(Dossier établi par Karl Zieger avec la collaboration de Aurélie Barjonet et Nathalie Archambaud)
Les traductions allemandes du Rêve
La publication du Rêve - aussi bien celle de l'original français (1888) que celle de la traduction allemande (1889) - arrive à un moment où la notoriété de Zola a atteint, dans les pays de langue allemande, un premier apogée. En 1884/85, Germinal a été publié d'abord en feuilleton dans plusieurs quotidiens allemands et autrichiens presque en même temps que l'original français dans le Gil Blas, puis le volume paru chez Minden s'est plutôt bien vendu. Si le roman suivant, L'Oeuvre, a connu un succès moins éclatant mais néanmoins honorable, le scandale provoqué, en France, par la publication de La Terre a eu un retentissement important outre-Rhin et a rendu les éditeurs prudents. Ern(e)st Ziegler, depuis quelques années traducteur et représentant exclusif de Zola pour les pays de langue allemande, est obligé de "brader" sa traduction du roman sur les paysans, ce qui incite Zola à lui retirer l'exclusivité des droits. La première traduction du Rêve est finalement confiée a Alfred Ruhemann. Annoncé comme "roman qui peut être mis dans les mains des jeunes filles", Le Rêve paraît, sous le titre allemand Der Traum d'abord du 14 octobre au 29 novembre 1888 en feuilleton dans la Neue Zürcher Zeitung, puis, en 1889 aux éditions Samuel Fischer à Berlin qui est en passe de devenir l'une des plus importantes et prestigieuses maisons d'édition en Allemagne. D'autres traductions suivront qui ressemblent parfois plus à des adaptations qu'à des traductions. C'est, par exemple, le cas de celles de Heichen et de Carlawitz (voir références bibliographiques ci-dessous).
Zola et la critique (de langue) allemande
En dehors des avatars éditoriaux, Zola est, dans la deuxième moitié des années 1880, au coeur du débat littéraire en Allemagne. A priori, les oeuvres de Zola vont à l'encontre de la conception "classique" et idéaliste qu'ont les critiques allemands de la littérature, à savoir que l'oeuvre littéraire doit correspondre aux critères de "Humor" (humour au sens d'une distanciation par rapport à l'objet décrit), de "Erhöhung" (sublimation, transfiguration du réel), et de "Versöhnung" (réconciliation). La discussion tourne essentiellement autour de questions telles que la représentation de la réalité dans l'oeuvre littéraire, l'ambition "scientifique" de la méthode zolienne et notamment la notion de "roman expérimental" qui met la création littéraire au niveau d'une expérimentation scientifique. La critique vise aussi les sujets des différents romans déjà parus du cycle des Rougon-Macquart, sujets jugés souvent "amoraux" et "scabreux".
Zola devient ainsi une référence pour ceux qui réclament un renouvellement de la littérature allemande. Alors que M.G. Conrad défend dans sa revue Die Gesellschaft, paraissant à Munich, l'oeuvre de Zola, les naturalistes berlinois comme les frères Hart, W. Bölsche, A. Holz et J. Schlaf veulent aller plus loin que Zola dans le rapprochement de la littérature et des sciences naturelles. Les titres de leurs écrits théoriques en disent long sur leur ambition : Die naturwissenschaftlichen Grundlagen der Poesie (Les bases scientifiques de la poésie)(W. Bölsche, 1887) et Die Kunst, ihr Wesen und ihre Gesetze (L'Art, son essence et ses lois)(A. Holz,1891/92). Les débats théoriques sur la méthode naturaliste restent cependant limités à un cercle restreint d'initiés. Pour le grand public, en revanche, chaque nouveau roman de Zola est un événement. Dans cette situation, un roman comme Le Rêve surprend la critique allemande.
La réception du Rêve
Comme c'était déjà le cas pour les romans précédents du cycle des Rougon-Macquart (depuis L'Assommoir) pratiquement tous les grands journaux et notamment les nombreuses revues littéraires rendent compte de la parution du nouveau roman de Zola. La plupart des comptes rendus - dont on trouvera quelques extraits dans la partie "anthologie" - insiste sur le contraste du sujet du Rêve et de l'intrigue de l'oeuvre par rapport aux autres romans des Rougon-Macquart, sur le contraste entre un "Zola obscène" et un "Zola chaste". Dans cette confrontation on n'échappe évidemment pas à tous les préjugés et topoï de la critique zolienne. Ainsi, E. Brausewetter estime, dans le Magazin für die Literatur des In- und Auslandes, que Zola a dû inventer "un être qui vit dans le rêve" pour échapper à son pessimisme habituel et Adalbert Schroeter-Göttingen parle, dans les Blätter für literarische Unterhaltung, carrément d'un"revirement" de Zola. Même s'il a du mal à croire aux "bons sentiments" de l'auteur des Rougon-Macquart, peintre du vice et de la déchéance morale, et même si cette méfiance est nourrie par le fait qu'Angélique est finalement "un être de rêve", Schroeter-Göttingen n'hésite pas à considérer l'héroïne du Rêve comme "l'un des points culminants de l'art moderne".
