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CHRONOLOGIE

L’HISTOIRE
DES SCIENCES
Des origines à nos jours
CHRONOLOGIE
L’HISTOIRE DES SCIENCES
Des origines à nos jours

Sous la direction de David Aubin et Néstor Herran

Santiago Aragon
Maître de conférences en biologie animale et histoire des sciences,
responsable de la collection de zoologie, Sorbonne Université

David Aubin
Professeur d’histoire des sciences, Sorbonne Université,
Institut de mathématiques de Jussieu-Paris Rive Gauche

Hélène Gaget
Maître de conférences en informatique et philosophie des sciences,
Sorbonne Université

Alexandre Guilbaud
Maître de conférences en histoire des sciences mathématiques,
Sorbonne Université, Institut de mathématiques de Jussieu-Paris Rive Gauche

Néstor Herran
Maître de conférences en histoire des sciences, Sorbonne Université,
Observatoire des sciences de l’univers Ecce Terra

Christophe Lécuyer
Professeur d’histoire des techniques, Sorbonne Université,
Laboratoire d’informatique LIP6
Les auteurs
Santiago Aragon, David Aubin, Hélène Gaget, Alexandre Guilbaud, Néstor Herran et
Christophe Lécuyer sont membres de l’Atelier Sciences – Histoire – Cité (ASHiC), de la
faculté des sciences de Sorbonne Université.

David Aubin et Néstor Herran : frises chronologiques, introductions, dossiers.


Santiago Aragon : – 2600, – 500, – 450, 77, 250, 1158, 1241, 1543, p. 114, 1628, 1655, 1666,
p. 138, 1735, 1739, 1768, 1796, 1799, 1804, 1809, 1859, p. 228 et p. 230, 1865, p. 232 et
p. 234, 1888, p. 254, 1897, 1910, 1928, 1959, 1966, 1972, 1985.
David Aubin : – 687, – 60, 80, 127, 415, 597, 1021, 1230, 1269, 1280, 1304, 1368, 1417,
1482, 1600, 1614, 1626, 1666, p.  140, 1684, 1736, 1745, 1774, 1794, 1801, 1814, 1830,
1859, p. 226, 1871, 1900, 1908, 1915, 1929, 1934, 1944, 1963
David Aubin et Alexandre Guilbaud : 833, 1696.
Hélène Gaget : – 3000, – 540, – 430, – 240, 132, 636, 999, 1154, 1277, 1543, p. 112, 1644,
1687, 1756, 1761, 1785, 1791, 1820, 1833, 1835, 1843, 1847, 1888, p. 252, 1945, p. 298,
1947, 1958, 1968, 1969, p. 328, 1977, p. 334, 1992, 2001.
Alexandre Guilbaud : – 300, 1751.
Néstor Herran : 1166, 1493, 1503, 1527, 1610, 1633, 1659, 1784, 1789, 1800, 1810, 1816,
1824, p. 212, 1869, 1895, p. 256 et p. 258, 1898, 1905, 1909, 1919, 1932, 1945, p. 300, 1949,
1953, 1954, 1957, 1962, 1983, 1986, 1990.
Christophe Lécuyer : – 25, 1448, 1556, 1620, 1769, p. 174 et 176, 1824, p. 210, 1856, 1876,
1956, 1969, p. 326, 1977, p. 332, 2012, 2017.

Les auteurs tiennent à remercier pour leur aide Andrea Bréard, Karine Chemla, Dylan
Courtin, Tony Freeth, Isabel Iribarren, Leopoldo Iribarren et Marc Moyon, ainsi que
Laurianne Geffroy et Christophe Vescovacci.

Conception et mise en page : Laurent Romano


Édition : Laurianne Geffroy
Iconographie : Hatier Illustration / Éliane Usaï, Chloé Gouyet et Julie Sirdey
Relecture : Monika Gabay

© Hatier, Paris 2019

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aux fi ns de vente, de location, de publicité ou de promotion de l’accord de l’auteur ou des ayants droit.
Avant-propos

La chronologie est la science qui cherche à établir les dates des événements
passés. C’est le guide qui nous permet de domestiquer les temps anciens et
de nous y repérer. Cette conception qui date de la Renaissance reste d’actua-
lité, même si le défi principal, pour ce qui concerne l’histoire des sciences, est
aujourd’hui moins de dater les événements que de sélectionner les plus aptes
à en faire comprendre les enjeux.

Ce que nous avons voulu faire


Nous vivons une période charnière de l’histoire de notre planète, qu’on nomme
l’anthropocène, où l’espèce humaine prend conscience de l’impact global
qu’elle a sur la Terre. Notre chronologie de l’histoire des sciences et des tech-
niques, cherche donc, dans un sens large, à éclairer le chemin qui nous y a
mené.
Les sciences et les techniques reflètent les enjeux culturels propres à chaque
époque. Elles s’appuient sur des idées et des concepts, bien sûr, mais aussi sur
des pratiques d’observation, des expériences, des instruments, des modes de
communication dont nous avons essayé de rendre compte. Surtout, elles sont
indissociables des hommes et des femmes aux prises avec le monde naturel,
mais aussi avec les questions d’ordre social ou politique qui agitent leur vie.
Au-delà des « génies de la science » sur lesquels on insiste trop souvent,
nous avons voulu dessiner l’aventure collective de la recherche scientifique,
ainsi que les mécanismes de transmission et d’appropriation des savoirs, y
compris au sein d’un large public. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur
les recherches historiques les plus récentes et avons privilégié les sources de
première main.

Comment l’ouvrage est organisé


Les six grandes parties de cet ouvrage correspondent aux phases de la mon-
dialisation et de l’industrialisation des sociétés humaines, comme autant
d’étapes sur le chemin de l’anthropocène. Chaque section débute par une
brève introduction et une frise chronologique illustrée. Évoqué de manière
vivante, chacun des événements est mis en perspective de façon que le lecteur
en perçoive les enjeux. Des documents visuels ainsi que des encadrés viennent
compléter ce récit. En fin de section, les dossiers permettent d’approfondir des
aspects fondamentaux de l’histoire des sciences et des techniques et de les
replacer dans une perspective culturelle ou sociale plus large.
À vous qui partez à la découverte des sciences passées et présentes, nous of-
frons cette chronologie comme un guide de voyage… en espérant qu’elle vous
aide parfois à sortir des sentiers battus.
Les auteurs
Sommaire

Aux origines des sciences


3000 av. notre ère-700
3

INTRODUCTION ET FRISE CHRONOLOGIQUE ............................................................................................ 12


– 3000 À Uruk, les scribes tiennent leurs comptes................................................................... 16
– 2600 Une impératrice domestique le ver à soie ...................................................................... 18
– 687 Un astronome copie un catalogue d’étoiles...................................................................... 20
– 540 Anaximandre soustrait la Terre aux mains des Dieux.............................................. 22
– 500 Alcméon expérimente la médecine ........................................................................................ 24
– 450 Les contours de l’embryon humain se dessinent ........................................................ 26
– 430 Démocrite imagine un monde d’atomes ............................................................................. 28
– 300 Euclide rédige ses Éléments de mathématiques .......................................................... 30
– 240 À Alexandrie, un bibliothécaire mesure la taille de la Terre ............................... 32
– 60 La machine d’Anticythère sombre en mer............................................................................ 34
– 25 Vitruve consigne l’art de bâtir à la romaine ........................................................................ 36
77 Pline l’Ancien compile l’Histoire de son époque.................................................................... 38
80 La boussole se cherche un inventeur .......................................................................................... 40
127 Ptolémée observe Saturne d’un nouvel œil ........................................................................ 42
132 Zhang Heng convoque des dragons pour détecter les séismes ........................... 44
250 Un fabuleux bestiaire donne des leçons aux chrétiens ............................................... 46
415 Assassinée, Hypatie devient immortelle................................................................................. 48
597 Une arme chinoise fait tomber Thessalonique .................................................................. 50
636 Isidore de Séville sauvegarde l’héritage antique ............................................................. 52
Dossier Les sciences et le temps..................................................................................................... 54
Dossier Les savoir médicaux en Europe ................................................................................... 56
Des savoirs qu’on s’échange
g
70
700-1500

INTRODUCTION ET FRISE CHRONOLOGIQUE ............................................................................................ 60


833 Al-Khwarizmi invente l’algèbre ...................................................................................................... 64
999 Un pape est inspiré par les chiffres arabes ......................................................................... 66
1021 Alhazen offre une nouvelle vision de l’optique................................................................ 68
1154 Un géographe dessine le monde pour le roi de Sicile .............................................. 70
1158 Une sainte célèbre la pharmacie du Bon Dieu ................................................................. 72
1166 Averroès achève son encyclopédie médicale................................................................... 74
1230 Villard de Honnecourt croque avec passion les cathédrales .............................. 76
1241 L’empereur Frédéric II consacre la fauconnerie ............................................................ 78
1269 Pierre de Maricourt est attiré par l’aimant......................................................................... 80
1277 L’évêque de Paris croise le fer avec l’université de Paris ..................................... 82
1280 L’empereur de Chine accorde les saisons .......................................................................... 84
1304 L’arc-en-ciel se révèle dans une goutte d’eau ................................................................. 86
1368 L’horloge mécanique se dévoile avec poésie .................................................................. 88
1417 À l’aube de la Renaissance, le Pogge redécouvre Lucrèce .................................... 90
1448 Gutenberg crée le premier atelier d’imprimerie ........................................................... 92
1482 Léonard de Vinci innove sur tous les fronts ...................................................................... 94
Dossier Traduire les sciences ............................................................................................................. 96
Dossier Dénombrer, compter, calculer ....................................................................................... 98
De nouveaux mondes,
de nouvelles
ll sciences
1500-1770

INTRODUCTION ET FRISE CHRONOLOGIQUE ..........................................................................................102


1493 Les épidémies colonisent l’Amérique ...................................................................................106
1503 La Couronne espagnole organise l’exploration du Nouveau Monde ...........108
1527 À Bâle, Paracelse critique la médecine de Galien .......................................................110
1543 Copernic place la Terre en orbite .............................................................................................112
1543 André Vésale étudie l’anatomie des meurtriers .........................................................114
1556 Agricola décrit l’art de la métallurgie...................................................................................116
1600 Les applications militaires fortifient la géométrie .....................................................118
1610 Galilée se fait messager céleste ..............................................................................................120
1614 John Napier invente les logarithmes ....................................................................................122
1620 Un chancelier anglais imagine la science du futur ....................................................124
1626 Des missionnaires font découvrir la lunette aux Chinois......................................126
1628 Harvey dissipe les croyances sur la circulation sanguine ...................................128
1633 Descartes imagine un nouveau Monde ...............................................................................130
1644 Torricelli n’a pas horreur du vide.............................................................................................132
1655 Un médecin danois expose la nature du monde ..........................................................134
1659 Boyle et Hooke expérimentent le vide..................................................................................136
1666 Le roi réunit les savants dans sa bibliothèque..............................................................138
1666 Marie Meurdrac publie La Chymie charitable et facile...............................................140
1684 La machine de Marly alimente les fontaines de Versailles .................................142
1687 Newton pose les principes mathématiques de la physique................................144
1696 L’Hospital analyse les infiniment petits ..............................................................................146
1735 Linné met de l’ordre dans la nature.......................................................................................148
1736 Des astronomes mesurent la Terre au bout du monde .........................................150
1739 Buffon cultive le Jardin du roi et le savoir ........................................................................152
1745 Euler se lance dans la balistique .............................................................................................154
1751 L’Encyclopédie devient l’étendard des Lumières ..........................................................156
1756 Une marquise explique Newton aux Français ...............................................................158
1761 Un horloger anglais sauve la Navy .........................................................................................160
1768 James Cook dessine les contours du Pacifique ...........................................................162
Dossier La « découverte » des longitudes ..............................................................................164
Dossier Les nouveaux instruments de la science ..........................................................166
Des sciences pour l’industrie
177
1770-1870

INTRODUCTION ET FRISE CHRONOLOGIQUE ..........................................................................................170


1769 Watt dépose un brevet pour une machine à vapeur ..................................................174
1769 Un perruquier anglais brevette un métier à filer ........................................................176
1774 Turgot dirige un gouvernement « éclairé par la science » ....................................178
1784 Les académiciens rejettent le magnétisme animal .................................................180
1785 Coulomb « pèse » l’électricité......................................................................................................182
1789 Lavoisier révolutionne la chimie ..............................................................................................184
1791 La Terre donne naissance au mètre ......................................................................................186
1794 Sophie Germain fait des maths sous un pseudo .........................................................188
1796 Un jeune garçon échappe à la variole grâce à une vache ...................................190
1799 Un naturaliste se fait écologue ..................................................................................................192
1800 Volta invente la pile électrique ...................................................................................................194
1801 Gauss minimise les erreurs et retrouve une planète ..............................................196
1804 Une faune éteinte reprend vie à Montmartre .................................................................198
1809 Pour Lamarck, les espèces sont plastiques ....................................................................200
1810 Une université moderne voit le jour à Berlin ..................................................................202
1814 Laplace décrit un monde où tout est joué d’avance .................................................204
1816 Une jeune anglaise imagine une créature artificielle ..............................................206
1820 Un apothicaire fait tourner les aiguilles d’une boussole .......................................208
1824 Un inventeur élabore le « système américain de production » .........................210
1824 Justus Liebig enseigne la chimie sur la paillasse ......................................................212
1830 Auguste Comte donne des cours d’astronomie populaire....................................214
1833 Charles Lyell vieillit la Terre de centaines de millions d’années ....................216
1835 Adolphe Quetelet invente l’homme « moyen » ...............................................................218
1843 Un brasseur associe mouvement et chaleur ..................................................................220
1847 Un obstétricien hongrois se lave les mains.....................................................................222
1856 Un étudiant fabrique de la mauvéine ....................................................................................224
1859 Bunsen et Kirchhoff décodent les messages de la lumière ................................226
1859 Pasteur met fin à la génération spontanée .....................................................................228
1859 La théorie de Darwin fait évoluer les idées sur la vie .............................................230
1865 Un prêtre dévoile les secrets de l’hérédité ......................................................................232
1865 Un vent nouveau souffle sur la vie..........................................................................................234
1869 Mendeleïev met en ordre les éléments ...............................................................................236
Dossier L’avènement de l’énergie .....................................................................................................238
Dossier Les publics de la science .....................................................................................................240
L’empire des sciences
1870-1945

INTRODUCTION ET FRISE CHRONOLOGIQUE ..........................................................................................244


1871 Une mission japonaise étudie les sciences occidentales .....................................248
1876 Edison se lance dans la recherche industrielle ............................................................250
1888 Hertz émet de bonnes ondes ......................................................................................................252
1888 Un médecin espagnol peint des neurones........................................................................254
1895 Wilhelm Röntgen effectue la première radiographie ...............................................256
1895 Svante Arrhenius annonce le réchauffement de la planète................................258
1897 Pavlov fait baver les chiens..........................................................................................................260
1898 Pierre et Marie Curie découvrent des éléments radioactifs ...............................262
1900 À la Sorbonne, un mathématicien pose problèmes...................................................264
1905 Einstein vit une année extraordinaire ..................................................................................266
1908 Le mathématicien Painlevé fait décoller l’aviation ....................................................268
1909 Fritz Haber invente un procédé chimique explosif.....................................................270
1910 Thomas Morgan regarde les mouches dans les yeux .............................................272
1915 L’État prend la recherche scientifique en main ...........................................................274
1919 Une éclipse de Soleil consacre la relativité d’Einstein............................................276
1928 Fleming découvre la pénicilline par hasard ....................................................................278
1929 Edwin Hubble observe l’Univers en expansion .............................................................280
1932 Le cyclotron accélère la recherche nucléaire ................................................................282
1934 Bourbaki naît dans un café parisien ......................................................................................284
1944 L’économie devient un jeu .............................................................................................................286
Dossier La théorie synthétique de l’évolution .........................................................................288
Dossier La nouvelle physique de l’infiniment petit..............................................................290
La grande accélération
De 1945 à nos jours

INTRODUCTION ET FRISE CHRONOLOGIQUE ..........................................................................................294


1945 L’architecture de l’ordinateur se dessine ..........................................................................298
1945 Une bombe atomique explose en plein désert ..............................................................300
1947 La compagnie Bell Telephone invente le transistor ..................................................302
1949 La radioactivité dévoile l’âge des momies ........................................................................304
1953 Les biologistes décryptent l’alphabet du vivant ...........................................................306
1954 La pilule contraceptive est créée en toute discrétion ..............................................308
1956 Les conteneurs bouleversent les transports..................................................................310
1957 L’année géophysique internationale lance la conquête de l’espace .............312
1958 Georges Mathé sauve des physiciens irradiés ..............................................................314
1959 Un crâne et quelques traces de pas changent l’histoire de l’humanité .....316
1962 Rachel Carson annonce un printemps silencieux .......................................................318
1963 Edward Lorenz découvre le chaos dans les ailes d’un papillon ......................320
1966 Lynn Margulis fait rimer évolution avec coopération ...............................................322
1968 La tectonique des plaques fait dériver les continents.............................................324
1969 Les militaires américains créent ARPANET.....................................................................326
1969 Deux hommes marchent sur la Lune ...................................................................................328
1972 La médecine traditionnelle chinoise offre un cadeau au monde ....................330
1977 Avec l’Apple II, les micro-ordinateurs se popularisent............................................332
1977 Deux sondes voguent jusqu’aux confins du Système solaire ............................334
1983 Le CERN détecte les bosons W et Z ........................................................................................336
1985 Dian Fossey est assassinée au Rwanda .............................................................................338
1986 Le réacteur nucléaire de Tchernobyl explose ................................................................340
1990 La Terre se réchauffe… vraiment .............................................................................................342
1992 Un pulsar révèle ses propres planètes ...............................................................................344
2001 L’encyclopédie collaborative Wikipédia voit le jour ...................................................346
2012 CRISPR révolutionne la biotechnologie ...............................................................................348
2017 AlphaZero bat Stockfish aux échecs .....................................................................................350
Dossier L’ordinateur décode le monde ..........................................................................................352
Dossier Les utopies de la technoscience ....................................................................................354

Pour aller plus loin ...................................................................................................................................358


Index des noms, des notions et des lieux.......................................................................359
Aux origines
des sciences
3000 av. notre ère-700

Homo sapiens, homo faber : l’être


humain pense et façonne le monde
depuis qu’il foule la Terre. Avec
l’agriculture et l’élevage apparaissent
des civilisations urbaines qui
inventent l’écriture, l’architecture,
la médecine, les mathématiques,
la guerre, etc. En certains lieux,
comme en Mésopotamie, en Égypte ou
en Chine, des écoles où l’on cherche
à organiser et à transmettre ces
savoirs et savoir-faire sont créées.
Puis avec les penseurs grecs, vers
le VIe siècle avant notre ère, naît
une soif inextinguible d’expliquer
rationnellement le monde. Poursuivi
pendant des siècles, repris par les
Romains, cet héritage est le socle
des sciences modernes.
Le scribe accroupi, environ 2400 av. notre ère.
Aux origines
des sciences
3000 av. notre ère-700
Au début était la technique
D’après les archéologues, des êtres humains taillaient
déjà la pierre il y a près de 3 millions d’années pour en
faire des outils. Ces gestes étaient-ils conscients ? Difficile
à dire. Mais, dès cette époque, l’évolution biologique de
l’être humain s’accompagne d’un progrès technique qui
ne s’arrêtera plus. Si la domestication du feu constitue
évidemment une étape déterminante de cette évolution,
les sculptures et les peintures rupestres, plus tardives,
laissent entrevoir les manifestations d’un esprit désireux
de représenter le monde qui l’entoure afin de mieux
12
le comprendre et de mieux le contrôler. N’est-ce pas là,
déjà, les prémices des sciences et des techniques ?

Des champs, des villes et des écoles


Il y a environ 12 500 ans, autre étape décisive :
la révolution néolithique. Dans le Croissant fertile,
de la Mésopotamie à l’Égypte, l’agriculture et l’élevage
naissants permettent le développement de techniques
comme la céramique et le travail des métaux. En Chine,
on domestique le ver à soie (! – 2600). Partout où éclot
la civilisation, de grandes villes sont construites et des
systèmes d’écriture se développent (! – 3000). Les savants
compilent minutieusement les observations astronomiques
(! – 687) et, peu à peu, les savoirs se structurent et sont
transmis de génération en génération dans les écoles
de scribes. Une quête de la connaissance scientifique
a définitivement commencé.
Un monde intelligible
Entre le VIIe et le Ve siècle avant notre ère, dans plusieurs
civilisations, le savoir s’incarne à travers des figures
semi-mythiques. Thalès de Milet, Confucius, Pythagore
ou le Bouddha développent ainsi, chacun à sa manière,
des règles de vie, mais aussi une pensée théorique qui
s’interroge sur l’origine du monde. À Milet, Anaximandre
abandonne les mythes et propose des explications
rationnelles (! – 540). D’autres, comme Démocrite,
imaginent que tout est constitué de petits bouts de matière
insécables, les atomes (! – 430). Le monde serait donc
intelligible, et la raison humaine pourrait, à partir
d’un petit nombre de principes fondamentaux,
en percer les mystères.

Le foisonnement des savoirs de l’Antiquité


13
Deux siècles plus tard, à Athènes, Platon et Aristote
produisent des œuvres philosophiques complexes,
inspirées de cet héritage et parvenues presque intactes
jusqu’à nous. Les écrits de l’Antiquité grecque puis
romaine permettent de dessiner les contours d’une
civilisation où le savoir rationnel est valorisé et prend
des formes de plus en plus sophistiquées. L’exemple
le plus accompli en est sans doute les mathématiques,
organisées par Euclide (! – 300), puis mises au service
de la géographie (! – 240) et de l’astronomie (! – 60 et 127).
Mais les savoirs naturels sont aussi mis en forme,
comme en témoigne l’œuvre de Pline l’Ancien (! 77).
Cette rationalité s’applique aussi, avec plus ou moins
d’efficacité, à la médecine (! dossier, p. 56-57),
au génie civil (! – 25), à la construction de machines
de guerre (! 597), ou même à la gouvernance des États.
Vers – 3000
Des calculs sur
des tablettes à Uruk

– 687
Catalogue d’étoiles
en Mésopotamie

| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000

– 2900 à – 2340 Dynasties archaïques (Uruk) – 1793 à –1750


Règne d’Hammourabi à Babylone

– 2700 à – 2600 Huangdi, l’empereur jaune

– 1301 à –1236 Ramsès II

Vers – 2600 Vers – 540


Domestication du Nouvelle conception du
vers à soie en Chine monde par Anaximandre

Vers – 500
Dissection du corps
humain par Alcméon

Vers – 450
Description
de l’embryon humain
Vers – 430
Vision atomiste du monde
par Démocrite 415
Hypatie, femme
de sciences
Vers – 300
Euclide, Éléments

– 240
Calcul de la circonférence
de la Terre par Ératosthène

Vers 80 636
Invention de Isidore de Séville,
la boussole Étymologies

| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 206 à 220 Dynastie des Han (Chine)
– 626 à – 539 Empire néo-babylonien Chute de Troie 1184
– 495 à – 429 Périclès : apogée d’Athènes
753 Fondation de Rome
– 356 à – 323 Alexandre le Grand
– 100 à – 44 Jules César
– 5 à 30 Jésus-Christ

– 27 à 476 Empire romain d’Occident

250
Publication
Vers – 60 du bestiaire
Machine Physiologus
d’Anticythère
132 597
Détection de Diffusion
– 25
séismes à distance du trébuchet
Traité d’architecture
de Vitruve

77
Pline l’Ancien,
Histoire naturelle

127
Première observation
astronomique par Ptolémée
– 3000 À Uruk, les scribes
tiennent leurs comptes

Des milliers de tablettes d’argile, produites vers 3000 avant notre


ère, ont été retrouvées à Uruk, en Mésopotamie. Gravées par
des scribes et leurs élèves, elles portent les traces du système
de numération et témoignent d’un savoir mathématique élaboré.

Pour ne pas perdre la mémoire


À la fin du Néolithique, une révolution transforme le visage de la Mésopotamie. Les
premières grandes villes fleurissent dans cette région fertile traversée par le Tigre
et l’Euphrate, dans le sud de l’actuel Irak. Ces grands centres urbains, à l’organi-
sation sociale et politique complexe, sont des lieux d’intenses échanges de biens et
de marchandises.
C’est dans ce contexte que les premières traces écrites de calculs sont produites
sur de petites tablettes en argile, sans doute pour garder la mémoire d’opérations
comptables. Les scribes, hauts fonctionnaires de l’époque, y notent par exemple
16 combien de gu (environ 30 kilos) ou de ban (environ 10 litres) de produits céréaliers
et laitiers ont été achetés pour une fête, établissent des inventaires de troupeaux
ou encore réalisent des calculs prévisionnels de rendements.

Aux sources des mathématiques


Quelque 5 000 tablettes d’argile ont ainsi été exhumées à Uruk, agglomération
majeure de la Mésopotamie, mais aussi à Nippur vers 3000 avant notre ère. À l’aide
de roseaux, les chiffres sont notés par des encoches et les noms (de personnes,
d’animaux ou de denrées) sont figurés par des dessins ou des pictogrammes. Un sys-
tème de graphies qui évoluera peu à peu vers l’écriture cunéiforme.
Ces tablettes nous apprennent que les scribes calculent en base 60 et maîtrisent
les quatre opérations. En outre, elles révèlent l’existence de traditions mathéma-
tiques élaborées : on sait résoudre des équations du ıer et 2e degré ou encore extraire
des racines carrées avec une grande précision.
La découverte de nombreuses tablettes scolaires atteste également de la multi-
plication des écoles de scribes, nécessaires à la normalisation et à la diffusion des
signes, des unités de mesure et des procédés de calculs. On constate en effet une
remarquable continuité des traditions mathématiques à travers les régions et le
temps, et ce, malgré l’histoire mouvementée des cités-États de Mésopotamie au
cours du IIIe millénaire.

vers – 3000 Tablettes comptables à Uruk


| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3100 à – 2800 Début de la construction de Stonehenge – 2000 Notation des nombres en base 60 – 1400
Premiers catalogues
Papyrus de Rhind, les mathématiques en Égypte – 1550 d’étoiles en Mésopotamie
La numération des Babyloniens
Le système abstrait de notation en base 17
60 utilisé par les scribes d’Uruk est
hérité de celui des Sumériens. Deux
signes sont utilisés : À l’école des scribes
le 1 et le 10 . Les 59 « chiffres »
sont écrits en répétant ces signes. Par La découverte, à Nippur, de nombreuses
exemple 21 s’écrit . tablettes de textes scolaires, de listes
Les soixantaines s’écrivent par ajout de métrologiques, de tables numériques…
chiffres à gauche. permet non seulement de reconstituer les
Ainsi vaut 2 × 60 + 2 × 10 + 1 = 141.
Le zéro n’existe pas. L’ordre de gran-
savoirs de l’époque mais également de
deur se déduit du contexte, ce qui fait comprendre comment leur transmission
que le signe peut signifier 1, 60 ou 60 1. s’effectuait dans les écoles ou « Maisons
Cette numération est dite sexagésimale des tablettes ». Les restes de milliers de
positionnelle relative.
« brouillons » d’argile nous apprennent ainsi
Tablette Plimpton 322 représentant
15 triplets de nombres entiers a, b et c
que, vers 2000 avant notre ère, le cursus
qui vérifient la relation a2 + b2 = c2, de formation des scribes était divisé en
vers 1800 av. notre ère. deux niveaux de compétences. Au niveau
élémentaire, les élèves s’entraînaient à
la copie de listes de mots et au calcul. Au
niveau avancé, ils rédigeaient en sumérien
et résolvaient des problèmes numériques
élaborés (extraction de racine, factorisa-
tion, etc.).

Mathématiques et astronomie
| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 590 à – 495 Pythagore 150 Ptolémée (IIe siècle), L’Almageste
– 625 à – 546 – 300 Euclide, Éléments 250 Diophante (v. 215-290), Arithmétiques
Thalès
v. – 287 à – 212 Archimède
– 2600 Une impératrice
domestique le ver à soie

C’est l’impératrice Leizu qui, selon la légende, a l’idée de


Xi Lingshi domestiquer le ver à soie. Dès lors, la Chine conserve
(Leizu)
l’exclusivité de la fabrication du précieux fil pendant
XXVIIe siècle
av. notre ère plus de deux millénaires, avant qu’il ne s’exporte par
la « route de la soie ».

Un cocon dans une tasse de thé


L’histoire de la domestication du ver à soie est tellement ancienne que son ori-
gine se perd dans la nuit des temps. D’après les écrits de Confucius (vers 551-479 av.
notre ère), on raconte que l’impératrice Leizu fait une découverte extraordinaire
en observant un cocon de papillon tomber accidentellement dans son thé.
Voulant l’extraire de sa boisson, la jeune fille déroule le fil du cocon et a l’idée de
le tisser. Ayant observé la vie de ce papillon, le bombyx du mûrier, elle commence
à enseigner l’art de son élevage, la sériciculture, et à récolter les cocons pour en
extraire la soie. Nous sommes alors au XXVIIe siècle avant notre ère, dans la région
18 du fleuve Jaune.

Le chemin de la domestication
Cette légende symbolise ainsi la naissance de l’élevage en captivité. La dépendance
du vers à soie vis-à-vis de l’homme pour accomplir son cycle de vie – celui-ci étant
incapable de redevenir sauvage – reflète l’ancienneté de sa domestication. Cette
légende illustre aussi les connaissances et le savoir-faire nécessaires à la domesti-
cation des animaux et des plantes utiles au développement des sociétés humaines.
La soie devient peu à peu une matière de luxe appréciée des pays étrangers. Le
précieux fil, longtemps resté l’exclusivité de la Chine, commence à s’exporter à par-
tir du IIe siècle avant notre ère.

La route de la soie
Le commerce de la soie est ainsi à l’origine de la célèbre « route de la soie », l’une des
premières voies commerciales entre l’Orient et l’Occident. La sériciculture arrive
alors en Europe occidentale au Moyen Âge, en Espagne puis en Italie à travers la
culture arabe.
Mais le fil de soie n’est pas le seul à voyager à travers le monde. En suivant sa
route, les savoirs commencent à se diffuser sur de longues distances et l’Europe
découvre des inventions chinoises comme la poudre ou la boussole (! 82).

vers – 2600 Domestication du ver à soie


| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 2800 Domestication du cheval – 1700 Code d’Hammourabi
Traité de diagnostic en Mésopotamie – 1000
L’art de la sériciculture
La production de la soie commence par
la sélection des œufs de papillon. Après
l’éclosion de ces « graines », les vers sont
19
nourris sur des feuilles de mûrier pen-
dant six semaines environ. Les cocons La domestication d’espèces utiles
sont collectés et la vapeur d’eau utili-
sée pour tuer les chrysalides enfermées Le bœuf, le cochon ou le chien sont déjà
à l’intérieur. Les cocons sont ensuite domestiqués au Ve millénaire avant notre
séchés avant d’être plongés dans de l’eau ère dans l’ancienne Mésopotamie ou l’Égypte
chaude non bouillante (90 °C). C’est à ce
des pharaons. De même, dès le IIIe millé-
moment-là que la filature commence.
naire avant notre ère, les Chinois domes-
Atelier traditionnel japonais de
sériciculture. tiquent de nombreuses espèces comme
la carpe ou le ginkgo et développent une
médecine traditionnelle riche en remèdes

❝ De ces temps primitifs


dont la fable nous a seule
conservé quelque vague
naturels. Mais depuis ces temps reculés
et jusqu’au xixe  siècle, peu de nouvelles
espèces sont domestiquées. C’est ainsi,
pour pallier ce retard historique, qu’Isidore
souvenir, jusqu’à l’antiquité Geoffroy Saint-Hilaire (1805-1861) fonde en
historique, et de celle-ci aux 1854, à Paris, la Société zoologique d’accli-
temps modernes, on voit matation. Son objectif est alors d’obtenir,
décroître les efforts faits via la domestication, d’autres sources de
pour la domestication. » matières premières pour l’industrie et le
Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Acclimatation bien-être de la population.
et domestication des animaux utiles, 1861.

Sciences naturelles et médecine


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 580 Acuponcture en Chine 77 Pline, Histoire naturelle
– 460 à – 377 Hippocrate 131 à 201 Galien
– 384 à – 322 Aristote
– 687 Un astronome copie
un catalogue d’étoiles

En Mésopotamie antique, le savoir astronomique est stratégique


car il sert à la fabrication du calendrier et aux présages.
Certaines tablettes d’argile de cette époque livrent un savoir
déjà étonnamment avancé.

Le texte de La Charrue
En 687 avant notre ère, à Assur, en Mésopotamie (dans le nord de l’actuel Irak),
un scribe trace minutieusement dans l’argile un texte astronomique. Il s’agit de
l’un des premiers qu’on puisse dater avec précision. Composé de près de 400 lignes
de caractères cunéiformes, ce texte, connu à travers plusieurs copies, compile des
savoirs astronomiques qui remontent à 1 400 ans avant notre ère. Les assyriologues
appellent MUL.APIN cette série de tablettes, d’après le nom de la constellation de
« La Charrue » (aujourd’hui la Grande Ourse) citée au début de chaque copie.

Un catalogue d’étoiles

20
Tablette secrète du
Les tablettes MUL.APIN délivrent des informations Ciel, connaissance exclusive
astronomiques diverses, toujours dans le même des grands dieux, ne pas
ordre. Pour commencer, une liste de 36 étoiles dont divulguer ! On peut l’enseigner
le lever au-dessus de l’horizon permet de définir au fils qu’on aime. L’enseigner
un calendrier idéal de 360 jours. Puis viennent à un scribe de Babylone […]
des données concernant le mouvement appa- ou à tout autre savant est une
rent de ces étoiles, de la Lune, du Soleil et des abomination pour [les dieux]
cinq planètes connues à cette époque (Mercure, Nabu et Nisaba. »
Vénus, Mars, Jupiter et Saturne). Certaines pra- Extrait d’une tablette de Mésopotamie,
er
tiques algorithmiques permettant le calcul des I  millénaire av. notre ère.
calendriers solaire et lunaire sont également précisées.

À ne pas mettre entre toutes les mains !


Ce type de tablettes a été retrouvé dans les ruines de Babylone, au milieu de véri-
tables bibliothèques comprenant des journaux quotidiens d’observation du ciel, des
compilations mensuelles, des méthodes permettant d’ajuster le calendrier, ainsi
que divers manuels de prédictions astrologiques. Grâce à ces connaissances, les
savants délivraient de précieux conseils aux gouvernants, leur révélant la période
propice aux semis… ou au déclenchement d’une guerre !

Mathématiques et astronomie
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3100 à – 2800 Début de la construction de Stonehenge – 2000 Notation des nombres en base 60 – 1400
Premiers catalogues
– 3000 Tablettes comptables à Uruk Papyrus de Rhind, les mathématiques en Égypte – 1550 d’étoiles en Mésopotamie
Des étoiles dans l’argile
Lorsque le hasard a voulu
qu’elles soient enterrées,
les tablettes d’argile se sont
remarquablement bien conser-
vées. Si bien qu’on possède
aujourd’hui une connais-
sance de première main de
la science mésopotamienne,
bien meilleure parfois que
celle d’autres périodes pour-
tant plus récentes. Conservée
au British Museum de Londres,
cette tablette MUL.APIN datée
de – 687 a permis de reconsti-
tuer certaines pratiques astro-
nomiques qui remontent à
1 400 ans avant notre ère.
Tablette cunéiforme
MUL.APIN, – 687.

21

Entre astrologie et astronomie


L’astronomie est la science qui rend cycle annuel solaire et le rythme des
compte, par l’observation des astres, saisons, à l’origine du calendrier. Dès la
de l’organisation physique de l’Univers haute Antiquité, les sociétés humaines
et de ses régularités. L’astrologie, quant ont cependant voulu croire que ce type
à elle, est une ancienne croyance qui de correspondance pouvait s’étendre
cherche à interpréter les correspon- à la santé des êtres humains ou aux
dances entre les mouvements célestes affaires de l’État. Aussi, les deux pra-
et les affaires humaines. On ne peut nier tiques sont difficiles à distinguer l’une
que de telles correspondances existent de l’autre avant le début du xviie siècle
bel et bien, comme la relation entre le de notre ère.

– 687 Catalogue d’étoiles en Mésopotamie


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 590 à – 495 Pythagore 150 Ptolémée (IIe siècle), L’Almageste
– 625 à – 546 – 300 Euclide, Éléments 250 Diophante (v. 215-290), Arithmétiques
Thalès
v. – 287 à – 212 Archimède
– 540 Anaximandre soustrait
la Terre aux mains des dieux

Anaximandre, penseur grec du VIe siècle avant


Anaximandre notre ère, abandonne la mythologie pour expliquer
de Milet
l’organisation du monde. Il suggère, en adoptant
vers 610-547
av. notre ère une approche rationnelle, que notre Terre est isolée
et immobile au centre du monde.

Aux origines de l’esprit critique


Au VIIIe siècle avant notre ère, Homère dans l’Iliade et l’Odyssée et surtout Hésiode dans
sa Théogonie racontent la naissance des dieux et du monde. Même si l’observation
céleste est pratique courante, le fondement du savoir se trouve ailleurs : dans les
récits mythologiques et le divin, qui confèrent au monde ordre et cohérence.
C’est au début du VIe siècle avant notre ère, dans une petite cité des bords de la
Méditerranée baptisée Milet, qu’apparaît une nouvelle manière d’enquêter sur la
nature. Les premiers penseurs de cette cité – Thalès, Anaximandre et Anaximène
– cherchent à déterminer le principe de toute chose et émettent des hypothèses
22 rationnelles pour expliquer le monde qui les entoure.
Certes ni l’usage de la raison ni la science ne sont nés à Milet, mais la nouvelle
vision du monde proposée par Anaximandre, probablement élève de Thalès, trans-
forme incontestablement la philosophie de la nature.

Une révolution cosmologique


Si pour Thalès la Terre flotte au centre d’un

Selon moi cette idée
immense océan, pour Anaximandre, elle se d’Anaximandre est l’une des
tient immobile au centre du monde, suspendue idées les plus audacieuses,
dans l’espace. Autour d’elle tournent plusieurs les plus révolutionnaires de
sphères percées de trous, d’où nous parvient la toute l’histoire de la pensée
lumière des étoiles, de la Lune et du Soleil. humaine ».
Mais qu’est-ce qui tient la Terre ? Pourquoi ne Karl Popper, The World of Parmenides,
tombe-t-elle pas ? Anaximandre explique qu’elle Essays on the Presocratic Enlightenment,
1998.
reste ainsi immobile car elle n’a aucune raison
de se mouvoir dans une direction particulière, toutes étant équivalentes. Il sup-
prime la voûte céleste supportée par Atlas, donnant aux cieux suffisamment de
profondeur pour permettre l’indépendance des mouvements des étoiles, du Soleil
et de la Lune. Le monde, expliqué en termes naturels et mécanistes, est ainsi dirigé
par la nécessité et non par le hasard ou les caprices divins.

Mathématiques et astronomie
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3100 à – 2800 Début de la construction de Stonehenge – 2000 Notation des nombres en base 60 – 1400
Premiers catalogues
– 3000 Tablettes comptables à Uruk Papyrus de Rhind, les mathématiques en Égypte – 1550 d’étoiles en Mésopotamie
23

Le monde selon Anaximandre


La Terre a la forme d’un cylindre
trois fois plus large que haut, l’hu- Un saut conceptuel
manité vivant sur l’une de ses faces
bombées. Elle est immobile au Anaximandre, en proposant un modèle
centre de trois anneaux en rotation. rationnel du monde dans lequel les évé-
Des trous percés dans ces anneaux
laissent passer la lumière et nous
nements trouvent des explications natu-
permettent de voir respectivement relles, ne se contente pas d’ignorer les récits
les étoiles, la Lune et le Soleil. La mythologiques qui expliquent l’histoire de la
distance de ces anneaux à la Terre Terre. Il réalise une prouesse conceptuelle
est issue de la Théogonie d’Hésiode.
en passant d’un système où la Terre repose
Mosaïque grecque de pavement
représentant Anaximandre,
sur l’eau (celui de Thalès) à une Terre en
iiie siècle av. notre ère. équilibre dans l’espace. En effet, cette trans-
formation suppose d’accepter que certains
phénomènes se réalisent même si nous ne
les voyons pas, et de dépasser l’expérience
de nos perceptions quotidiennes. Ainsi, le
Soleil continue sa course même s’il dispa-
raît chaque soir de notre champ de vision.

Vers – 540 Nouvelle conception du monde par Anaximandre


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 590 à – 495 Pythagore 150 Ptolémée (IIe siècle), L’Almageste
– 625 à – 546 – 300 Euclide, Éléments 250 Diophante (v. 215-290), Arithmétiques
Thalès
v. – 287 à – 212 Archimède
– 500 Alcméon expérimente
la médecine

En Occident, un médecin ose pratiquer


Alcméon des dissections sur le corps humain, alors « sacré ».
VIe siècle Ses réflexions, basées sur l’observation et non plus
av. notre ère
les croyances, amorcent une nouvelle façon
d’interroger le monde.

Les temples de la guérison


D’après la mythologie grecque, Asclépios est le dieu de la médecine. Dans les temples
qui lui sont dédiés, la guérison passe par des rituels basés sur l’intuition et l’ésoté-
risme. C’est vers la fin du Ve siècle que l’observation remplace les croyances, et que
les premières écoles de médecine se développent autour de ces sanctuaires. Celle de
Crotone est associée à la figure d’Alcméon, l’un des fondateurs de la médecine avec
Hippocrate (460-vers 377 av. notre ère).

Le corps et l’âme se dissocient


24 Alcméon de Crotone refuse de croire à l’origine présumée divine des troubles,
comme on le pensait à l’époque. Si l’âme est immortelle, le corps, lui, est péris-
sable et soumis aux maladies. Pour Alcméon, la santé résulte ainsi d’une symétrie
dans le corps entre des « forces » opposées (humide et sec, froid et chaud, doux et
amer…), et c’est le déséquilibre entre ces forces qui entraîne la maladie. Le méde-
cin raisonne à partir de l’étude des symptômes de chaque pathologie et, a posteriori,
en suivant les effets du diagnostic et du traitement sur les patients.

Des dissections instructives


Alcméon semble être le premier médecin à

Ce qui distingue
réaliser des dissections sur des animaux et l’homme des autres animaux,
des humains. Il identifie ainsi le système c’est qu’il est le seul à disposer
nerveux comme le siège de la vie intellec- de la conscience, alors que les
tuelle, de la perception sensorielle et de la autres ont des sensations sans
conscience des hommes et des femmes. avoir la conscience. »
Grâce aux dissections de l’œil et de l’oreille, Théophraste, Du sens et des sensibles,
il démontre que ces organes sensoriels infor- iiie siècle av. notre ère.
ment le cerveau de tout ce qui se passe autour
de nous. Et ses études lui permettent aussi de mettre en évidence les nerfs optiques
et la trompe d’Eustache de l’oreille, ce « couloir » où circulent les informations.

Sciences naturelles et médecine


| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 2800 Domestication du cheval – 1700 Code d’Hammourabi
– 2600 Domestication du ver à soie Traité de diagnostic en Mésopotamie – 1000

Comparer pour mieux expliquer
Alcméon de Crotone explique le fonc- 25
Il faut donc expliquer quelle est la
tionnement des organes sensoriels par
nature de l’œil ; à ce sujet, entre autres très des analogies. Pour lui, on peut voir des
nombreux penseurs, Alcméon de Crotone – objets parce que les yeux sont humides
spécialiste des recherches sur la nature et le et que les images s’y reflètent comme à
premier à avoir osé pratiquer une dissection la surface de l’eau. Pour expliquer l’au-
dition, il fait une analogie avec l’écho : on
–, Callisthène, le disciple d’Aristote, entend les sons parce qu’il existe une
et aussi Hérophile ont fait la lumière cavité à l’intérieur de l’oreille qui per-
sur de nombreux points importants. » met de faire résonner l’air provenant
de l’extérieur.
Calcidius, commentaire du Timée de Platon, ive siècle.

Un corpus à plusieurs mains


Le Corpus hippocraticum, rédigé entre des maladies, de pharmacologie, de dié-
le ve et le ive siècle avant notre ère, est tétique, des fluides corporels, de chirur-
considéré comme le premier recueil gie ou de l’influence de l’environnement
bibliographique en médecine. Œuvre sur la santé. Cependant, c’est le ser-
d’Hippocrate et d’autres auteurs non ment d’Hippocrate, code de conduite et
identifiés, le Corpus réunit les pensées de règles morales du médecin face au
et les procédés de deux écoles de méde- patient, qui restera dans les mémoires
cine de l’Antiquité grecque, celle de Cos (! dossier, p. 56-57).
et celle de Cnide. Il traite de la nature

– 500 Dissection du corps humain par Alcméon


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 580 Acuponcture en Chine 77 Pline, Histoire naturelle
– 460 à – 377 Hippocrate 131 à 201 Galien
– 384 à – 322 Aristote
– 450 Les contours de l’embryon
humain se dessinent

Devançant Aristote et Hippocrate, un philosophe


Hippon
de Crotone grec peu connu, du nom d’Hippon de Crotone, fait une
460-377 première description des étapes de développement
av. notre ère
de l’embryon humain.

Les premières théories de la vie


À partir du VIe siècle avant notre ère, les premiers philosophes de la nature cherchent
à donner une explication raisonnée aux phénomènes naturels, et notamment aux
origines de la vie. Parmi eux se trouve Hippon de Crotone, personnage très peu
connu et dont l’existence même est parfois remise en cause, pour qui l’eau ou plu-
tôt l’humide est à l’origine de toute chose, y compris du feu.
Considéré par Aristote (384-322 av. notre ère) comme un philosophe « grossier »,
Hippon décrit le ciel comme la voûte d’un four qui enveloppe la Terre. Il semble
aussi avoir été l’un des premiers à discuter de la génération d’un nouveau corps.
26 Censorin, grammairien latin du IIIe siècle, lui attribue, en effet, la première des-
cription de la formation de l’embryon humain dans son traité sur la naissance
De die natali (Du jour natal).

Un développement embryonnaire… sexué


D’après le témoignage d’Hippon, au Ve siècle avant notre ère, seule la semence mâle
est utile pour produire l’embryon, la semence femelle ne servant qu’à son développe-
ment. Cette idée sera reprise plus tard par Aristote, pour qui la semence mâle apporte
la forme, autrement dit ce qui est éternel au cours des générations et constitue la


particularité de chaque espèce, et la semence
femelle apporte la matière, commune et péris- Hippon […] soutient
sable après la mort, qui permet la croissance. que l’enfant est formé
Une telle conception sera utilisée, dans la tra- soixante jours après la
conception, ajoutant que dans
dition occidentale, pour affirmer une supréma-
le quatrième mois la chair
tie masculine. prend sa consistance, dans le
Pour Hippon, 60 jours suffisent à la forma- cinquième poussent les ongles
tion de l’embryon, à commencer par la tête, et les cheveux, et dans le
siège de l’âme. Aristote prédira de son côté un septième l’enfant est parvenu
développement de 40 jours pour les garçons et à sa perfection. »
de 3 mois pour les filles ! Censorin, Du jour natal, vers 238.

Sciences naturelles et médecine


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– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 2800 Domestication du cheval – 1700 Code d’Hammourabi
– 2600 Domestication du ver à soie Traité de diagnostic en Mésopotamie – 1000
❝ Si un fœtus mâle
sort à quarante jours,
et qu’on le mette dans
un autre liquide que de
l’eau froide, il se dissout
et disparaît ; mais si
c’est dans de l’eau froide
qu’on le met, il y reste
condensé comme dans L’origine de la vie en débat
Dans la tradition gréco-latine, deux écoles s’affrontent pour
une membrane. Quand expliquer le développement des animaux, et notamment de
on ouvre cette membrane, l’homme. D’une part les « préformationistes », inspirés par Hip- 27
l’embryon y apparaît de pocrate (460-377 av. notre ère), pour qui le sperme contient déjà
la grosseur des grandes en soi un organisme préformé. Face à eux, les « épigénistes »,
fourmis. » héritiers de la pensée d’Aristote, qui conçoivent le sperme comme
une force qui aboutit d’abord à la formation de l’embryon puis
Aristote, Histoire des animaux, à celle de l’adulte.
tome II, ive siècle av. notre ère. Représentation d’un spermatozoïde humain qui contient dans
sa tête un « homunculus », sorte de petit homme préformé,
extrait de Essay de dioptrique de Nicolas Hartsoeker, 1694.

Les premiers pas de l’embryologie


Dans son traité De la Génération des ani- dans l’histoire de l’embryologie avec la
maux, daté du ive siècle avant notre ère, rédaction de Exercitationes de genera-
Aristote décrit en détail le développe- tione animalium par le médecin anglais
ment de l’œuf de poule. Cette étude est William Harvey (! 1628). Celui-ci y éta-
considérée comme l’une des premières blit que « tout ce qui vit vient initiale-
expériences scientifiques de l’histoire. ment d’un œuf ». L’embryologie moderne
C’est ensuite au milieu du xviie  siècle devient enfin une discipline scientifique
qu’une étape importante est franchie à part entière au xixe siècle.

Vers – 450 Description de l’embryon humain


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– 500 An 0 500 1000
– 580 Acuponcture en Chine 77 Pline, Histoire naturelle
– 460 à – 377 Hippocrate 131 à 201 Galien
– 384 à – 322 Aristote
– 430 Démocrite imagine
un monde d’atomes

Un philosophe grec conçoit la matière du monde comme


Démocrite discontinue, faite d’atomes et de vide. La transformation
vers 460-370
av. notre ère de la matière pourrait ainsi s’expliquer par les lois de la
nature et non par les lois divines.

La chute des dieux


Au Ve siècle avant notre ère, les mythes de la culture grecque commencent réelle-
ment à perdre leur force explicative du monde au sein de l’élite intellectuelle. On
cherche davantage à interpréter les phénomènes par la raison. Ainsi, Anaximandre
(! – 540) a déjà proposé une organisation du cosmos régie par des règles naturelles.
Démocrite, disciple de Leucippe (vers 460-370 av. notre ère), reprend cette idée et
considère que la matière n’est constituée que de petits éléments insécables, appelés
« atomes », et de vide. Tout est matière, même les dieux qui sont ainsi soumis aux
mêmes lois que les hommes.
28
Le plein, le vide et le mouvement
Selon Démocrite, les principes du réel sont le plein (l’être) constitué d’atomes, le
vide (le non-être) et le mouvement. Les atomes sont invisibles du fait de leur taille
infime, aucune lame n’étant assez fine pour les diviser. Tous les corps présents dans
le monde, même les quatre éléments (terre, eau, air et feu), sont formés d’agrégats
d’atomes. La génération de matière se fait par la réunion d’atomes, et la destruc-
tion de matière par leur séparation. Par le vide nécessaire entre les atomes, Démo-
crite explique la possibilité du changement. Tout ce qui survient dans le monde se
ramène donc à l’universelle nécessité des principes atomistes.

De la conviction à la preuve
D’autres philosophes comme Épicure (341-270 av. notre ère) ou Lucrèce (! 1417) se
placent dans la lignée de Leucippe et de Démocrite et défendent l’existence des
atomes. Par conviction, Robert Boyle et Newton (! 1687) au XVIIe siècle, puis Dalton
au XVIIIe siècle, soutiennent eux aussi le corpuscularisme.
Mais ce n’est qu’en 1913 que le physicien Jean Perrin clôt le débat avec la publica-
tion d’un livre, Les Atomes, dans lequel il accumule des preuves expérimentales en
faveur de l’existence des atomes. Les physiciens commencent même à s’intéresser à
leurs divers composants : électrons, protons et bientôt neutrons (! 1932).

Philosophie et culture
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 1800 Épopée de Gilgamesh
29
Les atomes crochus
de Démocrite
Pour Démocrite, la diversité de la Une vision matérialiste
matière est liée aux propriétés des
atomes. Leur forme notamment, Démocrite considère que tout est matière.
qui peut être ronde, anguleuse ou Atome ou vide sont aussi réels l’un que
« crochue », leur permet de se lier
l’autre, et le néant n’existe pas. « Rien ne
entre eux par de petites barbes et
des crochets. La quantité de vide naît de rien et rien ne retourne au néant »,
entre les atomes affecte la texture, selon Épicure. Ainsi, le divin « s’efface »
qui peut être fluide, ferme, etc. Une et l’âme se matérialise. Pour cette raison,
dernière catégorie, subjective, de bien des savants ou philosophes atomistes
propriétés comme la couleur et le
goût influe sur les sensations que
sont inquiétés à diverses époques par les
nous avons des corps. autorités religieuses. L’Église catholique
Atomes d’or observés au a longtemps combattu cette conception
microscope à effet tunnel, des corps, la jugeant incompatible avec la
xxie siècle.
transsubstantiation, c’est-à-dire le change-
ment du vin et du pain en sang et en corps
du Christ lors de l’Eucharistie.

Vers – 430 Vision atomiste du monde par Démocrite


| | | |
– 500 An 0 500 1000
v. – 700 à – 800 – 460 à – 370 Démocrite v. 54 Lucrèce, v. 500 Boèce, De la musique
Homère De la nature des choses
– 587 à – 495 Pythagore 636 Isidore de Séville, Étymologies
– 428 à – 348 Platon
– 300 Euclide rédige ses Éléments
de mathématiques

Grâce à leur construction logique toute particulière,


Euclide les Éléments d’Euclide ont exercé une influence
vers 300
av. notre ère considérable sur le développement des mathématiques
au cours des deux millénaires suivants.

Un héritage singulier
Nous ne savons quasiment rien d’Euclide, mis à part qu’il vécut vers 300 av. notre
ère. Une partie de ses œuvres, parmi lesquels les célèbres Éléments, lui ont néan-
moins survécu. Si ce traité compile des résultats mathématiques, nous ne disposons
d’aucune indication directe sur la façon dont il a été construit à partir du savoir de
l’époque. Le texte n’en constitue pas moins un ouvrage de référence, qui a éclipsé
l’ensemble des contributions mathématiques grecques précédentes.

L’art de la démonstration
30 Le principe d’exposition des Éléments d’Euclide consiste à démontrer chaque proposi-
tion – qui peut prendre la forme d’un théorème ou de la solution d’un problème – à par-
tir d’autres propositions préalablement démontrées et d’un jeu réduit de définitions,
de « demandes » (postulats) et de « notions communes » (axiomes). C’est cette façon de
démontrer et de structurer les mathématiques qui en ont fait un succès sans équiva-
lent dans l’histoire, en même temps qu’un modèle de rigueur jusqu’au XIXe siècle.

Géométrie et arithmétique
Les Éléments d’Euclide contiennent treize livres organisés de façon thématique,
dédiés à la géométrie plane, l’arithmétique et la géométrie dans l’espace. Au total,
470 propositions sont ainsi démontrées. On y trouve par exemple une étude sur les
nombres premiers, une méthode de construction du plus grand diviseur commun à
deux nombres, ou encore des procédés de division des nombres.
Parmi les postulats du premier livre des Éléments, le cinquième, appelé « postulat
des parallèles », est celui qui a le plus interrogé les mathématiciens, ces derniers
ayant cherché à le prouver rigoureusement. Nous en connaissons tous un énoncé
équivalent, formulé par le mathématicien britannique John Playfair (1748-1819) :
« Par un point extérieur à une droite ne peut passer qu’une seule et unique droite
parallèle à cette droite ». Il faudra attendre le XIXe siècle pour comprendre que ce
postulat n’est pas démontrable.

Mathématiques et astronomie
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3100 à – 2800 Début de la construction de Stonehenge – 2000 Notation des nombres en base 60 – 1400
Premiers catalogues
– 3000 Tablettes comptables à Uruk Papyrus de Rhind, les mathématiques en Égypte – 1550 d’étoiles en Mésopotamie
Élémentaire
mais pas originale !
Comme la plupart des écrits
grecs de cette période, nous
ne disposons d’aucune ver-
Les 13 livres des Éléments
sion originale des Éléments. Géométrie plane : constructions
Les versions actuelles du Livre I à IV et propriétés des figures rectilignes
texte sont donc la compilation et des cercles.
de nombreuses versions ulté- Théorie des proportions,
Livre V
rieures, souvent traduites. Le rapports de deux grandeurs.
plus vieux manuscrit complet
Application du livre V aux grandeurs
des Éléments, actuellement Livre VI
de la géométrie plane.
conservé à Oxford, date de la
fin du ixe siècle, soit environ Arithmétique des nombres entiers :
1 200  ans après sa période Livre VII à IX nombres premiers, PGCD, division
de rédaction. euclidienne, algorithme d’Euclide…

Euclide, Éléments, 888. Classification des grandeurs


Livre X
irrationnelles.
Géométrie dans l’espace : parallélisme
entre droites et plans, volumes
Livre XI à XIII des parallélépipèdes, solides de
révolution, construction des polyèdres
réguliers.

Vers – 300 Euclide, Éléments


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 590 à – 495 Pythagore 150 Ptolémée (IIe siècle), L’Almageste
– 625 à – 546 250 Diophante (v. 215-290), Arithmétiques
Thalès
v. – 287 à – 212 Archimède
– 240 À Alexandrie, un bibliothécaire
mesure la taille de la Terre

À partir de la distance entre les villes de Syène


Ératosthène et d’Alexandrie et de leur position géographique,
vers 284- Ératosthène calcule la circonférence de la Terre
vers 192
av. notre ère et trouve une valeur très proche de celle
actuellement admise.

Un homme sort de l’ombre


On sait depuis le Ve siècle avant notre ère que la Terre est sphérique. Mais pour calcu-
ler sa circonférence, il faut des connaissances en géométrie, en astronomie et en géo-
graphie. Ératosthène, responsable de la bibliothèque d’Alexandrie, maîtrise justement
toutes ces disciplines. Il sait que le jour du solstice d’été, à midi, le Soleil passe à la ver-
ticale de la ville de Syène, en Égypte. Il sait aussi que cette ville se situe quasiment sur
le même méridien qu’Alexandrie, ville où il va mener son expérience.

De l’ombre à la circonférence
32 Au solstice d’été donc, vers 240 avant notre ère, Ératosthène mesure la taille de
l’ombre au sol d’un obélisque ou d’un gnomon à Alexandrie. En utilisant l’angle
que forment les rayons du soleil avec la verticale, la distance entre les villes de
Syène et d’Alexandrie, et des règles de trigonométrie bien choisies, il réussit à cal-
culer la circonférence de la Terre.
Ératosthène n’a pas laissé d’écrit sur son expérience, et ceux qui la rapportent au
siècle suivant donnent peu de précisions sur les méthodes de mesure utilisées. Si
l’évaluation de l’angle pose peu de problèmes, qu’elle soit faite à partir de l’ombre
d’un obélisque ou d’un gnomon, celle de la distance entre Syène et Alexandrie sou-
lève de nombreuses questions.

Une précision remarquable


En effet, comment Ératosthène a-t-il mesuré cette distance ? A-t-il utilisé les dires
des caravaniers qui évaluaient la distance en « chameaux-jours » ou bien les cartes
cadastrales des arpenteurs égyptiens ? Impossible de le savoir. Quoi qu’il en soit,
il donne une distance de 5 000 stades (unité de mesure de l’époque), ce qui corres-
pondrait à une circonférence terrestre de 39 375 km, s’approchant, à 2 % près, de la
valeur aujourd’hui admise de 40 075 km. Bien d’autres mesures sont faites pendant
le millénaire qui suit, par les savants grecs, perses, arabes ou chinois. Mais aucune
ne semble atteindre la même précision.

Mathématiques et astronomie
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3100 à – 2800 Début de la construction de Stonehenge – 2000 Notation des nombres en base 60 – 1400
Premiers catalogues
– 3000 Tablettes comptables à Uruk Papyrus de Rhind, les mathématiques en Égypte – 1550 d’étoiles en Mésopotamie
La bibliothèque d’Alexandrie
Vers l’an 245 avant notre ère,
Ératosthène est appelé en Égypte
Une trop bonne mesure
pour assurer l’éducation de Ptolé- Comment atteindre une aussi bonne mesure avec
mée IV, le fils du pharaon, et à partir
de –221, il devient conservateur de
autant d’imprécisions ? En effet, Syène et Alexan-
la bibliothèque d’Alexandrie. Ayant drie ne sont pas exactement sur le même méri-
accès au plus grand centre culturel dien, ce dont le calcul ne tient pas compte. D’autre
de l’époque, avec plus de 400 000 part, la mesure de la distance Syène-Alexandrie,
ouvrages disponibles (Sophocle,
quelle que soit la méthode utilisée, est inévita-
Euripide, Homère, Hippocrate et
Aristote), Ératosthène se lance blement approximative. Autre incertitude : l’unité
alors dans différents travaux qui le de mesure utilisée par Ératosthène. Plusieurs
rendront célèbre. sources (Pline, Strabon) laissent penser qu’il aurait
Évocation de la bibliothèque utilisé non pas le stade égyptien de 157,2 m mais
d’Alexandrie, gravure
d’Otto von Corven, vers 1886.
le stade attique de 184,98 m en usage parmi les
géographes. Dans ce cas, le calcul d’Ératosthène
surdimensionnerait la Terre de 16 % !

Vers – 240 Calcul de la circonférence de la Terre par Ératosthène


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 590 à – 495 Pythagore 150 Ptolémée (IIe siècle), L’Almageste
– 625 à – 546 – 300 Euclide, Éléments 250 Diophante (v. 215-290), Arithmétiques
Thalès
v. – 287 à – 212 Archimède
– 60 La machine d’Anticythère
sombre en mer

Au large d’une petite île grecque située entre la Crète et le


Péloponnèse, un navire marchand fait naufrage. Vingt siècles
plus tard, on trouve dans son épave un objet qui va radicalement
changer l’image que l’on se fait des sciences mathématiques
de l’époque hellénistique.

Un trésor sorti des eaux


Vers 60 avant notre ère, un navire, qui devait faire près de 40 mètres de long, sombre
en Méditerranée au large de l’île d’Anticythère. En 1900, des pêcheurs d’éponges
découvrent par hasard, dans les restes du bateau, de sublimes statues antiques.
Aussitôt, les archéologues explorent l’épave et sont frappés par la richesse de la car-
gaison : amphores autrefois pleines de vin, somptueux objets de verre, magnifiques
statues de bronze et de marbre… C’est à peine s’ils remarquent les mystérieux frag-
ments d’un objet métallique, semblables à des engrenages.

34 Un siècle de recherches
Sur certains de ces fragments, des inscriptions difficiles à déchiffrer attirent l’atten-
tion : il s’agit manifestement d’un objet très particulier d’usage astronomique. Mais
est-ce un simple astrolabe ou bien un mécanisme permettant de reproduire les mouve-
ments du cosmos, voire de faire des calculs astronomiques et de prédire les éclipses ?
Les travaux de plusieurs générations d’historiens, s’appuyant parfois sur des tech-
niques d’imagerie sophistiquées, permettent de déchiffrer l’énigme. Il s’agit d’un
cosmos portatif, véritable petit bijou de sciences et de technologie.

Un cosmos portatif
À l’aide d’une manivelle, il est possible d’actionner la machine d’Anticythère et
de simuler le passage du temps et les mouvements célestes. Ses cadrans indiquent
les jours selon trois calendriers différents, et des aiguilles donnent la position des
étoiles et des planètes par rapport à la Terre.
Les engrenages qui l’animent sont essentiellement construits sur la base de la
science mathématique et astronomique d’Apollonius de Perge (v. 240 av. notre ère), et
permettent de calculer le mouvement apparent du Soleil, de la Lune et des planètes
dans le ciel. Persuadés jusque-là de la prédominance de la théorie sur la pratique à
l’époque antique, les historiens découvrent, avec la machine d’Anticythère, la subti-
lité d’un objet qu’ils pensaient impossible à réaliser à cette époque-là.

Techniques et architecture
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3300 Le bronze – 2600 Pyramide de Chéops – 1600 La clepsydre,
en Mésopotamie première horloge à eau
Le char de combat – 2000
Des rouages astronomiques
On a tout d’abord pensé que ce disque était
celui d’un astrolabe, instrument d’observa-
tion dont parlent les Anciens comme Ptolé-
mée (! 127). Très vite, cependant, on a réalisé Le théâtre des machines de Héron
qu’il s’agissait d’engrenages dont subsistent
une trentaine de roues. En se servant de tech-
La machine d’Anticythère incorpore de
niques tomographiques (photographie par nombreuses connaissances techniques
couches), les recherches les plus récentes conformes à celles de la période hellé-
ont pu donner une interprétation des calculs nistique. En effet, elle présente le même
que pouvait effectuer la machine.
niveau de savoirs que les inventions
Reconstitution par le professeur Tony Freeth
de la machine d’Anticythère, montrant les décrites par Héron, mathématicien et
trajectoires du Soleil et des planètes inférieures. ingénieur d’Alexandrie au ier  siècle de
notre ère. Dans ses Pneumatiques, ce der-
nier présente une machine à vapeur mise
en mouvement par la puissance du feu. Et

❝ Tout ce que nous connaissions


des sciences et des techniques de
l’âge hellénistique aurait dû nous
dans son Traité des automates, il dévoile
des mécanismes qui actionnent des figu-
rines animées. C’est aussi à Héron qu’on
doit la description des cinq machines
inciter à penser qu’une telle machine simples : le levier, la poulie, le coin, le
ne pouvait pas exister. » treuil et la vis sans fin.
Derek de Solla Price, Scientific American, 1959.

Vers – 60 Machine d’Anticythère


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 447 Le Parthénon – 90 à – 20 Vitruve 597 Usage du trébuchet en Europe
à Athènes

Invention du papier en Chine – 200 80 Wang Chong, Balance des discours


– 25 Vitruve consigne
l’art de bâtir à la romaine
L’architecte romain Vitruve rassemble les règles
Vitruve et les savoirs architecturaux du Ier siècle avant notre
90-20 ère dans l’ouvrage De architectura. D’abord destiné
av. notre ère
aux magistrats des villes romaines, ce traité sert
de référence jusqu’au XVIIIe siècle.

Prestige en la demeure
Au Ier siècle avant notre ère, à Rome, les dirigeants
politiques et les familles de la haute société mani-
❝ Avec le secours de
cet ouvrage qui renferme
tout ce qui regarde
festent leur pouvoir en édifiant de nouveaux bâti- l’architecture, vous pourrez
ments publics. L’empereur Auguste (63 av. notre juger par vous-même de
ère-14) dirige lui-même un vaste programme d’em- la nature des travaux que
bellissement de Rome. C’est dans ce contexte que
vous avez faits, et de ceux
que vous ferez encore […]. »
Vitruve publie, vers 25 avant notre ère, son traité
Vitruve, De architectura, préface,
De architectura. Livre I, 25 av. notre ère.
36
Une bible de l’architecture
L’objectif de cet ouvrage en 10 volumes est de codifier tous les savoirs liés à l’archi-
tecture et de les rendre accessibles aux commanditaires de nouveaux bâtiments,
afin qu’ils aient une bonne compréhension des problèmes techniques et puissent
ainsi prendre les décisions adaptées.
Mais sa visée est aussi encyclopédique. Vitruve y traite de tout : des préceptes à uti-
liser dans la construction des villes ; des règles de conception des temples, maisons et
bains publics ; des caractéristiques des matériaux de construction et des endroits où il
est possible de les trouver. Vitruve propose aussi une classification des styles architec-
turaux, s’intéresse aux principes de l’acoustique et aux systèmes mécaniques.

Un engouement tardif
De architectura est l’unique traité d’architecture et de mécanique de l’Antiquité
romaine qui nous soit parvenu. Peu cité par les auteurs latins et peu utilisé au
Moyen Âge, le traité connaît un extraordinaire engouement à la Renaissance.
Imprimé d’abord en latin en 1486, il est maintes fois traduit en français, italien et
espagnol aux XVIe et XVIIe siècles. Il constitue alors le principal traité à l’usage des
architectes : les règles qu’il préconise seront utilisées pour la conception de nom-
breux bâtiments jusqu’au XVIIIe siècle.

Techniques et architecture
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3300 Le bronze – 2600 Pyramide de Chéops – 1600 La clepsydre,
en Mésopotamie première horloge à eau
Le char de combat – 2000
37

Le pont du Gard
Les architectes romains
sont des constructeurs émé-
rites. Le pont du Gard offre Architecte à la romaine
un excellent exemple de leur
virtuosité. Construit quelques Comme beaucoup d’architectes romains, Vitruve est
décennies après la publication à la fois ingénieur militaire, ingénieur civil, spécia-
de De architectura, il enjambe liste de mécanique et architecte au sens moderne du
le Gardon et apporte les eaux
terme. Il sert ainsi Jules César en tant qu’ingénieur
des montagnes voisines aux
fontaines et bains publics de militaire pendant la guerre civile contre Pompée et
Nîmes. D’une extraordinaire conçoit notamment des scorpions qui servent à lan-
solidité, il survit à près de vingt cer de lourdes flèches. Plus tard, Vitruve construit
siècles de crues du Gardon. un vaste bâtiment public dans la colonie Fanum For-
tunae récemment fondée par l’empereur Auguste.
Il travaille aussi sur le système d’adduction d’eau
de Rome. À la fin de sa vie, il rédige De architectura,
qu’il dédie à l’empereur Auguste.

– 25 Traité d’architecture de Vitruve


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 447 Le Parthénon – 90 à – 20 Vitruve 597 Usage du trébuchet en Europe
à Athènes
– 60 La machine d’Anticythère

Invention du papier en Chine – 200 80 Wang Chong, Balance des discours


77 Pline l’Ancien compile
l’Histoire de son époque

La création de l’Empire romain permet le rayonnement


Pline de sa culture bien au-delà du pourtour méditerranéen.
l’Ancien La compilation de connaissances faite par l’écrivain
23-79
latin Pline l’Ancien, à travers son Histoire naturelle,
contribue à cette expansion.

Un monde d’expansion et de compilation


Au Ie siècle de notre ère, l’Empire romain est en pleine croissance. Des ingénieurs
perfectionnent l’urbanisme des villes, les voies de communication, l’agronomie et
la métallurgie. En revanche, dans le domaine des sciences, les Romains s’inspirent
essentiellement de la pensée grecque. La compilation est le genre le plus répandu.
Cicéron (106-43 av. notre ère) et Claude Galien (vers 131-vers 201) recueillent res-
pectivement les savoirs des philosophes et des médecins grecs, assurant ainsi un
rôle d’intermédiaires entre le monde classique et le Moyen Âge (! dossier, p. 56-57).
De son côté, vers 77, Pline l’Ancien, écrivain et naturaliste au service de l’armée,
38 réunit les savoirs de son époque dans une véritable encyclopédie.

Une encyclopédie entre naturel et surnaturel


Dans les trente-sept volumes qui composent son Histoire naturelle, Pline traite d’astro-
nomie, de météorologie, de géographie, d’anthropologie, de zoologie, de botanique,
d’agronomie, de médecine, de minéralogie, de métallurgie et des arts. Son Histoire ne
relève pas du passé, comme on l’entend aujourd’hui, mais plutôt d’une enquête sur


tout ce qui existe dans la nature. Et pour bien la
conduire, il consulte de nombreux auteurs grecs Ce n’est pas chose
et latins en complément de son expérience person- aisée que de donner un air
nelle. nouveau à ce qui est ancien,
Pline semble parfois négliger son esprit cri- de l’autorité à ce qui est
nouveau, du brillant à ce qui
tique pour parler de choses qu’il n’a pas vues. Il
est terne, de la lumière à ce
décrit certains phénomènes par ouï-dire, ce qui qui est obscur, de la faveur
conduit le réel et l’imaginaire à cohabiter dans à ce qui est dédaigné, du
ses écrits. Ses descriptions nourrissent ainsi crédit à ce qui est douteux,
un monde peuplé de dragons et d’êtres imagi- à chaque chose sa nature,
naires, un univers fantastique qui bénéficie du et à la nature tout ce qui lui
crédit que l’on accorde à son auteur et aura une appartient. »
influence durable jusqu’au XVIe siècle. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, vers 77.

Sciences naturelles et médecine


| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 2800 Domestication du cheval – 1700 Code d’Hammourabi
– 2600 Domestication du ver à soie Traité de diagnostic en Mésopotamie – 1000
39

Mort pour la science


Le 24 août 79, le Vésuve entre
en éruption près de Pompéi.
Commandant de la flotte mili- Un inventaire à la romaine
taire, alors stationnée dans la
baie de Naples, Pline se rap- Pline aborde dans son œuvre des matières très
proche du volcan pour porter hétéroclites, s’inspirant pour cela des biographies
secours à la population en dan- des principaux médecins, astronomes et artistes
ger et observer l’éruption au de son époque. Il s’intéresse ainsi aux éclipses,
plus près, preuve de sa curio-
sité naturaliste. Malheureuse-
aux singularités du flux menstruel, à l’histoire
ment, c’est là que Pline l’An- des horloges ou à celle de la mesure du temps. Le
cien décède d’asphyxie, comme naturaliste parle aussi du cœur et des poumons,
le rapporte son neveu Pline le de la moelle épinière qui, d’après lui, devient un
Jeune.
serpent après la mort. Ses descriptions zoolo-
Pierre Henri de Valenciennes,
Éruption du Vésuve avec la
giques concernent le rhinocéros et l’hyène, mais
mort de Pline, 1813. encore le phénix et le sphinx. Ses textes ren-
seignent également sur la culture de la vigne et
sur les types de vin consommés par les Romains.

77 Pline l’Ancien, Histoire naturelle


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 580 Acuponcture en Chine
– 460 à – 377 Hippocrate 131 à 201 Galien
– 384 à – 322 Aristote
80 La boussole se cherche
un inventeur

Les traces écrites ou matérielles concernant la boussole


Wang sont souvent difficiles à interpréter. Et pour cause,
Chong cet objet technique est le fruit de plusieurs inventions :
27-vers 100
usages d’aimants naturels, techniques de magnétisation
et utilisation pour s’orienter sur terre comme en mer.

Quatre grandes inventions


Avec le papier, l’imprimerie et la poudre à canon, la boussole figure parmi les quatre
grandes inventions aujourd’hui célébrées en Chine et attribuées à son ancienne
civilisation. Le premier auteur chinois à mentionner l’attraction d’un petit objet
de métal par l’aimant est le penseur Wang Chong, sous la dynastie des Han, vers
80 de notre ère dans Balance des discours. Désireux de réfuter les anciennes supersti-
tions, il n’insiste cependant guère sur des usages plus anciens encore de cuillères
taillées dans de la pierre d’aimant qui, indiquant le sud, étaient utilisées pour la
divination et la géomancie.
40
Pour guider soldats et marins
L’utilisation de la boussole pour s’orienter semble beaucoup plus tardive. En 1044,
dans les Principes généraux des classiques de la guerre, d’éminents fonctionnaires de
la dynastie Song parlent de poudre noire, de trébuchet (! 597), mais aussi d’une
aiguille en forme de poisson. Aimantée par chauffage puis refroidissement du
métal, cette aiguille pouvait aider les armées à s’orienter dans l’obscurité.
Puis, dans les années 1080, d’après le spécialiste des techniques maritimes Zhu
Yu, on se sert de la pierre d’aimant pour magnétiser l’aiguille de la boussole, qui
devient alors d’usage courant chez les marins. Enfin, dans l’énorme ouvrage ency-
clopédique Discussions de pinceau depuis un petit ruisseau de rêve, Shen Kuo (1031-1095)
montre que le nord magnétique ne se situe pas tout à fait au pôle Nord.

Entre l’Orient et l’Occident


Une question se pose alors. Est-ce bien cette invention chinoise qui arrive un siècle
plus tard en Europe ? Vers 1190, dans La Nature des choses, l’auteur anglais Alexandre
Neckam (1157-1217) parle en effet d’une manière explicite de la boussole comme d’un
objet nouveau dont se servent les marins pour se diriger. Aucun document perse
ou arabe ne permet toutefois d’attester d’un transfert de connaissance de la Chine
vers l’Europe.

Techniques et architecture
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3300 Le bronze – 2600 Pyramide de Chéops – 1600 La clepsydre,
en Mésopotamie première horloge à eau
Le char de combat – 2000
Une cuillère pour
connaître l’avenir
On raconte qu’au tournant de
notre ère, les Chinois se ser-
vaient des propriétés du magné- Une formule explosive
tisme, et notamment de cuil-
lères taillées dans un aimant Tout comme pour la boussole, les évocations les
naturel qu’on plaçait sur un plus anciennes faisant référence à la poudre à
tableau, pour prédire l’avenir. canon remonteraient à la dynastie des Han, vers
Ils utilisaient aussi de petites 41
150 de notre ère. Toutefois, la première confirma-
boussoles taillées en pierre
d’aimant pour déterminer l’har-
tion écrite date du viie siècle, autrement dit de la
monie d’un lieu. Il ne semble pas dynastie des Tang. Certains textes parlent alors
que les boussoles aient servi d’une formule combinant du soufre, du salpêtre
à la navigation avant la fin du et une herbe appelée aristoloche. Les Principes
xie siècle.
généraux des classiques de la guerre, en 1044,
Reconstitution d’une cuillère
indiquant le sud au temps des
expliquent comment fabriquer des grenades et
Han. des lance-flammes. Souvent utilisée pour fabri-
quer des feux d’artifice, la poudre permettra le
développement des canons aussi bien en Chine
qu’en Europe à partir du xive siècle.

❝ Une fine feuille de fer est taillée en forme de poisson


[…]. Pour l’utiliser, on place une petite boîte remplie d’eau
dans un espace sans vent et on dépose le poisson aussi
plat que possible à la surface de l’eau, où il flottera, la tête
pointant vers le sud. »
Zeng Gongliang, Ding Du et Yang Weide, Principes généraux des classiques
de la guerre, 1044.

Vers 80 Invention de la boussole


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 447 Le Parthénon – 90 à – 20 Vitruve 597 Usage du trébuchet en Europe
à Athènes
– 60 La machine d’Anticythère

Invention du papier en Chine – 200 80 Wang Chong, Balance des discours


127 Ptolémée observe Saturne
d’un nouvel œil

Le soir du 26 mars 127, à Alexandrie, Claude Ptolémée


Claude note la position de Saturne dans ses carnets. C’est la
Ptolémée première observation connue de cet astronome dont
V. 100-V. 170
le traité de mathématiques et d’astronomie, L’Almageste,
restera une référence pendant plus de mille ans.

Des observations rigoureuses


On ne connaît presque rien de la vie de Claude Ptolémée. Mais son traité d’astrono-
mie est l’un des plus importants de l’Antiquité. Son titre original en grec pourrait
être traduit par Synthèse mathématique, mais il est plus connu comme L’Almageste ou
« le grand livre », comme l’appelaient simplement les astronomes de langue arabe.
Tout ce qu’on peut affirmer avec certitude, c’est que Ptolémée observe bel et bien la
Lune et les planètes à plusieurs reprises du 26 mars 127 au 2 février 141 et qu’il com-
bine ces données avec celles de ses prédécesseurs – comme Hipparque, Méton, et
jusqu’aux astronomes babyloniens (! – 687) –, pour construire son modèle cosmique.
42
Un géocentrisme… excentrique
L’Almageste résume en 13 livres une théorie des mouvements apparents des astres,
qui est aussi sophistiquée qu’efficace. Fidèle aux idées de son époque, Ptolémée
considère que les astres se déplacent uniformément sur des cercles. Il fait cepen-
dant preuve d’une grande inventivité dans l’agencement de ces cercles pour rendre
compte le mieux possible des observations précises dont il se sert. Dans sa théorie
du Soleil, il suggère par exemple que la Terre n’est pas le centre exact de son mou-
vement, mais qu’elle est légèrement excentrée.

Inégalé pendant plus de mille ans


D’une grande technicité mathématique, l’Almageste
reste l’œuvre la plus accomplie en astronomie durant
❝ Seule la
mathématique, à
condition de la pratiquer
avec rigueur, offre à ses
près de 1 400 ans. Elle sera la base essentielle de toutes adeptes un savoir solide
les tables de position des astres, calculées aussi bien et indubitable, car les
par les astronomes de Bagdad au VIIe siècle que ceux démonstrations s’y font
de Tolède au Xe siècle ou encore de Paris au XIIIe siècle. par les voies indiscutables
Seul le livre de Copernic (! 1543, p. 112), qui place le de l’arithmétique et de la
Soleil au centre du monde, lui sera comparable de ce géométrie. »
point de vue. Ptolémée, L’Almageste, iie siècle.

Mathématiques et astronomie
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3100 à – 2800 Début de la construction de Stonehenge – 2000 Notation des nombres en base 60 – 1400
Premiers catalogues
– 3000 Tablettes comptables à Uruk Papyrus de Rhind, les mathématiques en Égypte – 1550 d’étoiles en Mésopotamie
43

Les épicycles de Ptolémée


Du modèle de Ptolémée, on montre
trop souvent des schémas sim- Une œuvre encyclopédique
plistes. En réalité, c’est par un agen-
cement complexe de cercles qu’il Ptolémée semble avoir eu l’intention de
parvient à produire une représen- construire une véritable encyclopédie de
tation très précise des mouvements
tous les savoirs de l’époque relevant des
célestes. Le déplacement de Saturne
autour de la Terre, sur un petit cercle sciences mathématiques. L’Almageste n’est
« excentrique » tournant lui-même ainsi que le premier ouvrage dans lequel il
autour d’un point central proche cherche à compiler ce type de connaissances.
de la Terre, est ici modélisé par le En plus d’un grand traité d’astrologie et
savant Petrus Apian.
d’ouvrages d’astronomie pratique, il écrit un
Disque mobile expliquant les
positions de la planète Saturne livre sur la musique, un autre sur l’optique et
dans le zodiaque, extrait de surtout une magistrale description du monde
Astronomicum Caesareum de Petrus
Apian, 1540.
antique, Géographie, qui aura une très grande
influence jusqu’aux voyages de découverte de
la Renaissance (! 1154).

127 Première observation astronomique par Ptolémée


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 590 à – 495 Pythagore 150 Ptolémée (IIe siècle), L’Almageste
– 625 à – 546 – 300 Euclide, Éléments 250 Diophante (v. 215-290), Arithmétiques
Thalès
v. – 287 à – 212 Archimède
132 Zhang Heng convoque
des dragons pour détecter
les séismes
Un sismoscope à têtes de dragons est installé
Zhang à la cour impériale de Luoyang en Chine. Ce serait
Heng
78-139 le premier instrument à donner, à distance,
la direction d’un séisme au moment où il se produit.

Une motivation politique et éthique


Entre 92 et 126, vingt-six séismes majeurs surviennent en Chine. L’empire des Han
orientaux (25-220), constitué autour d’une société féodale bureaucratique, se doit
d’apporter de l’aide aux populations et de diligenter des renforts aux autorités
locales.
Mais comment réagir aux tremblements de terre dans les plus brefs délais et
remédier efficacement aux troubles qu’ils engendrent ? La solution va venir d’une
bien curieuse jarre, appelée « girouette des mouvements de la Terre », installée à
la cour impériale en 132 par l’astronome Zhang Heng, à la demande de l’empereur
44 Han Shundi.

Une girouette à huit têtes


Cerclé de huit têtes de dragons qui surplombent chacune un crapaud, l’étrange instru-
ment est censé réagir aux secousses. Lors d’un séisme, la gueule de l’un des huit dra-
gons doit s’ouvrir et laisser tomber une bille dans la bouche béante du crapaud situé
en dessous, donnant ainsi la direction de l’épicentre. Les courtisans sont dubitatifs.
On raconte qu’en 138 (plus tardivement selon certains récits), une bille tombe.
Personne n’a ressenti de secousse… Quelques jours plus tard, un messager arrive
du Gansu, situé à plusieurs centaines de kilomètres de là, annonçant un séisme
majeur. Le sismoscope a bien fonctionné, indiquant précisément la direction de la
province chinoise touchée !

Une réussite technologique


Une telle prouesse en dit long sur l’ingéniosité de Zhang Heng – resté dans les
mémoires comme astronome, mécanicien, cartographe et mathématicien – ainsi
que sur le développement des sciences et techniques sous la dynastie Han. C’est
durant cette période que se développent la métallurgie, les mécanismes hydrau-
liques, la pratique des forages et de distribution du gaz naturel, la fabrication du
papier… et de nombreuses méthodes de résolutions de problèmes mathématiques.

Techniques et architecture
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3300 Le bronze – 2600 Pyramide de Chéops – 1600 La clepsydre,
en Mésopotamie première horloge à eau
Le char de combat – 2000
45

Le mystère du sismoscope
Peu d’éléments nous sont parvenus
Le poids des superstitions
sur le fonctionnement de cet
instrument de deux mètres de dia- À l’époque des Han, les tremblements de terre
mètre. Toutefois, diverses équipes
sont interprétés comme des punitions divines
scientifiques ont réalisé des
répliques du sismoscope en s’ai- condamnant les manquements du dirigeant
dant de textes anciens. L’une des dans sa mission de gouvernance. L’empereur
versions proposées est dotée d’un Han Xuan (vers 70 av. notre ère) décrète ainsi
pendule central qui, lorsqu’il est des cérémonies « d’auto-incrimination » pendant
ébranlé par une secousse, libère
une bille unique. Celle-ci s’engage
lesquelles il promet d’être plus raisonnable dans
dans l’un des huit sillons et va la gestion des affaires de l’État. Un décret, entre
actionner l’ouverture de la mâchoire 132 et 154, oblige même les hauts fonctionnaires
du dragon qui correspond à la direc- à démissionner en cas de séisme. À cette même
tion du séisme.
époque, des explications rationnelles sont pour-
Reconstitution du sismoscope
de Zhang Heng. tant avancées : les séismes seraient causés par
un mouvement naturel de la Terre. Mais cela ne
suffit pas à mettre fin à ces superstitions.

132 Détection de séismes à distance


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 447 Le Parthénon – 90 à – 20 Vitruve 597 Usage du trébuchet en Europe
à Athènes
– 60 La machine d’Anticythère

Invention du papier en Chine – 200 80 Wang Chong, Balance des discours


250 Un fabuleux bestiaire donne
des leçons aux chrétiens

Conçu comme des leçons de théologie, un bestiaire anonyme,


le Physiologus, détourne les connaissances naturalistes
de l’époque et influence durablement la mentalité médiévale.

Le Physiologue a dit…
Le Physiologus est un bestiaire chrétien qui a connu une large diffusion pendant
près de dix siècles. L’original grec semble avoir été écrit vers le IIIe siècle environ
à Alexandrie, carrefour des traditions grecque et orientale. D’auteur anonyme, la
plupart des notices qui le composent sont introduites par la formule « le Physiologue
a dit… ».
Les différentes versions du bestiaire traduites en latin présentent une soixan-
taine d’animaux réels ou légendaires (hibou, griffon, serpent, licorne, etc.), sans
ordre préétabli. Seul le lion ouvre systématiquement l’ouvrage.
46
Des leçons de théologie
Chaque notice du Physiologus comporte deux parties, un récit suivi d’une morale.
La description symbolique des animaux et de la nature sert à introduire des leçons
d’ordre théologique. Le lion est par exemple comparé au Christ, tout comme la pan-
thère qui dégage un parfum envoûtant, attirant autour d’elle tous les autres ani-
maux à l’exception du serpent, symbole du Diable.
Le bestiaire est commenté par les Pères de l’Église entre le IIIe et le VIIIe siècle. Parmi
eux, saint Augustin (354-430) et saint Ambroise de Milan (340-397) reprennent des
parties de l’ouvrage grec et soulignent l’importance de la connaissance du monde
naturel dans l’interprétation de la Bible.

Vers des leçons de nature


D’un style simple et imagé, ce bestiaire semble destiné à un public peu instruit. Son
objectif premier est d’adapter au christianisme les récits zoologiques des auteurs juifs
et païens de l’Antiquité. Mais comme les ouvrages sur les animaux sont rares à l’époque,
Physiologus a un impact considérable sur la mentalité et l’imaginaire médiévaux.
Il faudra attendre la fin du XIIIe siècle pour que les explications religieuses dispa-
raissent peu à peu des bestiaires, laissant la place à un savoir de plus en plus des-
criptif, et que les traités d’histoire naturelle s’imposent (! 1241).

Sciences naturelles et médecine


| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 2800 Domestication du cheval – 1700 Code d’Hammourabi
– 2600 Domestication du ver à soie Traité de diagnostic en Mésopotamie – 1000
Le « roi des animaux »
Le lion, considéré comme le « roi » des 47
animaux, est systématiquement décrit L’émerveillement des bestiaires
en premier dans les différentes versions
du Physiologus. Il est comparé au Christ Véritables albums iconographiques, les
car il efface ses traces pour échapper bestiaires du Moyen Âge compilent des
aux chasseurs, tout comme le Seigneur,
le lion spirituel, efface sa divinité en s’in-
représentations de bêtes sauvages aux-
carnant dans un corps humain. Le péli- quelles on associe des personnalités et
can, qui ouvre ses flancs pour nourrir des sentiments humains. Une bonne partie
ses poussins de son propre sang, est des animaux sont imaginaires, comme la
aussi une représentation du Christ.
licorne, le centaure (une tête et un torse
Le roi des animaux,
extrait du Physiologus.
humain sur un corps de cheval) ou le grif-
fon (tête d’aigle sur corps de lion ailé).
Les bestiaires ont un impact considérable
dans la constitution de la mentalité médié-


vale et ont longuement inspiré la littéra-
L’ensemble des créatures ture, l’art et le cinéma. Dernièrement, des
que Dieu plaça sur Terre, Dieu sagas cultes, comme Harry Potter ou Les
les créa pour l’homme, et afin Animaux fantastiques, se sont emparées
que celui-ci prenne chez elles de cet univers éblouissant.
des exemples de croyance
religieuse et de foi. »
Pierre de Beauvais, Bestiaire, xiiie siècle.

250 Publication du bestiaire Physiologus


| | | |
– 500 An 0 500 1000
– 580 Acuponcture en Chine 77 Pline, Histoire naturelle
– 460 à – 377 Hippocrate 131 à 201 Galien
– 384 à – 322 Aristote
415 Assassinée, Hypatie
devient immortelle

À Alexandrie, une jeune femme enseigne les


Hypatie mathématiques et la philosophie. Par sa personnalité,
d’Alexandrie
vers 370-415 son parcours et sa fin tragique, elle devient une
figure emblématique du féminisme.

À bonne école
Théon d’Alexandrie est un mathématicien et un astronome reconnu. Il a commenté
les œuvres des savants qui l’ont précédé, surtout celles d’Euclide (! – 300) et de Ptolé-
mée (! 127). Sa fille Hypatie, elle-même philosophe, astronome et mathématicienne,
l’a-t-elle aidé dans cette tâche, comme on l’affirme parfois ? Difficile à dire, même si
on lui connaît un commentaire des Arithmétiques de Diophante (v. 215-290).
Hypatie est plutôt reconnue pour ses talents de pédagogue. À l’école néoplatoni-
cienne d’Alexandrie, elle forme les enfants des bonnes familles de l’Empire romain
d’Orient. Elle leur enseigne la philosophie de Platon (IVe siècle av. notre ère), l’usage
48 d’instruments comme l’astrolabe, et les quatre disciplines du quadrivium : arith-
métique, géométrie, astronomie et musique. L’un de ses élèves, Synésios de Cyrène,
témoigne d’ailleurs dans ses lettres de sa profonde admiration pour celle qu’il
désigne simplement comme « la philosophe ».

Martyre de la philosophie
Bien qu’elle n’exerce aucune fonction publique, Hypatie jouit d’une grande
influence sur la vie civique d’Alexandrie. Mais voilà qu’en 412, un jeune évêque
nommé Cyrille cherche à renforcer le pouvoir ecclésiastique au détriment des auto-
rités impériales. Le préfet Oreste lui résiste et reçoit le soutien d’Hypatie.
Mal lui en prend. Si l’on en croit l’Histoire ecclésiastique laissée par Socrate le Scho-
lastique, Hypatie est attaquée un jour de mars 415, sur les ordres de Cyrille, par un
groupe de chrétiens fanatisés. Ces derniers la traînent dans une église et l’humi-
lient publiquement avant de la mettre à mort et de brûler son corps.
C’est pourtant ce meurtre horrible qui lui assure l’immortalité. Pour les philo-
sophes des Lumières, elle sera la victime emblématique du fanatisme chrétien des-
tructeur du glorieux héritage de l’Antiquité. Plus récemment, auteurs et autrices
féministes ont fait d’Hypatie une figure symbolique de l’emprise de la misogynie
et de la façon dont celle-ci interdira aux femmes, des siècles durant, de pratiquer
les sciences.

Philosophie et culture
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 1800 Épopée de Gilgamesh
Hypatie, une figure
inspirante
La philosophe et mathé-
maticienne grecque est
un sujet très prisé des
artistes à travers les
époques. On a fait d’elle
le personnage principal
de plusieurs films, de
romans, de bandes des-
sinées… Même si elle
avait déjà atteint un âge
mûr au moment de sa
mort, Hypatie est sou-
vent représentée sous les
traits d’une jeune vierge.
Charles William Michel,
Hypatia, 1885.

49

❝ Heureuse Égypte ! là fleurit Hypatie, la sagesse et la grâce.


Athènes, l’antique sanctuaire des hommes divins, n’est plus
qu’un rendez-vous trivial et mercantile. »
Synésios de Cyrène, Lettres de Synésius, 395.

Le mystère de la bibliothèque d’Alexandrie


Dès le iiie siècle avant notre ère, Alexan- ponsables de la destruction : Romains,
drie se dote d’institutions savantes et chrétiens ou Arabes ? Une chose est
voit sa bibliothèque s’enrichir peu à peu sûre, le papyrus ne se conserve guère
d’un grand nombre d’ouvrages. Mal- plus de deux ou trois cents ans sous
heureusement aujourd’hui il n’en reste un climat méditerranéen. Autre certi-
plus rien. Si la bibliothèque est encore tude : cette perte demeure le symbole,
en usage à l’époque romaine, il n’existe au même titre que la mort d’Hypatie, de
aucun témoignage précis des circons- l’oubli de l’héritage savant de l’Antiquité
tances de sa disparition, ni des res- hellénistique.

415 Hypatie, femme de sciences


| | | |
– 500 An 0 500 1000
v. – 700 à – 800 – 460 à – 370 Démocrite v. 54 Lucrèce, v. 500 Boèce, De la musique
Homère De la nature des choses
– 587 à – 495 Pythagore 636 Isidore de Séville, Étymologies
– 428 à – 348 Platon
597 Une arme chinoise
fait tomber Thessalonique

Contrairement à ce qu’on peut voir dans Astérix, les catapultes


romaines n’utilisaient pas de mécanisme à bascule. Ce n’est qu’à
la fin du VIe siècle de notre ère que cette arme, appelée trébuchet,
arrive avec fracas en Occident.

