Catalogue Lumière 2019

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Prix Lumière 2019

Catalogue Lumière 2019

Francis Ford Coppola


Un festival de cinĂŠma pour tous !


Partenaires

Sommaire

Le festival Lumière est rendu possible grâce à

Partenaires institutionnels

PRÉFET DE LA RÉGION AUVERGNERHÔNE-ALPES

Partenaires officiels

04 - 11

Éditoriaux Grands partenaires

Partenaires médias

12 - 38

83 - 108

39 - 54

109 - 162

André Cayatte, "le courage social" Forbidden Hollywood : les trésors Warner

67 - 72 AIRFRANCE SKYTEAM Nº dossier : 2007399E

R

V

B

Date : 20/05/09 Validation DA/DC : Validation Client

Avec le soutien de : 3A Assurances / Accorhôtels / Adrea Mutuelle Groupe AESIO / Ateliers Guedj / Auchan Retail / Audio Technique / Cabinet Ratheaux / Cervin / Champagne Castelnau / Cinématériel / Commerces Monplaisir / Continents Insolites / eRolls / Fiducial Legal by Lamy / Galeries Lafayette Bron et Part-Dieu / Gîtes de France Rhône Métropole de Lyon / Goliath / Groupe Authentik Hôtels Lyon / Guillotine Vodka / Intercontinental / Jacques Gairard / Khôra Avocat / Kiprokom / Kleslo / Lavorel Hôtels / La Redoute for Business / Le Passage Restaurant / L’Œil Vintage / Maison Bouture / Maison Louis Latour / Mingat Location / Nadine Guaitoli / Operandi / Panavision / Patrice Riboud  / Pom’Potes / Prestige Sécurité / Printemps Lyon / Profil / Rajon Conseils / Sébastien Bouillet / Solulog / Sorovim / Tendance Presqu’Île / Transpalux

Grands classiques du noir et blanc

Francis Ford Coppola : Prix Lumière 2019

55 - 66

Partenaires

73 - 82

Histoire permanente des femmes cinéastes : Lina Wertmüller

Événements Invités d'honneur Frances McDormand Daniel Auteuil Bong Joon-ho Donald Sutherland Marco Bellocchio Marina Vlady Gael García Bernal

163 - 172

Sublimes moments du muet

173 - 194

Lumière Classics

195 - 206

Trésors et curiosités

207 - 216

Grandes projections

217 - 222

Le festival Lumière pour les enfants

223 - 226

Documentaires sur le cinéma

227 - 235 Annexes


L’équipe du festival Lumière

Franck Riester

10e anniversaire !

En 2019, les occasions de célébrer les grandes étapes de la construction de notre politique culturelle se multiplient : nous fêtons non seulement les 60 ans du ministère de la Culture mais aussi, pour ce qui regarde le cinéma, les 50 ans de la mission patrimoniale du CNC au fort de Bois d’Arcy et les 10 ans du festival Lumière. Ce dernier événement met à l’honneur l’immense Francis Ford Coppola, rare cinéaste à avoir reçu deux fois la Palme d’or dans sa carrière ! Derrière ces anniversaires se mêlent des souvenirs de vie, de cinéma, des pans entiers de l’histoire culturelle pour le plus grand plaisir du public venu assister au festival Lumière.

2019. Il y a dix ans déjà, le festival Lumière remettait le premier Prix Lumière à Clint Eastwood à Lyon, ville natale du Cinématographe. Dix ans et l’an dernier 185 000 festivaliers. Aujourd’hui, pour cette édition anniversaire, l’amour du cinéma classique est plus fort que jamais : Lyon ne cesse de célébrer la mémoire des films, des salles et des spectateurs. Lumière 2019 sera riche de rendez-vous. Des invités d’honneur viendront du monde entier. Frances McDormand, Daniel Auteuil, Bong Joon-ho, Donald Sutherland, Marco Bellocchio, Marina Vlady et Gael García Bernal nous parleront de leur cinéma et de leur cinéphilie. Rétrospectives, hommages, ciné-concerts, expositions, master class, nuits cinéma, séances pour les familles et les enfants, marché DVD, librairie cinéma, Ciné-brocante… autant d’occasions de s’émerveiller ensemble devant les œuvres du patrimoine. Pour ce 10e anniversaire, le festival Lumière crée Lumière Classics, une section qui accueille les plus beaux films restaurés de l’année, proposés par les archives, les producteurs, les ayants droit, les distributeurs, les studios et les cinémathèques. Un label destiné à soutenir les films sélectionnés, français et internationaux. Autre nouveauté, un salon des éditeurs DVD se tiendra au sein du Village du Marché International du Film Classique, ouvert exceptionnellement au public à cette occasion pour débattre lors d’une conférence, de l’avenir du DVD / Blu-ray. Les professionnels du monde entier de la filière du cinéma de patrimoine se retrouveront par la suite pour les quatre jours du Marché du Film. Point d’orgue de cette édition, celui que nous attendons avec impatience, Francis Ford Coppola, Prix Lumière 2019. Créé en 2009, le Prix Lumière se distingue par sa portée internationale et la prestigieuse liste de récipiendaires, qui lui ont donné vocation à devenir, malgré son existence récente, un « Prix Nobel » du cinéma. Nous sommes heureux de voyager, en sa compagnie, dans l’œuvre de Francis Ford Coppola, une des plus grandes légendes vivantes de l’Histoire du cinéma. Un cinéaste au destin hors normes, qui n’a cessé de questionner son art.

Ministre de la Culture

Et puisque nous célébrons sa soixantième année d’existence, je voudrais rappeler que le ministère de la Culture fut fondé sur cette idée de protection et de diffusion des chefs-d’œuvre de l’humanité. Le décret, rédigé par Malraux lui-même en 1959, donna à ce ministère « la mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création de l'art et de l'esprit qui l'enrichisse ». Si ces trésors existent encore dans le domaine du cinéma, c’est grâce à une politique de sauvegarde du patrimoine dont André Malraux a confié la responsabilité au CNC depuis 1969. Nous pouvons en être fiers : la France est l’un des trois pays du monde, avec la Russie et les États-Unis, à détenir la plus importante collection de films anciens. Ce cadeau inestimable, nous en sommes responsables pour les générations futures. J'aimerais donc saluer le remarquable travail collectif mené tout au long de l'année par nos différentes institutions, par le CNC, les cinémathèques, et nos industries techniques, pour la préservation et la diffusion de notre mémoire cinématographique sur tous les supports sans lesquels cette transmission essentielle ne serait pas possible. Excellentes découvertes et très bel anniversaire au festival Lumière !

Pour ces dix années et pour les nombreuses à venir, nous remercions les artistes, les salles de cinéma et de spectacle, les collectivités publiques et les partenaires privés qui nous accompagnent, les bénévoles, toujours plus présents à nos côtés, et le public pour sa ferveur et son énergie sans faille.

Lumière 2019

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Soyez toutes et tous les bienvenus !

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Laurent Wauquiez Président du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes

Aux côtés de Florence Verney-Carron, Vice-présidente déléguée à la Culture et au Patrimoine, je suis fier que la Région soutienne cette année encore le festival Lumière, événement de dimension internationale, qui fêtera son 10e anniversaire en célébrant l’extraordinaire réalisateur Francis Ford Coppola. Ce festival est une vitrine magnifique du rayonnement du savoir-faire cinématographique d’Auvergne-Rhône-Alpes. Nous sommes une Région de culture, qui a vu naître le cinéma grâce au génie des frères Lumière. En cela, le cinéma s’ancre dans le cœur de chacun de nos habitants. Plus encore, qu’un festival de cette ampleur porte leur nom est pour moi un magnifique symbole d’une ville et d’une Région d’avenir, qui n’ont jamais cessé d’innover. Je suis très heureux de ce que représente le festival Lumière pour notre Région, car il incarne parfaitement notre ambition. Tout en étant d’un très haut niveau, il touche un large public grâce à sa programmation de chefs-d’œuvre ambitieuse et créative. Aujourd’hui, pour perpétuer la longue histoire du cinéma en Auvergne-Rhône-Alpes, nous menons une politique très ambitieuse. Elle se traduit notamment par un soutien à la production, puisque nous coproduisons une quinzaine de films chaque année, ou encore par une aide apportée aux festivals, dont le festival Lumière est un exemple emblématique. J’ai enfin à cœur de rendre hommage à tous les organisateurs qui rendent possible cette belle fête du cinéma.

Le Président de la Métropole de Lyon Il y a dix ans, le défi lancé par Bertrand Tavernier, Thierry Frémaux et le Grand Lyon d’inventer un festival du cinéma classique était plus qu’audacieux. Il a été relevé avec brio. Le festival Lumière est devenu un temps fort de notre vie culturelle métropolitaine en même temps qu’un événement cinématographique majeur. D’immenses acteurs et cinéastes se sont succédés pour recevoir le Prix Lumière, de Clint Eastwood à Catherine Deneuve, de Pedro Almodóvar à Jane Fonda en passant par Martin Scorsese ou Wong Kar-wai. Cette réussite nous la devons à l’implication de l'équipe de l'Institut Lumière et des très nombreux bénévoles mobilisés chaque année, artisans passionnés de cette mécanique magique qui fait du festival un moment exceptionnel. La Métropole de Lyon est fière d’être le premier partenaire de cet événement qui pendant dix jours à l’automne, permet à Lyon de redevenir LA capitale du Cinéma. Le festival Lumière est l’occasion pour le public de découvrir l’œuvre d’un artiste du cinéma mondial. Cette année, coup de projecteur sur le réalisateur Francis Ford Coppola, maître du lyrique et du tragique qui recevra le Prix du festival pour l’ensemble de son œuvre. Nous avons hâte de redécouvrir la trilogie du Parrain, Apocalypse Now ou encore Dracula. Nous serons également au rendez-vous pour la venue de Bong Joon-ho, Palme d’or cette année avec Parasite, génial ovni cinématographique. Nous attendons avec impatience enfin les rencontres avec des invités prestigieux comme Marina Vlady et Daniel Auteuil. Que de chemin parcouru depuis la première édition : plus de 1000 films projetés et plus d’un million de spectateurs ! Cette année, près de 190 films du monde entier seront proposés aux festivaliers attendus dans 21 communes de la Métropole. Grâce à elles, le festival touche un large public sur toute l'agglomération, permet de créer de vrais moments de partage et d’ouvrir des fenêtres sur le monde. En explorant un siècle de création, le festival Lumière nous rappelle combien le cinéma est un langage universel. C’est aussi une forme d’engagement, que porte le festival, en menant des actions à l’hôpital, en prison et en direction des personnes réfugiées ainsi qu’un projet de reboisement pour "compenser" son impact environnemental.

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Je vous souhaite un excellent festival à toutes et tous !

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Le Maire de Lyon

Dominique Boutonnat Président du Centre national du cinéma et de l'image animée

Le festival Lumière célèbre cette année son dixième anniversaire, autant d’années durant lesquelles il n’a eu de cesse de mettre à l’honneur avec succès le septième art dans la ville qui l’a vu naître. La richesse de la programmation 2019 permettra une nouvelle fois aux Lyonnaises et aux Lyonnais de découvrir ou redécouvrir de nombreux chefs-d’œuvre du grand écran, en présence de plusieurs de ses talents les plus illustres. En témoigne notamment le Prix Lumière qui sera remis à Francis Ford Coppola : avec cinq Oscars, deux Palmes d’or et des films élevés au rang de classiques, le réalisateur du Parrain et d’Apocalypse Now figure d’ores-et-déjà au panthéon du cinéma. C’est donc un honneur de le recevoir à Lyon, à l’occasion de cet événement qui traduit bien l’ambition poursuivie tout au long de l’année par l’Institut Lumière : mieux faire connaître au plus grand nombre la richesse et la diversité de notre patrimoine cinématographique. Je tiens à exprimer ma gratitude aux équipes de l’Institut Lumière pour leur dévouement, sans lequel cette manifestation ne connaîtrait pas la réussite qui est la sienne aujourd’hui. Et je remercie une nouvelle fois ses initiateurs Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux, qui continuent à le faire vivre depuis ses débuts avec une passion intacte. Je souhaite à chacune et à chacun d’entre vous un excellent festival !

Au festival Lumière, depuis 10 ans, le cinéma de toutes les époques, tous les styles, toutes les régions du monde revit au présent. Nous avons en France la chance de pouvoir nous replonger dans plus d’un siècle de cinéma car d’autres avant nous ont réfléchi à la façon de le conserver et le protéger. Nous devons cette richesse culturelle à des cinéphiles passionnés comme Henri Langlois, qui ont sauvé les films de la disparition et de l’oubli, mais aussi à une politique publique initiée par André Malraux, qui créait il y a 50 ans le service chargé de la conservation du patrimoine cinématographique au CNC. Au-delà du dépôt légal et de notre politique de conservation, le CNC a aidé depuis 2012, à la numérisation et la restauration de plus de 1 000 films français, à hauteur de plus de 60M€. Le CNC poursuit aujourd’hui son activité de numérisation et de restauration des films, et je suis heureux de les voir à l’honneur dans la programmation cette année. En effet, pour les 10 ans du festival seront présentés en avant-première une dizaine de films Lumière inédits, dans leur format d’origine, 75 mm, qui fut inventé à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900. Ces films ont été scannés par les équipes de Bois d’Arcy en 8k. Quelle émotion de découvrir l’inventivité du cinéma à ses premières heures, dont je rappelle qu’il était la deuxième industrie française avant la Première Guerre mondiale ! Le public pourra également assister au ciné-concert d’un monument du cinéma, dont le travail de restauration et de numérisation a été soutenu par le CNC : la fresque historique et dantesque réalisée par l’immense Abel Gance en 1923, La Roue. Cette 11e édition promet des merveilles. J’aimerais à ce titre saluer très chaleureusement Bertrand Tavernier, Président de l’Institut Lumière, Thierry Frémaux, son directeur général, toute leur équipe, ainsi que les collectivités, la Région Auvergne-Rhône-Alpes, la Métropole et la Ville de Lyon, pour faire les plus belles heures de l’histoire du cinéma au présent.

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Enfin, je souhaite un excellent anniversaire au festival Lumière !

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Les Partenaires Officiels

C’est toujours avec autant de bonheur que nous nous associons une nouvelle fois au festival Lumière. Nous sommes très fiers de rassembler derrière nos multiples écrans les spectateurs de tous âges, et de participer à la transmission de ce cinéma dit classique, et de tous horizons. C’est dans cet esprit qu’OCS participe pour la première fois à la restauration de films. En ce mois d’octobre, nous diffuserons sur notre chaine OCS GEANTS deux titres ayant fait l’objet de restaurations exceptionnelles : La Chasse à l’homme, film français avec une pléiade d’acteurs et Pandora, film cultisme aux couleurs flamboyantes. Dans une démarche de partage de notre expérience et de découverte permanente, nous proposons des documentaires inédits qui nous éclairent de manière ludique sur cette aventure qu’est le cinéma. Nous sommes passionnés, et notre bonheur est la magie de cette pellicule et de ses histoires, qu’elles soient en noir et blanc ou en couleur. Nous vous invitons au voyage. Guillaume Jouhet - Directeur général

Si la Hollywood Foreign Press Association décerne les Golden Globes, nos actions vont bien au-delà. Notre organisation vise à créer un pont culturel entre Hollywood et le reste du monde. Nos œuvres philanthropiques sont conséquentes. Depuis 1996, la HFPA s’est investie dans la restauration de films. Préserver notre patrimoine cinématographique, c'est préserver notre propre culture tout en inspirant les futurs cinéastes. À ce jour, nous avons financé la restauration de 125 films en collaboration avec des partenaires renommés. Aujourd’hui, la HFPA est fière de contribuer à la deuxième phase de restauration des films Lumière. L'idée que les générations futures puissent toujours s'émerveiller devant les œuvres de ces pionniers du cinéma est une volonté que nous partageons avec l'Institut Lumière et son directeur, notre ami Thierry Frémaux, et sa formidable équipe. Nous sommes fiers de notre partenariat avec l'Institut Lumière. And we wish you the most successful and pleasant 11th edition. Lorenzo Soria - Président

Nous avons tissé des liens forts qui ne cessent de se renforcer avec le 7e art. BNP Paribas est devenue au fil des décennies une grande banque européenne du cinéma et nous sommes très fiers que le festival Lumière puisse nous compter parmi leurs partenaires pour la 11e année consécutive. En complément du financement, l’engagement de BNP Paribas pour le cinéma se traduit à tous les niveaux : soutien à la création, aide aux jeunes réalisateurs, ou encore partenariats avec plus de 40 festivals en Europe. Créé en 2009, ce rendez-vous annuel s’est imposé comme un moment incontournable de l’industrie cinématographique. Il offre un regard contemporain sur des œuvres du patrimoine cinématographique tout en mêlant création et restauration. C’est aussi un festival qui fait tant la part belle au cinéma qu’aux personnalités emblématiques qui le construisent. Nous souhaitons à tous un très bon festival Lumière 2019 ! Vincent Thiéry - Directeur du Réseau BNP Paribas Auvergne, Rhône-Alpes, Bourgogne, Franche-Comté

Le Groupe Adéquat (Intérim & recrutement - CA : 1Mdrs €) est fier d'être Partenaire Officiel de la 11e édition du festival Lumière. Parce que tout comme le Groupe Adéquat, le festival est aussi une aventure entrepreneuriale, partie de la volonté et de la vision de quelques-uns qui ont su dépasser les difficultés pour devenir un événement incontournable du cinéma mondial ; Parce qu'au sein du Groupe nous avons depuis longtemps fait de l’accès à la culture l’un de nos engagements phares, considérant que le développement et l’accomplissement personnel faisaient parties intégrantes de notre rôle d’employeur et d'acteur de l’emploi ; Parce qu'enfin c'est toujours un plaisir de pouvoir partager ce temps fort avec l’ensemble de nos collaborateurs, salariés intérimaires et clients ; ainsi qu’avec les organisateurs et spectateurs. C’est pourquoi nous accueillons cette nouvelle édition, la 5e en tant que partenaire, avec énormément d'enthousiasme et un engagement chaque année renforcé. Bon festival à tous !

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Avec un savoir-faire de plus de 45 ans, le Groupe Partouche est devenu l’un des acteurs majeurs du divertissement en France. En organisant près de 3 000 événements culturels, musicaux, sportifs, le Groupe Partouche s’intéresse et soutient de nombreuses manifestations, promesses d’enrichissement et de distraction pour tous. Depuis sa création, le Casino Le Pharaon est heureux de participer activement à l’essor culturel de la ville et de contribuer à procurer rêve, plaisir et émotion à tous. C’est donc tout naturellement que le Casino Le Pharaon est devenu Partenaire Officiel du festival Lumière, événement majeur du cinéma de la ville de Lyon. Le Casino Le Pharaon vous souhaite de partager des moments d’émotion uniques et vous dit à bientôt !

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Guy Benhamou - Président

En 30 ans de partenariats avec les plus prestigieux festivals internationaux de cinéma, la Maison DESSANGE a sublimé les plus grandes stars : Brigitte Bardot et son chignon, Uma Thurman et son attache glamour, Scarlett Johansson et son chignon haute couture, le plaqué arty de Bérénice Bejo, le side-hair de Cara Delevingne mais aussi Paz Vega, Géraldine Nakache, Javier Bardem, Xavier Dolan, Chiara Mastroianni… Lorsque l’organisation du festival nous a demandé en 2009 de devenir le Partenaire Officiel beauté du festival Lumière, nous avons naturellement accepté. Durant cette édition, les coiffeurs et maquilleurs DESSANGE apporteront chaque jour toute leur créativité et leur expertise pour mettre en beauté les célébrités du cinéma et l’ensemble des équipes du festival ! Emmanuel Gasnot - Président du directoire DESSANGE International

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Jean-Marc Brun - Président

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Prix Lumière 2019


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Le Prix Lumière a été créé afin de célébrer une personnalité du 7e art, à Lyon, à l’endroit même où le Cinématographe a été inventé par Louis et Auguste Lumière et où ils ont tourné leur premier film, Sortie d’usine, en 1895. Parce qu’il faut savoir exprimer notre gratitude aux artistes du cinéma qui habitent nos vies, le Prix Lumière est une distinction qui repose à la fois sur le temps, la reconnaissance et l’admiration. C’est le cinéaste Francis Ford Coppola qui recevra le Prix Lumière, lors du festival Lumière 2019 qui fête cette année ses 10 ans. Francis Ford Coppola succédera à Jane Fonda, Wong Kar-wai, Catherine Deneuve, Martin Scorsese, Pedro Almodóvar, Quentin Tarantino, Gérard Depardieu, Ken Loach, Milos Forman et Clint Eastwood. Un extraordinaire palmarès pour un extraordinaire récipiendaire. « C’est une des plus grandes légendes vivantes de l’Histoire du cinéma qu’avec le public du festival Lumière nous nous apprêtons à honorer, disent Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux. Cinéaste de génie, doté d’un destin personnel hors normes, auteur de quelques-uns des plus grands succès et des films les plus célèbres du XXe siècle, Francis Ford Coppola n’a cessé de questionner l’art du cinéma, d’en explorer les formes nouvelles de narration et de style, tout en préservant les formes les plus abouties de son classicisme, dans la recherche absolue de l’indépendance et de la liberté de création. » Réalisateur, scénariste, producteur, viticulteur, restaurateur, entrepreneur et patron de studio, Francis Ford Coppola est plus qu’un homme de cinéma. Il apparaît comme le digne continuateur des empereurs hollywoodiens, tout en étant resté fidèle à son idéal de jeunesse de s’interroger constamment sur l’art de raconter et de produire des histoires. Auteur d’une œuvre imprégnée de littérature et de musique ainsi que de culture européenne, il est également passionné par les origines du cinéma : sa maison de production s’appelle American Zoetrope, en souvenir de ce jouet optique du début du XIXe siècle qu’il reçut en cadeau dans les années 60. La visite, rue du Premier-Film, d’un artiste qui s’est toujours intéressé à l’évolution technologique du cinéma n’en prendra que plus d’importance. « À mon âge et la sagesse venue, je suis heureux d’avoir reçu tant de récompenses et d’honneurs, mais une invitation à rencontrer le public dans la ville natale du Cinématographe Lumière est suffisante pour me donner envie d’être parmi vous », nous a déclaré Francis Ford Coppola. Le Prix Lumière, qui lui sera remis le vendredi 18 octobre 2019 dans la grande salle du Centre de Congrès de Lyon, honorera une carrière unique, celle d’un géant du cinéma.

— Tournage du Parrain (The Godfather, Francis Ford Coppola, 1972)

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Prix Lumière 2019

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Dementia 13

1963

de Francis Ford Coppola

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

En pleine nuit, un couple fait de la barque sur l’étang d’un manoir irlandais. Louise (Luana Anders) reproche à son mari John Haloran (Peter Read) d’être sous la coupe de sa mère (Eithne Dunne), obsédée par la mort de sa fille, noyée. John meurt brusquement. Louise décide, afin de prétendre à l’héritage, de jeter son corps par-dessus bord, et de faire croire à son retour urgent à New York. L’ambiance dans le manoir est délétère et particulièrement angoissante…

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— Dementia 13

Né en 1939, Francis Ford Coppola développe très jeune une passion pour la mise en scène. Ses amours se portent d’abord sur le théâtre et la comédie musicale, puis à force de monter et démonter les films de famille, sur le cinéma. Grâce à son père Carmine, flûtiste et chef d’orchestre, il découvre l’opéra. Après un diplôme en Arts du théâtre à la Hofstra University de New York, il poursuit ses études à l’école de cinéma de UCLA à Los Angeles. Après la réalisation de quelques nudies, il est recruté par le producteur Roger Corman pour intégrer son écurie de jeunes talents (parmi lesquels passeront Martin Scorsese, Joe Dante, Monte Hellmann, Peter Bogdanovich…). Spécialisé dans le film pour drive in, Corman recrute régulièrement des étudiants ou de jeunes diplômés. Là, il recherche un monteur. Coppola assurera ce poste, mais deviendra également assistant réalisateur, répétiteur, producteur associé, ingénieur du son…

En 1962, Corman tourne au Royaume-Uni The Young Racers. Comme toujours, il économise sur le budget initial pour tourner un second film. Coppola réussit à le convaincre de lui confier vingt mille dollars pour tourner un scénario qu’il va écrire en trois jours. Le jeune cinéaste tourne en moins de trois semaines à Dublin, avec l’aide de quelques étudiants de UCLA venu le rejoindre (dont Eleanor, qu’il épousera après le tournage). Francis Ford a 23 ans et signe de son nom son premier long métrage : Dementia 13. Le film porte la marque de son producteur : il a le charme du cinéma bis, une ambiance morbide, et des incursions de sexe et de violence (pas assez, au goût de Corman). Mais cette variation (très hitchcockienne) sur la psychose recèle quelques trouvailles de mise en scène. Dans un noir & blanc très contrasté, ce thriller gothique offre un superbe pré-générique : une atmosphère étrange, un rock’n roll en sourdine sortant d’un transistor grésillant, des repères spatiaux perturbés… « Je pense que c’était prometteur, plein d’imagination. Ce n’était pas tout à fait une succession de clichés. Il y a de très belles images. À bien des égards, certaines images comptent parmi les plus belles que j’ai jamais tournées. Principalement parce que j’ai composé le moindre plan. Dans les circonstances actuelles, vous n’avez jamais le temps de le faire. Donc vous laissez cela à d’autres. » (Francis Ford Coppola dans les années 70, cité par Gilles Esposito, Francis Ford Coppola, Capricci) Dementia 13 États-Unis, 1963, 1h10, noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation & scénario Francis Ford Coppola _ Photo Charles Hannawalt _ Musique Ronald Stein _ Montage Stuart O’Brien _ Direction artistique Al Locatelli _ Décors Eleanor Neil _ Costumes Elli O’Hara _ Production Roger Corman, R. Wright Campbell, Charles Hanawalt, The Filmgroup _ Interprètes William Campbell (Richard Haloran), Luana Anders (Louise Haloran), Bart Patton (Billy Haloran), Mary Mitchell (Kane), Patrick Magee (Justin Caleb), Eithne Dunne (Lady Haloran), Peter Read (John Haloran), Karl Schanzer (Simon), Ron Perry (Arthur), Derry O’Donovan (Lilian), Barbara Dowling (Kathleen) _ Avant-première à Los Angeles septembre 1963

La Vallée du bonheur   1968 Finian’s Rainbow de Francis Ford Coppola

Finian (Fred Astaire) et sa fille Sharon (Petula Clark) débarquent de leur Irlande natale dans le sud des États-Unis. Finian compte s’installer dans la vallée du bonheur, près de Fort Knox : il veut y enterrer une marmite en or dérobée à un leprechaun (Tommy Steele) afin de faire fortune sur ce sol d’une grande richesse. Le duo s’installe dans une communauté menée par Woody (Don Francks), cultivateur de tabac, aux prises avec le sénateur Rawkins (Keenan Wynn) qui veut lui prendre ses terres…

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Cinéaste de génie au destin hors normes, auteur de quelques-uns des plus grands succès et des plus célèbres films du XXe siècle, Francis Ford Coppola n’a cessé d’explorer les voies nouvelles du cinéma, tout en préservant les formes les plus abouties de son classicisme, dans la recherche de la liberté absolue de création. Le festival Lumière rend hommage à ce digne continuateur des empires hollywoodiens, fidèle à son idéal de toujours : questionner l’art du cinéma.

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La Vallée du bonheur (Finian’s Rainbow) États-Unis, 1968, 2h21, couleurs (Technicolor), format 2.35 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario E.Y. Harburg, Fred Saidy, d’après leur comédie musicale Finian’s Rainbow _ Photo Philip Lathrop _ Musique Ray Heindorf _ Montage Melvin Shapiro _ Décors Hilyard Brown _ Costumes Dorothy Jeakins _ Production Joseph Landon, Warner Brothers / Seven Arts _ Interprètes Fred Astaire (Finian McLonergan), Petula Clark (Sharon McLonergan), Tommy Steele (Og, le leprechaun), Don Francks (Woody Mahoney), Keenan Wynn (le sénateur Billboard Rawkins), Barbara Hancock (Susan, la muette), Al Freeman Jr. (Howard), Ronald Colby (Buzz Collins), Dolph Sweet (le shérif), Wright King (l’avocat), Louis Silas (Henry) _ Sortie aux États-Unis 9 octobre 1968

Les Gens de la pluie

1969

The Rain People de Francis Ford Coppola

Un matin, Natalie Ravenna (Shirley Knight), femme au foyer, déserte le logis familial de Long Island, alors que son époux dort encore. Elle lui laisse un mot lui demandant de ne pas s’inquiéter. Au volant de sa voiture, elle fait le point sur sa vie de femme, d’épouse et bientôt de mère. Car Natalie est enceinte. Elle prend en stop Jimmie "Killer" Kilgannon (James Caan), ancien champion de football universitaire. Lorsqu’il était enfant, Francis Ford Coppola vit sa mère partir quelques jours, quittant mari et enfants. Ces quelques jours, elle les passa seule, dans un motel. De ce matériau familial, associé à sa promesse d’écrire un jour pour Shirley Knight, est né Les Gens de la pluie. Ce projet bien plus personnel, Coppola décide de l’entreprendre avec ses fonds propres. Son fantastique pouvoir de persuasion fera le reste : il demande une rallonge à Warner Bros. et Seven Arts, qui la lui accordent, malgré l’insuccès de son film précédent, La Vallée du bonheur. La négociation ira même plus loin : Coppola veut réaliser de manière totalement indépendante. Il impose alors au studio un tournage itinérant sur les routes américaines, d’est en ouest, avec une équipe réduite et huit véhicules, puis un séjour de deux mois dans le Nebraska. "Les gens de la pluie" sont, selon l’histoire racontée par le personnage de Killer, ces êtres faits de pluie qui fondent et disparaissent complètement lorsqu’ils pleurent. Pour lui, Natalie fait partie de ces personnes. Il est vrai que jusquelà, Natalie s’est dissoute dans une vie qu’on a décidée pour elle, un destin que finalement, elle n’a pas choisi. Sur la route, elle avance au hasard des rencontres. Et celle de Killer sera capitale : le colosse, redevenu enfant, abîmé par un accident cérébral, est encore plus désemparé qu’elle. Comme elle oscille entre l’envie de partir et celle de rester avec son époux et d’élever leur enfant à naître, elle oscille entre poursuivre son chemin seule ou s’occuper de cet homme-enfant. Road-movie féminin – qui annonce les futurs Wanda de Barbara Loden ou Alice n’est plus ici de Martin Scorsese –, Les Gens de la pluie est sans doute l’un des plus beaux portraits de femme de Coppola. Le cinéaste sonde l’Amérique contemporaine, faite de précarité, où chacun se débat avec ses blessures et ses angoisses. Loin des canons hollywoodiens, il filme "à l’européenne" l’errance et les illusions perdues. « Les Gens de la pluie est un des premiers films américains de déplacement. D’ordinaire dans le cinéma US, on ne se déplace pas. On va toujours vers quelque chose. On a un but à atteindre. Un objectif au voyage. Le cinéma américain est celui de l’action à accomplir. Pas ici. Pas chez

— Les Gens de la pluie

Coppola. Seul compte et est filmé le déplacement. Natalie ne sait pas où elle va mais elle va. […] Le déplacement, c’est l’occupation du vide. […] Ce que Les Gens de la pluie a à dire, il le révèle par le vide et non par le plein, comme le veulent l’habitude et l’imaginaire du cinéma hollywoodien. […] Les récits initiatiques (voir les rites, omniprésents) de Coppola ne débouchent sur aucun enseignement. C’est là leur intérêt, leur beauté. Pas d’exercices profitables, de leçons. » (Cédric Anger in Francis Ford Coppola, Capricci) Les Gens de la pluie (The Rain People) États-Unis, 1969, 1h41, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation & scénario Francis Ford Coppola _ Photo Wilmer Butler _ Musique Ronald Stein _ Montage Blackie Malkin _ Direction artistique Leon Ericksen _ Production Ronald Colby, Bart

Patton, American Zoetrope _ Interprètes Shirley Knight (Natalie Ravenna), James Caan (Jimmie "Killer" Kilgannon), Robert Duvall (Gordon), Marya Zimmet (Rosalie), Tom Aldredge (Mr. Alfred), Laurie Crewes (Ellen), Andrew Duncan (Artie), Margaret Fairchild (Marion), Sally Gracie (Beth), Alan Manson (Lou), Robert Modica (Vinny Ravenna) _ Présentation au Festival international de Donostia-San Sebastian juin 1969 _ Sortie aux États-Unis 27 août 1969 _ Sortie en France 21 octobre 1970

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola 18

Depuis sa création à Broadway en 1947, la comédie musicale Finian’s Rainbow a fait l’objet de plusieurs projets d’adaptation. Toujours en vain. Alors quand les studios Warner proposent à Francis Ford Coppola d’être le réalisateur d’une nouvelle adaptation qui verrait réellement le jour, il accepte, même si le budget est réduit. Il connait par cœur ce classique, énorme succès à New York, que lui a fait découvrir Carmine, son père. Faire un musical en 1967 est déjà anachronique, tant le genre est passé de mode. On peut alors voir dans La Vallée du bonheur un hommage aux classiques du genre, Brigadoon de Vincente Minnelli ou Le Magicien d’Oz de Victor Fleming. Le film est conçu comme un grand spectacle avec ouverture, entracte et finale musicaux. S’il est majoritairement filmé en extérieurs, certaines scènes de studio sont d’une beauté extraordinaire. La fable, mélangeant tout, de la légende celtique au mythe américain, de la pop de Petula Clark au classicisme élégant de Fred Astaire, est nostalgique, presque naïve. Réduits aux dimensions d’une petite communauté rurale, les luttes et enjeux sont les mêmes que sur le reste du sol américain : la liberté, la poursuite d’un rêve, la quête d’une terre d’abondance. L’apport du jeune cinéaste – il n’a pas encore 30 ans – se situe dans le traitement de la question des droits civiques et de l’égalité raciale : il modernise le livret d’origine en y incluant un sit-in. Si le film ne convainc pas totalement, on salue la prestation de Fred Astaire. Absent des écrans depuis six ans (L’Inquiétante Dame en noir, Richard Quine), il revient, vieilli, esquissant quelques entrechats particulièrement émouvants – on ne l’avait pas vu danser depuis La Belle de Moscou (Ruben Mamoulian, 1957). On accompagne du regard sa silhouette toujours élancée, partant à la recherche de Glocca Mora, nouvelle Terre promise. « Il y a surtout Fred Astaire qui coiffe tout le monde et finit par constituer la grande raison d’être du film. Fred Astaire qui, acteur plus complet que jamais, nous offre ici un bilan de sa carrière. Dans la mesure où son âge l’oblige à économiser un peu sur les moyens (sans qu’on constate pour autant le moindre fléchissement sur le résultat), on a une bonne occasion de découvrir ou de vérifier que le talent d’Astaire tint toujours à cela justement : une économie des moyens qui lui permettait de toujours obtenir le rendement maximum en réduisant à l’essentiel les éléments mis en jeu. Astaire est le seul qui, vieillissant et nous faisant ses adieux, puisse encore se payer le luxe d’être meilleur que jamais. » (Michel Delahaye, Cahiers du cinéma n°215, septembre 1969)

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1972

Le Parrain, 2e partie

1974

Le Parrain, 3e partie

1990

The Godfather

The Godfather: Part II

The Godfather: Part III de Francis Ford Coppola

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

New York, 1945. Don Vito Corleone (Marlon Brando), parrain respecté de la Mafia, marie sa fille Connie (Talia Shire). En ce jour de célébration, il ne peut refuser de rendre service à ceux qui lui demandent son aide. De faveur en faveur, de trahison en trahison, une guerre se prépare entre les clans, qui n’épargnera aucun membre de la famille Corleone. Notamment Michael (Al Pacino), le fils de Vito, marine tout juste revenu de la guerre.

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— Le Parrain

Paru à la fin des années 60, The Godfather de Mario Puzo est un énorme succès. La Paramount cherche à l’adapter à peu de frais. Le studio décide de confier le projet à Francis Ford Coppola, dont les origines italo-américaines semblent un gage de confiance. Il était peu prévisible que Le Parrain devienne le classique qu’il est aujourd’hui. Avec ce film, qui remporte trois Oscars et cinq Golden Globes, Coppola signe son premier grand succès, celui qui lui permettra de conquérir Hollywood. Une des raisons de ce succès est certainement le souci d’authenticité du cinéaste. Au lieu d’adapter le roman à l’époque contemporaine, il décide de reconstituer le New York du milieu des années 40. Les images, d’une violence réaliste, présentent les personnages évoluant dans le décor naturel du Lower East Side, maquillé en rue du milieu du XXe siècle, et de Little Italy, quartiers grouillants, vivants et traditionnels. La musique inoubliable de Nino Rota, rappelant les valses italiennes, contribue au succès du Parrain. La mise en scène est d’un classicisme très efficace, Coppola travaille minutieusement avec ses acteurs et demande au chef opérateur Gordon Willis une ambiance ténébreuse, à l’image des protagonistes. Conçu comme un film sur les Borgia, Le Parrain, au-delà d’une famille de gangsters, présente une dynastie face au problème de la succession. Don Vito Corleone (Marlon Brando) cherche en ses trois fils l’héritier de son empire. Michael (Al Pacino), le cadet, a tout fait pour s’éloigner de ces affaires. Ce sont ses valeurs morales et notamment l’importance de la famille qui le feront changer d’avis. Les personnages ne sont pas présentés comme de simples gangsters d’origine sicilienne, ils sont aussi les vecteurs des valeurs américaines : famille, business, patrie. Ils sont les enfants d’une Amérique en évolution.

Deux ans après le premier opus, Coppola ajoute un second volet à la saga. Grâce au succès retentissant du Parrain, il a toute liberté (et un budget doublé) pour travailler. Il s’attache désormais au destin tragique de Michael, devenu un Don Corleone furieux, paranoïaque, solitaire. La chute approche, la perte des valeurs originelles et du sacré également. En parallèle, on nous montre l’ascension, plusieurs décennies plus tôt, de son père Vito, jeune immigré italien dans une Amérique en plein essor. La fin de ce deuxième volet ne laisse que peu de place à une suite : Coppola refusera longtemps d’en réaliser une. Quinze ans plus tard, il décide pourtant de repasser derrière la caméra pour filmer l’épilogue, beaucoup plus intimiste, de son histoire. L’heure est au bilan, celui d’une vie de crime, de trahison, et désormais de remords. De nouveau, les motifs de la succession et de l’héritage reviennent, inexorablement. Coppola souhaitait d’ailleurs intituler cet épilogue La Mort de Michael Corleone. « Quand je faisais des choix dans l’écriture du scénario des trois Parrain, je les basais en général toujours sur quelque chose que j’avais connu personnellement. […] Ces films sont comme des home movies. Dans ces films, il y a ma vraie sœur, la musique est de mon père : ça m’a permis de faire du Parrain III un film tout à fait personnel. Je savais que cela donnerait de la vie au film. » (Francis Ford Coppola, Cahiers du cinéma n°442, avril 1991). Saga hors norme servie par des acteurs qui ne le sont pas moins (remarquables Marlon Brando, Al Pacino, Robert De Niro, Robert Duvall, Diane Keaton…), devenue objet de culte, la trilogie du Parrain synthétise toute l’œuvre du cinéaste : une histoire familiale dans la lignée des grandes sagas classiques, un ton chargé de mélancolie, un questionnement sur le rapport au temps et à la transmission. « Modèle du genre inégalé dans l’histoire récente du cinéma, la trilogie enchaîne les épisodes, maintenant intact le cap de son ambition initiale. Aucune trace de surenchère dans la succession de ces tomes, les films obéissent à une seule loi : celle qui commande l’expansion romanesque, pour mieux la livrer à sa chute finale. Film-monde, le projet est bien de resserrer dans leurs détails une époque et un univers ("the family"), mais aussi d’accompagner le passage du temps sur eux. » (Jean-Pierre Rehm, Cahiers du cinéma n°585, décembre 2003) Le Parrain (The Godfather) États-Unis, 1972, 2h57, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario Mario Puzo, Francis Ford Coppola, d’après le roman éponyme de Mario Puzo _ Photo Gordon Willis _ Effets spéciaux Sass Bedig, A.D. Flowers, Joe Lombardi _ Musique Nino Rota, Carmine Coppola _ Montage William Reynolds, Peter Zinner _ Décors Dean Tavoularis, Philip Smith _ Costumes Anna Hill Johnstone _ Production Albert S. Ruddy, Paramount Pictures, Alfran Productions _ Interprètes Marlon Brando (Don Vito Corleone), Al Pacino (Michael Corleone), James Caan (Santino "Sonny" Corleone), Richard S. Castellano (Peter Clemenza), Robert Duvall (Tom Hagen), John Marley (Jack Woltz), Richard Conte (Barzini), Al Lettieri (Sollozzo), Diane Keaton (Kay Adams), Talia Shire (Constanza "Connie" Corleone-Rizzi), Sterling Hayden (le capitaine McCluskey) _ Sortie aux États-Unis 24 mars 1972 _ Sortie en France 18 octobre 1972

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Le Parrain

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pola, Gray Frederickson, Fred Roos, Paramount Pictures, The Coppola Company _ Interprètes Al Pacino (Michael Corleone), Robert Duvall (Tom Hagen), Diane Keaton (Kay), Robert De Niro (Vito Corleone), John Cazale (Fredo Corleone), Talia Shire (Connie Corleone), Lee Strasberg (Hyman Roth), Michael V. Gazzo (Frankie Pentangeli), G. D. Spradlin (le sénateur Pat Geary), Richard Bright (Al Neri), et Roger Corman (un sénateur), Roman Coppola (Sonny Corleone, enfant), Sofia Coppola (une enfant) _ Sortie aux États-Unis 20 décembre 1974 _ Sortie en France 27 août 1975 Le Parrain, 3e partie (The Godfather: Part III) États-Unis, 1990, 2h42, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario Mario Puzo, Francis Ford Coppola, d’après le roman éponyme de Mario Puzo _ Photo Gordon Willis _ Effets spéciaux R. Bruce Steinheimer, Lawrence J. Cavanaugh _ Musique Nino Rota, Carmine Coppola _ Montage Barry Malkin, Lisa Fruchtman, Walter Murch _ Décors Dean Tavoularis _ Costumes Milena Canonero _ Production Francis Ford Coppola, Gray Frederickson, Fred Roos, Charles Mulvehill, Paramount Pictures, Zoetrope Studios _ Interprètes Al Pacino (Michael Corleone), Diane Keaton (Kay), Talia Shire (Connie Corleone Rizzi), Andy Garcia (Vincent Mancini), Eli Wallach (Don Altobello), Joe Mantegna (Joey Zasa), George Hamilton (B. J. Harrison), Bridget Fonda (Grace Hamilton), Sofia Coppola (Mary Corleone), Raf Vallone (le cardinal Lamberto), Franc D’Ambrosio (Anthony Corleone), Donal Donnelly (l’archevêque Gilday), Richard Bright (Al Neri), Helmut Berger (Frederick Keinszig) _ Sortie aux États-Unis 25 décembre 1990 _ Sortie en France 27 mars 1991

Conversation secrète

1974

The Conversation de Francis Ford Coppola

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Harry Caul (Gene Hackman) est seul au milieu de la foule. Il enregistre le dialogue d’un couple pour le compte d’un de ses clients. Il est l’un des meilleurs dans son métier : écouteur professionnel. Une sorte d’espion qui capte les conversations les plus secrètes. En écoutant les enregistrements chez lui, il découvre un complot meurtrier…

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Francis Ford Coppola commença à travailler sur Conversation secrète dès 1967. Et c’est grâce au succès du Parrain en 1972 qu’il réussit finalement à imposer ce projet personnel. Dans le milieu, Harry Caul est un des meilleurs « plombiers ». Il construit ses systèmes d’écoute et espionne pour le compte de ses clients. C’est son travail, pas davantage. Il s’est toujours tenu en marge de la société, et ça lui convient. Jusqu’au moment où la situation lui échappe : oubliant sa propre déontologie, il s’intéresse à une affaire en cours. Serait-ce pour lui le moment d’agir, et finalement d’interagir avec le monde ? Sorti quelques mois avant la démission de Richard Nixon, Conversation secrète fut synchrone avec le dévoilement du

Watergate. Les écoutes de la Maison-Blanche passionnent, et en même temps inquiètent l’Amérique. L’heure est à la paranoïa et à la théorie du complot. Pour cette histoire kafkaïenne, Coppola prend comme modèle Hal Lipset, détective privé de San Francisco, qui s’illustrera bientôt dans l’analyse des bandes sonores de la Maison-Blanche. Mais alors que la mode est au combat d’un héros, seul contre une force aliénante et invisible, le cinéaste choisit ici un homme névrosé, retiré du monde, un solitaire qui ne fait plus confiance à personne. La mélancolie imprègne ainsi tout le film, Harry Caul traînant sa silhouette de paumé et son imperméable défraîchi. Avec une mise en scène virtuose (le film recevra la Palme d’or à Cannes en 1974), Coppola installe une ambiance de malaise, d’angoisse, que vient parachever une entêtante musique jazzy. Dans cet univers clos, minéral, la bande son (signée Walter Murch, homme clé du film) perturbe jusqu’au malaise. « Servie par l’interprétation exceptionnelle de Gene Hackman, la mise en scène construit au sein du quotidien le plus banal une étrangeté confinant à l’épouvante, par l’interaction inédite entre l’image et le son, par la progressive transformation de l’enregistrement du réel en graphisme presque abstrait. Ce sont les choix stylistiques qui racontent l’évolution psychique du personnage et simultanément suggèrent le passage insensible de la description du monde à l’invention d’une fiction autiste. […]. Conversation secrète annonce ces "films de dénonciation" qui vont s’en prendre à l’emprise étatique sur la vie des personnes et au danger de la technique, qu’illustreront bientôt les beaucoup plus conventionnels Les Hommes du président ou Les Trois Jours du Condor. À rebours de ces "fictions consolatrices", Coppola maintient une indécision infiniment plus troublante, et donc plus démocratique, que le règlement de compte du vieil individualisme américain avec l’État, profitant du Watergate pour ressusciter les cowboys. » (Jean-Michel Frodon, Le Monde, 25 octobre 2000).

Apocalypse Now Final Cut

1979-2019

de Francis Ford Coppola

Saïgon, pendant la guerre du Viêt-nam. Le capitaine Willard (Martin Sheen) se voit confier une mission par l’état-major américain : retrouver et éliminer le colonel Kurtz (Marlon Brando). À des centaines de kilomètres, Kurtz échappe à tout contrôle, règne sur un groupe d’indigènes et mène des opérations sanguinaires contre le camp ennemi. Willard, à bord d’une vedette, remonte la rivière qui le sépare de Kurtz, traversant la jungle et l’horreur des combats… Adapter Heart of Darkness de Joseph Conrad était le projet d’Orson Welles à son arrivée à Hollywood. Mais il ne le réalisera pas. C’est un an seulement après la chute de Saïgon que Francis Ford Coppola s’y attelle et démarre la production de ce qui deviendra un monument : le cinéaste transpose le roman du Congo de la fin du XIXe siècle au

Viêt-nam des années 70. Le cinéaste est au sommet, fort du succès de ses deux épisodes du Parrain (1972 et 1974). Dans le Nouvel Hollywood, il fait partie des réalisateurs qui font la loi. Aussi, un tel projet pharaonique ne lui fait pas peur. Mais rien ne se passera comme prévu. Le tournage s’avère être un gigantesque bourbier. Les catastrophes s’accumulent : maladies, conditions climatiques effroyables, typhon détruisant les décors, Marlon Brando qui ne connaît pas son texte, Harvey Keitel remplacé au bout de quelques jours par Martin Sheen qui fait un infarctus… L’expérience prend un tour imprévu lorsque les hélicoptères philippins loués par Coppola quittent de temps en temps le tournage pour aller lancer des roquettes sur les rebelles du sud du pays. Entre attente interminable et dépression latente, une partie de l’équipe plonge dans les paradis artificiels des années 70. C’est donc quatorze mois dans la jungle (et trente millions de dollars au lieu de dix) qui seront nécessaires pour venir à bout du tournage. « Apocalypse Now n’était pas un film sur le Viêt-nam ; c’était le Viêt-nam. Comme l’armée américaine, nous étions arrogants, nous

Conversation secrète (The Conversation) États-Unis, 1974, 1h54, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation & scénario Francis Ford Coppola _ Photo Bill Butler _ Musique David Shire _ Montage Richard Chew _ Montage sonore Walter Murch _ Décors Dean Tavoularis, Doug von Koss _ Costumes Aggie Guerard Rodgers _ Production Francis Ford Coppola, Fred Roos, The Coppola Company, American Zoetrope, Paramount Pictures _ Interprètes Gene Hackman (Harry Caul), John Cazale (Stan), Allen Garfield (Bernie Moran), Frederic Forrest (Mark), Cindy Williams (Ann), Michael Higgins (Paul), Elizabeth MacRae (Meredith), Teri Garr (Amy), Harrison Ford (Martin Stett), Mark Wheeler (le réceptionniste), Robert Shields (le mime), Phoebe Alexander (Lurleen), Robert Duvall (le directeur, non créd.) _ Présentation au Festival de Cannes 22 mai 1974 _ Sortie aux États-Unis 7 avril 1974 _ Sortie en France 5 juin 1974

— Conversation secrète

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Le Parrain, 2e partie (The Godfather: Part II) États-Unis, 1974, 3h22, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario Mario Puzo, Francis Ford Coppola, d’après le roman éponyme de Mario Puzo _ Photo Gordon Willis _ Effets spéciaux A.D. Flowers, Joe Lombardi _ Musique Nino Rota, Carmine Coppola _ Montage Barry Malkin, Richard Marks, Peter Zinner _ Décors Dean Tavoularis, George R. Nelson _ Costumes Theadora Van Runkle _ Production Francis Ford Cop-

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Coup de cœur

One from the Heart de Francis Ford Coppola

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

— Apocalypse Now Final Cut

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avions trop de monde, trop de matériel, trop d’argent et, peu à peu, nous sommes devenus fous. » (Francis Ford Coppola). Le tournage terminé, l’aventure ne touchera pas encore au but : six cents kilomètres de pellicule, deux ans de montage, et une fin quasi introuvable pour Coppola. Mais lorsque le film sort en 1979, l’effet est retentissant. Film sensoriel par essence, Apocalypse Now est une expérience très personnelle pour le spectateur. Des images comme autant de sensations : les pales des ventilateurs dans la moiteur de Saïgon, The Doors, la charge des hélicos sur fond de Chevauchée des Walkyries, l’arrivée dans le royaume de Kurtz, les visages fantomatiques peints en blanc, l’odeur du napalm… Le feu. Le sang. La folie des hommes. Si Apocalypse Now est une réflexion sur l’homme et son évolution, sur la guerre et son bourbier, c’est avant tout le voyage mental du capitaine Willard, une quête initiatique, avec ses étapes et ses rites de passage. « Coppola se fait le spéléologue des gouffres humains, nous conviant à une odyssée dont le dessein est avant tout poétique, peut-être même onirique. Une symphonie de

l’horreur, sans doute plus proche de Nosferatu et de Macbeth que de The Deerhunter et Platoon, ces chroniques hyperréalistes. Un "Viêt-nam de l’esprit" qui questionne et redéfinit la notion même d’humanité. » (Michael Henry, Positif n°483, mai 2001) En 2000, Francis Ford Coppola remonte le film avec Walter Murch, repensant complètement l’histoire : près de cinquante minutes supplémentaires et, enfin visible, la scène de la plantation, où des colons français sont restés retranchés dans la jungle à la fin de la guerre d’Indochine. L’actrice Aurore Clément apparaît dans le film, vingt et un ans après le tournage. Aujourd’hui, quarante ans après sa sortie, le cinéaste livre son Final Cut, version remaniée et restaurée en 4K. Trois heures pour cette relecture aboutie qui révèle à nouveau, comme au premier jour, sa splendeur visuelle et sonore. Apocalypse Now Final Cut États-Unis, 1979-2019, 3h02, couleurs, format 2.35 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario John Milius, Francis Ford Coppola, Michael Herr, d’après le roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad _ Photo Vittorio Storaro _ Musique Carmine Coppola,

1981

Las Vegas. Un déluge de lumières multicolores se répand sur un décor irréel, un paradis de la chance où tout peut arriver. Dans cet espace construit pour le seul plaisir de jouer et de rêver, deux amants : Hank (Frederic Forrest) et Frannie (Teri Garr) font le bilan de cinq années de vie commune. Ils se sont rencontrés un 4 juillet, alors que la ville entière célébrait le jour de l’Indépendance. Désormais, ils s’ennuient. Frannie décide de quitter Hank. Coup de cœur est un symbole dans la carrière de Francis Ford Coppola. Au tournant des années 80, il décide de racheter Hollywood General Studios à Los Angeles pour entamer la seconde ère de son studio Zoetrope. Le cinéaste reprend sa casquette d’entrepreneur : il veut un studio qui rassemblerait une communauté de réalisateurs, américains, et européens, bannis car pas assez commerciaux, mais également des techniciens. Il veut aussi investir dans les nouvelles technologies et surtout que Zoetrope suive les films, de leur conception à leur sortie en salles. En résumé : tout maîtriser. Coup de cœur est le premier film produit par cette nouvelle "usine" du cinéma. Coppola expérimente ce qu’il appellera « le cinéma électronique » : il veut réunir préproduction, production et postproduction. Il révolutionne ses méthodes de travail grâce à un système de prévisualisation vidéo qui lui permet de corriger, de réécrire le film, quasiment en temps réel. Le cinéaste n’est d’ailleurs plus présent sur le plateau, mais interagit depuis son van argenté, le Silverfish. Coppola reconstruit Las Vegas dans ses studios. Le budget initial passe de deux millions de dollars à vingt-sept… La

folie des grandeurs ne sera pas payante : le film est un échec commercial et le cinéaste mettra plus de dix ans à rembourser ses dettes, un gouffre qui l’obligera désormais à tourner des films moins personnels. À cette époque-là, Cimino et Scorsese essuient également de sérieux déboires (La Porte du Paradis, La Valse des pantins) ; le Nouvel Hollywood devra changer de cap pour la prochaine décennie. Si la genèse de Coup de cœur participe désormais du mythe Coppola, que reste-t-il du film ? Il raconte une histoire de couple, ni ensemble, ni séparé, une histoire légère, toujours mélancolique. Une sorte de version indépendante des comédies musicales à succès du vieil Hollywood. Entre théâtre et show télévisé, à l’image d’un Las Vegas où réel et imaginaire s’entremêlent, le traitement de Coup de cœur est particulièrement audacieux. Le film est un objet, une rêverie mentale ultra stylisée, bercée par Tom Waits, dont les couleurs et les lumières, hommage à la culture américaine, sont photographiées par l’un des plus grands opérateurs, Vittorio Storaro (L’Oiseau au plumage de cristal, Le Conformiste, Apocalypse Now, Reds…). « One from the Heart possède la fluidité d’un fleuve d’eau de la vie, resplendissant comme un cristal. C’est une comédie musicale où la danse n’est plus chorégraphiée, réglée au millimètre près. Ici, c’est la lumière qui danse, les néons qui bougent, les images qui s’animent, s’agitent, se fondent les unes dans les autres jusqu’à ce que le rideau tombe. » (Iannis Katsahnias, Francis Ford Coppola, Cahiers du cinéma) Coup de coeur (One from the Heart) États-Unis, 1981, 1h47, couleurs (Technicolor), format 1.37 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario Francis Ford Coppola, Armyan Bernstein, d’après une histoire d’Armyan Bernstein _ Photo Vittorio Storaro, Ronald V. García _ Effets spéciaux visuels Robert Swarthe _ Musique Tom Waits _ Montage Anne Goursaud, Rudi Fehr, Randy Roberts _ Décors Dean Tavoularis _ Costumes Ruth Morley _ Production Gray Frederickson, Fred Roos, Armyan Bernstein, Zoetrope Studios _ Interprètes Frederic Forrest (Hank), Teri Garr (Frannie), Raul Julia (Ray), Nastassja Kinski (Leila), Lainie Kazan (Maggie), Harry Dean Stanton (Moe), Allen Garfield (le propriétaire du restaurant), Jeff Hamlin (l’agent Airline), Italia et Carmine Coppola (le couple dans l’ascenseur) _ Sortie aux États-Unis 11 février 1982 _ Sortie en France 29 septembre 1982

The Outsiders: The Complete Novel

1983

de Francis Ford Coppola

À Tulsa, Oklahoma, deux bandes rivales s’opposent. D’un côté, les Greasers, gamins pauvres, sans famille, issus du mauvais quartier de la ville ; de l’autre, les Socs, gosses de riches se pavanant en Cadillac. Lors d’une bagarre, Johnny (Ralph Macchio) plante un Soc afin de sauver la vie de son meilleur ami Ponyboy (C. Thomas Howell). Dallas (Matt Dillon) leur conseille de s’exiler à la campagne.

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Francis Ford Coppola ; The Doors, The Rolling Stones, Robert Duvall… _ Montage Walter Murch, Gerald B. Greenberg, Lisa Fruchtman, Richard Marks _ Décors Angelo Graham, Dean Tavoularis _ Costumes Charles E. James _ Production Francis Ford Coppola, Gray Frederickson, Fred Roos, Tom Sternberg, Zoetrope Studios _ Interprètes Marlon Brando (le colonel Kurtz), Robert Duvall (le lieutenant-colonel Kilgore), Martin Sheen (le capitaine Willard), Frederic Forrest (Jay "Chef" Hicks), Albert Hall (Chief Phillips), Sam Bottoms (Lance), Larry Fishburne (Tyrone "Clean" Miller), Dennis Hopper (le photographe), G.D. Spradlin (le général), Harrison Ford (le colonel Lucas), Jerry Ziesmer (le civil), Scott Glenn (Colby), Bo Byers (le premier sergent MP), James Keane (le fusil-mitrailleur de Kilgore), Kerry Rossall (Mike de San Diego), et non crédité Francis Ford Coppola (le réalisateur TV), Aurore Clément (Roxanne Sarrault), Christian Marquand (Hubert de Marais), Roman Coppola (Francis de Marais), Gian-Carlo Coppola (Gilles de Marais) _ Présentation d’Apocalypse Now au Festival de Cannes 10 mai 1979 _ Sortie aux États-Unis 15 août 1979 _ Sortie en France 26 septembre 1979 _ Présentation d’Apocalypse Now Final Cut au Festival de Tribeca 28 avril 2019 _ Sortie aux États-Unis 15 août 2019 _ Sortie en France 21 et 28 août 2019

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The Outsiders: The Complete Novel États-Unis, 1983, 1h55, couleurs, format 2.35 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario Kathleen Knutsen Rowell, d’après le roman éponyme de Susan Eloise Hinton _ Photo Stephen H. Burum _ Effets spéciaux Dennis Dion _ Musique Carmine Coppola, Stevie Wonder ; Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins, Sandy Nelson, Bill Hughes _ Montage Anne Goursaud _ Décors Dean Tavoularis _ Costumes Marge Bowers _ Production Gray Frederickson, Fred Roos, Zoetrope Studios _ Interprètes Matt Dillon (Dallas Winston), C. Thomas Howell (Ponyboy Curtis), Ralph Macchio (Johnny Cade), Patrick Swayze (Darrel Curtis), Rob Lowe (Sodapop Curtis), Emilio Estevez (TwoBit Matthews), Tom Cruise (Steve Randle), Glenn Withrow (Tim Shepard), Diane Lane (Cherry Valance), Leif Garrett (Bob Sheldon), Darren Dalton (Randy Anderson), Gailard Sartain (Jerry), Michelle Meyrink (Marcia), Tom Waits (Buck Merrill) _ Sortie aux États-Unis 25 mars 1983 _ Sortie en France 7 septembre 1983

Rusty James

Rumble Fish de Francis Ford Coppola

1983

Rusty James (Matt Dillon) a 16 ans. Sa mère est partie vivre en Californie, et son père (Dennis Hopper), avocat au chômage, a depuis sombré dans l’alcool. Le héros de Rusty James, c’est son frère, Motorcycle Boy (Mickey Rourke). C’était un chef de bande respecté, organisateur de mémorables bagarres collectives. Et puis, un jour, il a disparu. Rusty James vit dans le culte de ce « prince en exil ». Rêvant de l’égaler, il accepte le défi proposé par son rival Bill Wilcox (Glenn Withrow). Lorsqu’il travaille sur The Outsiders, Francis Ford Coppola souhaite déjà adapter un autre roman de Susan Eloise Hinton, Rumble Fish. Il profite des heures de liberté que lui laisse le tournage pour écrire, en compagnie de son auteure, le scénario de Rusty James. Il tourne dans la foulée dans la même ville (Tulsa) et avec la même équipe. Un esprit de troupe naît alors sur le plateau, un bonheur pour Coppola. Le cinéaste dédie Rusty James à son frère aîné August, son « plus grand professeur », pour lui, une influence majeure. Rusty James est en quête d’identité : il ne veut surtout pas ressembler à son père et rêve d’être à la hauteur de son frère, qui, même absent, reste le maître de toute la ville. Des années plus tard, Coppola traitera de nouveau du lien fraternel avec Tetro. Rusty James est fascinant. Coppola voulait en faire un « film d’art expérimental pour ado ». L’histoire, perçue par Motorcycle Boy, daltonien et à moitié sourd, est filmée dans un noir & blanc ultra stylisé, dont les ombres peintes sur les murs rappellent l’expressionnisme allemand. Le découpage est vif, le travail sur la bande son de Stewart Copeland (batteur du groupe Police), exemplaire. Et puis il y a ce duo d’acteurs. Matt Dillon, à peine 20 ans, très "physique". Mais surtout Mickey Rourke, mutique et charismatique, héritier direct du Brando de L’Équipée

— Rusty James

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

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« Quand j’émergeais de l’obscurité de la salle de cinéma pour retrouver le soleil éclatant, je ne pensais qu’à deux trucs, Paul Newman et rentrer chez moi. » Ainsi commence The Outsiders, roman de Susan Eloise Hinton (âgée de 16 ans lorsqu’elle l’écrit) publié en 1967 et devenu très populaire chez les adolescents américains. Au point que la bibliothécaire d’un établissement scolaire de Fresno County écrivit à Francis Ford Coppola que les élèves voulaient voir leur roman préféré adapté au cinéma, et qu’il était, selon eux, le cinéaste le plus apte à le faire. Coppola tomba sous le charme du roman, et se lança dans le projet (avant même l’échec de Coup de cœur). Le réalisateur annonçait alors un film « sur le coucher de soleil » : « Cela peut paraître idiot de s’exprimer ainsi, mais le décorateur peut comprendre ce que je veux dire : le coucher de soleil – souvenez-vous que c’est un film sur la jeunesse – est une chose délicieuse mais au moment même où il atteint son point de perfection, il est aussi en train de mourir, comme la jeunesse. » (Cahiers du cinéma n°334334, avril 1992). Il cherchait surtout à capter un état transitoire par essence, l’adolescence. Deux bandes rivales. L’adolescence rebelle. Rien de plus classique dans la culture populaire américaine. Alors Coppola cite ses références : La Fureur de vivre, West Side Story, évidemment. Mais plongeant également dans l’americana lors du passage de l’exil rural, il penche vers La Nuit du chasseur, Autant en emporte le vent, La Prisonnière du désert… Ces gamins qui grandissent en bande, qui n’ont ni famille, ni avenir, comme dans Les Anges aux figures sales, sont les déshérités de l’Amérique : ils portent pourtant en eux une rage de vivre exemplaire, dans la plus pure tradition du film sur l’adolescence. The Outsiders baigne dans une lumière flamboyante. Coppola soigne ses décors, et s’il filme de nouveau en extérieurs la nature et les espaces, il s’autorise les couchers de soleil en studio et les silhouettes découpées sur l’horizon, hommage aux classiques du vieil Hollywood. Ce film lyrique à la beauté contemplative, signé du réalisateur du Parrain et d’Apocalypse Now, surprend tout le monde. Il révèle une nouvelle génération d’acteurs très prometteurs, qui feront bientôt les beaux jours des eighties. « La ville et ses néons, la philosophie des gangs, les attitudes urbaines transmises de génération en génération et de film en film sont des pièges, particulièrement pour les enfants de la classe ouvrière. Les outsiders, ce sont ces deux gamins qui ne trouvent leur place ni dans l’Amérique de l’abondance et du spectacle (trop pauvres) ni dans les postures obligées de leur classe sociale (trop rêveurs et pas assez endurcis). “Apprenons à nous détourner des mauvais clichés et à contempler la beauté du monde”, disent en substance les deux anti-héros de ce film bouleversant sur la fin de l’innocence. Ce qui résume la vision de Coppola, grand outsider mélancolique devant l’éternel. » (Serge Kaganski, Les Inrockuptibles, 26 juin 2001)

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Rusty James (Rumble Fish) États-Unis, 1983, 1h34, noir et blanc, format 1.85 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario Francis Ford Coppola, S. E. Hinton, d’après le roman Rumble Fish de S. E. Hinton _ Photo Stephen H. Burum _ Effets spéciaux Dennis Dion _ Musique Stewart Copeland _ Montage Barry Malkin _ Décors Dean Tavoularis _ Costumes Marge Bowers _ Production Doug Claybourne, Fred Roos, Zoetrope Studios, Hot Weather Films _ Interprètes Matt Dillon (Rusty James), Mickey Rourke (Motorcycle Boy), Vincent Spano (Steve), Diane Lane (Patty), Diana Scarwid (Cassandra), Dennis Hopper (le père), Nicolas Cage (Smockey), Christopher Penn (B.J. Jackson), Laurence Fishburne (Midget), Tom Waits (Benny), William Smith (Patterson, le policier), Michael Higgins (Mr. Harrigan), Glenn Withrow (Biff Wilcox), Herb Rice (le joueur), Maybelle Wallace (l’employée), Nona Manning (la mère de Patty), Sofia Coppola sous le pseudonyme de Domino (la sœur de Patty), Gian-Carlo Coppola sous le pseudonyme de Gio (le cousin James) _ Sortie aux États-Unis 9 octobre 1983 _ Sortie en France 15 février 1984

Cotton Club

1984

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

The Cotton Club de Francis Ford Coppola

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Dixie Dwyer (Richard Gere) est cornettiste dans un club de Harlem. Il sauve par hasard la vie de Dutch Schultz (James Remar), un bootlegger, qui, pour le remercier, l’engage au service de sa maîtresse, la belle Vera Cicero (Diane Lane). Parallèlement, un danseur de claquettes noir, Sandman Williams (Gregory Hines), décroche un contrat au Cotton Club et tombe sous le charme de Ula Rose Oliver (Lonette McKee), danseuse dont la peau claire lui permet de se faire passer pour une Blanche. Autour de ces deux couples, la pègre tisse son réseau de violence.

— Cotton Club

La genèse de Cotton Club fut compliquée. C’est le producteur Robert Evans (Le Parrain, Le Parrain II) qui acquiert les droits d’un ouvrage de Jim Haskins sur le célèbre club de Harlem, et demande au romancier Mario Puzo d’en tirer un scénario. Mais après plusieurs versions et de nombreux remaniements, le producteur n’est pas satisfait. Il appelle alors Francis Ford Coppola au chevet de

son « baby sick ». Coppola est alors dans une période très difficile, car lourdement endetté par Coup de cœur – situation qui ne s’est pas améliorée avec l’accueil en demi-teinte du diptyque Outsiders / Rusty James. Il accepte de réécrire le film, mais aussi de le réaliser (un tournage particulièrement difficile), et ne cachera jamais l’avoir fait pour éponger ses dettes. Avec Cotton Club, Coppola revient au grand spectacle. Le club, fondé à Harlem en 1923 et propriété du malfrat Owney Madden, accueillit les meilleurs musiciens et danseurs noirs, comme Duke Ellington ou Cab Calloway, qui se produisaient devant un public exclusivement blanc. Haut lieu de la vie nocturne, on y croisait James Cagney, Fred Astaire, Noel Coward, Gloria Swanson, mais également des gangsters notoires. Parmi eux, Al Capone, Dutch Schultz ou Legs Diamond y traitaient leurs affaires. C’était le Jazz Age. La fresque couvre sept années, des Roarings Twenties à la Grande Dépression. À travers les deux histoires de couple, l’un blanc, l’autre noir, Coppola dresse le portrait de l’Amérique de la prohibition, où la pègre règne, la ségrégation est la norme, les minorités sont réduites au silence et les luttes de pouvoir permanentes. Coppola fusionne les genres alors en vogue au moment de l’action et mêle musical et film noir. La musique de John Barry (essentielle), le montage (subtil), tout participe de cette fusion, où l’on se mitraille au son des claquettes. La violence, explosive, est ici chorégraphiée comme un spectacle de Broadway. « Le résultat est en fin de compte à la hauteur du projet : décrire avec enthousiasme au travers d’un lieu ludique tout un pan de la société américaine dans les années cruciales qui vont des années vingt à la crise et à la reprise au début des années trente. […] Peut-être qu’après les films « émotifs » Coup de cœur, The Outsiders et Rusty James, Coppola éprouvait le besoin de se redéfinir dans un genre codé du cinéma américain, à mi-chemin entre le film de gangsters et la comédie musicale, avant de repartir vers des œuvres plus personnelles, en remontant toujours plus haut la rivière d’Apocalypse Now – à la recherche de l’indicible. » (Jean A. Gili, Positif n°288, février 1985) Cotton Club (The Cotton Club) États-Unis, 1984, 2h07, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario Francis Ford Coppola, William Kennedy, d’après une histoire originale de William Kennedy, Francis Ford Coppola, Mario Puzo, inspirée de l’ouvrage The Cotton Club de Jim Haskins _ Photo Stephen Goldblatt _ Effets spéciaux Michael Rauch, Stan Parks _ Musique John Barry _ Chorégraphie Michael Smuin _ Montage Robert Q. Lovett, Barry Malkin _ Décors Richard Sylbert _ Costumes Milena Canonero _ Production Robert Evans, Fred Roos, Sylvio Tabet, Zoetrope Studios, Producers Sales Organization, Totally Independent, Robert Evans Company _ Interprètes Richard Gere (Dixie Dwyer), Gregory Hines (Delbert "Sandman" Williams), Diane Lane (Vera Cicero), Lonette McKee (Lila Rose Oliver), Bob Hoskins (Owney Madden), James Remar (Dutch Schultz), Nicolas Cage (Vincent Dwyer), Allen Garfield (Abbadabba Berman), Fred Gwynne (Frenchy DeMange), Gwen Verdon (Mrs. Tish Dwyer), Lisa Jane Persky (Frances Flegenheimer), Maurice Hines (Clay Williams), Julian Beck (Sol Weinstein), Novella

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

sauvage de Laslo Benedek, personnage shakespearien en exil dans son propre royaume. Revu plus de trente-cinq ans après, Rusty James porte plus que jamais la nostalgie de la jeunesse perdue. « Comme [La Fureur de vivre] de Ray, Rusty James est un grand poème lyrique et tragique sur l’adolescence, un autel dressé à une période charnière et fantasmée de la vie, entre fin de l’innocence et découverte brutale du monde des adultes. […] Rien ne peut arrêter les expérimentations de Coppola : brèves occurrences colorées – des poissons rouges, verts ou bleus traversent nonchalamment le cadre –, jeux d’ombres expressionnistes, angles obliques, plans très composés font de Rusty James un petit diamant, qui doit autant à Abel Gance qu’à Orson Welles. » (Murielle Joudet, Le Monde, 8 février 2017)

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Jardins de pierre Gardens of Stone de Francis Ford Coppola

1987

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Fin des années 60. Au cimetière militaire d’Arlington, on enterre Jackie Willow (D.B. Sweeney), tué au Viêt-nam. Quelques mois plus tôt, il était affecté à l’unité de parade de Washington en charge de ce lieu et de ses innombrables enterrements. À son arrivée, le sergent Clell Hazard (James Caan), vétéran de la guerre de Corée, avait pris sous son aile cette jeune recrue, fils d’un ancien compagnon d’armes. Le "bleu" rêvait de combat, d’héroïsme et de médailles. Hazard essayait de lui ouvrir les yeux sur le bourbier vietnamien…

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À quelques mois d’écarts sortent sur les écrans trois films sur la guerre du Viêt-nam : Platoon d’Oliver Stone, Full Metal Jacket de Stanley Kubrick et Jardins de pierre de Francis Ford Coppola. Si l’action des deux premiers se déroule sur le front, Coppola prend du recul : il a déjà traité du combat huit ans plus tôt avec Apocalypse Now, Jardins de pierre se déroulera sur le sol américain. Le combat est hors champ, mais la guerre hante bien le film, avalant les vies de ces corps qui parviennent à Arlington. La pudeur de ce film « sur le Viêt-nam sans le Viêt-nam » ouvre la voie à une certaine humanité. Car c’est un film sur la transmission, la relation mentor / élève, tenant ici finalement d’une relation père spirituel / fils. Hazard voit en Willow celui qu’il était plus jeune : volontaire, fougueux, sûr de la légitimité du conflit dans lequel est engagé son pays. Mais ce vétéran de Corée qui a déjà fait plusieurs séjours sur le front ne souhaite désormais qu’une chose : former les plus jeunes et les alerter. Plaçant son action – et sa première scène – au milieu des stèles de pierre, Coppola ouvre également une méditation sur le deuil. La situation du cinéaste au moment du tournage (il perd brutalement son fils Gio, avec qui il travaillait, dans un accident) en fait un film à l’écho très personnel. À cette époque, Coppola étudie depuis des années le théâtre japonais. Pour lui, l’émotion vient d’un ensemble (image, musique…) et non pas seulement du jeu des acteurs. À travers son film, et à la manière du kabuki, il veut « transmettre l’émotion du rituel militaire ». Jardins de pierre est sans doute l’un des films les plus originaux sur la guerre du Viêt-nam ; Coppola adapte sa mise en scène à la sobriété de son sujet, et choisit le classicisme. « De tous ses films, c’est le plus classique, un pur exercice de style fordien, qui récupère du cinéma de Ford toute sa pudeur,

toute sa lucidité historique, et cette capacité à révéler la vérité de la guerre en restant arrimé à la sphère la plus intime. Par quelle idée sont animés les militaires de Jardins de pierre ? Par une certaine idée de la guerre, pure projection fantasmatique, qui dissimile en fait une certaine idée qu’ils se font de l’action. Comme chez Ford, ne pas agir, rester cantonné au bataillon de parade, n’être qu’un soldat d’opérette privé du plaisir de jouer un rôle dans l’Histoire, est une humiliation. » (Murielle Joudet, in Francis Ford Coppola, Capricci) Jardins de pierre (Gardens of Stone) États-Unis, 1987, 1h51, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario Ronald Bass, d’après le roman Gardens of Stone de Nicholas Proffitt _ Photo Jordan Cronenweth _ Effets spéciaux John Frazier _ Musique Carmine Coppola ; The Doors, Marvin Gaye, The Seekers _ Montage Barry Malkin _ Décors Dean Tavoularis _ Costumes Willa Kim, Judianna Makovsky _ Production Michael I. Levy, Francis Ford Coppola, ML Delphi Premier Productions, TriStar Pictures, Zoetrope Studios _ Interprètes James Caan (sergent Clell Hazard), Anjelica Huston (Samantha Davis), James Earl Jones ("Goody"Nelson), D.B. Sweeney (Jackie Willow), Dean Stockwell (Homer Thomas), Mary Stuart Masterson (Rachel Feld), Dick Anthony Williams (Slasher Williams), Lonette McKee (Betty Rae), Sam Bottoms (lieutenant Webber), Elias Koteas (Pete Deveber), Laurence Fishburne (Flanagan), Casey Siemaszko (Wildman), Peter Masterson (colonel Feld), Carlin Glynn (Mrs. Feld), Erik Holland (colonel Godwin) _ Sortie aux États-Unis 8 mai 1987 _ Sortie en France 6 janvier 1988

Tucker : L’Homme et son rêve

1988

Il envisageait tout d’abord son film comme une satire à la Orson Welles, puis comme une comédie musicale. Finalement, il décide de s’inscrire dans la lignée des films sociaux des années 30 et 40 : « C’est une histoire à la Capra, l’histoire d’un Américain ordinaire, un type sympathique, qui tente d’accomplir son rêve malgré la pieuvre imbécile et sans cœur qui finira par ruiner l’économie américaine. » (Francis Ford Coppola) Dans une palette de couleurs intenses, proches de celles des photos du magazine Life, ce portrait d’un bricoleur de génie, personnage hors du commun qui défie les grands de l’automobile, est aussi en creux une critique de cette Amérique d’après-guerre où les petits inventeurs, presque des artisans, sont écrasés par une industrie gigantesque. L’heure est au triomphe de l’idéologie "business school" et de la publicité. Ici, David ne fait pas le poids contre Goliath. Le lien est rapidement fait entre Preston Tucker et Coppola et la mésaventure de ses studios. Mais comme le souligne le critique Alain Caron, ce serait trop réducteur : « On peut voir en Tucker une métaphore autobiographique sur l’itinéraire de Francis Ford Coppola. La création des studios Zoetrope fut, elle aussi, un combat d’un groupe d’individus aux idées chimériques contre des monopoles aux aspirations frileuses. On peut gloser à l’envi et tout interpréter à travers une grille de lecture. Mais c’est oublier l’euphorie que suscite le film, la joie candide du spectateur et l’espoir d’un capitalisme éclairé. » (Jeune Cinéma n°193, février 1989)

Tucker : L’Homme et son rêve (Tucker: The Man and His Dream) ÉtatsUnis, 1988, 1h51, couleurs (Technicolor), format 2.40 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario Arnold Schulman, David Seidler _ Photo Vittorio Storaro _ Effets spéciaux David Pier _ Musique Joe Jackson ; Carmine Coppola _ Montage Priscilla Nedd-Friendly _ Décors Dean Tavoularis _ Costumes Milena Canonero _ Production Fred Fuchs, Fred Roos, Lucas-film _ Interprètes Jeff Bridges (Preston Tucker), Joan Allen (Vera), Martin Landau (Abe Karatz), Frederic Forrest (Eddie), Mako (Jimmy), Elias Koteas (Alex), Dean Stockwell (Howard Hughes), Christian Slater (Preston Tucker Junior), Nina Siemaszko (Marilyn Lee), Anders Johnson (Johnny), Corky Nemec (Noble), Marshall Bell (Frank), Jay O. Sanders (Kirby), Peter Donat (Kerner) _ Sortie aux États-Unis 12 août 1988 _ Sortie en France 11 janvier 1989

Dracula

1992

Bram Stocker’s Dracula de Francis Ford Coppola 1492. Les Turcs envahissent la Transylvanie, future Roumanie. L’un des seigneurs les plus redoutés, le comte Dracula (Gary Oldman), surnommé Vlad l’empaleur, part défendre la Sainte Église, laissant au château Elisabeta (Winona Ryder), son amour, sa seule raison de vivre. Une lettre mensongère annonce à la jeune femme que le comte est mort au combat et elle se suicide. À son retour, Dracula, ivre de douleur, abjure sa foi et en appelle à tous les pouvoirs pour retrouver celle qu’il aimait. On le retrouve à Londres, quatre siècles plus tard…

Tucker: The Man and His Dream de Francis Ford Coppola 1948. Preston Tucker (Jeff Bridges), ingénieur visionnaire, a conçu une automobile révolutionnaire qui préfigure toutes les grandes améliorations que connaîtront les voitures durant les décennies suivantes. Tucker possède un enthousiasme sans limite, une foi inébranlable dans le "rêve américain", une famille prête à le soutenir dans toutes les épreuves, quelques collaborateurs dévoués et un sens inné de la publicité. Il n’a ni financier, ni usine, ni soutien politique et se lance pourtant à l’assaut des "Big Three" de Detroit : Ford, General Motors et Chrysler. « For Gio, who loved cars.» De nouveau, le film de Francis Ford Coppola est une affaire familiale. Dédié à son fils, Tucker est un projet ancien. Le père du cinéaste, Carmine Coppola, avait souscrit à l’époque pour l’automobile révolutionnaire créée par Preston Tucker. La livraison n’eut jamais lieu et ses cinq mille dollars s’évaporèrent. Mais depuis, le cinéaste (ainsi que George Lucas, producteur du film) est devenu propriétaire de deux exemplaires sur la cinquantaine réellement produits.

— Tucker : L’Homme et son rêve

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Nelson (Mme St. Clair), Laurence Fishburne (Bumpy Rhodes), John Ryan (Joe Flynn), Tom Waits (Irving Stark), Sofia Coppola sous le pseudonyme de Domino (une enfant dans la rue) _ Sortie aux États-Unis 14 décembre 1984 _ Sortie en France 2 janvier 1985

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Dracula (Bram Stocker’s Dracula) États-Unis, 1992, 2h07, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation Francis Ford Coppola _ Scénario James V. Hart, d’après le roman éponyme de Bram Stocker _ Photo Michael Ballhaus _ Effets visuels (et réalisation seconde équipe) Roman Coppola _ Musique Wojciech Kilar _ Montage Nicholas C. Smith, Glen Scantlebury, Anne Goursaud _ Superviseur artistique Thomas E. Sanders _ Décors Andrew Precht _ Costumes Eiko Ishioka _ Maquillage & coiffure Michele Burke _ Production Francis Ford Coppola, Fred Fuchs, Charles Mulvehill, James V. Hart, John Veitch, American Zoetrope, Osiris Films _ Interprètes Gary Oldman (Dracula), Winona Ryder (Mina Murray  / Elisabeta), Anthony Hopkins (professeur Abraham Van Helsing), Keanu Reeves (Jonathan Harker), Richard E. Grant (Dr. Jack Seward), Cary Elwes (lord Arthur Holmwood), Bill Campbell (Quincey P. Morris), Sadie Frost (Lucy Westenra), Tom Waits (R. M. Renfield), Monica Bellucci, Michaela Bercu, Florina Kendrick (les compagnes de Dracula) _ Sortie aux États-Unis 13 novembre 1992 _ Sortie en France 13 janvier 1993

— L’Homme sans âge

L’Homme sans âge

2007

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Youth Without Youth de Francis Ford Coppola

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« Quand les plus grands renoncent au bien, ils deviennent les démons les plus redoutables. Avant sa chute, Satan était le meilleur des anges… Je souhaite que, derrière l’histoire, les gens découvrent la tradition historique et littéraire, qu’ils réalisent que le mythe a un aspect terriblement humain : le vampire a perdu son âme – c’est quelque chose qui peut arriver à chacun d’entre nous. » (Francis Ford Coppola). Lorsque Coppola décide de réaliser le scénario de James V. Hart que lui a proposé Winona Ryder, il veut rendre justice à ce personnage maintes fois porté à l’écran. Auteur caméléon se fondant à chaque fois dans un genre nouveau, il se plonge dans le roman de Bram Stocker qu’il veut adapter fidèlement (son titre original est significatif : Bram Stocker’s Dracula) et dans ses multiples adaptations, ainsi que dans l’art gothique et dans la vie artistique de la fin du XIXe siècle. Son Dracula constitue une sorte

d’anthologie du cinéma fantastique de F.W. Murnau à Werner Herzog, de Tod Browning à la Hammer Films, accumulant les images du mythe pour en créer une nouvelle. Avec le succès du Parrain III, les années 90 s’annonçaient à l’opposé de la décennie précédente : le triomphe de Dracula le confirme. Coppola signe un film opératique, démesuré, lyrique, romanesque, érotique. Cette histoire d’amour fou est une succession de tableaux où les costumes et décors, inspirés d’un répertoire fin-de-siècle (telle la robe-linceul qui pourrait être signée Klimt), flamboient comme un livre superbement illustré. Les costumes (œuvre de la designer Eiko Ishioka) ont été conçus comme des « éléments du décor portés par les comédiens ». Comme un hommage au cinéma des premiers temps, contemporain de la publication en 1897 du Dracula de Stocker, Coppola et son fils Roman, responsable des effets

Roumanie, 1938. Dominic Matei (Tim Roth), un vieux professeur de linguistique, est frappé par la foudre et rajeunit miraculeusement. Ses facultés mentales décuplées, il s’attelle enfin à l’œuvre de sa vie : une recherche sur les origines du langage. Mais son cas attire les espions de tous bords : nazis en quête d’expériences scientifiques, agents américains qui cherchent à recruter de nouveaux cerveaux. Dominic n’a d’autre choix que de fuir, de pays en pays, d’identité en identité… Megalopolis. C’est le projet sur lequel travaille Francis Ford Coppola depuis des années. Film sur un homme qui peut arrêter le temps, utopie contemporaine en plein New York. Ce serait l’œuvre de sa vie. Mais la peur paralysant peut-être la création, le cinéaste n’arrive pas à boucler le scénario. En 2005, son amie Wendy Doniger, du département des langues et religions indiennes de l’université de Chicago, lui fait découvrir l’œuvre romanesque de

l’historien des religions Mircea Eliade, et en particulier L’Homme sans âge. L’histoire éveille un écho chez Coppola, il décide de l’adapter. Finalement, ce qui devait l’aider à débloquer le scénario malade d’un projet rêvé deviendra son film-somme. Comme son personnage Dominic Matei, le cinéaste fait chemin arrière. Il construit son film en secret, reprend son indépendance financière et créatrice, tourne en HD, loin d’Hollywood et dans l’anonymat, avec une équipe réduite essentiellement roumaine. Sur le plateau, il demande à chacun d’occuper plusieurs postes, comme lors de ses premières réalisations étudiantes. Dix ans après L’Idéaliste, Coppola fait son come-back avec un film très audacieux qu’il considère pourtant comme « simple ». Quête philosophique, recherche de la conscience, histoire d’amour, le tout sur fond d’un XXe siècle en marche, L’Homme sans âge, baignant dans une ambiance Mitteleuropa, est une véritable expérimentation. Les motifs sont profondément coppoliens : le temps, la quête, la renaissance, la réincarnation, le vampirisme amoureux. Il y ajoute le langage, la recherche de la source : le proto-langage comme « premières articulations humaines destinées à communiquer une pensée, une idée ou un sentiment ». Les symboles parcourent tout le film : l’éclair, les roses, le double. L’Homme sans âge synthétise l’œuvre du maître. « Il cherche quoi, Don Coppola ? Les cinéphiles comme les spécialistes des religions connaissent la parabole des trois roses, qui court d’une mythologie à l’autre, et se trouve un des fils conducteurs du scénario de L’Homme sans âge, comme du récit d’Eliade. Cette fleur surnuméraire qui reste comme trace matérielle et colorée d’un ailleurs invisible, celle que les anges confient au rêveur qui traverse les paradis et les enfers du savoir, de la terreur ou de l’amour, cette fleur qu’on appelle un film lorsque c’est Francis Ford Coppola qui la fait pousser et la cueille, témoigne dans deux mondes à la fois, pour deux mondes à la fois : l’ancien et le nouveau, la réalité et l’imaginaire. » (Jean-Michel Frodon, Cahiers du cinéma n°628, novembre 2007) L’Homme sans âge (Youth Without Youth) États-Unis, Roumanie, France, Italie, 2007, 2h04, couleurs, format 2.35 _ Réalisation & scénario Francis Ford Coppola, d’après la nouvelle éponyme de Mircea Eliade _ Photo Mihai Malaimare Jr. _ Effets visuels David Vána _ Effets spéciaux Csaba László Eröss _ Musique Osvaldo Golijov _ Montage Walter Murch _ Décors Calin Papura, Adi Popa _ Costumes Gloria Papura, Adina Bucur _ Production Francis Ford Coppola, American Zoetrope, SRG Atelier, Pricel, BIM Distribuzione _ Interprètes Tim Roth (Dominic Matei), Alexandra Maria Lara (Laura/Veronica/Rupini), Bruno Ganz (le professeur Stanciulescu), André M. Hennicke (le docteur Josef Rudolf), Andrian Pinteai (le pandit), Marcel Iures (le professeur Tucci), Alexandra Pirici (la femme de la chambre 6), Florin Piersic Jr. (le docteur Gavrila), Zoltan Butuc (le docteur Chirila), Adiana Titieni (Anetta) _ Présentation au Festival de Rome 20 octobre 2007 _ Sortie en France 14 novembre 2007 _ Sortie aux États-Unis 14 décembre 2007

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

visuels, mettent de côté le fameux « cinéma électronique » pour revenir aux trucages magiques à la Méliès. Caméra renversée, rétroprojection, effets de miroir : autant de trucs vieux comme le cinéma pour insuffler au film un malaise efficace. Finalement, en s’emparant d’un mythe rebattu, Francis Ford Coppola impose sa patte et un de ses motifs récurrents : le temps qui passe. « Le Dracula de Coppola est le plus beau des personnages du genre, car il porte la notion du temps qui n’était pas vraiment abordée et traitée dans les autres films. Si l’on ne peut mourir, il faut continuer à être un non-mort, un existant sans vie, puni par un temps qui n’existe pas. C’est le sujet profond du film : l’amour total rend éternel.» (Jean Douchet, in Francis Ford Coppola, Capricci).

