Allez savoir ! 55

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NUMÉRO

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MÉDECINE

Vivre longtemps, d’accord. Mais en bonne santé ? 24-28

ÉCONOMIE Les ordinateurs ont pris le contrôle de la Bourse 36-40

LITTÉRATURE C. F. Ramuz, autrement 52-57

HISTOIRE

KENNEDY 50 ANS DE THÉORIES DU COMPLOT

!

ALLEZ

SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Septembre 2013 | Gratuit


LA BOUTIQUE

WWW.UNIL.CH/LABOUTIQUE R É C E P T I O N A M P H I M A X , 2e É T A G E

DE L’UNIL

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ÉDITO

JOHN F. KENNEDY L’INSUPPORTABLE VÉRITÉ

JOCELYN ROCHAT Rédaction en chef

IMPRESSUM Magazine de l’Université de Lausanne N° 55, septembre 2013 www.unil.ch/allezsavoir Editeur responsable Université de Lausanne Une publication d’UNICOM, service de communication et d’audiovisuel Quartier UNIL-Sorge Bâtiment Amphimax 1015 Lausanne Tél. 021 692 22 80 allezsavoir@unil.ch Rédaction en chef Jocelyn Rochat, David Spring (UNICOM) Création de la maquette Edy Ceppi (UNICOM) Rédacteurs Sonia Arnal Sophie Badoux Michel Beuret Elisabeth Gordon Cynthia Khattar Virginie Jobé Nadine Richon Anne-Sylvie Sprenger Francine Zambano Correcteurs Albert Grun Fabienne Trivier Direction artistique Secteur B Sàrl www.secteurb.ch Photographie Nicole Chuard Illustration Eric Pitteloud (pp. 3, 34, 51) Couverture DR Publicité Go! Uni Werbung AG Impression IRL plus SA Tirage 16 000 exemplaires

ISSN 1422-5220

Abonnements allezsavoir@unil.ch (p. 62) 021 692 22 80

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lus question de se moquer des théories du complot. Car l’actualité ne cesse de créditer les ex-fantasmes d’amateurs d’univers parallèles. Ainsi, après des décennies de dénégations, la CIA vient d’admettre officiellement l’existence de la zone baptisée Area 51. L’agence américaine a révélé dans un rapport que cette fameuse base installée dans le désert du Nevada était utilisée pour des vols secrets depuis le milieu des années 50. Sous d’autres latitudes, la police royale militaire anglaise a relancé l’affaire Diana en communiquant à Scotland Yard «de nouveaux éléments» susceptibles de modifier notre interprétation de «l’accident» mortel de la princesse anglaise. C’est simple, à notre époque transparente, même les Etats n’arrivent plus à conserver leurs secrets. Grâce aux fuites orchestrées vers WikiLeaks, nous avons découvert la guerre des drones et les assassinats ciblés qui ont été opérés au Yémen sous les ordres de Barack Obama. L’affaire Snowden a ensuite révélé à une planète stupéfaite l’ampleur des écoutes dont sont capables les agences d’espionnage américaines, qui lisent les e-mails des quidams et mouchardent les locaux «amis» de l’Union européenne et des Nations Unies. Même les mystères du passé ne résistent plus à la curiosité de l’époque. L’alliance des généticiens, des médecins et des archéologues nous a permis de lever le voile sur la mort énigmatique de Toutankhamon. Trois mille ans après la disparition du jeune pharaon, on peut af-

CINQUANTE ANS APRÈS LE FATIDIQUE 22 NOVEMBRE 1963 À DALLAS, LES CHERCHEURS NE S’ACCORDENT TOUJOURS PAS POUR EXPLIQUER CE QUI S’EST PASSÉ CE JOUR-LÀ.

Allez savoir !

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firmer qu’il n’a pas été assassiné, comme on a pu le croire après la découverte d’une blessure sur son crâne, mais qu’il est mort d’une maladie des os combinée au paludisme. En 2013, les mystères qui restent entiers sont de plus en plus exceptionnels. Donc de plus en plus fascinants. C’est le cas de l’assassinat du président des Etats-Unis d’Amérique, John F. Kennedy. Cinquante ans après le fatidique 22 novembre 1963 à Dallas, les chercheurs – que ce soit à l’UNIL, comme ailleurs sur la planète – ne s’accordent toujours pas pour expliquer ce qui s’est passé ce jourlà (lire en page 16 de ce magazine). Comment admettre qu’à une époque où «Les Experts» des séries télévisées sont capables d’élucider tous les crimes, des plus anonymes aux plus sophistiqués, on ne soit guère plus avancés au sujet de l’affaire JFK qu’à l’époque de la très décriée Commission Warren? Peut- être parce q ue personne n’a vraiment envie de connaître la vérité. Car, si c’est pour apprendre que Lee Harvey Oswald a fait le coup tout seul, le crime est trop insignifiant, trop banal, eu égard aux espoirs qu’a pu susciter ce président qui parlait d’envoyer des hommes sur la Lune. Et si c’est la mafia qui a fait abattre Kennedy, avec tout ce que cela signifie de liens interlopes entre le jeune président et l’organisation criminelle, c’est un autre mythe qui s’effondre. Donc, comme souvent quand la légende est plus belle que la réalité, les fictions ont de beaux jours devant elles. 

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UNIL | Université de Lausanne

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ALUMNIL Le réseau des diplômé·e·s de l’UNIL Vous êtes diplômé·e de l’UNIL?

Rejoignez-nous! Les prochaines rencontres du réseau à Lausanne : 7 octobre à 18 h 30 : Atelier cinéma 31 octobre à 18 h 30 : Soirée annuelle des alumni 26 novembre à 19 h 00 : Atelier emploi sur les métiers de la durabilité

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ALUMNIL : le réseau des diplômé·e·s 4

UNIL | Université de Lausanne – Bureau des alumni contact.alumnil@unil.ch – tél. : +41 21 692 20 88 Allez savoir !

N° 51

Mai 2012

UNIL | Université de Lausanne


SOMMAIRE

PORTFOLIO Ecole d’été de biologie, XVIIIe siècle et Shanghai.

BRÈVES L’actualité du campus: évènements, conférences, distinctions, publications.

HISTOIRE Kennedy: 50 ans de mystère bien plombé.

MOT COMPTE TRIPLE Qu’est-ce que l’ocytocine? Avec Ron Stoop.

MÉDECINE Vivre longtemps d’accord, mais en bonne santé? Ce qu’en dit le Dalaï-Lama.

IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL Par monts et par mots. Rencontre avec Marianne Chapuisat.

HISTOIRE DE L’ART Dans la cathédrale, les animaux rejouent la lutte du Bien contre le Mal.

ÉCONOMIE Trading à haute fréquence: les ordinateurs ont pris le contrôle de la Bourse.

C’ÉTAIT DANS ALLEZ SAVOIR ! Mars n’attaquera pas. Texte paru en 1998.

BIOLOGIE Dans la vraie vie, Nemo est belliqueux et hermaphrodite.

POLITIQUE Antoine Chollet: «La démocratie est toujours risquée et ce risque est permanent.»

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SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Septembre 2013 | Gratuit

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RÉFLEXION

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LITTÉRATURE

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MÉMENTO

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FORMATION CONTINUE

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ABONNEMENTS

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LIVRES

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LIVRES

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CAFÉ GOURMAND

Allez savoir !

Congé sabbatique, une respiration nécessaire. Par Boris Vejdovsky, maître d’enseignement et de recherche.

C. F. Ramuz, autrement. A la recherche du manuscrit perdu.

Cours publics, animations, visites et expositions ouvertes au public.

Santé, environnement et éthique. Produits chimiques. Cancer, sport et mouvement.

Retrouvez Allez savoir ! et l’uniscope sur iPad. Coupon d’abonnement.

Psychothérapie d’un «pauvre type». Avec Michel Layaz.

Art, littérature, éthique, science, sociologie. Sept suggestions de lecture.

«Le savoir ne se limite pas à la connaissance». Avec Jean-François Bert.

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L’ÉTÉ STUDIEUX DES JEUNES BIOLOGISTES

María Constanza Sadino Riquelme, au Département de biologie moléculaire végétale de l’Université de Lausanne, le 15 juillet 2013. Cette étudiante en ingénierie civile et biotechnologie à l’Université du Chili a passé l’été sur le campus de Dorigny, dans le cadre du programme Summer Undergraduate Research (SUR) de l’Ecole de biologie. Sélectionnés sur dossier, vingt jeunes universitaires venus du monde entier ont pu, parfois pour la première fois, travailler en laboratoire et participer activement à des projets de recherche. En l’occurrence, María Constanza Sadino Riquelme s’est penchée sur le développement des radicelles chez Arabidopsis thaliana, une plante de référence très utilisée par les scientifiques. DS Reportage photo et article complet sur www.unil.ch/allezsavoir

PHOTO FÉLIX IMHOF © UNIL


LE PAYS DE VAUD AU SIÈCLE DES LUMIÈRES

Ce document est l’un des procèsverbaux de la «Société du comte de la Lippe». Entre 1742 et 1747, un groupe de personnalités lausannoises a œuvré à l’éducation d’un jeune comte allemand, Simon Auguste de la Lippe-Detmold. Il s’agissait de le former à son futur métier de dirigeant, à l’enseigne des idées républicaines et réformistes. Aujourd’hui, Lumières.Lausanne (http://lumieres.unil.ch) met en valeur ces 782 pages manuscrites. Celles-ci ont été transcrites, ce qui permet d’effectuer des recherches dans le texte. Ainsi, la technologie donne accès à une source historique qui serait restée autrement peu visible: un exemple de ce que l’on appelle les «Humanités digitales». Trois autres projets (Journal helvétique, Correspondance MirabeauSacconay et La Harpe et la Russie) sont également proposés par Lumières.Lausanne. DS Article détaillé www.unil.ch/allezsavoir

PHOTO SÉVERINE HUGUENIN. DOCUMENT CONSERVÉ À LA BIBLIOTHÈQUE CANTONALE ET UNIVERSITAIRE DE LAUSANNE.




SHANGHAI EXPRESS

Pour comprendre les marchés émergents, rien de tel que de s’y plonger. Pendant presque deux semaines, en juillet dernier, 21 étudiants de la Faculté des hautes études commerciales (HEC) et leurs trois accompagnants ont exploré Shanghai, Hangzhou, Yiwu et Suzhou, dans l’est de la Chine. Mené tambour battant et en pleine canicule, ce voyage d’étude comprenait des visites d’entreprises et d’industries, des entretiens avec des managers, des travaux de groupe et des exercices sur le terrain (trouver un appartement, négocier le prix de marchandises, comprendre comment obtenir un permis de conduire, etc.). Les étudiants ont également rencontré leurs homologues de la Shanghai University of Finance and Economics et découvert différents aspects culturels du pays, comme le majong, la cuisine ou la calligraphie. DS Le blog: www.hec.unil.ch/emerging-markets/ Entretien avec Marc Laperrouza, chargé de cours et organisateur du programme sur www.unil.ch/allezsavoir

PHOTOS KEVIN FOLLONIER, JESSICA GUERRA, NICHOLAS PEPPER, AMY YAN © PICSFIVE FOTOLIA


BRÈVES

LE CHIFFRE

ART

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Le nombre de chercheurs, membres de la communauté UNIL, qui possèdent un compte sur ResearchGate. Gratuit, ce réseau social basé à Berlin s’adresse aux scientifiques du monde entier. Au lieu de photos de vacances, les utilisateurs postent leurs publications, que l’on peut lire, télécharger et commenter. L’utilisation de mots-clés sert à dénicher les spécialistes des domaines les plus pointus. L’outil permet de poser des questions publiques, auxquelles les personnes compétentes peuvent répondre. DS

www.researchgate.net

© DR

RÉSEAU

FACEBOOK, C’EST UTILE Selon une enquête menée par l’UNIL, une très large majorité des étudiants de première année possède un compte sur Facebook. Il semble donc logique que ce réseau social soit utilisé de manière officielle par l’institution. Informations sur les masters, conseils au sujet des méthodes de travail ou sur la gestion du stress à l’occasion des examens, logement, mobilité, bourses d’études et activités culturelles y figurent, selon l’actualité du moment. Les aspects communautaires, même légers, font partie de l’exercice – pour autant qu’ils puissent concerner les étudiants. Cette page Facebook constitue également un moyen, pour les diplômés et toutes les personnes intéressées, de suivre la vie de l’UNIL au jour le jour. DS © DR

www.facebook.com/unil.ch

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Allez savoir !

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LA TRIENNALE S’EXPOSE Dix-neuf artistes animent le campus de l’UNIL. Des installations bien visibles, fortes, audacieuses, ancrées tout au long d’un parcours cohérent à arpenter librement au fil des saisons, jusqu’à la fin 2014. Appelées à durer, pour la plupart, ou à se dégra-

der lentement, sollicitant l’action, le dialogue, proposant une halte éphémère, un refuge incongru, une ponctuation entre deux bâtiments, ces œuvres «créent des tensions intéressantes», note Julien Goumaz, curateur de cette exposition en plein air. Le lau-

réat du Prix Casimir Reymond, doté de 10 000 francs, proposera dans un deuxième temps plusieurs œuvres inédites qui feront l’objet d’une exposition monographique entre le printemps 2015 et l’été 2016. (RÉD.) www.unil.ch/triennale

FORMATION

LES ÉTUDES AMÉRICAINES S’ÉTOFFENT L’UNIL devient un centre pour les études américaines en Suisse. Autour des professeurs Boris Vejdovsky et Agnieszka Soltysik, spécialistes réputés de la littérature et de la culture américaines, des politologues, économistes, historiens et d’autres représentants des Sciences humaines proposeront un regard interdisciplinaire sur les Etats-Unis perçus dans leurs rapports avec l’Europe et le reste du monde. Cette nouvelle offre permettra aux étudiantes et étudiants intéressés de prolonger leur maîtrise universitaire ès Lettres avec une spécialisation en études américaines. L’anglais oral et écrit reste primordial mais le programme pourra être suivi soit uniquement dans

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UNIL | Université de Lausanne

cette langue, soit en y associant le français ou encore l’espagnol. A la section d’anglais de la Faculté des lettres, il ne s’agit pas de transiger sur les exigences linguistiques. Le programme pourrait cependant s’ouvrir aux étudiants d’autres facultés, accueillis sur dossier. Parmi les grands sujets qui seront étudiés, on compte le féminisme, l’idéologie raciale, la guerre, l’immigration et l’émigration, l’influence américaine et les relations culturelles. Il s’agit de former non pas des spécialistes mais des personnes qui auront une vue d’ensemble sur les multiples aspects de la société américaine. NR www.unil.ch/lettres/page97762.html


Félix Imhof © UNIL

CE QUI FAIT LA FORCE DE LA SCIENCE SUISSE, C’EST L’IMPORTANCE QU’ELLE ACCORDE À LA RECHERCHE FONDAMENTALE. SI L’ON VISE DE VÉRITABLES SUCCÈS SCIENTIFIQUES, IL NE FAUT PAS PENSER UNIQUEMENT À COURT TERME MAIS ÉGALEMENT À TRÈS LONG TERME.» Dominique Arlettaz, recteur, lors de l’édition 2013 du Forum des 100 de L’Hebdo.

PORTES OUVERTES

TOURISME

DU BEAU MONDE À L’UNIL

taine d’ateliers et la dizaine de visites de laboratoires mis sur pied pour l’occasion. Les décors des Mystères de l’UNIL étaient liés à un paquebot imaginaire, baptisé Titania qui évoquait des scénarios de monde idéal ou de leur éventuelle dérive vers la dystopie. «Cette manifestation a pour vocation d’ouvrir les écoliers de tous milieux sociaux et leurs parents à la perspective d’une formation universitaire», précise Julien Goumaz, responsable évènements. FZ

© DR

«Le pire meilleur des mondes»: tel a été le thème de la huitième édition des Mystères de l’UNIL qui s’est déroulée du 30 mai au 2 juin 2013. Décliner les notions d’utopie et de dystopie de manières ludique et scientifique: 300 chercheurs, étudiants, enseignants, membres du personnel technique et administratif ont relevé le défi. Avec succès, puisque 9000 personnes (dont 1500 écoliers vaudois) ont participé aux portes ouvertes de l’université. Un public largement conquis par la ving-

Félix Imhof © UNIL

BALADES INTELLIGENTES C’est à des balades originales qu’invite GéoGuide. Cette application gratuite pour tout smartphone a été réalisée par l’Institut de géographie et durabilité et par le bureau d’études Relief. Elle propose par exemple de déambuler de la tour de Sauvabelin, sur les hauts de Lausanne, jusqu’au bâtiment Géopolis de l’UNIL. Au fil des 30 postes du parcours, le promeneur découvre l’hydrologie, la géologie, l’urbanisme et certains pans de Lausanne, en remontant parfois à l’époque glaciaire. Le tracé invite à passer par des lieux surprenants, comme le parking de la Riponne (pour voir courir la Louve), ou à tout apprendre du lac… de Malley. Un sentier consacré au Vallon de Nant est également proposé, et un autre sur le Val d’Hérens est annoncé. DS http://igd.unil.ch/geoguide/

ETUDES

SOUTIEN UNIVERSITAIRE AUX SPORTIFS D’ÉLITE Mener à bien, en parallèle, des études universitaires et une carrière sportive de haut niveau pose des problèmes d’organisation. Dès la rentrée 2014, l’UNIL proposera des plans d’études et d’examens aménagés pour tous ses cursus. De plus, les personnes concernées bénéficieront de mesures d’accompagnement afin de mener à bien leur double projet «sport et formation universitaire». En cette rentrée 2013, les sciences du sport se développent

DÈS LA RENTRÉE 2014, LES ÉTUDIANTS SPORTIFS D’ÉLITE AURONT DES PLANS D’ÉTUDES AMÉNAGÉS.

Allez savoir !

avec l’intégration, au sein de l’Institut des sciences du sport (ISSUL), de l’Institut des sciences du mouvement et de la médecine du sport de l’Université de Genève. Le campus accueillera également le projet de «Cluster Sport» mené par la ville de Lausanne et le canton de Vaud; le nouveau bâtiment regroupera des organismes actifs dans le domaine sportif et notamment dans la formation de base et la formation continue. (RÉD.)

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BRÈVES

RECHERCHE

PASSAGE EN REVUE

SPORTIFS, ROMAINS ET CHOUETTES

LA SUISSE SOUS LA LOUPE

LES OMBRES FEMELLES N’AIMENT PAS L’ÉTÉ

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La Suisse constitue un laboratoire unique pour l’étude de la décentralisation, que ce soit au plan fiscal ou politique, en particulier au niveau local. De plus, le pays se caractérise par ses pratiques très hétérogènes et sa grande stabilité. Dans cette deuxième phase du projet, qui est divisé en 16 sous-projets, les chercheurs vont poursuivre leur collecte de données en remontant dans le passé. Ils vont produire des publications scientifiques, impliquer une douzaine de doctorants ainsi que des étudiants et prendre part aux débats publics qui surgissent régulièrement au sujet du fédéralisme. (RÉD.)

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C’est le nombre d’articles que les chercheurs de l’UNIL et du CHUV ont fait paraître dans des revues scientifiques cette année (d’après Serval, au 5 septembre 2013). Le volume 27, numéro 1 (2013) de Conservation Biology propose les travaux menés par Claus Wedekind, professeur associé au Département d’écologie et d’évolution (DEE), avec Manuel Pompini, premier assistant au DEE, des collègues de l’INRA, de l’Agrocampus Ouest de Rennes et de l’Université d’Oxford, ainsi que la société Aquatica, à Wichtrach. Etudiant de master, Olivier Darbellay a participé à l’étude. «Nous nous sommes intéressés à l’influence de la température sur la différence entre la quantité de mâles et de femelles, au moment du frai, chez les ombres communs du lac de Thoune», explique-t-il. Dans le cas de ce poisson, les garçons comptaient pour environ 65% des effectifs en 1993, contre 85% en 2011. «La mesure porte sur les animaux qui se reproduisent, et non sur l’ensemble», ajoute l’étudiant, qui effectue actuellement son service civil chez Pro Natura. Cette nuance offre un intérêt supplémentaire quant au déclin éventuel de l’espèce. Car de nombreux messieurs ne vont pas avoir de descendance. Cela va réduire la variabilité génétique des ombres, pourtant très importante pour leur capacité d’adaptation. Depuis 1970, la température qui règne sur leur site de reproduction bernois est enregistrée en continu. Grâce au génotypage, et à une bonne dose de statistiques, les chercheurs ont pu démontrer que la température de l’eau dans laquelle nagent ces animaux lors de leur premier été possède une influence forte sur la différence marquée – en faveur des mâles – entre les populations des deux sexes, mais qu’elle n’explique pas tout. La qualité de l’eau ne semble pas en cause. Les chercheurs ont eu accès à des écailles de ces poissons, prélevées dans les lieux de frai depuis 1948, puis conservées. Des données qu’il a fallu «faire parler». Olivier Darbellay a été chargé de déterminer l’âge moyen des individus au moment de leur reproduction. «Tout comme les cernes annuels des arbres, ces ombres possèdent des stries sur leurs écailles. Plus elles sont écartées les unes des autres, plus la croissance a été rapide.» Un travail systématique qui requiert de la patience, mais qui fournit la matière première nécessaire à d’autres recherches. DS © DR

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Le nombre de références faites à l’Université de Lausanne et au CHUV, dans les médias, depuis le début de l’année (selon la revue de presse Argus, au 5 septembre 2013). Fin juin, une étude publiée dans Plos ONE par une équipe de l’Institut des sciences du sport de l’UNIL, avec des collègues de l’Université de Genève ainsi que d’universités françaises et italiennes, a suscité un fort intérêt dans la presse internationale (Los Angeles Times, National Geographic, etc.) et suisse, ainsi que sur les réseaux sociaux. Car le résultat est étonnant: les sportifs qui crapahutent les 330 kilomètres de l’ultra-marathon «Tor des géants» présentent moins de dommages que ceux qui effectuent des courses moins longues. En juillet, la campagne de fouilles archéologiques à Vidy, qui implique des étudiants de l’UNIL, a également été relayée dans les médias. Début août, une recherche publiée dans Frontiers in Zoology par des chercheurs du Département d’écologie et évolution de l’UNIL, avec des collègues du Max-Planck-Institut für Ornithologie, s’est penchée sur le sommeil des petits des chouettes effraies. Conclusion: il est comparable à celui des bébés humains, avec une part importante de sommeil paradoxal. Les historiens de l’UNIL ont régulièrement contribué à des pages thématiques dans 24 heures. Dans le cadre de Vaud Futur, le quotidien a mis en valeur de nombreuses recherches. Des interventions de spécialistes de toutes les disciplines sont rassemblées sur le site Avis d’experts (http://avisdexperts.ch). (RÉD.)