Le trébuchet à point nommé


Capturé par le peuple turc des Avars au VIe siècle de notre ère, un soldat byzan-
tin prénommé Bousas aurait, dit-on, racheté sa vie en leur enseignant comment
construire une arme susceptible de prendre une cité. Peut-être s’agit-il du trébu-
chet à traction dont les Avars se servent lors du siège de Thessalonique, dans le


nord de la Grèce actuelle, vers 597 ?
Dans le récit qu’il livre de cet événement, Suspendues à l’arrière de ces
l’évêque Jean de Thessalonique donne en pièces de bois il y avait des frondes
effet la première description connue en et à l’avant de solides cordes, au
50 Europe de cette arme terrible qui, plus effi- moyen desquelles, en tirant vers
cace que les anciennes catapultes à torsion, le bas et en libérant la fronde,
se répand rapidement en Occident. ils propulsent les pierres vers le
Dans les armées grecques et romaines de haut et avec un grand bruit. »
l’Antiquité, de gigantesques machines pro- Jean de Thessalonique, Les Miracles de saint
Démétrius, vers 680.
pulsaient de lourdes flèches ou des pierres
à grande vitesse. Mais la force propulsive provenait habituellement de nerfs de
bœuf qu’on étirait ou, pour plus d’efficacité, qu’on tordait vigoureusement. C’est
en Chine, peut-être dès le IVe siècle avant notre ère, que des machines à bascule sont
imaginées pour projeter de lourdes charges en direction de l’ennemi. On appelle ces
machines, qui utilisent la force humaine, des trébuchets à traction.

Innovations sur tous les fronts


Adopté par les armées médiévales, le trébuchet est équipé à partir du XIIe siècle de
lourds contrepoids qui augmentent encore sa puissance. Dès lors, pour y faire face,
les villes et places européennes sont fortifiées au moyen de murs de plus en plus
épais. Le savoir technique des spécialistes devient indispensable aux armées. Dans
les chroniques de l’époque, un nouveau terme apparaît pour désigner les construc-
teurs de machines de guerre : l’engigneor, notre futur ingénieur.

Techniques et architecture
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 3300 Le bronze – 2600 Pyramide de Chéops – 1600 La clepsydre,
en Mésopotamie première horloge à eau
Le char de combat – 2000
51
À l’assaut !
De mai à août  1191, l’empereur
germanique Henri VI donne le
siège à Naples. Dans toutes les Des mathématiques pour la guerre
chroniques, on insiste sur les
imposantes machines de guerre Dès l’Antiquité, savants et ingénieurs contribuent
déployées à cette occasion. Sur à l’art de la guerre. Les catapultes à torsion sont
ce dessin, tiré d’un manuscrit décrites, par exemple, comme un problème de
contemporain, on aperçoit des
trébuchets à traction dont se
mécanique et de mathématiques par plusieurs
servent les assiégeants. ingénieurs dont Vitruve (! – 25). Dans l’un des
Illustration extraite du Liber ad traités de Philon de Byzance (iiie  siècle avant
honorem Augusti de Petrus de notre ère), le Livre des machines de guerre, on
Ebulo, 1195-1197.
trouve une solution approximative du fameux
« problème de la duplication du cube », c’est-
à-dire de la façon de construire un cube dont
le volume est le double d’un premier cube de
référence. Ce problème n’a rien de l’amusement
gratuit qu’on imagine souvent, puisqu’il s’agit,
au contraire, de trouver le moyen de doubler la
puissance d’une arme déjà redoutable.

597 Usage du trébuchet en Europe


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– 500 An 0 500 1000
– 447 Le Parthénon – 90 à – 20 Vitruve
à Athènes
– 60 La machine d’Anticythère

Invention du papier en Chine – 200 80 Wang Chong, Balance des discours


636 Isidore de Séville sauvegarde
l’héritage antique

Dans l’Hispanie wisigothique du VIIe siècle, à la demande


Isidore du roi Sisebut, l’évêque Isidore de Séville rédige les
de Séville  Étymologies, une encyclopédie regroupant toute la
vers 560-636
connaissance de son époque. Ce sera l’œuvre la plus
recopiée et la plus lue du Moyen Âge.

Au secours de la culture antique


À la fin du Ve siècle, l’Empire romain d’Occident n’existe plus. Les Francs, les
Byzantins, les Ostrogoths, les Wisigoths et d’autres peuples venus du Nord-Est de
l’Europe se partagent le territoire et s’affrontent les uns les autres. Quelques intel-
lectuels prennent alors conscience que la culture classique s’efface des mémoires.
Il est urgent de tirer parti des connaissances de l’Antiquité qui aident à mieux
comprendre l’Écriture sainte (! 250). À l’instar de Boèce (vers 480-524), aristocrate
romain qui traduit en latin les œuvres d’Aristote, de Platon et de Ptolémée (! 127),
l’évêque Isidore de Séville se lance dans le sauvetage de l’héritage antique.
52
Une compilation sans préjugés
Pour rédiger les Étymologies, vers 636, Isidore puise dans sa vaste bibliothèque et
compile les connaissances d’environ 150 sources. Il paraphrase Ovide, Cicéron,
Pline, Cassiodore, Augustin… sans différencier les auteurs païens des chrétiens.
Isidore ne souhaite pas innover. Il organise, rend accessible, préserve, transmet les
connaissances profanes et sacrées dont il dispose et qui constituent l’inventaire du
monde, le but du savoir étant de dissiper les croyances magiques.

Une approche par le mot


Dans les Étymologies, Isidore souligne que le sens profond des choses réside dans
l’origine de leur nom, la proximité des sons faisant la proximité du sens. Ainsi,
le monde a été appelé « monde » (mundus) parce qu’il est toujours en mouvement
(motus), aucun repos n’ayant été accordé à ses éléments, et l’homme (homo) est ainsi
appelé parce qu’il vient de la terre (humus).
Dans cet ouvrage, constitué de vingt livres, tous les sujets sont abordés. Isidore
traite de questions de grammaire, de mathématiques, de l’être humain et de Dieu,
des anges et des saints, du cosmos, de la Terre et ses parties, des pierres et métaux,
des navires, bâtiments et vêtements, des marées, de l’Asie, des nombres infinis…

Philosophie et culture
| | | | |
– 3000 – 2500 – 2000 – 1500 – 1000
– 1800 Épopée de Gilgamesh
53

La diffusion
des Étymologies
Les Étymologies sont abondam-
ment recopiées et diffusées en La tradition des encyclopédies
Europe pendant plusieurs siècles,
parfois annotées, complétées, Initiée chez les Romains, la pratique encyclopédique
illustrées ou enluminées comme consiste à regrouper et à compiler, dans un seul
le montre cette carte du monde ouvrage de plusieurs volumes, l’ensemble des
ajoutée à une copie du xiie siècle. connaissances de l’époque. La grande encyclopédie
Même après l’arrivée massive
des textes d’Aristote traduits
romaine de Varron date du ier  siècle avant notre
en arabe, elles sont encore très ère. Plus tard, Pline rédige sa célèbre Histoire
lues au xiiie  siècle et recopiées naturelle sur le même modèle (! 77). Cette tradition
jusqu’au xvie. perdure au Moyen Âge avec, outre les Étymologies
Mappemonde extraite des d’Isidore de Séville, les textes de Boèce et ceux,
Étymologies d’Isidore de Séville,
xiie siècle. allégoriques, de Martianus Capella (ve  siècle).
La tradition encyclopédique, toujours vivante
au xviiie  siècle comme le montre l’entreprise
de Diderot et d’Alembert (! 1751), se poursuit
encore aujourd’hui avec notamment l’Encyclopædia
Universalis et Wikipedia (! 2001).

636 Isidore de Séville, Étymologies


| | | |
– 500 An 0 500 1000
v. – 700 à – 800 – 460 à – 370 Démocrite v. 54 Lucrèce, v. 500 Boèce, De la musique
Homère De la nature des choses
– 587 à – 495 Pythagore
– 428 à – 348 Platon
Les sciences
et le temps
Les sciences naissent du besoin de connaître le temps. Et l’astronomie
et les mathématiques viennent en partie du désir d’établir le calendrier.
À côté de cette conception cyclique du temps, les philosophes
s’interrogent sur le temps linéaire, entre un passé qui ne reviendra
pas et un futur où nous ne serons plus. C’est le temps de l’histoire.

L’année, le mois, le jour


Aucune civilisation n’existe sans son calendrier. Son but principal est alors de
fixer les cérémonies qui ponctuent l’année des agriculteurs. On sait ainsi d’avance
quand auront lieu les labours, les semailles et les récoltes. Mais il est difficile d’ac-
54 corder entre eux les cycles du jour et de la nuit, celui des saisons et celui des lunai-
sons. Combien y a-t-il de jours dans l’année ? De là viennent l’observation systéma-
tique et continue des astres, l’apparition des premiers instruments scientifiques
(comme le gnomon) et le développement de techniques mathématiques sophisti-
quées. Les Babyloniens divisent en 360 degrés le cercle que parcourt le Soleil autour
de la Terre en un an, afin que chaque jour corresponde à environ un degré. Toute
l’astronomie n’existe que pour répondre à ce genre de questions.

Les philosophes et les horloges


« On mettrait plus facilement d’accord les philosophes que les horloges », écrit
le philosophe latin Sénèque au Ier siècle de notre ère. Rien n’est moins sûr ! Pour
Platon, le temps serait l’image mobile de l’éternité et pour Aristote, « le nombre du
mouvement selon l’avant et l’après ». Si ces définitions restent assez obscures, cela
n’empêche pas les artisans de l’Antiquité grecque et romaine d’user de la géométrie
pour mettre au point des cadrans solaires de grande précision, qui fleuriront alors
dans les lieux publics. La vie de tous les jours est bientôt rythmée par les douze
heures qui séparent le lever du coucher du Soleil. Déjà, on divise ces heures en
60 minutes et ces minutes en 60 secondes…

Au service du pouvoir
Cette science du temps est l’affaire des puissants, qui trouvent là un moyen d’ac-
croître leur contrôle sur leurs peuples et le cours des choses. Pendant longtemps,
ils s’appuient sur la croyance que les astres peuvent influer les affaires humaines
3000 av. notre ère-700 Aux origines des sciences

(l’astrologie) et confèrent un prestige certain aux savants qui les conseillent.


Admis aux affaires de l’État, les lettrés ainsi recrutés ne cesseront d’inventer de
nouveaux moyens de se rendre utiles aux gouvernants : armes de guerre, remèdes
contre les maladies, méthodes pour lever l’impôt et gouverner les empires, tech-
niques de constructions civiles et militaires, etc.

55

Le cadran solaire
de Carthage
Des cadrans solaires ornent
Chronographie
souvent les espaces publics
des cités antiques. Retrouvé
Ce sont aussi les savants de l’Antiquité qui inventent
dans les ruines de Carthage, la chronologie. En Alexandrie, le bibliothécaire Éra-
le cadran ci-dessus laisse thosthène (! – 240) compile une célèbre Chrono-
passer la lumière du Soleil graphie de toute l’histoire grecque, depuis la chute
par une ouverture circulaire
de Troie jusqu’à la mort d’Alexandre le Grand. C’est
et projette son image sur un
réseau de lignes qui permet de une autre conception du temps mathématique qui
déterminer l’heure du jour et le se déploie ici : un temps orienté du passé vers
moment de l’année. l’avenir, où, ici et là, surnagent des événements
Cadran solaire exposé au marquants qui arrivent à des moments opportuns
musée du Louvre, ier ou
iie siècle.
(que les Grecs appellent kairos). Sans ce cadre
conceptuel, une chronologie des sciences et des
techniques telle que nous la publions aujourd’hui
serait tout simplement impossible.
Les savoirs
médicaux en Europe
La médecine comme système de savoirs et profession voit le jour avec
l’apparition des premières civilisations du Proche-Orient, en Inde et
en Chine. Dans le cadre européen, la médecine galénique-hippocratique
devient le système de référence principal jusqu’au XIXe siècle.

Hippocrate, « père » de la médecine


Dans la culture grecque se développe d’abord une médecine ancrée dans le sacré,
où songes et divination jouent des rôles importants. Puis au Ve siècle, un système
basé sur la raison et la philosophie naturelle s’impose. Les connaissances médicales
56 s’articulent alors autour du Corpus hippocraticum, un ensemble de textes attribués à
la figure semi-mythique d’Hippocrate (! – 450). La médecine hippocratique se dis-
tingue par son caractère logique et discursif. Contrairement aux répertoires méso-
potamiens et égyptiens de diagnostics et de remèdes, elle cherche à expliquer les
processus vitaux par l’analogie et les principes qui agissent dans le monde natu-
rel. L’exercice de la médecine est alors un métier libéral, dont l’objet n’est pas la
connaissance de la maladie même, mais plutôt le patient.

Galien, dans le sillage d’Hippocrate


Dans le cadre hippocratique, l’auteur médical le plus influent de l’Antiquité est
Claude Galien (env. 131-201), un médecin grec au service des empereurs romains.
Son œuvre est particulièrement volumineuse, les éditions modernes répertoriant
150 traités et comptant plus de 20 000 pages imprimées. Pourtant, seulement un
quart de l’œuvre de Galien aurait été conservée dans sa langue originale grecque.
Véritable encyclopédie des connaissances médicales de l’Antiquité, elle propose une
vision rationnelle du fonctionnement du corps humain dans un univers ordonné
et soumis à des lois naturelles. On trouve des conceptions très similaires dans la
médecine traditionnelle chinoise et indienne.

La santé, une question d’humeurs


Selon la médecine hippocratique et galénique, la santé correspond à un état d’équi-
libre entre les humeurs (chymoi) du corps. Ainsi, l’objectif de la médecine est de pré-
server cet équilibre ou de le restaurer quand apparaît la maladie. Les interventions
3000 av. notre ère-700 Aux origines des sciences

doivent être douces et agir sur le mode de vie : on préconise un régime adéquat
d’exercice, de repos, d’hygiène, de pratiques sexuelles et de diète. On ne fait appel
aux drogues et à la chirurgie qu’en dernier recours. L’environnement joue aussi
un rôle central dans l’apparition de la maladie : le climat, les émanations de la
terre – appelées « miasmes » – ou certains métiers peuvent induire des troubles.
Ces théories médicales seront à la base de la pratique médicale en Occident jusqu’au
XIXe siècle.

Les quatre humeurs


Selon la médecine hippocratique et galé-
nique, le corps humain est composé de quatre
humeurs (le sang, la bile jaune, la bile noire
et le phlegme), qui correspondent à quatre
tempéraments (sanguin, colérique, mélan-
colique et flegmatique). Sur cette figure qui
date du début de la Renaissance – signe de la
grande pérennité de ces idées –, une corres-
pondance est aussi établie avec les deux sexes,
les quatre saisons, représentées par les signes
du zodiaque, et les quatre éléments (l’air, le feu, 57
la terre et l’eau).
Leonhard Thurneysser, Quinta essentia, 1574.


Premières traces de la médecine
Les plus anciens textes médicaux conservés
Voici ce qu’il en est
sont des tablettes akkadiennes de la biblio-
de la maladie dite sacrée
thèque d’Assourbanipal (viie siècle avant notre
[épilepsie] : elle ne me paraît
ère). Elles renferment souvent des listes de dia-
avoir rien de plus divin ni de
gnostics médicaux et de remèdes fabriqués à plus sacré que les autres, mais
partir de centaines de substances minérales et la nature et la source en sont
végétales. Le code d’Hammourabi (env. 1700 av. les mêmes que pour les autres
notre ère), pour sa part, mentionne l’existence maladies. Sans doute c’est
de professionnels de la santé et spécifie les grâce à l’inexpérience et au
tarifs applicables pour différents traitements merveilleux qu’on en a regardé
ainsi que les châtiments autorisés en cas de la nature et la cause comme
mauvaises pratiques. quelque chose de divin. »
Hippocrate, De la maladie sacrée.
Des savoirs
qu’on s’échange
700-1500

L’expression « Moyen Âge » est


postérieure à la période elle-même,
les médiévaux n’ayant bien sûr pas
conscience de vivre une période
intermédiaire entre l’Antiquité et
la Renaissance. Mais ils n’ignorent
nullement l’importance de la médiation
des savoirs. Ils insistent notamment
sur la transmission des connaissances
anciennes même si celles-ci, pour
une bonne part, semblent perdues.
Ils accordent également de la valeur
à la communication entre grandes
civilisations : la chrétienté, l’islam,
jusqu’à l’Orient mystérieux, la Chine
et l’Inde. À cette époque, les grands
centres du savoir sont avant tout
des lieux d’échange.

Astronomes et géomètres au travail, vers 1420.


Des savoirs
qu’on s’échange
700-1500
La légende noire
Pour beaucoup, le Moyen Âge rime avec obscurantisme.
Rien n’est plus faux ! Certes, les auteurs païens perdent
de leur autorité face à la religion chrétienne qui s’impose
tout autour du bassin méditerranéen. En Occident,
l’Empire romain s’éteint en 476. À Athènes, l’Académie est
fermée en 529. Et, dans les monastères, on arrête parfois
de copier certains textes. Mais c’est oublier l’œuvre des
savants de l’Antiquité tardive, comme Boèce (480-524), qui
lèguent en héritage de nombreuses traductions latines, ou
Isidore de Séville, qui réalise une encyclopédie de grande
60
renommée (! 636).

En Orient, c’est Byzance !


Ailleurs, du Japon à l’Inde et à la Perse, en passant par
la Chine, la chute de l’Empire romain n’a pas le même
impact : les échanges commerciaux et intellectuels se
poursuivent. À Byzance, on préserve les traditions de
l’Antiquité et on innove avec bonheur. Au VIIe siècle, les
premiers hôpitaux y comptent déjà des centaines de lits
et sont d’importants centres d’enseignement médical.
Au siècle suivant, l’empire islamique reprend le flambeau
et dispute l’hégémonie culturelle à Byzance. Dès 760,
le calife al-Mansur (714-775) ordonne la collecte de
manuscrits grecs, perses, syriaques et sanskrits. Dans la
Maison de la sagesse de Bagdad (! 833), on compile et on
traduit les auteurs anciens, mais on cherche aussi à faire
avancer le savoir. Au nord de l’Europe, Charlemagne et son
conseiller Alcuin comprennent l’importance de cultiver
le savoir pour gouverner un vaste empire.
Sur les frontières, de féconds échanges
Par la suite, c’est souvent près des frontières entre
civilisations, dans des lieux d’échanges interculturels,
que prospèrent les sciences. Autour de l’an mil, un pape
qui connaît bien l’Espagne musulmane introduit ainsi
les chiffres arabes dans l’Europe chrétienne (! 999).
Entre le Maroc et l’Espagne, Averroès assemble
une grande encyclopédie médicale (! 1166). En Sicile et au
sud de l’Italie, les armées chrétiennes s’appuient parfois
sur les connaissances géographiques de savants arabes
(! 1154). À Tolède, en Espagne, aux XIIe et XIIIe siècles,
des savants chrétiens, juifs et musulmans collaborent
à la production d’un vaste corpus scientifique.

Le souffle du renouveau
Jusqu’au milieu du XIVe siècle, l’Europe occidentale
61
prospère sous l’effet de progrès techniques en agriculture
et dans l’industrie textile ou mécanique. Le fleurissement
de l’architecture gothique en est un témoignage visible
(! 1230), comme l’horlogerie (! 1368). À Paris, Bologne
ou Oxford, maîtres et étudiants forment des universités
qui jouissent d’une large autonomie (! 1277). Même les
ravages de la Grande Peste autour de 1350 ne suffiront pas
à étouffer le souffle du renouveau. Le XVe siècle est déjà,
en Italie, celui de la Renaissance, tandis qu’en Allemagne
un artisan invente une technique qui bouleversera la
circulation des savoirs : l’imprimerie (! 1448).
833
Invention de l’algèbre

| | | | |
700 800 900 1000 1100

800-814 Charlemagne, empereur d’Occident

Première croisade 1096-1099

813-833 Al-Mamun, calife à Bagdad

999
Diffusion des chiffres
arabes en Occident

1021
Nouvelle vision de
l’optique d’Alhazen
1154 1482
Cartes et planisphère du monde Innovations
de Léonard de Vinci

1166
Averroès, Colliget

1230 1368
Le carnet Premiers écrits
de Villard de Honnecourt sur l’horlogerie

1241
Premier traité
de fauconnerie

| | | |
1200 1300 1400 1500

1180-1230 Premières 1347-1352 Épidémie de peste noire en Europe


universités en Europe
1337-1453 Guerre de Cent Ans
1279-1294 Kubilay khan, empereur de Chine
Prise de Constantinople par les Ottomans 1453

Christophe Colomb met pied en Amérique 1492

1158
1304
Hildegarde,
Traité d’optique
phytothérapeute
sur l’arc-en-ciel

1448
Premier atelier
d’imprimerie

1417
Redécouverte
1269 de Lucrèce
Théorie du magnétisme 1280
Calendrier par le Pogge
de Pierre de Maricourt
de l’empereur
Kubilay khan

1277
L’université de Paris
discute les idées d’Aristote
833 Al-Khwarizmi invente
l’algèbre

La parution entre 813 et 833 de l’Abrégé de calcul


Al-
Khwarizmi d’al-Khwarizmi marque la naissance d’une nouvelle
vers 780- discipline dont le rôle deviendra central dans le
vers 850
développement des mathématiques : l’algèbre.

Aux sources de l’algèbre


À Bagdad, capitale d’un vaste empire qui s’étend de l’Inde à l’Espagne, la plus ancienne
des Maisons de la sagesse s’ouvre aux savants en 832, sous le règne du calife al-Mamun.
Astronomes, mathématiciens, penseurs, lettrés et traducteurs la fréquentent.
Parmi eux se trouve le mathématicien et astronome al-Khwarizmi, qui publie au
plus tard en 833, son Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison. Le savant n’a,
a priori, aucune prétention à innover et pourtant son ouvrage marque la naissance
d’une discipline mathématique, avec ses objets et ses outils propres : l’algèbre.

64 Un premier manuel pratique


Al-Khwarizmi souhaite fournir une méthode qui aide à traiter tous les problèmes
que les hommes rencontrent dans leurs échanges commerciaux, le calcul de leurs
héritages, l’arpentage des terres, etc. Il commence donc par définir les nombres
(entiers et rationnels positifs), l’inconnue et le carré de l’inconnue. Puis il élabore
une méthode permettant de résoudre les équations du premier et second degré.
Dans son ouvrage, où les calculs sont décrits par des phrases, le savant propose
au total six catégories d’équations, et fournit un algorithme de résolution pour cha-
cune d’entre elles. Ces algorithmes – le mot dérive du nom même d’al-Khwarizmi
sont établis par un raisonnement géométrique à la manière des Grecs, sans pour-
tant qu’il soit fait mention des Éléments d’Euclide (! – 300).

L’algèbre en héritage
L’œuvre d’al-Khwarizmi, qui touche l’astronomie et la géographie, lui vaut un sta-
tut scientifique et social puissant. Le texte est lu dans tout l’empire musulman. Pour
beaucoup, l’algèbre d’al-Khwarizmi apparaît cependant comme inachevée et de nou-
veaux courants de recherches poursuivent les travaux engagés. L’algèbre conduit à
une importante généralisation et restructuration de l’héritage mathématique grec,
mais donne aussi naissance à de nombreux domaines mathématiques comme les
dénombrements, les méthodes de calculs approchés ou encore la théorie des nombres.

Mathématiques et astronomie 833 Invention de l’algèbre


| | | |
700 800 900 1000
830-901 Traduction d’Euclide et de Ptolémée en arabe 970 Introduction de la tangente
en trigonométrie par Abu al-Wafa
Ouverture de la Maison de la sagesse à Bagdad 832
938-1003 Gerbert d’Aurillac
Alhazen, Traité d’optique 1021
Bagdad, la ville ronde
Pour amorcer la construction de Bagdad, le deuxième calife abbasside, Abu 65
Jafar al-Mansur, engage les astronomes et les artisans les plus renommés de
tout l’empire abbasside. Construite en quatre ans, entre 767 et 771 de notre ère,
par 100 000 ouvriers venus de tout le califat, la nouvelle capitale devient une
plaque tournante du commerce international et s’impose dans les domaines de
la science et de la culture.
Reproduction de la ville ronde de Bagdad.

Des maisons de la sagesse


La Maison de la sagesse de Bagdad utilisateurs. Sous le gouvernement
connaît au ixe  siècle un développe- d’al-Mamun, le mouvement de recherche
ment sans précédent. Elle comporte et de traduction des textes grecs en
une bibliothèque, mais aussi un centre arabe s’accentue. La société musulmane
de traduction et un centre de réu- s’estime alors principale héritière de la
nions. Les savants (particulièrement science antique.
les astronomes) en sont les principaux

| | | | |
1100 1200 1300 1400 1500
Fibonacci, Livre de calcul 1202 1230 Sacrobosco, La Sphère 1344 Tentative de réforme du calendrier julien

Approximation de π par al-Kashi 1424


Premières éditions imprimées d’Euclide à Venise 1482
999 Un pape est inspiré par
les chiffres arabes

Gerbert d’Aurillac, jeune moine français et futur pape,


Gerbert invente un nouvel outil de calcul qui facilite les quatre
d’Aurillac opérations. Ce dernier utilise le système de numération
vers 938-1003
arabe (le nôtre aujourd’hui) qui apparaît ainsi pour
la première fois en Occident latin.

Le casse-tête des chiffres romains


Jusqu’au Xe siècle, en Occident latin, on ne connaît que les chiffres romains. Cette
écriture des nombres à l’aide des symboles I, V, X, L, C, D ou M rend complexes les
calculs de la vie courante. Pour se faciliter la tâche, les évêques, seigneurs ou mar-
chands utilisent alors ce que l’on appelle un abaque, c’est-à-dire une planche divisée
en colonnes dans lesquelles on déplace des jetons blancs. Outil pratique pour l’addi-
tion et la soustraction, l’abaque l’est bien moins pour la multiplication et la division.

Les chiffres arabes à la rescousse


66 C’est alors que Gerbert d’Aurillac, moine d’origine modeste, va modifier cette table
à calcul. Parti étudier en Catalogne dans les monastères de Ripoll puis de Vic, il
s’initie là-bas aux mathématiques arabes et découvre les méthodes de calcul cou-
ramment utilisées par les Arabes d’Espagne.
Rapprochant ces méthodes des méthodes latines, il invente un nouvel abaque
avec des jetons chiffrés. La multiplication en est grandement facilitée ainsi que la
division. Sur les jetons sont représentés, pour la première fois en Occident latin, les
symboles des chiffres « arabes ».

Une lente diffusion…


Lorsque Gerbert devient le pape Sylvestre II, en 999, sa nouvelle méthode de calcul
est enseignée dans quelques écoles de monastères. Mais elle y reste confinée. Les
marchands européens devront attendre pour en bénéficier !
En 1202 paraît le Livre du calcul écrit par Leonardo Fibonacci, dit Léonard de Pise
(1175-1240), fils de commerçant qui a étudié les mathématiques arabes lors de ses
voyages. Son ouvrage, écrit en pisan, défend l’utilité des chiffres indo-arabes face à
la numération romaine. Il obtient un franc succès auprès des marchands mais les
textes officiels refusent l’usage de ces chiffres.
Ce n’est finalement qu’au XVIIe siècle que l’usage de la numération arabe, augmentée
du zéro, se répand dans toute l’Europe et s’impose avec l’intensification du commerce.

Mathématiques et astronomie Diffusion des chiffres arabes en Occident 999


| | | |
700 800 900 1000
830-901 Traduction d’Euclide et de Ptolémée en arabe 970 Introduction de la tangente
en trigonométrie par Abu al-Wafa
Ouverture de la Maison de la sagesse à Bagdad 832
938-1003 Gerbert d’Aurillac
Alhazen, Traité d’optique 1021
L’abaque de Gerbert,
mode d’emploi 
L’abaque est une surface com-
portant vingt-sept colonnes,
la colonne de droite pour les
unités, la suivante pour les
dizaines, etc. Les jetons y sont
placés pour représenter le
nombre, une place vide signi-
fiant « zéro ».
Dessin de l’abaque de Gerbert,
manuscrit du xie siècle.

67

Des chiffres indiens aux chiffres arabes Les chiffres arabes


Les jetons de l’abaque sont
La numération qui est la nôtre est née en Inde vers le gravés des neuf chiffres
début de notre ère. Elle comporte alors neuf chiffres. arabes. Cette graphie
Lors des calculs, ces derniers sont dessinés dans la occidentale, dite ghubar,
est alors couramment uti-
poussière, du bout du doigt. Un espace vide figure l’ab-
lisée par les arabes d’An-
sence de valeur. Le zéro, ce quelque chose qui signi- dalousie autour de l’an
fie rien, arrive plus tard, à partir de 458. C’est ensuite mil. Copiée et recopiée,
vers 825, à Bagdad, qu’un traité de calcul écrit par al- elle va évoluer au cours
Khwarizmi (! 833) fait apparaître les chiffres indiens des textes.
Neuf graphies appartenant
en Occident. Ces derniers, peu à peu déformés par les au Codex Vigilanus, 976.
Arabes occidentaux vers la graphie ghubar, vont alors
être repris, notamment sur les jetons de l’abaque de
Gerbert d’Aurillac. Cette graphie continuera d’évoluer
en Occident jusqu’au xve siècle.

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1100 1200 1300 1400 1500
Fibonacci, Livre de calcul 1202 1230 Sacrobosco, La Sphère 1344 Tentative de réforme du calendrier julien

Approximation de π par al-Kashi 1424


Premières éditions imprimées d’Euclide à Venise 1482
1021 Alhazen offre une nouvelle vision
de l’optique

Au Caire, un savant s’appuie sur une démarche


Al-Hasan expérimentale pour unifier deux visions de l’optique,
Ibn al-
Haytham géométrique et physique. Il est reconnu aujourd’hui
965-1039 comme un pionnier de la méthode expérimentale
et surtout comme le père de l’optique moderne.

Pas si fou !
Né à Bassora en Irak, le savant al-Hasan Ibn al-Haytham, plus connu sous le nom
d’Alhazen, rejoint Le Caire en 1011 à la demande du calife pour tenter, semble-t-il,
de réguler les eaux du Nil. Réalisant qu’il est impossible de maîtriser les inonda-
tions de ce fleuve grâce à un barrage, il feint la folie pour échapper à la colère du
calife. Ce dernier l’assigne alors à résidence, au Caire.
Dès lors, Alhazen met son temps à profit pour écrire de nombreux traités de
mathématiques et d’astronomie. Son œuvre est si prolifique qu’on le surnomme le
« second Ptolémée », en référence au grand astronome qui vivait à Alexandrie au
68 IIe siècle (! 127). Il doit avant tout sa renommée à son Traité d’optique qu’il achèvera
en 1021, année de sa réhabilitation et de la mort du calife.

Et la lumière fut !

Le principal objectif de ce traité en sept livres pour but […] l’usage de la
est de faire le pont entre l’optique géométrique justice et non la poursuite de
Nous nous donnerons

d’Euclide (! – 300) et de Claude Ptolémée et les nos goûts, nous attachant à


travaux de philosophie naturelle menés sur la […] la recherche de la vérité
vision par des savants comme Aristote (384-322 et non au penchant pour les
av. notre ère).
opinions. Peut-être cette voie
nous conduira-t-elle au vrai. »
Alors que les Anciens imaginent que les rayons
lumineux sont émis par l’œil, Alhazen affirme Alhazen, Traité d’optique, 1021.
qu’ils sont reflétés par n’importe quel objet dans toutes directions et absorbés par
l’œil. Il démontre, par plusieurs expériences, que la lumière se propage de façon
rectiligne et établit les lois de la réflexion.
Dans sa quête incessante de vérité, moyen pour lui de se rapprocher de Dieu, il
est l’un des premiers scientifiques à énoncer les étapes de la démarche expérimen-
tale pour vérifier des théories. Traduite en latin avant 1230, et notamment reprise
par Roger Bacon, Johannes Kepler et René Descartes, l’œuvre d’Alhazen aura un
impact profond en Europe.

Mathématiques et astronomie Alhazen, Traité d’optique 1021


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700 800 900 1000
830-901 Traduction d’Euclide et de Ptolémée en arabe 970 Introduction de la tangente
en trigonométrie par Abu al-Wafa
Ouverture de la Maison de la sagesse à Bagdad 832
938-1003 Gerbert d’Aurillac
69

Jeu de miroirs
L’optique est une science
Quand l’optique y voit plus clair mathématique et physique
qui induit de nombreuses
Dès le ive siècle avant notre ère, Aristote cherche à applications. Dès l’Antiquité,
expliquer la vision dans ses Météorologiques, en sup- on raconte ainsi qu’Archi-
mède (287-212 av. notre
posant qu’elle est causée par des rayons émis par
ère) aurait incendié les
l’œil. Les savants plus enclins aux mathématiques, navires qui assiégeaient la
comme Euclide et Ptolémée, développent, quant à ville de Syracuse, en Sicile,
eux, une théorie de la perspective faite de théorèmes grâce à des miroirs ardents.
géométriques. Peu intéressés par la cause des phé- Toute cette iconographie se
retrouve sur l’édition latine
nomènes optiques, ils cherchent à déduire les lois des œuvres d’Alhazen.
de la réflexion et de la réfraction à partir d’un petit Frontispice de l’édition
nombre d’axiomes. Alhazen réunit ces deux visions latine de Bâle du Traité
en intégrant la description physiologique de l’œil à d’optique d’Alhazen, 1572.
l’optique géométrique.

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1100 1200 1300 1400 1500
Fibonacci, Livre de calcul 1202 1230 Sacrobosco, La Sphère 1344 Tentative de réforme du calendrier julien

Approximation de π par al-Kashi 1424


Premières éditions imprimées d’Euclide à Venise 1482
1154 Un géographe dessine
le monde pour le roi de Sicile

Le roi normand de Sicile, Roger II, demande au géographe


Al-Idrisi arabe al-Idrisi de concevoir une carte de tous les
vers 1100- continents, toutes les mers et toutes les villes connus.
entre 1165
et 1186 La mappemonde, issue de ce travail encyclopédique,
sera l’une des meilleures du monde médiéval.

Les cartes du pouvoir


Connaître le terrain et l’adversaire, de Calabre et d’Apulie, voilà ce dont a besoin
le redoutable guerrier et roi de Sicile, Roger II (vers 1095-1154). Pour mener sa poli-
tique agressive d’expansion en Méditerranée, il se doit d’en connaître précisément
les contours et les peuples.
En 1139, profitant de quelques années de trêve, il consolide son pouvoir et fonde
un État bureaucratique et centralisé. La cartographie s’inscrit dans ce projet de
contrôle. Il demande alors au savant géographe arabe qui réside à sa cour, al-Idrisi,
de réaliser un planisphère en argent avec la position de tous les continents, de
70 toutes les mers, villes et voies de communication.

Une exploration méthodique du monde


Pour réaliser ce planisphère, al-Idrisi dispose de l’abondante littérature de l’époque,
qui s’est largement développée à partir de la Géographie de Claude Ptolémée (! 127). Il
y ajoute les notes de ses nombreux voyages, qui l’ont mené jusqu’en Asie Mineure,
au Maghreb ou en Andalousie, et celles de ses enquêteurs qui arpentent l’Europe en
notant leurs observations géographiques, économiques et ethnologiques. Al-Idrisi
mettra dix-huit ans à regrouper les données et trois ans à rédiger l’ensemble de son
œuvre, de 1154 à 1157.

Une géographie de haute précision


Si al-Idrisi garde l’esprit de la cartographie de Ptolémée, il gagne en précision. En
plus d’une mappemonde, il découpe le monde en 7 « climats » et 10 sections longi-
tudinales, soit au total soixante-dix cartes régionales juxtaposables apportant des
détails de géographie physique, humaine et économique sans pareil. L’ensemble
est accompagné d’un traité de géographie intitulé Divertissement pour celui qui désire
parcourir le monde. Bien que le nom d’al-Idrisi soit rarement cité par ses successeurs
arabes, son œuvre bénéficie d’une longue postérité. Il est le premier cartographe
arabe traduit en Occident à la Renaissance.

Géographie et culture
| | | |
700 800 900 1000
Impulsion de l’instruction des clercs par Charlemagne 794 957 Description de la géographie
du monde musulman par al-Masudi

Mort d’Avicenne 1037


71

Le
Le monde
monde à l’env
l’envers
vers
Comme
C omme less cartes
carttes ara
arabes
abes sont
orientées au sud, il faut lire
cette mappemonde à l’envers.
Peu de détails y figurent. C’est
La Géographie de Ptolémée
dans le traité et les soixante-dix
cartes régionales qui l’accom-
Cette œuvre grecque de Ptolémée représente le
pagnent que sont consignées
monde tel qu’on le connaissait au iie  siècle. Elle les nombreuses informations
regroupe des données astronomiques permettant de récoltées par al-Idrisi. Quelque
positionner précisément les sites, mais également cinq mille fleuves, localités et
des observations directes de nombreux savants, montagnes, du Danemark à la
Chine, y sont décrits.
voyageurs ou enquêteurs. Les routes et les royaumes
Carte du monde d’al-Idrisi
y sont décrits, ce qui ajoute à l’aspect érudit du travail plaçant le Sud en haut,
un rôle utilitaire pour le déplacement des armées et xiie siècle.
la levée des impôts. La Géographie est composée de
huit tomes dont le dernier rassemble, dans sa ver-
sion complète, un ensemble de soixante-dix cartes .

1154 Cartes et planisphère du monde


| | | | |
1100 1200 1300 1400 1500
Averroès commente Aristote 1169 1200 L’université à Paris 1321 Mort de Dante 1427 Découverte des Açores
par des navigateurs portugais
1277 Censure à l’université de Paris
Dénonciation de l’astrologie par Jean Pic de La Mirandole 1496
1158 Une sainte célèbre la
pharmacie du Bon Dieu
En Allemagne, une religieuse bénédictine associe la
Hildegarde tradition médicale gréco-latine et la pharmacopée
de Bingen populaire. C’est la première phytothérapeute moderne.
1098-1179
Ses deux ouvrages médicaux constituent une véritable
encyclopédie de sciences naturelles et de médecine.

Une femme visionnaire


Fondatrice de son propre couvent, Hildegarde de Bingen termine le Scivias, son pre-
mier ouvrage décrivant ses visions mystiques, en 1151. Ses dons de voyance et de
guérisseuse en font l’une des femmes les plus renommées de son temps. À la même
époque, l’abbesse allemande entreprend la composition d’un traité pratique de la
nature et de la santé, sorte d’encyclopédie médicale, qui se diffuse sous la forme de
deux livres distincts, Physica et Causae et Curae.

Pour un corps et un esprit sains


72 Causae et curae est l’un des principaux traités médicaux écrits en Occident au Moyen
Âge. Pour Hildegarde, la santé et la maladie, physique et spirituelle, sont la consé-
quence de l’équilibre ou du déséquilibre des liquides, ou humeurs, qui composent et
vivifient l’organisme (! dossier, p.56-57). D’après sa conception, l’homme et l’Uni-
vers, œuvres d’un même créateur, sont intimement liés l’un à l’autre. Ainsi, si l’Uni-
vers participe aux maux des hommes, il doit aussi prendre part à leur guérison.
Hildegarde insiste sur l’hygiène, une bonne alimentation, suffisamment de
repos et d’exercice. Elle est le seul auteur du Moyen Âge à transmettre par écrit
les pratiques de guérison d’une « sage-femme » et à comprendre que pour soigner il
faut s’occuper de la personne en totalité.

Dans la pharmacie du Bon Dieu


Dicté entre 1151 et 1158, Physica a la forme d’un recueil d’histoire naturelle dans
lequel 513 plantes, animaux et minéraux sont décrits en vertu de leur utilité pour
la santé et le bien-être. Pour l’âme en souffrance, la seule guérison possible est la
rencontre avec Dieu, mais les symptômes des maladies et les douleurs corporelles
peuvent être soulagés grâce aux dons de la création. Car la nature offre tout ce dont
les hommes ont besoin pour retrouver l’équilibre perdu, notamment les plantes. Et
dans son œuvre, la religieuse fait une compilation des connaissances empiriques
des propriétés curatives de la flore du centre de l’Europe.

Sciences naturelles et médecine


| | | |
700 800 900 1000
Traduction de Galien en arabe par Hunayn Ibn Ishaq 850 947 Création de l’école
de médecine de Salerne
Al-Djahiz, Le Livre des animaux 868
940-1013 Abu al-Qasim,
père de la chirurgie moderne
73

Des remèdes qui ont la forme


Employées à toutes les époques et à travers toutes les
cultures, les plantes sauvages constituent une véritable
pharmacie naturelle. D’après la pensée populaire, c’est leur
forme ou la forme d’une de leurs parties – fleur, fruit ou
autre – qui renseigne sur l’effet bénéfique de leur utilisa-
❝ La Terre, avec ses
plantes utiles, offre un
panorama des fonctions
spirituelles de l’Homme. »
tion. Au Moyen Âge, les plantes thérapeutiques sont appe-
lées « simples » (simplicis herbae), un terme qui regroupe Hildegarde de Bingen, Physica,
également certains remèdes d’origine animale ou minérale. Préface, 1151-1158.
Illustration extraite du Livre des simples médecines de
Matthaeus Platearius, xiie siècle.

1158 Hildegarde, phytothérapeute


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1100 1200 1300 1400 1500
1098-1179 Hildegarde de Bingen 1220 Création de la faculté de médecine de Montpellier
1166 Averroès, le Colliget 1345-1352 Pandémie de peste
noire en Asie, puis en Europe
1166 Averroès achève son
encyclopédie médicale
Le juriste, philosophe, astronome et médecin Ibn Rushd,
Abu al-
Walid Ibn connu en occident sous le nom d’Averroès, compile le
Rushd, dit savoir médical du monde musulman. Traduit un siècle plus
Averroès
tard en latin sous le titre de Colliget, son travail devient
1126-1198
une référence pour la médecine de la Renaissance.

Au service du sultan
Né dans une prestigieuse famille de cadis (juges) à Cordoue, et disciple du philo-
sophe et médecin al-Turjali, Averroès est appelé à Marrakech par Abd al-Mumin,
premier sultan de la dynastie Almohade, pour réformer la cour de justice. En tra-
vaillant à côté d’Avenzoar (1091-1161), médecin du sultan, Averroès élabore un
recueil de médecine qui accompagne le traité sur les maladies (Kitab al-taisir) rédigé
par son collègue.

Un médecin émérite
74 La première version de l’ouvrage d’Averroès,
le Kitab al-kulliyat ou Principes généraux de la méde-
cine, est écrite entre 1161 et 1166. Elle est origi-
❝ La médecine possède en
effet un aspect théorique, qui
appartient à la science naturelle,
nale par son caractère encyclopédique et sys- et un aspect pratique. […] Mais
tématique, qui prend modèle sur le travail du ce que nous comprenons par
voie expérimentale est peu de
botaniste et pharmacologue Ibn Wafid (997-
chose en comparaison de ce qui
1074). Basé sur une approche logique de l’art est nécessaire. Ainsi la voie du
médical, l’ouvrage est composé de sept livres raisonnement est-elle nécessaire
qui traitent respectivement de l’anatomie, la pour expliquer les causes de ce
santé, la maladie, les symptômes, les drogues que nous enseigne l’art médical
et aliments, l’hygiène et la thérapeutique. expérimental. »
Averroès, Colliget, livre I, 1166.
Un philosophe en disgrâce
En 1194, Averroès produit une seconde version du Kitab al-kulliyat, qui renforce son
approche théorique. Toutefois, ses commentaires sur la philosophie d’Aristote,
qu’il utilise pour interpréter des doctrines théologiques, attirent l’animosité des
oulémas (autorités religieuses). Il est alors chassé de la cour du sultan et ses livres
philosophiques sont brûlés publiquement. Seuls ses travaux médicaux et astrono-
miques seront sauvés.

Sciences naturelles et médecine


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700 800 900 1000
Traduction de Galien en arabe par Hunayn Ibn Ishaq 850 947 Création de l’école
de médecine de Salerne
Al-Djahiz, Le Livre des animaux 868
940-1013 Abu al-Qasim,
père de la chirurgie moderne
75

Le Colliget
Le Colliget est une édition com-
mune des ouvrages d’Avenzoar
Médecine et philosophie (Kitab al-taisir) et d’Averroès
(Kitab al-kulliyat). Traduit pour
Basé sur le Canon de médecine d’Ibn Sina la première fois en hébreu et
en latin en 1285 par le médecin
(980-1037), connu en Occident sous le nom Tobia Bonacosa, il sera imprimé
d’Avicenne, le Colliget privilégie une approche à Venise en 1482. Dès lors, il
théorique de la médecine. Pour Averroès, la devient un ouvrage essentiel de
médecine doit être basée sur des principes, l’enseignement universitaire de
médecine en Europe, jusqu’au
car seule la raison peut accéder aux lois uni-
xviie siècle.
verselles. Cette conception est proche de celle
Extrait du Colliget, 1530.
abordée dans le plus connu de ses traités de
droit, la Bidaya. Ainsi, tel un juge, le médecin doit
baser son diagnostic sur le tahmin (hypothèse)
et le hads (intuition), et utiliser l’observation ou
l’interrogation pour confirmer ses propositions.

1166 Averroès, Colliget


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1100 1200 1300 1400 1500
1098-1179 Hildegarde de Bingen 1220 Création de la faculté de médecine de Montpellier

1345-1352 Pandémie de peste


noire en Asie, puis en Europe
1230 Villard de Honnecourt croque
avec passion les cathédrales

Un homme du XIIIe siècle parcourt les chantiers d’Europe


Villard de et note ce qu’il voit dans un carnet qui nous renseigne
Honnecourt
sur les techniques des bâtisseurs de cathédrales.
début du
XIIIe siècle Ses croquis sont d’une grande précision, à une époque
où la géométrie est encore confidentielle.

Un mystérieux auteur
Un énigmatique carnet de croquis, composé de trente-trois feuillets de parchemins
cousus sous une peau grossière, est conservé à la Bibliothèque nationale de France.
Sur les premières pages, l’auteur a inscrit son nom : Villard de Honnecourt. Il semble
donc être originaire de cette petite commune du Nord de la France, Honnecourt.
Mais on ne sait à peu près rien d’autre sur lui, si ce n’est qu’il a parcouru l’Europe. De
Cambrai, Meaux, Reims, Laon et Chartres, mais aussi de Bavière, Suisse et Hongrie,
il rapporte de nombreuses esquisses de personnages bibliques ou contemporains, des
représentations d’animaux, des dessins architecturaux et des schémas de machines.
76
Des esquisses fantastiques
La précision des schémas, la qualité des esquisses et l’exactitude des plans sont
remarquables. Certains dessins renseignent sur la coupe des pierres, d’autres
donnent les plans d’engin de levage ou décrivent le maniement d’outils (règle,
équerre, compas…). D’autres encore indiquent comment utiliser certains tracés
géométriques, à la manière d’un « guide pratique ».
On trouve enfin quelques dessins de machines et d’inventions que Villard a obser-
vées ou conçues lui-même : le trébuchet, utilisé pour détruire des murs ou lancer
des projectiles (! 597), une machine à mouvement perpétuel, et même un pigeon
automate. Tout l’univers fascinant des techniques médiévales.

Le temps des cathédrales


Villard était-il un simple compagnon du voyage ou plutôt un grand architecte diri-
geant les chantiers de construction des cathédrales ? Difficile à dire, mais les plans
dessinés dans son carnet permettent de situer son activité au premier tiers du
XIIIe siècle, autrement dit à l’apogée du gothique et au « siècle des cathédrales ». Ils
apportent ainsi aux historiens de précieux éléments sur les connaissances et les
techniques qui ont permis d’ériger, parfois en peu de temps, ces impressionnants
édifices.

Innovations techniques
| | | |
700 800 900 1000
720 Invention d’une horloge mécanique Publication de la recette de la poudre à canon 1044
par Liang Lingzan
Fabrique de papier à Bagdad 794
77

L’art de la géométrie


Au Moyen Âge, on enseigne peu la géométrie d’Euclide
dont le texte des Éléments (! – 300) est assez mal
connu. Cependant, ingénieurs, arpenteurs et archi-
Villard de Honnecourt
tectes perpétuent un savoir pratique ancien concer- vous salue et prie tous ceux qui
nant la géométrie qui fera l’objet de plusieurs traités travailleront sur les machines
spécialisés. Villard de Honnecourt dit lui-même que qu’on trouvera dans ce livre
« l’art de la géométrie » peut aider à mieux dessiner.
de prier pour son âme et de
C’est finalement au début du xiiie siècle que des tra-
ductions latines des Éléments apparaissent et que les se souvenir de lui. »
artisans commencent à s’y référer. Villard de Honnecourt, Carnet, xiiie siècle.
Tour de l’horloge de la cathédrale de Laon, extrait
du carnet de Villard de Honnecourt, xiiie siècle.

1230 Les carnets de Villard de Honnecourt


| | | | |
1100 1200 1300 1400 1500
1180 Arrivée des moulins à vent en France 1364 Horloge astronomique à Padoue
1194 Début de la construction de la cathédrale de Chartres
Invention des lunettes de correction 1285 Invention de l’imprimerie par Gutenberg 1448
1241 L’empereur Frédéric II
consacre la fauconnerie

Le traité de Frédéric II sur l’art de chasser des oiseaux


en vol est le plus célèbre du Moyen Âge, tant par son
Frédéric II
1194-1250
caractère encyclopédique, abondant en descriptions
faites à partir d’observations de la nature, que par
la richesse de ses illustrations.

Une cour cosmopolite et inspirante


Surnommé Stupor Mundi (la Stupeur du monde) à cause d’une personnalité hors du
commun, Frédéric II de Hohenstaufen est un personnage en avance sur son époque.
En lutte avec la papauté, il est excommunié deux fois. Ouvert à toutes les cultures, il
entretient un vaste réseau de correspondants aussi bien chrétiens que juifs et arabes.
À la façon des princes de la Renaissance, il anime une cour fréquentée par des
poètes, médecins et astrologues : un véritable foyer des arts et des sciences. Le
mathématicien Leonardo Fibonacci (1175-1240), grand défenseur de l’utilité des
chiffres indo-arabes (! 999), figure parmi ses invités, mais aussi le philosophe
78 Michael Scot (vers 1175-1235), qui lui fait découvrir l’œuvre d’Aristote (384-322 av.
notre ère) et en particulier l’Histoire des animaux.

Le temps de l’envol
Nourri par ces rencontres, Frédéric II écrit De arte venandi cum avibus ou De l’art de chas-
ser avec les oiseaux. Dans ce texte fondateur, son expérience personnelle s’appuie sur sa
connaissance livresque de la fauconnerie et lui permet d’élaborer une synthèse com-
plète du sujet abordé.
Outre les techniques de chasse et d’affaitage, l’auteur décrit le comportement et
la morphologie des rapaces et de leurs proies ailées. Textes et images composent un
véritable manuel d’ornithologie qui passe en revue la forme des becs, les couleurs
des plumes ou les silhouettes en vol de nombreuses espèces d’oiseaux.

Un homme d’observations
L’œuvre de Frédéric II témoigne de l’émergence, au Moyen Âge, d’une activité
créatrice basée sur l’étude directe de la nature. Cette nouvelle approche entraîne
la remise en question d’une bonne partie des idées héritées des traditions gréco-
latines et arabes, jusque-là non contestées. Grâce à ses observations, Frédéric II
réfute de fausses croyances reçues d’Aristote comme celle concernant l’hiberna-
tion des hirondelles dans les anfractuosités des rochers pendant la saison froide.

Sciences naturelles et médecine


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700 800 900 1000
Traduction de Galien en arabe par Hunayn Ibn Ishaq 850 947 Création de l’école
de médecine de Salerne
Al-Djahiz, Le Livre des animaux 868
940-1013 Abu al-Qasim,
père de la chirurgie moderne
79

La fauconnerie,
un art multiculturel
Originaire des steppes asiatiques, la
fauconnerie se répand à travers l’Eu-
L’éveil des sciences naturelles
rope à partir du ve  siècle grâce aux Au début du xiiie siècle, l’œuvre d’Aristote com-
peuples germaniques. Elle se perfec-
tionne avec des pratiques d’origine
mence à être connue. De nombreux Occiden-
orientale, comme l’usage du chaperon taux traduisent ainsi directement ces textes
et du leurre, et atteint son apogée au anciens et enrichissent leur contenu grâce
Moyen Âge. Encore pratiquée dans de aux observations faites dans la nature. C’est
nombreux pays, et inscrite au patri-
le cas de Frédéric II mais aussi d’Albert le
moine culturel immatériel de l’huma-
nité de l’UNESCO en 2010, la faucon- Grand (vers 1200-1280), professeur à l’univer-
nerie trouve un emploi civil dans les sité de Paris. Dans son œuvre De animalibus,
aéroports, où les rapaces sont dressés il démonte également de vieilles croyances,
pour éloigner les oiseaux des pistes. comme celle du phénix renaissant de ses
Fauconnier extrait du traité de cendres. Il se lance dans la description du
Frédéric II, De arte venandi cum
avibus, xiiie siècle. milieu naturel qui l’entoure et fait les premiers
portraits des animaux du centre de l’Europe.
Pour certains, comme la taupe, il pratique
des dissections.

Premier traité de fauconnerie 1241


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1100 1200 1300 1400 1500
1098-1179 Hildegarde de Bingen 1220 Création de la faculté de médecine de Montpellier
1166 Averroès, le Colliget 1345-1352 Pandémie de peste
noire en Asie, puis en Europe
1269 Pierre de Maricourt
est attiré par l’aimant

Pierre Dans un traité sur la pierre aimantée,


Pèlerin de
Maricourt Pierre de Maricourt développe la première
XIIIe siècle théorie du magnétisme basée sur l’expérience.

Lettre au soldat Siger


Le 8 août 1269, la ville de Lucera, dans le Sud de l’Italie, est assiégée par des croisés
envoyés par le pape Clément IV (fin XIIe-1268) qui veut en chasser les musulmans.
Dans le camp des croisés, un homme achève de rédiger une lettre sur l’aimant qu’il
destine à un soldat nommé Siger de Foucaucourt.
On connaît peu de choses sur l’auteur de cette lettre qu’on appelle Pierre Pèle-
rin et qui pourrait être originaire de Maricourt, actuellement dans la Somme. Peut-
être fait-il partie des ingénieurs à l’origine de ces fantastiques machines d’assaut
qui permirent aux croisés d’écraser la ville (! 597).
80
Un traité magnétique
Dans sa lettre, qui est un véritable traité sur l’aimant, Pierre de Maricourt tente d’ex-
pliquer les propriétés d’aimantation de ces pierres, décrites dès l’Antiquité par Pline
l’Ancien (! 77). Il fait alors l’hypothèse d’une force magnétique qui pénétrerait à l’in-
térieur de l’aimant et propose, pour le démontrer, une expérience simple qui consiste
à observer le comportement d’un aimant coupé en deux. Dès cette époque, le savant
d’Oxford Roger Bacon (v. 1220-1292) y voit les prémices d’une science expérimentale.
Pierre établit, via ses expériences, qu’un aimant possède deux pôles, le nord et le
sud, qui sont liés aux pôles magnétiques de la Terre, et qu’une aiguille de fer aiman-
tée s’oriente suivant ces deux pôles. Il avance également que les pôles opposés s’at-
tirent alors que les pôles semblables se repoussent.

Au service du mouvement perpétuel


La seconde partie du traité de Pierre de Maricourt, souvent moins valorisée, mérite
néanmoins d’attirer l’attention car elle présente des utilisations pratiques de l’ai-
mant. L’auteur y propose par exemple deux constructions possibles de la boussole,
et les plans d’une roue qui, selon lui, pourrait tourner indéfiniment grâce aux pro-
priétés des aimants. Déjà à l’époque, la possibilité d’une machine à mouvement
perpétuel fait rêver bien des savants.

Mathématiques et astronomie
| | | |
700 800 900 1000
830-901 Traduction d’Euclide et de Ptolémée en arabe 970 Introduction de la tangente
en trigonométrie par Abu al-Wafa
Ouverture de la Maison de la sagesse à Bagdad 832
938-1003 Gerbert d’Aurillac
Alhazen, Traité d’optique 1021
81

L’invention de la boussole


Difficile de déterminer l’origine de la boussole
avec précision (! 80). En 1044, on retrouve la Cette pierre porte en elle-
description d’une aiguille en forme de poisson même une ressemblance avec le
servant à s’orienter par rapport aux points car-
dinaux. Puis au début du xiie siècle, Zhu Xi (vers
ciel. […] Comme dans le ciel il y
1130-1200), célèbre penseur de la dynastie Song a deux points plus remarquables
dont le père est surintendant du port de Guang- que les autres, par le fait que la
zhou, décrit une boussole marine. Elle se com- sphère céleste tourne autour d’eux
pose, à l’origine, d’une simple aiguille aimantée
flottant dans un récipient d’eau. Puis l’aiguille est
dont l’un est appelé pôle Nord et
placée sur un pivot, dans une boîte, à laquelle on l’autre pôle Sud, ainsi distingues-
adjoint une rose des vents au xvie siècle. tu parfaitement, dans cette pierre,
Enluminure extraite des Premières Œuvres deux points, l’un nord, l’autre sud. »
de Jacques de Vaulx, 1583.
Pierre de Maricourt, lettre sur l’aimant, 1269.

Théorie du magnétisme de Pierre de Maricourt 1269


| | | | |
1100 1200 1300 1400 1500
Fibonacci, Livre de calcul 1202 1230 Sacrobosco, La Sphère 1344 Tentative de réforme du calendrier julien

Approximation de π par al-Kashi 1424


Premières éditions imprimées d’Euclide à Venise 1482
1277 L’évêque de Paris croise le fer
avec l’université de Paris

En 1277, l’évêque de Paris, Étienne Tempier, interdit la diffusion


de 219 thèses enseignées par les maîtres de l’université de Paris
ou échangées entre étudiants. Il les juge contraires au dogme
chrétien.

L’université prend des libertés


À la fin du XIe siècle, le nombre d’écoles, libres ou épiscopales, augmente dans les
grandes villes. Elles attirent, par la réputation de leurs maîtres, des élèves au-delà
des frontières régionales. Vers 1150 les maîtres parisiens se regroupent et forment
la première « université » de France. Elle bénéficie, en 1200, de sa propre juridic-
tion. Elle se compose alors de la faculté des Arts qui enseigne les arts libéraux (dis-
ciplines préliminaires à toute formation intellectuelle), des facultés de droit, de
médecine et de théologie, la plus prestigieuse.
Les textes gréco-arabes, abondamment diffusés depuis quelques décennies dans tout
82 l’Occident latin, entrent peu à peu dans les programmes de la faculté des Arts. Or, cer-
tains textes de la philosophie naturelle d’Aristote (384-322 av. notre ère) décrivent un
monde éternel mû par un principe abstrait, ce qui va à l’encontre de la révélation
biblique d’un monde créé par Dieu et limité dans le temps. À plusieurs reprises, des
condamnations de l’Église tentent d’interdire l’enseignement de ces textes. Sans effet.

219 thèses censurées


Mandaté par le pape, l’évêque de Paris Étienne Tempier envoie ses émissaires
enquêter dans le monde universitaire parisien pour, enfin, connaître les promo-
teurs de certains propos allant à l’encontre de la morale et du dogme chrétiens. Peu
de temps lui suffit pour émettre, le 7 mars 1277, un acte de censure à l’encontre de
219 thèses. Quiconque les diffusera sera excommunié.
Dès lors, il est interdit de dire que « la première cause ne peut pas créer plusieurs
mondes », thèse limitant la puissance de Dieu, ou de soutenir que « les philosophes
sont les seuls sages du monde », qualité revendiquée par les théologiens. Outre ces
interdictions, la condamnation cherche à prévenir les relâchements moraux que le
monde universitaire est susceptible de propager.
Certains enseignements sont suspendus pendant quelques années. Puis de nou-
veaux courants de pensée apparaissent au XIVe siècle, séparant philosophie et théo-
logie. Les thèses dissonantes posent dès lors bien moins de problèmes.

Géographie et culture
| | | |
700 800 900 1000
Impulsion de l’instruction des clercs par Charlemagne 794 957 Description de la géographie
du monde musulman par al-Masudi

Mort d’Avicenne 1037


83

Aristote sur les bancs de la faculté


Les anciens programmes (grammaire, rhétorique, dialectique et arithmétique,
géométrie, astronomie, musique) sont profondément modifiés au xiiie siècle. Le
nouveau statut de 1255, dont se dote l’université de Paris, place de façon offi-
cielle, à côté d’un peu de grammaire et de logique, la connaissance de l’ensemble
des œuvres connues d’Aristote. L’enseignement est pratiqué par lectures et
surtout par questions disputées entre des « répondants » et des « opposants ».
Université médiévale de Bologne peinte par Laurentius de Voltolina, 1350.

Séparer foi et pensée rationnelle


L’université, créée dans un contexte de non plus sur le dogme chrétien, mais
développement urbain, se démarque sur des principes premiers naturels. La
des pratiques contemplatives des cohabitation de la foi chrétienne avec
monastères. Malgré les condamnations cette envie de connaître le monde par
répétées de l’Église visant à définir les usage de la seule raison est difficile.
conditions d’usage des textes d’Aristote, Mais ces tensions vont être étudiées et
se développe en son sein une nouvelle assouplies, laissant la créativité savante
tradition philosophique dans laquelle on du xive siècle s’exprimer librement.
conçoit une histoire du monde fondée,

Censure à l’université de Paris 1277


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1100 1200 1300 1400 1500
Averroès commente Aristote 1169 1200 L’université à Paris 1321 Mort de Dante 1427 Découverte des Açores
par des navigateurs portugais

Dénonciation de l’astrologie par Jean Pic de La Mirandole 1496


1280 L’empereur de Chine
accorde les saisons

Fondateur de la dynastie Yuan, l’empereur Kubilay


Kubilay khan décide de réformer entièrement le système
khan
astronomique qui sert à prédire les phénomènes
vers
1215-1294 célestes, comme les éclipses. Il s’agit du plus grand
projet scientifique de l’époque.

L’astronomie, un art sacré


L’une des spécificités de l’astronomie chinoise est son caractère bureaucratique,
reflet de son statut officiel, même si la pratique privée de l’astronomie, alors inter-
dite, n’est pas toujours sanctionnée. Les empereurs de Chine insistent en effet sur
l’origine divine de leur pouvoir et démontrent l’efficacité de leur médiation céleste
en octroyant à leur peuple un calendrier précis. C’est ainsi que pendant deux mille
ans, plus de cinquante systèmes astronomiques se succèdent afin de calculer les
mouvements des corps célestes et de prédire les éclipses.

84 Une réforme ambitieuse


Remanié en 1280 sous les ordres du célèbre empereur mongol Kubilay khan, le
calendrier devient le Shou shi li ou « système astronomique accordant les saisons »,
selon la traduction proposée par l’historien des sciences Nathan Sivin (né en 1931).
Promulgué l’année suivante, on estime que c’est le plus précis de tous les systèmes
astronomiques chinois.
Et pour cause, ce nouveau calendrier est l’œuvre de toute une équipe de spécia-
listes dont les principales figures sont Wang Xun (1235-1281) et Guo Shoujing (1231-
1316). La commission chargée de la réforme de 1280 et de la production d’almanachs
compte ainsi jusqu’à 77 fonctionnaires de haut rang, 44 étudiants et de nombreux
subalternes.

Un observatoire à Pékin
Afin d’établir un système astronomique capable de produire des prédictions fiables,
les chercheurs font de nombreuses observations nouvelles. Pendant trois ans, on
relève les coordonnées d’une centaine de planètes et d’étoiles. Pour cela, les scien-
tifiques transportent leur équipement dans vingt-sept lieux différents, couvrant
environ 6 000 km dans la direction nord-sud et 3 300 km dans la direction est-ouest.
On érige même à Pékin un véritable observatoire dont le toit est équipé d’« instru-
ments ingénieux », comme la sphère armillaire.

Mathématiques et astronomie
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700 800 900 1000
830-901 Traduction d’Euclide et de Ptolémée en arabe 970 Introduction de la tangente
en trigonométrie par Abu al-Wafa
Ouverture de la Maison de la sagesse à Bagdad 832
938-1003 Gerbert d’Aurillac
Alhazen, Traité d’optique 1021
85

Une sphère d’influence


D’après les sources existantes,
la nature des instruments utili- Marco Polo à la cour de Kubilay
sés par la commission de 1280 est
ambiguë et les historiens émettent
Le célèbre Vénitien Marco Polo rencontre l’em-
diverses hypothèses à leur pro- pereur Kubilay khan en 1274 et passera près
pos. De son côté, Nathan Sivin de vingt ans à sa cour. Le Devisement du monde,
est convaincu que l’« instrument dans lequel il raconte son voyage en ancien fran-
ingénieux » vanté par les contem-
çais, paraît en 1298 et deviendra un best-sel-
porains de Kubilay khan est une
sphère armillaire qui représente ler médiéval. C’est à travers lui que l’Occident
les diverses sphères célestes, et découvre la richesse de la civilisation chinoise.
servira de modèle à celle conçue Le livre a un impact majeur sur la cartographie
par l’astronome Guo Shoujing. médiévale et sur la motivation de Christophe
Sphère armillaire, observatoire Colomb à entreprendre un voyage vers la Chine
de la montagne Pourpre (Chine),
xve siècle. en 1492, sans se douter que l’Amérique lui bar-
rera la route entre la côte espagnole et l’Asie.

Calendrier de l’empereur Kubilay khan 1280


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1100 1200 1300 1400 1500
Fibonacci, Livre de calcul 1202 1230 Sacrobosco, La Sphère 1344 Tentative de réforme du calendrier julien

Approximation de π par al-Kashi 1424


Premières éditions imprimées d’Euclide à Venise 1482
1304 L’arc-en-ciel se révèle
dans une goutte d’eau

En voulant mettre en ordre ses réflexions sur l’arc-


Thierry de
Freiberg en-ciel, un dominicain rédige l’un des plus importants
vers 1240- traités d’optique du Moyen Âge… malheureusement
apr. 1311
oublié jusqu’au XIXe siècle !

Le siècle de l’arc-en-ciel
Les savants sont nombreux, au XIIIe siècle, à s’intéresser à l’arc-en-ciel. N’est-ce pas
le symbole que Dieu envoie à Noé après le Déluge pour sceller son alliance avec les
êtres humains ? Puisque Dieu est lumière, l’optique rencontre ainsi la théologie et
la philosophie, et s’affirme comme le moyen privilégié de comprendre le monde et
parfois même d’éclairer les dogmes chrétiens (! 1277).
En 1272, Roger Bacon (vers 1220-1292), qui vient de réaliser des expériences sur
l’arc-en-ciel et enseigne à Paris, voit arriver un jeune étudiant allemand, Thierry
de Freiberg. Ce dominicain, qui deviendra maître de théologie, s’intéresse lui aussi
86 à l’expérimentation et décide, sous l’impulsion du directeur des dominicains de
Toulouse, de mettre de l’ordre dans ses propres réflexions sur l’arc-en-ciel. En 1304,
il rédige le traité De l’arc-en-ciel et des impressions créées par les rayons [lumineux], en s’ap-
puyant sur des expériences.

Les couleurs transparaissent


À l’aide d’une sphère en verre remplie d’eau, Freiberg
simule ainsi une grosse goutte d’eau. Sous un certain
❝ Un rayon
entre dans le corps
transparent, le traverse
jusqu’à la face opposée,
angle bien précis, lorsque le soleil brille, il voit alors de là il se trouve réfléchi
apparaître quatre couleurs. Il a réussi à reproduire intérieurement vers
un arc-en-ciel ! Mieux encore, il décrit le trajet des la première face par
rayons lumineux au travers de la sphère, expliquant laquelle il était entré et
la formation des couleurs de l’arc-en-ciel. ensuite il émerge vers
À la même époque, le savant persan Kamal al-Din l’œil. »
al-Farisi (1267-1319) propose une explication similaire Thierry de Freiberg,
de l’arc-en-ciel. Mais les travaux des deux hommes De l’arc-en-ciel, 1304.
tombent dans l’oubli. Et les savants qui s’intéressent à la question au XVIIe siècle,
comme Descartes (! 1633) et Newton (! 1687), les ignorent complètement. Ce n’est
qu’au XIXe siècle que leurs démonstrations seront réhabilitées.

Mathématiques et astronomie
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700 800 900 1000
830-901 Traduction d’Euclide et de Ptolémée en arabe 970 Introduction de la tangente
en trigonométrie par Abu al-Wafa
Ouverture de la Maison de la sagesse à Bagdad 832
938-1003 Gerbert d’Aurillac
Alhazen, Traité d’optique 1021
87

Sur la piste de l’arc-en-ciel


Dans ses Météorologiques, Aristote
(384-322 av. notre ère) souligne
que l’arc-en-ciel n’est qu’une appa- Roger Bacon, savant d’expérience
rence due aux effets de la lumière
et de l’eau. Il faudra attendre les Personne mieux que Roger Bacon ne repré-
travaux d’Alhazen pour expliquer sente le véritable esprit scientifique qui règne
géométriquement la réfraction de au xiiie  siècle dans les universités de Paris et
la lumière (! 1021) puis ceux de d’Oxford. Né en Angleterre vers 1220, il étudie à
Robert Grosseteste (vers 1175-
1253) pour rendre compte de la
Oxford avant d’enseigner à Paris. Grand lecteur
formation des arcs-en-ciel. Son d’Aristote et d’Alhazen (! 1021), Bacon produit une
disciple, Roger Bacon, se servira œuvre philosophique et scientifique très ample,
d’un astrolabe pour mesurer la notamment dans les domaines de l’astronomie, de
hauteur de l’arc dans le ciel et
l’alchimie et de l’optique, et promeut la méthode
montrer qu’il est fonction de la
position du Soleil. expérimentale. Toutefois, son œuvre n’aura pas
Barthélemy l’Anglais, Une leçon le même succès auprès de ses contemporains
sur l’arc-en-ciel, fin du xive siècle. que celles d’autres théologiens, comme Albert le
Grand, Thomas d’Aquin ou Bonaventure.

Traité d’optique sur l’arc-en-ciel 1304


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1100 1200 1300 1400 1500
Fibonacci, Livre de calcul 1202 1230 Sacrobosco, La Sphère 1344 Tentative de réforme du calendrier julien

Approximation de π par al-Kashi 1424


Premières éditions imprimées d’Euclide à Venise 1482
1368 L’horloge mécanique
se dévoile avec poésie

Dans le poème l’Orologe amoureus rédigé en moyen


Jean français, le chroniqueur Jean Froissart compare
Froissart
l’amant à une horloge. Sa description de la mécanique
vers 1337-
apr. 1404 amoureuse est aussi l’un des premiers écrits sur
l’horlogerie.

L’amant et l’horloge
Célèbre chroniqueur de la guerre de Cent Ans, Jean Froissart est aussi un poète qui
se passionne pour l’amour chevaleresque. Rien d’étonnant alors qu’il s’inspire de
l’horloge du palais royal de l’île de la Cité, à Paris, pour écrire un poème de 1174
vers intitulé l’Orologe amoureus ou L’Horloge amoureux – au masculin dans le texte
car le mot vient d’être inventé. Au fil des vers, il compare ainsi le comportement
de l’amant au mécanisme de l’horloge. Et certains passages, copiés à l’encre rouge
dans le manuscrit, lui donnent le caractère d’un véritable traité d’horlogerie.

88 Au cœur de la mécanique
Dans son poème, rédigé vers 1368, Froissart parle notamment du « foliot » : un balan-
cier qui permet d’assurer la régularité de la rotation d’une roue dentée, qui peut
entraîner les aiguilles d’un cadran. Grâce à cette innovation, l’horloge devient assez
régulière pour actionner des cloches ou un cadran, et marquer fidèlement le temps.
Le développement des horloges mécaniques – succédant aux cadrans solaires et
aux clepsydres – est justement rendu possible à la fin du XIIIe siècle grâce à cette inno-
vation technique cruciale dont il est difficile de retracer l’origine avec précision.

Aux origines de l’horlogerie


Bien que certains distinguent des pendules sur les carnets de Villard de Honne-
court (! 1230), les premières horloges attestées datent du début du XIVe siècle. Dès
1327, l’abbé anglais Richard de Wallingford (1292-1336), puis l’ingénieur padouan
Giovanni Dondi (1318-1389) décrivent les horloges délicates qu’ils construisent. Mais
leurs écrits circulent peu.
Le poème chevaleresque de Jean Froissart – possiblement inspiré d’un traité d’hor-
logerie anonyme de la deuxième moitié du XIVe siècle – est de son côté plus largement
diffusé et donc beaucoup mieux connu. L’invention de l’horloge n’a peut-être pas
changé la conception de l’amour, mais elle aura un impact profond sur celle du temps.

Innovations techniques
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700 800 900 1000
720 Invention d’une horloge mécanique Publication de la recette de la poudre à canon 1044
par Liang Lingzan
Fabrique de papier à Bagdad 794
L’heure de la cité


Construite par l’horloger allemand Henri de Vic entre 1362 89
et 1370, et installée sur le palais royal de l’île de la Cité de Une seconde roue
Paris à la demande du roi Charles V, l’horloge de la Concier- est ajoutée qui la retarde
gerie devient immédiatement célèbre. À l’origine, l’horloge
ne comporte pas de cadran, les heures étant simplement
[l’horloge] et la fait mouvoir
marquées par la sonnerie d’une cloche. Un cadran y est par ordonnance et par mesure,
ajouté en 1418 et, depuis le xvie  siècle, des inscriptions par la vertu du foliot aussi qui
latines y célèbrent le pouvoir royal, enjoignant les spec- continuellement la meut ainsi,
tateurs à respecter sa loi. un coup à droite et l’autre
L’horloge de la Conciergerie à Paris. à gauche. »
Jean Froissart, L’Horloge amoureux, 1368.
Dieu horloger
L’introduction de l’horloge mécanique en Prusse, développant une pensée car-
Europe a des conséquences majeures tésienne, écrit à Voltaire que Dieu lui-
sur l’appréhension même du temps. même est horloger, ce dernier ayant
Autrefois pensé comme cyclique, créé les ressorts cachés qui font se
variable selon les saisons et rythmé par mouvoir les êtres humains et le monde
les révolutions des planètes, le temps tout entier. À son tour Frédéric use de
devient linéaire et conventionnel. Cela la même allégorie que Jean Froissart !
change la manière dont on paie les Et les savants de l’époque moderne
ouvriers, mais aussi la vision savante embrassent cette image mécaniste du
du monde. En 1737, le roi Frédéric II de monde.

Premiers écrits sur l’horlogerie 1368


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1100 1200 1300 1400 1500
1180 Arrivée des moulins à vent en France 1364 Horloge astronomique à Padoue
1194 Début de la construction de la cathédrale de Chartres
Invention des lunettes de correction 1285 Invention de l’imprimerie par Gutenberg 1448
1417 À l’aube de la Renaissance,
le Pogge redécouvre Lucrèce

Dans une abbaye allemande, un passionné de


Poggio manuscrits anciens découvre un poème cosmique
Bracciolini
1380-1459 de Lucrèce que l’on croyait disparu depuis l’Antiquité.
Cette trouvaille marque le début de la Renaissance.

Un secrétaire de pape au chômage


En 1414, trois hommes se disputent la papauté en Occident : c’est le Grand Schisme.
Pour y mettre fin, on réunit un concile à Constance, en Allemagne. Mais les choses
se passent mal pour le pape Jean XXIII, qui est démis de ses fonctions et contraint
de quitter précipitamment la ville. Son secrétaire Poggio Bracciolini, dit le Pogge,
se retrouve soudain sans emploi. Il en profite alors pour assouvir sa passion pour
les manuscrits anciens et visite les monastères de Suisse et d’Allemagne, dans l’es-
poir de mettre la main sur des documents peu connus.

90 Un trésor oublié
C’est probablement dans la bibliothèque de l’abbaye
allemande de Fulda, en 1417, que le Pogge met la main
sur un manuscrit du IXe siècle dans lequel est consignée
une œuvre célèbre du Ier siècle avant notre ère. Intitu-
lée De rerum natura ou De la nature des choses, l’œuvre est
❝ Les poèmes
du sublime Lucrèce
ne périront que le jour
où le monde entier
un poème de plus de sept mille vers attribué à Lucrèce sera détruit. »
(vers 98-55 av. notre ère) que les hommes du Moyen Âge Ovide, Les Amours, livre I,
croyaient perdu à jamais. Le Pogge se met rapidement Élégie 15, 19 av. notre ère.
au travail pour recopier le texte.

La renaissance de l’atomisme
Dans les années qui suivent, une cinquantaine de copies sont en circulation car les
savants y découvrent des idées qui les fascinent. Dans son poème, Lucrèce expose en
effet la pensée du philosophe grec Épicure (341-270 av. notre ère) qui considère que
tout ce qui existe est composé d’atomes se mouvant au hasard dans le vide. Contrai-
rement aux modèles chrétiens et aristotéliciens, la philosophie de Lucrèce explique
les phénomènes par leur cause matérielle et non leur finalité. Imprimé dès 1473, le
poème de Lucrèce influence l’œuvre des grands philosophes du XVIe siècle.

Géographie et culture
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700 800 900 1000
Impulsion de l’instruction des clercs par Charlemagne 794 957 Description de la géographie
du monde musulman par al-Masudi

Mort d’Avicenne 1037


Un écrin pour les joyaux
de la pensée L’atomisme
Au Moyen Âge, les abbayes
conservent souvent de très Attribuée à Leucippe et à son élève Démocrite
riches collections de manus- (! – 430), au ve siècle avant notre ère, la pen-
crits que les moines recopient
péniblement. Fondée en Suisse
sée atomiste consiste à postuler que toutes les
au viiie siècle, l’abbaye de Saint- choses sont faites de constituants indivisibles
Gall, visitée par le Pogge lors séparés par du vide. Le concept des atomes
de son périple, possède l’une décrits comme insécables, indestructibles et
des plus belles collections de
en mouvement perpétuel, est repris par Platon
manuscrits de cette époque. La
bibliothèque sera réaménagée (vers 427-vers 348 av. notre ère), mais rejeté par
dans un style baroque exubé- Aristote (384-322 av. notre ère). C’est à l’époque
rant au xviiie siècle. moderne que des savants comme Robert Boyle
Bibliothèque de l’abbaye de (! 1659) en feront le fondement de la chimie. Et
Saint-Gall (Suisse).
ce n’est qu’au début du xxe siècle que l’existence
réelle des atomes fait consensus.

❝ Mais les atomes purs, germes simples des corps,


Forts de leur unité, dans l’absolu du vide,
Sans obstacle étranger vont où leur poids les guide. »
Lucrèce, De la nature des choses, ier siècle av. notre ère.

Redécouverte de Lucrèce par le Pogge 1417


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1100 1200 1300 1400 1500
Averroès commente Aristote 1169 1200 L’université à Paris 1321 Mort de Dante 1427 Découverte des Açores
par des navigateurs portugais
1277 Censure à l’université de Paris
Dénonciation de l’astrologie par Jean Pic de La Mirandole 1496
1448 Gutenberg crée le premier
atelier d’imprimerie

Johannes Gutenberg invente des caractères d’imprimerie


Johannes métalliques mobiles qui rendent possible l’impression
Gutenberg
de livres en série. Dans son atelier de typographie,
vers 1400-
1468 le premier du genre, il forme des artisans-imprimeurs
qui vont diffuser ces nouvelles techniques en Europe.

Un orfèvre d’inventivité
C’est à Mayence, dans sa ville natale, que Johannes Gutenberg s’initie aux tech-
niques de l’orfèvrerie et de la métallurgie. Il polit des pierres précieuses, produit
en série des petits miroirs, puis s’intéresse aux techniques d’impression.
Si la gravure sur bois permet au XVe siècle de reproduire des dessins, Gutenberg
adapte et réinvente ces techniques pour imprimer des textes. Il conçoit ainsi une
nouvelle presse à bras, une encre plus tenace et, surtout, des caractères mobiles
et réutilisables. Faits d’un alliage d’étain, de plomb et d’antimoine, qui restera en
usage jusqu’au XXe siècle, ces caractères, réalisés dans un moule de sa conception,
92 sont particulièrement résistants.

Une excellente impression


Tous les éléments sont alors réunis pour imprimer des livres en série. En 1448,
Gutenberg s’associe à un riche marchand, Johann Fust (vers 1400-1466), pour
créer un atelier d’imprimerie à Mayence. C’est le premier atelier de typographie
moderne d’Europe. Là, Gutenberg et Fust impriment un calendrier, une bible et
des lettres d’indulgence. Ils forment également des apprentis qui vont répandre les
techniques de l’imprimerie partout en Europe.

Des livres à profusion


La diffusion de l’imprimerie est étonnamment rapide. Dès 1471, des imprimeurs
sont actifs dans une douzaine de villes d’Europe, comme Paris, Rome et Venise.
Vers 1480, l’imprimerie atteint l’Angleterre, la Hongrie et la Pologne, avant d’arri-
ver bientôt en Suède et au Portugal.
Les imprimeurs disposent en effet d’un atout économique considérable. Ils
peuvent produire des livres beaucoup plus rapidement – plus de huit millions d’ou-
vrages sont produits en Europe dans la seconde moitié du XVe siècle – et à des coûts
nettement moins élevés que les copistes, qui jusqu’alors reproduisaient les manus-
crits à la main. L’effondrement des prix entraîne une démocratisation des savoirs.

Innovations techniques
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700 800 900 1000
720 Invention d’une horloge mécanique Publication de la recette de la poudre à canon 1044
par Liang Lingzan
Fabrique de papier à Bagdad 794
L’art
L’a
arrtt de l’imprimerie
ar
typographique
ty
typo
typ
yp o
yp
Po
Pour
Pou
P our reproduire un texte,
iill faut fa d’abord assem-
fa
bler
b
ble le
er des caractères pour
former
fo
for m des mots dans
un 
u
un n  composteur,
co
co en inter-
ccalantalana des blancs entre
lles
le ess mots.
e m Les lignes ainsi
composées
cco omp
mp sont ensuite
placées
p
pla
pl la
acé sur un plateau
a
ap ppe galée. Enfin, les
appelé
lignes
lliign
ig
gne
ne sont posées et blo-
quées
q
qu
quée
uée sur le marbre –
lla
a pap
partie
a plate et immo-
bile
b il
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e de
d la presse –, avant
d ’ê
’êtr
tr encrées. Le papier
d’être
peu
p eut alors être imprimé.
peut
U
Unene imprimerie
i au
viee  ssiècle, extrait des
xxvi
vi
Ch
C han royaux sur la
Chants
C on
ncce
Conception, 1519-1528.

93

Une histoire de caractère


L’imprimerie apparaît en Asie bien avant vente beaucoup de ces techniques. Mais
les travaux de Gutenberg. Un forgeron pour la première fois, il utilise la presse
chinois, Bi Cheng, développe des carac- – Inspirée du pressoir à vin – pour impri-
tères mobiles en argile vers 1040. Et mer des textes. Il fait aussi deux inno-
aux xiiie et xive siècles, des typographes vations qui lui sont propres : le moule et
coréens impriment manuellement des l’alliage d’étain, plomb et antimoine qui
livres avec des caractères mobiles en lui permettent de fabriquer des carac-
métal. Gutenberg, qui ne connaît pas le tères mobiles de grande qualité.
travail des imprimeurs asiatiques, réin-

Premier atelier d’imprimerie 1448


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1100 1200 1300 1400 1500
1180 Arrivée des moulins à vent en France 1364 Horloge astronomique à Padoue
1194 Début de la construction de la cathédrale de Chartres
Invention des lunettes de correction 1285
1482 Léonard de Vinci innove
sur tous les fronts

Archétype du génie de la Renaissance, Léonard de Vinci


Léonard est engagé comme ingénieur militaire par le duc
de Vinci
1452-1519 de Milan. Il met dès lors son talent au service des
puissants.

Un homme à tout faire


Léonard de Vinci n’est pas un savant comme les autres. Fils illégitime d’un notable
florentin et d’une humble paysanne, il ne bénéficie d’aucune formation universi-
taire. C’est dans les ateliers du peintre florentin Andrea di Cione, dit il Verrocchio
(1435-1488), au contact direct des avant-gardes artistiques, scientifiques et tech-
niques, qu’il s’instruit.

94
En 1482, à la recherche d’un mécène, Léonard
❝Je puis construire
envoie une lettre au futur duc de Milan (1452- des voitures couvertes et
1508) dans laquelle il dresse la liste de toutes indestructibles portant de
les merveilles qu’il est capable de réaliser : des l’artillerie et qui, ouvrant les
ponts légers et faciles à transporter, de véri- rangs de l’ennemi, briseraient
tables chars d’assaut pour prendre les forte- les troupes les plus solides. »
resses ennemies, des navires qui résistent au Léonard de Vinci, Codex Atlanticus,
e e
feu… Le jeune ingénieur affirme également xv -xvi siècles.
pouvoir égaler n’importe quel architecte ou sculpteur de son époque. Étonnamment,
il ne mentionne pas la peinture, pour laquelle il deviendra si célèbre.

Un génie au service de l’État


Léonard de Vinci est engagé ! En ces temps de guerres incessantes, l’usage de l’artillerie
à poudre dans le siège des villes fortifiées et des forteresses est crucial (! 1600). D’au-
tant que l’Italie de la fin du XVe siècle, morcelée entre plusieurs États rivaux, est faible
d’un point de vue politique, ce qui attise les ambitions des monarchies européennes.
La créativité de Léonard de Vinci dans la conception de machines de guerre,
allant de la catapulte à la mitrailleuse, s’avère inépuisable. Comme les nombreux
ingénieurs italiens de l’époque, il participe à la défense et à la construction de
l’État. Lorsque le duc de Milan est destitué par les troupes françaises de Louis XII,
Léonard met ses talents d’ingénieur et d’artiste au service d’autres États italiens
– Venise, Florence ou Rome – avant d’être invité par François Ier à rejoindre la
France, où il finit ses jours.

Innovations techniques
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700 800 900 1000
720 Invention d’une horloge mécanique Publication de la recette de la poudre à canon 1044
par Liang Lingzan
Fabrique de papier à Bagdad 794
95

Une science ancrée dans l’observation


Les quelque treize mille pages des carnets de Léonard de Vinci livrent une série impressionnante
d’études qui touchent à un grand nombre de domaines, allant de l’anatomie à la cinématique.
On décèle pourtant une grande unité de méthode chez cet homme, qui parvient à combiner tra-
ditions techniques orales et culture littéraire. Ne maîtrisant ni le latin, la langue des savants de
son époque, ni le grec, Léonard s’appuie sur un sens aigu de l’observation.
Léonard de Vinci, « Transmission du mouvement et de la force au moyen de roues dentées,
de vis sans fin et de leviers », Traité de statique et de mécanique en italien, Codex Madrid I, 1493.

Innovations de Léonard de Vinci 1482


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1100 1200 1300 1400 1500
1180 Arrivée des moulins à vent en France 1364 Horloge astronomique à Padoue
1194 Début de la construction de la cathédrale de Chartres
Invention des lunettes de correction 1285 Invention de l’imprimerie par Gutenberg 1448
Traduire
les sciences
Pour les civilisations médiévales, la traduction joue un rôle essentiel
dans la préservation des connaissances de l’Antiquité et la production
de nouvelles traditions intellectuelles. À plusieurs reprises, des
mouvements de traduction impliquant plusieurs langues – grec, persan,
sanscrit, syriaque, arabe, latin – accélèrent la circulation des savoirs.

L’Asie, au carrefour des sciences


Même s’ils puisent leurs savoirs en terres étrangères, les anciens Grecs traduisent
assez peu. En Orient, au contraire, cette tradition est forte. En Chine, on cultive
depuis longtemps la traduction de textes bouddhistes en provenance d’Inde, mais
96 aussi, au passage, celle de traités d’astronomie ou de médecine. En Inde, où se
côtoient de très nombreuses langues, on traduit, vers 150 de notre ère, des ouvrages
d’astronomie grecs qui vont circuler jusqu’au Japon. Et un peu plus à l’ouest, à
Gundishapur, capitale de l’Empire perse sassanide, on rapporte l’existence d’une
importante école de médecine dans laquelle les traités grecs sont traduits vers le
syriaque à côté de travaux médicaux indiens.

De savants traducteurs
Ces initiatives servent ainsi de modèle au vaste programme de traduction vers
l’arabe entrepris au VIIIe siècle à Bagdad par la dynastie des Abbassides. Souvent
l’œuvre de chrétiens nestoriens ou des membres de minorités ethniques ou reli-
gieuses, les traductions ont pour but premier la collecte de savoirs médicaux et juri-
diques – Hippocrate, Galien et Aristote étant les auteurs les plus appréciés. Bientôt,
les élites de l’empire étendent les traductions à la philosophie, aux mathématiques
et à l’astronomie.
Avec l’adoption du papier – technique importée de Chine au VIIIe siècle –, le
mouvement de traduction vers l’arabe prend une ampleur extraordinaire. Vers le
XIIe siècle, la quasi totalité des écrits de l’Antiquité grecque est traduite en arabe,
cette dernière devenant la langue de référence pour les sciences. Avec les croisades
et l’intensification des échanges dans le bassin méditerranéen, c’est par le biais de
cette langue, qui incorpore de nombreux néologismes scientifiques grecs, sanskrit
ou persan, que les chrétiens d’Europe occidentale vont renouer avec l’héritage grec.
700-1500 Des savoirs qu’on s’échange

Traductions et renaissances
Les traductions latines des textes arabes prennent place aux côtés de celles faites
dans l’Antiquité tardive, directement à partir du grec, notamment de celles de
Boèce. La première vague de traduction a lieu dès le XIIe siècle. Des écoles de tra-
ducteurs, dont la plus connue est celle de Tolède, traduisent ainsi des ouvrages
médicaux, astronomiques et philosophiques de l’arabe au latin. La culture univer-
sitaire, qui émerge dans toute l’Europe occidentale, s’appuie sur ces traductions
pour introduire la philosophie aristotélicienne dans la pensée scolastique.
La prise de Constantinople par les Ottomans, en 1453, conduit plusieurs savants
de Byzance à émigrer vers l’Italie. C’est une nouvelle vague de traduction, directe-
ment du grec au latin cette fois, qui commence. On redécouvre ainsi la Géographie de
Ptolémée, qui guidera les navigateurs vers l’Inde ou le Nouveau Monde, et la philo-
sophie platonicienne qui fonde l’humanisme de la Renaissance du XVe siècle.

❝ De la traduction,
toute la science a reçu
sa progéniture. »
Giordano Bruno, cité dans
la préface de la traduction
des Essais de Montaigne 97
de John Florio, vers 1584.

Traduire et améliorer
les sciences
Les experts qui traduisent les textes
scientifiques développent rapide-
ment une expertise technique. Ils
sont, dès lors, tentés d’y mettre leur
grain de sel et de clarifier les pro-
pos.  Les différentes versions de la
Syntaxe mathématique de Claude
Ptolémée (! 127), connue en occi-
dent comme l’Almageste (de l’arabe
« le plus grand »), en fournissent un
exemple éclairant. Le texte original
est ici agrémenté de discussions sur
le changement de la durée de l’an-
née solaire, ainsi que de tables et
de catalogues d’étoiles qui résultent
d’observations nouvelles.
Ptolémée, L’Almageste, d’après
la traduction de Thābit Ibn Qurra,
1401-1500.
Dénombrer,
compter, calculer
Le concept de nombre paraît simple. Mais son histoire fait apparaître
trois sciences distinctes : la numération, qui est l’art de représenter
les nombres, la logistique, qui rassemble les techniques permettant
d’effectuer des calculs, et l’arithmétique, qui en étudie les propriétés,
et détermine par exemple s’ils sont pairs ou premiers.

Le secret des nombres


Qu’est-ce qu’un nombre ? Pour Euclide (! – 300), la réponse est simple : il s’agit d’une
collection d’unités. En ce sens, le nombre ne peut être qu’entier et positif. Si des
mathématiciens comme Diophante, au IIIe siècle de notre ère, développent l’arith-
98 métique euclidienne, plusieurs auteurs s’attachent alors à élaborer une véritable
théologie des nombres, les premiers chrétiens cherchant à y percevoir les secrets
de l’ordre cosmique établi par Dieu. Pendant tout le Moyen Âge, le « comput », c’est-
à-dire les méthodes permettant de calculer la date de Pâques, une préoccupation
majeure des théologiens.

Des cailloux pour calculer


Les anciens Grecs pensaient que les nombres avaient été inventés par les mar-
chands phéniciens dans le but de tenir leurs comptes. Et si nous savons désormais
que leur usage est bien plus ancien (! – 3000), les Phéniciens ont sans doute intro-
duit une nouvelle forme de numération dans laquelle les nombres sont représentés
par des lettres de l’alphabet. Seulement, tout comme les chiffres romains en usage
dans le bassin méditerranéen, cette façon d’écrire les nombres n’est guère pratique
dès lors qu’il s’agit d’effectuer des calculs. D’où le recours à des instruments comme
le boulier, connu en Chine dès l’Antiquité, et l’abaque occidental. Ce dernier est le
plus souvent une table sur laquelle on déplace, de case en case, des jetons ou des
petits cailloux… que les Latins appellent calculi, d’où vient le mot « calcul ».

Un zéro qui change tout


En 662, l’évêque syrien Sévère Sebokht (575-667), par ailleurs astronome, raconte
que les Indiens effectuent des calculs à l’aide de neuf symboles par le biais d’une
méthode qu’il trouve « indescriptible ». Un siècle plus tard, des diplomates indiens
introduisent la numération en base 10 à Bagdad, et, vers 820, le grand savant
700-1500 Des savoirs qu’on s’échange

al-Khwarizmi dédie un ouvrage entier à l’addition et à la soustraction suivant le


calcul indien. Dans ce livre, l’auteur insiste sur l’usage du zéro, qui permet de
représenter les grands nombres.
Dès lors, ces chiffres se diffusent lentement le long des routes commerciales
autour de la Méditerranée (! 999). À la fin du XIIe siècle, un certain Leonardo Fibo-
nacci, fils d’un marchand de Pise (1175-1240), est initié à l’art du calcul indien lors
d’un séjour en Tunisie. Pendant plus de trois siècles, le Liber abaci (Livre du calcul)
qu’il compose servira de manuel de base dans les écoles d’abaque où l’élite mar-
chande italienne éduque sa jeunesse.

