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Autour de la Méditerranée
De Tripoli à Tunis
Autour de la Méditerranée
comprendra 3 Séries :
De Tripoli à Tunis
MARIUS BERNARD
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1
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aI JElNllï??
PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
HENRI LAURENS, ÉDITEUR
6, RUE DE TOURNON, 6
PT
AVIS AU LECTEUR
visite d un immense musée oit l'histoire est écrite avec les débris
des âges, comme une pérégrination à travers un passé dont les
tien ont tracé que des peintures èparses. Personne ne lésa encore
décrits dans un tableau d' ensemble. Z ne série d'ouvrages qui, for-
mant un tout, les comjtare entre eux, qui les rapproche les uns
des autres comme les ont rapprochés la nature et les événements,
nous semble cependant devoir conquérir les suffrages des lecteurs.
C'est pourquoi nous n'hésitons pas à en entreprendre la publication.
tans et ses m) stères ; la S) fie avec son archipel, avec ses vieil/es
va chercher au théâtre, c'est l'acteur plus que les décors dans lesquels
il se meut, et < est /homme, c'est l'acteur de la grande comédie
humaine que nous tacherons surtout de /aire vivre au.r ) eux de
nos latents.
et qui, lorsque revient l'été, entraîne tout le inonde par les chemins
faciles mais trop battus de nos montagnes, de nos plages et de nos
villes d'eaux. Chaque année nous prendrons nos amis par la main,
et, avec eux, nous accomplirons une partie de l'instructive , de
l'attra ) aute promenade que nous entreprenons aujourd'hui. Chacun
de nos volumes leur fournira comme le plan d'un voyage qu'ils
TRIPOLI A TUNIS
TRIPOLI
détails se dessinent.
TRIPOLI. *
pouvoir des troupes de Soliman II et, pendant plus d'un siècle et,
après, il n'y avait plus que des morts!... Et les aimées dansaient
toujours.
Le lendemain, ce fut la Saint-Barthélémy des soldats. La
garnison turque s'évanouit comme s'étaient évanouis ses chefs
<(, à l'unanimité des suffrages, Ahmed Karamanli se nomma
pacha souverain de la Tripolitaine.
... Vous
venez pourtant de Marseille!... Enfin, passe/!
A côté de \a Santé, s'ouvre, — toute petite et, en partie, grillée,
de bois, — la place de la Douane. Au milieu des ballots défaits et
...
.«igi f f g i -
TlllI'OM : Il IKU A M .
replient leurs toiles et, sur leurs bêtes au pas lourd, elles pren-
nent le chemin du Soudan, du Grand-Sud, où elles seront
échangées contre on ne sait quelles denrées sauvages mais
précieuses sorties du centre de l'Afrique.
Au fond de l'étroite place dont il occupe tout un côté, un petit
Quel est cet arc de triomphe dont les vieilles murailles s'élèvent,
d'un Lieu céleste sur lequel se reposent, avec plaisir, les yeux
l'alignés de L'éclat du soleil. Jetés des maisons d'un côté aux
maisons d'en l'ace, — comme des arcs-boulants destinés à les
l'une des plus belles de Tripoli. Hantée par des djenoim, — des
génies malfaisants, — les mahométans qui n'avaient plus le cou-
rage d'y loger leurs pénates l'ont louée à des Européens sans
préjugés. Bâtie sur le plan à peu près commun à toutes les mai-
sons barbaresques, elle ressemble aux plus typiques d'Alger ou
de Constantine.
Abandonnés pour quelques mois, des nids d'hirondelles s'ac-
avril a reverdi nus plaines, lorsque les giroflées ont redoré nos
vieilles murailles, lorsque le soleil de la Tripolitaine les a impor-
tunées de ses rayons déjà trop chauds, elles ont rapporté à notre
ciel la joie ailée de leur poésie printanière.
Au milieu de la cour s'élève un grand vieil arbre dont le
Ires les fixent dans les bassins qui clapotent sous les arcades.
Inutile de dire que l'eau employée ici provient d'une citerne.
TIUPOI
tout les plumes dont, plusieurs fois par an, ils expédient jusqu'à
quatre ou cinq tonneaux,— quatre ou cinq mille kilos, — à la fois.
MINARETS ET T E n n A f
MENDIANT NEGRE,
ils 3' portent un peu de nos idées et de nos mœurs ; ils y sont,
dans l'élément européen, nos meilleurs agents de propagande.
Moins entreprenants, d'ailleurs, que les missionnaires dont le
peuple de Mahomet.
— C'est par les femmes, nous disait un prêtre d'Afrique, que,
ailleurs, nous arrivons jusqu'aux hommes. Or la femme est
vaillent à peu près quand et comme ils veulent; ils font partie
de la famille à laquelle ils appartiennent ; bien traités, parfois
aimés de leurs propriétaires, ils ont toujours, au moins, le toit
gouvernants.
Ces hommes chaussés d'escarpins et couverts de deux burnous
de fine laine, — un capuchon levé, l'autre rabattu, — viennent
de Ghradamès... Musulmans intraitables, ils passent lentement,
le dos légèrement arrondi ; ils égrènent un chapelet sans fin et,
blanc, taillé dans une peau d'antilope les protège contre les
balles; sur leurs épaules sont alors jetés en faisceaux de longs
javelots au fer barbelé ; leur avantd>ras est cerclé d'un lourd
garnison entière!...
Mais nous ne sommes que des intrus dans ces souks! Chacun
nous dédaigne; sourdement, chacun nous est hostile. Trompés
par leur costume, par leur physionomie européenne, ne cherchons
même pas un regard sympathique chez les officiers turcs!... La
religion creuse, entre tous ces hommes et nous, un abîme qu'il
sera bien difficile de combler.
Près des marchés se tord, ensoleillée et poudreuse, une rue
dont chaque boutique est un atelier de bijouterie grossière; c'est
la rue des Juifs... Au milieu de ces magasins bas et sombres,
quatre planches forment, — pleines de charbon et de cendres, —
une sorte de caisse sans fond; c'est la forge. Une outre couchée
sur le sol s'ouvre à la manière d'un porte-monnaie; un homme
écarte les lèvres de bois de sa large fente et les soulève, l'outre
se gonfle; il les referme et les refoule vers le sol, l'outre se vide
et par un bec de fer, clic active le feu qui pétille entre les pierres;
c'est le soufflet... Accroupis autour de ce foyer primitif, le menton
sur les genoux, les argentiers d'Israël chauffent, découpent,
DE TRIPOLI a TUNIS.
repoussent les métaux fallacieux tlonl ils font les larges boucles
d'oreilles, les plaques de colliers, les bracelets pesants, les gros
AUTOUR DE TRIPOLI
des jours, ils ont vécu de cette autophagie dont la nature pré-
voyante leur a ménagé les ressources et ils sont arrivés, la bosse
à demi-fondue par les jeûnes longtemps endurés. D'autres
errent, égarés, et gauchement, boitent sur trois pattes... Pour
prévenir tout vagabondage, on leur a replié et attaché la qua-
trième sous le ventre.
mission qui leur est confiée, des Arabes chaussés de hautes bot-
tines jaunes et coiffés de larges turbans. Ils ont des poudrières el
dans les dangers qu'ils vont affronter ensemble. C'est une caravane.
Tripoli a presque aujourd'hui, le monopole du commerce avec
l'intérieur de l'Afrique. Six ou huit convois de mille à trois mille
redoutable des S'noussja... Et, par les pierres, par les collines
nues dans les espaces nus, par les sables brûlants de l'antique
Lybie, par les déserts où vivaient, les Garamantes et où, de loin
en loin, blanchissent des ruines qu'y ont laissées les colons de
Rome et de Carthage, elles suivent à peu près toutes la même
direction' jusqu'aux oasis du Fezzan.
Arrivées à Mourzouk, elles bifurquent, les unes à l'occident,
nom figure à peine sur nos cartes; vers des pays où, despotes
ensanglantés, régnent des sultans bizarres; vers des contrées de
rêves, aussi vagues, aussi confuses pour nous que celles où se
par les oasis inhabitées, par les étapes où, dans les puits qui
précède, il l'annonce.
En foule on court à la lisière de l'oasis... Un
Rien encore!...
petit nuage de poussière se lève cependant comme une brume
rougeâtre, là-bas, dans les profondeurs lumineuses de l'horizon
enflammé. Il grossit; il s'approche... C'est elle!
Et, les étendards déployés, elle revient aux plaintes rauques des
chameaux amaigris, au chant joyeux des flûtes, aux détonations
de la fantasia.
Plus loin que ces ateliers s'étend le camp des Turcs. Comme un
couvercle conique sur la margelle d'un large puits, chaque tente
y repose solidement sur une petite muraille circulaire blanchie à
la chaux. Des hommes de corvée y font bouillir de grandes mar-
mites... Et on songe à celles que, si volontiers, renversaient les
janissaires.
— Allah donne longue vie et gloire à notre sultan magnanime!
crient des cavaliers alignés devant l'une de ces cuisines.
aujourd'hui? Les Arabes ont passé par là. Bérénice s'est écroulée,
elle s'esl nivelée sous les pas de leurs chevaux et, dans le nom de
la ville qu'ils ont élevée sur ses débris, à peine reste-t-il un sou-
venir informe de celui qu'elle portait elle-même.
Une vieille porte où veillent les prosaïques employés d'une
suite d'octroi donne sur une longue rue, — la strada vella, — où
les consuls étrangers habitent quelques demeures à physionomie
chrétienne. Parallèle au rivage, elle conduit à la place principale.
Des maisons blanches, des minarets aigus, des cafés où
sommeillent des hommes plongés dans l'ivresse extatique du
haschicli, des baraques lézardées entourent cet espace où errent
des Arabes, où dormenl des chameaux.
Espèces de cigognes au bec monstrueux et à la tête chauve, de
gros oiseaux blancs et noirs s'y débattent, comme mutilés par un
coup de fusil. Leur corps semble velu ; leurs ailes sont duvetées
de plumes fines, floconneuses, impalpables. Ce sont des mara-
bouts... Ils ont eu l'imprudence de se poser sur le sable et ils ne
n'y a pas d'eau ici. Ces rues sont propres, cependant, et, —- bien
(pie la température moyenne de ses étés soit de 4a°, — Benghazi
est l'un des points les plus sains des côtes barbarescjues.
?*
BENGH iZI.
cents niais dont aucun mur, dont aucune haie ne protège les
abords.
Serrés les uns contre les autres, de petits prismes de bâtisse
semblables à des couvercles de cercueil et dont un cippe indique
parfois la tète, jonchent, sans ordre, les pierres calcinées de ce
ISENCIIAZI : LA PLACE.
un des leurs qui, son rôle joué, rentre dans la coulisse et que
tous veulent porter en même temps.
Sans fondation, simplement à plat sur le sol, les tumuli
maçonnés qui forment les tombeaux ne gardent nullement contre
les profanations des bêtes les morts enfouis à peine à une coudée
de profondeur. Et, de toutes parts, —-terriers hideux, — baillent
les trous noirs que les chiens des jardins ont, la nuit, creuses de
leurs griffes faméliques; de toutes parts, blanchissent des
fémurs décharnés, des crânes déterrés et ronges par les hyènes
immondes.
40 l)l<; TRIPOLI A TUNIS.
les Arabes dont le vaste chapeau bat les épaules de ses ailes
éplorées, suivent, indifférents, la route qui traverse cette cité
des morts.
endormis du Sahara.