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2009

de Francis Ford Coppola

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À la veille de ses 18 ans, Bennie (Alden Ehrenreich), serveur sur un paquebot, profite d’une escale à Buenos Aires pour retrouver Tetro (Vincent Gallo), son frère aîné. Dix ans auparavant, fuyant leur père (Klaus Maria Brandauer), célèbre chef d’orchestre arrogant et cruel, Tetro s’était installé dans la ville de naissance de celui-ci. Il ambitionnait de devenir écrivain et n’a plus jamais donné de nouvelles. Bennie rêve de ce frère idolâtré depuis des années, Tetro, lui, est furieux de le voir débarquer…

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Deux ans après l’ésotérique L’Homme sans âge, Francis Ford Coppola revient au cinéma "en auteur". Auteur de son scénario original, ce qui n’avait plus été le cas depuis Conversation secrète. Sa liberté est totale et il signe, avec Tetro, un film magistral, où s’entremêlent tous ses thèmes et motifs personnels. Le cinéaste revisite ses passions de toujours, le théâtre, la musique symphonique, l’opéra et le cinéma (fantastique clin d’œil aux Contes d’Hoffmann de Michael Powell & Emeric Pressburger). Coppola a toujours choisi d’adapter le style de ses films à son propos. Il décide de baigner Tetro dans un Buenos Aires rêvé, bohème, à la fois contemporain et intemporel. Son noir & blanc numérique est brillant, presque scintillant, sa mise en scène est d’une élégance rare, sa caméra reste fixe, à la manière d’Ozu qu’il cite comme modèle. Sa liberté narrative est absolue, utilisant la couleur pour des flashbacks dans un style home movie. Le travail sur la lumière est remarquable, particulièrement dans les scènes nocturnes dans les rues de La Boca. « Qu’est-il arrivé à notre famille ? » Si l’oncle Alfie s’interroge encore, Tetro a la réponse : la rivalité. Dans cette famille d’artiste, Carlo, le père, a décidé qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul génie, que les projecteurs ne se poseraient que sur une seule personne : lui. Pour exister, il faudra donc tuer le père. L’amour de Coppola pour ses personnages est palpable. Tetro, âme brisée et corps cassé, est un esprit tourmenté. Il a choisi de renaître loin de sa famille et de ce père, monstre avide de lumière. Mais il n’arrive pas à achever son œuvre, à conclure une histoire qui l’a construit tout autant que détruit. Vincent Gallo est un Tetro incandescent. Face à lui, Bennie (brillant Alden Ehrenreich, 17 ans lors du tournage). Il veut comprendre et apprendre de cette idole disparue, figure tutélaire, à la fois fraternelle et paternelle, dans un perpétuel mélange de fascination et d’opposition. « Tout est faux et rien n’est inventé », c’est ainsi que le cinéaste répondait aux questions sur le caractère autobiographique de cette fiction codée. Il confiait avoir réalisé Tetro en ne pensant qu’à lui, afin de se débarrasser d’un fantôme familial avant de passer à autre chose. Un vœu pieux. « Mon frère aîné occupait une grande part de Rusty

James – un frère aîné qu’on admire comme une légende. Doit-il se hisser à la hauteur de cette légende ou, comme dit Tetro, a-t-il le droit de choisir son chemin et de refuser le prix s’il le veut ? Ce qui m’intéresse c’est quand la fin de votre texte ou de votre film est la chose que vous ne pouvez pas traiter parce qu’elle vous définit entièrement. Vous ne pouvez en venir à bout, mais vous essayez sans cesse. » (Francis Ford Coppola, Cahiers du cinéma n°645, mai 2009) Tetro États-Unis, Argentine, Espagne, Italie, 2009, 2h07, noir et blanc & couleurs, format 2.35 _ Réalisation & scénario Francis Ford Coppola _ Photo Mihai Malaimare Jr. _ Effets visuels Leandro Pugliese _ Musique Osvaldo Golijov _ Montage Walter Murch _ Décors Sebastián Orgambide _ Costumes Cecilia Monti _ Production Francis Ford Coppola, Mariela Besuievsky, Valerio De Paolis, American Zoetrope, Zoetrope Argentina, Tornasol, BIM Distribuzione _ Interprètes Vincent Gallo (Tetro), Alden Ehrenreich (Bennie), Maribel Verdú (Miranda), Silvia Pérez (Silvana), Rodrigo de la Serna (José), Erica Rivas (Ana), Mike Amigorena (Abelardo), Lucas Di Conza (Tetro, jeune), Adriana Mastrángelo (Angela), Klaus Maria Brandauer (Carlo / Alfie), Leticia Brédice (Josefina), Sofia Castiglione (Maria Luisa), Jean-François Casanovas (Enrique), Carmen Maura (Alone), Francesca De Sapio (Amalia), Ximena Maria Iacono (Naomi), Susana Giménez (elle-même), Pochi Ducasse (Lili) _ Présentation au Festival de Cannes 14 mai 2009 _ Sortie aux États-Unis 11 juin 2009 _ Sortie en France 23 décembre 2009

— Tetro

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Tetro

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Aux cœurs des    1991 ténèbres : l’apocalypse d’un metteur en scène Hearts of Darkness: A Filmmaker’s Apocalypse d’Eleanor Coppola, Fax Bahr & George Hickenlooper

« 13 mars, Manille. On vient de nous livrer six caisses de matériel son et image. Francis m’a demandé de faire un documentaire pour le département publicité de United Artists. Je ne sais pas s’il essaie simplement de m’occuper ou s’il souhaite éviter d’engager une équipe supplémentaire pour une production déjà surchargée. Peut-être les deux. […] Je ne sais pas par où commencer. J’ai fait quelques photos. Il y a quelque temps, j’ai fait un court métrage de trois minutes. Mais c’est tout. » (Eleanor Coppola, Apocalypse Now – Journal, Sonatine)

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— Aux cœurs des ténèbres : l’apocalypse d’un metteur en scène

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Arrivée avec ses trois enfants aux Philippines le 1er mars 1976, Eleanor Coppola, à la demande de son époux, filme un tournage démesuré, enregistre, capte, écrit. Au finale, soixante heures de rushs, quarante heures de bandes magnétiques, mais également un journal. Ce matériel dormira longtemps avant d’être utilisé par Fax Bahr et George Hickenlooper, qui réaliseront également, pour leur documentaire, des interviews contemporaines des protagonistes. Film sur l’enfer d’un tournage – mais également sur une utopie réalisée, Aux cœurs des ténèbres construit un parallèle évident entre l’expérience du cinéaste et le voyage initiatique de son héros. Aussi fascinant que le film luimême, il propose une réflexion sur le métier de réalisateur, la métamorphose d’un homme et la force créatrice aux limites de la folie. « Ce documentaire constitue un témoignage exceptionnel sur le cinéma américain de la fin des années soixante-dix, époque où de jeunes fous visionnaires pouvaient encore partir loin d’Hollywood tourner, dans des conditions d’improvisation proches de celles de la Nouvelle Vague française, des superproductions ruineuses et déraisonnables. Cette notion de folie […] est en effet commune à tous les metteurs en scène américains de la génération Coppola, lesquels cherchèrent souvent, comme par masochisme, à éprouver leur résistance physique et mentale par des entreprises toujours plus gigantesques et dangereuses […]. Jamais des images de désespoir n’auront véhiculé autant d’énergie, jamais un aveu d’impuissance n’aura signifié une aussi grande volonté d’en découdre. » (Laurent Vachaud, Positif n° 378, juillet 1992)

Aux cœurs des ténèbres : l’apocalypse d’un metteur en scène (Hearts of Darkness: A Filmmaker’s Apocalypse) États-Unis, 1991, 1h36, couleurs, format 1.37 _ Réalisation & scénario Fax Bahr, George Hickenlooper _ Réalisation documents originaux Eleanor Coppola _ Musique Todd Boekelheide ; Cole Porter, The Doors, Richard Wagner, Giacomo Puccini _ Montage Michael Greer, Jay Miracle _ Production Les Mayfield, George Zaloom, American Zoetrope _ Présentation au Festival de Cannes mai 1991 _ Sortie aux États-Unis 27 novembre 1991 _ Sortie en France 3 juin 1992

Paris Can Wait

2016

d’Eleanor Coppola

Mariée depuis des années à Michael Lockwood (Alec Baldwin), producteur de cinéma prospère, Anne (Diane Lane) accepte de faire le voyage Cannes-Paris en voiture, en compagnie d’un des associés français de son mari, Jacques Clément (Arnaud Viard). Alors que le trajet ne devait durer que quelques heures, il se transforme en un road-trip inattendu de plusieurs jours. Découvrant les paysages de Provence ou la gastronomie française, Anne est subjuguée et se redécouvre… Le cinéma est une affaire de famille dans le clan Coppola. Eleanor Coppola, l’épouse de Francis Ford, a déjà signé plusieurs courts métrages, les making of de Virgin Suicides et Marie-Antoinette de sa fille Sofia, mais aussi le célèbre Aux cœurs des ténèbres : l’apocalypse d’un metteur en scène, coréalisé avec Fax Bahr et George Hickenlooper. Paris Can Wait est son premier long métrage de fiction. La trame de Paris Can Wait vient directement d’une expérience de la réalisatrice. En 2009, alors qu’elle devait rester à Cannes, empêchée de suivre son époux à Budapest, elle a découvert la France lors d’une aventure qui dura trois jours, et dont elle savoura chaque instant. Selon elle, un voyage « vraiment mémorable. » Pour interpréter son héroïne Anne, la cinéaste fait un choix de cœur et fait appel à Diane Lane, qu’elle connaît bien, la comédienne ayant déjà tourné à plusieurs reprises avec Francis Ford Coppola. Alec Baldwin, quant à lui, incarne avec brio ce producteur détaché. Prenant soin de ne pas dresser un portrait idéalisé de Jacques, le Français qui permet à Anne de s’échapper le temps d’un court voyage, Eleanor Coppola s’attache à montrer un personnage en transition. Anne est à une période clé de sa vie ; sa fille a quitté la maison et son mari est souvent parti pour affaires. Face à elle-même, ce nouvel homme est-il la solution à ses interrogations ? « Un homme ne va pas être la réponse. C’est à elle de décider et elle a le choix. Elle est stimulée par le fait d’avoir le choix et elle se voit comme une personne qui pourrait trouver sa voie. » (Eleanor Coppola)

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Autour de Francis Ford Coppola

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— Paris Can Wait

Lumière 2019 — Francis Ford Coppola

Éloge de l’instant présent, Paris Can Wait est une lettre d’amour adressée à la vie et à la France. Eleanor Coppola rappelle la beauté de nos paysages quotidiens et offre au spectateur l’occasion de (re)découvrir Lyon – et l’Institut Lumière ! – par le regard d’une première fois.

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Paris Can Wait États-Unis, Japon, 2016, 1h32, couleurs, format 1.85 _ Réalisation & scénario Eleanor Coppola _ Photo Crystel Fournier _ Musique Laura Karpman; Wolfgang Amadeus Mozart, Érik Satie, Charles Trenet _ Montage Glen Scantlebury _ Décors Anne Seibel _ Costumes Milena Canonero _ Production Eleanor Coppola, Marie Masmonteil, Fred Roos, Lifetime Films, American Zoetrope, Corner Piece Capital _ Interprètes Diane Lane (Anne Lockwood), Arnaud Viard (Jacques Clément), Alec Baldwin (Michael Lockwood), Elise Tielrooy (Martine), Élodie Navarre (la voix de Carole), Pierre Cuq (Philippe), Cédric Monnet (le gardien du musée des Tissus), Davia Nelson (Suzanne), Eleanor Lambert (Alexandra) _ Présentation au Festival de Toronto 12 septembre 2016 _ Présentation au Festival de San Francisco 10 avril 2017 _ Sortie aux ÉtatsUnis 12 mai 2017

André Cayatte "le courage social" Avec le soutien de la SACD


La Fausse Maîtresse

1942

d’André Cayatte

Lumière 2019 — André Cayatte

Effervescence dans une petite ville catalane habituellement tranquille : le club de rugby local a été battu par l’équipe de Carcassonne. Au même moment, la trapéziste vedette du cirque Rander, qui vient de s’installer, fait son exhibition presque nue ! La belle Lilian (Danielle Darrieux), objet du scandale, est la fille du patron du cirque (André Alerme) et aide son père à éviter la faillite. Elle se retrouve bientôt embarquée dans une rocambolesque histoire : se faire passer pour la maîtresse de René (Bernard Lancret), joueur étoile du club catalan.

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— Pierre et Jean

Né en 1909, André Cayatte eut plusieurs vies avant de devenir cinéaste. Celle de poète et écrivain tout d’abord, fréquentant René Char, Pierre Mac Orlan, Philippe Soupault, le courant surréaliste... Après des études de lettres, il s’oriente vers le droit et devient avocat. Passionné par l’affaire Seznec, il s’insurge contre une machine judiciaire implacable. Convaincu par ce qu’il appellera « la contagion de la bonne foi », il se lance alors dans le journalisme, et enquête sur la guerre civile espagnole, en 1936. Deux ans plus tard, il entre dans le cinéma par l’écriture et devient scénariste-dialoguiste pour Marc Allégret, Jean Grémillon, Georges Lacombe… En 1939, il est mobilisé sur la ligne Maginot. Fait prisonnier, il réussit à s’évader, mais se retrouve sans emploi, ni papiers d’identité. Le hasard lui fait rencontrer André Chemel, directeur de production au sein de la toute

nouvelle société Continental Films. Créée par un producteur allemand, Alfred Greven, ami de Göring et mandaté par Goebbels, la société bénéficie des seuls capitaux allemands. Chemel propose à Cayatte de l’embaucher en tant que scénariste et de régler ses problèmes de papiers. Celui-ci hésite longuement : il n’a pas le profil, lui qui, ardent patriote, publiait avant-guerre des ouvrages contre l’Allemagne et défendait l’intervention française en Espagne. Il finit par accepter comme d’autres cinéastes de renom (Christian-Jaque, Georges Lacombe, Maurice Tourneur…) et entre à la Continental en janvier 1941. Après avoir travaillé à l’écriture de plusieurs scénarios, il passe à la réalisation en mai 1942 avec une adaptation très libre (il ne reste quasiment rien du roman) de La Fausse Maîtresse de Balzac. Le film, gai et léger, traite d’un imbroglio amoureux : pour éviter à Hélène, l’épouse de son ami Guy qui la délaisse, d’avoir à expliquer pourquoi elle se trouvait chez lui, René s’invente une maîtresse, Lilian, la belle acrobate. Et quand ce couple imaginaire se dispute, Guy s’occupe de les réconcilier. Voyant René très présent auprès de Lilian, Hélène s’imagine trompée… Belle démonstration de marivaudage ou comment la fausse maîtresse devient la vraie fiancée. Succès populaire, La Fausse Maîtresse est une première réalisation très honorable, saluée par la critique, qui, n’ayant d’yeux que pour Danielle Darrieux, souligne sa prestation : « Le metteur en scène s’est montré habile homme et a donné à son film un mouvement qui lui assure un intérêt constant. […] Danielle Darrieux dote le film, et principalement le personnage de Lilian – a-t-on pensé à Lilian Leitzel, la célèbre trapéziste ? – de son esprit malicieux, primesautier et charmant. Elle est adorable une fois de plus et on la retrouve telle qu’on espère la retrouver. » (Didier Daix, Ciné-mondial n°53, 28 août 1942) La Fausse Maîtresse France, 1942, 1h25, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation & scénario André Cayatte, d’après le roman éponyme d’Honoré de Balzac _ Dialogues Michel Duran _ Photo Robert Lefebvre _ Musique Maurice Yvain _ Décors André Andrejew _ Production Continental Films _ Interprètes Danielle Darrieux (Lilian), Bernard Lancret (René), Jacques Dumesnil (Guy), Lise Delamare (Hélène), André Alerme (Rander), Monique Joyce (Laetitia), Guillaume de Sax (Esquirol), Michel Duran (Mazios), Charles Blavette (Casimir), Maurice Baquet (Firmin), Marcel Maupi (Bellemain) _ Sortie en France 4 août 1942

Pierre et Jean d’André Cayatte

1943

1913. Alice (Renée Saint-Cyr), jeune femme douce et cultivée, est la mère de Pierre (Dany Bil) et l’épouse de Roland (Noël Roquevert), un boutiquier fruste et égoïste. Elle n’est pas heureuse. Un jour, à la suite d’un accident survenu à Roland, elle rencontre le docteur Marchat (Jacques

Lumière 2019 — André Cayatte

Avocat avant d’être cinéaste, porté sur la littérature et la poésie, André Cayatte est l’artisan sincère et non-conformiste d’un cinéma passionné, revendicatif, en lutte contre la censure et la bonne société d’après-guerre. À contre-courant de la critique, il s’attaque à l’injustice et à divers problèmes de société, avec un indéfectible « courage social », ainsi que l’écrit André Bazin. Devant sa caméra : Annie Girardot, Danielle Darrieux, Serge Reggiani, Marina Vlady, Marcel Mouloudji, Bernard Blier, Jacques Brel…

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Depuis qu’il a été embauché au sein de la Continental en janvier 1941, André Cayatte n’a eu de cesse de vouloir quitter la firme. Son contrat expiré et Alfred Greven à l’étranger, il s’engage dans une réalisation avec le producteur Édouard Harispuru. Mais alors que le projet est déjà avancé, Greven lui téléphone : « Une séance effroyable dans laquelle il me dit : “C’est bien simple : vous ne foutez pas le camp comme cela ! On ne s’en va pas… Je vais vous mettre dans un camp !” Séance effroyable par conséquent et telle que j’ai dit : “Bon, je reste”. » (André Cayatte in Christine Leteux, Continental Films, La Tour verte). Contraint, le cinéaste réalise en 1943 Au Bonheur des Dames, puis Pierre et Jean. Adapté d’un roman de Guy de Maupassant, écrit d’une traite durant l’été 1887, Pierre et Jean est une histoire de famille. Pierre, l’aîné, médecin, et Jean, le cadet, avocat, sont tous les deux épris de Louise. La jalousie et une forte rivalité fraternelle s’installent. Mais quand on apprend, à la mort en pays lointain du docteur Marchat, que Jean est son héritier, le doute s’installe dans l’esprit de Pierre, qui soupçonne son cadet de n’être que son demi-frère. Il malmène sa mère, l’accuse d’avoir trahi la famille en trompant son père. Alice, elle, sait que c’est pour lui qu’elle a sacrifié son grand amour, en se refusant à le séparer de son père. Parmi les sept films que Renée Saint-Cyr a tournés durant l’Occupation, le rôle d’Alice, avec celui de Marie-Martine dans le film éponyme d’Albert Valentin (1943), est celui dans lequel elle s’est révélée la plus juste, bien supérieure à ses interprétations habituelles, rendant même déchirant son impossible amour parallèle. Et l’ultime scène, où elle se retrouve seule, « en tête-à-tête, jusqu’à notre mort », avec son époux détesté (un Noël Roquevert de bout en bout remarquable) est un beau moment d’authentique désespoir. « Le film a été tourné presque d’un seul mouvement de caméra, en décors réels, d’une façon très intimiste. Nous n’avions pas beaucoup de moyens, et les décors étaient limités ; aussi la caméra devait-elle accompagner sans arrêt les personnages, évitant le grand champ et multipliant les gros plans. L’intérêt pour moi a été de m’habituer à travailler de près. » (André Cayatte, in Guy Braucourt, André Cayatte, Seghers). Des contraintes qui ont amené Cayatte à signer un film juste et sensible sur la rivalité amoureuse et les secrets de famille. Pour certains, sans doute un de ses plus beaux films. Pierre et Jean France, 1943, 1h13, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation & scénario André Cayatte, d’après le roman éponyme de Guy de Maupassant _ Dialogues André-Paul Antoine _ Photo Charles Bauer _ Musique Roger Dumas _ Montage Marguerite Beaugé _ Décors André Andrejew _ Costumes Rosine Delamare _ Production Continental Films _

Interprètes Renée Saint-Cyr (Alice), Noël Roquevert (Roland), Jacques Dumesnil (Marchat), Gilbert Gil (Pierre), Bernard Lancret (Jean), Dany Bil (Pierre, enfant), Solange Delporte (Louise), Georges Chamarat (le notaire), René Génin (Marescot), Huguette Vivier (Loulou Vertu) _ Sortie en France 29 décembre 1943

Le Dernier Sou d’André Cayatte

1943

Sous des dehors respectables, l’agence St-Hilaire n’est qu’une vaste entreprise d’escroquerie aux petites annonces, avec à sa tête Stefani (Noël Roquevert), patron dur et froid. Un jeune homme, Pierre Durban (Gilbert Gil), se voit offrir par Stefani un poste de représentant, à condition de verser 25 000 francs en dépôt. Alors qu’il hésite, Pierre reconnaît la secrétaire de Stefani : Marcelle (Ginette Leclerc) est une amie d’enfance… Sans possibilité de quitter la Continental Films où il a été embauché en 1941, André Cayatte tourne. Deux mois après avoir posé sa caméra à la fin du tournage de Pierre et Jean, il commence en décembre 1943 le tournage du Dernier Sou, qui ne sortira en salles qu’en janvier 1946, dernier film de la Continental à être exploité, presque deux ans après la Libération et la disparition de la compagnie. Une fille engagée dans une escroquerie qui finit par s’éprendre de sa victime : de la femme fatale à l’amoureuse éperdue, le thème est certes un classique, mais c’est le premier scénario original écrit par Cayatte dans le but de le réaliser lui-même. Dans une ambiance malsaine, assez proche du film noir, il affirme déjà son goût de porter à l’écran des faits divers ou des cas étudiés alors qu’il était avocat au barreau de Paris. À travers cette histoire de magouilleurs chevronnés, certains verront une satire sociale, critique implicite des comportements lâches et financièrement rentables sous l’Occupation. Le film sera mal reçu par la critique, qui le jugera peu original. « Ginette Leclerc, en garce trop garce et amoureuse, trop amoureuse, a une assez exacte bassesse. La vamp qu’elle joue ose dire son prix. Gilbert Gil fait le "petit gars" tel que des générations de feuilletonistes l’ont vu. Roquevert est un plausible escroc. Ces personnages et leurs comparses semblent tous vus avec les lunettes approximatives du reporter trop pressé qui a beaucoup lu Eugène Sue. Cette érudition, si M. Cayatte la possède, lui servira à propos, puisqu’il tourne Roger la Honte. Au demeurant, il est sympathique et comme c’est un bon élève, ses progrès le conduiront sans doute, du mélo déguisé au mélo réussi. » (France Roche). Peut-être le film a-t-il été victime de la déferlante de films américains qui avaient alors la préférence du public.

— Les Amants de Vérone

Le Dernier Sou France, 1943, 1h30, noir et blanc _ Réalisation & scénario André Cayatte _ Dialogues Louis Chavance _ Photo Charlie Bauer _ Musique Jacques Dupont _ Montage Marguerite Beaugé _ Décors André Andrejew _ Production Continental Films _ Interprètes Gilbert Gil (Pierre), Ginette Leclerc (Marcelle), Noël Roquevert (Stefani), Annie France (Jacqueline), Fernand Charpin (Colon), Paul Barge (un camionneur), Gabrielle Fontan (Mme Durban), René Génin (Perrin), Jacques Berlioz (le président du tribunal), René Blancard (l’avocat général) _ Sortie en France 23 janvier 1946

Les Amants de Vérone   1949 d’André Cayatte

Italie, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Une troupe de cinéma tourne Roméo et Juliette. Angelo (Serge Reggiani), un jeune ouvrier verrier, est engagé comme doublure de l’acteur principal et fait des essais avec Georgia (Anouk Aimée), la doublure de Juliette. Les deux jeunes comédiens d’un jour s’éprennent l’un de l’autre. Mais

Georgia est la fille d’un ancien magistrat du régime fasciste. Comme dans l’œuvre de Shakespeare, le Destin se joue de leur amour… Cayatte résumait ainsi ses premières réalisations : « J’ai appris mon métier à travers quelques films qui sont peutêtre ridicules, mais dont je n’ai pas à avoir honte parce que je n’y ai jamais soutenu ou exprimé des sentiments contraires à mes convictions. » On retrouve ici la droiture de l’ancien avocat et réalisateur de Justice est faite ou Nous sommes tous des assassins. C’est ainsi que Les Amants de Vérone est considéré par le cinéaste comme son premier véritable film, le premier qu’il ait fait « en tant qu’auteur ». Associé à Jacques Prévert pour le scénario, Cayatte ne signe pas encore un film sur un sujet contemporain brûlant, ce qui sera ensuite sa marque de fabrique. Mais on peut y voir déjà les prémices de sa révolte contre la société et les puissants manipulateurs, représentants d’une société corrompue.

Lumière 2019 — André Cayatte

Lumière 2019 — André Cayatte

Dumesnil), qui devient un ami intime du couple. Les promenades amicales se transforment en grand amour entre Alice et Marchat. Mais l’adultère ne leur convient pas et ils décident de fuir et d’emmener l’enfant…

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Les Amants de Vérone France, 1949, 1h43, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Jacques Prévert _ Dialogues Jacques Prévert _ Photo Henri Alekan _ Musique Joseph Kosma _ Montage Christian Gaudin _ Décors René Moulaert _ Costumes Rosine

Delamare _ Production Raymond Borderie, Compagnie Industrielle et Commerciale Cinématographique _ Interprètes Serge Reggiani (Angelo), Anouk Aimée (Georgia Maglia), Pierre Brasseur (Raffaele), Louis Salou (Ettore Maglia), Martine Carol (Bettina Verdi), Roland Armontel (Bianchini), Charles Dechamps (Sandrini), René Génin (le gardien du tombeau), Solange Sicard (Lucia Maglia), Claudie Carter (Cléo), Marcel Pérès (Domini), Charles Blavette (le patron de la verrerie), Philippe Lemaire (Benedetti), Marcel Dalio (Amedeo Maglia) _ Sortie en France 7 mars 1949

Retour à la vie

1949

d’André Cayatte, Henri-Georges Clouzot, Jean Dréville, Georges Lampin

Cinq histoires pour raconter le retour à la vie normale d’anciens prisonniers et déportés : Emma (Mme O. de Revinsky), Antoine (François Périer), Jean Girard (Louis Jouvet), René (Noël-Noël) et Louis (Serge Reggiani). « Ne nous accusez pas d’être pessimistes, les gens heureux n’ont pas d’histoire. » Le ton de Retour à la vie est donné dès l’ouverture. Pour ce premier film à sketches français de l’après-guerre, quatre réalisateurs ont été réunis pour traiter d’un thème particulièrement difficile : la réadaptation à

la vie civile des prisonniers de guerre, le retour à une existence qui les avait oubliés : « Mai 1945. Deux millions de Français et de Françaises, prisonniers, militaires, déportés politiques, sont délivrés et regagnent la France par l’air ou par la route. Ils ont attendu longtemps cet instant du retour qui sera merveilleux. Pourtant ceux qui sont partis, ceux qui sont restés, ont traversé des drames différents, et le plus difficile pour eux sera de se reconnaître. Oui, de se reconnaître et de se comprendre. » Certes inégaux, les sketches sont tour à tour émouvants, cinglants… Et surtout noirs et particulièrement âpres. André Cayatte signe Le Retour de tante Emma, l’histoire d’une femme qui, rescapée des camps de concentration, rentre enfin chez elle. Elle espère y trouver réconfort auprès des siens. Mais ceux-ci, lâches et hypocrites, sont gênés par son retour, bien plus occupés à essayer de faire main basse sur un héritage… Tourné en décor réel en une seule journée, dans la chambre de la rescapée, dont le corps meurtri, presque sans vie, est confronté à l’agitation d’une maison bourgeoise dans laquelle tous ont survécu sans panache, Le Retour de tante Emma bénéficie d’une distribution impeccable (Bertrand Blier est remarquable dans le rôle du neveu vénal, d’une extrême dureté). « Le film offre une série d’instantanés dont chacun s’inscrit dans l’univers personnel d’un auteur : le plus efficace est peut-être celui de Cayatte […]. Dans cette première réalisation "engagée" s’affirme déjà une irréprochable adéquation entre le débat soulevé et la transparence de la mise en scène, en même temps que le rare courage de mettre en accusation une société toute entière, au-delà des bourreaux qu’elle a produits, de dénoncer la culpabilité ordinaire qui sera aussi celle des jurés de Justice est faite ou des parents irresponsables d’Avant le déluge. » (Noël Herpe, Positif n°389-390, juillet 1993)

Lumière 2019 — André Cayatte

Retour à la vie France, 1949, 2h, noir et blanc, format 1.37 Le Retour de tante Emma _ Réalisation André Cayatte _ Scénario & dialogues Charles Spaak _ Photo René Gaveau _ Musique Paul Misraki _ Montage Léonide Azar _ Décors Émile Alex _ Interprètes Bernard Blier (Gaston), Jane Marken (tante Berthe), Lucien Nat (Charles), Héléna Manson (Simone), Nane Germon (Henriette), Mme O. de Revinsky (tante Emma) Le Retour d’Antoine _ Réalisation Georges Lampin _ Scénario & dialogues Charles Spaak _ Photo Nicolas Hayer _ Musique Paul Misraki _ Montage Léonide Azar _ Interprètes François Périer (Antoine), Patricia Roc (le lieute-

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nant Évelyne), Tanis Chandler (le capitaine Betty), Gisèle Préville (Lilian), Janine Darcey (Mary), Max Elloy (le barman) Le Retour de Jean _ Réalisation Henri-Georges Clouzot _ Scénario & dialogues Henri-Georges Clouzot, Jean Ferry _ Photo Louis Page _ Musique Paul Misraki _ Montage Monique Kirsanoff _ Décors Max Douy _ Interprètes Louis Jouvet (Jean Girard), Monette Dinay (Juliette), Noël Roquevert (le commandant), Jean Brochard (l’hôtelier), Léo Lapara (Bernard), Maurice Schutz (le vieux), Jo Dest (l’Allemand), Louis Florencie (le commissaire), Georges Bever (le père de famille), Jeanne Pérez (la mère de famille), Cécile Dylma (la serveuse) Le Retour de René _ Réalisation Jean Dréville _ Scénario & dialogues Charles Spaak _ Photo Nicolas Hayer _ Musique Paul Misraki _ Montage Claude Ibéria _ Décors Émile Alex _ Interprètes Noël-Noël (René),

— Retour à la vie

Madeleine Gérôme (la jeune veuve), Suzanne Courtal (la concierge), Jean Croué (oncle Hector), François Patrice (le trafiquant), Lucien Guervil (le

vieux garçon), André Carnège (le colonel), Paul Azaïs (le capitaine), Jacques Mattler (le délégué), André Bervil (le barman) Le Retour de Louis _ Réalisation Jean Dréville _ Scénario & dialogues Noël-Noël _ Photo Louis Page, Marcel Weiss _ Musique Paul Misraki _ Montage Boris Lewyn _ Décors Émile Alex _ Interprètes Serge Reggiani (Louis), Anne Campion (Elsa), Cécile Didier (Mme Froment), Elisabeth Hardy (Yvonne), Paul Frankeur (le maire), Léonce Corne (Virolet), André Darnay (l’instituteur), Lucien Frégis (l’épicier), Léon Larive (Jules) _ Production Jacques Roitfeld, Les Films Marceau _ Sortie en France 14 septembre 1949

Justice est faite d’André Cayatte

1950

À Versailles, s’ouvre un procès en assises. Celui d’Elsa Ludenstein (Claude Nollier), docteur en médecine, qui a tué son amant. Elle dit avoir agi par amour, par pitié pour cet homme malade, incurable, et à sa demande. Pour l’accusation, son geste n’a été motivé que par l’intérêt, pour jouir d’un héritage important auprès d’un autre. Six hommes (Jean Debucourt, Marcel Pérès, Jacques Castelot, Jean-Pierre Grenier, Raymond Bussières, Noël Roquevert) et une femme (Valentine Tessier) vont devoir la juger, en leur âme et conscience. Alors qu’il est encore avocat, André Cayatte collabore avec un confrère chargé de défendre un journal œuvrant pour la révision du procès Seznec. Il se forge très rapidement une conviction sur l’affaire : pour lui, il y a eu des irrégularités dans l’enquête et Seznec, condamné au bagne, est innocent. Dès 1932, il a pour projet de réaliser un film sur cette affaire et en écrit le scénario. Mais il est confronté à de nombreuses difficultés, et aucun producteur ne veut s’engager sur le film. Finalement, le tournage est enfin annoncé pour avril 1950. Mais directement suspendu… André Cayatte décide alors de tourner Justice est faite. Premier volet de ce qu’on appellera par la suite le "cycle judiciaire" (suivront Nous sommes tous des assassins, Avant le déluge et Le Dossier noir), le film mène le procès de la justice par un homme qui en connaît parfaitement les rouages. « Justice est faite révèle au public l’escamotage de la justice populaire. J’ai cherché à accuser l’hypocrisie du régime actuel. Une loi de Vichy soumet les jurés à la pression des magistrats. Il faut s’entendre : frustrer le peuple de son droit à se prononcer en matière d’assises, ou le lui rendre entièrement. » (André Cayatte, L’Écran français, 25 septembre 1950). Le cinéaste filme un procès en assises où les jurés, alors qu’ils devraient juger en leur âme et conscience, voient finalement leurs préoccupations personnelles les pousser à prendre une décision subjective. Le film a un immense succès, mais si la presse salue unanimement le talent du réalisateur pour sa technique et sa direction d’acteurs, elle engage un débat sur le fond

Lumière 2019 — André Cayatte

« Dernier des grands films prévertiens » pour les Cahiers du cinéma, « résurgence du réalisme poétique » pour Jacques Siclier, Les Amants de Vérone expose l’opposition dramatique entre la pureté des héros et leur impossible idylle et la violence d’un destin social prédéterminé. Transposé dans l’Italie d’après-guerre, infusé par la pourriture abjecte de ses barons, le thème de la tragédie shakespearienne apparaît comme éternel et terriblement moderne. « Serge Reggiani et Anouk Aimée, modernes Roméo et Juliette des Amants de Vérone, forment sans doute le couple le plus révolutionnaire de Prévert. Leur amour est d’autant plus beau qu’il prend naissance dans un véritable cloaque où croassent un magistrat fasciste, une horrible proxénète, un répugnant tueur, un ruffian et quelques autres personnages du même acabit qui, tous, se liguent contre les amants. Il faut signaler qu’à propos de ce film certains critiques cinématographiques pourtant calmes et prudents devant des films d’amour et des films sociaux, n’ont pas pu supporter la pureté et la révolte de l’amour contre la pourriture environnante mise ainsi à nu. » (Ado Kyrou, Amour-érotisme et cinéma, éd. Éric Losfeld)

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Justice est faite France, 1950, 1h47, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Charles Spaak _ Dialogues Charles Spaak _ Photo Jean Bourgoin _ Musique Raymond Legrand _ Montage Christian Gaudin _ Décors Jacques Colombier _ Production Robert Dorfmann, Silver Films _ Interprètes Michel Auclair (Serge Krémer), Antoine Balpêtré (le président du tribunal), Raymond Bussières (Félix Noblet), Jacques Castelot (Gilbert de Montesson), Jean Debucourt (Michel Caudron), Valentine Tessier (Marceline Micoulin), Jean-Pierre Grenier (Jean-Luc Flavier), Claude Nollier (Elsa Lundenstein), Noël Roquevert (Théodore Andrieux), Jean d’Yd (le supérieur), Marcel Pérès (Évariste Malingré), Annette Poivre (Lulu), Agnès Delahaie (Nicole Vaudrémont), Elisabeth Hardy (Béatrice Flavier), Léonce Corne (l’huissier), Marcel Mouloudji (Amadeo), Jean Vilar (le prêtre), Claude Nicot (Roland), Paul Frankeur (Jouvillon), Dita Parlo (Elisabeth), Pierre Fresnay (la voix du narrateur) _ Sortie en France 20 septembre 1950

Nous sommes tous des assassins

1952

Lumière 2019 — André Cayatte

d’André Cayatte

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René Le Guen (Marcel Mouloudji) est un jeune dévoyé, sans instruction, sans métier, à qui personne ne s’est jamais intéressé. Pendant l’Occupation, il est amené à transporter le corps d’un soldat allemand assassiné. Le hasard le met alors en rapport avec la Résistance : il tuera ainsi, sur ordre, Allemands et Français. La guerre terminée, Le Guen continue de tuer pour son propre compte. Arrêté, il est condamné à mort. Il se retrouve alors en cellule avec trois autres hommes (Antoine Balpêtré, Raymond Pellegrin, Julien Verdier), également en attente de leur exécution. Une censure implicite (le sujet restant judiciairement interdit) l’empêchant toujours de réaliser son film sur l’affaire Seznec, André Cayatte poursuit son travail sur la justice française. Pour ce nouvel opus, il s’attaque à la question de la peine de mort.

Nous sommes tous des assassins est un film courageux. Près de trente ans avant la plaidoirie de Robert Badinter dans l’affaire Patrick Henry, en 1977, et l’abolition de la peine de mort, en 1981, Cayatte nous interroge déjà : la peine capitale, souvent justifiée comme étant exemplaire, est-elle réellement un moyen de lutter contre la délinquance ? Les quatre meurtriers ici dépeints ont tous croisé le chemin de Cayatte-avocat. Ils ont tué par passion, folie, sens de l’honneur. Le personnage de René Le Guen, très justement campé par Mouloudji, n’a jamais eu conscience de ses actes. C’est un jeune adulte, presque encore un adolescent, irresponsable, un gamin sans éducation. Sa violence naturelle a servi la Résistance par accident. Mais que se passe-t-il après la Libération ? Cayatte, vindicatif, fait surtout ici le procès en creux de l’inégalité sociale et de la responsabilité collective. Fervent plaidoyer contre la peine de mort comme machine à tuer institutionnelle, le film prendra une place importante dans la bataille des idées. Au point que la critique changera son fusil d’épaule : le cinéaste ne sera plus attaqué sur ses idées mais désormais sur sa prétendue "absence" de style cinématographique. Nous sommes tous des assassins obtiendra cependant le Prix spécial du Jury au Festival de Cannes en 1952. Le condamné qui inspira le personnage de Le Guen sera gracié par le président de la République, Vincent Auriol, et selon le cinéaste, en partie grâce à son film. « Je crois beaucoup à la contagion des idées, et en particulier par le cinéma, et si je n’avais pas fait les films que j’ai faits, je n’aurais pas été satisfait de moi : parce qu’avoir à sa disposition cet extraordinaire moyen d’expression, ce levier prodigieux qu’est le cinéma et raconter des histoires de cocus sous le Second Empire, ce n’est vraiment pas la peine ! Ma conception du cinéma et de la vie me fait penser qu’en tant qu’artiste, j’ai certaines responsabilités. » (in Guy Braucourt, André Cayatte, Seghers) Nous sommes tous des assassins France, Italie, 1952, 2h11, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Charles Spaak _ Dialogues Charles Spaak _ Photo Jean Bourgoin _ Musique Raymond Legrand _ Montage Paul Cayatte _ Décors Jacques Colombier _ Costumes Ferdinand Junker _ Production André Halley des Fontaines, Union Générale Cinématographique, Jolly Film, Labor Films _ Interprètes Marcel Mouloudji (René Le Guen), Raymond Pellegrin (Gino), Antoine Balpêtré (Dutoit), Julien Verdier (Bauchet), Claude Laydu (Philippe Arnaud), Jacqueline Pierreux (Yvonne Le Guen), Georges Poujouly (Michel Le Guen), Louis Seigner (l’abbé Roussard), Jean-Pierre Grenier (le docteur Detouche), André Reybaz (le père Simon), Yvonne de Bray (la chiffonnière), Henri Vilbert (Arnaud père), Paul Frankeur (Léon), Line Noro (Mme Arnaud), Anouk Ferjac (Agnès), Marcel Pérès (Malingré), Juliette Faber (Mme Sautier), Sylvie (Laetitia), Alexandre Rignault (le gendarme) _ Sortie en France 21 mai 1952

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— Avant le déluge

Avant le déluge d’André Cayatte

1954

Cinq jeunes amis, Daniel (Roger Coggio), Jean (Jacques Chabassol), Richard (Jacques Fayet), Philippe (Clément Thierry) et Liliane (Marina Vlady), ont grandi dans l’atmosphère inquiète de l’après-guerre. En cet hiver 1950, les événements de Corée font peser sur le monde une nouvelle menace. Ils rêvent, comme tous les adolescents, d’un monde meilleur, plus équitable. Ils élaborent alors le plan de l’évasion qui les conduira à leur rêve, une île du Pacifique. Pour cela, ils ont besoin d’argent et organisent un cambriolage : tout semble planifié… Après de nombreux rebondissements et malgré l’autorisation délivrée après une entrevue avec le président Vincent Auriol en personne, le projet Seznec, que le cinéaste portait depuis deux décennies, est définitivement abandonné en 1954, suite à la mort de Guillaume Seznec qui devait jouer dans le film. Cayatte poursuit alors son incursion au sein de la machine judiciaire et signe Avant le déluge, inspiré de l’affaire des J3 de Melun.

Pris dans la psychose d’une nouvelle guerre mondiale et d’une menace nucléaire, un groupe d’adolescents décide de fuir. Ces enfants de bonne famille s’embarquent dans l’engrenage de la délinquance : vol, meurtre par accident, assassinat. Alors que le procès des garçons et de Liliane s’ouvre, ce sont finalement les parents qui se retrouvent sur le banc des accusés. Pour Cayatte, les jeunes criminels ne sont que le produit de leur éducation déficiente et de l’égoïsme social. À travers le crime antisémite perpétré par le fils d’un ancien collaborateur, Cayatte dénonce également les séquelles de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation. Encore une fois, le film déroute. Avant le déluge échappe de justesse à la censure, mais est interdit à l’exportation et aux spectateurs de moins de 16 ans (Marina VladyLiliane ne peut pas se voir à l’écran). La critique est perplexe, parfois même embarrassée. On reproche à Cayatte l’imprécision de son discours, de ne porter à l’écran que des films à thèse, de pousser si loin ses arguments qu’il finit par desservir son propos. Pour Positif, « il reste, bien sûr, le courage de l’auteur. André Cayatte est l’homme que nous aimerions aimer » (n°13, mars-avril 1955). Finalement, André Bazin dans son célèbre article "La cybernétique

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et sur la méthode de Cayatte pour défendre son propos. On s’interroge : à voir les jurés se prononcer en fonction de leurs expériences personnelles – et les professionnels à l’abri des passions humaines –, quelle serait la légitimité de la justice populaire ? À partir de là, l’étiquette de "film à thèse" collera aux films de Cayatte, une étiquette qui longtemps mettra en rage le cinéaste. Il conteste : il expose, montre, donne à voir, mais ne conclut pas. « Lorsqu’il revendiquera le titre d’"auteur", il n’aura pas tort. L’ancien avocat connaît les méandres de la loi et de la justice, le cinéaste a un véritable don pour les artifices dramatiques et les agencements romanesques de faits réels et vécus. Justice est faite reçoit le Grand Prix du Festival de Venise, qui consacre, en quelque sorte, le nouveau genre que Cayatte vient d’inventer. » (Jacques Siclier, Le Cinéma français, Ramsay)

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Avant le déluge France, Italie, 1954, 2h20, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Charles Spaak _ Dialogues Charles Spaak _ Photo Jean Bourgoin _ Musique Georges Van Parys _ Montage Paul Cayatte _ Décors Jacques Colombier, Robert Guisgand _ Production André Halley des Fontaines, Union Générale Cinématographique, Documento Film _ Interprètes Marina Vlady (Liliane Noblet), Jacques Fayet (Richard Dutoit), Clément Thierry (Philippe Boussard), Roger Coggio (Daniel), Jacques Chabassol (Jean), Bernard Blier (M. Noblet), Antoine Balpêtré (M. Dutoit), Maria Zanoli (Mme Dutoit), Paul Frankeur (M. Boussard), Isa Miranda (Mme Boussard), Line Noro (Mme Arnaud), Jacques Castelot (M. de Montesson), Paul Bisciglia (Jean-Jacques Noblet), Delia Scala (Josette), Jacques Pierre (Patrick), Carlo Ninchi (le président du tribunal), Marcel Pérès (l’inspecteur Malingré), André Valmy (l’inspecteur Pichon), Gérard Blain (le lycéen bagarreur), Jean Yanne (un lycéen) _ Sortie en France 26 février 1954

Le Dossier noir d’André Cayatte

1955

Lumière 2019 — André Cayatte

Dans une sous-préfecture, alors que l’on enterre un juge d’instruction, son jeune remplaçant débarque à la gare. Le juge Arnaud (Jean-Marc Bory) se plonge dans les dossiers laissés par son prédécesseur. Il découvre qu’un conseiller municipal aurait réuni un dossier noir sur le baron local, Boussard (Paul Frankeur), un riche entrepreneur. Mais le conseiller est mort subitement. Le corps est exhumé…

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— Le Dossier noir

« Si les gens de cinéma prennent Cayatte pour un avocat, les gens de robe le prennent pour un cinéaste. André Cayatte serait-il un traître ? » (Arts, 25 mai 1955). François Truffaut a la dent dure, Cayatte en fait les frais. Le critique (bientôt cinéaste) n’est pas le seul à blâmer l’auteur du Dossier noir. Présenté à Cannes, le film bénéficia d’un accueil glacial. On crie à la censure. Un spectateur conclut cependant : « Un film qui fait crier "censure" est de toute façon un bon film ». Alors ? Avec Justice est faite, Cayatte s’attelait au mécanisme du verdict. Dans Nous sommes tous des assassins, à l’application des peines. La troisième phase de l’action judiciaire, l’instruction, aurait dû être traitée avec l’affaire Seznec… C’est Le Dossier noir qui conclura le cycle. Film pamphlet, il s’attaque aux institutions, aux moyens minables accordés à la justice et à ses rapports avec la police. Cayatte instruit à charge : il dénonce la mainmise

du pouvoir économique, les abus de pouvoir des policiers (qui réussissent à faire avouer à différents coupables un meurtre qui n’est pas prouvé). Cayatte persiste dans ce qui a fait son style, sa réputation. Mais il s’agit aussi du journal d’un juge de province, jeune, inexpérimenté, mais persévérant. On l’appelle le « petit juge », et on aura sa peau. « Au départ, je voulais avant tout renseigner le public sur ce personnage un peu mystérieux qu’est le juge d’instruction. Personnage en principe tout-puissant, dont le rôle capital est de faire surgir la lumière au milieu d’un fatras de mensonges, de contradictions, de témoignages erronés ou absurdes. Mais à mesure que le scénario se développait, je me suis aperçu que l’homme que j’avais choisi pour symboliser cet aspect de la magistrature m’intéressait plus que sa fonction et que c’était son drame personnel que j’étais en train de raconter. […] De telle sorte que Le Dossier noir, qui devait illustrer une thèse générale, devint peu à peu le récit d’un cas particulier. » (André Cayatte, Le Monde, 11 mai 1955) Le Dossier noir France, Italie, 1955, 1h55, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Charles Spaak _ Dialogues Charles Spaak _ Photo Jean Bourgoin _ Musique Louiguy _ Montage Paul Cayatte _ Décors Jacques Colombier _ Costumes Rosine Delamare _ Production Spéva Films, Rizzoli Film _ Interprètes Antoine Balpêtré (Dutoit), Bernard Blier (le commissaire Noblet), Danièle Delorme (Yvonne Dutoit), Henri Crémieux (le procureur), Paul Frankeur (Boussard), Jean-Marc Bory (Jacques Arnaud), Léa Padovani (Françoise Le Guen), Nelly Borgeaud (Danièle), Noël Roquevert (le commissaire Franconi), André Valmy (l’inspecteur Carlier), Jacques Duby (Flavier), Daniel Cauchy (Jo), Jean-Pierre Grenier (Gilbert Le Guen), Christian Fourcade (Alain) _ Présentation au Festival de Cannes 10 mai 1955 _ Sortie en France 18 mai 1955

Œil pour œil

1957

d’André Cayatte

Le docteur Walter (Curd Jürgens) est chirurgien à l’hôpital de Trablos, près de Beyrouth. Une nuit, un homme (Folco Lulli) frappe à sa porte : il veut que le médecin soigne son épouse malade. Walter ne l’examine pas et les oriente vers l’hôpital, à vingt minutes de route. Le lendemain, le chirurgien apprend que la femme, arrivée à pied avec son mari à cause d’une panne d’automobile, est morte. Un climat étrange s’installe autour du docteur Walter : des appels téléphoniques anonymes, le sentiment d’être suivi… Son inquiétude grandit. Fin du cycle judiciaire : André Cayatte, en plein renouvellement, opère un tournant important. Pour Œil pour œil, il engage des comédiens célèbres (Curd Jürgens et Folco Lulli), adapte un roman avec son auteur Vahé Katcha (Duvivier et Buñuel s’y seraient également intéressés), filme pour la première fois en couleurs et surtout délaisse ce qui l’a caractérisé ces dernières années, les films à thèse.

Lumière 2019 — André Cayatte

d’André Cayatte" résume : « Si Avant le déluge a soulevé tant de haines, provoqué de telles indignations, s’il entretient encore de si sournoises manœuvres de la part des pharisiens, on aurait tort de croire qu’il ne le doit qu’à ses incidences sociales, morales ou politiques, en tant que telles. Celles-ci ne soulèvent tant d’objections qu’en raison de l’efficacité exceptionnelle de la mise en scène. Ce film bouleverse, il secoue le spectateur, le plonge dans un malaise violent et insolite. L’indifférence est impossible. » (Cahiers du cinéma n°36, juin 1954)

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Lumière 2019 — André Cayatte

Œil pour œil France, Italie, 1957, 1h54, couleurs (Technicolor), format 1.96 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario Vahé Katcha, d’après son roman éponyme _ Dialogues Pierre Bost _ Photo Christian Matras _ Musique Louiguy _ Montage Paul Cayatte _ Décors Jacques Colombier _ Production André Halley des Fontaines, Union Générale Cinématographique, Galatea Film, Jolly Film _ Interprètes Curd Jürgens (le docteur Walter), Folco Lulli (Bortak), Lea Padovani (Lola), Paul Frankeur (l’opéré), Pascale Audret (la belle-sœur de Bortak), Dario Moreno (le cafetier), Robert Porte (le docteur Matik, l’assistant), Héléna Manson (Mme Laurier, l’infirmière), Marlène Chicheportiche (la fille de Bortak) _ Sortie en France 13 septembre 1957

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Le Miroir à deux faces

1958

d’André Cayatte

Tardivet (Bourvil), professeur de mathématiques, décide de se marier par le biais d’une petite annonce. Il choisit Marie-José (Michèle Morgan), dont le physique ingrat semble assurer la fidélité. Marie-José est, elle, amoureuse de son beau-frère Gérard (Ivan Desny), marié à sa sœur bien plus jolie qu’elle. Une fois mariée, elle découvre un

époux mesquin et une belle-mère (Sylvie) odieuse. Le temps passe, deux enfants naissent. À la suite d’un accident survenu à Tardivet, Marie-José fait la connaissance du docteur Bosc (Gérard Oury), spécialiste en chirurgie esthétique. Il lui propose de l’opérer… André Cayatte, réalisateur ancré dans son époque, à l’affût des usages et des préoccupations de ses contemporains, prend prétexte de la question de la chirurgie esthétique pour interroger celle du couple. Le Miroir à deux faces est un drame psychologique, un drame de la jalousie. Une femme est choisie comme épouse pour son physique peu aimable. Cayatte donne à voir comment un chirurgien esthétique, en modifiant l’un des éléments du couple (le physique de Marie-José), modifie profondément l’équilibre même de celui-ci. Deux points de vue – mais aussi deux relations – s’affrontent dans cette peinture critique d’un milieu petit-bourgeois. D’un côté, le mari. Médiocre dans la première partie, il devient amer et mauvais dans la seconde : on lui a volé la femme qu’il avait choisie. De l’autre, l’épouse. Traitée comme inférieure à cause de sa laideur, elle rêve de se réconcilier avec son physique. Son nouveau visage lui offre une nouvelle personnalité : de la résignation, elle passe à la libération. Cayatte voulait que son film soit vu comme un éloge de la femme moderne, libre et indépendante. Pour marquer le contraste entre les deux périodes de la vie de Marie-José, Michèle Morgan se transforma. On parla même de l’abnégation de la belle comédienne qui « n’hésita pas à s’enlaidir ». Cayatte imposa le secret sur le tournage et instaura un embargo sur les photos de l’actrice. Comme à son habitude, la presse est divisée à propos du film. Mais si on reproche à Michèle Morgan de passer trop brutalement de la capitulation à la revendication, on souligne l’interprétation de Bourvil, époux minable dans une nouvelle composition dramatique. « Après ses succès dans La Traversée de Paris et Les Misérables, Bourvil prouve définitivement ici qu’il est un des plus grands comédiens du cinéma français. C’est avec une vérité hallucinante qu’il interprète le rôle du mari veule, tatillon, mesquin, et quand, à la fin du film, la jalousie le rend furieux, sa violence est telle qu’elle provoque chez le spectateur une sorte de gêne mêlée d’effroi… » (Jean de Baroncelli, Le Monde, 23 octobre 1958) Le Miroir à deux faces France, Italie, 1958, 1h36, noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Gérard Oury _ Dialogues Jean Meckert, Denis Perret _ Photo Christian Matras _ Musique Louiguy _ Montage Paul Cayatte _ Décors Jacques Colombier _ Costumes Tanine Autré, Paulette Coquatrix _ Production Henry Deutschmeister, Alain Poiré, Paris Union Films, Franco-London-Films, Société Nouvelle des Établissements Gaumont, CEI Incom _ Interprètes Michèle Morgan (Marie-José Vauzange-Tardivet), Bourvil (Pierre Tardivet), Ivan Desny (Gérard Durieu), Georges Chamarat (M. Vauzange), Élisabeth Manet (Véronique Vauzange), Sylvie (Mme Tardivet), Georgette Anys (Mme Benoît), Julien Carette (M. Benoit), Sandra Milo (Ariane), Gérard Oury (le docteur Bosc) _ Sortie en France 15 octobre 1958

— Le Passage du Rhin

Lumière 2019 — André Cayatte

Avec Œil pour œil, Cayatte signe un drame de la vengeance, une revanche à l’orientale, comme le souligne la publicité de l’époque. Bortak, dévasté par la mort de son épouse, ourdit une vengeance insidieuse, instaure un climat de peur et d’angoisse autour du docteur Walter, qu’il juge coupable. L’œuvre, plus romanesque que les précédentes, centrée sur la loi du talion, dissèque le cheminement des remords, la violence rentrée des sentiments. Cayatte signe un film taiseux sur la responsabilité individuelle. Une démarche soulignée par la critique, mais, encore une fois, le cinéaste est malmené. On lui reproche d’être "trop". André Bazin hésite : « Je vois bien certes en quoi ce scénario est l’exact contrepied des films à thèse d’André Cayatte. Dirai-je qu’il l’est trop exactement. Et que l’on sent que son auteur a voulu faire cette fois-ci l’anti-film à thèse. Ses personnages sont libres un peu à la manière de ceux de Sartre, c’est-à-dire déterminés par la liberté. En chaque circonstance, il ne dépendrait que de la volonté et de la lucidité du médecin d’échapper au piège qu’on lui tend, mais, en chaque circonstance, il choisit de mettre le pied sur le ressort parce que sa mauvaise conscience le détermine, ce que prévoit parfaitement chaque fois son bourreau. En sorte que je retrouve […] la main d’André Cayatte dans la mécanique de ces personnages. Cette remarque formulée, j’ajoute immédiatement que c’est alors l’intelligence de ce mécanisme, où l’indétermination même est prévue, qui, justement, me plaît. Il y a quelque chose de cartésien dans la façon de travailler d’André Cayatte, qui en fait sans doute la limite mais aussi la force entêtée et claire. Je suis touché aussi par la sorte de générosité et de courage qui préside à ses entreprises et à celle-ci notamment. » (André Bazin, France Observateur, 19 septembre 1957).

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1960

d’André Cayatte

Juin 1940. En traversant le Rhin, deux soldats, prisonniers des Allemands, font connaissance. Roger (Charles Aznavour) est ouvrier-boulanger, mobilisé pour combattre. Jean (Georges Rivière), journaliste, s’est engagé en refusant l’affectation spéciale qu’on lui accordait. Prétextant être tous deux ouvriers agricoles, ils sont placés chez le bourgmestre d’un village. Jean décide de s’évader et de poursuivre le combat, tandis que Roger ne peut se résoudre à quitter la ferme et ses habitants…

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Récompensé par un Lion d’or à la Mostra de Venise, Le Passage du Rhin est un film important pour son réalisateur. Fresque couvrant la guerre, l’Occupation, la Libération et surtout les rapports franco-allemands, le film n’est pas du goût de tous. Au vu de la réception critique des films de Cayatte, il ne pouvait en être autrement. La guerre n’était peut-être finalement qu’un prétexte pour traiter de la question du déterminisme. Deux hommes d’horizons opposés, tous les deux prisonniers de guerre, sont en quête de liberté. Pour l’un, journaliste engagé, il est nécessaire de s’évader, de combattre, de rejoindre celle qu’il aime, de lutter contre l’injustice. Pour l’autre, homme modeste qui ne s’intéresse pas à la politique, il s’agit de choisir sa vie, quitte à abandonner sa famille, son métier,

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son pays et de s’installer dans celui de l’ennemi. Les voies semblaient tracées : le premier avait tout pour mener une existence forte, hors des sentiers battus, et le second, devait se contenter d’une vie routinière. Mais le destin de ces deux personnages sera tout autre. Le critique Pierre Billard souligne le changement de ton : « L’avocat oublie sa cause en cours de plaidoirie et le film y gagne un peu de vérité et de chaleur humaine. » (L’Express, 10 novembre 1960). Pas de lyrisme cependant, le cinéaste garde sa réserve naturelle. « Tout au fond de l’esprit d’André Cayatte semblent s’opposer le juriste redresseur de torts de Justice est faite et du Dossier noir, et le romantique invétéré des Amants de Vérone. L’objectivité de Simone de Beauvoir, qui doit collaborer à son prochain film, ne sera pas de trop pour compenser une fougue aussi désordonnée, toujours à la recherche de son point d’application, mais qui force l’estime par son refus des conventions établies. » (Louis Marcorelles, Cahiers du cinéma n°115, janvier 1961) Le Passage du Rhin France, Italie, République fédérale d’Allemagne, 1960, 2h05, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Armand Jammot, Pascal Jardin, Maurice Aubergé _ Dialogues Maurice Aubergé _ Photo Roger Fellous _ Musique Louiguy _ Montage Boris Lewyn _ Décors Robert Clavel _ Production Ralph Baum, Franco London Films, Société des Films Gibe, UFA _ Interprètes Charles Aznavour (Roger), Nicole Courcel (Florence), Georges Rivière (Jean), Cordula Trantow (Helga), Betty Schneider (Alice), Georges Chamarat (le père d’Alice), Jean Marchat (Delmas), Colette Régis (la mère d’Alice), Alfred Schieske (Kessler), Yves Barsacq (Jacques), Nerio Bernardi (Rodier) _ Sortie en France 4 novembre 1960

— Piège pour Cendrillon

Piège pour Cendrillon    1965 d’André Cayatte

Victime de l’incendie de sa maison, une jeune fille (Dany Carrel) est soignée dans une clinique. Grâce à la chirurgie esthétique, elle est réparée, mais est désormais totalement amnésique. Elle doit réapprendre petit à petit les mots, les idées, la vie. Sa cousine Michèle, avec qui elle vivait, a péri dans l’incendie. On lui dit qu’elle s’appelle Dominique et qu’elle est l’héritière d’une riche industrielle. Jeanne (Madeleine Robinson), sa gouvernante depuis toujours, vient la chercher à la clinique. Bientôt Dominique s’interroge… André Cayatte travaille sur un scénario original, inspiré de l’affaire Caryl Chessman et traitant des rôles différents qu’un homme joue au cours de sa vie, lorsqu’il se retrouve bloqué, dans l’impossibilité de terminer son script. Par hasard, il lit le roman de Sébastien Japrisot, Piège pour Cendrillon. « J’ai immédiatement été séduit, troublé, car sous la forme anecdotique, je retrouvais exactement mes intentions premières. J’avais découvert l’histoire la plus extraordinaire que j’aie jamais lue. » (André Cayatte, Unifrance Film, 30 juin 1965). Pour adapter cette histoire de machination, le cinéaste s’adjoint les services de Jean Anouilh. Ensemble, ils signent une histoire sombre et angoissante, à la mécanique horlogère. Pour Cayatte, « c’est une aventure intérieure et une aventure. Le film a la cadence d’un western : les canyons, les Indiens, la fille du shérif et les chevaux sont remplacés par les tourments de la pensée. C’est l’attaque mentale de la diligence. Anouilh a fait du personnage principal une sœur d’Antigone, ajoutant dimension et grandeur. » (Arts, 13 octobre 1965) Deux cousines héritières, montées l’une contre l’autre par leur gouvernante. L’une décède, l’autre est amnésique. Le casse-tête est justement incarné par Madeleine Robinson et Dany Carrel (dans un triple rôle). Cette dernière, sans mémoire, retrouve son innocence. Le cauchemar la mène à assumer les responsabilités d’une femme qu’elle n’est plus désormais. Ou qu’elle n’a peut-être jamais été ? Du suspense, de la manipulation, une structure classique, une histoire très noire… Il n’en faut pas plus pour que la critique convoque le maître du genre. « C’est à Hitchcock qu’on pense en voyant Piège pour Cendrillon et on aurait mauvaise grâce à bouder le film sous prétexte qu’il est signé André Cayatte. En effet, Cayatte y prouve brillamment ce qu’on a tendance à oublier sous le fatras de ses essais sociologiques, patriotards ou moralisateurs précédents : qu’il est un admirable cinéaste de métier et qu’il se meut à l’aise dans la psychologie la plus compliquée. Dans Piège pour Cendrillon, tout est bien huilé, tout coule, pas un rouage de la machine de précision ne grince. On ne cesse pas de se

passionner, de s’embrouiller, d’espérer, d’attendre, menés par la magie du suspense comme des enfants, ce qui était exactement le but du metteur en scène. » (Claire Clouzot, Cinéma 65 n°101, décembre 1965) Piège pour Cendrillon France, Italie, 1965, 1h55, noir et blanc, format 2.35 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Jean Anouilh, d’après le roman éponyme de Sébastien Japrisot _ Dialogues Jean Anouilh _ Photo Armand Thirard _ Musique Louiguy _ Montage Paul Cayatte _ Décors Robert Clavel _ Costumes Tanine Autré _ Production Alain Poiré, Gaumont International, Jolly Film _ Interprètes Dany Carrel (l’amnésique/ Michèle/Dominique), Madeleine Robinson (Jeanne), Jean Gaven (Gabriel), Hubert Noël (François), René Dary (le docteur Doulin), Francis Nani (Serge), Robert Dalban (Bayen), Héléna Manson (l’infirmière), Dominique Davray (la concierge), Lucien Callamand (le docteur d’Antibes), Julien Verdier (l’employé du garage), Émile Riandreys (le portier), Edmond Tamiz (le valet de chambre) _ Sortie en France 22 octobre 1965

Les Risques du métier

1967

d’André Cayatte

Dans un petit bourg normand, la jeune Catherine (Delphine Deysieux), fille du garagiste, accuse son instituteur, M. Doucet (Jacques Brel), d’avoir tenté de la violer. Alerté, le maire (René Dary) est sceptique : installés dans le village depuis quelque temps, Doucet et son épouse Suzanne (Emmanuelle Riva) sont appréciés de tous. Mais les témoignages s’accumulent : Hélène (Nathalie Nell) reconnaît avoir une relation avec Doucet et la petite Josette (Chantal Martin) que ce dernier lui aurait fait des avances… Largement inspiré d’affaires récentes, mais également du travail du couple d’avocats Simone et Jean Cornec sur les témoignages d’enfants, André Cayatte s’attaque à un sujet encore tabou à l’époque, la pédophilie. À ce titre, Les Risques du métier est un film audacieux (audace encore : offrir à Jacques Brel son premier rôle au cinéma, celui de l’instituteur bafoué). Le cinéaste s’adjoint pour le scénario les services d’Armand Jammot, journaliste et, à partir d’avril 1967, producteur des Dossiers de l’écran, émission de débat de société, précédé d’un film, qui fera date à la télévision française. Le nouveau film de Cayatte s’inscrit visiblement dans cette ligne éditoriale. Le réalisateur mène une enquête très détaillée avant de tourner : il rencontre tous les protagonistes d’affaires similaires (enfants, parents, juges, avocats, associations d’instituteurs…). Il peut alors décortiquer le mécanisme de la rumeur et les désastres qu’elle engendre (sujet indémodable au cinéma, comme le prouve le très réussi La Chasse de Thomas Vinterberg). Il souhaite également, comme dans Avant le déluge, mettre en lumière la difficulté du dialogue entre adultes et enfants et la fragilité des témoignages de ces derniers. Mais on lui reproche d’être de nouveau trop

Lumière 2019 — André Cayatte

Le Passage du Rhin

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manichéen et de ne pas approfondir les raisons de leurs faux témoignages. Le cinéaste, fidèle à son style, utilise une technique très classique, sans effet de manche, dans un souci de clarté et dans un seul but : convaincre. Il tenait toutefois absolument à filmer en couleurs afin de plonger les spectateurs dans les yeux clairs des enfants, dont, selon lui, se dégage une impression de pureté et d’innocence. Comparée à la Nouvelle Vague, la rigueur de Cayatte plaît encore à certains : « Malgré ses débuts moins anciens, Cayatte a rejoint la vieille vague des touristes-routiers du Tour de France, les Decoin, les Duvivier, qui plusieurs poils au-dessous de leurs équivalents américains, sont souvent capables, néanmoins, de robuste ouvrage, d’anonyme rigueur et de bons gros savoir-faire. Soit infiniment plus que beaucoup de prétentieuses Marie-Louise ne seront de longtemps prêtes à nous donner. » (Roger Tailleur, Positif n°93, mars 1968) Les Risques du métier France, 1967, 1h45, couleurs (Eastmancolor), format 1.85 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Armand Jammot, d’après l’ouvrage éponyme de Simone et Jean Cornec _ Dialogues Armand Jammot _ Photo Christian Matras _ Musique Jacques Brel, François Rauber _ Montage Hélène Plemiannikov _ Décors PaulLouis Boutié _ Production Alain Poiré, Gaumont International _ Interprètes Jacques Brel (Jean Doucet), Emmanuelle Riva (Suzanne Doucet), Jacques Harden (Robert Arnaud), René Dary (M. Beaudoin, le maire), Christine Fabréga (Mme Roussel), Nadine Alari (Mme Armand), Marius Laurey (Roussel), Albert Michel (M. Canet), Claudine Berg (Mme Canet), Delphine Deysieux (Catherine), Nathalie Nell (Hélène), Chantal Martin (Josette), Muriel Baptiste (Martine) _ Sortie en France 21 décembre 1967

Mourir d’aimer d’André Cayatte

1971

Lumière 2019 — André Cayatte

Danièle Guénot (Annie Girardot), la trentaine, divorcée, est professeur de lettres dans un lycée de Rouen. Moderne, elle est très appréciée de ses élèves et vit avec eux les événements de Mai 68. Dans cette atmosphère de liberté et de renouveau, Danièle et Gérard (Bruno Pradal), un de ses élèves, âgé de 17 ans, tombent amoureux. Les parents de Gérard portent plainte.

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« Toute ressemblance avec des personnages réels… » Si André Cayatte brouille les pistes (les noms, les lieux, les circonstances diffèrent), c’est bien de l’affaire Gabrielle Russier qu’il s’est inspiré pour Mourir d’aimer. En 1969, la relation entre l’enseignante et son élève de 17 ans avait défrayé la chronique et passionné les Français. Une histoire d’amour interdite, devenue drame après le suicide de Gabrielle Russier. Dès l’annonce du projet, la polémique enfle. François Truffaut reproche à Cayatte de faire les poches des cadavres encore tièdes, demandant à Annie Girardot de refuser le rôle. À sa sortie, le film bénéficie d’un très grand

succès public, tandis que le juge d’instruction chargé de l’affaire reproche au cinéaste, dans une lettre ouverte, de vouloir faire le procès de la justice. En filmant normalement la relation entre Danièle (bouleversante Annie Girardot) et Gérard, couple maudit soumis aux plus abjectes pressions, André Cayatte interroge la place de la femme et du mineur dans une France tout juste sortie de Mai 68, et écorne trois piliers de la société, la Famille, l’Enseignement et la Justice. Et il poursuit son but avec une sincérité désarmante, une réelle simplicité dans la réalisation, sans apprêts superflus. « Le très beau film d’André Cayatte, mené comme une interview par Pierre Dumayet, est un document accablant. Tout ce qu’il montre est vrai, a existé ou existe encore. Cela s’est passé comme ça, on ne peut l’accuser d’aucune atteinte à la vérité. Aidé par Me Naud, il lui a fallu faire attention, éviter les écueils, car après avoir tout fait pour empêcher la réalisation de son film, les "autorités" diverses l’attendaient au tournant, guettant la moindre erreur de conduite, pour interdire ou censurer. Allez voir comment on accule au suicide, à notre époque, une jeune femme de 32 ans coupable d’aimer un garçon de 17 ans. […] Mourir d’aimer. Une histoire d’amour qui va bouleverser la France. L’indigner aussi. Du moins, je l’espère. » (Michel Duran, Le Canard enchaîné, 20 janvier 1971) Mourir d’aimer France, Italie, 1971, 1h53, couleurs (Eastmancolor), format 1.66 _ Réalisation André Cayatte _ Scénario André Cayatte, Me Albert Naud, Pierre Dumayet _ Photo Maurice Fellous _ Musique Louiguy _ Montage Borys Lewin _ Décors Robert Clavel _ Costumes Michèle Richer _ Production Roger Fellous, Lucien Massé, Franco-London-Films, Cobra International _ Interprètes Annie Girardot (Danièle Guénot), Bruno Pradal (Gérard Leguen), François Simon (M. Leguen), Monique Mélinand (Mme Leguen), Jean-Paul Moulinot (M. Guénot), Claude Cerval (le juge), Jean Bouise (le juge des mineurs), Nathalie Nell (Thérèse), Marius Laurey (M. Arnaud), Yves Barsacq (l’ami), Marie-Hélène Breillat (le Serpent), Édith Loria (Renée), Raymond Meunier (l’avocat de Danièle) _ Sortie en France 20 janvier 1971

Forbidden Hollywood les trésors Warner Avec le soutien de l’Ambassade des États-Unis d’Amérique


Âmes libres

1931

A Free Soul de Clarence Brown

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Stephen Ashe (Lionel Barrymore), un honorable avocat, vient de remporter un procès dans une affaire de meurtre. L’accusé, Ace Wilfong (Clark Gable), gangster élégant, ne tarde pas à séduire Jan (Norma Shearer), la fille de l’avocat, qui quitte son petit ami Dwight (Leslie Howard) pour le malfrat. Stephen, qui entretient des liens fusionnels avec sa fille, ne voit pas d’un bon œil ce rapprochement. Le père et sa fille font un pacte : Jan accepte d’arrêter de voir Ace si son père soigne son alcoolisme.

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— Âmes libres

Le titre du film de Clarence Brown, produit par la MGM, correspond bien à la parenthèse enchantée que connut Hollywood entre 1929 et 1934, une période qui donna naissance à ce qu’on appellera le « pré-Code ». Précédant l’instauration en 1934 du code de production, rédigé en 1929 par un éditeur catholique et un prêtre jésuite – William Hays était alors président de l’Association des producteurs et distributeurs –, qui fixe une très longue liste d’interdits, comme, dans le désordre, le crime, le blasphème, la nudité, l’indécence morale, la drogue, la sexualité, les perversions, les unions mixtes, etc. Affranchi de toute censure, Clarence Brown débute son film dans l’intimité d’une chambre à coucher où une

jeune femme quasi nue demande à son père de choisir ses sous-vêtements et ses vêtements. Dans Âmes libres, le cinéaste, qui met en scène meurtre, alcoolisme, violence, sexe, explore la noirceur sous toutes ses coutures. Le père, avocat brillant mais alcoolique, est interprété par Lionel Barrymore, qui reçut l’Oscar du meilleur acteur, notamment pour sa longue plaidoirie passionnée (quatorze minutes). La performance, point culminant du film, fut tournée en une prise. « Il donna le meilleur de lui-même et fut magnifique, absolument merveilleux. » (Clarence Brown, Écran 79 n°81, juin 1979) Les personnages, au fort caractère, sont joués par des acteurs remarquables, comme Norma Shearer dans le rôle d’une jeune fille assurée et ardente et Clark Gable dans celui du voyou nerveux, un rôle qui le révéla au grand public. « Tous ces personnages, tragiquement happés par leurs addictions (à l’alcool, à la passion, au sexe, à l’argent, aux liens du sang, à la famille, à la violence), sont-ils des âmes libres, ou bien captives ? À la fin du film qui, fidèle au style du pré-Code, préfère l’ambiguïté et ses abîmes à la platitude sans mystères de la norme, le spectateur demeure longtemps hanté par cette énigme. » (Hélène Frappat, Les Trésors Warner, Forbidden Hollywood, Warner Home Entertainment) Âmes libres (A Free Soul) États-Unis, 1931, 1h37, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Clarence Brown _ Scénario John Meehan, Becky Gardiner, d’après le roman éponyme d’Adela Rogers St. Johns et son adaptation théâtrale par Willard Mack _ Photo William Daniels _ Direction artistique Cedric Gibbons _ Montage Hugh Wynn _ Costumes Adrian _ Production Clarence Brown (non créd.), Metro-GoldwynMayer _ Interprètes Norma Shearer (Jan Ashe), Leslie Howard (Dwight Winthrop), Lionel Barrymore (Stephen Ashe), Clark Gable (Ace Wilfong), James Gleason (Eddie), Lucy Beaumont (la grand-mère Ashe) _ Sortie aux États-Unis 20 juin 1931 _ Sortie en France 7 octobre 1932

L’Ange blanc

1931

Night Nurse de William A. Wellman Jeune fille pauvre et désireuse de gagner sa vie en se dévouant aux autres, Lora Hart (Barbara Stanwyck) obtient un poste d’infirmière stagiaire dans un grand hôpital. Elle partage la chambre de l’infirmière Maloney (Joan Blondell), qui devient son amie. Une nuit, elle soigne Mortie (Ben Lyon), un sympathique trafiquant d’alcool blessé par balle, qui lui demande de garder le silence. Engagée ensuite par Mrs. Ritchey (Charlotte Merriam), une riche veuve alcoolique, pour garder ses deux filles gravement malades, Lora découvre qu’un praticien louche veut laisser mourir ces enfants pour toucher un héritage…

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En 1934, le dogmatique code Hays fixait une longue liste d’interdits dans le cinéma américain (crime, blasphème, nudité, indécence morale, drogue, sexualité, perversions, unions mixtes...). Juste avant l’instauration de cette censure, Hollywood connaîtra quelques années de folle liberté, et des réalisateurs comme William A. Wellman, Roy Del Ruth, Clarence Brown, Alfred E. Green vont offrir une vision du monde subversive, féministe, libertaire et sociale. Retour sur quelques trésors oubliés.

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L’Ange blanc (Night Nurse) États-Unis, 1931, 1h15, noir et blanc, format 1.20 _ Réalisation William A. Wellman _ Scénario Oliver H.P. Garrett, d’après le roman éponyme de Dora Macy _ Dialogues additionnels Charles Kenyon _ Photo Barney McGill _ Direction artistique Max Parker _ Montage Edward M. McDermott _ Costumes Earl Luick _ Production Warner Bros. _ Interprètes Barbara Stanwyck (Lora Hart), Ben Lyon (Mortie), Joan Blondell (Maloney), Clark Gable (Nick), Blanche Friderici (Mrs. Maxwell), Charlotte Merriam (Mrs. Ritchey), Charles Winninger (Dr. Bell), Edward J. Nugent (Eagan), Vera Lewis (Miss Dillon), Ralf Harolde (Dr. Milton Ranger) _ Sortie aux États-Unis 8 août 1931

Blonde Crazy

1931

de Roy Del Ruth

Dans l’Amérique des années 30, Bert Harris (James Cagney) est groom dans l’hôtel où Ann Roberts (Joan Blondell) vient de trouver un emploi de femme de chambre. S’ils ne s’avouent pas encore leur amour, le duo devient très vite inséparable. Grâce au talent d’escroc de Bert et à la beauté d’Ann, ils arnaquent tout ce qui se présente. Ils finissent par quitter leur emploi, changent de ville et font la connaissance d’un escroc de haut vol, Dan Barker (Louis Calhern)… D’abord scénariste pour Mack Sennett, puis réalisateur, Roy Del Ruth trouve au sein de la Warner Bros. un terrain fertile à sa créativité. Avant l’application du code Hays, le cinéaste, comme tant d’autres, ne se soucie guère des controverses éventuelles et, en mettant en scène un couple d’arnaqueurs, il s’inscrit dans la tendance de l’époque qui fait l’apologie des hors-la-loi (tel L’Ennemi public de William A. Wellman, sorti la même année). Il réalise en 1931 deux films, Le Faucon maltais, première adaptation du célèbre roman de Dashiell Hammett, et Blonde Crazy. Blonde Crazy a pour vedettes James Cagney et Joan Blondell. L’acteur incarne Bert Harris, un jeune opportuniste qui cherche à gagner de l’argent rapidement pendant la Grande Dépression. Habitué des rôles de mauvais garçon, James Cagney joue un criminel au grand cœur et apporte nuance et relief à ce personnage attachant quoique amoral. À ses côtés, Joan Blondell est une fausse naïve qui use de ses charmes pour aboutir à ses fins. Très vite, le couple d’escrocs sans grande envergure tombe sur plus fort que lui. Blonde Crazy est une comédie exemplaire du pré-Code : un couple électrique, des dialogues nerveux et sans fioritures, un rythme effréné (comme la plupart des films Warner du moment, il est court), une intrigue audacieuse et une mise en scène d’une belle liberté – voir la célèbre scène de Joan Blondell dans sa baignoire. Les années 30 furent une période faste pour Roy Del Ruth, cinéaste peu considéré, mais qui, durant cette décennie, réalisa trentecinq films dont plusieurs méritent grandement d’être revus. Blonde Crazy États-Unis, 1931, 1h18, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Roy Del Ruth _ Scénario Kubec Glasmon, John Bright _ Direction artistique Esdras Hartley _ Photo Sidney Hickox _ Montage Ralph Dawson _ Costumes Earl Luick _ Production Warner Bros. _ Interprètes James Cagney (Bert Harris), Joan Blondell (Ann Roberts), Louis Calhern (Dapper Dan Barker), Noel Francis (Helen Wilson), Ray Milland (Joe Reynolds), Guy Kibbee (A. Rupert Johnson, Jr.), Polly Walters (Peggy), William Burress (Col. Bellock), Maude Eburne (Mrs. Snyder) _ Sortie aux États-Unis 14 novembre 1931

— La Femme aux cheveux rouges

La Femme aux cheveux rouges

1932

Red-Headed Woman de Jack Conway

Employée au sein de la Compagnie Legendre, Lilian (Jean Harlow) est une jeune femme très ambitieuse, prête à tout pour gravir les échelons. Elle séduit le patron Bill Legendre (Chester Morris). Mais le couple est surpris par Irène (Leila Hyams), l’épouse trompée. L’homme marié promet de ne plus revoir sa maîtresse. Le père de Bill (Lewis Stone) propose alors à Lilian de quitter la ville et d’accepter un poste à Cleveland. Mais la jeune femme est particulièrement déterminée… À l’aube du code Hays, un vent de liberté souffle dans de nombreuses productions. C’est une « période caractérisée par une domination artistique et commerciale

des stars féminines. La femme est partout dans tous ses états. » (Antoine Sire, Hollywood, la cité des femmes, Institut Lumière/Actes Sud) La Femme aux cheveux rouges se distingue par son immoralité ; il s’agit d’un des scénarios les plus subversifs de l’ère pré-Code – plus encore que ne le sera Baby Face d’Alfred E. Green qui met également en scène une femme prête à tout pour s’en sortir. Le film est interdit par la censure en Angleterre et subit dix-sept coupures pour être projeté dans le Massachusetts. La première version du scénario, écrite par le grand Francis Scott Fitzgerald, est si sombre que le producteur Irving Thalberg la refuse et fait appel à la scénariste Anita Loos, auteure à succès du roman Les hommes préfèrent les blondes qui, dès 1925, traitait de la séduction et du pouvoir de la féminité. Pour ce long métrage, Thalberg rachète le contrat de Jean Harlow auprès d’Howard Hugues et l’engage pour sept ans à la MGM. Et il transforme le mythe de la star aux cheveux blonds : Jean Harlow n’est plus la Platinum

Lumière 2019 — Forbidden Hollywood

Lumière 2019 — Forbidden Hollywood

Le vent de liberté qui souffle sur Hollywood permet aux cinéastes d’aborder sans retenue des sujets brûlants, qui ne manquaient pas dans un pays frappé par la Grande Dépression. William A. Wellman fut un des plus prolifiques réalisateurs de la période – en trois ans, dix-sept films pour la Warner, dont cinq pour la seule année 1931 – et un des plus talentueux : entre L’Ennemi public (1931) et Wild Boys of the Road (1933), aucun de ses titres n’est indifférent et certains sont des chefs d’œuvre. Mené sur le ton de la comédie dans la première partie, L’Ange blanc traite de l’institution hospitalière et de tous ses travers, de sa hiérarchie à son éthique corrompue. Prenant soin de ne pas réduire l’infirmière à son image archétypale d’objet de désir – même s’il en joue à travers plusieurs scènes initiales d’effeuillage – Wellman met en scène deux femmes fortes qui s’assument et ne craignent pas de se dresser contre les inégalités. L’Ange blanc est, à ce titre, un magnifique portrait de femmes, aux accents modernes. Le duo est interprété par deux actrices encore presque à leurs débuts, Barbara Stanwyck, remarquée chez Frank Capra et qui deviendra une star, et Joan Blondell, trop oubliée aujourd’hui, qui tournera par la suite cinquante-six films pour la Warner. Deux femmes plongées dans un univers criminel qui luttent pour sauver deux petites filles qu’on affame. En protégeant ces fillettes fragiles et démunies, Lora et Maloney viennent, sans une once de pathos, rétablir un désordre social. Némésis de Barbara Stanwyck, Clark Gable est l’ange noir, celui qui possède et qui est prêt à toutes les violences pour ne pas céder ce qu’il a. « Avec intelligence et l’audace (esthétique et politique) qui caractérisent l’œuvre entière du cinéaste de génie William A. Wellman, Night Nurse mélange toutes les figures et inquiétudes de la période du pré-Code, cette époque de chaos et de reconstruction qui succède à la Grande Crise. » (Hélène Frappat, Les Trésors Warner, Forbidden Hollywood, Warner Home Entertainment)

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La Femme aux cheveux rouges (Red-Headed Woman) États-Unis, 1932, 1h22, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Jack Conway _ Scénario Anita Loos, d’après le roman éponyme de Katharine Brush _ Photo Harold Rosson _ Montage Blanche Sewell _ Décors Cedric Gibbons _ Costumes Adrian _ Production Albert Lewin, Metro-Goldwyn-Mayer _ Interprètes Jean Harlow (Lilian Andrews), Chester Morris (Bill Legendre Jr.), Lewis Stone (William Legendre Sr.), Leila Hyams (Irene Legendre), Una Merkel (Sally), Henry Stephenson (Charles B. Gaerste), May Robson (tante Jane), Charles Boyer (Albert), Harvey Clark (oncle Fred) _ Sortie aux États-Unis 25 juin 1932

Jewel Robbery

1932

de William Dieterle

Lumière 2019 — Forbidden Hollywood

Teri von Horhenfels (Kay Francis) est une séduisante baronne, lassée de son ennuyeux mari. À Vienne, elle est témoin d’un braquage dans une bijouterie, mené par un chef de bande plein de charme (William Powell). Alors qu’elle ne ressentait plus de passion que pour les bijoux, elle tombe amoureuse de ce voleur élégant qui dérobe pour elle le diamant qu’elle convoitait. Ce coup de foudre l’emmène vers une vie bien plus excitante…

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— La Belle de Saïgon

Acteur chez Murnau, Paul Leni, Karl Grune, Richard Oswald, puis réalisateur à partir de 1923, Wilhelm Dieterle tourne une dizaine de films en Allemagne (dont le remarquable Chaînes, 1928), avant de venir à Hollywood, où il rejoint ses compatriotes cinéastes Lubitsch, Murnau, Leni et Max Reinhardt. Engagé par la Warner, il devient William et signe son premier long métrage américain, Le Dernier Vol (1931), très beau film sur les aviateurs US restés à Paris après la fin de la Grande Guerre. Il ne retourne pas en Allemagne et enchaîne les tournages sans discontinuer – dix-sept titres entre 1932 et 1934. L’intrigue de Jewel Robbery qui se déroule dans la haute société, mêle cambriolage et séduction. Le film, variation sur un thème érotico-social, est une brillante comédie cynique qui met en scène une mondaine lassée de sa vie frivole, dont la rencontre imprévue avec un voleur séduisant va faire basculer l’existence. C’est une préfiguration de Haute pègre, que Lubitsch tournera la même année,

et qui portera à son sommet la thématique similaire de la grande bourgeoise amoureuse d’un escroc de haut vol. La fascination d’une femme honnête pour un malfrat est d’ailleurs une situation classique. Elle est ici transfigurée par l’éclat du couple formé par William Powell et Kay Francis, chacun éblouissant, lui par son élégance et sa faconde, elle par sa beauté et l’intelligence de son jeu. Réunis l’année précédente dans Ladies’ Man (Lothar Mendes), ils interprèteront, immédiatement après Jewel Robbery, les amants malheureux de Voyage sans retour de Tay Garnett, un des plus beaux films de l’histoire du cinéma américain. Le style vif de William Dieterle, le rythme de sa mise en scène – le dialogue du film est un des plus étourdissants du moment – s’inscrivent parfaitement dans ce qui caractérise le pré-Code : une dimension amorale assumée, une femme puissante et adultère, l’apologie des hors-la-loi et un humour incisif. « Jewel Robbery est une fringante comédie d’avant les codes, où les girls pratiquent l’art de la grande vie aux crochets des vieux riches, et où le gentlemancambrioleur dandy se voit volé par une volée-voleuse. » (Andrée Tournès, Jeune Cinéma n°279, décembre 2002) Jewel Robbery États-Unis, 1932, 1h13, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation William Dieterle _ Scénario Erwin Gelsey, d’après la pièce Ekszerrablás a Váci-uccában de Lázló Fodor _ Photo Robert Kurrle _ Direction artistique Robert Haas _ Musique Bernhard Kaun (non créd.) _ Montage Ralph Dawson _ Costumes Orry-Kelly (non créd.) _ Production Warner Bros. _ Interprètes William Powell (le cambrioleur), Kay Francis (la baronne Teri von Horhenfels), Helen Vinson (Marianne), Hardie Albright (Paul), Alan Mowbray (le détective Fritz), André Luguet (le comte André), Henry Kolker (le baron Franz), Spencer Charters (Lenz), Lee Kohlmar (Hollander) _ Sortie aux États-Unis 13 août 1932

La Belle de Saïgon

1932

Red Dust de Victor Fleming

Denis Carson (Clark Gable) dirige une plantation en Indochine. À Saïgon, il fait la connaissance de Vantine (Jean Harlow), une prostituée recherchée par la police. Séduit par sa gentillesse et son bon cœur, il l’héberge et devient son amant. Mais Carson est amoureux de Barbara (Mary Astor), la femme de son ami Willis (Gene Raymond), un ingénieur qui part construire un pont dans la jungle. En l’absence de son mari, Barbara se donne à Carson. Au retour de Willis, Carson, pris de remords, veut quitter Barbara et s’affiche avec Vantine. Barbara est folle de jalousie… Réalisateur du Magicien d’Oz et d’Autant en emporte le vent (même si de nombreux cinéastes ont travaillé sur le film, il en est le seul signataire), sortis à quelques mois d’intervalle en 1939, Victor Fleming est une figure

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Blonde de Frank Capra, c’est à présent une rousse flamboyante. Au-delà de l’habituelle opposition brune vs. blonde, la femme aux cheveux de feu incarne autre chose, qui tend vers le diabolique. Refusant tout sentimentalisme et utilisant la sexualité comme une arme, Lilian est une de ces fameuses « chercheuses d’or » de l’époque, ces gold-diggers héroïnes de tant de films hollywoodiens, doublée d’une dévoreuse d’hommes. La Femme aux cheveux rouges tire sa force d’une écriture noire, incisive et comique. Le film est également la photographie d’une nation encore marquée par la crise de 1929.

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du meilleur cinéma des années trente, dont Red Dust n’est pas indigne. » (Antonio Rodrig, Cinématographe n°91, juillet-août 1983) Vingt ans plus tard, John Ford signera avec Mogambo un remake, très amoindri, de La Belle de Saïgon, avec Gable et le même scénariste, John Lee Mahin, qui transposera l’intrigue en Afrique, et dans lequel Ava Gardner reprendra le rôle de Jean Harlow et Grace Kelly celui de Mary Astor. « S’il fallait choisir un film, tramant l’éloge de l’éternel féminin, Red Dust remplirait tout à fait son contrat. » (Christian Blanchet, Cinéma n°294, juin 1983) La Belle de Saïgon (Red Dust) États-Unis, 1932, 1h27, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Victor Fleming _ Scénario John Lee Mahin, d’après la pièce éponyme de Wilson Collison _ Photo Harold Rosson, Arthur Edeson (non créd.) _ Direction artistique Cedric Gibbons _ Montage Blanche Sewell _ Costumes Adrian _ Production Victor Fleming, Hunt Stromberg, Irving Thalberg, Metro-Goldwyn-Mayer _ Interprètes Clark Gable (Dennis Carson), Jean Harlow (Vantine), Gene Raymond (Gary Willis), Mary Astor (Barbara "Babs" Willis), Donald Crisp (Guidon), Tully Marshall (McQuarg), Forrester Harvey (Limey), Willie Fung (Hoy) _ Sortie aux États-Unis 22 octobre 1932 _ Sortie en France 28 avril 1933

Employees’ Entrance

1933

de Roy Del Ruth

Kurt Anderson (Warren William) dirige d’une main de fer un grand magasin new-yorkais en proie à des difficultés financières. Sans morale, il n’hésite pas à licencier un homme employé depuis plus de vingt ans ou à jouer avec toutes les femmes qu’il rencontre. La jeune Madeline (Loretta Young), qui recherche désespérément un emploi, en fait les frais. Anderson l’engage, à condition qu’ils passent la nuit ensemble. Madeline a honte et doit cacher à tout le monde qu’elle est fiancée à Martin (Wallace Ford), le bras droit d’Anderson… Un an avant que le code Hays n’entre en vigueur, Roy Del Ruth réalise un film sur le capitalisme triomphant. Employees’ Entrance peint la vie d’un grand magasin du point de vue des employés, écrasés par un directeur tyrannique. D’abord comédien à Broadway avant de venir à Hollywood au début du parlant, Warren William fut parmi les acteurs les plus utilisés durant les années 30 (quarante-cinq films entre 1931 et 1939). Ici, il incarne, avec une justesse glaçante et un charisme inquiétant, un patron monstrueux, praticien du droit de cuissage et du licenciement express – on ne trouve guère d’exemples aussi extrêmes dans le cinéma américain. Anderson représente la figure archétypale du capitalisme d’après la Crise : impitoyable, efficace, noyant tout sentiment dans les « eaux glacées du calcul égoïste », pour reprendre la célèbre formule. Lorsqu’il découvre Madeline, il ne voit en elle qu’un objet de consommation immédiate, à l’image de ceux qu’il vend dans son magasin. En s’appuyant sur la pièce originale de David Boehm (car les audaces du pré-Code sont dues autant aux scénaristes qu’aux réalisateurs), Roy Del Ruth, entre dénonciation et humour, franchit quelques interdits et n’hésite pas à aborder des thèmes difficiles comme le suicide, le viol ou le harcèlement sexuel. Le vent de liberté qui souffle sur Hollywood ne durera plus très longtemps, et Employees’ Entrance représente une belle manifestation d’impertinence audacieuse. Employees’ Entrance États-Unis, 1933, 1h18, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Roy Del Ruth _ Scénario Robert Presnell Sr., d’après la pièce éponyme de David Boehm _ Photo Barney McGill _ Direction artistique Robert Haas _ Montage James Gibbon _ Costumes OrryKelly _ Production Lucien Hubbard, First National Pictures (Warner Bros. Pictures Inc.) _ Interprètes Warren William (Kurt Anderson), Loretta Young (Madeline Walters), Wallace Ford (Martin West), Alice White (Polly Dale), Hale Hamilton (Monroe), Albert Gran (Denton Ross), Marjorie Gateson (Mrs. Hickox), Ruth Donnelly (Miss Hall), Frank Reicher (Garfinkle), Charles Sellon (Higgins) _ Sortie aux ÉtatsUnis 11 février 1933 _ Sortie en France septembre 1935

— Employees’Entrance

— The Mind Reader

The Mind Reader

1933

de Roy Del Ruth

Sous le nom de scène de Chandra (Warren William), un escroc se fait passer pour un guérisseur charismatique, vendeur de produits miraculeux. Il se livre même à la divination, lors de spectacles de foire truqués, avec l’aide de son complice Frank (Allen Jenkins). Il parcourt ainsi le pays, mais, au cours d’une représentation pendant laquelle il semble lire dans les pensées du public, il tombe amoureux d’une jeune ingénue, Sylvia (Constance Cummings), avec qui il se marie. Réalisateur à tout faire pour la Warner, à l’aise dans le film noir, la comédie, le musical, le film historique (et même plus tard, le film d’horreur), Roy Del Ruth signe ici une comédie mordante. Chandra, arnaqueur émérite campé par Warren Willis, joue de la crédulité du public afin de s’enrichir. Il ne pourrait mettre en œuvre son talent d’arnaqueur sans l’aide de son acolyte Frank, interprété par Allen Jenkins, un des seconds rôles les plus employés, grâce à son bagout, du cinéma américain de la période. Le duo est le vrai couple du film, Sylvia incarnant davantage la vie rangée à laquelle Chandra ne peut se résoudre.