Quand l’algèbre multiplie les nombres


Si Diophante avait déjà résolu une centaine d’équations algébriques, al-Khwa-
rizmi donne une méthode générale pour résoudre des équations dans son célèbre
traité d’algèbre (! 833). L’innovation mathématique que l’algèbre représente fait
évoluer le concept de nombre : à côté des entiers, les fractions et les racines car-
rées assument le statut de nombre. Au début de la Renaissance, les algébristes ita-
liens créeront même des racines de nombres négatifs que nous appelons nombres
imaginaires. Numération, logistique et arithmétique se rencontrent enfin… ce qui
change les mathématiques pour toujours.
99

Deux façons de calculer


La muse de l’arithmétique, dont
la robe est couverte de chiffres,
indique deux manières différentes
d’effectuer des opérations de calcul.
À droite, Pythagore déplace des
jetons sur les lignes tracées sur la
table : c’est l’abaque occidental en
usage pendant tout le Moyen Âge.
À gauche, Boèce s’initie aux tech-
niques algorithmiques de calcul qui
parviennent en Europe par l’intermé-
diaire des savants de langue arabe.
Gregor Reisch, Margarita
Philosophica, 1496.
De nouveaux mondes,
de nouvelles sciences
1500-1770

La Renaissance connaît un tel


renouvellement des savoirs
et des techniques qu’on a
longtemps nommé cette période,
tout simplement, la « Révolution
scientifique ». Sans doute y aurait-
il lieu de nuancer l’impression de
discontinuité historique véhiculée par
cette expression. Mais il n’en reste
pas moins que c’est à cette époque que
l’expérience s’impose véritablement
comme moyen d’accès privilégié
à des nouveautés scientifiques.
Sciences et techniques se mettent
alors, pour leur plus grand bénéfice,
au service des puissances politiques.

Guillaume Le Testu, Cosmographie universelle (détail montrant


des scènes de chasse et de bataille en Afrique de l’Ouest), 1555.
De nouveaux mondes,
de nouvelles sciences
1500-1770
L’élargissement du monde
Lorsque Christophe Colomb (v. 1451-1506) met le pied en
Amérique (! 1493), l’Europe a déjà amorcé un processus qui
bouleverse sa relation au savoir. La découverte du nouveau
continent s’inscrit dans un mouvement d’expansion sans
précédent, qui s’appuie sur de nombreuses innovations
techniques. La caravelle permet de naviguer en haute mer,
l’astronomie et la boussole de s’y orienter (! 82),
de nouvelles techniques cartographiques fixent sur le
papier des représentations fidèles des territoires abordés
et de larges enquêtes en recensent les richesses (! 1503).
102
Tandis que les navigateurs portugais contournent
l’Afrique en vue de commercer avec l’Asie, Colomb
convainc les monarques espagnols de financer
sa tentative de l’atteindre en se lançant vers l’ouest.

Retour vers le passé


C’est, entre autres, grâce à la redécouverte de la Géographie
de Ptolémée (! 127) que Colomb a cette idée. Dès le
XIVe siècle, les humanistes italiens comme le Pogge (! 1417)
se prennent en effet de passion pour les manuscrits
de l’Antiquité. À cette époque, et plus encore avec
la chute de Constantinople en 1453, les savants byzantins
introduisent ainsi des textes grecs, comme ceux de Platon
ou de Ptolémée, souvent ignorés des érudits médiévaux.
Peu à peu, la connaissance des sciences antiques s’étoffe,
de nouvelles idées apparaissent et les remettent en question.
Bientôt, Nicolas Copernic propose de revoir l’astronomie
ptoléméenne et de placer la Terre en orbite autour du Soleil
(! 1543, p. 112). Au même moment, André Vésale révise
les notions d’anatomie héritée de Galien (! 1543, p. 114).
L’âge du faire
Au mouvement des idées s’ajoute un nouvel intérêt
pour les techniques, comme en témoigne la multiplication
de livres compilant les savoir-faire semblables à celui
d’Agricola sur les mines (! 1556). Parallèlement,
l’invention ou le perfectionnement de certains
instruments, tels que la lunette astronomique de Galilée
(! 1610), donnent à voir des choses que personne n’a jamais
vues. D’autres, comme le baromètre de Torricelli (! 1644)
et la machine pneumatique de Boyle (! 1659) confirment
la possibilité de fonder les démonstrations scientifiques
sur l’expérience. Le chancelier Bacon (! 1620),
le philosophe Descartes (! 1633) et le mathématicien
Newton (! 1687) s’appuient sur ces découvertes
et développent les nouveaux systèmes philosophiques
de la modernité.
103

Les sciences au service de l’État


Les besoins de la guerre attirent vite l’attention
des gouvernants vers les savants (! 1600). Les grandes
puissances coloniales comme la France et l’Angleterre
se dotent d’institutions, telles que l’Académie des sciences
(! 1666, p. 138), entièrement consacrées au développement
de l’expertise scientifique. La mainmise de l’État sur les
sciences encourage le développement des savoirs utiles.
Linné produit une classification des plantes (! 1735) qui
aide à leur acclimatation en Europe, notamment au Jardin
des plantes dirigé par Buffon (! 1739). Le roi de Prusse
demande au mathématicien Euler de travailler à améliorer
l’efficacité de son artillerie (! 1745). En même temps, on
commence à désirer que les lumières scientifiques soient
largement diffusées : c’est ainsi que naît le formidable
projet de l’Encyclopédie (! 1751).
1493
Conquête européenne
1626
du Nouveau Monde
Introduction de la
1543 lunette astronomique
Vésale, de Galilée en Chine
La Fabrique
du corps humain
1620
Francis Bacon,
1527
Instauratio Magna
Théorie médicale
de Paracelse
1610
Galilée,
Messager céleste

| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620

1492-1504 Voyages de Christophe Colomb

1517 Thèses de Luther, début de la Réformation

1519-1556 Charles Quint, empereur d’Allemagne


Fondation de la ville de Québec 1608
Guerre de Trente Ans 1618-1638

1543
Copernic, Des
révolutions des
orbes célestes

1556 1614
Agricola, traité Invention des
technique logarithmes
De re metallica par John Napier

1628
Démonstration
de la circulation
sanguine
par Harvey
1633 1751
Descartes, Parution du premier
Système du Monde tome de l’Encyclopédie
1696
L’Hospital, Analyse
des infiniment petits
1644
Principe
du baromètre
par Torricelli
1756
Traduction
1659 1739 de Newton
Perfectionnement Buffon au Jardin du roi en français
de la machine par Émilie
pneumatique Du Châtelet
par Boyle et Hooke

| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780

1643-1715 Règne de Louis XIV


1682 Louis XIV s’installe à Versailles
1688-1689 Glorieuse révolution en Angleterre
Règne de Frédéric II de Prusse 1740-1786

Guerre de Sept Ans 1756-1763

1655
Ole Worm 1735
constitue un Linné, Système
célèbre de la nature
cabinet
1666
de curiosités
Fondation
de l’Académie
des sciences
par Colbert

Marie Meurdrac,
La Chymie
charitable et
facile en faveur 1745
des dames Étude de la trajectoire
d’un boulet de canon
dans l’air par Euler
1687
1761
Newton, Principia
Invention du chronomètre
mathematica
de marine
1768
Cartographie des côtes
de l’hémisphère austral
par James Cook
1493 Les épidémies
colonisent l’Amérique

Au XVIe siècle, de grandes épidémies ravagent l’Amérique centrale


et les Caraïbes. Ces pandémies, et tout particulièrement celles
de varioles, sont un des facteurs clé de la conquête européenne
du Nouveau Monde.

Une rencontre funeste


En 1493, lors de son deuxième voyage en Amérique, Christophe Colomb installe la
première colonie espagnole sur l’île d’Hispaniola, l’actuelle Saint-Domingue ou
Haïti. Rapidement, la population native de l’île est ravagée par une épidémie de
grippe. En vingt ans, elle passe d’environ trois millions d’habitants, au moment de
l’arrivée des Espagnols, à seulement quelques centaines.
La première grande épidémie de variole en Amérique a également lieu à Hispa-
niola en 1518, et arrive au Mexique deux ans après, en 1520, avec les expéditions
d’Hernán Cortés (1485-1547). La capitale de l’Empire aztèque, Tenochtitlán (Mexico),
106 perd un tiers de sa population, ce qui facilite sa conquête par les Espagnols. L’épi-
démie continue son expansion vers le sud, jusqu’à l’Empire inca, qui sera dévasté
avant même l’arrivée des conquistadors en 1531.

Dépeuplement et conquête de l’Amérique


Des épidémies de variole, typhus,
grippe, diphtérie, rougeole et cocoliztli

Une grande peste se rependit
entre nous […] elle s’étendit partout,
(une fièvre hémorragique) se succèdent par le visage, la tête, la poitrine, etc.
ainsi en Amérique jusqu’au début du […] Nombreux sont morts ainsi, mais
XVIIe siècle avec l’introduction de bétail d’autres sont aussi morts de faim,
et de nouvelles pratiques agricoles par personne ne s’occupait de personne […]
les colons espagnols. Ces maladies pro- quelques-uns sont restés aveugles… »
voquent la mort de 90 % de la population Témoignage d’un indigène, cité par Germán
native d’Amérique. Somolinos d’Ardois, Les Épidémies au Mexique, 1982.
L’effondrement démographique détruit des structures sociales indigènes, et
entraîne une hégémonie militaire et économique des Espagnols. Les conquérants
ont dès lors recours à l’importation d’esclaves africains pour remplacer la main-
d’œuvre dont ils ont besoin. L’appropriation des ressources du Nouveau Monde par
les Européens va donner un avantage décisif à l’Europe dans son développement
économique, et permettre un essor culturel et scientifique du vieux continent.

1493 Conquête européenne du Nouveau Monde


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
Théorie médicale de Paracelse 1527 1543 Vésale, La Fabrique du corps humain
Théâtre anatomique à Padoue 1594
Démonstration de la circulation sanguine par Harvey 1628
Une encyclopédie du monde
aztèque 107
Les effets des épidémies sont
décrits par des chroniqueurs
espagnols comme Bernardino de
Sahagún (1500-1590). Dans son His-
toria general de las cosas de Nueva
España (Histoire générale des
choses de la Nouvelle-Espagne), ce
missionnaire détaille les effets de la Les « échanges colombiens »
variole (ou petite vérole) mais docu-
mente aussi la langue, la religion, La propagation de maladies en Amérique au
la culture, l’histoire naturelle et les xve siècle illustre un transfert bien plus large
structures sociales et économiques entre l’Ancien et le Nouveau Monde, qui s’est
des Aztèques.
déroulé à la suite de la découverte de l’Amé-
Représentations de la vérole
dans Historia general de las cosas
rique et que l’on a baptisé l’« échange colom-
de Nueva España, Bernardino bien »  ou le « grand échange ». Ce dernier a
de Sahagún, 1558-1577. entraîné le transfert de nombreuses espèces
animales et végétales entre ces deux mondes.
Pour ne citer que quelques exemples, c’est
ainsi que les pommes de terre et les tomates
originaires d’Amérique ont été introduites en
Europe, et les chevaux et les cochons d’Europe
ont été exportés vers le Nouveau Monde.

Histoire naturelle et médecine


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1635 Fondation 1669 Explication de la fossilisation par Steno 1735 Linné, Système de la nature
du Jardin du roi à Paris
1675 Découverte des micro-organismes par Van Leeuwenhoek
1749 Premier tome
de l’Histoire naturelle de Buffon
Inoculation contre la variole à Constantinople 1714
1503 La Couronne espagnole
organise l’exploration du
Nouveau Monde
Créé pour contrôler le commerce transatlantique et le territoire
américain, la Casa de la Contratación de Séville et le Consejo de
Indias contribuent à produire et à organiser les connaissances
sur le Nouveau Monde.

Le port et la porte de l’Amérique


En février 1503, les rois Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon ordonnent d’éta-
blir à Séville une « maison pour le commerce et la négociation avec les Indes, les
Canaries, et autres terres découvertes et à découvrir ». Inspirée de l’Entrepôt de
Guinée et des Indes portugais, la Casa de la Contratación (Maison du commerce)
espagnole a pour but d’assurer le contrôle royal du commerce transatlantique.
Dans les magasins de la Casa sont entreposées les marchandises qui font l’objet
d’importation (argent, or, perles, cuir, cochenille, indigo, etc.) ou d’exportation
(verre, eau-de-vie, arme etc.) avec les Amériques récemment découvertes. Elle a sa
108 propre administration, sa cour de justice et ses pilotes qui enseignent l’art de navi-
guer et de conduire les flottes, dont le célèbre Amerigo Vespucci (1454-1512) qui est
nommé pilote en chef de la Casa en 1508.

Vers un inventaire du Nouveau Monde


Parallèlement, la Casa devient le principal centre de production de cartes des ter-
ritoires nouvellement conquis et des instruments de navigation en Europe. Elle
est aussi, avec le Consejo de Indias (Conseil des Indes) créé en 1524, un centre de
collecte et de diffusion des connaissances ethnographiques, linguistiques et bota-
niques sur le Nouveau Monde.
Le Consejo de Indias est ainsi à l’origine De l’histoire naturelle des Indes, l’un des pre-
miers ouvrages naturalistes sur la flore et la faune des Indes, écrit en 1526 par le
chroniqueur Gonzalo Fernández de Oviedo (1478-1557) à la demande de Charles V.
Cette collecte d’informations naturalistes s’institutionnalise sous la direction de
Juan de Ovando (1515-1575), avec la première expédition scientifique au Mexique,
menée par le médecin de la cour Francisco Hernández (1515-1587).
La Casa de la Contratación et le Consejo de Indias peuvent ainsi être considérés
comme les premières institutions scientifiques modernes, représentatives d’une
forme de collecte d’informations et de recherche impérialiste au service d’un projet de
contrôle et d’exploitation des territoires américains par la Couronne espagnole.

1503 Exploration du Nouveau Monde


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1509 1522 Premier tour 1556 Agricola, 1600 1620
Fortifications de Padoue du monde en bateau De re metallica Exécution du copernicien Bacon,
Giordano Bruno, Instauratio
condamné par l’Inquisition Magna
109

Les premières cartes


de l’Amérique
Diego Ribero, cartographe La première expédition scientifique
royal à la Casa de la Contra-
tación de Séville, est chargé En 1570, le roi d’Espagne commande un inventaire des
du dessin du premier pla- plantes médicinales américaines à Francisco Hernán-
nisphère scientifique, basé dez. De 1572 à 1577, Hernández, accompagné de géo-
sur des mesures empi-
riques de latitude. La carte
graphes, de peintres et de botanistes locaux, collecte
montre très précisément des spécimens de la flore mexicaine, des informations
les côtes d’Amérique cen- sur les cultures indigènes et les épidémies (! 1493). Il
trale et du Sud. Elle repré- décrit ainsi plus de trois mille plantes (comme le maïs,
sente aussi plusieurs ins-
le tabac, le cacao, la tomate ou la pomme de terre), et
truments de navigation,
comme le quadrant et l’as- plus de trois cents animaux américains. De retour en
trolabe, symboles de la Espagne, ses manuscrits originaux sont archivés à la
précision nécessaire à sa bibliothèque du roi et disparaissent dans un incen-
fabrication. die en 1671. Par chance, les descriptions d’Hernán-
Détail d’une carte de Diego dez sont publiées dans différents ouvrages à partir
Ribero, 1529.
du xviie siècle, attirant l’intérêt des botanistes euro-
péens sur la flore du Nouveau Monde.

Philosophie, techniques et culture


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Discours de la méthode 1690 Machine à vapeur de Papin 1739 Hume, Traité de la nature humaine
1657 Horloge de Huygens 1751
Parution du premier tome de l’Encyclopédie
1527 À Bâle, Paracelse critique
la médecine de Galien

Contemporain des réformateurs religieux Luther et


Calvin, le médecin Paracelse critique ouvertement la
Paracelse
1493-1541
pratique et les savoirs médicaux traditionnels. Ses
doctrines, influencées par l’alchimie et l’astrologie,
inspireront de nombreux savants.

Un début en fanfare
Philippus Aureolus Theophrastus Bombastus von Hohenheim, théologien et médecin
itinérant, est chargé de cours de médecine à l’université de Bâle en 1527. Il y fait scan-
dale : il critique l’enseignement traditionnel, enseigne en allemand à la place du latin,
et brûle publiquement le Canon de la médecine d’Avicenne.
Ridiculisé par ses opposants, il doit fuir la Suisse et, pour poursuivre ses voyages
en Europe, il change de nom. Désormais, il se fait appeler Paracelse (« plus impor-
tant que Celse »), en référence à un médecin romain de l’Antiquité du nom d’Aulus
Cornelius Celsus (Ier siècle).
110
Défenseur de l’alchimie médicale
Paracelse critique sans relâche la médecine conventionnelle, basée sur le savoir
gréco-romain. Il s’inspire des savoirs médicaux populaires, comme ceux détenus
par les guérisseuses ou les barbiers-chirurgiens, assistants des médecins mais sans
formation académique.
Selon lui, la maladie n’est pas due à un déséquilibre des humeurs internes, obses-
sion de la médecine galénique (! dossier, p. 56-57), mais plutôt à des causes natu-
relles ou spirituelles. La maladie est localisée dans des organes spécifiques et, pour
la guérir, il faut utiliser des remèdes précis, souvent des drogues d’origine minérale
transformées par la pratique alchimique. Ainsi, il utilise avec un succès apparent des
onguents au mercure pour traiter la syphilis, et popularise l’usage par voie interne
de l’antimoine et du laudanum.

Père posthume de l’iatrochimie


Ses faibles ressources économiques et sa tendance à critiquer les puissants
empêchent la publication des travaux de Paracelse de son vivant. Pourtant, ses
nombreux disciples vont le considérer comme le père de l’iatrochimie ou chimie
médicale. Publiés dans les années 1560, ses ouvrages deviennent très populaires et
aident à associer l’enseignement de la chimie à celui de la médecine au XVIIe siècle.

Histoire naturelle et médecine 1527 Théorie médicale de Paracelse


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1543 Vésale, La Fabrique du corps humain
Théâtre anatomique à Padoue 1594
Démonstration de la circulation sanguine par Harvey 1628
111

Alchimie et astrologie
Paracelse conçoit le corps
humain comme un micro- La magie naturelle
cosme lié en permanence
au macrocosme de l’Uni- Pour ses théories, Paracelse s’inspire de la magie
vers. Pour lui, une force naturelle, un courant intellectuel très important au
appelée « archée » ou xvie siècle. Les magiciens naturels s’appuient sur
« alchimiste » est respon-
sable des digestions, sépa-
divers traités comme ceux écrits par le mythique
rations et exhalations du Hermès Trismégiste et compilés par Marsile Ficin
corps humain. Par ailleurs, (1433-1499), ou comme la kabbale juive, telle qu’elle
chaque organe est asso- est divulguée par Jean Pic de La Mirandole (1463-
cié à un métal et à une pla-
1494). Ils essaient de comprendre le monde naturel
nète. Le médecin doit donc
aussi faire appel à l’astro- à partir de l’existence de forces occultes et d’analo-
logie pour comprendre la gies entre phénomènes naturels. Aujourd’hui consi-
santé et la maladie. dérés comme irrationnels, ces savoirs participent
Johannes Stradamus, néanmoins à la construction de la science moderne.
Le Laboratoire de
l’alchimiste, 1570.

| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1635 Fondation 1669 Explication de la fossilisation par Steno 1735 Linné, Système de la nature
du Jardin du roi à Paris
1675 Découverte des micro-organismes par Van Leeuwenhoek
1749 Premier tome
de l’Histoire naturelle de Buffon
Inoculation contre la variole à Constantinople 1714
1543 Copernic
place la Terre en orbite

Dans son ouvrage Des révolutions des orbes célestes,


Nicolas Nicolas Copernic décrit un modèle cosmologique où le
Copernic Soleil – et non plus la Terre – est au centre du monde.
1473-1543
Il rompt dès lors avec une tradition millénaire et amorce
un tournant décisif pour l’astronomie.

Une hypothèse audacieuse


Depuis l’Antiquité grecque, il est couramment admis que la Terre, immobile, est au
centre du monde et que tournent autour d’elle les étoiles, les planètes, la Lune et le
Soleil. Ce système, affiné par Ptolémée (! 127), va constituer la référence en Occident
pendant plus de mille ans.
C’est alors que Nicolas Copernic, chanoine et astronome à la cathédrale de
Frauenburg (aujourd’hui Frombork, en Pologne), propose de placer le Soleil au
centre de l’Univers. Introduisant une rupture radicale dans l’organisation du cos-
mos établie jusque-là, il espère que son modèle permettra d’expliquer et de calculer
112 plus simplement les positions des planètes.

Trente ans de vérifications


Dès 1510, Copernic ébauche le système héliocentrique dans le Commentariolus dont
il fait circuler quelques exemplaires anonymement. Puis il travaille seul à son
œuvre pendant plus de trente ans : il vérifie son hypothèse, réalise des calculs de
position et les compare aux observations. C’est sa rencontre avec le jeune astro-
nome Georg Joachim Rheticus (1514-1576) qui le décide à publier son travail. Son
ouvrage Des révolutions des orbes célestes sort de l’imprimerie en mars 1543, juste après
sa mort.

Une succession difficile


L’idée d’une Terre décentrée est choquante pour l’époque. Malgré cela, Copernic
n’est pas inquiété par l’Église de son vivant et garde de solides appuis auprès de
sa hiérarchie. De nombreux astronomes européens, comme Galilée, enseignent
même le système héliocentrique à leurs élèves. La situation change au début du
XVIIe siècle. Face à la montée du protestantisme, l’Église s’engage, pour asseoir son
autorité, dans une bataille qui aboutit à la condamnation des travaux de Copernic
en 1616. Malgré les arguments de Galilée (! 1610), ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle
que se rallient la plupart des savants autour du système héliocentrique.

Mathématiques et astronomie 1543 Copernic, Des révolutions des orbes célestes


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1535 1608 Kepler,
Méthode de Cardan pour Astronomie
résoudre les équations du 3e degré Observatoire de Tycho Brahe 1576 nouvelle
Invention de l’algèbre littérale par Viète 1591
Une planète comme les autres


113
Copernic place le Soleil au centre de l’Univers.
Tournent autour, dans un mouvement circulaire uni- Il s’en fallut de peu que,
forme, Mercure, Vénus puis la Terre, celle-ci tour- de crainte du mépris pour la
nant sur elle-même en vingt-quatre heures avec nouveauté et l’absurdité de mon
la Lune en orbite. Viennent ensuite Mars, Jupiter, opinion, je ne supprimasse tout
Saturne. Pour justifier son système, Copernic met
en exergue les difficultés calculatoires des sys-
à fait l’œuvre déjà achevée. »
tèmes astronomiques existants et leur manque Nicolas Copernic, Des révolutions des orbes
« d’ordre et d’harmonie ». célestes, préface au pape Paul III, 1543.
Gravure représentant l’Univers copernicien,
Harmonia Macrocosmica, 1660.

De l’utilité d’une préface


La préface, non signée, de l’ouvrage Des sans doute la réception de cette idée
révolutions des orbes célestes fut long- nouvelle. En réalité, pour Copernic, cela
temps attribuée à Copernic. Or il n’en ne fait aucun doute : le système héliocen-
est rien. C’est Andreas Osiander (1498- trique représente bel et bien le monde tel
1552), relecteur de l’ouvrage, qui en est qu’il est. C’est d’ailleurs ce qu’il exprime
l’auteur ! Ce dernier fait alors passer le dans une dédicace de l’ouvrage écrite au
système héliocentrique pour une simple pape Paul III où il revendique sa liberté
hypothèse calculatoire, ce qui favorisa d’expression.

| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Géométrie 1687 Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle 1761 et 1769
Passages de Vénus
1642 Construction de la machine à calculer de Pascal devant le Soleil
Euler, Introduction à l’analyse infinitésimale 1748
1543 André Vésale étudie
l’anatomie des meurtriers

C’est grâce à la dissection de cadavre de meurtriers


André qu’un médecin brabançon améliore la connaissance du
Vésale
1514-1564 corps humain. Il renouvelle ainsi la pratique médicale
et devient le plus grand anatomiste de la Renaissance.

Des dissections instructives


Né à Bruxelles, André Vésale suit des études de médecine à l’université de Louvain,
puis à Paris et à Padoue, où il commence à enseigner l’anatomie. Dans ses cours,
il dénonce l’écart existant entre le savoir livresque des professeurs et la technique
grossière des barbiers-chirurgiens chargés d’ouvrir les corps lors des leçons d’anato-
mie. Vésale décide donc de pratiquer lui-même les dissections et plaide pour l’émer-
gence du médecin « complet », associant connaissance anatomique, capacité à poser
un diagnostic et dextérité manuelle.

114 Une seconde vie pour les meurtriers


À Padoue, Vésale bénéficie du soutien du tribunal criminel qui met à sa disposition
le corps des meurtriers exécutés. Il peut ainsi pratiquer des dissections comparées
et démontre que les descriptions anatomiques de Galien correspondent, assez fré-


quemment, au corps d’un singe et non à celui d’un
homme (! dossier, p. 56-57). Vésale révèle que les La description du
nerfs ne sont pas creux, fait une description détail- corps humain doit être
lée du cerveau et des os du crâne et parle pour la considérée à juste titre comme
première fois du diaphragme, des valves cardiaques le fondement le plus solide
ou de l’épiploon, la membrane péritonéale qui relie
de tout l’art médical et le
principe de sa constitution. »
les viscères contenus dans l’abdomen.
André Vésale, La Fabrique du corps
humain, 1543.
Père de l’anatomie moderne
La Fabrique du corps humain, paru en 1543, devient le texte fondateur de l’anatomie
moderne. Basé sur la dissection et illustré de belles gravures sur bois, il est divisé en
sept parties : os et articulations, muscles, cœur et vaisseaux sanguins, nerfs, organes
contenus dans l’abdomen, organes du thorax et cerveau. D’abord critiqué dans les
milieux académiques, l’apport de Vésale marque un tournant dans la médecine.
Dès le début du XVIIe siècle, le texte est adopté par l’ensemble de la communauté
médicale et les dissections deviennent pratiques courantes dans toutes les facultés.

Histoire naturelle et médecine 1543 Vésale, La Fabrique du corps humain


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
Théorie médicale de Paracelse 1527
Théâtre anatomique à Padoue 1594
Démonstration de la circulation sanguine par Harvey 1628
La dissection,
une pratique controversée
Dans la période gréco-romaine, Rendre les corps éternels 115
par respect des morts, l’anato-
mie est principalement étudiée Les difficultés associées à la conservation des
sur des animaux. Toutefois, la cadavres sont à l’origine de nouvelles approches
dissection du corps humain est
pédagogiques et de prouesses techniques. La céro-
réalisée par certains savants
comme Alcméon (! – 500). Au plastie, c’est-à-dire la reproduction en cire des
Moyen Âge, contrairement à structures anatomiques, se développe dès la fin
une idée reçue, l’Église ne met du xviie siècle. Au xviiie siècle, l’anatomiste Honoré
pas fin à de telles pratiques Fragonard (1732-1799) devient célèbre grâce à ses
mais interdit certaines pro-
fanations, comme l’amputa-
écorchés, dont plusieurs humains, qu’il rend impu-
tion. À la Renaissance, les étu- trescibles. Sa technique consiste à dessécher les
diants en médecine ressentent muscles, à injecter du suif de mouton dans les vais-
le besoin de se former à l’ana- seaux et à vernir les corps avec des résines. Plus
tomie par l’expérience, et le vol
récemment, la plastination remplace les fluides
de corps dans les cimetières
ou aux gibets devient fréquent. organiques par de la silicone.
Michiel Jansz Van Mierevelt,
Leçon d’anatomie du docteur


Willen Van der Meer à Delft,
1617.
Quiconque s’intéresse à l’art de la
dissection se rend compte que rien ne leur était
plus étranger que la dissection du corps humain ! »
André Vésale, La Fabrique du corps humain, 1543.

| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1635 Fondation 1669 Explication de la fossilisation par Steno 1735 Linné, Système de la nature
du Jardin du roi à Paris
1675 Découverte des micro-organismes par Van Leeuwenhoek
1749 Premier tome
de l’Histoire naturelle de Buffon
Inoculation contre la variole à Constantinople 1714
1556 Agricola décrit l’art
de la métallurgie

Georg Bauer, médecin allemand plus connu sous


Georg Bauer, le nom d’Agricola, publie un traité sur les mines et
dit Georgius
Agricola la métallurgie. Cet ouvrage, un des premiers livres
1494-1555 techniques imprimés en Europe, obtient un succès
considérable aux XVIe et XVIIe siècles.

Un médecin passionné par les mines


Originaire de Saxe, Georg Bauer, dit Agricola, étudie la philosophie et la médecine
aux universités de Leipzig, Bologne et Padoue. Il fréquente les milieux humanistes
italiens et participe à l’édition de l’un des traités de Galien (! dossier, p. 56-57).
Il est ensuite employé comme docteur municipal dans plusieurs villes minières
d’Europe centrale, notamment en Bohême et dans le duché de Saxe. C’est là qu’il se
passionne pour les techniques d’extraction et de traitement des minerais, et s’enri-
chit considérablement en investissant dans les mines.

116 De re metallica
Agricola se consacre dès lors à la rédaction d’un ouvrage, divisé en douze livres,
sur les mines et la métallurgie. Écrit en latin sur le modèle des traités techniques
de l’Antiquité, le De re metallica offre une description précise et détaillée de tous les
procédés et machines utilisés dans les mines et ateliers d’Europe centrale, l’une des
plus grandes régions minières de l’époque.
L’ouvrage est exhaustif, traitant aussi bien de la découverte et de l’exploitation
de nouveaux filons, que des techniques de séparation des métaux et des machines
permettant d’assécher les mines. À ces descriptions, Agricola ajoute près de trois
cents gravures qui, grâce à leur grande précision, permettent de reproduire les
machines et procédés présentés à l’identique.

Un succès posthume
Fruit de vingt ans de travail, le De re metallica d’Agricola est publié de façon pos-
thume en 1556 et rencontre, dès sa parution, un succès considérable. Il est traduit
dans plusieurs langues et réédité de nombreuses fois au cours des XVIe et XVIIe siècles.
Il est aussi beaucoup lu et utilisé dans les régions minières d’Europe et d’Amérique
latine. Au Pérou par exemple, l’ouvrage est si précieux qu’il est enchaîné aux murs
des églises !

Philosophie, techniques et culture 1556 Agricola, De re metallica


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1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1509 1522 Premier tour 1600 1620
Fortifications de Padoue du monde en bateau Exécution du copernicien Bacon,
Giordano Bruno, Instauratio
condamné par l’Inquisition Magna
117

L’invention du livre technique


Le De re metallica, tout comme les traités sur les mines et la métallurgie de Vannoccio Biringuc-
cio (De la pirotechnia, 1540) et de Lazarus Ercker (Traité sur les minerais et leur évaluation, 1580),
inaugurent un nouveau type d’ouvrage : le livre technique. Nombreux sont les auteurs qui, à partir
de la seconde moitié du xvie siècle, vont, sur ce modèle, faire des descriptions détaillées des tech-
nologies. Ces livres et leurs illustrations permettent la transmission des savoirs. Ils pérennisent
ainsi les techniques et les rendent cumulatives.
Pompe à eau utilisée dans les mines d’Europe centrale, gravure extraite du De re metallica
d’Agricola, 1556.

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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Discours de la méthode 1690 Machine à vapeur de Papin 1739 Hume, Traité de la nature humaine
1657 Horloge de Huygens 1751
Parution du premier tome de l’Encyclopédie
1600 Les applications militaires
fortifient la géométrie

Au tournant du XVIe et du XVIIe siècle, l’usage de l’artillerie


Jean bouleverse les techniques de siège et l’art de la
Errard
fortification. Le cas de Jean Errard, ingénieur
vers
1554-1610 au service de Henri IV, montre comment les
mathématiques sont mises au service de la guerre.

Le siège de velours
En 1597, le roi de France Henri IV attaque les troupes espagnoles à Amiens. Pré-
voyant une longue attente, les troupes françaises s’installent confortablement
autour de la ville, si bien qu’on appelle cette opération le « siège de velours ».
Après six mois, les Français s’emparent enfin de la ville. Le roi ordonne alors à
son ingénieur Jean Errard, natif de Bar-le-Duc, de concevoir de nouvelles fortifica-
tions pour la ville reconquise. Trois ans plus tard, en 1600, il fait paraître, aux frais
du roi, la Fortification démontrée et réduite en art. Il s’agit du premier traité de génie
militaire écrit en français.
118
Un ingénieur au Conseil du roi
Protestant, Jean Errard est autrefois contraint de s’exiler en Allemagne pour étu-
dier et poursuit sans doute sa formation en Italie, où il se familiarise avec les nou-
velles techniques de fortification. Se mettant d’abord au service de Charles III de
Lorraine, il publie en 1584 une description d’instruments mathématiques (compas,
règles, cadrans, etc.). C’est alors que Henri IV le remarque.
Bientôt Errard devient premier ingénieur du roi et il est admis au Conseil royal.
Parmi ses missions, il fortifie les villes de Sedan et de Montreuil. En 1594, il rédige l’un
des premiers manuels de géométrie en français La Géométrie et pratique générale d’icelle.

Euclide s’en va en guerre


Dans la Fortification démontrée et réduite en art, apparaissent clairement les méthodes
de fortifications inventées par les ingénieurs italiens. Errard y utilise la géométrie
euclidienne pour décrire la manière dont il faut tracer des bastions et des contre-
forts efficaces, permettant de voir et de contrer aisément toute attaque ennemie.
Sous Louis XIV, l’ingénieur Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707) perfec-
tionne ces méthodes et change le visage des villes-frontières de toute la France. On
accorde dès lors une grande importance aux mathématiques qui sont enseignées
aux artilleurs et ingénieurs militaires.

Philosophie, techniques et culture Premier traité de génie militaire en français 1600


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1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1509 1522 Premier tour 1556 Agricola, 1600 1620
Fortifications de Padoue du monde en bateau De re metallica Exécution du copernicien Bacon,
Giordano Bruno, Instauratio
condamné par l’Inquisition Magna
Henri IV au siège de velours
Dans les guerres de siège des xvie
et xviie  siècles, l’artillerie modifie
les techniques de combats. Le rôle
des ingénieurs qui accompagnent
les armées devient crucial, puisque
❝ Sire, puisque votre majesté nous fait
espérer, par l’académie qu’elle a ordonné
être dressée en cette ville de Paris, de voir 119
ressusciter et revivre les sciences, de longtemps
ce sont eux qui conçoivent bastions
et tranchées. Sur cette peinture,
mortes en ce royaume et que les gentilshommes
on remarque, à droite, les fortifi- ont été contraints de chercher et aller mendier
cations temporaires érigées pour en pays étrangers, j’ai pensé que ce ne serait
accueillir les canons de l’armée [pas] mal à propos de lui dédier cette œuvre […]
assiégeante.
comprenant ce qui est de plus et plus rare en
Tableau montrant Henri IV
au siège d’Amiens, anonyme. la géométrie. »
Jean Errard, La Géométrie et pratique générale d’icelle, 1594.

La « réduction en art », une pratique savante


Dans la Fortification démontrée et réduite du métier ». Cette entreprise touche de
en art, Errard cherche à rassembler nombreux domaines : la danse, le dessin,
en un ordre méthodique des savoirs l’architecture, mais aussi la grammaire,
épars, fragmentaires et souvent non l’art des mines, l’escrime, ou encore
écrits. La pratique de la « réduction en la conception des jardins. Désireux de
art » s’appuie sur les mathématiques, contribuer au bien public, les ingénieurs
la rhétorique et une grande quantité de imposent une forme de discours tech-
figures afin de rendre accessibles des nique qui est appelé à un bel avenir.
savoirs auparavant réservés aux « gens

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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Discours de la méthode 1690 Machine à vapeur de Papin 1739 Hume, Traité de la nature humaine
1657 Horloge de Huygens 1751
Parution du premier tome de l’Encyclopédie
1610 Galilée se fait
messager céleste

Galileo
En révélant des astres et de nouveaux phénomènes
Galilei, dit astronomiques, Galilée sème le doute à propos
Galilée de la cosmologie aristotélicienne, et incite à accepter
1564-1642
la vision héliocentrique du Système solaire.

Un regard nouveau sur le firmament


Au printemps 1609, Galilée, professeur de mathématiques à l’université de Padoue,
entend parler d’un instrument hollandais qui fait apparaître les objets éloignés
comme s’ils étaient proches. Entrevoyant son utilité pour la navigation, il construit
une lunette similaire et l’offre au sénat de Venise.
Galilée continue de perfectionner l’instrument et obtient un modèle capable
d’augmenter vingt fois la taille apparente des objets lointains. Le tournant vers la
Lune, il y découvre l’existence de montagnes et de cratères. Il observe également
quatre satellites autour de Jupiter, jusque-là inconnus, et une Voie lactée compo-
120 sée de milliers d’étoiles.

Des découvertes mal vues


Dès mars 1610, Galilée publie ces découvertes dans Sidereus Nuncius (Le Messager
céleste). Dédié à Côme de Médicis, grand-duc de Toscane, les satellites de Jupiter y
sont baptisés « étoiles médicéennes ». Un geste qui lui vaut le poste de mathémati-
cien et philosophe à la cour du prince.
Malgré l’appui de ses influents patrons, la publication du livre soulève une vio-
lente controverse. Certains astronomes et philosophes affirment que les observa-
tions de Galilée, qui contredisent la cosmologie aristotélicienne, ne sont que des
illusions optiques produites par la lunette. Pourtant, ces observations sont définiti-
vement confirmées, fin 1610, par les astronomes jésuites du Collège romain (! 1626).

À l’appui de Copernic
À Florence, Galilée poursuit son examen du ciel avec sa lunette. Les observations
des phases de Vénus suggèrent que la planète ne tourne pas autour de la Terre, mais
bien du Soleil, et confirment ses intuitions en faveur du système héliocentrique de
Copernic (! 1543, p. 112). Galilée développe ensuite des arguments subtils en faveur
des thèses coperniciennes, se heurtant une nouvelle fois à l’opposition d’influents
philosophes aristotéliciens et théologiens, jusqu’à sa condamnation par l’Inquisition.

Sciences expérimentales Galilée, Messager céleste 1610


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1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1516 1537 Développement de la mécanique 1600 Gilbert, De l’aimant
Arrivée de Léonard de l’artillerie par Tartaglia
de Vinci en France
Énoncé de la loi de la réfraction par Snell 1628
La Lune montre
son vrai visage
Les observations de la Lune faites
par Galilée montrent des accidents
de terrain qui ressemblent à des mon-
tagnes et à des cratères. Cette vision
contredit l’image aristotélicienne d’un
ciel immuable et parfait, composé de
corps lisses et cristallins. Pour Gali- 121
Le procès de Galilée lée, qui a déjà observé l’apparition
d’une nouvelle étoile dans le ciel,
L’Europe du début du xviie siècle est boulever- la supernova de 1604, la cosmolo-
sée par des conflits politiques et religieux, sur gie d’Aristote n’est résolument plus
fond d’expansion du protestantisme. Le soutien tenable.
de Galilée au système copernicien est perçu Image de la Lune extraite de
Sidereus Nuncius, Galileo Galilei,
par l’Église catholique comme une attaque des 1610.
dogmes, basé sur l’interprétation littérale de la
Bible où la Terre est décrite comme immobile.
Un premier avertissement contre la diffusion de
la théorie de Copernic est promulgué en 1616.
Galilée reste discret jusqu’au moment où son
ami Maffeo Barberini (1568-1644) est élu pape
❝ N’importe qui pourra
comprendre que la Lune n’est
nullement revêtue d’une
sous le nom d’Urbain VIII et lui donne l’espoir
surface lisse et parfaitement
d’une ouverture de l’Église à ses thèses. Toute-
polie, mais bien d’une surface
fois, après la publication du Dialogue sur les deux
accidentée et inégale, et
systèmes du monde (1632), dans lequel Galilée
qu’elle est, comme la face de
confronte les systèmes copernicien et aristoté-
la Terre elle-même, couverte
lico-ptolémaïque, l’Inquisition lui intente un pro-
de tous côtés d’énormes
cès. En 1633, il est condamné à la réclusion à per-
protubérances, de creux
pétuité et doit abjurer l’héliocentrisme (! 1633).
profonds, et de sinuosités… »
Galileo Galilei, Sidereus Nuncius, 1610.

| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1644 Invention du baromètre par Torricelli Échelle thermométrique de Celsius 1742 1751 Découverte de la nature
électrique des éclairs par Franklin
1672 Décomposition prismatique
de la lumière blanche par Newton Découverte de l’hydrogène par Cavendish 1766
1614 John Napier invente
les logarithmes

Un aristocrate écossais aide les astronomes dans


John Napier leurs calculs en inventant une méthode qui permet
1550-1617 de transformer les produits en sommes.
Il lui donne le nom de « règle des logarithmes ».

Des calculs… astronomiques


À la Renaissance, les astronomes font face à des calculs de plus en plus longs.
Lorsque Nicolas Copernic introduit son modèle héliocentrique pour prédire de
façon plus fiable les mouvements apparents du Soleil, de la Lune et des planètes
(! 1543 p. 112), l’astronome allemand Érasme Reinhold (1511-1553) doit, après sa mort,
consacrer sept années au calcul et à la construction des premières tables astro-
nomiques basées sur ce nouveau modèle. Puis au début du XVIIe siècle, le célèbre
astronome Johannes Kepler (1571-1630), ayant déterminé que les planètes suivent
en réalité des orbites elliptiques, décide de tout recalculer encore une fois : cela lui
122 demande vingt-six ans d’un labeur acharné…

Des loisirs fructueux


Au milieu de cet effort, Kepler met la main sur un petit livre en latin, paru en 1614,
dont on peut traduire le titre par La merveilleuse règle des logarithmes. Il y trouve une
méthode qui permet de remplacer les multiplications, longues à effectuer et pro-
pices aux erreurs, par de simples additions. L’auteur de cette méthode est un aris-
tocrate écossais qui se nomme John Napier (aussi connu sous le nom de Neper).
Gestionnaire de larges domaines, il n’a pas beaucoup de temps à consacrer aux
mathématiques, qui ne sont guère pour lui qu’un loisir. Aussi, s’intéresse-t-il à
diverses méthodes permettant d’accélérer les calculs, dont les célèbres logarithmes.

Vers une simplification des calculs


Quand, le 28 juin 1619, Kepler écrit à Napier pour le remercier de cette utile inven-
tion, ce dernier est déjà mort. Henry Briggs (1561-1630), professeur de mathéma-
tiques à Oxford, a eu, lui, la chance de discuter avec Napier et de lui parler d’une
idée pour simplifier la présentation de son invention. Jusqu’à l’apparition des cal-
culateurs modernes, la définition du logarithme décimal proposée par Briggs va
s’appliquer partout où les calculs sont longs et fastidieux.

Mathématiques et astronomie Invention des logarithmes 1614


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1535 1543 Copernic, Des révolutions des orbes célestes 1608 Kepler,
Méthode de Cardan pour Astronomie
résoudre les équations du 3e degré Observatoire de Tycho Brahe 1576 nouvelle
Invention de l’algèbre littérale par Viète 1591
Des
Des b
bâtonnets
âtonne
ets
s po
pour
our ccalculer
alculer
C’est
C ’e
estt ddans
ans une e ppublication
ubliccation de
1617
1 617 que J John
ohn N Napier
apie er p présente
résente
les b bâtonnets
âtonnets s qu’
qu’il
’ill a imimaginés
maginés
pour
p our ffaciliter
aciliite
er le
les
es ccalculs.
allculls. En pla-


ççant
ant leles
es bât
bâtonnets
tonnetts leles
es uunsns à côté
d es autres,
des autre es, les
le
es multiplications
multip pliccations se
édd i
réduisent tàd i l additions.
de simples dditi
La découverte des logarithmes […], 123
12
Cet outil se répand rapidement en réduisant à quelques heures le travail
dans toute l’Europe. C’est néan- de plusieurs mois, double, si l’on peut ainsi
moins la méthode des logarithmes, dire, la vie des astronomes, et leur épargne
plus sophistiquée, qui aura la pré-
férence des savants.
les erreurs et les dégoûts inséparables de
Boîte de bâtonnets de Napier
leurs longs calculs. »
à quatre faces, 1617-1799. Pierre-Simon Laplace, Cours de l’École normale,
28 janvier 1795.

En base 10, c’est plus simple


Le mot logarithme est composé de deux considérablement la compréhension.
racines grecques : logos qui signifie frac- Pour les puissances de 10, le loga-
tion, et arithmos nombre entier. Napier rithme correspond alors simplement au
forge ce mot pour mettre en relation nombre de zéros dans son expression
deux séries de valeurs permettant de numérique. Ainsi, le logarithme de 100
transformer les multiplications en addi- est 2, celui de 1 000, 3, et ainsi de suite.
tions. Ainsi, à un produit d’éléments Pour les nombres compris entre 100 et
appartenant à la première série cor- 1000, le logarithme est un nombre réel
respond une somme d’éléments de la entre 2 et 3 dont la valeur, plus difficile
seconde. En adoptant une représen- à calculer, peut être trouvée en pratique
tation en base 10, Briggs en simplifie dans des tables numériques.

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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Géométrie 1687 Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle 1761 et 1769
Passages de Vénus
1642 Construction de la machine à calculer de Pascal devant le Soleil
Euler, Introduction à l’analyse infinitésimale 1748
1620 Un chancelier anglais
imagine la science du futur

Francis Bacon, homme politique de l’époque


Francis élisabéthaine, prophétise l’avènement d’une nouvelle
Bacon science, fondée sur l’observation et l’expérience.
1561-1626
D’après lui, ce nouveau savoir permettra aux hommes
de maîtriser leur environnement naturel.

Un chancelier philosophe
Élu pour la première fois au Parlement de Londres en 1581, Francis Bacon, juriste de
formation, se hisse dans les hautes sphères politiques britanniques avec l’appui du
comte d’Essex, favori de la reine Élisabeth. Il devient proche conseiller de la reine,
puis chancelier de son successeur, le roi Jacques Ier.
Homme politique redoutable, Bacon est aussi philosophe et publie plusieurs livres
critiquant l’aristotélisme pendant les deux premières décennies du XVIIe siècle. Son
ouvrage le plus connu est l’Instauratio Magna, publié en 1620, qui propose une nou-
velle façon d’accéder à la vérité.
124
De la déduction à l’induction
Par contraste avec la méthode aristotélicienne
❝ La science doit être
tirée de la lumière de la
nature, elle ne doit pas être
qui se fonde sur la déduction pour aller d’une retirée de l’obscurité et de
vérité générale à des cas particuliers, Bacon l’antiquité. »
propose de refonder les savoirs sur la base d’une Francis Bacon, Instauratio Magna, 1620.
nouvelle méthode, l’induction.
Il s’agit de collecter des faits à propos de la nature, de les classer, de les vérifier
en effectuant des expériences et d’en tirer des « axiomes » généraux, ce que nous
appelons des lois scientifiques. Bacon théorise ainsi une méthode qui sera utilisée
par de nombreux acteurs de la révolution scientifique au XVIIe siècle.

La science baconienne en héritage


La méthode inductive de Bacon sera tout particulièrement reprise par Robert
Boyle (! 1659), Robert Hooke (1635-1703) et certains membres de la Société royale de
Londres. Cette société, fondée en 1660, réalise des expériences, publie des résultats
scientifiques et devient un des foyers les plus importants de la nouvelle science
en Europe. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, Bacon reste la principale référence de la
Société royale et, plus généralement, des tenants de la science empirique.

Philosophie, techniques et culture Francis Bacon, Instauratio Magna 1620


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1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1509 1522 Premier tour 1556 Agricola, 1600
Fortifications de Padoue du monde en bateau De re metallica Exécution du copernicien
Giordano Bruno,
condamné par l’Inquisition
125

À la conquête du savoir
Cette gravure, qui apparaît en pre-
La Nouvelle Atlantide mière page de l’Instauratio Magna de
Bacon, montre un navire franchissant
Dans La Nouvelle Atlantide, un ouvrage paru
les colonnes d’Hercule. Ces piliers,
en 1627, peu après sa mort, Bacon décrit qui bordent le détroit de Gibraltar,
une société utopique centrée sur la « Mai- symbolisent, à cette époque, les
son de Salomon ». Les membres de cet ins- limites du savoir humain. Bacon invite
titut de recherche scientifique et technique y ainsi ses lecteurs à suivre l’exemple
de ce navire, à découvrir des mondes
font des expériences scientifiques et en tirent inconnus et à enrichir les connais-
des « axiomes ». Sur la base de ce savoir, ils sances sur la nature.
conçoivent et développent des matériaux et Frontispice de l’Instauratio Magna,
techniques utiles aux hommes. D’après Bacon, 1620.
cette nouvelle approche scientifique permettra
aux hommes de contrôler la nature. Grâce à elle,
ils innoveront et développeront des technolo-
gies qui leur assureront la maîtrise du monde.
❝ Beaucoup passeront
et la science augmentera. »
Frontispice de l’Instauratio Magna, 1620.

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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Discours de la méthode 1690 Machine à vapeur de Papin 1739 Hume, Traité de la nature humaine
1657 Horloge de Huygens 1751
Parution du premier tome de l’Encyclopédie
1626 Des missionnaires font
découvrir la lunette aux Chinois

Il a fallu moins de vingt ans aux savants européens


Johann Adam pour rendre accessibles à leurs collègues asiatiques
Schall
von Bell les découvertes faites par Galilée à l’aide de sa
1592-1666 lunette. Dès 1626, le jésuite Adam Schall von Bell
rédige en chinois un traité détaillé sur le sujet.

Les nouvelles vont vite !


Dès 1615, les lettrés chinois peuvent avoir accès aux observations astronomiques de Gali-
lée (! 1610). Dans Explication de la sphère céleste, le jésuite portugais Manuel Dias (1554-1659)
montre comment l’astronome italien, « attristé par la faiblesse de ses yeux », a conçu la
lunette et pu voir Vénus aussi grosse que la Lune. Mais Dias n’est pas astronome, et son
ouvrage ne permet guère de comprendre le fonctionnement de cet étrange instrument.

Expliquer la lunette aux Chinois


Trois ans plus tard, en 1618, une lunette astronomique franchit l’océan dans les
126 bagages de Johann Schreck (1576-1630). Élève de Galilée, ce père jésuite s’est pro-
curé l’instrument pour l’offrir à l’empereur de Chine. Sur le même bateau se trouve
Adam Schall von Bell. Astronome et mathématicien, ce jeune jésuite, qui a eu l’oc-
casion de rencontrer Galilée, a en tête de partager avec les Chinois le savoir scien-
tifique et technique de l’Occident.
Comme le missionnaire Matteo Ricci (1552-1610) avant lui, il sait que son exper-
tise astronomique peut intéresser les autorités impériales (! 1280). C’est ainsi qu’en
1626, sous le nom de Tang Ruowang, Schall publie un livre sur la lunette où il décrit
les découvertes de Galilée sur le Soleil, la Lune, Vénus, Jupiter, Saturne et la Voie
lactée. Il y explique aussi les principes optiques de l’instrument.

Une grande divergence


Schall et d’autres missionnaires, avec l’aide de collaborateurs chinois, publient
plus de trente-six livres en mandarin sur les sciences et techniques. Ils traduisent
par exemple les grands traités d’ingénieurs occidentaux comme celui d’Agricola
sur les mines (! 1556).
Malgré un degré d’avancement scientifique et technique remarquable, la Chine
ne connaîtra pas le même décollage industriel que l’Angleterre où la révolution
industrielle européenne débute bientôt. À ce jour, aucun consensus n’existe parmi
les historiens pour expliquer simplement cette grande divergence.

Sciences expérimentales Introduction de la lunette astronomique de Galilée en Chine 1626


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1516 1537 Développement de la mécanique 1600 Gilbert, De l’aimant
Arrivée de Léonard de l’artillerie par Tartaglia
de Vinci en France Galilée, Messager céleste 1610
Énoncé de la loi de la réfraction par Snell 1628
Le mandarin allemand
Chargé en 1630 par l’empe-
reur de Chine de réformer le
calendrier, Schall connaît une
ascension remarquable dans
l’administration chinoise. Sous
l’empereur mandchou Shunzhi,
son élève, il devient directeur
du Bureau impérial d’astro-
nomie. En 1651, il est nommé
grand maître du conseil. Mais
son succès attire la jalousie
d’autres astronomes qui, après
la mort de Shunzhi, l’accusent
de trahison. Schall est soumis
à la torture, mais finit par être
réhabilité. Affaibli par ses bles-
sures, il meurt peu après.
Le père Schall von Bell dans
China Monumentis, Athanasius
Kircher, 1668.

127

Mission sciences
À l’époque moderne, les missions licisme, Xu Guangqui, il produit, en 1607,
étrangères en Extrême Orient participent la première traduction en mandarin des
à une véritable mondialisation des Éléments d’Euclide (! – 300). Ferdinand
savoirs. L’ordre jésuite, fondé en 1540, Verbiest (1623-1688), collaborateur de
y prend une part prépondérante. L’un Schall, fabrique en 1672 une machine
de ses membres, Matteo Ricci, réus- à vapeur pour la cour de Pékin. Inver-
sit à rencontrer l’empereur grâce à ses sement, les missionnaires jésuites vont
connaissances astronomiques. Avec un contribuer à diffuser les connaissances
collaborateur chinois converti au catho- chinoises en Occident.

| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1644 Invention du baromètre par Torricelli Échelle thermométrique de Celsius 1742 1751 Découverte de la nature
électrique des éclairs par Franklin
1672 Décomposition prismatique
de la lumière blanche par Newton Découverte de l’hydrogène par Cavendish 1766
1628 Harvey dissipe les croyances
sur la circulation sanguine

Un médecin anglais démontre, de façon expérimentale,


William que le sang circule en circuit fermé dans l’ensemble du
Harvey corps des mammifères, et décrit en détail la circulation
1578-1657
sanguine. Dès lors, plusieurs siècles de croyances
volent en éclats.

Le sang fait son chemin


C’est le médecin romain Galien au IIe siècle qui, le premier, fait référence à la circu-
lation sanguine (! dossier, p. 56-57). Pour lui, c’est le foie qui produit le sang à par-
tir des aliments, un sang noir et épais qui nourrit le corps. Arrivé au cœur, le sang
devient rouge vif et fluide par l’apport d’un esprit vital et se déplace vers les extré-
mités du corps avant de disparaître.
Cette conception perdure jusqu’au XIIIe siècle, jusqu’à ce que Ibn al-Nafis (1208-
1288), médecin au Caire, décrive la « petite circulation », un circuit clos qui relie le
cœur et les poumons. À la Renaissance, les découvertes de médecins anatomistes,
128 comme l’Espagnol Miguel Servet qui dissèque auprès de Vésale (! 1543, p. 114) ou
l’Italien Realdo Colombo, confirment l’existence de cette boucle où le sang noir
s’oxygène et se transforme en sang rouge en passant par les poumons.

Une circulation en circuit fermé


En 1628, dans L’Anatomie du mouvement du cœur et du sang chez les animaux, Harvey
démontre l’existence d’une deuxième boucle, celle de la « grande circulation »,
reliant le cœur au reste du corps en circuit fermé. Il mesure pour cela le volume de
sang éjecté par le cœur lors d’une contraction et en déduit que la quantité de liquide
expulsée par jour est trop importante pour provenir de l’alimentation. Le recyclage
du sang dans un circuit clos semble plus crédible, hypothèse qu’il confirme par l’ex-


périence du garrot.
Harvey insiste sur le fait que la méthode Le sang est animé d’un
expérimentale mise en œuvre a le même mouvement circulaire qui
caractère de démonstration que le raisonne- l’emporte dans une agitation
ment mathématique. Cependant, sa décou- perpétuelle, c’est là la fonction
verte, capitale, sur la circulation sanguine du cœur qui est la cause unique
est accueillie avec scepticisme par la commu- de tous ces mouvements. »
nauté médicale, tributaire de la pensée galé- William Harvey, Anatomie du mouvement
du cœur et du sang chez les animaux, 1628.
nique. Elle ne sera admise qu’après sa mort.

Histoire naturelle et médecine Démonstration de la circulation sanguine 1628


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
Théorie médicale de Paracelse 1527 1543 Vésale, La Fabrique du corps humain
Théâtre anatomique à Padoue 1594
L’expérience du garrot
En posant un garrot à la base du bras, plus 129
ou moins lâche, William Harvey observe le
De la saignée à la transfusion
comportement des veines et des artères. Il
démontre alors avec certitude que le sang Pour Hippocrate et Galien, dans l’Anti-
circule des organes vers le cœur via le réseau
veineux, et du cœur vers les organes via le
quité, le sang est l’humeur responsable
réseau artériel. Par ailleurs, Harvey a l’intui- du caractère sanguin, passionné et jovial.
tion, sans pouvoir le démontrer, que le sang Il entretient la chaleur du corps, raison
passe des artères aux veines par de fines pour laquelle la saignée est la méthode
connexions. Ces dernières, appelées capil-
employée pour faire baisser les fièvres.
laires, seront mises en évidence en 1661 par
le microscopiste italien Marcello Malpighi. Plus tard, il n’est plus question d’élimi-
Gravure illustrant la théorie de la circulation ner mais d’injecter du sang pour soigner.
du sang de William Harvey, 1628-1639. Une première transfusion sanguine, d’un
mouton à un être humain, est réalisée en
1667 par le médecin français Jean-Bap-

❝ Le cœur des animaux est


le principe de la vie, le directeur
de toutes les parties, le soleil
tiste Denis (1643-1704), mais le patient
meurt quelques jours plus tard. Le trans-
fert entre humains est beaucoup plus
tardif et date du début du xixe  siècle.
du microcosme, l’organe d’où Avec la découverte des groupes sanguins
dépendent l’existence, la vigueur ABO au début du xxe siècle, la transfu-
et la force de l’être. » sion devient une procédure sûre, et sa
William Harvey, Anatomie du mouvement pratique se répand rapidement.
du cœur et du sang chez les animaux, 1628.

| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1635 Fondation 1669 Explication de la fossilisation par Steno 1735 Linné, Système de la nature
du Jardin du roi à Paris
1675 Découverte des micro-organismes par Van Leeuwenhoek
1749 Premier tome
de l’Histoire naturelle de Buffon
Inoculation contre la variole à Constantinople 1714
1633 Descartes imagine
un nouveau Monde

René Descartes réagit à la condamnation de Galilée


René par l’autocensure. Pourtant, la nouvelle vision du monde
Descartes qu’il propose voit le jour une décennie plus tard et
1596-1650
encourage les philosophes à expliquer les phénomènes
naturels à l’aide de modèles mécaniques.

Une condamnation qui fait peur


En juin 1633, Galilée doit abjurer, face au tribunal de l’Inquisition de Rome, l’idée
copernicienne d’une Terre qui tourne autour du Soleil (! 1610). Condamné à la
réclusion à perpétuité, on lui interdit de publier des ouvrages sur Copernic ou d’en-
seigner sa doctrine jugée « hérétique ».
Lorsque René Descartes – qui défend les idées de Copernic – apprend la nouvelle,
il décide de ne pas publier son Système du Monde. Cet ouvrage propose en effet une
révision complète de la physique et une version modifiée du système copernicien,
dans lequel il inclut un nombre infini de systèmes solaires.
130 Descartes préfère publier, en 1637, des essais moins polémiques sur la géométrie,
la dioptrique et la météorologie, auxquels il rajoute une introduction qui devien-
dra célèbre : le Discours de la méthode.

Les principes de la philosophie


Une bonne partie des idées du Système du Monde de Descartes est toutefois reprise
dans les Principes de la philosophie, un manuel universitaire publié en latin en 1644.
Sans prendre parti sur le mouvement de la Terre, il propose la première présenta-
tion complète de la philosophie mécanique.
Dans son livre, Descartes postule que le monde naturel est régi par deux prin-
cipes : la matière et le mouvement. Tout phénomène naturel – comme les orbites
des planètes ou le magnétisme – peut ainsi être expliqué comme résultant du mou-
vement de particules, obéissant à la loi d’inertie, et des règles de collision.
Cet ouvrage a une grande influence sur la philosophie naturelle française, et
inspire des traités populaires d’astronomie comme celui de Bernard Le Bovier de
Fontenelle (1657-1757). Les thèses mécanicistes de Descartes vont s’effacer quelques
années plus tard devant les théories d’Isaac Newton, qui écrit ses Principia mathema-
tica comme une réfutation de la vision cartésienne (! 1687).

Mathématiques et astronomie
| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1535 1543 Copernic, Des révolutions des orbes célestes 1608 Kepler,
Méthode de Cardan pour Astronomie
résoudre les équations du 3e degré Observatoire de Tycho Brahe 1576 nouvelle
Invention de l’algèbre littérale par Viète 1591
L’Univers selon Descartes
Descartes propose une explication
mécanique de la stabilité des orbites
des planètes avec sa théorie des tour-
billons. Selon cette hypothèse, il existe
une matière subtile qui tourne en cercles
autour de chaque étoile, et emporte avec
elle les planètes comme de simples brin-
dilles dans un vortex.
Les tourbillons de Descartes,
Principes de la philosophie, 1644.

❝ Je sais bien que


les bêtes font beaucoup
de choses mieux que nous,
mais je ne m’en étonne
pas ; car cela même sert à
prouver qu’elles agissent
naturellement et par 131
ressorts, ainsi qu’une
horloge, laquelle montre
bien mieux l’heure qu’il est,
que notre jugement ne nous
l’enseigne. »
René Descartes, Lettre au marquis
de Newcastle, 23 novembre 1646.

Le monde comme une horloge


Des images mécaniques dominent la à celui de brindilles dans un vortex, celui
philosophie naturelle du xviie siècle. Le des muscles et des tendons peut être
cosmos est alors conçu comme une hor- assimilé à celui de ressorts, et la respira-
loge, et il appartient aux savants ou aux tion peut être rapprochée du mouvement
philosophes de révéler le mécanisme continu du moulin ou de l’horloge. Cette
caché qui le fait fonctionner. Pour Des- vision cartésienne exclut les miracles
cartes, tout phénomène naturel peut mais présuppose l’existence d’un Dieu
s’expliquer en faisant l’analogie avec un qui, à la manière d’un maître horloger,
mécanisme simple et familier. Si le mou- aurait créé et mis en marche un univers
vement des planètes peut être comparé composé de subtils mécanismes.

1633 Descartes, Système du Monde


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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Géométrie 1687 Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle 1761 et 1769
Passages de Vénus
1642 Construction de la machine à calculer de Pascal devant le Soleil
Euler, Introduction à l’analyse infinitésimale 1748
1644 Torricelli
n’a pas horreur du vide

En 1644, Torricelli met en évidence la pression exercée


Evangelista par l’air grâce à une expérience avec du mercure.
Torricelli
1608-1647 Pour cela, il doit admettre l’existence du vide, qui fait
l’objet d’un refus dogmatique depuis l’Antiquité.

Et les fontainiers pompaient


Malgré l’usage de pompes aspirantes de qualité, les fontainiers de Florence n’ar-
rivent pas à élever l’eau de l’Arno à plus de 10,33 mètres de hauteur. Consulté sur la
question en 1638, Galilée (! 1610) explique alors la limite de la hauteur de la colonne
d’eau dans la pompe par une « résistance à la rupture » du vide.
Ainsi, Galilée remet partiellement en cause l’inexistence du vide avancée par Aris-
tote : l’horreur qu’éprouve la nature envers le vide serait limitée, d’où la hauteur
limitée de la colonne d’eau. La question technique devient une question scientifique.

132 Une atmosphère pesante


Les disciples de Galilée ne se contentent pas de l’interprétation de leur maître. Jean-
Baptiste Baliani (1582-1666) émet l’idée qu’une pression exercée par l’air limite la mon-
tée de l’eau dans les pompes. Des expériences sont alors réalisées pour éprouver le
poids de l’air. Evangelista Torricelli, autre disciple de
Galilée, reprend l’idée de Baliani en 1644. Il prend un
long tube de verre qu’il remplit de mercure, 13,6 fois
plus dense que l’eau, et qu’il retourne dans une cuve
d’un océan ❝
Nous vivons au fond
de l’élément
air dont on sait, par des
expériences indubitables,
de mercure. Le mercure reste dans le tube et s’équi- qu’il est pesant […]. »
libre au-dessus de la surface de la cuve (76 cm).
Lettre de Torricelli à Michelangelo
Ricci, 1644.
De l’air au vide
Torricelli affirme, par son expérience, avoir testé l’hypothèse du poids de l’air : c’est
bien la pression de l’air extérieur à la colonne qui appuie sur le mercure et cause
sa suspension. Gradué, le tube mesure le poids de l’air. Le baromètre est inventé !
Mais que contient réellement cet espace libre au sommet du tube ? Est-il vide ou
comporte-t-il un effluve inconnu ? En effet, l’expérience de Torricelli ne prouve pas
l’existence du vide. La communauté savante du XVIIe siècle se mobilise dès lors sur la
question, sans succès. Roberval suggère que, pour le savoir, il faudrait y glisser un
oiseau et voir s’il peut voler…

Sciences expérimentales
| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1516 1537 Développement de la mécanique 1600 Gilbert, De l’aimant
Arrivée de Léonard de l’artillerie par Tartaglia
de Vinci en France Galilée, Messager céleste 1610
Énoncé de la loi de la réfraction par Snell 1628
133

Perrier prend l’air


au puy de Dôme La querelle du vide
Blaise Pascal (1623-1662) accepte
d’emblée l’idée que l’air possède Les philosophes grecs comme Aristote sont
un poids et émet l’hypothèse que convaincus que la nature a horreur du vide. Cette
« les liqueurs pèsent selon leur
affirmation de principe est reprise par le dogme
hauteur ». Le 15 novembre 1647,
il confie à son beau-frère, Florin chrétien selon lequel Dieu est partout et ne peut,
Perrier, la mesure de la pression dans sa perfection, supporter la vacuité. Vide et
de l’air au pied et au sommet du non-être étant associés, l’impossibilité du non-
puy de Dôme grâce à un tube de être implique l’impossibilité du vide. « Vacuistes »
mercure. Au sommet, la colonne
de mercure est moins haute de
et « plénistes » s’affrontent à longueur de trai-
9  cm. L’hypothèse de Pascal est tés au xviie  siècle, alors qu’il est impossible
vérifiée : la pression de l’air dimi- de prouver l’existence du vide en haut du tube
nue avec l’altitude. barométrique. Malgré cela, la possibilité du vide
Périer mesurant la hauteur prend corps, notamment avec la pompe à air de
du tube de Torricelli au sommet
du puy de Dôme, Les Merveilles Boyle (! 1659) et la mort de petits animaux qui
de la science de Louis Figuier, prouve la raréfaction de l’air. Le concept de vide
1867-1891. rend alors plausible la conception d’un espace
indépendant de la matière.

1644 Principe du baromètre


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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
Échelle thermométrique de Celsius 1742 1751 Découverte de la nature
électrique des éclairs par Franklin
1672 Décomposition prismatique
de la lumière blanche par Newton Découverte de l’hydrogène par Cavendish 1766
1655 Un médecin danois expose
la nature du monde

Dans son cabinet, le médecin danois Ole Worm réunit


Ole Worm une riche collection d’objets d’histoire naturelle.
1588-1654 Héritière des cabinets de curiosités de la Renaissance,
sa collection annonce celles de la période des Lumières.

Un savant plein de ressources


Médecin du roi Christian IV de Danemark, Ole Worm s’intéresse aux sciences et
aux lettres. Fortement impliqué dans l’enseignement, il réunit une riche collection
d’objets – animaux naturalisés, squelettes, minéraux, coraux, coquillages, cara-
paces, cornes, outils, objets ethnographiques, etc. – dans le but de représenter les
différentes productions de l’homme et de la nature. Son cabinet pédagogique anti-
cipe ainsi les collections d’études propres à la période des Lumières (! 1739).

La fin des mythes et des légendes


134 Worm est l’un des premiers naturalistes à construire une connaissance empirique
fondée sur l’observation et la description. Grâce à sa démarche, il montre que la
légendaire corne de licorne n’est autre que la dent hypertrophiée du narval, que
les oiseaux du paradis ne vivent pas éternellement en vol car ils possèdent deux
pattes munies de doigts, ou encore que les lemmings, petits rongeurs de l’Arctique,
ne tombent pas du ciel avec les tempêtes de neige, mais naissent sur terre comme
les rats et les souris.

Une nouvelle façon d’observer le monde


Avec Worm, le cabinet devient l’endroit où la nature est étudiée à travers ses pro-
ductions. Ce que l’on voit et ce que l’on décrit priment sur ce que l’on peut lire dans
certains ouvrages et que l’on peut mal interpréter. Pour lui, l’objet doit tout simple-
ment être rattaché aux circonstances de sa collecte pour être compris.
Worm réunit en 1655 ses réflexions et ses gravures dans le Museum Wormianum,
un catalogue publié à Leyde, aux Pays-Bas, un an après sa mort. Cette compila-
tion témoigne alors de ces antres de la connaissance destinés aux élites urbaines
cultivées et aux curieux, où l’on tente de saisir le monde tel qu’il est, avec l’ambi-
tion naissante d’un véritable projet encyclopédique (! dossier, p. 240-241).

Histoire naturelle et médecine


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1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
Théorie médicale de Paracelse 1527 1543 Vésale, La Fabrique du corps humain
Théâtre anatomique à Padoue 1594
Démonstration de la circulation sanguine par Harvey 1628
135
Un cabinet curieux et bien rempli
Dans le cabinet de Ole Worm à Copen-
hague, les objets sont entassés sur les
Les chambres des merveilles étagères et accrochés au plafond. Il ne
reste pas le moindre espace vide. On y
Les cabinets de curiosités apparaissent retrouve la classification des cabinets
en Italie, à la Renaissance. Ils constituent de curiosités de la Renaissance avec des
de véritables microcosmes où sont réu- objets d’histoire naturelle (naturalia), des
nies, dans un espace réduit et intime, des objets créés ou modifiés par l’homme
(artificialia), des instruments de mesure
productions de l’homme et de la nature.
(scientifica) et des objets provenant de
Ces premières collections d’histoire natu- contrées lointaines (exotica).
relle reflètent un engouement pour l’inédit, Frontispice du Museum Wormianum de
pour les spécimens rares et uniques. Des Ole Worm, 1655.
démonstrateurs animent ainsi des visites
pour les couches aisées de la société (ecclé-
siastiques, apothicaires, médecins, aca-
démiciens,  etc.), leur présentant fœtus
monstrueux, bézoards en bocaux et autres
merveilles. Ces objets sont expliqués à la
lumière des connaissances de l’époque,
❝ L’espace intime, préservé,
jaloux d’un cabinet n’a de sens
qu’en relation à un extérieur
encore largement influencées par les textes absolu. »
classiques, les croyances et les légendes. Patrick Mauriès, Cabinets de curiosités,
2002.

1655 Cabinet de curiosités de Worm


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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1635 Fondation 1669 Explication de la fossilisation par Steno 1735 Linné, Système de la nature
du Jardin du roi à Paris
1675 Découverte des micro-organismes par Van Leeuwenhoek
1749 Premier tome
de l’Histoire naturelle de Buffon
Inoculation contre la variole à Constantinople 1714
1659 Boyle et Hooke
expérimentent le vide

La machine pneumatique est un instrument


Robert emblématique de la révolution scientifique du XVIIe siècle.
Boyle Améliorée par Robert Hooke et Robert Boyle, elle est
1627-1691
à l’origine de nouvelles formes de production de savoirs
scientifiques.

La machine pneumatique
Au XVIIe siècle, les expériences menées par des philosophes naturels, comme Gali-
lée ou Evangelista Torricelli, aboutissent à la construction des premiers baromètres
et stimulent le débat sur l’existence et la nature du vide (! 1644). En 1647, le philo-
sophe et diplomate Otto von Guericke (1602-1686) construit la première « machine
pneumatique », capable de raréfier l’air et donc de générer du vide dans un réci-
pient, par l’action de pompes. Ces travaux inspirent le philosophe et théologien
anglais Robert Boyle (1627-1691). En 1659, son assistant Robert Hooke (1635-1703)
redessine complètement l’instrument en y ajoutant une sphère de verre.
136
Des expériences dans le vide
Boyle et Hooke observent ainsi les effets du vide sur différents objets en les intro-
duisant dans le réceptacle en verre : des vessies remplies d’air se mettent à gonfler,
des bougies s’éteignent, des animaux périssent et le son des cloches est réduit au
silence. En revanche, les aimants continuent à attirer le fer et des corps chargés
électriquement à se repousser… Les comptes rendus de ces expériences sont publiés
par Boyle dans son livre New Experiments Physico-Mechanical Touching the Spring of the Air
and its Effects, et la contribution de Hooke est pratiquement effacée.

Une nouvelle logique scientifique


Leurs expériences sont caractéristiques d’un nouveau mode de démonstration, basé
sur l’expérience (! 1628). Il ne s’agit plus d’utiliser une théorie pour expliquer les
phénomènes naturels, mais d’arriver à la connaissance à partir d’une situation
artificielle contrôlée en laboratoire, qui, dès lors, devient le lieu central de la pro-
duction des savoirs.
Cette nouvelle forme d’acquisition des savoirs est mise en pratique et développée
dans les nouvelles académies scientifiques (! 1666, p. 138), comme la Société royale
crée en 1660 et au sein de laquelle Hooke deviendra le premier démonstrateur.

Sciences expérimentales
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1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1516 1537 Développement de la mécanique 1600 Gilbert, De l’aimant
Arrivée de Léonard de l’artillerie par Tartaglia
de Vinci en France Galilée, Messager céleste 1610
Énoncé de la loi de la réfraction par Snell 1628
137

Un instrument
« philosophique »
L’émergence de la science moderne La loi des gaz
au xviie siècle entraîne la création de
nouveaux types d’instruments scien- C’est en utilisant non pas une machine pneuma-
tifiques. Aux instruments « mathé- tique mais des baromètres que Robert Boyle réa-
matiques » utilisés pour mesurer lise les premières expériences contrôlées sur le
angles, distances, volumes ou poids, rapport entre volume et pression d’un gaz. Cet
et « optiques » tels que les lunettes et
les microscopes, s’ajoutent les ins-
exemple illustre le penchant de Boyle pour l’in-
truments « philosophiques » comme duction de lois à partir de l’expérience, inspirée
le baromètre, la machine électros- par le chancelier Francis Bacon (! 1620). Son
tatique ou la machine pneumatique intérêt pour la découverte de lois dans la nature
qui produisent de nouveaux phéno-
est aussi caractéristique de la théologie natu-
mènes, sujets à la discussion phi-
losophique (! dossier, p. 166-167). relle, qui cherche à montrer l’existence de Dieu
Joseph Wright of Derby, en mettant en évidence la perfection et l’ordre
Une expérience sur un oiseau de la nature et dont Boyle est un des principaux
dans une pompe à air, 1768.
représentants.

1659 Perfectionnement de la machine pneumatique


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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1644 Invention du baromètre par Torricelli Échelle thermométrique de Celsius 1742 1751 Découverte de la nature
électrique des éclairs par Franklin
1672 Décomposition prismatique
de la lumière blanche par Newton Découverte de l’hydrogène par Cavendish 1766
1666 Le roi réunit les savants
dans sa bibliothèque

Au XVIIe siècle, la science n’est pas seulement philosophique, c’est


aussi une activité pratique susceptible d’accroître la richesse
d’une nation. En France, Louis XIV décide donc de financer une
assemblée de savants, qui deviendra l’Académie des sciences.

De nouveaux lieux de sciences


En marge de l’université, les savants s’appuient de plus en plus sur le soutien de
riches et puissants mécènes pour créer de nouveaux espaces de discussion et de pra-
tiques collectives des sciences. En Italie, l’Accademia dei Lincei (académie des lynx)
est fondée à Rome dès 1603. À Londres, des réunions ont lieu au Gresham College
dès 1645. Ce cercle de savants est à l’origine de la Société royale, établie en 1660,
qui commence bientôt à publier une revue scientifique, les Philosophical Transactions,
encore active aujourd’hui.

138 Une Académie à la française


En France, l’Académie royale puise aussi ses origines dans des initiatives privées,
comme les rencontres organisées par le mathématicien et philosophe Pierre Gassendi
(1592-1655) dès 1648 au domicile du trésorier Henri de Montmort (v. 1600-1679).
Sous l’impulsion de Colbert, son principal ministre, Louis XIV décide de parrai-
ner une assemblée de savants. Cette académie devient rapidement une institution
d’État qui établit les priorités pour l’avancement des sciences et conseille le pou-
voir royal. Nommés et rémunérés par le monarque, les académiciens siègent pour
une première fois en 1666 dans la bibliothèque du roi, avant d’adopter des statuts
officiels en 1699.

Des savoirs au service du pouvoir


À l’Académie des sciences, les savants peuvent compter sur un budget conséquent
qui leur permet, entre autres, de faire construire l’Observatoire royal à Paris ou
d’organiser des voyages d’exploration outre-mer (! 1736). Ils poursuivent des études
susceptibles d’intéresser le pouvoir royal. L’astronomie y occupe une place centrale
dans la recherche d’une méthode permettant de mesurer les longitudes (! dossier,
p. 164-165). La lutte contre les famines et les épidémies qui ravagent encore périodi-
quement le royaume détermine également de nombreuses recherches sur la bota-
nique et la pharmacie.

Sciences expérimentales
| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1516 1537 Développement de la mécanique 1600 Gilbert, De l’aimant
Arrivée de Léonard de l’artillerie par Tartaglia
de Vinci en France Galilée, Messager céleste 1610
Énoncé de la loi de la réfraction par Snell 1628
La cour des savants
Dans un décor dominé par l’Observatoire royal
encore en chantier, des globes planétaires, Une science au masculin 139
cartes géographiques et squelettes d’animaux,
Colbert présente au roi les savants de la nou- Reflet de la société et de l’histoire,
velle Académie royale des sciences. Parmi l’Académie des sciences est restée
eux, on reconnaît le médecin et architecte pendant longtemps le privilège des
Claude Perrault, l’astronome Giovanni Dome-
nico Cassini, le botaniste Joseph de Tourne-
hommes. En 1910, elle refuse d’élire
fort et le mathématicien Gilles de Roberval. Marie Curie qui, pourtant, a déjà été
Henri Testelin, Colbert présentant à Louis XIV honorée d’un premier prix Nobel en
les membres de l’Académie royale des 1903. Yvonne Choquet-Bruhat (née
sciences, seconde moitié du XVIIe siècle.
en 1923), mathématicienne et physi-
cienne, est la première femme élue
membre… en 1979. Avant elle, la

❝ On ne détourna personne
de suivre son génie ; on laissa à
chacun la liberté d’apporter ses
chimiste Marguerite Perey (1909-
1975), qui a découvert le francium,
un élément chimique nommé ainsi en
hommage à son pays, a été désignée
expériences ; on exhorta les plus correspondante en 1962. Aujourd’hui
laborieux et les plus industrieux à encore sur 271 académiciens, on ne
en faire, on les préféra à tout autre compte guère que 31 femmes.
entretien. »
Discours de Sorbière à l’Académie de Montmort,
le 3 avril 1663.

1666 Fondation de l’Académie des sciences


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1644 Invention du baromètre par Torricelli Échelle thermométrique de Celsius 1742 1751 Découverte de la nature
électrique des éclairs par Franklin
1672 Décomposition prismatique
de la lumière blanche par Newton Découverte de l’hydrogène par Cavendish 1766
1666 Marie Meurdrac publie
La Chymie charitable et facile

Une femme parle de chimie et s’adresse aux dames.


Marie
Meurdrac Expliquant comment préparer médicaments et produits
vers de beauté, Marie Meurdrac écrit en réalité un véritable
1610-1680
traité de chimie expérimentale.

L’expérience d’une chimiste


On sait peu de chose de la vie de Marie Meurdrac. Native de Mandres-les-Roses,
veuve assez jeune, elle a l’occasion de pratiquer la chimie et de faire ses propres
expériences. Elle fabrique elle-même remèdes et onguents, qu’elle distribue par-
fois aux pauvres. Au début, Marie Meurdrac note, pour sa seule satisfaction, les
connaissances acquises au prix d’un long tra-
vail. Puis, elle se laisse tenter par l’idée de les
publier : le livre qui en résulte, La Chymie facile
et charitable en faveur des dames, paraît en 1666.
Vous
douze œufs

Eau qui blanchit le visage.
prendrez les coques de
frais, eau de pleurs
140
de vigne une livre, sel commun
une once, eau de fontaine demie
Disciple de Paracelse livre : distillez le tout par
Contrairement à ce que peut laisser penser son la cornue au feu de sable. »
titre, le livre de Meurdrac n’est pas une œuvre Marie Meurdrac, La Chymie charitable et
de vulgarisation. Inspiré de la chimie de Para- facile, 1666.
celse (! 1527), son traité ressemble à beaucoup d’autres livres de chimie de l’époque.
Elle y discute d’abord les principes de cette science et les instruments dont on se
sert au laboratoire, puis donne diverses préparations chimiques « véritables et expé-
rimentées », réalisées à partir de produits végétaux, animaux ou métalliques. Elle
donne plusieurs remèdes, tisanes, sirops, pilules, baumes et emplâtres, contre toutes
sortes de maladies.

Conseils de beauté
Seule la sixième partie du livre, contenant des recettes de produits de beauté, est
spécifiquement destinée aux femmes. Elle met en garde ses lectrices contre l’usage,
fréquent à l’époque, de produits dangereux comme le mercure. L’ouvrage connaît
un grand succès – il est réédité à plusieurs reprises, traduit en italien et en alle-
mand – jusqu’au milieu du XVIIe siècle… puis est oublié. Aujourd’hui, son exemple
nous rappelle que certaines femmes ont su vaincre les préjugés de leur époque et
produire une œuvre scientifique.

Sciences expérimentales
| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1516 1537 Développement de la mécanique 1600 Gilbert, De l’aimant
Arrivée de Léonard de l’artillerie par Tartaglia
de Vinci en France Galilée, Messager céleste 1610
Énoncé de la loi de la réfraction par Snell 1628
❝ Je m’objectais à moi-même
que ce n’était pas la profession
d’une femme d’enseigner ; qu’elle
doit demeurer dans le silence,
écouter et apprendre, sans
témoigner qu’elle sait. […] Je
me flattais d’un autre côté […]
que les esprits n’ont point de
sexe et que si ceux des femmes
étaient cultivés comme ceux des
hommes, et que l’on employât
autant de temps et de dépense
à les instruire, ils pourraient les
égaler. »
Marie Meurdrac, La Chymie charitable
et facile, 1666.

Les instruments du chimiste


La science et la vérité sont souvent repré-
sentées par une jeune femme dont on doit
soulever le voile pour découvrir ses secrets.
Ici, dans la Chymie des dames, c’est l’au- 141
teure elle-même qui dévoile les instruments
du chimiste : livres, béchers et fioles à col
long. Dans son ouvrage, Marie Meurdrac ne
divulgue pas tant les secrets de la nature
que ceux des savants qui l’étudient. Elle
montre que la science est à la portée de
tous… et de toutes.
Frontispice de la troisième édition
de la Chymie facile, 1687.

Les femmes savantes


Dès le début du xve  siècle, dans la pièce de théâtre, l’écrivaine Jacquette
Cité des dames, la poétesse Chris- Guillaume (xviie s.) rêve de rendre le
tine de Pisan (v.  1356-1430) s’inter- savoir accessible aux femmes. Au siècle
roge sur l’égalité intellectuelle entre des Lumières, plusieurs femmes de
les hommes et les femmes. Pendant sciences, à commencer par Émilie du
longtemps, certains s’opposent vio- Châtelet, traductrice de Newton (! 1756),
lemment à l’accès des femmes à une marquent leur époque. Mais il faudra
éducation scientifique sérieuse. Tandis attendre Marie Curie (! 1898) pour voir
que Molière, au xviie siècle, se moque l’une d’entre elles devenir professeure
des femmes savantes dans sa célèbre à la Sorbonne.

1666 Marie Meurdrac, La Chymie charitable et facile


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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1644 Invention du baromètre par Torricelli Échelle thermométrique de Celsius 1742 1751 Découverte de la nature
électrique des éclairs par Franklin
1672 Décomposition prismatique
de la lumière blanche par Newton Découverte de l’hydrogène par Cavendish 1766
1684 La machine de Marly alimente
les fontaines de Versailles

Le génie humain a toujours été sollicité pour construire


Rennequin les systèmes d’approvisionnement en eau des villes…
Sualem voire des châteaux. C’est ainsi que pour satisfaire
1645-1708
les plaisirs du roi de France, un charpentier illettré
construit la plus grande pompe du monde.

Histoires d’eaux
Quand Louis XIV décide de faire construire un palais à Versailles, il souhaite y ins-
taller des fontaines à nulles autres pareilles. Mais le site choisi se trouve en hau-
teur, loin de toutes sources d’eau. Qu’à cela ne tienne ! Savants et ingénieurs sont
sommés d’imaginer un ambitieux système hydraulique.
Auteur du projet du canal du Midi, l’entrepreneur Pierre-Paul Riquet (1609-1680)
suggère de construire un canal entre la Loire et Versailles. Mais en 1674, la faisabi-
lité du projet est remise en cause par l’astronome Jean Picard (1620-1682) de l’Acadé-
mie des sciences (! 1666, p. 138), l’altitude du palais étant plus élevée que les points
142 de captation possibles sur la Loire.

Un chantier pharaonique
En 1679, l’entrepreneur liégeois Arnold de Ville (1653-1722) propose un ambitieux
système de pompes capable d’acheminer l’eau de la Seine, située environ cent cin-
quante mètres plus bas, jusqu’à Versailles. Pour ce projet, de Ville fait appel au
charpentier et mécanicien wallon Rennequin Sualem, issu d’une famille d’ingé-
nieurs des mines, qui maîtrisent les techniques de pompage (! 1556). La machine –
qui aura nécessité 170 000 livres de cuivre, autant de plomb, 20 fois autant de fer,
100 fois autant de bois, 296 pompes et la paie de 1 800 hommes pendant 7 ans –, est
inaugurée le 13 juin 1684, en présence du roi, enchanté.

Des résultats mitigés


Célèbre dans toute l’Europe, la pompe s’avère pourtant insuffisante. Alors que l’as-
tronome Philippe La Hire (1640-1718) explore la possibilité de construire un canal
de l’Eure à Versailles, son collègue Esprit Pézenas (1692-1776) souligne avec malice
les défauts de la machine de Marly, qui ne pompe que la moitié du volume d’eau
initialement prévu. Elle fonctionnera néanmoins pendant plus de 130 ans avant
d’être remplacée par une série de nouvelles machines actionnées tour à tour par un
moteur à vapeur, puis diesel et enfin électrique.

Philosophie, techniques et culture


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1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1509 1522 Premier tour 1556 Agricola, 1600 1620
Fortifications de Padoue du monde en bateau De re metallica Exécution du copernicien Bacon,
Giordano Bruno, Instauratio
condamné par l’Inquisition Magna
Un torrent qui gravit la colline


Construite sur un bras de la Seine, la machine de
Marly est composée de 14 roues de 10 mètres de
diamètre. Ces roues actionnent des pistons, qui
Quand j’ai demandé au
puisent l’eau et la transporte jusqu’à un premier gros ambassadeur [de Thaïlande],
réservoir à mi-hauteur, ainsi qu’une suite de balan- ce qu’il avait trouvé de beau en 143
ciers qui actionnent les pompes permettant de France, il me dit qu’après les
faire passer l’eau par-dessus la colline, qui s’élève
à environ 150 mètres au-dessus du fleuve. Au som-
troupes du roi et ses places de
met, un aqueduc en maçonnerie conduit les eaux guerre, c’était la machine de
jusqu’au parc de Versailles, à 7 kilomètres de là. Marly. »
Pierre-Denis Martin, Vue de la machine de Marly Abbé de Choisy, Mémoires pour servir
et de l’aqueduc de Louvecienne, 1727, Château de à l’histoire de Louis XIV, 1727.
Versailles.

Des techniciens invisibles


La machine de Marly fait la fortune d’Ar- techniques, parfois de manière déci-
nold de Ville tandis que le charpentier sive. L’historien des sciences Steve
illettré Rennequin Sualem en revendi- Shapin a souligné l’importance de ces
quera toute sa vie la seule paternité, « techniciens invisibles » dont il n’est
une question qui fait aujourd’hui encore pas toujours aisé de retrouver la trace.
débat. Son exemple nous rappelle qu’un Encore aujourd’hui, combien d’inno-
grand nombre d’hommes et de femmes, vateurs méconnus du grand public se
tout en restant dans l’ombre, ont ainsi cachent derrière chaque milliardaire de
contribué à l’histoire des sciences et des la Silicon Valley ?

1684 Machine de Marly


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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Discours de la méthode 1690 Machine à vapeur de Papin 1739 Hume, Traité de la nature humaine
1657 Horloge de Huygens 1751
Parution du premier tome de l’Encyclopédie
1687 Newton pose les principes
mathématiques de la physique
Dans les Principia mathematica, Isaac Newton
Sir Isaac démontre que le mouvement des planètes autour
Newton du Soleil est lié à une force d’attraction à distance,
1642-1727
la gravitation. Son approche mathématique des
phénomènes naturels révolutionne alors la physique.

40 shillings pour une démonstration !


Comment expliquer la trajectoire des planètes autour du Soleil ? Une coquette
somme de 40 shillings est promise à celui qui résoudra cet épineux problème mathé-
matique. L’astronome Edmond Halley (1656-1742) rend alors visite à Isaac Newton,
titulaire de la chaire de mathématiques au Trinity College de Cambridge, pour lui
soumettre la question.
Newton se souvient avoir résolu ce problème mais ne retrouve pas ses notes… Il
promet une réponse. Fin 1684, il envoie quelques pages à Halley intitulées À propos du
mouvement. Son ami l’encourage à poursuivre ses travaux. Trois ans plus tard, en 1687,
144 il publie les Principes mathématiques de la philosophie naturelle ou Principia mathematica.

Et la gravitation fut !
Dans ce traité, Newton utilise la géométrie pour démontrer que la trajectoire ellip-
tique des planètes, préalablement décrite par Johannes Kepler (1571-1630), met en
jeu une force d’attraction inversement proportionnelle au carré de la distance qui
sépare les planètes du Soleil. Cette force s’appelle la gravitation !
Pour la décrire, il pose le caractère « absolu, vrai et mathématique, sans rela-
tion à rien d’extérieur », du temps et de l’espace, ainsi que trois lois universelles du
mouvement. Dès lors, le mouvement de tout corps, sur Terre comme dans l’espace,
devient calculable et prédictible (! 1814).

Des lois universelles


Mais Newton va plus loin et décrit, par ces mêmes principes mathématiques, « le
système général du Monde ». Il explique par exemple le phénomène des marées et
annonce que la Terre est légèrement aplatie aux pôles (! 1736).
La grande rigueur de ses démonstrations et la vérification des formules par des
mesures astronomiques vont peu à peu convaincre de nombreux savants européens.
La physique et la vision du monde newtoniennes ne seront ébranlées qu’au début
du xxe siècle, laissant place à la conception relativiste du monde d’Einstein (! 1905).

Mathématiques et astronomie
| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1535 1543 Copernic, Des révolutions des orbes célestes 1608 Kepler,
Méthode de Cardan pour Astronomie
résoudre les équations du 3e degré Observatoire de Tycho Brahe 1576 nouvelle
Invention de l’algèbre littérale par Viète 1591
Le newtonianisme
Au xviiie  siècle, le mouvement
européen des Lumières, œuvrant Une force étrange
pour le triomphe de la raison sur 145
la croyance, va glorifier les tra- L’existence d’une force invisible qui lie les corps
vaux de Newton. L’empirisme et célestes entre eux, à distance, soulève des
la rationalité qui s’y expriment réticences aux xviie et xviiie siècles. Pourtant,
sont des modèles de pensée. La
dans les Principia mathematica, Newton se veut
vision newtonienne du monde
devient la référence et les plus empiriste : il soutient qu’il « tire les propositions
grands écrivains, comme Voltaire des phénomènes » naturels, et que seules les
ou Alexander Pope (1688-1744), observations des positions des planètes et
le louent. celles de la chute des corps guident ce qu’il
Détail d’un billet d’une livre expose. À propos de cette force de gravitation,
sterling représentant Newton,
son télescope et la construction « cette espèce d’esprit très subtil qui pénètre à
géométrique de sa démonstration, travers tous les corps solides », il écrit : « Je ne
1978.
forge point d’hypothèses. » Il n’en donne donc
aucune explication métaphysique.

❝ La Nature et ses lois se cachaient


dans la nuit. Dieu dit « que Newton soit ! »
et tout devint lumière. »
Alexander Pope, Épitaphe À l’intention d’Isaac Newton, 1730.

Newton, Principia mathematica 1687


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Géométrie 1761 et 1769
Passages de Vénus
1642 Construction de la machine à calculer de Pascal devant le Soleil
Euler, Introduction à l’analyse infinitésimale 1748
1696 L’Hospital analyse
les infiniment petits

Le savant français Guillaume de L’Hospital publie


Guillaume le premier traité fondé sur la notion d’« infiniment
de L’Hospital
1661-1704 petit ». Il marque alors l’émergence d’une
nouvelle branche des mathématiques : l’analyse.

Une méthode qui fait la différence


Des méthodes permettant de calculer les surfaces délimitées par des courbes sont
connues depuis l’Antiquité grecque. Dans la première moitié du XVIIe siècle, Isaac
Barrow, René Descartes (! 1633) et Pierre de Fermat y apportent des améliorations
notables ou s’attaquent à l’étude du problème inverse, celui des tangentes.
Indépendamment l’un de l’autre, des années 1660 aux années 1690, Isaac Newton
(! 1687) et Gottfried Wilhelm Leibniz inventent une nouvelle méthode de calcul
plus générale, applicable à de très larges variétés de situations.
En 1696, initié par Jean Bernoulli, L’Hospital publie le premier traité récapitu-
146 lant l’ensemble de la méthode de Leibniz, la méthode dite « des différences », qui
s’appuie sur la manipulation de quantités infiniment petites. Il s’agit du traité Ana-
lyse des infiniment petits pour l’intelligence des lignes courbes.

Les infiniment petits sur le devant de la scène


La méthode leibnizienne, décrite par d’Alembert (! 1751) comme « une des plus
belles et des plus fécondes de toutes les mathématiques », consiste à considérer des
grandeurs infiniment petites comme les différences de quantités variables avec les-
quelles on peut calculer plus facilement surfaces, volumes, vitesses, etc. Le traité
de L’Hospital montre comment le calcul différentiel de Leibniz peut se généraliser.
Destiné à populariser cette nouvelle approche, il s’imposera comme la référence
pendant plusieurs décennies.
Les progrès réalisés dès le siècle suivant grâce au calcul différentiel et son pen-
dant, le calcul intégral, sont impressionnants dans tout ce qui touche à la mathé-
matisation des phénomènes physiques. Ils serviront par exemple à déterminer la
trajectoire des boulets de canon (! 1745) et des comètes en astronomie, à calculer les
marées, à établir les équations de la mécanique des solides et des fluides, mais aussi
celles de la propagation du son, etc. Le calcul favorise également l’émergence d’une
notion fondamentale en mathématiques, celle de « fonction », puis celle d’un nou-
veau domaine, celui de l’analyse.

