À nous la Science

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DÉCEMBRE 2020 #1 HYDROPONIE ANTIMATIÈRE LAC VOSTOK MALADIE DE PARKINSON FRACTALES MOTEUR EMDRIVE FOOTBALL DÉCEMBRE 2020 Le magazine de vulgarisation scientifique pour tous les âges N° 1décembre 20207,00 €. BEL/LUX :7,00 €SUISSE: 8,50 CHF. ISSN en cours. anouslascience.fr POURQUOI LESAVONLAVETIL?D’OÙVIENT LE FOOTBALL ? À QUELLE ÉPOQUE VIVONS - NOUS ? QU’EST- CE QU’UNE BOÎTE DE PETRI ?

À nous la Science est un magazine de vulgarisation scientifique mensuel destiné aux jeunes à partir du collège, à leurs parents et à tous ceux qui s’intéressent aux sciences et techniques.

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À NOUS LA SCIENCE

Revue mensuelle de vulgarisation scientifique

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ACTIONNAIRE PRINCIPAL M B DIRECTEUR DE LA PUBLICATION M B RÉDACTEUR EN CHEF M B RÉDACTRICE F A RESPONSABLE MARKETING I I DESIGN A A, Z K, Y T, K Z
MAIRE L’antimatière au service de l’humanité Р 10 Mythes et réalité PHYSIQUE BIOLOGIE Toujours frétillant ! Р. 20 Notre improbable ancêtre SOMMAIRE CHIMIE Savonnez bien ! Р. 16 Pourquoi le savon lave-t-il ? MÉDECINE L’histoire de la maladie de Parkinson Р 24 De la « paralysie tremblante » à la thérapie cellulaire MATHÉMATIQUES L’énigme des fractales Р 4 Elles sont partout autour de nous ! MONDE VIVANT Petites boules de poils Р 30 Et nids à épidémies GÉOGRAPHIE Le lac Vostok Р 36 Plongée sous les glaces de l’Antarctique
océans disparus Р. 42 Pourquoi trouve-t-on des coquillages si loin des mers ?
Les périodes géologiques Р. 48 Mais dans quelle époque vit-on ? TECHNOLOGIE Vers l’infini et au-delà ! Р. 66 Volerons-nous un jour jusqu’aux étoiles ? ASTUCES L’hydroponie Р 54 Des légumes hors-sol ? PROUESSES D’INGÉNIEURS Des câbles au fond de l’océan Р. 74 Connecter le monde entier MICROBIOLOGIE Entre antibiotiques, bactéries génétiquement modifiées et peinture de germes Les secrets de la boîte de Petri Р. 60 SPORT Le football Р. 80 Le sport le plus populaire de la planète VIE QUOTIDIENNE Pas comme les autres Р. 86 Entrer en contact et se faire des amis SOCIÉTÉ Erreurs du passé Р. 92 Les théories dont la science ne veut plus #1 DÉCEMBRE 2020 3
PLANÈTE TERRE Les
PLANÈTE TERRE

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« Fractales » : voilà un mot rare et plein de mystères. Pourtant, les fractales sont partout autour de nous. Les arbres, les montagnes, la fumée, les plantes et même l’appareil cardiovasculaire ont une structure fractale.

Leurs applications s’étendent à des domaines tels que les algorithmes de compression d’images et l’étude des organismes vivants. Mais alors, qu’est-ce qu’une fractale ?

MATHÉMATIQUES

QU’EST-CE QU’UNE FRACTALE ?

En langage mathématique, une fractale désigne un objet autosimilaire. En d’autres termes, chaque partie de l’ensemble est une copie conforme ou quasi conforme de l’ensemble lui-même. Pour mieux comprendre, penchons-nous sur un exemple simple, le flocon de Koch :

Le flocon de Koch est une fractale géométrique. Parmi les fractales géométriques, on trouve aussi l’ensemble de Cantor , le triangle de Sierpinski , la courbe de Peano et bien d’autres. C’est d’abord à elles que s’est intéressée la théorie des fractales au XIXe siècle, car leur autosimilarité est facile à voir.

Une fractale est définie par des règles simples qu’il faut répéter un grand nombre de fois. Comme l’ordinateur convient parfaitement pour mettre en œuvre ces règles, son apparition a entraîné une véritable renaissance des fractales.

● 1 Traçons un triangle équilatéral.

● 2 Traçons maintenant un triangle équilatéral sur chacun de ses côtés.

● 3 On trace ensuite un triangle équilatéral sur chacun des côtés des petits triangles, et ainsi de suite.

Le flocon de Koch occupe une surface limitée, que l’on peut délimiter par un cercle de circonférence finie, par exemple. Malgré cela, ce flocon a un périmètre infini (!). Si l’on pose que chaque côté du triangle mesure au départ 1, alors à chaque étape la longueur des côtés est multipliée par 4/3. On peut exprimer facilement la longueur du côté à l’étape n par la formule

Les fractales sont un concept mathématique très abstrait. Mais le plus étonnant dans tout ça, c’est que la nature regorge d’objets qui partagent leur caractéristique principale : l’autosimilarité. Ce constat est à l’origine de deux grands domaines d’applications pratiques de la théorie des fractales. Premièrement, la reproduction d’objets fractals naturels à l’aide d’un modèle mathématique simplifi é. L’animation numérique a considérablement progressé dans ce domaine. Deuxièmement, l’analyse d’objets naturels pour découvrir les structures fractales qu’ils recèlent.

Les temples hindous présentent des structures fractales : elles sont semblables les unes aux autres et chaque partie ressemble au tout. La tour centrale représente le dieu Shiva, les petites tours d’aspect semblable figurent la répétition infinie des univers dans la cosmologie hindoue.

Temple de Khajurâho

Quand n tend vers l’infini, la longueur du côté tend aussi vers l’infini.
Courbe de Peano
ln =( 4 3 )n 1 #1 DÉCEMBRE 2020 5

MATHÉMATIQUES

LES FRACTALES DANS LA NATURE

Les coraux, les étoiles de mer, les oursins, le brocoli, les littoraux, les chaînes de montagnes et les flocons de neige présentent des propriétés fractales. Les arbres sont un excellent exemple de ce genre de structures. Le tronc de l’arbre donne naissance à de nombreuses branches, qui elles-mêmes donnent naissance à des branches plus petites et ainsi de suite. L’arbre possède la caractéristique principale des fractales : l’autosimilarité, c’està-dire que chaque branche est similaire à l’arbre tout entier.

L’appareil cardiovasculaire de l’homme est agencé de la même manière : les artères se divisent en petites artères (les artérioles), qui elles-mêmes se subdivisent en capillaires qui sont les vaisseaux les plus fins. Ces propriétés des vaisseaux sanguins permettent aux scientifiques d’étudier et d’expliquer divers dysfonctionnements de l’organisme.

Les littoraux sont les exemples de fractales les plus inattendus. Si l’homme peut voir la plupart des objets naturels en entier, les littoraux posent problème : de sa hauteur, l’homme ne peut observer qu’une petite parcelle de la côte.

énonce une règle concernant l’épaisseur des branches d’arbres : « Toutes les branches d’arbres, à quelque degré de leur hauteur qu’on les réunisse, sont égales à la grosseur du tronc ». Les chercheurs n’ont pas trouvé d’explication exacte à ce phénomène : certains l’attribuent au transport de l’eau dans l’écorce de l’arbre, d’autres à la nécessité de résister aux contraintes mécaniques externes.

Le lac Atatürk est un lac artificiel formé par le barrage Atatürk. C’est le troisième plus grand lac de Turquie, derrière le lac Van et le lac Tuz. Photographie prise par le cosmonaute Anatoli Ivanichine depuis la Station spatiale internationale.

LE PARADOXE DES LITTORAUX

Mesurer la longueur des côtes est une tâche particulièrement ardue. Les courbures des littoraux peuvent mesurer de quelques mètres à plusieurs milliers de kilomètres. Il est donc très di cile de déterminer une unité de mesure minimale. En e et, si l’on divise la côte en portions de 50 kilomètres et qu’on les additionne, la longueur totale sera très di érente de celle que l’on aurait obtenue avec des portions de 100 kilomètres. Ce paradoxe a été mis en évidence en 1951 par le mathématicien anglais L F R , qui avait remarqué que le Portugal estimait la longueur de sa frontière terrestre avec l’Espagne à 987 kilomètres, alors que l’Espagne donnait le chi re de 1 214 kilomètres. On a résolu le problème en définissant la longueur minimale des portions prises en compte dans la mesure. Par exemple, si la longueur de la côte est mesurée en kilomètres, les courbures de moins d’un kilomètre de long ne sont pas prises en compte dans le calcul.

Dessin tiré du journal de Léonard de Vinci
Vaisseaux
Unité = 200 km Longueur ≈ 2,400 km Unité = 100 km Longueur ≈ 2,800 km Unité = 50 km Longueur ≈ 3,400 km
 V
sanguins du cœur
Au XIVe siècle, L
LA RÈGLE DE LÉONARD DE VINCI

QUELLES SONT LES APPLICATIONS DE LA THÉORIE DES FRACTALES ?

LA COMPRESSION D’IMAGES

Un algorithme de compression d’images fractal possède un haut coe cient de compression : les dimensions de l’image sont considérablement réduites, ce qui économise la mémoire de l’ordinateur. Le coe cient de compression d’un algorithme fractal est comparable à celui du JPEG, le format de compression le plus répandu. La compression fractale consiste à détecter des motifs autosimilaires dans l’image, ce qui permet de conserver sa qualité lorsqu’on augmente ensuite ses dimensions.

Exemple de fractale stochastique en infographie

À gauche : image compressée classiquement, agrandie à 512х512 pixels

À droite : image compressée par un algorithme fractal puis agrandie à 512х512 pixels

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MATHÉMATIQUES

EN MÉDECINE EN ART

Les nuages, les arbres, les fleurs, les montagnes, la mer et de nombreux autres objets naturels représentés dans les jeux vidéo et les dessins animés sont générés à l’aide d’algorithmes fractals. Avec cette méthode, il n’est pas nécessaire de dessiner chaque détail de l’objet (une branche d’arbre, le sommet d’une montagne ou le pétale d’une fl eur) : il su t de donner les paramètres d’entrée à l’algorithme qui se charge du reste. Pour modifier le dessin, on se contente de changer les paramètres d’entrée, ce qui est relativement facile et rapide.

Le matériel médical actuel (l’IRM et la tomographie) fournit d’immenses volumes de données numériques sur les organes du patient. L’ordinateur procède à une analyse mathématique de ces données et détecte les structures fractales. Par exemple, les tumeurs cancéreuses et les emphysèmes présentent une structure plus complexe que les zones saines. Le principe d’autosimilarité des fractales permet de détecter des anomalies à des stades très précoces de manière automatique, sans intervention du médecin.

Emphysème

Modèle d’analyse fractale dans le diagnostic du cancer du poumon

Infographie

Cancer des poumons

L’analyse fractale s’applique au diagnostic du cancer du poumon. Les tumeurs cancéreuses résultent d’une multiplication anormale et rapide de cellules qui s’accompagne d’une formation anarchique de nouveaux vaisseaux sanguins. Les vaisseaux sains présentent une structure fractale ordonnée.

Vaisseaux sanguins sains Vaisseaux sanguins dans une tumeur

Arbre naturel Arbre fractal

DANS LA CONSTRUCTION

Aujourd’hui, les ingénieurs utilisent des câbles hautement résistants tressés selon le principe des fractales (le câble est constitué d’un faisceau de cordes, elles-mêmes constituées de fils plus fins et ainsi de suite). Ce type de câbles a été utilisé lors de la construction du pont du Golden Gate à San Francisco.

Les « fils de l’histoire » : câble original du pont, souvenir, 1936-1976

Câble du pont du Golden Gate, vue en coupe
fil toron ame #1 DÉCEMBRE 2020 9 corde

L’ANTIMATIÈRE

Ce terme est bien connu des lecteurs de science-fiction et souvent, les auteurs ne se gênent pas pour lui attribuer les propriétés les plus improbables. Mais que sait-on vraiment de l’antimatière ? Premièrement, elle existe. Deuxièmement, il y en a très peu. Troisièmement, elle pourrait nous révéler les lois de l’Univers.

AU COMMENCEMENT ÉTAIT UNE IDÉE

Tout a commencé avec l’idée de l’antigravitation. Dans les années 1880, le physicien et mathématicien britannique W H (à ne pas confondre avec Peter Higgs !) travaillait sur la théorie des tourbillons, selon laquelle l’attraction entre les corps est due à des tourbillons d’éther qui traversent l’espace. Hicks fait l’hypothèse de l’existence d’une substance dont la masse gravitationnelle est négative. Un autre physicien britannique, sir A S , résume cette idée par le terme d’antimatter (« antimatière ») dans une lettre à la revue Nature en 1898. Il imagine qu’en se rencontrant, une masse équivalente d’antimatière

PHYSIQUE

COMMENT DIRAC A-T-IL DÉCOUVERT L’ANTIMATIÈRE ?

Considérons une version simplifiée de l’équation relativiste de l’électron de Dirac.

désigne l’énergie

la masse de la particule au repos

La vitesse de la lumière l’impulsion de la particule

E = ± m0² c4 + p²c²

En fonction de l’énergie, cette équation a deux solutions : une négative et une positive. Or, la valeur négative n’était jamais retenue : elle était considérée comme impossible, car l’énergie fluctue en permanence et ne peut pas changer de signe. Mais Dirac a entrepris d’expliquer et d’interpréter le sens physique de l’énergie négative. Contrairement à la physique classique, la théorie quantique considère que l’énergie se mesure sur une échelle discontinue. Dirac fait l’hypothèse que l’énergie négative est pleine de particules invisibles qu’on a appelées « mer de Dirac ». Imaginons que l’on transfère de l’énergie à l’une de ces particules négatives. On s’attendrait à ce que son énergie augmente et devienne positive, ce qui nous permettrait de la voir comme un électron. Mais il n’en est rien : la particule laisse place à un « trou » dans l’énergie négative de la mer de Dirac. Comme il y avait auparavant une particule négative (un électron) à cet endroit, le trou devrait avoir une charge positive rigoureusement égale à celle de l’électron. En e et, avant que l’on transfère de l’énergie à la particule invisible, celle-ci avait une charge neutre (sinon elle aurait été visible).

et de matière disparaît, se transforme en néant, s’annihile (du latin nihil : rien). En réalité, cette idée n’est pas tout à fait juste. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, les concepts d’atome et de molécule ne font pas encore consensus au sein de la communauté scientifique, malgré la découverte de l’électron en 1897 par le physicien britannique Joseph Thomson. Pour faire court, disons que si l’antimatière n’a pas une masse gravitationnelle négative, elle peut toutefois annihiler la matière. Ces termes étaient du goût des physiciens qui ont continué à les employer pour désigner ces phénomènes hypothétiques.

Le début du XXe siècle est une période particulièrement prolifique pour la physique : on élabore la mécanique quantique, la dualité onde-corpuscule et d’autres théories toutes aussi déconcertantes les unes que les autres.

L’annihilation d’un électron et d’un postion émet des rayons gamma. Il s’agit dans la plupart des cas de deux photons dont l’énergie est égale à l’énergie d’un électron ou d’un positon au repos (0.511 MeV)

Pourquoi ce trou n’est-il pas occupé par une autre particule invisible ? Selon le principe d’exclusion de Pauli (un principe fondamental de la mécanique quantique), deux électrons ne peuvent pas se trouver simultanément dans le même état quantique. Ainsi, à chaque trou ne peut correspondre qu’un seul électron. Dirac conjecture ensuite qu’il ne s’agit pas d’un fragment de vide, mais d’un « électron positif », c’est-à-dire d’un positon. Le modèle de Dirac explique pourquoi les particules vont par paires (particule-antiparticule) et pourquoi leur annihilation dégage de l’énergie.

REPRÉSENTATION

Absorption d’énergie et passage à un niveau d’énergie élevé

Libération d’énergie et passage à un niveau d’énergie faible

En résolvant l’équation de Schrödinger, Paul Dirac (encore un Britannique !), l’un des plus grands physiciens de l’histoire, fait en 1928 la prédiction suivante : l’électron doit avoir un double, qui a la même masse que lui, mais une charge opposée.

E² = m0² c4 + p²c²
CLASSIQUE Apparition d’un
Annihilation d’un
et
HYPOTHÈSE DE
E2 E1 E0 –E1 e e e e+ e+ e Mer de Dirac
électron-positon
électron
d’un positon
DIRAC
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PHYSIQUE

PRENDRE UN PEU DE HAUTEUR

On a bien découvert de l’antimatière, mais pas sur terre. En 1932, le jeune physicien américain C A mène une série d’expériences au cours desquelles il étudie des rayons cosmiques dans une chambre à brouillard.

La déviation de la trajectoire de la particule montrait bien qu’elle avait une charge électrique de +1. Au départ, tout le monde a pensé au bon vieux proton. Cependant, le proton a un potentiel d’ionisation (quantité d’énergie nécessaire pour arracher un électron) bien plus grand, c’est-à-dire une masse bien plus élevée. En valeur absolue, le potentiel d’ionisation du positon correspondait à celui de l’électron, et la masse de la particule inconnue semblait égale à celle de l’électron.

Mais il se pouvait aussi que ces particules ne soient pas du tout chargées positivement, qu’elles ne soient que des électrons qui auraient changé de trajectoire à cause du rayonnement. Pour en avoir le cœur net et suivre la trajectoire de ces particules, Anderson conçoit une expérience élégante : dans la chambre à brouillard, il place un disque de plomb de six millimètres d’épaisseur parallèlement

à la Terre. Il observe ainsi que pour passer au travers du disque, la particule doit réduire son énergie et modifier la courbure de sa trajectoire en conséquence. Il ne restait plus qu’à admettre que des « électrons chargés positivement » arrivent sur la Terre depuis l’espace. Anderson a nommé cette particule positron (pour positive electron en anglais ; en français, on dit « positon ») et a proposé de rebaptiser l’électron « négatron » par analogie

POSITON APRÈS PASSAGE DU DISQUE DE PLOMB

DISQUE DE PLOMB

POSITON AVANT PASSAGE DU DISQUE DE PLOMB

Trace laissée par le positon dans la chambre à brouillard de l’expérience d’Anderson en 1932. La particule perd une partie de son énergie en traversant le disque de plomb et suit la trajectoire du champ magnétique.

La chambre à brouillard est l’un des premiers instruments permettant de détecter les traces (appelées « traînées ») des particules chargées. Elle a été inventée par le physicien écossais C W , d’où son autre nom de chambre de Wilson. On crée une phase de vapeur sursaturée dans l’enceinte de la chambre que traversent des particules chargées. Les particules laissent dans leur sillage des ions sur lesquels se condense la vapeur. On photographie ensuite les traînées de condensation qui se forment sur la trajectoire de la particule.

La vapeur d’alcool se condense pour former des gouttelettes liquides autour de la molécule ionisée

Lampe

Couvercle en plastique

Joint en feutre imbibé d’alcool (pour alimenter la chambre en vapeur d’alcool)

Source radioactive (produit des radiations et provoque l’ionisation de la vapeur d’alcool)

Neige carbonique (refroidit la vapeur d’alcool jusqu’à ce qu’elle soit saturée)

Mousse (support de la neige carbonique)

Le rayonnement cosmique est un flux de particules élémentaires et de noyaux d’atomes de haute énergie qui circulent dans le milieu interstellaire. Il a été découvert par l’Autrichien V F H qui, à l’aide d’instruments de mesure embarqués dans des ballons, a constaté que le niveau d’ionisation de l’air augmente avec l’altitude, sans variation entre le jour et la nuit. L’Américain R M prend le relais et, sur le conseil du physicien soviétique D S, adapte la chambre à brouillard à l’étude des traînées laissées par les particules des rayons cosmiques. Son élève C A a mené des expériences avec des chambres à brouillard dans les montagnes et en montgolfière.

Caméra

TRAJECTOIRE DES PARTICULES DANS LE CHAMP MAGNÉTIQUE

Champ magnétique externe

X-particule

Représentation des traînées laissées par des particules subatomiques dans une chambre à brouillard

avec le positon. L’article d’Anderson a paru le 15 mars 1933 dans la revue Physical Review. Mais le physicien avait déjà annoncé six mois plus tôt la découverte de la première antiparticule dans un court message adressé à la revue Science.

DE L’ANTIPARTICULE À L’ANTIMATIÈRE

Ainsi furent découvertes les antiparticules. Ou plutôt une antiparticule. En 1955, E G S et O C font la découverte de l’antiproton, qui leur vaudra le prix Nobel de physique. Un an plus tard, B C et son équipe découvrent l’antineutron. L’étude de l’antimatière pouvait commencer.

On savait déjà qu’un antiproton était un noyau d’antihydrogène, mais les scientifiques ne comptaient pas s’arrêter là. En 1965, on réussit à obtenir un antideutéron : un hybride d’antiproton et d’antineutron. Dans les années 1970, à Serpoukhov en Union soviétique, des chercheurs produisent des noyaux d’antitritium et d’antihélium… Il faut attendre 1995 pour que les équipes du CERN parviennent à « composer » un atome d’antihydrogène. Mais on ne savait créer ces atomes qu’un par un.

Électron

Antiproton

La véritable avancée dans l’étude de l’antimatière a eu lieu dans les années 2010. À partir de 30 000 antiprotons refroidis à –73 °C et de 2 millions de positons refroidis à –233 °C, on a produit 38 atomes d’antihydrogène qui ont survécu 172 millisecondes. Un an plus tard, on produisait déjà 309 atomes d’antihydrogène avec une durée de vie de 1 000 secondes !

υk υk υk υk υk υ
Positon Proton Neutron
В
13

LA NATURE DE L’ANTIMATIÈRE

Malgré sa présence en quantités infimes, les physiciens ont su tirer parti de l’antimatière. Aujourd’hui, on sait avec certitude qu’elle a exactement les mêmes interactions gravitationnelles que la matière. Le spectre des antiatomes est identique à celui des atomes. Aussi ne distingue-t-on pas l’antimatière de la matière quand on observe des galaxies au télescope.

Mais une question, et non des moindres, reste sans réponse : pourquoi le monde est-il constitué presque exclusivement de matière ?

MILLIONS DE DOLLARS

C’est ce que coûte la production d’un milligramme de positons, la variété d’antimatière la plus simple. L’antimatière est donc la substance la plus chère qui existe. Elle est en outre particulièrement di cile à conserver.

Pourquoi y a-t-il si peu d’antimatière ? Dans les expériences menées en accélérateur de particules, antiparticules et particules apparaissent toujours par paires. C’est sans doute ce qui s’est produit lors du Big Bang : une quantité identique de matière et d’antimatière a été produite. Mais dans ce cas, toute la matière aurait été annihilée et l’Univers n’aurait été qu’un rayonnement. La solution au paradoxe dit « de l’asymétrie baryonique » (lorsqu’il y a de la matière, mais pas d’antimatière) reste un mystère.

L’une des principales hypothèses est la violation de CP (ou violation de la symétrie CP). Qu’entend-on par-là ? On a longtemps cru que si on remplaçait simultanément toutes les particules par des antiparticules pour produire un reflet parfait de notre monde, les lois de la physique « ne le remarqueraient pas » : il n’y aurait aucun changement visible. C’est ce qu’on appelle la symétrie CP. Il en découle qu’il n’existe aucune différence entre les particules et les antiparticules, y compris en ce qui concerne leur naissance.

Cependant, on a montré dans les années 1960 que cette symétrie ne se vérifiait pas tout le temps. C’est ce qui arrive par exemple lors de la désintégration de kaons neutres, découverte qui a valu le prix Nobel aux physiciens américains J C et V F . Néanmoins, les expériences ont mis en évidence que cette violation de la symétrie CP ne susait pas à obtenir su samment de matière.

On a également soupçonné la fameuse matière noire, en imaginant qu’elle était composée d’antimatière. Mais si c’était le cas, les observatoires de rayons gamma détecteraient le signal généré lors de leur annihilation. On a publié récemment les résultats des 413 semaines d’observation du télescope Fermi, et il n’y a rien de suspect !

En revanche, ce télescope observe tous les jours l’apparition de grandes quantités d’antimatière sur terre. Ou plutôt au-dessus de la Terre.

En 2011, le Fermi a enregistré un flash de rayons gamma terrestres provoqué par l’annihilation dans l’air de positons apparus dans des éclairs. On a découvert qu’un éclair puissant pouvait produire près de 100 milliards de positons.

Le Fermi Gamma-ray Space Telescope est un observatoire de rayons gamma situé dans l’orbite basse de la Terre. Il est destiné à l’étude de phénomènes qui dégagent de grandes quantités d’énergie dans l’espace, par exemple dans les noyaux des galaxies et les pulsars.
PHYSIQUE

L’ANTIMATIÈRE AU SERVICE DE L’HUMANITÉ

Le plus intéressant dans tout ça, c’est que l’antimatière rend service à l’homme depuis quarante ans. Lors de certains examens médicaux, notre corps est aussi le théâtre de phénomènes… d’annihilation.

Imaginons que l’on cherche à observer l’activité des régions du cerveau en temps réel. De quoi a-t-on besoin ? D’un cyclotron, d’un laboratoire de chimie et d’un tomographe à émission

de positons (ou PET scan pour positron emission tomography scan) dont les prototypes ont été conçus dans les années 1970.

Notre cerveau, bien qu’il ne représente que 1,5% à 2% de notre masse corporelle, est un véritable glouton et compte à lui seul pour 20 % de notre consommation énergétique. Il consomme surtout du glucose. Plus une région du cerveau est active, plus le sang de cette région est concentré en glucose. Mais comment voir ce sucre ? Il n’y a rien de plus simple. Dans un cyclotron, on produit du fluor 18 (noté 18F), un isotope du fluor dont la demi-vie est de 109,8 minutes. Sa désintégration radioactive est une désintégration β+ avec émission d’un positon. On prend ensuite des molécules de glucose ordinaires dont on remplace l’un des groupes hydroxyles par un atome de fluor 18 qui a presque les mêmes dimensions. On obtient ainsi du fluorodésoxyglucose (18F). C’est cette substance que l’on boit juste avant l’examen. Quand elle arrive dans le cerveau, les atomes de fluor 18 sont toujours en train de se désintégrer.

L’annihilation des particules dans un cerveau

LA BOMBE À ANTIMATIÈRE

Dans son roman Anges et Démons, Dan Brown imagine que des malfaiteurs menacent de détruire Rome après avoir volé un gramme d’antimatière au CERN. On sait aujourd’hui que lorsque de la matière rencontre de l’antimatière, leur masse s’annule et se transforme en un rayonnement dont l’énergie se calcule grâce à la formule d’Einstein : E = mc². Comme on le voit, cette formule contient une valeur monstrueusement grande : 300 000 000 mètres par seconde, la vitesse de la lumière, qui plus est au carré ! L’antimatière est donc bien plus puissante qu’une bombe thermonucléaire. Si l’on fait le calcul, on voit que l’annihilation de ce gramme d’antimatière dérobé dégagerait une énergie équivalente à l’explosion de 430 kilotonnes de TNT !

PET scan du cerveau d’un patient

Rayonnement gamma

Détecteur de rayons gamma

L’annihilation du positon produit deux photons qui partent sur une même direction, mais dans un sens opposé, et que détectent les capteurs de l’appareil. Le reste est une a aire de technologie. Il s’agit d’identifier la ligne d’émission des photons pour déterminer l’endroit de l’annihilation.

radioactif

Un plus grand nombre d’annihilations indique une plus grande quantité d’atomes de fluor, et donc de glucose. On repère ainsi les régions les plus actives du cerveau. Pour voir à la fois l’activité et les détails anatomiques, on peut faire une IRM ou une tomodensitométrie en même temps. Cette méthode permet une plus grande précision.

En remplaçant le fluorodésoxyglucose (18F) par un médicament radiopharmaceutique qui met en évidence les tumeurs cancéreuses, les oncologues peuvent identifier les métastases.

L’antimatière n’est donc pas que de la science-fiction. C’est aussi une réalité qui sauve chaque année de nombreuses vies.

Traceur
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LE SAVON et les tensioactifs

Chaque année, on produit trois kilogrammes de ces produits pour chaque habitant de la Terre. Il ne s’agit pourtant pas de produits alimentaires, mais de molécules qui font baisser la tension superficielle des liquides.

PROPRETÉ SALVATRICE

Le tensioactif (ou agent de surface) le plus répandu est, sans doute, le savon . Ce dernier a une structure complexe et est composé majoritairement de sels de sodium ou de potassium d’un acide gras. Les molécules de ces acides ont deux parties : la queue de la molécule ne se mélange pas avec l’eau (hydrophobe ) et s’accroche au gras (lipophile ), alors que la tête aime l’eau (hydrophile ). Quand vous vous lavez les mains, la couche hydrophobe et lipophile du savon vient s’attacher aux impuretés grasses. Lorsque vous passez vos mains sous le robinet, la « tête » hydrophile du savon s’accroche à l’eau et emporte avec elle « la queue » avec les impuretés grasses et les bactéries dans les canalisations. Si vous vous contentez de mouiller vos mains avec de l’eau, les particules grasses et toutes les impuretés qu’elles ont accumulées resteront sur votre peau.

