Apophis Box – Mai 2023

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L’Apophis Box est une série d’articles… n’ayant pas de concept. Enfin presque. Bâtie sur le modèle des « box » cadeau, vous y trouverez à chaque fois trois contenus / sujets en rapport avec la SFFF, qui peuvent être identiques ou différents entre eux, et qui peuvent être identiques ou différents de ceux abordés dans la box du mois précédent. Pas de règle, pas de contraintes, mais l’envie de créer du plaisir, voire un peu d’excitation, à l’idée de découvrir le contenu de la nouvelle Box. Celle-ci est dévoilée au début ou au mitan du mois. Le but étant aussi de me permettre de publier des contenus trop brefs pour faire l’objet d’un des types d’articles habituellement proposés sur ce blog ou dérogeant à sa ligne éditoriale standard, et bien sûr de pouvoir réagir à une actualité, à un débat, sans être contraint par un concept rigide.

Vous pouvez retrouver les Apophis Box précédentes via ce tag. Lire la suite

Rossignol – Audrey Pleynet

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Le meilleur ET le plus beau et bouleversant des UHL !

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par le Bélial’. Un grand merci à Olivier Girard, Erwann Perchoc, Laëtitia Rondeau et Audrey Pleynet !

Le 18 mai 2023, paraîtront deux nouveaux courts romans dans la prestigieuse collection Une heure-lumière du Bélial’, Houston, Houston me recevez-vous ? de James Tiptree Jr. (un livre choc dont je vous dirai le plus grand bien dans le numéro 111 de Bifrost) et Rossignol d’Audrey Pleynet, qui est l’objet du reste de cet article. J’ai découvert l’autrice il y a près de cinq ans maintenant, en lisant sa nouvelle Citoyen+. J’ai été impressionné par le niveau stratosphérique de certains des textes de son recueil Ellipses. J’ai, comme tout le monde, été bluffé par Encore cinq ans, parue dans Bifrost 107, qui a gagné le prix de la meilleure nouvelle francophone 2022 du magazine et qui, de mon point de vue, éclipsait un texte de Ken Liu paru dans le même numéro. Je répète : le texte d’Audrey Pleynet se payait le luxe d’être meilleur qu’un autre émanant de KEN LIU. Si, si. J’ai donc fait, lors de ces quasiment cinq ans, du prosélytisme, tentant de convertir le plus de monde possible dans la blogosphère à ma nouvelle religion syncrétique, l’apophismo-pleynetisme. J’ai dit d’elle que c’était le plus grand espoir de la SF française. Des mois avant de la lire, j’ai conseillé à tout amateur de SF qui avait confiance en mon jugement de se procurer sa novella à paraître en UHL. L’éditeur me cite d’ailleurs (et je l’en remercie) sur la quatrième de couverture. C’est dire si j’avais foi en ce texte et en sa génitrice (et vous allez bientôt comprendre que je ne choisis pas ce terme au hasard).

Vous me connaissez suffisamment, pour la plupart, pour savoir que si je l’avais trouvé bancal, perfectible, peu subtil, voire mauvais, je l’aurais dit. Sans hésiter, sans édulcorer. Malgré l’admiration et la sympathie que j’ai pour Audrey Pleynet. La chose n’aurait pas été agréable, elle m’aurait laissé un goût de cendres dans la bouche, mais je l’aurais fait. Sauf que (ouf !) cela ne sera pas nécessaire. Je pensais que Rossignol allait être un très bon UHL, du fait de la combinaison du talent de l’autrice et de la rigueur impitoyable, de l’exigence d’excellence, de son éditeur, le grand Olivier Girard (nom de Crom !), et de la directrice d’ouvrage, Laëtitia Rondeau. Homme de peu de foi que j’étais… La vérité, aussi dithyrambique qu’elle puisse paraître, est que Pleynet a récidivé, et qu’une fois encore, elle a fait mieux que Ken Liu qui, jusque là, avait produit le meilleur et le plus intelligent et subtil des UHL, le magistral L’Homme qui mit fin à l’Histoire. Il aura fallu sept ans et une quarantaine d’UHL, mais c’est une femme, la première francophone publiée dans la collection qui, à mon sens et du haut de l’expérience acquise en presque quatre décennies de lectures SF, lui a ravi sa couronne. Je le dis donc haut et fort : non seulement Rossignol est, à ce stade, le meilleur texte d’Audrey Pleynet, non seulement c’est la meilleure et la plus intelligente des novellas publiées dans la collection Une heure-lumière, mais c’est aussi le texte le plus émouvant qui y soit paru, le plus beau également. Je crois d’ailleurs que la distinction de (roman) culte d’Apophis ne suffira sans doute pas à donner la mesure de sa valeur : il faudrait presque inventer les cultissimes d’Apophis ! Lire la suite

The Malevolent Seven – Sebastien de Castell

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Constantine + Le Manuel des Plans + un anti-Les Sept Samouraïs = The Malevolent Seven !