Mathématiques et astronomie
| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1535 1543 Copernic, Des révolutions des orbes célestes 1608 Kepler,
Méthode de Cardan pour Astronomie
résoudre les équations du 3e degré Observatoire de Tycho Brahe 1576 nouvelle
Invention de l’algèbre littérale par Viète 1591
Le calcul différentiel
en scène
Cette allégorie fait apparaître Des querelles à n’en plus finir
l’arrière-plan géométrique du 147
calcul différentiel ainsi que les Dès 1697, une vive querelle oppose, à l’Académie
méthodes algébriques utilisées des sciences, partisans et pourfendeurs du calcul
pour ce calcul, comme le fait différentiel et intégral. Ces derniers considèrent
l’ange en bas à gauche. On y voit
en effet que les infiniment petits sont mal défi-
aussi clairement les usages mul-
tiples auxquels il peut servir : nis et devraient être exclus des mathématiques.
la géographie représentée par Quelques années plus tard, lorsque la méthode
le globe, l’optique par le miroir, commence à être mieux acceptée, la question de
l’astronomie par les cadrans sa paternité soulève d’acrimonieux débats entre
solaires,  etc. Curieusement, les
applications en mécanique n’y
les Anglais qui soutiennent les prétentions de
figurent pas encore. Newton et les continentaux qui défendent Leib-
Illustration extraite de l’Analyse niz. Plus de trente ans plus tard, certaines idées
des infiniment petits, Guillaume de Newton peinent encore à se faire accepter des
de L’Hospital, 1696.
académiciens parisiens (! 1736).

❝ L’Analyse ordinaire ne traite que des grandeurs finies : celle-ci


pénètre jusque dans l’infini même. Elle compare les différences infiniment
petites des grandeurs finies […], qui comparées avec des infiniment petits
sont comme autant d’infinis. »
Guillaume de L’Hospital, Analyse des infiniment petits pour l’intelligence des lignes courbes,
préface, 1696.

L’Hospital, Analyse des infiniment petits 1696


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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Géométrie 1687 Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle 1761 et 1769
Passages de Vénus
1642 Construction de la machine à calculer de Pascal devant le Soleil
Euler, Introduction à l’analyse infinitésimale 1748
1735 Linné met de l’ordre
dans la nature

Le naturaliste suédois Carl von Linné propose une


Carl von méthode universelle pour nommer et classer le vivant :
Linné la taxinomie. Ce procédé permet de systématiser
1707-1778
l’identification des espèces déjà connues et facilite
la description de nouvelles espèces.

Un foisonnement d’espèces
À partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle, les voyages d’exploration révèlent un
monde où foisonnent les nouvelles espèces animales et végétales, qu’il faut d’abord
nommer puis classer par rapport à celles déjà connues. Or, la diversité des lan-
gues et la prolifération de détails morphologiques utilisés pour décrire les espèces
rendent la tâche ardue. C’est finalement Carl von Linné, professeur de botanique
à l’université d’Uppsala, qui propose un procédé de classification simple et univer-
sel. Son système, présenté en 1735 dans la première édition de Systema naturae, se
généralise à partir de 1758.
148
Un classement en poupées russes
Pour Linné, une classification reflète la hiérarchisation de la connaissance. À la
façon des poupées russes, les espèces sont rangées en fonction de leur degré de
ressemblance physique, du plus général au plus particulier, dans des « boîtes »
qu’il appelle taxons. Il en définit six : règne, classe, ordre, genre, espèce et variété.
Linné choisit successivement des caractères pour établir le classement. Ainsi, pour
le règne végétal, il distingue d’abord les plantes avec ou sans fleur. Pour les pre-
mières, il place d’un côté les plantes avec fleurs hermaphrodites, de l’autre celles à
sexes séparés. Ensuite, il suggère de les ranger d’après le nombre et la disposition
des étamines.

À chacun son nom


Au moment d’attribuer un nom aux espèces, Linné propose des noms courts formés
par deux termes issus du latin ou du grec. Le premier désigne le genre, le deuxième
correspond à l’espèce. Ainsi le genre Canis regroupe des espèces bien connues comme
le chien (Canis familiaris), le loup (Canis lupus) et le chacal (Canis aureus). Si certains
naturalistes, comme Buffon (! 1739), s’opposent à l’utilisation de la taxinomie
linnéenne, trop rigide et trop peu informative à leur goût, elle finit cependant par
s’imposer.

Histoire naturelle et médecine


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1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
Théorie médicale de Paracelse 1527 1543 Vésale, La Fabrique du corps humain
Théâtre anatomique à Padoue 1594
Démonstration de la circulation sanguine par Harvey 1628
Un inventaire toujours en cours
Des commissions internationales de nomencla-
ture attribuent toujours un nom binomial (genre
et espèce) aux milliers de nouvelles espèces
découvertes chaque année. Cependant, les clas-
sifications actuelles ne suivent plus la méthode
de Linné. Elles sont basées sur la parenté phy-
logénétique entre espèces et prennent la forme
d’arbres.
Planche de l’Herbier national du Muséum
national d’Histoire naturelle de Paris.


149
Pour s’entendre
avec quelqu’un qui est
absent, il faut bien
convenir des noms
qu’on donne aux objets
dont on parle. »
Jean-Jacques Rousseau,
Lettres sur la botanique, 1773.

Les « apôtres » de Linné


Hormis un séjour d’exploration dans du capitaine James Cook dans le Paci-
les régions boréales, Linné n’est jamais fique (! 1768). Ou encore Pehr Löfling
sorti de son cabinet. Les quelque 8 000 (1729-1756), commissionné dans les
espèces de plantes qu’il a décrites lui colonies espagnoles en Amérique du Sud
ont été ramenées de Chine, d’Arabie, de et mort à 27 ans au Venezuela. L’échange
l’île de Java ou d’Afrique du Sud par ses épistolaire entre Linné et ses « apôtres »
disciples. Parmi eux, le naturaliste et est devenu fondamental à une période
botaniste suédois Daniel Solander (1733- où les publications scientifiques sont très
1782) qui a rejoint la célèbre expédition peu développées.

Linné, Système de la nature 1735


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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1635 Fondation 1669 Explication de la fossilisation par Steno
du Jardin du roi à Paris
1675 Découverte des micro-organismes par Van Leeuwenhoek
1749 Premier tome
de l’Histoire naturelle de Buffon
Inoculation contre la variole à Constantinople 1714
1736 Des astronomes mesurent
la Terre au bout du monde

Pour régler une controverse scientifique sur


Pierre Louis la forme de la Terre, qui oppose les partisans de
Moreau de
Maupertuis la physique de Newton à ceux de la philosophie
1698-1759 de Descartes, la France finance deux expéditions
géodésiques, au Pérou et en Scandinavie.

Controverse de taille à l’Académie


Les salons feutrés de l’Académie des sciences (! 1666, p. 138) sont régulièrement le
théâtre de vives controverses. C’est le cas au début des années 1730 lorsque Pierre
Louis Moreau de Maupertuis, mathématicien truculent qui revient de Londres,
prend le parti de Newton (! 1687) et s’oppose aux idées de Descartes (! 1633), plus en
vogue auprès des savants parisiens. Par la publication de son Discours sur les différentes
figures des astres, le débat se cristallise sur la forme de la Terre. Alors que la famille


Cassini, qui soutient la vision de Descartes, conclut
à l’allongement du globe terrestre vers les pôles À Paris vous vous
150 grâce à une série de mesures précises sur tout le ter- figurez la Terre faite comme
ritoire français, les calculs newtoniens prédisent au un melon ; à Londres elle est
contraire un renflement au niveau de l’équateur. aplatie des deux côtés. »
Voltaire, Lettres philosophiques, 1734.
Réponse du bout du monde
Pour trancher la question, deux expéditions sont financées par la France. La pre-
mière, conduite par Charles Marie de La Condamine (1701-1774), part mesurer un arc
de méridien au Pérou, tandis que la seconde, sous la direction de Maupertuis, fait
de même entre la Suède et la Finlande.
Partie plus tard, en 1736, l’expédition nordique rentre la première, dès l’année sui-
vante. Les aventures, y compris amoureuses, de Maupertuis et de son équipage chez les
Samis égaient la bonne société parisienne. Et les conclusions scientifiques tranchent,
sans appel, en faveur de l’hypothèse de Newton : la Terre est bien aplatie aux pôles.

Le triomphe de l’analyse
Lorsque les résultats de l’expédition du Pérou sont connus, un nouveau consensus
sur la forme de la Terre est déjà établi. L’adoption de la physique newtonienne par
les jeunes académiciens comme Jean Le Rond d’Alembert (! 1751) fait alors triom-
pher l’analyse mathématique comme moyen privilégié de décrire, avec un succès
certain, les phénomènes naturels.

Mathématiques et astronomie
| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1535 1543 Copernic, Des révolutions des orbes célestes 1608 Kepler,
Méthode de Cardan pour Astronomie
résoudre les équations du 3e degré Observatoire de Tycho Brahe 1576 nouvelle
Invention de l’algèbre littérale par Viète 1591
Triangulation et mesure de précision
La controverse sur la forme de la Terre se déploie autour


d’une science dédiée aux mesures de la surface du globe,
la « géodésie ». Pour déterminer la longueur d’un méridien, Les premières années
il est nécessaire de transporter des instruments de visée
de ma jeunesse ont été
dans des lieux élevés, visibles les uns des autres. L’opé-
ration consiste essentiellement en la mesure des angles consacrées à cette carte 151
de vastes triangles qui, par le biais de la trigonométrie, qui comprend les limites et
donne la longueur recherchée. l’intérieur du Royaume, qui
Cassini III, La Méridienne vérifiée, 1744. sera toujours le premier et
peut-être le seul monument
invariable de géographie. »
Cassini III, lettre à Turgot, vers 1774. 

La carte de France
Âgé d’à peine vingt ans, César François mathématisation. Il se lance dans la
Cassini de Thury, dit Cassini III (1714- réalisation d’une carte détaillée de la
1784), est impliqué dans la controverse France à l’échelle de 1/86 400, entre-
de la figure de la Terre. Il prend part à prise gigantesque et unique au monde
de nouvelles campagnes de mesures à cette époque qui ne sera complétée
en France qui, en fin de compte, confir- qu’au xixe siècle. Dans ce travail collec-
ment l’hypothèse newtonienne. Mais, tif d’une grande précision instrumentale
contrairement à d’Alembert, Cassini III s’exprime une autre forme de la moder-
ne suit pas la voie d’une plus grande nité scientifique.

Expéditions géodésiques 1736


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Géométrie 1687 Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle 1761 et 1769
Passages de Vénus
1642 Construction de la machine à calculer de Pascal devant le Soleil
Euler, Introduction à l’analyse infinitésimale 1748
1739 Buffon cultive
le Jardin du roi et le savoir

Georges Louis Leclerc, futur comte de Buffon,


Georges Louis fait du Jardin du roi un lieu dédié à l’étude de la
Leclerc, comte
de Buffon nature. Tout en travaillant à son Histoire naturelle,
1707-1788 jusqu’à sa mort, il enrichit les collections royales
et parraine de nombreux savants.

Un naturaliste à la cour
Originaire de Montbard en Bourgogne, Georges Louis Leclerc de Buffon est nommé
intendant du Jardin et du Cabinet d’Histoire naturelle du roi en 1739, à Paris, l’an-
née de ses trente-deux ans. Il entreprend aussitôt de moderniser et de développer
l’institution créée sous Louis XIII afin d’y former des médecins et des apothicaires.
Durant près de cinquante ans, il agrandit et enrichit les collections du jardin et du
cabinet, notamment avec les spécimens collectés dans le monde par des explora-
teurs (! 1768) comme le comte de Bougainville (1729-1811).

152 Éclosion d’un centre de recherche


Buffon s’entoure de grands scientifiques comme le
naturaliste Louis Daubenton, le botaniste Antoine Lau-
❝ On apprend
toujours quelque
chose de nouveau
en rangeant
rent de Jussieu ou le chimiste Antoine François Four- méthodiquement une
croy pour transformer l’endroit en l’un des principaux collection, car dans ce
établissements scientifiques de l’Ancien Régime, un genre d’étude plus on
lieu de visite et d’émerveillement, mais aussi un lieu voit, plus on sait. »
d’enseignement de l’histoire naturelle. Contrairement Comte de Buffon, Histoire
aux cabinets de curiosités (! 1655), les collections y sont naturelle, tome III, 1749.
composées d’éléments répétés et de séries de spécimens, selon une conception qui
privilégie l’étude des lois de la nature et annonce celle des Lumières.

Floraison du Muséum
Quelques années après la mort de Buffon, le Jardin et le Cabinet du roi se transfor-
ment en une institution républicaine : le Muséum national d’Histoire naturelle.
Louis Daubenton (1716-1799), qui assure le changement de régime, en devient le pre-
mier directeur. Douze chaires professorales sont créées au bénéfice des sciences
naturelles, de la zoologie à la botanique en passant par le dessin naturaliste et la
chimie appliquée aux arts. Depuis, le Muséum est devenu une référence en France
pour la recherche, la médiation et l’enseignement des sciences naturelles.

Histoire naturelle et médecine


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
Théorie médicale de Paracelse 1527 1543 Vésale, La Fabrique du corps humain
Théâtre anatomique à Padoue 1594
Démonstration de la circulation sanguine par Harvey 1628
153

Un chef-d’œuvre
des Lumières
Une œuvre d’influence Buffon est un précurseur de la
vulgarisation des sciences. Son
L’Histoire naturelle de Buffon renferme des idées nova- Histoire naturelle, en 36 volumes,
trices qui anticipent un changement de vision concer- séduit un vaste public mondain.
Conçue pour présenter les col-
nant la vie sur Terre. Bien que croyant à la création des lections du cabinet royal, elle
espèces par Dieu, l’intendant du Jardin du roi remet en s’est popularisée grâce aux des-
cause les textes bibliques en ce qui concerne l’âge de la criptions anatomiques des ani-
Terre, la supposant beaucoup plus vieille qu’annoncé. maux, de leurs mœurs et de leur
utilité. Chaque entrée est accom-
Il envisage également, chez les animaux, la possibi-
pagnée de gravures soigneuse-
lité d’une variation morphologique sous l’influence du ment élaborées par les peintres
climat, de la nourriture ou de la domestication. Cette Jacques de Sève, pour les qua-
répercussion du temps qui passe sur la plasticité du drupèdes, et François-Nicolas
vivant constitue le pilier sur lequel ont été construits, Martinet, pour les oiseaux.
au xixe siècle, le transformisme de Lamarck et l’évo- Planche de l’Histoire naturelle
des oiseaux de Buffon,
lutionnisme de Darwin (! 1809 et 1859, p. 230). XVIIIe siècle.

Buffon au Jardin du roi 1739


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1635 Fondation 1669 Explication de la fossilisation par Steno 1735 Linné, Système de la nature
du Jardin du roi à Paris
1675 Découverte des micro-organismes par Van Leeuwenhoek
1749 Premier tome
de l’Histoire naturelle de Buffon
Inoculation contre la variole à Constantinople 1714
1745 Euler se lance
dans la balistique

Pour servir le roi de Prusse qui vient de l’embaucher,


Leonhard le mathématicien Leonhard Euler propose d’apporter
Euler
1707-1783 une solution complète à un problème concret : calculer
la trajectoire d’un boulet de canon dans l’air.

Comment plaire à un roi


À la fin de 1740, Leonhard Euler, originaire de Bâle et au service de l’Académie de
Saint-Pétersbourg depuis treize ans, est à la croisée des chemins. La tsarine Anne


vient de mourir. Alors qu’il s’interroge sur son
avenir, Euler reçoit une offre alléchante du jeune Le désir infini
roi de Prusse, Frédéric II, qui cherche à attirer les de servir votre majesté
plus grands savants de l’Europe pour fonder une m’a déterminé à appliquer
nouvelle Académie des sciences (! 1666, p. 138). mes forces à une science
Euler accepte et s’installe à Berlin le 25 juillet qui pourrait avoir quelque
154
utilité importante pour
1741. Mais le courant passe mal entre le roi volage,
le service de votre majesté.
qui cultive la compagnie des philosophes comme […] Je crois que je ne
Voltaire et Maupertuis (! 1736), et le mathémati- pourrais mieux satisfaire à
cien calviniste. Frédéric II n’affiche que mépris mon désir qu’en travaillant
pour les « abstractions des grandeurs de l’algèbre ». sur un livre anglais sur
Pour mieux séduire le roi, qui combat alors en Silé- l’artillerie. »
sie, Euler propose d’entreprendre un travail sur la Lettre de Leonhard Euler
balistique, la science des trajectoires des projectiles. à Frédéric II de Prusse, 1744.

Une solution complète, mais peu pratique


Pour cela, il prend appui sur un livre qui vient de paraître en Angleterre, les New
Principles of Gunnery de Benjamin Robbins (1707-1751). Les nombreuses expériences de
l’ouvrage montrent, n’en déplaise à Galilée (! 1610), que la trajectoire d’un boulet de
canon n’est pas parabolique puisqu’il faut tenir compte de la résistance de l’air.
L’ouvrage, traduit en allemand par Euler en 1745, et enrichi de nombreux déve-
loppements mathématiques, voit sa longueur multipliée par cinq. En 1753, le mathé-
maticien parvient à résoudre les équations du mouvement d’un projectile dans l’air
et exprime les résultats sous forme de tables. Mais de fait, les techniques qu’il pro-
pose ne peuvent être réellement mises en œuvre qu’au prix d’un effort calculatoire
considérable, largement inenvisageable avant la Première Guerre mondiale.

Philosophie, techniques et culture


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1509 1522 Premier tour 1556 Agricola, 1600 1620
Fortifications de Padoue du monde en bateau De re metallica Exécution du copernicien Bacon,
Giordano Bruno, Instauratio
condamné par l’Inquisition Magna
La science des canons
Pour atteindre une cible, les 155
artilleurs cherchent, avec plus
ou moins de succès depuis le
Une œuvre titanesque
xvie siècle, à appliquer les lois de
la mécanique. Dans la pratique, Euler est peut-être le mathématicien le plus
même si l’usage des mathéma-
tiques se répand parmi les offi-
prolifique de tous les temps. Ses œuvres com-
ciers (! 1600), les canons ne sont plètes, dont la publication n’est pas encore
pas assez standardisés. Au xixe terminée, comprennent plus de 800 livres et
siècle, les techniques de la balis- articles qui ne se répètent que très peu et
tique se développent, notam-
remplissent 74 tomes de 300 à 600 pages
ment dans la marine, mais ce
n’est qu’au xxe siècle que cette chacun. Grand maître du calcul différentiel et
science devient d’usage courant intégral, il a laissé une marque indélébile dans
et décisif dans la guerre. de nombreux domaines des mathématiques,
Antoine Benoist, dit du Cercle, de la géométrie à la théorie des nombres.
Artillerie, exercices avec la
cavalerie et l’infanterie (détail),
Dans le domaine des applications, il a produit
XVIIIe siècle. des contributions fondamentales en astro-
nomie, cartographie, théorie de l’élasticité,
hydraulique, mécanique des fluides et des
corps rigides, musique, optique, etc. Dans ses
Lettres à une princesse d’Allemagne, il a aussi
su rendre ses travaux accessibles à un large
public.

Étude de la trajectoire d’un boulet de canon 1745


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Discours de la méthode 1690 Machine à vapeur de Papin 1739 Hume, Traité de la nature humaine
1657 Horloge de Huygens 1751
Parution du premier tome de l’Encyclopédie
1751 L’Encyclopédie devient
l’étendard des Lumières

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert met, comme


Jean jamais, les sciences, les arts et les techniques
Le Rond
d’Alembert à l’honneur. Elle joue aussi le rôle de manifeste,
1717-1783 celui des Lumières, qui désirent « éclairer » le monde
par la raison et la science.

Une encyclopédie à la française


Offrir un inventaire des connaissances humaines de l’époque, voilà le projet com-
mun du philosophe Denis Diderot (1713-1784) et du mathématicien Jean Le Rond
d’Alembert. Il leur faudra plusieurs années de travail pour faire paraître, en 1751,
le premier des dix-sept volumes de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des
arts et des métiers. Heureusement, les deux hommes savent s’entourer.
À la différence des encyclopédies précédentes, l’Encyclopédie est en effet une œuvre
collective. Diderot et d’Alembert ont recours aux plus grands savants, philosophes et
écrivains de leur temps, mais aussi à de nombreux artisans ou artistes anonymes.
156 Car l’une de leurs ambitions est de réhabiliter les « arts mécaniques », c’est-à-dire
les disciplines qui réclament une habileté manuelle (horlogerie, imprimerie, agri-
culture, tissage, etc.) et sont victimes d’un préjugé hérité de l’Antiquité face aux
« arts libéraux » (disciplines intellectuelles).

Une œuvre de combat


L’Encyclopédie est aussi une œuvre critique, véhiculant les idées des Lumières. Cri-
tique de la superstition, du fanatisme, des interdits de pensée, de l’autorité surtout,
et des dogmes de l’Église, l’œuvre est traversée par les plus importants combats
politiques, religieux, moraux et scientifiques de son temps, ce qui ne laisse pas les
autorités religieuses et monarchiques sans réaction.
Dès la parution du premier volume, les jésuites dénoncent des plagiats et lancent
contre l’Encyclopédie une grave accusation d’« impiété ». En 1752, un arrêt royal
déclare qu’elle contient des maximes « tendant à détruire l’autorité royale, à éle-
ver les fondements de l’erreur, de la corruption des mœurs, de l’irréligion et de l’in-
crédulité ». La publication est interrompue.
En 1759, l’ouvrage est à nouveau interdit et mis à l’Index. Les dix derniers des dix-
sept volumes de texte sont achevés en secret, imprimés hors de Paris et publiés six
ans plus tard. Le dernier des onze tomes de planches paraît en 1772, soit vingt et un
ans après le début de l’aventure.

Philosophie, techniques et culture


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1509 1522 Premier tour 1556 Agricola, 1600 1620
Fortifications de Padoue du monde en bateau De re metallica Exécution du copernicien Bacon,
Giordano Bruno, Instauratio
condamné par l’Inquisition Magna
La preuve par l’image 157
Pour Diderot, un « coup d’œil sur Une œuvre titanesque
l’objet ou sur sa représentation
en dit plus qu’une page de dis- Publiés entre 1751 et 1772, les 28 volumes de
cours ». C’est ainsi que l’Encyclo- l’Encyclopédie contiennent plus de 74 000 articles
pédie rassemble 2 579 planches
dans 11 tomes ! Les arts « méca-
et près de 2 600 planches gravées. Cette œuvre
niques », jusqu’alors large- a nécessité plus de 150 contributeurs parmi les-
ment ignorés, y figurent dans quels Daubenton (histoire naturelle), Bordeu et
leur ensemble, de l’art de la tête Tronchin (médecine), Rousseau (musique), Vol-
d’épingle à celui de l’écriture. Par
taire (histoire et lettres), etc. Diffusée à 4 000
sa vocation pédagogique, l’Ency-
clopédie s’oppose au secret des exemplaires, il s’agit de la plus grande entre-
ateliers et bouleverse la hié- prise éditoriale du xviiie siècle, tant en volume
rarchie traditionnelle des connais- et capital investi qu’en force humaine employée.
sances. Aujourd’hui, le travail se poursuit en ligne avec
L’art d’écrire, planche iii du une Édition numérique collaborative et critique
deuxième tome du Recueil de
planches de l’Encyclopédie, 1763. de l’Encyclopédie (ENCCRE), accessible à tous.

❝ Faites naître, s’il est possible, des géomètres parmi


ces peuples ; c’est une semence qui produira des philosophes
avec le temps, et presque sans qu’on s’en aperçoive. »
Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie, vol. VII, article « Géomètre », 1757.

Premier tome de l’Encyclopédie 1751


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Discours de la méthode 1690 Machine à vapeur de Papin 1739 Hume, Traité de la nature humaine
1657 Horloge de Huygens
1756 Une marquise explique Newton
aux Français

Par sa traduction française commentée des


Émilie de Breteuil, Principes mathématiques de la philosophie
marquise
Du Châtelet naturelle de Newton, Émilie Du Châtelet entre,
1706-1749 à titre posthume, dans le cercle très restreint
et très masculin des savants de son époque.

La défaite des cartésiens face aux newtoniens


Au début du XVIIIe siècle, en France, une vive querelle oppose les cartésiens, « impul-
sionnaires », pour lesquels tout mouvement trouve son origine dans les contacts
directs et les tourbillons, et les « attractionnaires », partisans de la théorie gravita-
tionnelle de Newton. Pierre Louis Moreau de Maupertuis et Alexis Claude Clairaut
(! 1736) confirment les prédictions newtoniennes d’aplatissement de la Terre aux
pôles et du retour à la date prévue de la comète « de Halley », ce qui conduit à l’ef-
facement des derniers cartésiens.

158 Une femme passionnée


De retour de son exil londonien, Voltaire rencontre en 1733 une brillante et savante
jeune femme, Émilie Du Châtelet. Liés par l’amour et surtout la même passion pour
l’œuvre de Newton, ils s’équipent d’un cabinet de physique et se consacrent à la dif-
fusion de sa pensée. Pour éclairer les débats scientifiques, Du Châtelet étudie les nou-
veautés mathématiques et physiques de son temps, se posant comme médiatrice entre
savants et hommes de culture. De 1746 à 1749, elle travaille à la traduction des Principia
de Newton (! 1687) en français, la langue érudite européenne au XVIIIe siècle.

Une traduction… qui améliore l’original


Émilie Du Châtelet ne se contente pas de traduire fidèlement les Principia. Elle y
ajoute à la fin une contribution personnelle capitale pour son rayonnement conti-
nental. Dans un premier chapitre, par sa compréhension de la mécanique newto-
nienne, elle rend cette philosophie « facile à entendre » par les érudits de son temps.
Ensuite, elle transpose les raisonnements géométriques de Newton en présentations
« analytiques » faisant usage du nouveau calcul différentiel et intégral de Leibniz.
Inquiète des suites de son accouchement, elle signe le manuscrit qu’elle fait dépo-
ser à la Bibliothèque royale… et s’éteint le lendemain. Voltaire et Clairaut œuvrent
à la publication de son ouvrage qui paraît en 1756, puis en 1759 dans sa forme défi-
nitive. Il s’agit de la seule traduction française jusqu’à ce jour.

Sciences expérimentales
| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1516 1537 Développement de la mécanique 1600 Gilbert, De l’aimant
Arrivée de Léonard de l’artillerie par Tartaglia
de Vinci en France Galilée, Messager céleste 1610
Énoncé de la loi de la réfraction par Snell 1628
Le portrait d’une femme
savante
Née dans une famille aristocrate
à l’esprit ouvert, la jeune Émilie
bénéficie de la même éducation
que ses frères. Elle sait se mon-
trer coquette en société mais se
retire également sur ses terres
pour un travail acharné. Elle
est dépeinte comme libertine,
exigeante et ambitieuse. Son
intelligence critique lui permet
d’accéder aux connaissances
scientifiques de son temps. Elle
s’attache les amitiés de Voltaire,
Maupertuis, Clairaut et de bien
d’autres.
Gabrielle Émilie Le Tonnelier
de Breteuil.

159

De la controverse à la célébrité
En 1740, dans ses Institutions de physique, Émilie Du Châ-
telet critique vivement un mémoire de Dortous de Mai-
❝ Les femmes sont
exclues, par leur état, de
toute espèce de gloire, et
ran, le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences quand, par hasard, il s’en
(! 1666, p. 138), qui réagit furieusement. Le sujet de la trouve quelqu’une qui est
discorde concerne les forces vives (ou énergie cinétique). née avec une âme assez
Tandis que Mairan les assimile à la vitesse, Du Châtelet élevée, il ne lui reste que
soutient que ces forces sont proportionnelles au carré de l’étude pour la consoler
la vitesse et le prouve par des expériences. Elle a donc de toutes les exclusions et
raison, « pour le fond et pour la forme ». Cette controverse de toutes les dépendances
attire les regards : son ouvrage est traduit en plusieurs auxquelles elle se trouve
langues. En 1746, elle est élue à l’Académie des sciences condamnée. »
de Bologne et entre dans la Décade d’Augsbourg, c’est-à- Émilie Du Châtelet, Discours sur
dire parmi les dix savants les plus célèbres de son temps. le bonheur, 1744-1746, publié en
1779.

Traduction de Newton en français 1756


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1644 Invention du baromètre par Torricelli Échelle thermométrique de Celsius 1742 1751 Découverte de la nature
électrique des éclairs par Franklin
1672 Décomposition prismatique
de la lumière blanche par Newton Découverte de l’hydrogène par Cavendish 1766
1761 Un horloger anglais
sauve la Navy

En 1741, le parlement anglais promet une récompense


John de 20 000 livres à celui qui aidera les marins
Harrison à déterminer leur longitude avec précision.
1693-1776
C’est l’horloger John Harrison qui remporte
le prix en inventant le chronomètre de marine.

Une erreur de longitude désastreuse


En octobre 1707, par gros temps, la flotte anglaise de l’amiral Shovell fait naufrage au
large des îles Sorlingues, à 45 km des côtes anglaises. Près de 2 000 hommes périssent.
La cause de ce désastre vient de l’imprécision de la mesure de la longitude en mer.
En 1741, le parlement anglais vote le Longitude Act et décide d’attribuer la coquette
somme de 20 000 livres (plus de 2 millions d’euros) à celui qui trouvera une solution
théorique ou instrumentale susceptible d’aider les navires à se positionner en mer
avec une précision inférieure au demi-degré, soit à 30 miles ou 55 kilomètres près.

160 Un garde-temps de précision


L’une des solutions consiste à emporter à bord une montre suffisamment précise
pour garder l’heure d’un lieu de référence. En comparant l’heure de passage du
soleil au méridien du bateau à celle de son passage au méridien d’origine, il est
alors possible de calculer avec précision la longitude du bateau. Or les montres à
ressort de l’époque sont inutilisables en mer.
Avec l’aide de l’horloger George Graham (1673-1751) et de l’astronome et ingénieur
Edmond Halley (1656-1742), John Harrison, ébéniste et horloger anglais de son état,
relève le défi ! Il conçoit entre 1735 et 1759 quatre prototypes de chronomètre dont
la précision croissante atteint, avec le H4, la dérive de 5 secondes pour 81 jours d’un
voyage en Jamaïque.

Le compagnon des grandes explorations


Grâce à ces chronomètres, il est enfin possible de déterminer la longitude avec pré-
cision. Ces instruments seront d’ailleurs utilisés par les plus grands explorateurs
tels James Cook (! 1768) ou Jean-François de La Pérouse (1741-1788). Toutefois, à la fin
du XVIIIe siècle, tous les navires sont encore loin d’en être équipés. Ainsi, la frégate
française La Méduse échoue au large des côtes de Mauritanie en 1816 à cause d’une
erreur de position. Théodore Géricault immortalisera la scène du naufrage dans
son célèbre tableau Le Radeau de La Méduse.

Philosophie, techniques et culture


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1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1509 1522 Premier tour 1556 Agricola, 1600 1620
Fortifications de Padoue du monde en bateau De re metallica Exécution du copernicien Bacon,
Giordano Bruno, Instauratio
condamné par l’Inquisition Magna
161

Les innovations de Harrison


En mer, le balancier des horloges
est soumis aux mouvements
Les autres méthodes de calcul
des navires et certaines pièces Des méthodes de positionnement en longi-
se dilatent avec la température.
Conséquence : les horloges sont
tude existent avant l’usage des chronomètres.
exposées à des variations de Elles se fondent sur des observations astro-
rythme. Pour résoudre ces pro- nomiques, comme par exemple les éclipses
blèmes d’irrégularités, Harrison des satellites de Jupiter ou la méthode des
invente le balancier bimétal, le
distances lunaires. Cette dernière méthode
bilame et le roulement à billes.
Ces innovations sont concentrées compare deux positions de la Lune par rapport
dans un objet de 13,2 cm de dia- aux étoiles, celle donnée pour la longitude de
mètre : le chronomètre H4. Greenwich par les tables de valeurs et celle du
Le chronomètre de marine H4. lieu de mesure. Grâce à la précision de l’ins-
trument de mesure d’angle de John Hadley
(1682-1744), elle bénéficie d’un certain succès
au xviiie siècle. Toutefois, elle ne rivalise pas
avec les performances du chronomètre H4.

Invention du chronomètre de marine 1761


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1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Discours de la méthode 1690 Machine à vapeur de Papin 1739 Hume, Traité de la nature humaine
1657 Horloge de Huygens 1751
Parution du premier tome de l’Encyclopédie
1768 James Cook dessine
les contours du Pacifique

Au cours de ses trois grands voyages, le marin


James britannique James Cook cartographie les côtes
Cook de l’hémisphère austral. Il rend alors accessibles
1728-1779
à la navigation et à la colonisation des zones
de la planète encore inexplorées par les Européens.

Objectif Terra incognita


Le capitaine James Cook a toujours nourri l’espoir
de découvrir la Terra australis incognita, un continent
imaginaire évoqué dès le IIe siècle par l’astronome
grec Ptolémée (! 127) et dessiné sur les cartes euro-
❝ J’ambitionnais
non seulement d’aller
plus loin qu’aucun
homme n’était encore
péennes à partir du XVe siècle. S’inspirant de la carte allé, mais aussi loin qu’il
de l’explorateur français Bouvet de Lozier (1706- était possible d’aller. »
1786) – qui, le premier, semble l’avoir aperçu –, Cook James Cook, Relations de voyages
recherchera toute sa vie les côtes de l’Antarctique. autour du monde, 1768-1779.
162
À la conquête du Pacifique
James Cook quitte le port de Plymouth une première fois, en 1768, avec l’idée de pré-
ciser l’étendue du fameux continent austral. Il n’y parvient pas mais cartographie
la côte orientale de l’Australie et le détroit qui sépare les deux îles principales de
la Nouvelle-Zélande. À cette époque, intérêts politiques, économiques, militaires
et scientifiques s’entremêlent et de nombreux navires se lancent dans des explora-
tions désormais célèbres.
Lors de ses deuxième et troisième expéditions, Cook continue son exploration
du Pacifique Sud puis du Pacifique Nord. Il s’aventure jusqu’en Alaska et aux îles
Aléoutiennes, et, de retour vers le sud, découvre les îles de Maui et d’Hawaï au beau
milieu de l’océan. C’est là qu’il va finalement mourir.

Une ouverture sur le monde


Si James Cook n’atteint jamais son but, ses explorations le conduisent à cartogra-
phier une grande partie de l’hémisphère Sud. Une cartographie qui facilite grande-
ment l’ouverture de nouvelles routes commerciales et les échanges entre l’Europe
et les parties les plus reculées du monde. Par ailleurs, les animaux, les plantes et
les minéraux collectés lors de ces expéditions, en grande partie grâce à l’expérience
des populations locales, alimentent les collections européennes.

Philosophie, techniques et culture


| | | | | | | |
1480 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620
1509 1522 Premier tour 1556 Agricola, 1600 1620
Fortifications de Padoue du monde en bateau De re metallica Exécution du copernicien Bacon,
Giordano Bruno, Instauratio
condamné par l’Inquisition Magna
Aux sources de l’ethnologie
Alors que les savoirs des popula-
tions autochtones sont indispen- Des expéditions à la française
sables à l’installation des colons,
leurs mœurs commencent à sus- Parallèlement aux expéditions britanniques, plu-
citer l’intérêt. Une nouvelle dis- sieurs voyages d’exploration partent du port de
cipline, proche de l’anthropolo- Brest au xviiie siècle. En 1766, Louis Antoine de
gie, prend alors corps. Il s’agit Bougainville (1729-1811) se fait accompagner
de l’ethnologie. Loin des images
exotiques véhiculées à l’époque,
par des scientifiques pour son tour du monde.
la discipline cherche à analyser Ils explorent de nombreux archipels du Pacifique
et à comparer objectivement les Sud qui resteront, pendant longtemps, l’image du
traits socioculturels caractéris- paradis sur terre pour les Européens. En 1785,
tiques des peuples rencontrés
le comte de La Pérouse (1741-1788) commence
par les explorateurs.
sa circumnavigation du globe. L’expédition dis-
Jean-Baptiste Debret,
Nègres chasseurs rentrant en paraît près des îles Salomon après avoir accosté
ville, Le retour des nègres d’un en Australie. Le sort des expéditionnaires est
naturaliste, 1820.
resté énigmatique malgré les efforts déployés
pour les retrouver. Et les épaves n’ont été iden-
tifiées que dans les années 1960.

Cartographie de l’hémisphère austral 1768


| | | | | | | |
1640 1660 1680 1700 1720 1740 1760 1780
1637 Descartes, Discours de la méthode 1690 Machine à vapeur de Papin 1739 Hume, Traité de la nature humaine
1657 Horloge de Huygens 1751
Parution du premier tome de l’Encyclopédie
La « découverte »
des longitudes
Pendant près de trois siècles, la quête d’une méthode pratique pour
mesurer sa longitude en mer conduit savants et artisans à développer
les sciences astronomiques et les instruments de mesure du temps.

Chacun sa part du globe


En 1494, l’Espagne et le Portugal se partagent le monde par le traité de Tordesil-
las. Entre leurs zones d’influence respectives, le traité établit une ligne de démar-
cation le long d’un méridien situé à 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Mais
de l’autre côté du globe, où il est plus difficile d’établir la position exacte de la
ligne de démarcation, la flotte de Magellan dispute aux Portugais la possession des
Moluques, riches en épices. Aujourd’hui en Indonésie, ces îles se situeraient en fait
164
dans l’hémisphère assigné aux Espagnols. Pour trancher la question, les « cosmo-
graphes » des deux puissances se réunissent en 1524, mais ne s’entendent pas sur
la coordonnée géographique exacte du méridien. En 1529, le traité de Saragosse, en
fixant la ligne de démarcation à 297,5 lieues à l’est des Moluques, résout les ten-
sions diplomatiques, mais non le problème scientifique.

Le prix de la précision
Dès 1567, le roi Philippe II d’Espagne lance un concours pour trouver une méthode
pratique et efficace permettant de calculer la longitude d’un lieu. Sans succès.
Trente ans plus tard, son fils Philippe III offre alors la somme considérable de 6 000
ducats et une pension à vie de 2 000 ducats à celui qui arrivera à « découvrir les lon-
gitudes ». En 1636, c’est au tour de la Hollande d’offrir une récompense à celui qui
inventera enfin une méthode pratique.
Ces récompenses attirent l’attention de tous les savants. En 1616, Galilée propose
aux autorités espagnoles d’utiliser l’observation des satellites de Jupiter récem-
ment découverts (! 1610). En effet, ces derniers sont périodiquement, et à heures
fixes, éclipsés par la planète autour de laquelle ils gravitent, et peuvent donc pro-
curer aux marins une horloge universelle. La différence entre cette heure univer-
selle et l’heure locale, calée sur le mouvement du Soleil, permet de calculer la longi-
tude d’un lieu d’observation. Mais ni les Espagnols ni les Hollandais ne jugent cette
méthode pratique, l’observation des satellites en mer à l’aide de lunettes, d’ailleurs
encore peu répandues (! 1626), n’étant vraiment pas aisée.
1500-1770 De nouveaux mondes, de nouvelles sciences

Sur la mer comme au ciel


Quand Colbert fonde l’Académie des sciences (! 1666, p. 138), il s’assure d’y attirer
les deux savants les mieux placés pour résoudre la question des longitudes : le phy-
sicien hollandais Christian Huygens (1629-1695), qui a inventé une horloge à pen-
dule susceptible de garder le temps en mer sur une longue période, et l’astronome
italien Jean Dominique Cassini (1625-1712), déjà célèbre pour ses tables du mouve-
ment des satellites de Jupiter. En combinant l’usage de ces tables et d’horloges pré-
cises à la connaissance de la dimension du globe terrestre, les savants proposent
enfin une méthode sûre pour déterminer les longitudes. Pourvu toutefois qu’on
reste… sur la terre ferme. Ce n’est que près d’un siècle plus tard que l’horloger
anglais John Harrison (! 1761) remporte, avec son chronomètre de marine, le prix
proposé à cet effet par le parlement britannique.
Le monde à portée
de main
L’astronome du peintre
néerlandais Vermeer
tend la main vers un
globe céleste qui repré-
sente les constellations.
Posés devant lui, un com-
pas, un astrolabe et un
livre ouvert symbolisent 165
la nature de son travail.
La fenêtre ouverte devant
lui montre cependant
que son regard, délais-
sant les mythes de l’as-
trologie divinatoire, se
porte aussi vers le vaste
monde qu’il contribue à
faire connaître.
Jan Vermeer,
L’Astronome, 1668.

❝ La recherche d’une méthode exacte pour trouver les longitudes


en mer, est un problème qui a beaucoup exercé les mathématiciens des
deux derniers siècles ; […] les projets se sont toujours trouvés mauvais,
supposant des opérations trop impraticables, ou vicieuses par quelque
endroit ; de façon que la palme n’a encore été déférée à personne. »
Jean Le Rond d’Alembert, « Longitude », Encyclopédie des sciences, des arts et des métiers, 1765.
Les nouveaux
instruments
de la science
Au XVIIe siècle, la philosophie naturelle, qui étudie le monde physique, intègre
les instruments scientifiques à sa démarche. Ces instruments, comme la
lunette, la machine pneumatique ou le générateur électrostatique, révèlent
alors de nouveaux objets et phénomènes naturels, et remettent en question
les systèmes philosophiques hérités de l’Antiquité.

Des instruments mathématiques


Les premiers instruments scientifiques trouvent leur origine dans le domaine des arts
166 et des sciences mathématiques : on se sert de cadrans solaires, de quadrants astrono-
miques et d’astrolabes depuis l’Antiquité. À la fin du Moyen Âge, le développement de
la navigation et du commerce stimule l’innovation technique et l’émergence de nou-
veaux appareils, comme l’horloge mécanique (! 1368). À la Renaissance, l’apparition
d’ateliers spécialisés dans la production d’instruments scientifiques, aux Pays-Bas et
dans le nord de l’Italie, marque un tournant. Essentiel pour faire émerger et soute-
nir l’idée d’un cosmos régulier et géométrique, l’usage de ces instruments n’entre pas
pour une part fondamentale dans la réflexion sur le monde physique.

Des instruments pour philosopher


Apparaît alors un nouveau type d’instruments qu’on appelle « philosophiques »,
dont l’usage va révéler de nouveaux phénomènes ou objets naturels. Ainsi, la
lunette astronomique est utilisée par Galilée pour remettre en question la cosmo-
logie d’Aristote et soutenir la théorie héliocentrique de Copernic (! 1610). Quelques
décennies plus tard, le microscope offre l’espoir de découvrir la composition de la
matière à l’échelle la plus petite.
À côté de ces appareils optiques, qui se limitent à améliorer notre capacité
visuelle, les savants du XVIIe siècle développent de nouveaux instruments qui créent
des phénomènes inconnus jusqu’alors. La machine pneumatique en est sans doute
l’exemple le plus paradigmatique. Cette machine qui réduit la présence d’air dans
un espace clos permet de créer du « vide » et d’observer ses effets sur des objets ou
des êtres vivants (! 1659). Le générateur électrostatique, de son côté, produit de
puissantes décharges et autres phénomènes électriques.
1500-1770 De nouveaux mondes, de nouvelles sciences

De l’atelier au salon
À la différence des instruments mathématiques traditionnels, ces nouveaux ins-
truments sont le fruit du travail de savants et de leurs assistants dans leurs ate-
liers et laboratoires. Leur caractère innovant est objet de suspicion. C’est le cas de la
lunette de Galilée, dont les observations ne sont acceptées qu’après de nombreuses
vérifications et l’appui de savants prestigieux. La machine pneumatique fait aussi
l’objet de controverses : Thomas Hobbes (1588-1679) nie qu’il soit possible d’émettre
des conclusions générales sur la nature à partir d’expériences faites sur un méca-
nisme artificiel. En revanche, Robert Boyle défend l’idée que la réalisation d’expé-
riences sous la supervision de témoins fiables est la meilleure manière de surmon-
ter les différences d’interprétation dues à la division des écoles philosophiques,
religieuses ou politiques. La présence d’un public témoin, dans les académies
comme dans les salons, caractérise l’usage des instruments aux XVIIe et XVIIIe siècles,
période où académies savantes et salons aristocratiques deviennent des espaces clés
de la discussion scientifique (! 1666, p. 138).

167

Le microscope révèle la complexité du monde


Inventé vers le début du xviie siècle, en même temps que la lunette, le microscope profite à l’ento-
mologie avant d’investir la botanique, la minéralogie et l’anatomie. La publication de Micrographia,
en 1665, par Robert Hooke, marque un tournant dans l’histoire de la microscopie. Riche en obser-
vations et spéculations, l’ouvrage inspire les travaux d’Antonie Van Leeuwenhoek, le plus doué des
microscopistes du xviie siècle, qui observe par la première fois des spermatozoïdes, des bactéries
et des globules rouges.
Dessin d’une puce vue sous le microscope dans l’ouvrage Micrographia, de Robert Hooke, 1665.
Des sciences
pour l’industrie
1770-1870

Fille des Lumières, la science moderne


prend corps dans une Europe en
mutation, où les anciennes structures
politiques et sociales s’effritent sous
les coups de boutoir de l’industrie.
Des académies consolidées, des
universités reformées ainsi que
de nouvelles sociétés scientifiques
réorganisent les rapports entre les
savoirs et font émerger la figure
du scientifique professionnel.
De nouveaux champs d’études,
comme l’électromagnétisme ou la
thermodynamique, mettent la physique
au service de l’industrie.
Le savoir naturaliste, guidé par l’idée
de l’évolution, donne lieu à une nouvelle
vision de la Terre et du vivant.

Ron Lampitt, The Industrial Revolution, 1974.


Des sciences
pour l’industrie
1770-1870
L’industrie transforme le monde
Depuis la fin du XVIIIe siècle, la révolution industrielle
transforme les sociétés européennes. Basée sur l’usage
de la machine à vapeur (! 1769, p. 174) et la mécanisation
du secteur textile (! 1769, p. 176), elle est contemporaine de
l’essor de la chimie moderne, redéfinie à l’aide du nouveau
vocabulaire et du cadre conceptuel élaborés par Lavoisier
(! 1789). L’électricité éveille la curiosité du public et attire
l’attention des savants, qui essaient de l’intégrer aux
conceptions newtoniennes (! 1785). Mais c’est l’invention
de la pile (! 1800) et l’exploration de ses rapports avec
170
le magnétisme (! 1820) qui amènent l’électricité à être
utilisée dans l’industrie et les communications. Au même
moment, l’étude des phénomènes thermiques donne
naissance au concept d’énergie (! 1843 et dossier, p. 238-239),
concept universel permettant de quantifier des domaines
aussi divers que la mécanique et l’étude du métabolisme
des êtres vivants.

Des nouveaux professionnels


Cette science devenue moderne se caractérise aussi par
un nouvel environnement institutionnel. Les académies
scientifiques, répandues dans toute l’Europe au XVIIIe siècle,
resserrent leurs liens avec les gouvernements (! 1774),
affirment leur autorité sur les questions techniques et
scientifiques (! 1784) et impulsent d’ambitieux projets
de standardisation, comme celui qui conduit au système
métrique (! 1791). Au début du XIXe siècle, les universités
modernisées (! 1810) s’ouvrent à la recherche (! 1824, p. 212).
Les sciences naturelles se professionnalisent, et de
nouvelles sciences sociales apparaissent : la sociologie
(! 1830), l’économie ou la statistique (! 1835).
Vers la biomédecine
Des changements majeurs affectent aussi la médecine,
bouleversée par des innovations comme la vaccination
(! 1796) ou l’antisepsie (! 1847). L’origine microbienne
des maladies est établie (! 1859, p. 228). L’évolution
des méthodes de soin fait l’objet d’âpres débats entre
praticiens (! 1784) et conduit à la transformation
d’institutions vénérables comme l’hôpital. C’est dans ce
contexte qu’émerge l’idée d’une médecine expérimentale
(! 1865, p. 234) prônant une articulation étroite entre
pratique médicale et sciences de laboratoire. Elle sera
à l’origine des nouvelles sciences biomédicales.

Le vivant a une histoire


Dans les muséums d’histoire naturelle, les savants
accumulent des objets et spécimens ramenés de
171
nombreuses expéditions d’exploration (! 1768). Étudiées de
plus en plus rigoureusement, ces collections font émerger
une vision des sciences du vivant qui remet en question
le dogme de l’immutabilité des espèces (! 1809). Accueillie
avec scepticisme par les naturalistes les plus influents
(! 1804), l’évolution des espèces est discutée dans L’Origine
des espèces de Charles Darwin (! 1859, p. 230) et s’articule
avec une nouvelle image de l’histoire de la Terre vieille
de plusieurs millions d’années, comme celle proposée
par le géologue Charles Lyell (! 1833). La théorie laisse
certaines questions ouvertes, comme la transmission des
caractères entre générations, un sujet qui ne sera intégré
à la théorie darwinienne de l’évolution qu’à la suite de la
redécouverte des travaux de Georg Mendel (! 1865, p. 232)
au début du XXe siècle (! 1910).
1796 1799
Invention de la vaccination par Jenner Humboldt,
naissance de l’écologie

1789 1800
Lavoisier, Invention de la pile
1769
Traité élémentaire de chimie électrique par Volta
Brevet
de la machine
à vapeur 1801
par Watt Méthode des moindres
carrés de Gauss

1784
Rejet du
magnétisme animal

| | | | |
1770 1780 1790 1800 1810

1776 1789 Révolution française


Indépendance
des États-Unis Bataille de Waterloo, fin de l’empire napoléonien 1815
d’Amérique

1774 1804
Gouvernement Cuvier, Leçon
« éclairé par 1785 d'anatomie
la science » de Turgot Coulomb, Mémoires comparée
sur l’électricité
et le magnétisme

1810
Création de l’université
de Berlin
1791
Naissance
du mètre 1814
Laplace,
Essai philosophique
sur les probabilités
1794
Sophie Germain,
interdite d'entrée
à Polytechnique
1816 1859
Shelley, Frankenstein Darwin,
ou le Prométhée moderne L’Origine des espèces

1820
Œrsted, lien entre
électricité et magnétisme

1824 1856
Mise en place du « système Premier colorant
américain de production » artificiel par Perkin

| | | | | |
1820 1830 1840 1850 1860 1870

1824 Bataille d’Ayacucho, indépendance 1848 Révolutions


de la plupart des pays sud-américains en plusieurs pays européens
1830 Révolution 1850-1864 Révolte des Taiping en Chine
de Juillet en France
Guerre civile aux États-Unis 1861-1865
Fin du système féodal au Japon, début de l’ère Meiji 1867-1868
Guerre Franco-Prussienne, unification de l’Allemagne et de l’Italie 1870-1871

1833 1859
Lyell, Mise au point
Principes de géologie du spectroscope par
Bunsen et Kirchhoff

1865
1835 Lois de l’hérédité
Quetelet, Sur l'homme par Mendel
et le développement
de ses facultés

1869
Tableau périodique
des éléments
par Mendeleïev

1843
Joule, Sur l’équivalent
mécanique de la chaleur
1769 Watt dépose un brevet
pour une machine à vapeur

James Watt brevette un moteur à vapeur beaucoup


plus efficace que ceux fabriqués jusque-là.
James Watt
1736-1819
Avec Matthew Boulton, il fonde une entreprise
qui va faire de cette machine la technologie phare
de la révolution industrielle.

La réparation de la machine de Newcomen


Né dans une famille écossaise assez fortunée, James Watt travaille dès son plus
jeune âge dans l’atelier de son père, un constructeur de bateaux. Intéressé par
les sciences, il se lance à dix-sept ans dans la fabrication d’instruments scienti-
fiques. C’est dans le cadre de cette activité qu’un client lui demande de réparer une
machine à vapeur semblable à celle inventée par Thomas Newcomen (1663-1729) au
début du XVIIIe siècle. Watt est frappé par l’inefficacité de cette machine d’un point
de vue énergétique.

174 Vers des moteurs plus efficaces


Ce constat l’amène à faire, en 1765, une invention fondamentale : le condenseur
séparé. Alors que dans la machine de Newcomen la condensation de la vapeur se
fait au sein du cylindre, Watt conçoit une chambre de condensation distincte. Cela
lui permet de doubler l’efficacité du moteur. James Watt étant très pris par son
nouveau métier d’arpenteur, il ne brevette sa machine qu’en 1769. Quelques années
plus tard, il crée une entreprise avec Matthew Boulton, un industriel du nord de
l’Angleterre, afin de la commercialiser.

Des machines à vapeur révolutionnaires


Comme les machines de Boulton and Watt sont particulièrement économes en car-
burant, James Watt parvient à convaincre des mines de cuivre et d’étain en Cor-
nouailles de les adopter afin de pomper l’eau qui risque de les inonder. Bientôt
les commandes affluent, provenant des filatures, des brasseries et des minoteries
du pays. Watt et Boulton exercent un quasi-monopole sur les machines à vapeur
jusqu’en 1800.
Lorsque le brevet tombe dans le domaine public, on compte cinq cents machines
en service au Royaume-Uni. Elles vont se multiplier pendant les décennies sui-
vantes et se révéler capitales pour l’industrialisation de l’Europe et de l’Amérique
du Nord.

1769 Brevet de la machine à vapeur


| | | | |
1770 1780 1790 1800 1810
Métier à tisser de Jacquard 1801

Premier vol en montgolfière 1783 Création de l’université de Berlin 1810


Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne 1816
175

La machine de Watt
La vapeur provenant d’une
chaudière est introduite
dans un cylindre métallique Le début de l’anthropocène
et fait monter le piston. La
Le moteur de Watt, dont l’avantage principal est d’être
vapeur entre ensuite dans
le condenseur (installé dans plus économe en carburant que les machines à vapeur
la cuve) et s’y transforme en qui l’ont précédé, a l’effet paradoxal d’augmenter consi-
eau. Cette transformation dérablement la consommation de charbon à l’échelle
crée un vide dans le cylindre, mondiale. En effet, comme il est moins coûteux d’utili-
ce qui attire le piston vers
le bas. Les mouvements du
ser ces machines, un très grand nombre d’usines vont
piston actionnent la poutre les adopter à la fin du xviiie siècle et pendant tout le xixe
et la roue. siècle. Cela entraîne une utilisation accrue de charbon
Dessin de la machine de et une augmentation de la production de gaz à effets de
Watt actionnant une roue, serre qui changent l’atmosphère et les écosystèmes.
xviiie siècle.
D’après le chimiste et météorologue Paul Crutzen (né
en 1933), les inventions de James Watt marquent le
début d’une nouvelle ère géologique, l’anthropocène,
au cours de laquelle les hommes transforment pro-
fondément leur environnement terrestre.

Techniques et culture
| | | | | |
1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion 1848 Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
1827 Première photographie de Niépce 1851 Exposition universelle à Londres
Première ligne télégraphique aux États-Unis 1843
1769 Un perruquier anglais brevette
un métier à filer

Richard Arkwright, barbier et perruquier de son état,


Richard dépose un brevet sur une machine qui mécanise la
Arkwright fabrication du fil de coton. Il l’exploite alors en bâtissant
1732-1792
des filatures toujours plus grandes, qui deviendront
les symboles de la révolution industrielle.

Un perruquier ingénieux et peu scrupuleux


Richard Arkwright, treizième enfant d’une famille de tisserands, apprend le métier
de barbier. Il se lance ensuite dans la fabrication et le commerce de perruques imper-
méables. Comme la demande pour ses perruques décline, il conçoit, en collaboration
avec un horloger, une machine pour produire du fil de coton. Ce métier à filer méca-
nise alors une opération qui était jusque-là manuelle. Arkwright brevette cette inven-
tion en 1769, sous son seul nom, ce qui lui vaudra de nombreux procès.

L’exploitation du brevet du métier à filer


176 Ayant dès lors le monopole de la fabrication mécanique du fil de coton grâce à son
brevet, Arkwright s’associe à des hommes d’affaires pour construire des filatures de
plus en plus importantes. Certaines utilisent les machines à vapeur de James Watt
(! 1769, p. 174).
Arkwright vend aussi des licences sur son brevet, à la condition que les indus-
triels qui les exploitent installent dans leurs usines un minimum de mille broches
– ces tiges métalliques sur lesquelles sont insérées les bobines de fil. Comme ces
industriels sont relativement peu nombreux, Arkwright et ses associés peuvent
repérer facilement ceux qui oublient de payer leurs redevances !

Père de la grande usine textile


Son usine la plus novatrice est sans doute celle qu’il ouvre à Manchester en 1786.
Celle-ci repose sur une division approfondie du travail et une mécanisation très
poussée de la production. Elle emploie plus de six cents personnes, surtout des
femmes et des enfants dont certains n’ont que six ans. Les salaires sont très bas et
les conditions de travail dangereuses. L’usine produit ainsi du fil de coton en très
grande quantité et à très bas coût. Elle servira de modèle aux usines textiles qui se
développeront à Manchester et dans le Lancashire à la fin du XVIIIe siècle.

1769 Brevet du métier à filer


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1770 1780 1790 1800 1810
1769 Brevet de la machine à vapeur par Watt Métier à tisser de Jacquard 1801

Premier vol en montgolfière 1783 Création de l’université de Berlin 1810


Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne 1816
Richard Arkwright,
un industriel
richissime
Richard Arkwright, né
dans une famille très
pauvre, bâtit une fortune
colossale sur la base des
redevances sur ses bre-
vets et des investisse-
ments qu’il fait dans une
centaine de filatures.
À sa mort, sa fortune
s’élève à 500 000  livres
(soit environ 800 millions
d'euros aujourd'hui).
Richard Arkwright, 1790.

177

Manchester, ville du coton


Manchester, petite ville en 1770, devient entassées dans des caves humides, des
rapidement le plus grand centre au foules d’enfants et de femmes déguenil-
monde de l’industrie textile. En 1851, lés dans les rues… Ces conditions sont
plus de 56 000 personnes produisent dénoncées par Friedrich Engels, ami
du fil et des tissus de coton à Man- et associé de Karl Marx, dans son
chester et dans ses environs. La ville ouvrage sur La Situation de la classe
est aussi connue pour les conditions laborieuse en Angleterre (1845) et par
effroyables dans lesquelles travaillent Charles Dickens dans son roman social,
et vivent les ouvriers : une ville enfumée Les Temps difficiles (1854).
et nauséabonde, des familles entières

Techniques et culture
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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion 1848 Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
1827 Première photographie de Niépce 1851 Exposition universelle à Londres
Première ligne télégraphique aux États-Unis 1843
1774 Turgot dirige un gouvernement
« éclairé par la science »

Si les gouvernants s’intéressent depuis longtemps


Anne
Robert au prestige des sciences et à leurs applications, Turgot
Jacques est le premier, au début du règne de Louis XVI, à appuyer
Turgot
explicitement sa politique sur une doctrine scientifique
1727-1781
en voie d’émergence : la science économique.

Redresser les finances


À sa mort, le 10 mai 1774, Louis XV laisse à son petit-fils un royaume qui est dans une
situation financière catastrophique. Le 24 août suivant, Louis XVI nomme Turgot
au poste de contrôleur général des finances. Pour redresser les comptes de l’État,
ce dernier promet qu’il n’y aura ni défaut sur la dette, ni nouveaux emprunts, ni
impôts additionnels. Sa recette pour équilibrer le budget ? Libéraliser l’économie
et supprimer les privilèges.

Révolutionnaire
178 Le projet de Turgot est « révolutionnaire » : il veut abolir les corvées et les remplacer
par une taxe unique, soumettre la noblesse et le clergé à l’impôt, libéraliser le com-
merce et l’industrie… Libéral dans le domaine économique, il l’est aussi dans celui
des mœurs et de la pensée : il promet la liberté de conscience aux protestants, un
système de poids et mesure unifié (! 1791) et un vaste plan d’instruction publique.


Il s’entoure de conseillers de l’Académie des sciences
(! 1666), dont Jean Le Rond d’Alembert, Charles Bossut Il ne craignait pas
(1730-1814) et Nicolas de Condorcet (1743-1794), à qui il de consulter les savants,
commande de vastes enquêtes scientifiques pour déci- parce qu’il ne craignait
pas la vérité. »
der, par exemple, de l’utilité d’un canal en Picardie.
Nicolas de Condorcet,
Vie de Monsieur Turgot, 1786.
Gouverner par la science
Non content de s’appuyer sur l’expertise des savants, Turgot adopte une approche
scientifique de l’art de gouverner. Auteur de Réflexions sur la formation et la distribu-
tion des richesses en 1766, il conçoit son programme de gouvernement comme la mise
en œuvre des doctrines de penseurs libéraux, les « physiocrates », qui ont pour
ambition de fonder une science de l’économie basée sur l’ordre de la nature. Mais
ces réformes se heurtent à des intérêts trop puissants : Turgot est congédié dès le
12 mai 1776.

Techniques et culture 1774 Gouvernement de Turgot


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1770 1780 1790 1800 1810
1769 Brevet de la machine à vapeur par Watt Métier à tisser de Jacquard 1801

Premier vol en montgolfière 1783 Création de l’université de Berlin 1810


Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne 1816
La France prend corps


La question du canal de Picardie, qui pré-
occupe Turgot et Condorcet, se pose dans L’intérêt courant de
un pays qui prête de plus en plus d’atten- l’argent est le thermomètre
tion à l’aménagement de son territoire.
La construction de nouvelles routes et de
par où l’on peut juger de
l’abondance ou de la rareté 179
canaux permet de fluidifier le transport des
biens et des personnes. Crée en 1716, le des capitaux ; il est la mesure
corps des ponts et chaussée prend peu à de l’étendue qu’une nation
peu le contrôle de ces problématiques. Ses peut donner à ses entreprises
ingénieurs, formés dans une école établie en
1747, y reçoivent une éducation scientifique
de culture, de fabrique et de
solide. commerce. »
Diderot et D’Alembert, « Hydraulique », Turgot, Réflexions sur la formation
tome V des planches, Encyclopédie, 1767. et la distribution des richesses, 1766.

La naissance de la science économique


Dans le sillage de l’Encyclopédie (! 1751), du Pont de Nemours et Mirabeau. Fondé
le médecin François Quesnay (1694- sur l’idée d’un ordre naturel, ce corps de
1774) développe une théorie macro- doctrine réfléchit à la détermination du
économique inspirée du modèle de la « bon prix » des matières agricoles. Le
circulation sanguine (! 1628). Les par- philosophe écossais Adam Smith (1723-
tisans de ses idées s’appellent les phy- 1790) s’en inspire pour fonder l’écono-
siocrates (du grec physis, « nature », et mie politique avec la publication de La
kratos, « gouvernement ») : on compte Richesse des Nations en1776.
parmi eux Malesherbes, Pierre-Samuel

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion 1848 Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
1827 Première photographie de Niépce 1851 Exposition universelle à Londres
Première ligne télégraphique aux États-Unis 1843
1784 Les académiciens rejettent
le magnétisme animal

Tout en séduisant les élites parisiennes par sa supposée


Franz Anton maîtrise du magnétisme animal, Mesmer soulève
Mesmer l’opposition de l’establishment médical. Une commission
1734-1815
royale chargée d’enquête met alors au point des méthodes
innovantes pour évaluer l’efficacité de sa thérapie.

Un médecin attirant
Médecin réputé à Vienne, Franz Anton Mesmer développe une pratique médicale
basée sur l’existence d’un supposé « fluide magnétique » emplissant l’univers. En 1778,
il s’installe à Paris, où ses méthodes de guérison attirent de nombreux patients de la
haute société parisienne. Lettres et pamphlets recensent des centaines de guérisons,
et le mesmérisme, ou magnétisme animal, devient à la mode dans la capitale.
Malgré le soutien de personnalités influentes comme le médecin Charles Deslon
(1738-1786) et la reine Marie-Antoinette, les autorités médicales réagissent violem-
ment à ces méthodes et expulsent de la faculté les médecins partisans de Mesmer.
180 En 1784, le gouvernement met en place une commission royale dans le but d’exa-
miner l’efficacité du mesmérisme. Le chimiste Antoine Laurent Lavoisier (! 1789)
mène l’enquête aux côtés de quatre médecins de l’université de Paris et de quatre
membres de l’Académie des sciences, dont Benjamin Franklin (1706-1790).

Les académiciens mènent l’enquête


La commission examine de nombreux patients prétendument guéris par Mesmer
et demande à des adeptes du mesmérisme d’identifier les objets (arbres, verres
d’eau, etc.) supposément remplis de « fluide magnétique » par d’autres mesmé-
riens, hors de vue. Considérées comme la première étude scientifique « à l’aveugle »
de l’histoire, ces expériences sont dévastatrices pour le mesmérisme : le rapport
final conclut que le magnétisme animal n’existe pas et que les guérisons supposées
sont le fruit de la suggestion. C’est d’ailleurs à partir de ce moment-là que se répand
l’usage du terme placebo (du latin, « je plairai »).
Ridiculisé, Mesmer quitte Paris en 1785. Pourtant, certains s’inspirent de son
approche. Des émules, comme le marquis de Puysegur, se targuent de guérisons « à
travers l’esprit » par des méthodes semblables à l’hypnose, une technique qui sera
systématisée dans les années 1840 par l’Écossais James Braid (1795-1860) et popula-
risée par Jean-Martin Charcot (1825-1893) et son élève Sigmund Freud (1856-1939) à
la fin du XIXe siècle.

Techniques et culture 1784 Rejet du magnétisme animal


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1770 1780 1790 1800 1810
1769 Brevet de la machine à vapeur par Watt Métier à tisser de Jacquard 1801

Premier vol en montgolfière 1783 Création de l’université de Berlin 1810


Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne 1816
181

La haute société se
réunit autour du baquet
Les traitements de Mesmer
Les médecines « alternatives »
consistent d’abord à appli- Le mesmérisme partage des similarités avec d’autres
quer des aimants sur le
corps du patient. Plus tard,
thérapies, dites « alternatives », qui émergent durant
Mesmer considère ce geste le  xixe  siècle  et se caractérisent par l’insistance sur
superflu et agit directement l’individualisation des traitements, la popularité auprès
par sa présence. Devant l’af- des classes supérieures et les conflits avec l’establishment
flux de patients, il conçoit un
médical. On peut citer ici l’homéopathie de Samuel
« baquet magnétique » des-
tiné à des cures collectives. Hahnemann (1755-1843), qui tire son inspiration des
Le récipient, installé dans effets antipaludiques de la quinine et du succès des
son domicile, est censé accu- vaccins. Elle se base sur un principe de similarité suivant
muler du « fluide magné- lequel « les semblables sont guéris par les semblables »,
tique » que les patients
reçoivent en se saisissant
auquel s’ajoute une préférence pour les traitements en
de tiges métalliques. très petites doses. Comme Mesmer, Hahnemann est
Séance de baquet de décrié par la communauté médicale, mais son succès
Mesmer dans un salon de la auprès de l’élite fait perdurer ses méthodes jusqu’à
noblesse française au XVIIIe.
aujourd’hui. Un autre exemple est l’hydropathie, codifiée
par Vincent Priessnitz (1799-1851), qui consiste à traiter
les maladies par l’usage interne et externe de l’eau.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion 1848 Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
1827 Première photographie de Niépce 1851 Exposition universelle à Londres
Première ligne télégraphique aux États-Unis 1843
1785 Coulomb « pèse » l’électricité

Ingénieur et savant, Charles-Augustin de Coulomb


Charles- conçoit un appareil de mesure qu’il appelle « balance »,
Augustin
de Coulomb susceptible de mesurer la force de répulsion entre deux
1736-1806 boules chargées de la même électricité. Il établit ainsi la
loi d’attraction et de répulsion des charges électriques.

Curieuse électricité
Les manifestations électriques intriguent et inquiètent depuis longtemps, et nombre
d’amateurs éclairés se passionnent pour le sujet au XVIIIe siècle. Les émissions d’étin-
celles de lumière, l’attraction de petits morceaux de papier ou de feuilles d’or par
des tiges frottées sont admirées dans les salons, sur les boulevards et même à la
cour du roi. Moines et militaires y forment des chaînes humaines, en se donnant
la main, et sursautent en se transmettant de proche en proche une décharge élec-
trique. Donné en spectacle, le phénomène reste toutefois mal expliqué et peu contrô-
lable. Charles-Augustin Coulomb va alors s’appliquer à mesurer les forces en jeu.
182
Une « balance » électrique
Ingénieur militaire français, Coulomb cherche à appliquer les mathématiques aux
sciences de l’ingénieur. Il étudie notamment la torsion des fils et comprend son inté-
rêt pour mesurer des forces de répulsion, comme les forces électriques ou magnétiques.
Newtonien convaincu, il souhaite tester l’intensité de la force électrique qui est
pour lui, à l’image de la force de gravitation, une force centrale s’exerçant à dis-
tance. Son savoir-faire méticuleux le mène alors, en 1785, à élaborer une « balance »
de torsion de « la plus grande exactitude », lui permettant de mesurer l’intensité de
répulsion entre deux charges électriques de même polarité.

La naissance de l’électrostatique
Grâce au principe de sa balance, Coulomb soumet à l’analyse mathématique de nom-
breux effets de l’électricité statique et du magnétisme. Il rédige ainsi sept mémoires
entre 1785 et 1789 et énonce la loi de Coulomb. En l’honneur de ces travaux, l’unité de
charge électrique sera baptisée, cent ans plus tard, le coulomb (C).
Il faut attendre 1820 pour que Hans Christian Œrsted (! 1820) découvre, grâce
à la pile de Volta, l’effet inattendu de l’électricité sur une boussole. André Marie
Ampère (1775-1836) fonde alors le concept de courant et le domaine de l’électrody-
namique.

Sciences physiques et chimiques 1785 Coulomb, Mémoires sur l’électricité et le magnétisme


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1770 1780 1790 1800 1810
1789 Lavoisier, Traité élémentaire de chimie

Invention de la pile électrique par Volta 1800


183

La balance de torsion,
modèle de précision
Une controverse électrique Deux petites balles de sureau
sont placées à proximité l’une
L’Encyclopédie (!  1751) décrit l’électricité comme de l’autre dans une enceinte
l’« effet d’une matière très fluide et très subtile » en verre. La première, fixe,
qui se transmet par contact. Mais existe-t-il une ou électrisée, touche la seconde
deux natures de fluides ? L’abbé Nollet (1700-1770), qui, suspendue à un fil très fin,
s’éloigne. En jouant sur la tor-
savant expérimentateur, conçoit des « affluences » sion du fil, on oblige les balles
et « effluences » de fluides de différente nature, et à se rapprocher. La torsion,
se trouve en cela grandement suivi. D’autres, comme proportionnelle à la force
Benjamin Franklin (1706-1790), savant et homme de répulsion, permet d’en
mesurer l’intensité. Coulomb
politique américain, considèrent que les effets élec-
montre ainsi que cette force
triques s’expliquent par excès ou défaut de charges est inversement proportion-
d’une seule nature. Aucune expérience ne permet alors nelle au carré de la distance
de trancher la question. Il faudra attendre 1897 et des deux charges.
l’identification du porteur de charge électrique, l’élec- Balance de Coulomb,
Mémoire de l’Académie royale
tron, pour connaître la vraie nature du flux électrique. des sciences, 1785.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Fourier, Théorie analytique de la chaleur 1840 Liebig, Chimie agricole 1856 Invention du premier colorant artificiel
1824 Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines 1869
Tableau périodique des
1831 Première dynamo 1843 Joule, Sur l’équivalent éléments par Mendeleïev
électrique par Faraday mécanique de la chaleur
1789 Lavoisier révolutionne la chimie

Antoine-
En commençant par l’étude des gaz et des réactions
Laurent de de combustion, Antoine-Laurent de Lavoisier révolutionne
Lavoisier la chimie sur la base de la quantification et d’une réforme
1743-1794
intégrale de la nomenclature chimique.

La chimie des airs


Dans le premier tiers du XVIIe siècle, l’air commence à être considéré comme un
objet de recherche en soi par les chimistes et non plus seulement comme l’envi-
ronnement au sein duquel se produisent les réactions. Équipés de nouveaux ins-
truments, comme la vasque pneumatique inventée par le botaniste Stephen Hales
(1677-1761), les chimistes européens identifient, mesurent et étudient les propriétés
d’un grand nombre de nouveaux « airs ».
En 1754, le médecin Joseph Black (1728-1799) décrit ainsi un « air fixe » qui émane
de la respiration, de la combustion et de la fermentation (notre dioxyde de car-
184 bone). En 1766, Henry Cavendish (1731-1810) isole un « air inflammable » (dihydro-
gène). Huit ans plus tard, Joseph Priestley (1733-1804) systématise l’étude de ces
différents « airs » et, entre 1774 et 1786, isole des gaz comme l’« air nitreux » (oxyde
d’azote) ou l’« air déphlogistiqué » (dioxygène).

Un traité révolutionnaire
À Paris, Antoine-Laurent de Lavoisier, jeune membre de l’Académie des sciences,
aborde l’étude des nouveaux airs dès 1772. Il commence alors par mettre en doute la
théorie standard de l’époque qui explique certaines réactions chimiques, et notam-
ment les combustions, par l’existence d’un fluide inflammable, le « phlogistique ».
Au-delà de la découverte des composants de l’air et de l’eau, qu’il identifie à la suite
de ces expériences, les recherches de Lavoisier se caractérisent par la précision des
mesures de réactifs et de produits issus de réactions chimiques. Doté d’un des labora-
toires de chimie les mieux équipés d’Europe, celui de l’Arsenal à Paris, ses contribu-
tions à la chimie sont à la fois techniques, expérimentales et épistémologiques.
Avec la publication de son Traité élémentaire de chimie en 1789, Lavoisier réforme
les approches de cette discipline. Ce manuel diffuse au sein des nouvelles généra-
tions de chimistes une nouvelle nomenclature chimique. Cependant, l’exécution de
Lavoisier en 1794, pendant la Terreur, laisse à ses collègues et disciples la tâche de
poursuivre cette réforme.

Sciences physiques et chimiques 1789 Lavoisier, Traité élémentaire de chimie


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1770 1780 1790 1800 1810
Coulomb, Mémoires sur l’électricité et le magnétisme 1785

Invention de la pile électrique par Volta 1800


185
Liaison fructueuse
Marie-Anne Pierrette Paulze est
Le nouveau langage de la chimie l’épouse de Lavoisier mais aussi
sa principale collaboratrice.
Au xviiie siècle, la recherche chimique se heurte Ayant suivi des cours d’anglais,
à l’absence d’une nomenclature standardisée et de latin, de sciences et de pein-
cohérente. Le chimiste Torbern Bergman (1735- ture auprès de Jacques Louis
1784) propose en 1775 l’usage d’une nomencla- David, elle informe son époux
des publications étrangères et
ture binomiale analogue à celle que Linné a conçue illustre certains de ses ouvrages
pour la botanique (!  1735). En 1786, Lavoisier comme le Traité élémentaire de
profite d’une proposition de Louis Bernard Guyton chimie. Après la Révolution, elle
de Morveau (1737-1816), traducteur de Bergman, organise la publication de ses
derniers mémoires, ainsi que
pour mettre en place, avec ses collègues Claude
ceux d’autres partisans de la
Louis Berthollet (1748-1822) et Antoine Fourcroy nouvelle chimie.
(1755-1809), un projet à l’origine de la nomen- Jacques Louis David, Portrait
clature chimique moderne. Le nouveau langage du chimiste français Antoine-
de la chimie est basé sur une liste de trente-trois Laurent de Lavoisier et de sa
femme Marie-Anne Pierrette
éléments ou « corps simples » (comme l’oxygène, Paulze, 1788.
l’azote, le fer, etc.), qui sont définis de façon prag-
matique comme les substances qu’on ne peut plus
décomposer par l’analyse chimique.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Fourier, Théorie analytique de la chaleur 1840 Liebig, Chimie agricole 1856 Invention du premier colorant artificiel
1824 Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines 1869
Tableau périodique des
1831 Première dynamo 1843 Joule, Sur l’équivalent éléments par Mendeleïev
électrique par Faraday mécanique de la chaleur
1791 La Terre donne naissance
au mètre

Le 26 mars 1791, l’Assemblée constituante définit une nouvelle


unité de longueur. Fondée sur la dimension de la Terre, elle doit
unifier toutes les pratiques locales de mesures à partir d’une
démarche rationnelle et universelle.

Le chaos des poids et mesures


L’effondrement de l’empire carolingien laisse aux seigneurs la prérogative de définir
eux-mêmes poids et mesures. Du XVIe au XVIIIe siècle, toutes les tentatives royales pour
reprendre en main le système vont échouer. Les litiges sont alors chose courante sur
les marchés ou pour le prélèvement des taxes. Aussi, lorsque Louis XVI consulte les
citoyens en vue des états généraux de 1789, ces derniers demandent une réforme des
poids et mesures, lassés de mesurer les distances en pouce, toise, perche, lieue… en
fonction de leur région. Une lieue de Paris vaut par exemple 600 perches, une perche
ordinaire vaut 10/9 de perche du roi, qui vaut elle-même 3 toises soit 6 pieds du roi !
186
La Terre comme référence
Le 26 mars 1791, pour répondre à ces doléances, l’Assemblée constituante décide de
fixer une unité de longueur « naturelle et invariante », « qui ne renferme rien d’ar-
bitraire ni de particulier à la situation d’aucun peuple sur le globe ».
Sous l’impulsion de savants comme Condorcet, Laplace et Lavoisier, le mètre
– du grec « mesure » – est défini comme le 10 millionième du quart de méridien
terrestre. Cette définition, où la référence terrestre est accessible à tous et n’ap-
partient à personne, répond alors aux idéaux révolutionnaires d’universalité, d’in-
dépendance et d’alliance de toutes les nations.

La difficile adoption du système


Le système métrique décimal est institué le 7 avril 1795, mais suppose une pro-
fonde modification des habitudes. Aussi, dans le désordre politique du début du
XIXe siècle, les anciennes unités de mesure sont reprises.
C’est une loi de 1840 qui va contraindre les usagers à adopter définitivement ce
système de mesure dans le commerce comme dans la vie civile. Certaines pratiques
comme l’arpentage, enseigné à l’école primaire à partir de 1816, familiarisent les
enfants avec les subdivisions du mètre et vont faciliter la transition.

Mathématiques et astronomie 1791 Naissance du mètre


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1770 1780 1790 1800 1810
Institution du système métrique 1795 1801 Gauss, Disquitiones arithmeticae
1799
Laplace, tome I du Traité de mécanique céleste
1814
Laplace, Essai philosophique sur les probabilités
Des unités
internationales
L’épopée de la mesure du mètre 187
En 1875, pour harmoniser l’en-
En 1792, on confie aux astronomes Jean-Baptiste semble des étalons à travers
Delambre (1749-1822) et Pierre Méchain (1744-1804) le monde, 17 États signataires
décident de créer le Bureau
le soin de mesurer, avec une grande précision, la lon- international des poids et
gueur d’un degré d’arc de méridien terrestre. Dans mesures lors de la Conven-
le contexte très troublé de la Révolution française, ils tion du mètre. Au mètre et au
arpentent le terrain durant sept ans entre Dunkerque kilogramme s’ajoutent l’unité
de temps (la seconde), puis, en
et Barcelone. De la distance séparant ces deux villes,
1954, l’unité de courant (l’am-
situées sur le même méridien, et de leurs latitudes, père), de température (le kel-
ils déduisent que la nouvelle unité vaut trois pieds vin) et d’intensité lumineuse
onze lignes et deux cent quatre-vingt-seize millièmes. (la candela). En 1960, l’ajout
Depuis, la définition du mètre a changé plusieurs fois de la mole clôt la liste.

pour gagner en précision. Il est actuellement défini Présentation des nouvelles


mesures du xixe siècle : le litre
comme la longueur du trajet parcouru par la lumière (1), le gramme (2) et le mètre
dans le vide pendant 1/299 792 458e de seconde. (3), gravure de L. F. Labrousse,
1800.

❝ Qu’il n’y eût plus qu’une mesure pour tout le


royaume, et que les grains et différentes espèces se
mesurassent dans une même mesure. »
Extraits de Cahiers de doléances de Quimper et de Troyes, 1789.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1821 Germain, 1830 Comte, Cours de philosophie positive 1851 1860 Découverte du césium
Recherches sur la Pendule de Foucault par Bunsen et Kirchhoff
théorie des surfaces 1835 Quetelet, Essai de physique sociale
élastiques
1843 Premier programme informatique par Lovelace
1794 Sophie Germain fait
des maths sous un pseudo

Empêchée d’assister aux cours de l’École polytechnique,


Sophie une jeune femme prend l’identité d’un étudiant
Germain frileux pour correspondre avec les plus grands
1776-1831
mathématiciens de son temps. Son travail lui vaut
même un prix de l’Académie des sciences.

Les bancs glacés de Polytechnique


En l’an III, la République française cherche à reconstruire son système d’enseigne-
ment supérieur dévasté par la Révolution. Une école, bientôt dite Polytechnique,
est créée pour former les ingénieurs de la nation. À dix-huit ans, Sophie Germain,
passionnée de mathématiques depuis qu’elle a lu la vie d’Archimède, rêve de l’in-
tégrer. Mais l’école n’accepte pas les femmes. Peu importe, Germain s’acharne.
Après tout, elle a déjà étudié, seule, Euclide (! – 300) et Newton (! 1687). Lorsqu’elle
apprend, en 1794, que l’élève Antoine-Auguste Leblanc abandonne sa place, appa-
remment déçu de la nouvelle école froide et mal éclairée, la solution est toute trou-
188 vée. Elle prend son identité et réclame par écrit les notes de cours des professeurs.

La métamorphose de M. Leblanc

C’est donc sous l’identité de Leblanc que Sophie Ger- décrire mon admiration
main entame une correspondance avec certains pro- et mon étonnement, en
Comment vous

fesseurs, comme Joseph-Louis de Lagrange (1736-1813). voyant se métamorphoser


Elle s’attaque au théorème de Fermat, qui affirme mon correspondant
que, pour tout entier n supérieur à 2, l’équation estimé M. Leblanc. »
xn + yn = zn n’a aucune solution entière. Nul n’arrive à Lettre de C. F. Gauss
à Sophie Germain, 1807.
le montrer, et Germain y échoue aussi. Mais, chemin
faisant, toujours sous le nom de Leblanc, elle entame une correspondance avec Gauss
(! 1801), bien étonné un jour d’apprendre que c’est une femme.

Les sciences tombent en quenouille


La foule est grande, le 9 janvier 1816, quand l’Académie des sciences (! 1666, p. 138) se
propose de remettre un prix à Sophie Germain pour son mémoire sur la théorie des
surfaces élastiques. Si certains ironisent sur le fait que les sciences tombent « en que-
nouille » (aux mains des femmes), c’est que jamais l’une d’elles n’a eu droit à cet hon-
neur. Intimidée, Sophie Germain n’ose pas venir en personne le réclamer. Ce qui ne
l’empêche pas, jusqu’à sa mort, de publier de nombreux travaux sous son propre nom.

Mathématiques et astronomie 1794 Sophie Germain interdite d'entrer à Polytechnique


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1770 1780 1790 1800 1810
Institution du système métrique 1795 1801 Gauss, Disquitiones arithmeticae
1799
Laplace, tome I du Traité de mécanique céleste
1814
Laplace, Essai philosophique sur les probabilités
Examen des jeunes
filles
Près d’un siècle plus tard,
la IIIe République organise
l’éducation des jeunes filles,
bien que séparée de celle
des garçons. Une École nor-
male des jeunes filles ouvre
à Sèvres en 1881. Les lycées
de jeunes filles sont créés
en 1883 et les femmes
sont admises à l’agréga-
tion, parfois à la suite d’un
concours différent des
jeunes hommes. Une cer-
taine Liouba Bortniker, d’ori-
gine russe, parvient même
à être classée seconde au
concours général de l’agré-
gation de mathématiques
en 1885.
L’examen des jeunes filles
à l’hôtel de ville, Paris,
Le Petit Journal, 28 juillet
1895.

189


Mathématiques au féminin
Pour les jeunes femmes attirées par Une jeune fille […]
les sciences, il a longtemps été plus n’a pas hésité à aborder
facile d’accéder aux mathématiques, la plus difficile de nos
qui n’exigent ni équipement dispen- agrégations classiques, celle de
dieux ni laboratoire, plutôt qu’aux autres mathématiques pures […]. Elle a
disciplines. Plusieurs ont laissé une obtenu le second rang, presque
trace dans l’histoire. Sans remonter à le premier, avec une supériorité
Hypathie (! 415), on peut citer les noms marquée sur les nombreux
d’Émilie Du Châtelet (!  1756), Maria candidats reçus après elle et
Agnesi (1718-1799), Mary Somerville dont la plupart vont être chargés
(1780-1872), Sofia Kovalevskaïa (1850- des cours les plus importants
1891), Emmy Noether (1882-1935), etc. dans nos lycées. »
À ce jour, Maryam Mirzakhani (1977- Discours de Charles Zévort, à l’inauguration
2017) est la seule qui, en 2014, ait reçu du lycée des jeunes filles du Havre, 1885.
la médaille Fields, la plus haute récom-
pense en mathématiques.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1821 Germain, 1830 Comte, Cours de philosophie positive 1851 1860 Découverte du césium
Recherches sur la Pendule de Foucault par Bunsen et Kirchhoff
théorie des surfaces 1835 Quetelet, Essai de physique sociale
élastiques
1843 Premier programme informatique par Lovelace
1796 Un jeune garçon échappe
à la variole grâce à une vache

Un médecin anglais combat les ravages causés par


Edward la variole humaine en inoculant aux gens une variante
Jenner bovine de la maladie, beaucoup moins virulente.
1749-1823
Le principe de la vaccination se diffuse en Europe,
puis dans le monde entier.

Un fléau pour l’humanité


Pendant des siècles, la variole, maladie infectieuse d’origine virale caractérisée
par l’éruption d’abcès de pus sur la peau, est l’une des principales causes de mor-
talité chez l’homme (! 1493). De la Chine à l’Europe, de façon empirique, les popu-
lations s’exposent aux pustules sèches des patients faiblement malades pour s’en
protéger. Mais ce procédé de « variolisation » n’est pas sans risque. C’est le méde-
cin anglais Edward Jenner qui, le premier, apporte une solution de protection effi-
cace contre la maladie.

190 Le secret des laitières dévoilé


Jenner constate que les fermières qui traient
des vaches infectées par la variole bovine ne
❝ J’ai donné à
l’expression de vaccination
une extension que la science,
je l’espère, consacrera comme
sont jamais touchées par la forme humaine de un hommage au mérite et aux
la maladie. En 1796, il prélève du pus sur la main immenses services rendus par
d’une femme touchée par la variole bovine, un des plus grands hommes
moins virulente que la variole humaine, et de l’Angleterre. »
l’inocule sous la peau des bras du fils de son Louis Pasteur, Maladies virulentes,
jardinier. Soumis plus tard à une variolisation virus-vaccins, 1881.
classique, le jeune garçon ne montre aucun signe de maladie. Jenner démontre
ainsi que l’exposition aux germes de la variole des vaches immunise contre la
variole des humains. La vaccination est née.

Vers une éradication de la variole


Cette découverte a bientôt un retentissement mondial. En 1803, s’inspirant de l’ex-
périence de Jenner, l’Espagne organise une « expédition philanthropique de vacci-
nation » pour combattre la variole en Amérique et aux Philippines. L’opération est
un succès. Au Royaume-Uni, la vaccination remplace la variolisation en 1840 et en
France, la vaccination antivariolique devient obligatoire en 1902. Grâce à un combat
acharné à l’échelle planétaire, la maladie est éradiquée en 1980. C’est une première !

Sciences de la vie et médecine 1796 Invention de la vaccination


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1770 1780 1790 1800 1810

Lamarck, Philosophie zoologique 1809

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


191
La vaccination fait
campagne
Près d’un siècle après Jenner, La naissance de l’immunologie moderne
Louis Pasteur (!  1859, p. 228)
propose le nom de « vaccin », du
Au milieu du xxe siècle, les mécanismes molécu-
latin vacca qui signifie vache, pour laires de l’immunité sont élucidés : celui de l’im-
désigner l’agent infectieux qui munité innée et celui de l’immunité adaptative
déclenche une réponse immu- induite par la vaccination. Le biochimiste anglais
nitaire et évite une contamina-
Rodney Porter (1917-1985) décrit la structure des
tion ultérieure. Vers la fin du
xixe  siècle, l’emploi de vaccins anticorps, ces protéines chargées de défendre
pour protéger les populations, l’organisme contre les substances étrangères.
mais aussi le bétail, devient fré- De son côté, le chercheur français Jacques Oudin
quent. Dans un souci de préven- (1908-1985) met en évidence la spécificité d’ac-
tion, des calendriers de vaccina-
tion d’enfants sont bientôt établis.
tion des anticorps face aux maladies, qui change
Grâce à ces politiques sanitaires, selon les individus et explique les différentes résis-
des maladies comme la polio- tances aux infections. La connaissance précise des
myélite, la diphtérie ou la rou- agents pathogènes (germes, bactéries, virus…) qui
geole sont aujourd’hui combat-
engendrent des maladies permet actuellement le
tues.
développement de vaccins de plus en plus ciblés
Gaston Melingue, Edward Jenner
effectuant la première vaccination qui, comme celui contre la grippe, changent d’une
contre la variole en 1796, 1879. année sur l’autre pour s’adapter aux mutations
saisonnières des vecteurs des maladies.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
Lyell, Principes de géologie 1833 1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855 1859 Darwin, L’Origine des espèces
Popularisation de la théorie microbienne par Pasteur 1859
1799 Un naturaliste se fait écologue

Alexander
Lors d’un voyage en Amérique du Sud, le naturaliste
von allemand Alexander von Humboldt réalise des
Humboldt descriptions de paysages inédites. Il ouvre la voie à une
1769-1859
nouvelle sensibilité scientifique qui préfigure l’écologie.

La redécouverte de l’Amérique
Avec l’accord du roi d’Espagne, Alexander von Humboldt s’embarque pour un
voyage d’exploration dans les colonies américaines, qui ne durera pas moins de
cinq ans. Son périple commence au Venezuela, au cours de l’été 1799, et se termine
au Mexique, pendant l’hiver 1804.
Humboldt ne cherche pas à échantillonner des productions naturelles pour, plus
tard, les hiérarchiser au sein des classifications mais s’intéresse plutôt aux inte-
ractions des êtres vivants avec leur milieu. Ce changement d’approche redéfinit
la place du naturaliste, qui doit mettre sa compétence scientifique au service de la
192 compréhension globale des paysages.

Une nouvelle lecture de la nature


La démarche de Humboldt fait intervenir les différentes disciplines de l’histoire
naturelle en même temps que l’analyse des caractéristiques physiques des sites. Il
recueille des données bien précises sur le terrain – température, humidité, relief,
hygrométrie, latitude ou composition du sol – pour, ensuite, les mettre en relation.
Il les utilise alors pour comprendre le mode de vie des organismes vivants, inter-
préter les restes fossiles trouvés ou encore expliquer comment les ressources natu-
relles sont exploitées par les indigènes. Il prend même en considération l’impact
des paysages sur la culture et les mœurs des populations locales.

À chaque région ses plantes


L’étude des organismes dans leur milieu, et tout particulièrement des plantes, ins-
pire à Humboldt l’idée de région botanique. Il en décrit quinze : région tempérée,
tropicale, montagneuse, etc. L’identification de ces ensembles homogènes entraîne
un changement dans la perception de la nature. De l’exubérance végétale des forêts
tropicales à l’uniformité des bois de conifères, tous les paysages peuvent désormais
être systématisés et expliqués.

Sciences de la vie et médecine 1799 Naissance de l’écologie


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1770 1780 1790 1800 1810
Invention de la vaccination par Jenner 1796
Lamarck, Philosophie zoologique 1809

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


Une ascension record
Accompagné du botaniste
français Aimé Bonpland L’émergence de l’écologie
(1773-1858), Humboldt par-
court l’Amérique avec un Humboldt cherche des lois générales pour expliquer
regard curieux qui mélange l’harmonie de la nature et publie en 1855, à la fin de 193
connaissance scientifique et sa vie, Cosmos, essai d’une description physique du
plaisir esthétique. L’ascen-
monde. Cette œuvre, qui réunit des observations sur
sion de ce qu’on considère
alors comme le plus haut les étoiles et les comètes, les océans et les climats,
sommet des Andes, le vol- les plantes et l’être humain, annonce la naissance
can Chimborazo en Équa- d’un nouveau domaine, qu’Ernst Haeckel (1834-
teur, reste l’une des étapes 1919) baptisera « écologie » en 1866. Tout au long
les plus célèbres de leur
voyage. En sillonnant les
du xxe siècle, la conscience de partager un environ-
pentes du volcan, Humboldt nement commun avec l’ensemble des êtres vivants
comprend que latitude et de la planète franchit les limites de la science pour
altitude ont des effets simi- influencer le fonctionnement de nos sociétés, sou-
laires sur la végétation.
cieuses de respecter l’environnement.
Friedrich Georg Weitsch,
Humboldt et Aimé


Bonpland au pied du volcan
Chimborazo, 1810.
C’est dans la beauté absolue des formes,
c’est dans l’harmonie et dans le contraste qui
naissent de leur assemblage, que consiste ce que
l’on nomme le caractère de la nature. »
Alexander von Humboldt et Aimé Bonpland, Voyage aux régions
équinoxiales du Nouveau Continent, 1814.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
Lyell, Principes de géologie 1833 1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855 1859 Darwin, L’Origine des espèces
Popularisation de la théorie microbienne par Pasteur 1859
1800 Volta invente la pile électrique

Dans le cadre d’une controverse à propos


Alessandro de l’« électricité animale », une forme d’électricité
Volta
1745-1827 qui, selon Luigi Galvani, est propre aux êtres vivants,
Alessandro Volta développe la première pile électrique.

Des grenouilles électriques


En Europe, au XVIIIe siècle, l’électricité est un phénomène très populaire, dont les
effets sur les objets ou le corps humain sont exhibés dans les salons ou les académies.
Mais les principes scientifiques de ce phénomène sont encore mal connus (! 1785).
Luigi Galvani (1737-1798), professeur d’anatomie à l’université de Bologne, en Italie,
démontre que les décharges électriques induisent des contractions dans les muscles
des cuisses de grenouilles. Ces dernières bougent aussi quand un crochet de cuivre
fixé à la moelle épinière est mis en contact avec une barre de fer. Pour Galvani, l’ex-
périence révèle que les tissus possèdent une « électricité animale » propre, respon-
194 sable de la contraction des muscles. Il publie ses résultats, en latin, en 1791.

De la controverse à la pile
Alessandro Volta, professeur de physique expérimentale à l’université de Pavie,
n’est pas convaincu par la théorie de Galvani. Il avance l’idée que chaque métal
a une charge intrinsèque d’électricité : le courant est alors produit par le contact
entre les deux métaux, sans nul besoin de matière animale. En 1800, pour le démon-
trer, il empile des disques de cuivre et de zinc, séparés par des morceaux de carton
ou de tissu trempés dans une solution saline, et produit ainsi un courant élec-
trique. Il s’agit de la première pile électrique de l’histoire.