La couche hydrophobe (et lipophile) de ces molécules est active dans tous les solvants apolaires, comme le pétrole ou

CHIMIE

Les queues s’agrègent en micelles

Queue apolaire du tensioactif

Le savon se dissout dans l’eau

Les tensioactifs ioniques se déplacent dans l’eau vers la graisse

Les molécules commencent à décoller la graisse

l’huile. C’est pourquoi le savon est parfait pour se débarrasser de ces impuretés. Il faut noter que les tensioactifs ne peuvent fonctionner qu’à la frontière entre deux phases : liquide et gazeuse ou liquide et solide, ou alors entre deux liquides non miscibles. Ils se mettent en quête de ces surfaces de frontière, comme des agents secrets, c’est pour cela qu’en anglais ils ont été baptisés surfactants (contraction de surface active agent , soit agent de surface actif). Afin de se diriger vers la surface d’une solution, les tensioactifs ont une technique particulière : l’absorption

Elle consiste en l’accumulation de substances dans leur couche superficielle. Les molécules des tensioactifs se dirigent d’ellesmêmes vers les frontières entre les substances.

S’il y a trop de tensioactifs, bien plus que la surface ne peut en contenir, alors les molécules s’agrègent en de petites

Le processus se poursuit

Nettoyage terminé

Micelle Monomère

billes microscopiques : les micelles (du latin micella : parcelle).

Diffusion
SURFACE
#1 DÉCEMBRE 2020 17
COMMENT FONCTIONNENT LES MICELLES TENSIOACTIVES MONOMÈRE TENSIOACTIF MICELLE Diffusion
Absorption Interconversion
PROPRE SURFACE

Les micelles sont des billes, de quelques nanomètres de diamètre et dont la surface est hydrophobe.

DU SAVON POUR TOUS LES USAGES

99 % des tensioactifs sont des substances organiques : alcools, acides gras et leurs sels ainsi que d’autres molécules essentiellement composées de carbone et d’hydrogène. Selon l’historien romain P ’A , on savait déjà utiliser de telles substances du temps de l’Empire romain. À l’époque, on mélangeait des cendres de hêtres à de la graisse de chèvre et on obtenait du savon, le premier de l’histoire. Plus tard, des alchimistes firent réagir de l’acide sulfurique avec des huiles naturelles. Mais c’est en 1831 que le scientifique français E F a préparé du savon à partir d’huile d’olive et d’huile d’amande.

En 1843, en Allemagne, on décide de rajouter de l’huile de noix de coco dans le savon. Au début, les gens n’achetaient pas ce nouveau savon aromatisé. Ce nouveau produit n’avait pas le même parfum désagréable de graisse rance auquel les consommateurs étaient habitués. Ces derniers pensaient donc que le savon à l’huile de coco était de mauvaise qualité.

Une solution micellaire est très simple à réaliser. Il su t de verser dans de l’eau un fin filet de savon liquide, jusqu’à ce que l’eau devienne trouble. On appelle ce genre de solutions contenant des particules, des solutions colloïdales , elles sont capables d’humidifier la plupart des surfaces. Par ailleurs, le lait et le sang sont aussi des solutions colloïdales.

DÉMONSTRATION DE L’EFFICACITÉ DES TENSIOACTIF

Prenez une fine spirale en fil de cuivre, légèrement couverte d’huile végétale. Déposez-la délicatement à la surface de l’eau. Puisqu’il est léger et que l’huile ne se dissout pas dans l’eau, le fil de cuivre flotte. C’est là que cela devient intéressant : avec une pipette, versez quelques gouttes de savon liquide. Le fil de cuivre commencera à tourner sur lui-même et ensuite coulera ! Le savon permet à l’eau de dissoudre l’huile, les di érences de tensions de surface autour du fil, le font tourner sur lui-même et au final, il coule. Plus le tensioactif est fort, plus la rotation du fil sera rapide

LE LAURYLSULFATE DE SODIUM

PRODUIT CHIMIQUE DE TOUS LES JOURS : СH3(CH2)11OSO3Na

Le laurylsulfate de sodium (aussi appelé dodécylsulfate de sodium ou INCI) est un tensioactif, présent dans de nombreux produits nettoyants, comme le dentifrice, le shampooing, la mousse à raser ou pour le bain.

Dans les shampooings

Le laurylsulfate de sodium est un tensioactif, dont la molécule possède une couche soluble dans l’eau et une couche insoluble dans l’eau. Il s’accroche à la graisse ou à la saleté et les dissout dans l’eau. Il change également la tension de surface de l’eau et forme des bulles.

1 2 3 4 Eau molécule Ion négatif Queue
Tête
hydrophobe
hydrophile
CHIMIE

Aujourd’hui on sépare les tensioactifs en deux groupes : ionique et non ionique. On les di érencie selon leur comportement dans les solutions aqueuses. Au contact de l’eau, les tensioactifs ioniques se dissolvent et forment des ions. Les ions positifs (cations) et les ions négatifs (anions) sont tous actifs en surface. On parle de tensioactifs cationiques ou anioniques. Les tensioactifs cationiques sont des bases organiques ou des sels basiques, tandis que les tensioactifs anioniques sont des acides organiques ou des sels acides.

TENSIOACTIFS IONIQUES ANIONIQUES

Le « Janus à deux visages » parmi les tensioactifs ioniques sont les tensioactifs amphotères. Ils changent de comportement selon le pH. Dans une solution acide, ils se comportent comme des tensioactifs cationiques, alors que dans une solution basique, ils se comportent comme des tensioactifs anioniques. Les tensioactifs non ioniques ne forment pas d’ions, mais se dissolvent en formant des liaisons hydrogène entre les molécules d’eau (H2O) et les groupes fonctionnels tensioactifs. Ce genre de tensioactifs a été inventé il y a relativement peu de temps : dans les années 1930 en Allemagne. Toutefois ils représentent la deuxième catégorie de tensioactifs la plus produite au monde, après les tensioactifs anioniques.

CATIONIQUES

Dans les dentifrices

Il est utilisé comme générateur de mousse. Il irrite également les récepteurs de goût dans la bouche. Cette substance neutralise les récepteurs de goût et détruit les phospholipides qui inhibent les récepteurs de fortes irritations. C’est pourquoi boire du jus d’orange juste après vous être lavé les dents est désagréable, puisqu’elle amplifie les goûts amers.

Dégraisseur de moteur

Le laurylsulfate de sodium est présent dans certains dégraisseurs pour moteur, servant à éliminer les lubrifiants. Dans ces produits, il est présent dans des quantités bien plus importantes que dans les shampooings. On les utilise également comme adoucisseur pour la peau, nettoyant pour fourrure et produit nettoyant pour le sol.

Protection contre les requins ?

Des études de 2001 ont montré que le laurylsulfate de sodium possédait des qualités protectrices contre les requins, grâce à ses propriétés hydrophobes. Malgré cela, cette substance n’est pas utilisée comme le moyen de protection principal contre les requins. D’autres substances chimiques et des aimants métalliques ont été proposés comme moyens de défense alternatifs.

NOTICE D’UTILISATION

Environ la moitié des tensioactifs produits sont des substances nettoyantes : savon, lessive, shampooing…

Les compagnies pétrolières ajoutent des tensioactifs dans les émulsions de pétroles et d’eau, pour se débarrasser de l’eau et augmenter l’extraction des nappes pétrolifères.

Les tensioactifs sont également indispensables, lorsqu’on a deux liquides qui ne veulent pas se mélanger, comme avec les mélanges d’huiles lubrifiantes. On utilise les tensioactifs pour récupérer des éléments nanométriques dans des dispersions (particules en suspension dans un liquide) ou des émulsions (liquides non miscibles).

En métallurgie, les molécules tensioactives réduisent la solidité de l’acier, ce qui facilite la coupe et le fraisage.

Sondage préalable Eau Eau Polymère Tensioactif Pétrole en mouvement Pétrole Nano-hybride Puits de production #1 DÉCEMBRE 2020 19

FOSSILE

Je suis bleu, j’ai de bonnes dents, je mesure 1,50 m de long, je suis recouvert d’écailles et j’ai des pattes. Qui suis-je ? Il s’agit de notre ancêtre à nous tous ! Nous ne descendons, bien sûr, pas directement du cœlacanthe, mais il appartient à la même famille que les organismes qui ont quitté la mer pour devenir des quadrupèdes terrestres il y a 358 millions d’années, et dont l’évolution a permis l’apparition de l’espèce humaine. Ce « chaînon manquant » existe toujours aujourd’hui !

QUADRUPÈDE ANTIQUE

Le 22 décembre 1938, des pêcheurs de l’entreprise Irvin Johns ont attrapé une créature inconnue alors qu’ils voguaient près des côtes de l’Afrique du Sud sur l’Océan Indien. Elle pesait 57,5 kg, mesurait environ 1,50 m de long, avait des reflets bleutés et claquait des

dents au sens propre. Mais ce n’est pas tout, ce poisson avait à la fois des nageoires et des pattes (ou en tout cas des embryons de pattes). On en a compté sept en tout : deux sur le dos, trois sur l’abdomen et deux au niveau de la tête.

Il faut dire que les pêcheurs locaux attrapaient de temps en temps ce genre de poissons et qu’ils leur avaient même trouvé un nom : Gombessa djomole, qui en comorien signifie « poisson amer ». Les habitants de la région savaient qu’il était presque non comestible, mais ils le mangeaient car ils croyaient qu’il aidait à guérir de la malaria. Ils arrivaient seulement à faire de ses écailles extrêmement résistantes une sorte de papier de verre. C’est pourquoi les pêcheurs n’ont pas dû être trop surpris par leur trouvaille. Toutefois ils ont décidé de contacter la conservatrice du musée local d’East London en Afrique du Sud,

. Le musée avait conclu un marché avec les pêcheurs pour que ces-derniers l’avertissent au cas où ils feraient des trouvailles inhabituelles.

Photo : Institut sud-africain pour la biodiversité aquatique

Miss Latimer et sa trouvaille
C-L
M
*
BIOLOGIE

VIVANT

Miss Latimer n’était qu’une simple employée du musée, mais lorsqu’elle vit cette créature elle comprit tout de suite qu’elle avait a aire à quelque chose d’exceptionnel. L’animal pouvait être considéré à la fois comme un poisson et un lézard. Elle feuilleta ses manuels, mais la conservatrice ne trouva rien de similaire. Mais il fallait se dépêcher : à cause de la chaleur, le poisson se décomposait à vue d’œil.

Miss Latimer dut faire des pieds et des mains pour convaincre un taxi de faire monter le corps en décomposition dans sa voiture et de l’emmener jusqu’au musée. À son arrivée au musée, son supérieur se moqua d’elle en disant : « Pour vous tous les vilains petits canards sont des cygnes ». Néanmoins elle envoya tout de même le poisson à un taxidermiste et après avoir fait un rapide croquis de sa trouvaille, elle écrivit une lettre à un ichtyologiste de sa connaissance, J S , qui se trouvait dans une autre ville à ce moment-là.

Voici la réaction de James Smith après la lecture de la lettre de miss Latimer, qui mènera plus tard à l’écriture

À la Poursuite de cœlacanthe :

« C’était comme une explosion dans mon cerveau : à la vue de la lettre et de l’esquisse, sont apparues comme sur un écran, des visions des anciens habitants des mers, de poissons qui n’existent plus depuis des lustres, qui vivaient dans un passé lointain et que nous connaissons seulement grâce aux fossiles que nous déterrons.

« Tu perds la tête ! » me suis-je dis. Toutefois mes sentiments et le bon sens se livraient bataille. Je fixai le croquis et tentai d’y voir plus que ce qu’il n’y était réellement dessiné. »

Mais la révélation eut l’e et d’une bombe pour toute la communauté scientifique et pas seulement pour Smith. Les scientifiques tenaient dans leurs mains rien de moins qu’un dinosaure ! Un fossile vivant que l’on pensait éteint depuis 70 millions d’années. Smith donna à ce poisson le nom scientifique de Latimeria en l’honneur de miss Latimer.

#1 DÉCEMBRE 2020 21

BIOLOGIE

Auparavant on les appelait des poissons crossoptérygiens, mais ce terme n’est plus utilisé aujourd’hui. L’espèce trouvée en Afrique du Sud fut baptisée Latimeria chalumnae . Dans les années 1997–1999 on découvrit une autre espèce (à la couleur marron), près de l’île Célèbes en Indonésie : le Latimeria menadoensis . Tous les autres cœlacanthes sont considérés comme éteints.

ANCÊTRE ÉLOIGNÉ

En réalité, nous ne descendons pas directement de ce poisson. Les vertébrés terrestres (ou tétrapodes), groupe auquel notre espèce appartient, est plus proche des ceratodontimorpha : un super-ordre de poissons qui sont munis à la fois de branchies et de poumons. Néanmoins les latimeria et les ceratodontimorpha possèdent un ancêtre commun, ils appartiennent tous deux à la classe des crossoptérygiens. C’est pourquoi « la sensation zoologique du XXe

Deuxième nageoire dorsale

Nageoire caudale diphycerque

Nageoire caudale

Latimeria menadoensis

Latimeria chalumnae

siècle » (tel qu’on a baptisé les latimeria ) peut être considérée comme un membre de notre famille éloignée.

Certes, les latimeria ont changé depuis l’apparition des sarcoptérygiens il y a 400 millions d’années, mais pas tant que cela. Ils sont devenus plus grands, leur vessie natatoire n’est plus remplie d’air mais de graisse et certaines proportions de leur corps ne sont plus les mêmes. Néanmoins, les cœlacanthes ressemblent toujours

à nos ancêtres. Ils n’ont pas de colonnes vertébrales, mais une sorte de notochorde : une barre élastique et souple qui s’étend le long du dos dont la colonne vertébrale est issue. Enfin, ils possèdent un appendice au bout de leur corps qui ressemble à un embryon de queue d’amphibien. Mais le plus important, c’est qu’ils possèdent des embryons de membres, qui ont permis à nos ancêtres de quitter les océans pour marcher sur les continents.

Première nageoire caudale

Les sarcoptérygiens, vertébrés aux membres ou aux nageoires charnues constituent une classe de poissons osseux comprenant à la fois le super-ordre des crossoptérygiens et celui des ceratodontimorpha. La plupart des crossoptérygiens présentaient des lobes charnus bien développés au niveau des nageoires ventrales, pelviennes ou pectorales.

Nageoire anale

Électrorécepteur Nageoire pelvienne

Nageoire pectorale

Eusthenopteron

Le célèbre tiktaalik appartient également à la classe des sarcoptérygiens. Il s’agit d’une espèce « plus avancée » que les latimeria . Il vivait il y a 375 millions d’années et était une sorte de transition entre poisson et amphibien. Toutefois, il est probable qu’il ne soit pas non plus notre ancêtre direct. En e et, il y a 385 ou 375 millions d’années,

PLUS FROID ET PLUS PROFOND

Les latimeria sont des poissons tropicaux, mais cela ne signifie pas qu’ils aiment la lumière du soleil et la chaleur. Au contraire, ces poissons vivent en profondeur (de 200 à 700 mètres) et ne montent à 80 ou 100 mètres que la nuit.

Les cœlacanthes sont des prédateurs (on aurait pu s’en douter en voyant leurs dents). Leur régime comprend non seulement des poissons de petits et moyens gabarits, mais aussi des petits requins. La plupart des proies potentielles des latimeria habitent dans des crevasses et des grottes sous-marines, c’est là qu’ils préfèrent nager. La structure de leur bouche leur permet de bouger à la fois leur mâchoire supérieure et inférieure, et d’aspirer facilement leur nourriture.

tout comme le tiktaalik , beaucoup d’espèces de sarcoptérygiens sont sorties des océans. Beaucoup de facteurs les ont poussées à sortir de l’eau : la prolifération d’arthropodes sur les berges des lacs et de fleuves et le problème que présentaient les prédateurs et la formation de marécages à partir de petits plans d’eau. À cette période, il n’y avait

pas su samment de décomposeurs, des champignons ou des bactéries, qui se chargent d’éliminer les plantes et les animaux morts. C’est pourquoi ces derniers tombaient tout simplement au fond de l’eau et y restaient longtemps. Par conséquent, les poissons commençaient à manquer de place.

Les latimeria peuvent tourner la tête vers le fond et rester dans cette position pendant deux minutes. On a découvert que de cette manière, les cœlacanthes captent de faibles champs électriques qui peuvent être émis par leurs proies. Pour ce faire, ces « quadrupèdes antiques » possèdent des organes spéciaux appelés électrorécepteurs.

Curieusement, les latimeria se déplacent comme la majorité des vertébrés terrestres : d’abord ils bougent la nageoire avant gauche et la nageoire

arrière droite, puis la nageoire avant droite et la nageoire arrière gauche. On peut également noter la longévité des latimeria , ils peuvent « passer la barre » des 80 voire des 100 ans. Ce sont des ovovivipares. Ce terme di cile à prononcer signifie qu’ils ne pondent pas d’oeufs comme les autres poissons, ni comme les lézards, mais qu’ils les portent à l’intérieur de leur corps. Au bout de 13 mois de gestation (période plus longue que chez l’humain), leurs petits sortent des œufs.

Thon HABITATS SOUS-MARINS Latimeria Lotte Espadon Requin blanc Dauphin Requin baleine Cachalot 200 m 26° 22° 18° 14° 10° 6° 2° 0 m Température en °C 1000 m
Сœlacanthe En millions d’années en arrière 385 375 365 360 #1 DÉCEMBRE 2020 23
Tiktaalik
Ichthyostega

LA MALADIE DE PARKINSON : 200 ANS DE LUTTE

Aujourd’hui encore, on ne sait pas exactement comment et pourquoi la maladie de Parkinson survient, on ne sait pas la soigner. Le mieux que l’on puisse faire, c’est en réduire les symptômes le plus longtemps possible. Elle n’épargne personne : Mohamed Ali n’est pas le seul personnage célèbre à en avoir sou ert. À la fin de sa vie, le pape Jean-Paul II était atteint de la maladie de Parkinson. Le 41e président des États-Unis George H. W. Bush sou rait de cette pathologie, et la star de la trilogie Retour vers le futur Michael J. Fox lutte contre elle depuis 1991, et avec succès : ces dernières années, on l’a vu jouer de la guitare sur scène !

MÉDECINE

AUX ORIGINES : JAMES PARKINSON

Vincent G. a pris sa retraite récemment. Il y a quelques années, lorsque Vincent s’est rendu compte qu’il avait du mal à bouger la main, son neurologue a tiré cette conclusion peu réconfortante : « Vous êtes au premier stade de la maladie de Parkinson. Mais il ne faut pas se laisser abattre : nous allons vous soigner ». Depuis, Vincent ne cesse de lire afin d’en savoir plus sur sa maladie. Féru d’histoire, il s’est d’abord intéressé à l’homme qui lui a donné son nom.

J P naît le 11 avril 1755 à l’est de Londres, dans la famille du chirurgien John Parkinson dont il suit les traces en devenant lui-même médecin. Praticien talentueux, il sauve des vies et compte même parmi les premiers membres de la Royal Humane Society (une organisation caritative qui dispensait les premiers secours aux victimes d’accidents graves).

Parkinson avait un bon sens de l’observation qui lui a été très utile dans ses recherches : en 1817, la maison d’édition Whittingham & Rowland publie son Essay on the Shaking Palsy (« Essai sur la

Une des rares représentations authentiques de James Parkinson (au centre). Toutes les autres, y compris les photographies que l’on peut trouver sur Internet, sont des faux : à l’époque de Parkinson, l’appareil photo n’avait pas encore été inventé.

paralysie tremblante ») qui regroupe les descriptions de six cas cliniques. D’ailleurs, les malades n’étaient même pas ses patients : en tant que médecin, Parkinson arpentait les rues de Londres et observait au passage les gens présentant ce genre de symptômes.

Autrefois, il était très facile de reconnaître ces malades. Premièrement, une posture : voûtée, « servile ».

Deuxièmement, un visage fixe qui n’exprime presque aucune émotion. Troisièmement, des mains tremblantes, d’où le titre de l’essai. Quatrièmement, le malade avait la main tendue en avant et semblait « compter » ou « rouler » quelque chose entre ses doigts : de l’argent, des pilules ou des perles. À cause des spasmes musculaires, les malades bougent peu et font des petits pas, bien qu’ils puissent parfois

SYMPTÔMES DE LA MALADIE DE PARKINSON

Tremblements

Les tremblements commencent généralement dans les extrémités, souvent les mains ou les doigts. Le patient frotte son pouce et son index contre sa paume, comme s’il comptait sa monnaie. Les tremblements peuvent survenir au repos.

Troubles de la voix

Le patient parle souvent à voix basse et rapidement, il articule avec peine ou hésite avant de parler. La diction peut devenir monotone et perdre ses intonations habituelles.

Mouvements ralentis

Avec le temps, les mouvements deviennent plus lents, réaliser des tâches simples est plus difficile et prend plus de temps. Lors de la marche, les pas peuvent devenir plus courts.

#1 DÉCEMBRE 2020 25

partir en courant aussi soudainement qu’un sprinter dans les starting-blocks. C’est ce qu’on appelle la festination. Aujourd’hui, il est rare de rencontrer des tableaux cliniques aussi évidents, les patients bénéficiant en général d’une thérapie qui atténue de nombreux symptômes.

Hélas, les travaux de Parkinson sont passés inaperçus de son vivant : on ne s’intéressait guère aux maladies neurologiques au début du XIXe siècle. La découverte a été réitérée par le « Napoléon de la névrose » Jean-Martin Charcot, dont le nom est indissociable de l’histoire et de l’étude de la quasi-totalité des maladies nerveuses. Soixante ans plus tard presque jour pour jour, en 1877, il décrit à son tour la « paralysie tremblante » et propose de l’appeler « maladie de Parkinson  ».

ET ENSUITE, QUE SE PASSE-T-IL DANS LE CERVEAU ?

Vincent G. ne laisse pas là ses recherches et passe de longues soirées d’hiver à compulser di érents ouvrages. Dans un manuel de neurologie, il apprend que dans la maladie de Parkinson, des agrégats d’une substance étrangère se forment dans les cellules nerveuses et les empêchent de fonctionner normalement (l’origine de ces agrégats demeure un mystère). On les appelle agrégats de Lewy . « Intéressant », se dit Vincent, qui décide de poursuivre ses recherches sur Internet.

Il lit que ces étranges corps intraneuronaux ont été découverts en 1912 par

l’Allemand F H L.

On sait aujourd’hui que ces agrégats se composent d’alpha-synucléine et d’autres protéines et qu’ils constituent un signe caractéristique de démence ou de trouble de la cognition.

Vincent G. apprend par ailleurs que les symptômes de sa pathologie sont provoqués par la mort des cellules nerveuses de la substantia nigra. Cette hypothèse a d’abord été formulée par le neurologue soviétique K T.

La substantia nigra désigne une partie du mésencéphale humain. Elle contient des neurones qui synthétisent la dopamine (appelés neurones dopaminergiques). Leur mort a ecte la voie neuronale empruntée par le message nerveux censé arriver aux ganglions de la base ainsi que la substantia nigra, qui

La dopamine est un neurotransmetteur excitateur : elle augmente le niveau d’activité des neurones sur lesquels elle agit.

LE MÉCANISME D’ACTION DE LA DOPAMINE

La dopamine est un neurotransmetteur produit par les neurones dopaminergiques. Elle transmet les informations d’une cellule à l’autre grâce aux synapses qui les relient.

En cas de maladie de Parkinson, le niveau de dopamine dans les synapses est insu sant, ce qui perturbe les processus de synthèse de la cellule.

MÉDECINE
Neurone Axone Impulsion nerveuse Dendrites Synapse receptor

sont toutes deux incluses dans le système extrapyramidal . Ce système contrôle les mouvements au même titre que le système moteur (aussi appelé faisceau pyramidal ou tractus corticospinal) en assurant le tonus musculaire et la coordination des mouvements. En cas de lésion, le système extrapyramidal se « désinhibe » : on observe des mouvements superflus (comme les tremblements) et d’autres signes caractéristiques.

LA LÉVODOPA SALVATRICE

Vincent G. comprend la mésaventure qui est arrivée à son cerveau. Mais quel médicament lui a prescrit le médecin ? Et comment est-il censé agir ?

La carence en dopamine joue un rôle déterminant dans la pathogenèse de la maladie de Parkinson. L’un de ses précurseurs

PARCOURS DE LA DOPAMINE DANS LE

CERVEAU

Par l’intermédiaire de la dopamine, les neurones dopaminergiques de la substantia nigra transmettent un signal aux ganglions de la base qui contrôlent les mouvements du corps, lui permettant ainsi de se mouvoir. En cas de lésion de ces neurones (notamment à cause de l’accumulation d’agrégats de Lewy), la dopamine commence à manquer et les mouvements sont entravés. Les capacités motrices diminuent et des spasmes musculaires surviennent.

En cas de maladie de Parkinson, les neurones de cette zone sont détruits.

Ganglions de la base

est la tyrosine, un acide aminé. L’enzyme tyrosine hydroxylase « attache » des groupes hydroxyles (-OH) à la molécule de tyrosine et la transforme en lévodopa (L-DOPA). Ensuite, l’enzyme DOPA-décarboxylase transforme la lévodopa en dopamine.

La dopamine n’est pas capable à elle seule de franchir la barrière hémato-encéphalique, solide mur de défense qui empêche les éléments en suspension dans le sang de passer dans le cerveau. Prendre de la dopamine pour se soigner ne servirait donc à rien. En revanche, la lévodopa traverse la barrière hémato-encéphalique sans problème. Elle est ainsi devenue un médicament incontournable.

Lévodopa est l’abréviation de L-3,4-dihydroxyphénylalanine (on écrit aussi L-DOPA). Dans un manuel de chimie, Vincent lit que la lévodopa a été synthétisée pour la première fois par le chimiste polonais K F (l’inventeur du mot « vitamine »). Les scientifiques sont longtemps restés indi érents à cet événement, mais tout change soudainement lorsque l’équipe du pharmacologue et physiologue allemand P H découvre l’enzyme L-DOPA-décarboxylase en 1938. Cette découverte a permis de comprendre le mécanisme de la synthèse de la dopamine et d’autres neurotransmetteurs et a inscrit la lévodopa et la dopamine parmi les « molécules informationnelles » du cerveau les plus importantes.

Le destin de la lévodopa éveille la curiosité de Vincent, qui se penche sur l’expérience menée par le pharmacologue suédois et futur lauréat du prix Nobel A C au milieu du XXe siècle : le scientifique a immobilisé des lapins de laboratoire à l’aide d’un puissant tranquillisant (de la réserpine, un poison extrait d’une racine) avant de leur injecter de la lévodopa. Les lapins couchés à terre, les oreilles baissées, se sont relevés presque instantanément.

Au début des années 1960, le pharmacologue autrichien Oleh Hornykiewicz met en évidence une baisse brutale de la quantité de dopamine dans les ganglions de la base des patients atteints de la maladie de Parkinson. Tout concordait : la dopamine est nécessaire au fonctionnement du système locomoteur et la lévodopa est son précurseur direct.

Les lectures captivantes de Vincent l’amènent au moment où Hornykiewicz propose à son compatriote, le neurologue viennois Walther Birkmayer, de lui envoyer deux grammes de lévodopa pour mener des expériences cliniques. L’injection intraveineuse de la substance a entraîné une amélioration rapide, bien que transitoire, de l’état des patients atteints de la maladie de Parkinson. Ces premières expériences ont marqué le début d’une nouvelle ère dans l’histoire de la maladie en faisant de la lévodopa un médicament incontournable.

UN TRAITEMENT ÉTRANGE, MAIS EFFICACE

Associée à la carbidopa, la lévodopa reste à ce jour le seul médicament e cace contre la maladie de Parkinson. Mais il existe un autre traitement, la stimulation cérébrale profonde , ou SCP . Elle soulage les symptômes, bien qu’on ne sache pas encore pourquoi.

#1 DÉCEMBRE 2020 27

Dans le cadre de la SCP, on implante de longues et fines électrodes (1 millimètre d’épaisseur) dans le cerveau en les raccordant à une cible plus petite qu’un grain de maïs : le noyau sous-thalamique situé dans les ganglions de la base. Les électrodes le stimulent légèrement, ce qui atténue les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson.

Vincent G. lit sur Internet que chaque année, près de dix mille personnes atteintes de la maladie de Parkinson subissent une opération visant à implanter un système de SCP. Dans le monde, plus de 140 000 personnes bénéficient déjà de ces électrodes. La première implantation a eu lieu en 1987 à Grenoble, et le patient est encore en vie aujourd’hui. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les médecins eux-mêmes décrivent la SCP comme une méthode au croisement de la science, de l’art et du chamanisme. Et pourtant, elle prolonge la vie.

UN NOUVEL ESPOIR

Un jour, Vincent fait une découverte qui le stupéfie : lorsque des neurones meurent, on peut les remplacer par de nouveaux neurones ! Des expériences en ce sens menées sur des macaques ont été un franc succès.

Les technologies cellulaires ont fait un bond de géant ces dix dernières années, et nous n’avons plus besoin de prendre les neurones de quelqu’un d’autre : nous savons les fabriquer nousmêmes. On doit cette avancée aux travaux du scientifique japonais S Y qui a élaboré un protocole pour obtenir des cellules souches à partir de cellules habituelles, des cellules cutanées par exemple. Les cellules souches sont capables de se di érencier pour donner toutes les cellules de l’organisme que l’on veut. En 2012, Yamanaka a été récompensé du prix Nobel de physiologie ou médecine (une distinction méritée !).

Par la suite, le Japon a été le théâtre d’une grande avancée dans le traitement de la maladie de Parkinson. Fin 2017, on lance dans le pays un appel à volontaires pour tester une thérapie d’un nouveau genre. Comme les expériences menées pendant deux ans sur des macaques

Prendre de la dopamine pour se soigner n’a aucun intérêt. Elle ne passe pas la barrière hémato-encéphalique, à l’inverse de la lévodopa..

