Paradise papers

Exclusif

Des proches de Trump dans les paradis fiscaux

Par Daniel Blanchette Pelletier d’Enquête avec l’ICIJ

5 Novembre 2017 | access_time MINUTES DE LECTURE

Des membres du cabinet du président américain Donald Trump, certains de ses proches conseillers et des donateurs politiques influents se retrouvent dans les Paradise Papers. Les documents contenus dans la fuite détaillent leurs investissements dans les paradis fiscaux, qui relient même le secrétaire américain au Commerce jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir en Russie.

Par Daniel Blanchette Pelletier d’Enquête avec l’ICIJ

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L’« America First », si chère à Donald Trump et aux États-Unis, semble bien loin dans les priorités de certaines personnalités influentes entourant le président américain.

Une douzaine d’entre-elles sont notamment nommées dans les documents d’Appleby, le cabinet de services financiers au coeur d’une fuite massive d’informations obtenue par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et partagée avec le Consortium international des journalistes d’enquête (ICIJ), dont fait partie Radio-Canada.

Les révélations s’ajoutent même aux inquiétudes grandissantes concernant l’ingérence russe dans les affaires politiques américaines.

Donald Trump

Depuis l’élection de 2016, les allégations de collusion entre l'équipe de campagne de Donald Trump et la Russie se multiplient et empoisonnent toujours davantage sa présidence.

Le Congrès et le département de la Justice scrutent dans les moindres détails l’entourage du président. Le procureur spécial Robert Mueller, qui mène l’enquête, a déposé ses premières accusations contre trois conseillers de Donald Trump, dont son directeur de campagne, Paul Manafort, qui a plaidé non coupable.

La preuve s’accumule. Mais aucun lien d’affaires entre l’administration Trump et l’entourage du président russe Vladimir Poutine n’a encore été mis au jour.

Les documents confidentiels analysés par l’ICIJ et le New York Times jettent un éclairage nouveau sur les relations obscures entre les États-Unis et la Russie.

Wilbur Ross

En devenant secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, a voulu éviter tout conflit d’intérêts. L’homme d’affaires américain était connu pour acheter des compagnies en difficulté, les restructurer, puis les revendre à profit.

Wilbur Ross s’est dissocié de nombreux investissements avant de rejoindre les rangs du président Trump en février dernier. Il a néanmoins gardé des intérêts financiers dans neuf sociétés, dont quatre qui le relient à la compagnie d’expédition maritime Navigator Holdings, selon les documents consultés par l’ICIJ.

Sa présence au sein de cette compagnie lui rapporte des millions de dollars chaque année, mais révèle aussi d’importants liens d’affaires avec la Russie.

L’un des principaux clients de Navigator est une compagnie russe, Sibur. Cette société gazière et pétrolière basée à Moscou a été fondée par l’État russe en 1995, mais appartient depuis 2010 au beau-fils de Vladimir Poutine, Kirill Shamalov. Deux hommes d’affaires bien placés au Kremlin dirigent aussi l’entreprise.

Kirill Shamalov est marié à la plus jeune fille de Vladimir Poutine. Quant à Leonid Mikhelson et Gennady Timchenko, ils ont été sanctionnés par le département du Trésor américain parce que leurs activités dans le secteur énergétique « sont directement liées à Poutine ».

Contacté par l’ICIJ, un porte-parole du département américain au Commerce affirme que Wilbur Ross n’a jamais rencontré ces trois hommes et que Navigator et Sibur faisaient des affaires avant même qu’il n’investisse dans la compagnie.

En tant que secrétaire au Commerce, Wilbur Ross joue un rôle de premier plan dans l’industrie manufacturière américaine. Il peut également influencer les échanges et les relations économiques avec des pays étrangers, comme la Russie.

Ses décisions peuvent donc avoir une incidence directe sur les activités de Sibur, dont les dirigeants pourraient à leur tour faire pression sur Vladimir Poutine pour réduire ou augmenter le nombre de contrats octroyés à Navigator. Navigator a reçu au total plus de 68 millions de dollars de Sibur depuis 2014, selon l’ICIJ.

Ces révélations soulèvent de potentiels conflits d’intérêts, estiment des experts consultés par les journalistes d’enquête de l’ICIJ.