Des recherches galvanisées


La pile de Volta permet de produire un courant stable et continu, et devient un ins-
trument de recherche essentiel en physique et en chimie. Ainsi, Humphry Davy (1778-
1829), premier directeur du laboratoire de chimie de la Royal Institution à Londres,
utilise le courant électrique pour séparer les différents éléments chimiques d’une
solution et découvre, en 1807, le sodium et le potassium. De son côté, en 1820, Hans
Christian Œrsted met en évidence le rapport entre électricité et magnétisme à l’aide
d’une pile et d’une boussole (! 1820). Tout au long du XIXe siècle, la pile devient aussi
un outil incontournable de nouveaux secteurs techniques.

Sciences physiques et chimiques Invention de la pile électrique 1800


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1770 1780 1790 1800 1810
Coulomb, Mémoires sur l’électricité et le magnétisme 1785 1789 Lavoisier, Traité élémentaire de chimie
Volta à l’Institut
de France
En 1801, Volta se rend à Paris
pour présenter sa pile à l’Ins-
titut de France. Ses expé-
riences éveillent l’intérêt Les applications de la pile
de Napoléon Bonaparte, qui
lui décerne le titre de comte
La pile est d’abord utilisée pour la recherche
et sénateur du royaume de scientifique, mais le développement de piles plus
Lombardie. Il lui accorde durables et plus puissantes ainsi que la création
également des subventions des premiers moteurs électriques permettent d’en-
pour qu’il poursuive ses
visager d’autres usages à partir des années 1830.
recherches sur l’électricité.
C’est dans le domaine des communications que
Nicola Cianfanelli, A. Volta
présente l’expérience de la l’usage de la pile est le plus répandu. Impossible,
pile à Napoléon, Tribune par exemple, de concevoir le développement du
de Galilée au Palazzo
Torrigiani, Florence, 1841.
télégraphe électrique sans les puissantes batteries
qui fournissent les impulsions transmises par le
réseau. Les premières piles sont à usage unique.
Mais en 1859, le physicien français Gaston Planté
(1834-1889) produit la première batterie rechar-
geable au plomb. Quarante ans plus tard, Walde-
mar Jungner invente les batteries au nickel-cad-
mium qui, avec celles au lithium développées dans
les années 1980 à partir des recherches de John
Goodenough et de Rachid Yazami, alimentent les
dispositifs mobiles au début du xxie siècle.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Fourier, Théorie analytique de la chaleur 1840 Liebig, Chimie agricole 1856 Invention du premier colorant artificiel
1824 Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines 1869
Tableau périodique des
1831 Première dynamo 1843 Joule, Sur l’équivalent éléments par Mendeleïev
électrique par Faraday mécanique de la chaleur
1801 Gauss minimise les erreurs
et retrouve une planète

À la recherche d’un astéroïde disparu,


Carl Friedrich le mathématicien Carl Friedrich Gauss développe
Gauss une méthode statistique servant à réduire l’impact
1777-1855
des erreurs de mesure sur les calculs théoriques.
Il s’agit de la méthode des moindres carrés.

On a perdu une planète !


Le 1er janvier 1801, l’astronome sicilien Giuseppe Piazzi (1746-1826) observe un nouvel
astre, puis le perd de vue. Convaincu d’avoir découvert une planète, il en informe
ses collègues. Mais avec si peu d’observations, difficile de prédire le mouvement
futur de l’astre. On craint l’avoir perdu à tout jamais.
C’est alors qu’un jeune savant d’à peine 24 ans, Carl Friedrich Gauss, utilise une
méthode révolutionnaire de son invention pour calculer la position future de la
planète. Le 31 décembre 1801, les astronomes confirment la validité des méthodes
de Gauss et retrouvent l’astre, en réalité un gros astéroïde qu’on baptisera Cérès.
196
Des erreurs aléatoires, mais probables
Gauss part du principe que chaque observation est nécessairement entachée d’er-
reurs. Il distingue alors l’erreur ou le biais systématique de l’erreur aléatoire. Si
le premier type d’erreur peut être réduit par un meilleur étalonnage de l’appareil,
l’erreur aléatoire, elle, ne peut être réduite que par une méthode statistique.
Lorsque les erreurs aléatoires sont indépendantes les unes des autres, les diffé-
rents résultats de la mesure se répartissent sur une courbe très particulière, en
forme de cloche, appelée depuis « gaussienne ». Dans ce cas, la valeur la plus pro-
bable de la quantité recherchée est la moyenne des mesures, qui correspond au som-
met de la gaussienne. Parmi les différentes observations de Piazzi, Gauss choisit
donc celles qui minimisent la somme des carrés des erreurs.

Une paternité mise en doute


Gauss ne publie sa théorie des moindres carrés qu’en 1809. Mais, entre-temps, le
mathématicien français Adrien Marie Legendre (1752-1833) établit une théorie simi-
laire de manière indépendante. Une longue polémique s’ensuit entre les deux hommes
au sujet de la paternité de la méthode, sans que cela l’empêche d’être peu à peu adop-
tée, grâce au travail de Laplace (! 1814), dans toutes les sciences expérimentales.

Mathématiques et astronomie Méthode des moindres carrés 1801


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1770 1780 1790 1800 1810
Institution du système métrique 1795
1799
Laplace, tome I du Traité de mécanique céleste
1814
Laplace, Essai philosophique sur les probabilités
La planche de Galton
Dans un livre sur l’hérédité,
le statisticien anglais Francis Le prince des mathématiciens 197
Galton (1822-1911) imagine une
machine qui permet d’illustrer Au cours de l’histoire, plusieurs personnes ont eu
le théorème dit de la limite droit à l’appellation de « prince des mathématiciens ».
centrale. En tombant, les billes Si le surnom est aujourd’hui principalement réservé
frappent divers pitons sur leurs
à Carl Friedrich Gauss, c’est qu’il est l’un des géants
chemins et se répartissent dans
les compartiments du bas. Un de l’histoire des mathématiques. Alors même
grand nombre de variations qu’il s’intéresse à l’astre Cérès, Gauss publie ses
aléatoires indépendantes les Disquitiones arithmeticae, un ouvrage de théorie
unes des autres se distribuent des nombres qui préfigure l’algèbre moderne.
ainsi selon la loi normale
trouvée par Gauss.
Il joue aussi un rôle décisif dans la découverte
Machine à probabilités inspirée
des géométries non euclidiennes. Directeur de
du dispositif de Francis Galton. l’Observatoire de Göttingen, Gauss y poursuit un
programme de recherches sur le magnétisme
terrestre qui l’amène à définir un système d’unités
de mesure électromagnétique qui reste le fondement
du système international.

❝ Le calculateur mathématicien […], par la méthode


des moindres carrés, compense les résultats expérimentaux. »
Carl Friedrich Gauss, Sur un nouveau principe général de la mécanique, 1829.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1821 Germain, 1830 Comte, Cours de philosophie positive 1851 1860 Découverte du césium
Recherches sur la Pendule de Foucault par Bunsen et Kirchhoff
théorie des surfaces 1835 Quetelet, Essai de physique sociale
élastiques
1843 Premier programme informatique par Lovelace
1804 Une faune éteinte reprend
vie à Montmartre

Tel un détective, le naturaliste français Georges Cuvier


Georges reconstitue les squelettes des animaux disparus
Cuvier
1769-1832 grâce à sa connaissance approfondie de l’anatomie
des espèces vertébrées.

L’art de la comparaison
Dès la fin du XVIIIe siècle, des ossements fossiles sont régulièrement découverts
dans les sous-sols de Montmartre, au cours de l’extraction du gypse. Le naturaliste
Georges Cuvier arrive à les identifier grâce à sa méthode d’anatomie comparée. Sa
grande connaissance de l’anatomie des espèces
actuelles l’aide à identifier celles du passé. Après

Il faut se rappeler qu’au
l’observation minutieuse d’une seule dent, il début de M. Cuvier, la zoologie
est capable de décrire son propriétaire, avant se contentait de dire le nombre
même de le sortir de terre ! Lors des fouilles, des dents et des doigts. »
198 il attire ainsi une foule de curieux, désireux Lettre d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire
d’être témoins de son pouvoir de « divination ». à Alexandre Brongniart, 1832.

Sur la piste des espèces disparues


En 1804, Cuvier identifie ainsi un petit marsupial fossile, une sarigue, en s’ap-
puyant sur la morphologie de ses dents et d’un os de son bassin. Il démontre alors
la pertinence de sa loi de corrélation des formes, selon laquelle le nombre et la
forme des os qui composent le squelette d’un animal sont interdépendants. Cuvier
publie le fruit de ses réflexions en 1804 dans ses Leçons d'anatomie comparée et en 1812
dans ses Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes, un ouvrage pionnier. C’est
le coup d’envoi de la paléontologie des vertébrés comme discipline scientifique.

Les révolutions du globe


Cuvier fonde la première galerie d’anatomie comparée du Muséum national d’Histoire
naturelle (! 1739) et décrit une multitude de vertébrés fossiles. Pour lui, des animaux
disparaissent de la surface du globe à cause d’événements catastrophiques. Et après
chaque extinction, les espèces rescapées viennent repeupler les régions dévastées,
conduisant au développement d’une nouvelle faune. Une conception catastrophiste de
l’histoire de la Terre, qui est toujours d’actualité (! 1833) dans le domaine scientifique.

Sciences de la vie et médecine Cuvier, Leçons d'anatomie comparée 1804


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1770 1780 1790 1800 1810
Invention de la vaccination par Jenner 1796
Lamarck, Philosophie zoologique 1809

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


199
Une nouvelle extinction
en masse
Le « catastrophisme » de Cuvier
est aujourd’hui une théorie scien- Le Napoléon des sciences
tifique avérée. On sait que notre
planète a subi au cours de son
Secrétaire de l’Académie des sciences
histoire plusieurs épisodes ayant (! 1666, p. 138), professeur à l’École centrale
entraîné des extinctions massives, du Panthéon, au Muséum et au Collège de
celle des dinosaures au Crétacé France, Cuvier occupe tous les postes stra-
étant, sans doute, la plus connue.
tégiques en sciences naturelles pendant le
Actuellement, la perte de biodiver-
sité associée à la surpopulation, à Premier Empire et la Restauration. Inspec-
la surexploitation des ressources teur général de l’instruction publique, il est
et au réchauffement climatique est souvent accusé d’avoir retardé l’avènement
considérée par certains comme de l’évolutionnisme en France à cause de ses
une nouvelle crise biologique.
idées fixistes, supposant que les espèces
Galerie de paléontologie et
d’anatomie comparée du Muséum n’évoluent pas (! 1809). Anatomiste réputé,
national d’Histoire naturelle il réalise l’autopsie de Saartjie Baartman,
de Paris. la « Vénus hottentote », femme bochimane
exhibée à cause de son physique singulier.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
Lyell, Principes de géologie 1833 1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855 1859 Darwin, L’Origine des espèces
Popularisation de la théorie microbienne par Pasteur 1859
1809 Pour Lamarck, les espèces
sont plastiques

Pour la première fois, la tradition créationniste


Jean-Baptiste se voit bousculée par les idées d’un naturaliste
de Lamarck français. Jean-Baptiste de Lamarck avance en effet
1744-1829
que les espèces se transforment de génération
en génération, en raison de leur plasticité.

Cap sur le transformisme


Disciple du botaniste Bernard de Jussieu au Jardin du roi (! 1739), Jean-Baptiste de
Lamarck s’intéresse en premier lieu aux plantes et publie une Flore française en 1778.
Cependant, au moment de la création du Muséum national d’Histoire naturelle en
1793, c’est à la chaire dédiée aux animaux à sang blanc que le naturaliste est nommé.
À travers l’étude de cet ensemble d’organismes peu connus, surtout des mol-
lusques, Lamarck conçoit un nouveau cadre de réflexion pour expliquer la diver-
sité du vivant. La comparaison des coquillages fossiles et actuels lui inspire une
théorie connue sous le nom de transformisme, qui est publiée dans sa Philosophie
200 zoologique en 1809.

Le cou de la girafe
D’après cette théorie, les espèces se transforment au fil du temps pour s’adapter à leur
environnement. Les adaptations acquises au cours d’une génération sont alors trans-
mises à la suivante. Le naturaliste explique cette plasticité des espèces par la loi de
l’usage et du non-usage des organes, ces derniers ayant tendance à se développer s’ils
sont sollicités et à s’atrophier, voire à disparaître, dans le cas contraire. L’exemple de
la girafe, dont le cou s’allonge pour atteindre les feuilles les plus hautes, est devenu
emblématique des idées de Lamarck.

Une idée condamnée à l’oubli


Théorie révolutionnaire en son temps, le transformisme est mal reçu par la commu-
nauté savante. Cette dernière, fortement influencée par la renommée et la toute-puis-
sance de Georges Cuvier (! 1804), est en effet partisane de la fixité des espèces depuis la
Création. Tout au plus, les naturalistes acceptent-ils une transformation superficielle
de la morphologie des êtres vivants sous l’influence de la domestication ou de l’accli-
matation. En France, les idées de Lamarck n’ont pas connu de suite. C’est en Angle-
terre qu’un nouveau paradigme prendra corps dans l’œuvre de Darwin (! 1859, p. 230).

Sciences de la vie et médecine Lamarck, Philosophie zoologique 1809


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1770 1780 1790 1800 1810
Invention de la vaccination par Jenner 1796

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


Avec ou sans vertèbres
Lamarck met de l’ordre dans le
pêle-mêle des animaux à sang
blanc en les classant en plu-
sieurs groupes distincts : mol-
lusques, annélides, crustacés,
arachnides… Il les rebaptise
alors « invertébrés ». Par oppo-
sition, les animaux à sang rouge
sont désormais appelés « verté-
brés ». La présence ou l’absence
de vertèbres remplace pour lui
la couleur du sang comme pre-
mier critère de classification des
animaux. Lamarck est égale-
ment le premier à employer, en
France, le terme de « biologie »
pour faire référence à l’étude
du vivant.
Recueil des coquilles décrites
par Lamarck dans son « Histoire 201
naturelle des animaux sans
vertèbres » et non encore
figurées, 1841.

Un environnement d’influence
Aujourd’hui, l’épigénétique, discipline en plein
essor, s’intéresse aux mécanismes qui, sous
l’influence de l’environnement, modifient l’ex-
❝ L’influence
des circonstances
est effectivement, en
pression des gènes sans altérer leur séquence. tout temps et partout,
Le sexe des crocodiles et des tortues dépend agissante sur les corps
par exemple de la température d’incubation de qui jouissent de la
l’œuf. Et les abeilles, qui ont toutes le même vie, mais ces effets ne
patrimoine génétique, deviennent reine ou deviennent sensibles ou
ouvrière en fonction de la nourriture qu’elles reconnaissables qu’à la
reçoivent au cours de leur développement. suite de beaucoup de
L’hérédité n’est plus conçue comme une stricte temps. »
transmission de gènes au cours des généra- Jean-Baptiste de Lamarck,
tions, mais comme un mécanisme dynamique Philosophie zoologique, 1809.
sensible aux effets de l’environnement.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
Lyell, Principes de géologie 1833 1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855 1859 Darwin, L’Origine des espèces
Popularisation de la théorie microbienne par Pasteur 1859
1810 Une université moderne
voit le jour à Berlin

La création de l’université de Berlin par Wilhelm


Wilhelm von Humboldt marque un jalon important dans l’histoire
von
Humboldt de l’université moderne, caractérisée par la liberté
1767-1835 académique et l’intégration de la recherche
et de l’enseignement.

La fin des universités médiévales


À la fin du XVIIIe siècle, les universités restent généralement sous la tutelle de l’Église
et conservent une organisation et des pratiques médiévales. Les programmes ne
sont pas adaptés à la science moderne et la recherche se fait, le plus souvent, hors
les murs, notamment dans les académies des sciences (! 1666, p. 138).
Inspirée par la philosophie des Lumières, la Révolution abolit les universités et
crée de nouvelles écoles, comme l’École polytechnique ou l’École normale supérieure,
qui mettent en avant la science et les techniques modernes. Pourtant, les aléas de la
politique française ne favorisent pas la stabilité de ces institutions, qui sont modi-
202 fiées et rebaptisées à plusieurs reprises.

Humboldt et l’université de Berlin


En Allemagne, un modèle alternatif se développe sous l’égide du philosophe et lin-
guiste Wilhelm von Humboldt, dont le frère, Alexander, est un célèbre naturaliste et
voyageur (! 1799). Nommé conseiller pour l’éducation au ministère de l’Intérieur de
Prusse, il propose en 1809 une réforme complète de l’enseignement supérieur en s’ins-
pirant des idées du théologien et philosophe Friedrich Schleiermacher (1768-1834).
Son projet s’appuie sur les principes de la liberté académique, le libre choix de
parcours des étudiants et l’autonomie universitaire, qui doivent mener à une uni-
versité dédiée à l’éducation générale et au progrès de la connaissance. L’université
de Berlin qui ouvre en 1810 est le premier exemple de ce nouveau modèle.

L’expansion du modèle allemand


Les réformes de Humboldt s’imposent en Europe vers la moitié du XIXe siècle. Com-
binant de manière efficace enseignement, recherches dans des laboratoires bien
équipés (! 1824) et séminaires vivants, les universités permettent à la Prusse et aux
autres États allemands de devenir leaders de la recherche scientifique. Elles ins-
pirent rapidement la Scandinavie et les pays de l’Europe centrale et orientale. Dans
les années 1870, le modèle est aussi adopté aux États-Unis et au Japon (! 1871).

Techniques et culture Création de l’université de Berlin 1810


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1770 1780 1790 1800 1810
1769 Brevet de la machine à vapeur par Watt Métier à tisser de Jacquard 1801

Premier vol en montgolfière 1783


Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne 1816
L’université comme
lieu de science
Depuis le xixe siècle, les uni-
versités occupent une place L’expansion des universités au XIXe siècle
centrale dans la recherche
scientifique. L’enseigne- La crise de l’université à la fin du xviiie siècle est mise
203
ment universitaire s’accom- en évidence par la diminution du nombre d’univer-
pagne ainsi de travaux pra- sités en Europe, qui passent de 143 à seulement 83
tiques dans les laboratoires
entre 1789 et 1815. À l’inverse, le xixe siècle connaît
et de discussions de haut
niveau dans les séminaires. une vague de création de nouvelles universités. En
La recherche devient aussi, 1930, on en compte plus de 200, auxquelles on peut
par le biais de la production ajouter 300 institutions d’enseignement technique
de thèses de doctorat origi- supérieur. Après la Seconde Guerre mondiale, de
nales, un prérequis aux car-
rières dans l’enseignement
nouvelles réformes sont entamées, induisant une
supérieur. augmentation importante du nombre d’étudiants et
Laboratoire d’électrochimie d’enseignants pour la recherche universitaire. Les
de l’Université de révoltes d’étudiants à la fin des années 1960 accé-
technologie, Munich,
fin du xixe siècle.
lèrent la démocratisation des universités, qui attirent
aujourd’hui la moitié des jeunes entre 18 et 24 ans.

❝ C’est une particularité des établissements scientifiques


supérieurs de toujours traiter la science comme un problème
qui n’est pas encore entièrement résolu, et de ne jamais
abandonner en conséquence la recherche […] »
Wilhelm von Humboldt, Sur l’organisation interne et externe des établissements
scientifiques supérieurs à Berlin, 1809.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion 1848 Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
1827 Première photographie de Niépce 1851 Exposition universelle à Londres
Première ligne télégraphique aux États-Unis 1843
1814 Laplace décrit un monde
où tout est joué d’avance

C’est dans un ouvrage de vulgarisation sur la théorie


Pierre- des probabilités que le mathématicien et astronome
Simon de
Laplace français Pierre-Simon de Laplace suggère que le cours
1749-1827 des événements peut « idéalement » être entièrement
prédit par des lois déterministes.

Le probable mouvement des astres


L’un des plus habiles astronomes de son temps, Pierre-Simon de Laplace, est aussi le
premier à utiliser tous les ressorts de l’analyse mathématique pour étudier et pré-
dire les mouvements célestes. Laplace démontre ainsi que la théorie de la gravita-
tion d’Isaac Newton (! 1687) suffit à rendre compte du mouvement des astres sur
une longue durée. Il pense même pouvoir prouver mathématiquement la stabilité
du Système solaire.
C’est pour améliorer la précision de ses théories qu’il affine la méthode des
moindres carrés inventée par Gauss, celle-ci donnant la valeur la plus probable
204 d’une quantité mesurée par des instruments imparfaits (! 1801). Il est au som-
met de sa carrière lorsqu’il publie son Essai philosophique sur les probabilités en 1814
et avance que les probabilités peuvent s’appliquer « aux questions les plus impor-
tantes de la vie », telles que le mouvement des astres, les marées, les saisons, voire
les affaires humaines.

La part du hasard
Laplace généralise à tous les phénomènes physiques l’idée newtonienne consistant
à exprimer les lois de la nature par des équations différentielles. L’une des caracté-
ristiques principales de ces équations est de décrire l’évolution dans le temps d’un
système physique si l’on en connaît l’état initial.
En apportant un fondement mathématique à l’idée de déterminisme déjà
présente chez les penseurs du XVIIIe siècle, Laplace donne à croire que le progrès des
connaissances permettra un jour de tout prévoir. Tout au moins pour une intelli-
gence fictive qui aurait une connaissance parfaite des conditions initiales et sau-
rait résoudre toutes ces équations. À ce compte, faut-il penser que même nos déci-
sions les plus intimes ne sont que la conséquence d’interactions prévisibles entre
molécules ? Tout serait-il joué d’avance ?
Au XXe siècle, la mécanique quantique (! dossier, p. 290-291) et le chaos détermi-
niste (! 1963) montreront les limites inhérentes au déterminisme laplacien.

Mathématiques et astronomie Laplace, Essai philosophique sur les probabilités 1814


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1770 1780 1790 1800 1810
Institution du système métrique 1795 1801 Gauss, Disquitiones arithmeticae
1799
Laplace, tome I du Traité de mécanique céleste
Une ascension fulgurante
D’origine modeste, c’est grâce
à ses talents de mathématicien
que Laplace s’impose dans le
monde savant des dernières
années de l’Ancien Régime.
Il devient membre de l’Aca-
démie des sciences à vingt-
quatre ans, et son ascension
se poursuit pendant la Révo-
lution, l’Empire et la Restaura-
tion, qui le fait pair et marquis.
Sur ce portrait, on le voit arbo-
rer fièrement les attributs du
pouvoir impérial, dont la Légion
d’honneur.
Guérin Paulin, Pierre-Simon
de Laplace, 1838.

205


Un Newton à la française
Nous devons envisager Après la Révolution française, Laplace est
l’état de l’Univers comme l’effet de très vite convaincu que les savants ont
son état antérieur et la cause de ce aussi pour mission de s’impliquer dans
qui va suivre. Une intelligence qui, les affaires de la société. Membre de la
à un instant donné, connaîtrait commission chargée de créer le système
toutes les forces dont la nature est métrique en 1791, Laplace s’avère un sou-
animée et la situation respective tien indéfectible de Napoléon Bonaparte
des êtres qui la composent, […] (1769-1821) dont il sera brièvement le
embrasserait dans la même ministre. Il cherche à faire diffuser les
formule les mouvements des plus connaissances et participe avec enthou-
grands corps de l’univers et ceux siasme aux projets pédagogiques de cette
du plus léger atome ; rien ne serait période. De son cours à l’École normale de
incertain pour elle, et l’avenir, l’an III, il tire l’Exposé du système du monde
comme le passé, serait présent qui rencontre un large succès dans toute
à ses yeux. » l’Europe, au point qu’on le surnomme alors
Pierre-Simon de Laplace, Essai philosophique le Newton français.
sur les probabilités, 1814.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1821 Germain, 1830 Comte, Cours de philosophie positive 1851 1860 Découverte du césium
Recherches sur la Pendule de Foucault par Bunsen et Kirchhoff
théorie des surfaces 1835 Quetelet, Essai de physique sociale
élastiques
1843 Premier programme informatique par Lovelace
1816 Une jeune anglaise imagine
une créature artificielle

Mary Avec son roman Frankenstein, Mary Shelley donne vie


Shelley à un mythe influent qui exprime nos inquiétudes face
1797-1851
à la science moderne.

Une année sans été


En 1816, les pluies se succèdent dans l’hémisphère Nord et les températures plongent
anormalement. Et pour cause, l’une des plus violentes éruptions volcaniques de
l’histoire s’est produite en Indonésie l’année précédente. Au mois de mai de cette
« année sans été », un groupe d’intellectuels et d’amis décide de se retrouver au bord
du lac Léman pour y passer l’été.
Composé du médecin John William Polidori (1795-1821), du poète et philosophe Percy
Shelley (1792-1822) et de Mary Wollstonecraft Godwin, le groupe séjourne dans une villa
appartenant au poète George Byron (1788-1824). Afin d’égayer les journées sombres et
206 pluvieuses, ce dernier propose à chacun d’inventer une histoire de fantômes.

Un conte de terreur gothique


L’histoire de Polidori, baptisée Le Vampire et publiée en 1819, marque la première
apparition de cette créature dans la littérature de fiction. La jeune Mary, âgée d’à
peine seize ans, imagine quant à elle l’histoire d’un certain docteur Viktor Fran-
kenstein qui assemble une créature à partir des corps de plusieurs défunts.
En janvier 1818, Mary, qui a entre-temps épousé Percy Shelley, publie de manière
anonyme le roman Frankenstein ou le Prométhée moderne, dans lequel elle développe
une histoire d’horreur accompagnée de nombreuses réflexions éthiques, philoso-
phiques et politiques.

Un écho à l’image du savant


Frankenstein peut être considéré comme le premier roman de science-fiction moderne,
l’étrangeté et l’action étant ici induites par la science et non par des pouvoirs surna-
turels. Le roman et ses nombreuses adaptations deviennent une référence incontour-
nable de la représentation populaire des sciences et des savants. Les mésaventures du
docteur Frankenstein illustrent autant les espoirs qu’on place dans les découvertes
technoscientifiques que les craintes qu’elles suscitent. Elles rappellent aussi aux
scientifiques qu’ils doivent assumer la responsabilité de leurs créations.

Techniques et culture Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne 1816


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1770 1780 1790 1800 1810
1769 Brevet de la machine à vapeur par Watt Métier à tisser de Jacquard 1801

Premier vol en montgolfière 1783 Création de l’université de Berlin 1810



Les adaptations du roman
Le roman de Shelley, dont le style est très
Les maîtres modernes […] pénètrent
innovant, est aussi bien accueilli par la
dans les recoins de la nature et montrent critique que par le public. Au xixe siècle, il
comment elle procède dans les endroits où fait l’objet de plusieurs adaptations théâ-
elle se cache. Ils montent jusqu’aux cieux ; trales, qui servent de base aux scénarios
ils ont découvert la circulation du sang, de plus d’une centaine de films depuis 207
1910. Ces adaptations introduisent des
la nature de l’air que nous respirons. personnages (comme l’assistant de Fran-
Ils ont acquis des puissances nouvelles kenstein) et des thèmes (le savant fou)
et illimitées… » qui ne sont pas présents dans l’œuvre
originale.
Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne,
traduit par Germain d’Hangest, 1922. Colin Clive et Dwight Frye dans
Frankenstein de James Whale, 1931.

Entre science et fiction


Le thème du monstre de Frankenstein de son côté, que la stimulation de cer-
s’inspire de la science de son temps. tains nerfs pourrait ressusciter des per-
Chimiste amateur, Percy Shelley parti- sonnes asphyxiées ou noyées. Pourtant,
cipe d’ailleurs avec Mary à des démons- ce n’est qu’en 1899 que les médecins
trations publiques sur les pouvoirs de genevois Jean-Louis Prévost et Frédé-
l’électricité. Ils connaissent proba- ric Batelli montrent, sur des chiens, qu’il
blement les expériences menées en est possible de restaurer le rythme nor-
1803 par Giovanni Aldini, neveu de Gal- mal d’un cœur par des décharges élec-
vani (! 1800), au cours desquelles les triques. La première utilisation de cette
muscles de criminels exécutés sont technique – la défibrillation – sur l’être
activés grâce à l’électricité. En 1818, le humain est faite par le chirurgien amé-
médecin écossais Andrew Ure affirme, ricain Claude Schaeffer Beck en 1947.

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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion 1848 Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
1827 Première photographie de Niépce 1851 Exposition universelle à Londres
Première ligne télégraphique aux États-Unis 1843
1820 Un apothicaire fait tourner
les aiguilles d’une boussole

Lors d’une célèbre expérience, qui révèle


Hans Christian l’influence de l’électricité sur une aiguille aimantée,
Œrsted Hans Christian Œrsted ouvre un nouveau champ
1777-1851
de recherches qui permettra de lier électricité
et magnétisme.

Une leçon privée électrisante


Au début du XVIIIe siècle, suite à de nombreuses observations de l’aimantation du fer
par la foudre, on s’interroge sur l’existence d’un lien entre ces deux « puissances
de la nature ». À Copenhague, Hans Christian Œrsted, apothicaire cultivé, nourrit
certaines convictions sur « l’identité des forces électriques et magnétiques ». Pour
tester ses hypothèses, il réalise des expériences à l’aide de la pile de Volta (! 1800).
Lors d’un cours privé donné à des étudiants en 1820, il relie les deux pôles d’une
pile et remarque la déviation de l’aiguille d’une boussole posée à proximité. Il mène
alors des expériences méthodiques et définit le phénomène comme un « conflit
208 électrique » qui déborde du fil dans un certain rayon et « agit en tournoyant ».

Et le courant électrique fut !


À peine deux mois plus tard, l’expérience est reproduite à Genève devant François
Arago (1786-1853), qui la réalise à son tour à l’Académie des sciences de Paris devant
André Marie Ampère (1775-1836). Le physicien s’empare du problème et présente
rapidement son interprétation.
Ampère introduit alors le concept d’une grandeur physique qui « circule » de
façon continue dans le fil branché à la pile. À l’aide du dessin d’un « bonhomme »,
il prédit le sens de déviation de l’aiguille, et considère que le fil est traversé par un
fluide qu’il appelle « courant électrique ».

Deux visions complémentaires


Que l’on considère comme Ampère que l’aimantation de l’aiguille, dans l’expérience
d’Œrsted, est le résultat de minuscules boucles de courant, ou comme Jean-Baptiste
Biot (1774-1862), que chaque morceau de fil conducteur se comporte comme un
aimant, force est d’admettre qu’il existe un lien entre magnétisme et électricité.
Pour Ampère, ce sont deux formes d’un même phénomène, à l’origine d’un nouveau
domaine, celui de l’électrodynamique.

Sciences physiques et chimiques


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1770 1780 1790 1800 1810
Coulomb, Mémoires sur l’électricité et le magnétisme 1785 1789 Lavoisier, Traité élémentaire de chimie

Invention de la pile électrique par Volta 1800


La nouvelle idée
d’une circulation électrique
Avant 1820, on ne connaît de l’électricité que
les effets de son stockage et de ses décharges
(l’électrostatique). L’idée, proposée par Ampère,
d’un fluide qui circule dans le conducteur, donne
naissance à l’électrodynamique. Ce concept se
révèle très fructueux et ouvre la voie à la science
des circuits électriques dont les formules
sont toujours employées, bien que l’on sache
aujourd’hui voir le phénomène électrique comme
une onde qui se propage dans le conducteur.
Œrsted réalisant son expérience, Les
Merveilles de la science de Louis Figuier, 1867.

209

Entre doute et surprise


Le résultat obtenu par Œrsted prend la des physiciens est piquée par la mise
communauté scientifique par surprise. en évidence d’une force de nature dif-
Dans un premier temps, les physiciens férente de celles observées jusque-là
sont réticents à l’admettre, notamment entre masses ou charges électriques
à cause de la vision romantique des (! 1785). Pour la première fois, au lieu
sciences que défend le scientifique. d’être attractive ou répulsive, la force
Très à la mode dans le monde germa- exercée par le courant électrique sur
nique, cette Naturphilosophie postule a la boussole agit perpendiculairement à
priori une unité profonde des phéno- la distance qui les sépare. Voilà de quoi
mènes de la nature. Mais la curiosité exercer leur sagacité !

1820 Naissance de l’électrodynamique


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Fourier, Théorie analytique de la chaleur 1840 Liebig, Chimie agricole 1856 Invention du premier colorant artificiel
1824 Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines 1869
Tableau périodique des
1831 Première dynamo 1843 Joule, Sur l’équivalent éléments par Mendeleïev
électrique par Faraday mécanique de la chaleur
1824 Un inventeur élabore le « système
américain de production »

John Hall met au point une nouvelle méthode


de fabrication, qui se fonde sur l’interchangeabilité
John Hall
1781-1841
des pièces, dans un arsenal de l’armée américaine.
Ce système de production est repris par de nombreuses
industries aux États-Unis au cours du XIXe siècle.

Une idée venue de France


Jusqu’au début du XIXe siècle, les produits fabriqués dans la même usine sont faits
de composants qui sont tous différents les uns des autres. Jean-Baptiste de Gribeau-
val (1715-1789), lieutenant-général de l’armée française, est le premier à promouvoir
l’interchangeabilité des pièces afin que les fusils et les canons soient plus faciles à
réparer.
Ce concept, importé aux États-Unis par des officiers français, est adopté par l’ar-
mée américaine en 1815. Mais il s’avère difficile à mettre en œuvre, la précision
de mesure et la reproduction des pièces à l’identique restant complexes. Aussi le
210 département des matériels prête-t-il une oreille attentive à John Hall, inventeur
d’un nouveau fusil, quand celui-ci propose de fabriquer cette arme avec des pièces
interchangeables.

Les innovations de John Hall


En 1819, l’armée commande mille fusils à John Hall et l’autorise à utiliser son arse-
nal d’Harpers Ferry en Virginie pour les produire. À Harpers Ferry, Hall fait trois
inventions qui rendent possible l’interchangeabilité des pièces. Il fabrique des
machines-outils spécialisées, notamment des fraiseuses, pour les usiner. Il conçoit
des gabarits qui permettent de mesurer les pièces pendant leur fabrication. Enfin,
il développe une nouvelle technique afin de positionner les pièces de façon iden-
tique sur toutes les machines. Dès 1824, sa méthode de production est bien au point.

Le « système américain de production »


À partir des années 1830, la grande majorité des industriels faisant des revolvers
et des fusils aux États-Unis adoptent le système de production de Hall. Ces tech-
niques sont ensuite reprises par des entreprises produisant du matériel agricole,
des montres, des machines à coudre et des bicyclettes. L’industrie automobile sera
la dernière à adopter ces techniques. Celles-ci sont connues en Europe sous le nom
de « système américain de production » à partir du milieu du XIXe siècle.

Techniques et culture
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1770 1780 1790 1800 1810
1769 Brevet de la machine à vapeur par Watt Métier à tisser de Jacquard 1801

Premier vol en montgolfière 1783 Création de l’université de Berlin 1810


Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne 1816
211
Coup d’envoi de la production
Pendant les années 1830, les fusils
inventés par John Hall sont produits
à l’identique dans l’arsenal d’Harpers
Vers la production de masse Ferry et l’usine de Simeon North dans
le Connecticut. Ils ont la particularité
À la Ford Motor Company, Henry Ford (1863- d’être rechargeables par la culasse.
1947) et ses ingénieurs reprennent les deux Ils sont largement utilisés pendant la
principaux aspects du système américain de guerre de Sécession.
production : les pièces interchangeables et les Fusils fabriqués avec des pièces
machines spécialisées. En 1913, ils y ajoutent interchangeables par John Hall
et Simeon North, 1831-1838.
la chaîne d’assemblage qui permet la fabrica-
tion de produits standardisés en très grande
quantité et à très bas coûts. Afin de fidéliser
la main-d’œuvre sur ces lignes de produc-
tion, Ford augmente le salaire des ouvriers.
Ces derniers gagnent cinq dollars par jour, un
salaire très élevé pour l’époque. Ce sont les
débuts de la production de masse.

1824 Système américain de production


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion 1848 Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
1827 Première photographie de Niépce 1851 Exposition universelle à Londres
Première ligne télégraphique aux États-Unis 1843
1824 Justus Liebig enseigne
la chimie sur la paillasse

En combinant enseignement et recherche, Justus Liebig


Justus transforme une université de province en un véritable
Liebig
1803-1873 centre d’innovation en chimie. Ce nouveau modèle sera
diffusé dans le monde entier par ses étudiants.

Une université de province innovante


Après avoir passé un an et demi à Paris, où il devient le protégé d’Alexander von
Humboldt (! 1799), le jeune Justus Liebig est nommé, en 1824, professeur de chimie
à l’École de pharmacie de l’université de Giessen. Il y établit un laboratoire destiné
à l’enseignement pratique de la chimie. Avec l’appui du gouvernement de l’État de
Hesse, et profitant du contexte de la réforme universitaire dans les États allemands
(! 1810), Liebig réussit à mettre en place, dans le domaine de la chimie organique
(chimie du carbone et de ses composés), un enseignement innovant basé sur les tra-
vaux pratiques de laboratoire.
212
Apprendre en expérimentant
Liebig confie ainsi à ses étudiants des sujets de recherche originaux, qui les
amènent à se familiariser avec les techniques d’analyse de composés organiques,
notamment avec l’usage d’un instrument de son invention, le Kaliapparat.
Parallèlement, Liebig développe un programme de recherches en chimie agricole.
Ainsi, ses étudiants analysent les cendres de matière végétale pour comprendre le
rôle des minéraux dans la physiologie des plantes, et étudient les protéines des tissus
et excréments d’animaux pour comprendre comment fonctionne la digestion. Plu-
sieurs de ces recherches sont publiées dans une revue qu’il a fondée, les Annalen der
Chemie und Pharmacie, qui devient l’une des plus prestigieuses en Europe.

Un modèle qui s’exporte


Le laboratoire universitaire de Giessen attire des étudiants du monde entier.
De 1824 à 1852, Liebig supervise plus de sept cents étudiants. Certains d’entre eux
deviennent professeurs de chimie et diffusent son modèle d’enseignement à tra-
vers le monde. Les programmes d’institutions, comme l’université Harvard, le
Royal College of Chemistry de Londres ou l’université de Leipzig, s’appuient sur ce
précédent.

Sciences physiques et chimiques


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1770 1780 1790 1800 1810
Coulomb, Mémoires sur l’électricité et le magnétisme 1785 1789 Lavoisier, Traité élémentaire de chimie

Invention de la pile électrique par Volta 1800



Le laboratoire de Liebig à Giessen
Le prestige et le charisme de Liebig, ainsi
Un bon chimiste est quelqu’un que des frais d’inscription réduits grâce à 213
qui sait voir, sentir, penser en termes de une subvention de l’État, attirent les meil-
phénomènes ; qui sait garder en mémoire leurs étudiants dans son laboratoire. Sur
les sensations liées aux expériences et aux cette gravure, on peut apercevoir Liebig
à l’arrière-plan, observant l’activité des
produits qu’il a manipulés par le passé. » étudiants par une porte entrouverte.
Liebig cité par Bernadette Bensaude-Vincent Laboratoire de chimie de Justus Liebig
et Isabelle Stengers, Histoire de la chimie, 1993. à l’université de Giessen, 1842.

Le succès de la chimie allemande


La puissance et la nouvelle organisation ment), des engrais ou des dérivés du
de son système universitaire font de pétrole. L’un d’entre eux, August Wilhelm
l’Allemagne un leader dans le domaine von Hofmann (1818-1892), met en place
scientifique à la fin du xixe siècle. Les à Londres une école de recherche sur
universités attirent des étudiants du les composés organiques, inspirée du
monde entier et stimulent le dévelop- modèle de Liebig. C’est là que William
pement industriel. Dans le domaine de Perkin obtient le premier colorant arti-
la chimie, les étudiants de Liebig font ficiel produit à échelle industrielle, la
carrière dans des secteurs industriels, mauvéine (! 1856).
comme celui des alcalis (blanchisse-

1824 Enseignement innovant en chimie de Liebig


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Fourier, Théorie analytique de la chaleur 1840 Liebig, Chimie agricole 1856 Invention du premier colorant artificiel
1824 Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines 1869
Tableau périodique des
1831 Première dynamo 1843 Joule, Sur l’équivalent éléments par Mendeleïev
électrique par Faraday mécanique de la chaleur
1830 Auguste Comte donne des
cours d’astronomie populaire

Pour Auguste Comte, la compréhension des sciences ne


Auguste doit s’appuyer que sur l’observation des faits. Pour faire
Comte
1798-1857 la promotion de cette nouvelle approche philosophique,
il développe un enseignement d’astronomie populaire.

Positivement rebelle
Admis à l’École polytechnique en 1814, Auguste Comte fait de brillantes études. Mais
son caractère rebelle lui attire des ennuis et il se fait expulser de l’établissement
avec l’ensemble de sa promotion. Suivent des années difficiles, au cours desquelles
il devient secrétaire du comte Henri de Saint-Simon (1760-1825) et découvre grâce à
lui une vision de la société industrielle à l’origine du socialisme. Dès 1829, Comte
s’en inspire pour développer un nouveau système de pensée, en rupture avec la tra-
dition, basé sur les faits, et qu’il appelle la « philosophie positive ».

214 L’astronomie pour les ouvriers


Après un premier essai de cours publics infructueux, Comte estime que son message sera
mieux reçu s’il s’appuie sur l’astronomie. Un dimanche après-midi de novembre 1830,
quelques mois à peine après la révolution de Juillet, il commence donc des cours d’as-
tronomie populaire. Pour toucher un large public, y compris les ouvriers, les cours sont
gratuits et se dispensent de sophistications mathématiques. Et s’il existe plusieurs cours
publics à Paris à cette époque, dont les célèbres leçons d’astronomie de François Arago
(1786-1853), l’enseignement de Comte se démarque par son ambition philosophique.

Les trois âges de l’humanité


Pour Comte, tous les savoirs scientifiques passent par trois stades de développement. Ils
commencent par les stades théologique et métaphysique, avant d’atteindre l’âge positif,
c’est-à-dire fondé rationnellement sur les faits observés. Dans le Cours de philosophie posi-
tive, il aborde, selon une échelle de complexité, l’astronomie puis les sciences physiques,
chimiques et biologiques, avant de décrire ce que
devraient être les sciences de la société pour les-
❝ On ne connaît pas
quelles il crée le néologisme de « sociologie ». Par complètement une science tant
la suite, Comte développe, sur cette base, une qu’on n’en sait pas l’histoire. »
pensée religieuse et cherche à fonder une reli- Auguste Comte, Cours de philosophie
gion de l’humanité. positive, 1830.

Mathématiques et astronomie
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1770 1780 1790 1800 1810
Institution du système métrique 1795 1801 Gauss, Disquitiones arithmeticae
1799
Laplace, tome I du Traité de mécanique céleste
1814
Laplace, Essai philosophique sur les probabilités
215

L’astronomie,
un modèle à suivre
Positivisme Pour Comte, l’astronomie est la
seule science à avoir atteint le
L’épistémologie est la branche de la philosophie stade ultime du développement
qui cherche à porter un regard critique sur la philosophique. Débarrassée
des explications théologiques
méthode scientifique. Le positivisme postule que et métaphysiques, elle s’appuie
le progrès de l’esprit humain l’amène peu à peu à sur les observations pour pro-
se détacher de la recherche des causes premières poser des lois mathématiques
des phénomènes pour se consacrer à celle des qui ne s’intéressent plus au
« pourquoi » des choses, mais
lois de la nature, exprimées en langage mathéma-
seulement au « comment ». Tout
tique, par le moyen d’expériences et d’observa- comme Newton qui énonce la
tions répétées. Malgré ses dérives religieuses, le loi de la gravitation universelle,
positivisme aura une grande influence sur l’épis- sans forger d’hypothèse pour
témologie. Dans les années 1920, un groupe de chercher à l’expliquer (! 1687).
scientifiques et philosophes autrichiens forment Globes ayant appartenu
à Auguste Comte, Maison
le Cercle de Vienne et s’en inspirent pour promou- d’Auguste Comte, Paris.
voir l’empirisme logique, selon lequel seule la
connaissance basée sur des observations empi-
riquement vérifiables est réellement scientifique.

1830 Comte, Cours de philosophie positive


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1821 Germain, 1851 1860 Découverte du césium
Recherches sur la Pendule de Foucault par Bunsen et Kirchhoff
théorie des surfaces 1835 Quetelet, Essai de physique sociale
élastiques
1843 Premier programme informatique par Lovelace
1833 Charles Lyell vieillit la Terre de
centaines de millions d’années

Le XVIIIe siècle commence à mettre en doute l’âge biblique


Charles de la Terre. En étudiant les phénomènes géologiques
Lyell sous un jour nouveau, le Britannique Charles Lyell fait
1797-1875
résolument passer l’âge de la Terre de quelques milliers
à plusieurs centaines de millions d’années.

Les temps changent !


Tandis que les Grecs conçoivent une Terre éternelle, maintenue dans un équilibre
perpétuel, la Bible impose à l’Occident latin la notion de création du monde. La
chronologie des générations de prophètes fait remonter, l’origine de la Terre, au
plus loin à 7 000 ans avant la naissance du Christ, dans une histoire ponctuée par
maints événements catastrophiques.
Au XVIIIe siècle, certains scientifiques envisagent une histoire terrestre plus pai-
sible et déjà bien plus longue. Considérant le temps qu’il a fallu pour que l’océan
devienne salé, Edmond Halley (1656-1742) rejette l’idée d’une Terre n’ayant que
216 quelques milliers d’années. L’ingénieur Henri Gautier (1660-1737) constate la len-
teur de l’érosion et de la sédimentation et avance, lui, un âge d’environ 35 000 ans.

La Terre vieillit tranquillement


À la fin du XVIIIe siècle, le géologue James Hutton (1726-1797) s’oppose au catastrophisme
(! 1804) et adopte l’idée d’un monde qui n’a « ni début ni fin », lentement façonné par
les mêmes processus : érosion des montagnes, dépôts par sédimentation, mouvements
de terrain, etc. Mais sa Théorie de la Terre, parue en 1788, reste confidentielle.
Dans les Principes de géologie, parus en 1833, Charles Lyell reprend la vision de Hut-
ton et la popularise sous le nom d’uniformitarisme. À partir d’observations de ter-
rain, il apporte la preuve de l’existence d’un temps géologique long de plusieurs
centaines de millions d’années et donc d’une Terre tout aussi ancienne. Charles
Darwin (! 1859, p. 230), le soutient, évaluant à plus de trois cents millions d’années
l’âge de la formation rocheuse qu’il étudie dans le sud-est de l’Angleterre.
Avec la découverte de la radioactivité par Henri Becquerel (! 1898), il devient pos-
sible de dater les roches grâce à la décomposition isotopique de certains atomes.
L’âge de la Terre est alors estimé à 40 millions d’années en 1906, puis à 2,5 milliards
d’années en 1938, et enfin à 4,55 milliards d’années aujourd’hui (! 1949).

Sciences de la vie et médecine


| | | | |
1770 1780 1790 1800 1810
Invention de la vaccination par Jenner 1796
Lamarck, Philosophie zoologique 1809

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


Les Principes de géologie de Lyell


Pour Lyell, l’histoire de la Terre est enregistrée
Les lois qui ont présidé dans les paysages. Dans son ouvrage, il constate
des ressemblances entre la nature et la structure 217
aux changements de la surface de dépôts récents, obtenus par dragage de l’Adria-
terrestre sont beaucoup plus tique, et celles de divers dépôts anciens italiens. Il
uniformes qu’[on] ne l’avait en conclut la similarité et la lenteur des processus
imaginé. » de formation des couches géologiques à travers le
temps, et définit ainsi les principes d’uniformita-
Charles Lyell, Principes de géologie, 1833. risme et d’actualisme.
Vue de la Valle del Bove, Etna,
Principes de géologie de Charles Lyell, 1833.

Physiciens contre géologues


En 1778, Georges Louis Leclerc de Buffon convictions des géologues qui évaluent
(! 1739) est le premier à quantifier l’âge des temps bien plus longs, en raison de
de la Terre sans faire référence aux récits la lenteur des phénomènes d’érosion
bibliques. Connaissant le temps de refroi- et d’évolution. Kelvin ne s’est pourtant
dissement des boulets de canon, il extra- pas trompé dans ses calculs, mais dans
pole cette mesure à la Terre tout entière ses hypothèses. En effet, il suppose une
et propose un âge d’environ 74 000 ans. Terre rigide et homogène, et ignore la
Un siècle plus tard, le physicien lord Kel- dynamique de l’intérieur de la Terre,
vin fait un calcul à partir de l’équation de notamment qu’une convection anime
la chaleur. Son résultat, de 20 à 400 mil- la profondeur du globe et transporte la
lions d’années, entre en conflit avec les chaleur vers la surface (! 1968, p. 322).

1833 Lyell, Principes de géologie


| | | | | |
1820 1830 1840 1850 1860 1870
1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855 1859 Darwin, L’Origine des espèces
Popularisation de la théorie microbienne par Pasteur 1859
1835 Adolphe Quetelet invente
l’homme « moyen »

Le XIXe siècle est le siècle de la quantification : porté


Adolphe par les succès de la physique, on y mesure tout.
Quetelet Adolphe Quetelet envisage alors une physique sociale
1796-1874
étudiant la régularité des caractères humains et des
phénomènes sociaux.

Une effrayante régularité


Au début du XIXe siècle, la « statistique » est d’abord, comme l’indique son étymolo-
gie, la science de l’État et du gouvernement des populations. En Angleterre, dès le
XVIIIe siècle, puis en France, les bureaux de statistiques produisent déjà de vastes
ensembles de données dans le cadre de recensements, de l’état civil, de l’armée,
des prisons, etc. Frappé de « l’effrayante régularité avec laquelle les crimes se pro-
duisent », année après année, Adolphe Quetelet se demande s’ils ne pourraient pas
être étudiés par le biais des mathématiques.

218 De l’astronomie à la société


Directeur de l’observatoire de Bruxelles, Quetelet s’inspire des méthodes en vigueur
en astronomie. Dans sa Théorie analytique des probabilités, Laplace (! 1814) suggère déjà
que les moyens qui permettent de mathématiser le hasard pourraient s’appliquer
à la vie humaine. En étudiant un groupe de cinq mille soldats écossais, Quetelet
constate que leurs mensurations se répartissent de façon symétrique autour d’une
valeur moyenne, selon une courbe en forme de cloche qui suit la loi normale de
Gauss (! 1801). Il conçoit alors l’idée d’un homme « moyen », de taille égale à la
moyenne des tailles, de poids moyen, de tour de poitrine moyen, etc.

Vers une physique sociale


Quetelet se penche ensuite sur les facultés intellectuelles humaines et les données
sociales, qu’il mesure, regroupe et moyenne : de la grande stabilité des résultats
obtenus il déduit que la société possède des lois propres susceptibles d’être étudiées
par une science qui lui serait dédiée. Il consigne alors les bases de cette « physique
sociale » – nommée « sociologie » par Auguste Comte (! 1830) – dans un ouvrage inti-
tulé Sur l’homme et le développement de ses facultés qui paraît en 1835. Cette approche
mathématique des lois de la société bouleverse le sens qu’on donne au mot « sta-
tistique ».

Mathématiques et astronomie
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1770 1780 1790 1800 1810
Institution du système métrique 1795 1801 Gauss, Disquitiones arithmeticae
1799
Laplace, tome I du Traité de mécanique céleste
1814
Laplace, Essai philosophique sur les probabilités
219

Les statistiques du crime


Dans les années 1880, Alphonse Bertillon,
fils du directeur des statistiques du dépar-
tement de la Seine, entre à la préfecture de
police de Paris. Il s’inspire alors des travaux
statistiques de Quetelet pour proposer un
système d’identification anthropométrique
Des statistiques en séries ! des criminels. Aujourd’hui encore, l’usage
de la biométrie permet aux États de mieux
Ce n’est que progressivement, au cours du contrôler les populations.
xixe et au début du xxe siècle, que les statis- Le Petit journal, 26 décembre 1897.
tiques deviennent véritablement une branche
des mathématiques dédiée aux méthodes


d’analyse des données. Les travaux de Francis
Galton (1822-1911), Karl Pearson (1857-1936) L’homme naît, se
et Ronald Fisher (1890-1962) produisent des développe et meurt d’après
concepts clés et des critères d’étude, comme certaines lois qui n’ont
le coefficient de corrélation ou le test du χ². jamais été étudiées dans leur
Cet ensemble de méthodes est couramment ensemble ni dans le mode de
utilisé de nos jours en biologie, en médecine, leurs réactions mutuelles. »
en sociologie ou en psychologie. Adolphe Quetelet, Sur l’homme et le
développement de ses facultés, 1835.

1835 Quetelet, Sur l’homme et le développement de ses facultés


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1821 Germain, 1830 Comte, Cours de philosophie positive 1851 1860 Découverte du césium
Recherches sur la Pendule de Foucault par Bunsen et Kirchhoff
théorie des surfaces
élastiques
1843 Premier programme informatique par Lovelace
1843 Un brasseur associe
mouvement et chaleur

James Prescott En montrant que le mouvement d’un liquide produit


Joule une augmentation de sa température, James Joule
1818-1889
bouleverse les conceptions concernant la chaleur.

De l’avantage d’être brasseur


Une fois ses études achevées, James Joule travaille dans la brasserie familiale. Vou-
lant s’assurer que le remplacement des machines à vapeur par des moteurs élec-
triques est rentable, le jeune homme réalise une série de mesures à l’aide des ther-
momètres de brassage de bière de haute précision. Ces mesures lui suggèrent alors
que diverses formes d’énergie peuvent se convertir entre elles. Dès 1840, il établit le
lien entre l’échauffement d’un conducteur électrique et le courant le parcourant.
C’est ce qu’on nommera plus tard l’« effet Joule ».

220 Rien ne se perd, tout se transforme


En 1843, il présente à la British Association for the Advancement of Science une expé-
rience permettant d’évaluer le coefficient de proportionnalité entre un travail méca-
nique et l’élévation de chaleur qu’il produit dans un liquide. Mais son idée est froide-
ment accueillie… À l’époque, la théorie du calorique, émise par Lavoisier en 1783, est
la plus communément admise. Elle décrit la chaleur comme un fluide impondérable et
indestructible s’écoulant du chaud vers le froid, pénétrant solides et liquides. Ainsi la
chaleur ne se crée ni ne se perd, donc elle ne se convertit pas. Aussi, la thèse de Joule
montrant que la chaleur peut être issue d’une conversion est difficilement acceptée.

Aux origines de la thermodynamique


Joule précise ses expériences pour affiner la valeur de son « équivalent mécanique
de la chaleur ». De ce concept va découler l’idée d’un principe de conservation de
l’énergie qui est formalisé en 1845 par Julius Robert von Mayer (1814-1878) comme
premier principe de la thermodynamique, nouvelle science de la chaleur.
Ce principe, adjoint à celui de Sadi Carnot (1796-1832), interprété comme la loi
d’augmentation de l’entropie par Rudolf Clausius (1822-1888), pose les fondements
de la thermodynamique . Ses lois régissent le fonctionnement des systèmes dans
lesquels intervient la notion de température (appareils frigorifiques, pompes à cha-
leur, compresseurs, etc.).

Sciences physiques et chimiques


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1770 1780 1790 1800 1810
Coulomb, Mémoires sur l’électricité et le magnétisme 1785 1789 Lavoisier, Traité élémentaire de chimie

Invention de la pile électrique par Volta 1800


L’expérience de Joule
Un système de poulies permet à
deux masses, en tombant, de faire
tourner les ailettes placées dans
le cylindre rempli d’eau et calori-
fugé. Le liquide s’échauffe. C’est en
mesurant de façon très précise cette
élévation de température que Joule
quantifie le rapport qui existe entre
le travail mécanique, produit par la
chute des deux masses, et la quan-
tité de chaleur apportée au liquide. Il
annonce pour ce facteur de conver-
sion, nommé équivalent mécanique
de la chaleur, une valeur très proche
de la valeur actuelle (4,185 J/cal).
Reproduction de l’expérience
de Joule par Heinz Otto Sibum
dans les années 1990.

221

La naissance de l’énergie
De longue date, le principe métaphy- miques, Laplace et Lavoisier proposent
sique d’un invariant est recherché en de changer « les mots de chaleur libre
physique. En 1644, Descartes affirme […] [en] ceux de force vive ». Grâce à la
que le Créateur conserve ce qu’on convergence des idées d’une dizaine
appelle la quantité de mouvement. Leib- de savants de différentes spécialités, le
niz, lui, considère en 1692 que c’est concept d’« énergie » – proposé en 1847
la « force motrice » ou force vive (vis par Hermann von Helmholtz – s’impose
viva) qui est conservée en mécanique. comme invariant fondamental, par-delà
Concernant les manifestations ther- les domaines de la physique.

1843 Joule, Sur l’équivalent mécanique de la chaleur


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Fourier, Théorie analytique de la chaleur 1840 Liebig, Chimie agricole 1856 Invention du premier colorant artificiel
1824 Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines 1869
Tableau périodique des
1831 Première dynamo éléments par Mendeleïev
électrique par Faraday
1847 Un obstétricien hongrois
se lave les mains

À l’hôpital de Vienne, Ignác Fülöp Semmelweis


Ignác Fülöp comprend que les fièvres dont meurent les jeunes
Semmelweis accouchées leur sont transmises par les médecins.
1818-1865
Il préconise à ces derniers de se laver soigneusement
les mains et ouvre ainsi la voie à l’antisepsie.
Un « horrible ravage »
Au XIXe siècle, les maternités publiques font figure de mouroir. Et l’hôpital de
Vienne n’échappe pas à la règle. Mais tandis que la première de ses maternités
atteint, dans les années 1840, un taux de mortalité par fièvre puerpérale de 25 %, la
seconde affiche un taux de seulement 3 %.
Quel facteur fait la différence entre les deux services ? Les médecins l’ignorent.
Ignác Fülöp Semmelweis, recruté en 1846 comme assistant d’obstétrique à l’hôpital
de Vienne, est touché par le drame de ces femmes. Il décide d’enquêter.

222 Autopsie d’un drame


Aucune caractéristique ne distingue les jeunes femmes, admises dans l’un ou
l’autre des services. Semmelweis écarte également les causes saisonnières, la surpo-
pulation des services et la nourriture. Cependant, il remarque que seul le premier
service emploie des médecins et des étudiants en médecine.
En 1847, son ami Jacob Kolletschka, blessé par un scalpel lors d’une dissection de
cadavre, meurt d’une infection semblable à une fièvre puerpérale. Ce triste événe-
ment lui suggère une hypothèse : les « particules de cadavres » seraient la cause des
infections, et les médecins, passant de la salle d’autopsie à la maternité, leur vec-
teur. Semmelweis impose alors à ses étudiants de se laver les mains à l’hypochlorite
de sodium. Le taux de mortalité des jeunes accouchées chute aussitôt.

Une hiérarchie réticente


Si Semmelweis est soutenu par quelques jeunes médecins, il se heurte au conservatisme
des dirigeants de l’École de médecine de Vienne. Les médecins rechignent à passer du
temps à se laver les mains et ne sont pas prêts à reconnaître leurs responsabilités.
Le raisonnement de Semmelweis ne se base alors que sur les statistiques. Il lui
manque, pour convaincre, la preuve de l’existence du streptocoque que les mains
des médecins amènent jusqu’aux ventres des femmes. C’est la théorie microbienne
de Pasteur qui expliquera cela, deux décennies plus tard.

Sciences de la vie et médecine


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1770 1780 1790 1800 1810
Invention de la vaccination par Jenner 1796
Lamarck, Philosophie zoologique 1809

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


« Médecins, lavez-vous les mains ! »
Au xviiie siècle déjà, plusieurs médecins comprennent
que des « miasmes » sont transportés par les méde-
cins. Ils préconisent de se laver les mains et de chan-
ger de vêtements. Ainsi, en 1802, William Buchan
rédige La Médecine domestique, très lue mais n’at-
❝ Quand on fera l’histoire
des erreurs humaines, […]
on restera étonné que des
hommes aussi compétents, aussi 223
teignant pas la médecine officielle. En 1843, Oliver
Holmes rédige un article sur la fièvre puerpérale et spécialisés, puissent, dans leur
termine par « Médecins, lavez-vous les mains ! ». Tou- propre science, demeurer aussi
tefois, il faut attendre les travaux de Pasteur pour que aveugles, aussi stupides. »
la pratique des gestes d’hygiène se répande.
Ferdinand von Hebra, cité par Louis-
Robert Thom, Semmelweis, défenseur de la maternité, Ferdinand Céline dans sa thèse de médecine,
1952.
La Vie et l’œuvre de Philippe Ignace
Semmelweis, 1924.

La preuve pastorienne
Louis Pasteur (1822-1895) étudie, entre contre la transmission des germes dans
autres sujets, la fermentation et réfute l’air en 1867, et Robert Koch (1843-1910)
l’hypothèse de la génération sponta- arrive à mettre en culture le bacille du
née des microbes (! 1859, p. 228). Ces charbon en 1876. Pasteur complète, en
travaux apportent de nouveaux argu- 1878, les préceptes de Lister en préci-
ments à la théorie microbienne des sant que les germes sont également
maladies, soutenue par divers auteurs apportés par contact. Ainsi, peu à peu,
au xixe siècle. Ainsi, le chirurgien Joseph se précisent les causes de transmission
Lister (1827-1912), se référant aux tra- des infections et les stratégies pour les
vaux de Pasteur, publie sa méthode éviter : l’antisepsie et l’asepsie.

1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
Lyell, Principes de géologie 1833

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855 1859 Darwin, L’Origine des espèces
Popularisation de la théorie microbienne par Pasteur 1859
1856 Un étudiant fabrique
de la mauvéine

William Perkin, jeune étudiant au Royal College


William of Chemistry, découvre le premier colorant chimique.
Perkin Il crée alors sa propre entreprise dans la région
1838-1907
de Londres afin de produire et de commercialiser la
toute première teinture artificielle, de couleur mauve.

Recycler les déchets


En 1853, William Perkin intègre le Royal College of Chemistry à Londres. Il a alors
quinze ans. August Wilhelm von Hofmann (1818-1892), un chimiste réputé qui dirige
l’école, demande à ses étudiants de trouver des usages au goudron de houille, un
goudron issu de la transformation du charbon en coke ou en gaz d’éclairage. L’un
d’entre eux parvient à en extraire du benzène et du toluène, des solvants. À Perkin,
Hofmann donne la tâche de transformer le goudron en quinine, un médicament
jusqu’alors extrait de plantes et utilisé contre la malaria.

224 Une découverte accidentelle


William Perkin ne parvient pas à fabriquer de la quinine synthétique. Mais, en
1856, il découvre par hasard qu’une substance qu’il a dérivée du goudron devient
mauve après un nettoyage à l’alcool. Il expérimente et observe que cette substance
teint le coton et la soie. C’est une découverte importante. En effet, jusqu’ici, toutes
les teintures sont naturelles, souvent difficiles et coûteuses à produire. Le pourpre
est par exemple extrait de coquillages extrêmement rares. La nouvelle substance de
Perkin, bientôt appelée « mauvéine », est le premier colorant chimique.

La mauvéine s’industrialise
Comprenant que la mauvéine a un vrai potentiel industriel, Perkin entreprend de
la faire breveter et de la commercialiser. À cette fin, il s’associe à son père et à son
frère pour créer une entreprise. En 1857, Perkin développe les procédés de fabrica-
tion de la mauvéine et construit une usine dans la région de Londres afin de la pro-
duire en grande quantité.
Il initie ainsi une course aux teintures artificielles dans laquelle son ancien pro-
fesseur, Hofmann, et d’autres chimistes allemands vont s’illustrer pendant les décen-
nies suivantes. Au mauve s’ajoutent bientôt des rouges, des jaunes, des bleus, des vio-
lets et des bruns qui révolutionnent le monde du textile et de la mode.

Sciences physiques et chimiques


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1770 1780 1790 1800 1810
Coulomb, Mémoires sur l’électricité et le magnétisme 1785 1789 Lavoisier, Traité élémentaire de chimie

Invention de la pile électrique par Volta 1800


La vie en mauve
La mauvéine de William Perkin
trouve rapidement un marché, 225
notamment dans le secteur de la
L’industrie chimique mode féminine. En 1858, la reine
en Allemagne Victoria apparaît au mariage de sa
fille vêtue de mauve. À la même
Pendant les années 1860, des chimistes époque, l’impératrice Eugénie,
allemands installés en Grande-Bretagne épouse de Napoléon  III, fait du
retournent en Allemagne pour créer ou diri- mauve sa couleur de prédilection.
Cette mode, qualifiée de mauve
ger de nouvelles sociétés spécialisées dans les mania, durera jusqu’à la fin des
teintures artificielles : Bayer, Hoechst, AGFA, années 1870.
BASF et Casella. Ils innovent en établissant des John Phillip, Le Mariage de
laboratoires de recherche dans leurs entre- Victoria, princesse royale, 1860.
prises. C’est la première fois, en effet, que
des sociétés intègrent la recherche scienti-
fique dans leurs activités. Ces laboratoires,
où travaillent plusieurs milliers de chimistes,
font merveille. En 1913, les entreprises alle-
mandes contrôlent 88 % du marché mondial
des teintures synthétiques.

Premier colorant artificiel 1856


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Fourier, Théorie analytique de la chaleur 1840 Liebig, Chimie agricole
1824 Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines 1869
Tableau périodique des
1831 Première dynamo 1843 Joule, Sur l’équivalent éléments par Mendeleïev
électrique par Faraday mécanique de la chaleur
1859 Bunsen et Kirchhoff décodent
les messages de la lumière

En Allemagne, un physicien et un chimiste développent


une méthode expérimentale qui va leur permettre de découvrir
de nouveaux éléments chimiques et de mieux comprendre
la structure du Soleil.

Des histoires de spectres


On sait depuis Newton (! 1687) que la lumière blanche, lorsqu’elle traverse un
prisme, se décompose en un spectre multicolore. Les savants du XIXe siècle, tels que
William Hyde Wollaston (1766-1828) et Joseph von Fraunhofer (1787-1826), montrent
que le spectre de la lumière solaire est en réalité strié de fines raies noires. D’autres,
comme Léon Foucault (1819-1868) ou Anders Ångström (1814-1874), remarquent que la
lumière émise par les gaz incandescents, observée à travers des prismes, est compo-
sée au contraire d’une série de raies brillantes. Mais, la relation entre ces spectres
dits aujourd’hui d’absorption et d’émission n’est pas très claire.
226
Une rencontre lumineuse
En 1859, le professeur de physique allemand Gustav Kirchhoff (1824-1887) se lie
d’amitié avec Robert Bunsen (1811-1899), un chimiste qui vient de développer le brû-
leur à gaz, appelé depuis « bec Bunsen ». Il lui propose de mettre au point un nouvel
instrument, le « spectroscope », pour analyser la lumière émise par des sels métal-
liques que l’on saupoudre dans la flamme du brûleur et en connaître la composi-
tion chimique. La méthode fonctionne et, un jour, ils observent une raie bleue qui
leur révèle l’existence d’un élément inconnu : le césium (du latin caesius, « bleu »).
Grâce à cette découverte, leur méthode s’impose dans tous les laboratoires.

Les messages de la lumière


Pour rendre compte de leurs travaux, Kirchhoff énonce les trois lois de la spec-
troscopie. Lorsqu’on les chauffe, les gaz à haute pression, les solides et les liquides
émettent des spectres « continus », composés de toutes les couleurs. Les gaz à basse
pression, chauffés, émettent, pour leur part, des spectres « discontinus » qui ne
contiennent que certaines raies brillantes caractéristiques du gaz. Enfin, lorsque
ces mêmes gaz, à basse température, sont traversés par de la lumière blanche, ils
en absorbent une partie et leurs spectres sont alors striés de raies noires. Ces phé-
nomènes seront expliqués par la mécanique quantique (! 1900).

Mathématiques et astronomie
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1770 1780 1790 1800 1810
Institution du système métrique 1795 1801 Gauss, Disquitiones arithmeticae
1799
Laplace, tome I du Traité de mécanique céleste
1814
Laplace, Essai philosophique sur les probabilités
Spectre d’absorption,


spectre d’émission
La découverte scientifique la Le spectre solaire (en haut) est continu, sauf
plus remarquable de l’année […] est pour quelques raies noires. Les six autres
sans contredit […] la méthode nouvelle spectres ne sont composés que de raies bril-
lantes caractéristiques des différents métaux 227
inaugurée par MM. Kirchhoff et Bunsen (de haut en bas : sodium, potassium, lithium,
[qui] est une des plus étonnantes calcium, strontium et baryum) saupoudrés
applications à la chimie des procédés dans la flamme du bec Bunsen. La concor-
de la physique. » dance des raies dans le spectre solaire
indique la présence de ces éléments dans
Louis Figuier, Année scientifique et industrielle, 1862. l’atmosphère du Soleil.
Planche de spectres d’éléments métalliques
extraite du Monde physique
d’Amédée Guillemin, 1882.

Le mystère des taches solaires


À peine a-t-il tourné sa lunette vers le ciel de sa théorie des spectres, Kirchhoff
que Galilée observe les taches solaires estime au contraire que le Soleil est une
(! 1610). Dès lors, les astronomes les boule incandescente dont la matière en
étudient dans l’espoir de mieux com- mouvement produit ce qui nous apparaît
prendre la constitution physique du comme des taches. Cette boule est entou-
Soleil : s’agit-il de nuages ou de cavi- rée d’une atmosphère gazeuse consti-
tés ? Pour William Herschel (1738-1822), tuée des mêmes éléments chimiques
les taches laissent entrevoir, au travers que ceux qu’on trouve sur Terre et qui
d’une enveloppe externe lumineuse, la produisent ces raies sombres restées
surface sombre et solide du Soleil. Armé longtemps mystérieuses.

Mise au point du spectroscope 1859


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1821 Germain, 1830 Comte, Cours de philosophie positive 1851 1860 Découverte du césium
Recherches sur la Pendule de Foucault par Bunsen et Kirchhoff
théorie des surfaces 1835 Quetelet, Essai de physique sociale
élastiques
1843 Premier programme informatique par Lovelace
1859 Pasteur met fin
à la génération spontanée

Louis Pasteur, chimiste français, réfute définitivement


Louis la théorie de la génération spontanée et démontre que
Pasteur
1822-1895 des germes microscopiques sont à l’origine de formes
de vie en apparence surgies du néant.

Une génération spontanée tenace


Pour Aristote, pas de doute : la vie peut naître de la matière inerte, spontanément.
L’Italien Francesco Redi (1626-1697) remet en cause cette idée et démontre que les
asticots retrouvés sur la viande pourrissante proviennent en réalité d’œufs de
mouche. Toutefois, le débat sur la « génération spontanée » perdure et repart de
plus belle en 1859 lorsque les scientifiques Félix Archimède Pouchet (1800-1872) et
Louis Pasteur, respectivement partisan et opposant de la « génération spontanée »,
s’affrontent à ce sujet. La controverse fait la une de la presse.

228 Le chant du cygne



Louis Pasteur va alors mener une expérience l’immensité de la création ma
J’ai pris dans

décisive. Il chauffe deux ballons en verre pour goutte d’eau […], j’ai éloigné
les débarrasser de toutes formes de vie et les d’elle les germes qui flottent
laisse à l’air libre pendant plusieurs semaines. dans l’air, j’ai éloigné d’elle la
Alors que des germes se développent dans le vie, car la vie c’est le germe et
premier ballon à col droit, aucun n’apparaît le germe c’est la vie. »
dans le second ballon à « col de cygne ». Et pour Louis Pasteur, Conférence à la Sorbonne,
cause, le col recourbé, imaginé par Pasteur, 1864.
empêche tout simplement l’arrivée de l’air, et donc des germes, à l’intérieur du bal-
lon. Cette expérience prouve que tout vivant provient du vivant (omne vivum ex vivo)
et pose les fondements de l’expérimentation en microbiologie.

Une nouvelle vision des infections


La réfutation définitive de la génération spontanée influence l’interprétation des
maladies infectieuses, en réalité provoquées par des micro-organismes invisibles à
l’œil nu. Pasteur identifie les agents responsables de plusieurs maladies microbiennes
et trouve des remèdes pour les combattre. Il met fin à la pébrine, une infection causée
par une espèce de champignon qui décime les élevages de vers à soie en Europe, et met
au point des vaccins (! 1796) contre le rouget des porcs, la rage ou le choléra des poules.

Sciences de la vie et médecine


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1770 1780 1790 1800 1810
Invention de la vaccination par Jenner 1796
Lamarck, Philosophie zoologique 1809

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


229

À chaque maladie,
son micro-organisme
Pasteur devient célèbre grâce à l’ef- Le premier pathogène identifié
ficacité de son vaccin contre la rage.
En 1886, une souscription internatio- L’allemand Robert Koch (1843-1910) est
nale est lancée pour créer un insti- le premier à trouver une relation directe
tut antirabique, qui deviendra l’Insti- entre micro-organisme et maladie infec-
tut Pasteur en 1888. C’est dans cette
institution phare de la recherche en
tieuse. C’est en 1876, à travers l’étude de la
médecine et en microbiologie que maladie du charbon, une affection propre au
les disciples de Pasteur, tels Émile bétail qui peut également toucher l’homme,
Duclaux (1840-1904) et Émile Roux que le savant va faire le lien. Il découvre en
(1853-1933), mènent leur combat
effet, dans le sang des animaux infectés,
contre les maladies infectieuses.
une bactérie qui a l’apparence d’un petit
Albert Edelfelt, Louis Pasteur (détail),
1885. bâton et qu’il nomme Bacillus anthracis.
En 1882, il marque un nouveau jalon dans
la lutte contre les maladies infectieuses
avec la découverte du germe Mycobacte-
rium tuberculosis responsable de la tuber-
culose, désormais connu sous le nom de
« bacille de Koch ».

Théorie microbienne de Pasteur 1859


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
Lyell, Principes de géologie 1833 1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855 1859 Darwin, L’Origine des espèces
Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale 1865
1859 La théorie de Darwin fait
évoluer les idées sur la vie

L’Origine des espèces, rédigée par Charles Darwin,


Charles explique l’émergence de nouvelles espèces par un
Darwin processus sélectif basé sur la survie des plus aptes.
1809-1882
Cette conception demeure jusqu’à ce jour le cadre
théorique des biologistes.

Trente ans de réflexions


En décembre 1831, le naturaliste anglais Charles Darwin entame un voyage de circum-
navigation dans l’hémisphère austral à bord du Beagle. Durant cinq ans, il récolte de
très nombreux échantillons de productions naturelles qu’il va ensuite étudier pen-
dant plus de vingt ans. De retour à Londres, il fréquente des éleveurs qui pratiquent
la sélection artificielle et revient sur le transformisme de Lamarck (! 1809). Riche
de ses expériences et de ses lectures, Darwin publie, en 1859, L’Origine des espèces, un
ouvrage révolutionnaire dans lequel il expose le mécanisme de l’évolution.

230 Des idées en évolution


Selon cette explication, les individus d’une espèce donnée sont plus au moins
aptes à braver les défis imposés par la nature, à se procurer de la nourriture ou
à se défendre contre les prédateurs. Ainsi, seuls les individus les plus adaptés à
leur environnement restent en vie et peuvent se reproduire. Pour Darwin, cette
sélection fait évoluer les caractéristiques des espèces de génération en génération.
Lorsque les divergences sont trop grandes, une espèce ancestrale peut donner nais-
sance à deux nouvelles espèces.

L’arbre de la vie
Aussi, d’après Darwin, toutes les espèces appartiennent au même arbre du vivant et
sont reliées par des ancêtres communs. Plus l’ancêtre commun est récent, plus les
espèces sont semblables. Plus il est ancien, plus les espèces présentent des divergences
remarquables. La vie n’est plus expliquée comme un acte particulier de création divine.
La première édition de L’Origine des espèces fait sensation. Tous les ouvrages sont
écoulés le jour même de la mise en vente. Mais si le public cultivé de l’époque
adhère instantanément à l’évolutionnisme, l’opposition des plus traditionalistes
et, surtout, de l’Église, est féroce. Il faudra attendre les apports de la génétique du
début du XXe siècle pour que le cadre théorique de Darwin soit conforté (! dossier,
p.288-289).

Sciences de la vie et médecine


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1770 1780 1790 1800 1810
Invention de la vaccination par Jenner 1796
Lamarck, Philosophie zoologique 1809

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


❝ La sélection
naturelle travaille
insensiblement et sans
bruit, partout et toutes
les fois que l’occasion
s’en présente. »
Charles Darwin,
L’Origine des espèces, 1859.

La sélection sexuelle
En même temps que leur survie,
les organismes vivants cherchent
à assurer leur reproduction. Pour
Darwin, la quête de partenaires
constitue un deuxième impératif,
une pulsion soumise à une sélec-
tion sexuelle. De nombreux traits
sont ainsi sélectionnés pour réus-
231
sir la conquête, de la queue du
paon à la dent du narval, en pas-
sant par la danse des paradisiers
ou le chant des grillons. Cette pres-
sion de sélection est à l’origine du
dimorphisme sexuel entre mâles
et femelles.
Oiseaux de paradis ou paradisiers,
le mâle présentant ici un plumage
jaune et blanc flamboyant, 1882.

Des interprétations faussées


L’idée du darwinisme séduit certains Galton (1822-1911) va plus loin. Il se
philosophes et démographes, qui s’en montre partisan d’une sélection artifi-
emparent pour conforter des doctrines cielle des humains afin de préserver un
sociales d’inspirations variées. Her- idéal biologique et intellectuel. Fonda-
bert Spencer (1820-1903), philosophe, teur de l’eugénisme, l’objectif de Galton
fait appel au « darwinisme social » est par exemple mis à l’œuvre aux États-
pour justifier la réussite des couches Unis, dans l’Allemagne nazie et dans cer-
favorisées face aux difficultés des taines colonies européennes.
plus démunis. L’anthropologue Francis

Darwin, L’Origine des espèces 1859


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
Lyell, Principes de géologie 1833 1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855


Popularisation de la théorie microbienne par Pasteur 1859
1865 Un prêtre dévoile les secrets
de l’hérédité

L’augustinien Gregor Mendel découvre les lois


Gregor de l’hérédité en étudiant le croisement de différentes
Mendel variétés de petits pois. Ses conclusions tombent dans
1822-1884
l’oubli jusqu’à la fin du XIXe siècle, avant de servir
de fondements à la biologie moderne.


Dans la quiétude de l’abbaye
Passionné de botanique, Gregor Mendel réalise des
C’est à lui que
revient incontestablement
expériences de croisement sur des plantes dans le la découverte des lois
potager de l’ancien monastère augustinien de Brno, en essentielles de l’hérédité.
République tchèque. Interpellé par la régularité avec Doté d’un esprit
laquelle reviennent les formes hybrides, il cherche à mathématicien et opérant,
comprendre les mécanismes impliqués dans la trans- Mendel a su donner à
mission des caractères. Il choisit alors le petit pois ces lois une expression
comme modèle expérimental et présente une synthèse rigoureuse et définitive. »
232 de sa recherche à la Société des sciences naturelles de René Taton, Histoire générale
Brno en 1865 : Recherches sur des hybrides végétaux. des sciences, 1961.

Le hasard ne fait pas la loi


Mendel base ses conclusions sur l’analyse mathématique des pourcentages de trans-
mission des traits morphologiques, comme la couleur des fleurs, au cours des géné-
rations. Il réfute la théorie, alors couramment admise, de l’hérédité par mélange
des caractères des parents. Pour lui, chaque caractère héréditaire est la réunion de
deux facteurs, l’un provenant du père, l’autre de la mère. Un des facteurs est domi-
nant, et donc visible, l’autre récessif et reste invisible. Le croisement d’une plante à
fleurs pourpres avec une autre à fleurs blanches donne des fleurs pourpres en pre-
mière génération, cette couleur étant dominante.

Une reconnaissance tardive


Publiés en allemand, les travaux de Mendel restent peu connus. Ils sont « redécouverts »
dans les années 1900 par les botanistes et généticiens Hugo De Vries (1848-1935), Carl Cor-
rens (1864-1933) et Erich Tschermak (1871-1962). L’hérédité devient alors l’un des grands
piliers de la biologie, au même titre que l’évolutionnisme ou la théorie cellulaire. C’est
en 1905 que le biologiste William Bateson (1861-1926) propose le terme de « génétique »
pour désigner l’étude de la transmission des caractères lors de la reproduction sexuée.

Sciences de la vie et médecine


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1770 1780 1790 1800 1810
Invention de la vaccination par Jenner 1796
Lamarck, Philosophie zoologique 1809

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


233

Une plante à forts caractères


Mendel prend soin de sélectionner
des variétés pures de pois cultivé
(Pisum sativum), porteuses de par-
Vers une sélection artificielle ticularités aisément reconnais-
sables : couleur de la fleur (pourpre
La sélection artificielle de caractères utiles à l’éco- ou blanche), forme de la graine
(ronde ou ridée), couleur de la graine
nomie humaine est depuis toujours pratiquée par les
(jaune ou verte), position des fleurs
agriculteurs et les éleveurs. Avec la découverte des (axillaire ou terminale), forme des
lois de l’hérédité et, plus tard, des mécanismes molé- gousses (enflées ou articulées), cou-
culaires impliqués dans la transmission des carac- leur de la gousse (verte ou jaune) et
tères, la sélection s’accélère. Avec le développement taille de la plante (haute ou courte).
Au total, il étudie environ 27 000
des techniques de génie génétique, elle devient très plantes, fruit des croisements réa-
rapide et très précise. Le génome des organismes est lisés pendant sept ans d’un travail
aujourd’hui volontairement modifié par transgenèse dévoué.
afin d’y introduire, par exemple, des gènes de résis- Pois cultivé ou petit pois (Pisum
tance à certaines maladies. L’impact sur le patrimoine sativum)
génétique naturel ainsi que les possibles effets nui-
sibles de l’expansion des organismes génétiquement
modifiés (OGM) dans la nature suscitent des débats.

Mendel, Lois de l’hérédité 1865


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
Lyell, Principes de géologie 1833 1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855 1859 Darwin, L’Origine des espèces
Popularisation de la théorie microbienne par Pasteur 1859
1865 Un vent nouveau souffle
sur la vie

Claude Bernard, un médecin français, réfute l’idée


Claude qu’une force vitale, insaisissable, est à l’origine de la vie.
Bernard Dans son laboratoire, il explique le fonctionnement des
1813-1878
organismes à travers des procédés d’expérimentation
physico-chimiques.

La vis vitalis se dissipe


Depuis l’Antiquité, la vie est perçue comme un souffle mystérieux, peut-être divin,
qui anime les animaux et les plantes. Cette force vitale, ou vis vitalis en latin, semble
impénétrable. Toutefois, à partir du XIXe siècle, il devient enfin possible de l’étudier
grâce aux sciences physico-chimiques.
La mesure de paramètres, comme la viscosité ou l’acidité des fluides présents dans
le corps humain (sang, lymphe, bile, etc.), renseignent alors sur le fonctionnement
des corps sains et sur les altérations causées par les maladies. Claude Bernard est
pionnier dans ce domaine. Son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, publiée
234 en 1865, devient le texte fondateur d’une nouvelle façon d’aborder la vie.

Unis par les liens de la physiologie


Dans son ouvrage, Bernard définit ainsi, chez
les animaux, les grandes fonctions physiolo-
❝ L’observation montre
et l’expérience instruit […]
L’expérience n’est au fond
giques (digestion, respiration, circulation, qu’une observation provoquée. »
excrétion, etc.) nécessaires à l’épanouisse- Claude Bernard, Introduction à l’étude
de la médecine expérimentale, 1865.
ment de la vie et démontre l’unité de tous les
êtres vivants. Il propose la notion de milieu intérieur, qui se distingue du milieu
environnant par sa température, sa salinité et d’autres paramètres, et dont la régu-
lation nerveuse et hormonale permet la survie et la bonne santé.

Un nouveau souffle pour la médecine


Par ailleurs, Bernard propose d’étudier les fondements de la vie et les pathologies
sur des morceaux d’organes prélevés et maintenus vivants. Dans les laboratoires,
les paillasses remplacent les tables de dissection et les scalpels cèdent la place à des
équipements de détection de plus en plus sophistiqués.
Longtemps fondée sur la connaissance anatomique et le respect de l’intégralité
des corps, la recherche médicale connaît, avec l’avènement des pratiques expéri-
mentales prônées par Claude Bernard, un changement majeur.

Sciences de la vie et médecine


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1770 1780 1790 1800 1810
Invention de la vaccination par Jenner 1796
Lamarck, Philosophie zoologique 1809

Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes 1812


Les secrets de la digestion
Une bonne partie des recherches de Claude Bernard
concernent la digestion. Il démontre le rôle du foie dans


la fabrication et le stockage de sucres, une fonction
métabolique jusque-là considérée comme l’exclusivité
235
La méthode
des plantes. Bernard constate également que l’absorp- expérimentale n’est rien
tion des nutriments se passe dans l’intestin grêle, et
non dans l’estomac, et détermine l’action du suc pan-
d’autre qu’un raisonnement
créatique lors de la digestion. L’expérimentation pra- à l’aide duquel nous soumettons
tiquée in vivo sur des chiens, des lapins ou des rats se méthodiquement nos idées
révèle centrale dans l’élucidation de tous ces processus. à l’expérience des faits. »
Léon Augustin Lhermitte, Claude Bernard et ses élèves
au Collège de France, 1889. Claude Bernard, Introduction à l’étude
de la médecine expérimentale, 1865.

Le Jules Verne des scientifiques


Au xixe siècle, les physiologistes s’en- ment du corps humain pendant la plon-
thousiasment du pouvoir bénéfique de gée sous-marine. Pour ce faire, il conçoit
la science et cherchent à aider l’être un scaphandre expérimental muni d’un
humain, placé dans des conditions régulateur de pression d’air. Il dirige éga-
extrêmes, à repousser ses limites. Paul lement des expériences de respiration
Bert (1833-1886), disciple de Claude en haute altitude, réalisées grâce à l’en-
Bernard, s’intéresse aux effets de l’oxy- voi de ballons aérostats pilotés pouvant
gène sur l’organisme et au fonctionne- atteindre les sept mille mètres d’altitude.

Médecine expérimentale de Bernard 1865


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
Lyell, Principes de géologie 1833 1847 Mesures d’antisepsie de Semmelweis

Humboldt, Cosmos, essai d’une description physique du monde 1855 1859 Darwin, L’Origine des espèces
Popularisation de la théorie microbienne par Pasteur 1859
1869 Mendeleïev met en ordre
les éléments

La multiplication du nombre d’éléments chimiques


Dimitri depuis le début du XIXe siècle stimule les efforts
Mendeleïev de classification. Celle de Dimitri Mendeleïev devient
1834-1907
la plus répandue grâce à son succès prédictif dans
la découverte de nouveaux éléments.

En quête de classement
Depuis le début du XIXe siècle, la chimie se développe comme une science quantita-
tive, basée sur l’idée que toute matière est composée d’un nombre limité d’éléments
aux propriétés chimiques spécifiques (! 1789).
Dans les années 1860, on connaît environ soixante éléments chimiques. Diffé-
rents scientifiques tentent alors d’expliquer certaines corrélations entre le poids
atomique et les propriétés chimiques à l’aide de tables ou de diagrammes.
Le Britannique John Newlands (1837-1898), par exemple, organise les éléments
par ordre croissant de poids atomique et observe que le huitième élément a des pro-
236 priétés semblables au premier, le neuvième au second, et ainsi de suite. En faisant
une analogie avec l’échelle musicale, il propose une « loi des octaves » en 1866.

Un jeu de cartes qui fait la loi


Plongé dans la rédaction d’un manuel de chimie, Dimitri Mendeleïev, professeur
de chimie à l’université de Saint-Pétersbourg, est lui aussi à la recherche d’un clas-
sement des éléments. Il produit une fiche pour chacun d’entre eux, qui inclut son
poids et ses principales propriétés. En arrangeant les cartes de manière que la dis-
tribution révèle les analogies, il suggère l’existence d’une loi périodique. De façon
indépendante, le chimiste allemand Julius Lothar Meyer (1830-1895) arrive à des
résultats similaires.
Mendeleïev présente ce premier tableau à la

Les propriétés des
Société russe de chimie en 1869. Celui-ci comporte des corps simples, comme les
espaces vides qui suggèrent l’existence d’éléments formes et les propriétés
inconnus dont les propriétés chimiques peuvent être des combinaisons, sont
déduites de leur situation dans le tableau. Ignorée une fonction périodique
dans un premier temps, la table de Mendeleïev se de la grandeur du poids
voit confirmée par la découverte des éléments dont atomique. »
il a prédit l’existence : le gallium en 1875, le scandium Dimitri Mendeleïev,
en 1879 et le germanium en 1886. Principes de chimie, 1868-1871.

Sciences physiques et chimiques


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1770 1780 1790 1800 1810
Coulomb, Mémoires sur l’électricité et le magnétisme 1785 1789 Lavoisier, Traité élémentaire de chimie

Invention de la pile électrique par Volta 1800


La nomenclature
des éléments
Le premier tableau de Men-
deleïev diffère des repré-
sentations modernes.
Il arrange les périodes,
c’est-à-dire les éléments,
en ordre croissant du poids
atomique, par colonnes
verticales et les groupes,
qui indiquent les simila-
rités chimiques, par ran-
gées horizontales. Les gaz
nobles, découverts dans
les années 1890, les lan-
thanides et les actinides,
n’y apparaissent pas
encore.
Tableau périodique de
Mendeleïev publié par la
Société russe de chimie, 237
1869.

Des éléments en ordre et en forme


Le développement de la chimie et de nouvelles techniques
d’analyse permettent la découverte de nombreux éléments
au cours du xixe  siècle. Alors que le Traité élémentaire de
chimie de Lavoisier ne mentionne guère que trente-trois élé-
ments, on en compte déjà une soixantaine vers 1850 et plus
de quatre-vingts vers 1899. Les tableaux et autres modes de
classification ont comme objectif de mettre de l’ordre dans
cette diversité. Dès 1813, le Suédois Jacob Berzelius (1779-
1848) introduit la nomenclature moderne (système de nota-
tion chimique), basée sur l’usage d’une ou deux lettres du nom
latin de chaque élément et des formules algébriques pour
désigner les composés. Ainsi, la nomenclature moderne de
la molécule d’eau H2O indique qu’elle est composée de deux
atomes d’hydrogène (hydrogenium, H) et un atome d’oxygène
(oxygenium, O).

Tableau périodique des éléments 1869


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1820 1830 1840 1850 1860 1870
1822 Fourier, Théorie analytique de la chaleur 1840 Liebig, Chimie agricole 1856 Invention du premier colorant artificiel
1824 Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines
1831 Première dynamo 1843 Joule, Sur l’équivalent
électrique par Faraday mécanique de la chaleur
L’avènement
de l’énergie
Préoccupés par l’efficacité des machines, les savants de la révolution
industrielle s’acharnent à étudier la chaleur. En combinant réflexions
théoriques et expériences pratiques, ils unifient la physique sous
l’empire d’un nouveau concept, celui d’énergie, et produisent des images
troublantes sur le devenir de l’Univers.

Industrie, travail et économie


À l’âge industriel, la question du travail devient centrale. Le concept mécanique
de travail, hérité des ingénieurs du XVIIIe siècle comme Coulomb (! 1785), rencontre
la notion économique de travail salarié qui préoccupe les premiers penseurs de
238 l’industrialisation, comme Adam Smith (1723-1790) et, plus tard, Karl Marx (1818-
1883). L’usage des machines est désormais jugé à l’aune de leur productivité,
notamment en termes de consommation de charbon (! 1769, p. 174). Faisant
initialement l’objet de compilation de données dans des revues telles que le
Monthly Engine Reporter, l’efficacité des machines est ensuite abordée de manière
systématique par des ingénieurs et physiciens français. Joseph Fourier (1768-1830)
modélise ainsi en 1822 la transmission de la chaleur à travers une barre métallique,
et Sadi Carnot (1796-1832) définit les principes théoriques utiles à l’étude des
machines thermiques en supposant que la chaleur est un fluide, le calorique.

Le travail se mesure au laboratoire


C’est au Royaume-Uni et en Allemagne que la nouvelle science de la thermodyna-
mique se consolide. Lors de ses expériences visant à améliorer le rendement des
machines de sa brasserie, le physicien anglais James Joules est conduit à rejeter
l’idée du calorique (! 1843). D’abord froidement accueillis par les savants britan-
niques, ses travaux obtiennent le soutien du physicien et ingénieur d’origine irlan-
daise William Thomson (1824-1907). Ce dernier jouera un rôle si important pour l’in-
dustrialisation britannique – notamment en appliquant la machine à vapeur à la
navigation maritime et en développant la télégraphie électrique transatlantique –,
qu’il sera anobli par la reine Victoria. On le connaît désormais sous le nom de lord
Kelvin.
1770-1870 Des sciences pour l’industrie

L’énergie sous toutes ses formes


En Allemagne, l’idée de l’équivalent mécanique de la chaleur est développée de
manière indépendante par les physiologistes Julius Robert von Mayer (1814-1878) et
Hermann von Helmholtz (1821-1894), qui postulent que le mouvement mécanique,
la chaleur, la lumière, l’électricité et le magnétisme sont les différentes manifes-
tations d’une seule et unique force. En réaction à l’idée de l’esprit vital chère à la
Naturphilosophie (! 1820), ils postulent la conservation de cette « force » – nommée
plus tard « énergie » – dans tout phénomène physique, y compris le métabolisme
animal.

Une science de principes


Au début des années 1850, Thomson entame une réforme de la physique visant à rem-
placer les anciens concepts de force et d’action à distance par celui d’énergie. Deux
principes émergent alors. Le premier propose que l’énergie est conservée au cours
de ses transformations. Le deuxième, que l’énergie est transférée spontanément des
corps chauds aux corps froids. En 1865, ce deuxième principe est précisé par Rudolf
Clausius (1822-1888), qui introduit le concept d’« entropie » (mesure de la désorganisa-
tion d’un système), et combiné avec la théorie moléculaire de la chaleur de Macquorn
Rankine (1820-1872). Ce dernier jette ainsi les bases théoriques de la thermodynamique
moderne et de la théorie statistique de la chaleur. 239

Un principe aux lourdes


conséquences
Née de préoccupations écono-
miques et industrielles, la ther-
modynamique façonne aussi les
débats sociaux, philosophiques et
religieux du xixe siècle. Elle entre
en résonance avec des valeurs
morales comme la lutte contre
le gaspillage ou avec des idées
théologiques comme l’exclusivité
divine dans la création ou la des-
truction. D’autre part, le deuxième
principe de la thermodynamique
implique que le monde atteigne, à
long terme, l’équilibre thermique,
ce qui suppose la fin de l’Univers
et l’extinction de toute vie, comme
l’illustre cette gravure tirée d’un
célèbre ouvrage de vulgarisation
de Camille Flammarion.
Gravure de Mattaie dans Camille
Flammarion, Astronomie populaire,
1880.
Les publics
de la science
Entre 1770 et 1870, la science cesse d’être l’apanage d’un petit cercle
de privilégiés. Alors que ceux qui en font leur métier se professionnalisent,
souvent en embrassant une carrière d’enseignant, un public de plus
en plus large se montre avide de ce type de connaissances.