Le Fonds National Suisse (FNS) vient d’accorder un nouveau budget de 1 million de francs sur trois ans aux recherches pilotées par Marius Brülhart, professeur d’économie à la Faculté des HEC, en collaboration avec les Universités de Bâle, Lugano et SaintGall. Intitulé The Swiss Confederation: A Natural Laboratory for Research on Fiscal and Political Decentralization, le projet porte sur la dynamique des interactions fiscales des différentes entités administratives en Suisse. Il s’agit de la continuation d’une première période de trois ans, également soutenue par le FNS à hauteur de 900 000 francs. Nicole Chuard © UNIL

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L'UNIL DANS LES MÉDIAS


MÉDECINE

INTERNATIONAL

YVAN ARSENIJEVIC DISTINGUÉ

DOUBLE REGARD SUR LA MIGRATION Six étudiants de l’Institut de sciences sociales des religions contemporaines ont eu l’occasion de s’initier à l’enquête sociologique de terrain lors d’un séjour au Maroc sous l’égide de leur enseignante Christine Rodier. Le but du voyage: mieux comprendre les stratégies migratoires en récoltant d’une part les récits de vie de migrants marocains vivant en Suisse et de l’autre ceux de leur famille restée au pays. Un double regard sur les relations entretenues au sein de la famille entre le pays d’origine et celui d’accueil, la perception de l’émigré par ses proches et la compréhension d’une société où l’islam est la religion d’Etat. SB

RDB/GES/Balz Murer

© Christine Rodier

© Hôpital ophtalmique Jules-Gonin

Le Prix Alfred-Vogt 2013 a été décerné à Yvan Arsenijevic, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine, qui dirige l’Unité de thérapie et biologie des cellules souches à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, situé à Lausanne. Ce prix récompense ses travaux concernant les mécanismes contrôlant les dégénérescences de la rétine. Créé par la Fondation Alfred-Vogt pour l’encouragement de la recherche en ophtalmologie, cette distinction, qui n’avait pas été octroyée depuis 2007, est décernée à un chercheur travaillant en Suisse, quelle que soit sa nationalité, ou à un groupe de chercheurs pour un travail scientifique de haute qualité dans le domaine de l’ophtalmologie ou dans un domaine connexe. (RÉD.)

NOMINATIONS ET RÉCOMPENSES

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© Hugues Siegenthaler

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QUATRE CHERCHEURS À L’HONNEUR Mathieu Couttenier, post-doctorant au Département d’économie et d’économétrie à la Faculté des HEC, a reçu le «SSES Young Economist Award», avec Nicolas Berman, du Graduate Institute of International Development Studies de Genève. Ils ont été récompensés pour leur étude intitulée External shocks, internal shots: the geography of civil conflicts. Celle-ci s’intéresse aux effets des chocs de revenus sur la probabilité de conflits civils au sein des pays de l’Afrique subsaharienne. Les changements dans la demande mondiale pour les produits agricoles, la variation des prix des ressources naturelles ou les crises financières sont notamment pris en considération. (RÉD.)

Marie-José Roulin est la première diplômée d’un doctorat en Sciences infirmières de l’UNIL. Sa thèse a été dirigée par Anne-Sylvie Ramelet, professeure associée à l’Institut universitaire de formation et de recherche en soins. Sa recherche est intitulée «Evaluation de la douleur chez les personnes cérébrolésées non-communicantes aux soins intensifs». Les grilles d’évaluation comportementale qui existent pour les patients incapables de communiquer ne sont en effet que partiellement adaptées aux personnes avec des lésions cérébrales. Aujourd’hui, Marie-José Roulin est directrice adjointe de la Direction des soins des Hôpitaux universitaires de Genève. (RÉD.)

Niklas Linde, professeur associé au Centre de recherche en environnement terrestre de la Faculté des géosciences et de l’environnement, a reçu le 6 août la distinction Honors & Award 2013 de la Society of Exploration Geophysicists (SEG), basée à Tulsa, en Oklahoma. Cette vénérable organisation compte plus de 30 000 membres. Co-écrit avec Joseph Doetsch, Tobias Vogt, Andrew Binley et Alan G. Green, son article Imaging and quantifying salt-tracer transport in a riparian groundwater system by means of 3D ERT monitoring a reçu une mention honorable dans la catégorie des meilleurs articles de la prestigieuse revue Geophysics, éditée par la SEG depuis 1936. (RÉD.) Allez savoir !

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Professeure au département d’économie (DEEP) à la Faculté des HEC, Bettina Klaus vient de recevoir l’International Research Collaboration Award, délivré par l’Université de Sydney. Ce prix financera un séjour de deux mois dans cette dernière institution, lors duquel la professeure collaborera avec le Dr Jonathan Newton, qui travaille sur la théorie des jeux évolutionnaires et leur application dans les problèmes économiques. Le projet des deux chercheurs porte sur l’affectation dynamique des marchés – notamment sur les processus de blocages – tout en incluant les variations du modèle classique. (RÉD.) www.bklaus.net

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HISTOIRE

Le 22 novembre 1963, en fin de matinée, le président des Etats-Unis était assassiné à Dallas. Retour sur un demi-siècle d’enquêtes en tout genre qui ont fini par désacraliser le mythe John F. Kennedy. TEXTE JOCELYN ROCHAT

C

e crime du siècle demeure un épais mystère. Cinquante ans après les tirs qui ont ciblé la limousine de Kennedy, à Dallas, tant de questions restent sans réponse. Y avait-il un seul sniper embusqué dans les environs d’Elm Street, ou étaient-ils plusieurs? L’assassin était-il posté au 6e étage de la librairie, ou fumait-il des cigarettes en attendant JFK, dans le parking, derrière la palissade donnant sur Dealey Plaza? Les

MYTHE

J. F. Kennedy fume un cigare à son arrivée à Hyannis Port, le 11 mai 1963. © Keystone/AP Photo/ John F. Kennedy Library/ Cecil Stoughton

projectiles qui ont atteint le président à la gorge et à la tête ont-ils été tirés dans son dos ou arrivaient-ils de face? Une balle peut-elle traverser deux hommes, provoquer plusieurs blessures dans leurs chairs et dans leurs os, avant d’être retrouvée quasiment intacte? Et pourquoi tant de témoins de ce fait divers exceptionnel ont-ils disparu dans des circonstances suspectes? Depuis le 22 novembre 1963, et l’assassinat du président américain, les spéculations vont bon train. Insinuant le doute jusque dans les cerveaux les plus avertis, comme celui du général de Gaulle, qui est devenu le plus célèbre adepte des théories du complot en confiant à Alain Peyrefitte: «Ça a l’air d’une histoire de cow-boys, mais (...)


50 ANS DE MYSTERE BIEN PLOMBE la police est de mèche avec les ultras (...) Toutes les polices du monde se ressemblent quand elles font les basses besognes (...) On ne saura jamais la vérité. Car elle est trop terrible, trop explosive, c’est un secret d’Etat.»

Dans l’histoire officielle, Oswald est le seul tireur De fait, le général était visionnaire, au moins sur un point. A l’approche du 50e anniversaire de la mort de JFK, il n’y a toujours aucun récit unanimement accepté pour expliquer cet assassinat. En résumant très brutalement, on peut limiter les scénarios à deux grandes catégories. Les théories du complot et la version officielle, qui veut que Lee Harvey Oswald ait agi seul. C’est la conclusion de l’enquête rondement menée par la police de Dallas en 1963. C’est aussi la version choisie dans le célèbre Rapport Warren, qui a été rendu en septembre 1964. Ce scénario – très minoritaire


HISTOIRE

dans l’opinion publique mais davantage admis dans le monde académique – a trouvé un défenseur à l’UNIL: Janick Marina Schaufelbuehl, professeure assistante à la Faculté des SSP, qui travaille notamment sur l’histoire des Etats-Unis durant la guerre froide. «Des dizaines de milliers de livres et d’articles ont été écrits sur le sujet, mais très peu l’ont été par des historiens reconnus. Pour l’historienne que je suis, il n’y a aucun élément sérieux provenant des archives ou de témoignages qui permettrait aujourd’hui d’affirmer qu’Oswald n’était pas le seul tireur, qu’il a eu des complices et qu’il y a eu conspiration.»

DALLAS

John Fitzgerald Kennedy, son épouse Jacqueline et le gouverneur du Texas John Connally, peu avant l’assassinat du président, le 22 novembre 1963. Document original en couleurs. © Reuters

Le mobile du crime Janick Marina Schaufelbuehl a désigné son assassin. Reste à trouver le mobile du crime. «Les motivations d’Oswald étaient vraisemblablement politiques. C’est un fervent supporter de la révolution cubaine. Il savait qu’il y avait eu des tentatives d’assassinat contre Fidel Castro orchestrées par la CIA et supervisées par Kennedy. Il avait déjà commis une tentative d’assassinat contre un général de la droite dure début 1963. Dès lors, on peut supposer qu’il a été incité à tirer sur JFK en raison de son engagement pour la non-ingérence américaine à Cuba.» Pour étayer cette version de l’histoire, Janick Marina Schaufelbuehl appelle à la barre Malcolm X, le prêcheur 18

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et militant des droits de l’homme, l’un des rares contemporains de Kennedy qui a tenu des propos critiques après l’attentat. «Il a vu juste en parlant de «Chickens coming home to roost», une formule que l’on peut traduire par: «C’est le juste retour des choses», rappelle l’historienne de l’UNIL. Kennedy avait tenté de renverser le régime cubain en avril 1961 et continuait à planifier des attentats ciblés en violation du droit international, et il se retrouve victime d’un assassinat. Certes pas planifié par un gouvernement étranger, mais par un individu poussé à agir par cette politique de JFK.» Une nouvelle enquête, d’autres conclusions L’existence d’une deuxième enquête officielle, qui a abouti à des conclusions sensiblement différentes de celles du Rapport Warren, ne fait pas vaciller l’historienne lausannoise. En 1976, la Chambre des Représentants des EtatsUnis a créé une commission chargée de réexaminer les assassinats de JFK et de Martin Luther King. Cet organe, le HSCA, rend son rapport trois ans plus tard. Pour la commission, il y avait plusieurs tireurs à Dallas et le président a bien «été victime d’une conspiration». Mais voilà, ces conclusions «ont été réfutées après coup par d’autres experts sérieux, notamment pour ce qui est du fameux enregistrement sonore qui permettrait d’entendre un quatrième coup de feu, et qui prouverait l’existence d’un


Marylin Monroe

© Rue des Archives/DILTZ

MORTS EN SÉRIE 1962

En mai 1962, Marilyn fait sa dernière apparition publique en chantant Happy Birthday Mr. President. Trois mois plus tard, c’est le choc. Un appel téléphonique du psychiatre Ralph Greenson apprend à la police de Los Angeles que la star est morte, le 5 août 1962. Le rapport du légiste évoque un «suicide probable» consécutif à un surdosage de barbituriques. Mais cette version n’a cessé d’être contestée. Certaines théories du complot mettent en cause les frères Kennedy, John et Bobby, qui ont été les amants de Marilyn. Dans un autre registre, Samuel et Chuck Giancana, les frère et neveu du parrain de l’époque, Sam Giancana, ont aussi fourni leur explication. Selon leur livre Double cross, la mort de la star était un avertissement donné aux Kennedy qui s’attaquaient trop violemment à la mafia.

DOCUMENTS

Deux images célèbres de l’assassinat. En haut, le polaroïd pris par Mary Moorman. © Keystone/The Granger Collection et Keystone/Everett Collection

La mort brutale de l’assassin de Kennedy Janick Marina Schaufelbuehl n’est pas davantage troublée par l’assassinat de Lee Harvey Oswald, qui intervient deux jours après celui de Kennedy, dans un commissariat de Dallas et dans des circonstances qui font penser à l’exécution du parfait pigeon avant qu’il ne se mette à parler. «Je ne considère pas cet assassinat comme la preuve de l’existence d’un complot», répond l’historienne de l’UNIL. Pourtant, cette succession d’attentats menés par un tireur solitaire, et réalisés dans des circonstances troubles, n’ont pas manqué d’alimenter les théories du complot. Y compris dans les plus hautes sphères. Le HSCA, la commission d’enquête sénatoriale de 1976-79, a notamment reproché à ses prédécesseurs de la commission Warren d’avoir renoncé à explorer les éléments connus qui reliaient Jack Ruby, l’assassin d’Oswald, à la mafia. Car le syndicat du crime avait «un mobile, l’idée et les moyens d’attenter aux jours du président Kennedy», écrit le HSCA.

1963

© Rue des Archives/PVDE

deuxième tireur», observe Janick Marina Schaufelbuehl. Il y a eu une erreur. Et les souvenirs, les nombreux témoignages oraux que l’on a beaucoup entendus ou lus chez les théoriciens du complot, doivent être maniés avec prudence. Plusieurs historiens, que je considère comme sérieux, arrivent à la conclusion qu’il n’y a pour l’instant aucun élément permettant de dire qu’il y a eu conspiration.»

John F. Kennedy

Grâce au film de Zapruder, cette séquence est inoubliable. Le 22 novembre 1963, la limousine emmenant le président et son épouse Jackie traverse la ville de Dallas à petite vitesse. Dans Elm Street, plusieurs coups de feu retentissent. John F. Kennedy est touché à la gorge, puis à la tête. La dernière blessure est mortelle (ici, l’enterrement du président). Dans les heures qui suivent, la police débusque Lee Harvey Oswald, caché dans un cinéma. Tout semble l’accabler. Oswald a notamment acheté un fusil italien, le Mannlicher-Carcano, qui a été retrouvé au 6e étage d’un bâtiment surplombant Elm Street. Exhibé devant la foule, il clame son innocence. Devant la presse, au commissariat de Dallas, Oswald ajoute: «Je ne suis qu’un pigeon.»

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HISTOIRE

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>>> 1963

«Le principal problème dans cette affaire, c’est que nous avons d’un côté un évènement d’une énorme envergure, l’assassinat d’un président extrêmement populaire, et de l’autre un assassin quelque peu minable, estime Janick Maria Schaufelbuehl. Psychopathe, marxiste autodidacte, il n’était pas à la hauteur de la mort de Kennedy. Il y avait donc un fort besoin dans le public de trouver quelque chose de plus grand qu’Oswald pour expliquer ce meurtre.»

Lee H. Oswald

© akg-images

Le 24 novembre, en fin de matinée, la police de Dallas entame le transfert de Lee Harvey Oswald du commissariat à la prison. Alors que la scène est retransmise en direct à la télévision, le cortège est abordé par un homme rondouillard qui jaillit de la foule pour tirer sur Oswald à bout portant. Les deux policiers à chapeaux texans qui encadrent le prisonnier n’ont pas bougé. Oswald tombe sous les balles d’un certain Jack Ruby. Celui-ci justifie son geste en expliquant qu’il a voulu éviter à Jackie Kennedy la souffrance d’apparaître au procès. Depuis lors, la carrière de cet assassin atypique, qui était propriétaire d’une boîte de nuit à Dallas et lié au crime organisé, n’a cessé d’alimenter les spéculations. Il meurt en janvier 1967, durant sa détention.

1968 Martin L. King

A la fin mars, le Prix Nobel de la paix 1964 s’est déplacé à Memphis, dans le Tennessee, pour soutenir les éboueurs noirs qui sont en grève. Le 3 avril, il y prononce un discours célèbre «Je suis allé au sommet de la montagne». Il est abattu le 4 avril, vers 18 heures, sur le balcon d’un motel. Deux mois après sa mort, un évadé nommé James Earl Ray est capturé à l’aéroport de Londres. Extradé dans le Tennessee, il y est accusé du meurtre de Luther King. Après avoir avoué, il se rétracte. Sur conseil de son avocat, il plaide coupable pour éviter la peine de mort. Condamné à 99 ans de prison, il va multiplier les efforts pour obtenir un nouveau procès. Dans cette affaire, le propriétaire d’un restaurant basé non loin du motel a notamment fait des vagues en accusant la mafia et des agences fédérales.

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COMPLOT ? UN ASSASSIN FALOT ET DES CIRCONSTANCES TROUBLES, IL N’EN FALLAIT PAS PLUS POUR RÉVEILLER LES ESPRITS CURIEUX.

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La mort d’un symbole Car l’homme qui tombe sous les balles, à Dallas, n’est pas seulement le président en exercice, c’est encore un symbole extrêmement fort. «Il ne faut pas oublier que Kennedy est assassiné en pleine guerre froide, rappelle Boris Vejdovsky, qui enseigne la culture et la littérature américaines à l’UNIL. On abat l’homme qui, de manière symbolique, se dresse en défenseur de la liberté, celui qui a dit non à Khrouchtchev à Cuba, celui qui proclame être «ein Berliner». On abat une figure de lumière, et, avec elle, l’Amérique sûre d’elle, de son bon droit, qui défend des valeurs démocratiques et de liberté. On abat aussi l’homme qui, avec son frère Bobby, cherche à faire progresser les droits civiques dans les Etats du Sud, et celui qui cherche à redonner un élan économique aux Etats-Unis.» Sans oublier le président qui voulait aller sur la Lune. Un symbole qui tombe, un assassin trop falot et des circonstances troubles, il n’en fallait pas plus pour réveiller les esprits curieux. De fait, depuis le 22 novembre 1963, d’innombrables enquêteurs n’ont cessé de découvrir des détails troublants, qui perturbent la lecture de cette histoire officielle. Derrière ces scénarios alternatifs, un raisonnement de bon sens que résume Boris Vejdovsky: «Je ne sais pas ce qui s’est passé à Dallas ce jour-là, mais, quand on regarde un peu qui était Lee Harvey Oswald, on le voit mal organiser tout cela, tout seul dans son garage. On ne s’approche pas comme ça du président, même en 1963. Il faut des fonds, de l’organisation, des renseignements. Il faut connaître des choses aussi simples que l’horaire du cortège, l’itinéraire, la vitesse de la limousine… Tout cela n’est pas si facile à mettre en place.» Pour le maître d’enseignement et de recherche de l’UNIL, «il a été démontré, en tout cas largement suggéré, que le scénario accusant Lee Harvey Oswald d’avoir préparé l’attentat seul ne tient probablement pas debout. A partir de là, on a à peu près tout dit et rien du tout. Puisque ça ouvre la discussion à n’importe quelle théorie du complot, qui va de la mafia aux anticommunistes cubains, en passant par le lobby militaro-industriel, les services secrets, etc.» Kennedy, la deuxième salve Si le plus grand flou règne à propos de l’assassinat de JFK, tout le monde s’accorde en revanche pour constater que le mythe Kennedy est la grande victime de ces cinquante dernières années. Car les historiens ont considé-


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>>> 1968 Robert Kennedy

CONFUSION

Face à la presse, et dans les locaux du Dallas Police Department Building, un homme exhibe le fusil qui aurait été utilisé par Lee Harvey Oswald. © Lawrence Schiller/Polaris Communications/getty images

© Rue des Archives/RDA

rablement changé de perspective à propos du président. Après un temps de deuil, très respectueux du mythe créé par sa mort brutale à la James Dean, l’icône glamour a été progressivement désacralisée, et l’on a exploré toutes les failles du président américain. Fin de la légende dorée, plongée dans le côté obscur. «C’est souvent le cas avec les évènements de ce genre aux Etats-Unis, comme l’assassinat de Lincoln, celui de Martin Luther King, de JFK ou le 11 Septembre, observe Boris Vejdovsky. Le drame sert de déclencheur à une école critique. C’est un de ces moments de rupture, toujours empreints de violence, où l’on découvre tout à coup des choses dont on n’a pas voulu parler ou qu’on n’a pas voulu voir.» En quelques décennies, les révélations se sont multipliées. Les chercheurs ont tour à tour montré les liens qui unissaient Joe Kennedy, le père de JFK, à la mafia. Les biographes du président ont encore découvert que le crime organisé avait activement travaillé lors de l’élection présidentielle de 1960, pour aider Kennedy à battre Richard Nixon d’une courte tête, notamment à Chicago. Même travail critique sur la vie privée du président, avec la description détaillée des besoins sexuels compulsifs de JFK, qui font passer Bill Clinton pour un parangon de vertu. Non content de consommer des femmes avec la frénésie d’un DSK, Kennedy est désormais connu pour avoir partagé certaines de ses maîtresses (comme Marilyn Monroe) avec Sam Giancana, le parrain de l’époque. Et l’une d’entre elles, Judith Campbell, a même révélé dans sa biographie qu’elle jouait les facteurs entre les deux hommes, en transmettant des enveloppes!

Alors qu’il est candidat à la présidence des Etats-Unis, Robert Kennedy vient de remporter la primaire démocrate de Californie. Ce 5 juin 1968, après un discours, Bobby quitte la salle de réception de l’hôtel Ambassador par les cuisines. Il y est malheureusement attendu par un illuminé d’origine jordanienne nommé Shiran Shiran, qui fait feu à plusieurs reprises. Robert Kennedy meurt le lendemain à l’hôpital, des suites de ses blessures. Comme celui de JFK, cet assassinat a provoqué des controverses balistiques. La plupart des témoins ont vu l’agresseur tirer de face et à un mètre de distance. Et le médecin légiste estime que la balle mortelle a été tirée derrière l’oreille droite, à bout portant, donc forcément par un deuxième tireur. Shiran purge une peine de détention à perpétuité.

1975 Sam Giancana

Dans la soirée du 19 juin 1975, «Momo» attend un visiteur dans sa maison de la banlieue de Chicago. Il jette quelques saucisses sur le barbecue et ouvre la porte. Des coups de feu retentissent et la carrière du parrain de Chicago prend fin. Le mafioso a d’abord été touché à la nuque, avant que l’assassin ne le retourne, et lui tire encore six balles autour de la bouche. Le tireur n’a jamais été retrouvé. Coïncidence, Giancana était convoqué devant une commission d’enquête sénatoriale travaillant sur les liens entre le crime organisé et les Services secrets américains. Quinze ans plus tard, Samuel et Chuck Giancana, les frère et neveu du gangster, ont publié un livre intitulé Double cross, où figurent des aveux du parrain à propos de l’assassinat de Kennedy: «Nous l’avons fait».

Les mauvaises fréquentations de JFK Derrière Kennedy, on voit grandir l’ombre de la mafia, jusqu’à ce fusil marqué «made in Italy» qu’on a retrouvé au 6e étage d’un immeuble de Dallas, à côté de trois douilles. Les historiens ont encore découvert que l’Amérique des années 60 n’avait pas hésité à s’allier à la mafia, par l’intermédiaire de la CIA, pour tenter de faire assassiner Fidel Castro. Et il ne se trouve plus un expert Allez savoir !

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HISTOIRE

JANICK MARINA SCHAUFELBUEHL ET BORIS VEJDOVSKY Elle est professeure assistante à la Faculté des sciences sociales et politiques. Il est maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des Lettres. Nicole Chuard © UNIL

Boris Vejdovsky. Il incarnait cette aspiration à la pureté des électeurs, avant que l’Amérique ne perde, une fois encore, son innocence en découvrant un peu plus tard que le monde n’est pas pur, que la politique est faite de compromissions et de dissimulations, et qu’elle se demande, une fois de plus, d’où lui vient cette naïveté.»

pour accréditer la thèse du film JFK d’Oliver Stone, qui accuse le lobby militaro-industriel d’avoir fait assassiner Kennedy pour l’empêcher de retirer les boys du Vietnam. On sait désormais que le jeune président a cautionné cette politique, et qu’il a même, le premier, engagé les Etats-Unis dans le bourbier asiatique. Quand on découvre le revers de la médaille, ce n’est pas seulement la part d’ombre de Kennedy qui apparaît, c’est aussi la part d’ombre de l’Amérique qui va être progressivement révélée, et c’est en cela que l’assassinat marque un tournant, ajoute l’enseignant de l’UNIL. Dallas n’a peut-être pas changé l’histoire, «mais la manière de lire l’histoire. Kennedy avait été élu comme un champion, se souvient 22

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TOURNANT

L’ASSASSINAT DE JFK RÉVÈLE LA PART D’OMBRE DE L’AMÉRIQUE.