Lumière 2019 — Forbidden Hollywood

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importante du cinéma hollywoodien. Dans les années pré-Code, il tourne plusieurs films dont La Belle de Saïgon (produit par la MGM), histoire d’un triangle amoureux. Jean Harlow et Clark Gable font partie des comédiens habituels du réalisateur (trois films pour Harlow, cinq pour Gable, mais Red Dust est le seul qu’ils ont tourné ensemble). Au point que Henry Hathaway dira qu’il y a « plus de Fleming que de Gable dans Gable ». Ce dernier incarne Denis, un baroudeur tiraillé entre les charmes de la blonde Vantine, femme de mauvaise vie, et ceux de la brune Barbara, épouse honnête, deux visages du désir. Jean Harlow, révélée par Howard Hugues dans Les Ailes de l’enfer (1930), comédienne trop tôt disparue à la vie privée compliquée, est éblouissante dans le rôle de cette prostituée au magnétisme animal. Face aux railleries méprisantes de Carson, elle reste de marbre. La jungle, reconstituée en studio, les pluies diluviennes, tout participe à la dramaturgie érotique, véritable sujet du film. « Toutes les répliques des personnages forment un libretto très leste, parfois salace. Dans le plan final, l’action principale (le rapport sexuel) se situe horschamp. Ce procédé oblique et efficace est caractéristique

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The Mind Reader États-Unis, 1933, 1h13, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Roy Del Ruth _ Scénario Robert Lord, Wilson Mizner, d’après la pièce éponyme de Vivian Crosby _ Photo Sol Polito _ Direction artistique Robert Haas _ Montage James Gibbon _ Costumes Orry-Kelly _ Production First National Pictures (Warner Bros. Pictures Inc.) _ Interprètes Warren William (Chandra), Constance Cummings (Sylvia), Allen Jenkins (Frank), Natalie Moorhead (Mrs. Austin), Mayo Methot (Jenny), Clarence Muse (Sam), Earle Foxe (Don) _ Sortie aux États-Unis 1er avril 1933

Baby Face

1933

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d'Alfred E. Green

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En pleine prohibition, Lily Powers (Barbara Stanwyck), dite "Baby Face", est serveuse dans un bar clandestin miteux d’une ville-usine. Elle vit seule avec son père, qui la force à coucher avec ses clients, rustres et brutaux. Il meurt lors de l’explosion de sa distillerie. Lily fuit alors vers New York aux côtés de son amie Chico (Theresa Harris). Elle est engagée dans une banque dont elle gravira les échelons en utilisant sans scrupule les hommes comme marchepied… Lorsque la MGM sort La Femme aux cheveux rouges de Jack Conway, avec Jean Harlow, qualifié par une critique « film le plus dépravé jamais sorti d’Hollywood », la Warner souhaite rivaliser en produisant Baby Face. Dans ce film, tourné un an seulement avant l’instauration du code Hays, Barbara Stanwyck, resplendissante, et George Brent occupent les premiers rôles, et l’on remarque John Wayne, tout jeune, en second plan. Lily est une victime, victime des hommes et d’un père

indigne qui a abusé d’elle. Elle s’affranchit à la mort de ce dernier, appliquant ce qu’un grand lecteur de Nietzsche lui conseille : prendre conscience de sa force et éviter tout sentiment. C’est ainsi, emplie d’une farouche détermination et d’un profond dégoût pour les hommes, que Lily arrive à New York. Sortie de la misère, prête à tout pour réussir, elle se vengera d’une société patriarcale qui ignore toute morale, en utilisant les hommes comme des barreaux pour escalader l’échelle sociale. Alfred E. Green métaphorise les étages de l’immeuble de la société où travaille Lily pour illustrer son parcours jusqu’au sommet. Avec un humour irrésistible, elle effectue son ascension en un battement de cils, affirmant, d’étage en étage, son élévation sociale et son pouvoir sexuel. Froide et tenace, Lily est un personnage provocateur et amoral, comme il en existe rarement, même dans le cinéma d’avant le Code. C’est assurément la raison pour laquelle le film fut censuré et révisé afin d’en lisser le propos. « C’est très moderne, très audacieux, renversant de drôlerie ; la censure se piqua de cette histoire après tout immorale et exigea des modifications. » (Heike Hurst, Jeune Cinéma n°300-301, décembre 2005) Perdue jusqu’en 2004, la version primitive, non censurée, fut présentée au Festival du Film de Londres. Baby Face est enfin classé à sa juste place, parmi les cent meilleurs films de tous les temps, selon Time Magazine. Baby Face États-Unis, 1933, 1h14, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Alfred E. Green _ Scénario Gene Markey, Kathryn Scola, d’après une histoire de Darryl F. Zanuck _ Photo James Van Trees _ Direction artistique Anton Grot _ Montage Howard Bretherton _ Costumes Orry-Kelly _ Production William LeBaron, Warner Bros. _ Interprètes Barbara Stanwyck (Lily), George Brent (Trenholm), Donald Cook (Stevens), Alphonse Ethier (Cragg), Henry Kolker (Carter), Margaret Lindsay (Ann Carter), Arthur Hohl (Ed Sipple), John Wayne (Jimmy McCoy Jr.), Robert Barrat (Nick Powers), Douglass Dumbrille (Brody), Theresa Harris (Chico) _ Sortie aux États-Unis 1er juillet 1933 _ Sortie en France 17 novembre 1933

Female

1933

de Michael Curtiz Alison Drake (Ruth Chatterton) a hérité de son père une grande entreprise de construction automobile qu’elle gère d’une main de fer. Un soir, lasse de son rôle de directrice et de "consommer" quelques employés masculins consentants, elle se rend incognito à la fête foraine. Elle y rencontre un séduisant inconnu, Jim Thorne (George Brent), et tombe sous son charme. Le lendemain, elle découvre qu’il est le responsable du projet qui a pour mission de sauver son entreprise en faillite…

— Baby Face

Lumière 2019 — Forbidden Hollywood

La rédemption de l’escroc n’est finalement pas le sujet du film qui alterne entre romance ébauchée et portrait d’une Amérique à terre où plane l’ombre de la Grande Dépression. Victime de la crise et d’un marché du travail inexistant, la population est partagée entre arnaqueurs et victimes, ceux qui font taire leurs scrupules pour survivre et ceux qui tentent vainement d’oublier la crise dans les divertissements du spectacle. The Mind Reader offre la métaphore d’un pays acharné à sortir de la crise. L’apologie des hors-la-loi, escrocs et arnaqueurs qui refusent de se plier aux règles sociales du travail et de l’honnêteté, porte la marque du temps. Le Code fera bientôt le ménage et bannira ce mauvais esprit. « La morale de la fable n’est pas moins incisive que les tribulations de l’escroc qui va finir en prison : “C’est sûr que c’est dur de partir juste au moment où la bière est de retour !” conclut le complice de toujours, et cette ultime allusion à la prohibition est aussi la manière spirituelle que Roy Del Ruth a de signifier qu’au moment où son film s’achève, une nouvelle ère commence. » (Hélène Frappat, Les Trésors Warner, Forbidden Hollywood, Warner Home Entertainment)

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Lumière 2019 — Forbidden Hollywood

— Female

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Produit par Henry Blanke de la First National, Female voit trois réalisateurs se succéder : William Dieterle tombe malade, William A. Wellman quitte le tournage pour son film College Coach, et c’est à Michael Curtiz que revient le soin d’achever le film. Actrice, romancière, pilote d’avion, mariée trois fois (dont une fois avec George Brent qui interprète Jim Thorne), Ruth Chatterton incarne parfaitement ce personnage de femme indépendante. En intervertissant les rôles, faisant de l’habituel patron sexiste une patronne dévoreuse d’hommes, Female défend et illustre l’égalité des sexes, exercice rare pour un film de 1933, mais qui lui conserve aujourd’hui sa pertinence et son actualité. La jeune et jolie Alison Drake est une femme conquérante, prête à tout pour réussir. Usant de son charme et de sa féminité, elle se révèle une redoutable femme d’affaires. Loin de tout sentimentalisme, elle gère sa vie sexuelle comme son entreprise : sans perte de temps. Elle choisit les hommes pour leur physique et ne s’attarde pas au jeu de la séduction. Le traitement de sa sexualité, à l’image du productivisme général, laisse poindre une critique sous-jacente, celle du capitalisme : « Female, dans sa mise en scène de l’influence de l’organisation capitaliste du travail sur la sphère intime des rouages humains qui la mettent en œuvres (patrons et ouvriers), préfigure

Les Temps modernes, réalisé par Charlie Chaplin en 1936. » (Hélène Frappat, Les Trésors Warner, Forbidden Hollywood, Warner Home Entertainment) Le tour de force de Michael Curtiz est de montrer que, bien qu’apôtre du système libéral, l’héroïne n’est pas sans cœur, et que sa désillusion amoureuse prend sa source dans son travail, où les relations humaines sont relayées au second plan car contre-productives. Le scénario a tout de la liberté de ton qui régnait à Hollywood avant l’arrivée du code Hays, et reste remarquablement contemporain. Female États-Unis, 1933, 1h02, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Michael Curtiz, William A. Wellman (non créd.), William Dieterle (non créd.) _ Scénario Gene Markey, Kathryn Scola, d’après le roman éponyme de Donald Henderson Clarke _ Photo Sid Hickox _ Direction artistique Jack Okey _ Montage Jack Killifer _ Costumes Orry-Kelly _ Production Robert Presnell Sr., First National Pictures (Warner Bros. Pictures Inc.) _ Interprètes Ruth Chatterton (Alison Drake), George Brent (Jim Thorne), Lois Wilson (Harriet), Johnny Mack Brown (Cooper), Ruth Donnelly (Miss Frothingham), Ferdinand Gottschalk (Pettigrew), Phillip Reed (Freddie Claybourne), Gavin Gordon (Briggs), Kenneth Thomson (Red), Huey White (Puggy) _ Sortie aux États-Unis 11 novembre 1933 _ Sortie en France août 1934

Lina Wertmüller Histoire permanente des femmes cinéastes


Mimi métallo blessé dans son honneur

1972

Lumière 2019 — Lina Wertmüller

Mimì metallurgico ferito nell’onore de Lina Wertmüller

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— Mimi métallo blessé dans son honneur

aux spectateurs, même les moins concernés, de réfléchir à la situation sociale et politique italienne. Exacerbant le burlesque et la dimension socio-économique prégnante dans le cinéma italien du moment, elle met en scène une femme, Fiorella, personnage sincère, appartenant symboliquement à la gauche, et Mimi, un homme manipulable qui s’abandonne à ses instincts. Il devient le "Mimi métallo blessé dans son honneur" lorsqu’il séduit l’épouse du douanier, pourtant pas du tout à son goût. « C’est le moment le plus important de la parabole : devant l’absurdité de la solution choisie par Mimi, les spectateurs qui jusque-là éprouvaient pour lui complicité et sympathie ne peuvent pas ne pas s’apercevoir qu’il est idiot. » (Lina Wertmüller) Incarné par Carlo Gianinni, Mimi a tout du Sicilien archétypal. L’acteur en a d’ailleurs longuement observé et photographié les comportements pour, comme il le dit, « pousser la caricature jusqu’à l’extrême limite sans quitter la vérité ». Mélange irrespectueux et féroce, le film est une comédie politique et féministe débridée, avec « un sens aigu du comique de situation, une mise en scène nerveuse, une excellente interprétation et une façon typiquement féminine de cerner par des détails savoureux l’univers chaleureux d’une tricoteuse trotskyste. » (Frantz Gévaudan, Cinéma 72 n°167, juin 1972) Mimi métallo blessé dans son honneur (Mimì metallurgico ferito nell’onore) Italie, 1972, 2h, couleurs (Eastmancolor), format 1.85 _ Réalisation & scénario Lina Wertmüller _ Photo Dario Di Palma _ Musique Piero Piccioni, Giuseppe Verdi _ Montage Franco Fraticelli _ Décors Amedeo Fago _ Costumes Enrico Job _ Production Romano Cardarelli, Daniele Senatore, Euro International Film _ Interprètes Giancarlo Giannini (Carmelo Mardocheo dit Mimi), Mariangela Melato (Fiorella Meneghini), Turi Ferro (Don Calogero / Vico Tricarico / Salvatore Tricarico), Agostina Belli (Rosalia Capuzzo in Mardocheo), Luigi Diberti (Pippino), Elena Fiore (Amalia Finocchiaro), Tuccio Musumeci (Pasquale), Ignazio Pappalardo (Massaro Ntoni), Gianfranco Barra (le sergent Amilcare Finnocchiaro), Livia Giampalmo (Violetta) _ Sortie en Italie 19 février 1972 _ Présentation au Festival de Cannes 11 mai 1972 _ Sortie en France 28 juin 1972

Mimi (Giancarlo Giannini), ouvrier sicilien, marié à Rosalia (Agostina Belli), est licencié après avoir voté contre le candidat de la Mafia – un vote qu’il pensait secret. Parti chercher du travail à Turin, loin de la pègre, il tombe amoureux de Fiorella (Mariangela Melato), qui se retrouve bientôt enceinte. Témoin d’un assassinat, il se tait. Pour le remercier, la Mafia, omniprésente, le renvoie en Sicile. De retour à Catane, il découvre que sa femme est enceinte d’un douanier marié. Fou de rage, il se venge en séduisant l’épouse de ce dernier.

Film d’amour et d’anarchie

Lina Wertmüller débute aux côtés de Fellini, comme assistante sur Huit et demi (1963). La même année, sous l’influence du Maestro, elle réalise, avec une partie de son équipe, I basilischi, son premier long métrage. Près de dix ans plus tard, elle réalise pour tous les « Mimi d’Italie et d’ailleurs », selon ses propres mots, une comédie satirique. Son objectif est simple : réaliser un film grand public pour atteindre le plus grand nombre, en donnant la possibilité

L’Italie des années 30. Salomé (Mariangela Melato), tenancière d’une maison close à Rome, accueille un paysan de Lombardie, Tonino (Giancarlo Giannini), un anarchiste qui prépare un attentat contre Mussolini. Tandis

1973

Film d’amore e d’anarchia, ovvero ‘stamattina alle 10 in via dei Fiori nella nota casa di tolleranza...’ de Lina Wertmüller

Lumière 2019 — Lina Wertmüller

Cinéaste rebelle et frondeuse, formée aux côtés de Federico Fellini sur Huit et demi, Lina Wertmüller secoue l’Italie machiste des années 60. Entre satire du fascisme, guerre des sexes et lutte des classes, son cinéma provocateur mêle politique, féminisme et comédie. Accompagnée de son acteur fétiche Giancarlo Giannini, elle rencontre un grand succès et reçoit de nombreux prix internationaux durant les années 70. En 1977, elle rentre dans l’Histoire avec Pasqualino, devenant la première femme nommée à l’Oscar de la mise en scène.

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Un an seulement après avoir tourné Mimi métallo blessé dans son honneur, Lina Wertmüller quitte Turin et la Sicile pour le Latium. Elle reprend le genre de la comédie acerbe, l’humour étant pour elle un facteur de contestation. Ses préoccupations politiques sont affirmées avec verve. Dans une brillante reconstitution de l’Italie des années 30, le film décrit une tentative ratée d’assassinat de Mussolini. Tonino et Salomé ont un passé similaire, ils ont tous les deux vu un de leurs proches passé à tabac par les fascistes. Leur conscience politique ne repose que sur cette colère, ils n’ont pas d’autre objectif que celui de supprimer le Duce. Dès le départ, la tentative est vouée à l’échec, car, comme la cinéaste le laisse entendre, il ne peut y avoir de changement sans réelle prise de conscience. C’est ce que vient confirmer la trajectoire de Tonino, détourné de son but premier par amour pour l’une des prostituées, Tripolina. En filigrane, ce que relève judicieusement Pierre Charrel : « Comment un individu peut-il en effet espérer mettre à bas un régime tyrannique quand, dans le cadre personnel, il s’avère incapable de mettre en

œuvre l’égalité la plus élémentaire entre l’homme et la femme ? […] Le premier espace révolutionnaire est celui de l’intime. » (DVDClassik, février 2013) Adoptant la forme de la comédie bouffonne, la réalisatrice fait appel aux comédiens de son film précédent, Mariangela Melato, Elena Fiore et surtout Giancarlo Giannini, dont la prestation lui valut le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 1973. Enfin, Film d’amour et d’anarchie mérite que l’on souligne la musique de Nino Rota, compositeur attitré de Fellini, mais aussi du Parrain de Francis Ford Coppola, et de bien d’autres grands cinéastes, comme Visconti ou Verneuil. Film d’amour et d’anarchie (Film d’amore e d’anarchia, ovvero ‘stamattina alle 10 in via dei Fiori nella nota casa di tolleranza...’) Italie, France, 1973, 2h09, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation & scénario Lina Wertmüller _ Photo Giuseppe Rotunno _ Musique Nino Rota, Carlo Savina _ Montage Franco Fraticelli _ Costumes Enrico Job _ Production Romano Cardarelli, Euro International Film, Labrador Films _ Interprètes Giancarlo Giannini (Antonio Soffiantini Tonino), Mariangela Melato (Salomé), Eros Pagni (Giacinto Spatoletti), Pina Cei (Mme Aïda), Elena Fiore (Donna Carmela) _ Sortie en Italie 22 février 1973 _ Présentation au Festival de Cannes 20 mai 1973

Vers un destin    insolite, sur les flots bleus de l’été

1974

Travolti da un insolito destino nell’azzurro mare d’agosto de Lina Wertmüller

Lumière 2019 — Lina Wertmüller

Raffaella (Mariangela Melato), bourgeoise riche et condescendante, tyrannise son entourage sur son yacht, en croisière en Méditerranée. Gennarino (Giancarlo Giannini), un marin communiste, n’apprécie que moyennement la compagnie des invités. Un jour, il accepte d’emmener Raffaella faire un tour en bateau, mais le moteur tombe en panne : ils échouent sur une île déserte. Leurs rapports vont s’en trouver bouleversés…

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— Film d’amour et d’anarchie

Durant les années 70, dites « de plomb », l’Italie est traversée par une forte division sociale et politique qui voit émerger un cinéma engagé, comme l’est celui de Lina Wertmüller, qui signe ici son troisième long métrage de la décennie. La réalisatrice retrouve ses thèmes de prédilection ; à l’image de ses titres, ses films ont beaucoup de choses à dire, embrassant des sujets importants, questions sociopolitiques, lutte des classes et lutte des sexes. Cinéaste de gauche, elle tourne des films à messages politiques pour atteindre la masse des travailleurs et tous ceux qui ne sont pas politisés.

— Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été

Cette fois, Lina Wertmüller s’éloigne des grandes villes, pour s’exiler sur une île avec deux personnages qui sont, comme elle le souligne, « mus par des passions en apparence élémentaires, mais dans lesquelles se dévoilent progressivement des conditionnements culturels complexes modelant les rapports les plus intimes. » Elle fait de nouveau appel à Giancarlo Giannini et Mariangela Melato pour incarner ce duo antithétique. Pour leur troisième collaboration, le tandem interprète deux visions de l’Italie, d’un côté celle du Nord capitaliste, sous les traits d’une milliardaire capricieuse méprisant les classes ouvrière et populaire, de l’autre celle du Sud, communiste et précaire, représenté par un marin sicilien machiste Lorsque, sur cette île isolée, les rôles s’inversent, le marin, libéré, force la bourgeoise à travailler, la maltraite et ressent le besoin de prouver à la société sa victoire, qui le conduira inexorablement à sa chute. « Un travail d’une cohérence d’inspiration évidente nous donne à voir des personnages broyés par le système, désorientés, écartelés entre l’amour et l’anarchie, séduits par le mirage de l’intégration sociale et la promesse d’une vie décente, balayés en fin de compte par les forces

négatives et destructrices constitutives de toute société quelle qu’elle soit. » (Jack Kroll, Newsweek, 26 janvier 1976) Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été (Travolti da un insolito destino nell’azzurro mare d’agosto) Italie, 1974, 1h55, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation & scénario Lina Wertmüller _ Photo Ennio Guarnieri _ Musique Piero Piccioni _ Montage Franco Fraticelli _ Décors & costumes Enrico Job _ Production Romano Cardarelli, Medusa Distribuzione _ Interprètes Giancarlo Giannini (Gennarino Carunchio), Mariangela Melato (Raffaella Pavone Lanzetti), Riccardo Salvino (Signor Pavone Lanzetti), Isa Danieli (Anna), Aldo Puglisi (Pippo) _ Sortie en Italie 19 décembre 1974 _ Sortie en France 5 mai 1976

Pasqualino

1975

Pasqualino Settebellezze de Lina Wertmüller Durant la Seconde Guerre mondiale, Pasqualino (Giancarlo Giannini), mafieux fanfaron et veule, découpe en morceaux l’amant de sa sœur. Après un passage à l’asile,

Lumière 2019 — Lina Wertmüller

que le projet contre le Duce prend forme, Tonino tombe amoureux d’une pensionnaire, Tripolina (Lina Polito), qui cherche à le détourner de sa mission. Tonino se retrouve alors déchiré entre ses idéaux politiques et son histoire d’amour.

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il déserte de l’armée italienne. Arrêté par les Allemands, il est envoyé dans un camp de concentration où, pour sauver sa peau, il multiplie les actes de lâcheté, séduisant la commandante (Shirley Stoler) qui par ailleurs le méprise. Libéré, il retourne à Naples et reprend son ancienne vie. Nommé quatre fois aux Oscars, Pasqualino permet à Lina Wertmüller d’être la première réalisatrice de l’histoire à concourir dans cette catégorie. Pour son neuvième long métrage, elle s’attaque à l’univers concentrationnaire, le décrivant avec un réalisme glaçant, filmant les cadavres entassés, les exécutions, les détenus… Elle y place un personnage inhumain, qu’elle caricature jusqu’à la démesure. Son personnage principal, Pasqualino, interprété par son acteur fétiche Giancarlo Giannini (Prix d’interprétation masculine pour son rôle dans Film d’amour et d’anarchie et nommé à l’Oscar du meilleur acteur), est totalement détestable. Prêt à toutes les bassesses et compromissions pour survivre, Pasqualino est un « petit tyran domestique se révélant infâme couillon face à plus fort que lui. » Les nombreux flashbacks dressent un portrait affreux de ce macho, qui, après avoir séduit la commandante, au demeurant repoussante, du camp nazi, devient kapo. De retour à Naples, Pasqualino épouse une jeune prostituée et continue de vivre aux crochets des femmes. La réalisatrice ne s’éloigne pas de ses préoccupations politiques et féministes. Dans le style qui lui est propre, mêlant grotesque et sublime, comique et tragique, la cinéaste, avec une cruauté lucide, utilise l’humour comme une arme, optant pour l’outrance et la provocation. Avec une noirceur sans concessions, elle dévoile la cruauté des hommes. Le film fut interdit au moins de 14 ans à sa sortie en Italie. « [Lina Wertmüller] s’efforce au comique, jusque dans les camps de concentration, parce que ce comique pourrait être dénonciation de l’horreur et plaidoyer humanitaire. » (Jacques Demeure, Positif n°194, juin 1977)

Lumière 2019 — Lina Wertmüller

Pasqualino (Pasqualino Settebellezze) Italie, 1975, 1h56, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation & scénario Lina Wertmüller _ Photo Tonino Delli Colli _ Musique Enzo Jannacci _ Montage Franco Fraticelli _ Décors & costumes Enrico Job _ Production Arrigo Colombo, Medusa Distribuzione _ Interprètes Giancarlo Giannini (Pasqualino

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Frafuso dit Settebellezze), Fernando Rey (Pedro le prisonnier anarchiste), Shirley Stoler (la commandante), Elena Fiore (Concettina, une sœur), Piero Di Iorio (Francesco), Enzo Vitale (Don Raffaele), Roberto Herlitzka (le socialiste), Lucio Amelio (l’avocat), Ermelinda De Felice (la mère de Pasqualino) _ Sortie en Italie 20 décembre 1975

Grands classiques du

noir et blanc


Citizen Kane

1941

d’Orson Welles

Lumière 2019 — Grands classiques du noir et blanc

Charles Forster Kane (Orson Welles) vient de s’éteindre à Xanadu, le fabuleux château qu’il avait fait construire pour sa seconde femme. Malgré sa popularité, les gens n’ont connu de lui que le personnage public. C’est pourquoi personne ne se trouve en mesure d’expliquer la dernière parole de Kane sur son lit de mort : « Rosebud ». C’est ce qu’est chargé d’élucider Jerry Thompson (William Alland) un reporter qui va devoir interroger tous ceux qui l'ont particulièrement connu, ses collaborateurs, ses amis, ses deux épouses.

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— Citizen Kane

Homme de théâtre dès l'âge de 16 ans, homme de radio (sa fameuse adaptation de La Guerre des mondes de H.G. Wells qui épouvanta ses auditeurs), Orson Welles, à 25 ans, et après seulement deux courts métrages, se voit offrir par la RKO un contrat en or : la maîtrise totale d'un projet, du choix du scénario et des acteurs jusqu'au montage final, chose impensable à Hollywood. En témoignent ses premiers mots lorsqu’il entre dans les studios : « Voilà bien le plus beau train électrique qu’un garçon puisse rêver ». Citizen Kane est selon ses termes l’« histoire d’un échec », à la fois une critique de la vanité des richesses matérielles et une dénonciation de la presse. Le personnage de Charles Foster Kane, largement inspiré du magnat des media William Randolph Hearst, permet de montrer le pouvoir démesuré qu’un grand patron américain peut exercer au sein d’une démocratie.

L’énigmatique mot énoncé à son dernier instant, « Rosebud », est le fil d’Ariane de ce héros moderne déchu, un homme qui a tout eu mais à qui il a manqué l’essentiel. Construit à l’image d’un kaléidoscope, Citizen Kane multiplie les points de vue, les flashbacks, ne respecte pas de chronologie et révèle plusieurs tranches de vie par le biais d’un journaliste qui n’a jamais connu Kane et interroge son entourage. Une façon de remettre en cause l’objectivité : « Le public est seul juge. Tout dépend de celui qui en parle. Le but du film réside d’ailleurs plus dans la représentation du problème que dans sa solution. » (Orson Welles) Welles se lance dans l’expérience filmique en renouvelant le langage du cinéma. Tout à la fois coscénariste, metteur en scène, acteur et producteur, il crée des lentilles spéciales, a recours aux effets spéciaux, filme les plafonds qui donnent une impression d’écrasement. Tout fait sens dans sa richesse visuelle ; les scènes filmées au ras du sol, comme le souligne Truffaut, placent les spectateurs comme s'ils étaient assis dans les premiers rangs d’un théâtre. Élu « meilleur film de tous les temps » par l’American Film Institute, Oscar du meilleur scénario original en 1942, objet de fascination pour de nombreux intellectuels, historiens et critiques, Citizen Kane est l'expression aboutie du génie de son réalisateur, qui ne retrouvera jamais plus des conditions comparables. « Je crois à la valeur du cinéma comme moyen de communication poétique. […] Il faut donc essayer d’invoquer, de recourir à l’incantation, pour faire apparaître des choses qui ne sont pas vraiment là… Et surtout le projet personnel de l’auteur doit être d’une seule pièce. » (Orson Welles, in Orson Welles, Joseph McBride, Rivages) Citizen Kane États-Unis, 1941, 1h59, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Orson Welles _ Scénario Orson Welles, Herman J. Mankiewicz _ Photo Gregg Toland _ Musique Bernard Herrmann _ Montage Robert Wise _ Décors Darrell Silvera _ Costumes Edward Stevenson _ Production Orson Welles, RKO Radio Pictures, Mercury Productions _ Interprètes Orson Welles (Charles Foster Kane), Joseph Cotten (Jedediah Leland, le reporter), Agnes Moorehead (Mrs Mary Kane), Dorothy Comingore (Susan Alexander), Ruth Warrick (Emily Kane), Ray Collins (Gettys), Erskine Sanford (Herbert Carter), Everett Sloane (Bernstein), William Alland (Jerry Thompson), Paul Stewart (Raymond), George Coulouris (Thatcher), Gus Schilling (le maître d'hôtel), Philip Van Zandt (Mr. Rawlston), Fortunio Bonanova (Matiste), Georgia Backus (Miss Anderson), Harry Shannon (le père de Kane) _ Sortie aux États-Unis 1er mai 1941 _ Sortie en France 3 juillet 1946

M le maudit

1931

M - Eine Stadt sucht einen Mörder de Fritz Lang Dans une grande ville allemande, des petites filles sont assassinées. L’opinion publique est alarmée et la police n’arrive pas à mettre la main sur le meurtrier. La petite Elsie Beckmann disparaît à son tour, allongeant la liste des vic-

Lumière 2019 — Grands classiques du noir et blanc

À l’occasion des dix ans du festival Lumière, des chefs-d’œuvre qui ont écrit l’Histoire du cinéma. Pour tous ceux qui aiment se plonger dans les films les plus marquants du XXe siècle, des grands classiques à voir absolument ou à (re)découvrir sur grand écran, avec un plaisir toujours renouvelé. Le mythique Citizen Kane (Orson Welles, 1941) mènera la danse, avec La Règle du jeu (Jean Renoir, 1939), Voyage à Tokyo (Yasujirô Ozu, 1953) et bien d’autres.

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Monument de l’histoire du cinéma, M le maudit est le premier film parlant de Fritz Lang, et sans doute, le premier film policier moderne. On a souvent évoqué l’affaire du "vampire de Düsseldorf", mais ce sont aussi les multiples disparitions et meurtres d’enfants qui ont inspiré le cinéaste et sa scénariste (et épouse) Thea von Harbou. Ils voulaient traiter du pire crime imaginable : les relations du cinéaste au sein des bureaux de la police d’Alexanderplatz le lui serviront sur un plateau, avec forces détails et données techniques. M le maudit (dont le titre de travail, Les assassins sont parmi nous, causa à Fritz Lang des problèmes avec les nazis qui y voyaient une attaque contre leurs projets) est un monument dédié à la forme : aux lignes, aux contours, aux noirs, aux blancs, aux cercles, aux obliques… C’est une leçon de mise en scène. Pour son premier parlant, le cinéaste a une maîtrise absolue du son : l’overlapping particulièrement réussi, et cette entêtante ritournelle (Dans le palais du roi de la montagne, extraite de Peer Gynt de Grieg), inoubliable. S’il ne rejette pas l’expressionnisme, Lang se réclame ici du réalisme social. Car la traque de ce tueur en série (exceptionnel Peter Lorre, yeux exorbités, terrorisé, sueur froide permanente) est surtout le portrait en creux d’une société malade. La république de Weimar, où règne insécurité, misère et peur, va basculer dans le nazisme. La police inefficace s’adjoint les services de la pègre : l’heure est au lynchage. Dans l’Allemagne en crise des années 30, Fritz Lang met en cause la notion même de justice. « Il y a toujours cette vague de terreur qui inonde le public. Il y a toujours des faibles d’esprit qui vont se dénoncer. Il y a les dénonciations, ces explosions de haine et d’une jalousie accumulées pendant des années de vie commune. Il y a enfin toujours des tentatives de corruption de la police. Tous ces éléments clairement exposés dans le film, ce film qui est un reportage, font de lui plus que le simple compte rendu artistique de la réalité. J’ai voulu lancer un avertissement et donner une explication, j’ai voulu me montrer prophylactique. » (Fritz Lang) M le maudit (M - Eine Stadt sucht einen Mörder) Allemagne, 1931, 1h50, noir et blanc, format 1.20 _ Réalisation Fritz Lang _ Scénario Fritz Lang, Thea von Harbou _ Photo Fritz Arno Wagner, Robert Baberske _ Direction artistique Emil Hasler, Karl Vollbrecht _ Montage Paul Falkenberg _ Production Seymour Nebenzal, Nero-Film AG _ Interprètes Peter Lorre (Hans Beckert), Ellen Widmann (Frau Beckmann), Inge Landgut (Elsie Beckmann), Otto Wernicke (le commissaire Karl Lohmann), Gustaf Gründgens (Schränker, le chef de la pègre), Theodor Loos (le commissaire Groeber), Friedrich Gnass (un cambrioleur), Fritz Odemar (le tricheur), Paul Kemp (le pickpocket), Theo Lingen (l'escroc Bauernfänger), Rudolf Blümner (l'avocat de la défense), Ernst Stahl-Nachbaur (le chef de la police), Franz Stein (le ministre) _ Sortie en Allemagne 11 mai 1931 _ Sortie en France 8 avril 1932

La Règle du jeu

1939

de Jean Renoir

France, 1939. L’aviateur André Jurieux (Roland Toutain) a accompli l’exploit de traverser l’Atlantique par amour pour Christine, marquise de La Chesnaye (Nora Gregor). Mais Christine, loin d’avoir répondu à l’appel du héros, s’est rapprochée de son mari, Robert (Marcel Dalio). Par dépit, Jurieux tente de se suicider. Son ami Octave (Jean Renoir), confident de la famille La Chesnaye, convainc Christine et Robert de recevoir Jurieux dans leur château de Sologne à l’occasion de la partie de chasse qu’ils y organisent. Celle-ci est suivie d’une grande fête au cours de laquelle des couples se font et se défont à un rythme de plus en plus rapide… « On passe une soirée à écouter des disques et ça finit par un film. Je ne peux pas dire que la musique baroque française m’ait inspiré La Règle du jeu, mais elle a contribué à me donner l’envie de filmer des personnages remuant suivant l’esprit de cette musique. » Voilà comment Renoir explique, dans Ma vie et mes films (Flammarion), la genèse de son film le plus vu et le plus aimé, « la plus large et la plus lucide expression d’une époque condamnée », selon la formule d’André Bazin, un film dans lequel on observe « non seulement l’expression la plus achevée de l’école réaliste française d’avant-guerre, dont Renoir est le plus grand représentant, mais en même temps et plus encore la préfiguration des éléments les plus originaux de l’évolution cinématographique des quinze années suivantes ». Pourtant, ce film sur la décomposition de la bourgeoisie de la fin des années 30 n’eut aucun succès public à sa sortie : « Ma stupéfaction fut totale, lorsque ce film, que je voulais aimable, s’avéra agir à rebrousse-poil sur la majorité des spectateurs. […] Malgré le caractère élogieux de certaines critiques, le public le considérait comme une insulte personnelle. […] À chaque séance, je trouvais moyen de faire l’unité du public dans sa réprobation. J’essayais de sauver mon film en le raccourcissant. Je coupai d’abord les scènes dans lesquelles je jouais un trop grand rôle, comme si j’avais eu honte, après mon échec, de me présenter à l’écran. En vain, le film fut retiré de la circulation, étant jugé démoralisant. » « Si la caricature sociale marquée au cynisme était familière au public de 1939, la tournure de confession intime que prend par moments La Règle du jeu l’était beaucoup moins. Le mélange des tons se révèle souvent exercice périlleux, le spectateur, celui d’aujourd’hui tout aussi bien que ses aïeux, paraissant apprécier modérément qu’entre rire et s’émouvoir, il ne lui soit pas demandé de choisir, qu’au contraire l’une et l’autre réactions puissent s’associer. » (Pascal Mérigeau, Jean Renoir, Flammarion). Dans les années 50, le film sera revu à la hausse et chemine depuis sur un chemin de gloire.

— M le maudit

Lumière 2019 — Grands classiques du noir et blanc

Lumière 2019 — Grands classiques du noir et blanc

times. La police multiplie les rafles, dérangeant les affaires bien organisées de la pègre. Les malfrats décident à leur tour d’enquêter et de faire surveiller les enfants par les mendiants…

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Interprètes Marcel Dalio (Robert de La Chesnaye), Nora Gregor (Christine de La Chesnaye), Jean Renoir (Octave), Roland Toutain (André Jurieux), Mila Parély (Geneviève de Maras), Paulette Dubost (Lisette Schumacher), Gaston Modot (Schumacher), Julien Carette (Marceau), Odette Talazac (Mme Charlotte de La Plante) _ Sortie en France 8 juillet 1939

La Chevauchée fantastique

1939

Stagecoach de John Ford

Lumière 2019 — Grands classiques du noir et blanc

Une diligence traverse le territoire apache. À son bord, un médecin alcoolique (Thomas Mitchell), un représentant en whisky (Donald Meek), une prostituée (Claire Trevor), un joueur professionnel (John Carradine), une femme enceinte (Louise Platt), un banquier (Berton Churchill) et un shérif (George Bancroft) à la poursuite de Ringo Kid (John Wayne)…

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La Chevauchée fantastique. Dans la conscience populaire, il est sans doute "le western". Et pourtant… En 1939, le genre est tombé en désuétude, en partie relégué aux productions de série B. John Ford lui-même n’en a pas tourné depuis 1926 et son Trois sublimes canailles. Quand son fils Patrick découvre Stage to Lordsburg, nouvelle d’Ernest Haycox publiée dans Collier’s, il convainc son père de l’adapter. Dudley Nichols écrit le scénario, et les deux hommes partent à la recherche d’un producteur. Mais l’affaire s’avère compliquée, et ce sera l’indépendant Walter Wanger qui produira le film. « Pour Ford et Nichols, La Chevauchée fantastique était littéralement un acte politique, un regard jeté sur le passé et le présent de l’Amérique. Ce métawestern peut se lire comme une justification de la destinée manifeste de l’Amérique à la veille de la Seconde Guerre mondiale, une critique cinglante de la corruption capitaliste et de l’hypocrisie républicaine et, bien entendu, un hymne aux valeurs égalitaires du New Deal. » (Joseph McBride, À la recherche de John Ford, Actes Sud / Institut Lumière). Lors de la sortie du film, Ford et Nichols se montraient ravis de sa nature subversive. Nichols : « Ce film viole toutes les règles de la censure. » (in Joseph McBride, op. cit.). Le héros (John Wayne, pour la première fois dans un grand rôle), a déjà tué, et l’héroïne (lumineuse Claire Trevor) est une prostituée. Autant de personnages qui luttent pour se faire respecter, des "bons hors-la-loi" agissant pour le bien de la société – et des habitués de l’œuvre fordienne.

Le cinéaste tourne pour la première fois dans Monument Valley, offrant au film des images quasi documentaires de l’Ouest américain et de ses grands espaces. De sa rencontre avec les Navajos (qui jouent les Apaches dans le film), John Ford reviendra changé. Il devient pour eux Natani Nez, "grand chef" : il est désormais un des leurs. Pour l’instant, les Native Americans sont encore les "méchants" de ses films, une toile de fond ; bientôt, ils auront la parole. « Dans un grand geste superbe, John Ford a balayé dix ans d’artifice et de compromis et a réalisé un film qui fait chanter la caméra. Elle se déplace, et avec quelle beauté, à travers les plaines de l’Arizona, longeant les mesas de Monument Valley, sous une masse de nuages dont rêve tout photographe. » (Frank S. Nugent, New York Times, 3 mars 1939). La Chevauchée fantastique redonne ses lettres de noblesse au western. Il en devient même le mètre-étalon. Les grands cinéastes s’intéressent alors de nouveau au genre et de nombreux titres importants voient le jour, signés DeMille, Vidor, Curtiz… John Ford, quant à lui enchaîne, à quelques mois d’intervalle, trois autres chefs d’œuvre : Vers sa destinée, Sur la piste des Mohawks et Les Raisins de la colère. La Chevauchée fantastique (Stagecoach) États-Unis, 1939, 1h36, noir et blanc, 1.37 _ Réalisation John Ford _ Scénario Dudley Nichols, avec la collaboration de Ben Hecht, d'après les nouvelles Stage to Lordsburg d’Ernest Haycox et Boule de Suif de Guy de Maupassant _ Photo Bert Glennon _ Direction artistique Alexander Toluboff _ Musique Richard Hageman, Frank Harling, Louis Gruenberg, John Leipold _ Montage Otho Lovering, Dorothy Spencer, Walter Reynolds (non créd.) _ Costumes Walter Plunkett _ Production Walter Wanger Productions _ Interprètes John Wayne (Ringo Kid), Claire Trevor (Dallas), Thomas Mitchell (le docteur Josiah Boone), John Carradine (Hatfield), Andy Devine (Buck), Donald Meek (Peacock), Louise Platt (Lucy Mallory), Tim Holt (le lieutenant Blanchard), George Bancroft (le shérif Curley Wilcox), Berton Churchill (Gatewood), Tom Tyler (Luke Plummer) _ Sortie aux États-Unis 3 mars 1939 _ Sortie en France 24 mai 1939

Voyage à Tokyo

1953

Tôkyô monogatari de Yasujirô Ozu

Tokyo. Après un long et fatigant voyage en train, un couple âgé (Chishu Ryu, Chieko Higashiyama) rend visite à ses enfants. D’abord accueillis avec les égards qui leur sont dus, les parents s’avèrent bientôt dérangeants. Seule Noriko (Setsuko Hara), la veuve de leur fils mort à la guerre, leur consacre du temps. Les enfants, Kôïchi (Sô Yamamura) et Shige (Haruko Sugimura), décident alors, pour les éloigner, de leur offrir un séjour dans la station thermale d’Atami. Là-bas, les parents, mal à l’aise, décident de rentrer à Tokyo, avant de repartir chez eux dès le lendemain…

— Voyage à Tokyo

En 1978, soit vingt-cinq ans après sa réalisation, sortait en France Voyage à Tokyo, premier film du maître japonais Yasujirô Ozu diffusé sur les écrans hexagonaux. Le cinéaste, auteur de plus de cinquante films, était alors décédé depuis quinze ans… Si la découverte – hors circuit cinéphile – fut tardive, la reconnaissance artistique fut immédiate. Dans une démarche créatrice très personnelle, Ozu filme depuis toujours les gens ordinaires dans leur vie quotidienne, c’est le shomingeki. Voyage à Tokyo s’inscrit dans ce courant : un couple visite ses enfants à Tokyo. Mais tout les oppose désormais : leur travail, leur style de vie, leur attachement à la famille. Car les enfants obéissent certes aux rituels filiaux, mais sans conviction. Installés dans la vie avec conjoint et enfants, ils ont une "situation", et n’ont plus le temps pour ces parents d’une autre époque, qui

les gênent désormais. Ces derniers s’en rendent compte, mais c’est dignement qu’ils en souffrent, entre sourires et excuses. Ozu, cinéaste de l’intime, filme une réalité sociale : la dissolution de la cellule familiale traditionnelle. Les sentiments s’usent, la vieillesse sera solitaire. Calme et bouleversant, Voyage à Tokyo est un portrait en creux du temps, celui qui passe, qui éloigne et qui use les corps jusqu’à la mort. Passé maître dans l’art de l’épure (du geste, de la parole, de l’expression des sentiments, du jeu des acteurs), Yasujirô Ozu invite à la contemplation. Sa caméra est fixe, à hauteur de tatami, droit dans les yeux de ses personnages. Un cadrage ascétique qui influence la perception des situations filmées. Du dépouillement naît l’intensité. « Le Voyage à Tokyo est donc une œuvre "très ozuesque", peut-être davantage que toutes les autres œuvres d’Ozu.

Lumière 2019 — Grands classiques du noir et blanc

La Règle du jeu France, 1939, 1h46, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Jean Renoir _ Assistant réalisateur Henri Cartier-Bresson Scénario Jean Renoir assisté de Carl Koch _ Photo Jean-Paul Alphen, Jean Bachelet, Jacques Lemare, Alain Renoir _ Musique Roger Désormière _ Montage Marthe Huguet, Marguerite Houillé- Renoir _ Costumes Coco Chanel _ Décors Max Douy, Eugène Lourié _ Production Jean Renoir, Nouvelle Édition Française _

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Voyage à Tokyo (Tôkyô monogatari) Japon, 1953, 2h16, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Yasujirô Ozu _ Scénario Kôgo Noda, Yasujirô Ozu _ Photo Yûharu Atsuta _ Direction artistique Tatsuo Hamada _ Musique Takanobu Saitô _ Montage Yoshiyasu Hamamura _ Décors Tatsuo Hamada _ Costumes Taizô Saitô _ Production Takeshi Yamamoto, Shôchiku Films _ Interprètes Chishu Ryu (Shukichi Hirayama, le père),

Lumière 2019 — Grands classiques du noir et blanc

Chieko Higashiyama (Tomi Hirayama, la mère), Setsuko Hara (Noriko Hirayama), Sô Yamamura (Kôïchi Hirayama), Kuniko Miyake (Fumiko Hirayama), Kyôko Kagawa (Kyôko Hirayama), Osaka Shirô (Keizô Hirayama), Haruko Sugimura (Shige Kaneko) _ Sortie au Japon 3 novembre 1953 _ Sortie en France 8 février 1978

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Le Plaisir de Max Ophuls

1952

Trois nouvelles adaptées de Maupassant, sur le thème du plaisir. Le Masque : un homme court les bals, infatigable et désespéré. Victime d’une attaque, il est ramené par un médecin (Claude Dauphin) chez son épouse (Gaby Morlay) qui lui raconte l’histoire de son mari... La Maison Tellier : la tenancière d’une maison close (Madeleine Renaud) emmène ses pensionnaires à la première communion de sa nièce, fille de son frère (Jean Gabin)… Le Modèle : un couple de jeunes artistes (Simone Simon et Daniel Gélin) s’aime à la folie, jusqu’au jour où la lassitude s’installe…

« Toute chose a son temps, on ne peut pas s’amuser toujours » écrit Guy de Maupassant, l’un des auteurs favoris d’Ophuls. Avec cette trilogie sur le drame éternel du plaisir, le cinéaste livre une œuvre extraordinairement accomplie, et tenue par de nombreux spécialistes comme la plus belle qu'il ait tournée. Le Plaisir, inspiré d’histoires contées par l’ombre de Maupassant, incarné par Jean Servais, est le plus parfait aboutissement des recherches d’Ophuls. « La plus belle scène de toute l’œuvre est sans doute celle où Gabin, après le départ des filles de la maison Tellier, s’en retourne mélancoliquement chez lui, dans un mouvement d’une lenteur inhabituelle et qui paraît vouloir prolonger à l’infini l’éphémère. » (Noël Herpe, 1895 n° 34-35, octobre 2001). Tout Ophuls est là. On retrouve la plénitude déjà ressentie dans Lettre d’une inconnue. Le Masque, La Maison Tellier et Le Modèle sont les trois volets de la même question : par-delà ce visage que l’homme interroge dans le miroir et par-delà le miroir lui-même, qu’y a-t-il ? De l’avis de Jean-Luc Godard, « chaque volet, même séparé des autres, resterait beau. Il n’empêche qu’il vaut mieux le voir en entier. Que serait le plaisir sans l’amour et la mort ? » La leçon prolonge celle de La Ronde : à tout âge, le plaisir est facile, mais contrecarre souvent le bonheur. La légendaire conclusion : « Le bonheur n’est pas gai », ne dit rien de la tourbillonnante folie du film. Pour Barthélemy Amengual, « la caméra d’Ophuls ne craint pas les vertiges » (Du réalisme au cinéma, Nathan). Ophuls, l’amoureux des femmes, fait tourner, après La Ronde et avant Madame de…, Danielle Darrieux, qui incarne l’une des pensionnaires de la maison Tellier (et qui tape dans l’œil de l’impayable Gabin – car le film, dans le deuxième sketch, est souvent drolatique). Le cinéaste offre une mise en scène d’une beauté renversante, faisant glisser sa caméra, comme par magie, en travellings d'une grâce étourdissante. Une élégance aérienne alliée à la profondeur des sentiments et, simplement, à la pudeur. Le Plaisir France, 1952, 1h33, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation Max Ophuls _ Scénario Jacques Natanson, Max Ophuls d’après les contes Le Masque, La Maison Tellier et Le Modèle de Guy de Maupassant _ Dialogues Jacques Natanson _ Photo Christian Matras, Philippe Agostini _ Musique Joe Hajos _ Montage Léonide Azar _ Décors Jean d’Eaubonne Costumes Georges Annenkov _ Production Édouard Harispuru, Stera Films et CCFC _ Interprètes Le Masque : Claude Dauphin (le docteur), Gaby Morlay (la femme du "masque"), Jean Galland ("le masque"), Gaby Bruyère (la danseuse) • La Maison Tellier : Madeleine Renaud (Madame), Ginette Leclerc (Carmen), Mila Parély (Raphaele), Danielle Darrieux (Rosa), Jean Gabin (Rivet), Pierre Brasseur (le commis voyageur), Paulette Dubost (Fernande), Mathilde Casadesus (Madame Louise dite "Cocotte"), Héléna Manson (Marie Rivet) • Le Modèle : Daniel Gélin (Jean, le peintre), Simone Simon (Joséphine, le modèle), Jean Servais (l’ami de Jean) _ Sortie en France 29 février 1952

— Le Plaisir

La Nuit du chasseur     1955 The Night of the Hunter de Charles Laughton

Tiraillé entre le Bien et le Mal, le pasteur Harry Powell (Robert Mitchum) parcourt la Virginie en assassinant des veuves et des "tentatrices". Arrêté pour vol de voiture, il doit purger une peine de trente jours de prison. Là, il fait la connaissance de Ben Harper (Peter Graves), condamné à mort pour un hold-up et qui lui révèle dans son sommeil qu’il a caché 10 000 $ dans un endroit seulement connu de ses deux jeunes enfants. Libéré, Powell se rend à la ferme des Harper et se rapproche de la veuve, qu’il finit par épouser. Devenu chef de la famille, il va pouvoir extorquer le secret aux enfants… « Comme je ne suis pas un inventeur d’histoires […], je suis devenu un raconteur d’histoires. J’aimerais devenir l’homme qui connaît toutes les histoires... Cela ne pourra jamais se faire, parce qu’aucun homme ne peut connaître toutes les histoires. Je songe à toutes ces histoires et à tous ces contes que je ne connaîtrai jamais, et je voudrais vivre mille ans. » (Charles Laughton, cité par Philippe Garnier, La Main du saigneur, Wild Side). La Nuit du chasseur est l’unique film de Charles Laughton, comédien dirigé par les plus grands cinéastes, Preminger, Kubrick, Wilder, Lean, Hitchcock, Losey, DeMille ou Renoir. Film unique et sans doute l’un des plus célèbres de l’Histoire du cinéma. Mais ce qu’on ignore souvent, c’est qu’il reçut un accueil très mitigé lors de sa sortie. Ainsi, les Cahiers du cinéma jugèrent, en 1955, dans une note collective, que « ceux qui prisent les peintures d’aliénés se passionneront peut-être pour le film de Laughton : quant à nous, nous pensons qu’il ne concerne que les psychiatres. » On pourrait parler de mille manières de ce film qui a tant suscité l’exégèse. Parler, par exemple, de la photo de Stanley Cortez, le chef opérateur, qui a su rendre les noirs et blancs à la fois poétiques et symboliques des décors expressionnistes voulus par Charles Laughton. Il déclarera plus tard que parmi tous les réalisateurs avec lesquels il avait travaillé, seuls deux comprenaient véritablement l’importance de la lumière : Orson Welles et Charles Laughton. La Nuit du chasseur est une sorte de lanterne magique, réfractée par le prisme d’un cauchemar enfantin, un film tout en perspectives obliques et en jeux d’ombres. Pour Laughton, le meilleur moyen d’atteindre la vérité passe par des formes simples : le conte de fées, les références bibliques, les images muettes. Le mystère de l’ensemble se pare d’une fascination presque hypnotique. Évoquant la genèse du film, l’écrivain-historien Philippe Garnier écrit : « La Nuit du chasseur ne serait pas n’importe quel film, ce serait l’apothéose de tout ce que Laughton avait appris en trente ans de métier, non seulement comme acteur, mais comme artiste et comme créateur. Simon

Lumière 2019 — Grands classiques du noir et blanc

Car, tout en débordant littéralement d’une foule de signes divers, Le Voyage à Tokyo cache en son cœur un je-ne-saisquoi, impossible à déterminer, qui, nous ôtant tout désir de décrypter ces signes, nous pousse au contraire au silence. » (Kijû Yoshida, Ozu ou l’anti-cinéma, Actes Sud / Institut Lumière)

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Lumière 2019 — Grands classiques du noir et blanc

— La Nuit du chasseur

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Callow, acteur lui aussi (Chambre avec vue, etc.), et auteur d’un livre extraordinaire sur cet acteur extraordinaire que fut Charles Laughton, l’a bien compris : avec La Nuit du chasseur, écrit-il, “l’homme qui adorait les mots mais ne savait pas écrire, l’homme qui adorait l’art mais ne savait pas peindre, l’homme qui possédait l’autorité mais préférait travailler en collaboration, avait enfin trouvé ses pinceaux, sa plume, son équipe.” » (op. cit.) La Nuit du chasseur (The Night of the Hunter) États-Unis, 1955, 1h33, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Charles Laughton _ Scénario James Agee, Charles Laughton (non créd.), d’après le roman éponyme de Davis Grubb _ Photo Stanley Cortez _ Direction artistique Hilyard M. Brown _ Musique Walter Schumann _ Montage Robert Golden _ Décors Alfred E. Spencer _ Costumes Jerry Bos _ Production Paul Gregory _ Interprètes Robert Mitchum (Harry Powell), Shelley Winters (Willa Harper), Lillian Gish (Rachel Cooper), Billy Chapin (John Harper), Sally Jane Bruce (Pearl Harper), James Gleason (Birdie Steptoe), Peter Graves (Ben Harper) _ Sortie aux États-Unis 26 juillet 1955 _ Sortie en France 11 mai 1956

Également au programme Drôle de drame de Marcel Carné (p.175) Miracle à Milan de Vittorio De Sica (p.186) Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov (p.189)

Événements


Événement cinéphile d’ampleur, The Irishman sortira cet automne sur Netflix. Avant cela, le film tant attendu est projeté au festival Lumière. Robert De Niro, Al Pacino et Joe Pesci réunis devant la caméra de Martin Scorsese, Prix Lumière 2015 !

The Irishman

2019

de Martin Scorsese

Après avoir vécu de petits boulots, Frank Sheeran (Robert De Niro), d’origine irlandaise, se lie d’amitié avec Russell Bufalino (Joe Pesci). L’homme est le parrain de la pègre de Pennsylvanie. Bientôt, Bufalino le présente à Jimmy Hoffa (Al Pacino), dirigeant corrompu des Teamsters, le syndicat des routiers américains.

Lumière 2019 — Événements

— The Irishman

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Si un film est attendu cet automne, c’est bien The Irishman, de Martin Scorsese. Le cinéaste rêvait en effet, depuis 2008, de porter à l’écran cette partie de l’histoire du crime américain. De l’achat des droits du livre de Charles Brandt au financement, en passant par la longue post-production et la distribution du film, le projet n’aura cessé d’attiser le désir. Avec en prime un budget phénoménal de 175 millions de dollars et la réunion de quelques monstres sacrés, The Irishman est un événement. Avec un tel matériau, Scorsese fait des étincelles. « Il paraît que tu peins des maisons ? ». C’est avec cette conversation entre Frank Sheeran et Jimmy Hoffa que débute l’amitié entre les deux hommes, tous deux figures exemplaires de la corruption des syndicats. Le premier, tueur à gages, liquidera le second en 1975 (ou du moins, faute de preuves avérées, sera soupçonné de l’avoir fait) : le corps ne sera jamais retrouvé.

À travers l’histoire vraie de Sheeran, surnommé "The Irishman", Scorsese écrit une nouvelle page, dense et complexe, de l’histoire du crime organisé dans l’Amérique d’après-guerre. The Irishman se déroule sur une période de plusieurs décennies, avec des flashbacks remontant jusqu’aux années 50. Ce dialogue passé-présent a été rendu possible (et plausible) grâce aux techniques de de-aging (le rajeunissement numérique) des acteurs, un trucage bluffant qui explique la longue post-production du film. Scorsese signe un film sur des thèmes fondamentalement personnels et qu’il a fréquemment traités : la corruption, la loyauté, l’amitié, la rédemption, mais aussi les liens entre le crime organisé et la politique. La photo urbaine plonge le film dans une atmosphère très sombre. The Irishman réunit un casting en or et Scorsese retrouve ses acteurs fétiches, Robert De Niro évidemment (leur neuvième collaboration) dans le rôle de Frank Sheeran, et Joe Pesci, rare à l’écran depuis la fin des années 90, dans le rôle de Russell Bufalino, le parrain de la pègre de Pennsylvanie. Al Pacino, quant à lui, est Jimmy Hoffa. De Niro et lui ne s’étaient pas donné la réplique depuis Heat de Michael Mann en 1995. Réunion de légendes du cinéma, histoire passionnante, défi technologique, cinéaste mythique… C’est "le nouveau Scorsese". The Irishman États-Unis, 2019, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Martin Scorsese _ Scénario Steven Zaillian, d’après J'ai tué Jimmy Hoffa ? de Charles Brandt _ Photo Rodrigo Prieto _ Effets spéciaux Pablo Helman _ Musique Randall Poster _ Montage Thelma Schoonmaker _ Décors Bob Shaw _ Costumes Sandy Powell, Christopher Peterson _ Production Martin Scorsese, Robert De Niro, Jane Rosenthal, Emma Tillinger Koskoff, Irwin Winkler, Gerald Chamales, Gaston Pavlovich, Randall Emmett _ Production exécutive Barry Welsh, Richard Baratta, Niels Juul, George Furla, Nicholas Pileggi _ Interprètes Robert De Niro (Frank Sheeran), Al Pacino (Jimmy Hoffa), Joe Pesci (Russell Bufalino), Harvey Keitel (Angelo Bruno), Ray Romano (Bill Bufalino), Bobby Cannavale (Felix "Skinny Razor" DiTullio), Anna Paquin (Peggy Sheeran), Stephen Graham (Anthony Provenzano), Stephanie Kurtzuba (Irene Sheeran), Jesse Plemons (Chuckie O'Brien), Domenick Lombardozzi (Anthony Salerno) _ Présentation au New York Film Festival 27 septembre 2019 _ Sortie Netflix 27 novembre 2019

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Martin Scorsese, Prix Lumière 2015 !

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« L’énergie vitale que dégage un film tient toujours dans une question que devrait se poser un cinéaste : pourquoi fait-on un film ? Ça paraît évident, et pourtant beaucoup ne se la posent même pas. Quand je rencontre des anonymes, ouvriers exploités, chômeurs, SDF, dont les faits et gestes ne sont jamais mentionnés à la une des journaux, c’est la moindre des choses que de leur donner la parole, de raconter leur histoire. Caméra à l’épaule ou sur pied, 35mm ou 16mm, documentaire ou fiction, peu importe… Moi je sais pourquoi je filme. » (Ken Loach). Prix Lumière 2012, auréolé depuis d’une seconde Palme d’or pour Moi, Daniel Blake en 2016, Ken Loach revient à Lyon pour une rencontre avec le public et l’avant-première de son nouveau film Sorry We Missed You, sélectionné en compétition au Festival de Cannes cette année et dont la sortie est prévue à l’automne.

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Sorry We Missed You

2019

de Ken Loach

Après plusieurs petits boulots, Ricky (Kris Hitchen) travaille désormais à son compte comme chauffeur-livreur pour une plateforme de vente en ligne. Son épouse Abby (Debbie Honeywood), aide à domicile, vend sa voiture afin que Rick achète une camionnette. Elle se retrouve seule à élever leurs deux enfants, Lisa Jane (Katie Proctor) et Seb (Rhys Stone), qui bascule peu à peu dans la délinquance. Ricky perd bientôt toute illusion sur un travail qui devait le rendre plus libre et plus riche… Auréolé de deux Palmes d’or, pour Le vent se lève en 2006 et pour Moi, Daniel Blake dix ans plus tard, Ken Loach, de retour à Newcastle, sonde la violence du capitalisme. Après avoir dénoncé la cruauté des services sociaux britanniques, le cinéaste s’attaque cette fois à "l’ubérisation" du travail, méthode récente qui enchaîne les employés à une liberté illusoire. Pour cette chronique familiale sur l’évolution libérale du marché du travail et l’aliénation qui l’accompagne, il s’entoure de ses proches habituels, son scénariste Paul Laverty et sa productrice Rebecca O’Brien. Sorry We Missed You s’ouvre sur l’entretien d’embauche de Ricky, où on lui laisse miroiter tous les espoirs d’une réussite entrepreneuriale, alors qu’il ne s’agit que d’une variation contemporaine de l’esclavage. Sous la pression exercée, le couple se détériore. Avec son regard incisif, Ken Loach a suivi, depuis quarante ans, l’évolution de la classe ouvrière, de plus en plus confrontée à la précarité et aux nouvelles formes de servage mises au point par le capitalisme moderne. La jeunesse, autre thème cher au cinéaste, est ici envisagée sous l’angle du délaissement familial. Le fils bascule dans la délinquance dès lors que son père n’a plus le temps de s’occuper de lui. La pression du chiffre exercée sur Ricky nuit inévitablement à sa famille. Film engagé, portrait d’une souffrance physique et mentale, Sorry We Missed You ouvre une profonde question : « Face à ce témoignage implacable sur notre époque et le cynisme absolu d’un système qui plonge les plus démunis dans une nuit sans fin, le spectateur ne peut que s’interroger sur sa propre responsabilité devant ces nouvelles formes d’exploitation. » (Gérard Camy, Jeune Cinéma n°395, été 2019) Sorry We Missed You Royaume-Uni, France, Belgique, 2019, 1h40, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Ken Loach _ Scénario Paul Laverty _ Photo Robbie Ryan _ Musique George Fenton _ Montage Jonathan Morris _ Décors Fergus Clegg _ Costumes Jo Slater _ Production Rebecca O’Brien, Sixteen Films, BBC Films, BFI Film Fund, Les Films du Fleuve, Why Not Productions, Wild Bunch _ Interprètes Kris Hitchen (Ricky Turner), Debbie Honeywood (Abbie Turner), Rhys Stone (Seb), Katie Proctor (Lisa Jane), Ross Brewster (Gavin Maloney), Alfie Dobson (Jack O’Brien), Charlie Richmond (Henry Morgan) _ Présentation au Festival de Cannes 16 mai 2019 _ Sortie en France 23 octobre 2019

— Sorry We Missed You

Lumière 2019 — Événements

Ken Loach, Prix Lumière 2012, de retour au festival Lumière

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Acteur, scénariste, producteur, animateur, réalisateur et surtout auteur à l’humour explosif, Alain Chabat se lance dans la réalisation en 1997 avec Didier, aux côtés de l’inénarrable Jean-Pierre Bacri. Projet pharaonique, son adaptation de l’album de Goscinny et Uderzo, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, reçoit en 2002 un fantastique accueil. Un film populaire devenu culte pour toute une génération.

Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre

2002

d’Alain Chabat

Lumière 2019 — Événements

Ulcérée par les sarcasmes de César (Alain Chabat), Cléopâtre (Monica Bellucci) lui propose un pari : si elle parvient à lui faire construire, en plein désert, un somptueux palais en moins de trois mois, il devra concéder publiquement que le peuple égyptien est le plus grand de tous les peuples. Cléopâtre choisit Numérobis (Jamel Debbouze), architecte d’avant-garde plein d’énergie : s’il réussit, elle le couvrira d’or. S’il échoue, elle le jettera aux crocodiles. Un délai impossible à tenir sans l’aide d’Astérix (Christian Clavier), Obélix (Gérard Depardieu) et le druide Panoramix (Claude Rich), seul détenteur de la potion magique.

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— Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre

« Personne d’autre que moi, à part peut-être Richard Burton, ne pouvait jouer César. Comme son agent ne m’a jamais rappelé, je n’avais pas le choix ! » (Alain Chabat). À l’image de l’humour du réalisateur, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre est une comédie menée tambour battant. C’est le producteur Claude Berri qui demanda à Alain Chabat d’écrire et réaliser une nouvelle aventure des célèbres Gaulois, adaptation de l’album Astérix et Cléopâtre de René Goscinny et Albert Uderzo. Avec la même ambition que les créateurs, le cinéaste souhaite faire une comédie populaire qui atteigne tous les publics et tous les âges.

Si la couverture de l’album se targue d’être « la plus grande aventure qui ait jamais été dessinée » à grand renfort de crayons et de gommes, la production peut en dire autant : grâce à un budget très conséquent, Alain Chabat met en scène plus de 2 500 figurants, et fait réaliser de somptueux costumes (récompensés par un César). Avec une gageure : Cléopâtre portera une robe différente dans chaque scène. Architecte de son film comme Numérobis du palais – mais bien plus précis –, Alain Chabat soigne tous les détails, des effets spéciaux aux cascades, en s’entourant de grands professionnels comme Philippe Chany pour la musique (enregistrée à Abbey Road avec le London Symphonic Orchestra). Pour les décors, il fait appel à At Hoang, qui a déjà travaillé avec Jean-Jacques Annaud. Reconstituant l’Égypte imaginée par Uderzo et Goscinny, le décor devient un personnage à part entière – et fantaisiste : un hiéroglyphe, caché, signifie « Celui qui lit ça est un égyptologue » ! Avec finesse et un humour estampillé Chabat, le film réunit un casting de copains, intégrant dans la bande Pierre Tchernia, ami et complice de Goscinny, et qui, croqué par Uderzo, apparaissait régulièrement dans les albums. Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre France, 2002, 1h48, couleurs, format 2.35 _ Réalisation & scénario Alain Chabat, d’après l’album Astérix et Cléopâtre de René Goscinny et Albert Uderzo _ Photo Laurent Dailland _ Musique Philippe Chany ; Snoop Dogg, James Brown, Ennio Morricone _ Montage Stéphane Pereira _ Décors At Hoang _ Costumes Philippe Guillotel, Tanino Liberatore, Florence Sadaune _ Production Claude Berri, Alain Chabat, Katharina Productions, Renn Productions, TF1 Films Production, Chez Wam _ Interprètes Gérard Depardieu (Obélix), Christian Clavier (Astérix), Jamel Debbouze (Numérobis), Monica Bellucci (Cléopâtre), Alain Chabat (César), Claude Rich (Panoramix), Gérard Darmon (Amonbofis), Édouard Baer (Otis), Dieudonné (Caius Céplus), Zinédine Soualem (le carreleur), Pierre Tchernia (la voix off / Caius Gaspachoandalus), Marina Foïs (Sucettalanis), Noémie Lenoir (Guimieukis), Mohamed Nesrate (le chef des gardes), Dominique Besnehard (le goûteur), Jean Benguigui (Malococsis), Isabelle Nanty (Itinéris), Emma de Caunes (la secrétaire de César), Claude Berri (le peintre de Cléopâtre), Jean-Pierre Bacri (le commentateur de la langouste), Max Chabat (l’enfant de la pyramide), Chantal Lauby (Cartapus), Jean-Paul Rouve (Caius Antivirus), Pascal Vincent (le légionnaire de la catapulte), Pierre-François Martin-Laval (le lanceur de la catapulte), Maurice Barthélémy (le légionnaire Couloirdebus), Mathieu Kassovitz (le physionomiste du banquet) _ Sortie en France 30 janvier 2002

Lumière 2019 — Événements

La fête à Chabat

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1974

la fin d’un monde, celui de la réussite des héritiers des Trente Glorieuses, et l’annonce de l’avènement d’un autre, incarné par Jean, jeune contremaître dans l’entreprise de Vincent. Les problèmes sont aussi d’ordre personnel, car, en écho au futur choc pétrolier, l’ordre familial est aussi bouleversé : les femmes s’émancipent, les épouses choisissent leurs vies et quittent parfois leurs hommes. Finalement, le thème du film n’est pas l’amitié, mais plutôt l’usure, l’échec, la fin d’une période opulente, les épreuves qui rapprochent et nourrissent l’amitié. Les personnages de Claude Sautet sont pour lui « en état de survie par rapport à la plénitude dont ils avaient rêvé ». La mélancolie du propos trouve écho dans la mise en scène et l’ambiance donnée au film : une maison de campagne, une lumière douce mais pâle, un soleil d’hiver. L’inoubliable thème de Philippe Sarde (inspiré des six premières notes du standard américain In the Still of the Night) renforce ce sentiment de spleen. Claude Sautet confiera à François Truffaut à propos de son film : « La vie est dure dans les détails mais elle est bonne en gros ». Le film est très bien reçu par la critique. Mais l’une d’entre elles touche Claude Sautet plus que les autres : celle de Truffaut. « Tout beau film est souterrainement dédié à quelqu’un et il me semble que Vincent, François, Paul et les autres… pourrait l’être à Jacques Becker, car il l’aurait profondément touché, comme il touche tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que les choses qu’ils font. Vincent, François, Paul et les autres… c’est la vie. Claude Sautet c’est la vitalité. »

Amis de longue date, Vincent (Yves Montand), François (Michel Piccoli), Paul (Serge Reggiani), ainsi que leurs compagnes, et Jean (Gérard Depardieu), jeune contremaître et apprenti boxeur, se retrouvent tous les weekends dans la maison de campagne de Paul. Ils traversent tous une période plus ou moins difficile, sentimentalement ou professionnellement. Mais les ennuis de Vincent semblent plus importants : son entreprise connaît des difficultés et son cœur s’affaiblit…

Vincent, François, Paul et les autres… France, Italie, 1974, 1h53, couleurs (Eastmancolor), format 1.66 _ Réalisation Claude Sautet _ Scénario Jean-Loup Dabadie, Claude Sautet, Claude Néron, d’après le roman La Grande Marrade de Claude Néron _ Photo Jean Boffety _ Musique Philippe Sarde _ Montage Jacqueline Thiédot _ Décors Théobald Meurisse _ Costumes Georgette Fillon _ Production Raymond Danon, Roland Girard, Lira Films, President Produzioni _ Interprètes Yves Montand (Vincent), Michel Piccoli (François), Serge Reggiani (Paul), Gérard Depardieu (Jean), Stéphane Audran (Catherine), Marie Dubois (Lucie), Ludmila Mikaël (Marie), Antonella Lualdi (Julia), Umberto Orsini (Jacques), Catherine Allégret (Colette), Nicolas Vogel (Clovis), Betty Beckers (Myriam), Jacques Richard (Armand), Pierre Maguelon (Farina), Jean-Denis Robert (Pierre), Yves Gabrielli (Michel), Maurice Auzel (Simon), Jean Capel (Jamain), Mohamed Galoul (Joe Catano), David Tonelli (Marco), Myriam Boyer (Laurence), Henri Coutet (Henri) _

« Combien de temps... Combien de temps encore ? Des années, des jours, des heures, combien ? Je m’en fous mon amour... Quand l’orchestre s’arrêtera, je danserai encore... Quand les avions ne voleront plus, je volerai tout seul... Quand le temps s’arrêtera. Je t’aimerai encore. » (Le Temps qui reste, paroles de Jean-Loup Dabadie). Hommage à Serge Reggiani, figure émouvante du cinéma français et grand interprète de la chanson française.

Vincent, François, Paul et les autres…

Lumière 2019 — Événements

de Claude Sautet

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Portrait d’un groupe d’amis, Vincent, François, Paul et les autres… nous plonge dans un milieu bourgeois jusque-là préservé. Mais, comme une préfiguration de la grande crise à venir, c’est à trois crises existentielles que le spectateur assiste : Vincent, menacé par les remboursements de traites de sa PME et un cœur fragile, François, médecin ayant perdu ses idéaux et qui se sent coupable d’avoir réussi, et Paul, écrivain en perte d’inspiration qui n’arrive pas à mettre le point final à son roman. C’est

Sortie en France 2 octobre 1974

— Vincent, François, Paul et les autres…

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot

2009

de Serge Bromberg & Ruxandra Medrea

En 1964, Henri-Georges Clouzot choisit Romy Schneider et Serge Reggiani pour jouer dans L’Enfer, un film annoncé comme un "événement". Mais après trois semaines, le tournage est brusquement interrompu et les images filmées deviennent invisibles. Quarante-cinq ans plus tard, Serge Bromberg met la main sur les mythiques bobines. Histoire de jalousie et de folie intérieure, L’Enfer devait être le grand film, révolutionnaire, de Clouzot. Le cinéaste s’entoure d’acteurs charismatiques et des meilleurs

techniciens et se lance dans d’étonnantes recherches plastiques. À la vue des essais avec Romy Schneider, la maison de production Columbia décide d’offrir à Clouzot un budget illimité. Celui-ci se serait-il alors perdu dans sa création ? Car L’Enfer prend des dimensions pharaoniques : trois équipes techniques, cent cinquante personnes sur le plateau… La légende dit que Clouzot ne dort plus, réveille ses collaborateurs à 2h du matin, oblige à tourner le dimanche, bataille avec ses acteurs, provoque le départ de Serge Reggiani. Personne ne sait réellement ce qu’il fait ni pourquoi… Le naufrage prend fin avec son infarctus, qui met un coup d’arrêt définitif au projet. Film sur le film, L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot reprend cette histoire, à travers archives et entretiens avec les protagonistes. Il raconte également l’enlisement de Clouzot, son ambition démesurée et son enfermement dans sa création – saisissant parallèle à l’histoire de son

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Hommage à Serge Reggiani

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Invitation à Vincent Delerm Littérature, photographie, théâtre, chanson évidemment… Vincent Delerm investit désormais le cinéma pour continuer de raconter l’intime, le ressenti. Son premier long métrage, Je ne sais pas si c’est tout le monde, sort en même temps que son nouvel album Panorama : l’occasion idéale de recevoir le chanteur cinéphile, auteur de la chanson Vie Varda.

Je ne sais pas   si c’est tout le monde

2019

de Vincent Delerm

Qu’est-ce qui nous construit ? Que ressentent les gens autour de nous ? Leur cœur bat-il de la même manière que le nôtre ? Nos émotions et sensations n’appartiennent-elles qu’à nous ?

C’est un touche-à-tout, passant avec aisance de la chanson à la photographie, de la littérature au théâtre. Il était donc naturel pour Vincent Delerm de se lancer un jour dans la réalisation. Chose faite avec Je ne sais pas si c’est tout le monde, qui sort en même temps que son nouvel album Panorama. Projet au long cours (il a débuté en 2015), le film est une prolongation du travail du chanteur sur l’intime, la mémoire et le rapport aux autres. « Le titre est tiré de L’Amant de Duras. Le scénario parle de ce qui se passe dans la tête de nos proches. » (L’Express, 4 octobre 2016). Le chanteur-cinéphile interroge alors le ressenti, le sentiment personnel. Peinture par touches, photographie instantanée, le film fait sourire, et souvent, serre le cœur. En allant de l’intime à l’universel, le regard posé est tendre et capte l’ère du temps. Je ne sais pas si c’est tout le monde est aussi un autoportrait, qui vient compléter l’univers personnel des chansons de Vincent Delerm. «  Je voulais faire un film comme on écrit des chansons. Passer trois minutes quelque part. Avec quelqu’un.  Chercher à chaque rencontre un fragment. Un fragment de la personne qui dit cette personne, entière. Comme par un détour. Puis repartir ailleurs. » (Vincent Delerm) Je ne sais pas si c’est tout le monde France, 2019, 59min, couleurs _ Réalisation &  scénario Vincent Delerm _ Photo Grégoire de Calignon, Vincent Delerm, Bertrand Jamot _ Musique Vincent Delerm _ Montage Bertrand Jamot _ Production Julie Gayet, Nadia Turincev, Antoun Sehnaoui, Vincent Frèrebeau, Rouge International, Tôt Ou Tard Films _ Avec Jean Rochefort, Yurie Tsugawa, Yoann Bourgeois, Aloïse Sauvahe, Alain Souchon, Simon Delerm, Vincent Dulluc, Sacha Delerm, Vincent Dedienne, Albin de la Simone, Alice Rohrwacher… _ Présentation au Festival du Film Francophone d’Angoulême 21 août 2019

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protagoniste Marcel, enfermé dans sa jalousie psychotique. Mais L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot donne surtout à voir des images inconnues, jusque-là sous scellées à Bois d’Arcy, au Service des Archives du Film. Passionné par l’op’art et l’art cinétique, filtrant les couleurs, jouant avec les effets kaléidoscopiques, Clouzot révèle Romy Schneider comme elle ne l’a jamais été : vénéneuse, ligotée, fascinante, sexuelle, dominatrice. Le son ayant disparu, son visage pailleté d’or, d’une indicible beauté, captive encore davantage. « On sait combien les films maudits excitent l’imagination des cinéphiles. Les précieux éclats de L’Enfer confirment cette irrépressible fascination. » (Vincent Thabourey, Positif n°581-582, juillet-août 2009)

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot France, 2009, 1h40, couleurs & noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation Serge Bromberg, Ruxandra Medrea _ Scénario Serge Bromberg _ Photo Jérôme Krumenacker, Irina Lubtchansky _ Effets visuels Thomas Larocca _ Musique Bruno Alexiu _ Montage Janice Jones _ Décors Nicolas Faure _ Production Serge Bromberg, Lobster Films, France 2 Cinéma _ Avec Romy Schneider (Odette), Serge Reggiani (Marcel), Bérénice Bejo (Odette 2009), Jacques Gamblin (Marcel 2009), Henri-Georges Clouzot, Dany Carrel, Catherine Allégret, Gilbert Amy, Costa-Gavras, Bernard Stora, Jacques Douy, William Lubtchansky… _ Présentation au Festival de Cannes 19 mai 2009 _ Sortie en France 11 novembre 2009

Également au programme Les Amants de Vérone d’André Cayatte (p.43)

— Je ne sais pas si c’est tout le monde

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— Tournage de L’Enfer

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Dominique Laffin

Lumière 2019 — Événements

« Attention, fragile… très fragile ! C’est la dernière réplique adressée par Yves Montand à l’homme qui part à ton bras, dans Garçon ! de Claude Sautet, un de tes derniers films. Enceinte, un peu perdue, tu étais l’une des amoureuses d’Alex, chef de rang d’une grande brasserie à la vie sentimentale compliquée. Je me repasse la scène deux ou trois fois, j’aime cet Attention, fragile et la façon dont tu pars, au milieu de la fête, souriante, faussement sûre de toi. » (Clémentine Autain, Dites-lui que je l’aime, Grasset). À travers cette lettre ouverte à sa mère disparue alors qu’elle avait 12 ans, Dites-lui que je l’aime raconte la recherche de filiation de Clémentine Autain avec Dominique Laffin, comédienne qui illumina l’écran de sa personnalité rayonnante et tragique. « Face aux images qui défilent avec le générique de ce portrait [de Laurent Perrin], je suis subjuguée par ta face solaire, ta sensibilité, ton éclat de rire. Je me souviens maintenant de toi, cette femme qui était ma maman. »

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La Femme qui pleure

1979

de Jacques Doillon

Lorsque Jacques (Jacques Doillon) revient après une longue absence, Dominique (Dominique Laffin) pleure. Elle pleure et s’écroule, peut-être parce qu’elle comprend qu’il ne s’agit pas cette fois d’une simple infidélité. Elle s’écroule, sans pouvoir s’accrocher à qui que ce soit, pas même à son enfant (Lola Doillon), qu’elle aime, et qu’elle se voit pourtant, affolée, commencer à haïr. Rien ne peut la calmer et les pulsions meurtrières et suicidaires qu’elle se découvre achèvent de lui faire prendre peur. Jeune cinéaste, Jacques Doillon, après avoir connu une reconnaissance immédiate avec Les Doigts dans la tête (1974) et Un sac de billes (1975), décide de s’éloigner de Paris et part vivre près de Manosque. Lorsque la Commission d’avances sur recettes lui refuse une aide pour La Femme qui pleure, Yves Robert, qui admire son travail, l’épaule financièrement. Doillon réalise alors un film intimiste à petit budget, tourné dans sa propre maison et il interprète lui-même le rôle de Jacques, aux côtés de sa fille Lola, alors âgée de 3 ans. Dans ce huis clos où la passion est des plus intenses, l’acteur et metteur en scène utilise la caméra comme un outil d’observation neutre. À la manière de Bergman, il plonge au cœur du drame, sans complaisance ni jugement. Dans ce film prolixe, dépourvu de musique, le réalisateur soigne ses silences lorsqu’il y en a. « Cela devrait donner ce qu’on appelle un drame psychologique qui se déroule en un seul lieu – je fais un film de chambre comme d’autres font de la musique de chambre – et se dénoue en moins d’un mois. » (Jacques Doillon) Pour décrire l’histoire de ce chagrin, Doillon explore la violence physique des sentiments de cette "femme qui pleure". Une femme interprétée par Dominique Laffin, dont la fille Clémentine (future Autain, 5 ans) était pressentie pour jouer le rôle de l’enfant du couple. L’actrice mit toute son âme dans ce film, écrivant une scène et puisant dans sa propre vie pour interpréter cette femme meurtrie et dépassée par ses émotions. « Jacques Doillon a su rendre pathétiques des situations que le cinéma avait transformées en clichés. Il a misé essentiellement sur la performance de ses acteurs, et plus particulièrement sur celle de sa jeune vedette Dominique Laffin qui fait ici une création étonnante. » (Raymond Lefèvre, Image et son n°335, janvier 1979) La Femme qui pleure France, 1979, 1h31, couleurs (Eastmancolor), format 1.66 _ Réalisation & scénario Jacques Doillon _ Photo Yves Lafaye _ Montage Isabelle Rathery _ Production Danièle Delorme, Yves Robert, Les Productions de la Guéville, Lola Films, Renn Productions _ Interprètes Dominique Laffin (Dominique), Jacques Doillon (Jacques), Haydée Politoff (Haydée), Lola Doillon (Lola), Jean-Denis Robert (Jean-Denis), Michel Vivian (l’homme du café) _ Sortie en France 10 janvier 1979

— La Femme qui pleure

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Hommages

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« Quand on voit le désert pour la première fois, et je crois que c’est vrai de n’importe quelle région sauvage, ça n’est qu’un désert, la somme de toutes les bribes d’information que l’on a entendues sur le désert. Puis on se met à l’étudier, à marcher, à camper dans le désert pendant des années, ce que nous avons fait tous les deux ; alors, comme tu l’as dit, il devient insondable, mystérieux, stupéfiant, plein de fantômes et de mirages. » (Jim Harrison, Dalva, Christian Bourgois). Il est venu à de nombreuses reprises rue du Premier-Film partager avec le public son féroce appétit pour les mots, le cinéma, la vie… Disparu en 2016, Jim Harrison a laissé une œuvre forte, immense, essentielle. Pour lui rendre hommage et se souvenir de "Big Jim", projection en avant-première du documentaire Seule la Terre est éternelle, de François Busnel & Adrien Soland.

Seule la Terre est éternelle

2019

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de François Busnel & Adrien Soland

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— Seule la Terre est éternelle

« Un homme rentre chez lui, au cœur des grands espaces. Sans doute sait-il qu’il va mourir. Il raconte. Sa vie – qu’il a brûlée par les deux bouts et qui se confond avec l’histoire de l’Amérique. Les Indiens… Les marges… La nature sauvage… Il se trouve qu’il est l’un des plus grands écrivains américains. Il s’appelle Jim Harrison. » « J’ai appris qu’on ne peut pas comprendre une autre culture tant qu’on tient à défendre la sienne coûte que

coûte. Comme disaient les Sioux, “Courage, seule la Terre est éternelle”. Peu parmi les cent millions d’autres espèces sont douées de parole, si bien que nous devons parler et agir pour les défendre. Que nous ayons trahi les peuples autochtones devrait nous pousser de l’avant, tant pour eux que pour la Terre que nous partageons. Si nous ne parvenons pas à comprendre que la réalité de la vie est un agrégat de perceptions et de la nature de toutes les espèces, nous sommes condamnés, ainsi que la Terre que déjà nous assassinons. » (Jim Harrison, "Seule la Terre est éternelle", America n°9, printemps 2019). Jim Harrison a mené une existence bigger than life, laissant une œuvre romanesque et poétique essentielle, de Légendes d’automne (son premier succès, en 1979, après plusieurs récits et recueils de poèmes) à son titre le plus célèbre, Dalva. "Big Jim" était le grand romancier de la nature américaine, et de l’homme face à elle. Toute son œuvre est irriguée par ses deux passions : la vie sauvage et les cultures autochtones, une exploration de l’Amérique comme territoire et identité. Dans les forêts et les déserts qui lui étaient si chers, il étanchait sa soif de solitude et son besoin essentiel de fusion avec la nature sauvage. François Busnel (journaliste, producteur et codirecteur avec Éric Fottorino de la revue America) a rencontré Jim Harrison en 1999, puis les rencontres et les entretiens se sont multipliés. En 2015, l’écrivain accepte l’idée qu’un film lui soit consacré. « Le tournage de ce film a commencé en juillet 2015, chez Jim Harrison, à Livingston, Montana. Entretiens, parties de pêche sur la Yellowstone River, marches dans les collines de bois brûlé d’Emigrant Peak, dîners entre amis… Jim nous a quittés après avoir peaufiné avec moi le séquencier de la deuxième session de tournage, prévue pour le printemps suivant : nous devions quitter le Montana en voiture et “faire la route” jusqu’à sa casita d’Arizona, à travers les paysages qu’il décrit dans ses romans (et s’arrêter dans les meilleurs restaurants du Nebraska, du Wyoming, du Colorado, de l’Utah, de l’Arizona…). » (François Busnel). L’écrivain disparu, les réalisateurs François Busnel et Adrien Soland s’interrogent un instant : devaient-ils continuer ? La réponse fut positive. Se plongeant alors dans des dizaines d’heures de rushes et refaisant le voyage du Montana à l’Arizona, ils signent le portrait d’un écrivain indispensable, un vibrant hommage à un homme entier, et une réflexion sur la ruralité, l’altérité et la perte. Seule la Terre est éternelle France, 2019, 1h52, couleurs _ Réalisation François Busnel, Adrien Soland _ Scénario François Busnel _ Photo Yann Staderoli _ Production Rosebud

Lumière 2019 — Événements

Jim Harrison

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« Il faisait tout en grand, à son échelle de colosse. » (Philippe Garnier) À l’occasion de la sortie du livre de Philippe Garnier Sterling Hayden, L’irrégulier (éd. La Rabbia), retour sur le parcours turbulent et trépidant de l’acteur, "bad boy" hollywoodien, qui trouva dans le rôle de Wade, dans Le Privé de Robert Altman, un troublant alter ego de l’homme qu’il était au moment du tournage.

Le Privé

The Long Goodbye de Robert Altman

1973

Lumière 2019 — Événements

Après une violente dispute avec son épouse, Terry Lennox (Jim Bouton) demande à son ami le détective Philip Marlowe (Elliott Gould) de le conduire à la frontière mexicaine. De retour chez lui, Marlowe apprend que l’épouse a été assassinée : la police l’accuse de complicité. À ses yeux, son ami, bien que principal suspect, ne peut être coupable. Pourtant, Lennox se suicide… Marlowe est bientôt engagé par l’élégante Eileen Wade (Nina Van Pallandt) afin de retrouver son mari disparu, le célèbre écrivain Roger Wade (Sterling Hayden)…

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« À vrai dire, je me moquais de l’intrigue. Chandler luimême n’y prêtait guère d’attention. Ce qui l’intéressait, c’était les personnages, leur attitude, leur caractère. » (Robert Altman, Positif n°166, février 1975). Lors de la sortie très décriée du Privé, les plus chandlèriens des cinéphiles reprochèrent à Robert Altman d’avoir trahi l’œuvre du créateur de Philip Marlowe. Et pourtant… Le célèbre privé se réveille ici d’une gueule de bois et sans doute d’un très long sommeil. L’Amérique des années 50 est devenue la Californie hippie des années 70. Los Angeles ne dort plus, le balai des freaks est incessant. Et c’est dans un état cotonneux que Marlowe traverse le film. Campé par Elliott Gould, aux antipodes de ce

qu’incarnait Humphrey Bogart, le privé est un anti-héros désabusé, décalé, avec sa Lincoln de 1948, son costume noir fatigué, sa cravate démodée et son indétrônable cigarette. Altman s’est toujours attaqué aux archétypes hollywoodiens, films de guerre, westerns, musicals. En détournant cette fois-ci le film noir, il signe une œuvre mélancolique, dans la lumière crue californienne. L’humour est féroce, l’ambiance anxieuse, la conspiration bien tordue, et surtout l’esprit de Chandler est respecté. Si le rôle de Roger Wade est un des plus marquants de Sterling Hayden, celui-ci avait bien failli ne pas le jouer. Les producteurs souhaitaient Robert Mitchum, et Altman voulait donner le rôle à son ami Dan Blocker. Mais ce dernier décède avant le tournage. Le cinéaste jouera alors comme personne avant lui avec la personnalité de Sterling Hayden. « C’était vraiment une figure tragique, et Bob le savait. Bob s’en est servi. Un écrivain ivrogne qui a perdu son chemin, c’est Wade dans l’histoire, mais c’était Hayden aussi. » (Mark Rydell, cité par Philippe Garnier, Sterling Hayden, L’irrégulier, La Rabbia). Comme son personnage, Hayden est à ce moment-là bloqué dans l’écriture de son roman, mais aussi sujet à une sévère dépression et en cure de désintoxication. « Dans le film d’Altman, avec sa canne, sa casquette et ses dangereuses gesticulations, Wade était une réplique alarmante de ce que l’homme Sterling Hayden était dans la vie, ou de ce qu’il allait bientôt devenir. Pour sceller la similarité, quand il boit avec Marlowe (qu’il s’entête à appeler "Marlborough"), Wade lève une bouteille d’aquavit encore dans sa gaine de glace – l’alcool de prédilection de l’acteur. En fait, Altman avait compris l’homme comme peu de réalisateurs auparavant. Lors d’un reportage à Phoenix, Arizona […], Altman m’a (ré)affirmé qu’il avait simplement dit à Hayden et à Henry Gibson, l’acteur de poche qui joue le véreux docteur Verringer, “d’aller fumer dans leur coin et d’écrire leurs scènes eux-mêmes.” Bonne idée. » (Philippe Garnier, op. cit.) Le Privé (The Long Goodbye) États-Unis, 1973, 1h52, couleurs (Technicolor), format 2.35 _ Réalisation Robert Altman _ Scénario Leigh Brackett, d’après le roman The Long Goodbye de Raymond Chandler _ Photo Vilmos Zsigmond _ Musique John Williams _ Montage Lou Lombardo _ Décors Syd Greenwood _ Costumes Kent James, Marjorie Wahl _ Production Elliot Kastner, Jerry Bick, Lion’s Gate Films _ Interprètes Elliott Gould (Philip Marlowe), Nina Van Pallandt (Eileen Wade), Sterling Hayden (Roger Wade), Mark Rydell (Marty Augustine), Henry Gibson (le Dr. Verringer), David Arkin (Harry), Jim Bouton (Terry Lennox), Warren Berlinger (Morgan), Jo Ann Brody (Jo Ann Eggenweiler), Steve Coit (l’inspecteur Farmer), Jack Knight (Mabel), Pepe Callahan (Pepe), Vince Palmieri (Vince), Pancho Cordoba (le médecin), Enrique Lucero (Jefe), Rutanya Alda (Margo Sweet) _ Sortie aux États-Unis 7 mars 1973 _ Sortie en France 29 novembre 1973

— Le Privé

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Sterling Hayden

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Surnommé « plus grand rebelle du cinéma suisse », Freddy Buache, disparu en mai dernier, fut l’un des pionniers de la cinéphilie dans son pays natal. Sauver les films, les montrer, en discuter. C’est ce qu’il aura fait sa vie durant au sein de ciné-clubs, puis en tant que directeur de la Cinémathèque suisse (1951-1996), ou codirecteur du Festival de Locarno (1967-1970). « Fiévreux, jaloux, bouillonnant, inspiré, truculent, brouillon, poétique, une aura de grand pionnier et de père fondateur l’éclaire, en version anarchisante, bien décidé à faire durer l’enfance jusqu’au bout de la vie. » (Jacques Mandelbaum, Le Monde, 4 juin 2019). Freddy Buache, homme de lettres, dirigea deux collections de livres aux éditions L’Âge d’Homme et écrivait des poèmes. Hommage à ce grand homme de la cinéphilie avec la projection de Lettre à Freddy Buache, réalisé par son ami du lac Léman, Jean-Luc Godard.