Le spectacle de la science
Dès la fin du XVIIIe siècle, les sciences s’offrent en spectacle dans toutes les grandes
métropoles. Les ascensions de montgolfières donnent lieu à des rassemblements
populaires inédits. Réalisé au cours de séances publiques, le traitement électrique
ou magnétique des maladies offre de nouveaux espoirs. Les cabinets de lecture
240 et les cours publics, souvent gratuits, se multiplient pour qui veut apprendre les
mathématiques, l’astronomie, la chimie… Et c’est jusque dans les rues, dans les
foires et les cafés que vulgarisateurs ou charlatans attirent l’attention du public
vers les merveilles de la science.

La nouvelle identité du scientifique


La Révolution française transforme les institutions de la recherche et de l’ensei-
gnement supérieur (! 1794), au-delà même des frontières de la France (! 1810). Dès
lors, les savants se font enseignants et le souci de la pédagogie pénètre toutes les
disciplines. Alors que les premières revues spécialisées comme les Annales de chimie
de Lavoisier (! 1789) se multiplient, l’Association britannique pour l’avancement
des sciences organise un congrès annuel, à partir de 1831, qui réunit les scientists de
tout l’Empire et d’ailleurs. Ce néologisme, proposé en 1833 par William Whewell
(! 1794-1866), reflète l’émergence d’une nouvelle figure du scientifique.

L’âge d’or du journalisme scientifique


Les journaux diffusent de plus en plus les nouvelles scientifiques. Cherchant à mieux
canaliser cet intérêt, François Arago, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences,
décide en 1835 d’accélérer la publication du compte rendu de ses séances. L’engoue-
ment du public ne se tarit pas et, dans les décennies qui suivent, plus d’une centaine
de nouveaux titres sont créés par des professionnels de la vulgarisation scientifique :
le Journal des connaissances utiles, fondé dès 1831, puis Cosmos de l’abbé Moigno, l’Ami des
sciences de Victor Meunier, l’Année scientifique de Louis Figuier…
1770-1870 Des sciences pour l’industrie

Les grandes messes du progrès


En 1851, une grande exposition attire à Londres plus de six millions de visiteurs
dans un gigantesque palais de verre et de métal. Dès 1855, Paris accueille aussi la
première d’une série d’expositions universelles toujours plus imposantes. Véri-
tables célébrations de l’âge industriel, ces expositions ancrent dans l’imaginaire
collectif un culte du progrès qui culmine avec la religion de l’humanité, de l’ordre
et du progrès organisée par Auguste Comte (! 1830) et ses fidèles positivistes.

241

Le merveilleux scientifique
Au xixe siècle, les merveilles de
la science et de la technique se
Marx, critique de la société industrielle retrouvent autant sur le devant
de la scène qu’en arrière-plan.
Karl Marx (1818-1883) est sans aucun doute le
Alors que le public se montre
penseur qui a produit la critique la plus incisive friand de spectacles qui pré-
de la société industrielle. Chacune à sa façon, la sentent les découvertes de la
philosophie matérialiste allemande, la pensée science contemporaine, de nou-
socialiste française et l’économie politique bri- velles machines, comme celle
qu’on peut apercevoir sur la
tannique cherchent déjà à tirer les conséquences gauche de cette gravure, pro-
des mutations sociales et techniques du début duisent de fabuleux effets spé-
du xixe siècle. S’inspirant de ces trois courants, ciaux qui captivent l’auditoire.
Marx considère que l’émergence du capitalisme Spectacle d’astronomie au
engendre un conflit de classe entre propriétaires théâtre de Henri Robin, 1864.
et ouvriers. Dans Le Capital, dont le premier tome
paraît en 1867, il cherche à fonder une science
de l’économie basée sur la notion de travail.
L’empire
des sciences
1870-1945

De multiples découvertes
révolutionnent les fondements
des sciences : l’atome dévoile sa
structure, le temps se dilate,
le vivant semble issu de la matière
inorganique… Les exploits de la
technique apparaissent tous les jours
plus incroyables : le phonographe
reproduit la voix humaine et la radio
la transmet, le cinéma anime les
images, l’avion s’envole et relie les
continents, et, bientôt, l’automobile
façonnera les territoires. Grâce à
sa suprématie technoscientifique,
l’Occident explore et soumet la quasi-
totalité de la Terre. Deux terribles
guerres mondiales font toutefois
douter de l’usage qu’on fait de cette
puissance.
Le Petit Journal illustré, 9 décembre 1923.
L’empire
des sciences
1870-1945
La belle époque des inventions
Dans la guerre franco-prussienne de 1870-1871, l’Allemagne
victorieuse s’appuie sur les techniques modernes comme le
chemin de fer et les canons en acier. Dès lors, la recherche
scientifique et l’innovation technique s’imposent comme
des enjeux vitaux en Europe, mais aussi aux États-Unis qui
viennent d’être ravagés par une terrible guerre civile (1861-
1865). De nouveaux procédés de fabrication de l’acier à
moindre coût permettent la construction d’édifices comme
la tour Eiffel mais aussi le développement rapide de lignes
de communication marines et ferroviaires.
244
Le télégraphe, qui relie les continents les uns aux autres,
impulse le développement de l’industrie électrique (! 1876)
puis celui de la radiophonie (! 1888, p. 252). On invente le
cinéma et l’avion (! 1908). Le moteur à explosion propulse
les automobiles, qui se démocratisent dès
les années 1920 avec Henry Ford (1863-1947).

La maîtrise du monde
Les sciences modernes étendent leur empire. Alors
que les laboratoires universitaires et industriels se
généralisent, les techniques expérimentales atteignent
de grandes précisions. Les découvertes techniques font
apparaître de nouveaux phénomènes, comme les ondes
électromagnétiques (! 1888, p. 252), les rayons X (! 1895,
p. 256) et de nouveaux paradigmes, comme celui de la
mécanique quantique (! dossier, p. 290-291). La chimie
lance de nouvelles industries : celle des teintures (! 1856),
des médicaments comme l’aspirine, des fertilisants
(! 1909), mais aussi celle des nouveaux explosifs (TNT,
dynamite) et des gaz de combat.
Avec les travaux de Louis Pasteur (1822-1895) et de Robert
Koch (1843-1910), on commence à mieux comprendre et
à mieux contrôler les maladies infectieuses. Dès la fin
du XIXe siècle, on a exploré l’ensemble des mers du globe :
les puissances occidentales se partagent l’Afrique et ont
les moyens militaires et techniques d’imposer leur
hégémonie globale.

Les nouveaux fondements du savoir


Entre-temps, le cœur des savoirs scientifiques est témoin
de grands bouleversements. La radioactivité permet
bientôt de pénétrer à l’intérieur même des atomes,
jusque-là supposés insécables (! 1932). À l’échelle de
l’infiniment grand, les théories relativistes d’Einstein
(! 1905) bouleversent la conception de l’Univers tout entier
(! 1929). Dans les sciences du vivant, les gènes deviennent
245
le fondement de l’hérédité (! 1910). L’existence des
neurones dans le cerveau est démontrée (! 1888, p. 254)
et Sigmund Freud (1856-1939) explore l’inconscient.
Les fondements des mathématiques mêmes sont remis
en question (! 1934).

Crises de confiance
En 1914, les horreurs de la Première Guerre mondiale
portent un coup sévère à la foi dans le progrès scientifique
et technique. Malgré les doutes, les États en guerre créent
de nouveaux organismes chargés de superviser la recherche
scientifique (! 1915). Les crises économiques de l’entre-deux-
guerres ne permettent pas toujours de concrétiser cette
volonté. Mais bientôt, la Seconde Guerre va accumuler les
innovations comme la transfusion sanguine, la production
industrielle de la pénicilline (! 1928), le développement
du radar, des premières fusées, des ordinateurs ou de la
bombe atomique (! 1945, p. 298 et 300). Plus que jamais,
les sciences montrent leur double visage, tantôt bénéfique
pour l’humanité, tantôt mortifère.
1898
1871 Découverte du radium
Étude des sciences occidentales et du polonium par
par la mission japonaise Iwakura Pierre et Marie Curie
1895
Découverte
des rayons X
par Röntgen
1888
Détection des ondes
électromagnétiques
par Hertz

| | | |
1870 1880 1890 1900

1870-1871 Guerre franco-prussienne 1900


Grande
1884-1885 Partage exposition
de l’Afrique universelle
entre les puissances à Paris
occidentales
Guerre russo-japonaise 1905

1876 1888 1895


Lancement de Établissement Anticipation du
la recherche de la théorie du réchauffement
industrielle neurone par Cajal climatique
par Edison

1897
Description du
réflexe conditionné
par Pavlov

1900
Hilbert pose les bases des
mathématiques modernes

1905
Einstein, théorie de la
relativité restreinte
1908 1928
Traité Découverte
mathématique de la pénicilline
sur l’aviation par Fleming

1909
Procédé Haber-Bosch
de synthèse de l’ammoniac

1915
Naissance
des politiques 1934
nationales de « Naissance »
recherches de Bourbaki

| | | |
1910 1920 1930 1940

1914-1918 Première Guerre mondiale 1933 Arrivée d’Hitler


au pouvoir en Allemagne
1917 Révolution
bolchevique en Russie
1929 Krach boursier à New York

Seconde Guerre mondiale 1939-1945

1910
Morgan, théorie
chromosomique
de l’hérédité 1929
Observation de
l’expansion de
l’Univers par Hubble 1944
Théorisation
de l’économie
1932
Accélération de la
1919 recherche nucléaire
Confirmation de la avec le cyclotron
relativité par une
éclipse de Soleil
1871 Une mission japonaise étudie
les sciences occidentales

Désireux de prendre en main la modernisation de son pays,


le gouvernement du Japon envoie une mission aux États-Unis
et en Europe afin de recueillir des renseignements scientifiques,
techniques et militaires. Bientôt, l’élève japonais va concurrencer
ses professeurs.

Une ouverture forcée sur le monde


En 1853, le commandant Matthew Perry, des États-Unis, contraint le gouvernement
japonais à renoncer à sa politique d’isolement. Dans les années qui suivent, c’est au
tour des grandes puissances européennes d’imposer, parfois sous la menace de bom-
bardement, des traités commerciaux dits « inégaux », humiliants pour les Japonais.
En réaction, l’empereur japonais reprend le pouvoir en 1868. S’ouvre alors une nou-
velle ère de « gouvernement éclairé » (Meiji en japonais).

À bord de l’America
248 Le 23 décembre 1871, à Yokohama, plus d’une centaine de diplomates, d’officiers
militaires et d’intellectuels, accompagnés de leurs familles, embarquent à bord
de l’America à destination de San Francisco. Dirigée par l’ambassadeur Tomomi
Iwakura (1825-1883), la mission se rend d’abord aux États-Unis avant d’aller vers
l’Europe.
Pendant deux ans, les envoyés spéciaux visitent cours royales, champs de bataille,
usines et universités. Si la mission échoue concernant la renégociation des traités
inégaux, les informations collectées vont avoir une profonde influence sur le déve-
loppement des sciences et de la société japonaise.

Le Japon s’industrialise
Pendant qu’elle visite l’Écosse, la mission japonaise propose à un jeune ingénieur,
Henry Dyer (1848-1918), de venir à Tokyo pour y fonder une école impériale d’ingé-
nieurs. Bientôt, les étudiants japonais de l’école vont jouer un rôle de premier plan
dans l’industrialisation du pays.
L’un deux, Kunihiko Iwadare (1857-1941), part ainsi travailler pour les entreprises
d’Edison aux États-Unis (! 1876) et fonde, à son retour au Japon, la société NEC
(Nippon Electric Company). Après avoir produit des téléphones, la société devient
l’un des plus grands fabricants d’ordinateurs. Aujourd’hui, elle reste une référence
mondiale dans le secteur des semiconducteurs.

1871 Mission japonaise Iwakura


| | | |
1870 1880 1890 1900
1869 Ouverture du canal de Suez 1889 Tour Eiffel 1895 Cinéma des frères Lumière

1875 Mise au point de la dynamo par Zenobe Gramme Premiers vols d’un avion des frères Wright 1903
249

Mission Iwakura
Nous sommes en 1871. La
mission Iwakura s’apprête à Nobel nippons
partir de Yokohama. La foule
accompagne l’ambassadeur
Lors de la guerre de 1905, le Japon surprend toute
qui embarque sur un grand l’Europe en battant la Russie, grâce notamment à
bateau à vapeur, l’America, sa maîtrise des technologies modernes. Après la
symbole de la puissance Seconde Guerre mondiale, les scientifiques japo-
occidentale que le Japon
nais rivalisent avec les Occidentaux. En 1949, le
compte étudier au cours de
cette mission. physicien Hideki Yukawa (1907-1981) obtient le
D’après Yamaguchi Hôshun, prix Nobel pour avoir prédit l’existence d’une nou-
La Mission Iwakura, 1893- velle particule élémentaire, le méson. Depuis, le
1971. Japon a récolté pas moins de vingt-quatre prix
Nobel scientifiques et reste, au xxie siècle, en tête
du palmarès, derrière les États-Unis.

Techniques
| | | |
1910 1920 1930 1940
1915 Mise au point du sonar par Langevin 1931 Invention du microscope électronique
Premier dispositif de télévision 1923 Première fusées V2 lancées par les Allemands 1944
Premières bombes atomiques 1945
1876 Edison se lance dans la
recherche industrielle
Thomas Edison est à l’origine d’inventions majeures
Thomas comme le phonographe ou les réseaux électriques.
Edison Mais c’est aussi l’un des premiers à créer un centre
1847-1931
de recherche et développement entièrement dédié
à l’innovation. Une véritable « usine à inventions ».

Mille et un métiers
Thomas Edison entre dans le monde du travail dès l’âge de neuf ans. Il exerce toutes
sortes de métiers : vendeur de journaux et de confiseries dans les trains, vendeur
de légumes… puis opérateur télégraphiste. À cette époque, en 1860, la télégraphie
est une technologie de pointe et Edison, en autodidacte, devient vite un expert. Il
conçoit alors un appareil pouvant envoyer quatre messages simultanément sur la
même ligne ! La vente du brevet sur cette invention lui permet de construire un
laboratoire de recherche industrielle à Menlo Park, dans l’État du New Jersey, où
il s’installe en 1876.
250
Le sorcier de Menlo Park
Ce laboratoire est composé d’une bibliothèque, de laboratoires de chimie et de
physique et d’un atelier de mécanique. L’objectif est alors de réaliser une « petite
invention » tous les dix jours et une « grande invention » tous les six mois. Parmi
les centaines d’inventions qu’Edison et son équipe font à Menlo Park, de 1876 à 1881,
le phonographe est sans doute celle qui a le plus grand retentissement. Cet appareil
permet en effet d’enregistrer la voix humaine, une prouesse qui fascine ses contem-
porains. Edison est désormais connu sous le nom du « sorcier de Menlo Park ».

Les villes s’illuminent


Avec notamment l’appui financier de John Pierpont Morgan (1837-1913), un grand
banquier de New York, Edison se lance dans la conception d’un système complet
d’éclairage électrique, comprenant câbles, ampoules et dynamos. Ce système est
installé dans les beaux quartiers de New York en 1882 et s’y développe rapidement.
Mais comme toute nouvelle technologie, le réseau connaît des défaillances. Entre
autres accidents, il cause un incendie dans la bibliothèque même de Morgan ! La
technologie arrive néanmoins à s’imposer et, en 1888, neuf villes – parmi lesquelles
Milan, Berlin et Chicago – sont équipées d’un système d’éclairage électrique sui-
vant le modèle de New York.

Techniques 1876 Recherche industrielle d’Edison


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1870 1880 1890 1900
1869 Ouverture du canal de Suez 1889 Tour Eiffel 1895 Cinéma des frères Lumière

1875 Mise au point de la dynamo par Zenobe Gramme Premiers vols d’un avion des frères Wright 1903
Une ampoule longue durée
Thomas Edison n’est pas l’in-
Métier : inventeur 251
venteur de l’ampoule électrique.
D’autres modèles avaient été
conçus avant le sien. Mais en Au xixe siècle, un inventeur n’est ni un ingénieur,
1879, Edison met au point une ni un scientifique, même s’il peut en employer. Il
ampoule dotée d’une fibre de appartient à une catégorie à part. C’est un profes-
coton carbonisée, qui rallonge la
sionnel de l’invention, qui identifie les principaux
durée de vie et réduit le coût de
fabrication. Elle est un composant problèmes techniques qui se posent à l’époque
essentiel de son nouveau système et leur apporte des solutions. Il obtient des bre-
d’éclairage électrique. vets sur ses inventions, qu’il revend ensuite ou
Le laboratoire d’Edison, qu’il exploite au sein de sa propre entreprise.
à mi-chemin entre New York
et Philadelphie.
Aux États-Unis, des centaines de personnes
vivent de l’invention pendant la seconde moitié du
xixe siècle. Edison est le plus connu de ces inven-
teurs. Il est aussi celui qui obtient le plus grand
nombre de brevets avec plus de mille titres !

❝ Le génie est fait d’un pour cent d’inspiration


et de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration. »
Thomas Edison, 1902, d’après Harper’s Monthly Magazine, 1932.

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1910 1920 1930 1940
1915 Mise au point du sonar par Langevin 1931 Invention du microscope électronique
Premier dispositif de télévision 1923 Première fusées V2 lancées par les Allemands 1944
Premières bombes atomiques 1945
1888 Hertz émet de bonnes ondes

Un jeune physicien allemand, guidé par une hypothèse


Heinrich sur l’existence d’ondes électromagnétiques, construit
Hertz
1857-1894 un dispositif capable de générer un phénomène étrange
et invisible : une onde hertzienne ou radio.

De la théorie à la pratique
Dans les années 1860, James Clerk Maxwell (1831-1879) met en équation les interac-
tions qui lient champ électrique et champ magnétique. En 1865, il prédit l’exis-
tence d’ondes associées à ces champs dits électromagnétiques, se propageant à une
vitesse proche de celle de la lumière : les ondes électromagnétiques. Mais ces for-
mules mathématiques expriment-elles une réalité physique ? Ces ondes existent-
elles vraiment ? Cela reste à prouver. C’est la tâche à laquelle s’attelle le physicien
Heinrich Hertz, grâce à un montage expérimental original.

252 Quand les étincelles font des ondes


Pour obtenir les ondes décrites, Hertz doit produire un claquage d’étincelles plusieurs
dizaines de millions de fois par seconde. Pour cela, il utilise deux sphères conduc-
trices alimentées par une bobine de Ruhmkorff. Une onde est émise ! Nous sommes en
1888. Et non seulement Hertz produit une onde électromagnétique – il s’agit de l’onde
radio – mais il la détecte grâce à un résonateur en cuivre et la manipule. Comme une
onde lumineuse, il la réfléchit et la réfracte, produit des interférences…

Une invention qui se propage


Les expériences de Hertz sont immédiatement reproduites dans toute l’Europe. Et si
Hertz pense que ces ondes ne sont d’aucune utilité, d’autres comprennent rapidement
le rôle qu’elles peuvent jouer. Entre 1890 et 1900, Édouard Branly (1844-1940) conçoit
un détecteur bien plus sensible et Alexandre Popov (1859-1906) perfectionne l’antenne.
À la fin du XIXe siècle, en Italie, le physicien Guglielmo Marconi (1874-1937) réalise
une transmission en morse par onde hertzienne sur plus de 2 km. La télégraphie sans
fil ou TSF est née. Dès 1914 des émissions de musique sont diffusées et, à la fin de la
guerre, des bandes autorisées de fréquences sont allouées aux radioamateurs. Sui-
vront les premiers programmes radio à La Haye et à Montréal en 1919, puis les pre-
mières transmissions publiques d’images animées à Londres et à Washington en 1929.

Physique expérimentale et astrophysique 1888 Preuve de l’exixtence des ondes radios


| | | |
1870 1880 1890 1900
1874 Mesure de la distance Terre-Soleil 1896 Découverte
grâce au passage de Vénus de la radioactivité
par Becquerel
1879 Expériences de Crookes Découverte de l’hélium par Ramsay 1904
sur les tubes cathodiques
La transmission sans fil
Les premiers signaux transmis
par ondes hertziennes sont en Découverte ou invention ?
langage morse. Ainsi, en 1901,
Marconi transmet le premier Les ondes hertziennes ont-elles été « décou-
message transatlantique et, en vertes » ou « inventées » ? Hertz a-t-il découvert
1902, les prévisions météo sont les ondes radios, comme Becquerel a découvert
diffusées aux navires, en morse. la radioactivité ? En effet, les ondes électroma-
Concernant la transmission
vocale, c’est l’inventeur canadien
gnétiques nous entourent à notre insu, et n’ont
Reginald Fessenden (1866-1932) pas attendu le travail des physiciens pour exis-
qui ouvre la voie : il échange une ter. Toutefois, avant les expériences de Hertz
première phrase avec son colla- en 1888, personne n’a la preuve que ces ondes
borateur en 1900 et accompagne
existent, que l’objet mathématique conçu par
ses vœux de Noël de 1906 avec le
Largo de Haendel, qui sera capté Maxwell possède une correspondance dans le
jusqu’à 800 km. La radio est née. monde physique. Hertz ne découvre donc pas
Guglielmo Marconi devant un les ondes radios mais les invente bel et bien
télégraphe morse, l’émetteur puisqu’il les fabrique, les manipule et les capte.
et le récepteur se trouvant à
droite et le manipulateur à ruban D’autres physiciens après lui inventeront l’onde
encreur, que Marconi tient dans radio modulée pour propager nos conversations.
la main, se trouvant à gauche,
1901.

| | | |
1910 1920 1930 1940
1911 Découverte de la supraconductivité 1927 Hypothèse d’un univers en expansion par Georges Lemaître
par Kamerlingh-Onnes
1919 Confirmation de la relativité 1935 Prédiction de l’existence
par une éclipse de Soleil du muon par Yukawa
1943 Première pile atomique à Chicago
1888 Un médecin espagnol peint
des neurones

Santiago Ramón y Cajal, médecin espagnol fasciné


Santiago par la coloration des tissus, doué en dessin et faisant
Ramón
y Cajal preuve d’une grande capacité d’observation, dévoile
1852-1934 l’organisation intime du système nerveux. Pour lui,
il est constitué de cellules : les neurones.

Un monde de cellules
Dans les années 1830, les biologistes allemands Matthias Jakob Schleiden (1804-
1881) et Theodor Schwann (1810-1882) concluent que les plantes et les animaux sont
constitués de petites unités structurales et fonctionnelles : les cellules. Plus tard, le
médecin Rudolf Virchow (1821-1902) montre que celles-ci sont aussi l’unité de déve-
loppement du vivant, toute cellule provenant d’une autre cellule. Dès la seconde
moitié du XIXe siècle, la théorie cellulaire est donc formulée et acceptée par l’en-
semble de la communauté savante. Une seule question demeure cependant sans
réponse : quelle est la véritable nature du système nerveux ?
254
Cap sur les neurones
À la fin du XIXe siècle, il est couramment accepté que le système nerveux est consti-
tué d’un réseau continu de fibres nerveuses (théorie réticulaire). Grâce à de très
nombreuses observations sous microscope et à des dessins tout aussi nombreux, le
médecin Santiago Ramón y Cajal montre en 1888 que les nerfs des animaux sont
constitués de cellules individualisées – baptisées « neurones » en 1891 par Heinrich
Wilhelm Waldeyer –, connectées entre elles par des espaces appelés « synapses ».
Comme le reste des tissus, le système nerveux a donc une nature cellulaire. L’uni-
versalité de la théorie cellulaire, l’un des piliers de la biologie moderne, se confirme.

Vers une théorie cellulaire universelle


La théorie du neurone ne fait pas instantanément l’unanimité. L’italien Camillo
Golgi (1843-1926), partisan de la théorie réticulaire, n’y croit pas du tout. Ironie du
sort, c’est sa nouvelle méthode de coloration des tissus au nitrate d’argent qui per-
met à Cajal de visualiser les neurones sur ses coupes histologiques !
Les deux savants, honorés par le prix Nobel de médecine en 1906, confrontent
une dernière fois leurs points de vue lors de la remise de prix à Stockholm. Cajal y
expose sa théorie du neurone qui sera dès lors admise par l’ensemble de la commu-
nauté scientifique.

Biologie et médecine 1888 Théorie du neurone


| | | |
1870 1880 1890 1900
1871 Darwin, La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe 1890 Découverte des fossiles d’Homo erectus à Java
1878 Invention du mot « microbe » par Sédillot Découverte des groupes sanguins 1900

Invention du vaccin contre la rage par Pasteur 1885 Redécouverte des travaux de Mendel 1900
L’objectivité prend
forme
Jusque-là, les naturalistes
représentent une préten-
due vérité d’après nature.
L’exemple concret est
négligé au bénéfice d’un
archétype idéal, en réa-
lité inexistant, censé réunir
toutes les caractéristiques
de l’objet d’étude (espèce,
organe, tissu,  etc.). À l’op-
posé, la démarche de Cajal,
guidée par un souci d’objec-
tivité, ne tient compte que du
cas particulier. Il fait ainsi
de sa propre main environ
2 900  dessins de cellules
nerveuses, uniques et par-
faitement fidèles à ce qu’il
voit au microscope.
Dessin d’un neurone et de
ses milliers de dendrites
dans le cortex cérébelleux
humain, Santiago Ramón y
Cajal, 1899.

255

❝ Les neurones sont les mystérieux papillons de l’âme,


dont les battements d’ailes pourraient peut-être clarifier un
jour le secret de la vie mentale. »
Santiago Ramón y Cajal, Souvenirs de ma vie, 1917.

Les premières cellules sous microscope


Utilisé dès la fin du xvie siècle, le micros- 1703), après avoir scruté une coupe fine
cope permet de déchiffrer l’organisation de liège au microscope, propose pour la
intime des organismes vivants. Basé sur première fois le terme de « cellule » pour
un jeu de lentilles qui augmentent la nommer les loges visibles sur le maté-
taille des objets grâce à la réfraction de riel observé. En réalité, il n’a pas repéré
la lumière, cet instrument est indispen- de véritables cellules mais leur empla-
sable aux progrès de la biologie. En 1665, cement dans un tissu déjà mort, unique-
le savant anglais Robert Hooke (1635- ment formé des parois cellulaires inertes.

| | | |
1910 1920 1930 1940
1910 Morgan, théorie chromosomique de l’hérédité 1928 Découverte de la pénicilline par Flemming
1918 Grande pandémie de grippe « espagnole » 1937 Theodosius Dobzhansky,
Genetics and the Origin of Species

Description du syndrome de l’autisme par Hans Asperger 1943


1895 Wilhelm Röntgen effectue
la première radiographie

C’est en faisant des expériences sur les rayons


Wilhelm cathodiques que le physicien allemand Wilhelm Röntgen
Conrad
Röntgen
découvre les rayons X et expérimente la radiographie.
1845-1923 Quelques années plus tard, la radiologie devient une
pratique courante qui révolutionne le diagnostic médical.

Le mystère des rayons cathodiques


À la fin du XIXe siècle, les physiciens essaient de comprendre la nature des rayons catho-
diques. Certains pensent qu’il s’agit d’oscillations dans l’éther, un fluide qui rempli-
rait l’univers et permettrait la propagation de l’électricité et du magnétisme. Dans
leurs laboratoires, les scientifiques profitent de l’invention des générateurs de haute
tension, de vide et des verres de haute résistance – des technologies associées à la mise
en place des premiers réseaux de distribution d’électricité (! 1876) – pour mener leurs
expériences.
256
Une découverte inattendue
Le 8 novembre 1895, dans son laboratoire de l’université de Würzburg, Wilhelm
Röntgen essaie de détecter ces oscillations « cathodiques » dans l’éther en combi-
nant un écran de platinocyanure de baryum à un tube de verre, vidé de son air,
dans lequel passe un courant électrique haute tension.
Dans l’obscurité, il approche sa main de l’écran devenu fluorescent et en apper-
çoit le squelette. Il vient de découvrir un nouveau type de radiation, capable de tra-
verser la chair mais se trouve bloquée par les corps durs comme les os. La main de
sa femme lui servira de modèle pour le premier cliché.

L’engouement pour les rayons X


Röntgen nomme le phénomène « rayons X » pour indiquer le caractère mystérieux
et inattendu de sa découverte. Bien que l’origine de cette radiation reste l’objet de
spéculations pendant des années, le dispositif expérimental est immédiatement
reproduit dans les académies et universités d’Europe et d’Amérique, et suscite l’in-
térêt des médecins et des industriels. Ainsi, Röntgen recevra le tout premier prix
Nobel de physique de l’histoire, établi en 1901 selon les vœux posthumes d’Alfred
Nobel (1833-1896), inventeur de la dynamite, qui souhaitait récompenser les décou-
vertes les plus remarquables et bénéfiques à l’humanité.

Mathématiques et physique théorique Découverte des rayons X 1895


| | | |
1870 1880 1890 1900
1873 Georg Cantor, théorie des ensembles 1892-1899 Poincaré, méthodes nouvelles
de la mécanique céleste
1874 Sofia Kovalevskaïa, première doctoresse
en mathématiques en Allemagne
Einstein, théorie de la relativité restreinte 1905
Boltzmann, théorie cinétique des gaz 1877
257

L’évènement
de la radiographie
Les usages des rayons X
Les premières radiographies
requièrent des temps d’exposition Dans un de ses articles, Röntgen mentionne déjà
très longs, de plusieurs dizaines quelques applications possibles de sa découverte :
de minutes, ce qui expose les pre-
miers radiologues à de graves
l’imagerie médicale, le contrôle de qualité indus-
brûlures et à des cancers. De triel – qui permet aujourd’hui de détecter certains
grandes avancées sont réalisées défauts dans des structures métalliques – et le
dans le domaine de la radiopro- contrôle de bagages. Pour la recherche scienti-
tection grâce aux progrès de l’ins-
fique, l’application la plus importante est la dif-
trumentation et, en premier lieu,
au tube de Coolidge. Inventée en fraction des rayons X, découverte en 1913 par Max
1913, cette « ampoule » permet von Laue (1879-1960), qui permet de déterminer
de contrôler avec précision l’in- la structure cristalline, la composition chimique
tensité et l’énergie des rayons X et les propriétés des matériaux. C’est grâce à elle
émis.
que l’on a pu mettre en évidence la structure en
Radiologie des poumons pour
dépister la tuberculose, 1920. double hélice de l’ADN (! 1953).

| | | |
1910 1920 1930 1940
1913 Modèle de l’atome de Niels Bohr 1925 Équation de Schrödinger 1934 « Naissance » de Bourbaki
1917 Einstein, théorie de la relativité générale 1937 Machine universelle
de Turing
1895 Svante Arrhenius annonce
le réchauffement de la planète

Le chimiste suédois Svante Arrhenius étudie en détail


Svante l’influence du gaz carbonique sur la température
Arrhenius
1859-1927 au sol, et laisse présager un réchauffement global
de la planète… bien avant qu’il ne soit avéré.

Le climat a une histoire


Dans les années 1830, des naturalistes suggèrent que la Terre a connu par le passé une
alternance de périodes de « glaciation », avec une baisse moyenne de 5° C des tempé-
ratures, et de réchauffement. Comment expliquer ces variations climatiques ?
En 1859, le physicien John Tyndall (1820-1893) émet une hypothèse. D’après lui, il
faut tenir compte des changements de composition de l’atmosphère, et pas unique-
ment des modifications de l’orbite terrestre, pour décrire ces fluctuations.

L’atmosphère et l’effet de serre


258 En 1895, Svante Arrhenius présente à la Société de physique de Stockholm un article
intitulé « Sur l’influence de l’acide carbonique de l’air sur la température au sol ».
Grâce à des données collectées via des stations météorologiques et à des expériences,
il avance qu’un doublement de la concentration de dioxyde de carbone induit un
« effet de serre » et une augmentation moyenne de la température au sol de 9 °C.
Dans des travaux postérieurs, il affine son analyse. Il indique aussi que les com-
bustibles fossiles, comme le charbon, vont conduire à un doublement de la quan-
tité de CO2 dans l’atmosphère et à une augmentation de la température moyenne
de 4 à 5 °C d’ici l’an 5000.

Une lente prise de conscience


Au début du xxe siècle, les idées d’Arrhenius ne font pas consensus car on consi-
dère que cet « effet de serre » est négligeable en comparaison des cycles glaciaires.
En 1938, pourtant, l’ingénieur anglais Guy Stewart Callendar (1898-1964) avance que
la hausse des gaz à effet de serre a déjà produit une « augmentation modeste, mais
mesurable, de la température de la Terre ». L’humanité, avertit-il, est en train de
conduire « une vaste expérience » sur le climat. Mais ce n’est qu’à partir de 1957 que
l’américain Roger Revelle (1909-1991) met en place des dispositifs de mesures régu-
lières du CO2 atmosphérique et alerte véritablement sur la possibilité d’un réchauf-
fement global (! 1990).

Physique expérimentale et astrophysique Annonce du réchauffement climatique 1895


| | | |
1870 1880 1890 1900
1874 Mesure de la distance Terre-Soleil 1888 Preuve de l’existence 1896 Découverte
grâce au passage de Vénus des ondes de la radioactivité
électromagnétiques par Becquerel
1879 Expériences de Crookes par Hertz
Découverte de l’hélium par Ramsay 1904
sur les tubes cathodiques
La presse en parle
Au début du xxe  siècle,
quelques journaux parlent
déjà de réchauffement cli-
matique. Certains, comme
ici le magazine Popu-
❝ Il est vraisemblable qu’en raison de la
consommation toujours croissante de charbon
[…] nous marchons vers une période plus chaude,
259

lar Mechanics, dans un


pendant laquelle les conditions de milieu seront
article intitulé « La météo en général plus favorables aux êtres vivants. »
surprenante en 1911 », Svante Arrhenius, Les Oscillations séculaires de la température, 1899.
s’inquiètent des quanti-
tés colossales de dioxyde
de carbone rejetées dans
l’atmosphère par les
usines et redoutent les
« effets considérables »
Le climat sous surveillance
que cela pourrait avoir
Les calculs d’Arrhenius sont basés sur une formidable
dans les siècles à venir.
quantité de données enregistrées par des stations météo-
Extraits de l’article
« Remarkable weather rologiques tout autour du globe. La première collecte sys-
of 1911 » publié dans tématique globale est organisée en 1873, dans le cadre du
le magazine Popular
Mechanics, 1912.
premier congrès météorologique international. Une organi-
sation météorologique internationale, créée la même année,
promeut l’échange de données (températures, précipitations,
insolation, etc.) et la standardisation des mesures. En 1951,
dans un nouveau contexte international, elle donne nais-
sance à l’Organisation météorologique mondiale.

| | | |
1910 1920 1930 1940
1911 Découverte de la supraconductivité 1927 Hypothèse d’un univers en expansion par Georges Lemaître
par Kamerlingh-Onnes
1919 Confirmation de la relativité 1935 Prédiction de l’existence
par une éclipse de Soleil du muon par Yukawa
1943 Première pile atomique à Chicago
1897 Pavlov fait baver les chiens

Ivan
En étudiant les chiens de son laboratoire au moment
Petrovitch du repas, Ivan Pavlov met en évidence le réflexe
Pavlov conditionné et suppose, à juste titre, qu’il est gouverné
1849-1936
par le système nerveux central.

À table !
Ivan Petrovitch Pavlov, médecin et physiologiste russe, s’intéresse à l’influence des
mécanismes nerveux sur la digestion. En 1897, il observe un comportement inat-
tendu chez les chiens de son laboratoire. Les animaux se mettent à baver avant
même que leur gamelle ne leur soit apportée ! Le chercheur décide de mettre en
place une expérience pour étudier le phénomène.
Il commence par équiper les chiens d’une petite fiole pour noter de façon précise
le moment où la salive est sécrétée. Il fait alors retentir le son d’une cloche avant
qu’un succulent repas de viande ne leur soit servi. On répète plusieurs fois l’expé-
260 rience et on note que les animaux finissent par saliver dès le signal sonore, avant
même qu’on ait apporté la viande. Pavlov parle de « réflexe conditionné ».

Le réflexe de Pavlov
En menant ces expériences, Pavlov distingue deux types de réflexe. L’aliment, par son
odeur et son apparence, déclenche spontanément chez l’animal un « réflexe incon-
ditionné » de salivation, associé à la sécrétion de suc digestif. À l’opposé, le son de la
cloche déclenche un « réflexe conditionné » de salivation chez le chien qui aura asso-
cié ce stimulus à la nourriture. Ce réflexe ou conditionnement pavlovien est considéré
aujourd’hui comme un aspect fondamental de l’apprentissage.

Des actions sous contrôle


Pour donner une explication au réflexe conditionné, Pavlov suppose que des
connexions nerveuses temporaires se forment dans le système nerveux central sans
pouvoir le démontrer. C’est l’anglais Charles Scott Sherrington (1857-1952) qui met en
évidence en 1906 l’existence de l’influx nerveux, c’est-à-dire d’une activité électrique
dans le neurone (! 1888, p. 254), après une stimulation sensorielle externe. Les orga-
nismes ne sont donc pas de simples assemblages de molécules, comme le défendent
alors les partisans du réductionnisme, mais des systèmes complexes qui intègrent les
paramètres de leur environnement grâce à l’existence d’un système nerveux central.

Biologie et médecine Description du réflexe conditionné 1897


| | | |
1870 1880 1890 1900
1871 Darwin, La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe 1890 Découverte des fossiles d’Homo erectus à Java
1878 Invention du mot « microbe » par Sédillot Découverte des groupes sanguins 1900

Invention du vaccin contre la rage par Pasteur 1885 Redécouverte des travaux de Mendel 1900
Expérimentation animale
sous surveillance
Du chien à l’homme
Depuis l’émergence de la phy-
siologie au xixe  siècle, la vivi- Les travaux de Pavlov sur les réflexes condi- 261
section est pratique courante
tionné et inconditionné influencent fortement la
dans les laboratoires. Soucieux
du bien-être animal, le Conseil psychologie humaine pendant la deuxième moi-
de l’Europe propose en 1986 tié du xxe siècle. À travers l’analyse du compor-
une convention visant à réduire tement observable, les psychologues comporte-
les expériences et le nombre mentalistes s’intéressent dès lors aux interactions
de vertébrés utilisés à des fins
expérimentales. Aucune régle-
historiquement construites entre les humains
mentation ne voit le jour pour et leur environnement sans faire appel au psy-
les invertébrés, hormis pour chisme. La raison et l’émotion sont écartées au
les céphalopodes (pieuvre, moment d’étudier l’influence de l’environnement
seiche, etc.) considérés comme
physique, biologique et social sur l’individu. Les
des animaux intelligents.
thérapies comportementales permettent ainsi le
Ivan Pavlov (au centre) avec
ses assistants et ses étudiants traitement de troubles comme l’anxiété, l’addic-
à l’Académie militaire tion ou les psychoses.
impériale de médecine de
Saint-Pétersbourg, 1912-1914.

❝ Le fait que tous les phénomènes de la vie


humaine soient conditionnés par la recherche
du pain quotidien n’est pas fortuit. C’est le lien
le plus ancien qui unit tous les êtres vivants –
homme compris – à la nature. »
Ivan Pavlov, Discours de réception du prix Nobel, 1904.

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1910 1920 1930 1940
1910 Morgan, théorie chromosomique de l’hérédité 1928 Découverte de la pénicilline par Flemming
1918 Grande pandémie de grippe « espagnole » 1937 Theodosius Dobzhansky,
Genetics and the Origin of Species

Description du syndrome de l’autisme par Hans Asperger 1943


1898 Pierre et Marie Curie
découvrent des éléments
radioactifs
En étudiant les radiations de minéraux d’uranium,
Pierre et Marie Curie découvrent deux nouveaux éléments
Marie Curie
1867-1934
radioactifs : le radium et le polonium. Leurs travaux
ouvrent un nouveau champ de recherche et suscitent
de grands espoirs en médecine et dans l’industrie.

La découverte des « rayons uraniques »


En 1896, dans son laboratoire du Jardin des Plantes à Paris, le professeur Henri Bec-
querel (1852-1908), issu d’une dynastie de scientifiques, mesure la phosphorescence
de sels d’uranium – qu’il croit en rapport avec les rayons X (! 1895) – en les dispo-
sant sur des plaques photographiques et en les exposant à la lumière.
Un jour nuageux de février, Becquerel décide de reporter l’expérience et enferme
ses échantillons de sels et ses plaques photographiques dans un tiroir. Quelques jours
plus tard, il constate avec surprise que les plaques ont été fortement impressionnées,
dans le noir, en l’absence de soleil. Il en conclut que ce sont les sels eux-mêmes qui
262 émettent spontanément un rayonnement qu’il baptise « rayons uraniques ».

Un tandem brillant
À l’École de physique et de chimie industrielles de Paris, le couple Pierre et Marie
Curie reprend les travaux de Becquerel. Marie Curie étudie alors la radiation de la
pechblende, un minerai d’uranium particulièrement actif, à l’aide du quartz pié-
zoélectrique inventé par Pierre Curie pour mesurer de faibles courants électriques.
En 1898, la chimiste découvre que la pechblende contient deux nouveaux élé-
ments chimiques : le polonium, qu’elle nomme ainsi en l’honneur de son pays d’ori-
gine, et le radium. C’est ainsi l’émission des rayons uraniques – qu’elle nommera
radioactivité et dont la découverte vaudra au couple Curie et à Becquerel le prix
Nobel de physique de 1903 –, qui permet de révéler ces éléments.

L’engouement pour le radium


La découverte de nouveaux éléments radioactifs suscite un grand intérêt médical
et industriel. Pendant leurs recherches, Pierre et Marie Curie obtiennent ainsi le
soutien de l’industriel Armet de Lisle (1853-1928), qui produit dans ses usines les
premiers échantillons de radium à usage médical. L’émergence d’une industrie du
radium trouve à cet élément de multiples usages, du traitement du cancer à la pro-
duction de peintures lumineuses.

Physique expérimentale et astrophysique Découverte du radium et du polonium 1898


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1870 1880 1890 1900
1874 Mesure de la distance Terre-Soleil 1888 Preuve de l’existence 1896 Découverte
grâce au passage de Vénus des ondes de la radioactivité
électromagnétiques par Becquerel
1879 Expériences de Crookes par Hertz
Découverte de l’hélium par Ramsay 1904
sur les tubes cathodiques
263

Une chimie bouleversée


La radioactivité défie les concep-
tions scientifiques de l’époque.
Une professeure à la Sorbonne Ernest Rutherford (1871-1937) et
Frederick Soddy (1877-1956) sug-
Marie Curie est aussi une pionnière dans la
gèrent qu’elle provient de l’émis-
reconnaissance des femmes dans la science. sion de particules et d’énergie lors
En effet, les universités n’admettent les femmes de la transformation d’un élément
qu’à partir des années 1860. À la Sorbonne, lourd en un élément plus léger.
la première étudiante est admise à la Faculté Initialement rejetée par certains
chimistes, cette idée s’imposera
de sciences en 1867. Et si le premier doctorat toutefois grâce à l’accumulation
obtenu par une femme date de 1870, le profes- d’expériences et de découvertes,
sorat continue à être exclusivement masculin et ouvrira la porte à une compré-
jusqu’à ce que Marie Curie devienne, en 1906, la hension rénovée du monde suba-
tomique.
première professeure de physique générale en
Pierre et Marie Curie
remplacement de son mari Pierre, décédé d’un dans leur laboratoire, 1905.
accident de la circulation. Par contre, elle ne
sera jamais admise à l’Académie des sciences.

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1910 1920 1930 1940
1911 Découverte de la supraconductivité 1927 Hypothèse d’un univers en expansion par Georges Lemaître
par Kamerlingh-Onnes
1919 Confirmation de la relativité 1935 Prédiction de l’existence
par une éclipse de Soleil du muon par Yukawa
1943 Première pile atomique à Chicago
1900 À la Sorbonne, un mathématicien
pose problèmes

Lors du second Congrès international des


David mathématiciens à Paris, l’Allemand David Hilbert
Hilbert
1862-1943 présente une liste de vingt-trois problèmes qui
dessinent les contours de la modernité mathématique.

Petite salle pour grands problèmes


C’est le 8 août 1900, dans une toute petite salle au 4e étage de la nouvelle Sorbonne,
que le mathématicien allemand David Hilbert présente dix problèmes non résolus.
On reconnaît très vite l’importance de cet exposé qui, une fois complété, en pré-
sente une liste de vingt-trois.
Relativement faciles à énoncer, ces problèmes permettent à Hilbert d’exprimer
les directions de recherches qu’il juge les plus fertiles pour le siècle à venir. En tête
de cette énumération, il place un problème de Georg Cantor (1845-1918) relatif à la
théorie des ensembles et à la notion même d’infini.
264
Deux visions des mathématiques
À Paris, à cette époque, ce sont deux visions des mathématiques qui s’affrontent.
Dans celle de Henri Poincaré (1854-1912), les mathématiques s’ancrent dans l’expé-
rience que l’être humain se fait du monde et aident à l’expliquer rationnellement.
Le programme qu’esquisse Hilbert, avec cette liste de problèmes, est tout autre. Il
cherche à définir les mathématiques comme un système formel basé sur les lois de
la logique. En d’autres termes, le but des mathématiques, selon lui, se limiterait à
fournir des preuves sur la base de systèmes d’axiomes choisis par convention. L’an-
née précédente, il a démontré la faisabilité de son programme dans Les Fondements
de la géométrie qui revisitent la géométrie d’Euclide (! – 300).

Un siècle de recherches
Les nombreux travaux de recherche inspirés par les problèmes de Hilbert pendant
un siècle montrent l’incroyable fécondité de l’interaction entre mathématique et
logique. Des vingt-trois problèmes énoncés en 1900, on considère que seuls trois restent
à résoudre, dont la fameuse conjecture de Riemann, l’un des problèmes les plus com-
plexes des mathématiques. S’inspirant de Hilbert, l’Institut de mathématiques Clay
reprend ce problème parmi les sept défis du Prix du millénaire posés en 2000. Signe
des temps : il y a maintenant un million de dollars à la clé pour qui le résoudra !

Mathématiques et physique théorique Problèmes de Hilbert 1900


| | | |
1870 1880 1890 1900
1873 Georg Cantor, théorie des ensembles 1892-1899 Poincaré, méthodes nouvelles
de la mécanique céleste
1874 Sofia Kovalevskaïa, première doctoresse
en mathématiques en Allemagne
Einstein, théorie de la relativité restreinte 1905
Boltzmann, théorie cinétique des gaz 1877
265

Le siècle des congrès


Le deuxième problème de Hilbert Au xixe  siècle, les scienti-
fiques des pays occiden-
Une théorie est dite non cohérente si le système taux commencent à éprou-
d’axiomes qui la définit aboutit à une contradiction, ver le besoin de se réunir
régulièrement pour discu-
c’est-à-dire à l’existence d’un théorème qui serait, ter de l’avancement de leurs
dans la théorie elle-même, à la fois vrai et faux. travaux. C’est lors du deu-
Prouver la cohérence de l’arithmétique est le xième Congrès international
deuxième problème de Hilbert. Dans les années 1930, de mathématiques, celui de
Paris en 1900, que Hilbert
le mathématicien Kurt Gödel (1906-1978) transforme
expose ses vingt-trois pro-
les termes du débat autour de la cohérence de blèmes.
l’arithmétique. Il démontre deux célèbres théorèmes David Hilbert lors du Congrès
d’incomplétude qui rendent les mathématiciens des mathématiciens, Zurich,
perplexes quant à la possibilité de trouver la preuve 1932.

désirée par Hilbert. Pour beaucoup, les théorèmes de


Gödel signifient que si l’arithmétique est cohérente
d’un point de vue logique, elle est aussi incomplète
et comporte des énoncés impossibles à démontrer !

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1910 1920 1930 1940
1913 Modèle de l’atome de Niels Bohr 1925 Équation de Schrödinger 1934 « Naissance » de Bourbaki
1917 Einstein, théorie de la relativité générale 1937 Machine universelle
de Turing
1905 Albert Einstein vit
une année extraordinaire

En rédigeant quatre articles devenus historiques,


Albert Albert Einstein bouleverse les fondements de la
Einstein
1879-1955 physique et introduit de nouvelles conceptions de
l’espace, du temps, de la masse et de l’énergie.

De la technique à la théorie
Formé à la prestigieuse École polytechnique de Zurich, Albert Einstein travaille
depuis 1902 à l’Office des brevets de Berne. Il est chargé d’examiner les brevets
de dispositifs électrotechniques et, en particulier, des systèmes de synchronisa-
tion d’horloges. Ces travaux, combinés à une réflexion philosophique sur les fon-
dements de la mécanique inspirée par la lecture du physicien et philosophe Ernst
Mach (1838-1916), le conduisent à écrire quatre articles révolutionnaires.

Un, deux, trois… quatre articles


266 Dans le premier article, l’auteur propose une explication de l’effet photoélectrique
– apparition de courants électriques dans un métal soumis à la lumière – en sup-
posant, comme Max Planck, que la lumière se propage par petits paquets ou quanta
(! dossier, p. 290-291). Dans le deuxième article, il explique le mouvement de petites
particules en suspension dans un liquide et démontre l’existence des atomes. Le
troisième article met en place les principes fondamentaux de la théorie de la rela-
tivité restreinte. Dans le dernier article, Einstein déduit de sa nouvelle théorie un
rapport entre l’énergie d’un corps et sa masse au repos, qui suggère la plus célèbre
des équations de la physique : E = mc2.

Au fondement de la physique moderne


Ces articles, qui redéfinissent les notions de l’espace, du temps, de la masse et de
l’énergie, sont publiés dans les Annalen der Physik, la plus prestigieuse des revues de
physique allemande, en 1905. Bientôt, la communauté des physiciens théoriques
reconnaîtra l’importance des travaux d’Einstein, aujourd’hui considérés comme
étant au fondement de la physique moderne. En 1914, Einstein devient membre de
l’Académie de sciences et de l’université de Berlin, et le prix Nobel de physique lui
est accordé en 1921 pour l’explication de l’effet photoélectrique.

Mathématiques et physique théorique Théorie de la relativité restreinte 1905


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1870 1880 1890 1900
1873 Georg Cantor, théorie des ensembles 1892-1899 Poincaré, méthodes nouvelles
de la mécanique céleste
1874 Sofia Kovalevskaïa, première doctoresse
en mathématiques en Allemagne

Boltzmann, théorie cinétique des gaz 1877


267

Du restreint au général
La théorie de la relativité restreinte
veut réconcilier la mécanique de Un savant engagé
Newton avec les lois de l’électroma-
gnétisme énoncées par James Clerk Einstein est un savant engagé qui n’hésite
Maxwell (!  1888). Cette exigence pas à participer aux débats politiques de son
conduit Einstein à se débarrasser temps. Après l’élection d’Adolf Hitler en 1933, il
de quelques idées chères aux physi- quitte l’Allemagne et se réfugie aux États-Unis.
ciens avant lui, comme les concepts
de temps et d’espace absolus ou l’exis-
Bien qu’il recommande au président Roosevelt
tence de l’éther, un fluide censé rem- de poursuivre des recherches sur la fission
plir l’espace et servir de support maté- nucléaire, il devient après la guerre un des réfé-
riel aux ondes électromagnétiques. En rents de l’opposition aux armes atomiques. Ainsi,
1915, il élabore une théorie de la relati-
en 1955 il signe avec le philosophe Bertrand
vité générale qui lui permet d’expliquer
l’attraction gravitationnelle comme le Russell (1872-1970) l’un des plus importants
résultat des propriétés mathéma- manifestes pour le désarmement nucléaire.
tiques de l’espace-temps (! 1919). Ses nombreuses prises de position contre le
Horloge de la mairie de Berne, ville racisme, le militarisme et le nationalisme lui
où Einstein a conçu sa théorie de la
relativité. valent d’être secrètement surveillé par le FBI.

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1910 1920 1930 1940
1913 Modèle de l’atome de Niels Bohr 1925 Équation de Schrödinger 1934 « Naissance » de Bourbaki
1917 Einstein, théorie de la relativité générale 1937 Machine universelle
de Turing
1908 Le mathématicien Painlevé
fait décoller l’aviation

Les avions volent bien avant que les mathématiciens ne


Paul réussissent à expliquer pourquoi. Toutefois, sans les
Painlevé mathématiques, l’aviation n’aurait pas pu se développer
1863-1933
comme elle l’a fait. C’est ce qu’illustre le premier vol de
Paul Painlevé dans un avion Wright.

À en perdre sa casquette
Le 10 octobre 1908, au camp d’Auvours près du Mans, l’avion des frères Orville et Wil-
bur Wright, le Flyer, s’élance devant plus de vingt milles spectateurs. Dans l’appareil,
le mathématicien Paul Painlevé, représentant de l’Académie des sciences, est chargé
d’authentifier le vol. Alors que l’avion prend de la vitesse, sa casquette s’envole. D’un
geste brusque, il tente de la rattraper et coupe le cordon d’allumage. Furieux, Wilbur
Wright s’attelle à la réparation. Au second essai, l’avion reste en l’air plus d’une heure,
battant ainsi le record du monde du plus long vol mécanique.

268 Un rêve impossible ?


Cet exploit n’est pas le premier réalisé par les frères Wright. Dès la fin de 1903, ils réus-
sissent à faire voler un appareil motorisé plus lourd que l’air. Par ailleurs, le français
Clément Ader (1841-1925) parvient à quitter le sol avec des appareils de son invention
dès 1890. Pourtant, les scientifiques n’arrivent pas encore à expliquer ce phénomène.
Dès le XVIIIe siècle, Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) conclut que les lois connues
de la mécanique des fluides conduisent à un paradoxe : l’absence de résistance au
mouvement dans un fluide. Impossible donc pour les oiseaux de s’appuyer sur l’air
pour s’y élever. Encore en 1905, le physicien militaire Emmanuel Vallier termine
une longue série de travaux théoriques en réaffirmant l’impossibilité pratique du
vol des appareils plus lourds que l’air.

Naissance de l’aérodynamique
Après son premier vol, Painlevé entreprend d’écrire, avec le mathématicien Émile
Borel (1871-1956), un traité grand public sur l’aviation qui paraît en 1910. Si leurs
calculs n’en contredisent plus la possibilité, ils sont encore bien loin d’une théo-
rie complète du vol aérien. Ce rapprochement des mathématiques et de l’aéronau-
tique annonce l’essor d’une discipline d’avenir, fille de l’étude des écoulements des
fluides, l’aérodynamique. Malgré sa complexité, cette discipline permet le dévelop-
pement de l’aviation au XXe siècle.

Techniques
| | | |
1870 1880 1890 1900
1869 Ouverture du canal de Suez 1889 Tour Eiffel 1895 Cinéma des frères Lumière

1875 Mise au point de la dynamo par Zenobe Gramme Premiers vols d’un avion des frères Wright 1903
Le temps de l’envol


Il fallait un certain courage pour accep-
Le progrès ne peut naître que de la ter de prendre place dans un avion en 269
coopération entre la théorie et la pratique. 1908. Et Paul Painlevé n’en manquait
visiblement pas ! Quelques jours après
Dans cette coopération, le rôle de la l’exploit des frères Wright de 1908, on
théorie se réduit à fournir des indications le retrouve ainsi au côté de l’aviateur
[…] ; c’est toujours l’expérience qui doit Henri Farman (1874-1958) à bord de
avoir le dernier mot ; mais le rôle de la son biplan Voisin.
théorie […] n’en est pas moins essentiel, Paul Painlevé (à droite) et Henri Farman,
Châlons-sur-Marne, 28 octobre 1908.
et il serait injuste de l’oublier. »
Paul Painlevé et Émile Borel, L’Aviation, 1910.

Turbulences en mécanique des fluides


Dès le milieu du xviiie siècle, le grand Mais la résolution exacte de ces équations
mathématicien Leonhard Euler (! 1745) s’avère impossible, sauf dans quelques
déduit les équations qui régissent le cas simples. Malgré les importants
mouvement d’un fluide idéal. Près d’un travaux d’Osborne Reynolds, Ludwig
siècle plus tard, l’ingénieur Henri Navier Prandtl et Andreï Kolmogorov, la
et le physicien George Gabriel Stokes résolution des équations de Navier-Stokes
écrivent les équations qui permettent reste un problème ouvert : c’est même
de rendre compte du comportement l’un des sept défis posés par l’Institut de
des fluides visqueux. mathématique Clay en 2000 (! 1900).

1908 Traité mathématique sur l’aviation


| | | |
1910 1920 1930 1940
1915 Mise au point du sonar par Langevin 1931 Invention du microscope électronique
Premier dispositif de télévision 1923 Première fusées V2 lancées par les Allemands 1944
Premières bombes atomiques 1945
1909 Fritz Haber invente un
procédé chimique explosif
Le procédé Haber-Bosch, qui sert à produire des
engrais azotés mais aussi des explosifs, est l’une des
Fritz Haber
1868-1934
plus importantes inventions du xxe siècle. Elle est aussi
l’œuvre d’un des personnages les plus controversés
de l’histoire de la chimie.

À la recherche de nouveaux engrais


Dans les années 1830, les chimistes Jean-Baptiste Boussingault (1802-1887) et Justus von
Liebig (1803-1873) établissent le rôle central de l’azote dans la croissance des plantes.
Du jour au lendemain, les sources naturelles d’azote – comme le guano du Pérou ou
le salpêtre du Chili – deviennent des engrais très convoités pour l’agriculture, des
ressources stratégiques qui seront parfois à l’origine de guerres en Amérique du Sud.
Mais ces ressources s’épuisent rapidement, et la production artificielle d’azote
devient un enjeu clé pour l’industrie chimique. En 1909, Fritz Haber arrive pour
la première fois, de façon économique, à fixer l’azote atmosphérique sous forme
270 d’ammoniac en utilisant comme catalyseur de l’osmium ou de l’uranium à basse
température.

Un procédé très prisé par l’industrie


Haber vend les droits de son invention au groupe industriel de chimie BASF. Sous
la supervision de l’industriel Carl Bosch (1874-1940), le procédé « Haber-Bosch » est
adapté à l’échelle industrielle pour produire de l’ammoniac, une substance à mul-
tiples usages. Ainsi, pendant la Première Guerre mondiale, il est utilisé pour la pro-
duction d’explosifs.
Une fois les hostilités terminées, le
procédé chimique se répand et il est

Quelle a été l’invention
technique la plus importante du
mis au service de l’agriculture indus- vingtième siècle ? Les réponses les plus
trielle, en association avec de nou- courantes sont les avions, l’énergie
velles variétés végétales et des pes- nucléaire, les vols spatiaux, la
ticides. La hausse de la productivité télévision et les ordinateurs. Pourtant,
agricole due aux engrais azotés est aucune de ces inventions n’a été
notable et constitue l’une des bases aussi fondamentale que la synthèse
matérielles qui ont contribué à l’aug- industrielle de l’ammoniac. »
mentation explosive de la population Vaclav Smil, Enriching the Earth, 2001.
humaine depuis 1950.

Techniques
| | | |
1870 1880 1890 1900
1869 Ouverture du canal de Suez 1889 Tour Eiffel 1895 Cinéma des frères Lumière

1875 Mise au point de la dynamo par Zenobe Gramme Premiers vols d’un avion des frères Wright 1903
271

La naissance de l’agronomie
C’est à partir du second tiers du
xixe siècle que des méthodes scienti- La guerre chimique
fiques sont systématiquement appli-
quées à l’agriculture. L’agronomie
Au début de la Première Guerre mondiale,
se développe rapidement, donnant Fritz Haber souhaite contribuer à l’effort de
lieu à la création de nouvelles insti- guerre militaire allemand. Travaillant d’abord
tutions de recherches, les stations à l’amélioration de combustibles, Haber et ses
agronomiques. Des programmes de
collaborateurs de l’Institut Kaiser-Wilhelm
recherches, comme celui mené par le
chimiste allemand von Liebig à l’uni- de chimie physique et d’électrochimie déve-
versité de Giessen, sont centraux pour loppent bientôt de nouvelles armes chimiques
le développement de la chimie et son à partir du chlore. En janvier 1915, la première
application à l’agriculture (! 1824, offensive à grande échelle a lieu à Bolimov
p. 212).
(Pologne) et, en avril de la même année, le
chlore est utilisé pour la première fois à la
bataille d’Ypres. Le rôle clé joué par Haber
dans la production de ces armes jette une
ombre sur le prix Nobel qui lui est accordé en
1918 pour la synthèse de l’ammoniac.

1909 Procédé chimique Haber-Bosch


| | | |
1910 1920 1930 1940
1915 Mise au point du sonar par Langevin 1931 Invention du microscope électronique
Premier dispositif de télévision 1923 Première fusées V2 lancées par les Allemands 1944
Premières bombes atomiques 1945
1910 Thomas Morgan regarde
les mouches dans les yeux

Thomas
Une équipe de scientifiques nord-américains dirigée
Hunt par Thomas Hunt Morgan identifie le siège de l’hérédité
Morgan et établit la première cartographie génétique d’un être
1866-1945
vivant, celle de la mouche du vinaigre.

La mouche se montre sans gêne


En 1900, on redécouvre les lois de Mendel sur l’hérédité (! 1864) et on commence à
expérimenter la transmission héréditaire des caractères sur une grande variété de
plantes et d’animaux.
Aux États-Unis, Thomas Hunt Morgan et ses collaborateurs portent leur choix
sur un organisme facile à élever et dont le cycle de reproduction est d’environ
dix jours : la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster). Elle deviendra bientôt le
modèle expérimental par excellence de la génétique animale.
Parmi les milliers de mouches aux yeux rouges qu’il élève dans son laboratoire,
272 Morgan repère en 1910 la présence d’un mâle aux yeux blancs dont les descen-
dants ont une apparence normale. Il fait alors des croisements entre des individus
mutants, aux yeux blancs, et des individus aux yeux rouges, et confirme, le pre-
mier, les lois de Mendel de façon expérimentale chez l’animal.

Les chromosomes portent l’hérédité


Reste alors à identifier où se trouvent physiquement les facteurs de l’hérédité.
Sont-ils portés par les chromosomes ? Les disciples de Morgan, Calvin Bridges (1889-
1938) et Alfred Sturtevant (1891-1970), en apportent la preuve définitive grâce à la
cartographie de chromosomes géants extraits des glandes salivaires de la mouche
du vinaigre. Ces structures ont la particularité de présenter une alternance de
bandes d’intensité changeante qui correspondent
aux différentes unités de l’hérédité, qu’on appel-
lera plus tard des « gènes ».
Lors de ces prémices de la génétique, la collabora-

La localisation des
gènes sur les chromosomes,
selon un ordre bien précis,
tion entre chercheurs a été indispensable. Depuis, est aujourd’hui établie. »
la recherche en biologie a fait du laboratoire son
Thomas Hunt Morgan, lors de son
lieu de prédilection et l’image du savant éclairé discours de réception du prix Nobel,
s’est estompée au bénéfice de celle du spécialiste. 1934.

Biologie et médecine
| | | |
1870 1880 1890 1900
1871 Darwin, La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe 1890 Découverte des fossiles d’Homo erectus à Java
1878 Invention du mot « microbe » par Sédillot Découverte des groupes sanguins 1900

Invention du vaccin contre la rage par Pasteur 1885 Redécouverte des travaux de Mendel 1900
273

Des organismes modèles


Dans l’Antiquité, déjà, Alcméon
dissèque des chiens pour étudier Une pionnière oubliée
la vision (! – 500) et Aristote uti-
lise l’œuf de poule pour décrire L’existence des chromosomes sexuels est
le développement embryonnaire. démontrée par une élève de Morgan, Nettie
Aujourd’hui, les scientifiques tra-
vaillent sur une vingtaine de
Maria Stevens (1861-1912). En 1905, la généti-
modèles animaux et végétaux de cienne met en évidence chez le ténébrion meu-
référence. La souris – alors utili- nier (Tenebrio molitor), un autre insecte modèle,
sée pour détecter le grisou dans que les chromosomes sont des structures bien
les mines – mais aussi la mouche
distinctes, organisées par paires à l’intérieur
du vinaigre, le poisson zèbre, le
cochon d’Inde, le tabac, le riz ou la des noyaux des cellules. Grâce à l’emploi du
bactérie Escherichia coli font par- microscope optique, elle observe que l’une des
tie de cette poignée de « modèles » paires change en fonction du sexe, qu’elle est
du vivant. plus petite chez les mâles (XY) que chez les
Drosophile vue au microscope. femelles (XX). Elle prouve alors que le sperma-
tozoïde, porteur d’un chromosome soit X soit
Y, est responsable du sexe de la descendance.

1910 Théorie chromosomique de l’hérédité


| | | |
1910 1920 1930 1940
1928 Découverte de la pénicilline par Flemming
1918 Grande pandémie de grippe « espagnole » 1937 Theodosius Dobzhansky,
Genetics and the Origin of Species

Description du syndrome de l’autisme par Hans Asperger 1943


1915 L’État prend la recherche
scientifique en main

La Première Guerre mondiale fait prendre conscience du


caractère stratégique de la recherche scientifique et technique.
Toutes les nations se dotent alors d’organismes officiels pour
la financer et la piloter.

Face à l’urgence
Quand le conflit éclate en août 1914, l’état-major français imagine que la guerre
sera de courte durée et, face à l’urgence de la situation, néglige complètement la
recherche scientifique et technique. À Paris, l’Académie des sciences, qui se met au
service de la défense nationale, n’est guère sollicitée par le gouvernement. Avec la
stabilisation du front et le début de la guerre des tranchées, les choses changent :
on se met alors à rêver à l’arme décisive qui offrira la victoire…

La guerre des inventions


274 Il faut réagir ! Le mathématicien Paul Painlevé (! 1908) est alors nommé ministre
des Inventions intéressant la défense nationale, en 1915, et reçoit la mission d’or-
ganiser une véritable politique scientifique et technique. Il veut enrôler savants et
ingénieurs au service de la nation. À la tête de la nouvelle Direction des inventions,
son ami, le mathématicien Émile Borel (1871-1956), met en œuvre cette idée. À la fin
de la guerre, la Direction a soumis 781 nouvelles inventions aux services techniques
de l’Armée, parmi lesquelles de nouveaux moyens de communication, des plans de
chars d’assaut, des procédés de fabrication de gaz de combat (! 1909), etc.

La science nationalisée
Comme la France, tous les pays développés adoptent première fois […] que
alors des politiques nationales de recherches et de dans un document
❝ C’est la

développement scientifiques et techniques. Cette gouvernemental on admet


tendance est renforcée par les autres conflits du officiellement la science
XXe siècle : la Seconde Guerre mondiale et la guerre à jouer un rôle dans les
froide. En France, en 1939, on fonde le Centre natio- affaires de l’État. »
nal de la recherche scientifique (CNRS) en se basant Charles Nordmann,
Revue des Deux Mondes, 1915.
sur l’héritage de la Direction des inventions. Tous
les pays ont désormais conscience qu’on ne peut négliger les sciences et les tech-
niques, importantes ressources stratégiques, qu’à ses risques et périls.

Techniques
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1870 1880 1890 1900
1869 Ouverture du canal de Suez 1889 Tour Eiffel 1895 Cinéma des frères Lumière

1875 Mise au point de la dynamo par Zenobe Gramme Premiers vols d’un avion des frères Wright 1903
275

Médecine de guerre
La Première Guerre mondiale est
sans doute le premier conflit où
les armes tuent davantage que les
maladies et les famines. Et pour
cause, la médecine et la chirur- Dans les airs et sous les mers
gie ont progressé. L’antisepsie,
la vaccination et la transfusion
Pendant la Première Guerre mondiale, les
sanguine se démocratisent tan- progrès techniques permettent aux zones de
dis qu’apparaissent de nouvelles combat de s’étendre bien au-delà des champs
techniques d’imagerie. En France, de bataille traditionnels. Dans les airs, tandis
la physicienne Marie Curie (! 1898)
que les zeppelins bombardent les populations
développe des unités mobiles
de radiographie, auxquelles sa civiles, les avions servent à identifier les
fille Irène apporte un concours cibles de l’artillerie. Dans les profondeurs de
déterminant. l’océan, les sous-marins traquent les navires.
Irène Joliot-Curie parmi les Pour aider la marine française à se défendre
infirmières en radiologie formées
à l’Institut du radium, 1917.
contre ces attaques, l’ingénieur d’origine russe
Constantin Chilowski et le physicien français
Paul Langevin (1872-1946) imaginent en 1917
un système de détection à base d’ultrasons
qui, plus tard, deviendra le sonar.

1915 Politiques nationales de recherches


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1910 1920 1930 1940
1915 Mise au point du sonar par Langevin 1931 Invention du microscope électronique
Premier dispositif de télévision 1923 Première fusées V2 lancées par les Allemands 1944
Premières bombes atomiques 1945
1919 Une éclipse de Soleil consacre
la relativité d’Einstein

Menées par Arthur Eddington, des observations


Arthur de l’éclipse de Soleil du 29 mai 1919 confirment la théorie
Eddington
1882-1944 de la relativité générale et font d’Albert Einstein
une célébrité.

Einstein généralise sa théorie


Après la publication de sa théorie « restreinte » de la relativité (! 1905), Albert Einstein
se penche sur sa généralisation, qui doit inclure une explication de la nature de la gra-
vité. Il y aboutit finalement en 1915 en utilisant l’analyse tensorielle, un outil mathé-
matique développé à la fin du XIXe siècle.
Mais la nouveauté de ce formalisme en physique, l’attachement des scientifiques
britanniques et français pour les théories de l’éther ainsi que le contexte de guerre
mondiale limitent la diffusion de la relativité générale. Einstein propose pourtant dif-
férentes façons d’éprouver sa théorie : l’avancement du périhélie de Mercure, le déca-
276 lage des raies d’un atome placé dans un champ de gravitation, et la déflexion de la
lumière par des objets très massifs, observable lors d’une éclipse de Soleil par exemple.

Une éclipse au secours de la théorie


L’astronome britannique Arthur Eddington (1882-1944), un des plus grands par-
tisans d’Einstein en Angleterre, est justement chargé des observations de l’éclipse
prévue le 29 mai 1919. En photographiant les étoiles en arrière-plan du Soleil pen-
dant l’éclipse totale, il espère montrer que la lumière émise par une étoile passant à
proximité du Soleil est déviée conformément aux calculs de la relativité générale. Les
résultats des observations de l’éclipse sur l’île africaine de Principe et dans la ville
brésilienne de Sobral sont présentés en décembre 1919 lors de la réunion de la Royal
Astronomical Society. Ils confirment les prédictions de la théorie de la relativité.

Le triomphe d’Einstein
Le 7 novembre 1919, le quotidien anglais The Times est le premier à porter Einstein
aux nues en titrant l’un de ses articles : « Révolution en sciences : Une nouvelle
théorie de l’Univers, les idées de Newton renversées ». Einstein profitera de cet
engouement pour diffuser ses travaux postérieurs sur les implications cosmolo-
giques de la relativité et sur une théorie unificatrice des lois de la physique.

Physique expérimentale et astrophysique


| | | |
1870 1880 1890 1900
1874 Mesure de la distance Terre-Soleil 1888 Preuve de l’existence 1896 Découverte
grâce au passage de Vénus des ondes de la radioactivité
électromagnétiques par Becquerel
1879 Expériences de Crookes par Hertz
Découverte de l’hélium par Ramsay 1904
sur les tubes cathodiques
277

Sept étoiles dans le ciel


du Brésil
Sur les clichés pris au Brésil lors
de l’éclipse du 29  mai 1919 appa-
La théorie du big bang
raissent clairement sept étoiles de En 1927, le physicien belge Georges Lemaître
l’amas des Hyades en arrière-plan
du Soleil. La déviation de la lumière
(1894-1966), élève d’Arthur Eddington et père
de ces étoiles va alors confirmer jésuite, propose l’existence d’un « atome primi-
les prédictions d’Einstein, avec une tif » qui serait à l’origine de l’Univers (! 1929).
déflexion de l’ordre de 1,74 seconde La théorie est initialement décriée par des
d’arc.
cosmologues comme Fred Hoyle (1915-2001),
Négatif et positif de l’éclipse totale
de Soleil, Brésil, 29 mai 1919. qui la nomme avec mépris la théorie du « big
bang » (le « grand boum »). Pourtant dans les
années 1960, la découverte par des chercheurs

❝ La théorie d’Einstein
triomphe, l’espace est
tordu. »
des laboratoires Bell (!  1947) du rayonne-
ment du fond cosmique dans le domaine des
micro-ondes – un rayonnement fossile pré-
dit par la théorie du big bang – revigore cette
The New York Times, 9 novembre 1919. interprétation qui fait aujourd’hui consensus
en astrophysique.

1919 Confirmation de la relativité


| | | |
1910 1920 1930 1940
1911 Découverte de la supraconductivité 1927 Hypothèse d’un univers en expansion par Georges Lemaître
par Kamerlingh-Onnes
1935 Prédiction de l’existence
du muon par Yukawa
1943 Première pile atomique à Chicago
1928 Fleming découvre
la pénicilline par hasard

La contamination accidentelle d’une culture de bactéries


Alexander par une moisissure met Fleming sur la piste d’une
Fleming molécule miracle : la pénicilline. Cette substance
1881-1955
deviendra un puissant agent antimicrobien employé à
grande échelle pour combattre les maladies infectieuses.

Les bienfaits des vacances


En septembre 1928, à son retour de vacances, Alexander Fleming, professeur de bio-
logie à l’hôpital Sainte-Marie de Londres, décide de désinfecter son matériel de labo-
ratoire avant de commencer une nouvelle série d’expériences. Il remarque alors l’ab-
sence de bactéries tout autour d’une moisissure qui a accidentellement contaminé
une plaque de culture bactérienne. Pour quelqu’un comme Fleming, qui s’intéresse
de longue date aux propriétés antimicrobiennes de certaines molécules pour lutter
contre les bactéries pathogènes, l’observation mérite bien une recherche approfondie.

278 Le remède rêvé


Fleming soupçonne alors le champignon d’une observation accidentelle. ❝
Penicillium notatum, à l’origine de la moisis- Mon seul mérite est de n’avoir
La pénicilline est née

sure, de produire une substance qui inhibe jamais négligé l’observation


la prolifération des bactéries. Il la nomme et d’avoir abordé le sujet en
pénicilline. Dès lors, le biologiste met en évi- bactériologiste. »
dence que la pénicilline est efficace contre Alexander Fleming, Discours de réception du
prix Nobel, 1945.
de redoutables bactéries pathogènes comme
les staphylocoques et les streptocoques. Il démontre également que cette substance
antibiotique peut être produite et concentrée en milieu liquide, ce qui rend pos-
sible son exploitation industrielle. Toutefois, malgré une forte spécificité concer-
nant sa cible, la pénicilline reste difficile à produire.

La formule de l’espoir
En 1939, onze ans après la découverte de Fleming, le biochimiste Ernst Boris Chain
(1906-1979) et le pharmacologue Howard Walter Florey (1898-1968) arrivent à établir
la structure moléculaire de la pénicilline et caractérisent sa composition chimique.
C’est à partir de ce moment-là, en pleine guerre mondiale, que la production indus-
trielle de l’antibiotique débute aux États-Unis. Avec la pénicilline débute ainsi l’âge
d’or des antibiotiques, principaux outils de la lutte contre les infections.

Biologie et médecine
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1870 1880 1890 1900
1871 Darwin, La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe 1890 Découverte des fossiles d’Homo erectus à Java
1878 Invention du mot « microbe » par Sédillot Découverte des groupes sanguins 1900

Invention du vaccin contre la rage par Pasteur 1885 Redécouverte des travaux de Mendel 1900
279

L’émergence des
« superbactéries »
À partir des années 1940, des souches Science ou hasard ?
bactériennes résistantes aux antibio-
tiques sont détectées en milieu hos- La découverte de la pénicilline par Fleming
pitalier. En effet, en réaction à l’abus est présentée comme un exemple typique
d’antibiotiques pour les hommes
comme pour les animaux, les bacté-
de sérendipité, c’est-à-dire comme la consé-
ries ont développé des mécanismes quence heureuse d’une circonstance inat-
de défense vis-à-vis des molécules tendue et non recherchée. Cependant, la
qui sont censées les détruire (sulfa- transformation du simple hasard en résultat
mides, pénicillines, tétracyclines…).
scientifique nécessite toujours des connais-
En 2015, l’Organisation mondiale de
la santé présente l’antibiorésistance sances pertinentes et une méthodologie adap-
comme l’un des plus grands défis tée. Un cas similaire a été celui du Viagra, une
sanitaires à relever au xxie siècle. molécule initialement testée pour combattre
Vue au microscope électronique de l’angine de poitrine et qui, finalement, s’est
staphylocoques dorés résistants
à la méticilline (jaune) tuant et
avérée le remède le plus efficace pour com-
s’échappant de globules blancs battre l’impuissance grâce à son effet stimu-
humains (rouge). lateur de l’érection.

1928 Découverte de la pénicilline


| | | |
1910 1920 1930 1940
1910 Morgan, théorie chromosomique de l’hérédité
1918 Grande pandémie de grippe « espagnole » 1937 Theodosius Dobzhansky,
Genetics and the Origin of Species

Description du syndrome de l’autisme par Hans Asperger 1943


1929 Edwin Hubble observe
l’Univers en expansion

Parmi les différents travaux qui ont établi la réalité du


Edwin big bang, les observations faites par l’astronome Edwin
Hubble
1889-1953 Hubble sur les galaxies lointaines ont permis de montrer
que l’Univers était en expansion.

Le télescope le plus puissant du monde


Quand Edwin Hubble arrive à l’observatoire du mont Wilson, en Californie, après
avoir combattu dans l’armée américaine pendant la Première Guerre mondiale, il
découvre un outil de travail hors du commun. Il s’agit du télescope Hooker, le plus
puissant du monde à l’époque. Équipé d’un miroir de 2,5 mètres de diamètre, poli
à partir d’un bloc de verre produit par Saint-Gobain, ce télescope permet à l’astro-
physicien américain de faire sa première découverte quelques années plus tard.

Un Univers plus vaste qu’on croyait…


280 En 1923, Hubble observe des étoiles variables de type céphéide dans la nébuleuse
d’Andromède. Ces étoiles ont la caractéristique d’émettre une lumière dont l’inten-
sité varie dans le temps selon une loi découverte par l’astronome américaine Hen-
rietta Leavitt (1868-1921), ce qui peut nous renseigner sur leur distance. C’est ainsi
que Hubble montre qu’Andromède est en réalité une galaxie extérieure à la nôtre.
Cette découverte clôt le « grand débat » opposant les astronomes qui pensent
que notre galaxie, la Voie lactée, remplit l’Univers, à ceux qui sont convaincus du
contraire. Grâce à Hubble, on s’aperçoit que l’Univers est immensément plus grand
qu’on le pensait. On estime aujourd’hui qu’il existe 200 milliards de galaxies !

Des galaxies en fuite


Hubble cherche alors à établir la distance des galaxies découvertes, toujours plus
nombreuses, et compare ses données avec celles de l’astrophysicien américain Vesto
Slipher (1875-1969). Ce dernier a en effet remarqué que le spectre émis par ces objets
célestes (! 1859, p. 226) semble être considérablement décalé vers le rouge, ce qui est
généralement interprété comme le signe d’un éloignement rapide.
En 1929, une loi très simple saute aux yeux de Hubble : plus les galaxies sont dis-
tantes de nous, plus vite elles semblent s’éloigner. On explique maintenant ce phé-
nomène par le modèle du big bang. Né d’un état très dense, il y a environ 13,8 mil-
liards d’années, l’Univers ne cesse de s’étendre.

Physique expérimentale et astrophysique


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1870 1880 1890 1900
1874 Mesure de la distance Terre-Soleil 1888 Preuve de l’existence 1896 Découverte
grâce au passage de Vénus des ondes de la radioactivité
électromagnétiques par Becquerel
1879 Expériences de Crookes par Hertz
Découverte de l’hélium par Ramsay 1904
sur les tubes cathodiques
Hubble sur les pas de Hubble
En 2010, le télescope spatial Hubble
commence à suivre les variations
281
d’une des étoiles céphéides étu-
diées, près de quatre-vingts ans plus
tôt, par l’astronome Edwin Hubble.
Sur ce cliché, qui représente la
galaxie spirale d’Andromède, on peut Un Univers à découvrir
voir, dans les encadrés, la variation
de luminosité de cette céphéide au Aujourd’hui, on associe plus généralement le
cours d’un mois. Les observations nom de Hubble au télescope, placé en orbite
du télescope Hubble ont largement par la Nasa en 1990, qu’au scientifique. Après
affiné les travaux de celui qui lui a
donné son nom.
des débuts compliqués, qui ont nécessité
Étoile variable d’Andromède
une spectaculaire réparation dans l’espace,
observée par le télescope spatial le télescope de 11 tonnes, dont le miroir est
Hubble, 17 décembre 2010- presque aussi grand que celui du mont Wilson,
26 janvier 2011.
a produit une avalanche de résultats qui ont
modifié l’image que l’on se faisait de l’Univers.
Mais au-delà des résultats scientifiques, c’est

❝ Toute la matière
de l’univers a été créée
dans la grande explosion
sans doute l’incroyable beauté des structures
révélée qui frappe les imaginations… et
continuera de le faire jusqu’en 2021. Après
quoi Hubble prendra une retraite bien méritée,
[big bang] dans le passé remplacé par le télescope James Webb,
lointain. » beaucoup plus puissant.
Fred Hoyle à la BBC, 28 mars 1949.

1929 Observation de l’expansion de l’Univers


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1910 1920 1930 1940
1911 Découverte de la supraconductivité 1927 Hypothèse d’un univers en expansion par Georges Lemaître
par Kamerlingh-Onnes
1919 Confirmation de la relativité 1935 Prédiction de l’existence
par une éclipse de Soleil du muon par Yukawa
1943 Première pile atomique à Chicago
1932 Le cyclotron accélère
la recherche nucléaire

Ernest
Le cyclotron inventé par Ernest O. Lawrence est un des
Orlando instruments clés de la physique nucléaire qui émerge
Lawrence dans les années 1930. Il marque aussi un tournant
1901-1958
dans les formes d’organisation de la science.

À l’origine de la physique nucléaire


Au début des années 1930, les physiciens dirigent leurs regards vers l’intérieur de
l’atome. Avec des sources radioactives de radium et de polonium (! 1898), ils irradient
des cibles de différents matériaux pour connaître la structure des noyaux atomiques.
C’est ainsi que James Chadwick découvre le neutron en 1932. La même année, John
Cockcroft et Ernest Walton utilisent un nouvel instrument, l’accélérateur de par-
ticules, pour produire la première désintégration artificielle de noyau atomique.

Les « casseurs » d’atomes


282 Les premiers accélérateurs de particules utilisent des hautes tensions pour accélérer
en ligne droite des particules chargées, et les projeter contre des atomes cibles afin
d’essayer de « désintégrer » leurs noyaux.
Au Radiation Laboratory de l’université de Berkeley, le physicien Ernest O. Law-
rence imagine une méthode alternative pour augmenter les énergies des particules
chargées et donc l’efficacité de la désintégration.
Il s’inspire d’une idée du physicien norvégien Rolf Widerøe : les faire tourner
dans un champ magnétique. Il invente alors un nouvel instrument, le cyclotron,
qui multiplie jusqu’à vingt les énergies des particules accélérées.

La course à la radioactivité artificielle


Avec son cyclotron et l’espoir de produire des radio-isotopes pour la recherche médi-
cale, le laboratoire de Lawrence récolte d’abondants financements. Néanmoins, les
premiers radio-isotopes artificiels sont obtenus en 1934 par Frédéric Joliot et Irène
Curie – fille de Marie Curie – à l’Institut du radium de Paris (! 1898).
Malgré cet « échec », le cyclotron de Berkeley devient incontournable pour la
recherche nucléaire. Le cyclotron est aussi l’ancêtre des grands accélérateurs de
particules contemporains, comme ceux du CERN (! 1983).

Physique expérimentale et astrophysique


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1870 1880 1890 1900
1874 Mesure de la distance Terre-Soleil 1888 Preuve de l’existence 1896 Découverte
grâce au passage de Vénus des ondes de la radioactivité
électromagnétiques par Becquerel
1879 Expériences de Crookes par Hertz
Découverte de l’hélium par Ramsay 1904
sur les tubes cathodiques
283

Une course au gigantisme


Depuis le premier prototype de cyclotron,
qui tient dans une poche, les ingénieurs
Big science
de Berkeley développent des modèles
Les recherches du Radiation Laboratory de
toujours plus grands : 28 et 69 cm de dia-
mètre en 1932, 94 cm en 1937, 152 cm Berkeley symbolisent une nouvelle façon
en 1939 et 467  cm en 1946. À chaque de faire de la science à grande échelle : la
nouveau modèle, les particules accé- big science. Cette forme d’organisation se
lérées acquièrent davantage d’énergie. caractérise par le travail interdisciplinaire
Une version modifiée – le calutron – est
utilisée dans le projet Manhattan pour
de grandes équipes scientifiques autour de
enrichir l’uranium destiné aux premières grands équipements, dont la mise en place
bombes atomiques. requiert d’importants investissements
Le synchrocyclotron de Berkeley, 1945. financiers. Pendant la Seconde Guerre
mondiale et la guerre froide, la big science
reçoit un financement accru de l’Armée,

❝ L’époque où le scientifique,
aussi dévoué soit-il, pouvait faire
des progrès significatifs seul et
dont le projet Manhattan (! 1945) est un
bon exemple.

sans aide matérielle est révolue. »


Ernest O. Lawrence, Discours d’acceptation du
prix Nobel de physique, 1940.

1932 Invention du cyclotron


| | | |
1910 1920 1930 1940
1911 Découverte de la supraconductivité 1927 Hypothèse d’un univers en expansion par Georges Lemaître
par Kamerlingh-Onnes
1919 Confirmation de la relativité 1935 Prédiction de l’existence
par une éclipse de Soleil du muon par Yukawa
1943 Première pile atomique à Chicago
1934 Bourbaki naît dans un café
parisien

Nouvel Euclide du XXe siècle, Bourbaki n’a pourtant jamais existé.


Ce pseudonyme, adopté par un collectif de mathématiciens,
symbolise leur ambition de reconstruire l’ensemble
des mathématiques sur une base rigoureuse et abstraite.

Oui, mon général !


À la fin de l’année 1934, un groupe de jeunes scientifiques se réunit dans un café
parisien pour entreprendre un projet collectif. Deux ans plus tard, il adopte un
nom de plume aux sonorités étrange, N. Bourbaki. En mettant de côté leur ego
scientifique pour se fondre dans le collectif, ils s’inventent un maître fictif qu’ils
prénommeront bientôt Nicolas. Le patronyme Bourbaki appartient en fait à un
général français de la guerre de 1870. Il semble que les élèves de l’École normale
supérieure s’en servaient dans leurs canulars, à l’époque où les futurs membres du
groupe y faisaient leurs études.
284
Euclide au café
Ces membres s’appellent André Weil, Jean Dieudonné ou encore Henri Cartan.
Enseignants universitaires, ils commencent à réfléchir, dès décembre 1934, dans
un café du 5e arrondissement de Paris, à la rédaction d’un nouveau traité d’ana-
lyse mathématique. Bientôt, leur projet prend une ampleur folle. Sur les traces
d’Euclide (! – 300), le groupe Bourbaki cherche à moderniser les mathématiques
sur des bases générales, abstraites et unifiées, en s’inspirant de David Hilbert
(! 1900). Consacré à la théorie des ensembles, le premier fascicule des Éléments de
mathématique de Bourbaki paraît en 1940.

Pour l’honneur de l’esprit humain


Après la Seconde Guerre mondiale, le collectif se renouvelle tout en s’ouvrant à des
collaborations étrangères, notamment américaines. Symbole d’une réaffirmation de
la puissance des mathématiques pures, autonomes et développées « pour l’honneur de
l’esprit humain » (selon Dieudonné), Bourbaki exerce une grande influence sur l’image
et le contenu des mathématiques de cette époque. Ses membres fondateurs deviennent
des acteurs de premier plan au sein de la communauté nationale et internationale.
Bien qu’ils ne soient pas à l’origine de la réforme de l’enseignement des mathématiques
dans les années 1970, le nom de Bourbaki devient synonyme de « maths modernes ».

Mathématiques et physique théorique


| | | |
1870 1880 1890 1900
1873 Georg Cantor, théorie des ensembles 1892-1899 Poincaré, méthodes nouvelles
de la mécanique céleste
1874 Sofia Kovalevskaïa, première doctoresse
en mathématiques en Allemagne
Einstein, théorie de la relativité restreinte 1905
Boltzmann, théorie cinétique des gaz 1877
Équations en culottes courtes
Les écrits publiés sous le nom de Bourbaki font
l’objet de discussions intenses lors de congrès
réguliers, souvent organisés pendant l’été. Autour
du tableau noir, les débats sont parfois vifs, avant
qu’on décide d’en reprendre entièrement la rédac-
❝ Le traité prend les
mathématiques à leur début,
et donne des démonstrations
285

complètes. […] Le mode d’exposition


tion. Le traité avance lentement… et, bien que le
groupe existe encore, n’est toujours pas terminé.
suivi […] est axiomatique et
De gauche à droite : Jean Dieudonné, Jacques
abstrait : il procède le plus souvent
Dixmier, André Weil, Laurent Schwartz et Roger du général au particulier. »
Godement, lors d’un congrès Bourbaki à Pelvoux
en 1951. N. Bourbaki, Mode d’emploi
des Éléments de mathématique, 1940.

La mode est aux structures


Dans les années troublées de la connaîtra un énorme succès, le struc-
Seconde Guerre mondiale, deux intel- turalisme. La notion de « structure » est
lectuels français exilés se rencontrent à aussi aux fondements des Éléments de
New York. André Weil, membre de Bour- mathématique de Bourbaki. En annexe
baki, y croise la route de l’anthropologue du livre de Lévi-Strauss, Weil applique
Claude Lévi-Strauss (1908-2009). Dans la théorie mathématique des groupes
un ouvrage paru en 1949, ce dernier aux alliances matrimoniales. En fin de
étudie les « structures » élémentaires compte, le structuralisme des sciences
de la parenté et inaugure une nouvelle sociales ne s’inspirera que très peu du
approche des sciences humaines qui structuralisme formel de Bourbaki.

Naissance de Bourbaki 1934


| | | |
1910 1920 1930 1940
1913 Modèle de l’atome de Niels Bohr 1925 Équation de Schrödinger
1917 Einstein, théorie de la relativité générale 1937 Machine universelle
de Turing
1944 L’économie devient un jeu

Inspirés par la théorie des jeux, deux émigrés


Oskar européens installés aux États-Unis fournissent
Morgenstern un nouveau cadre mathématique à la théorie
1902-1977
économique. Leurs concepts et leurs méthodes
vont peu à peu trouver de nombreuses applications.

Deux réfugiés à Princeton


Le mathématicien et physicien d’origine hongroise John von Neumann (1903-1957)
a toujours aimé les jeux de stratégie. C’est auprès de David Hilbert (! 1900) qu’il
démontre, en 1928, son premier théorème de la théorie des jeux, le théorème du
« minimax », où il prouve l’existence d’une stratégie optimale pour gagner certains
jeux impliquant deux joueurs. Dès 1930, von Neumann s’établit aux États-Unis et
se trouve bientôt rejoint, avec l’arrivée des nazis au pouvoir, par d’autres scienti-
fiques européens comme Albert Einstein (! 1905, 1919) et Kurt Gödel.


Originaire de Vienne, l’économiste Oskar
286 Morgenstern (1902-1977) séjourne ainsi à On ne peut arriver
Princeton au moment de l’annexion de l’Au- à l’énoncé exact et à la
triche en 1938 et décide d’y rester. Après avoir solution [des problèmes
écrit un article sur l’application de la théorie d’économie] qu’à l’aide de
méthodes mathématiques qui
des jeux à l’économie, Morgenstern sollicite
divergent considérablement
l’avis de von Neumann. De fil en aiguille, c’est des techniques employées par
un livre entier qu’ils écrivent en 1944 : Théorie des l’économie mathématique
jeux et comportement économique. d’hier ou d’aujourd’hui. »
John von Neuman et Oskar Morgenstern,
L’économie et la théorie des jeux Théorie des jeux et comportement
économique, 1944.
Dans la conception de l’économie de Morgenstern
et von Neumann, les « jeux » désignent toute situation d’interaction dans laquelle
plusieurs individus disposent d’un ensemble de choix, appelés stratégies, qui leur
permettent d’obtenir des « gains » à maximiser. Cette approche renouvelle sensible-
ment les méthodes des économistes et contribue à diversifier leurs outils mathé-
matiques : algèbre, combinatoire et probabilités viennent compléter le traditionnel
calcul différentiel. Rapidement, le succès de la théorie des jeux dépasse largement
la discipline économique. Les élections, l’évolution des espèces, la sociologie des
organisations, ou même la stratégie de la guerre nucléaire seront étudiées de cette
manière.

Mathématiques et physique théorique


| | | |
1870 1880 1890 1900
1873 Georg Cantor, théorie des ensembles 1892-1899 Poincaré, méthodes nouvelles
de la mécanique céleste
1874 Sofia Kovalevskaïa, première doctoresse
en mathématiques en Allemagne
Einstein, théorie de la relativité restreinte 1905
Boltzmann, théorie cinétique des gaz 1877
Jeux dangereux
Pendant la guerre froide, le think tank Un Nobel pour 28 pages
ou laboratoire d’idées américain,
connu sous le nom de RAND Corpo- En 1950, le mathématicien américain John
ration, applique la théorie des jeux Nash (1928-2015) soutient une thèse sur la
aux stratégies de la guerre nucléaire.
Savants et militaires, en particulier
théorie des jeux qui ne compte que 28 pages
l’économiste Thomas Schelling (1921- et lui vaut le prix Nobel d’économie 44 ans plus
2016), prix Nobel d’économie en 2005, tard. Il y explore les propriétés de ce qu’on 287
vont jusqu’à imaginer des serious appellera l’« équilibre de Nash ». Dans un jeu
games et développent la doctrine de
non coopératif entre plusieurs joueurs, il existe
l’équilibre de la terreur selon laquelle
nulle puissance ne doit pouvoir espé- au moins une stratégie qui maximise les gains
rer tirer bénéfice d’un conflit nucléaire. de chacun, pourvu qu’ils agissent rationnelle-
Des chercheurs font la ment. Cette vision de l’économie comme un jeu
démonstration d’un jeu de stratégie non coopératif entre agents rationnels aura
aux administrateurs de la RAND
Corporation, Santa Monica, 1966. un impact profond sur la discipline.