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La vérité est rarement pure, et jamais simple Le spécialiste en culture américaine nous encourage enfin à ne pas chercher un seul coupable dans cette affaire. «Les attentats en série qui caractérisent cette époque se situent au croisement des nombreuses forces qui s’affrontent alors aux Etats-Unis. Il y en a des politiciennes: les démocrates contre les républicains. Il y en a d’ordre racial, naturellement: on ne peut pas oublier que tous ces événements se déroulent au moment de la marche pour les droits civiques. Il y a aussi des tensions entre le Nord et ce Sud, qui finit sa mue pour passer d’une vocation essentiellement agricole à autre chose. Il y a des tensions industrielles ayant trait au complexe militaro-industriel. Il y a enfin des dissensions entre les riches et les pauvres, dans lesquelles s’engouffrent toutes les mafias, tous les intérêts que peuvent défendre les syndicats.» Bref, vouloir attribuer tel ou tel attentat à une seule de ces forces, «c’est probablement faire fausse route, parce qu’elles s’interpénètrent, et qu’elles sont souvent représentées par les mêmes acteurs. Tel candidat républicain est en même temps un activiste anticommuniste, en même temps lié à tel syndicat, voire un syndicat du crime, de sorte qu’il est très difficile de mettre les gens dans des cases particulières.» On comprend, dans ces circonstances, que les théories du complot aient fleuri sur ces tombes. Surtout dans une nation qui a élevé le doute au rang de valeur nationale. «Dès sa création, la civilisation américaine est habitée par la possibilité qu’il y ait des forces hostiles qui travaillent contre elle, explique Boris Vejdovsky. Et il y a des moments-clés dans l’histoire qui témoignent de l’omniprésence de ce sentiment. L’assassinat de JFK en est un. Tout à coup, on s’aperçoit que les faits sont sans doute bien plus complexes que la narration officielle, étatique, ne veut l’admettre. Je crois que toutes les thèses autour de Kennedy sont des thèses puritaines, c’est-à-dire qu’elles cherchent à rétablir une vérité pure. Or il n’y a pas de raison pure pour l’assassinat de Kennedy. C’est un infléchissement spectaculaire de l’histoire, qui nous a permis d’accepter de lire graduellement l’histoire dans son impureté.» 


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neurones du rat grâce à la lumière d’un laser, émise à une longueur d’ondes bien précise – dans le bleu. Cela ne va pas tout seul: grâce à un virus modifié – inoffensif pour la petite bête –, on infecte certaines de ses cellules cervicales. Sous son action, celles-ci sont forcées de produire de la channelrhodopsin-2 (ChR2). Cette protéine s’installe dans la membrane des neurones. La ChR2 possède la faculté étonnante de transformer ces derniers en une sorte de pile électrique, en les chargeant positivement quand elle est soumise à de… la lumière bleue. Pour schématiser, en allumant le laser, le chercheur agit sur une petite partie du cerveau du rongeur comme avec un interrupteur: allumé ou éteint. Et l’ocytocine? Cette neuro-hormone est synthétisée tout au fond du cerveau, dans les noyaux de l’hypothalamus. L’hypophyse la diffuse ensuite via la circulation sanguine afin qu’elle puisse faire effet. Ainsi, si l’on rend sensibles à la lumière bleue les cellules productrices d’ocytocine, leur activité peut être contrôlée. Il faut toutefois installer une sonde très fine pour toucher la bonne région du cerveau du rat! L’effet est spectaculaire. Soumis à la peur, l’animal se fige. Le laser s’allume: de deux à une vingtaine

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de secondes plus tard selon les individus, la petite bête recommence à agir. Après un temps assez bref, l’organisme dégrade l’ocytocine et son effet d’inhibition du sentiment de frayeur s’efface. Les chercheurs lausannois ont constaté que deux rongeurs soumis ensemble à la peur sont moins stressés qu’un seul. On estime en effet aujourd’hui que la neuro-hormone est impliquée dans des comportements sociaux comme l’attachement, l’empathie et la confiance en l’autre. De nombreuses pistes s’ouvrent dans la transition vers l’humain. Ron Stoop et son équipe dialoguent avec des psychiatres, qu’ils soient spécialistes de l’âge avancé ou de l’adolescence. En effet, la stimulation des cellules productrices d’ocytocine pourrait être intéressante dans le traitement de certaines phobies ou de stress post-traumatique. Enfin, l’amydgale régule, dans deux régions voisines, d’une part le rapprochement et la confiance envers les autres individus, d’autre part le sentiment de peur. Pourrait-on formuler l’hypothèse qu’une situation de conflit entre ces zones ait un lien avec certaines formes d’autisme? Voici un champ de recherche encore très peu exploré.  DS

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epuis des décennies, l’ocytocine est connue pour accélérer les contractions lors de l’accouchement et pour faciliter l’allaitement. Cette neuro-hormone possède bien d’autres propriétés, qu’étudient Ron Stoop et son équipe au Centre de neurosciences psychiatriques du CHUV, à Cery. Les chercheurs ont ainsi montré qu’elle contribuait à réduire le sentiment de peur chez le rat. Des travaux qui ouvrent des pistes vers une meilleure compréhension de certains troubles de l’anxiété, voire de l’autisme, chez l’humain. Revenons aux rongeurs. Comme bien des petits mammifères, ils ont tendance à rester paralysés sur place lorsqu’ils éprouvent une frayeur. Leurs battements de cœur s’accélèrent, leur pression sanguine augmente: c’est l’amygdale, une région du cerveau impliquée dans les émotions, qui s’active. Dans le cadre de leurs travaux, les scientifiques lausannois ont montré que l’ocytocine réduisait la peur ressentie par ces animaux sociaux de manière rapide. Comment? En utilisant une technologie née au XXIe siècle, l’optogénétique. La finalité de celle-ci consiste à contrôler l’activité des

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Fabriquée dans le cerveau, l’ocytocine est impliquée dans de nombreux aspects de la vie, comme l’accouchement, l’allaitement, l’attachement aux autres, l’anxiété ou la peur. Cette hormone intéresse Ron Stoop, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine et chercheur au Centre de neurosciences psychiatriques du CHUV.

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MÉDECINE

VIVRE LONGTEMPS D’ACCORD, MAIS EN BONNE

SANTE? Nous vieillissons, c’est entendu. Notre longévité a d’ailleurs doublé durant ces 130 dernières années. Mais dans quel état? Les explications et les conseils des gérontologues de l’UNIL qui ont pour objectif de nous aider à «mourir tard d’une maladie se déclarant quelques heures avant le décès». TEXTE ÉLISABETH GORDON

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l faut rajouter de la vie aux jours et non pas des jours à la vie.» Cette maxime, attribuée à l’ingénieur américain Sanghamitra Gangarapu, est devenue le credo des gérontologues. Plutôt que de vouloir augmenter la longévité de l’espèce humaine, ils se sont fixé pour objectif de tout faire pour que les personnes âgées restent en bonne santé et actives le plus longtemps possible. C’est indéniable, l’espérance de vie n’a cessé d’augmenter au cours des derniers siècles. Elle a même doublé entre 1880 et 2010, passant de 40 à 80 ans pour les hommes et de 42 à 84,5 pour les femmes. Du moins dans les régions développées, et en particulier en Suisse qui était classée, en 2010, au troisième rang mondial de la longévi24

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té derrière le Japon et Hong Kong. «Chaque année, nous gagnons ainsi 3 mois de vie», commente Christophe Büla, chef du service de gériatrie et de réadaptation gériatrique du CHUV. Et selon lui, «il n’y a aucune évidence montrant que cette tendance soit en train de s’amortir». Nous devons cette longévité accrue à de multiples facteurs. Aux progrès de la médecine, et, notamment à la découverte des antibiotiques qui ont considérablement diminué la mortalité infantile. Mais aussi à l’amélioration de l’hygiène et au meilleur


LONGÉVITÉ

50 à 60% des plus de 65 ans sont en bonne santé et n’ont qu’une seule maladie chronique. © Richard Kolker / Photonica / gettyimages

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Le Service de gériatrie et réadaptation gériatrique du CHUV www.geriatrie-chuv.ch

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de faire sa toilette, de s’habiller, d’aller aux WC, de sortir de son lit et de manger seule.» Cela n’implique donc pas d’être exempt de maladies chroniques. On peut souffrir du diabète ou avoir de l’arthrite et répondre aux critères décrits par le gériatre du CHUV. En revanche, d’autres pathologies «comme les maladies cardiovasculaires – et tout particulièrement les accidents vasculaires cérébraux – ou les démences, font rapidement tomber dans la dépendance».

accès à la nourriture. Sans oublier «l’évolution des métiers, souligne Dario Spini, professeur à l’Institut des sciences sociales de l’UNIL et directeur du Pôle de recherche national (PRN) «LIVES» (qui étudie les vulnérabilités à travers le parcours de vie). Aux champs et dans l’industrie, le travail «était auparavant plus lourd, ce qui se traduisait par une plus grande usure physique et un risque accru d’accidents de travail». Plus vieux, mais plus souvent malades Nous vivons donc plus vieux, certes, mais en prenant de l’âge, nous sommes aussi de plus en plus fréquemment confrontés à des maladies chroniques, aux premiers rangs desquelles figurent les affections musculo-squelettiques, les troubles cardiovasculaires, les cancers et le diabète, ainsi qu’à diverses pathologies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer. Il y a donc un décalage entre la courbe reflétant l’espérance de vie et celle indiquant le pourcentage de la population restant en bonne santé aux différents âges. Mais qu’entend-on exactement par «espérance de vie en bonne santé»? On doit cette notion au Français Jean-Marie Robine. Il y a une vingtaine d’années, ce spécialiste de la longévité humaine a proposé un nouvel indicateur, l’espérance de vie sans incapacité (EVSI), qu’il définit dans un récent numéro de Sciences et Vie comme étant «un peu le PNB de l’état de santé». Une personne est donc considérée en bonne santé «lorsqu’elle garde son indépendance fonctionnelle, précise Christophe Büla. C’est-à-dire qu’elle est capable 26

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CHRISTOPHE BÜLA Chef du service de gériatrie et de réadaptation gériatrique du CHUV. Nicole Chuard © UNIL

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EN ANNÉES, L’ESPÉRANCE DE VIE DES FEMMES DANS LES PAYS DÉVELOPPÉS

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Trois scénarios pour raconter l’avenir Dans ce domaine, «il existe trois scénarios, explique le médecin. Dans le premier, qualifié de “catastrophe”, la population vit plus longtemps, mais elle entre en dépendance toujours à peu près au même âge qu’aujourd’hui.» Autant dire que les personnes restent plus longtemps en «mauvaise» santé. Dans le deuxième scénario, «dit “d’équilibre dynamique”, l’allongement de l’espérance de vie s’accompagne d’une entrée en dépendance retardée d’autant». Les courbes de la longévité et de la vie en bonne santé se déplacent donc, mais au même rythme. Quant au troisième scénario, «celui de la “compression de morbidité”, il postule que les gains en années passées sans dépendance augmentent plus rapidement que ceux de l’espérance de vie». C’est le plus optimiste. «En Suisse, c’est plutôt le troisième scénario qui prévaut.» Certes, admet le gériatre, «les avancées sont modestes et, en moyenne, les hommes vivent toujours 6 à 7 ans en état de dépendance et les femmes environ 8 ans – c’est le revers de la médaille de leur plus grande longévité». Mais la tendance est la bonne et «il faut promouvoir toutes les interventions qui permettraient de favoriser ce troisième scénario.» Il en va du bien-être de chacun, mais aussi de la gestion de la santé publique et de la réduction des coûts de la santé. D’autant que, en Suisse, souligne Dario Spini, «on assiste à une croissance exponentielle du nombre de centenaires. Dans les années 60, il y en avait 50, alors qu’ils sont plus de 3000 actuellement.» Les robustes, les vulnérables et les dépendants Que faire? Les réponses sont diverses, car «LA personne âgée n’existe pas», affirme le spécialiste de gériatrie du CHUV. Une manière de dire que la situation varie selon les individus. Les auteurs du rapport Politique cantonale vieillissement et santé du canton de Vaud, publié en 2012 sous la coordination de Christophe Büla, ont ainsi classé les personnes âgées dans trois catégories. On y trouve d’abord les «robustes», qui représentent 50 à 60% des plus de 65 ans; ils sont en bonne santé et ont une seule maladie chronique. «Il s’agit de gens qui disent: “Je ne me suis jamais senti vieux”», constate Dario Spini. Viennent ensuite les «vulnérables». Ces personnes «fragiles ont conscience que, insidieusement, elles ont


vieilli, car il y a un certain nombre de choses qu’elles ne peuvent plus faire sans difficulté. Ce sont aussi celles qui se rendent compte que, si elles chutent, par exemple, elles risquent de se casser le col du fémur», observe le professeur de Sciences sociales. Dans Les années fragiles: la vie au-delà de quatre-vingts ans (Presses de l’Université de Laval), livre écrit sous sa direction et celle de Christian Lalive d’Epinay, Dario Spini montre d’ailleurs que la moitié des plus de 80 ans peuvent être caractérisés comme fragiles. Les membres de ce groupe, qui représentant 20 à 40% de la population âgée, souffrent souvent de plusieurs maladies chroniques. Dans leur majorité, ils ont entre 70 et 85 ans, mais on y voit entrer un nombre croissant de plus de 90 ans. Christophe Büla qualifie cette phase de «Canada Dry». Extérieurement, ces individus semblent robustes, mais ils sont fragiles, et il leur suffit souvent de vivre un événement stressant pour entrer dans la dépendance.» A ce sujet, des chercheurs se sont attachés à classer l’influence de différents types de stress, y compris ceux créés par des événements heureux. Il ressort de cette étude, commente Dario Spini, «que les épisodes qui affectent le plus la santé sont liés à la vie familiale, à ses deuils et à ses conflits». Certes, cela est vrai tout au long de la vie, mais «ces adversités ont aussi des effets aux âges les plus avancés». Quant au troisième groupe, c’est celui des personnes «dépendantes» – 10 à 20% de la population âgée – qui ont perdu tout ou partie de leur autonomie en raison d’un déclin physique ou psychique. «Il s’agit surtout de personnes de 85 ans ou plus, avec une majorité de femmes», précise Christophe Büla.

DARIO SPINI Professeur à l’Institut des sciences sociales de l’UNIL et directeur du Pôle de recherche national «LIVES». Nicole Chuard © UNIL

Les recettes pour bien vieillir Quels sont les bons plans pour «bien vieillir»? «Il faut d’abord bien choisir ses parents», répond Christophe Büla sous forme de boutade. Une manière pour lui d’indiquer que la génétique a son mot à dire dans l’affaire. Toutefois, elle est loin de tout expliquer «puisque les changements auxquels nous avons assisté en matière de vieillissement ont été bien trop rapides pour laisser le temps au patrimoine génétique de changer». Ce qui compte, ce sont en fait «les interactions entre les gènes et l’environnement, et notamment le mode de vie». C’est donc à ce niveau qu’il est possible d’agir, en commençant au plus jeune âge. Par exemple en évitant le tabac – «des expériences sur les vrais jumeaux dont l’un fumait et l’autre pas ont montré que la cigarette réduisait de dix ans l’espérance de vie», précise le médecin du CHUV. En veillant aussi à son alimentation, afin d’éviter le surpoids et les pathologies qui lui sont associées. «Aux Etats-Unis, du fait de l’épidémie d’obésité, l’espérance de vie a diminué pour la première fois depuis 60-70 ans.» Allez savoir !

Il ne s’agit pas «de se restreindre à longueur de temps, car cela n’est pas tenable. Mais plutôt d’éviter les excès et d’adopter le régime méditerranéen» prôné par les nutritionnistes. Les bienfaits de l’exercice physique La clé du vieillissement en bonne santé réside aussi dans l’exercice physique. «On ne va pas demander aux gens de 80 ans de courir le marathon, dit en riant Christophe Büla, mais les inciter à augmenter leur activité au quotidien.» Même minime, «comme celle qui consiste à préférer les escaliers aux escalators», car c’est bénéfique, à tout âge. Le gériatre cite pour preuve une enquête réalisée par des médecins américains de l’Université du Texas qui ont étudié plus de 18 000 personnes âgées d’une cinquantaine d’années, qu’ils ont ensuite suivies pendant environ 25 ans. «Les auteurs avaient divisé les individus en cinq groupes, en fonction de leur endurance, explique le médecin vaudois. Ils ont ainsi constaté que, comparés aux sédentaires, ceux qui avaient la meilleure condition physique augmentaient leur durée de vie, et que, en outre, ils souffraient moins de maladies chroniques et réduisaient de moitié le temps passé en état de dépendance.» Reste bien sûr à «savoir quelle est la poule et quel est l’œuf», commente le gériatre. Il est difficile de dire si les personnes avaient moins de pathologies parce qu’elles étaient en bonne forme physique, ou si elles pouvaient pratiquer une activité parce qu’elles n’étaient pas malades. N° 55

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Le Pôle de recherche national LIVES www.lives-nccr.ch

MÉDECINE

Quoi qu’il en soit, on ne compte plus les études qui prouvent les bienfaits de l’exercice sur la santé, non seulement physique, mais aussi mentale. Attention à la grippe! Sur le plan médical, il est important de promouvoir la prévention, notamment la vaccination contre la grippe. Contrairement à ce que l’on pense souvent, «la grippe ne tue pas forcément» et elle peut laisser des séquelles invalidantes. Une étude réalisée en 2000 auprès de résidents d’EMS a montré «que les infections étaient souvent associées à un déclin du point de vue fonctionnel». Ce qui fait dire au gériatre que, même au grand âge, «la prévention a un sens». Pour les personnes entrant dans la catégorie des robustes, la prévention doit aussi être «proactive», selon le médecin. Elle passe par exemple par des visites préventives à domicile qui évitent «de basculer dans la dépendance». Une étude menée aux Etats-Unis a montré que, ainsi, «au bout de trois ans, on permettait aux gens de gagner deux mois d’espérance de vie sans incapacité».

DALAÏ-LAMA Le chef spirituel des Tibétains a parlé du vieillissement et de la mort à l’UNIL, le 15 avril 2013. © David Prêtre – Strates

LA CHALEUR HUMAINE CONTRE LE POIDS DES ANNÉES

Le 15 avril 2013, le Dalaï-Lama s’est exprimé sur le vieillissement, à l’occasion d’un dialogue public avec les chercheurs de l’Université de Lausanne. Comment bien vieillir alors que nos forces déclinent? «En général, une personne dont l’esprit est sain possède une meilleure santé. Je ne parle pas seulement des connaissances qu’elle a, mais surtout de sa chaleur humaine. Se préoccuper du bienêtre d’autrui crée automatiquement un calme intérieur», a indiqué le chef spirituel des Tibétains, âgé de 78 ans. Il a encouragé les scientifiques à mener des recherches sur le lien entre «la paix intérieure et le vieillissement». Le dalaï-lama a insisté sur l’idée d’affûter son esprit dès l’enfance grâce à la méditation et à l’exercice du débat. Rappelant que nous sommes «des animaux sociaux», Tenzin Gyatso estime qu’un entourage amical contribue à réduire la dégénérescence provoquée par l’âge. Le sentiment d’affection, qui dépasse les mots, permet selon lui d’entrer en contact avec une personne atteinte de démence sénile. La conférence en vidéo sur www.unil.ch/dalai-lama

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S’ouvrir aux autres Toutefois, la qualité de la vie ne se résume pas à des questions de santé et de forme physique. Alors que la vieillesse suscite toujours des préjugés négatifs, «les études montrent que le bien-être des aînés est souvent supérieur à celui des adolescents et des jeunes adultes», souligne Dario Spini. Sans doute, commente-t-il, «parce que lorsqu’on est jeunes, on a de plus grandes attentes». Le professeur de Sciences sociales reprend à son compte les paroles prononcées par le Dalaï-Lama lors de sa visite à l’UNIL, en avril dernier. Lorsqu’on lui demandait comment bien vieillir quand nos forces physiques déclinent, le chef spirituel des Tibétains a répondu: «Grâce à un réel intérêt pour les autres.» C’est la voix de la sagesse. Cette attitude a d’ailleurs été confirmée par «des recherches qui ont montré que les gens centrés sur eux-mêmes étaient moins heureux que ceux qui s’intéressent aux autres», commente le directeur du PRN «LIVES». Laisser des traces Une autre attitude bénéfique est «de garder la maîtrise et l’estime de soi», souligne Dario Spini, mais aussi de «maintenir son identité: si l’on a toujours aimé la musique par exemple, il faut continuer à en jouer ou, à défaut, à en écouter». Il est vrai que, dans ce domaine, certaines identités «fonctionnent» mieux que d’autres. Les sportifs sont défavorisés, car ils doivent cesser leur activité, alors que les croyants «peuvent prier toute leur vie». Une «bonne façon de bien vieillir» se trouve aussi dans ce que l’on nomme la «générativité». Elle consiste, explique le chercheur, à laisser des traces pour les générations suivantes, au travers «de ses enfants, des élèves ou étudiants que l’on a formés, des créations que l’on a réalisées, des entreprises que l’on a créées, etc. Bref, de tout ce qui donne du sens à la vie.» Mourir en bonne santé Se préoccuper de sa santé, se maintenir en bonne forme physique et cultiver les liens sociaux: ces attitudes semblent finalement plus efficaces que les pilules de jouvence éternelle que nous fait miroiter la médecine anti-âge. Les tests réalisés sur la DHEA, la testostérone et autres comprimés censés retarder les effets des ans ont révélé que, «dans les meilleurs des cas, ils n’étaient pas efficaces, mais qu’ils pouvaient aussi avoir des effets secondaires, parfois graves», souligne Christophe Büla. Les spécialistes du vieillissement visent un tout autre idéal. Celui de nous permettre «de mourir tard d’une maladie se déclarant quelques heures avant le décès», comme l’a écrit Fred Paccaud, directeur de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive du CHUV, dans Le Temps. En d’autres termes, «de mourir en bonne santé», renchérit Christophe Büla. On ne peut que leur souhaiter une belle réussite dans leur quête. 


IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

PAR MONTS ET PAR MOTS

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arianne Chapuisat n’est pas alpiniste. Quand bien même première femme au monde à avoir gravi un pic de 8000 mètres en conditions hivernales – le Cho Oyu dans l’Himalaya en 1993 – la dynamique Vaudoise ne se cantonne ni à un lieu ni à une fonction. Elle partage son temps entre Lausanne, son chalet valaisan et des escapades de par le monde, rarement planifiées à l’avance. L’alpinisme, elle le pratique par coups de cœur, pas comme une activité professionnelle. Enseignante en français et en éducation physique, divers mandats d’écriture et quelques années de journalisme à son actif: Marianne Chapuisat côtoie autant les mots que la montagne. Deux «bagages fondamentaux» qu’elle porte depuis l’enfance. «J’ai hérité du goût de la littérature de mes parents.» Des parents qui, non motorisés, ont aussi éduqué leurs quatre enfants à se déplacer à pied. Adorant la course, Marianne Chapuisat pratique d’abord l’athlétisme. Mais toujours un livre dans son sac de sport. «En périodes de blessures ou d’attente, c’est un cadeau d’aimer lire.» A l’Université de Lausanne, la jeune femme mène donc de front un brevet de maître de sport et des études en Lettres, sections français et histoire. Ses années sur les bancs – et les stades – de l’UNIL, elle s’en souvient comme si c’était hier, et pourrait «y retourner demain». L’an passé, elle a d’ailleurs complété une formation de coach. «Cela m’enchanterait de suivre à nouveau des cours en français. Etudier aujourd’hui, avec la maturité et ma connaissance des textes littéraires serait un vrai bonheur.» Ce qu’elle souhaite partager avec ses gymnasiens. «J’essaie de leur transmettre le jeu du bon élève: tout su-

MARIANNE CHAPUISAT Licence en Lettres (français, histoire et sport) en 1995. © Pierre-Antoine Grisoni – Strates

La communauté des alumni de l’UNIL en ligne : www.unil.ch/alumnil

Allez savoir !

jet approfondi peut devenir intéressant et se muer en passion.» Ce goût pour l’étude, Marianne Chapuisat le transpose aisément hors des livres. La montagne, elle en parle en littéraire. «Pour moi, il s’agit d’une expérience un peu pascalienne sur la grandeur et la petitesse de l’homme. D’un côté, une fragilité extrême face aux géants qui nous entourent, de l’autre, la capacité de hisser nos petites personnes sur les sommets les plus hauts de la Terre donne une confiance et une foi dans ce que l’on peut accomplir lorsque l’on se concentre sur un objectif.» Là-haut, une autre dimension. Elle se souvient en particulier: «Sur un sommet de 8000 mètres, l’impression d’être liée aux êtres aimés, une minute de grâce. Presque un satori.» Mais, de retour en ville, peut-on retrouver l’intensité des rencontres et la richesse de la vie intérieure en altitude? «Je les injecte dans mon quotidien, comme des ballons d’oxygène qui me portent longtemps.» Ce qui lui manquerait le plus si elle devait arrêter l’alpinisme demain? «Ne plus ressentir les mêmes sensations physiques. Elles ne peuvent pas être remplacées par des émotions.» Mais pour l’heure, Marianne Chapuisat vit hic et nunc chacune de ses activités: l’enseignement, jury au festival du film alpin des Diablerets, ou son implication avec des jeunes en réinsertion, ou pour le rééquipement des parois d’escalade. Peut-être, entre deux, repartir en «expé», à condition d’être «en pleine santé et dans un état de vraie disponibilité». Ou écrire un livre… «Mais pas forcément sur la montagne!» Car Marianne Chapuisat n’est pas alpiniste. Elle fait de l’alpinisme, entre autres choses.  CYNTHIA KHATTAR

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HISTOIRE DE L’ART

DANS LA CATHÉDRALE LES ANIMAUX REJOUENT

LA LUTTE DU BIEN CONTRE LE MAL

Sculptés dans la pierre, des dragons, des agneaux et quelques lions s’affrontent depuis des siècles à la cathédrale de Lausanne. Le bâtiment religieux abrite un véritable bestiaire, auquel ne manquent ni l’escargot, ni la laie. Que signifient ces créatures? Visite guidée. TEXTE DAVID SPRING

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LE BOUC

Cet animal figure ici l’enfer. Au-dessus, Abraham tient les Justes en son sein. © Jeremy Bierer

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La section d’histoire de l’art  de la Faculté des lettres www.unil.ch/hart

le BIEN

HISTOIRE DE L’ART

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n cette belle journée d’été, les touristes sont nombreux à découvrir la cathédrale de Lausanne, qui reçoit 30 à 40 000 personnes par mois. Le rendez-vous avec la pasteure Jocelyne Müller est donné devant l’entrée. Cette passionnée d’histoire de l’art, qui a monté une exposition sur le bestiaire de l’édifice en 2012, désigne les détails du portail Montfalcon, réalisé au tournant du XXe siècle dans un style gothique. Cette œuvre présente une série d’animaux, dont quelques escargots sur la droite (B, voir le plan en p. 34). Jocelyne Müller aime «ce symbole de la résurrection. En hiver, il s’enferme dans sa coquille et se fabrique un opercule calcaire. Une protection qu’il brise au printemps, quand il sort de son hibernation. Cette image rappelle le Christ qui sort du tombeau.» Une fois le portail franchi, notre guide s’arrête à côté d’une curieuse sculpture du début du XVIe, où l’on voit trois lièvres courir les uns derrière les autres (E). Même si l’on ne voit que trois oreilles au total, chacun en possède… deux. Ces trois êtres distincts partagent un élément commun. Pour la pasteure, il s’agit d’une représentation de la Trinité. Une hypothèse également avancée dans La cathédrale Notre-Dame de Lausanne, un ouvrage récent auquel ont collaboré plusieurs chercheurs de l’UNIL. Professeur honoraire, Gaëtan Cassina souligne que «très tôt, les animaux jouent un rôle dans le christianisme. Ils se voient attribuer des fonctions.» Cela peut aller jusqu’au jeu de mots ou au code: le poisson est associé à un acrostiche basé sur le nom du Christ en grec (Ichtus, pour 32

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B. L’ESCARGOT

Un symbole de la résurrection du Christ. © Claude Bornand

C. LE LION Il évoque la royauté, ainsi que trois temps de la révélation du Christ: incarnation, passion et résurrection. © Claude Bornand

D. L’AGNEAU Avec la croix et l’étendard, il évoque la Passion et la victoire sur la mort. © Claude Bornand

E. LE LIÈVRE

Ce «triquêtre» symboliserait la Trinité. © Claude Bornand

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Iêsoûs Khristòs Theoû Huiòs Sôtê´r). La tortue évoque le Tartare, soit l’enfer. «Mais le hic, c’est que ces symboles évoluent au fil du temps, ajoute l’historien de l’art. Certaines créatures considérées comme bénéfiques deviennent mauvaises, et vice-versa.» De plus, dès la fin du Moyen Age, les aspects purement décoratifs entrent en concurrence avec la métaphore, ce qui complique l’interprétation. Jocelyne Müller observe l’iconographie du portail peint de la cathédrale. Du XIIIe au XVIe siècle, pèlerins et paroissiens entraient dans l’édifice par cet accès. Figés dans la pierre, des prophètes, apôtres et évangélistes se tiennent debout sur des consoles. Certains surplombent des êtres maléfiques, comme le basilic, hybride de coq et de serpent (F, sous Jean). «Ne croisez pas son regard!» conseille la pasteure. Car il possède la faculté de pétrifier ses victimes. Heureusement, la position humiliante de ces monstres prouve qu’ils ont été vaincus. Ce portail présente plusieurs agneaux, l’animal sacrificiel par excellence. Dans Jean 1:29, Jean-Baptiste reconnaissant le Christ dit: «Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde.» La statue de l’ascète porte justement cette créature sans défense (D, à l’ouest), également représentée en position privilégiée, au sommet de la voussure, accompagnée de la croix et de l’étendard de la victoire. Quand on quitte ces lieux pour se diriger vers le chœur, il faut lever le nez pour admirer un lion (C) dans la voûte. Ce fauve est ambigu: dans l’Ancien Testament, Samson le tue à mains nues. Mais il sert également d’emblème à la


le MAL

F H G

tribu de Juda, l’une des douze tribus d’Israël. Il évoque la royauté et la puissance au Moyen Age. Trois d’entre eux ornent le tombeau d’Othon Ier de Grandson (5).

F. LE BASILIC

Cet hybride de coq et de serpent incarne le mal. © Claude Bornand

Pécheurs, vous êtes avertis «Venez, je vous emmène en enfer», souffle Jocelyne Müller. Dans le bras sud du transept, le visiteur aperçoit Abraham tenant les Justes en son sein, dans l’attente de la résurrection. On aperçoit un évêque nu, reconnaissable à sa mitre. Au-dessous, séparé par une nuée, se tient le Diable, sous la forme d’une tête de bouc (A). Cette synthèse saisissante de la menace qui pèse sur les pécheurs pouvait servir d’avertissement. «Mais dans la composition, c’est le salut qui domine», nuance la pasteure. Une œuvre peu connue possède une fonction similaire, juste en face, dans le bras nord du transept. Au dessus et à droite du tombeau baroque de la princesse Orlow, un chapiteau montre une femme qui se fait mordre le sein par un maléfique dragon (H), au sommet d’une colonne. Cette sculpture, qui évoque les dangers de la luxure, se trouve au-dessus d’une porte que franchissaient les chanoines lors de processions. Pour conclure la visite, Jocelyne Müller présente les stalles de la chapelle des Martyrs thébéens, situées dans la tour Nord, et fermées hélas au public pour protéger cet ensemble réalisé au début du XVIe siècle. Une commande de l’un des personnages phare de la cathédrale, l’évêque Aymon de Montfalcon (lire également en p. 34). Les miséri-

G. LA LAIE

L’union de la luxure, la brutalité et la folie. @ Claude Bornand

H. LE DRAGON

Il mord un sein de femme pour signifier la luxure. @ Jeremy Bierer

LA CATHÉDRALE NOTREDAME DE LAUSANNE Sous la dir. de Peter Kurmann. La Bibliothèque des Arts (2012), 323 p.

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cordes, soit les petites consoles fixées à la partie inférieure du siège rabattable d’une stalle, cachent de nombreux animaux. Comme par exemple une laie qui joue de la cornemuse (G). «Il s’agit d’un instrument populaire, dans le sens négatif du terme: l’art médiéval représente des fous qui en jouent. Le luth, au contraire, est alors associé au divin et aux choses de l’esprit», remarque Brigitte Pradervand, historienne de l’art indépendante et chargée de cours à l’UNIL. L’outre à vent possède même une connotation sexuelle. Quant au sanglier, il incarne la brutalité. Ailleurs, on découvre des dragons et une sirène aux formes généreuses, sculptés dans le bois. Tout cela sent le soufre, dans un lieu qui accueillait des religieux. Rien d’étonnant pour Brigitte Pradervand: «Les animaux, les travaux des champs ou des scènes triviales, voire vulgaires, de la vie quotidienne sont courantes dans les stalles et les miséricordes. Les chapiteaux de l’église de Grandson en comportent plusieurs exemples.» La décoration de ces sièges, réservés à une élite, permet la dénonciation du mal, mais également une mise à distance, voire un humour au second degré. Le bestiaire de la cathédrale, avec sa symbolique mouvante, reste parfois hermétique. Mais il éveille l’imagination des visiteurs. Et tout comme le singe figuré à hauteur d’homme dans le portail occidental, cette faune sculptée reflète des qualités et des travers très humains.  Informations complémentaires sur www.unil.ch/allezsavoir

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HISTOIRE DE L’ART

LES 7 SECRETS DE NOTRE-DAME Vous croyez connaître chaque pierre de la cathédrale ? Méfiance: même à ses habitués, l’édifice religieux consacré en 1275 réserve encore quelques mystères.

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es architectes statufiés? Les surprises se nichent dans différents lieux du bâtiment. Un choix de faits peu connus proposé par la pasteure Jocelyne Müller, et les historiens de l’art Brigitte Pradervand (chargée de cours à l’UNIL), Gaëtan Cassina (professeur honoraire) et Dave Lüthi (professeur assistant).

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UN AMOUR CODÉ?

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En 1509, Aymon de Montfalcon fait réaliser des stalles de bois pour la chapelle de la tour Nord (fermée au public, mais visible à travers une grille). Au sommet de la chaire de gauche, un «A» et un «M» sont mêlés. Les initiales de l’évêque? Jocelyne Müller avance une hypothèse plus romantique. Ce personnage, également poète courtois, a composé vers 1475 Le Procès du banni à jamais du Jardin d’Amour contre la volonté de sa Dame. On y lit: «Quant ma dame vit les chemins /Ou nous estions et les termes, /Soubz une treille de jasmins /S’assist plorant a chaudes lermes. /Puis en motz piteux, non pas fermes, /Print une lectre de son nom, /Et dist: «Mectez la en voz armes, /Mon ami, je vous en fais don». /Lors je luy ay ma foy promise /Que je feroye voulentiers /Et que la lectre seroit mise /A Monfalcon de tous quartiers. /Et, pour monstrer amour entiers, /Une des miennes ay esrachee /Laquelle est, par subtilz ouvriers, /Avec la sienne entrelassee.» M serait l’initiale d’un prénom féminin… Mais lequel? Brigitte Pradervand ne se risque pas si loin. Mais elle indique que les recherches au Château SaintMaire, que fit réaménager Aymon de Montfalcon, permettront peut-être d’en apprendre davantage sur la vie privée de l’évêque. 34

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© DR, Jeremy Bierer, Jocelyne Müller, Claude Bornand, José Staub / Strates. Infographie Eric Pitteloud

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ROI ET ARCHITECTE

Le portail Montfalcon, dont la construction est entamée en 1515, reste inachevé puis se dégrade. Dans le cadre de la restauration de la cathédrale, à la fin du XIXe siècle, il est décidé de le reconstruire sur la base du moulage des éléments originaux et d’ajouter des parties modernes. Le sculpteur Raphaël Lugeon réalise des statues de personnages bibliques dans le style gothique flamboyant. Posé en 1909 à droite de l’entrée, le roi David possède les traits d’Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879), l’architecte qui a conduit les travaux de restauration. L’artiste se représente en Malachie, tout à gauche du portail. La revue Monuments vaudois proposera dans son édition de novembre un article de Claire Huguenin au sujet des portraits du portail Montfalcon.

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OÙ SONT LES ANGES?

Le sarcophage du riche et puissant Othon Ier de Grandson (vers 1228–1328) se trouve tout près du maître-autel. Dave Lüthi émet l’hypothèse que ce diplomate a fait exécuter cette œuvre importante, qui évoque les tombeaux royaux d’Ile-de-France, de son vivant, vers 1300. Une réalisation internationale: le marbre provient de Carrare et le dais transparent est de style français ou anglais. Pour l’éternité, la tête du créancier des comtes de Savoie repose sur un coussin de pierre. De chaque côté de ce dernier, on aperçoit une paire de mains. S’agit-il de l’évocation d’anges emmenant le défunt vers le Ciel? Les deux lions qui émergent des épaules constituent une étrangeté sans autre exemple. Enfin, lorsque le caveau situé sous le gisant a été percé, le corps d’Othon n’y était pas (ou plus).

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ROUTE BARRÉE

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Un fait peu connu, mis en évidence par Marcel Grandjean en 1975. Avant 1504, un passage couvert séparait la partie ouest de la cathédrale (où se trouvent les tours) du reste du bâtiment, au niveau de la «grande travée». On suppose que des artisans ou des dépôts occupaient la partie occidentale. Cette configuration unique en Europe a été modifiée par Aymon de Montfalcon, qui fait condamner la route en fermant les arcades au nord et au sud, tout en ouvrant les murs à l’est. L’édifice a ainsi gagné 20 mètres. Si la cathédrale avait alors possédé une belle porte, celle-ci a disparu dans l’opération. L’évêque a-t-il pensé aux historiens du futur? En tout cas, «il a signé son œuvre: ses armoiries sont bien visibles dans plusieurs médaillons», note Gaëtan Cassina.

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LA PLACE DU MORT

Allez savoir !

Très haut perché, un mascaron de style médiéval représente… Jean-Pierre Dresco, architecte cantonal en fonction de 1974 à 1998, à qui cette sculpture rend hommage. «Grâce à lui, les chantiers de restauration sont devenus interdisciplinaires. Tous les professionnels travaillent de concert. De plus, il a mis en place un code déontologique qui s’est imposé dès lors», note Dave Lüthi. Dans le même esprit, mais cette fois à l’intérieur du bâtiment, les visiteurs qui possèdent de bons yeux peuvent apercevoir deux bustes médiévaux masculins, installés en hauteur de chaque côté de la croisée du transept (au nord et au sud). Il pourrait s’agir de représentations de maîtres d’œuvre de la cathédrale, selon le récent ouvrage La cathédrale Notre-Dame de Lausanne.

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En 1880, deux souliers sont découverts lors de l’ouverture d’une tombe d’évêque identifiée alors comme celle de Roger de Vico Pisano (mort en 1220). La trouvaille fit sensation à l’époque. Mais en 2003, un examen scientifique mène à la conclusion que ces pièces ne sauraient dater d’avant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ces répliques de sandales médiévales faites par un faussaire talentueux ont bien été portées par un défunt, mais elles présentent toutes les deux des traces d’usure propres aux chaussures portées… au pied droit. L’hypothèse d’une blague macabre est à écarter, au vu de la complexité de sa réalisation. Le mystère reste entier. A lire: Destins de pierre. Sous la dir. de Claire Huguenin, Gaëtan Cassina, Dave Lüthi. Cahiers d’archéologie romande 104 (2006). N° 55

DISCRET, DRESCO DOMINE

VITRAUX INVISIBLES

Vainqueur d’un concours en 1928, Alexandre Cingria se voit confier la réalisation des huit fenêtres au sommet de la tour-lanterne. Cet artiste catholique, genevois et réactionnaire peut être considéré comme l’un des rénovateurs de l’art religieux en Suisse romande. Las! Après bien des péripéties, la Commission des vitraux de la cathédrale interrompt le projet en 1932. Seules deux verrières, l’une représentant Noé, l’autre Abraham, sont créées. Pour Dave Lüthi, c’est la confession de l’artiste qui a posé problème. Car ses œuvres (jeu des couleurs et des textures) sont de toute beauté, malgré leur emplacement ingrat, très en hauteur. Avec leur bleu qui évoque Chartres, les belles réalisations du protestant Louis Rivier figurent en bien meilleure place dans le chœur et le transept nord. Septembre 2013

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ÉCONOMIE

ÉCHANGES

Ambiance au New York Stock Exchange, peu après l’ouverture, le 28 juin 2013. © Reuters/Lucas Jackson

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LES ORDINATEURS ONT PRIS

LE CONTROLE DE LA BOURSE Sur les marchés financiers, de nouveaux traders sont entrés en action. Aux Etats-Unis, notamment, 60 à 70% des transactions sont opérées par des machines, à une vitesse et dans des volumes qu’aucun être humain ne peut suivre. Elles offrent de nouveaux bénéfices, mais créent de nouveaux risques. Explications. TEXTE SONIA ARNAL

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La Faculté des HEC www.unil.ch/hec

ÉCONOMIE

en octobre 1987. «Ils avaient été programmés pour vendre les actions sitôt que leur prix passait en dessous d’un niveau plancher, se souvient le professeur de finance à la Faculté des hautes études commerciales de l’UNIL. Une ou deux ont baissé, les machines ont passé les ordres, et par effet de contamination, tous les cours ont chuté, tous les ordinateurs ont vendu en cascade.» Résultat: l’indice Dow Jones a perdu ce lundi 19 octobre 22,6% de sa valeur. On s’en doute, les choses ont bien évolué depuis – les robots comme les programmateurs ayant atteint un plus haut degré de sophistication. Les machines ne se contentent plus d’exécuter des ordres basiques: des mathématiciens ou physiciens les utilisent pour faire tourner des algorithmes qui traquent les bonnes affaires à l’aide de stratégies quasi indécelables. Les robots ont donc pris le pouvoir en ceci qu’ils cherchent les opportunités et les réalisent sans qu’un humain n’ait à intervenir, et beaucoup plus vite qu’il n’est possible au cerveau, ou même à l’œil humain, de voir passer les choses.

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ans l’esprit du profane, le trader sans scrupules dont l’avidité est le seul moteur se trouve parfaitement incarné en la personne de Michael Douglas – ou plutôt de Gordon Gekko. Cet investisseur, héros du film Wall Street (sorti en 1987), est prêt à tout pour gagner un maximum d’argent en un minimum de temps et ne s’intéresse pas une seconde à l’économie réelle ni au soutien à long terme des entreprises. Mais voilà, il y a désormais une erreur sur le casting: le trader qui, aujourd’hui, répond le mieux à cette description n’est pas un être humain, c’est un… ordinateur. Le trading à haute fréquence (High-Frequency Trading, HFT), appelé aussi trading algorithmique, a le vent en poupe: aux Etats-Unis, 60 à 70% des transactions sont opérées par une machine, à une vitesse et dans des volumes qu’aucun être humain ne peut suivre. En clair, les ordinateurs sont en train de prendre le pouvoir à la Bourse. Ce qui ne va pas sans gros risques.

THIBAULT VATTER Assistant diplômé au Département des opérations de la Faculté des HEC. Nicole Chuard © UNIL

Ordinateurs Bourse, une longue histoire d’amour Les ordinateurs sont capables évidemment de brasser des données chiffrées et des statistiques bien plus vite que des êtres humains. Ils ont donc été associés à la prise de décision en finance et à la Bourse depuis leurs débuts, même si, comme le rappelle non sans ironie Michael Rockinger, «l’analyse des modèles du passé ne permet pas de prédire le comportement futur d’un cours». La première – et douloureuse – prise de conscience dans le grand public de l’apparition des robots à la Bourse date du crash de Wall Street 38

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Plus rapides que les humains Car s’il est mené par des robots, le trading à haute fréquence se caractérise aussi par une vitesse d’exécution spectaculaire: un homme a besoin de plusieurs secondes pour réfléchir, puis acheter ou vendre un paquet d’actions. Un logiciel peut faire des millions d’opérations en 1 seconde. Comme l’expliquent les auteurs de Krach Machine – Comment les traders à haute fréquence menacent de faire sauter la Bourse*, aujourd’hui c’est «la nanoseconde, un milliardième de seconde (qui) sert de référence aux horloges du négoce à haute fréquence (…) La Bourse NYSE Euronext permet à ses clients à haute fréquence de passer leurs ordres (…) 6756 fois plus vite que le clin d’œil.» Face à une telle rapidité, un investisseur traditionnel n’a aucune chance. Outre le fait qu’il lui faut plus de temps pour repérer une bonne affaire, il suffit qu’il soit sur le point d’acquérir une action pour qu’un algorithme décèle ses intentions, l’achète une fraction de seconde avant lui, et la lui revende quelques dixièmes de centimes plus cher qu’il n’escomptait payer – sans même avoir compris ce qui vient de lui arriver. En multipliant ces quelques fractions de centimes par des millions d’opérations, ces logiciels ramènent vite des fortunes. La vitesse, cet avantage compétitif Dans ce contexte, celui qui peut passer un ordre le plus rapidement a un avantage indéniable sur ses concurrents. C’est même le nerf de la guerre, avec bien sûr la création du bon algorithme. Pour gagner quelques nanosecondes, les entreprises leaders dans cette nouvelle industrie sont prêtes à payer très cher. Les auteurs de Krach Machine citent en exemple un câble actuellement posé dans l’Atlantique qui permettra de gagner environ 5 millisecondes dans les transactions entre Londres et New York pour la


modique somme de 250 millions de dollars. Alors que l’on croyait que l’informatique permettait de dématérialiser les contingences du monde réel, le trading à haute fréquence ressuscite des paramètres a priori obsolètes, comme la distance géographique. Quelle limite à cette course à la vitesse? «La vitesse de la lumière, contrainte physique, répond Michael Rockinger. Mais c’est complètement absurde…» Et c’est souvent dangereux. L’exemple le plus souvent cité pour illustrer les risques du trading à haute fréquence est le Flash Crash du 6 mai 2010. Ce jeudi-là, le Dow Jones a perdu 1000 points, soit à peu près 10% de sa valeur en un grand plongeon, avant de se reprendre aux valeurs antérieures, le tout en quelques minutes. Dans la dramaturgie de la journée, le moment clé se limite à cinq minutes: entre 14 h 42 et 14 h 47, l’indice a dévissé de 600 points. A 15 h 07, retour à la normale. Des valeurs descendent à zéro dollar Que s’est-il passé exactement? Sans entrer dans les détails techniques, on peut dire que deux organes de surveillance de la Bourse américaine, la SEC (Securities and Exchange Commission) et la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), ont eu besoin de cinq mois pour enquêter sur ces quelques minutes; les opérations sont tellement nombreuses par seconde, et tellement compliquées, que même si elles sont traçables, les reconstruire dans l’ordre chronologique est incroyablement chronophage. Le rapport rendu souligne en tout cas la responsabilité du trading à haute fréquence. Même si les principaux concernés relativisent. Ce qui est sûr, c’est qu’il a fallu éteindre les ordinateurs durant 5 minutes puis les rallumer pour mettre un terme à cette dégringolade dénuée de tout fondement économique. «Et qu’un certain nombre de sociétés très établies, qui ne rencontraient ce jour-là aucune difficulté économique réelle, ont vu leur valeur descendre à zéro dollar, se souvient Michael Rockinger. C’est le cas de Procter & Gamble ou Coca par exemple. Certes, ensuite, les cours sont remontés, mais il n’en reste pas moins que le potentiel de destruction de valeur est énorme.»