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— Lettre à Freddy Buache

Lettre à   Freddy Buache

1982

de Jean-Luc Godard

« Les commanditaires seront furieux, ils ont commandé un film sur et ça c’est un film de. Il n’arrive encore pas à la surface, il est encore au fond, au fond des choses. Le cinéma va mourir bientôt, très jeune, sans avoir donné tout ce qu’il aurait pu donner. Alors, il faut aller vite, au fond des choses. » Ainsi commence Lettre à Freddy Buache, court métrage commandé à Jean-Luc Godard par la ville de Lausanne, pour son 500e anniversaire. Du ciel à l’eau, des arbres à la pierre, du bleu au vert. Sur Le Boléro de Ravel, Jean-Luc Godard réfléchit et se promène dans ses pensées, comme dans les différents paysages de Lausanne. Questionnant le principe même de la commande qui va à l’encontre de la libre création artistique, Godard répond par une lettre filmée, adressée à son ami, directeur de la Cinémathèque suisse, Freddy Buache, disparu en mai 2019. Sur le fond, le cinéaste montre comment Lausanne a délaissé ses périphéries, perdant sa poésie, et affirme parallèlement, par la forme, la puissance du cinéma par le biais de son exploration permanente, ses mouvements de caméra, le traitement des couleurs et de la lumière. Appliquant une phrase de Lubitsch, « Si vous savez filmer des montagnes, filmer de l’eau et du vert, vous saurez filmer des hommes », Godard propose une nouvelle approche, presque sensitive, du cinéma, oscillant sur plusieurs plans, s’attardant sur le bleu du ciel, l’obscurité du vert dans les feuillages, puis filmant les hommes qui habitent une ville. Il souhaite « regarder les choses un peu scientifiquement. La ville c’est la fiction, ceux qui l’habitent sont souvent magnifiques. » Réinventant le cinéma, Godard ne cesse d’explorer son art et nous invite à le suivre avec cette pépite visuelle de onze minutes. « Après les lignes et la circulation de Sauve qui peut, Godard parle de la ville en termes de couches, de composition et de décomposition de couleurs. Aussi Lettre à Freddy Buache apparaît-il comme un prologue à Passion : après les mouvements et les sentiments, la couleur des sentiments ? » (Charles Tesson, Cahiers du cinéma n°333, mars 1982) Lettre à Freddy Buache France, 1982, 11min, couleurs _ Réalisation & scénario Jean-Luc Godard _ Photo Jean-Bernard Menoud _ Musique Maurice Ravel _ Montage Jean-Luc Godard _ Production Ville de Lausanne _ Sortie en France mai 1982

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Freddy Buache

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1968. La Nuit des morts-vivants est un choc. George A. Romero révolutionne l’horreur, délaissant les conventions du genre pour se rapprocher d’un réalisme certain. Sa trilogie Zombies (avec Zombie en 1978 et Le Jour des morts-vivants en 1985) prend prétexte de l’invasion des morts-vivants pour disséquer l’âme humaine. Étendards politiques pour les uns, analyses des comportements humains face au danger pour les autres, les films de Romero interpellent. Et font frissonner. Redécouverte en copies restaurées et sur grand écran de la trilogie du maître incontesté des zombies.

La Nuit des    morts-vivants

1968

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Night of The Living Dead de George A. Romero

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Barbara (Judith O’Dea) et son frère Johnny (Russell Streiner) se rendent sur la tombe de leur père. Soudain un homme étrange, à la démarche hagarde, agresse Johnny et le laisse pour mort. Terrorisée, Barbara se réfugie dans une maison, où sont reclus d’autres fugitifs… Un nuage de radiation a réveillé les morts qui décident de s’en prendre aux vivants. Voilà le point de départ du premier long métrage, devenu un film-culte, d’un jeune réalisateur de 28 ans. Tourné dans des conditions d’amateurisme (le film ne coûta que 114 000 dollars), en noir et

blanc (moins cher que la couleur), dans un décor unique, caméra à l’épaule (pour ne pas avoir à installer de travellings), La Nuit des morts-vivants pourrait être l’héritier du cinéma-vérité. Mais, évidemment, les zombies lui donnent toute sa dimension de "mètre-étalon" du film d’horreur. Romero abandonne le gothique des films d’épouvante d’alors (tels ceux des productions britanniques Hammer) pour se rapprocher d’un réalisme assuré, le noir & blanc et la caméra au poing renforçant l’aspect documentaire. Il refuse également toutes les conventions du genre : romance, héroïsme, happy end. L’invasion des zombies est surtout pour Romero un prétexte pour filmer un huis clos terrifiant où il dissèque le fond de l’âme humaine. Il analyse ses personnages plongés en pleine paranoïa (seuls les médias donnent à entendre le monde extérieur), tandis que les zombies, au second plan et loin de tout point de vue grandguignolesque, sont l’objet d’une observation presque clinique. Romero niera avoir réalisé une fable engagée. Pourtant, à l’heure où la guerre du Viêt-nam bat son plein et où les problèmes raciaux persistent, La Nuit des morts-vivants fait écho aux préoccupations politiques et sociales des États-Unis, « comme en témoigne le fait que son héros, l’acteur noir Duane Jones, soit abattu d’une balle en pleine tête, comme un vulgaire zombie, par les milices de vivants ratissant la campagne, tout à la joie de se faire des cartons. » (Jean-Pierre Andrevon, 100 ans et plus de cinéma fantastique et de science-fiction, Rouge profond) La Nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead) États-Unis, 1968, 1h36, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation George A. Romero _ Scénario George A. Romero, John A. Russo _ Photo George A. Romero _ Effets spéciaux Tony Pantanella, Regis Survinski _ Musique Scott Vladimir Licina _ Montage George A. Romero _ Production Karl Hardman, Russell Streiner, Image Ten, Laurel Group, Market Square Productions, Off Color Films _ Interprètes Duane Jones (Ben), Judith O’Dea (Barbara), Karl Hardman (Harry), Marilyn Eastman (Helen), Keith Wayne (Tom), Judith Ridley (Judy), Kyra Schon (Karen Cooper), Charles Craig (Newscaster), George Kosana (Sheriff McClelland), Frank Doak (un scientifique), Bill "Chilly Billy" Cardille (le journaliste), Russell Streiner (Johnny) _ Sortie aux États-Unis 1er octobre 1968 _ Sortie en France 21 janvier 1970

Zombie

1978

Dawn of The Dead de George A. Romero Partout, les morts sont revenus à la vie : les zombies s’attaquent aux vivants et le chaos règne. Francine (Gaylen Ross) travaille dans un studio de télévision. Avec son petit ami Stephen (David Emge), pilote d’hélicoptère pour la compagnie, et deux autres connaissances (Ken Foree, Scott H. Reiniger), ils décident de se retrancher dans un centre commercial…

— La Nuit des morts-vivants

« Quand il n’y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre pour se venger. » La prophétie vaudou se réalise ici, dix ans après la première incursion de Romero chez les morts-vivants. Pour cela, le cinéaste s’adjoint les services de Dario Argento, maître du giallo alors en pleine ascension (Les Frissons de l’angoisse en 1975, Suspiria en 1977). Le film plonge les spectateurs dans le gore, à grands renforts de morts violentes, décapitations en série, litres d’hémoglobine et autres tripes répandues. Zombie, sans doute le film le plus exalté de son auteur, sera d’ailleurs interdit en France pendant plus de quatre ans. Beaucoup voient dans le film un pamphlet sur la société de consommation, et dans ce mall le symbole de l’Amérique contemporaine, ultime refuge d’une société qui s’écroule. Les zombies investissent le centre commercial en reproduisant les gestes de leur vie d’avant : alors, qui sont les vrais zombies, les morts-vivants ou les consommateurs décérébrés ?

Pourtant, s’il traite le zombie avec sérieux, Romero n’en fait pas un étendard politique. Ce qui le passionne, ce sont les rapports humains, les relations conflictuelles des hommes face à l’adversité. Il ne fait d’ailleurs pas de distinction : ses protagonistes se protègent de la menace quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne, zombies, bikers ou policiers. Emmanuel Carrère, alors critique de cinéma, souligne avec humour la grande efficacité du film : « L’art de Romero […], parce qu’il mise sur notre exigence de sécurité, de stabilité, suscite le temps de la projection, une adhésion totale (si l’on assimile à une adhésion totale le fait d’éviter de laisser traîner son bras sur l’accoudoir, de peur de voir son voisin se jeter dessus et le dévorer goulûment). » (Positif n°218, mai 1979) La vague des films de morts-vivants est lancée. Beaucoup copié, George A. Romero s’impose ici comme le maître des zombies et comme un véritable auteur : « Les choix

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La trilogie Zombies de George A. Romero

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Zombie (Dawn of the Dead) États-Unis, 1978, 1h57, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation George A. Romero _ Scénario George A. Romero, avec la collaboration de Dario Argento _ Photo Michael Gornick _ Effets spéciaux & maquillage Tom Savini _ Musique Goblin, Dario Argento _ Montage George A. Romero (director’s cut et montage pour l’exploitation américaine), Dario Argento (montage pour l’exploitation européenne) _ Décors Josie Caruso, Barbara Lifsher _ Costumes Josie Caruso, Michele Martin, Brooks Van Horn _ Production Richard P. Rubinstein, Dawn Associates, Laurel Entertainment _ Interprètes David Emge (Stephen), Ken Foree (Peter), Scott H. Reiniger (Roger), Gaylen Ross (Francine), David Crawford (le docteur Foster), David Early (Mr. Berman), Richard France (le scientifique), Howard Smith (le commentateur télé), Daniel Dietrich (Givens), Fred Baker (le commandant), Jim Baffico (Wooley), Rod Stouffer (le jeune officier sur le toit), Jese Del Gre (le vieux prêtre) _ Avant-première à New York 19 avril 1979 _ Sortie aux États-Unis 24 mai 1979 _ Sortie en France 18 mai 1983

Le Jour des morts-vivants

1985

Day of The Dead de George A. Romero

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Les zombies ont pris le contrôle du pays. Seuls quelques îlots de résistance subsistent, comme ce camp installé dans un ancien silo à missiles. La base est commandée par Rhodes (Joseph Pilato), officier agressif et buté, qui chasse les zombies avec ses hommes. Le site héberge aussi des scientifiques, dont le docteur Logan (Richard Liberty), qui tentent d’étudier les morts-vivants : ils sont même parvenus à apprivoiser l’un deux, Bub (Sherman Howard). La tension monte entre les deux communautés de survivants…

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Troisième opus de la saga romérienne des zombies, Le Jour des morts-vivants reprend les motifs des autres volets : des zombies affamés, des humains reclus, des divisions internes. Ce qui a changé ? L’homme est minoritaire, la menace est bien supérieure en nombre (400 000 dévoreurs de chair fraîche pour un être vivant). S’approchant ainsi de la disparition du genre humain, de la fin de la civilisation, le film est encore plus sombre, empreint d’un réel fatalisme. Dans cette œuvre plus lente, davantage psychologique, Romero prend le temps d’explorer ses personnages. Le zombie n’a pas conscience d’une humanité ancienne et perdue, seul sa voracité le fait avancer. Toujours concentré sur les humains entre eux face au péril imminent, le cinéaste confronte deux camps : les scientifiques vs. les

militaires. Leurs méthodes s’opposent : essayer de trouver un remède à la contagion, quitte à jouer les apprentis sorciers avec des expériences mortifères ou tout détruire, violemment, sans faire de quartier. Inconscient, le dernier bastion humain se déchire, jusqu’à sa propre autodestruction. « Sans doute la manière dont il use de l’horreur montre le mieux ses qualités de metteur en scène. Lui qui a contribué à développer le genre "gore", bien qu’il s’appuie sur Tom Savini, l’un des maquilleurs et des "truqueurs" les plus réputés de ce domaine, ne sacrifie pas tout à l’étalage et à l’étripage. Le Jour des morts-vivants abonde en effets d’horreur – c’est sa raison d’être – mais il les présente dans une narration, à des moments justifiés. Et […] ils sont souvent source d’humour en même temps que de répulsion. Et Romero est capable de créer autrement l’émotion, à l’inverse de la plupart de ses imitateurs : en faisant, par exemple, découvrir au spectateur, et au personnage, une foule de créatures en décomposition, selon un angle qui en accuse la présence. En définitive, nous aimons en Romero le caractère inventif d’un style dans la tradition classique, à l’intérieur du cadre étroit qui est le sien. » (Alain Garsault, Positif n° 312, février 1987) Le Jour des morts-vivants (Day of the Dead) États-Unis, 1985, 1h42, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation & scénario George A. Romero _ Photo Michael Gornick _ Effets spéciaux & maquillage Tom Savini _ Musique John Harrison _ Montage Pasquale Buba _ Décors Cletus Anderson _ Costumes Barbara Anderson _ Production Richard P. Rubinstein, David Ball, Laurel Entertainment, Dead Films _ Interprètes Lori Cardille (Sarah), Terry Alexander (John), Joseph Pilato (le capitaine Rhodes), Richard Liberty (le docteur Logan), Sherman Howard (Bub), Jarlath Conroy (McDermott), Anthony DiLeo Jr. (Miguel), Gary Howard Klar (Steel), Ralph Marrero (Rickles), John Amplas (Fisher), Philip G. Kellams (Miller), Taso N. Stavrakis (Torrez), Gregory Nicotero (Johnson), George A. Romero (le zombie à l’écharpe) _ Sortie aux États-Unis 3 juillet 1985 _ Sortie en France 10 décembre 1986

Mini-nuit Gaspar Noé Habitué du festival Lumière, Gaspar Noé présente, lors d’une nuit, trois de ses films : Irréversible, choc du Festival de Cannes 2002, Irréversible – Inversion intégrale, la version 2019 au montage chronologique, et Lux Æterna, nouvel objet filmique, brut et expérimental, signé d’un cinéaste sans compromis.

Irréversible Irréversible – Inversion intégrale de Gaspar Noé

2002

2019

Deux hommes, Marcus (Vincent Cassel) et Pierre (Albert Dupontel), sont embarqués par la police devant une boîte gay. Quelques minutes plus tôt, ils y cherchaient un homme, interrogeant avec violence les clubbers. Pendant la nuit, Alex (Monica Bellucci), la compagne de Marcus, a été violée par un certain Le Ténia (Jo Prestia). Gaspar Noé grandit entre Buenos Aires, New York et la France. Après des études de cinéma à l’école LouisLumière, il tourne un moyen métrage, Carne, qui met en scène un boucher sinistre et sa fille autiste. En 1998, Noé renoue avec son inquiétant personnage et livre Seul contre tous, un premier film vindicatif et furieux, qui remporte le Prix de la Semaine de la Critique à Cannes, et de nombreux prix en festivals. Quatre ans plus tard, bloqué dans son projet Soudain le vide (futur Enter the Void), il propose au couple Bellucci / Cassel de tourner un film pornographique « pour montrer le sexe de manière naturelle ». Le couple refuse – le film, Love, se fera plus tard, sans eux. Mais les comédiens acceptent un projet encore en gestation qui deviendra l’expérience Irréversible.

L’histoire de cette soirée de descente aux enfers est racontée par tranches, à l’envers : la vengeance, la traque, le viol, la soirée, la vie, la scène d’amour. Les conséquences avant les causes. Afin d’immerger le spectateur dans son récit, Gaspar Noé privilégie les longs plans séquences, parfois en plan fixe (le viol), parfois au plus près des protagonistes, avec une caméra qui virevolte (le night-club). « Dans Irréversible, […] les gens sont des animaux qui se contrôlent pour survivre en milieu civilisé. » (Gaspar Noé, Les Inrockuptibles, 15 mai 2002). La scène de viol de dix minutes a fait couler beaucoup d’encre, avant même la projection du film. La séquence est éprouvante, inconfortable, l’épreuve est physiquement redoutable, Gaspar Noé ne laissant jamais respirer son spectateur. Le propos du cinéaste, réputé provocateur, force à s’interroger. Exposer ainsi la violence, est-ce de sa part une satisfaction sadique ? Mais dans quel but ? Il est certain que le bon goût et la norme lui importent peu. Pendant la projection cannoise, des spectateurs, pris de malaise, sont évacués. Ceux qui ont résisté ovationnent l’équipe. Irréversible divise violemment le public comme la critique, tous choqués par cet objet déroutant. « Irréversible est sans conteste, par sa forme et sa mise en scène, une des plus singulières propositions de cinéma de ces dernières années, un choc sensoriel et émotif difficile à oublier et qu’il serait injuste de circonscrire à un étalage de provoc’ immature. » (Olivier Père, Les Inrockuptibles, 15 mai 2002) En 2019, Gaspar Noé rétablit la chronologie de la narration. Le nouveau montage s’intitule Irréversible – Inversion intégrale. Aucun dialogue ou élément de l’histoire n’a été coupé. Ainsi de l’histoire d’une vengeance après un viol insoutenable, on passe à celle d’un couple qui bascule dans l’horreur. Le cinéaste explique les raisons de cette seconde version : « Parce que l’original a été raconté à l’envers et que de nombreux téléspectateurs, submergés par la structure anti-horaire du montage, n’ont pas compris certains aspects de l’histoire. Présenté dans le sens des aiguilles d’une montre, tout est clair et aussi plus sombre. […] Jusqu’à présent, Irréversible était un puzzle intentionnel. Maintenant c’est un diptyque, comme un vieux disque dont la face B est le mix le moins conceptuel de la face A, mais cette fois avec des voix plus audibles, rendant le sens des mots plus fataliste. » Irréversible France, 2002, 1h39, couleurs, format 2.35 _ Réalisation & scénario Gaspar Noé _ Photo Benoît Debie, Gaspar Noé _ Effets spéciaux Rodolphe Chabrier _ Musique Thomas Bangalter, Ludwig van Beethoven, Gustav Mahler, Étienne Daho… _ Montage Gaspar Noé _ Décors Alain Juteau _ Costumes Laure Culkovic _ Production Christophe Rossignon, Gaspar Noé, Vincent Cassel, Brahim Chioua, Richard Grandpierre, Eskwad, Nord-Ouest Productions, Les Cinémas de la Zone, 120 Films, StudioCanal _ Interprètes Monica Bellucci (Alex), Vincent Cassel (Marcus), Albert Dupontel (Pierre), Jo Prestia (le Ténia), Philippe Nahon (l’ex-boucher), Stéphane Drouot (Stéphane), Jean-Louis Costes (Maso), Isabelle Giami (Isabelle), Mourad Khima (Mourad), Michel Gondoin (Mick) _ Présentation au Festival de Cannes 23 mai 2002 _ Sortie en France 24 mai 2002

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esthétiques du réalisateur n’ont jamais été aussi pertinents. D’un réalisme extrême – la lumière crue et l’image brute aidant – dans une surenchère d’effets gores hypnotiques, mené à un train d’enfer et impeccablement mis en scène, Zombie ressemble à son pire cauchemar. » (Jérôme Fabre, Jeune Cinéma n°298/299, automne 2005)

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Irréversible – Inversion intégrale France, 2019, 1h26, couleurs, format 2.35 _ Réalisation & scénario Gaspar Noé _ Montage Gaspar Noé, Marc Boucrot _ Production Alain Juteau, StudioCanal, Les Cinémas de la Zone, 120 Films _ Présentation à la Mostra de Venise 31 août 2019

Lux Æterna de Gaspar Noé

2019

Lux Æterna France, 2019, 50min, couleurs _ Réalisation & scénario Gaspar Noé _ Photo Benoît Debie _ Montage Jérôme Pesnel _ Décors Samantha Benne _ Production Gary Farkas, Clément Lepoutre, Olivier Muller, Vixens _ Interprètes Charlotte Gainsbourg (Charlotte), Béatrice Dalle (Béatrice), Mica Arganaraz (Mica), Yannick Bono (Yannick), Loup Brankovic (Loup), Stefania Cristian (Stefania), Clara Deshayes (Clara 3000), Claude-Emmanuelle Gajan-Maull (Claude-Emmanuelle), Karl Glusman (Karl), Paul Hameline (Paul), Luka Isaac (Luka), Tom Kan (Tom), Abbey Lee (Abbey), Félix Maritaud (Félix), Lola Perier (Lola) _ Présentation au Festival de Cannes 18 mai 2019

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Lux Æterna

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Présenté en séance de minuit au dernier Festival de Cannes, Lux Æterna est le nouveau choc visuel signé Gaspar Noé. Lorsqu’Anthony   Vaccarello, directeur artistique de la maison Saint Laurent, propose au cinéaste de le soutenir s’il lui présente une idée de court métrage, Gaspar Noé fonce et saisit la carte blanche qui lui est offerte. Financé sans qu’un scénario détaillé soit présenté, filmé en quelques jours, Lux Æterna est selon son auteur « un modeste essai sur les croyances et l’art de faire des films ». Un tournage se passe mal et, sur le plateau, le chaos règne. Entre la cinéaste et son producteur, les relations sont difficiles. Tous parlent, commentent, intriguent. L’atmosphère est survoltée. Gaspar Noé expérimente, sur la forme (split screen, cartons en lettres capitales et aux couleurs agressives, flashs) et sur le son. Et, comme à son habitude, il attise la curiosité. Moyen métrage de moins d’une heure, Lux Æterna est un essai visuel sur le cinéma, la cinéphilie et l’hystérie des plateaux. La caméra, via le split screen, s’insinue partout, montre toutes les bassesses. Le cinéaste en appelle aux réalisateurs qui se sont interrogés sur la mise en scène, le travail du comédien, la violence et l’angoisse des tournages. Apparaissent alors à l’écran des panneaux-citations : Fassbinder, Dreyer, Pasolini, Buñuel, Godard sont convoqués. Dans cette mise en abyme, les comédiennes Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg improvisent et transfusent leur expérience personnelle dans le récit. Dans cette œuvre mystérieuse, Gaspar Noé met en jeu également les croyances, le blasphème, les rapports de genre. « Film sur la folie, ou du moins sur l’épilepsie comme accession à la beauté, Lux Æterna n’est pas un film facile, mais il laisse, comme la permanence rétinienne, des traces indélébiles dans nos souvenirs. » (Jean-Max Méjean, Jeune Cinéma n°395, été 2019)

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Une pause sur un tournage. Deux femmes discutent de leurs expériences. Béatrice (Béatrice Dalle) est réalisatrice, Charlotte (Charlotte Gainsbourg) est comédienne. À la demande de la première, elle doit interpréter une femme brûlée vive pour sorcellerie. Juste une discussion, avant de retourner sur un plateau électrique.

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Remise du Prix Raymond Chirat 2019 Raymond Chirat, décédé en 2016, a été l’un des plus précieux et des plus inspirants parmi les compagnons de route de l’Institut Lumière. Historien encyclopédiste du cinéma français, écrivain savoureux, il a fondé la Bibliothèque qui porte son nom au sein de l’Institut. Depuis 2011, le Prix Raymond Chirat récompense une personnalité œuvrant à la préservation et à la transmission de la mémoire du cinéma. Cette année, le festival remet le prix à Carlotta, distributeur de films de patrimoine et éditeur vidéo.

Les Fleurs de Shanghai

1998

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Hai shang hua de Hou Hsiao-hsien

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À la fin du XIXe siècle, dans la concession britannique de Shanghai. Plusieurs "maisons des fleurs", réservées à l’élite masculine, forment un monde clos, où l’on vient autant pour dîner, fumer de l’opium, jouer au mah-jong et se distraire que pour rencontrer des courtisanes. Les femmes qui y travaillent sont appelées « les fleurs de Shanghai ». Wang (Tony Leung Chiu-Wai), un haut fonctionnaire, est le client officiel de la sublime (et dépensière) Rubis (Michiko Hada). Dans une autre maison, il fréquente aussi Jasmin (Wei Hsiao-Hui )… Pour adapter le roman Les Fleurs de Shanghai de Han Ziyun (1893), Hou Hsiao-hsien fait appel à Chu Tienwen, sa scénariste attitrée depuis 1983 et Les Garçons de

Fengkuei, avec qui il réécrira le scénario une dizaine de fois. Afin de simplifier la narration, ils réduisent les cent personnages du roman aux habitués et aux courtisanes de trois maisons closes. Ils gardent cependant l’essentiel : le récit d’une vie vécue à travers les points de vue de plusieurs personnages, qui, mis bout à bout, offrent un panorama d’ensemble, appuyé sur des détails quasi-documentaires, représentés avec une grande précision. Alors que les maisons de prostitution sont interdites à la fin du XIXe siècle, ces "maisons des fleurs", situées dans des concessions étrangères, fleurissent et les personnages puissants y sont reçus par des femmes respectueuses d’un code très strict. Hou Hsiao-hsien filme les règles sociales de ces maisons et décrit un monde hermétique, plus rigide encore que celui de l’extérieur. Wang est prisonnier de ce monde, où la nécessité de représentation dicte les comportements. Tourné entièrement en studio dans des décors et des costumes somptueux, Les Fleurs de Shanghai est un film superbe. Les frémissements de l’âme se laissent entendre, si l’on y prête attention. « Les véritables sentiments se jouent en deçà de l’action anecdotique, à l’intérieur d’un sous-texte qui se dissimule dans l’opacité même du temps. D’où l’usage virtuose du plan-séquence et de la profondeur de champ, mais dans un tout autre esprit que Welles tel que le célébrait Bazin : si le cinéaste refuse la fragmentation du découpage, c’est pour instaurer une fragmentation plus subtile, où la multitude de signes délivrés à l’intérieur du plan constitue une fin en soi – qu’il appartient au spectateur de guetter, et au critique de déchiffrer. » (Yann Tobin, Positif n° 453, novembre 1998) Les Fleurs de Shanghai (Hai shang hua) Taiwan, Japon, 1998, 1h54, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Hou Hsiao-hsien _ Scénario Chu Tien-wen, Eileen Chang, d’après le roman éponyme de Han Ziyun _ Photo Lee PingBin _ Musique Yoshihiro Hanno _ Montage Liao Ching-Song _ Décors Hwarng Wern-Ying _ Costumes Sung Ming-Huei _ Production Yang TengKuei, Shozo Ichiyama, 3H Productions, Shochiku _ Interprètes Tony Leung Chiu-Wai (Wang), Michiko Hada (Rubis), Lee Yu-Ming (Azhu), Carina Lau Ka-Ling (Perle), Luo Tsai-Erh (Hong), Fang Hsuan (Jade), Lin Yu-Han (Trésor), Simon Chang (Zhu Shuren), Michelle Monique Reis (Émeraude), Rebecca Pan Wan-Ching (Mme Huang), Jack Kao (Luo), Annie Shizuka Inoh (Bouton d’or), Wei Hsiao-Hui (Jasmin), Hsu Ming (Tao), Lee YuHang (Tang), Chiang Wei-Kuo (Zhu Airen), Tony Chang Ruei-Che (l’acteur de l’Opéra de Pékin) _ Présentation au Festival de Cannes 20 mai 1998 _ Présentation au Taipei Film Festival 1er octobre 1998 _ Sortie en France 18 novembre 1998

Invités d'honneur


Frances McDormand

McDormand, qui obtiendra l’Oscar du meilleur premier rôle féminin. « Ils ont peint dans ce film un superbe paysage d’une blancheur uniforme, où le ciel et la terre se confondent, et y ont répandu des flots de sang. Fargo c’est le Minnesota de Joel et Ethan… » (Frances McDormand) Dans ce monde givré, les personnages sont propulsés dans des situations imprévues, au cœur d’une nature glaciale et cruelle, où la violence est aléatoire. « Dans Fargo, nous voulions dédramatiser la violence en montrant son côté arbitraire… elle peut surgir et disparaître de façon totalement imprévisible. » (Joel Coen, Cahiers du cinéma, n°505, septembre 1996) Opposant la stupidité de Jerry, aussi vide que les paysages qui l’entourent, à l’intelligence froide de Marge, inoubliable femme enceinte en parka, les cinéastes détournent les codes du genre noir et proposent un film tout en retenue, oscillant entre absurdité et justesse, horreur et beauté. Un condensé du cinéma des frères Coen. « C’est un commentaire hyperréaliste, à l’humour grinçant, sur tout ce qu’ils ont vécu dans ce coin : les hivers rigoureux, l’influence de la culture scandinave, la banalité apparente d’un style de vie qui explose soudain dans la violence. » (Frances McDormand)

Fargo

1996

de Joel & Ethan Coen

Lumière 2019 — Invités d’honneur

— Fargo

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Minneapolis, hiver 1987. Jerry Lundegaard (William H. Macy), vendeur de voitures endetté, fait appel à deux petits malfrats, Showalter (Steve Buscemi) et Grimsrud (Peter Stormare), pour qu’ils enlèvent sa femme. Il espère naïvement récolter la rançon d’un million de dollars que son cupide et richissime beau-père, Wade, ne manquera pas de verser. Mais le plan capote par la faute des deux ravisseurs, qui abattent un policier soupçonneux et deux témoins gênants. L’enquête est confiée au chef de la police Marge Gunderson (Frances McDormand), enceinte, dont c’est la première affaire criminelle. Récompensé à de nombreuses reprises, Oscar du scénario original et Prix de la mise en scène au Festival de Cannes, Fargo est un titre-phare dans l’œuvre des frères Coen. Pour leur sixième film, écrit et réalisé en duo, les cinéastes s’inspirent d’un fait divers criminel qui s’est déroulé dans le Minnesota à la fin des années 80. Originaires de cette région, ils filment des lieux qu’ils connaissent (Ethan a été plongeur à l’Embers Restaurant), dans un pays qui les a construits et où leur imaginaire s’est constitué. Ils bâtissent des personnages sur mesure pour leurs acteurs favoris, Steve Buscemi, ou l’épouse de Joel, Frances

Fargo États-Unis, Royaume-Uni, 1996, 1h38, couleurs, format 1.85 _ Réalisation & scénario Joel et Ethan Coen _ Photo Roger Deakins _ Musique Carter Burwell _ Montage Joel et Ethan Coen _ Décors Rick Heinrichs _ Costumes Mary Zophres _ Production Joel et Ethan Coen, PolyGram Filmed Entertainment, Working Title Films _ Interprètes Frances McDormand (Marge Gunderson), William H. Macy (Jerry Lundegaard), Steve Buscemi (Carl Showalter), Harve Presnell (Wade Gustafson), Peter Stormare (Gaear Grimsrud), Kristin Rudrüd (Jean Lundegaard), Tony Denman (Scotty Lundegaard), Sally Wingert (sa femme), Kurt Schweickhardt (le vendeur de voiture), Larissa Kokernot, Melissa Peterman (des prostituées), Steve Reevis (Shep Proudfoot), Warren Keith (Reilly Diefenbach) _ Sortie aux États-Unis 5 avril 1996 _ Présentation au Festival de Cannes 14 mai 1996 _ Sortie en France 4 septembre 1996

Presque célèbre

2000

Almost Famous de Cameron Crowe

1973. William (Patrick Fugit) a 15 ans et une seule passion : le rock. Lorsque le magazine Rolling Stone lui confie un reportage sur le groupe du moment, Stillwater, c’est pour l’aspirant journaliste la chance de sa vie. Malgré les objections de sa mère (Frances McDormand), il accompagne la tournée et rencontre le charismatique guitariste Russell Hammond (Billy Crudup) et le chanteur Jeff Bebe (Jason Lee). Avec la complicité d’une séduisante groupie, Penny Lane (Kate Hudson), il se fait accepter dans le cercle des intimes du groupe.

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Figure insolite du cinéma américain indépendant, Oscar de la meilleure actrice pour Fargo des frères Cœn et 3 Billboards : les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh, Frances McDormand est une actrice à la carrière non-conformiste, avec des rôles marqués par une présence magnétique et féroce. Retour sur un parcours original et exigeant.

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Presque célèbre (Almost Famous) États-Unis, 2000, 2h02, couleurs, format 1.85 _ Réalisation & scénario Cameron Crowe _ Photo John Toll _ Direction artistique Clay A. Griffith, Clayton Hartley, Virginia Randolph-Weaver _ Musique Nancy Wilson ; David Bowie, The Who, The Stooges, Black Sabbath, The Beach Boys, Joni Mitchell, Led Zeppelin, Neil Young… _ Montage Joe Hutshing, Saar Klein _ Costumes Betsy Heimann _ Production Ian Bryce, Cameron Crowe, Lisa Stewart, Columbia Pictures, DreamWorks, Vinyl Films _ Interprètes Billy Crudup (Russell Hammond), Frances McDormand (Elaine Miller), Kate Hudson (Penny Lane), Jason Lee (Jeff Bebe), Patrick Fugit (William Miller), Zooey Deschanel (Anita Miller), Noah Taylor (Dick Roswell), John Fedevich (Ed Vallencourt), Mark Kozelek (Larry Fellows), Fairuza Balk (Sapphire), Anna Paquin (Polexia Aphrodisis), Philip Seymour Hoffman (Lester Bangs), Olivia Rosewood (Beth de Denver), Jimmy Fallon (Dennis Hope) _ Présentation au Festival de Toronto 8 septembre 2000 _ Sortie aux États-Unis 22 septembre 2000 _ Sortie en France 21 mars 2001

Olive Kitteridge

2014

de Lisa Cholodenko

Crosby, petite ville (fictive) de l’État du Maine. Olive Kitteridge (Frances McDormand), professeur de mathématiques, peut se montrer despotique et acariâtre. Dotée d’un sens de l’humour grinçant, elle n’est pourtant pas sans compassion, mais en fait un usage très strict. À travers ses yeux, les destins de ses amis et de sa famille composent un panorama parfois tragique. Entre sa relation conflictuelle avec son mari pharmacien, Henri (Richard Jenkins) et leur fils Christophe (John Gallagher Jr.), l’adultère dans son entourage ou le suicide d’un habitant, Olive regarde les gens changer. Produit par HBO, à l’origine des fameuses séries The Wire, Six Feet Under ou True Detective, Olive Kitteridge est une mini-série de quatre épisodes, avec pour producteurs exécutifs Frances McDormand et Tom Hanks. La série est l’adaptation du roman éponyme d’Elizabeth Strout, récompensé en 2009 par le prestigieux prix Pulitzer. L’auteure raconte l’histoire d’une femme au premier abord peu aimable, mais finalement très attachante, que l’on voit évoluer sur une période de vingt-cinq ans. La série est à l’image de ce roman polyphonique et déroule une large fresque au sein d’une petite communauté de la côte Est des États-Unis : la cinéaste Lisa Cholodenko (qui a déjà fait tourner Frances McDormand dans Laurel Canyon en 2002) a fait le choix de la série, mais Olive Kitteridge aurait tout autant pu être un film de quatre heures. L’ouverture donne le ton, montrant Olive, âgée, à genoux dans la forêt, prête à se tirer une balle dans la tête. À travers des flashbacks, on la découvre, revêche professeur de mathématiques, mère de famille acariâtre, composant avec un époux résigné et débordant d’altruisme. Le temps passe, les masques s’étiolent. Malgré la gravité des sujets abordés, tels que le vieillissement et l’usure d’un mariage, l’humour surgit au détour du jeu des acteurs. Sur une musique de Carter Burwell, le compositeur attitré des frères Coen, et avec des comédiens comme Frances McDormand, Richard Jenkins et Bill Murray, la série, parfaite adaptation du roman, oscille entre humour noir et réflexion sur le temps. « Elizabeth Strout signe, avec Olive Kitteridge, un superbe roman sur la complexité des relations humaines et sur la difficulté de vivre, quand on est une femme exceptionnelle. Un bijou de psychologie et de délicatesse, comme si Virginia Woolf s’était penchée sur l’épaule de l’auteure. » (André Clavel, L’Express, novembre 2010) Olive Kitteridge États-Unis, 2014, 3h50, couleurs, format 1.78 _ Réalisation Lisa Cholodenko _ Scénario Jane Anderson, Elizabeth Strout d’après son roman éponyme _ Photo Frederick Elmes _ Musique Carter Burwell _ Montage Jeffrey M. Werner _ Décors Julie Berghoff _ Costumes

— Olive Kitteridge

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Lumière 2019 — Invités d’honneur

« La leçon à retenir, c’est que la musique doit être chérie autant que les souvenirs. » (Cameron Crowe) Réalisateur, scénariste et producteur de Presque célèbre, Cameron Crowe met ici en scène une histoire très largement inspirée de son parcours personnel. Comme William, il fait ses débuts de journaliste très jeune : il intègre la rédaction de Rolling Stone alors qu’il n’a que 16 ans. Pendant cette période qui le marque à jamais, Cameron Crowe réalise plus d’une centaine d’interviews auprès des plus grandes stars du rock. Fin « observateur » comme il aime à se qualifier, le cinéaste écrit un scénario (qui sera récompensé par un Oscar) pour raconter les plus belles années de sa vie. William Miller, jeune adolescent plein d’enthousiasme, découvre lors de son premier voyage loin de chez lui, la vie en communauté et son premier amour. À travers cette expérience qui relève du voyage initiatique, Crowe raconte cet âge où tout semble possible. « Il s’agit pour William de trouver sa place dans le monde… » (Cameron Crowe) Le cinéaste s’entoure d’acteurs remarquables comme Philip Seymour Hoffman, Frances McDormand – mais aussi le présentateur star Jimmy Fallon. La comédienne incarne une mère ferme, à l’image de celle du cinéaste. « Je suis heureux et fier d’avoir eu une actrice du calibre de Frances, parce qu’en un sens, ce film est aussi un hommage à ma propre mère. » Presque célèbre accorde évidemment une place fondamentale à la musique, de Led Zeppelin à David Bowie, hommage du cinéaste à ceux qu’il a admirés, toujours essentiels à sa vie. « La musique est la véritable inspiratrice de ce film. On y parle de ce sentiment que l’on éprouve lorsque l’on vient de découvrir une chanson et qu’on l'écoute dix fois de suite… […] En déclarant aussi ouvertement que j’aime tant la musique, il me fallait montrer pourquoi je l’aime tellement, et l’objectif a donc été de lui écrire une lettre d’amour… » (Cameron Crowe)

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3 Billboards : Les Panneaux de la vengeance

2017

Three Billboards Outside Ebbing, Missouri de Martin McDonagh

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Le temps semble s’être arrêté à Ebbing, petite ville du Missouri. Mildred Hayes (Frances McDormand) s’y désespère de voir l’enquête sur le meurtre de sa fille au point mort depuis plusieurs mois. Elle décide d’interpeller Willoughby (Woody Harrelson), le chef de la police locale, via un message qu’elle diffuse sur trois grands panneaux publicitaires à la sortie de la ville. Sa décision va bouleverser la vie de la tranquille communauté…

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— 3 Billboards : Les Panneaux de la vengeance

Cinéaste et dramaturge de renommée internationale, le Britannique Martin McDonagh réalise ici son troisième long métrage, après Bons baisers de Bruges en 2008, un premier film remarqué, et 7 Psychopaths (2012). C’est lors d’un voyage en bus aux États-Unis, à la fin des années 90, que le réalisateur découvre, à l’entrée d’une ville, des panneaux publicitaires accusant la police. Dix ans plus tard, il s’en inspire pour un scénario racontant la colère d’une mère. Prenant son temps entre chaque film et s’éloignant de la bulle d’Hollywood, Martin McDonagh, en homme de théâtre, aime s’entourer d’une troupe régulière. Il retrouve ici Woody Harrelson et Sam Rockwell, avec lesquels il a déjà travaillé. Et il offre à ce dernier et à Frances McDormand cette histoire de vengeance, où s’opposent le regard d’acier de l’actrice et la bêtise de Dixon – les deux comédiens seront récompensés par un Oscar. Elle campe le personnage de Mildred, une mère rongée par la douleur qui se laisse envahir par la colère. Chaque matin, elle revêt sa tenue de combat, avec un bandeau, clin d’œil à celui de Christopher Walken dans Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino. La bataille s’annonce rude et difficile. Maître dans l’art de passer du comique au tragique, le cinéaste souhaite surtout montrer la complexité et l’authenticité de ses personnages : pour lui, les victimes d’in-

justice sont des auteurs d’injustice en puissance. Rien n’est jamais tout à fait blanc, ni tout à fait noir : outre la musique de Carter Burwell, c’est là un point commun avec Fargo des frères Coen. « McDonagh conjugue pour nous les plaisirs de la familiarité et de la surprise, de l’intelligence et de l’émotion, de l’humour et de la gravité, de la beauté plastique et de l’existence du propos. Voilà un film novateur, audacieux et c’est déjà un classique. » (Yann Tobin, Positif n°683, janvier 2018) 3 Billboards : Les Panneaux de la vengeance (Three Billboards Outside Ebbing, Missouri) États-Unis, Royaume-Uni, 2017, 1h55, couleurs, format 2.35 _ Réalisation & scénario Martin McDonagh _ Photo Ben Davis _ Musique Carter Burwell _ Montage Jon Gregory _ Décors Inbal Weinberg _ Costumes Melissa Toth _ Production Martin McDonagh, Graham Broadbent, Peter Czernin, Ben Knight, Blueprint Pictures, Film 4, Fox Searchlight Pictures _ Interprètes Frances McDormand (Mildred), Caleb Landry Jones (Red Welby), Kerry Condon (Pamela), Sam Rockwell (Dixon), Alejandro Barrios, Jason Redford (des Latinos), Darrell Britt-Gibson (Jerome), Woody Harrelson (Willoughby), Abbie Cornish (Anne), Riya May Atwood (Polly), Selah Atwood (Jane), Lucas Hedges (Robbie), Zeljko Ivanek (le sergent à l’accueil), Amanda Warren (Denise), Malaya Rivera Drew (Gabriella), Sandy Martin (Mama Dixon), Peter Dinklage (James) _ Présentation à la Mostra de Venise 4 septembre 2017 _ Sortie aux États-Unis 1er décembre 2017 _ Sortie au Royaume-Uni 12 janvier 2018 _ Sortie en France 17 janvier 2018

Également au programme Mississippi Burning d'Alan Parker (p.216)

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Jenny Eagan _ Production David Coatsworth, Home Box Office, Playtone Productions _ Interprètes Frances McDormand (Olive Kitteridge), Richard Jenkins (Henry Kitteridge), John Gallagher Jr. (Christopher Kitteridge), Ken Cheeseman (Harmon Newton), Ann Dowd (Bonnie Newton), Martha Wainwright (Angela O’Meara), Adam J. Freeman (Doyle Larkin), Donna Mitchell (Louise Larkin), Serah Rose Roth (Mrs. Manhattan), Sean Vincent (Manhattan Child), Patrick French (Mr. Manhattan), JoJo Whilden (Aid Rite Passerby), Calder Melvoin (Stan the Man), Bill Murray (Jack Kennison) _ Présentation à la Mostra de Venise 1er septembre 2014 _ Sortie aux États-Unis 2 novembre 2014

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Daniel Auteuil Acteur incontournable du cinéma français, Daniel Auteuil poursuit une carrière-fleuve, marquée par une multitude de prix et de grands succès populaires. Également réalisateur (avec ses adaptations de Marcel Pagnol) et homme de théâtre, il reviendra sur sa riche expérience et offrira à Lumière 2019 une lecture inédite.

certaines scènes originales. Ainsi, la mère – absente de l’œuvre initiale – se rend à l’anniversaire de Patricia sur une chanson populaire de Caruso, que chantait la mère de Daniel Auteuil. L’œuvre lui est familière depuis l’enfance : « Je suis provençal. Revenir à Pagnol, c’est comme si j’étais un musicien qui reprend un air connu après l’avoir entendu toute son enfance. » Après avoir endossé des personnages froids, comme ceux de Claude Sautet dans Quelques jours avec moi et Un cœur en hiver, Daniel Auteuil a, « comme un besoin irrépressible », l’ambition d’un premier film « beaucoup plus solaire ». « Le film de Daniel Auteuil est fidèle à Pagnol, à son émotion, à son humour, à son sens de l’honneur et de la dignité. On y retrouve, grâce aux images de Jean-François Robin, provençales, presqu’impressionnistes, à la musique d’Alexandre Desplat, le souffle et la tendresse de Pagnol. » (Patrice Duhamel, Le Film français, avril 2011). La Fille du puisatier France, 2011, 1h49, couleurs, format 1.85 _ Réalisation & scénario Daniel Auteuil, d’après le film éponyme de Marcel Pagnol _ Photo Jean-François Robin _ Musique Alexandre Desplat _ Montage Joëlle Hache _ Décors Bernard Vézat, Jean-Marc Pacaud _ Costumes Pierre-Yves Gayraud, Karine Charpentier _ Production Alain

La Fille du puisatier

2011

de Daniel Auteuil

Lumière 2019 — Invités d’honneur

En Provence, à la veille de la guerre. Alors qu’elle apporte le déjeuner à son père, le puisatier Pascal Amoretti (Daniel Auteuil), Patricia (Astrid Bergès-Frisbey) rencontre Jacques Mazel (Nicolas Duvauchelle), fils de riches commerçants et pilote de chasse. Ils tombent amoureux. Mais peu de temps après, Jacques est envoyé au front, tandis que Patricia attend un enfant. Les parents de Jacques soupçonnent un chantage et refusent d’aider la jeune fille. C’est son père, après l’avoir d’abord reniée, qui accueillera l’enfant avec joie.

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Vingt-cinq ans après le diptyque de Claude Berri, Manon des sources et Jean de Florette, qui lui a valu le César du meilleur acteur en 1987 pour son rôle d’Ugolin, Daniel Auteuil se lance dans la réalisation avec le remake d’un des films les plus célèbres de Marcel Pagnol. Portant, depuis sa collaboration avec Berri, le désir secret de mettre en scène une œuvre de Pagnol, le futur réalisateur désire se sentir « protégé par un auteur. » Et lorsque Jacqueline Pagnol, la veuve du romancier-cinéaste, lui cède les droits de La Fille du puisatier, Daniel Auteuil respecte scrupuleusement le film tourné en 1940, pendant l’invasion allemande. Suivant un découpage presque similaire, Daniel Auteuil écrit en se basant sur les notes de Pagnol après la sortie de son film en insérant cependant

Acteur

Un cœur en hiver

1992

de Claude Sautet

Stéphane (Daniel Auteuil) et Maxime (André Dussollier), amis depuis toujours, travaillent ensemble dans l’atelier de lutherie de Maxime. Si ce dernier est un homme accompli, volubile et avenant, Stéphane est introverti, totalement captif de son métier. Maxime annonce à Stéphane qu’il est tombé amoureux d’une cliente, Camille (Emmanuelle Béart) et qu’ils vont s’installer ensemble. Mais la jeune violoniste est intriguée par le comportement de Stéphane, qui se met à assister à ses enregistrements, tout en restant avec elle distant et d’une froideur troublante. « Peu de gens seraient amoureux si on ne leur avait jamais parlé d’amour. » Pour Claude Sautet, cette maxime de La Rochefoucauld pourrait être celle de Stéphane, héros

— La Fille du puisatier Lumière 2019 — Invités d’honneur

Réalisateur

Sarde, Jérôme Seydoux, Pathé Productions, A.S. Films - Alain Sarde Films, Zack Films, TF1 Films Production _ Interprètes Daniel Auteuil (Pascal Amoretti, le puisatier), Kad Merad (Félipe), Sabine Azéma (Mme Mazel), Jean-Pierre Darroussin (M. Mazel), Nicolas Duvauchelle (Jacques), Astrid Bergès-Frisbey (Patricia), Émilie Cazenave (Amanda), MarieAnne Chazel (Nathalie), Coline Bosso (Isabelle), Chloé Malarde (Marie), Brune Coustellier (Léonore), Ilona Porte (Roberte), Jean-Louis Barcelona (le commis), Patrick Bosso (le garçon), François-Éric Gendron (le capitaine), Michèle Granier (Mélanie, la bonne), Gérard Montel (l’homme de la terrasse), Zachary Auteuil (Amoretti, le bébé) _ Sortie en France 22 avril 2011

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Dans ce film en demi-teintes, la direction d’acteurs de Sautet est à son sommet. Daniel Auteuil, à qui le cinéaste avait ouvert la voie des rôles dramatiques, réussit, avec une parfaite sobriété, le subtil mélange entre froideur apparente et sensualité contenue. « Si l’on peut parler de "magie invisible", c’est bien à propos de ce film qui se tient, presque sans défaillance, sur la note la plus haute atteinte par un cinéaste dont les exigences n’ont jamais été aussi grandes. » (Dominique Rabourdin et N. T. Binh, Sautet par Sautet, éd. de La Martinière) Un cœur en hiver France, 1992, 1h45, couleurs (Fujicolor), format 1.66 _ Réalisation Claude Sautet _ Scénario Claude Sautet, Jacques Fieschi, Jérôme Tonnerre, avec la collaboration de Yves Ulmann _ Photo Yves Angelo _ Musique Philippe Sarde ; Maurice Ravel _ Montage Jacqueline Thiédot _ Décors Christian Marti _ Costumes Corinne Jorry _ Production Philippe Carcassonne, Jean-Louis Livi, Film Par Film, Cinéa, Orly Films, SEDIF, Paravision International, D.A. Films, FR3 Cinéma _ Interprètes Daniel Auteuil (Stéphane), Emmanuelle Béart (Camille), André Dussollier (Maxime), Élisabeth Bourgine (Hélène), Brigitte Catillon (Régine), Maurice Garrel (Lachaume), Myriam Boyer (Mme Amet), Stanislas Carré de Malberg (Brice), Jean-Luc Bideau (Ostende) _ Sortie en France 2 septembre 1992

— Ma saison préférée

Ma saison préférée

1993

d’André Téchiné

Un frère (Daniel Auteuil) et une sœur (Catherine Deneuve), longtemps brouillés, se retrouvent au moment où leur mère Berthe (Marthe Villalonga) perd peu à peu la raison et va disparaître. Ils sont confrontés à ce qu’ils sont devenus, lui, solitaire et mal dans sa peau, elle, mère de famille insatisfaite. Des sentiments enfouis se réveillent alors. Ma saison préférée marque les débuts d’une fidèle collaboration entre Catherine Deneuve et André Téchiné, qui tournera avec elle trois films. En interprétant Émilie, une femme notaire, mariée et qui s’est oubliée dans une famille où elle ne se retrouve pas, Catherine Deneuve incarne un personnage en définitive fragile et qui cache son désarroi. Face à elle, Daniel Auteuil représente son frère, Antoine, qui méprise les valeurs familiales traditionnelles, mais voue un amour secret, quasi incestueux, à une sœur qu’il ne comprend pas vraiment. C’est la première fois qu’il tourne avec Téchiné, mais il établit avec celui-ci un lien presque filial, s’identifiant au cinéaste dans sa relation avec Catherine Deneuve. « C’est la première fois que j’ai eu cette connivence profonde avec un acteur masculin, que j’ai senti qu’il était une sorte d’alter ego. » (André Téchiné) Né du désir de réunir les deux acteurs, le film est l’histoire d’un lien, celui qui unit un frère et une sœur face à la perte de leur mère. Téchiné tourne avec deux caméras pour pouvoir capter et choisir les meilleures prises et les multiples instants vibratoires. Au plus près de l’intimité de ses deux personnages, il refuse une composition et des mouvements trop maîtrisés, afin de laisser ses acteurs libres de leur jeu pour révéler l’essentiel. « Je crois que dans la vie on ne grandit jamais affectivement. On peut grandir physiquement, intellectuellement, socialement, moralement même parfois, mais jamais affectivement. On peut trouver ça terrifiant ou émouvant. Chacun se débrouille avec ça, et les acteurs ont parfaitement senti que c’était là-dessus qu’on travaillait, que c’était ça le sujet du film. Chacun l’a joué à sa façon. Il s’agissait de retrouver ou de révéler l’enfant en chacun d’eux. Donc en chacun de nous… » (André Téchiné) Ma saison préférée France, 1993, 2h07, couleurs, format 2.35 _ Réalisation André Téchiné _ Scénario André Téchiné, Pascal Bonitzer _ Photo Thierry Arbogast _ Musique Philippe Sarde _ Montage Martine Giordano _ Décors Carlos Conti _ Costumes Claire Fraisse, Bernadette Villard _ Production Alain Sarde, D.A. Films, Les Films Alain Sarde, TF1 Films Production _ Interprètes Catherine Deneuve (Émilie), Daniel Auteuil (Antoine), Marthe Villalonga (Berthe), Jean-Pierre Bouvier (Bruno), Chiara Mastroianni (Anne), Jean Bousquet (le père d’Émilie), Ingrid Caven (la femme du bar), Carmen Chaplin (Radijah), Michèle Moretti (la directrice), Jacques Nolot (l’homme du cimetière), Anthony

Prada (Lucien), Bruno Todeschini (l’homme de l’hôpital), Roschdy Zem (Medhi) _ Présentation au Festival de Cannes 13 mai 1993 _ Sortie en France 14 mai 1993

Le Huitième Jour

1996

de Jaco Van Dormael

Après la mort de sa mère, Georges (Pascal Duquenne), trisomique, est placé dans un établissement spécialisé. En quête d’un bonheur familial perdu, il croise la route d’Harry (Daniel Auteuil), un cadre qui a perdu sa vie à la gagner. Ces deux hommes que tout semble éloigner vont devenir inséparables. Harry, l’homme trop pressé, prend conscience, en rencontrant Georges, de sa vie gâchée ; il décide de s’occuper de lui et l’accompagne dans sa quête désordonnée. Après avoir réalisé Toto le héros (1991), Jaco Van Dormael souhaite, pour son deuxième long métrage, faire un film plus linéaire, où l’extraordinaire viendrait des seuls personnages. Il tourne avec Pascal Duquenne, avec qui il a déjà travaillé : l’acteur, atteint de trisomie 21, délivre avec justesse ce que vivre signifie. Avec un grand talent de conteur, Jaco Van Dormael développe l’histoire d’un homme, Harry, enfermé dans un cycle infernal dans lequel il travaille de plus en plus : arrive le huitième jour, ce jour où le temps, grâce à Georges, semble suspendu. À ses côtés, il réapprend le plaisir de vivre, de se coucher dans l’herbe, de sentir l’air remplir ses poumons, de goûter le souffle du vent sur sa joue… Sans avoir lu le scénario, Daniel Auteuil souhaite absolument jouer dans ce film. Touché par Toto le héros, il est emporté par l’imaginaire du réalisateur qui, selon lui, « a une véritable écoute, il pose un vrai regard sur les gens et sur les choses, sans mièvrerie, sans complaisance mais avec bonté et générosité ». Dans une société dont Harry fait partie et où Georges n’est pas admis, Jaco Van Dormael décrit la rencontre de deux mondes, entre ordre et anarchie, raison et folie, à l’instar du clown blanc et de l’auguste. Les deux acteurs seront récompensés en commun à Cannes en 1996 par le prix d’interprétation masculine. « Je voulais vous raconter le choc entre deux mondes, celui qui est considéré comme "normal" et celui qui ne l’est pas. Voir ce qu’il a et que nous n’avons pas. Filmer ce qui est beau dans ce qui semble rebutant. Filmer la grâce dans ce qui semble ordinaire. Témoigner d’une autre façon d’appréhender le monde et la vie, d’une autre conscience de l’univers, riche, multiple, qui nous révèle à nous-mêmes notre capacité à aimer. » (Jaco Van Dormael)

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Lumière 2019 — Invités d’honneur

de glace d’Un cœur en hiver. Librement inspiré par La Princesse Mary, chapitre d’Un héros de notre temps de Mikhaïl Lermontov, publié dans les années 1840, le film décrit un homme qui se croit incapable d’amitié et d’amour, et qui par jalousie, détruit l’histoire d’amour de celui qui le considère comme un ami, en se faisant aimer de celle qu’il aime, avant de l’humilier. Claude Sautet explore ici la vie intérieure d’un de ses personnages solitaires et retirés du monde, inaugurés dans Quelques jours avec moi. Mais le Martial introverti du film précédent est devenu un cas pathologique. Au départ, Stéphane est manipulateur, mauvais et pervers. Au fil du scénario, l’insensible devient la victime de ses propres agissements, celui qui passe sciemment à côté de sa vie et de l’amour. Mais ce personnage, perçu comme égoïste, sera pourtant finalement capable du geste le plus altruiste du film. Dans une scène poignante – et novatrice pour le cinéma français –, Stéphane accepte d’abréger les souffrances de Lachaume, son maître malade, la seule personne qu’il croit aimer. Ce geste s’avère être une libération pour lui. De façon symbolique, et contrairement aux traditions, il ouvre en grand les fenêtres de la maison au petit matin.

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Le Huitième Jour Belgique, France, Royaume-Uni, 1996, 1h58, couleurs, format 1.85 _ Réalisation & scénario Jaco Van Dormael _ Photo Walther Van den Ende _ Musique Pierre Van Dormael, Luis Mariano _ Montage Susana Rossberg _ Décors Hubert Pouille _ Costumes Tess Hammami, Anne Van Nyen, Yan Tax _ Production Philippe Godeau, Pan-Européenne, TF1 Films Production, Homemade Films, RTL _ Interprètes Daniel Auteuil (Harry), Pascal Duquenne (Georges), Miou-Miou (Julie), Laszlo Harmati (Luis Mariano), Isabelle Sadoyan (la mère de Georges), Fabienne Loriaux (la sœur de Georges), Didier De Neck (le beau-frère), Michèle Maes (Nathalie), Henri Garcin (le directeur), Hélène Roussel (la mère de Julie) _ Présentation au Festival de Cannes mai 1996 _ Sortie en France 22 mai 1996

1999

de Patrice Leconte

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Un pont de Paris, la nuit. Une fille, Adèle (Vanessa Paradis), penchée au-dessus des eaux glacées de la Seine, prête à y noyer ses tristesses. Un homme, surgi de nulle part, inattendu, intéressé. Il s’appelle Gabor (Daniel Auteuil), il est lanceur de couteaux, il a besoin d’une partenaire. Adèle n’a jamais eu de chance, n’a plus envie d’insister. Quitte à mourir, autant se rendre utile. Deux destins fêlés se rencontrent. La vie se met à leur sourire...

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En plein tournage d’Une chance sur deux, Patrice Leconte et Serge Frydman imaginent un scénario avec, comme idée de départ, la chance. Réalisant ses films de manière empirique, Patrice Leconte, qui craint la redite, explore des univers aussi divers que variés, ne creusant « jamais le même sillon. » Il signe ici une œuvre délicate et atypique, nommée huit fois aux César en 2000. Pour Leconte, le tournage en noir & blanc s’imposait « comme une évidence ». L’image soignée de Jean-Marie Dreujou, qui avait déjà travaillé avec Bernard Giraudeau et Jean Becker, confère au film une tonalité poétique et lyrique. Les dialogues pétillants permettent, à ce qui n’est pas à proprement parler une comédie, de survoler le tragique avec légèreté, sur fond de bruits de couteaux lancés. Lorsque Patrice Leconte et Serge Frydman entreprennent d’écrire cette histoire d’amour et surtout de montrer le désir entre deux êtres qui pourtant se vouvoient, ils pensent à Vanessa Paradis pour le rôle d’Adèle. L’actrice éblouit dès la première scène, monologue de sept minutes tourné en une seule prise. Quant à Daniel Auteuil, César du meilleur acteur, il a selon le cinéaste « … quelque chose de rarissime, une sorte de vertige ou quelque chose qui s’y apparente ». « Patrice Leconte réalise ici un film d’une grande délicatesse. La poésie, d’un noir et blanc magnifique, les balancements d’une caméra attentive aux mouvements des âmes, nous rappellent que le rêve est salutaire et que le désir est le fondement de la vie. » (Olivier Varlet, Jeune Cinéma n°255, mai-juin 1999)

Caché

2005

de Michael Haneke Georges (Daniel Auteuil), journaliste littéraire, reçoit des vidéos filmées clandestinement, dans lesquelles on le voit avec sa famille, ainsi que des dessins inquiétants, difficiles à interpréter. Il n’a aucune idée de l’identité de l’expéditeur. Peu à peu, le contenu des enregistrements devient de plus en plus personnel. Georges sent qu’une menace pèse sur lui et sur sa famille, mais, sans preuves concrètes, la police lui refuse son aide… Bien qu’il soit le fruit d’une coproduction internationale, Caché, tourné à Paris avec une pléiade d’acteurs français souligne la parfaite intégration du cinéaste autrichien à son pays d’accueil. À l’origine, Michael Haneke souhaite tourner avec Daniel Auteuil, qu’il considère comme « le meilleur acteur français de sa génération » et réfléchit sur ce qu’il peut lui proposer. Il lui offre alors le rôle de Georges. « En dehors de son grand talent d’acteur, il a quelque chose qui me fascine. Comme un secret, quelque chose qu’il retient et qui nous pousse à nous demander ce qu’il y a derrière cet homme. » (Michael Haneke, Positif n°536, octobre 2005) Tourné en numérique haute définition, le film offre la même texture visuelle à l’histoire et aux enregistrements vidéo, afin d’embrouiller le spectateur. Haneke interroge le pouvoir des images, favorisant les plans fixes pour donner l’illusion de limiter la manipulation. « Si on manipule les gens pour leur faire comprendre qu’ils sont manipulables, alors on fait une bonne action. » (Michael Haneke, L’Avant-scène cinéma n°558, janvier 2007). L’irruption brutale du monde extérieur – via les vidéos – dans cette famille bourgeoise fait remonter à la surface le passé refoulé de Georges. Si Haneke aborde la colonisation et les violences infligées aux Algériens en France, il veille à ce que son film reste universel et rappelle que l’Histoire, comme chaque histoire personnelle, a ses parts d’ombre. La fin du film est ouverte, invitant à des interprétations

— La Fille sur le pont

Lumière 2019 — Invités d’honneur

La Fille sur le pont

La Fille sur le pont France, 1999, 1h30, noir et blanc, format 2.35 _ Réalisation Patrice Leconte _ Scénario Serge Frydman _ Photo Jean-Marie Dreujou _ Musique Benny Goodman, Noro Morales, Marianne Faithfull, Banda Ionico _ Montage Joëlle Hache _ Décors Ivan Maussion _ Costumes Annie Périer _ Production Christian Fechner, Les Films Christian Fechner, UGCF, France 2 Cinéma _ Interprètes Daniel Auteuil (Gabor), Vanessa Paradis (Adèle), Demetre Georgalas (Takis), Isabelle Petit-Jacques (la mariée), Frédéric Pflüger (le contorsionniste), Bertie Cortez (Kusak), Pierre-François Martin-Laval (le premier pompier), Jean-Paul Rouvray (le deuxième pompier), Franck Monsigny (l’interne), Claude Aufaure (le suicidé), Natasha Solignac (l’infirmière), Didier Lemoine (le contrôleur du TGV), Farouk Bermouga (le garçon du TGV) _ Sortie en France 31 mars 1999 _ Présentation au Festival de Telluride 4 septembre 1999

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multiples. « L’idéal est que chaque spectateur puisse terminer le film dans sa tête, comme il l’entend. Il faut que le film pose plus de questions qu’il n’en résout, sinon cela n’a pas d’intérêt ». (Michael Haneke, L’Avant-scène cinéma, art. cit.) Multiplement récompensé, entre autres par le prix de la mise en scène à Cannes, Caché, estampillé thriller, dissimule (à peine) ses dimensions politique et métaphysique, comme chacun des films de son auteur. Caché France, Autriche, Allemagne, Italie, 2005, 1h55, couleurs, format 1.85 _ Réalisation & scénario Michael Haneke _ Photo Christian Berger _ Montage Michael Hudecek, Nadine Muse _ Décors Emmanuel de Chauvigny, Christoph Kanter _ Costumes Lisy Christl _ Production Margaret Ménégoz, Veit Heiduschka, Michael Weber, Valerio De Paolis, Les Films du Losange, Wega Filmproduktionsges.m.b.h, Bavaria Film, Bim Distribuzione, Arte France Cinéma, France 3 Cinéma, ORF – Österreichischer Rundfunk, WDR – WestDeutscher Rundfunk Interprètes Daniel Auteuil (Georges Laurent), Juliette Binoche (Anne Laurent), Maurice Bénichou (Majid), Annie Girardot (la mère de Georges), Bernard Le Coq (le rédacteur en chef), Walid Afkir (le fils de Majid), Lester Makedonsky (Pierrot Laurent), Daniel Duval (Pierre), Nathalie Richard (Mathilde), Denis Podalydès (Yvon), Aïssa Maïga (Chantal), Philippe Besson (l’invité de l’émission TV) _ Présentation au Festival de Cannes 14 mai 2005 _ Présentation au Festival du film de La Rochelle 6 juillet 2005 _ Sortie en France 5 octobre 2005 _ Sortie en Autriche 18 novembre 2005

Avant-première

La Belle Époque

2019

de Nicolas Bedos

ne débouchant pas sur une simple reconnaissance mais sur la naissance, éventuelle même si non conclue, d’un nouvel amour. Ce chevauchement passé / présent est remarquablement traduit par les deux protagonistes, à la fois sincères et lucides : oui, il est possible de revivre le(s) plus beau(x) moment(s) d’une vie – mais le sens du temps est immuable et chacun sait qu’il ne s’agit que d’un simulacre. Simulacre par ailleurs positif : chaque personnage retrouvera son couple d’origine, renforcé par l’expérience. Nicolas Bedos, chroniqueur, metteur en scène, acteur et réalisateur, est venu présenter son film au Festival de Cannes 2019, hors compétition. « Je suis heureux de montrer le film que j’ai voulu faire, je n’avais pas l’ambition mal placée de viser plus haut. » Talentueux et éclectique, le cinéaste s’apprête à changer de style en s’attaquant bientôt au troisième opus de la série OSS 117, nouvelle manière. Nul doute qu’il saura encore nous surprendre. « Nicolas Bedos nous avait étonné par l’habileté du scénario de son premier film, Monsieur et Madame Adelman (2016), et l’élégance de sa mise en œuvre. Avec La Belle Époque, il signe le scénario le plus astucieux de l’année, dont l’audace n’a d’égale que la maîtrise. » (Lucien Logette, Jeune Cinéma n°394, mai 2019) La Belle Époque France, 2019, 1h55, couleurs _ Réalisation & scénario Nicolas Bedos _ Photo Nicolas Bolduc _ Musique Anne-Sophie Versnaeyen _ Montage Anny Danché _ Décors Stéphane Rozenbaum _ Costumes Emmanuelle Youchnovski _ Production Les Films du Kiosque _ Interprètes Daniel Auteuil (Victor), Guillaume Canet (Antoine), Doria Tillier (Margot), Fanny Ardant (Marianne), Pierre Arditi (Pierre), Denis Podalydès (François) _ Présentation au Festival de Cannes 20 mai 2019 _ Sortie en France 6 novembre 2019

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— La Belle Époque

Après Monsieur et Madame Adelman (2017), Nicolas Bedos réalise ici son deuxième long métrage. La filiation avec le précédent est nette : Doria Tillier, muse du cinéaste, est de nouveau l’interprète féminine principale, le nom de l’écrivain oublié, Victor, héros du premier film, est celui du graphiste désabusé incarné par Daniel Auteuil. Mais les ressemblances ne sont pas seulement ponctuelles : chaque narration s’articule sur un retour vers le passé, réécrit ou reconstruit. Avec ici la dimension supérieure de l’ambiguïté, le temps fictivement retrouvé

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Victor (Daniel Auteuil), dessinateur de presse et sexagénaire désabusé, est brimé par son épouse Marianne (Fanny Ardant), qui le trouve trop passéiste. Un jour, il rencontre Antoine (Guillaume Canet). Celui-ci a créé une entreprise qui offre la possibilité à des clients aisés de voyager dans leurs souvenirs, en reconstituant avec précision, grâce à des acteurs et dans un décor exactement reconstruit, un moment important de leur passé. Victor décide de revivre une semaine de l’année 1974, celle de sa rencontre avec Marianne. Il ne tarde pas à tomber sous le charme de celle qui interprète sa femme (Doria Tillier).

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Cinéaste majeur de la fracassante vague coréenne des années 2000 (avec Park Chan-wook, invité en 2017), réalisateur de Memories of Murder et de Parasite, Palme d’or 2019, Bong Joon-ho est à l’honneur de Lumière 2019. Au programme : une rétrospective complète (dont Barking Dog, son premier film, jamais sorti en Europe et Okja, inédit en salles), ainsi qu’une carte blanche, riche en titres rares du cinéma coréen, hommage à ses maîtres.

Barking Dog Flandersui gae de Bong Joon-ho

2000

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Alors qu’il se demande s’il ne devrait pas soudoyer son doyen afin d’obtenir un poste à l’université, Yun-ju (Lee Seong-jae), jeune enseignant au chômage, est irrité par les aboiements incessants d’un chien dans son immeuble. Il décide d’y mettre fin…

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— Memories of Murder

Bong Joon-ho est né en 1969. Dès son enfance, il se nourrit de cinéma, américain ou européen, grâce à la télévision coréenne, car la diffusion des films étrangers en salles est alors très réglementée. Il décide très tôt de devenir cinéaste. Après des études de sociologie, il entre à la prestigieuse Korean Academy of Film Arts qui le forme aux techniques et à la pratique du cinéma. À la sortie de l’Académie, en 1995, il sera assistant réalisateur et scénariste pendant quatre ans. Barking Dog est son premier long métrage. « J’en ai eu l’idée à partir de petits épisodes de la vie quotidienne. Ce n’étaient pas des vraies histoires comme Memories of Murder, mais des choses très personnelles. Je ne voulais pas parler des gens ordinaires, mais de quelque chose de plus spécial et unique, donc, j’ai parlé d’un gars qui tue le chien du voisin. » (Bong Joon-ho, Positif n°549, novembre 2006). En filmant quelques habitants d’un

immeuble d’habitation pour classes moyennes de la banlieue de Séoul, personnages tous très différents qui vont se rencontrer à la suite d’un incident, le cinéaste signe une œuvre étrange et inclassable. Barking Dog, ponctué de scènes particulièrement décalées, évolue entre comédie noire et critique sociale. « Se développe, dans Barking Dog, une intrigue imprévisible, qui passe avec brio de l’humour noir au romantisme loufoque, de l’horreur sociale à l’aventure déchaînée. Le premier long métrage de Bong Joon-ho traduit bien l’élan démocratique qui venait d’exploser en Corée. Les différents personnages sont des épaves, des frustrés qui galèrent pour s’élever un peu dans l’échelle sociale, bien persuadés que maintenant pour eux tout est possible. » (Lorenzo Codelli, art. cit.) Cette cynique vision de la nature humaine ne trouvera pas son public en Corée (ni en France, où il restera inédit), mais tournera pendant plus d’un an dans les festivals, de San Sebastian à Tokyo, en passant par Hong Kong, Cleveland, Melbourne ou Bogota. Barking Dog (Flandersui gae) Corée du Sud, 2000, 1h50, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Bong Joon-ho _ Scénario Bong Joon-ho, Song Ji-ho, Son Tae-ung _ Photo Cho Yong-gyu _ Musique Jo Seong-woo _ Montage Lee Eun-su _ Décors Lee Yeong, Lee Jin-yeong _ Costumes Choi Yun-jung _ Production Cho Min-hwan, Uno Film, CJ Entertainment, Cinema Service _ Interprètes Lee Seong-jae (Yun-ju), Bae Doona (Hyeonnam), Byeon Hee-bong (le gardien), Go Su-hee (Jang-mi), Kim Ho-jung (Bae Eun-sil) _ Sortie en Corée du Sud 19 février 2000

Memories of Murder

2003

Salinui chueok de Bong Joon-ho

1986, à Hwaseong, petite ville près de Séoul. Le corps d’une jeune femme, violée puis assassinée, est découvert. Deux mois plus tard, de nouveaux crimes similaires ont lieu. Une unité spéciale de la police est alors mise en place, sous les ordres d’un policier local (Song Kang-ho) et d’un détective spécialement dépêché de Séoul (Kim Sangkyung). Au milieu des années 80, la Corée devait faire face au premier tueur en série de son histoire moderne : une vague de crimes, jamais résolus, allait traumatiser le pays. C’est à cet assassin, peut-être encore vivant, que Bong Joon-ho pensera régulièrement lors du tournage, se demandant ce qu’il penserait du film, et s’il allait en rire... Dans une campagne fantomatique, noyée sous des trombes d’eau, des flics balourds et brutaux, aidés par un profiler venu de Séoul, s’empêtrent dans une enquête sans issue. La police, désemparée, est incapable de retrouver le meurtrier. Les moyens de l’État sont utilisés ailleurs,

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Bong Joon-ho

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Memories of Murder (Salinui chueok) Corée du Sud, 2003, 2h11, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Bong Joon-ho _ Scénario Bong Joon-ho, Shim Sung-bo, d’après la pièce de Kim Kwang-rim _ Photo Kim Hyung-ku _ Musique Tarô Iwashiro _ Montage Kim Sun-min _ Décors Ryu Seong-hie _ Costumes Kim Yu-sun _ Production Cha Seoung-Jae, Kim Moo-Ryoung, No Jong-yun, CJ Entertainment, Muhan Investment, Sidus _ Interprètes Song Kang-ho (le détective Park Doo-man), Kim Sang-kyung (le détective Seo Tae-yoon), Byun Hee-bong (le sergent Koo Hee-bong), Song Jae-ho (le sergent Shin Dong-chul), Kim Roe-ha (le détective Cho Yong-Koo), Koh Seo-hee (l’officier Kwon Kwi-ok), Jeon Mi-seon (Kwok Seol-yung), Park No-sik (Baek Kwang-ho), Ryu Tae-ho (Chio Byung-soon), Park Hae-il (Park Hyun-kyu) _ Sortie en Corée du Sud 2 mai 2003 _ Présentation au Festival de Cannes 16 mai 2003 _ Sortie en France 23 juin 2004

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The Host

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2006

Gwoemul de Bong Joon-ho Park Hee-bong (Byun Hee-bong) a trois enfants : Gangdu (Song Kang-ho), son aîné immature, avec qui il tient un snack près de la rivière Han, Nam-il (Park Hae-il), qui a fait des études mais noie son chômage dans l’alcool, et Nam-Joo (Bae Doo-na), championne de tir à l’arc. Un jour, alors que Hee-bong et Hyun-seo (Ko A-sung), la fille de Gang-du, regardent la télévision, une créature monstrueuse attaque les clients sur la berge. Gang-du voit sa fille emportée par la bête. Tous la croient morte…

Adolescent, Bong Jooh-ho vit près du fleuve Han et, un jour, il croit y voir réellement un monstre. Déjà résolu à devenir cinéaste, il se promet de mettre en scène cette histoire, mais il devra attendre son troisième long métrage pour y parvenir. L’irruption du monstre, créature digne de Lovecraft, dans un paisible espace de détente, transformant les berges en terrible chaos, n’est pas anodine : Bong Joon-ho voulait faire de sa bête quelque chose de réel, de presque naturel. Puis tout devient étrange, dramatique, inondé de pluie, sombre et souterrain. Alors qu’elle a perdu son trésor familial, la fillette, la famille Park décide de se battre. Pourtant, ce sont des déclassés, leurs voix ne comptent pas dans la Corée contemporaine. Il leur faudra combattre la créature, mais aussi un système corrompu, à la solde des Américains, à l’origine de la naissance du monstre, de la menace bactériologique, de l’usage de l’agent jaune, du mensonge de l’État. Alors que la situation requiert des super-héros, la famille de perdants se lance dans la lutte, transformant chacun de ses membres en mercenaire, armé seulement d’arcs et de cocktails Molotov (reprenant les images historiques des révoltes coréennes des années 80). Ils sont maladroits ; de la confrontation avec le réel naît le burlesque des situations. Comme la bête du titre, The Host est un film mutant. Le cinéaste, dans une mise en scène au cordeau, mélange de nouveau les tons et s’affranchit des conventions du genre. Le film est tour à tour comique, terrifiant, burlesque, sarcastique. C’est à la fois un film de monstre, une satire politique, une fable familiale et écologique, un film d’action. Totalement inclassable. Bong Joon-ho respecte scénario et storyboard pendant le tournage, mais laisse une grande liberté à ses comédiens, qui développent un jeu physique d’une remarquable puissance. Dans le rôle de Gang-du, le populaire Song Kang-ho révèle une force brute. Et il y a l’héroïque fillette campée par Ko A-sung. On n’est pas près d’oublier la scène fantomatique du repas familial dans le snack, trêve collective dans la bataille en cours. « L’héroïne du film, c’est la petite Hyun-seo. Elle incarne la génération du téléphone portable, de la télé et du chewing-gum. Pendant tout le film, nous sommes à ses côtés, enfermés face à la bête, coupés de tous. Et on la voit passer en quelques heures du statut d’enfant à celui de femme, et même de mère. Retenant son souffle, le visage couvert de suie, assoiffée et épuisée, la petite fille lutte de toutes ses forces contre le monstre géant, et avant tout contre ses propres peurs. Les pieds comme collés de frayeur sur du papier tue-mouches, elle finira par prendre son élan. Alors, pareil à tous les grands succès populaires coréens, du mélo à la comédie, The Host raconte une histoire de courage, de survie et d’acharnement. » (Adrien Gombeaud, Positif n°549, novembre 2006) The Host (Gwoemul) Corée du Sud, 2006, 1h59, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Bong Joon-ho _ Scénario Bong Joon-ho, Ha Won-jun, Baek Chul-hyun _ Photo Kim Hyung-ku _ Création de la créature Jang

— The Host

Hee-chul _ Effets visuels et animation The Orphanage _ Musique Lee Byung-woo _ Montage Kim Sun-min _ Décors Ryu Seong-hie _ Costumes Jo Sang-gyeong _ Production Choi Yong-bae, Joh Neung-yeon, Chungeorahm Film, Showbox/Mediaplex, Happinet Corporation _ Interprètes Song Kang-ho (Park Gang-du), Byun Hee-bong (Park Hee-bong), Park Hae-il (Park Nam-il), Bae Doo-na (Park Nam-joo), Ko A-sung (Park Hyun-seo), Lee Dong-ho (Se-joo), Lee Jae-eung (Se-jin), Yoon Je-moon (le sans-abri) _ Présentation au Festival de Cannes 21 mai 2006 _ Sortie en Corée du Sud 27 juillet 2006 _ Sortie en France 22 novembre 2006

Mother

2009

Madeo de Bong Joon-ho Une veuve (Kim Hye-ja) élève son fils unique Do-joon (Won Bin), sa seule raison d’être. À 27 ans, il est loin d’être indépendant et sa naïveté le conduit à se comporter parfois stupidement et dangereusement. Un jour, une jeune fille (Moon Hee-ra) est retrouvée morte et Do-joon est le principal suspect. Afin de sauver son fils, la mère remue ciel et terre, prête à tout pour l’innocenter.

Le projet a pour origine l’actrice Kim Hye-ja. Bong Joonho commence à écrire un scénario pour cette véritable icône coréenne, qui, incarnant depuis des décennies à la télévision des rôles de mère aimante et protectrice, est devenue une sorte de « mère nationale ». Décelant chez elle un grain de folie, il lui propose d’explorer l’hystérie et la force destructrice. Elle accepte. Si Memories of Murder ou Host étaient tournés vers l’extérieur, analysant le malaise de la société, Mother, davantage resserré, va au cœur de la relation entre ses personnages. Alors que la police bâcle l’enquête et que l’avocat se désintéresse d’un dossier peu rémunérateur, la mère, acculée, voit son instinct prendre le dessus. On est alors partagé entre l’admiration et la crainte pour ce personnage complexe, au physique si fragile. Avec ce polar, à la fois drame familial et comédie noire, le cinéaste fait une nouvelle démonstration de son talent de conteur, mais aussi de metteur en scène, et ce dès la magistrale scène d’ouverture où cette femme âgée danse, face caméra, dans un champ de blé. « Malgré [les] ruptures de tons et de genres, malgré ses constantes surprises psychologiques et scénaristiques, Mother garde le cap tendu de son suspense polaro-filial

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par exemple dans la répression du mouvement étudiant. Ce n’est pas le classique portrait d’un tueur que dresse ce thriller, mais celui d’une ville de province complètement dépassée. Bong Joon-ho s’est emparé de faits réels et récents (le dixième et dernier meurtre date de 1991) pour explorer le Mal. Il joue des ruptures de ton, de son goût du contraste, alternant humour cynique, dérision, trivialité, et le noir, particulièrement cru. Il confiera que c’est un souci de réalisme qui l’a conduit à dépeindre ainsi l’absurdité de cette enquête. Loin des films de serial killers archétypaux du cinéma hollywoodien, Memories of Murder révolutionne le genre, inscrivant pleinement ce néo-noir dans la Nouvelle Vague coréenne qui s’impose alors. « Livrant au passage une étonnante peinture de la province coréenne et de l’état politique d’un pays refusant de plus en plus son régime militaire, Memories of Murder draine un lot de malades qui, saisis ici comme de la viande sur un gril, apparaissent dans toute la violence fumante de chairs marquées à vif. L’épaisseur du film, qui atteint la folle densité littéraire de certains polars, ne vire jamais à la lourdeur bouffonne et indigeste, trop attachée qu’elle est à contenir le mystère insondable et glaçant, presque fantastique, de nuits noires, ruisselantes et inévitablement assassines. » (Amélie Dubois, Les Inrockuptibles, 23 juin 2004)

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Mother (Madeo) Corée du Sud, 2009, 2h09, couleurs, format 2.35 _ Réalisation Bong Joon-ho _ Scénario Bong Joon-ho, Park Eun-kyo, d’après une histoire de Bong Joon-ho _ Photo Hong Kyung-pyo _ Effets visuels Yi Zeon-hyoung _ Musique Lee Byung-woo _ Montage Moon Sae-kyoung _ Décors Ryu Seong-hie _ Costumes Choi Se-yeon _ Production Park Taejoon, Seo Woo-sik, Barunson E&A _ Interprètes Kim Hye-ja (la mère), Won Bin (Yoon Do-joon, le fils), Jin Goo (Jin-tae), Yun Jae-moon (Jemoon, le policier), Kim Byeong-soon (le chef de police), Jeon Mi-Seon (Mi-sun), Song Sae-byeok (le policier violent), Moon Hee-ra (Ah-jeong, la victime) _ Présentation au Festival de Cannes 16 mai 2009 _ Sortie en Corée du Sud 28 mai 2009 _ Sortie en France 27 janvier 2010

Snowpiercer –   Le Transperceneige

2013

Snowpiercer de Bong Joon-ho

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2031. À cause d’une expérience scientifique désastreuse, la Terre affronte, depuis dix-sept ans, une nouvelle ère glaciaire. Les derniers humains survivent à l’intérieur d’un train qui parcourt le globe sans jamais s’arrêter. À l’avant du Transperceneige, son créateur, Wilford (Ed Harris), qui fait fonctionner "La Machine". Dans les wagons suivants, les nantis, dans des compartiments luxueux. Et en queue, les pauvres, entassés dans des dortoirs. C’est là qu’une révolte des prolétaires se prépare.

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— Mother

Bong Joon-ho est un fan de BD. Il écrit lui-même des ouvrages dans le style manga et participe largement aux story-boards de ses films. C’est lors d’une de ses visites dans une boutique spécialisée de Séoul qu’il découvre en 2005 la première traduction coréenne de Transperceneige, fameuse BD signée Lob & Rochette, publiée dans la revue (À suivre) en 1982 et 1983, puis reprise plus tard en albums par Legrand & Rochette. Captivé, il la lit sur place et décide qu’il la portera à l’écran. Il réalisera deux films avant de pouvoir tourner cette adaptation très libre. Car si le roman graphique est la base du récit, Bong Joonho ne s’y enferme pas.

Un train, telle une moderne arche de Noé, fonce à toute allure, dans une perpétuelle fuite en avant, sans aucune perspective. Dans cette société en miniature, l’humanité a fait ce qu’elle sait faire de mieux : recréer des castes, exploiter les uns au service des autres. Et si certains cherchent à avancer vers la tête du train pour progresser "socialement", d’autres veulent simplement en sortir. À mi-chemin entre blockbuster international et film d’auteur coréen, Snowpiercer évolue dans un futur dystopique, où Bong Joon-ho mélange farce, action, s.-f. et surtout critique politique, avec un humour distancié, sa griffe. Son univers est unique, la mise en scène complexe, les décors prodigieux, les acteurs surprenants (épatante Tilda Swinton), les personnages troublants. Le principal étant cette masse mécanique qui court à sa perte. « Le train, dispositif initiateur du récit et théâtre des événements, devient un personnage effrayant, celui d’une mère accouchant d’enfants qu’elle dévore ensuite. C’est la bestiole géante de The Host ou la Mère Courage de Mother qui se réincarne en une machine tout autant mécanique qu’organique. Et c’est là que la métaphore sociale prend une dimension singulière et unique. La société y est perçue subjectivement comme un cruel surmoi maternel déterminant le sort des individus. On passe du macrocosme (la civilisation) au microcosme (le train) comme on passe d’un collectif social à la psyché. Quelle mégaproduction hollywoodienne pourrait rivaliser avec cette alliance d’intelligence et d’exultation angoissée ? » (Jean-François Rauger, Le Monde, 30 octobre 2013) Snowpiercer – Le Transperceneige (Snowpiercer) Corée du Sud, ÉtatsUnis, 2013, 2h05, couleurs & noir et blanc, format 2.35 _ Réalisation Bong Joon-ho _ Scénario Bong Joon-ho, Kelly Masterson, d’après le roman graphique Le Transperceneige de Jacques Lob, Benjamin Legrand et JeanMarc Rochette _ Photo Hong Kyung-pyo _ Effets spéciaux Pavel Ságner _ Musique Marco Beltrami _ Montage Steve M. Choe, Kim Chang-ju _ Décors Ondrej Nekvasil, Beata Brendtnerovà _ Costumes Catherine George _ Production Park Chan-wook, Jeong Tae-sung, Jeong Wonjo, Lee Tae-hun, Steven Nam, SnowPiercer, Moho Film, Opus Pictures, Stillking Films, CJ Entertainment _ Interprètes Chris Evans (Curtis), Song Kang-ho (Namgoong Minsoo), Ed Harris (Wilford), John Hurt (Gilliam), Tilda Swinton (Mason), Jamie Bell (Edgar), Octavia Spencer (Tanya), Ewen Bremner (Andrew), Ko Asung (Yona), Alison Pill (l’enseignante), Luke Pasqualino (Grey) _ Sortie en Corée du Sud 1er août 2013 _ Présentation au Festival du film américain de Deauville 7 septembre 2013 _ Sortie en France 30 octobre 2013

Okja

2017

de Bong Joon-ho Une multinationale de l’agro-alimentaire dirigée par Lucy Mirando (Tilda Swinton), annonce la découverte au Chili d’une race de "super cochons", dont l’élevage serait sans conséquence sur l’environnement. Une vingtaine de spécimens est alors répartie sur la planète. L’un d’eux grandit

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et maintient une tenue formelle impeccable : beauté des plans, virtuosité du montage, des changements d’intensité, des glissements entre burlesque et tragique. BJH ne cesse d’égarer son spectateur sans jamais le perdre, formidable paradoxe. Et s’il en profite pour épingler une fois de plus les dysfonctionnements des institutions ou le regard parfois aveugle de la société sur certains individus, il sonde au cœur de son film une autre question peut-être plus dérangeante : poussé jusqu’à un certain degré, l’amour d’une mère pour son fils est une nécessité et une folie, il protège et il tue, il est magnifique et monstrueux. » (Serge Kaganski, Les Inrockuptibles, 27 janvier 2010)

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« C’est un film presque réaliste, pas un film de fantaisie, avec simplement cet animal un peu étrange. […] C’est la vraie vie, le vrai monde, pas quelque chose d’incroyable. » (Bong Joon-ho, Cahiers du cinéma n°729, janvier 2017) À chaque film de Bong Joon-ho, son "monstre". Ici il n’est pas celui que l’on croit. Avec (à peine) un degré d’anticipation, la multinationale Mirando – consonance très familière, donc – manipule génétiquement des cochons pour en faire de la "super viande", peu polluante et très rentable. Un must promis au succès. Mais c’était sans compter sur Mija, petite orpheline coréenne élevée par son grand-père paysan, qui veut garder auprès d’elle son amie animale, sa sœur, sa chimère affectueuse. Militante d’aucune cause sinon celle de la vie d’Okja, Mija se lance dans une folle odyssée pour ramener l’animal dans sa montagne. Comme à son habitude, le cinéaste coréen entremêle les thèmes : fable sur la relation entre une enfant et un animal, charge contre les dérives d’un système capitaliste qui se cache derrière des slogans écoresponsables, dénonciation de l’industrialisation de la mise à mort animale et de la communication de masse… Superbement photographié par Darius Khondji, Okja est une fable teintée d’angoisse, un conte féroce sur les incohérences de son temps. « Cette farce a le bon goût de jouer avec les codes du genre en mixant sans complexe les références cinématographiques : le double avec le combat des sœurs jumelles pour le leadership de l’entreprise familiale (Tilda Swinton, doublement performante), le savant fou (Jake Gyllenhaal, pitre comme jamais), le film d’action, la parabole antifasciste ou encore le conte à la manière de Miyazaki. Soit un habile conglomérat référentiel, comme un formidable pied de nez aux scénarios formatés des majors traditionnelles […]. Ultime provocation, Okja est aussi un film politique qui dénonce pêle-mêle les mœurs dévoyées des multinationales, la malbouffe et la marchandisation de la nature. À la fois mainstream et rebelle, ce monstre cinématographique est bien moins innocent qu’il n’y paraît au premier abord. » (Vincent Thabourey, Positif n°677-378, juillet-août 2017) Okja Corée du Sud, États-Unis, 2017, 2h01, couleurs, format 2.39 _ Réalisation Bong Joon-ho _ Scénario Bong Joon-ho, Jon Ronson, d’après une histoire de Bong Joon-ho _ Photo Darius Khondji _ Effets spéciaux Jeff Brink, Park Kyung-soo _ Effets visuels Margaret Cardell _ Musique Jaeil Jung _ Montage Yang Jinmo _ Décors Lee Ha Jun, Kevin Thompson _ Costumes Choi Se-yeon, Catherine George _ Production Bong Joon-ho, Choi Dooho, Dede Gardner, Lewis Taewan Kim, Jeremy Kleiner, Seo Woo-sik, Ted Sarandos, , Kate Street Picture Company, Lewis Pictures, Plan B Entertainment, Netflix _ Interprètes Ahn Seo-hyun (Mija), Tilda Swinton (Lucy Mirando / Nancy Mirando), Sheena Kamal (la styliste),

Michael Mitton (le maquilleur), Colm Hill (le journaliste britannique sarcastique), Kathryn Kirkpatrick (la journaliste épicurienne), Jose Carias (Señor Villacorta), Giancarlo Esposito (Frank Dawson), Jake Gyllenhaal (Johnny Wilcox), Nancy Bell (la vieille journaliste), Lee Jeong-eun (la femme en fauteuil roulant / la voix d’Okja), Yun Je-mun (Mundo Park), Shirley Henderson (Jennifer) _ Présentation au Festival de Cannes 19 mai 2017 _ Sortie Netflix 28 juin 2017 _ Sortie en Corée du Sud 29 juin 2017

Parasite

2019

Gisaengchung de Bong Joon-ho Dans un entresol, une famille vivote de petits boulots. Ils sont quatre : les parents, Ki-taek (Song Kang-ho) et son épouse Chung-sook (Jang Hye-Jin), le fils, Ki-woo (Choi Woo-sik) et la fille, Ki-jung (Park So-dam). Loin de se morfondre, ils ont développé un véritable sens de la combine. Un jour, le fils trouve le moyen de se faire embaucher comme professeur d’anglais dans la riche famille Park. Bientôt, il fait engager sa sœur sous une autre identité… Palme d’or à l’unanimité du dernier Festival de Cannes, Parasite est un film qui hante durablement. Il est difficile d’en parler sans trop en dire ou révéler l’un de ses secrets si bien enfouis. Pour ce septième long métrage et après deux productions internationales, Bong Joon-ho rentre chez lui pour filmer la Corée et ce thème aussi contemporain qu’éternel, la lutte des classes, qui irrigue profondément sa filmographie. Récit domestique dans la lignée de The Housemaid d’Im Sang-soo ou de La Cérémonie de Claude Chabrol (Bong Joon-ho citera le cinéaste comme source d’inspiration), Parasite nous fait pénétrer dans deux univers quotidiens, celui d’une famille riche et celui d’une famille déclassée. Dans une « symétrie verticale », il filme en miroir ces êtres que tout oppose. Le seul lien est la servitude : inadaptés, les Park ne pourraient survivre sans personnel. Mais leur aversion pour les pauvres et "leur odeur" est fondamentale. Pour le cinéaste, « riches et pauvres sont obligés de coexister ». Pourtant, les rapports sociaux ici sont dans l’impasse, la société va dans le mur. Dans cette maison d’architecte, véritable personnage à part entière, la bouffonnerie de certaines scènes laisse place au malaise. Un mauvais pressentiment s’installe, avant le jeu de massacre. Tour à tour, tragi-comédie, satire sociale, film d’horreur, Parasite donne le vertige, ne laisse jamais reprendre son souffle. « [Bong Joon-ho] subjugue par la netteté tranchante de son expression : sont ici à l’œuvre une puissance graphique des plans, une justesse de la montée dramaturgique qui a force d’évidence, une maîtrise confondante qui jamais ne s’affiche comme telle mais reste toujours brillamment au service des personnages et des situations,

— Parasite

y compris quand le film implose en gerbes rageuses. Même la métaphore politique qui pourrait rester binaire (néo-bourgeois proprets contre chômeurs crasseux) est affinée par une subtilité ternaire (sans trop spoiler, il y a aussi opposition entre pauvres), comme si dans le grand schéma éternel de la lutte des classes, Bong Joon-ho défendait les vertus du combat comme promesse de victoires très parcellaires plutôt que de celle d’un hypothétique Grand Soir. » (Serge Kaganski, Transfuge n°130, juin 2019) Parasite (Gisaengchung) Corée du Sud, 2019, 2h12, couleurs, format 2.35 _ Réalisation Bong Joon-ho _ Scénario Bong Joon-ho, Han Jin Won _ Photo Hong Kyung-pyo _ Effets spéciaux Jung Do-ahn, Park Kyung-soo _ Effets visuels Hong Jeong-ho _ Musique Jaeil Jung _ Montage Yang Jinmo _ Décors Lee Ha Jun _ Costumes Choi Se-yeon _

Production Bong Joon-ho, Jang Young-hwan, Moon Yang-kwon, Kwak Sin-ae, Barunson E&A, CJ E&M Film Financing & Investment Entertainment & Comics, CJ Entertainment, TMS Comics, TMS Entertainment _ Interprètes Song Kang-ho (Ki-taek), Lee Sun-kyun (M. Park), Jo Yeo-Jeong (Yeon-kyo, Mme Park), Choi Woo-sik (Ki-woo), Jang Hye-Jin (Chung-sook), Park So-dam (Ki-jung), Lee Jeong-eun (Moon-gwang, la gouvernante), Jung Hyeon-jun (Da-song, le fils des Park), Ziso Jung (Da-hye, la fille des Park), Myeong-hoon Park (Geun-se, le mari de Moon-gwan) _ Présentation au Festival de Cannes 21 mai 2019 _ Sortie en Corée du Sud 30 mai 2019 _ Sortie en France 5 juin 2019

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Lumière 2019 — Invités d’honneur

dans une ferme coréenne où une jeune orpheline, Mija (Ahn Seo-hyun), s’occupe d’Okja – c’est ainsi qu’elle a baptisé l’animal. Dix ans plus tard, sous couvert d’élire le plus beau cochon géant, Mirando décide de récupérer Okja…

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Memories – Retour    sur les lieux des crimes

2018

de Jésus Castro-Ortega

En 2006, la rencontre de Bong Joon-ho et de Jésus Ortega-Castro à la Cinémathèque française avait marqué le début d’une longue relation. Quinze ans après la sortie de Memories of Murder, Jésus Castro-Ortega interroge et filme Bong Joon-ho et son équipe. Le documentaire conçu pour « ceux qui aiment particulièrement le film » selon les mots du réalisateur, revient sur les impressions de chacun, sur cette histoire vraie qui a effrayé la Corée du Sud.