Etroite bande fertile, longue de huit kilomètres mais à peine
large de deux ou de trois, cette oasis constitue, à elle seule, pres-
que tout le villayet de Tripoli.
Vaguement bornée, au sud, par des états nègres; à l'est, par
l'Egypte; à l'ouest, par la Tunisie et par un coin de l'Algérie, la
l'Oudjilah, au sud-est.
Criblées de six mille puits ordinairement desséchés, d'autant
de citernes habituellement vides, sillonnées de quelques lits de
AUTOUR LE TRIPOLI. 47
protéger. Ils ne sont pas encore assez riches pour ajouter à leur
jugés sur les champs de bataille ont vu, dans les Turcs, des
soldats qui marchent de pair avec les plus braves d'Europe et,
ne serait-ce que par raison, un rapprochement se l'ait entre le
soleil fait rage. Maigres et jaunes comme des chacals, des chiens
surgissent, exaspérés, sur la crête de ces remparts, aboient
furieusement à notre tète, se terrent comme pour plonger sur
nous, donnent les signes les plus frénétiques d'un accès de rage
à effrayer M. Pasteur lui-même.
Encapuchonnée dans son barracande laine blanche el chaussée
de sandales, une matrone dévoilée nous suit d'un œil sinistre
tracés des mots cabalistiques et qui en l'ont boire les cendres aux
patients qu'on leur amène, des pythonisses enivrées des vapeurs de
benjoin.
Ailleurs, des dômes de marabouts blanchissent dans les palmes;
des minarets pointent dans la verdure; de petites mosquées aux
multiples coupoles y élèvent, au milieu des cactus, leurs épaisses
murailles que percent des meurtrières, (pie soutiennent des con-
treforts.
Et, comme certains fruits des tropiques, cela exhale une forte
AUTOl'K DE TRIPOLI. 53
>sê£&s^.
T B I PO L I : UNE M O S Q l É E 11 A \ S L O A SI S
dans les cases d'un échiquier qu'ils ont trace sur le sable. Non
loin d'eux s'élèvent de grandes bâtisses autour desquelles des clai-
rons sonnent des airs arabes et qui sont des quartiers de cavalerie.
A travers de véritables murailles, des portes aux battants déla-
brés s'ouvrent quelquefois sur de vastes et tristes jardins. Bordes
de ruisseaux ou de petits canaux de pierre, des sentiers irrégu-
liers s'y insinuent dans un fouillis confus d'arbres et d'arbustes
aux fleurs odorantes. Des rosiers, des jasmins et des chèvre-
feuilles y tapissent des kiosques bardes de faïence verdâtre...
C'est là que les riches Tripolitains envoient leurs épouses varier
les ennuis du harem.
•Vt DE TRIPOLI A TUNIS.
comme l'appellent déjà les poètes qui voudraient bien vivre dans
son intimité. Que les éleveurs de Tripoli ou d'ailleurs nous livrent
des plumes d'autruches qui ne coûteront pas plus cher que
des queues de coqs! Dépréciées elles ne feront plus (pie des
plumeaux pour les valets de chambre ou des panaches pour les
bersaglieri... Que les machines ruinent, en Europe, certaines
industries de luxe ;
qu'elles diminuent, au moins, le nombre des
ouvriers qui y perdent un temps précieux pour tous, c'est bien!
Elles rendent des liras à celle Vénus de Milo qu'on appelle l'agri-
civilisation qu'ils maudissent déjà et qui leur aura pris leur gagne-
pain... Qu'on Laisse donc les autruches au Sahara et leurs dépouillés
aux caravanes !
AUTOUR DE TRIPOLI. oo
Les palmiers font place à des bois d'oliviers dont les troncs
verruqueux se tordent dans des champs d'alfa. Extraordinaires
ici, les éclats cuivrés d'une fanfare guerrière éclatent à notre
oreille... Une musique de cavalerie turque répète la marche du
sultan.
rien du tout. Leur cheval est malade et, plus généreux que saint
Martin qui ne donnait que la moitié du sien, ils ont jeté sur sa
croupe le manteau dont ils se passent avec une sérénité adamique.
Venus du Sud vers la fin d'avril, ils ont semé leur blé autour
de Tripoli. Quatre ou cinq mois suffisent ici à l'évolution com-
plète des céréales et, tranquillement, sans faire autre chose,
— les profonds phi-
losophes !
— ils re-
moissonneront, ils
01 M-ES-SOl k.
Là se tient le marché.
Ailleurs les demeures sont éparpillées dans les enclos qui
divisent l'île en une foule de petites propriétés particulières,
cinq mètres de hauteur sur trois mètres de côté. Cela n'a l'air de
rien, n'est-ce pas.'... Eh bien, comptez à peu près et vous verrez
que, pour l'édifier, il n'avait pas fallu moins de cinq ou six mille
tètes.
leur pèche.
Les coquillages, — que d'ailleurs les Arabes méprisent en
bloc — fourmillent sur leurs côtes; les murer dont, à l'époque
romaine, ils tiraient celle pourpre qui se vendait au poids de l'or
long bec, les loups cl les dorades passent comme des fusées
d'argent autour do notre coque; en une heure, nos hommes
prennent tant de pageaux qu'ils en mangeront pendant deux
jours, qu'ils en saleront îles barils, qu'ils en rejetteront des paniers
entiers; en quatre coups de boulent in , l'un de nous réalise la
Gabès... Nous sommes loin, très loin de la côte. Elle n'est, vers
el d'argent.
Le soleil se lève et nous commençons la véritable traversée qui,
en embarcation, doit nous conduire à terre. Aucun point, aucun
port de la côte tunisienne n'est accessible sans une partie de
canotage qui n'est pas toujours exemple de péril.
déroule la grève qui sépare la mer d'une oasis sur laquelle, molle-
ment, ondulent les (laitiers; vers le sud, c'esl le désert, semé de
bouquets de palmiers qui balisent la place de certaines oasis
secondaires, flottant sur des vagues de sable. Au milieu, en face
des pilotis, plane au-dessus des lames : c'est le port avec ses
dépendances, le premier port du Djérid!
Charriés jusque-là par un de ces petits chemins de fer qui
roulent autour des usines et des carrières, des ballots d'alfa
des nattes, des confies, des hottes, des escourtins à presser les
olives, — ils cousent l'une à l'autre ces bandes juxtaposées.
OtEU-CAlli;
de pluies qui ne tomberaient peut-être pas plus ici que sur les
nons-en un.
9
66 DK TRIPOLI A TUNIS.
font miroiter aux yeux naïfs des soldats et des Arabes, les tenta-
lions de leur quincaillerie poudreuse ; trois cafés, soi-disant
européens, y versent à leurs clients de fortune l'eau chaude,
saumàtre, magnésienne qu'ils puisent dans le voisinage... Qu'on
mette ce liquide en bouteilles et qu'on l'envoie en France!...
Hunyadi-Janos n'aura qu'à se bien tenir s'il veut rester en selle.
L'un des empoisonneurs qui, dans ces officines, exercent leur
industrie coupable est, en même temps, empailleur-naturaliste.
Dans un coin de sa cour, des gazelles pleurent la liberté et nous
les consolons avec des pincées de tabac et des bouts de cigarettes
— étranges friandises dont elles sont avides et dont, réfractaire
dalles... Un chasseur est allé, hier, les tuer, les blesser, les
les ouvre, les vide, les saupoudre d'alun et de tan, les roule dans
un linceul de papier gris, en fail des paquets qui partiront pour
la France. Là-bas, leurs petits cadavres desséchés reprendront,
GABÈS ET LES TROGLODYTES. (17
tant bien que mal, 1rs apparences de la vie et orneront les coif-
fures de nos femmes... O douce société qui protèges les bétes,
pourquoi ta sensibilité larmoyante ne demande-t-elle pas l'expor-
tation de la loi Grammont ? <) coquetterie féminine, que de crimes
se commettent pour toi !
par les conscrits qui ont subi quelque condamnation avant leur
appel sous les drapeaux. 11 est parmi ces hommes des malheureux,
il est vrai dont — tapage nocturne, délit de chasse ou île pèche,
— les fautes antérieures ne sont que de bien excusables pecca-
diles. Mais, confondus par une loi aveugle, avec l'écume des
maisons de correction, avec la fleur vénéneuse des prisons cen-
trales, ils ne tardent pas à se gangrener, à former, avec les
poussière grise. Dans une cour jonchée <le nattes, couverte d'un
front, reçoit leur choc sur son turban, les saisit au vol et les ren-
ferme.
Les maisons cessent. Etincelantes au soleil, les eaux de I'( lued-
sur les pierres, courent entre les herbes où, verdâtres, luisent
des carapaces de tortues endormies. Plus haut, le torrent s'étale
de Tripoli, elle est morcelée par des levées de terre que tapissent
des plantes grimpantes et entre lesquelles circulent des chemins.
Les eaux qu'un barrage détourne de l'Oued-Gabès ou celles qui
sortent de terre à la température de 48 y serpentent en ruis-
seaux limpides, l'as plus que dans les ondes du torrent le pro-
meneur altéré ne peut y tremper ses lèvres.
voûté où, sombre, s'ouvre une vaste salle. Les colonnes trapues
qui soutiennent le plafond de cette sorte de pas-perdu et auxquelles
DE TUIPOLI A TUNIS.
fiAliiiS
croupissante et profonde oc-
cupe presque toute la largeur
du chemin. Puis ce sont des rues à ciel ouvert, des boyaux brûlants,
aveuglants... De loin en loin, dans de vastes pièces noires dont
les poutres s'épontillent de slipes grossièrement équarris, des
négresses, la tête sur une gargoulette qui leur fait comme un
oreiller frais et humide, dorment à côté d'ânes qui rêvent, les
oreilles basses. D'autres font tourner leur petit moulin et che-
vrottent les modulations langoureuses de leurs cantilènes enfan-
tines. Semés de perles rouges, Mois ou quatre larges anneaux de
cuivre percent leurs oreilles; leur chevelure crépue, serrée
laeheiiienl dans un foulard lamé d'or, se divise en mille tresses
que terminent de gros sequins argentés.
Au fond d'une cour noyée de soleil, des hommes en fête mangent
10
74 DE TRIPOLI A TUNIS
plus savamment que lui, n'a encore étudié cette partie sauvage de
la Régence ; nul n'en connaît mieux les routes, les oasis et les
habitants; nul enfin ne pourrait être pour nous un guide plus
complaisant ni mieux informé.
Peinte de rouge vif, — couleur traditionnelle, — et escortée
Encore une oasis. A peu près carrée, elle occupe une quaran-
taine d'hectares, celle-là, et elle se divise en une multitude de
jardins presque tous enrichis d'un puits auquel on peut s'abreuver
sans dégoût et sans crainte.
Sur le bord de la route, autour d'un blanc marabout, se
pressent, sans ordre, les masures du village qui donne son nom
à cette ile de verdure. Alimenté par une petite source, le bassin
1 1 M \l ES l>F li.I A n r. \
par une grande ceinture écarlate, rattachée sur les épaules pai-
bordj, avec sa boite aux lettres dont, chaque jour, les courriers
soleil s'exaspère et, par le lit desséché d'un oued d'ocre jaune,
péniblement, nous gravissons une petite vallée du Djebel-
Ouarifen, l'un des massifs du N'fouça.
Une lumière crue calcine les rochers qui projettent des
ombres très nettes, dures comme des taches d'encre ; le feuil-
Approchons.
Quelques sentiers sillonnent le terrain bossue de mamelons
rougeâtres; de grands trous s'y ouvrent comme des réservoirs
vides... Beni-Zelten !
montagne...
