Portrait d’écrivain : Dino Buzzati

Dino Buzzati : une des voix européennes de l’existentialisme.

Par Alexia Caizzi

Dino Buzzati, Accardi - La Bibliothèque italienne

Dino Buzzati, illustration de Mari Accardi

 

Une grande villa sur deux étages au milieu d’une pelouse d’un vert éblouissant. À côté, une grange qui a tout l’air d’être hantée. Non loin de là, le fleuve Piave qui coule tranquillement. Et, sur le fond, les Dolomites, ces montagnes imposantes et merveilleuses qui semblent frôler les nuages de leurs sommets. C’est ici, dans le cadre enchanté de San Pellegrino, à côté de Belluno, où Buzzati naît le 16 octobre 1906, qu’on peut reconnaître plusieurs thèmes et images de la production littéraire du futur écrivain. L’amour infini pour les montagnes, la magie et le mystère des endroits familiers, les secrets des éléments naturels sont les sources d’inspiration de nombreux romans et nouvelles, à savoir Barnabo des montagnes (Barnabo delle montagne), Le Secret du vieux bois (Il Segreto del bosco vecchio) ou Les Souris (I topi).

Même si Buzzati reste lié au paysage vénitien pendant toute sa vie, il passe la plupart de sa jeunesse d’abord, et de sa vie d’adulte ensuite, à Milan. C’est ici que Dino Buzzati travaillera comme journaliste pour la rédaction du Corriere della Sera, l’un des plus importants quotidiens italiens, à partir de 1928 jusqu’à peu de temps avant sa mort, survenue en 1972. Le paysage métropolitain, ainsi que sa profession, s’entremêlent eux aussi dans les œuvres de Buzzati : il y traduit en forme artistique le monde qui l’entoure au quotidien.

Le désert des tartares, Buzzati - La Bibliothèque italienneLes montagnes et la ville semblent donc être deux indices importants pour commencer à approcher cet écrivain qui a réussi à dépasser les frontières italiennes, surtout grâce au Désert des Tartares (Il deserto dei Tartari). Ce roman, paru en 1940 en Italie, raconte l’histoire de l’officier Giovanni Drogo. À l’intérieur d’un fort confiné dans un désert angoissant, le jeune protagoniste attend pendant de longues années l’attaque d’ennemis. Quand le moment le plus important de sa vie arrive, Drogo est vieux et malade et il ne pourra pas participer au combat : l’attente s’avère complètement inutile à cause d’un destin injuste. Buzzati opère un choix courageux en publiant ce roman alors qu’en pleine guerre mondiale la décision la plus logique et immédiate aurait été d’écrire sur la réalité historique et sociale.

Pendant ces années, il devient reporter de guerre et s’embarque sur les navires militaires. Il mène une vie de militaire tout en écrivant ses articles pour son quotidien. À cette époque, encore une fois, Buzzati va à contre-courant et écrit un conte doux et original : La Fameuse invasion de la Sicile par les ours (La famosa invasione degli orsi in Sicilia), paru en 1945, écrit et dessiné par lui-même.

Il deserto dei tartari, Buzzati - La Bibliothèque italienneEn 1949, Michel Arnaud traduit Le Désert pour les éditions Robert Laffont : cette parution rend célèbre Buzzati en France, où il sera considéré comme l’une des voix européennes de l’existentialisme.

En effet, en 1955, Albert Camus adapte en français une pièce de Dino Buzzati, Un caso clinico, devenue Un cas intéressant, inspirée d’une nouvelle précédente, Sept étages (Sette piani). Le protagoniste de la pièce, Giovanni Corte est hospitalisé dans la clinique du redoutable Docteur Schroeder. Au fur et à mesure que le patient change d’étage, ses conditions de santé s’aggravent : il s’agit d’une descente ad inferos symbolique, qui culmine avec une mort aussi absurde qu’inévitable. D’ailleurs Martin Esslin, critique anglais¸ dans son œuvre The Theatre of the absurd (1961) mentionne Dino Buzzati en tant que représentant de cette nouvelle tendance.

Cependant, Buzzati n’était pas considéré comme un grand écrivain par ses contemporains italiens. Étranger à tout engagement politique et social, Buzzati préférait confier son interprétation du monde au fantastique, au magique, à l’irréel. Cette attitude ne s’accordait pas avec le milieu intellectuel de l’après-guerre et le reléguait au statut d’écrivain conservateur, parfois inaccessible à cause de son excès d’imagination. La fantaisie de Buzzati est faite de mots simples, quotidiens, les seuls qui peuvent conduire les lecteurs vers des mondes extraordinaires, comme dans Le Bourgeois ensorcelé (Il Borghese stregato). Ici un homme ordinaire, le commerçant Giuseppe Gaspari, accède à un monde d’aventures en se baladant pendant ses vacances : il rencontrera la mort à cause de ce que l’on croyait être un jeu d’enfant.

Les années soixante signent un changement dans les tendances littéraires de Buzzati avec la publication d’Un amour (Un amore). C’est l’histoire d’Antonio Dorigo qui tombe amoureux de Laide, une fille beaucoup plus jeune qui se prostitue. C’est un amour compliqué et tumultueux plongé dans un paysage complètement métropolitain. Buzzati abandonne ici la fantaisie et l’imagination et semble décevoir les lecteurs à cause de ce trop-plein de réalité et de ce sujet délicat.

                                  un amour, Buzzati - La Bibliothèque italienneun amore, Buzzati - La Bibliothèque italienne

Artiste d’une grande créativité et aux formes très variées, on doit à Buzzati un roman graphique à une époque où ce n’était pas du tout à la mode. Il s’agit de Poème-bulles (Poema a fumetti) – une réécriture moderne et urbaine du mythe d’Orphée – écrit et illustré par Buzzati lui-même. C’est un projet auquel il est très attaché et qu’il défend avec courage : malgré la réticence de son éditeur à cause des coûts de production et de la nouveauté du format, Buzzati en obtient la publication.

Dresser un portrait exhaustif de Dino Buzzati, de sa personnalité éclectique et de son œuvre en l’espace de quelques lignes se révèle être un sacré défi. Peut-être le recueil Dino Buzzati. Un autoportrait (Autoritratto) pourra venir en aide à qui désire mieux le connaître. Il s’agit d’une longue interview de l’écrivain menée par Yves Panafieu, son traducteur et critique. Les mots de Buzzati sauront raconter mieux que n’importe quel portrait sa vie, ses expériences, ses œuvres.

Bibliographie italienne (œuvres principales, année de première publication/éditions disponibles actuellement) :

Barnabo delle montagne (1933), Mondadori, 2016, p. 140.

Il segreto del bosco vecchio (1935), Mondadori, 2010, p. 200.

Il deserto dei tartari, (1940), Mondadori, 2016, p. 221.

La famosa invasione degli orsi in Sicilia (1945), Mondadori, 2010, p.136.

Sessanta racconti (1958), Mondadori, 2016, p.497.

Un amore (1963), Mondadori, 2016, p.294.

Poema a fumetti (1969), Mondadori, 2017, p.250.

 

Bibliographie française (éditions disponibles actuellement) :

Œuvres. Tomes I-II, Robert Laffont, 2006.

Barnabo des montagnes – Le secret du bosco vecchio, trad. Michel Breitman, Robert Laffont, 2013, p. 336.

Le Désert des Tartares, trad. Michel Arnaud, Pocket, 2004, p. 288.

La Fameuse invasion de la Sicile par les ours, trad. Hélène Pasquier, Folio Junior, 2009, p. 128.

Un amour, trad. Michel Breitman, Robert Laffont, 2012, p. 378.

 

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