ses conseils, et d'autres historiens
(MM. Lescadieu et Lauranl) ajoutent a qu'il jura de mourir au
poste que l'honneur lui avait assigné ». Il est douteux que le froid
et mesuré Ganclaux se soit prononcé aussi catégoriquement ; mais
ce très habile militaire mit au service de la cause ses talents, son
sang-froid, sa ténacité. Une fois la décision prise — et la décision
fut prise, à n en pas douter, par les dépu talions des sociétés popu-
laires et le maire girondin Baco unis à l'enthousiaste Beysser dans
un patriotique élan — Ganclaux prit à la hâte ses dispositions de
défense : c'étaient des barrières garnies de canons qui fermaient
les issues de la ville, des bateaux armés qui stationnaient sur la
LE SIÈGE DE NANTES 441
Loire, des batteries qui protégeaient la ville et le cours du ileuve
à l'ouest et à l'est. Avant d avoir abandonné Pont-Rousseau aux
royalistes* qui s'avançaient en nombre par la route de Machecoul,
Beysser avait placé dans la prairie Oriliard, sur la rive droite de la
Sèvre, une pièce de 18 qui balayait la roule de l'autre côlé de la
rivière, et il avait fait abattre les arbres qui pouvait nuire au tir
de son arlillerie. Si le pont de la Sèvre, ou Pont- Rousseau, fut coupe
alors, on s'expliquerait mieux Tinaclion de Charelte pendant
l'attaque du lendemain. Le Bouvier des Mortiers parle d'un pont
coupé, mais lequel? « On coupa, écrit-il, un pont très élevé, sur
« la Loire, du coté du faubourg Saint-Jacques, et on y établit
« une batterie, ce qui rendit l'entrée de la ville impossible de ce
cùlé. » Le pont en question serait le très ancien pont de Pirmil,
autrefois défendu par une forteresse dont il subsiste des vestiges.
Comment admettre pourtant que ce pont de bois et de pierre, long
de plus de 260 mètres, ait été coupé si rapidement et sans
qu aucun des autres historiens de la ville et de la guerre ait men-
tionné un fait de cette importance ? Comment se peut-il aussi que
Canclaux ait placé au faubourg Saint-Jacques l'adjudant général
Boisguillon et des gardes nationales avec un pont coupé derrière
lui? S'il y eut un pont coupé, ce lut, croNons-uous, le Pont-
Rousseau, sur la Sèvre, qui est fort court et était construit en bois.
Dans son désir constant d'excuser Charette. Le Bouvier des
Mortiers s'est fourvoyé ; notre supposition, d'ailleurs, cadrerait
mieux avec son système, puisque Charelte était à Pont- Rousseau';
c'est Lyrot (jui était à Saint- Jacques. Turrcau qui — pas plus que
Canclaux dans son rapport — ne dit un mot des ponts coupés,
explique ainsi la situation critique de Nantes au moment de
l'attaque : « Nantes, ouvert de tous cotés en deçà de la Loire, présen-
« tait une contrevallation de près de deux lieues d'étendue et
« semblait ne pouvoir faire aucune résistance. Les seules fortifica-
« lions étaient quelques bouts de fossés, quelques parapets ou
« épaulemenls faits à la hâte. On avait augmenté le nombre des
« bouches à feu de quelques pièces de gros calibre empruntées à
u la marine, mais les dehors, les avances delà ville ne présentaient
« pas de positions, d'emplacements avantageux pour attendre un
« grand effort de l'artillerie. »
442 LE SIKGE DE iNANTES
Nous avons vu que, dès le a8 au soir, une reconnaissance de la
cavalerie royaliste avait amené Bevsser à abandonner la partie du
faubourg de Pont-Rousseau située au delà de la Sèvre : Charelte
arriva sans coup férir jusqu'à la rivière. Voici, d'après son histo-
rien, comment il disposa son artillerie : « Deux pièces à Rezé, qui
pointaient sur la pompe à feu de la Chésine ; trois pièces en face
de Pont-Rousseau ; le reste de ses canons aux Trois-Moulins. Ce fut
cette artillerie qui, le 29, vers a heures du matin^ donna le signai
de Tattaque. Si l'heure avait été désignée, Lyrot et Charette furent
seuls exacts : le premier se déployait depuis les Sorinièreset côtoyait
le faubourg Saint- Jacques, défendu par les gardes nationales de Bois-
guillon, et occupait sur sa droite la côte Saint-Sébastien ; le second
engageait sur les positions républicaines une canonnade bien
nourrie. Beauchamp a présenté cette première phase de Faction
d'une façon très dramatique : « Il régnait un profond silence dans le
« court intervalle qui sépare la nuit du jour. Les patriotes accablés
a se livraient au repos; la garde seule veillait. Tout à coup Tar-
« tillerie de Charelte commence son feu ; le bruit redoublé du
a canon, le son des instruments guerriers appellent les Nantais au
« combat ; Tennemi s'avance. Les divisions du Bas-Poitou se dé-
« ploient au delà de la Loire sur tous les points accessibles de la
« rive gauche pour les attaquer à la fois. Mais, quoique bien ser-
ti vie, Tartillerie de Charelte ne cause que peu de dommage; celle
(( des républicains, ménageant son feu, est tellement bien dirigée
« qu'elle abat trois fois le drapeau blanc qui flottait au delà de la
« Loire, d Les gardes nationales nantaises, qui seules défendaient
la ville de ce côté (le bataillon des Côtes-du-Nord était rentré), ne
se bornèrent pas à un échange de boulets de canon : le poste de
Saint- Jacques, commandé par Boisguiilon, fit une vigoureuse sortie
contre Lyrot et le repoussa sur la route de Clisson, lui enlevant
deux canons ; mais le commandant de l'artillerie royaliste fit placer
sur le bord du jardin et dans les prés de la Morinière deux pièces
qui prirent les républicains en queue, et ceux-ci, abandonnant
leurs captures et même un de leurs propres canons, furent pour-
suivis à leur tour jusqu'à l'entrée du faubourg de Saint- Jacques.
Le Bouvier des Mortiers, à qui nous empruntons ces détails ne
LE SIÈGE DE NANTES 443
nomme point ce commandant de Tartillerie, mais la Morinière étant
sur la rive gauche de la Sèvre et dominant la route de Clisson, ce
futCharette, sans doute, qui plaça du canon sur ce point et (it cette
heureuse diversion. Charette avait mieux à faire, ou plutôt avait à
poursuivre une attaque qui à ce moment s'annonçait bien. Ne
devait-il pas franchir le pont de la Sèvre et attaquer le faubourg
Saint-Jacques parle flanc, quand Lyrot l'attaquait de front ? Il a ca-
nonné à distance, il n*a pas marché, il a permis ainsi à la partie de
la colonne de Boisguillon qui s*était imprudemment aventurée
de regagner le poste de Saint Jacques d'où, selon Beauchamp, elle
contint pendant Vaction les royalistes. On put même plus tard di-
riger sur la porte de Paris^ plus menacée, les défenseurs du poste
de Saint-Jacques. Il est difficile d'admettre que Charette avec ses
i5 ooo hommes n*ait pu prendre le faubourg et en chasser quelques
centaines de gardes nationaux. Si, comme le prétend Le Bouvier
des Mortiers, son apologiste, il avait devant lui un pont coupé,
que n'a-t-il cherché au moins, comme Ta fait Lyrot, à rassembler
quelques bateaux et à jeter sur la rive droite de la Loire un déta-
chement qui eût donné la main aux colonnes angevines? MM. Les-
cadieu et Laurant, écrivant dans le sens du rapport de Ganclaux, ont
qualifié à^faasse attaque la manifestation de Charette. Louis Blanc
avance qu'il ne pouvait guère sans pontons ni bateaux faire plus
qu*il n'a fait. Malgré tout, et mâme malgré une consigne dont son
indépendance habituelle ne pouvait lui faire une loi, son inac-
tion de i5 heures avec toute une armée immobilisée derrière la
Loire est bien étrange. S'il faut l'expliquer par la jalousie, par le
dépit d'avoir vu rejeter le plan dont Le Bouvier des Mortiers parle
mystérieusement, certaines appréciations de d'Elbée, qui se souve-
nait, dit Turreau, des moindres circonstances des combats où il
avait assisté, s'éclaireraient d'un jour singulier.
Le vrai, le seul combat, eut lieu sur la rive droite de la Loire,
sur les routes de Paris, de Vannes, de Rennes, presque parallèles,
et formant la triple entrée de Nantes de ce côté. La colonne de
Bonchamps, débouchant de la route de Paris, pénétra dans le fau-
bourg Saint-Clément et chercha à opérer sa jonction avec Ga-
thelineau et d'Elbée. M""* de Bonchamps a dit dans ses Mémoires :
444 LR SIÈGE DE NANTES
« M. de la Fleuriays (Fleuriol de la Fleuriays), qui commandait
« Tavant-gardede mon mari, attaqua la porte de Paris et fut tué,
tt M de Mesnard eut le même sort. Néanmoins M. de Bonchamps
<( pénétra jusqu'au laubourg. Les compagnies bretonnes avan-
« çaient au pas de charge. » C'est tout, et c'est peu pour un fait de
cette importance. Mais M"' de Bonchamps, à portée d'être bien
renseignée, affirme que son mari était là, M"' de la Rocbejaquelein
prétend qu'il n'y était pas et que laltaque fut menée par Fleuriot,
M"'' de la Bouère, dont le mari faisait partie de la division de
Bonchamps, apporte dans ses SouvenirSy récemment publiés, une
nouvelle version, d'après laquelle Bonchamps aurait commencé
l'attaque dès le matin ; elle dit qu'ayant appris par des reconnais-
sances « que les Nantais étaient sur le champ de bataille et que
rien n'annonçait la grande armée », il ordonna la retraite. M™'' de
la Bouère n'indique pas l'heure exacte à laquelle aurait eu lieu
celle retraite ; mais comme elle nous a dit que Bonchamps attaqua
à rheure fixée (2 heures 1/2 du matin), et qu'il envoya ses recon-
naissances une heure après, il faudrait admettre que la
retraite se fit bien avant le moment où tous les historiens nous
signalent la lutte comme ayant été la plus acharnée sur la route de
Paris (vers 10 heures). Du récit de M"* de la Bouère nous pouvons
retenir que Bonchamps n'était pas en sûreté du côté de son aîlc
droite, d'Autichamp, qui commandait celte aile, s'étant écarté du
gros de la colonne dès l'attaque de Nort et ayant donné la main à
larmée angevine ; mais ce récit, qui serait grave pour la mémoire
de J3onchamps, qualifiant de promenade militaire un mouvement
rétrograde qui aurait élé une véritable reculade, l'abandon du
champ de bataille au moment du danger, ce récit est en
contradiction formelle avec tout ce qui a été écrit sur le
siège de Nantes. Sans parler même du brave Bonchamps dont la
présence à Nantes, malgré ce que nous avons cru pouvoir
dire de son approche, est fort contestée, l'honneur de sa division
décimée par l'ennemi, de Fleuriot commandant de Tavanl-garde
qui tomba mortellement atteint, est ici en jeu. Interrogeons
quelques historiens. « L'avant-garde de Bonchamps, à peine
« arrivée par la porle de Paris, » dit Bsauchamp « fondit sur les
LE SIÈGE DE NANTES 445
€ avant-postes du faubourg Saint-Clément ; Fleuriot de la Fleuriays
ce ainé^ qui la commandait, encourageait les Vendéens par son
c( exemple. » Beauchamp raconte ensuite la mort de Fleuriot, il ne
dit pas formellement que Bonchamps, était à Nantes ; son récit
emprunte à M"^* de Bonchamps la phrase sur la charge des
compagnies bretonnes et au rapport de Ganclaux une phrase sur
Tacharnement du combat à lo heures. Crétineau-Joly dit de son
càté, affirmant la présence de Boncaamps : « Bonchamps, La
(' Bouère, Fleuriot aîné et d'Âutîchamp se précipitent sur la porte
({ de Paris. Fleuriot est emporté par un boulet, d'Autîchamp prend
« sa place, il a deux chevaux tués sous lui, de Mesnard est mor-
(( tellement atteint d'un coup de feu dans la poitrine, d Notons
qu'ici d'Aulichamp est bien représenté comme ayant rallié son
chef Bonchamps, dont il s'était séparé la veille pour passer l'Erdre
et prendre part à l'attaque de Nort. M. d'Availles, le biographe de
d'Autichamp, dit plus catégoriquement que la division de Saint-
Florent, sous Fleuriot et d* Autichamp, avait rejoint le corps principal;
ce fut plus tard que d'Autîchamp, ayant emporté le faubourg Saint-
Donatien, se rapprocha de Cathelineau et, quand celui-ci tomba,
couvrit la retraite. Que l'on interroge les historiens royalistes ou le
rapport de Ganclaux, le combat soutenu par Tavant-garde de
Bonchamps apparaît très vif^ puisqu'il coûte la vie à Fleuriot, à
Mesnard et à de nombreux soldats, heureux en somme pour les
Vendéens puisque d'Autichamp s*empare du faubourg Saint-
Donatien, tout voisin de la chaussée de Barbin, d'où les batteries
vendéennes mitraillent la place du Département. Quant à la divi-
sion même de Bonchamps, avec ou sans son chef, elle ne lâcha pas
pied dès le début de l'action, comme l'a prétendu M""* de la
Bouère, puisqu'elle était encore engagée à lo heures, mais elle
hésita, combattit mollement (c'est le mot souvent cité], et avança
trop peu pour seconder l'attaque principale de Cathelineau et de
d'Eibée.
A l'appui du rapport de Canclaux, qui établit que bientôt après
2 heures i/a du matin la canonnade se faisait entendre tout autour
de la ville et que^ par conséquent, la porte de Rennes était alors
attaquée par l'avant-garde de l'armée angevine, on peut citer la
446 LE SIÈGE DE NANTES
phrase suivante de VHistoire de Nantes de MM. Lescadîeu et Lau-
rant : « Sur les siic heures du matin, on apercevait de i*observatoire
« de Saint- Pierre des flots d'insurgés qui arrivaient par la route
« deRennes avec i4pièces de canons ». Les mêmes historiens, bien
renseignés à Tordinaire, disent qu'à 7 heures l'action était engagée
sur tous les points et ils répètent qu'à dix heurs on se battait avec
acharnement sur la route de Rennes. Cathelineau ayant surtout
dirigé son effort du côté de la route de Vannes, il nous parait cer-
tain que la route de Rennes était depuis plusieurs heures envahie
par la colonne de d'Elbée quand elle devint le siège de l'attaque
principale, le point sur lequel Ganclaux déclare s'être toujours tenu.