On nous a vus. Le bruit de notre arrivée a couru sous terre et,
Et, dans son épaisseur, ont été creusées les grottes qu'habitent
mettre à l'abri des orages qui, de très loin en très loin, versenl
ici quelques seaux d'eau, — des portes cintrées sont percées
dans ces murailles et donnent accès aux terriers, aux pièces de
ces hypogées oit s'enterrent des vivants.
Plus longues (pie larges, ces chambres sépulcrales sont taillées
en voûte et leurs flancs s'élargissent comme ceux d'une barque.
Un massif de terre qui sert de couche, d'autres qui remplacent
les sièges, d'autres qui fonl l'office d'étagères ont été ménagés
dans La masse; des lions v oui été pratiqués qui jouent le rôle
GABÈS ET LES TROGLODYTES. 8a
Nos spahis ont déniché des œufs, une poule, du lait, — tout
salile durci, par les creux sans arbres, par les dunes veloutées
d'alfa, par les savanes où, au loin, bondissent les gazelles, par
des landes de cailloux et de poussière, notre équipage, — comme
une grande araignée rouge, — s'en va cahin-caha.
De vagues replis semblent, à l'horizon, devoir nous fermer la
Arabes barrent les petits ravins qui sillonnent les lianes des
12
!)0 DE TRIPOLI A TUNIS.
arrosé les dattiers, va, un kilomètre plus bas, se perdre dans les
sables. Des puits rafraîchissent heureusement en grand nombre
ce verger africain et fournissent à ses habitants une boisson assez,
Rien '
Toujours rien ! La vue se perd dans les plaines dé-
sertes, dans la verdure monotone de l'alfa... Les montagnes
GABES ET LES TROGLODYTES. !ll
celui de Mareth...
Le tamarin de Bir-Touasi, au fond dune vallée ; le marabout de
Sidi-Mosbah ; une petite chaîne de collines du haut de laquelle,
jusqu'aux montagnes des Troglodytes de Tatahouine, apparaît la
contrée.
fin lace de celle sorte de manoir féodal se dresse l\sai-< '.alofa
avec ses maisons, ses magasins et ses grottes; puis ce sonl Ksar-
GABES ET LES TROGLODYTES. 93
M'guebla est un ksar habité, établi sur le plan de celui des Beni-
Barka et entouré de grottes artificielles où les Arabes se logent
pendant la saison chaude... Montante, sablonneuse, malaisée, à
peine flanquée de quelques champs, la route suit l'Oued-Tatahouine
pendant dix kilomètres. Ça et là, sur son parcours, gisent des
débris romains : ruines de mausolées, pierres sillonnées d'ins-
criptions illisibles, colonnes brisées, torses de statues mutilées
parle temps et par les hommes, huttes faites de pierres antiques.
Après Bir-Ouderna, elle s'éloigne des cailloux blanchissants
de la rivière pour se rapprocher de la montagne et la côtoyer
jusqu'à un col où un puits et des sentiers battus révèlent le
points Mânes, les lombes d'un cimetière. Plus lias, enfin, dans la
[> o i: i ne T : M u SI Cl KN s
S FAX ET MEIID1A
plendit comme une tente de drap d'or. 11 grossit et, sans peine,
l'œil supporte la rougeur de braise de son éclat qui s'éteint...
Vers te sud, jaune et désert, court un rivage très plat que ter-
mine un cap dont les arbres renversent dans des eaux invisibles
leur spectre lumineux; vers le nord, se déroule un autre rivage
de Zarzis que leur finesse prédestine aux toilettes les plus cha-
touilleuses.
Gomme celle du corail à la Calle, la récolte de ce produit sous-
marin se fait ici d'une façon déplorablemenl imprévoyante... ( )n at-
tache, à une forte amarre, un filel dispose en une poche dont l'orifice
gangava. <
m jette cet engin à la mer. — on le manille, et, à
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102 DE TRIPOLI A TUNIS.
et, quelques jours après, ils ne sont plus que d'informes pelotes
de rognures de cuir, que des paquets coriaces de bitord gou-
dronné... Ils partent alors pour le Levant où, comme nous
faisons du stock-fish, on les soumet à des macérations prolongées
qui les ramollissent jusqu'à la consistance du caoutchouc, —
ce dont s'accommodent les estomacs robustes des Hellènes,
grands amateurs de ce plat de carême qui, plus que tout
autre, mérite le nom de plat de résistance. Sfax expédie an-
nuellement jusqu'à 4° °°o francs de pieuvres ainsi momifiées.
Une demi-heure de canotage à la voile... La côte s'avance, avec
ses chantiers de construction, avec les débris de la Toprana, -
i FA X : UN C SI M F. I; C* \ T N T* Fi 1. t
I \ 1 l'OUÏ F. DE JAHD1N .
cholérique voyage.
— El ma ! El ma ! A l'eau ! A l'eau ! hurlent les guerbadjis, —
les Auvergnats du cru.
Et, affublés de leur carapace de cuir, ils s'en vont tout en avant,
poussés parle poids des deux grandes amphores dont sont char-
gées leurs omoplates ou ployant sous le faix d'outrés qui, la panse
fluctuante et les poils ruisselants, ressemblent à des bêtes
noyées.
Et dans ce monde, en même temps solennel et drolatique, magis-
tral et bouffon, courent, comme des rats dégoûts, des chacheras
— des gamins, — jolis comme des tilles. Emmêlé dans les lils
ION DE TRIPOLI A TUNIS.
femme...
quée dans l'une des parois latérales de cette salle des pas perdus...
Des ferblantiers et des parfumeurs ont élu domicile sous les
voûtes de celle-ci ; un cafetier s'y tapit dans une lanière, étend ses
nattes d'alfa sur le pavé et paie des musiciens qui, pour arrêter
les passants, exécutent une sorte d'air mécanique. Seul, secouant
ses longues oreilles, un âne atlachédans leur voisinage les écoute
malgré' lui.
de dames étendus sur des paillassons étalés au pied des murs. Tour
a tour, elles passent sous des planchers ténébreux, sous des arca-
des transversales, sous des tentes éplorées, sous les rayons pesants
d'un soleil implacable. Des boyaux s'embrouillent à travers les
gères, des petits bancs à jour, des lits aux colonnettes tordues,
des coffres sculptes, peints, ruisselants de dorure s'amoncellenl
dan- de- boutiques papillotantes; une foule bruyante grouille
SFAX ET M EH MA. 111
vue planer sur les rangs serrés de deux mille turbans rouges.
blancs ou verts. Là s'agenouillent les deux mille marchands qui,
à l'heure de la prière, ferment leurs magasins et viennent écouter
et marmotter des versets du kitab.
parlant très haut; repliées dans un étroit corridor, les pieds contre
une muraille, la tête contre l'autre, déjeunes filles y sont couchées
au travers de leurs portes et, bêtes humaines, regardent immo-
biles et muettes...
nulle vie dans les traits figés de leur figure dure et impassible !
donné dans toute leur vérité brutale ces tatouages qui ceignent le
UN CIMETIERE A01EE.
foulards voyants.
— La pauvre jolie petite fille ! dit un passager français.
Et il caresse la joue brune, veloutée comme une pêche, d'une
enfant qui lève sur lui ses beaux yeux de gazelle étonnée.
— Khramsa! gronde la mère qui dirige vers lui ses doigts
réunis en faisceau. Khramsa! Cinq! répète-t-elle pour écarter
Vain, — le mauvais œil, — que le roumi a jeté à sa progéniture.
Songez donc! 11 suffit de regarder un petit Arabe pour lui
porter malheur.
Où vont ces voyageurs sauvages? Seconder les Khrammès, ces
agriculteurs sédentaires qui se louent aux propriétaires du sol et
qui touchent, comme salaire de leur travail, le cinquième de la
olives.
des hasors.
Très usités en Provence, les canards sont, disposés en rond,
,lls DE TKII'OLl A TUNIS.
madragues.
Ainsi que les Djerbiens, les Kerkenniens s'enrichissaient jadis
en recueillant dans leurs récifs les murex dont on tirait la pourpre...
La chimie et les révolutions ont, depuis longtemps, ruiné celle
industrie royale.
Ni eau, ni terre, le sol plat de ces îles, qui servirent de refuge
a Annibal et a Marins, est ymc vaste mosaïque de petites oasi>.
Mehdia.
Mecque.
Mehdia qui,
e
au x siècle, lut fondée sur les restes d'une ville
S I A \ ET MKIIU1A. 119
portée de la main tous les objets épais autour d'eux. Et, avec
des navettes d'os qui semblent dater de l'âge de la pierre, sur
un métier dont les montants sont des troncs de palmier, dont les
lissent les burnous épais, les manteaux bruns des femmes, les
être lancés, il y a trois cents ans, par les basilics et par les cou-
leuvrines de don Garcia de Toledo et de don Juan de Véga.
Et les prisonniers errent comme des âmes qui n'auraient pas
une obole pour passer le Styx... Les uns s'abandonnent et gisent
sur les gravats; les autres s'accroupissent sur des pierres, laissent,
sur leurs genoux, pendre leurs mains tatouées de croissants
emmanchés d'une croix et fixent devant eux des regards que
ternit un morne découragement.
—Maktoub Rabbi! Dieu l'avait écrit! soupirent les plus
résignes.
Et, tristement accotés aux murailles, ils tricotent des calottes
blanches.
— Un prince! se disent-ils tous à votre vue.
Et ils s'agitent, ils accourent, ils vous entourent, ils réclament,
ils prient, ils supplient, ils implorent la liberté... Pauvres gens!
Ils devaient payer au gouvernement, les uns le Kanoun, qui est
une taxe sur les arbres, les autres 1'
tchour\ qui est une dîme
sur les céréales, ceux-ci la Mechia, qui est un droit sur les
les sauterelles sont venues, ils n'ont pul s'acquitter de leur dette
EH
'"'
il
y
i s
16
\12 DE TRIPOLI A TUNIS.
maudite.
Au fond du préau, derrière trois arcades isolées, — seul reste
ral i iec.
sur les belladones qui s'y dessèchent dans les crevasses; des
boulets inutiles y traînent au pied des parapets disjoints; des
canons en retrait d'emploi y gisent sur le liane, comme des cada-
vres de bronze ; des lézards gris s'y étirent au soleil... Et, l'âme
Seulement il
y a quarante ans que je fais ici les peaux et éponges
et je n'ai jamais vu de cuirassé. Alors...
— Oh! du canot! hélait encore la sentinelle.
capitaine de la Santé.
I "n coi h m créa nt! Un agent sanitaire !... Cela ne poux ait se passer
ainsi! Et, tout de même, on envoya a terre les matelots qui
devaient prendre possession des forts. Les Mehdiotes les atten-
entrés dans cette éternité qui ne connaît pas de mesure, dans cet
infini où ne sont plus ni veille ni lendemain. Ce monticule n'est
qu'un vaste ossuaire sur lequel plane la solitude du néant... Pas
une couronne sur ces tombes! Pas une Heur qui y exhale le triste
parfum du souvenir! Sur elles est retombé le linceul de cet oubli
qui est comme une seconde mort...
Un grain se prépare. Frangés d'argent, de gros nuages aux
teintes funéraires ont monté dans le ciel obscurci; la mer qui
clapote aux souffles d'une brise soudaine s'est assombrie comme
126 DE TRIPOLI A TUNIS.
et qui, les premiers, sont partis pour le pays de tous les morts.
