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"Art contemporain ?" (dossier de 13 articles, in "Ligeia : dossiers sur l'art", n° 185-188, janvier-juin 2021, 192 p.)
Si on se réfère à l’histoire de son avènement, l’art contemporain se présente comme le produit d’une convergence et d’une intégration de forces politiques et économiques au sein d’un projet néolibéral qui emprunte en toute nécessité et logique les voies de la domination culturelle. Il apparaît ainsi aujourd’hui comme une institution qui véhicule un modèle et une idéologie artistique bien particuliers, cautionnés et soutenus par ces deux instances déterminantes que sont l’État et le marché.
Même si le concept correspondant ne s’est pas construit en un jour dans sa spécificité présente, l’intitulé traduit clairement une intention de rupture avec "l’art" au sens que "l’art moderne", celui de la première moitié du XXe siècle, avait donné à ce terme.
En effet, à première vue, la notion d’art moderne est synonyme d’idéologie avant-gardiste, d’engagement politique et de volonté de révolutionner la société. Toutes idées incompatibles avec le projet néolibéral. À cette idéologie "progressiste", la notion d’art contemporain – qui a aujourd’hui 60 ans d’âge – oppose une idéologie de la stabilité et de la pérennité, même si c’est sous les dehors d’une production "créatrice" permanente et de succédanés de subversion aux règles bien établies.
L’art contemporain est "l’art" d’un ordre social qui se veut immuable, celui du capitalisme mondialisé, certes toujours perfectible en tant que tel. Modalité artistique, symbole sociétal, production de prestige incarnant les "valeurs" du néolibéralisme, fer de lance de la mondialisation culturelle, vitrine multicolore et ludique d’une société dont il recycle, esthétise et sanctifie inlassablement les déchets et les échecs.
Certes cet art se targue d’être sans dimension idéologique et de n’avoir pour objectif que la création à l’état nu. [...]
Il est légitime de poser la question de la critique et des pratiques critiques possibles de cette formule artistique aujourd’hui dominante. Au niveau de ce qui se présente comme "critique d’art" il faudrait sortir de l’impasse de la critique formelle et formaliste – celle qui accepte le mythe, s’y soumet et le sert. Au-delà du descriptivisme faussement critique qui ressasse le credo normatif, il faut réintroduire l’autre dans le débat, s’ouvrir à l’hétérodoxe, à la réalité collective : sociale, politique, idéologique. On se heurte ici à la logique de l’industrie culturelle néolibérale.
[...]
Il n’y a pas, semble-t-il, d’autre alternative possible face aux dérives de la société de marché que de retrouver le courage du conflit en tant que moteur de la vie artistique aussi bien que politique.
Repenser les conditions et la conception du travail artistique. Mettre à l’honneur l’altérité, revenir au social. Ne pas faire l’économie du sens.
[Extraits de l'introduction au dossier, p. 66-69]
> mis en ligne sur CAIRN.INFO le 15 mars 2021
À lire aussi en ces temps difficiles pour l'art et la culture, l'éditorial de ce n° de "Ligeia" (p. 3-4) :
Un monde dématérialisé (par Giovanni Lista)
La pandémie que nous sommes en train de vivre a littéralement raréfié le monde ainsi que les formes quotidiennes de la vie. L’art en lui-même ne semble pas avoir changé, du moins pour le moment, c’est plutôt la manière de le vivre qui s’en trouve profondément bouleversée. Je reçois de plus en plus d’invitations à regarder des expositions ou à assister à des conférences à travers l’écran de mon ordinateur. [...]
Le processus de dématérialisation du monde a commencé depuis un certain temps déjà, mais on a l’impression qu’il s’accélère désormais d’une façon irréversible. Il faut s’y résigner car la pandémie du Covid, qui nous pousse dans cette direction, n’est certainement pas prête de s’arrêter. À coup sûr, le monde qu’elle laissera derrière elle, sera profondément transformé. On peut se demander s’il sera possible de revenir à une sorte d’innocence première dans la jouissance de l’art, une jouissance qui est faite aussi de relations sociales, de convivialité, de sentiments festifs et de plaisirs partagés. [...]
Les activités intellectuelles liées à la pratique des livres ont déjà largement entrepris ce même chemin vers la dématérialisation. [...]
Il faut savoir que depuis pratiquement dix ans déjà, il existe aussi le programme Google Arts & Culture grâce auquel il est possible de voir sur son écran d’innombrables œuvres d’art conservées dans les musées du monde entier ainsi que des monuments qui sont admirés et visités dans plusieurs pays. La dématérialisation équivaut désormais à un réel rétrécissement du monde et de la vie. On sait pourtant que c’est uniquement par les pieds que l’on peut analyser l’architecture, c’est-à-dire en l’appréhendant par une expérience physique qui nous permet de la parcourir et d’en avoir une connaissance concrète.
Julius von Schlosser, l’un des représentants les plus importants de l’école viennoise d’histoire de l’art, écrivait que l’observation directe d’une œuvre d’art est irremplaçable. Face à un tableau reproduit dans un livre, nous réagissons par des classifications conceptuelles et par des formules abstraites, nous cherchons à le rattacher à notre savoir historique et à notre bagage culturel.
Aujourd’hui, la luminosité et le format de l’écran modifient considérablement la nature même d’un tableau ou d’une sculpture.