Cette attaque décisive, les colonnes étant enfin réunies en entier,
n'eut lieu qu'après d'assez longs délais employés en combats
d'avant-garde qui permirent aux laooo défenseurs de s'organiser
sur tous les points. Voici encore un passage de Beauchamp qui
prouve la vigueur de l'attaque des Vendéens, u Déjà Tavant-garde
« de Cathelineau, traînant trois pièces de canon et deux pierriers,
« avait tourné le faubourg du Marchix, tandis que d'Elbée, renforcé
« par 500 Bretons, se jetait sur les chemins de Vannes et de Rennes, u
Donc, s'il y a eu retard, on peut dire que la faute a été rachetée par
la vivacité de l'action. Canclaux sentit tout de suite que le péril
était à la porte de Rennes : il y courut au premier coup de canon,
il y resta jusqu'à la fin. Nous pouvons très bien déterminer quelle
fut la zone d'opération des deux généraux vendéens. Cathelineau
s'étendait sur la droite, il attaquait de front la partie du faubourg
du Marchix qui a pris le nom de rue des Hauts-Pavés, il appuyait
sa gauche sur la route de Vannes ; d'Elbée tenait la gauche de la
ligne avec sa droite joignant Cathelineau sur la route de Vannes,
sa gauche vers l'Erdre, son artillerie menaçant les coteaux de Bar-
bin. (^uant à la cavalerie de Talmont, elle suivait l'extrême droite
de Cathelineau. La défense opposait à Cathelineau et à d'Elbée le
34* régiment de ligne, le 109^, la légion nantaise, le bataillon nan-
tais de Saint- Nicolas, et une batterie placée à Barbin qui allait être
bientôt réduite au silence.
Canclaux — nous tenons à préciser ce point important — ne
parle que du combat soutenu contre d'Elbée, Cathelineau et
LE SIÈGE DE NANTES 447
Talmonl. Pour lui il n'y a qu'une action dans le siège de Nantes
et elle a lieu aux portes de Rennes et de Vannes ; il mentionne la
canonnade de Saint-Jacques ou de Pont-Rousseau (Charetle), la
canonnade de la route de Paris (Bonchamps), mais il nlnsisle pas
sur les combats qui durent s'engager là ; toutes les troupes dont il
loue la bravoure, le 109'', la garde nationale commandée par le
maire Baco, les canonniers de Paris sous les ordres de Tadjudant-
général Billy, se sont distinguées au poste qu'il occupe lui-même.
Les bistoriens/ d'ailleurs, ne tiennent compte dans leurs récits que
de l'attaque principale, la seule sérieuse. D'après Beauchamp,
dès huit heures l'artillerie de d'Elbée tirait à demi-portée de la
hauteur de Barbin ; audacieuse, bien conduite, elle démonta une
des pièces de la batterie de la porte de Rennes, tuant presque tous
les canonniers. et il faut admettre qu'elle chassa bientôt les répu-
blicains de Barbin puisque nous lisons dans Lescadieu et Laurant :
(( De ce dernier point [les hauteurs de Barbin], l'artillerie catho-
« lique tirait sans interruption ; plusieurs boulets vinrent ébranler
« rhôtel du département où les administrateurs délibéraient. » Les
mêmes historiens enregistrent la marche victorieuse de l'infanterie
vendéenne, qui délogeait Tennemi de sa première ligne de défense
et ils nous montrent d'Elbée au combat : « Sur la route de Rennes,
« disent-ils, la légion nantaise déployaitla plus grande valeur; les
« brigands, à la faveur des blés et des haies, pénétraient dans les
« vergers, les jardins et les maisons, et de là, excités par la voix
€ de d'Elbée, ils mitraillaient presque à couvert. » Le 109*, que
Canclaux considérait comme sa meilleure troupe, fut obligé de
rentrer dans les barrières que la défense avait élevées à la
hâte. Maîtres des hauteurs et des < champs avoisînant la ville,
les royalistes avançaient toujours , s'emparaient des premières
maisons. Si la résistance opiniâtre des républicains arrréta
rélan des assaillants, et si le combat ne dépassa pas les fau-
bourgs^ l'alarme dut se répandre au cœur de la ville. M"*® de la
Bouère dit que l'armée républicaine cherchait à mili un passage
pour quitter Nantes, qu'il y eut même un commencement d'éva-
cuation par la route de Guérande (faubourg de Chantenay), et tout
n'est pas imagination dans cette phrase de Le Bouvier des Mortiers '
448 LE SIÈGE DE NANTES
« La victoire semblait ne pouvoir échapper aux royalistes ;
« déjà même les assiégés avaient retiré deux de leurs pièces,
« ils parlaient d'abandonner la ville et de se renfermer dans le
(c château ; d'autres proposaient de capituler ; des soldats répu-
« blicains, le sac au dos, étaient prêts à quitter la ville. » A ce
moment, Tinexplicable inaction de Charette parmit de distraire les
troupes qui lui étaient opposées à Pont- Rousseau et à Pirmil
(gardes nationales et peut-être bataillon des Côtes -du-Nord) et de
les porter sur les routes de Rennes et de Vannes où le danger
s'aggravait et où, jointes aux premiers défenseurs, elles réussirent
à faire reculer les royalistes. C est alors aussi qu'eut lieu la fausse
manœuvre du prince de Talmont placé, comme nous l'avons dit,
avec sa cavalerie, à l'extrême droite de Cathelineau ; apercevant
des soldats républicains qui se sauvaient par la route de Guérande,
laissée libre à dessein pour faciliter la fuite des Nantais, Talmont
les chargea avec ses hommes et du canon, au mépris des instruc-
tions qu'il avait reçues, et les força à rentrer dans la ville où ils ne
durent plus rien attendre que de leur courage. On peut trouver
Talmont excusable de ne s'être pas souvenu, dans l'ardeur de
l'action, d'une délibération prise plusieurs jours à l'avance au
conseil de guerre d'Ancenis. Celte imprudence put avoir pour
effet de rendre la résistance plus acharnée. Qu'il faille croire ou non
au parti que Beysser, d'après Crétineau-Joly, tira de ces fuyards ra-
patriés, le combat continua et tourna mal pour les royalistes. La
colonne de Bonchamps, qui se tenait à la gauche de l'armée ven-
déenne, vers les faubourgs Saint-Donalien et Saint-Clément, prit
alors une grande part à Taction. Fleuriot ordonna aux compagnies
bretonnes de marcher au pas de charge et reçut, à leur tête, un
boulet qui lui emporta une jambe, le chevalier de Mesnard fut
aussi grièvement blessé ; d'Autichamp qui avait rallié la colonne
en prit le commandement. Il voulut continuer l'attaque et
eut deux chevaux tués sous lui.
Sur les routes de Rennes et de Vannes, Cathelineau et d'Elbée,
ébranlés par le retour offensif de Beysser, ramènent les Vendéens
au combat. Ceux-ci commencent à manquer de munitions et le
feu habilement dirigé des républicains endommage leur artillerie,
LE SIfiGE DE N.VNTES 449
mais, malgré leurs perles, ils tiennent bon et la victoire reste îndécîâe.
Cathelineau tente un dernier effort. <^ Il s'élance, dit M. Port
dans son Dictionnaire^ à la tête d'une bande dévouée de 3oo
« hommes. Il était déjà parvenu, à travers un feu terrible, jusqu'à
« la place Viarmes et voyait Fennemi se troubler. Une balle lui
« brise le bras et pénètre en pleine poitrine. Tout est fini, il
a tombe ; ses Vendéens ne songent plus qu'à remporter et ne
a combattent encore que pour la retraite. » Louis Blanc raconte
que Cathelineau, croyant la ville prise, s'était jeté à genoux et mis à
prier, quand, d'une mansarde voisine, un savetier le coucha en
joue. Nous lisons ailleurs que Cathelineau s était élancé à cheval
pour enlever une batterie qui balayait la route de Vannes et qu'une
bnlle le frappa au moment où les plus braves des siens, ayant pé-
nétré jusqu'à la place Viarmes, étaient déjà tombés. Quoi qu'il
en soit^ la blessure mortelle de Cathelineau ôta tout espoir de
vaincre à ses soldats. « Vainement^ » dit Beauchamp « d'EIbée
chercha à les rallier et à ranimer leur courage, il fut forcé d a-
tf bandonner l'attaque et d'ordonner la retraite. » Cette retraite eut
lieu en bon ordre, pendant que d'Autichamp, suivi de près par la
cavalerierépublicaine,rélrogradait lentement, continuant son feu par
intervalles (nous suivons ici Beauchamp^ beaucoup plus précis que
l'historien même de d'Autichamp, M. d' A vailles). D'EIbéene laissait
ni canons^ ni caissons démontés sur la route de Rennes, quoi
qu'en ait dit après coup le représentant Choudieu, car Canclaux
n'aurait pas manqué de se vanter dans son rapport d'une telle
capture, et il a dit, au contraire : « Plusieurs pièces des rebelles
démontées ont été enlevées par eux ». Canclaux, d'ailleurs, ne
poursuivait pas, il n'était pas rassuré, il s'attendait pour le
lendemain à une nouvelle attaque , comme l'atteste un billet
qu'il écrivit tout de suite à Boulard alors aux Sables -d'Olonne
pour demander du secours. Ce billet est du 3o juin et la retraite
de l'armée vendéenne avait commencé la veille à 4 h. Nous ne
savons si ce fut dans la soirée du ag ou le 3o qu'eut lieu un
engagement de la division Bonchamps avec les chasseurs de la
Charente, dont nous trouvons le récit dans MM. Lescadieu et
Liuranl : « Sur la routo de Paris les rovalistes se rallient et
ij-: I,E SlliiK \iE \AMtS
enlève le poste de Nort, U conduit l8 colooae principale, attaque
les portes de Hennés et de Vannes, dirige l'artillerie, anime les sol-
dats du geste et de la voix, et quand tout se réunit pour accabler
les Vendéens, c'est encore lui qui conduit la retraite, qui assure la
sécurité de l'armée que Cauclaui n'ose poursuivre. S'il n'a pas
réussi, il a déplojé autant qu'ailleurs ses talents et son courage,
et cette malheureuse journée de Nantes n'ùle rien k sa gloire.
Ulimer de Goci.curr.
LES TOMBEAUX
DES DUCS DE3 BRETAGNE
Pau p. dk Lisle du Dreneuc
Conservatmr du musée archéologique de Nantes
ÎSLlTi:')
LE TOMBEAU DE JEHAN DE iMONTFOUT
Jean de Montfort a souvent été placé au rang de nos Ducs avec le
titre de Jean lY, et ce n'est que justice. L'histoire oublie les pré-
tendants, oublieux eux-mêmes de leurs droits^ qui n'ont pas eu le
courage d'exposer leur vie pour conquérir la place où la naissance
les appelait ; en revanche, elle a toujours compté avec honneur
ceux qui ont cru leur cause assez juste pour en appeler au jugement
de Dieu. Affirmer au prix de son sang le droit héréditaire à la cou-
ronne, c'est la première vertu que l'on attende d'un prince, et
comment pourrait-il y faillir lorsque tant de ses sujets ont le cœur
assez haut pour courir avec lui les mêmes périls sans avoir les
mêmes devoirs.
L'inviolable fidélité de nos races royales à ce grand principe
était la force des Ëtats ; jamais elle ne s'est montrée avec plus
d'éclat que dans celte merveilleuse guerre de Blois et de Montfort.
Malgrénotre vif désir de rendre à l'héroïque figure de Montfort
un dernier hommage en retraçant ici son tombeau^ nous aurions
* Voir U livraiiuu ùe mai iSj'*
''^' - ■ -■.— -. ^- - - ■ . ■ ■ ' ■ - ■ Ml -- -->— ».~t-^ ^ .-- r- ■ -■••.- ... ..^^^^
/
4j4 LKS tombeaux DES DUCS DE BUEIAGNE
eu de la peine à nous acquitter de cette tache sans la belle décou-
verte de M. de la Villemarqué.
Le tombeau de Montfort est très peu connu et h peine trouvons-
nous des renseignements bien certains sur le premier lieu de sa
sépulture. Nos chroniqueurs, entraînés par les péripéties de la
lutte sanglante qu'ils avaient à décrire, ont laissé le Captif dormir
son dernier sommeil, pour suivre pas à pas son fils et l'héroïque
Jeanne de Flandre, De son tombeau il ne nous reste pas même
un dessin. M. de Gaignières, qui nous a conservé de si beaux
monuments de nos Ducs, a négligé la simple tombe de bronze et la
grande pierre ornée d'une croix en relief sous laquelle reposait
Jean de Montfort. Il appartenait à M. de la Villemarqué de soulever
le voile qui depuis cinq siècles couvrait les restes du héros
breton.
Grâce aux documents historiques analysés par M. de la Ville-
marqué; on peut suivre la trame, malheureusement assez claire
des renseignements écrits. Le Chronicon Briocense nous dit que
Montfort ci ab hac vita mig ravit guerra nondum Jinita et fait se-
pultus in monasterio Sanctœ Crucis de Kempereio ab inde fuit ex^
humatus et detatas pêne fratres Prœdicatores ejusdem urbis. » Dom
Lobineau traduit et complète un peu cette note et dom Morice ne
fait que transcrire, suivant sa coutume, le texte de son prédécesseur.
Pierre Lebaud était moins afiirmatif au sujet du dépôt du corps
de Montfort en l'église Sainte-Croix ; il dit seulement qu' « il fut
ensepvely au couvent des Jacobins ou Donodnicains de Kimperlé. »
Yves Pinsart, prieur de ce couvent en 1643, rapporte qu'avant
1693, on voyait dans la cœur de l'église « un cénotaphe ou fausse
châsse couverte de drap d'or à Heurs de velours noir. » A la lin
du siècle dernier, Ogée décrit ainsi le monument de Montfort :
« Un tombeau de bronze, recouvert d'une pierre tombale marquée
« d*une simple croix en relief. » Puis arrive, avec la Révolution,
la ruine et le pillage de nos édifices religieux et des souvenirs de
nos vieilles gloires nationales.
On pouvait croire que toute trace du monument de Montfort
était à jamais effacée, lorsqu'à la fin de i883 M. de la Villemarqué
fut averti que Ton venait de découvrir, sur l'emplacement même
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE 45à
deTancien couvent des Dominicains, les restes d*un tombeau.
L'éminent président de la Société archéologique du Finistère put
constater que cette tombe se trouvait juste au point donné, sur le
plan de l'abbaye des Dominicains^ comme étant la place de Téglise
principale\ Elle se composait' de trois muraillements en gros
moellons cimentés par du mortier ; le quatrième côté et le cou-
vercle du tombeau manquaient. Le fond était garni par un dallage
en pierres^ queTauteur de la Notice regarde comme caractéristique
de la première moitié du xiv' siècle.
Les ossement retrouvés dans ce caveau funéraire se composent
d'un crâne de fortes dimensions, des tibias, et de fragments d'hu-
mérus et de cubitus. Au rapport de M. le docteur Martin, appelé à
les examiner, ces ossements devaient appartenir à un homme de
taille élevée, i" 77 environ. Auprès se trouvaient quelques osse-
ments de plus faibles dimensions^ que M. de la Villeuiarqué pense
pouvoir être attribués à la duchesse de Montfort.
Vers i635, le prieur avait composé une épitaphe dont voici les
deux derniers vers' :
Uxor cum nato rein perficit, ossa que ciari hic
' Conjugis ad médium majoris coUocat arce.
Espérons que de nouvelles recherches feront retrouver, sinon la
tombe de bronze, qui a dû disparaître trop facilement, du moins la
grande pierre ornée d'une croix en relief et de l'inscription « Hic
jacet lohannes Dux Britannias et comes Montfortis. n Peut-être
quelque jour se montrera-t-elle à l'heureux chercheur qui a su dé-
couvrir sur nos landes bretonnes les fleurs d'or du Barzaz-Breiz.
