Un chef-d’œuvre, oui, mais certainement pas destiné à tous les publics !
Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 106 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag. Cette chronique concernait la VO (The Ministry for the future), mais l’analyse qui en est faite s’applique tout aussi bien à la VF, qui paraîtra dans deux semaines au moment où je rédige ces lignes.
Alors que Kim Stanley Robinson (KSR) était déjà considéré comme le roi de la Climate Fiction (Cli-Fi), il manquait à sa couronne un joyau, l’équivalent de ce qu’est la « Trilogie Martienne » en Planet Opera. Puis vint The ministry for the future (en VF : Le Ministère du futur) qui est au changement climatique et aux façons d’y faire face ce que sont ses livres sur Mars en matière de colonisation de cette planète et d’émergence d’une culture indigène : l’œuvre ultime, indépassable. Parfaite ? Pas si sûr !
Le roman s’ouvre au début des années 2020, alors qu’une vague de chaleur hors-normes fait 20 millions de morts en Inde, soit autant que la Première Guerre mondiale, mais en à peine une semaine. Frank, un humanitaire US, n’y survit que de justesse, et en ressort traumatisé et radicalisé, plus du tout décidé à accepter l’inaction des instances internationales. Et justement, alors que l’Accord de Paris a produit beaucoup d’incantation mais peu d’action, on décide d’en créer une branche « exécutive », surnommée le Ministère du Futur, dirigé par Mary, qui doit tout mettre en œuvre pour inverser le changement climatique et une extinction de masse comme on n’en a plus vu depuis le Permien. Sur le plan légal et diplomatique, mais pas seulement. Il y a un ministère à l’intérieur du ministère, et il n’hésite pas à recourir aux attentats sous faux pavillon, aux assassinats ciblés et à l’écoterrorisme s’il le faut.
Alors que la majorité de la Cli-Fi est post-apocalyptique, KSR part du futur très proche et montre les efforts faits pour stabiliser puis inverser le changement climatique. Son approche est réaliste sur le plan scientifique, plus contestable sur le plan sociétal : si Robinson se prénomme Kim et pas Greta, et qu’il comprend donc bien que l’industrie ou les banques centrales ne peuvent être écartées d’un revers de la main, même avec le recours massif à l’écoterrorisme et une juteuse carotte (une monnaie carbone garantie cent ans, donc dans laquelle il est pertinent d’investir), il faut avouer que sa lecture des trente années à venir frôle parfois l’utopie, tant certains changements s’opèrent avec une rapidité et une absence de résistance (notamment dans une société aussi rigide que celle de l’Inde) nécessitant une certaine suspension d’incrédulité, les convictions idéologiques de l’auteur, voire les deux à la fois.
Et le fond n’est pas le seul à poser un problème potentiel : si le récit est en partie un roman classique suivant Mary et Frank, il est aussi éclaté en une multitude de points de vue ponctuels (anonymes, à la première personne, et pour la plupart non-récurrents) donnant une vision internationale et à hauteur d’homme des problèmes et de leurs solutions. Et certains points de vue, d’un photon ou d’un atome de carbone, sont vraiment très… particuliers. Ajoutez à cela une variété disons sauvage de styles (du poème au compte-rendu de réunion en style télégraphique), un déballage d’infos massif sur l’Histoire et la théorie de l’Économie, un rythme / intérêt très fluctuant, et une alternance de passages très arides avec ce qui est sans doute à ce jour le roman de l’auteur générant le plus d’empathie pour ses personnages, et vous en déduirez qu’alors que l’érudition de l’ensemble est, comme toujours chez KSR, admirable, on peut très clairement dire que oui, Le Ministère du futur est le roman Cli-Fi ultime, que oui, c’est un chef-d’œuvre, mais que ce ne sera certainement pas un livre apte à plaire à tous les publics.
Pour aller plus loin
Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Vive la SFFF !, celle du Blog Constellations,
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Je ne suis pas du genre à harceler, mais c’est vraiment super de voir un nouvel article. Je me suis sincèrement demandé si tu allais bien durant tout l’été (sans chercher à savoir, c’est juste une remarque sincère). Super aussi de voir les commentaires réouverts ! Et carrément génial d’attaquer la rentrée avec ce bouquin qui est sur ma pile d’analyses à rédiger. Merci Apophis !
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Merci à toi 🙂
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Ravie de pouvoir te lire à nouveau 🙂
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Merci infiniment 🙂
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Meme commentaire. Content de te lire à nouveau, meme si j’ai déjà des années de lecture devant moi en explorant l’historique du blog.
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Merci ! D’après les stats, il y a 812 « articles » sur le blog. Même si on enlève les « messages de service » et assimilés, ça représente, en effet, pas mal de critiques (surtout) et d’articles de fond à découvrir. Bonne lecture 😉
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J’hésitais à m’y mettre, et du coup, je me dis que je le lirai un jour, mais que rien ne presse…
J’ai « SOS Antartica » et « 40 jours de pluie » sur ma pàl depuis des mois.