Lumière 2019 — Invités d’honneur

« J’ai une relation complexe à ce qu’on appelle "le film de genre". J’adore tout autant que je déteste. Je ressens une excitation à faire frissonner le public avec, mais j’essaie en même temps de trahir ou de détruire ce que l’on espère y trouver. » (Bong Joon-ho) Journaliste, auteur et réalisateur de nombreux documentaires, Jésus Castro-Ortega est passionné par l’œuvre de Bong Joon-ho. Accompagné d’Eddy Fluchon, il fait sa rencontre en 2006 à la Cinémathèque française à la fin d’une conférence : ayant entendu parler du projet, encore

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confidentiel, d’adaptation de la bande dessinée Le Transperceneige, Castro-Ortega interroge le réalisateur coréen. Piqué par la curiosité, Bong Joon-ho lui accorde plusieurs interviews et l’invite à venir sur le plateau du tournage de Mother, invitation qui se traduira par un making of du film. Ensuite, Castro-Ortega réalisera Snowpiercer : de la feuille blanche à l’écran noir, qui lui demandera plus de quatre ans de travail. Pour Memories – Retour sur les lieux des crimes, Bong Joon-ho convie le documentariste en Corée, le reçoit dans les meilleures conditions et lui donne accès à tous les éléments indispensables pour son film. Parcourant le pays pour revenir sur les lieux de tournage, Jésus CastroOrtega et Eddy Fluchon interrogent toute l’équipe, du chef opérateur aux acteurs, cherchant à être au plus près du cinéaste et de sa méthode de travail, dévoilant avec pudeur et respect la personnalité de Bong Joon-ho qui semble avoir été fasciné par cette affaire. « C’est quelqu’un qui va jusqu’au bout des choses, mais il est hanté par quelque chose de très sombre et désespéré dans l’humanité. » (Jésus Castro-Ortega) Memories – Retour sur les lieux des crimes France, 2018, 1h03, couleurs, format 1.85 _ Réalisation & scénario Jésus Castro-Ortega _ Images Jésus Castro-Ortega, Shanshan Zhu _ Montage Jésus Castro-Ortega _ Production Manuel Chiche, Eddy Fluchon, La Rabbia, Grab the Cat _ Avec Bong Joon-ho, Song Kang-ho, Kim Sang-kyeong, Park Hae-il, Shim Sung-bo, Kim Hyung-ku _ Sortie en France 2018

Son cinéma coréen : carte blanche de BJH

La Femme insecte

1972

Chung yo de Kim Ki-young

Myung-ja (Yoon Yeo-jeong), une lycéenne, doit prendre en charge sa famille après la mort de son père. Elle devient hôtesse de bar et rencontre Kim (Nam Kung-won), un homme marié, qui tente de guérir son impuissance. La femme de Kim (Jeon Gye-hyeon) accepte cette relation. Mais Myung-ja, se considérant comme la seconde épouse, envahit peu à peu la vie et la maison de Kim… Né en 1919, Kim Ki-young passe les années 40 au Japon où il se forge une solide culture cinéphilique. De retour en Corée, il fait des études de médecine dentaire, tout en menant parallèlement des activités théâtrales. Pendant la guerre de Corée, il réalise des documentaires d’actualité pour le département cinéma de l’ambassade américaine à Séoul. Durant sa carrière, il réalisera plus de trente films, dont une partie est désormais perdue. Avec La Servante (1960), son œuvre la plus célèbre, il pose le motif récurrent de son œuvre, repris ici dans La Femme insecte : une femme brise la quiétude d’un couple en séduisant l’homme et en affrontant l’épouse. Les hommes, faibles, font toujours face à des femmes fortes, parfois même démoniaques. « Je crois que toutes les filles sont bonnes, au moins avant le mariage. Mais, une fois qu’un homme a poignardé leur cœur, elles deviennent des démons vengeurs » (Kim Ki-young, cité par Samuel Douhaire, Libération, 6 décembre 2006). Kim filme des instincts primaires, et ses audacieuses représentations des scènes de sexe sont uniques dans le cinéma coréen. Original, libre, excentrique, le cinéaste jouera toujours des codes et des tabous, au risque de se voir censurer. Sans doute trop en avance sur leur époque, ses films furent, le plus souvent, des échecs commerciaux. Le cinéaste Bong Joon-ho confiera avoir été choqué lorsqu’il découvrit La Femme insecte, puis séduit par « le mélange de suspense et de comique, très novateur à une époque où les cinéastes coréens décrivaient les problèmes sociaux de manière littérale. » (cité par Samuel Douhaire, art. cit.) La Femme insecte (Chungyo) Corée du Sud, 1972, 1h55, couleurs _ Réalisation Kim Ki-young _ Scénario Kim Ki-young, Kim Sung-ok _ Photo Jeon Il-seong _ Direction artistique Park Seok-in _ Musique Han Sang-gi _ Montage Hyeon Dong-Chun _ Production Han Jin-seob, Hanrim Films _ Interprètes Nam Kung-won (Kim), Yoon Yeo-jeong (Myung-ja), Jeon Gye-hyeon (l’épouse) _ Sortie en Corée du Sud 6 juillet 1972

— Memories - Retour sur les lieux des crimes

La Femme qui poursuit le papillon mortel

1978

Salinnabileul ggotneun yeoja de Kim Ki-young

Un groupe d’étudiants organise un pique-nique à la campagne. Alors qu’il chasse les papillons, Kim Young-gul (Nam Kung-won), se voit offrir une boisson par une jeune fille. Le verre est empoisonné et le jeune homme échappe de peu à la mort. Déprimé, il décide de mettre fin à ses jours… Pour ce qui est de la "normalité", tout s’arrête ici. Alors que le jeune homme prépare la corde pour se pendre, un libraire ambulant, fou de Nietzsche, lui explique que s’il a assez de volonté, il peut ne jamais mourir. Viendront ensuite un squelette, une femme morte depuis deux mille ans et qui, affamée, veut dévorer le foie de Kim Younggul, un anthropologue fou et sa fille, qu’il offre à l’étudiant… On l’appelait "Mr. Monster". La Femme qui poursuit le papillon mortel illustre parfaitement les raisons du surnom attribué à Kim Ki-young. Le cinéaste filme en toute indépendance, grâce au financement de son épouse, dentiste. L’excès est une des clés de sa filmographie. Film hors-norme, unique, irracontable, où fantastique, gore, mort, sexe, s’entremêlent de façon stupéfiante et étrange. Sous couvert de farce, à la limite du bon goût, il nous emmène dans un monde où le plus invraisemblable est possible, en forme de cauchemar éveillé. Mélodrame psychotrope, La Femme qui poursuit le papillon mortel est l’œuvre la plus excentrique de la filmographie de Kim Kiyoung. Kim a tourné ce film rapidement, avec un budget limité, sans supervision extérieure – il fallait respecter le quota de productions nationales. Pour autant, le cinéaste se livre ici à des expérimentations extrêmes dans le cinéma de genre. À l’image de Bong Joon-ho, des décennies plus tard, il emprunte à tous les styles – s.f., comédie, fantastique, horreur – pour décrire un monde à sa façon. La Femme qui poursuit le papillon mortel (Salinnabileul ggotneun yeoja) Corée du sud, 1978, 1h57, couleurs _ Réalisation Kim Ki-young _ Scénario Lee Mun-woong _ Photo Lee Seong-chun _ Direction artistique Lee Bong-seon _ Musique Han Sang-gi _ Montage Kim Hui-su _ Production Jeong Jin-woo, Woo-jin Films _ Interprètes Nam Kung-won (Kim Young-gul), Kim Ja-ok, Kim Jeong-cheol, Kim Man _ Sortie en Corée du Sud 2 décembre 1978

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Documentaire

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1982

Ggobangdongne saramdeul de Bae Chang-ho Dans un bidonville près de Séoul. Myung-suk (Kim Boyeon) vit avec son mari ivrogne, Tae-sup (Kim Hee-ra), et son fils, un enfant difficile de 6 ans. Un jour, Choo-suk (Ahn Sung-ki), son ex-mari et le père de l’enfant, réapparaît. Il est chauffeur de taxi et veut reprendre la vie commune.

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Né en 1953, Bae Chang-ho fait des études de gestion commerciale et occupe, à la fin de celles-ci, un emploi à l’étranger, dans le secteur automobile. De retour en Corée, celui qui réalisait des films 8mm alors qu’il était étudiant, devient l’assistant de Lee Chang-ho. Bae Chang-ho passe à la réalisation en 1982 avec Les Gens d’un bidonville, film interdit de diffusion à l’étranger jusqu’en 1988. En dehors d’hommages rendus en festivals ou dans les cinémathèques, peu d’œuvres de Bae Chang-ho ont été diffusées en France. Pourtant, c'est un cinéaste très respecté en Corée, et qui fut, à partir des années 80, le chef de file d’un jeune cinéma coréen alors en pleine métamorphose. Il signe des films populaires, attirant un public plus jeune dans les salles. « Sa spontanéité et sa sensibilité en font

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l’un des cinéastes majeurs des années 80. » (An Pyongsup, in Le Cinéma coréen, Centre Georges Pompidou). En filmant ici la vie ordinaire d’un bidonville coréen dans les années 80, il aborde des thèmes alors nouveaux, comme la pauvreté ou la marginalité. Peinture d’un groupe d’individus, Les Gens d’un bidonville est également le portrait d’une femme, dont l’énergie vitale lui permet de surmonter toutes les épreuves. Avec ce premier long métrage, le cinéaste révèle son penchant pour le cinéma social. Lorsqu’on lui demande si le cinéma français l’a influencé, Bae Chang-ho répond : « Certainement, notamment dans la manière de dépeindre les petites choses du quotidien. Les films français pouvaient sembler austères au premier regard, avec ces gens, qui passent leur temps à discuter, assis autour d’une table... En même temps, le simple fait de suivre leurs conversations me permettait d’imaginer leur quotidien. Cela m’a appris à ne plus voir le cinéma comme un simple divertissement, mais comme un outil de transmission. » (Culture coréenne n°98, printemps-été 2019) Les Gens d’un bidonville (Ggobangdongne saramdeul) Corée du Sud, 1982, 1h50, couleurs, format 2.35 _ Réalisation & scénario Bae Changho, d’après une œuvre de Yi Tongch’ol _ Photo Jeong Kwang-Seok _ Direction artistique Lee Myeong-su _ Musique Kim Young-dong _ Montage Kim Hui-su _ Décors Yi Myeon- su _ Production Kim Won-du, Hyeon-jin Films _ Interprètes Kim Bo-yeon (Myung-suk), Ahn Sung-ki (Choo-suk), Kim Hee-ra (Tae-sup), Kim Hyeong-ja, Yang Jae-young _ Sortie en Corée du Sud 17 juillet 1982

— A Short Love Affair

A Short Love Affair

1990

Woomuk-Baemi ui sarang de Jang Sun-woo

Il-do (Park Joong-hoon), modeste tailleur, a quitté sa campagne pour travailler comme contremaître dans une usine de confection dans la banlieue de Séoul. Il a fait la rencontre d’une femme (Yu Hye-ri), pauvre comme lui, prostituée occasionnelle. Lorsqu’elle est tombée enceinte, ils ont décidé de vivre ensemble. Mais Il-do est ennuyé : il a engagé une relation avec Gong-rye (Choi Myeong-gil), une ouvrière de l’usine. Avant de devenir un cinéaste expérimental, signataire d’une œuvre sulfureuse (To You, From Me ; Fantasmes), Jang Sun-woo a réalisé A Short Love Affair, adapté d’un roman de Park Young-han, sans doute son film le plus réaliste et le plus formellement classique. « J’aime le fait que l’œuvre de Park Young-han parle de banlieusards normaux, et que Park les décrive sur la base de l’expérience et de l’observation de première main. À cause de sa localisation dans la proche banlieue de Séoul, Woomuk-Baemi est un endroit de transition, où les valeurs de la campagne et de la ville se rencontrent et s’entrecroisent. Je ne voyais pas le lieu ou les personnages comme le symbole de quoi que ce soit, je voulais juste les montrer de façon réaliste. » (Jang Sun-woo, cité par Tony Rayns). Un homme et une femme, travaillant dans la même usine, trompent leurs conjoints respectifs dans un motel de Séoul. Mais dans cette communauté de travailleurs, tout se sait. L’opprobre est unanime envers ces deux êtres malmenés depuis l’enfance et qui vivent aux côtés de conjoints violents. Jang Sun-woo décrit, de façon naturaliste, la vie de la classe ouvrière en marge d’une société en mouvement. Cette banlieue de Woomuk-Baemi, à mi-chemin entre ville et campagne, n’appartient à aucun de ces mondes. La société y est misogyne, patriarcale ; les personnages, frustrés. Avec une vitalité qui le distingue des autres films de la période, A Short Love Affair participe d’une évolution du classique mélodrame coréen, qui décrit désormais davantage les réels problèmes sociaux. A Short Love Affair est la « quintessence du mélodrame coréen en même temps qu’il présente un nouvel espoir ». (Kamp Hansup, in Le Cinéma coréen, Centre Georges Pompidou) A Short Love Affair (Woomuk-Baemi ui sarang) Corée du Sud, 1990, 1h54 couleurs, format 1.85 _ Réalisation Jang Sun-woo _ Scénario Jang Sun-woo, Im Jong-jae, d’après une œuvre de Park Young-han _ Photo Yu Yeong-gil _ Musique Yi Jong-gu _ Montage Kim Hyeon _ Production Suh Byeong-gi, Mogard Korea _ Interprètes Choi Myeong-gil (Min Gongrye), Yi Dae-geun (le mari de Gong-rye), Park Joong-hoon (Bae Il-do), Yu Hye-ri (la compagne de Il-do) _ Sortie en Corée du Sud 31 mars 1990

To You, from Me Neoege narul bonaenda de Jang Sun-woo

1994

Un écrivain raté (Mun Seong-kun), accusé de plagiat, voit sa vie bouleversée par sa rencontre avec une jeune femme (Jeong Seon-kyeong). Figure inclassable du cinéma coréen, Jang Sun-woo fut étudiant en anthropologie, mais aussi critique de cinéma, avant de se lancer dans la réalisation. C’est par l’activisme politique qu’il est venu au cinéma. À la fin des années 80, pour faire face à un pouvoir de plus en plus oppressant, il rejoint les collectifs étudiants organisés pour tourner ensemble des films contestataires. Pas d’affectation, chacun doit pouvoir, selon les besoins, devenir réalisateur, monteur, technicien son... L’engagement de Jang Sun-woo est entier. Il sera emprisonné pour avoir distribué, en 1981, des tracts dénonçant le massacre de Kwangju, où deux mille étudiants furent assassinés. Il confiera être « devenu cinéaste pour montrer un jour ce qui est arrivé à Kwangju ». Ce qu’il fera en 1996 avec Ggotip (A Petal), premier film à aborder cette page d’Histoire. Jang Sun-woo se fit connaître internationalement en 1999 avec Fantasmes, adaptation d’un roman de Chang Jungil, où il filme la relation sadomasochiste entre une jeune fille et un homme plus âgé. Il gagne ainsi une réputation sulfureuse. Mais le réalisateur avait déjà porté à l’écran ce même auteur dans To You, from Me. Avec ce film à l’érotisme exacerbé, Jang Sun-woo critique un système moral, la vérité et son travestissement. Visuellement, il mélange fiction et dessin animé, réalité et projection dans l’Histoire. To You, from Me et son réalisateur – vénéré par Bong Joon-ho ou Park Chan-wook – ne rentrent définitivement dans aucune case. « Souvent interdit, parfois même avant que ses réalisations soient achevées, plus souvent encore dénoncé, rétif aux exigences des médias comme aux injonctions de la censure, Jang Sun-woo n’est pas seulement un militant de la démocratie et un provocateur inspiré. Il est aussi, surtout, un véritable cinéaste capable d’audaces formelles aussi créatives que ses coups de boutoir anticonformistes sont brutaux. » (Jean-Michel Frodon, Cahiers du cinéma n°597, janvier 2005) To You, from Me (Neoege narul bonaenda) Corée du Sud, 1994, 1h53, couleurs _ Réalisation Jang Sun-woo _ Scénario Jang Sun-woo, Koo Sung-joo, d’après un roman de Chang Jung-il _ Photo You Yong-kil _ Musique Kang San-ae _ Montage Kim Hyun _ Décors Cho Yung-sam, Kim Chul-woong _ Costumes Kim Yu-sun _ Production Yoo In-taek, Keyweckshide Pictures _ Interprètes Mun Seong-kun (l’écrivain), Jeong Seon-kyeong (la femme), Yeo Kyun-dong, Kim Bu-seon _ Sortie en Corée du Sud 1er octobre 1994

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Les Gens d’un bidonville

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De M*A*S*H de Robert Altman à la saga Hunger Games en passant par 1900 de Bernardo Bertolucci, le Canadien Donald Sutherland a construit, depuis six décennies, une impressionnante carrière d’acteur. Acclamé pour ses performances au cinéma et dans de nombreuses séries, il est le lauréat de deux Golden Globes et d'un Oscar d’Honneur. Invitation à un immense comédien.

M*A*S*H

1970

M.A.S.H. de Robert Altman

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En pleine guerre de Corée, une antenne chirurgicale de campagne accueille trois nouveaux médecins : Hawkeye (Donald Sutherland), Trapper John (Elliott Gould) et Duke (Tom Skerritt). Ils sont extrêmement compétents, mais bien décidés à refuser toute autorité et à mettre la vie du camp sens dessus dessous.

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« Dès le début du tournage, je voulais agresser le public, l’attaquer. Pour moi, c’était le "méchant" du film. Parce que je tiens le public pour responsable (et dans ce public, je m’inclus aussi) de tout ce que nous trouvons inadmissible et qui se déroule sous nos yeux. Les responsables des crimes monstrueux que l’on commet sous notre nez sont moins les gens qui les commettent que ceux qui permettent qu’on puisse les commettre. » (Robert Altman, Positif n° 147, février 1973) Quand Robert Altman accepta enfin le scénario de Ring Lardner Jr. (après l’avoir préalablement refusé, ainsi qu'une quinzaine de réalisateurs), il obtint de son producteur Ingo Preminger une totale liberté, qu'il mit très nettement à profit. M*A*S*H marque, en 1970, l’avènement d’un cinéma américain turbulent et insolent. Pour ne pas sombrer dans la folie, et alors que la mort

rôde, trois jeunes frondeurs anticonformistes cherchent le plaisir sous toutes ses formes et bafouent, avec un style certain, l’autorité du M.A.S.H. (Mobile Army Surgical Hospital). M*A*S*H fait exploser les codes du film de guerre, critique société et institutions et manie un humour noir et morbide. Rien n’est épargné, tout est attaqué, violemment, dans cette féroce satire : guerre, mort, sexe, armée, religion, suicide… À noter qu’Altman rajouta le haut-parleur, personnage à part entière, médium des scènes les plus loufoques, comme la célèbre partie de jambes en l’air de Hot Lips. M*A*S*H s’inscrit donc pleinement dans la contreculture du moment : antimilitarisme, liberté sexuelle, opposition à la guerre du Viêt-nam… Car si le film décrit le front coréen, c’est bien l’enlisement au Viêt-nam que visait Richard Hooker, l'auteur du roman. Succès critique et public, M*A*S*H recevra la Palme d’or à Cannes en 1970 et l’Oscar du meilleur scénario adapté en 1971. « Dans une Amérique où Nixon essaye de relancer les valeurs traditionnelles et nationalistes, où les banques et les stations-service distribuent des drapeaux, où les anciens combattants revenant du Viêt-nam ont droit à des carnets de chèques spéciaux, avec leur nom et leur grade "gravés gratuitement", un tel film prend des allures de défi, d’autant qu’il est écrit par ce que Mr. Agnew appelle : “un horrible intellectuel rouge”. » (Bertrand Tavernier, Positif n°120, octobre 1970) M*A*S*H (M.A.S.H.) États-Unis, 1970, 1h56, couleurs, format 2.35 _ Réalisation Robert Altman _ Scénario Ring Lardner Jr., d’après le roman Mash : A Novel About Three Army Doctors de Richard Hooker _ Photo Harold E. Stine _ Musique Johnny Mandel _ Montage Danford B. Greene, Leonard A. Engel _ Décors Stuart A. Reiss, Walter M. Scott _ Costumes Wesley Trist, Mary Tate _ Production Ingo Preminger, Aspen Productions, Ingo Preminger Productions _ Interprètes Donald Sutherland (Hawkeye), Elliott Gould (Trapper John), Tom Skerritt (Duke), Sally Kellerman (la major O'Houlihan, dite Hot Lips), Robert Duvall (le major Frank Burns), Jo Ann Pflug (le lieutenant Dish), René Auberjonois (Dago Red), Roger Bowen (le colonel Henry Blake), Gary Burghoff (Radar O'Reilly), David Arkin (le sergent-major Vollmer), Fred Williamson (Spearchucker), Michael Murphy (Me Lai), Kim Atwood (Ho-Jon), Tim Brown (le caporal Judson), Indus Arthur (le lieutenant Leslie), John Schuck (Painless Pole) _ Sortie aux États-Unis mars 1970 _ Présentation au Festival de Cannes 12 mai 1970 _ Sortie en France 12 août 1970

Klute

1971

d’Alan J. Pakula Tom Gruneman, brillant ingénieur de Pennsylvanie, a disparu depuis six mois. La police est dans l’impasse. L’épouse de Tom et son associé Peter Cable (Charles Cioffi) font appel à John Klute (Donald Sutherland), afin de reprendre l’affaire. La police n’avait qu’une seule piste : une lettre obscène adressée à une prostituée new-yorkaise, Bree Daniels (Jane Fonda).

— M*A*S*H

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Donald Sutherland

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Klute États-Unis, 1971, 1h54, couleurs (Technicolor), format 2.39 _ Réalisation Alan J. Pakula _ Scénario Andy Lewis, Dave Lewis _ Photo Gordon Willis _ Musique Michael Small _ Montage Carl Lerner _ Décors George Jenkins, John Mortensen _ Costumes Ann Roth _ Production Alan J. Pakula, David Lange, Warner Bros., Gus Productions _ Interprètes Jane Fonda (Bree Daniel), Donald Sutherland (John Klute), Charles Cioffi (Peter Cable), Roy Scheider (Frank Ligourin), Dorothy Tristan (Arlyn Page), Rita Gam (Trina), Nathan George (le lieutenant Trask), Vivian Nathan (la psychanalyste), Morris Strassberg (Mr. Goldfarb), Barry Snider (Berger), Betty Murray (Holly Gruneman), Jane White (Janie Dale), Shirley Stoler (Momma Rose), Robert Milli (Tom Gruneman), Jean Stapleton (la secrétaire de Goldfarb), Jan Fielding (la secrétaire de la psychanalyste) _ Sortie aux États-Unis 25 juin 1971 _ Sortie en France 12 janvier 1972

— Klute

Ne vous retournez pas

1973

Don’t Look Now de Nicolas Roeg

John (Donald Sutherland) et Laura Baxter (Julie Christie) ont perdu leur fillette, noyée accidentellement. Alors qu’ils partent à Venise, où John doit travailler à la restauration d’une église, une voyante annonce à Laura qu’elle a vu l’enfant disparue et l’avertit que John est en danger. John éprouve d’étranges hallucinations. Pour le couple, Venise devient dès lors une ville menaçante où le danger point à chaque coin de rue… Spécialiste du suspense et de l’angoisse, Daphné Du Maurier a inspiré de nombreux cinéastes, dont le maître Hitchcock et ici Nicolas Roeg, qui signe l’adaptation d’une de ses nouvelles. Chef opérateur de François Truffaut, John Schlesinger ou David Lean, Nicolas Roeg réalise avec Ne vous retournez pas son troisième long métrage. Soignant chaque plan, le cinéaste met en scène Donald Sutherland dans le rôle de John Baxter, un homme qui ignore tout de ses soudains dons de voyance. Il est sujet à de furtives hallucinations, dont il est incapable de saisir le sens ou de les ordonner. L’ambiance déroutante du film repose à la fois sur ce héros incapable de maîtriser son don et sur l'angoisse diffuse qui s’insinue progressivement à travers la ville. Venise a rarement été filmée de façon aussi glaçante, hors de toute imagerie convenue. Toutes les visions de Baxter créent une ambiance inquiétante auréolée de fantastique. « Paraphrasons Baudelaire : les images, les gestes, les mouvements et les sons se répondent, en une ténébreuse et profonde unité. » (Gérard Lenne, Écran n°29, octobre 1974). La construction précise de Nicolas Roeg permet d'intégrer naturellement dans le monde réel tous les événements inquiétants. Les visions sont toujours complémentaires, jamais juxtaposées et participent subtilement au suspense. « Nulle image n’est gratuite, le fantastique naît, se développe, s’installe avec une rare densité : les objets, les ruelles, les canaux, les rares passants de l’hiver vénitien, les sons et les gestes se répondent, s’interpénètrent, pour composer cette symphonie noire où passe constamment le frisson du véritable fantastique, avec tout ce qu’il doit laisser apparaître de trouble dans notre réalité. En cela, la réussite est absolue. » (Guy Allombert, La Revue du cinéma / Image et son n°290, novembre 1974) Ne vous retournez pas (Don’t Look Now) Royaume-Uni, Italie, 1973, 1h50, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation Nicolas Roeg _ Scénario Alan Scott, Chris Bryant d’après la nouvelle éponyme de Daphné Du Maurier _ Photo Anthony B. Richmond _ Musique Pino Donaggio _ Montage Graeme Clifford _ Décors Francesco Chianese _ Costumes Marit Lieberson, Andrea Galer _ Production Peter Katz, Casey Productions, Eldorado Film _ Interprètes Julie Christie (Laura Baxter), Donald Sutherland (John Baxter), Hilary Mason (Heather), Clelia Matania (Wendy), Massimo Serato (l'évêque Alberto Barbarrigo), Renato Scarpa (l'inspecteur Longhi),

Giorgio Trestini (l'ouvrier), Leopoldo Trieste (le directeur de l'hôtel), David Tree (Anthony Babbage), Ann Rye (Mandy Babbage), Nicholas Salter (Johnny Baxter), Sharon Williams (Christine Baxter), Bruno Cattaneo (le détective Sabbione), Adelina Poerio (la naine) _ Sortie au Royaume-Uni 11 octobre 1973 _ Sortie en Italie 13 décembre 1973 _ Sortie en France 18 septembre 1974

Le Casanova de Fellini

1976

Il Casanova di Federico Fellini de Federico Fellini Venise, la nuit du carnaval. Masqué en Pierrot, Casanova (Donald Sutherland) se rend à un de ses innombrables rendez-vous galants. Ayant eu vent de ses prouesses sexuelles, l’ambassadeur de France assistera, caché, aux ébats de Casanova et de son amante. Quoique félicité par le diplomate, Casanova est ensuite arrêté par l’Inquisition. Accusé d’écrits hérétiques, de conduite immorale et de pratiques cabalistiques, il est jeté dans la prison des Piombi. Son génie lui permet de réussir une évasion extraordinaire, point de départ d’un périple européen…

« Sous la lumière blafarde d’une torche, de fades silhouettes ne s’animeront que le temps, pour nous, d’observer leur agonie. Seul abri possible, bien qu’aussi fermé qu’une prison, la masse obscure d’une baleine surgira dans le brouillard ; un ballet de bossus hantera un carnaval macabre ; sur le rivage, une géante, prise dans un filet, se tiendra accroupie comme une bête. Flottant sur l’eau du Grand Canal, aussi visqueuse que du liquide amniotique, un Casanova-fœtus promènera sur eux son regard vitreux. » (Ornella Volta, Positif n°181, mai 1976) Si cette œuvre, atypique dans la carrière de Fellini, est si sombre et emplie d'une telle tristesse, c’est parce que le cinéaste n’éprouve envers son personnage que le plus profond mépris. Lorsqu’il accepta le projet de Dino De Laurentiis, Fellini n’avait pas encore lu les mémoires de Casanova. Rien ensuite ne se passera comme prévu. Il refuse de réaliser la fresque flamboyante et libertine sur le XVIIIe siècle qu'attendaient les producteurs et consacre un budget colossal (les décors construits à Cinecittà sont grandioses) et toute son énergie à détruire la légende. Il fait de son anti-héros un homme-machine, pantin fanfaron de son sexe qui ne lui apporte ni joie ni plaisir. La mort rôde. « C'est ce refus total, cette absence d'affinités entre Casanova et moi, cette nausée et cette répulsion qui m'ont indiqué dans quel sens organiser mon film : le vide. Un film sur le vide. » (Federico Fellini) Chargé d'incarner le séducteur par excellence, Donald Sutherland eut parfois bien du mal à comprendre les attentes du Maestro. Finalement, il se laissa porter : « Je

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la suivant partout, participe aussi de cette paranoïa. Avec une mise en scène stylisée et des plans tout en longueur, Pakula installe une inoubliable ambiance poisseuse. « Klute est plus que jamais le document qui saisit les palpitations, les névroses et les balbutiements d’une époque en mutation. Il est aussi la preuve de l’incommensurable richesse du film de genre quand l’intuition d’un cinéaste le met en synchronisme avec son temps. Il est, enfin, un film qui a su s’insinuer au plus profond de nos inconscients. Ceux qui l’ont vu et aimé ne s’en remettent pas : gageons qu’il en sera de même pour ceux qui le découvrent maintenant. » (Christian Viviani, Positif n°538, décembre 2005)

Deuxième réalisation d’Alan J. Pakula, Klute inaugure ce qui va devenir, avec À cause d’un assassinat en 1974 et Les Hommes du président en 1976, sa trilogie du complot. La particularité de Klute est d’appliquer le thème à la sphère intime et non politique. Si Klute est le portrait de Bree Daniels, call-girl indépendante, traquée par un sadique, il est aussi celui, en creux, de sa relation avec Klute, entre attraction et répulsion. Campé par un Donald Sutherland quasi mutique, John Klute, figure étrange, observe cette femme complexe, à la fois forte et fragile et assiste à son évolution, à sa prise de conscience. Pakula s’approprie le film noir classique (la figure de l’inspecteur et de la femme en danger), en le transposant à l'époque contemporaine. Mélangeant les styles (les scènes quasi documentaires de Bree chez sa psychanalyste sont bouleversantes), le cinéaste dépeint un milieu et livre une étude de mœurs. Filmé entre chien et loup, Klute est un film troublant. New York y apparaît sale, dangereuse. L’oppression est palpable, les enregistrements des conversations de Bree avec ses clients, anxiogènes. John Klute, espionnant celle-ci, s’installant dans son immeuble, enregistrant ses conversations,

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Le Casanova de Fellini (Il Casanova di Federico Fellini) Italie, 1976, 2h34, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation Federico Fellini _ Scénario Federico Fellini, Bernardino Zapponi, d’après Histoire de ma vie de Giacomo Casanova _ Photo Giuseppe Rotunno _ Musique Nino Rota _ Montage Ruggero Mastroianni _ Décors & costumes Danilo Donati _ Production Alberto Grimaldi, Produzioni Europee Associati _ Interprètes Donald Sutherland (Giacomo Casanova), Tina Aumont (Henriette), Cicely Browne (la marquise d'Urfé), Carmen Scarpitta (Mme Charpillon), Clara Algranti (Marcolina), Daniela Gatti (Giselda), Margareth Clementi (sœur Maria Maddalena), Olimpia Carlisi (Isabella), Silvana Fusacchia (Silvana), Daniel Emilfork (Dubois), Luigi Zerbinati (le pape), Hans Van den Hoek (le prince Del Brando), Dudley Sutton (le duc de Würtemberg), John Karlese (lord Talou), Reggie Nalder (Faulkircher) _ Sortie en Italie 7 décembre 1976 _ Sortie en France 2 mars 1977

Des gens comme les autres

1980

Ordinary People de Robert Redford

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Calvin (Donald Sutherland) et Beth (Mary Tyler Moore) forment un couple modèle. Il est conseiller juridique et fiscal, elle est une bonne maîtresse de maison. Une belle maison d’ailleurs. Et pourtant… Leur fils Conrad (Timothy Hutton) s’est ouvert les veines il y a quelques mois, et il a été sauvé in extremis. Depuis que son frère aîné est mort accidentellement alors qu’ils faisaient du dériveur ensemble, Conrad sombre peu à peu.

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Des gens comme les autres marque le passage à la réalisation de l’acteur vedette Robert Redford. Il entre ici discrètement dans le cercle des cinéastes, en choisissant de ne pas se mettre en scène. Pour son premier long métrage, Redford décide de porter à l’écran l’ouvrage de Judith Guest : « J’ai été intrigué par ce livre, par la manière de décrire cette famille comme si l’on s’était glissé chez eux par le vasistas, en quelque sorte… C’était le premier livre qui m’intéressait autant depuis longtemps. » (Robert Redford). Des gens comme les autres filme de façon subtile la dislocation d’une famille de la upper middle class américaine, suite à la mort accidentelle de l’aîné des enfants. Sous des faux-semblants, chacun dissimule une douleur intense. Conrad, le fils cadet, rappelle par sa seule présence celui qui n’est plus. Rongé par la culpabilité, et après une tentative de suicide, il entame une psychothérapie. Ce cheminement intérieur sera le fil conducteur de la narration. Si le père fait tout pour reconstruire sa famille, la mère,

mutique, s’enferme dans sa douleur. Sa seule obsession : sauver les apparences. Le réalisateur ne cherche pas les coups d’éclat. La douleur est sourde, la sensiblerie absente. « Robert Redford porte un intense regard sur ses personnages et parvient peu à peu à en pénétrer les appartements les plus secrets. » (Didier Goldschmidt, Cinématographe n°67, mai 1981). Le film, récompensé par quatre Oscars, laisse déjà voir les qualités de direction d’acteurs du néocinéaste. « Les Américains ont l’art d’appeler un chat un chat, de ne pas y aller par quatre chemins pour confectionner un scénario. Celui-ci ne fait pas exception, il permet au réalisateur, comme c’est le cas avec des histoires fortement structurées et symboliques, de se concentrer sur le détail, de faire un travail de peintre, d’aquarelliste du sentiment. […] Véritablement les acteurs se défoncent. Donald Sutherland joue le père : il passe de la mollesse gentille à une inquiétude grandissante, physique, une angoisse à couper les jambes. Il est presque rétréci, tassé, utilisant son charisme de comédien de manière purement négative, rentrée. » (Louis Skorecki, Cahiers du cinéma n°322, avril 1981) Des gens comme les autres (Ordinary People) États-Unis, 1980, 2h04, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation Robert Redford _ Scénario Alvin Sargent, d’après le roman Ordinary People de Judith Guest _ Photo John Bailey _ Musique Marvin Hamlisch _ Montage Jeff Kanew _ Décors Jerry Wunderlich, William Fosser _ Costumes Bernie Pollack _ Production Ronald L. Schwary, Wildwood Enterprises _ Interprètes Donald Sutherland (Calvin Jarrett), Mary Tyler Moore (Beth Jarrett), Judd Hirsch (le docteur Berger), Timothy Hutton (Conrad Jarrett), M. Emmet Walsh (l'entraîneur de natation), Elizabeth McGovern (Jeannine Pratt), Dinah Manoff (Karen), Fredric Lehne (Lazenby), James B. Sikking (Ray), Basil Hoffman (Sloan), Quinn Redeker (Ward, le frère de Beth), Mariclare Costello (Audrey, la femme de Ward), Meg Mundy (la grand-mère de Conrad), Elizabeth Hubbard (Ruth), Adam Baldwin (Stillman), Richard Whiting (le grand-père de Conrad) _ Sortie aux États-Unis 19 septembre 1980 _ Sortie en France 11 mars 1981

L'Échappée belle

2017

The Leisure Seeker de Paolo Virzì

Les années ont passé, mais l'amour qui unit Ella (Helen Mirren) et John Spencer (Donald Sutherland) est resté intact. Un matin, déterminés à échapper à l'hospitalisation qui les guette, ils prennent la route à bord de leur vieux camping-car et mettent le cap sur Key West et la maison d’Hemingway. Ils découvrent alors une Amérique qu'ils ne reconnaissent plus et se remémorent des souvenirs communs, mêlés de passion et d’émotion. Une dernière balade en amoureux, sans doute le dernier voyage. Ella a un cancer et John est atteint de la maladie d’Alzheimer. À bord de leur camping-car, ils fuguent, afin de décider eux-mêmes de leurs derniers moments, ensemble.

— Le Casanova de Fellini

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me sentais comme une courtisane dans un harem. En un an, j’ai plus appris que pendant toute ma carrière. Aujourd’hui, je me sens un autre homme. » (L’Express, 21 février 1977). Pour Michel Boujut, « il est ici la marionnette souhaitée par le magicien de Cinecittà. La créature d’un Pygmalion. » (Playboy, avril 1977)

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L'Échappée belle (The Leisure Seeker) Italie, France, 2017, 1h52, couleurs, format 2.39 _ Réalisation Paolo Virzì _ Scénario Stephen Amidon, Francesca Archibugi, Francesco Piccolo, Paolo Virzì, d’après le roman Le Cherchebonheur de Michael Zadoorian _ Photo Luca Bigazzi _ Musique Carlo Virzì _ Montage Jacopo Quadri _ Décors Richard A. Wright _ Costumes Massimo Cantini Parrini _ Production Marco Cohen, Fabrizio Donvito, Benedetto Habib, Marty Eli Schwartz, Indiana Production Company, Bac Films, Rai Cinema _ Interprètes Helen Mirren (Ella Spencer), Donald Sutherland (John Spencer), Christian McKay (Will), Janel Moloney (Jane), Dana Ivey (Lillian), Dick Gregory (Dan Coleman) _ Présentation à la Mostra de Venise 3 septembre 2017 _ Sortie en France 3 janvier 2018 _

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Sortie en Italie 18 janvier 2018

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1972

de Francine Parker — L'Échappée belle

Multiples sont les significations attribuées au titre de ce documentaire contestataire. À commencer par celle des Free Theater Associates, du nom de la troupe. On lui donna aussi le sens de « Free the Army », « Fox-trot, Tango, Alpha », titre d’une des chansons du spectacle, et même celui de « Fuck the Army ». « Comme on voudrait que partout sur la Terre où des innocents sont tués, où des justes sont emprisonnés, des artistes puissent aller chanter la fin des humiliations et des massacres ! Et qu’ils soient écoutés. » (Jean de Baroncelli, Le Monde, novembre 1972). Le show donné par le F.T.A. réunissait chansons féroces, poèmes et sketches écrits par Jules Feiffer, mis en scène par Mike Nichols, et interprétés par Elliot Gould, Peter Boyle, Dick Gregory, Jane Fonda et Donald Sutherland. Inauguré à Fayetteville en Louisiane, près de la base militaire, le spectacle est donné partout où se trouvent des G.I's. En décembre 1971, le F.T.A. Show se produit dans le Pacifique, suivi par la caméra de Francine Parker, pour quatre étapes stratégiques de la tournée. Hawaï, base de départ pour la guerre dans le Sud-Est asiatique, où des GI’s réceptifs signent une pétition pacifiste à la fin du spectacle. Puis Okinawa, où, devant le succès, le groupe doit bisser la représentation ; les Philippines, où a lieu une manifestation en hommage à Andres Bonifacio, leader du Mouvement de Libération nationale. Et enfin le Japon, qui voit la représentation perturbée par des GI’s pro-Nixon. Pamphlet antimilitariste, F.T.A. montre l’absurdité de la guerre par la voix des soldats qui expriment leur désir de rentrer chez eux. Et dénonce par la même occasion toutes les formes de racisme et d’intolérance présentes au sein des bases militaires. « Tonifiant, sans temps morts, F.T.A. enseigne, convainc, amuse, persuade. Et la sincérité de Jane Fonda, longtemps mise en doute, s’avère ici non seulement indéniable, mais déchaînée. » (Michel Grisolia, Cinéma 72 n°171, décembre 1972) F.T.A. États-Unis, 1972, 1h37, couleurs _ Réalisation Francine Parker _ Scénario Jules Feiffer _ Photo Eric Saarinen, Juliana Wang, John Weidman _ Musique Aminadav Aloni _ Montage Michael Beaudry, Joel Moorwood, Judy Reidel _ Production Francine Parker, Jane Fonda, Donald Sutherland, Duque Films, Free Theater Associates, Indochina Peace Committee Films _ Avec Michael Alaimo, Len Chandler, Pamela Donegan, Jane Fonda, Rita Martinson, Robin Menken, Holly Near, Donald Sutherland _ Sortie aux États-Unis 21 juillet 1972 _ Sortie en France 22 novembre 1972

Documentaire

F.T.A.

à Nixon. Mais aussi pour recueillir leur propos, pour la plupart antimilitaristes.

En pleine guerre du Viêt-nam, Jane Fonda, Donald Sutherland et toute une équipe d’acteurs et de techniciens font le tour des bases américaines du Pacifique pour présenter aux G.I.’s un spectacle les incitant à désobéir

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Dans ce road-movie en langue anglaise, le réalisateur italien Paolo Virzì pose sur ce couple un regard tendre et empli d'humanité. Il mélange humour et tragédie pour parler simplement de situations complexes. « Je cherche toujours à lier la trajectoire personnelle de mes personnages à l’état d’esprit de la société dans laquelle ils évoluent. » (Paolo Virzì). Portrait d’un couple, le film est aussi celui de cette Amérique qui leur est devenue étrangère : c’est en écoutant Janis Joplin et Bob Dylan que John et Ella traversent un pays en pleine campagne électorale, celle qui verra Donald Trump accéder au pouvoir. L’Échappée belle est évidemment porté par le duo de comédiens, l’immense Helen Mirren et Donald Sutherland « profond et impérial, mais aussi drôle et imprévisible », selon les mots du cinéaste. Son rôle de John aura été pour le comédien une expérience profondément marquante : « J’étais habité par John. […] C’est un phénomène qui se produit rarement. En tout cas pas souvent, certainement pas à chaque projet, mais parfois – et c’est ce qui s’est passé sur ce film. John me disait quoi faire, me disait ce qu’il voulait, se souvenait de certaines choses quand il pouvait et en oubliait d’autres. […] Il a pris son envol et je l’ai accompagné. » « Le film témoigne d’un temps volé et gagné sur la terreur de l’enfermement d’un hôpital, d’un temps qui s’étire et se déguste avec gourmandise, d’un temps sans chronologie, où les images du passé redeviennent soudain actuelles, images de plaisir et de moments suspendus où parfois se confrontent et surgissent les vieux démons, trahisons, tromperies et fâcheries. » (Gisèle Breteau Skira, Jeune Cinéma n°384, décembre 2017)

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Marco Bellocchio Réalisateur essentiel du cinéma italien, Marco Bellocchio est un sondeur implacable de l’âme italienne et de ses turpitudes humaines, politiques et sociales, avec des films tels que Buongiorno, notte ou Vincere... Éternel insurgé, il présentera en avant-première Le Traître, en compétition cette année au Festival de Cannes, film essentiel sur la chute de Cosa nostra et l'exécution du juge Falcone.

Les Poings dans les poches

1965

Dans ce huis clos, les cinq personnages vont et viennent, s’épient et vivent les douleurs et les envies des autres. Alessandro, le personnage principal, rêve de se faire une place dans l’univers bourgeois, dans lequel évolue déjà son frère aîné. Pour y arriver, il est prêt à tout, même à pousser sa mère dans un ravin. Son épilepsie est un prétexte qui traduit le mal de « frustration permanente » qui secoue l’adolescent. À travers ce personnage, le cinéaste filme à la fois les errements d’un adolescent inadapté à la société et la révolte contre la famille. Marco Bellocchio fait ainsi table rase de toutes les institutions envahissantes et remet en cause une certaine Italie trop morale. Il décrit avec fureur un monde en décomposition et s'attaque aux valeurs traditionnelles de la bourgeoisie. « Pour avoir étayé la rigueur d’une idéologie révolutionnaire par une forme digne d’elle, Bellocchio n’a pas seulement fait œuvre de novateur : il a réalisé le rêve de tout jeune cinéaste, qui est d’offrir à sa génération le miroir où elle peut lire sa propre condition. Mais il n’est pas prophète, ni médecin, et il sait que chacun reste seul avec son haut-mal. » (JeanAndré Fieschi, Cahiers du cinéma n°179, juin 1966) Les Poings dans les poches (I pugni in tasca) Italie, 1965, 1h45, noir et blanc, format 1.85 _ Réalisation & scénario Marco Bellocchio _ Photo Alberto Marrama _ Musique Ennio Morricone _ Montage Silvano Agosti _ Décors Gisella Longo _ Costumes Rosa Sala _ Production Enzo Doria, Doria Cinematografica _ Interprètes Lou Castel (Alessandro), Paola Pitagora (Giulia), Marino Masé (Augusto), Liliana Gerace (la mère), Pierluigi Troglio (Leone), Jennie MacNeil (Lucia), Irene Agnelli (Bruna), Celestina Bellocchio (la fille à la fête), Stefania Troglio (la serveuse), Gianni Schicchi (Tonino), Alfredo Filippazzi (le médecin) _ Présentation au Festival de Locarno 31 juillet 1965 _ Présentation à la Mostra de Venise août 1965 _ Première à Milan 13 décembre 1965 _ Sortie en Italie 10 mars 1966 _ Sortie en France 18 avril 1966

I pugni in tasca de Marco Bellocchio

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Révélation de l’année 1965, Marco Bellocchio, jeune cinéaste de 26 ans, s’inscrit dans la vague d’un nouveau cinéma européen en rupture, plus personnel et plus social. Premier film du réalisateur, Les Poings dans les poches dispose d’un budget réduit et d’une petite équipe de neuf personnes. Il remporte plusieurs prix dans des festivals et reçoit un très bon accueil critique à sa sortie. Pier Paolo Pasolini dira que Les Poings dans les poches appartient « au cinéma de prose mais une prose bien particulière, une prose qui bien des fois déborde vers la poésie. »

Buongiorno, notte

2003

de Marco Bellocchio

Rome, 1978. Chiara (Maya Sansa), jeune terroriste engagée dans la lutte armée, est impliquée dans l’enlèvement et la séquestration d’Aldo Moro (Roberto Herlitzka). À travers ses yeux – parfois égarés, souvent apeurés, consciemment ou inconsciemment aveugles face à la réalité qui l’entoure – se dessine l’univers complexe des « années de plomb ». Sa foi absolue dans la révolution l’emprisonne dans les rituels de la clandestinité. Avec Buongiorno, notte – commandé par la Rai Cinema –, Marco Bellocchio interroge un pan dramatique de l’histoire italienne : l’enlèvement et l'exécution d’Aldo Moro en 1978. Le Prisonnier, ouvrage d’Anna Laura Braghetti, sera l’une de ses références les plus importantes pour l’écriture du scénario.

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Lumière 2019 — Invités d’honneur

— Les Poings dans les poches

Une demeure familiale dans la campagne proche de Piacenza. Épileptique, le jeune Alessandro (Lou Castel) vit entouré de sa mère aveugle, de son frère aîné Augusto (Marino Masé) qu’il admire, de sa sœur Giulia (Paola Pitagora) à qui il voue un amour coupable et de son frère Leone (Pierluigi Troglio), épileptique lui aussi et retardé. Pour mettre un terme à l'oppression familiale, Alessandro se convainc que la seule solution est d’éliminer les inutiles…

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Lumière 2019 — Invités d’honneur

Buongiorno, notte Italie, 2003, 1h45, couleurs & noir et blanc, format 1.85 _ Réalisation & scénario Marco Bellocchio _ Photo Pasquale Mari _ Musique Riccardo Giagni _ Montage Francesca Calvelli _ Décors Marco Dentici _ Costumes Sergio Ballo _ Production Marco Bellocchio, Sergio Pelone, Filmalbatros, Rai Cinema _ Interprètes Maya Sansa (Chiara), Luigi Lo Cascio (Mariano), Pier Giorgio Bellocchio (Ernesto), Giovanni Calcagno (Primo), Paolo Briguglia (Enzo), Roberto Herlitzka (Aldo Moro) _ Présentation à la Mostra de Venise 4 septembre 2003 _ Sortie en Italie 5 septembre 2003 _ Sortie en France 4 février 2004

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Vincere

2009

et dirige le quotidien L’Avanti. Ida croit en lui, en ses idées. Pour l’aider à financer Il popolo d’Italia, point de départ du futur parti fasciste, elle vend tous ses biens… Grâce au documentaire de Fabrizio Laurenti et Gianfranco Norelli, Il segreto di Mussolini, Marco Bellocchio découvre l’histoire d’Ida Dalser et de son fils, reconnu puis renié par Mussolini. Deux ouvrages, La moglie di Mussolini de Marco Zeni et Il figlio segreto del Duce d’Alfredo Pieroni, permettent au cinéaste de mieux comprendre le destin de cette femme qui le touche profondément par « son refus absolu de tout compromis ». Le cinéaste y trouve documents et témoignages, comme des lettres d’Ida adressées au pape et au Duce. Vincere – "vaincre" en français – raconte deux conquêtes : celle du pouvoir par Mussolini et celle de la reconnaissance par Ida. Le réalisateur voit en cette femme une héroïne de tragédie grecque, une Antigone « … qui raconte l’invincibilité d’une petite femme italienne qu’aucun pouvoir ne fera fléchir. D’une certaine façon, c’est elle qui gagne. » (Marco Bellocchio) Bellocchio utilise des images d’archives pour des raisons stylistiques, « afin de ressentir le temps de l’histoire ». Aussi, dans Vincere, dès 1922, l’acteur disparaît pour laisser place au Duce. Le film, au rythme dense et à la forme spectaculaire, montre le cœur de l’idéologie mussolinienne, à travers les yeux et la vie d’une femme. « Trouver une forme qui combine la passion privée et l’histoire. […] J’utilise le même langage visuel que le futurisme, ou le fascisme, mais dans un sens complètement différent. […] Je voulais raconter comment une relation privée était emportée, bouleversée par le mouvement historique. C’est ce qui me fascinait, d’où ces choix esthétiques.» (Marco Bellocchio, Cahiers du cinéma n°650, novembre 2009) Vincere Italie, France, 2009, 2h04, couleurs & noir et blanc, format 1.85 _ Réalisation & scénario Marco Bellocchio _ Photo Daniele Ciprì _ Musique Carlo Crivelli ; Giuseppe Verdi, Giacomo Puccini _ Montage Francesca Calvelli _ Décors Marco Dentici _ Costumes Sergio Ballo _ Production Mario Gianani, Offside, Rai Cinema, Celluloid Dreams _ Interprètes Giovanna Mezzogiorno (Ida Dasler), Filippo Timi (Benito Mussolini), Fausto Russo Alesi (Riccardo Paicher), Michela Cescon (Rachele Mussolini), Pier Giorgio Bellocchio (Pietro Fedele), Corrado Invernizzi (le docteur Cappelletti), Paolo Pierobon (Giulio Bernardi), Bruno Cariello (le juge), Francesca Picozza (Adelina), Simona Nobili (la mère supérieure), Vanessa Scalera (la gentille nonne), Giovanna Mori (l'Allemand), Patrizia Bettini (le chanteur), Silvia Ferretti (Chaussures rouges), Corinne Castelli (Larmes), Fabrizio Costella (Benito Albino jeune) _ Présentation au Festival de Cannes 19 mai 2009 _ Sortie en Italie 20 mai 2009 _ Sortie en France 25 novembre 2009

de Marco Bellocchio Dans la vie de Mussolini, il y a un lourd secret, inconnu de l'histoire officielle : une femme, Ida Dalser (Giovanna Mezzogiorno), et un enfant, Benito Albino, conçu, reconnu puis renié. Ida rencontre Mussolini (Filippo Timi) de manière fugace, à Trente, et elle est éblouie. Elle le retrouve à Milan, en ardent militant socialiste qui harangue les foules

— Buongiorno, notte

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Alors que dès son premier film, Les Poings dans les poches (1965), il pressentait le drame qui se nouait dans son pays, Marco Bellocchio met ici en scène un événement traumatique réel. Dans les deux films, les enfants exécutent les parents. Dans Buongiorno, notte, le propre fils du réalisateur, Pier Giorgio Bellocchio, interprète l’un des terroristes qui éliminera Aldo Moro, figure d’un père symbolique, celui de la démocratie chrétienne. Sans prendre parti et en évitant toute forme de manichéisme, le réalisateur mêle fiction et chronique, grâce aux images d’archives TV. Dans l’appartement qui fait office de prison, la télévision permet de sortir du huis clos et de restituer le climat politique de l’époque. « J’ai fait un film ; qui ira le voir y cherche, et peut-être y trouve, je crois, émotion, implication. Et non un raisonnement historique, politique. » (Marco Bellocchio, La Repubblica, 15 septembre 2003) Inspiré d’un vers d’Emily Dickinson, « Good morning midnight », le titre suggère ce passage du jour à la nuit et laisse entendre que l’assassinat d’Aldo Moro a fait basculer le pays dans un régime plus radical. « Je voulais le représenter comme un rite quasi funèbre. Vers la fin du film tout s’accentue et devient une représentation d’une liberté possible mais en référence à aujourd’hui, à 2003. » (Marco Bellocchio, Positif n°516, février 2004) Multi récompensé, le film met toutes les parties d’accord à sa sortie : il raconte l’échec d’une génération et d’une utopie extrême. « Bellocchio ne travaille le mythe que pour proposer ce lien d’affectabilité aux spectateurs. Il montre avec compassion la passabilité de ceux qui vont commettre l’irrémédiable, comme pour changer quelque chose (de notre avenir) sans rien changer (de ce qui a eu lieu). » (Laurence Giavarini, Cahiers du cinéma n°589, avril 2004)

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famille, celle de Cosa Nostra. La famille le relie une fois de plus à la tragédie. Bellocchio imbrique factuel et fictionnel avec une grande intelligence. Dans Le Traître, il raconte une Italie pervertie, au travers d’une intimité, celle qui lie Tommaso Buscetta au juge Falcone. « Il n’est ni un héros ni un lâche. S’il est passé à l’ennemi, c’est-à-dire du côté de l’État, c’est pour le bien de tous. Et aussi pour donner un coup d’accélérateur à sa croissance personnelle, en se coupant radicalement d’un passé dans lequel il ne se reconnaissait plus. » (Marco Bellocchio)

Production IBC Movie, Kavac Film, Rai Cinema, Gullane, Ad Vitam Production, Match Factory Productions _ Interprètes Pierfrancesco Favino (Tommaso Buscetta), Luigi Lo Cascio (Totuccio Contorno), Fausto Russo Alesi (Giovanni Falcone), Maria Fernanda Cândido (Maria Cristina de Almeida Guimarães), Fabrizio Ferracane (Pippo Calò), Nicola Calì (Totò Riina), Giovanni Calcagno (Tano Badalamenti), Bruno Cariello (Alfonso Giordano), Bebo Storti (Franco Coppi), Vincenzo Pirrotta (Luciano Liggio), Goffredo Maria Bruno (Stefano Bontate), Gabriele Cicirello (Benedetto Buscetta), Paride Cicirello (Antonio Buscetta) _ Présentation au Festival de Cannes 23 mai 2019 _ Sortie en Italie 23 mai 2019

Le Traître (Il traditore) Italie, France, Brésil, Allemagne, 2019, 2h31, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Marco Bellocchio _ Scénario Marco Bellocchio, Valia Santella, Ludovica Rampoldi, Francesco Piccolo _ Photo Vladan Radovic _ Musique Nicola Piovani _ Montage Francesca Calvelli _ Décors Andrea Castorina, Jutta Freyer _ Costumes Daria Calvelli _

Avant-première

Le Traître

2019

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Il traditore de Marco Bellocchio

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Au début des années 80, la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta (Pierfrancesco Favino), membre de Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Pendant ce temps, en Italie, les règlements de comptes s’enchaînent, et les proches de Buscetta sont assassinés les uns après les autres. Arrêté par la police brésilienne, puis extradé vers l'Italie, Buscetta prend une décision qui va changer l’histoire de la mafia : il va rencontrer le juge Falcone et trahir le serment fait à Cosa Nostra.

Dernier film de Marco Bellocchio, salué à Cannes et récompensé dans plusieurs festivals, Le Traître narre l’histoire vraie du mafioso Tommaso Buscetta, extradé depuis le Brésil, devenu informateur du juge Falcone. S’ouvrira ainsi une série de grands procès collectifs, provoquant la condamnation de 475 personnes. Dédié au juge Falcone et sorti en Italie à la date anniversaire de son assassinat (le 23 mai 1992), Le Traître n’est pas un nouveau film sur la mafia, mais un film sur la mise en accusation et le jugement de toute une génération sicilienne encore soumise au réseau criminel. À l’image du travail du magistrat, le réalisateur filme des hommes et non des icônes du gangstérisme : « les mafieux sont des gens comme les autres. Il y a les sympathiques et les antipathiques. Les intelligents et les idiots. Les brutes et les vulnérables… » La trahison est l’un des thèmes constitutifs de l’œuvre de Marco Bellocchio. Déjà au centre de son premier film, Les Poings dans les poches, la trahison touche ici une autre

— Le Traître

Lumière 2019 — Invités d’honneur

— Vincere

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Marina Vlady L’insaisissable Marina Vlady devient une icône troublante de l'adolescence avec Avant le déluge d’André Cayatte. Elle tourne, très jeune, notamment avec Robert Hossein, Marco Ferreri, Jean-Luc Godard, Bertrand Tavernier, Márta Mészáros. Rencontre avec cette actrice, auteure et chanteuse d’origine russe aux mille facettes, à la prolifique carrière internationale.

Le Lit conjugal

1963

Subjuguée par la beauté de Marina Vlady dans Jours d’amour de Giuseppe De Santis, Marco Ferreri l’a choisie pour interpréter Regina, cette femme vampire, qui, après l’avoir épuisé sexuellement, ne voit plus, une fois enceinte, aucune utilité à son époux, réduit à son seul rôle procréateur. Regina, dans une tradition familiale vouée au dogme catholique, perpétue la trajectoire de sa mère et de ses tantes, toutes solitaires. Prix d’interprétation féminine à Cannes en 1963, Marina Vlady, âgée de 26 ans seulement, campe un personnage d’une grande justesse, entre candeur et perversité. Le réalisateur dépeint avec férocité un égoïsme et une solitude liés à l’existence même. « Il n’y a pas de scène gratuitement complaisante dans le film de Ferreri, et la grande originalité de l’auteur est d’avoir maintenu avec ténacité le propos de son œuvre au niveau le plus fondamental, le plus élémentaire et le plus ancien – puisqu’il rappelle l’origine de la vie – celui du sexe. » (Michel Mardore, Cahiers du cinéma n°146, août 1963) Le Lit conjugal (Una storia moderna – L’Ape Regina) Italie, France, 1963, 1h35, noir et blanc, format 1.85 _ Réalisation Marco Ferreri _ Scénario Rafael Azcona, Marco Ferreri, avec la collaboration de Diego Fabbri, Pasquale Festa Campanile et Massimo Franciosa, d’après une pièce de Goffredo Parise _ Photo Ennio Guarnieri _ Musique Teo Usuelli _ Montage Lionello Massobrio _ Décors Massimiliano Capriccioli _ Costumes Luciana Marinucci _ Production Henryk Chroscicki, Alfonso Sansone, Sancro Film, Fair Film, Cocinor, Les Films Marceau _ Interprètes Ugo Tognazzi (Alfonso), Marina Vlady (Regina), Walter Giller (le père Mariano), Linda Sini (la mère supérieure), Riccardo Fellini (Riccardo), Gian Luigi Polidoro (Igi) _ Sortie en Italie 22 avril 1963 _ Présentation au Festival de Cannes 9 mai 1963

Una storia moderna - L’Ape Regina de Marco Ferreri

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Marco Ferreri s’installe en Espagne à la fin des années 50, et réalise trois films, dont El cochecito (1960). De retour en Italie, il s’intéresse à la pièce de Goffredo Parise, La moglie e cavallo, et à partir de cette œuvre très courte – un acte seulement –, il écrit, avec l’aide de Rafael Azcona et de plusieurs collaborateurs, Le Lit conjugal. Avant sa sortie, le film, accusé d’obscénité, est frappé par la censure et les copies sont bloquées. Mais la justice finira par l’autoriser. Le film, dont le titre original est nettement plus évocateur – l’Ape Regina, ou la reine des abeilles, qui rejette le mâle après la fécondation –, aborde les thèmes de l’obsession, de la cruauté, sous couvert d’une critique de l’emprise de la religion en Italie.

Le Temps de vivre

1969

de Bernard Paul

Martigues. 1968. Un couple comme il en existe des milliers. Louis (Frédéric de Pasquale), ouvrier plâtrier, fait des heures supplémentaires pour que ses enfants et son épouse Marie (Marina Vlady) bénéficient de tout le confort matériel : bel appartement dans une HLM moderne, cuisine équipée, télévision, voiture… Mais Louis se tue à la tâche et n’a plus de contact avec sa famille. En allant à la plage, Marie rencontre un jeune professeur, Michel Castro (Chris Avram)… Assistant de René Clément, de Clouzot, de CostaGavras, Bernard Paul réalise ici son premier film, d’après le roman éponyme d’André Remacle. Le livre n’est pas un reportage, mais il a été écrit à partir d’une enquête précise. Le film, fidèle à l’esprit du roman, est une immersion dans la réalité, comme le souhaitait son réalisateur. Inspiré par le long métrage de Chris Marker, À bientôt j’espère, Bernard Paul en appelle à l’authenticité. Son film

— Le Lit conjugal Lumière 2019 — Invités d’honneur

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Alfonso (Ugo Tognazzi), célibataire de 40 ans, directeur d’entreprise, décide de se marier, sur les conseils du père Mariano (Walter Giller), son ami d’enfance. Il rencontre la belle et jeune Regina (Marina Vlady), qui vit avec sa mère et ses tantes, veuves toutes les trois. Il fait sa conquête et l’épouse. Alfonso croit avoir trouvé le bonheur, mais, bientôt, les exigences sexuelles de sa femme, qui veut un enfant – elle ne s’est mariée que pour cela –, l’épuisent.

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1969

Syuzhet dlya nebolshogo rasskaza de Sergueï Youtkevitch Saint-Pétersbourg, octobre 1896. Venu de Moscou pour assister à la première de sa pièce La Mouette, Anton Tchekhov (Nikolaï Grinko) préfère aller accueillir à la gare l’actrice Lika Mizinova (Marina Vlady), qui arrive de Paris après une longue absence. C’est elle qui lui a inspiré La Mouette. En attendant le train, dans sa chambre d’hôtel, Tchekhov revit l’histoire de son amour avec Lika…

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— Le Temps de vivre

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commence par une interview d’ouvriers sur un chantier. Les intervenants, dépassant les questions purement salariales, aspirent à une autre société, dans l’esprit du bouleversement dus aux événements du mois de mai. « Jamais l’homme n’a disposé d’autant de moyens d’être heureux, jamais il n’a eu pareille possibilité d’étancher sa soif de plaisirs et de confort, et jamais il n’a eu autant de mal à appréhender le bonheur. » (Bernard Paul). S’attaquant à la société de consommation par le prisme d’une classe ouvrière aliénée par de pseudo-besoins, le réalisateur filme un couple en crise. Louis (Frédéric de Pasquale), ouvrier plâtrier, se tue au travail pour assurer une "belle vie" à sa famille, mais passe à côté de l’essentiel. Le film montre la fausseté de la possession matérielle et comment peu à peu le système spectaculaire-marchand parvient à conditionner un prolétariat vidé de ses capacités révolutionnaires. Le titre révèle la difficulté pour Louis de prendre conscience de sa situation, perdant sa vie à la gagner.

Le Temps de vivre est le premier volet d’une trilogie sociale, d’une lucidité rare dans le cinéma français des années 70. Mais après Beau Masque (1972) et Dernière sortie avant Roissy (1977), Bernard Paul décèdera prématurément en 1980, à 50 ans. « Ce beau film vous concerne tous. Le ciel bleu du midi, le confort, l’amour même, les biens de ce monde ne sont rien si on nous ôte le temps de vivre. Cette histoire à la fois si romanesque et si vraie nous le fait sentir avec une poignante évidence. » (Simone de Beauvoir) Le Temps de vivre France, 1969, 1h45, couleurs (Eastmancolor) _ Réalisation & scénario Bernard Paul d’après le roman éponyme d’André Remacle _ Photo William Lubtchansky _ Musique Georges Moustaki _ Montage Daniele Grimberg _ Production Claire Duval, Orphée Productions _ Interprètes Marina Vlady (Marie), Frédéric de Pasquale (Louis), Catherine Allégret (Catherine), Françoise Godde (Angelina, la serveuse), Chris Avram (Michel Castro), Yves Afonso (René), Georges Staquet (Enrico), Boudjema Bouhada (Mohammed), Louise Rioton (la belle-mère de Louis), Anne Guillard (Corine), Éric Damain (Jean-Marc) _ Sortie en France 11 juin 1969

Après Lénine en Pologne, primé à Cannes en 1966, Sergueï Youtkevitch réalise ici une œuvre originale, qui s’inspire d’un épisode important de la vie de Tchekhov. Le soir de la première représentation de sa pièce La Mouette, Tchekhov revit son histoire avec Lika, celle avec qui il échangea un premier baiser au bord d’un lac, après avoir découvert une mouette blessée, et qui servit de modèle à son personnage principal. Homme de théâtre et peintre, cofondateur de la Fabrique de l’acteur excentrique (Feks), collectif d’avant-garde soviétique actif au théâtre comme au cinéma, Sergueï Youtkevitch puise ses inspirations dans plusieurs domaines : « Tout ce que m’avaient enseigné la peinture, le théâtre devait devenir la plus solide des fondations sur laquelle il était possible de bâtir sa vie cinématographique. » Dans ce film dont l’action s’articule autour d’une pièce de théâtre, le cinéaste a lui-même créé les décors, peints sur toile. Il met en scène une chronique intime sur la difficulté de l’artiste : « Je veux décrire le processus de la création et les relations entre l’artiste et la réalité. » Tchekhov, face à son amour perdu, retourne vers un passé douloureux et tendre à la fois. Youtkevitch filme avec délicatesse la solitude, source de création pour l’écrivain. Sa muse et amante, Lika, est interprétée par Marina Vlady, qui avait déjà exploré l’œuvre du dramaturge en interprétant Irina dans Les Trois Sœurs en 1966. « Un amour de Tchekhov est sans doute l’une des œuvres les plus achevées de ma carrière. » (Marina Vlady, 24 images seconde, Fayard) « Youtkevitch a réalisé un de ses meilleurs films, une œuvre douce-amère, aux coloris subtils, délicats qui, pour le plaisir du cinéphile, rappelle par instants Méliès et le cinéma soviétique des années 20-30. » (Philippe Haudiquet, Image et son n°238, avril 1970) Un amour de Tchekhov (Syuzhet dlya nebolshogo rasskaza) Union Soviétique, France, 1969, 1h26, couleurs, format 2.20 _ Réalisation Sergueï Youtkevitch _ Scénario Leonide Maliouguine _ Photo Naoum Ardachnikov _ Musique Rodion Chtchedrine _ Montage Klavdia Aleeva _ Décors Arnold Weissfeld _ Costumes Liudmila Koussakova _ Production Lev Kouchelevitch, Mosfilm, Telcia Films _ Interprètes Nikolaï Grinko

(Anton Tchekhov), Marina Vlady (Lika Mizinova), Ilya Savvina (Maria Tchekhova), Rolan Bykov (Mikhaïl Pavlovich Tchekhov), Aleksandra Panova (Evguenia Yakovlevna Tchekhova), Evgueni Lebedev (Pavel Egorovitch Tchekhov), Youri Yakovlev (Potapenko), Leonide Gallis (Vladimir Guiliarovski), Vladimir Ossenev (Kourbatov), Ekaterina Vassilieva (Ovtchinnikova) _ Sortie en Union soviétique 6 octobre 1969 _ Sortie en France 16 janvier 1970

Que la fête commence

1975

de Bertrand Tavernier

1719. Quatre ans après la mort de Louis XIV, le régent Philippe d’Orléans (Philippe Noiret) s’ennuie à la cour et se divertit, entre soupers libertins et fêtes galantes. Il confie les affaires du pays à l’abbé Dubois (Jean Rochefort), un ecclésiastique athée, débauché et cupide, alors que la famine sévit dans le pays. En protestation, le marquis de Pontcallec (Jean-Pierre Marielle) conspire contre le régent et tente de rassembler une armée, avec l’aide de l’Espagne, afin de proclamer la République de Bretagne. Bertrand Tavernier vient d’achever sa première réalisation, L’Horloger de Saint Paul (1974), et souhaite changer radicalement de sujet. Pour cela, il choisit un roman d’Alexandre Dumas, La Fille du Régent, qu’il réécrit totalement avec Jean Aurenche, coscénariste de son film précédent. Pour Jean Rochefort, « faire un film d’époque avec Tavernier, c’est faire du cinéma fantastique, puisque c’est faire d’une Arriflex 35 mm une machine à remonter le temps. » Film historique, Que la fête commence revient sur la Régence, huit années qui ont chamboulé la France et annoncé, à soixante-dix ans de distance, la Révolution. La trame repose sur quatre personnages, trois hommes incarnés par des acteurs grandioses : Philippe Noiret, Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle, et une femme, Marina Vlady, qui, selon Tavernier, est « si belle que je la croirais sortie d’un tableau de Watteau. » « Enfin quelqu’un en France osait me faire sortir de mon image de froideur, me donnait l’impression de montrer un autre tempérament, un appétit de vivre, une franche gaieté, et ce en compagnie des plus brillants comédiens du moment. » (Marina Vlady, 24 images seconde, Fayard) Pour ce scénario en forme de chronique, Bertrand Tavernier et Jean Aurenche s’inspirent des livres de Claude Manceron et des films historiques de Luigi Comencini. Multi récompensé – César 1976 du meilleur scénario, du meilleur réalisateur, du meilleur second rôle, du meilleur décor –, le film reconstitue avec une grande justesse le quotidien de la Régence et ouvre une réflexion sur l’Histoire des Français et sur leur mémoire. « Nous avons donc tourné ce film comme si le cinéma avait été inventé en 1720, en essayant de lui donner un

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Un amour de Tchekhov

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ton moderne, en utilisant la caméra à la main, le son direct et uniquement des extérieurs réels. Il ne s’agissait pas d’oublier l’Histoire au profit du quotidien, mais de ne la retrouver qu’à certains moments, comme par hasard, de manière inattendue et brutale et de lui donner cette couleur automnale qui est celle d’un monde qui s’écroule. » (Bertrand Tavernier) Que la fête commence France, 1975, 1h54, couleurs (Eastmancolor), format 1.85 _ Réalisation Bertrand Tavernier _ Scénario Bertrand Tavernier, Jean Aurenche _ Photo Pierre-William Glenn _ Musique Antoine Duhamel d’après des manuscrits de Philippe d’Orléans régent de France _ Montage Armand Psenny _ Décors Pierre Guffroy _ Costumes Jacqueline Moreau _ Production Michelle de Broca, Yves Robert, Fildebroc, Les Productions de la Guéville _ Interprètes Philippe Noiret (Philippe d’Orléans), Jean Rochefort (l’abbé Dubois), Jean-Pierre Marielle (le marquis de Pontcallec), Christine Pascal (Émilie), Marina Vlady (Marie-Madeleine de Parabère), Nicole Garcia (la Fillon), Raymond Girard (Chirac), Jacques Hilling (l’abbé Grattelard), Bernard Lajarrige (Amaury de Lambilly), Monique Lejeune (Madame de Sabran), Georges Riquier (Brunet d’Ivry), Brigitte Roüan (la prostituée), Andrée Tainsy (la religieuse), Stéphane Bouy (Nocé), Thierry Lhermitte (le comte de Horn), Jacqueline Parent (Séverine), Hélène Vincent (Madame de Saint-Simon) _ Sortie en France 26 mars 1975

Elles deux

1977

Ök ketten de Márta Mészáros

un travail et que l’épanouissement de la femme rend ce travail difficile pour l’homme : « La femme est devenue aussi plus cruelle avec l’homme parce qu’elle veut aussi sa propre vie, et c’est ça qui est important, cette bagarre, ce travail…  » (Márta Mészáros, Cahiers du cinéma n°284, janvier 1978) Le cinéma de Márta Mészáros questionne surtout la communication entre homme et femme. « Car au fond, l’important c’est de savoir ce que l’on est, ce que l’on veut, et de bâtir avec les autres des rapports détachés de tous les faux-semblants tissés par la société. Et dans Elles deux, Márta Mészáros dépasse les problèmes de l’autonomie des femmes. Elle en vient à se demander ce qu’elles peuvent bâtir avec les hommes. » (Monique Portal, Jeune Cinéma n°109, mars 1978) Elles deux (Ök ketten) Hongrie, 1977, 1h32, couleurs (Eastmancolor), format 1.85 _ Réalisation Márta Mészáros _ Scénario Márta Mészáros, Géza Bereményi, Ildikó Kórody _ Photo János Kende _ Musique György Kovács _ Montage Éva Kármentõ _ Décors Ferenc Schöffer _ Costumes Ildikó Szabó _ Production Dialóg Filmstúdió _ Interprètes Marina Vlady (Mari), Éva Szabó (la voix de Mari), Lili Monori (Juli), Jan Nowicki (János), András Szigeti (la voix de János), Zsuzsa Czinkóczi (Zsuzsi) _ Présentation au Festival du film de New York 5 octobre 1977 _ Sortie en Hongrie 5 janvier 1978 _ Sortie en France 8 février 1978

Également au programme Avant le déluge d'André Cayatte (p.47)

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— Elles deux

Après avoir vu Marina Vlady dans Sirocco d’hiver de Miklós Jancsó (1969), Márta Mészáros souhaite lui donner le rôle de Mari, une femme calme, à la vie de famille en apparence équilibrée. La réalisatrice met en scène deux femmes que tout sépare, physique, caractère, position sociale. Extérieurement et intérieurement, ce duo est radicalement opposé, et c’est cette dualité que le film explore : Juli et Mari se repoussent et s’attirent à chaque instant. Elles deux interroge la force des liens familiaux et la difficulté de vivre ensemble. Mari, mariée depuis vingt ans, se retrouve face à un couple confronté à l’alcoolisme de l’époux et qui, malgré tout, résiste et continue de s’aimer. Mari, dont on pourrait croire qu’elle apportera la paix à Juli, prend conscience de l’ennui profond dans lequel est plongé son propre couple depuis vingt ans et découvre qu’un nouveau départ est possible. La naissance de cette amitié les amène à réfléchir sur leur vie et à la modifier. Une des rares femmes cinéastes du cinéma hongrois d’alors, Márta Mészáros montre que l’amour est devenu

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Deux femmes se rencontrent, Mari (Marina Vlady) directrice d’un foyer pour ouvrières, et une de ses pensionnaires, Juli (Lili Monori), dont la vie est bouleversée par un mari ivrogne. L’amitié qui naît entre Mari et Juli va transformer leurs deux existences.

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Révélé par Amours chiennes, Gael García Bernal est une personnalitéphare du cinéma mexicain et international. Acteur pour Pedro Almodóvar, Alfonso Cuarón, Walter Salles, Pablo Larrain, Werner Herzog, il façonne une impressionnante et exigeante filmographie. Pour Lumière 2019, il présente, en avant-première, son nouveau film en tant que réalisateur : Chicuarotes.

Amours chiennes

Amores perros d’Alejandro González Iñárritu

2000

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Octavio (Gael García Bernal), adolescent, fait combattre son chien Cofi, afin de réunir l’argent nécessaire pour s’enfuir avec sa belle-sœur. Valeria (Goya Toledo), célèbre mannequin, s’installe avec Daniel (Alvaro Guerrero), un homme marié, (et avec son bichon) dans un luxueux appartement. El Chivo (Emilio Echevarría), ancien guérillero désormais à la rue, exécute des contrats pour survivre avec sa horde de chiens errants. Un terrible accident de voiture va unir ces trois destins qui ne devaient jamais se croiser.

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— Amours chiennes

« Il y a une chose dont je suis certain, c’est que ce film, je ne l’ai pas fait avec l’intellect, mais à force d’instinct et d’intuition. Je n’y ai pas mis non plus mon cœur, mais mes boyaux et un morceau de foie. Je crois que nous avons chacun donné un bout de notre vie pour ce projet, il y a toujours eu sur le plateau une étrange communion, un silence qui cultivait bien des sentiments contradictoires et qui a donné comme résultat des émotions assourdissantes. Pas d’inspiration mais de la transpiration, ni pitié, ni compassion, ni concession, les choses telles qu’elles sont, pas comme nous voulons les voir. »

Premier long métrage d’Alejandro González Iñárritu, qui jusque-là travaillait à la radio et à la télévision, Amours chiennes est un film-choc, qui connut un succès retentissant dans son pays, le Mexique. Sur une construction rigoureuse et ambitieuse, avec une rage et une tension permanentes, le jeune cinéaste filme la mosaïque sociale qu’est Mexico, à ses yeux « ville de chaos, de violence et de corruption ». Il adapte son ton, son rythme, à chaque milieu social : brutal et rageur pour les quartiers pauvres où évolue Octavio (fabuleux Gael García Bernal, ici révélé au grand public), étouffant pour l’environnement sécurisé et luxueux de Valeria et Daniel, mélancolique pour El Chivo, désormais à l’heure du bilan. Dans cette narration dense (où la première histoire, celle d’Octavio, a la durée d’un long métrage classique), Iñárritu exprime la douloureuse expérience d’êtres vivants à la recherche de la rédemption. La violence et le désir sont des pulsions animales, et les chiens sont révélateurs de l’(in)humanité générale. « À la manière de Kieslowski, le cinéaste organise son récit avec une intelligence diabolique et choisit une mise en scène en parfaite adéquation avec son propos. […] Un film remarquablement abouti, chargé d’une émotion intense, réflexion sur la vulnérabilité de l’expérience humaine. Et puis en filigrane, le chaos cru, violent, de la ville la plus peuplée du monde ne cesse de peser sur le destin de millions d’hommes et de femmes qui comme les protagonistes du film errent à la recherche d’une improbable rédemption. » (Gérard Camy, Jeune Cinéma n° 263, juillet 2000) Amours chiennes (Amores perros) Mexique, 2000, 2h34, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Alejandro González Iñárritu _ Scénario Guillermo Arriaga Jordán _ Photo Rodrigo Prieto _ Musique Gustavo Santaolalla ; Control Machete, Los Gatos Negros, The Hollies, Los del Garrote… _ Montage Alejandro González Iñárritu, Luis Carballar, Fernando Pérez Unda _ Décors Brigitte Broch _ Costumes Gabriela Diaque _ Production Alejandro González Iñárritu, Altavista Films, Zeta Film _ Interprètes Emilio Echevarría (El Chivo), Gael García Bernal (Octavio), Goya Toledo (Valeria), Alvaro Guerrero (Daniel), Vanessa Bauche (Susana), Jorge Salinas (Luis), Marco Pérez (Ramiro), Rodrigo Murray (Gustavo), Humberto Busto (Jorge), Gerardo Campbell (Mauricio), Rosa María Bianchi (tante Luisa) _ Présentation au Festival de Cannes 14 mai 2000 _ Sortie au Mexique 16 juin 2000 _ Sortie en France 1er novembre 2000

Carnets de voyage

2004

Diarios de motocicleta de Walter Salles

En 1952, deux Argentins, Alberto Granado (Rodrigo de la Serna) et Ernesto Guevara (Gael García Bernal), partent à la découverte de leur continent, l’Amérique latine. Ils commencent leur expédition sur une vieille moto, une Nor-

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Gael García Bernal

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Coproduit par South Fork Pictures avec Robert Redford comme producteur exécutif, Carnets de voyage est un récit initiatique sur la jeunesse d’Ernesto Guevara avant qu’il ne devienne le Che, basé sur son récit Voyage à motocyclette et celui de son binôme, Alberto Granado, Sur la route avec Che Guevara. Repéré pour son film Central do Brasil (1998), le réalisateur brésilien Walter Salles se voit donc confier un sujet qu’il connaît déjà bien : « Ce livre a eu un impact sur moi parce qu’il n’est pas seulement un voyage initiatique mais aussi la recherche de ce que j’appellerais une identité latino-américaine. La beauté du voyage tient à ce qu’Ernesto et Alberto ont gardé les yeux grands ouverts sur la réalité et en ont été profondément transformés. C’est à partir de cet acquis qu’ils essaieront plus tard de changer le cours des choses. » (Walter Salles). Il porte à l’écran les deux récits avec l’aide du jeune dramaturge et scénariste portoricain José Rivera, après avoir lu toutes les biographies consacrées au révolutionnaire. Imprégné du parcours des deux amis, le réalisateur rencontre leur famille, avant d’accomplir le même voyage. Il constate alors que les choses n’ont pas changé, ni socialement, ni politiquement, depuis les années 50. « La grande surprise fut de constater à quel point ces livres sont modernes et contemporains. » Pour le casting, Salles fait appel à des acteurs et figurants argentins, avec pour seule exception le choix, pour incarner le jeune Ernesto Guevara, du Mexicain Gael García Bernal, qu’il décrit comme « l’un des talents les plus extraordinaires de sa génération ». Ne cherchant pas à reconstituer historiquement les récits, le réalisateur montre comment la prise de conscience de Guevara s’est faite au cours de son voyage : « Dans ce film, la réalité sociale et politique de l’Amérique latine émerge par étapes, imprègne progressivement le film, amenant avec elle une tonalité de plus en plus grave. » (Walter Salles)

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Carnets de voyage (Diarios de motocicleta) Argentine, Brésil, Chili, Pérou, États-Unis, 2004, 2h05, noir et blanc & couleurs, format 1.85 _ Réalisation Walter Salles _ Scénario Jose Rivera, d’après les ouvrages Voyage à motocyclette d’Ernesto Che Guevara et Sur la route avec Che Guevara d’Alberto Granado _ Photo Eric Gautier _ Musique Gustavo Santaolalla _ Montage Daniel Rezende _ Décors Carlos Conti _ Costumes Beatriz De Benedetto, Marisa Urruti _ Production Michael Nozik, Edgard Tenenbaum, Karen Tenkhoff, Daniel Burman, Diego Dubcovsky, South Fork Pictures, Tu Vas Voir Productions _ Interprètes Gael García Bernal (Ernesto Guevara), Rodrigo de la Serna (Alberto Granado), Mercedes Morán (Celia de la Serna), Jean-Pierre Noher (Ernesto Guevara Lynch), Lucas Oro (Roberto Guevara), Marina Glezer (Celita Guevara), Sofia Bertolotto (Ana Maria Guevara), Franco Solazzi (Juan Martin Guevara), Ricardo

Díaz Mourelle (l’oncle Jorge), Sergio Boris (un jeune voyageur), Daniel Kargieman (un jeune voyageur), Diego Giorzi (Rodolfo), Facundo Espinoza (Tomás Granado) _ Présentation au Festival de Cannes 19 mai 2004 _ Sortie en Argentine 29 juillet 2004 _ Présentation au Festival de Telluride 2 septembre 2004 _ Sortie en France 8 septembre 2004

La Mauvaise Éducation

2004

La mala educación de Pedro Almodóvar Au début des années 60, dans une institution religieuse, deux garçons, Ignacio et Enrique, découvrent l’amour, le cinéma et la peur. Le père Manolo, directeur de l’établissement et professeur de littérature, est témoin et acteur de ces premières découvertes. À Madrid, vingt ans plus tard, Enrique (Fele Martínez) est devenu cinéaste. Un jour, Ignacio se présente à lui avec le projet d’adapter à l’écran sa nouvelle La Visite…

Dix-sept ans après avoir réalisé La Loi du désir, Pedro Almodóvar explore une nouvelle fois des thématiques profondément personnelles, à travers l’histoire d’un réalisateur. Réflexion sur son désir de cinéma qu’il a poursuivie en 2019 avec Douleur et gloire. Évitant l’écueil de l’autobiographie, le film s’ancre dans une époque et des lieux familiers au réalisateur. La Mauvaise Éducation dépasse la simple charge anticléricale, et ne se veut ni visée dénonciatrice ni réflexion sur la movida madrilène des années 80. Pedro Almodóvar choisit pourtant de situer le récit contemporain dans l’ivresse de liberté que vit l’Espagne en cette période, en opposition à sa genèse en plein obscurantisme dans les années 60. Le film est l’histoire d’un triangle composé d’Enrique, Ignacio et le père Manolo, où fiction et réalité se fondent. Entre dédoublement, duplicité et jeu de miroirs, le récit constitue une réflexion sur le désir, ceux qui le suscitent et ceux qui y succombent ou en sont victimes. Malgré le ton fantasque de son long métrage, le cinéaste le considère comme un « film noir », avec des clins d’œil à Assurance sur la mort de Billy Wilder. Le personnage principal, interprété par Gael García Bernal, est l’incarnation de la femme fatale : tous ceux qui l’approchent courent à leur perte. En flamboyant transsexuel, il joue pour la première fois pour le cinéaste madrilène. Film dense, profondément délicat, La Mauvaise Éducation montre le cinéma comme la clé qui dévoile et guérit les maux. « Je devais faire La Mauvaise Éducation, je devais me l’enlever de la tête avant que ça tourne à l’obsession. J’avais remanié le scénario pendant plus de dix ans, et ça pouvait continuer comme ça dix ans de plus.

— Carnets de voyage

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ton 500 de 1939, baptisée "La Poderosa" (la Puissante)… L’aventure prend progressivement une tournure différente. La confrontation avec la réalité sociale et politique des différents pays qu’ils traversent bouleverse la perception que les deux amis ont du monde. Cette expérience vécue à un moment décisif de leur vie éveillera de nouvelles vocations, associées à un désir de justice sociale.