* Lé Tctnbeaii de Jean de Matiiforti par M. le vicouile de la Mllcmartiuc
Quimper, 1884,
TOML IX. — JLi> 1803. 3o
iMi^te
.j_. s ^
456 LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE
MONUMENT DE CHARLES DE BLOIS
La morl tragique du comte de Penlhièvre à la bataille d'Auray
a été maintes fois racontée par les chroniqueurs et les poètes, mais
jamais avec un aussi merveilleux talent que dans la guerre de Blois
et de Montfort de M . de la Borderie. C'est là plus qu'un récit, plus
que de l'histoire, c'est la lutte même qui se déroule sous vos yeux.
Sur ce champ de bataille, si mal connu jusqu'ici, on revoit les posi-
tions tour à tour enlevées et reprises, la chevalerie française se
ruant follement, avec celte ardeur ambitieuse qui vint se briser
contre l'habile stratégie des partisans de Montfort.
Après cette dernière bataille, qui décida du sort de la Bretagne
et sauva peut-être son indépendance, le comte de Monfort fît trans-
porter avec respect le corps de son rival au couvent des Gordeliers
de Guingamp^ où le peuple vint en foule rendre hommage à sa
pieuse mémoire.
Lorsqu'au temps de la Ligue le couvent des Gordeliers fut en
partie détruit par les troupes du prince de Dombes, on transiëra
les restes de Gharles de Blois à l'église de Notre-Dame de Grâces,
bituée a peu de distance de Guingamp, où nous les retrouvons
encore aujourd'hui.
Les ossements du Bienheureux Charles sont placés près de la
balustrade du chœur, du côté de l'Evangile. Le reliquaire est posé
sur un socle élevé, en bois de chêne rehaussé d'or ; il se compose
de trois arcatures d'un style néo-gothique assez pitoyable. On y
voit un ossement long de 35 centimètres environ, enveloppé d'une
étoffe de soie rose bien fanée et ornée de passementeries d'argent.
Dessus est posé un papier où l'on entrevoit les mots Carol. Dux^
en caractères d'une éciriture peu ancienne.
Sur un des côtés del'édicule est une large plaque de cuivre por-
tant un ccusson en couleur à mi-partie, au premier paie d'argent
LES TOMBEALX DES DUCS DE BRETAGNE 4:7
et de gueules... qui est de Chastillon, au deuxième de Bretagne
plein. On y lit l'inscriplion suivante;
Cy dessous reposent les restes de très haut, très puissant et très
excellent prince Charles de Chastillon y duc de Blois, duc de
Bretagne, tué à la bataille dAuray le 29 septembre MCCCLXIV,
après une guerre de 23 ans et s* être trouvé à 18 batailles contre le
comte de Monfort, oncle et cousin-germain de Jeanne de Bretagne
son épouse.
Comme on le voit, le monument de Charles de Blois n'est plus un
tombeau, c*est un reliquaire, aussi bien ce prince était- il un saint
plutôt qu'un duc de Bretagne.
1
I
HBm
tbS LES TOMBEAUV DES DUCS DE UKETAGNE
TOMBEAU DL DUC JEAN IV LE CONQUÉRANT
\
Jeaa IV, qui occupa pendant près d'un demi-siècle le théâtre de
rhistoire^ n'avait que troi3 ans lorsqu'il fut présenté aux guerriers
de son parti pour remplacer son père, prisonnier au Louvre. Cette
scène a une grandeur étrange. Que pouvait ce faible enfant pour
conquérir la Bretagne et lutter contre la France. Il n'avait ni le
prestige d'un chef» ni l'énergie d'un homme ; mais il était pour les
siens cette chose sainte et sacrée qui bravait alors tous les obs-
tacles : le Droit. « Véez-ci mon petit enfant, qui sera, se Dieu
plaist, le restorier de son duché, » avait dit Jeanne de Flandre ;
et il plut à Dieu ainsi pour faire triompher le faible et avec lui
la cause bretonne.
Jean IV, vers la fin de son long règne, avait dicté un testament
ou se peignent les irrésolutions de son caractère.
Nous Jehan duc de Bretaigne, comte de Montfort et de Richement ...,
recommandons notre âme à Dieu*. . • et nostre corps à la sépulture de
la sainte Eglise. Laquelle sépulture avons autrefois esleue et encore
élisons au Moustier de N. D. de Prières... au cas que (nos exécuteurs ci
dessoubz nommez) verront que nous serions mielx ailleurs, nous vou-
lons estre mis en sépulture en noslre chapelle de Saint-Michel d'Auray
ou en l'église cathédrale de Nantes..., le XXI jour d*oclobrc Tan
MCCGLXXXV. (Archives de la Loire-Inf., bérie E, N^ a4.)
Le a6 octobre i33g, il dictait de son lit de mort, au château de
Nantes," un codicille où il exprimait définitivement le choix du
lieu de sa sépulture, « en l'église cathédrale Saint-Père de Nantes. »
V. domMorice, Preuves, T. u, c. 699.
Jean IV mourut le jour des Morts de Tan 1399 et fut enterré le
lendemain, 3 novembre, dans la cathédrale de Nantes. Son tom-
beau était placé au devant du grand autel, juste au centre du
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE 459
transept roman, formé par les quatre piles qui soutenaient le vieux
clocher de Saint-Pierre, par conséquent au milieu même du
transept moderne.
La date de l'érection du tombeau de Jean IV ne nous a pas été
conservée. Je crois cependant pouvoir rétablir à l'aide du do-
cument suivant. C'est un sauf-conduit du roi d'Angleterre pour
les maîtres d'œuvre chargés d'achever ce travail à la cathédrale de
Nantes. Cette pièce a en outre l'avantage de nous faire connaître
les noms des artistes anglais qui exécutèrent ce tombeau :
Sauf-conduit pour les ouvriers qui ont fait le tombeau du duc
de Bretagne.
€ Rex universis et singulis Admirallis, etc. Sciatis quod nos ad
supplicationem carrissimœ consortis nostras, que ad quamdam tumbam
alabaustri quam pro Duce Britanniœ defuncto, quondam viro suc
fleri fecit, in bargea de Seynt Nicholas de Nantes in Britannia, una
cum tribus ligeorum nostrorum Anglicorum, qui eamdem tumbam
operati fuerunt, videlicet Thoma Golyn, Thomas Holewell, et Thoma
PoppEHOWE, ad tumbam predictam in Ecclesia de Nantes assidendum
et ponendum^ ad pra;sens ordinavit mittendum suscepimus in salvum
et securum conductum Johannem Guychard, mercatorem^ magistrum
bargesB praedicta, ac decem servitores sucs marinarios, in coipitiva sua
ad Britanniam Iranseundo, et exinde in Regnum nostrum Angliije
rcdçundo, etc. Usque festum Nativitatis Johannis Baptistœ proximo fu-
turum duraturas. Teste Rege a3 die Februarii. Rymer VIII, p. 5io,
Dom Morice, Preuves, t. a, c. 8i6).
Comme on le voit par ce texte, la duchesse de Bretagne était
remariée au roi d'Angleterre Henri IV lorsqu'elle fit exécuter le
monument du feu duc, son premier époux. Or son mariage a été
célébré à Londres le 7 février 1 4o3 . Quatre mois après, une pro-
vocation des Anglais ralluma contre eux la vieille haine de Glisson,
alors tuteur du jeune Duc. Après avoir battu les navires anglais
dans un combat près de Roscoff, les Bretons ravagèrent Jersey etGuer-
nesey, puis vinrent descendre à Plimouth qu'ils brûlèrent. C'est
au milieu de ces événements, qui rendaient le passage peu sûr au
navire nantais le « Seynt Nicholas » pour ramener en Angleterre les
sculpteurs envoyés par la duchesse, que fut donné le sauf-conduit.
460 LES TOMBE\U\ DES DUCS DE BRETAGNE
Ces événements retardèrent l'exécution du tombeau^ qui ne fut
achevé qu'en i4o8, c'est-à-dire neuf années après la mort du duc.
Cette date, bien dîflérente de celles qui ont été hasardées jusqulci,
nous est donnée par un savant archéologue anglais^ S' Albert
Harlshome^ qui a publié, cette année même, une très intéressante
notice sur les statues tombales en albâtre : On the monuments and
effigies in St Warys church. Exeter 1888,
Il distingue, à propos du monument de notre duc, deux sortes
d'albâtres : Valbâtre antique, a carbonate oflime, et l'albâtre anglais,
beaucoup plus tendre et facile à tailler, qui n'est qu'un gypse ou
sulfate de chaux. C'est évidemment dans cette substance, très usitée
en Angleterre pendant tout le moyen âge, que les Anglais taillèrent
la belle statue de Jean IV.
Ce tombeau se composait d'un soubassement en marbre blanc
supportant la statue du duc. La base était décorée de cinq niches
sur les grandes faces et de deux sur les petits côtés. Ces niches
sont surmontées de 3 galbes très aigus et ornés de trilobés et de cro-
chets. La gravure de dom Chaperon a un peu iaussé cette architec-
ture, assez médiocre déjà, et que le dessin de Gaignères nous fait
suffisamment connaître.
Le gisant sculpté dans l'albâtre est un magnifique guerrier, tel
qu'on aime à se représenter Jean le Conquérant. La tête est coifTée
d'un heaume pointu qui descend sur la nuque et que l'on nommait
alors le petit bassinet, pour le distinguer du grand bassinet à visière,
nouvellement employé dans l'équipement de guerre. Il est entouré
d'une couronne. Un camaildè mailles, qui couvre les épaules, en-
capuchonné la tête et cache le contour de la figure. Deux longues
moustaches retombent sur le camail et donnent un aspect martial
au visage du Conquérant.
Jean IV porte autour du cou le collier de Tordre de l'Hermine
qu'il avait fondé. Une dague est passée dans sa ceinture de cheva-
lerie qui est fort épaisse ; au côté gauche est une courte épée dont
la guiche remonte en diagonale au dessus de la ceinture.
Les bras sont recouverts de brassarts, coudières et canons, les
jambes protégées par des cuissarts, grèves et solerets, pièces d'ar-
mures fort nouvelles à la fin du xiv'^ siècle. Sous ses pieds est un
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE 461
chien qui tient en sa bouche une banderole avec la devise : A ma
vie.
La tête du duc repose sur un casque placé de travers et sur-
monté de deux longues cornes entre lesquelles passe un lion. On
retrouve des heaumes de ce type étrange sur les sceaux du xiv* siècle.
La planche des Bénédictins, assez belle comme gi^avure, est dé-
fectueuse comme exactitude. Ainsi le dessinateur n'a pas compris
que le haubergeon du duc était recouvert du pourpoint collant et
sans manches dont on se servait à cette époque ; il l'a pris pour
une cuirasse» qui ne fut en usage que cent ans plus tard. Il a figuré
autour du heaume une frange qui ressemble à des cheveux et déna-
ture la physionomie du prince. Les détails du soubassement sont
également très fantaisistes'.
Le dessin de Gaignières est bien archéologique. D*abord^ au lieu
de prendre le gisant du profil il Ta donné de face, ce qui permet de
voir tout l'ensemble du personnage. Puis, toutes les pièces d'ar-
mure sont plus fidèlement exécutées. Les motifs du soubassement,
dessinés au trait, font mieux comprendre l'architecture compliquée
de cet édicule. Enfin, par les teintes de son lavis, il indique la cou~
leur noire de la table de marbre, sur laquelle devait admirablement
se détacher la statue d'albfttredu vieux dur.
II
Elle devait être splendide ainsi, cette statue du Conquérant,
armé de toutes pièces et reposant comme sous un arc de triomphe
entre les larges cintres du vieux chœur roman. Et cependant, avant
que la ragestupide des révolutionnaires vint arracher le héros bre-
ton de sa couche de marbre, il eut à subir bien des mutilations.
Ces actes de vandalisme sont trop fréquents à partir du xvn*
siècle pour que nous nous ne retrouvions pas là un parti pris de
rabaisser et de détruire les souvenirs de nos vieilles gloires. Sous
> Montfaucon a donné (T. a. pi. 33) un Jean IV en pied, Vépée i la main, et
qui n'est autre que la statue de ce tombeau, il a placé près de lui ce curieux
casque à grrandes cornes dont nous avons parlé plus haut.
4G2 LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE
Louis XIV, le choc avait été rude entre Tindépendance bretonne et
Tempiètement des nouveaux maîtres manquant à leurs promesses.
On chercha à étouffer le sentiment national et, par une sorte de
basse courtisanerie pour le pouvoir, on mit k profit toutes les
occasions d'effacer ce qui pouvait nous rappeler des temps plus
glorieux de notre indépendance.
. C'est ainsi que peu à peu on laissa mutiler, avec une inepte iner-
tie, les traits de marbre du vieux duc. (t Les livres de chœur à
u couvercles de^ bois, armez de fermoirs de cuivre à gros clous que
« l'on met dessus cette figure (disait dom Lobineau en 1707), ont
u entièrement effacé tous les traits du visage. Tout c« que l'on y
u voit de reste est une fort grande moustache pendante, avec un
« air martial qui devait assez convenir au duc Jean IV, surnommé
« avec raison le Vaillant ou le Conquérant. »
La négligence brutale qui transformait en lutrin la tombe de
Jean IV. vainqueur de la France et de Duguesclin, prit bientôt de
plus alarmantes proportions. En 1733^ pour dégager le chœur de
la cathédrale, on détruisit les tombes des évoques Henri de Bour-
bon et Pierre du Chaffaut. On avait commencé à saccager le tom-
beau du duc Jean IV : il avait été ouvert et pillé par des ma-
nœuvres*, lorsque le substitut général intervint pour arrêter ces
méfaits. Après des pourparlers avec la Cour, le tombeau fut dé-
placé et posé dans le sens de sa longueur derrière le maitre-autel.
Il est curieux de suivre celle modification sur le vieux plan
retrouvé par M. S. de la Nicollière et que nous donnons ici d'après
sa notice. On voit que l'église romane, qui devait permettre aux
fidèles d'approcher jusqu'au rond-point du chœur et de suivre de
partout les cérémonies du culte, avait été depuis profondément
altérée. En effet, on avait construit entre les piles romanes, des
cloisons de pierre qui prolongeaient le chœur à travers le transept
jusqu'à la nef et formaient ainsi une sorte d'église close dans la
cathédrale même. De celte façon, les assistants placés dans la nef
actuelle, ne voyaient que le mur de cette seconde église ; ceux qui
se trouvaient bien juste dans l'axe de la nef pouvaient entrevoir,
tout à l'extrémité de l'abside, le grand autel au fond du chœur.
* N. Travers.
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE 463
Cette disposition extrêmement défavorable n^avait été usitée,
jusqu'à la fin du xm* siècle, que pour les monastères et les couvents,
et encore les murailles étaient-elles remplacées par d'élégantes
galeries qui ne séparaient pas ainsi les fidèles des officiants. Peut-
être ici fut-on forcé d'adopter ce parti pour pouvoir continuer les
cérémonies pendant que Ton construisait les bâtiments nouveaux.
A répoque du remaniement qui nous occupe, en Tannée 1733,
on démolit les murailles de chaque côté du transept et l'on chan-
gea complètement la distribution du chœur ; c'est-à-dire que les
stalles qui se trouvaient en avant du grand autel furent rejetées
derrière, dans Thémicycle de l'abside ; Tautel, qui alors touchait
le fond de l'abside, fut au contraire reporté en avant des stalles,
juste à la place où se trouvait le tombeau de Jean IV.
tt L*énorme pierre de 7 pieds de long sur k de large, qui couvrait
« le caveau ducal au-dessous du soubassement, a existé jusqu'à
(( notre époque, où tout le monde pouvait la voir à l'endroit où
« les carreaux noirs et blancs interrompaient leur symétrie. Elle
0 était même légèrement recouverte parla dernière des marches
(( derrière- l'autel, et c'est sur cette pierre que les chanoines se
« rendant à leurs stalles au chœur, accomplissaient leur salutation
tt à l'autel, a (Note communiquée parM.S.dela Nicollière-Teijeiro.)