Les plus avisés des critiques allemands sont cependant plus modérés, plus nuancés dans leur jugement. Relevons à titre d'exemple l'opinion d'Otto Brahm. Ce critique "très en vue" et (futur) homme de théâtre consacre deux articles au Rêve, l'un dans Die Nation (dans le numéro du 24 novembre 1888), l'autre dans la Deutsche Rundschau (vol. 58, janvier-mars 1889).
Pour Brahm, l'oeuvre de Zola se caractérise par une "grandiose monotonie" qui ferait sa grandeur mais aussi sa faiblesse. Le terme de "monotonie" n'a pas forcément, sous la plume de Brahm, une connotation péjorative. Il désigne plutôt la cohérence et la persévérance avec laquelle Zola poursuit son projet des Rougon-Macquart. A propos du sujet du Rêve, Brahm met en valeur l'alternance qui existe, dans les Rougon-Macquart, entre des sujets "forts" et des romans plus "tendres" (comme le fait d'ailleurs aussi H.J. Heller dans Franco-Gallia). Ainsi, observe Brahm, "Zola fait succéder à l'odeur du terroir de La Terre le merveilleux Rêve, comme il a fait succéder à l'atmosphère alcoolisée de L'Assommoir la tendre Page d'amour". Cette complémentarité des sujets correspondrait, en fait, à la définition du naturalisme et à la théorie littéraire de Zola qui a pour but d'embrasser l'ensemble des manifestations et phénomènes de la vie humaine. La religion fait partie de ces phénomènes, elle représente une force importante de la société que Zola représente et l'écrivain reste donc, dans un roman comme Le Rêve, tout à fait fidèle à ses principes, même si ses détracteurs en semblent surpris. Il n'est donc pas étonnant que Brahm estime que Le Rêve est un roman qui correspond aux critères naturalistes. Il en relève les vastes descriptions qui donnent, par exemple, à la cathédrale de Beaumont la valeur d'un symbole réaliste représentant le pouvoir du catholicisme ; il observe, dans le personnage d'Angélique, la lutte entre l'influence de l'hérédité et celle du milieu et constate que c'est parce que le milieu l'emporte sur l‘hérédité qu'Angélique devient l'opposée de Nana. L'évolution psychologique d'Angélique est décrite avec la précision scientifique et la logique inhérentes à la méthode zolienne ce qui permet au lecteur de voir, dans tous les détails, comment Angélique devient une sainte, tout comme il a pu observer la chute progressive de Gervaise ou de Nana dans la déchéance. Si le style, dans Le Rêve, est plus poétique que dans d'autres romans des Rougon-Macquart c'est parce que Zola sait s'adapter à son sujet et que le roman d'Angélique est une "légende moderne". Ainsi, pour Brahm, l'un des plus influents critiques allemands de l'époque, le "nouveau Zola" proclamé par certains de ses confrères, ne se distingue finalement pas de "l'ancien Zola" et sa méthode reste "naturaliste", même s'il accorde dans son nouveau roman une plus grande place à l'inspiration poétique.
Editions du Rêve en allemand
Bibliographie des compte-rendus consacrés à la première publication du Rêve (choix):
... et un peu plus tard :
Extraits de quelques compte-rendus allemands consacrés à la première publication du Rêve (traduction française de Nathalie Archambaud et Aurélie Barjonet) :
Nous donnons ici des extraits de quelques compte-rendus parus dans des périodiques allemands à l'occasion de la première publication du Rêve. Ces compte-rendus peuvent concerner aussi bien l'original français que la première traduction allemande due à Alfred Ruhemann et parue début 1889 chez S. Fischer à Berlin (cf. ci-dessus la liste des traductions). Il s'agit de périodiques soit du type "revue généraliste" (Die Gegenwart, Deutsche Rundschau, Franco-Gallia), soit du type "revue littéraire" (Blätter für literarische Unterhaltung, Magazin für die Literatur des In- und Auslandes, Deutsche Litteraturzeitung). Quant à la longueur des extraits, nous avons privilégié les articles de critiques moins connus et de périodiques plus difficiles à trouver, mais tout aussi significatifs pour la réception allemande du Rêve que ceux de Georg Brandes ou d'Otto Brahm.
Quelques ouvrages et articles concernant la réception de l'oeuvre de Zola dans les pays de langue allemande (choix) :