Dopamine Barrière hémato-encéphalique

L-DOPA (lévodopa)

LA STIMULATION CÉRÉBRALE PROFONDE (SCP)

Cette thérapie vise à lutter contre les symptômes de la maladie de Parkinson. On implante un petit neurostimulateur sous la clavicule. Grâce à des électrodes, le neurostimulateur envoie des signaux électriques dans le noyau sous-thalamique situé dans le cerveau, ce qui bloque les signaux liés aux symptômes de la pathologie. Cette thérapie ne donne pas lieu à une guérison complète, mais elle ralentit un peu le développement de la maladie, atténue les symptômes et améliore la qualité de vie des patients.

Électrodes Noyau sous-thalamique

MÉDECINE
Impulsion électrique Fil implanté
Neurostimulateur

étaient concluantes, il fallait maintenant tester le traitement sur l’être humain. En appliquant le procédé de Yamanaka, les chercheurs ont reprogrammé les cellules d’individus sains et ont obtenu des neurones dopaminergiques jeunes qu’ils ont ensuite implantés dans le cerveau de macaques présentant des lésions de la substantia nigra. La transplantation neuronale a considérablement et durablement atténué les symptômes de la maladie : l’amélioration (sans développement de tumeur) a duré 21 mois, jusqu’à la fin de l’expérience.

Le monde entier, dont Vincent G., retient à présent sa respiration dans l’attente des résultats des tests sur l’être humain. Les personnes atteintes de la maladie de Parkinson ont de nouvelles raisons d’espérer. Pour le moment, Vincent a décidé de prendre rendez-vous chez un neurochirurgien pour en savoir plus sur la stimulation cérébrale profonde et voir si ce traitement lui conviendrait. Vincent voudrait en e et rester actif le plus longtemps possible.

: scientifique japonais, lauréat du prix Nobel de physiologie ou médecine en 2012

Neurones dopaminergiques

L’idée consiste à remplacer les neurones morts. Après la gre e, les neurones jeunes établissent des connexions avec les cellules existantes et produisent de la dopamine. Les scientifiques sont capables de reprogrammer des cellules matures (des cellules cutanées, par exemple) en cellules souches immatures qui peuvent se différencier pour former d’autres types de cellules. Les cellules souches sont primitives, elles se divisent rapidement et peuvent former des tissus plus complexes (comme les neurones) : on appelle cela la différenciation. Au départ, on les fait se multiplier au laboratoire, avant de les faire évoluer en neurones dopaminergiques jeunes grâce à divers facteurs de croissance. Ces neurones sont ensuite implantés dans le cerveau pour remplacer les neurones morts.

La thérapie cellulaire constitue donc un traitement prometteur de la maladie de Parkinson. Le principal défi consiste à s’assurer que les cellules ne forment pas de tumeurs et fonctionnent normalement après la gre e.

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DE NEURONES DOPAMINERGIQUES OBTENUS À PARTIR
CELLULES
Cellules du patient ● 1 Extraction des cellules ● 2 Reprogrammation ● 3 Multiplication des cellules souches ● 4 Di érenciation ● 5 Transplantation
GREFFE
DE
SOUCHES
● 1 ● 5 Cellules souches Cellules souches S Y

Chauves-souris et virus mortels

La pandémie de COVID-19 a éclaté sans crier gare. Le nouveau virus semble avoir littéralement surgi de nulle part. On a d’abord pointé du doigt le serpent, avant de soupçonner le pangolin, mais les scientifiques sont finalement tombés d’accord pour dire que le coronavirus avait été transmis à l’être humain par les chauves-souris, déjà connues pour être les vecteurs de virus mortels comme Ebola ou le SRAS. Pourquoi doit-on tant d’épidémies aux chauves-souris ? Qu’ont-elles de si spécial ?

M O n D E VIVA nt

Le couPaBle idÉal

Le succès d’un virus dépend de la façon dont il pénètre dans une cellule. Il doit d’abord s’accrocher à une protéine membranaire pour que la cellule l’« absorbe » d’elle-même. Si le virus dispose de la bonne « clé » pour une protéine, il peut adhérer aux protéines de forme analogue. Les séquences protéiques des organismes génétiquement proches se ressemblent et facilitent ainsi la transmission du virus entre eux. C’est ainsi que le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est passé du singe à l’être humain.

Mais les primates ne sont pas les seuls à pouvoir transmettre des virus à l’homme. Il suffit pour cela d’être un animal à sang chaud , c’est-à-dire un oiseau ou un mammifère. Les virus des animaux à sang froid se développent dans des conditions différentes et ont beaucoup plus de mal à survivre dans notre corps. Si on passe en revue les épidémies des dernières années, on constate que ce sont toutes des « cadeaux » de nos cousins mammifères : grippe porcine (cochon), Ebola (chauve-souris), VIH (singe), SRAS (chauve-souris à nouveau). Si la grippe aviaire fait figure d’exception, c’est tout de même à des animaux à sang chaud, les oiseaux, que nous la devons. Cette liste ne comprend aucun invertébré, aucun poisson et même aucun serpent.

Pourquoi les coronavirus « voyagent-ils » si facilement dans la nature ? Tout d’abord, ils ne tuent pas toujours leur hôte, ce qui leur permet de se di user largement. Ensuite, ils provoquent des infections respiratoires qui favorisent leur transmission. Enfin, leur génome est constitué d’ARN, une molécule moins stable que l’ADN : elle mute plus vite et s’adapte plus facilement à un nouvel hôte.

Les cas d’infection par le virus Nipah, qui a par exemple touché le Bangladesh entre 2001 et 2008, ont été mis en lien avec la consommation de jus de datte, fruit dont les chauves-souris se nourrissent.

C’est dans son « réservoir » que le virus peut survivre le plus longtemps : l’hôte ne souffre pas de cette cohabitation et propage le virus dans son environnement. Les autres espèces jouent le rôle d’« amplificateurs » et permettent au virus de se répliquer et de se propager, constituant ainsi une étape du

Mais pour représenter une véritable menace pour l’homme, il faut sans cesse être en contact avec lui. Dans ce cas, la voie est toute tracée pour que le virus se propage. Les chauves-souris sont à cet égard un excellent vecteur de virus, car elles interagissent avec nous en permanence. Certaines transmettent leurs virus par l’intermédiaire de leurs excréments qu’elles répandent en vol, parfois sur de grandes distances. D’autres mordent des animaux qui contaminent à leur tour l’être humain. (C’est sans doute ce qui s’est produit avec le SARSCoV-2, le virus responsable du COVID-19. Un marché a été identifié comme le foyer de l’épidémie. On n’y vendait pas de chauves-souris, mais des animaux qui avaient peut-être été mordus par des chauves-souris.) D’autres encore propagent des virus en recrachant des morceaux des fruits dont elles se nourrissent. Certains scientifiques ont même suggéré que l’écholocation pouvait constituer un facteur de propagation des virus. Les chauves-souris émettent des ultrasons qui rebondissent sur les obstacles et leur permettent de s’orienter dans l’espace. On pense qu’au moment où elles produisent ces ondes avec leur gorge, des gouttes de salive potentiellement contaminées pourraient être expulsées dans l’air.

développement du virus jusqu’à ce qu’elles finissent pas l’éliminer ou par mourir elles-mêmes des maladies qu’il provoque. L’homme aussi peut être un hôte intermédiaire et contaminer, par exemple, les animaux de compagnie. Cependant, aucun cas de transmission du COVID-19 de l’homme à l’animal n’a été relevé pour le moment.

CoMMent Le CoRonaviRUS PaSSe-t-iL deS aniMaUX À L’HoMMe ? Virus Réservoir
#1 dÉCeMBRe 2020
Hôte intermédiaireTransmission à l’homme Propagation

Dernière arme secrète pour transmettre un virus : en être porteur sans être malade soi-même. Les chauves-souris excellent dans ce domaine : la plupart des virus qui les contaminent n’ont aucun effet sur leur santé. Mais elles ne sont pas invincibles pour autant. D’autres pathogènes peuvent entraîner de véritables épidémies chez les chauves-souris. Aux États-Unis, par exemple, elles subissent de plein fouet les ravages du « syndrome du nez blanc » causé par un champignon. À cause de lui, certains peuplements ont même frôlé l’extinction, et les chercheurs n’ont trouvé que récemment des signes de résistance à ce champignon chez certains individus. Il semble donc que les chauves-souris entretiennent des rapports particuliers avec les virus.

Les chauves-souris se blottissent les unes contre les autres, ce qui favorise la transmission des virus entre elles.

La Faute aux ailes

Disons-le d’emblée : les scientifiques ne savent pas encore exactement pourquoi les chauves-souris sont devenues des réservoirs privilégiés pour les virus. Ils ont toutefois émis plusieurs hypothèses qu’on peut relier entre elles. Ainsi, on estime aujourd’hui que les chauves-souris doivent ce rôle crucial à leur capacité à voler.

Tâchons de suivre cette logique de bout en bout. Les chauves-souris sont les seuls mammifères capables de voler. Elles ont ainsi l’avantage immense de pouvoir échapper à presque tous les prédateurs. Naturellement, elles ont été soumises à une pression de sélection moins forte : un petit mammifère comme la souris ou la musaraigne a peu de chance de faire de vieux os, car il sera vite mangé. La chauve-souris n’a pas ce problème.

Dès lors, la longévité est devenue un moyen de se démarquer : les individus qui vivent longtemps ont plus de descendants et donc un meilleur succès évolutif. Et comme elles volent, les femelles ne peuvent pas avoir beaucoup de petits à la fois (ils pèseraient trop lourd et nécessiteraient trop d’énergie pour être transportés). Pour cette raison encore, les chauves-souris qui vivent le plus longtemps ont la descendance la plus nombreuse.

La pression de prédation ainsi réduite, les chauves-souris ont développé toutes sortes de processus visant à accroître leur longévité . Elles disposent par exemple d’un mécanisme unique qui allonge leurs télomères, les extrémités des chromosomes qui se raccourcissent avec le vieillissement chez tous les animaux. Elles sont également remarquablement bien protégées contre les tumeurs. Pour des raisons encore inconnues, les chauves-souris n’ont presque jamais de cancers. Citons enfin l’hibernation . De nombreuses chauves-souris sont capables de ralentir leur métabolisme et de se mettre en état de torpeur quelques heures par jour voire plusieurs mois par an. D’ailleurs, les virus y trouvent aussi leur compte. Pendant qu’elles hibernent, la température du corps des chauves-souris diminue, ce qui favorise la survie des particules virales.

En général, plus un mammifère est imposant, plus son espérance de vie est élevée. Mais il y a des exceptions, comme l’être humain qui vit bien plus longtemps que ses dimensions modestes ne le laisseraient présumer. Seules 19 espèces dérogent à cette règle de manière encore plus remarquable que nous. Hormis le rat-taupe nu, toutes sont des espèces de chauves-souris. Et leur longévité porte ses fruits : plus elles vivent longtemps, plus elles peuvent héberger de virus.

Les chauves-souris n’ont pas intérêt à garder de la nourriture dans leurs intestins. Elles dépensent tellement d’énergie en volant qu’elles doivent extraire les substances nutritives le plus vite possible et se débarrasser des restes.

Monde vivant

QUELS VIRUS LES CHAUVES-SOURIS ONT-ELLES TRANSMIS

À L’HOMME ?

Marburg. Il a été décrit pour la première fois en 1967, mais des foyers de contagion apparaissent encore de temps à autre. Contaminant l’être humain par l’intermédiaire des chauves-souris et du singe vert, on rencontre ce virus surtout en Afrique. Les symptômes, fièvre et hémorragie, évoquent la maladie à virus Ebola. Son taux de létalité dépend de la vitesse de la prise en charge. Il peut atteindre 90 % en Afrique. Il n’existe pas de traitement à ce jour.

Rage . Ce virus endémique poursuit l’humanité depuis l’Antiquité au moins. De nos jours, il fait des dizaines de milliers de victimes chaque année dans le monde. La rage se transmet par la salive des chauves-souris ou de ses hôtes intermédiaires, comme le chien ou l’homme. Heureusement, sa période d’incubation étant longue, le vaccin (s’il est inoculé dans les jours qui suivent la morsure) permet de développer une immunité avant l’apparition des symptômes.

Nipah. Apparu en 1998, il frappe surtout l’Inde et la Malaisie. L’infection se manifeste par de la fièvre, de la toux et des difficultés respiratoires qui peuvent entraîner un coma et une encéphalite. Le virus a tué plusieurs centaines de personnes. Il n’existe ni médicament ni vaccin. Le meilleur moyen de se protéger reste d’éviter tout contact avec les cochons ou les fruits mordus par des chauves-souris.

Ebola. On connaît six virus Ebola, dont quatre provoquent une forme grave de la fièvre Ebola : fièvre, douleurs musculaires, hémorragies internes. Environ 50 % des malades succombent des suites d’une défaillance du foie ou des poumons. L’épisode épidémique le plus grave a eu lieu entre 2013 et 2016 et a fait plus de 11 000 morts, presque exclusivement en Afrique. Des foyers épidémiques apparaissent encore aujourd’hui, mais ils se cantonnent désormais à ce continent. Il n’existe pas de médicament, mais un vaccin est sur le point d’être mis sur le marché.

Hendra. Le virus a déjà fait plusieurs centaines de victimes, surtout en Asie du Sud-Est et en Australie. Il contamine l’être humain par l’intermédiaire du cheval et provoque de la fièvre, une inflammation des poumons et parfois une méningite. Le taux de mortalité peut atteindre 70 % à 90 %. Il n’y a pas de médicament, mais il existe un vaccin pour les chevaux.

Syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS). Ses symptômes rappellent ceux du SRAS. Il a surtout sévi en Arabie Saoudite, car il se transmet à l’homme par l’intermédiaire du dromadaire. L’épidémie a atteint son pic en 2014, mais des cas isolés se déclarent encore aujourd’hui. Au total, le MERS a causé la mort de presque 900 personnes.

Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Il a emporté presque 800 personnes entre 2002 et 2004, pour la plupart en Chine et à Hong Kong, bien que le virus se soit propagé aux États-Unis, en Afrique et en Europe. On a comptabilisé en tout 8 000 personnes contaminées. Les scientifiques pensent que le virus est passé de la chauve-souris à l’homme par l’intermédiaire de la civette, un petit mammifère carnivore parfois consommé pour sa viande en Chine.

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Dangereux colocataires

Il reste encore à comprendre comment les chauves-souris par viennent à cohabiter avec des virus sans être malades (sans quoi elles mourraient et en transmettraient moins à l’être humain), mais sans les éliminer pour autant (auquel cas elles ne seraient pas contagieuses).

Là encore, leur capacité à voler permet aux chauves-sou ris de lutter contre les virus. L’effort musculaire constant que cela exige, bien plus intense que la course ou la marche, fait d’elles des animaux à sang « hyperchaud » : la température moyenne de leur corps peut dépasser les 40 degrés. En volant, les chauves-souris « en surchauffe » connaissent un état com parable à l’inflammation chez les autres mammifères. Ainsi, elles n’ont pas besoin d’augmenter encore la température de leur sang pour que leur système immunitaire combatte les pathogènes.

D’ailleurs, une température corporelle trop élevée repré sente un risque pour l’organisme. En cas de forte fièvre, des molécules altérées, dont des protéines, s’accumulent dans les cellules. Pour contrer ces effets néfastes, les cellules des chauves-souris enclenchent des mécanismes d’autophagie , c’est-à-dire d’autodigestion. Ils désintègrent les protéines abî mées et éliminent les particules virales par la même occasion. En volant, les chauves-souris tuent donc indirectement les virus.

Elles seraient pourtant bien imprudentes de ne compter que sur la chaleur et l’autophagie. C’est pourquoi leur système immunitaire est toujours sur le pied de guerre. Leurs cellules contiennent des interférons , des protéines antivirales qui

Ce qui nous attend

Dans la mesure où l’organisme des chauves-souris fait office de camp d’en traînement pour virus, on ne peut guère espérer que le COVID-19 soit la dernière maladie dont elles nous font cadeau. D’après les scientifiques, les différentes espèces de chauves-souris hébergeraient chacune quelque 17 virus ( zoonoses ) potentiel lement transmissibles à l’homme. À titre de comparaison, ce chiffre est de 10 pour chaque espèce de primate et de rongeur, et il s’agit d’in fections bien moins virulentes. Si on considère maintenant le nombre d’espèces et leur aire de répartition, les chiffres font vraiment froid dans le dos. Sans surprise, les régions les plus à risque sont l’Afrique et l’Amérique du Sud.

Nous ne sommes bien sûr pas en mesure de nous prémunir totalement des nouveaux virus. Toutes les espèces de mammifères représentent un danger potentiel, et pour étouffer dans l’œuf toute nouvelle contagion, il faudrait tester en permanence quiconque a le moindre lien avec les animaux.

contribuent à désintégrer le génome des virus. Ils inhibent la synthèse d’une protéine pour les empêcher de se répliquer et sont présents en permanence. C’est ce qui distingue les chauves-souris des autres mammifères, qui ne produisent des interférons qu’en cas d’infection.

Cependant, un système immunitaire trop actif peut se re tourner contre l’organisme. C’est ce qui arrive par exemple dans les maladies auto-immunes , lorsque le système immunitaire s’attaque à nos propres tissus et organes. Les chauves-souris doivent donc veiller à maîtriser leur niveau d’inflammation. Pour ce faire, elles se sont débarrassées de certaines molécules chargées d’identifier le matériel génétique des virus dans le cytoplasme des cellules. Quant aux cellules immunitaires des chauves-souris, qui détruisent les cellules contaminées, elles ne réagissent pas tout de suite au danger. En fait, l’organisme des chauves-souris « ferme les yeux » quand les virus sont présents en petite quantité. Tant qu’ils ne s’attaquent pas aux cellules, il les laisse tranquilles.

Tout se passe comme si les chauves-souris et les virus avaient conclu une sorte de cessez-le-feu . Tant que le virus ne fait pas de remous, personne ne tente de le chasser de l’or ganisme, car provoquer une inflammation juste pour lui serait trop risqué pour le reste de l’organisme. Pour autant, le virus ne peut pas se lancer à l’attaque comme bon lui semble, parce que le système immunitaire est constamment sur ses gardes. Pour toutes ces raisons, l’organisme des chauves-souris agit comme un filtre qui retient les virus les plus agressifs sans en souffrir lui-même. Pas étonnant qu’une fois dans notre corps, l’infection s’avère grave, voire fatale !

On associe souvent les chauves-souris au danger. Elles sont considérées comme nuisibles parce que certaines espèces se nourrissent de fruits cultivés par l’homme, comme le longane et le litchi. Pourtant, elles sont essentielles à la survie de la forêt tropicale : elles pollinisent plus de 500 espèces végétales, disséminent les graines et sont les seuls prédateurs naturels de nombreux insectes nuisibles.

Monde vivant

Les chauves-souris s’abritent dans des grottes pour se reproduire, élever leur progéniture, se reposer et hiberner. Le stress dû à l’afflux de touristes et à la lumière artificielle peut mettre en péril leur survie.

Les « marchés humides », populaires en Chine, proposent de la viande et du poisson frais. On y trouve aussi des animaux sauvages : selon les traditions locales, manger ces animaux apporte bonheur et prospérité. Les étals du marché de Wuhan, foyer de contagion de la pandémie de COVID-19, proposaient un large choix d’animaux, parmi lesquels chauves-souris, crocodiles, castors, marmottes, salamandres, loups et renards.

« Mettons fin au commerce des animaux sauvages et à la destruction de la nature. Mettons fin aux pandémies », Wildlife Conservation Society

Les forêts tropicales constituent les écosystèmes les plus complexes et les plus riches en biodiversité. Ils abritent un grand nombre de virus et microorganismes pathogènes encore inconnus. La déforestation, la construction de routes, l’exploitation des ressources souterraines, le développement urbain et la croissance démographique ont pour effet de multiplier les contacts entre l’homme et les animaux sauvages et permettent aux pathogènes de trouver de nouveaux hôtes.

Le mieux qu’on puisse faire consiste à réduire nos contacts directs avec les chauves-souris. Les épidémies de ces dernières années, comme le SRAS ou le COVID-19, proviennent de régions où la population est très exposée aux chauves-souris et à leurs victimes, et où les animaux exotiques sont consommés pour leur viande. C’est le meilleur moyen d’attraper un virus inconnu. Par exemple, des chercheurs ont récemment découvert un nouveau sous-type de virus Ebola dans le corps de chasseurs de chauves-souris en Inde. Plus intéressant encore, ils n’ont pas trouvé le virus lui-même, mais les anticorps censés lutter contre lui, ce qui montre que ces chasseurs avaient guéri de l’infection nouvelle sans se rendre compte de rien. Heureusement, cette histoire n’a pas porté à conséquence. Mais qui sait, peut-être aurons-nous moins de chance la prochaine fois ? Gardons-nous donc d’approcher de trop près ces incubateurs naturels d’armes biologiques.

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UN MONDE PERDU SOUS LES GLACES DE L’ANTARCTIQUE

Le fantasme de ceux qui rêvent d’un « monde perdu » pourrait devenir réalité. Cependant, il ne serait pas en Amérique du Sud, mais sur le continent le plus froid de la planète : l’Antarctique. Dissimulé sous une épaisse couche de glace, un gigantesque lac est resté isolé du monde pendant des millions d’années. Quelles surprises nous réservent ses profondeurs ?

GÉOGRAPHIE

LeS SeCretS Du CoNtINeNt De LA PAIX

En 1959, les 12 pays possédant des représentations scientifiques en Antarctique (dont la Russie et la France) ont signé un accord interdisant toute activité militaire, comme l’installation de bases ou les essais d’armements. Depuis, l’activité humaine sur le continent polaire se limite exclusivement aux missions scientifiques. C’est à l’issue de l’une de ces missions que l’on a supposé que dans les profondeurs du continent, à plusieurs kilomètres sous la calotte glaciaire, la température serait assez élevée pour que la glace fonde. Émise en 1957, cette hypothèse fut le premier pas vers une découverte cruciale. La deuxième étape a été le sondage sismique de la glace conduit par l’expédition du géographe A K (fils du prix Nobel Piotr Kapitsa) dans la zone de la station soviétique « Vostok ». Ce travail a permis d’enregistrer un signal réfléchi par une mystérieuse surface plane située sous la glace. Durant trois décennies, ce signal a été interprété comme la preuve de la présence d’une couche de roches gelées

recouverte par plusieurs kilomètres de glace. Néanmoins, la surface réfléchie était si plate et lisse qu’Andreï Kapitsa supposa qu’elle était en réalité un immense lac de plus de 250 km de long, de 50 km de large et d’une profondeur dépassant 1 km !

Il fallut attendre les années 1990 pour que la technique permettant de prouver l’existence d’un tel plan d’eau soit inventée. Un radar puissant couplé à une nouvelle méthode de sondage en profondeur permit à une équipe de recherche russo-britannique d’obtenir des résultats prouvant définitivement l’existence d’un lac géant dissimulé sous la glace. Ses contours peuvent d’ailleurs être distingués sur la surface glacée du continent. Ils ont été révélés en 1993 par le Britannique J R grâce à une méthode d’altimétrie laser par satellite. La station polaire « Vostok » était en réalité située au centre d’une immense plaine de glace, qui serait la projection du lac sur la surface.

Le trou 5G

Durant plusieurs millions d’années, l’eau du lac Vostok (comme la station) a été totalement isolée du monde extérieur et de ses évolutions. Pendant que des espèces biologiques naissaient et s’éteignaient, la vie à l’intérieur du lac était comme figée. Cette particularité est d’un très grand intérêt pour la recherche.

En 1990, les premières foreuses thermiques ont pénétré la glace de l’Antarctique à proximité de la station Vostok. L’objectif était d’atteindre le lac et prélever des échantillons d’eau. Dès les années 1970, les scientifiques soviétiques ont commencé à forer des trous dans les glaces du continent polaire, dont quatre classés comme étant profonds. Le trou creusé en direction du lac a donc été surnommé 5G : la cinquième profondeur (en russe, le mot profondeur commence par un « G »). Ces forages thermiques étaient réalisés grâce à la chaleur des trépans (ou scie-cloche) qui faisaient fondre la glace.

Le lac a été appelé Vostok en l’honneur de la station scientifique soviétique, fondée dans cette région en 1957

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Traces du véhicule

tout-terrain

La STaTioN VoSToK

Depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, la station Vostok appartient à la Fédération de Russie. Elle est située dans la zone où le climat est sans doute le plus rude de la planète. C’est à son emplacement que la température la plus froide connue a été enregistrée en juillet 1983 : -89,2 °C (à une telle température, les globes oculaires gèlent presque instantanément). Par ailleurs, la station est

Tours de communication

Cela consommait une énorme quantité d’énergie électrique, dix fois plus que pour un forage classique. Pour cette raison, mais également à cause de la mauvaise qualité de la glace récupérée, les scientifiques choisirent d’échanger la foreuse thermique pour une foreuse électromécanique KEMS-132 à 2755 mètres de profondeur

En 1998, les travaux ont été interrompus à 3623 mètres de profondeur. Pourquoi ? Le liquide de forage était composé d’un mélange de kérosène et d’un agent de pondération particulier : le fréon Ce dernier est nécessaire pour compenser la pression de la couche de glace afin d’éviter que le trou ne se referme. Peut-on imaginer ce que ce mélange toxique aurait provoqué s’il était entré en contact avec l’eau du lac ? La majeure partie des espèces qu’il abrite auraient disparu au moment même où la foreuse aurait pénétré dans l’eau. Afin de préserver l’eau du lac, les travaux ont été suspendus pendant huit ans à 150 mètres de sa surface. Cette décision a été prise à l’initiative du Comité Scientifique pour la Recherche Antarctique (SCAR).

située à 3488 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui réduit considérablement le niveau d’oxygène. Plusieurs mois sont nécessaires aux scientifiques pour s’adapter à ces conditions, durant lesquels ils perdent jusqu’à 12 kg. Néanmoins, des chercheurs y travaillent depuis 1957. Ils étudient le climat du continent, sa géologie et percent des trous dans la glace de l’Antarctique pour

découvrir ses secrets. Par ailleurs, la station Vostok est située à proximité du pôle Sud magnétique qui est aussi un objet d’étude de premier plan. Mis à part quelques traces de microorganismes, il n’existe quasiment aucune forme de vie dans les environs de Vostok. Près de 40 scientifiques sont présents à la station durant l’été contre une vingtaine durant les mois les plus rudes de l’hiver polaire.

La CarTe DeS LaCS

De L’aNTarCTiQUe

SUBGLaCiaireS

À ce jour, les radars et les images satellites ont permis d’identifier plus de 150 lacs subglaciaires sous la calotte glaciaire de l’Antarctique.

LAC VOSTOK
LAC ELLSWORTH
OC É AN AUSTRAL Pôle Sud Barrière de Ross Barrière de
Filchner-Ronne Bâtiments rédidentiels Laboratoire météorologique Tour de forage 5G
GéoGraphie

L’aVaNT-poSTe MériDioNaL De La SCieNCe

LA TEMPÉRATURE DE LA GLACE DÉPEND DE SA PROFONDEUR

Distance de la surface, en mètres

Mouvementdelaglace

TENEUR EN OXYGÈNE L’eau du lac est douce, avec une concentration en oxygène très élevée (50 fois supérieure à la norme). L’eau est alimentée en oxygène par la glace fondue.

TEMPÉRATURE DE L’EAU En profondeur, la température oscille autour de 10 °C. L’eau est vraisemblablement réchauffée par des sources chaudes souterraines.

PRESSION Les calculs permettent d’estimer que la pression à l’intérieur du lac est 300 fois supérieure à celle de l’atmosphère. Cette pression est provoquée par l’épaisseur de la couche de glace qui recouvre le lac.

Mouvementdelaglace

Température moyenne à la surface Petit ge glaciaire

Période interglaciaire

Glaciation

0 — 500 — 1000 — 1500 — 2000 I I I I I I I — 32 –31 –30 –29 –28 –27 –26

Réchauffement par les roches souterraines

Température, °С

TEMPÉRATURE La base scientifique russe Vostok est située à l’un des points les plus froids de la planète. La température record de –89,2 °C y a été enregistrée le 21 juillet 1983.

AIR L’Antarctique est un des endroits les plus arides de la planète. Autour de la station, l’air ne possède aucune humidité et est fortement ionisé. Le manque d’oxygène provoque des problèmes respiratoires fréquents chez les scientifiques.

LA NUIT POLAIRE D ure 120 jours.

LES EFFECTIFS Il peut y avoir jusqu’à 40 scientifiques et ingénieurs durant l’été contre une vingtaine seulement durant l’hiver.

Station Vostok Tour de forage 5G Salle de travail Bâtiment résidentiel Station Vostok Tour de forage 5G Salle de travail Bâtiment résidentiel Tour de forage 5G Salle de travail
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La calotte glaciaire est en formation constante. Lorsque la neige tombe, elle se solidifie et s’enfonce progressivement dans les couches inférieures, recouverte à son tour par les précipitations. Jusqu’à 54 mètres, la glace a une structure granuleuse puis elle gagne en densité. Plus la glace est profonde, plus elle subit de pression. Jusqu’à 1837 mètres de profondeur, on peut facilement discerner les épaisseurs annuelles successives, qui permettent de dater la glace. Au fond du forage (3051 mètres), la glace contient des traces de sable et de limon.

La station est ravitaillée par avion. Durant l’hiver, il est quasiment impossi ble de s’y rendre.

En 1989, une équipe de sci entifiques français, sovié tiques et américains ont démarré le forage du trou 5G-1. L’objectif de cette mis sion était d’étudier les changements climatiques.