Pendant la Révolution, la cathédrale fut brutalement saccagée,
puis, en l'an IV, louée par la ville à raison de 5oo fr. par mois pour
servir le dépôt au matériel de l'artillerie. Plus tard on la rouvrit
pourles^ete* décadaires.
Les Archives de la période révolutionnaire ne nous apprennent
pas comment et à quelle date le plus précieux monument de
notre ville fut livré au pillage, les tombeaux et les ornements
violés et volés, et la belle statue de notre duc anéantie.
Actuellement (1888) on vient de niveler, pour l'achèvement de
la cathédrale, le vieux chœur roman de Saint-Pierre et la partie
comprise entre les deux transepts. Ce travail a dégagé les derniers
restes du monument de Jean IV. Ils consistaient en « un caveau
u en partie engagé sur le grand autel, mesurant de longueur
u 3"^ a8, de largeur i"" i4, et de profondeur au-dessous du dallage
« des nefs. 74 centimètres. A cette hauteur, il avait été remanié et
464 LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE
d ne mesurait plus de largeur par la tète que 92 centimètres, les
tt parpings en tuffeaux de 3o centimètres d'épaisseur ayant été
« inclinés chacun de 11 centimètres. Le petit côté du caveau dé«
c( passait de ao centimètres vers Touest, Taxe traversai du bras de
c la croix. » A. Liegendre, Bulletin de la Société archéologique de
Nantes, 1888, p. Sg.
Il est triste de penser qu'il ne nous reste rien du monument de
notre vaillant duc. Mais un mausolée de marbre, la statue et les
ornements qui l'entouraient ne peuvent guère avoir été anéantis si
complètement. Peut-être quelque jour pourra-t-on retrouver au
moins des fragments de ce tombeau^ dont les moindres détails
seraient facilement reconnaissables.
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE 465
LE TOMBFAU DU DUC JEAN V
« Jean Y, qu'on appela le bon duc Jehan de Bretaigne, dit
(] Argentré, décéda sur les deux heures après minuict, vingt huic-
iième jourd'aoust (i442*), enlamaisondelaTousche, prè^ Nantes,
av:c grand regret de ses subjects qu'il avait maintenus en paix. »
Le manoir de la Tousche, auquel se rattache ce souvenir histo-
rique, existe encore, non plus près de Nantes comme autrefois,
cest-à-dire à un demi quart de lieue de l'enceinte fortifiée, mais
bien dans la ville même, à quelques pas de cette longue rue Voltaire
qui tombe à la place Graslin. Il nous a été conservé par un homme
dégoût, et sa restauration est due à un des plus habiles maîtres qui
aient manié de notre temps le vieux style national.
C'est aujourd'hui le seul édifice appartenant à l'architecture civile
du XIV° siècle que nous ayons à Nantes. Use trouve juste en face
de la belle construction Dobrée, véritable chef-d'œuvre d'une
époque où l'inspiration du passé remplace avantageusement le gofit
moderne. Ce palais aux murailles dorées, découpées de baies en
granit bleu^ semble taillé comme un bijou dans nos rudes pierres
de Bretagne. C'est bien une œuvre à part et qui contraste, trop
énergiquement au goût de bien des gens, avec les combinaisons
frelatées du gothique moderne. Ony retrouvece soin consciencieux,
cet amour de la sincérité qui lui donnent le même charme qu'aux
œuvres d'autrefois.
Du manoir de la Tousche, le corps du duc fut transporté au châ-
teau de laTourneuve. Lsunise touchant le fait de l'enterrement du
duc' nous a conservé à ce sujet les indications que voici :
A Pierre Mourandière qui fust au château de la Tour Neuve et y
veilla avec la vraye croix de Saint-Pierre le temps que le corps
y fust L. »
• Le XXVIII jour d'aoust iSAa, Chronicon Brit,
» Archives de la Loirô-lnf. Dom Lobineau, P. T. a. C. mo.
466 LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE
Au curé de Sainte-Hadegonde' de Nantes, pour avoir
présenté le corps >
Au collège de Nantes qui fut en procession quérir le corps
au château de là Tour Neuve »
A XVI bacheliers du dit collège qui tout le temps de
XVI jours, entre Tenterrement et le service, chantèrent au
lutrin B
Aux maczons qui furent prins et contraints à faire hasti-
vement la fosse où fut le Duc ensepulturé au cueur de Saint-
Père de Nantes »
A Jehan Durand pour GXXXI de bray pour la chasse de sap . )»
Aux charpentiers, pour une table avec ses bruchcts sur
quoi fut le corps du Duc, avec son habit roial, à la vue de
tous venans au château de la Tour Neuve »
Compte de Jehan, Trésorier de Monseigneur le Duc. du 19 août
i34x au i*' septembre i344.
D*aprës ses dernières volontés, Jean V devait être enterré dans
la cathédrale de Tréguier. En i4ai, il avait dicté le vœu suivant :
w De notre propre mouvement, et la très singulière dévotion que
c nous portons au très glorieux Monseigneur saint Yves, duquel
tt le corps gist en Téglise de Tréguier, nous avons aleu et choisi
« notre sépulture et encore de présent (sous le bon plaisir de
(( Dieu)^ la choisissons et élisons dans ladite église. »
Il s'éleva au sujet de cette sépulture une violente contestation.
Les tombeaux de nos ducs, traités avec tant de dédain deux siècles
plus tard, étaient alors l'objet d'ardentes convoitises. On invoqua
d'abord la saison trop chaude pour permettre de transférer le corps
à Tréguier,
A peine Jean V avait-il rendu le dernier soupir qu'arrivaient à
Nantes trois procureurs du chapitre de Tréguier chargés de ré-
clamer la dépouille mortelle du prince, c'étaient Jean de Nandiilac,
Jean Gaedon et Robert Cador'. Ils entrent dans la cathédrale, es-
cortés d'un notaire, et trouvant le doven Raoul de la Moussaye, ils
*■ Le château était en la paroisse Sainte-Radegonde.
* Voir dans la Bibliothèque bretonne, i85i n* a, le reçit de ce débat par
M. A^* de Barthélémy, que nous abrégeons dans les lignes suivantes.
LES TOMBEAUX DBS DUCS DE BRETAGNE 467
entament aussitôt la lecture de leur procédure. Mais celui-ci les
interrompt et les laisse là, objectant que le chapitre seul a droit
d'écouter leur requête.
Nos Trégorois reprennent leur promenade dans la cathédrale,
cherchant un auditeur plus bénévole ou mieux fondé. En faisant
le tour de Téglise, ils rencontrent un officiant qui leur apprend que
juste en ce moment une assemblée capitulaire se tient dans la bi-
bliothèque du chapitre. Aussitôt Nandillac court, frappe à cette
porte, et remet à l'archidiacre Pierre Bogneau la signification dont il
était porteur. Puis ils rentrent tous trois dans la cathédrale, où Ton
célébrait la grand'messe, et lisent à haute voix leur réclamation.
Sans paraître en tenir aucun compte, l'évoque Jean de Malestroit
fait continuer les préparatifs de la cérémonie funèbre. Le lende-
main, il officiait solennellement pour le repos de l'âme du feu duc,
lorsque l'infatigable Nandillac pénètre dans le chœur et^ élevant la
voix, s'oppose au nom de Tréguier à ce que le corps de Jean V soit
enseveli dans la cathédrale de Nantes.
Le débat devient tumultueux ; la foule assemblée pour la céré-
monie, se mêle à cette étrange dispute ; enfin l'évêque de Saint-
Brieuc intervient et obtient un sursis.
Pour rassurer le chapitre de Tréguier, le nouveau duc prit l'en-
gagement suivant :
« François par la grâce de Dieu duc de Bretagne, etc.., comme
nostre très redouté seigneur et père, que Dieu pardoint, eust esleu
et ordonne estre inhumé en Téglise cathédrale de Tréguier... et soit
que ainsi> après le cas advenu du deceds de nostre père, par la grande
chaleur de temps qui faisait et autres inconvénients^ nous et aulcuns de
l'église de Tréguier ayons fait mettre en dépôt le dict corps en Téglise
de Nantes, en attendant que après le démolimenl de sa chair les os
fussent portés en la dite église de Tréguier. Scavoir faisons. . . aux gens
de la dite église de Tréguier que, le plus tôt que se pourra, ferons porter
ù celui lieu les ossements de notre très redouté seigneur et père. »
Donné en nostre ville de Nantes, le 8^ jour de septembre, l'an i^i
(du Paz) (Dom M. P.a, c. i358).
Cependant Thiver vin t« les saisons succédèrent aux saisons, les
années aux années, et le duc Pierre 11 remplaça François 1 : Tré-
i68 LES TOMBEAUX DÈS DLGS DE BRETAGNE
guier attendait toujours le corps de Jeaa V, non point patiemment,
mais avec des luttes opiniâtres et cette infatigable obstination de
Bretons contre Bretons. Si la cathédrale de Nantes avait un lég^i-
time désir de conserver le tombeau de ce duc qui avait posé ses
premiers fondements, plus légitime encore était le droit de la ca-
thédrale de Tréguier^ appuyé sur des conventions irrécusables.
Huit ans après la mort do Jean Y, pour apaiser les inquiétudes
de plus en plus vives des ïrégorois, le duc François avait fait
ajouter un codicille à son testament le 17 juillet i45o: « Iteui
u ordonnons que le corps de mondit seigneur et père soit porté
« à Lantreguer, selon l'ordonnance de son testament, devant la
i< Saint-Michel prochainement venant, ou autre temps que plus
« prochainement et convenablement faire se pourra. »
Mais de nouveaux retards survinrent ; il fallut un procès et les
énergiques sollicitations de Tévâque Jean de Pleuc pour terminer
le débat. Un arrêt du Parlement de Bretagne donna enfin gain de
cause aux députés de la ville de Tréguier.
Le duc Pierre II et la duchesse Françoise d'Amboise, les
seigneurs bretons et le clergé accompagnèrent le corps de Jean V
durant ce long voyage. Le convoi s'arrêta à trois lieues de Tré-
guier, au bourg de Plouec, dont l'église était consacrée à Notre-
Dame. Là, le clergé de Tréguier vint à la rencontre du cortège,
a}antà sa tête révoque Jean de Plœuc, le chapitre de la cathédrale
et les prêtres des paroisses voisines.
Le corps de Jean V fut solennellement dépose dans la chapelle
. du Duc, près du, monument qu'il avait élevé eu Thonneur de
saint Yves.
11. TOMBEAL DE JEAN V. — DESTRUCTION .
Dans la cathédrale de Tréguier, commencée en iSSq sous
répiscopat de Raoul du Perrier, on voit au-dessous du transept
nord une chapelle à trois travées, connue sous le nom de chœur
du Duc ou chapelle Saint- Yves ; elle a été fondée par Jean V le
7 octobre i4ao, et les restes du bienheureux saint Yves y fuient
LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE 469
déposés SOUS un mausolée décrit par dom Lobineau. C'est là
que fut élevé le tombeau de Jean V, près celui du saint. Malgré
toutes nos recherches, nous n'avons pu découvrir ni description,
ni plan, ni dessin du monument de notre duc. Et cependant, il
existait encore il y a moins d'un siècle, malgré le saccage de la
ville et de ses monuments par les Anglais en i346, par les Espa-
gnols en iSga, et par les Ligueurs en i5g4. « Les patriotes de la
Révolution, dit M. P. Chardin' , eurent moins de scrupules. En Tan
II de la République, le bataillon révolutionnaire du district
d*Etampes, caserne à l'Evâché et au couvent des Ursulines, trans-
forma la cathédrale de Saint-Tugdual et ^e Saint- Yves en temple
' de la Raison. Les cloches portant les noms des deux patrons de
Tréguier furent fondues pour faire des canons, les statues et autres
emblèmes du fanatisme furent détruits, les portes de la sacristie
défoncées, et les ornements pontificaux traînés dans les rues de la
ville par les soldats ivres : « En peu d'heures, dit le continuateur
d'Ogée, tout fut ruiné : les autels magnifiques, le mausolée de
saint Yves, l'orgue, les statues, les tableaux, tout fut br&lé ou
brisé. A ces orgies succéda la guillotine. »
a Le tombeau du duc de Bretagne Jean V fut complètement
rasé, comme celui de saint Yves^ par cette horde avinée qui en
jeta les débris à la mer. »
Peut-^tre un jour le retrait de la mer, dans les grandes marées,
laissera-t-il découvrir quelques fragments du mausolée de Jean V,
car j'aime à croire que nos patriotes de la Beau ce n'avaient pas
poussé bien avant au large. Jusque-là nous n'aurons à signaler
qu'une table de maibre blanc, placée autrefois dans la cathédrale
de Nantes et rappelant que le duc Jean V y a été enseveli.
L'an MIIII" XLll le 29® jouk d'Aolst
l-'UT ENSÉPULTURÉ CÉANS LE COHPS DE NOSTHE
7 sEiGNEua Jean V, duc de Bretaigne, lequel -;•
rtï TRANSPORTÉ DANS L EGLISE DE TrÉGUIER
l'an dl seignelu MIIIP L
* Peiiiluros et sculptures héraldiques. La Cathédrale de Tréguier ^ ia-d«,
Paris, 1886.
470 LES TOMBEAUX DES DUCS DE BRETAGNE
Bien que ce dessin soit emprunté à ï Histoire \ lapidaire de
liantes, par Fournier (p. i3;, recueil suspect à si bon droit, nous
avons cependant quelque confiance dans la véracité de cette
pièce, à cause même de Terreur qu'elle contient. La date de i45o,
mise pour i45i, tient à ce que Tannée, au xv siècle^ commençait
à Pâques. Le transport des restes du duc eut lieu en réalité au
commencement de i45i et par conséquent en i45o poiir Tépoque.
Fournier, qui pillait ses inscriptions dans nos historiens, n'eut
sûrement pas coupé Tannée à Pâques, comme on le taisait au
XV* siècle.
P. DE LiSLE DU DBÉ:«ËtC.
POÉSIES FRANÇAISES
wMWMWW»^
PRÉFACE POUR UN LIVRE BRETON
Tel que ces fines cassolettes
Des bazars de Smyme et d'Oran,
Où court en minces bandelettes
Une sourate du Coran :
Du sachet vidé sur la flamme
Montent des parfums floconneux,
Subtils et pervers comme Tàme
Du vieux pays qui dort en eux.
Tel, en sa grisante fragrance,
Votre livre, ami, m'a rendu
Groix, Trégastel, la molle Rance
Et les joncs roses du Pouldu.
La mer s'éveille au long des cales.
Voici Saint-Pol, Vannes, Tréguier,
Les pâles villes monacales,
Roscoff assis sous son figuier.
Et Morlaix, la vive artisane,
Guingamp, qui, fidèle à son duc,
Montre maint coup de pertuisane
Aux trous de son manteau caduc,
TOME IX. — JUIN 1893. 3t
472 PRÉFACE POUR UN LIVRE BRETON
Penmarch, désolé par Brumaire,
Auray la sainte, Erg au flot blanc,
Et Lannion, qui fut ma mère
Et que mon cœur nomme en tremblant.
