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Published on Feb 01,2023
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P:01

LAISSEZ MO R É MI DO JEAN-CLA UDE CASUBOLO

P:04

P:05

LAISSEZ MOI

RÉ MI DO

ÉDITIONS LES SKARAPOKEURS

JEAN-CLAUDE CASUBOLO

P:06

P:07

Avant propos

J

’ai été un enfant aimé et sur-protégé comme mon frère et mes sœurs.

Papa-Maman mélangeaient l’éducation entre tendresse et coups de ceinture.

Les coups faisaient parti de notre quotidien au même titre que la douceur de

Maman ou l’amour de Papa.

Enfant, comment dissocie-t-on l’amour des coups ?

Je pensais qu’ils seraient le fil rouge de mon récit et aujourd’hui que j’ai écrit ce livre

je me rends compte que je n’en parle pas tant que ça.

La vie m’a offert de beaux moments et d’autre moches.

Adulte j’ai reçu de bonnes raclées qui elles, en revanche, me font encore très mal

aujourd’hui : Je ne vois plus mes enfants Étienne et Manon depuis presque10 ans et je

suis un grand père fantôme de 3 petits bouts qui ne me connaissent pas... Et oui.

Au départ, Je voulais juste écrire un livre sur mon enfance, mais au fil des pages, Antoine, mon frère, m’a convaincu de raconter «ma vérité» puisqu’elle me ronge. Voici

donc, le récit d’un gosse, d’un homme et d’une famille.

Et la famille, gamin, c’était avec Papa, Maman, Antoine, mon frère, Éléonore et Marie-Évelyne, mes sœurs, à la cité des 4000 de la Courneuve puis à la cité Soubise du

vieux Saint-Ouen dans le département de la Seine-Saint-Denis (93).

Adulte, dans une première vie, c’était avec L’c* ma première femme, Étienne et Manon mes enfants qui ont 34 et 27 ans aujourd’hui.

La seconde c’est avec ma Fanychou et mon soleil : Sophie, qui vient d’avoir 4 ans...

Comme dans le film «Pulp fiction» (sans aucune prétention, j’ai beaucoup trop d’admiration pour Tarantino) je jongle avec le temps et j’espère que cela vous déstabilisera pas trop. Si vous arrivez à me lire, vous constaterez, que je n’ai jamais aimé les

règles même la règle chronologique des choses.

Néanmoins, je vais faire attention de ne pas trop me disperser.

Je tiens à remercier tout particulièrement Wikipedia, pour toutes les infos historiques qui sont dans le texte.

*Je sais, ce n’est pas sympa, c’est même très irrespectueux de ne pas écrire le prénom de mon exfemme dans le texte car elle est la mère de mes enfants.

C’est un être humain, avec ses joies, ses peines, sa vie et ses raisons ; sauf, qu’elle a tourné la tête

de mes enfants et que je ne lui pardonnerai jamais. Je présente mes excuses aux lecteurs heurtés.

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Préface Vivi

J

e contribue à ma manière à l’élaboration de ce livre, j’en suis fière et honorée, fière

pour mon petit frère sur lequel on aurait pas parié un kopek quand, à l’époque il

passait son temps à gribouiller ses cahiers «ce n’est pas comme ça que vous réussirez dans la vie Monsieur Casilambo !» comme disait un prof à Colombes.

Et bien si, il a réussi dans sa vie, il a fait des milliers de choses, il a prit des milliers de

risques, il a traversé le désert.... 2 énormes plaies seront toujours dans son cœur, je

le sais ! Mais Aujourd’hui, il a trouvé son équilibre, sa joie de vivre, son bonheur et

j’en suis très heureuse pour lui ! Sache Coco que je serais toujours là pour toi et que

désormais Sophie a une mamie par procuration.

Nous sommes le 30 juin 2022, cela fait 38 ans aujourd’hui que je suis mariée et

j’aimerais aussi rendre hommage à mes parents qui, il y a un peu plus de 2 ans sont

partis presque ensemble, presque main dans la main... Ils me manquent énormément

et mon deuil se fait péniblement.

Il y a 38 ans, c’est moi qui les quittais pour fonder ma famille, mon sentiment à

l’époque était partagé entre joie et tristesse, joie de les quitter et tristesse de les laisser...

Ils ont été des parents adorables, affectueux, aimants mais trop sévères, trop étouffants, nous privant de notre jeunesse au nom de je ne sais quelle bonne éducation, ils

croyaient nous protéger en nous coupant du monde, de notre monde, de nos vies, qui

je suis sûre auraient été différentes si nous avions été plus libres (surtout pour Lolo et

moi) enfin voila, c’est la vie...

Leurs départs nous a rapprochés mes frères et moi, nous a rendus plus forts en vivant

juste l’inimaginable lors de ce terrible premier confinement.

Aussi, je déplore que Lolo n’ait pas vécu la même chose que nous, je ne la blâme pas,

mais je trouve cela triste et dommage pour elle.

Bonne lecture,

Vivi

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Préface Antoine

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P:13

Paris, le 9 février 2022,

Nous sortons du Centre d’Imagerie Médicale de Duroc, j’ai froid.

Fanny ma bien aimée tient fermement le compte-rendu et m’attend sur le trottoir.

Je suis malade depuis 2 semaines et heureusement,

ce n’est pas aussi grave que je l’avais imaginé.

En mai, je vais avoir 60 ans et c’est un peu le why dans ma tête...

Fanny est aux petits soins mais, je ne peux pas m’empêcher de la provoquer, ça

m’amuse. C’est ma marque de fabrique : Je suis taquin avec les gens que j’aime.

Moi :

- Alors, ça y est ?

ce soir je commence ma vie de vieux ?

Fanychou :

- Livio, ne commence pas, je n’ai jamais dit ça.

Moi :

- Mouais ...

Fanychou :

- Ta maladie d’opérette a bousillé ma première semaine de vacances.

Oui je m’ occupe de toi vigoureusement car tu es lent...

- On y va Papi* ?

Je viens de prendre une droite et je reste silencieux.

Intérieurement, je suis si heureux qu’elle me tienne tête... C’est une adversaire qui

ne s’arrête jamais, elle a la fougue des débutantes...

Je suis né à Paris et je vis avec Fanny depuis 8 ans. Nous y sommes restés jusqu’en

2017, aujourd’hui, avec notre petite Sophie, nous vivons à Valence dans le département de la Drôme (26) sur la route des vacances, là ou c’est tout le temps

embouteillé en Juillet/Août.

Livio, c’est mon nouveau prénom ; Jean-Claude dans les années 2000 était trop

souvent utilisé avec moquerie comme Jean-Claude Dus l’abruti du groupe des

Bronzés ou Jean-Claude Van Damme le musclé «aware» et même Franck Dubost

où dans son premier One Man Show, faisait marrer la France entière en baptisant

son sexe : Jean-Claude.

A l’époque, je possédais une petite agence de pub à Saint-Tropez, je papillonnais

à droite à gauche puisque fraîchement divorcé, j’avais du mal à vivre et à séduire

avec Jean-Claude. Un soir, j’ai changé de prénom, comme ça.

Depuis, je me suis réconcilié avec Jean-Claude et avec Livio, ils sont maintenant

interchangeables.

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Tome 1

LES ANNÉES FACILES

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Dimanche,

Ala Courneuve, le dimanche matin, il y avait du mouvement dans la salle de

bain. Papa, s’en-dimanchait, vu que toute la semaine il portait des bleus de

travail, il envahissait la maison de son parfum partout là où il passait.

Antoine et Lolo aussi, en costard pour l’un, en jolie robe pour l’autre. Ils prépareaient

leur communion. Maman leur donnait de la monnaie pour la quête, et ils filaient à la

messe.

C’était comme le calme avant la tempête, Vivi jouait avec ses poupées et moi, coco*,

je gribouillais des gribouillages sur des feuilles que papa avait rapportées de l’usine.

En fouillant dans ma mémoire en essayant d’aller le plus loin possible, je dois dire

que le gribouillage est en moi depuis toujours.

Papa appelait mes gribouillages «scarapokés» et mes caricatures familiales le faisait

sourire, sauf la sienne ; voila, il était insensible au dessin et ignorait même que ça

pouvait être un loisir, un moyen d’expression, voire un jour mon métier... Ce n’était

pas de la jalousie ou un truc qu’il trouvait obscène par exemple, non, rien de tout ça ;

son fils skarapokait toute la journée. Et alors ?

En revanche, Antoine**, le talentueux, le brillant tribun naturel de la famille, car très

l’aise avec les mots avait un don insupportable pour Papa, puisqu’il n’arrivait tout

simplement pas à le faire taire....

Maman trouvait le moyen de s’occuper de Vivi et moi, tout en préparant le repas et

d’énormes marmites mijotaient sur le feu depuis tôt le matin.

Papa dressait la table, posait les rallonges, puis l’habillait d’une belle nappe bleue clair

ou d’une autre identique rose et ajoutait les serviettes assorties, le tout brodé aux

initiales E.C.

C’était le trousseau de Maman. Maman l’avait fait avant de se marier et jusqu’au

dernier jour de leur vie (le covid les a emporté à 15 jours d’intervalle lors du premier

confinement), le trousseau était dans l’armoire, magnifiquement repassé et il sentait

bon comme au premier jour.

Pareil pour la vaisselle qu’ils avaient rapportée de Tunis, ils ne la sortaient que pour

les grands événements et le dimanche, elle était blanche avec un décor composé de

filets vert et argent.

1

* Coco, Sarouel, Arlequin, La fleur, Incendie, Millordo, Jo le contact, papi et aujourd’hui Balzacos, sont les surnoms qui m’ont été attribués tout au long de ma vie.

Je m’efforcerai de vous raconter pourquoi au moment venu dans l’histoire.

**Antoine, est mon aîné de 5 ans. Si je devais vous confier un truc : il est mon idole. Ma référence

intellectuelle. Je l’ aime beaucoup, chut...

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A table, toutes les assiettes étaient doublées : une plate pour le plat de résistance et

par dessus une creuse pour les pâtes. Nous l’appelions «la vaisselle du mariage».

Lorsque papa allumait la télé* c’était le signal, nous rangions les poupées, les crayons

et les scarapokes à la hâte. La séquence du spectateur entamait son générique, et

l’ambiance studieuse du matin laissait place à une journée mouvementée, puis, à une

soirée dominicale avec nos rituels de début de semaine.

Encore aujourd’hui lorsque j’entends par hasard la musique qui servait de générique

à l’émission, je ne peux pas le dissocier d’un certain stress, voire même d’une petite

angoisse.

C’était comme un film de gangsters qui allait commencer, il y avait les gentils (Maman et les enfants) les méchants (le reste des adultes de la famille) qui parlaient super

fort et qui allaient dévorer le merveilleux repas de Maman comme des sauvages...

Les mafieux en costard à rayures (les frères de ma mère) étaient en bout de table, Ils

semblaient très préoccupés et parlaient à voix basses entre eux en fumant des Gitanes

sans filtre. Lorsque vivi ou moi-même passions un peu trop près de leurs conversations nébuleuses, ils se taisaient en attendant la fin de notre passage en nous dévisageant. Des fois que...

Très cons mes oncles, ils s’imaginaient être des personnages qu’ils n’étaient pas. A 5

ans, lors d’un de ces repas du dimanche, mon oncle Joseph, m’a posé debout sur la

table et tenez-vous bien, m’a fait fumer une cigarette... ENTIÈRE ! Mes parents sont

restés silencieux, mon frère et mes sœurs sont témoins.

Moi, tel Clark Kent, le journaliste frustré qui ignorait qu’en réalité il était Superman,

j’ignorais qu’une véritable colère naissait en moi contre ces baltringues et elle restera

longtemps.

Les premiers arrivés étaient Mémé et Nono, les parents de papa. Avec Vivi nous

dévalions les escaliers pour aller à leur rencontre car Nono, parfois, nous apportait

des jouets, il avait aussi des bonbons plein les poches, d’ailleurs, ma place à table était

à coté de la sienne et durant le repas je finissais tous les bon-becs.

Très vite, les autres arrivaient, les bises pleuvaient, les manteaux s’entassaient dans

la chambre de Papa-Maman. Très souvent il y avait Gniacio et Rosina mes parrain-marraine, deux ou trois frères à ma mère qui en comptait 6, avec tatas et mes

cousins et cousines. Ils déboulaient et envahissaient notre salle à manger pour notre

plus grand bonheur d’avoir nos cousins pour jouer. Les parents de maman (que j’adorais) venaient parfois mais pas tout le temps.

Souvent, Maman et mes tantes mangeaient debout, elles n’avaient pas le temps de

s’asseoir vu le taf qui les attendait à la cuisine... Elles devaient servir très généreusement dans l’assiette creuse les pâtes à la sauce tomate, accompagnées de deux

polpettes* de viande, fondantes, succulentes. Elles surveillaient que la sauce tomate,

le fromage râpé déjà sur la table ne manquent pas et elles assuraient les incessantes

2

* La télé rythmait la journée... Le volume était très fort même pendant les pubs. C’est resté une

habitude chez papa jusqu’à la fin de ses jours.

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demandes de pain, de vin et d’eau.

Dans la foulée, suivait le deuxième plat : elles devaient retirer les premières assiettes

creuses pour laisser les plates accueillir les escalopes milanaises assorties de petits

légumes. Puis, elles débarrassaient la table pour apporter dans d’autres assiettes toujours assorties mais plus petites, les fromages italiens, les desserts français, enfin, le

café dans des tasses toujours assorties au reste, achevait ce festin.

Mes parents ont toujours reçu du monde à la maison et le buffet du séjour était rempli à bloc de vaisselle en porcelaine et de verres en cristal. Jusqu’à la fin papa s’inquiétait que sa vaisselle ne soit pas ébréchée...

Malgré le monde à la maison, la télé restait allumée. Lorsque les variétés de Roger

Lenzac commençaient sur la première chaine, mes sœurs et cousines débarrassaient

la table et rejoignaient la brigade en cuisine pour une méga vaisselle party. Depuis le

séjour on les entendait rire et déconner entre elles car nous les mecs nous ne participions jamais aux tâches ménagères. Nous avons été élevés comme ça. J’ai mis 50 ans

pour relever mes manches et passer à la cuisine**...

Oh, mamma mia ! Cloclo passe à la télé ! depuis la cuisine, ma sœur Lolo se transformait en chorégraphe tout en essuyant les assiettes du Mariage.

Les cousines, les tatas et même Maman se trémoussaient joyeusement sur l’air de

«Viens à la maison, y’a le printemps qui chante !»

Je pense que maman affrontait ces dimanche comme une course de fond, d’abord,

elle n’avait pas le choix, c’était comme ça, comme disait Papa. Et c’était aussi pour

elle un divertissement, vu qu’elle passait la semaine à nous garder, à coudre frénétiquement puisque payée à la pièce et à attendre Papa qui rentrait tard les soirs de

semaine. Le dimanche elle voyait enfin du monde pour parler et rire.

Une fois assise, après le service du midi, ce n’était pas pour jouir de l’instant mais

plutôt pour reprendre des forces. Quand Papa-Maman faisaient des gâteaux, car nous

les siciliens nous en avons des différents et pour chaque fête, chaque invité repartait

avec son petit pochon de sucreries.

Le comble, qui prouve à quel point les adultes de ma famille étaient incroyablement

cons et méchants : ils considéraient, d’un commun accord, que maman n’était qu’une

cuisinière d’un faible niveau comparé à celui de leurs femmes respectives.

Parfois, au dessert y’avait des gâteaux qu’un invité ou nous-mêmes avions acheté chez

le boulanger d’en bas. Nous les enfants, revenions à table, la bave aux lèvres* mais

attention, nous devions faire preuve de sérénité et de patience. Et oui, chez nous, ce

sont les plus âgés qui se servaient en premier puis par ordre d’ancienneté décroissant,

bref, les cousins, Vivi et moi étions les bons derniers à choisir...

Dès l’ouverture de la boite, l’odeur de la crème, du chocolat et du sucre envahissaient

*Des boulettes de viande, aux saveurs inimitables. Elles sont composées de viande hachée de bœuf

avec de la mie de pain et surtout beaucoup de persil et d’ail.

**Aujourd’hui je cuisine pour Sophie et Fanychou.

3

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nos narines, et chacun de nous savions immédiatement laquelle de ces pâtisseries

allait éclater nos papilles.

Vivi** fixait sa sucrerie désirée sans même cligner des yeux...

Elle attendait gentiment son tour... Au fur et à mesure que les pâtisseries partaient et

faisaient le bonheur des uns et des autres, Vivi se liquéfiait un peu plus à chaque fois

et ne pipait mot, si par malheur, «son gâteau», était choisi par quelqu’un d’autre, une

grosse larme nerveuse s’échappait sur sa joue de petite fille de 6 ou 7 ans. Elle restait

digne et en choisissait un autre dans la boite presque vide. Les «autres» repus, la peau

du bide bien tendue, se préparaient a une sieste indécente sans même faire gaffe à la

petite vivi qui pleurait, si, dans le cas contraire ils s’en apercevaient Mémé la mère de

mon père disait :

- Ma ké ? quelle est bête ! pour un gâteau elle pleure. Va, vai a lavarti le cosce lordé !

(va laver tes cuisses sales)

Le soir, vers 18 heures, les derniers invités partaient. Enfin.

Il ne nous restait qu’un petit bout de dimanche. On passait à tour de rôle à la salle

d’eau pour prendre notre bain hebdomadaire. A la sortie maman nous inspectait voir

si on s’était bien lavés.

Physiquement, nous étions déjà dans le début de semaine avec le moment délicat du

dimanche soir : apporter nos carnets de notes à faire signer impérativement et quoi

qu’il en coûte par nos parents...

Fallait la jouer fine, un drame pouvait surgir à tout moment... Pour une mauvaise

note ou un cartable mal rangé, Papa était imprévisible : d’une minute à l’autre il

pouvait se transformer en monstre violent. De tous les hommes de la famille papa a

été et de loin le plus brutal avec ses enfants et paradoxalement nous étions aussi la

prunelle de ses yeux et les plus gâtés... Allez comprendre. Bref, l’ambiance de fin de

week-end était très tendue.

Nous passions à table et Maman avec le reste des pâtes nous concoctait une omelette

que mon frère détestait. Nous n’avions pas le droit de regarder le film du dimanche

soir, dommage on adorait les films de Bourvil, Fernandel et les pitreries de Louis de

Funès.

Apres avoir mangé, un pipi, bonne nuit et au lit.

Fin du dimanche à la Courneuve...

Je reparlerai plus tard de notre maison de campagne* et pas que pour la table (quoi,

que), juste pour vous dire en aparté, qu’aux beaux jours Papa et Maman y recevaient

aussi les mêmes oncles, tantes et cousins le dimanche, sauf qu’ils arrivaient le samedi

*Papa aussi car il était incroyablement gourmand, il adorait les gâteaux.

Un jour, à cause d’en avoir trop mangé, il s’est retrouvé à l’hôpital...

**Vivi est la 3ème de la fratrie, ma complice de toujours. Si je devais vous confier un truc : aujourd’hui elle essaie de remplacer Maman auprès de Sophie, par intérim forcé, je l’aime beaucoup,

chut...

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matin.

Ils s’étaient auto-permis, d’arriver sans prévenir, parfois même, avec des gens que

nous ne connaissions pas forcément, sans demander l’avis à quiconque. Et en plus

des repas qui n’en finissaient jamais, la promiscuité de la nuit était épouvantable. Il

ne repartaient plus.

Leurs tronches, leurs corps moches et gras sans pudeur qui envahissaient nos toilettes, dès le matin, me révulsaient. Ce cauchemar pouvait durer 2 voire 3 ou même

4 jours parfois, si c’était un pont du mois du mois de mai par exemple...

Depuis, je ne supporte plus la promiscuité.

Serge, le papa de Fanny possède une magnifique propriété à 1heure de Valence,

dans le Diois, j’adore ce coin, j’irais bien tous les week-end avec ma Sophie, seulement voila Serge à beaucoup de potes (cool pour lui) qui partagent son week-end et

sa maison.

Rien que d’imaginer partager la douche, mes repas, avec ces gens, au demeurant

très sympathiques, me passe l’envie d’y aller. Dommage.

Pareil au taf, je ne supportais pas de partager (même si je l’ai fait très souvent, faut

bien taffer) mon bureau avec des collègues. Et oui, je suis un solitaire, je bosse seul

et c’est très bien ainsi.

Fanychou me dit :

- Mais, tu n’aimes pas les gens c’est grave !

Moi :

- Quoi ?

Demande autour de toi, les gens te diront que je suis très sympa, sauvage, mais

sympa.

Puis Sophie surenchéri :

- Oui, c’est vrai ! Il est très sympa mon papa.

*Une jolie maison de campagne de 1930 qui se trouve à 170 km de Paris dans le département de

l’Yonne (89).

5

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7

La Courneuve*, S

traordinaire, Cougetti** !

Papa était sous le charme de ce 4 pièces*** ensoleillé. Dans les années 60, la

France avait besoin de nouveaux logements. L’arrivée des pieds-noirs et une

demande de main d’œuvre étrangère ont provoqué le développement des

banlieues et la création de nouvelles cités à la périphérie des villes.

Les familles comme la nôtre, malgré une intégration sans trop de problèmes, ne trou

-

vaient pour se loger, que des taudis insalubres dans des quartiers pauvres parisiens.

C’était le temps des 30 glorieuses, les quartiers de la capitale s’embellissaient et se

rénovaient.

Cette rénovation a eu pour effet de repousser la pauvreté et de l’exiler dans des

grands ensembles construits à la hâte à la périphérie de Paname.

L’idée des urbanistes et des archis dans leur conception, c’était la réalisation d’un

grand rêve d’égalité, la répétition de logements semblables devait produire une socié

-

té homogène, avec la même cellule de base pour tous. Souvent, une croix indiquait

le logement que nous avions tant attendu sur une carte postale et nous étions fier de

montrer notre cité HLM.

Papa était salarié à l’usine, Maman nous gardait.

Jamais à Tunis 10 ans auparavant, ils n’auraient imaginé un instant vivre dans un

appart comme celui-la : un loyer raisonnable, le chauffage au sol recouvert d’un par

-

quet, une grande cuisine avec une pièce semi-ouverte, des wc intérieurs et indépen

-

dants, une salle de bain avec lavabo, bidet et baignoire.

L’appart était immense avec des placards (tellement grands qu’ils ont mit Vivi dedans

parce qu’elle était infernale et ils l’ont oubliée... Elle s’y était endormie...) il était lumi

-

neux avec de grandes baies vitrées et un grand balcon. Cerise sur le gâteau : il y avait

une chambre pour nous les garçons, une pour les filles et une pour Papa-Maman,

c’était enfin l’intimité pour tous.

L’ école, un petit centre commercial, des aires de jeux juste en bas, «c’è tutto, tutto

* A la Courneuve nous avons eu un 4 pièces puis un 5 pièces quelques mois plus tard.

** Cougetti, c’est ainsi que papa appelait sa femme Conchettina, Conception en Français, Maman

pour nous.

Papa ne savait pas dire extraordinaire, ni pantalon qu’il disait patalon etc...

*** En français : il y a tout, tout a coté de la maison. Malheureusement, aujourd’hui, en 2022 la

France n’a pas réussi à relever le défi d’intégrer ses périphéries à un modèle urbain homogène.

Il y a un malaise ancré dans les populations issues de l’immigration et le manque de solutions.

Chômage, discrimination, ascenseur social en panne, crise identitaire, non-intégration dans un

modèle scolaire français, laïque et républicain sont le lot quotidien d’une frange de la société.

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vicino alla casa» disaient mes parents, comblés de bonheur.

Nous avons grandi sans avoir la moindre idée de ce que pouvait être le racisme.

Notre voisin de balcon, Albert, était noir, on le suppliait pour qu’il imite sa mère, on

lui promettait des bonbons et il refusait. Mais à la fin, il ne pouvait pas s’empêcher de

le faire et de se tordre de rires avec nous. Inimaginable aujourd’hui.

Nos voisins de pallier, une famille d’hindou, maman gardait leur fille le mercredi

après midi. Au deuxième et au troisième des juifs qui nous montaient des gâteaux les

jours de fête que papa dévorait.

Au septième étage, Il y avait une famille d’algériens et le père de mon pote Mohamed

c’était le seul flic que l’on voyait régulièrement dans la cité.

Nous avions tous un pied dans l’ascenseur social. La zone, finalement c’était les familles françaises populaires qui se retrouvaient dans les cités avec les pauvres.

A 20 ans j’étais avec une fille depuis quelques semaines et ses parents étaient de classe

moyenne vivant dans le XVIII ème. La belle -famille de ma sœur Éléonore aussi, les

Burduche avaient quittés Montmartre pour une immense cité de Sarcelles avec des immeubles à perte de vue. En parlant avec les parents de cette fille, Ils décrivaient les Burduche comme une famille de «losers» enchaînant les mauvais choix et leur mauvaise

réputation...C’était ce genre de familles francaises qui se retrouvaient dans les cités.

A la maison, maman s’ occupait de nous, elle allait au marché, préparait les repas,

etc.. Elle nous tricotait aussi des pulls, des cagoules qui nous grattaient la tête, des

gants et des écharpes, elle cousait des robes à mes sœurs.

Elle était très vigilante sur notre santé, elle nous emmenait à la polyclinique de la

Roseraie où il fallait prendre 2 bus et les voies réservées n’existaient pas. Si c’était

embouteillé, le bus était bloqué.

Un matin, en me levant je louchais très sérieusement de l’œil droit, j’avais 4 ans.

Maman m’emmena d’urgence chez un ophtalmo aux 4 chemins d’Aubervilliers.

J’étais hypermétrope et devais porter des lunettes toute ma vie. J’ai porté un nombre

incalculable de lunettes, je les ai cassées, perdues, rayées et même une fois au square

je jouais dans le bac à sable avec Jean-Pierre Como* quand des gamins plus grands

sont arrivés et l’un d’entre-eux a cassé mes lunettes en deux... Une fois aussi, lors

d’une boum, pendant que je dansais sans mes lunettes (car j’étais complexé et évitais

de les mettre...) des mecs ont essayé de faire fondre un de mes verres exposé sous une

flamme.

Heureusement, Sylvain, l’opticien* était un ami de Papa-Maman.

Je devais faire de la rééducation des yeux 2 ou 3 fois par semaine.

Maman me récupérait à l’école maternelle à 15h00 pour mes séances à la Polyclinique.

A la sortie, il n’y avait pas de temps à perdre, fallait pas rater le bus.

La première fois en attendant le bus,

* Jean-Pierre Como, est aujourd’hui un pianiste de jazz et compositeur français mondialement

connu.

P:25

9

Moi :

- Maman, j’ai soif

Ma mère avait pensé à tout sauf à ma soif, le bus allait arriver d’une minute à l’autre,

et moi évidement au bord de la déshydratation... Elle n’a pas eu d’autre choix que de

rentrer dans le bistro** qui était devant l’arrêt du bus.

Sans aucune hésitation Je me suis installé sur un grand tabouret et d’un coup de

poing sur le bar, comme les cow-boys, j’ai commandé un Whisky ! Maman était verte

de honte.

La deuxième et les autres fois, Maman préparait une gourde avec de la menthe.

Dommage.

Au début, il y avait que nos immeubles de la cité Paul Verlaine et des terrains vagues.

Puis l’autoroute A1 qui va à Roissy puis à Lille s’est installée devant notre immeuble.

Enfin, derrière l’autoroute, le Parc Départemental de La Courneuve qui s’étale sur 450

h, est sorti de terre, un magnifique parc. Depuis l’école on pouvait s’y rendre à pied et

les familles pique-niquaient le week-end.

En 1972, le parc, tout juste créé en lieu et place d’un ancien bidonville, La fête de

l’huma*** s’y est installée. Elle y restera près de 30 ans.

La fête de l’huma, en face de chez nous, trop cool !

Petit, c’était pour les manèges et les pommes d’amours, ado, pour les concerts et la

fumette et adulte pour les expos, les concerts et les restaurants régionaux qui s’installaient sous d’immenses tentes.

J’y allais tous les ans avec Papa-Maman puis avec des potes et enfin avec Sylvie ma

chérie on adorait y aller, pas tous les ans, mais presque.

C’était 3 jours pour refaire le monde, sur la grande scène où j’ai vu :

Pink Floyd, Leonard Cohen, Deep Purple, Léo Ferré, Ray Charles, Peter Gabriel,

Genesis, James Brown, Johnny, Renaud, Julien Clerc, Maxime le Forestier, Bernard

Lavilliers, etc.. et sans compter les concerts organisés par les différents stands à la

découverte de petits groupes moins connus.

Il y avait tellement de monde que l’entrée de notre cité était contrôlée par des vigiles,

la première année, papa avait autorisé des fêtards à dormir dans notre hall.

Je me souviens aussi qu’une fois il a plu pendant les 3 jours et nous étions recouvert

de boue et heureux.

En 1974 , l’Alstom nous a attribué un appartement à Saint-Ouen.

Fini les transports en communs pour Papa-Maman et le Métro pour nous, à l’assaut

*Nous avions à la maison les 3 nièces de Sylvain jour et nuit pendant plus d’un an, suite à un

divorce compliqué...

**C’est peut-être une des rares fois ou maman est entrée dans un bar.

***La Fête de l’Humanité, communément appelée Fête de l’Huma, le 2ème week-end de septembre.

C’est à l’origine une fête politique où le Parti communiste est fortement représenté. Outre les activités politiques, la Fête comprend de nombreuses activités culturelles.

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de Paris.

En 2005, un matin vers 7h00, j’ai accompagné Papa-Maman à l’aéroport de Roissy

avec mon fils Étienne. Sur le chemin du retour, mon fils m’a demandé de passer par

la cité où nous avions grandi.

Étienne :

-Papa, montre moi où tu vivais.

Moi le doigt pointé vers notre appart :

- Alors là tu vois c’était la chambre que je partageais avec Antoine, et...

Tout d’un coup, sortis de nul part, des flics avec des brassards oranges nous ont sortis

de la voiture sans ménagement et nous sommes palpés comme des voleurs :

Les flics :

- Que faites vous ici ?

Moi :

... ?

Alors là vous voyez c’était la chambre que je partageais avec mon frère, et...

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La campagne, On reconnait le bonheur qu’une fois qu’on l’a perdu. En 2003 lorsque je suis

revenu à Paris, après mon divorce, la maison de campagne m’a cruelle

-

ment manquée.

Rien que de l’évoquer, je ressens le ravissement de la maison.

Elle était notre échappatoire à 1h30 de Paris ou plutôt de La Courneuve.

Monsieur Vis et ses vaches, Madame Jeanne et ses chèvres, la famille Thibault et

leur maison sortie tout droit d’un film de Walt Disney, nos voisins les Charbonnier,

la boulangère, le marché à Toucy, la fête au village à la pentecôte avec le défilé des

vieilles voitures qui passaient tous les ans devant la maison, par quoi commencer ?

Par l’odeur du lait de la ferme que Maman nous servait le matin dans des grands bols

et tout était authentique, tout était naturel, le beurre, le pain, tout.

En hiver, Maman plaçait des briques toutes chaudes au fond de nos lits froids le soir.

A la Toussaint, un grand défi nous attendait, allions-nous ramasser plus de châ

-

taignes que l’année précédente ? Papa, avait des châtaigniers dans notre forêt car

c’était la nôtre, quand quelqu’un passait, il passait chez nous.

Personne de la famille ne venait c’était cool. L’incruste a commencé quand Papa-Ma

-

man ont installé les wc, aménagé le grenier, le sous sol etc... la maison a perdu une

partie de son âme à cette époque d’ailleurs...

J’en reparlerai plus tard, dans le chapitre «la campagne 2ème partie».

Je préfère me remémorer ces moments d’été dans la cuisine où Maman nous prépa

-

rait des tartes avec les mirabelles que nous avions, tout juste cueilli. Maman me fai

-

sait la toilette dans le jardin, assis sur le puits, une lessiveuse en métal remplie d’eau

bouillante à coté de moi, j’ai l’odeur du savon encore dans les narines, pareil pour la

lessive.

C’est Jacques Lortal qui nous a offert tout ça. L’ami fidèle et précieux de la famille et

mon parrain de communion. Merci, Jacquot si tu me lis depuis la-haut.

Au début, Madame Lortal, sa maman, vivait seule là bas à la campagne. Là bas c’est le

hameau des Chesnons à Parly, à 5 km de Toucy et à 20 km d’Auxerre.

Il y avait Black, son chien, et Mimine sa chatte. Je suis le seul à l’avoir connu, je crois,

j’étais petit.

Il y avait des lapins aussi. Un jour, elle a tué un lapin devant moi et j’ai attendu des

années avant d’en remanger ; idem pour le fromage de chèvre de madame Jeanne,

lorsque j’ai soulevé le pot qui le protégeait des insectes, c’était rempli d’asticots...

Un jour aussi, madame Lortal n’était plus là, et Jacques nous à filé la maison.

Nous entrions presque par effraction, dans une famille Française d’après guerre.

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Dans une maison avec un passé qui ne nous appartenait pas et qui pourtant était à

notre disposition. Nous, déracinés de Sicile et de Tunisie, avions par procuration une

histoire Française presque familiale d’avant.

C’était une maison des années 30, traditionnelle et tous les matériaux étaient nobles.

La charpente dans le grenier toute en bois, le parquet en chêne dans les chambres,

la tomette dans la cuisine, la pierre apparente dans le sous-sol et la cave voûtée pour

garder le vin à température.

Dans les chambres, y’avait des cheminées et sur celle de la chambre du fond on pouvait admirer une pendule en bronze doré et marbre noir du XIXe siècle, magnifique.

Les armoires grinçaient et l’odeur de la naphtaline envahissait la pièce quand nous

prenions des draps amidonnés. Il y avait d’énormes édredons rouges sur les lits.

Gamin, je jouais avec les costumes et mes sœurs avec les robes d’ époque, on se servait. Dans le grenier, il y avait une sublime machine agricole en bois, un rouet aussi,

et tous les souvenirs de Jacquot*enfant... Qu’en avons nous fait ?

Je me souviens de laTsf de Monsieur Jacques*, (ou Jacquot**) un poste radio énorme,

vernis, magnifique truc précieux avec un cadran éclairé ou y’avait toutes les stations

internationales. Y’avait 2 gros boutons dorés de chaque côté et au milieu des grosses

touches en nacre blanc, on la réglait, le son faisait très «les français parlent aux

français» on tombait sur le Hit parade d’André Torrent et Joe Dassin chantait cette

chanson qui résume tellement bien cette époque :

Je l’ai vue près d’un laurier, elle gardait ses blanches brebis

Quand j’ai demandé d’où venait sa peau fraîche elle m’a dit

C’est d’rouler dans la rosée qui rend les bergères jolies

Mais quand j’ai dit qu’avec elle je voudrais y rouler aussi

Elle ma dit d’aller siffler là haut sur la colline, de l’attendre avec un petit bouquet

d’églantines

J’ai cueilli les fleurs et j’ai sifflé tant que j’ai pu j’ai attendu, attendu elle n’est jamais

venu Zaï zaï zaï, Zaï zaï zaï

A la foire du village un jour je lui ai soupiré

Que je voudrais être une pomme suspendue à un pommier

Et qu’à chaque fois qu’elle passe elle vienne me mordre dedans

Mais elle est passée et tout en me montrant ses jolies dents

Elle m’a dit ...

Il y avait un tel décalage avec mon univers de cité uniformes, alors qu’ici tout était

sublimé :

les verres ciselés, les assiettes de tous les jours étaient grosses, épaisses, lourdes et

celles du dimanche, en porcelaine fines et délicates et les couverts étaient en argent.

Tout était sophistiqué, tout avait de la valeur. Depuis ma vie à la Courneuve, les mots

de Cabrel sont tellement justes :

* Il est à coté de Papa-Maman la-haut, Dio les garde près de lui.

** Jacquot, le diminutif affectueux que je lui ai attribué, mais nous l’avons toujours appelé : Monsieur Jacques, je l’ai toujours vouvoyé

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Je vis dans une maison sans balcon, sans toiture

Où y a même pas d’abeilles sur les pots de confiture

Y a même pas d’oiseaux, même pas la nature

C’est même pas une maison

J’ai laissé en passant quelques mots sur le mur qui descend au parking des voitures

Quelques mots pour les grands, même pas des injures.

Il y avait une autre maison dans la propriété (aujourd’hui on dirait une dépendance)

elle était peut être plus grande que la principale mais servait de remise finalement et en

réalité elle était bien plus belle et encore plus authentique* que la maison principale.

Il y avait juste une grande pièce principale, avec une immense cheminée et des

meubles imposants puis un grenier et une remise pour le bois. C’est tout.

Sur la cheminée, un objet en métal tout rouillé et rongé par le temps, était posé là.

Nous l’appelions la locomotive, elle était toute coincée, toute oxydée.

C’était, en fait la reproduction d’une machine agricole certainement un alambic, que

le père de Jacquot, ingénieur aussi, avait fabriqué et offert à son fils. La partie centrale

est un cylindre et au dessus un mécanisme astucieux permettait de faire tourner deux

grosses roues.

Un jour Aldo un cousin de papa, est tombé sur cette chose. Passionné de mécanique

de précision, il a toute démontée, toute nettoyée, réparé le système de vérins qui vont et

viennent, puis revernie elle est maintenant sublime. Merci super Aldo (là-haut aussi...).

Aujourd’hui, elle trône dans mon salon juste à coté de mo ; j’y tiens beaucoup.

Papa et Monsieur Jacques adoraient faire des photos, surtout des fleurs, y’en avait

partout dans le jardin et beaucoup de photos de nous, elles sont toutes ici avec moi.

Ils faisaient des diapos aussi, l’attraction phare des veillées du soir.

Monsieur Jacques installait le projecteur et l’écran géant sur pied qu’il déroulait, il

balançait les photos pas toujours à mon avantage d’ailleurs...

Y’en avait une ou Antoine avait réussi à me faire porter le costume de marin que

Jacquot portait à sa communion. J’avais l’air con et Antoine se tenait juste a côté en

se foutant de ma gueule... Cette photo était la plus drôle des plus drôles diapos du

soir. Elle faisait rire aux larmes tout le monde. Pour moi aussi, mais, j’en ri seulement

aujourd’hui... D’autres photos sont vraiment belles, notamment, celles ou je suis avec

Maman qui me serre contre elle, avec papa dans l’herbe avec Black et Mimine ou

avec monsieur Jacques à l’entrée du village.

Il y a une série dans un champs de paille fraîchement coupé avec mon, frère mes

sœurs, Papa-Maman et Jacquot. Souvenirs, souvenirs.

Je ne crois pas que mon frère qui devait déjà subir la violence de papa puisque plus

âgé que nous, partage le bonheur de ces mois d’étés que nous passions, en famille, à

la campagne.

Quand il fallait partir, je gardais la senteur de la terre d’argile dans ma mémoire.

* J’ai fait 2 toiles de cette maison, la première est chez Burduche et la seconde chez mon cousin

Gérard à Marseille, je l’avais offerte à mon oncle Giacomino, mais ma signature ne lui convenait

pas il la refaite en orange fluo...

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Nous revêtions nos habits de la ville, fini les bottes, le vieux chandail et la casquette

de Jacquot.

Une DS familiale avec 3 rangées de banquette, venait nous chercher (Papa et Monsieur

Jacques ne conduisaient pas encore) pour nous accompagner à la gare de Joigny.

Les volets clos, ils claquaient le portail vert en métal, passaient la chaine avec le gros

cadenas, des fleurs arrivaient à se faufiler quand même, mais c’était fini... Mais seule

-

ment jusqu’à la prochaine fois !

Car c’était chez nous, notre maison, notre vieille maison, notre forêt, notre verger et

tout était à nous : chaque arbre, chaque branche, chaque feuille, tout.

Sans être un croquant, j’étais un citadin qui allait et revenait de sa campagne bien aimée.

Aujourd’hui j’ai une photo de la propriété prise d’un avion dans ma chambre.

Monsieur Jacques,

C’est l’histoire d’un collègue de l’usine qui vient bouffer un soir des pâtes à la maison

et qui devient l’ange gardien de la famille...

Je ne sais pas exactement comment il a rencontré papa dans le métro quand il était

plombier, mais le père de Jacques s’appelait Étienne comme lui. Papa qui racontait

qu’ils ont engagés une conversation suite à cette coïncidence.

Il était dessinateur industriel, je crois et ils sont devenus amis. Il a fait entrer Papa à

l’Alstom.

Jacques était célibataire, extrêmement bien éduqué, cultivé, raffiné, en clair un bon français

pas trop raccord avec nous Siciliens de Tunis, en France depuis à peine 10 ans, coincés

dans notre cage de béton à la Courneuve. Pourtant il nous a offert sa maison.

C’est comme si, aujourd’hui, j’offrais ma maison, mon cœur, ma générosité, ma

gentillesse et toute mon attention à une famille de Syriens, vivants dans une ban

-

lieue bien pourrave et arrivés en France depuis peu... Des gens, en plus, qui parlent

souvent dans leur langue, que je ne comprends pas, qui ont un humour différent du

mien, qui sont incultes avec des mioches qui crient, qui hurlent qui se tapent dessus

et une omniprésente télé à fond la caisse.

Comment ce mec pouvait-il nous aimer ? apprécier notre mode de vie ? notre famille

de dégénérés ? Ok, il se faisait chier tout seul etc... Mais bon nous étions à l’état sau

-

vage avec beaucoup de préjugés sur les «Français».

Notre absence de culture, de références historiques dans cette France des 30 glo

-

rieuses, nos habitudes enfin ceux de la génération de mes parents franchement issus

d’une autre époque avec nos mœurs désuets qui laissaient souvent Jacquo dubitatif...

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Je ne comprendrai jamais son acceptation, l’entente de tout ça, sa décision de nous

venir en aide au point de nous filer sa baraque et pas que.

Je rectifie, pas ce mec : ce Saint Homme.

Il arrivait à la maison, avec une énorme boite de gâteaux (Antoine l’imitait super

bien) driinng ! Jacquot se tenait raide presque au garde à vous :

- Conception !

Nous étions ensuite tous gâtés, des jouets des attentions multiples tout le temps.

Un saint. Il était avec nous à Noël, aux repas de famille, aux communions il dansait

avec mes cousines.

Ce mec en réalité avait un énorme défaut : il était généreux.

Aveuglement généreux et quand plus tard nous l’avons vu claquer son blé frénétiquement avec son nouveau pote, nous avons réalisé l’immense générosité maladive de

Jacquot dont nous avions nous-même largement profité.

Parfois même, il nous invitait chez lui à Paris, Il cuisinait toute la matinée pour nous

recevoir.

il allumait de très jolies lampes pour créer une ambiance feutrée avec un fond sonore

d’une sonate de Mozart pour piano en Do majeur Allegro, mais papa détestait ça :

la musique de classique et l’éclairage discret ça l’endormait grave. Il piquait du nez

(maman lui filait des coups de coude et pour la lumière il préférait de loin son lustre

rococo en cristal de Murano avec des chaînettes en verre qui soutenaient des coupelles porte bougies pour les 12 ampoules en forme de flammes !*

On avait l’impression d’être dans un musée. Je me rappelle qu’au mur de son salon il

avait une pierre bas relief c’était un profil d’homme de l’antiquité égyptienne. Dans

son séjour il y avait tellement de meuble de style, des bouquins, des disques, des

bibelots, sa chaine Hi-fi était au milieu de la pièce. Il nous supportait, nous acceptait

tels que nous étions.

Jacquot n’avait pas de famille ou alors des cousines éloignées, mais en revanche, il

avait un ami qui s’appelait Louis Balzan, Monsieur Louis.

Monsieur Louis avait fait les arts déco, J’ai une gouache d’un paysage provençal qui

lui appartenait, Antoine a des dessins originaux de Louis. Ma boite de compas qui

m’a accompagné durant toute ma vie de graphiste c’était la sienne, il me l’a offerte.

J’aimais beaucoup Monsieur Louis. Jacques m’a offert après sa disparition, ses

pinceaux d’aquarelle, ses petites boites gravées, ses portes plume en ivoire avec les

plumes et 2 pipettes pour diffuser le vernis en soufflant dedans, un en verre et un

autre tout en métal, des pièces de musée.

Papa maman avait acheté ce lustre lors d’une excursion à Venise pendant nos vacances sur la

cote adriatique à Rimini, il était si imposant que papa ne pouvait pas le mettre dans leur dernier

appart. Je voulais le prendre pour l’installer dans mes chiottes rue Lamarck mais papa n’a jamais

voulu il disait :

- Quoi ? 12 lampes pour aller aux toilettes ? Il est fou ce fils...

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Même si il nous regardait avec effroi Louis était délicat et gentil avec nous.

C’était un bourgeois. Il avait une petite maison à quelques mètres de la nôtre à la

campagne, j’adorais cette maison et aujourd’hui je me rends compte que c’était décoré

avec beaucoup de raffinement sauf que je ne savais pas ce qu’était le goût et le raffinement. Comment n’aurait-elle pas plu à l’homme que je suis devenu ? depuis la route

on ne la voyait pas. Y’avait un mur épais et quand on ouvrait la porte fallait monter

un escalier qui donnait sur un petit paradis de verdure. Y’avait un cerisier et tous les

ans, on grimpait dessus pour le dépouiller. La maison blanche était petite et le soleil

s’engouffrait dedans d’un coté pour sortir de l’autre.

A Paris il vivait dans un immeuble cossu en pierre de taille rue Lecourbe et Antoine

à racheté cet appart après son décès.

Et puis... Vous savez quoi ? Le 30 novembre dernier, Lors d’une rétrospective sur

Joséphine Baker à l’occasion de son transfert au Panthéon, j’ai reconnu à la téloche

Monsieur Louis danseur de revue au Casino de Paris et aux Folies Bergères aux cotés

de la vedette ! Il avait eu une jeunesse folle de spectacles, de paillettes et de plumes.

J’ai appris tout ça après sa mort, qu’il avait été comédien, danseur, chorégraphe, décorateur, scénographe et professeur de dessin pendant des années... Quel dommage,

nous avons pas eu le temps d’en parler...

C’était nos premiers amis «Français». Quand Papa et Maman ont vendu la maison

dans les années 90, ils ont croisé Camille, une cousine de Jacques. Elle nous avait

connus tout petits, elle était charmante. Devenue âgée elle ne reconnaissait plus vraiment les gens. En discutant avec Maman elle ne s’est pas rendu compte quelle parlait

justement de nous :

- Ah, oui, ces italiens que nous

avait ramenés Jacques... oui,

oui... je me rappelle...

Qu’est ce qu’ils étaient envahissants !

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L’école, J

e n’ai jamais aimé l’école. J’ai la chance d’avoir encore quelques cahiers de mon

cp (papa gardait tout). J’ai vu dès les premières pages, que mes notes étaient

nulles et les commentaires guère plus prometteurs... une jolie carrière de cancre

m’attendait...

Je n’avais aucun plaisir à apprendre mes leçons, aucune motivation pour décrocher

«la» bonne note, je n’ai jamais pris le temps d’écouter les bobards des enseignants

chevelus (sauf, pour mes profs de dessin, nous en reparlerons bientôt) et j’étais pour

-

tant, obligé d’entendre.

Je n’aimais pas les instits et encore moins les profs, je les trouvais suffisants avec leurs

petit savoir et leurs pompes en semelle crêpe.

Savaient-ils dans quelles conditions je vivais ? s’en préoccupaient-ils ? Pourquoi JeanClaude dessine pendant les cours, et ferme la porte aux adultes ?

On ne me l’a jamais demandé.

En colo c’était aussi des instits que se transformaient en moniteur (trice). Putain, je

devais aussi les supporter pendant les vacances.

Je me souviens quand Papa et Maman venaient au collège rencontrer mon professeur

principal. C’était extrêmement curieux pour moi car c’était le seul moment de l’année

où je voyais le prof sourire, et je découvrais ses dents... Dingue !

En primaire à l’école Robespierre de la Courneuve, à la fin du mois y’avait le carnet

de notes...Papa-Maman devaient le signer...

Maman lisait à Papa*, le compte rendu affligeant du mois d’école effectué.

Lorsque la lecture se terminait, Papa, tranquillement, poussait la porte de la cuisine

prenait la ceinture, une ceinture marron en cuir tanné sans la boucle, se dirigeait vers

moi et me frappait de toutes ses forces.

Son visage était fermé, ses yeux noirs rivés sur moi, et à chaque coup il tordait sa

mâchoire inférieure. Entre chaque coup, il retenait sa ceinture pour refrapper encore

plus fort.

Les coups pleuvaient, sur les bras, sur le dos, sur le visage.

Si je tournais autour de la table pour éviter les coups, il comptabilisait le nombre de

tours pour ne rien louper. A la fin, je m’arrêtais et Papa me finissait avec les coups

manqués. Imaginez le courage d’un enfant de 6 ans qui accepte des coups de ceinture

en retard ! Le mois suivant, c’était pareil. La porte de la cuisine, la ceinture etc... Et les

mois suivants aussi. La correction pouvait durer de 10 à 15 minutes... Une éternité.

* Papa ne savait ni lire ni écrire

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Maman, nous a toujours dit que le soir lorsqu’il se retrouvait tous les 2, elle lui faisait

la gueule parce qu’il nous avait battus. Mouais... Elle ne s’est jamais interposée non

plus...

Un soir en Février, en plus de ma correction mensuelle, il m’a laissé enchaîné à la

cage d’escalier du hall de l’immeuble. Mon carnet de notes épinglé sur ma poitrine et

sur mon front une feuille avec cette légende : Je suis un cancre.

Je ne sais pas combien de temps ils m’ ont laissé ainsi, mais je vous jure que j’en

tremble encore. Quand la minuterie s’est arrêtée, la nuit noire et le vent d’hiver

qui s’engouffrait dans le hall m’ ont terrorisé. Je sens encore le froid et le poids des

chaines sur moi. Allez aimer l’école après ça !

Je me souviens notamment d’une voisine, qui parlait avec un cheveu sur la langue,

qui avait de la pitié et qui visiblement semblait choquée par ce qu’elle voyait.

Au collège Michelet de Saint-Ouen c’était le bulletin tous les trimestres.

Comme d’hab, mes notes étaient catastrophiques. Quand Papa, remontait le courrier, au début des vacances de Noël, de Pâques ou à la fin de l’année scolaire c’était les

moments chauds de l’année ! Dans la pile des enveloppes y’avait :

Deux factures, une carte postale des vacances d’un collègue de l’usine, un tract de la

Cgt et un courrier avec un timbre bizarre contenant une longue lettre de nos cousins

de Trapani en Sicile (nous y reviendrons aussi). Mais aussi et surtout y’avait les bulletins trimestriels avec les commentaires des profs et du dirlo. Heureusement pour

nous, Papa-Maman ne comprenaient pas toujours la subtilité et les jeux de mots de la

langue française...

En grandissant, nous nous organisions avec mon frère et mes sœurs pour que

Papa-Maman évitent les bulletins. Ça ne fonctionnait pas toujours car Lolo vendait

souvent la mèche, naïvement... Mais attention, si Papa-Maman comprenaient qu’on

avait essayé de faire le truc à l’envers, la correction était encore plus cruelle... Papa

nous réunissait tous les 4 devant une pièce de 2,50 m x 2,50 m au fond du couloir

que, nous appelions «le cabinet noir».

Je me souviens parfaitement de cette pièce ; il y avait à droite une grande armoire et à

gauche une planche soutenue par 2 tréteaux, dans le fond des couvertures empilées.

En clair, il ne nous restait guère pas plus de 50 cm sur 1m50 pour se mouvoir.

Papa, malgré nos supplications de ne pas nous frapper, nous faisait passer à tour de rôle.

Il commençait par frapper sauvagement Antoine à coups de ceinture qui après sa

correction, devait attendre qu’Éléonore reçoive la sienne, qui devait attendre à son

tour que Vivi prennent sa dose de coups et enfin tous les 3 devaient m’attendre et

assistaient impuissants à ma raclée.

Une fois, pour une connerie collective que je ne manquerai pas de vous raconter un

peu plus tard, il nous a mis tous les 4 dans ce réduit et nous à frappé violemment

sans lumière et à l’aveugle. La ceinture brûlante, ses yeux et sa mâchoire inférieure

serrée, dévorés de colère.

Tout le monde savait que papa nous frappait trop, c’était sa marque de fabrique, sa

façon de nous éduquer. Aujourd’hui, de tous les cousins germains, nous sommes les

22

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plus diplômés et professionnellement les plus accomplis.

Souvent mes oncles, tantes, cousins nous disaient quand nous sommes devenus

adultes :

- Vous voyez, votre père a été violent et sévère mais voila aujourd’hui le résultat.

Les honneurs de notre réussite revenaient donc à Papa brutal pour la «bonne cause»

? Quoi ? Méritait-il une médaille ? Ils se trompaient.

Je pense que si nous avons surmonté cet enfer, avec notre bourreau à la maison, c’est

parce qu’intellectuellement, nous étions en cavale depuis longtemps.

Pour Antoine, l’intelligent, son évasion ne fut qu’une simple formalité. Karl Max et

Misère de la philosophie en guise de livre de chevet, Pour Evelyne, elle était une très

bonne élève et donc avait l’esprit bien occupé.

Et moi ? bin, je dessinais du matin au soir et le dessin était mon refuge ma carapace,

mais c’est surtout grâce à mon frère que mon évasion fut une libération intellectuelle

possible.

Petit à la Courneuve, Antoine, revenait du lycée avec des disques de Léo Ferré, de

Jacques Brel, Georges Moustaki, Serge Reggiani et de Georges Brassens (que j’écoute

encore en boucle aujourd’hui), et j’ai ainsi découvert la poésie.

Antoine, m’a initié à lire mes premiers romans : Le vieil homme et la mer, j’irais cracher sur vos tombes, l’arrache cœur, la gloire de mon père.

Antoine m’a ouvert l’esprit aux médias satiriques car il achetait toutes les semaines

Charlie Hebdo et Hara Kiri de la grande époque avec François Cavanna et le professeur Choron.

Antoine m’a emmené au Théâtre du Châtelet où pour la première fois de ma vie j’ai

vu un chanteur seul sur scène : Maxime le Forestier.

Antoine, amateur de cinéma Italien, m’a transmis cette passion et nous sommes

allés voir Affreux, sales et méchants avec Nino Manfredi au ciné également pour la

première fois.

Antoine m’a appris à jouer aux échecs, mais il gagnait tout le temps, et c’était très

énervant.

Ado, à Saint-Ouen, il écoutait Pink Floyd, l’album avec la vache dans un pré, «Atom

Heart Mother» et le magnifique double album «Tommy» de The Who, (autant vous

dire, le feu d’artifice dans ma tête) Pete Townshend avec sa Gibson black beauty, Roger Daltrey au chant, John Entwistle le bassiste et enfin le génial Keith Moon, mon

idole, le plus grand batteur de Rock’n’roll de tous les temps...

Coté littérature j’ai dévoré Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, le merveilleux livre d’Albert Cohen : Belle du seigneur, l’Assommoir d’Émile Zola, l’ombre

du vent Carlos Ruiz Zafón etc...

Antoine, Antoine, Antoine*, merci, mon frère bien aimé.

En troisième, je ne foutais rien en cours. J’avais une prof de maths qui semblait me

comprendre, Madame Guillon. Au bout d’un quart d’heure d’équations, elle me disait

23

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- Casubolo, pourquoi n’allez-vous pas fumer une clope sur le toit de l’école ?

Moi :

- Bin, oui madame, puisque j’ai déjà la cigarette dans la main...

Les profs, les leçons, les devoirs... Quelle plaisanterie ! Je voulais surtout qu’on me foute

la paix !

L’ école de mon enfance c’était surtout la dictature et la peur de papa quand je rentais

à la maison le soir et certainement pas la journée en cours, ou finalement, j’étais à

peu près hors de danger.

Grâce à Jo-le-contact**qui grandissait en moi, j’ai achevé mon parcours scolaire du

premier cycle, sans trop de casse. Papa, Maman, eux, Jo-le-contact, ils en avaient rien

à cirer. Ils ignoraient même son existence. Ils ont rencontré et apprécié Jo-le-contact,

qu’après de longues années de coups de ceinture et d’incompréhension.

C’est seulement à la fin de leur vie que mon aisance à affronter les problèmes les

faisaient bien marrer.

En sixième au collège Michelet de Saint-Ouen, on avait 2 heures de dessin le vendredi

après midi. Je me souviendrai toujours du premier cours avec monsieur Valette.

Il fallait reproduire sur une feuille Canson à grain (wouhaa la classe), un petit âne

gris en peluche avec une selle rouge et au deuxième plan un tambour avec une peau

usée beige, la structure du tambour était orange et verte, sertie d’un cordon bleu en

V faisait le tour de l’instrument. Enfin à droite il y avait une quille blanche usée d’un

acrobate certainement.

Il ne lui a fallu que 5 minutes pour que Valette repère ma dextérité à croquer facilement la nature morte. Il faisait genre je vais voir les autres mais il revenait inlassablement jeter un œil inquisiteur derrière mon épaule.

Valette, mon tout premier choc artistique. C’était un petit bonhomme nerveux en

blouse blanche qui ne supportait pas l’insolence des ados qui en avaient rien à foutre

de ses cours d’art plastique... Pourtant Il dessinait merveilleusement bien et à main

levée sur le grand tableau noir de la classe. Il me fascinait.

Une fois, entre autre, il avait dessiné un Maréchal d’empire à la craie et à l’éponge,

comme ça, devant nous... Putain le mec !

A la fin du cours, il m’a demandé de rester un peu dans la classe afin de me proposer

de rejoindre les cours de dessin aux Beaux-Arts municipaux de Saint-Ouen le same

24

* Antoine pourtant n’est pas une pointure en matière de musique pop, encore aujourd’hui,

il me demande, moi le mélomane fou de Rock and roll (je possède 15 guitares absolument

sublimes Gretsch, Fender, Gibson, Martin etc...) sur quel album il a entendu cet air qui lui

plaît bien, J’en profite, évidement pour me foutre de lui avec Ugo son fils (grateux, étudiant aux

Beaux arts) et on se marrent bien...

** Surnom que m’a attribué mon ami Jean François Mezon, quand j’avais 20 ans. J’avais un

contact facile et aisé, pour brancher les filles, Jean-François me considérait comme «son atout

majeur et imparable».

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di, dirigés par Jacques Arlaud son ami, mon maître.

Artistiquement, je dois tout à Jacques Arlaud*, qui samedi après samedi, lui, le

peintre des beaux quartiers Parisiens, s’est occupé méthodiquement, patiemment, du

banlieusard un peu rustre, que j’étais... C’est Antoine qui à payé les premiers cours,

merci.

Les larmes me montent aux yeux.

Le samedi matin c’était la course. À 7h00, j’accompagnais Papa au marché, je l’aidais à porter les sacs de fruits, de viandes, de fromages pour la semaine. Les forains

croyaient que Papa avait un restaurant...

A 9h30, je rejoignais Arlaud à l’atelier de la ville.

Souvent arrivé le premier, l’odeur de térébenthine mêlée à l’huile de lin m’enivrait.

J’adorais ce moment. Arlaud, m’offrait un café soluble, pas super, et retournait

derrière son bureau le visage fermé. Il avait toujours à proximité une toile à peindre

pour la journée et elles étaient toutes sublimes.

Je préparais mon chevalet, mes feuilles, mes fusains, puis les autres élèves-peintres

arrivaient, chacun dans sa bulle, chacun dans son œuvre. Nous commencions à

gratter comme si nous étions en manque. L’ambiance était studieuse : un fond de

musique classique, on distinguait le bruit furtif des crayons, des pinceaux.

Au bout d’un moment, Arlaud se levait et venait voir chacun d’entre nous. J’écoutais.

Arlaud :

- Humm.... Oui.... Mouais... Intéressant...

(On l’entendait faire son petit tour) puis tout d’un coup,

Arlaud :

- Lorsque j’étais étudiant, les profs nous trouvaient franchement mauvais.

Que diraient-ils de vous aujourd’hui ? Puis, il retournait derrière son bureau,

le visage cadenassé.

Au printemps, il organisait des journées peinture, au bord de la Seine du coté d’Auvers sur Oise sur les traces de notre idole : Vincent van Gogh.

Curieusement l’ambiance ressemblait au film de Maurice Pialat.

Nous étions entre peintres, nos copines étaient là et le pique-nique était très bien

arrosé. Je rentrais le soir vanné mais avec deux ou trois peintures faites avec bonheur

sur le vif.

Grâce à Arlaud, j’exposais tous les ans, au salon des artistes indépendants dans le magnifique Château du XIX ème siècle qui appartient à la ville de Saint-Ouen.

C’est un château classé aux monuments historiques. Il est constitué de trois corps de

bâtiments organisés autour d’une cour ornée de sculptures dans le style d’Aristide

25

*Jacques Cyril Arlaud était artiste peintre, je possède une de ses œuvres, c’est mon portrait à

18 ans. C’était aussi un graveur de talent, il faisait des eaux fortes comme Albrecht Dürer. Je

possède aussi un livre qui regroupe ses gravures.

C’était un amateur d’art averti. Comme lui, aujourd’hui, je suis un admirateur sans limite de la

peinture du XVII ème, qu’il m’a fait découvrir.

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Maillol. L’ orangerie est décorée d’un fronton et d’une longue allée qui traverse les

jardins à la Française, les organisateurs du salon, avaient installé la table des cocktails

pour mon premier vernissage. A l’intérieur, je découvrais des œuvres diverses et

variées des autres participants.

J’étais émerveillé et j’éprouvais pour la première fois l’envie d’appartenir à un groupe.

Le verdict était sans appel, un jour, je serais artiste peintre. J’avais 14 ans.

Arlaud*, m’a accompagné avec succès au concours d’entrée du CAADIA (Centre

d’Art Appliqués de Design et d’Architecture.) rue Froment, tout prés de la place des

Vosges.

Je lui dois aussi ma réussite au concours d’entrée (à l’ENSBA) l’École Nationale Supé

-

rieure des Beaux-Arts rue Bonaparte avec vue, s’il vous plaît, sur le Louvre.

Un jour, j’ai perdu mes pinceaux dans le métro.

Arrivé à l’atelier je lui ai raconté ma mésaventure. Il m’a écouté puis il a fait demi-tour

sur lui même et m’a offert une dizaine de ses pinceaux. Ils sont là, en face de moi...

Pour préparer les épreuves de perspective du concours des Beaux-Arts, le soir à la

maison, il m’a filé sa planche à dessin amovible (Y’en a pas deux comme ça dans le

monde !). Cette table m’a suivi dans toutes mes aventures depuis plus de quarante

ans, Notamment, à la Martinique où j’ai vécu près de quatre ans. Elle est là aussi, prés

de moi.

Plus tard étudiant à Arts-A, je lui apportais, tous les samedis mes travaux de la semaine.

Il avait un jugement dur et sans concession car Je n’étais plus l’ado candide, mais

graphiste débutant qui allait bientôt vivre de ses dessins et de son Art. Il a été un

formidable professeur.

Jusqu’à sa disparition en 2016 je l’appelais tous les ans pour la bonne année et à

chaque fois je lui rappelais combien il avait été ma bonne étoile.

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*Vous imaginez bien, qu’après Arlaud j’ai eu de merveilleux professeurs :

Madame Gazonnois, peintre et directrice autoritaire du CAADIA, Madame Véron, peintre,

lauréate du prix de Rome, Monsieur Ramage professeur de graphisme (qui m’en a fait voir de

toutes les couleurs, c’est le cas de le dire...) et Monsieur Marron prof de dessin à vue et de mo

-

dèles vivants, c’est lui qui m’a baptisé «Arlequin» il trouvait que je lui ressemblais beaucoup :

Arlecchino en italien, est un personnage type de la commedia dell’arte qui est apparu au XVIe

siècle en Italie, son costume est fait de losanges multicolores. Ceux-ci représenteraient les

multiples facettes d’Arlequin, ainsi que sa détresse et sa pauvreté.

Aux beaux-arts, j’ai eu la chance d’assister aux cours de Pierre Soulage, et je faisais parti de

l’atelier du peintre Amor, dans quelques pages, la suite des aventures d’Arlequin...

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Lolo, Éléonore, je l’aime, c’est ma sœur.

Je suis fâché avec elle depuis le décès de Papa-Maman. Une fois de plus, elle

a été manipulée. Une fois de plus elle n’a pas eu la force et le courage d’être

elle même. Lolo est faible.

Il parait que lorsque j’étais bébé, dans mon landau, elle a faillit me frapper avec une

chaussure, Lolo est jalouse. C’était la préférée de Papa. Elle s’appelait comme sa mère,

pour laquelle, il vouait une véritable vénération. Lolo est bête, elle disait :

- Papa, plus tu me frappes plus je t’aime.

Pourtant, des coups de ceinture elle en a reçu beaucoup...

Enfant, elle était joyeuse et grande gueule. Le commentaire qui revenait le plus sou

-

vent sur ses relevés de notes c’était : Éléonore est une élève agitée.

Mais on s’est bien marré avec Lolo : roublarde, menteuse, tricheuse mais aussi drôle,

généreuse et toujours prête à faire équipe pour la grosse connerie de la journée avec

les risques que ça comprenait...

Une fois, elle à organisé à la Courneuve, une boum clandestine à la maison pendant

les heures d’usine de Papa-Maman, sauf que pas de bol, Papa est sorti plus tôt du taf

ce jour là...

Comme dans les films, papa s’est pointé à la maison à l’improviste : ça grouillait de

minettes légèrement vêtues dans tous les coins de l’appart avec des mecs très à l’aise (cela

restait néanmoins très sage et bon-enfant car nous étions ados) mais le soir, on a eu droit

au «cabinet noir» avec toutes les options.

Ado, elle bossait le week-end et vendait des chaussures chez «Debout» à la Villette.

C’était une excellente vendeuse. Pour quelques commissions de plus, elle posait des

fers de protection à l’avant, à l’arrière et même sur les côtés, de tous modèles cuir,

mais aussi sur les semelles en plastic des baskets !!!

Monsieur et madame Debout ne l’auraient laissée partir pour rien au monde et

avaient même proposé à Papa-Maman de l’embaucher à temps plein.

Un soir, prise la main dans le sac elle à avoué a Monsieur Debout qu’elle avait volé

une paire de chaussures durant le week-end.

Une bêtise d’ado (Lolo n’était pas une voleuse).

Monsieur Debout ne la pas virée, mais en revanche, il a retenu sur sa paie du weekend le prix des pompes volées.

Arrivée à la maison, il était coutume (selon les règles de Papa-Maman) de leur donner

toute notre paye du week-end pour les besoins de la maison*. Bingo !

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Papa :

- Lolo comment se fait-il que tu as une si petite paye ?

Lolo marmonne une excuse à la con.

Papa :

- J’ appelle immédiatement Monsieur Debout.

Il saisit le téléphone gris avec le gros cadran numérique, compose le numéro et ça sonne...

Papa :

- Bonsoir Monsieur Debout, pourquoi Éléonore a une si petite paye ?

Monsieur Debout :

- Bonsoir monsieur Casubolo et si je vous disais que votre fille est une voleuse ?

Je ne sais plus ce qu’il a fait du téléphone, mais j’ai vraiment cru qu’il allait la tuer.

Il s’est littéralement rué sur elle pour la massacrer.

Je suis descendu à l’étage inférieur pour prévenir Monsieur Micaleff**, mon entraineur de boxe, avec Jeannette sa femme, ils étaient amis d’enfance depuis Tunis.

Monsieur Micaleff, qui savait contrôler la fougue des boxeurs poids lourds, a quand

même mis une bonne heure pour calmer Papa...

La nuit venue, Lolo couchée, Papa lui faisait des compresses de synthol pour masquer

les traces de coups qu’elle avait sur le corps et sur le visage.

Papa racontait volontiers à qui voulait bien l’entendre ce drame, avec légèreté.

Etre irréprochable auprès des autres sous peine de grosses raclées c’était pour lui la

marche à suivre à l’extérieur de la maison, point à la ligne.

Il ne s’est jamais remis en question.

Tu pouvais être le dernier des abrutis, ça ne le dérangeait pas. Mais si par malheur il

apprenait que tu n’avais pas dit bonjour, merci et au revoir à la boulangère, c’était une

séance de coups de ceinture garantie.

Lolo a fait une scolarité médiocre, pour atterrir à l’usine avec Papa-Maman dès l’age

de 18 ans. Elle n’a pas saisi sa chance quand celle-ci s’est présentée : Juste avant d’entrer à l’usine pour 32 longues années de labeur, elle avait réussi les entretiens et les

tests pour être embauchée à TF1 ! Ils l’ont même prise à l’essai. Une fois, je suis allé la

rejoindre à TF1 qui était encore rue de l’Arrivée dans le XVème. J’ai pris l’ascenseur

avec Evelyne Delia et François de Closets ! des gens de la télé en vrai !

C’était en été, début Août, nous (la famille) partions en vacances et Papa n’a pas voulu

laisser Lolo seule à Paris. Lolo n’a pas contesté mon père. De retour en Septembre,

* Lolo l’a subi, je ne sais pas si Antoine et Evelyne se sont pliés à ce racket. Pour ma part, j’ ai toujours donné qu’une petite part de ma paie, en leur faisant croire qu’il y avait tout...

**Tous les passionnés du noble art, connaissent forcement Gaëtan Micaleff, le plus célèbre entraineur de Boxe des années 70-80. Encore un peu de patience et je vais vous raconter ma carrière

éphémère de boxeur...

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TF1 la remercié.

Son rêve c’était de devenir une Clodette de Claude François.

Lolo et Papa, considéraient que le divertissement et donc la culture, se limitait au

spectacle de marionnettes. Fallait que ça chante, que ça se trémousse dans des vêtements à paillettes.

Quoi un artiste ? une œuvre ? c’est quoi ? Ils appelaient çà : des vedettes de variétés.

Jusqu’à sa disparition, Papa ne regardait que des émissions de variétés du matin au

soir, il se faisait royalement chier devant un film par exemple.

Rien ne les intéressaient ni le sport, ni les reportages sur les multiples facettes du

monde, ni les infos, même pas la météo, non, que «les variétés» et les jeux toute la

journée.

En mars 2020 lorsque les terribles nouvelles d’un certain Coronavirus ont envahies

les petits écrans, nous nous sommes immédiatement inquiétés pour la santé de nos

parents très âgés, aussi nous mettions en garde Papa-Maman afin de faire super gaffe.

Au téléphone Maman me disait :

- Papa ne veut pas en entendre parler, le coronavirus il en a marre qu’on lui rabâche, surtout que «l’émission de Nagui» commence...

Lolo c’est la même chose : elle reste plantée toute la journée devant la tv à regarder

des émissions à la con. Autre truc qu’ils avaient en commun : ils adoraient danser

dans les fêtes de famille et papa faisait danser toutes les tatas.

A la maison, Il suffisait que Papa dise :

- Lionora balla !

Aussitôt elle entamait la chorégraphie du «Lundi au soleil» tout en chantant.

Elle pouvait comme ça déballer tout le répertoire du blondinet aux costards à paillettes et sa chambre en était recouverte de posters...

Ses copines étaient les poufs de la cité. Un soir avant que Papa-Maman rentrent

de l’usine, une bande de gonzesses de la cité d’en face l’attendait et elle s’est prise

quelques baffes. Je ne sais pas pourquoi mais parfois entre poufs, ça clash...

Pareil pour ses copains c’était les loulous de la cité : Dédé Sibietta, Marc Lempereur

qui lui tournaient autour, en mob, car elle était vraiment très jolie, ma sœur.

Je parlerai plus tard du manque de confiance et de la méfiance qu’avaient nos parents

envers nous et nos amis de la cité. Les bobards et des fréquentations de lolo n’arrangeaient rien.

Elle se rapprochait toujours de la zone. Je n’ai pas le souvenir que lolo nous ait présenté ne serait-ce qu’une fois une amie ou un poto que mes parents auraient admiré

pour ses qualités.

Une fois elle à rencontré un mec bien. Ce mec était en plus raide dingue de Lolo.

Il s’appelait Didier Shump. Il était ingénieur au bureau d’étude de l’alstom, la classe.

J’aimais bien ce mec hors normes (enfin selon nos normes de l’époque...) un peu dans

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le style Olivier de Kersauson. J’aimais son franc-parler, son incapacité à se soumettre

aux règles et ses points de vue forcement différents que celui des mes parents sur

l’alstom. Il n’était pas ouvrier comme eux mais cadre. C’était un passionné de belles

motos et cerise sur le gâteau, il en possédait une. Une sublime Honda 1000 Gold

Wing jaune la toute première version et la toute première dans le quartier... Une fois,

à la sortie du collège, il m’a fait la surprise d’être là... Wrawravroomm ! Trop cool.

Seulement voila, il était syndiqué et même s’il venait régulièrement à la maison il ne

plaisait pas à Papa qui en avait décidé autrement et à la place de ma sœur : Il ne serait

jamais son futur mari. Papa ne voulait pas d’électrons libres mais plutôt «des gentils

garçons sérieux et travailleurs» pour mes sœurs... Lui, Didier Shump devait avoir 27-28

ans, il voulait partir en vacances avec sa chérie, sa moto et ses copains en couple,

quoi de plus naturel ?

Quoi ? pour Papa-Maman ce n’était pas possible, pas négociable même pas envisageable.

Mes sœurs étaient privées de liberté. Elle n’avaient pas le droit de sortir, ni d’avoir des

copines et encore moins des copains. Quelles vies auraient elles eu avec le droit de

vivre leur jeunesse comme tout un chacun ?

Nous sommes partis en vacances en Italie et Lolo est sorti avec un italien. Une amourette estivale et papa a fermé les yeux. De retour à Saint-Ouen et sur ordre de Papa,

elle a rompu avec Didier Shump.

Les cousines de l’âge de mes sœurs se mariaient toutes les unes après les autres.

Lolo et Vivi voulaient en faire autant coûte que coûte, car c’était le seul et unique

moyen pour se barrer de la maison et aujourd’hui, je les comprends.

Antoine et moi étions devenus de jeunes adultes, Papa nous laissait souffler un peu.

En revanche, Il était toujours un danger brutal et sournois pour mes sœurs.

Oui c’était sournois d’élever, nous les garçons, pour être des chiens de garde envers

nos sœurs. Et dans les faits Je les ai épiées, j’ai empêché Vivi de vivre «normalement»

sa première histoire d’amour avec un garçon qui s’appelait Bruno Laborey. A la

moindre info, fou de jalousie, je les menaçais de tout balancer à Papa, qui les auraient

frappées.

Aujourd’hui, je le regrette, et renouvelle une fois de plus mes excuses les plus sincères. Lolo, Vivi, pardon.

Un soir d’hiver, nous sommes allés à l’anniversaire d’une petite fille à Gaspard et

Stella des amis de Tunis. Lui était ténor dans sa salle à manger, il chantait super bien

«Oh sole mio» je les aimais bien, ils étaient sympas.

Ambiance pizzas, gâteaux, bougies, cadeaux, champagne, la fête d’anniversaire battait

son plein*.

Avec Lolo, Vivi et mes cousines Rita et Patricia** nous avons passé la soirée à nous

moquer d’un mec complètement anachronique *** qui dansait et se déhanchait

maladroitement, avec une énergie ridicule. Il se faisait remarquer. En clair il frimait

lourdement.

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Il était très laid ; des cheveux raides mi-longs plaqués par la sueur, un tout petit front,

une peau grêleuse, deux fentes qui lui servaient d’yeux globuleux et un énorme nez

très long souligné d’un petit filet de moustache. Il clopait clopes sur clopes, des clopes

que personne ne fumait des «Royales». Il portait des fringues aux couleurs criardes et

des souliers vernis qui remontaient au bout comme les pompes des clowns. Sa veste

(je vous jure que c’est vrai) était avec de grands revers et à grands carreaux rouges et

oranges. Il transpirait comme un bœuf dedans.

A l’époque les canons de beauté standard ressemblaient plutôt à John Travolta ou à

Sylvester Stallone et en l’observant, nous en avions déduit qu’il ne pouvait que sortir

du cirque Zavatta.

On avait même persuadé Lolo que ce mec était un saltimbanque professionnel.

Elle nous croyait. On se marrait.

Après une béguine endiablée (son bassin et ses hanches en mode auto-saccadé) avec

ma cousine Annie, vint l’inévitable, l’incontournable série des slows, Bingo ! Sous nos

regards médusés, le clown a invité Lolo à danser. Il avait fait une touche. Nous regardions lolo, enlacée et avec désespoir, nos regards dépités lui disaient :

- Non la grosse pas lui, pas ça, mais c’était déjà trop tard.

Lolo entrait dans une histoire en se détachant naturellement de la nôtre.

Le début du reste de sa vie en somme.

Papa était ravi et en totale confiance : le mec était vendeur au rayon bricolage des

Galeries Lafayette et Gaspard (le ténor de la salle à manger) était son chef ! L’affaire

Lolo était dans le sac. Papa aveuglé et maman muette ont emballé, pesé et livré la

faible Lolo dans un beau paquet cadeau pour l’offrir au pire des pires beaufs qui allait

devenir le nôtre...

Très sérieusement, je me suis toujours demandé si le chanteur Renaud ne s’était pas

inspiré d’Alain Burduche (et oui son nom de clown lui collait à la peau) pour écrire sa

chanson : Mon beauf.

On choisit ses copains, mais rarement sa famille

Y a un gonze mine de rien qu’a marié ma frangine

Depuis, c’est mon beau-frère alors y faut faire avec

Mais c’est pas une affaire vu que c’t’un sacré pauv’ mec

Mon beauf, mon beauf

Il a des rouflaquettes, un costard à carreaux

Des moustaches, une casquette et des pompes en croco

Y s’prend pour un vrai mec, mais y craint un petit peu

Pour tout dire il est presque à la limite du hors-jeu

* Une fois on a retrouvé un des petits fils de Gaspard au fond du canal avec une pierre autour du

coup... Ambiance.

** Après le mariage de Lolo et Alain, un fond de moquerie, inavoué, persistait lorsque Lolo croisait

Rita ou Patricia.

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Mon beauf, mon beauf

Approchant sereinement la trentaine, chevalière, gourmette en or et bagnole bleue

pailletée flanquée d’un sticker rallye sur le pare brise, il vivait encore chez ses parents

avec son petit frère Dominique dans une cité HLM de Sarcelles. Une caricature de

figurants pour les films de Michel audiard. Mais putain ! Quelle chance il a eu ce mec

! Jamais de la vie dans une vie normale il aurait pu séduire un canon comme Lolo.

Des mecs très laids qui séduisent des jolies femmes c’est courant à condition d’avoir

une autre forme de beauté comme Gainsbourg ou Woodie Allen mais lui est réac,

raciste, pingre, fielleux, hypocrite et insidieux. Pourtant Lolo lui a trouvé des qualités

puisqu’ils sont unis depuis 44 ans. Allez comprendre ?

Nous étions Antoine, Vivi et moi-même adhérents au jeunesses communistes et

donc révolutionnaires. Lui, ex-parachutiste, borné et têtu, ça ne pouvait décidément

pas coller.

Mais il était sous la protection de Papa et donc intouchable pendant près de 40 ans.

Papa aimait Alain qui le savait bien et je n’ai jamais vu un «suce-boules» de la sorte.

Tu avais juste dix-huit ans

Quand on t’a mis un béret rouge

Quand on t’a dit: «rentre dedans tout ce qui bouge»

C’est pas exprès que t’étais fasciste

Parachutiste

En réalité il nous méprisait, nous étions pour lui et sa famille que de simples «bi

-

cots», dixit par son père, Georges Burduche sénior, car leur spécialité leur marque de

fabrique aux Burduche c’est de vomir sur les gens.

Un dernier truc incroyable : le papier peint de sa chambre était exactement le même

que celui que papa avait choisi pour notre salle à manger. Dingue, non ?

A la mort de papa-maman, Burduche a dit à ma sœur Vivi que Maman pouvait cre

-

ver, qu’il ne viendrai pas à son enterrement. Lolo* n’a pas bougé le petit doigt.

C’est pas terrible comme hommage à des gens qui lui ont miraculeusement offert sur

un plateau une jolie fille comme ma sœur...

*** Anachronique : état de désuétude de quelqu’un qui est en retard sur son temps ou décalé visà-vis de son époque

* Lolo, a depuis toujours une sclérose en plaque, ça se traduit par une minuscule tâche dans le

cerveau qui la fatigue et l’empêche de trop marcher. Les médecins s’affairent pour que ce mal

n’évolue pas. Lolo était en longue maladie depuis ses 45 ans et aujourd’hui, elle profite tranquille

-

ment de sa retraite.

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Figlio mio bugiardo J

’ai toujours été un incroyable menteur. Pas comme lolo, dieu merci, car ses men

-

songes n’étaient que roublardise et vice. Maman l’avait surnommée «Delaporte»*et

encore dernièrement lorsqu’elle faisait une connerie, tout le monde (Maman la

première) pensait très fort : C’est Delaporte* qui nous en a fait encore une !

Non, moi j’étais menteur au quotidien pour préserver la paix, pour arrondir les

angles. Même tout petit, Maman levait les yeux au ciel et disait :

«Dio, ma che bugiardo sto figlio mio bugiardo !» que l’on peut traduire par «Mon

dieu, qu’est ce qu’il est menteur mon fils chéri le menteur !».

Avec Nono le père de maman, on s’était inventé un monde imaginaire ;

Il y avait Rosa, Cotso et on leur faisaient vivre des aventures extraordinaires.

Un jour, Je devais avoir 6 ou 7ans c’était en hiver, mon oncle Mathieu était à la

maison. Maman me prépare et m’ envoie à l’école qui se trouvait à 100 mètres de la

maison. Quelle surprise ! quelle chance ! l’école avait disparue.

De retour à la maison, j’ai bien essayé d’embrouiller maman qui n’était pas dupe, car

hélas, l’école était toujours là, c’était juste à cause du brouillard...

Cette anecdote a fait le tour de la famille et on me l’a trop souvent ressortie.

De mes mensonges, seule, Vivi ma sœur bien aimé, connaissait la stricte vérité.

Vivi, ma confidente, mais pas seulement la mienne, elle était aussi celle d’Antoine, de

Lolo, de certaines de mes cousines et de ses copines.

Son analyse est et a toujours été pragmatique.

Mes grands parents ne faisait confiance qu’à Vivi.

Nono le père de Maman était en admiration devant son écriture régulière et sans

faute.

On l’avait surnommée madame Thatcher, la dame de fer.

Elle était la seule à économiser pièce par pièce pour se payer un pull.

Elle était la seule à savoir qu’à l’age de seize ans j’ai vécu ma première histoire d’amour.

Nous étions élève au lycée Garamond de Colombes**, une école qui enseignait les

métiers de l’imprimerie. J’avais réussi à introduire Vivi qui avait décroché un job de

prof le samedi matin.

Sylvie, avait la blouse blanche des techniciennes du labo, les cheveux au vent.

Moi, frisé avec des lunettes, j’avais la blouse bleue des nazes qui étaient là un peu par

hasard. Ce n’était pas gagné d’avance car en plus (et je vous jure que c’est vrai) c’était *Roger Delaporte, était un célèbre catcheur qui passait le vendredi soir à la téloche dans les années 60. Il était tricheur et toujours de mauvaise foi.

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la plus jolie fille de l’école. Nous sommes tombés raides dingues amoureux l’un de

l’autre. Y’a des jours où cupidon ne s’en fout pas.

Pour la première fois, nous avons découvert l’amour et c’est un merveilleux souvenir

indélébile. Notre histoire a duré quatre ans. Incognito.

Après mon divorce en 2003, j’ai revendu mes parts de la petite agence de pub que je

possédais à Saint-Tropez pour redémarrer une nouvelle vie Parisienne.

J’ai eu la très mauvaise idée de retrouver Sylvie. Notre flamme était encore bien vive

et comme en 1976, nous sommes repartis de plus belle dans une histoire passionnée.

Sauf qu’elle était mariée et avait 2 enfants...

Un jour, en 2004, je l’ai présentée à Papa-Maman. Ils n’en revenaient pas lorsque je

leur ai avoué qu’elle avait été mon amour 4 ans durant, lorsque j’étais qu’un ado.

Papa, interloqué, en regardant maman :

- Tu le savais toi ?

Maman, en regardant le bout de ses pantoufles :

- Ma foi, non...

Pour avoir la paix, ils ne savaient rien de moi, je les embrouillais à volonté : Coco qui

sont tes potes ?

- Tu sais les mecs, vous les avez déjà vus.

Coco ou tu vas ?

- Mais là-bas, tu sais, tu m’as vu une fois.

Coco tu y fais quoi ?

- Bin, rien, je suis avec mes copains, voila

Mes envies ? mes rêves ? mes peines ? rien de rien je vous dis.

Ils savaient que j’étudiais le dessin à Paris, mais elle était où cette école ? Je ne leur

posais pas de problème et m’assumais financièrement. Le reste c’était mon jardin secret,

interdit à la famille.

Je n’ai jamais touché aux drogues dures.

A cette époque, mon pote Marco Velasquez nous a initié à fumer du haschisch un soir.

La fumette ce n’était pas du tout comme aujourd’hui. À l’époque on écoutait Lou

Reed et le Velvet Underground, fumer faisait partie de la Rock ’n’ roll attitude. J’y ai

pris goût et j’ai fumé des spliffs prés de 40 ans...

Je planais c’était cool, j’ai aussi pris du Lsd, des acides et c’était vraiment bien, cerise

sur le 3 feuilles un tout nouveau lecteur de cassettes portable est arrivé dans ma vie

sous le nom de «Walkman ». J’étais un des tous premiers à l’acquérir et J’avais toujours une dizaine de cassettes sur moi et croyez moi que défoncé le casque Sony sur

les oreilles ; Foxy Lady de The Jimi Hendrix Expérience, Stairway to Heaven de Led

** A l’époque j’’avais détesté cette école, mais depuis il n’y a pas un jour ou je ne me sers pas de ses

valeurs typographiques apprises là-bas pour mon travail au quotidien.

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Zeppelin, Aftermath ,Sticky Fingers, Let It Bleed des Rolling Stones sans oublier The

Beatles c’était comme si je marchais à dix centimètres du sol...

Seulement, voila mes activités artistiques, mon taf aux puces (on y arrive...) faisaient

que je ne pouvais pas aller plus loin dans la défonce, je devais être maître de moimême. Même adulte après des cuites je n’ai jamais supporté de ne pas être maître de

moi-même.

Mes copains du bahut, en revanche, ont continué tragiquement jusqu’au bout. Il ne

foutaient plus rien, ils étaient descolarisés et en l’espace de quelques mois ils sont

devenus des loques, des junkies comme on dit. Ils ont tous eu une hépatite et ils

dépérissaient à vue d’œil. Beurk. A la fin ils faisaient des larcins minables et cambriolaient les apparts de leurs potes* ils faisaient n’importe quoi pour acheter une dose de

cette merde qui s’appelle héroïne. Ils sont même passés par la case prison.

Bruno et Marco sont morts d’overdose.

Tonio, Thierry, Marinero, mes copines Emma et Carmen sont morts du sida.

Tonio et sa copine ont laissé une petite fille de 2 ans. C’est triste.