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La Mauvaise Éducation (La mala educación) Espagne, 2004, 1h46, couleurs (Eastmancolor), format 1.85 _ Réalisation & scénario Pedro Almodóvar _ Photo José Luis Alcaine _ Musique Alberto Iglesias _ Montage José Salcedo _ Décors Antxón Gómez _ Costumes Paco Delgado, Jean-Paul Gaultier _ Production Pedro Almodóvar, Agustín Almodóvar, Canal+ España, El Deseo, Instituto de la Cinematografía y de las Artes Audiovisuales, Preparatory Action of the European Union, Televisión Española _ Interprètes Gael García Bernal (Angel / Juan / Zahara), Fele Martínez (Enrique Goded), Javier Camara (Paquier), Daniel Giménez Cacho (le père Manolo), Lluís Homar (M. Berenguer), Francisco Boira (Ignacio), Francisco Maestre (le père José), Juan Fernández (Martin), Ignacio Pérez (Ignacio, enfant), Raúl García Forneiro (Enrique, enfant), Alberto Ferreiro (Enrique Serrano), Petra Martinez (la mère d’Ignacio), Sandra (Nancy Doll), Roberto Hoyas (le barman) _ Présentation au Festival de Cannes 12 mai 2004 _ Présentation au Festival de Telluride 5 septembre 2004 _ Sortie en Espagne 19 mars 2004 _ Sortie en France 12 mai 2004

No

2012

de Pablo Larraín

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Chili, 1988. Le dictateur Augusto Pinochet organise un référendum pour légitimer son pouvoir. René Saavedra (Gael García Bernal), jeune publicitaire, est contacté par un responsable de la coalition de gauche pour superviser la campagne du "No". Dans un premier spot au ton léger, René recycle l’une de ses pubs pour un soda. Les commanditaires sont choqués, mais René soutient l’idée d’une campagne positive, plutôt que d’évoquer les horreurs de la dictature…

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— La Mauvaise Éducation

Après Tony Manero en 2008 et Santiago 73, post mortem en 2010, Pablo Larraín clôt sa trilogie sur la dictature de Pinochet avec un dernier opus consacré au référendum qui a entraîné la chute du régime en 1988. Le réalisateur chilien a 12 ans lorsqu’il assiste à ce renversement ; il en gardera un souvenir inoubliable. Il fait le choix de filmer avec le matériel de l’époque, et utilise une vraie caméra de publicitaire, une U-Matic de 1983, qui lui permet d’uniformiser la tonalité, mêlant ainsi à la perfection les archives et ses images, dont le grain participe à notre plongée au cœur de l’Histoire. « De mon enfance marquée par la dictature, je retiens une image sale, basse définition, représentation de la souffrance et de l’obscurantisme. » (Pablo Larraín) Le cinéaste choisit Gael García Bernal pour interpréter René : « Le travail avec lui a été fascinant. Il a une grande conscience politique, construit ses personnages à partir de ses propres centres d’intérêt et possède un vrai regard – ce qui est rare. » (Pablo Larraín, L’Avant-scène cinéma n°635, septembre 2016). Ce jeune publicitaire ambitieux

n’a pas de conscience politique aiguisée, il est avant tout guidé par sa créativité. "Vendre le Non" s’avère plus grisant que de vendre du soda. Forçant le trait de la dictature, montrant des images kitsch et criardes, René prend le parti du rire : la tyrannie n’y résiste pas. Mais le film est lucide et montre comment le parti du "Non" bascule dans le "Oui" au capitalisme, l’intelligence du scénario se révélant dans les séquences en miroir de début et de fin. « No peut alors dépasser le théâtre de l’histoire chilienne pour étriller le grand show médiatique de nos sociétés démocratiques. Le plaisir de dire "oui" ou "non" révèle l’amplitude de nos compromissions et de nos renoncements masqués sous le simulacre d’une désobéissance trop codifiée pour être honnête.  » (Vincent Thabourey, Positif n°625, mars 2013) No Chili, États-Unis, 2012, 1h57, couleurs & noir et blanc, format 1.40 _ Réalisation Pablo Larraín _ Scénario Pedro Peirano, d’après la pièce Le Référendum d’Antonio Skármeta _ Photo Sergio Armstrong _ Musique Carlos Cabezas _ Montage Andrea Chignoli _ Décors Estefania Larrain _ Costumes Francisca Román _ Production Daniel Marc Dreifuss, Juan de Dios Larraín, Pablo Larraín, Fuentealba Rodrigo, Participant Media, Funny Balloons, Fábula Producciones _ Interprètes Gael García Bernal (René Saavedra), Antonia Zegers (Veronica), Alfredo Castro (Lucho Guzman), Luis Gnecco (José Tomas Urrutia), Marcial Tagle (Alberto Arancibia), Elsa Poblete (Carmen), Pascal Montero (Simon), Roberto Farías (Marcelo) _ Présentation au Festival de Cannes 12 mai 2012 _ Sortie au Chili 9 août 2012 _ Sortie aux États-Unis 15 février 2013 _ Sortie en France 6 mars 2013

Avant-première

Chicuarotes

2019

de Gael García Bernal Un bus file tranquillement sur une route de l’immense mégalopole de Mexico City, dans un quartier populaire de sa périphérie, San Gregorio Atlapulco. Deux adolescents, Cagalera (Benny Emmanuel) et Moloteco (Gabriel Carbajal), sont grimés en clown, répétant leur numéro devant ce public d’occasion, pour gagner quelques pesos. Devant le manque de réactions, l’un d’eux sort son arme et ils dévalisent les passagers avant de s’enfuir avec leur butin. Acteur célébré de Pedro Almodóvar, Michel Gondry, Alejandro González Iñárritu ou Alfonso Cuarón, Gael García Bernal réalise ici son deuxième long métrage après Déficit en 2007, inédit en France. Influencé par les réalisateurs avec lesquels il a tourné, il plonge dans les racines de la violence chez les jeunes Mexicains, avec un duo d’adolescents qui bascule dans la délinquance. À la manière de Los olvidados de Luis Buñuel (1950), le film dresse une chronique d’une adolescence miséreuse dans les bas quartiers de Mexico. Le titre, "Chicuarotes", est le nom d’un type de piment cultivé dans le quartier de San

Lumière 2019 — Invités d’honneur

Vu la quantité de combinaisons possibles, la trame de La Mauvaise Éducation ne pouvait finir de s’écrire qu’une fois le film tourné, monté et mixé. »

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Gregorio Atlapulco, où ont grandi Cagalera et Moloteco et aussi le surnom de ses habitants. L’ambivalence du titre suggère le caractère échauffé du duo et rappelle qu’ils ne peuvent échapper au lieu qui les définit. Au début de Chicuarotes, les adolescents, déguisés en clowns, essayent de gagner de l’argent avec leur numéro et, n’obtenant rien, procèdent à un braquage. Cette spirale de la violence naît, selon le cinéaste, lorsqu’on grandit dans un environnement conflictuel. Quelles que soient les mesures prises par la société, point de salut sans une famille affectueuse. La fuite en avant est inéluctable. « [Les adolescents] rejettent une trajectoire imposée et veulent quitter leur lieu de résidence. […]. Ce qu’ils veulent vraiment, c’est sortir de cet environnement violent. » (Gael García Bernal) À l’instar d’Alejandro González Iñárritu ou d’Alfonso Cuarón, fers de lance du nouveau cinéma mexicain, Gael García Bernal, travaillant avec de jeunes talents, plonge au cœur de ce vivifiant cinéma national. « Beaucoup

de gens veulent faire des films au Mexique et prendre comme exemple la liberté que nous exerçons et pour laquelle nous nous battons. Par exemple, avec Chicuarotes, nous avons réalisé le film que nous voulions, c’est un exploit remarquable. Il existe peu de pays où les films peuvent être réalisés de cette façon. » Chicuarotes Mexique, 2019, 1h35, couleurs, format 2.35 _ Réalisation Gael García Bernal _ Scénario Augusto Mendoza _ Photo Juan Pablo Ramírez _ Musique Leonardo Heiblum, Jacobo Lieberman _ Montage Sebastián Sepúlveda _ Décors Luisa Guala _ Costumes Amanda Cárcamo _ Production Gael García Bernal, Marta Núñez Puerto, La Corriente del Golfo, Pulse Films _ Interprètes Dolores Heredia (Tonchi), Ricardo Abarca (Planchado), Daniel Giménez Cacho (Chillamil), Gabriel Carbajal (Motoleco), Benny Emmanuel (Cagalera), Pedro Joaquín (Víctor), Leidi Gutiérrez (Sugheili), Saúl Mercado (Karina), Enoc Leaño (Baturro) _ Présentation au Festival de Cannes 20 mai 2019 _ Sortie au Mexique 28 juin 2019

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Sublimes

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moments du muet — Chicuarotes


Rendez-vous immanquable du festival, le grand ciné-concert à l’Auditorium de Lyon. Cette année, grâce à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, en avant-première mondiale, à la fois au Konzerthaus à Berlin et au Festival Lumière à Lyon, projection dans les conditions de l’époque de l’œuvre géante d’Abel Gance, La Roue, enfin intégralement reconstituée et restaurée. Un événement majeur.

La Roue

1923

Lumière 2019 — Sublimes moments du muet

d’Abel Gance

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Un train vient de dérailler. Sisif (Séverin-Mars), un chef-mécanicien, découvre dans les débris une fillette qui lui tend les bras. Il décide de ramener la jeune orpheline chez lui. Les années passent. Sisif a adopté la petite Norma ; Elie, son fils (Gabriel de Gravone) et celle-ci (Ivy Close) grandissent comme frère et sœur. Mais Sisif s’assombrit, devient brutal, et souffre de voir les prétendants rôder autour de Norma…

— La Roue

« Faire marcher les catastrophes des sentiments et celles des machines de pair, aussi grandes, aussi élevées comme signification les unes que les autres ; montrer l’ubiquité de tout ce qui bat d’un cœur et d’un tiroir à vapeur. […] La matière est vivante, dit ma métaphysique, depuis que j’ai l’âge de raison. La preuve lyrique est à faire. (Abel Gance, Prisme, Gallimard). Cette preuve lyrique, Gance – tout juste 30 ans et déjà auréolé du succès de J’accuse – compte bien la donner avec un film inspiré du roman Le Rail de Pierre Hamp. Initialement intitulé La Rose du rail, le film devient La Roue. La Roue, comme celle de la Fatalité, qui touche ici Sisif.

Après seize mois de tournage et 200 000 mètres de pellicule impressionnée, le cinéaste livre à Pathé 11 000 mètres de film (le contrat en prévoyait au maximum 2 100) et une fresque contemporaine démesurée, teintée de tragédie grecque, inspirée des mythes d’Œdipe et de Sisyphe : Gance plonge le spectateur dans les méandres de l’âme humaine. Cocteau disait qu’il y avait « le cinéma d’avant La Roue et celui d’après La Roue ». Tout est novateur : les personnages ne sont plus les seuls qui importent ; les objets, les images, le rythme, les plans amènent l’histoire vers la poésie visuelle. Le montage est inventif, la narration intense, les mouvements d’appareils précurseurs. C’est de l’écriture par l’image. La première version de La Roue, présentée en séance privée en décembre 1922, durait huit heures et donna lieu à une véritable "bataille d’Hernani", entre admirateurs fanatiques et opposants forcenés. Le temps mutilera largement l’œuvre, maintes fois remaniée par Gance lui-même. La restauration, due à la Fondation Seydoux-Pathé, est exceptionnelle. Menée à partir du négatif du film, du scénario original d’Abel Gance, ainsi que de la liste musicale conçue par Arthur Honegger et Paul Fosse pour l’accompagnement des projections, elle redonne à La Roue son ampleur d’origine. Et recrée un spectacle proche de celui auquel ont assisté les spectateurs du Gaumont-Palace à partir de février 1923 – à la différence que le film était alors projeté en quatre époques d’une heure trente chacune. « Les spectateurs les plus attentifs à l’évolution du cinéma ne peuvent être insensibles à ce que cette œuvre incomparable – si ce n’est aux chefs d’œuvre de Griffith dont Gance a été incontestablement impressionné – comporte de grandeur, de poésie et de force visionnaire : il ne leur échappe pas davantage que ce film, “où l’on trouve à peu près tout ce que le cinéma muet put acquérir pour devenir un art propre”, pourra écrire Pierre Leprohon, est un point de non-retour qui donne définitivement un sens au rêve d’un langage nouveau, capable d’inventer son propre univers. » (Pierre L’Herminier, Annales du cinéma français, Les voies du silence, 1895-1929, Nouveau Monde) La Roue France, 1923, 6h53, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation & scénario Abel Gance _ Assistant réalisation Blaise Cendrars _ Photo Léonce-Henri Burel, Marc Bujard, Maurice Duverger _ Musique Arthur Honegger _ Montage Abel Gance, Marguerite Beaugé _ Production Pathé Consortium Cinéma, Société des Films Abel Gance _ Interprètes Séverin-Mars (Sisif), Ivy Close (Norma), Gabriel de Gravone (Elie), Pierre Magnier (Jacques de Hersan), Georges Térof (Machefer), Gil Clary (Dalilah) _ Présentation 14, 21 et 28 décembre 1922 _ Sortie en France 17 février 1923

Restauration rendue possible grâce à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé à partir du matériel conservé à la Cinémathèque française et à la Cinémathèque suisse avec le soutien du CNC. En co-production avec l’Auditorium de Lyon.

› Avec le soutien de la SACEM

Lumière 2019 — Sublimes moments du muet

Ciné-concert à l’Auditorium de Lyon

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« Va voir le ciel et la terre de ton Andalousie. Andalousie rime avec jalousie. Ce qui est très légitime de ma part, mais être jalouse d’une terre !... » (Musidora, lettre du 5 mars 1923 à Antonio Cañero). Libre et indépendante, Musidora a imposé sa personnalité dans un milieu essentiellement masculin. Actrice, réalisatrice et productrice, elle a choisi le cinéma pour exprimer son esprit d’aventure. Hommage en terres ibériques à celle qu’Aragon surnommait « la Dixième Muse ».

La Fête espagnole, Vicenta, Soleil et ombre

1919-1922

Lumière 2019 — Sublimes moments du muet

de Germaine Dulac, Musidora, Jacques Lasseyne

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Trois histoires d’amour, de passion et de jalousie sous le soleil espagnol. Hommage à Musidora, icône des années 1910, devenue productrice et cinéaste dans les années 20, à travers deux de ses réalisations : son film Soleil et ombre, et des images sauvegardées de Vicenta. Mais aussi quelques minutes retrouvées de La Fête espagnole de Germaine Dulac, autre pionnière française. Musidora naît Jeanne Roques en 1889 à Paris, d’un père compositeur, et d’une mère femme de lettres féministe. Liberté, modernité et art sont les bases de son éducation. Très tôt, elle s’initie à la danse, au chant, à la peinture, au dessin, au théâtre, à l’écriture… C’est en s’inspirant de Fortunio de Théophile Gautier que l’artiste choisit son nom de scène : Musidora. Elle se produit dans les théâtres parisiens et c’est aux Folies-Bergère que Louis Feuillade

la remarque et lui ouvre les portes de Gaumont. Elle fera sensation dans son rôle d’Irma Vep dans Les Vampires de Feuillade (1915), mais aussi dans Judex (1916). Elle est d’une beauté inquiétante, fatale, elle est la Vamp. Musidora enthousiasme les surréalistes, Louis Aragon la sacre « Dixième Muse ». Elle décide de prendre son indépendance et de passer derrière la caméra. Dans un milieu particulièrement misogyne, elle crée sa propre maison de production, la Société des Films Musidora. Vicenta en est la première production, sur un scénario original de l’actrice (auparavant, elle a adapté deux textes de son amie Colette). La cinéaste tourne à Louveciennes et au pays basque. Cette aventure romanesque ne rassemble pas les foules. L’art de l’ellipse a séduit Musidora, mais pas la critique de l’époque. Pourtant le film regorge de trouvailles de mise en scène. « Musidora, comédienne, fait preuve d’un jeu antithéâtral, tirant ses meilleurs effets de son impassibilité même. Les séquences préservées sont d’un vif tempo, amusantes à voir, étonnantes en raison de l’exotisme relatif des prises de vue en Biscaye et du contre-emploi de Musidora en victime. » (Nicolas Gabriel, Jeune Cinéma n°391, décembre 2018). C’est pour le film Pour Don Carlos, adaptation du roman de Pierre Benoit, que Musidora rencontre Jaime de Lasuen (fils d’un farouche partisan de Don Carlos, prétendant au trône d’Espagne) qui, sous le pseudonyme de Jacques Lasseyne, cosigne ses prochaines réalisations. Elle y rencontre également le torero Antonio Cañero dont elle tombe amoureuse. Elle tombe aussi sous le charme de l’Espagne où, pour elle, règne « une ambiance propice à la création cinématographique ». « Je résolus de tourner un film que je pourrais revoir dans vingt ans sans déplaisir. Je pensais qu’une image dont la cadence est forte de vérité et d’harmonie reste comme une page bien écrite. On a plaisir à la relire. » Ce sera Soleil et ombre, sans doute son film le plus accompli. Tournant en extérieurs à Tolède, Musidora endosse, en plus de la réalisation, un double premier rôle, offrant une composition sobre et poignante. Le réalisme de ses images, particulièrement modernes (contrastes de lumière, mouvements de caméra), apporte à Soleil et ombre un aspect quasi documentaire. Le roi Alphonse XIII l’adoubera : « Une Française a fait là un film absolument espagnol et dans l’esprit espagnol ». Pour compléter ce programme-hommage à Musidora-cinéaste, un fragment de La Fête espagnole de Germaine Dulac, autre réalisatrice française avant-gardiste, sur un scénario de Louis Delluc (pour la première fois au générique d’un film). Germaine Dulac, elle aussi, succombe ici au charme de l’Espagne, terre de fantasmes, celle de Pierre Louÿs, d’Alfred de Musset ou de Washington Irving. La cinéaste délaisse le récit au profit d’images picturales, créant un film où les sensations prédominent. Le journaliste Pierre Scize de conclure : « un film fauve dont le sujet est la lumière, l’air chaud, la poussière ».

— Musidora

La Fête espagnole France, 1919, fragment de 8min, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation Germaine Dulac _ Scénario Louis Delluc _ Photo Paul Parguel _ Décors Gaston David _ Production Les Films Louis Nalpas _ Interprètes Ève Francis (Soledad), Gaston Modot (Réal), Jean Toulout (Miguélan), Robert Delsol (Juanito), Anna Gay (la vieille Paguien) _ Sortie en France 4 mai 1920 Vicenta France, 1919, fragment de 20min, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation & scénario Musidora _ Photo Welle _ Montage Musidora _ Production Société des Films Musidora _ Interprètes Musidora (Vicenta, la fille de l’auberge), Jean Guitry (Moretino), Guiraud-Rivière (le prince Romano), Lancien, de Goncin _ Sortie en France 14 mai 1920

Soleil et ombre France, 1922, 43min, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation Musidora, Jacques Lasseyne _ Scénario Musidora, d’après la nouvelle L’Espagnole de Maria Star _ Photo Frank Daniau-Johnston _ Montage Nini Bonnefoy _ Production Société des Films Musidora _ Interprètes Musidora (Juana / l’étrangère), Antonio Cañero (Antonio de Baena), Simone Cynthia (l’amie de Juana), Paul Vermoyal (l’antiquaire), Miguel Sánchez (le secrétaire) _ Sortie en France 6 octobre 1922

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Musidora

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1908. L’illustrateur et caricaturiste Émile Cohl invente le dessin animé avec Fantasmagorie. Deux minutes, un trait blanc sur fond noir, la fusion du dessin et du cinéma. Retour sur l’œuvre d’un pionnier avec un programme de courts métrages aussi beaux qu’inventifs.

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— Le Petit Chantecler

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— Fantasmagorie

Programme de courts métrages

1908-1910

d’Émile Cohl

« Comment j’ai inventé les dessins animés ? Mon Dieu, c’est bien simple : parce que j’étais truqueur de naissance. Depuis plus de soixante ans, j’ai déversé dans une multitude de journaux, grands, et surtout petits, les devinettes, concours, rébus, problèmes, etc., qui forment la partie réservée spécialement à la jeunesse, toujours intéressée à ce genre de sport. […] L’habitude de faire constamment travailler sa pauvre cervelle afin de trouver du nouveau, de l’inédit, autant que possible. » (Émile Cohl, Paris-Soir, 15 septembre 1934) L’illustrateur Émile Courtet, dit Cohl, entre dans l’histoire du cinéma le 17 août 1908, avec la projection publique de Fantasmagorie. Il a alors 51 ans. Premier dessin animé de l’histoire du cinéma, le film, qui dure moins de deux minutes, est entièrement dessiné d’un trait blanc sur fond noir. Une révolution. La projection a lieu au théâtre du Gymnase à Paris, à quelques mètres du musée Grévin qui avait accueilli un autre précurseur, Émile Reynaud et son "théâtre optique", préfiguration du cinéma et du dessin animé. Grand caricaturiste (Lautrec, Hugo, Gambetta…), Émile Cohl est également photographe. Lorsqu’il se lance dans le dessin d’animation, il a déjà intégré les travaux de Méliès et les expérimentations créatives d’Émile Reynaud. Il fait basculer l’art du dessin dans l’art cinématographique, tout récemment sorti de son statut d’attraction foraine. En 1908, Cohl intègre la maison Gaumont pour trois ans : cette année-là, il y réalise vingt-deux films, catalogue des représentations formelles en matière d’animation, en exploitant toutes les possibilités de la prise de vue image par image. « Au spectacle de ses films, transparaît de manière incessante l’exultation qu’il n’aura pas manqué d’éprouver à leur réalisation. » (Isao Takahata, in Pierre Courtet-Cohl & Bernard Génin, Émile Cohl, l’inventeur du dessin animé, Omniscience). Suivent de nombreux courts métrages, Un drame chez les fantoches, le premier drame de l’intériorité humaine en dessin animé, Chaussures matrimoniales (1909) où les objets sont dotés d’une vie propre, Binettoscope (1910) où l’on découvre un clown-bateleur et des jeux et rébus… Émile Cohl s’en donne à cœur joie. Magicien des lignes à l’imagination débordante, modeleur d’images et artiste prolifique, il vient d’ouvrir les portes du cinéma d’animation, aux possibilités infinies. Programme de courts métrages France, 1908-1910, 1h10, noir et blanc _ Réalisation Émile Cohl _ Production Gaumont

— Le Papillon meurtri

Nouvelles restaurations Le Papillon meurtri The Broken Butterfly de Maurice Tourneur

1919

Marcene (Pauline Starke), jeune Canadienne naïve, déambule dans un bois, où elle rencontre Darrell Thorne (Lew Cody), compositeur venu là chercher l’inspiration. Ils s’abandonnent l’un à l’autre. Darrell écrit une symphonie intitulée Marcene et demande à celle-ci de l’accompagner à New York pour la première. Mais Marcene refuse, craignant la réaction de sa cruelle tante Zabie (Mary Alden). Quelques mois plus tard, elle donne naissance à un enfant et les relations avec sa tante s’enveniment. Ainsi, lorsque Darrell revient, Zabie lui annonce que Marcene est morte…

Né Maurice Félix Thomas à Paris en 1876, Maurice Tourneur devient cinéaste sur le tard, à 37 ans. Auparavant, sa carrière fut aussi diverse que riche. Après ses études au lycée Condorcet, où il fait la rencontre de son ami Francis Jourdain, il devient l’apprenti du peintre Karbowsky, élève de Puvis de Chavannes, puis travaille chez le maître lui-même et dans l’atelier d’Auguste Rodin, devenant ainsi peintre-décorateur et illustrateur. Ce qui l’amènera au théâtre, d’abord dans les coulisses comme régisseur, puis sur les planches aux côtés de Réjane, et enfin dans la troupe d’André Antoine. C’est le réalisateur Émile Chautard qui l’introduit dans les studios : le cinéaste l’invite en 1912 à le rejoindre, en tant qu’assistant-réalisateur, au sein de la firme Éclair. Un an plus tard, il réalise son premier film, et en 1914, la société lui propose de partir travailler au États-Unis au sein de sa succursale de Fort Lee, dans le New Jersey. Il lui suffira de quelques mois pour s’imposer comme un cinéaste qui compte et devenir l’un des réalisateurs les plus en vue de la côte Est. Parmi ses nombreuses réalisations américaines figure Le Papillon meurtri. On peut reprocher son intrigue à ce mélodrame intimiste, mais pas le travail du cinéaste. À travers ses recherches visuelles, le magnifique jeu d’ombre et de lumière, les cadrages et éclairages soignés, la mise en

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Émile Cohl

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Le Papillon meurtri (The Broken Butterfly) États-Unis, 1919, 58min, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation Maurice Tourneur _ Scénario H. Tipton Steck, Charles E. Whittaker, d’après le roman Marcene de Penelope Knapp _ Photo René Guissart _ Décors Ben Carré _ Production Maurice Tourneur Productions _ Interprètes Lew Cody (Darrell Thorne), Pauline Starke (Marcene Elliot), Mary Alden (Zabie Elliot), Peaches Johnson, Nina Byron _ Sortie aux États-Unis 1er novembre 1919 _ Sortie en France 12 janvier 1923

Giboulées conjugales   1926 The First Year de Frank Borzage

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La jolie Grace (Kathryn Perry) a deux prétendants, Tom (Matt Moore) et Dick (John Patrick), son rival. Après quelques habiles exercices de séduction, Grace choisit Tom. Les deux tourtereaux se marient. Bientôt arrive le moment de s’installer ensemble…

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— Giboulées conjugales

À Broadway, la comédie The First Year, de Frank Craven, connut un succès retentissant : deux ans à l’affiche et plus de sept cents représentations ! Frank Borzage, qui s’est déjà intéressé aux jeunes mariés (Bad Girl, The Nth Commandment), trouve là le matériel idéal pour une adaptation réussie, grâce à l’excellente scénariste Frances Marion. Croquant les démêlés d’un couple lors de leur première année de mariage, le cinéaste signe une jolie comédie de mœurs, un vaudeville matrimonial mené tambour battant. Les scènes humoristiques se succèdent, jusqu’à celle, désopilante, du diner d’affaire pour lequel le couple invite un businessman et son épouse. De catastrophe en quiproquos, c’est un délicieux désastre. Notons au passage le personnage inénarrable de la bonne, qui confirme le talent de directeur d’acteurs de Borzage… « The First Year, [dont le] sujet traité ici en mode franchement comique, s’insère dans cette diégétique borzagienne

si particulière, consacrée aux expériences et déboires des jeunes mariés à l’aube de leur vie commune. […] La trame en soi est sans prétention, jonglant entre comédie de boulevard et farce, puisque le sujet en est cette "rougeole matrimoniale" qu’il “vaut mieux attraper jeune”. […] Quant à la morale, elle se résume au conseil pince-sans-rire : “Ne vous mariez pas avant la deuxième année !” » (Hervé Dumont, Frank Borzage, un romantique à Hollywood, Actes Sud / Institut Lumière) Giboulées conjugales (The First Year) États-Unis, 1926, 1h15, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation Frank Borzage _ Scénario Frances Marion, d’après la pièce The First Year, a Comic Tragedy of Married Life de Frank Craven _ Photo Chester A. Lyons _ Production Frank Borzage, William Fox, Fox Film Corp. _ Interprètes Matt Moore (Tom Tucker), Kathryn Perry (Grace Livingston), John Patrick (Dick Loring), Frank Currier (Dr. Livingston), Frank Cooley (Mr. Livingston), Virginia Madison (Mrs. Livingston), Carolynne Snowden (Hattie, la bonne), J. Farrell MacDonald (Mr. Barstow), Margaret Livingston (Mrs. Barstow) _ Sortie aux États-Unis 7 mars 1926

› Avec le soutien de la HFPA

L’Amour   de Jeanne Ney

1927

Die Liebe der Jeanne Ney de Georg Wilhelm Pabst Une petite ville de Crimée, pendant la Révolution. Un jeune bolchevik, Andreas (Uno Henning), est amoureux de Jeanne Ney (Édith Jeanne), la fille d’un Français installé en Russie (Eugen Jensen). Il est chargé d’arrêter le père de la jeune fille, mais celui-ci résiste et Andreas est contraint de l’abattre. Jeanne, de retour en France, s’installe chez son oncle (Adolf E. Licho), un répugnant détective privé et sa fille Gabrielle (Brigitte Helm). Un escroc, Khalibiev (Fritz Rasp), se fiance avec Gabrielle, tout en courtisant Jeanne. L’oncle est assassiné… Connu, entres autres, pour La Rue sans joie (1925) et Loulou (1928), G. W. Pabst a réalisé entre ces deux films, en 1927, L’Amour de Jeanne Ney, adaptation d’un roman subversif de l’écrivain russe Ilya Ehrenbourg, dont l’action se déroule entre la Crimée et Paris. Pabst trace le portrait de la révolution, de l’armée bolchévique et de son chef, avenant et souriant. Scandale : le film est jugé trop favorable aux Soviétiques, alors décrits comme des brutes sanguinaires au couteau entre les dents. La UFA intervient et censure. Avec cette histoire d’amour sur fond de révolution, Pabst s’attaque à un univers peu aimable : une petite-bourgeoise cupide et corrompue, des mariages d’intérêt sans amour… Seul un amour fou peut triompher de cet environnement veule.

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scène elle-même, Tourneur s’impose comme un styliste de l’image. Son but : créer des émotions avec une atmosphère qui prévaut sur l’action. Pour lui, « une bande doit avoir une âme ». En 1918, le magazine Photoplay classe Maurice Tourneur quatrième plus grand metteur en scène du moment, après Griffith, Ince et DeMille. Un talent également reconnu en France par Louis Delluc : « M. Maurice Tourneur est évidemment le metteur en scène français qui a le mieux travaillé en Amérique. Il a usé des procédés techniques américains avec une aisance brillante et parfois avec virtuosité, ce qui est tout de même un éloge. Mais il est demeuré français. Il a conservé sa nature et le ton de sa race. Le cocktail de cette personnalité et des éléments nouveaux adoptés par elle est tout à fait séduisant. » (cité par Éric Le Roy, 1895 n°33, juin 2001).

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On avait demandé à Pabst de filmer "à l’américaine", c’est-à-dire dans un style qui ne devait encore rien à l’expressionnisme allemand. Il filme donc dans des décors naturels, saisissant de vrais passants dans les rues parisiennes, organisant lui-même la scène d’orgie en fournissant filles et alcool à des officiers russes, et attendant que cela dégénère pour démarrer le tournage… Sa caméra est mobile, captant un geste, suggérant un environnement. Dans un style réaliste, Pabst développe un sens de la description éblouissant. « Par cette rigueur dans l’expression, ce dépouillement des moyens, L’Amour de Jeanne Ney contient peut-être les recherches les plus réussies de Pabst. Les adieux de Jeanne et Andreas en Crimée, les cheveux de Gabrielle inondant le visage de son père assassiné, la scène du compartiment où s’affrontent Zinajeff et Jeanne, confèrent, parmi d’autres, sa force exceptionnelle au propos de Pabst. Symboliquement, le film, qui s’ouvrait sur une orgie, s’achève dans la pureté d’un diamant libérateur. Comme il fallait s’y attendre, la censure exigea des remaniements qui défigurèrent le film. Mais dans sa version originale, il reste l’un des plus importants de toute l’œuvre de Pabst et peut-être celui qui, sans fracas, exprime sa révolution la plus véhémente. » (Yves Audry & Jacques Peta, Anthologie du cinéma n°37, juillet 1968)

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L’Amour de Jeanne Ney (Die Liebe der Jeanne Ney) Allemagne, 1927, 1h44, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation Georg Wilhelm Pabst _ Scénario Rudolf Leonhardt, Ladislaus Vajda, d’après le roman éponyme d’Ilya Ehrenbourg _ Photo Robert Lach, Fritz Arno Wagner _ Montage Georg Wilhelm Pabst, Marc Sorkin _ Direction artistique Otto Hunte, Victor Trivas _ Production Universum Film (UFA) _ Interprètes Édith Jeanne (Jeanne Ney), Uno Henning (Andreas Labov), Fritz Rasp (Khalibiev), Brigitte Helm (Gabrielle), Adolf E. Licho (Raymond Ney), Eugen Jensen (Alfred Ney), Hans Jaray (Poitras), Sig Arno (Gaston), Hertha von Walther (Margot) _ Sortie en Allemagne 6 décembre 1927

Également au programme L’Émigrant de Charlie Chaplin (p. 219) Charlot chef de rayon de Charlie Chaplin (p. 219) Charlot s’évade de Charlie Chaplin (p. 219)

Lumière Classics — L’Amour de Jeanne Ney


À l’occasion de son 10e anniversaire, le festival Lumière crée Lumière Classics. Intégrant ce qui fut précédemment la section Nouvelles restaurations et constituée des films apportés par les producteurs, ayants-droit, distributeurs et studios internationaux, Lumière Classics devient le label du festival, destiné à soutenir les films sélectionnés. Au programme des films français : de Toni de Jean Renoir à Cartouche de Philippe de Broca en passant par Un sac de billes de Jacques Doillon ; et des films internationaux, tels que Pandora d’Albert Lewin, Miracle à Milan de Vittorio De Sica ou Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov.

Toni France, 1935, 1h22, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Jean Renoir _ Scénario Jean Renoir, Carl Einstein _ Photo Claude Renoir _ Musique Paul Bozzi _ Montage Marguerite Renoir, Suzanne de Troeye _ Décors Léon Bourrely _ Production Marcel Pagnol, Les films Marcel Pagnol _ Interprètes Charles Blavette (Antonio Canova, dit Toni), Jenny Hélia (Marie), Célia Montalvan (Josefa), Édouard Delmont (Fernand), Max Dalban (Albert), Andrex (Gaby), Michel Kovachevitch (Sébastian), Paul Bozzi (le guitariste) _ Sortie en France 22 février 1935

Films français 1935

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de Jean Renoir

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Immigré italien, Antonio Canova (Charles Blavette), dit Toni, est venu travailler dans les carrières de pierre d’un village de Provence. Il épouse Marie (Jenny Hélia), mais aime en réalité Josefa (Célia Montalvan), une jeune Espagnole mariée au contremaître Albert (Max Dalban). Gaby (Andrex) incite Josefa à voler Albert durant son sommeil, puis à s’enfuir avec lui en Amérique. Surprise par son époux, elle le tue. Toni, amoureux, se déclare coupable pour la sauver…

— Toni

Après une mauvaise expérience de production avec La Chienne (1931), Jean Renoir s’entoure d’amis pour mettre en scène ce film. Loin de Paris et de la profession, il réalise Toni aux côtés du producteur Marcel Pagnol, qui l’affranchit de toutes contraintes : « la seule vedette de notre production sera l’œuvre même » (Jean Renoir).

Drôle de drame

1937

de Marcel Carné

Londres, vers 1900. Lors d’une conférence, l’évêque Soper (Louis Jouvet) dénonce le peu de morale de quelques romans, dont ceux écrits par un certain Félix Chapel. Pour preuve, la violente intervention de Kramps (Jean-Louis Barrault), le "tueur de bouchers", qui tient pour responsable de ses actes l’auteur en question. L’évêque, s’invitant à dîner chez ses cousins Molyneux, interroge son hôte Irwin (Michel Simon), sur l’étrange absence de son épouse Margaret (Françoise Rosay). Il prévient la police. Or Irwin n’est autre que Félix Chapel… Ami des frères Prévert, Édouard Corniglion-Molinier, aviateur chevronné (il finira général), journaliste et pro-

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Toni

Basé sur un fait divers, Toni est l’histoire d’un homme déraciné, tiraillé entre deux femmes : celle qu’il aime (Josefa) et lui échappe, et celle qu’il épouse (Marie), prêt à tous les sacrifices par amour. Fasciné par les Martigues, Renoir entreprend de dresser le portrait d’une région habitée principalement par des immigrés d’origine italienne. Tourné en décors naturels, sans vedettes, sans apprêts (les acteurs ne sont pas maquillés), Renoir cherche l’essentiel : transposer la réalité. Le drame naissant des conditions mêmes du quotidien, Renoir souhaite s’immiscer au plus proche de la vie : « Notre ambition était que le public puisse imaginer qu’une caméra invisible avait filmé les phases d’un conflit sans que les êtres humains inconsciemment entrainés dans cette action s’en soient aperçu. » (Jean Renoir, Écrits 1926-1971, Belfond). Considéré comme le premier essai néoréaliste au cinéma, le film marque l’aboutissement de ses rêves de réalisme absolu, là où il est difficile de démêler la fiction du documentaire. « Toni, dans la carrière de Renoir, est un film pivot, un départ vers une toute autre direction. Dix ans avant les cinéastes italiens, il inventait le néoréalisme, c’est-à-dire la narration minutieuse non d’une action mais d’un fait divers réel, sur un ton objectif et monocorde, sans jamais hausser la voix… Toni, c’est la vie comme elle coule. » (François Truffaut)

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Drôle de drame France, 1937, 1h34, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation Marcel Carné _ Assistant réalisation Pierre Prévert _ Scénario & dialogues Jacques Prévert, d’après le roman La Mémorable et Tragique Aventure de M. Irwin Molyneux (His First Offence) de Joseph Storer Clouston _ Photo Eugen Schüfftan, avec Henri Alekan _ Musique Maurice Jaubert _ Montage Marthe Poncin _ Décors Alexandre Trauner _ Costumes Lou Tchimoukov _ Production Édouard Corniglion-Molinier _ Interprètes Louis Jouvet (Archibald Soper), Françoise Rosay (Margaret Molyneux), Michel Simon (Irwin Molyneux), Jean-Pierre Aumont (Billy), Jean-Louis Barrault (William Kramps), Nadine Vogel (Eva), Pierre Alcover (l’inspecteur Bray), Henri Guisol (Buffington), Agnès Capri (la chanteuse des rues), René Génin (le balayeur), Ky Duyen (l’hôtelier chinois), Marcel Duhamel (le fêtard amoureux des enterrements), Jane Lory (Mme MacPhearson), Madeleine Suffel (Victory), Jenny Burnay (Mme Pencil), Max Morise (James), Annie Carriel (Élisabeth), Jean Marais (le fêtard assommé), Pierre Prévert (le crieur de journaux) _ Sortie en France 20 octobre 1937

Le Diable souffle

1947

d’Edmond T. Gréville

Laurent (Charles Vanel) est un quinquagénaire solitaire, vivant, au pays basque, sur une île au milieu de la Bidassoa. Sur le continent, il rencontre Louvaine (Héléna Bossis), jeune pianiste de bar, un peu perdue. Il en tombe amoureux et l’installe chez lui. Mais un réfugié espagnol, Diego (Jean Chevrier), débarque sur l’île pour se cacher. Alors que les éléments se déchaînent, Louvaine est très malade. Diego, qui est médecin, l’opère en urgence et la sauve. Entre eux naît alors un amour fort, secret et sauvage. « La femme est de feu, l’homme est d’étoupe, et le Diable souffle. » (proverbe espagnol). Edmond T. Gréville écrit l’histoire du Diable souffle durant l’Occupation alors qu’il vit caché à Cagnes-sur-mer, après avoir tourné en 1941 Une femme dans la nuit (sorti en 1943). Un jour de fort mistral, il se remémore ce proverbe espagnol et écrit une histoire dont « le personnage principal est invisible : le vent. » Dans cette œuvre originale d’un cinéaste toujours en marge du système, la nature sauvage est bien un personnage à part entière. Au milieu du vent, des bourrasques, de l’incessant vacarme de la Bidassoa en crue séparant les îliens du reste du monde, les êtres, comme les arbres, sont balayés par la tempête, pris au piège de passions dévorantes. Ce huis clos baigne dans une atmosphère lourde et angoissante, à l’érotisme exacerbé, typique de l’univers du réalisateur. Car Gréville, cet « érotomane distingué » comme il aimait à se définir (il affirmait que le T de son patronyme était l’abréviation de "Tendre avec les dames"), filme comme à son habitude son personnage féminin avec passion. On critiqua le choix d’Héléna Bossis qui n’avait pas un physique de starlette, mais dont le « rayonnement sensuel » fut souligné par le cinéaste dans ses mémoires Trente-cinq ans dans la jungle du cinéma (Actes Sud / Institut Lumière). La photographie du maître-opérateur Henri Alekan est exceptionnelle, décuplant la force des éléments, faisant du vent, de la pluie et de la boue de véritables interprètes. Dans ces mêmes mémoires, Gréville écrivait : « J’ai toujours préféré les sujets "en vase clos" où des personnages coupés du monde s’épient et se déchirent. Mes goûts vont en somme au contraire du film d’action, ou tout au moins à l’action purement intérieure, de préférence dans un seul décor, avec des gens dressés les uns contre les autres par leurs sentiments ou leurs vices. C’est ce qui m’avait plu dans Le Train des suicidés, dans Remous, dans Vies secrètes, dans Le Diable souffle. C’est ce qui m’a plu dans L’Ile du bout du monde, Les Menteurs, L’Accident. C’est ce qui me plaît encore. Décortiquer un drame passionnel, en montrer les prémices, la cristallisation, voilà mon régal. »

— Le Diable souffle

Le Diable souffle France, 1947, 1h32, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Edmond T. Gréville _ Scénario Edmond T. Gréville, Max Joly, José Josipovici, Norbert Carbonnaux _ Photo Henri Alekan _ Musique Jean Wiener _ Montage Georges Arnstam _ Décors Jean Douarinou _ Production B.C.M. - Bureau Cinématographique et Musical, La France en marche _ Interprètes Charles Vanel (Laurent), Jean Chevrier (Diego), Héléna Bossis (Louvaine), Margo Lion (Pepita), Henri Maïk (Pascal) _ Sortie en France 23 septembre 1947

Rue des Prairies

1959

de Denys de La Patellière

En 1942, après deux années de captivité, Henri Neveux (Jean Gabin), prisonnier de guerre, est rapatrié en raison du décès de son épouse. Il découvre que celle-ci a eu un enfant pendant son absence. Il l’élève avec la même affection qu’il porte à son fils et sa fille. Le temps passe. L’aîné, Loulou (Claude Brasseur), est devenu champion cycliste ; sa fille,

Odette (Marie-José Nat), part vivre avec son riche amant. Henri reste seul avec Fernand (Roger Dumas). Lorsque celui-ci est traduit devant un tribunal pour mineurs, on accable le père adoptif… Après avoir dépeint, dans ses premiers films, d’abord la noblesse, avec Les Aristocrates (1955), puis la bourgeoisie, avec Les Grandes Familles (1958), Denys de La Patellière se tourne, avec Rue des Prairies, vers le petit peuple parisien, achevant ainsi son panorama des grandes classes sociales du pays. Adapté du roman populiste de René Lefèvre, Rue des Prairies relate l’histoire d’un veuf qui, après avoir assuré seul l’éducation de ses enfants, prend conscience qu’ils ne sont pas à son image. Les trajectoires qu’ils ont suivies lui échappent. Fernand, son fils illégitime, même s’il connaît des difficultés, est finalement celui qui lui porte le plus d’amour : en grandissant, il lui donnera plus de satisfaction que ses propres enfants. Sur des dialogues signés Michel Audiard, le personnage

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ducteur, décide, à la suite d’une rencontre avec Marcel Carné, de produire le second film du cinéaste, après Jenny (1936). Il lui en propose même le sujet, l’adaptation d’un roman policier britannique, His First Offence de Joseph Storer Clouston. L’argument, difficilement racontable, est une suite de quiproquos dans la bonne société londonienne, une histoire de crime, de disparition, de mœurs légères… Carné rassemble une équipe technique et artistique telle que le tournage dure à peine plus de vingt jours, dans une ambiance joyeuse, malgré les querelles entre Jouvet et Simon. Carné est serein : « Je pensais très simplement que, là où je m’étais amusé comme un fou, les spectateurs feraient de même… Je devais tomber de haut. » (Marcel Carné, La vie à belles dents, éd. Jean Vuarnet) Drôle de drame reçoit une volée de bois vert à sa sortie, spectateurs et critiques sont unanimes : « De qui se moque-t-on ?! » Pour André Maurois, « ce n’est pas un drame, mais ce n’est pas drôle. » L’humour loufoque poussé à l’extrême et l’esprit irrévérencieux du film ne sont pas compris. Le nonsense britannique est alors encore peu pratiqué. Deuxième film de la longue et fructueuse collaboration entre Carné et Prévert, Drôle de drame bénéficiera d’une bien meilleure réception lors de sa reprise aprèsguerre, gagnant ainsi la place qu’on lui connaît au sein du répertoire français. Le public était enfin prêt à l’accueillir. « Il me paraît […] que l’originalité profonde de Drôle de drame a été caractérisée par une liberté totale d’expression et la synthèse de l’humour et de la poésie. Et c’est peutêtre cela qui a surpris le public, mais c’est grâce à ce film que Prévert et Carné ont imposé au monde du cinéma la poésie burlesque, la qualité du verbe poétique, l’humour et la liberté totale dans les associations d’idées du montage. C’est ce qui me semble donner toute sa valeur moderne et future à Drôle de drame. » (Jean-Louis Barrault, préface de Drôle de drame, Balland)

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1962

de Philippe de Broca Au début du XVIIIe siècle, dans la France miséreuse de l’Ancien Régime, Cartouche (Jean-Paul Belmondo) est l’un des voleurs à la tire les plus habiles de Paris. Sans cesse traqué, il ne se déplace qu’accompagné de ses deux acolytes La Taupe (Jean Rochefort) et La Douceur (Jess Hahn). Il rêve de toutes les dames qu’il rencontre, mais reste fidèle à ses deux amours : une petite voleuse prénommée Vénus (Claudia Cardinale) et l’épouse du lieutenant de police (Odile Versois).

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— Cartouche

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qu’incarne Jean Gabin, contremaître démobilisé, est d’une très grande justesse, ainsi que le portrait sans fioritures de sa famille ouvrière. Redécouvrir aujourd’hui le Paris du vingtième arrondissement à la fin des années 50 éveille une nostalgie véritable. Sociologue sans le savoir, La Patellière a fixé un univers et une population – comme Duvivier dix ans plus tôt dans Sous le ciel de Paris – désormais disparus. Henri habite un quartier vivant, se rend dans la banlieue aisée de SaintCloud pour visiter sa fille et travaille sur le chantier de Sarcelles, première cité-dortoir en construction. Les nombreuses scènes en extérieur sur ce qui est alors, avec ses trois mille ouvriers, le plus grand projet d’urbanisme de France, offrent un matériau incroyable au cinéaste qui capte ainsi une transition sociétale. L’homme perd peu à peu ses repères, ses enfants et son quartier. « Il y avait là une très jolie idée que Denys de la Patellière et Michel Audiard ont illustrée avec infiniment de tact mais aussi de drôlerie et d’émotion, car leur film est

humain et vrai, de cette vérité qui n’appartient qu’à la vie quotidienne, faite d’une alternance continuelle de petites joies et de gros chagrins. » (Service de presse Cinédis) Rue des Prairies France, Italie, 1959, 1h31, noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation Denys de La Patellière _ Scénario Denys de La Patellière, Michel Audiard, d’après le roman éponyme de René Lefèvre _ Dialogues Michel Audiard _ Photo Louis Page _ Musique Georges Van Parys _ Montage Jacqueline Thiédot _ Décors René Renoux _ Production Georges Dancigers, Films Ariane, Filmsonor, Intermondia Films, Vides Film _ Interprètes Jean Gabin (Henri Neveux), Marie-José Nat (Odette), Claude Brasseur (Louis), Roger Dumas (Fernand), Paul Frankeur (Ernest), Roger Tréville (M. Pedrell), Renée Faure (Me Surville), Jacques Monod (le président), Louis Seigner (le procureur), Alfred Adam (Loutrel), François Chaumette (le directeur), Gabriel Gobin (M. Dubourg), France Asselin (Mme Dubourg), Dominique Page (Josette), Gaby Basset (Mme Gildas), Jacques Hilling (l’hôtelier), Marie Mergey (la crémière), Bernard Dhéran (le juge d’instruction), Guy Decomble (le père de Paul) _ Sortie en France 21 octobre 1959

Opérateur de documentaire, assistant de Decoin, Truffaut ou Chabrol, Philippe de Broca se fait remarquer dès ses premiers films, Le Farceur (1960), Les Jeux de l’amour (1960), par un ton de comédie élégante et rythmée. Inspiré de la vie de Louis-Dominique Bourguignon, dit "Cartouche", le film reprend quelques anecdotes authentiques, mais son héros est en grande partie inventé par les scénaristes Charles Spaak et Daniel Boulanger. « Comme il est pauvre, il choisit de griller sa vie plutôt que de végéter soixante-dix ans. Son principe : ne pas regretter la veille, le jour de sa mort ; vivre dans le présent. » (Philippe de Broca). Jean-Paul Belmondo, pétillant, interprète ce brigand bien-aimé aux côtés de son ami du Conservatoire, Jean Rochefort, qu’il recommande au cinéaste, et de la jeune et envoûtante Claudia Cardinale. C’est un personnage fulgurant, qui « détruit son amour, qui se détruit lui-même ». Dans la lignée des héros populaires au grand cœur, Fanfan la Tulipe et Robin des bois, Cartouche est un film picaresque qui fit connaître à son réalisateur son premier succès commercial. « Tout est action. Tout est visuel. Pas de psychologie. Les gens sont ce qu’ils sont. Je voudrais arriver peu à peu à faire de mes films de véritables ballets. » (Philippe de Broca, Télérama, septembre 1962) Le film marque la naissance d’une longue amitié avec Belmondo qu’il retrouvera pour L’Homme de Rio (1964), Les Tribulations d’un Chinois en Chine (1965), Le Magnifique (1973) et L’Incorrigible (1975). « Cartouche est une réussite et une réussite personnelle pour Philippe de Broca qui, d’une manière générale, s’est fort bien tiré des pièges de la "grande mise en scène". Il est juste de dire que Jean-Paul Belmondo lui a donné un sérieux coup de main, car on ne saurait rêver un Cartouche plus vivant, plus sympathique, plus spirituel que celui qu’il incarne. » (Jacques de Baroncelli, Le Monde, mars 1962) Cartouche France, Italie, 1962, 1h56, couleurs (Eastmancolor), format 2.35 _ Réalisation Philippe de Broca _ Scénario Daniel Boulanger, Philippe de Broca, Charles Spaak _ Photo Christian Matras _ Musique Georges Delerue _ Montage Laurence Méry-Clark _ Décors François de Lamothe _ Costumes Rosine Delamare _ Production Georges Dancigers, Alexandre Mnouchkine, Filmsonor, Les Films Ariane, Mondex Films, Vides Cinematografica _ Interprètes Jean-Paul Belmondo (Dominique, dit Cartouche), Claudia Cardinale (Vénus), Odile Versois (la marquise Isabelle

de Ferrussac), Jean Rochefort (La Taupe), Jess Hahn (La Douceur), Marcel Dalio (Malichot), Philippe Lemaire (le marquis Gaston de Ferrussac), Alain Decock (Louison), Jacques Balutin (le moine Capucine), Noël Roquevert (le sergent recruteur), Jacques Charon (le colonel), Lucien Raimbourg (le maréchal), Paul Préboist (un gendarme) _ Sortie en France 7 mars 1962

Léviathan

1962

de Léonard Keigel Paul Guéret (Louis Jourdan) et son épouse (Nathalie Nerval) s’installent dans le village de Lorges. Pour subvenir aux besoins de son couple, Paul devient le professeur particulier du fils de M. et Mme Grosgeorges (Georges Wilson & Lilli Palmer). Paul remarque la jolie blanchisseuse, Angèle (Marie Laforêt), nièce de Mme Londe, la patronne du restaurant où il a ses habitudes. Très rapidement, son désir pour Angèle devient obsessionnel… Premier long métrage de Léonard Keigel, jusque-là assistant de René Clément, Léviathan est également la première adaptation d’une œuvre de Julien Green. C’est la rencontre du cinéaste avec Pierre Jourdan, frère de Louis et ami de Julien Green, qui facilitera le projet. Convaincu, l’auteur écrira les dialogues du film. L’univers mystérieux et violent de Green est difficile à porter à l’écran. Aussi Léonard Keigel expliquait alors : « En réalité, je n’adapte pas le roman au sens traditionnel du terme. J’essaye de conserver la vision de l’auteur la plus authentique possible, j’évite l’aspect purement illustration pour pénétrer en profondeur dans cette vision ». (Dossier de presse) C’est ainsi que dans un clair-obscur tortueux, le cinéaste filme des amours, certes monstrueuses, mais des amours passionnées. L’obsession du désir sexuel, les ravages de la jalousie engendrent les pires excès. Léviathan est un film troublant : ses personnages mystérieux sont particulièrement difficiles à saisir. Angèle semble un ange déchu, Eva Grosgeorges, une femme cynique et sadique… Mais ce n’est pas si simple. « Mon film sera très étudié, continuellement composé dans les lumières, les mouvements d’appareils, le jeu des acteurs. Ma caméra étudiera minutieusement chaque geste des personnages, les suivra avec le maximum de souplesse, les analysera comme un microscope. » (Léonard Keigel, id.) « Tragédie des solitudes humaines » pour Léonard Keigel, Léviathan est une œuvre lyrique et romantique. « Dramaturgie, suspense, architecture, sensibilité, maîtrise, dialogues, musique et prise de vue, et aussi une radieuse mélancolie de Marie Laforêt dont le nom se mêle invinciblement dans mon esprit à celui de l’infortunée dryade Eurydice dans sa recherche éternelle d’Orphée, tout me semble concourir à ce qu’il est convenu d’appeler "un film de classe". […] Je me dois de défendre les jeunes lorsque je

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Cartouche

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Léviathan France, 1962, 1h38, noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation Léonard Keigel _ Scénario René Gérard, Léonard Keigel, d’après le roman éponyme de Julien Green _ Dialogues Julien Green _ Photo Nicolas Hayer _ Musique Arnold Schönberg _ Montage Armand Psenny _ Décors Antoine Mayo _ Costumes Roger Harth, Maison Jean Patou _ Production Pierre Jourdan, Les Films du Valois _ Interprètes Louis Jourdan (Paul Guéret), Lilli Palmer (Mme Grosgeorges), Marie Laforêt (Angèle), Georges Wilson (M. Grosgeorges), Madeleine Robinson (Mme Londe), Édouard Francomme (le vieillard), Florence Landon (Fernande), Patrick Monneron (André), Nathalie Nerval (Marie Guéret) _ Présentation à la Mostra de Venise août 1961 _ Sortie en France 13 avril 1962

La Chasse à l’homme

1964

d’Édouard Molinaro

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C’est aujourd’hui que Toni (Jean-Claude Brialy), brillant affichiste et séduisant célibataire, va se marier avec Gisèle (Marie Laforêt). Mais son ami Julien (Claude Rich) veille. Il est contre ce mariage, contre tout mariage en général, car il a été traîné un jour à la mairie par une manipulatrice. Au café d’à côté, Fernand (Jean-Paul Belmondo), ex-mauvais garçon, a été converti au mariage par la fille du patron. Désormais, il essuie les verres… Toni, ébranlé par ces histoires, prend la fuite et abandonne la noce. Mais pas le voyage. Il part en Grèce, après avoir donné le billet de Gisèle à Fernand…

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Après plusieurs courts métrages, au milieu des années 50, Édouard Molinaro réalise en 1958 Le Dos au mur, son premier long métrage. Il explore avec talent le film noir français (Des femmes disparaissent, Un témoin dans la ville), réussit une des meilleures adaptations de Simenon (La Mort de Belle) avant de tourner la même année deux comédies, Une ravissante idiote (avec Brigitte Bardot) et La Chasse à l’homme. Le casting rassemble toute la nouvelle génération du cinéma français : d’un côté Françoise Dorléac, Marie Laforêt, Catherine Deneuve, Bernadette Lafont et Mireille Darc, de l’autre Jean-Paul Belmondo, Jean-Claude Brialy et Claude Rich. Car il s’agit bien de ça, du face à face entre femmes et hommes, ces derniers chassés par des Diane en puissance. Volontiers misogyne, La Chasse à l’homme présente des femmes vénales et manipulatrices, en quête d’un homme à épouser. Les proies se débattent mais finiront bien par succomber. À l’heure de la Nouvelle Vague, le film de Molinaro ne prétend pas être autre chose qu’un divertissement. Mené tambour battant, énergique et drôle, le récit, léger, bien servi par les dialogues de Michel Audiard (« - Je vous laisse encore le choix : le mariage ou les menottes ! - J’avoue que la différence m’échappe. »), remet le vaudeville au goût du jour.

« C’est le thème de l’homme chassé et de la femme chasseresse qui a inspiré à France Roche l’histoire qu’Édouard Molinaro nous raconte dans son dernier film. Une histoire pleine de tours et de détours, de parenthèses, de digressions, de rebondissements saugrenus, une histoire vive et brouillonne, qui ressemble beaucoup moins à une vraie comédie qu’à une conversation entre amis, lorsque chacun coupe la parole à l’autre pour placer son anecdote personnelle. Ce désordre du scénario (désordre d’ailleurs adroitement organisé) est un des charmes de La Chasse à l’homme. Il permet à Molinaro d’éviter les transitions encombrantes et de galoper tout à son aise de Paris à Athènes. » (Jacques de Baroncelli, Le Monde, 27 septembre 1964) La Chasse à l’homme France, Italie, 1964, 1h31, noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation Édouard Molinaro _ Scénario France Roche, Albert Simonin, Michel Duran, d’après Yvon Guézel _ Dialogues Michel Audiard _ Photo Andréas Winding _ Musique Michel Magne _ Décors François de Lamothe _ Costumes Georgette Fillon _ Production Robert Amon, Claude Jaeger, Procinex, Mondex Films, Filmsonor, Euro International Film _ Interprètes Jean-Paul Belmondo (Fernand), Jean-Claude Brialy (Antoine), Françoise Dorléac (Sandra), Marie Laforêt (Gisèle Leloup), Catherine Deneuve (Denise Heurtin), Francis Blanche (Ino Papatakis), Bernard Blier (M. Heurtin), Mireille Darc (Georgina), Micheline Presle (Isabelle Lartois), Claude Rich (Julien Breunot), Michel Serrault (le professeur Lartois), Marie Dubois (Sophie), Hélène Duc (Mme Armande), Bernadette Lafont (Flora) _ Sortie en France 22 septembre 1964

Un sac de billes

1975

de Jacques Doillon

Paris, 1941. Les Juifs reçoivent l’ordre de porter une étoile jaune. Parmi eux, Joseph (Richard Constantini) et Maurice Joffo (Paul-Éric Schulmann), deux garçons de 10 et 12 ans, qui fuient vers la zone libre, direction Menton, avec chacun mille francs en poche. Ils errent bientôt, livrés à eux-mêmes, entre uniformes, voies ferrées, fusils et murs de prison. Faisant tous les métiers, ils s’accrochent à l’existence dans ce monde hostile, mais n’en restent pas moins des enfants espiègles. Après L’An 01 (1973) et le remarqué Les Doigts dans la tête (1974), Jacques Doillon réalise ici son troisième long métrage, acceptant la proposition de Claude Berri d’adapter le livre de Joseph Joffo. Paru en 1973, ce premier roman est dès sa sortie un best-seller, traduit en dix-huit langues, et vendu à vingt millions d’exemplaires dans vingt-deux pays. Événement littéraire devenu livre de référence, Un sac de billes, récit autobiographique, suit les aventures de deux enfants juifs lancés sur les routes dangereuses de l’Occupation. Jacques Doillon fait de nombreuses recherches avant de trouver les deux enfants qui interprèteront Joseph et Maurice. Pour lui, tourner avec des enfants est primor-

— La Chasse à l’homme

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sens le frémissement particulier du talent. » (Abel Gance, L’Avant-scène Cinéma n°15, avril 1962)

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dial : c’est à travers leurs regards qu’il souhaite filmer le quotidien d’une épopée exceptionnelle, tout en s’éloignant du roman. Doillon souhaite saisir l’instantané du jeu des jeunes acteurs. « Je préfère raconter la suite au présent, cela rendra peut-être l’aventure plus anodine, lui retirera cette aura de sacré que confèrent les temps passés, de l’imparfait au passé simple. Le présent est un temps sans surprise, un temps ingénu, celui où l’on vit les choses comme elles arrivent, elles sont neuves encore et vivantes, c’est le temps de l’enfance, celui qui me convenait. » (Jacques Doillon, La Revue du cinéma / Image et son, n°303, février 1976) Évitant tout pathos, le cinéaste met à distance les événements pour mieux se rapprocher des réactions des enfants et filmer un tragique qui leur échappe. Avec une sensibilité très fine et très juste, Jacques Doillon décrit la douce fureur de vivre. « La caméra, en étant toujours là où la fraîcheur point, l’aide considérablement à faire le tri entre cette intemporelle fraîcheur enfantine et les complications de l’Histoire. » (Serge Daney, Cahiers du cinéma n°264, février 1976) Un sac de billes France, 1975, 1h46, couleurs (Eastmancolor), format 1.85 _ Réalisation Jacques Doillon _ Scénario Jacques Doillon, Denis Ferraris, d’après le roman éponyme de Joseph Joffo _ Photo Yves Lafaye _ Musique Philippe Sarde _ Montage Noëlle Boisson _ Décors Christian Lamarque _

Costumes Mic Cheminal _ Production Jean Gontier, Pierre Grunstein, AMLF, Les Films Christian Fechner, Renn Productions _ Interprètes Paul-Éric Schulmann (Maurice), Richard Constantini (Joseph), Joseph Goldenberg (le père), Reine Bartève (la mère), Michel Robin (Mancelier), Dominique Davros (Françoise), Hubert Drac (Henri), Gilles Laurent (Albert) _ Sortie en France 10 décembre 1975

Les Princes

1983

Les Princes France, 1983, 1h35, couleurs, format 1.66 _ Réalisation & scénario Tony Gatlif _ Photo Jacques Loiseleux _ Musique Tony Gatlif _ Montage Claudine Bouché _ Décors Denis Champenois _ Costumes Miruna Boruzescoux, Rose-Marie Melka _ Production Ken et Romaine Legargeant, ACC, Babylone Films _ Interprètes Gérard Darmon (Nara), Muse Dalbray (sa mère), Céline Militon (Zorka), Concha Tavora (Miralda), Dominique Maurin (Petiton), Marie-Hélène Rudel (Bijou), Anne-Marie Philipe (l’institutrice), Farid Chopel (Samson), Hagop Arslanian (Chico), Tony Gatlif (Léo), Tony Librizzi (Tony) _ Sortie en France 2 novembre 1983

de Tony Gatlif

Dans la cité HLM d’une banlieue abandonnée vit une communauté gitane. Nara (Gérard Darmon) y est installé avec sa vieille mère (Muse Dalbray) et sa fille Zorka (Céline Militon). Il a chassé sa femme Miralda (Concha Tavora) car, défiant les lois et les traditions du groupe, elle prenait la pilule en cachette. Mais de loin, elle garde un œil sur sa famille. Nara survit de petits boulots et de menus larcins. Un jour, ils doivent reprendre la route… Tony Gatlif est né en Algérie dans une famille de souche gitane sédentarisée, aux origines andalouses. Son enfance est extrêmement modeste. Il découvre le cinéma grâce à

Liberté, la nuit

1984

de Philippe Garrel

Paris, pendant la guerre d’Algérie. Ensemble depuis longtemps, Jean (Maurice Garrel) et Mouche (Emmanuelle Riva) se séparent. Dans la tristesse et la douleur. Jean est engagé aux côtés du FLN. Et c’est quand Mouche est abattue par l’OAS qu’il découvre qu’elle aussi combattait aux côtés des Algériens. La guerre finie, Jean réapprend à vivre et à aimer auprès de Gemina (Christine Boisson), une jeune pied-noir.

Après une décennie 70 pendant laquelle il tourne des films d’esthète, contemplatifs et arides, Philippe Garrel entame les années 80 avec Liberté, la nuit, un film ancré dans des faits historiques : la guerre d’Algérie, plaie toujours ouverte de l’Histoire française. Un retour au réel. Le cinéaste filme les événements politiques à travers deux relations amoureuses, l’une qui se termine, l’autre qui commence. Dans ces années où l’on mourait en France, en pleine rue, pour ses sympathies avec le FLN, Jean (Maurice Garrel, immense comédien et père du cinéaste), après la tristesse du souvenir et la douleur de l’absence, revient à la vie, à l’amour, au désir aux côtés de la jeune Gemina. Le récit de Liberté, la nuit est simple, son traitement est simplement beau. Garrel saisit les visages et les émotions qui les traversent, leurs fugaces états d’âmes. Ses personnages vivent à l’écran et les portraits qu’il en trace sont vifs et intenses. À travers de longs plans immobiles, des instants saisis, parfois volés (Garrel est adepte de la prise unique), le film questionne la liberté, qu’elle soit individuelle ou collective. Et en travaillant la matière même de sa pellicule, changeant la texture de ses images, le cinéaste livre un cinéma du ressenti, à la charge poétique et émotionnelle particulièrement forte. « De la même manière qu’un dessinateur peut en quelques coups de crayon faire naître un univers, de brefs plans pris à la volée suffisent pour dire la couleur de la séparation, la période de la guerre d’Algérie, l’amour fou, une poursuite. Liberté, la nuit a la beauté des esquisses ; le plan est exécuté d’un seul geste. On ne peut pas imaginer plusieurs prises, ou alors toutes différentes. Garrel ne cherche pas à réaliser une image conçue à l’avance, il capte quelque chose de l’ordre de la surprise, du surgissement de la vie, nous donnant “ce sentiment confus que ce qu’on l’on voit a la sécheresse de l’inéluctable et du définitif”. » (Jacques Kermabon, Cinéma 84 n°310, octobre 1984) Liberté, la nuit France, 1984, 1h19, noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation & scénario Philippe Garrel _ Adaptation Bernard Lambert _ Photo Pascal Laperrousaz _ Montage Dominique Auvray _ Musique Faton Cahen _ Production INA - Institut National de l’Audiovisuel _ Interprètes Emmanuelle Riva (Mouche), Maurice Garrel (Jean), Christine Boisson (Gemina), Laszlo Szabo (le marionnettiste), Brigitte Sy (Micheline), Pierre Forest, Gérard Demond (les parachutistes), Barthélémy Teillaud, Muriel Oger (les enfants), Raymond Portalier, Joël Barbouth (les policiers en civil), Julien Sarfati (Mehdi), Mohammed Fellag (Mohand), Salah Teskouk (Salah), Habib Laidi (un ouvrier algérien) _ Présentation au Festival de Cannes 15 mai 1984 _ Sortie en France 3 octobre 1984

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— Un sac de billes

son instituteur et développe parallèlement un don pour le dessin. À 12 ans, il débarque en France, assure sa survie dans les marges comme il peut. En 1966, il découvre le théâtre lors d’une représentation avec Michel Simon. Le contact s’établit et son désir de devenir comédien est pris au sérieux par son éducateur. Après quelques années sur scène, il devient cinéaste en 1975 avec un premier long métrage La Tête en ruine. « Je suis gitan, je n’ai pas de patrie, je ne viens de nulle part ou plutôt d’un bidonville. » (Tony Gatlif). En réalisant Les Princes, le réalisateur veut répondre à une question qu’on lui a posée trop de fois : « D’où viens-tu ? » Ici, Gatlif ne cherche pas à défendre ou à polémiquer, il raconte. Il raconte le combat d’un homme pour son honneur et sa dignité, mais aussi celles des siens. Sans misérabilisme et avec humanité, il fait le portrait d’une communauté rarement évoquée au cinéma, ancrée dans ses traditions. Le personnage de Nara est fier et farouche. Il n’a que faire des obligations – sédentarisation, scolarité, libertés accordées aux femmes – de son pays d’adoption, il y préfèrera toujours ses coutumes ancestrales. Picaresque et poétique, Les Princes est à la fois contemporain et immémorial. L’histoire simple de "princes sans terre". « Terrains vagues, usines désaffectées, HLM délabrées, tas d’ordures, boue et flaques d’eau : le film de Tony Gatlif attire à lui ces décors tristes et sales pour dire le rejet, par la société, des gitans sédentaires ou nomades. Aux yeux du réalisateur de La Terre au ventre (1978), gitan français, ces êtres marginalisés malgré eux sont les Princes acharnés à survivre dans le monde en décomposition où on veut les laisser pourrir. » (Jacques Siclier, Le Monde, 9 novembre 1983)

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Moonrise

de Frank Borzage

1948

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1932, en Virginie. Un condamné à mort est pendu. Plus tard, son fils, Danny Hawkins (Dane Clark), est haï par les villageois, une haine qui le poursuit jusqu’à l’âge adulte. Un jour, alors qu’il danse avec Gilly Johnson (Gail Russell), l’institutrice du village, Jerry Sykes (Lloyd Bridges), depuis toujours son plus grand harceleur, lui interdit de fréquenter la jeune femme. Une bagarre éclate. Danny se défend et tue Jerry. Paniqué, il cache le corps.

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Le roman Moonrise de Theodore Strauss, d’abord publié en feuilleton, eut un tel succès que les maisons de production se bagarrèrent pour en acheter les droits. Et c’est à Frank Borzage qu’en fut confiée l’adaptation. Le réalisateur, auteur de plusieurs chefs-d’œuvre durant les années 20 et 30 (L’Heure suprême, La Femme au corbeau, Ceux de la zone, Trois camarades) récompensé par plusieurs Oscars, est alors dans une période moins fertile et les scénarios qu’on lui confie moins percutants. Moonrise est l’occasion pour lui de prouver qu’il n’appartient pas seulement à l’âge d’or hollywoodien. Moonrise est un film profondément humaniste, affichant haut et fort son opposition à la peine de mort. Il s’ouvre sur une scène glaçante : l’ombre d’un pantin plane sur le berceau d’un bébé, tel son père gisant au bout d’une potence, marquant le nouveau-né au sceau du destin. "Le fils du pendu", comme il est surnommé, grandit au milieu des sarcasmes et des moqueries. Il doit sans cesse se battre pour se faire respecter. Constamment inquiet, il bascule dans la psychose et l’autodestruction lorsqu’il commet l’irréparable. Pour cette plongée dans l’univers mental tourmenté de Danny Hawkins, Frank Borzage s’appuie sur la photo de John L. Russell, qui vient de signer les images du Macbeth d’Orson Welles. Oppressante, presque claustrophobe, jouant d’angles étranges et de la profondeur de champ, elle s’inspire des ombres et lumières des œuvres muettes du cinéaste. Ce mélodrame très noir cache une critique sociale acide. Disséquant les machines infernales de la persécution et de la culpabilité, Moonrise nie clairement tout déterminisme. « À l’opposé du "film noir" classique qui pose sa descente aux enfers en constat, comme une mise à nu tenant sa justification en elle-même, Moonrise est entièrement conçu en fonction d’une guérison potentielle, d’un itinéraire initiatique qui passe par le retour aux origines. » (Hervé Dumont, Frank Borzage, un romantique à Hollywood, Actes Sud / Institut Lumière) — Moonrise

Moonrise États-Unis, 1948, 1h30, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Frank Borzage _ Scénario Charles F. Haas, d’après le roman Moonrise de Theodore Strauss _ Photo John L. Russell _ Effets spéciaux Howard et Theodore Lydecker _ Musique William Lava _ Montage Harry Keller _ Décors Lionel Banks, John McCarthy Jr., George Sawley _ Costumes Adele Palmer _ Production Charles F. Haas, Marshall Grant Pictures Production, Charles K. Feldman Group Prod. _ Interprètes Dane Clark (Danny Hawkins), Gail Russell (Gilly Johnson), Ethel Barrymore (grand-mère Hawkins), Allyn Joslyn (Clem Otis, le shérif), Rex Ingram (Mose), Henry Morgan (Billy Scripture), David Street (Ken Williams, le musicien), Selena Royle (tante Jessie), Harry Carey Jr. (Jimmy Biff), Irving Bacon (Judd Jenkins), Lloyd Bridges (Jerry Sykes), Houseley Stevenson (oncle Joe Jingle), Phil Brown (Elmer), Harry V. Cheshire (J.B. Sykes), Lila Leeds (Julie), Virginia Mullen (Miss Simpkins), Oliver Blake (Ed Conlon), Tom Fadden (Homer Blackstone) _ Sortie aux États-Unis 9 septembre 1948 _ Sortie en France 4 août 1950

Pandora

1951

Pandora and the Flying Dutchman d’Albert Lewin Pandora Reynolds (Ava Gardner), chanteuse américaine en vacances à Esperanza, petit port d’Espagne, est admirée par tous les hommes. Après avoir refusé d’épouser Reggie Demarest (Marius Goring), qui, par dépit, se suicide, elle choisit de se marier avec Stephen Cameron (Nigel Patrick), un coureur automobile. Mais intriguée par un yacht mystérieux ancré dans la baie, elle le rejoint à la nage et se retrouve face à son unique occupant, l’étrange Hendrick van der Zee (James Mason) dont elle tombe amoureuse… « De tous ces fichus films que j’ai tournés, Pandora compte sans doute parmi les plus obscurs. Pourtant, rien de ce que j’ai fait avant ni après n’a eu un tel impact sur moi. […] Il m’aura suffi de mettre un pied à l’étranger pour que l’escapade prenne des allures de voyage sans retour. » (Ava Gardner, in Antoine Sire, Hollywood, la cité des femmes, Actes Sud / Institut Lumière). Ava Gardner est Pandora, celle qui affole les hommes, déesse que l’amour terrestre laisse de marbre. Car c’est pour le seul amour fou que Pandora vit, l’amour considéré comme un absolu : « la mesure de l’amour, c’est ce qu’on est prêt à sacrifier pour lui » dira un personnage. Sa rencontre avec le mystérieux Hendrick bouleverse sa vie. L’homme attend la femme qui, se sacrifiant pour lui, le libèrera de la malédiction qui le fait errer en mer depuis si longtemps. Le cinéaste Albert Lewin modernise la légende du Hollandais Volant, y accolant celle de Pandore. Lewin est un réalisateur hors normes. Ancien universitaire, chef du département scénario à la MGM, puis producteur à la Paramount, érudit et amateur d’art, c’est un esthète qui tranche sur le profil habituel des professionnels hollywoodiens. Il tourne six films entre 1942 et 1956, dont

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Films internationaux

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Pandora (Pandora and the Flying Dutchman) Royaume-Uni, ÉtatsUnis, 1951, 2h04, couleurs (Technicolor), format 1.37 _ Réalisation & scénario Albert Lewin _ Photo Jack Cardiff _ Effets spéciaux W. Percy Day _ Musique Alan Rawsthorne _ Montage Ralph Kemplen _ Décors John Bryan _ Costumes Beatrice Dawson _ Production Albert Lewin, Joseph Kaufmann, Dorkay Productions, Romulus Films _ Interprètes Ava Gardner (Pandora Reynolds), James Mason (Hendrick van der Zee), Nigel Patrick (Stephen Cameron), Sheila Sim (Janet), Harold Warrender (Geoffrey Fielding), Mario Cabré (Juan Montalvo), Marius Goring (Reggie Deverest), John Laurie (Angus), Pamela Kellino (Jennie), Patricia Raine (Peggy), Margarita D’Alvarez (señora Montalvo), La Pillina (la danseuse de flamenco), Abraham Sofaer (le juge), Francisco Igual (Vicente) _ Sortie au Royaume-Uni février 1951 _ Sortie en France 19 septembre 1951 _ Sortie aux États-Unis janvier 1952

Miracle à Milan

1951

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Miracolo a Milano de Vittorio De Sica

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Une petite maison en bordure d’une rivière dans la banlieue de Milan. C’est celle de Lolotta (Emma Grammatica), une vieille dame qui, chaque jour, arrose les choux de son jardin. Un matin, elle y découvre un bébé abandonné qu’elle recueille et prénomme Toto. Elle meurt quelques années plus tard, après lui avoir donné une éducation simple mais rigoureuse, et l’enfant est placé dans un orphelinat jusqu’à sa majorité. À sa sortie, il se réfugie dans un terrain vague peuplé d’exclus et de clochards. Il va leur redonner le goût de vivre…

En 1939, douze ans avant le tournage de Miracle à Milan, Cesare Zavattini lit à Vittorio De Sica un scénario au titre éclairant, Donnons à tout le monde un cheval à bascule. Enthousiasmé, De Sica, après trente films comme acteur, voudrait faire avec cette histoire ses débuts dans la réalisation. Il devra attendre plus de dix ans avant que le projet ne prenne corps, cette fois à partir d’un roman de Zavattini, proche du scénario d’origine. Il confiait que Miracle à Milan reprenait un thème qui le laissait sans repos depuis des années : l’indifférence des humains à l’égard des besoins d’autrui. D’où son vœu de réaliser une fable : « Ma seule intention est de tenter un conte de fées du XXe siècle. Il s’agit d’un type de production entièrement nouveau en Italie, fantastique, ironique, satirique, grotesque et imprégné de critique sociale. » Après les deux chefs-d’œuvre réalistes que sont Sciuscia et Le Voleur de bicyclette, le duo De Sica et Zavattini souhaite aller plus loin. S’inspirant de Charlie Chaplin et de René Clair, De Sica veut allier le quotidien à l’insolite et tourner le tragique en dérision. Traités avec une fantaisie poétique, les éléments réalistes révèlent les vérités les plus hautes. Toto, qui rayonne de bonté – Totò il buono est le titre du roman de Zavattini – offre au récit une ascension spirituelle au-dessus de la bassesse humaine. Sorti en Italie en février 1951, Miracle à Milan reçut en mai le Grand Prix (l’équivalent de la future Palme d’or) et le Prix international de la critique au Festival de Cannes. « Il y a deux conditions essentielles qui font de l’allégorie un genre valable. La première est que la vérité en soit l’objet. La vérité et non pas les jeux arbitraires de l’imagination… Et la seconde est que l’allégorie ne soit pas un monstre au sang-froid et au mécanisme purement intellectuel. C’est la sauvage indignation, soeva indignatio de Swift, c’est la révolte de Jean de Meung, la foi de Bunyan, la bonté de Zavattini… » (Claude Roy, Cahiers du cinéma n°7, décembre 1951) Miracle à Milan (Miracolo a Milano) Italie, 1951, 1h36, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Vittorio De Sica _ Scénario Cesare Zavattini, Vittorio De Sica, Adolfo Franci, Suso Cecchi D’Amico, Mario Chiari d’après le roman Toto il buono de Cesare Zavattini _ Photo Aldo Graziati _ Musique Alessandro Cicognini _ Montage Eraldo Da Roma _ Décors Guido Fiorini _ Costumes Mario Chiari _ Production Vittorio De Sica, Societa Produzioni De Sica _ Interprètes Emma Grammatica (Lolotta), Francesco Golisano (Toto), Paola Stoppa (Rappi), Guglielmo Barnabo (Mobbi), Brunella Bovo (Edwige), Anna Carena (Marta, la dame hautaine), Alba Arnova (la statue), Flora Cambi (l’amoureuse malheureuse), Arturo Bragaglia (Alfredo), Erminio Spalla (Gaetano) _ Sortie en Italie 8 février 1951 _ Présentation au Festival de Cannes 11 avril 1951 _ Sortie en France 21 novembre 1951

— L’Affaire Cicéron

L’Affaire Cicéron

1952

5 Fingers de Joseph L. Mankiewicz

Ankara, mars 1944. Diello (James Mason), le valet de chambre de l’ambassadeur d’Angleterre en Turquie, prend contact avec Oskar Karlweis (L.C. Moyzisch), qui travaille à l’ambassade allemande, et lui propose de lui fournir les photographies de documents ultra secrets. Les Allemands sont surpris par l’importance des premiers documents de Diello, qu’ils surnomment bientôt Cicéron. Le jour, Diello est domestique et livre les plans de l’opération Overlord à l’ennemi ; la nuit, il courtise une comtesse polonaise ruinée, Slavinska (Danielle Darrieux).

C’est auréolé du succès de All about Eve que Joseph L. Mankiewicz tourne l’année suivante en Turquie L’Affaire Cicéron et signe ainsi sa dernière collaboration contractuelle avec la Twentieth Century-Fox. Par la suite, il cherchera davantage d’indépendance et de liberté. Basé sur une histoire vraie, romancée par L. C. Moyzisch, attaché à l’ambassade d’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale – et interprète dans le film du rôle d’Oscar Karlweis –, le film raconte l’histoire invraisemblable du valet de l’ambassadeur anglais à Ankara, alors en possession des secrets de l’opération Overlord. « Mankiewicz renvoie dos à dos Anglais et Allemands, méprisant le nazisme de ces derniers et l’inconscience des premiers. » (Patrick Brion, Joseph L. Mankiewicz, éd. de La Martinière)

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il signe tous les scénarios, certains adaptés de Somerset Maugham, Oscar Wilde ou Maupassant. C’est un auteur complet, dont l’œuvre occupe une place particulière dans le cinéma américain des années 40 et 50. Pandora, où se mêlent lyrisme, mythologie et sublimation de l’amour, fut un film-phare pour les surréalistes – Lewin fit d’ailleurs appel à Man Ray pour peindre le portrait de Pandora. Le Technicolor n’a jamais été aussi beau, servi par le magicien de la couleur qu’était le chef-opérateur Jack Cardiff. « Quand Pandora tous ses vêtements quittés, nage jusqu’au yacht immobile et silencieux ; s’enveloppe d’une voile blanche puis s’enfonce doucement dans les profondeurs du bateau fantôme […], quand les yeux de l’aube s’ouvrent sur le sable humide d’une plage inviolée, quand enfin dans le noir de la cabine, Pandora réapparaît, enveloppée dans la même voile blanche et ses cheveux ruisselants, mais pour ne plus repartir – et que les mêmes paroles qu’à sa première apparition reviennent sur ces lèvres et celles du Hollandais Volant, le cinéma redevenu la lanterne magique de notre enfance nous a emportés très loin et très haut sur l’aile des songes… » (Cahiers du cinéma n°30, Noël 1953)

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sur ce principe des récits croisés tout en maintenant une pureté de lignes qui ne donne que plus de force à leurs points de jonction, de rupture. » (Vincent Amiel, Positif n°305-306, juillet-août 1986) L’Affaire Cicéron (5 Fingers) États-Unis, 1952, 1h48, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Joseph L. Mankiewicz _ Scénario Michael Wilson d’après le roman éponyme de L.C. Moyzisch _ Photo Norbert Brodine _ Musique Bernard Herrmann _ Montage James B. Clark _ Décors Thomas Little, Walter M. Scott _ Costumes Charles LeMaire _ Production Otto Lang, Twentieth Century Fox _ Interprètes James Mason (Ulysses Diello / Cicéron), Danielle Darrieux (la comtesse Anna Staviska), Michael Rennie (Colin Travers), Walter Hampden (sir Frederic Taylor), Oskar Karlweis (Ludwig C. Moyzisch), Herbert Berghof (le colonel von Richter), John Wengraf (le comte Franz von Papen), A. Ben Astar (Siebert), Roger Plowden (Keith MacFadden), Michael Pate (Morrison), Ivan Triesault (Steuben), Hannelore Axman (le secrétaire de von Papen), David Wolfe (Da Costa), Lawrence Dobkin (Santos) _ Sortie aux États-Unis 22 février 1952 _ Sortie en France 20 juin 1952

Quand passent les cigognes

1957

Letyat jouravli de Mikhaïl Kalatozov

La guerre a séparé les amoureux Veronika (Tatiana Samoïlova) et Boris (Alexeï Batalov), engagé volontaire. Ayant perdu ses parents lors d’un bombardement, Veronika s’est installée dans la famille de Boris. Celuici n’a plus donné de nouvelles depuis longtemps et la jeune fille cède aux instances du cousin de Boris, Mark (Alexander Chvorine), qu’elle épouse. Boris est tombé au front, mais sa famille l’ignore… Sur un scénario du dramaturge Victor Rozov, Mikhaïl Kalatozov a la possibilité d’exprimer ce qui est pour lui « une page de la vie de notre peuple, animée du souffle ardent de notre époque, de ce sentiment d’intense amour qui a sauvé l’humanité de la servitude fasciste, et conquis la paix pour tous les peuples. » À l’écart de toute propagande, loin du conformisme stalinien, le film s’est débarrassé des poncifs qui alourdissaient encore le cinéma soviétique de l’époque. Quand passent les cigognes fuit le réalisme et dépeint une histoire d’amour bouleversante sur fond de guerre. Le titre, qui évoque les grues qui traversent plusieurs scènes (rebaptisées cigognes pour la distribution française), souligne la primauté des forces de la nature sur toutes les autres, les guerres et les dictatures ne pouvant rien sur les saisons. Imprégnée de poésie, la mise en scène de Mikhaïl Kalatozov tend vers un style dépouillé, tout en sobriété. La lumière et les longs mouvements de la caméra de Sergueï Ouroussevski retrouvent la force du cinéma muet. Palme d’or à Cannes en 1958, le film repose aussi sur la sincérité de l’interprétation de Tatiana Samoïlova, dont le visage fascinant illumine l’écran. « [Avec] Quand passent les cigognes, […] la libération de la technique surpasse encore celle du scénario. Ces cinéastes chevronnés comme Kalatozov étaient capables d’user de leur caméra avec cette invention éblouissante ! Ils pouvaient diriger les acteurs avec une spontanéité à faire pâlir les émules de James Dean et tout l’Actors Studio ! Ils étaient capables de peindre les mouvements de l’amour avec cette fraîcheur et cette subtilité ! » (André Bazin, Le Parisien libéré, 5 mai 1958)

— Quand passent les cigognes

Quand passent les cigognes (Letyat jouravli) URSS, 1957, 1h37, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation Mikhaïl Kalatozov _ Scénario Victor Rozov _ Photo Sergueï Ouroussevski _ Musique Moïseï Weinberg _ Montage Mariya Timofeeva _ Décors Evgueni Svideteliev _ Costumes Leonid Naumov _ Production Mikhaïl Kalatozov, Mosfilm _ Interprètes Tatiana Samoïlova (Veronika), Alexeï Batalov (Boris Borozdine), Vassili

Merkouriev (le docteur Borozdine), Alexander Chvorine (Mark), Svetlana Kharitonova (Irina), Constantin Nikitine (Volodia), Valentin Zoubkov (Stepan), Ekaterina Kouprianova (Anna Mikhaïlovna), Boris Kokovkine (Tchernov), Antonina Bogdanova (la grand-mère) _ Sortie en URSS 12 octobre 1957 _ Présentation au Festival de Cannes 3 mai 1958 _ Sortie en France 11 juin 1958

Quelle joie de vivre

1961

Che gioia vivere de René Clément

Rome 1921. Ulysse (Alain Delon) et son ami Turidu (Giampiero Littera), libérés du service militaire, s’installent dans la capitale pour trouver un travail. Sans emploi, ils rallient les Chemises noires mussoliniennes, pour lesquelles ils doivent localiser une imprimerie de tracts antifascistes. Là, Ulysse y rencontre Franca (Barbara Lass), la fille de l’imprimeur. Pour la séduire, il se fait passer pour un légendaire terroriste anarchiste et se laisse prendre au jeu… Après avoir réalisé Plein soleil en 1960, René Clément travaille de nouveau avec les Italiens – pour la quatrième fois déjà, depuis Au-delà des grilles en 1948. Le cinéaste filme Alain Delon, son héros de Plein soleil : l’acteur vient de jouer pour Visconti dans Rocco et ses frères (1960) et poursuivra ensuite sa carrière italienne avec L’Éclipse d’Antonioni (1962) et Le Guépard de Visconti (1963). René Clément s’entoure d’une équipe italienne et, reprenant les codes de la comédie bouffonne, il reconstitue habilement l’ambiance de l’époque, en la teintant d’une bonne humeur constante. Ce rire, toutefois, est au service d’une dénonciation et invite à la réflexion. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Italie, comme le reste de l’Europe, cherche à se reconstruire et à bâtir une société nouvelle. En 1922, avant que Mussolini n’accède au pouvoir, plusieurs partis politiques s’opposent, et si les anarchistes souhaitent une paix authentique, les fascistes, quant à eux, veulent une paix armée. Le film se situe ainsi à une période charnière de l’histoire italienne et montre comment un individu sans conviction peut passer d’un extrême à l’autre, par inconscience et par amour. « Avec une légèreté non dénuée de gravité, [René Clément] réalise un film sur la liberté, l’oppression, l’engagement, et la bouffonnerie de certaines situations ne masque pas le caractère crucial du moment : cet été 1922, à la veille de la marche sur Rome. De fait, les fascistes ne sont pas seulement ridicules, ils sont surtout inquiétants, eux qui parient sur les attentats pour rétablir l’ordre et conduire le pays dans une voie sans issue. Ainsi la joie de vivre tourne court, les portes de la prison qui se

Lumière 2019 — Lumière Classics

Lumière 2019 — Lumière Classics

Darryl F. Zanuck, producteur du film, en surveille de près la préparation et rédige la note suivante : « Le héros de notre histoire doit être Cicéron, l’espion. […] C’est un personnage apolitique. Il n’a aucune haine pour l’Allemagne, ni non plus d’amour. Il n’en veut à personne. Nous devons montrer que ce personnage n’a ni animosité, ni frustration, ni désir de vengeance. Il n’a qu’un désir, qu’une ambition : gagner assez d’argent pour pouvoir se retirer. » (cité par Patrick Brion, op. cit.). À l’image d’autres titres du cinéaste, L’Affaire Cicéron décrit des rapports de classe et dépeint le combat d’un homme qui cherche à profiter de la situation pour s’élever dans la hiérarchie sociale. Dans un éblouissant jeu de dupes, le réalisateur entrecroise les histoires scénarisées par le grand Michael Wilson. « La beauté de L’Affaire Cicéron est de travailler

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Quelle joie de vivre (Che gioia vivere) Italie, France, 1961, 1h53, noir et blanc, format 2.35 _ Réalisation René Clément _ Scénario René Clément, Leo Benvenuti, Piero De Bernardi, d’après une idée originale de Gualtiero Jacopetti _ Dialogues Pierre Bost _ Photo Henri Decaë _ Musique Angelo Francesco Lavagnino _ Montage Madeleine Lecompère, Fedora Zincone _ Décors Piero Zuffi _ Costumes Pier Luigi Pizzi _ Production Franco Magli, Cinematografica Rire, Tempo Film, Francinex _ Interprètes Alain Delon (Ulysse Cecconato), Barbara Lass (Franca Fossati), Gino Cervi (Olinto Fossati), Rina Morelli (Rosa Fossati), Carlo Pisacane (le grandpère Fossati), Paolo Stoppa (Joseph), Giampiero Littera (Turiddu), Ugo Tognazzi (un anarchiste bulgare), Aroldo Tieri (un anarchiste bulgare), Didi Perego (Isabella), Annibale Ninchi (le professeur), Nanda Primavera (Marguerite), René Clément (un général) _ Présentation au Festival de Cannes 11 mai 1961 _ Sortie en Italie 11 mai 1961 _ Sortie en France 15 mai 1961

L’Incinérateur de cadavres

1968

Spalovač mrtvol de Juraj Herz

Lumière 2019 — Lumière Classics

Monsieur Kopfringl, (Rudolf Hrusinsky) homme brave et peu avare de sa personne, exerce son métier d’incinérateur avec un amour troublant. Et cherche à développer son commerce, qu’il considère comme un bienfait pour l’humanité. Il revoit par hasard un compagnon d’armes – et sympathisant nazi – qui lui suggère qu’il pourrait avoir du sang allemand dans les veines. Monsieur Kopfrkingl commence alors à envisager certaines solutions nouvelles à ses problématiques professionnelles...