Sébastien de Castell est un auteur canadien essentiellement connu dans nos contrées pour le lobbying intense fait à son sujet par L’Ours Inculte (d’ailleurs remercié en postface) et, accessoirement (je plaisante…), pour ses cycles L’Anti-Magicien et Furia Perfax (chez Gallimard Jeunesse), ainsi que pour la traduction du premier tome (éponyme) du cycle Les Manteaux de gloire par Bragelonne, les trois autres et un recueil de nouvelles ne l’ayant pas été par cette maison (malgré, donc, le lobbying intense du camarade Inculte). Son nouveau roman, The Malevolent Seven (à ne pas confondre avec le récent The Maleficent Seven de Cameron Johnston, aux fondamentaux similaires -nous en reparlerons), ne s’inscrit pas dans le même monde que celui commun à tous les autres cycles de l’auteur (y compris Court of shadows, à venir en 2024), et semble être un stand-alone, bien que la fin hurle, à mon sens, la possibilité d’une suite (mais puisse aussi se suffire à elle-même, un peu dans le même esprit que Le Magicien Quantique de Derek Künsken -dont nous reparlerons aussi). Dans une interview (en anglais), le canadien a déclaré avoir écrit ce roman en février 2020 juste pour lui, pour avoir le plaisir de faire de la bonne Sword & Sorcery à l’ancienne, avec des jurons à toutes les pages (ce qu’il n’est pas en mesure de faire dans les livres Young Adult qui constituent désormais la majeure partie de sa bibliographie -et la quasi-totalité de celle traduite dans la langue de Molière). Il n’avait pas l’intention de le publier, mais son agent a demandé à le lire, l’a adoré, ce qui a conduit son éditeur à finalement le sortir.

C’est la première fois que je lis un roman signé par cet auteur, non pas que Les Manteaux de gloire ne m’intéressent pas (bien au contraire, même), mais parce que je me concentre plus, que ce soit pour le blog ou (surtout) pour Bifrost sur les nouveautés, et que ce cycle n’en est plus une depuis longtemps. La sortie de ce roman lisible de façon isolée m’est apparue comme une bonne opportunité de découvrir sa prose sans pour autant me lancer dans un cycle de plus, et je dois dire que sans crier au génie, j’ai bien apprécié cette lecture, même si je placerais le roman, similaire, de Cameron Johnston au-dessus. De plus, sur la fin, j’ai parfois eu du mal à suspendre mon incrédulité, certains points (notamment sur le magicbuilding et le worldbuilding) m’ont paru extrêmement stéréotypés (façon polie de dire que c’était carrément pompé de façon éhontée dans les sources d’inspiration), et je ne suis pas sûr d’avoir entièrement saisi tout ce qui tourne autour d’un des personnages. Je regrette aussi que la couverture soit, à mon sens, très mal conçue, car elle dévoile un point d’intrigue et ça, on aurait pu éviter. Enfin, l’ensemble laisse une impression rushée ou brouillon, et le développement très inégal des personnages pose aussi question. Clairement, donc, si je trouve que c’est un roman de Fantasy sympathique, voire recommandable pour certains profils de lecteurs ET si on n’en attend pas trop, je n’en ferai pourtant pas un des (romans) Culte d’Apophis qui ont donné leur nom à ce blog. Lire la suite

Himilce – Emmanuel Chastellière

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Un grand roman (de Fantasy) Historique

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par les éditions Argyll. Un grand merci à Xavier Dollo et Emmanuel Chastellière !

Le 9 juin 2023, paraîtra chez Argyll Himilce, le nouveau roman d’Emmanuel Chastellière. L’auteur ayant fait des études d’Histoire, ses romans de Fantasy (L’Empire du léopard , La Piste des cendres) et ses recueils de nouvelles de New Weird à esthétique Steampunk (Célestopol, Célestopol 1922) ayant une forte composante composante historique (y compris pour les deux livres de Fantasy à poudre se déroulant dans un monde secondaire), et son intérêt, pour ne pas dire son amour, pour l’œuvre de Guy Gavriel Kay, le « pape » de la Fantasy Historique, étant bien connu, il paraissait clair que tôt ou tard, il allait écrire un roman relevant de ce sous-genre.

