Mnémos / J'ai Lu :: 1996 / 2003 :: acheter ce livre

Il serait injuste, cependant, de faire ce procès à Pierre Grimbert. L'intrigue du Secret de Ji, premier volet du Cycle de Ji, la saga qui a fait de cet auteur l'un des plus populaires en matière de fantasy française, est plutôt prenante. Résumons-donc : il y a un peu plus d'un siècle, un prophète a emmené les représentants de plusieurs nations sur l'île de Ji, où leur a été révélé un secret qui a changé leurs vies, et qui les a liés à jamais. Mais aujourd'hui, les descendants de ces sages sont traqués par une secte d'assassins. Quelques-uns, toutefois, vont survivre à ce massacre. Désignés comme "les héritiers", ils vont liguer leurs forces pour échapper à leurs poursuivants, et pour tenter de percer le mystère qui leur vaut la vindicte de ces fanatiques sanguinaires.

Le roman est bien nommé : le secret de l'île de Ji est bel et bien le moteur de l'intrigue, ce qui captive l'attention du lecteur. A mesure que le récit avance dans ce premier tome (le livre original a été découpé en deux volumes), quelques bribes s'échappent, qui permettent de commencer à comprendre le mystère. Peu à peu, on apprend ce qu'il est advenu de quelques héritiers, ce qui se manifeste sur l'île de Ji, quelle menace tout cela laisse entrevoir, et qui est le commanditaire des assassins lancés aux trousses des héros. Pierre Grimbert n'en dévoile ni trop, ni trop peu. Il parvient à nous tenir en haleine.

Mais en dehors de cette intrigue, Le Secret de Ji apporte peu de valeur ajoutée. Le roman nous offre de la fantasy très orthodoxe. Il s'agit en effet d'un habituel roman d'apprentissage, avec de jeunes adolescents qui se découvrent des pouvoirs hors du commun (Léti devient une combattante, son ami Yan un magicien), sous la conduite de maîtres dans leurs disciplines respectives. Le double-motif de la course-poursuite (échapper aux assassins) et de la quête (découvrir le secret de Ji), est aussi on ne peut plus classique. Il en est de même du contexte pré-apocalyptique du roman, et de cette exploration du monde dans laquelle se lancent les héros, forcés et contraints.

Et puis, si l'intrigue est prenante, les actions qui la font avancer le sont moins. Elles sont, le plus souvent, sans surprise. Il n'y a aucune embûche sérieuse, aucun retournement de situation spectaculaire, aucun acte d'éclat. Les plans des personnages, par exemple, se déroulent exactement comme prévus, ce qui fait que la même action est plus ou moins décrite deux fois. Cette lourdeur d'écriture se manifeste aussi dans cette tendance très désagréable qu'à Pierre Grimbert d'expliciter l'évidence, de tirer les conclusions de tel ou tel dialogue, de telle ou telle action, alors qu'ils se suffisent amplement à eux-mêmes.

D'un point de vue formel, il y a aussi beaucoup à redire. Le récit, simple et léger, a les défauts de ses qualités. Ses personnages, un guerrier bougon, un géant débonnaire, une politicienne sage et bienveillante, n'ont rien de remarquable. Ils sont superficiels, leur psychologie est sommaire. Ils sont tous, unilatéralement, des gentils, même Rey, le seul des héritiers qui semble avoir, dans un premier temps, une morale ambiguë. Et leurs ennemis sont immanquablement très méchants, et accessoirement bêtes et impulsifs, comme dans le premier dessin-animé venu. Tout cela aboutit à des dialogues niais, à des histoires d'amour téléphonées et à un monde très manichéen.

Au pays de Ji, il y a donc les méchants et les gentils. La morale du livre devient même assez préoccupante, quand un personnage donne raison à l'un de ses ancêtres, qui avait voulu remettre en cause la tolérance religieuse de vigueur en son pays sous prétexte qu'elle profitait aux cultes démonistes. En lisant cela, on serait à deux doigts de corroborer l'accusation de proto-fascisme, régulièrement lancée par ses détracteurs à l'encontre de la fantasy.

Pour autant, Le Secret de Ji est trop attachant pour réduire Pierre Grimbert à une qualité d'auteur yéyé de la fantasy. Il n'est pas Johnny Hallyday. Il n'est pas non plus le smurf. Il est plutôt le groupe Téléphone, ou NTM : une adaptation modeste et honnête d'un genre substantiellement anglo-saxon, qui conviendra à des adolescents, ou à d'anciens adolescents nostalgiques.