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Pour son troisième long métrage, Juraj Herz travaille pendant près de deux ans, avec l’auteur Ladislav Fuks, à l’adaptation de son roman L’Incinérateur de cadavres. Commencé durant le Printemps de Prague, le tournage se complique et s’achève au moment où les armées du Pacte de Varsovie ont envahi la Tchécoslovaquie. Mettant en scène un personnage devenu un outil consentant de la force occupante, le film devient alors un miroir de l’actualité : « L’Incinérateur de cadavres est un film sur la collaboration, tourné à une époque où, en Tchécoslovaquie, on pouvait assister à un renouveau de collaboration. » (Juraj Herz) Oscillant entre humour noir et horreur, le film est volontairement excessif. Le réalisateur dresse un portrait extrême d’un Monsieur-tout-le-monde et montre comment un citoyen exemplaire peut verser dans le totalitarisme en acceptant sans discuter tout nouvel ordre qui lui parvient. « Chez Fuks, le macabre devient réalité sanglante

et se situe dans le domaine de l’horreur psychologique hitchcockienne. » (Heinrich Böll) Censuré pendant près de vingt ans (dans son pays et dans les pays voisins), à l’instar de films comme Les Diamants de la nuit de Jan Nemec, Les Petites Marguerites de Vera Chytilova ou Au feu les pompiers de Milos Forman, le film atteignait une vérité historique que les autorités ont souhaité étouffer, en voulant donner l’illusion que la Tchécoslovaquie avait résisté à l’occupant. Rappelons l’épigraphe du roman de Fuks : « Le diable est le plus malin quand il dit lui-même qu’il n’existe pas…» « Banalisé, le triomphe du nazisme paraît presque inscrit dans le mode de vie petit-bourgeois d’un pays dont les allures paisibles semblent appeler les plus grands traumatismes. Le calme se confond avec la tempête. Lorsqu’il est enfin identifié, le basculement a déjà eu lieu. » (Éric Derobert, Positif n°352, juin 1990) L’Incinérateur de cadavres (Spalovač mrtvol) Tchécoslovaquie, 1968, 1h36, noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation Juraj Herz _ Scénario Juraj Herz, Ladislav Fuks, d’après son roman éponyme _ Photo Stanislav Milota _ Musique Zdenek Liska _ Montage Jaromír Janácek _ Décors Zbynek Hloch _ Costumes Olga Dimitrovová _ Production Ladislav Harus, Filmové studio Barrandov, Sebor _ Interprètes Rudolf Hrusinsky (Kopfringl), Vlasta Chramostova (Lakmé  /  Dagmar), Jana Stehnova (Zina), Milos Vognic (Mili), Zora Bozinova (Reinkeova), Ilja Prachar (Walter Reinke), Eduard Kohout (Bettleheim), Jiri Menzel (Dvorak) _ Sortie en Tchécoslovaquie 14 mars 1969 _ Sortie en France 21 juillet 1971

Le Mystère von Bülow

1990

— L’Incinérateur de cadavres

Reversal of Fortune de Barbet Schroeder

Fin des années 70. Dans le milieu ultra fortuné de Rhode Island, aux États-Unis, Claus von Bülow (Jeremy Irons) est accusé d’avoir tenté d’empoisonner sa femme à l’insuline. Mais Sunny von Bülow (Glenn Close) ne se serait-elle pas suicidée ? Ou plutôt, Claus ne l’a-t-il pas "aidée" à le faire ? Condamné à trente ans de prison, von Bülow décide, pour faire appel, d’engager l’avocat Alan Dershowitz (Ron Silver). Son procès, le plus retentissant de la décennie, mobilisera plusieurs centaines de journalistes et sera suivi par des millions de téléspectateurs. Critique aux Cahiers du cinéma et assistant de Jean-Luc Godard pour Les Carabiniers (1963), Barbet Schroeder choisit de devenir producteur et fonde Les Films du Losange. Il produit, entre autres, Éric Rohmer et JeanDaniel Pollet, avant de se lancer dans la réalisation en 1969, avec More. Il tourne plusieurs films bien accueillis, et, après Tricheurs (1984), entame une carrière aux États-Unis, au moment où a lieu le second procès von

Bülow, qui se termine par un acquittement en 1985. Le cinéaste rêvait depuis longtemps de faire une comédie sur l’univers des milliardaires oisifs. Il rencontre alors Nick Kazan, fils d’Elia et scénariste, qui travaille à l’adaptation du roman d’Alan Dershowitz, le brillant avocat de Claus von Bülow. Le duo trouve une mine de renseignements auprès du fils de l’avocat, qui coproduit le film. Cinq ans après le procès et alors que tous les protagonistes sont en vie – les avocats de la production passent le scénario au peigne fin –, Barbet Schroeder met en scène cette enquête mystérieuse. Le film alterne entre une approche quasi documentaire, des flashbacks et la narration de Sunny, l’épouse, en forme de clin d’œil à Sunset Boulevard de Billy Wilder, qui menait le récit selon le point de vue du disparu. Grâce à ses acteurs Jeremy Irons et Glenn Close, le cinéaste dépasse la question de la culpabilité de von Bülow. « À travers l’interprétation [de Glenn Close] on assiste à

la fin d’un mariage et l’on voit se profiler la tentation du suicide. Car Le Mystère von Bülow est aussi un film sur l’échec d’une union, et qui relègue progressivement au second plan la question : “Claus a-t-il tué sa femme ?” » (Barbet Schroeder) Le Mystère von Bülow (Reversal of Fortune) États-Unis, Royaume-Uni, Japon, 1990, 1h51, couleurs (Technicolor), format 1.85 _ Réalisation Barbet Schroeder _ Scénario Nicholas Kazan, d’après l’ouvrage éponyme de Alan M. Dershowitz _ Photo Luciano Tovoli _ Musique Mark Isham _ Montage Lee Percy _ Décors Mel Bourne _ Costumes Judianna Makovsky _ Production Oliver Stone, Edward R. Pressman, Elon Dershowitz, Nicholas Kazan, Sovereign Pictures, Reversal Films Inc., Shochiku-Fuji Company _ Interprètes Glenn Close (Martha von Bülow, dite Sunny), Jeremy Irons (Claus von Bülow), Ron Silver (Alan Dershowitz), Annabella Sciorra (Sarah), Uta Hagen (Maria), Fisher Stevens (David Marriott), Jack Gilpin (Peter Mcintosh), Christine Baranski (Andrea Reynolds), Stephen Mailer (Elon Dershowitz), Christine Dunford (Ellen), Felicity Huffman (Minnie), Mano Singh (Raj), Johann Carlo (Nancy), Keith Reddin (Dobbs) _ Présentation au Festival de Telluride septembre 1990 _ Sortie aux États-Unis 9 novembre 1990 _ Sortie en France 9 janvier 1991

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referment enserrent autant les protagonistes du film que les spectateurs qui les regardent. Comme le dit Clément, pour être libre, “il faut du génie ou de l’héroïsme”. » (Jean A. Gili, Positif n°612, février 2012)

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1992

Balanta de Lucian Pintilie

Lumière 2019 — Lumière Classics

Bucarest, 1988. Nela (Maia Morgenstern) est au chevet de son père, colonel de la Securitate, la police politique roumaine. Il désire léguer son corps à la science. Mais après son décès, personne n’en veut, ni l’Institut médico-légal, ni la Faculté de médecine, en panne d’électricité. Nela quitte la ville pour aller enseigner en province. Elle rencontre Mitica (Razvan Vasilescu), un médecin iconoclaste.

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Né en 1933, Lucian Pintilie débute sa carrière d’homme de théâtre, puis de télévision et de cinéma, au milieu des années 50. La censure gouvernementale intervient sans cesse dans ses activités, et finit par le faire expulser de Roumanie. Scènes de carnaval, son quatrième long métrage, sera ainsi interdit de 1979 à 1991. Après la révolution de 1989, il rentre à Bucarest et se voit nommé directeur de la Société cinématographique du ministère de la Culture. « Que reste-t-il encore de valide d’une communauté, d’un être humain lorsqu’ils tâchent de s’adapter à l’Apocalypse, en lui conférant le statut de normalité, lorsque l’incontrôlable devient banal, quotidien ? Et de façon générale, à quel moment la gouaille – l’irresponsabilité assumée, l’esprit macabre de l’humour dont nous autres, Roumains, sommes si fiers – cesse d’être un bouclier invulnérable ? » (Lucian Pintilie). Avec Le Chêne, Pintilie fait le portrait de la Roumanie des derniers mois du régime Ceausescu, à travers le voyage initiatique de Nela et Mitica dans un pays hagard. Lorsque la réalité bascule dans l’absurde (la pluie qui emporte le ballast des voies ferrées, les cendres du père dans une boîte de café…), la farce devient bouffonne. Le couple résiste à la bêtise, à la bureaucratie omnipotente, à la lâcheté, et défie le régime avec ses seules armes : l’intelligence, la liberté, l’injure et l’insolence. Ils se moquent de tout. Et de tous. Posant son regard de créateur sur son propre pays, Lucian Pintilie signe une parabole sur l’agonie d’une culture. « Roumanie année zéro » selon ses mots, zéro comme le néant, et pas encore tout à fait comme la renaissance d’un espoir. « Film coup de poing sur "le grotesque du socialisme roumain", Le Chêne explose de la fulgurance d’une réalité transcendée par la force d’une mise en scène vertigineuse au service de souffrances et de colères restituées par un poète écorché vif. » (Anne Kieffer, Jeune Cinéma n°217, octobre 1992) Le Chêne (Balanta) France, Roumanie, 1992, 1h45, couleurs (Fujicolor), format 1.66 _ Réalisation & scénario Lucian Pintilie, d’après le roman Balanta d’Ion Baiesu _ Photo Doru Mitran _ Montage Victorita Nae _ Décors Calin Papura _ Costumes Svetlana Mihailescu _ Production Éliane Stutterheim, Sylvain Bursztejn, Lucian Pintilie, Parnasse Production, Scarabée Films, MK2 Productions, La Sept Cinéma _ Interprètes Maia

Morgenstern (Nela), Razvan Vasilescu (Mitica), Victor Rebengiuc (le maire), Dorel Visan (le prêtre à la campagne), Mariana Mihut (la femme du prêtre), Dan Condurache (le procureur), Virgil Andriescu (le père de Nela), Leopoldina Balanuta (la mère de Nela), Matei Alexandru (Butusina), Gheorghe Visu (le pope dans le train), Magda Catone (l’assistante de Mitica), Ionel Mihailescu (Titi) _ Présentation au Festival de Cannes mai 1992 _ Sortie en France 16 septembre 1992 _ Présentation au Festival de New-York 1er octobre 1992

L’Âme des guerriers

1994

Once Were Warriors de Lee Tamahori

Dans la banlieue pauvre d’Auckland, un couple et ses cinq enfants. Beth (Rena Owen), Maorie, a épousé Jake (Temuera Morrison), descendant d’esclaves noirs. Il est alcoolique et n’hésite pas à la battre régulièrement. Leurs enfants grandissent comme ils peuvent, les garçons se réfugient dans la délinquance et les gangs, la fille aînée dans l’écriture. Bientôt un drame achève de faire éclater ce qu’il reste de cette famille en souffrance… L’Âme des guerriers, le roman d’Alan Duff, fut un immense succès en Nouvelle-Zélande, lançant un pavé dans la mare et créant une vive polémique. Son adaptation sur grand écran par Lee Tamahori, jeune cinéaste venu de la publicité, suivit le même chemin. À travers une histoire de violence conjugale et le portrait de Beth en Mère Courage, L’Âme des guerriers est un récit âpre et violent. Ce film évoque de manière réaliste la misère sociale et psychologique des Maoris déracinés dans des banlieues pauvres, en exil sur leurs propres terres. Le destin de ces descendants des guerriers d’autrefois, coupés de leur histoire, détruits par la pauvreté et le déracinement, est poignant jusqu’au malaise. Prenant conscience de sa situation, Beth, pivot de la famille, engage un retour vers la dignité et son héritage culturel. S’il s’attache à ce passé mythique (son propre père est Maori), le cinéaste tient à ce que son film soit universel. « Par son thème comme par son impact polémique puissant, Once Were Warriors ressemble à certains pamphlets américains qui dénoncent, sans prendre de gants, l’état de déchéance actuelle des Peaux-Rouges. » (Lorenzo Codelli, Positif n°405, novembre 1994). Lee Tamahori filme avec rage, sans misérabilisme. L’Âme des guerriers sera récompensé dans de nombreux festivals (dont le Prix de la première œuvre à la Mostra de Venise) et fera exploser le box-office néo-zélandais. Le film gagnera au fil du temps le statut d’œuvre orpheline, jusqu’à ce que son réalisateur (après des années de cinéma hollywoodien et même un James Bond) retrouve ses terres et son acteur Temuera Morrison pour Mahana en 2016. L’Âme des guerriers, œuvre choc et étonnante est pour

— Le Chêne

Lumière 2019 — Lumière Classics

Le Chêne

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— L’Âme des guerriers

Lumière 2019 — Lumière Classics

Heike Hurst, « un film qui vous reste sur le cœur, dans les yeux, comme un feu qui ne veut plus s’éteindre ». (Jeune Cinéma n°23, septembre 1995)

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L’Âme des guerriers (Once Were Warriors) Nouvelle-Zélande, 1994, 1h43, couleurs (Eastmancolor), format 1.85 _ Réalisation Lee Tamahori _ Scénario Riwia Brown, d’après le roman éponyme d’Alan Duff _ Photo Stuart Dryburgh _ Musique Murray Grindlay, Murray McNabb _ Montage Michael Horton _ Décors Michael Kane _ Costumes Pauline Bowkett _ Production Robin Scholes, Communicado, New Zealand Film Commission, Avalon, New Zealand On Air _ Interprètes Rena Owen (Beth Heke), Temuera Morrison (Jake Heke), Mamaengaroa Kerr-Bell (Grace Heke), Julian Arahanga (Nig Heke), Taungaroa Emile (Boogie Heke), Rachael Morris Jr. (Polly Heke), Joseph Kairau (Huata Heke), Clifford Curtis (Bully), Pete Smith (Dooley), George Henare (Bennett), Mere Boynton (Mavis), Shannon Williams (Toot), Calvin Tuteao (Taka, le chef de la bande), Ian Mune (le juge) _ Présentation à la Mostra de Venise 2 septembre 1994 _ Sortie en France 5 juillet 1995

Trésors et curiosités


Hongrie

Le Cinquième Sceau   1976 Az ötödik pecsét de Zoltán Fábri

Lumière 2019 — Trésors et curiosités

Hongrie, hiver 1944. Quelques citoyens sont retenus par les nazis dans une salle d’interrogatoire. Pour pouvoir en sortir, ils doivent frapper un prisonnier que l’on torture. Mais ils sont incapables d’un tel geste : Király (László Márkus), le libraire, et ses compagnons donnent leur vie afin de conserver une part d’humanité. Seul l’horloger Gyuricza (Lajos Öze) accepte, la mort dans l’âme, d’asséner les coups, dans le seul but de sauver les enfants juifs cachés dans son appartement.

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— Le Cinquième Sceau

« Sous une forme ou sous une autre, le motif essentiel de chacun de mes films est la protestation contre toute violence faite à l’homme. » (Zoltán Fábri, in István Zsugán, Cinq cinéastes hongrois, Cahiers d’information) Diplômé de l’École supérieure des Beaux-Arts de Budapest, Zoltán Fábri poursuit des études d’art dramatique avant de devenir comédien, puis metteur en scène. Remarqué au Festival de Cannes en 1956 pour Un petit carrousel de fête, son premier succès international, le réalisateur hongrois saisit très vite l’importance de filmer son pays afin, selon ses mots, de « pouvoir éveiller un écho profond auprès du public de tout pays ». Adaptée du roman éponyme de Ferenc Sánta, l’histoire se déroule en Hongrie alors que les nazis y font régner la terreur. Un groupe de prisonniers est contraint de s’interroger : vaut-il mieux être tyran ou esclave ? Zoltán Fábri, né en 1917, subit de plein fouet la Seconde Guerre mondiale qui marquera ses réalisations futures. « Toute œuvre importante a pour thème quelque chose qui soulève un problème sur le plan de la conscience humaine d’aujourd’hui. » (Zoltán Fábri, op. cit.)

Remarquable plongée dans les interrogations de l’âme humaine, Le Cinquième Sceau reçoit le Prix d’or au Festival de Moscou en 1977. « Plusieurs fois millénaire, l’histoire écrite de l’humanité a toujours été une série pratiquement ininterrompue d’horreurs sans nombre, de massacres, de guerres, de meurtres politiques, d’exterminations de peuples, de vendettas et de rivalités pour le pouvoir. Mais l’Histoire a montré aussi, en de nombreuses occasions, comment la longue humiliation et le danger poussent la dignité humaine exaspérée à se dresser dans toute sa grandeur devant la menace d’une mort méprisée, accomplissant ainsi l’acte le plus grand et le plus digne de l’homme. » (Zoltán Fábri, op. cit.) Le Cinquième Sceau (Az ötödik pecsét) Hongrie, 1976, 1h47, couleurs (Eastmancolor), format 1.37 _ Réalisation & scénario Zoltán Fábri, d’après le roman éponyme de Ferenc Sánta _ Photo György Illés _ Musique György Vukán _ Montage Ferencné Szécsényi _ Décors Tamás Vayer _ Costumes Fanny Kemenes _ Production Budapest Filmstúdió, Mafilm _ Interprètes Lajos Öze (Gyuricza Miklós), László Márkus (Király László), Ferenc Bencze (Béla), Sándor Horváth (Kovács János), István Dégi (Keszei Károly), Zoltán Latinovits (Civilruhás), Gábor Nagy (Szõke Hajú), György Bánffy (Magas), József Vándor (Macák), Noémi Apor (Kovácsné), Ildikó Pécsi (Irén) _ Sortie en Hongrie 7 octobre 1976 _ Présentation au Festival de Berlin juin 1977 _ Présentation au Festival de Moscou juillet 1977

Iran

La maison est noire

1963

Khaneh siah ast de Forough Farrokhzad

Dans une salle de classe, penchés au-dessus d’un grand livre, les élèves louangent la création de Dieu. « Je Te loue de m’avoir donné des yeux pour voir toutes les merveilles, des mains pour travailler, des oreilles pour entendre les mélodies, des pieds pour aller où je veux… » Dans la maison noire de Tabriz, des lépreux, voués à l’oubli, sont tenus à l’écart d’un monde en marche. Face caméra, ils interrogent leur existence et leur croyance… Grande poétesse, Forough Farrokhzad rencontre l’écrivain et cinéaste Ebrahim Golestan à la fin des années 50 et travaille comme monteuse pour sa société Golestan Film. À seulement 28 ans, elle y réalise La maison est noire, son unique film, et se charge seule de la mise en scène, du scénario et du montage. Le film est le premier documentaire iranien filmé par une femme. Documentaire de commande pour une association caritative luttant contre la lèpre, La maison est noire est tourné dans la léproserie de Baba Baghi, près de Tabriz, en Iran. Unissant fonction documentaire et langage poétique, Forough Farrokhzad filme avec dignité et sans le moindre

Lumière 2019 — Trésors et curiosités

Des raretés issues des archives du monde entier. Surprenants voyages dans les cinématographies portugaise, américaine, iranienne, suisse, hongroise, suédoise, russe, polonaise, slovaque... Des films rares, à découvrir.

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La maison est noire (Khaneh siah ast) Iran, 1963, 20min, noir et blanc, format 1.37 _ Réalisation & scénario Forough Farrokhzad _ Photo Soleiman Minasian _ Montage Forough Farrokhzad _ Production Ebrahim Golestan, Golestan Film _ Avec Forough Farrokhzad (narratrice), Ebrahim Golestan (narrateur), Hossein Mansouri (lui-même) _ Présentation au Festival de Oberhausen 1964

Lumière 2019 — Trésors et curiosités

Les Collines de Marlik

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1963

traduira également Shakespeare, Hemingway, Faulkner ou Mark Twain). À la fin des années 50, séduit par le documentaire Anz Ghatreh Ta Darya (D’une goutte à la mer), le documentariste britannique Arthur Elton, réussit à convaincre le consortium pétrolier de donner à Golestan les moyens de créer sa propre maison de production : c’est la naissance de Golestan Film, première société de production indépendante iranienne. Produisant documentaires et fictions, elle contribuera à l’histoire du cinéma national. Elle permettra entre autres à la poétesse Forough Farrokhzad de tourner La maison est noire (1963). Pionnier du cinéma d’auteur iranien, le « lion », selon les mots de Jonathan Rosenbaum, capte dans ses films les manifestations humaines, entre prose et poésie. Dans Les Collines de Marlick (dont la genèse est liée à la découverte archéologique d’une série d’art primitif), le cinéaste filme les rapports entre passé et présent, entre l’homme et l’art. À la manière de Chris Marker, Ghislain Cloquet et Alain Resnais dans Les statues meurent aussi, il insuffle vie aux objets inanimés. Entre métaphore politique et allégorie philosophique, Les Collines de Marlick explore les sols iraniens à la recherche de racines : « Cette année, l’année dernière, il y a des milliers d’années… » « Les films de Golestan ont en commun […] une force viscérale qui tient à l’esprit qui les anime, de l’intuition, de l’énergie, un peu de roublardise, mais au finale, et surtout, beaucoup de respect. » (Stéfani de Loppinot, Cinéma 07, printemps 2004). Au milieu des années 70, Ebrahim Golestan abandonnera le cinéma, mais aussi son pays, en s’installant au RoyaumeUni, quelques années avant la révolution de 1979. Les Collines de Marlik (Tappe-haye Marlik) Iran, 1963, 15min, couleurs _ Réalisation & scénario Ebrahim Golestan _ Photo Soleiman Minassian _ Musique Morteza Hannaneh _ Montage Ebrahim Golestan _ Production Golestan Film _ Avec Ebrahim Golestan (le narrateur)

Tappe-haye Marlik d'Ebrahim Golestan

Pologne

Au nord de l’Iran, les collines de Marlick sont un site de fouilles archéologiques, mais également une terre fertile pour l’agriculture. Deux mondes, mais aussi deux époques, cohabitent.

Bilans kwartalny de Krzysztof Zanussi

Né en 1922 à Chiraz, dans une famille d’intellectuels, Ebrahim Golestan grandit au contact de l’art et de la littérature. Après des études de droit, il travaille pour un consortium pétrolier, composé, entre autres, par Shell, Esso, Mobil et Texaco. Il tourne des images pour les chaînes américaines NBC et CBS, ainsi que des films industriels et éducatifs, en leur apportant un regard singulier. Parallèlement, il voit ses premières nouvelles publiées (il

Bilan trimestriel

1975

Marta (Maja Komorowska), mariée à Jan (Piotr Fronczewski), mène une vie monotone. Partageant son temps entre son travail, sa vie de famille, et la maternité, elle fait preuve d’un grand altruisme avec ceux qui l’entourent, mais semble s’ennuyer. Lorsqu’elle rencontre Jacek (Marek Piwowski), séducteur-né, décontracté, indépendant, bien différent de son mari, Marta mesure son besoin de changement et entame une nouvelle relation…

— Les Collines de Marlik

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sentimentalisme le quotidien des lépreux. « Un humanisme radical » pour Jonathan Rosenbaum (Cinéma 06, automne 2003) qui considère le film comme le point de départ de la Nouvelle Vague iranienne. « Ce monde est plein de laideur. Il y en aurait encore d’avantage si l’homme en détournait les yeux ». Ainsi commence le film, sur la voix d’Ebrahim Golestan, dans l’obscurité totale : c’est dans l’acte de fermer les yeux que se trouve la véritable laideur. « La laideur n’a pas de signification réelle. La léproserie et les lépreux ne sont pas laids. Si vous regardez un homme laid en tant qu’homme, vous allez le trouver beau. ». La réalisatrice nous dit en filigrane que ne pas détourner le regard et affronter celui des malades, c’est les rendre beau. À la mort prématurée de l’artiste, à 33 ans, le réalisateur Chris Marker, évoquera avec justesse La maison est noire : « Pour son premier film, elle était allée droit au plus irregardable : la lèpre, les lépreux. Et s’il fallait un regard de femme, s’il faut toujours un regard de femme pour établir la juste distance avec la souffrance et la laideur, sans complaisance et sans apitoiement, son regard à elle transformait encore son sujet, et en contournant l’abominable piège du symbole, parvenait à lier, par surcroît de vérité, cette lèpre à toutes les lèpres du monde. […] Pardon pour les louanges, Forough. Délivrée des méprises, c’est à voir. Mais pour ce qui est de rester inconnue, je ne crois pas que tu y arriveras. ». (Cinéma 67 n°117, juin 1967).

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Bilan trimestriel (Bilans kwartalny) Pologne, 1975, 1h36, couleurs (Eastmancolor), format 1.66 _ Réalisation & scénario Krzysztof Zanussi _ Photo Slawomir Idziak _ Musique Wojciech Kilar _ Montage Urszula Sliwinska _ Décors Tadeusz Wybult _ Costumes Anna B. Sheppard _ Production Film Polski, P.P. Film Polski _ Interprètes Maja Komorowska (Marta), Piotr Fronczewski (Jan), Marek Piwowski (Jacek), Zofia Mrozowska (la mère), Halina Mikolajska (Roza), Barbara Wrzesinska (Ewa), Chip Taylor (James), Eugenia Herman (Zofia) _ Sortie en Pologne 21 janvier 1975 _

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Présentation au Festival de Berlin juillet 1975

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— Les Fusils et le Peuple

Portugal

Les Fusils  et le Peuple

1975

As Armas e o Povo du Collectif des Travailleurs du Secteur Cinématographique Du 25 avril au 1er mai 1974, dix équipes de tournage filment Lisbonne en liesse. Des militaires aux manifestants, la parole est libérée. Images des premiers jours de la révolution des Œillets. Le 25 avril 1974, l’armée portugaise renverse le régime de Marcelo Caetano, issu de la dictature de Salazar, afin de rétablir la démocratie. Deux chansons de Paulo de Carvalho et Zeca Afonso donnent le signal : le coup d’État est en cours. Tout bascule en quelques heures, le Premier ministre Caetano est contraint de quitter le pouvoir et s’exile. La révolution est pacifique. Le MFA (Mouvement des Forces armées), né au sein même de l’armée nationale, est constitué d’officiers en désaccord avec la politique coloniale menée en Angola et qui portent – ainsi que tous les conjurés – un œillet à la boutonnière. Les militaires sont soutenus par la population exaltée ; ils mettent ainsi ensemble un terme à quarante-huit ans de dictature. Au cœur du mouvement cinématographique qui accompagne la révolution des Œillets, le Collectif des Travailleurs du Secteur Cinématographique. Envoyant sur le terrain plusieurs équipes et des dizaines de techniciens, le collectif interroge les citoyens et les soldats et filme la démocratie en marche. Des images puissantes, un témoignage essentiel. Jusque-là muselé par le régime de Salazar, le cinéma social et politique reprend la place qui aurait dû être la sienne et assume son véritable pouvoir. Documentaire, comme Deus Pátria Autoridade de Rui Simões, ou fictions, comme O funeral do patrão d’Eduardo Geada ou Os demónios d'Alcácer-Kibir : l’année 1975 est éminemment politique pour le cinéma portugais. « La période du 25 avril au 1er mai 1974 illustre l’action militaire et les mouvements de rue qui conduiront au démantèlement de l’appareil social et politique du fascisme. Parallèlement, une analyse des principaux événements qui, à partir du 28 mai 1926, ont contribué à la consolidation de la machine corporative inspirée par Salazar, souligne les attitudes de résistance populaire ou d’opposition armée pendant quarante-huit ans. Dans cette démarche d’analyse des causes qui ont conduit à la chute du consulat de Marcelo Caetano, ce documentaire témoigne d’un habile travail de montage, avec de précieux documents iconographiques sur l’aube de la révolution des Œillets. » (José de Matos-Cruz, Anos de abril. Cinema Portugês 1974-1982, Instituto Português de Cinema)

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Éloigné d’un certain cinéma "normé", Krzysztof Zanussi est, durant ses études, expulsé de l’École de cinéma de Lodz. Il réalise cependant par la suite de nombreux courts métrages très remarqués et son long métrage Illumination (1973) fait l’unanimité auprès de la critique. Connu pour un cinéma intellectuel où il met en scène les milieux universitaires qu’il fréquente, il ne souhaite pourtant pas se reposer sur ses acquis et cherche à explorer de nouvelles directions. Bilan trimestriel représente une prise de risque dans son parcours. « C’est le résultat de ma propre réaction personnelle, psychologique, après Illumination. J’ai voulu faire quelque chose de très traditionnel, un film sur les émotions, très direct, pas intellectuel. » (Krzysztof Zanussi, Positif n°225, décembre 1979) Le sujet est classique et son traitement linéaire : une femme mariée, Marta, est attirée par un autre homme ; le couple s’enlise dans les malentendus et le silence ; elle finit par rompre avec son mari. Mais le cinéaste évite tout sentimentalisme et dramatisation. Son actrice, Maja Komorowska, pour qui il a écrit le scénario, dit tout sans parler. Cette femme, très empathique, semble se perdre dans ceux qui l’entourent. « Le film porte sur la difficulté de "faire" (ou refaire) sa vie, quand "sa vie" est tissée de celle des autres. » (Jean Delmas, Jeune Cinéma n°83, décembre 1974). Le cinéaste dédramatise l’action pour filmer l’évolution d’une crise souterraine. Et plus encore, c’est la liberté qui est mise en question : Krzysztof Zanussi laisse entendre que la liberté n’est rien d’autre qu’une acceptation – avoir le droit de choisir en assumant les conséquences de ses choix. « Il y a une antinomie innée dans la conception de la liberté même : tant qu’on ne choisit pas, on a l’illusion d’être libre et on n’est pas libre ; la liberté, c’est le choix de nos limitations. » (Krzysztof Zanussi, Positif n°225, décembre 1979)

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Russie

L’Assassin du tsar Tsareubiytsa de Karen Shakhnazarov

1991

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L’assassinat du tsar Nicolas II et de sa famille au cours de la nuit du 17 juin 1918 se rejoue dans la tête de l’inquiétant interné psychiatrique Timofeyev (Malcolm McDowell). Les détails troublants qu’il évoque intriguent le docteur Smirnov (Oleg Yankovskiy). De fil en aiguille, un lien particulier s’installe entre les deux hommes. Le huis clos voit leurs discussions sur ces meurtres révéler l’intelligence de Timofeyev, et non plus sa folie. Le médecin est à son tour hanté par les visions d’horreur de ces assassinats…

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Directeur artistique du studio Mosfilm depuis 1987 et cinéaste de renom, Karen Shakhnazarov permet au cinéma soviétique, puis russe, d’être présent à l’échelle internationale. Par le biais de Mosfilm, il donne la possibilité à la création nationale de s’exprimer dans les meilleures conditions. Quant à ses propres films, ils glanent des récompenses dans les plus grands festivals. L’Assassin du tsar met en scène l’un des événements marquants de l’histoire russe : l’assassinat de la famille impériale. Comme dans son précédent film, La Ville Zéro (1988), Karen Shakhnazarov nous parle de mémoire. Une mémoire historique ici, avec l’assassinat réel du tsar, mais également déformée dans le souvenir du patient aliéné. Timofeyev, pensionnaire d’un hôpital psychiatrique, se prend pour le meurtrier de Nicolas II, et va finir par voir en son thérapeute la figure du tsar. Interprété remarquablement par Malcolm McDowell, le schizophrène Timofeyev donne toute sa dimension psychologique à ce thriller qui se garde de toutes implications politiques. L’Assassin du tsar montre avec précision comment un thérapeute peut basculer dans la folie de son patient. Les circonstances de la mort de Nicolas II et de sa famille ne sont pas ici explicitées, mais envisagées au prisme de la folie. Le réalisateur entrouvre ainsi une page de l’Histoire en laissant à chacun le soin d’y réfléchir. L’Assassin du tsar (Tsareubiytsa) Russie, Royaume-Uni, 1991, 1h45, couleurs, format 1.37 _ Réalisation Karen Shakhnazarov _ Scénario Karen Shakhnazarov, Aleksandr Borodyanskiy _ Photo Nikolay Nemolyaev _ Musique John Altman, Vladislav Shut _ Montage Lidiya Milioti _ Décors Lyudmila Kusakova _ Costumes Vera Romanova _ Production Christopher

Gawor, Anthony Sloman, Erik Waisberg, Courier Studios, Mosfilm, Spectator Entertainment _ Interprètes Malcolm McDowell (Timofeyev /  Yurovsky), Oleg Yankovskiy (Dr. Smirnov / le tsar Nicolas II), Armen Dzhigarkhanyan (Aleksandr Yegorovich), Yuriy Sherstnyov (Kozlov), Anzhela Ptashuk (Marina), Viktor Seferov (Vojkov), Olga Antonova (la tsarine Aleksandra), Dariya Majorova (la princesse Olga), Evgeniya Kryukova (la princesse Tatyana), Alyona Teremizova (la princesse Mariya), Olga Borisova (la princesse Anastasiya) _ Présentation au Festival de Cannes mai 1991 _ Sortie en Russie octobre 1991 _ Sortie au Royaume-Uni 1er octobre 1993

Slovaquie

Les Lys des champs

1972

Ľalie poľné d’Elo Havetta

Dans un village slovaque, après la Première Guerre mondiale, deux anciens soldats, Hejges (Lotar Radványi) et Krujbel (Vladimír Kostovic), tentent de donner un sens à leur vie : retrouver le bonheur et l’amour. Déracinés par la guerre, privés de foyer, ces vagabonds vivent au jour le jour. Tout en aspirant à la stabilité, ils rêvent de liberté et d’amitié. Après avoir étudié la photographie aux Beaux-Arts de Bratislava et la mise en scène à Prague, Elo Havetta se consacre à l’édition, au théâtre de marionnettes, à la musique de jazz, à l’écriture… et réalise son premier court métrage, Šupka a šupáci, avec le réalisateur slovaque Juraj Jakubisko en 1956. Artiste polyvalent, Elo Havetta porte ici à l'écran, pour son second long métrage, le roman Nebýva na každom vŕšku hostinec de Vincent Sikula, qui a lui-même écrit le scénario. L’histoire se concentre sur deux soldats revenus du front, Hejges, dont la clarinette représente désormais son seul lien avec le monde, et Krujbel, qui tentent de redonner un sens à leur vie. S’ils éprouvent le besoin de retrouver un foyer et de s’y installer, les personnages sont également animés par le désir de liberté et de vivre une vie de vagabond. Elo Havetta filme les villages du sud de la Slovaquie dans l’atmosphère calme et oisive de l’été. Sur les marchés, fréquentés par de pauvres gens et des musiciens de rue, s’exprime, en ce lendemain de la guerre, l’effervescence de la vie. Le réalisateur capte une transition, celle d’un monde en reconstruction, à travers divers motifs musicaux, chants militaires, sons des cloches ou chœurs d’enfants, imaginés par le compositeur Zdenek Liska. Entre folklore des villages et problématiques modernes, Elo Havetta filme avec un lyrisme exalté la disparition d’un univers. Teinté de mélancolie, le film n’en reste pas moins une célébration de la liberté et de la joie de vivre.

— L’Assassin du tsar

Lumière 2019 — Trésors et curiosités

Les Fusils et le Peuple (As Armas e o Povo) Portugal, 1975, 1h21, format 1.37 _ Réalisation Collectif des Travailleurs du Secteur Cinématographique _ Montage Monique Rutler (non créd.) _ Production Collectif des Travailleurs du Secteur Cinématographique _ Avec Fernando Balsinha, Adelino Gomes, Júlio Isidro (les narrateurs), et Álvaro Cunhal, Francisco Pereira de Moura, Nuno Teotónio Pereira, Glauber Rocha, Mário Soares

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Interprètes Lotar Radványi (Hejges), Vladimír Kostovic (Krujbel), Zofia Martisová (Paula), Ivan Krivosudsky (Kerenský), Emil Tomascik (le jeune marié), Ludovít Króner (Simon), Ján Melkovic (Zavalitý), Marián Filadelfi (la rousse), Augustín Kubán (Truchan) _ Sortie en Tchécoslovaquie 2 février 1972 _ Présentation à la Mostra de Venise 3 septembre 1972

Suède

Le Vol de L’Aigle Ingenjör Andrées luftfärd de Jan Troell

1982

Lumière 2019 — Trésors et curiosités

Le 11 juillet 1897, une expédition quitte l’île de Danskøya, à l’extrémité nord de l’archipel de Svalbard, au-delà du cercle polaire, afin de gagner le pôle Nord en ballon à hydrogène. Aux côtés de l’ingénieur et aéronaute Salomon August Andrée (Max von Sydow), l’ingénieur Knut Frænkel (Sverre Anker Ousdal) et le photographe Nils Strindberg (Göran Stangertz). Trente-trois ans plus tard, un bateau norvégien retrouve leurs corps...

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Avant de devenir réalisateur, Jan Troell fut instituteur et ne se lança dans la réalisation que dans les années 60, avec plusieurs courts métrages. Les Feux de la vie (1966), son premier long, est le récit d’un adolescent de la classe ouvrière dans la Suède du début du XXe siècle. Le film est devenu depuis un classique du cinéma national. Il signera également l’adaptation de la saga Utvandrama de Vilhelm Moberg, l’un des grands romanciers de la littérature suédoise moderne. Le Vol de L’Aigle tient à cœur au réalisateur depuis longtemps. Outre la véritable histoire des aventuriers polaires, Jan Troell s’inspire du Voyage de l’ingénieur Andrée, roman de Per Olof Sundman, qui a imaginé le récit de l’expédition, ainsi que des documents retrouvés sur les corps des explorateurs, journal de bord et plaques photographiques. Le 11 juillet 1897, l’expédition s’élance au large des côtes norvégiennes, munie d’une importante quantité de vivres et d’instruments scientifiques. Ce n’est que trente-trois ans plus tard que l’on retrouve les dépouilles des trois hommes qui permettront alors de reconstituer le déroulement du drame. Jan Troell dresse le portrait de ces scientifiques devenus aventuriers, et de ce qui les poussa à entreprendre un tel périple. L’ingénieur Andrée, interprété par l’immense Max von Sydow, est amoureux d’une femme mariée et quitte le sol par orgueil et passion. Le ballon, L’Aigle, s’écrase trois

jours seulement après le départ. Jan Troell filme la marche interminable qui fait lentement progresser ces hommes vers leur mort certaine. « Il s’est attaché à montrer ce qui pousse des hommes à une entreprise désespérée et ce qui les anéantit. Cela sans phrases, sans scènes violemment conflictuelles, mais à travers des gestes, des démarches, des paysages superbes et désolés. » (Isabelle Jordan, Positif n°261, novembre 1982) Le Vol de L’Aigle (Ingenjör Andrées luftfärd) Suède, République fédérale d’Allemagne, Norvège, 1982, 2h20, couleurs (Fujicolor), format 1.66 _ Réalisation Jan Troell _ Scénario Jan Troell, Klaus Rifbjerg, Ian Rakoff, Georg Oddner, d’après le roman Le Voyage de l’ingénieur Andrée de Per Olof Sundman _ Photo Jan Troell _ Musique Carl-Axel Dominique, Hans-Erik Philip _ Montage Jan Troell _ Décors Ulf Axén _ Costumes Tin Andersén _ Production Jörn Donner, Bold Productions _ Interprètes Max von Sydow (Salomon Auguste Andrée), Sverre Anker Ousdal (Knut Fraenkel), Göran Stangertz (Nils Strindberg), Eva von Hanno (Gurli), Charlotta Larsson (Anna), Clément Harari (Lachambre), Cornelis Vreeswijk (Lundström), Jan-Olof Strandberg (Nils Ekholm), Henric Holmberg (Svedenborg) _ Sortie en Norvège 26 août 1982 _ Sortie en Suède 26 août 1982 _ Présentation à la Mostra de Venise 28 août 1982

La Beauté des choses

1995

Lust och fägring stor de Bo Widerberg

nique sur l’éveil amoureux. Stig est un jeune homme qui découvre la sensualité aux côtés de sa professeure Viola. Le lien étrange et complexe qu’il tisse avec l’époux de celle-ci fait naître en lui à la fois une réflexion sur la vieillesse et un éveil politique et moral. Cinéaste de l’intime, Bo Widerberg achève sa carrière en développant un érotisme chez lui inhabituel. « De Haendel à Mahler, la musique classique joue un rôle, complexe dans cette œuvre ultime ; elle n’est pas seulement rapportée à l’amour, mais aussi à la politique (le Requiem de Brahms est chanté en allemand, langue des bourreaux), et même à la complexité des rapports entre les personnages : le mari trompé initie son rival adolescent à l’amour de la grande musique. » (Philippe Roger, Jeune Cinéma n°384, décembre 2017) La Beauté des choses (Lust och fägring stor) Danemark, Suède, 1995, 2h10, couleurs, format 1.66 _ Réalisation & scénario Bo Widerberg _ Photo Morten Bruus _ Musique Georg Friedrich Haendel, Ludwig van Beethoven, Gustav Mahler, Piotr Illich Tchaikovski, Johann Sebastian Bach _ Montage Bo Widerberg _ Décors Palle Arestrup _ Costumes Renette Bengtsson, Åsa Broms, Lotta Petersson, Birthe Qualmann, Nicklas Östergren _ Production Per Holst, Per Holst Filmproduktion _ Interprètes Johan Widerberg (Stig), Marika Lagercrantz (Viola), Tomas von Brömssen (le mari de Viola), Karin Huldt (Lisbet), Nina Gunke (la mère de Stig), Björn Kjellman (Sigge), Kenneth Milldoff (le père de Stig), Frida Lindholm (Olga) _ Sortie en Suède 3 novembre 1995 _ Sortie au Danemark 19 janvier 1996 _ Présentation au festival de Berlin 26 février 1996

Suisse

Zone grise

Grauzone de Fredi M. Murer

1979

Mariés depuis huit ans, Alfred (Giovanni Früh) et Julia (Olga Piazza) vivent, sans le savoir, dans un pays imaginaire où il ne leur manque rien. Le vendredi 12 août 1977, une épidémie se déclare. Les medias s’en mêlent, mais les responsables bloquent les informations. Le dimanche soir, on apprend, de source officielle, que tout cela n’était qu’un exercice en prévision d’une catastrophe. À la fin des années 70, Fredi M. Murer perçoit en Suisse un climat de surveillance – un sentiment qui s’est avéré réel lorsque fut révélé, une dizaine d’années plus tard, le "scandale des fiches". C’est dans ce contexte qu’il imagine Zone grise. Tournant dans la banlieue montagneuse de Zurich, le cinéaste imagine une satire, sous forme de fable en noir & blanc où, dans un pays à peine imaginaire, une épidémie curieuse a pour effet de provoquer la mélancolie au cœur de la population. Dans une société hyper normalisée, il semblerait que seuls les inadaptés ont une chance d’y échapper.

1943. Alors que ses camarades ne parlent que de sexualité, un amour interdit naît entre Stig (Johan Widerberg), lycéen, et sa professeure Viola (Marika Lagercrantz). Stig est attiré par cette femme belle et mature ; Viola aime en Stig sa jeunesse et son innocence. Un jour, Stig rencontre fortuitement le mari de Viola (Tomas von Brömssen), représentant de commerce, alcoolique et fantasque. Une étrange relation d’amitié va s’établir entre eux. D’abord comédien de théâtre sous la direction d’Ingmar Bergman, mais également romancier, scénariste et critique de cinéma, Bo Widerberg est considéré comme le chef de file de la Nouvelle Vague suédoise avec Le Péché suédois (1963) et Le Quartier du Corbeau (1963). Son cinéma, à la différence de celui de Bergman et de sa verticalité dans sa façon d’appréhender ses sujets, se veut horizontal, tourné frontalement vers les hommes. Il s’intéresse aux problèmes sociaux et puise son inspiration dans les luttes quotidiennes. Évoquant la grande Histoire à travers la petite, La Beauté des choses révèle les traumatismes de son époque, tel que l’impassibilité de la Suède durant la Seconde Guerre mondiale qui apparaît en arrière-plan, ainsi que l’incident du sous-marin Ulven, qui tourmenta le pays. Dans cet ultime film, récompensé par l’Ours d’argent au Festival de Berlin en 1996, Bo Widerberg met en scène son propre fils adolescent dans le rôle principal de cette chro-

— La Beauté des choses

Lumière 2019 — Trésors et curiosités

Les Lys des champs (Ľalie poľné) Tchécoslovaquie, 1972, 1h20, noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation Elo Havetta _ Scénario Vincent Sikula d’après son roman Nebýva na každom vŕšku hostinec _ Photo Dodo Simoncic _ Musique Zdenek Liska _ Montage Alfréd Bencic _ Décors Ivan Jokl, Anton Krajcovic _ Costumes Júlia Ballagová, Jarmila Opletalo _ Production Jan Svikruha, Slovenská filmová tvorba Koliba, Studio Hraných Filmov Bratislava _

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Lumière 2019 — Trésors et curiosités

Le cinéaste entremêle deux histoires, d’une part l’altération d’un couple, de l’autre l’épidémie étrange qu’étouffent les autorités. La jonction s’opère au moment où Alfred, chargé par son responsable d’enregistrer toutes les conversations de l’usine, craque et diffuse un message subversif dans les ateliers. Fredi M. Murer joue des sons et de leur absence – le mutisme d’Alfred mais aussi le silence qui émane de la ville. « La haute technicité de ce prélèvement du son, et son décalage par rapport à l’image sont le contenu même du film : la perte progressive de tout contact physique avec le monde extérieur, l’atrophie finale de la parole sous l’impérialisme du déchiffrement systématique des sons, et son retour catastrophique. » (Yves Lardeau, Cahiers du cinéma n°322, avril 1981) La force du propos est de laisser penser que l’action peut se dérouler n’importe où et n’importe quand. Pour reprendre les termes du cinéaste suisse Richard Dindo, il s’agit de « fiction documentaire ». Entre imaginaire et réalité, Zone grise est une chronique fantastique du quotidien, une parabole des temps actuels et futurs d’une civilisation moderne aseptisée.

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Zone grise (Grauzone) Suisse, 1979, 1h39, noir et blanc, format 1.66 _ Réalisation Fredi M. Murer _ Scénario Fredi M. Murer avec la collaboration de Ursula Bischof, Jean-Pierre Hoby, Kurt Marti, Adolf Muschg, Samuel Plattner _ Photo Hans Liechti _ Musique Mario Beretta, Beo Oertli _ Montage Fredi M. Murer, Rainer Trinkler _ Décors Bernhard Sauter _ Production DRS, Nemo Film _ Interprètes Giovanni Früh (Alfred), Olga Piazza (Julia), Janet Haufler (Thérèse), Walo Lüönd (un veilleur de nuit), Mathias Gnädinger (le chauffeur de taxi), Jürgen Brügger, Georg Reinhart, Ernst Kühni (des ravisseurs), Peter Siegenthaler (un prédicateur), Michael Maassen (un chercheur) _ Présentation au Festival de Locarno 7 août 1979 _ Sortie en Suisse 12 octobre 1979 _ Sortie en France mars 1981

Grandes projections — Zone grise


Le rendez-vous traditionnel des amateurs de grands films sur grands écrans, avec cette année les légendaires Le Pont de la rivière Kwaï de David Lean, La Grande Évasion de John Sturges (invisible sur grand écran depuis sa sortie en 1963), Mississippi Burning d’Alan Parker, La Tour infernale de John Guillermin, L'Homme qui voulut être roi de John Huston… Du grand spectacle pour tous les publics.

Entre film de guerre et film d’aventures, Le Pont de la rivière Kwaï décrit l’incohérence de l’être humain. Lorsque le colonel Saito finit par céder devant le colonel Nicholson, celui-ci décide de faire travailler ses hommes sous sa seule responsabilité, et d’ériger ce pont qui servira pourtant à l’ennemi. Et alors qu’un commando allié a pour mission de le détruire, Nicholson décide de le défendre au péril de sa vie. Dans cette confrontation des fiertés et des visions absurdes du devoir absolu, les personnages de Saito (Sessue Hayakawa, voué aux rôles de "méchants" depuis plus de quarante ans) et de Nicholson sont inoubliables. Le Britannique est un être complexe et son interprète Alec Guinness est impressionnant. Après avoir vu le film, il écrira à David Lean (ils avaient eu quelques accrochages sur le tournage) ces mots teintés d’humour : « Je pense que c’est fantastique. J’ai été saisi, ému, bouleversé et tout ce qu’il faut. On sent une vraie force, l’œil et l’oreille sont constamment stimulés et fascinés. Je vous félicite vraiment. Je suis fier d’y être associé. […] J’ai même aimé Guinness, bien qu’il soit un peu plat par moment (ce que vous lui aviez indiqué et qu’il n’avait pas cru). » (in Kevin Brownlow, David Lean, Une vie de cinéma, Cinémathèque française / Corlet).

Le Pont de la rivière Kwaï

Le Pont de la rivière Kwaï (The Bridge on the River Kwai) États-Unis, Royaume-Uni, 1957, 2h41, couleurs (Technicolor), format 2.35 _ Réalisation David Lean _ Scénario Michael Wilson (non créd.), Carl Foreman (non créd.), David Lean (non créd.), d’après le roman éponyme de Pierre Boulle _ Photo Jack Hildyard _ Musique Malcolm Arnold _ Montage Peter Taylor _ Décors Peter Dukelow _ Costumes John Apperson _ Production Sam Spiegel, Horizon Pictures _ Interprètes William Holden (Shears), Alec Guinness (le colonel Nicholson), Jack Hawkins (le major Warden), Sessue Hayakawa (le colonel Saito), James Donald (le major Clipton), Geoffrey Horne (le lieutenant Joyce), André Morell (le colonel Green), Peter Williams (le capitaine Reeves), John Boxer (le major Hughes), Percy Herbert (Grogan), Harold Goodwin (Baker), Ann Sears (l'infirmière), Henry Okawa (le capitaine Kanematsu) _ Sortie au Royaume-Uni 11 septembre 1957 _ Sortie aux États-Unis 14 décembre 1957 _ Sortie en France 20 décembre 1957

The Bridge on the River Kwai de David Lean

Lumière 2019 — Grandes projections

1943. Après avoir été capturés à Singapour, le colonel britannique Nicholson (Alec Guinness) et ses hommes sont emprisonnés, en pleine jungle birmane, dans un camp, dont le commandement est assuré par le cruel colonel Saito (Sessue Hayakawa). Ce dernier doit construire un pont sur la rivière Kwaï afin de permettre le passage d’un convoi stratégique. Il décide de mettre les prisonniers au travail. Face à cet ordre contraire aux conventions internationales, Nicholson oppose un refus catégorique.

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— Le Pont de la rivière Kwaï

Immense succès couronné de sept Oscars en 1958, Le Pont de la rivière Kwaï fait depuis partie de la catégorie "classique des classiques". Le film a sa légende : sa genèse et son tournage furent semés d’embûches. Des acteurs comme Cary Grant ou Charles Laughton auraient refusé des rôles, des difficultés naquirent entre le producteur américain Sam Spiegel et le réalisateur britannique David Lean. Et jusque dans les années 80, seul le romancier Pierre Boulle (qui ne parlait pas anglais) était crédité au scénario, alors que les vrais scénaristes, Michael Wilson et Carl Foreman, victimes du maccarthysme et toujours sur la liste noire, ne pouvaient apparaître (la part de paternité de chacun, mais aussi de David Lean, restera toujours un peu floue).

La Grande Évasion

1963

The Great Escape de John Sturges

Les Allemands ont regroupé des prisonniers de guerre récidivistes de l’évasion, au Stalag Luft North, le camp « d’où on ne s’échappe pas »… Pourtant, rien ne peut arrêter ces hommes groupés autour du commandant Bartlett, surnommé le Grand X (Richard Attenborough), bien décidés à lutter pour leur liberté et à harceler l’ennemi. Ils sont deux cent cinquante qui, avec courage, audace et ingéniosité – et non sans humour –, vont préparer pendant des mois ce qui s’annonce comme la plus grande évasion de l’histoire de la guerre…

Lumière 2019 — Grandes projections

1957

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La Grande Évasion (The Great Escape) États-Unis, 1963, 2h54, couleurs, format 2.35 _ Réalisation John Sturges _ Scénario James Clavell, W.R. Burnett, d’après l’ouvrage éponyme de Paul Brickhill _ Photo Daniel L. Fapp _ Musique Elmer Bernstein _ Montage Ferris Webster _ Décors Kurt Ripberger _ Costumes Bert Henrikson _ Production John Sturges, The Mirisch Corporation, Alpha _ Interprètes Steve McQueen (Hilts, dit "Cooler King"), James Garner (Hendley, dit "le chapardeur"), Richard Attenborough (Bartleet, dit "Big X"), James Donald (Ramsey), Charles Bronson (Danny Velinski), Donald Pleasence (Blythe, dit "le faussaire"), James Coburn (Sedgwick, dit "l'inventeur"), John Leyton (Willie), Gordon Jackson (McDonald), David McCallum (Ashley-Pitt), Nigel Stock (Cavendish), Angus Lennie (Ives, dit "la taupe"), Jud Taylor (Goff), William Russell (Sorren), Robert Desmond (Griffith, le tailleur), Tom Adams (Nimmo) _ Avant-première à Londres 20 juin 1963 _ Sortie aux ÉtatsUnis 3 juillet 1963 _ Présentation au Festival international du film de Moscou 10 juillet 1963 _ Sortie en France 11 septembre 1963

La Piscine

1969

de Jacques Deray Marianne (Romy Schneider) et Jean-Paul (Alain Delon) profitent de journées ensoleillées sur les hauteurs de Saint-Tropez, autour de la piscine d’une belle propriété. Harry (Maurice Ronet), un ami, et sa fille Pénélope (Jane Birkin) les rejoignent. L'atmosphère devient électrique : Jean-Paul jalouse Harry et lui en veut d’avoir été l’amant de Marianne, Harry tente de reconquérir celle-ci et Pénélope plaît à Jean-Paul. La tension monte, les désirs déclenchent des jalousies et l’ambiance vire au malaise. Maître dans l’art du film noir, Jacques Deray signe avec La Piscine un classique du genre. Dans ce huis clos, quatre personnages sont aux prises avec leur désir et leur jalousie ; le cinquième pourrait être la Nature – omniprésente –, chargée de sensualité et d'un drame latent. Le réalisateur réunit l’ancien couple mythique Romy Schneider et Alain Delon, parfaits interprètes pour cette histoire d’amour en crise. Filmant constamment ses personnages avec un objectif à foyer variable qui les enserre, Jacques Deray capte tout en finesse les humeurs et les comportements ; il accompagne non pas le corps mais le regard et la pensée. Les plans séquences ajoutent une charge d’angoisse, et la piscine, censée être un lieu de détente, apparaît peu à peu comme une menace. Filmé chronologiquement, La Piscine entraîne le spectateur dans une chute inéluctable. Alain Delon interprète un personnage secret, qui souffre d’un sentiment d’infériorité et bascule d’un statut d’homme à celui d’assassin. « Pour moi la scène du meurtre est celle qui éclaire tout le film. Nous avons tous eu dans la vie quelques secondes de folie qui pouvaient compromettre toute notre existence. […] Ces quelques secondes s’avèrent un moment fascinant. » (Jacques Deray, L’Avant-scène cinéma n°509, février 2002). « Ici, exceptionnellement, la conjonction d’un style, celui du réalisateur, et d’une nature, celle de l’acteur, permet d’accéder, partant des données épurées d’un thriller à huis clos, à une dimension véritablement tragique qui vérifie la formule connue d’André Malraux à propos de l’intrusion, chez Faulkner, du roman policier dans la tragédie antique ou le contraire. » (Michel Sineux, Positif n°104, avril 1969) La Piscine France, Italie, 1969, 2h04, couleurs (Eastmancolor), format 1.66 _ Réalisation Jacques Deray _ Scénario Jacques Deray, Jean-Claude Carrière, d’après un scénario original d’Alain Page _ Photo Jean-Jacques Tarbès _ Musique Michel Legrand _ Montage Paul Cayatte _ Décors Paul Laffargue _ Costumes André Courrèges _ Production Gérard Beytout, Société Nouvelle de Cinématographie, Tritone Cinematografica _ Interprètes Alain Delon (Jean-Paul Leroy), Romy Schneider (Marianne Leroy), Maurice Ronet (Harry Lannier), Jane Birkin (Pénélope Lannier), Paul Crauchet (l'inspecteur Lévêque), Steve Eckardt (Fred), Suzy Jaspard (Émilie) _ Sortie en France 31 janvier 1969 _ Sortie en Italie 5 avril 1969

— La Piscine Lumière 2019 — Grandes projections

Lumière 2019 — Grandes projections

Lorsqu’il lit le récit de Paul Brickhill, John Sturges acquiert immédiatement les droits d’adaptation, persuadé que s’il ne le fait pas, quelqu’un d’autre s'en chargera. L’auteur, pilote de chasse et ancien prisonnier du Stalag Luft III, retrace, dans ce témoignage paru en 1950, ce qu’il s’est véritablement passé dans de nombreux camps de prisonniers de guerre. Basé sur une histoire authentique, l’ouvrage retrace jour après jour les efforts et la volonté d’officiers aviateurs pour s’évader. L'auteur le rappelle dans sa préface : « C’est le devoir de tout officier en temps de guerre, s’il a le malheur d’être fait prisonnier, de faire tout son possible pour s’évader. » Influencé par Le Trou de Jacques Becker et La Grande Illusion de Jean Renoir, John Sturges met en scène un monde clos. Reprenant la construction de deux de ses précédents films, Fort Bravo et Les Sept Mercenaires, il scinde son récit en deux parties : la préparation et l’action. La première relate la vie quotidienne de ces soldats qui sont, pour le réalisateur, avant tout des hommes et filmés comme tels. S’il dépeint la naissance d’une belle amitié, à base d'humour et de légèreté, ce n’est que pour mieux prendre la mesure de la chute dans la seconde partie. Dans cette description d'un enfermement, John Sturges compare ces hommes à « des mouches prisonnières sous un gobelet retourné : laquelle arrivera à s’échapper et survivra-t-elle à sa sortie ? » Pense-t-il déjà à Steve McQueen (Hilts), qui réfractaire à l’esprit de groupe, tente sa chance en solitaire sur sa moto ? En introduction à sa critique de La Grande Évasion, Marcel Oms résumait la carrière de Sturges et notait qu’une importante partie de ses réalisations était « profondément yankee » et que l’homme s’était « voulu peintre et défenseur de l’âme américaine » : « John Sturges qui "croit" en son pays, l’Amérique, ne laisse jamais passer une occasion, de mettre en mauvaise posture les principes et préjugés britanniques. » (Positif n°58, février 1964). Rappelons que la véritable évasion, menée par un capitaine d’aviation anglais, ne réussit à faire évader que trois prisonniers sur les trois cents prévus…

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1973

de Franklin J. Schaffner

Lumière 2019 — Grandes projections

Condamné à perpétuité au bagne de Cayenne, pour un meurtre qu’il n’a pas commis, Papillon (Steve McQueen) rencontre à bord du navire-prison La Martinière, le célèbre faussaire Louis Dega (Dustin Hoffman). En mer, les deux hommes concluent un pacte : Papillon protègera Delga et l’argent qu’il a caché, tandis que Delga tentera d’acheter leur évasion. Après plusieurs tentatives infructueuses et à cause de son obstination, Papillon est envoyé sur l'île du Diable, dont personne n’a jamais réussi à s’échapper…

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Assistant réalisateur d’une série documentaire sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, March of Time, puis conseiller du président Kennedy pour la télévision, Franklin J. Schaffner réalise son premier film en 1963 et La Planète des singes, premier titre d'une longue série, en 1968. Adapté du roman autobiographique d’Henri Charrière oscillant entre réalité et fiction (et vendu à plus de treize millions d’exemplaires), Papillon n’aspire ni au réalisme ni au romanesque. Comme pour Patton, le réalisateur laisse le spectateur seul juge. La critique française reprocha au film, à sa sortie, de trop s’éloigner du livre ; en effet, Papillon n'a conservé du roman que le personnage flamboyant incarné par Steve McQueen. « S’il ne garde rien du bagou et de la faconde de Charrière […], il restitue, en revanche, la figure éternelle du rebelle américain, dont tant de films, de Je suis un évadé à Luke la main froide, en passant par La Grande Évasion, ont glorifié la volonté de résistance. » (Claude Benoit, Jeune Cinéma n°77, mars 1974) Sur un scénario de Dalton Trumbo, sans digressions, ni prêche, Franklin J. Schaffner évite les clichés du film de prison et de ses tentatives d’évasion. L’évasion a ici pour seul objectif de rappeler l’exploitation de l’homme par l’homme. « En fait, comme tous les autres films écrits par Trumbo, Papillon est, en même temps, la dénonciation violente d’une forme d’oppression (symbolisée par les bagnes de la Guyane française), un hymne vibrant à la résistance et à la liberté, et un acte de foi en l’homme » (art. cit.). Clin d’œil ironique à ce qu’il a vécu sous le maccarthysme, Dalton Trumbo apparaît au début du film sous les traits d’un commandant qui lit aux détenus la décision de justice. Papillon traite à la fois de toute forme d’injustice et de la ténacité d’un homme.

— La Tour infernale

Papillon États-Unis, 1973, 2h31, couleurs (Technicolor), format 2.35 _ Réalisation Franklin J. Schaffner _ Scénario Dalton Trumbo, Lorenzo Semple Jr., d’après le roman éponyme d’Henri Charrière _ Photo Fred J. Koenekamp _ Musique Jerry Goldsmith; Charles Gounod _ Montage Robert Swink _ Décors Anthony Masters _ Costumes Anthony Powell _ Production Franklin J. Schaffner, Robert Dorfmann, Les Films Corona, General Production Company _ Interprètes Steve McQueen (Papillon), Dustin Hoffman (Louis Dega), Victor Jory (le chef indien), Don Gordon (Julot), Anthony Zerbe (Toussaint), Robert Deman (Maturette), Woodrow

Parfrey (Clusiot), Bill Mumy (Lariot), George Coulouris (le docteur Chatal), Ratna Assan (Zoraima), William Smithers (le directeur Barrot), Val Avery (Pascal), Gregory Sierra (Antonio), Dalton Trumbo (le commandant français) _ Sortie aux États-Unis 16 décembre 1973 _ Sortie en France 6 février 1974

La Tour infernale

1974

The Towering Inferno de John Guillermin

Située à San Francisco, la Tour de verre, imposante flèche de cent trente-huit étages, est le plus haut gratte-ciel du monde. Le projet a vu s’affronter l’architecte Doug Roberts (Paul Newman) et le promoteur James Duncan (William Holden), ce dernier s’affranchissant des recommandations de Roberts. Le jour de l’inauguration, alors que la tour accueille de très nombreux invités, un court-circuit déclenche un incendie. Quand le colonel des pompiers, Michael O'Hallorhan (Steve McQueen), arrive avec ses hommes, l’incendie fait rage… Il aura fallu que deux grands studios, Twentieth Century Fox et Warner s’associent pour que voie le jour un des films-catastrophe les plus emblématiques. L’entreprise de John Guillermin et Irwin Allen est démentielle : deux ans de préparation, huit mois de tournage, un budget de quatorze millions de dollars, plus de soixante cascadeurs, plus de cinquante plateaux de tournage… et un gigantesque incendie qui, bien que supervisé par des spécialistes du feu, inquiètera jusqu’au bout les compagnies d’assurance. La distribution est à la mesure du grand spectacle : Steve McQueen, Paul Newman et Faye Dunaway partagent l’affiche avec quelques stars du vieil Hollywood, comme William Holden et Fred Astaire. Alors que les trois cents invités sont bloqués par les ascenseurs hors service, que le vent empêche l’intervention des hélicoptères, les caractères, face à l’adversité, se révèlent, entre lâcheté et héroïsme. Alternant scènes d’actions (réalisées par Irwin Allen) et histoires individuelles, La Tour infernale offre une montée dramatique intense et soutenue. Avec ses trois Oscars, le film est un triomphe populaire. Mais comme le souligne Olivier Eyquem, si La Tour infernale s’inscrit clairement dans le genre catastrophe, il est tout de même le premier film à « affirmer une vocation polémique et à présenter en guise de conclusion l’esquisse d’un contre-projet permettant d’éviter de nouvelles catastrophes ». (Positif n° 179, mars 1976). Car cet incendie, à l’inverse d’un tremblement de terre ou d’un raz-de-marée, était évitable. « Ballets d’hélicoptères, fantastique installation d’une navette à une personne entre deux gratte-ciel, ruées de pompiers, dévouement individuel des "soldats du feu", révélation des personnalités, nous verrons tout, retrouvant le sens

Lumière 2019 — Grandes projections

Papillon

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La Tour infernale (The Towering Inferno) États-Unis, 1974, 2h45, couleurs, format 2.35 _ Réalisation John Guillermin (et Irwin Allen) _ Scénario Stirling Silliphant, d’après les romans La Tour de Richard Martin Stern et L’Enfer de verre de Thomas N. Scortia et Frank M. Robinson _ Photo Fred J. Koenekamp _ Effets spéciaux L.B. Abbott _ Musique John Williams _ Montage Carl Kress, Harold F. Kress _ Décors William J. Creber _ Costumes Paul Zastupnevich _ Production Irwin Allen, Twentieth Century Fox, Warner Bros. _ Interprètes Steve McQueen (Michael O'Hallohan), Paul Newman (Doug Roberts), William Holden (James Duncan), Faye Dunaway (Susan Franklin), Fred Astaire (Harlee Claiborne), Susan Blakely (Patty Simmons), Richard Chamberlain (Roger Simmons), Jennifer Jones (Lisolette Mueller), O.J. Simpson (Jernigan, le chef de la sécurité), Robert Vaughn (le sénateur Gary Parker), Robert Wagner (Dan Bigelow), Susan Flannery (Lorrie), Sheila Mathews (Paula Ramsay), Norman Burton (Will Giddings), Jack Collins (le maire Ramsay) _ Sortie aux États-Unis décembre 1974 _ Sortie en France 5 mars 1975

L’Homme qui voulut être roi

1975

The Man Who Would Be King de John Huston

Lumière 2019 — Grandes projections

Aux Indes, dans les années 1880. Deux anciens sous-officiers de l’armée britannique, Peachy Carnehan (Michael Caine) et son inséparable compagnon Daniel Dravot (Sean Connery), font part de leur projet au journaliste Rudyard Kipling (Christopher Plummer) : pénétrer dans le Kafiristan et y prendre le pouvoir. Depuis Alexandre le Grand, aucun Européen n’y est parvenu. Lorsqu’ils réussissent à atteindre la ville de Sikandergul, Dravot est pris pour Sikander, le fils d’Alexandre. Il règne désormais sur le pays et ne veut plus le quitter…

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John Huston rêva pendant plus de vingt ans de porter à l’écran L’Homme qui voulut être roi de Rudyard Kipling, nouvelle admirée par de nombreux auteurs comme Hemingway, Proust ou Faulkner. Huston est, lui aussi, littéralement imprégné de l’œuvre : « J’ai tellement lu Kipling, qu’il fait partie de mon inconscient. Vous commencez un vers, je peux le terminer quel qu’il soit. Kipling a écrit sur le monde d’hier, un monde disparu, une géographie disparue. C’est le monde de l’aventure, de l’honneur et du mystère » (cité par Patrick Brion, in John Huston, éd. de la Martinière) Le duo de soldats aurait dû être interprété par Humphrey Bogart et Clark Gable, mais les deux acteurs décèdent bien avant le tournage, l'un en 1957, l'autre en 1960. Ce sont

Michael Caine et Sean Connery qui incarneront avec talent Carnehan et Dravot. Huston décide de faire de Kipling un personnage, remplaçant ainsi le narrateur de la nouvelle. Film dense, L’Homme qui voulut être roi est, pour Huston, une « quête universelle ». Chaque jour, l’homme doit suivre sa propre quête et s'interroger. C'est ce voyage personnel qu'accomplissent les deux amis, chacun représentant une facette de l’être humain. « La moitié de "lui", comme la moitié de nous-mêmes dans bien des cas, est en proie à cette maladie qui nous gagne lorsque nous accédons aux plus hauts postes, la "folie des grandeurs". Nous pensons être plus que ce que nous sommes : des dieux. L’autre moitié est celle qui nous réprimande, et nous répète que nous sommes absurdes. » (John Huston, Écran 76, n°46, avril 1976) Abordant des thèmes multiples, comme l’échec, le colonialisme ou le pouvoir, L’Homme qui voulut être roi est une œuvre épique, dans un lieu mystérieux et lointain. Huston est un explorateur-né, tourné à la fois vers le monde et l’être humain. L’Homme qui voulut être roi (The Man Who Would Be King) RoyaumeUni, États-Unis, 1975, 2h09, couleurs (Technicolor), format 2.35 _ Réalisation John Huston _ Scénario John Huston, Gladys Hill, d’après la nouvelle éponyme de Rudyard Kipling _ Photo Oswald Morris _ Musique Maurice Jarre _ Montage Russell Lloyd _ Décors Alexandre Trauner _ Costumes Edith Head _ Production John Foreman, Columbia Pictures, Devon Company, Persky-Bright Associates, Allied Artists _ Interprètes Sean Connery (Daniel Dravot), Michael Caine (Peachy Carnehan), Christopher Plummer (Rudyard Kipling), Saeed Jaffrey (Billy Fish), Doghmi Larbi (Ootah), Jack May (le gouverneur), Karroom Ben Bouih (Kafu Selim), Mohammad Shamsi (Babu), Albert Moses (Ghulam), Paul Antrim (Mulvaney), Graham Acres (un officier), Shakira Caine (Roxanne) _ Présentation au Festival de Téhéran 27 novembre 1975 _ Sortie aux États-Unis 16 décembre 1975 _ Sortie en Royaume-Uni 18 décembre 1975 _ Sortie en France 21 avril 1976

Le Bateau

1981

Das Boot de Wolfgang Petersen Automne 1941, à La Rochelle. À bord d’un U-Boot, sous-marin allemand, un équipage reçoit l’ordre de rejoindre la Méditerranée en coulant, sur sa route, le plus possible de navires ennemis. Soixante jours et soixante nuits à affronter chasseurs et bombardiers, à plonger pour échapper aux bombes et à jouer à un mortel jeu de cachecache. Cela faisait plusieurs décennies qu’aucun cinéaste allemand n’avait bénéficié d’un tel budget : plus de vingt millions de marks. Lorsque le réalisateur Wolfgang Petersen est approché pour mettre en scène Le Bateau, plusieurs noms ont déjà été évoqués. On imaginait une coproduction américaine, on parlait de Paul Newman et John Sturges, Don

— Le Bateau

Siegel et Robert Redford. Finalement, cette adaptation du best-seller de Lothar G. Buchheim sera exclusivement allemande : les financements, l’équipe, les acteurs, dont une large partie n’est pas professionnelle. La préparation est longue (le sous-marin est reconstruit grandeur nature, mais également en maquette), le tournage également. Le succès public sera au rendez-vous et Le Bateau fera date dans l’histoire du cinéma allemand. Le Bateau narre, à travers les yeux d’un journaliste, l’épopée d’un groupe d’hommes. Dans cette société en miniature, certains ont été séduits par l’idéologie nazie. Petersen prend prétexte de la guerre pour parler des hommes qui la

font. En un huis clos claustrophobe, cette odyssée raconte la peur, la route vers la folie, si ce n’est vers la mort. « Ce qui confère de l’importance à ce film, c’est sa réalisation qui, à tout moment, est remarquable. Rien n’a été épargné pour rendre crédible la vie à l’intérieur de ce navire cercueil. Étroitesse des lieux, promiscuité, lumière artificielle et toujours de faible qualité, bande sonore d’une grande précision suggèrent que le sous-marin est une véritable prison, dès lors que l’on est à l’intérieur. On ne peut oublier les craquements de la tôle et les boulons qui éclatent sous la pression de l'eau. » (Robert Grélier, La Revue du cinéma / Image et son n° 370, mars 1982)

Lumière 2019 — Grandes projections

de ce que l’on appelle, parfois, du "cinoche". Car c’est du cinoche et du vrai. Parce que les auteurs, et j’y compterai jusqu’au dernier machiniste, ont cru à leur travail et l’ont fait avec un sens de l’efficacité qui est payant de bout en bout. » (Guy Allombert, La Revue du cinéma / Image et son n°295, avril 1975)

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Le Bateau (Das Boot) République fédérale d’Allemagne, 1981, 3h28, couleurs (Fujicolor), format 1.37 _ Réalisation & scénario Wolfgang Petersen, d’après le roman Le Styx de Lothar G. Buchheim _ Photo Jost Vacano _ Musique Klaus Doldinger _ Montage Hannes Nikel _ Décors Rolf Zehetbauer, Götz Weidner _ Costumes Monika Bauert _ Production Günter Rohrbach, Michael Bittins, Bavaria Atelier, Radiant Film _ Interprètes Jürgen Prochnow (le commandant), Herbert Arthur Grönemeyer (le lieutenant Werner), Klaus Wennemann (l'ingénieur-mécanicien), Hubertus Bengsch (le premier officier de quart), Martin Semmelrogge (le second officier de quart), Bernd Tauber (le navigateur), Martin May (Ullmann), Erwin Leder (Johann), Claude-Oliver Rudolph (Ario) _ Sortie en République fédérale d’Allemagne 17 septembre 1981 _ Sortie en France 17 septembre 1982

Mississippi Burning

1988

d’Alan Parker

Lumière 2019 — Grandes projections

En cet été 1964, alors que l’Amérique est secouée par la violence et la contestation sociale, trois jeunes militants pour les droits civiques sont venus ouvrir un centre électoral d’inscription pour les Noirs, dans une petite ville du Mississippi. Arrêtés par la police puis relâchés, ils disparaissent mystérieusement. Deux agents du FBI, Rupert Anderson (Gene Hackman) et Alan Ward (Willem Dafoe) sont chargés de l’enquête.

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Le 21 juin 1964, Michael Schwerner, Andrew Goodman, militants blancs pour les droits civiques, et James Chaney, militant noir du Sud, sont assassinés dans le comté de Neshoba, près de Philadelphie, Mississippi. Leur tort ? Avoir incité la communauté noire à s’inscrire sur les listes électorales lors de la campagne "Freedom Summer". Philadelphie s’embrase, la ville est en état de siège. Alors que vingt-cinq ans plus tard, les habitants ont essayé, tant bien que mal, d’oublier cet épisode terrifiant, le cinéaste britannique Alan Parker décide de le reconstituer. Si l’histoire est vraie, les personnages sont fictifs et permettent à Parker de confronter les milieux : le pragmatique Anderson (Gene Hackman, récompensé par un Ours d’argent à Berlin), Ward, son équipier un peu raide, mais également l’épouse de l’adjoint du shérif, incarnée avec justesse par Frances McDormand, femme délaissée prise entre justice et loi du silence. Dans une ambiance de terreur, à la manière d’un thriller, Parker filme un État ségrégationniste, où le Ku Klux Klan, de connivence avec les autorités locales, commet ses exactions en toute impunité. Mississippi Burning est violemment critiqué à sa sortie. On reproche au cinéaste, venu de la publicité, des images trop stylisées, trop belles pour un sujet si dur. Mais ce sont les leaders noirs et la gauche américaine libérale qui interpellent le plus fortement Parker : la vision qu'il offre des événements est déformée. Les Noirs sont présentés comme des victimes passives et le FBI comme leur protecteur. En réalité, la communauté noire militait activement pour ses droits, au péril de sa vie et le FBI considérait les leaders du

mouvement comme des éléments subversifs. Par ailleurs, le racisme latent des habitants blancs aurait été passé sous silence. « Peut-être se demandera-t-on “Pourquoi un film sur la violence raciste du Ku Klux Klan”, alors que tout cela semblait terminé… Les faits dont il est inspiré remontent à plus de vingt ans. Mais si le KKK a pratiquement disparu sous la forme aiguë et organisée, la violence raciale demeure, explique Alan Parker, aux États-Unis comme ailleurs. “Il est rare, ajoute-t-il, que des sujets développés au sein du système hollywoodien laissent place à des réflexions sociales ou politiques ; et le scénario de Chris Gerolmo offrait la possibilité d’y glisser cette autre dimension.” De fait, il offre valeur d’exemple contre toute intolérance. » (Hélène Romano, Jeune Cinéma n°197, avril-mai 1989). Film antiraciste, Mississippi Burning s’avère malheureusement toujours d’actualité. Mississippi Burning États-Unis, 1988, 2h08, couleurs, format 1.85 _ Réalisation Alan Parker _ Scénario Chris Gerolmo _ Photo Peter Biziou _ Effets spéciaux Stan Parks _ Musique Trevor Jones _ Montage Gerry Hambling _ Décors Philip Harrison, Geoffrey Kirkland, Jim Erickson _ Costumes Aude Bronson Howard _ Production Robert F. Colesberry, Frederick Zollo, Orion Pictures _ Interprètes Gene Hackman (l'agent Anderson), Willem Dafoe (l'agent Ward), Frances McDormand (Mrs Pell), Brad Dourif (l’adjoint Pell), R. Lee Ermey (le maire Tilman), Gailard Sartain (le sherif Stuckey), Stephen Tobolowsky (Clayton Townley), Michael Rooker (Frank Bailey), Pruitt Taylor Vince (Lester Cowens), Badja Djola (l'agent Monk), Kevin Dunn (l'agent Bird) _ Sortie aux États-Unis 27 janvier 1989 _ Sortie en France 29 mars 1989

Le festival Lumière pour

les enfants


Charlot à la Halle Tony Garnier

Lumière 2019 — Le festival Lumière pour les enfants

1916-1917 L’Émigrant, Charlot chef de rayon, Charlot s’évade

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— L’Émigrant

The Immigrant, The Floorwalker, The Adventurer de Charles Chaplin

Trois courts métrages, parmi les douze commandés par la Mutual – un condensé du génie Chaplin. Au programme : Charlot, vagabond, sème la zizanie dans un grand magasin, aidant la police à l’arrestation du directeur de l’établissement ; après une longue traversée transatlantique haute en couleurs, Charlot, émigré, se retrouve à New York sans le sou ; Charlot, prisonnier, réussit à s’évader et une fabuleuse course-poursuite s’engage alors. En 1916, Chaplin n’est plus le petit acteur anglais, arrivé aux États-Unis avec la troupe de Fred Karno, que Mack Sennett remarquait trois ans plus tôt et engageait à la

Compagnie Keystone. Lorsque le contrat avec la société de production Essanay prend fin, la Mutual Company – qui créera Lone Star Corporation pour produire les films de Chaplin – lui propose un très beau contrat pour une commande de douze films, qu’il tourne entre 1916 et 1917. Dans cette série, il fait évoluer son personnage, le confrontant au monde du travail et à celui de l’illégalité. Dans ce cycle également, à l’exception de Charlot rentre tard, où il est seul, Chaplin a des partenaires réguliers, tels Eric Campbell, le géant qui vient inlassablement le malmener et Edna Purviance, qui sera à ses côtés jusqu’à L’Opinion publique en 1923. Ainsi, Charlot chef de rayon est le premier film tourné à la Mutual. L’idée originale surgit lorsque Chaplin voit un homme tomber d’un escalator : il exploitera au maximum les possibilités humoristiques d’un escalier mécanique. « Le comique est le sujet le plus sérieux du monde. Pour y réussir il faut acquérir le don d’observer les hommes dans leur travail quotidien. » (Charles Chaplin, American Magazine, novembre 1918) Sixième film réalisé, L’Émigrant est une satire sociale, peut-être la plus humaine et la plus tragique de la série. Chaplin rit de cette misère, mais, comme toujours dans son œuvre, le rire est bien près des larmes et réciproquement. Après son enfance difficile à Londres, l’empreinte laissée par l’adversité sera chez lui constamment présente : « En ces jours lointains, j’étais aux prises avec la faim et la peur du lendemain, la peur continuelle du lendemain. Aucune prospérité ne pourra me débarrasser de cette peur. » Il achève le cycle avec une course poursuite d’anthologie : Charlot s’évade, le film au rythme le plus soutenu. Avec humour et une remarquable minutie dans ses mouvements, Charlie Chaplin construit sa réflexion ainsi : « Tous mes films sont bâtis dans l’idée de m’occasionner des embarras et ainsi me fournir l’occasion d’être désespérément sérieux dans ma tentative de paraître comme un petit gentleman normal. » (Charles Chaplin, Histoire de ma vie, Robert Laffont) S’il refuse la proposition de huit films supplémentaires avec la Mutual pour créer son propre studio deux ans plus tard, Chaplin garde un doux souvenir de cette période. « Je crois bien que mon séjour à la Mutual fut la période la plus heureuse de ma vie. J’étais léger et libre, j’avais 27 ans, avec devant moi de fabuleuses perspectives et un monde aimable et attrayant. » (op. cit.) Charlot chef de rayon (The Floorwalker) États-Unis, 1916, 28min, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation Charles Chaplin _ Scénario Charles Chaplin, Vincent Bryan, Maverick Terrell _ Photo William C. Foster, Roland Totheroh, Frank D. Williams _ Montage Charles Chaplin _ Production Charles Chaplin, Henry P. Caulfield, Lone Star Corporation _ Interprètes Charles Chaplin (le nouveau chef de rayon), Edna Purviance (la secrétaire), Eric Campbell (le gérant), Lloyd Bacon (le chef de rayon), Albert Austin (le premier vendeur), Charlotte Mineau (la femme détective), Leo White (le client français), Henry Bergman (le vieil homme), Frank J. Coleman (le portier), James T. Kelley (le liftier), Tom Nelson (le détective), John Rand (un policier), Wesley Ruggles (un policier) _ Sortie aux ÉtatsUnis 15 mai 1916

Lumière 2019 — Le festival Lumière pour les enfants

Parce qu’il n’est jamais trop tôt pour découvrir le plaisir du cinéma en salles, les jeunes spectateurs pourront rire aux éclats avec Charlot grâce à un ciné-concert de trois superbes courts métrages de Charlie Chaplin. Autre séance événement : la nouvelle restauration du Magicien d’Oz de Victor Fleming. Également au programme pour le jeune public : des courts métrages de Paul Grimault, le très beau film d’animation japonaise Yuki : Le combat des shoguns, ou les devenus classiques Cartouche de Philippe de Broca et Un sac de billes de Jacques Doillon.

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Chaplin (le forçat évadé), Edna Purviance (la fille), Eric Campbell (le fiancé), Henry Bergman (le père de la fille), Albert Austin (le valet), Phyllis Allen (la bonne), Monta Bell (un homme), Frank J. Coleman (le gardien de prison), Marta Golden (la mère de la fille), James T. Kelley (le vieil homme), Toraichi Kono (le chauffeur), John Rand (un invité), Loyal Underwood (un invité), Tiny Sanford (le policier), Janet Miller Sully (Marie), May White (la grosse dame) _ Sortie aux États-Unis 22 octobre 1917

Séance à l’Auditorium de Lyon

Le Magicien d’Oz

1939

The Wizard of Oz de Victor Fleming

Lumière 2019 — Le festival Lumière pour les enfants

La jeune Dorothy (Judy Garland) vit paisiblement dans une ferme du Kansas, et n’a qu’un seul souci : la sinistre Miss Gulch (Margaret Hamilton) en veut à son chien, Toto. Elle s’enfuit avec Toto pour lui échapper, mais ils sont emportés par une tornade qui les emmène "over the rainbow", dans un pays magique, celui d’Oz. Elle y fait la rencontre de personnages étranges, un épouvantail (Ray Bolger), un homme en fer blanc (Jack Haley) et un lion peureux (Bert Lahr), avec lesquels elle part à la recherche du magicien, afin de pouvoir rentrer chez elle.

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Quelques mois avant de tourner Autant en emporte le vent, Victor Fleming prend la relève de George Cukor – à l’initiative des deux films – et réalise, d’après le roman de L. Frank Baum, un classique parmi les classiques pour enfants (de tous âges) : Le Magicien d’Oz. Sam Goldwyn rêvait de cette adaptation depuis des années. Pour Le Magicien d’Oz, la MGM fait appel à ses meilleurs techniciens, à l’instar d’Adrian, qui habille alors à cette époque les plus grandes figures du cinéma hollywoodien. La genèse est difficile, avec l’intervention de plusieurs scénaristes, mais chacun apporte sa pierre à l’édifice. George Cukor redonnera son caractère enfantin au personnage de Dorothy en lui ôtant sa perruque blonde et son maquillage trop prononcé. Judy Garland, âgée de 16 ans, est resplendissante.

Joyau de la comédie musicale, Le Magicien d’Oz est récompensé par deux Oscars : meilleure musique de film et meilleure chanson originale. Le célèbre Over the Rainbow, interprété par Judy Garland, permet la transition du monde réel en noir & blanc à celui d’un monde merveilleux en Technicolor. Véritable parcours initiatique, qui rappelle Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Le Magicien d’Oz conte le passage de l’enfance à l’âge adulte, et la perte des illusions. « La vanité de ce grand parcours semé d’embûches que l’on doit parfois s’imposer nous est révélée par la fée : il faut chercher ce que l’on désire dans notre jardin, si on ne le trouve pas là, ce n’est nulle part. » (Marie-Claude Floret, Jeune Cinéma n°206, février-mars 1991) Ce film culte est devenu une référence pour de nombreux réalisateurs, Martin Scorsese, Sidney Lumet ou David Lynch. Le Magicien d’Oz (The Wizard of Oz) États-Unis, 1939, 1h42, noir et blanc & couleurs (Technicolor), format 1.37 _ Réalisation Victor Fleming, King Vidor (non créd.) _ Scénario Noel Langley, Florence Ryerson, Edgar Allan Woolf, d’après le roman éponyme de Lyman Frank Baum _ Photo Harold Rosson _ Direction artistique Cedric Gibbons _ Musique Herbert Stothart, Harold Arlen, E.Y. Harburg _ Montage Blanche Sewell _ Décors Edwin B. Willis _ Costumes Adrian _ Production Mervyn LeRoy, MetroGoldwyn-Mayer _ Interprètes Judy Garland (Dorothy Gale), Frank Morgan (le professeur Marvel / le magicien d’Oz), Ray Bolger (Hunk), Bert Lahr (Zeke), Jack Haley (Hickory), Billie Burke (Glinda), Margaret Hamilton (Almira Gulch), Charley Grapewin (l’oncle Henry), Pat Walshe (Nikko), Clara Blandick (la tante Em), The Singer Midgets (The Munchkins), Mitchell Lewis (un garde), Lois January (la femme d’Emerald City avec le chat), Prince Denis (un Munchkin), Ethel W. Denis (une Munchkin), Jerry Maren (un Munchkin) _ Sortie aux États-Unis 11 août 1939 _ Sortie en France 26 juin 1946

— Le Diamant

Le Monde animé de Grimault

1942-1973

de Paul Grimault

« On ne peut pas raconter un dessin animé. C’est comme une orange, on ne peut pas raconter une orange : on peut l’éplucher la manger, et c’est tout. » (Jacques Prévert). Pas de récit donc, mais, "à la Prévert", une liste de quelques personnages qui traversent ce programme : Biscornu et le troubadour Niglo ; un épouvantail, un chat et des oiseaux ; un voleur et des policiers jumeaux ; le Sir de Massouf et de nouveau Niglo ; des jouets animés d’une vie propre ; Gô et Sniff le chien ; l’étrange professeur Savantas…

— Le Magicien d’Oz

« Paul Grimault, réalisateur de l’imaginaire, créateur absolu d’images, poète du dessin animé français. Il est, disait Henri Langlois, notre permanent émerveillement. » (Georges Franju, cité in Paul Grimault, Traits de mémoire, Seuil)

Dessinateur de vocation, Paul Grimault (né en 1905) fait ses études à l’École Germain Pilon (futur École d’Arts appliqués), puis intègre l’atelier d’Art Pomone du Bon Marché. Il est ensuite engagé au sein de la maison Damour, la première agence française de publicité. Il y rencontre Jean Anouilh, Jacques Prévert et Jean Aurenche, des amis avec qui il travaillera par la suite. De 1932 à 1936, il participe au groupe Octobre. Puis, avec André Sarrut, il fonde en 1936 la société de production Les Gémeaux. Les deux hommes, accompagnés de leur petite équipe de dessinateurs et animateurs, affirment la place de l’animation française au sein de la production mondiale alors largement dominée par Walt Disney et Max Fleischer. Si ses longs métrages La Bergère et le Ramoneur et Le Roi et l’Oiseau sont internationalement connus, Paul Grimault a aussi réalisé des courts métrages qui, à l’époque, étaient diffusés en salles, avant le "grand" film. Ainsi, Le Voleur de paratonnerres ouvrait la projection de La Bataille du rail de René Clément, Le Diamant celle de L’Aveu de Costa-Gavras.

Lumière 2019 — Le festival Lumière pour les enfants

L’Émigrant (The Immigrant) États-Unis, 1917, 24min, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation & scénario Charles Chaplin _ Photo Roland Totheroh, George C. "Duke" Zalibra _ Montage Charles Chaplin _ Production Charles Chaplin, Henry P. Caulfield, John Jasper, Lone Star Corporation _ Interprètes Charles Chaplin (l’émigrant), Edna Purviance (l’émigrante), Eric Campbell (le garçon de restaurant), Albert Austin (l’émigrant russe), Henry Bergman (l’artiste), Kitty Bradbury (la mère), Frank J. Coleman (le commissaire de bord et le patron du restaurant), William Gillespie (le violoniste du café), Tom Harrington (l’employé de l’état civil), James T. Kelley (le vilain homme au restaurant), John Rand (le client fauché), Tiny Sanford (le tricheur), Janet Miller Sully (la passagère), Loyal Underwood (un émigrant), Tom Wilson (le joueur) _ Sortie aux États-Unis 17 juin 1917 Charlot s’évade (The Adventurer) _ États-Unis, 1917, 25min, noir et blanc, format 1.33 _ Réalisation & scénario Charles Chaplin _ Photo William C. Foster, Roland Totheroh _ Montage Charles Chaplin _ Production Charles Chaplin, Henry P. Caulfield, Lone Star Corporation _ Interprètes Charles

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Artiste et artisan, Paul Grimault met sa passion de la technique au service de la création. Son style est doux, fluide et « antimécanique ». Il insuffle humour et poésie à chacune de ses images, utilisant des couleurs pastel et veloutées. Le cinéaste verra ses films récompensés dans de nombreux festivals, comme Le Petit Soldat, Prix international à Venise, un chef d’œuvre de l’animation française.

l’origine des changements des comportements humains. La mission de Yuki : remettre de l’ordre, dompter les classes dominantes et rendre à la Terre son harmonie. Yuki : Le combat des shoguns préfigure le futur Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki (1997), qui mettra également en scène une jeune femme combattante qui, par son courage et sa force, libèrera les humains de leurs maux.

8 courts métrages France, 1942-1973, 1h23, couleurs _ Réalisation Paul Grimault _ Au programme Le Marchand de notes (1942, 11min) _ L’Épouvantail (1943, 10min) _ Les Passagers de la Grande Ourse (1943, 9min) _ Le Voleur de paratonnerres (1944, 10min) _ La Flûte magique (1946, 10min) _ Le Petit soldat (1947, 11min) _ Le Diamant (1970, 10min) _ Le Chien mélomane (1973, 11min)

Yuki, le combat des shoguns (Yuki) Japon, 1981, 1h29, couleurs _ Réalisation Tadashi Imai _ Scénario Akira Miyazaki, d’après une histoire originale de Ryûsuke Saitô _ Photo Hiroshi Isakawa _ Direction artistique Yoshiyuki Uchida _ Musique Chito Kawachi, Ei Sekine _ Montage Harutoshi Ogata _ Animation Shinnichi Tsuji _ Production Ei Ito, Saburo Watanabe, Takero Nichiguchi, Mushi Production, Nikkatsu Corporation _ Sorti au Japon 9 août 1981 _ Sortie en France 1989

Yuki, le combat des shoguns

1981

Yuki de Tadashi Imai

Également au programme Cartouche de Philippe de Broca (p.179) Un sac de billes de Jacques Doillon (p.180)

Lumière 2019 — Le festival Lumière pour les enfants

Petite fille de noble ascendance, Yuki vit au Ciel avec ses grands-parents, qui veillent sur la Terre. L’année de ses 13 ans, elle est envoyée chez les humains pour faire revenir la paix et prouver qu’elle est digne de succéder à ses aïeux. Si elle réussit, elle pourra revenir au Ciel, auprès des siens. Si elle échoue, elle se transformera en un vent glacial. Confrontée aux tourments des habitants d’un village du Japon féodal, elle découvre que le Démon de la montagne est la cause de tous leurs maux. Elle part à sa recherche pour libérer les villageois…

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Peu connu pour avoir réalisé des films animés, Tadashi Imai débute au sein du studio Jenkins-Osawa de Kyoto, qui fusionnera plus tard avec la Toho, l’une des plus grandes maisons de production japonaise. Il devient l’assistant de Nobuo Nakagawa et réalise son premier long métrage en 1939, L’École militaire de Numazu, contribution à l’effort national. Tiré d’une nouvelle de Ryûsuke Saitô qui s’inspire des légendes du Japon féodal, Yuki : Le combat des shoguns se déroule durant l’ère Muromachi, entre 1336 et 1573, une période de près de trois siècles marquée par de nombreux conflits militaires. Chevauchant Fubuki, son cheval blanc, Yuki, jeune kami (divinité) de l’hiver, est envoyée dans le monde des hommes pour ramener paix et espoir. S’inspirant des contes folkloriques, Tadashi Imai met en scène sa jeune déesse entourée d’une bande de petits mendiants, qui apportent fraîcheur, humour et dynamisme au film. Métaphore des maux humains, le Démon permet au réalisateur de dévoiler un commentaire social contemporain. Il semble que le démon enfoui dans la montagne soit à

Documentaires sur le cinéma Avec le soutien de la SCAM


Une sélection de nouveaux documentaires, inédits sur grand écran, pour se plonger dans les mondes du duo Marcel Carné – Jacques Prévert, de John Wayne, Gary Cooper, Maurice Ronet ou Johnny Hallyday acteur ; et dans l’Histoire du cinéma, avec L’Ennemi japonais à Hollywood ou Le Temps des Nababs, sur les grands producteurs français d'après-guerre.