O genêts d'or de Lannostizes !
Les sources sanglotent. Là-bas,
J'entends frémir sur les cytises
Les abeilles du Bourg-de-Batz.
Et c'est ton âme triste et douce,
Toute ton âme, ô mon pays,
Qui pleure ainsi parmi la mousse
Et chante ainsi dans les taillis.
Charles Le Goffic.
MARINES
A M. DE GOURCUFF.
Inondé de soleil et de franche lumière.
Le ciel couvre d'azur et d'or le sein des eaux.
La mer au loin déferle et gronde. Pauvre terre,
Groix dresse à l'horizon ses assises de pierre.
Sous la vague en criant plongent de blancs oiseaux ;
Toutes voiles au vent filent de lourds bateaux.
Sur la glauque étendue, où tanguent les bateaux,
De grands coups de soleil changent Tombre en lumière :
On dirait qu'un long vol d'invisibles oiseaux
En traversant Tespace éteint Téclat des eaux.
D'arbres verts égayant sa ceinture de pierre,
Splendide est Port-Louis sur sa langue de terre !
Tout près, au ras des flots s'allonge une autre terre ;
Là dans un humble port dorment de vieux bateaux ;
C'est Gâvres ; point de murs, point de fossés de pierre. . .
Mais le ressac réduit en perles la lumière
Et le jeu des boulets, ricochant sur les eaux,
Trouble dans leurs ébats tous les petits oiseaux.
Le clocher de Larmor sert d'asile aux oiseaux
Qui croassent là-haut ou glanent sur la terre.
Dans une crique, à l'ancre et bercés par les eaux,
En attendant le flux, sont rangés les bateaux ;
Les filets bruns aux mâts pendent dans la lumière.
Et sèchent à l'abri d'un vieux môle de pierre.
474 MARINES
Sol inculte, des champs envahis par la pierre
Où de maigres talus cachent mal les oiseaux ;
Mais lorsqu'en plein été la torride lumière
D'un admirable ciel fait crépiter la terre,
Quel spectacle de voir des milliers de bateaux
Au delà des Errants voltiger sur les eaux !
Plus calmes près du port sont les mobiles eaux ;
Elles montent sans bruit entre deux quais de pierre,
Et frôlent d'un baiser les coques des bateaux.
Sur ces rives du Scorff quels jolis chants d'oiseaux :
Quels coins de Paradis, oubliés sur la terre,
Dans ces grands bois où tombe étrange la lumière î
La lumière du ciel a pour miroir les eaux ;
La terre, pour clochers, des aiguilles de pierre ;
Les oiseaux ont le vol et l'onde les bateaux.
Sylvane.
i
SONNET
,V Mll« GlI. POUR SA SEGONDR COUMUSTIOX.
(...date...)
Vous avez revêtu la mousseline blanche,
Et, le lis virginal et le cierge à la main,
Vous reprenez du temple en fête le chemin
Sous l'œil de vos parents en habits de dimanche.
Maintenant votre front ceint de roses se penche
Devant Tautel splendide où le Maître divin
Sous la frêle apparence et du pain et du vin
Attend la jeune enfant et sa prière franche.
Il va descendre en vous, Jésus, le Roi des rois,
Qui pour notre salut mourut sur une croix.
Lui dont tout l'univers célèbre les louanges.
Il trouvera, sortant du tabernacle obscur.
Dans votre grand œil bleu Téclat du ciel d'azur,
Dans votre petit coeur la pureté des anges !
Dominique Caillé.
* La signature de M. Dominique Caillé n'avait pas figuré Tan passé dans cette
Eevue au bas d*un sonnet inspiré par une circonstance analogue. Nous tenont
^ réparer cet oubli .
NOTICES ET COMPTES RENDUS
Etudes documentaires sur la Révolution française, La Vendée pa-
triote (17 p3- 1800), par Ch. L. Chassin, tome I. — Paris, Paul
Dupont, éditeur, 1898.
Le troisième et dernier volume de la Préparation de la guerre de Vendée
a paru depuis quelques mois à peine^ et déjà M. Ghassin entreprend la
publication de la Vendée patriote. Nous pouvons assurer que ce nouvel
ouvrage dépasse encore en intérêt le précédent, il entre dès l'abord dans
le vif de l'émouvant sujet : ce n'est plus le prologue, c'est le drame.
A. ne lire que le titre, et quand on connaît les tendances de Tauleur,
on s'attend à trouver dans la Vendée patriote un réquisitoire enflammé.
A lire Touvrage, on est heureux d'y trouver au contraire une plus calme
et saine appréciation du grand mouvement insurrectionnel de mars
1798. Avec une générosité et une ouverture d'esprit qui lui font
honneur, M. Ghassin avoue les fautes de ses amis, reconnaît le courage
et le mérite de ses adversaires ; il ne pouvait citer plus complètement,
plus impartialement qu'il ne Ta fait dans la Préparation^ mais il n'accom-
pagne presque jamais ses précieuses citations de commentaires cruels
ou ironiques à l'adresse de la Vendée royaliste et catholique. Sans
doute, dans sa note préliminaire^ oii il constate avec une fierté bien
légitime l'accueil fait à son premier ouvrage par les critiqua des deux
camps opposés, il revient âprement sur l'invention de l'évèque d'Agra,
cette « forte mystification épiscopale » , comme il l'appelle ; après avoir
exalté la clémence des républicains, il traite, sans preuves suffisantes
de c très politique > l'humanité des chefs vendéens ; ailleurs encore il
fait une assimilation risquée entre l'enthousiasme religieux des croises
et celui des paysans se précipitant à l'attaque de Fontenay. Mais l'ex-
pression de ses colères et de ses rancunes est bien rare, en somme. Ge que
l'historien montre dans les rares intervalles de son récit documentaire
et impassible, c'est une égale pitié pour les victimes d'une guerre qu'il
NOTICES ET COMPTES RENDUS 477
qualifie, comme Tadjudant-général Ganier, d'exécrablr et auss de
prodigieuse.
Le tome premier de la Vendée patriote nous apporte un nombre con-
lidérable de procès-verbaux, de lettres, de documents de toute nature^
extraits des archives publiques ou particulières. Les pièces capitales de
ce recueil sont le Livre d'ordres et de correspondance du brave et habile
général Boulard, tiré des Archives historiques de la Guerre, le très in^-
téressant Compte-Rendu du général Biron au Comité de Salut public et
au Conseil exécutif, qui est aux Archives nationales, la bizarre et quelque
peu cynique Autobiographie de Taventurier militaire Rossignol, conservée
aux Archives de la Guerre. A ces pièces^ qui ont parfois Tattrait de ré-
vélations, combien en devrions- nous ajouter d'autres moindres, comme
cette lettre adressée le ao mai de Nantes au ministre des affaires
étrangères Le Brun par l'ancien constituant Volney^ commissaire du
pouvoir exécutif, et où le philosophe se moque avec esprit des comédiens,
commissaires improvisés de la Convention. « Les panaches de David et
ses idées de costume », dit l'auteur des Raines, € n'ont pas le succès
de ses tableaux. »
Le volume, qui a plus de six cents pages in-octavo, embrasse une
période de trois mois à peine, de la mi-mars au commencement de juin
1793. Mais, dans ce court espace de temps, grands et petits événements
se pressent. Le mois de mai est funeste aux républicains, qui rendent
Thouars le 11, Fontenay le a 5^ et que Tinfériorité du nombre, la pré-
sence de généraux imprudents ou incapables, compromettent gravement»
La ville des Sables-d'Olonne, dont la possession eût mis la Vendée in-
surgée en communication avec l'Angleterre et l'Espagne, fut attaquée
vigoureusement, mais elle tint en échec l'armée poitevine de Joly, et
M. Chassin attribue à son heureuse résistance une importance capitale.
C'est avec un juste orgueil qu'il cite cette réponse du conseil général
des Sabler aux officiers municipaux de Talmont. € Quant aux Sables,
ils sauteront plutôt dans la mer que de se rendre. »
La défense des Sables-d'Olonne fait honneur à la population de cette
ville et au mérite du général qui commandait la division républicaine,
Boulard. M. Chassin remet en lumière la physionomie un peu effacée,
très caractéristique de ce Boulard, organisateur et tacticien, homme
d'esprit aussi, qui trouvait le temps d'écrire des lettres alertes et qui
disait à la gauloise : « Je pelotte en attendant partie et cela donne de
l'assurance à nos troupes. »
Les portraits de généraux et de personnages républicains abondent
478 NOTiCES ET COMPTES RENDUS
dans le livre. Nous avons entrevu ceux de Boulard et de Rossignol; il
faudrait encore tirer de la masse Beaufranchet d'A.yat^ qui était le fils de
M^* Morphy , mais qu^une erreur volontaire de date, propagée par certains
pamphlétaires^ a pu seule faire envisager comme celui de Louis XV ; le
ministre de la guerre Bouchotte, un bureaucrate ; Westermann, un rude
militaire, et le prince de Hesse, un déclassé ; Vancien auteur dramatique
devenu adjoint au ministre de la guerre et persécuteur de TaristocraUe
libérale^ Ronsin^ flanqué de ses acolytes, tragédiens ou comédiens, Gram*
mont, Robert ; Parein ; vingt autres parmi lesquels se détache en plein
relief le général en chef de Tarmée des cotes de la Rochelle, gentilhomme
Yoltairien^ militaire de grande valeur, Tun des piécurseurs et Tune
des plus intéressantes victimes de la Révolution, Lauzun, duc de Biron.
M. Ghassin retrace avec une complaisance marquée ces physionomies
républicaines ; il est sans tendresse, mais non sans justice pour les chefs
vendéens. Rencontre-t-il, par exemple, deux lettres de d'Elbée qu'il ap-
pelle dès le début de l'insurrection « général en chef de fait », deux
lettres qui prouvent. Tune de la pitié pour Tennemi, l'autre un sens po-
litique très exercé, il les public intégralement. Je lui signalerai à ce
propos une petite erreur. Parlant de la première bataille de Fontenay,
favorable aux républicains,il dit : t Le premier des généraux catholiques,
le seul qui eût des talents militaires sérieux, puisés dès Venfance dans
Vintimité de Maurice de Saxe, Gigost d'Elbée avait été grièvement blessé
ftu fort de la mêlée. > Retenons le précieux éloge, mais gardons-nous
d'en faire un mérite à Maurice de Saxe qui était mort (1750) avant la
naissance de d'Elbée (175a). C'est le père de celui*ci, général major au
service de l'électeur de Saxe, roi de Pologne, Auguste II, et c'est son
oncle le comte Alexandre, major dans l'armée française, qui purent
profiter des leçons du vainqueur de Fontenoy.
Olivier de Gourcuff.
*
La Diffamation et la Loi du ag juillet 1881, par J. Gabier, avocat,
docteur en droit. — Paris, Marchai et Billard, 1893.
Les thèses de droit sont ardues, pour l'ordinaire ; elles proviennent —
eût dit Rabelais ^- € de cerveaulx à bourlet, grabeleurs de corrections » ;
elles donnent à lire autant de mal qu'à composer, et c'est un soula-
gement pour tout le monde que de trouver le mot t fin > après tout
l'indigeste fatras d'une érudition hâtivement acquise.
NOTICES ET COMPTES RENDUS 479
Tel n*est point le cas de la DiJJamilion de J. Gabier. Si l'auteur a traité
son sujet ex professa, il Ta traité aussi coq amore^ pour son plaisir et
notre profit. Ce livre n*a pasTaspect rébarbatif d'un factum juridique,
il est savant sans pédantisme, mais il emprunte, avec une convenance
parfaite, ici un trait aux mœurs, là une anecdote à la vie, plus loin un
souvenir à de récentes lectures ; il nous rappelle presque à chaque page
que le jeune docteur a disserté naguère, avec agrément et solidité^ sur
des diffamateurs imaginaires, les Effrontés d'Emile Augier.
• La thèse de M. J. Gabier, qui forme un gros volume — Jastam volamen
•— est le commentaire très fouillé de la loi du ao juillet 1881. On sait
que cette loi, la plus importante des lois sur la presse, détermine la
nature du délit, en fixe la poursuite et la répression. Je doute que
M. Gabier ait laissé grand'cbose à dire aux juristes futurs. Je lui ren-
drai, moi profane, cette justice qu'il a parlé avec une verve charmante
du journal français et même de son fondateur, statufié depuis hier,
Tbéophraste Kenaudol. O, de G.
*
♦ ♦
Nous n'avons pas à rendre compte des pièces de MM. kvm md Silvestre,
François Fabié, Maurice Vaucaire, Paul Erasme, qui ont été représen-
tées au premier spectacle du Théâtre des Poètes.
Mais nous tenons à appeler l'attention sur le prologue que M. Charles
Fuster avait composé pour louverture de ce théâtre. C'est une œuvre
très originale où le Pierrot, qui cache Thomme moderne sous son visage
enfariné, a pour interlocuteurs les tragiques héros, les vibrantes amou-
reuses, même les chevaliers errants delà, fable ^ — au sens latin du mot.
La grande cause de l'idéal est éloquemment plaidée par Œdipe et
Viviane, Antîgone et don Quichotte. On sent que Charles Fuster
exprime par la bouche de chacun des personnages qu'il évoque les
nobles tendances de son esprit. Le défaut de place nous empêche seul
de citer les très beaux vers où le poète rompt contre le bas réalisme
la lance du mélancolique paladin de Cervantes.
Le Percement de t/istuhe de Corinthe, par Léon Durocher,
64 dessins par A. Vigoola. — H. Simbnis Empis, 1893.
En France tout finit par des chansons et des facéties. Que reste-t-il du
système de La>v ? Un recueil d'estampes satiriques. Que restera-t-il,
480 NOTICES ET COMPTES RENDUS
dans cinquante ans, de la plus formidable exploitation financière de ce
siècle? D'ironiques livrets dans le genre de celui que notre confrère
Durocher appelle avec beaucoup d*à-propos « le percement de Tisthme
deCorinthe ». Tranquillisez-vous, d'ailleurs. Les allusions sont discrètes :
Epsilon le grand Grec, Tingénieur Eiphelix, Baiauton lui-même et l'ex-
archonte Pol>phlosboio, sont surtout ressemblants dans les fines vignettes
de M. Yignola. Quant à Carnéade en personne, il a bien le droit d'êli*e
petil-fils de Vorganisalettr de la victoire de Marathon. Ces choses-U se
passaient à Athènes, et M. Durocher a assez d'esprit pour les avoir in-
ventées. O. DE G.
*
* m
Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en empruntant à la Dê^
pêche bretonne l'intéressant compte rendu suivant d'une conférence
faite récemment à Londres sur Hippoly te Lucas et rappelons à ce sujet
que le volume des Chants de divers pays paraîtra à la fin de ce mois.
M. Huguenet, officier d'Académie, un des plus éminents professeurs
de français à Londres, a donné ces jours-ci une conférence sur notre
compatriote rennais Hippolyle Lucas, dans le grand bâtiment appelé
« le Collège des Précepteurs » que le Comité avait gracieusement mis à
sa disposition»
Par des traits rapides et saillants, M. Huguenet a tracé une brillante
esquisse de notre chère province, illustrée par Duguesclin et tant
d'autres grands hommes. Ses landes sauvages aux clochettes de bruyère,
ses dolmens, ses menhirs, ses blocs de granit, ses côtes rongées par
rOcéan, sa race primitive c de granit elle-même », a dit Michelet^
« d'une grande noblesse et d'une farouche indépendance », enfin la
belle Armoiique tout entière s'est présentée à Tauditoire très nombreux,
tant Français qu'Anglais^ dans la poétique évocation du conférencier.