« Quand vous faites des affaires avec des compagnies énergétiques russes, comme Sibur, vous ne devenez pas seulement intime avec la compagnie, mais aussi avec le gouvernement russe.  »

– Amos Hochstein, ex-responsable de la politique énergétique américaine

WL Ross & Co a acquis 19,4 % de Navigator en 2011, obtenant du même coup deux sièges à son conseil d'administration. Wilbur Ross a occupé l’un des sièges dès le début de l’année suivante, puis a quitté en novembre 2014.

Le multimilliardaire a été interrogé à de nombreuses reprises sur de possibles conflits d’intérêts avec ses activités à l’étranger, notamment avec la Russie, avant d’être confirmé au gouvernement par le Congrès. Aucune question n’a cependant été soulevée à propos de Navigator et ses liens avec Sibur.

Wilbur Ross s’assure de respecter les plus « hauts standards éthiques » et se retire de tout dossier pouvant représenter un conflit d’intérêts, explique le département du Commerce, ajoutant que Sibur n’est frappé d’aucune sanction américaine.

Le Kremlin exerce-t-il une influence sur les réseaux sociaux?

Les autorités américaines s’intéressent au poids de la Russie autant dans l’entourage de Donald Trump que sur les réseaux sociaux depuis l’élection présidentielle. Les documents consultés par l’ICIJ révèlent que des sociétés liées au Kremlin ont investi massivement par le passé dans Facebook et Twitter.

Le milliardaire russe Yuri Milner, reconnu pour connecter les investisseurs avec le secteur des technologies, est au coeur de ces transactions. Il réside désormais aux États-Unis.

L’un de ses fonds d’investissement a notamment permis à une banque appartenant au Kremlin, VTB, d’investir 191 millions de dollars dans Twitter. Les documents analysés par l’ICIJ montrent aussi qu’une filiale du géant russe Gazprom a financé une autre compagnie dans les paradis fiscaux, pour acquérir, en partenariat avec le fonds de Yuri Milner, des parts de Facebook.

En entrevue, Yuri Milner a assuré qu’il ignorait l’implication de Gazprom dans cette transaction, précisant qu’aucun de ses investissements n’est politique. « À l’époque, confie-t-il au New York Times, je n’ai jamais perçu la banque VTB autrement que comme un autre investisseur », ajoutant que les relations diplomatiques entre les États-Unis et la Russie étaient alors bien différentes.

Le fonds d’investissements de Milner a vendu ses parts dans les deux réseaux sociaux juste après leur entrée sur les marchés boursiers, en 2012 et en 2013, selon l’ICIJ. Facebook et Twitter assurent que les investissements faits par l’entremise de Yuri Milner et son fonds ne lui donnaient « aucun contrôle ».

Rien n’indique non plus que le Kremlin a eu une influence sur Facebook et Twitter grâce à ces investissements, même si autant VTB que Gazprom sont reconnues pour leur proximité avec les hauts dirigeants du gouvernement russe. Les deux compagnies ont assuré à l’ICIJ que leurs investissements ne sont pas politiques.

Rex Tillerson

Un autre membre du gouvernement américain apparaît dans les Paradise Papers sans pour autant le lier à la Russie. Le secrétaire d’État Rex Tillerson a été le PDG du géant pétrolier ExxonMobil pendant 10 ans avant de rejoindre les rangs de l’administration Trump.

Les documents consultés par l’ICIJ montrent qu’il a siégé au conseil d’administration de la compagnie Marib Upstream Services Co., incorporée aux Bermudes, de 1997 à 1998. Il était alors le président d’Exxon Yémen. La compagnie devait superviser des activités pétrolières et gazières dans ce pays du Moyen-Orient. Marib Upstream Services Co. a été un client Appleby jusqu’en 2015.

Rex Tillerson n’a pas répondu aux requêtes de l’ICIJ.

Des conseillers dans les Paradise Papers...

D’autres proches conseillers de Donald Trump, dont plusieurs hommes d’affaires proéminents à Wall Street, sont exposés par la fuite d’informations.

  • Carl Icahn

    Carl Icahn

    L’homme d’affaires américain, propriétaire des entreprises Icahn, a dû renoncer en août 2017 à son rôle de conseiller auprès du président américain. Carl Icahn a quitté ce poste informel, même s’il niait les allégations de conflit d’intérêts. Il était soupçonné d’influencer les politiques américaines à l’avantage de ses affaires commerciales, dans le secteur de l’énergie, des métaux, de l’immobilier et des casinos. Le milliardaire a notamment investi dans deux sociétés basées dans des paradis fiscaux qui lui ont fait perdre « beaucoup d’argent ». Carl Icahn n’avait rien à voir dans la structure fiscale de ces entreprises, selon sa porte-parole.