Au bout de la presqu'île blanchissent, au niveau du sol. des
voûtes qui résonnent sous les pas. Des ouvertures carrées en
percent le dos arrondi et les pierres que nous y poussons du
pied tombent lentement pour aller réveiller, en dessous, des cla-
potis sinistres, des bruits qui, longtemps, roulent dans le vide. Si
l'œil plonge dans ces antres, s'il s'habitue à leur obscurité, vague-
destruction et de la mort !
ED-DJEM ET M ON ASTI R
— Avec de bons mulets, trois heures... /// cha lllah ! S'il plaît
a Dieu.
— Et avec une voiture?
— Cinq ou Tu ne
six... pourrais pas. le soir, être revenu à
S^Vs SÊfa
EN COUTE.
la r R i e r. E
Les arbres alternent avec des champs arides, avec des terrains
sablonneux où bleuit le romarin, où frissonne l'alfa, où, en larges
candidissima..
—
Ach namallah! entonne Hassan dune voix chevrotante,
Ach namallah ! Galbi achag!.. Ld-a-assmar! Ach namallah !
N'dih lessoulah, Rabbi'dla ! Tant pisl Mon cœur aime sa belle
figure brune. Tant pis !.. Que les marabouts me pardonnent et
pays qui les a créées. Ce sont comme les berceuses des vieilles
grand'mères; ce sont comme les ballades sans air bien défini
et que, peut-être par atavisme, les très anciens matelots de
Provence chantent quelquefois dans leurs barques, par le calme
sonore de leurs beaux soirs d'été ; ce sont, en même temps, des
chansons d'enfants et des chansons de vieillards. Elles symbo-
lisent ainsi les hommes qui les disent. Le peuple arabe, — le
Vrai, non celui des villes, niais celui qui \il sous la tente, —
ED-DJEM ET MONASTIR. 131
n'est-il pas un peuple très vieux et, par bien des cotés, demeuré
tout enfant? N'est-il pas, sion veut, retombé dans l'enfance des
peuples ? Nous avons progressé, nous avons tout bouleversé
autour de nous, nous ne sommes plus l'humanité d'il y a mille
ans, nous sommes des hommes nouveaux, nous sommes jeunes...
Lui a vécu sans changer, il a vieilli dans sa foi, dans ses mœurs,
dans son costume. Sa civilisation a, un instant, il est vrai, éclairé
et ébloui le monde mais l'éclat s'en est bien vite éteint. Et il est
Hassan met pied à terre, et, sur son burnous étendu, se tourne
vers l'orient :
—
Le hamdoullaï eurbeu el alamina, maliki lioum (Uni iaka,
naboudou aaLlioum al dallim hamdoullaïn. imin!
Et, ce disant, il se tient debout, les mains à la hauteur des
Cette piété des musulmans nous étonne, mais moins que notre
indifférence religieuse ne les étonne eux-mêmes. Elle fait plus
[32 DE TRIPOLI A TUNIS.
servît d'interprète :
plaisir.
— N'aie pas peur! dit Hassan. Elli kteb Ihou Rabbi tslatsin,
ma imoutchi fi
achrin! Celui que Dieu a écrit pour qu'il vive cent
uns, ne mourra pas à vingt.
croupit tout près de là. Une famille en voyage s'y est arrêtée et,
comme dans l'Arad, les bêtes y boivent, les hommes s'y lavent,
Erri! Notre mulet trotte, gravit une dernière éminence et, avec
la soudaineté d'un changement à vue, nous apparaît, — colossal
d'un voyageur, d'un curieux qu'ils vont guider est pour eux une si
rare aubaine!
Des ruines plus ou moins récentes, des clôtures et des portes
délabrées, des pans de murailles construites avec des pierres
arrachées au colosse en encombrent les abords semés de débris
de poteries et de fragments de briques.
. i 'lia û
IS
138 DE TRIPOLI A TUNIS.
climat, n'eût peut-être pas eu une durée aussi longue, il est divisé
résistance fut même si longue que les soldats des Khalifes suppo-
sèrent qu'elle recevait des vivres et des renforts par une voie
mystérieuse. Les Arabes montrent même encore l'ouverture du
souterrain par lequel, disent-ils, elle communiquait avec Mehdia.
Bouché aujourd'hui à quelques pas de son entrée, ce corridor
n'était probablement qu'un canal. Les jours de naumachies, il
(|iii grimpent en avant, agiles comme des chats el qui nous tendent
une main secourable, sans ceux qui nous poussent, qui nous
lussent vers les hauteurs, il nous serait presque impossible de
gravir ces amas de moellons, ces éboulis de cailloux, de plâtras
et de gravats.
Des voûtes grondent et semblent prêtes à s'effondrer sous
notre poids; des pans de planchers que rien ne paraît soutenir
s'avancent en étagères sur des villes menaçants; des crevasses,
des trous tantôt sombres comme la nuit, tantôt lumineux à
Arabe dont la tente dure plus longtemps que les monuments les
SSS *^
1 ".;-_>'
EN TUNISIE.
ont mis à jour des caves, des canaux, des débris de colonnes.
Plus loin, à Djebel-Aïoun, s'éparpillent, jonchés de marbre el de
débris d'amphores, les restes d'une cité anonyme, d'une de ces
villes qui, comme s'il n'avait pas été fait pour les Européens,
n'ont pu prendre racine sur le sol africain. On ne peut faire un
pas dans ces parages aujourd'hui presque abandonnés sans
142 DE TRIPOLI A TUNIS.
davantage.
Allons demander un instant de repos et un semblant de fraî-
^entent dans nos poches les attirent comme l'odeur du miel attire
les mouches et, en nuée, ils nous offrent maintenant des frag-
ments de sculptures, des morceaux de mosaïque, des éclats de
cannelle.
Du poisson salé ou sec, des hachis de viande confits dans
de l'huile et mélangés à du beurre el à du blé torréfié et concasse.
peuvent représenter les hors-d'œuvre.
Les entrées sont de poulet fricassé aux pois, de viande farcie
144 DE TRIPOLI A TUMS.
suffisent pour faire face aux dépenses d'un dîner dont se déclarent
satisfaites les modestes exigences de son estomac : une karroube
de galette, une karroube de viande, une karroube de fruits, enfin
mer !...
énorme chantent au bord de leur trou ; les souris, les geckos, les
l \ M M; I \
Thapsus.
Calme plat, maintenant! A peine un souffle qui, presque insen-
sible, gonflenos voiles et qui, sur la mer paresseuse, nous pousse
doucement, vent arrière.
Le soleil fait danser comme des flammes légères sur l'eau qui
semble fumer; une couche de vapeurs chaudes vibre sur l'horizon
19
14*> DE THIPOLI A TUNIS.
et, là-bas, très lointaine vers le sud, rougit, splendide dans son
aridité, une côte calcinée de lumière... Aucun son autour de nous
que le bruissement de Fonde déchirée parl'étrave, que le clapotis
des petites lames qui, en longs replis d'azur, courent aux lianes
bariolés île notre barque.
L'un des deux hommes qui composent l'équipage sommeille,
la main droite sur l'écoute, la main gauche sur la barre ; le second
s'est endormi à l'avant, à l'ombre rougeâtre de la voile... Et on
s'en va. mollement balances par les longues houles qui viennent
du large... Et c'est une de ces heures pleines, comme celles i\u
par des têtes de palmiers. Et, de l'une à l'autre, les troncs de ces
arbres jettent des hachures sombres sur lesquelles brochent des
maisons aux fenêtres peintes.
Puis ce sont les oliviers, des oliviers énormes qui, en un
fouillis grisâtre, en un bois désordonné, poussent à l'aventure.
L'Arabe ne s'en occupe que pour les bâtonner avec fureur le jour
de la que pour y secouer alors, avec
cueillette, une frénésie
incroyable, de longues gaules qui en effarouchent les feuilles et
Pigeons décerné à ces petits mornes par des voyageurs qui, pas
plus que les habitants du pays, n'y ont jamais vu se poser un seul
de ces granivores.
A l'ouest de cette crique, — au delà d'une large plage où
s'ébattent, comme les plongeurs d'Aden, des baigneurs bronzés
que ne gênent les règlements d'aucune police, où s'affaissent
quelques gourbis de loques et de palmes, où craquent au
soleil des barques au nez extravagant, — s'élèvent les fortifi-
aboyer au soleil.
uns des autres. Ils en font, ou plutôt ils en faisaient, une sorte de
forteresse à compartiments, quelque chose comme un navire
cuirasse à cloisons étanches, à l'époque où Torghoud-reïs, -
K^
M N AST I T.
voie sont plus liantes, plus grandes que celles que nous avons
vues jusqu'ici. L'intérieur, que ronge la poussière de l'abandon,
en est souvent décoré avec un luxe véritable... La course devait
au temps de Mami-reïs rapporter à ces honnêtes forbans plus
qu'un négoce pour lequel ils ne manifestent aujourd'hui qu'une
bien tiède vocation.
qu'il n'y a en Algérie que des Français qui ont fini </<• bien faire
en France.
Assertion outrée mais malheureusement trop vraie encore
maigre, inutile de le dire, de très nombreuses, de très honorables
exceptions.
Voici ce qu'on pourrait appeler le quartier officiel de Monastir.
Sous la voûte d'un passage ombreux une vieille porte aux grandes
ferrures rouillées ouvre la maison du cadi, juge et chef de la
Une pauvre vieille femme, — une mère, sans doute. — est, dans
152 DE TRIPOLI A TUNIS.
: *
[TOUB DE MOS.ISTI1
E \ T II F. «OMSIin El S O U SS E
20
154 DE TRIPOLI A TUNIS.
Par une route aussi belle que nos plus belles routes nationales,
une promenade de deux ou trois heures va nous conduire à
une large tache el des dattiers plus hauts que les autres s'en
élancent qui mettent au <i<l comme de grandes étoiles vertes.
Ouelques-uns de ces arbres se présentent sous un aspect bien
imprévu. Leur stipe est annelé de deux ou de trois profonds
étranglements ; deux ou trois collerettes de palmes y for-
ment, plus haut, comme des nervures de parasols dépouillés
de leur toile el superposés sur leur tronc, comme sur un manche
unique ; un bouquet de feuilles s'épanouit enfin à leur extrémité...
K. M ROUAN
avec rage, enfonce son petit nez de proie, dans le sein maternel ;
grisâtre qu'elle a noué sur sa tête et qui flotte sur ses épaules ;
effrontées, des alouettes qui chantent jusque sous les pieds «les
chevaux. Comme des tanières de serpents, des trous s'ouvrent
entre les rails et, effarées, des chouettes en sortent qui, d'une
aile précipitée, vont, à quelques pas de là, se poser sur la plus
haute cime d'un buisson. Et leur grosse tête de côté, le nez sur
le menton, — ainsi que des gens qui pincent les lèvres, — elles
nous regardent de leurs yeux ronds et clignotants, avec des
mines fâchées.
— Qu'est-ce que c'est que ce monsieur Decauville qui vient
ainsi troubler le repos des petites chouettes croyantes?
Sur la terre nue. de grands ronds laissés par des tentes indiquenl
que, par là, ont campé des nomades. Plus loin, des fagots de
jujubier ceignent d'un rempart épineux les maisons de toile d un
KAIROUAN. 161
qu'elles leur rendent ainsi que, dans leurs labours, les Arabes
ménagent ces broussailles.
Vêtues de bleu ou de rouge, de petites filles tatouées fixent
sur nous l'étonnement de leurs grands yeux sauvages ; des chiens
et des chevaux vaguent autour du camp ; îles chameaux <|iii
cactus isolés les uns des autres, comme les arbres de nos vergers.