MICHAEL ROCKINGER Professeur de finance à la Faculté des HEC. Nicole Chuard © UNIL (archives)

doctorant. La société a expliqué ses transactions farfelues par un «problème technique», sans entrer dans les détails. Deux versions coexistent pour élucider ce mystère: un algorithme inabouti aurait été trop vite mis en fonction – il contenait des erreurs de code et serait à l’origine du désastre. Autre hypothèse: un ancien algorithme, plus du tout à la page et rangé à la cave, en aurait été sorti par inadvertance et remis en fonction. Comment rouler les éléphants de la Bourse Si ces logiciels sont issus du monde virtuel, ils ont des conséquences bien réelles sur l’économie, comme le montre cet exemple. Cela dit, ici il s’agit d’un bug informatique – le risque est réel et les conséquences graves, mais c’est un accident. Cela ne touche pas à l’essence même du trading à haute fréquence. Ce qui pousse nombre de spécialistes à se distancer de cette façon de jouer en Bourse, à l’instar de Michael Rockinger, ce ne sont pas seulement les bugs. Ce sont les stratégies mêmes que ces algorithmes appliquent. Un exemple avec les fonds de pension, soit l’argent de nos retraites. Les gestionnaires de ces fonds adoptent toujours un comportement très prudent et se greffent le plus souvent sur un indice. «Les mouvements de ceux que l’on appelle les éléphants de la Bourse sont très prévisibles: ils passent leurs ordres à heure fixe et adaptent leurs portefeuilles pour suivre les mouvements de l’indice», explique le spécialiste de l’UNIL. Nombre de logiciels sont donc paramétrés pour leur griller systématiquement la

460 millions de dollars perdus en une demi-heure Les compagnies cotées en Bourse ne sont pas les seules à risquer gros. Les traders à haute fréquence peuvent eux aussi se retrouver en mauvaise posture. «C’est ce qui est arrivé à Knight Capital, qui a perdu plus de 460 millions de dollars en une demi-heure», raconte Thibault Vatter, assistant diplômé au Département des opérations de la Faculté des HEC. Le 1er août 2012, cette société financière réputée qui traitait à l’époque environ 10% des transactions sur le marché américain, a commencé à faire des choses bien étranges et erratiques aux yeux des autres traders. «Ils ont acheté cher et vendu bon marché – bref des comportements absurdes à rebours du bon sens», explique le Allez savoir !

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ÉCONOMIE

pour savoir dans quelle direction je vais aller, précise-t-il. Mais j’ai bien conscience de mes lacunes en économie et je travaille à les combler, notamment en lisant énormément.» S’il a lui aussi une approche scientifique et non pas de praticien face au trading à haute fréquence, il n’y voit pas que des défauts: «La très grande quantité de transactions passées a par exemple permis de faire baisser le prix des commissions. La très grande réactivité des machines participe en outre à faire le marché: les ajustements sont immédiats, on peut donc dire qu’on est au plus près du véritable prix. Enfin, si on prend le Flash Crash, certes les prix se sont effondrés très rapidement, mais ils se sont repris tout aussi rapidement. Enfin, comme on l’a vu avec la crise en 2008, les humains aussi font des erreurs. Donc, plutôt que de blâmer le trading à haute fréquence en soi, je poserais la question des objectifs que les humains leur allouent, et des moyens de surveillance.»

politesse et leur revendre plus cher les actions qu’ils convoitent – ce qui diminue évidemment le profit des caisses de retraite. «Je n’ai rien contre le fait que nos étudiants d’HEC souhaitent s’enrichir, mais tout est dans la manière: ce genre de manœuvres, ça n’est ni créatif, ni surtout éthique. C’est la raison principale pour laquelle nous n’enseignons pas le trading à haute fréquence à l’Université de Lausanne.»

DÉSASTRE

Le 1er août 2012, Knight Capital Group Inc a perdu 460 millions de dollars en une demiheure. © Reuters/Brendan McDermid

Des mathématiciens et des physiciens plutôt que des économistes D’ailleurs, notent les détracteurs de la robotisation de la Bourse, un des gros problèmes de cette industrie nouvelle mais florissante, c’est qu’elle est aux mains de spécialistes très pointus en statistiques, méthodes quantitatives et autres compétences informatiques, mais qu’ils sont totalement dépourvus de toute culture économique. «C’est un facteur aggravant, dans la mesure où ces gens ne comprennent pas à quoi devrait servir la Bourse, ce qu’est un investissement, et comment tout cela impacte des entreprises, des employés, des retraités, ou comment la réalité impacte aussi la valeur des actions», souligne Michael Rockinger. Bref, ces gens souvent très jeunes, qui écrivent du code au kilomètre, font des algorithmes pour des courtiers comme ils travailleraient pour un fabricant de jeux vidéo. «C’est vrai que beaucoup viennent des maths ou de la physique, comme c’est mon cas», explique Thibault Vatter. Le jeune chercheur en est aux prémices d’une thèse qui devrait être consacrée à ce domaine. «C’est encore trop tôt 40

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Peu de surveillance Les transactions peuvent selon certains cas être cassées, par exemple quand il apparaît qu’il y a un problème technique. Mais la SEC a laissé assumer sa perte à Knight Capital en ne passant l’éponge que sur un nombre très restreint des ordres absurdes passés, estimant que, après tout, si la société utilise un algorithme défectueux, c’est son problème. Au-delà de la question des bugs et de l’annulation possible de certaines ventes ou achats, les spécialistes sont nombreux à s’inquiéter de la quasi-absence de régulations dans un domaine plus qu’opaque: on constate des résultats à la Bourse, mais personne ne sait vraiment ce qui se passe dans ces boîtes noires que sont les algorithmes des sociétés qui pratiquent le trading à haute fréquence. «Parmi les pistes explorées, les plus fréquentes sont l’instauration d’une taxe Tobin, appliquée sur chaque transaction, qui rendrait moins attractifs les achats et reventes incessants dans des fenêtres temporelles inférieures à la seconde», détaille Michael Rockinger. Thibault Vatter confirme la nécessité de mieux «monitorer» en temps réel les risques, et suggère une autre piste: «Des spécialistes plaident pour l’instauration, à certains moments ou pour des actions données, de périodes de latence, soit des interdictions de revente avant que ne s’écoule un temps X. On imagine par exemple un système de signalisation, avec feu rouge ou feu vert accolé à une valeur.» Pour l’heure, ces mesures, comme d’autres types de réglementation, sont en discussion en Europe et aux EtatsUnis. Pour qu’elles aient un sens, il faudrait évidemment que toutes les Bourses les appliquent. Et mettre tout le monde d’accord, ça prend manifestement plus qu’une nanoseconde…  * «Krach Machine, Comment les traders à haute fréquence menacent de faire sauter la Bourse». Par Frédéric Lelièvre et François Pilet. Calmann-Lévy (2013), 232 p.


1998

C’ÉTAIT DANS ALLEZ SAVOIR !

MARS N’ATTAQUERA PAS

Tous les jours nous parviennent des images prises depuis le sol de la planète rouge. Mais toujours aucun habitant à signaler. Pendant longtemps, les Terriens avaient pourtant cru à l’existence de canaux artificiels, donc de vie. Allez savoir! en avait parlé il y a quinze ans.

A

ujourd’hui, la planète rouge nous semble familière. Une application pour mobile comme Mars Images permet d’en recevoir des photos tous les jours, prises sur place par les robots Opportunity et Curiosity. Autant dire que la technologie rend tout à fait exotique à nos yeux «l’affaire des canaux» de Mars, qui passionna le public dès la fin du XIXe siècle. Dans l’édition de mai 1998 d’Allez savoir!, le journaliste Jean-Bernard Desfayes avait interrogé Pierre North, alors astronome à l’Institut d’astronomie de l’Université de Lausanne et aujourd’hui maître d’enseignement et de recherche à l’EPFL. «Le terme “canal” à propos de Mars apparaît vers le milieu du XIXe siècle, en Italie, mais il désigne alors tout aussi bien des zones caractéristiques et distinctes, comme Syrtis Major, que des lignes plus fines traversant la géographie martienne. Le premier à y voir “des lignes régulières et rectilignes semblant suivre de grands cercles du globe martien” est Giovanni Schiaparelli, en 1877. L’“inventeur” des “canali” n’est pas n’importe qui: il dirige l’observatoire de Milan et ses travaux sur les comètes font autorité à l’époque. Schiaparelli, explique Pierre North, pensait au départ qu’il s’agissait de formations géologiques; c’est seulement une vingtaine d’années plus tard qu’il

Texte paru dans Allez savoir! N° 11, mai 1998. Archives du magazine: www.unil.ch/allezsavoir

IL Y A CENT ANS, C’ÉTAIT L’ŒIL DE L’ASTRONOME QUI DEVAIT GUETTER LE DÉTAIL «VRAI» AU MILIEU D’UN FLOU ARTISTIQUE ET TREMBLOTANT.

envisagea l’hypothèse de véritables canaux d’origine artificielle.» L’auteur signale qu’il ne faut pas sourire de cette idée, car «l’observation des planètes se faisait alors surtout à l’aide de lunettes de 20 à 40 cm d’ouverture […] La photographie n’était pas encore répandue et, de toute manière, les émulsions lentes des plaques sensibles n’étaient pas idéales pour ce genre de travail; l’observation visuelle se prêtait mieux aux apparitions fugitives des détails des planètes, en raison de la turbulence atmosphérique. Il y a cent ans, c’était l’œil de l’astronome qui devait surveiller l’instant fugace d’une accalmie et guetter le détail “vrai” au milieu d’un flou artistique et tremblotant. L’attente et l’imagination facilitaient bien des interprétations, suscitaient même des visions.» «[…] L’idée de trouver si près de nous une planète où la vie […] avait reçu la caution de deux savants, avait tout pour séduire de moins avertis et de plus imaginatifs encore, à commencer par un astronome amateur for t uné, l’homme d’affaires américain Percival Lowell. Il s’emparera de l’idée en 1894, la fera sienne jusqu’à la caricature et mourra vingt-deux ans plus tard en croyant mordicus au mythe qu’il avait contribué à créer et qui, pourtant, partait déjà en quenouille.»

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Car «[…] malgré les efforts déployés par les partisans des canaux, le scepticisme restait de mise dans la communauté scientifique, surtout de la part de vrais pros de l’astronomie qui, comme Barnard, disposaient des lunettes les plus puissantes de leur temps, par exemple celle de 1 m d’ouverture de l’observatoire de Yerkes.» «Aux objections des contestataires, Lowell faisait une réponse imparable, explique Pierre North: tout le monde, disait-il, n’a pas l’acuité visuelle nécessaire pour discerner de fins détails planétaires. Les tisserands du conte d’Andersen, eux aussi, ne voyaient pas “les habits neufs de l’Empereur”, et pour cause puisque le souverain était nu; mais ils se taisaient pour ne pas passer pour des rustres...» […] «Cette obstination chez Lowell et les adeptes de sa chapelle ne s’explique que par la volonté de démontrer l’existence de la vie extraterrestre et probablement d’apaiser ainsi l’effroi pascalien devant “le silence éternel de ces espaces infinis”.» […] «Les grands télescopes modernes d’abord, les sondes spatiales ensuite ont fait un sort à cette théorie; mais l’idée qu’il pût y avoir de la végétation sur Mars, idée étayée par les changements de coloration saisonniers de grandes surfaces de la planète, s’est maintenue jusque dans les années 1960.» 

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BIOLOGIE

DANS LA VRAIE VIE, NEMO EST

BELLIQUEUX ET HERMAPHRODITE Des chercheurs en bio-informatique de l’UNIL ont découvert les étonnantes capacités d’une famille de poissons, les demoiselles, qui améliorent la compréhension de l’évolution des espèces. Pendant que les herbivores jardinent, les poissons-clowns profitent des appartements spacieux des anémones de mer dans les récifs coralliens. TEXTE VIRGINIE JOBÉ

Q

ui n’a pas craqué sur l’attendrissante histoire de Nemo, poisson-clown orphelin de mère, créé par les studios Pixar? Sur son père Marin, exemplaire, qui part à la recherche de son fils handicapé d’une nageoire qui a été kidnappé par un plongeur? Trop mignon pour être vrai. «Dans le film Le monde de Nemo, tout est scientifiquement incorrect», déclare Glenn Litsios, doctorant au Département d’écologie et évolution (DEE) à l’UNIL. Avec l’équipe du professeur assistant Nicolas Salamin, il participe à une étude sur l’évolution de la famille des demoiselles, ou pomacentridés, des poissons très co42

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lorés que l’on trouve dans tous les récifs coralliens de la planète depuis 50 millions d’années. D’après les résultats des dernières recherches, il s’avérerait que la vie des poissons-clowns, qui appartiennent à cette famille, est beaucoup moins aventureuse que dans le dessin animé qui a ému la terre entière. A telle spécialisation telle niche écologique Chez les demoiselles, on compte 350 espèces qui ont toutes des habitudes très distinctes. «Nous avons remarqué en modélisant l’évolution des niches écologiques de


ENTENTE

Ces poissons-clowns (Amphiprion polymnus) vivent autour d’une anémone (Stichodactyla haddoni). Les deux partenaires sortent gagnants de cette cohabitation. © SerrNovik / iStockphoto.com

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Le Département d’écologie et évolution www.unil.ch/dee

BIOLOGIE

NICOLAS SALAMIN ET GLENN LITSIOS Professeur assistant et doctorant au Département d’écologie et évolution (DEE) à l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

chacune, c’est-à-dire les conditions environnementales qui permettent aux espèces de survivre, qu’il existait des différences marquées selon le régime alimentaire choisi», indique Nicolas Salamin. Aujourd’hui, il y a à peu près 50% de planctivores (carnivore qui mange du plancton), 30% d’omnivores (détritivores compris) et 20% d’herbivores. «Les planctivores et omnivores sont généralistes. Ils trouvent donc de la nourriture n’importe où dans l’océan et peuvent agrandir leur territoire. Tandis que les herbivores auront tendance à avoir un comportement de fermier casanier (lire l’encadré p. 45), et évoluent moins vite.» Les bio-informaticiens ont étudié la généalogie des demoiselles sur 50 millions d’années. Sur une base génétique: des échantillons de nageoires reçus du monde entier ont rendu possible l’extraction d’ADN et ainsi, de séquencer différents gènes. «C’est ce que nous approfondissons en ce moment, après avoir découvert qu’un petit groupe de 30 espèces de planctivores, les poissons-clowns, évoluait plus vite que la majorité des autres demoiselles», signale Nicolas Salamin. L’atout des poissons-clowns Et pourquoi ces jolis poissons rayés aux couleurs qui tournent autour du rouge évoluent-ils plus rapidement? Grâce aux anémones de mer dans lesquelles ils ont un jour, il y a 5 à 10 millions d’années, décidé d’élire domicile. «Nous avons pu démontrer qu’il s’agissait d’une radiation 44

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adaptative, autrement dit d’une explosion d’espèces due au mutualisme entre le poisson-clown et l’anémone, révèle Nicolas Salamin. Une double radiation en fait, car l’évènement s’est passé à la fois en Indonésie (dans l’océan Pacifique) et près de Madagascar (dans l’océan Indien) jusqu’à la mer Rouge. Cela a provoqué un grand changement évolutif, très rare dans le milieu marin. Chaque espèce s’est adaptée à des environnements différents, a changé de morphologie, et de façon très rapide, en fonction de sa spécialisation aux anémones. Nous analysons actuellement leur génome pour comprendre quels gènes peuvent être à l’origine de cette radiation.» Glenn Litsios précise que l’idée de s’installer dans une anémone, un emplacement où personne d’autre ne vivait, a précipité l’évolution. «Chaque espèce de poisson-clown colonise une espèce d’anémone particulière. Il y a donc moins de liens entre les populations, moins d’échanges de gènes et cela donne naissance à d’autres nouvelles espèces.» Une entente mutuelle salutaire Pour une raison encore inconnue, l’anémone de mer (ortie de mer ou actiniaire), pleine de cellules urticantes, ne voit pas dans le poisson-clown un ennemi. Selon Glenn Litsios, il se passe quelque chose au niveau de leurs peaux. Lorsqu’un de ses tentacules touche un poisson-clown, c’est comme si elle se touchait elle-même. «En gros, ils ont emménagé dans des maisons vides sûres dont ils ont réussi à trouver la clé, rigole le biologiste. Poissons-clowns et anémones sont mutualistes, car ces partenaires vont bénéficier positivement de leur relation symbiotique.» Jamais il ne viendrait à l’idée des habitants d’une ortie de mer de s’éloigner de plus de deux mètres de leur demeure. Ils n’en sortent que pour manger des copépodes (des crustacés, ce qui en fait des zooplanctivores) et reviennent illico se cacher pour éviter d’être dévorés par d’autres poissons. «De leur côté, les anémones vont être protégées de leurs propres prédateurs par leurs hôtes qui vont les défendre de manière très agressive, car il s’agit aussi de leur territoire», observe le doctorant. Des plongeurs sont parfois ébahis par les assauts téméraires de ce petit animal d’une dizaine de centimètres qui fonce vers leur masque pour les effrayer. D’autres chercheurs ont aussi démontré que durant leur sommeil, les poissons-clowns bougent beaucoup, ce


Une vie de famille particulière La structure sociale des poissons-clowns à l’intérieur de l’anémone de mer est encore plus surprenante. Et elle explique aussi la longévité accrue des espèces. A l’intérieur de la maison anémone vivent un svelte monsieur soumis et une dodue madame dominante poisson-clown, entourés de juvéniles à l’extérieur (qui ne sont encore ni femelle ni mâle). Madame, reine des lieux, pond jusqu’à 200 œufs sur le pied de sa demeure. «Le job du mâle est alors de bouger autour de sa progéniture afin que la ponte ne moisisse pas, explique Glenn Litsios. Ensuite, à l’état larvaire, entre l’œuf et le juvénile, les petits vont quitter l’anémone parentale, se laisser prendre par le courant durant près de dix jours et essayer de trouver une autre maison qui les accueille, où ils vont se fixer. Très peu survivront lors de cette expédition.» Ces bébés ne connaîtront donc jamais leur papa et leur maman… Plus étrange encore, une mère Nemo a d’abord été un père Nemo, et bien avant un juvénile, qui a passé des années à attendre sa métamorphose. Car les poissons-clowns sont hermaphrodites. «La transformation du mâle en femelle reste peu courante, on remarque plutôt l’inverse dans la vie animale», éclaire Nicolas Salamin. Lorsque dame poisson-clown décède, son partenaire de toujours prend sa place et se métamorphose en reine. Son suivant, un juvénile, devient lui son mâle. «Il faut s’imaginer que ce sont des Dalton, simplifie Glenn Litsios. Ils sont disposés par taille et la hiérarchie est définie par l’ordre d’arrivée des résidents. Personne n’a besoin de se battre pour avoir sa place. Si la femelle trouve son mâle nul, elle le chasse et le juvénile qui le suivait prend alors le rôle de reproducteur.» Le bio-informaticien aime à noter que dans la réalité, en deux semaines, le papa de Nemo devient sa maman, «et on ne peut plus en faire un film. Ou ce serait quelque chose qui ne ressemble pas à un dessin animé pour enfants…» 

DES CULTIVATEURS MODÈLES FERMIER Une demoiselle (Plectroglyphidodon lacrymatus) nage au-dessus de son champ d’algues.

© Stephan Kerkhofs / Shutterstock

qui aide l’anémone à mieux s’oxygéner. «L’anémone respire par la peau, développe Glenn Litsios. Faire bouger ses tentacules favorise les échanges gazeux, ce qui augmente son métabolisme et lui permet de grandir significativement plus vite qu’une anémone sans poisson-clown.» De la sorte, le mutualisme va augmenter leur espérance de vie, jusqu’à 40 ans pour un poisson-clown et 100 ans pour une actiniaire! «Cette longévité est extraordinaire, souligne le professeur Nicolas Salamin. Dans l’océan, un animal de quelques centimètres vit deux ou trois ans au maximum et finit dans l’estomac d’un autre dans la majorité des cas. Quant à l’anémone de mer, qui croît très lentement, la présence de résidents lui permet d’atteindre jusqu’à 1 mètre de diamètre, ce qui est énorme. Quand elle meurt, tous meurent, car les poissons-clowns n’ont presque aucune chance de retrouver une autre anémone vide.»

Les chercheurs du DEE se sont d’abord arrêtés sur le comportement singulier de certaines demoiselles végétariennes. «Sur un petit territoire de 50 centimètres de diamètre, un couple de demoiselles cultive des algues spécifiques, nommées “Polysiphonia”, parce qu’elles se mâchent bien et sont facilement digestibles», explique Glenn Litsios, doctorant au DEE. En résumé, une sorte de couple à la Ingalls, comme dans La petite maison dans la prairie, découvre une grande plaine de plantes et décide de s’y installer. D’abord, il nettoie une parcelle, en prélevant la partie vivante du corail pour n’en garder que le squelette, qui va ainsi se faire coloniser par les algues. S’ensuit le désherbage, à la force de la mâchoire, pour éliminer les algues moins goûteuses et «promouvoir la pousse de celles que les poissons apprécient, souligne le biologiste. Comme ces demoiselles ne sont pas capables d’aller chercher des graines ou des souches, elles doivent attendre que ça pousse. Elles mangent leurs algues comme des salades à tondre, n’ingurgitent que le haut de la plante, qui va donc continuer à croître. Le poisson a une gestion de sa source qui lui permet d’avoir toujours de la nourriture en suffisance.» Le petit couple vivra toute son existence (jusqu’à 10 ans) sur le même terrain sablonneux. Et malgré une taille de 10 à 20 centimètres, ni Madame ni Monsieur Demoiselle ne laissera son champ chapardé par des intrus. En effet, très territoriaux, ces poissons n’hésitent pas à attaquer les autres herbivores qui auraient la mauvaise idée d’approcher leur plantation. «Très combatifs, ils se gonflent le plus possible pour avoir l’air gros et foncent sur des “grandes vaches du récif”, comme les poissons perroquets ou les chirurgiens qui font parfois quatre fois leur taille. Ces derniers préfèrent fuir que de se battre contre ces petits agressifs.» Toutefois, on notera que leur attachement à un seul lieu aide d’autres animaux à se défendre. «Ce sont des milieux très riches en crustacés et toutes sortes de micro-organismes, car ils vivent dans le jardin d’un végétarien. Et sont protégés de leurs prédateurs. Ces petites étendues d’algues augmentent la biodiversité du récif, car sans leur protection, un certain nombre d’animaux ne pourrait pas survivre.» Toutefois, le côté casanier des demoiselles fermières herbivores a ralenti leurs capacités à évoluer, contrairement aux planctivores.  VJ

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POLITIQUE

«LA DÉMOCRATIE EST TOUJOURS

RISQUEE ET CE RISQUE EST PERMANENT» Le citoyen a l’impression de voter de plus en plus souvent, et de se prononcer sur des questions de plus en plus difficiles. Sans parler des manipulateurs qui travaillent en coulisse. Faut-il pour autant limiter les droits populaires? Un expert de l’UNIL, Antoine Chollet, est certain que ce serait une erreur. PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL BEURET

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sera une année de votations populaires à polémiques. Après le psychodrame provoqué par l’initiative sur les minarets en 2009, les Suisses devront se prononcer sur une autre initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse»… Puis sur l’initiative dite Ecopop, visant à lutter contre la surpopulation, et, en fin d’année, sur l’extension de la libre circulation des personnes à la Croatie. Dans ce contexte délicat, des voix 46

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s’élèvent pour limiter les droits populaires. Maître assistant à l’Institut d’études politiques et internationales, Antoine Chollet défend, lui, radicalement le principe de la démocratie directe. D’où viennent les voix qui veulent limiter les droits populaires aujourd’hui? De droite comme de gauche. C’est la vieille idée antidémocratique selon laquelle le peuple n’est pas capable de traiter de tout, que ses compétences sont limitées. En


VOTE

Une démocratie directe peut se saborder elle-même. © Christian Schwier/Fotolia.com

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L’Institut d’études politiques et internationales www.unil.ch/iepi

POLITIQUE

Cet objet de vote a fait consensus dans tous les partis, hormis l’UDC, et représente une limitation assez claire des droits populaires. En Suisse allemande, plus attachée aux droits démocratiques, le même objet aurait eu du mal à passer. On a malgré tout l’impression que le peuple est convoqué toujours plus souvent aux urnes sur des objets complexes ou parfois simplistes. Est-ce bon pour la démocratie? Le nombre et le rythme des consultations est sinusoïdal. La tendance est à la hausse, c’est vrai, mais ne nous focalisons pas trop sur les chiffres. Dans les années 90, par exemple, les votes ont été statistiquement nombreux, mais certains objets ne faisaient pas débat. Toute une série d’objets portaient sur la révision de la vieille constitution. Au niveau fédéral, l’usage de la démocratie directe reste modéré en comparaison des cantons, voire de certains Etats américains comme la Californie, qui vote bien plus que la Suisse. Cela n’a rien d’inquiétant, au contraire. Je défends l’idée que c’est en votant que l’on apprend à voter. Plus on vote, mieux c’est.

conséquence, dans l’intérêt de tous, mieux vaudrait confier certaines questions politiques à une oligarchie compétente. Ce sentiment-là vient classiquement de la droite. Mais en Suisse, c’est plus compliqué. Tous les partis de droite défendent en principe la démocratie directe. Historiquement, tous ont d’ailleurs contribué à la construire. L’ancien PDC, les catholiques conservateurs, a le premier mis en avant l’initiative populaire et le référendum facultatif pour lutter contre les radicaux. L’UDC et les mouvements agrariens sont plutôt favorables eux aussi à la démocratie directe. Mais au sein de ces mêmes partis, des voix détonent. A gauche, ceux qui demandent des limites au suffrage populaire se fondent sur d’autres arguments, pour lutter notamment contre l’UDC dont les objets d’initiative peuvent contrevenir, disent-ils, aux droits fondamentaux. Ces voix-là, on les entend un peu chez les socialistes mais surtout chez les Verts.