L’invention de la modélisation mathématique


C’est par abus de langage qu’on parle de d’imaginer de nouveaux « modèles »,
modèles mathématiques avant le début c’est-à-dire des utilisations originales
du xxe siècle. Dès ses premiers travaux de théories mathématiques modernes
sur la mécanique quantique, von Neu- à toutes sortes de situations. À part
mann a bien compris que les mathé- la théorie des jeux, son plus célèbre
matiques classiques, comme l’ana- modèle est celui qui associe l’ordinateur
lyse inventée par Newton (! 1687), ne à une « machine de Turing », un concept
peuvent suffire à résoudre tous les types abstrait qui exprime la possibilité de
de problèmes posés par les sciences de résoudre un problème calculatoire par
son époque. Dès lors, il n’aura de cesse un procédé linéaire (! 1945).

Théorisation de l’économie 1944


| | | |
1910 1920 1930 1940
1913 Modèle de l’atome de Niels Bohr 1925 Équation de Schrödinger 1934 « Naissance » de Bourbaki
1917 Einstein, théorie de la relativité générale 1937 Machine universelle
de Turing
La théorie synthétique
de l’évolution
En un siècle, la conception du vivant est complètement bouleversée.
On passe d’une nature fixe créée par Dieu à une conception dynamique
de la vie. Une vie qui serait en constante évolution, via les interactions
avec son environnement et celles qui se jouent au niveau de l’ADN.

Une évolution sans gènes


Dès le XVIIIe siècle, Georges Buffon (! 1739) remet en question la Création et ima-
gine une nature en constante évolution. Georges Cuvier (! 1812) postule l’existence
de catastrophes qui, en détruisant certaines espèces, permettraient à d’autres
de prospérer. Lamarck (! 1809), enfin, envisage une transformation des espèces
288 via une adaptation progressive à leur environnement. C’est L’Origine des espèces, de
Charles Darwin (! 1859), qui marque le temps zéro de la biologie évolutive moderne.
Contrairement à Cuvier, il explique la diversité du vivant par la « sélection natu-
relle », un mécanisme qui agit sur la survie des animaux et des plantes par le biais
de la reproduction sexuée.

Le temps des mutations


Dans l’ombre de Darwin, Gregor Mendel (! 1864) fait des expériences sur la repro-
duction des petits pois. Il en déduit les lois de l’hérédité, qui ne seront largement
diffusées qu’au début du XXe siècle, par le botaniste néerlandais Hugo De Vries (1848-
1935). Au cours de ses recherches, ce dernier observe l’apparition de changements
morphologiques brusques entre générations de plantes, qu’il nomme « mutations ».
Il en conclut, contrairement à Darwin, que l’évolution fonctionne par à-coups.
Bientôt, les chromosomes sont identifiés comme le siège des facteurs héréditaires,
dorénavant appelés « gènes ». Les lois de l’hérédité sont donc le résultat de muta-
tions aléatoires et de l’échange des chromosomes lors de la reproduction.

La synthèse néodarwinienne
C’est dans les années 1930 que la théorie darwinienne de l’évolution et la génétique
moderne se rejoignent. Cette théorie néodarwinienne, ou théorie synthétique de
l’évolution, est exposée en 1937 par le généticien Theodosius Dobzhansky (1900-
1975), un émigré russe qui a travaillé avec T.H. Morgan (! 1910). Dans Genetics and
the Origin of Species, il montre que les mutations fournissent des variations dans le
1870-1945 L’empire des sciences

matériel génétique dont la propagation au sein de populations données est assurée,


comme le pensait Darwin, par la sélection naturelle. C’est un changement majeur
de perspective. Pour les néodarwinistes, la population interféconde (c’est-à-dire,
le plus souvent, l’espèce), et non plus l’individu, est le niveau le plus adapté pour
l’analyse des mécanismes évolutifs. Chaque individu est porteur d’un jeu unique
de gènes, mais c’est seulement dans la population, et au fil des générations, que les
effets de la sélection naturelle sont mis en évidence.

Formes artistiques de la nature


Entre 1899 et 1904, le zoologue alle-
mand Ernst Haeckel (1834-1919) publie
une centaine de planches spectacu-
laires illustrant la diversité du monde
vivant. Souvent considéré comme le
père de l’écologie, Haeckel contribue
grandement à la diffusion des idées de
Darwin, non sans les trahir.
Ernst Haeckel, Kunstformen der Natur,
1904.

289

❝ Rien n’a du sens


en biologie, hors du cadre
de l’évolution. »
Theodosius Dobzhansky,
American Biology Teacher, 1973.

La course aux molécules


Isolée dès le xixe  siècle, la molécule 2013) interprètent le mécanisme de
d’ADN est désormais associée aux chro- l’expression des gènes et reçoivent, en
mosomes. En utilisant les clichés de 1965, le prix Nobel. Avec ces décou-
Rosalind Franklin (1920-1958), James vertes capitales, l’écriture de l’his-
Watson et Francis Crick (! 1953) mettent toire de la vie sous la forme d’acides
en évidence la célèbre double hélice. nucléiques, alignés tout au long du brin
Peu après, les Français Jacques Monod d’ADN, semble être à la portée des scien-
(1910-1976) et François Jacob (1920- tifiques.
La nouvelle physique
de l’infiniment petit
Au début du xxe siècle, les physiciens sondent le monde atomique.
Les nouveaux objets et phénomènes qu’ils découvrent bouleversent alors
des principes philosophiques communément admis. Une nouvelle théorie,
la physique quantique, se propose comme cadre d’interprétation.

Une hypothèse audacieuse


Le 8 octobre 1900, Max Planck (1858-1947), professeur de physique à l’université de
Berlin, tente de modéliser le rapport entre la radiation émise par un corps chaud
et sa température à partir des résultats expérimentaux obtenus par les physiciens
du Laboratoire impérial de physique technique. Planck réussit à obtenir une for-
290 mule, mais doit pour cela introduire une hypothèse ad hoc : l’énergie est émise par
la matière de manière discontinue, sous forme de « paquets » (ou « quanta ») dont
la taille est un multiple entier d’une quantité fixe h, qu’on appellera plus tard la
« constante de Planck ».

La révolution quantique
Pour Planck, l’idée que l’énergie se transmet en paquets discrets ou « quanta » est
seulement une astuce mathématique, sans rapport avec la réalité physique. Il
revient à la nouvelle génération de physiciens, et notamment à Albert Einstein
(1879-1955) et Niels Bohr (1885-1962), d’interpréter son hypothèse d’une manière
plus radicale. Ainsi, en 1905, Einstein explique l’effet photoélectrique (l´émission
d’électrons par certains matériaux sous l’action de la lumière) en supposant que
la lumière se propage par petits paquets ou quanta : les photons (! 1905). En 1913,
Bohr explique l’émission de spectres lumineux à partir d’un modèle quantique de
l’atome.

Une nouvelle mécanique


Après la Première Guerre mondiale (! 1915), Niels Bohr et d’autres physiciens théo-
riques comme Werner Heisenberg, Max Born, Wolfgang Pauli, Louis de Broglie ou
Erwin Schrödinger développent des concepts et des outils mathématiques pour étu-
dier le monde à l’échelle microscopique. Les principes de la physique quantique
sont formalisés.
1870-1945 L’empire des sciences

Malgré son utilité et son succès prédictif, cette nouvelle discipline fait l’objet d’une
intense controverse philosophique. En effet, dans le monde quantique, les corps
semblent obéir à des règles contraires au sens commun : les objets n’ont plus de
position et de vitesse fixes, mais se manifestent par des distributions de proba-
bilités. Ils peuvent être à la fois des ondes et des corpuscules jusqu’à ce qu’on les
mesure… En 1927, les lois quantiques sont interprétées par Bohr et Heisenberg
comme résultant du caractère intrinsèquement probabiliste et indéterministe du
monde à l’échelle atomique. Il s’agit de l’« interprétation de Copenhague ».

Le modèle
du corps noir
L’hypothèse des quanta de
Planck émerge d’une appli-
cation du modèle théorique
du « corps noir ». Intro-
duit par Gustav Kirchhoff
(! 1859, p. 226), ce modèle
suppose que l’énergie
émise sous forme de radia-
tion par un objet, comme le
Soleil, dépend uniquement
de sa température.
Éruption solaire capturée 291
par le satellite Solar
Dynamics Observatory.

Le débat Bohr-Einstein
Si l’« interprétation de Copenhague » est aujourd’hui com-
❝ Une vérité
nouvelle en science
n’arrive jamais
à triompher en
munément acceptée, ce ne fut pas le cas instantanément. convainquant les
Après le congrès Solvay de 1927, Bohr et Einstein s’en- adversaires et en les
gagent dans un intense débat sur la façon d’interpréter amenant à voir la
philosophiquement la nouvelle mécanique. Einstein, qui lumière, mais plutôt
ne veut pas accepter une interprétation indéterministe parce que finalement
du monde, imagine des expériences qui permettraient de ces adversaires meurent
réfuter le principe d’Heisenberg. Mais Bohr réussit toujours et qu’une nouvelle
à trouver des erreurs dans son raisonnement. Einstein génération grandit,
acceptera finalement le principe d’indétermination, restant à qui cette vérité est
toujours sceptique sur son caractère fondamental. Pour familière. »
lui, il s’agit d’une limitation associée à l’acte de mesurer,
Max Planck, Autobiographie
et non pas une caractéristique fondamentale de l’Univers. scientifique et derniers écrits,
1948.
La grande
accélération
De 1945 à nos jours

Depuis le milieu du XXe siècle, l’être


humain transforme ses rapports
avec le monde naturel plus
radicalement que jamais. À mesure
qu’il affine sa compréhension de la
nature et qu’il la contrôle de mieux
en mieux, son activité s’accélère
à un rythme de plus en plus rapide.
Au début du XXIe siècle, cette « grande
accélération » ne montre aucun
signe d’essoufflement, même s’il est
désormais clair que son impact sur
le système Terre est un gigantesque
bouleversement, comme la planète
n’en a pas connu depuis plusieurs
millions d’années.

Lancement d’une fusée Atlas V au cap Canaveral, 26 novembre 2011.


La grande
accélération
De 1945 à nos jours
Une nouvelle frontière
La Seconde Guerre mondiale a prouvé qu’un État moderne
doit se doter d’une politique de recherche scientifique
et d’innovation technologique. Si l’explosion des
premières bombes atomiques frappe immédiatement
les esprits (! 1945, p. 300), le développement des premiers
ordinateurs (! 1945, p. 298), celui des missiles V2, ancêtres
des fusées de l’ère spatiale (! 1957) ou encore la production
industrielle de pénicilline (! 1928), sont immédiatement
perçus comme constitutifs d’un nouveau monde
technoscientifique avec son lot de promesses et de menaces
294
(! dossier, p. 354-355). L’ingénieur Vannevar Bush (1890-
1974) suggère alors au président Roosevelt, dans le célèbre
rapport Science : la frontière sans fin, d’enrôler les savants
dans la poursuite d’une plus grande prospérité nationale,
d’une défense de plus en plus puissante et d’une véritable
guerre contre les maladies.

L’avènement de la « Big science »


La guerre froide, où les blocs capitaliste et communiste
s’opposent mais partagent une même idéologie
productiviste et une même foi dans les bienfaits du
développement technoscientifique, fait émerger une
nouvelle conception de la recherche scientifique, qu’on
désigne souvent en anglais comme la Big science ou science
lourde. Désormais, tout s’accélère : les budgets explosent,
les instruments de mesure deviennent gigantesques ou
incroyablement précis, certains projets internationaux
peuvent réunir jusqu’à un millier de chercheurs.
Au CERN, près de Genève, on construit une nouvelle
Europe autour d’accélérateurs de particules (! 1983).
La naissance du biomédical
Des techniques de visualisation sophistiquées révèlent
la structure de l’ADN (! 1953) qui permet de mieux
comprendre, au niveau moléculaire, les mécanismes du
vivant. Grâce à cette avancée majeure, la connaissance des
pathologies humaines et la prise en charge de la santé font
de grands progrès : mise au point de la pilule contraceptive
(! 1954), greffes d’organes (! 1958), développement de
nouveaux traitements, notamment contre le paludisme
(! 1972), etc. Toutefois la connaissance du vivant ne
se limite pas au domaine moléculaire. L’histoire de
l’évolution s’éclaire grâce à la découverte de nombreux
fossiles, comme celui de Lucy (! 1959), et de leur datation
par des méthodes provenant de la physique nucléaire
(! 1949). Même les continents, découvre-t-on, ont une
histoire (! 1968).
295

Les nouveaux horizons de la complexité


Dans les années 1960, les scientifiques prennent conscience
de l’interdépendance des systèmes qu’ils étudient.
Ils soulignent le rôle central de la coopération entre
organismes dans l’évolution (! 1966) ou la dégradation
alarmante de la biodiversité causée par l’usage massif
des pesticides (! 1962). On s’aperçoit qu’un système
simple peut très vite devenir chaotique si on n’y prend
garde (! 1963). Les ordinateurs (! 1977), désormais en
réseau (! 1969, p. 326), se placent au cœur des pratiques
scientifiques et renforcent l’idée qu’il est maintenant
possible de comprendre les systèmes complexes, y compris
de modéliser le réchauffement de la Terre (! 1990).
Et si, comme nous le rappelle l’exemple de Tchernobyl
(! 1986), la menace d’une catastrophe n’est jamais loin,
les technosciences offrent toujours l’espoir d’un plus
grand contrôle du vivant (! 2012) et peut-être même
de la pensée artificielle (! 2017).
1949 1954
Invention des méthodes Mise au point de la pilule contraceptive
de datation au carbone 14
1962
Rachel Carson,
Le Printemps silencieux
1945
Architecture 1963
« de von Neumann » Modèle chaotique de Lorenz
des ordinateurs

1966
Margulis met
la coopération
au cœur de l’évolution

| | | |
1940 1950 1960 1970

1945 Adoption de la charte des Nations unies 1968


Mouvements
Guerre de Corée 1950-1953 1954-1962 de protestation
Guerre étudiants dans
d’Algérie plusieurs pays
1957 1973
Traité de Rome instituant la Communauté Premier choc pétrolier, crise
économique européenne économique mondiale

1945 1953
1968
Explosion Découverte de
Démonstration
des premières la structure
de la tectonique
bombes atomiques de l’ADN
des plaques

1969
Premiers pas de
l’homme sur la Lune

1947 1957
Invention du transistor Année géophysique
dans les Bell Labs internationale

1958 1972
Premières greffes de moelle osseuse Remède contre le paludisme
par Tu Youyou
1959
Découverte de fossiles d’australopithèques
1977
Commercialisation
de l’ordinateur personnel Apple II

1983
Découvertes des bosons W et Z au CERN 2012
Découverte des
1985 « ciseaux génétiques »
Assassinat de la primatologue Dian Fossey CRISPR

| | | | |
1980 1990 2000 2010 2020

1980-1988 Présidence de Ronald Reagan aux États-Unis


1989 Chute du mur de Berlin
1992 Sommet de la Terre à Rio de Janeiro
2001 Attentat terroriste contre
les tours du World Trade Center à New York
La Chine devient la première puissance économique mondiale 2014

1977
Lancement 2001
des sondes Lancement
Voyager de l’encyclopédie
Wikipédia

1986 1992
Accident Découverte des premières
nucléaire planètes extrasolaires
à la centrale
2017
de Tchernobyl
Montée en puissance
de l’intelligence
1990 artificielle
Premier rapport
du GIEC sur le
réchauffement global
1945 L’architecture de l’ordinateur
se dessine

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ébauche d’un projet


de calculateur universel à grande vitesse est diffusée auprès
des ingénieurs anglais et américains. Son architecture novatrice
servira de base aux futurs ordinateurs.

Des monstres peu efficaces


En 1942, la Moore School of Electrical Engineering de l’université de Pennsylvanie
recrute des ingénieurs pour concevoir une machine à calculer capable de fonction-
ner à grande vitesse. L’enjeu est de taille. En pleine guerre mondiale, les besoins en
calcul, notamment pour la balistique (! 1745), ne sont pas satisfaits par les moyens
existants. Un groupe de travail se constitue autour de Herman Goldstine (1913-
2004), avec l’ingénieur électricien John Eckert (1919-1995) et le physicien John Mau-
chly (1907-1980).
La première machine construite entre 1943 et 1945 est baptisée ENIAC. Mais mal-
298 gré ses 30 tonnes et ses 30 mètres de long, elle ne peut résoudre que de petites séries
de problèmes récurrents, « programmée » par des centaines de câbles branchés en
façade. Eckert et Mauchly envisagent alors une seconde machine, l’EDVAC, avec
un schéma de fonctionnement plus performant et surtout plus souple, capable de


résoudre tout type de problème numérique.
Le rapport [sur l’EDVAC]
Une architecture visionnaire est le document le plus
John von Neumann (! 1944), célèbre mathéma- important jamais écrit sur
ticien, rejoint le groupe à titre de consultant. le calcul et les ordinateurs. »
Il rédige une première synthèse concernant Herman Goldstine, The Computer from
cette nouvelle machine, le « First Draft of a Report Pascal to von Neumann, 1972.
on the EDVAC », et l’envoie à Goldstine. Ce dernier dactylographie le document le
30 juin 1945 et, contrairement aux habitudes de confidentialité, le distribue large-
ment dans le milieu des chercheurs.
Cette note décrit une architecture rendant le système autonome. Les instruc-
tions, au lieu d’être codées par des commutateurs et des câbles externes, sont enre-
gistrées dans une mémoire interne qui stocke également, pendant tout le temps
du calcul, les valeurs des diverses variables. Cette architecture, avec le concept de
machine universelle énoncé par Alan Turing (1912-1954) en 1936, servira de modèles
aux premiers ordinateurs numériques commerciaux.

Informatique et technologies 1945 Architecture « de von Neumann » des ordinateurs


| | | |
1940 1950 1960 1970
Wiener, La Cybernétique 1948 1954 Première centrale nucléaire à Obninsk 1975
Fondation de
Loi de Moore 1965 Microsoft
Début du développement d’ARPANET, ancêtre de l’Internet 1969
Les premiers « vrais »
ordinateurs
L’EDVAC ne sera pas le premier Une paternité remise en question
ordinateur en fonctionnement. Les
Anglais, notamment grâce à Turing, La première ébauche décrivant l’EDVAC est
ont en effet pris de l’avance pendant signée du seul nom de von Neumann. On consi-
la Seconde Guerre mondiale. Dès dère dès lors le mathématicien comme son
1949, les universités anglaises de seul inventeur. Or, si von Neumann a signifi-
Cambridge et de Manchester font
tourner les premiers programmes
cativement participé à la conception du cal-
enregistrés sur leurs propres cal- culateur, les apports d’Eckert, Mauchly et de
culateurs universels électroniques, quelques autres ingénieurs sont déterminants.
l’EDSAC et le Manchester Mark  I, Après guerre, des querelles les opposent les
autrement dit sur ce que beaucoup
uns aux autres quant à la paternité des bre-
considèrent comme les premiers
« vrais » ordinateurs ! vets et pour l’usage scientifique ou commercial
L’EDSAC, premier ordinateur des machines. La justice tranche en n’autori-
réalisé à l’université de Cambridge sant aucun brevet sur les concepts. À la suite
sous la direction de Maurice Wilkes de ces divergences, trois versions de l’EDVAC
(à gauche), avec Bill Renwick
(à droite), 17 juillet 1949. seront construites entre 1951 et 1952 : l’une à
la Moore School, la seconde à Princeton sous
la supervision de von Neumann, la troisième
par l’entreprise d’Eckert et de Mauchly.

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1980 1990 2000 2010 2020
1986 Accident nucléaire à la centrale de Tchernobyl 2016
Victoire du programme
Ouverture du tunnel sous la Manche 1994 2001 Lancement AlphaGo contre un joueur
de l’encyclopédie de go professionnel
Wikipédia
1945 Une bombe atomique
explose en plein désert

Le 16 juillet 1945, le premier essai nucléaire de l’histoire


Robert a lieu dans le désert du Nouveau-Mexique. Quelques
Oppenheimer jours plus tard, deux bombes atomiques sont larguées
1904-1967
sur le Japon. Un nouvel ordre mondial émerge, plaçant
les sciences au centre de la géopolitique globale.

Des atomes qui explosent


Fin 1938, des physiciens allemands découvrent que le bombardement d’atomes
d’uranium par des neutrons lents entraîne leur fission. On envisage bientôt la pos-
sibilité de produire des réactions nucléaires en chaîne afin de relâcher d’énormes
quantités d’énergie.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni,
l’Union soviétique et les États-Unis lancent des projets de recherches dont l’objec-
tif est de développer la bombe atomique. Dirigé par le colonel américain Leslie R.
Groves (1896-1970), le « projet Manhattan » est le plus important d’entre eux.
300
Top secret
L’effort de guerre américain soutient le projet Manhattan, qui débute par la pro-
duction du premier réacteur nucléaire, à Chicago, en 1942. Cette « pile » atomique,
ainsi que la mobilisation de l’industrie chimique, permet de passer à la production
de plutonium et d’uranium enrichi à grande échelle.
Au même moment, dans le plus grand secret, un millier de physiciens et d’ingé-
nieurs s’installent dans le Nouveau-Mexique et travaillent au Laboratoire national
de Los Alamos, sous la direction de Robert Oppenheimer (1904-1967), pour concevoir
un prototype fonctionnel de bombe atomique.

Une arme de destruction massive


Le premier essai de la bombe, dont le nom de code est Trinity, a lieu le 16 juillet 1945
dans le désert du Nouveau-Mexique. Dès le 6 août, les États-Unis larguent une autre
bombe atomique sur la ville japonaise d’Hiroshima, puis le 9 août sur Nagasaki, pro-
voquant la mort de centaines de milliers de personnes.
Malgré des tentatives de contrôle à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et l’op-
position de quelques scientifiques renommés comme Albert Einstein (! 1905), les bombes
atomiques prolifèrent et amorcent une nouvelle époque, caractérisée par l’équilibre de
la terreur et un rôle grandissant des sciences dans les affaires géopolitiques (! 1944).

1945 Explosion des premières bombes atomiques


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1940 1950 1960 1970
Modèle des quarks 1964 1969 Découverte
de la structure
de l’insuline par
Équilibre de Nash en théorie des jeux 1950 1952 Première bombe à hydrogène Dorothy Hodgkin
Preuve du théorème des quatre couleurs 1976
301
Les images de la bombe
L’image du « champignon » nucléaire est
emblématique du xxe siècle. Objet de fascina-
tion et d’inquiétude, elle incarne le pouvoir de La bombe H et les
la science moderne. retombées nucléaires
Image du premier essai nucléaire, Trinity,
16 juillet 1945. En 1952, la bombe à hydrogène est mise
au point par l’armée des États-Unis.
Mille fois plus puissante que la bombe


d’Hiroshima, l’explosion d’une bombe H
Nous savions que le monde produit des retombées radioactives qui
ne serait plus le même. Certains ont se diffusent dans toute l’atmosphère, et
ri, certains ont pleuré. La plupart soulève la première controverse envi-
étaient silencieux. Je me suis ronnementale globale. Suite à de nom-
souvenu d’une ligne du texte hindou, breuses protestations, un traité signé
la Bhagavad-Gita : <Maintenant en 1963 entre les États-Unis et l’Union
je suis la Mort, le destructeur des soviétique – non ratifié par la France et
mondes>. Je suppose que nous avons la Chine – interdit les essais nucléaires
tous pensé cela, d’une façon ou atmosphériques.
d’une autre. »
Robert Oppenheimer, dans le documentaire
de la NBC, The Decision to Drop the Bomb, 1965.

Mathématiques et sciences de la matière


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1980 1990 2000 2010 2020
1983 Découverte des bosons W et Z au CERN 2012 Découverte
du boson de Higgs au CERN
1986 Découverte de la supraconductivité à haute température

1994 Preuve du théorème de Fermat par Andrew Wyles


1947 La compagnie Bell Telephone
invente le transistor

Le 23 décembre 1947, une petite équipe des laboratoires Bell


écoute un signal audio amplifié par un nouveau composant :
le transistor. Cet élément minuscule va révolutionner la musique,
la communication ou encore le calcul.

Une amplification laborieuse


Pendant l’entre-deux-guerres, on dispose de tubes électroniques pour amplifier les
signaux radar ou radio (! 1888, p. 252). Mais ces éléments laissent à désirer du fait
de leur lenteur, leur taille, leur fragilité, leur échauffement et leur coût.
Les physiciens sont convaincus que de nouveaux composants, faits de métaux,
d’oxydes et de semi-conducteurs comme le silicium ou le germanium, pourraient les
remplacer. Mais ces matériaux restent incompris : leurs propriétés conductrices sont
déroutantes et ne se laissent pas facilement maîtriser par les expérimentateurs.

302 Un joyeux Noël aux Bell Labs !


C’est alors qu’en 1946, le physicien John Bardeen (1908-1991) des laboratoires Bell envi-
sage l’existence d’états d’énergie liés à la surface des matériaux. Il élabore une nouvelle
théorie quantique de ces états qui explique le comportement des semi-conducteurs.
L’un de ses collègues, le physicien Walter Brattain (1902-1987), applique cette nou-
velle approche à une combinaison de pointes métalliques, d’isolants et de semi-
conducteurs, et crée ainsi le dispositif amplificateur tant attendu. Le 23 décembre
1947, devant toute l’équipe, les deux hommes amplifient un signal audio grâce au
nouveau composant. On l’appelle « transistor ».

La famille transistor
Ce premier transistor dit « à pointe » est délicat à reproduire à l’identique. Quelques
mois plus tard, toujours aux Bell Labs, William Schockley (1910-1989) conçoit le
transistor bipolaire, qui remplace rapidement le transistor à pointe dans les postes
radio, les calculateurs, etc.
Un autre type de transistor, dont le brevet a été déposé en 1930 par Julius Lilien-
feld, arrive sur le devant de la scène dans les années 1950. Ce dernier, dit MOSFET,
possède une structure simple, consomme peu d’énergie et peut être de taille très
réduite. Dès lors, il prend place dans les circuits intégrés, qui sont en grande partie
à l’origine de l’essor de l’informatique.

1947 Invention du transistor dans les Bell Labs


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1940 1950 1960 1970
1945 Explosion des premières Modèle des quarks 1964 1969 Découverte
bombes atomiques de la structure
de l’insuline par
Équilibre de Nash en théorie des jeux 1950 1952 Première bombe à hydrogène Dorothy Hodgkin
Preuve du théorème des quatre couleurs 1976
303

Un travail d’équipe
Le prix Nobel de physique est
attribué à Bardeen, Shockley Les transistors s’intègrent
et Brattain, en 1956, pour la
découverte du transistor. Tou- Les transistors rencontrent un remarquable succès et
tefois, cette invention a béné- sont utilisés dans tous les domaines alors que, dans les
ficié des idées et savoir-faire
années 1950, la révolution technologique ne fait que
de nombreuses autres per-
sonnes. Citons le physicien commencer. En 1958, Jack Kilby assemble plusieurs
expérimentateur G. Pearson, transistors sur un même support hybride. L’année
le chimiste R. Gibney, les suivante, Robert Noyce reprend cette idée. En utili-
métallurgistes J. H.  Scaff et sant le nouveau procédé de fabrication planar de Jean
H. C. Theuerer pour la fabri-
cation de silicium ultrapur et
Hoerni, inspiré de la photolithogravure, il envisage de
toute une équipe d’ingénieurs connecter plusieurs composants sur une seule puce
et de techniciens. de silicium. Le premier circuit intégré est fabriqué en
John Bardeen, William mai 1960. Dix ans plus tard, plus de 2 300 transistors
Shockley et Walter Brattain sont concentrés sur une même puce baptisée 4004.
aux laboratoires Bell,
vers 1955. C’est le premier microprocesseur. Aujourd’hui, ces
derniers intègrent plus d’un milliard de transistors
et équipent ordinateurs, montres ou caméras numé-
riques, satellites (! 1977) ou organes artificiels.

Mathématiques et sciences de la matière


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1980 1990 2000 2010 2020
1983 Découverte des bosons W et Z au CERN 2012 Découverte
du boson de Higgs au CERN
1986 Découverte de la supraconductivité à haute température

1994 Preuve du théorème de Fermat par Andrew Wyles


1949 La radioactivité
dévoile l’âge des momies

Après avoir participé au projet Manhattan, le chimiste


Willard américain Willard Libby intègre le nouvel Institut
Libby
1908-1980 d’études nucléaires de Chicago, où il développe
une méthode de datation par le carbone 14.

Le nucléaire active la recherche


Après la Seconde Guerre mondiale, la recherche nucléaire (! 1945, p. 300) a de nom-
breuses retombées scientifiques. Au sein de l’Institut d’études nucléaires, à Chicago,
le prix Nobel de chimie Harold Urey (1893-1981) utilise des isotopes – atomes d’un
même élément qui possèdent un nombre différent de neutrons – pour mieux com-
prendre l’histoire de la Terre et de l’Univers.
Son collègue Willard Libby reçoit de généreux financements des forces aériennes
des États-Unis afin d’augmenter la précision d’appareils de mesure de la radioactivité,
dont il est expert. À l’aide de ses nouveaux instruments, il peut alors détecter de très
304 faibles concentrations d’un isotope radioactif du carbone, le carbone 14. Il a l’idée d’uti-
liser ces mesures pour dater des matériaux organiques d’origine végétale ou animale.

Sur la piste du carbone 14


La méthode de datation de Libby se base sur le raisonnement suivant : sous le bom-
bardement des rayons cosmiques, une partie des atomes d’azote présents dans l’at-
mosphère se transforme en carbone 14 radioactif. Ce carbone est alors absorbé par les
plantes et intègre la biosphère.
Quand un organisme meurt, il cesse d’absorber du carbone 14 et sa proportion par
rapport à celle du carbone 12 – l’isotope du carbone le plus commun – commence à
diminuer de façon exponentielle. En conséquence, plus un matériel organique est
vieux, moins il contient de carbone 14. On peut donc calculer son âge en mesurant
son taux de radioactivité.

L’âge des pharaons


Les premières datations au carbone 14, faites à partir de fragments de bois retrou-
vés dans les tombes des pharaons Djoser, Snéfrou et Sésostris III et d’autres maté-
riaux, sont publiées dans la revue Science en 1949. En 1960, Libby obtient le prix
Nobel de chimie et, à partir des années 1970, l’usage de cette méthode de plus en
plus précise va se répandre en archéologie et en géophysique.

1949 Invention des méthodes de datation au carbone 14


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1940 1950 1960 1970
1945 Explosion des premières Modèle des quarks 1964 1969 Découverte
bombes atomiques de la structure
de l’insuline par
Équilibre de Nash en théorie des jeux 1950 1952 Première bombe à hydrogène Dorothy Hodgkin
Preuve du théorème des quatre couleurs 1976
305

L’authenticité du suaire
de Turin mise en doute
La datation au carbone 14
appliquée à des objets de
Du carbone au potassium
culte a parfois provoqué des
polémiques. C’est le cas de la Avec la méthode du carbone 14, il est impossible de
datation du suaire de Turin,
réalisée en 1988 par les labo-
dater des matériaux vieux de plus de 50 000 ans.
ratoires de radiocarbone Toutefois, des méthodes utilisant d’autres éléments
d’Arizona, Oxford et Zurich. radioactifs ont été développées par les physiciens.
Leurs résultats indiquent que La plus ancienne, celle du radium-plomb, inven-
le linge, prétendument utilisé
tée en 1907 par Ernest Rutherford (1871-1937) et
pour ensevelir Jésus-Christ,
a été tissé avec des fibres Bertram Boltwood (1870-1927), permet la data-
datant… du xive siècle ! tion d’échantillons géologiques jusqu’à 2,5  mil-
liards d’années. La méthode du potassium-argon,
développée dans les années 1950, peut dater avec
précision des roches de pratiquement tous les
âges géologiques. C’est avec cette méthode que
l’astromobile Curiosity a pu dater des roches mar-
tiennes en 2013.

Mathématiques et sciences de la matière


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1980 1990 2000 2010 2020
1983 Découverte des bosons W et Z au CERN 2012 Découverte
du boson de Higgs au CERN
1986 Découverte de la supraconductivité à haute température

1994 Preuve du théorème de Fermat par Andrew Wyles


1953 Les biologistes décryptent
l’alphabet du vivant

Interprétant des images obtenues par la physico-chimiste


Rosalind Franklin, le biologiste James Watson et le physicien
Francis Crick décrivent la structure hélicoïdale de l’ADN,
la molécule de l’hérédité.

La substance de l’hérédité
À la fin du XIXe siècle, le mécanisme qui permet la transmission de caractères de
génération en génération n’est pas connu. En 1868, Charles Darwin (! 1859, p. 230)
propose la théorie de la pangenèse, basé sur un mécanisme de transmission d’infor-
mations aux cellules de l’appareil reproducteur. En 1883, August Weismann (1834-
1914) suppose qu’un « plasma germinatif » serait à l’origine de l’hérédité. Mais il
faut attendre le perfectionnement des techniques biochimiques, au XXe siècle, pour
connaître la base matérielle de l’hérédité.

306 L’ADN sort de l’ombre


En 1928, cherchant à mettre au point un vaccin contre la grippe, Frederick Griffith
(1879-1941) isole chez des bactéries ce qu’il appelle un « principe transformateur »
capable de transmettre de l’information génétique. En 1944, Oswald Avery (1877-
1955), Colin MacLeod (1909-1972) et Maclyn McCarty (1911-2005) montrent que ce
principe est une molécule, l’acide désoxyribonucléique (ADN).
La relative simplicité chimique de cette molécule laisse perplexes les généticiens qui
préfèrent penser que les protéines sont les principaux agents de l’hérédité. Ce n’est
qu’en 1952 que le rôle central de l’ADN en tant que support de l’information génétique
est démontré par Alfred Hershey (1908-1997) et Martha Chase (1927-2003), grâce à des
expériences sur des bactériophages tracés par des éléments radioactifs (! 1949).

Une structure en double hélice


En 1952, la cristallographie X (! 1895, p. 256), autre technique issue de la physique,
permet à Rosalind Franklin (1920-1958) d’obtenir des images qui suggèrent que la
molécule d’ADN pourrait avoir une structure hélicoïdale. C’est à partir de ces cli-
chés que Francis Crick (1916-2004) et James Watson (né en 1928) construisent un
modèle de l’ADN et proposent un mécanisme de dédoublement de la molécule
capable d’expliquer la copie et la transmission de l’information génétique.

Sciences du vivant et médecine 1953 Découverte de la structure de l’ADN


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1940 1950 1960 1970
1944 1952 Théorie de la morphogenèse d’Alan Turing 1975
Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? Identification de la
maladie de Lyme

Invention du mot « clone » par Haldane 1963



Un code à décrypter
La molécule d’ADN a une structure en double 307
hélice qui peut se dérouler en deux longues
Nous n’avons pu nous
chaînes formées par quatre nucléotides dif- empêcher de remarquer que
férents : adénine (A), cytosine (C), guanine (G) l’assemblage par paires spécifiques
ou thymine (T). L’arrangement de ces nucléo- que nous postulons suggère
tides constitue le code génétique, qui permet
de fabriquer toutes les protéines d’un orga-
immédiatement un mécanisme
nisme vivant. possible de copie du matériel
James Watson (à gauche) et Francis Crick génétique. »
(à droite) devant le modèle de l’ADN, 1953. Francis Crick et James Watson, article
« A Structure for Deoxyribose Nucleic Acid », 1953.

Le séquençage du génome humain


Lancé par le gouvernement des États- tion ainsi que l’amélioration de la vitesse
Unis en 1990, le projet international de calcul des ordinateurs permettent au
du « génome humain » se propose de consortium public de mener ce projet
déterminer l’ordre des 3,2 milliards de pharaonique à terme en 2003. Objet de
paires de nucléotides qui composent convoitise pour l’industrie pharmaceu-
l’ADN humain. En 1998, la société privée tique et les assurances, la commerciali-
Celera Genomics entre en concurrence sation des données génétiques soulèvent
avec ce projet afin de pouvoir breveter d’importantes questions éthiques.
des fragments de gènes. Cette compéti-

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1980 1990 2000 2010 2020
1981 Début de l’épidémie du sida 1997 Clonage d’un mouton nommé Dolly

1986 Première greffe cœur-poumon 2003 Découverte de l’homme de Florès

2012 Invention de CRISPR


1954 La pilule contraceptive
est créée en toute discrétion

L’alliance entre le militantisme féministe de Margaret


Margaret Sanger et les avancées de la recherche biomédicale
Sanger
1879-1966 aboutit à la première pilule contraceptive, donnant
les moyens aux femmes de contrôler leur fertilité.

Des corps sous contrôle


Dans la première moitié du XXe siècle, des politiques natalistes et lois répressives
condamnent l’avortement et la contraception. Aux États-Unis, la loi Comstock inter-
dit la diffusion de toute information sur le contrôle des naissances. Devant cette situa-
tion, des groupes féministes s’organisent. Margaret Sanger, ancienne infirmière,
rejoint la cause et use de son talent managérial pour trouver des financements.
La suffragette et riche philanthrope Katharine McCormick (1875-1967), ralliée à
son combat par Sanger, finance les recherches de l’équipe américaine du docteur
Gregory Pincus (1903-1967) à la Fondation Worcester pour la biologie expérimentale.
308 Dès 1953, grâce à plus de deux millions de dollars, les chercheurs mettent au point
les premières versions d’une pilule contraceptive à base de progestérone, non seu-
lement très efficace, mais aussi discrète et administrable par voie orale.

Une nouvelle liberté


L’hormone utilisée dans cette première pilule n’est cependant pas très active par
voie orale. Il faut donc trouver un principe actif plus efficace. Or, justement, les
chimistes Luis Miramontes (1925-2004), Carl Djerassi (1923-2015) et Jorge Rosen-
kranz (né en 1916), du laboratoire Syntex au Mexique, viennent de synthétiser la
noréthistérone. Ce composé deviendra le principal composant actif de la première
pilule contraceptive, baptisée Enovid.
L’efficacité de cette pilule est démontrée en 1954 lors d’essais cliniques à large
échelle, à Porto Rico et Haïti, où la contraception n’est pas illégale. C’est d’abord
comme médicament servant à réguler les menstruations que la pilule est approuvée
et commercialisée en 1957. Son succès massif et les mobilisations sociales aideront
ensuite à légaliser son usage comme contraceptif dans de nombreux pays, comme
aux États-Unis en 1960 ou en France en 1967. Dès lors, la pilule donne aux femmes
une nouvelle liberté et le pouvoir de prendre une plus grande place dans le monde
du travail.

Sciences du vivant et médecine 1954 Mise au point de la pilule contraceptive


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1940 1950 1960 1970
1944 1952 Théorie de la morphogenèse d’Alan Turing 1975
Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? Identification de la
1953 Découverte de la structure de l’ADN maladie de Lyme

Invention du mot « clone » par Haldane 1963


309


Un médicament très répandu
La pilule contraceptive rencontre un large suc- Aucune femme ne peut se
cès commercial. En 1965, cinq ans après sa
mise sur le marché, elle est utilisée par 25 %
déclarer libre si elle ne possède pas le
des femmes aux États-Unis. Malgré des résis- contrôle de son corps. Aucune femme
tances religieuses et idéologiques, de nou- ne peut se déclarer libre jusqu’à ce
velles formules sont essayées, dont la pilule qu’elle puisse choisir consciemment
RU486, qui évite l’implantation de l’embryon si elle sera ou non une mère. »
dans l’utérus et ainsi le recours à l’avortement
par des moyens mécaniques. Margaret Sanger, « A Parents’ Problem
or Woman’s ? », 1919.

Une affaire d’hormones


Les hormones sont décrites par le phy- l’arthrite et le diabète. Dans les années
siologiste britannique Ernest  H. Star- 1930, des travaux ayant pour objectif
ling (1866-1927) en 1905. Dès lors, d’améliorer la fertilité ou de réguler les
la recherche se développe : on recon- menstruations permettent d’identifier
naît l’importance des hormones pour plusieurs hormones impliquées dans
la régulation de la croissance ou celle le contrôle du cycle reproductif comme
du taux de glucides dans le sang, et on l’estriol, l’estrone et la progestérone.
commence à les utiliser pour traiter

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1980 1990 2000 2010 2020
1981 Début de l’épidémie du sida 1997 Clonage d’un mouton nommé Dolly

1986 Première greffe cœur-poumon 2003 Découverte de l’homme de Florès

2012 Invention de CRISPR


1956 Les conteneurs bouleversent
les transports

Un entrepreneur américain révolutionne le fret


Malcolm maritime en proposant un système de conditionnement
McLean des marchandises par conteneurs. En une quinzaine
1913-2001
d’années, le commerce international s’en trouve
transformé.

Un camionneur entreprenant
En 1934, Malcolm McLean, un camionneur originaire de Caroline du Nord, crée une
entreprise de fret routier spécialisée dans le transport de marchandises entre le Nord
et le Sud des États-Unis. L’entreprise prospère et, en 1954, possède plus de six cents
camions. Mais McLean s’inquiète de l’immobilisation de plus en plus fréquente de ses
camions dans les bouchons sur les autoroutes, et de la concurrence des entreprises de
fret maritime qui peuvent faire du cabotage entre les ports de la côte Est.

Révolution du fret maritime


310 Cette constatation l’amène à vendre sa société et à se lancer dans le développement
de nouvelles techniques de fret maritime. Jusque-là, les marchandises étaient
transportées en vrac ou par palettes sur les bateaux. L’idée révolutionnaire de
McLean est de mettre ces marchandises dans des conteneurs – des caissons métal-
liques de onze mètres de long – et d’arrimer ces caissons sur le pont des navires.
Cela permet de réduire les coûts de main-d’œuvre, d’accélérer le chargement et le
déchargement des bateaux, et ainsi de mieux rentabiliser les investissements des
armateurs dans les matériels.

Le désengorgement des ports du Vietnam


Utilisant ces nouvelles techniques (conteneurs, porte-conteneurs, grues spé-
ciales, etc.), McLean vend des services de fret maritime entre le Texas et le New
Jersey à partir de 1956. Mais c’est la guerre du Vietnam qui lui permet de s’imposer
dans cette industrie. L’armée américaine rencontre alors un problème logistique
majeur : les ports vietnamiens sont tellement engorgés que les navires doivent
attendre en rade pendant plusieurs semaines avant de pouvoir décharger armes et
ravitaillement.
L’introduction du système de McLean en 1967 va résoudre rapidement ces pro-
blèmes de logistique. Son succès est tel qu’il force ses concurrents à faire des investis-
sements colossaux dans la conteneurisation de leurs flottes à la fin des années 1960.

Informatique et technologies 1956 Adoption des premiers conteneurs modernes


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1940 1950 1960 1970
Wiener, La Cybernétique 1948 1954 Première centrale nucléaire à Obninsk 1975
Fondation de
Loi de Moore 1965 Microsoft
Début du développement d’ARPANET, ancêtre de l’Internet 1969
311

L’Ideal-X, premier
porte-conteneurs
L’Ideal-X, un ancien tanker
Les techniques de la mondialisation
transformé en porte-conte-
neurs par McLean, peut Les porte-conteneurs comptent, avec les jumbo-
transporter jusqu’à 58 conte-
neurs. À la fin des années
jets (gros porteurs), le fax et l’Internet (!  1969,
1950, il est affecté au trans- p. 326), parmi les technologies qui ont rendu pos-
port des marchandises entre sible la mondialisation. À partir des années 1970,
les ports du Nord et du Sud les échanges commerciaux et la circulation des
des États-Unis.
hommes et des capitaux dans le monde s’ac-
croissent énormément. Alors que fax et, plus tard,
Internet rendent le transfert d’informations et de
documents beaucoup plus aisé, les porte-conte-
neurs permettent de transporter des marchan-
dises en quantités gigantesques à très bas coûts.
Aujourd’hui, 90 % des échanges commerciaux se
font par voies maritimes, et le commerce mondial
repose sur l’utilisation de plusieurs dizaines de
millions de conteneurs.

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1980 1990 2000 2010 2020
1986 Accident nucléaire à la centrale de Tchernobyl 2016
Victoire du programme
Ouverture du tunnel sous la Manche 1994 2001 Lancement AlphaGo contre un joueur
de l’encyclopédie de go professionnel
Wikipédia
1957 L’année géophysique
internationale lance la conquête
de l’espace
En pleine guerre froide, l’année géophysique impulse
Sergueï une surveillance globale de l’environnement terrestre
Korolev
(1906-1966) et fait de l’Antarctique un domaine réservé à la science.
Elle donne aussi le coup d’envoi de la course spatiale.

Fusées et espions
En pleine guerre froide, dans la droite lignée de l’année polaire, le Conseil inter-
national des unions scientifiques lance l’année géophysique internationale, qui se
déroule entre 1957 et 1958. Son but est de coordonner les observations de divers phé-
nomènes géophysiques, des aurores boréales au monde sous-marin. L’exploration
de l’Antarctique est aussi un projet prioritaire.
Pour l’Union soviétique et les États-Unis, qui développent en secret des missiles
chargés de lancer des satellites espions, cet événement fournit l’occasion parfaite de
déployer leurs technologies et de survoler discrètement l’espace aérien de l’ennemi.
312
Spoutnik prend son envol
En 1955, les États-Unis annoncent qu’ils profiteront de l’événement pour mettre en
orbite leurs premiers satellites. L’URSS affirme également sa volonté de participer
à la conquête spatiale, mais ses capacités techniques sont méprisées par les Nord-
Américains.
C’est donc par surprise, le 4 octobre 1957, que les stations de radio du monde entier
captent le signal de Spoutnik ı. Ayant développé le premier satellite artificiel de l’his-
toire en un temps record, l’équipe de l’ingénieur soviétique Sergueï Korolev coiffe les
États-Unis au poteau. Et un mois plus tard, à l’occasion du 40e anniversaire de la
révolution russe, un deuxième satellite met en orbite une chienne appelée Laïka.

Le début de la course spatiale


L’échec du premier satellite américain Vanguard, qui explose au sol en décembre 1957,
décide les États-Unis à remanier leur politique scientifique. En 1958, ils mettent en
place l’Advanced Research Projects Agency, chargée de coordonner des projets tech-
noscientifiques stratégiques, comme la défense antimissile, la détection des essais
nucléaires, la science des matériaux et les technologies de l’information (! 1969,
p. 326). La même année, la National Aeronautics and Space Administration (NASA),
est créée et se voit doter d’un ambitieux programme de lancements (! 1969, p. 328).

Sciences de la Terre et de l’Univers 1957 Année géophysique internationale


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1940 1950 1960 1970
1946 1962 Rachel Carson, Le Printemps silencieux
Utilisation du radar pour
mesurer la distance de la Lune 1969
Premiers pas de l’homme sur la Lune
Hypothèse Gaïa de Lovelock et Margulis 1970
Les satellites artificiels
Initialement utilisés à des
fins d’espionnage et de
recherches scientifiques, les
satellites artificiels servent
aux télécommunications à
partir de 1965, année du lan-
cement d’Intelsat 1. En 1978,
avec la première constella-
tion de satellites Block 1, les
forces aériennes des États-
Unis mettent en place la base
d’un système de géolocalisa-
tion, le GPS, qui permet de se
localiser avec une précision
de quelques centimètres.
Poster soviétique sur le
lancement du Spoutnik,
1957.

313

La coopération internationale sonde la planète


En même temps qu’elle ouvre une radiation solaire, etc. À Hawaï, à partir
fenêtre sur l’espace, l’année géophy- de 1958, Charles Keeling (1928-2005)
sique internationale est cruciale pour commence à mesurer systématique-
l’étude de notre propre planète. La ment la concentration atmosphérique
coopération de plus de 8 000 savants de dioxyde de carbone (! 1990). Paral-
de soixante pays conduit à de grandes lèlement, les données récoltées par les
découvertes : les dorsales médio-océa- bases scientifiques installées en Antarc-
niques, qui confirmeront la tectonique tique et les satellites radars servent de
de plaques (!  1968), les ceintures de référence au traité sur l’Antarctique de
radiation de Van Allen, qui protègent 1959, qui démilitarise le continent et
la Terre des rayons cosmiques, l’ex- le transforme en une immense station
plication des aurores boréales par la scientifique.

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1980 1990 2000 2010 2020
1985 Découverte du trou dans la couche d’ozone 2003 Désintégration 2012 Image du fond diffus
de la navette Columbia cosmologique par le satellite Planck
1990 Premier rapport du GIEC en vol
sur le réchauffement global
Première image d’un trou noir 2019
1958 Georges Mathé sauve
des physiciens irradiés

En sauvant par transfusion de moelle osseuse quatre


Georges physiciens irradiés accidentellement, Georges Mathé
Mathé ouvre la voie aux greffes dites allogéniques et montre
1922-2010
que la guérison de la leucémie est possible. Il s’impose
comme un pionnier de la cancérologie moderne.

Six personnes mortellement irradiées


Le 15 octobre 1958 à Vinca, en ex-Yougoslavie, un réacteur nucléaire s’emballe
(! 1986). Six physiciens, gravement irradiés, sont dirigés sans délai vers la Fonda-
tion Curie à Paris. Chez cinq d’entre eux, les cellules sanguines ont totalement été
détruites par les doses de radiation. L’issue semble fatale.
Les cancérologues Henri Jammet et Georges Mathé décident de leur faire une
transfusion de moelles osseuses issues de donneurs non apparentés, susceptibles
d’assurer le renouvellement des cellules sanguines. Le malade le plus irradié meurt
au 32e jour. Les autres récupèrent peu à peu et reprennent une vie normale.
314
Une réponse pour la leucémie
Le drame de Vinca montre à Mathé que la greffe de moelle osseuse qu’il pratique avec
un certain succès sur des souris de laboratoire, et atteintes de leucémie et irradiées,
est également efficace chez l’homme. Comme pour les souris, certaines cellules
« étrangères » greffées chez les physiciens ont pris le relais des cellules détruites
par l’irradiation. Reste à comprendre la réaction du greffon contre l’hôte exposant
tout receveur au risque d’être attaqué par les cellules de donneurs non apparentés.
La découverte du système d’histocompatibilité par Jean Dausset (1916-2009) en 1958
apporte la réponse et permet de minimiser dès lors cette réaction.

Le premier leucémique guéri


En 1963, pour sauver un jeune leucémique, Mathé propose de réaliser une greffe de
moelle osseuse. Une fois toutes les cellules de moelle malades détruites par irra-
diation, le patient est transfusé avec les moelles saines de donneurs de sa famille.
La réaction du greffon contre l’hôte passée, les examens de sang montrent que les
cellules de l’un des donneurs se sont installées dans la moelle et produisent des
lignées sanguines saines. La greffe a pris. Mathé réalise ainsi la première greffe de
moelle osseuse dite allogénique, entre deux individus génétiquement différents. Il
est le premier à soigner une leucémie aiguë.

Sciences du vivant et médecine 1958 Premières greffes de moelle osseuse


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1940 1950 1960 1970
1944 1952 Théorie de la morphogenèse d’Alan Turing 1975
Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? Identification de la
1953 Découverte de la structure de l’ADN maladie de Lyme

Invention du mot « clone » par Haldane 1963


Un esprit visionnaire


Georges Mathé prend très tôt conscience de la
nécessité du travail collaboratif pour vaincre Lors de mes études […] j’ai assisté
le cancer. Ainsi, dans les années 1960, il est 315
à l’origine de l’Organisation européenne de
à quelque chose qui m’a épouvanté :
recherche du traitement du cancer et suggère la résignation. […] Il y avait des enfants
la création de l’INSERM. Par ailleurs, l’Institut atteints de leucémie. On les regardait
de cancérologie et d’immunogénétique, qu’il mourir. Homme d’action par définition,
crée en 1961, inaugure l’idée d’une médecine j’ai décidé de prendre pour cible cette
globale, associant laboratoires, animalerie et
première unité de soins disposant d’un secteur
maladie. »
hospitalier stérile. Georges Mathé, dans l’émission L’homme en question,
Georges Mathé observant une cellule 1977.
sanguine vue au microscope, 1975.

Les clés de l’immunité


En 1958, Jean Dausset met en évidence greffes par sélection d’un donneur ayant
un système de reconnaissance du soi le système HLA le plus proche possible
qui permet au système immunitaire de celui du receveur. On minimise ainsi
d’identifier les cellules étrangères et de la réaction du greffon contre l’hôte et on
les éliminer. Il s’agit du système d’histo- rend possible le « chimérisme », autre-
compatibilité ou système HLA. La com- ment dit la cohabitation de deux popu-
préhension de ce mécanisme immuni- lations cellulaires génétiquement diffé-
taire rend alors possible la réussite des rentes au sein d’un même organisme.

| | | | |
1980 1990 2000 2010 2020
1981 Début de l’épidémie du sida 1997 Clonage d’un mouton nommé Dolly

1986 Première greffe cœur-poumon 2003 Découverte de l’homme de Florès

2012 Invention de CRISPR


1959 Un crâne et quelques traces
de pas changent l’histoire
de l’humanité
Louis Leakey À travers leurs découvertes sur les australopithèques,
1903-1972 les anthropologues britanniques Louis et Mary Leakey
Mary Leakey révolutionnent leur domaine et font de l’Afrique
1913-1996
le berceau de l’humanité.

Le « chaînon manquant »
En 1871, Darwin publie La Filiation de l’homme, un ouvrage qui annonce la parenté
biologique entre les humains et le reste des primates. Dès lors, la recherche d’un
supposé « chaînon manquant » mobilise les anthropologues. Le néerlandais Eugène
Dubois (1858-1940) pense l’avoir trouvé en Asie. Son « homme de Java » ou pithé-
canthrope, décrit en 1894, est pendant longtemps considéré comme l’ancêtre des
humains. Mais au milieu du XXe siècle, après plus de vingt ans de recherches, le
couple d’anthropologues Louis et Mary Leakey fait une formidable découverte.

316 Notre ancêtre Casse-noisettes


En 1959, Mary Leakey découvre, dans les gorges d’Olduvai, en Tanzanie, le crâne
fossile d’un australopithèque robuste, surnommé « Casse-noisettes » en raison de sa
puissante denture. Sa description bouleverse alors, à bien des égards, les méthodes
d’analyse en paléontologie.
À la demande de Louis Leakey, le crâne est en effet daté pour la première fois
grâce au concours de physiciens. La mesure de la désintégration du potassium
radioactif (! 1949) permet de lui attribuer un âge d’environ 1,75 million d’années et
révèle que la lignée des hominidés est bien plus ancienne qu’on le pensait.

La ruée vers l’os


Les Leakey montrent que les australopithèques possèdent des caractéristiques
jusque-là réservées au genre Homo, telles que la bipédie. En 1978, l’équipe de Mary
met au jour une série d’empreintes fossilisées datant d’environ 3,5 millions d’an-
nées, où le talon enfoncé prouve que les individus marchaient debout.
La découverte de ces premiers hominidés déclenche, selon Yves Coppens, « une
ruée vers l’os comme il n’en avait jamais existé ». Dès lors, les fouilles se multi-
plient dans la région, dévoilant des spécimens toujours plus âgés comme la désor-
mais célèbre Lucy, et précisant l’histoire de l’humanité.

Sciences du vivant et médecine 1959 Découverte de fossiles d’australopithèques


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1940 1950 1960 1970
1944 1952 Théorie de la morphogenèse d’Alan Turing 1975
Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? Identification de la
1953 Découverte de la structure de l’ADN maladie de Lyme

Invention du mot « clone » par Haldane 1963


317

Lucy in the sky with diamonds


Découvert en 1974 par une équipe La vallée des merveilles
franco-américaine, le squelette de
Lucy – devenu aussi célèbre que la La vallée du Grand Rift traverse, sur des milliers
chanson des Beatles d’où elle tire de kilomètres, l’Afrique orientale. Sa richesse en
son nom – est une femelle d’Austra- sédiments, que les grands lacs qui la bordaient
lopithecus afarensis d’un peu plus
ont déposés au cours des vingt derniers millions
d’un mètre de haut. La forme du
bassin et l’articulation du fémur d’années, en font un piège idéal pour les fossiles.
montrent sans ambiguïté qu’elle se C’est pour cette raison que les époux Leakey font
déplaçait dressée sur ses membres de cette vallée leur principal terrain d’étude. Ils
postérieurs. Le squelette fossile y découvrent les restes fossiles d’une espèce
de cet hominidé, daté d’environ
3  millions d’années, est actuelle-
du genre Homo disparue il y a environ 1,5 mil-
ment conservé au Musée national lion d’années : l’Homo habilis. Après eux, leur fils
d’Éthiopie, à Addis-Abeba. Richard découvre, en 1971, l’Homo ergaster. Plus
Reconstitution de Lucy. au nord, en Éthiopie, l’Américain Donald Johan-
son (1943) et les Français Yves Coppens (1934)
et Maurice Taieb (1935) découvrent les restes
de Lucy. Cette profusion de restes d’hominidés
fait penser à une origine africaine de l’humanité.

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1980 1990 2000 2010 2020
1981 Début de l’épidémie du sida 1997 Clonage d’un mouton nommé Dolly

1986 Première greffe cœur-poumon 2003 Découverte de l’homme de Florès

2012 Invention de CRISPR


1962 Rachel Carson annonce
un printemps silencieux

Dans un livre à succès, la biologiste et vulgarisatrice


Rachel Rachel Carson dénonce les effets des pesticides sur
Carson
1907-1964 l’environnement et met en garde contre les dangers
de ces produits sur la santé humaine.

La guerre aux insectes est déclarée


L’essor de l’agriculture intensive à la fin du XIXe siècle est associé au développe-
ment et à l’utilisation massive de pesticides. Dans les années 1930, profitant des
recherches menées sur les armes chimiques pendant la Grande Guerre (! 1909, 1915)
et des avancées en chimie de synthèse (! 1856), un grand nombre de nouvelles subs-
tances sont mises sur le marché.
Le dichlorodiphényltrichloréthane (DDT), utilisé pendant la Seconde Guerre
mondiale, se relève particulièrement efficace en tant qu’insecticide. À la fin du
conflit, il est largement utilisé pour tenter d’éradiquer le moustique, vecteur du
318 paludisme (! 1972), et lutter contre les espèces d’insectes nuisibles.

Une biologiste fait entendre sa voix


Toutefois, dès le début des années 1950, des scientifiques constatent que le DDT
a aussi des conséquences néfastes sur la santé humaine et sur l’environnement.
Ces résultats attirent l’attention de la biologiste américaine Rachel Carson, déjà
célèbre pour ses ouvrages de vulgarisation sur la mer.
Elle commence par écrire un article sur les dégâts occasionnés par le DDT. Mais
les éditeurs le refusent, par peur de perdre les revenus publicitaires de l’industrie
chimique. Elle décide alors de consacrer quatre années de sa vie à faire un état
des lieux de la recherche sur cette question. C’est en 1962, sous le titre de Printemps
silencieux, que le résultat de ce travail voit le jour et lance la controverse.

Des effets à long terme


Attaquée par l’industrie chimique, Carson se défend, soulignant l’abondance de
preuves scientifiques qui démontrent les effets nocifs du DDT. Malgré son décès pré-
coce, la force de sa critique conduit à la création de l’Agence américaine de protec-
tion de l’environnement en 1970, qui interdit le DDT aux États-Unis en 1972. En 2001,
la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants régule son usage
au niveau mondial, permettant toutefois son usage dans la lutte contre le paludisme.

Sciences de la Terre et de l’Univers Rachel Carson, Le Printemps silencieux 1962


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1940 1950 1960 1970
1946 1957
Utilisation du radar pour Année géophysique
mesurer la distance de la Lune internationale, premier 1969
satellite artificiel Premiers pas de l’homme sur la Lune
Hypothèse Gaïa de Lovelock et Margulis 1970
Le DDT est partout
Dans les années 1940, des pesticides
comme le DDT accompagnent massive-
ment l’expansion de l’agriculture inten-
sive. Ce modèle, qui utilise des varié-
tés végétales très productives sur de
grandes étendues en monoculture, se
répand depuis le début du xxe siècle. Il
allie production agricole et recherche en
chimie et biotechnologie, transformant
les compagnies chimiques en acteurs
incontournables de la production ali-
mentaire.
Affiche publicitaire américaine qui
indique « Tirez pour tuer – Protégez
votre potager pour la défense » et fait
la promotion d’un pulvérisateur de DDT,
1943-1945.

319

❝ La contamination de notre monde n’est pas seulement une affaire de


pulvérisation massive. Les innombrables petites expositions, quotidiennes et
permanentes, peuvent s’avérer plus dangereuses encore. […], ces contacts
continuels avec de dangereux produits chimiques, de la naissance à la mort,
peuvent se révéler désastreux. »
Rachel Carson, Printemps silencieux, 1962.

Le chant des oiseaux


Le titre du livre de Rachel Carson, le chimie : « dans le monde moderne, il n’y
Printemps silencieux, fait référence au a pas de temps ». Il s’agit d’un problème
sort des oiseaux dont nous finirons scientifique et politique. La vérification
par regretter le chant printanier. Se de l’innocuité des produits ne peut pas
nourrissant d’insectes contaminés aux suivre le rythme de l’innovation, et elle
pesticides, les oiseaux accumulent les est souvent effectuée par les acteurs
produits toxiques dans leur corps et également en charge de promouvoir
meurent. Carson souligne que la nature l’agriculture industrielle, soulevant un
est incapable de s’adapter au rythme conflit d’intérêts manifeste.
effréné des nouvelles découvertes en

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1980 1990 2000 2010 2020
1985 Découverte du trou dans la couche d’ozone 2003 Désintégration 2012 Image du fond diffus
de la navette Columbia cosmologique par le satellite Planck
1990 Premier rapport du GIEC en vol
sur le réchauffement global
Première image d’un trou noir 2019
1963 Edward Lorenz découvre le
chaos dans les ailes d’un papillon

En voulant montrer que même les systèmes


Edward mathématiques les plus simples peuvent avoir
Lorenz
1917-2008 des comportements compliqués, le météorologue
Edward Lorenz lance la mode du chaos déterministe.

Le temps qu’il fait


Dès l’apparition de l’ordinateur digital, John von Neumann (! 1945, p. 298) a l’idée
d’appliquer sa puissance de calcul à la prévision météorologique. Pendant les
années 1950, à Princeton, des météorologues comme Jule Charney (1917-1981) déve-
loppent des modèles numériques qui permettent de prévoir le temps qu’il va faire,
un ou deux jours à l’avance.
Se désintéressant de l’aspect technique de la question, Charney cherche à déve-
lopper les concepts permettant de faire des prévisions à plus long terme. En 1956, il
accepte un poste au Massachusetts Institute of Technology (MIT), près de Boston,
320 où il commence à travailler avec son collègue Edward Lorenz.

Pur hasard
Lorenz est plus sceptique que Charney quant à la possibilité d’étendre les méthodes
de simulations numériques développées aux prévisions à très long terme. Cet
objectif lui semble illusoire. Pour montrer que même les modèles les plus simples
peuvent être imprévisibles, autrement dit qu’il y a des limites intrinsèques à la
possibilité de prévision, Lorenz simplifie drastiquement le modèle de la circula-
tion atmosphérique jusqu’à obtenir, en 1963, un système qui ne comprend plus que
trois paramètres. Bien peu réaliste, ce modèle concentre cependant l’essence de sa
démonstration : il produit un résultat que rien ne peut distinguer du pur hasard.

La théorie du chaos
Dans les deux décennies qui suivent, un grand nombre de chercheurs s’enthousias-
ment alors pour ce qu’ils appellent la théorie du « chaos déterministe ». De nom-
breux autres modèles simples ont des comportements chaotiques ou sensibles aux
conditions initiales, ce qui ne les empêche pas d’exhiber un ordre caché d’une très
grande beauté, comme celui révélé par l’attracteur de Lorenz. Au moment où l’in-
formatique commence à se démocratiser, ces recherches approfondissent la com-
préhension de la modélisation numérique, mais aussi celle de ses limites.

Mathématiques et sciences de la matière Modèle chaotique de Lorenz 1963


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1940 1950 1960 1970
1945 Explosion des premières Modèle des quarks 1964 1969 Découverte
bombes atomiques de la structure
de l’insuline par
Équilibre de Nash en théorie des jeux 1950 1952 Première bombe à hydrogène Dorothy Hodgkin
Preuve du théorème des quatre couleurs 1976

L’attracteur et l’effet papillon
En traçant dans l’espace les valeurs des paramètres du sys- Il peut arriver que
tème de Lorenz, on obtient un « attracteur » qui fait penser
aux ailes d’un papillon. En 1972, Lorenz utilise à nouveau
de petites différences dans 321
cette métaphore : pour prédire une tornade au Texas un mois les conditions initiales en
à l’avance, il faut parfois considérer des événements aussi engendrent de très grandes dans
infimes que les battements d’ailes d’un papillon au Brésil. les phénomènes finaux […]. La
Attracteur de Lorenz. prédiction devient impossible. »
Henri Poincaré, Science et méthode, 1908.

Sensibilité aux conditions initiales


Le pouvoir prédictif de la science clas- peu de temps. Poincaré en déduit qu’il
sique frappe les imaginations, au point est impossible de prouver la stabilité du
que Pierre-Simon Laplace (! 1814) pos- Système solaire. Sur une échelle de plu-
tule qu’il est en principe possible de sieurs centaines de milliers d’années,
tout savoir tant du passé que du futur. les orbites des planètes peuvent avoir
À la fin du xixe  siècle, Henri Poincaré une évolution chaotique, ce qui autorise
(1854-1912) entrevoit pourtant que cette la possibilité de collisions planétaires.
situation idéale est en réalité inattei- En 1971, le physicien David Ruelle (né en
gnable. Dans certains cas, les équa- 1935) et le mathématicien Floris Takens
tions du mouvement sont sensibles aux (1940-2010) suggèrent que l’émergence
conditions initiales, c’est-à-dire qu’une de la turbulence dans les écoulements
petite incertitude dans la mesure pro- de fluides pourrait s’expliquer de la
duit une incertitude totale au bout de même façon.

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1980 1990 2000 2010 2020
1983 Découverte des bosons W et Z au CERN 2012 Découverte
du boson de Higgs au CERN
1986 Découverte de la supraconductivité à haute température

1994 Preuve du théorème de Fermat par Andrew Wyles


1966 Lynn Margulis fait rimer
évolution avec coopération
La microbiologiste américaine Lynn Margulis démontre
Lynn que la cellule eucaryote, constitutive des plantes
Margulis et des animaux, est apparue grâce à la symbiose
1938-2011
entre différents organismes unicellulaires. Pour elle,
la coopération est un moteur essentiel de l’évolution.

Le néodarwinisme remis en cause


Vers la fin des années 1960, la théorie néodarwinienne de l’évolution s’impose pour
expliquer la diversité du vivant (! 1859, p. 230 et dossier, p. 288-289). Dans ce cadre
conceptuel, les principaux moteurs de l’évolution sont la compétition entre indi-
vidus et la sélection naturelle de mutations génétiques avantageuses, apparues de
manière aléatoire.
En 1966, Lynn Margulis, alors membre de l’université de Boston, remet en cause
cette théorie dominante. Dans une publication révolutionnaire, elle avance que la
symbiose est aussi un moteur important de l’évolution et que l’apparition des cel-
322 lules eucaryotes – dotées d’un noyau et caractéristiques des organismes pluricellu-
laires – est le résultat évolutif d’une coopération entre organismes unicellulaires
distincts.

Une nouvelle vision de l’évolution


D’abord rejeté par de nombreux journaux scientifiques, l’article est finalement
accepté par le Journal of Theoretical Biology en mars 1967. Margulis fonde son hypo-
thèse sur l’organisation chimique particulière qu’elle a observée dans les mem-
branes des mitochondries et des chloroplastes, structures en charge de la pro-
duction d’énergie au sein de la cellule eucaryote. Elle montre que ces organites
cellulaires sont en réalité d’anciennes bactéries intégrées dans une cellule hôte.
Ainsi, une interaction durable entre différentes espèces aurait permis, par une
lente évolution, l’émergence d’un nouveau type cellulaire : les cellules eucaryotes.
Margulis montre donc comment, en complément de la sélection naturelle, la
coopération entre organismes constitue un moteur de l’évolution auquel on doit
l’émergence des plantes et des animaux. Malgré l’opposition à laquelle elle doit faire
face, sa théorie « endosymbiotique » est confortée dans les années 1980, lorsqu’on
démontre que les mitochondries et les chloroplastes possèdent leur propre ADN,
distinct de celui de la cellule hôte. Elle est largement acceptée aujourd’hui par la
communauté scientifique.

Sciences du vivant et médecine Margulis met la coopération au cœur de l’évolution 1966


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1940 1950 1960 1970
1944 1952 Théorie de la morphogenèse d’Alan Turing 1975
Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? Identification de la
1953 Découverte de la structure de l’ADN maladie de Lyme

Invention du mot « clone » par Haldane 1963


L’organisation du vivant
Tous les êtres vivants sont formés
du même élément de base, la cel- Une symbiose à l’échelle planétaire
lule. On les divise en trois groupes
principaux : les eucaryotes, dont les Lynn Margulis est coauteure, avec le chimiste
cellules possèdent un noyau, et les James Lovelock (né en 1919), de l’hypothèse 323
eubactéries et les archées, dont les
Gaïa. Selon cette théorie, la Terre peut être
cellules sont dépourvues de noyau.
Avec sa théorie, Margulis ne propose assimilée à un super-organisme capable d’au-
rien de moins que de nouvelles rela- torégulation. Ainsi, les conditions nécessaires
tions de parenté entre les trois grands à l’épanouissement de la vie sont mainte-
groupes du vivant, à la base de l’arbre nues grâce à des interactions écologiques,
de la vie, et dont les liens sont vieux
d’au moins un milliard d’années !
en grande partie symbiotiques, entre l’envi-
Cellule de racine d’oignon vue au
ronnement et le vivant. La composition de
microscope électronique, où l’on l’atmosphère ou la salinité des océans sont
distingue le noyau (en marron), les par exemple la conséquence de l’activité coor-
mitochondries (en bleu) et les parois
cellulaires (en vert). donnée de milliards d’organismes, et notam-
ment des bactéries, qui peuplent notre planète.
Et, en retour, cette composition permet à ces
organismes de vivre.

❝ L’incorporation et l’intégration de génomes étrangers,


bactériens et autres, entraîne une importante et utile variabilité
héritable. L’acquisition de génomes a été primordiale lors du
processus évolutif tout au long de l’histoire sinueuse de la vie. »
L. Margulis et D. Sagan, Acquiring Genomes : A Theory of the Origins of Species, 2002.

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1980 1990 2000 2010 2020
1981 Début de l’épidémie du sida 1997 Clonage d’un mouton nommé Dolly

1986 Première greffe cœur-poumon 2003 Découverte de l’homme de Florès

2012 Invention de CRISPR


1968 La tectonique des plaques
fait dériver les continents

Entre 1967 et 1968, plusieurs géophysiciens proposent une


nouvelle vision de la structure interne de la Terre et de son
évolution. La mobilité des continents expliquerait l’existence
des chaînes de montagnes, des séismes et des volcans.

Des continents mobiles


Au début du XXe siècle, on pense que la surface de la Terre est fixe, qu’elle peut se
rétracter en se ridant mais ne se déplace pas horizontalement. Or il se trouve que
le météorologiste Alfred Wegener (1880-1930) accumule de nombreux indices qui
contredisent cette conception. Il propose en 1912 l’hypothèse de continents mobiles
réunis par le passé en un seul continent : la Pangée.
Ses opposants sont nombreux et parfois virulents. Mais Wegener séduit malgré
tout quelques géologues comme Arthur Holmes (1890-1965), qui explique que des
mouvements de convection internes, en évacuant la chaleur du globe terrestre,
324 pourraient provoquer la dérive des continents.

Comme sur un tapis roulant


Après la Seconde Guerre mondiale, le développement de l’océanographie permet de
découvrir, au fond des océans, des chaînes de montagnes appelées dorsales et des
fosses abyssales (! 1957). Le géologue américain Harry H. Hess (1906-1969) avance
alors l’idée que la croûte océanique se forme au niveau des dorsales, ces dernières
induisant, sous l’effet des mouvements de convection sous-jacents, l’écartement
des fonds marins. Ainsi, les continents, entraînés par les fonds marins, dérive-
raient passivement comme sur un tapis roulant.

La tectonique des plaques


Plusieurs géophysiciens proposent, en 1968, une nouvelle théorie où apparaît le
terme de « plaque », chacune désignant une portion de la surface terrestre se dépla-
çant comme un radeau sur le manteau terrestre. Xavier Le Pichon (né en 1937) pro-
pose un modèle composé de six plaques dont les mouvements des deux cents der-
niers millions d’années permettent de reconstruire le supercontinent de la Pangée
proposé par Wegener. La théorie s’appelle la tectonique des plaques. Elle explique,
par collision de plaques, la formation de chaînes de montagnes comme les Alpes, les
arcs volcaniques et les zones à forte sismicité.

Sciences de la Terre et de l’Univers Argument de la tectonique des plaques 1968


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1940 1950 1960 1970
1946 1957 1962 Rachel Carson, Le Printemps silencieux
Utilisation du radar pour Année géophysique
mesurer la distance de la Lune internationale, premier 1969
satellite artificiel Premiers pas de l’homme sur la Lune
Hypothèse Gaïa de Lovelock et Margulis 1970
325
Des dorsales océaniques très actives
Dans le fond des océans s’érigent de puis-
santes chaînes de montagnes, les dorsales Sans explication, point de salut
océaniques. C’est en mesurant des anoma-
lies magnétiques de part et d’autre de ces
L’hypothèse de mobilité de Wegener
axes montagneux, en 1963 puis en 1966, que repose sur des indices de différentes
les scientifiques obtiennent la preuve que la natures. Il constate la ressemblance
croûte océanique se crée au niveau de ces de profils côtiers de part et d’autre
dorsales et écarte les terrains.
de l’Atlantique. Il s’appuie également
Écartement des plaques Eurasie-Amérique
du Nord de part et d’autre de la dorsale
sur la similitude, entre blocs conti-
médio-atlantique, qui émerge ici en Islande. nentaux aujourd’hui séparés, de flore
et de faune tant fossiles qu’actuelles
mais aussi de profils stratigraphiques
de chaînes de montagnes. Comme ces

❝ Si nous acceptons
l’hypothèse de Wegener, il nous
faut faire table rase de tout ce que
arguments ne convainquent pas, il
cherche une explication dans un glis-
sement des continents vers l’équateur
ou dans les forces de frottements des
nous avons appris depuis soixante- marées. Cela ne satisfait pas la com-
dix ans. » munauté des géologues qui rejette son
R. T. Chamberlain, Some of the objection to hypothèse de mobilité.
Wegener’s Theory, 1928.

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1980 1990 2000 2010 2020
1985 Découverte du trou dans la couche d’ozone 2003 Désintégration 2012 Image du fond diffus
de la navette Columbia cosmologique par le satellite Planck
1990 Premier rapport du GIEC en vol
sur le réchauffement global
Première image d’un trou noir 2019
1969 Les militaires américains
créent ARPANET

Le ministère de la Défense décide de construire un réseau qui


connecte entre eux des ordinateurs installés dans différentes
régions des États-Unis. Ce réseau ARPANET est le premier
réseau informatique. Il est aussi l’ancêtre direct d’Internet.

Communiquer après une attaque nucléaire


Dès 1966, Robert Taylor (1932-2017), un cadre de l’Agence des projets de recherche
avancées (ARPA) du ministère américain de la Défense, et son collègue Lawrence
Roberts (1937-2018) s’intéressent à la construction d’un réseau qui permettrait de
relier entre eux les ordinateurs des laboratoires de recherche universitaires et
industriels qu’ils financent. L’objectif ultime est de créer un réseau informatique
décentralisé qui puisse survivre à une attaque nucléaire. Le réseau téléphonique
américain est en effet très vulnérable, la destruction de quelques centraux télépho-
niques étant suffisante pour qu’il ne fonctionne plus.
326
La commutation de paquets
Afin de construire ce réseau informatique, Taylor et Roberts vont se reposer sur les
travaux de Paul Baran (1926-2011), un ingénieur de la Rand Corporation, un think-
tank de la région de Los Angeles. Quelques années plus tôt, Baran a en effet pro-
posé de découper les données envoyées d’un ordinateur à un autre en « blocs » ou
« paquets », et d’adresser ces paquets à leur destinataire final par l’intermédiaire
d’une multiplicité de « nœuds ». Ainsi, même si un nœud n’est plus fonctionnel,
tous les paquets parviennent à l’ordinateur auquel ils sont destinés.

Un réseau aux usages multiples


Utilisant l’architecture conçue par Baran, Taylor et Roberts construisent leur
réseau informatique, qu’ils baptisent ARPANET, avec l’aide de Bolt, Beranek and
Newman (BBN), une entreprise de consultants informatiques. À ses débuts, en
octobre 1969, ARPANET est composé de trois nœuds installés dans la société BBN,
l’université UCLA et le Stanford Research Institute. Le réseau s’étend rapidement
aux autres universités et entreprises qui font des recherches pour l’ARPA. ARPANET
permet d’échanger des données et des logiciels entre équipes de recherche. À partir
de 1972, il est aussi de plus en plus utilisé pour envoyer des courriels.

Informatique et technologies Début du développement d’ARPANET, ancêtre de l’Internet 1969


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1940 1950 1960 1970
Wiener, La Cybernétique 1948 1954 Première centrale nucléaire à Obninsk 1975
Fondation de
Loi de Moore 1965 Microsoft
327

Extension
du domaine d’ARPANET
Après les trois nœuds initiaux, D’ARPANET à Internet
le réseau s’étend rapidement. Il
compte treize nœuds en décembre En 1973, Robert Kahn et Vinton Cerf, deux infor-
1970, puis, pendant la première maticiens et cadres d’ARPA, s’attellent au pro-
moitié des années 1970, le réseau blème de la connexion d’ARPANET à d’autres
croît au rythme de près d’un nœud réseaux informatiques également financés
par mois, pour atteindre 61 nœuds
en 1975. Ce premier réseau devien-
par ARPA. Cela les amène à concevoir, l’année
dra le cœur du futur Internet, et suivante, un protocole « universel » qui permet
surtout, un outil de développement d’acheminer les paquets aux ordinateurs aux-
des nouvelles techniques de com- quels ils sont adressés, quel que soit le réseau
munication.
auquel ils appartiennent. Ce protocole nommé
Un ordinateur de travail connecté
grâce à ARPANET, vers 1970.
TCP/IP permettra plus tard la création d’Inter-
net. Pendant les années 1980, les réseaux infor-
matiques s’internationalisent et s’affranchissent
petit à petit de leurs origines militaires. Mais
ce n’est qu’en 1995 qu’Internet, le réseau des
réseaux, devient complétement privé.

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1980 1990 2000 2010 2020
1986 Accident nucléaire à la centrale de Tchernobyl 2016
Victoire du programme
Ouverture du tunnel sous la Manche 1994 2001 Lancement AlphaGo contre un joueur
de l’encyclopédie de go professionnel
Wikipédia
1969 Deux hommes marchent
sur la Lune

Le 21 juillet 1969, l’être humain pose pour la première fois le pied


sur la Lune. Cet événement, au-delà du contexte politique et du
défi technique qu’il représente, change le regard que ce dernier
porte sur sa propre planète, la Terre.

La course à l’espace
Non contents de doubler les Américains en plaçant en orbite le premier satellite
artificiel (! 1957), les Soviétiques confirment leur avance technologique en mettant
en orbite le cosmonaute Youri Gagarine en avril 1961. Le mois suivant, John Fitzge-
rald Kennedy, récemment élu, annonce que la NASA enverra un homme sur la Lune
avant la fin de la décennie. Portés par la volonté de reprendre aux Soviétiques la
première place, les Américains se lancent dans la course à la Lune.

« On a marché sur la Lune »


328 Au programme Mercury, lancé dès 1957 par le président américain Dwight Eisen-
hower et visant à placer un homme en orbite, succède le programme Apollo qui
doit envoyer des hommes sur la Lune. Les missions de préparation remplissent
leurs objectifs. Et malgré l’accident d’Apollo ı, qui coûte la vie à trois astronautes,
le calendrier est maintenu.
Le 16 juillet 1969, la mission Apollo ıı quitte la Terre, le 19 juillet, les pilotes se
placent en orbite lunaire et, le 20 juillet, le module lunaire se pose dans la mer
de la Tranquillité. Le 21 juillet, à 2 h 56 TU, des centaines de millions de personnes
se figent devant les écrans et regardent, pendant deux heures et demie, les astro-
nautes Neil Armstrong et Edwin Buzz Aldrin évoluer sur le sol lunaire.

Les missions suivantes


Des dix missions lunaires initialement prévues, six seulement vont alunir. Une
fois le défi gagné, l’attention du public retombe. L’intérêt scientifique se porte dès
lors vers le projet de la station orbitale Skylab destinée à étudier, entre autres, les
effets de l’apesanteur sur le corps humain pour des missions spatiales de longue
durée vers la Lune ou vers Mars. Envisagée au départ comme un défi idéologique,
cette aventure spatiale reste toutefois un des faits les plus marquants de l’histoire
de l’humanité.

Sciences de la Terre et de l’Univers Premiers pas de l’homme sur la Lune 1969


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1940 1950 1960 1970
1946 1957 1962 Rachel Carson, Le Printemps silencieux
Utilisation du radar pour Année géophysique
mesurer la distance de la Lune internationale, premier
satellite artificiel
Hypothèse Gaïa de Lovelock et Margulis 1970
329

« Objectif Lune »
Faire marcher un être humain sur
la Lune est le fruit d’une longue et De la Lune vers la Terre
intense préparation. Les vols spa-
tiaux habités Mercury et Gemini Les six missions Apollo qui se posent sur la
testent le lanceur Saturn  V, pré- Lune y réalisent différentes mesures scienti-
cisent les techniques d’arrimage et fiques et ramènent sur Terre 382 kilogrammes
les sorties extravéhiculaires. Les de roches lunaires. La moisson de données
vols Apollo 7 à Apollo 10 expéri-
mentent l’aller-retour Terre-Lune,
permet de mieux connaître la formation et la
survolent la Lune pour faire des structure de la Lune ainsi que l’histoire de la
repérages, et testent le module Terre. Mais les retombées les plus importantes
d’alunissage. En parallèle, des concernent les domaines technologiques des
missions robotisées déposent en
matériaux, de l’instrumentation, de la méde-
douceur, sur la Lune, des sondes
qui analysent la consistance du cine et de l’informatique. Avec un tel exploit,
sol. le niveau d’exigence s’accroît dans la conduite
Buzz Aldrin au pied du module de projet et les contrôles qualité. Par ailleurs,
lunaire, 1969. l’impact symbolique et philosophique des vols
Apollo n’est pas à négliger, éveillant, par l’image
d’une Terre vue de l’espace, une conscience de
sa globalité et de sa fragilité.

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1980 1990 2000 2010 2020
1985 Découverte du trou dans la couche d’ozone 2003 Désintégration 2012 Image du fond diffus
de la navette Columbia cosmologique par le satellite Planck
1990 Premier rapport du GIEC en vol
sur le réchauffement global
Première image d’un trou noir 2019
1972 La médecine traditionnelle
chinoise offre un cadeau
au monde
Une chercheuse chinoise en pharmacie isole
Tu Youyou une molécule pour combattre le paludisme grâce
née en 1930 à sa connaissance profonde de la médecine
traditionnelle chinoise et de la science occidentale.

Un siècle de résistance
Le paludisme, ou malaria, l’une des maladies infectieuses les plus mortelles au
monde, a accompagné l’humanité dans son histoire (! 1962). Dès le XVIIe siècle, on
utilise en Occident la quinine, un remède naturel extrait de l’écorce d’un arbuste
originaire d’Amérique du Sud. C’est la première et principale drogue utilisée pour
combattre la maladie jusqu’au XXe siècle.
Des molécules synthétiques antipaludiques, plus efficaces que la quinine dans un
premier temps, sont ensuite commercialisées, au début du XXe siècle, en Allemagne
et en France. Mais au fil du temps, la résistance de l’agent pathogène du paludisme
330 à ces traitements s’accroît.

Un retour aux sources salvateur


Face à l’échec de la médecine occidentale, la chercheuse en pharmacie Tu Youyou
prête attention aux recettes traditionnelles chinoises contre les fièvres. Elle passe
en revue des centaines de remèdes populaires obtenus à partir de plantes, d’ani-
maux et de minéraux, certains connus en Chine depuis plus de 2 000 ans.
Après un tri minutieux, c’est l’extrait d’armoise annuelle (Artemisia annua), une
herbe appelée « qinghao » en chinois, qui s’avère le plus efficace contre le palu-
disme. En 1972, par des méthodes biochimiques contemporaines, Tu Youyou et son
équipe arrivent à isoler l’artémisinine, le principe actif de l’armoise qui sert à
fabriquer des médicaments antipaludiques encore aujourd’hui.

L’alliance de l’Orient et de l’Occident


Après l’obtention du prix Nobel de physiologie ou médecine en 2015, Tu Youyou
mène un combat pour le rapprochement des traditions scientifiques chinoises et des
méthodes scientifiques contemporaines. Bien que certaines formes de résistance à
ce nouveau remède aient déjà été observées dans le sud-est de l’Asie, l’artémisinine
reste l’une des principales découvertes du XXe siècle en médecine tropicale.

Sciences du vivant et médecine Remède contre le paludisme par Tu Youyou 1972


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1940 1950 1960 1970
1944 1952 Théorie de la morphogenèse d’Alan Turing 1975
Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? Identification de la
1953 Découverte de la structure de l’ADN maladie de Lyme

Invention du mot « clone » par Haldane 1963


331

Le parasite et son vecteur


Le paludisme est une maladie infectieuse
provoquée par le Plasmodium falciparum, Une lutte inachevée
un parasite transmis à l’homme par des
Fréquente en Europe jusqu’au milieu du
piqûres de moustiques femelles infectées
du genre Anopheles. Le parasite se déve- xxe siècle, le paludisme sévit de nos jours
loppe dans les cellules du foie et les glo- dans les régions tropicales. L’Organisa-
bules rouges du patient et provoque des tion mondiale de la santé estime à envi-
accès de fièvre caractéristiques de l’affec- ron 220 millions le nombre de personnes
tion. Le moustique est qualifié de vecteur.
affectées par cette maladie, pour la plupart
en Afrique subsaharienne. La mortalité est
évaluée à plus de 400 000 décès par an et
concerne en bonne partie des enfants de

❝ Grâce à la découverte
de l’artémisinine, nous avons
compris les points forts de la
moins de cinq ans. Plusieurs moyens sont
employés pour combattre ce fléau, comme
la distribution de moustiquaires impré-
gnées d’insecticide, l’assèchement des
médecine chinoise et occidentale. eaux stagnantes nécessaires à la repro-
De grands progrès sont à venir si duction du moustique ou les traitements
leurs forces sont intégrées. » thérapeutiques à base d’artémisinine, la
Tu Youyou, Discours de réception du prix molécule isolée par Tu Youyou.
Nobel, 2015.

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1980 1990 2000 2010 2020
1981 Début de l’épidémie du sida 1997 Clonage d’un mouton nommé Dolly

1986 Première greffe cœur-poumon 2003 Découverte de l’homme de Florès

2012 Invention de CRISPR


1977 Avec l’Apple II, les micro-
ordinateurs se popularisent

Apple, entreprise créée par Steve Jobs et Steve Wozniak


dans la Silicon Valley, transforme les ordinateurs personnels,
qui étaient seulement connus jusque là d’une petite communauté
de passionnés, en produits de grande consommation.

Le Homebrew Computer Club


Située au sud de San Francisco, la Silicon Valley ou « vallée du silicium » est un
centre important d’innovation technologique. C’est le berceau de la micro-infor-
matique. En 1975, l’ingénieur informaticien Lee Felsenstein (né en 1945) y crée un
club, le Homebrew Computer Club, dont l’objectif est de promouvoir la nouvelle
technologie des ordinateurs personnels. Il attire plusieurs centaines de passionnés
d’électronique et d’informatique, dont Steve Jobs (1955-2011) et Steve Wozniak (né
en 1950). Ses membres y présentent les ordinateurs qu’ils conçoivent et fabriquent
chez eux.
332
La création d’Apple
C’est pour ses amis du club que Wozniak crée en 1976 son premier ordinateur,
l’Apple I. Voyant une opportunité commerciale dans cette machine, Jobs convainc
Wozniak de créer avec lui une start-up qu’ils vont appeler Apple. Jobs obtient des
financements de capital-risqueurs, des financiers qui investissent dans les nou-
velles entreprises de haute technologie en achetant leurs actions. Il recrute aussi
d’anciens cadres d’Intel et d’autres entreprises de la Silicon Valley pour dévelop-


per sa société.
Le simple est
L’Apple II parfois plus difficile que le
En 1977, ces investissements et l’apport de savoir- complexe : il faut travailler
faire managériaux permettent à Apple de com- dur pour faire le ménage
mercialiser la nouvelle machine de Wozniak, dans ses pensées et réussir
l’Apple II, à une grande échelle. Alors que l’Apple I à faire simple. »
et les autres ordinateurs personnels vendus Steve Jobs, Business Week, 1998.
jusque-là sont assemblés par leurs acheteurs, l’Apple II arrive déjà tout construit.
Il est beaucoup plus facile à utiliser. Il est aussi beaucoup plus rapide. Bénéficiant
d’une bonne campagne de publicité, l’Apple II suscite un vrai engouement. Il est
vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires à la fin des années 1970.

Informatique et technologies Commercialisation de l’ordinateur personnel Apple II 1977


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1940 1950 1960 1970
Wiener, La Cybernétique 1948 1954 Première centrale nucléaire à Obninsk 1975
Fondation de
Loi de Moore 1965 Microsoft
Début du développement d’ARPANET, ancêtre de l’Internet 1969
L’Apple II, pour toute la famille
Afin de vendre sa nouvelle machine,
Apple doit expliquer à un large public
ce qu’est un micro-ordinateur. Cela
conduit l’entreprise à lancer une cam-
pagne de publicité expliquant ses
multiples usages : l’Apple II permet
de gérer les finances de la famille,
d’aider les enfants à améliorer leurs
connaissances en mathématiques et
de jouer aux jeux vidéo. Ce qui n’em-
pêche pas les publicités de véhicu-
ler les préjugés sexistes de l’époque !
Publicité pour l’Apple II, 1977.

333

La Silicon Valley, grand centre d’innovation


Créée par des « bidouilleurs » passion- puissante autour d’Intel et d’AMD va
nés de radio et des électroniciens de rendre possibles de nouvelles vagues
Stanford et de Berkeley pendant les pre- d’innovation dans la région : jeux vidéo
mières décennies du xxe siècle, la Silicon avec Atari, micro-ordinateurs (Apple),
Valley prend son essor après la Seconde stations de travail (Sun Microsys-
Guerre mondiale. Elle devient alors un tems), routeurs (Cisco), services Inter-
grand centre d’innovation pour les com- net (Google), et réseaux sociaux (Face-
posants électroniques, notamment les book). Au début du xxie siècle, la Silicon
circuits intégrés (! 1947). L’émergence Valley domine les industries numériques
d’une industrie de la microélectronique à l’échelle mondiale.

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1980 1990 2000 2010 2020
1986 Accident nucléaire à la centrale de Tchernobyl 2016
Victoire du programme
Ouverture du tunnel sous la Manche 1994 2001 Lancement AlphaGo contre un joueur
de l’encyclopédie de go professionnel
Wikipédia
1977 Deux sondes voguent jusqu’aux
confins du Système solaire

Deux sondes jumelles Voyager 1 et Voyager 2 quittent la Terre


en 1977 pour rendre visite à Jupiter et Saturne. Prolongée,
leur mission les propulse à la découverte du milieu interstellaire.

Le projet du « Grand Tour »


À la fin des années 1960, dans l’euphorie de la mission Apollo ıı (! 1969), un pro-
jet d’exploration baptisé « Programme Grand Tour » est lancé par la NASA dans le
but d’explorer les planètes les plus éloignées du Soleil : Jupiter, Saturne, Uranus,
Neptune et Pluton. En effet, entre 1979 et 1989, ces planètes se trouvent dans une
conjonction exceptionnelle, qui rend le voyage particulièrement économique en
carburant pour les sondes.
Mais pendant les années 1970, les budgets de la NASA sont drastiquement réduits. Le
projet de mise en orbite du télescope Hubble et celui de la navette spatiale deviennent
334 prioritaires. Finalement, deux sondes Voyager sur quatre partent en 1977 en direction
des seules Jupiter et Saturne, les plus grosses planètes du Système solaire.

Un petit tour exemplaire


Les sondes Voyager, d’une durée de vie initiale de cinq ans, quittent la Terre à
l’été 1977 et arrivent au voisinage de Jupiter en 1979, où elles se séparent. Elles
embarquent divers instruments pour étudier la composition de l’atmosphère et le
champ magnétique des deux planètes géantes.
Voyager ı pénètre dans le système planétaire de Saturne en novembre 1980, puis
se dirige vers les confins du Système solaire. Voyager 2 visite Saturne en août 1981.
La NASA obtient alors le budget pour prolonger les missions afin d’étudier les
régions lointaines du Système solaire.

Vers les confins du Système solaire


Voyager 2 survole Uranus en janvier 1986 et poursuit vers Neptune, qu’elle frôle en
août 1989. Les deux sondes sont ensuite chargées d’étudier la limite d’influence des
vents solaires qui repoussent les particules de l’espace interstellaire. Au-delà de cette
limite, elles pourront nous informer sur la composition du milieu interstellaire.
Depuis 2013, les sondes ont franchi cette limite et envoient toujours des données.
Leur réserve d’énergie devrait leur permettre de fonctionner jusqu’en 2025-2030.

Sciences de la Terre et de l’Univers Lancement des sondes Voyager 1977


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1940 1950 1960 1970
1946 1957 1962 Rachel Carson, Le Printemps silencieux
Utilisation du radar pour Année géophysique
mesurer la distance de la Lune internationale, premier 1969
satellite artificiel Premiers pas de l’homme sur la Lune
Hypothèse Gaïa de Lovelock et Margulis 1970
Une abondante
moisson scientifique 335
Grâce aux missions Voyager, des anneaux Messagères de l’humanité
sont découverts autour de Jupiter et d’Ura-
nus et ceux de Saturne sont analysés en Comme les sondes Pioneer qui les ont pré-
détail. D’intenses phénomènes météorolo- cédées, les sondes Voyager embarquent
giques sont observés sur Jupiter, Saturne et
un disque gravé contenant diverses infor-
Neptune. Une vingtaine de nouveaux satel-
lites sont découverts autour de ces pla- mations sur leur planète d’origine. Des
nètes, certains se révélant surprenants : Io paysages, des sonorités terrestres ou
avec ses volcans, Triton avec ses geysers, encore des portraits humains y sont enre-
Europe couverte de glace et Encelade à la gistrés. La variété des langues, quelques
surface hétérogène.
œuvres littéraires et musicales infor-
La grande et la petite
taches sombres ment sur nos civilisations. Ces messages
de Neptune sont destinés à d’éventuelles sociétés
photographiées
par Voyager 2,
extraterrestres. En effet, Voyager 1
1989. passera d’ici 40 000 ans dans le
voisinage de l’étoile Gliese 445,
pendant que Voyager 2 approchera
de Ross 248. À ce moment-là, les
deux sondes se seront tues depuis
longtemps et glisseront indéfini-
ment dans l’espace interstellaire.
Couvercle du disque gravé de Voyager.

