A la redécouverte d’Ariane

Thésée et le minotaure
Art attique. Amphore à figures noires :
Thésée, le Minotaure, Ariane.
Vers 550 – 530 avant J.-C.
Museum of Art, Rhode Island School of Design (source : Museum of Rhode Island)

Le personnage d’Ariane dans la mythologie grecque est sans doute plus connu pour le héros qu’elle a aidé, à savoir Thésée, que pour elle-même. Son nom est ainsi à jamais associé à l’expression « un fil d’ariane ». Selon le centre national des ressources textuelles et lexicales, cette expression désigne un « fil conducteur, moyen permettant de ne pas se perdre dans les complications d’une situation ». Elle est une référence on ne peut plus claire au fil qu’Ariane donna à Thésée pour qu’il puisse retrouver son chemin dans le labyrinthe. De plus, toujours selon le CNRTL, son nom en français finit par désigner une femme ou amante abandonnée comme Ariane le fut à Naxos.

Ariane est abandonnée par Thésée qui épousera sa sœur Phèdre. Elle est loin d’être la seule héroïne dans ce cas. Les amours malheureux sont un sujet privilégié de la littérature, et la mythologie grecque ne fait pas exception. La figure de la princesse étrangère qui tombe amoureuse d’un héros, l’aidant ainsi à surmonter des épreuves fatales et abandonnant sa mère patrie, se retrouve dans l’histoire de Médée et Jason. De même, l’abandon de l’héroïne par le héros sur l’ordre d’un dieu car sa destinée est ailleurs figure dans l’histoire de Didon et Enée, L’Enéide. Ce n’est donc pas cela qui distingue l’histoire d’Ariane.

Ce qui fait l’originalité de l’histoire d’Ariane est qu’elle fait partie des très rares héroïnes (peut-être même la seule) à accéder à un statut habituellement réservé aux héros masculins dans la mythologie, au moment de leur apothéose. Ariane accède au statut divin en devenant l’épouse de Dionysos, et rejoint alors les rangs des dieux Olympiens. Seul Héraclès obtient un tel honneur après sa mort sur un bûcher quand il est enfin admis auprès de son père Zeus et qu’Héra lui offre la main de sa fille Hébé en mariage.

Ce n’est pas tout puisqu’Ariane et Dionysos comptent parmi les rares exemples de félicité conjugale de la mythologie grecque. Le mythe d’Ariane mérite donc qu’on y regarde d’un peu plus près.

Le mythe de Thésée et Ariane

Comme souvent dans la mythologie grecque, différentes versions cohabitent. D’un auteur à l’autre, les versions divergent en ce qui concerne Ariane. Cependant, plusieurs éléments existent systématiquement : l’amour de Thésée pour Ariane et l’amour d’Ariane et Dionysos, même si l’ordre chronologique entre ces deux amours peut varier. Dans la version plus largement acceptée, les aventures avec Thésée se déroulent avant la rencontre d’Ariane et Dionysos.

La geste de Thésée et Ariane est sans doute ce que l’on connait le mieux du mythe d’Ariane : Minos demande des tributs aux Athéniens et lorsque Thésée apparaît parmi les jeunes hommes et femmes qui devront être livrés au Minotaure, Ariane tombe amoureuse de lui et lui remet un fil qui permettra au héros de ne pas se perdre dans le labyrinthe. Après avoir triomphé du Minotaure, le demi-frère d’Ariane, Thésée repart pour la Grèce avec Ariane.

La suite de l’histoire est moins connue et les versions diffèrent. Thésée abandonne Ariane endormie à Naxos et lève les voiles avant qu’elle ne se réveille. Selon certaines versions, c’est Athéna qui demande à Thésée d’abandonner Ariane car Dionysos en est tombé amoureux et veut la prendre pour épouse. Selon d’autres, c’est en se promenant sur Naxos que Dionysos rencontre Ariane pour la première fois et en tombe amoureux.

Il est intéressant de noter les différentes raisons listées par les auteurs antiques pour expliquer le départ de Thésée : il aurait simplement oublié Ariane sur Naxos, l’aurait quitté pour l’amour d’une autre femme, ou se serait retiré sur ordre d’Athéna, après avoir su l’intérêt que Dionysos portait à Ariane. T. B. L. Webster, dans son article The Myth of Ariane from Homer to Catullus, note que Pisistrate fit rayer du poème d’Hésiode le vers selon lequel Thésée aurait quitté Ariane pour l’amour d’une autre femme. Ainsi, l’affirmation de Thésée comme une figure héroïque de première importance pour Athènes coïncide avec une certaine moralisation de son personnage : Thésée quitte Ariane sur ordre d’Athéna ou parce que son destin le conduit ailleurs.