Mes parents n’ont jamais su que j’avais vécu mes premiers deuils...

D’un discours allons à un autre comme disait toujours mon père : Maman était super

crédule.

On pouvait lui faire croire n’importe quoi. Elle nous croyait trop facilement et trop

naïvement même sur des choses même invraisemblables.

Petits, nous faisions la sieste, Maman concentrée travaillait avec précision sur sa

machine à coudre. Trouvant l’après-midi trop longue, Antoine, sans faire de bruit, est

monté sur la table de la cuisine et à avancé l’horloge d’une heure et demie pour avoir

son goûter plus tôt.

Maman voyant l’heure avancée nous réveille et nous donne notre tartine de confiture en se disant qu’elle n’avait pas vu le temps passer... Le soir, en ne voyant pas Papa

arriver elle s’est inquiétée grave, puis papa est arrivé très cool à la maison avec 1h30

de retard... Ils se sont engueulés : et t’étais où ? et pourquoi ? la confiance règne etc...

avant de se rendre compte de la supercherie.

À 20 ans, pendant la coupe de monde de foot à Séville, je m’en rappelle Patrick

Dewaere s’était mis une bastos dans la tronche et Battiston était sorti du terrain sur

une civière et nous (Antoine, vivi et moi) étions dégoûtés dans ce bar à Mikonos en

Grèce où nous étions partis tous les 3 avec juste un sac à dos des vraies vacances de

baba-cools.

On dormait sur la plage à l’arrache et on avait pris un vol Paris-Athènes avec le tout

nouveau concept : Le «Charter»...

*Lorsque je suis parti au Club, Vivi venait de se marier et Papa-Maman se sont retrouvés seuls.

Je n’ai pas participé au déménagement de la rue Soubise à la rue Dieumegard, leur nouvel appart

plus petit, prés des puces. Je le regrette. J’ai perdu des tas de trucs qui étaient dans ma chambre...

Mais, je ne voulais pas qu’ils restent à Soubise, j’avais trop peur qu’ils se fassent cambrioler par

mes potes...

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Avant le départ Maman nous demande :

- Mais c’est quoi, charter, ce charter dont vous parlez tout le temps ?

Nous :

- Bin, c’est le vol en avion pas cher, mais attention, y’a des conditions

Papa qui a pigé le gag, se prend au jeu :

- Oui, j’ai vu à la télé, c’est moins cher car l’avion est d’occasion.

Maman :

- Quoi ! d’occasion, les enfants c’est pas dangereux ! oh mama mia, n’y allez pas !

Papa :

-Mais non, ne t’inquiète pas, ils ont tout prévu.

Maman : ..... ?

Papa :

- Chaque passager, lorsqu’il s’assoit a un câble devant lui qu’il doit prendre a

pleines mains. Pendant le vol ils doivent le tirer bien fort chacun vers soi, pour que

les ailes de l’avion restent bien droites. C’est pour ça qu’on dit «Charter».

On en faisait des caisses, on poussait tellement le délire, qu’a la fin Maman, d’elle

même comprenait que c’était une connerie. Elle ne marchait pas, elle courait.

Une autre fois sur la route des vacances, nous allions en Italie en passant par le col

du Mont-Cenis. C’était magnifique, on y voyait les stations de ski avec ses chalets, ses

télé-cabines et ses tire-fesses sur ces prés tout verts pour l’été.

On expliquait donc à papa-Maman qu’ici même en hiver c’était tout blanc et que

nous dévalions les pistes vertes, bleues ou noires toute la journée grâce à ces remonte-pentes* nichées au milieu des montagnes majestueuses.

Nous :

- Tu sais maman, la dernière fois, Lolo a perdu la perche du tir fesse et elle est

restée en équilibre sur le câble seulement avec sa volonté luttant contre une tempête

de neige et en attendant qu’un hélico vienne la chercher.

Maman blême :

- Ma come figlia mia ! Tu n’y retourneras plus ! Et como ! Basta-va ! etc...

Cette anecdote m’en rappelle une autre qui c’est déroulée le même jour :

Arrivé en haut du col du Mont-Cenis l’ambiance était à la rigolade sauf que Papa qui

n’était pas le roi du volant devait maintenant négocier la descente.

Au lieu de conduire en utilisant le rétrogradage des vitesses comme frein moteur

et en évitant surtout de laisser le pied sur la pédale de frein il l’a, évidement, trop

sollicitée.

La conséquence de tout ça a chauffé les mâchoires pour ne plus avoir de frein au beau

milieu de la descente du col. Je revois exactement la voiture prendre de la vitesse et

Papa enchaîner 3 ou 4 virages avec beaucoup de sang froid d’ailleurs. Grâce à un petit

chemin en bordure de route qui nous a sauvé... Vivi était dans les vapes et a eu droit

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à une superbe baffe. Au bout de 20 minutes l’huile des freins avait refroidi et nous

pûmes reprendre la route des vacances comme si de rien n’était...

Autre bobard rigolo : peu de temps avant leur décès, lors d’un repas dominical, j’ai

raconté à Maman l’histoire d’un écrivain courageux, qui depuis sa chambre de l’hôpital, comment il survivait suite à un accident cardio-vasculaire.

Seul un œil bougeait, c’était son lien avec le monde, il clignait une fois pour dire oui,

deux fois pour dire non, il pouvait ainsi former des mots. Il a écrit un livre**, d’une

intensité qui serre le cœur. Maman était si captivée par cette histoire, que je n’ai pas

pu m’empêcher de faire le pitre une fois de plus, puis Antoine aussi.

Maman :

- Misquino, c’est triste.

Moi :

- Tu veux que je te montre comment il clignait de l’œil, lorsqu’il achetait du pain ?

Je partais dans un mime oculaire ridicule mais super drôle.

Antoine surenchérissait :

- Et puis il disent qu’en Italie, il doit faire toutes les lettres de l’alphabet pour commander une soupe : Zuppa ! et nous passions les lettres une à une jusqu’au moment

où maman pestait qu’on la prenne pour une quiche.

Ma pauvre Maman, elle gobait tout, Papa en revanche était le mec le plus spontané

que j’ai jamais connu. Une année pour la fête des pères nous nous sommes cotisés et

nous lui avons offert un jean’s et un blouson Levi’s 501 la grande mode du moment.

Nous étions tous autour de lui lorsqu’il a ouvert le paquet cadeau. La déception immédiate s’est lue sur son visage et il a refermé le paquet en disant :

- Je n’aime pas votre cadeau. Il ne me plaît pas vous pouvez le rendre.

... et de poursuivre : c’est gentil mais j’aime pas.

Maman toujours mesurée dans ses propos lui disait pourtant :

- Ogni fiore è un segno d’amore

Chaque une fleur est un signe d’amour

Mais lui il en avait rien à foutre si c’était ce qu’il pensait à ce moment précis. On a

jamais ramené le cadeau au magasin et il les portait régulièrement.

Il n’était pas intéressé outre mesure ou vénal, non, c’était juste un instinctif qui se

foutait de la réaction des gens. Je me souviens lorsqu’on lui disait qu’on avait honte

de son attitude et de ses réactions devant nos copines ou plus tard en présence nos

beaux parents il nous répondait :

- Ce n’est pas ça la honte. La honte c’est voler.

Je les ai énormément sorti lorsque je suis revenu à Paris en 2003. Du Panthéon, au

Louvre en passant par la cour carré on a visité tout ce Paris qu’ils découvraient avec

*Antoine, lolo et moi adorions le ski,vivi moins

** Le scaphandre et le papillon de Jean-Dominique Bauby

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enchantement prés de 50 ans après leur arrivée à Paname. Au resto place des Vosges

je lui dis :

- Papa, tu es bien, c’est bon ?

Papa tout naturellement :

- Non, j’aime pas c’est cru et puis y’a trop de monde.

A partir de 2018 Papa Maman étaient si fatigués qu’ils ne cuisinaient plus. Lorsque

nous y allions c’est Fanychou qui courageusement préparait à manger à papa, qui

n’appréciait que les plats de ma mère mais Fanychou s’y risquait quand même.

A la fin du repas Maman lui demandait discrètement de remercier Fanychou et lui

simplement disait :

- Merci Fanny pour le repas mais c’était complètement fade. N’en refais plus.

Sympa...

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Et Dio dans tout ça ? Papa et Maman étaient très croyants.

A la maison, il y avait des croix, des Sainte-Vierge et des Saint-Antoine un peu

partout.

Lorsque Maman avait 5 ans, elle jouait, avec son petit frère de 3 ans dans la cour où

mon grand père entreposait un tonneau rempli de d’essence pour son taxi.

Les voisins, de l’autre coté du mur, ont allumé un feu pour faire des grillades. Il a suffit qu’une seule étincelle atterrisse dans un des tonneaux pour que la cour de Nono

s’enflamme. Maman a été brûlée au troisième degré sur tout le corps et son petit frère

est mort dans les flammes sous les yeux de ma mère. Elle a du réapprendre à mar

-

cher, à parler et la rééducation a été longue et onéreuse.

Une tante de Maman a collecté des fonds en faisant le tour de tous les villages autour

de Chebbaou, Oued Ellil, la Manouba, Bejaoua, etc... Avec une statuette de Saint-An

-

toine* et une photo de Maman. Ils étaient convaincu que c’est grâce à la foi que

Maman a repris des forces pour survivre.

Tant que Papa-Maman étaient valides, ils allaient à la messe tous les dimanches. La

toute première fois que Maman a vu Sophie elle lui a tracé une croix sur le front

avant même de l’embrasser...

Dio, Christo et la Madonna ponctuaient les phrases de Maman, tout le temps.

J’ai la foi, spirituellement, profondément, viscéralement c’est une force qui m’accom

-

pagne, mais j’ai la foi, par tradition familiale :

Si tu racontes une connerie, et tu te cognes après, c’est Dio qui n’est pas content.

Si tu bois un café debout, Dio n’aime pas c’est source d’embrouilles.

Si tu croises les couverts à table, Dio ne veut pas de croix improvisée, etc...

Le Vendredi je mange du poisson car Maman en avait fait la promesse à la Madonna

lorsqu’elle a appris que j’étais hypermétrope.

Le week-end qui précède Pâques, je vais à la messe, faire bénir des branches d’Olivier

«les rameaux». Elles orneront les 3 croix que j’ai chez moi.

Comment au quotidien, même encore aujourd’hui, pourrais-je vivre sans Dio ?

Il a toujours vécu avec moi, avec nous.

Puis, avec ma formation artistique et académique, à la chapelle Sixtine, par exemple,

comment pourrais-je ne pas être ébloui sans les explications spirituelles du chef

d’œuvre de Michel-Ange ?

* Cette statuette est restée à la maison et je crois que c’est Antoine qui l’a aujourd’hui.

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Je sais que ma façon de croire est folklo et désuète mais tellement plus agréable , je

trouve, que les croyants qui prennent la religion comme unique règle de vie en devenant intolérants avec les autres.

Antoine, Lolo, Vivi et moi-même, nous sommes baptisés et après le cathé nous avons

fait nos 3 communions. Antoine était enfant de chœur.

J’ai même adhéré à la JOC (Jeunesse-Ouvrière-Chrétienne) et avec mes potes de la

cité :

Guy*Tonio, Thierry, Marinero et Bruno **, et les autres.

J’ai toujours aimé feuilleter les albums, Papa en a fait une trentaine avec soin, Maman

avec sa belle écriture annotait des légendes. Ils sont à Valence avec moi maintenant.

Un jour, après mon divorce j’ai, une fois de plus, ressortis les albums.

En les regardant avec maman qui m’ envahissait d’amour, nous regardions les photos

de mon baptême. Tout d’un coup, putain, Bingo !

Moi :

- Mais maman, pourquoi tu n’ es pas sur la photo de famille ?

La famille posait fièrement sur les marches de l’Église Saint-Jacques Saint-Christophe

de la Villette, Rosina et Gniacio (encore eux ! ma marraine et mon parrain ) fiers

comme bar-tabac.

Il y avait mes grands parents paternels et maternels et enfin Papa, mes sœurs et mon

frère avec Jojo et Guigui les fils de Gniacio et Rosina.

Maman (qui a pigé le couac) me réponds calmement, car je suis soupe au lait, comme

disent mes potes et pas qu’eux d’ailleurs...

Maman :

- Bin, Il fallait bien préparer le repas. Qui l’aurait fait ?

Quoi ? pour engraisser encore une fois toute la famille (parce que mes oncles, tantes,

cousins, cousines étaient bien-sûr de la fête), elle n’a pas assistée au baptême de son

chéri menteur !

Puis, Maman fataliste et résignée :

- Ni aux baptêmes de ton frère et de tes sœurs pour les mêmes raisons.

Moi :

- Tu n’étais pas furieuse ?

Maman :

- Oh que si, figlio mio, mais c’était comme ça.

J’ai rangé les albums, dépité, jusqu’à la prochaine fois...

Antoine et Lolo ont célébré leur communion ensemble.

* Guy, et, oui, mon pote qui m’a présenté Monsieur Azoulay aux puces

** Tonio, Thierry, Marinero et Bruno, et, oui, les mêmes qui ont fini junkies

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Lolo en aube, immaculée blanche et Antoine en costume «Mao»bleu marine, tiré

à 4 épingles avec le brassard de communiant doté d’un large nœud de soie blanche

serrant l’avant-bras gauche.

Papa et Maman ont fait des heures supplémentaires pour économiser un max pour

organiser une grande et belle fête*. A Saint-Mandé, Ils ont loué une salle dans une

grande brasserie Les Tourelles, il y avait même un orchestre.

Pour Vivi, qui avait récupéré l’aube immaculée blanche de Lolo ça s’ est passé à la

Courneuve.

Pour ma communion idem à la maison avec une cinquantaine d’affamés.

Sauf, que....

* Papa, adorait organiser des fêtes toute la famille s’y amusait tellement qu’ils en reparlent encore

aujourd’hui.

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49 Mémé et ma communion Putain ! Mémé est morte !... Le jour de ma communion ! On m’a juste pris

en photo, prêt à casser la pièce montée*, clic, clac, la photo dans la boite, le

téléphone sonne, Mémé était morte. Comme dans les films Italiens, tout le

monde explose (un rien sur-joué), en cris et larmes de crocodile.

Même les voisins se sont mis sur leurs balcons pour vivre ce grand malheur,...

Du haut de mes 12 ans, Je me suis dis « alors, il existe vraiment le bon Dieu ? », et

aujourd’hui, j’imagine le soulagement de Maman, ce jour là, enfin libérée de cette

sorcière.

Grâce à ma communion, mes oncles, tantes et cousins de Marseille étaient déjà sur

place et ma communion s’est transformée en grande fête de veillée funéraire.

Ils l’ont gardé chez elle à Drancy 5 ou 6 jours 24 heures sur 24. C’est grâce à ma com

-

munion-enterrement que nos parents étaient occupés à surveiller et à préparer les

funérailles de mémé et qu’ils nous ont lâchés la grappe tout une semaine entre cou

-

sins-cousines. Il y a eu un regroupement naturel : les filles entre elles et les garçons

par âge et nous avons partagé une semaine de rigolade. Mémé et Nono, les parents

de Maman nous gardaient officiellement mais officieusement c’est l’anarchie. Je les

adorais, surtout mon Nono qui ressemblait à Astérix.

Mon Nono paternel, en revanche, était détruit le pauvre.

Il n’était plus que l’ombre de lui-même depuis quelques années et la disparition de sa

femme l’a anéanti. Nono n’avait plus le goût de vivre, il implorait sa mère de venir le

chercher et quand mémé est morte, c’est elle qu’il appelait en gémissant...

Lorsque les amis de Tunis ou de l’usine arrivaient tour à tour pour assister à la mise

en bière de ma grand mère, ils se remettaient tous à re-pleurer de plus belle et

recommençaient à chaque arrivée. A la fin, ils n’avaient plus de voix, plus de larme et

surjouaient encore plus.

Grâce à Mémé, J’assistais pour la première fois de ma vie à un enterrement et voyais

un cadavre. C’était en quelque sorte son cadeau de communion et très franchement

de ma toute petite vie c’était l’unique et le plus beau cadeau qu’elle m’ait offert.

Je me souviens que le jour de l’enterrement les pompes funèbres avait installé des ten

-

tures de deuil avec un blason aux initiales de Mémé à l’entrée du hall où ils vivaient.

C’était glauque.

Je détestais la mère de mon père. Morte, Papa voulait que je l’embrasse mais c’était

* Chez nous on casse la pièce montée, avec un grand couteau, en 2 ou trois fois, ça porte bonheur.

La mienne, le boulanger l’a reprise entière, le lendemain. Je n’ai pas eu le temps de la casser...

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impossible. Primo, parce qu’elle était toute froide, et secondo, parce que je ne pouvais

pas la dissocier des coups de ceinture et des remontrances qu’elle m’infligeait.

Papa, lui vouait une véritable dévotion, il la vénérait même.

Lorsqu’elle a accouché de Papa elle a tellement forcé qu’un monstrueux goitre* s’est

formé. Papa pesait 7 kg à la naissance ! c’était à cause de son diabète de grossesse d’où

son surpoids à la naissance. Elle avait été hyper violente avec lui, mais, il disait tout le

temps «j’ai reçu des coups mais je ne le regrette pas».

Je la détestais et je suis presque sûr pour ne pas dire certain qu’en dehors de son mari

et de ses enfants tout le monde la détestait aussi. C’était une méchante femme.

Elle pouvait décider, comme ça, avec Papa et sans l’avis de Maman, de rester 10 jours

ou d’un week-end à l’autre chez nous à la maison. Ils étaient servis comme Roi **et

Reine comme l’exigeait mon père. Même s’ils se levaient tôt pour aller taffer à l’usine

Papa-Maman dormaient dans le lit d’appoint du salon et leur filaient leur chambre,

bien-entendu. Au bout d’une semaine

lorsqu’ils rentraient chez eux à Drancy, Papa avait rempli le frigo.

En attendant qu’elle rentre chez elle, Papa nous laissait la journée avec ce monstre en

jupons.

Une fois, quand Papa et Maman sont rentrés de l’usine le soir*** vannés et crevés

d’une longue journée de travail, à peine avaient-ils passé le seuil de la porte, que

Mémé me pointe du doigt.

Puis, en regardant papa elle dit :

- Il a été tindo (méchant) frappe-le.

Alors papa calmement retirait sa casquette à pompons et la posait sur la table,

enlevait ensuite son pardessus tout râpé et ses pompes, mettait ses savates (dont je

n’oublierai jamais le bruit) revenait à la cuisine, poussait la porte, prenait la ceinture,

la ceinture marron en cuir tanné sans la boucle, se dirigeait vers moi et me frappait

de toutes ses forces toujours le visage fermé ses yeux noirs rivés sur moi et à chaque

coup il tordait sa mâchoire inférieure. Si je tournais autour de la table pour éviter les

coups, il comptabilisait le nombre de tours pour ne rien louper.

Puis naturellement, on passait à table et à la fin du repas Maman disait :

- Les enfants dites bonne nuit à Mémé et Nono, à Papa, un pipi et au lit.

* Le goitre est une anomalie caractérisée par une augmentation du volume de la glande thyroïde.

Le goitre se manifeste par un gonflement visible de la région antérieure du cou, ce qui la rendait

très effrayante.

** Nono était gentil et ne nous dérangeait pas.

*** Ils étaient debout depuis 5 heures, ils prenaient un bus en bas de la cité jusqu’à porte de la

Villette. Puis le pc jusqu’à Porte de Saint Ouen et enfin un dernier bus jusqu’à Mairie de SaintOuen. À 7 heures ils prenaient leur poste. Papa dans d’ énormes transfaux le corps imbibé d’huile

jusqu’au cou. Maman enrubanneuse avec sa main brûlée. À 16h30 ils sortaient de l’usine, reprenaient les bus dans l’autre sens.

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Voila, circulez y’a rien à voir.

Un jour Tata Sarina, la sœur de Papa, s’est plaint à Mémé que Jean-Pierre, mon cousin, faisait encore pipi au lit, il avait 5 ans.

Un matin, Jean-Pierre se réveille les yeux collés, les cheveux en bataille. Il baille,

s’étire et au moment de se lever Mémé était là un briquet à la main.

Elle a purement et simplement tenté de brûler le pénis d’un petit garçon de 5 ans afin

que sa lui serve de leçon... C’est fou, non ?

A Noël, ils étaient toujours là, pour le grand malheur de Maman.

Parfois, ils partaient passer les fêtes à Marseille et je m’en souviens nous en étions si

heureux !

Mais la majorité des Noël c’était à la maison.

Papa et Maman faisaient des gâteaux jusqu’à tard dans la nuit, je n’ai pas le souvenir

que Mémé les aidait. Avec eux, le soir du réveillon, nous jouions au sette e mezzo

(Sept et demi, c’est comme le black jack, il y a la banque si tu perds elle prend ta

mise.) Vivi tenait toujours la banque ! Mémé trichait pour nous voler. Pourtant les

mises allaient au maximum à 30 centimes et notre pécule s’élevait à 1 franc, sauf Vivi,

2 francs.

J’ai toujours été matinal, même si la veille, nous avions attendu le Père noël, je la

voyais dans un coin de la salle à manger compter les thunes qu’elle nous avait piqués

la veille.

Je retournais au lit sans bruit, car, si elle m’avait vu...

A 11 ans je suis parti 1 mois en classe de neige (et oui les classes de neige durait 1

mois à l’époque !)

Pour un carreau de fenêtre cassé, j’ai failli être viré. J’avais très peur que mes parents

soient mis au courant... Un soir l’instit, Monsieur Bachery, vient me chercher au

réfectoire.

Papa était à l’autre bout du fil :

Papa :

- T’as envoyé une carte postale à Mémé ?

Moi :

- Quoi ? (Je pensais qu’il téléphonait pour la fenêtre, mais non)

Papa :

- A Mémé, ma mère* !

Moi :

- Bin, oui. (Ce n’était pas vrai)

Papa :

- Ok on n’en reparle à ton retour.

* Papa, lorsqu’il parlait de ses parents il disait toujours : ma mère.

Même lorsque ses parents enterrés, au cimetière de Dugny, il disait la tombe de ma

mère, jamais il citait son père.

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Dés le lendemain j’ai pris mon argent de poche, peut-être 10 francs, je les ai dépensé en achetant une carte postale avec le timbre pour écrire à Mémé en urgence et

j’ai acheté le bibelot d’un chamois sur un rocher enneigé avec le nom de la station :

Vallouise.

Lorsque je suis rentré, il ne m’ a pas frappé, mais, il m’a fait monter directement dans

sa voiture** direction Drancy. Elle avait exigé de me revoir en premier, elle voulait

son souvenir. Une sorcière, je vous dis.

Mémé, assise, se tenait toujours les mains croisés sur les cuisses, en faisant un va et

vient incessant avec ses pouces, elle était toujours vêtue d’une robe noire et dans la

rue elle sortait toujours avec un foulard noir sur la tète en signe de deuil permanent.

Pas super rigolote la mémé...

Pourtant Antoine a retrouvé des photos de Mémé et Nono jeunes. Ils étaient beaux.

La vie n’a pas été très cool avec eux, c’est peut-être pour ça qu’ils étaient devenus si

aigris... Ils ont perdu une petite fille d’une leucémie qui s’appelait Marie, elle avait 6

ans, puis leur fils Antoine à 44 ans.

En octobre 1971, le premier secrétaire du parti communiste d’URSS, Leonid Brejnev,

était en visite officielle et reçu en grandes pompes par l’état Français à Marseille. Du

coup, ils ont fermé les autoroutes.

Le frère de mon père, Antoine, était chauffeur routier. Il conduisait un énorme

camion avec une citerne de 35 tonnes remplie de mazout. A défaut de déjeuner dans

un relai sur l’autoroute, il a laissé son camion dans le quartier de la Viste.

La veille ma cousine Jacqueline fêtait son anniversaire. Elle avait vingt ans. Une photo immortalise cet instant : tonton, tata, Jacqueline, Éléonore, Sylvana et mon cousin

Tony devant le gâteau, bougies allumées.

Puis, boulot oblige, il a récupéré son mastodonte sur la route de la Viste en pente et

très fréquentée par des enfants. Cette route prolonge la petite ville de Saint-Antoine.

Bingo ! Je ne sais pas pourquoi mais le putain de camion n’avait plus de frein !! La

presse en avait fait ses gros titres : Le brave homme, dans un camion fou.

A peine engagé sur la route le camion à dévalé l’avenue à toute vitesse, un désastre !

Mon oncle s’est refusé de sauter en route et les témoins disent, qu’il se tenait debout

au milieu de la cabine en faisant des grands signes, en se croisant les bras pour que

les gens se poussent.

Ça s’est passé sous les fenêtres de sa femme et de ses 4 enfants* qui n’ont rien vu.

Il a tué une jeune femme handicapé et 2 autres personnes, je crois. Il en a blessé 13

autres. Enfin, le camion et mon oncle se sont éclatés sur le mur d’un garage Mercedes.

** Finalement, Papa, a décroché son permis à 40 ans.

Ne sachant ni lire ni écrire et même si Vivi le faisait réviser, les examens du code et du permis était

catastrophiques, Il a passé et repassé le permis 5 ou 6 fois.

A sa dernière tentative, l’inspecteur n’avait que lui comme candidat, l’examen a duré 6 heures je

crois pour qu’il décroche le carton rose. Toute sa vie il a été un danger public au volant.

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Les pompiers l’ont sorti à la petite cuillère... Aujourd’hui, une avenue porte son nom :

Avenue Antoine Casubolo, 13015 Marseille.

Mémé n’a plus jamais quitté ses robes noires. Maman qui avait 36 ans, et toutes les

femmes de la famille ont porté le deuil (ce n’était pas encore la mode des fringues

noires) pendant 1 an puis 6 mois en demi-deuil (ça voulait dire que Maman avait le

droit de mettre un chemisier blanc). Nous n’ avions pas le droit d’allumer la télé, pas le

droit d’écouter de la musique, pas le droit de parler à table pendant les 3 premiers mois.

Lorsque que les fêtes de la Toussaint sont arrivées, toute la famille, enfants compris,

nous étions devant la tombe de tonton debout sans piper mot, 3 jours durant et

pendant 8 heures.

Le midi, nous mangions sur des chaises pliantes le long du mur du cimetière.

Durant ces trois jours, avec mon cousin Jean-Jacques, nous nous échappions de temps

en temps pour griller une Gauloise (j’ai commencé à fumer dès l’age de 10 ans).

Une fois au retour de la pose clope, en passant devant un trou béant qui attendait

son locataire, j’ai mimé un mec qui tirait à la mitraillette en direction du renfoncement. Pas de bol au même moment Papa me cherchait... Je n’ai pas pris de coups de

ceinture parce que cimetière était noir de monde pour la Toussaint, mais j’ai pris 3 ou

4 bonnes baffes qui on fait valser mes lunettes. J’ai fini ces «vacances» de la Toussaint

avec mes lunettes cassées et recollées avec du Sparadrap au milieu de la monture et

sur les 2 branches, je ne pouvais plus les replier. J’ai du attendre 15 jours pour avoir

de nouvelles lunettes...

* Chez nous, les aînés s’appellent comme mes grand parents paternels, ce n’était pas négociable.

Les 3èmes et 4èmes prenaient les prénoms des grands parents maternels. Mon grand père maternel s’appelait également Antoine, voila pourquoi je m’appelle Jean-Claude. Attention, entre mes

cousins paternels et maternels il y a 7 Antoine et 4 Éléonore, Fanny, ma femme, s’y perd.

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Marseille L

orsque Papa-Maman sont arrivés en France en 1957, ils ne sont restés que

quelques mois à Marseille, Maman ne s’y plaisait pas. Nono, Mémé (ses

parents) et ses frères était déjà à Paris au passage vilin dans le quartier de

Belleville et ils les ont rejoints très vite.

Les frères de papa Giacomino, Antonio et une bonne partie de la famille de maman

sont restés à Marseille. Tous les ans entre mes 6 et 14 ans, nous quittions la région Pa

-

risienne pour le soleil de la cité Phocéenne. Des vacances qui se résumaient à dormir

à l’arrache avec des cousins en haut, en bas, à droite et à gauche de mon couchage et

à bouffer presque tous les jours chez des cousins différents qui se faisaient un plaisir

de nous recevoir mais nous, enfants, on n’en pouvaient plus... On laissait notre HLM

de la Courneuve pour rejoindre la cité HLM de la Mazenode dans le 13ème ou celui

de la cité de la Viste dans le 15 ème arrondissement de Marseille. Papa retrouvait ses

frères et ses amis de Tunis, il y avait beaucoup d’Italiens et aussi beaucoup de pieds

noirs.

Mes grands cousins étaient fiancés avec des cagoles* sauvages et rebelles. Elles m’exci

-

taient grave avec leurs mini-jupes et leurs claquettes... Elles se foutaient de nous avec

notre accent pointu et mes cousins se marraient lorsqu’elles nous imitaient... Trop

bonnes ces cagoles.

Je me rappelle qu’à la Viste on pouvait voir depuis la chambre de mon cousin Tony le

port et d’énormes Ferry partir pour la Corse.

Tony :

- Vé, coco,Vivi y’a le Napoléon qui part ! oh fache de con !

Imaginez le décalage avec notre vue à la Courneuve sur l’autoroute A1... La on voyait

la mer bleue et infinie avec ses gros bateaux partir et revenir. De l’autre coté de

l’appartement de mon cousin Tony et depuis les fenêtres du séjour on voyait 4 étages

plus bas une piscine !!! Nous étions presque au ClubMed. Les piscines étaient rares à

cette époque et pire encore dans les quartiers nord de Marseille. Cette piscine au pied

des immeubles appartenait à l’école privée des curés du quartier et c’est monsieur

Lubrano (le futur beau-père de Vivi) qui assurait l’entretien. Il avait les clés et il y

*Quand on est pas Marseillais, une cagole, c’est péjoratif. Et quand on l’est, bon, disons qu’être une

cagole c’est une façon d’être.

Une cagole, c’est une femme qui est dans le trop. Elle met trop de maquillage, elle met trop de

volume dans ses cheveux, elle parle trop fort, elle met des vêtements trop criards, elle met ses seins

trop en avant, elle a trop d’histoires improbables, trop de gros bijoux.

La cagole est provocante, souvent vulgaire, mais surtout la cagole est terriblement sexy.

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faisait ce qu’il voulait : des barbecues en famille, des fiestas etc... au nez et à la barbe

des autres locataires coincés dans leur cage de béton.

Je me souviens qu’une fois on a pris le train de nuit dans la grisaille de la gare de

Lyon et on s’est réveillé le matin avec le soleil et la mer bleue. Non, on ne rêvait pas.

Papa était radieux dans le couloir du train, son visage était de toute évidence façonné

pour le soleil, ses yeux brillaient, son sourire était éclatant. Il était très beau mon

Papa.

A la gare Saint-Charles les 2 frères de Papa et 2, 3 cousins venaient nous chercher....

Des inconnus de chez nous qui faisaient des grands signes puis nous embrassaient

comme du pain chaud au milieu du quai quand les autres voyageurs devaient nous

contourner pour passer...

Avec Vivi on adorait ces moments ; il faisait chaud, il y avait des fresques recouvertes

de pins parasol, de cigales et les gens étaient en short, espadrilles aux pieds et chemisettes aux manches courtes. Très vite on essayait de parler avé «l’assent» : Oufa ! Peu

chère ! regarde la bonne Mère...

A peine sortis de la gare, nous étions d’un coup immergés dans un autre monde très

exotique pour les banlieusards Parisiens que nous étions... Nous nous entassions

dans les 404 Peugeot familiales (l’ancien nom des breaks) et on passait toujours par le

Vieux port et la Canebière. Ça klaxonnait de partout et dans tous les sens. Mon oncle

Giacomino avait un klaxon italien et bruyant dans sa caisse qui faisait «Tatalatarla ! »

le même son que celui de Vittorio Gassman dans le Fanfaron.

Mon oncle Giacomino était râleur et grande gueule. Il ne ratait pas une occasion

pour insulter la puttana della madonna e lo stronzo del buon Dio* ! Maman se faisait

le signe de croix, elle levait ses yeux au ciel mais en réalité elle se marrait en loucedé...

Comme tout le monde d’ailleurs. Tonton le savait et en rajoutait lourdement pour

nous faire rire.

Je les aimais bien mes oncles-tantes et mes cousins-cousines Marseillais.

Arrivés au pied de l’immeuble le reste de la famille nous attendaient et les embrassades n’en finissaient plus sur le trottoir. C’était la fête. Les voisins étaient aux

balcons pour voir les parisiens têtes de chien. S’en suivait une macaronade géante et

délicieuse sur des tables qui s’étalaient à l’infini avec des dizaines et des dizaines de

couverts. Tout le monde parlait en même temps.

Dés le lendemain nous partions à la plage dans le même folklore.

Non pas aux merveilleuses calanques de Saint-Estève ou la plage de la Pointe Rouge

mais à l’étang de Berre sur la plage du Jaï à Marignane. Ce n’était pas très propre et

des plaques de mazout s’étalaient par ci par la, y’avait même une usine raffinage de

pétrole de l’autre coté. Je me souviens très bien avoir vu plusieurs fois des poissons

morts flotter au milieu de notre baignade... Maman outrée et furieuse nous faisait

la guerre pour nous empêcher d’y aller mais nous on en avait rien à faire c’était l’été

quoi !!! on se baignait dedans sans retenue...

*Je vous laisse traduire de votre coté, Dio m’en voudrait...

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57

Au Jaï, les amis de Tunis s’y retrouvaient avec beaucoup de bonheur. Ils louaient des

cabanons semblables aux cabanes de jardins d’ouvriers et qui ne désemplissaient jamais. C’était la grande nouba non-stop pendant 3 semaines ! Les parents dansaient en

maillots de bain sur du Luis Mariano comme le chantait Voulzy et nous les gamins

étions pour notre plus grande satisfaction livrés à nous mêmes... Au programme :

plage, les chichis de madame chichi et le juke-Box pour les ados qui dansaient sur

Instant Karma de John Lennon. Ça roulait des pelles dans tous les coins. Mais attention si l’Italie perdait le match de foot qui passait à la télé du bar de Monsieur Chichi

tout le monde faisaient le deuil le temps d’une soirée... Je vous laisse imaginer l’enfer

que vivait les autres vacanciers si au contraire l’Italie gagnait...

Le 15 août nous montions à Notre Dame de la garde «La Bonne Mère» pour la procession. Ils sortaient la madone et papa, mes oncles étaient volontaires pour la porter

sur leurs épaules. Avec mes yeux d’enfant je voyais mon papa comme un colosse, une

force de la nature.

Quand Papa à fini par décrocher son permis au bout de 6 tentatives, il a acheté une

Simca 1501 blanche et la première virée c’était forcement en direction de la cité phocéenne. Debout à 4 heures du matin, le valises prêtes et chargées à bloc, nous nous

entassions tous les 6 dans la caisse. On partait dans le silence de la cité endormie on

dépassait l’église St Julien, la mairie d’Aubervilliers, les 4 chemins puis nous empruntions le perif à la porte de la villette. Après la porte d’Italie c’était l’autoroute du

Soleil... La A6 et le début des aventures, nous étions excités comme des puces.

Le véhicule était tellement en surcharge, que le pare-choc arrière touchait presque le

bitume. Au péage Les gens nous comptait et comptait aussi les valises qui étaient sur

le porte-bagages... A l’époque il n’y avait pas ceinture de sécurité pas de limitation de

vitesse, Papa roulait allègrement à 150 km/heure et même plus vite parfois...

Quand Maman lui disait :

- Étienne, tu vas trop vite fais attention !

Papa très cool lui répondait :

- Si chui lancé, chui lancé !

L’autoradio grésillait tout le trajet et Papa passait et repassait ses cassettes mal enregistrées. Il adorait une chanson d’Annie Cordy et avec lolo ils reprenaient le refrain

en chœur :

Tu es le chouchou de mes rêves, tu es le chouchou de mon cœur,

On chantait aussi avec lui « Y’a Mustapha, de Bob Azam :

Chéri je t’aime chéri je t’adore, como la salsa de pomodoro.

Y a Mustapha, y a Mustapha Anavaé badia Mustapha

Quand je t’ai vu sur le balcon Tu m’as dit monte et ne fait pas d’ façon.

Chéri je t’aime chéri je t’adore como la salsa de pomodoro

Tu m’as allumé avec une allumette Et tu m’as fait perdre la à tête

Chéri je t’aime chéri je t’adore como la salsa de pomodoro

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Y a Mustapha, y a Mustapha Anavaé badia Mustaphaaaa...

Maman était assise devant, avec une énorme glacière entre ses jambes et nous 4

derrière étions compressés comme des sardines ça jouait des coudes pour trouver sa

meilleure posture. Antoine voulait s’allonger sur nos cuisses, nous pas d’accord, on se

bastonnait. Quand nous faisions trop de cris, donnions trop de coup de pieds... moi,

le plus petit j’éclatais en sanglots :

Mamaaaannn ! Antoine prend toute la place !

Fatiguée et excédée elle se saisissait de la ceinture et nous balançait des coups à la

volée et au hasard puisqu’elle ne pouvait pas se retourner, la voiture tanguait mais

papa lui fonçait à fond quand même sur Lyon ! Apres Valence les premiers panneaux

qui indiquaient Marseille nous rendaient fous de joie.

Quand Papa s’arrêtait sur une aire de repos, en sortant, j’avais l’impression que mon

corps avait pris la forme de la voiture, c’était la pause pipi, les premiers soulagés attendaient les autres... Maman sortait le thermos de café bouillant.

Avec Vivi*, les premiers revenus des toilettes, on attendait les autres devant un

distributeur payant automatique de glaces et de boissons fraîches. Il faisait chaud on

s’imaginait dégustant un bâtonnet glacé.

Vivi :

- Hé Coco, tu prendrais quoi comme glace, toi ?

Moi :

- Shepa un cône au chocolat et toi ?

Vivi :

- Bin, moi, heu.. Un pouss-pouss vanille fraise

Ok, elle fait semblant d’introduire une pièce et lorsqu’elle essaye d’ouvrir le clapet,

Bingo !

Les glaces défilaient sous nos yeux et à portée de mains ! La machine était devenue

folle !

Vivi* n’en croyant pas ses yeux :

- Coco !! regarde !

Je mate, incroyable ! c’était le crazy hour du distributeur de glaces ! Y’avait qu’à ce

servir !

Moi :

- Oh, whaaa ! Vas-y prends ! allez prends, encore ! encore !

On en a tellement pris que nos bras ne pouvaient plus en contenir d’avantage. Antoine, Lolo et même Papa sont venus à la rescousse, pour nous aider a dépouiller le

distributeur.

* Nos surnoms à la maison n’étaient, je vous l’accorde, pas très originaux... Antoine : Nini (jamais

personne ne l’a appelé comme ça sauf, allez savoir pourquoi, mes cousins, petits cousins et même

petits de petits cousins de Marseille !) Éléonore : Lolo, Marie-Évelyne : Vivi et moi : Coco...

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On en avait tellement que nous en avons même distribués aux autres voyageurs arrêtés sur l’aire de repos. Maman, verte de honte, nous suppliait d’arrêter. Tout le monde

nous matait.

Lorsque nous avons repris la route, les autres automobilistes et mêmes les auto-stoppeurs, ravis, nous faisaient des grands signes de remerciements et d’au revoir.

Au bord de la crise de foie, je ne me rappelle plus si nous avons étés malade après...

Quand on sortait de l’autoroute à Saint-Antoine, dans la banlieue nord de Marseille

mes oncles nous attendaient après le péage. Papa était ému jusqu’aux larmes en embrassant ses frangins, Maman pleurait de joie aussi car elle était super cop’s avec ma

tante Marie*.

On était vraiment très proches de nos cousins Marseillais, on avait les mêmes parents, les mêmes apparts, on mangeait la même cuisine. On prenait les mêmes coups

de ceinture.

Ils avaient la mer, nous avions le musée Grévin (la sortie incontournable lorsqu’ils

venaient à Paris). Enfant, jamais je n’aurais pu imaginer qu’un jour nous serions

pratiquement des étrangers les uns pour les autres, il y a bien longtemps que je ne les

ai plus revus.

Aujourd’hui, Je suis resté pote avec mon cousin Jean-Pierre car nous partageons la

même passion pour la guitare et mes cousins Jackie et Jean-Marc. Durant les moments difficiles de ma séparation avec mon ex-femme et mes enfants, ma cousine Danielle a été formidable. Elle a été la seule à écouter ma tristesse pendant des plombes.

Nous avons coupé les ponts depuis le départ de Papa-Maman. C’est dommage. C’est la

vie. Depuis notre grande famille s’est dilapidée. C’est donc ça vieillir avec ses souvenirs comme disait Aznavour ?

Hier encore, j’avais vingt ans, je caressais le temps, J’ai joué de la vie

Sans compter sur mes jours qui fuyaient dans le temps

J’ai fait tant de projets qui sont restés en l’air

J’ai fondé tant d’espoirs qui se sont envolés

Hier encore, j’avais vingt ans, je gaspillais le temps

En croyant l’arrêter

Et pour le retenir, même le devancer

Je n’ai fait que courir et me suis essoufflé

Et donnais mon avis que je voulais le bon

Pour critiquer le monde avec désinvolture

Hier encore, j’avais vingt ans mais j’ai perdu mon temps à faire des folies

Qui me laissent au fond rien de vraiment précis

Que quelques rides au front et la peur de l’ennui

Car mes amours sont mortes avant que d’exister

Mes amis sont partis et ne reviendront pas

* Elles avaient vécues toutes les deux le même enfer à Tunis avec la mégère de Mémé leur bellemère. Ça crée des liens forcement...

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Par ma faute j’ai fait le vide autour de moi

Où sont-ils à présent ? À présent mes vingt ans

Mais à l’époque lorsque la fin des vacances approchait, on décomptait les jours avec

effroi. En partant, avec le soleil du petit matin Marseillais, tout le monde pleurait. La

mer aussi nous disait au revoir. Un silence pesant s’installait dans la voiture jusqu’à

Salon de Provence, puis les coups de pieds, les cris, les coups de ceinture à l’aveugle

reprenaient et la radio qui re-grésillait «rien qu’une larme dans tes yeux» nous ramenaient à la vie «normale» dans notre banlieue Parisienne blafarde.

Madonna ! qui a mis le feu ?

L’été suivant on repartait à Marseille pour le mariage de mes cousins Jacqueline et

Jean-Marc. Le lendemain de la cérémonie toute la famille était réunie chez mon

oncle Antoine à la Viste pour une macaronade* géante.

Les adultes étaient heureux, le vin coulait à flots et ils chantaient en chœur les chansons siciliennes prevues pour les mariages :

C’è la luna in mezzo al mare mamma mia mi devo maritare,

figlia mia a chi ti devo dare, mamma mia pensaci tu.

Se ti dò il pasticciere, lui va, lui viene, e il cannolo** in mano tiene,

se gli prende la fantasia: il cannolo lo figlia mia.

Oh! Mammà mi voglio maritar, oh! Mammà mi voglio maritar

Oh! Mammà mi voglio maritar, etc....

En Français :

Y’a la lune au milieu de la mer, maman je dois me marier,

ma fille je ne peux rien faire c’est à toi d’y penser.

Si je te donne un pâtissier, lui il va, lui il vient toujours avec le cannolo dans

la main, si il lui prend la fantaisie il va cannoliser ma fille à moi

Oh maman je veux me marier, oh maman je veux me marier

Oh maman je veux me marier***

Bref, la joie battait son plein et nous les minots**** étions aussi pris dans cette ambiance joyeuse post-matrimoniale, sans la vigilance de nos parents et pour notre plus

grand bonheur.

Avec mes cousins, Tony avait 7 ans, Jean-Jacques et moi en avions 6 on jouait sur la

colline d’en face librement et sans surveillance. Ce massif était juste derrière l’immeuble ou se trouvaient nos parents et la piscine de Monsieur Lubrano. C’était fin

juillet, le soleil frappait si fort que tout était sec et jauni. Aujourd’hui qu’en j’y repense

je me dis que jamais je n’aurais laissé ma petite Sophie avec ses cousines seules livrées

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à elles-mêmes sur cette dangereuse colline broussailleuse remplie de pins parasol...

Gianjiak* :

- Vé ! les cousins hier au mariage j’ai trouvé cette boite d’allumettes, con.

Tony :

- Tu ne l’as pas volée au moins, fache de con.

Moi :

- Et si on faisait un feu de camp ?

Gianjiak, Tony et moi même :

- Oh, ouais, super ! allons chercher les bouts de bois pour allumer le feu !

Vous imaginez la suite ? A peine allumée la flamme a embrasé immédiatement la colline

desséchée.

Imaginez des gamins de 6 ans devant des flammes de 2 mètres peut-être plus, imaginez le

désastre que nous avons provoqué et le drame que nous avons évité...

Effrayés nous nous sommes enfuis pour revenir (faussement) calmes dans la

chambre de Tony et pour masquer notre stress, on faisait mine de lire des bandes

dessinées comme si de rien n’était... Je me rappelle très bien que mon cœur battait à

2000 à l’heure.

La famille, elle, finissait tranquillement le repas de fête et tout le monde était repus et

heureux. Quand tout d’un coup une stupéfaction incroyable mis fin aux rires de nos

parents ! :

- Oh fan de putain, comme disaient mes oncles, puis

OOh mama-mia una rouvina**** !

Le feu se dressait tel un mur de flammes devant le balcon du séjour qui était au 4 ème

étage ! Toute la famille, tous les voisins et même toute la cité de la Viste étaient aux

premières loges, spectateurs de ce ravage gigantesque qui brûlait toute la colline sous

leurs yeux !

On entendait les pin-pons des pompiers qui arrivaient en renfort toutes sirènes hurlantes et les adultes disaient :

- Oh, ma ti rendi conto, questi sono giovani che fumano e fanno cose stupide,

guarda il

coraggio dei vigili del fuoco

* La macaronade est le plat emblématique des Siciliens. On la mange en famille le dimanche et

les jours de fête. Elle se compose de pâtes (macaronis) et de viande de bœuf, (traditionnellement

du paleron) avec de la sauce tomate et du Parmesan.

**Le cannolo est un rouleau de pâte aromatisé au marsala frit dans un bain de friture pour le

rendre croustillant. Il est garni d’une crème de ricotta sucrée parfumé à la vanille et on y ajoute des

pépites de chocolat. et une cerise confite. Rien que d’en parler j’ai une envie folle d’en manger...

***Pour les cinéphiles, dans la scène du mariage du célèbre film de Francis Ford Coppola, Le

parrain, Madame Corleone chante cette chanson pour le mariage de Connie sa fille.

**** Ce terme est employé à Marseille pour les petits garçons et les minotes pour les petites filles.

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mais tu te rends compte, ça ce sont des jeunes qui fument et qui font des betises,

regardez le courage des pompiers etc...

Maman et les tatas aussi j’imagine, mais avec mes oreilles d’enfant je n’entendais que

la voix de ma mère :

- Oh mama mia ! Les Canadairs font des rotations pour éteindre le feu !

- Mais ! où sont les enfants ? s’écriait-elle... Cocoo ! Tony... Gianjaiak !!

Nous supers tranquilles:

- Bin, on lit des bd, dans la chambre de Tony, pourquoi ?

Papa(et les tontons, j’imagine aussi) :

- Pourquoi ? rétorque Papa, c’est la fête, il fait une chaleur écrasante, tout le monde

regarde le feu dévorer la colline et vous 3 vous êtes enfermés dans la chambre ?

et vous lisez des bd ?... (la fenêtre n’était même pas ouverte...) Vous, les cancres ?

Vous nous moquez de nous ? ou quoi ?

Papa qui a tout de suite compris qu’il y avait un loup :

- Coco, dis-moi vite la vérité.

Moi, Gianjiak et Tony démasqués étions en pleurs :

- Bin c’est nous qui avons mis le feu. On voulait juste faire un feu de camp.

Je ne me souviens pas d’avoir reçu des coups de ceinture. Je pense qu’ils ont fait profil

bas pour ne pas avoir d’emmerdes avec les pompiers et la police. Mais en revanche, je

me souviens très bien que toute la famille nous avait rebaptisés : les incendiaires.

Lorsque mon cousin Marcel appelait son petit frère Gianjiak, il disait :

- Incendie, viens ici !

Et ça faisait marrer tout le monde.

Aujourd’hui, je vais régulièrement à Marseille, pour mes affaires, l’autoroute passe

par la Viste et je revois la colline. A chaque fois, j’envoie un texto à Fanny : Je suis là

où j’ai mis le feu.

*** Mon cousin Jean-Jacques (à la Marseillaise il faut prononcer Gianjiak)

**** Une catastrophe

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Mon cousin Gianjiak

A la Mazenode ou vivait Gianjiak avec mon oncle Giacomino, ma tata Anna et mes

cousins Antoine, Gérard, Marcel, Sauveur et ma cousine Éléonore un jour nous avons

fait un tour à la découverte de leur quartier ensemble. C’était sympa, il nous faisaient

partager leur petit paradis quotidien, tonton Giacomino le guide en faisait des caisses

comme d’hab, il parlait fort pour se faire remarquer.

Il y avait aussi un petit centre commercial qui se trouvait au centre de la cité.

On pouvait y trouver un boulanger, un primeur, un boucher, un pressing et une

supérette.

Visiblement, le gérant de cette supérette, en avait marre de se faire voler tous les 4

matins et avait trouvé un moyen efficace de faire savoir qui étaient les voleurs au reste

de la cité :

A chaque fois qu’il chopait un mec qui chourait dans sa supérette, il le prenait en

photo avec un polaroid, vous savez un appareil photo à développement instantané.

Le gérant avait même crée une petite ambiance «FBI» très sympa. Il faisait une photo

de face et une de profil du malfrat. Ainsi, tous les samedis, sur la vitrine du magasin,

une affiche faisait l’attraction du quartier avec une mise à jour hebdomadaire sur les

larrons du quartier avec écrit au marqueur rouge la légende suivante :

« Voici les voleurs de la semaine».

Et ce jour là... Bingo ! il y avait la photo de Gianjiak au milieu des autres canailles de

son age.

Mon oncle Giacomino était vert de honte et nous rouges de gêne et de rires... Sacré

Gianjiak, il ne ratait pas une occaz pour nous faire rire aux larmes.

Un soir, ses parents étaient de sortie et ont laissé Gianjiak qui devait avoir 12 ou 13

ans seul à la maison. Solitairement il avait maté une cassette VHS d’un film d’horreur

bien effrayant et sanguinolent. Une idée lui vint avec l’envie de faire une bonne farce

à ses parents pour rire :

Sur le canapé du salon il a renversé du ketchup rouge profond imitant parfaitement

l’hémoglobine puis il en a mis également sur son pyjama, dans sa bouche, sur le cou

et le reste sur un énorme couteau de cuisine qu’il tenait à pleines mains. L’illusion

était parfaite.

La mise en scène ainsi installée il n’avait plus qu’à attendre le retour de ses parents,

sauf que mon oncle et ma tante ont tardé à revenir et ce con s’est endormi comme

ça... Le bras s’était relâché et la boucherie faisait plus vrai que nature.

Imaginez les cris d’horreur de ma tata Anna devant cet étripage lorsqu’elle a

ouvert la porte d’entrée ! Ses cris de douleurs en demandant des secours se faisaient

entendre dans toute la cage d’escalier. Mon oncle atterré s’est rué sur le corps de son

enfant meurtri et ensanglanté. Ils ont vraiment cru qu’une horrible tragédie s’était dé-

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roulée pendant leur absence ! Les hurlements, leur vociférations, les cris et les pleurs

d’horreur ont réveillé soudainement mon cousin.

Gianjiak (dans le coaltar) :

- Ah, ça y est, vous êtes rentrés ?

Tonton Giacomino :

- Quoi ? alors t’es vivant finalement ? soulagé mon tonton lui a filé une bonne raclée.

Bon, une dernière ? ok...

Le jour du mariage de son frère, sous la chaleur caniculaire du mois de juin, Gianjiak

avait gardé son pyjama sous sa chemise, sa cravate et son costard toute la journée,

toute la soirée et une bonne partie de la nuit.

Lorsque nous sommes rentrés au petit matin dans les vapeurs de sueur d’alcool et

de choux à la crème, nous apprêtions tous à aller au lit et chacun se préparait à un

sommeil bien mérité.

Lui très cool, à la James Bond, et devant toute la famille nous a fait la démo du mec

qui a tout prévu pour se coucher le premier...

Toute la famille en était persuadée : Jean-Jacques (à la Marseillaise il faut prononcer Gianjiak) enfant était vraiment taré. En devenant adulte sa folie s’était évaporée.

Dommage.

Il était en quelque sorte rentré dans le rang terne et sans éclat, sobrement en oubliant

même qui il avait été. Parfois je l’aperçois sur Facebook, on dirait un clown triste.

Je n’ai plus jamais revu mes cousins marseillais et personne n’est venu à l’enterrement

de mes parents en juin 2020.

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Tunis, J

’en parle beaucoup dans ce livre, mais, nous ne

sommes pas Tunisiens mais des Siciliens de Tunis.

J’y suis allé 3 fois à Tunis, 2 fois avec Papa-Maman et une fois pour mes affaires.

Au milieu du XVIII ème siècle beaucoup d’immigrés Siciliens issus en majorité

des provinces de Palerme, Trapani et d’Agrigente, étaient prêts à traverser la Médi

-

terranée pour aller en Tunisie, là où il y avait du travail au port, là où il y avait des

terres pas chères à cultiver.

Les États-Unis étaient encore trop loin et le voyage beaucoup trop cher pour les

pauvres Siciliens, à la recherche d’une nouvelle vie.

C’est pourquoi le flux migratoire s’est rabattu sur la Tunisie voisine.

La vie en Sicile était trop dure, cependant, il fallait avoir beaucoup de courage pour

partir. Ce n’était pas comme aujourd’hui : pas de téléphone, de visio, non, quand une

famille partait c’était pour toujours.

Si les parents restaient, il y avait peu de chance qu’ils revoient leurs enfants un jour...

La très grande majorité de ces colons arrivaient à La Goulette le port de Tunis, dans

une situation de misère extrême.

L’arrivée des Italiens a changé la physionomie de la ville de Tunis.

Il y avait même un traité tuniso-italien qui encourageait l’immigration.

Et en seulement quelques décennies, les Italiens se sont relevés et sont devenus majo

-

ritaires au sein de la ville de Tunis, créant même le quartier de La Petite Sicile.

Papa-Maman étaient à chaque fois émus et heureux de nous montrer là où ils étaient

nés et là où ils avaient grandi jusqu’à 27 et 21 ans.

C’était leur chez-eux depuis presque 100 ans, nous en comparaison, il n’y a que 65

ans que nous sommes en France.

Leurs parents, leurs grands parents y étaient nés. Au cimetière du Borgel étaient

enterrés des frères, des sœurs, des grands parents. Papa-Maman évoquaient toujours

Tunis avec les larmes aux yeux et jusqu’à la fin ils regrettaient les jours heureux et la

vie de «là bas».

Antoine est aussi très attaché à la Tunisie son pays natal.

Mais, pas moi, je n’ai pas de liens suffisamment forts pour être nostalgique de Tunis*.

Je me sens plus en adéquation avec les siciliens et l’aventure Tunisienne n’est qu’un

épisode d’une centaine d’années dans mon histoire sicilienne et maintenant française.

La première fois que nous y sommes allés c’était aussi la première fois que Papa-Ma

-

man retournaient dans leur passé quitté 20 ans plus tôt. C’était en août 1977 quand

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Elvis est mort.

Papa-Maman nous avaient offert de magnifiques vacances avec «Tourisme & Tra

-

vail» : 8 jours en club de vacances dans la station balnéaire de Monastir, 8 jours en

excursions à travers toute la Tunisie de Tataouine à Kairouan, nous changions d’hôtel

tous les soirs entre mer et désert. Puis nous sommes allés 3 ou 4 jours à Tunis en

train depuis Monastir. Un mec passait dans les wagons avec du thé à la menthe et des

gâteaux au miel. Nous allions enfin poser un visuel sur ces rues et ces villages tant et

tant de fois décrit.

Maman avait encore un cousin qui y vivait avec sa femme dans le centre de Tunis et

Papa a retrouvé des amis qui n’étaient pas partis comme les autres. C’était une dame

âgée avec son fils handicapé et une collègue de travail qui était devenue directrice du

Monoprix dans le centre ville, je crois.

Papa avait grandi dans le centre de Tunis. Il connaissait les souks de la Médina

comme sa poche : les marchés où l’odeur du cuir me remonte encore au nez, les cise

-

leurs de plateaux pour les services de thés à la menthe, les marchands de riches tissus

évidement et aussi tous les bordels qui étaient par ci par là dans ces ruelles couvertes

et sinueuses où il avait traîné ses galoches et pas que visiblement...

Nous avons bien sur découvert le quartier du «passage» et la rue des Protestants où

avait grandi papa. Dans chaque ruelle adjacente il nous racontait que tonton truc y

vivait et la cousine machin logeait juste derrière et que là c’était le bar où nono jouait

aux cartes etc...

Nous sommes allés à Chebbaou dans le village où Maman avait grandi. Toutes les ha

-

bitations étaient occupées par des Ferrera ou des Cangelosi. C’est un vieux monsieur

et sa femme qui ont reconnu Maman et nous on fait la visite. Séquence émotionnelle.

La maison de Maman (aujourd’hui, une ruine) était en face de l’école, le directeur en

place nous a ressortis les registres d’archives ou figurait le nom de Maman lauréate

du certificat d’étude.

La seconde fois que j’y suis retourné c’était en 2006 avec Papa-Maman. Nous sommes

restés une semaine à Tunis même. La dernière fois c’était en 2009 pour le boulot car

j’avais trouvé un Italien Livournais qui était resté à Tunis avec son imprimerie fami

-

liale. J’ai imprimé 2 ou 3 bouquins avec lui.

* En réalité Papa et maman, connaissaient très peu la Tunisie.

Papa connaissait Sousse, car il y avait fait son service militaire. Maman connaissait Bizerte car son

oncle y vivait. Je crois que c’est tout.

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FANINO CONCHETINA

L’INTERPRETATION DE L’AFFICHE POUR MES PARENTS

Ce n’est pas un lm d’ETTORE SCOLA

DANS

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Papa-Maman,

Papa à grandi dans le quartier juif et populaire du centre ville.

Ma grand-Mère était concierge d’un immeuble et mon grand-père maçon.

Leur loge n’était qu’une pièce avec une toute petite fenêtre qui donnait sur

un minuscule patio. Ils vivaient dans cette case à 6. Papa à dormi sous l’escalier de l’immeuble jusqu’à sa majorité. Pourtant il nous décrivait l’habitation de son

enfance comme si c’était un palace.

Mes grands parents n’ont pas jugé utile d’envoyer leurs 3 garçons à l’école...

Seule ma tante, Sarina, y est allée.

Malgré ce manque primordial (papa en avait honte) qui l’a sanctionné toute sa vie,

Papa était intelligent, doté d’une débrouillardise hors pair ; il parlait l’Italien, le Français et l’Arabe couramment.

Convivial, il était très ami avec les juifs, les maures* dont il connaissait toutes les

traditions. Il a fait tous les petits métiers du monde, c’était un travailleur humble,

courageux et exemplaire.

Séducteur et très coquet il a séduit de nombreuses femmes, dont une « Pina l’américana» qui voulait l’emmener aux Etats-Unis...

Le frère de Papa, Antoine**était chauffeur de taxi bébés***et mon Nono (le père de

Maman) aussi!

Ils se partageaient le taxi en binôme. Ils sont devenus de grands amis.

Ils ont fait en sorte que Papa rencontre Maman, mais attention, à la sicilienne****,

c’est à dire sous la surveillance des six frères de Maman !

Maman a grandi à Chebbaou un village à proximité de Oued Ellil, à l’ouest de Tunis.

C’était autrefois un espace agricole riche faisant partie de la plaine de La Manouba.

Les Ferrera habitaient toutes les maisons du village. Ils étaient tous agriculteurs.

Mon grand-père avait des vignes et faisait le taxi, ma grand-mère élevait ses enfants.

La maison de mes grands parents était constituée de 2 pièces et d’un patio*,

*Dans la famille, c’est comme ça qu’ils appelaient les arabes.

Maures à l’origine et durant l’Antiquité c’était les populations berbères d’Afrique du Nord au

Maghreb.

** Celui qui s’est tué avec son camion citerne à Marseille

*** Des taxis rouge et blanc (des 4 CV Renault) qui furent longtemps le moyen de transport bon

marché à Tunis.

*** Papa racontait souvent que, même fiancé, il faisait la bise à tout le monde mais serrait la

main de Maman... Ambiance

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Je me souviens les ruelles étaient étroites et en face de la maison de Maman c’était

l’école.

Nono et mes oncles savaient tous lire et écrire. C’était un avantage intellectuel qu’ils

avaient par rapport à Papa. Aussi les frères de Maman le respectait mais toujours

avec un soupçon de supériorité justement à cause de cette lacune.

Papa s’en tapait, heureusement pour lui, il n’était pas susceptible comme moi.

Nono, le père de Maman, qui était le plus intelligent de la famille, a toujours aimé et

protégé Papa. Nono s’en foutait de ses ignorances scolaires car ses qualités humaines

étaient bien plus saines et rassurantes pour être le mari de sa seule et unique fille.

Nono l’avait bien compris :

Contrairement à ses fils, Papa n’était pas coureur de jupons, il respectait les femmes

et il n’a jamais levé la main sur l’une d’elle et encore moins sur Maman. Au contraire

et au grand dam des hommes de la famille il l’aidait au quotidien dans les tâches

ménagères.

Papa était travailleur et jamais il ne s’est mis en maladie ou s’est retrouvé au chômage.

Il ne buvait pas, ne fumait pas et n’était pas joueur. Il était sincère et humble.

Voila pourquoi Nono le respectait.

Nono est né à Tunis, mais ne connaissait pas exactement sa date de Naissance.

Je l’ai toujours vu malade, mais il parait que jeune il faisait de la voltige à cheval,

d’ailleurs ils adorait les chevaux.

A Belleville lorsque j’étais petit, il était gardien d’un atelier avec des verrières où des

ouvriers bossaient la semaine. Le week-end dans ce même atelier nous nous réunissions en famille. Des photos de cette époque montrent les adultes attablés ou en train

de danser et nous les cousins rassemblés avec de larges sourires et souillés de la tête

aux pieds car on jouait à cache-cache derrière les machines.

Je devais avoir 16 ou 17 ans lorsqu’il est décédé, et, malheureusement je n’ai pas plus

d’infos que ça sur sa vie, son enfance et sa jeunesse.

Enfant, J’ai passé beaucoup de temps avec lui. Je dessinais et ça l’intriguait. Il cherchait à donner vie à mes personnages et on se baratinait mutuellement, ça l’amusait.

Il essayait de m’apprendre les paroles de Parlami d’amore, Mariù mais pas assez

rock’n’roll à mon goût...

Parlami d’amore, Mariù, tutta la mia vita sei tu

Gli occhi tuoi belli brillano, come due stelle scintillano

Dimmi che illusione non è, dimmi che sei tutta per me!

Qui sul tuo cuor non soffro più, parlami d’amore, Mariù

Parle-moi d’amour Mariù, tu es toute ma vie

Tes beaux yeux brillent, comme deux étoiles scintillantes

Dis-moi que ce n’est pas une illusion, dis-moi que tu es tout pour moi !

* Le patio ou Maman et son petit frère on été brûlés.

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Ici sur ton cœur je ne souffre plus, parle-moi de l’amour Mariù

Il m’arrivait de rester 2 ou 3 jours avec lui à Champigny pour enregistrer des cassettes

de chansons siciliennes qui appartenaient à Papa. Magnétophone contre magnétophone. Pendant les enregistrements on jouait à la scopa, il calculait en même temps

qu’il jouait pour gagner. Maman, me racontait qu’à Tunis il jouait sa paie à la scopa,

quand il gagnait c’était la fête, mais en revanche, lorsqu’il perdait son salaire au jeux

Mémé lui faisait la gueule...

Mémé nous racontait aussi que nono était un coureur de jupons invétéré. C’est difficile à imaginer tellement il était faible et respirait si mal...

Un dernier souvenir avec mon nono. Il détestait la mode des «cheveux longs» pour

les mecs. Il avait même une tondeuse chez lui, aujourd’hui c’est banal, moi-même je

me tonds régulièrement, mais à l’époque des hippies, c’était juste inimaginable.

Un jour j’ai rempli son cœur de joie, quand, je lui ai demandé de m’amener chez

son coiffeur pour me faire la même coupe de cheveux qu’Elvis lorsqu’il était G.I ! la

banane impeccable et bien bien dégagé derrière les oreilles. j’avais 13 ans.

Il m’a accompagné chez son merlan, sapé nickel, car très élégant, avec son chapeau

légèrement incliné sur la tête. Il avait sa petite idée en tête : me faire la coupe témoin selon ses critères. Le coiffeur, qui je pense n’avait pas tous les jours l’occasion de

démontrer son savoir faire, croyez-moi, ne m’a pas loupé. Au retour du feurcoi je me

souviens que mon oncle François se foutait de moi en riant dans sa moustache de kéké.

Et, bien, figurez-vous que dés mon retour au vieux Saint-Ouen, tous mes potes, fou

de rock’n’roll comme moi, on adoré ma coupe «du king» et se sont fait faire la même

bien gominée !

C’était l’époque de la série Happy Days avec Fonzie la classe et sa banane parfaite.

On portait des teddys bicolores, des jean’s avec de larges revers et des converses bleu

marine.

On écoutait :

Twenty Flight Rock, Jeannie Jeannie Jeannie, Summertime Blues, C’mon Everybody,

Somethin’ Else, Hallelujah I Love Her So d’Eddie Cochran

(j’avais son badge accroché à mon blouson) et aussi, Be-Bop-A-Lula, Blue Jean Bop,

Crazy Legs, Race With The Devil, Say Mama et Rock me de Gene Vincent

et bien sur Suspicious Minds, Blue Suede Shoes, Jailhouse Rock, Hound Dog,

Love Me Tender, Viva Las Vegas, That’s Alright Mama, Heartbreak Hotel

et Can’t Help Falling in Love d’Elvis mon idole de toujours...

Y’avait aussi un morceau du groupe Français les Pirates «Je bois du lait» :

Je me moque du temps qu’il fait soleil ou bien la pluie

Ne changent pas mon humeur, la joie est dans mon cœur

Et si je peux prétendre conserver la forme que j’ai

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C’est que je bois du lait

Ça choque un peu les copains qui ne comprennent pas

Oh! ils boivent du whisky, de la bière, du Coca

Évidemment, ça choque, un gars qui chante du rock

Et puis qui boit du lait

Et dire que ma nounou ne pouvait me faire boire

La moindre goutte de lolo alors que maintenant j’en bois

Des tonnes, des tonnes, des tonnes, des tonnes,

Oui des tonnes de lait tout le lait que je bois

Me donne le teint frais,si tu veux avoir les clés

Y a pas d’autre secret :

Comme moi, buvez du lait

Et dire que ma nounou ne pouvait me faire boire

La moindre goutte de lolo alors que maintenant j’en bois des tonnes, des tonnes,

Oui des tonnes de lait tout le lait que je bois me donne le teint frais,

Si tu veux avoir les clés y’a pas d’autre secret :

Comme moi, buvez du lait

Comme moi, buvez du lait

Comme moi, buvez du lait

S’en suivait un solo de guitare endiablé avec le chanteur qui portait la même banane

que celle exécutée par le super coiffeur de Nono, dans la grande Rock’n’roll attitude.

A Tunis Maman était une très bonne élève, elle était titulaire du Certificat d’étude, ce

diplôme à l’époque était aussi important voir plus valorisant que le bac d’aujourd’hui.

D’ailleurs, je suis sûr qu’elle aurait pu décrocher le baccalauréat à l’époque. Elle était

très studieuse.

Seulement voila, ses parents, ses frères, ont préféré qu’elle s’oriente plutôt vers la couture. C’était néanmoins une excellente couturière, plus précisément son métier c’était

culottière. Maman adorait son métier, à la fin de sa vie, elle ne pouvait plus tenir l’aiguille, mais, lorsque nous y sommes retournés la dernière fois avant le Corona-virus

pour les 2 ans de Sophie, Maman lui a quand même recousu les petits nœuds de ses

chaussons.

Elle cousait avec passion. Elle confectionnait des pantalons droits, à pinces, à revers,

des pantalons de smoking avec le galon et la ceinture en soie. Elle raccommodait

aussi les habits déchirés, elle retaillait des vêtements trop larges… à la main. Une

aubaine pour ses 6 frères, ses beaux frères qui l’ont fait bosser jour et nuit. Et pour

pas une thune.

- Conchetina, Je me suis acheté un costume fais-moi l’ourlet !

- Conchetina, il faut faire les retouches, je te les amène demain ?

Ses belles sœurs et cousines n’étaient pas en reste pour la faire travailler ; En plus des

retouches incessantes sur des fringues en tout genre, une robe par ci ou un manteau

par là, elle faisait aussi des voilages pour de la déco :

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Dans les années 60 toute la famille a eu son HLM, nous à la Courneuve, d’autres à

Saint-Denis, Aubervilliers, Pantin ou à Champigny au 4 ème ou au 10 ème étage

dans des tours toutes neuves, nous avions de spacieux appartements avec des grandes

fenêtres.

C’est Maman qui a cousu tous les rideaux et les doubles rideaux de toute la famille !

Attention, ce n’était pas comme aujourd’hui. Aujourd’hui c’est simple : on va chez

Ikea on choisi une tringle, des anneaux, le rideau est déjà prêt à l’emploi et voila

l’affaire est dans le sac.

Rien de tout ça, Maman allait avec les transports en commun au marché Saint-Pierre,

en bas du Sacré-cœur, avec au moins Vivi et moi dans la poussette, elle achetait

du voile et du tissus au mètre. Elle se faisait rembourser les tissus mais pas la main

d’œuvre qui était gratuite.

Puis à la maison, affairée à coudre, nous entendions le ronronnement de sa machine

«Singer», presque toute la nuit.

Maman, cousait avec précision, les ourlets, les lestait, préparait les rouflaquettes pour

les crochets de tringles, ajustait les plis, repassait le tout et refaisait la même chose

pour les doubles rideaux. Ça prenait un temps infini.

Papa, lui, était de corvée pour acheter les tringles, les poser et ajuster l’ouverture et la

fermeture des voiles et des rideaux avec des cordons posés à l’intérieur des tringles,

avec un système de va et vient infernal, qui se terminait par des dés en métal. Une

usine à gaz.

Imaginez le nombre de fenêtres d’un 5 pièces de banlieue multiplié par... autant de

tontons, tatas, cousins etc... Je me rappelle que mon oncle Mathieu dans son HLM

de Pantin avait même eu le chic de commander à Maman des doubles rideaux dorés

avec galons et corniche à franges et pour retenir les pans de chaque côté il y avait des

cordons tressés avec au bout des pompons de style rococo assortis à la corniche... On

se serait presque cru au château de Versailles.

Les amis et les voisins ne se gênaient pas non plus pour lui refiler du taf, mais au

moins, eux, ils payaient Maman. Pas beaucoup. Mais bon...

On avait une voisine Italienne, témoin de jehovah et couturière qui bossait à la pièce

en faisant des retouches sur des pantalons de costume pour des boutiques de prêt-àporter comme les Galeries Tomy à la Villette.

La voisine sous-traitait son taf à Maman, la payait avec un lance-pierre et gardait le

reste pour elle au passage lors de la livraison au magasin.

Que dire de Papa toujours prêt à aider à rendre service aux autres : trouver un

appart, une loge de concierge, trouver un taf à un beauf, un cousin ou à un pote de

Tunis, pour «donner la main» à un déménagement car il avait une force incroyable.

A Paris, Bingo ! il est devenu plombier comme ça à l’arrache, une aubaine pour tout

ceux qui emménageaient dans leurs nouveaux apparts. Je vous laisse imaginer la

suite... Les fuites, les lavabos bouchés, les pierres à évier à changer etc...

- Étienne, per favore vieni sabato devi cambiare il bollitore dell’acqua calda, dio ti

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pagherà !

Étienne par faveur, viens samedi, il faut changer le ballon d’eau chaude, dieu te le

payera !

Jusqu’à la fin, Papa et Maman rendaient service aux autres, même moralement.

A Paris dans le 18 ème rue Firmin Gemier, où ils ont vécu jusqu’à la fin, Papa et Maman n’avait que des amis : Khalid, le futur ex-gardien de l’immeuble qui a filé 3 caves

à Papa, parce que Papa ne jetait rien... Kathia, Madame Serfaoui, Janine la polonaise,

madame Longchamp* et tant d’autres que je ne connaissais pas.

Un jour, devant nous (papa et moi) à la caisse de Lidl un africain payait ses courses

mais comme il lui manquait quelques centimes pour faire le compte, les 2 vigiles casquette, talkie walkie et l’air bien abrutis se sont rués sur lui en le menaçant de régler

immédiatement son dû ! on aurait cru qu’ils avaient chopé l’ennemi public numéro

1 ! Devant ce spectacle pathétique, Papa sans connaitre le mec, a fait le complément

de la monnaie qui lui manquait pour que les cowboys arrêtent leur cirque et je les ai

bien insultés.

Le mec qu’on avait aidé était si content qu’on est monté chez lui boire un verre, puis

il voulait absolument nous garder à bouffer... (Impossible car maman, nous attendait

avec sa pasta all’aglio e pesce fritto** !) et par la suite ce voisin était toujours volontaire pour aider papa et maman a porter leurs sacs de courses...

Tout le monde aimait Papa et Maman qui étaient des êtres admirables de générosité,

de gentillesse et d’écoute. Dio doit être ravi de les avoir près de lui maintenant.

En 1955 lorsque Fanino (Papa) et Conchettina (Maman)se sont rencontrés, ils se

sont aimés immédiatement. Comme ça, tout de suite c’est, du moins, ce qu’ils nous

racontaient et je les crois. En, revanche, je peux affirmer qu’ils se sont aimés d’un

amour fou jusqu’au dernier jour.

C’est dur à dire, mais, ils sont partis à 15 jours d’intervalle et quelque part je trouve

que c’est bien pour eux deux. Ça aurait été trop difficile pour Maman de rester seule

puisque c’était sûr que Papa allait partir avant elle.

Aujourd’hui ils sont ensemble au cimetière Parisien de Saint-Ouen.

Ce n’est pas un endroit triste et isolé comme tant de cimetières, comme celui de

Dugny, par exemple, où reposent mes grands parents. Non, c’est un endroit très

romantique avec des arbres et pleins de monuments funéraires d’un autre temps. A

quelques rangées de Papa-Maman, il y a l’oncle de Papa : Joseph.

Le cimetière se trouve dans notre quartier de Saint-Ouen !

Là où nous avons grandi, ce même cimetière ou je me suis retrouvé après avoir été

coursé par les keufs *! ce n’est pas rien, «quamême», comme disait mon père...

* Madame Lonchamp habitait rue Firmin Gemier mais en même temps elle gardait une vieille

dame fortunée dans une villa sur la plage sainte clair au Lavandou où je vivais il fut un temps,

bref, sa voisine n’était autre que Jerry Hall ! la femme de Mick Jagger ! qui venait de temps à

autre...

** Pâtes à l’ail et poissons frits

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Notre bahut à vivi et moi-même c’était le collège Michelet qui est juste à 2 rues de là

et je jouais au flip’ dans le rade qui est à l’angle du cimetière. Je me rappelle aussi de

Dominique ma première meuf qui habitait juste en face et venait m’y rejoindre au

flip. J’adorais cette gonzesse.

Pour y aller, depuis la porte de Clignancourt faut traverser le marché aux puces ou

depuis la mairie de Saint-Ouen on passait par nos rues familières dont la fameuse

rue Madeleine**...

Nous avons choisi la pierre tombale de papa-maman ensemble avec Antoine et Vivi.

Elle est sobre et classe. Sur le fronton nous avons gravé Casubolo et sur le coté il y

a : 1929-2020 Étienne, puis la photo de papa-maman souriants et enlacés et puis

Conception 1935-2020.

Ils sont bien là bas.

Fiancés à Tunis, Papa, après son travail traversait toute la banlieue de La Manouba

en vélo pour voir Maman qui avait le droit de lui parler mais, uniquement, depuis la

cuisine : elle à l’intérieur de la pièce et lui à l’extérieur dans la rue. Si ils se faisaient un

bisou c’était un bisou volé. Caché.

Ils auraient pu faire «Caroussella» c’était la facilité pour aller plus vite mais Maman

ne voulait pas faire de peine à son père.

Caroussella était le terme pour designer les couples qui se sauvaient de chez leurs

parents avant le mariage, ils couchaient ensemble et revenaient plus tard... mariés.

Beaucoup de couples le faisaient comme mes 4 grands parents. C’était une union à

l’église sans fête, sans photos, sans pièce montée, non, juste avec 2 témoins au petit

matin sur le coté de l’église. Ils n’avaient pas le droit à allée centrale devant l’autel car

ils avaient péché... C’est triste, non ?

Papa aimait dire que Maman était déjà grosse lorsqu’il la connut et quelle portait des

soquettes blanches dans ses sandales. Maman se foutait de lui en lui rappelant qu’il

était ridicule avec ses chaussettes rouges assorties a sa chemise de la même couleur.

Pour le mariage, c’est Maman qui a cousu les costumes de Nono et de ses frangins***.

Mon oncle Roger, l’aîné des frères de Maman, avait promis de lui offrir sa robe de

mariée, mais il n’est même pas venu au mariage (sympa) et Maman s’est mariée avec

la robe blanche déjà portée par sa belle sœur Sarina. Cette robe de mariée finalement

aura eu une belle histoire : C’est mon oncle Vincent, tailleur, qui a créé et cousu

cette robe de dentelles pour sa futur Sarina la sœur de mon père. Puis elle l’a refilé à

maman qui après son mariage l’a recoupée plusieurs fois. En effet cette robe à encore

servie 3 fois pour les baptêmes de mes cousines, Maguy, Élé et pour mon frère Antoine qui me racontait l’autre jour qu’après les baptêmes le tissu aurait encore servi...

Papa et Maman se sont mariés le 25 avril 1956 à Tunis.

Papa est né Français, en 1929. Mon grand-père s’est naturalisé deux ans plus tôt

* Je raconte cette course folle dans le chapitre 17 : Les puces

** Je raconte aussi cette rue dans le chapitre 14 : Saint-Ouen

*** Ado, j’ai porté le pantalon à pinces que Nono portait pour le mariage de Papa-Maman

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lorsqu’il est devenu fonctionnaire. Il était contrôleur dans les tramways de Tunis sur

la ligne du chemin de fer Tunis-Goulette-Marsa (TGM).

Maman est devenue Française en se mariant. J’ai l’album du mariage sous les yeux,

sur la premiere photo, on les voit perdus dans une grosse voiture cabriolet. Sur les

autres images pratiquement toutes les personnes présentes que je reconnais sont

décédées... Il y avait des garçons et demoiselles d’honneur parmi elles les cousines de

Papa : Rosette, Hélène et Mathilde *.

J’ai la photo officielle du mariage prise en studio. Elle est en noir et blanc et je l’ai

punaisée dans mon bureau ; Papa est en smoking noir et nœud pap’ blanc. Il tient

des gants blancs.

Maman est toute triste dans sa robe blanche avec un bouquet de fleurs à la main, le

voile de sa robe s’étale sur les marches et sur tout le sol du studio. Au pied de papa il y

a une grosse gerbe de fleurs blanches avec des gros nœuds.

J’adore regarder cette photo, car je la trouve très hollywoodienne. Papa ressemble

à Errol Flynn avec sa petite moustache, ses cheveux crantés et gominés en arrière.

Maman telle Vivien Leigh se tient contre lui. Les mariés sont surélevés de 2 marches.

A l’arrière plan, Il y a des arcades en perspective et au mur se trouve une colonne

avec un vase biscornu avec des fleurs flétries. Un voilage plissé façon rideaux donne

de la perspective et un ton romantique à la photo. Sur la gauche un hublot encadré et

profond est encastré. Il y a un autre vase à l’intérieur mais posé comme ça sans fleur...

L’éclairage est soigné, il manque juste Elia Kazan pour dire : - moteur ! ...

Au détour d’une ballade dans les rues de Tunis, Papa m’a aussi montré la salle Maltaise où s’est déroulé la fête du mariage. Elle existe toujours et se trouve rue de Grèce.

Cerise sur le gâteau, l’ambiance était assuré par l’orchestre de la famille Farrugia**,

oui, de la famille à Dominique Farrugia c’est drôle non ?

Antoine est né le 25 mars 1957 au Bardo*

Mon Nono paternel avait acheté un terrain et une maison était sortie de terre. La

maison était un assemblage de 3 cubes sans goût, sans style. Toute la famille de Papa

avait quitté la loge de la rue des Protestants à Tunis pour s’installer au Bardo. Rien

de paradisiaque mais mon père voulait y vivre coûte que coûte avec sa famille et ce

* En 1990, j’ai dormi quelques nuits chez Mathilde et Alberto qui m’ont merveilleusement bien

reçu dans leur appart niché au 6eme étage d’une affreuse tour HLM à la cité des Murandoles du

Cannet Rocheville.

C’était juste le temps que je trouve un appart à Cannes où j’allais y rester 2 ans avec mon exfemme et Étienne mon fils. (Chapitre 28 : Enzo). Bref, je dormais dans le salon et un simple rideau

me séparait du sejour ou Mathilde et Alberto mataient la téloche le soir.

Avant de m’endormir je me faisait un 3 feuilles, tranquille. Mais bon j’enfumais la pièce et la leur

par la même occasion. Quand l’odeur infernale du shit arrivait aux narines de Mathilde elle se

tournait vers Alberto et lui disait :

- Tu sens ? Je ne sais pas ce quelle cuisine l’arabe du cinquième, mais depuis 2, 3 jours c’est enivrant

st’odeur !

** Dominique Farrugia, du groupe d’humoristes Les Nuls.

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n’était pas négociable pour maman.

C’était le souhait des parents de Papa qui voulaient que leurs enfants, leurs conjoints

et mêmes les petits enfants y vivent. A cause de la sorcière de Mémé, Maman et les

femmes de mes oncles ont vécu un véritable enfer dans cette baraque où Antoine à

vu le jour.

Oui, Antoine et mes grands cousins sont tous nés à la maison du Bardo.

Papa et sa famille ne voulait pas que Maman accouche à l’hôpital. Ils ont fait ça à l’ancienne comme des sauvages alors qu’eux même avaient bénéficié des soins modernes

de l’hôpital.

Maman a vécu, la-bas, les pires mois de sa vie. L’horrible belle-mère en patronne des

lieux, faisait vivre un enfer aux pièces rapportées.

Du jour au lendemain ils se sont imposés comme la nouvelle famille de maman.

Excédée au bout de quelques mois du haut de ses 21 ans, elle a eu le courage de dire

«non» et un matin elle s’est barrée avec mon frère dans le couffin.

Papa a dû faire sa méa culpa et maman est revenue 40 jours plus tard car elle l’aimait.

L’horrible mémé a ravalé sa fierté et jusqu’à sa mort elle craignait maman. Je suis persuadé que si maman ne s’était pas rebellée, Nono et Mémé auraient vécu avec nous et

chez nous à la Courneuve. Déjà qu’avec papa c’était pas cool, merci Maman de nous

avoir épargné ça.

Nono était un brave mec et ne nous faisait pas de mal et pourquoi pas après tout.

Mais pas question de vivre avec l’autre mégère. Cerise sur le gâteau : Maman aurait

été sa bonniche et papa son sbire car il ne lui refusait rien. Personne ne l’aimait.

Je n’ai pas le souvenir qu’une seule fois quelqu’un de la famille m’ait fait des compliments à propos de ma grand mère... Son père était pourtant un gradé de la marine

Italienne et je me rappelle très bien de ses frères et sœurs ; La famille Sanseverino

étaient des gens extrêmement discrets et presque timides. Ils étaient tous blonds aux

yeux bleus. Ils ont envoyés leur enfants à l’école, Antoine Sanseverino par exemple

le cousin de Papa bossait à Rome à l’ambassade de France dans le somptueux palais

Farnèse. Mémé c’était la fille Sanseverino concierge. C’est drôle je trouve, car ma

sœur Éléonore qui s’appelle comme ma grand mère a tiré aussi sa famille de ploucs

de zonards vers le bas.

Au Bardot Papa et Maman étaient malheureux dans cette horrible maison cube sans

confort.

C’était le début des événements d’Algérie et même en Tunisie un vent de révolte soufflait sur les Tunisiens. Ils étaient chez eux et voulaient prendre leurs responsabilités.

Des actions de guérilla menées par des fellagas semaient la terreur dans les campagnes. Mon grand père maternel un soir, en rentrant de son travail avec le taxi bébé,

a été agressé et laissé pour mort... Les italiens et Français commencèrent à se poser

* Le Bardo, est une ville située à quelques kilomètres à l’ouest de Tunis. Il y a l’ancienne résidence

beylicale (le bey c’était le roi) fondée au XVe siècle qui abrite aujourd’hui le siège du Parlement

tunisien ainsi que le musée national du Bardo célèbre pour ses mosaïques.

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des questions sur leur avenir Tunisien.

Le 31 juillet 1954, le président du conseil Pierre Mendès France arrivait à Tunis et

dans le célèbre discours de Carthage il annonçait que l’autonomie interne de l’État

tunisien serait reconnue et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement

français. Cette annonce a eu l’effet d’une bombe et a provoqué le départ massif et

presque immédiat des populations françaises et italiennes. Les maisons, les apparts

des français et des Italiens se vidaient et aussitôt étaient réoccupés par des familles

tunisiennes.

Les fonctionnaires Français étaient mutés en métropole pour laisser la «tunisification» de l’administration Tunisienne s’installer. De fait, les Français et les Italiens ont

flippés et se cassèrent.

Ils ne voulaient pas être à leur tour les larbins des Tunisiens... Très peu sont restés.

D’après le recensement de 1966, les Français n’étaient plus que 33 000 contre 255 000

en 1956, soit une diminution de 83 %.

C’est aussi une communauté chrétienne qui a disparu. Les lieux de culte ont été

désertés ou transformés en bâtiments publics comme l’église du Sacré-Cœur de Tunis

à Bab El Khadra et la chapelle San Paolo de Maltesi là où Papa et Maman se sont

mariés. Cette même église aussi où tous les Casubolo ont été baptisés et on fait leur

communion.

C’était une curieuse sensation lorsque j’y suis allé en 2009, l’église était devenu

commissariat. L’autel et des restes de fresques s’y trouvaient encore. Il y avait des flics

démotivés assis derrière leur bureau la casquette en arrière. Comme dans la prison

de Midnight Express ça grouillait de délinquants menottés.

Pendant ce séjour en Tunisie avec papa et maman dans le taxi qui nous ramenait un

soir de la plage de Gammarth à Tunis, Papa racontait des anecdotes de sa jeunesse

Tunisienne. D’un coup le chauffeur qui devait avoir l’age de Papa (un brin énervé)

nous a demandé :

- Mais pourquoi vous êtes partis ? Fallait rester Monsieur !