Et, debqut sur un pied unique, ils tordent en blanches épileptiques
leurs épaisses séries de feuilles menaçantes, ils gesticulent en
végétaux extravagants.
Une baraque où un eu/on vend de l'absinthe; une autre où
logent six turcos indigènes et deux spahis autochtones qui, au
nom de la France, représentent la garnison protectrice; un
nouveau douar; une ('curie d'où on nous amène des chevaux
frais : c'est le relais de Sidi-el-Hani... Et Khradoudja roule une
cigarette entre ses doigts jaunis, tandis que le petit Juif hurle
comme un chevreau arraché à sa mère.
En route toujours ! Le paysage ne change guère. Il y a quelques
plantes cependant, mais, comme parfois chez nous aux croix des
-21
102 DE TRIPOLI A TUNIS.
en aucun cas. permis d'y passer la nuit. S'il avait enfreint celle
et son cadavre mutilé était, sur une claie de palmes, — les palmes
du martyre, — traîne à la voirie où il pourrissait au soleil, avec
des charognes d'ânes et de chameaux, où les vautours au cou
déplumé et sanglant lui donnaient seuls une horrible sépulture.
Comme l'industrie de sa race trafiquante et tripoteuse a,
tous les jouis un peu plus loin cl y fermentent à leur aise. (Test,
entre eux et les portes, un continuel va-et-vient de chameaux qui
y charrient des détritus de toute sorte. Voilà qui est certes d'une
déplorable hygiène, mais où conduire les égouts d'une agglomé-
ration qui n'a pas de champs à fumer, qui n'a, a sa portée, ni mer,
ni rivière, ni lac ?
steppes inhospitaliers. 1
mèrent sa croyance.
Plus connu die/, nous sous l'appellation défigurée de Mahomet,
(< tils -qui. aujourd'hui, est, en effet, glorifié comme fondateur
et comme premier chef de l'Islam — mourul vers 632 et oui suc-
des ( (iiuniades.
KAIROUAN. 167
commerce, par les richesses qu'il apporte, par les fourberies qu'il
au bout de trois jours, on vit, effrayés par les clameurs que pous-
saient des milliers de voix, s'en aller en une exode pareille à la
huppes et les vipères; les lynx et les fourmis ailées, les ramiers
et les caméléons; les hyènes et les scarabées, les cailles et les
cafards; les lions et les scorpions, les pigeons et les pythons; les
panthères et les sauterelles, les gangas et les poux; les lapins et
les puces, les outardes et les vers, toutes bêtes plus ou moins
féroces qui n'allèrent pas bien loin et dont la descendance habite
encore la Tunisie.
L'édification de la première mosquée fut plus facile encore que
l'expulsion de cette ménagerie. Les pierres se détachèrent elles-
mêmes des montagnes septentrionales, volèrent à la file comme
des bataillons de grues et se superposèrent en murailles autour
du pavillon d'Okhba devenu le premier mihrab... C'était un heu =
reux temps bien fertile en miracles !
h M ROUAN : UN POTIEH.
fumer dans les rues son l des actes d'une inconvenance suprême.
El l'Arabe de la plus humble condition connaît el respecte ces
règles d'une politesse qui en remontrerai! a la nôtre.
Les citadins portenl ici le turban blanc, la djoubba immaculée,
KAIROUAN. 171
ferrée, lu vieux sabre pend à leur liane et, plus vaniteux que
Diogène, ils se drapent dans des burnous si uses, si rapiécés, si
fait un autre.
— Allah ierli am oualdik! Que Dieu soit miséricordieux poin-
tes parents ! souhaite un troisième.
Et ceux qui ne se jugent même pas dignes de baiser ses
misérables loques s'arrêtent devant lui el portent respectueuse-
ment la main à leur front, à leur bouche et à leur cœur.
— Tii es mon maître, dit le premier geste.
— .Mes lèvres louent, te ajoute le second.
— Et je t'aime, signifie le dernier...
1"2 DE TRIPOLI A TUNIS.
L'une des plus larges constructions de celte rue est, ainsi qu'un
meuble sur ses pieds, posée sur de fortes colonnes romaines,
sur des piliers trapus dont la tête s'évase en chapiteaux aux
feuilles d'acanthe usées par le temps. Un homme peut à peine
«le urer debout dans l'entrepont sombre et graisseux qui
s'enfonce entre cette bâtisse et le sol. C'est là que se tient, là
seul qui donne ici un liquide à peu pies potable. Et, pour faciliter
KF^ 3
demeure.
deux arcades retombent sur une colonne médiane met une ombre
opaquesurun côté de ce patio frais et humide. Autour, s'ouvrent
la bouche de la citerne indispensable, la margelle du puits dont
l'eau saumâtre ne sert qu'aux soins de propreté, l'escalier <|iii
ha i r. o v a \ : i \ épicier.
a revêtu tous les tons d'une patine moelleuse;, les ors ont bruni
et se sont légèrement enfumés, les blancs ont pris le chaud reflet
de l'ivoire jauni, les roses ont la teinte caressante de la chair
animée, les rouges ont la profondeur des fonds sombres et mats
des fresques pompéiennes. Et, de l'harmonie de ces coloris
atténues résulte un velouté, un charme dans lequel le regard se
perd avec une volupté véritable.
Un lustre de cuivre se balance au milieu de la pièce. Des
patères de bois découpé, des étagères délicalemenl ciselées, des
tableaux en clinquant, de vieilles petites glaces au cadre rococo
en décorent les murs. Dans les niches s'y rangent les tasses de
porcelaine, les brûle-parfums de cuivre, les coffrets à toilette, les
rebha de métal repoussé qui renferment les bijoux, les kanouïta
où se cachent les fards et les poudres intimes.
Le mobilier se réduit à des guéridons de marqueterie et à de
grands coffres bariolés, chargés de plateaux de métal, d'aiguières
élégantes, de lampes à pétrole et de pendules en simili-bronze.
— Ces curiosités te déplaisent? nous dit le propriétaire en
nous montrant ces luminaires et ces horloges. Est-ce que, en
France, vous ne mettez pas dans vos salons des cruches et des
pots dont ne voudraient pas nos négresses? Ce sont nos bibelots
exotiques, nos souvenirs de voyages.
Des colonnettes peintes, enchâssées dans ses angles extérieurs
dont elles n'occupent que le tiers moyen, flanquent la rotba de
leur petit chapiteau rehaussé de croissants et de volutes qui
forment comme la bouche et les yeux de mascarons grimaçants.
Une boiserie découpée en arcade pointue, richement taillée à
parleront.
Tout l'intérêt qu'elle offre se concentre dans les trois entrées qui
lui valent son nom et qui, séparées seulement l'une de l'autre
par des pilastres, encadrent leur plein-cintre de voussoirs et d'ar-
chivoltes arlistemeut ciselés. L'entablement qui les surmonte
porte, taillées dans la pierre, quatre ou cinq lignes de caractères
en relief qui forment de pieuses maximes.
180 1)K TRIPOLI A ÏUXIS.
kA I H 1 A\ : UN KA UCON N I E II
chameaux qui vont partir pour les douars et qui, avec leurs pro-
digieuses charges de laine bleue ou rouge, ont l'air de mons-
trueuses bêles à bon Dieu.
Sur les trois autres cotés se rangent, dans un désordre pitto-
pare comme d'une preuve de l'intimité dans laquelle il vit avec ses
élèves ailés. 11 y a encore des ateliers, noirs comme des antres
de magiciens, tout retentissants du bruit des marteaux sur les
pieds des chevaux et des ânes qu'on chausse de fers plus minces
que du carton, dont on fait les ongles avec une sorte de hache
carrée au talon recourbé en serpette... Un ouvrier sort de l'une
la place et ils sont là deux ou trois cents qui, assis côte à côte et
— ... qui lui prit ou'l bournous ,... ou's s'batt's,... ou t toulban,...
chevelure noire...
— Khradoudja !... dit une matrone qui a suivi la direction de
K Al ROUAN
de Cartilage'
Sur les quatre côtés de rcll ur se développent, comme dans
KA1R0UAN. 187
dent de la mer Rouge c'est, en effet, à l'est que doit être cette
niche, afin que les fidèles prosternés devant elle aient le visage
tourné vers la Mecque.
I >n évalue à quatre ou cinq cents le nombre des colonnes de la
— Oh, ilit l'oukil, cela a toujours été ici. Cela a deux cents ans.
des Arabes.
— Quand je suis né? nous dit l'un d'eux. Parla, vers l'époque
ou les Francissa prirent Alger... à inoins que ce ne soit Constan-
tine. Mais qu'est-ce que cela te fait ? La curiosité est un bien
grand défaut et c'est l'un des vôtres.
Leur histoire leur est encore plu? indifférente. Parlez à l'un
des Kaïrouanais les plus instruits
effrayé s'égare dans des plateaux déserts, dans des steppes vides,
qui, — jaunes près des murs, grisâtres plus loin, violacés
ensuite, — vont se perdre et se fondre dans la ligne vaporeuse
Allah! Allah on ekbeui! Dieu seul est Dieu! Mahomet est son
prophète! Venezàla prière ! Dieu seid est Dieu! Dieu est grand !
les restes (le ceux qui se seront fondus dans cette terre que les
KA1ROOAN : ONE R l I .
lèvent, ils rejettent leur burnous sur L'épaule <'t ils s'approchent,
nous fonl asseoir, nous offrent de l'eau fraîche et s'assoient avec
nous. Tout les intéresse, tout les amuse dans noire costume et
dans ses accessoires. Ils veulent savoir la provenance, le prix
de tout.
- Tselts-mia- francs, une simple bague! Eh bien! s'écrie l'un,
si j'avais trois cents francs à gaspiller j'aimerais mieux en acheter
\u\c femme!
Et, grands enfants, tous rient de leurs belles dents blanches.
— Et celle-ci? dit un autre en prenant une alliance.
Moins cher, mais regarde.
D'abord très étonnes de la voir se diviser en deux, ils (''coulent
nos explications avec une attention profonde... Et, quand ils ont
compris le sens de cet anneau emblématique, ils sont pris tout à
ci, les quatre autres enjambent les angles des murailles et ourlent
un fond en cul-de-four revêtu de Iniques luisantes. Leur ensemble
l'ait comme une base octogonale au dôme peint à la fresque qui,
— bordé, au lias, de briques vertes et de lucarnes coloriées, —
>e développe au-dessus d'elles et laisse pendre sur la salle un
lustre de Venise.
mais dont ses dévots ont grossi les prétendues reliques. Ainsi les
— Qu'eu feras-tu ?
— Et quelle époque se
à passaient ces choses surprenantes?
— Rabb rafl Dieu i ia le sait!
dans lequel nous venons d'entrer el qui est bâti sur la marge
de son territoire.
Un assemblage de petites maisons sans boutiques, sans toiture,
sans étages, sans fenêtres, plus mystérieuses encore que celles
qu'enferment les remparts; îles murs unis, crayeux, éblouissants
Des coups secs tintent sur la vitre de notre fanal... Des cailloux .'
.i:C"^\- J.
des tables, y plantent, sur des pieux, des fanaux grands comme
des réverbères... Des burnous, des djoubbas, des turbans arri-
vent. Les citadins viennent, hors des murs, respirer la fraîcheur
les vitres.
loin !..