Dans ce cadre aux riches et brillantes couleurs, M. Huguenet a fait
paraître la noble figure du poète breton Hippoly te Lucas^ dont la ville
de Rennes s'honore à juste titre.
Ha parlé successivement de notre compatriote comme poète, critique,
journaliste, traducteur et romancier. M. Huguenet a tenu les auditeurs
sur le charme par la lecture d'extraits des Heures d*amoar et de la ra-
vbsante variété : Le Grand Faucon du pic de Ténériffe, qui a excité une
hilarité générale.
L'éminent conférencier, qui a tout fait pour le développement de la
NOTICES ET GOHPTES RENDUS 481
langue française de l'autre côlé du détroit, a terminé sa confiance en
s'exprima nt ainsi :
« Oui, les poésies d'Hippolyte Lucas sont de celles qui sont propret à
nous charmer aux heures de Tinsomnie ; ses rêveries^ ses joies, ses
soupirs et ses larmes sont hien ce que nous avons tous éprouvé. U nous
montre le cœur humain tel qull est, avec ses imperfections et ses fai-
blesses, mais aussi avec ses aspirations, ses combats, sa résignation, ses
victoires. II nous console, il nous encourage. Ceux qui écrivent de tels
livres doivent-être rangés parmi les bienfaiteurs de l'humanité ; ils ont
droit à la reconnaissance des générations futures. Aussi, la ville de
Rennes, voulant honorer la mémoire d'Hippolyte Lucas, a*t*elle fait
placer une inscription commémorative sur sa maison natale. Elle a
donné son nom à une de ses rues. Son buste est placé dans les musées
de Rennes et de Saint-Malo. Mais ce ne sont là que des honneurs provi-
soires et insuffisants, et le jour n'est pas éloigné, nous n'en doutons
pas, où les édiles de l'ancienne capitale de Bretagne élèveront une statue
à celui qui Ta illustrée par ses yertus et par ses écrits !
Cette éloquente péroraison a été saluée par les applaudissements en-
thousiastes du nombreux et élégant auditoire qui remplissait la salle.
La lecture d'une lettre de lord Tennyson à Hippoiyte Lucas a vive-*
ment intéressé un public qui, il y a quelques mois, escortait vers sa
glorieuse tombe, à Tabbaye de Westminster, le poète lauréat de l'An*
gle terre.
« Les poètes sont frères », écrivait l'auteur de Thomas Becket à
l'auteur des Heures d'amoury qui peut lui être comparé sous plus d'un
rapport, c ils se comprennent et s*aiment en dépit de la distance et des
différences de nationalités. > C'était le cas de se rappeler cette conso-
lante vérité.
Parmi les Français que le vent de la fortune a jetés sur les blanches
côtes d'Albion, et qu'une heureuse inspiration avait portés samedi der- *
nier vers le Collège des Précepteurs, aucun, je pense, ne s'est senti Tâme
aussi émue que le Breton qui trace ces lignes, et sur les lèvres duquel
viennent les vers de Chateaubriand, composés peut-être pendant son
exil à Londres :
Gombiea j'ai douce souvenance, etc.
y VON Kermar.
Londres 29 mai 1993.
48'2 NOTICES ET COMPTES RENDUS
Aperçus graphologiques, en trente causeries, par R. de Salbkrg
(prix 2 francs), en vente aux bureaux du Gratis, ii, rue PauK
Louis-Courier. — Paris-Nantes, imprimerie Paul Plédran, 1893.
€ Dne signature en dit plus long au graphologue que dix ans
d'intimité •, dit Madame R. de Salberg à la page 83 de son charmant
volume, et elle conclut à ceci : « Dans les circonstances majeures, à la
veille d'un mariage, d*une association commerciale, d*un Iidoicommis^
au lieu de recourir aux agences de renseignements d'amis complaisants
ou d*agences trlcoches trop louches ou trop éclairées pour bien y voir,
il conviendrait d'interroger un graphologue qui, partant de la certitude
d'une attestation intime, vous dépeindrait le caractère du souscripteur
et vous répondrait, non de la solvabilité de celui-ci, mais de son plus ou
moins de droiture. ■ A en croire M™» de Salberg : t Griffonner deux
lignes équivaut à une confession publique (p. 6). » Les lettres plus ou
moins bien formées, plus ou moins bien détachées, plus ou moins
grosses ou petites, plus ou moins droites ou penchées dans le corps
d'un mot suffisent pour faire connaître vos défauts ou vos qualités. Il
parait même que Ton peut pousser plus loin encore ses investigations.
D'après Crémieux-Jamin, cité par M""" de Salberg, on reconnaît un
apoplectique « à l'écriture dégringolante comme Tentraînement de
tout corps ne pouvant se soutenir », on reconnaît « une maladie de
cœur aux déliés brisés i,on reconnaît un obôse « aux points semés où il
n'en faut pas >, un « asthmatique » à cette même profusion de
points, mais légers, etc., etc. C'est véritablement effrayant ; et après la
lecture des causeries si fines, si intéressantes, si amusantes et si sérieuses
à la fois de M">® de Salberg, je suis véritablement tenté de demander à
la Société des Bibliophiles bretons de vouloir bien délivrer son secrétaire
de cette confession journalière et publique par l'écriture en lui fournis-
sant une machine traçant des lettres d'imprimerie, car désormais il va
trembler en signant Dominique C.villé.
Nous sommes heureux d'annoncer à nos lecteurs la très prochaine
apparition des premières livraisons de la * deuxième monographie des
Paysages et Monuments de la Bretagne. Elle aura pour titre : Pont-
l
»
NOTICES ET COMPTES RENDUS 483
VAbbé, Lambour, Fouesnant et Ploagastel-Saint-Germain, et renfermera des
notices rédigées par Paul du Ghatellier et Ducrest de Villeneuve.
Voici la nomenclature des héliogravures hors texte qui illustreront
les quatorze livraisons de cette monographie :
PONT-L'ABBÉ, LAMBOUR, FOUESNANT,
ET PLOUGASTEL-SAINT-GERMAIN.
(Finistère)
Héliogravures hors texte
1^ Pont-l'Abbé, — Le chevet de l'église, vue prise du port, au nord-est.
2« Id, — L'église de Lambour, façade ouest.
3« Lodudy. — L'église, vue de la nef principale.
/i' Id. — La rivière de Pont-l'Abbé et la cale du port.
5® Penmarc*h. — Le cimetière et le chevet de Téglise, vue prise au sud-
est.
6' Id, — L'église, porte latérale sud du Narthex.
7® Id. — Les restes de l'église S.-Guénolé, vue prise à l'ouest.
8* Kerity, — Les ruines de l'église, vue prise au sud-ouest.
Q»' Sl'Jean-TroUmon, — ■ La chapelle et le calvaire de Tronoën .
10* Id, — Le calvaire de Tronoën, vue prise à Test,
ï 1° Plomear. — Ruines du château de Lestiola.
ia« Combrii. — L'anse de Sainte-Marine, rivière de TOdet.
i3** Fouesnant. — L'église, la nef centrale.
i4* La Foresten Fouesnant. — L*église, façade ouest.
i5® Cto/iarsenFo«««nan(. — L'église et le cimetière, vue prise au sud-ouest.
i6° Id. Id. — Chapelle et fontaine du Drennec.
17® Puerguet en Foueswmt. — Chapelle, ossuaire et calvaire, vue prise au
sud-ouest.
i8' Bénodet. — Vue générale, prise de Sainte-Marine.
19" Plouga^tel- Saint-Germain. — Eglise Saint-Germain et le calvaire, vue
prise au sud-ouest.
30* Plonéour^Lanuern. -^ Chapelle de Languivoa.
21® Peumerit, — Entrée du château de Penquellenec.
22° Tréogat. — L'église, vue intérieure du sanctuaire.
23' Plovan, — L'église et le calvaire, vue prise au nord-est.
24** Id, — Ruines de la chapelle de Languidou, vue intérieure prise
au nord-ouest.
20° Pouldrezic. — Chapelle de Lababan, vue prise au sud-est.
484 NOTICES ET COMPTES RENDUS
Héliogravures da?ïs le texte.
I Penniarc'h, — La Pointe Rocheuse, vue prise à demi -marée,
a Locludy, — L'Ile Tudy, vue prise de Tanse de Langoz.
3 Combrit. — La rivière de Quimper vue de la falaise de Kergrand.
k Ija Forest en Fouesnant, — Rivière du prieuré de Locamaud.
5 Menhir de Kervadeldu château de Kernaz,
Plus soixanle-dix à quatre-vingts dessins dans le texte.
On souscrit : A Rennes, chez MM. Plihon et Hervé, ainsi que chez
M. H. Gaillère, libraire-éditeur.
A Quimper, chez M. Le Braz, libraire.
A Saint- Brieuc, chez M. R. Prud'homme, libraire.
A Nantes, chez M»« Vcloppé, libraire.
A Brest, chez M. Jean Robert, libraire.
L'ÂBSE>TE, par Charles-Bernard (prix a francs). — Rennes,
lly aci n the-Cail Hère , li braire- éditeur, i SgS .
C'est toute l'histoire d'une âme de vingt ans que Charles Bernard
nous conte dans son délicieux poème l'Absente. Un jeune poète s'est
laissé prendre aux yeux enchanteurs d'une jeune vierge ; il Taime d'un
véritable amour^ d'un amour chaste, j'entends ; il va se promener avec
elle dans le jardin, il s'asseoit à ses côtes sur la terrasse d'un chalet près
de la mer, il rêve de partir et de s'engloutir avec elle dans l'Océan^ il
recueille une fleur froissée entre ses doigts blancs, il la regarde faire
l'aumône à un pauvre et souhaite d'être ce mendiant, que sais-je P Puis
la jeune fille a quitté le pays et le poète reste seul et songe à tous ces
petits incidents de son amour, et, à la différence de Brizeux s'écriant
désespéré :
Celle pour qui j'écris avec amour ce livre
Ne le lira jamais.
11 écrit, lui. plein de confiance, son livre pour sa bien-aimée absente,
pour celle dont l'amour le préserve de tous désirs mauvais (p. 43). Chère
absente, dit-il au début de son poème, d'une facture habile et d'un
style délicatement ciselé et coloré :
NOTICES ET COMPTES RENDUS 48b
Chère absente, depuis que vous m'avez quitté,
Le grand soleil n'a plus ni chaleur ni clarté...
Les vents d*octobre ont remplacé les brises douces.
Et les feuilles jadis vertes aujourd'hui rousses.
Avec un bruit plaintif s'essaiment dans les bois...
Les cors clament la mort de la béte aux abois.
Le Ciel est morne et gris, la tempête fait rage.
Et les petits oiseaux que transperce Torage
Frissonnent au lieu de chanter dans les taillis. . .
Et mon cœur est plus triste encor que le pays!...
Par les mêmes sentiers où tous deux nous passâmes
J'erre, cherchant partout la trace de nos ftmes...
Hélas ! . . . notre sillage est si vite effacé
Qu'il ne reste plus rien de cet heureux passé
Et que, pour retrouver ce que j'aime et qui m'aime.
Je me vois obligé de rentrer en moi-même. . .
El c'est pourquoi, bravant l'absence et les hivers.
Pour vous qui les lirez je cisôlo ces vers
En poète féal et chroniqueur fidèle.
Pour que vous sachiez bien, ô sauvage hirondelle.
Quand vous nous reviendrez joyeuse quelque jour,
Que j'ai vécu des souvenirs de notre amour.
Puisse le jeune poète retrouver sa bien-atmée fidèle et ne pas la revoir,
comme Henri Heine la sienne, devenue la femme d'un br^ve homme
d'affaires ! Puisse-t-il l'épouser alors que les passions n'ont pas étiolé
son cœur, et puisse-t-il trouver le bonheur en elle seule, le bonheur qui
n'est, suivant l'expression d'un grand écrivain, qu'un rêve de jeunesse
réalisé dans Fâge mur !
D. Caillé.
H s'est formé à Lorient, sous la présidence d'honneur de François
Goppée, une Revue littéraire et artistique mensuelle, Le Biniou, Dans le
dernier numéro, nous relevons, à côté de jolis vers de MM. Paul Lorans,
Ichel d*A.mor, Emile Blandel, Stanislas Millet, les intéressantes im-
pressions de voyage en Algérie de notre collaborateur M . Jos Parker.
La Hevue de Bretagne envoie un cordial souhait de bienvenue à son
jeune confrère, Le Biniou.
48ft NOTICES ET COMPTES RENDUS
La CuALOTAis ET LE DUC d'Aigujllo.n (Correspondance du cheva-
lier de Fontette), par Henri Carré, professeur d'histoire à la
Faculté des lettres de Poitiers. — Un volume in-8' de plus de
600 pages. — Paris, librairies-imprimeries réunies (ancienne
maison Quantin), May et Motteroz, directeurs» 7, rue Saint-
Benoit. — Prix : 7 fr. 5o.
M. Henri Carrée érudit distingué, naguère professeur d'histoire à
Rennes, avait déjà public, ces dernières années, des travaux tor| remar-
quables, fort intéressants pour la Bretagne, quoique empreints, du
moins dans certaines parties, d'un esprit peu breton. Nommons, entre
autres, le Parlement de Bretagne après la Ligue, les Recherches sur Vad-^
minislralion municipale de Rennes au temps d*Henri IV, etc.
Aujourd'hui professeur à la Faculté de Poitiers, M. Carré n'a pas cepen-
dant perdu de vue la Bretagne, qui elle non plus ne Ta point oublié.
Ce qui le prouve, c'est le volume dont le titre est inscrit en tète du
présent article, volume fort cuiieux pour la connaissance de cette
Affaire La Chalotais qui tient une si grande place dans Thistoire de la
Bretagne au XVIII" siècle, et qui n'est d'ailleurs qu'un épisode de la
longue lutte soutenue par les Bretons pour la défense de leurs libertés
nationales contre les roueries et les violences du despotisme ministériel.
M. Carré a retrouvé à Dijon la correspondance du chevalier de Fontette
en 1766-1768. A ce moment la lutte était fort ardente : le champion en
Bretagne du despotisme ministériel était le célèbre duc d'Aiguillon.
Fontette, lieutenant de roi, gouverneur de Saint^Malo, était l'un des
auxiliaires les plus fervents de ce duc ; ses principaux correspondants
sont MM. Barrin et de la Noue, deux âmes damnées du môme d'Aiguillon,
mais tous trois hommes d'esprit, contant dans leurs lettres beaucoup
d'anecdotes, montrant plus d'un dessous de cartes, et disant sans se
gêner tout ce qu'ils pensent. Cette correspondance est donc, je le répète,
curieuse, intéressante, amusante ; mais je serais bien étonné si, étudiée
avec soin, elle ne donne pas des conséquences passablement opposées
aux opinions exposées par M. Carré dans son introduction.