Car c’est une réalité; nous sommes partis mais personne nous a virés et encore moins

chassés. Notre départ n’a rien à voir avec le drame et la guerre qu’on subit les Pieds

Noirs d’Algérie 6 ans plus tard...

En 1956 Les parents de maman, ses frères ainsi que les frères de papa bref, toute la famille et les amis partaient les uns après les autres pour la France, l’italie. Les Maltais,

citoyens britanniques, partaient eux pour l’Angleterre. En quelques mois Papa-maman se sont retrouvés pratiquement seuls... Un jour Papa à fait une demande de

rapatriement au consulat Français qui a été immédiatement acceptée.

Fini les 100 années passées dans ce pays paisible, fini la mer bleue et ses poissons

gorgés de soleil. En route pour la grande aventure sur le territoire Français dont ils

ne connaissaient absolument rien, ni personne... De leur vie d’avant dans leur pays

natal, ils n’ont rassemblé que quelques affaires : la vaisselle du mariage et le trousseau

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dans une caisse en bois de 1m par 0m80 puis 2 valises, mon frère et c’est tout. Jusqu’à

la fin Papa-Maman gardaient les affaires de Tunis comme des reliques précieuses.

Même si ils ont par la suite réussi une intégration parfaite et totale, papa et maman

ont toujours eu le sentiment amère d’être des «déracinés» de la vie.

Ils ont laissé l’insouciance de leur jeunesse en Tunisie, pour recommencer une

nouvelle vie d’adultes métèques et immigrés en France. Un matin dans l’indifférence

générale des gens, ils ont pris le bateau avec Antoine qui n’avait que 6 mois. Jusqu’à la

fin de leurs vies Papa-maman ne pouvaient pas retenir leurs larmes en évoquant ce

souvenir déchirant dès qu’ils voyaient un ferry.

Imaginez-vous à 21 et 27 ans avec un bébé partir et prendre pour la première fois de

leurs vies un énorme bateau qui voguait vers l’inconnu et pour toujours.

En 2015 pour les 80 ans de Maman, chez Antoine, l’ami de mon frère, Enrico Macias

à chanté «J’ai quitté mon pays» rien que pour eux 2.

Fatigués et usés Papa et Maman étaient assis en face de leur idole (j’en ai encore la

chair de poule) qui avec sa guitare a chanté en les regardant dans leurs yeux remplis

de larmes. Un moment intense et très émouvant. Papa et maman pleuraient comme

des gamins qui revivaient encore une fois cet épisode poignant :

J’ai quitté mon pays, J’ai quitté ma maison.

Ma vie, ma triste vie, se traîne sans raison

J’ai quitté mon soleil, j’ai quitté ma mer bleue

Leurs souvenirs se réveillent, bien après mon adieu

Soleil... Soleil de mon pays perdu, des villes blanches que j’aimais

Mais du bord du bateau qui m’éloignait du quai

Une chaîne dans l’eau, a claqué comme un fouet

J’ai longtemps regardé ses yeux qui fuyaient,

la mer les a noyés dans le flot du regret ses yeux mouillés de pluie

J’ai quitté mon pays, J’ai quitté ma maison

En France en dehors de la famille Casubolo arrivée quelques mois plus tôt à Marseille, ils n’avaient aucune piste, aucune connaissance, aucun plan pour bosser,

dormir et accessoirement manger...

Pourtant Papa avait confié ses économies à son frère pour qu’il lui trouve un toit,

mais Giacomino avait bouffé les thunes. Cette histoire a duré des années pour que

Giacomino, un jour, le reconnaisse et rembourse papa à hauteur de 2 ou 300 francs !

Quand, dans l’indifférence générale, ils sont arrivés à Marseille un matin de la fin octobre 57 dans ce grand port industriel, le mistral était aussi glacial que l’accueil de la

famille sur place. Ils étaient très malheureux. Mais papa avec la rage au ventre a trimé

tout de suite. Un travail très dur de manœuvre aux établissements Bona. Il déplaçait

des rails de chemins de fer à la main toute la journée. Maman bossait jour et nuit en

couture et faisait aussi des ménages. Ils vivaient à la Belle de Mai, je crois, et là-bas

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ma sœur Éléonore est née le 23 avril 1958.

Maman détestait Marseille (jusqu’à la fin d’ailleurs) et au bout de quelques mois ils

décidèrent de «monter» à la capitale, où s’était installée la famille de Maman.

Arrivés à Paris, dans le quartier de Belleville, Papa nous racontait qu’ils vivaient

dans un taudis rempli de cafards et de punaises. Papa bossait très courageusement et

acceptait tous les tafs mêmes les plus pénibles. Il changeait régulièrement de boulot

et peu importe la difficulté du moment que ça payait mieux que le taf précédent.

Les patrons voulaient garder cette perle rare car c’était un très bon élément sérieux,

discret et courageux...

Papa-Maman découvraient la rudesse des hivers Parisiens mais ils allaient tout de

même chercher dans le froid matinal des fruits et des légumes aux halles Baltard

pour les payer le moins cher possible et nous donner ainsi des aliments de qualité.

Une fois pour Noël il a ramené un sapin qu’il avait taillé lui-même et transporté en

métro !

Vivi est née le 10 novembre 1959 au passage Julien Lacroix dans le XX ème.

Papa, toujours démerde, est ensuite devenu plombier et partait bosser très tôt sur des

chantiers au fin fond des banlieues pour rentrer très tard le soir. J’ai une photo de lui

avec sa casquette et son écharpe, dormant dans le métro après une dure journée de

travail.

En 1961, Ils ont déménagé pour le XIX ème à Corentin Cariou où je suis né le 15 mai

1962*. Papa a été le premier de la famille à louer pour ses congés payés une villa en

bord de mer à Berk Plage. Je vous le donne Émile : La famille ne s’est pas gênée pour

taper l’incrust pendant nos vacances d’été...

En 1965, on partait pour la banlieue aux 4000 de la Courneuve.

HLM : habitation à loyer modéré. C’était le nom que ça portait et quand nous étions

petits ça faisait saliver nos parents. Fini les minuscules apparts parisiens, comme une

récompense les hlm étaient le paradis à décrocher : loyer pas cher, plus d’espace, plus

de soleil, un chauffage d’immeuble, un grand balcon pour les plantes de papa, un

séchoir et un « vécé » par appartement. La Courneuve c’était une ville en plus. En bas

se trouvait tout ce qui rend la vie urbaine agréable : marché, supérette, drogueries,

quincailleries, marchands de fringues et de pompes, école, église, cinoche... Le rêve

pour les familles de prolos ritals, espagnoles, portos et rebeus. La vie à Tunis moins

de 10 ans plus tôt semblait si précaire quand ils la comparaient à leur tout nouveau

confort...

En 1974 on se rapprochait de Paris dans une autre cité Hlm à Saint-Ouen plus prés

de l’alstom et du métro. Lorsque, jeunes adultes nous sommes partis vivre nos vies en

1984 Papa-Maman ont eu un appart rue Dieumegard toujours à Saint-Ouen.

* Le 15 mai 1962 dans le journal le monde : «Les cheminots sont en grève et des perturbations

sont à craindre à la R.A.T.P. Papa me racontait souvent qu’il avait traversé tout Paris pour

annoncer ma naissance à la famille... Pour cette journée spéciale pas de transport, pas de travail.

Dio, déjà toi ?

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C’est en 1989 qu’ils sont redevenus réellement «Parisiens» en récupérant l’appart de

mon oncle Sauveur Boulevard Soult dans le XII ème.

Mon oncle Sauveur était le cadet des fils de Nono qui en a eu six : Roger, Sauveur,

Matéo, Joseph, Benoit et François. Sauveur était le moins flamboyant de la fratrie.

Son frère aîné Roger, mon oncle, était un abominable proxénète qui frappait sa pute

devant maman à Tunis. Ma tata Germaine, que j’adorais petit, un jour après sa mort

j’ai appris qu’elle avait été pute à Tunis.

Mais pour son frère Sauveur, Roger (l’aîné que tout le monde écoutait) l’avait

convaincu, d’épouser Marie Finazo, la fille de l’épicier du coin à Djebel Jelloud. Pour

3 francs six sous d’héritage, il s’est retrouvé à Tunis, puis à Paris enchaîné avec une

meuf terne, sa belle- mère puis sa fille Adelina. Je n’ai pas spécialement de mauvais

souvenir d’eux mais franchement elles n’étaient pas très futées, disgracieuses, plutôt

grosses et laides. Ça ne sentaient pas bon chez eux et ils étaient terriblement radins.

Mon tonton Sauveur était très malheureux dans sa vie et on lisait son désarroi dans

ses yeux. A l’aube de ses 50 ans, Cupidon passait dans le coin de la Porte Dorée et il

n’a suffit qu’une flèche pour provoquer un sursaut viril sur mon tonton Sauveur. Il a

quitté le trio encrassé pour une Marocaine arrogante, vulgaire avec une coupe afro

orange et des poumons sur dimensionnés...

Elle avait une grosse bouche avec une avalanche de dents jaunies par le tabac. Un

horrible boudin qui avait la mission de rattraper goulûment le temps qu’avait perdu

la teub de tonton.

Un jour en 1985 lorsque j’étais G.O au ClubMed en Suisse mon frère est venu me

rejoindre quelques jours. C’est là que j’ai appris mon tonton Sauveur était décédé. Il

avait 55 ans. Mince ! Et comment est-ce arrivé ? les explications de sa mort étaient

très floues, voire nébuleuses et pendant des années on nous a cravaté une histoire

d’ongle incarné qui aurait provoqué sa mort, bref, ni papa-maman ni mon frère et

mes sœurs comprenions cette histoire...

Nous avons appris la vérité qu’en avril 2020 quand papa-maman sont partis (heureusement d’ailleurs car maman aurait été bouleversée apprendre ce glauque dénouement). En fait la Marocaine chaude comme une baraque à merguez avait aussi un

mari très jaloux.

Un jour, le cocu, dépité et fou de rage a tiré une balle de revolver dans le pied de mon

oncle. Transporté aux urgences ils l’ont transfusé. Sauf qu’ils ignoraient que mon

oncle prenait des cachetons pour son sang qui ne coagulait plus. Bingo ! Une embolie

l’a emporté.

Mes parents ne sont pas restés longtemps dans cet appart du boulevard Soult. La ville

de Paris à fini par leur attribuer un 3 pièces rue Firmin Gémier dans le XVIII ème.

Ils y resteront jusqu’à la fin.

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L’usine,

Un soir, à la Courneuve, Papa rentre de l’usine et dit à Maman :

- Demain, tu peux venir avec moi à l’usine si tu veux.

Enfin, la vie offrait à maman l’opportunité de sortir de sa cuisine.

C’était en 1972 j’avais 10 ans, je n’étais plus un bébé (quoi que*) et elle a accepté. Elle a été embauchée comme ouvrière de base. Ses supérieurs ont vite repérés

ses qualités : Elle écrivait sans faute, elle était forte en calcul mental et ne fai

-

sait jamais gréve. Comme papa, elle était humble et discrète. Elle a enchaîné

les responsabilités et s’est retrouvée «au grand bureau» à coté du chef du per

-

sonnel comme responsable du contrôle des pointages juste quelques mois après son

arrivée. Bravo Maman.

A l’époque, il y avait 2500 ouvriers à l’Alstom, elle gérait donc 2500 pointages journa

-

liers.

Maman a adoré l’usine, c’était les vacances s’amusait-elle à dire. Elle avait rangé le

tablier de la maison pour de jolies fringues. Maman était très coquette et couturière

de surcroit...

Le matin elle se maquillait, se coiffait puis arrivée au bureau elle retrouvait ses co

-

pines qui n’étaient pas des «femmes au foyer» déprimantes, qui n’étaient pas non plus

des siciliennes soumises mais des françaises épanouies, des polonaises comme sa

meilleure amie Janine ou antillaises. Telle la chrysalide qui devient papillon, Maman,

de bonne à tout faire à l’appart, s’est transformée en secrétaire de direction qui vivait

pleinement sa vie de femme de 40 ans.

Papa travaillait à l’usine depuis 1969. Il était monteur électricien.

Dans un immense hall, il contribuait au montage d’énormes transformateurs pour

des barrages hydroélectriques afin de monter l’électricité à 400 000 volts. Il travaillait

avec des Marocains, des Algériens, des portugais et des Français comme son meilleur

ami Jacques Lortal qui allait devenir, un jour, mon parrain de communion.

C’était un travail d’équipe, il bossait avec des plans complexes et des process pointus.

Quand il rentrait le soir il sentait encore l’usine. J’adorais cette odeur.

Papa, appelait l’usine «la maison du bon dieu».

C’était les 30 glorieuses. En ce temps-là, y’avait du travail pour tout le monde et

autant de bénéfices pour leurs employeurs… Et pour tous, des rêves accessibles, des

projets sans limite. La France se couvrait de pavillons individuels, Paris bouclait son

boulevard périphérique et à la Défense se construisait les premiers gratte-ciel.

Quel changement de vie pour Papa-Maman ! Fini les jobs harassants et payés à la

* J’ai été le bébé de ma mère jusqu’à 58 ans.

Ça énervait tout le monde sauf Maman et moi. Hier, lorsque j’ai lu ce passage à Fanychou, elle

m’a demandé de rajouter qu’elle avait repris le flambeau depuis. N’importe quoi...

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tâche. Fini l’exploitation de ses travaux de couture la nuit qui rendaient maman

aveugle. Bingo !

Tous les mois 2 salaires tombaient à la maison et papa faisait toujours des heures

supplémentaires. Et donc.... Vas-y ! v’la les thunes à claquer ; la grosse tv en couleur,

le magnétoscope vhs, le mega congélateur, le micro-ondes, etc... Papa s’est offert la

Renault 16 de ses rêves toute neuve pour aller en famille dans notre résidence secondaire à la campagne. Nous partions tous les ans en vacances en août.

Je pense qu’ils ont vécus pendant ces années 70 les plus belles années de leurs vies. Ils

étaient heureux et fiers de travailler à l’usine qu’ils respectaient beaucoup.

Derrière les ateliers, l’usine possédait des terrains de foot et des jardins ouvriers. Des

parcelles de terrain destinées à la culture potagère mises à la disposition de quelques

chanceux. Papa en a eut un grand avec un cerisier. Il faisait aussi ses tomates mais il

s’en est vite lassé.

Papa était comme un poisson dans l’eau à l’usine. Le soir il nous ramenait des

espadrilles en guise de chaussons, de la colle blanche pour l’école et plein de petites

choses qui servent au quotidien.

Il y avait une ambiance conviviale, voire familiale qui régnait à l’usine, il y avait

surtout une véritable solidarité ouvrière. Le Comité d’Entreprise surpuissant se

démenait super bien pour les ouvriers et nous les enfants étions comblés de tous ces

avantages :

A la rentrée des classes on avait notre nouveau cartable avec la trousse complète.

A noël, Porte de Versailles nous étions invités au cirque Bouglionne. Le grand

chapiteau était noir de monde, avec le vrai spectacle d’acrobates, de dompteurs et de

clowns. Je n’ai plus jamais revu de tels cirques de ma vie. A l’entrée, on nous filait un

énorme paquet de bonbons. Avec Vivi on commençait à regarder le spectacle quand

le paquet était presque fini. Quelques jours après le père noël de l’usine était aussi très

généreux.

A Pâques, nous les gamins d’ouvriers de l’alstom, allions skier au Grand Bornand. En

juillet c’était les colos : à La Charité-sur-Loire pour les petits, à Saint Jorioz* au bord

du lac d’Annecy pour les 8-12 ans et enfin à Lus-La-Croix Haute dans le département

de la Drôme pour les ados.

Tous ces établissements appartenaient à l’alstom. Le CE organisait aussi des voyages

pour les adultes ; Antoine est allé en Urss et à Cuba et avec toute la famille nous

sommes partis dans un village de vacances «Tourisme et travail» en Tunisie, nous

avons fait 1 semaine d’excursion à travers tout le pays...

Ados on demandait :

- Papa, tu nous fais bosser cet été à l’usine ?

* A Saint -Jorioz, la dernière fois que je suis passé devant, la colo était abandonnée et les fenêtres

murées.

A Lus-la-Croix haute, la colo a été vendue puis compartimentée en plusieurs apparts, la famille

de Serge le père de Fanny sont originaires de ce petit village Drômois.

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Le lendemain, on avait le plan et un rdv était organisé.

Antoine, vivi et moi-même y avons travaillé pendant les vacances d’été au moins une fois.

Lolo y est restée jusqu’à la retraite et a fait une belle carrière en devenant acheteuse.

Bosser l’été à l’usine c’était avec joie. Ça commençait le matin à 7h00 et à 16h30 c’était fini.

La journée dans l’usine était rythmée par la sirène qui appelait les travailleurs 2

fois par jour. La grille s’ouvrait, les vélos s’engouffraient dans la cour et les hommes

pointaient à l’entrée de l’usine. Ils enfilaient leur tenue bleue de travail et rejoignaient

leur poste. Le soir une autre sirène plus longue et monocorde retentissait. Tous les

ouvriers sortaient en même temps des ateliers, dans une excitation ordonnée. Tout

le monde avait l’air pressé. Comme un barrage qui s’ouvrait, tout le monde sortait

comme libéré en même temps et c’était furtif. Les piétons se dispersaient dans le métro. D’autre récupéraient leur vélo, leurs mob ou leur moto comme Didier Shump et

disparaissaient pour redevenir anonyme. (Je repérais les gonzesses qui étaient jolies.

Maman avait une collègue méga bonne qui s’appelait Sylviane et qui a longtemps

accompagné mes rêves, en nuisette...)

Passé ce moment mouvementé, le quartier de l’usine devenait muet surtout le week-end.

Le lendemain matin, à 7 heures, c’était reparti.

Les syndiqués distribuaient des tracts devant la grille, avec un sourire en coin en

m’apercevant, car Papa-Maman ne faisaient jamais grève. Certains ouvriers ne me

disaient pas bonjour et d’autres plus cools me proposaient un café.

Allez, le fiston Casu, au taf !

J’entrais dans un immense bâtiment en béton brut et la j’empruntais un ascenseur

industriel pour rejoindre mon poste au 3 ème étage. Il y avait une dame en blouse

bleue assise dans un coin de la cabine d’ascenseur. Son boulot c’était d’appuyer sur les

boutons de montée descente toute la journée.

Je passais ensuite au vestiaire et j’étais toujours curieux de reluquer discrètement

les casiers des autres ouvriers. Ils reflétaient toujours un bout de leur vie. Certains

avaient des photos avec leurs gosses au square, d’autres en joueurs de foot triomphants et tous avaient inévitablement des posters de gonzesses exposants leurs

chattes agressives...

Mon boulot commençait devant un tapis défilant. J’installais les batteries vides dessus. Je devais les remplir d’une espèce de mellasse rouille à ras-bord. Voila, c’est tout.

Je devais répéter cette opération lassante toute la journée de 7h00 à 11h30 puis de

13h00 à 16h30.

Mais ce n’était pas du tout monotone parce qu’en réalité derrière ce tapis roulant

c’était le Bar de l’atelier du 3 ème étage ! (il y en avait à tous les étages). C’était le débit

officieux de boissons pour tous les lascars de l’atelier ! Donc, discrètement, croyaiton, nous tenions le bar, quoi !

J’étais censé bosser au remplissage des batteries avec 2 spécimens de feignantise

incarnée : un Antillais chantant et susceptible et un gonze magouilleur proche de

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la retraite qui s’appelait Ben Ali. On ne bossait pas beaucoup d’une façon générale

à l’atelier et on se marrait bien. Il y avait bien des chefaillons et un contremaître qui

nous regardaient de travers lorsqu’ils passaient devant le bar mais ils fermaient les

yeux en s’assurant ainsi de la tranquillité de l’atelier.

Y’avait un mec, je ne me souviens que de son surnom : l’enflure.

A 10h00 il venait et s’asseyait avec nous derrière. De sa besace il sortait un croissant

acheté le matin et un litre de vin rouge. Il ne finissait jamais son croissant, mais en

revanche, le litre de rouge y passait !

Ah, oui j’oubliais. Un jour, un gros chariot élévateur genre Fenwick était posé là

devant le bar. Je m’en suis approché et j’ai mis un pied sur chaque bras. L’antillais (je

ne me rappelle plus de son nom) planqué en embuscade a mis en route l’élévation de

la machine et m’a monté au maximum de la charge. Je touchais presque le plafond de

l’atelier à plus de 4m ! J’étais la haut les jambes écartés d’un bon mètre sans pouvoir

faire le moindre mouvement. Pris de vertige, je le suppliais de me descendre, mais,

lui ne l’entendait pas ainsi, ça le faisait marrer. La plaisanterie à duré une éternité de

secondes. C’est l’arrivée du chef qui m’a libéré de cette frayeur et j’ai pris une bonne

engueulade.

L’antillais aussi. Il s’est senti tellement humilié et agressé qu’il a sorti un bâton du bar

pour que le chef le frappe avec. Insensible et blasé, le petit chef habitué, ne lui a pas

donné le change.

Les ouvriers en faisaient toujours des caisses contre le «méchant» petit chef. D’une

façon générale les ouvriers étaient restés de grands enfants dans une cour d’école

devenue atelier de l’usine.

Tout était bon prétexte pour débrayer et arrêter le taf. A la moindre engueulade les

syndiqués cols de la blouse relevés et badges rouge du syndicat prédominant, déboulaient et faisaient valoir leurs droits d’hommes prolétaires revendiquant dignité et

augmentation au petit chef qui ne les écoutait pas.

Ces mecs syndiqués qu’en j’y repense étaient vraiment masos. A défendre pour un

oui pour un non tout le monde et tout le temps, ils s’étaient eux-mêmes archi cramés.

Pour eux, aucune promo, aucune prime, rien. Pendant que les patrons se gavaient, ils

envoyaient au front des petits chefs roulant des mécaniques se bastonner avec eux...

Parfois la mésentente se transformait en gréve et occupation de l’usine. Les paies

étaient alors gelées le temps d’une négo pour récupérer quelques miettes d’avantages.

Avec ses acquis ils reprenaient ainsi le taf contents.

A l’atelier, il y avait toutes sortes de vis, d’écrous, de boulons de trucs en plastique, en

bois et le soir, à la maison, je me suis fait une série de sculptures baptisées les fruits

de l’usine. J’en ai même vendues quelques unes et il m’en reste encore 2 ou 3 je crois.

J’ai fais aussi des gouaches sur les ouvriers au travail et ils sont dans mes affaires à Die*.

J’ai toujours beaucoup de nostalgie quand je repense à l’usine de papa-Maman.

Même après leurs départs à la retraite ils nous en parlaient souvent. Entre anciens de

l’alstom ils se réunissaient une fois ou 2 par an.

- Lui, c’était un gars de l’usine, par exemple.

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Pour le gamin que j’étais, l’usine était un être vivant. Une sorte de molosse intrigant,

de métaux, de briques et de personnages atypiques. Elle était aussi un objet de respect car elle faisait vivre la famille.

Papa est parti de l’Alstom, en pré-retraite à 55 ans en 1984 et il est décédé en 2020,

soit 36 ans retraité ! Maman a quitté l’usine 1 an plus tard et Lolo a quitté ses fonctions en 2003.

L’usine de Saint-Ouen n’existe plus aujourd’hui. Elle a été démolie en 2006, il y a

maintenant à sa place le conseil régional d’île de France de Valerie Pécresse et une

grande surface de bricolage genre Leroy-Merlin, je crois, et des grandes tours Hlm

qui sont sorties de terre.

*Serge le papa de Fanychou possède une maison à Die dans le département de la Drôme

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Saint-Ouen

En 1974, L’alstom nous a attribué un appartement à Saint-Ouen.

S

aint Ouen c’est la banlieue limitrophe de Paris. Fini le 93 isolé avec ses immeubles des 4000 à perte de vue. Dorénavant, la Porte de Saint-Ouen, la Porte

de Clignancourt ainsi que Montmartre, devenaient nos terrains de jeux pour

de nouvelles aventures.

Nous n’étions pas vraiment dans le centre mais au vieux Saint Ouen face à L’île-SaintDenis. C’est un quartier historique de la ville, bombardé pendant la Seconde Guerre

Mondiale, il a été reconstruit dans les années 1960-1970 avec de nombreux logements HLM et le château.

Fini les transports en communs pour Papa-Maman, maintenant ils allaient bosser à 5

minutes à pieds de l’usine, ils réalisaient leur rêve Audonien*.

Pour Vivi et moi c’était le collège Michelet. Fallait prendre le 166 et le bahut se trouvait au pied des puces. En sixième j’ai très vite négligé les cours pour la déconne.

On avait une prof d’histoire madame Caillot, une grosse mégère dans des fringues

en jersey aux couleurs vives et des cheveux frisottants. Elle ne m’aimait pas et c’était

réciproque.

Un jour, Vivi à la recrée balançait son pied à la porte d’entrée de la cour et papotait

avec ses copines en attendant la sonnerie qui indiquait la reprise des cours. Quand

Caillot s’est pointée, avec son air suffisant, elle n’a pas fait gaffe à ma sœur, ni à son

pied qui faisait des va-et-viens. Bingo ! la rombière s’est entortillée maladroitement

dedans... Elle s’est offert un vol plané pour se vautrer et retomber les bras en croix

devant tous les élèves surpris dans un premier temps et hilares dès la deuxième

seconde... Vexée et humiliée en se relevant avec peine, elle lança un regard de haine à

Vivi en lui demandant :

- Votre nom ! ?

Vivi

- Casubolo

Madame Caillot

- Casubolo ?? et bien ça ne m’étonne pas !

J’avais un pote rigolo, un abruti fini, avec qui je faisais équipe pour faire les cons. Il

s’appelait Gérard Soult, il muait. Il avait une voix de petite fille quand il s’adressait

aux profs et une voix d’ours des cavernes quand il jouait au flip (il était super fort

* Les habitants de Saint-Ouen sont appelés les Audoniens

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d’ailleurs) Caillot ne pouvait pas s’empêcher de lui faire la morale à chaque fois en lui

disant :

- Soult ! Quand on porte le nom d’un Maréchal d’empire on se tient droit et fier !

Ah ouais l’empire ?... ça ne lui disait rien pourtant... Nous on était plutôt dans le délire «Starsky et Hutch» les deux flics justiciers au volant de leur Ford «Gran Torino»

rouge avec bandes blanches de chaque coté et qui gagnaient tout le temps à la fin.

C’était «LA» série télévisée américaine diffusée après les interminables variétés de

Jacques Martin le dimanche que personne ne loupait et surtout pas mon père.

Comme dans les épisodes de nos héros américains nous faisions des entrées fracassantes dans le cours de Madame Caillot ; à l’entrée de la classe je protégeais mon

co-équipier avec un énorme gun imaginaire à la main et mon poto Soult donnait

le signal. D’un coup on plongeait dans la classe en roulé boulé en hurlant «police

personne ne bouge ! nous sommes les Starsky et Hutch !», puis on chopait le premier

cartable venu pour le balancer par la fenêtre... En hurlant :

- Tout le monde à plat ventre c’est une descente !

S’en suivaient des rires et nous étions bien-sur viré du cours illico presto. Sauf qu’un

jour le bruit du sac qui tombait au sol n’a pas fait le même bruit que d’habitude :

«SBLAACHFF» mais plutôt un étrange petit «poc» et tous les élèves se sont précités

aux fenêtres pour voir où avait atterri le cartable... Pas de bol, car c’est sur la tronche

du surveillant général, un mec qui s’appelait Maurienne et qui visiblement n’avait pas

les mêmes goûts télévisuels que nous... Ça a été la première raison de mon renvoi de

l’école pour une semaine.

J’ai été viré une seconde fois quelques mois plus tard : grâce à mon aisance pour le

dessin et aux tracés du futur graphiste que j’allais devenir j’imitais à la perfection les

signatures des parents d’élèves et je me faisais payer pour élaborer un mot d’absence

ou une raison à la con pour ne pas aller à la gym etc... Ça a marché 2 ou 3 fois peutêtre mais très vite, les surveillants du collège se sont aperçus que les phrases étaient

souvent les mêmes ainsi que l’encre, le papier etc... Un matin, comme les autres, je

rentre dans le hall du collège quand je vois un mur qui se dresse devant moi, c’était

l’immense directeur qui m’a collé une superbe baffe qui a fait valser mes lunettes.

Je n’ai pas eu le temps de les ramasser pour qu’il m’annonce que j’étais re-viré sur le

champs et pour une semaine... Je ne me souviens plus du subterfuge employé pour

subtiliser les infos, mais mes parents ne l’ont jamais su. Ouf !

Aujourd’hui un tel acte serait inacceptable. Les parents seraient montés au créneau

en faisant un scandale, le dirlo lui aurait eu de graves emmerdes. A l’époque ça n’a

choqué personne même pas moi car je pensais qu’une grosse mandale et mon silence

éviteraient que mes parents soient informés. Ainsi j’esquivais une sévère raclée à

coups de ceinture que papa m’aurait infligée sans retenue et de toutes ses forces.

Cette anecdote illustre bien quelle a été notre adolescence : nous vivions entre amour,

méfiance et mensonge envers nos parents.

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- Amour car à la maison nous ne manquions de rien. Papa-Maman consacraient

toute leur énergie pour nous offrir des séjours au ski l’hiver, un mois de colo en

juillet en payant un peu tous les mois et en août, nous partions 1 mois en vacances !

Espagne, Tunisie ou bien en Italie, non pas chez des vieilles tantes, mais plutôt dans

des stations balnéaires inondées de soleil : loc d’un appart prés de la plage privée,

restos et nous faisions la fête tous les soirs. On revenait bronzés les valises pleines de

souvenirs, de fringues, de chaussures. Qui peut faire ça aujourd’hui pour 4 enfants et

eux-mêmes ? on ne se privait pas.

A la maison le frigo ne désemplissait jamais et nous étions toujours sapé aux derniers

cris de la mode. Pour Noël ou les anniversaires nous recevions toujours de merveilleux cadeaux et franchement en y repensant je me dis que c’était la maison du

bonheur.

- Méfiance car Papa était imprévisible et brutal. Un mal entendu pouvait déboucher

sur un reflex violent. Un jour spontanément je dis à Maman qui s’apprêtait à sortir (je

devais avoir 10 ou 11 ans) :

- Oh ! On dirait que tu es enceinte !

Papa est entré dans une furieuse colère et sans le moindre recul, encore moins de

pédagogie ni humour, à pris la ceinture pour me frapper avec rage... Une autre fois

Papa bricolait à la campagne et comme d’hab on se chamaillait avec Vivi. Perdant sa

patience car papa n’était pas le roi des bricoleurs et pour que cela cesse, il m’a asséné

un coup de marteau sur la tête... Ou encore un samedi matin aussi, papa estimant

que mon lit était mal fait l’a balancé par la fenêtre du 4 ème étage avec le matelas, les

draps, les couvertures et les coussins... Devant les regards effarés des voisins de la cité

je me suis démerdé tant bien que mal à remonter tout ça vert de honte.

Je me méfiais aussi de Maman mais pour d’autres raisons. D’abord, elle racontait

tout à Papa et ses mots, son avis, son interprétation des choses déformait souvent la

réalité des faits... Je me méfiais aussi de ses réactions autoritaires envers mes copains

et plus tard des copines que j’ai ramené à la maison ; elle pouvait sans détour raconter

n’importe quoi ou improviser une histoire qui n’a jamais eu lieu. Elle pouvait s’inventer un personnage quelle n’était pas, qui tordrait le cou ou mettrait le feu à ceux qui

se monterait contre elle... Aujourd’hui j’y repense avec nostalgie mais à l’époque j’étais

aux aguets avec prudence face à ses délires sans fondement.

- Mensonge, car comme je l’ai souvent dit dans les chapitres précédents je suis un

menteur patenté et plus sérieusement, nous devions tout le temps baratiner nos parents. Aujourd’hui je trouve ça très con et dangereux. On ne racontait jamais la vérité

sur les endroits où nous allions, ni avec qui, ni comment. Si dans le cas contraire,

nous faisions preuve de sincérité la sortie était refusée illico et c’était sans appel.

Nous devions toujours pipoter nos parents quand on ramenait une nouvelle paire

de pompes ou autre si on ne l’avait pas achetée avec eux. Nous avons vécu un enfer

lorsque les premières cigarettes sont arrivées dans nos poches comme le font tous les

ados de la terre. Papa aurait pu réellement nous faire très mal pour un paquet trouvé.

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Il contrôlait notre haleine, nos doigts, l’odeur de nos cheveux et me filait des petits

coups de pieds aux chevilles pour voir si je n’avait pas dissimulé des clopes dans mes

chaussettes...

Mes frangines pire encore elles étaient privées de tout. A ce petit jeu machiavélique

quels mensonges aurions nous inventés si nous étions devenus des ados délinquants ?

Quand Antoine a eu 17 ans, il a intégré un lycée Parisien, dans le XVII ème. Fini la

zone des cités pour de nouvelles rencontres avec des enfants de bourgeois. Il militait

toujours avec passion et conviction pour ses idées communistes et commençait à

sortir le soir. Un de ces soirs justement ou j’écoutais Never Mind the Bollocks, Here’s

the Sex Pistols, avec Sid Vicious à la gratte et Johnny Rotten qui hurlait son dégoût

de la société, j’ai dessiné au fusain sur tous les murs de notre chambre le groupe punk

provocant et enragé.

Antoine, ne connaissait rien au rock et encore moins le mouvement No futur des

punks ! Quand il est rentré dans la nuit, il s’est glissé dans son lit sans faire de bruit.

Je vous laisse imaginer sa frayeur au petit matin...

Un vrai relou ce frère, putain, en zicmu, il ne connaissait rien ! Pas même, The Clash,

The Ramones, Blondie, The Stranglers, Talking Heads, The Spécial... Non, il écoutait

plutôt Léo Ferré, Reggiani mais très peu en fait car son truc c’était la lecture.

A cette époque, il n’était pas bien avec nous, ses nouvelles fréquentations parisiennes

lui avaient ouvert les yeux sur la réalité des banlieusards Sicilo-Tuniso-Audoniens

que nous étions, parqués dans une tour à la périphérie de Paris la belle, la snob, l’intellectuelle. Je vivrais la même chose quelques années plus tard, lorsqu’à mon tour je

partirai à Paris pour suivre un enseignement artistique.

A 19 ans, après un bras de fer avec Papa, Antoine était fin prêt pour voler de ses

propres ailes et sa vie, son énergie, sa volonté lui ont offert une très belle réussite

personnelle et professionnelle.

Il pourrait aisément faire un bouquin voire deux ou trois sur ses aventures : il a été

tour à tour instituteur, prof à la fac, trader à New-York, journaliste à VSD et à Tf1, il

a écrit dans Le Monde, il a également écrit 3 livres importants dont celui qui conteste

la version officielle de la mort de Coluche, il a monté une boite de prod où il à réalisé

une vingtaine de films historiques notamment sur la Shoah et un documentaire sur

Enrico Macias qui passe et repasse régulièrement à la télé. A 50 ans il a repris le chemin des études pour devenir un grand avocat.

C’est toujours avec beaucoup d’émotion que nous partageons avec Vivi les photos

et les videos de ses passages aux infos car il est de tous les grands procès de cette

dernière décennie : Charlie Hebdo, les attentats de novembre 2015, celui de Nice qui

après l’attaque au camion avait fait 86 morts, le 14 juillet 2016, etc... Il est la grande

référence de la famille au sens large du terme et particulièrement l’immense fierté de

Papa-Maman. Quoi de plus normal ? Bravo frangino.

En attendant ses futures plaidoiries, pour nous les ados de la cité de Saint-Ouen, le

gardien de la cité nous avait filé un local à vélo inoccupé. C’était notre local. Ambiance posters de rock, rideaux trouvés par ci par là (j’en avais chourré à ma mère)

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et dans un coin y’avait même de la moquette avec 2 ou 3 poufs marocains où nous

avons fumé nos premiers 3 feuilles en écoutant Magma, Yes et Bruce Springsteen.

On voulait mettre des spots mais pas de ces spots d’éclairages de kékés de supermarchés, non, nous on voulait des gamelles comme sur les tournages de films pour faire

roots. Mon pote Masmejean* à eu une idée d’enfer :

- Si on piquait les phares d’une 2 Cv !

c’etait rock, original ça fera trop classe ! Nous nous sommes dit : Bingo !

Faut savoir que mon frère a toujours roulé en 2 Cv comme les babas-cool. Il a dû en

avoir je ne sais pas peut être 5 ou 6 spécimens, aujourd’hui encore il a fait restaurer

une relique. Elle est tellement belle que l’autre jour au cimetière où reposent Papa-Maman des mecs la prenaient en photo et 15 minutes plus tard ce sont les keufs

qui nous ont fait une haie d’honneur pour laisser passer la belle. Sauf qu’arrivée

sous le pont de la porte de Clignancourt, elle est tombée en panne dans les embout’s

légendaires du quartier... Il a eu aussi un combi wolkswagen bref, les caisses de babacool c’est naze à mon goût.

Donc, pour revenir à notre local Masmejean n’avait rien trouvé de mieux que de

piquer les phares de la 2 Cv d’Antoine, ce con ; Antoine a deviné de suite que cette

connerie était la nôtre. Pas d’éclairage roots avec les phares de sa 2 cv qu’on a du

reposer fissa sur la 2 cv du frangin furax.

Dans ce local, j’y mettais ma mob orange, mon pote Tonio son peugeot 103 avec les

poignées serrées à la mode, Thierry son Solex tout pourrav’ et Miguel le play-boy de

la bande sa Yamaha 50 cc à vitesses qui faisait rêver les minettes à la sortie du lycée.

Il n’y avait que mon poto Masmejean* qui n’avait pas de cyclo. Pour compenser ce

manque motorisé un jour il a pris les clés de la caisse de ses parents qui était au parking du sous sol pas très loin de la R16 de Papa.

Masmejean :

- Hé ! les mecs, je sais conduire ! Venez on s’arrache à Paname !

Putain ! trop cool, on est tous montés dedans prêts à faire une virée endiablée ! On

voulait même faire au moins 10 fois le tour de la place de l’étoile pour hurler notre

rage de vivre ;

- Vas-y Masmé on y va !

Il démarre, fait hurler le moteur 2 ou 3 fois, passe la première et se paie le pilier juste

en face ! la caisse était pliée en deux et nous aussi.

On voulait aussi y faire du rock qui déchire dans ce local, du bon rock alternatif qui

tape dans le cœur et qui éclate les tympans des voisins. On voulait s’appeler Baya-Cd.

Mais, bon, en dehors de mon pote Masmejean* qui avait un réel talent pour l’écriture

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* Mon pote Masmejean était complètement allumé, sa sœur «La pouilleuse» aussi, elle nous avait

demandé de garder nos cheveux coupés pour se faire des pulls ou des coussins, je ne sais plus. Un

jour, en 2008 ou 2009 Antoine m’a appris qu’il s’était pendu. C’est triste.

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et l’affiche de notre concert imaginaire avec la pochette du disque que j’avais déjà

conçu on avait rien pour réaliser notre rêve et nous n’étions pas musiciens. Dommage car à l’époque nous avions tous les atouts pour en faire : la jeunesse, la fougue et

l’amour du rock’n’roll.

Je suis né dans un spasme

Dans un grand brasier haletant

Au beau milieu d’un raz-de-marée de sang

Le ventre de ma mère a craché

Un noyau de jouissance

Et j’ai jamais perdu le goût de ça.

Antoine allait bientôt partir de la maison pour vivre sa vie et je me disais qu’il avait

de la chance.

Je me suis retrouvé seul dans la chambre. J’avais maintenant la place pour mettre

ma grande table avec la planche à dessin que m’avait offert Arlaud, mes disques, ma

chaine Hi-fi, mes 10 paires de santiags, mes premières grattes.

Une fois son indépendance actée, Il est toujours resté proche de nous, de moi.

Antoine avait le chic pour déménager d’un 5ème sans ascenseur pour un 6 ème sans

ascenseur non plus. Il a déménagé un nombre incalculable de fois et j’étais de corvée

à chaque fois !

Mais en revanche, il m’a toujours passé les clés de chez lui, quand j’en avais besoin.

Au départ, il était en couple et ensuite il a eu un bel appart avec des potes à SaintOuen, rue Madeleine, tout près du marché aux puces.

Une nuit, dans cette rue Madeleine avec mon pote Zoran (un grand mec costaud,

un Serbe) bon, ok, on était un peu défoncés, mais, en rentrant d’une soirée 2 putains

de gros chiens nous ont empêché méchamment de rentrer chez Antoine. On a fait

le contraire de ce qu’il fallait faire ; au lieu de rester calme et faire profil bas on les a

excités grave.

Zoran au lieu de courir sur le trottoir, sautait de voiture en voiture en insultant les

clebs enragés qui n’arrivaient pas à grimper ; quand au bout de la rue y’avait plus de

voiture, les clébars voulaient nous bouffer et pour ne pas finir en steak haché, je l’ai

rejoins sur le toit d’une camionnette rouge (je m’en souviendrais toute ma vie) et on

a sauté encore et encore pour qu’ils se cassent, à la fin, lassés les clebs sont partis.

Soulagés, essoufflés et morts de rires nous ne sommes redescendus qu’après un long

moment de cette pauvre camionnette rouge, le pavillon défoncé, les portes toutes

griffées...

En 1984 je partais au Club med, Vivi quittait à son tour l’appart de Saint-Ouen pour

fonder une famille avec mon beauf Antoine Lubrano un pied noir marseillais ; ils

s’étaient rencontrés lors d’un mariage d’une cousine alors qu’ils avaient pas plus de

dix ans. Quelques années plus tard ils se sont retrouvés et depuis 38 ans ils coulent

des jours heureux ensembles.

Seuls dans ce grand logement Papa-Maman ont quitté le vieux Saint-Ouen pour un

appart plus petit rue Dieumegard puis ils sont devenus Parisiens.

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Banlieue, empêche-les de vieillir

Leur jeunesse se tire, banlieue

Hé banlieue, ta grisaille ne m’inspire

Que l’envie de partir, banlieue

Banlieue, on te laisse tomber

Ils ont droit d’exister eux aussi

Banlieue...

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Nono et la boxe Putain ! Nono est mort !... Le jour de mon premier combat de boxe ! J’ai boxé,

j’ai gagné aux points et lorsque je suis arrivé à la maison, il n’y avait que mon

oncle Benoît qui m’attendait, 2 ans après le décès de Mémé, Nono mourrait à

son tour en janvier 76.

Comme je disais un peu plus haut, Nono, n’avait plus envie de vivre.

Une nuit de Janvier, il s’est mis en maillot de corps et en caleçon long puis il s’est

assis sur un banc, dehors, dans la cour de l’hôpital où il séjournait depuis quelques

semaines. Une congestion cérébrale, autrement dit, un AVC l’a emporté.

C’est triste, je l’aimais mon Nono.

C’était en 1976, et nous avions quitté la Courneuve 2 ans plus tôt.

Au vieux Saint-Ouen à la cité Soubise, nous habitions dans une tour de 16 étages et

nous étions au 4ème. Nos voisins du troisième étaient des amis d’enfance de Papa de

-

puis Tunis, Monsieur et Madame Micaleff et leurs enfants. Les deux familles se sont

retrouvés dans cette tour de béton complètement par hasard.

Monsieur Micaleff était entraineur de boxe. Il avait la boxe dans le cœur, le soir après

le boulot il se rendait à la salle et tous les week-ends il partait avec ses boxeurs pour

les manager aux 4 coins de la France. Jusqu’à la fin il se rendait régulièrement à la

salle de boxe du Red Star Audonien, située sur l’île des Vannes à Saint-Ouen.

L’entraîneur mythique s’est éteint à l’âge de 93 ans. Né à Tunis en 1929, il est arrivé en

1957 à Paris comme mes parents. Il n’a jamais boxé mais il était déjà dans le milieu de

la boxe à Tunis où il avait rencontré un manager d’origine espagnole, José Jover.

Faut savoir qu’à Paris, dans les années 70, il y avait plein de petites salle de boxe, 3

d’entre-elles se distinguaient :

La salle de monsieur Jean Bretonnel où s’entraînait Jean-Claude Bouttier.

En 71, le populaire Bouttier s’emparait du titre européen des moyens, mais il échoua

deux fois au titre mondial face au génial Argentin Carlos Monzon un de mes boxeurs

préférés.

La salle de monsieur Rodriguez où s’entraînait Max Cohen qui a boxé au Madison

Square Garden de New York. Il a affronté Tony Mundine, Emile Griffith, Fabio

Bettini, Gratien Tonna etc… Il a également fait un championnat du monde contre

Rodrigo Valdes un de mes boxeurs préférés aussi...

Et enfin, la salle de monsieur José Jover et de Gaëtan Micafeff qui était sûrement l’un

des meilleurs sinon le meilleur professeur de boxe en France à cette époque. Il entraî

-

nait (en plus de moi !) Daniel Londas champion du monde des poids super-plumes,

Pierre-Frank Winterstein dit «le Gitan», Daniel Guichard s’est inspiré de sa vie pour

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écrire la chanson Le Gitan, Lucien Rodriguez, Champion d’Europe poids lourds qui

a affronté Larry Holmes (le vainqueur de Muhammad Ali) pour le titre de champion

du monde des poids lourds. Enfin, il a entraîné Dominique Nato qui, à cette époque,

détenait le titre national, puis il a été entraîneur de l’équipe de France Olympique

puis directeur technique national de la fédération française de boxe.

Lors des championnats du monde Bouttier / Monzon et Tonna / Valdes, ces boxeurs

terminaient leurs entraînements à Paris et donc dans notre salle de Saint Ouen !

C’était l’effervescence d’avant combat et la salle était remplie de photographes et de

journalistes, nous étions les gamins de la salle, nous les apprentis boxeurs passionnés

et nous vivions un rêve.

Monzon ! Valdes ! nous serraient la main, acceptaient se s’échauffer avec nous et acceptaient des selfies avant même que le terme existe... Que de merveilleux souvenirs.

Petit, à la Courneuve, quand il y avait un combat de boxe à la télé, Papa nous disait

toujours :

- Tu vois, lui dans le coin, c’est un copain de Tunis.

Whaaaaa ! depuis toujours je suis un passionné de boxe, le noble art. Gamin, je me

dessinais, victorieux, boxant avec style et même devenant champion du monde !

Nous ne sommes pas une famille qui pratique des activités sportives, mais, moi, j’ai

toujours adoré ce sport*! Quand papa à retrouvé son ami, l’occasion était trop belle,

et, dés septembre je me suis inscrit à la salle du Red Star Olympique Audonien.

Bon, sans chercher d’excuses je n’étais pas fait pour ça. J’ai toujours été une bille en

gym**et à la salle je ne savais pas sauter à la corde.

J’ai toujours eu du mal à m’exprimer avec mon corps, nul au foot (gamin, c’est humiliant) et un très mauvais danseur, ado je me sentais ridicule sur la piste de danse,

dans les boums puis en boite. Je suis maladroit, c’est comme ça.

Même pour jouer de la guitare je fourni un effort surhumain pour avoir le tout petit

niveau que j’ai.

C’est injuste pour un passionné de boxe et pour un passionné de rock’n’roll comme moi.

Le bon dieu à dit : ok pour le dessin mais tu seras une bille à la gratte et sur le ring...

Il est comme ça Dio, il décide, on doit faire avec...

J’ai quand même fréquenté assidûment la salle de boxe de 12 à 15 ans.

* Je n’aime pas spécialement le sport, je déteste le foot et le Business lié aux affaires

financières dans le but de générer le maximum de profits. Ceci dit, le sportif le mieux

payé au monde c’est le boxeur Floyd «money» Mayweather. Aujourd’hui encore, je passe

des nuits à regarder des combats de boxe et de MMA (Le Mixed Martial Arts) un sport

de combat qui autorise les coups de pieds, de poings, de genoux et de coudes, c’est très

violent.

**Nous n’étions pas, mécaniquement, conçus pour faire des activités physiques dans la

famille. Le plus sportif d’entre nous c’était Antoine qui a fait du judo et de l’Athlétisme.

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Mes copains boxeurs avaient des surnoms révélateurs ; mon pote Azedine (qui a fait

une belle carrière amateur) frappait si fort et si précisément que Monsieur Micaleff

l’avait surnommé «Moustique», un autre c’était «Patrick boum boum Dekunte» et

moi.... La fleur ! pas très effrayant pour un boxeur mais je me suis accroché et J’ai fait

quand même 3 combats. J’en ai gagné 2.

Faut quand même que je vous raconte mon tout premier combat malgré la mauvaise

coïncidence du décès de Nono. Apres plusieurs mois d’entraînement j’allais enfin

boxer pour la première fois en combat officiel.

J’étais complètement flippé depuis une semaine. J’allais à la salle m’entrainer* tous les

soirs pour être fin prêt le samedi S.

Le samedi suivant, le grand jour de la réunion de boxe, l’assistant de monsieur

Micaleff , Stanislas un mec très sympa qui s’occupait des jeunes, nous attendait au

gymnase de la porte Pouchet, dans le XVII ème à 13h30 où nous avions rendez-vous.

Moustique, Patrick boum boum Dekunte, son père et moi-même étions évidement

à l’heure. Direction les vestiaires où tous les boxeurs qui allaient s’affronter étaient

répartis en 2 salles.

Nous ne savions pas qui, physiquement, était notre adversaire il y avait juste son nom

en face du notre sur une liste scotché sur la porte du vestiaire. Normalement c’est à la

pesée que nous découvrions notre adversaire. Mais pas cette fois...

Dans le vestiaire j’étais assis parmi les autres, concentré et un peu inquiet, je me déshabillais tranquillement. Tout d’un coup un mec surgit, visiblement avec l’envie d’en

découdre, dans notre vestiaire :

Le mec :

- Quasimodo c’est qui ?

Putain fallait que ça tombe sur moi...

Moi :

- C’est moi.

Le mec me pointant du doigt :

- Toi, je vais niquer ta race.

Le ciel me tombe sur la tête, mes potes et tous les autres, me regardaient, sachant pas

trop si je voulais relever le défi ou si j’allais me dégonfler comme une mauviette.

Quoi ? moi, soupe au lait, il va niquer ma race ? lui ? Bin, moi je ne crois pas.

Les combats ont commencés et je suis passé vers le 10 ème affrontement. Chaud,

motivé par mes potes et Stanis, je suis entré dans l’arène.

* L’entraînement c’était de l’échauffement pour préparer correctement le corps. Puis

on mettait les gants pendant 4 rounds de 3 minutes, on s’appliquait à bien donner des

coups, à bien les esquiver et à adopter les bonnes positions de garde et de déplacements

nous écoutions les leçons de Monsieur Micallef.

Puis nous faisions 3 rounds de sacs de frappe. À la fin sur des tapis de sol on se relaxait

en faisant des exercices de souplesse.

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(bon ok, en réalité terrorisé, je suis allé faire au moins 20 fois pipi avant... chut... ça reste

entre nous).

Je monte sur le ring, coin rouge. On choisi nos gants et Stanis me les enfiles.

Le speaker, nous présente, donne notre poids, puis l’arbitre nous rassemble au centre

du ring afin de nous rappeler qu’il ne faut pas frapper en dessous de la ceinture,

derrière la tête et enfin souhaite que le meilleur gagne. Puis il nous demande qu’on se

touche les gants pour nous saluer.

Le mec :

- Je vais te tuer.

Moi :

- Dans tes rêves, baltringue.

Nous retournons dans nos coins, je me signe, Gong ! première reprise.

Il s’avance vers moi, me balance une gauche que j’esquive pour lui rétorquer une belle

droite, putain, il en crache son protège dents ! Le mec furax et vexé voulait se venger

mais j’avais pris la confiance et j’ai gagné aisément aux points.

J’ai gagné une autre fois à l’Insep et j’ai perdu mon troisième combat.

Ce n’était qu’une simple défaite et j’étais très jeune, mais je l’ai vécu comme une humiliation car mon oncle Benoît avec ma tata et mes 2 cousins étaient venus me voir

boxer. Et j’ai pris une belle raclée... Et je n’y suis plus jamais retourné, fini la boxe.

La boxe, m’a aidé toute ma vie, particulièrement, lorsque je présentais un projet

que je devais défendre face à une assemblée critique, mais aussi à chaque fois que je

devais conclure une affaire. Je me remettais toujours dans l’esprit, dans mon corps

de boxeur, la tête baissée, la garde haute, pour surmonter ma timidité pour brancher

une meuf ou pour envoyer mon poing dans la gueule à un connard.

Le ring, c’est un endroit dont on ne peut pas s’échapper. Soit vous subissez, soit vous

résistez, soit vous attaquez. J’ai beaucoup subi dans ma vie et le fait de ne pas pouvoir

m’échapper, cela m’a permis de faire face à ce qui me faisait mal.

En 1998, je vivais à Limoges, le copain d’un copain était un boxeur qui ne voulait

plus s’entraîner avec ses coéquipiers, je ne sais pas pourquoi.

Il avait pourtant les clés de la salle et je me suis remis à boxer avec lui 2 fois par

semaine.

C’était bien.

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Sicilia,

Sicilia bedda, Sicilia mia, Ti pensu sempri cu nustalgia

E qualchi jornu, Sicilia mia,Vengnu ‘nti tia ppi nun partiri cchiù...

Belle Sicile, ma Sicile, je pense toujours à toi avec nostalgie

Et un jour, ma Sicile, je reviendrais et ne partirais plus

*

Bon, vous l’avez compris, je suis très fier d’être d’origine sicilienne. Nous

sommes le 11 juillet 2022 et je dois remanier tout le chapitre sur la Sicile

que j’avais rédigé cet hiver. Et oui. Nous y étions avec Fanychou et Sophie il

y a tout juste un mois et le ressenti d’un homme de 60 ans n’est forcément

plus le même que celui du jeune homme de 17 ans que j’étais autrefois...

J’ai donc connu la Sicile à 17 ans. Evidemment un choc indescriptible.

Au marché par exemple, j’avais l’impression que le simple passant était un oncle, que

la marchande de shampoing une cousine et tout le monde parlait comme chez nous

à la maison.

Aujourd’hui je me rends compte que j’avais un peu idéalisé tout ça. Cet été j’ai trouvé

les siciliens distants, froids et des marchés nous en avons pas vus. Les restos sont très

chers et les serveuses pas sympas. Pire encore sur le ferry le personnel sicilien était

nonchalant et autoritaire.

Sur les routes de Sicile il n’y a qu’une seule règle : doubler son prochain. La priorité

à droite ? non ils ne connaissent pas. Les passages à niveau ? rien à foutre tant que la

barrière n’est pas baissée. Les routes sont jonchées de décharges sauvages. Vos pou

-

belles ? démerdez vous y’a pas de containers dans les rues. Chacun trouve un plan B

voire un plan C ou D pour refourguer ses ordures bref, c’est le bordel. Je suis déçu.

Ça faisait 8 ans que je bassinais Fanychou pour lui faire découvrir mes racines au

cœur de cette belle Sicile et nous avions toujours en tète le sympathique accueil des

Romains lors de notre voyage en 2015.

C’est dommage parce que c’est super beau. En Sicile, c’est curieux, le sentiment d’être

sur une terre chargée d’histoire nous envahit immédiatement. C’est la terre de mes

aïeux et mon histoire est au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Orient.

Les cathédrales sont sublimes, à l’intérieur les reliques sont écrites en latin et en

arabe Vous pouvez longer le bord de mer et trouver au bout d’une plage paradisiaque

un temple grec sauf que 3 virages plus loin y’a encore une décharge sauvage.

Le symbole de la Sicile, c’est la gorgone à trois jambes la «Trinacria», qui représente

* Chanson traditionnelle du folklore sicilien, chantée par Roberto Alagna.

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les trois pointes de l’île. A l’ouest : Trapani-Marsala, au nord : Messine et au sud :

Syracuse.

Sophie et Fanychou m’ont offert une super belle Trinacria pour la fête des pères.

Je suis allé en Sicile la première fois en aout 79 avec mes parents et ma sœur Vivi

juste après le mariage de mon autre sœur Éléonore. Je connaissais les cousines siciliennes de papa : Nardina et Marie. Elles étaient venues à Paris plusieurs fois pour

voir leurs parents que j’aimais beaucoup et qui étaient installés à Paris. Nardina et

Marie avaient quitté Tunis en 1957 pour Trapani. Elles s’y étaient mariés avec des

Siciliens et avaient plein d’enfants. La première fois donc nous y sommes allés en

voiture. Gnazio, mon parrain et le frère de Nardina et Marie nous avait dit :

- Quand vous arrivez au Rilievo, la première grande maison blanche sur la gauche

et bien, c’est la maison de Nardina.

Nous avons traversé le village du Rilievo, mais, nous n’avons pas vu de grande maison blanche...

Nous avons fait demi-tour et nous avons demandé à un passant de nous renseigner.

Le passant (scotché !) :

- Mais, la maison blanche on ne voit qu’elle au Rilievo*, elle est là devant vous !

Oh, putain... Je vous jure que c’est vrai, on croyait que c’était l’hôpital !

La maison de Nardina c’était et c’est toujours une grande maison blanche avec des arcades style hacienda Mexicaine. A l’intérieur la rampe de l’escalier était en Fer forgé,

les marches et les sols en marbre, les plafonds super hauts avec des lustres gigantesques, il y avait 2 ou 3 salles de bains et de chaque coté les terrasses de 3 mètres de

large faisaient tout le long de la bâtisse. Sur le terrain juste derrière, il y avait la vigne

qui nous donnait du raisin gorgé de soleil et de sucre. On en a pris plein les yeux,

plein les papilles... On avait l’impression d’être au ranch Southfork, la demeure de Jr

dans la serie «Dallas».

Bon, faut bien le reconnaitre, c’était un brin prétentieux...

Surtout que le mari de Nardina était le maire communiste du village. Je me souviens

qu’une fois à table il nous ventait l’Urss comme un endroit où il faisait si bon vivre...

Les Siciliens, enfin, ceux que j’ai connus (je ne peux pas prétendre que c’est une

généralité) avaient des salles à manger sublimes avec des meubles vitrines qui nous

faisaient découvrir une superbe vaisselle, des vases magnifiques puis dans le prolongement, des salons avec des fauteuils en cuir disposés avec vue sur le couché de soleil.

Mais ce n’était que pour le plaisir des yeux. En réalité cette pièce c’était toujours

fermée sauf pour les grandes occaz. Ils vivaient au rez de chaussée dans une simple

cuisine-salle à manger-salon qui était leur pièce à vivre au quotidien. Ils y prenaient

tous leurs repas et regardaient la télé entassés dedans.

* Rilievo est un village à 10 km de Trapani, où vivaient Nardina et sa famille.

Nous y sommes allés en avion de Paris à Palerme puis Papa a loué une caisse pour le mois (elle

était immatriculée Roma)

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Nous avons passé les 3 semaines au Rilievo avec les cousins. Le mois d’août c’est le

mois de la vierge, nous sommes allés à la procession de nuit, c’est aussi le mois où

tous les villages organisent à tour de rôle une grande fête avec scène, orchestre et

stands de cacahuètes. Et nous les avons toutes faites. C’était comme les vacances que

nous passions à Marseille. Nous allions à la plage en famille mais nous ne faisions

pas d’excursion et personne ne cherchait à connaitre notre histoire d’avant Tunis. Au

Rilievo, les cousins de papa étaient appelés «les français». Ils n’avaient pas cherché à

connaitre notre passé commun même si ils étaient revenus vivre sur la terre de leurs

parents. Nous ne connaissions pas de cousins siciliens*pur jus, tous avaient vu le jour

à Tunis.

Pourtant Nono, nous parlait toujours de «Faouniana», qui était en fait, l’île de Favignana. Une île à moins de 7 kilomètres de la côte, entre Trapani et Marsala. Dans

l’Antiquité, cette île était nommée Aegusa en latin qui signifie « l’île des chèvres ».

Les arabes l’appelait Djazirat’ar Rahib. Aujourd’hui on la surnomme l’île papillon, en

raison de sa forme. Son nom actuel de Favignana dérive de Favonio, un vent chaud

venant de l’ouest.

Dans ses ruelles, on se ballade à pied ou en vélo, pas besoin de voiture pour aller sur

les plages paradisiaques. Au resto pas de pâtes mais de la semoule ! la spécialité locale

c’est le couscous au poisson.

A l’époque Wikipedia n’existait pas et nous n’avions aucune info. En 79 nous y

sommes allés avec les tata, tonton et cousins pour passer la journée, juste en mémoire de Nono. Il n’y avait pas de ferry comme aujourd’hui qui fait la traversée en

20 minutes mais un bateau qui tanguait et nous avons tous été malade pendant la

traversée. Débarqués à Favignana, nous avons pique-niqué dans le square face au

port et nous avons repris le bateau 2 heures après en direction de Trapani sans même

avoir visité le village qui est juste derrière ! Voila c’est tout.

Notre premier voyage en Sicile aurait du devenir un simple souvenir de vacances

comme 15 jours à la Baule, par exemple...

C’est encore une fois grâce à mon frère, que nous sommes sortis de cette ignorance.

Comme un cadeau que l’on ouvre avec impatience, nous avons découvert notre histoire comme une récompense historique super bien emballée :

Un jour Antoine me dit :

- Vas sur internet et tape Casubolo Favignana... Bingo ! Ça dit :

Il existe en Sicile une lignée dont l’extinction est inéluctable.

Elle est composée d’hommes, chaque année moins nombreux, ils goûtent le goût du

vent, scrutent le ciel et interprètent les messages filiformes des nuages, hument le

souffle de la mer.

Ils ne se sont jamais demandé, ni eux, ni les hommes qu’ils commandaient avec un

pouvoir absolu et qui leur obéissaient toujours, la raison de cet enchaînement de

* Depuis, Antoine à acheté un appartement à Marsala dans la maison historique des Casubolo !

Maintenant nous avons des cousins, des cousines comme Antonella qui ont toujours vécu en Sicile.

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gestes infinis et de quelques paroles qui se répétaient à l’identique chaque année depuis

des centaines d’années, peut-être des millénaires :

Source, mer, filets, poissons, thon, tonnara*.

Toujours égal à eux-même et chaque fois imperceptiblement différents, dans cet écart

se cachait la différence entre eux, les chefs, et tous les autres.

C’étaient les Raïs.

Michèle Casubolo (mon arrière, arrière grand père) est le plus célèbre d’entre-eux,

il s’est illustré dans les Mattanza**de 1848, 1853 et 1865, et a tué 31 000 thons.

Putain ! voila ! ça c’est bien.

On pouvait lire qu’il y avait dans le musée de Favignana (l’ancienne tonnara) 3

plaques commémoratives qui racontaient les exploits de mes aïeux. Photos à l’appui.

Cerise sur le gâteau, il y avait aussi la photo de Michèle Casubolo.

La même tronche que moi ! sauf qu’il n’a pas mes lunettes, ni mes yeux, un nez pointu et qu’il a des cheveux, une grosse moustache et l’air intelligent...

Bref, Nono avait donc raison nous avions maintenant une histoire Sicilienne.

Un autre truc sur les Casubolo (je ne sais pas si c’est vrai, mais je le ressors à chaque

fois) : Quand on me demande d’où vient mon nom de famille, je raconte que mes

ancêtres étaient des tailleurs couturiers qui façonnaient les soutanes pour les curés,

avec de la Chasuble.

Chasuble en Latin se dit Casula.... Nous, Casubolo et voila ! mais mon frère qui a le

chic pour sortir sa science et casser les rêves m’a dévoilé sa «vérité» sur notre nom.

Casubolo serait simplement le tablier qu’employaient les ouvriers dans les usines du

thon... mouais...

Je suis retourné à Favignana en août 2006.

Au petit matin à Trapani, avec Papa-Maman, nous cherchions une place de parking

afin d’y laisser notre voiture de location pour la journée.

Tous les parking officiels étaient complets. Au hasard d’une rue, on se retrouve sur

une petite place remplie de voitures... Aucune place. Bon je commence la manœuvre

pour faire demi-tour quand un des 3 types qui bavardaient dans un coin de la place

nous fait signe de patienter. Il monte dans une voiture, recule et nous offre sa place.

* L’usine Tonnara de Favignana est un musée au bord de l’eau accueillant des expos sur l’histoire

locale. Autrefois c’etait une usine de thon qu’ils conservaient. A l’époque, la Tonnara di Favignana

était l’une des usines à poissons les plus modernes de toute la Méditerranée, à tel point qu’elle a

été parmi les premières à utiliser boîtes de conserve verrouillables pour la commercialisation du

poisson.

**La Mattanza est un rituel de pêche millénaire. Cette pratique, aujourd’hui est presque éteinte, il

y avait de forts contenus historiques, sociaux et culturels et pas seulement économiques.

Le piège qu’elle représentait, c’était en fait la lutte primitive de l’homme pour sa survie.

Le dur labeur des hommes qui, au rythme des chants, se déplaçaient à l’unisson à la force des bras

pour gagner le combat contre le thon.

Ce n’est pas seulement un rituel, presque liturgique, accompagné de prières et de remerciements aux

Saints.

Dio est toujours dans le coup je vous dis...

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Comme ça. Etonné, je me gare, Papa-Maman le remercient et lui demandent combien on lui devait.

Le mec :

- Niente signori è con piacere non preoccupatevi

rien messieurs, dame c’est avec plaisir ne vous en préoccupez pas

Ah bon ? Nous avons laissé la caisse sur cette place.

Pour prendre nos affaires les mecs ont très bien vus que nous étions des tourlots. Le

coffre était rempli de nos valises et souvenirs. Franchement, on était sûr de se la faire

dépouiller. On avait pas trop le choix car le ferry nous attendait pour... Favignana !!!

On embarque, Fini la gerbe sur le petit bateau qui tangue et place aux ferrys qui d’un

trait traversent la mer.

Papa-Maman connaissait déjà l’île car avec Antoine et Ugo, ils y avaient séjourné 1

ou 2 semaines l’année précédente.

On arrive, on visite le village. Malheureusement, le musée était fermé pour des travaux d’embellissements. Pas de bol.

Putain, non, je voulais voir mes plaques ! me prendre en photo avec et frimer à Paris...

Nous avons mangé le couscous au poisson dans un resto sur la plage, avec vue sur le

musée. Je guettais l’entrée au cas ou... sur un mal entendu, un mec pourrait entrer ou

en sortir, Jo-le-contact était aux aguets...

Je remarque qu’il y avait 2 ouvriers sur un échafaudage qui repeignaient un pan de

mur. Je vais les voir.

- Ciao, vorrei entrare, è possibile ?

Salut, je voudrais entrer, c’est possible ?

Les ouvriers :

- E, no, mi dispiace, il museo non aprirà fino a maggio 2007

Et, non, désolé, le musée n’ouvrira qu’en mai 2007

Moi :

- Si ma parto stasera, non so se tornerò un giorno...

Oui mais moi je repars ce soir, je ne sais pas si je reviendrais un jour...

Les ouvriers (amusés):

- Sì, è stupido... Ma perché vuoi assolutamente entrare nel museo ?

Bin, oui, c’est con... Mais pourquoi tu veux entrer absolument dans le musée ?

Moi :

- Mi chiamo Casubolo

Bin, je m’appelle Casubolo

Les ouvriers (trop sympas, le premier regarde son pote, puis se retourne vers moi):

- Ah si, miguia... torna tra mezz’ora, faremo del nostro meglio per farti entrare.

Ah ouais, putain... Bon reviens dans une demie heure, on va se démerder pour te

faire rentrer.

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Une demie heure après, ils avaient convaincus leur responsable et je suis rentré dans

le musée qui était en chantier. Exceptionnellement. A l’aide de leur chariot-élévateur

j’ai pu être pris en photos devant les 3 anciennes plaques accrochées, elles sont gravées avec le texte suivant : Al 1859 Anno Ultimo. Gabella Florio. La Tonnara Favigana Pescò 10159 Tonni. Raìs M. Casubolo... Je n’ai rien vu du reste.

En fin d’après midi nous sommes retournés au port pour prendre le Ferry dans l’autre

sens. Il y avait un groupe de pêcheurs et 4 d’entre-eux jouaient à la scopa* avec les

cartes siciliennes** Jo-le contact ne pouvait pas laisser cette opportunité sans brancher les pêcheurs.

Moi***

- Anch’io gioco con le sue carte alla scopa

moi aussi je sais jouer à la scopa avec ces cartes

Un des pêcheurs intrigué

- Vuoi giocare ?

tu veux jouer ?

Moi

- Sarebbe stato un piacere ma arriva il ferry e devo partire... mi chiamo Casubolo

Ça aurait été avec plaisir mais le ferry arrive et je dois partir... Je m’appelle Casubolo

Les pêcheurs, avec un tout autre regard

- Ah si ? hai un nome famoso a favignana e parli siciliano, ma da dove vieni con

quell’accento ?

Ah oui ? tu as un nom d’ici et tu parles sicilien, mais d’où viens-tu avec cet accent ?

Moi

- Da Parigi

Les pêcheurs étonnés mais fatalistes

- Minguia ! ragazzi di Favignana a Parigi vi rendete conto ? Siamo da ogni parte !

Putain, des mecs de Favignana à Paris vous vous rendez compte ? On est partout !

Le Ferry est arrivé, nous nous sommes embrassés ; moi, les pêcheurs, Papa, Maman aussi, c’est très émouvant de se rappeler ses souvenirs enfouis, depuis, dans ma mémoire.

De retour à Trapani, la voiture «entière» nous attendait. Tout était là, nous pouvions

* La scopa (en français : le balai) est un jeu de cartes sicilien.

C’est l’un des jeux de cartes les plus connus en Sicile au même titre que la briscola.

On y joue habituellement à 2, ou à deux équipes de 2.

Le jeu était déjà pratiqué dans toutes les régions de l’Italie au XVIIIe siècle ; Merci Wikipedia

** Les cartes siciliennes sont avec des épées (spade en italien) qui ressemblent à des sabres, les

bâtons (bastoni) ressemblent à des massues. Les deniers (denari) représentent l’or et les coupes

(coppe) sont principalement des gobelets.

***Nous sommes une curiosité en Sicile, parce qu’on ne parle pas l’italien mais bien le sicilien de

nos grands Parents avec l’accent Parisien !

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reprendre le véhicule en direction de Rilievo où la famille nous attendait pour dîner.

La grande maison avait perdu de son faste depuis la mort du tonton-maire-communiste. Il était parti en laissant de vilaines dettes et la maison n’était plus entretenue.

C’était triste. Depuis ils ont vendu et c‘est devenu un hôtel...

Nous racontions à nos cousins le fil de notre journée Favignanaise et l’anecdote du

parking. Un cousin, pas étonné du tout, Gerolamo est gardien de prison à Palerme. Il

nous a expliqué que Trapani est une ville où beaucoup de mafieux y résident et pour

vivre tranquilles ils ne veulent pas de vague pas de problème avec les tourlots...

Il y a 1 mois, j’y suis retourné avec Fanychou et Sophie, en voiture. Nous avons pris le

Ferry à Gênes et après 19h00 de traversée nous étions enfin arrivés à Palerme. Quelle

jolie ville ! le palais Normand est un pur joyau, les églises sont une plus belle que

l’autre. 2 jours plus tard nous arrivâmes chez Antoine à Marsala et nous primes nos

billets pour Favignana. Aujourd’hui Favignana ressemble à Saint-Tropez. Ça grouille

de touristes et c’est très cher.

Le musée était ouvert au public, mais nous étions les seuls à visiter la Tonara. En

revanche les boutiques de souvenirs et les bars à tourlots du village étaient bondés.

L’histoire Sicilienne du coté de Maman est différente, ils sont originaires de Géla*,

une ville de la province de Caltanissetta, située sur la côte méridionale de la Sicile.

La famille de Maman s’appelle Ferrera (en espagnol Ferreira). Nous sommes certainement des juifs convertis au christianisme et chassés d’Espagne pour arriver en

Sicile au 15 ème siècle.

Nous y sommes allés en 1979 rencontrer ses cousines siciliennes qui n’avaient jamais

quitté Géla et qui ne connaissaient maman qu’en photo. Étrangement, l’une d’elle

lui ressemblait beaucoup. Elle s’appelait Choutsa. Sans nous connaitre Choutsa et sa

famille nous ont super bien reçus.

Cependant, un événement nous a marqué ; lorsque la cousine, nous à fait découvrir

la ville, superbe, avec ses places, ses églises, y’en avait une plus récente que les autres.

Sa construction devait avoir au maximum 100 ans.

En passant devant, au lieu de se faire le signe de croix, elle a craché et proféré des

insultes sur le parvis, puis quand son fils qui devait avoir 9 ou 10 ans, nous a rejoint il

a également craché sur l’église comme sa mère !! Mais pourquoi ?

Parce que la légende que ma Mémé ( la mère de Maman) nous racontait quand nous

étions petits, disait qu’il y avait une fille dans la famille qui était servante chez un

notable. Ils avaient eu un enfant caché ensemble, que le reste de la famille qualifiait

de «bâtard». L’enfant et sa mère étaient montrés du doigt et mal aimés. Sauf, que ce

bâtard était intelligent et a fait de brillantes études. Il a fini sa carrière ministre à

Rome où il a fait fortune. Mémé nous disait qu’il s’appelait :

* Gela était une colonie grecque plusieurs fois détruite, elle fut refondée par Frédéric II en 1230

sous le nom de Terranova qu’elle conserva jusqu’en 1927.

La ville agricole s’est transformée dans les années 1960 autour de l’industrie pétrochimique et a

vu se développer la puissance de la mafia.

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Toto Ardisio.

Elle poursuivait l’histoire, en nous racontant qu’à sa mort, il n’avait rien légué à sa famille si cruelle avec lui et sa mère, mais, l’ensemble de sa fortune fut donnée intégralement au Vatican (13 milliards de lire !!), mais à une seule condition que le Vatican

avait respectée : qu’une église soit construite prés de sa maison natale et que sa mère

et lui-même soient enterrés dedans.

C’était donc par dépit que la famille, depuis, passait et repassait devant en insultant le

lieu qui retenait la fortune qu’ils auraient pu se partager....

Mais quelle belle histoire !

Hier, j’en ai reparlé avec mon frère qui (une fois de plus) a simplement fracassé mon

beau conte. Selon mon frère et Wikipedia la réalité est tout autre et beaucoup moins

intéressante, enfin à mon goût...

Le vrai Salvatore Aldisio (et non Ardisio) est né à Terranova di Sicilia (Gela depuis

1927), le 29 décembre 1890. Issu d’une famille aisée, il était le parrain de Sergio

Mattarella, l’actuel président de la République italienne. Il a été ministre, il décédera

en 1964.

Gela, sa ville natale, lui a dédié une section de la rue principale de la cité et une

statue en bronze le représente sur la place de la mairie. Voila, c’est plié. On ferme. Au

suivant.

Mais, l’église, les crachats et les insultes de mes cousins pourquoi le faisaient-ils ?

Pourquoi Mémé nous racontait cette histoire romancée ? Pourquoi Choutsa nous l’a

confirmée ? D’où la tenaient-elle ?

Quel est le rapport et notre lien de parenté avec ce Salvatore Aldisio ?

L’avant dernière fois que je suis allé en Sicile avec papa c’était en février 2014.

Nous avons laissé Maman à Paris et nous sommes retournés 1 semaine lorsqu’Antoine a acheté son appart à Marsala. C’est un merveilleux souvenir, je nous revois

déambuler, Papa et ses 2 garçons dans les rues de Trapani et de Marsala.

Papa et maman ont eu la chance d’y retourner une dernière fois durant l’été 2015

chez et avec Antoine.

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Les puces-1, Aquatorze ans, mon pote Guy m’a présenté monsieur Azoulay qui recher

-

chait des vendeurs pour ses deux magasins de fourrures et peaux aux

Puces de Clignancourt. Les Puces de Clignancourt*, La Mecque des

baratineurs.

Le jour de l’embauche Monsieur Azoulay trônait au centre du magasin, ses vendeurs

autour de lui. J’arrive avec mon pote Guy qui s’efface rapidement pour me laisser seul

dans la fosse aux lions.

Monsieur Azoulay :

- Que veux tu ? (en me jaugeant de la tête aux pieds) tu veux de l’argent tout de

suite ? En mettant la main dans sa poche. Les vendeurs restaient stoïques mais en

réalité je me rendais bien compte qu’ils étaient mort de rire intérieurement.

Moi hyper impressionné :

- Ben, non....non non, pas du tout

Monsieur Azoulay :

- Mouais.... Puis avec un regard intrusif il me dit :

- T’as niqué ? niqué ? t’as déjà niqué ?

Moi liquéfié :

-Bin, heu je ne ... bof, oui....

Monsieur Azoulay :

Le visage radieux, satisfait de jouer au chat qui a chopé une petite souris innocente.

- T’as quel age ?

Moi :

- Bin, quatorze ans.

Monsieur Azoulay :

Qui éclate de rire avec ses vendeurs

** Le marché aux puces de Saint-Ouen c’est un quartier et un ensemble de marchés en bordure de

Paris. C’était mon jardin, c’est le premier marché d’art et d’antiquités du monde.

J’y ai appris à aimer les tableaux, les bibelots, les meubles, les antiquités.

Papa lui était un amateur de vide-grenier et des poubelles comme Antoine du moins à l’époque.

C’est aussi le lieu de pèlerinage pour tous les fans de Django Reinhardt et du jazz manouche, ça

joue tous les week-ends. A chaque fois que j’ai fait découvrir les puces à un pote ou à un cousin ou

cousine sicilienne, j’ai réservé une table à la Chope des puces.

Les guitaristes de tout age se succèdent et une fois un mec qui n’avait pas plus de 18 ans avec son

violon, s’est intégré aux guitaristes pour jouer comme Stéphane Grappelli, Minor swing, Nuages

(pour les connaisseurs).

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- Quatorze ans ? et bin moi je suis sûr que tu te la branles.

J’ai tellement rétréci de honte que j’aurais pu me cacher dans une boite d’allumettes...

Monsieur Azoulay :

- Bon tu peux venir travailler samedi ?

Moi :

- Oui, mais pas avant 13 heures car je vais au beaux-arts municipaux de la ville de

St Ouen.

Monsieur Azoulay enchanté :

- Tu sais faire les étiquettes ?

J’acquiesce de la tête.

Monsieur Azoulay :

- Ok viens samedi à 13h00 et reviens dimanche à 8h00 et lundi soir après l’école.

Salomon va s’occuper de toi.

Je n’avais pas de fixe juste 20 balles de comm quand j’arrivais à faire rentrer des passants* dans le magasin et si ça aboutissait sur une vente.

Pris en main par Salomon (un tueur de la vente) il faisait mouche pratiquement à

chaque fois.

Ensuite je devais ranger tout le magasin, Salomon, posait des pièces de fourrures

partout.

Il était drôle, c’était le sosie de Zanini (un chanteur des années 70) à chaque vente il

embrassait la mezouza (petit étui que les juifs placent à l’entrée du magasin).

Salomon :

- Sur ma vie, j’ai encore vendu, vas-y range le magasin, c’est le bordel !

- Tu ne vois pas ou quoi ?

J’avais quatorze ans et je gagnais entre 600 et 800 francs tous les week-end**.

Même si je filais 300 balles à mes parents, il m’en restait suffisamment pour m’acheter

des fournitures de dessin chez Lavrut passage Choiseul, des disques 33 tours et de

belles fringues pas chères vu que je connaissais tout le monde aux puces.

A la même époque, toujours avec mon pote Masmejean, on avait remarqué que les

keufs en vélo posaient leurs gants blancs sur la selle lorsqu’ils rentraient au commissariat. On s’était mis en tête de les tirer et ça nous faisait marrer.

Je sais, on est un peu con à l’adolescence.

* Cette technique de vente s’appelle l’accroche.

J’’étais en première ligne et je passais la journée à apostropher les gens qui se baladaient tranquillement aux puces. Aucune règle de politesse demandée, aucune retenue pour intervenir dans

la conversation privée des gens, du moment qu’ils rentraient dans le magasin. C’est la meilleure

école de vente du monde.

** Les puces c’est samedi, dimanche et lundi

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Ça a marché la première fois mais la deuxième, ils nous attendaient en embuscade...

Nous avons réussi à prendre la fuite, sans se retourner et à fond la caisse, jusqu’au

cimetière ou reposent aujourd’hui Papa et Maman.

Du commissariat au cimetière, il y a 2 bons kilomètres. A mon avis, ils nous ont coursés 200 m, avant de se dire qu’ils ne nous reverraient pas de sitôt.

Je portais des santiags bordeaux*et Masmejean était en sabots ! Lorsque nous avons

été sûr que cette poursuite était finie, nous nous sommes allongés sur un rond point de

verdure du cimetière pour reprendre nos esprits et notre souffle. Mes pieds n’étaient plus

que cloques et ceux de Masmejean étaient en sang. Les sabots pour échapper aux keufs

ce n’est pas vraiment adapté. Bref, 2 ou 3 semaines plus tard j’étais au magasin, je faisais

l’accroche pour Salomon. Un couple d’amoureux déambulait tranquillement.

Moi :

- Hey, dady cool tu le fais ce cadeau à ta fiancée ?

Le couple s’arrête, le mec se retourne, c’était un des flics qui nous avait coursé 2 semaines

plus tôt.

Le keuf :

- Dis-donc toi, on ne se connait pas ?

Moi avec un nœud dans la gorge car je l’avais reconnu :

- Heu, bin, heu... non je ne crois pas.

Le flic avait regonflé sa poitrine, sa meuf avait des étoiles dans les yeux, elle était

fiancée à Belmondo.

- Alors, tu sais quoi ?

Tu vas me filer une jolie fourrure pour ma belle à un prix fracassé, compris ?

Ils sont repartis avec une veste en Dog de Chine** payée au prix coutant. En sortant,

le keuf m’a collé 2 petites tapes sur la joue, comme Belmondo.

Le soir, j’ai tout raconté à Monsieur Azoulay qui a rit jusqu’aux larmes.

Pour ma part, je ne voulais pas affronter le même supplice qu’Éléonore avait subi

quelques années plus tôt.

J’ai bossé aux puces 4 ans.

A cette époque j’ai rencontré 2 de mes potes : Marco de Las Vegas et Serge Souffir.

Marco de Las Vegas (il ne voulait pas qu’on l’appelle autrement) bossait la semaine

dans une petite imprimerie. Très vite notre association a fait de bonnes affaires :

Je créais, des cartes de visite, des sacs plastiques avec mes logos pour beaucoup de

* J’ai toujours porté des santiags, j’en possédais une vingtaine de paires toutes magnifiques et

entretenues avec grand soin. Aujourd’hui il me reste 5 paires.

**Le Dog de chine, le Loup de Corée nos produits phares ! je ne sais pas en réalité ce que c’était.

Nous vendions aussi les manteaux en lapin, en Renard,Visons, mais aussi des manteaux en

peaux retournées, et en cuir à volonté.

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puciers, Marco les imprimait sous le manteau pendant ses heures de pause, on faisait

moite-moite. Fallait payer d’avance et en cash.

Marco de Las Vegas, quel phénomène... Qu’est ce qu’on a pu rire...

C’était un petit mec rondouillard, il s’était fait la même coupe que le chanteur des

Bee-Gees : bien courts devant avec la raie au milieu et la nuque longue. Nous avions

le même âge, il était vendeur, comme moi, mais lui c’était des godasses dans la boutique à coté de la mienne.

Parfois il s’avançait vers moi d’un air méprisant. Il me toisait d’un air conquérant puis

au bout d’1 minute il daignait m’adresser la parole pour me demander :

- Tu sais combien j’ai sur moi ?

Pas le temps de répondre qu’il enchaînait :

- Mes tiags 700 balles, mon futal 300... etc.

Après avoir donné la valeur de toutes les fringues qu’il portait, il sortait une énorme

liasse de billets de sa poche, qu’il jetait sur la table.

Trop fort ce Marco*. Elle était toujours sur lui cette liasse. En réalité elle était composée de devises étrangères qui ne valait pas grand chose, mais qui avait son petit effet

avec les meufs.

C’était surtout un vendeur naturel, il savait enrober les clients et il faisait de la vente

plaisir car il adorait vraiment ça. Il vendait pratiquement à chaque fois, j’ai beaucoup

appris avec lui.

On avait un pote, Nordine, il vendait des jean’s, parfois, il déboulait dans l’allée et

nous disait :

- On kenn staprem, vous voulez en croquer ?

Nous :

- Non ça va pour nous, merci.

Il avait une technique de drague imparable : Une cliente entrait dans sa boutique et

lui demandait un 38, Nordine lui refilait un 36 sans le lui dire. La meuf n’osait pas lui

demander un 40 puisqu’elle croyait qu’elle avait grossi et ne pouvait plus rentrer dans

un 38 qui était en réalité un 36, vous me suivez ? Alors Nordine utilisait tout son savoir-faire dans la cabine d’essayage pour que la cliente puisse entrer dans son 38...

On voulait monter un jour une boutique ensemble mais la vie nous a séparés avant.

Dommage. Marco m’a invité à son mariage mais j étais G.O*. au ClubMed en

Afrique, je n’ai pas pu y aller.

Serge Souffir avait 10 ans de plus que moi.

* Marco a ensuite monté une dizaine de boutiques de chaussures à Paris et aujourd’hui il vit

en Israël. Nous nous sommes croisés une fois, en 2010 je crois, dans le sentier (où j’ai beaucoup

travaillé à concevoir et a imprimer des catalogues pour des marques comme Kokaï, Naf-Naf,

Biscotte, C17, Angelnina entre autres) ce fut un grand moment de joie et d’émotion.

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Il tenait un stand de jean’s en face d’Eddy shop le magasin de monsieur Azoulay.

A 27 ans, il avait déjà deux boutiques de fringues à la mode qui se nommaient «Barrabas», une à la mairie d’Aubervilliers et une autre rue des Lombards aux halles.

Il avait aussi créé sa propre marque de blousons aviateurs : 17ème Parallèle.

Avec son associé, il avait un atelier de fabrication de blousons en cuir rue de la Fontaine au Roi dans le XI ème.

En plus de son père, qui était coupeur, il employait une quinzaine de personnes.

Pourtant, le week-end il tenait son petit stand aux puces.

Il me voyait le lundi soir arriver chez Eddy Shop avec mon carton à dessin sous le

bras pour faire les dernières ventes et ranger le magasin pour la fermeture de 4 jours.

J’avais 17 ans, Il a cru en moi, mais, il était très exigeant ;

Il m’a d’abord demandé de faire 2 enseignes pour son stand, il voulait en fond le

décor des paquets de cigarettes philip Morris et avec la même typo j’ai peint : Serge

Jean’s.

Puis il m’a commandé des étiquettes en tissus, on y voyait un bombardier Soviétique

au décollage, sur la piste en perspective on pouvait lire : 17ème Parallèle.

Elles étaient cousues ensuite à l’intérieur de tous les blousons en cuir vieilli qui sortaient de son atelier du XIème.

Ensuite il m’a commandé ma première annonce presse : une illustration en pointillé à

la manière de Georges Seurat : qui représentait une expédition de 6 hommes, habillés

très chaudement et très à la mode, dans la neige.

Il y avait écrit en haut avec typo numérique : Cuir & Peaux, latitude Nord. Et en bas :

17ème Parallèle, Paris, Milan, New-York**.