ANTOINE CHOLLET Maître assistant à l’Institut d’études politiques et internationales. Nicole Chuard © UNIL

Quel impact ces opinions discordantes ont-elles sur la réalité? Difficile à mesurer car, pour l’instant, au niveau fédéral, les règles traditionnelles prévalent. Personne n’a réussi à faire passer l’idée, par exemple, d’un contrôle des initiatives par le Tribunal fédéral ou par une cour spéciale d’invalidation. Mais à l’échelon cantonal, Vaud a accepté un projet assez proche, permettant d’invalider certaines initiatives populaires, un contrôle a priori, c’est-àdire avant la récolte des signatures, par le Conseil d’Etat. 48

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N’y a-t-il pas une fatigue de l’électorat à la longue? Je ne le crois pas. Tout dépend de l’importance des questions posées. Dans le vote sur les minarets par exemple, le résultat m’a horrifié, mais qui peut nier que cette question a mobilisé les foules, y compris à l’étranger. La proposition avait donc un sens politique. Certaines initiatives sont formulées de manière un peu carrée, c’est vrai, mais avant son lancement, chaque initiative est scrutée par les juristes des partis ou des associations. Ailleurs dans le monde, les questions posées en référendum sont souvent beaucoup plus générales. Sur l’indépendance de l’Ecosse, l’an prochain, la question sera sans doute formulée ainsi – êtes-vous d’accord que l’Ecosse devienne un pays indépendant? – alors que les négociations d’indépendance n’ont même pas commencé. C’est un vote de principe. En Suisse, c’est le contraire. On négocie d’abord, par exemple, avec l’Union européenne, puis on soumet le texte au peuple. Depuis l’entrée de la Croatie dans l’UE, on ne va pas demander au peuple s’il est d’accord d’étendre les accords bilatéraux à ce pays, puis ensuite seulement, voir ce qu’on peut obtenir en négociant… Les accords bilatéraux justement, voilà un objet très complexe… C’est vrai, mais même les négociateurs suisses ne les maîtrisent pas dans leur ensemble. Je pense toutefois que ces objets peuvent toujours être ramenés dans les débats populaires à des questions de principe relativement simples. Ce qui intéresse le peuple, ce n’est pas d’ergoter sur chaque virgule des centaines de pages de ces accords, mais bien d’interroger notre relation à l’Europe


doit trancher en définitive, je reste sur ma position: c’est le peuple.

à travers des enjeux ciblés. Les syndicats, par exemple, restent attentifs à la libre circulation et à la chute des barrières douanières qui pourraient menacer les conditions de travail en Suisse.

Une démocratie directe peut-elle se saborder elle-  même? Oui, c’est possible. La démocratie athénienne, au Ve siècle av. J.-C., est morte d’une mauvaise décision populaire: l’ambition de construire un empire en Méditerranée et de lancer l’expédition de Sicile qui l’a ruinée. Et cette décision finale incombait à l’assemblée des citoyens. Rien ne garantit qu’une décision collective et démocratique sera la bonne. Lors de l’invasion de la Suisse par les armées révolutionnaires françaises, par exemple, les Ligues grisonnes, l’une des régions les plus démocratiques, sont persuadées qu’elles vont pouvoir arrêter l’envahisseur… et elles seront balayées… Jean-Jacques Rousseau, dans Le contrat social, écrit clairement que, dans ce système, les citoyens ont parfaitement le droit de mettre fin à leurs libertés. La démocratie est toujours risquée, et ce risque est permanent. Pour le prévenir, les limites juridiques n’ont aucun effet. Le seul principe efficace est celui de l’autolimitation, avancé par exemple par Cornelius Castoriadis (1922-1997). En clair, si une démocratie souveraine sait qu’elle peut tout faire, elle doit savoir aussi qu’elle ne doit pas tout faire. L’autolimitation est une idée très importante pour comprendre comment la démocratie doit s’arranger avec ses propres risques internes.

A vos yeux, il n’y a de vraie démocratie que directe? Clairement oui. La démocratie doit être directe. Sur le plan historique, on peut facilement montrer que les penseurs qui ont réfléchi à l’instauration d’un nouveau régime, à la fin du XVIe puis au XIXe siècle, ont privilégié un régime représentatif. Aux Etats-Unis, les Federalist Papers, le recueil d’articles pour promouvoir la constitution américaine, son système d’élection à étages et l’élection indirecte du président, obéit sans ambiguïté à une logique oligarchique, visant à confier le pouvoir à un nombre réduit de personnes. Donc, pour moi, parler de «démocratie représentative» est une sorte de paradoxe, une contradiction. Les Etats-Unis, de ce point de vue, ne sont pas une vraie démocratie? Non, pas davantage que les Etats européens. Ce ne sont pas des démocraties directes à l’image des anciennes cités grecques, des cités-Etats italiennes du Moyen Age ou des cantons suisses les plus démocratiques. Aux origines du mot, la démocratie doit être directe, et mettre en avant trois principes qui selon moi font système: la liberté individuelle et collective, l’égalité des citoyens – et si possible d’autres personnes que les citoyens comme les étrangers, les prisonniers, les enfants – et enfin, la souveraineté populaire. Ces trois piliers démocratiques vont ensemble et il ne faut pas chercher à les hiérarchiser. Il n’y a pas, comme le pensent les libéraux, une liberté individuelle qui primerait sur la souveraineté populaire. Pour autant, dans ce système, la majorité doit tenir compte des impératifs propres de la liberté et de l’égalité. D’accord, mais concrètement, ces principes s’opposent souvent. Comment résoudre cette difficulté? Il y a toujours des tensions entre ces principes, c’est évident, mais on ne peut pas les résoudre en mettant un principe en avant au détriment des autres. Aucun ne doit prévaloir sur l’autre, et les solutions sont pour l’essentiel pratiques et non théoriques. Les problèmes qui se posent ne peuvent être réglés qu’au cas par cas. Certains penseurs politiques ont voulu donner une priorité à l’égalité, d’autres, plus rares, à la souveraineté populaire, et cela peut déboucher sur l’oppression des minorités. Face à cette équation la théorie politique doit reconnaître ses limites. Prenons l’exemple du vote sur les minarets. Le débat, avant le vote, doit bien rappeler la liberté de religion et l’égalité entre les différentes communautés religieuses. Mais à la question de savoir qui

«RIEN NE GARANTIT QU’UNE DÉCISION COLLECTIVE ET DÉMOCRATIQUE SERA LA BONNE.» ANTOINE CHOLLET

Vous rappelez qu’une démocratie peut partir en guerre et parfois se saborder. Mais pour négocier la paix, pensez-vous qu’une démocratie directe soit le meilleur système, en 1945 par exemple? C’est une bonne question, mais convenons que les guerres du XXe siècle, en particulier les plus meurtrières, ont été menées dans des contextes non démocratiques et pour des intérêts non démocratiques, essentiellement économiques et militaires… … Mais il y a aussi les aspirations des peuples à disposer d’eux-mêmes. La Croatie en lutte d’indépendance avait bien des aspirations démocratiques au sein de la Fédération yougoslave… La Croatie peut-être, mais pas la Serbie de l’époque. Ce qui est compliqué dans les Balkans, de manière plus générale, c’est que les nationalités ne sont pas associées à des territoires délimités. Sur ce plan-là, c’est une des limites intéressantes de la démocratie. Si l’on comprend que la démocratie doit s’appuyer sur un peuple, elle doit toujours aussi être constituée territorialement. … Il s’agit donc d’une nation? C’est la grande question. Moi, je ne le pense pas. Il est possible d’avoir une forme politique sur un territoire qui ne soit pas une nation.

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POLITIQUE

INITIATIVE

Le comité d’Ecopop dépose les signatures recueillies pour son texte «Halte à la surpopulation», le 2 novembre 2012 à Berne. © Keystone / Marcel Bieri

Antoine Chollet

DÉFENDRE LA DÉMOCRATIE DIRECTE

Oui mais, à part la Suisse, est-ce possible ailleurs dans le monde ou à une autre époque? Il y a la cité d’Athènes, dans l’Antiquité, ou les petites Républiques d’Italie indépendantes au Moyen Age, qui arrivent avant la formation des nations. Il y a aussi l’exemple de la Commune de Paris… Sur quelques arguments antidémocratiques des élites suisses

Plus que jamais, l’actualité mondiale ou nationale met en question le pouvoir du peuple. Là il se révolte avec fracas. Ici on le voit voter contre les autorités en place. Pour les uns il reconquiert sa liberté. Pour les autres il est aveugle et crée le désordre. Voici donc un livre sur le pouvoir. Dans la tradition de Benjamin Constant ou d’Alexis de Tocqueville, Antoine Chollet confère du souffle à l’examen des fondamentaux. Comment comprendre et articuler la liberté, l’égalité, la responsabilité, l’opposition entre une élite dite éclairée et les masses. En Suisse, quels sont les atouts exceptionnels, les dérives ou les illusions de la démocratie directe? Mal comprise elle est souvent confondue avec les libertés communales du Moyen Age. Ou admise avec des réserves suspectes. L’auteur en appelle à plus de rigueur et, fort de ses convictions, conclut par des appréciations sévères sur la politique suisse. Il décèle dans ses élites des tendances clairement antidémocratiques. Et inversement, il expose les raisons d’une confiance renforcée en l’institution même de la démocratie directe.

… qui a duré deux mois… C’est vrai, mais on y a vu, comme dans certaines périodes de la Révolution française, des étrangers accueillis parce qu’ils se reconnaissaient dans les idéaux de la révolution. Une partie des dirigeants de la Commune de Paris étaient eux-mêmes des étrangers. Ce n’est donc pas inimaginable, mais ça pose toute une série de problèmes et renvoie à la question de la xénophobie, c’està-dire du repli sur soi pour donner un pouvoir très large à un corps de citoyens réduit.

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DÉFENDRE LA DÉMOCRATIE DIRECTE

COLLECTION

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Antoine Chollet

Presses polytechniques et universitaires romandes

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Un exemple? (Il rit). J’ai écrit un livre sur la Suisse à ce sujet.

DÉFENDRE LA DÉMOCRATIE DIRECTE Sur quelques arguments antidémocratiques des élites suisses

O P I N I O N

COLLECTION

P re s se s p o l y te c h n i q u e s e t u n iv er s it a i re s ro m a n d e s

DÉFENDRE LA DÉMOCRATIE DIRECTE. Par Antoine Chollet. Presses polytechniques et universitaires romandes, Le savoir suisse (2011), 117 p.

Vous défendez le populisme comme un principe  vertueux en démocratie. Mais la démagogie et le  populisme ne sont-ils pas une menace au contraire? Je distingue la démagogie du populisme. Le populisme, pour moi, s’oppose à l’élitisme. C’est un discours qui met 50

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en avant les intérêts du peuple, ce qui est donc à mes yeux une posture démocratique. La démagogie, elle, renvoie à l’attitude d’un tribun capable de manipuler le peuple et de lui faire prendre de mauvaises décisions. Imaginons, par exemple, un vote sur la peine de mort. Quelques semaines avant le vote, un meurtre terrible survient qui permettrait aux démagogues de profiter de l’émotion pour réintroduire la peine de mort. Il y a toujours un risque en démocratie. Mais la démocratie peut aussi se protéger par l’autolimitation. Les Grecs, dès le IVe siècle, avaient inventé un garde-fou appelé graphe– paranómo–n, une institution autorisant chaque citoyen à attaquer en illégalité une décision de l’Assemblée. On tirait ensuite au sort les noms de centaines d’autres citoyens pour reconsidérer la décision. Revoter, c’est ce que la Suisse devrait faire selon moi sur les minarets d’ici un an ou deux. Mais la meilleure parade à la démagogie, c’est encore l’éducation des citoyens. Je remarque qu’en Suisse, les prouesses rhétoriques ne sont pas vraiment valorisées. Et lorsque certaines propositions font surface, telle l’initiative de l’USS pour augmenter de 10% les rentes AVS, les citoyens posent les bonnes questions dès la récolte des signatures: comment allez-vous financer cela? Les gens ne craignent pas d’aborder la question, car, à force de voter, ils connaissent le sujet et ses écueils. 


RÉFLEXION

CONGÉ SABBATIQUE, UNE RESPIRATION NÉCESSAIRE BORIS VEJDOVSKY

Maître d’enseignement et de recherche en Section d’anglais de la Faculté des lettres

C

onversation entendue (ou peut-être vécue?): «Ah, tu enseignes à l’université? Et tu fais quoi le reste du temps?» A vrai dire, un enseignant-chercheur travaille tout le temps. Comme la plupart des gens aujourd’hui. La vie ne s’arrête plus, pas plus que ne s’arrête le débat que suscitent les possibles interruptions: faut-il consulter son courrier électronique en tous temps, les magasins doivent-ils être ouverts la nuit, le dimanche, les écoliers doivent-ils remplir des cahiers de vacances? Dans ce contexte, qu’en est-il des congés sabbatiques, accessibles tous les huit ans à l’UNIL, sur la base d’une demande motivée par la mise à jour des connaissances de l’enseignant, le développement de ses recherches et l’entretien de son réseau scientifique? Les Anciens qui croyaient à une osmose entre les forces telluriques et humaines proposaient que les hommes, comme la terre, se reposent périodiquement. On laissait l’individu «en jachère» pendant un an pour qu’il se régénère, s’enrichisse à nouveau de ce que son activité lui avait retiré, reconstitue ses réserves. Ce qui était bon pour la terre nourricière devait l’être pour les hommes qui la travaillaient. Notre sens économique a changé. On cherche à nous convaincre que le temps perdu ne

À VRAI DIRE, UN ENSEIGNANTCHERCHEUR TRAVAILLE TOUT LE TEMPS. COMME LA PLUPART DES GENS AUJOURD’HUI.

se rattrape jamais et que qui veut gagner plus doit travailler plus. S’arrêter, prendre des chemins de traverse, c’est perdre son temps. Pourtant les agronomes vous expliqueront que la terre en jachère ne fait pas rien. Les physiologistes vous diront que nous passons un tiers de notre vie à dormir, ce qui ne signifie pas que nous ne faisons rien de tout ce temps-là. Le sommeil et le rêve, jachère de nos vies, nous construisent: ils fertilisent nos pensées dont plus tard, si le grain ne meurt, nous récolterons les fruits. Les congés sabbatiques sont les nécessaires parenthèses où enseignants et chercheurs s’éloignent de l’impératif quotidien du rendement et de la production pour préparer, ni tout à fait activement ni passivement, le travail de demain. Au moment de publier tels travaux, tel livre ou article, de donner tel cours, qui se souvient de ce temps apparemment perdu? On se rappellera la frénésie de l’écriture et les longues heures au laboratoire, mais qui saura encore d’où est venu le germe mystérieux du début? Il ne s’agit pas de décrier la volonté de travail et l’éthique de la belle ouvrage; dans un monde tourné vers la productivité et la performance, il faut seulement se souvenir que ni l’une ni l’autre ne saurait exister sans cette cogitation où tant de choses se passent. L’uni-

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versité a besoin de travailleurs assidus et de désir de réussite, mais elle a aussi besoin que cette énergie puisse se renouveler pour ne pas tourner sur elle-même et produire des résultats rabougris par la répétition et l’épuisement. Les congés sont indispensables pour écrire des articles scientifiques et des livres, se former sur des techniques particulières, mais aussi pour mettre à jour les cours en fonction des développements de la recherche et de leur évaluation: une remise à plat impossible dans le courant de l’année. Le congé scientifique répond à cette exigence de respiration nécessaire aux enseignants et chercheurs pour préparer la suite de leurs travaux et la continuité de l’institution. A la différence du moment de la production, celui de la jachère demande de la confiance: on ne peut en mesurer immédiatement le résultat et être sûr de ce qui se passe dans la chimie de notre sol; mais on peut réunir toutes les conditions pour que le résultat arrive. Cette confiance est nécessaire à la personne qui donne ainsi du temps au temps, mais aussi à l’institution qui lui permet de prendre ce temps. Dans une université où le savoir vivant est de plus en plus protéiforme et imprévu, il faut tenter le chemin de traverse, ce chemin détourné, cette «perte de temps» où l’université a tout à gagner. 

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LITTÉRATURE

C.F. RAMUZ AUTREMENT Pour fêter la fin de la publication des Œuvres complètes de Ramuz, Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann signent un magnifique album de photos, en grande partie inédites, de l’écrivain. Une façon aussi heureuse que pertinente d’écailler un peu l’image sévère et monolithique qui s’est imposée dans l’espace public. TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER

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INSOLITE

Michel Simon et C. F. Ramuz, vers 1935. L’écrivain tient Zaza, le singe de l’acteur. © Toutes les images sont tirées de «Vies de C. F. Ramuz», publié chez Slatkine

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Le Centre de recherches sur les lettres romandes www.unil.ch/crlr

LITTÉRATURE

«I

l n’y a pas de révélation tonitruante, ce n’était du reste pas notre but. Mais ce livre nuance, humanise. Il permet de voir de manière plus précise quel grand effort Ramuz a fait toute sa vie pour se bâtir tel qu’il est devenu», tient à préciser d’emblée le professeur Daniel Maggetti, coauteur avec le responsable de recherche Stéphane Pétermann, du bel ouvrage illustré Vies de C. F. Ramuz, contenant des dizaines de photos inédites du grand écrivain, ainsi que de riches témoignages de son travail. Là est bien le cœur de cet ouvrage, superbe par ailleurs dans sa forme et sa plastique. La confrontation entre l’iconographie classique de Ramuz (à la posture rigide, austère, et au regard perçant) et ces nouvelles images (souvent prises de manière spontanée, dans le cadre familial ou du moins privé, c’est-à-dire sans que l’intéressé en soit conscient) dévoile avec force ce travail de mise en scène constant. «Ramuz prend volontiers la pose», poursuit Daniel Maggetti, directeur du Centre de recherches sur les lettres romandes. «Il est très conscient de son image, qu’il a construite, façonnée. Il a tellement bien réussi que celleci a fini par faire corps avec la manière dont on l’a perçu.» Et d’émettre que ce phénomène explique notamment pourquoi, dans la génération qui l’a suivi, il y a eu tant de réticences face à cette figure: «Ramuz était un auteur admiré, mais aussi écrasant. Pour faire simple: on n’éprouvait pas vraiment de sympathie à son égard…» Ramuz l’écrivain un brin hautain a ainsi évincé Charles Ferdinand, «l’étudiant lausannois qui a suivi une éduca54

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L’ÉCRIVAIN

A la table de travail de La Muette, à Pully, en 1943. Photographie de Jean-Pierre Grisel. © Ringier

LE GRAND-PÈRE

C. F. Ramuz dans le jardin de La Muette avec son petit-fils Guido Olivieri, dit «Monsieur Paul», en 1943. Photographie d’Henry-Louis Mermod.

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tion religieuse et fait des études de Lettres, le fils d’épicier qui s’est marié sur le tard, dont le frère, la sœur, et jusqu’à la femme et l’enfant, sont à peine mentionnés dans une production pourtant foisonnante, et dont la part autobiographique est loin d’être insignifiante», écrivent les auteurs. Le discours et l’imagerie officiels ignorent la présence d’une «mère prévenante», «l’attachement d’une petite sœur choyée», «l’épouse attentive aux soucis domestiques», la «fille qui est une perpétuelle source d’inquiétudes», le «petit-fils qui émerveille son grand-père». Qui savait que C. F. Ramuz tenait les comptes du ménage et rédigeait lui-même les avis pour trouver du personnel de maison? Qui s’imagine l’homme exprimant sans détour sa tendresse aux siens? En découvrant, au travers de ces photographies, ces nouvelles facettes pleines d’humanité, on s’interroge: se serait-on trompé sur sa personne? «On ne peut pas l’affirmer», répond Stéphane Pétermann, «mais certains aspects ont été passés sous silence. Volontairement ou pas, d’ailleurs.» Le spécialiste veut préciser d’abord que la recherche, dans les années 50-60, ne prenait pas les mêmes voies que maintenant. On ne s’intéressait que peu à la perspective sociohistorique, de même qu’il faudra attendre les années 70-80 pour que certaines interprétations psychologiques soient avancées. Si l’imagerie de l’artiste solitaire dévoué à son œuvre est fidèle à la biographie, on a préféré en rester là, en se contentant de la représentation de l’écrivain génial, enfermé dans son monde et qui doit tout à son formidable


Stéphane Pétermann. «C’était une époque où on ne parlait pas beaucoup d’argent, il y avait une pudeur par rapport aux réalités matérielles et financières. Mais pour reprendre la terminologie actuelle: oui, Ramuz savait “placer ses produits”…» Dans l’histoire littéraire, d’alors et de maintenant, nous précise-t-il, Ramuz est d’ailleurs, sur ce plan, un cas de figure assez unique: il ne vit que de sa plume d’écrivain, sans se charger de travaux alimentaires, comme des articles ou des traductions. Dans les années 20, alors qu’il se retrouve sans débouchés, Ramuz décide carrément de s’autoéditer; il fait tout lui-même, s’occupe de trouver une imprimerie, œuvre au travail de promotion et assure directement l’envoi et le placement de ses textes dans des revues. Il n’avait pas le choix. «Il y avait là des enjeux immédiats très importants, expose le chercheur. A partir du moment où Ramuz a choisi de vivre de sa plume, il lui fallait constamment trouver de nouvelles sources de revenu pour assumer ses responsabilités. Avec l’âge, la guerre et la maladie, cela deviendra même un vrai souci, voire une obsession.» Et puis d’oser: «Pour lui, c’était aussi une affaire d’orgueil: il était hors de question de faire autre chose que d’écrire!»

talent. La réalité est évidemment plus complexe. Mais voilà, après sa mort, Ramuz était également devenu un objet de célébration. Il s’agissait de rendre hommage à cet artiste exceptionnel, d’en tirer aussi une véritable fierté patriotique. «Et montrer que c’était un génie impliquait qu’on ignore un certain nombre de choses», poursuit le responsable de recherche. «Comme on souhaitait établir qu’il s’était créé tout seul, s’était fait “contre”, “en dépit” de son milieu, il ne fallait surtout pas s’intéresser à ce dernier, ni s’intéresser à ses relations.» Un homme d’affaires L’album n’entend pas pour autant minimiser l’idée de l’investissement quasi absolu de l’auteur dans son art. «Quand on regarde les manuscrits (beaucoup sont ceux qui sont montrés dans l’ouvrage, ndlr), on perçoit la puissance et la constance du travail de l’auteur», relève, admiratif, Daniel Maggetti. Les documents trouvés dans les archives rompent néanmoins avec la mythologie de l’artiste inspiré qui néglige tout le reste, et surtout les côtés pratiques. «Ramuz, c’était aussi un homme d’affaires», pose le spécialiste. «Il est très habile, il sait fort bien négocier ses contrats, il a des stratégies éditoriales parfaitement en place, il est excellent dans le domaine de la publicité aussi. C’est un professionnel, et en tant que vrai professionnel, il a appris de l’intérieur tous les rouages de l’édition, au-delà de la seule création.» Peut-on dire alors que Ramuz gérait une véritable entreprise? «Oui, mais il ne tenait pas à ce que cela se perçoive publiquement», énonce

L’HOMME MALADE C. F. Ramuz à l’auberge des Grands-Bois à Buchillon, en 1946. Photographie d’Henry-Louis Mermod.