Ce qui frappe d’emblée est la période historique choisie : comme je l’expliquais dans une récente Apophis Box, la civilisation carthaginoise est très nettement moins exploitée en SFFF que d’autres de la même époque, Rome en tête. Ce qui interpelle ensuite est que la focale n’est pas centrée sur Hannibal, comme on aurait pu s’y attendre… mais sur son épouse, prénommée Himilce, un choix aussi singulier qu’audacieux, ne plaçant dès lors pas (ou disons plutôt pas majoritairement) cette œuvre dans une perspective militaire mais plutôt féminine, pour ne pas dire féministe. Car comme la quatrième de couverture l’explique très bien, un des intérêts (et comme nous le verrons, ce n’est pas le seul) d’Himilce est de tenter de démontrer pourquoi l’Histoire préfère retenir les hommes guerriers plutôt que les femmes promouvant la paix.

Au fil des lectures et des années, j’ai dit d’Emmanuel Chastellière que c’était un auteur prometteur, puis qu’il avait atteint une certaine maturité littéraire, puis qu’il se plaçait désormais parmi les écrivains d’imaginaire français qui comptent (on aimerait un peu plus de SF, par contre, merci  😀 ). Avec Himilce, dont la gestation a été longue, apparemment, il a clairement franchi un palier supplémentaire : si la Fantasy Historique est un sous-genre chéri par nombre d’auteurs français, et un registre où, contrairement à d’autres au sein des littératures de l’imaginaire, ils ont su, et souvent avec brio, se montrer fort convaincants, il manquait au domaine son équivalent de ce qu’est Guy Gavriel Kay chez les anglo-saxons ; non seulement Himilce est le roman le plus abouti d’Emmanuel Chastellière, mais il a su, ce qui n’est pas un mince exploit, se hisser à la hauteur du Kay moyen. Peut-être pas encore à celle des chefs-d’œuvre du canadien (Les Lions d’Al-Rassan ou La Mosaïque de Sarance), mais il n’a clairement rien à envier à la plupart des autres livres de Kay. Et croyez-moi, ce n’est pas le genre de compliment ou de « distinction » que je distribue avec prodigalité ou aisément, ma réputation de critique difficile n’étant plus à faire. Comme nous le verrons, s’il m’a manqué un petit quelque chose pour lui décerner le titre suprême de (roman) Culte d’Apophis, Himilce reste une sortie fort recommandable et, à mon sens, un jalon important dans la carrière de son auteur. Lire la suite

One day all this will be yours – Adrian Tchaikovsky

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Rate sa cible / devient une référence

One day all this will be yours (« Un jour tout ceci sera tien ») est une novella de SF (126 pages au compteur) sortie en mars 2021, signée Adrian Tchaikovsky. Ceux parmi vous qui suivent le Culte de longue date savent que pendant un bon moment, j’ai tenté de suivre le rythme effréné de publication de l’auteur, jusqu’à ce que différents facteurs me conduisent à arrêter, le principal étant que si le britannique est capable d’écrire de très grands romans, courts ou longs, le nombre de bouquins passables, voire assez mauvais, devient lui aussi de plus en plus conséquent (ou récurrent). Et vu que ni mon budget (surtout) ni mon temps de lecture ne sont infinis… Sur ce court roman précis, j’ai d’autant moins été enclin à tenter cette lecture que le camarade Feydrautha avait émis un avis plus que tiède sur la chose. J’ai toutefois gardé dans un coin de ma tête que malgré tout, il évoquait aussi des concepts fascinants et un livre qui aurait pu devenir une référence en matière de guerre temporelle, un sujet qui, vous le savez peut-être, me fascine totalement.

Il y a quelques jours, je me suis aperçu, par hasard, que le prix de One day… avait drastiquement diminué en version électronique (au moment où je tape ces lignes, il est à 1.19 euros), et je me suis dit « Pourquoi pas, après tout, c’est court, et à ce prix là, pas de regrets à avoir ». J’ai donc commencé ce livre, sans grande conviction, à onze heures passé du soir, me disant que j’allais en lire quelques dizaines de pages avant de m’endormir… ce que j’ai fini par faire, après l’avoir lu d’une traite (ce qui ne m’arrive jamais, même pas avec les UHL), à deux heures du matin  😀  Donc, vous dites-vous peut-être, les critiques du camarade Harkonnen étaient infondées, hein ? Eh bien en fait, c’est plus compliqué que ça, comme nous allons le voir ! Lire la suite

Les Profondeurs de Vénus – Derek Künsken

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Un joyau du Planet Opera, un bijou en matière de Diversité, un très grand roman, tout simplement

Le 31 mai 2023 paraîtra chez Albin Michel Imaginaire Les Profondeurs de Vénus de Derek Künsken, premier volet d’un diptyque qui se conclura, en VO, avec la sortie de The House of saints le 29 août. C’est d’ailleurs en anglais que j’ai, pour ma part, lu ce nouvel AMI, à sa sortie il y a près de trois ans (ce qui me permet de vous dire que la spectaculaire couverture, signée Manchu, a parfaitement su capturer l’atmosphère et certaines scènes spectaculaires de ce livre). J’en étais sorti extrêmement enthousiaste, et j’espère bien réussir à vous faire partager mon engouement !