Prenant le contrepied de l'opinion universellement admise, M. Carré
professe en effet que La Chalotais n'a pas été persécuté, que
NOTICES ET COMPTES RENDUS 487
c'est lui plutôt qui a persécuté d'.\iguillon, lequel se serait montré
en tout cela d'une douceur et d*une patience angéliques, et aurait
eu constamment le bon droit pour lui. Malgré le talent de son
auteur, je ne crois pas que ce paradoxe prenne jamais place parmi
les vérités historiques : il faudrait pouvoir faire oublier les deux ans
de prison, les neuf ans d*exil infligés à La Ghalotais par la triste politique
que le duc d'Aiguillon servait et pour des griefs dont aucun ne
put ni ne pourra être prouvé vrai. Avant tout il faudrait oublier que
les Bretons défendaient leurs libertés politiques et administratives,
garanties par les titres les plus certains, entre autres le droit de con-
sentir rimpôt, droit formellement confirmé tous les deux ans par le roi
dans le Contrat des Etats et que la lutte soutenue par d'Aiguillon avait
tout simplement pour but de supprimer.
Mais — quoi quil en soit du paradoxe — la Correspondance Fontetle
n'en fournit pas moins beaucoup de renseignements, de détails, de
traits de mœurs et de caractère qui, bien contrôlés, bien employés, ai-
deront beaucoup l'historien de cette jurande lutte à reconstituer la phy-
sionomie des hommes et des choses
Cet historien existe en effet, et depuis plusieurs années il épluche, il
étudie tous les documents, il travaille avec ardeur à son œuvre ; c'est
M. Barthélémy Pocquet, qui a déjà publié dans la présente Revue di-
verses études sur cette époque, et à qui nous devrons bientôt une his-
toire complète de raffaire de La Ghalotais et du gouvernement de d'Ai-
guillon en Bretagne, laquelle sera pour le moins aussi intéressante, aussi
consciencieuse que le livre si apprécié du même auteur sur les Origines
de la Révolution en Bretagne,
Il saura, n'en doutons pas. tirer le meilleur parti de la curieuse et
excellente publication de M. Carré, sur laquelle d'ailleurs, si nous le
pouvons, nous serons heureux de revenir avec plus de détails.
A. DE LA B.
g
TOME IX. — JUIN 1893 3a
V V >;
■V
"^
.'7 «► s- 1 • •
TABLE GÉNÉRALE DU VOLUME
ANNÉE 1893. — PREMIKR SEMESTRE
JANVIER
I. * Joseph Foachêy duc dVtrante, d*après une correspon-
dance privée inédite publiée par D. Cailla 6
II. — Chants de divers pays, poésies inédites d*HiFPOLYTB
Lucas (suite) i6
III. — NâCROLOQiE : Af. Siméon Lace a3
IV. — Souvenirs d'an vieux capitaine de frégate, par J.-M,-V.
Kbrtilbr (suite et fin) a5
V. — M, Stéphane de la Nicollière^Teijeiro, archiviste de la
ville de Nantes 47
VI. — Poésie brvtonne : Bénédiction de la nouvelle église de
Camlez, par le Roitelbt db Saint Yybs 56
VIL — Coins db Bretagnb : Marie-Rose (suite), par Stlvanb. 67
VIII. — Noticbs bt coiCPTBS RENDUS : Les ChoTs aux diverses
époques f de M, le baron de Wismbs; — La comtesse de
Chambrun,ses poésies, par M. 0. de Qourcuff: — Dé-
cadence^ de M. Thomas Maisonnbuvb ; — La duchesse
de Berry en Vendée et à Blaye^ de M. Imbert de
Saint-Amand, par m. D. Caillé 76
FÉVRIER
1. — Cours d'histoire de Bretagne par M. A. de la Bor-
DERIB : Le règne de Jean IV, duc de Bretagne 81
IL — Les Grandes Seigneuries de Haute^Bretaghe (suite), par
M. le chanoine Quillotin de Gorson 100
IIL — Contes de la Haute-Bretagne (suite) par M. Paul
Sébillot 108
IV. — Poésies françaises : A, Le Vitrail du Chevalier, par
M. Joseph Rousse ; — B, La Mort du Barde, par
M, Yves Berthou 117
V. — Nouvelles et Récits : Tristan Morgan, par M. Jos
Parker lai
Vï. — La Bretagne au théâtre^ par M. O. de Gourcufp. ., 126
VII — Notices et comptes rendus : Armorique et Bretagne,
de M. René Kervilbr, par M. P. de Lislb. — La ^
Mennais diaprés des documents inédits^ de M. Alf.
Roussel, par M. Ch. Robert, de l'Oratoire, —La
É^^mÊMaam
^ *l^.
49U TABLE GÉNÉRALE
baronnie de Eosirenen, de M™* la C'*"« du Laz, par
C. K. — Bouquinistes et Bouquineurs, de M. Octave
UzANNE. — La Femme dans la Grèce antique. La
Femme dans Vancienne Borne, deux brochure de £m.
M. — Les Chxints oraux du peuple russe, de M. Achille
MiLLHBN, par O. DE GouRCUFF. — Un Poète de clo-
cher : Les Heures calmes^ de M. E. Adam, par D,
Caillé. ^ La décevance du Vrai, de Ed. Thiaudib:re ;
— Grains de sable, de M. Mauorrbt, par L. L. —
L* Anglicanisme el les sectes dissidentes, de M. Fabbé
Drusle, par le P. Bliard, s. j. ^Histoire delà
Littérature française, du P . Caruel, par le P . Dar-
BLY, s. j. — l/n Poète de chevet, de Ch. Fuster ;
— La Cloche sonnette des Cléons, de M. F. Chaillou,
par O. DE GouRCUFF 128
VIiI. — Chronique des Bibuophiles Bretons : Séance du ii
jèvrier 1893 i5a
MARS
I — Cours d'histoire dr Bretagne par M. A. de la Bor-
derib : Le règne de Jean I\\ duc de Bretagne 161
II. — Les Grandes Seigneuries de la Haute- Bretagne (suite).
— M. le chanoine Guillotin de Corson 1^7
III. — Notes sur les familles Le Ray de la Clartais et Le
Ray du Fumet. — M.Joseph Rousse 19O
IV. — Contes de la Haute-Bretagne (^suile). — Paul
Sébillot ... 2 1 3
\. - Poésies bretonnes : Landreger ha Tregastel : Tré-
guier et Tregastel. — Le Roitelet de Saint- Yves. 221
M. — Poésies françaises: Idylle, de Ch. Lb Coz ; Sursis,
de Frédéric Plessis 229
VII. — Nécrologie : Le comte Ernest de Cornulier-Lucinière, 234
Mil. - Notices et comptes rendus : Répertoire général de
Bio-Bibliographie bretonne (i6* fascicule) de
M. Uenb Kerviler ; — Les Procédures criminelles
en Basse-Bretagne, de M. le docteur Corrb ; —
Les Aventures de la princesse Soundari, roman
de Mary Summer, par M. 0. deGourcufe ; — Bre-
tagne-Revue ; ~ L'Archiviste ; — Le Concours
du Sonneur de Bretagne ^ par M, Léo Lucas. —
Educateurs et moralistes, de M. Léon Séché ; —
Le Sacré-Cœur de iV.-S. Jésus-Christ; Petites
Glanes ; — Histoire du concours Delaunay et la
question des concours, de M. Lbgendre, architecte;
— les Souvenirs d'un vieux capitaine de jrégate,
publiés par son fils (M. René Kerviler), par
M. D. Caillé ; — A Af. Dominique Caillé, par
M. Raymond du Doué 235
r^.
TABLE GÉNÉRALE 491
AVRIL.
1. — Cours d'histoire de Bretagne par M. A. de la Ror-
DBRIE ; Le règne de Jean IV, duc de Bretagne ; Troi-
sième Paitie : Querelle d^ Jean I Y et du connétable de
Clisson (suite) a45
II. — Les Grandes Seigneuries de Haute Bretagne (suite). —
M. le chanoine GuiLLOTiN DE Ck)RSON 273
III. — Mémoin» d'un Nantais.., a86
IV. — Poésie bretonne ; Er Handerwfal, le cousin méchant.
— Yan Kerhljcn 297
V. — Poésies françaises; La Barque, par M. Emile
Grimaud : — Les Sorts, par M. Jos Parker 3o3
VI. - Conférences deU, Ch. Fuster sur la Bretagne 809
VIL — NÉCROLOGIE ; Damase Jouaust, M. Raymond du Doré. . . 3i i
VIIl. — Notices et Comptes Rendus: Le Sage, de M. Euo.
LiNTiLiiAG ; — Le Centenaire de Casimir Delavigne^ de
M. Ch. Lb GoFFic, par M. O. de Gourcupf ; — Edu-
cateurs et Moralistes, de M. Leon Séché ; — Les Villes
disparues de la Loire-Inférieure, de M. Léon Maître ;
— L*Art d'aimer, de Regnard. publication de
M. Robert de Cran, par M. D. Caillé. — Les
Archives du château de Saffré, publication de M. le
marquis de l'ëstourbbillon, par A. L ' ... 3 1 4
1\. — Les Amis de saint Yves^ par M. A. de la Borderib. . . . 3a5
MAI
I. - Kalendrier historial de la Vierge Marie. — A. de la
Bordbrie 337
IL — Les Tombeaux des ducs de Bretagne, par M. P. de Lislb
du Dréneuc 343
III. — Les Oubliés : Jean^Pierre Pillet, Jean-Simon Chassin,
par M. DE LA Nicollibre-Tbijbiro 354
IV. — Les Grandes Seigneuries de Haute- Bretagne (suite). —
M. le chanoine Guillotin de Corson. 3G9
V. — Mémoires d'un Nantais (suite) 376
Vl. — Poésies françaises : A, Rayon du cie/, par M. P. Gi-
guELLO; — B.La Vierge au ciboire, par M. Jh. Rousse. 384
VIL — Pro Gallia^ les Héros de Corneille, pièce en i acte et
en vers 388
VIIL — Pour les braves du Dahomey, poésie de M. 0. i>s
GouRCUFF 395
IX. — Nouvelles et Récits: Les Croix noires, légende vraie. 397
492 TABLE GÉNÉRALE
X. — NoTiCBS BT GoBïPTBS RENDUS : Le Serment d'un Breton
ou les Réfractaires de 1832 , drame de M. Jules
GaiNGOiRE ; — Uœnvre de Zola, de M. Aug.Sautour.
— Une Question historique, document inédit sur Ca-
thelineau^ de M. Jh. Rousse ; — Le lit du Saint, lé-
gende, de M. le vicomte de Collevuxe ; — Allocu-
tion du P. LiBERCiER pour la pose de la première
pierre de la chapelle de Técole Saint-Elme, à Ar-
cachon ; — Etude sur le sommeil et ses phénomènes,
de M. Em. Maillard ; — L'Angleterre devant ses al-
liés, de M. Paul Gottin ; — Un Officier vendéen : le
baron Duchesne de Denant, de M. le vicomte P. de
Chabot, par M. 0. de Gourcuff. — A la pointe du la
plume, poésies de Paul Pionis, par L. L 4oi
JUIN
I. — Cours d*histoire dr Bretagne par M. A. de la Bor-
DERnc : Le règne de Jean IV duc de Bretagne ; Qua-
trième partie : Evénements divers ; Art militaire, . , 407
II. — Le siège de Nantes en 1793, extrait de d'Elbée géné-
ralissime, de M. 0. de Gourcuff. ouvrage en
préparation •. .•• 436
III.— Les Tombeaux des ducs de Bretagne, par M. P. de
Lîsle du Dréneuc 453
IV. — Poésies françaises : Préface pour un livre breton,
par M. Ch. Le Goffic ; — Marines, par Stlvane ;
— Sonnet, par M. D. Caillé.*. 471
V. — Notices et Comptes rendus : Etudes documentaires
sur la Révolution française, la Vendée patriote, de
M Ch. L. Chasstn ; — La Diffamation et la loi du 29
Juillet 1881, de M. J. Gahier ; — Le Percement de
l'isthme de Corinthe, de M. Léon Durocher, par
M. 0. DE Gourcuff. — Conférence sur la Bretagne
et sur H. Lucas, faite à Londres par M. Huguenbt,
professeur de français, officier d'académie, par
M. y VON Kermar. — Aperçus graphologiques, de
M. R. DE Salbbrg ; — Paysages et monuments de la
Bretagne, de M. J. Robuchon ; — L'Absente, de
M. Ch. Bernard, par M. D. Caillé. — La Chalolais
et le duc d'Aiguillon, de M. H. Carré, par M. H.
DE LA B0RDERIB 476
\
«
(
»
TABLE DES ARTICLES
PAR ORDRE DES MATIÈRES
HISTOIRE •
' Etudes msToRiQOES BRETONNES. <— Cours d^histoire de Bretagne, par
M. ArthuYâe la Bor^erîe : Le règne ^ Jean IV, duc de Bretagne (936^^
1899) p. 81-99; 161-186; 345-272; 407-435. — Les grandes sèigneut'ien
de Haute^Bretagnet comprises dans le. territoire actuel. du département
d*Ille-et- Vilaine, par M. le chanoine Guillotin de Gorson p. ioo-.i07.v
187-195 ; 273-285; 369-875. — Les Tombeaux des ducs de Bretagne, par
M. P. de Lisle du Bféneiic^ p. 343-353; 453-470. — Le Siège de Nantes
par les Vendéens (29 juin 1798), par M. Olivier de GourcufF, p. 43.6-402 .î
Documents uvédits. '— Joseph Fouché, duc dVlrante, d*après une côr-
i;e8pondance privée inédite publiée par Dominique Caillé, p . 6*1 3.
Bibliographie bretonne. — M. Stéphane de la Nicollière-Teijeiro, archi-^
viste de la ville de Nantes par M. Joseph Rousse, p. 47-55/ — • Noies sur
les Familles Le Ray de la Clariais et Le Ray du Fumet, par M. Joseph
Rousse, p. 196-212.— Les OabUés : Jean-Pierre Pillel, Jean-Simon Chassin,
par M. S. de la Nicollière-Teijeiro, p* 354-368.
Mémoires et Souvenirs. — Souvenirs d'un vieux capitaine de frégate,
par J. M. V. Kerviler (fin), p. 25-46. — Mémoires d'un Nantais, p. 286-
296, 376-888.
Nécrologie. — M. Siméon Lace, par M. Arthur de la Borderie, p. 28-
24. — Le comte Ernest de Cornulier-Lucinière, par M. Olivier de Gour-
cuff, p. 284-235. — M. Damase Jouausi, par M. L.L. — M, Raymond du Doré,
par E. G., p. 3ii-8i3.
LITTÉRATURE
Variétés bretonnes. — Les Amis de saint Yves, par M. Arthur de la
Borderie, p. 325-826. — Rosa mystica. Kalendrier historial de la Vierge
Marie, par M. Arthur de la Borderie, p. 827-842.
Documents littéraires. — Chants de divers pays, poésies inédites
d'Hippolyte Lucas, p. 16-22.
'•••4 TABLE DES ARTICLES PAR ORDRE DES MATIÈRES
Poésies bretonnes. — Benediksion ann iliz neve em Kamlez (Bénédiction
de la nouvelle église de Camlez) par le Roitelet de saint Yves, p. 56-66. —
Landreger hà Tregastel (Trégaier et Trégasiel) par le Roitelet de saint
Yves, p. 221-228. — Er Handerw fol (Le cousin méchant), par Yan
Kerhlen, p. 297-802.