/iiitin miah. —
la saad mai liazha ou gbrdem chfetha. N'zadet —
fi omrou tsementàcli en sana... belle lune, salue pour moi
l'absente que j'aime. Elle se réveille maintenant, elle regarde sa
mère et les parfums du musc cl de l'ambre s'exhalent de sa
bouche. Oh! si j'avais le bonheur de pouvoir baiser sa lèvre,
SOUSSE
fUL
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7 lpK„ ;.
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S l SSE : 1NE l'ORTt.
Le sas vaut à peu près trois litres, Youiba douze sas, le nital
28
218 DE TIUPOI.I A TUNIS.
vers le sud, \\\w rue très vivante, liés bruyante, peuplée de ma-
gasins isiaélites qui se parent d'affiches françaises, infestée de
buvettes hybrides. Des cafés maures y prêtent l'ombre restreinte
de leurs auvents et de leurs petites arcades aux rêveries des
indigènes qui, un pied nu dans la main, s'alignent sur leurs
bancs extérieurs et mettent une heure à boire une tasse grande
comme la moitié d'une coquille d'œuf des bouges français y sont
;
font naufrage et faillite sur tous les points îles côtes barba-
resques; dans des tavernes italiennes barbouillées de fresques
hurlantes et empestéesde fromage, «les Napolitains et des Siciliens
braillent a l'unisson des chants hachico-patriotiques.
Dans des fondouks, — enclos de quatre murs en ruine, —
s'entassent, pêle-mêle, des ballots éventrés ;
des ânes qui, les
avait trente ans quand elle est venue à Sousse. Et, depuis un
demi-siècle, elle instruit, elle soigne, elle console ici tous ceux
Vers le nord monte une autre rue qui tourne bientôt a gauche.
Elle court alors entre des maisons basses où. — semblables, dans
buis costumes éclatants, à des vases de Heurs sur le bord d'un
balcon, — de jeunes Juives accoudent leurs bras nus au parapet
des terrasses. Elle se glisse sous une longue voûte aux nervures
bizarres. Elle s'étrangle enfin, en un corridor long et tortueux
qui rampe vers le haut de la ville... Jusqu'à mi-jambe, on s'y
enlise dans une poussière torride, dans des détritus qu'a sèches
naturels.
Là-haut, sur une terrasse, étincellent des bijoux, chatoient des
foulards lamés d'or, brillent les sequins d'une coiffure, sourit
une ligure enluminée de noir et de rouge. C'est comme une
enseigne vivante... Ici l'on danse.
Au fond dune cour que des vignes lambrissent de verdure,
s'ouvre, en effet, une longue salle avec des bancs contre les mu-
railles, avec une large table eu guise d'estrade. Des musiciens
sont assis parterre, entre de grands chandeliers de fer-blanc et
des bougeoirs gigantesques qui s'allument le soir.
Sur la table, les jambes repliées dans leurs mains jointes, les
joues et les lèvres peintes comme celles des simulacres
d'un musée (irévin, se rangent des femmes, immobiles, plus
étincelantes que des divinités hindoues : Ilalima, la douce; Yas-
mina, la confiante; Aïcha, la vivante; Nedjma, l'étoile; Djemila, la
d'un nom si trivial... Et, cependant, elle a encore ici ralliait d'une
curiosité étrange. Toute chose doit être vue dans son milieu, tout
tableau doit être mis dans son cadre...
Un instant, la danseuse est immobile. Le gland de sa calotte
caresse son oreille et sur sa taille mince brille l'or de sa cein-
ture brodée. Puis, attachées à son pouce et à son index qui se
rapprochent, comme si (die voulait pincer îles mouches au vol,
encore...
La danse est la pantomime du caractère des peuples. Nous
verrons les cachuchas et les boléros de Malaga dire, dans toute
BOUSSl : l \ E BOUTIQUE.
bâl île l>uis s'entr'ouvre comme des élytres pour écarter la charge
de leurs côtes haletantes, des ânes ployant sous leurs confies
de sparterie que remplissent l'émeraude des piments, l'or des
raisins, le corail des tomates.
Dans le brouhaha de celle cohue poudreuse, des papiers à la
couronne la ville.
Les tentes ont déjà ici fait place à d'élégantes baraques; aux
baraques succéderont des maisons; comme à l'époque romaine,
ce castrum deviendra une ville... Et, après des siècles, cette
sable blanc est si fin qu'il s'écoule entre les doigts comme une
eau qui ne mouillerait pas. Des insectes inanimés lui t'ont une
longue bordure rouge... Ce sont de ces sauterelles dévastatrices
qui exercent leurs ravages dans les champs. Un vent bienfaisant
les a portées à la mer et, grande justicière de leurs méfaits
faméliques, la mer a jeté leurs cadavres à la terre vengée... De
grosses barques maltaises, à la ceinture bariolée, au grand nez
aplati comme l'étrave des gondoles vénitiennes, gisent par là, au
milieu des agaves. Et, près d'elles, de beaux enfants aux mollets
bronzes dorment sur des filets qui sentent la marine.
230 DE TRIPOLI A TUNIS.
Ce rivage est l'un des points les plus gracieux des côtes afri-
— Commandi. signor !
— hinVnk
-/sut moudha el elli . .
une vaste plaine verdàtre. Plus loin. Hergla rayonne clans une
mer de lumière. Plus loin encore, fin de l'Atlas et roi d'un peuple
Ces bons vieux écrivains de Rome on! été si souvent des (lascons
prématurés ou de naïfs couleurs de légendes '.
des navires à voile cpii sont des marabouts déformés par la réfrac-
tion, «les barques qui sont des buissons desséchés, des îles, —
de vraies Iles. — don! rien n'explique l'apparilion étonnante,
des caps qui semblent planer sur une eau dont les séparent les
vibrations éclatantes d'une bande de ciel.
centre de l'Enfida.
Tunisie.
rive...
Toujours des ruines ! l'n pont dont les arches se sont effondrées
mais qui élève encore 1res haut ses piles sur lesquelles passèrent
les cohortes romaines; un autre qui, pavé de dalles glissantes.
remonte au temps des Aghabites; des voûtes à Heur de terre,
- El fares bla selah kif et' l'ir bla jenah. Le cavalier sans
arme est comme l'oiseau sans ailes.
longue muraille.
mm
ï.iH DE TRIPOLI A TUNIS.
Les quatre corps «le bâtisse sans étage qui forment [e fondouk,
l'arbre, des Anes qui broutent, des hommes qui rompent la galette
des voyageurs; plus loin, tics bois tout roses de lauriers et
4Ï3g?
LA GOULETTE
bête humaine ?
travers des bois d'oliviers semés île petites fermes... Et, en moins
d'une heure, nous atteignons le fondouk Choucha où nous
prenons, à droite, un chemin qui se dirige vers le nord. Toujours
des oliviers ; puis le pittoresque village de Rhadès avec ses
jardins, avec son minaret qui étincelle et. péniblement, nous
entrons dans les sables de la'Lenia...
t'n pont de bateaux sur l'ancienne bouche du lac; une espèce
d'ile où, — au milieu de palmiers, de petits jardins, de construc-
tions militaires, — s'élève le /.a/a/,, — le bagne bevlickal, — un
bac qui, à la terreur de Tof'la et au grand étonnement d'Ali, nous
I. \ G OUI I III.
8
..l/ "! ^&^SHF" PIS:
la collette: le canal.
tunisienne.
vignes de la Tunisie !
Et on confisquait le reste.
Les temps sont bien changés et, — avec une satisfaction qu'elle
ne cherche pas à dissimuler, — la population indigène a vu nos
représentants porter la lumière dans les ténèbres de son gouver-
nement, l'aire régner la justice dans sa justice, réprimer les exac-
elle a plus que les apparences, lui enlèvera tout prétexte à une
révolte à laquelle elle ne songe guère et qui serait dirigée moins
contre nous que contre le bey, notre allié et son souverain légi-
time. Elle nous sera unie enfin, non par les liens d'une gratitude
qu'il ne faut attendre de personne, mais par ceux de l'intérêt
jupe sans plis. — une fouta de femme. Leur poignet es) serré
.* GOULK'I'TE: 1 ACTIONNAIRES.
présence du roumi.
Marchons. Au fond d'une petite cour ouverte de toute sa
largeur, se décrépit un vieux monument très barbaresque et dont
les murs grisâtres portent comme des dents branlantes des
créneaux ébréchés. Des soldats et des officiers en calotte rouge
en gardent l'entrée en fer à cheval, la porte séculaire dont les
Vésuve.
septentrionale d'El-Bahira...
Les voitures de première classe sont à moitié vides ; découvertes
comme les tramways de Marseille, celles de troisième classe sont
son tranchoir carré dépèce avec fureur. Assis cote à côte, dix-
Passons !
rière des rues et des maisons à six étages; derrière les bâtiments
majestueux, les portiques et les pylônes d'une agora ; derrière des
temples et des thermes, se pressent des vaisseaux. Leurs mâts
s'emmêlent, comme les troncs d'une foret sans feuilles, dans deux
ports qui communiquent entre eux et que des jetées défendent
contre l'envahissement tumultueux des vagues. Carré, bordé d'en-
trepôts, le premier est encombré de navires marchands; circulaire
et protégé par une forteresse qui s'élève, comme un donjon, au
milieu de ses eaux tranquilles, l'autre est réservé aux bâtiments
de combat... Plus loin miroite le golfe où voguent les galères; â
l'horizon vaporeux s'estompent le promontoire d'Apollon, le cap
Hermanus, les monts Zeugitanes et les monts Zuchares.
A nos pieds, cette maison est celle où naquit Hannibal.
Le temple qui couronne cette éminence, — là bas, au delà
d'un cirque, au delà d'une place d'armes où étincellent des
casques et des cuirasses, — c'est le temple d'Eschmoun, le soleil
bienfaisant.
A gauche, — vers le nord, — derrière un théâtre et une basi-
lique ; derrière des bains et des galeries ; derrière des temples à
la Mémoire, à Didon divinisée, à Baal-Moloch, le soleil dévorant
comme celui du désert, — se découpent, sur l'acier du ciel, les
— Montjoye-Saint-Denis !
Et Louis IX, l'un des fléaux dont la main de Dieu a battu celte
Tout tombe, tout s'écroule et, pour jamais, celte fois tout
sombre dans la nuit... Carthage a disparu de la lace du monde.
34
266 DE TRIPOLI A TUNIS.
Et plus rien d'un passé englouti dans les abîmes du néant, noyé
dans l'océan ténébreux des âges! Plus rien de la ville punique
ensevelie !... Plus que des dépressions de terrain qui, comme le
faut bien souvent chercher le Juif dans les calamités qui se sont
Dans une salle voisine, les religieux ont réuni en musée des
lampes, des terres cuites, des débris de charpente, des objets de
bronze ou d'ivoire... A huit mètres au-dessous des ruines latines
par suite, l'eau en est si salée que, pour ainsi dire, elle confit,
:i.'i
X
TUNIS
en haut, calciné par les flammes qui montent du sol comme (Van
accumulateur de calorique... Et, casqué de Manc, vêtu de flanelle,
leurs contorsions.
Toujours bien étranges, toujours bien étonnants sont ces lieux
de plaisir indigènes. Sous les branches rougeâtres des ricins arbo-
rescents, sous leurs larges feuilles immobiles, luisantes et comme
découpées dans des plaques de métal, sous les petits eucalyptus
bananes, les œufs, les rougets frits que leur a vendus un cui-
sinier installe à la porte avec son fourneau, ses grils et ses poêles.