Un nouveau liquide de forage à base de composé orga nosilicié (comme le silicone) a permis d’écarter le risque de contamination du lac. Du fait de son inertie chimique, ce liquide hydrophobe est inoffensif pour l’homme et l’animal, ce qui permettait d’espérer qu’il en serait de même pour les microor ganismes du lac. La foreuse a de nouveau été remplacée, pour revenir à un modèle thermique. Afin qu’il ne pénètre pas dans le lac, la densité du liquide de forage a dû être réduite de telle

sorte que sa pression soit de 0,3 à 0,4 MPa inférieure à la pres sion estimée dans les eaux du lac. L’eau était censée remonter d’elle-même sur 30 à 40 mètres dans le trou et geler instanta nément. Cette glace devait ensuite être récupérée pour analyse.

L’ouverture

Une nouvelle équipe de forage a rejoint la station Vostok le 28 no vembre 2011 afin de procéder à la dernière étape. La foreuse a atteint le lac le 4 février de l’année suivante à 3766 mètres de profondeur, mettant fin à 15 millions d’années d’isolation de ce lac exceptionnel.

Hélas, tout ne s’est pas déroulé comme prévu. En particulier, la température de l’eau du lac était de –2,65 °C et sa pression supérieure à 300 fois celle de l’atmosphère ! Cela a provoqué une remontée d’eau sur 600 mètres dans le trou. Elle s’est ensuite mélangée avec le liquide de forage avant de geler. Les scientifiques ont réussi à récupérer 30 à 40 litres d’eau à la surface, mais elle était déjà contaminée par des microorganismes en provenance du liquide de forage. L’année suivante, il a été possible d’extraire une carotte de glace de près de deux mètres afin d’étudier sa compo sition. Le trou 5G ayant été obstrué par la glace, les chercheurs ont foré un nouveau trou parallèle afin d’accéder au lac.

Comme on pouvait s’y attendre, l’eau du lac ne contient au cune trace de carbone organique, mais possède un taux d’oxygène

Échantillon de glace d’une profondeur de 53–54 mètres De 1836–1837 mètres De 3050–3051 mètres
G raphie
Géo
L e S T r a N SF o r M aT io N S D e L a GL a C e e N p ro F o ND e U r

élevé. Jusqu’à 800 milligrammes par litre, soit plus de 10 fois plus que le taux auquel les bactéries peuvent survivre. Il a fallu beaucoup de temps aux microbiologistes afin de séparer les échantillons d’eau des contaminants , les bactéries provenant de l’extérieur. Néanmoins, les découvertes de nouvelles espèces ne se sont pas fait attendre.

En 2016, les chercheurs du laboratoire de cryo-astrobiologie de l’Institut de physique nucléaire de Saint-Pétersbourg ont annoncé la découverte d’un microorganisme baptisé w123–10. Le génome de ce « microbe » est composé à 14 % de séquences uniques de nucléotides, ce qui permet d’affirmer qu’il était auparavant inconnu. Cet organisme n’était pas le premier « inconnu » découvert à proximité du lac. La bactérie Hydrogen Phallaceae thermoluteolus, qui a la capacité extraordinaire de vivre à –50 °C, a été découverte en 2004, alors que le forage atteignait presque trois kilomètres de profondeur. Le faible nombre d’organismes découverts à ce jour ne doit pas décourager les recherches. Où que l’eau se trouve sur la planète, elle est toujours pleine de vie. La plupart des découvertes sont donc à venir.

On ne peut pas dire que le lac Vostok est unique. Quelque 400 autres, d’une taille bien plus modeste, ont déjà été découverts sous les glaces de l’Antarctique. C’est par exemple le cas du lac Ellsworth qui aurait été isolé du monde pendant plus de 125 000 ans et présenterait aussi un important intérêt scientifique. Des échantillons d’eau provenant du petit lac subglaciaire Whillans (situé à 800 mètres de la surface, il a une profondeur de quelques mètres seulement) ont été prélevés en 2013 par une équipe de chercheurs américains. Il s’est avéré que le lac était habité par des colonies de microorganismes

Le SoNDaGe par iMaGerie SiSMiQUe

Afin d’étudier les profondeurs de notre planète, les scientifiques créent des miniséismes. Habituellement, ils utilisent de puissantes explosions pour provoquer des ondes de choc qui se propagent sous terre et dont l’écho permet de déterminer la structure de la croûte terrestre. Des stations sismiques permettent d’enregistrer les échos, ce qui permet également de détecter les gisements de gaz et de pétrole, mais aussi les cavités et les lacs souterrains. Dans les années 1950, les recherches sismologiques en Antarctique ont permis de faire des découvertes importantes comme l’épaisseur de la calotte glaciaire, qui varie entre deux et quatre kilomètres. Cette méthode, qui permet une exploration assez précise, est très énergivore et coûteuse. Plus moderne, le géoradar (ou radar à pénétration de sol) permet d’« éclairer » la croûte terrestre par impulsion électromagnétique et d’enregistrer le signal réfl échi. C’est à l’aide d’un géoradar installé dans un avion que les dimensions réelles du lac subglaciaire Vostok ont pu être déterminées.

dont la concentration est seulement 10 fois inférieure celle rencontrée dans l’Océan. Ces bactéries ne tirent pas leur énergie du soleil, mais de l’oxydation des glucides.

On ne peut pas dire que le lac Vostok est unique. Quelque 400 autres, d’une taille bien plus modeste, ont déjà été découverts sous les glaces de l’Antarctique. C’est par exemple le cas du lac Ellsworth qui aurait été isolé du monde pendant plus de 125 000 ans et présenterait aussi un important intérêt scientifi que. Des échantillons d’eau provenant du petit lac subglaciaire Whillans (situé à 800 mètres de la surface, il a une

La quasi-absence de mouvements des eaux du lac Vostok permet de supposer que les sédiments déposés au fond sont restés inchangés pendant des millions d’années. C’est un objet de recherche particulièrement intéressant pour les géologues, qui sont capables de déchi rer l’histoire d’un continent entier à partir de sédiments. Leur forme et leur composition permettront des découvertes sur le climat et le mouvement de la calotte glaciaire antarctique. En attendant, les géologues étudient la glace récupérée dans le trou 5G, qui contient des informations sur le climat des 400 000 dernières années !

profondeur de quelques mètres seulement) ont été prélevés en 2013 par une équipe de chercheurs américains. Il s’est avéré que le lac était habité par des colonies de microorganismes dont la concentration est seulement 10 fois inférieure celle rencontrée dans l’Océan. Ces bactéries ne tirent pas leur énergie du soleil, mais de l’oxydation des glucides.

L’épopée du lac de l’Antarctique est devenue un exemple formidable de coopération scientifique internationale, lorsque les relations entre les nations et les hommes ne sont pas contrariées par une présence et des enjeux militaires. Le Comité Scientifi que pour la Recherche Antarctique (SCAR) est devenu une plateforme de discussion grâce à laquelle les puissances scientifi ques peuvent échanger des informations et mettre en commun leurs savoirs sur l’Antarctique. Surveillons attentivement la quête du lac sous la glace dont la suite promet d’être passionnante !

#1 DéCeMBre 2020 41

PLANÈTE

L ES VESTIGES DES MERS ANCIENNES

L ES VESTIGES DES MERS ANCIENNES Que peuvent-ils nous apprendre ?

Depuis longtemps, les humains retrouvent des restes d’animaux marins — surtout des coquilles de mollusques  sur la terre ferme, y compris dans des endroits aussi éloignés de la mer que les hautes montagnes. Ces découvertes sont longtemps restées inexpliquées. De nos jours, leur origine est connue et ces traces des mers anciennes sont utilisées pour étudier le passé de notre planète.

Que peuvent-ils nous apprendre ? NOTRE

NOUS HABITONS AU FOND DE L’OCÉAN

Comment se fait-il que la mer ait laissé des traces dans la quasi-totalité des recoins de la surface terrestre ? De nombreux espaces auparavant immergés se sont élevés au-dessus du niveau de la mer sous l’e et de puissants mouvements tectoniques . Les terrains plats et les plateaux sont le résultat d’une élévation en douceur, tandis que les montagnes sont apparues aux endroits où l’élévation était accompagnée par une collision des plaques tectoniques. De nombreuses chaînes de montagnes d’Eurasie comme les Alpes, le Caucase ou l’Himalaya sont majoritairement issues des fonds marins de l’ancien océan Téthys dont les restes ont formé les mers Méditerranée, Noire et Caspienne.

Par ailleurs, durant les périodes géologiques les plus chaudes, en l’absence de glaciers sur notre planète, toute l’eau qu’ils stockent aujourd’hui se trouvait dans l’Océan. Le niveau de l’eau était 70 mètres au-dessus du niveau actuel et par conséquent, de nombreuses régions étaient immergées.

De ce fait, presque tous les points situés actuellement sur la terre ferme ont déjà été sous l’eau. Il y a évidemment des endroits sans sédiments marins, comme dans presque toute la Finlande. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais eu d’eau pour autant. Ce pays se trouve près de l’épicentre d’une glaciation relativement récente, et un glacier a donc e acé toutes les traces.

PANGÉE LAURASIE EURASIE AUSTRALIE ANTARCTIQUE AMÉRIQUE DU NORD AMÉRIQUE DU SUD AFRIQUE GONDWANA PERMIEN, –225 MILLIONS D’ANNÉES QUATERNAIRE, ÉPOQUE CONTEMPORAINE TRIAS, –200 MILLIONS D’ANNÉES : CRÉTACÉ, –65 MILLIONS D’ANNÉES OCÉAN TÉTHYS OCÉAN TÉTHYS #1 DÉCEMBRE 2020 43

NOTRE PLANÈTE

Seules les parties les plus dures du corps des animaux sont conservées dans la roche : le squelette et les dents pour les vertébrés, la coquille pour les mollusques, et la carapace pour les crustacés. En outre, elles sont soumises à la minéralisation : un phénomène qui entraîne une solidification des éléments qui les composent, et les remplace parfois par des minéraux. La forme de ces restes est souvent très bien conservée et permet de déterminer avec précision l’animal auquel ils appartiennent. Si l’animal fossilisé possède un lien de parenté avec une espèce actuelle, un détail su t à restituer son apparence.

C’est le cas du mégalodon , une espèce de requin dont l’aspect a été reconstruit à partir de dents et de quelques vertèbres. En revanche, si le détail découvert ne possède aucun analogue contemporain, les paléontologues ne peuvent que spéculer. L’emplacement de la « spirale dentaire » de l’helicoprion , une ancienne espèce de poisson, est au centre d’un intense débat scientifique depuis plus d’un siècle.

La mer a laissé des roches sédimentaires sur la quasi-totalité des terres émergées. En principe, elles reposent en strates distinctes l’une par-dessus l’autre comme pour les couches d’un gâteau. C’est au XVIIe siècle que le naturaliste danois N S formule le principe d’après lequel les strates de roche supérieures sont les plus récentes. Cela veut dire qu’en cas de découverte d’un a eurement (comme une falaise mise à nu par une rivière ou une mer) sur lequel on peut distinguer trois couches comportant des restes d’animaux marins, on peut affirmer que les animaux de la couche inférieure peuplaient cet endroit lors d’une période donnée, puis ont été remplacés par les espèces de la couche intermédiaire qui ont elles-mêmes été remplacées par les espèces de la couche supérieure, encore plus récentes. S’il n’y a pas d’a eurement, il est possible d’e ectuer un forage dans la roche et d’observer, à partir du fond, la position des di érentes espèces fossilisées. Cela permet non seulement de comprendre quelles espèces ont un jour peuplé l’emplacement donné, mais aussi lesquelles sont plus ou moins anciennes.

UN MILLE-FEUILLE DE FOSSILES

Que peuvent donc bien nous révéler les traces des mers anciennes ? En réalité, beaucoup de choses. C’est même la principale source d’information sur le passé de notre planète. En se retirant, les mers ne laissent pas uniquement des coquillages, mais surtout des couches entières de roches dont l’épaisseur peut atteindre plusieurs centaines de mètres et qui se sont accumulées dans les fonds marins. Une importante partie des terres émergées est composée de ces roches, issues de la sédimentation marine. La plupart du temps, elles incluent des restes d’animaux marins fossilisés et certaines d’entre elles, comme le calcaire , en sont entièrement composées. En les observant attentivement, on peut donc savoir quels animaux vivaient dans la mer au moment où elle était présente.

Une dent de mégalodon comparée à une dent de grand requin blanc. Le mégalodon est le plus grand requin de tous les temps, ayant vécu entre 2,6 et 23 millions d’années avant notre ère.

Le trilobite, une espèce disparue d’arthropode marin, cambrien, Maroc

La « spirale dentaire » d’un Helicoprion. Selon les reconstructions, elle est située soit sur la mâchoire inférieure, soit sur la nageoire caudale.

Le massif des Dolomites dans les Alpes italiennes est entièrement composé de roches formées au fond de l’océan Téthys

Puits d’exploration

Heureusement, les scientifiques ont trouvé comment résoudre ce problème. Ils ont comparé les di érents sédiments abandonnés par les mers anciennes dans le monde entier. Leurs combinaisons de couches di éraient, mais on retrouvait souvent des strates de fossiles en commun. Même pour des échantillons prélevés des milliers de kilomètres. Au milieu du XIXe siècle, le zoologiste et paléontologue britannique Thomas Henry Huxley émit l’hypothèse que les strates avec la même population de fossiles avaient le même âge.

LES CHRONIQUES DE LA PIERRE

S’il existait un point de la surface terrestre où la mer était présente depuis la création de notre planète jusqu’à récemment, et que tous les sédiments y soient préservés, il serait possible d’étudier les a eurements qui s’y trouveraient. Cela permettrait d’étudier comment les di érents organismes marins se sont succédés dans le temps. Hélas, un tel endroit n’existe pas. Tout d’abord, la mer s’est déplacée en permanence au cours de l’histoire de notre planète, de telle façon qu’il n’existe pas d’endroit où elle aurait été présente en continu. Ensuite, les roches sédimentaires formées dans la mer sont souvent détruites lorsqu’elles se retrouvent à la surface. Elles sont balayées par les rivières et par les vents ou bien érodées par les glaciers.

Un fossile d’ammonite, une espèce disparue de mollusque céphalopode, dans le métro de Moscou

Les paléontologues ont alors identifié une dizaine de sortes de strates di érentes et les ont appelées périodes géologiques. Plus tard, chaque strate a été divisée en plusieurs entités. Cela a permis de peindre un tableau assez précis de l’évolution de la faune marine au cours du temps. Il est vrai qu’il se limite aux dernières 540 millions d’années. Avant cela, les animaux marins ne possédaient pas de parties assez dures pour être conservés dans les sédiments. C’est pourquoi les espèces qui peuplaient les mers les plus anciennes sont très peu connues en dépit de la découverte de sédiments de leur époque.

Juxtaposition de deux coupes géologiques

LA CHRONOLOGIE ABSOLUE

On a longtemps ignoré combien de temps avaient duré les di érentes périodes géologiques et comment les dater. Il y a tout juste cent ans, les scientifiques estimaient que l’histoire géologique de la Terre ne dépassait pas les 20–40 millions d’années. Ce n’est qu’à partir du milieu du XXe siècle que des datations plus ou moins exactes ont pu être obtenues grâce à datation radiométrique . On sait désormais que notre planète est apparue il y a environ 4,5 milliards d’années.

1ère strate 2 3 4 5 6 7
#1 45 DÉCEMBRE 2020

COMMENT ÉTAIENT LES MERS

ANCIENNES ?

Les sédiments des mers anciennes ne font pas que nous dévoiler qui y vivait. Comment ? D’abord, la composition des fossiles d’animaux donne souvent des indications sur leur habitat. Par exemple, si un fossile comporte des traces de corail, cela veut dire qu’à son époque, la mer était chaude. En e et, le corail ne pousse pas dans les mers froides. Les traces d’oursins témoignent quant à elles d’une salinité élevée, car ils ne supportent pas l’eau trop peu salée (c’est par exemple le cas de la mer noire qui est deux fois moins salée que l’Océan et ne comporte donc aucun oursin).

Du calcaire composé entièrement de restes d’animaux marins (principalement crinoïdes et mollusques)

Ensuite, de nombreuses informations peuvent être fournies par les sédiments eux-mêmes. Les roches sédimentaires qui apparaissent dans les fonds marins sont très hétérogènes. Cela peut-être du sable, de l’argile, du calcaire, ou encore de la marne. Leur di érence est due aux conditions dans lesquelles elles sont apparues. Pour la formation de calcaires, la mer doit être chaude et peu profonde. Ce type de mer abrite des mollusques, des coraux, des crinoïdes et d’autres organismes dont les parties dures sont principalement composées de carbonate de calcium , qui s’avère être le principal composant des calcaires. Quant au sable, on le retrouve dans les endroits peu profonds et proches du rivage.

Parfois, la surface des roches sédimentaires témoigne d’événements des périodes anciennes. Cela peut être des marques d’ondulations causées par les vagues et les courants marins ou bien des traces de passage d’animaux anciens. De tels vestiges du passé permettent d’apporter des éléments supplémentaires à la description des mers disparues.

Empreinte d’un animal porteur de conodontes au musée d’histoire naturelle de Londres

DES DENTS MYSTÉRIEUSES

Il est intéressant de savoir que pour dater les couches géologiques à l’aide de fossiles, il n’est pas nécessaire de connaître l’apparence qu’ils avaient de leur vivant. Par exemple, les conodontes , de minuscules dents de moins de 1 mm, sont retrouvées dans de nombreux endroits. Pourtant, l’espèce à laquelle elles appartenaient est restée inconnue jusqu’au début des années 1980, lorsque son empreinte fut découverte (elle s’est révélée très proche de l’anguille actuelle). Cela n’a pas empêché d’utiliser ces dents pour dater avec précision de nombreux sédiments marins, leur forme évoluant rapidement dans le temps.

Des traces d’ondulation fossilisées datant de plus de 1,6 milliard d’années, Montana, États-Unis

Conodontes de différents types

Porteur de

conodontes

Hallucigenia

Opabinia

Représentation artistique d’espèces de la période cambrienne Anomalocaris
NOTRE PLANÈTE

Carrière de fer dans la région de Koursk, Russie

Une roche qui a été formée dans une lagune marine peu profonde il y a plus de 3 milliards d’années en Australie occidentale. C’est une des roches les plus anciennes que l’on ait retrouvées.

LE PRINCIPE DE L’ACTUALISME ET SES LIMITES

Afin de déterminer les caractéristiques des mers anciennes à partir de leurs sédiments, les géologues utilisent le principe d’actualisme , proposé par le scientifique anglais Charles Lyell en 1930. D’après ce principe, les processus géologiques du passé se déroulaient de la même manière que ceux d’aujourd’hui. Par exemple, si une couche de cendre volcanique découverte dans une coupe géologique est similaire à de la cendre volcanique que l’on peut retrouver aujourd’hui près du Vésuve, on peut supposer qu’elle est apparue lors de l’éruption d’un volcan ancien semblable au Vésuve. Cependant, plus on se déplace loin dans le passé, moins le monde était semblable au nôtre. Il y a plusieurs milliards d’années, l’oxygène était totalement absent de l’atmosphère terrestre et la composition chimique de l’eau de mer était donc complètement di érente. Il y avait notamment beaucoup de fer en solution dans l’eau, ce qui est impossible de nos jours. En e et, dans une eau au contact d’oxygène, le fer s’oxyde ! D’ailleurs, quand les premiers organismes photosynthétiques ont commencé à libérer de l’oxygène, celui-ci était entièrement absorbé par l’oxydation du fer, et ceci pendant une très longue période. Pendant des centaines de millions d’années, une pluie de rouille est tombée en continu sur les océans. Par conséquent, de larges couches d’oxyde de fer se sont formées. C’est là que l’on retrouve aujourd’hui les gisements de fer les plus importants. Ces conditions n’existent plus sur terre et de tels sédiments ne peuvent donc plus être formés.

DES ZONES D’OMBRE SUR LES CARTES DES MERS ANCIENNES

Évidemment, de nombreux éléments de l’histoire des mers anciennes demeurent un mystère. Cela s’explique avant tout par le fait que seule une petite partie des sédiments a été conservée jusqu’aujourd’hui. C’est pour cela, par exemple, qu’il est quasiment impossible de déterminer les frontières exactes d’une seule des mers anciennes. La plupart du temps, il est impossible d’expliquer l’absence de sédiments à un endroit précis : il n’y en a peut-être jamais eu, mais il est également possible qu’ils aient tout simplement été éliminés par un quelconque processus géologique. Par exemple, les géologues contemporains peuvent a rmer qu’entre 300 et 500 millions d’années, il existait un océan là où s’élève aujourd’hui la chaîne montagneuse de l’Oural. Il porte d’ailleurs le même nom : océan de l’Oural . En revanche, on ne peut pas encore déterminer s’il s’agissait d’un grand océan comme l’Atlantique, ou d’une mer de petite taille comme l’Adriatique.

Il est parfois très compliqué d’analyser les informations contenues dans les sédiments des mers anciennes. Il arrive de temps à autre que les sédiments marins ne contiennent aucune trace de fossile. Qu’est-ce que cela signifie ? Que la mer en question n’abritait aucune forme de vie ? Ou bien qu’elle possédait des caractéristiques qui empêchaient la conservation des restes d’animaux marins ? Il est souvent compliqué de répondre à ces interrogations. De nombreux mystères restent à résoudre au sujet des mers anciennes.

Strates de roches sédimentaires dans le canyon de Charyn, Kazakhstan
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Les Périodes Géologiques

« Période géologique » : cela ne vous dit peut-être rien ? Pourtant, vous en connaissez sûrement déjà une. Eh oui, qui ne connaît pas le film Jurassic Park ? Toute l’histoire terrestre de ces derniers 540 millions d’années est divisée en périodes, elles-mêmes subdivisées en époques et en âges. Mais comment les géologues savent-ils quand commence et quand se termine telle ou telle période ?

GÉOLOGIE

LA MÉMOIRE DE LA PIERRE

D’ailleurs, comment savoir ce qui se passait sur terre il y a des millions d’années ? C’est dans les roches qui se sont formées en ces temps lointains que nous puisons la plupart de nos informations. En les étudiant, les géologues tentent de reconstituer le monde tel qu’il était au moment de leur formation. Par exemple, si l’on trouve une couche de lave solidifiée ou de cendres volcaniques, il ne fait aucun doute qu’un volcan est entré en éruption dans les environs. Une strate d’argile témoigne quant à elle de la présence d’une mer aujourd’hui disparue, plutôt profonde d’ailleurs. En outre, les roches sédimentaires renferment souvent les restes minéralisés de plantes et d’animaux très anciens. Grâce à ces fossiles, on peut reconstituer l’aspect qu’avaient ces êtres vivants.

Et si l’on trouve un site où l’on voit la superposition de plusieurs couches (on appelle cela un affleurement géologique ), on peut conclure logiquement que plus la couche est située en hauteur, plus elle est de formation récente. C’est la conclusion qu’a tirée au XVIIe siècle le scientifique danois N S (qu’on appelle aussi Nicolas Sténon ou encore Nicolas Steno). Plus tard, cette idée a pris le nom de principe de superposition de Steno . Grâce à lui, on peut déterminer l’âge relatif des roches d’un même ensemble rocheux, c’est-à-dire comprendre l’ordre chronologique de la formation des di érentes strates. Mais cela ne nous est guère utile pour savoir combien de millions (ou peut-être de milliers ? de milliards ?) d’années nous séparent du moment de leur formation. En d’autres termes, le principe de superposition ne nous dit rien de leur âge absolu

Affleurements géologiques dans le parc national de Karijini en Australie

Structure initiale

LES PRINCIPES DE STENO

Les couches de roche les plus anciennes sont en bas de la séquence, les couches les plus récentes sont en haut P ’H P

Les couches sédimentaires se déposent d’abord à l’horizontale (parallèlement à l’horizon)

P  C

Les couches de roche sont continues tant qu’elles ne rencontrent pas d’autres ensembles solides qui empêchent leur dépôt ou les modifient après qu’elles se sont formées

R  R

Les couches A et B sont plus anciennes que l’intrusif C

PLUSIEURS STRATES, PLUSIEURS ÂGES

Peut-on comparer l’âge de roches appartenant à des a eurements di érents ? Naturellement, si les a eurements sont situés à quelques kilomètres les uns des autres, leurs roches ont toutes les chances d’être, si ce n’est identiques, du moins très semblables. On pourra donc les comparer sans di culté. Mais lorsque les a eurements sont distants de plusieurs centaines voire plusieurs milliers de kilomètres, ou bien lorsqu’ils se situent sur des continents di érents, ils ont de grandes chances de contenir des roches distinctes, ce qui nous empêche de les comparer directement. En 1799, l’ingénieur britannique S propose une solution à ce casse-tête. W

P  S
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Structure après accumulation de sédiments

Alors qu’il travaille sur des chantiers de construction de canaux en Angleterre, il remarque que les roches observées dans les parois des zones excavées pour les canaux ne se succèdent pas au hasard. Chaque couche de roche contient des fossiles qui lui sont propres. Ces fossiles sont les restes minéralisés (pétrifiés) des organismes des périodes lointaines et des traces qu’ils ont laissées sur leur passage. Ils se succèdent dans le même ordre vertical quel que soit l’endroit. C’est du moins le constat que fait Smith lorsqu’il décide de classer les strates rocheuses à l’aide de ces fossiles (d’où leur nom de fossiles stratigraphiques ). Il émet alors l’hypothèse que les strates contenant les mêmes fossiles stratigraphiques se sont formées au même moment et élabore un tableau réunissant les strates observées sur divers a eurements.

Smith obtient ainsi un tableau retraçant l’ordre vertical des fossiles stratigraphiques. Il venait d’inventer l’échelle stratigraphique , qui sert aussi d’échelle géochronologique, c’est-à-dire d’échelle du temps géologique. Chaque couche correspond à la période de sa formation. En s’appuyant sur son échelle stratigraphique, Smith réalise en 1815 une carte géologique de l’Angleterre et du

Pays de Galles. Jamais les géologues n’avaient cartographié un territoire aussi immense. Elle a tout d’une carte moderne : elle met en évidence la répartition des roches de surface avec di érentes couleurs en fonction de leur âge.

Au cours des vingt-cinq années qui suivent, les géologues systématisent l’échelle stratigraphique en distinguant de grandes couches géologiques (leur système et l’intervalle chronologique correspondant) : les périodes . En 1841, ils avaient déjà déterminé presque toutes les périodes que nous connaissons aujourd’hui. La plupart du temps, elles ont reçu le nom de régions où l’on trouve de grandes quantités de leurs sédiments caractéristiques. Ainsi, le Dévonien a été

Logs géologiques (colonnes stratigraphiques) de plusieurs affleurements

nommé d’après le Devonshire (aujourd’hui Devon) en Angleterre, le Permien d’après la ville de Perm en Russie et le Jurassique d’après la chaîne du Jura partagée entre la France et la Suisse. Dans d’autres cas, on a opté pour le nom des roches les plus représentatives de la période. Par exemple, la période qui a laissé de vastes couches de charbon (constitué de carbone) en Europe de l’Ouest a été baptisée Carbonifère ; une autre a laissé de grands dépôts crayeux dans les mers, d’où son nom de Crétacé (du latin creta , la craie). À la fin du XIXe siècle, les géologues regroupent les périodes en trois ères : le Paléozoïque, le Mésozoïque et le Cénozoïque. Ils divisent également les périodes en portions plus courtes : les époques et les âges.

Carte géologique de l’Angleterre et du Pays de
de
Smith Schéma d’une séquence de couches avec leur hauteur respective Affleurement 1 Affleurement 2 Affleurement 3 Couches 1 2 3 4 5 6 7 8 GÉOLOGIE
Fossiles stratigraphiques qui ont permis à William Smith de définir une strate géologique
Galles
William

À LA RECHERCHE DU TEMPS ABSOLU

Toutefois, on ne savait rien de l’âge ou de la durée de ces périodes. Certains ont entrepris de mesurer la vitesse à laquelle les sédiments se déposent dans les mers pour calculer la durée des périodes en fonction de la quantité de sédiments déposés. Ce processus prend cependant beaucoup de temps : souvent, un siècle entier ne suffit pas à ce que se forme un dépôt d’un centimètre seulement. De plus, les sédiments se tassent considérablement (d’ailleurs, on ne savait pas encore à quel point exactement). Ces tentatives ne permettent donc pas d’obtenir des données fiables. Par conséquent, les scientifiques s’appuyaient la plupart du temps sur l’âge de la Terre qu’ils divisaient ensuite pour essayer de calculer la durée de chaque période, en faisant l’hypothèse que la durée d’une période rapportée à l’âge total de la Terre est proportionnelle à la hauteur de la strate qui lui correspond rapportée à la hauteur de toute la colonne stratigraphique. Problème : on ne savait pas non plus déterminer avec précision l’âge de la Terre. En 1868 par exemple, le physicien britannique W T (qui recevra ensuite le titre de Lord Kelvin pour ses découvertes scientifiques) établit à l’aide d’un modèle mathématique que la planète est apparue il y a 20 à 40 millions d’années. C’était le temps nécessaire pour que la sphère de matière en fusion qu’elle était à sa naissance se refroidisse et atteigne les températures que nous connaissons aujourd’hui. Ce modèle excluait de nombreux paramètres. Il n’y a donc

Empreinte de dickinsonia, un animal qui peuplait les mers du sud de l’actuelle Australie lors de l’Édiacarien (la dernière période du Précambrien)

Parfois, des pans entiers de l’histoire de la Terre disparaissent, notamment à cause de l’érosion des roches. Par exemple, certaines couches sédimentaires du Grand Canyon (États-Unis) se succèdent directement alors qu’elles ont des âges très différents. Les formations situées en bas datent du Protérozoïque inférieur, celles situées en haut du Cambrien. On a « perdu » presque un milliard d’années ! On a baptisé cette anomalie la « Grande Discordance ».

rien d’étonnant à ce que ce résultat soit incorrect : il est plus de cent fois inférieur à l’estimation d’aujourd’hui ! C’est pourtant le résultat de Kelvin que prennent en compte la plupart des scientifiques jusqu’à la fin du XIXe siècle. Bien entendu, la durée des périodes géologiques calculée sur la base de ce chi re était fortement sous-estimée.