  • Gary Cohn

    Gary Cohn

    Le conseiller économique de Donald Trump est un ancien de la banque Goldman Sachs. Gary Cohn a aussi occupé à cette époque des postes de haute direction, à la présidence ou à la vice-présidence, de plus d’une vingtaine de compagnies enregistrées aux Bermudes, toutes affiliées à un fonds d’investissement dirigé par l’institution financière. D’autres hauts dirigeants de Goldman Sachs, spécialisés dans l’immobilier et les investissements en Asie, étaient aussi impliqués dans la gestion de ces compagnies, radiées en 2012 du registre bermudien des entreprises. Goldman Sachs assure que ces activités étaient légitimes.

  • Stephen Schwarzman

    Stephen Schwarzman

    Cet allié de Donald Trump, qui l’avait placé à la tête du défunt Conseil consultatif des gens d’affaires de la Maison-Blanche, est un fervent opposant aux politiques visant à taxer les plus riches. Le Groupe Blackstone, un cabinet d’investissements en capital qu’il dirige, a acquis des propriétés au Royaume-Uni, dont un centre commercial. Selon l’ICIJ, les documents d’Appleby montrent que ces acquisitions ont été faites grâce à un réseau de sociétés et de fiducies enregistrées au Luxembourg et à Jersey, une île anglo-normande. Les revenus obtenus grâce à ses propriétés allaient ainsi passer par des paradis fiscaux, libres d’impôts. Blackstone estime que ces investissements sont la « norme » dans l’immobilier et qu’ils « respectent les règles internationales et britanniques de taxation ».

…et des donateurs

De grands donateurs politiques aux États-Unis ont aussi fait fructifier leur fortune dans des paradis fiscaux avec l’aide d’Appleby. Plusieurs d’entre eux ont appuyé Donald Trump au fil de sa campagne électorale. Ils lui ont remis au total près de 60 millions de dollars.

  • Sheldon G. Adelson

    Sheldon G. Adelson

    Ce magnat des casinos américains est l’un des plus grands donateurs de la campagne de Donald Trump à la Maison-Blanche. Le milliardaire est président d’une compagnie enregistrée aux Bermudes qui gère la flotte d’avions à la disposition des dirigeants et employés de ses casinos. Selon des documents d’Appleby, Sheldon G. Adelson a ainsi versé des dizaines de millions de dollars à cette compagnie, faisant passer son argent des États-Unis aux Bermudes, sans payer d’impôts. Son entreprise, Las Vegas Sands, est liée à une deuxième société, aussi basée aux Bermudes, qui semble offrir le même genre de services. Sheldon G. Adelson n’a pas répondu aux requêtes de l’ICIJ.

  • Paul E. Singer

    Paul E. Singer

    Cet important donateur n’a pas hésité à soutenir le Parti républicain et Donald Trump, en lui donnant d’ailleurs 1 million de dollars pour son investiture. Paul Elliot Singer est connu pour acheter des actifs en difficulté dans le but d’en tirer profit. De nouveaux documents montrent comment l’une de ses filiales enregistrée aux îles Caïmans lui a permis de collecter des millions de dollars de la République démocratique du Congo, dont il avait racheté la dette. L’affaire s’est réglée à l’amiable en 2008, alors que Paul E. Singer était un client d’Appleby. Les documents confidentiels ont été révélés dans la fuite, mais Paul E. Singer n’a pas répondu aux questions spécifiques concernant ses activités.

Les Paradise Papers

Ce reportage a été réalisé grâce aux Paradise Papers, une fuite de plus de 13 millions de documents obtenus par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et partagés avec le Consortium international des journalistes d’enquête (ICIJ) et ses partenaires, dont fait partie Radio-Canada.

Daniel Blanchette Pelletier​ journaliste, Sasha Chavkin ICIJ, Martha M. Hamilton ICIJ, Melanie Julien chef de pupitre, Gaétan Pouliot journaliste, Spencer Woodman ICIJ, André Guimaraes développeur, ICIJ illustrations Francis Lamontagne designer et Santiago Salcido designer

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