Du haut du phare de l’île Vierge

Prenez Brest, remontez 40 kilomètres plus au nord, vous voilà au pays des Abers et juste après l’estuaire qu’on appelle Aber-Wrac’h. Du bout de la côte, parcourez encore 1,5 kilomètre et vous êtes sur l’île Vierge, au pied du plus haut phare d’Europe. C’est un îlot plat, au ras de l’eau, où pas un arbre ne pousse. Si l’on ignorait qu’il fut nommé ainsi en l’honneur de la Vierge Marie, on serait tenté d’avancer qu’il porte bien son nom. En effet, hormis les colonies de goélands et les promeneurs, il n’y a pas âme qui vive sur l’île Vierge depuis le départ du dernier gardien, après l’automatisation du phare en 2010. Mais d’ailleurs, ce sont bien deux phares, non pas un seul, qui dominent cette île : « l’ancien » et « le nouveau ». Ce dernier, impressionnant par sa haute taille, est ouvert aux visiteurs venus apprécier l’intérêt historique et architectural de l’édifice et bien entendu profiter d’une magnifique vue sur l’océan et sur la côte finistérienne. En vacances à Plouguerneau, j’ai eu la chance de pouvoir visiter ce géant !

Le phare de l'Ile Vierge, photographie personnelle.
Le phare de l’île Vierge, photographie personnelle.

Par gros coefficient et à marée basse, on peut rejoindre le phare à pieds. Pour ma part, j’ai gagné l’île Vierge en bateau, avec une vedette partant du port de l’Aber-Wrac’h. Cette promenade en mer permet de voir l’estuaire et d’y croiser de vieux gréements qui y ont jeté l’ancre.

En chemin, on croise la goélette à trois mâts Rara-Avis, appartenant à l'association AJD - Bel Espoir. Ancien yacht personnel du patron du BHV, il a été donné à l'association en 1974.
En chemin, on croise la goélette à trois mâts Rara-Avis, appartenant à l’association AJD – Bel Espoir. Ancien yacht personnel du patron du BHV, il a été donné à l’association en 1974. Photographie personnelle.

La balade dure peu et, petit à petit, les deux phares se rapprochent. Comme sur la côte bretonne le vent n’est jamais bien loin et que quelques nuages ont vite fait de se lever, je ne m’inquiète pas d’un temps grisâtre. Ce jour-là sera bien couronné d’un ciel azur.

phare de l'île Vierge
Vue des deux phares de l’île Vierge. Photographie personnelle.

Après une demi-heure de mer, on débarque sur une petite jetée. De près, le « nouveau » phare intimide. On remarque d’autant plus son imposante hauteur grâce à l’unique autre bâtiment de l’île, l’ancien phare, qui semble aujourd’hui servir de faire-valoir. Il aurait pu être démonté et ses pierres réutilisées pour la construction du nouveau phare, mais une suspension de l’éclairage était impensable dans cette zone. De plus, il a ensuite pourvu les gardiens d’un logement, la nouvelle tour n’en disposant pas elle-même.

Le tour de l’île attendra bien encore un peu, le haut phare exerce une attraction irrésistible et tous les promeneurs ont hâte d’en faire l’ascension.

L’histoire des deux phares de l’île Vierge remonte au milieu du XIXe siècle. Cette zone du nord de la mer d’Iroise marque l’entrée dans la Manche. C’est le couloir maritime le plus emprunté du monde et il est donc primordial qu’il soit bien balisé, d’autant que la côte bretonne à cet endroit est très dangereuse, à cause des tempêtes venues du large et des courants provoqués par le mouvement des marées. La construction du premier phare de l’île Vierge est ainsi imaginée en 1843, ce nouveau feu devant intégrer le premier réseau finistérien avec le phare de l’île Wrac’h, juste à côté, un peu plus au sud, et le feu fixe du clocher de Plouguerneau.