LE PROBLÈME DU PRÉCAMBRIEN

Au XIXe siècle, l’échelle stratigraphique n’avait été conçue que pour les roches formées à partir du Cambrien. Les roches de formation antérieure ne contenaient ni fossiles stratigraphiques, ni même la moindre trace de vie. Le principe de succession que Smith avait fondé sur l’étude de ces fossiles ne fonctionnait donc pas pour ces roches. Au XXe siècle, on finit par trouver des traces de vie dans des sédiments précambriens, mais malgré cela, on ne définit pas les périodes du Précambrien en fonction de leurs fossiles caractéristiques, mais de leur âge absolu.

Calcaire Schiste Grès Roches composites
Protérozoïque ≈ 2,5 milliards d’années à −541 millions d’années Archéen > 2,5 milliards d’années Paléozoïque ≈ 252 à −541 millions d’années Précambrien #1 DÉCEMBRE 2020 51
Fleuve Colorado

ÉCHELLE GÉOCHRONOLOGIQUE LOI DE LA DÉSINTÉGRATION

RADIOACTIVE

Quantité de substance radioactive de départ

Quantité de substance radioactive 1 2 3 4

La période radioactive désigne le temps nécessaire pour que la moitié des noyaux d’un isotope radioactif se désintègre. Elle ne dépend pratiquement pas des conditions environnantes. Le nombre de noyaux désintégrés présents dans un objet permet donc de déterminer son âge avec une grande précision.

Éon Ère Période 0

Phanérozoïque

Périodes radioactives

En 1896, la découverte de la radioactivité par le chimiste français Antoine Becquerel révolutionne les méthodes de datation. En 1904, le physicien britannique Ernest Rutherford établit que la durée nécessaire pour que la moitié des noyaux d’un isotope radioactif se désintègre ne dépend pas des conditions environnantes, mais de l’isotope lui-même. Il appelle cette durée « période radioactive » (on parle aussi de demivie) : chaque isotope se distingue par la durée de sa période radioactive. Rutherford propose alors la méthode de la datation radiométrique (ou datation radioactive). L’idée est la suivante. Considérons un minéral qui contient un certain isotope. Cet isotope se désintègre en permanence pour produire d’autres noyaux. En calculant le rapport entre la masse de l’isotope et la masse des noyaux produits par la désintégration, on peut déterminer le moment auquel s’est formé le minéral. En 1907, les premières tentatives de datation radiométrique, menées indépendamment par Rutherford et le radiochimiste américain B B , donnent des résultats très imprécis. Elles démontrent toutefois la présence sur la Terre de minéraux vieux de plus de deux milliards d’années, ce qui signifie que la Terre a au moins cet âge-là.

Pendant les années qui suivent, les techniques de datation se perfectionnent et en 1956 l’âge de la Terre est estimé à 4,54 milliards d’années, un chi re qui n’a pratiquement pas été modifié depuis.

On pourrait croire que la datation radiométrique nous permettrait de calculer l’âge non seulement de la Terre, mais aussi de toutes les roches qui contiennent des isotopes radioactifs. Mais souvent, l’âge des roches ne correspond pas à l’âge des minéraux qui la composent. Par exemple, une couche de sable a pu se déposer il y a dix mille ans, tandis que les grains de quartz qui la composent ont pu se former il y a des millions, voire des milliards d’années. On ne peut donc soumettre à la datation radiométrique que les roches qui se sont formées en même temps ou presque que les minéraux qu’elles contiennent. Ce sont les roches issues de la solidification d’une coulée de magma ou de lave, appelées roches magmatiques. Or, on sait que l’échelle géochronologique se fonde sur l’ordre vertical des roches sédimentaires. Ainsi, les géologues procèdent d’ordinaire de la manière suivante : ils trouvent une couche de roche magmatique intercalée entre deux strates sédimentaires consécutives et la datent, ce qui leur permet de déterminer l’âge absolu de la limite

Précambrien

Protérozoïque

Mésozoïque

Crétacé 145 Jurassique 201 Trias 252 Paléozoïque

Permien 299 Carbonifère 359 Dévonien 419 Silurien 444 Ordovicien 485 Cambrien 541

Édiacarien 635 Cryogénien 720 Tonien 1 Mésoprotérozoïque

Néoprotérozoïque

Ectasien 1.4 Calymmien 1.6 Paléoprotérozoïque

Strathérien 1.8 Orosirien 2.05 Rhyacien 2.3 Sidérien 2.5 Archéen

Sténien 1.2 milliards d’années

Néoarchéen 2.8 Mésoarchéen 3.2 Paléoarchéen 3.6 Éoarchéen 4 Hadéen 4.6

Le Phanérozoïque (qui a commencé il y a 542 millions d’années et n’est toujours pas terminé) est le temps géologique le plus long. Il inclut les ères paléozoïque, mésozoïque et cénozoïque. Le Phanérozoïque se caractérise par sa richesse en organismes vivants qui laissent des fossiles dans les roches sédimentaires.

Cénozoïque Quaternaire 2.58 millions d’années Néogène 23 Paléogène 66
GÉOLOGIE

LA LIMITE EXACTE

La limite entre deux strates consécutives peut avoir un aspect di érent d’un a eurement à un autre, car les strates peuvent contenir des roches et des fossiles stratigraphiques di érents. Pour chaque limite entre deux strates, les géologues s’accordent donc pour déterminer l’endroit où cette limite est la plus visible. On appelle cet endroit le limitotype. Le limitotype sert d’étalon pour déterminer la limite entre les strates dans les autres a eurements.

Datation R A

Méthodes

Description

Principes de Steno, paléomagnétisme, paléopalynologie (étude des pollens fossilisés), datation à l’azote etc.

Les méthodes de datation relative ne permettent pas de déterminer l’âge absolu d’un objet ou d’un événement, mais elles peuvent nous dire si un événement A a eu lieu avant ou après un événement B.

entre ces strates. Aujourd’hui, toutes les limites entre les périodes, mais aussi entre leurs subdivisions que sont les époques et les âges, sont datées à l’aide de cette méthode. Néanmoins, en raison des corrections constantes qu’on apporte aux datations, les géologues se réfèrent de préférence à l’âge relatif des roches plutôt qu’à leur âge absolu.

NOTRE ÉPOQUE

Il y a 2,6 millions d’années commençait la période quaternaire, qui dure encore aujourd’hui. Longtemps, les géologues

Datation radiométrique, datation par l’uranium-plomb, datation optique, datation par thermoluminescence, datation archéomagnétique, dendrochronologie etc.

Les méthodes de datation absolue prennent des phénomènes physiques ou chimiques dont la vitesse est connue comme valeur de référence. La datation radiométrique est la plus répandue.

l’ont subdivisée en deux époques : le Pléistocène qui occupe presque toute la période, et l’Holocène qui a commencé il y a 11 700 ans seulement. Mais en 2016, les membres du 35 e Congrès international de géologie réunis au Cap décident d’officialiser le terme d’ Anthropocène pour désigner l’époque dans laquelle nous vivons actuellement.

Cette époque se caractérise par une augmentation considérable de l’infl uence des activités humaines sur la nature. Elle se manifeste par la sixième extinction de masse, le réchau ement climatique et la pollution environnementale

(notamment par des substances qui n’existent pas à l’état naturel sur terre, comme le plastique, l’aluminium métallique ou le béton armé). On a proposé di érents marqueurs du passage à la nouvelle époque, parmi lesquels l’augmentation brutale de la quantité de radioisotopes dans les sédiments du monde entier provoquée par les essais nucléaires. On peut donc donner la date précise du début de l’Anthropocène : il s’agit du 16 juillet 1945, jour de l’explosion de la première bombe nucléaire dans le Polygone d’essais de missile de White Sands au Nouveau-Mexique.

La pierre concassée et l’asphalte sont des sédiments caractéristiques de l’Anthropocène

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ASTUCES

Unpotagerhors-sol

La science et les technologies avancent en permanence : les scientifiques du monde entier s’affairent à simplifier et à rendre moins chère et moins polluante la production des produits frais que nous mangeons. C’est ainsi que les champs et les serres classiques sont remplacés par l’hydroponie : la culture des plantes sans sol à l’aide de solutions nutritives.

D’oÙ Vient l’HYDroPonie ?

L’idée de cultiver des plantes sans terre ne date pas d’hier. Dès 1699, le naturaliste anglais J W décrit son expérience dans laquelle il a cultivé de la menthe poivrée hors-sol. Lorsqu’on la plaçait dans de l’eau distillée sans sel, la plante fanait, mais lorsqu’on la plaçait dans de l’eau non distillée, elle continuait à pousser. Woodward en a conclu que la menthe trouvait sûrement dans l’eau quelque chose d’essentiel à sa croissance

Aujourd’hui, nous savons qu’une plante a besoin d’une multitude de minéraux pour pousser et se développer : du calcium (Ca ), du fer (Fe ), du potassium (K ), du magnésium (Mg ), du phosphore (P ) et du soufre (S ). Les plantes les puisent du sol (et quelques plantes carnivores les arrachent aux corps de leurs victimes, comme la Dionée attrape-mouche). Mais il est nécessaire qu’il y ait de l’eau dans les sols : elle dissout les sels minéraux, ce qui permet aux racines de les absorber. Le sol en soi n’est pas indispensable à la plante, ce sont les minéraux qu’il contient dont elle a besoin.

Les expériences de Woodward ont soulevé des questions, mais jusqu’au XXe siècle, la culture de plantes hors-sol n’intéressait que les scientifiques.

C’est le biologiste américain W F. G qui fit sortir l’hydroponie des laboratoires. Il affirmait qu’une agriculture hors-sol grâce à des solutions nutritives était non seulement possible, mais aussi intéressante. Au départ, les collègues de Gericke étaient sceptiques, mais quand ils virent les plants de tomates hauts de plusieurs mètres que Gericke avait fait pousser, ils changèrent d’avis. L’Université de Californie lui donna même une immense serre pour ses expériences. Gericke voulait nommer sa méthode l’aquaculture, mais cela aurait semé la confusion : ce mot désignait déjà la culture des organismes aquatiques (les poissons, les algues et les mollusques). Il inventa donc un nouveau terme : l’hydroponie , qui désigne toujours aujourd’hui la culture des plantes hors-sol grâce à des solutions nutritives.

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ASTUCES

En 1938, l’hydroponie fut utilisée à des fins commerciales pour la première fois. Cette année-là, Time publie un re portage sur une île minuscule (Wake) dans l’Océan Pacifique où les avions de la Pan American Airways se posaient pour se réapprovisionner : l’article mentionnait qu’on avait installé sur l’île des tonneaux remplis d’eau minérale dans lesquels poussaient des haricots, des tomates et d’autres légumes. Ces végétaux étaient cultivés pour nourrir les équipages des avions. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les fermes de ce genre se mul tiplièrent : il fallait approvisionner les soldats en légumes frais, mais leur trans port était trop compliqué. Aujourd’hui, l’hydroponie est utilisée dans le monde entier. Par exemple, la NASA étudie la possibilité de cultiver des légumes à bord d’une navette spatiale dans un système de support de vie fermé. Si une telle expérience réussit, cela pourrait changer l’avenir des voyages dans l’espace.

L’humanité cultive des fruits et des légumes depuis des millénaires, pourquoi dépens er son argent dans le dével oppement des technologies alors qu’il suffit de planter des graines dans le sol ? Parce que l’hydroponie a une tonne d’avantages !

Elle permet de cultiver des plantes à des endroits où l’agriculture est normalement impossible. Dans des climats arides, en Israël ou en Égypte, par exemple, l’hydro ponie est utilisée depuis des dizaines d’an nées. Grâce à cette technologie, ces pays peuvent produire leurs propres produits frais, au lieu de les importer au prix fort.

De même, l’hydroponie est une solu tion dans les endroits où il y a déjà très peu de place pour les habitants. Par ex emple sur les îles des Bermudes, la cul ture hors sol occupe seulement 20 % du territoire qu’il aurait fallu à des champs classiques. Dans les régions froides et où il y a peu de jours ensoleillés, l’hydro ponie permet d’obtenir de plus grandes récoltes de légumes et de fruits locaux.

P otager hydroponique

Le principe de l’hydroponie, c’est que la terre n’est pas indispensable aux plantes, mais seulement un support. C’est pourquoi on peut utiliser ce que l’on veut comme substrat (de la laine de noix de coco, des copeaux de bois, de la laine minérale, de la pierre concassée, de l’argile expansée, etc.). Il faut simplement qu’il laisse passer l’humidité et l’air et qu’il ne réagisse pas avec la solution nutritive. D’ailleurs, l’air humide peut servir de substrat, on appelle cela de l’aéroponie.

Dans les zones polluées, la culture horssol résout plusieurs problèmes à la fois : il y a plus de verdure, qui normalement est rare dans les quartiers où la densité des constructions est élevée, et elle per met l’apparition de produits frais dans les immeubles et les bureaux ce qui donne un accès presque illimité à une alimen tation saine.

Il s’agit également d’un type d’ag riculture très écologique, ce qui est un argument de taille en sa faveur. L’eau circule en circuit fermé : elle est traitée, réapprovisionnée en nutriments puis re tourne irriguer les plantes. C’est extrême ment important pour les régions qui manquent d’eau, comme au Proche-Ori ent ou dans quelques pays d’Afrique. Par ailleurs, elle ne nécessite presque aucun pesticide : les fermes sont presque en conditions stériles et n’utilisent que 25 % de l’engrais qu’il aurait fallu à une ag riculture classique en sol. L’hydroponie permet de faire des économies et fa vorise la sauvegarde de l’environnement. Enfin, puisque les fruits et légumes sont produits localement, il n’y a pas besoin de les transporter. Là encore, le produc teur et l’environnement sont gagnants !

En quoi l’eau estelle meilleure que la terre ?
La NASA étudie la possibilité de cultiver des légumes dans l’espace

StruCture D’une Ferme HYDroPonique

Les fermes hydroponiques ressemblent à des serres normales, cependant à la place de la terre on y voit des étagères spéciales reliées à des rigoles où coule le liquide nutritif. Les graines sont gardées dans des incubateurs jusqu’à ce qu’elles germent, puis on les envoie à la ferme hydroponique.

Puisque les racines trempent dans la solution nutritive, elles n’ont pas à s’enfoncer dans la terre pour collecter les substances nécessaires à la plante. Les racines se développent donc peu et toutes les substances organiques synthétisées par la plante sont utilisées pour faire pousser des rejets, des feuilles et des fruits. Dans de telles conditions, la plante pousse à une vitesse phénoménale : une salade en sol met habituellement deux mois à pousser, alors qu’en hydroponie elle pousse en seulement 30 jours.

Il ne suffit pas de faire circuler les solutions nutritives pour obtenir une bonne récolte. De nombreux facteurs sont à surveiller en agriculture. C’est pourquoi les serres sont équipées de dizaines de capteurs qui surveillent

FONCTIONNEMENT D’UN SYSTÈME HYDROPONIQUE

l’acidité, la conductance électrique de l’eau pour l’arrosage, la température, l’humidité, l’intensité de l’éclairage et le taux de CO.

Un système de chauffage bien conçu et construit près des plantes permet d’obtenir une température homogène autour des plantes et favorise les échanges gazeux. L’éclairage artifi ciel permet de réguler la croissance des plantes, d’accélérer ou de ralentir la fl oraison et d’infl uencer les délais de maturation. Il suffit de prolonger l’exposition à la lumière pour que le

La culture des fraises en hydroponie est une attraction touristique en Israël. Les touristes peuvent participer aux récoltes toute l’année.

développement des plantes à floraison en jours longs s’accélère, ce qui permet de récolter bien plus tôt. Conscients de l’eff et de chaque domaine du spectre de la lumière sur les plantes de culture, des scientifiques et des ingénieurs ont conçu des phytolampes qui émettent de la lumière du domaine bleu et rouge du spectre lumineux. Grâce à elles, les conditions pour une photosynthèse intense sont idéales et les plantes poussent plus vite. Les conditions dans les serres sont si bonnes que les fruits qui y sont cultivés sont toujours beaux, colorés et juteux, comme sur les photos.

Feuille Racines Lumière Pompe à eau Tuyau externe Réservoir interne
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ASTUCES

FERMES VERTICALES

Bientôt, nous serons trop nombreux sur Terre et il n’y aura plus assez de terres cultivables. Les fermes verticales nous permettront non seulement de nous passer de la terre, mais également d’utiliser l’espace de manière économe, en étalant les installations hydroponiques sur plusieurs étages.

POURQUOI L’HYDROPONIE ?

PAS BESOIN DE TERRE

CONTRÔLABLE

On peut changer la composition de la solution nutritive

TECHNOLOGIE SIMPLE ÉCOLOGIQUE

Ne demande pas de connaissances ou de compétences avancées Peu d’engrais et de pesticides

Poussée rapide à n’importe quelle saison Utilisation de divers substrats

RÉCOLTE TOUTE L’ANNÉE ÉCONOMIE D’EAU

Grâce à l’utilisation cyclique

COMMENT CONSTRUIRE UN POTAGER HYDROPONIQUE ?

MATÉRIEL

• Jeune plante en bonne santé (elle s’adapte mieux à son nouvel environnement)

• Cache-pot (il doit être opaque, sinon des algues peuvent se développer et bloquer l’eau)

• Pot interne en plastique avec des trous de drainage (pour laisser passer l’air et la solution nutritive). Qui « rentre » dans le pot externe.

• Substrat : argile expansée (disponible chez les fleuristes ou en magasin de jardinage)

• Solution nutritive pour l’hydroponie (disponible chez les fleuristes ou en magasin de jardinage)

• De l’eau propre à température ambiante

• Une jauge de niveau d’eau

INSTRUCTIONS

Un jour avant le rempotage, arrosez abondamment la plante. Laver minutieusement les racines à l’eau tiède jusqu’à ce qu’il ne reste plus de terre. Éliminez les racines endommagées et pourries.

Placez la jauge dans le pot interne.

Positionnez les racines et versez les billes d’argile.

Placez le tuyau interne dans le cache-pot et arrosez avec de l’eau à température ambiante. Ne versez pas directement la solution nutritive, la plante risquerait de mourir à cause du choc.

Placez votre pot dans un endroit chaud et clair, mais pas trop illuminé. Au bout d’une semaine, vous pouvez arroser avec la solution nutritive, jusqu’à un tiers du pot interne. En arrosant, surveillez le niveau de liquide grâce à la jauge.

Il convient de changer complètement la solution une fois par mois en été et une fois toutes les 5 à 8 semaines en hiver (ou en suivant les instructions sur l’emballage de la solution). Au fur et à mesure que la plante pousse, rempotez-la dans un pot plus grand.

● 1 ● 4 ● 2 ● 5 ● 3 ● 6
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IL ÉTAIT UNE FOIS

La boîte de Petri

De la découverte des premiers antibiotiques à la culture de cellules souches, de l’observation des microorganismes à l’essai de nouveaux médicaments : la boîte de Petri contribue au progrès de la science depuis plus d’un siècle. Ce mois-ci, ces deux petits couvercles emboîtés l’un dans l’autre nous livrent leurs secrets.

MICROBIOLOGIE
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MICROBIOLOGIE

CUltUreS PUreS

En 1872, ROBert KOCH , qui n’était pas encore le grand bactériologiste que l’on connaît aujourd’hui, est nommé médecin cantonal à Wollstein (aujourd’hui Wolsztyn en Pologne) en pleine épidémie de fièvre charbonneuse (qu’on appelle aussi maladie du charbon). Dès l’Antiquité, on connaissait cette maladie sous le nom de « feu sacré » : on pensait que seuls les dieux courroucés pouvaient infliger un tel châtiment aux hommes. La maladie du charbon mettait en péril les exploitations agricoles, car elle infectait le plus souvent le bétail. Les animaux n’étaient cependant pas ses seules victimes, car les humains aussi y succombaient : fermiers, vachers, bergères, etc.

En observant au microscope le sang d’animaux morts, Koch découvre que la maladie se développe à cause d’un seul microbe, le « bacille du charbon » (Bacillus anthracis). Le chercheur réussit à isoler le bacille en le mettant en culture. On parle d’une culture pure, car elle ne contient qu’un seul type de microbe. Il inocule cette culture pure à des animaux en pleine santé, qui contractent la maladie du charbon. Koch comprend alors que la formation de cultures pures est la clé du succès dans l’étude des causes des infections.

À l’instar de ses prédécesseurs, Robert Koch mettait les bactéries en culture dans un milieu liquide : des bouillons de viande ou de céréales. Bien qu’il soit parvenu à obtenir une culture pure de bacille du charbon dans un bouillon, il cherchait une autre méthode. Et il avait de bonnes raisons de se pencher sur la question. Lorsque plusieurs types de bactéries se retrouvent dans le bouillon, elles se mélangent et il est très difficile de les différencier les unes des autres. Il fallait s’y reprendre à plusieurs fois. Koch prélevait une gouttelette de la solution la plus concentrée en bactérie souhaitée et la déposait dans un nouveau bouillon. Ce nouveau bouillon contenait déjà moins de bactéries indésirables, mais il fallait renouveler l’opération encore et encore pour qu’enfin il ne reste plus qu’un seul type de microbe dans le milieu de culture.

POURQUOI A-T-ON BESOIN DE CULTURES PURES ?

Les microbes sont minuscules (entre 0,5 et 5 micromètres en moyenne) et se ressemblent beaucoup entre eux, ce qui complique considérablement leur étude. Pour mener des recherches, les chercheurs doivent reconnaître un microbe dans un environnement peuplé de microorganismes de toutes sortes. Une fois mise en culture, la cellule microbienne produit une descendance : un amas de cellules identiques, une colonie que l’on peut étudier comme un seul microorganisme. En choisissant bien les conditions de culture, on peut obtenir une culture pure de cellules de n’importe quel microorganisme. On peut ainsi le nommer, en décrire les propriétés et le classer. Cette découverte de Robert Koch a fait de la microbiologie une science à part entière.

R

K (1843–1910) est un bactériologiste allemand. Il a découvert le bacille du charbon, le vibrion cholérique et le bacille de la tuberculose (appelé bacille de Koch). En 1905, il reçoit le prix Nobel de physiologie ou médecine « pour ses investigations et ses découvertes en lien avec la tuberculose »

Avant Robert Koch, les scientifiques observaient les microorganismes sans coloration, ce qui occasionnait de nombreuses erreurs. Koch introduit l’utilisation de colorants à base d’aniline qui colorent spécifiquement les microbes. À la suite des expériences de Koch, les scientifiques du monde entier se lancent dans la recherche de nouvelles méthodes de coloration des bactéries. C’est ainsi qu’en 1884, le médecin danois Hans Christian Gram invente une méthode de coloration qui devient une référence pour déterminer le type de bactéries présentes dans un milieu donné.

MilieU Solide

Après avoir présenté ses résultats sur l’agent pathogène responsable de la maladie du charbon, Robert Koch est nommé directeur du laboratoire de l’institut de microbiologie de Berlin et commissaire du Service impérial à la santé. Bien équipé et entouré d’assistants talentueux, Koch pouvait maintenant résoudre le problème qui le taraudait depuis si longtemps. On savait que la tuberculose aussi était provoquée par un microbe : on avait réussi à contaminer des animaux sains en les exposant à des tissus humains infectés. Koch met au point une méthode pour colorer les préparations de tissus qui lui permet de distinguer les agents infectieux au microscope. Mais sa joie est de courte durée : la bactérie ne se développe pas dans les milieux de culture habituels.

Un jour, le scientifique voit une pomme de terre moisie sur une table. Elle est recouverte de taches grises, jaunes ou vertes qui sont autant de colonies de microorganismes. Il prélève des échantillons de chaque colonie et constate au

La découverte fortuite de Koch a engendré une révolution : la pomme de terre fraîche est devenue l’un des premiers milieux de culture solides. Il ne convient toutefois pas à tous les microbes. Les recherches d’un autre milieu solide se sont donc poursuivies.

Macrophotographie de colonies de bacilles de Koch (Mycobacterium tuberculosis) On les reconnaît à leur surface irrégulière et incolore.

Comme les microorganismes se divisent toutes les 20 minutes, on peut voir des colonies seulement 3 heures après leur mise en culture dans la boîte de Petri. Au bout de plusieurs jours, les bactéries se comptent par millions.

microscope que chaque tache correspond à un seul type de microbe ! Dans le milieu liquide, les microbes se mélangeaient et il n’y avait pour ainsi dire aucun moyen de les distinguer les uns des autres. Mais sur un milieu solide, ils restent chacun à leur place, se multiplient et forment une culture pure ! Koch reprend de plus belle ses essais de culture de tuberculose. La bactérie ne se développe pas sur les tranches de pomme de terre. Il décide alors d’ajouter de la gélatine aux bouillons pour les transformer en milieux de culture solides . Après de nombreuses tentatives infructueuses, Koch verse du plasma sanguin dans le bouillon pour reproduire les conditions d’un organisme vivant. Quinze jours plus tard (une durée inaccoutumée pour le chercheur : le bacille du charbon se développait bien plus vite), de petites taches apparaissent à la surface du milieu de culture. Ces taches n’étaient autres que des colonies du dangereux bacille de la tuberculose.

#1 DÉCEMBRE 2020 5 heures 8 heures 12 heures 24 heures 30 heures 2 heures

ART MICROBIEN

En 1928, le bactériologiste britan nique Alexander Fleming découvre qu’une colonie de moisissures s’est développée dans l’agar d’une boîte de Petri, juste à côté de bactéries. Autour des moisissures, les colonies de bactéries sont devenues plus pâles : leurs cellules avaient été dé truites. À partir de ces moisissures, Fleming isole la substance qui dé truit les cellules des bactéries. Il s’agit de la pénicilline, le premier antibiotique connu. La découverte de Fleming ne fait pas que bouleverser la recherche médicale, elle sauve aussi la vie de nombreux patients jusque-là incurables.

Un laborantin de talent

Le

Alex ander Fleming , découvreur de la pénicilline, a inventé un nouveau genre d’art : le dessin à l’aide de bactéries cultivées en milieu solide. Membre du Chelsea Arts Club, Fleming réalisait des « peintures de germes ». Il peignait de gracieuses ballerines, des maisons cossues, des soldats. Cette technique exigeait une grande précision : il fallait non seulement choisir les bactéries en fonction de leurs pigments, mais aussi déterminer le moment de leur mise en culture de

manière à ce qu’elles atteignent les couleurs souhaitées en même temps. S’inspirant de l’exemple de Fleming et de ses équipes, la Société américaine de microbiologie a organisé en 2015 le festival Agar Art Competition. Les microbiologistes et artistes talentueux peignent de véritables tableaux. Certains inventent leurs propres sujets quand d’autres reproduisent avec une exactitude stupéfiante les œuvres des maîtres, comme la Nuit étoilée de Van Gogh.

À l’époque, la seule verrerie adaptée à la culture des microbes était le tube à essai. Mais sa manipulation demandait un certain tour de main : si on le posait à l’horizontale, le milieu encore liquide se renversait, et si on le posait de travers, le tube pouvait tomber et se casser. Dans ces conditions, on avait de grandes chances de contracter une maladie dangereuse ! Koch et ses as sistants ont alors l’idée de verser le milieu de culture dans des récipients qu’ils re couvrent d’une cloche de verre. Mais pour observer les colonies, il fallait enlever la cloche. Rien de tel pour se contaminer. Sonne alors l’heure de gloire de l’un de ses assistants, un certain Julius Petri Il réduit la hauteur des parois du récipient, et donc sa profondeur. Et au lieu de l’impo sante cloche de verre, il pose sur sa boîte une autre boîte transparente en guise de couvercle, pour faciliter les observations.

Petri n’a travaillé que deux ans (de 1877 à 1879) sous la direction de Koch, mais cette courte période lui a suffi pour marquer durablement le destin de la mi crobiologie. En ouvrant la voie à de grandes découvertes médicales, l’innovation de Ju lius Petri a sauvé des millions de vies. Après avoir quitté le laboratoire de Robert Koch, Petri est nommé directeur du sanatorium Göbersdorf, le premier centre européen consacré au traitement de la tuberculose.

Agar-Agar

La boîte de Petri n’est pas la seule nou veauté créée dans le laboratoire du Koch. On y a aussi inventé ce dont elle est

bactériologiste britannique
MICROBIOLOGIE

le plus souvent remplie : le milieu de culture gélosé à l’agar. Le milieu à base de gélatine utilisé jusque-là fondait facilement lors du chauffage, comme un œuf en gelée dans un endroit chaud. Dans un tel milieu, les colonies se transformaient en bouillie.

C’est WaltHer Hesse , un autre assistant de Koch, qui invente le milieu gélosé à base d’agar. Il avait rejoint le laboratoire de Koch avec son épouse FannY. Elle ne figurait pas parmi les employés du laboratoire, mais travaillait comme illustratrice scientifique : elle dessinait les microorganismes qu’elle voyait au microscope.