À LIRE VIES DE C. F. RAMUZ. Par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann. Slatkine (2013), 191 p.

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Un éternel angoissé Daniel Maggetti tient à relativiser les soucis financiers de l’écrivain. «Ramuz était angoissé, il avait toujours peur de manquer, mais il n’a jamais été pauvre, contrairement à ce que veut une certaine mythologie. Il n’était pas riche, mais a toujours pu vivre confortablement une “bonne vie bourgeoise”. S’il a toujours réellement eu peur de manquer, c’était essentiellement dû à son caractère.» Stéphane Pétermann revient sur la construction de ce moi social. Si Ramuz a mis tant d’effort dans la fabrication d’une image publique aussi travaillée qu’épurée, ce n’est pas tant par un obscur ou mauvais désir de séduction que par «souci de bien faire»: «Il ne voulait donner que le meilleur de lui-même», estime le spécialiste. «Ramuz est un éternel angoissé», renchérit Daniel Maggetti. «Sa volonté de maîtrise révèle une faille profonde. C’est un inquiet qui trouve dans cette structure – on le voit aussi dans son travail – une forme de sécurité. Il aime ce côté très ordonné, avoir un cadre clair dans lequel il peut se tenir et entièrement se projeter.» A ce cadre, Ramuz se tiendra très longtemps. Jusqu’à ce que l’âge, la maladie, sa condition humaine, d’homme fait de sang et de chair – tout ce qu’il avait voulu fuir – le rattrapent. «A ce moment-là, Ramuz a l’impression que tout s’effondre», souligne Daniel Maggetti, avant d’évoquer l’épisode d’un de ses premiers ennuis de santé: Ramuz tombe dans le jardin, et son premier réflexe est de ne surtout pas appeler à l’aide, de se relever au plus vite et d’aller se cacher dans sa maison. L’idée qu’on puisse le voir perdre la maîtrise de lui-même lui était tout simplement N° 55

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LITTÉRATURE

insupportable. «Un épisode très révélateur», pour le professeur, et qui «témoigne d’un souci constant». On n’a souvent pas vu, ou pas voulu voir, cet aspect de l’écrivain vaudois: Ramuz est un homme fondamentalement pessimiste, hanté par le tragique de nos conditions humaines. «Dans la production de Ramuz, on a privilégié la part de célébration», relève Daniel Maggetti. Les grands textes rendant hommage à la nature, au vignoble, à la beauté de la création. «Ramuz avait très bien com-

STÉPHANE PÉTERMANN ET DANIEL MAGGETTI

Responsable de recherche et directeur au Centre de recherches sur les lettres romandes. Nicole Chuard © UNIL

pris que l’imagerie paysanne était plus appréciée, qu’elle lui assurait le succès», relate Daniel Maggetti. «Il écrivait d’ailleurs de tels romans plutôt rapidement et sans peine. Mais quand il veut dire des choses plus douloureuses, c’est autrement ardu. Il peut travailler sur un manuscrit pendant plus de vingt-cinq ans (par exemple pour Posés les uns à côté des autres, ndlr)! Et ses vraies préoccupations sont là, dans des questionnements de nature plutôt philosophique, mais incompatibles avec le roman à succès.» «Cela apparaît de manière bien plus prégnante encore dans les inédits, enchaîne Stéphane Pétermann, qui dévoilent une vision extrêmement noire de l’existence, voire un pessimisme absolu.» Pour le chercheur, là réside d’ailleurs certainement la raison qui a poussé Ramuz à ne pas publier ces textes de son vivant… Volontés posthumes A cet instant, on ne peut que se demander ce que lui, Ramuz, aussi pudique que rigide dans le contrôle de son image, aurait pensé de cette publication. Mais également de celle des inédits repris dans les Œuvres complètes. Les auteurs avancent un constat… difficilement contestable: «Il a tout gardé.» Si l’idée communément admise est que l’écrivain passait beaucoup de temps à brûler ses manuscrits, il n’en est rien. «Les seules choses qu’il a mises au feu sont les lettres entre lui et sa mère, dont une dizaine ont été conservées», précise Stéphane Pétermann. Mais ne dit-il pas dans son Journal qu’il brûle des papiers avec une réelle jubilation? S’il l’a fait, cela n’a touché que des projets tout juste amorcés: «Dès qu’un projet avait réellement démarré, assure le chercheur, Ramuz gardait toutes ses ébauches soigneusement. Il a d’ailleurs pu en recycler certaines à plus de trente ans de distance…» Daniel Maggetti l’admet, «Ramuz n’a laissé aucune indication à ce sujet», mais dans cet archivage si complet et organisé, le professeur ne peut voir qu’«un geste significatif en soi», à savoir l’expression d’une volonté que ces écrits demeurent et survivent à leur auteur. En tous les cas, pour Stéphane Pétermann, l’homme «ne pouvait ignorer que cette masse d’archives serait découverte, lue et mise en valeur, d’une manière ou d’une autre». Le parti pris des auteurs, celui de donner à voir l’écrivain, en renouvelant l’iconographie classique ou plutôt en la confrontant avec de nouveaux documents, apparaît une bien belle manière de réinterroger une figure trop longtemps figée par les clichés et les stéréotypes. Cet album offre surtout la possibilité à tout un chacun de se forger sa propre compréhension du personnage – au-delà des limites du langage, et par le seul regard. Une impression de l’ordre de l’intime et de la sensation, comme une vraie rencontre.  Réalisé par Nicole Chuard, un reportage photo à La Muette (Pully) à découvrir sur www.unil.ch/allezsavoir et sa version iPad.

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À LA RECHERCHE DU MANUSCRIT PERDU Le manuscrit de « Terre du ciel » est resté longtemps introuvable. Au terme d’une enquête rocambolesque qui a mêlé hasard, diplomatie et persévérance, l’objet a refait surface. Récit.

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dans l’arrière-fond une sorte de table ronde d’écrivains. «Mais ça pouvait être n’importe où!» Ni une ni deux, Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann se lancent à la recherche de cette énigmatique manifestation. De fil en aiguille, ils retrouvent trace, à la bibliothèque de Berne, d’une manifestation qui a eu lieu dans les années 70 – un symposium organisé par la Société des Ecrivains suisses – où quelques manuscrits de Ramuz avaient été montrés pendant quelques jours. Les chercheurs poursuivent leur enquête à la Bibliothèque de Zurich, ils y trouvent enfin des indications sur l’organisation de cette manifestation, et plus particulièrement sur qui en étaient les responsables. Retour à

Berne, dans les archives de ces écrivains mêmes, qu’ils épluchent dans tous les sens. Et enfin, l’information primordiale: le manuscrit, à ce moment-là, avait bien été prêté par la famille du collectionneur… Coup de fil sur coup de fil, Daniel Maggetti insiste auprès des différents descendants. «Regardez, regardez encore s’il vous plaît.» Après plusieurs mois de persévérance, le manuscrit est enfin retrouvé… exactement là où on l’avait cherché en première instance. «Tout est bien qui finit bien», conclut sereinement le chercheur, convaincu de la bonne foi de ces personnes, «et qui ne savent pas toujours ce qui se cache dans leurs archives personnelles»…  ASS

«TERRE DU CIEL»

Un extrait du dactylogramme corrigé, qui permet de voir le travail de l’auteur (1921). Le manuscrit de ce texte a longtemps manqué à l’appel.

© iStockphoto.com

l arrive parfois que la recherche, dans le domaine littéraire, prenne des allures d’histoire policière, aussi cocasse que mouvementée. Ainsi de la quête, ou plutôt de l’enquête, faite par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann pour retrouver le manuscrit de Terre du ciel – le seul qui manquait à l’appel parmi les grands textes de Ramuz. La dernière indication concernant ce manuscrit était qu’il avait été donné par Ramuz à un collectionneur, dans les années 20. Une lettre, signée de la main de Ramuz, stipulait qu’il allait encore faire relier le document avant de le lui remettre. Mais voilà, au moment des travaux pour l’édition des romans dans la collection de la Pléiade, impossible de localiser l’objet. «La famille du collectionneur ne le trouvait pas dans ses papiers», raconte Daniel Maggetti. Du coup, dans l’édition de la Pléiade, le manuscrit est signalé comme non retrouvé… Quelques années plus tard, une nouvelle trace du manuscrit apparaît cependant de manière tout à fait impromptue. En déménageant leurs locaux sis au chemin des Cèdres, les chercheurs trouvent une boîte contenant de vieilles cassettes vidéo. «Elles faisaient partie de ces cartons qu’amènent parfois des collectionneurs lambda au Centre de recherches sur les lettres romandes», explique Daniel Maggetti. En visionnant les cassettes, stupeur. Sur l’une d’elles, gros plan sur la première page du manuscrit de Terre du ciel. Le film est muet, aucun commentaire ni son liés au contexte. Tout au plus les chercheurs discernent-ils

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RENDEZ-VOUS

Toute l’actualité des événements, conférences, colloques, soutenances de thèses ou congrès organisés à l’Université de Lausanne se trouve sur www.unil.ch, rubrique mémento.

Dès octobre

Une sélection de rencontres avec les enseignants et les chercheurs de l’UNIL et du CHUV, dans le canton de Vaud. Toutes les conférences ont lieu à 14h30. www.unil.ch/connaissance3 021 311 46 87 Ma 8 octobre, Echallens Nos ancêtres les Celtes du Mormont. Par Gilbert Kaenel, directeur du Musée cantonal d’archéologie, Lausanne

Des sculpteurs, plasticiens et land artists exposent leurs œuvres en plein air sur le campus de Dorigny. Fruit d’un partenariat avec la Fondation Casimir Reymond, la Triennale permet aux artistes d’investir le campus (lire également en p.12). UNIL. De l’Anthropole à l’Amphimax. Accessible en permanence. www.unil.ch/triennale

LES «HUMANITÉS DÉLIVRÉES»

Lu 9 décembre, La Tour-de-Peilz La religion se transmet-elle? Par Roland Campiche, professeur honoraire de sociologie religieuse

© DR

Lu 25 novembre, La Tour-de-Peilz Les institutions financières: des bombes à retardement? Par Michael Rockinger, professeur à la Faculté des HEC

Je 5 décembre, Leysin Bactéries multirésistantes aux antibiotiques, un défi pour les réseaux de soins. Par Christiane Petignat, médecin associée, CHUV

Sur le thème de l’eau et de la durabilité, une nouvelle série de promenades et de conférences sur le campus de Dorigny. 3 octobre: Pierre Corajoud. 17 octobre: Nathalie Chèvre. 29 octobre: Emmanuel Reynard. 19 novembre: François-Xavier Merrien. 3 décembre: Jean-François Rubin. De 12h15 à 13h. UNIL-Sorge. Amphipôle. Anthropos Café. www.unil.ch/durable Mardi 1er et mercredi 2 octobre

Me 20 novembre, Payerne Donner de la vie aux années ou comment vieillir en bonne santé? Par Roger Darioli, professeur honoraire de médecine (lire également en p. 16)

Lu 2 décembre, La Tour-de-Peilz Les parcours de vie ont-ils un sexe? René Lévy, professeur honoraire de sociologie

ESCALE DURABLE

Vendredi 4 octobre

INTRODUCTION À LA BD

Le premier atelier du Centre d’études médiévales et post-médiévales, avec Alain Corbellari, Cuno Affolter et Alexander Schwarz. L’après-midi, balade Corto Maltese: Lutry–Savuit– Grandvaux (avec la collaboration de Martine Ostorero). UNIL-Mouline. Château de Dorigny, salle 106. Dès 9h30. S’inscrire auprès de Claire-Marie. Schertz@unil.ch www.unil.ch/cem

L’usage de nouvelles technologies bouleverse les humanités. Un colloque et une table ronde, organisés par le Laboratoire de cultures et humanités digitales de l’UNIL et le Digital Humanities Laboratory de l’EPFL. UNIL-Sorge. Amphimax 414. Dès 9h. www.unil.ch/ladhul

Céline Chevalley © UNIL

TRIENNALE UNIL

CONNAISSANCE 3

Du 3 octobre au 20 décembre

IF NOT YET DONE (PHASE 2)

Vincent Kohler et Davide Cascio ont créé une quinzaine de sculptures, se limitant au nombre de six matériaux et de six formes qu’ils ont assemblés selon les lois du hasard. UNIL-Dorigny. Anthropole, le Cabanon (en face de l’auditoire 1129). Lu-ve 8h-19h, sa 10h-17h. www.lecabanon-unil.ch

Du mardi 15 au jeudi 17 octobre

POINT. VIRGULE,

Préambule de la saison professionnelle, ce mini-festival estudiantin propose de (re)découvrir quelquesuns des meilleurs projets du Festival Fécule 2013 ou un projet «coup de cœur» invité de l’étranger. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. www.grangededorigny.ch 021 692 21 12

© Vincent Kohler et Davide Cascio

Dès octobre

Octobre à janvier

Lu 9 décembre, Yverdon-les-Bains Donner de la vie aux années et comment vieillir en bonne santé? Par Roger Darioli, professeur honoraire de médecine Lu 16 décembre, La Tour-de-Peilz Blaise Cendrars: une vie construite comme un livre. Par Sylvestre Pidoux, doctorant Lu 13 janvier, Le Sentier Les médecines complémentaires. Par Pierre-Yves Rodondi, médecin au CHUV Ve 24 janvier, Aigle Révolution vaudoise… et trous de mémoire. Par Danièle Tosato-Rigo, professeure d’histoire

Jusqu’au 2 mars 2014

STALKER — EXPÉRIMENTER LA ZONE

Lu 27 janvier, Lausanne La culture des catastrophes dans la littérature suisse. Par Peter Utz, professeur de littérature allemande

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Allez savoir !

N° 55

© Mosfilm

Lu 27 janvier, La Tour-de-Peilz L’Asie mineure des sept églises de l’Apocalypse. Par Michel Fuchs, professeur d’archéologie

Rashid Safiullin, scénographe de Stalker, transforme un étage de la Maison d’Ailleurs en une Zone fascinante. Yverdon-les-Bains. Maison d’Ailleurs. Ma-ve 14h-18h, sa-di 11h-18h. www.ailleurs.ch. 024 425 64 38

Septembre 2013

UNIL | Université de Lausanne


Jusqu’au 12 janvier 2014

Mercredi 23 octobre

BÊTES EN STOCK

Une salle d’exposition se transforme en faux dépôt, pour faire découvrir ce que deviennent les collections léguées au musée et comment elles sont conservées. Une collection de milliers de micromammifères légués par l’UNIL est notamment présentée. Lausanne. Palais de Rumine. Musée de zoologie. Ma-je 11h18h, ve-di 11h-17h www.musees.vd.ch/musee-de-zoologie 021 316 34 60

Du 25 octobre au 2 novembre

COLÈRE ET DÉSIR

Quel est le lien entre colère et désir? Quel est leur rôle dans nos vies? Comment se rattachent-ils à la philosophie? Et à l’art? L’association Les Maîtres de la Caverne propose des banquets à thème, ouverts à tous. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny (foyer). Banquets suivants: 20 novembre, 18 décembre. www.asso-unil.ch/caverne

LA RONDE

Dix couples s’affrontent dans dix décors différents, sur le thème de la séduction et du désir. Arthur Schnitzler embarque le spectateur dans un théâtre de boulevard un peu fou. Par l’Helvetic Shakespeare Cie. Mise en scène Valentin Rossier. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. Ma-jesa 19h, me-ve 20h30, di 17h. www. grangededorigny.ch 021 692 21 12 © Marc Vanappelghem

Jeudi 31 octobre

SOIRÉE DES ALUMNI

© Michel Krafft / Musée de zoologie

Diplômés et enseignants de l’UNIL sont invités à se retrouver lors de la soirée annuelle des alumni. Au programme: visite du nouveau bâtiment Géopolis et du Centre de compétence en analyse de surface des matériaux, puis un repas convivial. UNIL-Géopolis. Dès 18h30. www.unil.ch/alumnil/ soiree-annuelle-des-alumni-2013. alumnil@unil.ch 021 692 20 88

Du 7 au 9 novembre

Jeudi 14 novembre

LE 6 JOUR

À L’HÔTEL DES ROUTES

La réception d’un hôtel, une porte à tambour qui tournoie, des employés en retard… Par le Théâtre de l’Esquisse, qui travaille avec des comédiens romands semi-professionnels en situation de handicap mental. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. Ma-je-sa 19h, me-ve 20h30, di 17h. www.grangededorigny.ch 021 692 21 12

Jeudi 28 novembre

«WHY SO SLOW?»

Virginia Valian, du Département de psychologie du Hunter College de New York, donnera une conférence en anglais sur l’absence des femmes aux postes de pouvoir et de prestige. Cet exposé s’inscrit dans le cadre d’un événement de trois jours consacré aux questions de genre dans les universités. UNIL-Mouline. IDHEAP. 17h15-19h. www.lives-nccr.ch

Samedi 7 décembre

Vendredi 29 novembre

L’INVENTION DE L’HEROÏC FANTASY

Le deuxième atelier du Centre d’études médiévales et postmédiévales, avec Denis Renevey, Mary Flannery, Leonid Heller et Lays Farra. UNIL-Sorge. Château de Dorigny, salle 106. Dès 9h30. S’inscrire auprès de Claire-Marie.Schertz@ unil.ch www.unil.ch/cem

LA MOUETTE

Plusieurs compagnies neuchâteloises se sont réunies avec Jean-Michel Potiron pour monter La Mouette, dont les personnages se posent la question de la réalisation de soi, du vivre intensément, aujourd’hui. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. Ma-je-sa 19h, me-ve 20h30, di 17h. www.grangededorigny.ch 021 692 21 12 En permanence

MARCHÉ

Pain, légumes, fruits, fromages: des produits frais proposés deux fois par semaine sur le campus de Dorigny, par des marchands de la région. UNIL-Dorigny. Devant l’Amphipôle, le mardi de 9h à 14h. Devant l’Internef, le jeudi de 9h à 14h. www.unil.ch/marche

Du 12 au 15 décembre

IMPROVISATION THÉÂTRALE

© DR

JOURNÉE HENRI ROORDA

Professeur de mathématiques au Gymnase de la Cité, Henri Roorda était aussi un humoriste caustique. Lectures, table ronde, exposition. Avec Daniel Maggetti, Anne-Lise Delacrétaz et Catherine Kunz, Gilles Losseroy… Spectacles les 7 et 8 décembre. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. www.grangededorigny.ch 021 692 21 12

Les textes présentés lors de la conférence de Vincent Capt et Florence Choquard ont été, pour la plupart, produits par des personnes internées en asile psychiatrique. En collaboration avec la Collection de l’Art Brut. Lausanne. Palais de Rumine (salle du Sénat), 19h. www.unil.ch/bcu 021 316 78 63

Stages débutants et avancés la journée, et le soir, performances improvisées du PIP (Pool d’Impro du Poly), de la Compagnie Slalom et de la Comédie musicale improvisée. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. www.grangededorigny.ch 021 692 21 12

Allez savoir !

N° 55

Septembre 2013

© DR

Du 28 au 30 novembre

© Christophe Raynaud de Lage

Dans le 6e jour, Arletti est seule en scène, elle vole le cartable d’un conférencier endormi, et entre dans la salle à sa place. De François Cervantes et Catherine Germain, par la Cie L’entreprise. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. Ma-je-sa 19h, me-ve 20h30, di 17 h. www.grangededorigny.ch 021 692 21 12

Du 14 au 16 novembre

LES ÉCRITS BRUTS

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Détails et inscriptions : www.formation-continue-unil-epfl.ch 021 693 71 20

FORMATION CONTINUE

SANTÉ, ENVIRONNEMENT ET ÉTHIQUE Comment l’éthique peut-elle aider à la prise de décision, lorsque des conflits de valeurs ou d’intérêts surgissent? Un nouveau cursus interdisciplinaire fournit le cadre nécessaire à la résolution de ces questions.

L

es seize jours de formation du Certificate of Advanced Studies (CAS) «Santé, environnement et éthique» permettent de plonger au cœur de la complexité du monde. Les progrès technologiques, les contraintes légales, l’économie et la globalisation influencent la santé et l’environnement (naturel et social) de manière profonde et parfois contradictoire. Dans un cadre professionnel, comment prendre du recul et adopter un regard critique, quand il s’agit de rendre des décisions qui touchent ces domaines? Professeur à la Faculté de biologie et de médecine (FBM), directeur de la plateforme Ethos et codirecteur du programme, Lazare Benaroyo donne l’exemple des «oméga-3», ces acides gras dont l’effet est positif sur l’organisme. Toutefois, «leur 60

Allez savoir !