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1980 1990 2000 2010 2020
1985 Découverte du trou dans la couche d’ozone 2003 Désintégration 2012 Image du fond diffus
de la navette Columbia cosmologique par le satellite Planck
1990 Premier rapport du GIEC en vol
sur le réchauffement global
Première image d’un trou noir 2019
1983 Le CERN détecte
les bosons W et Z

En utilisant de grands accélérateurs de particules, bâtis


grâce à une collaboration internationale, les physiciens
étudient les collisions de particules fondamentales et révèlent
les interactions qui tiennent le monde ensemble.

Un « zoo » de particules
Forts de l’intérêt suscité par la recherche nucléaire aux États-Unis durant la guerre
froide (! 1945, p. 300), de grands accélérateurs de particules fleurissent, à Broo-
khaven et Stanford (! 1 932). Dans ces grands instruments, les collisions toujours
plus énergétiques entre protons ou électrons produisent des cascades de nou-
velles particules aussi exotiques qu’éphémères. On cherche alors à classer et à com-
prendre par de nouveaux modèles la manière dont ces particules « élémentaires »
interagissent entre elles.
Le « modèle standard », proposé en 1961 par Sheldon Glashow (né en 1932), par-
336 vient à expliquer l’origine de la force électromagnétique et des interactions faibles
responsables des désintégrations radioactives (! 1898). En 1967, Steven Weinberg (né
en 1933) et Abdus Salam (1926-1996) l’aident à parfaire ce modèle, qui prédit alors
l’existence de deux nouveaux types de particules, les bosons W et Z.

L’Europe se construit au CERN


Les scientifiques européens ne peuvent suivre le rythme de leurs collègues américains
et fournir les budgets nécessaires. La collaboration s’impose. Avec l’aide des États-
Unis, qui encouragent à cette période toute initiative d’union européenne, le Centre
européen de recherches nucléaires (CERN) est créé à Genève en 1954. Cinq ans plus
tard, son premier accélérateur de particules, le Linac, est mis en fonctionnement.
C’est là, au CERN, que les bosons W et Z seront découverts. Dès 1973, l’énorme
chambre à bulles « Gargamelle » détecte des trajectoires d’électrons défléchis par
des bosons Z. Une machine plus puissante produisant des collisions proton-anti-
proton est alors mise en chantier et permet, en 1983, de confirmer l’existence des
bosons tant recherchés.
Le modèle standard, comme cadre d’interprétation de la physique subatomique,
s’en trouve consolidé. D’autant plus qu’en 2012 le CERN annonce avoir détecté une
autre particule prédite par ce modèle, le boson de Higgs, responsable de la masse
des particules élémentaires.

Mathématiques et sciences de la matière


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1940 1950 1960 1970
1945 Explosion des premières Modèle des quarks 1964 1969 Découverte
bombes atomiques de la structure
de l’insuline par
Équilibre de Nash en théorie des jeux 1950 1952 Première bombe à hydrogène Dorothy Hodgkin
Preuve du théorème des quatre couleurs 1976
Une usine à particules
Depuis la seconde moitié du xxe  siècle,
337
la combinaison de grands accélérateurs
– celui du CERN dispose d’un anneau L’unification fait la force
de vingt-sept kilomètres de circonfé-
rence – et la modélisation mathéma- Au xixe siècle, James Clerk Maxwell uni-
tique révèlent l’existence d’une très
fie, dans un même cadre théorique, l’élec-
grande diversité de particules élémen-
taires  comme les mésons, les gluons tricité et le magnétisme. Ce rêve d’unité
ou les quarks. Leurs interactions ren- ne s’éteint pas avec la remise en cause
seignent sur les conditions physiques à de la physique classique par la relativité
l’origine de l’Univers. (!  1905). Einstein lui-même consacre
Calorimètre ATLAS du LHC au CERN les dernières années de sa vie à élabo-
dédié à la détection des particules.
rer une théorie capable d’expliquer à la
fois la force gravitationnelle et la force
électromagnétique. Pourtant, la « théo-


rie du tout » qui permettrait d’unifier le
Europe 3 - États-Unis modèle standard et la gravitation n'existe
même pas Z-Zéro […] Les pas encore, malgré le développement
Européens sont maintenant de modèles mathématiques très sophis-
en tête dans la course pour tiqués, comme la théorie des « super-
découvrir les constituants cordes ».
fondamentaux de la matière. »
Éditorial du New York Times, 6 juin 1983.

1983 Découvertes des bosons W et Z au CERN


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1980 1990 2000 2010 2020
2012 Découverte
du boson de Higgs au CERN
1986 Découverte de la supraconductivité à haute température

1994 Preuve du théorème de Fermat par Andrew Wyles


1985 Dian Fossey est assassinée
au Rwanda

Au cœur de l’Afrique, la primatologue Dian Fossey


Dian réussit à s’intégrer dans un groupe de gorilles en
Fossey
1932-1985 liberté, et découvre que leur vie familiale et sociale
n’est pas si différente de la nôtre.

Trois femmes à la rescousse


En 1963, Dian Fossey part étudier les gorilles de montagne en Afrique, encouragée
par le zoologue George Schaller (né en 1933). Là-bas elle rencontre le paléontologue
Louis Leakey (! 1959), qui souhaite connaître le comportement des grands singes en
liberté afin de mieux interpréter les restes fossiles de primates disparus, y compris
les fossiles d’hominoïdes. Comme elle, deux autres primatologues rejoignent le ter-
rain dans un but similaire : Jane Goodall (née en 1934) se rend en Tanzanie pour
étudier les chimpanzés et Biruté Galdikas (née en 1946) en Indonésie où elle s’inté-
resse aux orangs-outans.
338
Un portrait plus familial
Dian Fossey est la première personne qui réussit à s’intégrer dans un groupe de
gorilles et à les suivre, au quotidien, dans leur environnement. Cette immersion
lui permet d’acquérir une connaissance profonde et directe de leur mode de vie, de
leur comportement et de leur psychologie. Elle démontre que certains traits jusque-
là considérés propres aux hommes, comme la connaissance de soi et des autres,
l’ennui ou l’empathie, existent chez les gorilles. Le résultat de ses recherches, très
médiatisées, modifie notre perception des grands singes. Certaines associations
réclament même pour eux aujourd’hui un statut juridique particulier proche de
celui des humains.

Une fin tragique


Le 26 décembre 1985, Dian Fossey est retrouvée morte à l’intérieur de sa hutte dans la
forêt des Virunga, au Rwanda, victime d’un violent assassinat. À ce jour non résolu,
le crime serait l’œuvre de braconniers. Depuis son arrivée en Afrique, l’Américaine
menait en effet un combat acharné contre la chasse illégale au gorille, ce qui lui a
valu de nombreux ennemis. Cependant, sa mort n’a fait que donner plus de sens à
sa bataille. Aujourd’hui, grâce à elle, les dernières populations de gorilles de mon-
tagne vivent dans des régions protégées et les effectifs augmentent.

Sciences du vivant et médecine


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1940 1950 1960 1970
1944 1952 Théorie de la morphogenèse d’Alan Turing 1975
Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? Identification de la
1953 Découverte de la structure de l’ADN maladie de Lyme

Invention du mot « clone » par Haldane 1963


Le seigneur des forêts africaines
Le gorille de montagne (Gorilla beringei
beringei) est endémique des forêts d’alti-
tude de la région des Grands Lacs, entre
l’Ouganda, le Rwanda et la République
démocratique du Congo. Les groupes les
plus nombreux habitent les montagnes
Virunga, lieu phare de l’histoire de la
conservation de la nature en Afrique. C’est
à cet endroit qu’est créée, à l’initiative du
président américain Theodore Roosevelt
(1858-1919) et du naturaliste Carl Akeley
(1864-1926), la première réserve de faune
sauvage en 1921, devenue plus tard pre-
mier parc national du continent.
Gorille de montagne (Gorilla beringei
beringei).

339

Des animaux tellement humains


Grâce à ses travaux sur le comportement des gorilles,
Dian Fossey fait tomber la cloison qui sépare tradition-
nellement l’homme de l’animal. Les grands singes sont
❝ J’ai souvent
vu ce spectacle d’un
vénérable gorille à
très proches des humains, et ils ne sont pas les seuls. Le dos argenté jouant
médecin autrichien Konrad Lorenz (1903-1989) démontre avec son rejeton.
de son côté que les oisons, juste après l’éclosion, s’im- La gentillesse
prègnent du premier objet en mouvement qu’ils voient extraordinaire du
et le prennent pour leur mère. Une première rencontre mâle adulte envers ses
qui a une influence primordiale sur le comportement enfants apporte un
social, dans le cas des oies. Les résultats de Lorenz – qui démenti au mythe de
lui valent un prix Nobel de médecine ou physiologie en King Kong. »
1973 – montrent ainsi l’existence chez les animaux de Dian Fossey, Gorilles
conduites innées et d’autres qui sont le fruit de l’expé- dans la brume, 1983.
rience et de l’apprentissage. La reconnaissance qui lui
est accordée marque le début d’une nouvelle discipline,
à l’interface entre la zoologie et la psychologie expéri-
mentale : l’éthologie ou l’étude du comportement animal.

1985 Assassinat de la primatologue Dian Fossey


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1980 1990 2000 2010 2020
1981 Début de l’épidémie du sida 1997 Clonage d’un mouton nommé Dolly

1986 Première greffe cœur-poumon 2003 Découverte de l’homme de Florès

2012 Invention de CRISPR


1986 Le réacteur nucléaire
de Tchernobyl explose

Dans les années 1960 et 1970, l’énergie nucléaire semble offrir


une promesse d’énergie illimitée. Mais les accidents nucléaires,
comme l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl,
rappellent la fragilité de cette technologie.

Une promesse d’énergie


Développés initialement pour fabriquer des bombes atomiques (! 1945, p. 300), les
réacteurs nucléaires sont utilisés pour la production d’électricité à la fin des années
1950. Une décennie plus tard, le nombre de centrales est en pleine croissance et les
plans de nucléarisation prolifèrent. En France, le Premier ministre Pierre Mess-
mer lance la construction de cinquante-huit réacteurs en dix ans, ce qui porte la
part du nucléaire dans la production d’électricité dans le pays à environ 80 %.

Un risque sur un million


340 Symbole de modernité et d’indépendance énergétique, le nucléaire est d’abord perçu
comme une technologie sûre. Le rapport Rasmussen de 1975, estime le risque, par réac-
teur, à environ un accident par million d’années. Dès 1979, pourtant, un accident sur-
vient à la centrale de Three Mile Island aux États-Unis. Pire encore, le 26 avril 1986, le
réacteur numéro quatre de la centrale soviétique de Tchernobyl explose.
Des dizaines de personnes meurent ou sont sévèrement irradiées au moment
de l’accident. Un nuage radioactif s’échappe de la centrale et affecte notamment
l’Ukraine et la Biélorussie, avant de se répandre sur l’Europe. Pour éviter qu’elles
soient exposées à la radioactivité, 250 000 personnes sont évacuées des régions
environnantes, certains villages étant encore inhabités aujourd’hui.

Une énergie qui interroge


La catastrophe de Tchernobyl provoque l’arrêt ou le gel de la construction de
nouvelles centrales nucléaires dans de nombreux pays. Des essais pour relancer
la filière se multiplient à partir des années 2000, mais l’accident de la centrale
nucléaire japonaise de Fukushima en 2011 remet encore une fois en question la
sécurité de cette forme de production d’énergie. D’autres problèmes, comme la
gestion des déchets ou la sécurité des installations face aux attaques terroristes,
ajoutent à l’inquiétude qu’elle suscite.

Informatique et technologies
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1940 1950 1960 1970
Wiener, La Cybernétique 1948 1954 Première centrale nucléaire à Obninsk 1975
Fondation de
Loi de Moore 1965 Microsoft
Début du développement d’ARPANET, ancêtre de l’Internet 1969
Des dégâts de tout ordre 341
En plus des pertes humaines, la
catastrophe de Tchernobyl a pro-
Une bonne dose de controverse voqué des dégâts économiques
estimés à plusieurs centaines
En plus des décès directement attribués à de milliards d’euros : perte d’in-
l’explosion, des milliers de personnes ont été frastructures agricoles et indus-
trielles, coûts du confinement du
affectées par les émissions radioactives de réacteur… D’autre part, et malgré
l’accident de Tchernobyl. Pourtant, le nombre la récupération des espaces par
de victimes causé par l’accident fait débat. Pour la faune sauvage après l’arrêt des
l’industrie nucléaire, on ne doit compter que activités humaines, les radiations
ont eu des effets nuisibles sur les
quelques centaines de morts, tandis que des
êtres vivants, notamment sur les
associations écologistes parlent de dizaines, oiseaux et les invertébrés.
voire de centaines de milliers de victimes. La La centrale de Tchernobyl,
controverse est liée à l’absence de consensus trois jours après l’accident
concernant les effets de faibles doses de radia- du 26 avril 1986.

tion sur l’organisme. À Tchernobyl, la preuve


de ces effets est rendue difficile par manque
de suivi des personnes irradiées. D’autant que
la chute de l’Union soviétique a entraîné de
graves perturbations dans le système de santé
publique en Ukraine.

1986 Accident nucléaire à la centrale de Tchernobyl


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1980 1990 2000 2010 2020
2016
Victoire du programme
Ouverture du tunnel sous la Manche 1994 2001 Lancement AlphaGo contre un joueur
de l’encyclopédie de go professionnel
Wikipédia
1990 La Terre se réchauffe…
vraiment

Le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental


sur l’évolution du climat porte sur les gaz à effet de serre.
Il met en garde contre un réchauffement global de la planète.
La modélisation du climat occupe très vite le centre du débat
public.

Des signes de réchauffement


L’existence d’un lien entre l’abondance du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmos-
phère et l’augmentation de la température globale est connue depuis la fin du
XIXe siècle (! 1895, p. 258). Pourtant, ce n’est qu’à partir de 1958 qu’on commence à
mesurer de manière systématique l’évolution de la concentration atmosphérique
de CO2 (! 1957). Le résultat de ces observations, combiné avec les premiers modèles
climatiques réalisés sur ordinateur, suggère que les activités humaines peuvent
provoquer des changements climatiques importants.

342 Des experts au chevet du climat


En 1979, le Programme mondial de recherches sur le climat est lancé et, en 1985,
l’idée d’un réchauffement global dû à l’émission des gaz industriels fait déjà consen-
sus parmi les experts. Inspiré par le succès du protocole de Montréal en faveur de la
protection de la couche d’ozone, le directeur du Programme des Nations unies pour
l’environnement, Mostafa Tolba (1922-2016), veut établir une convention visant à
réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais le secteur industriel et les États-
Unis font pression pour qu’un nouvel organisme soit créé afin de ré-examiner la
question plus en détail. C’est ainsi que le Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC) est établi en 1988.

Des scénarios inquiétants


Le GIEC présente ses conclusions dans un premier rapport publié en 1990. En utilisant
l’état des connaissances en climatologie et la modélisation, il constate un accrois-
sement de 0,5 °C de la température à la surface de la Terre depuis 1900, et propose
quatre scénarios possibles, avec une augmentation de la température globale com-
prise entre 1 et 3 °C pour le siècle à venir. Entre 1995 et 2014, le GIEC produit quatre
autres rapports qui réévaluent toujours à la hausse les prévisions de réchauffement.
Ces documents servent à mettre en place des accords internationaux (Kyoto 1997,
Paris 2015), dont l’impact sur les émissions des gaz à effet de serre reste très mitigé.

Sciences de la Terre et de l’Univers


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1940 1950 1960 1970
1946 1957 1962 Rachel Carson, Le Printemps silencieux
Utilisation du radar pour Année géophysique
mesurer la distance de la Lune internationale, premier 1969
satellite artificiel Premiers pas de l’homme sur la Lune
Hypothèse Gaïa de Lovelock et Margulis 1970
La modélisation du climat
La prédiction météorologique est une des premières
applications des ordinateurs numériques (! 1945,
p. 298). Depuis les années 1950, des modèles de cir-
culation générale cherchent à reproduire et prédire
l’évolution du climat global (! 1963).


Simulation de la température et de la couverture 343
de glace de mer en 2091.
Nous sommes certains
des éléments suivants :
il existe bel et bien un effet de
serre naturel et les émissions
résultant des activités humaines
Science et politique
augmentent considérablement les
Le GIEC, qui compile des milliers d’études concentrations atmosphériques
de centaines de chercheurs, est une insti- des gaz à effet de serre : CO2,
tution hybride entre science et politique. méthane, chlorofluorocarbures
Ses conclusions, qui doivent être approu- et protoxyde d’azote. Ces
vées unanimement par tous les États augmentations renforceront
membres, sont soumises aux enjeux poli- l’effet de serre, entraînant un
tiques. Pour certains de ses détracteurs, réchauffement supplémentaire
ce mode de fonctionnement tend à sous- de la surface de la Terre. »
estimer les effets du réchauffement cli- Premier rapport d’évaluation du GIEC, 1990.
matique. Toutefois, il a aussi engendré
des formes très sophistiquées de ges-
tion de l’incertitude, tant au niveau des
mesures que pour les extrapolations à
partir de modèles.

1990 Premier rapport du GIEC sur le réchauffement global


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1980 1990 2000 2010 2020
1985 Découverte du trou dans la couche d’ozone 2003 Désintégration 2012 Image du fond diffus
de la navette Columbia cosmologique par le satellite Planck
en vol
Première image d’un trou noir 2019
1992 Un pulsar révèle
ses propres planètes

Après des siècles d’hypothèses et d’incrédulité sur


Aleksander l’existence de mondes lointains, deux planètes, quatre
Wolszczan fois plus massives que la Terre, sont détectées autour
né en 1946
d’un pulsar de notre galaxie. L’exobiologie interroge
alors la possibilité de la vie sur ces exoplanètes.

La pluralité des mondes


Épicure, trois siècles avant notre ère, déjà, conçoit l’existence d’une infinité de
mondes. Au XVe siècle, le penseur Nicolas de Cues oppose au cosmos fermé des scolas-
tiques un univers infini. Et après lui, des savants comme Giordano Bruno, Descartes,
Fontenelle ou Huygens envisagent, de façon spéculative, le fait que notre Système
solaire ne soit qu’un système parmi d’autres.
La question devient véritablement scientifique à la fin du XIXe siècle, avec les
avancées de la mécanique céleste et des techniques d’observation. Il devient pos-
sible de détecter, dans le mouvement propre d’une étoile, des perturbations de tra-
344 jectoire susceptibles de traduire la présence d’une planète en orbite. Si diverses
observations signalent de telles irrégularités, elles ne sont toujours pas confirmées
au milieu du XXe siècle.
Ce n’est que dans les années 1980 que l’on pense avoir découvert des disques
d’accrétion, préliminaires à la formation de planètes, autour de plusieurs jeunes
étoiles, voisines de notre Système solaire. Les exoplanètes n’appartiennent plus à
la science-fiction ! Des équipes se mettent à leur recherche.

Sur la piste des exoplanètes


Les deux premières planètes extrasolaires, en rotation autour du pulsar
PSR B1257 + 12, situé à 2 314 années-lumière de nous, sont découvertes en 1992 par
l’astronome Aleksander Wolszczan. Et le 6 octobre 1995, à l’issue d’une collecte de
données de plus d’un an, les astronomes Michel Mayor et Didier Queloz confirment
la présence d’une grosse planète en rotation autour de 51 Pegasi, une étoile aux
caractéristiques proches de celles de notre Soleil.
Dès lors, les annonces se succèdent. Une centaine d’exoplanètes sont découvertes
en quelques années. En 2017, on en dénombre plus de 3 600 ! Les astronomes étu-
dient activement leurs caractéristiques et les mécanismes de leur formation. Mais
c’est la découverte d’objets célestes semblables à la Terre qui reste une des quêtes
les plus fascinantes de l’astronomie contemporaine.

Sciences de la Terre et de l’Univers


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1940 1950 1960 1970
1946 1957 1962 Rachel Carson, Le Printemps silencieux
Utilisation du radar pour Année géophysique
mesurer la distance de la Lune internationale, premier 1969
satellite artificiel Premiers pas de l’homme sur la Lune
Hypothèse Gaïa de Lovelock et Margulis 1970
L’évolution
des méthodes
de détection
On soupçonne l’existence
des premières exoplanètes
en observant les irrégularités
de trajectoire des étoiles autour des-


quelles elles gravitent. À partir de 1990, on pré-
fère une méthode précise : la mesure des fluctuations Une des questions les
parasites de la vitesse de l’étoile lorsqu’elle se déplace 345
vers la Terre ou s’en éloigne (effet Doppler-Fizeau).
plus brûlantes de l’astronomie
Aujourd’hui on utilise aussi la méthode du transit, qui concerne la fréquence des objets
mesure la variation de luminosité de l’étoile lorsqu’une planétaires dans la Galaxie
planète passe devant. autour d’étoiles autres que le
Image des quatre planètes gravitant autour de l’étoile Soleil. […] Il pourrait exister
HR 8799, située à environ 130 années-lumière de la
Terre, dans la constellation de Pégase.
beaucoup d’objets de ce type
dans la Galaxie. »
Otto Struve, dans un article de 1952.

Une possible vie extraterrestre


Avec la découverte d’exoplanètes évo- de leur étoile, c’est-à-dire à une distance
luant autour d’étoiles semblables à notre compatible avec la présence d’eau liquide
Soleil, les scientifiques réalisent que et d’une atmosphère. Une nouvelle dis-
notre Système solaire n’est pas unique cipline, l’exobiologie, naît alors dans les
dans l’Univers et ont en tête la question années 1960 pour étudier les conditions
que tout le monde se pose : existe-t-il propices à l’apparition et au développe-
des formes de vie extraterrestre ? Pour ment du vivant hors de la Terre. Elle se
y répondre, la recherche se focalise sur met en quête, dans notre Système solaire
les exoplanètes du type Terre ou super- comme sur les exoplanètes, de traces de
Terre (de masse supérieure à celle de la molécules susceptibles de participer au
Terre) gravitant dans la zone habitable métabolisme d’éventuels êtres vivants.

1992 Découverte des premières planètes extrasolaires


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1980 1990 2000 2010 2020
1985 Découverte du trou dans la couche d’ozone 2003 Désintégration 2012 Image du fond diffus
de la navette Columbia cosmologique par le satellite Planck
1990 Premier rapport du GIEC en vol
sur le réchauffement global
Première image d’un trou noir 2019
2001 L’encyclopédie collaborative
Wikipédia voit le jour

Plusieurs projets d’encyclopédies en ligne, universelles


et gratuites, sont lancés à la fin des années 1990.
Parmi elles, Wikipédia rencontre un succès planétaire.

De l’utopie 1.0 à sa réalisation 2.0


Rendre accessibles tous les savoirs du monde dans un lieu unique, ouvert à tous.
Voilà le projet du Mundaneum, lancé en 1895 par Henri La Fontaine (1854-1943) et
Paul Otlet (1868-1944). À partir de 1920, plus de quinze millions de documents sont
ainsi présentés au public au Palais du cinquantenaire de Bruxelles pendant une
quinzaine d’années. Mais il faut attendre la naissance du Web en 1992 pour voir
se réaliser à nouveau, de façon pérenne mais virtuelle cette fois, une bibliothèque
universelle accessible à tous.
En 1999, Richard Stallman (né en 1953) et Jimmy Wales (né en 1966) lancent cha-
346 cun de leur côté une encyclopédie en ligne : GNUpedia et Nupedia. Rapidement,
Stallman abandonne son projet devant Nupedia, qui peine pourtant à se développer.
Le lourd processus de validation des articles rebute les contributeurs. En 2001, pour
l’alléger, Wales et Larry Sanger (né en 1968), éditeur en chef, proposent aux auteurs
de saisir directement leur texte grâce à un « wiki », une application facilitant la sai-
sie et la modification collaborative de pages, dans une base d’articles provisoires
baptisée « Wikipédia ». Cette forme éditoriale plaît. À tel point que Wikipédia rem-
place Nupedia en 2003.

Devenir « respectable »
Les contributions à Wikipédia se font sans validation par un comité d’experts,
une idée perçue au départ comme « subversive ». Mais malgré de nombreux propos
médisants, le contenu et la fréquentation de Wikipédia explosent. Dès 2005, une
étude atteste que le taux d’erreurs de son corpus est comparable à celui de l’Encyclo-
pædia Britannica. Pour conforter sa respectabilité, les administrateurs de Wikipédia
sollicitent des experts pour obtenir leurs contributions.
Il faut attendre les années 2010-2011 pour que l’encyclopédie libre soit acceptée par
le milieu universitaire. De nombreux enseignants l’adoptent alors, encadrant leurs
étudiants dans la rédaction de contributions éditoriales, les sensibilisant ainsi à la
fiabilité des données, à l’importance de la citation et à la qualité rédactionnelle.

Informatique et technologies
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1940 1950 1960 1970
Wiener, La Cybernétique 1948 1954 Première centrale nucléaire à Obninsk 1975
Fondation de
Loi de Moore 1965 Microsoft
Début du développement d’ARPANET, ancêtre de l’Internet 1969
347

Un succès fulgurant
et planétaire
Une nouvelle forme de gouvernance
La forme de partage proposée
par Wikipédia plaît instanta- Wikipédia représente une expérience originale
nément aux contributeurs. Six
d’organisation collective. Rapidement, le fonc-
semaines après sa création,
en 2003, 1 000 articles sont tionnement éditorial se précise : les faits doivent
écrits. Huit mois plus tard, ce être présentés sans interprétation, des sources
sont 10 000 articles qui viennent reconnues doivent être citées,  etc. Des méca-
enrichir cette encyclopédie nais- nismes de contrôle et de protection sont peu à
sante. En 2004, 450 000 articles
y sont rédigés, dont 200 000 en
peu installés : des robots surveillent toutes ten-
anglais. Le succès est planétaire. tatives malveillantes et les bloquent. En parallèle,
Aujourd’hui 15 langues pro- des procédures de résolution des conflits entre
posent chacune plus de 1 million contributeurs favorisent la cohésion. Il s’avère
d’articles à leurs lecteurs, l’an-
que les corrections successives mènent en géné-
glais en offre plus de 5 millions
et le français, plus de 2 millions. ral à une version stable des articles. Cette forme
Monument érigé en l’honneur de gouvernance permet ainsi l’élaboration d’une
de Wikipédia à Słubice connaissance à destination de tous qui échappe
(Pologne). aux pouvoirs étatiques et aux logiques de marché.

2001 Lancement de l’encyclopédie Wikipédia


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1980 1990 2000 2010 2020
1986 Accident nucléaire à la centrale de Tchernobyl 2016
Victoire du programme
Ouverture du tunnel sous la Manche 1994 AlphaGo contre un joueur
de go professionnel
2012 CRISPR révolutionne
la biotechnologie

Deux biologistes conçoivent une nouvelle technique


de manipulation génétique très puissante et d’une grande
facilité d’utilisation. L’outil CRISPR qu’elles inventent est adopté
massivement afin de transformer le matériel génétique
des êtres vivants.

Une méthode rapide et efficace


En 2012, la biologiste française Emmanuelle Charpentier (née en 1968), et sa col-
lègue américaine Jennifer Doudna (née en 1964), détournent une stratégie de
défense naturelle des bactéries, à savoir leur capacité à se protéger des virus en
cisaillant leur ADN, pour développer un puissant outil de manipulation génétique.
Ce « ciseau génétique », nommé CRISPR, permet de réécrire les gènes à bas coût et
surtout de le faire très rapidement. Alors qu’il fallait jusque-là un an de travail pour
modifier un gène, la nouvelle technique permet de le manipuler en une semaine !

348 La ruée vers CRISPR


Des milliers d’entreprises et de laboratoires universitaires adoptent la technolo-
gie CRISPR afin d’améliorer les caractéristiques des êtres vivants. Avec CRISPR,
des chercheurs créent des saumons qui grandissent très vite, du riz résistant à
la sécheresse et même des champignons de Paris qui ne brunissent pas. De nom-
breuses sociétés, certaines établies par Charpentier et Doudna, apparaissent aussi,
avec pour objectif de développer de nouvelles thérapies contre le cancer, la thalas-
sémie (anémie due à une anomalie génétique de la synthèse de l’hémoglobine) et
d’autres maladies du sang.

La manipulation du génome humain


Bientôt se pose la question de l’utilisation du nouvel outil pour changer le génome
humain. Craignant que des biologistes modifient les gènes d’embryons humains et
que ces travaux entraînent une controverse qui nuirait aux recherches sur CRISPR,
Doudna prend l’initiative en 2015 de proposer un moratoire sur les expériences
menées sur les cellules germinales, ces cellules qui transmettent le patrimoine
génétique d’un individu à ses descendants. Ce moratoire est respecté jusqu’en 2019,
lorsqu’un chercheur chinois annonce avoir édité les cellules germinales de deux
jumelles afin de les immuniser contre le sida.

Sciences du vivant et médecine


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1940 1950 1960 1970
1944 1952 Théorie de la morphogenèse d’Alan Turing 1975
Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? Identification de la
1953 Découverte de la structure de l’ADN maladie de Lyme

Invention du mot « clone » par Haldane 1963


349

Stars de la biologie
Dès la parution de leur La guerre des brevets
article sur la technolo-
gie CRISPR dans la revue Comme toutes les technologies révolutionnaires,
Science en 2012, Emma- CRISPR fait l’objet d’une guerre sans merci pour les
nuelle Charpentier et Jen-
brevets. Cette guerre oppose Charpentier, Doudna et
nifer Doudna deviennent des
stars de la biologie. Elles les universités de Vienne et de Californie d’un côté, à
obtiennent des dizaines de Feng Zhang, un chercheur du Broad Institute au MIT,
prix au cours des années de l’autre. Zhang est le premier à avoir démontré que
suivantes. CRISPR permet de manipuler les cellules animales et
Emmanuelle Charpentier humaines. En 2012, les deux groupes déposent des
(à droite) et Jennifer Doudna
(à gauche) reçoivent le demandes de brevet sur CRISPR auprès de l’USPTO,
Breakthrough Prize in Life l’agence américaine pour les brevets. Comme Zhang
Sciences en 2015.
a opté pour une procédure accélérée, l’USPTO lui
accorde le brevet sur CRISPR ! Cette décision entraîne
dès lors de nombreux procès. Les enjeux financiers
et commerciaux sont en effet importants. Les entre-
prises fondées par Charpentier, Doudna et Zhang ont
toutes besoin de licences sur ces brevets pour com-
mercialiser leurs thérapies !

Découverte des « ciseaux génétiques » CRISPR 2012


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1980 1990 2000 2010 2020
1981 Début de l’épidémie du sida 1997 Clonage d’un mouton nommé Dolly

1986 Première greffe cœur-poumon 2003 Découverte de l’homme de Florès


2017 AlphaZero bat Stockfish
aux échecs

AlphaZero, un programme informatique de Google, gagne une


série de parties d’échecs contre Stockfish, le meilleur logiciel du
domaine. Ce succès marque l’avènement d’une nouvelle forme
d’intelligence artificielle, basée sur les réseaux de neurones.

Des programmes très novateurs


La start-up londonienne DeepMind est fondée en 2010 par Demis Hassabis (né en
1976), champion d’échecs, informaticien et spécialiste de neurosciences cognitives.
Rachetée par Google quatre ans plus tard, la société conçoit des logiciels capables de
jouer aux jeux-vidéo et au go, un jeu asiatique de stratégie.
De plus en plus puissants, les programmes de DeepMind – basés sur des réseaux
neuronaux – parviennent à battre les meilleurs joueurs de go du monde. En 2017
Hassabis et son équipe organisent un match opposant AlphaZero, la version la plus
récente de leur programme, à Stockfish, le meilleur moteur d’échecs de l’époque.
350
Un opposant de taille
Stockfish repose sur des principes différents de ceux d’AlphaZero. Il se fonde sur
l’expérience accumulée des plus grands champions d’échecs ainsi que sur de très
grandes puissances de calcul, afin de tester toutes les possibilités de mouvements
des pièces et de choisir les meilleures.
AlphaZero, de son côté, apprend à jouer en faisant des millions de parties. Uti-
lisant des réseaux de neurones artificiels qui reproduisent le fonctionnement du
cerveau, il joue contre lui-même et analyse les résultats de ces parties, afin de jouer
plus efficacement à l’avenir.

Une victoire retentissante


Alors qu’AlphaZero ne sait jouer aux échecs que depuis quelques heures, après tout de
même avoir joué une quarantaine de millions de fois contre lui-même, il remporte une
centaine de parties contre Stockfish. Il doit ce succès aux mouvements qu’il a inventés
et qui n’ont jamais encore été pratiqués par des joueurs humains. Cette victoire et la
remarquable créativité d’AlphaZero ont un immense retentissement. Elles démontrent
le grand potentiel qu’offrent les réseaux neuronaux pour résoudre des problèmes extrê-
mement complexes. D’après certains observateurs, cette technologie conduirait même
à l’avenir à l’apparition de formes d’intelligence suprahumaines (! dossier, p. 354-355).

Informatique et technologies
| | | |
1940 1950 1960 1970
Wiener, La Cybernétique 1948 1954 Première centrale nucléaire à Obninsk 1975
Fondation de
Loi de Moore 1965 Microsoft
Début du développement d’ARPANET, ancêtre de l’Internet 1969
Les promesses
d’AlphaZero
Après avoir atteint le niveau
des meilleurs champions de
351
go, de shogi et d’échecs, et
battu Stockfish, AlphaZero
bat maintenant les humains
dans Capture the flag, un jeu
vidéo très complexe. Il a été
aussi utilisé pour simuler le
repliement des protéines.
Google et l’intelligence artificielle


Fondée dans la Silicon Valley en 1998, Google pro-
pose un moteur de recherche gratuit aux inter- Bien sûr, je suis
nautes. La société monétise ce service en ven- impatient de savoir
dant aux annonceurs des informations sur les ce qu’AlphaZero peut
utilisateurs de son moteur. Les énormes bénéfices nous apprendre sur le
qu’en retire Google lui permettent de développer jeu d’échecs. C’est la
de nouveaux produits et services comme YouTube grande promesse de
ou Android, un système d’exploitation pour smart- l’ère des machines :
phones. Comme les autres géants de la Silicon Val- elles parviennent à
ley, Google investit chaque année des milliards de identifier des règles que
dollars dans l’intelligence artificielle afin d’amélio- les humains ne peuvent
rer ces produits et d’en développer de nouveaux. détecter. »
La filiale de Google, DeepMind, constitue le fer de Gary Kasparov, au sujet de la
lance de ces efforts. rencontre AlphaZero-Stockfish,
2017.

Montée en puissance de l’intelligence artificielle 2017


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1980 1990 2000 2010 2020
1986 Accident nucléaire à la centrale de Tchernobyl 2016
Victoire du programme
Ouverture du tunnel sous la Manche 1994 2001 Lancement AlphaGo contre un joueur
de l’encyclopédie de go professionnel
Wikipédia
L’ordinateur
décode le monde
Conçu pour décoder les messages secrets pendant la guerre, l’ordinateur
a un impact majeur sur les capacités de calcul et la résolution de
problèmes complexes. Peu à peu, on se rend compte que l’usage universel
de cet outil conduit à repenser profondément la nature du monde, de la vie
et des sciences.

Des « bombes » qui calculent


Pendant la Seconde Guerre mondiale, des ressources considérables sont mobilisées
pour décoder les communications de l’ennemi. Au Royaume-Uni, une équipe, qui
comprend le mathématicien Alan Turing (1912-1954), développe des instruments,
352 qu’on appelle des « bombes », capables de décrypter les messages codés par la célèbre
machine Enigma des Allemands. En parallèle, les ingénieurs élaborent des outils
électroniques pour calculer les trajectoires de projectiles et simuler l’explosion des
bombes atomiques (! 1945, p. 300). Juste après la fin du conflit, le premier ordina-
teur électronique programmable, l’ENIAC, effectue ses premiers calculs à Philadel-
phie (! 1945, p. 298).

Le paradigme de la cybernétique
❝ Il s’impose donc
En 1948, le mathématicien Norbert Wiener (1894- à nous sans plus attendre
1964) publie un livre, La Cybernétique, pour décrire de discuter la question
ce qui paraît être le paradigme d’une nouvelle ère des pouvoirs de ces
dans l’histoire de la pensée humaine. Ce titre est un machines, d’analyser
nouveau mot qu’il a inventé et qu’il définit comme nos rapports avec
l’étude de la communication et du contrôle chez elles et l’ensemble des
l’animal et la machine. Issue de son expérience de
conséquences de cette
nouvelle et fondamentale
guerre, où la coordination hommes-machines est révolution technique. »
centrale, la cybernétique attire l’attention des spé-
Norbert Wiener,
cialistes les plus divers : psychologues, économistes, Cybernétique et société, 1952.
physiciens, etc. Très vite, les ordinateurs électro-
niques se révèlent être l’outil rêvé pour créer des systèmes de contrôle de plus en
plus sophistiqués. Au plus fort de la guerre froide, la défense américaine développe
ainsi le système SAGE qui associe radars, ordinateurs et opérateurs humains pour
réagir rapidement face à une hypothétique attaque soviétique.
De 1945 à nos jours La grande accélération

Mettre l’univers en boîte


Les grands systèmes de défense ont leurs pendants civils, en particulier dans le
domaine de la météorologie (! 1963). Bientôt, il devient possible de modéliser l’évo-
lution globale du système Terre (! 1990) et même la dynamique de galaxies entières.
Les informaticiens maîtrisent de mieux en mieux les outils mathématiques et sta-
tistiques permettant de manipuler des quantités gigantesques de données. Et on
célèbre déjà l’avènement du « big data », qui promet de modifier non seulement la
gestion des données, mais peut-être aussi la philosophie même des sciences (! 2017) :
lorsque l’ordinateur est capable de prédire l’évolution des systèmes les plus com-
plexes, est-il en effet encore nécessaire de rechercher une « explication » saisissable
par l’esprit humain au-delà de cette capacité prédictive ?

353

Le pouvoir des algorithmes


À l’origine, les algorithmes n’étaient qu’une suite d’instructions ser-
vant à résoudre des problèmes mathématiques (! 833). Aujourd’hui,
on les retrouve partout, jusque dans les secteurs les plus sensibles.
Des logiciels assistent la décision des médecins et des juges, les
transports et les banques sont placés sous leur contrôle, gouver-
nements et armées s’appuient sur eux pour définir les enjeux de
demain. Mais leur complexité rend ces algorithmes de plus en plus
opaques à nos yeux. Raison de plus pour scruter avec attention les
effets qu’ils ont sur nos vies !
Les utopies de la
technoscience
Sciences et techniques sont à la base de la « grande accélération »
qui sévit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Leur capacité à
transformer le monde et les sociétés génère des espoirs mais aussi des
craintes, qui façonnent nos perceptions et la direction des recherches.

Des technologies futuristes


Depuis le XIXe siècle, notre perception du passé comme du futur de l’humanité est
façonnée par notre rapport à la technique. Les archéologues ont divisé la préhis-
toire en différents « âges », correspondant aux outils des hommes : âge de pierre, de
354 bronze ou de fer. De leur côté, les historiens pensent le monde moderne au travers
du prisme de la révolution industrielle et de ses conséquences. Et aujourd’hui, les
discours à propos de grands projets technologiques, censés incarner notre futur, se
multiplient. L’époque contemporaine est ainsi tour à tour considérée comme l’âge
de l’atome, de l’espace, de l’information ou des biotechnologies.

Rêves de croissance
Dans les années 1950 et 1960, les avancées techniques dans les domaines du
nucléaire, du spatial et de l’informatique confèrent une ampleur inégalée aux dis-
cours utopistes. Les responsables des programmes nucléaires diffusent l’idée d’une
énergie presque illimitée et « si bon marché qu’il ne servirait à rien d’en mesurer
la consommation », et prévoient des retombées médicales et industrielles (! 1949).
En même temps, Américains et Soviétiques présentent l’espace comme le dernier
territoire à conquérir : ils rêvent de vaisseaux traversant le cosmos et de colonies
humaines installées sur des planètes du Système solaire (! 1957). Enfin, les avan-
cées dans le domaine de l’informatique et de la cybernétique font penser que des
« cerveaux électroniques » seront bientôt capables de penser par eux-mêmes et que
des robots déchargeront l’être humain des corvées les plus pénibles.

L’essor de la technocritique
Mais des voix s’élèvent bientôt pour émettre une critique vis-à-vis de ces représen-
tations techno-optimistes d’un futur d’abondance. La controverse sur les retom-
bées radioactives des essais atomiques (! 1945, p. 300) et la peur croissante d’une
De 1945 à nos jours La grande accélération

apocalypse déclenchée par les armes nucléaires provoquent l’émergence d’un mou-
vement antinucléaire (! 1986). De manière inattendue, l’image symbolique du pro-
gramme spatial n’est pas celle de la conquête de la Lune (! 1969, p. 328), mais celle
de la Terre vue de l’espace, tel un îlot de vie fragile au milieu d’un univers inerte
et hostile. Les dégâts de l’agriculture industrialisée engendrent une vive critique
des pesticides (! 1962), tandis que le Club de Rome, après avoir modélisé l’évolution
du système Terre en 1972, tire la sonnette d’alarme en soulignant les limites de la
croissance. Tout cela contribue à l’émergence d’une écologie politique remettant en
question l’usage irréfléchi des technologies.

L’heure de la controverse
Entre confiance totale dans la technoscience et conscience des limites environne-
mentales et éthiques à respecter se jouent les controverses politiques et environ-
nementales contemporaines. Elles interrogent non seulement la viabilité d’un pro-
jet industriel de croissance sans limite, mais sont aussi révélatrices des rapports
de force des sociétés technoscientifiques. La géo-ingénierie en est un exemple ins-
tructif. Régulièrement présentée comme une solution pour lutter contre les effets
néfastes du changement climatique, la généralisation de telles techniques n’est pas
sans soulever d’importantes questions éthiques. Comment évaluer les risques de
telles pratiques et, surtout, comment imaginer une gouvernance globale du climat ?
355

Le songe post-humain
Le développement de la robo-
tique et de la bio-ingénie-
rie offre l’espoir de vaincre
la maladie et le vieillisse-
ment, mais aussi d’amélio-
rer la performance du corps
humain et du cerveau. Dotés
d’une mémoire augmentée
et de capteurs électroniques,
les post-humains pourraient
braver la mort et dépasser
les limites physiologiques
de l’organisme. Pourtant, ces
songes, dont la faisabilité est
incertaine, se heurtent à des
réflexions éthiques encore
non résolues : quelles valeurs
articuleront la définition de
ces êtres ? quel rôle pour les
humains actuels dans ces
futurs envisagés ?
Pour aller plus loin

Index des noms,


des notions et des lieux
Pour aller plus loin
Jon Agar, Science in the Twentieth Century and Beyond, Polity, 2012.
Bernadette Bensaude-Vincent et Isabelle Stengers, Histoire de la chimie,
La Découverte, coll. « Poches sciences », 2001.
Louis de Bonis, La Famille de l’homme – Des lémuriens à Homo sapiens, Belin,
coll. « Bibliothèque/Pour la Science ». 1999.
Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement Anthropocène –
La Terre, l’histoire et nous, Éditions du Seuil, 2016.
Clifford D. Conner, Histoire populaire des sciences, Éditions du Seuil,
coll. « Points Sciences », 2014.
Maurice Crosland, Le Langage de la science, Desiris, 2009.
Amy Dahan Dalmedico et Jeanne Peiffer, Une histoire des mathématiques –
Routes et dédales, Éditions du Seuil, coll. « Points Sciences », 1986.
Ahmed Djebbar, Une histoire de la science arabe, Éditions du Seuil,
coll. « Points Sciences », 2001.
Pascal Duris, Gabriel Gohau, Histoire des sciences de la vie, Belin, coll. « Sciences »,
2011.
David Edgerton, Quoi de neuf ? – Du rôle des techniques dans l’histoire globale,
Éditions du Seuil, coll. « L’Univers historique », 2013.
Patricia Fara, Science – A Four Thousand Year History, Oxford University Press, 2010.
Yves Gingras, L’Histoire des sciences, PUF, coll. « Que sais-je », 2018. 359
Daniel Headrick, Technology – A World History, Oxford University Press, 2009.
Thomas S. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, nouvelle éd., Flammarion,
coll. « Champs sciences », 2018.
Hervé Le Guyader (sous la direction de), L’Évolution, Belin, coll. « Bibliothèque/Pour
la Science », 1998.
Richard Mankiewicz, L’Histoire des mathématiques, Éditions du Seuil, 2002.
Patrick Matagne, Aux origines de l’écologie, Éditions du CTHS, 1999.
Michel Morange, Histoire de la biologie moléculaire, La Découverte/Poche, 2003.
Apostolos Doxiadis, Christos Papadimitriou, Alecos Papadatos, Annie Di Donna,
Logicomix, Vuibert, 2018.
Dominique Pestre (sous la direction de), Histoire des sciences et des savoirs, trois
tomes, Éditions du Éditions du Seuil, coll. « Science ouverte référence », 2015.
Dominique Pestre, Introduction aux Sciences Studies, La Découverte, coll. « Repères »,
2006.
Paolo Rossi, Aux origines de la science moderne, Éditions du Seuil, coll. « Points
Sciences », 2004.
Michel Serres (sous la direction de), Éléments d’histoire des sciences, Bordas, 1993.
Steve Shapin, La Révolution scientifique, Flammarion, coll. « Nouvelle bibliothèque
scientifique », 1998.
Dova Sobel, Longitudes – L’Histoire vraie du génie solitaire qui résolut le plus grand
problème scientifique, Éditions du Seuil, 1998.
Index des noms, des notions et des lieux
Les numéros de page en rouge correspondent aux entrées principales de la chronologie.

Almageste, L’ ! 42, 74, 97


A
abaque ! 66, 98
al-Mamun ! 58-59, 70
Almohades ! 74
AlphaZero ! 350-351
Abbassides ! 96
Ambroise de Milan ! 46
Abrégé du calcul ! 64
Amérique ! 106, 192, 210, 328
Académie des sciences ! 136, 138, 139,
147, 154, 159, 164-165, 178, 188, 208, ammoniac ! 270
263, 268, 274 Ampère, André Marie ! 182, 208
accélérateur de particules ! 282, 336 amplificateur ! 302
Acclimatation et domestication ampoule électrique ! 250
des animaux utiles ! 19 Analyse des infiniment petits pour
Accord de Paris ! 342 l’intelligence des lignes courbes ! 147
Ader, Clément ! 268 analyse ! 146, 280
ADN ! 257, 288-289, 306, 348, 352-353 anatomie ! 114, 198
aérodynamisme ! 268 Anaximandre ! 22
aéronautique ! 268 ancêtre commun ! 230 361
Afrique ! 316 Andreas Osiander ! 113
âge de la Terre ! 153, 216 Andromède ! 280
Agence américaine de protection Angleterre ! 87, 124, 158, 162, 174, 176,
de l’environnement ! 318 190, 224
agent pathogène ! 191 année géophysique internationale ! 312
Agnesi, Maria ! 189 Antarctique ! 162
Agricola, Georgius ! 116 anthropocène ! 175
agriculture ! 54-55, 270, 318 anthropométrie ! 219
aimant ! 40, 80, 180, 208 antibiotique ! 278
air ! 136, 184 anticorps ! 191
alchimie ! 110 antisepsie ! 222
Alcméon ! 24 Apollo ! 328
Aldini, Giovanni ! 207 Apollonius de Perge ! 34
Aldrin, Buzz ! 328 Apple ! 332
Alembert, Jean Le Rond d’ ! 150, 156, 178 arabe ! 18, 40, 64-65, 66-67, 70, 96-97, 99
Alexandrie ! 42 Arago, François ! 208, 214, 240
al-Farisi ! 86 arc-en-ciel ! 86
algèbre ! 64, 99, 197 archéologie ! 304
algorithme ! 31, 64 Archimède ! 69
Alhazen ! 68 architecture de von Neumann ! 298
al-Idrisi ! 70 architecture ! 36, 76
al-Khwarizmi ! 64, 97 Aristote ! 26, 68, 74, 78, 82, 96, 112, 120,
Allemagne ! 72, 202, 212, 226, 266 132
arithmétique ! 30, 48, 98, 265 Bagdad ! 64, 96
Arkwright, Richard ! 176 balance de torsion ! 183
arme atomique ! 267 Balance des discours ! 40
arme chimique ! 271, 318 balancier ! 88
arme ! 50, 94, 118, 270 Baliani, Jean-Baptiste ! 132
armée ! 211, 274, 301 balistique ! 154, 298
Armstrong, Neil ! 328 baquet de Mesmer ! 180
ARPANET ! 326 Baran, Paul ! 326
Arrhenius, Svante ! 258 Barberini, Maffeo ! 121
artère ! 129 barbiers-chirurgiens ! 110
arthrite ! 309 Bardeen, John ! 302
arts mécaniques ! 156 baromètre ! 132, 136
asepsie ! 221 base 10 ! 123
astre ! 22, 204 base 60 ! 16
astrologie ! 21, 43, 55, 110-111 bataille d’Ypres ! 271
astronomie ! 20, 32, 34, 42, 48, 54, 68, 84, Batelli, Frédéric ! 207
112, 122, 144, 150, 161, 196, 204, 214,
258 Bateson, William ! 232
atome ! 28, 90, 262, 266, 277, 282, 290, bâtonnets de Napier ! 123
300, 304 Bauer, Georg ! 116
Atomes, Les ! 28 Beauvais, Pierre de ! 47
attaque nucléaire ! 326 Beck, Claude Schaeffer ! 207
362 Becquerel, Henri ! 262
attracteur de Lorenz ! 320-321
Auguste, empereur ! 36 berceau de l’humanité ! 316
Aurillac, Gerbert d’ ! 66 Bergman Torbern ! 185
Australie ! 162 Berkeley ! 282
australopithèque ! 316-317 Berlin ! 154, 202-203, 250
autopsie ! 222 Bernard, Claude ! 234
Autriche ! 222 Berne ! 266
Averroès ! 74, 82 Berthollet, Claude-Louis ! 185
aviation ! 268 bestiaire ! 46
Avicenne ! 110 Bi Cheng ! 93
axiome ! 30, 264 Bible ! 46, 92, 216
azote ! 270 bibliothèque d’Alexandrie ! 33, 49
Aztèques ! 106-107 bibliothèque d’Assourbanipal ! 57
Bibliothèque nationale de France ! 76

B
Baartman, Saartjie ! 199
big bang ! 277, 280, 352
big science ! 283
Bingen, Hildegarde de ! 72
Babylone ! 16, 20, 54 biologie ! 192, 322, 232
bacille de Koch ! 229 biométrie ! 218
Bacon, Francis ! 124 Biot, Jean-Baptiste ! 208
Bacon, Roger ! 68, 80, 86 biotechnologie ! 348
bactérie ! 278, 322, 348 bipédie ! 316
bactériophage ! 306 Biringuccio, Vannoccio ! 117
Index des noms, des notions et des lieux

bobine de Ruhmkorff ! 252 calcul ! 66, 98


Boèce ! 52, 99 calculateur ! 298
Bohême ! 116 calendrier ! 20, 34, 54, 84, 127, 298
Bohr, Niels ! 290 canal du Midi ! 142
Boltwood, Bertram ! 305 Canaries ! 108
bombe à hydrogène ! 301 cancer ! 282
bombe atomique ! 300 cancérologie ! 314
Bonaparte, Napoléon ! 195, 205 Canon de la médecine ! 110
Bonpland, Aimé ! 192 capitalisme ! 240-241
Borel, Émile ! 274 caractères mobiles ! 92-93
boson ! 336 carbone 14 ! 304
Bossut, Charles ! 178 carburant ! 174
Boston ! 320 carnet de croquis ! 76
Bougainville, comte de ! 152, 163 Carnot, Sadi ! 220
boulet de canon ! 154 Carson, Rachel ! 318
boulier ! 98 Cartan, Henri ! 280
Boulton, Matthew ! 174 Carthage ! 55
Bourbaki ! 280 cartographie génétique ! 272
boussole ! 40, 80, 208 cartographie ! 70, 85, 108, 151, 162
Boyle, Robert ! 28, 91, 124, 136, 166 Casa de la Contratación ! 108
brasseur ! 220 Cassini ! 164-165
Brattain, Walter ! 302 Cassini, César-François ! 151 363
Brésil ! 277 Cassini, Giovanni Domenico ! 138-139,
brevet ! 174, 176, 250, 266, 299, 349 164-165
Briggs, Henry ! 122 catalogue d’étoiles ! 20
Bruno, Giordano ! 97 catapulte ! 50, 94
Buffon, Georges Louis Leclerc de ! 148, catastrophe naturelle ! 44
152, 217 catastrophisme ! 199, 216
Bunsen, Robert ! 226 cathédrale ! 76
Bureau international des poids et Causae et Curae ! 72
mesures ! 187 ceintures de radiation de Van Allen ! 313
Byron, Georges ! 206 Celera Genomics ! 307
cellule ! 254, 273, 322

C
cabinet de curiosités ! 134, 152
Censorin ! 26
censure ! 82, 130, 156
centrale nucléaire ! 340
Cabinet du Roi ! 152 Cercle de Vienne ! 215
cacao ! 109 CERN ! 282, 336
cadavre ! 114, 222 cerveau ! 26, 260
cadran solaire ! 54-55 césium ! 226
cailloux ! 98 Chain, Ernst Boris ! 278
Cajal, Santiago Ramón y ! 254 chaînon manquant ! 316
Calcidius ! 25 chaleur ! 220, 238
calcul différentiel et intégral ! 146, 155, champ électrique ! 252
158, 282 champ magnétique ! 252, 282
champignon ! 278 Colliget ! 74
chaos ! 204, 320 Colomb, Christophe ! 85, 106
char d’assaut ! 94 colonisation ! 106, 108, 162
charbon ! 175 colorant chimique ! 224
Charcot, Jean-Martin ! 180 combustible ! 271
Charles III de Lorraine ! 118 combustion ! 184
Charles V ! 88 commerce ! 16, 18, 108, 301, 310
Charney, Jule ! 320 compagnie Bell ! 302
Charpentier, Emmanuelle ! 348 Comte, Auguste ! 214
chasse ! 78 condensateur ! 174
Châtelet, Émilie du ! 139, 158 Condorcet, Nicolas de ! 178
Chicago ! 304 conducteur ! 302
chien ! 260 Congrès international de
chiffres arabes ! 66 mathématiques ! 265
chiffres indiens ! 67 conquête spatiale ! 312, 328
chiffres romains ! 66 Conseil international des unions
chimérisme ! 315 scientifiques ! 312
chimie ! 110, 138, 184, 212, 224, 236, Conseil royal ! 118
262, 270 Consejo de Indias ! 108
Chine ! 18, 40, 44, 50, 56, 84, 126, 330 conservation des cadavres ! 115
Choisy, Abbé de ! 143 Constantinople ! 97
364 Chong, Wang ! 40 constellation ! 20
Choquet-Bruhat, Yvonne ! 139 contraception ! 308
Christ ! 46 controverse ! 115, 120, 150-151, 133, 147,
Christian IV ! 134 150, 159, 167, 183, 194, 228, 291, 301,
chromosome ! 272 318, 341, 348, 354-355
chronographie ! 55 convection ! 324
chronologie ! 54 Convention de Stockholm ! 318
chronomètre de marine ! 160, 164 Cook, James ! 149, 160, 162
chute des corps ! 145 Copenhague ! 208
Cicéron ! 38 Copernic, Nicolas ! 112, 122, 120, 130
circonférence de la Terre ! 32-33 Coppens, Yves ! 316
circuit intégré ! 302, 333 corps humain ! 24, 56-57, 111, 114-115,
circulation sanguine ! 128 234, 328, 355
ciseau génétique ! 348 Corpus hippocraticum ! 25, 55-56
Cité des dames ! 141 Cortès, Hernan ! 106
classification ! 148, 201, 236 cosmos ! 22, 34, 52, 112, 131, 166, 193
climat ! 258 coton ! 176
CNRS ! 274 couche géologique ! 216
Code d’Hammourabi ! 55-56 Coulomb, Charles-Augustin ! 182
code génétique ! 307 coupe histologique ! 254
cœur ! 128 courant électrique ! 182, 208
col de cygne ! 228 courbe de Gauss ! 196
Colbert, Jean-Baptiste ! 138, 164 courriel ! 326
collection ! 152 Cours de l’École normale ! 123
Index des noms, des notions et des lieux

Cours de philosophie positive ! 214 Denis, Jean-Baptiste ! 129


créationnisme ! 200, 230 Des révolutions des orbes célestes ! 112
Crick, Francis ! 306 Descartes, René ! 68, 86, 130, 150, 221
crise biologique ! 198 désintégration artificielle ! 282
CRISPR ! 348 déterminisme ! 204
cristallographie ! 307 deuxième problème de Hilbert ! 265
croisades ! 96
diabète ! 309
croisement ! 232, 272
diagnostic ! 75
Crotone, Hippon de ! 26
Dialogue sur les deux systèmes
croûte terrestre ! 324 du monde ! 121
croyance ! 21, 24, 52, 54, 78, 128, 135 diaphragme ! 114
Cube ! 51
Dickens, Charles ! 177
Curie, Irène ! 282
Diderot, Denis ! 156
Curie, Marie ! 139, 262, 275
Dieu ! 52, 68, 72, 82, 86, 89, 98, 131, 133,
Curie, Pierre ! 262 137, 153, 288
Curiosity ! 305
Dieudonné, Jean ! 280
Cuvier, Georges ! 198, 200
dieux ! 22, 28
cybernétique ! 352, 354
digestion ! 234, 260
cycle reproductif ! 309
Diophante ! 98-99
cyclotron ! 282
dioptrique ! 130

D
Danemark ! 134
dioxyde de carbone ! 313, 342, 258
Discussions de pinceau depuis un petit
ruisseau de rêve ! 41
365

Darwin, Charles ! 230, 288, 306, 316, 322 Disquitiones arithmeticae ! 197
darwinisme social ! 231, 288 dissection ! 24, 114, 234
datation ! 304 distance ! 32
Daubenton, Louis ! 152 Dobzhansky, Theodosius ! 288-289
Dausset, Jean ! 314 domestication ! 18, 153
Davy, Humphry ! 195 donneur ! 315
DDT ! 318 dorsale ! 313, 324
De animalibus ! 79 double hélice ! 306
De Architectura ! 36 Doudna, Jennifer ! 348
De humani corporis fabrica ! 114 Dracula ! 206
De l’histoire naturelle des Indes ! 108 drosophile ! 272
De la pyrotechnie ! 117
Du jour natal ! 26
De re metallica ! 116
Du sens et des sensibles ! 24
De revolutionibus ! 112
Du, Ding ! 41
décharge électrique ! 166
duplication du cube ! 51
DeepMind ! 350
dynastie des Abbassides ! 96
défibrillation ! 207
dynastie des Han ! 40
Delambre, Jean-Baptiste ! 187
Démocrite ! 13, 28, 91, 136 dynastie des Han ! 44
démonstration ! 30, 103, 128, 144, 285, dynastie des Tang ! 41
320, 324 dynastie Yuan ! 84
embryon ! 26
E
E = mc2 ! 266
empereur ! 126
Empire aztèque ! 106
Empire inca ! 106
eau ! 132
Empire romain ! 38
échange colombien ! 106
ENCCRE ! 157
échec ! 350
encre ! 92
Eckert, John ! 298
encyclopédie ! 38, 43, 52, 72, 74, 116, 346
éclairage électrique ! 250
éclipse ! 84, 276 Encyclopédie ! 156, 178
école de médecine ! 24 énergie ! 220, 238, 266, 290
École de pharmacie de l’université énergie cinétique ! 159
de Giessen ! 212 engrais chimique ! 270
École de physique ENIAC ! 298
et de chimie industrielles ! 262 enseignement ! 48, 202
École des traducteurs de Tolède ! 96-97 entropie ! 238-239
École normale supérieure ! 202 environnement ! 193
École polytechnique de Zurich ! 266 épicentre ! 44
École polytechnique ! 188, 202, 214 Épicure ! 90
école ! 17 épicycles ! 43
écologie ! 192, 318 épidémie ! 106, 138
économie ! 282 épigénétique ! 201
366 écriture ! 16, 20 épigénistes ! 27
Eddington, Arthur ! 276 épistémologie ! 215
Edison, Thomas Alva ! 250 Épitaphe à l’intention d’Isaac Newton ! 144
EDSAC ! 298-299 équation ! 64, 144, 154, 252-253
effet de serre ! 258 équilibre de Nash ! 283
effet Joule ! 220 équivalent mécanique de la chaleur ! 220
effet photoélectrique ! 1905 Ératosthène ! 32
effet placebo ! 180 Ercker, Lazarus ! 117
Église ! 112, 120 Errard, Jean ! 118
Égypte ! 32, 42, 48, 68 erreur ! 160, 196
Einstein, Albert ! 266, 276, 282, 290, espace ! 22, 266, 354
300, 337 Espagne ! 52, 66, 108, 164, 254
électricité ! 182, 194, 207, 208, 256, 340 espèce ! 148, 200, 230
électrodynamique ! 208 essai nucléaire ! 300
électrolyse ! 194
Essai philosophique sur les
électronique ! 332 probabilités ! 204
électrostatique ! 182, 209 étalon ! 186
élément chimique ! 226, 236 États-Unis ! 211, 248, 280, 282, 308, 298,
élément radioactif ! 282 310, 312, 318, 326
Éléments de mathématique ! 284 Éthiopie ! 317
éléments radioactifs ! 306 éthique ! 307, 354
Éléments ! 30, 127 ethnographie ! 134
élevage ! 18 ethnologie ! 163
embryologie ! 27 éthologie ! 339
Index des noms, des notions et des lieux

étoile ! 20, 34, 276, 280 fluide magnétique ! 180


être vivant ! 304, 322 fluorescence ! 256
Étymologies ! 52 Flyer ! 268
eucaryote ! 322 foi ! 83
Euclide ! 30, 68, 76, 98, 118, 127, 188, Fondation Curie ! 314
264,280 Fondation Worcester ! 308
Eugène, Dubois ! 316 fontainiers ! 132
Euler, Leonhard ! 154, 269 Fontenelle, Bernard Le Bovier de ! 130
Europe ! 76, 92, 116, 205, 248, 336 force de gravitation ! 145
évolution ! 200, 230, 288, 322 force vitale ! 234
évolutionnisme ! 199, 230 Ford, Henry ! 211
exobiologie ! 344 Fortification démontrée et réduite en
exoplanète ! 344 art ! 118
expansion ! 280 fortification ! 118
expédition ! 109, 148, 150, 152, 162, 230, Fossey, Dian ! 338
expérimentation animale ! 261 fossile ! 198, 317
expérimentation ! 68, 80, 86, 136, 138, 234 Fourcroy, Antoine François ! 152, 185
exploration ! 160 Fragonard, Honoré ! 115
explosif ! 270 France ! 82, 88, 138, 152, 158, 178, 182,
exposition universelle ! 240-241 308
extraterrestre ! 335, 344 Frankenstein ! 206
ex-Yougoslavie ! 314 Franklin, Benjamin ! 180, 183
367
Franklin, Rosalin ! 306
Frédéric II ! 78, 154

F
faculté de sciences ! 263
Freeth, Tony ! 35
Freiberg, Thierry de ! 86
fret maritime ! 310
faculté des Arts de Paris ! 82
Freud, Sigmund ! 180
Faraday, Michael ! 252
Froissart, Jean ! 88
fauconnerie ! 78
Fukushima ! 340
fax ! 311 Fulda ! 90
féminisme ! 48, 308 fusil ! 210
femmes de sciences ! 48, 72, 138-139, fusion nucléaire ! 300
140-141, 158-159, 185, 188-189, 262-
263, 338-339 Fust Johann ! 92
fertilité ! 308
Fibonacci, Leonardo ! 66, 78, 98
fièvre puerpérale ! 222
First Draft of a Report on the EDVAC ! 298
G
galaxie ! 280
fission nucléaire ! 300 Galien, Claude ! 38, 55, 96, 110, 114, 116,
fixisme ! 200 128
Fleming, Alexander ! 278 Galilée ! 120, 126, 130, 132, 164
Florence ! 120 gallium ! 236
Florey, Howard Walter ! 278 Galton, Francis ! 197, 219, 231
fluide ! 128, 184, 208, 220, 234, 238, 256, Galvani, Luigi ! 194, 207
267, 268-269 garrot ! 128
Gassendi, Pierre ! 138 grenouille ! 194
Gauss, Carl Friedrich ! 188, 196, 218 Gribeauval, Jean-Baptiste de ! 211
gaz ! 135, 226, 175, 258, 342 Griffith, Frederick ! 306
gaz de combat ! 274 grippe ! 191
gaz nobles ! 237 Grosseteste, Robert ! 87
gazomètre ! 184 groupe sanguin ! 129
gène ! 272, 348, 307 Groves, Leslie R. ! 300
générateur électrostatique ! 166-167 Guangqui, Xu ! 127
génération spontanée ! 228 Guericke, Otto von ! 136
génétique ! 232, 288, 348 guérison ! 180
génie militaire ! 118 guerre de Sécession ! 211
génome humain ! 233, 307, 348 guerre du Vietnam ! 310
genre ! 148 Guerre froide ! 312
géocentrisme ! 112 guerre ! 50, 94, 274
Géographie ! 43, 70, 97 Guillaume, Jacquette ! 141
géographie ! 32, 70, 137, 192 Gutenberg ! 92
géologie ! 216
géométrie euclidienne ! 118
géométrie ! 30, 32, 48, 76-77, 130, 155
géophysique ! 304, 312, 324
H
H4 ! 160
géopolitique ! 300
Haber, Fritz ! 270
368 Germain, Sophie ! 188
Haeckel, Ernst ! 193, 288
germanium ! 236, 302
germe ! 228 Haïti ! 308
GIEC ! 342 Hall, John ! 210
Giessen ! 212 Halley, Edmond ! 144, 160, 216
glaciation ! 258 Harpers Ferry ! 210
gnomon ! 54-55 Harrison, John ! 160, 164
go, jeu de ! 350 Harry Potter ! 47
Gödel, Kurt ! 265, 282 Harvey, William ! 128
Goldstine, Herman ! 298 hasard ! 204, 290, 320
Golgi, Camillo ! 254 Hassabis, Demis ! 350
Gongliang, Zeng ! 41 héliocentrisme ! 112
Goodenough, John ! 195 hémisphère sud ! 162
Google ! 350 Henri de Montmort ! 138
gorges d’Olduvai ! 316 Henri IV ! 118
gorille ! 338 Herbier national du Muséum national
goudron ! 224 d’histoire naturelle de Paris ! 149
GPS ! 313 hérédité ! 201, 232, 272, 288, 306
Antarctique ! 312 Hermann von Helmholtz ! 221
Graham, George ! 160 Hernández, Francisco ! 108-109
Grand Schisme ! 90 Héron ! 35
gravitation ! 144, 158 Herschel, William ! 226
Grèce ! 34, 50 Hertz, Heinrich ! 252
Greffe ! 314 Hess, Harry Hammond ! 324
Index des noms, des notions et des lieux

Hilbert, David ! 264, 282 Incas ! 106


Hildegarde de Bingen ! 72 Inde ! 56
Hipparque ! 34 Indes ! 108
Hippocrate ! 24, 26, 55, 72, 96, 129 induction ! 124
Hiroshima ! 301 industrie automobile ! 211
Hispaniola ! 106 industrie chimique ! 270
Histoire des animaux ! 27 infini ! 264
Histoire ecclésiastique ! 48 infiniment petits ! 146-147
Histoire naturelle ! 38, 152 informatique ! 320, 352, 354
Hobbes, Thomas ! 166-167 ingénieur ! 50, 94, 118
Hoffmann, August von ! 224 innovation ! 50
homéopathie ! 181 Inquisition ! 120, 130
hominidés ! 316 insecte nuisible ! 318
homme de Java ! 316 INSERM ! 315
Homo ergaster ! 317 Instauratio Magna ! 124
Homo habilis ! 317 Institut d’études nucléaires ! 304
Honnecourt, Villard de ! 76 Institut Pasteur ! 229
Hooke, Robert ! 124, 136, 255 institution scientifique ! 108
Hôpital, Guillaume de l’ ! 146 Institutions de physique ! 159
horloge ! 39, 54, 88, 131, 160, 164 instrument de mesure ! 44, 136, 166, 304
Horloge amoureux, L’ ! 88 intelligence artificielle ! 350, 354
hormone ! 308 Intelsat ! 313 369
Hubble, Edwin ! 280 interférences ! 252
humanité ! 316 Internet ! 311, 326, 333, 346
Humboldt, Alexander von ! 202, 212, 192 interprétation de Copenhague ! 290-291
Humboldt, Wilhelm von ! 202 Introduction à l’étude de la médecine
humeur ! 55, 72, 110 expérimentale ! 234
Hutton, James ! 216 invariant ! 221
Huygens, Christian ! 164-165 inventeur ! 210, 250, 274
hybride ! 232 Irak ! 68
hydropathie ! 181 irradiation ! 314
hygiène ! 72, 222 Isidore de Séville ! 52
Hypatie d’Alexandrie ! 48 isotope ! 304
hypnose ! 180 Italie ! 24, 36, 80, 94, 120, 130, 194
Iwadare, Kunihiko ! 248

I
iatrochimie ! 110 J
Ideal-X ! 311 Jacques Ier ! 124
IIIe République ! 189 Jammet, Henri ! 314
immunogénétique ! 315 Japon ! 248, 300
immunologie ! 191 Jardin des plantes ! 262
impératrice Eugénie ! 225 Jardin du roi ! 152
Imprimerie ! 92 Jean de Thessalonique ! 50
Jenner, Edward ! 190 La Richesse des Nations ! 179
Jersey ! 301 La Situation de la classe laborieuse en
jésuites ! 126-127, 156, 277 Angleterre ! 177
Jésus-Christ ! 305 Laïka ! 312
Jobs, Steve ! 332 Lamarck, Jean-Baptiste de ! 200, 230
Johanson, Donald ! 317 Laon ! 77
Joliot, Frédéric ! 282 Laplace, Pierre-Simon ! 123, 196, 204,
218, 321
Joules, James ! 220, 238
Laponie ! 150
Jules César ! 37
Laue, Max von ! 257
Jungner, Waldemar ! 195
Lavoisier, Antoine-Laurent ! 180, 184, 220,
Jupiter ! 120, 334 236
Jussieu, Antoine Laurent de ! 152 Lawrence, Ernest ! 282
Le Devisement du monde ! 85

K
kabbale ! 111
Le Livre des machines de guerre ! 51
Le Messager céleste ! 120
Leakey, Louis et Marie ! 316, 338
Kennedy, John Fitzgerald ! 328 Legendre, Adrien Marie ! 196
Kepler, Johannes ! 68, 122, 144 Leibniz, Gottfried Wilhelm ! 146
kilogramme ! 187 Leizu ! 18
Kirchhoff, Gustav ! 226 Les Amours ! 90
Kitab al-kulliyat ! 74 Les Animaux fantastiques ! 47
370
Koch, Robert ! 222, 229 Les Épidémies au Mexique ! 106
Korolev, Sergueï ! 312 Les Fondements de la géométrie ! 264
Kovalevskaïa, Sofia ! 189 Les Miracles de saint Démétrius ! 50
Kubilay khan ! 84 Les Temps difficiles ! 177
Kuo, Shen ! 41 lettre sur l’aimant ! 80
Lettres à une princesse d’Allemagne ! 155
Lettres philosophiques ! 150

L
L’Anatomie du mouvement du cœur et du
Lettres sur la botanique ! 149
leucémie ! 314
Leucippe ! 28, 91
sang chez les animaux ! 126-127
Lévi-Strauss, Claude ! 281
La Charrue ! 20
Libby, Willard Frank ! 304
La Chymie facile et charitable en faveur des
dames ! 138 licorne ! 134
La Condamine, Charles Marie de ! 150 Liebig, Justus ! 212
La Fabrique du corps humain ! 114 Linné, Carl von ! 148
La Filiation de l’homme ! 316 lion ! 46
La Génétique et l’origine des espèces ! 288 livre technique ! 117
Löfling, Pehr ! 149
La Géométrie et pratique générale
d’icelle ! 119 logarithme ! 122
La Méridienne vérifiée ! 150 loi Comstock ! 308
La Merveilleuse Règle des loi des gaz ! 135
logarithmes ! 122 loi normale ! 218
La Nouvelle Atlantide ! 125 lois de la réflexion ! 68
Index des noms, des notions et des lieux

lois de Newton ! 144-145 Marx, Karl ! 177, 240


Londres ! 124, 224 masse ! 266
Longitude Act ! 160 matérialisme ! 29, 212
longitude ! 138, 160, 164 maternité ! 222
Lorenz, Edward ! 320, 339 Mathé, George ! 314
L’Origine des espèces ! 230 mathématique ! 16, 30, 42, 51, 54, 64, 66,
Louis XIII ! 152 119, 122, 144, 146, 154-155, 188, 196,
204, 264, 268, 280, 320
Louis XIV ! 138, 142
matière ! 28
Louis XVI ! 178
Mauchly, John ! 298
Lucera ! 80
Maupertuis, Pierre-Louis Moreau de ! 150,
Lucrèce ! 28, 90
154
Lucy ! 316
Mauriès, Patrick ! 135
lumière ! 68, 86, 226, 266, 276, 290
mauvéine ! 224
Lune ! 120, 328
Maxwell, James Clerck ! 252, 337
lunette astronomique ! 120, 126, 164, 166
Mayence ! 92
Lyell, sir Charles ! 216
Mayer, Julius Robert von ! 220
McCormick, Katharine ! 308
McLean, Malcolm ! 310
M
machine à vapeur ! 174, 238
mécanique ! 36, 88, 144
mécanique des fluides ! 146, 155, 268
mécanique des solides ! 146, 155 371
machine d’Anticythère ! 34
mécanique quantique ! 226, 290-291
machine de guerre ! 94
Méchain, Pierre ! 187
Machine de Marly ! 142
médaille Fields ! 189
machine pneumatique ! 136, 166
médecine alternative ! 181
magie naturelle ! 111
médecine ! 24, 55, 72, 74, 72, 110, 116,
magnétisme animal ! 180
134, 180, 181, 190, 234, 254, 256, 262,
magnétisme terrestre ! 197 274, 278, 282, 330, 354
magnétisme ! 40, 45, 80, 182, 194, 208 médicament ! 330
Mairan, Dortous de ! 159 mémoire interne ! 298
maïs ! 109 Mémoires pour servir à l’histoire
maison de la sagesse ! 64 de Louis XIV ! 143
Maison du commerce ! 108 Mendel, Gregor ! 232, 272
malaria ! 224 Mendeleïev, Dimitri ! 236
Malpighi, Marcello ! 129 Menlo Park ! 250
Manchester ! 176 mercure ! 132
Manchester Mark I ! 299 méridien ! 32, 164, 186
manipulation génétique ! 348 Mesmer, Franz Anton ! 180
Marco Polo ! 85 Mésopotamie ! 12-13, 16, 19, 20
Marconi, Guglielmo ! 252 messages secrets ! 352
marées ! 144 mesure ! 32, 151, 183, 196
Margulis, Lynn ! 322 mesure du temps ! 39
Maricourt, Pierre Pèlerin de ! 80 métaux ! 116
Martinet, François-Nicolas ! 153 météorologie ! 130, 258, 320
Météorologiques ! 69 multiplication ! 16, 122
méthode des différences ! 146 Mundaneum ! 346
méthode des moindres carrés ! 196, 204 mûrier ! 18
méthode inductive ! 124 Muséum national d’histoire naturelle ! 200
métier à filer ! 18, 176 Museum Wormianum ! 134
métier à tisser ! musique ! 48
mètre ! 186 mutation ! 288-289
Meurdrac, Marie ! 140 mythologie ! 22
Mexique ! 106, 309
Meyer, Julius Lothar ! 236
microbe ! 222
microbiologie ! 228
N
Nagasaki ! 301
micro-organisme ! 228
Napier, John ! 122
microprocesseur ! 303
narval ! 134
microscope ! 166, 254, 273
NASA ! 281, 312, 328, 334
Milan ! 94
Nash, John ! 283
Milan, duc de ! 94
Naturphilosophie ! 209
Milet ! 22
naufrage ! 34
milieu interstellaire ! 334
navigation ! 40, 108, 162
mine ! 116
néolithique ! 16
ministère de la Défense ! 326
Neptune ! 334
372 Mirzakhani, Maryam ! 189
nerf ! 24, 114, 254
missile ! 312
Neumann, John von ! 298, 352, 282
mission Apollo ! 328
neurobiologie ! 254
missionnaire ! 126
neurone ! 254, 260, 282, 350
mitrailleuse ! 94
New Experiments Physico-Mechanical
mode ! 224 Touching the Spring of the Air and its
modèle animal ! 273 Effects ! 134
modélisation ! 342, 352 New Jersey ! 250
moelle osseuse ! 314 New York ! 250, 285
moine copiste ! 90 Newcomen, Thomas ! 174
moisissure ! 278 Newton, Sir Isaac ! 28, 86, 144, 146, 150,
monastère ! 90 158, 182, 188, 204, 215
mondialisation ! 311 Nîmes ! 37
Moore School of Electrical Nippur ! 17
Engineering ! 298 nitrate ! 270
morale ! 46 Nobel, Alfred ! 256
Morgan, Thomas ! 272, 288 Noether, Emmy ! 189
Morgenstern, Oskar ! 282 Nollet, Jean Antoine ! 183
Morse ! 253 nombre ! 16, 31, 66, 98-99
MOSFT ! 302 nomenclature chimique ! 184
mouche du vinaigre ! 272 Nouveau Monde ! 106
moustique ! 330 Nouveau-Mexique ! 300
mouvement perpétuel ! 76, 80 noyau ! 282
MUL.APIN ! 20-21 Noyce, Robert ! 303
Index des noms, des notions et des lieux

nucléaire ! 304, 354 Pangée ! 324


nucléotide ! 307 pangenèse ! 306
numération ! 16, 66, 98-99 pape ! 60
papier ! 96
papyrus ! 49
O
observation astronomique ! 42, 84
Paracelse ! 110, 138
parasite ! 330
Paris ! 87, 262
Observatoire de Bruxelles ! 218
particule élémentaire ! 336
Observatoire de Paris ! 214
Pascal, Blaise ! 133
Observatoire royal ! 138
Pasteur, Louis ! 190, 222-223, 228
obstétrique ! 222
Paul III ! 113
Occident ! 66, 72, 248
Paulze, Marie-Anne Pierrette ! 185
œil ! 24, 68
Pavlov, Ivan Petrovitch ! 260
Œrsted, Hans Christian ! 182, 194, 208
paysage ! 192
OGM ! 233
Pékin ! 127
onde hertzienne ! 252
pénicilline ! 278
onde radio ! 252
Penneylvanie ! 298
Oppenheimer, Robert ! 300
Perey, Marguerite ! 139
optique ! 68, 86, 126
Perkin, William ! 224
ordinateur ! 248, 298, 326, 332, 352
Pérou ! 116, 150, 11
organe ! 25, 198, 234
Perouse, La ! 163 373
Organisation européenne de recherche du
traitement du cancer ! 315 Perrault, Claude ! 139
Organisation météorologique Perrier, Florin ! 133
mondiale ! 259 Perrin, Jean ! 28
Organisation mondiale de la santé ! 279 Perry, Matthew ! 248
organisme modèle ! 273 pesticide ! 318
Orient ! 60, 96, 127, 248 petit pois ! 232
ornithologie ! 78 pharaon ! 304
Orologe amoureus ! 88 pharmacologie ! 25
Oudin, Jacques ! 191 Philon de Byzance ! 51
Ovando, Juan de ! 108 Philosophie zoologique ! 200
Ovide ! 90 philosophie ! 22, 48, 56, 68, 74, 75, 82, 86,
90, 96, 124, 130, 166, 214
Oxford ! 87
phonographe ! 250
oxydation ! 184
photon ! 290-291
Physica ! 72

P
Pacifique ! 162
physiocrates ! 178-179
physiologie ! 234
Physiologus ! 46
Padoue ! 114 physique quantique ! 290
Painlevé, Paul ! 268, 274 physique sociale ! 218
paléoanthropologie ! 316 physique ! 28, 130, 136, 144, 256, 262, 266,
paléontologie ! 198 336
paludisme ! 224, 318, 330 phytothérapie ! 72
Pic de La Mirandole, Jean ! 111 présage ! 20
pile atomique ! 300 presse ! 92
pile électrique ! 194, 208 pression atmosphérique ! 132
pilule contraceptive ! 308 Prévost, Jean-Louis ! 207
Pincus, Gregory ! 308 Priestley, Joseph ! 184
Pisan, Christine de ! 141 primate ! 338
pithécanthrope ! 316 primatologue ! 338
Planche de Galton ! 197 principe actif ! 330
Planck, Max ! 290-291 Principes de géologie ! 216
planète ! 34, 42, 144, 344, 328 Principes de la philosophie ! 130
planisphère ! 70 Principes généraux de la médecine ! 74
Planté, Gaston ! 193 Principes généraux des classiques de la
plantes ! 72 guerre ! 40-41
plasma germinatif ! 306 Principia ! 130, 144, 158
Platon ! 25, 48, 54 Printemps silencieux ! 318
Playfair, John ! 30 prix Nobel ! 249, 256, 262, 266, 271, 283,
Pline l’Ancien ! 38 302, 304, 330, 339,
Pneumatiques ! 35 probabilités ! 204, 218, 290
poésie ! 88, 90 procédé Haber-Bosch ! 270
Pogge, le ! 90 production de masse ! 210
Poincaré, Henri ! 264 produits de beauté ! 140
374 pôle ! 80 progestérone ! 308-309
Polidori, John William ! 206 programme informatique ! 350
polonium ! 262 projet Manhattan ! 283, 300, 304
pomme de terre ! 109 protocole de Kyoto ! 342
pompe ! 117, 132, 142, protocole de Montréal ! 342
Pont du Gard ! 36-37 psychologie ! 261
pont ! 36 Ptolémée IV ! 33
Pope, Alexander ! 144 Ptolémée, Claude ! 42, 68, 70, 74, 112, 162
Popper, Karl ! 22 public ! 240-241
porte-conteneurs ! 311
puissances de 10 ! 123
Porter, Rodney ! 191
pulsar ! 344
Porto Rico ! 308
puy de Dôme ! 133
Portugal ! 164-165
Pythagore ! 98
positivisme ! 215
positron ! 282
post-humanisme ! 354-355
postulat des parallèles ! 30
potassium radioactif ! 316
Q
quadrivium ! 48
Pouchet, Félix Archimède ! 228 quanta ! 266, 290-291
poudre à canon ! 80 querelle du vide ! 133
poumon ! 128 Quesnay, François ! 179
précision ! 32, 151, 183, 196 Quételet, Adolphe ! 218
préformationistes ! 27 quinine ! 224
Première Guerre mondiale ! 270, 274, 280 quotient intellectuel ! 218
Index des noms, des notions et des lieux

roi des animaux ! 47


R
radiation ! 256, 262
Röntgen, Wilhelm ! 256
Roosevelt, Franklin ! 267
Radiation Laboratory ! 282 roue dentée ! 95
radio ! 253, 302 Rousseau, Jean-Jacques ! 149
radioactivité ! 216, 262, 304, 316, 340, 256, route de la soie ! 18
275 Royal Astronomical Society ! 276
radium ! 262 Royal College of Chemistry ! 212, 224
rapaces ! 78 Royal Society ! 138
rayonnement fossile ! 277 Ruowang, Tang ! 126
rayons cathodiques ! 256 Russie ! 154, 236, 328, 340
rayons X ! 256, 262 Rutherford, Ernest ! 305
réacteur nucléaire ! 300, 314, 340 Rwanda ! 338
réaction du greffon contre l’hôte ! 314
réanimation ! 207
recensement ! 218
réchauffement climatique ! 258, 342
S
sacré ! 55
recherche industrielle ! 250
saignée ! 129
Recherches sur des hybrides
saint Augustin ! 46
végétaux ! 232
Saint-Domingue ! 106
réduction en art ! 119
sainte ! 72
réductionnisme ! 260 375
Saint-Hilaire, Geoffroy ! 198
réflexe conditionné ! 260
réflexe de Pavlov ! 260 Saint-Simon, Henri de ! 214
Réflexions sur la formation et la distribution sang ! 314
des richesses ! 179 Sanger, Margaret ! 308
Réforme ! 110 satellite ! 312, 328
Reinhold, Érasme ! 122 Saturne ! 42, 334
relativité ! 266, 276 Schall von Bell, Johann Adam ! 126
religion ! 28, 46, 48, 72, 82, 86, 90, 156 Schleiermacher, Friedrich ! 202
réponse immunitaire ! 191 Schockley, William ! 302
République tchèque ! 232 Schreck, Johann ! 126
réseau électrique ! 250 Science ! 304
réseau informatique ! 326 science économique ! 178
Révolution française ! 240 science-fiction ! 206
révolution industrielle ! 174, 176, 238 sciences naturelles ! 38, 79, 134, 152
révolution scientifique ! 124, 136 Scot, Michael ! 78
Rheticus, Georg Joachim ! 112 scribe ! 16
rhétorique ! 119 seconde) ! 187
Ricci, Matteo ! 126 Seconde Guerre mondiale ! 278, 298, 300,
Riquet, Pierre-Paul ! 142 304, 352, 354
Robbins, Benjamin ! 154 sédiment ! 216
Roberts, Lawrence ! 326 séisme ! 44, 324
Roberval, Gilles de ! 139 sélection artificielle ! 233
roi de Prusse ! 154 sélection naturelle ! 230, 288-289
sélection sexuelle ! 231 Spoutnik ! 312
semence ! 26 squelette ! 198, 256
semiconducteur ! 248, 302 standardisation ! 211
Semmelweis, Ignace Philippe ! 222 Starling, Ernest H. ! 309
Sénèque ! 54 station météorologique ! 259
sériciculture ! 18 statistique ! 196, 218
serious games ! 283 Stockfish ! 350
serment d’Hippocrate ! 25 structuralisme ! 280
Sève, Jacques de ! 153 Stupor Mundi ! 78
Séville, Isidore de ! 52 suaire de Turin ! 305
sexe ! 26, 273 Sualem, Rennequin ! 142
Shapin, Steve ! 143 Suède ! 258
Shelley, Mary ! 206 Suisse ! 110
Shelley, Percy ! 206 superstition ! 45
Shou shi li ! 84 Sur l’organisation interne et externe des
établissements scientifiques supérieurs à
Sicile ! 70
Berlin ! 203
Sidereus Nuncius ! 120
Sylvestre II ! 66
siècle des Lumières ! 145, 156, 202 symbiose ! 322
siège de velours ! 119 synapse ! 254
siège ! 50, 118 Synthèse mathématique ! 42
silicium ! 302 Systema Naturae ! 148
376 Silicon Valley ! 332 système américain de production ! 210
simoscope ! 44 système d’histocompatibilité ! 314
simples ! 73 système de mesure ! 186
Sivin, Nathan ! 84 système décimal ! 186
Smith, Adam ! 179 Système du monde ! 130
socialisme ! 214 système héliocentrique ! 112, 120, 122
Société de physique de Stockholm ! 258 système immunitaire ! 106, 315
Société royale de Londres ! 124 système métrique ! 184
sociologie ! 214 système nerveux ! 14, 254, 260
Socrate le Scholastique ! 48 Système solaire ! 130, 204, 334, 344
soie ! 18
Solander, Daniel ! 149
Soleil ! 42, 226
Solla Price, Derek de ! 35
T
tabac ! 109
solstice ! 32 tableau périodique des éléments ! 236
Somerville, Mary ! 189 tablette d’argile ! 16, 20, 55
sonar ! 275 tanker ! 311
sonde spatiale ! 334 Tanzanie ! 316
Sorbonne ! 264 taxonomie ! 148
spécimen ! 152 Taylor, Robert ! 326
spectre d’absorption ! 226 Tchernobyl ! 340
spectre d’émission ! 226 techniciens invisibles ! 143
spectroscope ! 226 technoscience ! 354
Index des noms, des notions et des lieux

tectonique des plaques ! 313, 324 traduction ! 96, 158


teinture ! 224 Traité élémentaire de chimie ! 184, 237
télécommunications ! 313 transformisme ! 200, 230
télégraphie ! 195, 250, 252 transfusion ! 129, 314
télescope James Webb ! 281 transistor ! 302
télescope spatial Hubble ! 281 transmission héréditaire ! 272
télescope ! 280, 344 transport ! 310
température ! 258, 342 travail ! 238-239
Tempier, Étienne ! 82 trébuchet à traction ! 50
temps ! 54, 88, 266, tremblement de terre ! 44
Terre ! 22, 32, 112, 150, 186, 216, 258, 342, triangulation ! 151
344
trigonométrie ! 32, 151
Territoire ! 178
Trinity ! 300
Texas ! 301
trou de la couche d’ozone ! 342
textile ! 224
tube de Coolidge ! 257
Thalès ! 22
tube électronique ! 302
The Times ! 276
The World of Parmenides, Essays on the tuberculose ! 229
Presocratic Enlightenment ! 22 Turgot, Anne Robert Jacques ! 178
théologie ! 46, 82 Turing, Allan ! 298, 352
Théophraste ! 24 typographie ! 92
théorème d’incomplétude ! 265
théorème de Fermat ! 188 377
Théorie analytique des probabilités ! 218
théorie cellulaire ! 254
U
ultrason ! 275
théorie de l’évolution ! 230, 288
uniformitarisme ! 216
théorie de l’Univers ! 276
Union soviétique ! 312
théorie de la relativité générale ! 267
unités internationales ! 187
théorie de la relativité restreinte ! 267
univers ! 72, 112, 277, 280
Théorie de la Terre ! 216
université de Bâle ! 110
théorie des ensembles ! 264, 280
université de Berkeley ! 282
théorie des jeux ! 282
université de Cambridge ! 299
théorie des nombres ! 155
université de Leipzig ! 212
théorie quantique ! 302
théorie réticulaire ! 254 université de Louvain ! 114
thérapie comportementale ! 261 université de Manchester ! 299
thermodynamique ! 220, 238 université de Paris ! 82
think tank ! 283 université de Saint-Pétersbourg ! 236
Timée ! 25 université Harvard ! 212
Tolède ! 97 université médiévale de Bologne ! 83
tomate ! 109 uranium ! 262, 300
Tomomi, Iwakura ! 248 Uranus ! 334
Torricelli, Evangelista ! 132, 136 Urbain VIII ! 121
torsion ! 50, 182, Urey, Harold ! 304
tourbillons de Descartes ! 131 Uruk ! 16
Tournefort, Joseph de ! 139 usine ! 176
V
vaccin ! 306
W
Wales, Jimmy ! 346
vaccination ! 190, 228, 306 Watson, James ! 306
vache ! 190 Watt, James ! 174
vallée du Grand Rift ! 317 Wegener, Alfred ! 324
Van Leeuwenhoek, Antoni ! 166-167 Weide, Yang ! 41
Vanguard ! 312 Weil, André ! 280
variole ! 106-107 Weismann, August ! 306
variolisation ! 190 Wikipedia ! 346
Vauban, Sébastien Le Prestre de ! 118 Wilkes, Maurice ! 299
veine ! 129 Wollstonecraft, Mary ! 206
vénus hottentote ! 199 Wolszczan, Aleksander ! 344
ver à soie ! 18 Worm, Ole ! 134
Verbiest, Ferdinand ! 127 Wozniak, Steve ! 332
vérole ! 106 Wright, Wilbur et Orville ! 268
Versailles ! 142
vertébrés ! 201
Vésale, André ! 114, 128
Vespucci, Amerigo ! 108
Y, Z
Yazami, Rachid ! 195
Vésuve ! 39
Yokohama ! 248
378 Viagra ! 279
Youyou, Tu ! 330
vide ! 28, 36, 132, 136, 166
Yukawa, Hideki ! 249
Vie de Monsieur Turgot ! 178
zéro ! 17, 98
Vienne ! 222
Zhang Heng ! 44
vigne ! 39
ville fortifiée ! 50
Ville, Arnold de ! 142
Vinca ! 314
Vinci, Léonard de ! 94
virus ! 190
vis sans fin ! 95
visionnaire ! 72
Vitruve ! 36
vivisection ! 261
Voie lactée ! 126, 280
volcanisme ! 216, 324
Volta, Alessandro ! 182, 194
Voltaire ! 150, 154, 158
von Neumann, John ! 298
voûte céleste ! 22
Voyager ! 334
vulgarisation ! 140, 153, 156, 204, 240-
241, 318
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4 ph © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais/ 35 ph © 2012 Tony Freeth, Images First Ltd
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8 ph © Lee/Leemage 41 ph © ViewStock/Getty Images
9 ph © Red Huber/Orlando Sentinel/MCT via Getty 42 Portrait de Ptolémée/Theodor de Bry (1596)/
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44 Portrait sur timbre de Zhang Heng/State Post
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49 ph © Akg-Images
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Lamarck par Charles Thévenin/Entre 1802 et 1803/
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Cajal, Legado Cajal, Conseil supérieur de la recherche 291 ph © NASA/SDO
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Jersey 353 ph © Gerd Altmann/Pixabay
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Photos de couverture
• Albert Einstein met en garde contre la production de la Bombe H, 17 février 1950,
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• Puce intégrée sur une carte mère. ph © Edelweiss/Adobe Stock
• Marie Curie, 1906, Paris, France. ph © SZ Photo/Scherl/Bridgeman Images
• Galilée présente sa lunette astronomique au Doge Leonardo Donato, 1858, Villa Ponti Varese Italie.
ph © ART Collection/Alamy Stock Photo
CHRONOLOGIE
L’HISTOIRE
DES SCIENCES
Le récit de l’histoire des sciences
et des techniques, des origines à nos jours
Pour chaque période, une vision d’ensemble
des événements qui ont marqué l’histoire des sciences
et des techniques dans le monde.
Au fil des doubles pages, un récit vivant de chaque

Couverture : Jean-Marc Denglos


événement dans une présentation simple et accessible.
Un voyage à travers le temps,
avec des frises chronologiques, des encadrés
et des dossiers sur des découvertes majeures.

Les chronologies
LITTÉRATURE FRANÇAISE

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