Un jour, Fanny prépare une gelée. Hesse remarque que la gelée ne fond pas au soleil et conserve sa forme. Il découvre que cette gelée est principalement

composée d’agar-agar, une substance contenue dans les algues rouges. Walther remplace la gélatine habituelle par ce gélifiant végétal et obtient des milieux de culture plus fermes. Encore aujourd’hui, on utilise l’agar-agar pour la préparation de milieux de culture, mais on le purifie à l’aide d’un procédé spécifique.

Au début, on ne se servait de la boîte de Petri que pour mettre en culture des cellules. Aujourd’hui, différents domaines scientifiques l’utilisent. Elle nous permet

Dans l’industrie pharmaceutique, on évalue l’efficacité des antibiotiques au moyen de tests spécifiques. Prenons l’exemple du test de diffusion sur gélose (aussi appelé test de diffusion sur disque). On met en culture des microorganismes dans une boîte de Petri. On dispose ensuite des disques d’agar à la surface du milieu à distance égale les uns des autres. Ces disques contiennent chacun une certaine dose d’antibiotique. Or, les antibiotiques inhibent la croissance des microorganismes. Ainsi, plus l’antibiotique est efficace contre le microorganisme, plus le rayon de la zone d’inhibition est grand.

par exemple de tester l’efficacité des antibiotiques, d’étudier l’innocuité des aliments et de mettre en culture des bactéries génétiquement modifiées qui synthétisent l’insuline nécessaire aux diabétiques.

La boîte de Petri se décline en plusieurs tailles et matériaux : verre, plastique et même acier inoxydable. Selon l’objet de leurs recherches, les scientifiques choisissent celles qui leur conviennent le mieux.

#1 DÉCEMBRE 2020 65

C’est paradoxal, mais aujourd’hui, les avancées en aérospatiale, la discipline scientifique qui symbolise le progrès scientifique, se font extrêmement rares. Et cela n’est pas dû à un manque de ressources ou de moyens, mais à l’absence d’un objectif su samment ambitieux pour qu’il nous pousse à nous surpasser. Mais existerait-t-il des limites fondamentales qui nous y empêcheraient ?

IMPASSE INTERSTELLAIRE

TECHNOLOGIE

EN RETARD !

Lorsque l’Homme marché sur la lune, on aurait eu du mal à imaginer qu’à peine un demi-siècle plus tard, on aurait droit à un retour du scepticisme et du pessimisme : « Qu’est-ce qu’on irait faire dans l’espace ? On a déjà bien assez de problèmes sur Terre qui ont besoin d’être résolus maintenant ! ». Afin de mieux se rendre compte de l’ampleur de l’enthousiasme et des espoirs suscités à l’époque, penchons-nous sur les prédictions que le célèbre futurologue ARTHUR CLARKE a formulées en 1999 : pour 2014, il avait annoncé l’ouverture d’hôtels en orbite, qui n’existent malheureusement toujours pas ; pour 2015 une technologie permettant de transmuter les éléments (elle est à ce jour encore inconnue) ; pour 2020 une station spatiale automatisée aurait dû être lancée vers Proxima du Centaure (l’étoile la plus proche du système solaire) ; et en 2021 les humains auraient du arriver sur Mars, ce qui a peu de chance d’avoir lieu. Au vu d’un tel retard sur ces prédictions, il semble que nous ne verrons pas de vaisseaux spatiaux capables de se déplacer à une vitesse proche de celle de la lumière pour les voyages interstellaires d’ici la fin du XXIe siècle.

En réalité, en 60 ans de recherches, nous n’avons fait aucune avancée significative dans le domaine des technologies de vol. De nos jours, l’aérospatiale ne peut pas se vanter d’avoir fait de découvertes se démarquant par leur caractère novateur et leur importance, comme celles qui ont révolutionné l’aviation dans les années 1960. En fait, aujourd’hui on se contente de maîtriser

« On me demande souvent comment j’aimerais qu’on se souvienne de moi : comme un écrivain, un explorateur des fonds marins, un connaisseur de l’espace ou un vulgarisateur de la science. Ce que j’aimerais le plus, c’est qu’on se souvienne de moi comme d’un écrivain qui ne faisait pas que divertir le lecteur, mais qui, je l’espère, élargissait ses horizons. »

la mise en orbite proche de la Terre d’engins très simples, avec des technologies datant d’il y a cinquante ans.

Lorsqu’il s’agit de vols longs, c’est encore pire. Mars et Vénus, les planètes qui nous sont le plus proches se sont avérées pour le moins peu accueillantes. On estime que le prix d’un seul vol habité pour Mars s’élèverait au moins à 335 milliards d’euros. On ne sait pas combien cela coûterait de terraformer la planète, ou même si c’est tout simplement possible. Il est peu probable que l’humanité soit prête à payer si cher la colonisation de la « planète rouge ». Cela changerait tout s’il existait une planète dont les conditions seraient favorables à la vie…

Arthur C. Clarke
12 avril
Crew Dragon 30 mai 2020
Vostok 1
1961
Sir Arthur Charles Clarke (1917–2008) est un écrivain, scientifique et futurologue britannique. Il élabora le scénario du film culte 2001 : l’Odyssée de l’Espace en collaboration avec Stanley Kubrick, Le trio Arthur Clarke, Isaac Asimov et Robert Heinlein est connu sous le nom des « Trois Grands » de la littérature de science-fiction anglophone.
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VERS L’INFINI ET AU-DELÀ !

Et si l’on se souvenait de la deuxième loi de ce fameux Arthur Clarke ? « La seule façon de découvrir les limites du possible, c’est de s’aventurer un peu au-delà, dans l’impossible ». Il faudrait peut-être inspirer l’humanité grâce à un objectif ambitieux qui l’emmènerait au-delà des limites de notre « maison » minuscule à l’échelle de l’Univers qu’est le Système solaire.

En 1992, les astronomes ALEXANDER WOLSZCZAN et DALE FRAIL ont découvert pour la première fois des planètes en dehors du Système solaire (on les appelle « exoplanètes  » du grec ancien éxo — en dehors). Les deux planètes ont été observées près d’un pulsar  : une étoile à neutron à la vitesse de rotation extrême et qui émet une immense quantité d’énergie. Rien de semblable à notre Soleil. N’importe quel objet proche d’une telle étoile est, bien entendu, inhabitable.

Les scientifiques se sont demandés s’il existait des planètes dans des systèmes planétaires similaires au nôtre. Il ne fallut pas attendre longtemps pour obtenir une réponse. En décembre 1995, l’étoile 51 de la constellation du Pégase à 50 années-lumière de la Terre a attiré l’attention des astronomes suisses MICHEL MAYOR et DIDIER QUELOZ  : sa trajectoire était altérée par un objet inconnu. Ils découvrirent la présence dans son orbite d’une planète massive ressemblant à notre Jupiter (bien qu’elle soit deux fois plus légère et que la température à sa surface soit supérieure de 1 000 °C). Depuis, une véritable chasse aux exoplanètes a été ouverte et on a confirmé l’existence de plus de 4 000 exoplanètes.

4183 exoplanètes ont été découvertes par des astronomes.

En dehors du Système solaire, 3163 étoiles possèdent des planètes dans leur orbite, et 701 possèdent un système planétaire.

À 15 années-lumières du système solaire se trouve un des systèmes planétaires les plus proches de nous : celui de l’étoile Gliese 876, qui compte quatre exoplanètes confirmées.

20 d’entre elles sont aussi grandes que la Terre, une aussi grande que Mars et les 34 restantes sont des super-terres.

On appelle la planète Kepler 452 b la « Terre 2.0 » à cause de ses fortes similitudes estimées avec notre planète. Cet astre se trouve à 1 400 années-lumière de nous.

VOICI LES TROIS LOIS D’ARTHUR CLARKE, SELON LESQUELLES LES SCIENCES MODERNES SE DÉVELOPPENT :

1. 2. 3.

Quand un savant reconnu mais vieillissant estime que quelque chose est possible, il a presque certainement raison ; mais lorsqu’il déclare que quelque chose est impossible, il a très probablement tort.

La seule façon de découvrir les limites du possible, c’est de s’aventurer un peu au-delà, dans l’impossible.

Toute suffisammenttechnologieavancée est indiscernable de la magie.

À ce jour, nous avons découvert 55 exoplanètes potentiellement habitables.
TECHNOLOGIE

L’étape suivante est la recherche de planètes ressemblant le plus possible à la Terre. Les scientifiques concentrent leurs recherches sur les « zones habitables » , une zone autour des étoiles où l’eau peut exister sous forme liquide. Lorsque l’astrophysicien WESLEY TRAUB a analysé les résultats de la mission « Kepler » (un télescope conçu spécialement pour la recherche d’exoplanètes et qui fut en orbite de 2009 à 2013), il a formulé une conclusion intéressante : 20 à 40 % des étoiles naines, comme le Soleil, possèdent des planètes dans leur zone habitable ! Cela signifie que la probabilité de l’existence d’une « jumelle » de la Terre, ou même d’une simple cousine éloignée est plutôt grande. La présence de vie à sa surface et le niveau de complexité qu’elle a atteint est une autre histoire. Ce nouveau facteur donne une dimension concrète aux voyages interstellaires et on peut commencer à chercher un moyen de faire ces expéditions.

V2

Manœuvre gravitationnelle

V₁ vitesse de l’engin spatial à son entrée dans le champ gravitationnel planétaire

FERMÉ POUR INVENTAIRE

U V1

V₂ vitesse de l’engin spatial à sa sortie du champ gravitationnel planétaire

U vitesse de la planète sphère d’influence gravitationnelle de la planète vitesse résulante

| V₂ + U |>| V₁ + U |

Les manœuvres gravitationnelles permettent de changer la direction de l’engin spatial, d’augmenter ou de réduire sa vitesse à l’aide du champ gravitationnel d’une planète, tout en économisant son précieux carburant

La propulsion chimique des moteurs-fusées contemporains nous a permis de pénétrer « l’armure » invisible de l’espace. La sonde Voyager-1 se trouve à une distance record de la Terre de 22 milliards de kilomètres (soit 150 fois la distance Terre-soleil), elle a mis 43 ans pour y arriver ! C’est impressionnant, mais à l’échelle de l’Univers son parcours est tout simplement microscopique. Sa vitesse de 17 km/s (par rapport au Soleil) est atteinte grâce à une mécanique manuelle, et est en majoritairement due à des manœuvres ingénieuses utilisant la gravité et pas du tout aux réacteurs. Le 5 novembre 2018, la sonde Parker Solar Probe est devenue l’engin spatial le plus rapide en dépassant les 90 km/s alors qu’elle survolait le Soleil et a battu le record que détenait la sonde Hélios 2 depuis 1976. Et elle risque de garder son titre au moins jusqu’en 2025, puisqu’elle serait capable d’atteindre une vitesse hallucinante de 190 km/s.

De telles vitesses sont rendues possibles grâce à la puissante force d’attraction du Soleil et des planètes géantes, que la sonde utilise pour ses manœuvres . Mais ne pourrait-elle pas simplement atteindre ces vitesses par elle-même ? Malheureusement non : les moteurs-fusées à propulsion contemporains, qui fonctionnent grâce à une réaction exothermique entre du carburant et un oxydant ne le permettent pas. La raison principale est l’équation de Tsiolkovski  :

I mpulsion spécifi que des réacteurs

Masse initiale de l’engin spatial *

V = I × ln( M1 M2 )

V itesse fi nale de l’engin spatial

* Charge utile + masse de l’appareil + carburant ** C harge utile + masse de l’appareil

M asse fi nale de l’engin spatial **

Parker
Solar Probe 2018
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Voyager-1 1977

Propulseur à propergol solide

Avion-fusée orbital

Selon cette équation, il y a deux façons d’augmenter la vitesse d’une fusée. La première serait de prendre le plus de carburant possible, au détriment de la charge utile. Mais en pratique, si on considère que l’engin spatial pèse quinze tonnes, pour qu’il atteigne la même vitesse que « Parker » (soit en viron 100 km/s) il lui faudrait toutes les réserves de pétrole de la Terre (200 milliards de tonnes) ! En d’autres termes, il n’existe pas de moyens réalistes d’at teindre de telles vitesses simplement avec des fusées à un seul étage. De plus, l’équation de Tsiolkovski ne prend pas en compte le moment où les fusées échappent à l’attraction terrestre , qui est justement celui où elles consom ment le plus de carburant en atteignant la vitesse de libération.

Une fusée est lancée dans l’espace par un porteur constitué de plusieurs

Space Shuttle — Navette spatiale américaine

1969–2011 Masse de départ: 2045 t

756 t 79 t

1180 t

Charge utile: 30 t

étages, qui représente 90 % de la masse totale. Il est important de se rappeler que parmi les 10 % restants on trouve non seulement la charge utile (satellite, vaisseau pilotable, etc.), mais aussi la fusée en elle-même : structure, moteurs, réservoirs, tuyaux et des centaines de milliers de pièces essentielles à son fonctionnement. C’est pourquoi les as tronautes doivent se soumettre à une restriction de poids stricte et prendre en compte chaque gramme, pour rent rer dans le calcul minutieux du poids de la charge utile.

Mais il y a dans l’équation de Tsiolk ovski encore une variable : la puissance spécifique du réacteur , qui correspond plus ou moins à la vitesse à laquelle les produits de la combustion se con sument. Nous faudrait-il tout simple ment un carburant plus efficace ? Là aussi, l’humanité a atteint ses limites.

En prenant la Navette spatiale américaine comme exemple, on voit bien que la masse totale est constituée à 95 % d'installations contenant du carburant. L’avion-fusée en lui-même et la charge utile représentent 5 % de la masse totale.

Aujourd’hui on utilise le couple « hy drogène-oxygène » qui garantit une vitesse de 4,5 km/s. La combinaison la plus répandue, « kérosène-oxygène », est bien plus « lente » : seulement 3,1 km/s, et la combinaison « méthane-oxygène » qui présente le plus de potentiel en termes d’économie et de volume d’éner gie, promet une vitesse de 3,5 km/s.

Ce qu’il faut retenir de l’équation de Tsiolkovski, c’est qu’il n’est pas en visageable d’utiliser les moteurs à propulsion chimique pour de longs voyages dans l’espace . Nous avons même de la chance qu’ils fonction nent : si la masse de la Terre était 40 % plus importante, alors les moteurs à propulsion chimique n’auraient en aucun cas permis à l’Homme de con quérir l’orbite terrestre, sans parler des voyages plus longs.

Réservoir externe

PUISSANTS, MAIS LENTS ; RAPIDES, MAIS CHIMÉRIQUES

Nous nous trouvons dans une curieuse situation : nos moteurs ont une poussée énorme qui nous permet de nous affranchir de l’attraction terrestre, mais à cause de leur faible impulsion spécifique nous sommes « enfermés » dans les limites de notre Système. Comment nous en sortir ? Laissons les courbeurs et les compresseurs d’espace-temps qui plient l’Univers en origami aux fantasmes de science-fiction. Essayons de trouver un moyen de « nous rendre d’un point A à un point B qui sont éloignés de quelques années-lumière » grâce aux technologies modernes et aux possibilités qu’offre l'aérospatiale. Pour sortir de « l’impasse » de la propulsion chimique nous avons besoin de nouveaux types de moteurs avec une impulsion spécifique significative, et dans l’idéal, proche de la vitesse de la lumière. En creusant le sujet, on peut remarquer qu’il y a pléthore de projets visant à construire ces super-machines. On trouve des réacteurs thermonucléaires théoriquement capables de produire une impulsion spécifique de 30 000 km/s. Un de leurs dérivés est le collecteur Bussard du physicien ROBERT BUSSARD qui proposa de collecter l’hydrogène et la poussière directement dans l’espace pour propulser une fusée. Il y a aussi les fusées à propulsion par explosions nucléaires du mathématicien polonais STANISLAW ULAM . Et celles qui sont déjà bien présentes dans la science-fi ction : les fusées à photon . Il faut aussi noter les voiles solaires et lasers qui nous font replonger symboliquement dans l’époque des grands explorateurs et le surprenant réacteur EmDrive de Roger Shawyer qui est surnommé le « seau volant »

Réacteur « impossible »

Comme l’affirme son créateur Roger Shawyer, le réacteur EmDrive est capable de convertir des ondes en poussée, ce qui pourrait nous permettre d’atteindre les confins du Système solaire non pas en quelques décennies, mais en seulement quelques mois.

Cependant, tous les ingénieurs ne pensent pas que ce réacteur puisse fonctionner, puisqu’il viole une des lois fondamentales de la physique : la loi de conservation de la quantité de mouvement.

POUSSÉE

Cavité résonante

Ondes électromagnétiques

Malheureusement aucun de ces projets n’est réalisable dans un futur proche. Il reste des problèmes fondamentaux à résoudre . Le premier est la demande en énergie colossale que demande la fusion thermonucléaire ou la création d’antimatière, par exemple. On ne sait d’ailleurs toujours pas comment produire de l’énergie à partir de la fusion nucléaire ou créer de l’antimatière en quantité industrielle. Et bien qu’on travaille toujours sur le sujet, nous sommes encore très loin d’avoir trouvé une solution pour le second problème, celui des impacts dans l’espace

Quels impacts ? Rappelons que l’espace n’est pas du tout un désert de vie. On considère l’espace qui sépare les astres comme un gaz extrêmement diffus avec une concentration d’un proton par cm. En se déplaçant dans cet environnement, un vaisseau proche de la vitesse de la lumière subira des rayons protoniques. Le cosmonaute et ingénieur KONSTANTIN FEOKTISTOV a estimé son énergie à 100 kW par m², presque 100 fois plus puissant que les rayons solaires. Et c’est seulement pour l’hydrogène ! Imaginez donc l’impact que provoquerait une simple petite poussière d’un milligramme se dirigeant à 150 000 km/s vers un vaisseau. Son énergie cinétique s’approcherait de 11 hJ, soit l’équivalent de l’explosion de 2,5 tonnes de TNT. Une simple petite poussière… Et si c’est une petite pierre ? Dans ce cas on ne donnerait pas cher du vaisseau. Mais ce ne sont là que deux problèmes parmi tant d’autres. Sans solution à ces problèmes fondamentaux, cela n’a pas de sens d’aller plus loin.

Magnétron

VIDE

On pourrait dire que nous sommes dans une impasse, mais il existe dans notre histoire nombre d’exemples où l'humanité a quand même trouvé une solution pour s’en sortir.

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Les prédictions d’Arthur Clarke CELLES QUI NE SE SONT PAS

RÉALISÉES

L a première machine permettant de générer de l’énergie 100 % propre et sans danger, fonctionnant sur le principe de réactions nu cléaires à basse température est commercial isée. C’est la fin de l’ère des énergies fossiles.

2002 2003

Commentaire de la rédaction : Cette machine n’existe pas encore. On ne sait toujours pas quand on en aura fini avec les énergies fossiles qui génèrent encore aujourd’hui 85 % de l’éner gie produite dans le monde.

L es voitures ne fonctionnent plus grâce à des moteurs à explosion.

Commentaire de la rédaction : Les moteurs à explosion sont toujours utilisés dans 90 % des voitures. Curieuse coïncidence, la société Tesla qui fabrique des voitures électriques a justement été fondée en 2003.

C réation du premier clone d’humain.

2004

Commentaire de la rédaction : Le clonage thérapeutique se développe pour la production de cellules souches, mais le clonage humain est interdit dans plusieurs pays.

L a dernière mine de charbon ferme en Inde.

2006

Commentaire de la rédaction : En 2018, la dernière mine de charbon fermait en Alle magne, mais c’est loin d’être la dernière au monde. En 2019, on a extrait environ 8 milli ards de tonnes de charbon dans le monde.

L a NASA crée un télescope spatial nouvelle génération (héritier « d’Hubble »).

2007

Commentaire de la rédaction : Le lancement du télescope spatial James Webb était vrai ment prévu pour 2007, cependant il a été re poussé à 2021 pour diverses raisons.

Toutes les armes nucléaires ont été détruites.

Commentaire de la rédaction : On compte dans le monde environ 14 000 armes nucléaires.

C onception de générateur fonc tionnant à l’énergie cosmique. Les centrales électriques ferment, leur temps est révolu. On démonte le réseau électrique.

Commentaire de la rédaction : ce genre de générateur n’existe pas, les centrales électriques sont toujours en marche.

2014

D ébut de la construction de l’hôtel en orbite « Hilton Hotel Orbital ». Il est construit à base d’anciennes navettes spatiales, retombées sur Terre après leur lancement et qui ont brûlé en entrant dans l’atmosphère.

Commentaire de la rédaction : Pour l’instant le seul endroit où les humains peuvent vivre dans l’espace c’est la Station spatiale internationale. Mais le lancement de la Station Aurora, le premier hôtel spatial est prévu pour 2021, et il commencera à accueillir des clients en 2022.

2015

I nvention d’une technologie per mettant de transmuter les éléments chimiques et de contrôler la struc ture de la matière. Le plomb et le cuivre deviennent deux fois plus cher que l’or, parce qu’ils sont plus utiles.

Commentaire de la rédaction : Cette technologie n’existe pas, l’or est toujours plus cher que le cuivre et le plomb.

XXI SIÈCLE

2016

Le mégawattheure devient la monnaie d’échange.

Commentaire de la rédaction : Dans le monde,on compte environ 180 monnaies différentes.

2019

Une énorme météorite s’écrase au Pôle Nord. Les côtes du Canada et du Groenland sont endommagées. Lancement du projet Spaceguard (Garde de l’espace) qui a pour but d’identifier et de dévier les comètes et astéroïdes menaçant la Terre.

Commentaire de la rédaction : En 2013, une météorite s’est écrasée près de Tche liabinsk en Russie. Il a provoqué des dommages, mais qui n’étaient pas cata strophiques. Elle existe différents projets d’identifications des objets célestes présentant une menace pour la Terre, comme Pan-STARRS, ATLAS, NEAT, entre autres.

2020

Une IA (Intelligence artificielle) atteint le niveau d’intelligence du cerveau humain. Il existe désormais deux formes de vie intelli gente sur Terre : biologique et artificielle. L’humanité envoie des vaisseaux pilotés par des IA vers les étoiles les plus proches.

Commentaire de la rédaction : Il est en core tôt pour parler d’autres formes de vie intelligente,bien que les IA soient déjà uti lisées dans la recherche scientifique et aid ent à la construction des satellites, des engins spatiaux et au traitement des pho tographies prises dans l’espace.

2009
2010
E

CELLES QUI SE SONT RÉALISÉES PRÉDICTIONS D’ARTHUR CLARKE FORMULÉES EN 1999

RÉSEAU SATELLITE

En 1945, dans le magazine Wireless World, Clarke démocratise l’idée de création d’un ré seau mondial de communication. Il décrit un ré seau de satellites en orbite géostationnaire autour de la Terre, qu’on appelle parfois en son honneur « l’orbite Clarke ».

VOYAGE SUR LA LUNE

En 1947, dans son roman de science-fiction Prélude à l’Espace, Clarke supposa que 31 ans plus tard, on construira un vaisseau spatial capa ble d’atteindre la Lune. Il déclara : « En 1951, lors de la publication du livre, je pensais que je faisais preuve d’un optimisme extravagant en prédisant qu’on marcherait sur la Lune en 1978 ». Comme tout le monde le sait, en 1969, Neil Arm strong et Edwin « Buzz » Aldrin sont devenus les premiers hommes à avoir foulé le sol lunaire. C’est Clarke lui-même qui a mené le téléreport age en direct de leur expédition.

LA CRÉATION D’INTERNET

Réflexion de Clarke en 1964 sur la communication dans le futur : « On pourra en un instant en trer en contact les uns avec les autres, où que l’on soit. On pourra parler avec des amis dans le monde entier, sans même savoir où ils se trou vent… Mener une entreprise de Tahiti ou de Bali avec le même succès que si on la menait de Lon dres deviendra possible au cours de notre siècle (ou peut-être dans une cinquantaine d’années) ».

LES PRÉDICTIONS MÉTÉOROLOGIQUES

En 1954, Clarke pensait que l’on pouvait prédire la météo grâce à des satellites en orbite. La commu nauté scientifique soutint son idée et par conséquent coupla les informations des stations météorologiques au sol avec celles des satellites en orbite autour de la Terre.

LES OPÉRATIONS CHIRURGICALES À DISTANCE

En 1964, Clarke laissa aller son imagination : « je pense qu’un jour, un chirurgien se trouvant à Édimbourg pourra opérer le cerveau d’un patient se trouvant en Nouvelle-Zélande ». C’est ce qu’il s’est passé. La chirurgie robotisée est pratiquée aux États-Unis depuis l’an 2000. Parmi ces sys tèmes, on trouve le robot Da Vinci.

L e premier homme marche

sur Mars

O n reçoit des signaux in frarouges provenant du centre de la Voie lactée. Ils ont clairement été envoyés par une civilisa tion aux technolo gies développées, mais ils sont indéchif frables.

C lonage de dinosaures à partir de fragments de leur ADN. En Floride, on ouvre un parc Disney avec des di nosaures. Des mini-raptors commencent à remplacer les chiens de garde.

L’étude du cerveau permet de comprendre la nature des sens, ce qui permet l’immersion complète dans la réalité virtu elle. G râce à un « réplicateur universel », il est possible de créer n’importe quel objet : des plats gastronomiques aux diamants. L’agri culture et l’industrie devi ennent inutiles, le travail physique n’est plus néces saire. Apogée de l’art, de l’éducation et du diver tissement.

A pparition de colo nies robotisées au tonomes sur la Lune.

Retour de la comète Galilée. L’humanité se pose pour la première fois à sa surface. On y trouve des formes de vie actives et passives.

C réation du « réacteur cosmique », capable d’at teindre une vitesse proche de celle de la lumière. Des ex plorateurs partent pour les systèmes planétaires les plus proches.

C onception d’une maison mobile 100 % automatisée et qui se met à jour toute seule. Le carbone néces saire à la synthèse de nourriture est collecté directement dans le CO2.

E nnuyés par une époque trop calme, des millions de personnes décident de se cryogéniser afin « d’émi grer » dans le futur.

4 octobre, centenaire du lancement du premier satellite. Cet évènement est célébré non seule ment sur la Terre, mais aussi sur la Lune, Mars, Europe, Ganymède et Titan.

L a nouvelle ère glaciaire initialement prévue ne se produit pas grâce au « réchauffement clima tique » artificiel (on brûle à nouveau du carburant pour renflouer les réserves de CO2).

Tout ne fait que commencer…

2021 2023 2024 2025 2040 2045 2050 2051 2057 2061 2090 2095 2100

20 000 lieues sous les mers

Le 16 août 1858, la reine Victoria et le président des États-Unis James Buchanan échangent des télégrammes. Pour la première fois dans l’histoire, des personnages haut placés communiquent à l’aide de câbles télégraphiques posés sur le fond de l’Atlantique. L’opération dure presque 18 heures. Aujourd’hui, on fait la même chose en moins de 70 millisecondes.

PROUESSES D’INGÉNIEURS

Application

LES PRÉMICES D’UN NOUVEAU MONDE

Pour les contemporains de l’événement, c’est une véritable révolution. De part et d’autre de l’Atlantique, les journalistes rivalisent d’emphase et vont presque jusqu’à comparer l’échange de télégrammes à la découverte de l’Amérique. Mais ils criaient victoire trop vite : le câble, posé au terme du troisième essai seulement, tombe en panne un peu plus d’un mois plus tard. Ses fils de cuivre n’auront transmis que 732 messages. Un grain de sable si l’on compare ce chi re avec les volumes d’information échangés aujourd’hui, mais ce n’était qu’un début ! On savait déjà que les câbles de télécommunication deviendraient bientôt le « squelette » des infrastructures du futur. Et le futur est arrivé si vite qu’aujourd’hui, plus personne ne prête attention à la pose de nouveaux câbles qui ouvrent pourtant d’immenses possibilités.

Installation d’un câble sous-marin reliant l’île allemande de Hiddensee dans la mer Baltique

d’un revêtement en gutta-percha (gomme végétale) sur un câble télégraphique sous-marin dans une usine à Greenwich, 1865
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L’OFFENSIVE DE MAREA

Le premier câble à relier directement Virginia Beach et Rio de Janeiro fournit une connexion dont la latence figure parmi les plus faibles du monde. Il a été conçu spécialement pour minimiser les risques liés aux aléas naturels. Polyéthylène Bande de BoPET

En février 2018, l’entreprise espagnole Telxius commence à échanger des données par l’intermédiaire de Marea (qui signifie « marée » en espagnol), un câble sous-marin reliant la ville de Virginia Beach sur la côte est des États-Unis au village de Sopela près de Bilbao. Encore un câble ? Aujourd’hui, la longueur totale des câbles de télécommunication sous-marins avoisine 1,5 million de kilomètres, alors qu’on n’en compte pas plus de 500 (si l’on exclut les câbles militaires). Pourquoi ce projet nous intéresse-t-il ? Parce qu’il illustre très bien les principes et la logique de l’installation des câbles sous-marins.

Dans une certaine mesure, on peut qualifier ce câble de projet privé : on le doit à une initiative de Microsoft qui a conclu un partenariat avec Facebook et des géants des télécommunications : AT&T, Sprint Corporation (États-Unis) et Telefónica (Espagne). Le coût total du projet dépasse les 15 milliards de dollars. Le câble mesure 6 600 kilomètres de long, soit 2 millions de dollars le kilomètre. À titre de comparaison, 1 kilomètre de fibre optique ne coûte pas plus de 10 dollars ! Qu’est-ce qui justifie un tel coût ? En fait, le gou re qui sépare la fibre de verre d’un câble de télécommunication est à peu près le même que celui qui sépare une bobine de fil d’une robe de soirée taillée par un couturier en vogue.