Enfin, il m’a confié ma première création d’identité visuelle avec campagne d’affichage.

J’ai eu l’idée de prendre un mannequin, musclé mais pas trop, cadré en plan américain*** en noir et blanc. Le personnage prenait sa douche de 3/4 avec de la mousse

tout en gardant son cuir, le slogan c’était «mon cuir, ma vie».

En plus du casting, j’ai trouvé un bon photographe, loué un studio de shooting avec

cyclo, éclairages et tout le toutim, place des Victoires dans le 1er arrondissement.

Je n’ai eu que de bons retours et plein d’encouragements. Merci Serge.

Un jour, on lui a volé sa recette de 3 jours !

On papotait, quand un mec, arrivé de nulle part est passé derrière la bâche et s’est

enfui avec la caisse. 1 heure plus tard, les flics l’avait serré. Le mec et la caisse de Serge

étaient au commissariat rue de Clignancourt. Avec ma mob orange on est allé la

chercher.

* GO comme gentil organisateur au Club Med comme déco. Ça arrive un peu de patience !

** Je ne suis pas sûr que Serge expédiait ses blousons (même si ils étaient franchement classe) à

Milan et à New-York

*** Le plan américain est une manière de cadrer un personnage à mi-cuisse, au cinéma comme en

photographie.

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Quel rigolade ! on aurait dit Patrick Timsit dans «Bouli mon ami». Il en a fait des

tonnes chez les poulets en déboulant en trombe ;

Serge :

- Les flics mes amis ! Mes amis les flics !

Comment vous m’avez régalé vous, les flics mes amis !

Vous m’avez sauvé la vie ! depuis le vol de ma recette, je ne vis plus c’est comme ça !

La pauvre, la pauvre, la pauvre ma caisse, la pauvre ma recette, la pauvre ma caisse

On me l’a volé au stand, elle s’est envolée, comme ça, depuis je ne vis plus, la pauvre

ma recette de 3 jours la pauvre...

Mais vous, les flics mes amis ! Mes amis les flics, vous z’avez sauvé ma caisse !

Vous m’avez régalé etc...

Les flics étaient au spectacle. A la fin, il a filé un billet à chaque keuf.

... Et nous ? Grosse virée au Palace** où nous attendait Marco de Las vegas !

Jusqu’au petit matin, pliés de rires, on délirait : Comment vous m’avez régalé vous, les

flics mes amis ! vous z’avez sauvé ma caisse !

Serge souhaitait m’embaucher comme créa pour 17ème Parallèle.

J’étais étudiant aux beaux arts et je me voyais déjà comme le nouveau Salvador Dali.

Je ne voulais pas être employé dans une entreprise, c’était trop tôt. J’ai décliné l’offre,

j’ai continué à vendre mes créas en free-lance*. Nous sommes restés amis.

Lorsque je vivais aux Antilles, un jour, je suis tombé nez à nez avec Serge et sa nouvelle épouse. Il ne lui restait que quelques jours de vacances que nous avons passés

ensemble au bord de la piscine du Méridien à siroter des cocktails.

J’ai bossé aux puces comme vendeur de 13 à 18 ans puis comme déco après le ClubMed j’en reparle dans le chapitre 23 «les puces 2». Je ne manque pas d’y retourner à

chaque fois que je monte à Paris et Fanychou adore y aller.

* Le terme « free-lance » est un anglicisme qui renvoie au travailleur indépendant, c’est très courant dans les métiers des arts-graphiques.

** La discothèque parisienne incontournable dans les années 80, Le Palace a longtemps été un

aimant à créatifs aux looks colorés, noctambules invétérés et Funk à volonté y’avait Prince, the

Whispers, Pointer Sister, Imagination, Kool and the gang, Shalamar, Daryl Hall - John Oates et

Earth Wind and Fire

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Pierre Bellemarre

,

Non, pas le célèbre animateur de la télé, qui à l’époque nous prenait la tête

tous les soirs avec une émission de variétés (le top des émissions pour

papa) où trois invités devaient découvrir le secret d’un téléspectateur

à l’aide de questions. L’émission s’appelait : «Vous pouvez compter sur

nous». Non, Bellemarre c’était mon frère.

Oui, c’était le surnom que Vivi et moi avions donné à Antoine.

Comme je l’ai déjà écrit, en 1980 nous sommes allés en Grèce tous les 3, enfin tous les 5.

Comme dans l’émission, nous étions les 3 invités qui devaient découvrir le secret

d’un couple.

Comme Pierre Bellemarre dans l’émission «Vous pouvez compter sur nous» Antoine

à l’aide de questions nous a très vite fait comprendre que ce couple était en crise de

rupture et Antoine n’a pas osé leur dire de nous lâcher les baskets... Et nous l’avons

écouté parce que nous écoutions notre grand frère. C’était comme ça.

Ce couple en désaccord avait réservé le voyage en Grèce lorsqu’ils étaient encore

amoureux, ce n’était plus le cas, arrivés à Athènes. Ils s’étaient séparés depuis et se

détestaient. Cependant, ils avaient décidé de partir quand même parce qu’ils avaient

avancés des thunes. Les remboursements en cas d’annulation n’existaient pas à cette

époque. Ils s’étaient dit :

- On trouvera bien 3 pigeons qui colmaterons notre désamour le temps des vacances.

... Et ces 3 pigeons c’était Vivi, Antoine et moi...

Ils étaient de Bayonne. On était de bonne compagnie.

Ils se sont accrochés à nous lourdement dès notre arrivée à l’aéroport pour ne pas

rester tous les 2 seuls. Ils ne nous ont plus quittés jusqu’au départ du même aéroport

4 semaines plus tard. Après ce séjour chez les Hellènes je n’ai plus jamais entendu

d’eux.

D’où le surnom de l’autre relou «Pierre Bellemarre» qui lui va si bien car il m’arrive

encore de l’appeler comme ça, lorsqu’il parle, parle et parle tout le temps pendant des

plombes à des inconnus et que je suis pressé par exemple et pas que...

A la maison nous avions beaucoup d’imagination pour trouver des surnoms désopi

-

lants, il pouvaient être niais ou cucu souvent gratuits et souvent sans aucune raison

ni d’explication. Certains sont pourtant toujours utilisés 50 ans plus tard. Papa était

super fort pour attribuer des surnoms qui faisaient mouche et sans se forcer en plus.

En revanche, il détestait qu’on se foute de lui et pouvait devenir violent. Je crois qu’un

jour Antoine a reçu une raclée suite à un film avec Fernandel qui s’appelait «Emile

l’Africain». Il trouvait que papa lui ressemblait avec son short colonial et l’avait sur

-

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nommé ainsi..

Sinon la première sur la liste à sobriquets c’était maman parce que papa la trouvait snob.

Elle a eu droit à «madama scrikki», «madama Ouaissa» quand elle dépensait trop de

sous puis «madama di stu katso» si elle n’était pas d’accord avec lui.

Il avait aussi des formules bien à lui aussi quand, par exemple, Papa trouvait qu’on

frimait ou si on faisait les prétentieux il disait :

Ma chi ti credi di essere? non hai mezzo cazzo in più degli altri

Mais pour qui tu te prends ? tu n’as pas la moitié d’une bite en plus que les autres...

Il surnommait Antoine «U’grosso» (le gros) et plus tard «Le docteur est revenu»

parce que le téléphone ne sonnait que pour lui le soir quand nous étions tous à table.

On surnommait aussi nos copains, nos copines et plus tard nos conjoints bref, tout le

monde était rebaptisé.

Une fois Dominique Fina un des plus anciens poto d’Antoine un mec très timide et

reservé appelle un soir à la maison. Driiing !! Ça sonne, je décroche et d’une voix

presque chuchotée, hésitante et maladroite me demande s’il pouvait à parler à mon

frère. L’envie de me foutre se sa tronche et de celle mon frangin m’est venue naturellement :

- Ok, Dominique je tle’ passe de suite

Je pose le combiné du téléphone qui était à l’entrée de l’appart. Fallait ensuite faire les

4 ou 5 mètres qui le séparait de la cuisine sur la droite. J’ai bien mis 3 mn pour les parcourir au lieu des 3 secondes habituelles... Au bout d’une minute les voix s’élevèrent :

- Coco ? T’es ou ? Mais il a disparu ou quoi ?? COCOOOO !! ?

Non, je ne m’étais pas évaporé. Mais j’étais trop occupé à danser la samba en remuant la tète frénétiquement. Mes jambes battaient un rythme saccadé à faire pâlir

l’autre clown de bubu*... D’un coup cet appel m’avait mis en transe en modifiant ma

conscience hors de l’état de veille.

- Coco ! arrête de faire l’imbécile c’était qui au tel ?

Me demandèrent les autres en chœur. Moi feignant de ne pas les entendre je continuais à danser :

- Oh-o oh Bongo ! bongo ! cha cha cha, cha-cha-cha, bongo ! cha-cha-cha...

Antoine, c’est ton poto l’enervé des maracas qui veut te parler !

Nous étions tous pliés de rires et depuis ce jour et encore aujourd’hui avons toujours

appelé Dominique : cha-cha-cha.

Papa avait surnommé Antoine «L’americano» aussi, mais je ne sais plus pourquoi,

peut-être est-ce après le voyage de Papa-Maman à New-York chez Antoine et Sandy

(sa fiancée américaine)? Antoine y est resté 2 ou 3 ans là bas je crois.

Enfin, je l’ai surnommé (Désolé) parce qu’il est toujours en retard et s’excuse toujours

en arrivant par un «désolé, fallait commencer» !.

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Nous avions tous des surnoms, ma sœur Lolo, maman l’avait surnommée Delaporte,

comme le célèbre catcheur belliqueux qui passait le vendredi soir à la téloche dans les

années 60. Car comme lui lolo était tricheuse, baratineuse et toujours de mauvaise

foi. Maman ne la croyait jamais et ses bobards étaient plus gros qu’elle.

Mais le surnom qui lui collait à la peau, comme une tenue faite sur mesure, c’était (et

c’est encore) la grosse. Elle n’était pas grosse d’ailleurs et avait même un petit appétit.

Lolo était juste «enrobée» comme toutes les filles de chez nous. Mais pour Lolo, la

grosse ça lui va trop bien. La grosse c’est plus qu’une apparence c’est un concept.

C’est la grosse qui faisait des régimes incessants et insipides toute la semaine. Toute

heureuse, elle nous demandait notre avis sur sa transformation en «taille de mannequin» chaque vendredi soir lorsqu’on se retrouvait chez papa-maman pour manger

le poisson. Lolo se postait devant nous, les mains sur la taille et nous apostrophait en

tournant sur elle même :

-Alors les nazes... vous avez vu ?

Nous :

- Quoi ? ta changé de coiffure ?

La grosse :

- Mais, non ! z’avez dla merde dans les yeux ou quoi ? Mon régime !!! j’ai perdu 4 kg !

Maman:

- Allez les enfants faites «zamma» (comme si c’était vrai)

Nous:

- Ah ouais houla !.. Ouais, la grosse, maintenant que tu le dis, ah ouais !

T’as vachement maigri !

Fait voir ? tourne toi encore ? c’est impressionnant !!

T’as même maigri des dents ! ... mais pas trop des roploplos, hein ?

La grosse conquérante n’écoutant que sa satisfaction se retournait alors vers l’affreux

Burduche cravaté de mauvais goût. Il en avait rien à foutre du régime de ma sœur

d’ailleurs. Lolo insistait pour qu’il lève son regard vitreux pour le poser sur sa taille

de guêpe mais il ne répondait pas. L’affreux Burduche est bien le seul à qui on n’a

jamais attribué de surnom. Sa tronche et son nom de famille ridicule suffisait largement pour la moquerie.

Lolo :

- Bubu ! alors tu vois ! J’chte l’avais bien dit ! mes frères et ma sœur sont jaloux.

J’ai maigri et ils sont verts de jalousie parce que ma robe me va super bien !

Puis, en nous regardant à nouveau, elle poursuivait en tournant encore sur elle-même :

- Alors ? chui belle ? Vous avez les boules, hein ? bande de petits cons !

Lolo était toujours gaie et pas rancunière pour 2 ronds et pourtant on la chambrait

tout le temps. On se marrait bien avec lolo. Elle en faisait des caisses pour qu’on se

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foute d’elle et pour faire marrer tout le monde... Je suis si triste d’être fâché avec elle et

elle me manque beaucoup.

Petits, avec vivi nous avions un surnom en commun : les «Mutaguérés» parce que

nous étions des complices inséparables. Je me souviens le dimanche avec les invités

affamés, attablés et bruyants nous jouions sous la table. On se poussait à tour de rôle

pour que la tête de l’autre tète tombe entre les cuises de l’autre sorcière de mémé. On

se payait des fous rires silencieux pour ne pas se faire chopper et prendre des coups

de ceinture.

Il nous arrivait parfois qu’on s’engueulait et des baffes s’échangeaient mais lorsque 5

minutes plus tard nous rejouions ensemble, Papa et Maman disaient :

- bene, tutto va bene, la Francia e l’Italia sono di nuovo in pace

Bon, tout va bien, la France et l’Italie sont de nouveau en paix

A l’adolescence nous avons surnommé vivi la «Couka» car elle travaillait bien à l’école

et ne cherchait pas les embrouilles. Elle essayait même d’apaiser les différents des

uns et des autres pour avoir la paix. Faut dire que nous l’employions toujours comme

juge, avocate ou faire valoir. Elle nous donnait son énergie, sa patience et son temps.

Économe, elle avait toujours des économies qu’on essayait de lui piquer quand on

trouvait la cachette mais comme elle était fourbe elle les dissimulait super bien...

Le week-end, elle vendait aussi des chaussures chez «Debout» comme Lolo à la

Villette. Bonne vendeuse et très sérieuse elle était très appréciée par ses collègues, ses

patrons. La Couka.

Adulte, intransigeante et rigide avec elle-même et si résistante face aux difficultés de

la vie qu’elle a rencontrées comme les problèmes de santé de ses enfants, Maman l’a

surnommée comme madame Thatcher : «la Dame de Fer».

Une fois, Vivi enceinte de 7 ou 8 mois de Stéphane, son aîné, je l’ai accompagné chez

le médecin pour son échographie ou un autre truc je ne sais plus. Toujours est-il que

sur le chemin du retour, genre à la sortie des bureaux lorsque que Paris est bien gavé

de véhicules et que tout le monde est sur les nerfs, transpire et ne souhaite qu’une

seule chose : étrangler l’automobiliste d’à coté... Nous étions aussi dans les embouteillages, dégoulinants et prêt a doubler tous les cafards du volant qui n’avançaient pas.

Notre petite Ford Fiesta bleue se frayait un chemin comme elle pouvait.

A l’intersection du boulevard de Strasbourg et du boulevard Magenta, juste devant

l’église Saint-Laurent à la gare de l’Est, il y avait aussi un fourgon rempli de flics bien

énervés... Bingo ! Au nez et à la barbe des poulets j’ai grillé le feu rouge.

L’un d’eux a sifflé sa race en nous faisant signe de nous arrêter. Putain, j’aurais tellement aimé qu’il l’avale et qu’il s’étouffe avec son sifflet dans d’atroces souffrances.

Mais non, bravo coco.

Moi :

- Putain ! on est grillés...Vivi, toi, fais comme si tu accouchais.

Le keuf arrive comme Arnold Schwarzenegger dans Terminator à la gare de l’Est :

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- Alors le comique, on grille le feu à 17h00 à Magenta ? z’êtes drôle vous ! papiers etc...

Moi :

- Désolé, monsieur l’agent, je n’avais pas trop le choix car je crois bien que c’est le

moment : elle va accoucher... Regardez ! (en pointant du doigt ma frangine)

Vivi (très mauvaise comédienne) devant Le keuf dubitatif et pas dupe. Sa tronche

était entrée dans l’habitacle pour mater le bide de Vivi...

- Ahh Ahh ...

Moi voyant que le keuf n’était pas plus inquiet que ça, j’insiste :

- Mais, enfin, vous voyez bien qu’elle est enceinte ?

Le Keuf en regardant vivi en faire des montagnes très maladroitement :

- Bin oui, je vois bien qu’elle est enceinte ! ce n’est pas de l’aérophagie... Mouais...

- Bon ok, allez partez mais vous passez à l’arrière !

Mais quelle truffe cette vivi ! Au lieu de camper dans son personnage sur le point

d’accoucher sur la sur la chaussée, elle s’exécute en deux temps et trois mouvements

: d’un bond elle sort, baisse le siège de la Fiesta et passe à l’arrière tel un cabri... Le

keuf a bien vu que je l’avais baratiné et que l’autre naze de Vivi n’aurait visiblement

jamais le Molière de la comédie... mais il nous a laissé repartir. Au feu suivant, elle est

repassée devant.

J’ai eu aussi mot lot de surnoms à la maison, Maman m’a toujours appelé affectueusement Couroutso (petit cœur en sicilien) et papa U’piccolo (le petit). Mon frère

m’appelait Sarouel. Sarouel c’est un pantalon en arabe avec l’entrejambe très basse,

mais pour moi ça voulait dire :

Pauv’ abruti de petit frère avec ta sale gueule aux cheveux crépus et tes lorgnons de la

sécu, t’es vraiment trop con...

Faut dire que je pétais bien les couilles à tout le monde surtout au petit matin. J’étais

et je suis encore ultra matinal. Je me réveillais quand tout le monde dormait encore.

J’attachais mes coussins sur le battant en bois de mon lit avec des ceintures et le

chapeau de cow-boy vissé sur la tète je chevauchais mon cheval couinant, grinçant et

galopant dans les grandes plaines du far-west juste en face du lit de mon frère qui me

maudissait. Il me virait. Mais ce n’était pas grave car je partais ensuite à la recherche

des indiens dans la chambre de mes sœurs qui hurlaient à leur tour et réveillaient

la cavalerie... La grosse cavalerie constituée de Papa et maman qui voulait me faire

taire. Pourtant je devais sauver mon ranch en courant autour de la table, armé de 2

revolvers intraitables et qui ne craignaient aucun duel.

Antoine avait et a toujours la bonne répartie pour me faire passer pour un gros bouffon (il aimait bien m’appeler comme ça d’ailleurs : le bouffon et papa lui prononçait

bouffan) et ils ne s’en privaient pas. Surtout quand la smala était là, Pierre Bellemarre

en faisait des caisses.

Je n’étais pas son souffre douleur, mais plutôt son coloc qui l’énervait parce que tout

le monde énerve Antoine... C’est bien connu. Du coup jusqu’à (au moins 15 ans)

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j’étais persuadé d’être un sombre idiot incurable... Les aventures de Sarouel faisait

pleurer de rire tout le monde sauf moi. Antoine jouait avec les mots et avait toujours

la bonne formule pour vexer son frère ou ses sœurs. Encore aujourd’hui autant il

peut être un amour d’écoute, de gentillesse attachante. Autant, en revanche, il peut se

révéler indifférent et irascible au point d’être détesté.

A l’adolescence et je crois bien jusqu’à la fin Papa me surnommait Millordo, car je

porte depuis l’age de 14 ans des belles pompes, cirées et brossées. Burduche dira plus

tard :

- Ce mec, coco, il n’a pas une thune mais il porte toujours des belles godasses !

Au quotidien, Papa matait toujours et machinalement les chaussures que je portais

en partant le matin et en rentrant le soir car elle pouvaient ne plus être les mêmes :

- Millordo, je ne les connais pas ces chaussures ? quando paghasté ?

(Combien t’as payé ?)

Moi :

- Celles-ci ? Mais papa ! y’a longtemps que je les ai. Elles sont belles, hein ?

Papa :

Vuoi mi predere in giro ? non ti scurdare che ho fatto i tuoi occhi!

C’est moi que tu veux rouler ? n’oublies pas que je t’ai fais les yeux !

Il poursuivait :

- Je vois bien qu’elles sont neuves ces chaussures ; J’ai vu la boite dans la chambre,

ce sont des scarpe di lusso (chaussures de luxe) Il y a, avec, des peaux de chamois

pour les ranger et rien qu’avec les formes en bois et le chausse-pied en cuir assorti,

je pourrais m’en acheter 3 paires chez madame Krief. Dimmi, quando paghasté ?

(Dis-moi combien t’as payé ?)

Moi :

- 2800 francs (430 €uros) Papa, ce sont des Césare Paciotti je les ai achetées avenue

Montaigne en face du palace Athénée Plaza.

Elles sont cousues à la main dans les ateliers du bottier Milanais. Elle tuent hein ?

Papa blême :

- Di Milano ? Madonna !!!! Cougetti vienni ! viiieeennns ! ton fils est fou. Millordo !

Guarda cosa ha fatto tuo figlio (Regarde ce qu’a fait ton fils) !

Maman ne contredisait pas Papa, elle connaissait parfaitement la valeur de l’argent et

elle avait trimé dur, même très dur pour en gagner. Mais elle était aussi dingue que

moi pour les beaux souliers... Je voyais dans ses yeux le bonheur de me voir chausser

ainsi pour aller bosser dans ses costumes impeccables.

Papa enragé :

- Mais moi, si je m’achetais des scarpes à 430 €uros, elles seraient dans la vitrine du

salon ! Je ne pourrais pas marcher avec. Mes pieds refuseraient d’avancer !!

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Adolescent, en revanche, ce n’était pas aussi folklo et sympa. Lorsque gamin je me

suis offert ma première paire de Santiags, (des Mexicana grises, magnifiques) je faisais super attention pour que Papa ne me voit pas avec, je devais entrer furtivement à

la maison puis dans notre chambre qui était juste en face de l’entrée. Je planquais les

bottes sous le lit car il m’avait averti :

- Millordo ! Si je te chope un jour avec ces bottes aux talons en forme de poires,

je prends une pince et je te les arrache, fais-le et tu verras...

Et un jour il m’a chopé avec... Sans scrupule, il les a éclatées avec la pince et même le

cordonnier n’a pas pu les réparer. Pas très cool... Papa.

Une fois j’ai donné une paire de tiags à mon frère, on avait l’impression qu’il basculait

vers l’arrière, Il est parti avec et je le revois prendre l’ascenseur on avait l’impression

qu’il marchait sur des œufs qu’il chaloupait. Arrivé chez lui il les a enlevées et ne les a

plus jamais remises...

Les surnoms à la maison c’était un

signe d’affection, certains surnommés comme dans le film «le prénom» Guillaume de Tonquédec ne

savait pas que tout le monde

l’appelait «la prune».

Mon parrain de communion

Jacques (que j’adorais) n’a jamais

su qu’on le surnommait Paillolo et

mon beau-frère Antoinou n’a

jamais su qu’on le surnommait

Fringuilli, ça ne voulait rien dire,

c’était juste drôle.

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Casubolo, avant vous étiez super nul...

ais maintenant vous n’êtes plus que nul.

Les épreuves de tous les élèves de la section Art graphique,

étaient pourtant toutes scotchées anonymement au tableau, mais

mon prof de graphisme au Centre d’Art Appliqués de Design et

d’Architecture, le Caadia, Monsieur Ramage reconnaissait ma

feuille parmi toutes les autres. Comme si sa longue baguette qu’il

tenait était aimantée pour aller directement sur mon dessin...

Il faisait rire toute la classe et me disait :

- Casubolo ! Vous avez mangé en même temps ou quoi ?

J’avais pourtant tenté de m’appliquer toute la soirée : sur de la carte à gratter blanche

on traçait des lettres avec des compas et des tire-lignes remplis d’encre ou de

gouache, puis fallait les remplir à l’encre d’un aplat uniforme et impeccable. Il m’a fait

souffrir ce Monsieur Ramage.

En cours de typographie, Il nous faisait tracer des phrases entières en caractères fleu

-

ris tels que Antiqua ou Hermann Zapf, avec des lettrines dorées comme le faisaient

les moines au Moyen Age, enfin on s’y exerçait... Un supplice.

Mais quel enseignement ! Merci, monsieur Ramage et merci Adobe Illustrator (car

je n’ai plus besoin d’exécuter les lettrines à la main) Sachez que grâce à vous, j’ai

toujours admiré la belle ouvrage, les belles impressions. Grâce au savoir que vous

m’avez transmis, je travaille aujourd’hui dans LA plus ancienne imprimerie de France

fondée en 1802 sous l’empire de Napoléon. Nous travaillons uniquement pour les

professions ministérielles et l’industrie du luxe. Et ma valeur ajoutée ? l’amour de la

typographie que vous m’avez enseigné et qui me passionne. J’en abuse allègrement

pour mes clients amateurs d’or à chaud, de gaufrage et de reliures cousues main.

En 2004, lors d’une expo de dessins de Delacroix au Louvre, Bingo ! je suis tombé

nez à nez avec Monsieur Ramage. J’étais en costume 3 pièces, cravate, tiré à 4 épingles

avec à mon bras une jolie meuf tout aussi apprêtée qui m’accompagnait en soutenant

langoureusement mon regard de braise. Nous sortions d’un grand resto pour un ren

-

dez-vous professionnel et profitions du génie d’Eugène. 24 ans plus tard et quelques

cheveux en moins Ramage m’a reconnu. Ses yeux m’ont jeté un regard ascenseur de la

tête aux pieds qui voulait dire « t’es bien sapé mon gars» ! Il reluquait surtout la meuf

tout en me parlant :

- Casubolo ! Je vois que tout va bien pour vous...

Et bien, voyez-vous à l’époque, j’en étais sur !

Cette école de prépa, gratuite, se situait rue Froment à l’angle de la rue Breguet dans

le XI ème. Ils formaient des futurs maquettistes pour travailler ensuite dans les pho

-

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togravures, les imprimeries ou les studios de graphisme.

Ils enseignaient uniquement le graphisme à des élèves qui avaient réussi le concours

d’entrée : Au programme : dessin à vue, descriptive, l’histoire de l’art, en vue de

décrocher le Bac technique de dessinateur en maquettes publicitaires ou réussir les

concours d’entrée dans les grandes écoles d’Art : Boule, Estienne, les Gobelins, Dupéré, Olivier de Serres, les Arts Déco et les Beaux-Arts.

J’ai préparé le concours d’entrée de cette école de dessin avec Arlaud mon prof aux

beaux-arts municipaux de Saint-Ouen. Avec les exercices demandés aux concours

des années précédentes, j’ai bossé et je l’ai réussi. Je réalisais ainsi mon rêve.

Ça a été la chance de ma vie professionnelle d’intégrer cette école. Merci à tous ces

profs qui ont eu la patience de me transformer de banlieusard crayonnant en graphiste patenté.

Ma vie a changé tout simplement. J’étais tous les jours dans le quartier de la Bastille

ou dans le Marais et ma cour de recré c’était la place des Vosges. Mes nouveaux amis

étaient des passionnés de dessin comme moi.

En arrivant au Caadia, nous les élèves étions «les cadors» en dessin, l’année précédente, dans nos lycées d’enseignement général respectifs. Et tout d’un coup, nous

redevenions tous débutants, candides, incompétents, mauvais et moi très mauvais.

Depuis ma tour de béton à Saint-Ouen, je ne connaissais absolument rien à l’enseignement d’Art plastique, ni à l’enseignement tout court d’ailleurs. Mes voisins de

classe, eux, arrivaient des beaux quartiers Parisiens, leurs parents étaient des cadres

et ils connaissaient déjà le cursus artistique. Ils se préparaient depuis quelques temps

déjà pour réussir les concours d’entrée des grandes écoles. Ils m’ont vu arriver dans

leur monde en me regardant comme si j’étais un zonard. J’arrivais en mob, les tiags

impeccables et le sourire qui voulait dire « C’est bien là ! je sens qu’on va bien se marrer ensemble ». J’ai sympathisé avec mes premiers amis parisiens en même temps que

les peintres de la Renaissance : Michel Ange, Raphaël, Léonard De Vinci, Le Titien,

Véronèse... Comme si j’ouvrais les yeux sur la beauté. Quelle merveille, quel plaisir

d’aller à l’école. Je pénétrais dans un autre monde qui m’enchantait.

En première année, nous avons tous mis de coté nos mauvaises habitudes de scarapokeurs pour repartir sur les bases saines du graphisme. Nous avions des cours

de couleur, d’étude documentaire, d’interprétation graphique, de dessin à vue, de

perspective etc... Nous avions des cours d’histoire de l’art avec Madame Véron, lauréate du prix de Rome*, qui nous donnait des livres à lire et nous accompagnait aux

musées, ou aux expos incontournables.

Je me souviens notamment de la rétrospective Dali à Beaubourg en 80.... Exceptionnel, fantastique, sublime ce taré de Dali que j’adore.

Nous apprenions aussi à connaitre les artistes associés à des mouvements artistiques

choisis tous les trimestres par les profs, Cappiello, Daumier ou Brancusi qui étaientils ? Et le dadaïsme** c’est quoi ?

* Le Prix de Rome est un concours de l’Académie des beaux-arts permettant aux jeunes artistes

français de séjourner à Rome pendant un an, ils sont hébergés à la Villa Médicis. La grande classe.

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J’ai découvert que je pouvais apprendre des leçons par cœur avec plaisir, que je pouvais recommencer plusieurs fois une courbe pour rendre un dessin parfait et que je

pouvais être triste et revanchard lorsque j’avais une mauvaise note.

Le vendredi après midi nous avions cours de croquis avec modèles vivants. J’adorais

le prof qui s’appelait : Maron. C’est monsieur Maron qui m’a surnommé Arlequin.

Il avait une réserve de modèles masculin et féminin très diversifiés : des gros barbus,

des femmes matures desséchées, des athlètes musclés des jeunettes franchement

jolies. Ils posaient durant 2 heures, nus. Les étudiants se mettaient autour de la table

où le modèle posait surélevé. Nos carnets de croquis et les divers accessoires : fusains,

pinceaux et aquarelles, crayons de couleurs et pastels gras étaient à portée de mains

pour changer facilement de technique entre deux poses. Le modèle changeait de

position toutes les 3 minutes puis 30 minutes et enfin 1 heure pour le dessin final.

Nous apprenions à faire des pleins et des déliés avec la mine de plomb pour donner

vie au croquis d’un trait et nous tentions de respecter les mouvements du corps et la

morphologie des muscles au pinceau d’aquarelle.

Lorsque nous n’avions pas de modèle et ça arrivait de temps à autres, nous les élèves

pouvions être volontaire pour poser. On n’était pas forcé et c’était franchement dans

une ambiance studieuse et bon enfant. Certains ne montraient que leurs torse et

d’autres (et nous avons été plusieurs à nous affranchir de notre timidité, de notre

pudeur) ok pour être «croquer par nos potes» dans la tenue d’Adam... ou Ève. Un

jour Maron a proposé qu’un mec et une meuf posent ensemble. J’avais un pote qui

s’appelait Leduc et qui s’est porté immédiatement volontaire puis une meuf dont je ne

me souviens plus de son nom juste son prénom une Catherine je crois... Elle n’était

pas top-modèle mais elle était en revanche super bandante... Bingo ! à peine montés

l’un et l’autre sur la table pour la première pose, l’anatomie masculine Leducienne

tel un cheval en rut s’est déployée fermement. Il a tenu les 3 premières minutes ainsi.

Quel aubaine pour Maron qui nous expliquait que c’était génial pour prendre les proportions avec les yeux plissés, le bras tendu et le crayon à la main... Leduc était rouge

comme une tomate, la meuf faisait mine de ne pas voir... et tous étions méga gênés

et mort de rires évidement. A la fin du premier croquis Maron proposa discrètement

à Leduc d’aller reprendre ses esprits et de se soulager tranquillement dans le calme

des toilettes. La meuf revêtue d’une chemise, faisait le tour des croquis pour se voir

dessiner, elle s’en foutait ou faisait mine de «ne pas comprendre». Quand Leduc est

revenu, son visage était plus apaisé et sereinement ils remontèrent tous les 2 sur la

table pour la deuxième pose et la... re-Bingo ! la teub de Leduc c’est remise de plus

belle au garde à vous tel un pompier devant son supérieur gradé le jour du 14 juillet

avant le défilé national !.. Imaginez les rires et même le prof en pleurait d’amusement.

La séance fut stoppée illico presto après ce deuxième croquis. Y’avait plus moyen de

*Cappiello un illustrateur, caricaturiste, affichiste. Daumier un graveur, caricaturiste, peintre

et sculpteur. Brancusi un sculpteur, l’ensemble de son atelier est reconstruit à l’identique sur le

parvis du centre Beaubourg. Le dadaïsme est un mouvement intellectuel et artistique qui apparut

à New York en 1900

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faire autrement...

Je suis sorti du système scolaire classique avec cette école. Il n’y avait pas de bulletin

de notes pour les parents. Nous étions là pour nous-mêmes pour notre apprentissage

personnel.

J’ai réussi ma première année puis admis en seconde ce qui n’était pas le cas pour tous

les élèves. Les places en deuxième années n’étaient attribuées qu’aux plus méritants

après un conseil de profs interminable. De trente élèves la première année nous

n’étions plus que 10 privilégiés la seconde avec 7 ou 8 profs, 8 heures par jour du

lundi au vendredi, pour préparer assidûment le Bac Technique de «Dessinateur en

maquette publicitaire» que j’ai obtenu aisément.

Nous préparions, surtout, notre dossier d’œuvres personnelles afin de le présenter

aux épreuves orales des concours aux Grandes Ecoles. Toutes les semaines et à tour

de rôle nous présentions nos travaux aux profs et aux autres élèves de l’école et tous

avaient un avis sur nos travaux. Ça nous aidait à les peaufiner encore et encore pour

garder les trente meilleures planches. J’ai dû en illustrer au moins le triple... Au

Caadia j’y ai consacré quasiment toute ma deuxième année pour le constituer et pour

l’argumenter avec élégance le jour J.

J’ai échoué au concours des Arts Déco d’1 point ! mais, en revanche j’ai réussi le

concours des Beaux-Arts de Paris à la première tentative. Clin d’œil de l’histoire

depuis 2008, les Beaux-Arts de Paris disposent d’une seconde implantation à SaintOuen dans le quartier des Puces où j’ai traîné mes guêtres, c’est drôle je trouve...

J’ai beaucoup plus travaillé pour réussir le concours d’entrée aux Beaux Arts, alors

qu’une fois reçu... Le rythme de travail n’était plus le même. La bonne performance

était capitale pour le Caadia car le taux de réussite aux Grandes Ecoles devait être

élevé. Il en allait de la réputation et de la pérennité de l’école. Alors qu’aux BeauxArts les profs, nantis, installés prétentieusement sur leurs ronds de cuir, en avaient

rien à foutre de nous, surtout en première année. Beaucoup se désistaient au bout de

quelques semaines.

Aujourd’hui, je me rends compte combien les Beaux-arts m’ont freiné dans mon élan

d’apprendre sérieusement. C’était cool de glander sur un banc en regardant le ciel

comme un tableau de Turner puis de retourner en cours aux beaux-arts défoncé pour

exprimer son ressenti, mais bon... Au caadia ils formaient des techniciens graphistes

prêts à bosser alors qu’aux beaux arts ils géraient des artistes, ce n’est pas du tout la

même approche de l’art mais je ne connaissais pas cette différence, à ce moment la...

A l’époque nous étions les enfants gâtés de l’art des rues et du rock.

C’était les années 80. En même temps que l’école Caadia je découvrais le Paris de

Louis XIII et l’art contemporain si provoquant, si innovant. On a grandi en pleine

naissance du street-art. Nous allions grapher avec des bombes comme Jean-Michel

Basquiat et la mouvance underground. C’était tout nouveau. Nos premiers tags habillaient les murs parisiens là ou la zone et les clébards pissaient uniquement. C’était en

réalité des grands espaces pour colorier nos 20 ans.

Paris était à nous et les journaux éclatant de créativité dans tous les coins de Pa

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name voyaient le jour grâce aux jeunes graphistes que nous étions. Les radios libres

crachaient du rock déjanté et indépendant toute la journée et de nouvelles stations

naissaient tous les matins !

Le rock FM explosait sur les ondes, wouhaaa ! Mais quelle belle époque ! avant ça

J’écoutais Elvis, Jimi Hendrix, Janis Joplin, mes idoles de toujours quand tout à coup

Téléphone avec Bertignac et jean Louis Aubert m’ont redonné beaucoup de bonheur ! Y’avait enfin du bon rock français : Hygiaphone, flipper et métro c’est trop. Ils

n’étaient pas seul. Y’avait Bashung, Higelin, Lavilliers, Bill Deraime, Edith Nylon etc...

En Angleterre le mouvement punk dénonçait l’establishment avec The Clash, Sex

Pistols. S’en suivirent les groupes Ska comme Madness, the Special, the Selecters.

Les groupes emblématiques émergèrent aussi à cette époque. Police avec Roxane et

Dire Straits avec Communiqué, Supertramp sortait son breakfast in América et tous,

cassaient la baraque. Ac-Dc secouait avec Highway to Hell et Back in Black. Mon

morceau préféré était : You Shook Me All Night Long, le 2ème titre de la face B.

En hiver Je skiais avec Bob Marley dans les oreilles avec l’album live : Babylon by

bus. Je l’écoutais en boucle en dévalant les pistes de Tignes. Au printemps le groupe

allemand Scorpions hurlait Rock You Like A Hurricane et en été, Michael Jackson

sortait son génial album Thriller. Comment ne pas citer à la rentrée de septembre l’album du Boss, Bruce Springsteen : The river... et Nirvana et Guns N’ Roses je pourrais

remplir encore 10 pages d’exemples tellement y’avait de groupes qui contribuaient, la

grande explosion du rock des années 80.

De ma chambre à Saint-Ouen, j’offrais ma musique et pour pas une thune au reste de

la cité. Un jour dans le silence d’une seconde de l’entre deux morceaux et avant que

le titre suivant se remette à hurler sa race je me suis rendu compte que ça sonnait

avec insistance et depuis longtemps. J’ouvre la porte c’était la petite mémé qui vivait

avec son petit pépé juste à coté de ma chambre. Je ne voyais que les mouvement de

ses lèvres et elle gesticulait à contre sens du tempo et je trouvais ça très rigolo. La

musique était bien trop forte pour que j’entende quoi que ce soit. J’ai fait durer ce

plaisir un petit moment... Et bon ok, j’ai baissé le son... Mais pas très longtemps fallait

pas déconner quanmeme !

Ma chambre était une œuvre d’art. Au mur les vestiges de mes punk tracés au fusain

s’étaient quelque peu estompés et une odeur d’essence de térébenthine, mixée avec

celle du teuch, avait imprégné les lieux. Mon bureau et ma table à dessin trônait

au beau milieu de la pièce avec une multitude de pinceaux, de crayons et tubes de

gouache Linel. Des cartons à dessin traînaient de chaque coté de la table et j’en avais

de toutes les tailles. Vivi m’avait dégoté de son école d’ingénieurs une chaise haute et

rembourrée comme un fauteuil. Mon perf s’y installait aisément.

Aux murs y’avait une affiche du film Don Giovanni la célèbre adaptation cinématographique de l’opéra de Mozart. Elle était exécutée au lavis (c’est comme l’aquarelle

mais avec des encres diluées) et la tète du personnage occupait tout l’espace. Sur son

front une silhouette criait et ses courtisanes de chaque coté semblaient l’écouter. Il y

avait trois autres silhouettes intrigantes en noire et chapeautées qui avançaient prés

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de la typo du film.

Sur le mur central se trouvait mon portrait peint par mon prof Arlaud et mes illustrations, travaux et toiles de l’instant occupaient le reste des murs. Prés de la fenêtre

Amaru un pote menuisier de papa avait construit une bibliothèque sur mesure pour

l’angle de la chambre. Elle mesurait au moins 1m50 de large et montait jusqu’au plafond. Il y avait même un battant qui pouvait servir de plan de travail. Quand Antoine

est parti avec ses bouquins j’ai pu l’agencer comme je l’entendais.

Les trois étagères du bas était occupées par ma collec de tiags : j’en avais des bleue

marine surpiquées de cuir blanc, des grises ornées de flamming, des noires avec des

aigles rouge, des blanches offertes par ma copine Aude, puis des marrons, des bordeaux etc... une quinzaine de paires... Au dessus une partie de mes 33 tours prenaient

toute la largeur de l’étagère ! Je devais en avoir au moins 200. Il y avait aussi des tas

de cassettes avec leur boite en plastoc qui prenaient beaucoup de place sur l’étagère

du dessus et enfin mes livres occupaient le reste du rayonnage. C’était aussi et surtout

un meuble avec une multitude de cachettes pour ma beu et les magazines de boules.

Contre le mur se trouvaient mes 2 premières grattes : une acoustique Ibanez que

papa-maman m’ont offert pour mes 20 ans et une Aria Lespaul que mon poto Yamine

m’avait prété mais qui n’est jamais revenu la rechercher. Elle étaient accompagnées

de mon ampli Vox avec le boxon qui va avec : les jacks, les pédales, les médiators, les

housses etc... Enfin, et c’était l’élément vital du lieu : ma putain de chaine Hi-fi que

papa-maman m’ont offert pour mes 18 ans. Une Hitachi avec des enceintes qui crachaient 2 x 80 watt. Un monstre de torture sonore pour les voisins. Même les gens du

quartier savaient exactement lorsque j’étais présent dans le coin. Aujourd’hui encore

à 60 ans j’écoute de la musique rock, hard rock et métal toute la journée mais avec le

volume nettement moins fort (mais pas assez encore pour les oreilles de Fanychou

qui baisse le son dès que j’ai le dos tourné...)

La nuit, je me couchais et m’endormais avec les énormes casques audio de l’époque, la

musique à fond dans les oreilles. Quand papa allait se coucher il éteignait la chaine et

débranchait juste le fil pour me laisser galérer avec le casque inconfortable sur la tête

toute la nuit... Il disait :

- A coussi s’imparra che non dobbiamo romperci le kasso tutto il tempo con la sua

musica di pazzo!

Comme çà ça lui apprendra qu’il ne faut pas nous péter les couilles à longueur de

temps avec sa musique de fous !

C’est à cette époque que je suis définitivement devenu rocker.

Je pense qu’être rock, n’est pas réservé qu’aux musiciens qui font des merveilles avec

leurs instruments de musique. A quoi reconnait-on une personne rock d’une autre

qui ne l’est pas ? A son attitude ? A ses tiags ou à ses grattes ? Ou à sa philosophie qui

est de passer de l’adolescence au 3-ème âge sans passer par la case «adulte» ? Où estce, peut-être, rien d’autre qu’un cri du cœur pour dire au monde : j’existe ?

Je pense qu’être rock c’est rien et tout à la fois. C’est un état d’esprit créatif que seul

chacun peut ressentir en s’exprimant différemment grâce à son art.

C’est ça qui est génial.

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Ce n’est pas chercher à être un rocker clouté tatoué, comme les fans de Johnny parce

que c’est une mode ridicule. Rocker c’est l’être pour soi.

Beethoven, Le Caravage étaient-ils rock à leur époque ?

Dans les rues d’aujourd’hui les tatouages et les tags font parti de nos visuels quotidiens sur les peaux et sur les murs de nos villes. Ils ne sont pas toujours réussi... Coté

musique le rock déjanté à disparu. Je surprends parfois des vieux dans leurs voitures

arrêtés aux feux écoutant du bon rock. Le rap et la musique électronique l’ont remplacé. La roue tourne, c’est la vie.

Le Caadia n’existe plus. Ils ont rasé l’école et un hôtel de chaine s’y trouve maintenant,

j’ai même dormi dedans une fois lors de mes déplacements à la capitale. J’ai perdu de

vue tous mes amis apprentis graphistes comme l’arlequin que j’étais.

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Bubu

,

Aun moment, ma sœur Lolo, dite «la grosse», était au conseil municipal de

son bled dans l’Oise, chez les banlieusards de grands chemins. Le vendre

-

di soir, chez papa-maman, nous refaisions le conseil municipal avec sa

foire aux questions d’actualités nationales, internationales, économiques

et sociales à l’élue du peuple et de la famille : La grosse.

Exagérations, bouffonneries, mauvaise foi et crises de rires, étaient au programme.

Lolo*, saturée de questions très techniques, se défendait bec et ongles avec beaucoup

d’humour, car en réalité, elle en avait rien à cirer de la politique et adorait faire le

boute-en-train pour faire marrer tout le monde et ainsi passer de bons moments.

Nous en redemandions :

- Alors la grosse, parait que t’es de droite maintenant ?

Lolo :

- Toi, ta gueule, p’tit con. T’es vraiment qu’un gros nul et toi et toi aussi, je vous

emmerde tous d’ailleurs parce que la droite, la gauche etc...

Burchuche, son repoussant mari, veillait que sa ligne politique ne soit pas trop

endommagée, clope au bec, gros bide, il se curait les dents défoncées ou se grattait

d’horribles furoncles derrière ses oreilles. Muet il n’intervenait jamais. Ou alors

rarement, d’un :

- Chouchou, calme toi, bébé

Il n’avait pas les couilles de nous demander de fermer nos gueules et pourtant il en

crevait d’envie. Le courage pas trop son truc, la fin de vie de Papa-Maman nous

donnera malheureusement raison...

Il était la majorité autoritaire et silencieuse, intouchable, sous la protection exclusive

de Papa. C’était lui Burduche qui avait placé Lolo à la mairie. Toujours prêt à faire le

suce-boule pour une murge au vin rouge avec ses copains de la municipalité, car, il

était devenu alcoolo. Avec ses copains «haut placés», que nous n’avons jamais vus,

Bubu, refaisaient le monde depuis leur trou de banlieue morose. Nous étions néan

-

moins au courant de tous leurs faits et gestes car lui, Burduche «les connaissaient

très bien les élus de son canton» et lolo était devenue un peu leur «porte parole» en

quelque sorte.

* En écrivant ces lignes, je suis très ému.

C’est très dur, pour moi en tout les cas, d’être fâché avec la grosse. Quel gros porc cet enculé ce

Burduche, c’est à cause de lui tout ça. je ne lui pardonnerai jamais d’avoir tourné la tête de ma

sœur.

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Antoine, en bout de table, était le chef de l’opposition vindicative et argumentée, vivi

et moi en face des Burduche-Lolo de droite, nous étions la contradiction automatique, pacifiste mais terriblement moqueuse et de gauche bien sûr. Nous donnions

aussi les ordres du jour à l’ouverture des séances et de la baston parlementaire dés

que les pâtes arrivaient sur la table.

Nos copines et Antoinou, le fiancé de vivi à l’époque, citoyens avertis, se mordaient

les lèvres et se tenaient le ventre pour ne pas exploser de rire devant cette assemblée

hebdomadaire. Elles et il n’étaient là qu’en «visiteurs» silencieux, si je puis dire.

Il y avait comme d’hab mes cousines José et Danielle, tonton Mathieu, tata Lucienne,

mon oncle François* et sa bonne femme** toujours prête a ouvrir sa grande bouche

pour s’empiffrer, dans ces soirées de Hihi, Haha et de cuisine faite maison.

Dans la famille si vous les cherchiez, c’était simple : là où il y’avait du Hihi, Haha,

comme disait papa, et à bouffer, Ils étaient là et aux premières loges. Ils ont tapé

l’inscrut chez mes parents à tous les repas de fin de semaine et à toutes les fêtes sauf

pour leur décès. Les Hihi-Haha s’étaient tus et remplacés par des pleurs et ils sont restés

calfeutrés chez eux...

Mais à l’époque nous ignorions la fin triste et tragique de nos parents et les débats

étaient houleux de pitreries. Maman avait le rôle de médiateur de séance et papa

celui de Président de l’assemblée. Papa usait de son autorité, quand le débat s’enflammait contre les racistes de Burduche et plus tard de Cornu (son gendre rougeot, soûlot

comme lui) qui s’emportaient contre les gauchistes «anti-tout» que nous étions, pour

mettre un terme à la séance.

Papa :

- Bon, ça suffit maintenant !.. La politique on s’en fout.

Maman nous suppliait du regard d’un air de dire : par pitié, calmez le jeu svp :

- Per questa sera va... Bon, les enfants, basta va.

Fin de séance. Pas grave nous en avions encore «sous la pédale» pour les allumer la

semaine suivante... Et lolo partait dans une autre pitrerie. Elle ne s’arrêtait jamais de

faire la folle pour nous amuser, nous étions son public.

Alors chacun de nous entamait des échanges par ci, par la, sur notre semaine passée

ou nos projets, Seul Burduche qui s’était enfilé déjà 3 Ricard bien tassés et avait

bien amoché la bouteille de vin, avait maintenant envie de parler. Il se mettait à la

recherche du regard de celui ou de celle qui l’écouterait pour le reste de la soirée dans

son envolée lyrique et monocorde sur son sujet de prédilection favori : Les Galeries

Lafayette.

Il balayait de son regard la salle à manger tel un sniper pour dénicher celui ou celle

qui allait être sa victime d’écoute du soir tout au long, de son très long monologue

* Mon cher Tonton, je réfléchis encore comment je vais lui tailler un costard dans les pages à venir.

** Maman la détestait, elle l’appelait «bello spicchio» beau clou de girofle... Je vais la tailler aussi.

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monotone, sans ponctuation mais accompagné de râles dégoûtants. Dans ses histoires il n’y avait pas de suspens, ni rebondissement, c’était juste super lourdingue. Il

s’écoutait parler surtout.

On était tous déjà passés au moins 3 ou 4 fois à la Burduche-moulinette qui triturait,

piétinait et saturait notre cerveau de sa voix de petit chef du rayon bricolage (il avait

eu une promo depuis le rayon voilage) et plus personne ne voulait revivre ce supplice

insoutenable une fois de plus. On laissait volontiers notre place à un ou une autre

mais Lolo tournait sa chaise vers la téloche, Antoine se détournait en glissant un petit

mot gentil à sa meuf, ma fiancée (quand j’en ramenais une à la maison) regardait ses

ongles, vivi se levait pour prendre le sucre ou le café, mon beauf Antoinou allait faire

pipi et moi j’allais chercher ma gratte.

Papa hors jeu, parce qu’il en avait rien à cirer, il ne restait que ma pauvre Maman...

Le regard enfin trouvé, il ne le lâchait plus. Il avait une façon de mettre ses yeux de

rat dans les yeux de l’autre qui se retrouvait coincé dans une impasse Burduchienne

sans issue possible et sans secours envisageable.

Je n’ose imaginer Burduche (forcément collabo) pendant l’occupation : le boucher

de la prise des yeux qui vous rend fou... Pas en arrachant les ongles, mais juste sa

sale face avec ses petits yeux translucides et globuleux te racontant les Galeries...

Un supplice que même les tyrans les plus cruels des dictatures les plus dures nous

envieraient.

Une fois, Valérie la première femme d’Antoine et la maman d’Ugo n’a pas supporté la

torture : au bon milieu de sa longue tirade sans fin sur les «3J», Valérie a fait une crise

d’angoisse. Dans le ron-ron de sa voix d’un bond Valerie a fui le putois bavard pour

s’isoler en pleurs dans la chambre du fond... Burduche surpris disait en boucle :

- Mais qu’est-ce qu’il lui prend ? on discutait...

Et non, il lui prenait le chou et Valérie ne pouvait plus ni écouter ni parler aux

autres... C’était vraiment insupportable. Même une fois, chez lui, alors qu’il me prenait la tête en préparant le repas je ne savais plus comment m’en défaire et mon petit

Yorkshire Marcello qui d’habitude ne me lâchait pas d’une semelle pourtant a fini par

se barrer, car il n’en pouvait plus...

Pire qu’une punition, c’était un calvaire doté d’un chemin de croix pour celui ou celle

qu’il chopait... Et c’était Maman qui s’y collait le plus souvent.

Burduche, pinard et clopes à portée de mains :

- Alors vous savez Maman*, aux Galeries mardi avec les chefs au parking du 2ème

sous sol, parce que moi Je connais «très bien» les parkings, imaginez-vous, etc...

Et c’était parti pour un tour de prise de tête carabinée. Maman l’écoutait, l’air intéressée :

- Ah, bon ? c’est pas vrai ! comment ça ?

Que quelqu’un s’intéresse à l’inintéressant ça le stimulait grave. Il parlait, fumait et

parlait et buvait, et parlait encore et encore et encore. Puis, quand il avait fini le vin,

* Il appelait mes parents Papa et maman, c’était très énervant.

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Lolo lui disait :

- Bubu ! On y va ?

A peine était-il parti, qu’en chœur nous demandions à Maman :

- Alors qu’est-ce qu’il t’a raconté ?

Et Maman, tout naturellement nous répondait :

- Mais qu’est ce que j’en sais ? ma foi.... Je le laisse parler. Voila.

Elle avait réussi à contourner le problème là où nous avions tous échoué. Elle arrivait

à ne pas l’entendre tout en lui faisant plaisir. Mais comment faisait-elle ? Elle faisait

«finda» (comme si) dirait-on chez nous. Jusqu’au jour où le «finda» à pris fin et

Burduche a mis maman très en colère et cette colère justifiée a provoqué l’embrouille

avec ma sœur lolo que je n’ai plus revue depuis 2 ans...

Au fil des années, Burduche, avait de moins en moins, puis, un jour plus besoin du

tout du soutien de Papa-Maman pour être un membre à part entière de la famille.

C’en était fini de faire le suce boule. Fallait faire place dorénavant au retraité râleur.

Adieu les prises de tête du chefaillon des Galeries Lafayette et bonjour le jacasseur

pastoral qui racontait sans relâche ses courses chez «son» boucher, «son» poissonnier

parce qu’il connait «très bien» les poissonniers et les bouchers etc...

Lolo et Burduche avaient trimé comme des chiens, plus de trente ans, en se payant

4 heures de transports en commun par jour, entassés dans des trains de la grande

banlieue. Pendant des années, pour aller tafer ils se tapaient la grisaille, le brouillard,

le gel hivernal et leur sueur mélangée à celles des autres l’été. Ce qui n’a rien arrangé

à la sclérose en plaque de Lolo, qui est partie en longue maladie à 45 ans, tellement

Burduche l’a pressée comme un citron pour lui prendre toutes ses forces et son blé.

Retraités, ils ont touchés un peu de fric de l’Alstom et des Galeries. Avec ce magot

bien mérité de travailleurs acharnés, ils se la jouaient nantis parvenus : Voyages

organisés au bout du monde, grosse caisse de nababs repoussants. Idem pour Lolo.

Elle étalait «leur réussite» grossièrement : coiffeur, esthéticienne, fringues, bijoux... Et

grande gueule de surcroit pour critiquer ceux qui avaient moins de blé qu’eux :

- Ce coco est ruiné... Sans Fanny il ne serait rien. Disait-il par exemple

Il nous invitaient chez eux et nous en mettaient plein la vue, croyaient-ils. Ils en faisaient des montagnes avec leur goût de chiotte très prononcé pour la déco tape à l’œil.

Burduche, en avait tellement plus rien à foutre de nous, qu’il ne nous parlait plus, il

vomissait des mots à peu prés sur tous les sujets et sur tout le monde.

Lolo lui disait:

- Bubu ! Arrête ! C’est ma famille !

Mais lui s’en foutait. Il se murgeait la tronche sciemment aux regards de tous... Et

alors ?

Il se payait même l’indécence de laisser la tablée en plein milieu du repas, pour aller

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se coucher.

Un soir de réveillon, il a réitéré son envie d’aller se pieuter entre la dinde, le fromage

et quelques bouteilles, avant même que le père noël arrive ; c’est la plus grosse colère

d’Antoine vexé, que je n’ai jamais vu ; ah ouais ? Burduche regardait mon frère calmement avec ses yeux vitreux, il grattait sa bedaine machinalement, il en avait plus rien

à foutre et plus de respect :

- Mouais... Bon, allez, j’y vais, bonne nuit...

La furie d’Antoine n’a pas empêché l’irrévérencieux d’aller se coucher quand même.

On le regardait partir dans sa chambre sans excuse pour Papa et Maman outrés et

peinés face à l’attitude de ce gros porc. Il avait pris «la» confiance... Fini la rigolade

des vendredi soir. Monsieur «j’emmerde tout le monde» lâchait ses critiques à la volée

même sur la cuisine de maman dont il s’én était pourtant gavé... Un jour, il me dit

froidement :

-Ta mère m’a toujours mal fait à bouffer, je déteste son couscous.

Je lui ai dit à Maman, elle n’en croyait pas ses oreilles et spontanément elle m’ a répondu :

- Mais je le faisais spécialement pour lui... Il le réclamait ! Comme quoi...

En 2014, les Burduche décidèrent de vendre leur pav’ pour s’installer dans le sud. Le

lot, le Var ou que sais-je les Landes ce ne sont pas les coins qui manquent en France

pour passer la retraite au soleil. Pourtant c’est à coté Vivi et Antoinou près de Montpellier qu’ils ont acheté une baraque aux grands désavantages pour ma sœur très

fatiguée ; il y avait des escaliers partout que Lolo peinait à gravir toute la journée et le

plus choquant, à mon sens c’est le cas de le dire, c’est quelle était construite à l’envers

du paysage, de la rue et des accès... Papa détestait cette maison qui était à leur image :

prétentieuse, inconfortable et très laide.

J’ai dis à mon frère :

-Lolo à coté de Vivi ? dans 6 mois ils ne se parlent plus.

Et l’histoire m’a donné raison mais seulement au bout de 6 ans...

Même si nous ne l’aimions pas, nous avons toujours respecté le mari de ma sœur

Lolo et soutenu dans les moments difficiles ce que lui n’a pas fait en retour... En

2015, le frère de Burduche, Dominique est décédé d’une crise cardiaque, il avait mon

age 53 ans. Il était marié et avait une fille de 18 ans. Il avait coupé les ponts avec ses

parents, son frère et lolo (avec qui il bossait à l’Alstom) depuis plus de 10 ans et sa

famille donc, ne connaissait sa femme ni sa fille. Ce sont des choses qui arrivent et je

suis bien placé pour le savoir...

Dominique c’était physiquement le clone de Burduche. C’était l’image sans le son car

il était introverti et timide. Ado nous étions copains.

La veille de son l’enterrement, Je suis allé chercher Burduche à la gare de Lyon. Je l’ai

soutenu à la morgue car il allait tomber dans les pommes en voyant la dépouille de

son frère... Il y avait sa femme, je suppose, car nous ne nous sommes pas salués.

Le curé, les amis de Dominique présents à l’église ont cru que c’était papa et maman

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ses parents... Les Parents Burduche fatigués et usés n’ont pas pu se déplacer pour

les obsèques de leur fils... Ah, les ambiances de fin de vie... Au cimetière, la fille de

Dominique est venue me voir :

- Tu es coco ? mon père parlait de toi, de vos crises de rires quand vous étiez gamins.

Une semaine ou 10 jours plus tard c’était Monsieur Burduche senior qui trépassait...

Nous les bicots, comme nous appelait ce monsieur, étions là pour apaiser son fils et

le soutenir dans son chagrin comme on pouvait autour de lui ; on ne peut pas en dire

autant pour nos parents...

Depuis quelques années, (autant que mon petit talent serve à quelque chose) je dessine et j’offre le portrait d’un être cher disparu, à sa famille ou à ses amis. Bingo !

Burduche a eu le sien, j’ai dessiné pour lui : son père, son frère et burduche lui même

souriants et ensemble à la mine de plomb et encadré à la feuille d’or s’il vous plaît...

Quand Burduche avait un verre de trop dans le pif, en sanglotant, la diction pâteuse,

il disait :

- Jamais je n’oublierai ce qu’il a fait, Coco, quand Dominique est parti... Hic !

et il s’en resservait un autre. Il est devenu amnésique alors ?

Madame Burduche s’est éteinte 3 ans après, en 2018. Je suis allé à son enterrement

prés de Montpellier. En revanche, lui a visiblement oublié ses dires et le respect en

mémoire des mes parents qui l’ont protégé contre vents et marées prés de 40 ans.

Lâchement, il n’est pas venu à leur enterrement.

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147 L’école des Beaux Arts

,

C’est magnifique, c’est prestigieux.

Au-dessus de l’entrée principale du numéro 14 de la rue Bonaparte à

Saint-Germain-des-prés, trônent de chaque coté du portail les bustes du

sculpteur Pierre Puget et du peintre Nicolas Poussin, deux représentants

de l’art classique du XVII ème siècle. Le ton est donné.

L’école est l’héritière de l’Académie royale de peinture et de sculpture fondée sous le

règne de Louis XIV. Difficile de faire plus classe. Cette école me faisait rêver et un

jour le petit Sarouel y était admis qui l’aurait cru ?..

Nous sommes 2 Casubolo à avoir eu le privilège d’être sociétaires dans cette institu

-

tion comme : Jean-Honoré Fragonard, Théodore Géricault, Charles Garnier, Eugène

Delacroix, Edgar Degas, Bernard Buffet, Auguste Renoir, Pierre Bonnard, Henri

Matisse, César et Claude Monet.

Le deuxième artiste de la famille Casubolo c’est Ugo, le fils d’Antoine. Il ne dessine

pas, ne peint pas ni ne sculpte il est photographe et c’est cool.

J’ai réussi le concours d’entrée en juin 1982, département dessin-peinture.

A l’époque, on ne rentrait pas aux Beaux-Arts pour apprendre à dessiner ou peindre.

En réussissant le concours, l’académie considérait que notre savoir faire était un

acquis et que l’école serait dorénavant un regroupement de jeunes matières grises qui

allaient apprendre à exprimer leur art grâce à leur encadrement artistique de premier

choix. Au placard les compas et les tire-lignes de monsieur Ramage et place aux pots

de peinture jetés sur la toile...

En arrivant, gonflé à bloc, j’ai constaté avec étonnement et déception que La peinture

était comme agonisante. Les professeurs décourageaient les vocations de ceux qui

aimaient les génies du classicisme comme Ingres ou Boucher. Ils étaient défaitistes et

nonchalants avec les élèves qui dessinaient super bien, modestement comme moi...

De plus ils semblaient avoir compris que l’art allait atteindre ses limites très vite et

que l’informatique allait transformer cet univers comme tant d’autres courants artis

-

tiques. Ils se trompaient.

En cours Je me suis confronté à un univers étrange où les concepts proposés étaient

résolument et définitivement axés sur l’abstrait. Les cours théoriques comme l’analyse

d’œuvre faisaient la part belle aux créations provocatrices, comme celles à base d’ex

-

créments qui remportèrent à l’époque l’adhésion unanime du jury.

Qu’est-ce que moi l’élève de Jacques Arlaud je foutais là ?..

Je regrette qu’à l’époque, l’école faisait l’impasse sur «la peinture figurative» et les

cours de dessin académique tels que les exécutions au fusain de sculptures antiques

n’existaient plus.

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C’est comme si les conservatoires de musique faisaient l’impasse sur les opéras de

Mozart ou tournaient le dos aux portées remplies de croches indispensables pour

faire vibrer leurs instruments par exemple.

On apprenait surtout à être des petits prétentieux qui créent et parlent de concept

pour bien enfoncer les gens qui n’y connaissaient rien et pour gonfler l’ego de ceux

qui faisaient parti du milieu de la peinture snob et intelligente.

Il y avait le cours Yvon c’était un amphi où tout le monde pouvait venir faire des croquis de modèles vivants. Certains soirs, un concertiste prenait place derrière le piano

qui était dans un coin de la salle. Une danseuse de l’opéra de Paris l’accompagnait.

Elle dansait en tutu et dessinions à la volée ses gracieuses arabesques en mouvement.

Il y avait un prof, monsieur Plin. Il ne corrigeait pas les croquis, il restait scotché derrière son bureau et parlait exclusivement avec une poignée d’élèves qui visiblement le

vénéraient.

Nous ? bin nous étions là, on croquait encore et encore des esquisses magnifiques, et

alors ? Il en avait strictement rien à battre de nous.

Pour commencer notre formation fallait être inscrit dans un atelier. Nous devions

en trouver un coûte que coûte. Les nouveaux devaient faire la tournée des ateliers

avec leur dossier sous le bras. Je l’ai tellement montré et commenté planches après

planches, qu’ensuite je pouvais le présenter les yeux fermés. Pour ce faire nous faisions la queue comme à la sécu. Le prof se sentait presque obligé et dans une indifférence glaciale il daignait regarder sans motivation votre dossier que nous avions mis

des mois et des mois à peaufiner dans les moindre détails. Ensuite il décidait ou pas

de vous prendre dans son atelier.

Logiquement n’aurait-ce pas dû être le contraire ? A savoir que chaque étudiant

aurait pu avoir le choix de retenir tel ou tel atelier en fonction de ses sensibilités et

les profs auraient dû par devoir se montrer motivés d’avoir les meilleurs puis après

les moins bons et enfin les mauvais pour constituer son atelier de premières années ?

On avait réussi le concours pourtant ! Monsieur Amor m’a accepté dans son atelier in

extremis. En toute franchise, je n’ai pas eu un bon feeling avec ce prof. Il me snobait,

il me gonflait. Il m’imposait sa façon de dessiner au fusain ou à la sanguine qui ne me

convenait pas. Pourtant, tous les élèves essayaient vainement de l’imiter. C’était hors

de question pour moi : tout Amor qu’il était il n’arrivait pas à la cheville de Jacques

Arlaud ou de monsieur Valette mes profs de Saint-Ouen, maîtres en la matière et

tellement plus pédagogues. En clair en dehors des fiestas et que j’ai ken des petites

meufs, artistiquement je me suis fait chier grave à l’Ensba.

Je me souviendrais toujours des cours d’expression graphique avec monsieur Duhêne.

Nous devions exprimer et peindre notre ressenti sur deux espaces qui étaient séparés

d’une porte. L’œuvre devait être créée sur une feuille blanche avec une composition

blanche.

La seule tolérance en gris clair : notre nom pour savoir dans quel sens fallait regarder

l’œuvre... Bon ok, y’avait du café dans l’atelier et de la gandja pure à méfu dans la cour

Napoléon. Ça aidait mais bon... Une autre fois, on avait fabriqué un cube en carton

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avec juste les petites ouvertures rectangulaires pour regarder dedans. En fonction de

ce qu’il y avait à l’intérieur on devait peindre nos émotions...

Je pense encore aujourd’hui que c’était franchement des cours pour apprendre à enculer des mouches. Comment justifier cet enseignement chez des mecs qui dessinaient

avec passion depuis leur tendre enfance ? Complètement débile. Je ne sais pas comment se déroulent les cours actuellement, mais à l’époque il n’y avait pas grand chose

d’académique.

Il y avait, au contraire, beaucoup de frimeurs chez les étudiants, qui se la jouaient «je

suis dans ma bulle d’artiste», en espérant que dans chacun d’eux sommeillait le génie

d’un nouveau Picasso... Mais n’est pas Picasso qui veut et le talent ne s’obtient pas avec

de la frime.

Pour ma part, parallèlement aux cours, j’étais déjà un créa actif et je vendais mes

dessins régulièrement : affiches, pochettes de disques, illustrations, bandes dessinées à

mes clients des puces comme mon pote serge et 17ème Parallèle.

Le Caadia m’avait formé comme graphiste opérationnel immédiatement pour bosser

en agence et d’un coup, après l’euphorie d’avoir réussi le concours des beaux-arts, je

ne me suis pas senti à ma place là-bas. Je n’ai pas fréquenté ni rencontré les bonnes

personnes à ce moment là, faut croire. Comme mes potes, d’ailleurs, issus du Caadia

ou skarapokeurs depuis toujours qui comme moi qui en dehors des fêtes se faisaient

royalement chier et ne sont pas restés. J’ai quand même passé en fin d’année mes

Unités de Valeur que j’ai obtenues en croquis, perspective, analyse d’œuvre et morphologie. J’ai fréquenté les Beaux Arts 3 ans, enfin 2 ans et demi... La raison ? vous l’a

découvrirez dans le prochain chapitre qui s’intitule : «Remoua !»

Je pense que si j’avais été orienté dans un lycée en seconde littéraire pour faire de

la philo puis passer le BacA7 (le bac d’Art plastique à l’époque) ou si j’avais fait des

études intellectuelles un truc dans le genre psycho j’aurais peut être été mieux à même

pour comprendre cet enseignement décalé. Mais les profs à la sortie de la troisième

du collège Michelet avaient jugés que j’étais bien trop con pour faire ce genre d’études.

Aujourd’hui je les remercie.

Ado, les seuls qui ont cru en moi c’est Arlaud et Valette mes profs de Saint-Ouen. Je

ne finirai jamais décidément de leur rendre hommage. Merci Messieurs vous étiez les

beaux-arts à vous seuls.

Quand plus tard dans ma vie professionnelle, j’ai rencontré ou discuté avec des

artistes ou des profs d’Art plastique, d’art contemporain ou de beaux arts, je remarquais tout de suite que nous n’étions pas formatés de la même façon... J’imagine

très mal un prof d’art plastique vendre une illustration à un artisan-maçon pour

un espace publicitaire par exemple, pourtant ne communiquent-ils pas eux aussi ?

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Remoua* ? I

l faisait beau, il faisait chaud à Riccione, sur la côte Adriatique en Italie, pas cool

ce plan au soleil, pour les colos de Pâques ? C’était la deuxième année consécu

-

tive qu’on y allait avec la Ville de Paris qui nous avait recrutés. La ville réservait

3 hôtels, pour les enfants des employés municipaux de la ville de Paris.

La première fois, Antoine était directeur, Vivi et moi moniteurs.

La deuxième fois, Antoine n’a pas rempilé, Vivi est partie avec Gilles le responsable

des directeurs et directeur des ados et moi avec Viviane la directrice des 8-12 ans.

Là j’ai rencontré mon pote Jean-François Mezon**. Il bossait à temps plein à la ville

comme animateur périscolaire et sa toute puissante chef de secteur n’était autre que

la même Viviane.

Elle faisait la pluie et le beau temps sur son secteur dans le XVème.

A la fin de la colo de Pâques, elle m’a recruté pour la colo du mois d’Août (après nos

vacances en Grèce) et pour bosser également à la ville de Paris à plein temps, comme

Jean-François, dès le mois de septembre. Je regrette d’avoir accepté.

Ça a été le début de la fin de mes études. Je pensais, en acceptant ce poste bien payé

à l’époque, pouvoir continuer les beaux-arts en même temps. Et c’est d’ailleurs ce

que j’ai fait au début, les horaires de présence étaient de 11h30 à 13h30 et de 16h30 à

18h30, le mercredi c’etait de 8h30 à 18h30.

Je pouvais prendre le Bus 95 qui me laissait juste devant l’école, j’arrivais à jongler

avec les cours.

Seulement voila, Jean-François avait un super appart dans le XIII ème, rue Jeanne

d’Arc et nous passions le plus clair de notre temps à brancher des meufs, à sortir le

soir, à aller en boite à Saint-Germain des prés à coté des beaux-arts que je délaissais

de plus en plus.

Le permis en poche n’a rien arrangé. J’ai offert une voiture neuve à Papa et j’ai récu

-

péré sa vieille R16 qui était assez grande pour partir en virée avec des gonzesses et

des potes.

On était une bande de fêtards guitaristes* et il y avait toujours un plan teuf quelque

part. Avec cette bande de copains on a fait la bringue pratiquement 1 année non-stop.

Il m’arrivait régulièrement de sortir de l’école maternelle à 18h30 où je bossais et d’y

retourner le lendemain matin, parfois encore bien allumé, sans même avoir dormi

! Papa-Maman ne me voyaient presque plus. Les week-ends d’hiver il nous arrivait

* Re-mou-A.....Amoureux en verlan

** Jean-François était incapable de respecter les horaires. Même Antoine, lorsqu’il était directeur

de centre de loisirs, a fini par le virer... Il faisait n’importe quoi comme sous-louer son appart à

une mère croate avec 4 gosses pour partir en vacances 4 semaines en été...

La meuf n’a jamais voulu lui rendre son appart et il a fini Sdf dans sa cave. Je l’ai revu 2 ou 3 fois

en 2006 il était devenu une loque, un zombie amorphe gavé de médocs... Pauvre Jean-François...

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de rouler toute la nuit pour aller à Tignes rejoindre nos potes saisonniers. A peine

arrivés, on chaussait les skis pour dévaler les pistes sans avoir dormi ou très peu... Les

week-ends d’étés on partait à l’aventure avec nos guitares dans les stations balnéaires

normandes ou en Vendée et on trouvait toujours un endroit pour dormir. Je me suis

bien marré avec cette bande et Jean-François. En plus de son 3 pièces rue Jeanne,

d’Arc, il avait une technique de drague très efficace, une bonne bouille et il était

très drôle, du moins à l’époque... On avait 21, 22 ans, le sourire ravageur, un peu de

thunes et on croquait la vie avec gourmandise.

Je n’ai pas connu des wagons de gonzesses, juste quelques unes et je garde une tendresse particulière pour ces filles d’un soir qui ne m’ont laissés que de bons souvenirs

furtifs. J’espère que c’est réciproque.

Il y a eu entre autres une Vanessa, une Laurence, plusieurs Stéphanie et une Barbara,

que nous appelions Rababar, on se marrait quoi ! ...

D’autres, comme Agnès, m’ont laissé des souvenirs plus précis, plus drôles.

Agnès était instrumentiste dans les blocs opératoires, elle vivait une histoire d’amour

compliquée avec son chirurgien de chef (comme dans «La vie est un long fleuve

tranquille») et je la consolais lorsqu’il retournait voir sa bourgeoise.

Une nuit avec Agnès, sa cousine et un autre pote, nous sommes arrivés chez ses

parents tard dans la nuit, après un concert de Scorpions à Bercy. Son père dormait et

elle le croyait ailleurs.

Dés qu’il nous a entendu il est sorti de son lit d’un bond s’est confondu en excuses,

puis en l’espace de 10 minutes il s’est rhabillé à la hâte et s’est barré dans la nuit en

nous laissant sa fille, sa nièce et sa belle baraque à Poissy... Pour le week-end.

Il y a eu Aude, aussi. J’avais 20 ans, elle en avait 40. Aujourd’hui j’en ai 60, elle 80 et

c’est difficile à imaginer... J’aimais beaucoup Aude. Elle était très jolie en plus.

Le matin qui a précédé la première nuit d’amour que nous avons passé ensemble, son

mec furax, voyant qu’elle avait découché, la virée en lui laissant juste une valise sur le

pallier de l’appart où ils vivaient ensembles au dessus du Bataclan... Il s’était barré en

vacances sans explication et avec les clés !

A la rue, elle avait trouvé refuge chez une amie qui avait une chambre de bonne

rue Buffault dans le IX ème. Trop cool. Les jours de juillet qui suivirent dans cette

garçonnière, devinrent pour nous un nid d’amour improvisé tombé du ciel. Le soir

on retrouvait ses amis (charmants d’ailleurs) au Général Lafayette une brasserie qui

existe toujours. Elle est à l’angle de la rue Lafayette et de la rue du Faubourg Montmartre. Je me souviens de nos virées parisiennes jusqu’au bout des nuits d’été dans

son petit cabriolet rouge... Puis en août quand son mec est revenu Aude est retournée

chez elle la mort dans l’âme. Elle a rendu les clés de la garçonnière à sa cop’s. C’était

fini les vacances rue Buffault. Quand les cours ont repris en septembre sa cop’s continuait de lui prêter la chambre de temps à autre, (chut)...

Sylvie.

* Avec cette bande nous avons suivi le Groupe Téléphone jusqu’en Allemagne.

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Elle à mis un terme définitif à mes études. Non, pas la douce Sylvie attentionnée et

amoureuse de mon adolescence, mais une maman de 26-27 ans, qui venait chercher

sa fille à l’école maternelle où je bossais. C’était une jolie blondinette, coquette, très

féminine et c’était surtout une nymphomane. Elle n’avait pas qu’un simple attrait

prononcé pour le sexe. Elle avait tout le temps envie de ken. Furieusement envie. Le

rapport charnel l’excitait et j’étais très demandeur.

J’avais 22, 23 ans dans une forme olympique, j’étais en sorte le partenaire idéal.

Elle avait une toute petite mini cooper noire, dans laquelle nous avons passé de

longues soirées les fenêtres embuées et dans n’importe quelle rue de Paris, on roulait

puis d’un coup fallait s’arrêter vite et boum-crac. Au resto, entre l’entrée et le plat,

crac-boum et entre le dessert et le café, re-crac-badaboum aussi. Je laisse votre imagination galopante imaginer le reste de la nuit...

Je croyais être amoureux fou, de cette meuf, mais aujourd’hui je dois bien l’avouer

j’étais surtout enivré de sexe. Lors d’un week end chez mes parents à la campagne,

elle était venue pour me faire plaisir. Elle se faisait royalement chier et je la comprends. Comme d’hab, il y avait plein de monde et nous improvisions des lits un peu

partout pour dormir...

Mon beauf Antoinou, fiancé à l’époque, n’avait pas le droit de dormir avec ma sœur

vivi. Il dormait sur un simple matelas de fortune dans la cuisine contre la porte- fenêtre (recto). Une simple porte-fenêtre qui venait d’être installée qui séparait la cuisine du séjour. Dans le séjour, justement, un simple matelas et un lit de fortune était

également improvisé contre la porte-fenêtre (verso)... Sauf, que dessus c’était moi et

la nymphomane qui après les journées bien pourraves à supporter ma famille réclamait son câlin bien mérité... 2 nuits. Mon beauf, m’en reparle encore aujourd’hui.

En semaine, dés la fin de mon service à 13h30 je montais chez elle au 7ème étage par

le tout petit ascenseur (également théâtre de boum-bada-boum à de nombreuses

reprises) et nous faisions des galipettes jusqu’à la reprise de mon travail à 16h30.

Elle habitait un studio en face de l’école maternelle. Il y avait une petite entrée qui

donnait sur la pièce principale là où trônait le lit. Sur la porte d’entrée une fois fermée

il y avait une petite chaînette de sécurité pour juste entrouvrir la porte. Systématiquement elle la plaçait sans même y faire gaffe. Cette chaînette nous a sauvé la mise car

un jour son mec et le papa (un mec de 30-35 ans) de la fillette a voulu entrer avec ses

clés... La porte est restée entre-ouverte de 10 cm juste de quoi voir l’essentiel de nos

morphologies très actives. D’un bon elle a foncé sur la porte pour la fermer, puis un

concours de «je la pousse et moi aussi» s’est éternisé et le mari furax a bien essayé de

défoncer la porte mais elle était blindée...

Au bout d’une demie heure, fatigué, très certainement dégoûté d’avoir cette femme

nymphomane avec qui il avait eu une petite fille, il a fini par se barrer...

Depuis la fenêtre du 7ème je l’ai vu remonter dans la voiture et faire un bras d’honneur en direction de l’appart puis partir. Alors je suis sorti à mon tour, j’ai appelé

l’ascenseur pour descendre mais quand l’ascenseur est arrivée au 7 ème étage le mari

était dedans !! je ne sais pas comment il a pu faire le tour du quartier en pleine journée rue de la convention, rue Olivier de Serres puis retrouver une place et revenir

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aussi vite. Je me pose encore la question ce soir.

Enragé il a sauté sur moi et nous nous sommes battus sur le palier. La nymphomane

hurlait et frappait à toutes les portes puis les voisins sont sortis... Le grand scandale

dans l’immeuble cossu en pierre de taille où les gens me voyaient tous les jours avec

les enfants de l’école maternelle du quartier... Ça faisait désordre.

A 16h30, Le papa trompé, sortant d’une bagarre avec le mec qui était censé s’occuper

de sa petite fille à l’école à demandé à voir la directrice de l’école maternelle et qui

bien emmerdée, m’a convoqué dans son bureau en présence du cocu agresseur, ambiance. Nous avions des bleus, les yeux au beurre noir les chemises un peu déchirées.

Très snob la directrice nous a demandé un peu plus de discrétion à l’avenir. Que

pouvait-elle faire d’autre ?

Cette directrice était une bourge style tailleur et ballerines vernies très classes. Elle

appréciait mon travail, heureusement. Elle me félicitait souvent pour les fresques que

je réalisais avec les enfants. Elle en a même parlé aux autres directrices des quartiers

voisins et je suis devenu ainsi itinérant 1 fois par semaine dans 4 ou 5 écoles et à tour

de rôle pour réaliser des peintures. Apres cette histoire de mari bagarreur elle ne m’en a

jamais reparlé mais je voyais bien une lueur dans ces yeux qui disait : «Dites donc mon

cher Jean-Claude vous ne seriez pas un tantinet coquin avec les mamans de l’école ?»

Quelques jours plus tard la nymphomane m’a présenté ses parents. Son père était un

carrossier de la Ratp à la retraite. Il a passé tout un week-end à débosseler, mastiquer

et repeindre les nombreuses bosses de ma R16, c’était vraiment très sympa. Mais le

lundi matin de retour à l’école en faisant un créneau dans la rue étroite d’Olivier de

Serres, j’ai refait une énorme bosse sur l’aile avant, justement celle qui lui avait donné

tant de mal à redresser tout le dimanche... Le pauvre.

Le soir je devais récupérer Sylvie chez ses parents... J’ai essayé de ne pas me garer trop

prés de leur maison mais il m’a vu quand même avec cette affreuse bosse. Depuis

la fenêtre de la cuisine il était hors de lui, fou de colère et hurlait salaud ! t’es qu’un

putain de salaud... Il avait un peu raison.

Cette histoire a duré 6 mois, c’était en juin 1983.

La meuf était, malgré tout, très amoureuse de son mec. Le papa bagarreur qui avait retrouvé son calme, sa femme et sa petite Jennifer que j’avais à

l’école. Cette petite fille a 44 ans aujourd’hui... Quant à moi, à la fin de l’année scolaire je quittais Paris pour ne revenir y vivre qu’en septembre 2003.

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Le ClubMed, J

e venais de mettre un terme à cette relation et j’avais le blues de cette maman du

XV ème. Je ne voulais plus bosser dans les écoles et je ne me voyais pas taffer en

agence ou dans une imprimerie, pas tout de suite en tout cas. Je n’avais pas de pers

-

pectives professionnelles immédiates et surtout j’étais ouvert aux opportunités.

Un jour Jean-François me dit qu’il a discuté avec un mec du ClubMed un soir en

boite. Enfin, il lui semblait, il n’était pas sur, mais que le mec allait le faire partir deux

mois aux Bahamas comme dj... Bref, comme d’hab un plan à la Jean-François Mezon

qui n’a jamais dépassé ses rêves d’une soirée.

Je ne connaissais pas du tout le club, comme tout le monde j’avais vu les bronzés

au ciné mais j’avais oublié ce film*. Vu que je travaillais avec des enfants à Paris,

Jean-François m’a donné une idée : postuler à un poste d’animateur au Mini-Club

-

Med les 3 mois d’été, m’occuper d’enfants au soleil, et ainsi oublier la nymphomane.

Le lundi suivant, après mon service, je me rends Place de la bourse au siège du Club

Méditerranée. Ce lundi aura comme conséquences 18 ans de ma vie, un mariage, un

divorce, 2 gosses et 3 petits enfants...

Arrivé dans le hall du Club je m’adresse à l’hôtesse d’accueil :

- Bonjour, je suis animateur, j’aimerais postuler pour cet été.

Je me trompais. Au Club l’animateur c’est le clown du village qui fait des pitreries

toute la journée pour amuser les gens en vacances et le service animation c’est

l’équipe qui gère les événements festifs et les spectacles, pour les enfants c’est le Mini

Club. Je n’étais pas un clown mais un peintre-graphiste et ça au club c’est une denrée

rare. Le club avait un mal fou pour trouver des décorateurs pour les spectacles du soir.

Ils m’ont recruté immédiatement et 8 jours plus tard, le lundi suivant, je partais en

formation déco dans le village de Vittel (le village c’est le nom de tous les ClubMed

du monde). Wouhaaa ! mais quel magnifique village dans cet hôtel Hermitage ! Un

écrin de verdure exceptionnel. Des bâtiments immenses et d’un autre temps, un

centre spa, plusieurs piscines, des cours de tennis, un parcours de golf, des chevaux

avec cours d’équitation. Y’avait des gens décontractes et légers qui souriaient et di

-

saient bonjour à tout le monde. J’avais l’impression d’être comme Patrick McGoohan,

le numero 8, dans la serie «Le prisonnier» qui se réveille un jour dans un village, un

lieu à l’allure édénique, luxueux, mais entièrement automatisé et irréel.

A peine arrivé ils m’ont montré l’endroit où j’allais être formé. Wouhaaa ! mais quel

magnifique théâtre, je découvrais la scène*avec mon formateur Jean-Jacques Patrigo,

* Après quelques saisons je regardais les Bronzés différemment. Le tournage a eu lieu à Assinie là

où j’ai rencontré ma future ex-épouse

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putain !

j’allais devenir scénographe ! moi qui ne connaissais le théâtre qu’à travers la télé : «et

les décors de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell» !

Immédiatement le courant est bien passé entre Jean-Jacques et moi, il réalisait de

magnifiques décors avec des toiles immenses qu’il peignait, fabriquait des réverbères

avec de la mousse, des masques géants et lumineux en bois. Il était accessible et

profondément humain, un super mec Jean-Jacques. Passionné par son travail il m’a

appris le vocabulaire de la scène : l’Avant-scène, le cadre de scène, côté cour / côté

jardin**, les coulisses, le manteau d’Arlequin, etc...

Très vite il m’a mis dans le bain. On bossait toute la journée sur scène, entre les répétitions des danseurs pour le spectacle du soir et dès que les décors étaient finis on les

montait immédiatement car le spectacle avait lieu quelques heures après seulement.

Wouhaaa ! mais quels magnifiques spectacles ! les danseurs, les danseuses, les chanteurs, les chanteuses, les musiciens, les éclairages sur les décors avec Jean-Jacques et

moi même qui étions sur le qui-vive aux commandes de la machinerie car la féerie

du spectacle dépendait aussi de nous, on ouvrait, on fermait les rideaux, on assurait

les changements de décors de façon ultra rapide c’était génial, génial, génial ! Bon,

après le spectacle on avait une petite faim.

Wouhaaa ! mais quels magnifiques restos ! Oui, plusieurs restos, les buffets faisaient

15m de long rien que pour les entrées, idem pour les autres ! que du super impressionnant ! Imaginez vous chez un traiteur gastronomique avec tous les plats dont

vous rêvez et avec le droit de tout goûter... et à volonté.

Wouhaaa ! oui Wouhaaa ! le coup de foudre, je découvrais le ClubMed et j’étais sous

le charme.

En relisant je m’aperçois qu’il manque une mise au point super importante : Le village

de Vittel était la vitrine, le must des villages du club. Dans les autres villages on avait la

même chose mais en moins prestigieux. Les amphis n’étaient pas des vrais théâtres, en

revanche les plus petites scènes étaient complètes pour mettre en place mes décors... Elle

étaient suffisamment grandes pour qu’un créa de 22 ans comme moi puisse imaginer en

grand ses illustrations afin que des danseurs, des acrobates évoluent dans mon univers

et ça c’était génial. J’ai adoré cette partie technique dans mon taf de G.o.

15 jours plus tard, formé, je partais à Chamonix pour la saison d’été au sublime Hôtel

Savoy Palace avec la lourde charge de réaliser seul une dizaine de décors. Le régisseur

faisait de bons spectacles et ça s’est très bien passé.