L’Ariane divine

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Frères Le Nain (attribué à Louis / Mathieu) Bacchus découvrant Ariane à Naxos, 
102 x 152 cm.  
Avant 1635  
Orléans, musée des Beaux-Arts (source : wikipedia)

Un autre aspect d’Ariane moins connu aujourd’hui était pourtant primordial dans l’Antiquité. Si l’Ariane de Thésée était mortelle, celle aux côtés de Dionysos est divine, une princesse mortelle qui a trouvé sa place aux côtés des Olympiens. Hésiode dans sa Théogonie est le premier à y faire allusion. Selon une traduction d’Ernest Falconet, « Bacchus aux cheveux d’or épousa la fille de Minos, la blonde Ariane, que le fils de Saturne affranchit de la vieillesse et de la mort ».

L’articulation entre ces deux aspects de la figure d’Ariane est sujette à changement selon les auteurs. Homère considère qu’Ariane avait d’abord été l’épouse de Dionysos avant de rencontrer Thésée. Ainsi, au chant 11 de l’Odyssée, Ariane est évoquée en ces termes :  « la belle Ariane, la fille de Minos à l’esprit malfaisant : Thésée qui l’emmena de la Crète aux coteaux d’Athènes la sacrée, n’en connut pas l’amour. Dionysos l’accusait. Artémis, dans Dia, dans l’île entre-deux-mers, la perça de ses flèches ».

Pour Hésiode, Ariane ne rencontre Dionysos qu’après Thésée. Une autre version, celle de Nonnos au chant quarante-sept de ses Dionysiaques, enfin, raconte qu’Ariane rencontra Dionysos bien avant que Thésée n’existe, au temps où le dieu parcourait encore la Terre afin de diffuser son culte. Ariane fut par la suite tuée ou transformée en pierre par Persée lors d’une guerre contre les Argiens. Dionysos descendit alors aux Enfers chercher son âme et l’aurait ramenée avec lui sur l’Olympe.

L’importance de cet aspect divin se reflète dans l’objet que la tradition antique a associé à Ariane. Si, aujourd’hui, notre langue a retenu le fil qu’elle a donné à Thésée, les grecs lui associent la couronne boréale, une constellation reconnue dès l’Antiquité par l’astronome Ptolémée. Selon la mythologie, cette couronne aurait appartenu à Ariane sit qu’elle lui aurait été offerte par Dionysos ou  soit que ce dernier l’aurait placé parmi les astres. Dans tous les cas, cette couronne est associée à la partie divine de l’histoire d’Ariane.  Comme le souligne T. B. L. Webster, cette couronne n’a pas de raison d’apparaître dans le mythe de Thésée et du Minotaure, le fil étant suffisant pour aider le héros.

Aux vers 177 à 182 du livre VIII des Métamorphoses, Ovide décrit l’épisode en ces termes : « Liber [Dionysos] la prit dans ses bras et lui porta secours ; et, pour la célébrer par un astre éternel, il prit la couronne posée sur son front et la lança dans le ciel. La couronne s’envole dans l’air léger et, durant le vol, les pierres précieuses deviennent des feux éclatants et s’arrêtent à leur place, en conservant l’aspect d’une couronne, placée entre l’Homme agenouillé et celui qui tient le Serpent ». Selon Hyginus, dans ses Fabulae, la couronne aurait été accrochée aux étoiles par le dieu à la mort d’Ariane.

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Hugues TARAVAL (Paris, 1729 – Paris, 1785)
L’Automne ou Le Triomphe de Bacchus et d’Ariane
Compartiment du plafond de la Galerie d’Apollon.
1769 (source : wikipedia)

Ariane est donc une figure duale dans la mythologie : amante éplorée et épouse divine de Dionysos. Plutarque, dans ses Vies Parallèles, plus précisément dans sa « Vie de Thésée », évoque ainsi l’hypothèse selon laquelle il y aurait deux Arianes : celle qui aurait été l’épouse de Dionysos et celle qui aurait suivi Thésée, afin de pouvoir concilier deux récits si différents.

Cette héroïne a connu une fortune picturale qui ne s’est pas démentie, contrairement à sa représentation littéraire : ses aventures n’ont pas été reprises dans une tragédie de Racine, et, aujourd’hui, le couple d’Hadès et Perséphone suscite beaucoup plus de discours. Ariane demeure cependant une figure féminine de la mythologie grecque au parcours singulier pour laquelle il est intéressant de lever le voile de l’oubli.

 

 

 

 

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