QU’Y A-T-IL À L’INTÉRIEUR ?

Les exigences ne sont pas nombreuses, mais chacune d’entre elles frise l’irréalisable. Un câble sous-marin doit bien entendu être pérenne et imperméable sur toute sa longueur (Marea s’enfonce jusqu’à 5 000 mètres de profondeur et est alors soumis à des pressions de 500 atmosphères). Il doit aussi présenter une résistance mécanique su sante pour supporter les contraintes liées à son installation et à son exploitation. Et le plus

COUPE D’UN CÂBLE SOUS-MARIN EN FIBRE OPTIQUE

important : ses caractéristiques de fonctionnement doivent rester inchangées pendant 25 ans, la durée de sa garantie d’exploitation.

L’intérieur du câble n’a rien de spécial en lui-même : il s’agit d’un faisceau de fibres de verre coaxiales dont le cœur a un indice de réfraction supérieur à celui de la gaine. En se propageant dans le fil, l’impulsion lumineuse est réfléchie à l’interface entre le cœur et la gaine et subit ainsi de multiples réflexions totales internes. La fibre optique constituant un milieu absorbant, la vitesse de propagation du signal est 40 % plus faible que la vitesse de la lumière dans le vide.

Torsade de fils d’acier Tube en cuivre ou en aluminium Substance hydrophobe Fibre optique Polycarbonate Paroi étanche en aluminium
1000 km 2000 km Dorsale
−2200
Plateau
3000 km 4000 km 5000 km Réseau des
médio-atlantique
m
celtique −100 m
câbles transatlantiques sous-marins BRUSA
Virginia Beach San Juan Rio de Janeiro
11
Fortaleza
000 km PROUESSES D’INGÉNIEURS

Le coût du câble s’explique en majeure partie par les nombreuses couches de protection qui enveloppent la gaine. La première ligne de défense contre l’eau de mer est assurée par un fourreau en polyéthylène, un matériau isolant très courant. Il est imperméable, résiste à la corrosion et ne réagit ni aux alcalis (quelle que soit leur concentration) ni aux solutions salées et acides contenues en abondance dans l’eau de mer. Au niveau microscopique cependant, le polyéthylène est poreux : tôt ou tard, l’eau de mer fi nit par franchir cette première barrière. Elle se heurte alors à une deuxième ligne de défense : un fi lm en BoPET (ou Mylar), un matériau synthétique à base de polytéréphtalate d’éthylène (PET) qui sert à tisser des voiles aussi bien que des toiles de parachute. On ajoute parfois du Kevlar à la gaine de protection externe.

Et ce n’est pas tout. En guise de troisième couche protectrice, un tressage de fils d’acier galvanisé confère au câble sa rigidité et sa solidité. Comme une cotte de maille, ce tressage empêche le câble de se briser sous le poids des ancres ou des chaluts, le défend contre les dents aiguisées de certaines créatures marines et les mauvaises intentions d’éventuels ennemis du progrès (eh oui, c’est déjà arrivé).

Et le millefeuille ne s’arrête pas là. Sous le tressage d’acier, on trouve des bandes « sandwich » d’aluminium/ polyéthylène, du polycarbonate souple qui renforce le câble et, enfi n, un tube de cuivre ou d’aluminium rempli d’un gel hydrophobe. On atteint ici le cœur du câble : c’est ce gel qui contient les tubes de cuivre à paroi fine dans lesquels on tire la fibre optique.

Le cuivre rigidifi e le câble et fait écran aux agressions extérieures. Mais son rôle ne s’arrête pas là. Le cuivre conduit aussi le courant vers les stations d’atterrissement et les répéteurs qui amplifient le signal a aibli venant du tronçon de câble précédent et contrôlent les erreurs. Comme on place les répéteurs tous les 100 kilomètres en moyenne, on peut localiser les dysfonctionnements assez vite et avec une bonne précision.

COMMENT FONCTIONNE UN CÂBLE DE TÉLÉCOMMUNICATION EN FIBRE OPTIQUE ?

La fibre optique est un matériau transparent, la plupart du temps du plastique, traversé par des impulsions lumineuses (des informations). Elle met à profit le principe de la réflexion totale interne contre les parois du fil, qui permet la transmission rapide de données sur de grandes distances.

Câble optique monocanal Câble optique multicanal

OPTIQUE

Transformation des impulsions électriques en impulsions lumineuses

Transformation des impulsions lumineuses en impulsions électriques

Des marines du génie sous-marin enlèvent les anodes de zinc corrodées d’un câble sous-marin de la Pacific Missile Range Facility de Barking Sands à Hawaï, 2016 Données numériques
Faisceau lumineux Cœur Isolant Isolant externe
FIBRE
RECEVEUR TRANSMETTEUR
Kaua ʻ i O ʻ ahu Moloka ʻ i Maui Hawaii PANIOLO CABLE NETWORK 576 km
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PROUESSES D’INGÉNIEURS

6 600 km

Avec un débit de plus de 200 térabits par seconde et une longueur de plus de 6 600 kilomètres, Marea est à ce jour le câble transatlantique qui offre la latence la plus faible et le débit le plus élevé.

UNE TONNE PAR MÈTRE

La masse d’un mètre courant de câble transocéanique peut avoisiner la tonne, mais d’ordinaire, on réserve les couches de protection les plus imposantes aux tronçons situés près des côtes et en eaux peu profondes. Dans les profondeurs de l’océan, à l’abri de la plupart des activités humaines, il n’y a pas lieu de poser une protection renforcée. On installe donc des câbles d’environ 2,5 centimètres de diamètre, plus légers et su samment étanches.

Malgré cela, la masse totale d’un câble tendu sur des milliers de kilomètres atteint plusieurs milliers de tonnes. Par exemple, Marea ne pèse pas moins de 4 600 tonnes ! On s’en doute, transporter un chargement aussi fragile et volumineux n’a rien d’une tâche aisée. Les responsables du projet ont opté pour une solution radicale : l’entreprise espagnole Sanjo, spécialisée dans la fabrication de matériel de traitement et finition des métaux, a construit une petite usine à Virginia Beach. L’usine a produit le câble par portions de plusieurs kilomètres de long. Chaque portion était ensuite directement embarquée sur un navire câblier chargé de l’installation. Cette organisation permettait de se prémunir des détériorations du câble dues au transport en train ou en camion.

En outre, les responsables du projet se sont appuyés sur des travaux de prospection menés par des géologues et des océanologues, ils ont loué et équipé des navires spécialisés, ont construit des infrastructures terrestres… Finalement, le coût de Marea n’est peut-être pas si exorbitant qu’il y paraît au premier abord. Il a fallu déterminer le trajet le plus court entre Virginia Beach et Sopela (pour utiliser moins de câble), mais aussi faire en sorte que ce trajet soit sûr aux points de vue sismique et volcanique, qu’il ne soit pas sujet à des glissements de terrain, à des a aissements, etc. Les constructeurs ont donc dû prendre en compte la profondeur et la topologie du fond océanique, la densité et la stabilité des sols et bien d’autres paramètres. Par

La charrue de pose se déplace au fond de l’eau et ameublit le sol devant elle (ensouillage) à l’aide de puissants jets d’eau

ailleurs, le câble ne peut pas traverser les eaux territoriales d’un pays sans son autorisation. Tout cela prend du temps. Microsoft et Telefónica, qui sont pourtant des entreprises de référence, ont mis une année entière pour achever les travaux préliminaires et presque deux ans pour installer le câble.

À LA VITESSE DE LA LUMIÈRE (OU PRESQUE)

À quoi bon se donner tant de mal ? D’une part, pour profiter d’un débit record de 160 térabits par seconde, l’équivalent des 8 saisons de Game of Thrones en qualité UHD (soit 2,5 téraoctets) en moins de 0,2 seconde ! En réalité, ce débit se répartit en 8 flux correspondant à des paires de fibres optiques : Facebook et Microsoft en ont chacun deux ; les quatre autres appartiennent à Telxius.

IMMERSION DU CÂBLE

Câble sousmarin

Charrue de pose

La profondeur varie

Câble de remorquage et tuyaux d’eau

Fond marin

Virginia Beach Sopelana MAREA Navire câblier

D’autre part, l’idée du projet Marea est née à la suite de l’ouragan Sandy, qui s’est abattu sur la côte est des États-Unis en 2012. Plus tard, le directeur de la stratégie internationale de Microsoft F (F) R a expliqué : « L’ouragan a généré des perturbations majeures. Tout le réseau reliant l’Amérique du Nord à l’Europe a été isolé pendant plusieurs heures. Pour nous, Sandy a mis en lumière les di cultés qui peuvent survenir lorsqu’on a des câbles transatlantiques qui arrivent tous à New York et dans le New Jersey. » En d’autres termes, un faisceau de lignes très proches les unes des autres manque de fiabilité. Il faut installer des câbles dédoublés et des câbles de secours qui o rent un débit satisfaisant et soient su samment éloignés les uns des autres pour ne pas être frappés par les mêmes aléas naturels en même temps.

CONNEXION INTERROMPUE !

Ce ne sont pas les exemples qui manquent. En juin 2005, le câble sous-marin SEA-ME-WE 3 (South-East Asia—Middle East— Western Europe), dont l’immense système de télécommunication englobe l’Europe de l’Ouest, le Proche-Orient, le sous-continent indien et les pays du bassin Indo-Pacifique, tombe en panne au niveau du Pakistan. Pendant plusieurs jours, plus de 10 millions d’internautes restent coupés du réseau mondial.

En mars 2007 au Vietnam, un événement insolite ralentit considérablement la connexion Internet. Des pirates avaient réussi à sectionner un tronçon de 11 kilomètres du câble T-V-H qui relie la Thaïlande, le Vietnam et Hong-Kong. Ignorant sa valeur véritable, les malfaiteurs ont essayé de vendre les 100 tonnes de câble au prix de la ferraille. Trois mois ont été nécessaires pour réparer intégralement le câble T-V-H. Le 11 mars 2011, le puissant séisme de la côte Pacifique du Tōhoku au Japon et la série de tsunamis qu’il engendre endommagent les câbles sous-marins reliant l’archipel nippon au reste du monde, notamment l’APCN-2 qui connecte plusieurs pays de l’Asie-Pacifique : la Chine, Hong-Kong, le Japon, la Corée du Sud, la Malaisie, les Philippines, Singapour

En moyenne, plus d’une centaine de dysfonctionnements surviennent chaque année. On en entend rarement parler parce que la plupart des entreprises se servant de câbles se fient au principe selon lequel « la quantité fait la sécurité » et répartissent le débit de leurs réseaux entre plusieurs câbles. Si l’un des câbles se rompt, le réseau continue de fonctionner sans interruption grâce aux autres câbles jusqu’à ce que la réparation soit terminée.

et Taïwan. Le séisme détériore aussi le câble Unity/EAC-Pacific que Google venait d’installer entre le Japon et les États-Unis. Aujourd’hui, les entreprises de télécommunication ne règnent plus en maîtres sur les grands projets de transmission de données : il faut aussi compter sur Google, Amazon ou encore Facebook. En posant des câbles, ces entreprises réalisent un investissement de croissance, c’est-à-dire qu’elles tablent sur l’augmentation constante du nombre d’utilisateurs et de la quantité de données échangées.

Destiné à améliorer les communications internationales, ce câble est né de la collaboration des deux plus grandes entreprises de télécommunication d’Amérique latine. Il sera mis en service en 2021
6% 6% 6 % 38% Pêch e 25%Dégâts causés par les ancres 11% Autres Dysfonctionnements internes Autres Anthropiques E n v ironnementales 8 % Naturelles Abrasion
PACÍFICO
Puerto San José Salinas Lurín Arica Valparaíso #1 DÉCEMBRE 2020 79
7 300 km LES CAUSES DE PANNE

Au XIXe siècle, le football était un jeu plutôt chaotique, à en juger par cette illustration du match entre l’Angleterre et l’Écosse au « Kennington Oval » (Londres, Royaume-Uni). La finale de la première Coupe d’Angleterre s’est déroulée dans ce stade en 1872.

Le football

Pour jouer au jeu le plus populaire de la planète, il su t d’une pelouse, d’un ballon, et de quelques amis. Pourtant, le football apporte un sentiment d’unité et des émotions si fortes sentiment

PREMIÈRES FRAPPES

On ne sait pas exactement quand la frénésie du football a commencé. Les jeux de balle au pied ont toujours passionné les foules, de la Grèce à la Chine. Le terme « football » apparaît pour la première fois en 1363, dans une ordonnance du roi anglais Édouard III. L’instigateur de la guerre de Cent Ans interdisait à ses sujets la pratique du « handball, du football, du hockey, ainsi que les combats de coqs et autres jeux similaires ».

À cette époque, les habitants des îles Britanniques jouaient au football tous ensemble, sans règles ni restrictions sur le nombre de joueurs. Souvent, les matchs se terminaient en bagarres, avec les conséquences que l’on

SPORT

est avec nous !

que chaque victoire de l’équipe se transforme en fête, alors que la défaite peut arracher des larmes aux plus insensibles. Pour beaucoup, le football n’est pas qu’un jeu. C’est la vie.

Match Angleterre — Ecosse en 1905. Les joueurs de l’équipe écossaise, en maillots rayés, ont perdu 1–0 contre les Anglais.

peut imaginer. Pourtant, malgré les interdictions gouvernementales, la popularité du football n’a cessé d’augmenter.

Le format moderne, avec deux équipes de 11 joueurs sur un terrain délimité, n’est apparu qu’au milieu du XIXe siècle, toujours en Angleterre. Néanmoins, chacun ayant ses propres règles, l’organisation des tournois était problématique. Un règlement unique, appelé « règles de Cambridge », a été adopté en 1846, pour faire de ce divertissement de rue un sport à part entière.

Au fil du temps, les Britanniques ont apporté de nombreuses autres améliorations, comme l’ajout d’un filet dans les buts et d’un si et pour l’arbitre (en remplacement des claps de mains et des clochettes). Ils ont aussi fait de l’arbitre un élément indispensable lors des matchs, alors que dans d’autres pays, les di érends entre joueurs étaient résolus par les capitaines d’équipe.

Ensuite, le football s’est répandu comme une traînée de poudre. Les voyageurs, les marins, les soldats, les marchands et les missionnaires ont transporté le jeu jusqu’aux quatre coins du monde. Avec la croissance rapide de sa popularité, il était nécessaire de structurer l’organisation des compétitions. La Fédération internationale des

associations de football (FIFA) fut donc créée en mai 1904. Ses premiers représentants venaient de France, de Belgique, du Danemark, des PaysBas, d’Espagne, de Suède et de Suisse. Aujourd’hui, la FIFA compte plus de 200 fédérations nationales.

BALLE EN TÊTE

Depuis les années 1960, les ballons en cuir ont été remplacés par des ballons synthétiques. À peu près au même moment, apparaît la Buckminster Ball, ou simplement Buckyball, dont l’apparence est familière même aux personnes les moins passionnées de football. C’est une sphère composée de pentagones noirs et d’hexagones blancs. C’est un ballon de ce type appelé Telstar , composé de

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ÉVOLUTION DU BALLON DE FOOTBALL

Jusqu’au milieu du XXe siècle, les ballons de football étaient en cuir et cousus avec des lacets. Cependant, ils perdaient facilement leur forme arrondie et en temps de pluie, ils devenaient trop lourds pour les joueurs. Dans les années 1960, le cuir naturel a été remplacé par des matériaux synthétiques. Le ballon officiel de la Coupe du monde 2018 était l’Adidas Telstar 18, dont les motifs pixélisés représentent l’emblématique ballon Adidas Telstar de 1970 en train de voler dans les airs. Le ballon intègre une petite puce qui permet de le connecter à un smartphone.

12 pentagones noirs et 20 hexagones blancs, qui est devenu le ballon o ciel de la Coupe du monde 1970, organisée au Mexique. C’était le premier tournoi à être retransmis en direct, et le design du ballon était parfait pour la télévision en noir et blanc de l’époque. Son cousin éloigné, le Telstar 18, a été utilisé lors de la Coupe du monde 2018 en Russie.

COMMENT MARQUER UN BUT

Un match de football se compose de deux mi-temps de 45 minutes. Dans certains cas, un temps additionnel est accordé, par exemple s’il s’agit d’un match à élimination directe et que les deux équipes font match nul à la fin du temps réglementaire.

Pour le coup d’envoi du match, le ballon est placé au centre du rond central . Ensuite, l’arbitre détermine à pile ou face quelle équipe jouera le coup d’envoi pour commencer le match. Cette équipe est donc l’équipe attaquante . L’équipe d’en face commencera donc comme équipe défensive , mais ils joueront en attaque le coup d’envoi de la seconde mi-temps. Le ballon est considéré comme étant en jeu dès qu’il atteint la moitié de terrain adverse. A partir de là, la tâche de chaque équipe est simple : marquer autant de

buts que possible contre l’adversaire et essayer de ne pas laisser entrer le ballon dans ses propres filets.

Les joueurs se font des passes. Si la passe est réussie, alors l’attaque se poursuit. Si la balle ne roule pas sur la pelouse, mais vole dans les airs, c’est une passe lobée , ou passe en profondeur . Lorsque le ballon est sorti par un joueur derrière la ligne de touche, c’est une sortie de balle. L’arbitre le signale et un joueur de l’équipe adverse joue la touche, c’est-à-dire une remise en jeu avec les mains. Lorsque le ballon sort des limites du terrain au-delà de la ligne de but, l’arbitre si e soit un corner, soit un coup de pied de but (ou « six mètres »). Si c’est un joueur de l’équipe attaquante qui a touché le ballon en dernier, le gardien

de but peut dégager le ballon lors d’un coup de pied de but, à partir de sa surface de réparation. Si c’est un joueur de l’équipe défensive qui l’a touché en dernier, l’adversaire a droit à un corner . Pour tirer le corner, le ballon est placé à l’angle entre la ligne de but et la ligne de touche, dans le coin du terrain. Le joueur qui le tire peut alors faire un centre en direction de la surface de réparation, ou encore faire une passe à un autre joueur de son équipe.

Les joueurs peuvent et doivent tenter de récupérer le ballon lorsqu’il est dans l’équipe adverse, mais à condition de ne pas blesser le porteur du ballon. En cas de faute, l’arbitre pourra sanctionner le joueur fautif avec un carton et si er un coup franc . Il peut aussi simplement si er un coup franc direct ou indirect . Lors d’un coup franc direct, le tireur peut soit directement marquer un but,

COUP FRANC DIRECT
1930 1934 1938 1950 1954 1958 1962 1966 1970 1974 1978 1982 1986 1990 1994 1998 2002 2006 2010 2014 2018
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QUI SONT CES GENS SUR LE TERRAIN ?

Le jeu se joue à deux équipes. Chaque équipe est composée de 11 joueurs, dont un gardien de but. Tout ce qui se passe sur le terrain de football est soumis à des règles strictes et chaque joueur a un rôle bien particulier.

GARDIEN DE BUT

Sa tâche principale est de maintenir le ballon hors de ses buts. C’est le seul joueur de l’équipe qui peut toucher le ballon avec ses mains. Par contre, il ne peut le faire que dans sa “ surface de réparation ,” un rectangle bien délimité par un marquage au sol autour des buts. À l’intérieur de la surface de réparation, il y a un rectangle plus petit : c’est la surface de but. Dans la surface de but, personne n’a le droit de gêner le gardien. La tenue du gardien est de couleur di érente pour permettre à l’arbitre de le reconnaître plus facilement au cours du match.

MILIEUX DE TERRAIN

Ils sont généralement au nombre de quatre ou cinq. Ils doivent tout faire, et bien faire : défendre avec la défense, et attaquer avec les attaquants. Ce sont souvent eux qui marquent les buts.

ATTAQUANTS

Vous ne pouvez pas gagner un match sans marquer un seul but. C’est la tâche principale des attaquants. Il y en a généralement un ou deux sur le terrain. Les joueurs peuvent être de di érents gabarits : certains sont petits, agiles et rapides, alors que d’autres sont puissants, grands, et jouent parfaitement de la tête.

L’essentiel est de savoir dribbler et prendre le dessus sur les défenseurs. Et bien sûr, marquer le but.

LEV YASHIN (1929-1990)

SURNOM : la Panthère Noire

PAYS: URSS

CLUB: Dynamo Moscou

STATISTIQUES : 70 buts encaissés en 74 matchs

C’est le meilleur gardien du XXe siècle selon la FIFA, l’IFFHS, ainsi que les magazines World Soccer, France Football et Placar. C’est surtout le seul gardien de l’histoire à avoir reçu le Ballon d’Or. Il a arrêté plus de 150 penalties, soit plus que n’importe quel autre gardien dans l’histoire du football professionnel.

DÉFENSEURS

On trouve plusieurs joueurs de cette catégorie sur le terrain, en général trois ou quatre, en fonction de la tactique de l’entraîneur. S’il opte pour une tactique profondément défensive, il peut même y avoir cinq défenseurs. Dans le football moderne, les défenseurs sont souvent de grande taille car cela facilite le jeu de la tête. Mais la taille ne fait pas tout, et un défenseur combatif peut toujours l’emporter sur un attaquant adverse qui fait une tête de plus. En règle générale, les défenseurs marquent peu de buts, mais leur rôle est d’empêcher l’équipe adverse d’en marquer. Les erreurs des défenseurs sont souvent la cause des buts marqués par l’adversaire.

ZINEDINE ZIDANE (né en 1972)

SURNOM : Zizou

COUNTRY : France

CLUBS : Cannes, Bordeaux, Juventus, Real Madrid

STATISTIQUES : 128 buts en 681 matchs

Considéré comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football et comme un entraîneur talentueux. Il a été nommé le meilleur joueur de la planète par la FIFA à six reprises.

ARBITRE

Il contrôle le bon déroulement d’un match de football. L’arbitre vérifie que les joueurs respectent les règles, pénalise ceux qui commettent des fautes, accompagne les équipes sur le terrain, assure leur retour aux vestiaires et gère la durée du match. En

FRANZ BECKENBAUER (né en 1945)

SURNOM : le Kaiser

PAYS : Allemagne

CLUBS : Bayern Munich, New York Cosmos, Hambourg

STATISTIQUES : 94 buts en 709 matchs

Beckenbauer est considéré comme le footballeur qui a inventé le poste de « libéro » au football. Le libéro, c’est un défenseur central « libre ». Par ailleurs, il est l’un des deux seuls footballeurs à avoir remporté la Coupe du monde à la fois en tant que capitaine et en tant qu’entraîneur.

CLUBS : Argentinos Juniors, Boca Juniors, FC Barcelone, Naples, Séville, Newells Old Boys.

STATISTIQUES : 258 buts en 492 matchs

L’un des plus grands attaquants du XXe siècle. Auteur du « But du siècle » lors du match contre l’Angleterre lors de la Coupe du monde 1986.

règle générale, l’arbitrage d’un match est assuré par un arbitre central et deux arbitres assistants, aussi appelés juges de touche.

Il est strictement interdit de négocier ou de se disputer avec l’arbitre. C’est une faute qui peut être sanctionnée par un avertissement verbal, un carton jaune, ou même un carton rouge.

DIEGO MARADONA (né en 1960) ALIAS : El Pibe de Oro PAYS : Argentine
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soit faire une passe à un coéquipier. Lors d’un coup franc indirect, il est interdit de marquer directement. Pour signaler un coup franc indirect, l’arbitre lève le bras au-dessus de la tête.

Lorsqu’un coup franc direct est attribué, les joueurs de l’équipe défensive forment un mur en se tenant épaule contre épaule à neuf mètres du ballon (la distance est vérifiée par l’arbitre, mais les joueurs essayent toujours de se rapprocher le plus possible) afin d’aider le gardien de but. Si le gardien parvient à correctement aligner le mur, il sera di cile pour le tireur de le contourner. Les joueurs du mur peuvent aussi sauter lors du tir pour jouer de la tête et tenter d’empêcher le ballon d’atteindre le but par tous les moyens possibles.

HORS-JEU

Le hors-jeu est une situation où, lors d’une passe qui lui est adressée, un attaquant se trouve plus proche du gardien de but adverse que n’importe quel autre

joueur sur le terrain. Autrement dit, il n’y a aucun défenseur entre l’attaquant qui reçoit la passe et le gardien. Dans ce cas, le joueur n’est pas autorisé à continuer à jouer, c’est donc un « hors-jeu ». Un but marqué en position de hors-jeu ne compte pas. Avant de faire une passe, un joueur en position d’attaque doit toujours s’assurer qu’il y a au moins un défenseur entre son coéquipier et le but adverse.

Pourquoi avons-nous besoin de la règle du hors-jeu ? Avant le début de match, les équipes sont à égalité. Lorsque le ballon est mis en jeu, c’est l’équipe attaquante qui a l’avantage car elle possède le ballon. L’équipe défensive doit alors le récupérer, mais c’est une tâche di cile, car le ballon se déplace plus vite qu’un joueur qui court, et l’équipe attaquante peut donc facilement marquer un but. La règle du hors-jeu a été conçue pour équilibrer l’attaque et la défense. En fait, une position de hors-jeu est une ligne qui longe le dernier joueur de l’équipe en défense. Si cette règle n’existait pas, les attaquants pourraient

France — Italie, finale de la Coupe du monde 2006. Le meneur de jeu de l’équipe de France, Zinedine Zidane, donne un coup de tête dans le torse du défenseur italien Marco Materazzi, faute pour laquelle il recevra un carton rouge. En conséquence, les Français ont perdu la finale et les Italiens sont devenus champions du monde.

simplement se positionner dans le but adverse en attendant le ballon.

Prenons l’exemple de la file d’attente d’un magasin. La fi le est longue, mais vous n’en avez plus pour longtemps. Soudain, un client arrive et donne son panier à la personne devant vous afin qu’elle paye pour lui. Est-ce juste ? Bien sûr que non, car cela va à l’encontre de la logique d’une file d’attente. C’est la même chose avec le hors-jeu.

Les hors-jeu sont souvent controversés, en particulier lorsqu’il s’agit de buts qui pourraient changer le cours du match. La décision est prise par l’arbitre central avec l’aide d’arbitres assistants. S’ils remarquent une position de hors-jeu, ils doivent immédiatement lever leur drapeau et le tenir horizontalement devant

CONFIGURATION DU TERRAIN

Le terrain de football doit être plat, sans objet extérieur. L’herbe est le meilleur revêtement, et la qualité du match dépend de celle de la pelouse. Elle est tondue dans des directions di érentes, ce qui crée l’impression que le terrain est divisé en bandes. Ces bandes constituent un “marquage supplémentaire” et aident les arbitres à prendre des décisions, à repérer les situations de hors-jeu et à placer les murs lors des coups francs. D’après le règlement de la FIFA, la hauteur de la pelouse ne doit pas dépasser 3,5 centimètres. Avant le coup d’envoi, l’arbitre vérifie la conformité du terrain, des équipements et du marquage au sol.

HORSJEU Sideline 92–120 m Endline 45–90 m penalty area penalty spot corner arc centre spot goal goal area centre circle
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eux. Ce geste signale une situation de hors-jeu à l’arbitre central. Souvent, la position de l’arbitre assistant fait qu’il est le mieux placé pour en décider, mais il arrive que l’arbitre central ne si e pas le hors-jeu malgré l’avis de son assistant.

CARTONS : SE FAIRE COMPRENDRE SANS CRIER

Parfois, les passions se déchaînent sur le terrain, et certains joueurs peuvent récolter un « carton jaune ». Si un joueur obtient deux cartons jaunes au cours du même match, il doit quitter le terrain, laissant son équipe en infériorité numérique. Pour quelle raison peut-on recevoir un carton jaune ? Cela peut arriver en cas de jeu délibéré de la main, de perte de temps (généralement, les gardiens de but en abusent dans les dernières minutes du match, lorsqu’il est important pour l’équipe de conserver un score avantageux), de jeu brutal, de comportement antisportif, de dispute avec l’arbitre, de simulation de blessure, de sortie du terrain ou d’entrée sur le terrain sans l’autorisation de l’arbitre, ainsi que pour quelques autres fautes. Deux cartons jaunes valent un carton rouge. Une fois le carton rouge sorti par l’arbitre, le joueur visé doit quitter le terrain. Dans certains cas extrêmes, l’arbitre peut aussi directement sortir un carton rouge, notamment en cas d’insultes, de coup de pied à l’adversaire, ou de tacle par derrière.

Cependant, la décision est toujours à la discrétion de l’arbitre, et chaque arbitre peut évaluer une même situation de différentes manières. Les joueurs de football

TACLE GLISSÉ

contestent presque systématiquement les décisions prises à leur encontre en criant « Monsieur l’arbitre, ce n’est pas ma faute ! », mais cela ne change rien à la décision arbitrale.

L’arbitre K A a proposé d’introduire le système de cartons après les quarts de finale de la Coupe du monde 1966. En e et, lors du match Argentine — Angleterre, l’Argentin Antonio Rattín devait être expulsé pour un tacle, mais l’arbitre allemand Rudolf Kreitlein, qui ne parlait pas de langue étrangère, n’est pas parvenu à expliquer à l’attaquant qu’il devait quitter le terrain. C’est l’arbitre Ken Aston qui a servi de traducteur pour résoudre la situation. C’est ainsi qu’est née l’idée d’une méthode de communication universelle, qui serait comprise par tous les arbitres et tous les joueurs. Les cartons sont apparus lors de la Coupe du monde 1970, au Mexique. Le premier joueur à recevoir un carton jaune est le joueur soviétique Kakhi Asatiani lors du match Mexique — URSS.

QU’EST-CE QU’UN PENALTY ?