A la fin de la saison le club souhaitait me faire repartir en village au plus vite, J’étais

chaud, j’en redemandais pas moins. Le club avait besoin de décos un peu partout et

devant tant d’enthousiasme, à Paris, le patron des scénographes Claude Adam (un

mec super), m’envoyait même en intérim entre 2 saisons dans des villages pour des

* Le théâtre de Vittel est la copie de l’opéra Garnier.

** Le côté cour est le côté droit de la scène telle qu’elle est vue par le public. Le côté jardin est le

côté gauche. L’astuce permettant de s’en rappeler consiste à associer les initiales de Jésus-Christ

(J.C.) au dessin de la scène : J à gauche et C à droite.

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remplacements quand le déco en place claquait la porte ou pour des gros événements

quand il fallait plusieurs décos. Ainsi j’ai enchaîné les saisons et les villages pendant 3

ans.

J’aimais mon travail mais avec le temps de village en village j’appréciais de moins en

moins l’ambiance du club. Forcement c’était toujours la même chose quelque soit le

pays ou le chef de village car le chef de village était omnipotent. Beaucoup de Go le

suivaient, avec l’espoir d’être bien notés, et d’avoir un super village la fois suivante.

C’est comme ça que ça marchait.

Le chef de village est incontournable au Club, la saison dépend de lui. Il est tout

simplement le roi dans son royaume, il a le plus bel appart, il a les plein pouvoirs. Il

peut arriver le soir devant le buffet des desserts et tout renvoyer pour les refaire 30

minutes avant l’arrivée des Gm au restaurant. Il peut virer n’importe qui à n’importe

quel moment dans son village.

Au Mexique à Paya Blanca, justement, le chef de village et sa femme me gonflaient.

Moi, toujours autant susceptible et cherchant la petite bête pour partir. Après une

remarque à la con, vexé j’ai donné ma dém et je me suis cassé avec une mexicaine en

vacances, Monica, qui vivait à Mexico. Je suis resté 1 mois chez elle.

Une semaine après mon départ le 19 septembre 1985, à 7 h 19 un tremblement de

terre faisait 10 000 morts et des dégâts monstrueux à Mexico. Dingue, non ? Je ne

sais pas si Monica a eu des problèmes vu que je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles...

Arrivé à Paris, Claude Adam m’a envoyé en perfectionnement aux Ateliers de Pierre

Simonini* en tant que peintre décorateur, j’ai réalisé avec d’autres peintres des toiles

pour l’Opéra, il fallait être plusieurs, tellement elles étaient grandes. Il y avait des

sculpteurs et des constructeurs et tous ont contribué à ma formation de déco. Au

bout de 10 mois, je repartais en village à Vienne en Autriche, puis à Assinie en Cote

d’Ivoire et enfin à Agadir au Maroc.

Bon bin voila. Quoi dire d’autre... Oui, J’ai pris beaucoup de plaisir à transformer

ma scène tous les soirs, mes décors plaisaient. Je travaillais avec des éclairagistes, des

chorégraphes, des régisseurs. Après le spectacle nous étions récompensés par des

applaudissements. J’ai adoré ces moments. Voila, voila... c’est tout. Et bien non !!!

Hé ! les lecteurs ! Le ClubMed ? la teuf ! la grande teuf même !

Je ne parle pas de l’animation du club avec ses jeux, ses spectacles, etc... Mais plutôt

d’insouciance ! j’avais entre 22 et 25 ans, pas de charge, pas de loyer, j’étais payé pour

être avant tout heureux et les Gm en vacances s’éclataient et revenaient justement

pour être avec des G.o qui s’éclataient eux-mêmes ! l’idée géniale de Gérard Blitz et

de Serge Trigano c’était ça : des G.o heureux pour faire du club le symbole du bonheur, de la tolérance et de l’ouverture sur les autres. Les Gm profitaient des congés

payés et faisaient la fête.

Le club faisait rêver. C’était l’instant privilégié où on étonnait et où on allait vers

*Pierre Simonini, célèbre scénographe. Créateur de costumes et de décors sur de nombreux spectacles sous la direction de Rudolf Noureev à l’Opéra de Paris et pour les Ballets de Monte Carlo.

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l’autre. En vacances au club c’était se mettre en parenthèses le temps d’une semaine

hors du monde violent et complexe. Les publicitaires de l’époque* avaient trouvé le

slogan qui collait parfaitement au ClubMed de l’époque : «Le club, la plus belle idée

depuis l’invention du bonheur».

Le club correspondait à l’époque de mes 22-25 ans. Nous étions une équipe de déracinés, des ratés de génie, des personnages totalement atypiques qui allaient dans les

villages insuffler un vent de folie, de rires et d’insouciance. Chacun pouvait changer

de peau, pratiquer des sports sans peur du ridicule, d’aimer sans crainte ou hypocrisie, sans peur de rire sans redouter le regard de l’autre. Cerise sur le gâteau : Je

découvrais de nouveaux pays paradisiaques dans le confort du club. Le club restera

un grand moment de ma vie.

Aujourd’hui, le club est à la croisée des chemins, il devient un banal groupe hôtelier de vacances, il perd sa différence et on le trouve dans les catalogues des grand

voyagistes. C’est triste je trouve.

Oui, si vous vous posez la question : les anecdotes du film «Les bronzés» ont été fidèles à la réalité du Club de l’époque ? Oui et sans exagération. Même le mec de Gigi

qui faisait bip-bip et qui meurt à la fin c’est une histoire vraie.

Nous étions donc une belle bande d’allumés... Sur les pistes de ski, dans le village du

Charleston en Suisse, l’animateur fonçait droit devant avec un costume de bagnard,

Philou l’éclairagiste (qui allait devenir mon meilleur ami pour toujours), le sonoriste

et moi-même le suivions costumés en keufs ! Aux remontées on doublait les gens qui

faisaient la queue et on leurs distribuait de la gnôle, les Gm qui skiaient tranquilles

étaient tout contents de nous reconnaitre. De retour au village on les attendait avec

du vin chaud et des guitares, celui qui n’en voulait pas avait a faire au barman déguisé

en monstre repoussant.

Le soir à l’apéro, sapés en mafieux avec des mitraillettes, on kidnappait le cuistot qui

préparait les sardines grillées et on le libérait seulement si il nous filait le premier

plateau et ça nous faisait marrer. Après le dîner du soir qui commençait par «heureux

? ou bien ?» tous les G.o se retrouvaient sur scène pour faire et refaire les mêmes

sketchs et les crazy signs maintenant devenus cultes et copiées dans tous les villages

de vacances style Belambra et autres...

Au Mexique, un G.o m’a demandé si je pouvais coller du papier miroir sur le plafond

de sa chambre. Avec un chapeau, le ceinturon de western les 2 revolvers et des tiags,

il se filmait avec une camera fixée au plafond crac-boumant comme un cavalier avec

un lasso... Il nous faisait des coucous complices et nous étions pliés de rires.

Et oui, des gonzesses aussi, plein de gonzesses en vacances qui laissaient leurs tracas

chez elles et se lâchaient le temps d’une semaine au club. Nous étions là pour contribuer au bonheur de leur séjour. Nous étions de beaux G.o bronzés, très déconneurs

et on voulait ken ken ken. En gros, et de manière tacite, nous étions «compris dans

* L’agence de pub c’était RSCG et le S c’était celui de Seguéla

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le prix» des vacanciers. J’ai assisté plusieurs fois à des réunions de mecs G.o pour

choisir un des volontaires qui allait ken une Gm un peu chiante avec colliers bars en

guise de récompense si il y arrivait...

Au Mexique le village de Playa Blanca était un écrin de bonheur avec une sublime

plage de sable blanc à une heure environ de Guadalajara. Le matin, nous faisions du

cheval le long de la plage sur des petits chevaux mexicains de la race Palomino (mon

pseudo sur internet aujourd’hui).

Un après midi tranquille comme les autres dans la vie du village où chacun vaquait

à ses occupations, il n’y avait qu’un G.o Barman, mon poto Domino. Sur la scène

qui était face au bar je finalisais l’installation de mon décor avec l’éclairagiste. Les

G.m faisaient du sport ou se prélassaient sur la plage. De temps à autre les hôtesses

passaient avec des plateaux de fruits et des jus frais. Bref, le bonheur quotidien des

après midi au club.

Tout d’un coup dans la torpeur ambiante nous entendons le crissement inquiétant

d’une voiture et des portes qui claquent. Les 3,4 G.o présents dont moi-même allons

voir et du haut des escaliers qui menaient à la partie des bureaux. Nous apercevons le

gestionnaire, la secrétaire couchés au sol mains sur la tête et pour le coup le braquage

cette fois c’était pour de vrai !

Quel flip ! ça s’est passé super vite, oh putain je les revois sortir avec la G.o caisse un

flingue sur la nuque et l’enferme dans la coffre de la voiture ! Ils tirent quelques coups

de feu en l’air et se cassent dans un grondement poussiéreux... Whaaaa ! oh putain !

Panique au village, Attroupement des Gm autour de la caisse personne ne comprenait rien.Les vigiles de la seguridad s’engueulaient entre eux... Une heure plus tard on

avait des nouvelles de la G.o caissière qu’ils ont abandonné quelques kilomètres plus

loin dans la pampa en compagnie des scorpions, salamandres et serpents-minute (un

serpent très petit qui signifie que sa morsure provoque la mort en une minute), enfin

c’est ce que prétend la rumeur.

La gonzesse tellement flippée est repartie dés le lendemain à Paris en état de choc...

Au ClubMed, on savait tout de suite si vous étiez un bon élément.

Pour les ouvertures des nouveaux villages, ils envoyaient la meilleure équipe du

moment.

Je devais être un bon élément puisque j’ai fait l’ouverture du City-Club Vienna en Autriche, le premier ClubMed dans un complexe 5 étoiles. Aujourd’hui c’est un Hilton.

J’y suis resté 8 mois dans ce palace doté d’une pyramide de verre où se trouvait une

immense végétation tropicale avec piscine à vagues, un lagon reconstitué et tout autour des petites villas discrètes avec piscines privées. En face de la réception se trouvait un magnifique bar avec des fauteuils blancs, je suis devenu pote avec les barmans

indiens super chicos. Le soir il me faisaient goûter leurs spécialités qu’ils ramenaient

dans leur tupperware... Ils étaient vraiment cools pas étonnant de les retrouver dans

ce genre d’endroit très «flegme British».

On pouvait se restaurer dans les 7 ou 8 restos gastronomiques et il était doté du plus

beau sauna d’Europe avec rivières bouillantes sur plusieurs m2 qui entraient et sor-

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taient de la pyramide, je n’ai jamais autant fréquenté les saunas et hammams.

Il n’y avait pas comme dans les autres villages des petites chambres G.o et j’ai dormi

dans une suite toute la saison. Enfin presque, car j’allais très souvent dormir chez ma

chérie autrichienne dans le centre de Vienne. Gaby, une ravissante brune aux yeux

bleus. Elle venait bosser, comme toutes les autres réceptionnistes, dans sa robe Autrichienne à balconnets très sexy. Les mecs, eux, venaient coiffés de leurs chapeaux en

feutre avec une petite plume, shorts en cuir et longues chaussettes. Attention, fallait

pas se foutre d’eux, ils étaient super fiers de leur costume traditionnel.

La direction du club avait entrepris des travaux d’agrandissement et pour masquer le

chantier avec les grues et tout le matos dont je suis bien incapable de nommer, le chef

de village Thierry Piekart a fait installer une palissade et m’a commandé une fresque

à peindre dessus, un cache misère en sorte.

J’ai trouvé super drôle (mais pas lui) de peindre justement un chantier avec des

grues... Pas content, j’ai donc tout refait avec plaisir d’ailleurs car j’aimais bien

Thierry, le chef de village, qui contrôlait l’avancée de l’illustration cette fois...

Lorsqu’il y avait des concerts de rock à Vienne, les stars et les musiciens dormaient

au City-Club. Dés le matin c’était l’effervescence dans les couloirs pour que tout soit

fin prêt. Il y avait des aspirateurs un peu partout. C’était une clientèle de gens très

friqués et donc très exigeants. Au City-Club Vienna, J’ai vécu 2 moments exceptionnels ; le premier, c’est l’organisation d’une grande soirée en l’honneur de Rod Stewart,

je ne lui ai pas remis le disque d’or, mais, sur scène, je tenais la récompense qu’un

mannequin m’a pris des mains pour lui remettre. Puis accompagné d’un pianiste

(la galère d’ailleurs pour déplacer le piano du bar à la scène sous la pyramide...) il

a chanté Maggie May, You Wear It Well, Baby Jane et Every Beat of My Heart... Il

chantait à 3m de moi.

Autre moment incroyable, Metallica le groupe de rock dont je suis méga-ultra-fan a

donné 3 concerts à Vienne et ont séjournés au City Club avec une partie de leur staff.

Sur les 3 dates de concerts ils avaient une soirée de repos. Pour nous c’était soirée

salsa, une grande fête avec orchestre latino, buffet avec tapas, chili con carne, Corona

etc... Visiblement n’ayant rien a faire d’autre que se divertir, ils sont venus se joindre à

nous simplement. Nous avons bringué avec eux toute la soirée. Imaginez la farandole

entre le batteur et James Hetfield le chanteur guitariste Metallica !

Un matin, le maître nageur de service a dû s’absenter quelques heures soudainement.

Il en fallait un coûte que coûte. Je le remplace, j’enfile le tee-shirt réglementaire. Ça ne

me dérangeais pas de rendre service, je bouquinais, car il ne se passait jamais rien.

C’était une semaine particulière car nous organisions un championnat de magie.

Je faisais parti du jury. Ça commençait vers 17 heures par la magie de proximité, le

close-up. C’est une représentation devant un public restreint avec des tours bluffants

de cartes ou avec des balles, ils t’enlevaient ta montre sans te toucher. Le jour où ils

sont partis un magicien qui nous saluait nous a fait un dernier tour : nous avons

signé une dame d’un jeu de carte, nous les 2,3 Go présents. Bim, bam boum à un moment il claque ses mains les cartes s’éparpillent et l’une d’entre d’elle s’en échappe et se

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colle au plafond du hall... Bingo ! ça se trouve elle y est encore avec ma signature.

Le soir c’était le grand concours de la magie de spectacle. Sur scène les magiciens, accompagnés d’assistantes, exploraient une autre facette de la magie, celle des machineries présentant des numéros comme la femme coupée en deux, la malle transpercée

d’épées, la lévitation, etc...

C’était super, sauf, quand justement ce matin là, moi qui suis qu’un piètre nageur

j’étais le temps d’une matinée le «Maître nageur» sauveur d’une vie. Un des magiciens

qui préparait son show a laissé s’échapper une de ses petites perruches qui est tombée

accidentellement dans l’eau. N’écoutant que mon courage, j’ai plongé tout habillé

pour aller chercher le petit oiseau effrayé qui a bien failli se noyer si je ne l’avais pas

sauvé héroïquement, C’est cool, non ?

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Cubuc*,

« Mais laissez moi remido ! » C’était le cri de mon poto Guiseppe le caissier Napolitain.

A 4h du matin il tentait de s’endormir avec nous dans le bungalow juste

derrière la scène du village d’Assinie en Côte d’Ivoire. Avec mon autre poto

Daniel l’ingénieur du son, la nuit, on s’acharnait à lui apprendre le verlan...

Guiseppe qui parlait tout juste le français s’efforçait de nous faire plaisir encore et

encore car il avait sommeil. Grâce à la Gandja locale on y arrivait super bien. Pauvre

Guiseppe.

On faisait la fête 24 sur 24.

Nous étions à Assinie 4, 5 Gentils Organisateurs, même très gentils avec les jolies

Gentilles Membres**, mais pas très coopératifs avec les autres G.o qui étaient à la

botte du chef de village. Ils nous toléraient. Nous faisions de très beaux spectacles.

Amadi qu’il s’appelait, le chef de village, un abruti fini, toujours accompagné de sa

fidèle cheffe des sports Françoise Gravière, l’idiote aux dents ambitieuses qui rayaient le

plancher de ma scène et comme Iznogoud, elle voulait être calif à la place du calif. Elle

convoitait le poste de cheffe de village qu’elle obtiendra quelques teubs*** plus tard.

Claudie était hôtesse d’accueil. Je dois reconnaitre que c’était une très jolie fille, je

dirais même une bombasse. Brune aux yeux verts, bronzée, elle savait se mettre en

valeur. Elle était super forte en maquillage et en sapes moulantes. Tous les mecs vou

-

laient se la faire, elle était très sollicitée.

Je suis resté 6 mois à Assinie et je ne l’ai pas calculée les 5 premiers mois.

Sa sœur jumelle n’était autre que Françoise (et aussi laide que sa sœur était belle) la

cheffe des sports et ennemie personnelle N°2. Je la méprisais, je voulais me barrer, ils

me gonflaient.

Je ne fricotais pas trop avec les gonzesses G.o, du village je préférais les vacancières

qui ne restaient qu’une semaine pour laisser la place à de nouvelles la semaine

suivante etc... Mais, quand l’occaz’ est venue de ken L’c, la frangine méga-bonne de

la cheffe des sports, je ne m’en suis pas privé. Et comme c’était cool, je ne m’en suis

pas privé la nuit suivante (et pas que la nuit) puis toutes les nuits pendant 3 semaines

avant que Manic son ex l’apprenne.

Aie, aie, aie Manic c’était mon chef de service... et L’c l’avait largué quelques semaines

* Les seules fois dans le livre, que je nommerai mon ex-femme par son surnom Cubuc et son

prénom Claudie, Je préfère L’c. Ça lui va beaucoup mieux. Je n’ai aucune envie de me remémorer

les moments de joie ou de tendresse vécus avec elle.

** Les Go gentils Organisateurs, les Gm les gentils membres, vacanciers au Club Med.

*** Comprend qui veut.

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plus tôt pour batifoler avec le beau maître nageur qu’elle a largué ensuite pour tomber dans mes filets... Et c’est de moi quelle était amoureuse depuis 3 semaines.

Ils étaient tous verts de jalousie quand ils l’ont appris (le chef de village, la frangine

cheffe des sports, mon chef de service et le maître nageur...) Viré, j’ai pris l’avion 2

jours après.

Aussitôt, arrivé à Paris la direction du Club m’a renvoyé en village, à Agadir au Maroc.

Je connaissais le chef de village, Stéphane, sa meuf Cathy et plusieurs de mes potes y

étaient pour la saison même Daniel mon poto ingénieur du son nous a rejoint pour

faire la saison avec nous. Je m’étais juré que cette saison serait la dernière, j’avais fait

le tour du club et j’en avais assez.

Lorsque L’c est rentrée à paris, sa saison d’hiver à Assinie terminée, le Club lui a proposé le village de Puket en Thaïlande, mais visiblement trop amoureuse et au grand

dam de ses responsables Parisiens elle a préféré me rejoindre au Maroc. Sans être

payée... Cette décision aura un effet radical : grillée elle ne sera plus jamais employée

par le clubMed.

Contre vents et marrées elle m’a retrouvé là-bas à «Agadir-c’est-du-champagne» et très

vite notre couple a déchanté car elle était maladivement jalouse, c’était insupportable.

Vous imaginez une meuf jalouse au club ? Imaginez-vous suspecter un gourmand

dans une pâtisserie ? Au bout de quelques jours après son arrivée, nous n’étions plus

qu’un «couple» de G.o de plus et c’était à l’encontre de tout ce qui m’amusait au club

à savoir papillonner de meuf en meuf. Elle était ma gardienne avec une laisse et un

sifflet qui retentissait à la moindre suspicion, au moindre décolleté qui passait prés de

mon local qu’on appelle «la deco»...

La fougue des premiers jours en Côte d’Ivoire n’était plus qu’un lointain souvenir et

je regrettais amèrement d’avoir accepter qu’elle débarque au Maroc. Moins d’1 mois

après son arrivée à Agadir, je lui ai demandé de repartir.

L’c :

- Quoi ! tu me vires ? j’ai refusé Puket pour toi. Tu m’as voulu, tu me gardes.

Elle s’est accrochée à moi comme une Sangsue, puis au bout de quelques semaines,

elle est tombée enceinte au pire moment là où commence le désamour. On avons

décidé ensemble qu’un avortement* serait la moins pire des choses dans ces circonstances de fin d’histoire de couple. Elle était déçue de cette situation amoureuse et

faible moralement après cet avortement dans un hôpital Marocain. Fatiguée, Je ne

pouvais pas la renvoyer chez elle dans de telles conditions, il me fallait un peu de

temps.

Bingo ! Pas de bol car au cœur de la saison début Juillet, une annonce soudaine de

Paris nous a tous stupéfait. Le village d’Agadir fermait dès la fin de la semaine pour

rénovations et nous allions tous être mutés dans un autre village, tous sauf L’c qui

n’avait plus de contrat... Je sais bien qu’avec des si etc... mais l’arrêt brutal de la saison

a chamboulé mes plans. Je voulais attendre gentiment la fin de la saison pour qu’en

septembre chacun de nous puisse partir libre vers un autre village comme d’hab,

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mais là... La rupture était brutale.

Déprimée elle n’avait plus de boulot et j’allais la quitter par la force des choses car ma

nouvelle mission était programmée dés la semaine suivante à Ixtapa, sur les plages de

sable doré du Mexique, au village on m’attendait.

Prématurément nous sommes rentrés le 20 juillet 1987 en France. Je l’ai raccompagnée chez elle en Auvergne. Je ne devais rester que 2 jours dans son village à Saint

Babel. C’est dans le département du Puy de Dôme, puis je devais repartir à Paris 2, 3

jours et rester avec mes parents avant de m’envoler vers la nouvelle saison Mexicaine

qui aurait du prendre le relais.

C’était fin juillet, le soleil se couchait majestueusement sur la chaine des puy, ses

parents n’étaient pas là, un sursaut d’affection s’est installé peut être parce que c’était la

fin de notre histoire et nous avons passé une semaine idyllique. Je ne suis plus reparti

au club. L’c est tombée enceinte 5 mois plus tard et Étienne est né le 7 Août 1988. Félicitations Coco tu t’es retrouvé enchaîné avec une meuf que tu voulais quitter. Bravo.

Je me demande si L’c se rappelle parfois de tout ça ? Je suis resté pour elle et ma vie

s’est peu à peu dégradée parce cette gonzesse ne me correspondait pas. Au revoir la

vie simple, facile et amusante. Bonjour la galère des jours difficiles chez les ploucs et

loin des miens.

Cette meuf m’a entraîné vers le fond. L’c est largement plus bête que bonne et c’est justement parce-qu’elle était uniquement «bonne» qu’elle a eu des opportunités dans la

vie. L’opportunité de me connaitre par exemple. Elle ne pourra jamais nier que si elle

vit aujourd’hui dans le Golfe de Saint-Tropez c’est grâce à moi, si elle a vécu sans rien

foutre à Cannes et à Limoges dans des magnifiques baraques c’est grâce à moi aussi.

Aux Antilles, son taf et la belle maison créole n’étaient pas le fruit de son travail, car

c’était une vraie feignasse de surcroît.

En 15 ans de vie commune je ne l’ai jamais vu ouvrir un livre pas même un livre

illustré par exemple. Je n’ai jamais pu lire une lettre écrite de ses mains. Elle mélangeait des signes de sténo avec les lettres et à la place d’un M par exemple ce n’était

qu’un trait illisible. Elle se servait et revendiquait mon Cv comme si c’était le sien, elle

s’inventait une intelligence, une culture juste pour paraître «comme si» mais elle était

juste bête et diablement bonne...

Elle fumait comme un pompier et chez ses parents elle laissait consumer ses clopes

* J’ai accompagné 2 fois des copines enceintes se faire avorter.

Même si c’était d’un commun accord, nous n’étions pas super fiers de nous.

D’autant plus qu’à chaque fois c’était à l’étranger, donc plus difficile à faire. Il y avait la barrière de

la langue et nous n’avions aucune connaissance des mœurs et des considérations locales.

A Vienne en Autriche avec Julienne, ma copine écossaise, dans une clinique aux murs roses et

fleuris.

Et avec L’c mon ex-femme à Agadir au Maroc. A chaque fois, même si c’était une évidence que

nous ne le voulions pas, la décision d’y aller était cruelle.

Je ne voulais plus revivre ces moments.

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sur le lavabo pendant quelle passait des heures à se maquiller, il y avait plein de

traces jaunes sur l’émail et c’était franchement dégueu.

Elle était très instable, nous avons déménagé un nombre incalculable de fois et une

fois divorcée c’était pire. Même le juge des affaires familiales s’y perdait et ne savait

plus ou envoyer les convocations. A la maison elle changeait les meubles de place

sans arrêt, ne savait pas cuisiner en se foutant bêtement du budget à tenir... Pour le

coup et pour employer un mot à la mode c’était une meuf complètement déconstruite

! Je pourrais noircir des pages et des pages sur l’enfer que j’ai vécu avec cette femme,

cette idiote 15 années durant.

15 années où elle et les enfants (on y arrive aussi) m’ont laminé, écrasé, détruit, pour

ne devenir que l’ombre de moi-même. Lorsque je suis revenu à Paris en septembre

2003, je n’avais plus rien même plus de ceinture à mon jean’s.

Après avoir passé plusieurs années avec elle j’étais abandonné, ruiné et un genou à

terre. je suis allé me réfugier chez mes parents. J’avais besoin de réconfort, j’avais

besoin de leur amour pour me reconstruire à mon tour.

Les chapitres qui suivent survolent amèrement ces 15 années riches en expériences

professionnelles et désastreuses pour ma première vie «en famille*».

Juste un truc pour conclure ce chapitre Cubuc, en quittant l’appartement conjugal

pour divorcer quelques mois plus tard, je lui ai dit :

- Dans 20 ans on verra qui de toi ou de moi, sera le plus heureux.

Je ne pensais pas si bien dire. Mais, après tout, je n’en sais rien...

*Aujourd’hui je vis ma seconde vie «en famille» avec ma Fanychou d’amour et ma petite Sophie

mon trésor. Aux dernières nouvelles je crois bien que L’c vit seule et galère toujours financièrement.

C’est triste.

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Les puces-2, En septembre 1987 nous avions définitivement quitté le ClubMed. Après

notre retour d’Agadir mi-juillet avec L’c nous avons pris quelques semaines

de vacances et nous n’avions plus de taf. J’ambitionnais de bosser à la télé ou

dans un théâtre Parisien comme peintre-déco et nous sommes remontés à

Paname avec toute une liste d’adresses où postuler dès le lundi.

Le Dimanche après-midi il faisait beau et nous nous sommes promenés aux puces.

Pas coté fringues où je bossais mais plutôt à l’intérieur des puces du coté des anti

-

quaires ; du pittoresque Marché Vernaison au Marché Biron qui rappelle les fastes

parisiens d’antan puis en passant par les allées couvertes du Marché Serpette et le

long des petits pavillons couverts de glycines de la rue Paul Bert.

Aujourd’hui encore je me ballade encore inlassablement dans tous ces marchés si

mystérieux je ne m’en lasse pas. A la place de l’actuel Marché Malassis il y avait un

grand hangar-magasin de déco : le Saint-Honoré Paris. Tout les chineurs connais

-

saient cet endroit atypique de la rue des Rosiers. On ne pouvait pas le rater car une

gigantesque sculpture d’escargot en laiton trônait à l’entrée du dépôt et elle était

visible par tous.

Bienvenue le monde surréaliste de Saint-Honoré au cœur des puces à la périphé

-

rie de Paris. Dés l’entrée nous étions transporté dans l’imaginaire. Des artistes, des

designers, des farfelus déco, des plasticiens collaboraient avec Hubert (le propriétaire

on y arrive, un peu de patience...). Des lampadaires tentaculaires géants, des miroirs

papillonnants ornés de pierres multicolores et lumineuses nous accueillaient, des

commodes constituées d’éclats de miroirs, des armoires recouvertes de coquilles

d’œufs émiettées recollées et reconstituées patiemment une à une, des têtes de lions

en laiton frappé, des lampes de chevet en pâte de verre absolument magnifiques, des

peintures animaliste dans tous les formats, des sculptures en acier compressé ressem

-

blant à celle de César étaient agencés dans ce lieu extraordinaire.

A l’étage on y trouvait des meubles en bambou, des paillotes en mobilier exotique,

des objets de déco, des animaux empaillés, des bouddhas, etc… Puis il y avait des

canapés originaux qui étaient réalisés sur mesure avec le choix de les faire en léopard,

en crocco avec des cuirs de toutes les couleurs, des tapis de folie c’était très créatif.

Je fouille dans ma mémoire pour ne rien oublier de ce fantastique endroit.

Je me souviens des lits avec en tête une queue de paon déployée en métal avec des

émaux de toute beauté, il y avait aussi des commodes en zèbres avec des défenses de

rhinocéros pour ouvrir les tiroirs, des vasques baignoires avec des robinets en laiton.

Depuis l’étage on apercevait en contre bas l’espace réservé et privé pour Hubert, ses

vendeurs et ses invités. C’était juste un véritable oasis urbain : des cascades d’eau au

milieu des roches avec une végétation tropicale, des animaux empaillés plus vrais

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que nature étaient disposés avec justesse il y avait même le bruit de la forêt tropicale

comme musique de fond. D’un coup nous étions chez Tarzan... On devait franchir un

pont en bambou pour passer du magasin à l’oasis. On pouvait prendre une boisson

sur le bar Art-déco et la machine à café qui était en métal doré dans le style italien

des années 20 avec son corps vertical, une œuvre d’art.

C’était une machine professionnelle historique, fabriquée à la main et le café à l’aide

de pistons préparerait le vrai expresso...

Donc, en ce dimanche de fin d’été nous poursuivions notre ballade et comme d’hab

nous sommes allés faire un tour à Saint-Honoré par curiosité et pour profiter de ce

lieu insolite., Nous nous sommes assis sur un de ces fameux canapé «bisou» et nous

en prenions plein la vue et juste au moment de s’en aller...

Un mec se pointe vers nous, des cheveux blancs en bataille, une tronche toute ratatinée et sapé d’une salopette rose et trop grande qui laissait visible ses mollets. Détail

amusant il portait de grosses sandales blanches avec des petites fleurs. La soixantaine, il ressemblait un peu au poto de Jack Nicholson dans l’hôpital psychiatrique de

Vol au-dessus d’un nid de coucou.

C’était Hubert.

Après des études de cuisto, il avait gagné des thunes en faisant du porte à porte, pas

pour des assurances mais pour vendre des montres ! Il vivait dans un sublime hôtel

particulier avec ascenseur privé s’il vous plaît dans le XVII ème chicos tout prés de la

place des Ternes. Un personnage de Bd je vous jure.

Quand il m’a recruté je lui ai dit que j’avais fait les Beaux-Arts et lui m’ retoqué qu’il

avait fait «Sup-Chart»... l’école Supérieure de charcuterie !

Amateur de plats cuisinés qu’il préparait toute la matinée, il conviait ses vendeurs à

déjeuner tous les midis à de véritables plats de restos étoilés. Nous prenions place autour de l’immense table ronde en pierre. Elle faisait au moins 25 cm d’épaisseur ! Au

centre il y avait une grille avec des braises actives pour les viandes et la hotte qui était

juste au-dessus se dressait vers le ciel tel un tronc d’arbre géant... Délirant cet endroit.

Hubert :

- Alors les amoureux, il est bien mon canapé bisou, hein ?

Aujourd’hui nous faisons 20% aux tourtereaux.

L’c et moi :

- Bin, ça ne va pas être possible on est sans emploi.

Hubert surpris :

- Sans emploi ? vous vous foutez de moi ?

Faut dire que nous rentrions de vacances et (je me répète, désolé) sans fausse modestie nous étions jeunes beaux et bronzés. Et pour être tout à fait franc L’c avait 25 ans.

C’était un canon.

Elle était le sosie de Sophia Loren. C’était vraiment une très jolie fille et terriblement

sexy.

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L’c et moi :

- Oui, nous venons tout juste de démissionner du ClubMed.

Je suis déco et ma copine hôtesse d’accueil.

Hubert :

- Déco ? hôtesse ? mais moi ça m’intéresse, vous êtes Parisien ?

Mes parents vivaient juste à coté depuis quelques mois rue Dieumegard mais je ne

voulais pas squatter dans leur petit appart car les pièces étaient en enfilade, pas super

pour l’intimité...

L’c et moi :

- Bin, c’est à dire que... Mes parents sont pas très loin mais...

Hubert m’interrompt d’un mouvent large du bras il avait compris que je voulais être

indépendant avec ma meuf.

Hubert :

- Je peux vous dépanner si vous voulez. Vous avez une voiture ?

L’c et moi :

- ?

Hubert :

- J’ai une résidence secondaire à 1h00 de Paris, nous pouvons y aller demain si

vous voulez.

Ça c’est réellement passé comme ça.

Hubert voulait transformer le dernier étage de sa boutique. Il était pressé car il devait

faire impérativement une déco pour une inauguration prochaine. Une aubaine ! c’est

tombé à pic. Nous avions 4 mois pour imaginer et habiller cet espace sous les toits en

véritable hangar pour avions d’avant guerre, c’était son souhait et donc sa commande.

Un chantier génial.

Hubert était un original lunaire, friqué et lunatique, il donnait l’impression d’être un

crétin qui aurait trop bouffé de champignons hallucinogènes, mais détrompez vous,

il avait une calculette coté droit et un tiroir caisse coté gauche du cerveau et il arrivait

très vite à se faire un topo des gens qu’il croisait dans sa boutique d’invitation au rêve.

Un très bon physionomiste doté d’un sens des affaires aigu.

On a du lui faire une bonne impression car ils nous a embauché comme ça sur le

champ au feeling. Le lendemain, comme proposé, nous sommes donc partis en

balade. Nous pouvions faire plus ample connaissance. Avant d’arriver au lieu de résidence il a tenu à faire un détour pour nous présenter le sculpteur qui réalisait toutes

les œuvres en laiton du magasin.

Je prends quelques instants pour me remémorer l’épisode c’était il y a 35 ans ! En écoutant Joe Cocker les images me reviennent peu à peu, comme si je fouillais dans le grenier de ma mémoire pour dénicher les vieux albums poussiéreux. Il y avait longtemps

que je n’avais plus raconté cette histoire à quiconque...

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A quelques kilomètres de Paris nous faisons une halte dans la propriété magnifique

du sculpteur d’hubert. Elle était reconnaissable car ses œuvres s’étalaient un peu

partout dans le parc.

Putain de baraque ! Un corps de ferme en pierres de taille brutes au calme avec de

nombreux arbres centenaires, des chevaux élégants qui gambadaient tranquillement

et des petits oiseaux gazouillaient bref, un havre de paix.

L’artiste était un arrière, arrière petits fils de Napoléon III. Un diplôme accompagné

d’un arbre généalogique encadré au centre de la pièce principale le prouvait.

Il avait un talent fou mais d’entrée L’c s’est sentie mal à l’aise : toutes les poignées des

portes étaient des grosses teubs en laiton et Hubert s’est félicité des fontaines qu’il lui

commandait pour son magasin. Ces grandes fontaines sculptées étaient sublimes au

demeurant, sauf que les robinets étaient également des braquemards pas possible...

L’c :

- Houla ! mais c’est énorme !

Hubert faisant une révérence se désignant :

- Et voila le modèle !

(il refera le coup à chaque fois au magasin avec les visiteuses choquées...)

Puis les 2 compères amusés (je pense qu’ils devaient faire la même démo à chaque

fois)

- Mais venez, on va vous montrer le reste des pièces !

Effectivement c’était original, déjà que la baraque était super belle mais agencée par

un sculpteur elle devenait un véritable musée privé.

Wouhaaa ! à l’étage une immense chambre aux murs repeints de multiples couleurs

psychédéliques et une immense baie vitrée pour mieux faire entrer la lumière nous

faisait délirer. Il y avait un mobilier comme je ne verrai plus. Le lit était rond de 3m

de diamètre évidement tout décoré en laiton oxydé avec un matelas super épais sur

mesure.

Hubert et le sculpteur devant notre émerveillement :

- Allez ! essayez le... allez, allez !

Timidement, nous nous allongeons sur le paddock pas trop rassurés et les 2 autres

nous mataient sourire en coin. Ah ouais ! trop cool et moelleux à souhait et dans les

5 secondes suivantes le lit commence à tourner doucement et nous étions agréablement surpris... mais quand tout à coup le lit a changé en mode essorage, il se mit

trembler de plus belle au point où nous ne pouvions plus nous relever ! c’était la crise

de panique et crise de rires collective.

A coté du lit la baignoire était aussi grande. C’était une vasque aux parois transparentes incrusté dans le sol de la chambre ce qui fait qu’on pouvait assister au spectacle

d’une ou plusieurs personne qui prendraient leur bain depuis le rez de chaussée, mais

nous, nous ne sommes pas fait avoir cette fois là...

Il était midi et nous décidâmes d’aller au resto du coin, c’était cool une table ombra

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gée au bord de la rivière. On commande des steaks frites. Le service était un peu long

et Hubert perdait patience. Quand ils nous ont servis, la salade n’était pas de toute

première fraicheur... Au moment de couper sa viande elle n’était pas cuite «à point»

comme Hubert l’avait commandée... Visiblement excédé il saisit un bout de viande

entre le pouce et l’index de la main droite et une pauvre feuille de salade entre le

pouce et l’index de la main gauche puis il se lève et va à l’encontre de la serveuse-patronne en agitant les aliments sous son nez :

- C’est infecte chez vous Madame !

Furax, la bonne-femme hurle et appelle son gros mari qui était derrière le bar.

Furibond, le mec se pointe, un nerf de bœuf à la main, putain, ça virait au carnage...

Le Sculpteur qui les connaissaient a réussi tant bien que mal à calmer un peu tout le

monde, mais la bonne-femme vexée nous a enlevé les assiettes qui étaient sous nos

nez et nous a viré devant les autres clients effarés... Nous reprîmes la route le ventre

vide... Direction la résidence secondaire qu’il allait très gentiment nous prêter pour 4

mois.

En réalité, nous y sommes allés que 2 ou 3 week-ends car Papa-Maman passaient la

majorité de leur temps à la campagne et ils nous laissaient l’appart de St Ouen. Ceci

dit même pour 2 ou 3 week-ends c’était le paradis sur terre son moulin... Et oui, un

moulin restauré sur les rives du Loiret, à 3 ou 4 kms d’Orléans, aux portes des Châteaux de la Loire.

C’était dans un véritable moulin à eau dans un cadre de verdure, un lieu confidentiel

et secret. Tout au bout de l’allée, on découvrait avec émotion l’endroit.

Rien que de l’apercevoir on savait déjà qu’on passerait un moment privilégié.

À l’intérieur l’atmosphère était subtile et précieuse. Chaque détail comptait, les

meubles, les fauteuils super confortables et les ouvertures des fenêtres étaient pensées

comme des tableaux sur l’eau, il y avait des tissus et des tapisseries aux couleurs tendances sur les murs. A l’extérieur, la terrasse dominait la rivière sur un cadre naturel :

des canards et des cygnes faisaient leur spectacle devant nos yeux, faisant partager un

bouquet d’émotions. C’était vraiment cool.

J’ai rempli ma mission et nous sommes restés amis avec Hubert. En 1992 j’ai bossé

encore une fois à Honoré Paris pour une fresque et je crois qu’il est décédé en 2000.

Je suis retourné aux puces la semaine dernière, le magasin n’existe plus, c’est un terrain vague au beau milieu des allées commerçantes... C’est triste.

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Madinina, C‘est l’ancien nom de l’île que les Arawaks avaient donné à la Marti

-

nique.

Ce nom signifiait « île aux fleurs ». Et des fleurs j’en avais plein mon

jardin à Didier sur les hauteurs de Fort de France. Mon voisin c’était simple

-

ment... le sous-préfet !

Il était extrêmement discret contrairement à nous puisqu’on bossait dans la mai

-

son d’à coté. François et Fabienne habitaient à l’étage. L’c, Étienne et moi au rez

de chaussée d’une superbe maison créole blanche. Les portes étaient vertes pastel

et la grande terrasse s’ouvrait sur un jardin fleuri rempli de cocotiers. Un endroit

magnifique.

Nous étions des vrais cool, quand j’y repense avec nostalgie. Tee shirt, short et

tongs toute l’année ! on pouvait se baigner avec le levé du soleil, on faisait d’inter

-

minables siestes dans des hamacs avant d’aller zouker la nuit sur la plage.

Free-lance je facturais mes prestations, mais pendant les 3 ans que je suis resté là

bas je n’ai jamais remboursé la Tva ni payé le moindre impôt... Avec François on

a même assuré la maison que la veille du cyclone Hugo et même que l’assureur

n’était pas dupe. Faut dire que c’était lui aussi un poto bien allumé...

Avec mes 2 partenaires de travail François et Patrick, nous étions des créas qui ne

manquaient pas de créativité. Nous formions un trio de choc ; François concep

-

teur rédacteur chevronné, Il avait bossé en agence de pub et il écrit vraiment

bien. Patrick un photographe talentueux et moi graphiste. Avions-nous besoin

de reggae ? ok, Burning Spear, The Abyssinians, Steel Pulse, Bob Marley & The

Wailers, Third World, Black Uhuru, Peter Tosh et The Gladiators nous accom

-

pagnaient toute la journée. Pas de problème aussi quand nous avions besoin

de ti’punch et de féroce d’avocat l’apero local, on allait au lolo* du coin et on en

profitait pour faire une partie de dominos, avec les vieux du rade. Bon ok, ok....

Mais... il nous fallait surtout de la weed ! la beu locale ! Extra fine et à volonté

pour faire le job qu’on nous demandait, c’était parfait. Bref, nous vivions la cooli

-

tude à l’antillaise.

Nous avions des clients qui nous donnaient du travail au grand dam des agences

de pub locales... Des clients békés** comme José Hayot, Claude Despointes. Ils

étaient très puissants et détenaient les grandes enseignes nationales : Renault,

Conforama, Leroy-Merlin, Carrefour etc... Nous avions aussi des clients «grands

* Les lolos ce sont les épiceries et bric-à-bracs, locaux. Le rdv de tous les cools aussi

** Les Békés sont des blancs créoles descendants des premiers colons et maîtres d’esclaves.

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Mulâtres» comme Jean-Claude Asselin de Beauville ou Didier Orsenec*, Ils étaient

à la tête des médias, des théâtres nationaux. Ils étaient aussi à la tête des mairies, du

conseil Général, régional, départemental et des associations. Nous avions enfin pleins

de «petits» clients insulaires qui commandaient un logo, une affiche ou une brochure au

quotidien. Pour moi, il n’y a pas de petits clients.

Oui, une belle clientèle, que j’ai prospectée une à une dès le lendemain de mon arrivée

sur l’île.

Comment suis-je arrivé aux Antilles ? En 1988, après le ClubMed, L’c est tombée enceinte rapidement. Nous avons bossé 4 mois chez Hubert aux puces (chapitre 25) puis

nous nous sommes installé en Auvergne et au début c’était très sympa. A Chamalières

nous avons loué un appartement spacieux construit sur la roche noire de Volvic, un

rocher intérieur décorait notre séjour. Dans le centre de Clermont Fd, j’ai trouvé un

job de graphiste dans une agence de communication événementielle. Bingo !

Le boss, Christian Legrand** était un amoureux des Antilles. Son agence organisait

pour la première fois une course de motards Auvergnats à la Martinique. Pour faciliter

l’organisation locale, il avait créé une deuxième agence à Fort de France.

Depuis Clermont-Fd on supervisait l’événement. Il fallait mettre

en place une équipe logistique incluant mécaniciens et personnel

médical. Organiser les balisages des pistes de la montagne Pelée

au Diamant, la plus belle des plages. Nous avions un énorme

travail. J’ai fait la brochure, les annonces presse, les affiches et le

décor du stand pour le salon du voyage et de l’aventure au palais

des congrès de Clermont Fd, bref, je m’amusais bien.

Pendant ce temps, les gravos*** commençaient à m’insupporter.

Surtout madame gravos mère. Elle était gnan-gnan et cucu, ça sonnait faux. En effet

derrière son look de plouc bourgeoise attentionnée se cachait une fouine intrusive et

omniprésente.

Savait-elle d’où je venais, le comprenait-elle ? Même si j’avais su me faire accepter dans

cette famille Auvergnate je vivais loin des miens... Ils s’imaginaient l’histoire fulgurante

d’une transformation soudaine d’un zonard de banlieue mué en gentil gendre docile

de plouc-ville, comme ça en quelques semaines. Qui sait ? ça aurait pu marcher. Aujourd’hui la famille Dromoise de Fanychou, au bout de 8 ans est en passe d’y arriver...

Enfin presque, y’a encore du boulot.

Dio m’avait envoyé une opportunité qui était trop belle pour fuir cette Auvergne étouffante :

- Christian, accepterais-tu que je représente l’agence aux Antilles ?

Le mec à accepté de suite. Il me prêtait son appart de Fort de France le temps que j’en

trouve un. L’c enceinte jusqu’aux dents, était super enthousiaste.

* Les mulâtres l’élite noire bourgeoise, intellectuelle et politique de l’île.

** Christian Legrand le boss de l’agence CLP (Christian Legrand Promotion)

*** Les gravos, c’était en réalité la famille Gravière mon ex belle famille

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En revanche, la belle famille gravos outrée, traumatisée, ne pouvait rien faire pour

nous empêcher d’y aller. Ils pensaient que nous ne pouvions pas nous casser au bout

du monde avec un tout petit bébé ! Et pourtant,si, nous l’avons fait. Étienne est né

le 7 aout, nous sommes mariés et baptisé Étienne le 3 septembre et le 11 septembre

1988*** nous décollions vers Fort de France.

Aujourd’hui à 60 ans quand je repense à tout ça, je me dis que j’avais un sacré courage et extrêmement confiance en moi. Bravo coco. Dans le rétro je me regarde et je

vois ce mec de 26 ans croquant la vie à pleines dents. Putain, comme il a eu raison de

le faire, quelle belle aventure !

Un jour en 2013 mon fils Étienne se tenant le front avec son pouce et son index et en se

secouant la tète d’un air désespéré me dit :

- Et, dire que tu as osé partir avec moi, bébé, aux Antilles ! Tu étais inconscient.

Mais quel sombre naze ce mec, il ne mesure pas la chance qu’il a eu de faire ses premiers pas là-bas au milieu des anthuriums, des oiseaux de paradis et des hibiscus* ...

Décidément nous ne serons jamais sur la même longueur d’onde.

Comment regretterais-je tous ces merveilleux souvenirs d’Étienne

bébé qui à 1 an répondait à la question suivante :

- Ils sont où Papa, Maman et Tieno ?

Le bras tendu il pointait son doigt sur l’horizon et disait :

- Ils sont loin, loooiiiinnn sur la belle plage !

L’appart de Christian était dans le ghetto blanc «la Marina» des

Trois-Ilets. Fallait prendre une navette pour se rendre à Fort de

France. Le deuxième ou le troisième soir de notre arrivée (au tout

début en tout cas) j’ai rencontré mon pote Jean-Paul, un martiniquais de métropole

marié avec Chantal une blonde. Ils avaient deux petits métis blonds et la peau café

au lait. Jean-Paul avait grandi dans une cité Hlm en métropole et un jour ils sont revenus vivre à Fort de France. Il parlait créole aussi bien que le bon verlan de la zone.

Fan de hard-rock, ça a matché de suite entre nous.

Bon, ok, il faisait un peu peur. Il ressemblait à Mike Tyson, une tronche de lascar

évadé de taule. Quand il souriait il lui manquait une incisive qui lui donnait d’un

coup un visage attendrissant comme les gamins de 6 ans. Ils avaient un petit resto

à Fordeuf** Rue Victor Schoelcher. J-Paul cuisinait. Rien d’exceptionnel à la carte ;

steak frites et burgers, mais en 3 ans je n’ai jamais payé. Un prince ce mec.

La première fois que nous sommes allés chez lui en famille avec Étienne dans le couffin c’était un dimanche midi. Il est venu à notre rencontre au ponton de l’anse mitan à

10 minutes de notre appart, il tenait dans sa main une machette.

Non pas pour nous découper en petits morceaux mais pour nous frayer un chemin

vu qu’il n’entretenait pas son jardin et là-bas les espèces végétales y sont nombreuses

* fleurs et plantes tropicales

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* Fdf, l’abréviation écrite de Fort de France et Fordeuf à l’oral.

: les lianes, les plantes tropicales. Si vous n’entretenez pas votre jardin en 2 semaines

c’est la jungle.

Très cool à un moment il marche sur un truc, il regarde se penche et donne un coup

violent de machette sur un serpent ! Je peux vous assurer qu’ensuite nos pas étaient

exactement dans les siens pour arriver chez lui entiers et en vie.

Dans sa maison créole, Ac-Dc et Bon Scott hurlaient Highway to Hell et les ti’punch se bousculaient pour l’apéro. Jean-Paul entamait alors son show et il le refera à

chaque fois : tout en dansant devant le repas qu’il préparait sous nos yeux, les couteaux valsaient, la bouteille d’huile faisait une pirouette avant de laisser un filet dans

sa casserole fumante tout en feignant de jouer un solo comme Angus Young :

- Bim mon frère ! chope les piments » qu’il nous lançait à la volée.

La première fois, moi, toujours aussi maladroit, j’ai éclaté un piment dans ma main

puis machinalement j’ai effleuré mon œil... J’ai bien cru que l’œil allait exploser dans

ma tête. En 3 ans, je n’ai jamais vu Jean-Paul couper l’ananas 2 fois de la même façon,

pareil pour la noix de coco et il ne m’a jamais refait 2 fois la même recette de poissons. Chantal sa gonzesse, aimait en faire des caisses et se faire remarquer. Blonde et

sexy, elle excitait tout le resto quand elle servait le plat du jour.

Elle était très amoureuse de Jean-Paul et croyez moi personne

n’aurait aimé le voir jaloux et contrarié. Il avaient un chien So-

crate et une chienne... Clito.

Un soir, en rentrant du boulot ils ont retrouvé Clito morte dans

le jardin, Jean-Paul ne c’est pas démonté pour autant ; il a embro-

ché la chienne et l’a cramée. Une incinération maison.

Depuis leurs fenêtres les voisins attirés par l’odeur d’un barbecue

anodin, lui demandèrent :

- Hummm, tu fais le barbeuc Jean-Paul ?

Jean-Paul très cool :

- Non, c’est Clito qui brule.

Un soir, en repartant d’une fête en ville des mecs défoncés nous menaçaient avec

des machettes, nous étions en famille. Furax il les a envoyés à l’hôpital illico et dans

un sale état, fallait pas le chauffer mon poto antillais. Je l’ai perdu de vue, j’ai pourtant fait des recherches de nombreuses fois pour le retrouver et si toi cher lecteur tu

aurais des infos elles seront les bienvenues. Il s’appelait Jean-Paul Adley et son resto

Le triangle.

Qu’est-ce qu’il était mignon mon petit Tieno. Des 3 bébés que j’ai eu la première

année est toujours la plus belle je trouve. Il avait une doudou qui lui parlait en créole.

Il marchait tout juste et quand le tel sonnait il décrochait en balbutiant ses premiers

mots appris en créole :

- Bonjou ! Sa ou fè ? et ça faisait marrer mes clients.

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* Un storyboard est un document utilisé au cinéma et dans la pub afin de planifier les plans qui

constitueront un film.

Je l’ai souvent dessiné lorsqu’il fallait un enfant dans une illustration et dès le premier

jour de mon aventure professionnelle martiniquaise je l’ai placé dans un dessin.

Nous sommes arrivés à Fordeuf un samedi dans la nuit si particulière des Antilles,

le dimanche nous nous sommes baladés sur le port. Le lundi matin armé de mon

press-book j’ai tapé à la première boite de comm qui se trouvait sur mon itinéraire au

terminus du bus à Dillon que j’avais préparé depuis des semaines.

La boite s’appelait Rail Production. Je présente mon book à un mec branché, son

bureau était dans un bordel très calculé. Y’avait des toiles d’art moderne sublimes

aux murs et certaines étaient posées négligemment au sol. Ce mec c’était José Hayot,

le descendant de l’une des principales familles de békés et l’héritier de la principale

fortune Martiniquaise. Visiblement amusé par ma démo, il m’a commandé une

illustration avec une Cadillac conduite par un bébé : mon Tieno. Quelle chance ! Le

premier prospect du premier jour ! l’illustration vendue s’est déclinée ensuite en petite affiche qui s’est déclinée en 4m par 3 sur les murs de Fort de France, la machine

Jo-le-contact graphiste martiniquais était lancée.

Un jour, une agence de pub me commande un story-board* et comme je n’en avais

jamais fait ils m’ont présenté François Habert un concepteur

rédacteur. C’était pour la naissance d’une eau minérale gazeuse

que nous avons baptisée : La pétillante. Nous sommes devenus

amis complices immédiatement. S’en ai suivi un tournage, puis

deux, etc de film publicitaire (une grande nouveauté pour moi)

et ainsi projecteurs, camera, chef-op’ et réa sont devenus les maîtres

mots que j’ai le plus employés durant ces trois années antillaises.

Nous formions un bon duo avec François. Les commandes s’additionnaient. Pour un besoin de photos François m’a présenté son

photographe Patrick Jossé. Ils étaient arrivés ensembles à la Martinique et se connaissaient depuis l’école de Saint Raphaël.

Patrick est drôle, terriblement drôle ; avec son accent pied-noir le déjeuner d’affaires

s’est transformé en partie de rigolade aux larmes. Nous sommes devenus inséparables. Patrick c’est surtout un bon photographe, le meilleur des photographes que j’ai

côtoyé durant ma carrière.

C’est ainsi que nous sommes devenus un trio. Coté clients les békés José Hayot et

Claude Dépointes nous faisaient bosser régulièrement mais notre principal client

c’était Jean-Claude Asselin de Beauville le tout puissant patron de Radio Caraïbes internationale, qui, avec notre concours a mis au monde Télé Caraïbes Internationale.

La télé locale c’était lui : Jean-Claude. Un mulâtre extrêmement discret mais aussi un

homme d’affaire redoutable.

A l’époque les pubs locales de Martinique, Guadeloupe et Guyane étaient diffusées

uniquement le soir avant et après le journal de Fr3 Antilles. Pour ces deux passages

de pubs locales, les agences de pub des 3 départements se taillaient la bourre sur le

terrain. Le directeur des programmes n’était autre que Jean-Claude, de fait ses clients

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de Rci passaient du spot radio au film publicitaire sur Tci et ses clients nous revenaient naturellement.

Pour les gros budgets pas de problème ; la conception du film était totale, on créait le

film plan par plan ainsi que les dialogues, la musique originale, on filmait avec prise

de vue en hélico ou depuis des cigarettes (bateaux ultras rapide). On faisait venir des

réalisateurs parisiens avec leurs chef op et ingénieurs du son. On faisait les repérages,

je créais les décors. On organisait des castings avec les comédiens locaux.

Le tournage et la mise en place d’un film c’est infiniment long, fallait mettre en place

les lumières, installer les caméras avant de commencer à tourner. Le maquillage,

les imprévus (un projo qui péte etc...) la météo capricieuse, bref, un tournage ne se

terminait jamais...

Les tournages s’étalaient sur plusieurs semaines. En toute modestie, nous avons fait

de très jolis films. Pour les autres budgets moins conséquents la difficulté était de

créoliser des scénarios venus de France avec les moyens du bord. Ça voulait dire que

pour le marché local le scénario de métropole devenait film antillais le budget en

moins. Les tournages étaient bâclés en un ou deux jours avec des figurants qui s’improvisaient comédiens maladroits. Crises de rires ou de nerfs en plus. Ces films n’ont

pas été de grandes réussites...mais que de bons souvenirs.

Nous avions des clients institutionnels avec des grands sujets de société. Nous avons

ainsi réalisé 2 campagnes de prévention contre le sida qui faisait rage aux Antilles.

On a tourné 2 films chez moi dans la maison créole. On a mit un boxon incroyable.

Y’avait des projos, des cameras et des câbles partout pour les besoin du tournage. On

a fait venir une cinquantaine de jeunes figurants, un groupe de musique créole et de

quoi se restaurer comme dans une vraie fête : rhum, cacahuètes, gâteaux. Il y avait en

plus de toute l’équipe du tournage les clients bien sûr... Un joyeux bordel à domicile.

Le premier film c’était un couple champ-contre-champ dans le salon qui espéraient

devenir parents mais attention pas avant de faire le test de prévention. La comédienne faisait de son mieux pour jouer avec de l’émotion. Le mec, lui, s’est pris au jeu

avec ardeur et voulait vraiment se taper la gonzesse. On a recommencé la prise une

cinquantaine de fois...

Pour le second film l’histoire se déroulait le soir pendant un zouk endiablé. Le

cameraman filmait à l’intérieur de la piste de danse les gamins en fête. Plans de coupe

de regards heureux, et pas de danse cadencés. Scène suivante un couple s’éloignait

pour flirter tranquille. Plan serré sur la main du mec qui sortait un préservatif de sa

veste. S’en suivait notre slogan prise de tête «Poté chapo, ba moin ti bo » si tu mets le

chapeau tu peux m’embrasser..

Avec François, Patrick et Jean-Claude Asselin de Beauville nous avons réalisés une

trentaine de films. Et v’la les thunes ! et moins d’1 an après notre arrivée nous emménagions dans cette belle maison créole dans le quartier très chic de Didier. Je me

suis offert une Merco 220 blanche automatique qui avait mon age : 26 ans. L’intérieur

était en cuir rouge et le volant en nacre blanc, j’adorais cette caisse. Puis la moto, les

vacances en métropole et des tas de copains compagnons de fêtes souvent délirantes.

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Ce soir Soirée Champagne chez José Hayot à l’habitation Clément. La rhumerie Clément avec ses champs de cane à sucre, un lieu chargé d’histoire. www.rhum-clement.

com. Niché dans la commune du François, au sud-est de la Martinique, la maison

créole date du 18 ème siècle. Le domaine est classé aux monuments historiques.

Pour cette soirée à thème Champagne nous arrivions tous dans ce lieu exceptionnel

avec nos bouteilles. José avait sa petite dépendance. Un loft créole super cool, un

peu caché derrière. Il y avait une petite piscine ou nous déversions dedans le champagne... pour plonger dedans !! Des bulles plein les yeux en prime, dingue non ?

Papa-Maman sont venus me voir à la Martinique, j’en garde un merveilleux souvenir.

Pas de rougets, de mérous ou de lottes pour faire le couscous aux poissons mais du

requin. Papa disait qu’il aurait adoré vivre aux Antilles. Les senteurs de vanille du

marché légumes, les chants créoles à la messe et les cocotiers le long des plages de

sable blanc l’enchantaient.

Antoine est venu aussi. Steve son poto New Yorkais nous a rejoint pour passer les

fêtes de noël.

Le soir du réveillon nous sommes allés le chercher à l’aéroport du Lamentin avec une

Golf gti que j’avais acheté quelques jours plus tôt. Y’avait un monde fou.

Arrivé devant l’aéroport Antoine disparaît dans la foule à l’intérieur du hall pour

retrouver Steve que je ne connaissais pas. Je les attendais en double file warnings

clignotants. Un flic s’approche de moi pour me demander d’aller me garer plus loin :

Le keuf antillais :

- Circulez monsieur ne restez p... Mais ! vous avez un, deuux quoi ??

les 4 pneus lisses ! J’immobilise le véhicule, monsieur, vous êtes un danger public

monsieur et je tiens à la vie de mes enfants... Papiers svp !

Putain, pas moyen de négocier, j’étais de la baise. Malgré l’effervescence des voyageurs pressés de se barrer de cet aéroport pour rejoindre leurs familles et commencer

le réveillon, le keuf faisait des grands signes pour faire venir des agents de service :

Le keuf antillais :

- Venez, venez !! apportez le véhicule de fourrière et saisissez ce cercueil roulant !

Les agents de service qui voulaient rentrer chez eux :

- Hey obeou (robert avec l’accent créole) t’as vu l’heuou (l’heure)? Vas-y laisse tomber !

Le keuf antillais emmerdé :

- Ouais je sais les feous (les frères)... C’est Noël

Puis la mort dans l’âme se tournant vers moi en me rendant les papiers :

- Bon, vous ! revenez ici même demain à 9h00 ! ok ? (ça se trouve il m’attend encore...)

Ouf, j’ai eu très chaud... J’ai récupéré mon frère, son pote et j’ai tracé droit devant.

Arrivés à la maison, Suzette, notre doudou cuisinière nous avait préparé le boudin

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blanc, les acras de morue, les féroces d’avocats et le colombo de poulet. La cuisine

antillaise c’est une tuerie. Pour arroser ce festin Antoine, Steve et nous autres avons

bus les ti’punch, l’apéro 100% local : citron vert, rhum blanc, sirop de sucre de canne

et une gousse de vanille.

Tout au long de la nuit du réveillon j’ai roulé des joints d’herbe pure et pris par l’am

-

biance festive personne ne s’est privé des moindres bouffées et surtout pas mon frère...

J’avais préparé sa chambre à coté de la nôtre et il faut savoir qu’aux Antilles il n’y a

pas de carreaux aux fenêtres des chambres mais des persiennes appelées Jalousies :

c’est l’âme des maisons créoles. Des volets à lames horizontales et orientables qui per

-

mettent d’épier l’extérieur sans être vu. A une heure très avancée de la nuit, Antoine

est allé rejoindre les bras de Morphée. Le rhum et la fumette aidant il a passé, selon

ses dire, toute la nuit entrelacé dans les lames des jalousies, il s’échappait pour mieux

revenir dans la chambre !!

Aux Antilles j’ai aussi connu Le cyclone Hugo. C’était le 16 et le 17 septembre 1989,

les vents et les pluies se sont acharnés sur l’île. L’œil du cyclone autour duquel les

vents sont les plus dévastateurs, a traversé notre quartier. Ce jour-là, nombreux sont

ceux qui ont tout perdu.

Le lendemain, l’île était méconnaissable, les rafales avaient soufflées à plus de 300

km/h. L’archipel n’était plus qu’un tas de ruines éventrées et privées de toitures,

jonché de détritus de toutes sortes. Hugo fut l’un des plus violents cyclones tropicaux

qu’aient connu les Antilles et 33 ans après, tous ceux qui ont vécu cet évènement s’en

souviennent, parfois avec frayeur voire de la tristesse sauf pour nous : tous nos potes

s’étaient réfugiés à la maison avec leurs guitares et nous avons fait une grande fête...

Mon aventure Antillaise reste le meilleur moment de ma première vie de couple.

L’c bossait ! oui, comme quoi tout peut arriver dans ce bas monde. Evidemment c’est

moi qui lui avait trouvé le plan... Elle donnait des cours de tir à l’arc à l’hôtel du Mé

-

ridien. A mi-temps faut pas déconner non plus ! Elle allait pas se tuer au travail qua

-

même !.. Les gravos sont venus nous voir, c’était relou mais ils repartaient loooinnn

comme disait mon Tieno.

Ça nous faisait le plus grand bien qu’ils se re-cassent chez eux en Auvergne, le di

-

manche on profitait avec Jean-Paul, les femmes et enfants à la plage des Salines puis

en revenant à la maison mon poto cuisto nous concoctait le blaff de poissons, une

recette de cuisine traditionnelle antillaise, à base de ragoût de poissons déposés dans

une marinade de jus de citron vert. Pour le dessert il grimpait aux cocotiers, coupait

les noix et nous buvions le lait sucré, avec gourmandise.

Un jour Fabienne a quitté François. Dépité il est rentré en métropole.

Patrick partait aussi, il allait devenir Papa et Pascale sa meuf avait un job à responsa

-

bilité à Canal plus, elle ne voulait pas le laisser tomber pour vivre à la Martinique.

Nous nous retrouvions seuls et nous avons décidé de rentrer aussi et sans regret, la

page ntillaises de 3 années se tournait.

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P:203

Cher lecteur, ce tome est le plus glauque de mon

histoire, mais il fallait que je raconte ma première vie

de couple avec mes enfants Étienne et Manon.

Ça tient plus de la psychanalyse et les pages suivantes

ne sont pas amusantes...

187

Tome 2

LES ANNÉES DIFFICILES

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P:205

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Étienne, Oui, 2 ans déjà. Étienne, mon Papa est parti, tout seul. Personne ne lui

a tenu la main, pas même Maman. Oui, 2 ans déjà que n’ai plus en

-

tendu la voix d’Étienne, mon fils. Je lui ai annoncé la triste nouvelle et

par visio j’ai parlé quelques minutes à Matéo et Roméo mes petits fils.

Depuis, je n’ai plus de nouvelles.

Ma fille Manon ? l’inconnue ? Je tiens aussi à lui consacrer tout un chapitre.

Après mon divorce en 2003, Étienne-Manon sont devenus indissociables et il m’est

indispensable de dénoncer l’immonde accusation qu’ils affirment à mon encontre et

à qui veut bien l’entendre :

Notre Papa nous a abandonnés

.

Les 2 Étienne de ma vie se sont tus le même jour. J’étais si heureux de l’appeler

comme mon père.

Ado, lorsque je demandais une faveur à Papa retissant, j’avais un atout imparable

auquel il ne pouvait pas résister :

- Papa, laisse moi sortir ce soir et je jure que j’appellerai mon fils Étienne comme toi.

C’est une tradition chez nous d’appeler notre aîné comme son père et ce n’était pas

qu’une simple formalité pour nous les garçons de la famille. Nous ne sommes plus

à Tunis, plus à Favignana et nos compagnes sont de pures Françaises. Il fallait les

convaincre...

Je sais qu’Antoine y tenait beaucoup, mais, il n’y est pas arrivé. Pas grave, Ugo*, le

prénom de son fils, lui va tellement bien.

Maman avait un cousin qui s’appelait Roger Ferrero, je ne connais pas son histoire

ni les raisons pour lesquelles il ne voyait pas son fils. En revanche, tous les gamins

de la famille l’adorait, moi le premier. Je vis exactement la même chose : les enfants à

Romainville où j’enseignais, les enfants de mes copains, mes neveux et nièces et Sté

-

phane, Yoan et Ugo en particulier m’adorent, mais pas mes enfants. Ils me détestent

même.

Étienne est né le 7 aout 1988, En pleine nuit à la maternité, j’ai laissé partager mon

bonheur avec les parents d’L’c. Ce fut l’occasion pour moi de sortir mon premier

carton rouge.

La belle-mère enchantée est arrivée dans la chambre avec mon fils qui n’avait que

quelques heures dans son berceau transparent. Fière et heureuse s’adressant à son

*J’ai beaucoup d’affinités avec Ugo. Avec son look à la Slash, le guitar-héros de Guns N’Roses,

nous partageons une multitude de choses, notamment la même école des Beaux-Arts de Paris.

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mari, elle lui dit :

- C’est bien un Gravière !

Moi :

- Non Madame, il s’appelle Etienne Casubolo, comme mon père. Jamais il ne sera

«Un gravos*» Le ton était donné pour les 34 années à venir...

Aujourd’hui, Étienne Casubolo n’est qu’un patronyme pour lui, rien de plus.

Pas de bol pour lui ni pour les gravos, Étienne ressemble vraiment beaucoup à Papa.

C’est physiquement un pur, un authentique Casubolo.

Je dis souvent que je pourrais faire un bébé tous les ans avec autant de partenaires et

je ferai toujours les mêmes enfants.

Sophie c’est le clone de Manon et Manon le clone d’Étienne. Je suis redevenu papa

à 55 ans et je prends le temps de regarder Sophie grandir. Je revois Étienne avec ses

jolies boucles à Fort de France m’accompagnant à mes rendez-vous. Dans la rue, il

m’arrivait très souvent d’être apostrophé par des inconnus pour me dire combien il

était craquant. Pareil pour ses sœurs.

Pas plus tard qu’hier lors de notre promenade en forêt, un couple étaient sous le

charme de Sophie, mon soleil.

La petite enfance d’Étienne me renvoie aux Antilles puis à Cannes.

Chapitres 28 et 30.

Lorsque nous sommes revenus à Clermont-Fd Étienne avait 6 ans et nous sommes

entrés dans un rapport de force constant à cause des Gravos. Il l’ont acheté.

Etienne a goûté beaucoup trop tôt le pouvoir de l’argent facile : «Si tu viens avec

mémé je t’achète...» ou «si tu fais ta communion t’auras des cadeaux» etc...

Son éducation était quasi impossible, à l’école dès le cp, sa mère, sa grand-mère

faisaient ses devoirs à mon insu. Il ne supportaient pas que le roi Étienne écope d’une

note moyenne. Ils avaient décrété qu’Étienne était surdoué puis ils ont décrété la

même chose pour Camille**la fille de Godicheffe-de-village***.

Peu importe si c’était vrai, il était surdoué, point.

Je n’étais pas vigilant et mon travail n’est pas une excuse, aujourd’hui je sais qu’on

trouve toujours le temps pour contrôler les abus et les devoirs de son enfant surtout

si il y a un conflit. Je le regrette sincèrement. Pardon.

Désigné, de droit divin que lui offrait son statut d’enfant surdoué, Étienne voulait

qu’on l’adule, sans faire le moindre effort en retour. De la concentration ? du mérite

ou même un comportement participatif ? pourquoi faire ? Pour éviter quelques

bastons avec moi ? pas grave, quand le lendemain je repartais et parfois même pour

la semaine en déplacement professionnel Étienne récupérait son pouvoir royal et sa

cour qui était à sa botte.

* Ma belle famille s’appelle Gravière, je les appelle les Gravos.

** Un jour j’ai chopé Godicheffe expliquer à Manon que Camille était différente, qu’il fallait lui

parler avec plus de respect. Elles avaient 5 et 6 ans... Du grand Gravos, cons à bouffer que du foin

et des teubs. *** La soeur de L’c une Godiche devenue cheffe.

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Étienne, pervers, à très vite compris qu’il valait mieux fayoter avec la famille Gravos

et les brosser dans le sens du poil et pour en tirer des bénéfices immédiats, plutôt

qu’avec moi, papa isolé, qui demandait des résultats en retour de faveurs.

Je me souviens qu’une fois en vacances au ClubMed de Pontresina en Suisse en fin de semaine ils organisaient une remise des médailles pour les enfants. Chacun avait la sienne,

Manon qui avait tout juste 2 ans avait reçu la médaille de la meilleure marcheuse !

Tous, sauf lui car il n’avait participé à rien. Il était le roi dans le village, toute la journée il déambulait dans les couloirs de l’hôtel, sapé comme un prince avec les fringues

très chères de la boutique du club, les poches remplies de bonbons et de colliers-bar*

pour consommer à volonté des boissons gazeuses et très sucrées. Il ne faisait rien

d’autre...

La G.o très pro qui décorait les enfants d’une médaille s’en est rendu compte qu’au

tout dernier moment et in extremis a invité Étienne à monter sur scène. Les applaudissement étaient quelque peu forcés car il parlait mal au gens et aux G.o.

Il a reçu la médaille de... heu, de quoi déjà ? bin de l’enfant gâté pourri du village sous

la protection de sa tante la cheffe** de village. Étienne gravos*** adorait ce pouvoir

népotique, son kif absolu même. A l’inverse j’éprouvais un dégoût en constatant ce

gâchis. C’était impossible de le faire changer de cap... J’étais malheureux et désarmé.

Voila mes trente ans. Un mec déraciné, seul et malheureux à Clermont-Ferrand avec

pour conjointe une feignasse de pouf qui ne bosse pas, qui ne sait pas gérer le budget

familial, passe sa journée à se maquiller, fumer des clopes et bavasser avec sa mère et

ses copines poufs.

J’étais aussi papa d’un môme-roi qui bouffe des hamburgers comme un glouton devant la téloche au lieu de faire du sport ou pire au lieu de faire ses devoirs.

Oui, impuissant et paumé face à toute une famille de ploucs, face à une région d’Auvergne que je n’avais pas choisie où je m’ennuyais car je découvrais la vie en province

un peu contraint et forcé.**** Sans faire de parisianisme de frimeur, à 30 ans, c’est

dur de ne plus sortir, de ne plus voir ses amis et de ne plus profiter des sorties habituelles et des activités que m’offrait Paris ma ville.

Oui, tous contre moi, contre l’éducation que je souhaitais pour mon fils, contre l’éducation que j’ai reçu et qui les horrifiait. Contre tout ce que je représentais. J’étais très

malheureux.

* Dans les villages du ClubMed, on ne paye pas avec de l’argent mais avec des boules blanches,

jaunes et oranges. On ne voit pas les thunes défiler du coup. Merci Monsieur Trigano.

*La cheffe de village est toute puissante elle tous les pouvoirs même des Gm. Tout le monde est

au garde à vous devant elle. Ça a toujours été au Club, le chef de village est un dictateur, il sont

formés comme ça.

*** En ecrivant ces lignes je viens de trouver ce surnom «Etienne gavros» qui va super bien...

**** Je revis en province aujourd’hui. Ma nouvelle belle-famille est encore plus plouc que les

Gravos ce sont des gens de la terre. Sauf, qu’ils sont extrêmement gentils et je suis poto avec Serge

le papa de ma Fanychou d’amour. Ça aide à supporter Valence, une petite ville de ploucs, avec un

arrière pays magnifique.

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Mes parents, mon frère et mes sœurs se désespéraient de me voir décliner ainsi : Jole-contact laissait peu à peu la place à Jo-le-looser. Et Papa me disait :

- On dirait que tu es en deuil.

Et comment ! fini ma vie insouciante, fini les expos, fini la culture et surtout fini le

rock’n’roll. Toute mon histoire, que vous connaissez maintenant, n’avait plus aucun

relief, plus aucune saveur plus aucune couleur. Mon cœur n’était plus qu’un petit

caillou rempli de regrets et de peine.

En 2014, en vacances à Bonneval avec ma Fanychou, sur les sentiers caillouteux des

randos, il y avait des pierres bleues turquoises magnifiques. J’en ai pris une pour chez

moi.

En moins de 48 heures elle était devenue toute terne, moche et toute grise... Comme

moi à 30 ans.

On m’a quand même sauvé en pleine mer de désespoir. Ma bouée de sauvetage ?

Mon travail et les responsabilités que des gens ont bien voulu me confier. Merci mes

supers patrons qui m’ont transformé de baba-cool graphiste paumé en technicien

cadre de l’industrie de pointe. Merci Zidro, merci Bernard, merci Alain Verdy et

merci Jean-Claude Bellivier. Vous m’avez maintenu en vie. Nous en reparlerons dans

le Chapitre suivant.

De leur coté L’c, Étienne gravos assis sur leur confortable tas de fumier auvergnat se

tapaient royalement de mes états d’âme. De toute façon L’c détestait Paris comme plus

tard Étienne et Manon, à l’inverse de Fanychou et Sophie qui, aujourd’hui, adorent

Paris.

L’c était heureuse de revivre dans l’environnement où elle avait grandi. Mes ex-beaux

parents la gavaient d’affection, tout allait bien pour elle. Quand il y avait la fête au village de Saint Babel, Étienne ne faisait pas 2 ou 3 tours de manège mais 3 ou 4 heures

non stop à donner le vire-vire à n’importe quel gosse normal ! Quand je disais - bon,

ça suffit maintenant, je passais pour un vrai connard à ses yeux (et pas que) !

A la maison son livre de chevet, c’était le catalogue de La Redoute ; En se couchant,

le soir, sa seule préoccupation pour le lendemain, ce n’était pas si il avait bien appris

sa récitation (par exemple), mais plutôt comment et à qui il allait soutirer des thunes

pour acquérir des Nike hors de prix et frimer à l’école.

Même si il ne foutait rien en classe, pour Noël par exemple, il choisissait sa nouvelle

PlayStation, avec les jeux qui coûtaient une fortune et une multitude de cadeaux

parce que, de toute façon il allait les recevoir de la part de ses grands parents, tatas et

tontons quoi qu’il fasse à l’école. Même si je lui faisais la guerre, pouvais-je l’empêcher

de recevoir ses cadeaux ? Imaginez le contraire un instant :

Je me serrais dressé contre toute la famille et les aurais empêchés de faire leur rituel

de fête de fin d’année ? pour sauver mon fils contre sa volonté en lui faisant la morale

encore et encore pour que ça change, sachant que ça ne changerai rien ?

Bin, en dehors de tout casser prendre un appart seul et abandonné de tous, aurais-je

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pour autant regagné l’estime de mon enfant et ainsi faire triompher la «bonne éducation» ? C’est pourtant la solution que j’ai prise 9 ans plus tard, 9 ans de bras de fer

épuisants et inutiles. Triste résultat...

Chez les parents Gravos Il y avait tellement de photos d’Étienne et de L’c sans la

moindre trace de moi aux murs et dans chaque pièce que c’était très déstabilisant

pour moi, pour mon ego de papa. Le père Gravos, un grand mou très con, se vantait

en disant à qui voulait bien l’entendre qu’à défaut de surveiller les études de ses filles

adolescentes il avait été lui même en personne à la pharmacie acheter la pilule et des

préservatifs pour que ses filles baisent allègrement. En se foutant, ne serait-ce qu’un

instant, de ma présence, c’est comme si j’étais invisible et abandonné, dans cette

famille.

Un jour, mon pote Patrick Jossé m’a dit :

- Tu es le laquais d’Étienne le plus résistant !

Il avait terriblement raison car en définitive je mettais quand même toute mon

énergie et toute ma volonté pour travailler afin d’assurer son confort, son éveil et son

éducation. Malgré tout ça et c’est dur de l’écrire :

Étienne «Gravos» ne m’aimait pas.

Quels bons moments ai-je partagé avec Étienne ? ... Bin, aucun, je n’en ai pas et ça me

désole. Allez quoi ! ce n’est pas possible ! Bin, je réfléchis et je ne trouve pas...

A la piscine ? non ; car après avoir payé le maître nageur, fallait obligatoirement

aller au distributeur de confiseries. Comme je refusais, il préférait ne plus y aller avec

moi mais plutôt avec les Gravos qui claquait aveuglement à la tirette pour lui.

A la rentrée des classes ? non, tout était déjà choisi du stylo au sac à dos avec les

marques les plus chères que les Gravos avaient commandé depuis longtemps à La

Redoute.

Au sport ? non plus, il y allait une fois, puis il changeait de discipline l’année

suivante. De toute façon il n’avait aucun attrait pour le sport et quelque soit le sport

sauf, pour le salaire et les voitures des mégas stars... Tous les ans avec l’excuse de la

nouvelle discipline, la belle mère lui achetait l’équipement complet Adidas ou Nike et

en double pour changer de tenue à chaque séance. Il y a des sports qui coûtent beaucoup plus que d’autres, par exemple quand il s’est inscrit au tennis il a exigé la même

tenue et la même raquette que le numéro 1 mondial de l’époque : Pete Sempras. Le

pire, et le plus cher c’est quand il a décidé de faire de l’équitation. La belle famille a

tout acheté avant même qu’il monte sur un cheval : la bombe, les superbes bottes,

la cravache, les étriers, les brosses et même la magnifique selle en cuir ! pour de la

frime, pour du vent. Tout est resté dans un placard longtemps puis il a tout vendu

sans même s’en être servi une seule fois.

Étienne au quotidien coûtait très cher à son entourage et Papa-Maman ont beaucoup

claqué pour lui... Il adorait se mettre en valeur et se faire remarquer comme sa mère

avec mon cv ; Un jour, il a emmené une de mes toiles que j’avais peinte avec lui et sa

mère dans une rue piétonne.

Je le revois à l’école au centre de la cour avec tous les gamins autour de lui, lui, lui

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et LUI pas la peinture mais LUI à travers un objet qu’il n’avait pas fait mais qui le

magnifiait LUI.

Franchement, j’en avais marre de me bastonner, d’expliquer, d’essayer de comprendre

cette obsession du paraître, du clinquant, de l’argent bêtement étalé c’était usant.

Quand Manon est née, les Gravos lui ont bien monté la tronche contre sa sœur bébé

et moi :

- Avec ta sœur, tu ne perdras rien, vous serez tous les deux gâtés pareils, dès qu’il

y aura un cadeau pour elle, y’en aura un pour toi. y’aura pas de différence, etc...

Les conséquences ? Je n’ai jamais eu la joie d’acheter une peluche ou une robe à Manon sans qu’Étienne ne contrôle le ticket et exige que je claque exactement la même

somme au centime prés pour lui, son obsession pour l’argent me rongeait, c’était très

chiant.

Une fois, Antoine lui a dit :

- Quand tu liras un livre en entier, je te filerai 5 balles.

Sans même comprendre les récits et le sens des mots, il s’est jeté frénétiquement le

temps d’une semaine dans une lecture mécanique comme à la chaine d’une usine en

enchaînant livre sur livre et réclamant ensuite son dû avec insistance.

Dans la rue, il demandait toujours si tu avais ta carte bleue sur toi, au cas où il arriverait a te faire claquer un peu de thunes pour lui. Quand mes potes ou des collègues

de bureau venaient à la maison, il essayait toujours de leur gratter un billet, un truc

ou se faisait prêter des jeux de play-station qu’il ne rendait plus... Il tentait aussi, si

l’occaz se présentait, de taper une pièce aux amis de mes parents sans scrupules.

Jamais un collègue m’a dit, ne serait-ce qu’une fois, qu’il trouvait mon gamin mignon

ou attachant et je voyais bien dans leurs regards qu’ils avaient plutôt de la pitié pour

moi.

Un jour, j’ai sauvé in-extremis ma boite de compas (la boite que Monsieur Louis

m’avait offerte) qu’il m’avait subtilisé pour la revendre. J’ai des dessins, des tableaux

qui ont disparu, des montres aussi. Qu’en a-t-il fait ?

J’aurais aimé qu’Étienne soit démerde, astucieux et pourquoi pas affairiste pour gagner des sous puisqu’il aimait ça. Il rêvait de l’argent des autres sans le mériter.

Aujourd’hui il est larbin, chauffeur VTC, pour des tropéziens fortunés. Indirectement il vit dans un luxe artificiel qui ne lui appartient pas.

Je n’ai jamais reçu de compliments concernant Étienne en dehors de sa roublardise

qui faisait marrer Papa-Maman et ma famille parce qu’ils voyaient en lui un inégalable marchand de tapis maléfique. Je n’ai jamais eu de satisfaction, genre qu’il

réussisse un exam’ par exemple ou une bonne performance sportive ou l’écho d’un

service qu’il aurait rendu pour rien.

Je n’ai jamais reçu de sa part le moindre présent, pas même pour la fête des pères,

mes anniversaires ou un noël, en revanche et régulièrement, il essayait toujours de

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me revendre un truc, un vieil Ipad par exemple ou de me faire payer des restos très

chers. J’étais une proie à banquer.

Affectivement parlant Qui a abandonné l’autre ? Qui est parti de la maison parce

qu’abandonné par son fils ? Qui s’est frotté les mains de joie quand le «papa dictateur» est parti ? Qui m’a menacé dès les premières semaines de mon départ de porter

plainte si je ne versais pas de pension (avant que toute décision de justice soit prise)

et en liquide à leur mère ? Qui a fait la fête quand ils se sont enfin retrouvés entre

eux, les Gravos ? J’ai une photo datée de cette époque qui prouve combien ils étaient

heureux et soulagés sans leur monstre de père, pendant que j’étais seul et abandonné

à me morfondre.

Mon départ a été une libération pour les Gravos, car en partant les derniers verrous

que j’imposais comme la tv 24 sur 24 dans leur chambre, n’étaient plus. Ils étaient

enfin libres d’être eux-mêmes et libres de devenir les gros ploucs tatoués, percés qu’ils

sont devenus aujourd’hui.

Un jour en 2009, je vais récupérer Étienne, Gare de Lyon. En le voyant sur le quai,

j’avais honte : il descend du train revêtu d’un épais manteau en cachemire, une sacoche Louis Vuitton neuve en bandoulière, une mallette Vuitton neuve et même une

valise neuve Vuitton à la main ! On aurait dit un président africain, il lui manquait

juste une couronne Vuitton sur la tête.

Arrivé chez moi, sous le luxueux manteau, son tee-shirt était usé, vieux, moche et

troué. Il avait un piercing à l’arcade et un filet de barbe pour se distinguer, mais ses

dents n’étaient pas entretenues. Toute la famille Gravos, Étienne, Manon, ont une

hygiène dentaire négligée. L’c et Godicheffe sont « des sans dent» aujourd’hui comme

dirait François Hollande. Mais pour les Gravos ce n’était pas grave puisque ça ne se

voyait pas.

Notre dernière embrouille ? C’était en 2015, Étienne allait se marier avec Céline.

Quelques plus tôt, je mettais rendu à Cavalaire-sur-Mer pour le baptême de Matéo

mon petit fils. C’est mon psy, qui m’a convaincu d’y aller.

Je suis arrivé seul à l’église, comme un intrus, personne ne m’a salué pas même ma

fille. Après la cérémonie je suis reparti seul et abandonné sans même avoir bu ne

serait-ce qu’une goutte de quelque chose avec mon fils sa femme et mon petit fils.

En rentrant le soir tout seul chez moi à Paris, je m’étais juré de ne plus jamais les revoir car je me sentais humilié et abandonné et blessé, oui abandonné je l’étais depuis

longtemps mais le coup du baptême m’était resté en travers de la gorge...

Quelques mois plus tard, Étienne m’a appelé pour me convaincre d’assister cette foisci à son mariage. J’ai pris le temps de lui expliquer les raisons de mon refus. J’ai aussi

écrit une lettre à Céline pour m’excuser auprès d’elle et de sa famille car ils n’y étaient

pour rien. Il a insisté. J’ai fini par accepter mais à la condition que je sois accompagné

de Fanychou. J’ai également souhaité que Fanychou les rencontre avant pour quelle

ne rentre pas dans la fosse au lions, sans les connaitre, le jour du mariage.

Donc à pâques, nous sommes descendus 4 jours sur la côte «d’usure», il faisait beau,

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c’était cool, j’ai présenté mes potes de Cannes et de Saint-raf ’ à Fanychou puis au

retour nous nous sommes arrêtés 2 jours et une nuit à Cavalaire. Nous étions attendus... mais au port de Saint-Tropez, histoire que je claque un billet ou deux. Chez

eux il n’y avait pas de table mise, pas de repas qui mijotait... Non, nous sommes allés

au resto où bossait Manon qui cette fois m’a salué. J’ai réglé l’addition alors que nous

étions censés être les invités.

En sortant du resto nous étions encore sur le parking quand Étienne me dit :

- Ce soir, si vous voulez manger chaud, allez en ville.

Pas grave, j’adore Saint-Tropez à cette période de l’année, Il y a une atmosphère particulièrement pittoresque. Les soirées sont justes fraîches, on peut déambuler dans le

village presque vide. J’ai pu montrer à Fanychou le Saint-Tropez tant de fois bourlingué et les anecdotes que j’ai vécues durant 4 ans.

Puis, nous nous sommes rejoints, avec Étienne, dans l’hôtel où il bossait comme

larbin-veilleur de nuit, prés des plages de Pampelonne. Evidemment il ne nous a

pas reçu chez lui pour dormir comme le feraient tous les enfants qui reçoivent leurs

parents et nous avons payé cet hôtel plein pot... Pas grave (aussi) car nous étions bien

installés avec vue sur la mer.

Il avait une faveur à me demander... J’étais certain qu’il voulait que pour cette journée

particulière «son mariage» nous enterrions la hache de guerre avec L’c, se dire au

moins bonjour et bouffer ensemble à la table d’honneur ou une connerie du genre.