N° 55

Septembre 2013

COMITÉ SCIENTIFIQUE

Claude Voelin, Nadja Eggert, Lazare Benaroyo et Gérald Hess. Ces chercheurs font partie de l’équipe qui a préparé le CAS «Santé, environnement et éthique». Nicole Chuard © UNIL

UNIL | Université de Lausanne

production implique l’élevage de saumons, ce qui est problématique pour l’environnement». Gérald Hess, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des géosciences et de l’environnement (GSE), cite les soucis que les substances médicamenteuses génèrent au niveau du traitement des eaux usées. Ces cas possèdent un point commun: un manque de croisement des intérêts, une perte de la vue d’ensemble. C’est pour y remédier que la formation proposée, qui s’affirme comme très interdisciplinaire, fait intervenir des spécialistes de différents domaines. Ceux-ci proviennent aussi bien du monde académique que du monde extra-académique (société civile, politique, administrations fédérales, comité d’experts). Un mélange que l’on retrouve chez les parti-


cipants: le CAS s’adresse par exemple à des personnes qui pratiquent au niveau décisionnel dans des ONG, des administrations publiques, les secteurs de la santé et du social ou encore exercent un mandat politique. Le premier des six modules consiste en une introduction à l’éthique. «Il s’agit d’une mise à niveau destinée à donner un bagage théorique et un vocabulaire communs», explique Nadja Eggert, chargée de recherche à Ethos. Et à dissiper quelques malentendus: «L’éthique n’est pas une “science” qui permet de dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire, mais un “art” de questionner et d’interroger qui permet de mettre en lumière les principaux enjeux soulevés par une option décisionnelle, en vue d’assurer une prise de décision responsable», note Lazare Benaroyo. Pour les quatre modules suivants, le CAS se divise en deux filières au choix: «Santé» ou «Environnement». Il adopte aussi une structure matricielle. Chaque groupe de cours est en effet placée sous un grand thème: «Cadres légaux et leurs limites», «La technologie et ses multiples enjeux», «Les enjeux de la globalisation» et enfin «La perspective économique». Après avoir travaillé en parallèle sur leur terrain de prédilection, les participants des deux filières se retrouvent lors de journées interdisciplinaires qui ponctuent chacun des quatre modules centraux. Le but? Echanger leurs points de vue autour d’études de cas, de manière encadrée. Si l’on se plonge dans le détail des modules, on constate que les questions de société jaillissent de toutes parts. Dans le cas de la globalisation appliquée à la santé, Claude Voelin, professeur honoraire et membre du Conseil d’Ethos, donne l’exemple des résidents d’EMS, qui, bien que nés à l’étranger, vieillissent en Suisse. Ce qui n’est pas pareil dans leurs pays d’origine: une réalité que doivent gérer les équipes soignantes, souvent elles-mêmes très multiculturelles. Autre cas: dans la filière «Environnement», le module consacré à la technologie permet de thématiser «l’économie verte» ou le «principe de précaution». Ainsi, les aspects polémiques ne sont pas évités, au contraire: les participants apprennent à travailler dans le dilemme, au beau milieu de champs de tensions. Les organisateurs de la formation le reconnaissent volontiers: le CAS va particulièrement toucher les personnes qui se posent déjà des questions d’ordre éthique relatives à leur activité professionnelle, ou qui voient des conflits entre leurs valeurs propres et celles de leur entreprise. Un tel cursus ne saurait se conclure de manière scolaire. A l’occasion de deux journées de colloque, en juin 2015, des travaux de synthèse préparés par groupes lors des journées interdisciplinaires seront présentés à tous, sous la forme d’une «controverse argumentée». L’occasion d’exercer l’interdisciplinarité et d’approfondir encore la réflexion personnelle.  DS

ET ENCORE...

CETTE FORMATION VA PARTICULIÈREMENT TOUCHER LES PERSONNES QUI SE POSENT DES QUESTIONS D’ORDRE ÉTHIQUE DANS LE CADRE DE LEUR ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE.

MANIPULATIONS DE PRODUITS CHIMIQUES – RISQUES ET DANGERS Ce programme court (2 jours) permet aux personnes «confrontées régulièrement à l’utilisation de substances chimiques dans leur activité professionnelle d’en comprendre les dangers et la manière de s’en protéger », résume Jean-Luc Marendaz, coordinateur. Le cursus se destine à des participants qui n’ont que des connaissances lacunaires en chimie. Du côté des informations pratiques, un accent est placé sur le bon choix des équipements de protection individuels (les EPI), comme les lunettes, les masques et les gants, qui varient selon les produits rencontrés. En laboratoire, et par petits groupes, les personnes doivent réaliser de véritables manipulations en suivant un protocole. La manière correcte de stocker les substances dangereuses figure également au programme. Le volet théorique aborde les aspects juridiques (donc les exigences légales) et le décryptage fin des différents documents qui entourent les produits chimiques, comme les étiquettes et les fiches de données de sécurité. Ces dernières sont remises aux utilisateurs professionnels par les fabricants. Un test de connaissances conclut ces deux journées, qui se déroulent sur le campus UNIL-EPFL. www.formation-continue-unil-epfl.ch/ manipulations-produits-chimiques

CANCER, SPORT ET MOUVEMENT Après avoir suivi des traitements souvent épuisants dans un cadre médical, des patients atteints d’un cancer entrent en rémission et renouent avec le cours normal de la vie. Mis au repos, ils risquent d’entrer dans une spirale de «déconditionnement», c’est-à-dire que leur «condition physique ne leur permette plus d’affronter les activités de base de la vie quotidienne, au point de se trouver parfois en situation de handicap», explique Jérôme Barral, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences du sport (ISSUL). Or, des programmes d’activités physiques adaptées (APA) à ces personnes peuvent les aider à améliorer leur condition physique, «à reprendre confiance dans leur corps», à lutter contre certains effets secondaires liés aux traitements et à regagner un maximum d’autonomie. Comment concevoir et appliquer de tels plans? Destinée aux professionnels (physiothérapeutes, maîtres de sport et coachs sportifs par exemple), et organisée en partenariat avec la Ligue suisse contre le cancer, une nouvelle formation de quatre jours vise justement à répondre à ces questions. Orientés vers la pratique, les cours permettent aux participants d’échanger sur le vécu des patients, lors d’un atelier de discussion. Des informations sur les maladies cancéreuses, les traitements ou encore la manière d’évaluer la condition physique des patients sont données. Les aspects psychiques et sociaux sont traités. Parmi les exercices figure aussi la réalisation d’un programme d’APA. Enfin, la formation aborde la construction et l’accompagnement d’un projet sportif plus important, si le patient émet le souhait de se lancer.

Le CAS: www.formation-continue-unil-epfl.ch/ sante-environnement-ethique-cas

www.formation-continue-unil-epfl.ch/cancer-sport-mouvement

La plateforme Ethos: www.unil.ch/ethos

Allez savoir !

N° 55

Septembre 2013

UNIL | Université de Lausanne

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Pour s’abonner gratuitement à la version imprimée, il suffit de remplir le coupon ci-dessous et de l’envoyer par courrier à : Université de Lausanne, UNICOM, Amphimax, 1015 Lausanne. Par fax au 021 692 22 05. Ou par courrier électronique à allezsavoir@unil.ch NOM / PRÉNOM

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LIVRES

PSYCHOTHÉRAPIE D’UN «PAUVRE TYPE»

«

Michel Layaz a terminé des études de Lettres à l’UNIL en 1989. Aujourd’hui écrivain reconnu en Suisse et en France, il signe avec Le Tapis de course son treizième roman, prouvant sa maîtrise de la narration et de l’incarnation d’univers décalés.

MICHEL LAYAZ Après avoir effectué une licence en Lettres à l’UNIL en 1989, Michel Layaz se consacre à l’enseignement et à l’écriture. Il signe une douzaine d’ouvrages dont Les larmes de ma mère (Zoé, 2003) pour lequel il reçoit le prix Michel Dentan et celui des auditeurs de la Radio suisse romande, ou le récent Deux sœurs (Zoé, 2011). Nicole Chuard © UNIL

Pour les lecteurs d’Allez savoir !, Michel Layaz lit un extrait du Tapis de course. A écouter sur www.unil.ch/allezsavoir, ainsi que sur la version iPad.

Accepter de rendre la parole de ce “pauvre type” littérairement intéressante représentait un vrai paradoxe, comme si certaines phrases étaient trop belles pour lui. Mais cet homme incarne aussi une réalité qui nous menace tous un peu – sa lâcheté banale, son côté antipathique, sa suffisance, ses petites mesquineries.» A l’opposé de son dernier roman (Deux sœurs, Zoé, 2011) empli de personnages solaires et totalement libres, Le Tapis de course met en scène la banalité du mal. Les deux livres n’en forment toutefois pas moins un diptyque selon l’écrivain, chacun à deux extrémités de ce que l’humanité est capable d’inventer. «Tout est question de trouver la tonalité juste qui convienne à ce que l’on veut faire. J’y passe beaucoup de temps. Le ton change d’un livre à l’autre et ouvre à chaque fois un nouvel univers.» Sortir de sa bulle. Ne pas s’enfermer comme son personnage dans une routine ou une manière unique de voir les choses, Michel Layaz y prend garde. Les voyages, la découverte de l’ailleurs et des autres, sont un des moyens de garder un regard neuf sur le monde. Le premier roman du Fribourgeois d’origine, Quartier Terre, publié en 1993, est le résultat d’un périple de six mois autour du bassin méditerranéen. D’autres expéditions suivent, dont un séjour à l’Institut suisse de Rome, et conduisent souvent à la naissance d’un nouvel ouvrage. La littérature

Allez savoir !

N° 55

permet, elle aussi, d’élargir la vision et l’esprit. Cendrars, Pessoa ou Eric Chevillard pour les contemporains, des écrivains vers lesquels Michel Layaz aime retourner régulièrement. «Ce sont des gens qui me donnent envie d’écrire, une affaire où on se retrouve parfois bien seul.» Blaise Cendrars, l’envie d’écrire ou l’univers de «la grande bibliothèque», lieu central du Tapis de course, des passions qui datent du séjour à l’UNIL de Michel Layaz, où il a effectué des études de Lettres et rédigé un mémoire sur l’auteur de L’Or. «Pour moi, l’université était un lieu de passage qui me permettrait d’aller ailleurs après. Le monde universitaire offre d’apprendre la rigueur et une démarche scientifique. Il donne aussi la chance de pouvoir s’intéresser à ce que l’on veut et ce qui nous passionne, mais je n’ai jamais eu l’intention d’y prolonger mon temps.» S’il a quitté l’académie, l’enseignement, lui, ne l’a pas quitté. Quand il n’écrit pas, Michel Layaz transmet aujourd’hui sa passion de l’écriture aux jeunes. Il enseigne aussi bien à l’Institut littéraire de Berne à ceux qui vouent au langage un amour sans borne, que dans une école professionnelle commerciale où le rapport à la langue est parfois plus conflictuel. Une manière de «repayer sa dette sociale», selon lui. De quoi compenser clairement l’égoïsme féroce de son anti-héros.  SOPHIE BADOUX

Septembre 2013

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Pauvre type». Tout commence par cette inter jection lancée sur un ton neutre par un jeune homme dans la file d’un supermarché à la figure du narrateur du dernier roman de Michel Layaz. Le Tapis de course, ouvrage troublant et touchant, psychanalyse un personnage détestable mais ébranlé par cette insulte qui ne cesse de le tourmenter. Au fil d’un journal intime enregistré sur son téléphone portable, le bibliothécaire raconte ses tourments, ses cauchemars et le plaisir qu’il a d’exercer son pouvoir sur le monde qui l’entoure. Son utilisation obsessionnelle du tapis de course, instrument de torture salvateur, dévoile aussi une image de notre société contemporaine où la performance règne en maîtresse absolue. Un récit bien mené, crispant de par l’incarnation très maîtrisée d’un personnage principal agaçant, mais qui rend aussi l’abnégation et la générosité des autres protagonistes encore plus prégnantes. Collectant des phrases assassines dans la grande littérature pour son «petit panthéon privé», le narrateur ne reste pas non plus sans faire sourire. Trop difficile pour l’auteur de créer une personnalité qui n’ait pas une once d’humanité? « Oui, je l’ai nuancé, il était encore pire avant, s’amuse le romancier. Son rapport intéressé à la littérature est aux antipodes de ma propre conception.

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LIVRES

DÉCHIRURES ET RÉCONCILIATIONS SUR TOILE © Réunion des musées nationaux

Nicole Gaillard, auteure d’une thèse sur la représentation du couple en peinture, prolonge sa réflexion initiale au travers d’un ouvrage passionnant.

COUPLES PEINTS Par Nicole Gaillard. Antipodes (2013), 317 p.

C

omment les peintres donnentils à voir le couple, ce modèle très investi qui suscite beaucoup d’attentes et de projections ? Pour Nicole Gaillard, auteure d’une thèse sur le sujet et dont l’ouvrage édité chez Antipodes est le prolongement, tout commence avec une toile de Pierre Bonnard. L’homme et la femme (1900), un tableau qui en dit long à sa manière sur le couple et les relations homme-femme avec tout ce que leur représentation éveille et suscite comme interprétation chez le spectateur. Une toile dont « l’évocation explicite du contact physique retient d’abord l’attention ». Mais qui « nous contraint presque aussitôt à enregistrer l’intense sentiment d’isolement réciproque dégagé par les deux figures; plus efficace encore que l’expressivité de leurs postures, la présence d’un paravent replié au premier 64

Allez savoir !

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REGARD

L’HISTORIENNE DE L’ART S’INTÉRESSE AUX RELATIONS ENTRE HOMME ET FEMME QUI SOUS-TENDENT LES TABLEAUX

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plan, sur lequel l’œil vient buter, dresse entre les deux personnages une cloison formelle dont le symbolisme ne peut guère échapper ». Par des descriptions fines et des analyses précises des tableaux ou des sentiments qu’ils peuvent provoquer, Nicole Gaillard montre la richesse que recouvrent la thématique du couple en peinture et les possibilités de lecture d’une œuvre. Grâce à une écriture limpide, elle fait pénétrer le lecteur dans l’histoire de la peinture figurative de la deuxième moitié du XIXe et du XXe siècle, où la question des rôles et des prérogatives de l’homme et de la femme prend une importance croissante. Manet, Degas, Bonnard, Vallotton, Matisse, Munch, Schiele, Hopper et d’autres donnent à voir tour à tour le couple comme lieu de séduction, du pouvoir exercé ou subi, de l’ennui, du deuil mais aussi comme lieu

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de plénitude, d’apaisement ou du plaisir partagé. L’historienne de l’art s’intéresse en effet non pas à de simples portraits de couples, mais bien aux relations entre homme et femme qui sous-tendent les tableaux. C’est là où le regard du spectateur est essentiel à prendre en compte, car c’est lui qui scénarise l’image pour la traduire et l’interpréter. Comment regardons-nous ce qui nous est donné à voir? C’est l’autre interrogation majeure qui traverse l’ouvrage de Nicole Gaillard, attachée à la réception de ces images de couples non seulement dans leur contexte socio-historique mais surtout pour tout un chacun aimant à se balader dans les musées. Avant de s’y rendre, l’amateur de peinture pourra donc se délecter dans son salon d’un ouvrage qui permet un va-et-vient très fructueux entre les images de la septantaine d’œuvres étudiées et leur interprétation.  SB


Ce bel ouvrage rassemble un choix de textes sur les Alpes, nés sous la plume de l’écrivain et poète anglais John Ruskin (1819-1900). La montagne figure au cœur de l’œuvre de cet auteur encore peu connu dans le monde francophone. Avec son style particulier, fait de longues phrases, ce voyageur traite de géologie, d’alpinisme et de tourisme, et bien entendu des aspects esthétiques du paysage. Défenseur de Turner, John Ruskin était un dessinateur de talent, comme les planches de la fin du livre le prouvent.  DS JOHN RUSKIN: ÉCRITS SUR LES ALPES. Textes réunis et présentés par Emma Sdegno et Claude Reichler. Presses de l’Université Paris-Sorbonne (2013), 289 p.

Nul besoin d’avoir été enfant dans les années 50 pour saisir le charme intemporel des aventures d’Amadou. La conjugaison des photographies de Suzi Pilet et des textes d’Alexis Peiry a donné naissance à sept albums originaux. Ceux-ci relatent les aventures d’un petit personnage, tour à tour alpiniste, musicien-détective ou marchand d’escargots. L’histoire de cette aventure éditoriale est racontée dans un ouvrage auquel ont contribué les plumes du Centre de recherches sur les lettres romandes.  DS AMADOU L’AUDACIEUX. Sous la dir. de Daniel Maggetti. Infolio (2013), 125 p. Exposition à Bulle. Musée gruérien. Jusqu’au 5 janvier 2014. www.musee-gruerien.ch

L’éthique ne concerne pas uniquement les rapports entre les humains. Mais qui intègre-t-on dans la communauté morale? Les hommes, les animaux aussi, les plantes, la planète elle-même? Selon quels critères? La raison, la sensibilité, le simple fait d’être vivant? Ce livre d’un philosophe enseignant l’éthique environnementale à l’UNIL expose les postures morales envers la nature et classe les penseurs de l’écologie selon différents courants. Comment gérer politiquement, socialement, économiquement les «ressources» naturelles? Cela dépend de nos valeurs.  NR ÉTHIQUES DE LA NATURE. Par Gérald Hess. PUF (2013), 422 p.

A quoi sert la science? Et à qui sert-elle? Comment mesurer sa valeur? Entre la logique propre au monde de la recherche et les attentes de la société, les différences sont nombreuses. Dirigé par trois chercheurs de l’UNIL, cet ouvrage collectif traite de questions d’actualité et permet au lecteur de se mettre à jour sur les réflexions en cours, par exemple concernant la diffusion des résultats scientifiques via les nouveaux moyens d’information, comme les réseaux sociaux.  DS PENSER LA VALEUR D’USAGE DES SCIENCES. Sous la dir. d’Olivier Glassey, Jean-Philippe Leresche, Olivier Moeschler. Editions BHMS (2012), 72 p.

Entre 1903 et 1905, un pont transbordeur est construit au-dessus du Vieux-Port de Marseille. Parmi les admirateurs de l’ouvrage, le peintre et photographe hongrois László Moholy-Nagy, qui après son départ du Bauhaus, réalisa une série de photogrammes du pont. Olivier Lugon, spécialiste de l’histoire de la photographie, interroge, à partir d’un cliché, l’entremêlement complexe que représentent les intentions de l’auteur, la force propre de l’image et son contexte culturel. D’autres approches complètent ce petit livre qui plaira aux férus d’architecture et de photographie.  SB LE PONT TRANSBORDEUR DE MARSEILLE MOHOLY-NAGY. Par Olivier Lugon, François Bon et Philippe Simay. Editions Ophrys (2013), 66 p.

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RECHERCHER LES CONFLITS

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e travail, y compris artistique, met en œuvre de multiples interactions (collaborations plus ou moins visibles, négociations, divergences) entre différents partenaires (les musiciens, par exemple, leurs employeurs et leurs spectateurs). La sociologie interactionniste donne à voir le théâtre social du travail, au sein duquel «le destin de ce que nous disons ou faisons est entre les mains des autres» (Bruno Latour). Maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL, le sociologue et anthropologue Marc Perrenoud a dirigé, dans le prolongement d’un colloque lausannois en octobre 2011, un ouvrage en forme d’hommage à l’œuvre de Howard S. Becker, figure majeure de la sociologie contemporaine. Né en 1928 à Chicago, ce dernier met au centre de sa réflexion l’idée de personnes «doing things together». Acte collectif en soi, ce livre rassemble plusieurs auteurs analysant la production de la performance chez les cyclistes avec d’une part le spectacle de la méritocratie sportive et d’autre part les coulisses, le vécu des directeurs des ressources humaines pris entre prestige professionnel et «sale boulot» (licencier), le travail à l’hôpital où les professionnels de la souffrance et de la guérison côtoient les profanes (simples visiteurs ou patients dont le rôle s’étoffe), la galaxie des tatoueurs entre savoir-faire technoartistique, enjeux de distinction et service au client, l’activité des musiciens détenant l’autorité (concert), la partageant (dans un bar où les interactions restent possibles avec le public) ou la subissant (enrôlés pour une soirée dans une relation de service où il faut à la fois jouer et se faire oublier) ou encore l’univers des artistes confrontés dans leur portion spécifique du monde de l’art à des tensions entre conventions et visions nouvelles. Enfin, quelques textes éclairent d’un point de vue théorique cette démarche sociologique. Ce livre ne serait pas tout à fait réussi sans un article de Becker lui-même sur la façon d’aborder le matériau artistique en amont (enquête sur les réseaux qui aboutissent à la création d’une œuvre, au développement d’un style… et sur les différents moments de cette œuvre jouée en public) et en aval (ce que l’on fait, ou pas, d’une œuvre sur la durée). Son message aux chercheurs: «Lorsque vous observez les participants à un monde de l’art en interactions dans leurs milieux naturels, ou lorsque vous les interviewez à propos de leurs activités, recherchez les conflits... »  NR LES MONDES PLURIELS DE HOWARD S. BECKER. Sous la direction de Marc Perrenoud. Editions La Découverte (2013), 237 p.

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CAFÉ GOURMAND

«LE SAVOIR NE SE LIMITE PAS À LA CONNAISSANCE»

Depuis un an, il enseigne la philosophie et la sociologie à la Faculté de théologie et de sciences des religions et au Collège des humanités. Rencontre avec Jean-François Bert.

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ous sommes au N2O Bar Restaurant, en plein cœur de Lausanne, place de l’Europe. Jean-François Bert v ient de France, où il a ébranlé la frontière entre sciences sociales et philosophie avec une thèse sur la réception et l’usage de Michel Foucault en sociologie. « Chez nous, il est estampillé philosophe et la disciplinarisation reste forte en France. » Pourquoi l’UNIL ? Pour répondre à une offre ouverte sur l’interdisciplinarité à la Faculté de théologie et de sciences des religions et rejoindre son épouse italienne engagée par le Musée d’ethnographie de Genève. Jean-François Bert garde un lien avec Paris et l’Ecole des hautes études en Sciences sociales. Avec ses collègues de l’EHESS, il vient de publier La grande étrangère, ensemble inédit de conférences et d’émissions qui restituent la voix originale d’un Foucault attentif à la littérature. De quoi alimenter sa quête des traces laissées par les auteurs: manuscrits, notes de cours, fichiers constitués tout au long d’une vie. «Je m’intéresse à l’histoire des pratiques savantes. Je souhaite montrer aux étudiants la pluralité des méthodes en sciences humaines et sociales, surtout sur un sujet comme le religieux qui se traite à la frontière de plusieurs disciplines. Il y a de l’artisanat dans la recherche, que l’on soit dans la première moitié du XXe siècle ou aujourd’hui avec un ordinateur. Nous pouvons en rendre compte.» Dans sa pratique, il valorise la forme du séminaire. La relation entre le pédagogue et l’étudiant s’y

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JEAN-FRANÇOIS BERT Maître d’enseignement et de recherche. © Nicole Chuard

élabore sur le mode de la transmission et de la construction partagée du savoir. « Avec l’apprentissage en ligne et la tendance à considérer le savoir comme simple accumulation de connaissances, on perd la relation aux autres, le savoir-faire propre à une discipline, le rapport au monde qu’elle induit. Je m’intéresse au charisme à l’œuvre dans la transmission du savoir. Un professeur apporte un regard particulier... » En France, Jean-François Bert a expérimenté plusieurs formes éditoriales (colloque, livres, catalogue d’exposition): «En Suisse, il me semble plus difficile de trouver un éditeur intéressé par les sciences sociales; on vous demande d’apporter des fonds au lieu de considérer seulement la qualité de votre travail. En France, l’éditeur ne demande rien, il vous publie ou pas, et

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UN GOÛT QUI RAPPELLE VOTRE ENFANCE ?

Le sirop pour la toux au goût de banane – celui que je donne moi aussi à ma fille de 4 ans.

UN REPAS DE FIN DU MONDE

Sans hésiter un sacrifice grec, thusia, acte collectif par excellence, mais aussi acte de partage autour d’un banquet.

AVEC QUI PARTAGER UN REPAS ?

Tout le monde. La commensalité n’a pas de frontière.

c’est toujours un bon exercice d’envoyer sa copie, même pour un professeur installé; rien n’est jamais certain dans ce métier ! » Il considère le rythme de l’enseignement universitaire comme une occasion de continuer à écrire, mais pas forcément en solitaire: « Une écriture collective influe sur le savoir et la manière de le présenter. » A ses yeux, le congé scientifique qui se traduit souvent par un séjour à l’étranger ne doit pas être la seule alternative car un chercheur peut travailler partout. «On peut monter une exposition à Lausanne, s’immerger dans une bibliothèque, une institution, participer à l’élaboration d’un journal. Je pense par exemple au documentaire de Nicolas Philibert sur Radio France. Le point de vue des sciences sociales sur différentes institutions doit être mieux représenté. »  NADINE RICHON


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| UNICOM | Image : jsmonzani.com |

Programme complet :

www.grangededorigny.ch et pages 58-59 d’Allez savoir!


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