Pendant des heures entières, les autres demeurent sans parler,
sur des lils de 1er qu'on a réunis en gros pinceaux très lâches.
Avec une nonchalance souveraine, des Arabes en riches bur-
270 DE TRIPOLI A TUNIS.
ment de la poste...
des travaux publics, des mines, des finances, des ponts et chaus-
sées el de la marine, la direction en est toute entre nos mains...
La. s'ouvre enfin l'avenue de la gare française. C'est ainsi que,
pour la distinguer de la gare d'où parlent les trains de la Gou-
lelle. on appelle la tète de ligne du chemin de fer qui gagne le
chasser les vagabonds qui rôdent autour des bouts de cigare, les
jolis petits .Maures dont la gourmandise guette les morceaux de
sucre... Et il murmure, il se lient à quatre pour ne pas bousculer
les Juifs qui, un paquet de chemises sur la tête, harcèlent les
buveurs avec les mouchoirs et les chaussettes en boîtes dont ils
vente.
Les Français depuis longtemps établis dans la Régence n'ont,
en effet, vu en nos généraux et en nos administrateurs que des
intrus qui devaient les empêcher de faire danser en rond les
boukoufas et les piastres ; ils n'y ont vu que des indiscrets qui
allaient passer au filtre de l'honnêteté, l'eau trouble dans
laquelle ils faisaient des pèches si fructueuses. De nouveaux
venus qu'on ne s'est pas empressé d'élever aux plus liantes
fonctions du protectorat ont joint leurs murmures au concert de
leurs gémissements. I (es folliculaires faméliques sont arrivés alors
qui, pour y mettre leur pot-au-feu, ont souillé sur les tisons de
ces colères sourdes. Et, dans les colonnes des papiers malsains
qu'ils déposent le long de la voie publique, ce ne sont que récri-
minations contre des taxes trop fuites, des employés trop faibles,
des fonctionnaires incapables, des inspecteurs concussionnaires,
des contrôleurs arabophiles, des impôts qui les traînent à la fail-
— par excellence.
Européennes ou indigènes, ijo ooo personnes peuplent ces di-
en arabe sur des plaques bleues, les noms inscrits à tous les car-
refours rappellent seuls la présence de notre armée dans la
Régence.
Faite d'émanations de musc, de benjoin et de fleurs se mêlant
TUNIS. 285
U\E S EKVA \ T E .
hauteur de l'épaule.
De loin en loin — pleine de poussière, de bruit et de cris, —
— s'ouvre le préau ensoleillé d'un fondouk que garde un Maro-
cain, l'u fon look de ville est une espèce de caravansérail où à
français en Alsace.
Ces écoles sont pour les musulmans. Les petits Juifs ont le
m -K JiB''
toutes ces dames aussi bien et peut-être mieux que si la loi avait
vers laquelle elles peuvent voir sans être vues. Et, en hésitant
comme si elles marchaient entre des œufs, les coudes aux flancs,
les avant-bras tendus pour effacer les plis de cette sorte de fe-
nêtre, elles vont, écartant les bords de leur linceul qui s'étale
comme les ailes entr'ouvertes d'une chauve-souris gigantesque...
arabes.
Quel est le souterrain auquel conduit cet escalier délabré?...
Des tapis épais s'y étendent entre des colonnes au fût sali de
jaune, au chapiteau barbouillé d'azur; des tableaux de clinquant
retenu par une coulisse que ferme une barrette d'or agrémentée
de quatre glands de soie, se rétrécit, à partir du genou, pour
ne plus former qu'une guêtre encroûtée de broderies. Des mules
pailletées, mais toujours trop courtes s'accrochent aux orteils
et laissent leurs talons porter à faux. Un turban noir, étroit et
complètement gratuit.
défigure.
Simple graine de fenugrec qu'on
trouve chez tous les épiciers de Tunisie
et dont la mercuriale du pays accuse
une vente quotidienne de mille à douze
cents rottolo-attaris, — cinq à six cents
kilogrammes, — la h'Lba est le facteur
pâte qui reste au fond du pot, forme une sorte de confiture qu'on
avale dans la journée... D'autres fois, on l'ail griller la Ji'lba, on
la pulvérise, on la pétrit, à parties égales, avec de l'huile et du
38
208 DE TRIPOLI A TUNIS.
dans laquelle les rabbins puisaient pour payer les impôts de tous,
mais, pour peu que cet argent se lit attendre, il leur était directe-
ment réclame par les collecteurs du bey (|iii, à grands coups de
bâton, leur en écrivaient la demande et même le reçu sur les
épaules ; surchargés de corvées, ils bâtissaient pour les maîtres
du pays ; ils leur servaient inoins que gratuitement d'hommes de
peine; ils lavaient leurs maisons, ils allaient jeter au lac leurs
nuit, pleurer sur leurs tombeaux, et, plus tard elles mettaient au
inonde les petits israélites de qui descend la génération actuelle...
De là celte appellation à ses yeux infamante...
pour se venger, pris les armes des faibles. La peur leur a fait
conquêtes africaines.
XI
TUN I S
BAHMENARA.
yaouled que nous avons pris pour guide et cpii nous fait remonter
la rue de l'Église.
Depuis que nous avons mis les pieds dans la ville, depuis qu'il
39
306 DE TRIPOLI A TUNIS.
tures vitrées mais, très bas et comme reposant sur le linteau des
poiles. des lentes en loques, des plafonds de bois crevassés, des
voûtes de (lierres percées de trous carrés pareils à des bouches
de citernes el souvent bouchés par des claies qu'on y hisse et
tables, les étagères, les coffrets, les cadres de bois dur incrusté
de nacre, le bric-à-brac ramassé dans tous les coins de l'Islam.
Enervé par les boniments que vous avez subis, ébloui par le
feu d'artifice des couleurs qui ont détonné devant vos yeux, vous
vous levez, vous vous échappez enfin...
Hélas! Votre guide est chargé d'un tapis et d'un tambour que
vous avez achetés sans savoir pourquoi ni comment.
Des burnous en paquet sur les épaules et des tapis plies sur
la tête, des Arabes affairés lèvent leurs bras noirs chargés de
colliers, de chapelets, de bijoux, de ceintures d'or. Et, criant
à pleine gorge, haletants, les yeux enflammés, ils se faufilent à
travers la foule.
Leur ton baisse, plaintif comme s'il allait mourir. Ils vont
céder leur marchandise à un acheteur qui, de loin, leur a l'ait un
signe... Mais, tout à coup, galvanisés par une surenchère, ils
votre bouche soit en feu, sans que votre front s'emperle de sueur,
sans que des milliers d'épingles s'enfoncent dans votre cuir
chevelu. Si Dante avait connu ce condiment furibond, il en eût
fait servir aux membres d'un de ses cercles de damnés.
Les teinturiers achètent ici le sulfate de cuivre efflorescent,
les bois colorants, l'écorce des pins et celle des petits chênes qui
servent à tanner les peaux, la racine delentisque et les calices de
grenadier qui les teignent en rouge, l'écorce de grenade et les
vices contre les dermatoses, les gerçures, les plaies et les escha-
res; le nitrate d'argent qu'ils appellent \in excrément du diable;
les capitules de pyrèthre qu'ils emploient comme vomitif; les
tètes de pavot; la graisse et la moelle d'autruche, souveraine,
disent-ils, contre les douleurs et les fractures; la poudre de
momie égyptienne, médicament qu'on trouve moins ridicule qu'il
n'en a l'air, si on tient compte du n aphte et des baumes dont
sont encore imprégnés ces cadavres millénaires ; le séné, le t/uua
le thafega, le khebel, le zat/tur, le bonzouz-doumi, le m'rista, le
I l \ 1 .-
: UOSQt ÉE DE L <>I. I VI Eli.
et de mouches, d'orties et
de décombres. Là était la
souk-el-Ouzar où se vendent
les sacs; à gauche, le souk-
kebalbia et le souk-el-IIari-
,
à tour de bras,
trois têtes de mouton qu'il a savonnées de toutes ses forces et,
dans un grand plat de fer, elles font grimacer sur des charbons
ardents, leur pauvre museau rôti. In aide de cuisine active le
teurs.
A quoi bon froisser les préjuges inoffensifs de ceux qui s'y réu-
nissent? Qu'y trouverions-nous que nous n'ayons déjà trouvé
ailleurs?
Les jours de fête, —le vendredi, par exemple, — l'enceinte de
la Djama-Zeitoun n'est pas assez grande pour contenir les khalifas
et les portefaix, les soldats et les généraux qui, au milieu des
colonnes enlevées aux ruines de Carthage,
||\
viennent s'y prosterner et s'y confondre
dans la promiscuité de leur religion éga-
litaire. Aucune distinction de places ! Ni
bancs particuliers, ni chaises réservées
ici ! Tous les croyants se valent devant
Dieu.
Lorsque les fidèles sont absents, des
étudiants s'accroupissent sur les dalles et
entourent des mokkadems qui, en feuille-
tant de vieux gros livres puisés dans la
TUNIS : LN MINARET.
vêque, de cardinal musulman, — cent
vingt maîtres annoncent la bonne nou-
velle à six cents élèves tolba, — six cents futurs professeurs, —
entretenus sur des revenus de Jiabbous.
Bible.
Au-dessous du Chara se place le tribunal civil de YOuzara.
Celui-ci s'occupe de l'administration générale de la Régence et
comprend trois sections : celle des affaires d'Etat, celle des
affaires civiles et celle des affaires pénales.
De YOuzara relève le tribunal de l'Or/' qui, présidé par le
ferik z
le — qui avec les fonctionnaires
général, commissaire et le
comme disent les rapports des agents qui ont à s'occuper quelque-
fois de Leurs peccadilles, lesj aouleds errenl cependant volontiers
TUNIS. 327
kasbah festonne ses murailles; élève, très haut, les mâts que
l'étendard des beys pavoise les jouis de grandes fêles; arrondit
le dôme de sa petite mosquée de Yaya-bou-Zacharia, la plus vieille
de Tunis; ouvre ses cours où nos zouaves se promènent autour
des canons de cuivre qui étincellent sur leurs affûts. Au nord
bleuissent les croupes de Djebel-Ainar. Au sud scintille la Sebkhra-
es-Sedjoumi. Devant nous, boursouflés, gondolés de toutes parts,
s'échelonnent des toits plats et ondulent des voûtes que percent
de petits Irons carrés. C'est le dessus des souks. Et des touffes de
jusquiame et de belladones brûlées y font çà et là des taches ver-
dàtres, quand elles ne sont par blanchies à la chaux comme les
sous les cactus et sous les agaves... Frères, il faut mourir!.. Sous
les galeries, d'autres se plongent dans les délices prohibées par
le bey de ce kij)\ —
de ce haschich, —
qu'ils reçoivent en contre-
UE RUE.
même .'
soleil.
II tient à bien nous faire sentir que, avec ses camarades, les
officiers de service, il est l'un des commensaux du bey et il nous
montre d'étroites et modestes pièces que des soupiraux éclairent
d'un jour parcimonieux, que meublent très succinctement une
chaise et un lit de fer... Engageons-nous dans le labyrinthe du
palais.
est devenu pour eux une sorte d'ordre colonial, au même titre
Marsa, de la Mohammedieh, de
la Manouba, de Sidi-bou-Saïd,
du Bardo; qui, enfin, émargent
au budget et jouissent d'une
liste civile.
nom s'est étendu à tout le continent africain. Plus tard, une co-
lonie phénicienne y fonda un emporium qui devint Carthage,
— Kairt Ago, la ville de la mer, — et qui ne larda pas à do-
miner Le paj s. Les Romains remplacèrent les Carthaginois. Appe-
lés d'Espagne par les indigènes, les Vandales conduits par Gen-
séric remplacèrent les Romains. Commandés par Bélisaire, les
LES PALAIS DE TUNIS. 3 il
T l N 1 S : IN MUSICIEN.