L'Ennemi japonais à Hollywood

Carné-Prévert : drôle de duo

John Wayne, l'Amérique à tout prix

Lumière 2019 — Documentaires sur le cinéma

Drôle de duo que ce "Carné-Prévert", formé par deux jeunes hommes encore peu connus du grand public lorsqu’ils créent Drôle de drame en 1937. Ce titre, malicieusement choisi, annonce tout et son contraire. À la fois populaire et avant-gardiste, surréaliste et ancré dans son époque, ce film dérouta ses contemporains par son audace et continue de surprendre aujourd'hui par sa modernité. (Re)découverte des ingrédients qui font que ce chefd’œuvre occupe une place si singulière dans l'histoire du cinéma français et dans l’œuvre de ses créateurs.

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Irrésistible Gary Cooper

de Julia & Clara Kuperberg (2019, 52min) L'acteur John Barrymore a dit un jour de lui : « Ce type est le plus grand acteur du monde. Il fait sans effort ce que le reste d'entre nous passe notre vie à essayer d'apprendre, à savoir être naturel ». Et Gary Cooper a réalisé cela grâce à son étrange capacité à projeter sa personnalité sur les personnages qu'il a interprétés, toujours animés d'un farouche individualisme, dans les westerns ou les films de Frank Capra. Portrait d’une figure américaine, à travers des images d’archives inédites et des entretiens, avec par exemple Maria Cooper Janis, la fille de l’acteur.

Le "Whitewashing", pratique consistant à faire jouer des rôles de Noirs, d’Asiatiques, ou de non-Blancs par des acteurs blancs, a toujours cours dans le cinéma américain en dépit du vent de révolte qui souffle enfin à Hollywood, notamment avec des films comme Crazy Rich Asians ou Black Panther. Le documentaire L’Ennemi japonais à Hollywood décrypte ce phénomène à travers l’histoire méconnue des Japonais à Hollywood, qui, conséquence de la guerre, étaient, au mieux, indésirables à l’écran, au pire, internés dans des camps. Retour sur un certain impérialisme culturel américain grâce à des images d’archives et des témoignages forts.

de Jean-Baptiste Pérétié (2019, 55min)

— Pleins feux sur Maurice Ronet

Plus qu’aucun autre acteur hollywoodien, John Wayne a été, au fil d’une impressionnante filmographie, l’incarnation même de l’Amérique et de ses valeurs. De La Chevauchée fantastique à L’Homme qui tua Liberty Valance, de La Rivière rouge à Rio Bravo, John Wayne est devenu un véritable mythe. À travers extraits de films et images d’archives, le documentaire part à la découverte de l’homme derrière la légende.

Le Temps des Nababs

de Florence Strauss (2019, 1h44) Deux épisodes : Les Romanesques (52min) et Les Tenaces (52min) Pierre Braunberger, Anatole Dauman, Robert Dorfmann, les frères Hakim, Mag Bodard, Alain Poiré, Pierre Cottrell, Albina du Boisrouvray, Jacques Perrin et bien d’autres… Ils ont toujours œuvré dans l’ombre et sont restés inconnus du grand public. Pourtant, ils ont produit des films que nous connaissons tous. Autodidactes, passionnés, joueurs, ils ont financé le cinéma avec une inventivité exceptionnelle à une époque où ni télévisions, ni SOFICAS ou autres n’existaient. Ce sont des personnages hauts en couleur, au parcours souvent digne d’une fiction. La série

— John Wayne, l'Amérique à tout prix

Lumière 2019 — Documentaires sur le cinéma

de Nicolas Billon & Nicolas Chopin-Despres (2019, 57min)

de Julia & Clara Kuperberg (2019, 54min)

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documentaire Le Temps des Nababs met en lumière ces hommes et ces femmes qui, entre les années d’après-guerre et la fin des années 70, ont produit des films qui continuent à marquer des générations de spectateurs.

Les Silences de Johnny de Pierre-William Glenn (2019, 55min)

Johnny Hallyday disait parfois à ses proches que le cinéma était son « (seul) endroit de liberté ». À travers les témoignages de Claude Lelouch, de Patrice Leconte, de Lætitia Masson, de Jean-François Stévenin ou de JeanLuc Godard, Pierre-William Glenn, grand chef-opérateur, réalisateur et ami de l’acteur-chanteur, revient sur « la "vocation manquée" cinématographique de Johnny Hallyday et [leur] relation cinéphile et amicale d'une durée de trente ans. ». Un portrait personnel et émouvant.

les traces de celui qu’il n’a pas connu (l’acteur est décédé quand il n’avait que 2 ans). À travers les personnages incarnés, les témoignages de ceux qui l’ont côtoyé et les archives, le parcours d’un fils pour percer les mystères du « sourire mi-amer mi-ironique » de son père acteur.

Robert Mulligan et l'oiseau moqueur de Lionel Lacour (2019, 52min)

En 1963, un célèbre critique disait « Quand on voit Du silence et des ombres, on a le sentiment qu’il n’a été mis en scène par personne. Effectivement, il est signé par Mulligan. C’est presque la même chose ». Dix ans après la mort de ce cinéaste engagé, que reste-t-il de Robert Mulligan ? Ce documentaire interroge son œuvre, ses sujets et surtout la contemporanéité de ses thématiques, dans l’Amérique d’aujourd’hui, celle d’Obama, puis de Trump.

Paper screen : Du roman à l'écran

de Pascale Cuénot & Léo Boudet

(2019, 52min)

Lumière 2019 — Documentaires sur le cinéma

Du roman à l'écran. L'adaptation cinématographique des best-sellers est aujourd'hui devenu un processus de création courant et la question qui se pose chaque fois que l'on évoque les rapports du cinéma avec la littérature est toujours : le film est-il fidèle à l'œuvre ? Le drame est le genre cinématographique le plus adapté depuis les débuts du cinéma. À travers son histoire, Paper screen raconte le cheminement artistique du livre jusqu'au film et propose de comprendre le défi des cinéastes qui ont pris le risque de mettre ces textes en images et de créer des œuvres à part entière.

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Pleins feux sur Maurice Ronet

de Frédéric Sauzet (2019, 52min) Le Feu follet et Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle, La Piscine de Jacques Deray, Plein soleil de René Clément, Trois chambres à Manhattan de Marcel Carné… Maurice Ronet a promené sa silhouette dans tout le cinéma français des Trente Glorieuses. Julien Ronet, son fils, part sur

Annexes


Président

Conseil technique cinéma

Directeur général

Administration systèmes et réseaux

Secrétariat général

Site internet et application

Direction de la programmation

Rédaction web et journal

Direction du Marché International du Film Classique et coordination générale des Villages

Brocante cinéma

Bertrand Tavernier Thierry Frémaux Cécile Bourgeat Maelle Arnaud

Juliette Rajon

Direction de la communication et relations extérieures Leslie Pichot

Communication, presse, relations publiques

Denis Revirand et Stéphanie Léger, avec Mathilde Ricard

Direction pédagogique Fabrice Calzettoni

Direction informatique

Fabien Frémaux Charlot

Programmation, coordination avec les salles

Jérémy Cottin, Vincent Godard (Cousu Main), Margot Rossi et Nina Orain

Activités scolaires et jeune public

Élodie Cartier-Million et Fanny Guidecoq

Partenariats et mécénat

Alexine Maimon, avec Karine Acriz

Administration, gestion et comptabilité

Martine Jacquet, avec Aurélie Chakroun et Amélie Laurent

Assistanat de direction Margriet Spikman

Accueil

Cécile Hatert, avec Clara Bourgognon, Christine Goutille, Dalila Sadouki et l'ensemble des hôtes et hôtesses d'accueil et de billetterie

Produits dérivés et merchandising Céline Berne

Librairie cinéma Jean-Paul Marchall

Café Lumière

Rémi Brun avec Farah Zoghlami et Adela Benamrane

Librairie Village

Armelle Bourdoulous

Marché DVD

Antoine Doux, avec Theo Nesme

Documentation et catalogue

Armelle Bourdoulous, avec Mélody Leclerc (rédaction du catalogue), Bruno Thévenon (iconographie), Jean-Marc Lamotte et Lucia Joncourt

Graphisme

Robert Vogin

Stéphanie Hoffmann, avec Chloé Trémeau L’ensemble des rédacteurs du festival Lumière Élodie Vialle

Relations presse

Frédéric Cassoly, Clément Lemoine, avec Joris Gasté, Alex Di Carlo, Émilie Dreux et Tristan Goulard (Agence Tournée Générale), Nathalie Iund et Blanche Aurore Duault (Agence MIAM), Audrey Grimaud (pour la presse régionale)

Invités

Laurence Churlaud, Charlotte Tourret, avec Camille Petit, Pauline Petit, Léa Cantin, Alice Fisher (Au bureau de Laurence), Theo Radiguet et Laure Cazeneuve

Protocole et professionnels

Marion Yoccoz et Mélody Leclerc (accueil des professionnels), Anna Maniatis (protocole)

Transports, hébergement

Gwenael Missire, Claire Fournier et Fanny Masson (Panthers)

Chauffeur, transferts locaux

Marine Tarabola, Emmanuel Favrot et Sebastien Mortamet (Panthers)

Villages festival

Ariane Guillou-Oliva / Icon Architecture Intérieure (conception et décoration village), Elvis Dagier, Josselyn Castry Juste (village de nuit La Plateforme), David Suissa (Chante et tais-toi)

Marché International du Film Classique

Gérald Duchaussoy, Anaïs Desrieux, Cécile Dumas, Camélia Benamrane, Perrine Quennesson et Rémi Mangevaud

Galeries et expositions

Astrid Charles, avec Manon Truchy

Coordination bénévoles

Astrid Charles, avec Olivia Sébart, Laetitia Duport et Arthur Bellot

Billetterie

Morgan Tran Duy Thi, avec Olivier Mérer

Accréditations

Fabrizio Migliorati et Perrine Martin

Radio Lumière

Virginie Apiou, Joseph Carabalona, Pierre Charpilloz, Guillaume Derachinois, Louis Hamelin, Thierry Imberty, Stéphanie Lamome, Pierre-Alexandre Perrin, Perrine Quenesson, Camille Rozelle, Aphélie Srun, Marc Steigeman et Philippe Rouyer

Transport et sous-titrages, régie copies

Agata Lopko, Florian Fernandez et Elisa Fouassier (Cousu Main)

Médiation culturelle

Service audiovisuel

Gérard Pascal

Exploitation et sécurité Grégory Dufour

Service technique Lumière 2019

Alain Besse

Agnès Buatois, avec Solène Rodriguez, Édouard Lalouelle, Clara Chainey, François Demarthe pour le Marché International du Film Classique ; Élise Milonet pour le catalogue et Clémence Kertudo pour le journal du festival Thomas Valette, avec Jean Combier, Louna Reyrolle et Robin Pogorzelski

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Informations restaurations

Antony Vernay, Karine Dufour et Serge Roussel, avec Aurélie Amiel, Benoît Joubert, Christine Dauvier, Franck Aubin, Joanna Borderie, Benjamin Castelnau, Pascal Hamant, Sylvain Bich, Antoine Ledroit, Myriam Yven, Thierry Montheil, Yaël Lamglait

Régie des soirées événementielles

Jean-Philippe Corlin avec Samuel Wilmotte (Pilpinvest)

Mokhtar Maouaz et Philippe Oudot, avec Sarah Onave et Mathilde Boureau

Régie bâtiments Stagiaires et mission de services civiques

Programmation : Benjamin Armand Communication et graphisme : Pimprenelle Frecon, Yann Gautret, Emma Merlin, Kimberly Parot Service audiovisuel : Hugo Barret Documentation et librairie : Vera Mechid-Huin Boutiques festival : Charles Todeschini Galeries : Tanguy Ferreira Médiation culturelle : Alice Tieberghien Protocole : Marie Dubreuil

Prix Lumière 2019 : Francis Ford Coppola / Dementia 13 Restauration 4K menée par American Zoetrope en 2017 dans son laboratoire, à partir des négatifs

originaux 35mm. / Le Parrain – Le Parrain, 2e partie – Le Parrain, 3e partie – Dracula Restaurations numériques. / Rusty James Restauration 4K supervisée par le directeur de la photographie et approuvée par Francis Ford Coppola. / Tucker : L’Homme et son rêve Restauration 4K menée par American Zoetrope en 2018 aux laboratoires American Zoetrope et Roundabout Entertainment, à partir des négatifs originaux 35mm. / Apocalypse Now Final Cut Restauration 4K menée par American Zoetrope en 2019 aux laboratoires American Zoetrope & Roundabout Entertainment, à partir des négatifs originaux 35mm.

André Cayatte, "le courage social" / La Fausse Maîtresse – Le Dernier Sou – Pierre et Jean Restauration par Gaumont au laboratoire Eclair, scan 4K,

restauration 2K, avec la participation du CNC. / Les Amants de Vérone Restauration 4K menée par Pathé en 2014, avec le soutien du CNC, au laboratoire L’Immagine Ritrovata à Bologne à partir des négatifs originaux 35mm. / Retour à la vie Version restaurée par TF1 Studio en 2K à partir des négatifs nitrate image et son français, avec le soutien du CNC et la participation de la Cinémathèque française. Travaux numériques et photochimiques réalisés par le laboratoire Hiventy en 2015. / Justice est faite – Avant le déluge Restauration par Gaumont au laboratoire Eclair, scan 4K, restauration 2K, avec la participation du CNC. / Nous sommes tous des assassins – Les Risques du métier Restauration Gaumont au laboratoire Eclair, scan 2K, restauration 2K. / Le Dossier noir – Le Miroir à deux faces Restauration Gaumont 2K au laboratoire Eclair. / Le Passage du Rhin Restauration Gaumont au laboratoire Eclair, scan 2K, restauration 2K, avec la participation du CNC. / Mourir d’aimer Restauration 4K LCJ Editions au laboratoire Eclair avec le soutien du CNC.

Forbidden Hollywood : les trésors Warner / Âmes libres – Blonde Crazy – L’Ange blanc – Jewel Robbery – La Belle de Saïgon – La Femme aux cheveux

rouges – Baby Face – Employees’ Entrance – Female – The Mind Reader Pour la première fois en copies digital cinéma, masterisées à partir des restaurations HD réalisées pour la sortie DVD des Trésors de la Warner.

Histoire permanente des femmes cinéastes : Lina Wertmüller / Mimi métallo blessé dans son honneur – Film d’amour et d’anarchie Restauration 2K. /

Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été Restauration numérique. / Pasqualino Restauration de 2019 par la CSC-Cineteca Nazionale à partir du négatif original, rendue possible grâce à RTI Mediaset en collaboration avec Infinity.

Grands classiques du noir et blanc / La Chevauchée fantastique Restauration 2K. / La Règle du jeu Restauration 2K à partir d’un contretype 35mm image

et son. / Citizen Kane Restauration Warner. / Miracle à Milan Restauration 4K par la Fondation Cineteca di Bologna et Compass Film à partir des négatifs originaux image et son et d’un interpositif d’époque conservé au laboratoire Studio Cine, en collaboration avec Mediaset, Infinity, Arthur Cohn et Variety Communication. / Le Plaisir Restauration Gaumont au laboratoire Eclair, restauration 2K. / Voyage à Tokyo – La Nuit du chasseur Restaurations numériques. / Quand passent les cigognes Restauration 4K en 2018 (première mondiale à Berlin) par Mosfilm à partir des négatifs originaux.

Événements / Vincent, François, Paul et les autres... Restauration Studiocanal de 2013. / La Femme qui pleure Restauration Gaumont. / Le Privé Scan 2K

d’après le négatif original au laboratoire Eclair, scan 2K, restauration 2K. / La Nuit des morts-vivants – Le Jour des morts-vivants Restaurations 2K. / Zombie Nouvelle restauration 4K réalisée par ESC Editions au laboratoire Backlight Digital à Rome à partir d’une source interpositif, sous la supervision de Michael Gornick, le directeur de la photographie du film. / Les Fleurs de Shanghai Restauration numérique.

Invités d’honneur / Fargo Restaurations numériques. / Un cœur en hiver Restauration Studiocanal de 2013. / Le Huitième Jour Version restaurée par

TF1 Studio en 4K à partir du négatif image, avec la participation de la Cinémathèque royale de Belgique. Travaux numériques réalisés par le laboratoire Vdm en 2019. / Memories of Murder Scan 4K d’après le négatif original. Transfert et restauration CJ Filmlab 2016 sous la supervision de Bong Joon-ho. / A Short Love Affair Restauration 4K de la Korean Film Archive. / M*A*S*H Restauration numérique. / Ne vous retournez pas Restauration 4K approuvée par le DOP Tony Richmond au Laboratoire Silver Salt LTD. / Le Casanova de Fellini – Des gens comme les autres Restaurations numériques. / Les Poings dans les poches Restauration 2015 à partir du négatif image en 4K, soutenue par la Cineteca di Bologna en collaboration avec Kavac Film et avec le soutien de Giorgio Armani, sous la supervision de Marco Bellocchio. / Le Lit conjugal Version intégrale restaurée par TF1 Studio en 4K à partir des négatifs image et son français et italien, avec le soutien du CNC et de Cineteca di Bologna. Travaux numériques réalisés par le laboratoire L’Image Retrouvée Paris / Bologne - en 2019. / Elles deux Restauration 4k présentée par the Hungarian National Film Fund – Film Archive. La restauration a été réalisée en 2017 par the Hungarian Film Lab à partir des négatifs originaux. L’étalonnage numérique des couleurs a été supervisé par János Kende DOP (HSC).

Sublimes moments du muet / La Roue Restauration Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, en partenariat avec la Cinémathèque française et la Cinémathèque suisse, à partir du négatif, de nombreuses copies et du scénario original d’Abel Gance. / La Fête espagnole Il ne subsiste qu’un fragment noir et blanc, sans intertitres, de 171m (sur 1671m à l’origine), sauvegardé en 1948 à partir d’un fragment du négatif nitrate, puis tiré en 1970 à partir du contretype sauvegardé. Il s’agit du seul élément connu et sauvegardé à ce jour. / Vicenta Fragment d’un film considéré comme perdu (bobine 2 sur 5, copie nitrate teintée), restauré en 2017 par la Cinémathèque française aux laboratoires Hiventy. / Soleil et ombre Une restauration 4K supervisée par la Cinémathèque française et le San Francisco Film Festival aux laboratoires Hiventy et Fontibula. / Courts métrages d’Émile Cohl Restauration effectuée par Gaumont en 2019 avec l’aide du Centre National du Cinéma et de l’image animée, au laboratoire de L’Image Retrouvée Bologne-Paris. Scans 4K fait à partir des éléments originaux nitrate, avec la participation des Archives de la FIAF. Musique originale Bernard Lubat. / Le Papillon meurtri Restauré en 2019 par The Film Foundation en association avec la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, avec l’aide financière des cognacs Louis XIII, à partir d’une duplication de négatifs 35mm de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé. Scan 4K, étalonnage et restauration numérique par L’Immagine Ritrovata. / Giboulées conjugales Restauration par the Film Foundation avec la complicité de la Hollywood Foreign Press Association. / L’Amour de Jeanne Ney Restauration 2K. Lumière Classics / Toni Restauration Gaumont au laboratoire Image retrouvée Bologne, scan 4K, restauration 4K, avec la participation du CNC. / Drôle de drame Restauration 4K menée par les Grands Films Classiques au laboratoire Vectracom à partir d’un négatif son et d’un contretype image. / Le Diable souffle Restauration 4K avec l’aide du CNC à partir des éléments originaux image et son au Laboratoire Hiventy. / Rue des prairies Version restaurée par TF1 Studio en 4K à partir des négatifs image et son français, avec le soutien du CNC et de Coin de Mire Cinéma. Travaux numériques et photochimiques réalisés par le laboratoire Hiventy en 2018. / Cartouche Restauration 4k avec l’aide du CNC à partir des éléments originaux image et son au Laboratoire L’Image Retrouvée. / Léviathan Restauration 4K Héliotrope Films aux laboratoires Eclair et L.E. Diapason, avec le soutien du CNC, directement supervisée par le réalisateur Léonard Keigel, à partir des négatifs image et son 35mm. / La Chasse à l’homme Version intégrale restaurée par TF1 Studio en 4K à partir des négatifs image et son français, avec le soutien du CNC et de OCS. Travaux numériques et photochimiques réalisés par le laboratoire Eclair en 2019. / Un sac de billes Scan 4K et restauration 2K menés par Pathé en 2018, avec le soutien du CNC, au laboratoire Hiventy à partir des négatifs originaux 35mm. / Les Princes Restauration 4K par le laboratoire Cosmo Digital sous la supervision de Tony Gatlif en juin 2019. / Liberté, la nuit Restauration 2K INA partir du négatif, d’une copie zéro 35mm et du son optique. / Moonrise Restauration 4K réalisée par Criterion à partir du négatif caméra d’origine. / Pandora Restauration 4K 2019 par The George Eastman Museum à partir d’un interpositif 35mm créé en 2007. Restauration audio par Audio Mechanics, et complétée par Cohen Film Collection, avec le soutien d’OCS. Remerciements particuliers à Luca Bigazzi, directeur de la photographie, pour sa supervision de l’étalonnage. / L’Affaire Cicéron Restauration 4K de 2019 par Technicolor pour 20th Century-Fox et Swashbuckler Films à partir des négatifs originaux 35mm. / Quelle joie de vivre Restauration 2K à partir du négatif original au laboratoire Video Master Digital (Rome) par Intramovies, Paola Corvino, Mediaset (Italie) et la Fondation René Clément (France). / L’Incinérateur de cadavres Restauration 4K à partir du négatif original et de l’interpositif conservés aux Archives cinématographiques nationales de Prague menée par le Festival International de Karlovy Vary en collaboration avec Les Archives nationales de Prague et le Czech Film Fund. La version sous-titrée

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Organisation

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français et le DCP 4K ont été réalisés par Titra Film pour Malavida. / Le Chêne Restauré par la Fundation9 et MK2. Le négatif original a été numérisé en 4K au laboratoire Hiventy et restauré image par image en 4K par le laboratoire Digital Cube. / L’Âme des guerriers Scan HD d’après le négatif original sous la supervision du directeur de la photographie Stuart Dryburgh. Transfert et restauration New Zealand Film Commission 2015.

Remerciements

Trésors et curiosités / Le Cinquième Sceau Restauration 4K présentée par le Hungarian National Film Fund – Film Archive. La restauration a été réalisée en

Grandes projections / Le Pont de la rivière Kwaï – L’Homme qui voulut être roi – Mississippi Burning Restaurations numériques. / La Grande Évasion Restauration 4K de 2019 par Technicolor pour United Artists et Swashbuckler Films à partir des négatifs originaux 35mm. / La Piscine Restauration 4K menée par Filmo en 2019 à partir du négatif original monté pour l’image, avec en complément de matériel, les plans négatifs en grande-longueur du générique début. / La Tour infernale Restauration Warner. Le festival Lumière pour les enfants / Charlot chef de rayon Restauration 2013 par la Fondazione Cineteca di Bologna et Lobster Films, à partir d’un marron

safety du MoMA. Des fragments d’une copie nitrate de la Cinematek furent également utilisés. Les intertitres ont été reconstruits d’après le texte original d’époque, conservé à la Library of Congress, Washington. / Charlot s’évade Restauration 2013 par la Fondazione Cineteca di Bologna et Lobster Films, à partir d’une copie diacétate de la Library of Congress, Washington, et d’une copie nitrate de la Cinematek. Quelques fragments d’une copie de la collection Lobster Films, préservée aux Archives françaises du film du CNC ont également été utilisés. / L’Émigrant Restauration 2013 par la Fondazione Cineteca di Bologna et Lobster Films, à partir d’un contretype Safety plein cadre de la collection Blackhawk Films (merci au MoMA), conservé à l’AMPAS. / Le Magicien d’Oz Restauration Warner. Yuki, le combat des shoguns Restauré au laboratoire Imagica à Tokyo, Japon, par Nikkatsu Corporation pour KL Films France à partir du matériel original 35mm venant des studios Mushi Production. / Le Monde animé de Grimault Restauration 4K chez Hiventy par Studiocanal avec l’aide du CNC.

Sources et crédits photographiques

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Les photos de ce catalogue sont issues des collections et fonds suivants / Collection Institut Lumière / Fonds Cinéma, Collection Institut Lumière / Fonds Photos Pierre Billard, Collection Télé Ciné Documentation / Daniel Bouteiller, Collection Christophe L / Serge Darmon, Collection Intemporel / Stanislas Choko, Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, Archives Gaumont Pathé, Getty Images, Cinémathèque française, The Film Foundation, Fairfax Media Archives, Hungarian National Film Fund (Budapest), Cinemateca Portuguesa (Lisbonne), Swedish Film Institute (Stockholm), Slovak Film Institute (Bratislava).

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© Crédits et droits / Ad Vitam Production, Irwin Allen, Agustín Almodóvar, Pedro Almodóvar, Altavista Films, American Zoetrope, AMLF, Robert Amon, Aspen Productions, Avalon, Joss Barratt, Bac Films, Barunson E&A, Bavaria Films, BBC Films, Marco Bellocchio, Tonino Benetti, Gérard Beytout, BFI Film Fund, Michael Bittins, Blueprint Pictures, Bong Joon-ho, Les Bons Clients, Budapest Filmstúdió, Sylvain Bursztejn, Frank Borzage, Graham Broadbent, Bureau Cinématographique et Musical, Daniel Burman, Suh Byeong-gi, Canal+ Espana, Romano Cardarelli, Henry P. Caulfield, Celluloid Dreams, Cha SeoungJae, Charles Chaplin, Charles K. Feldman Group Prod., Choi Yong-bae, Henryk Chroscicki, Chungeorahm Film, CJ E&M Film Financing & Investment Entertainment & Comics, CJ Entertainment, David Coatsworth, Cocinor, Marco Cohen, Joel et Ethan Coen, Colectivo dos Trabalhadores da Actividade Cinematográfica, Robert F. Colesberry, Columbia Pictures Corporation, Compagnie Commerciale Française Cinématographique, Compagnie Industrielle et Commerciale Cinématographique, Communicado, Continental Films, La Corriente del Golfo, Courier Studios, Peter Czernin, D.A. Films, Georges Dancigers, Robert De Niro, Dialóg Filmstúdió, Documento Film, Fabrizio Donvito, Enzo Doria, Doria Cinematografica, Daniel Marc Dreifuss, DRS, Diego Dubcovsky, Claire Duval, El Deseo, Euro International Films, Fábrica de Cine, Fábula Producciones, Fair Film, Gary Farkas, Christian Fechner, Film 4, Filmalbatros, Filmgroup Productions, Filmové studio Barrandov, Les Films Alain Sarde, Les Films Ariane, Les Films Christian Fechner, Films Corona, Les Films du Fleuve, Les Films du Kiosque, Les Films Louis Nalpas, Les Films Marceau, Les Films Marcel Pagnol, Filmsonor, First National Pictures, William Fox, Fox Film Corp., Fox Searchlight Pictures, France 2 Cinéma, La France en marche, Franco London Films Gibe, Vincent Frerebeau, Gael García Bernal, Gaumont, Gaumont International, Christopher Gawor, Julie Gayet, Mario Gianani, Golestan Film, Jean Gontier, Alejandro González Inárritu, Alberto Grimaldi, Pierre Grunstein, Gullane, Gus Productions, Charles F. Haas, Benedetto Habib, Han Jin-seob, Hanrim Films, Happinet Corporation, Édouard Harispuru, Ladislav Harus, HBO, Per Holst, Horizon Pictures, IBC Movie, Indiana Production Company, Instituto de la Cinematografía y de las Artes Audiovisuales, Claude Jaeger, Jang Young-hwan, Joh Neung-yeon, John Jasper, Jolly Film, Mikhail Kalatozov, Kavac Film, Kim Moo-Ryoung, Kleber Films, Ben Knight, Koskoff, Kwak Sin-ae, Labrador Films, Otto Lang, David Lange, Juan de Dios Larraín, Pablo Larraín, Laurel, Clément Lepoutre, Mervyn LeRoy, Lions Gate, Lira Films, Lola Films, Lone Star Corporation, Lucas Films, Mafilm, Malavida Films, Marshall Grant Pictures Production, Martin McDonagh, Match Factory Productions, Mécanos Productions, Medusa Distribuzione, Metro Goldwyn Mayer Pictures, MK2 Productions, Alexandre Mnouchkine, Mogard Korea, Mondex Films, Moon Yang-kwon, Mosfilm, Muhan Investment, Olivier Muller, Nemo Film, Nero Film AG, New Zealand Film Commission, New Zealand On Air, No Jong-yun, Michael Nozik, Marta Núnez Puerto, Rebecca O’Brien, Offside, Orion Pictures, Orphée Productions, Marcel Pagnol, Alan J. Pakula, Park Taejoon, Parnasse Production, Pathé Productions, Paramount, Participant Media, Charles Pathé, Gastón Pavlovich, Sergio Pelone, Per Holst Filmproduktion, Lucian Pintilie, Playtone Productions, PolyGram Filmed Entertainment, Potemkine, Ingo Preminger Productions, Preparatory Action of the European Union, Procinex, Produzioni Europee Associati, Pulse Films, La Rabbia, Radiant Film, Rai Cinema, RB Production, Renn Productions, Rizzoli Films, RKO, Fuentealba Rodrigo, Günter Rohrbach, Rosebud, Jane Rosenthal, Rouge International, Sancro Film, Alfonso Sansone, Alain Sarde, Scarabée Films, Robin Scholes, Marty Eli Schwartz, Martin Scorsese, Sebor, Antoun Sehnaoui, Seo Woo-sik, La Sept Cinéma, Jérôme Seydoux, Shochiku Films, Showbox/Mediaplex, Sidus, Sikelia Productions, Sixteen Films, Anthony Sloman, Slovenská filmová tvorba Koliba, Société des Films Abel Gance, Société des Films Musidora, Société Nouvelle de Cinématographie, Sony Pictures Classics, South Fork Pictures, Spectator Entertainment, Sam Spiegel, Stera Films, Studio Canal +, Studio Hraných Filmov Bratislava, Stutterheim, STX Entertainment, Jan Svikruha, Televisión Espanola (TVE), Edgard Tenenbaum, Karen Tenkhoff, TF1 Films Production, Emma Tillinger, TMS Comics, TMS Entertainment, Tôt Ou Tard Films, Maurice Tourneur Productions, Tribeca Productions, Tritone Cinematografica, Nadia Turincev, Tu Vas Voir Productions, Twentieth Century Fox, UFA, UGC, UGCF, United Artists Pictures, Vides Cinematografica, Ville de Lausanne, Vixens, Erik Waisberg, Walter Wanger, Warner Bros Pictures, Why Not Productions, Wichita Films, Wild Bunch, Working Title Films, Zack Films, Zeta Film, Zoetrope Studio, Frederick Zollo.

Franck Riester (Ministre de la Culture), Pascal Mailhos (Préfet de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Préfet du Rhône), David Kimelfeld (Président de la Métropole de Lyon), Gérard Collomb (Maire de Lyon), Myriam Picot (Vice-présidente de la Métropole de Lyon, déléguée à la culture), Laurent Wauquiez (Président du Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes), Etienne Blanc (premier Vice-Président du Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes), Florence VerneyCarron (Vice-présidente du Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes, déléguée à la culture et au patrimoine), Loïc Graber (Adjoint au Maire de Lyon, délégué à la culture), Yann Cucherat (Adjoint au Maire de Lyon, délégué aux sports, aux grands événements et au tourisme), Georges Képénékian (Premier Adjoint au Maire de Lyon), Dominique Boutonnat (Président du Centre national du cinéma et de l’image animée), Michel Prosic (Directeur de la DRAC AuvergneRhône-Alpes).

Les membres élus du conseil d’administration de l’Institut Lumière / Christian Coulon (Mairie du 8e), Yvon Deschamps, Denis Trouxe, Magali Dubié, Valérie Perrin (Rectorat de Lyon), Bernard Chardère, Bernard Tacail, Marlène Mourier. Les membres élus du comité de suivi cinéma de la Métropole de Lyon / Richard Brumm, Eric Desbos Le festival souhaite aussi remercier / Lucie Muniesa, Leïla Derouich (Ministère de la Culture), Olivier Henrard, Laurent Cormier, Maxime Boutron et

Evelyne Laquit (CNC), Sarah Guillon, Nicolas Aucourt, Ludivine Hennard, Pascale Guyot de Salins (Préfecture du Rhône et de la Région Auvergne-RhôneAlpes), Cédric Grail, Olivier Nys, Julien Rolland, Pascale Ammar-Khodja, Michel Rotterdam, Céline Migliore, Lisa Gauthier, Christine Meunier-Briday, Agnès Benoist, Anastasie Tsangary-Payen, Cécile Prenveille, Karine Portrait, Emilie Chanu, Jack Vos, Gaëlle Rougemont (Métropole de Lyon), Philippe Bailbé, Ginette Chaucheprat, Catherine Puthod, Catherine Cornil, Lionel Chalaye, Mathilde Atangana, Marie Segura, Sandrine Berthet, Emmanuelle Bergaut (Région Auvergne-Rhône-Alpes), Xavier Fourneyron, Guillaume Marin, Samuel Bosc, Anne Jestin, Dominique Mancini, Isabelle Sabran, Jean-François Zurawik, Françoise Cuisson, Laurence Ducourthial, Sylvie Bercegeay (Ville de Lyon), Yves Le Pannerer, Benoit Guillemont, Jacqueline Broll (DRAC Auvergne-RhôneAlpes), Laurent Heynemann, Pascal Rogard, Valérie-Anne Expert, Christine Coutaya (SACD), Eglantine Langevin, Clémentine Harland, Delphine Bourgeois et Claude-Henry Laumonier (Sacem), Julie Bertuccelli (SCAM), Jean-Michel Daclin, Jean Charles Foddis, Emmanuelle Sysoyev, Marion Morel, Kristin Mangold (Only Lyon / Aderly), Grégory Faes, Serge Tachon, Emmanuel Bernard, Marie Le Gac (Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma), Joël Madile (Délégation parisienne de la Métropole de Lyon), François Gaillard, Camille Lenoble et l’équipe de l’Office de Tourisme, Fouziya Bouzerda, Florence Serra, Amandine Rozieres (Sytral), Jean-Christophe Archambault (SNCF), Pascal Chopin, Valérie Nicod, Valérie Canque, Corinne Ortéga (JC Decaux), Thomas Bouillon (Festivals Connexion), Fabrice Roman, Florence Chizat (Clear Channel), Raphaël Selosse (Espace commercial Monplaisir), Gérald Bouchon, Christian Bouvier (Radio Lyon Première), Guillaume Duvert et le restaurant Le Passage à Lyon, Paul Maurice Morel (Nord Sud Développement, Les Brasseries de Lyon / Paul Bocuse), Hervé Houin, Cyrille Constantin (Office National des forêts), Christopher Crawford, Geneviève Gobber et Linda Soltane (Ambassade des États-Unis d’Amérique), Stéphane Fauquembergue (Pur Objet), Isabelle Svanda, Sandrine De Postis et les équipes de Rêve de cinéma, Pierre Greslé (Hospices civils de Lyon), Marie-Agnès Marion, Philippe Bonhomme (Hôpital Femme Mère Enfant de Bron), Marion Beaufront (Centre Léon Bérard), Karine Sainte Agathe (Hôpital Saint Joseph - Saint Luc), Edouard Carrier (Clinique Saint Vincent de Paul), Olivia Reiko Miyataki-Pellarin pour la traduction, Lucien Logette et Matteo Lobb pour le catalogue, Freddy Dumond. Un merci particulier à Didier Courbon, ainsi qu’à Nadine Gelas et Jacky Darne.

Les médias partenaires / Delphine Ernotte, Frédéric Olivennes, Laurence Zaksas-Lalande, Yves Rolland, Daniel Goudineau, Valérie Boyer, Emmanuelle Dang, Véronique Chartier (France Télévisions), Michel Chiche, Dominique Bourgeois, Fabrice Costet, Patrick Poittevin, Julien Sauvadon, Paul Satis (France 3 Rhône-Alpes Auvergne), Morgane Le Tac, Françoise Boné, Isabelle Telle et les équipes techniques de Radio France (France Inter), Louis Dreyfus, Michel Guerrin, Guillaume Fraissard, Thomas Sotinel, Guillaume Drouillet, Franck Nouchi, Jacques Mandelbaum, Samuel Blumenfeld (Le Monde), Jérôme Garcin, Nicolas Schaller (L’Obs), Eric Legendre, John Hopewell, Elsa Keslassy (Variety), Fabienne Pascaud, Pierre Murat, Samuel Douhaire, Caroline Gouin, Véronique Viner-Flèche (Télérama), Thomas Baurez, Pauline Parnière (Première), Marielle Gaudry (Allociné), Simon Delpirou (Konbini), Michael Peters, Jessica Baeijens, Albane Ducros, Frédéric Ponsard, Caroline de Tauriac (Euronews), Laurent Cotillon, Sylvie Marceau, Sarah Drouhaud, Jean-Philippe Guérand (Le Film Français), Marc Renau, Sébastien Broquet, Christian Jeulin, Vincent Raymond (Le Petit Bulletin), Pierre Fanneau, Céline Bally (Le Progrès). Les représentants des membres de la famille Lumière / Max et Michèle Lefrancq-Lumière, Florence Kuhn-Lefrancq Lumière, Renée BambergerTrarieux-Lumière et Marc Durand.

Les salles de cinéma et les lieux d’accueil / Thierry Rocourt (Cinémas Pathé Grand Lyon et Pathé Carré de Soie, Vaulx-en-Velin), Fabien Lécureuil,

François Mourcely, Elvire Paradeis (Pathé Bellecour), Marc Bonny, Ronan Frémondière, Frédérique Duperret, Dominique Mathias (Cinéma Comoedia), Sylvie Da Rocha, Gilles Besson, Flavien Poncet, Hiba Ziane (Lumière Terreaux, Lumière Bellecour, Lumière Fourmi), Frank Chapon, Vanessa Grellier, Guillaume Roulin, Didier Solano, Gaëtane Gabory (UGC Ciné Cité Confluence, UGC Astoria, UGC Ciné Cité Internationale), Frédéric Lefort (Cinéma Opéra), Pierre Barthélémy (Pathé Vaise), Roger Sicaud (Cinéma St-Denis), Evelyne Capezzone (Cinéma Bellecombe), Emmanuelle Bureau (CinéDuchère), Nadia Azouzi (Cinéma Les Alizés, Bron), Antonia Naim, Alexandra Martinez, Gérard Martin (Cinéma Gérard-Philipe, Vénissieux), Olivier Calonnec (Le Zola, Villeurbanne), Jean-Philippe Sicaud (Ciné Caluire, Caluire), Mireille Dubief (Le Méliès, Caluire), Audrey Péguy (Ciné-Rillieux, Rillieux-la-Pape), Raphaëlle Rimsky-Korsakoff, Marion Sommermeyer (Ciné Toboggan, Décines), Sébastien Roullet (Ciné-Meyzieu, Meyzieu), Boris Pastou (Le Scénario, Saint-Priest), Odile Groslon, Claude Colin (Le Polaris, Corbas), Gilles Thorand, Chrystel Saunier (Ciné’Mions, Mions), Mathilde Favier, Yves Martineau (Ciné La Mouche, Saint-Genis-Laval), Gilles Wiart, Jean-Romain Guilhaume (Cinéma MDP, Pierre-Bénite), François Rocher, Grégory Tudella (Ciné Mourguet, Sainte Foy-lès-Lyon), Jérôme Truchet (IRIS, Francheville), Michèle Ponchon, Jean-Michel Puleri (Espace culturel Eole, Craponne), Frank Testud, Léo Gagnol (Cinéma Le Lem, Tassin la Demi-Lune), Christophe Moussé, Rodolphe Girard (Ecully Cinéma, Ecully), Jean Enderlin (Alpha Cinéma, Charbonnières-les-Bains), Catherine Vidis (Ciné Aqueduc, Dardilly), Frédéric Duplot, Jérémy Duplot (Cinéma Rex, Neuville-sur-Saône), Thierry Téodori, Catherine Descotes, Michel Kintzig, Angel Cabrera, Béatrice Massin (Halle Tony Garnier), Anne-Marie Baezner, Sylvain Douce, Frédéric Jacob, Philippe Oliveros (Amphithéâtre-Centre de Congrès), Aline Sam-Giao, Ronald Vermeulen, Mathieu Vivant, Abdelhamid Djelloud, Yara Blanc (Auditorium de Lyon), Claudia Staviski, Pierre-Yves Lenoir, Erika Brunet, Alexandra Faure-Tavan (Célestins, Théâtre de Lyon), Julien Poncet, Pauline Guichon (Comédie Odéon).

Pour les animations dans la Métropole de Lyon / Muriel Luk (Médiathèque Bernard Pivot, Caluire-et-Cuire), Xavier Hervot (Médiathèque IRIS, Francheville), Nathalie Bondetti (Médiathèque Jacques Brel, Neuville-sur-Saône), Sabine Pougnet (Maison du Livre, de l’Image et du Son, Villeurbanne).

Pour les villages / Ariane Guillou-Oliva (Icon Architecture Intérieure), Christophe Veau-Cahon, Pierre Furigo, Céline Baloffet, Amandine Blanchard et tous les

services de GL events, Nicolas Bret, Marion Mary et Sophie Fulchiron (Serge Magner Traiteur), Eric Hubert (Les Saveurs du Bistrot), Jean-Baptiste Hausseguy, Cyrille Momer et Mikaël Vince (Les Fleurs du Malt), Pascal Prudhomme (Champagne Castelnau), Paul Andrei, Sophie Milcent, Véronique Letournel et Sandrine Michel (Ligne Vauzelle), Christophe Collado (L’Œil Vintage Galerie), Olivia Brun Courbon et Charles Brun (Maison Bouture), David Suissa (Label Chante et tais-toi), Bernard Lloret (Atelier du Vague à l’âme), Zabou Charlin (Huuue Cocotte), Franck Grangette, Bruno Batit, Evelyne Robert et les services des espaces verts, de l’éclairage Public et de l’occupation de l’espace public de la Ville de Lyon, Anthony et Caroline Hawkins, Jocelyn Juste Castry (La Plateforme).

Pour le MIFC / Bernard Fleur, Philippe Genin et Marion Lingot, (Fiducial Legal by Lamy), Didier Huck, Jean-Yves Mirski et Stéphane Bedin (Ficam), Olivier Douet (Cinemanext), Didier Samuel et Bertrand Pages (Cineparts), Jérôme Soulet (Gaumont), Isabelle Meunier-Besin (SACD), Benoît Danard (CNC), Renaud Laville, Aurélie Bordier (AFCAE), Rodolphe Lerambert (ADRC), Anthony Bobeau, Stéphane André (ESC Conseils), Sylviane André, Rémy Giacometti, Jérôme Charreton (MJC Monplaisir), Louis-Fabrice Latour et Nicolas Angelone (Maison Louis Latour)

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2017 par le Hungarian Film Lab à partir des négatifs originaux. L’étalonnage numérique des couleurs a été supervisé par Lajos Koltai DOP (HSC). / La maison est noire – Les Collines de Marlick Restaurations réalisées par Ecran Noir Productions et la Fondazione Cineteca di Bologna au laboratoire L’Immagine Ritrovata en 2019, à partir de pellicules originales 35mm conservées par Ebrahim Golestan, les Archives nationales cinématographiques d’Iran et la Cinémathèque française, grâce au soutien de Madame Mahrokh Eshaghian et de Genoma Films. / Bilan trimestriel Restauration Di Factory. / Les Fusils et le Peuple Restauration 4K à partir des négatifs originaux conservés à la Cinemateca Portuguesa. Étalonnage numérique à partir d’une copie de distribution comme référence. / L’Assassin du tsar Restauration 4K par Mosfilm sous la supervision du réalisateur et producteur de la restauration Karen Shakhnazarov. / Les Lys des champs Numérisation 4K et restauration 4K par le Slovak Film Institute à partir de différents éléments, dont le négatif. Étalonnage supervisé par le directeur de la photographie du film, Dodo Šimončič. / Le Vol de L’Aigle Restauration numérique 2K par le Swedish Film Institute. / La Beauté des choses Restauration numérique. / Zone grise Restauration 4K de la Cinémathèque suisse, avec le soutien de Memoriav, et avec la collaboration de Fredi Murer, au laboratoire Cinegrell (Zürich) et Tonstudios Z (Zürich).

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(Ad Vitam), Adonis Productions, James Mockoski (American Zoetrope), Béatrice de Pastre, Éric Le Roy, Sophie Le Tétour (Archives françaises du film du CNC), Henriette Souk (Arte), Pierre-Richard Muller (Artedis), Marilyn Lours (Bac Films), Vincent Paul-Boncour, Ines Delvaux, Nora Wyvekens (Carlotta Films), Laura Argento (Centro Sperimentale di Cinematografia - Cineteca Nazionale), Frédéric Bonnaud, Emilie Cauquy, Samantha Leroy, Caroline Maleville (Cinémathèque française), Nicola Mazzanti, Pauline Thiry, Arianna Turci (Cinematek), Frédéric Maire, André Schaublin, Virgine Allflatt (Cinémathèque suisse), José Manuel Costa, João Antunes (Cinemateca Portuguesa), Bianca Fontez Eymenier, Mónica Pérez, Marta Núñez Puerto (Cinematografica Amaranto), Jérôme Duc-Maugé (Cocottesminute productions), Charles Cohen, Liz Mackiewicz, Tim Lanza (Cohen Media Group), Marina Girard-Muttelet (Crossing) Jędrzej Sabliński (Di Factory), Claire Perrin, Léna Force (Diaphana), Mitra Farahani (Ecran Noir Productions), Margaret Bodde, Kristen Merola (Film Foundation), Sophie Seydoux (Fondation Jérôme Seydoux-Pathé), Gian Luca Farinelli, Cecilia Cenciarelli, Carmen Accaputo, Davide Pozzi, Elena Tammaccaro (Fondazione Cineteca di Bologna - L’Immagine Ritrovata), Fabien Gaffez, Chantal Gabriel, Javier Martin (Forum des Images), Nicolas Seydoux, Ariane Toscan du Plantier, André Labbouz, Olivia Colbeau-Justin, Louise Paraut, Yvonne Varry (Gaumont), Manuela Padoan (Gaumont-Pathé Archives), Laurent Aléonard (Héliotrope Films), Frank Rousseau (HFPA), György Ráduly, Tamara Nagy (Hungarian National Film Archive), Frédéric Borgia (Institut Jean Vigo), Brice Amouroux, Mileva Stupar (Institut National de l’Audiovisuel), Marie-Christine Fontaine (KL Films), Monica Moscato (Istituto Luce Cinecittà), Sungji Oh, Jinsook Joo (Korean Film Archive), Hugues Peysson (L’Atelier d’images), Manuel Chiche, Martin Charron (La Rabbia, The Jokers), Xavier Hirigoyen (Le Pacte), Jean-Fabrice Janaudy, Emmanuel Atlan (Les Acacias), Gilles Berthaut (Les Bons Clients), Sophie Clément, Noémie Livoir (Les Bookmakers), Céline Païni (Les Films d’ici), Ronald Chammah, Charlotte Bolze (Les Films du Camélia), Camille Verry, Grégory Pétrel (Les Films du Losange), Laurence Braunberger, Frédérique Ros (Les Films du Jeudi), Serge Bromberg, Maria Chiba (Lobster Films), Caroline Morand (Les Grands Films Classiques), Lionel Ithurralde, AnneLaure Brénéol, Marion Eschard (Malavida Films), Antoine Gannac (Mecanos Productions), Franck Salaün (Memento Films), Gaëtan Trigot (MK2), B G Suh (Mogadkorea), Karen Shakhnazarov, Elena Orel, Olga Karavaeva (Mosfilm), Claire Lester, Cai Mason (Netflix), Boris Duchesnay, Audrey Verrecchia (OCS), Valérie Derrien (Paradis Films), Jack Bell (Park Circus), Tessa Pontaud, Nicolas Le Gall (Pathé), Agnieszka Kazubek (Polish Film Institute), Miliani Benzerfa (Potemkine Films), Pascale Cuénot (Prelight Films), Stéphane André (Rezolution Culturelle), Catherine Canton (Rosebud Productions), Émilie Djiane (Rouge Distribution), Rastislav Steranka (Slovak Film Institute), Tristan Frontier (SND), Charlotte Roule, Guillaume Mannevy (Solaris Distribution), Serge Fendrikoff, Louise Kerouanton (Splendor Films), Yann Le Prado, Sophie Boyer (Studiocanal), Sébastien Tiveyrat (Swashbuckler Films), Kajsa Hedström, Lova Hagerfors, Johan Ericsson (Swedish Film Institute), Philippe Chevassu, Camille Calgano (Tamasa Distribution), Olivier Pierre, Gilles Sebbah, Céline Charrenton (TF1 Studio), Vincent Dupré (Théâtre du Temple), Van Papadopoulos (Unzero Films), Olivier Snanoudj, Clara Pineau (Warner Bros.), Julia et Clara Kuperberg (Wichita Films), Thomas Legal (Wild Bunch), Vincent Maraval, Lisa Fontaine, Giordano Guillem (Wild Side)

Les entreprises / Jean Lemierre, Jean-Laurent Bonnafé, Marguerite Bérard, Antoine Sire, Bertrand Cizeau, Agnès Tran Pommel, Alia Ouabdesselam, Vincent Thiéry et Anaelle Ogier-Guisthau (BNP Paribas), Stéphane Richard, David Kessler, Serge Laroye, Sébastien Goalès, Edwige Henry, Guillaume Jouhet, Boris Duchesnay, Ambre Pollet Lavisse, Valérie Thérond, Vincent Parisot et Thomas Trayssac (OCS – Orange), Jean-Marc Brun, Arnaud Brun, Jérôme Rieux, Philippe Guichard, Eve-Marie Cornaz, Benjamin Peyrache et Margaux Chanceaulme (Groupe Adéquat), Guy Benhamou et Manon Trioreau (Casino Le Pharaon Groupe Partouche), Emmanuel Gasnot, Sophie Lajouanie, Gaëlle Le Potier, François Decorps, Danièle Berne, Cathy Girard, Jean-Marc Girard, Régis Raberin, Jean-Yves Trapenat (Dessange), les membres de la Hollywood Foreign Press Association (HFPA), Jean-Michel Aulas, Olivier Blanc, Christophe Marchadier et Séverine Gontel (Olympique Lyonnais), Caroline Scheufele, Céline Wackie-Eysten et Muriel Gréhan (Chopard), Alain Mérieux, Alexandre Mérieux, Michel Baguenault, Jean-Luc Bélingard, Pascale Merle et Laëtitia de Freitas (bioMérieux), Jean-Bernard Lévy, Marc Benayoun, Julien Villeret, Jacques Longuet, Christian Missirian, Agnès Chappelet et Pascale Savey (EDF), Olivier Ginon, Olivier Teste, Nathalie Devillers, Emmanuelle Coratti et Sylvie Guillet (GL events), Claude Hugot, Clémence Rouzaud et Aurélie Jegou (Renault), Mathieu Fleisch, Corinne Ritzenthaler et Irène Grousson-Denis (Air France), Jérôme Aguesse et Pascale Ceccaldi (Dalkia), Louis Pelaez et Marie-Hélène Genthon (LPA), Roland Tchenio (TT Investissements), Marion Mary, Frédéric Bessard, Sophie Fulchiron et Julia Caneva (Serge Magner Événements), Philippe Pélisson et Sophie Adagio (Grand Café des Négociants), Pierre Coursières, Aude Criqui, Julien Antoine, Fabrice Baumann et Juliette Petit (Decitre), Jean-Paul Capitani, Anne-Sylvie Bameule et Alzira Martins (Actes Sud), Patrick de Montlivault (Ateliers Guedj), Laurent Aboab et Thierry Lajous (Imprimerie Rey), Laurence Pipitone (Live Up), Nathalie Fayette et Brigitte Millara Tisserant (Mark & Law), Fanny Yanikian et Aubry Minotti (Cibiscus). Un merci particulier à Patrice Riboud. Le festival Lumière tient à remercier chaleureusement les partenaires fondateurs qui ont choisi chaque année depuis 2009 d’accompagner et de soutenir le festival : BNP Paribas, DESSANGE, Air France, EDF, bioMérieux, TCL Sytral, JC Decaux, SACD, SACEM, Actes Sud, Decitre, Serge Magner Evénements, Live Up, Cinématériel, Ateliers Guedj, Pur Objet, AccorHotels, Goliath, Imprimerie Rey, Restaurant Le Passage, Kleslo, Novius, Cabinet Ratheaux.

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Les bénévoles / Zora Abdelbost, Roshna Qadir Abdullah, Rémi Abeillé, Wassim Al Dabagh, Patricia Allard, Julien Amador, Catherine Ambroise, François

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Amice, Serge Amoroso, Sabrina Amri, Denis André, Guillaume André, Nicolas Anthoine-Milhomme, Julien Antoine, Simon Antoinet, Michel Aracil, Gilles Argourd, Ece Arikan, Clara Astier, Florence Aubergier, Baptiste Audouin, Philip Audubert, Élodie Baillet, Yvette Bailly, Soyeong Bak, Catherine Barbedette, Virginie Barbet, Yasmina Bareche, Thierry Barnaud, Robert Barnouin, Monique Barnouin-Serrano, Julie Barret, Viviane Barthomeuf, Véronique Batut, Sylvester Bayle, Charlotte Bayle, Marie Bazan, Pascal Bègue, Christophe Béguine, Makhlouf Belhamel, Corinne Bellemin, Heidie Bellet, Imen Ben Nticha, Aya Benarfa, Donya Benboubdallah, Claire Bencherif, Christian Benjamin, Géraldine Benoliel-Azoulay, Brigitte Bensoussan, Adrien Brisebrat, Catherine Beraud, Céline Beraud, Véronique Berger, Edith Bergeroux, Lucie Bermejo, Chloé Bernadon, Émilie Bernard, Séverine Bernard-Barret, Sandy Bernini, Aneth Bernolin, Lucie Beron, Fernand René Beron, Lionel Berreur, Olivier Bertrand, Scarlett Bertrand, Alex Bertrand, Gregory Bery, Brigitte Bessing, Yves Besson, Clémentine Beth, Hélène Biez-Namêche, Pascal Billard, Raphaëlle Billon-Keravec, Jean-Claude Blanc, Eve Blay, Célia Bles-Gagnaire, Alejandro Bolanos, Pascal Bondu, Eva Bonna, Françoise Bonnassieux, Jehan Bontemps, Jeannine Borde, Charles Bouanich, Anne Boucharlat, Alexandra Boucher, Feriel Boughatene, Juliette Boulard, Christine Boullanger, Alain Bourdel, Ludivine Bourdel, Ginette Bourgin, Sandrine Bousquet, Antoine Boussant, Stéphanie Bouzon, Marie-Pierre Brachet, Irène Bray, Catherine Brelin-Delorme, Gérard Bressand, Nicole Bressand, Élise Briand, Emmanuel Broca, François Brondel, Loic Brotons, Alexandra Bru, Claude Brugère, Emma Brun, Chantal Brun, Marie Brunel, Corinne Brunet-Bondu, Éric Bruzaud, Léa Burfin, Nadine Burgholzer, Capucine Buri, Lucrezia Bussacchini, Louise Cachat, Yvan Caillot, Joelle Calvayrac, Audrey Calvet, Sylvie Canalis, Kyliann Candat, Patricia Candella, Roland Cannas, Cécile Canot, Natalie Carre, Stephanya Casanova Marroquin, Élodie Cattin, Émilie Cazneuve, Corentin Chabot-Agnesina, Clémentine Chalancon, Sophie Chalard, Christophe Chalu, Didier Chamonaz, Clémence Chan Tat Saw, Aurélia Chanal, Laurine Chanel, Brigitte Chapiro, Julia Chapot, Joel Chapot, Marc-André Charbonnier, Mathias Charles, Anne-Marie Charmetant, Christine Charrel, Annie Charreton, Christine Charreyron, Catherine Charvin, Annie Chassagneux, Slim Chatti, Stavroula Chatzi, Robert Chavand, Charlotte Chaverot, Marisol Chavez, Monique Chenaille, Cécile Chérel, Gisèle Cherrier, Martine Chevalier, Antoine Chevasson, Sarah Chevrot, Lisa Chiaverina, Seunghui Choi, Julien Chrysostome, Amaya Cía Molina, Serge Ciampi, Emelyne Ciszewski, Laurence Clapisson, Suzanne Clémencon, Nicole Clément, Céline Clément, Thomas Clermidy, Zoé Cloarec, Allyriane Cochet, Lucile Collette, Mireille Colonge, Josiane Combaz, Alexandra Combes, Genevieve Coper, Alex Copin, Josée Cordier, Gilles Cordonin, Vincent Coudroy De Lille, Brigitte Courville, Martine Couttelin, Marion Couturier, Evelyne Couzon, Lara Covino, Emma Covino, Alain Cozic, Romane Crané, Roland Crastes, Corinne Crebier, Giulia Cristoforetti, Chantal Crouzet, Sarha Curchod, Donato Cursio, Flavia D’Aiello, Raphael Da Silva, Catherine Dargere, Laurence David, Ornella De Mollerat Du Jeu, Cicero Louis De Pontes Vasconcelos, Alice de Reviers de Mauny, Arthur Debilly, Colette Dedouche, Edwige Defosse, Aurore Deghaye, Julie Deharbe, Alexandra Déjà, Rébecca Delétang-Payssan, Louise Deleuil, Muriel Deloche, Liliane Delorme, Marc Delpeuch, Eva Delpierre, Corentin Depalle, Laure Depierre, Aymerick Derocles, Benjamin Desmullier, Coline Desportes, Anne-Sixtine Desquaires, Anna Desvilles, Justine Devers, Arnaud Dhimoïla, Boubacar Diallo, Alain Didierlaurent, Mark Dinguirard, Pascale Dittmar, Scherazade Djouad, Marie-Christine Doceul, Chirine Docquin, Marie-Noëlle Doerflinger, Françoise Doline, Bahia Dominguez, Jacqueline Dossou, Isabelle Dot, Vincenzo Drago, Olivier Drouet, Jacqueline Duan, Séverine Duband, Mireille Dubief, Catherine Dubiez, Marie Dubost, Marie Dubreuil, Sacha Dubreuil, Annie-Claire Duc, Valérie Duchene, Valentin Ducros, Madeleine Dulac, Axel Dumaine, Mathieu Dumas, Anne Dumas, Jeanne Dumas, Florence Dumollard, Louisa Dumont, Sylvie Dumont, Dominique Dumoulin-Mignotte, Florence Dupuit, Mathilde Duquesne, Margot

Durand, Odile Durillon, Mireille Duvernay, Liliane Duvernet, Clara Dworczak, Yvette Elie, Caroline Epinat, Jean-Michel Ermide, Zoé Escude, Sara Espinosa, Nicole Esterle, Manon Eydieu, Alex Eymieu, Marceau Eyriey, Myriem Fahmy, Florian Faivre, Philippe Farnier, Hélèna Faryar, Stephanie Faucher, Mathilda Faure, Caroline Fayolet, Régis Féroul, Fatima Ferreiro, Olivier Ferrier Frayssac, Bertrand Féry, Lucie Fiedos, Cassandra Fiere, Mélody Figuière, Camille Figuières, Bernard Flamens, Christian Flandrin-Thoniel, Gérard Fleury, Eliane Flores, Amélie Florion, Anaïs Flower, Manon Flower, Dominique Fontanille, Roland Foray-Chavas, Marie Forest, Ludivine Forge, Jacqueline Forget, Gaëlle Fortis, Sylvie Fouillat, Lina Foukahi, Nathalie Fournier, Lisa Fournier, Guyonne Francillon, Christian Fraysse, Jules Fresard, Clara Froment, Dominique Furnion, Catherine Gabet, Dominique Gaeng, Dominique Gaido, Erwan Gaillard, Ulysse Gallardo, Bernard Ganivenc, Mathilde Gansemer, René Garassino, Caroline Maryse Garcia, Soraya Garcia Bernardo, Claire Garcia Villard, Geneviève Gardin, Joelle Gateau, Juliette Gautheret, Thomas Gauthier, Françoise Gauthier, Fréderic Gauthiez, Françoise Gauthiez, Anne-Laure Gavoille, Nathalie Gazzola, Christine Géhin, Laura Geisler, Nora Genaudet, Marie-France Genevois, Christiane Genevois, Michèle Geoffroy, Martine Geoffroy-Cougouille, Anna Gerard, Lou Germain, Sarah Getahun, Félix Gilbert, Monica Giordanelli, Magdeleine Girard, Gilles Girardier, Sybel Glories, Caroline Goffard, Claudia Gonnet, François Gonsard, Michèle Gotard, Clara Gougeon, Emeline Gouillard, Yves Grambert, Christian Grand, Philippe Grandjean, Pascal Grellet, Célia Gremillet, William Gruss, Françoise Guelle, Daniele Guennec, Marie Guérin, Céline Guerois, Patricia Guichard, Lola Guigal, Lea Guigou, François Guigue, Christine Guilhermet, Pascale Guillen, René Guillermet, Anne Guillet, Rosalinda Guillot, Alice Guillot, Marie Guillot Farneti, Cora Guithon, Alper Gulpinar, Loïck Gutierrez, Annabelle Guyot, Gilles Haitayan, Malika Hamiche, Yanis Hedjan, Corentine Herjean, Sophie Heurard, Jacqueline Hornus, Julien Hucault, Mélanie Huchon, Anita Husser, Christine Huzard, Raymond Hybertie, Pierre Hyvernat, Amaya Ibarguren Esnal, Joaquin Ibarra, Elisabeth Immele, Corinne Isaac, Alexis Isaac, Dominique Itri, Mélodie Jacob, Alexandre Jacques, Michel Jagorel, Fabienne Janet, Marie-Claude Janin-Colombel, Anna-Capucine Jarry, Walid Jebabli, Nathalie Jeunet, Thierry Joachim, Monique Joannon, Arnaud Joly, Thomas Joudrier, Joel Jourdan, Marie Jo Jourdan, Louis Joutard, Patricia Jouvet, Sandra Julien, Euiyop Louis Jung, Hind Kahoua, Taekyong Kim-Prechonnet, Marianne Kleck Lefort, Emmanuelle Koch, Stéphane Kohn, Michèle Krust, Kinga Krzeminski, Catherine Labaune, Youcef Labbaci, Daniel Lachenal, Zoé Lacombe, Margot Lacombe, Maud Lafaye, Violaine Lafaye, Karine Lalo, Magda Lammert, Claudie Lamy-Meyer, Jacqueline Lapierre, Audrey Larcade, Claire Laynaud, Corine Le Conte, Maxime Le Gall, Benoit Le Mouellic, Marie Le Roy, Gaïd Le Tual, Julie Lecat, Babeth Lechleiter, Nicole Lecogne, Philippe Lefevre, Alexandra Leocadie, Geoffray Lepage, Fleur Leplat, Doriane Lhoste, Suzanne Liaigre, René Michel Liblin, Julie Lican, Jacques Likibo, Christine Liponne, Xing Liu, Liz Liz Reding, Arnaud Llopis, Michel Locussol, Marie Noële Logut, Juliette Lombard, Inès Lombardo, Stella Longo, Marian Lopez, Patricia Lorenzetti, Martine Luce, Ana Lyra, Thomas Mabire, Brigitte Magnat, Sophie Mahdavi, Luc Maillot, Sarah Maillot, Ani Malakian, Sylvie Malaval, Laura Maldonado, Yohann Malka, Romain Maltagliati, Yves Manginot, Rosmit Mantilla, Jonathan Marc-Le Ster, Margot Marchal, Hélène Marchand, Gilles Marcillat, Jacqueline Marhem, Claude Marie, Dolores Marimon, Nadine Marion, Sébastien Marius-Butali, Itzia Márquez Rivas, Camille Martel, Cécile Martin, Hippolyte Martin, Claire Martin-Garrigue, Elise Mas, Jean-Manuel Mas, Julien Mathys, Carole Mattera, Éric Mattera, Janine Maupas, Louise Maurer, Paule Maurier, Marina Meister, Namia Mekika, Hajer Mekni Vidal, Anaëlle Mequies, Anissa Merdji, Stephanie Mesa Peralta, Lisa Michallat, Monique Michaud, Yves Michaud, Mathilde Michel, Carole Michel, Vincent Micheland, Joël Michelas, Xavier Mielle, Marie-Odile Mignot Guenin, Clémentine Mimault, Laura Molette, Camille Monnier, Jean-Loup Montpied, Marie-Eve Morente, Camille Morin, Lucile Mosca, Joss Motret, Laetitia Mouchnino, Jullie Moulin, Nicole Mounier, Guillaume Mourier, Marthe Irène Moussu, Claire Movsessian, Pascale Murat, Tamara Muret, Fabienne Nemoz, Aurelita Neres Nogueira, Gisèle Néron, Alain Néron, Gilles Neyret, Mélanie Nguyen, Sylvie Nguyen, Claire Nguyen, Sarah Nin, Laurence Noblet-Cesar, Norah Norca, Pascal Nordé, Georgette Nouvel, Sopheap Nuth, Annick Oehler, Emiko Ogaki, Marion Ohanian, Vania Olivede L’Aute, Clara Ollier, Simone Orsat, Marie-Jo Pages, Michela Pambianco, Nicole Papillon, Célia Parigot, Brune Paris de Bollardiere, Émilie Parra, Sonia Pascal, Maëlle Pasquet, Thierry Pasquier, Charlotte Pasquier, Annie Passini, Pierre-Yves Pavoine, Delphine Pécheux, Grégory Penduccio, Joséphine Perez, Patricia Pernot Sautetner, Alain Perraud, Denise Perraud, Audrey Perronier, Valentina Pesce, Sylvie Peter, Bastien Peyrachon, Léa Peyron, Camille Peyssonneaux, Alba Piarulli, Dominique Pidoux Thuilier, Catherine Pierron, Manon Pilia, Elisabeth Pirot, Colette Pitici, Margot Plesse, Laura Ploquin, Florence Poinçot, Jacky Poirier, Jacques Poisse, Valérie Ponsot, Florence Popowycz, Astra Porelli, Rachel Potts, Sébastien Poulard, Bernard Poulet, Chantal Poulet, Laure Poullain, Amaryllis Premillieu, Thibaut Prenat, Eléonore Pretet, Leslie Price, Sandrine Prot, Alicja Prusaczyk, Camille Pugieu, Bernard Pulcini, Ana Quintairos, Mathilde Rabatel, Alan Rabeyrin, Louna Radakovitch, Kimberley Rahimy, Thomas Raimbault, Hugo Rajon, Denis Raquin, Catherine Recchia, Annie Rejony, Léa Renaudin, Isabelle Resta, Frédérique Revel, François Revel, Jean-Serge Ribera, Adrien Ribera, Lucy Rice, Joel Rigot, Émilie Rimbot, Michel Rinaldi, Annie Rivier, Joëlle Robbe, Lucille Rochat, Sophie Rocher, Clara Rockenstrocly, Victor Rohu, Dominique Roig, Jean-Yves Rolland, Emmanuelle Rollet-Block, MarieBlanche Ronchi, Daphne Ronfard, Jean Pierre Roos, Yoann Rossary, Patrick Rougier, Olga Roujylo, Odile Rousseau, Fanny Rousselot-Viallet, Lauriane Rouvillain, Alain Roy, Raul Rubio, Sawarat Ruchithamkul, Manon Ruffel, Nabil Sahli, Laure Saïdi, Véronique Sanchez, Sarah-Cheyenne Santoni, MariaValmé Saunier, Jean-François Sautreau, Marianne Sauvanet, Anaïs Schall, Raphaelle Schicker, Martin Schneider, Cyril Schultz, Sophie Sé, Matthieu Seddoh, Eric Seive, Marie Sempe, Romain Senesi, Delphine Serret, Chantal Seuret, Tristan Sevenier, Pascal Siméon, Johann Simon, Marine Sirigu, Martine Sirot, Marianna Sobkiewicz, Christelle Sohier, Heunju Song, Danièle Soubeyrand, Sylvie Soulier, Philippe Spahis, Sopheak Srel, Gauthier Stoeber, Charlotte Stupenengo, Murielle Suchecki, François Suchel, Bastien Sungauer, Mathilde Surre, Aurélien Taquet, Nicole Terenzio, Philippe Tessieux, Estelle Tetteh, Michel Marc Teyssier, Michèle Thé, Brigitte Therssen, Alain Thimonier, Annie Thomas, Sylviane Thomasson, Sylvie Toncourt, Clémence Toquet, Françoise Touzot, Catherine Tranchard, Moussa Traore, Armelle Trévin, Isabelle Tronel, Monique Tual, Gérard Vache, Gérard Vacher, Francesca Valente, Jean-Jacques Valot, Hélène Vandenbroucke, Valérie Vanier, Marie-José Varesio, Alexandre Vasseur, Sophie Veber, Serge Venet, Johanna Vergnaud, Genevieve Vernier, Luce Verot, Geneviève Vescovi, Walter Vescovi, Salomé Vieira, Robert Vignal, André Vilboux, Joelle Vilboux, Elisa Villard, Lisa Villard, Serge Villedieu, Christine Vindry, Pascale Voldoire, Stéphanie Volodimer, Laurent Walter, Marie Watrigant, Émilie Watrin, Charline Weber, Nancy Wilson, Estelle Wolniewicz, Amaranta Zermeno, Michèle Zobel, Jean-Claude Zobel, Laurence Zoll, Yvette Zylberblat, Marc Zylberblat Les associations d’insertion, qui se sont associées au festival pour faire vivre cet événement pour et avec tous : Alain Guillet, Elisabeth Alves et Viorica Nicolaev pour l’IFRA, Marc Renart et Margaux Cormoreche pour Devenirs Matter, Monsieur Antonelli, Salwa Teyeb et Gwenaëlle Lupy pour l’EPIDE, Marion Huissoud Gachet et Valérie Cadiou pour Passerelles Buissonnières, Jean-François Ploquin, Chloé Monin et Rémi Rovidati pour Forum Réfugiés, Sandrine Plantier et Georgette Fondjo pour le Clubhouse de Lyon, Jean-Paul Bastide pour Singa, et enfin Vincent Belley et Myriam Albet pour la MLPE. Ainsi que tous ceux qui nous ont rejoints à la dernière minute…

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Pour la programmation / Houriat Harkat, Guillaume Cidère, Nathalie Lémelin (20th Century Fox), Alexandra Henochsberg, Emmelie Grée, Lucie Daniel

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3 Billboards : Les Panneaux de la vengeance (Three Billboards Outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh) – 115 5 Fingers (L’Affaire Cicéron, Joseph L. Mankiewicz) – 187 A Free Soul (Âmes libres, Clarence Brown) – 57 A Short Love Affair (Woomuk-Baemi ui sarang, Jang Sun-woo) – 135 Adventurer, The (Charlot s’évade, Charlie Chaplin) – 219 Affaire Cicéron, L’ (5 Fingers, Joseph L. Mankiewicz) – 187 Almost Famous (Presque célèbre, Cameron Crowe) – 111 Amants de Vérone, Les (André Cayatte) – 43 Âme des guerriers, L’ (Once Were Warriors, Lee Tamahori) – 192 Âmes libres (A Free Soul, Clarence Brown) – 57 Amores perros (Amours chiennes, Alejandro G. Iñárritu) – 157 Amour de Jeanne Ney, L’ (Die Liebe der Jeanne Ney, Georg W. Pabst) – 171 Amours chiennes (Amores perros, Alejandro G. Iñárritu) – 157 Ange blanc, L’ (Night Nurse, William A. Wellman) – 57 Apocalypse Now Final Cut (Francis Ford Coppola) – 23 As Armas e o povo (Les Fusils et le Peuple, Collectif des Travailleurs du Secteur Cinématographique) – 201 Assassin du Tsar, L’ (Tsareubiytsa, Karen Shakhnazarov) – 202 Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (Alain Chabat) – 89 Aux cœurs des ténèbres : l’apocalypse d’un metteur en scène (Hearts of Darkness: A Filmmaker’s Apocalypse, Eleanor Coppola, Fax Bahr, George Hickenlooper) – 37 Avant le déluge (André Cayatte) – 47 Az ötödik pecsét (Le Cinquième sceau, Zoltán Fábri) – 197 Baby Face (Alfred E. Green) – 64 Balanta (Le Chêne, Lucian Pintilie) – 192 Barking Dog (Flandersui gae, Bong Joon-ho) – 125 Bateau, Le (Das Boot, Wolfgang Petersen) – 214 Beauté des choses, La (Lust och fägring stor, Bo Widerberg) – 204 Belle de Saïgon, La (Red Dust, Victor Fleming) – 61 Belle époque, La (Nicolas Bedos) – 123 Bilan trimestriel (Bilans kwartalny, Krzysztof Zanussi) – 198 Bilans kwartalny (Bilan trimestriel, Krzysztof Zanussi) – 198 Blonde Crazy (Roy Del Ruth) – 58 Boot, Das (Le Bateau, Wolfgang Petersen) – 214 Bram Stoker’s Dracula (Dracula, Francis Ford Coppola) – 31 Bridge on the River Kwai, The (Le Pont de la rivière Kwaï, David Lean) – 209 Broken Butterfly, The (Le Papillon meurtri, Maurice Tourneur) – 169 Buongiorno, notte (Marco Bellocchio) – 145 Caché (Michael Haneke) – 120 Carné-Prévert : drôle de duo (Nicolas Billon, Nicolas Chopin-Despres) – 224 Carnets de voyage (Diarios de motocicleta, Walter Salles) – 157 Cartouche (Philippe de Broca) – 179 Casanova de Fellini, Le (Il Casanova di Federico Fellini, Federico Fellini) – 139 Casanova di Federico Fellini, Il (Le Casanova de Fellini, Federico Fellini) – 139 Charlot chef de rayon (The Floorwalker, Charlie Chaplin) – 219 Charlot s’évade (The Adventurer, Charlie Chaplin) – 219 Chasse à l’homme, La (Édouard Molinaro) – 180 Che gioia vivere (Quelle joie de vivre, René Clément) – 189 Chêne, Le (Balanta, Lucian Pintilie) – 192 Chevauchée fantastique, La (Stagecoach, John Ford) – 78 Chicuarotes (Gael García Bernal) – 161 Chungyo (La Femme insecte, Kim Ki-young) – 133 Cinquième sceau, Le (Az ötödik pecsét, Zoltán Fábri) – 197 Citizen Kane (Orson Welles) – 75 Collines de Marlick, Les (Tappeh-haye Marlick, Ebrahim Golestan) – 198 Conversation secrète (The Conversation, Francis Ford Coppola) – 22 Conversation, The (Conversation secrète, Francis Ford Coppola) – 22 Cotton Club (The Cotton Club, Francis Ford Coppola) – 29 Cotton Club, The (Cotton Club, Francis Ford Coppola) – 29 Coup de cœur (One from the Heart, Francis Ford Coppola) – 25 Dawn of the Dead (Zombie, George A. Romero) – 102 Day of the Dead (Le Jour des morts-vivants, George A. Romero) – 104 Dementia 13 (Francis Ford Coppola) – 17 Dernier Sou, Le (André Cayatte) – 42 Des gens comme les autres (Ordinary People, Robert Redford) – 140 Diable souffle, Le (Edmond T. Gréville) – 176 Diarios de motocicleta (Carnets de voyage, Walter Salles) – 157 Don’t Look Now (Ne vous retournez pas, Nicolas Roeg) – 139

Dossier noir, Le (André Cayatte) – 49 Dracula (Bram Stoker’s Dracula, Francis Ford Coppola) – 31 Drôle de drame (Marcel Carné) – 175 Échappée belle, L’ (The Leisure Seeker, Paolo Virzí) – 140 Elles deux (Ök ketten, Márta Mészáros) – 155 Émigrant, L’ (The Immigrant, Charlie Chaplin) – 219 Employees’ Entrance (Roy Del Ruth) – 63 Enfer d’Henri-Georges Clouzot, L’ (Serge Bromberg, Ruxandra Medrea) – 91 Ennemi japonais à Hollywood, L’ (Julia et Clara Kuperberg) – 224 F.T.A. (Francine Parker) – 143 Fargo (Joel et Ethan Coen) – 111 Fausse Maîtresse, La (André Cayatte) – 41 Female (Michael Curtiz) – 64 Femme aux cheveux rouges, La (Red-Headed Woman, Jack Conway) – 59 Femme insecte, La (Chungyo, Kim Ki-young) – 133 Femme qui pleure, La (Jacques Doillon) – 94 Femme qui poursuit le papillon mortel, La (Salinnabileul ggotneun yeoja, Kim Ki-young) – 133 Fête espagnole, La (Germaine Dulac) – 166 Fille du puisatier, La (Daniel Auteuil) – 116 Fille sur le pont, La (Patrice Leconte) – 120 Film d’amore e d’anarchia, ovvero ‘stamattina alle 10 in via dei Fiori nella nota casa di tolleranza...’ (Film d’amour et d’anarchie, Lina Wertmüller) – 69 Film d’amour et d’anarchie (Film d’amore e d’anarchia, ovvero ‘stamattina alle 10 in via dei Fiori nella nota casa di tolleranza...’, Lina Wertmüller) – 69 Finian’s Rainbow (La Vallée du bonheur, Francis Ford Coppola) – 17 First Year, The (Giboulées conjugales, Frank Borzage) – 171 Flandersui gae (Barking Dog, Bong Joon-ho) – 125 Fleurs de Shanghai, Les (Hai shang hua, Hou Hsiao-Hsien) – 108 Floorwalker, The (Charlot chef de rayon, Charlie Chaplin) – 219 Fusils et le Peuple, Les (As Armas e o povo, Collectif des Travailleurs du Secteur Cinématographique) – 201 Gardens of Stone (Jardins de pierre, Francis Ford Coppola) – 30 Gens de la pluie, Les (The Rain People, Francis Ford Coppola) – 18 Gens d’un bidonville, Les (Ggobangdongne saramdeul, Bae Chang-ho) – 134 Ggobangdongne saramdeul (Les Gens d’un bidonville, Bae Chang-ho) – 134 Giboulées conjugales (The First Year, Frank Borzage) – 171 Gisaengchung (Parasite, Bong Joon-ho) – 130 Godfather, The (Le Parrain, Francis Ford Coppola) – 21 Godfather: Part II, The (Le Parrain, 2e partie, Francis Ford Coppola) – 21 Godfather: Part III, The (Le Parrain, 3e partie, Francis Ford Coppola) – 21 Grande évasion, La (The Great Escape, John Sturges) – 209 Grauzone (Zone grise, Fredi M. Murer) – 205 Great Escape, The (La Grande évasion, John Sturges) – 209 Gwoemul (The Host, Bong Joon-ho) – 126 Hai shang hua (Les Fleurs de Shanghai, Hou Hsiao-Hsien) – 108 Hearts of Darkness: A Filmmaker’s Apocalypse (Aux cœurs des ténèbres : l’apocalypse d’un metteur en scène Eleanor Coppola, Fax Bahr, George Hickenlooper) – 37 Homme qui voulut être roi, L’ (The Man Who Would Be King, John Huston) – 214 Homme sans âge, L’ (Youth Without Youth, Francis Ford Coppola) – 33 Host, The (Gwoemul, Bong Joon-ho) – 126 Huitième Jour, Le (Jaco Van Dormael) – 119 Immigrant, The (L’Émigrant, Charlie Chaplin) – 219 Incinérateur de cadavres, L’ (Spalovač mrtvol, Juraj Herz) – 190 Ingenjör Andrées luftfärd (Le Vol de L’Aigle, Jan Troell) – 204 Irishman, The (Martin Scorsese) – 85 Irrésistible Gary Cooper (Julia et Clara Kuperberg) – 224 Irréversible - Inversion intégrale (Gaspar Noé) – 105 Irréversible (Gaspar Noé) – 105 Jardins de pierre (Gardens of Stone, Francis Ford Coppola) – 30 Je ne sais pas si c’est tout le monde (Vincent Delerm) – 93 Jewel Robbery (William Dieterle) – 61 John Wayne, l’Amérique à tout prix (Jean-Baptiste Pérétié) – 224 Jour des morts-vivants, Le (Day of the Dead, George A. Romero) – 104 Justice est faite (André Cayatte) – 45 Khaneh siah ast (La Maison est noire, Forough Farrokhzad) – 197 Klute (Alan J. Pakula) – 136 Ľalie poľné (Les Lys des champs, Elo Havetta) – 202

Leisure Seeker, The (L’Échappée belle, Paolo Virzí) – 140 Lettre à Freddy Buache (Jean-Luc Godard) – 101 Letyat jouravli (Quand passent les cigognes, Mikhaïl Kalatozov) – 189 Léviathan (Léonard Keigel) – 179 Liberté, la nuit (Philippe Garrel) – 183 Liebe der Jeanne Ney, Die (L’Amour de Jeanne Ney, Georg W. Pabst) – 171 Lit conjugal, Le (Una storia moderna - L’Ape Regina, Marco Ferreri) – 150 Long Goodbye, The (Le Privé, Robert Altman) – 98 Lust och fägring stor (La Beauté des choses, Bo Widerberg) – 204 Lux Æterna (Gaspar Noé) – 107 Lys des champs, Les (Ľalie poľné, Elo Havetta) – 202 M - Eine Stadt sucht einen Mörder (M le maudit, Fritz Lang) – 75 M le maudit (M - Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang) – 75 M*A*S*H (M.A.S.H., Robert Altman) – 136 M.A.S.H. (M*A*S*H, Robert Altman) – 136 Ma saison préférée (André Téchiné) – 119 Madeo (Mother, Bong Joon-ho) – 127 Magicien d’Oz, Le (The Wizard of Oz, Victor Fleming) – 220 Maison est noire, La (Khaneh siah ast, Forough Farrokhzad) – 197 Mala educación, La (La Mauvaise éducation, Pedro Almodóvar) – 158 Man Who Would Be King, The (L’Homme qui voulut être roi, John Huston) – 214 Mauvaise éducation, La (La mala educación, Pedro Almodóvar) – 158 Memories of Murder (Salinui chueok, Bong Joon-ho) – 125 Memories, retour sur les lieux des crimes (Jesus Castro-Ortega) – 132 Mimi métallo blessé dans son honneur (Mimì metallurgico ferito nell’onore, Lina Wertmüller) – 69 Mimì metallurgico ferito nell’onore (Mimi métallo blessé dans son honneur, Lina Wertmüller) – 69 Mind Reader, The (Roy Del Ruth) – 63 Miracle à Milan (Miracolo a Milano, Vittorio De Sica) – 186 Miracolo a Milano (Miracle à Milan, Vittorio De Sica) – 186 Miroir à deux faces, Le (André Cayatte) – 50 Mississippi Burning (Alan Parker) – 216 Monde animé de Grimault, Le (Paul Grimault) – 221 Moonrise (Frank Borzage) – 185 Mother (Madeo, Bong Joon-ho) – 127 Mourir d’aimer (André Cayatte) – 54 Mystère von Bülow, Le (Reversal of Fortune, Barbet Schroeder) – 190 Ne vous retournez pas (Don’t Look Now, Nicolas Roeg) – 139 Neoege narul bonaenda (To You, from Me, Jang Sun-woo) – 135 Night Nurse (L’Ange blanc, William A. Wellman) – 57 Night of the Hunter, The (La Nuit du chasseur, Charles Laughton) – 81 Night of the Living Dead (La Nuit des morts-vivants, George A. Romero) – 102 No (Pablo Larraín) – 161 Nous sommes tous des assassins (André Cayatte) – 46 Nuit des morts-vivants, La (Night of the Living Dead, George A. Romero) – 102 Nuit du chasseur, La (The Night of the Hunter, Charles Laughton) – 81 Œil pour œil (André Cayatte) – 49 Ök ketten (Elles deux, Márta Mészáros) – 155 Okja (Bong Joon-ho) – 129 Olive Kitteridge (Lisa Cholodenko) – 112 Once Were Warriors (L’Âme des guerriers, Lee Tamahori) – 192 One from the Heart (Coup de cœur, Francis Ford Coppola) – 25 Ordinary People (Des gens comme les autres, Robert Redford) – 140 Outsiders: The Complete Novel, The (Francis Ford Coppola) – 25 Pandora (Pandora and the Flying Dutchman, Albert Lewin) – 185 Pandora and the Flying Dutchman (Pandora, Albert Lewin) – 185 Paper screen : Du roman à l’écran (Pascale Cuénot, Léo Boudet) – 226 Papillon (Franklin J. Schaffner) – 213 Papillon meurtri, Le (The Broken Butterfly, Maurice Tourneur) – 169 Parasite (Gisaengchung, Bong Joon-ho) – 130 Paris Can Wait (Eleanor Coppola) – 37 Parrain, Le (The Godfather, Francis Ford Coppola) – 21 Parrain, 2e partie, Le (The Godfather: Part II, Francis Ford Coppola) – 21 Parrain, 3e partie, Le (The Godfather: Part III, Francis Ford Coppola) – 21 Pasqualino (Pasqualino Settebellezze, Lina Wertmüller) – 71 Pasqualino Settebellezze (Pasqualino, Lina Wertmüller) – 71 Passage du Rhin, Le (André Cayatte) – 52 Piège pour Cendrillon (André Cayatte) – 53 Pierre et Jean (André Cayatte) – 41 Piscine, La (Jacques Deray) – 210 Plaisir, Le (Max Ophuls) – 80 Pleins feux sur Maurice Ronet (Frédéric Sauzet) – 226 Poings dans les poches, Les (I pugni in tasca, Marco Bellocchio) – 145

Pont de la rivière Kwaï, Le (The Bridge on the River Kwai, David Lean) – 209 Presque célèbre (Almost Famous, Cameron Crowe) – 111 Princes, Les (Tony Gatlif) – 182 Privé, Le (The Long Goodbye, Robert Altman) – 98 Pugni in tasca, I (Les Poings dans les poches, Marco Bellocchio) – 145 Quand passent les cigognes (Letyat jouravli, Mikhaïl Kalatozov) – 189 Que la fête commence (Bertrand Tavernier) – 153 Quelle joie de vivre (Che gioia vivere, René Clément) – 189 Rain People, The (Les Gens de la pluie, Francis Ford Coppola) – 18 Red Dust (La Belle de Saïgon, Victor Fleming) – 61 Red-Headed Woman (La Femme aux cheveux rouges, Jack Conway) – 59 Règle du jeu, La (Jean Renoir) – 76 Retour à la vie (André Cayatte, Georges Lampin, Henri-Georges Clouzot, Jean Dréville) – 44 Reversal of Fortune (Le Mystère von Bülow, Barbet Schroeder) – 190 Risques du métier, Les (André Cayatte) – 53 Robert Mulligan et l’oiseau moqueur (Lionel Lacour) – 226 Roue, La (Abel Gance) – 165 Rue des prairies (Denys de La Patellière) – 177 Rumble Fish (Rusty James, Francis Ford Coppola) – 26 Rusty James (Rumble Fish, Francis Ford Coppola) – 26 Salinnabileul ggotneun yeoja (La Femme qui poursuit le papillon mortel, Kim Ki-young) – 133 Salinui chueok (Memories of Murder, Bong Joon-ho) – 125 Seule la Terre est éternelle (François Busnel, Adrien Soland) – 97 Silences de Johnny, Les (Pierre-William Glenn) – 226 Snowpiercer - Le Transperceneige (Snowpiercer, Bong Joon-ho) – 129 Snowpiercer (Snowpiercer - Le Transperceneige, Bong Joon-ho) – 129 Soleil et ombre (Musidora, Jacques Lasseyne) – 166 Sorry We Missed You (Ken Loach) – 86 Spalovač mrtvol (L’Incinérateur de cadavres, Juraj Herz) – 190 Stagecoach (La Chevauchée fantastique, John Ford) – 78 Syuzhet dlya nebolshogo rasskaza (Un amour de Tchekhov, Sergueï Youtkevitch) – 153 Tappeh-haye Marlick (Les Collines de Marlick, Ebrahim Golestan) – 198 Temps de vivre, Le (Bernard Paul) – 150 Temps des Nababs, Le (Florence Strauss) – 224 Tetro (Francis Ford Coppola) – 34 Three Billboards Outside Ebbing, Missouri (3 Billboards : Les Panneaux de la vengeance, Martin McDonagh) – 115 To You, from Me (Neoege narul bonaenda, Jang Sun-woo) – 135 Tôkyô monogatari (Voyage à Tokyo, Yasujirô Ozu) – 78 Toni (Jean Renoir) – 175 Tour infernale, La (The Towering Inferno, John Guillermin) – 213 Towering Inferno, The (La Tour infernale, John Guillermin) – 213 Traditore, Il (Le Traître, Marco Bellocchio) – 148 Traître, Le (Il traditore, Marco Bellocchio) – 148 Travolti da un insolito destino nell’azzurro mare d’agosto (Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été, Lina Wertmüller) – 70 Tsareubiytsa (L’Assassin du Tsar, Karen Shakhnazarov) – 202 Tucker : L’Homme et son rêve (Tucker: The Man and His Dream, Francis Ford Coppola) – 30 Tucker: The Man and His Dream (Tucker : L’Homme et son rêve, Francis Ford Coppola) – 30 Un amour de Tchekhov (Syuzhet dlya nebolshogo rasskaza, Sergueï Youtkevitch) – 153 Un cœur en hiver (Claude Sautet) – 116 Un sac de billes (Jacques Doillon) – 180 Una storia moderna - L’Ape Regina (Le Lit conjugal, Marco Ferreri) – 150 Vallée du bonheur, La (Finian’s Rainbow, Francis Ford Coppola) – 17 Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été (Travolti da un insolito destino nell’azzurro mare d’agosto, Lina Wertmüller) – 70 Vicenta (Musidora) – 166 Vincent, François, Paul et les autres... (Claude Sautet) – 90 Vincere (Marco Bellocchio) – 146 Vol de L’Aigle, Le (Ingenjör Andrées luftfärd, Jan Troell) – 204 Voyage à Tokyo (Tôkyô monogatari, Yasujirô Ozu) – 78 Wizard of Oz, The (Le Magicien d’Oz, Victor Fleming) – 220 Woomuk-Baemi ui sarang (A Short Love Affair, Jang Sun-woo) – 135 Youth Without Youth (L’Homme sans âge, Francis Ford Coppola) – 33 Yuki (Yuki, le combat des shoguns, Tadashi Imai) – 222 Yuki, le combat des shoguns (Yuki, Tadashi Imai) – 222 Zombie (Dawn of the Dead, George A. Romero) – 102 Zone grise (Grauzone, Fredi M. Murer) – 205

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Comme l’a écrit Victor Hugo, que cite souvent Bertrand Tavernier : « J’admire comme une brute ». Cette admiration circule, dans l’Histoire du cinéma, parce que les metteurs en scène, lointains ou proches, se parlent, s’inspirent, s’encouragent. Afin de célébrer les artistes et les œuvres du cinéma qui habitent nos vies, l’Institut Lumière a créé en 2009 le festival Lumière, à Lyon, à l’endroit même où le Cinématographe a été inventé par Louis et Auguste Lumière et où ils ont tourné leur premier film, Sortie d’usine, en 1895. Aujourd’hui, en 2019, l’amour du cinéma classique est plus fort que jamais et Lyon ne cesse de célébrer la mémoire des films, des salles et des spectateurs.

17,00 € ISSN : 2117-5098 Dépôt légal : octobre 2019


Responsables éditoriaux Armelle Bourdoulous et Thierry Frémaux Rédacteurs Armelle Bourdoulous, Mélody Leclerc, avec Lucien Logette Iconographe Bruno Thévenon Conception graphique et mise en page Élise Milonet Photogravure Résolution HD, Lyon Photo de couverture : © Christian Simonpietri / Getty Images Imprimé en France par Rey Agence & Imprimeur, Meyzieu Achevé d’imprimer en octobre 2019 - Tirage 4 500 exemplaires


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