La surface de réparation est la zone dans laquelle le gardien peut prendre le ballon à la main. Si l’équipe défensive commet une faute dans cette zone, l’arbitre si e un penalty, qui est tiré à une distance de 11 mètres du but. Aucun joueur ne peut se placer entre le tireur et le gardien de but, et ce dernier doit se tenir sur la ligne de but. Les autres joueurs restent en dehors de la surface de réparation. En raison de la faible distance,

le gardien n’a pas le temps d’estimer la direction du ballon. Les penalties sont considérés comme une excellente occasion de marquer un but, c’est pourquoi les défenseurs font très attention de ne pas commettre de faute dans leur surface de réparation.

La séance de tirs au but est une expérience di cile pour les joueurs ainsi que les supporters. Ils ont lieu lors des matches à élimination directe des coupes nationales, des coupes continentales et de la Coupe du monde, si aucune des équipes n’est gagnante à la fin du temps réglementaire de 90 minutes et des prolongations de deux fois 15 minutes. Lors des tirs aux buts, chaque équipe tire cinq penalties, et si elles sont toujours à égalité, la séance se poursuit.

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TOUS

DIFFÉRENTS

Imaginez un instant qu’un nouvel élève pas comme les autres arrive dans votre classe : un garçon en béquilles et qui écrit sa propre musique, ou une fille en fauteuil roulant qui crée de belles décorations. Vous avez envie de faire connaissance, mais quelque chose vous retient : et si vous disiez quelque chose de maladroit ? Nous allons tenter de vous raconter comment les enfants différents voient le monde et vous apprendre ce qui leur déplaît vraiment et, au contraire, ce qui leur fait plaisir.

* E katerina Chaboutskaïa, thérapeute en réadaptation physique, spécialiste des affections neurologiques et mère d’une fille atteinte d’infirmité motrice cérébrale nous accompagnera tout au long de cet article.

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COMMENT VIVRE EN ÉTANT DIFFÉRENT

Faites l’expérience, sortez dans la rue avec un maquillage étonnant ou une tenue inhabituelle, par exemple si vous êtes un garçon, mettez une jupe. Comment les gens vont-ils vous regarder ?

C’est à peu près ce qui arrive à toutes les personnes en situation de handicap : ils peuvent être vus comme une curiosité qui fait à la fois peur et que l’on n’accepte pas. Soit on les fixe, soit on fuit leur regard. Personne ne leur parle, ne leur sourit ou ne leur demande leur chemin. C’est en partie pourquoi les personnes di érentes sortent moins dans la rue.

Une autre raison est que beaucoup ont du mal rien que pour sortir de chez eux. Les métros, les halls d’immeuble et les trottoirs adaptés sont encore trop rares. Dans nos bâtiments, il n’y a ni rampes d’accès ni ascenseurs, et même si ces derniers existent, ils sont trop petits pour les fauteuils roulants.

C’est pourquoi certains restent chez eux et passent du temps à lire, à étudier ou à regarder une multitude de films. Être en situation de handicap, c’est être en bonne santé, mais condamné à un « confinement sans fin ».

CE N’EST PAS UNE MALADIE

Nous sommes tous di érents. Certains touchent le plafond dans le bus, alors que d’autres sont trop petits pour s’agripper à la barre. Certains peuvent marcher, d’autres doivent se déplacer en fauteuil. Certains peuvent parler d’eux-mêmes, et certains, comme le célèbre astrophysicien S H , doivent s’aider d’une tablette électronique.

Nous avons tous, sans exception, des particularités. Le principal est de savoir si elles nous empêchent de nous déplacer, de communiquer, de nous faire des amis ou de faire ce que l’on aime. Et si une personne présente une particularité qui lui rend la vie plus compliquée, on peut dire qu’elle est malade. Mais en réalité, déterminer si une personne est en bonne santé ou malade n’est pas si simple que cela.

On sait parfaitement identifier les maladies qui impliquent des bactéries, des virus et des champignons. Les microbes provoquent des symptômes, comme de la toux ou de la fièvre qui vous font vous sentir mal. Puis vous prenez les médicaments que vous a prescrits le médecin et les symptômes disparaissent : vous êtes de nouveau en bonne santé.

Mais ce n’est pas toujours aussi simple. Par exemple, certaines personnes naissent sourdes, mais peuvent retrouver l’ouïe grâce à un implant. Dès lors que l’implant fonctionne, elles entendent parfaitement et ne sont pas di érentes des autres. Mais si leur appareil tombe en panne, elles n’entendent plus. Sont-elles en bonne santé, ou malades ? Tout dépend de la société dans laquelle elle vivent.

Cela vaut aussi pour vos camarades dits « di érents ». Les personnes sans leurs particularités se promènent, sociabilisent et travaillent sans obstacle. Si une personne peut se déplacer en fauteuil, ou avec des prothèses, se faire des amis et étudier grâce à une tablette ou un ordinateur, travailler à la maison ou dans un bureau spécialement aménagé, c’est qu’elle n’est pas malade.

Elle peut faire tout ce que les autres qui n’ont pas cette particularité font, mais di éremment.

Le bien-être de ces personnes dépend de nous tous. Vous pouvez leur parler, devenir leur ami, et si elles en expriment le besoin, vous pouvez les aider. C’est ça l’amitié. Et quand vous serez adultes, vous pourriez ensemble construire des immeubles avec de grands ascenseurs et des rampes d’accès au lieu d’escaliers, développer des logiciels d’eyetracking pour tablette (qui servent à écrire avec les yeux), concevoir des prothèses indi érenciables de vraies jambes et de vrais bras et des fauteuils à chenilles pour pouvoir se promener dans la nature et dans les parcs. Si tout cela existait, ceux qui le voudraient pourraient s’en servir quand ils en auraient envie ou besoin.

#1 DÉCEMBRE 2020

qUI SONT-ELLES ?

Près de 5 % de la population mondiale vit avec un handicap. Si dans une ville il y a un million d’habitants, cela signifie que 50 000 d’entre eux ont une « particularité », dont les plus courantes sont l’infirmité motrice cérébrale infantile, l’autisme et la trisomie 21.

L’infirmité motrice cérébrale chez l’enfant est un spectre de troubles qui ont en commun une condition importante : ils touchent tous une partie du cerveau responsable du mouvement. Ce qui provoque des perturbations dans le contrôle des muscles par le cerveau. Le patient a des problèmes à se tenir droit, à se déplacer et parfois à parler : la bouche contient, elle aussi, des muscles, comme les jambes et les bras. Ce type de handicap a de nombreuses causes. Par exemple : un traumatisme crânien qui peut se produire à la naissance ; une méningite, qui provoque une inflammation des enveloppes de la moelle épinière ; un AVC, pendant lequel les vaisseaux irriguant le cerveau s’obstruent et ne peuvent plus lui apporter de sang. Les AVC n’arrivent pas qu’aux personnes âgées, ils peuvent toucher les nourrissons, et même les fœtus.

« Très souvent, un patient atteint d’infirmité motrice cérébrale peut apprendre à mieux bouger, c’est à cela que sert la rééducation physique. Habituellement, ils comprennent très bien ce qu’on leur dit, mais quand leur bouche est paralysée, ils ne peuvent pas nous répondre. Dans ce cas, ils hochent simplement la tête, sourient ou froncent les sourcils. Les ordinateurs et les tablettes aident beaucoup : ils peuvent écrire ce qu’ils veulent dire et un logiciel le lit pour eux. » « Avec un enseignement adapté, les personnes atteintes de trisomie 21 peuvent décrocher le bac, mais aussi des diplômes universitaires, comme l’écrivain espagnol, et le présentateur de TED Talks, P P . Ils sont également plus touchés par l’arthrite ou les maladies cardiaques ».

La trisomie 21 est un trouble génétique qui implique une copie en trop du chromosome 21. D’habitude, chaque cellule du corps humain possède 46 chromosomes, dans le cas d’une trisomie, elle en possède 47. Cette anomalie survient par hasard lors de la division de la cellule-œuf, fusion d’un ovule et d’un spermatozoïde. Elle n’est pas favorisée par l’hérédité ou par l’environnement : un enfant trisomique peut naître dans n’importe quelle famille.

Le matériel génétique « en trop » agit sur le développement de la personne. Les trisomiques ont des muscles faibles, c’est pourquoi ils marchent un peu sur la pointe des pieds et parlent lentement et sans articuler su samment. Comme leur cerveau fonctionne d’une autre manière, ils apprennent à un rythme di érent.

VIE QUOTIDIENNE

Lorsqu’on parle d’autisme , il vaut mieux utiliser le terme de « trouble du spectre autistique » (TSA). Il s’agit du même problème : on qualifie d’autistes des personnes avec des troubles très di érents, qui ont pour point commun une particularité du cerveau : un patient atteint d’un TSA va réagir à tout signal, soit de manière trop forte, soit trop faible. Dans ce cas aussi les causes sont multiples. Mais cette fois-ci, ce sont les zones du cerveau responsables de la vue, de l’ouïe, du goût, du toucher, du traitement de l’information et de la reconnaissance des visages et des émotions qui sont le plus souvent touchées. Parfois, une personne peut cumuler à la fois une infirmité motrice cérébrale et un TSA.

Il n’est pas toujours facile d’identifier la cause d’un TSA, toutefois nous savons ce qui ne le provoque pas. L’analyse de l’histoire de 1,2 million d’enfants atteints d’autisme a démontré que les vaccins n’entraînaient en aucun cas ces troubles.

Les mots blessent

On vous a sûrement déjà dit qu’il ne vaut mieux pas les qualifier « d’handicapés » ou de leur « coller » un diagnostic, et ne les voir que par ce biais : « Salut le trisomique (l’autiste ou le paraplégique) ». C’est blessant. Nous sommes tous bien plus qu’une étiquette qu’on nous colle. Considérer qu’un fauteuil roulant ou qu’un problème de diction représente la personnalité d’une personne est une discrimination. Ils ont un prénom, utilisez-le.

Comme dans toute amitié, il ne faut pas hésiter à parler de tout, et comme dans toute amitié, les insultes peuvent blesser. Votre ami en fauteuil roulant sera vexé pour les mêmes raisons que n’importe qui.

N’essayez pas de deviner quels mots dérangent votre interlocuteur. Apprenez à mieux le connaître et il vous le dira de lui-même.

« Avez-vous déjà porté un pull qui gratte ? Certains patients atteints de TSA ont cette sensation avec tous les vêtements, alors que d’autres ne sentent rien du tout, même lorsqu’il posent leur main sur une plaque de cuisine brûlante.

Votre cerveau est capable de filtrer les informations inutiles, c’est pourquoi vous n’entendez pas toutes les voitures qui passent dans la rue ou tout ce que disent les gens dans un endroit bondé. Mais le cerveau des patients atteints de TSA entend tous les sons sans exception et ne filtre rien du tout. Cela les fatigue énormément parce qu’ils sont “surchargés” et c’est pourquoi ils ne se maîtrisent plus.

Si vous avez un ami atteint d’autisme, demandez-lui ce qui le dérange et comment vous pouvez l’aider et vous adapter. Par exemple, s’il y a beaucoup de bruit, il peut avoir besoin d’un casque qui atténue les sons pour pouvoir supporter l’environnement extérieur.

#1 DÉCEMBRE 2020 89

COMMENT AVOIR UNE CONVERSATION

AGRÉABLE

Ce que les personnes avec des particularités aiment le plus, c’est qu’on s’intéresse à ce qu’elles pensent, qu’on soit honnête avec eux et qu’on leur demande directement ce qu’ils veulent ou non. Vous voyez, il n’y a rien de « particulier » dans une amitié avec une personne di érente. Toutefois, nous réagissons tous di éremment. Devenir ami avec quelqu’un nécessite de bien apprendre à la connaître, et ce sera plus facile si vous suivez les cinq règles suivantes :

Ne les rendez pas invisibles . On nous défend souvent dès l’enfance de « fixer du regard » les personnes atteintes de trisomie, ou encore de demander à faire un tour en fauteuil roulant. N’hésitez pas à leur sourire et à aller faire leur connaissance. Croyez-moi sur parole : être invisible est tout sauf agréable.

N’ayez pas peur de lui dire ce dont vous avez besoin . L’amitié est une chose complexe : le tact, le sens de l’humour, l’inventivité et l’entraide sont des conditions indispensables pour des amis. C’est pourquoi il est tout à fait naturel de demander à votre ami de l’aide pour vos devoirs, de lui emprunter un livre, d’aller boire un verre ou de vous aider à choisir un nouveau tee-shirt. S’il vous le demandait, vous le feriez aussi, pas vrai ?

N’imposez pas votre aide . Et ne pensez pas qu’il ne puisse rien faire par lui-même. Votre ami en fauteuil roulant ne pourra sûrement pas grimper aux arbres, mais il pourra parfaitement faire un tas d’autres choses. Tout le monde a envie de se faire des amis, de se sentir inclus, d’avoir sa « part de responsabilité ».

« Dans sa classe, ma fille s’occupe de toutes les feuilles à découper. Son fauteuil est équipé d’un bouton qui active des ciseaux. Pour elle, c’est important de participer au travail en classe et d’aider ses amis. »

Posez des questions . Intéressez-vous aux pensées et aux sentiments de votre ami, demandez des informations sur ce qu’il a, et ce que vous pouvez faire s’il en a besoin. Si la question ne lui plaît pas, il ne vous répondra pas. Toutefois l’inverse peut également se produire, il aura peut-être envie d’aborder une question « épineuse » que tout le monde évite d’habitude.

Souvenez-vous de leurs limites . Gardez en tête les particularités de votre ami et soyez attentif et prêt à l’aider en cas de problème (savoir appeler les urgences par exemple, comme pour tout ami).

VIE QUOTIDIENNE

POUR EN SAVOIR PLUS

À REGARDER :

Hawking. Film qui décrit la jeunesse de l’astrophysicien Stephen Hawking. Il est joué par B C . Il s’agit de son premier grand rôle. Il y a également un biopic plus récent : Une merveilleuse histoire du temps

Good Doctor. Une série sur un chirurgien surdoué. Comme Docteur House, mais ici le personnage principal est atteint du syndrome d’Asperger.

TAMARA. Un court dessin animé qui raconte l’histoire d’une fille sourde et muette qui rêve d’apprendre à danser. Regardez pour savoir si elle a réussi.

Macropolis . Un court dessin animé qui nous montre le destin de deux jouets défectueux qui ont fini à la poubelle de la fabrique de jouets. Les héros veulent retrouver leurs amis.

À RETENIR

Règle n° 1 : Vos camarades en situation de handicap sont comme les autres. N’ignorez pas leurs particularités, n’agissez pas avec eux comme s’ils étaient en porcelaine.

Règle n° 2 : N’hésitez pas à poser des questions. Mieux vaut poser une question bête une fois, que de se taire et de se tromper sans arrêt.

Règle n° 3 : Ne vous oubliez pas.

Votre ami sera content si on lui donne des responsabilités.

À LIRE :

La Maison dans laquelle, de M P . Un roman à lire, qui vous confirmera que vos camarades en situation de handicap ne sont pas di érents de nous (tant qu’ils ne se transforment pas en loup ou qu’ils ne voyagent pas dans d’autres dimensions).

Le bizarre Incident du chien pendant la nuit, de M H . L’histoire d’un garçon atteint de TSA qui mène sa propre enquête.

Les petites Victoires de Y R. Une bande-dessinée sur les relations d’un père avec son fils atteint d’autisme et de troubles psychomoteurs.

La Bande à Ed de G G et J L .

Les aventures désopilantes de Ed, un garçon en fauteuil roulant, et de ses amis.

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SOCIÉTÉ

Imaginez : vous êtes une vérité établie, pépère, citée par les plus grands savants de votre époque, et là… patatras ! Une nouvelle théorie fait son apparition, tout ce qu’il y a de plus vraie, et vous tombez dans l’oubli. Pire, vous êtes reléguée au rang d’« erreur » ! Ce numéro dévoile l’histoire de quelques théories qui ont connu leur heure de gloire avant d’être mises au rebut par l’humanité.

LES THÉORIES TOMBÉES AUX OUBLIETTES

Pour commencer, qu’une chose soit claire, aussi naïve soit-elle, toute théorie scientifique est une étape sur le chemin qui a mené à notre représentation actuelle du monde. C’est exactement comme à l’école, où l’on n’apprend d’abord que les nombres naturels pour ne découvrir qu’après plusieurs années l’existence des nombres négatifs, rationnels, irrationnels… Il n’y a rien de honteux à ce qu’on ait cru un jour que la terre était plate. Les informations dont on disposait étaient alors trop lacunaires. Aujourd’hui en revanche, cela reviendrait pour un adulte à nier l’existence du chiffre –1.

Il est bien question ici de théories scientifiques : les explications du type « les éclairs apparaissent quand Zeus se met en colère » ne comptent pas. D’ailleurs, les théories de notre liste ne sont pas que le fruit de l’imagination d’un original quelconque, mais des idées acceptées et utilisées par la science pendant des siècles. Certaines d’entre elles, on va le voir, étaient on ne peut plus éloignées de la réalité, d’autres étaient déjà sur la bonne piste, mais aujourd’hui toutes ne sont plus que des jalons de l’histoire.

Le s é p icycles

des humeurs La théorie

Qu’est-ce qui détermine notre état de santé et notre tempérament ? Rien d’autre que la quantité de lymphe, de sang, de bile jaune et de bile noire contenue dans notre organisme. C’est du moins ce que pensait Hippocrate. Cependant, l’idée du rôle central des liquides physiologiques, ou humeurs, ne revient pas entièrement au médecin grec. Il l’a popularisée, mais les Égyptiens et les Indiens avaient déjà formulé des idées analogues auparavant.

Les humeurs, selon les médecins de l’Antiquité, coexistent en équilibre dans l’organisme, et en chaque individu une des quatre prédomine. De cette humeur dominante dépendent notre apparence et notre tempérament , pensait-on. Ceux chez qui prédomine le sang sont toujours aimables, rient souvent et ont les joues roses. Sans surprise, on qualifiait ces individus de sanguins . La bile jaune, kholê en grec ancien, affuble les bilieux d’un teint jaunâtre et leur confère un caractère irascible et grossier. La « melanê kholê », ou bile noire, fait de vous un mélancolique valétudinaire et aux cheveux sombres. Citons enfin les flegmatiques , chez qui prédomine la lymphe (ou flegme). Ils se découragent souvent, se distraient facilement et ont les cheveux blonds.

Comment les anciens en sont-ils venus à cette théorie ? Si Hippocrate ne disséquait pas les cadavres pour des raisons religieuses, les Égyptiens connaissaient bien l’anatomie grâce à la pratique de la momifi cation. De quels liquides parle-ton ? En 1921, le médecin suédois RoBert FÅhrÆus a émis l’hypothèse qu’il s’agissait des couches de sang coagulé et décanté des cadavres : en bas les caillots sombres, plus haut les érythrocytes rouges, puis les globules blancs, et tout en haut le sérum jaune.

Les gens sont apathiques ou agressifs parce que leur corps contient plus ou moins de tel ou tel liquide.
#1 dÉCembre 2020

Le soleil et les planètes tournent autour de la terre selon des orbites complexes.

Au deuxième siècle de notre ère, le savant égyptien Ptolémée observait les corps cé lestes et cherchait à déceler une régularité dans leur mouvement. Les résultats de ses observations lui ont permis d’élaborer le système géocentrique . Qu’est-ce que cela signifie ? Ptolémée a déduit de ses calculs que la Terre se trouvait au centre de l’univers et que le Soleil, la Lune et les planètes du système solaire tournaient au tour d’elle. Il est vrai qu’elles avaient toutes un mouvement pour le moins erratique : d’abord dans un sens, puis dans un autre, puis à nouveau dans le sens initial. Ces trajectoires étranges tiennent au fait que Ptolémée contemplait les planètes depuis la Terre, qui les « rattrape » sans cesse lors de sa rotation autour du Soleil. Mais l’as tronome égyptien l’ignorait ! C’est ainsi qu’il tentait d’expliquer ce phénomène, que les scientifiques nomment le mouvement rétrograde des planètes

Et voici sa théorie : les planètes suivent une petite orbite circulaire, l’épicycle , dont le centre se déplace lui-même le long d’une grande orbite centrée sur la

La génération s pontanée

terre, le déférent . Ainsi, les corps célestes décrivent des cercles tandis que la Terre reste immobile.

Ptolémée ne s’est pas contenté d’ima giner ce système, il l’a aussi formalisé ma thématiquement. Tout correspondait si bien que son modèle permettait de prévoir les déplacements des corps célestes. Il a fallu attendre plusieurs siècles pour qu’on re marque des « bugs ». Progressivement, les astronomes ont constaté des incohérences et ont dû ajouter des épicycles pour que le système tombe juste à nouveau. Il était gravé dans le marbre que la terre était le centre de l’univers, et quiconque affirmait le contraire était accusé d’hérésie.

Pendant plus de mille ans, l’idée d’une erreur possible de Ptolémée n’a même pas effleuré l’esprit des représentants de la communauté scientifique. Les travaux de Nicolas Copernic ont mis fin à ce cercle vicieux, mais pas avant le XVIe siècle ! En démontrant que c’était la Terre qui tournait autour du Soleil, l’astronome polonais a rendu caducs les épicycles.

La vie peut naître de la matière inanimée grâce à une force vitale d’un genre particulier.

Cette théorie a été popularisée par Aristote . S’il étudiait les insectes de près, le père de la biologie n’est cependant ja mais parvenu à comprendre comment ils se reproduisaient. Le savant les pensait incapables de pondre des œufs. En effet, ce ne sont pas des oiseaux, ils ne leur ressemblent d’ailleurs en rien, donc… les larves de mouche naissent d’elles-mêmes ! Tout se passait comme si un « élément vivi fiant » agissait sur la matière inanimée pour qu’elle génère de nouvelles créatures. Aussi la boue engendrait-elle des rats, la vase des grenouilles et des crocodiles, et la lumière du soleil des papillons.

Les alchimistes du moyen âge ont même essayé de créer un être vivant de leurs propres mains. Au XVIIe siècle, le naturaliste hollandais Jean-Baptiste Van Helmont proposait la recette suivante :

SOCIÉTÉ

« Verse des graines dans un pot, recouvre-le d’une chemise sale et attends ». Que va-t-il se passer ? Au bout de vingt-et-un jours, des souris seront apparues. Elles sont générées par les vapeurs dégagées par le grain pourrissant et la chemise sale.

Ce n’est qu’en 1668 qu’on osa pour la première fois remettre en question la théorie d’Aristote. Le biologiste italien Francesco Redi mena une expérience consistant à déposer un morceau de viande dans deux pots, dont l’un fut par la suite recouvert de gaze. Le tissu empêcha les mouches de se ruer sur le festin, si bien qu’il n’y eut aucune larve dans le pot fermé.

À la fin du XVIIe siècle, Leeuwenhoek invente le microscope qui permet à la communauté scientifique de découvrir les mi croorganismes . Les esprits éclairés ravivèrent le débat sur la génération spontanée, car même les matériaux et les liquides recouverts semblaient engendrer des êtres minuscules sans raison apparente.

C’est au siècle suivant que le chimiste et microbiologiste Louis Pasteur tranche la question. Il verse un bouillon dans un ballon muni d’un goulot long, étroit et incurvé (appelé « ballon à col de cygne ») qu’il laisse ouvert, pour que « l’élément vivi fiant » puisse atteindre le bouillon. Mais la vie n’y apparaît pas. Le coude du goulot a piégé les éventuels micro-organismes en suspension dans l’air. Pasteur a ainsi démontré que les microbes aussi doivent avoir des parents.

Le phlogisto n

Toutes les substances combustibles contiennent un élément universel qui s’évapore lors de la combustion sans qu’on puisse le récupérer.

Les miasmes

On peut attraper le typhus, la malaria ou la peste en inhalant des effluves malodorants.

Le terme «  phlogiston  » vient d’un mot grec qui signifie « inflammable ». Pourtant, il n’appartient pas à la science antique, mais a été inventé en 1703 par le chimiste allemand Georg Stahl . Selon lui, seules les substances contenant un élément combustible appelé phlogiston pouvaient brûler, et la flamme n’était autre que le mouvement de cet élément dans l’air au moment où il se sépare de la substance en train de se consumer. Par exemple, le bois serait à l’origine composé de cendre et de phlogiston. Pendant la combus tion, le phlogiston s’évapore pour ne laisser qu’un tas de cendre. Il disparaît si vite qu’on ne peut pas le récupérer dans un récipient pour l’étudier. Seuls les végétaux parviennent à le capter dans l’air. C’est ainsi, selon Stahl, que le phlogiston contribue à la création de nouvelles substances. Paradoxalement, les métaux exposés à une flamme ne s’allègent pas, mais deviennent plus lourds. De là, les scientifiques ont tiré la conclusion absurde que le phlogiston avait une « masse négative ».

La théorie du phlogiston a été considérée comme valide pen dant près de cent ans, jusqu’à ce que des chimistes du XVIIIe siècle mettent au jour la composition complexe de l’air. La découverte de l’oxygène par le chimiste français Antoine Laurent Lavoisier a permis d’expliquer le processus de combustion sans l’intervention d’éléments « insaisissables ». En réalité, la masse du métal brûlé augmente parce qu’il se lie à des atomes d’oxygène pour former un oxyde.

Toutefois, la théorie du phlogiston n’aura pas été conçue en pure perte : elle fut l’une des premières à tenter d’unifier plusieurs phénomènes chimiques dans un système, faisant de la chimie une science à part entière.

#1 d ÉC embre 2020

SOCIÉTÉ

Avant même la découverte des mi crobes au XIXe siècle, on savait que les in fections pouvaient se transmettre par voie aérienne. Heureusement, l’odorat permettait de se prémunir de toute contamination. On pensait en effet que les maladies étaient causées par les miasmes , des exhalai sons toxiques émanant des égouts, des tas d’immondices et d’autres sources d’odeurs nauséabondes que l’on se gardait de cô toyer de trop près.

Un conseil raisonnable, n’est-ce pas ? Cependant, la théorie des miasmes associait

la contagion à un lieu en particulier et ne mettait pas en garde contre les contacts avec les malades, sauf bien sûr s’ils « sen taient ». Bien sûr, on ne se méfiait pas non plus des insectes vecteurs de maladies, comme les moustiques pour la malaria (paludisme) et les puces pour la peste. D’ail leurs, le mot « malaria » signifie littérale ment « mauvais air  » en italien.

Comme on croyait les miasmes plus nocifs la nuit, on s’enfermait à double tour après le coucher du soleil pour que l’air vicié ne pénètre pas à l’intérieur. Les

occupants de ces habitations confinées respiraient donc un air particulièrement étouffant qui ne faisait que nuire plus en core à leur état de santé.

Au milieu du XIXe siècle, un médecin anglais du nom de John Snow fut le pre mier à remarquer une bizarrerie. Il établit un lien entre les cas de choléra à Londres et l’endroit où les habitants s’approvision naient en eau potable. Il y avait moins de cas parmi les Londoniens qui buvaient plus en amont de la Tamise ! Malheureusement, ce n’est qu’après sa mort que la commu nauté scientifique lui donna raison, grâce aux découvertes de Louis Pasteur.

L’éther

L’univers est rempli d’une substance imperceptible dont les propriétés expliquent des phénomènes physiques complexes.

L’idée d’un espace rempli d’éther re monte à l’Antiquité. Selon Aristote, les corps célestes sont entourés d’éther , élément plus léger que l’air et qui reste donc au-des sus de celui-ci. Il était inconcevable qu’il puisse ne rien y avoir entre les planètes. « La nature a horreur du vide », disaient les philosophes antiques, Au XVIIe siècle, René Descartes fait redescendre l’éther sur terre. Le penseur estimait que ce n’était pas seulement le ciel, mais toute chose dans l’univers qui était remplie d’une matière dont les particules sont solidaires entre elles. C’est cette matière qui permettrait la diffusion de la chaleur et de la lumière, la gravitation, la diffraction de la lumière et de nombreux autres phénomènes.

Par la suite, les scientifiques n’ont pas songé à remettre en cause l’existence de l’éther, bien qu’ils n’aient jamais pu la dé montrer expérimentalement. Nul ne dou tait de la véracité de la théorie : comment expliquer la propagation des ondes dans un espace sans éther, complètement vide ? Comment fonctionne la gravité, s’il n’y a rien entre les corps ? L’éther est finale ment devenu la « béquille » sur laquelle

on s’appuyait pour comprendre l’incompré hensible. Et pour que les résultats tombent juste, on attribuait à cette substance les propriétés les plus diverses : elle se com portait tantôt comme un gaz, tantôt comme un solide, son élasticité était tantôt im mense, tantôt très faible.

Au début du XXe siècle (il en a fallu du temps !), Einstein présente sa théorie de la relativité et son équation de champ qui explique les modifications de la géomé trie de l’espace-temps. Et, ô miracle, elles étaient vérifiées expérimentalement, sans avoir besoin de l’’éther. On pouvait donc comprendre les phénomènes physiques sans poser l’existence d’un milieu ubiqui taire et invisible. La science a donc rejeté le concept d’éther.

La science est toujours en mouvement. Qui sait, peut-être que notre compréhension actuelle du monde semblera ridicule et naïve aux enfants du futur ? L’essentiel est de ne pas baisser les bras. Même si on élabore une théo rie qui est par la suite réfutée, il convient de garder à l’esprit qu’on apprend des erreurs de ceux qui nous ont précédés.

Dans

Pourquoi les Géants et les Lilliputiens n’existent pas Comment les bébés OGM ont terrifié le monde Qu’est-ce qu’un Darwin Award ?

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