Mais pour cela l’État doit dans un premier temps acquérir l’îlot de 6 hectares. La région est alors peu prospère et vit en grande partie de l’activité des goémoniers, qui récoltent les algues pour les faire sécher et les transformer en pains de soude, qu’ils vendent à l’industrie pour la fabrication de l’iode. L’île Vierge, avec ses grandes étendues inoccupées, sert de lieu de séchage, et aussi de pâture. En 1844, l’État achète donc l’île avec ses droits de goémon, de sécherie et de pâture, pour la somme de 6000 Francs.

Le premier phare est construit grâce à la pierre trouvée sur place, le granit, et il est mis en service dès 1845, en même temps que le phare de l’île Wrac’h. Phare de 3ème ordre[1], avec un feu à 33 mètres au-dessus de la mer, doté du système Fresnel[2] et d’une portée de 18 miles, il devient malheureusement vite obsolète.

L'ancien phare vu d'en haut avec l'ombre du nouveau. Photographie personnelle.
L’ancien phare vu d’en haut avec l’ombre du nouveau. Photographie personnelle.

Dès les années 1860 en effet, on songe à renforcer l’éclairage de la zone. Le phare de Créac’h sur l’île d’Ouessant est construit en 1863, mais ce n’est qu’en 1896 que l’État demande un projet de nouveau phare pour l’île Vierge. Un meilleur feu placé à cet endroit permettrait aux navires venant du large et entrant dans la Manche d’éviter un détour par Ouessant pour aller reconnaître son phare.

Le plan définitif est présenté le 8 janvier 1897. Le défi est relevé : augmenter au maximum la portée géographique du phare, grâce à un feu à une hauteur de 75 mètres et un nouvel appareil lenticulaire inventé par Léon Bourdelles, directeur du Service des phares et balises jusqu’en 1899. La portée du phare est désormais de 27 miles. Le projet est l’œuvre de l’ingénieur Gaston Pigeaud, des Ponts et Chaussées à Brest, et le chantier, confié à l’entreprise Gustave Corre, est surveillé par l’ingénieur des Ponts et Chaussées à Quimper Armand Considère. Les travaux commencent en 1897 et se terminent en 1902. Au moment de son inauguration, le phare de l’île Vierge est le plus haut du monde. Depuis, d’autres l’ont distancé mais il reste le plus haut d’Europe.

C’est un chantier difficile pour les ouvriers. On connaît le climat pas toujours clément du Finistère et le gel en hiver rend le granit, extrait directement de l’île, très dur. Pourtant, en cinq années cette haute tour de 82,5 mètres, avec des murs épais jusqu’à 4 mètres, est bien édifiée.

Nouveau phare. Photographie personnelle.
Nouveau phare. Photographie personnelle.

La construction est solide mais élégante avec son fût cylindrique, haut d’un peu plus de 53 mètres, dont le diamètre de 11 mètres à la base rétrécit jusqu’à 7 mètres au sommet. À la même période est construit le phare d’Eckmühl, inauguré en 1897. Bâti en partie avec la même pierre, la roche magmatique des carrières de Kersanton, appelée kersantite, pour les ornements extérieurs et les pierres de taille à l’intérieur, le nouveau phare de l’île Vierge présente également des motifs architecturaux similaires à celui d’Eckmühl : un massif de fondation surmonté d’un soubassement orné de bossage et, en haut, une corniche. Le couronnement du soubassement est plus discret que celui du phare d’Eckmühl, mais un fin bandeau en haut du fût et de sobres linteaux lui donnent un léger air de sophistication.

L'escalier suspendu avec sa balustrade en bronze. Photographie personnelle.
L’escalier suspendu avec sa balustrade en bronze. Photographie personnelle.

À l’intérieur, on a la même sensation. La sobriété et l’élégance s’équilibrent. L’escalier suspendu, dont les marches sont chacune formées d’une pierre unique, est orné d’une fine balustrade en bronze. Mais ce qui rend l’intérieur magique ce sont les carreaux d’opaline utilisés comme parement, avec leur jolie brillance et leurs reflets bleutés. L’opaline est un matériau coûteux qui a été choisi ici pour ses propriétés d’isolement. Fabriqués avec de la poudre de verre et de la poudre d’os de mouton, ces carreaux protègent le phare de la condensation.