Précisons que si l’intrigue prend place dans le même univers que le cycle du Magicien Quantique (paru dans la langue de Molière chez le même éditeur) et de ses suites, Les Profondeurs de Vénus peut se lire de façon tout à fait indépendante, puisqu’elle se déroule deux siècles et demi avant. Notez, enfin, que les deux romans sont suffisamment différents pour qu’un avis mitigé ou un désintérêt pour Le Magicien Quantique ne soit en rien rédhibitoire si vous envisagez la lecture de ce nouvel opus : moins exigeant sur le plan de la Hard SF, plus axé sur des thématiques sociétales modernes, prenant plus le temps d’installer son univers et ses personnages, et ayant sans doute franchi un cran supplémentaire sur le plan de l’écriture, il sera sans nul doute à même de séduire un public plus large. Mais notez aussi que lire les deux cycles sera utile, car le diptyque éclaire beaucoup l’Histoire et peut-être surtout la géopolitique plutôt floue, jusqu’ici, de l’univers du Magicien Quantique.

Comme vous le prouvera ma critique très détaillée de la VO, je lui ai trouvé deux immenses qualités : d’abord, le fait qu’il s’agisse d’un Planet Opera vénusien tout à fait exceptionnel (et je pèse mes mots), sans aucun conteste la nouvelle référence dans ce registre littéraire bien précis, à moins que Kim Stanley Robinson ne se décide à s’attaquer au problème (ce qu’il a très partiellement fait dans -le dispensable- 2312) ; ensuite, le fait qu’il fasse la part belle à la diversité (un des personnages est atteint du syndrome de Down, un autre est gay, un troisième a un problème d’identité de genre) ET que l’auteur traite le sujet, là encore, avec une crédibilité, une douceur, une justesse et un respect… eh bien qui forcent le respect, justement. Mais plus que tout, et là je rejoins (pour une fois…) complètement le camarade Dumay sur ce point, c’est un grand roman d’aventure, offrant des visions époustouflantes et des péripéties stupéfiantes. Non, mieux que ça, un grand roman, tout simplement. Et puis il est estampillé « Culte d’Apophis », ce n’est pas rien, tout de même !

Bref, chacun jugera de l’intérêt de ce bouquin en fonction de ses propres critères (ma critique de la VO vous fournit tous les éléments nécessaires pour faire votre choix), mais si vous avez foi en mon jugement, vraiment, ne passez pas à côté de cette sortie  😉 On espère aussi que les ventes florissantes (c’est tout le mal qu’on lui souhaite) de cet ouvrage inciteront l’éditeur à sortir le tome 3 du cycle quantique, évitant ainsi de rejoindre le club détestable des maisons abandonnant des séries en cours de route !

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Ammuin Karhua – Emmanuel Chastellière

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Généreux et émouvant

Si je vous dis « Ammuin Karhua », ne me répondez pas « À tes souhaits ! » ou « C’est du chinois ! », parce que d’une part, il s’agit du titre d’une nouvelle d’Emmanuel Chastellière, et que d’autre part, c’est en fait du finnois, qui signifie « J’ai tiré sur un ours ». Comme nous l’explique l’auteur sur cette page, il l’a écrite très rapidement dans le sillage du début de la guerre en Ukraine, dans le but de la vendre et de reverser les bénéfices à la Croix-Rouge pour soutenir son action dans ce pays. De fait, il a récolté plus de 1000 euros, une belle somme pour, comme nous allons le voir, un beau texte. Mais si noble que soit l’intention, on sent clairement que l’auteur y a aussi mis toutes ses tripes, que le texte constitue pour lui, comme pour sa protagoniste, une forme de catharsis. Ce qui ne diminue en rien son impact, bien au contraire.

Cette nouvelle s’inscrit dans l’univers de Célestopol et Célestopol 1922, mais peut parfaitement se lire sans les connaître (on songera d’ailleurs au tour de force que constitue le fait de rendre un univers aussi fouillé compréhensible en moins de trente pages tout en introduisant un protagoniste et une intrigue solides et puissants : s’il fallait une preuve des capacités de l’auteur, en voilà une, et une belle !). De fait, elle peut d’ailleurs constituer une excellente porte d’entrée pour qui hésiterait à acquérir  ces recueils. Si, en revanche, vous les avez lus, vous capterez des références à des lieux, événements ou personnages connus (à Anastasia, la cousine du Duc, croisée dans la nouvelle Oderint dum metuant de Célestopol). Lire la suite