Et bien pas du tout ! Étienne gravos, égal à lui même, voulait expressément que je

paie son costard «Ugo Boss» de cérémonie ! Spontanément fanychou surprise (elle

qui est plutôt d’un naturel réservé) lui rétorque du tac au tac :

- Mais, à ton mariage, le plus important c’est la présence de ton père

ou que ton père paie le costume ?

Fin de la discussion, le lendemain lorsque nous sommes passés chez eux pour faire

une bise aux enfants avant de reprendre la route, Étienne dormait et ne nous a pas

dit au revoir. Nous n’étions pas prêt à débourser le smok’ et donc notre présence ne

l’intéressait plus ou n’avait plus aucun intérêt... Je ne suis pas allé à son mariage. Il n’y

avait strictement personne de ma famille pas même mes parents, ses grands parents.

J’assume complètement mon choix.

Je ne suis pas qu’une carte bleue, mais un homme, qui plus est, un père et un grandpère qui a un cœur et des émotions, qui veut être respecté en tant que tel.

En 2020 j’ai prévenu Étienne quand mon papa est parti. 10 jours plus tard il ne s’est

pas manifesté lorsque ma mère est décédée à son tour. Avec sa sœur, Ils ont été les

seuls petits enfants à ne pas se déplacer et à ne pas assister aux funérailles de leurs

grands parents. Ils n’ont pas denié envoyer une fleur pas même un petit mot ou un

texto de condoléances. Pourtant papa Maman les adoraient.

Étienne gravos l’enfant pourri est devenu aujourd’hui un homme vénal. Je n’ai plus

jamais revu et entendu Mateo et Roméo* mes petits fils.

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* Chers petits fils, peut-être qu’un jour en cherchant un peu dans vos origines vous lirez ce bouquin. Et bien sachez que même si je ne vous ai pas connus, vous avez été dans mon cœur et j’ai

prié Dio tous les jours pour que vous soyez heureux, quoi que vous fassiez de votre vie, chaque

minute chaque seconde. Votre Nono.

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Enzo, mon roi desanimo*, Enzo mon chien adoré, 29 ans qu’il est mort, pourtant il mérite bien un cha

-

pitre. Sa photo est là à coté de moi dans mon bureau. J’ai honte à le dire : il

a été mon souffre-douleur, pardon Enzo. Je te pleure en écrivant ces lignes.

J’étais si mal dans ma vie de couple, si mal dans ma vie de famille.

Voila ce que les gravos-L’c-Étienne avaient fait de moi : un mec perdu, incompris, mal

-

heureux et violent avec son toutou qui prenait les coups que je ne leur donnais pas.

Mais avant, Enzo était le plus heureux des chiens dans notre maison de Fordeuf, il

profitait de notre vie confortable. C’était un magnifique Setter irlandais, roux avec

de longs poils aux pattes et à la queue. Je l’avais offert à mon Tieno pour ses 1an. Au

moment du gâteau, il est arrivé tout petit chiot, dans un énorme nœud orange.

Ils étaient trop mignons ces 2 là, très complices pour faire 1 million de bêtises !

Fallait-il le ramener en métropole ? Ou aurions-nous mieux agit en le laissant à

Fordeuf ? Le laisser à mon pote Jean-Paul par exemple et l’abandonner sur cette île

où il était né ? là ou il était heureux ? La question me taraude encore, 30 ans après sa

disparition.

Enzo a pris l’avion au paradis, on lui a donné un cacheton, mis dans une cage et il a

atterri en enfer, mon pauvre Enzo. Je m’en voudrais toute ma vie.

Oui, montre en main, 48 heures plus tard après notre arrivée à Paris et après une bal

-

lade au bois de Vincennes avec Papa et sa chienne Samie, Enzo, pas habitué aux voitures

a paniqué et a traversé le boulevard Soult pour se payer une caisse en pleine tronche.

Papa-Maman ne m’ont rien dit et le véto a sauvé Enzo pour qu’il reste ici en enfer.

J’avais Laissé Enzo chez Papa-Maman à Paris. Étienne et L’c partaient en Auvergne et

je fonçais vers Saint Raphaël chez Patrick mon poto photographe des Antilles pour

trouver, à l’arrache, un taf et un appart. Nous partions pour de nouvelles aventures.

Rien ne me faisait peur.

Je ne me faisais pas de soucis, pour mon chien car Papa-Maman adoraient Enzo et en

plus il était le grand copain de Samie la chienne Labrador de mes parents.

Arrivé à Sainraf** Patrick, qui allait devenir papa, transformait son appart d’ado

attardé en cocon familial. Nous n’étions plus dans la même dynamique. Pendant qu’il

collait du papier peint avec des nounours, j’étais en recherche active pour m’instal

-

ler sur la côte d’usure. Je suis resté chez lui 3 ou 4 jours bien pourraves avant de me

casser.

Des cousins à Papa installés à Cannes, que je ne connaissais pas, m’ont reçu à bras

* Non pas une faute d’orthographe, juste son nom.

** La façon de nommer Saint Raphaël par les gens que je connaissais.

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ouverts. Mathilde et Alberto. Ils sont là-haut aujourd’hui avec Papa-Maman prés de

Dio, à sa droite.

Fidèle à mon mode opératoire, l’arrache à fonctionné. Avec mon book sous le bras

j’ai trouvé du taf dès le lendemain dans une agence de pub, boulevard Carnot. S’en est

suivi d’un coup de cœur, le surlendemain avec Mathilde en visitant un 3 pièces avec

jardin privé juste devant le parc de Tivoli au Cannet. Il y avait une école maternelle

qui se trouvait dans un théâtre de verdure et une bibliothèque enfantine. Quoi de

mieux pour mon Tieno ? La plage à 5 minutes, quoi de mieux pour mon Enzo ?

Bim, bam, boum ! je remonte en Auvergne je retrouve L’c et Tieno. Puis Papa-maman, Enzo et Samie nous rejoignent à leur tour chez les parents gravos à Saint-Babel.

Je remarque une plaie sur la patte arrière d’Enzo et maman me dit qu’il s’est juste

écorché. Bim, bam, boum ! Nous redescendons le jour même à Cannes car je commence mon nouveau taf le lundi suivant. Nous sommes arrivés et avons emménagé

dans la nuit.

Ouf ! nous étions enfin chez nous, à Cannes, depuis que nous avions quitté notre

maison aux Antilles 2 semaines plus tôt. Y’a pire comme délai d’attente, non ?

Un soir alors je matais un film tranquillement, Maman s‘est assise près de moi et tout

en douceur m’a apprit l’accident parisien d’Enzo... Il avait l’air d’être bien rétabli, il

jouait joyeusement dans le jardin avec Samie et Tieno.

Et la vie a repris son cours, nous allions souvent à la plage, tôt le matin avant que

je commence mon taf, pour qu’Enzo puisse courir, car ce sont des chiens qui ont

besoin de se dépenser.

Le taf, c’était dans un petit studio graphique spécialisée CHR café, hôtel, resto, les

patrons un couple charmant, vendaient des menus, des cartes de vins pour les restaurants, Je mettais en page des pizzas et des glaces à la chantilly toute la journée. Je

savais que c’était du provisoire en attendant mieux.

Quelques jours plus tard à la Valmasque, un parc au dessus de Cannes, il faisait

chaud en ce mois d’août et il y avait beaucoup de monde sur les plages, nous décidâmes d’aller pique-niquer au frais à l’ombre des pins parasol du parc. Tout allait

bien quand tout d’un coup Enzo se raidit, tombe et convulse. Il tremblait et bavait là

devant nous, impuissants ne sachant que faire. Tout doucement, réconforté, il a récupéré un peu de forces pour boire un peu d’eau. Les vétos étaient fermés et nous n’y

sommes allés que le lendemain. Enzo avait fait une sévère crise d’épilepsie... Les vétos

disent que l’épilepsie du chien est une maladie due à l’activité électrique du cerveau,

mais, moi je crois plutôt que c’est son changement de vie soudain puis l’accident du

boulevard Soult qui ont rendu mon chien malade.

A Cannes L’c et Tieno eux, en revanche, allaient très bien. Les parents gravos aussi en

short et tongs de rigueur. Ils tapaient l’incruste chez nous tout le temps et profitaient

largement de la French Riviera. Même Godicheffe s’incrustait en inter saison. L’c ne

bossait pas et pratiquait son loisir favori : lézarder des après-midi entières à ne rien

foutre sur la plage, sans magazine, ni de sudoku ou une connerie cérébrale, dans le

genre qui t’occupe l’esprit. Non, de tout ça, rien elle restait juste allongée pendant des

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plombes sur le sable à cramer comme une merguez... Et sur une plage privée, ça va

de soi. Quant à Étienne il était encore tout mignon à cette époque... Déjà bien gâté

même un peu plus à mon goût.

Et moi ? bin, je bossais, je ramenais l’unique salaire à la maison qui profitait directement ou indirectement à tout ce petit monde que je devais supporter. Les maigres

économies que j’avais amasser aux Antilles avaient servi au déménagement, caution

et frais d’installation dans notre nouvelle vie cannoise.

Je m’essoufflais financièrement, 1 salaire ce n’était pas suffisant. Je roulais toujours

avec ma vieille Ford Fiesta bleue qui commençait à me faire des misères et qui coûtait cher en réparations.

Mon couple était au point mort. Je n’aimais plus cette meuf depuis longtemps mais

je prenais sur moi car j’étais marié et assumait pleinement mon rôle de papa responsable de mes petits : Tieno et Enzo.

Comme d’hab mon échappatoire ça a été le travail. Fini les menus et les cartes de

pizzas. Un jour j’ai répondu à une annonce, Ils m’ont convoqué et directement embauché dans la foulée.

C’était chez un éditeur cannois. Le groupe Souleiland.*

Il était spécialisé dans l’édition de catalogues pour l’immobilier de prestige. Les locaux étaient magnifiques : une batisse provençale des années 30, avec vue sur la mer,

dans le quartier ultra chicos de la Californie sur les hauteurs de Cannes.

Le premier jour en arrivant à Souleiland, Carole la secrétaire, qui est devenu une

bonne copine** par la suite me glisse discrètement :

- Bienvenue chez les fous.

Elle avait eu diablement raison de me mettre en garde. Le soir au moment de partir,

après avoir passé une journée de travail, somme toute assez tranquille, elle se plante

devant le patron l’empêchant presque d’avancer et lui dit :

- Je veux mes sous.

Le boss, même pas surpris ou vexé voire honteux et dans l’indifférence générale des

7 ou 8 autres collaborateurs présents, lui répond avec un large sourire et feignant de

passer en force :

- Bin, demain ! oui, demain c’est sur. Voila voila. Et on n’est pas fâché. Voila voila...

Carole s’y oppose et lui barre le passage, bon, l’autre ne résiste pas davantage et sort

un chéquier et paye son employée, enfin pas entièrement (nous y reviendrons). Le

lendemain comme si rien n’était arrivé tout allait bien dans une ambiance bon enfant,

légère et studieuse... Oui j’étais arrivé chez les dingos et à leur tête le roi de l’asile :

Hervé Pulcini.

* En provençal, le travail au soleil

** J’ai eu beaucoup de copains et peu de copines dans ma vie autant leur rendre hommage maintenant à ma cops depuis Saint-Ouen Isabelle Lebret et à Carole

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Un extra terrestre ce mec, mais avant de le décrire je suis obligé de parler encore

d’argent. Je n’avais jamais vu et ne verrais plus jamais de ma vie un mec qui devait à

ce point de la thune à tout le monde !* Surtout qu’il vivait ça avec beaucoup d’humour. Les créanciers le harcelaient et se déplaçaient au bureau à longueur de journée.

Il se cachait comme un enfant à la recrée qui jouait aux gendarmes et aux voleurs.

Un matin j’arrive au bureau et pose machinalement ma veste sur la table lumineuse

(à l’époque dans les studios graphiques cette table était indispensable) la veste est

tombée à terre car un fournisseur impayé l’avait embarquée la veille...

Je suis resté 1 an dans cette boutique, le taf était passionnant et j’étais très bien payé.

En retard mais il finissait toujours par me payer. Tiens ! mes honoraires par exemple,

il me payait à chaque fois et de façon échelonnée 5 chèques de 5 banques différentes !

et aussi il me disait toujours machinalement :

- Si les chèques reviennent ce n’est pas grave, hein ?

Bin un peu quand même, sachant que L’c me faisait la guerre tous les soirs, sa vie

Cannoise (ses fringues, ses clopes, son maquillage, un enfant et un chien) était très

coûteuse et (dois-je le rappeler) elle ne bossait pas. Elle ne savait pas gérer un budget,

et moi, encore moins (les thunes et moi... J’en ai, c’est bien, j’en ai pas, je galère) alors

avec les paiements de Souleiland dispersés et incertains, houlala, je sentais bien les

prémices d’une éminente catastrophe, mais bon... Je faisais mine de ne rien voir.

Surtout que j’étais free-lance ce qui n’arrangeait rien. Très cool, comme aux Antilles

j’ai pris un numéro d’urssaf et je n’ai jamais payé le moindre impôt ni remboursé la

tva. Sauf que nous n’étions plus dans le laxisme des Antilles. Quand les impôts Cannois ont jeté leur dévolu sur mes cotisations ça a été le début des grosses galères... On

y arrive aussi.

Pulcini payait tout le monde comme ça au black et démerdez vous avec les charges.

Après des relances régulières car pendant 1 an il n’y a pas eu une semaine où je ne

courais pas après lui pour qu’il règle ses retards de paiement qui s’accumulaient. Les

chèques en main, Je lui disais :

- Monsieur Pulcini, ça ne peux plus durer ! vous me payez déjà avec 3 semaines de

retard et avec tous ces chèques et autant de banques, vous savez j’ai un gros loyer à

sortir tous les mois, j’ai une famille, etc...

Il me regardait avec connivence, désolation et me disait :

- Toi aussi, t’as des problèmes d’argent ?

Un culot désopilant ce type ! Il me mettait dans une position extrêmement inconfortable. Je comprenais pourquoi il n’avait pas négocié face à mes exigences salariales.

Si je claquais la porte et sa tronche, comment retrouver un taf aussi bien payé ? A Cannes

*J’en ai connu un autre un peu tard qui jouait aux jeux vidéo devant les huissiers et qui piquait

leur téléphone à la fin, mais j’y reviendrais

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en plus où tout coûtait une blinde. Putain, il me tenait par les couilles cet enfoiré.

Il ressemblait à Rifki l’horrible personnage de Midnight Express celui à qui on arrache la langue en le laissant pour mort. Il avait aussi les mêmes mains crochues.

Y’avait sa meuf, une conne et nous savions précisément où elle passait dans les couloirs tellement sa transpiration acre la suivait comme son ombre. Elle avait été embauchée quelques mois plus tôt, en galère seule avec une gamine de 10 ans. Elle s’était

jeté dans son pieu pour survivre... Elle devait vraiment être dans une sacrée panade

! car il était repoussant ce mec. Elle menait une guerre sans merci et avec beaucoup

d’hypocrisie contre la commerciale, une horrible vulgaire blonde, boudinée dans des

robes qui laissaient apparaître le gras de ses bourrelets. Elle était très agressive elle

s’appelait Monique Danel et de temps en temps je pense qu’elle devait aussi reluire la

teub de Rifki.

Elle avait des goûts alimentaires très luxueux et je n’ai jamais autant mangé de foie

gras, de langoustes et de caviar de ma vie presque tous les midis. Elle mettait la table

et nous étions tous conviés. Elle adorait me voir bouffer des fraises à la chantilly, elle

disait un truc qui venant de sa part était très ambigu :

- Humm ce Casu, il est gourmand comme une vieille chatte.

Pulcini, sa meuf et sa maîtresse, c’était la direction du groupe Souleiland. Ambiance

assurée... Sinon, le travail en lui même était vraiment très intéressant et j’ai adoré la

cote d’usure coté pro.

Pulcini organisait depuis des années des salons immobiliers de prestige à Cannes,

bien-sûr, mais aussi à Monaco, Saint- Tropez, Genève, Paris et projetait l’idée d’en

faire un à Tokyo. Pourquoi cette mégalopole plus qu’une autre ? je ne sais pas et

j’ignore si le projet a vu le jour.

Il m’avait bombardé d’un élogieux «directeur artistique». Je concevais les catalogues

super luxueux qui servaient de bible lors des salons immobiliers que nous organisions de toutes pièces : je gérais les articles de presse puis j’illustrais les interviews de

professionnels du bâtiment ou des reportages sur l’évolution du marché de l’immobilier de luxe. Je créais des encarts pub personnalisés pour les nombreuses agences

immobilières de la croisette qui proposaient des biens époustouflants que je photographiais sur place, je créais des annonces presse pour les journaux et magazine

nationaux. Bref, un travail passionnant.

Mais le top, c’était, quand arrivait la semaine du Salon. On avait tous bossé pour ça

d’arrache-pied et avec acharnement pour être fin prêt le jour «J» : les commerciaux,

les standistes, les hôtesses, les vigiles, j’en oublie et je m’en excuse car nous avions

vraiment besoin de tout le monde tellement c’était de la folie... On se sapait super

classe pour la semaine événementielle.

A Cannes le salon se déroulait au Martinez, le célèbre palace Cannois ; à Monaco

nous étions au 11ème étage dans les salons du Beach Plazza. Nous mettions chaque

jour des caisses de champagne de coté et le soir c’était la méga fiesta monégasque de

malade avec la direction, le staff et tout le personnel de l’hôtel, des bons souvenirs

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des bonnes rigolades... Une semaine après le salon, nous ré-attaquions pour le salon

suivant et c’était reparti de plus belle.

Un jour il m’a refilé un chèque en bois, un chèque en bois de trop. Il était déjà en retard de 2 mois sur mon salaire. Les créanciers sonnaient chez moi à mon tour. Furax,

J’ai claqué sa tronche puis la porte et (re) sa tronche. J’ai aussi insulté sa grognasse et

l’autre pouffiasse de Monique Danel. Et croyez-moi, je suis reparti avec toutes mes

thunes.

Plus de taf et dans le pétrin, Je recevais des recommandés des impôts, je n’étais vraiment pas d’humeur pour être patient et tendre avec mon pauvre Enzo. Il prenait les

baffes que je ne pouvais pas distribuer à L’c et sa la bande de gravos.

Ne pas bosser, ne serait-ce qu’un mois, avec le train de vie que nous avions à Cannes

c’était se retrouver à la rue avec Tieno, Enzo et les huissiers au cul. C’était très chaud.

Le navire prenait l’eau... Comme disait Zidro, le philosophe portugais du groupe

Titel, qui allait me sauver de la noyade quelques mois plus tard :

- Quand la misère s’installe, donne lui une chaise car elle ne partira pas de sitôt...

A la gorge, la belle mère gravos nous a trouvé un appart pas trop cher et quelques

mois gratuits, contre un peu de travaux de peinture, au dessus de la boutique de

chaussures où elle bossait à Clermont-Ferrand, Je n’avais presque pas de dettes

(enfin presque) car avec L’c nous en avions toujours un peu par ci par la... Donc nous

n’avions pas trop le choix : c’était accepter ou accepter ce plan en Auvergne.

Avant de partir de Cannes je suis allé à l’Union de Recouvrement des Cotisations

de Sécurité Sociale et d’Allocations familiales autrement dit l’Urssaf afin de trouver

un accord à l’amiable. Ils ont été tellement amiables que j’ai remboursé tous les mois

pendant presque10 ans. Et oui...

Retour à la case départ Clermont Ferrand et tout le monde descend qui sonnait

tellement juste. La ville est noire parce que bâtie avec de la pierre volcanique. Noire

comme mon moral.

Enzo mon toutou s’ennuyait grave coincé dans un appart au milieu des pots de

peinture et des rouleaux. Fini les longues foulées sur la plage, fini le jardin, il était

si malheureux et ça me rongeais et ça me déprimais. Je m’en voulais, je me trouvais

super nul comme disait Ramage.

En revanche L’c était toute contente de rentrer chez elle à plouc-land et les gravos

tenait leur vengeance qu’ils attendaient depuis mon départ aux Antilles. J’étais de

retour une main devant, une main derrière. Ils me voyaient le cœur cassé en deux, les

yeux hagards et ça les faisaient bander.

Putain ! Je voulais rebondir et monter une nouvelle boite, même si on avait plus une

thune j’aurais emprunté car je connaissais mon taf et j’aurais remué ciel et terre pour

trouver des clients, mais non pas cette fois. L’c épaulé des gravos ne voulaient pas que

j’investisse dans un équipement informatique car les Macintosh étaient très chers, ce

n’était pas comme aujourd’hui.

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Aujourd’hui j’ai 2 macs, je paie un abonnement mensuel pour Adobe créative cloud

qui regroupe Acrobat Pro, Photoshop, Illustrator, InDesign etc... Je n’ai quasiment

plus besoin d’imprimante car les projets s’envoient par e-mail, ni besoin de scan, car

y’a l’appli sur l’Iphone etc..

Non, à l’époque on appelait ça «le parc machine» et les revendeurs de Macintosh se

gavaient : pour un petit mac le L’c (drôle de coïncidence), Le système d’exploitation,

une imprimante en noir et blanc, un scan et 3 logiciels qu’il fallait toujours mettre à

jour, y’en avait pour pas moins de 10 barres soit 100 000 frs ou 15 000 €uros de nos

jours ...

Mais en revanche, les gravos voulaient que je m’endette à mort pour acheter un

bistrot avec appartement au dessus du rade. J’en ai visité 3, 4. Mais vous m’imaginez

derrière le zinc a servir des canons de rouge à des ploucs Clermontois ? déjà qu’à titre

personnel, Fanychou pourrait le confirmer, je ne vais jamais dans les bars. Je n’aime

pas l’ambiance qu’il y règne. N’importe quoi cette meuf, con au point d’oublier que

j’étais graphiste... Elle en revanche tenir un débit de boisson pour pochtrons, elle en

rêvait. Quand je lui parlais d’agence de comm elle me parlait de Ricard ou de canette

de bière... Et ça se confirme encore aujourd’hui. Depuis mon départ elle a enchaîné

uniquement des boulots de serveuse barmaide. Manon aussi malheureusement.

A Clermont Ferrand, Enzo s’ennuyait, ce n’était pas un chien d’appartement. Même

si je l’emmenais une fois par semaine dans la forêt ce n’était pas suffisant, il pouvait

aussi courir chez les gravos qui bien-sûr ne l’aimaient pas. Il défonçait les parterres

de fleurs de l’autre gros naze. D’ailleurs, ils avaient un jardin où on ne pouvait même

pas jouer au ballon avec Tieno à cause de leurs «parterre» de fleurs à la con.

Heureusement, qu’il avait de l’espace chez Papa-Maman à la campagne, mais une fois

par mois c’était peu. Je le sortais exclusivement dans le centre ville de Clermont fd. Il

faisait d’ailleurs l’animation de la cité auvergnate. Sa fougue le menait en haut de la

statue équestre de Vercingétorix qui domine la place de Jaude. Naturellement chasseur, parfois, il arrivait même à choper un pigeon. A Paris, fallait le tenir en laisse

et faire attention car il pouvait sauter aussi bien dans une flaque d’eau, un bassin ou

même dans la Seine. Il adorait l’eau.

Au bois de Vincennes, ces 3 éléments étaient réunis pour le bonheur de mon toutou

: l’espace, les bassins et des putains de pigeons. Un matin, alors que nous sortions

les chiens de bonne heure avec Papa et Samie sa chienne labrador et avant qu’il n’y

est trop de monde dans les allées du bois ; Houla ! Enzo repéra un énième pigeon à

choper... Il se mit à l’arrêt qui correspond à l’immobilisation absolue, une attitude

spécifique de la race des setter. Il attend et fonce d‘un coup pour couper la route à...

un vieux monsieur qui promenait son caniche à frisettes. Le choc les a soulevés tous

les 2 d’au moins un mètre ! Ils sont retombés le mec et son clebs à plat comme des

crêpes ; J’entends encore le bruit sourd du vioc, son dos par terre, les bras en croix et

juste petit ahahh dans le silence angoissant du bois de Vincennes matinal et désert.

Enzo pendant ce temps gambadait vers d’autres pigeons. Nous nous sommes regardés avec papa et je lui ai dit :

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- Il est mort le gonze.

On avance vers le corps immobile mais il n’était pas mort ouf ! On appelle les pompiers et à sa demande je suis allé prévenir sa femme chez lui. Ok. J’y vais, je sonne et

la bonne femme en chemise de nuit et pantoufles, croyant que c’était son vieux qui

rentrait de la promenade m’ouvre la porte et se casse machinalement... :

- Madame, madame.... excusez-moi, je ne suis pas votre mari mais mon chien

l’a envoyé à l’hôpital avec les pompiers !

Mon chien Enzo est mort en juillet 93, il avait 4 ans.

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Clermont Ferrand, Et tout le monde descend. J’y suis resté 5 ans, fini l’insouciance.

La vie me faisait entrer dans le monde des adultes.

Chef de famille, marié, papa et employé dans une grosse boite, le groupe

Titel.

Fini les créas à la cool, j’allais passer à la dure réalité du travail. Oui d’un coup dans

une tour de verre d’une zone industrielle. J’étais confronté à des horaires à respecter

rigoureusement, à des objectifs à atteindre, à des budgets à négocier, à des fournis

-

seurs mielleux à tordre, à des collègues payés à la comm qui faisaient du chiffre et à

un patron ambitieux qui tenait ses employés d’une main de fer.

Naïvement, je croyais que l’intelligence était réservée aux intellectuels comme mon

frère et ses copains de sciences-po. Zidro, mon patron m’a fait comprendre que c’était

une connerie et à sa façon il m’a démontré que je me trompais lourdement.

Zidro c’est Isidore Fartaria. Il est arrivé clandestinement, pieds nus en France dans

les années 60. Guesh** de base il s’est fait tout seul en conditionnant des produits*

chimiques pour les artisans du bâtiment. Son intelligence envahissait l’espace, je le

détestais autant que je l’admirais.

Il écrivait toujours au crayon noir avec une gomme au bout pour effacer les nom

-

breuses fautes d’orthographe qu’il faisait. Il n’avait aucune culture, mais en revanche,

il était malin comme un singe. Il a crée sa boite Labo-France*** seul avec un copain

et sa sœur pour l’aider. Il a crée aussi la concurrence de Labo-France dans la foulée :

Lph puis Nj, At-Cobra, Sodevi etc... En tout 10 sociétés qui se tapaient méchamment

la bourre sur le terrain pour les bénefs de la Holding, sa Holding : le Groupe Titel****

dont il était majoritaire évidement.

Et la vraie concurrence ? piétinée, moquée et larguée. Aujourd’hui encore le groupe

Titel est N°1 Français dans la fabrication chimique de produit pour le bâtiment.

Fier et revanchard de la vie il avait aussi ouvert une usine sur la terre de ses aïeux

: Labo Portugal. Pas à Lisbonne ou a Porto mais dans le village même où son père

sans le sou avait fui pour entrer clandestinement en France. Évidement il est aussi le

numéro 1 des produits chimiques chez les Portos...

En affaire comme dans la vie, Zidro prend tout et ne laisse que des miettes aux

* Comme les Ritals, les Reubeus, les Renois, Guesh est le sobriquet des Portugais en France.

D’abord portos, puis tos. Quelque part, c’est gratifiant de se prendre un sobriquet, ça veut dire que

la communauté est assez grande pour se faire remarquer.

** De la colle, des anti-mousse pour les toitures, du noir de sous-bassement, etc...

*** Pour les amateurs de rugby le logo LABO FRANCE est sur le Short des joueurs de l’ASM lors

des matchs du Top14.

**** Le Groupe Titel en Quelques Chiffres en 2021 - 437 Salariés - 33.760 Clients - 56.455.000 € de C.A

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autres. Isidore Fartaria c’est un dominant, un prédateur.

C’est le seul mec de ma vie que j’ai crains en dehors de mon père.

Un soir, Giscard est venu au Groupe Titel pour le décorer de la légion d’honneur

devant ses employés, sa famille, François et Edouard Michelin* ainsi que les grands

patrons de la région Auvergne.

Zidro représente à lui seul la réussite, la fortune avec la détermination d’être le plus

fort partout.

Au Groupe Titel tous ses frères, ses belles sœurs bossaient pour lui. Mais attention !

Ils devaient être des modèles de soumission au travail sans piper mot...

J’étais un candidat atypique que l’on peut difficilement imaginer dans ce genre d’entreprise mais comme je maîtrisais Photoshop et Illustrator, Zidro, séduit, a tenté le

coup et m’a embauché... Bingo ! De graphiste baba-cool, le groupe Titel m’a transformé en technico-commercial responsable de la communication des 10 sociétés

du groupe, de la Sci et de la holding à coup d’engueulades sévères et punitives, mais

aussi d’écoute et de défis récompensés par des primes.

Dans cette entreprise industrielle j’ai trouvé mon équilibre et même du plaisir à

bosser comme un taré pour remporter un marché, ou pour présenter un projet qui

me tenait à cœur.

Au fil des ans j’ai mis en place des identités visuelles, des stratégies distinctes et différentes pour chaque société du groupe, j’ai donné de l’importance à mon poste pour

qu’il devienne essentiel et j’ai la faiblesse de croire qu’on m’appréciait non seulement

parce que je suis sympa (comme dit Sophie) mais aussi pour mes idées et mes compétences.

Je me suis investi complètement dans cette vie professionnelle en Auvergne, grâce à

mes potos Bernard Delgay (n°2 du groupe Titel), Alain Verdy (n°3) et les autres. Ils

m’ont donné une raison de survivre aux lourdos Gravos et leur clique.

Au groupe Titel mes collègues étaient tous joueurs ou anciens joueurs de rugby, ils

aimaient faire la nouba pour un oui, pour un non, même en pleine semaine et les

dirigeants Zidro**, Bernard et Alain étaient toujours de la fête :

Un anniversaire lundi ? Allez ! teuf alcoolisée jusqu’à 3 heures du matin. Un rugbyman ouvrait un bar à Cournon ? re-teuf jusqu’à l’aube et steaks aux échalotes avant

de reprendre le taf. Un topo devenait papa? re-re teuf déjantée. On se faisait virer des

bars, des restos et des boites tellement nous étions torchon, chiffon, carpette. Mais

dès le lendemain à 9h00 nous étions tous opérationnels à nos postes. Je serais bien

incapable de le refaire aujourd’hui !

Je vous laisse imaginer les séminaires de malades d’1 semaine début janvier avec les

cadres... au ClubMed. Il y avait aussi les fêtes annuelles avec tous les commerciaux et

après la traditionnelle remise de cadeaux aux enfants et remise de primes aux com

* François et Edouard Michelin, le président et le vice-président des pneus Michelin.

** J’ai un grand respect pour Zidro et je le cite souvent, il disait notamment : «Pour être architecte

au Groupe titel, faut balayer la cour avant, pour savoir combien elle mesure» ou «Balai neuf,

balaie bien» Lorsqu’il parlait d’un nouveau qui voulait faire bonne impression

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merciaux les plus méritants... On se mettait des murges pas possible tout en étant

des requins impartiaux avec les mêmes mecs les jours suivants. Bref, le Groupe Titel

c’était bien.

J’ai même retrouvé la joie de vivre et j’ai repris confiance en moi. Mon travail était

passionnant. Encore aujourd’hui, lorsque je vois les jeunes aller bosser à reculons, je

cite Zidro et prends le groupe Titel en exemple, comme un ancien légionnaire. Au

boulot Zidro était si intransigeant qu’il refusait même les différences de point de vue.

Il était redouté et faisait peur comme le feu. Il aimait dire :

- Le syndicat c’est moi et pour être respecté faut être craint.

Mieux qu’un service militaire, j’ai fait mes classes au groupe Titel. Merci Zidro.

Paradoxalement, pendant que la vie redevenait sympa et que je m’épanouissais en

Auvergne je l’ai détestée durant cette même période lorsque j’étais avec L’c et Tieno

ou «en famille» avec les gravos. A chaque fois que nous arrivions devant leur maison

et une fois que L’c et Tieno étaient sortis de la voiture je me faisais un 3 feuilles pour

m’aider à les supporter...

Dans la famille Gravos y’avait les femmes gravos, qui d’une façon générale, s’occupaient de leurs hommes. Après un repas dominical en famille, les maris, les beaux

frères, pouvaient raconter un bobard comme aller acheter des clopes par exemple et

ne rentrer qu’au petit matin ivres. Les femmes le toléraient, elles toléraient même que

le monsieur saoul est envie de faire un petit cracboum express avant de cuver son

vin. Ainsi elles s’assuraient que leur pochtron de mari n’irait pas courir ailleurs, la

greluche Auvergnate pour le dernier coup de la nuit. Elle se vantaient même de rentrer leurs conjoints avinés, de les déshabiller et de les coucher tels des sacs à patates...

Ça faisait parti de leurs mœurs.

L’c ne m’a jamais empêché de faire les bringues à répétition avec Titel par exemple.

En retour les femmes Gravos étaient les chefs de famille, elle portaient le pantalon

comme on dit. Le matin elles aimaient se retrouver entre elles et faire les courses, pas

du shopping, des courses au supermarché même si y’avait tout dans leur frigo elles’y

allaient quand même, qu’il vente, neige etc... Elles se retrouvaient entre voisines,

cousines qui en faisaient autant comme un rituel ancestral.

Il y avait, Dédé, le père d’L’c. Il avait abandonné sa mère dans un monstrueux hospice loin de chez lui dans un bled tout triste comme on voit dans les films italiens. J’y

suis allé une fois et j’en suis sorti bouleversé. Dans un hall froid les lits étaient justes

séparés d’un rideau. Des nonnes nonchalantes s’occupaient des petits vieux et ça sentait la mort à plein nez. Les gravos disaient qu’elle était méchante et folle comme moi

aujourd’hui. Incroyable ! affligeant toutes ces similitudes, tous ces points en commun

que j’ai partagé avec cette pauvre femme desséchée sur son lit mortuaire ; Comme

avec Étienne et Manon, Dédé, son fils lui faisait la tronche car il ne l’aimait pas. Assis

à coté d’elle à l’hospice, il ne lui a pas adressé la parole (il disait que sa mère ne s’était

jamais occupé de lui, qu’elle l’avait abandonné etc... ) Tiens donc ?

Sur sa table de nuit il y avait une photo de L’c et Godicheffe gamines, lorsqu’elles

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aimaient encore leur mémé, pareil pour moi, la photo que j’ai dans mon bureau

d’Étienne et Manon sont gamins quand ils «aimaient» encore un peu leur papa. Les

gravos ont mis cette pauvre dame dans un mouroir en prenant au passage toutes ses

économies et avec le dégoût de son fils en prime, pour rester entre eux. C’est exactement le même rejet, le même schéma, sur la même logique qu’ils mettrons en œuvre,

un jour, mon propre abandon.

Dédé le père Gravos n’était pas très futé mais c’était quand même le moins vénal de

la famille. La mère d’L’c Josiane était bien plus gratinée... Elle dépensait un argent fou

chez les voyantes et 34 ans plus tard je constate qu’aucune de ses prédictions ne s’est

réalisée. Elle Claquait un fric fou au téléphone aussi. Imaginez les factures pour 10

appels par jour à Fort de France en Martinique là où nous étions et autant en même

temps à Nouméa en nouvelle Calédonie ou bien à Bora-Bora à Tahiti là où se trouvait Godicheffe...

Un jour Godicheffe est devenue Cheffe de village ClubMed ! C’était la consécration

tant espérée de toute une famille. Le saint Graal. Ils marchaient à 10 cm du sol. Les

gravos passaient enfin à la postérité, ils entraient dans l’histoire, au point de se sentir

consacré «famille de surdoués». Pour bien comprendre la place qu’occupait Godicheffe à leurs yeux et dans ce bas monde de lilliputiens que nous occupons vous et

moi : tout en haut il y a Dio. Juste après le président des États Unis d’Amérique et à

peine en dessous (mais pas beaucoup) : Godicheffe.

Pour le coup, elle s’y croyait, à cette place, car elle était vraiment très con et inculte.

C’est le genre de meuf, quand elle ne parlait pas d’elle c’était pour te donner des

conseils tout en frime. Au ClubMed, elle était très autoritaire avec ses G.o et désagréable avec les Gm, pourtant ce poste elle en avait rêvé. Une fois devenue cheffe, elle

ne foutait plus rien. C’est la première fois que, dans ma vie au club, j’assistais à des

réunions G.o hebdomadaires ultra rapide : moins d’une minute montre en main ! les

G.o mettaient plus de temps à laisser leur poste et pour arriver sur le lieu de la réunion. Elle ne perdait pas de temps à lire des livres, à voir des films, non, elle lisait les

critiques et les apprenaient par cœur ! Idem pour les citations, elle se les appropriait.

Elle portait des lunettes de vue parce que ça faisait classe. Très conne je vous dis. Elle

a quitté le club en 2000 à 40 ans. Elle n’a plus jamais re-bossé de sa vie.

Godicheffe a eu une fille, Camille, avec Marc un mec plus âgé qu’elle (comme moi

aujourd’hui avec Fanny). J’aimais bien Marc et contrairement à Godicheffe il était

loin d’être abruti. Il était le capitaine du paquebot à voile le ClubMed One. Marc était

magnifique et flamboyant dans son uniforme blanc, Il y avait 4 galons sur chacune de

ses épaulettes de sa chemise et pas pour la frime. L’énorme machinerie du paquebot

fonctionnait grâce à lui.

A la retraite, il a retapé une baraque de ses mains pour en faire une très jolie maison,

mais il est mort dedans tout seul et abandonné par sa Godicheffe et sa «surdouée de

fille» qui aux dernières nouvelles était blanchisseuse dans un hôtel de Saint-Tropez.

Quand Marc est décédé Camille, n’a pas jugé utile et nécessaire d’aller à l’enterrement

de son père. Gravos un jour, Gravos toujours...

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Limoges

Et j’entrais dans le monde des cadres.

Ça faisait 4 ans que je bossais au Groupe Titel quand le père Gravos me dit un

dimanche qu’il avait lu dans le journal local, La Montagne, une petite annonce qui

pouvait m’intéresser. Je regarde et effectivement à Limoges une grosse boite d’informatique recherchait un mec qui maîtrisait Photoshop.

Depuis 1an, j’avais pris pour habitude de répondre aux annonces dans les journaux

spécialisés comme Stratégies ou Artg, comme ça, histoire de voir, si mon profil était

concurrentiel.

Grâce à Zidro et à mon expérience acquise au Groupe Titel, je pouvais maintenant

prétendre à des postes de cadre. Je n’avais pas forcément envie de quitter Titel mais

j’en avais fait le tour. J’aurais pu y rester tranquillement jusqu’à la retraite comme

mon pote Alain Verdy (toujours fidèle au poste) et bénéficier de tous les avantages

d’une longue carrière.

Seulement voila, j’ambitionnais une qualité de vie meilleure pour ma famille, j’étais

tout à fait prêt à soulever de nouvelles montagnes. J’ai toujours aimé les challenges.

Pour répondre à l’annonce fallait envoyer un lettre manuscrite et un CV, je me

souviens j’ai écrit cette lettre de motivation le dimanche soir avant d’aller coucher les

enfants tout en rouspétant car ils étaient turbulents.

* Elle cède facilement, s’amusait-on à appeler la boite entre techniciens.

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Je ne pouvais pas imaginer que cette lettre serait analysée par un graphologue... Ils

ont retenu ma candidature. A l’entretien d’embauche Jean-Claude Bellivier le patron

d’Elcede*France m’a rendu le courrier et la grapho... A ma grande surprise ce qui

ressortait de mon écriture énervée du dimanche soir, bin en gros, c’était que j’étais un

mec bien, apte pour ce poste de cadre dont j’ignorais encore toute la complexité.

Voila je pouvais démissionner du groupe Titel avec quand même un gros pincement

au cœur. N’en déplaisent aux gravos, je n’étais pas qu’un papa-monstre borné, intrus

dans cette famille de «surdoués» et je n’étais pas non plus du genre pépère à rester

dans le confort de son job Auvergnat. Quand je leur est montré l’étude graphologique

super élogieuse (elle est dans mes cartons à Die aujourd’hui) j’ai bien cru qu’une

crise cardiaque collective les frappait.

Ma nouvelle boite Elcede-France à Limoges distribuait des machines de découpe

pour la fabrication d’emballages avec des formes de découpe complexes. Ils étaient

également les représentants Français d’Artwork Systems, une startup Belge, qui

concevait des logiciels de graphisme dédies au packaging professionnel très performants et donc très chers.

J’étais démonstrateur et formateur de ces logiciels, je partais 1 semaine sur 2 sur site

pour former les techniciens des plus belles photogravures et imprimeries de France.

Ces usines fabriquaient de luxueux emballages pour les parfums de haute couture ou

pour les étiquettes de spiritueux et champagnes, entre autres.

Nous étions 4 démonstrateurs à se partager le territoire national. Sur site nous étions

attendus et reçus comme des messies ! Nous détenions les secrets du matos super

cher qui venait dêtre aquis. On nous recevait comme des VIP, on mangeait gastro et

les belles suites à l’hostellerie du coin nous étaient réservées. Maman me disait :

- Coco, mio figlio è il re del petrolio (mon fils, c’est le roi du pétrole)

L’autre semaine, je restais à Limoges où je faisais de l’assistance téléphonique. Les

opérateurs sur site qui rencontraient des problèmes de production et qui cherchaient

désespérément la solution avec le logiciel m’appelaient... Je leur donnais la clé d’une

voix rassurante... Enfin, 1 semaine par mois je travaillais avec les développeurs

d’Artwork Systems à Gand en Belgique pour perfectionner les programmes des logiciels. Super taf. Supers avantages :

Salaire multiplié par 2, voiture et carte bleue de fonction et une assistante qui organisait mes déplacements. Quel beau cadeau de la vie ! Merci Dio.

Elcede-France était sponsor officiel du célèbre club de basket, le premier club français

de sport collectif à remporter une coupe d’Europe des clubs champions, toutes disciplines confondues. Ce club avait des joueurs professionnels américains qu’il fallait

loger confortablement à Limoges ou dans sa région. Coup de bol pour moi une de

ces maisons s’est libérée lorsque je suis arrivé dans le limousin. Les enfants y étaient

heureux, j’ai adoré cette maison.

C’était une magnifique villa dans le quartier rupin de Limoges, en plein centre ville.

Sur un jardin surélevé et arboré, l’architecte l’avait dessinée pour lui-même. Elle était

révolutionnaire dans sa conception en L et très moderne avec des matériaux des

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années 60, sa date de construction. Papa aussi adorait cette maison.

Et ma vie de couple, de famille ? à la dérive.

A Limoges L’c ne foutait rien comme d’hab et déprimait, Étienne gâté pourri et dénué

d’intérêt pour l’école grossissait et ma petite Manon commençait à fréquenter la

maternelle. Nous nous étions enfin éloignés de la maison-mère des gravos, mais ils

tapaient l’incruste presque toutes les semaines.

L’c me reprochait souvent de vivre seul dans la maison où ils y vivaient aussi, je le

contestais à l’époque et c’était pourtant vrai. Étienne et L’c me sortaient par les yeux et

les trous de nez.

Mon travail et ses contraintes techniques monopolisaient mes pensées, nous ne partagions plus rien avec L’c ; sauf notre compte en banque. Malgré mon salaire confortable, la voiture de fonction sans avoir à payer l’assurance, l’entretien et l’essence, il ne

suffisait pas à recouvrir nos dépenses quotidiennes. Nous étions sans cesse dans le

rouge. Nous n’étions pourtant pas propriétaires, elle utilisait des cartes de crédit pour

absolument tout. Même les courses L’c les payait avec une carte à paiement différé et

intérêts à donner... et les agios se multipliaient. En plus du loyer, ses clopes, ses fringues son maquillage, les plats cuisinés puisqu’elle ne savait pas faire à manger (moi

non plus à l’époque) et les courses tous les matins mon salaire fondait comme neige

au soleil. Heureusement que Godicheffe nous invitait au ClubMed une semaine en

hiver au ski et une en été à la mer car nous ne pouvions pas nous offrir des vacances.

J’aurais aimé et je poussais L’c pour qu’elle bosse un peu, un mi-temps par exemple.

C’était la principale raison de nos disputes de plus en plus fréquentes. Quoi ? demander

à une feignasse d’aller chercher du taf c’était comme lui arracher un œil. Ambiance...

C’est impressionnant de voir à quel point les feignants sont bornés et obtus pour

refuser le moindre effort. En attendant «Le» taf qu’ils méritent, ils attendent patiemment en ne foutant absolument rien. Ils trouvent toujours l’argument qui ne colle

pas et tout y passe : ils n’ont pas le moral ou n’ont pas le feeling pour la fonction ou

les horaires ne vont pas, bref y’a toujours une putain d’excuse qui me mettait hors de

moi...

En allant acheter du pain, un dimanche matin, je vois que la blanchisserie du quartier recherchait une personne à mi-temps. Spontanément à table entre la poire et le

fromage je lui raconte ma soudaine découverte... Je lui suggère aussi qu’elle pourrait

éventuellement postuler ?

Les gravos étaient là comme d’hab, prêt a dégainer pour défendre leur fille. Abasourdis et étonnés devant cette situation pourtant pas si inédite en vue d’un horrible

labeur qui nous aurait pourtant bien aidés, ils se sont regardés instinctivement avec

leurs yeux de merlans frits, puis en chœur ils m’ont dit :

- Mais ?? ce n’est pas son métier !

Ah ouais, mince, chuis bête... Mais, j’y pense, c’était quoi son métier au juste ?

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La campagne-2, J’adorais y retourner, j’adorais cette route qui nous y emmenait. Nous quittions l’Au

-

vergne et Clermont-Ferrand, en passant par Riom, Gannat et Saint Pourcain où je

ne manquais pas d’acheter du vin et nous entrions en Bourgogne : Château-Chinon

et son ex-député, François Mitterrand, le château de Saint Fargeau, cher à Jean

d’Ormesson, Toucy, son incontournable marché du samedi matin et enfin Parly.

Parly notre petit bourg. La boucherie et sa charmante bouchère de mon enfance, la

boulangerie et sa charmante boulangère avec sa voix aiguë, je l’imitais super bien.

Tieno s’impatientait d’arriver :

- Ça y est la route est rouge ?

Quand la route devenait rose on dépassait sur la droite une très belle propriété

blanche avec tennis et chevaux, puis après quelques mètres la jolie maison de Mon

-

sieur Louis maintenant habitée par Jacquot. Enfin, elle était là notre belle maison

heureuse de nous revoir ; le perron, la grosse porte d’entrée et les deux fenêtres. Elle

ressemblait à un visage apaisé. En arrivant nous disait :

- Enfin, vous revoila !

Oui, les murs nous parlaient par nos souvenirs que nous avions offert à la fête des

mères, des pères, que papa avait accroché le long du couloir qui se terminait par...

d’horribles chiottes moches au bout. Ah bah oui, faut que je vous raconte.

Depuis que Jacquot avait laissé la propriété entièrement à papa-maman faut bien

reconnaitre qu’elle avait un peu perdu de son âme.

Papa-Maman retraités, avaient quitté leur appart du boulevard Soult la mort dans

l’âme. Ils avaient été contraint d’emménager à la campagne à l’arrache et avec tristesse

aussi car mes parents étaient des citadins et se faisaient royalement chier à Parly. Sans

métro, sans faire la queue à la sécu, le béton du macadam et le bitume c’était leur

paysage, ils ne se parfumaient pas à l’oxygène, le gaz carbonique était leur hygiène.

Aurait dit Renaud.

Naturellement, ils ont personnalisé leur chez eux, quoi de plus normal ?

Sauf que ce n’était pas une réussite. Je comprends que l’exercice était complexe :

Comment mixer nos affaires du Hlm parisien dans une maison de famille française

et traditionnelle à la campagne ? Tant que ce n’était qu’une résidence secondaire c’était

cool, il y avait nos jouets, nos livres, nos fringues, ma chaine Hi-fi et mes skeuds

entreposés par ci par là, le tout mélangé avec les affaires de papa-maman et les vieux

meubles de la campagne ça faisait très «maison du bonheur» il y régnait même une

certaine poésie dans ce refuge à souvenirs. Mais quand ils ont déboulés avec les

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affaires de tous les jours... La télé, les napperons, un miroir par ci et une vitrine kitsch

par là ; ils ont vite Casubolisé la maison. Fallait même pousser les murs...

Donc, le petit réduit au bout du couloir pour se laver les mains s’était agrandi maladroitement sur la précieuse chambre de Madame Lortal d’un coté et sur la cuisine de

l’autre... Oh putain la cuisine amputée, et le salon putaiiinnn, etc...

J’avais ramené un masque zoulou d’Afrique. Papa l’avait accroché juste en dessous

d’une assiette papale qui nous saluait depuis Saint-Pierre de Rome et qui elle même

se trouvait à coté du porte fusil qui portait le vieux fusil de Monsieur Lortal père. A

coté une peluche d’un singe équipé de cymbales qui m’appartenait bébé terminait la

composition d’un coin du salon (sachant que chaque coin étaient également ultra

surchargés)... Voila... Difficile à imaginer ? Pourtant voici l’exemple parfait de la métamorphose de la belle en gourbi de ritals banlieusards.

Papa avait un certain goût pour se saper mais un goût très incertain pour la déco.

Il en foutait vraiment partout. Où était la jolie demeure de Monsieur Jacques avec

tous ses souvenirs d’enfant ? Cette gentilhommière qui contenait le beau, le distingué,

le raffiné d’une famille française d’après guerre ?

Où était le secrétaire que je partageais avec mon frère à Saint-Ouen ? là pourtant

mais noyé dans toutes les autres affaires de Papa-Maman et de nous 4. La citadelle

enchantée ancrée dans ma mémoire avec mes yeux de gosse était devenu le showroom de papa-maman.

On y retrouvait du Tunis, du La Courneuve et du Saint-Ouen, des bibelots d’Espagne, des vases rococo italiens. Une ratatouille de souvenirs. Aux murs on pouvait y

voir le diplôme de Sciences Po d’Antoine, le certificat de l’usine de lolo, mon portrait

peint par Arlaud, des fleurs en plastique et un horrible tableau avec des bateaux

qu’un copain de l’usine lui avait refilé.

Viré les jolies chaises cannelées pour un canapé inconfortable vert caca, l’éternel gros

lustre en cristal qu’ils avaient acheté à Murano et qui n’avait rien à foutre dans cette

pièce bref, un foutoir sans nom.

Attention chaque objet avait sa place et celui qui déplaçait le zap de la télé prenait le

risque de recevoir les foudres de papa.

Le grenier si mystérieux autrefois était devenu un dortoir, le sous-sol et ses petites

fenêtres qui apportaient la lumière naturelle servaient maintenant à éclairer des

gogues... Et le jardin, la vieille maison ? Après un barbecue géant où mes oncles

avait embroché un mouton pour le faire rôtir dans la grande cheminée de la vieille

maison, celle-ci s’était effondrée, à cause la chaleur. La négligence et la bêtise ont eut

raison de l’âtre en pierre, un désastre.

Tu m’étonnes que Jacquot faisait la gueule les rares fois où je l’ai revu à la maison et

je ne peux que le comprendre. Et encore... Heureusement que Papa n’avait pas les

thunes pour éclater la vieille maison authentique pour y installer un parking !

Ce n’était qu’un avant-goût poignant de ce qui nous attendait au cœur de la maison.

Fini la tranquillité de notre enfance où je ne me souviens pas qu’il y ait eu des invités

à l’exception de mes grands parents paternels. L’incruste à vraiment commencé avec

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l’installation des toilettes et de l’escalier qui allait au grenier. Il était en béton brut et

défigurait la façade...

L’ambiance à l’étage ressemblait à une réception d’accueil de camping avec la fréquentation assidue de toute la smala sicilo-parisienne tous les week-ends. Et quoi de plus

normal ? La famille et les amis qui rendaient visite à nos parents à Paris n’avaient

aucune raison de couper les ponts avec eux, sauf que c’était plus loin et qu’il fallait

manger et dormir sur place voila.

Naturellement, à commencer par nous 4 (Antoine, lolo, vivi et moi) avec nos

conjoints et nos enfants : Alexandra la fille de lolo, Stéphane, Julia et Yoan les enfants

de vivi et d’Antoinou, Étienne et Manon les miens et plus tard Ugo le fils d’Antoine

rendions visite à nos parents et grands-parents à tour de rôle mais parfois nous

pouvions aussi nous réunir pour un anniversaire par exemple. Les gamins adoraient

s’y retrouver. Nous profitions de la campagne tout le week-end, en famille, dans la

maison de notre enfance.

Mais pour les autres invités ? Je trouvais leurs attitudes pathétiques et présomptueuses car ils se sentaient chez eux, chez nous à la campagne, comme une forme de

patriotisme abusif chez les patriotes que représentaient les anciens de la famille. Ils

pouvaient débarquer sans prévenir et parfois même avec des gens, même des familles

que nous ne connaissions pas.

Nous devions les accepter car en plus de leur humour désopilant nous devions subir

une promiscuité envahissante dans une maison qui n’était pas conçue pour ça.

- Les autres ne vont pas faire juste un aller-retour parce que tu es là ?

Me disait papa, me voyant mécontent, sauf que, contrairement à moi, ils déboulaient

sans prévenir et on se retrouvait à dormir ensemble dans le dortoir-grenier...

En tête de liste mon oncle François, adepte du Hihi, Haha et sa bonne femme. Une

gonzesse de «chez nous» arrogante, condescendante qui cherchait à se faire valoir

par ses outrances ridicules. Son fils, un ado introverti et sa meuf paumée, qu’il

crac-boumait sans vergogne dans le grenier devant nos enfants. Mon oncle Mathieu

un crâneur, vaniteux et suffisant, sa femme, ma tata Lucienne qui n’était point « une

bonne pâte », mais une orgueilleuse, irascible et tenace qui supportait patiemment

notre présence (nous étions juste chez nous) car elle adorait papa pour son sens de la

fête et maman pour ses macaronis.

Quand nous venions passer un week-end Je devais prévenir et mettre la pression

toute la semaine en amont pour que les fumeurs évite d’enfumer Manon bébé. Tout le

monde fumait à l’époque, bien qu’avertis, le gros Burduche et lolo faisaient la gueule

et fumaient quand même. Ils clopaient à table*, aujourd’hui c’est heureusement

prescrit. Y’en avait même qui écrasaient leur mégot dans l’assiette où ils venaient de

manger**.

Les repas étaient bien arrosés mais personne ne se roulait sous la table nous ne

sommes pas des pochtrons dans la famille, sauf Burduche devenu alcoolo et sans

vergogne, ne s’en cachait plus au grand désespoir de Papa-Maman, il se prenait

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des murges incroyables au point de ne plus pouvoir parler. Plusieurs fois il a perdu

conscience et les signes d’un coma éthylique effrayait tout le monde, Lolo lui faisait la

guerre mais il en avait rien à foutre, même après son opération à cœur ouvert il s’est

remis à boire et à cloper. La grosse aussi fumait encore il y a 2 ans malgré sa sclérose

en plaques.

Nous étions plutôt des gros bouffeurs, ça oui. Quand maman servait une assiette de

couscous c’était une montagne de nourriture qui se présentait devant nous, il y avait

2 sortes de couscous ; le couscous à la viande et le couscous aux poissons*** si c’était

un vendredi. Maman faisait le meilleur couscous de l’univers et Dio doit s’en bâfrer la

haut.

Je me suis mis à cuisiner depuis le départ de Papa-Maman, moi qui ne savait pas faire

un œuf à la coque, je prends beaucoup de plaisir à faire des bons plats à Sophie et à

Fanychou. Grâce aux tutos de YouTube et aux robots, ce n’est pas un exploit.

En revanche c’était un exploit au quotidien pour mes parents de préparer autant

de repas de «chez nous» et franchement même en Sicile les plats ne sont pas aussi

savoureux. J’ai une photo de maman, puis une de papa prise quelques semaines avant

leur départ, ils sont avec leurs tabliers de cuisine, ils nous faisaient tout le temps à

manger. Nos plats ne sont pas d’une extrême délicatesse, mais qui n’aime pas la cuisine sicilienne ? Fanychou et Sophie en raffolent.

En entrée nous avions la salade méchouia, inspirée de la cuisine tunisienne, elle est

composée de tomates, de poivrons, de piments et oignons grillés et hachés après

cuisson, ceux qui aimaient la manger piquante y ajoutaient de l’harissa.

Maman faisait sa Caponata qui est un mélange de légumes frits, principalement des

aubergines, assaisonné avec de la sauce tomate, céleri, oignon, olives et câpres.

J’adorais sa parmigiana qui est aussi un plat à base d’aubergines frites mais cuites au

four avec une sauce tomate, du basilic, de l’ail et du pecorino. Les pizzas quand on

était petit c’était souvent le samedi soir, Maman faisait la pâte puis ajoutait la sauce

tomate, les anchois et olives elle disait que c’était le repas du pauvre à Tunis, puis la

mode des pizzas est arrivée on a vu les champignons, le jambon apparaître etc... Enfin y’avait les pâtes : Spaghettis, Linguines, Tagliatelles, Macaronis, Fusillis, Raviolis,

Farfalles, Lasagnes etc...

A peine avions nous fini de manger que maman anticipait le repas pour le soir.

Oui la maison de campagne au fil du temps était devenue un gîte familial à 1h30 de

Paris. A partir du mois de mai jusqu’à la Toussaint ça ne désemplissait pas.

Et Monsieur Jacques ? bin il s’est fait de plus en plus discret.

Pour continuer ma métaphore du chapitre 5 la campagne :

* Moi aussi je fumais mais plus tôt dans ma jeunesse j’ai arrêté à 30 ans. Grâce à Dio je n’ai

jamais été intoxiqué. Je peux cloper toute une soirée et ne plus refumer pendant des années.

**Il y a toujours pire, ma cousine José me racontait qu’au Pérou là ou elle vivait, ses invités écrasaient leurs clopes sous la table...

*** Le couscous aux poissons à la sicilienne, hérité de l’installation des arabes en Sicile au Moyen

Age, particulièrement dans la ville de Trapani.

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«C’est comme si, aujourd’hui, j’offrais ma maison, mon cœur, ma générosité, ma

gentillesse et toute mon attention à une famille de Syriens, incultes, vivants dans une

banlieue bien pourrave et arrivés en France depuis peu... Des gens qui parlent souvent

dans leur langue, que je ne comprends pas, avec des mioches qui crient, qui hurlent et

l’inévitable télé à fond la caisse».

Et bien retrouvons cette même famille 20 ans plus tard....

Imaginez Jacquot revoir sa jolie maison parentale transformée en une baraque défoncée aux portes d’Alep, dans un paysage bucolique. Avec toute une faune omniprésente et affamée.

Je suis sûr que Jacquot n’appréciait pas du tout la tournure des choses, ni ce destin

qu’il ne contrôlait plus. Il a, à mon avis, réalisé trop tard qu’il avait déconné. Je pense

aussi qu’il a regretté amèrement de nous l’avoir donnée la maison de son enfance.

Un jour, il est parti vivre à Nice. Je ne sais plus où j’étais mais je ne lui ai pas dit au

revoir. Un jour, papa l’a appelé pour prendre des nouvelles et quelqu’un a répondu à

sa place. Jacquot était mort depuis plusieurs mois et nous le savions pas, personne ne

nous a prévenus.

Je me souviens encore du moment où Papa me l’a annoncé, je jouais avec les enfants,

un samedi matin un peu avant Pâques. D’un coup les rires ont cessés.

Comment a t il vécu les dernières années de sa vie, il est mort de quoi ?

Parlait-il de nous, de la maison à ses nouveaux amis ? ou pire, peut être qu’il n’évoquait jamais notre histoire commune et peut être même que ses amis ignoraient

notre existence ? Est-il parti fâché avec nous ? Je regrette de pas en avoir discuté avec

lui. Je suis resté sur ma faim, j’aurais aimé lui rendre hommage et aller à son enterrement, j’aimais beaucoup Monsieur Jacques.

Au bout de quelques mois de vie rurale, Papa-Maman ne voulaient plus y rester tout

le temps ils déprimaient lorsqu’ils se retrouvaient seuls. Ils ont remués ciel et terre

pour revenir à Paname et finalement les Hlm de la ville de Paris leur ont attribué un

appart dans le XVIII ème rue Firmin Gemier et c’est là qu’ils se sentaient bien finalement jusqu’à la fin en 2020.

Papa-Maman ont vendu la maison en 1999 je crois. Ils vieillissaient et ils ne pouvaient plus assumer les frais de Paris et de la campagne avec leurs petites retraites.

C’est triste mais comment pouvaient ils faire autrement ? Un jour comme les autres

ça s’est fait. Voila.

Nous les enfants on ne s’est pas concertés pour les aider afin de trouver une autre

solution que de la vendre. Bien sur que je le regrette, à l’époque j’étais dans d’autres

tourments et je n’ai pas réalisé ni mesuré le manque que j’éprouverai une fois revenu

à Paris. Antoine un jour m’a dit :

- Ça ne te fait pas de la peine qu’ils vendent notre maison avec nos souvenirs ?

Bin, non à l’époque...

La maison n’était plus la notre. C’est une grande tristesse et un vide qui restera dans

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mon esprit et dans mon cœur pour toujours.

Si tu reviens un jour marcher sur les traces de notre amour

Tu ne trouveras plus ton chemin si un jour, ici, tu reviens

Tu verras la maison comme moi elle a son cœur à l’abandon

Et ses portes ouvertes à tous les vents, ne me cherche pas plus longtemps

J’ai pleuré sur ma guitare en chantant notre histoire

Il pleut toujours un peu sur les chagrins.

Imaginez Papa-Maman organiser un déménagement d’une grosse maison de campagne sur 3 niveaux plus une dépendance pour un tout petit 2 pièces à Paname...

Pour laisser la maison vide aux nouveaux propriétaires, mes parents ont fait venir les

brocanteurs du coin pour se débarrasser de notre vaisselle, nos bibelots et nos souvenirs d’enfance qui ont ainsi disparus. Le reste des cartons, des meubles sont partis

en Touraine chez Antoine, puis quand Antoine à vendu sa maison les affaires de la

campagne ont atterris dans les caves de papa dans le 18 ème.

En avril 2020 après les décès de papa-maman nous devions rendre leur appartement à l’office des HLM de Paris. Mon frère, ma sœur et moi-même avons ouvert les

derniers cartons de la cave pour faire le tri. Nous nous sommes partagés le reste de la

vaisselle et les quelques bibelots de la campagne restants.

Les fringues et les autres meubles du quotidien de papa-maman restés dans l’appart,

on les a balancés avec Antoine. J’entends encore le bruit des meubles se fracassants

dans cette affreuse benne de la déchetterie boulevard Ney 2 mois plus tard. J’en garde

un souvenir déchirant.

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Rock Bon, vous avez compris je suis un fou de rock’n’roll.

Lorsque j’ai passé l’oral au concours d’entrée des beaux-arts un des mecs du

jury m’a demandé en regardant ma touche :

- Pourquoi aimez vous le rock ?

J’ai dû lui répondre une connerie inintéressante style c’est le sang qui coule dans mes

veines mais l’intérêt que j’avais pour cette musique l’intriguait.

Tout petit, mon premier souvenir rock c’était chez mémé et nono à Champigny. Un

45 tours «le twist du canotier» avec Maurice Chevalier et Les chaussettes noires d’Ed

-

dy Mitchell. Il était parmi les autres disques de mon oncle. La pochette était ronde et

j’avais l’autorisation d’utiliser le tourne-disques Teppaz qui ressemblait à une petite

valise de voyage très colorée. A l’ouverture, on découvrait que le haut-parleur était

logé dans le couvercle.

Papa aussi achetait un 45 tours toutes les semaines, surtout des Enrico Macias et

comme disait Antoine, on croyait que c’était un de nos oncles tellement nous l’avons

entendu*. Mais un jour il a acheté un 4 titres de Johnny avec «retiens la nuit» et

«Yaya twist». Je l’écoutais en boucle. Je ne savais pas que ce n’était que des reprises de

tubes américains mais son charisme me fascinait et il me fascinera jusqu’à la fin de sa

vie d’ailleurs.

J’ai eu la chance de le voir une fois sur scène au stade de France, en 2012, grâce à une

opportunité incroyable. Encore une fois je suis sûr que de la haut Dio s’est dit :

- Bon je vais quand même l’envoyer voir Johnny, une fois, sinon il le regrettera.

La veille j’avais branché une meuf sur Meetic et malgré ses 2 places elle allait voir le

concert seule le lendemain car sa cop’s s’était désistée. Bingo ! j’ai récupéré sa place.

Après le concert je ne l’ai plus jamais revue, nous nous sommes juste tél une fois, elle

m’a dit :

- T’aurais pu me prendre la main et me faire un bisou ?

Elle ne me branchait pas, je lui ai répondu :

- Hein ? devant 80 000 personnes ? et l’intimité t’en fais quoi !

Nous étions dans le carré VIP, tellement prés de la scène que je pouvais même distin

-

guer les lacets de ses pompes ! Cerise sur le gâteau c’était Louis Bertignac en première

* En 2014 j’ai participé au film d’Antoine : Enrico Macias, la vie en chansons, l’avant-première avait lieu au siège de la Sacem. Enrico Macias est ensuite monté sur scène et, en remerciement,

mieux que des mots, il a pris sa guitare et il a chanté pour nous.

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partie puis ils ont fait ensemble Fils De Personne plus tard dans la soirée. Impressionnant Johnny ! d’abord il avait les meilleurs zicos de la place derrière lui mais

surtout il a hurlé dans le stade pendant 4 heures ! Sur scène il vivait le truc à fond.

Il faisait encore jour quand le concert a commencé avec l’apparition d’une immense

tête de mort. Ambiance apocalyptique : le ciel orangé, des hélicoptères qui volaient

à l’arrière-plan et des bruits assourdissants se faisaient entendre. Quand la paroi a

explosé, Johnny était là au centre d’une boule de démolition et « Allumer Le Feu »

ouvrait la soirée pour 4 heures de rock’n’roll, c’était vraiment super.

Il y a eu l’arrivée d’un ensemble symphonique depuis les extrémités de la scène sur

des plates-formes mobiles pour 3 ou 4 morceaux, j’en ai eu des frissons et pour la session acoustique, la scène s’est l’avancée et Johnny est passé devant nous pour chanter

« I’m Gonna Sit Right Down » en hommage à Elvis, et « Cours Plus Vite Charlie »

seul à la guitare. Bref, ça restera un de mes plus grands souvenirs de concert.

Cette anecdote de gonzesse m’en rappelle une autre rigolote, suite aussi à un concert,

anecdote complètement oubliée et qui resurgie subitement dans ma mémoire : c’était

en 2004, au concert des Stray Cats, au Zenith porte de Pantin. J’y suis allé avec une

gonzesse fan de rockab’ comme moi, c’était bien cool.

Le trio de rockers sur scène était en mode sauvage avec Brian Setzer et sa banane

rose, de Slim Jim Phantom tournant autour de sa batterie et de Lee Rocker le contrebassiste qui jouait debout sur sa contrebasse tout en la faisant tourner sur elle même,

de la balle.

Les rockeurs spectateurs dans la fosse faisaient tourner les rockeuses devant la scène

en dansant bi-bop pendant que Brian Setzer faisait son festival sur sa Gretsch sans

chichi, juste avec un ampli Fender vintage et une bonne réverb’. Un pur bonheur.

Stray Cats c’est le groupe de tous les authentiques rockers. Le spectacle est aussi dans

le public. Toute l’après midi et la soirée d’avant début de concert dans la cour du parc

de la villette là où autrefois y’avait les abattoirs, on pouvait admirer ce rassemblement

de bananes gominées, perf et tiags comme on n’en voit plus, de Hell’s Angels sans

leurs Harley mais avec leurs tronches d’assassins et les teddy boys, bananes aussi mais

doubles avec des rouflaquettes, des pantalons fuselés, des vestes longues bicolores et

des chaussures à boucles avec d’épaisses semelles : les creepers.

A la fin de la première partie, je m’absente 5 minutes et bingo ! je tombe sur mes potos

rockers perdu de vue depuis 1000 ans, quelle joie de se retrouver !

Vas-y une bière, puis deux puis mon poto Marjee, toujours en retard nous rejoint,

vas-y une autre mousse, puis Stray Cats a remit le feu puis... J’ai oublié la gonzesse,

elle était partie.

Putaiinn, elle s’était vexée, ne répondait plus au tél et ne voulait plus me revoir. 2 ou

3 jours plus tard, j’ai acheté des roses pour me faire pardonner et je suis allé chez elle

après le taf.

Elle habitait un appart d’un rez de chaussée surélevé, les fenêtres au dessus de nos

têtes. Voulant être original j’ai toc-toqué au carreau puis j’ai présenté les fleurs à la

fenêtre le bras tendu.

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Devinez quoi ? elle a ouvert sa fenêtre, pris les fleurs et l’a refermé aussitôt...

Une fois aussi J’ai vu The Ramones, un groupe américain de punk rock au théâtre de

l’Empire pour un enregistrement de l’émission «les enfants du rock» qui passait à la

télé le dimanche suivant. En arrivant une bande de Skinhead qui voulaient nos places

nous ont bien molestés, y’en avait même un qui avait une hache visible depuis son

blouson entrouvert.

Quand j’y repense, fallait être dingue pour aller à ces concerts infestés de fanatiques

soûlards et bagarreurs. Le mouvement de surcroît, faisait l’objet de récupération de

l’extrême droite, Front-National en tête, en quête de nouvelles recrues.

Ils infiltraient les concerts, multipliaient les embrouilles, polluaient les soirées et

occupaient la rue en particulier : aux Halles, à Saint-Michel ou à Convention, fallait

s’en méfier.

Ils se distinguaient par leurs têtes tondues, selon la norme capillaire adoptée dans les

usines britanniques avec des jeans raccourcis tenus par des bretelles, des chaussures

montantes (les fameuses Dr. Martens) et des blousons bomber’s serrés.

Ce sont les videurs du concert qui nous on séparés. Terrorisés nous nous sommes

barrés avant la fin par la sortie de secours...

Aujourd’hui les groupes mythiques de rock font des tournées ronflantes et bon

enfant. Y’a plus la rage rebelle d’autrefois et ce n’est pas plus mal. Aux concerts des

Stones (vus 4 fois), par exemple, c’est limite si le public ne se tient pas par la main

avec la larme à l’œil, comme dans une cérémonie. En revanche le prix des places

flambe et je le déplore.

Bref, pour en revenir au rock’n’roll, je me suis vautré dedans. Bien-sûr il y a des artistes que j’aurais tellement aimé voir sur scène comme BB King, Stevie Ray Vaughan

où pire encore Hendrix. J’ai raté Bob Marley au Bourget le 3 juillet 1980 ! mais, sinon, j’ai vu presque tous les autres : Metallica, Iron Maiden, Ac-Dc, Gun’s and Roses,

Gary Moore, Lenny Kravitz, ZZ Top, Dépêche Mode plein de fois et avec mon frère

j’ai vu Stan Getz à New York, James Brown, etc... Tiens justement James Brown.

En tant que D.A* dans une agence de comm à Cavalaire (Var) et client de Télé loisirs,

la commerciale m’a filé 2 places : «VIP - Gold space - Saturday, July 10, 1999 - Arènes

& Jardins de Cimiez, Nice - James Brown». Rien que ça.

En VIP ça voulait dire entrer directement dans les arènes en évitant la foule par

l’entrée des officiels, puis reçus par 2 charmantes hôtesses qui nous emmenaient au

buffet dînatoire sous une immense tente de réception juste derrière la scène en attendant le concert confortablement.

Nous pouvions ainsi nous restaurer dans une ambiance raffinée et feutrée parmi les

notables locaux, sous la bienveillance de serveurs gantés de blanc.

Ok, super... Donc avec mon pote Vincent on arrive chez les «VIP» dans sa 306 bien

pourrave et déjà avec quelques pétards fumés en chemin... Bien ! les petits fours, les

toasts et le serveur de champagne qui faisait des extras et qui une fois les gants et la

*D.A : Directeur artistique

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228

veste enlevés devait être cool, car il nous matait du coin de l’œil et faisait mine de ne

pas comprendre notre petit manège pour aller à tour de rôle chercher des coupes,

bref on était bien chaud...

Quand arrivèrent les zicos de James Brown là devant nous. Ils étaient une vingtaine,

tous en smoking rose et les danseuses, les choristes en tailleurs satinés de la même

couleur. Ils se sont recueillis main dans la main et têtes contre têtes avant d’attaquer

le méga spectacle de monsieur Dynamite !

A peine entrés sur scène que la féerie a commencé : batteurs, cuivres, guitaristes aux

gimmicks funky dans une ambiance soul avec des rythmes afro-cubains dans ce style

si particulier qui distinguait James Brown... toujours pas sur scène.

Le maître de cérémonie vêtu de blanc haranguait la foule. Il poussait la foule à appeler le maître pendant de longues minutes pour finalement annoncer :

- And now, ladies and gentlemen: the Godfather of Soul ! the hardest working man

in show business ! Mister Dynamite ! Jaaaaaaaaaaaaames Brown !!!! Jaaaaammmesss

Browwwwnnnn ! et réglé comme du papier à musique et il est arrivé très cool dans

sa limousine blanche avec ses gardes du corps qui couraient autour de la caisse. Il est

sorti derrière la scène et devant nos yeux ébahis comme des enfants devant le vrai

père Noël. Il allait bosser.

Rien n’était laissé au hasard avec James Brown. Après un breack, le génie du spectacle, dans son costume cintré et ses talonnettes a entamé son immuable show : ses

pas de danse, ses stops, ses arrêts en interprétant ses tubes comme Sex Machine, I got

the feeling etc..., nous étions comme des dingues !

On a bien sur eu le droit au moment mythique de la cape : feignant d’être épuisé, il

s’écroulait à genoux en chantant Please, Please, Please et son maître de cérémonie

lui posait sur ses épaules une cape, mais après quelques pas plus loin Brown boitant

et désespéré, revenait sur l’avant-scène pour satisfaire les appels de la foule en délire,

puis quelques minutes plus tard la scène se répétait, avec une autre cape d’une autre

couleur puis trois ou quatre fois de suite. C’est le plus beau concert que j’ai jamais vu.

Et après le spectacle ? Bin... re-buffet sous l’immense tente de réception juste derrière

la scène dans l’ambiance déserté des notables locaux mais toujours sous la bienveillance des serveurs aux gants blancs. Re-les petits fours, re-les toats et re-manège

pour aller à tour de rôle chercher les coupes, bref, fins prêts pour rependre le volant

et rentrer... Pas d’autoroute ! mais par la cote jusqu’à Cannes où nous avons fait une

halte dans une boite tenue par ma copine Linda, puis par l’Estérel jusqu’à Sainraf et le

bord de mer jusqu’au Lavandou.

Il était 4 heures du matin et sous les effets euphorisants procurés par la coco, la

fumette et l’alcool absorbés depuis le matin nous étions dans une sensation de toute

puissance lorsque nous arrivâmes chez moi au Lavandou, enfin presque. Car juste

avant la maison se trouvait un rond point truffé de gendarmes.

Avec Vincent nous nous sommes juste échangés un regard qui disait : Cette fois poto,

on est bon pour le dégrisement et les emmerdes qui vont avec.

On s’arrête, un gendarme arrive, nous salue et sans avoir le temps de nous dire quoi

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que se soit son talkie-walkie lui grésille un truc. Le gendarme coupe la communication*, regarde ses collègues et dit autoritairement :

- On lève le camp !

Et ils se sont barrés comme ça, en nous laissant et nous nous sommes retrouvés tout

seuls dans la 306 pourrave à 4 heures du matin sur le rond point du Lavandou. Crise

et pleurs de rires, vous imaginez... Bon, fallait arroser tout ça !

Ça ne faisait pas très longtemps que je connaissais Vincent peut-être 2 semaines pas

plus. Je vivais avec ma petite famille au Lavandou sur la côte d’usure Varoise depuis 3

mois. Pourtant, nous étions bien à Limoges dans notre belle maison bourgeoise. Les

enfants ne manquaient de rien mais L’c qui glandait toute la journée comme d’hab,

peu à peu démoralisait.

Elle goûtait à son tour au déracinement, se retrouvait seule dans une ville de province

inconnue et n’avait plus de repères : Les enfants à l’école, le mari en déplacement une

semaine sur deux, les gravos en Auvergne et plus de copines pour faire du shopping

et fumer des clopes toute l’après-midi en attendant les sortie des classes... Elle rêvait

d’une autre vie, de repartir sur la cote d’usure pour le climat, le charme des paysages,

les senteurs des marchés Provençaux, le chant des cigales, l’accent…

Pour concrétiser son rêve elle épluchait les petites annonces d’offres d’emploi pour

me trouver du travail là-bas et un jour elle a trouvé.

C’est pour elle, pour quelle évite une déprime que j’ai démissionné et sacrifié mon

poste passionnant de technicien GPAO** et mon statut de cadre pour cet emploi de

«simple» directeur artistique dans une agence de pub à Cavalaire dans le golfe de

Saint-Tropez.

Naïvement, je pensais que c’était une chance à saisir et ainsi voir grandir mon Tieno

et ma petite Manon, sous le soleil du Lavandou dans un environnement naturel pour

passer du temps au bord de la mer… Bien sûr, naïvement je pensais aussi que L’c ferait attention de ne pas abuser des Uv et mettrait toute son énergie aux bonnes résolutions et trouverait enfin du travail qui ferait du bien à son esprit et à notre compte

en banque... Et comme les autres fois en croyant à la chance et à ma bonne étoile je

suis descendu seul, au début de l’été, avec comme objectif impossible de trouver une

maison à la mer... Et Jo-le-contact a trouvé.

Plein centre ville du Lavandou ? Est-ce possible ? bord de mer avec ses plages

magnifiques, une jolie maison des années 20 avec jardin ? En début de saison d’été ?

comment est-ce vrai ? y’avait un loup quelque part, mais lequel ?

Comment pouvais-je le savoir, moi, qui ne connaissait pas le coin ni personne pour

me mettre en garde. J’avais l’objectif de faire descendre ma famille et éviter de payer 2

* Mon filleul Yoan est gendarme, quand je lui ai raconté cette histoire, il m’a dit que oui effectivement ça arrivait qu’ils lèvent le camp soudainement pour une intervention plus importante

ailleurs...

**La GPAO ou Gestion de la Production Assistée par Ordinateur : Destinée à l’optimisation de la

chaîne de production, le technicien GPAO est un graphiste informatique qui sait piloter l’ensemble de la chaine de production en maîtrisant précisément les coûts.

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loyers... Pourtant y’en avait un et même qu’il était pas tout seul le loup...

Bon, la maison était franchement jolie et son nom la «Villa turquoise» lui allait super

bien, en plus la rue s’appelait «rue des pierres précieuses». C’était une maison provençale typique des années 20 avec colonnes, ouvertures sur le jardin et grande hauteur

sous plafond, mais elle n’était pas entretenue et nous n’étions qu’en été. Je ne vous

explique pas le chauffage en hiver...

Non, le pire c’était son emplacement à l’extérieur ; imaginez une maison au cœur

de la station balnéaire pour classes défavorisées qui débarquent pour 15 jours de

vacances qu’ils ont attendus toute l’année... Nous subissions une jeunesse insupportable qui se prenaient pour des racailles, avec motos et scooters pétaradant toute la

journée car il y avait une salle de jeux attenante à la maison ! Puis le défilé de familles

entières arrivées fraîchement du neuf-trois avec barbes à papa, parasols sous les bras

et glacières débordantes qui passaient toute la journée devant le jardin en envahissant nos poubelles et quand les poubelles étaient pleines ? Bin, ils y déposaient quand

même leurs déchets de tourlots (papiers gras, canettes, boite à kebab) etc... Et le pire

du pire ? la nuit ! Des discothèques glauques, malfamées et très appréciées par la

faune estivale, la maison en était encadrée de 3 ! Manon ne pouvait plus dormir elle

me disait :

- Papa, j’ai peur ça fait boum-boum toute la nuit !

Les musiques trop bruyantes, la pollution sonore des scooters et des cris, les altercations avec les videurs de 3 h à 7 h du matin... C’était un défilé de gens bourrés qui

gerbaient, urinaient et rendaient l’endroit très sale. Un matin mon frère à exprimé la

bonne formule, la bonne analyse, il a dit :

-Dans cette maison, vous êtes les gardiens du zoo.

La saison d’été s’étalait de la fête de la musique jusqu’à mi-septembre. Un enfer.

L’hiver au Lavandou c’était la morte saison.

La station bruyante devenait une ville fantôme. Il ne restait que des retraités et le

centre du village se vidait complètement, les boutiques tiraient leurs rideaux jusqu’au

printemps prochain. Sur les plages les restaurants étaient démontés, il ne restait que

les sdf, les paumés et les chômeurs qui faisaient des allers-retours sans la moindre

émotion pour les vagues et la mer si belles en hivers. Tous ces commerces fermés,

tout ce bétonnage froid et trop d’immeubles désertés aux volets clos me foutaient le

moral à zéro. Le vent s’engouffrait dans les rues comme dans les villages du far-west

poussiereux. Nous y sommes restés 1 an et donc subi 2 étés épouvantables. Aujourd’hui la maison n’existe plus c’est devenu un square de d’ébauche pour tous les

vices crades.

Mais au début de l’été 99 lorsque je suis arrivé dans le sud au Lavandou, j’ignorais

tout ça. L’agence de pub qui m’avait embauchée était à Cavalaire à 20 bornes de la

maison et c’était vraiment cool d’y aller tous ces matins d’été avec ma moto.

Je partais tôt en passant par le bord de mer, face aux Îles du Levant et de Port Cros et

la route faisait vrombir ma machine devant toutes les plages qui portaient chacune

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un nom paradisiaque : l’Anglade, Saint-Clair, la Fossette, Aiguebelle. Avant d’arriver

à Cavalière, je retrogradais : 3ème, seconde, première et je remettais les gaz à fond

pour attaquer les virages jusqu’à la plage du Cap Nègre et de Pramousquier, avant

de traverser le village du Rayol et le Jardin des Méditerranées encore endormis. Je

débouchais enfin sur la Baie de Cavalaire protégée par un cirque de collines boisées.

Lorsque j’arrivais à l’agence je me sentais frais, heureux de toutes ses émotions routières et enivré de senteurs méridionales.

Cette route fait encore le bonheur des motards qui s’y pressent toute l’année et le

mien lorsque je visite mes clients depuis ma voiture climatisée et confortable.

L’agence de pub était quasiment posée sur la plage à 80 mètres du centre ville de Cavalaire. Avant que les tourlots et le trafic se réveillent et envahissant le bord de mer,

depuis de mon bureau, j’entendais les vagues, les mouettes j’étais au paradis*.

Un soir, le collègue commercial m’a proposé d’aller prendre un verre à Pramousquier

sur la plage. Ses potes baba-cool tenaient un bar-resto : Le café bleu. C’était une paillote tenue par une famille zen dans une ambiance franco-Thaï, très bien pour y aller

en famille ou avec des amis pour passer une soirée, un moment de détente estivale.

Il fallait laisser la moto sur un parking sur le bord du chemin et marcher le long d’un

tracé escarpé pour s’y rendre, au loin j’entendais des mecs jouer de la guitare.

En fait c’était un guitariste-chanteur tout seul qui jouait accompagné de bandes sonores. Pendant que les vacanciers profitaient de leurs pizzas et du couché de soleil, le

guitariste grattait et chantait, dans une indifférence générale, tous les bons standards

du rock : Black Bird, Angie, Hotel California, Dust In The Wind, Talkin’ Bout A Revolution, Losing My Religion, Tears In Heaven, Wonderwall, Karma Police, etc...

Il jouait au médiator le tout enchaîné de manière très rythmique. Personne ne le

calculait pourtant ça sonnait bien. A la fin de la soirée lorsqu’il a fini son récital, sa

gonzesse faisait le tour des tables avec un chapeau pour récolter quelques pièces.

Le chanteur c’était Vincent, la gonzesse Laure et ça faisait 2 ans qu’ils gagnaient leur

vie ainsi. Je l’écoutais depuis le bar face à la mer. J’attendais patiemment que le commercial, un soulot notoire, finisse d’offrir des verres et que les autres soulots d’en face

arrêtent de lui rendre la pareille... Je n’avais aucune envie de me joindre à eux car je

devais ramener ensuite l’autre pochtron chez lui sur ma grosse cylindrée.

En clair, écouter ce grateux à 2 pas de moi m’arrangeait bien. A la fin de son tour de

chant, il m’a dit :

- Tu vois ces gens il sont en vacances. Ils bouffent leurs moules frites et ne font pas

attention à moi... Quand je joue je repère toujours un mec qui regarde mes accords

sur le manche et je joue pour lui. Ça me fait supporter la soirée.

Ce soir j’ai donc joué pour toi.

La causette s’est engagée nous sommes devenus potes naturellement.

* Cavalaire ce paradis qui résonne encore aujourd’hui dans mon esprit comme un enfer puisque

L’c, Étienne et Manon y vivent toujours... C‘est à Cavalaire que nos chemins se sont séparés.

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2 semaines plus tard nous étions au concert de Mister Dynamite ! Jaaaaames Brown !

Pour compléter ses revenus, Vincent faisait des ménages le matin, remettait en ordre

des maisons vidées par les occupants de locations saisonnières avant que d’autres familles de tourlots réoccupent les lieux à leur tour et ainsi de suite. Il serpillait les sols,

aspirateurait les moquettes en essayant de redonner une apparence propre à tout ça.

Il formait un duo avec un mec qui s’appelait Cyril Damour. Un pur gaulois qui avait

une tète d’arabe. C’ést drôle l’amalgame de son nom c’etait Mourad. Mourad d’amour

est resté son surnom tout l’été.

Égal à moi-même et toujours matinal, avant de faire mon trajet en motocyclette le

long des plages, j’attendais Vincent avec du café sur le perron de ma maison... pour

jouer un peu de gratte ! de matin en matin, on a fini par jouer ensemble tout l’été ! Je

l’accompagnais dans les bars et nous jouions quelques morceaux ensemble.

Vincent et Laure sa meuf, étaient originaires de Lyon. Ils faisaient les saisons d’hivers

à Tignes et les saisons d’été au Lavandou. Lui grateux et nettoyeur de villas, Laure

caissière dans une supérette. Ils n’avaient que de minuscules piaules qui changeaient

régulièrement au gré des marchands de sommeil. Leur vie de saisonniers n’était pas

confortable et plutôt précaire. Du coup, au fil des jours, ils passaient le plus clair de

leur de temps chez nous pour mon plus grand bonheur car je ne connaissais personne d’autre. On a passé un été de fêtes et de rires !

Mes parents sont venus, mon frère avec Ugo bébé, mes potes de Limoges, ceux de

Clermont fd, les gravos évidement etc... Le lieu, la maison sur la plage s’y prêtaient,

elle était faite pour recevoir des amis avec ses nombreuses chambres qui donnait sur

le jardin ou trônait une grande table, le grill et les transats.