Ali. 11 oublia alors ce qu'il avait déjà fait pour son neveu et il
LES PALAIS DE TUNIS. 343
que je m'y mette !... 11 était là depuis trois ans quand son cadet
Ali-ben-Hassen voulut goûter à son tour aux délices du divan
beylickal.
Et Mohammed-ben-Hassen disparut comme avaient disparu
Ali-ben-Mohammed et Ilassen-ben-Ali. Il laissait un enfant,
Mahmoud-ben-Mohammed, mais ce petit prince était trop inno-
cent encore pour porter ombrage à personne.
Ali-ben-Hassen régna donc et eut deux fils : Hamoud et
tances.
La plupart des ministères ont leur siège à la dar-el-bej . Là
sont aussi installés le conseil sanitaire de la Régence, les
qui les constatent quelquefois sont des adelas, actes tracés sur de
longues bandes de papier qui s'enroulent comme les papyrus
antiques et qui, souvent aussi difficiles à déchiffrer que ceux
d'Herculanum, ont été rédigés par le roseau fantaisiste de braves
hommes de loi fort peu méticuleux.
Al
346 DE TRIPOLI A TUNIS.
Cette voie qui s'en détache sur la droite, c'est la rue Bab-el-
Khadra. La grande mosquée de Sidi-Mahrez y élève sa blanche
coupole tigrée, sablée d'hirondelles qui s'y posent comme des
mouches sur un fromage. Au bout s'arrondit l'arceau de Bab-el-
Toute droite, la route court entre des chardons à tète bleue, des
broussailles de genêts et de lentisques, des arbousiers enfarinés,
des agaves menaçants, des oliviers sauvages...
Quelque chose se remue, de temps à autre, au bruit de nos
chevaux ; on dirait un tas de poussière se bossuant et se sou-
levant au soleil. C'est un Arabe. Il méprise les coins d'ombre que
les buissons offrent à sa tète et, tranquille, il sommeille sous le
ciel embrasé.
Les ruines d'un aqueduc profilent devant nous les piliers
élancés de leurs hautes arches rougeàtres. Celui que nous avons
restauré et qui, de nouveau, conduit aux citernes de Carthage les
eaux du Djouggar et celles du Zaghouan a été creusé par Hadrien
mais, — sauf près du Zaghouan où il suit des arceaux, — il che-
mine sous terre. Bâti ou, peut-être seulement restauré par
Charles-Quint, celui-ci, presque partout ruiné aujourd'hui,
amenait jadis les mêmes eaux à Tunis.
La route passe sous ses arcades... Tout est plat, sec, brûlé
autour de nous, mais, au loin, verdoient des vignes et des
cactus et des koubbas mamelonnent le pays de leurs gros dômes
de plâtre.
Des paysans passent à cheval, armés comme s'ils allaient à la
f£
'-/C"
FSC4 1. 1 E II DES LIONS Al' BIT. DO.
est vrai.
le 4
r
régiment de chasseurs d'Afrique dont le dépôt est à la
noncées par cet homme de sang devant ce trône vide, devant cette
salle déserte que, — vision fantastique, — peuplent l'ombre des
ministres muets, le fantôme impitoyable de ces souverains dont
un geste tranchait des existences, le spectre tremblant et livide
les pachas fumaient sur les divans de soie ; sous ces deux coupoles
rondes, sous cette longue voûte plate et ovale que lambrisse un
immense soleil, étincelle la nef grandiose où se donnaient les
:
'
• ttt;
guerba.
LES PALAIS DE TUNIS. 35'.»
hirsute.
Hassen et Sidi-Mustapha.
Le clairon sonne. La cour se remplit de soldats qui, en grande
tenue ou en vêtements de toile, se rangent aux commande-
ments en français que, d'une voix gutturale, leur jettent des
Bab-Djézirah 333
A — el-Bahr 281
Abreuvoirs 1 95 — ed-Divan 108
Adelas 345 — Menara 332
Africa. . . 124 — Saadoun 340
Alfa 40 — Tunis 180
Ali-el-Turki 342 Bagrali 91
Allah 190 Bains à Hammam-el-Lif. . . . 240
Aimées 222 — à Sousse 230
Amphithéâtre d'Ed-Djem. . . . 130 Bardo 348
Antiquités 141 Barques à Tripoli
Antisémitisme 304 Bassin des Aghlabites 194
Appel des muezzin* 194 Bataillon d'Afrique 67
Aqueduc de Carthage 347 Beautés juives 290
Arabas tri poli tains 38 Benghazi 43
— tunisiens 38 — (De Tripoli à) . . . . 42
Arabes à Tripoli 33 Beni-Zelten 85
— Tunis 271» Bey 336
Arabesques 177 Bibelots tunisiens 310
Are de triomphe à Tripoli ... 11 Bijoutiers à Tripoli 27
Armée française 350 Bir-Arbaïn 242
— tunisienne 348 — Loubit 238
Arrivée à Tripoli 1 Bled-Dahar 91
Autour de Mehdia 128 Bordj de Mareth 82
Autruches 54 Bordj de Mehdia 122
Avenue de la Marine, à Tunis. . 274 Bordj-Bious 60
Bourreau 332
Boutiques à Kaïrouan 170
B
— Sousse 224
Bab-Djédid 333 — des souks 307
— Djellalin 160 Byrsa 262
364 INDEX ALPHABETIQUE.
Gabès 66
— indigène 68
Géographie 58 Kaïrouan 102
Golfe de Tunis 242 Karamanli-paclia 3
Goulette (La) 249 Kasbah de la Goulette 258
Gouvernement 344 — de Monastir 148
Grades de l'armée tunisienne. 348 Kelbia (Lac) 234
Grande Syrie 4 Kcrkennalï { iij
Ketena 79
Khramsyn 30
H Koubba de Sidi-Sahab 196
Kourriat 146
Habbous 320 K'sar-Ayad . . . 94
Habitants de Tripoli. . . . 20 — Djelidat. .
92
Habitations de Troglodytes. 84 — Médenine. 90
Hadrumète 216 — Mènera . . 237
Halle à Kaïrouan 172 — M'tameur 87
Hamamet 240 — Saïd. . . .
236
Hammam- el-Lif 244
— Soussa 232
Histoire de Cartilage . . . 263
— de Kaïrouan . . . 166
— de Tripoli 3 Lac de Tunis 243
— de Tunis 340 Large (Au) 145
H'iba 296 Lauriers-roses 135
Huttes à Tripoli 51 Lotos 59
M
Ilots de Monastir 147 Maboul 312
Impôts 120 Wacsoura 192
Intérieur à Kaïrouan ... 174 Mahsoulat 227
— à Tripoli .... 15 Maisons à Sousse 223
— à Tunis 286 — à Tripoli 16
— de la Djama-Kebir 188 — des ksour 87
Interprète à. Tripoli .... 11 Malka (la) 260
Marabout 171
Marabouts (Les trois) 316
Marchands à Kaïrouan 170
— à Sfax 106
Jardins à Tripoli 50 — aux souks 308
Journaux à Tunis. 279 Marché à Sousse 218
366 INDEX ALPHABETIQUE.
Oasis <l \ ! a m 80
— de Gabès 03
— di' Tripoli 40 Quartier arabe à Tunis 288
Œuvres de bienfaisance. . . . 279 — juif — 294
Officiers tunisiens 335 Quartiers de Tunis 282
INDEX ALPHABETIQUE. 367
Sidi-Sahab-el-Beloui 196
— Sahad-Gervel 164
Soir à Kaïrouan 209
Rabbins 204 — à Sousse 231
RaJe de Sl'ax 100 — à Tunis 273
— de Tripoli 6 — en route 141-
j
Sur la plage 247
— La douane . a
— La rade 9
Barbier 12
Tripoli : L'arc de triomphe 13
— Une rue 17
— Minarets et terrasses 20
— Un mendiant nègre 21
— Un coin du marché 25
— La grande mosquée 28
— L'avenue de Bab-el-Khrandaq 29
— Un nègre du Soudan 33
— Un nègre du Bournou 37
— Le camp des Turcs 41
Benghazi 44
— La place 45
Tripoli : Une me dans un village de l'oasis 48
— Une entrée de l'oasis 49
— Une mosquée dans l'oasis S3
En mer 50
Djerbah Oum-es-Souk : 57
Gabès 04
Gabès Oued-Gabès
: 05
— Un charmeur de serpents 69
A Gabès 72
Gabès : Autour de Djarra 73
— Dans l'oasis 77
— Femmes de Djarra 81
Chez les Matmati : Une habitation troglodyte 85
Un ksar.- 89
A Bagrah. 02
Logement militaire à Tatahouine 95
Douiret : Mu siciens 97
Sfax ICI
Al
370 TABLE DES GRAVURES.
Un muezzin 188
Mosquée de Sidi-Okhba 189
— Porte de la grande mosquée 193
La zaouïa de Sidi-Sahab 196
Une rue 197
— Sidi-Amor-Abbada La mosquée des Sabres
: 201
— Par les rues -05
— A la fontaine 208
— Au café 209
A Kairouan 212
Sousse 215
Sousse : Une porte 217
Aimée 221
Sousse : Une boutique 225
— La kasbah 228
— Une koubba 229
A Hammam-Soussa 233
Sousse Les courriers de la poste
: 237
Autour de Bir-Loubit 240
Hammam el-Lif: Une boulangère 241
— Le concierge des bains 245
A la Goulette 248
— Le canal 249
TABLE DES GRAVURES. 371
— Factionnaires 257
— Cimetière 260
La Malka : Citernes antiques oui
Citernes carthaginoises 265
A Sidi-Bou-Saïd 269
La Goulette La plaee Ahmed-Bey
:
271
Tunis Un coin de rue
:
277
A Tunis 280
Tunis A la porte d'un fondouk
: 281
— Un épicier 2S4
— Une servante 285
— Maison arabe 28S
— Porteur d'eau 280
Juive en costume d'intérieur 2%
Tunis : Dans le quartier juif 207
— Bab-Souïka 301
— Le souk des parfums 305
— Dans les souks 300
— Une sortie des souks 313
— Mosquée de l'olivier 310
— Une mosquée 317
— Un minaret 320
— Mosquée de Sidi-Mahrez 321
— Au souk des selliers 325
Vue de Tunis 320
Tunis Une rue
: 332
A Tunis 337
Tunis : Un spahi du Maghzen 340
— Un musicien 341
— Sous les portes 344
— Ruines de l'aqueduc de Carthage 345
— Un soldat du bey 348
Escalier des Lions au Bardo 349
Le Bardo 353
Tunis Une villa
: 356
Maure 357
La Marsa : Dans les jardins 36t
TABLE DES MATIERES
Avis au lecteur v
V. — Ed-Djem et Monastir. —
De Mehdia a Ed-Djem. Autour de —
—
Mehdia. —
Sidi-Ahmed. —
Ed-Djem. Amphithéâtre. — Anti-
—
quités. —
Cuisine arabe. En mer.— —
Oliviers. Monastir.
— — Souks. — Rues. — Prison. — De Monastir à Sousse.
Ilots. 127
railleurs 156
DT Bernard, Marius
2 38 De Tripoli a Tunis
TSB37
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