Poésies françaises. — Le Vitrail du chevalier, par M. Joseph Rousse,
p. 117-118. — La mort du Barde, par M. Yves Berthou, p. 1 19-120. —
Idylle, par M. Ch. Le Goz, p. 229-282. — Sursis, par M. Frédéric
Plessis^ p. 288. — La Barque, par M. Emile Grimand, p. 3o8-8o4. —
Les Sorts, par M. Jos Parker, p. 8o5-3o8. — Rayon du ciel, par P. Gi-
quello, p. 384-885. — La Vierge au ciboire, par M. Joseph Rous-se,
p. 886-887. — Pro Gallia. Les héros de CorneiUe» Pour les braves du
Dahomey, par M. Olivier de Gourcuff. p. 888-896. — Préface d'an livre
breton^ par M. Ch. Le Gofflc, p 471. — Marines, par Sylvane, p. 474.
— Sonnel, par M D. Caillé, p. 475.
Contes bretons. — Contes de la Haaie^Breiagne, par M. Paul Sé-
billot, p. 108- 116, 218-220.
Paysages bretons. — Coins de Bretagne : Marie Rose, par Sylvane,
p. 67-75.
Nouvellbs et récits. — Tristan Morgan, par M. Jos Parker, p. 121-
125. — Les Croix noires, légende vraie, par le V" H. de Tourneminc,
p. 897-400.
Variétés artistiques bretonnes. — La Bretagne au théâtre, par
M. 0. de Gourcuff, p. 126-127. — Conférences de M. Charles Fuster sur
la Bretagne, par O. de Gourcuff, p. 809-8 10. — Une conférence de
M. Huguenet sur un poète breton, par M. O. de Gourcuff, p. 48o-48i.
Comptes-rendus de livres. — - Les Chars aux diverses époques, de M. le
baron de Wismes, p. 76-77; — La comtesse de Chambrun, ses poésies,
!>. 77-78, par M. Olivier de Gourcuff. — Décadence, de M. Thomas Maî-
Fonneuve, p. 78-79. ; — La duchesse de Berry en Vendée et à Blaye, de
M. Imbert de Saint-Âmand, p. 79-80, par M. Dominique Caillé. —
Armorique et Bretagne, de M. René Kerviler, par M. P. de Lisle, p.
138-184. — La Mennais, d*après des documents inédits, de M. Alfred
Roussel, par M. TabbéCh. Robert, p. i84-i88. — La baronnie de Rostre-
nen, de M"* la comtesse du Laz, par M. C. K., p. i88-i4i. — Bouqui-
nistes et Bouquineurs, de M. Octave Uzannc. p. i4i-i42 ; La Femme
dans la Grèce ancienne, la Femme dans V ancienne Rome de M. Em. M. , p.
1 42-1 48; — Les Chants oraux du peuple russe, de M. Achille Millien.p. i48-
i44, par M. Olivier de Gourcuff. — Les heures calmes, de M. F. E. Adam,
p. i44-i47, par M. Dominique Caillé. — La décevance du vrai,de M. Ed-
TABLE DES ARTICLES PAR ORDRE DES MATIÈRES 495
n mond Thiaudière, p. 1 47-1 48 ; — Grains de sable, de M. Maugeret p. i48,
par M. L. L. — L'Anglicanisme et les sectes dissidentes^ de M. l'abbé
t Delisle, par le P. Bliard, p. 148149. — Histoire de la Littérature franr lise ^
^ ^11 P. Caruel, par le P. Darbly, p. i49-i5o. — Un Poète de chevet, de
Gh. Kusler, p. i5o-i5i; La Cloche^sonnette gatlo- romaine des Cléons, de
M. Félix Ghaillou, p. i5i, par M. O. de G. —7 Répertoire général de Bio-
' bibliographie itr étonne, de M. René Kerviler(i6« fasçîcale), p. 235-a37; —
Les Procédures criminelles en Basse- Dr Hmjne, de M. le docteur A. Gorre,
c p. 387 ; — Les Aventures de la princesse Soandnri, de M™" Mary Summer,
a38-a3(), par M. Ofivtcr de Goal'culT. — Bretagne-lieime, par L. L. p.
p. 289 . — L'Archiviste, le Sonneur de Bretagne, p. 239-240. — Educateurs
\ et moralistes, de M. Léon Séché, p. 24o ; — Le Sacré-Cœur de i\. S. Jésus-
a Christ. Petites Glanes, p . 2 'i i ; — Histoire du concours Delaunay et la question
V des concours, de M. A. Legcndre, p. 2'ii ; — Souvenirs d'un vieux capitaine
1. de frégate, de J. Kcrviler, p. a '12, par M. Dominique Caillé. ^7 Eludes et
lerons sur la RévoluUon française, de M. F. A. Aulard, p. 243-2 i'i. —
Le Sage de M. Eugène Linlilhac, p. 3\4-3iG ; Le centehàite de Casimir
Delavigne, de M. Ch. LeGoffic, p. 3i6-3i7, pîir M. Olivier de Gourcuff.
] — Educateurs et Moralistes de M. Léon Séché p. 317-319; — Les villes dis-
parues de la Loire-Inférieure, de M. Léon Maître, p. 319-322 ; — VArl d'ai-
mer, poème de Regnard publié par M de Glan» p. 3,22, par M. Dominique
Caillé. — Archives du chdleau de Saffré, de M. le marquis de TEstour-
beillon, par A. L. p. 323-324. — Le serijient d'un Breton ou les réfractaires
de (832, de M. Jules Gringoire, p. 4oi ; — Lœuvre de Zola, de M. Auguste
Sautour. p. 4oi-4o2 ; — Document inédit sur Calhelineau de M. Joseph
Rousse, p. 4oa ; — Le lit du saint, de M le vicomte de Golleville, p. 4q2 ; —
Allocution da R. P. Libercier, p. 4o3 ; — Etudes sur le sommeil et ses phé-
' nomènes, de M. Em. ^failla^d, p. 4o3 ; — ^La cliatellenie de Bain et le mar^
Àjaisat de la Marzelière, de M. le chaàoiiie Guillotin de Corson,'p."'4o3 ; —
Un Officier vendéen, de M. lé vicomte P*. deGhal)ot, p . 4b4 ; — La Revue du
Bas- Poitou, p. 4o5, par M. Olivier de GourcuiT; - A la pointe de la plume,
' de M. Paul Pionis, par M. L. L , p. 4o5-4o6 ; -«- L'Ahgleterre devant ses
cXUès, de M. Paul Gotln, p. 4o6. — La Vendée patriote, de M' Ch. L.
dhassin, p. 476-478 ; — La diffamation, de M. J. Gabier, p. 478^479 ; —
Lé percement de l'Isthme de Corinthe, de M. Léon Durocher, p. 4*f9-4î^o,
par M. Olivier de Gomtcm^ ',— Aperçus graphotoguines-, dèM. R. de Siilberg»
p, 482 ; — L'At)sente, dé M. Ch. Bernard, par M. D: Caillé, p. 484 ; —
La Chalotais et le dac d'AiguiUoni de M. H. Carrer par M. A de la
: tfiorderie. p» 486-487.
TABLE DES MATIÈRES
PAR NOMS D'AUTEURS
BsMTBou (Yves). <— La mort du Barde^ iig^-tao.
BiBuoniitEs Ervtons (Chronique des), ^ Séance du ii février lê^S»
i5»»i6o.
BuARD (Le P.)* — L'AnglieanUme et les sêctes diêêidmUes, de M. Tabbé
Dellsle, 148*1^9.
BoRBEnts (Arthur de U). — Goura d'histoire de Br^agne; Le règne de
Jean IV dae deBretagne; 61-99; 161-186; a45-»73; io7-435. — H^^JUmicH
Lace, a3. ai. — Lei amii de eaint Ytfes, 3a5*3a6. •« Bôia myêHeOp
Kalendrier historial de la vierge Marie^ 3»7-3i9. ^ La ChaMaiê et le duc
d'AigttUhn, de M. Carré, 486-487.
Caillé (Dominique). -- Joeeph Fouohé, <fwi d'CHranU^ d*apiép ttn#eor-
reepondance privée inédite» 6-i5. — Décedence, de M. Thoniai Maiion-'
neuve, 78-79; — La duchesse de Berry en Vendis et à BUiye^ 79"^*
-^ Les heures calmes, de U. F. fi. Adam» x44-i&9* -** Bdu^ateurs et mo-
raUstês, de M. Léon Séché, a4o. -* Le Sacré Cotor de N -Seigneur Jésus-
Christ, Petites Glanes^ ait. — Histoire du concours Delaufiay et la
question des concours, de M. A. Legendre* 94i« -* Souvenirs d'un vietur
capitaine deft'égaiê, dei. Kerviler» 949. — EdiioùUurs et moraUst^s, de
M. Léon Séché, 8177319. — Les viUes disparues delà Loir^In/érieure^ de
If. Léon Maître, 319-899. — L'Art d'aisner, poème de Regnard, publié
par M. de Clan, 3aa. — Aperçus graphologiques de M. de Salbergv 48a.
— Sonnet^ k^h• — V Absente^ de M. Ch. Bernard, 484.
Dabblt (te P.). — Histoire de la LiUéraiure française, du F. Cam^,,
149-*! 5o.
Du DonÉ (Raymond). ^ A M. Dominique (^illè^ a4 9*948.
GiQtiiiLLO (P.). — Hayon du ciel, 38/i-3>i>.
> t
TABLB PAR NOMS D'AUTEURS 4f7
Ootmcurr (Olivier de). — Lee Chan aux diverseê époques, de IL le ba-
ron de Wismet, 76-77. — La cômteuê de Chounhrun, $es poéêieê^ 77-78. —
La Bretagne aa théâtre, 128-199. •» Boaquiniites et Boaqnmears, de
M. Octave Uzanne> i4i-i4s. — La Femme dans la Grèce ancienne, La
Femme dans l'ancienne Rome, de M. Em. M., i4a-i43. — Les Chants oraux
du peuple rasse^ de M. Achille Millien, i43«i44. — Un Poète de chenfet, de
M. Charles Fuster, i58-i5i. — LACloche»sonnetUgaJlU)-ronujànedes€léons,
de M. F. Gbaillou, i5i. — Le comte Bmest de ComuUer'' Luemàrîf,
a34-a35. — Répertoire général de Bio-BibUographie bretonne (lO* CMci^
eule), de M. René Kerviler, 935-987. — Les Procédures eriminettes eu
Basse^Bretagne de M. le docteur Gorre, 987 . — Les Atfentures de la prèU"
eesse Soundari, de M«* Mary Summer, 988-949. — L'Arehiinete, Le Sotih
neur de Bretagne, 989-940. — Conférences de M, Okorles Faster sur là
Bretagne^ 809-810. — > Le Sage, de M. E. Lintilhac, 3i4-8i6, — Le Céhh'-
noire de Casimir Delavigne, de M. Gh. Le Goffic, 81(^17. -^ Pho 6alua«
Les Héros de Corneille^ drame en ven. Pour les braves du Dahomey, 888-
J99. — ^ Le Serment d'un Breton ou les r^ractaires de i83l2^ 4^ M. Jule«
^bringolre, 4oi. — VCBavre de Zola, de M. Auguste Sauiour, 4oi-4o9. -*
poeumeni inédU sur CatheUneau, de M. Joseph Rousse, 4o9. '^ Le Lit du
fiaint, de M. le V^ de GolleviUe, 4o9. « AUocuUon du R. P. Liber^
4krf 4o8, — Btudè sur le sommeil et ses phénomènes^ de M. Em* llaillard^
M. — La ChâteHmie de Bain et le Marquisat de la Martelière, de M. le
chanoine GuiUotiil de Gorson, 4o8. — L'Angleterre devant ses alliés, de
M. Paul Gottin, 4o8-4o4. — Un OJfider vendéen, de M. le V^ Paul de
dubot, 4o4. — ' ta Reime du Bas-Poitou, 4o5; — Le Siège de Nantes, par
les Vendéens (^9 juin 1798) 486-459. » La Vendée patriote, de M.
Ghaseinf 476* ^ La diffamatUn et la loi du 29 Juillet, par M. GahSer,
478. — Le percement de l^isihme de Corinlhe^ par M. Durocher, S79. •
GmiMAM (Emile)* — La Barque^ 8o8-8o4. — M. Raymond du Doré^
Jll-3l94
Guiux>nii DB GoasoN (le chanoine). — Les Grandes Seigneuries de
Haate^Brelagne comprises dans le terrHoire actuel du département d^Ille^el^
VUainè; 100-107 ; 187-198 ; 978-985 ; 985 ; 869-875.
G* &. — La Baronnie de Rostrenen^ de M ■• la comtesse du Las, i88>i4 1«
IttaHUBR (Yan), — Br Handerw fal, (Le cousin méchant), 997-809.
ItHivuia (J. M. V.). — Souvenirsd'un vieux capitaine dejirégate, 95-46.
A. L. — Archives du Château de Se^é; de M. le marquis de FEstour-
Millon, J98-3s4.
Luui(P. de). '^ Armorique et Bretagne de M. René Kerviler, 198-
#l4« -- Les Tombeaux des ducà de Bretagne^ 848-858, 458-470*
498
TABLE PAR NOMS D'AUTEURS
Le Coz (Ch. ) . — /dyUe, 939«-a3a.
< • , .■ •
Lu Gorric(Ch.). — Préface d'un livre breton, 471*.
;|jiU^As (Ifippplyte) . -y- Chants de divers pays, poésies inédites, 16-3 a.
Lucas <Léo). — La Décevancè du Vrai, de M. E. Thiaudièrè, i47-i48,
— 'Orrrinî? de sable, de M. Maugerot, i48. — Bretagne^Revue^ a3g, — Né-
crologie : Damase Jouaust^ 3i i-3ia. — A la pointé de la plame, de M. Paul
' ' Piôuis, 4o5-4o6.
Mémoires ,d*un Nantais, 286-2.96 ; 3.-6-383.
Nicx)Llière-Teijeiro (S. de). — Les Oubliés : Jean^Pierre PHlety Jean^
^ Simoti Chassin,^^^'36S,
. . • . * • ■
Parker (Jos). — Tristan Morgan^ lai-iaS. — Les Sorts, 3o5-3o8.
Plessis (Frédéric). — Sursû, 233.
' KoRERT (l'abbé Ch.) — La Mennais, d'après des documents inédits de
M Alfred Roussel i34-i38.
».
Iluii;sLET DE Saint- YvBs (le). — Benediksion an iliz neve en Kamlez
. (Çénédictioa de la nouvelle église de Gamlez), 56-66. — Landreger ha
,, Tregastçl (Tréguier et .Trégastel), 221-228.
• •
• ♦ • RouBSB (Josepb). — M, Stéphane de la Nicollière^TeijeirO, 47-66. —
f Notes sur les. familles Le Ray de la Clartais et Le Ray du Fumet, 196-
. . 212. — Le Vitrail du chevalier, ii'^^i 18. — La Vierge au ciboire, 386-3S7.
Sébillot (Paul). — Contes de la Haute-Bretagne, 108-116, 2i3-220.
Sylvane. — Coins de Bretagne: Marie-Rose, 67-76. -^ MarineSy ^h,
Toi;R!VEMmE (vicomte H. de). Les Croix noires, légende vraie, 397-400.
» j
> .
Le Géranf, : R. Lafqltk.
.*••
Vaiiûcs. — Imprimerie Lafoltb, 9, place des Licet.