Vincent recevait aussi régulièrement des visites et à défaut de les recevoir dans son

placard qui lui servait de case, il les ramenait chez Casu et Casu mettait la table pour

tout le monde. J’ai même reçu son défunt père. Ses potes ? des rockers zicos paumés

comme Marjee and co.

Marjee, c’était une caricature de rocker mais il assumait complètement ce statut. Je le

revois sur la plage patientant stoïquement en attendant la fin de nos pitreries.

En plein cagnard il se tenait debout, banane gominée, lunettes bandeau façon Ray

Charles, un cigare barreau de chaise entre les dents. Les bras croisés et le torse rempli

de tatouages insipides il portait une chemise noire (pas aux manches courtes) mais

aux manches courtes déchirées comme Joe Strummer le leader de The Clash. Un gros

ceinturon clouté tenait son futal en tergal et ses santiags en python finissait son look...

Il nous attendait très cool au milieu d’une foule de tourlots en maillots de bain, il ’était

une sorte d’attraction. Il picolait grave mais je ne l’ai jamais vu saoul. Le soir on jouait

dans les bars et Marjee était forcement la star Américaine. Accessoirement Vincent et

moi l’accompagnions. Limite on lui portait sa Gretsch.

Faut dire qu’il maîtrisait sa prestation, il chantait du Elvis comme personne la voix

mielleuse la bouche en cœur il imitait parfaitement le king avec son micro tête de

mort. ... Et les gonzesses tombaient comme des mouches. Parce qu’il avait une belle

gueule en plus.

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La gonzesse du soir :

- Hey Marjee, c’est comment ton prénom en vrai ?

Question inévitable qu’une greluche lui posait chaque soir.

Marjee, regard bleu perçant et sourire ultra brite répondait en réajustant sa banane

d’un air désabusé mais très calculé en réalité :

- Pour savoir, faut coucher.

Et il couchait ! quel tombeur ce mec ! il allait faire son crac-boum de la nuit se rhabillait et venait nous retrouver seul. Rien à foutre de la meuf. Nos copines dans une

espèce de solidarité féminine trouvaient son comportement machiste et phallocrate,

très cool il répondait :

- Ah, ouais ? Mais qu’est ce que je baise bien, vous ratez un truc les frangines...

Il roulait dans une Merco défoncée, un manche de balai retenait son siège, il n’a

jamais vraiment bossé, il était persuadé qu’il ferait carrière dans le rock’n’roll et qu’un

jour il deviendrait une star.

Cher lecteur je réserve ce chapitre au Rock’n’roll. Je raconte la suite de

mes aventures Varoises dans le chapitre «Divorce sur la Presqu’ile».

Les années sont passées j’ai divorcé et j’ai quitté le Var en septembre 2003. Je suis resté

ami avec Vincent et ses amis sont un peu devenus les miens par la force des choses.

En 2006 à Paris, mon téléphone sonne : Marjee.

Moi :

- Salut Marjee comment vas tu ?

Marjee :

- J’ai une audition, puis un essai dans un groupe de rock, je peux dormir chez toi ?

Moi :

- Combien de nuits ?

Marjee :

- 1 mois....

Bon, ok, je laisse un trousseau de clés chez ma voisine, une mémé très gentille et très

laide. A laquelle je ne manquais pas de lui recommander :

- Madame Bourdois, donnez les clés à Marjee mais surtout demandez lui son vrai

prénom.

Quand madame Bourdois lui a remis mes clés et demandé son vrai prénom, Marjee

bien emmerdé, ne lui a pas répondu son célèbre «pour savoir, faut coucher» mais :

- Je m’appelle Jean-Charles.

Le lendemain, en revanche, il ne s’est pas gêné chez papa-maman pour le ressortir

à Lolo et j’ai bien cru que papa allait s’étouffer... Fallait pas qu’elle lui demande, elle

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aussi, mais bon Lolo la midinette vous connaissez maintenant...

L’audition de Marjee c’était pour intégrer les Sixties memory un groupe de mecs qui

faisaient en réalité de la «rock-variétés» et qui recherchait un guitariste chanteur.

La promo disait :

« Voici 4 personnages du Rock français.

Musiciens, Chanteurs et Showmen incomparables Sixties memory nous offre un

véritable spectacle conçu comme une «Rock’n’roll story» avec un saisissant flash back

des groupes de légende sans oublier l’époustouflante séquence « frenchy » avec Marjee

guitare/chant qui possède une réputation internationale !

Actuellement en tournée à travers la France, le Sixties memory et son spectacle «La

fabuleuse histoire des années 60 Rock» vous fera revivre vos 20 ans...

Les Sixties memory ont une grande habitude de la scène car ils se sont produits dans des

lieux mythiques tels que l’Olympia, le Petit Journal Montparnasse (chaque année durant quinze ans), ainsi qu’en première partie de Johnny Hallyday au Parc des Princes.»

Wahooo ! Rien que ça, Marjee comme dans la chanson d’Aznavour s’y voyait déjà :

Je m’voyais déjà en haut de l’affiche

En dix fois plus gros que n’importe qui mon nom s’étalait

Je m’voyais déjà adulé et riche

Signant mes photos aux admirateurs qui se bousculaient

J’étais le plus grand des grands fantaisistes

Faisant un succès si fort que les gens m’acclamaient debout

Je m’voyais déjà cherchant dans ma liste

Celle qui le soir pourrait par faveur se pendre à mon cou

Je m’voyais déjà au bras d’une star l’hiver dans la neige, l’été au soleil

Je m’voyais déjà racontant ma vie l’air désabusé à des débutants friands de conseils

Je m’voyais déjà entrer sur la scène sous les ovations et les projecteurs

Putain ! Sixties memory avec mon poto ! Ce fut en fait ma première grande déception

musicale, une désillusion infligée par des zicos censés être complices avec l’enfant du

rock que j’étais. Quel désenchantement ! Vous vous souvenez des sketches de Coluche

sur les rockers et les chansons de Renaud, de Jacques Higelin sur l’esprit rock ?

Tu sais que beau, beau ou laid

Le monde est tel qu’il est

En dehors de toi-même qui sait

Ce qui est vrai ou faux

Si les chiens t’agressent

Lance ton cheval au galop

Arrache ta laisse, encaisse les coups

Serre les poings, pas de faiblesse

Cloue-leur le bec, tords leur le cou.

J’étais dans cet état d’esprit enfantin et rebelle rockeur de pacotille. Cette philosophie

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et cette musique étaient en moi : mon langage, mon humour, mes fringues, tout quoi

sauf la banane, je suis devenu chauve... Ils me l’ont piétiné comme un vieux paillasson mon état d’esprit.

A cause des Sixties memory Je découvrais amèrement que le rock ce n’était pas qu’un

monde enchanté et marginal mais aussi un monde où on pouvait être des prolos du

rock’n’roll. Leurs interprétations de mauvais titres étaient mises en scène avec tout le

ridicule qui va autour de la stupide rock’n’roll attidude de supermarché que je déteste

: des vestes blanches mal coupées avec des revers noirs et sans doublure, des wouaps

do wap lamentables et des mouvements de guitares synchronisés qui n’arrivaient pas

à l’être. Le batteur faisait un solo avec des baguettes fluo qu’il balançait au public.

C’était un mec repoussant qui criait sur tous les toits qu’il avait été le batteur de Balavoine... Pour les derniers morceaux ils revenaient sapés de cuir de la tète aux pied et

Marjee arborait en plus un perf à franges...

Donc après un mois de repet’ et donc un mois de squat chez moi, il revenait ensuite

toutes les semaines aux frais de la princesse. Malgré cet énorme privilège que j’offrais

aux Sixties memory eux ne m’ont jamais invité à l’un de leurs concert, j’ai toujours

payé car ils étaient radins comme des pinces et je déteste les pinces.

Leur spectacle n’était en réalité qu’une simple combine pour gratter quelques sous à des

vieux et vieilles rombières nostalgiques de leur jeunesse. Dans le public on y retrouvait

aussi leurs famille, leurs amis et ce n’était gratuit pour personne. Y’avait absolument

rien de rock la-dedans. Oui, ils jouaient bien mais sans âme, sans conviction, comme

des ouvriers à la chaine de l’usine. Leur spectacle c’était 20 morceaux point, circulez.

Je ne les ai jamais vus improviser un truc avec tendresse. Ils se pointaient grattaient

et repointaient avec la caisse avant de se casser.

Je suis allé les voir 2 fois au «Petit Journal» c’était un dîner spectacle. Cette salle

pouvait recevoir 300 personnes. Ils essayaient d’en faire entrer le double ; les tables

étaient collées les une aux autres et assis nous n’avions aucun recul, imaginez le service... Ça arrivait froid. Comme le show.

La première fois, avec Sylvie, nous sommes restés au bar, je n’avais aucune envie de me

retrouver scotché aux autres. Cependant, c’était cool, car j’ai papoté pendant tout le

concert avec Nono : Nobert Krief le guitariste de Trust et de Johnny dans les années 80.

La deuxième fois avec Vincent, nous nous sommes retrouvés attablés avec des pseudos rockers de mes 2 qui secouaient leurs têtes sauvagement et criaient au moindre

déhanché de Marjee... Pathétique. Je ne veux pas être critique juste comme ça parce

que cette écriture me permet de le faire et puis démonter le travail des autres c’est très

facile, mais franchement c’était mauvais putain !

Où était le Marjee du lavandou avec ses chemises aux manches déchirées ? Celui qui

hurlait :

You fucking motherfucker

Fils de pute, Ouais, va te faire foutre, foutre, foutre, foutre foutre

j’suis a fond d’sept sur la A7, j’suis vers là si y a du fric à faire

Hey, quel régal Voie d’gauche, appels de phares, han

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Paraît qu’tu es un bandito Ouais, et l’taff, ça fait mal au dos

Ouais, les sous, ça vous monte à la tête J’les baise, j’les baise, j’les baise

J’les baise, j’les baise, j’les baise

Il n’était plus qu’un guignol-rocker-frimeur pédant avec les fans de Sixties memory,

et oui, y’en avait une poignée irréductibles et reconnaissables avec le même tee shirt

des SM. Le lendemain de concerts ces zicos de variet’ recevaient une avalanche de

compliments sur Facebook qui ne faisaient qu’enfler leurs ego déjà bien sur-dimensionné...

Les photos de leur profil et les commentaires étaient si ridicules et tout transpirait la

frime, c’était affligeant et presque risible. Pauvre Marjee.

Un soir en entrant d’un concert génial de Mickey 3D, toujours avec Sylvie, Marjee

nous a démonté froidement le groupe de Sainte Étienne. Lui ? avec sa veste blanche

chantant «retiens la nuit» pendant que ses potes se balançaient maladroitement en

faisant des choubidou yé-yé ? Oui, consternation, amertume sont les sentiments que

j’ai ressentis avec Sixties memory.

Au fil des mois je les détestais de plus en plus ces pingres. Un soir, le batteur m’a dit :

- Tu es le 5 ème Sixties !

Ah, ouais ? c’était donc ça leurs remerciements pour avoir hébergé ce type toutes les

semaines depuis 1 an et pas dans une tour de banlieue parisienne grise et triste, non,

dans le quartier de Montmartre rue Lamarck svp et pour pas une thune. Ils ne m’ont

même pas offert leur cd car fallait l’acheter. J’étais vexé.

Quand Marjee s’est rendu compte de la bourde il a glissé à l’oreille du batteur de

fermer sa gueule. Fidèle à mon caractère susceptible et soupe au lait, mon sang n’a fait

qu’un tour, je ne souhaitais pas ce titre honorifique, non sans façon, et j’ai viré Marjee :

- Démerdez vous.

La vie à repris son cours. Avec Sylvie ma cherie et partenaire mélomane nous avons

vu le dernier concert d’Alain Bashung, malade, à l’Elysée Montmartre en 2008. Ce fut

vraiment un grand privilège d’assister à cette dernière rencontre émouvante. J’en ai

encore des frissons.

Puis à d’autres concerts : Mademoiselle K, R.E.M, The DO, Cali, The streets, The

Roots, Kaiser Chiefs, Las Wampas et Didier le roi ! Slash and Myles Kennedy, Rage

Against The Machine, Red Hot Chili Peppers, Oasis etc...

Avec Vincent, notre passion commune c’était encore et toujours le rock, la guitare.

Il Jouait dans un groupe avec un bassiste et un batteur ça tournait bien leur truc. Ils

faisaient des reprises de ZZ top, de Lenny Kravitz leur groupe s’appelait Stepping

Machine.

C’’est à cette époque, en 2008-2009, que j’ai commencé à m’intéresser très sérieusement à cet instrument et à défaut d’être un bon joueur je suis devenu un bon collectionneur de très belles guitares typées rock, ça va de soi.

L’apparition du site «Leboncoin» m’a servi de tremplin. J’ai commencé par changer

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une acoustique à 500 balles contre une électrique à 650 et cette gratte contre une à

850 etc... Car J’aime marchander, gratter tout le temps. C’est une activité, un hobby

même, comme d’autres pratiquent la zumba où le jardinage.

Au taf, par exemple, je vais avoir 60 ans dans quelques semaines et pourtant j’éprouve

toujours une sensation de jouissance quand un client me signe une affaire de plusieurs milliers d’Euros, exactement la même excitation que lorsque je vendais des

vestes en Dog de Chine chez Monsieur Azoulay aux puces. C’est lui qui m’a refilé le

virus du vendeur...

Un jour à Pigalle où se trouvent tous les magasins de guitares j’ai échangé une

Gretsch contre une Gibson Es 335 (pour les connaisseurs) qui avait appartenu à

Johnny... je n’ai jamais arrêté depuis. La semaine prochaine «normalement» je dois

échanger une Fender Telecaster contre une Les Paul God Top. Pour ne rien oublier

j’ai noté tous ces échanges car y’en a eu vraiment beaucoup, Fanychou s’y perd.

J’ai offert à Vincent une Gibson Les Paul laquée à la feuille d’or oxydée de l’atelier Midavaine. Travelling arrière. En 1914, Louis Midavaine, comme tant d’autres jeunes,

était parti «la fleur au fusil», au front. Grièvement blessé et fait prisonnier, il a été

hospitalisé en Allemagne puis forcé de travailler dans les ateliers d’armement où il a

acquis les secrets de la laque car les Allemands laquaient les hélices de leurs avions de

guerre.

De retour en France, déclaré grand invalide, il a ouvert un atelier de laque à Paris,

rue des Acacias avec trois autres «gueules cassées» comme lui.

Ce savoir-faire les a rendus célèbres et ils firent fortune. Ils laquaient des meubles

pour la riche clientèle des années 1930, éprise de luxe. Cet atelier existe toujours et

c’est un copain des Beaux Arts qui est devenu «le laqueur» de l’atelier historique. Il a

récupéré cette vieille guitare et me l’a restaurée, laquée pour en faire une œuvre d’art

unique.

En 2009, j’ai laissé mon appart de Montmartre pour un plus spacieux à Marx Dormoy

prés de la porte de la Chapelle et mon nouveau voisin de pallier c’était un petit monsieur très sympa qui avait aussi le petit salon de coiffure homme du rez de chaussée :

Monsieur Hadi Aouaghlis.

C’était surtout un chanteur-poète kabyle qui après plus de trente ans de poèmes chantés, avait mérité le surnom de Cheikh qui distingue les maîtres du genre.

Quand le salon était vide je le voyais écrire et improviser. Il maîtrisait le Oud et je

l’entendais depuis chez moi jouer de ce merveilleux instrument. Il sort encore des

albums :

fnac.com/ia238903/Hadi-Aouaghlis

Monsieur Hadi était aussi «coiffeur fan d’Elvis» mais juste pour sa banane. Il avait

la même et tous les matins, devant son grand miroir, serviette sur les épaules il l’a

bichonnait grave. Et sur les 2 vitrines du magasin ? Bingo ! des posters en noir et

blanc du king de profil banane impeccable et mythique. Nous sommes devenus amis

très vite, pas de bol je ne pouvais pas profiter des ses talents de coiffeur... c’est cruel et

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238

injuste d’être chauve quand on est un rocker !

Je descendais régulièrement à Lyon pour passer du temps avec Vincent car nous

étions devenus les meilleurs amis du monde. Je n’avais plus le même train de vie

qu’au Lavandou. Vincent en revanche, avait trouvé un taf qui lui rapportait des revenus confortables et à son tour il payait les restos, les concerts, les vacances etc... Nous

partagions la même théorie sur l’amitié et l’argent :

- Je paye parce qu’en ce moment j’ai plus de thunes que toi.

Et la roue tournait naturellement.

«Chez nous» on dit : une main lave l’autre...

Sauf pour Marjee c’était plutôt une main qui me savonne me savonne.

Quand il squattait pas chez moi c’était chez Vincent ou chez une meuf jusqu’au

moment où lassée d’avoir a l’entretenir Marjee se faisait virer. C’est encore comme ça

aujourd’hui, la cinquantaine passée, mais plus chez moi...

Bref, il continuait ses spectacles de variétés avec sa bande de fesse-mathieu, mais,

ouf ! je m’en étais débarrassé. Fini le gîte et couverts gratuits à Montmartre et il était

bien emmerdé... Vincent nous a réconciliés avec le prétexte de la bonne année, entre 2

coupes et un bœuf* Bingo ! Et Marjee a retapé l’incrust chez moi toutes les semaines,

sans jamais débourser une thune.

Quand il est revenu pour la première fois dans mon nouvel appart, j’ai laissé les clés

(pas chez la mémé) mais chez monsieur Hadi ;

Moi :

- Monsieur Hadi pouvez vous remettre les clés à mon poto Marjee ?

Monsieur Hadi :

- Oui bien sur, Jean-Claude, il est comment votre ami ?

Moi :

- Je suis sûr que vous allez le reconnaitre de suite.

L’autre est arrivé quelques heures plus tard étui de guitare en main, banane gominée,

lunettes à branches perforées comme celle du king, le col de sa chemise blanche

complètement relevé et ouverte laissant apparaître une chaine à gros maillons en

argent avec une tète de mort, en guise de pendentif, vêtu un costard noir et santiags

blanches avec Conchos Bootstraps (sorte de bracelets pour les bottes) et pointes en

fer. Il ne passait pas inaperçu avec son look mais il en avait strictement rien à foutre

(pour ça c’était bien).

Le soir, je rentre chez moi après le bureau. Ambiance fin de journée de labeur un peu

vanné, écouteurs aux oreilles, cartable dans une main et bouquin dans l’autre. En costume, pour mes rdv, je prenais le métro à Franklin Roosevelt je changeais à Concorde

et je sortais dans mon quartier de Marx Dormoy pour emprunter la rue Riquet puis

enfin j’arrivais dans ma rue Pajol à gauche. Ce soir là Monsieur Hadi guettait mon

retour, les bras levés aux ciel, le sourire éclatant de bonheur.

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Monsieur Hadi enchanté :

- Jean-Claude ! comment tu m’as fait plaisir ! J’ai vu Elvis dans mon salon en vrai !!

j’ai donné tes clés à EEEllvis !Merci tu m’as fait plaisir, etc...

Bon bin voila c’était reparti.

Il était chez lui chez moi et ça ne me dérangeait pas plus que ça, il avait les clés et

profitait de l’appart même lorsque je partais en vacances. Marjee savait se faire aimer.

Il cuisinait des plats américains comme personne et faut bien le reconnaitre, il maîtrisait sa Gretsch comme un dompteur devant un lion rugissant. Un vrai bonheur de

le voir jouer aussi bien.

Je pense vraiment qu’il est passé à coté d’une vie de zicos à cause de sa frime. Avec un

bassiste et un batteur, il aurait pu tourner dans tous les festivals de rock et sur toutes

les petites scènes de France (et y’en a croyez moi) en faisant juste son rock humblement. Il y a des tas de groupe qui vivent comme ça, Bijou, Little Bob story, Skip the

Use etc... Non, il voulait être une star mais n’en avait pas le charisme. Dommage.

Il savait aussi se faire détester. A cause de ses reparties prétentieuses qu’il ne pouvait pas s’’empêcher d’envoyer. Fidèle à mon sale caractère susceptible*, qui prend la

mouche pour rien, son arrogance a fait mouche un matin... Ça ne pouvait qu’exploser une deuxième fois un jour ou l’autre de toutes façons.

Un matin, un matin de trop, je m’apprêtais à partir au boulot en scooter dans la grisaille parisienne. Rien de drôle, je vous assure, prendre le périf et rouler sur «la voie

de la mort» ainsi baptisée par les parisiens c’est l’entre deux entre la 3 et la 4 ème voie

dans une longue file de 2 roues qui roulent à vive allure warnings clignotants. C’est

comme son nom l’indique extrêmement dangereux et y’a intérêt a avoir les yeux en

face des trous.

Ce matin là comme d’hab prêt à chevaucher ma machine, je sors de ma chambre

avec l’équipement adéquat : long parka contre le froid et la pluie, avec protections aux

coudes, épaules et dorsale. L’écharpe, la cagoule, le casque et les gants, la sacoche en

bandoulière on aurait cru voir Robocop dans Robocop sur le perif de la mort.

Marjee se réveille, se lève banane en friche, s’étire, baille et me regarde étrangement

de la tète aux pieds dans mon armure prêt à affronter le froid, le bitume et les tracas

du travail. Simplement il me dit :

- Tu vas au taf ?.. et bin... Je ne t’envie pas !

Gonflé le mec ! il se la branlait toute la journée sur mon canap’ pendant que moi je

partais à la guerre du boulot de commercial ! ce fut la goutte d’eau etc...

Moi en mode cash :

- Ah ouais ? et bin tu sais quoi ? dans une heure tu vas m’envier comme jamais tu

n’auras envié quelqu’un d’autre dans ta vie. Tu prends tes fringues, ta Gretsch et tu

dégages !

* Le bœuf c’est improviser ensemble en roue libre ce que les musiciens ont fini par appeler «faire

un bœuf», à une époque où le jazz était très populaire. A noter que le terme anglais équivalent est

le «jam».

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Fin de l’histoire Marjee. Je l’ai revu une fois en 2020 chez Vincent, banane déplumée

et quelques rides en plus. Il avait toujours les même fringues élimées avec le temps. Il

faisait de la peine. Aux dernières nouvelles, il squatait chez une nouvelle meuf entre

Montpellier et le Maroc, je crois, mais ça sentait le roussi... Le batteur et leader du

Sixties memory était décédé et le groupe aussi.

Pour finir ce long chapitre rock’n’rollesque, une dernière anecdote rigolote, avec ma

Fanychou d’amour qui ne connaissait rien à mes goûts autant que je ne connaissais

rien aux siens.

C’était super de se découvrir si différents puisque nous avons réalisé un chef d’œuvre

commun : notre petite Sophie.

Fanychou, très curieuse et intriguée ne refusait jamais de m’accompagner aux expos

d’art moderne et aux concerts de rock. Pas évident lorsqu’on ne connait pas ces gens

qui peignent n’importe quoi et parlent concepts puis d’entendre ces chevelus qui

jouent très fort de la guitare électrique...

Pour mon premier anniversaire en couple, en 2014, elle a cherché sur internet un

concert avec un guitariste qui jouerait le 15 mai. Elle en a trouvé un à l’Olympia en

croisant les doigts et en priant qu’elle ne s’était pas trompée de style : Steve hackett

et Genesis ! quelle belle surprise de revoir ce groupe que j’avais tellement écouté

adolescent. Merci.

Nous avons ensuite enchaîné les concerts notamment des groupes Tribute*. Ce

ne sont pas juste des interprétations pour les nostalgiques comme moi et pour les

néophytes comme elle. C’est du rock’n’roll de très haut niveau, une révolte contre le

temps qui passe en faisant revivre des groupes disparus. Ainsi on a revu dans des

petites salles, Queen, Acdc, The Who etc...

The Rabeats, par exemple, rendent un vibrant hommage au répertoire des Beatles.

Perruques et Rickembacker des Fab Four on se croirait en face du groupe de Liverpool. C’est bluffant.

Le meilleur «tribute bands» que nous avons vus c’était Letz Zep un groupe anglais

qui refait du Led Zeppelin à la perfection. Le chanteur ressemble étonnamment à

Robert Plant. Ils sont tellement pointus dans la reproduction du groupe original,

qu’ils laissent les fans scotchés, moi le premier. Robert Plant lui-même, à l’issue d’un

de leur show, a dit : «I walked in - I saw me»! Je suis venu - je me suis vu !». Quant à

Jimmy Page il leur a déclaré : «j’aimerais venir jouer avec vous un de ces jours». La

classe, non ?

Nous étions aux premières loges à la cigale pour assister au concert, trop cool. Lorsqu’ils ont entamés «kashmir» le morceau emblématique du groupe joué depuis 1975,

Fanychou me dit :

- Oh, je connais c’est le générique de télé foot !

* Susceptible au point de me fâcher définitivement pour une réflexion, un regard ou même pour

une clope. Je suis un sanguin c’est comme ça...

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(Je déteste le foot).

Un peu plus tard pour le méga monument du rock «Immigrant Song» l’unique single

de l’album Led Zeppelin III. Ses paroles racontent la mythologie nordique et les

aventures des vikings à la recherche de nouvelles contrées, Fanychou toute heureuse

de reconnaitre cet air poursuit :

- Ah, je reconnais aussi ! c’est le générique de 50 minutes inside !

(Et encore plus ce genre d’émissions débiles...)

Putaiinn, c’est pas de tout repos d’expliquer le rock à fanychou.

* il s’agit de groupes qui rendent hommage à des groupes de rock disparus en rejouant le répertoire de manière fidèle. Ils portent les mêmes costumes la même coupe de cheveux etc...

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Manon

,

Elle est née le 12 juillet 1995, visiblement pas pressée de nous rejoindre,

puisque nous l’avons attendu 3 jours à la clinique. Puis elle est arrivée et je

l’ai prise dans mes bras de papa comblé de bonheur comme pour son frère

avant et sa sœur 23 ans plus tard. Avec mon boss, mon ami Bernard Delgay*

nous avons fait ensuite la tournée des grands-ducs.

Lui qui n’avait eu que des garçons, était fou de joie pour moi. Il disait à tous les

night-clubeurs qui voulaient bien l’entendre :

- Regardez ! mon ami vient d’avoir une petite fille, oui, lui là, le mec heureux !

Et c’est vrai, que je l’étais. L’c n’en voulait pas, j’ai insisté pour avoir une petite fille.

Je pensais que ça serait super pour Étienne de devenir un grand frère, qu’il descen

-

drait enfin de son piédestal et que ça lui ferait le plus grand bien. Si j’avais su...

Au moment de la fermeture du dernier Night-club, Bernard a commandé encore 4

tournées d’avance... Il ne restait plus que nous dans ce Clermont-Ferrand endormi,

encerclés de chopes de bière, de verres partout autour de nous. On regardait les

étoiles filantes jusqu’à l’aube.

Ma belle sœur de cheffe-de-village : Godicheffe, avait réquisitionné les beaux-pa

-

rents** au club et nous jouissions de leur maison dans un petit village au fin fond

de l’Auvergne. C’était l’été, j’ai laissé exploser ma joie d’avoir ma petite Manon sur

une toile de 2m x 1m50 avec des couleurs vives, des fleurs, des papillons. J’adorais ce

tableau***.

Il a disparu au fil des nombreux déménagements d’L’c après notre séparation. J’ai de

-

mandé une fois à Étienne où il était, il pensait que, mais n’était pas sûr qu’il était resté

en Auvergne dans une grange avec le reste de mes affaires...

Étienne avait 7 ans, il était jaloux et c’était compréhensible. Il devait faire un peu de

place sur son trône. Enfin, c’est ce que je croyais tout naturellement à l’époque, à un

détail prés : j’avais sous estimé la perversité des Gravos****.

Manon est arrivée, la 3ème dans la famille Gravos après Étienne et Camille la fille

Godicheffe. Les Gravos avait déjà 2 petits enfants et Manon la 3ème n’a soulevé

aucune joie, aucune émotion particulière... Dingue ! Pire encore, ils étaient jaloux de

l’affection, de l’amour que je donnais à ma fille, à mon bébé, comment est-ce possible

? On peut être Jaloux d’un bébé et de son papa ? Quand Manon s’endormait sur moi

* Bernard était le N°2 du Groupe Titel, nous étions amis. Il est mort très jeune à 41 ans.

** Elle les emmenait avec elle dans les villages du Club pour garder sa gamine. J’en reparlerais

plus tard..

*** J’ai laissé tous les tableaux lorsque je suis parti. j’en ai sauvé 3 in-extremis

**** Oui, le drame dans cette histoire, c’est qu’Étienne, L’c et sa famille ne faisait qu’un : Les Gravos.

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les Gravos complices étaient verts d’animosité.

Autant ils s’étaient accaparé Étienne, voulaient qu’il s’appelle Gravière, le magnifiait,

le vénérait même, autant à l’inverse ils n’ont jamais eu la moindre affection ni attention pour Manon. Elle était le fruit de mon bonheur et c’était insupportable pour

eux. Étienne et L’c compris. Ils se sont vengés. Au quotidien chez les Gravos Manon

était le sous produit de Camille sa cousine. Je me bastonnais sans relâche pour qu’elle

porte des fringues, quelle joue avec des jouets achetés rien que pour elle et non avec

de la recup’ de sa cousine «la surdouée, la friquée». Je refusais avec force pour que

Manon ne soit pas sa sous-doublure.

Je n’ai pas beaucoup connu Camille, mais gamine, au ClubMed, c’était la pire des

pestes que j’ai vue dans ma vie. Gâtée, pourrie et indifférente aux autres. Cette gosse

vivait sa petite enfance loin des crèches «normales» et dans la bulle artificielle des

villages de vacances. Tout lui était permis vu que c’était la fille de Godicheffe. Quand

avec Étienne ils allaient skier, un G.o portait leurs skis jusqu’aux pistes et reportait

pour le retour. Ils étaient infectes avec le personnel, avec les G.o qui étaient aux garde

à vous devant ces mioches tout puissant. Un jour Étienne a même menacé un G.o

d’être viré. Le mec flippé est venu me le rapporter, voir si je pouvais calmer le jeu

auprès de sa tante Godicheffe, c’est dire...

Je suis triste pour Manon. Je serai triste jusqu’à mon dernier souffle pour mon

Cœur-Soleil. C’est le surnom affectueux (et affreusement insupportable pour eux)

que je lui avais donné. Les Gravos en avaient une sainte horreur, à chaque fois que je

prononçais «Cœur-Soleil», ils s’échangeaient des regards de rage. Ils rêvaient de me

faire taire, que ce surnom soit jeté à la poubelle comme un vulgaire kleenex sale.

Un jour, elle avait six ans (comment oublierais-je ce jour) Manon m’a dit :

- Ne m’appelle plus Cœur-Soleil.

Comment une petite fille, aimée de son papa, pouvait refuser le titre d’amour que je

lui avais donné avec tout mon cœur et toute ma tendresse ?

Parce qu’Étienne et les Gravos se foutaient d’elle et de son surnom dès que j’avais le

dos tourné, n’est-ce pas méchant et mesquin d’infliger ça à une petite fille de 6 ans ?

Aujourd’hui en 2022 ma petite Sophie, son surnom, c’est juste «Soleil» et lorsque je

l’appelle autrement comme «la grosse» par exemple elle me rétorque :

- Non, moi c’est Soleil!

Une fois, dans le jardin des Gravos, Manon était toute petite, Étienne l’a tellement

énervée qu’elle est tombée à la renverse les bras en croix perdant connaissance

quelques secondes, j’ai eu très peur, j’en pleure encore. Souvent même.

Déjà que c’était la baston permanente avec Étienne Gravos. Ma protégée Manon devenait un bouclier de chantage et de vengeance par procuration. Voila encore une des

raisons qui font que je ne veux plus jamais avoir a faire avec ces Thénardiers. Rien

que de me rappeler tout ça j’en ai la nausée.

A Die dans la maison de Serge, j’ai laissé ma table basse qui date de l’époque où je

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me suis retrouvé seul, abandonné à Gassin. C’est une table cannelée faite avec le

haut d’une malle dont en reste les sangles retenues par des boucles. Les pieds sont

en fonte sculptés. Elle est très belle. C’est Marianne, une copine Afrikaner qui me l’a

offerte. Comme elle, cette table basse arrive d’Afrique du Sud. De chaque coté il y des

tiroirs*et à l’intérieur au stylo, Manon a tracé un cœur avec «papa je t’aime».

J’ouvre ce tiroir à chaque fois avec beaucoup d’émotion, il ne me reste que ça de ma

petite Manon avec 2 dessins et un post-it écrit de sa main «Bon vouiquenne mon

papa chéri». J’y tiens beaucoup.

Nous étions autant complices que je le suis aujourd’hui avec Sophie. Elles se ressemblent tellement. J’entends encore sa petite voix chanter avec moi :

Il vivait en dehors des chemins forestiers

Ce n’était nullement un arbre de métier

Il n’avait jamais vu l’ombre d’un bûcheron

Ce grand chêne fier sur son tronc

Il eût connu des jours filés d’or et de soie

Sans ses proches voisins, les pires gens qui soient

Des roseaux mal pensant, pas même des bambous

S’amusant à le mettre à bout

Du matin jusqu’au soir ces petit rejetons

Tout juste canne à pêche, à peine mirlitons

Lui tournant tout autour chantaient, in extenso

L’histoire du chêne et du roseau

Quelques mois après mon départ de la maison nous passions tous les week-ends

ensembles. Étienne Gravos ne voulait plus venir depuis longtemps. Le félon avait

pris du galon. A 14 ans il était maintenant le mâle dominant dans cette famille de

greluches, il fricotait avec la fille du marchand de glace et fumait ouvertement. Allez

lui parler d’école, mais quelle plaisanterie !

Je me souviens de la première fête de la musique au Lavandou depuis la séparation.

Pas de copine ni de fiancée juste nous 2 et ravis d’être ensemble.

Elle avait une robe blanche et ses boucles blondes tombaient dessus.

Elle était magnifique.

- Papa, on danse ?

Et nous avons dansé, heureux mon Cœur-Soleil ma petite Manon et moi.

Le 20 août 2003 nous sommes allés tous les 2 à Marseille pour l’anniversaire d’Antoinou mon beauf. C’était pendant la grande canicule.

Pendant que Manon jouait dans le patio voisin avec Julia sa cousine, moi pas très

bien dans ma peau et dans ma tête je papotais avec Burduche. Il me dit :

- Méfie toi de ta fille, elle veut se suicider.

* La semaine dernière je l’ai montré à Sophie. J'ai pris la décision, dès sa naissance, de ne rien lui

cacher aujourd'hui à 4 ans elle parle aisément de son frère de sa sœur inconnus.

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J’ai cru que le ciel me tombait sur la tète. Mais d’où tenait-il cette info ? on lui avait

dit que Julia avait dit que etc... bref, des embrouilles d’un connard qui écoute une gamine et qui manque de discrétion et de tact alors que c’était déjà assez difficile pour

Elle et moi. Manon était paumée mais absolument pas suicidaire. J’ai vraiment eu très

peur qu’il arrive malgré tout un malheur à cause de la séparation avec sa mère.

Vexé que l’on parle sans preuve, cette simple phrase m’a écarté de ma sœur Vivi pendant des années. Des années où j’avais pourtant, plus que quiconque, besoin d’elle.

Je n’ai pas plus de souvenirs de Manon du temps où nous nous aimions.

Manon est leur «prise de guerre» qui va payer très cher les conséquences du divorce.

Manon est la seule à avoir eu une grande tristesse quand je suis parti et quand les

autres dansaient sur l’animal blessé et abandonné que j’étais devenu, Manon pleurait.

Pour me faire payer au prix fort leur vengeance du divorce que j’ai initié mais qu’ils

avaient provoqué, au sens propre et figuré (car, d’un coup, la pompe à fric s’arrêtait

brusquement) Les Gravos se sont rabattus sur Manon, leur bouc émissaire. Ils ont

laissé faire Étienne Gravos, combinard malsain, façonner Manon comme un sculpteur tyrannique, au burin, puis à la tronçonneuse pour qu’elle me déteste un jour.

Ils y arrivèrent assez bien et très vite ils purent récolter les fruits de la haine et du

désamour à mon encontre.

J’ai ressenti une froideur venant de Manon dès que je suis remonté à Paris, pourtant

nous nous téléphonions le matin et le soir mais sa voix n’était plus la même. Je sentais

bien que quelque chose de pas beau se tramait sur nous. J’entendais bien qu’elle

n’était jamais seule et qu’elle se détachait de moi, un peu plus chaque jour.

Contrairement à Étienne, je ne lui en veux pas, Manon c’est une victime et je n’ai

pas pu la sauver. Je le regretterai amèrement et pour toujours. Tous les tracas liés au

divorce, une fois seul et abandonné, j’avais l’amère sensation d’avoir la tête sous l’eau

et la certitude que les Gravos appuyaient dessus de toutes leurs forces pour que je

me noie. Ils ont bien failli réussir. Je devais survivre, je suis parti à Paris. Manon m’en

veux je la comprends, pardon.

En aout 2004, nous sommes partis tous les 2 en Bretagne, 3 jours seuls et 3 jours chez

mon oncle Benoît. Il y avait en même temps ses petites filles. De belles vacances,

mais en partant Manon a oublié une chaine en argent sur la table de nuit. Puis nous

devions rester 3 jours chez Antoine qui avait une maison en Touraine à l’époque.

Antoine, Ugo et mes parents nous attendaient. Ugo brûlait d’impatience pour que sa

cousine arrive vite....

Arrivés à destination, Comme d’habitude, j’ai donné mon téléphone à Manon pour

informer L’c que nous étions arrivés à bon port. La petite s’est éloigné et la conversation fut très courte, peut-être 1 ou 2 minutes, mais lorsque Manon est revenue il

s’était passé un truc, son visage s’était endurci et son regard noir était effrayant.

Elle voulait rentrer chez sa mère immédiatement. Une crise de démence s’en ai suivi,

ni moi ni Antoine, ni papa-maman avons réussi à la calmer, à l’apaiser. Le soir venu

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elle n’avait rien avalé, rien bu.

Elle a très mal dormi. Le lendemain matin re-crise de démence pire que la veille. Personne ne pouvait la raisonner, elle voulait être raccompagnée chez sa mère. Depité

j’ai fini par la raccompagner chez L’c.

A ce jour, je n’ai jamais eu d’explication sur ce soudain revirement tragique. Juste le

lendemain, j’ai reçu un texto de L’c :

- Manon a oublié sa chaine chez ton oncle, démerdes toi pour la récupérer.

Pourquoi une telle agressivité ? L’c savait très bien que Manon passait de bonnes

vacances. Manon l’appelait tous les jours. Quelques minutes auparavant nous étions

complices en voiture main dans la main. Que lui ont-ils dit ? Etaient-ils jaloux ? Lui

ont-ils promis un truc seulement si elle rentrait de suite ? Je me pose encore la question. A chaque fois que nous évoquions ce triste souvenir avec Papa-Maman nous ne

comprenions pas ce qu’il s’était passé.

C’est à partir de ce moment là que mes rapports avec ma fille se sont brutalement

dégradés. A son tour elle m’a abandonné. Elle ne voulait plus me voir sauf si il y avait

Étienne ou L’c et restait très distante. Elle ne voulait plus me parler au téléphone, ce

n’est pas un abandon cette attitude ? Pour les vacances suivantes de la Toussaint elle

a accepté de venir de passer une semaine avec moi à Paris. Sa mère l’a accompagnée

mais au moment de la laisser, un mal de ventre, certainement le stress, la rendue

réellement pas bien, elle n’a pas voulu rester. Malade je l’ai laissé repartir.

Puis humainement plus rien, elle ne répondait pas à mes lettres, honorait pas les

billets de train que je lui envoyais pour venir me voir. Lorsque Je me déplaçais à Chateaubriand ils informaient les gendarmes de ma visite comme si j’étais un criminel.

Ado, Manon me menaçait de fuguer si je voulais l’obliger même si par voie juridique

j’étais protegé, elle n’a plus voulu venir chez moi... Je l’ai supplié de venir étudier à

Paris et profiter de mon appart à Montmartre, elle a toujours refusé.

Finalement elle est venue une semaine en 2009, Manon était devenue obèse et regardait des émissions débiles genre les Anges Marseillais toute la journée. Je l’ai gâtée

comme j’ai pu, nous sommes sortis tous les jours dans Paris, au bout d’une semaine

elle a reprit le train sans même me dire au revoir. Je suis resté seul, abandonné et en

pleurs sur le quai.

J’ai tout gardé méticuleusement : les décisions de justice pour l’avoir un week-end

sur deux et la moitié des vacances scolaires, les billets de train, ses lettres d’insultes et

même ses textos, absolument tout. Je n’ai jamais abandonné Manon, je suis parti c’est

vrai mais je n’ai jamais failli à mes obligations. Dio m’est témoin, mes parents l’étaient

aussi.

Je ne veux garder que le souvenir d’une petite fille blonde et gaie. La méchanceté, les

mensonges et les fausses rumeurs, j’essaie de les oublier. Les ressortir pour les besoins

de ce livre est une véritable épreuve. Je ne connais plus cette jeune femme, Maman

maintenant. Je ne connais pas sa voix, son odeur, son parfum ou ses hobbies, c’est

une inconnue pour moi. Quel est son regard sur le monde, son humour (si elle en a

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un) qui sont ses amis ? qui est son conjoint ? Pense t-il que je suis un enfoiré ? je n’en

sais strictement rien.

Lui arrive t-il de se remémorer les jours heureux en ma compagnie, ou était-elle

trop petite pour s’en souvenir ? Je préférerais d’ailleurs qu’elle ne s’en rappelle pas. Je

ne voudrais pas qu’elle revive, comme moi, souvent, le souvenir de cette déchirure

affective lorsque je suis parti.

Je déplore simplement que nous sommes, elle et moi, les victimes de la perversité

diabolique des gravos, Étienne et L’c en tête. Ils lui ont inculqué au quotidien et sans

relâche cette thèse à savoir que je suis le dernier des enfoirés égoïstes qui l’a abandonnée lâchement. Manon a grandi avec cette terrible fausse accusation.

Pourquoi n’a-t-elle jamais demandé des explications comme le font des gamins

témoins dans les nombreux reportages qui envahissent nos écrans ? Il y a des mecs

qui abandonnent réellement leurs gosses, d’autres qui ne savent même pas qu’ils sont

pères ou qui tuent leur mère, certains sont accusés de viol mais les enfants continuent de voir leur père ou exigent des explications du criminel qui reste néanmoins

leur papa. Y’a t-il une commune mesure avec moi ? Qu’ai-je fait de criminel pour être

souillé de la sorte ?

Je ne connais pas mes petits enfants, n’est-ce pas franchement trop sévère comme

punition ? J’espère qu’un jour qu’elle lira ces lignes de ce livre confession pour comprendre le mal qu’elle m’a infligé et quelle entende ma vérité.

Voila pourquoi je crois en Dieu, car si j’étais ce monstre Dio ne m’aurait jamais envoyé ma Fanychou d’amour, ma petite Sophie mon soleil dans une nouvelle vie pour

que je puisse enfin vivre des jours heureux et paisibles. Elles soignent patiemment

mes blessures qui saignent toujours.

Je ne suis pas un croyant pratiquant mais à chaque fois que je me rends dans une

église je dépose un cierge pour mes parents et je remercie Dio de m’avoir donné cette

chance.

En 2018, j’ai envoyé un texto à Étienne et Manon qui disait ceci :

En Février vous allez avoir une petite sœur.

Vous êtes les bienvenus dans la Drôme avec vos conjoints quand bon vous semble

ou au baptême de Sophie qui aura lieu début Septembre.

Étienne, silence radio mais Manon m’a répondu de suite :

- Félicitations, j’espère que celle là tu ne l’abandonneras pas.

Moi :

- Je ne t’ai jamais abandonné ; les billets de train, tes lettres de refus de venir me voir

et même tes textos le prouvent. Heureusement, comme tu sais, j’ai tout gardé.

Manon :

- Si tu veux te persuader d’être dans le rôle de la victime restes-y. A jamais.

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Moi :

- Encore un texto que je garderai bien précieusement dans le dossier divorce.

En 2020 lorsque Papa-Maman sont partis victimes du Corona virus, Manon leur

petite fille pourtant, ne s’est pas manifestée ni auprès de moi, ni auprès de mes sœurs

ou de mon frère.

Enfin, il y a quelques mois j’ai vu sur Facebook que j’étais une nouvelle fois grand

père d’une petite fille mais je ne connais pas son prénom*.

Un dernier truc étrange, Serge Gainsbourg a écrit en 1968 une chanson qui s’appelle

Manon, J’ai l’impression que Dio lui a commandé ce texte pour moi :

Manon, Manon

Non tu ne sais sûr’ment pas Manon

À quel point je hais ce que tu es

Sinon Manon

Je t’aurais déjà perdue Manon

Perverse Manon Perfide Manon

Il me faut t’aimer avec un autre

Je le sais Manon, cruelle Manon

Manon, Manon

Non tu ne sauras jamais Manon

À quel point je hais ce que tu es

Au fond Manon

Je pense avoir perdu la raison

Je t’aime Manon

* Chère petite fille peut-être qu'un jour en cherchant un peu dans tes origines tu liras ce bouquin.

Et bien sache que même si je ne t'ai pas connue, tu as été dans mon cœur et j'ai prié Dio tous les

jours pour que tu sois heureuse quoi que tu fasses de ta vie, chaque minute chaque seconde. Ton

Nono.

Pour toi Manon pareil si tes yeux se posent un jour sur ce récit, sache que je regrette de t'avoir fait

de la peine et je m'en excuse. J'ai prié pour que tout te réussisse aussi. Tu ne t'es pas manifesté

pour le décès de tes grands parents et c'est moche. Je t'aime quand même. Ton Papa

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Divorce sur la Presqu’ile, Elle était bien cette agence à Cavalaire sur le bord de mer, il y avait avec juste

3 personnes pour la faire tourner : le boss, sa secrétaire et moi. L’agence

était à la botte de son client : Le casino de Cavalaire qui représentait 90% de

l’activité, les 10% restants on bossait pour une discothèque et 2, 3 restos.

Dès le premier jour j’ai douté de son intégrité. Aïe ! j’avais peur de m’être trompé et

c’était de toute façon déjà trop tard.

Qu’est ce que je foutais là ? après les postes à responsabilités de Titel et d’Elcede ?

Nous étions bien à Limoges, pourtant. Oui, bien-sur, on s’y ennuyait comme on

s’ennuie dans toutes les moyennes ville de province, mais nous étions insérés socia

-

lement, j’avais un taf de cadre supérieur, une belle maison et les enfants y étaient

confortablement installés. Il n’y avait que L’c, qui, sans travail, se retrouvait isolée,

loin des gravos et sans copines* s’ennuyait grave.

Forcément, elle rêvait de repartir vivre au bord de la mer. A l’aube de ses 40 ans sa vie

était terne. Elle était nostalgique de sa vie d’avant au ClubMed et Godicheffe, sa sœur

jumelle, qui y travaillait encore et ne manquait pas de lui faire une piqûre de rappel

à chaque inter-saison des bons souvenirs qui lui manquaient tant : le soleil, l’insou

-

ciance et les représentations festives qui mettait sa belle plastique en valeur.

A défaut de consacrer son temps à gérer les thunes de la famille, car nous étions en

-

dettés avec des crédits à la consommation, elle s’est servi de mon cv pour éplucher les

petites annonces afin de me dénicher un taf au soleil. Elle a fini par le trouver et moi,

trop con, j’ai accepté ce changement de vie pour ce poste à Cavalaire. Oui, con et

inconscient en mettant au placard mes 6 années de technicien dans un métier plein

d’avenir. Sans un rond et endettés, on est parti.

Bon, ok, j’avais négocié une bonne rémunération et comme à Cannes, chez les din

-

gos, le mec a accepté sans sourciller. J’étais sur mes gardes il ne me restait plus que ça.

S’en est suivi l’été 99 que je raconte dans le chapitre «Rock» et les 6 premiers mois se

sont passés sans encombre, le boss de l’agence me payait rubis sur l’ongle, malgré le

fait qu’il devait de l’oseille à beaucoup de créanciers qui défilaient à l’agence à lon

-

gueur de journée.

Ce boss s’appelait Philippe Monbrun. Un personnage sombre, secret, sournois et in

-

triguant. Il était grand et gros. Pas un gros bedonnant, non, un gros très gros paquet

de nerfs, au regard fuyant comme les faux-jetons. Il fumait clope sur clope frénéti

-

quement et quand le téléphone sonnait et quelque soit son activité ou l’éloignement

de l’appareil, il se ruait dessus comme si on allait lui voler une info.

*Les copines de mon ex... Ne dit-on pas qui se ressemble etc ?

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Il avait une boite à Paris où il n’allait jamais mais tous les matins il recevait un fax

avec les profits du jour. Je n’ai jamais su le nom, ni l’activité de cette boite ni comment

il l’a gérait puisqu’il n’avait pas d’associé, pas d’employés, Juste le fax. Bizarre ce mec.

C’était surtout un joueur d’argent invétéré et maladif, oui, accro aux machines à sous

et au black jack du Casino, son client.

Il arrivait tôt le matin à l’agence buvait plusieurs cafés en les touillant nerveusement,

contrôlait ses chiffres Parisiens et partait jouer. Quand à midi il n’était pas revenu

ça voulait dire qu’il avait la main heureuse. Il arrivait l’après-midi souriant et dans

la torpeur des ordinateurs et imprimantes qui chauffaient malgré la clim, Joyeux, il

nous offrait à boire en disant :

- Ici, dans cette agence c’est chaud et humide. Comme dans un vagin.

Lorsqu’il perdait, il était livide je le voyais tourner en rond dans son bureau se

rongeant les ongles, il me faisait flipper. Il jouait aussi en ligne nerveusement sur son

téléphone quand les huissiers étaient là. Revanchard et en loucedé, il piquait leur

téléphone. Quand les soumissionnaires revenaient dans les 2 minutes après leur départ, ils cherchaient leur portable dans tous les coins de l’agence et lui imperturbable

continuait à jouer assis derrière son bureau les mâchoires serrés pour ne pas exploser

de rires vengeurs...

Monbrun employait aussi les hôtesses d’accueil du Casino, par le biais d’une autre

société. Ça puait la magouille, mais, toutes les fin de mois, ses salariés (moi compris)

avaient leurs fiches de paie et leur chèque, quoi de plus important ?

Tiens ! hôtesse d’accueil ça pourrait le faire pour L’c, me suis-je naïvement dit.

C’est moi qui ai fait l’article pour qu’elle se fasse embaucher au Casino. Soulagé car

elle allait enfin bosser, toucher un salaire ce qui n’était pas arrivé depuis presque 10

ans et dubitatif car ce taf de potiche vieillissante que les vieux reluquent avant de

claquer leurs économies aux machines à sous, n’était pas éthique avec sa fonction de

maman.

Bref, je ne pensais pas qu’elle serait si niaise pour ne pas se prendre au jeu de la nuit

car au départ ce poste était taillé sur mesure pour elle : on lui demandait de faire

la belle de dire bonjour avec un grand sourire dans des fringues moulantes de 10

heures à 15 heures. Point barre.

Fidèle aux habitudes des Gravos, lorsqu’ils se sentaient valorisés et appréciés, en

moins de 3 mois, c’est comme si ils avaient construit le Casino en brûlant d’impatience qu’elle arrive.

Le Casino, le Casino, le Casino avait envahi sa tête et la maison.

Le Casino c’était l’aboutissement et la reconnaissance de tant d’années de patience

entre clopes et maquillage. L’c avait enfin retrouvé l’emploi digne de son «métier»

quelle attendait depuis tout ce temps passé à torcher ses enfants. C’était «Le» boulot

de représentation sous les sunlights multicolores qui allait lui faire reprendre goût à

la vie. C’était sa renaissance.

J’ai très vite compris que nous nous étions engagés sur la voie directe et sans détour

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qui mène inévitablement au divorce et je dois reconnaitre que je n’ai rien fait pour

empêcher cela. Je savais pertinemment que les enfants en pâtiraient, mais je devais

m’échapper de ce bourbier professionnel et familial. J’étais malheureux dans mon

couple et je ne la supportais plus, fallait que ça change, que ça bouge il en allait de

ma vie, de ma raison d’être. Je ne me voyais pas vieillir avec cette sangsue d’Lc. Elle se

la jouait femme fatale qui travaille et qui s’assume. Son taf de pouf des tapis verts lui

donnait l’impression d’exister. Je ne me voyais pas rester travailler chez ce cafard de

Monbrun, le subir, fermer ma gueule et faire le canard parce qu’il me filait un chèque

à la fin du mois.

D’autant que les événements se bousculaient, ça bougeait grave pour moi.

Une troupe de danseurs cubains avaient été embauchés pour la saison d’été au casino

et pour les besoins de leur show j’ai conçu un décor Salsa dans la salle de spectacle du

cercle de jeux. C’était un décor classique pour ce genre de prestation : des cocotiers,

des bananiers, des congas et maracas etc.. Puis pour le fond de scène j’ai sous-traité

l’impression d’une fresque aux couleurs sud-américaines sur une bâche à un fournisseur de Saint Raphaël. Le commercial a respecté les délais et j’ai trouvé ce mec très

efficace, très pro. C’était Fred.

Vous voyez Alain Delon ? son sosie. Un autochtone qui plus est.

J’ai tout de suite vu qu’il avait le profil d’un entrepreneur et réciproquement il a pigé

de suite que je cherchais un associé. Nous avions en commun le même rêve, la même

volonté : monter notre boite. J’avais 37 ans, Fred 30, la force de l’age pour renverser

nos situations d’employés et se mettre au travail ! Pour nous !

Oui, je prenais des risques, mais fuir mon mal-être n’était-ce pas le soucis le plus urgent ?

Je me suis lancé la dedans, sans une thune évidement et c’est Vivi qui ne roulait pas

spécialement sur l’or à l’époque qui m’a fait confiance et m’a passé les sous pour créer

le capital. Grâce à Dio on a bossé de suite et j’ai pu la rembourser rapidement. Merci

ma sœur. Et c’était parti !En l’espace de 3 mois nous avons remué ciel et terre pour

régler les démarches administratives, trouver un local et acheter un parc machine (la

loc n’existait pas encore).

Ma boite ! mon agence ! je l’avais tellement espérée, tellement voulue, que mon

ambition était bien plus forte que ma peur d’échouer. Ce désir inaccessible était enfin

arrivé et nous avions réussi à mettre au monde Presqu’île agence conseil en communication notre bébé. Elle est née le 1 janvier 2000 sans douleurs, juste avec un

zeste de crainte. Immédiatement avec les 2,3 contacts que nous avions et dopés par

la fougue de prospecter vite et bien les commandes sont vite arrivées : Campagnes

d’affichages pour un complexe aquatique, spots radio, annonces presse, édition pour

des entreprises locales et formation car j’avais l’agrément. Tel 2 taureaux qui allaient

démonter tous ces matadors en paillettes, nous nous sommes jetés dans l’arène de

Saint Tropez têtes baissées avec l’arrogance du succès.

J’étais patron associé d’une petite entreprise naissante et prometteuse. Je bossais

beaucoup, le taf était là, fallait cravacher et dés le mois de mars, soit 3 mois après

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l’ouverture, nous avons embauché. On n’a pas perdu de temps. Et c’est à ce moment

délicat des premiers pas de notre bébé, Presqu’ile, qui faisait le maximum d’efforts

pour démontrer ses capacités à exister dans la fournaise tropézienne, là où j’avais le

plus besoin du soutien de ma famille, qu’L’c m’a annoncé qu’elle bosserait dorénavant

tous les jours de 15 à 23 heures, la conne.

Pourtant au départ ce taf de pouf et ses horaires aménagés c’était bien le seul avantage

qu’avait ce plan que je lui avais dégoté : Elle pouvait accompagner les enfants à l’école

le matin, prendre ses fonctions de 10 à 15 heures ce qui lui laissait largement le temps

de rentrer à la cool au Lavandou pour récupérer Étienne et Manon à 16 heures 30 à

la sortie des classes.

Pertinemment en acceptant de bosser le soir, les week-ends compris, très égoïstement, elle a mis le boxon dans mon organisation de jeune patron et dans l’équilibre

responsable du quotidien de nos enfants qui commençaient à déconner : Étienne

s’orientait vers la zone des baskets, casquettes de travers et ne foutait plus rien à

l’école et c’est ma petite Manon qui du haut de ses 5 ans a le plus morflé du manque

de présence de sa maman le soir.

J’étais évidement contre cette décision désastreuse, mais l’évidence «raisonnable»,

L’c ne voulait plus l’entendre, plus la voir. Elle avait retrouvé «un travail» qui réunissait enfin tout ce qu’elle aimait : une apparence pomponnée et sexy, les bars, les

discothèques et les gens de la nuit. Elle sortait enfin de l’hibernation comme une

marmotte qui faisait remonter sa température endormie depuis longtemps. Elle était

chaude comme une baraque à frites pour rejoindre «son» travail le soir.

La maman omniprésente de la maison était devenue en l’espace de quelques semaines

une maman au look de vamp’ fantôme.

L’idée d’une vie en solitaire recommençait à chauffer dans ma tête comme un volcan

en activité. Le magma de me barrer remontait à la surface, avec la rancœur de toutes

ces années perdues. Ce sentiment d’échec faisait mieux fondre la mince croûte

terrestre de mon couple. Je crois aussi que dans un coin de ma tête j’attendais ce

moment depuis le ClubMed d’Agadir.

Nous n’étions plus sur la même longueur d’onde et depuis longtemps. Nos modes

de vie le prouvaient : elle mature immature entourée de copains-copines tatoués,

botoxés, adeptes de fringues à la mode et d’apéros à répétitions et moi businessman

accaparé par ses clients, ses rendez-vous d’affaires et obsédé par le chiffre à réaliser

tous les mois pour payer les charges et les salaires nécessaires au bon fonctionnement

de Presqu’île.

Je passe les épisodes de disputes, de gueule comme font tous les couples sur le point

de se séparer, je passe sur l’ambiance irrespirable qui se dégradait de jour en jour à

la maison. Un jour, inévitablement, le 24 décembre 2001, il y a eu la dispute de trop,

celle qui déterre la hache de guerre. Ce matin là, furieux, je suis reparti travailler à

l’aube pour réfléchir dans la solitude tranquille de mon bureau. Je ne savais pas comment fuir les gravos et mes désirs d’évasion tournaient en rond comme un chien qui

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se mord la queue. En fin de matinée ça toque à la porte de l’agence pourtant fermé le

lundi. Mon studio était en sous sol, je monte et aperçoit un petit monsieur le visage

collé à la vitrine les mains encadrant ses yeux pour voir si il y avait quelqu’un. Tous

les autres commerces était fermés, il a toqué chez moi parce que ma moto se trouvait

devant l’agence.

Moi :

- Bonjour, Je peux vous renseigner ?

Le petit monsieur :

- Oui, bonjour, Je ne suis pas de la région mais j’ai acheté un appartement juste là

derrière et je pensais que vous étiez une agence immobilière... Et... enfin parce que...

Moi :

- Vous voulez le louer ? et bien (en me désignant) voici votre locataire !

Ainsi, dés le lendemain, le jour de noël à la surprise d’L’c qui pensait que jamais je

l’aurais fait, j’ai pris mes fringues, mon mac et ma guitare et je me suis barré. J’ai laissé

mon Tieno dans les escaliers à écouter du mauvais rap avec ses potes paumés comme

lui et j’ai laissé ma petite Manon en larmes. Manon, pardonne moi stp.

C’était il y a 21 ans, paradoxalement je me suis libéré des gravos pour m’enfermer

avec mes remords. C’est le psy qui a trouvé une clé pour je sorte souffler un peu.

J’éprouve encore aujourd’hui une grande culpabilité par rapport aux enfants mais les

laisser et partir c’était le prix à payer pour ma survie. J’ai abandonné mon poste de

papa à la maison, mais jamais celui de père.

Je pensais qu’avec le temps ils le comprendraient et feraient la part des tords et des

raisons qui m’ont poussé à partir mais ce n’est pas arrivé. Peut être qu’un jour ils

liront ce livre et reconsidérerons leur accusations, leur jugement et la terrible peine

qu’ils mont infligée.

Voici la sentence des Gravos :

- Condamné à la détestation à perpétuité incompressible pour abandon lâche et

horriblement dégueulasse et pour non envoi de pension avec des virements fantômes

insuffisants pendant (croyaient-ils) que je menais un train de vie de bourgeois à Paris.

- Cette sentence est assortie d’une période de sûreté illimitée empêchant tout

aménagement de rencontre en ayant plus aucun signe de vie de Tieno et de Manon

depuis presque 10 ans maintenant avec la torture supplémentaire de ne pas

connaitre mes petits enfants.

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Pour une fois; une seule fois

Je voudrais

Vous voir seul comme moi

Monter cette route que je descends

Et que vous m’apparaissiez au loin

Ma fille, mon garçon et mes petits bouts

Marchant d’un pas gai

Insouciants, légers

Pour une fois, une dernière fois

Je voudrais

Quand nous serons à même hauteur

Que vous ne ralentissiez pas

Que vous ne changiez rien

Que vous affrontiez mon regard

Comme j’affronte le votre

Et que je puisse y voir

Sans fausse honte, sans arrière-pensée

Toute vérité bonne à connaître, à accepter

Pour mieux recommencer à s’aimer

Et que cet instant reste pour toujours

Gravé dans la mémoire des histoires d’amour

Le peu d’info que je connais d’L’c après notre séparation :

Je crois qu’elle a été virée du Casino quelques semaines après mon départ pour Paris.

Ils ont quitté Cavalaire pour Chateaubriand dans le 44. Là-bas Elle a ouvert une boutique de bijoux fantaisie avec sa sœur Godicheffe et elles ont fait faillite.

A l’arrache, ils sont redescendus sur la cote 3 ans plus tard. Godicheffe s’est retrouvée

veuve, à vendu sa maison dans le 44 et à rejoint L’c à Cavalaire.

Je pense qu’avec les thunes de la maison elles ont repris un restaurant sur le petit

port, parti en faillite aussi.

Aux dernières infos d’aujourd’hui sur la toile : ils sont devenus traiteurs charcutiers

avec Céline la femme d’Étienne.

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Gassin, Cette fois c’était la bonne j’’avais quitté L’c. Enfin. Mais ma fuite en avant se

révéla plus compliquée que prévu. La liberté faut oser. Malgré un épais

carnet d’adresses d’amis, j’ai peiné à trouver de l’écoute une fois seul réfugié

dans cet appart vide ou presque ; c’était un 3 pièces au confort précaire

équipé d’un clic-clac claqué, d’une plaque de cuisson qui n’avait plus cuit depuis

longtemps et j’ai colmaté le frigo avec un torchon à la débrouille parce qu’il ne fer

-

mait pas bien, voire pas du tout...

Isolé dans ces murs froids, fallait analyser la situation avec lucidité, admettre que

j’avais échoué et faire l’inventaire des pertes à commencer par mon couple, mes en

-

fants, ma maison... ma situation, et accessoirement j’étais ruiné. Super jour de noël.

Oui, dépouillé mais, même si c’est dur à rédiger encore aujourd’hui, j’étais enfin

affranchi de cette vie et de cette femme avec laquelle j’ai vécu 15 années de galère.

Il ne me restait qu’une seule personne sur qui je pouvais compter quoi qu’il arrive :

Maman.

Moi :

- Allô Maman, joyeux noël. Je me suis barré de chez moi.

Maman :

- Quoi ! oh mama mia ! j’appelle Claudie ?

Moi :

- Non, Maman, ne fait pas ça. C’est fini je n’y retournerais plus.

Maman :

- Bon, je vais à la banque ce matin et je t’envoie de l’argent*.

Merci Maman, sans condition, sans question, elle a agi immédiatement, efficacement.

Sans elle, sans sa bouée de sauvetage thunée, ma cavale n’eut pas été impossible mais

encore plus difficile. J’avais payé les cautions, fallait aussi que je m’équipe de choses

toute simple comme des draps, deux serviettes, quatre assiettes, une poêle etc...

Merci Maman qui ne s’est jamais voilé la face, pour l’amour de son enfant et contre

l’avis de papa, elle a trouvé l’énergie pour m’aider contre vents et marées. Quelques

jours plus tard j’ai reçu, par le biais de la Redoute, 2 matelas, 2 sommiers : un double

pour Étienne et moi et un simple pour Manon. Et, les oreillers qui vont avec.

Merci 1000 fois.

Papa ? bin, quand à son tour il fut informé de la situation que j’avais tout quitté et que

j’étais à poil, sa première réaction fut « et alors ?, c’est pas nous, faut qu’il se démerde

* Ça a mis un certain temps mais j’ai tout remboursé, un jour

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seul ! » il ne voulait pas me prêter ses sous. Je touchais le fond et mon père en avait

strictement rien à foutre. Seulement Maman ne lui a pas trop laissé le choix et rien ne

l’aurait empêché de m’aider... Une sainte ma Maman.

Le jour de la Saint Étienne, le 26 décembre, comme chaque année J’ai appelé mon

père. C’était l’occaz pour lui de me faire part de son mécontentement qui l’avait empêché de dormir.

Papa :

- On a peu de sous pour nos vieux jours, avec ta mère. On ne va pas t’entretenir !

Faut que tu débrouilles seul ! ma ké ! ce n’est pas à nous de payer tes conneries etc...

Moi :

- Papa, as tu oublié qu’à 18 ans je t’ai offert une voiture neuve ?

Papa :

- Et alors ? c’est fait, c’est fait... Ça n’a rien à voir, qu’est ce que tu vas chercher !

Papa avait une sainte horreur que je ressorte ce dossier et ce jusqu’à la fin de ses

jours. Pourtant j’en tirais une petite fierté quand ce je revoyais ce jeune homme

leur faire ce cadeau.

Seul à Gassin, personne ne m‘a tendu la main. Je n’avais aucune envie de taper l’incrust chez des potes, comme l’aurait fait Marjee par exemple.

Autre moment pas facile : Avouer ma débâcle aux autres et surtout l’annoncer à Fred

mon associé. Au sentiment personnel de fiasco, déjà lourd à porter, s’ajoutait l’incompréhension, la déception, voire le mécontentement de Fred qui savait que notre bébé

Presqu’ile allait en pâtir.

Pire encore, la colère, le mépris d’L’c et des gravos qui se sont regroupés, prêts à me

faire la guerre sans merci, dès mon départ. Ensemble ils retrouvaient ainsi une image

plus positive d’eux-mêmes et l’occasion tant attendue de m’exploser la tronche pour

me faire passer pour le dernier des enfoirés sans scrupule qui abandonne ses enfants.

Les missiles ne se sont pas fait attendre...

Ce sont les moments les plus durs de ma vie. Mon cœur n’était pas à la fête.

Connaissez-vous les chiens errants et fuyants du sculpteur Giacometti ? Voila à quoi

ressemblait Jo le Contact. Seul au monde dans ce saint Tropez si joyeux pour les autres.

Comment allais-je me reconstruire ? Comment croire que j’allais reconquérir l’amour

de mes enfants, perdu en un clin d’œil, avec une grande explication ? C’était illusoire.

Il s’est passé 21 mois entre le jour de noël où je suis parti et le divorce acté. 21 mois

ou j’ai lâché petit à petit mes responsabilités à l’agence, le cœur et mon moral n’y

étaient plus. C’est incroyable de pleurer les torrents de larmes sans discontinuer, je ne

pensais pas que mon corps allait réagir ainsi, indépendamment de ma volonté. Mon

cœur ne contrôlait plus ses émotions. Comment faire des belles créas et une communication positive à mes clients dans de telles conditions ? Et puis les clients voyaient

bien que quelque chose n’allait plus. J’ai perdu 15 kilos en l’espace de quelques semaines.

A l’aube de mes 40 ans je me retrouvais célibataire, sur le marché de la drague.

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Contrairement à d’autres qui noient leur peine dans l’alcool ou le jeu je me suis

investi complément dans le crac-badaboum salutaire. C’était le tout début des sites de

rencontre, sur le net y’en avait 2 : Rendez-vous et AB coeur. Je me suis inscrit doublement. La première fois que j’ai raconté a Vivi que je fréquentais ce genre de site elle

m’a répondu :

- N’importe quoi, tu n’as pas besoin de ça !

Bin si pourtant. J’avais besoin de parler, de séduire avec celles qui aussi se retrouvaient également seules après quelques années de mariage et certaines même voulaient se recaser immédiatement.

C’était comme au rugby. Voici les règles :

1- Le jeu : instaurer des conversations de drague par le biais de petits messages interactifs comme dans les bars ou les boites quand on branchait les meufs jadis.

La nouveauté : Plein de gonzesses internautes mais virtuelles et quelque part en

France derrière leur écran. Les inconvénients : c’était à l’aveugle y’avait pas de photos.

Fallait être subtil pour savoir à qui on avait à faire... Ma technique ? J’écrivais au bout

de 2 ou 3 retours-réponses :

- A qui ressemblez-vous même approximativement ?

J’ai eu le droit à tout ou presque. Même une fois une meuf m’a répondu...

A King Kong ! Oh putain...

2- L’essai : le réussir consistait à établir une conversation privée et plus longue qui

pouvait déboucher sur l’appel téléphonique...

3 - La transformation : décrocher un rendez-vous galant. Et voila !

Aujourd’hui c’est banal, voire ringard d’aller sur ce genre de site mais à l’époque c’était

révolutionnaire et personnellement salvateur. Heureusement que j’ai trouvé ce passetemps. Il m’a évité de broyer du noir, de ne pas me laisser m’enfoncer dans la déprime

tout en restant digne et en soignant mon apparence de vieux beau (un jour on m’a dit

aussi...). Bingo !

Ainsi tous les échoués du mariage en quette d’amour se retrouvaient le soir dans le

grand bain de la séduction. Tel un requin, comme dans les dents de la mer, j’attaquais

et dévorais mes proies du clavier sournoisement en ne laissant apparaître seulement

mon aileron, le reste n’était que tristesse. J’ai séduit, rencontré et niqué. Souvent des

gonzesses autant paumées et en totale reconstruction comme moi.

Comment aurais-je pu me remettre en couple immédiatement ? comment font ces

gens qui franchissent le pas de suite ? Je n’ai pas été sympa, ni tendre ni amoureux.

J’ai pris une avalanche de casquettes, ça ne marchait pas à tous les coups, mais, en 21

mois, j’ai pécho quand même une belle brochette d’internautes en jupons :

- Isabelle, prête à tout pour gagner mon cœur. Amoureuse, elle fut la première d’une

longue liste de pansements éphémères et inefficaces.

- Marie, la prof agoraphobe et franc-maçonne, elle avait un bel appart dans le centre

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de Toulon et j’ai re-découvert cette ville avec enchantement, elle me présentait tous

ses amis charmants.

- Anna une jolie blonde paumée et très amoureuse qui fuguait de chez elle pour me

rejoindre. Elle me laissait des messages torrides tout au long de la nuit qui faisait bien

marrer vivi, tombée dessus un jour par hasard.

- Chou, une eurasienne blonde très sexy dans son cabriolet. Un soir nous sommes

allés à la cafétéria familiale de la Foux avec Étienne et Manon qui comme leurs copains d’école et du collège le faisaient le samedi soir en famille. Sauf qu’avec son look

à la Tina Turner, la meuf, se faisait reluquer grave (elle ne portait jamais de culotte)

par tous les papas au grand dam des mamans... Le lendemain les potes d’Étienne lui

rapportaient qu’ils avaient eu droit à des scènes de ménage à cause de Chou...

- Caroline, une très jolie brune aux cheveux longs, séparée de son mari hémiplégique

qui a tambouriné toute la nuit à la porte depuis son fauteuil roulant... Ambiance.

- Jessica, très câline mais je devais rester sur mes gardes, prêt à déguerpir à tout

moment. En effet son ex était une brute qui pouvait se pointer rageusement surtout

au petit matin.

- Cathy, une folle. Son mari était Crs. Un jour dépitée de ne pas recevoir assez

d’amour elle m’a envoyé un colis où se trouvait à l’intérieur une poupée de chiffon

avec son prénom et une grosse aiguille pour me jeter des sorts. Elle ne me lâchait

plus, un jour, je l’ai supplié de ne plus m’appeler mais elle a continué de temps en

temps. Il y a encore quelques mois.

- Dorothée, une instit je crois, enfin bref, le lendemain ne notre crac-boumerie j’ai

reçu un texto qui disait : «Jean-Claude méfie toi de ta façon de faire l’amour elle

pourrait te conduire au tribunal, je suis recouverte de bleus» Quoi ? Moi ? Je ne me

rendais pas compte que ma colère se traduisait ainsi.

Mon Client, Alain Caron, qui par la suite est devenu un poto (je vais bientôt en

reparler) me disait :

- Cassou (c’est ainsi qu’il m’appelait) avant un rdv, va chez le boulanger et demande

lui de pétrir la pâte à sa place !

Il y a eu Lucie, la nympho du parking à camion juste derrière chez elle quand pendant ce temps son mari et ses enfants, regardaient la télé puis une ou deux cagoles

Marseillaises, une Niçoise libertine, une Cannoise accueillante, une Aixoise sociologue, la meuf avait co-écrit un bouquin avec 3 ou 4 autres socios, j’ai lu son chapitre

pour faire genre mais ce n’était pas la bonne Laurence. Elles étaient 2 avec le même

prénom et je ne m’en suis pas rendu compte. Et puis d’autres...

- Marianne. Une Afrikaner*.

Un matin, alors que je bossais seul à l’agence, à mon bureau était donc en sous sol, j’ai

entendu la porte s’ouvrir. A peine remonté je vois une jolie femme brune, de 50-55

ans, très intriguée par les peintures accrochées aux murs. Elle ne parlait pas très bien

le français.

* l’Afrikaner est un Sud-africain blanc d’origine néerlandaise, allemande ou scandinave qui s’exprime dans une langue dérivée du néerlandais du XVII ème siècle : l’afrikaans. Wikipédia

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Marianne :

- Bonjour, qui est heu... le pinter ?

Moi :

- Il est là devant vous.

Marianne :

- Elles sont beautiful. Combien celle-là ? et celle-ci ? et puis ces 2 là ?

heu price... Combien ?

Bref, elle en a acheté 6 comme ça, d’un coup, d’un seul ! De ma vie de peintre c’était

bien la première fois que je faisais une vente groupée. Et ça ne pouvait pas mieux

tomber. Elle est revenue dans l’après midi pour les prendre et m’a offert une sculpture

en laiton qui est là, ici, devant moi. Je l’ai aidée à charger les toiles dans son cabriolet

bleu marine. Elle m’a proposé d’aller chez elle pour les disposer en fonction de la

lumière etc... Zarma, les toiles ont les a accrochées, vite fait mais après un très long

boum-crac-boum.

Marianne était blindée. Elle était née avec une petite cuillère en or dans la bouche.

Elle avait plusieurs complexes hotelliers à Johannesburg, Pretoria et au Cap. Sa maison, sur les hauteurs de Sainte-Maxime, était dessinée par Le Corbusier lui même.

Elle avait aussi un petit nid d’amour à port Grimaud avec une terrasse, un jardin et

un amarrage pour son bateau de 10 mètres. Elle y allait pour s’isoler quand sa cour

de rapaces affamés qui gravissaient autour d’elle l’ennuyait.

C’était une enfant gâtée pourrie de la vie, d’un claquement de doigt tout lui était servi

sur un plateau. Elle s’imaginait déjà devenir ma muse ou mon mécène et durant 2

ou 3 semaines nous avons fait la tournée des palaces, restos et antiquaires. Elle m’a

ré-équipée en matos de peinture, elle a loué une boutique à Port Grimaud pour

exposer mes œuvres.

Un matin elle est arrivée chez moi, son cabriolet rempli de toiles vierges. La veille

Papa-Maman étaient arrivés pour passer quelques jours en ma compagnie pour la

première fois depuis que j’avais claqué la porte des Gravos. Papa marchait avec des

béquilles, il venait se faire opérer des genoux, maman me réconfortait et préparait

un bon café... Bin, j’ai fait simplement les présentations. Assis sur le clic-clac de mon

appart précaire, Marianne très à l’aise avec papa-Maman (mes parents ont toujours

fait bonne première impression à nos copines), racontait notamment que Étienne et

Manon n’étaient pas très respectueux avec leur papa. Puis Marianne sous le charme

de papa :

- Vous n’êtes pas à l’aise pour bien vous reposer dans l’appart de Jean-Claude !

Oh, my god !

Pourquoi n’iriez vous pas vous reposer quelques jours chez moi à Monaco ?

L’appart de Marianne était en réalité à Villefranche-sur-mer avec une vue imprenable

sur la baie de Monaco. Magnifique. Un grand appart «pieds dans l’eau» avec des

grandes chambres gorgées de soleil, mais il y avait surtout une terrasse, avec piscine,

grande comme la moitié d’un terrain de foot ! Quels bons souvenirs, Nous avons

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bien sûr accepté et passé de merveilleux moments...

Comme tous les enfants gâtés, Marianne jetait ses jouets à la corbeille quand elle en

avait des nouveaux. J’avais remarqué que plusieurs de ex-boy friends faisaient partie

de sa cour. Ils étaient devenus ses larbins. Il était hors de question que cette fatalité

s’abatte pour moi.

Un matin alors que nous avions besoin de mains fortes pour déplacer un gros

meuble, elle a réveillé sans ménagement un de ses clebs en secouant son épaule énergiquement avec son pied. Je m’étais juré quelle ne me le ferait jamais.

Friquée ou pas, ça faisait quelques semaines que son attitude me gonflait d’autant que

j’avais rencontré sur le net une petite souris pas farouche. J’ai pris le large. Je ne me

faisais pas de soucis pour elle. Il ne manquait pas de candidats au poste de boy friend

à Saint Tropez...

Voila, je ne me suis pas laissé abattre par les Gravos qui auraient bien aimé me voir

agoniser. Très vite le contact s’est rompu avec L’c et Étienne qui ne voulait plus venir

chez moi 1 week-end sur 2, surtout si je demandais à voir son bulletin. Il ne restait

que ma petite Manon qui venait le plus souvent possible, nous étions très proche. Elle

adorait peindre. Aujourd’hui, quand je vois la complicité que je partage avec Sophie

je me revois jouer avec Manon, elles se ressemblent tellement. Elle m’aidait à l’agence

où il y avait toujours un truc à faire.

Presqu’ile avait 1 an. Nous avions des clients à Saint Tropez ; les célèbres discothèques comme celle de Jean Roch, gérant du VIP Room, les caves du Roy, le Biblos,

les plages discothèques de jour comme la Voile Rouge, les maillots de bains Kiwi

etc... Mais aussi des clients à Saint Raphaël, à Cannes à Nice puis de l’autre coté à

Toulon, Marseille et même une cliente à Paris, bref, en l’espace d’une année nous

étions 7 personnes qu’il fallait payer à la fin du mois. Fred et moi étions les derniers

rémunérés...

Notre éclatante activité s’est peu à peu ternie lorsque je me suis barré de chez moi

2 ans plus tard. Le cœur n’y était plus et au fil des jours nos rapports se sont tendus

avec Fred. La médaille que j’avais décrochée en m’associant avec un autochtone parce

qu’il connaissait du monde depuis la maternelle, avait son revers. Et je le comprends.

Ce n’était pas super flamme de bosser avec un mec qui a le cœur en miette, un Parisien, qui plus est un globe trotter sans famille et triste comme un caillou.

Il s’échappait dès qu’il pouvait de l’agence avec ses potes d’enfance pour continuer à

vivre dans son Saint Tropez, le Saint Tropez des ploucs à l’année : on y vit comme à

Toucy sauf qu’il y a la mer, des tourlots qui envahissent les routes des campings l’été

et des «people» très friqués qui font vivre justement ces gars du coin comme jardiniers ou gardiens dans leurs résidences secondaires tout le reste de l’année.

De fait, Fred qui était bosseur, n’avait pas l’ambition ni l’envie de décrocher des

budgets au delà de chez lui et je le comprends aussi. C’était un plouc local qui voulait

bosser localement avec ses petits restos, ses petits panneaux de marchands de glaces

au rythme des saisons, le golfe de Saint Tropez, c’était son coin, sa vie.

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Au fil du temps il avait ses clients et moi les miens : Alain Caron un toulonnais qui

revenait de Paris et Pierre un navigateur breton et pour eux, comme pour moi, Saint

Tropez n’était qu’une étape parmi d’autres. Let’s go on the braveheart et en Solitaire

sont les chapitres suivants qui leurs sont consacrés.

A la fin, avec Fred, nous n’étions plus que des associés désassociés qui géraient la

même boutique.

J’ai quitté Presqu’ile et revendu mes parts le 11 septembre ! mais 2003. Le matin

même j’étais au tribunal de Draguignan pour acter mon divorce.

Les 2 tours de ma vie Tropézienne : ma boite et ma famille se sont effondrées le

même jour.

Le Ground zero de mes 40 ans. La vie pouvait redémarrer ailleurs.

Mon aventure Presqu’ile à duré 3 ans et 9 mois. L’agence existe toujours.

J’y suis allé il y a 2 ans, lors d’une tournée dans le Golfe de Saint Tropez pour mes

affaires. A l’agence depuis 20 ans rien n’avait bougé. Je me suis rassis sur ma vieille

bonne chaise marron et les mains sur mon bureau me redonnaient le fluide de cette

époque comme si je les avais quittés la veille.

Fred a pris quelques rides et des cheveux blancs apparaissent sur sa tronche d’Alain

Delon.

Il bosse toujours avec le même matos et porte les mêmes fringues de plouc. Il vends

toujours ses menus et ses panneaux à la con, il est heureux et moi heureux pour lui.

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Let’s go on the braveheart, Alain Caron. Vous voyez Franck Dubosq ? son sosie. Un toulonnais qui

a roulé sa bosse. C’est Damus un pote blackos qui nous a présentés. Il

l’appelait «face de craie».

Alain a fait des études musicales au conservatoire, il jouait du hautbois autrefois et

voulait devenir chef d’orchestre. Cette formation de chef s’est révélée très efficace sur

les chantiers. Alain était un très bon superviseur et un bon déco de surcroit.

Au départ c’est sa femme qui était déco de renommée à Saint Tropez puis à Paris. Ils

organisaient avec beaucoup de professionnalisme des mariages, des Bar mitzvah avec

minutie et ils étaient soucieux du détail qui tue. Les tropéziens se les arrachaient.

Il l’a quittée et il est devenu son concurrent dans la foulée. Alain a commencé son ac

-

tivité modestement dans l’événementiel et voulait s’associer avec nous, mais Fred qui

avait 49,5% des parts de Presqu’ile à refusé. Dommage, pour Presqu’ile car la chance

était au tournant... Alain n’est resté que notre client et a gagné beaucoup d’argent

juste quelques semaines plus tard. J’aurais dû quitter Fred pour Alain, mais je n’ai pas

osé, c’était trop tôt.

Tout a commencé par une simple plaque plexi et des cartes de visite pour un cocktail

du Rodriguez Group. Puis pour ce même client il a organisé un autre cocktail puis

une soirée... etc. En quelques mois le responsable événementiel du Rodriguez Group

s’appelait Alain Caron.

Rodriguez Group était un armateur qui produisait des yachts aux noms de Mangus

-

ta, Léopard et Astondoa. Cette société était cotée en bourse et leader mondial du

yachting de luxe sur le marché des grands yachts.

Durant les 4 saisons où j’ai bossé en collaboration avec Alain nous organisions Les

rendez vous du Rodriguez Group, les Rdvrg.

On réservait tout le port de Saint Tropez le 14 juillet pour que Rodriguez Group in

-

vite 44 de ses plus gros clients qui remplissaient le port mythique avec leurs sublimes

bateaux de milliardaires. S’en suivait une grande fête prestigieuse sponsorisée par

Rolex avec présentation des nouvelles Mercedes et un dîner de gala sur la jetée avec

des peoples, des gonzesses supers belles etc... Imaginez la déco, l’organisation com

-

mencées plusieurs semaines en amont...

Il a dirigé l’installation des stands gigantesques de tous les salons nautiques de

Miami à Düsseldorf (et oui) en faisant passer un Yacht par le Rhin. Il était aussi le

responsable des gros événements sur le yacht du Rodriguez Group, sur un yacht à

3 ponts, le Braveheart comme l’anniversaire d’Elton John ou la fête de Bruce Willis

etc... Je n’étais qu’un simple collaborateur mais Je peux dire que j’ai vécu dans le Saint

Tropez des peoples comme on peut le lire dans les journaux à scandales.

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J’ai 2, 3 anecdotes rigolotes comme celle ou j’allumais des bougies sur les rambardes

du Braveheart et les tourlots «suceurs de glace» comme les appellent les tropéziens

m’ont pris pour je ne sais pas qui et m’ont bombardé de photos en disant :

- C’est qui ? C’est qui ? clic, clac, c’est qui ? clac et clic et reclac !

Ou les soirées chez Fuchs «le» bistrot tropézien. On y allait aussi pour acheter nos

cigares près du bar, boire la mauresque à l’apéro et goûter les seiches sautées à la

tomate.

En général nous finissions la nuit à siroter des Pimm’s, le coktail favori d’Alain : du

champagne avec de la menthe et du concombre. Au bout du 15 ème ça t’allumait le

cerveau et te sciait les jambes. Un de ces soirs avec des meufs et des pimm’s à proximité nous étions accoudés autour du piano à queue du Byblos en écoutant Tom Jones

lui même nous chanter «Sex bomb» rien que pour nous... Et la fois où nous nous

sommes retrouvés invités à une soirée dans une somptueuse villa en compagnie de

Sting qui improvisait au piano avec Obispo. Dingue, non ?

J’ai beaucoup de défauts mais grâce à Dio pas celui d’être jaloux, mais putain ! Associés, on aurait pu récupérer l’énorme budget d’édition et tous les imprimés du Rodriguez Group, un énorme budget qui a glissé sous le nez et à la barbe de Presqu’ile. J’en

ai voulu à Fred.

Quand Fred a réalisé qu’il avait fait une erreur c’était trop tard. Alain, pas con, ne

voulait plus s’associer avec qui que ce soit et sa vie s’est transformée comme par magie ! Il roulait en Porsche et quelques mois plus tard il quittait Saint Tropez pour se

rapprocher de Rodriguez Group à Cannes. Il a pris des thunes, grave. J’étais content

pour lui, d’autant qu’il nous faisait bosser. Mais au fond de moi, quand même, j’avais

la mort. Il s’est acheté une sublime villa avec piscine à Mougins, le village de Picasso.

Il y vit encore aujourd’hui. Retiré des affaires il a ouvert une petite boutique de parfum Grassois dans la rue piétonne au centre du village médiéval, entre pins, oliviers

et cyprès. Nous sommes restés potos, Je déjeune avec lui à chaque fois que je me

rends là-bas pour mes affaires.

Tiens, Cannes, parlons-en. Toute l’année les Yachts partaient et revenaient du Port

Canto au bout de la Croisette. Rodriguez Group avait loué un salon privé au Carlton

pour que leurs clients puissent se restaurer avant de repartir voguer dans les eaux

méditerranéennes.