En effet, c’est uniquement dans le face-à-face, devant la présence réelle et physique d’une œuvre d’art, que nous sommes obligés de mobiliser en profondeur notre sensibilité. La confrontation concrète avec une œuvre d’art, avec la matérialité qui fait sa propre spécificité, est inestimable.
> l'éditorial complet : Un monde dématérialisé
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Même si le concept correspondant ne s’est pas construit en un jour dans sa spécificité présente, l’intitulé traduit clairement une intention de rupture avec "l’art" au sens que "l’art moderne", celui de la première moitié du XXe siècle, avait donné à ce terme.
En effet, à première vue, la notion d’art moderne est synonyme d’idéologie avant-gardiste, d’engagement politique et de volonté de révolutionner la société. Toutes idées incompatibles avec le projet néolibéral. À cette idéologie "progressiste", la notion d’art contemporain – qui a aujourd’hui 60 ans d’âge – oppose une idéologie de la stabilité et de la pérennité, même si c’est sous les dehors d’une production "créatrice" permanente et de succédanés de subversion aux règles bien établies.
L’art contemporain est "l’art" d’un ordre social qui se veut immuable, celui du capitalisme mondialisé, certes toujours perfectible en tant que tel. Modalité artistique, symbole sociétal, production de prestige incarnant les "valeurs" du néolibéralisme, fer de lance de la mondialisation culturelle, vitrine multicolore et ludique d’une société dont il recycle, esthétise et sanctifie inlassablement les déchets et les échecs.
Certes cet art se targue d’être sans dimension idéologique et de n’avoir pour objectif que la création à l’état nu. [...]
Il est légitime de poser la question de la critique et des pratiques critiques possibles de cette formule artistique aujourd’hui dominante. Au niveau de ce qui se présente comme "critique d’art" il faudrait sortir de l’impasse de la critique formelle et formaliste – celle qui accepte le mythe, s’y soumet et le sert. Au-delà du descriptivisme faussement critique qui ressasse le credo normatif, il faut réintroduire l’autre dans le débat, s’ouvrir à l’hétérodoxe, à la réalité collective : sociale, politique, idéologique. On se heurte ici à la logique de l’industrie culturelle néolibérale.
[...]
Il n’y a pas, semble-t-il, d’autre alternative possible face aux dérives de la société de marché que de retrouver le courage du conflit en tant que moteur de la vie artistique aussi bien que politique.
Repenser les conditions et la conception du travail artistique. Mettre à l’honneur l’altérité, revenir au social. Ne pas faire l’économie du sens.
[Extraits de l'introduction au dossier, p. 66-69]
> mis en ligne sur CAIRN.INFO le 15 mars 2021
À lire aussi en ces temps difficiles pour l'art et la culture, l'éditorial de ce n° de "Ligeia" (p. 3-4) :
Un monde dématérialisé (par Giovanni Lista)
La pandémie que nous sommes en train de vivre a littéralement raréfié le monde ainsi que les formes quotidiennes de la vie. L’art en lui-même ne semble pas avoir changé, du moins pour le moment, c’est plutôt la manière de le vivre qui s’en trouve profondément bouleversée. Je reçois de plus en plus d’invitations à regarder des expositions ou à assister à des conférences à travers l’écran de mon ordinateur. [...]
Le processus de dématérialisation du monde a commencé depuis un certain temps déjà, mais on a l’impression qu’il s’accélère désormais d’une façon irréversible. Il faut s’y résigner car la pandémie du Covid, qui nous pousse dans cette direction, n’est certainement pas prête de s’arrêter. À coup sûr, le monde qu’elle laissera derrière elle, sera profondément transformé. On peut se demander s’il sera possible de revenir à une sorte d’innocence première dans la jouissance de l’art, une jouissance qui est faite aussi de relations sociales, de convivialité, de sentiments festifs et de plaisirs partagés. [...]
Les activités intellectuelles liées à la pratique des livres ont déjà largement entrepris ce même chemin vers la dématérialisation. [...]
Il faut savoir que depuis pratiquement dix ans déjà, il existe aussi le programme Google Arts & Culture grâce auquel il est possible de voir sur son écran d’innombrables œuvres d’art conservées dans les musées du monde entier ainsi que des monuments qui sont admirés et visités dans plusieurs pays. La dématérialisation équivaut désormais à un réel rétrécissement du monde et de la vie. On sait pourtant que c’est uniquement par les pieds que l’on peut analyser l’architecture, c’est-à-dire en l’appréhendant par une expérience physique qui nous permet de la parcourir et d’en avoir une connaissance concrète.
Julius von Schlosser, l’un des représentants les plus importants de l’école viennoise d’histoire de l’art, écrivait que l’observation directe d’une œuvre d’art est irremplaçable. Face à un tableau reproduit dans un livre, nous réagissons par des classifications conceptuelles et par des formules abstraites, nous cherchons à le rattacher à notre savoir historique et à notre bagage culturel.
Aujourd’hui, la luminosité et le format de l’écran modifient considérablement la nature même d’un tableau ou d’une sculpture.
En effet, c’est uniquement dans le face-à-face, devant la présence réelle et physique d’une œuvre d’art, que nous sommes obligés de mobiliser en profondeur notre sensibilité. La confrontation concrète avec une œuvre d’art, avec la matérialité qui fait sa propre spécificité, est inestimable.
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