Pour gagner le haut du phare, il faut donc gravir cet escalier suspendu de 360 marches. Heureusement, les marches ne sont pas trop hautes, les baies fournissent des paliers pour se reposer et admirer la vue, et surtout des petites plaques numérotées nous indiquent le chemin parcouru !

En haut, la vue du large est splendide. J’envie les minuscules voiles au loin qui profitent bien de cette belle étendue bleue.

Mais ce jour-là la côte est restée sous les nuages et je suis déjà bien heureuse d’être sur mon île.

phare de l'île Vierge
Vue de la côte depuis le haut du phare. Photographie personnelle.

La jetée par laquelle je suis arrivée semble soudain bien petite, et d’ailleurs il faut songer à redescendre, si je veux avoir le temps de parcourir l’île avant le retour du bateau. Comme je vous l’ai déjà dit, pas une âme sur l’île Vierge. Il y a tout de même quelques fleurs sauvages et les goélands qui font leurs nids ici, bien certains de ne pas être dérangés. Mais le plus amusant c’est ce gazon épais et serré qui rebondit drôlement sous le pied. Peut-être est-ce à force d’être battu par les vents et surtout d’être si peu foulé. En 1900, un certain Ch. L. G., journaliste au Petit français illustré, journal des écoliers et des écolières, faisait le même constat, après être venu visiter l’île pour son article sur les travaux du phare. Cent quinze ans après, je me dis que rien ne bouge sur l’île Vierge.

Le chantier prend fin au début de l’année 1902. Le nouveau phare est inauguré le 1er mars de la même année, à 18h25, heure habituelle de l’allumage, mais sans grande cérémonie. Quelques quotidiens rapportent tout de même l’évènement. Surtout, deux années plus tôt en 1900, le phare avait été mis à l’honneur à l’Exposition Universelle, sa réplique accueillant les visiteurs dans l’espace consacré aux phares.

Paris exposition 1900 : guide pratique du visiteur de Paris et de l'exposition, 1900, p.355. Source : Gallica/BnF.
Paris exposition 1900 : guide pratique du visiteur de Paris et de l’exposition, 1900, p.355. Source : Gallica/BnF.

Depuis sa mise en route, le nouveau phare de l’île Vierge a encore connu des changements. Électrifié en 1956, il est totalement automatisé en 2010. En 2011, il est classé au titre des monuments historiques. Alors si vous vous trouvez dans ce coin du Finistère cet été, embarquez donc pour l’île Vierge, ou allez-y à pied si la marée le permet. Le phare est ouvert jusqu’à octobre, vous pouvez même y penser pour les vacances d’automne !

gallica - phare île vierge
Armée et marine revue hebdomadaire illustrée des armées de terre et de mer, 27 avril 1902, p.316. Source : Gallica/BnF.

[1] Les phares sont classés selon leur portée, de la plus importante à la plus petite, dans les catégories premier, second et troisième ordre.

[2] « Dès 1820, A. Fresnel imagine de grandes lentilles à échelons de verre servant à réfracter la lumière de la lampe à huile de colza remplacée plus tard par le pétrole et l’électricité. Cette lentille est dite « lentille de Fresnel » et équipe la plupart des phares. » Jean-Christophe Fichou, Gardiens de phares, Ed. Jean-Paul Gisserot, 2014.

Pour en savoir plus :

Le site de la Direction interrégionale de la mer Nord-Atlantique Manche Ouest.

Pour votre visite :

Le site de l’office de tourisme du Pays des Abers.

Le site Finistère Tourime.

Une réflexion sur “Du haut du phare de l’île Vierge

  1. Bien que n’ayant pas eu la possibilité de visiter le phare, l’impression rendue lors de la visite dans l’ile, cet été, est bien traduite par ton article. On a retrouvé le vent marin de cette promenade.

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