Avec Alain j’ai repensé l’endroit du sol au plafond aux couleurs de Rodriguez Group

le résultat était très snob avec ces belles maquettes de bateaux... De fait nous pouvions en profiter pour bouffer gratis. Comme je récupérais les enfants un week-end

sur 2 et je les emmenais à Cannes pour meubler la journée. Au bout de 3 ou 4 fois ils

me disaient :

Papa, non ! pas le Carlton, on en a marre de bouffer du homard !

Le plus beau souvenir que j’ai partagé avec Alain reste le Grand prix de formule 1 à

Monaco. Encore une fois sur ce fameux Braveheart.

Moi :

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- Allo, Maman, allume la télé, regarde la course de formule 1 !

Maman :

- Je ne peux pas, ton père dort devant les variétés (à fond la caisse)

Moi :

- On s’en tape, zappe, je passe à la télé !

Alors maman allait sur Tf1. Les bolides de Michael Schumacher et de Jean Alesi

vrombissaient dans un boucan d’enfer et lorsqu’ils dépassaient le virage en épingle

qui conduit à la mer, ils empruntaient le tunnel qui mène à la chicane près du port.

Si on faisait bien gaffe, on voyait furtivement, les yachts amarrés avec plein de monde

dessus pour assister a la course.

Le Braveheart était parmi ceux la et donc moi aussi ...

Moi :

- Maman, regarde bien, je suis sur le gros bateau ! (genre, y’en avait au moins 50)

Maman :

- Ah, oui figlio mio (mon fils) Je t’ai vu !

Pour le grand prix du dimanche on était sur le Bravehearth depuis le mardi précédent. Nous organisions l’événement en même temps que les essais des F1 dans un

bruit à faire bander tous les passionnés de mécanique.

Sur les deux grands ponts extérieurs et sur le pont inférieur, Alexandre, le boss de

Rodriguez Group allait recevoir ses amis, ses clients durant 2 jours dans le luxe du

superyacht pour assister à la course entre blindés de thunes.

Toute la semaine l’équipage super dévoué, passait la journée à astiquer les parquets,

les chromes et les magnifiques cuivres, il y régnait une sensation de propre exclusif.

Je ne vous raconte pas les hôtesses suédoises méga super bonnes qui faisaient partie

du personnel.

Alain :

- Annika, fais visiter le bateau à mon Cassou !

Wahhhh, le bateau, la gonzesse... Putain, ces friqués ne se privent de rien.

De grandes fenêtres en verre entouraient le salon, éclairant l’espace avec une lumière

naturelle optimale tout en offrant une vue panoramique sur la mer. De grandes

portes coulissantes en verre donnaient accès à tous les ponts. Tout en haut un autre

espace permettait aux proprios de se détendre dans le jacuzzi. Et les cabines ! du

luxe débordant qui comprenait des suites avec des moquettes comme je n’en verrais

certainement plus tellement qu’elles étaient épaisses. Elles avaient toutes leurs salles

de bains attenantes en marbre, bref, c’était un palais flottant.

Pendant les essais du Grand prix de F1 la restauration du Braveheart était assurée par

des bateaux plus petits mais tout autant chicos. Ils nous ravitaillaient toute la journée

en poissons, homards à peine sortis de l’eau. Pour les autres grosses livraisons on se

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faisait livrer par camion mais avant 6 heures le matin car après ils fermaient le circuit

de Monaco aux véhicules.

Avec Alain on était déjà sur le pont depuis l’aube pour tout contrôler, tout pointer

etc.. Nous arrivions très tôt, le matin, il faisait encore nuit. Je n’oublierais jamais

l’impatience et l’enthousiasme qu’on éprouvait en arrivant à la principauté. Pour nous

rendre sur le Braveheart nous devions emprunter le circuit de légende, vide, mais

avec toutes les pubs, tous les stands rien que pour nous 2 agités comme des gamins

de 14 ans. Au volant de sa belle caisse on faisait 2, 3 fois le tour du tracé, pied au

plancher la même où les pilotes se lançeraient à plus de 300km/h quelques heures

plus tard.

Rien que du fun. Que de l’amitié partagée avec mon poto Alain dans ces moments si

terribles d’après divorce.

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En solitaire, C’est un film avec François Cluzet qui campe un navigateur au départ du

Vendée Globe, le tour du monde à la voile en solitaire. L’histoire raconte

que le mec, alors qu’il est en pleine course, découvre à son bord un jeune

clandestin qui va tout remettre en cause.

Son voilier s’appelle le Dcns, Dcns c’était l’usine de torpilles qui se situe sur la com

-

mune de Gassin, sur la route de Saint-Tropez au lieu-dit Bertaud, en face de mon

agence et donc de chez moi. Le logo Dcns que l’on voit durant tout le film est le mien,

c’est ma créa.

Grâce à ce logo j’ai sympathisé avec les vrais, les purs navigateurs du coin. A cette

époque je ne fréquentais que des gens de bateaux mais situés à des extrêmes opposés

: Alain et ses yachts luxueux, Pierre et ses voiliers équipés de son «ADSM».

ADSM comme

Appareil

De

Sauvetage en

Mer. Pierre l’a inventé et breveté, j’ai

dessiné l’appareil, conçu le pack, la notice et les annonces presse. Ainsi nous sommes

devenus amis. L’Adsm est un appareil destiné à la sécurité des skippers. Il est compo

-

sé de 2 éléments : d’un émetteur qui est en liaison avec un récepteur. Si cette liaison

est interrompue plus de 3 secondes le récepteur considère que la personne qui porte

l’émetteur est tombé à la mer. Alors, une alarme sonne et injecte un courant dans le

compas du voilier qui se met à tourner à proximité du point de chute du navigateur.

Trop bien.

Pierre avait un voilier blanc, magnifique. Nous faisions souvent des ballades et

il m’invitait tous les ans sur son bateau pour l’événement incontournable et sans

conteste le plus important de Saint Tropez : les Voiles en septembre.

C’était un rassemblement de voiliers modernes et de vieux gréements traditionnels

pour un spectacle unique. On naviguait au beau milieu de tout ça, l’ambiance était

très festive.

On se faisait des pâtes sur les plaques de cuisson qui se balançaient aux grès des

vagues. On picolait comme des marins dans la rue de la soif à Brest.

Enfin c’est ce qu’ils disaient, je ne connais pas cette rue, ni Brest d’ailleurs... Mais

Pierre m’expliquait que le premier rade de la rue était le plus haut perché et que les

autres bars se suivaient dans la descente... Et qu’il fallait tous se les faire.

J’ai même amené une copine une fois et crac-boumer sur le voilier, dans la petite ca

-

bine qui tangue de droite à gauche et après la rue de la soif qui monte puis descend...

Imaginez la suite.

Un jour, au bureau, alors qu’on se prenait la tète justement pour le pack de l’Adsm

avec toutes les contraintes techniques qui s’imposent : la forme de découpe, les

rainants, les coupants, les recouvrements automatiques etc... mon taf, quoi, ma valeur

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ajoutée, appréciée par mes clients et de Pierre ce jour là. Étienne, mon fils était pré

-

sent, c’était pendant la pause déjeuner. Son collège n’était pas loin et j’allais le chercher

le midi. Il était en pleine crise d’adolescence et je venais de quitter sa mère, sa sœur et

la maison. J’essayais de maintenir un rituel quotidien mais faut bien reconnaitre que

ce n’était pas la grosse osmose entre lui et moi...

Soudain, Pierre dans un élan de sympathie propose à Étienne le plan suivant :

Pierre :

- Étienne, je peux te faire entrer au port du Pilon.

Étienne :

- Ah, ouais c’est quoi ?

Pierre :

- C’est le mouillage des bateaux le plus apprécié dans la communauté des

navigateurs du golfe. On ne peut y accéder que par un portail gardé par des vigiles,

c’est privé. Les plaisanciers paient un abonnement, faut être pistonné pour y bosser.

Étienne :

- Et j’y ferai quoi ? C’est bien payé ?

Pierre :

- Non, Étienne c’est bénévole. On appelle ça des garçons de quai.

Quand les bateaux arrivent après une traversée, les skippers, crevés, ont toujours

besoin de quelqu’un à quai qui va leurs faire 2,3 courses et qui passe un coup de

jet d’eau sur le bateau. En retour ils filent la pièce.

Si t’es malin, très vite tu deviendras indispensable et crois moi c’est un job que les

enfants de marins s’arrachent, y’a des sous à prendre.

Étienne réfléchit quelques secondes puis sort tranquillement :

- Ah, ouais... mais non, je préfère écouter du rap dans les escaliers avec mes potes.

Pierre est resté sans voix. Il était même très gêné pour moi.

Étienne se tenait mal, il avait grossi et avait l’air très con. Que dire ? lui faire la morale

devant mon client ? où faire l’ancien combattant, en disant «moi de mon temps avec

monsieur Azoulay aux puces etc...» ? non, j’ai ravalé ma colère et nous avons conti

-

nué à bosser pour le pack comme si il ne s’était rien passé mais j’étais dépité au fond

de moi.

Lorsque le soir venu j’ai raconté cet échange à L’c que j’appelais quotidiennement

pour parler à ma fille, je lui ai demandé de résonner Étienne des fois qu’elle arriverait

à le convaincre et finalement d’accepter le job. Au lieu de ça elle m’a répondu :

- Il veut pas, tu ne vas pas le forcer quand même !?

Quand j’y repense je me dis que de demander à la reine des feignasses de trouver des

arguments pour que son rejeton aille bosser, fallait pas être bien malin...

Décidément ils ne changeront jamais leur maxime : Gravos un jour gravos toujours.

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Paris ! C’était l’été de trop, ces 21 mois de traversée du désert affectif m’avait rendu

tellement déprimé que je pensais même au pire, je dois bien l’avouer.

Je suis monté à Paris quelques jours en cette fin de canicule 2003. J’avais

besoin de me retrouver en famille, d’être choyé auprès de papa maman.

Régulièrement, des chasseurs de têtes me contactaient pour un poste ou une mission,

c’est courant dans les métiers des Arts graphiques, ça arrive encore aujourd’hui, pas

toutes les semaines mais presque. J’ai accepté une mission de quelques jours dans un

studio histoire de me changer les idées, prendre le tromé* c’était rigolo.

A la fin des 3 jours de mise en page, le responsable m’a demandé si ça m’intéresse

-

rait de revenir le mois suivant et j’ai accepté sans trop de conviction mais j’ai quand

même laissé mon press-book chez papa-maman au cas où...

De retour à Gassin, j’ai fait part à Manon de mon éventuel départ. Malgré ses 7ans

j’ai tenté de trouver les mots pour quelle comprenne mon désarroi face à ce dilemme

impossible :

Rester à Gassin, chez les ploucs, à me morfondre au péril de ma vie mais en restant

prés d’elle ou sortir la tête de ce marasme, retrouver un sens à ma vie, chez moi à Paris.

Oui ça faisait prés de 20 ans que j’avais quitté ma ville et nulle part ailleurs je ne me

suis senti autant chez moi, aujourd’hui encore mon adresse pro est domiciliée chez

nous dans le XVème. Avec Fanychou nous avons gardé notre petit appart, Je serais

toujours un Parisien.

Moi :

- Manon, mon cœur soleil, réfléchis bien mais si tu ne veux pas je resterai près de toi.

Manon :

- Ok, papa, vas-y, je serais trop contente de venir à Paris pendant les vacances.

Ma décision fut prise ainsi : après le divorce je revendrai mes parts et je me casserai

de ce Saint Tropez que j’ai détesté. Je passe la scène des adieux avec mes enfants, à

quoi bon faire dans le cruel et le pathos.

Un matin avant de partir pour Paris, je me suis acheté 1 jean’s, 2 pulls, chaussettes

et slips, une paire de basket et j’ai jeté toutes mes fringues, oui, toutes à la benne.

Comme les écailles du serpent qui doit changer son enveloppe d’écailles trop petites.

Il fallait que je retrouve une peau toute neuve. Et je suis parti ainsi avec ma gratte et

mon mac dans ma petite Corsa rouge.

Comme tout le monde, moi plus encore avec mes 35000 kms par an, j’ai avalé des

kilomètres dans ma vie, mais c’est drôle, je me souviens particulièrement de ce retour

comme si je l’avais fait hier.

*Métro en verlan

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Je pleure en écrivant ces lignes, ma Fanychou me console.

Je ressens beaucoup de peine quand je repense à cette fuite en avant, ce n’est pas

encore cicatrisé.

La nostalgie me pèse quand mes souvenirs me font passer par là. Si heureuse que

fut la fin, elle me ramène toujours, à mon triste départ. La Manon d’aujourd’hui n’est

plus la petite fille que j’ai laissé ce matin de septembre 2003. La loi du manque est

rude pour celui qui s’est trompé de chemin. Manon m’a beaucoup manqué.

Clean, j’ai tout payé avant de partir: l’avocat, l’urssaf, le compta, les salaires, les fournisseurs, ma petite voiture rouge, bref, tout ça pour dire que je suis remonté à Paris

pratiquement sans une thune... Sans droits au chomdu, évidement.

J’ai retrouvé mes parents et je me suis blotti contre eux comme un poussin égaré qui

avait retrouvé la douce chaleur de sa maman poule et de son papa coq. Ça m’a fait

beaucoup de bien.

Le quartier de Guy Moquet et en particulier la rue Firmin Gémier ne sont pas les plus

beaux endroits de Paris mais c’est là et nulle part ailleurs que je me sentais protégé.

Changement de vie et changement de profession aussi. Je ne voulais plus rester toute

la journée derrière un écran. Autant remettre mon costume de Jo-le-contact définitivement en postulant à des postes de commercial dans l’imprimerie. Je devais absolument me refaire la cerise et quoi de mieux qu’un commercial qui a faim ?

Sans fichier clients, sans carnet d’adresses j’ai répondu aux offres d’emploi à l’arrache.

Bingo !

J’ai trouvé un job moins de 10 jours après mon arrivée dans la capitale.

J’ai ravalé ma fierté d’ex-chef d’entreprise pour devenir représentant de base en imprimerie de banlieue. A l’essai 3 mois pour faire mes preuves, m’ont-ils dit, j’allais de

suite savoir si ce taf ingrat me siérait.

Éléonore ma sœur m’a payé un costard à Barbés et m’a présenté ses collègues

acheteurs de l’alstom. L’usine de mes parents allait fermer ses portes définitivement

quelques mois plus tard.

C’était déchirant de traverser «la maison du bon dieu» vide, comme l’appelait mon

père. Avec la profondeur de champs pour me rendre compte de l’immensité des lieux,

de ces hangars que j’avais connu si peuplés et qui faisaient partie dorénavant d’un

temps révolu... Je pense être le dernier fournisseur de l’Alstom à avoir imprimé les

quelques dernières cartes et carnets de bord qui leurs manquaient avant l’arrivée des

bulldozers. Grâce à ce coup de pouce in-extremis, à 3 mois prés c’était mort, puis en

faisant du tape-tape aux portes des ateliers du sentier, j’ai sauvé ma tète et grâce à ce

petit chiffre, j’ai signé un Cdi. Merci Lolo.

Pour me faire un peu de place mes anges gardiens qu’étaient Papa et maman ont

refait chambre commune pour me laisser la chambre du fond. Ils m’ont installé une

table pour poser mon mac et vidé un pan de l’armoire pour mettre mes quelques

fringues et mon costard que maman brossait tous les soirs.

Très vite j’ai rencontré Claire, une beauté brune aux cheveux longs. Elle trouvait tou

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jours un instant pour se remaquiller sans que je la vois, comme un jeu, ne n’ai jamais

réussi à la choper se repoudrer sur le vif.. J’aimais beaucoup cette gonzesse.

Un matin je me suis levé plié en 2 avec un mal de bide incroyable. Maman m’a soigné

comme elle a pu à coups d’infusions et de massages mais le soir venu, oublié le mal

de bide, j’ai retrouvé Claire. De retour au petit matin, la douleur était devenue insupportable mais papa n’en avait que faire de mon agonie, il ne me croyait pas.

Papa :

- Quoi ? arrête ton cinéma, tu fais le joli cœur la nuit et au petit matin «maman

Papa soignez moi» ! ... Cougetti (sa façon d’appeler ma mère), ne l’écoute pas.

Les heures suivantes c’est aux urgences de l’hôpital que je les ai passées, ils m’ont opéré dans la nuit, je ne faisais pas le malin ni le joli cœur au cinéma, croyez- moi.

J’ai fait une pyélonéphrite obstructive super grave. C’est-à-dire qu’un obstacle comme

un calcul s’est formé dans les voies urinaires. Il a provoqué l’infection du rein. Ça a

nécessité un drainage des urines et la pose d’une sonde... Par les voies naturelles.

Papa emmerdé le lendemain, (il s’était fait engueuler par maman) :

- Lui aussi !! malade, il découche pour faire l’opéra dei Pupi* moiche j’comprends pas...

Je téléphonais à Manon tous les jours et bien-sûr elle a rapporté les événements à sa

mère qui s’est empressée d’appeler l’hôpital pour prendre de mes nouvelles, je ne sais

plus pourquoi mais les infirmières et le médecin son entrés à ce moment là, subitement, dans ma chambre pour m’avertir :

- Monsieur Casubolo, votre femme est au téléphone.

Sauf que Claire était couchée sur moi et juste les draps nous séparaient. Poufs et

éclats de rires général, même le médecin se marrait... L’infirmière :

- Bon, bin je lui dis que tout va bien alors ? Rires...

Pas de convalescence, je suis retourné en prospection immédiatement après une

semaine d’hosto. J’avais cruellement besoin d’oseille pour payer les pensions alimentaires et la venue des enfants dont c’était les premières vacances Parisiennes. Étienne

a exigé de faire le voyage en avion, fidèle à son habitude, il profitait de ma faiblesse et

de ma culpabilité de les avoir laissés dans le sud pour me dévorer comme une hyène.

Je les ai rhabillés et chaussés de Nike et autres New-Balance qui coûtaient un œil à

chaque fois qu’ils sont venus.

Étienne et Manon passaient un temps fou seuls dans la chambre du fond pour rapporter en chuchotant les moindres détails de leur séjour parisien à L’c... Le soir venu,

Étienne me demandait d’aller au ciné et si je refusais il se couchait tout habillé sans

même se laver...

* Le théâtre de marionnettes dit « Opera dei Pupi » est né au début du dix-neuvième siècle en

Sicile où il a rencontré un vif succès auprès des classes populaires. Les marionnettistes racontaient

des histoires inspirées de la littérature chevaleresque du Moyen Âge.

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Les gravos s’étaient mis en tète que Paris était un véritable coupe gorge, du coup, ils

ne sortaient jamais seuls. J’allais travailler et ils passaient toute la journée à zapper

sur le zap de la sacro sainte télé de Papa furax... Quand nous sortions dans Paris ils

marchaient devant et je les suivais la carte bleue bouillante en main et le moral en

berne.

Pour eux, venir dans ma famille n’était qu’un déplacement monétaire lucratif et

très spéculatif. Papa-maman, Antoine, mes sœurs et même mon oncle François leurs

filaient des billets. Une fois récompensés, ils n’avaient qu’une idée en tête : qui serait

le suivant à banquer. Au premier Noël parisien, Manon à oublié 30 euros sur la table

de nuit en partant, l’occaz était trop belle pour Étienne ! Lorsque Manon s’en ai rendu

compte une fois arrivée chez les gravos, à Cavalaire. Il m’a immédiatement téléphoné

pour me dire :

- Papa renvoi immédiatement les 200€ que Manon a laissé dans la chambre.

Et oui, c’était toujours comme ça avec Étienne. Il n’y a jamais eu d’échanges normaux

comme le font les papas et leur fils. Étienne était obsédé par l’argent qu’il pouvait me

soutirer. C’était vraiment très chiant. Puis le bouquet final : ils reprenaient le train

(fini l’avion), les poches pleines de billets, les valises pleines de fringues de marque

et les sacs remplis de gâteaux et de pizzas que papa-maman avaient fait pour eux

la veille. Ils montaient dans le train sans même me dire au revoir puis ensuite sans

même me dire qu’ils étaient bien arrivés chez leur mère. Je restais seul sur le quai en

larmes. Quand je leur disais au tel qu’ils auraient pu me saluer, ils me répondaient :

- Ah ouais, on t’a zappé !

Bon, alors ok je suis un mauvais père. J’étais en pleine reconstruction, j’ai lâché

prise je l’avoue. Nous étions ma famille moi et devenus, pour eux, des étrangers à

pomper point à la ligne. En deux ans de vie sans leur papa à la maison, ils s’étaient

inéluctablement Gravossés et n’avaient plus rien en commun avec moi. Ils avaient

définitivement choisi leur camp, il n’y avait plus rien à faire, les années suivantes le

confirmeront.

Fini les expos, fini les chansons de Georges Brassens, fini la culture de papa.

Fini nos origines, notre histoire sicilienne à transmettre un jour à leurs enfants.

Aveuglés par la facilité idiote des gravos, ils avaient choisi le «m’as tu vu sans le mériter» puisqu’ils basaient tout sur l’apparence sans neurones actifs dans la tronche, ils

ne foutaient plus rien à l’école, comme leur mère et comme les gravos.

Leur hygiène limite me dégoûtait et ils étaient devenus obèses.

Un jour qu’ils étaient chez moi à Paris, en rentrant du travail Étienne me dit qu’ils

pensaient à moi, qu’il y avait un plateau de sushis qui m’attendait dans la cuisine. Je

jure que c’est vrai, le plateau n’était que les restes de leur repas du midi. Ils n’avaient

même pas pris la peine de jeter les bâtonnets des brochettes et les os des côtelettes.

Dégouttant.

Je n’ai jamais eu le plaisir «d’un joyeux noël», ou «d’un joyeux anniversaire papa».

Jamais. Enfin si, une fois à mon anniversaire en compagnie de mes parents, de vivi,

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Antoinou et leurs enfants, Étienne et Manon m’ont offert un stylo-plume Mont Blanc.

C’était un faux (bon pas grave) mais usagé et fuyant. A peine ouvert l’encre s’est propagée sur mes mains sur la table. Ma famille était gênée et décontenancée, je lisais la

pitié qu’ils éprouvaient pour moi dans leurs yeux.

Comme avec Pierre, mon client d’Adsm j’ai ravalée ma colère pour ne rien laisser

transparaître. Et bin, voyez-vous, j’en ai eu marre de tout ça.

Bon, je passe sur les épisodes d’une seconde confrontation au tribunal pour m’ôter

mes droits parentaux et pour réévaluer les pensions alimentaires, car forcement L’c

ne bossait plus. Et à quoi bon raconter la fois ou L’c a chopé une ancienne carte de

crédit, a imité ma signature pour faire des crédits dans mon dos sans les rembourser

évidement. Les huissiers se sont présentés chez mes parents... pour réclamer plusieurs milliers d’euros. J’ai évité la saisie de justesse grâce à Antoine devenu avocat.

Ce n’est que matériel. Mais Je n’ai jamais oublié un paiement. Je payais les pensions

par virement. Ils ont souvent insisté pour que je le fasse en liquide. L’c me menaçait

souvent de porter plainte, elle était si endettée qu’elle ne voyait pas les sommes arriver sur son compte.

Je remuais ciel et terre pour faire un bon salaire de commercial et lorsque tout était

payé il ne me restait pas grand chose. Fallait casquer avec la menace d’une énième

plainte si l’argent n’était pas versé dans les délais... Un jour Manon a eu 18 ans.

Moi :

- Manon, à partir de maintenant si tu veux que je continue de payer la pension

alimentaire tous les mois, je veux recevoir de toi une lettre manuscrite qui raconte

ton quotidien. En retour je t’enverrais l’argent.

Je n’ai jamais reçu de réponse et encore moins de courrier. J’ai arrêté les virements.

Et pour Étienne ? bin, lui c’est pire. Il vivait en couple avec une meuf, il bossait

comme magasinier je crois et réclamais la pension avec véhémence...

Pour finir avec ce passage glauque. Un jour Étienne a téléphoné à mes parents, il

proposait de venir leur rendre visite avec mes petits enfants que je ne connais pas à

une seule condition ; que je ne sois pas là.

Maman :

- Quoi ? mais ton père est chez lui ici. Il a toujours payé les pensions que je sache ?

Étienne :

- Oui, mais c’était presque rien. On a souffert sans lui, il nous a abandonné tu sais...

J’ai toujours reconnu mes torts, eux, en revanche, n’ont jamais fait leur méa culpa.

Moi le monstre, insouciant et radin, eux, les brebis affamées abandonnées au soleilsur le bord de mer...

Hier, Vivi ma sœur a lu ce passage et me disait :

- Mais tu n’as pas raconté la fois où et la fois quand... etc

Moi :

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- Vivi, à quoi bon, tu sais, je pourrais écrire tout un bouquin sur les misères que

mont fait subir les gravos, ouvre tes yeux, regarde ce qu’il en reste...

Client pour le prochain naufrage,

Un sac de pierres autour des reins,

Mes cris de rage aux pattes des chiens.

À ces archanges tenus en laisse,

Gavés de coups et de caresses

Par d’honorables gravos assassins,

Je fais le don de ma clémence

Dans ma vie Parisienne qui a duré 14 ans, mes enfants ont dû venir une dizaine de

fois. Ça s’est toujours mal passé.

A Paris en arrivant je suis resté 8 mois chez papa-maman le temps de me retourner et

gagner un peu de sous pour me louer un appart. J’ai vécu tour à tour :

- 1 an rue Richelieu tout prés de la bibliothèque nationale dans le 2 ème

- 5 ans rue Lamarck au pied de la butte Montmarte

- 5 ans Rue Pajol dans le 18 ème qui craint

- et 3 ans avec ma Fanychou rue sainte félicité dans le 15 ème arrondissement

En tout presque 14 ans prés de mes parents.

Merci mon dieu. J’ai pu profiter d’eux et eux de moi.

Maman bénissait le divorce. Grâce à celui-ci elle avait retrouvé ces 2 fils.

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Tome 3

LES ANNÉES HEUREUSES

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Dofri, Commercial c’est un super métier quand on fait du chiffre. Mais faut être sur

le qui vive. Il n’y a qu’un interdit, celui de piquer un client à un autre com

-

mercial sous peine de guerre ouverte. Sinon tous les coups sont permis.

Moi en soirée :

- Ah super, tu bosses dans cette banque, tu peux pas me brancher au service achats ?..

La personne en face :

- Ah bin, oui, je connais la fille qui, etc..

Ou alors, moi :

- Elle bosse où ta femme ? ils impriment dans sa boite? etc..

Il y a deux sorte de commerciaux : Les chasseurs et les éleveurs. L’un ne va pas sans

l’autre. Ces deux profils constituent l’essence même de la fibre commerciale : l’empa

-

thie et la pulsion.

Les vaillants chasseurs débusquent de nouveaux prospects et signent les contrats

qui seront ensuite transférés aux braves éleveurs chargés d’en assurer la gestion et le

développement.

Évidement j’étais chasseur. Mon principal objectif était de faire du chiffre. Je maîtri

-

sais les logiciels de graphisme sur le bout des doigts et donc pas besoin de retrans

-

mettre le brief* aux graphistes et maquettistes, j’assurais la créa.

Fallait convaincre des prospects qui n’avaient rien demandé. Trouver les décideurs et

tenter de gagner rapidement leur confiance. J’étais capable de revenir par la fenêtre si

on me faisait sortir par la porte ! J’aimais faire des «coups de fusil».

Mon mode de rémunération était sans fixe mais avec des commissions élevées. Je

bossais avec plusieurs boites en même temps, en fonction de leurs équipements : une

2 couls pour les travaux à façon, jusqu’à la 10 couls voire les énormes rotatives pour

les énormes volumes de prospectus promotionnels ou des affiches en grande quantité

pour les élections par exemple.

Voyez le mec qui fait tourner toutes les assiettes sur des bambous au spectacle ?

C’était moi au quotidien distribuant des assiettes de taf en fonction de la hauteur des

battons machines.

Je bossais souvent en binôme avec une commerciale éleveuse.

Elle devait installer la confiance et la rigueur auprès de nos clients pour les fidéliser

* Un brief créatif est un document qu’on fournit au graphiste ou au maquettiste avec toutes les

informations essentielles pour réaliser les documents du client.

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dans une perspective à long terme. Ça nous permettait d’identifier les besoins à venir

et ainsi empêcher le client d’aller voir ailleurs. La force de vente et la fidélisation.

Comme je le racontais plus haut j’ai commencé grâce au coup de pouce de Lolo à

l’alstom, puis j’ai bien bossé avec les grossistes du sentier. Au fil des mois, des années

je me suis fais un joli fichier client : Triumph, American Express, Louis Vuitton pour

les plus connus et plein de petits clients tout autant essentiels.

Dés que j’ai gagné un peu de sous, j’ai investi dans la panoplie du parfait commercial.

Jolie voiture métallisée, toutes options, costumes, cravates impeccables et souliers

de luxe. Maman me faisait des ourlets avec revers et repassait mes chemises comme

personne. Une fois j’ai ramené un costard qui ne me plaisait plus, porté pourtant, au

magasin. Le mec à regardé les finitions de maman et me l’a échangé de suite. Maman

avait des mains en or.

Pas besoin d’être tout le temps au bureau et sur le terrain : 90% des échanges se

faisaient au téléphone. Je partais bosser le matin, sapé comme un prince à 8h00 et

il m’arrivait de revenir prendre un café à 10h00 chez papa-maman. Papa qui avait

toujours trimé dur en bleu de travail à l’usine ne comprenait pas :

- Ma qual è questo lavoro ? in giacca e cravatta fai Michelasso ?..

Mais c’est quoi ce travail ? en costume cravate tu fais le proxo ?

Moi :

- Quoi ? attend, un client m’appelle, je pars salut.

Papa en regardant Maman :

- Vedi tuo figlio ? è pazzo.

Tu vois ton fils ? il est fou.

Bon, il y avait aussi le revers de la médaille.

Les directeurs commerciaux et leurs putains d’objectifs. Primes à la clé.

Peu importe la façon d’y parvenir mais je devais ramener 10 000 €uros toutes les semaines à la boite pour atteindre mes objectifs de 500 000 €uros par an. Si j’atteignais

l’objectif fixé, l’année suivante je devais faire 650 000 et ainsi de suite.

Moi le vendredi soir :

- Tony (le Dc) cette semaine je n’ai fait que 7500.

Tony très sûr de lui :

- Pas grave, Casu, la semaine prochaine faudra faire 12 500.

C’est ainsi que je suis devenu formaté. Comme un véritable chasseur, très vite j’ai

acquis toutes les aptitudes nécessaires pour être à la recherche incessante du gibier.

La gueule tout sourire, jamais en retard, j’étais quelqu’un d’extrêmement sympathique

toujours à l’écoute des bruits des marchés à prendre. J’avais aussi trouvé les meilleures

relations évidentes pour m’informer : les secrétaires de direction et les standardistes

avec qui j’étais un véritable sucre, une douceur qui remplissait de miel leurs bureaux,

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un appât redoutable. J’explosais les notes de frais en resto, en fleurs et à noël tout ce

petit monde recevait un petit cadeau attentionné.

La difficulté était de rester à la limite entre le fournisseur et le copain. Jamais, il y a eu

une de boumeries craquantes, j’évitais les emmerdes et prendre le risque de perdre un

client, donc son chiffre de mon chiffre, chiffre, chiffre, putain de chiffre.

Je bossais, entre autres, avec une agence de comm rue de Ponthieu dans le 8 ème

juste derrière les champs Elysées. Nous avions le budget d’édition imprimée du

Medef. La poule aux œufs d’or puisque c’est le syndicat des patrons. Parallèlement,

je bossais beaucoup avec la Cgt mais j’en reparlerais plus tard. Faire le grand écart

quand t’es commercial c’est banal, le seul client avec qui j’ai toujours refusé de bosser

c’est le Front National.

Bref, Lors d’une réunion au Medef nous avions rencontré des patrons algériens qui

auraient bien aimé bosser avec nous, d’autant que les marchés sont extrêmement

juteux là bas. La seule condition pour faire du business avec l’Algérie c’est qu’il fallait

être implanté au bled.

Ni une, ni deux avec Dominique Levy, le boss de Sodirp (Société de Diffusion &

Relation de Presse) nous avons trouvé un potentiel futur associé Algérien qui aurait,

comme la loi l’exige, 51% des parts de la société et nous nous sommes lancés têtes

baissées, tels 2 béliers dans l’aventure Sodirp Algérie.

Bon, déjà au consulat dans le 19 ème pour obtenir les visas, Dominique Levy feuj* et

Jean-Claude Casubolo métèque ça ne faisait pas très halal...

Arrivés à Alger, putain, nous étions d’accord avec Dominique pour reconnaitre que

le feeling n’était pas super. Rien que de voir tous ces militaires armés de mitraillettes

tout le long du trajet de l’aéroport à l’hôtel Saint-Georges c’était flippant.

L’hôtel 4 étoiles Saint-Georges n’en vaudrait qu’une et demie ici... Pourtant c’était

un des plus importants d’Alger. L’ancien palais du bey construit en 1514, autrefois le

quartier général du général Eisenhower et de Winston Churchill, pendant la guerre.

Même Jean-Paul Sartre accompagné de Simone de Beauvoir y séjournèrent...

Il y régnait une sale ambiance, y’avait des sas de sécurité partout et plein de flics qui

se la jouaient maladroitement faux clients en civil. On se serait cru dans «Oss 117, Le

Caire nid d’espions».

Le premier jour nous avons visité Alger la blanche et à l’hôtel nous avons enchaîné

les 2 ou 3 rdv nécessaires pour monter notre projet. Assia, une Algérienne faisait le

guide et l’interprète et je me demande si elle n’était pas keuf aussi...

Le lendemain, un déjeuner d’affaire en bord de mer était organisé. Les lampions de

la plage étaient défoncés, les maisons à moitié construites et le resto ressemblait à un

sous sol rempli d’hommes. A table Assia et Dominique Levy y étaient très à l’aise,

tout content même.

Poisson frais au menu. A la fin du plat le serveur se pointe commence à débarrasser

et demande si nous souhaitions un dessert,

* Feuj : juif en verlan

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Moi :

- Oui, qui y a-t-il comme desserts ?

Le serveur avec un fort accent algérois :

- Crame broulée, tarteu ou poume et dofri

Moi :

- Dofri ? c’est quoi ?

Le visage tendu, le serveur visiblement contrarié :

- Dofri, dofri : poume, orounges, banénes...

Moi, amusé de ce quiproquo linguistique j’éclate de rire :

- Ah, des fruits ! C’est ça ? ah ah ah !

Vexé les yeux du serveur, des hommes attablés, d’Assia, de Dominique et même du

chauffeur de taxi me mataient tous avec rage. En l’espace de 5 secondes un silence

inquiétant c’était installé. Visiblement ils n’avaient pas du tout apprécié mon humour,

d’un coup, je me suis senti dangereusement observé, s’en est suivi une avalanche

de critiques et remontrances virulentes d’Assia et de Dominique à propos de mon

attitude :

Assia, Dominique :

- Tu lui a manqué de respect, il est chez lui, pas toi etc...

Moi désabusé :

- Quoi, vous êtes sérieux là ?

Je n’ai fait que rire spontanément ! Et puis, vous savez quoi ? allez vous faire foutre

je n’ai manqué de respect à personne.

Je me renfermais et décidais de faire la gueule (ma spécialité) : j’étais prêt à faire du

boudin pendant des plombes car je considérais que je n’avais rien fait d’irrespectueux...

Les algériens présents n’avaient pas le même humour que moi manifestement. La tension montait comme un bourdonnement, on paie, on se casse vite. Très vite même.

Dans le taxi sur le chemin du retour un silence glacial prédominait. Putain ! Dominique n’avait pas bougé le petit doigt, il n’a même pas essayé de trouver une excuse

pour apaiser tout ce petit monde ne serait-ce par solidarité «française». J’ai vécu un

grand moment de solitude. Pourtant, à Paris, nous partagions le même humour et

il aimait bien déconner à longueur de temps, mais pas cette fois et j’avais une dent

contre lui.

Arrivés au Saint-Georges nous nous somme installés sur la terrasse pour le débriefing de la journée. Vu que je faisais la gueule la réunion s’est vite terminée.

Ayant fini son boulot, Assia, prit congé en nous souhaitant une bonne soirée et nous

donna rendez-vous pour le lendemain matin. Puis elle s’éloigna, traversa le hall de

la réception et les sas de sécurité. Depuis le salon on voyait l’extérieur et on là vue

prendre un taxi. Dominique, cet enfoiré, a guetté le départ d’Assia en suivant très

précisément le parcours des yeux jusqu’au moment où il était sûr et certain qu’elle ne

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reviendrait plus avant le lendemain... Une fois libéré d’Assia, il se retourne vers moi

hilare et les yeux remplis de larmes de joie !

Dominique radieux et pris d’un fou-rire :

- Dofri ! dofri, Casu ! comment tu m’as fait rire ! Oh, sur ma vie, je te jure que

je ne sais pas comment j’ai fait pour me retenir, Casu ! la putain de toi !

Dofri, dofri ! il pleurait... de rires.

Aujourd’hui, on en rigole lorsque nous nous revoyons, mais j’ai trouvé l’attitude

Dominique lamentable, fourbe et fallacieuse : imaginez que les choses s’enveniment,

qu’aurais je fait ? A partir de cet instant, je savais que je ne collaborerais plus jamais

avec ce mec dans le futur.

Quelques heures plus tard, ça s’est encore mal passé, mais au saint-Georges hôtel,

cette fois. En remontant dans ma chambre un papier était glissé sous ma porte, il

était noté : Rendez vous immédiatement à la réception. Je descends et vois Dominique avec le même billet entre ses mains.

Nous, en présentant cette note au réceptionniste :

- Que ce passe-t-il ?

Le réceptionniste :

- Faites vos valises, pour partir demain matin.

Nous :

- Non, y’a erreur, nous avons réservé pour 5 nuits.

Le réceptionniste :

- Bin, non et il n’y aura pas d’autres hôtels à Alger qui vous accueilleront...

C’est parce qu’il y a un colloque africain dans 3 semaines, j’ai ordre de vous faire

partir.

Nous sur le cul :

- C’est une plaisanterie !

Et bien non, le lendemain nous sommes allés chez Air France escortés par 2 flics.

On a repayé les billets et repris l’avion.

Pourquoi ? j’en ai aucune idée, mais entre le moment où nous avons franchi les portes

de l’aéroport et celui où nous nous sommes assis sur nos sièges, nous avons été fouillés de la tête aux pieds une bonne dizaine de fois.

La dernière fouille dans un autocar à même le tarmac devant l’avion. A la fin de la

fouille chacun des passagers devait prendre «sa» valise, la poser dans un chariot puis

contrôlée par 2 militaires armés jusqu’aux dents avant quelle soit amenée dans la

soute... Enfin, les escaliers d’embarquement étaient ornés d’un militaire pas content

toutes les 3 marches... Ambiance.

J’ai souvent raconté cette histoire à diverses personnes algériennes quand l’occaz s’est

présentée. Même Rym Ben Bella qui fut un temps ma belle-sœur et la petite fille

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d’Ahmed Ben Bella la figure marquante de la guerre d’indépendance et le premier

président de la République algérienne, n’ont jamais compris pourquoi on nous a viré

ainsi.

Mon job de commercial parisien s’est poursuivi jusqu’en 2012.

Periph embouteillé traversé plusieurs fois par jour en scooter sous la pluie ou dans la

grisaille parisienne, porte feuille clients toujours a surveiller comme le lait sur le feu,

objectifs à la hausse, chiffre à réaliser coûte que coûte, litiges à résoudre et lassitude.

Le job ne m’intéressait plus. Pressé comme un citron, un jour, j’ai donné ma dém.

Le directeur commercial :

- Mais Casu, tu ne peux pas faire ça ! et ton porte-feuille ?

Moi :

- Non, c’est bon j’en ai ma claque, je veux faire autre chose.

Autre chose, autre vie. Mais quoi ?

Mon sprint parisien pour m’en sortir avait atteint ses limites, je m’essoufflais.

A 50 ans, j’étais désemparé. Le divorce, les enfants et mon histoire avec Sylvie qui se

terminait. J’ai voulu m’investir dans le monde associatif et j’ai trouvé une association

dans le XVIII ème pour donner des cours de Photoshop, d’Illustrator à des Sdf, des

junkies des cloches ou à des gens du quartier qui recherchaient désespérément des

issues pour survivre.

J‘ai tenu 4 mois. Je ne pouvais pas bosser avec le malheur des autres. Je rentrais le soir

déprimé. Quel mérite ont tous ces gens qui bossent dans le social pour aider leurs

prochains dans la panade ! et dans le 18ème y’en a... Croyez moi !

Un jour Maman à pris un rdv pour moi chez le psychiatre du centre de santé. Elle m’a

persuadé d’y aller, certaine que ça me ferait du bien.

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Situation compliquée

avec mon psy J

’ai commencé cette thérapie comme une situation hors norme en y allant

presque en touriste car je n’avais pas fait la démarche de prendre le rdv. J’ai

d’abord imaginé à quelle sauce il allait me snober, j’avais déjà consulté une psy

-

chiatre une fois, trouvé dans l’annuaire mais le courant n’était pas passé.

C’était une bourge confortablement installée dans son immeuble de bourge et je

n’avais aucune envie de lui parler ou alors juste pour arriver à la ken.

Dès la première fois, avec ce psy, en revanche, je me suis senti apaisé. J’avais la sensa

-

tion de poser mes valises, un vrai soulagement.

Je parlais à une personne neutre et bienveillante, dans un espace où il est sans danger

de se montrer vulnérable. Une fois le masque du commercial enlevé, Jo-Le-Contact

s’est livré. Quand on s’adresse à un autre que soi, on est obligé de mettre un peu

d’ordre dans sa tête et les questions du psy m’aidaient beaucoup en ce sens.

C’était un mec d’une soixantaine d’années d’origine libanaise je crois, très froid, il

refusait les familiarités, pourtant je lui confiais mon âme.

Moi :

- Salut doc, ça va ?

Le psy :

- Ne me demandez pas ça, je ne suis pas votre ami.

Moi :

- Ok, mais je vous vois toutes les semaines, et quand je vois régulièrement un mec

pour parler de moi, je le salue et «ça va» c’est la formule qui va avec. Pas vous ?

Le psy :

- ...

Moi :

- Déjà que je ne comprends pas ce que vous faites là assis à m’écouter.

On dirait que vous attendez le bus. C’est quoi votre taf ? ça consiste en quoi ?

on va où ?

Le psy :

- ...

Petit à petit on s’est apprivoisés et la confiance s’est installée. Il refusait toujours la

convivialité mais il me demandait de l’aide pour dépanner son mac par exemple. Je

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lui ai même prêté un bouquin «Life» de Keith Richards. Était-ce une technique pour

me mettre en confiance ?

Car, oui, j’avais confiance en lui et j’ai enfin déballé mon sac à problèmes... J’ai

accepté le divorce avec mes enfants. Soulagé d’un poids J’ai compris que Je l’avais

vécu comme un accident très grave sauf que les blessures étaient invisibles... Je me

rappelle que lorsque j’arrivais dans son cabinet, automatiquement il sortait une boite

de kleenex qu’il posait sur son bureau et je pleurais toute la séance. Il a considérablement atténué la grande culpabilité que j’éprouvais envers Étienne et Manon. Il m’a

aussi convaincu d’assister au baptême de mon petit fils Matéo mais ça s’est mal passé

comme je l’ai déjà écrit dans le chapitre 27 - Étienne :

Je suis arrivé seul à l’église, comme un intrus, personne ne m’a salué pas même ma fille.

Après la cérémonie je suis reparti seul et abandonné sans même avoir bu ne serait-ce

qu’une goutte de quelque chose avec mon fils, sa femme et mon petit fils.

En rentrant le soir seul chez moi à Paris, je m’étais juré de ne plus jamais les revoir car

je me sentais humilié et abandonné dans mon amour propre, oui abandonné je l’étais

depuis longtemps mais le coup du baptême m’était resté en travers de la gorge...

Parfois à la suite d’une séance, je sortais moins anxieux, des fois, en revanche, j’étais

plus en colère ou plus abattu qu’avant la consultation. Il avait le truc pour me faire

sortir de mes gonds. Nous nous engueulions souvent et je me barrais en claquant la

porte. Je n’y allais plus pendant une semaine ou deux... Il voulait que je paie quand

même les séances et je pensais qu’il avait un problème avec l’argent. Antoine me

disait que c’était normal, ça faisait parti du truc, de la thérapie.

A la fin d’une des toutes premières séance le psy m’a donné un traitement anti-dépresseur. Sur le moment, je l’ai vécu comme un affreux échec. Mais 3 semaines après,

en plus d’avoir retrouvé le sommeil, il s’est produit un truc dingue : le nuage épais qui

planait dans ma tête depuis près de 10 ans s’était dissipé. Je ne pensais pas que ces

cachetons pouvaient ainsi faire partir mes angoisses. Un jour aussi le ciel est redevenu bleu azur et j’ai arrêté d’en prendre...

Je suis allé régulièrement le voir toutes les semaines pendant prés de 2 ans. Au centre

de santé de Saint Lazare au début puis dans son cabinet derrière les Champs Elysées.

Moi allongé sur le divan et lui assis en retrait qui m’écoutait en prenant des notes

comme dans les films.

J’ai pu ainsi me réconcilier avec ma pensée, avec mon besoin de justice futile et ma

sensibilité exacerbée a pris un coup salvateur…

J’ai compris que l’angoisse n’est pas honteuse et que la dépression est une maladie.

J’ai compris que je ne pourrais pas changer ce qui est extérieur à moi, mais par

contre, je peux changer mon attitude face à ce qui ne me convient pas. L’important

n’est pas d’avoir toujours raison, d’obtenir justice, etc.., Et non, le plus important

n’était-ce pas de se préserver ?

Génial ce doc. Il m’a fait beaucoup de bien.

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Un jour je lui ai dit que je ne reviendrai plus, que je me sentais en sécurité avec une

petite meuf que j’avais rencontré quelques semaines auparavant. Une gonzesse très

simple démographe free-lance et prof à la Sorbonne. Elle s’appelle Fanny, elle a 28

ans soit 24 ans de moins que moi...

Le psy :

- Vous êtes réconcilié avec vous même ?

Moi :

- Je ne sais pas mais je vais mieux.

Bon, doc, vous pouvez me dire maintenant comment vous faites pour soigner les

gens, c’est quoi votre truc ?

Après un silence de quelques secondes, il enlève ses lunettes pour les essuyer et me dit:

- Vous voyez les présentoirs de cartes postales ? Il faut le tourner pour choisir la

meilleure carte que vous allez envoyer. Voila c’est ça «mon truc».

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Picciotti, a vecchiaia suonao* En 2019, Papa-Maman ne pouvaient plus rester seuls. Vieux, usés par la vie,

mes pauvres parents étaient devenus prisonniers de leur propre corps. Papa

marchait tout doucement avec une cane, maman se déplaçait difficilement

avec son déambulateur. Ils étaient extrêmement faibles et vulnérables. Le

moindre bobo ou la petite glissade anodine pouvait dégénérer en drame, surtout la nuit.

Nous explorions toutes les éventualités, toutes les pistes pour trouver quelqu’un la

nuit, pour trouver une solution le jour, mais en attendant, la seule que nous avions

c’était Antoine qui nous rassurait par sa présence, puisqu’il était le dernier des

Parisiens. Et Lolo, Vivi et moi avions le devoir d’assister nos parents, quand Antoine

partait en Sicile par exemple.

Si c’était plusieurs semaines, il fallait que chacun de nous 3 monte à Paris à tour de

rôle. Que chacun s’arrange avec son travail et sa famille pour se libérer. Dans cette

organisation fallait bien se parler et décider. Lolo qui était la seule à ne plus travailler,

à l’époque, était aussi la plus rétissante... Un matin, j’appelle la grosse :

Moi :

- Ça va Lolo ? bon pour Papa Maman voila comment ça va se passer :

Antoine part ce samedi à Marsala, Vivi arrive dans l’après midi à Paris et reste 1

semaine. Le jour de son départ je prends le relais pour ma semaine de garde, enfin,

c’est toi qui monte 7 jours en attendant Antoine qui rentre le samedi suivant, ok ?

Lolo :

- Ah bah non, certainement pas ! Tu sais bien qu’Alain est fâché avec Maman !

Tu ne sais pas comment Maman a parlé de lui !

Moi (de façon extrêmement claire et directe) :

- Ah ouais ? Bin... tu sais quoi la grosse ? très bientôt, malheureusement, on va

pouvoir se fâcher et s’engueuler dans les grandes largeurs, crois-moi (je ne pensais

pas si bien dire...), lorsque ma semaine de garde se terminera, toi tu arriveras et

resteras une semaine avec Papa-Maman en attendant qu’Antoine rentre.

C’est ton devoir. Suis-je clair ?

Lolo (qui a dû avoir l’aval silencieux du gros porc de Bubu) :

- Bon, bon, bin, d’accord.

Moi :

- Ok, super. Je raccroche.

Pourquoi Burduche le mari de Lolo s’était fâché avec ma maman ? Voici la raison de

la brouille qui a rendu Maman furieuse contre Burduche.

* Les amis, la vieillesse a sonné

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Lorsque madame Burduche (la mère de mon beauf) est décédée en 2019, le nom de

ma sœur Lolo pourtant sa belle fille et épouse du gros depuis 1979, ne figurait pas

sur l’avis de condoléances. Pourquoi ?

Pour une histoire de quelques bijoux et de quelques milliers d’€uros que Burduche ne

voulait pas partager avec sa nièce et Lolo. Mesquin, con et radin, du grand Burduche.

Maman en lisant le faire part où n’étaient que «monsieur Burduche et sa fille Alexandra ont l’immense douleur etc...» Maman s’est mise très en colère :

- Ma ti rendi conto stu disgraziato che ha fatto alla mia ragazza ! dopo 41 anni di

matrimonio !

- Mais tu te rends compte cet enfoiré ce qu’il fait à ma fille ! après 41 ans de mariage !

Elle saisi son iPhone (détail important pour la suite) pour demander des explications

à Lolo. Ma sœur, faible comme d’hab, a tenté de minimisé le couac :

- Mais maman, je m’en fous ce n’est pas grave, que mon nom n’y figure pas et alors ?

Maman :

- Quoi ? comment ça, pas grave ? mais tu es qui pour lui ? une serpillière ? etc...

Mésentente et fin de la dispute abrupte ; Sauf que Maman ne savait pas bien appuyer

sur le point rouge de l’iPhone pour couper la communication... Bingo ! Burduche,

qui revenait des courses à point nommé, a entendu le reste de la colère de Maman

qui rouspétait à haute voix...

Burduche en rêvait, l’iPhone l’a fait.

Il avait enfin une raison pour se mettre a vomir sur eux sans retenue. Mes parents

sont devenus la cible favorite de ses critiques immondes dont une définitivement

impardonnable :

- De toute façon, ta mère pourra crever que je n’irai pas à son enterrement.

Ambiance.... Antoine se barre en Sicile. Comme prévu Vivi, Lolo et moi étions au

secours de Papa-Maman à tour de rôle ; Mais, Burduche qui n’avait pas digéré les

commentaires de ma mère faisait le forcing auprès de Lolo pour quelle laisse Papa-Maman coincés dans leur appart en pleine canicule et quelle se casse le plus tôt

possible de Paris. Les Burduche ont trouvé un prétexte à la con : un rdv médical où le

gros bide ne pouvait pas aller seul sans ma sœur (qui ne conduit plus)... Mais coincée

entre l’obligation d’attendre Antoine et l’insistance de Burduche pour quelle rentre,

la faible Lolo a laissé le Chevalier Burduche chevaucher le train pour débloquer la

situation et libérer sa dulcinée de ce donjon caniculaire.

Lolo au tél avec Burduche :

- Mais, je ne peux pas rentrer ! j’attends Antoine jusqu’à Samedi...

Burduche, conquérant :

- Ah ouais ? c’est ce qu’on va voir !

Je prends le train à la gare de Montpellier dès demain matin et on repart ensemble !

Lolo :

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- Bon, bin, comme tu veux.

Le lendemain en fin de matinée, bubu est arrivé chez Papa-Maman tel un libérateur

inaccessible et sans remord. Il n’a pas voulu s’asseoir, il a même refusé un verre d’eau.

Lolo soumise a bouclé sa valise et ça sera la dernière fois qu’elle embrassera ses

parents. Ils sont partis sans état d’âme, Papa-Maman leur faisant d’ultimes coucous

d’adieu par la fenêtre. C’est moche.

Le soir même, Maman se sent mal et les pompiers la transportent d’urgence dans une

clinique du XV ème arrondissement. Panique à bord puisque papa se retrouvait seul !

Vivi m’appelle et me raconte l’embrouille, affolé je prends le premier train pour Paris.

A peine arrivé, Papa fait un malaise à son tour devant moi. J’appelle les secours qui

l’ont transporté à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Je monte dans l’ambulance avec lui,

je pleure.

Cette folle journée, Antoine l’a apprise alors qu’il était encore en Sicile, fou de colère,

il saisi son téléphone et laisse un message dévastateur aux Burduche parce qu’évidement avec Lolo ils n’ont pas eu le courage de répondre. Courage, fuyons...

Papa-Maman sont partis 8 mois plus tard contaminés par le Corona virus. Burduche

ne s’est jamais excusé et n’est pas venu aux obsèques.

Quelques mois plus tôt, en mars 2020, la décision d’un premier confinement au niveau national était annoncée par le Président de la République, pourtant J’avais tout

organisé pour recevoir ma famille chez moi dans la Drôme le week-end de pâques et

je savais bien que c’était la dernière fois que papa, du moins, se déplacerait car il était

très fatigué. Malheureusement par la force des choses le projet est tombé à l’eau...

Je voulais qu’il parte au ciel rassuré de voir mon bonheur à Valence, avec ma Fanychou et mon soleil Sophie. Réciproquement papa disait à maman :

- Je voudrais aller chez Jean-Claude

Pour ne rien laisser au hasard, j’avais bloqué la date 6 mois plus tôt. Mes sœurs, mon

frère, José, Danielle, mes cousines, et bien-sûr mon oncle François, étaient invités

avec leurs conjoints pour passer les fêtes de Pâques, chez moi, à Valence puis à Die

dans la maison de Serge le papa de Fanychou.

De tous ces invités, aujourd’hui il ne reste plus que mon frère et ma sœur Vivi avec

qui je partage encore des relations normales. Je suis fâché avec les autres.

Nous sommes le 5 avril 2022, il est 4h du matin, j’ai toujours été très matinal et aujourd’hui c’est l’anniversaire de mon oncle François. Je ne me manifesterai pas pour lui.

Nous ne nous sommes plus adressé la parole depuis le jour du décès de maman. Je

n’ai eu aucun réconfort de mes oncles, tantes, cousins et cousines. Rien. Ni personne

depuis cette triste nuit du 15 avril 2020 à 4 heures comme en ce moment.

Après avoir veillé maman 3 jours et 2 nuits, nous savions que la nuit du 15 avril serait

la dernière pour Maman. Antoine, Vivi et moi étions seul dans le silence de l’hôpital,

quand à 4h00 notre vie basculait, nous n’avions plus nos parents. Sans un bruit, dans

la nuit confinée nous avons laissée Maman seule. Pas de dernières embrassades sur

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son visage pas même une caresse dans ses cheveux argentés, juste un regard d’adieu.

Elle est partie rejoindre mon père parti 15 jours plus tôt dans des conditions bien

pires encore...

Quel est ce sentiment irréel que nous avons ressenti dans cette période de choc, cette

sidération face à la réalité violente de ce confinement qui a précipité la perte de nos

parents en l’espace de 2 semaines ? Qui s’en est préoccupé ? Nos liens extérieurs sont

restés muets et absents. Avaient-ils peur d’être foudroyés instantanément par ce virus ?

Moi, pour ma mère j’aurais même donné ma vie. Pour mes sœurs et mon frère aussi.

Mon oncle François ne pouvait-il pas nous rejoindre et garder son masque à 5 mètres

de nous ? Lui qui a toujours été là, 5 mètres c’etait irréalisable pour sa sœur ?

Non pas de hihi-haha, pour cette fois, Juste un peu de courage pour rendre hommage à celle qu’il considérait comme sa mère ?

Et son fils (encore un Antoine) n’est pas venu à l’enterrement, ne disait-il pas que

Papa Maman étaient ses grands parents ? Il ne m’a pas présenté ses condoléances

et n’a rien trouvé de mieux que de poster une photo de papa-maman sur Facebook

quelques minutes après le décès de Maman. Imaginez Papa-Maman entre la photo de

la raclette de la veille, la dernière histoire de cul et son super tatouage de gros nullos ?

Étions-nous à la foire ?

Son fils avait-il déjà oublié qu’après s’être ouvert les veines, pour une meuf, il s’était

réfugié chez moi en plein désarroi, en pleine déprime ! Fallait-il que je mette aussi

une photo de ses poignets meurtris et lacérés (comme mon cœur ce jour-là) sur

Facebook ? Oui, avec son fils, ils nous ont manqué de respect et si j’ai insulté son fils,

c’est parce que je venais juste de perdre mes parents, j’étais furieux devant ce manque

de dignité. Et je le serai pour le reste de mes jours. Même si j’ai présenté mes excuses

quand mon grand frère me l’a demandé en souvenir de papa-maman, François et sa

grande gueule sans remord, fier d’en faire des caisses à l’enterrement, ne pouvait-il

pas m’adresser une parole de réconfort en souvenir de sa sœur (comme «sa mère») et

son cognato* ?

Lorsqu’ Antoine nous a annoncé qu’on avait l’autorisation du médecin chef de l’hôpital Bichât d’assister maman une dernière fois avant le grand départ, j’ai pris la route

de suite, Evelyne a prit le train. Éléonore ne pouvait-elle pas venir avec Vivi pour voir

maman mourir et pleurer avec ses frères et sa sœur ?

Comment Lolo a-t-elle pu suivre bêtement les ordres d’un Burduche rancunier qui

s’était promis de ne pas venir à l’enterrement ? N’avait-elle, donc, plus de sentiment,

plus d’amour propre pour dire à Burduche : je t’emmerde ma mère va mourir dans

quelques heures et j’y vais que ça te plaise ou non et toi Bubu ton devoir c’est d’être

présent le jour de l’enterrement de mes parents ? Bin, non puisqu’elle est malade et

faible nous a t’on dit... Mais nous en bonne santé ne risquait-on pas d’être contaminé

et malades à notre tour ? Pourtant nous étions là.

Pire, Éléonore la veille de mon départ a essayé de m’en empêcher d’y aller :

* Cognato : beau-frère

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- N’y vas pas, pense à Sophie ce n’est pas raisonnable. Ce n’est pas sérieux Coco.

Pire du pire ! Éléonore, voyant qu’elle ne m’avait pas convaincu a réitéré sa requête

auprès de vivi :

- N’y vas pas, pense à Alicia* ce n’est pas raisonnable. Ce n’est pas sérieux Vivi.

Pathétique... Imaginons un instant que je l’aie écoutée, le raisonnable était-ce de laisser Antoine, seul, supporter ce drame ? endurer seul les sentiments de perte, de vide,

de manque, de solitude, de chaos envahissant sans moi ? sans Evelyne ? Je m’en serais

voulu pour le reste de mes jours de ne pas y être. Je ne veux pas parler à la place de

Vivi, mais évidement je sais qu’elle a ressenti le même besoin, le même devoir que

moi et l’urgence de nous rejoindre. Coûte que coûte.

Était-ce déraisonnable de laisser nos conjoints et nos bébés pour Maman ?

Oui, certainement car, d’un coup nous étions dans le cœur du réacteur maléfique en

proie aux radiations du Coronavirus, sans protection dans la panique et l’affolement

du premier confinement.

Oui, potentiellement mortel car nous pouvions être contaminés à notre tour.

Les tests n’existaient pas encore, il n’y avait pas de masque. Oui, et si c’était à refaire je

le referai de toutes mes forces, de tout mon coeur...

Là-haut, papa et maman regardent tout ça avec désolation.

Pauvre Lolo, pauvre François je n’aimerais pas être à votre place, j’aurais trop de regrets.

* Alicia, la petite fille de vivi

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Sophie, Alors que mes aînés découvraient eux-mêmes les joies des couches culottes,

je redevenais à mon tour de nouveau papa à 56 ans, soit 30 et 23 ans après

Étienne et Manon.

Fanychou avait 32 ans. Ses amies avaient toutes des bébés et j’ai longuement réfléchi

avant de prendre cette responsabilité : elle était tellement plus jeune que moi. Aussi

ne risquait-elle pas d’être malheureuse sans avoir un enfant de l’homme qu’elle aimait

? J’ai même rechigné au début, mes premières paternités sont un tel désastre... Mais

j’ai fini par accepter par amour.

Presque sexagénaire et divorcé Je vivais depuis 3 ans avec Fanychou : Je voulais aussi

lui passer la bague au doigt à la mairie du XV ème pour que Papa-Maman puissent

venir à la cérémonie pas trop loin de chez eux, ils étaient si fatigués... Ils sont partis

avant, malheureusement... Déjà en septembre 2018, trop faibles, ils n’ont pas pu

venir à Die au baptême de Sophie*... Du coup je me sens « papy en mémoire de mes

parents et papa en même temps » Papa gâteaux et pas encore papy gâteux du moins

pour le moment...

L’arrivée de Sophie n’a pas manqué de déclencher quelques interrogations dans mon

entourage et ma famille, en revanche dans la famille de Fanychou, ma paternité

tardive a été acceptée avec joie. Je n’avais plus rien à prouver professionnellement et

j’avais conscience du temps qui passe... Pour ne pas passer à coté de sa tendre enfance

et quelque part pour me remémorer Étienne et Manon petits (car avec le temps

on oublie des tas de choses...) Je me suis investi énormément dans le quotidien de

Sophie.

Aujourd’hui je suis fou d’amour de notre fille de 4 ans. Je suis un papa inquiet et je

me tords le ventre quand elle pleure devant l’école. Elle obtient à peu prés tout ce

qu’elle veut de moi avec un bisou. J’essaie d’être un « super papa drôle et complice

pour les bêtises » Comme dit Fanychou, car elle aimerait bien que je sois un peu plus

sévère avec elle.

Lorsque je récupère Sophie à la maternelle les autres parents et même les enseignants

au début de l’année scolaire pensent que je suis le papy. Sophie interrogative et cu

-

rieuse suite aux commentaires de ses petits copains me demande :

- Papa, c’est vrai que tu es vieux ?

Moi :

- Hé oui, ma fille mais je suis jeune dans la tête !

Car cette paternité tardive reste indissociable de la question de l’âge. Quel âge aura-telle quand je partirais à mon tour ? Aurais-je la chance de la voir grandir un peu ?

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Depuis qu’elle est née je lui rabâche tout le temps qu’elle sera un jour neurologue.

Je m’imagine ainsi vieux, sénile et impotent et donc un sujet d’étude privilégié et

exclusif pour ma fille étudiante en médecine... Vous imaginez bien qu’en réalité je

souhaite surtout son bonheur. Elle fera bien ce que bon lui semble du moment qu’elle

est heureuse.

* Sophie, Conchetina et Anne sont ses prénoms et les prénoms de ses grands-mères

A l’age d’être grand-père je me suis lancé dans cette aventure. Dans cette confusion

et même si je ne vois plus mes enfants, je pense que cette nouvelle n’a pas été facile à

vivre pour eux. Je me rappelle le jour où j’ai annoncé la nouvelle à Étienne et Manon,

ils n’ont eut aucune réaction, pourtant ils se ressemblent beaucoup... Et puis Sophie

est tante 3 fois. Vous connaissez l’histoire.

On construit sa vie d’adulte sur la différence générationnelle et en s’émancipant de

nos parents. Mais pas là, je suis redevenu Papa en même temps que mes enfants

devenus adultes. Peut être que ma joie d’avoir Sophie était insupportable pour les

Gravos...

Avoir un enfant sur le tard, c’était comme recommencer une nouvelle vie, une vie de

jeune homme. « Il a l’âge d’être son père » ou « Elle pourrait être sa fille »… Sont les

remarques qui nous faisaient marrer mais aujourd’hui nous n’y prêtons plus attention.

Au départ, tout le monde était étonné de cette curieuse union. Fanychou représentait

pour Papa et Maman la stabilité qu’ils espéraient pour moi. Malgré nos 24 ans d’écart,

c’est elle qui a «la tête sur les épaules». Cela dérange encore plus parce que je n’ai que

6 et 7 ans de moins que ses parents. Fataliste, Fanychou a son résumé :

- Quand tu seras trop vieux avec mes parents

je ferai un package pour l’ehpad du coin...

Fanychou a grandi dans la Drôme, ses parents étaient producteurs de pêches. Elle a

choisi de partir. Elle a fait de brillantes études à Grenoble puis à Paris pour devenir

démographe.

Après avoir travaillé dans une grosse boite de statistiques, elle a très vite endossé le

statut de free-lance comme moi. A l’époque, Antoine produisait et réalisait des films

historiques et j’étais son graphiste et celui d’Ugoprod, sa boite.

Un soir nous avons tchatché sur un site de rencontre et quelques jours plus tard nous

nous sommes vus. Ça a matché de suite. Je trouvais cette petite meuf si différente et

si avide de connaitre tout et tout de suite. J’ai ressorti mes films cultes, mes bouquins

préférés et nous avons arpentés les galeries d’art, les allées des puces et les concerts de

rock. Très vite elle est venue vivre chez moi dans le XVIII ème qui craint un peu.

La ville de Paris m’avait attribué un très joli appart dans un immeuble des années 30

en pierre de taille et tout juste rénové. Au rez de chaussée se trouvait monsieur Hadi

le coiffeur fan d’Elvis dont je raconte l’histoire dans le chapitre 31 «Rock». Juste à

coté y’avait un foyer pour junkies désœuvrés et la faune parisienne, la plus craignos,

la plus sale rodait tout autour... La drogue se vendait dans tous les coins. Le matin,

le foyer virait ses occupants à 7h00 et les toxicos déambulaient dans les rues comme

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des zombies jusqu’au soir. Des jeunes filles édentées vendaient leur corps pour une

dose de crac à 15 balles et d’autres se shootaient dans la rue. Il y avait aussi tous ces

malheureux migrants qui échouaient dans notre quartier : Ils dormaient là où il pouvaient et faisaient la guerre aux clodos pour un bout de banc des squares avoisinants.

Les trafics en tout genre animaient ce quartier chaud, populaire et branché.

Le quartier vivait 24 heures sur 24 avec tous ces restos africains, péruviens, libanais,

asiatiques. Fanychou s’y est plu instantanément, elle découvrait avec enchantement

les grandes fêtes pour le nouvel an chinois quand le quartier se parait de leurs plus

belles décorations ou la fête de Ganesh lorsque les Hindous défilaient dans leurs

costumes traditionnels et sensationnels : ils sortaient une statue monumentale de 5m

de haut à tête d’éléphant. Le plus grand temple hindou de France est au 17 de ma rue

Pajol...

Les cathos organisaient aussi d’immenses réunions festives à l’Église Saint-Denys La

Chapelle, Jeanne D’Arc. Les scouts chantaient des louanges dans les rues et faisaient

la fête le soir dans les nombreux boui-bouis parigots du quartier, plat du jour franchouillard et ambiance accordéon-musette. La ville avait rénové le marché couvert

de l’Olive pour le plus grand bonheur de Fanychou qui adore cuisiner. Il y avait aussi

des tas de petites boutiques de fringues, de brocanteurs, de libraires, d’écoles privées

pour les gamins des Bobos qui achetaient leur appart dans un coin encore abordable

de la capitale.

De l’autre coté des voies ferrées de la gare du nord et à quelques pas de chez nous,

dans le 19 ème, y’avait le Centquatre notre espace artistique. Le 104, c’est un centre de

production et de diffusion d’arts pour les artistes du monde entier. C’est aussi un lieu

de vie atypique, jalonné de boutiques éphémères et d’artisanat venus des 4 coins de la

planète.

Les apprentis-comédiens du cours Florant voisin répétaient leurs textes un peu

partout dans les étages. Ça dansait, ça musiquait, on se serait cru dans le film «Fame»

d’Alan Parker... Génial «ct’endroit» qui pourtant servait auparavant à l’activité des

pompes funèbres de Paris. Dans ce bâtiment plus de mille personnes y travaillaient,

organisaient des convois mortuaires, préparaient des cercueils et abritaient des centaines de chevaux. L’activité a disparu en 1997 pour devenir pour une reconversion

artistique : Le Centquatre. Oui, génial pour les parisiens et surtout pour Fanychou et

moi.

Fanychou profitait des infrastructures parisiennes comme une gourmande dans une

pâtisserie. Sportive, elle a un réel besoin d’en faire (sinon elle est infernale). Enfant

elle patinait tous les jours et faisait des compétitions avec des body pailletés... À

Paris, Fanychou, épanouie, n’avait que l’embarras du choix pour se dépenser : la gym

suédoise à la carte ; en fonction du quartier où nous nous trouvions et à partir de son

téléphone, elle allait à une séance immédiate sans même connaitre la salle et les gens.

Y’avait la piscine au bout de notre rue ouverte tôt le matin et sur les bords du canal

de l’Ourcq, là où se trouve l’église de mon baptême, elle joggait le soir.

On faisait tout à pied et si c’était un peu loin, tout en vélo et si c’était très loin, tout en

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moto. Je ne possédais plus de voiture, en cas de besoin je prenais la vieille 306 verte

cabossée et rayée de papa qui ne conduisait plus depuis une dizaine d’années. Cette

306 ne craignait plus les stationnements boder line ni les voleurs d’auto-radios... Un

peu comme mon état d’esprit lorsque nous vivions ensemble à Paname. On négociait

tout à l’arrache : les meubles, les sapes, les fournitures de dessin, les places de ciné,

mes lunettes, les moindres achats étaient discutés, marchandés. Je truandais dans le

métro et les billets de train pour partir en vacances étaient d’occasion. Je troquais les

vieux ordinateurs de Fanychou contre des places de concert, etc...

J’enseignais le dessin 4 heures par jour à des enfants et Fanychou donnait des cours à

la fac. Le reste du temps je scarapokais dans les rues de Paris et je jouais de la gratte.

Fanychou me préparait des saint-jacques avec les moyens du bord... On avait rien et

nous étions heureux. Ces années sont sans contexte les plus belles années de ma vie.

Un jour on a pris nos affaires et nous nous sommes installés chez les bourges à

Vaugirard dans son 28m2

. Quelle chance de vivre dans le XVème à 2 stations des

Invalides et à 3 stations de la tour Eiffel. Les vacances scolaires nous retournions dans

la Drôme, je peignais et Fanychou bossait dans le magasin de sa sœur.

Le Primeur du Chantre c’est le nom du magasin; au départ ce n’était que le comptoir de Serge et Nanon, ses parents, quand ils vendaient des pêches sur le bord de la

route. Un jour ses pêchers ont chopés une maladie et Serge a tout rasé pour faire du

maïs. Le dépôt est devenu un magasin de fruits, légumes et produit régionaux. Les

notables du coin s’y pressent. Tout est beau tout y est présenté avec attention ; tout est

propre.

La famille de Fanychou considère leur travail comme un engagement affectif. C’est

donc naturellement que Fanychou a pris des responsabilités en rejoignant sa sœur au

magasin après la naissance de Sophie. Avec Séverine sa sœur, elles ont une vision du

bébé-magasin sur le long terme, elle partage un lien de confiance, une cohésion sans

faille, naturelle et spontanée, bref, elles s’accordent bien. Le plus dur pour Fanychou

c’est de dissocier la vie personnelle et la vie professionnelle ; elle sait qu’ils peuvent

nuire à notre petite famille que nous formons avec Sophie. Fanychou bosse du matin

au soir et nous l’attendons souvent le soir et les week-ends...

Ce magasin depuis 20 ans, c’est le bébé de la famille Rougier. Je me rappelle avant que

fanychou y travaille, nous remontions en train à Paris et nos sacs à dos étaient remplis de bons produits du terroir. Ils sentaient le saucisson et l’eau de vie. On enivrait le

wagon...

L’envie de quitter Paris me démangeait. Fidèle à mes habitudes, je suis allé à la pêche

aux opportunités. J’ai envoyé mon cv dans toutes les écoles d’art de la région Rhône-Alpes afin de trouver un poste d’enseignant : j’ai aussi posté une annonce sur Leboncoin qui disait un truc genre : recherche emploi dans le sud, dans un musée, une

association ou un théâtre. Je suis ancien commercial, graphiste etc... Sait-on jamais

me suis-je dis.

En juin 2017 nous sommes partis quelques jours à Lyon et Fanychou avait un retard

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de règles, craignant un premier signe de grossesse et dés notre retour à Paris je suis

allé à la pharmacie acheter un test de grossesse qui s’est révélé positif...

J’ai oscillé entre deux émotions : l’excitation et la peur ; d’un côté j’avais envie

d’annoncer la bonne nouvelle à tout le monde, d’un autre, je ne savais pas vraiment

comment faire : fini les opportunités et la pêche au job, fini la vie de baba cool scarapokeur et grateux, fallait que je retrouve un emploi «sérieux» dans les 9 mois au

grand maximum... Mais où ? Bin... À Grenoble par exemple où une école d’art plastiques a répondu favorablement à ma demande spontanée d’enseigner. L’école ne me

proposait que 8 heures par semaine... Bon, c’était mieux que rien me suis-je dis. De

toute façon je ne me voyais pas redevenir commercial et refaire du tap-tap au sentier.

J’ai pris rdv avec la directrice de l’établissement graphique sans trop de conviction.

Faut croire que Dio regardait tout ça d’un œil amusé car la veille du rendez-vous j’ai

reçu un message du Boncoin : une imprimerie Parisienne recherchait un commercial

pour le quart sud est de la France; dans la foulée j’envoie mon cv et je décroche un

rdv à l’entreprise le mercredi suivant... Bingo !

Cette imprimerie c’est Fortin-Le-Progrès, créée en 1802 sous l’impulsion de Napoléon, elle fait partie des plus anciennes imprimeries de France et même d’Europe.

Fortin-Le-Progrès a été le fournisseur officiel des ministères, de l’Assemblée Nationale et du Sénat ainsi que des Cours européennes, du Maghreb et du Proche Orient

dans la deuxième moitié du 19ème siècle. Au moment où j’écris ces lignes je fête mes

5 ans d’ancienneté dans cette boite.

Nous travaillons essentiellement pour les études notariales. Nous réalisons les sceaux

officiels, les actes de vente et toute la paperasserie qui va avec. Je me sens très à l’aise

avec les notaires et je personnalise leur étude. Serge me file «un coup de main» pour

poser des enseignes c’est vraiment gentil de sa part, merci.

Voila comment j’ai entraîné Fanychou chez elle dans la Drôme... C’est pour me suivre

quelle a accepté ce retour au bercail. A Paris elle allait bosser en vélo et son bureau se

situait rue Las Cases dans le très chic VII ème arrondissement.

Ce changement de vie parisienne pour un retour chez les ploucs, ma fanychou en

plus d’être enceinte, quittait son environnement qui lui convenait si bien...

Heureusement, le 23 février 2018 Sophie naissait et nous avons posé nos valises à

Valence. J’étais très excité de redevenir papa. A la maternité j’ai gonflé ma poitrine

avec fierté, ma tête tournait tellement, les souvenirs d’Étienne et Manon m’enivraient.

Dans la rue je voulais annoncer la bonne nouvelle à des inconnus et crier à plein

poumons mon bonheur d’être papa. Cet état d’euphorie dure encore aujourd’hui...

Sophie, depuis sa plus tendre enfance, c’est à dire alors qu’elle n’était encore qu’un minuscule flageolet à l’écran de l’échographie, je lui répète que c’est un soleil, qu’elle est

la plus belle, la plus incroyable, la plus intelligente et la plus merveilleuse du monde...

Rien que ça.

Naturellement, je vante la beauté de ma fille, elle est si mignonne avec son visage

d’ange, son teint de poupée, ses cheveux blonds et bouclés qui tombent sur ses

épaules.

309

P:326

J’ai du mal à résister aux caprices de cette petite princesse, encore plus, quand elle

porte une jolie robe car elle est très féminine. Quand ma fille entre dans une pièce,

son petit visage heureux illumine les lieux.

Sophie a un contact très facile et va toujours au contact des autres enfants le temps

d’un instant pour jouer au parc, depuis mon banc, je l’observe se présenter aux parents de l’inconnu du toboggan. Lorsque nous avons fait la traversée Gênes-Palerme

en Ferry, Sophie jouait avec des fillettes allemandes sans même se comprendre... A

l’école, ses maîtresses la trouvent appliquée et réservée. Ce n’est pas une «meneuse»

mais elle fédère : que ce soit sous le soleil de la cour ou à l’abri du préau, lorsque je

la récupère le soir, elle est toujours au centre de ses copains et c’est elle qui donne les

directives du jeu.

Elle se réjouit quand il pleut et elle adore sauter à pieds joints dans les flaques d’eau.

Comme Pepa son héroïne de dessins animés. Elle aime jouer avec ses playmobils

pendant des plombes. Sophie ne veut jamais se reposer et sa chambre est toujours

sens dessus dessous.

Fanychou élève Sophie avec amour et attention. Elle veille à ce qu’elle grandisse et

évolue dans un environnement sûr et heureux.

Fanychou a le rôle le plus difficile à la maison, car je suis resté un gamin capricieux

et taquineur, elle peine à lui enseigner les principes fondamentaux que je n’ai jamais

respectés et Sophie comprend aussi que je vais tout contester automatiquement pour

rire une fois de plus... Fanychou brûle d’impatience, par exemple, de lui faire faire ses

devoirs le soir... Au secours !

La mère et la sœur de Fanychou me jugent et me critiquent, je le vois bien. Attention

! ils n’osent rien me dire, ils connaissent mon mauvais caractère susceptible et coléreux, en revanche, Serge est un papy fabuleux et très joueur avec sa petite fille, nous

allons souvent à Die tous les 3 le week-end. Nous sommes amis.

Tout l’amour, fauché en plein vol, que je n’ai pu donner à Étienne, Manon et mes 3

petits enfants inconnus, je l’ai reporté sur Sophie et la famille de Fanychou, ils savent

bien que mes blessures ne sont pas cicatrisées. Ils voient bien que nous trois sommes

fusionnels. Je ne tolère pas la moindre remarque sur mon couple ni sur l’éducation

qu’on donne à Sophie.

Antoine et Vivi vivent leur vie et je n’ai plus revu ma sœur Éléonore depuis que mes

parents sont partis. Sophie et Fanychou sont ma famille et c’est ce que j’ai de plus cher

au monde.

Je suis le compagnon de jeu de Sophie et quand nous nous chamaillons dès le matin,

je lui chante des chansons de Renaud en verlan, des chansons paillardes de Brassens

qu’elle reprend en chœur. Je veux offrir à ma fille le meilleur des papas.

Parfois malgré tout, des critiques s’échappent et Fanychou guette ma réaction avec

méfiance :

- Tu la gattes trop ! ... ou

- Mais, tu veux la mettre dans une bulle ?

310

Fanychou voici ta miss

P:327

Hélas non.

Mais son papa est là pour lui rappeler qu’elle est exceptionnelle, qu’elle doit toujours

y croire et aller de l’avant, et si sa confiance en soi, un jour, s’ébranle et bien tant pis et

pas grave car avec la cargaison d’amour que je lui donne depuis sa naissance, Sophie

en aura bien assez pour accomplir suffisamment de choses et être heureuse.

Je connais les aléas de la vie, je sais qu’elle se prendra des retours de manivelle, je sais

qu’elle doutera, qu’elle appréhendera, qu’elle tergiversera, qu’elle flanchera parfois.

Je sais que la vie n’est pas un immense tapis de pétales de roses qui n’attend que l’arrivée de Sophie pour lui chanter des chansons issues d’un monde enchanté.

Oui, la vie se chargera de lui esquinter un peu les ailes.

Ce matin au petit déjeuner Sophie me demande la chanson que je lui ai appris la

veille, entre confiture et tartines nous dansons, joue contre joue et Fanychou, filme :

Je t’aime le lundi, Je t’aime le mardi, Je t’aime le mercredi et les autres jours aussi.

Je t’aime en Janvier, Février, Mars, Avril. Je t’aimerai toujours mon amour fragile.

311

mission

P:328

312

P:329

Épilogue J

uillet 2022. Les locataires sont partis hier et notre petit appart parisien est vide,

enfin presque : il reste le petit canapé, le guéridon art déco, la table meuble qui

se déplie à l’infini et mon lit qui j’espère sera bientôt celui de Sophie. Heureuse

-

ment qu’il n’a pas la parole ce pieu...

Notre quartier change aussi, de grands immeubles s’élèvent à la hâte juste derrière la

petite cour.

Je suis triste de laisser notre 28m

2

, 28m

2 de bonheur où je me suis réfugié avec

Fanychou en 2014. Nous l’avons quitté en 2017 pour aller vivre dans la Drôme. On

y retournait de temps en temps mais pas assez souvent, alors plutôt que de le laisser

fermé, nous le louons.

Cela fait maintenant 8 ans que je vis avec Fanychou. C’est grâce à elle que j’ai retrou

-

vé un sens à ma vie. C’est grâce à elle aussi que j’ai écrit. Tout avait mal commencé

pourtant puisqu’au départ ce bilan d’une vie n’était qu’une lettre rageuse de 7 pages

pour régler mes comptes avec sa mère qui me gonfle de temps à autres... Pourtant,

au milieu de ces circonstances de vengeance futile, Fanychou a su trouver les mots

pour que ces feuilles se transforment en livre. Dans sa légendaire attitude faussement

nonchalante, elle m’assiste dans cette épreuve de son mieux...

Moi :

- Fanychou, je n’arrive pas à finir ce bouquin, le présent c’est difficile à raconter.

Fanychou :

- Et bin, ne l’écrit pas de toute façon personne ne lira ton truc.

Car ce truc, je ne sais pas par où, ni comment le terminer.

Pourtant Sophie me demande souvent : Alors il est fini mon livre ? Et comme

personne ne me lira, aurais-je donc perdu mon temps à m’’être raconté toutes ces

d’heures oisives, à ressortir tous ces souvenirs agréables et parfois nauséabonds,

stockés dans ma mémoire ? Pour redessiner ce récit, il m’a fallu si souvent que je me

dresse contre moi-même pour m’extraire de la colère et de la peine que je ressentais.

D’abord, je me suis accordé du temps pour écrire, pour rassembler tous ces souvenirs

d’enfance avec Papa et Maman partis si vite… Je me dis que leurs histoires conti

-

nuent encore un peu de vivre grâce à ce récit. Puis Antoine, mon frère, m’a convain

-

cu d’aller plus loin et d’exposer au regard des autres les raisons du divorce avec mes

enfants. Merci mon frère, grâce à lui j’ai pris le temps nécessaire pour raconter (peutêtre pour la seule fois, d’ailleurs) en détail «ma vérité». J’ai l’impression aussi de ne

plus être la victime de ces affreux mensonges qu’ils m’infligent. Depuis ce déballage

313

P:330

émotionnel, effectivement, quelque chose a changé en moi. Je me sens libéré d’un

énorme poids caché depuis, au fin fond de mon cœur.

J’ai aussi essayé de mettre de «l’eau dans mon vin» dans toutes les paroles négatives

que j’avais l’habitude de me dire. Je n’y suis pas toujours arrivé.

J’ai écrit chaque jour dans mon bureau ou à Die dans la maison des parents de

Fanychou, entre 4h00 et 7h00 du matin pendant 7 mois. Après tant de gestation dans

mes entrailles, j’ai donné à Vivi, ma sœur et à Antoine, mon texte pour avoir des

retours me permettant d’améliorer le récit. J’avais 2 voix pour me donner un avis sur

le contenu et l’orthographe.

J’ai désiré qu’Évelyne et Antoine fassent mes préfaces comme dans les «vrais» livres

pour participer à l’ouvrage mais surtout pour avertir les potentiels futurs lecteurs que

je ne suis pas un écrivain et encore moins un littéraire. Écrire pour moi fut une démarche soudaine, originale de nouveauté. Je pense que ces contributions préparerons

les lecteurs à mon récit décousu. Merci à eux de m’avoir accompagné.

Idem pour les illustrations, vu que je suis presque à la retraite et accessoirement

graphiste, j’ai retrouvé mes dessins et peintures qui correspondent aux différentes

époques. J’ai pu aussi prendre le temps et le soin d’imager chaque chapitre comme

ma pensée les voyait. Me peignant pour autrui, je me suis peint en couleurs beaucoup plus nettes qu’étaient les miennes au départ dans mon esprit.

Avant de conclure ce voyage (passionnant pour moi) qu’a été l’élaboration de ce livre,

je me dis que peut-être vous jugerez que j’ai perdu mon temps à écrire une histoire

somme toute banale et sans relief. Oui, je sais, c’est probablement vrai. Malgré tout, je

suis heureux de l’avoir fait.

Valence le 6 septembre 2022

A Sophie mon soleil et à ma Fanychou d’amour.

314

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315

P:332

P:333

TABLE DES MATIÈRES

PROLOGUE

PREFACE VIVI

PREFACE ANTOINE

TOME 1

DIMANCHE

LA COURNEUVE

LA CAMPAGNE 1

LʼÉCOLE

LOLO

FIGLIO

ET DIO

MÉMÉ & LA COMMUNION

MARSEILLE

TUNIS

PAPA & MAMAN

LʼUSINE

SAINT-OUEN

NONO ET LA BOXE

SICILIA

LES PUCES 1

BELLEMARE

SUPER NUL

LES BEAUX ARTS

REMOUA

LE CLUB

CUBUC

LES PUCES 2

MADIMINA

TOME 2

ÉTIENNE

ENZO

CLERMONT-FERRAND

LA CAMPAGNE 2

ROCK

MANON

PRESQUʼÎLE

GASSIN

BRAVEHEART

SOLITAIRE

PARIS

TOME 3

DOFRI

LE PSY

PICIOTTI

SOPHIE

ÉPILOGUE

P:336

C’est l’histoire d’un mec de 60 ans

qui vit dans la Drôme.

Il a grandi aux 4000 de la Courneuve

avant d’aronter la vie avec ses

joies et ses peines.

Dans ce livre il raconte son enfance,

son adolescence et sa vie d’adulte...

Jean-Claude CASUBOLO

En m’embarquant dans l’aventure d’écrire ce

bouquin, je ne soupçonnais pas le pouvoir pervers

de l’écriture. Oui, les mots peuvent aussi transmettre

des émotions.

C’était très émouvant et parfois très drôle de coucher

sur une page blanche, tous ces souvenirs que je

connais par cœur puisque vécus et racontés maintes

fois, mais toujours par petits bouts suivant le

contexte, le moment et la personne qui écoutait (ou

pas d’ailleurs).

L’écriture permet d’avoir la liberté du récit sans être

interrompu, de faire une synthèse construite, entière

et argumentée comme je ne l’avais jamais fait.

Au fur et à mesure que je remplissais ces pages, je me

disais : putain il était peut-être temps que je fasse

une purge de mon cerveau encombré par toutes ces

histoires... Eectivement, depuis, j’ai le sentiment

d’être plus léger comme quand on sauvegarde son

disque dur sur un disque externe de 4 To. Ça m’a fait

du bien.

LAISSEZ MO R É MI DO JEAN-CLA UDE CASUBOLO

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