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Content de te revoir ici, même si je ne commente à peu près jamais.
Je dois dire que je comptais acheter ce nouveau « KSR » les « yeux fermés » mais que ton avis me fait me poser des questions… Je ne suis pas certain de l’apprécier au final…
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Merci ! Cela reste le livre ultime sur un sujet / sous-genre donné écrit par un auteur qui est clairement un des plus importants de sa génération, et probablement de l’histoire des littératures de l’imaginaire. Pas un livre facile ou « détente », clairement, mais je dirais que c’est tout de même à lire, tout en sachant que ce ne sera parfois pas une partie de plaisir. Après, rien ne t’empêche de le lire par petites bouchées et en parcourant en diagonale les passages les plus arides, ça aidera clairement à mieux apprécier le reste.
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Je suis extrêmement heureux de te voir de retour ! Ça faisait un moment que ce livre me faisait de l’œil, et tu m’as convaincu : je trouve particulièrement passionnante (et angoissante) la politique internationale.
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Merci beaucoup ! Sur bien des aspects, c’est en effet un livre passionnant (non seulement sur les relations internationales, mais sur le fonctionnement et l’histoire de l’économie), qui passera d’autant mieux si on sait à quoi s’attendre à propos d’une forme parfois un peu particulière et d’un fond utopiste qui ne surprendra guère ceux qui connaissent, même un minimum, l’auteur.
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Apophis is back 🥳 !
De K.M. Robinson, je n’ai lu qu’Aurora, qui m’a laissé un souvenir assez fort.
Je note tes réserves pour celui-ci, que j’avais repéré. Je m’y risquerai peut-être.
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Salut Brize ! De l’auteur, je te recommande particulièrement (outre Aurora et la trilogie Martienne) Chroniques des années noires, une référence de l’Uchronie. Les Menhirs de glace est aussi très intéressant (j’en dirai d’ailleurs un mot très prochainement).
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Pas entendu parler du second, mais tu me rappelles le premier, vu dans le Guide de l’uchronie mais oublié depuis (le nombre de pages a dû me retenir 😁!).
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Quel plaisir de te lire à nouveau !
Nous pensons toujours tous à toi, et te souhaitons le meilleur pour ta santé !
Merci pour cette mise en garde concernant ce KSR attendu de près.
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Merci beaucoup Jean-François !
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Je viens de finir le roman, et j’ai été agacé par sensiblement les mêmes points. Ça parait tellement facile à partir d’un moment, alors qu’on galère tellement actuellement à n’avoir qu’un minimum de prise de conscience…
Question : tu avais lu la trilogie climatique de KSR ? Pour ma part, je l’avais lu à l’époque et elle me laisse un bien meilleur souvenir que ce roman.
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Non, pas lue.
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Excellente nouvelle que d’avoir reçu un mail ce matin m’indiquant un nouvel article sur ton blog !
J’étais très hésitant quant à la lecture de ce livre. Le début de l’article m’a donné envie de m’y lancer, la fin, m’en a dissuadé. Bon, au final, je lui laisserai peut-être sa chance un jour, mais… y a d’autres livres dans ma PAL à lire avant.
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Oh je te comprends, les livres à lire s’accumulent sur mon bureau sans que j’arrive à dégager du temps pour faire descendre la pile, à part pour les plus courts.
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Content de pouvoir lire de nouveau tes articles, j’espère que tu vas mieux 👍😊
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Merci !
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hello ! content de votre retour ! allez c’est reparti pour une liste d’achats, d’ailleurs débutés avec le tme 3 des maitres enlumineurs !
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Merci ! Tome 3 que je n’ai pas encore lu, pour ma part.
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je l’ai commencé. toujours aussi bien…
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Heureux de vous revoir et au plaisir de vous lire à nouveau.
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Merci !
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Quel plaisir de vous retrouver et merci pour cette chronique, je vais me laisser tenter
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Merci !
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Avec un peu de retard, content de vous lire à nouveau 😊 Je prends presque autant de retard sur mes articles à lire en ligne que sur ma pile de bouquins 😅
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Merci beaucoup !
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Le premier chapitre… quelle claque atroce 😦
Ma chronique arrive dans quelques jours. Mais je suis globalement d’accord avec toi : un livre imparfait, mais superbe.
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Oui, l’entrée en matière est effectivement hardcore.
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Ping : Le Ministère du futur — Kim Stanley Robinson – Constellations
J’ai été agréablement surpris.
Je suis pourtant hyper sensible a tout ce qui nuit a la simple lisibilité d’un livre.
Et la, je n’ai pas été géné pa la nature de certains narrateurs, ou leur multiplicité, ou leur anonymat (points qui m’avait inquiétés dans ta critique). A chaque fois, c’est assez court, assez identifié pour ne pas bloquer, pour ne pas me sortir du flot.
Sur l’utopisme du livre, je me prononcerai pas : c’est clair que certaines difficultés semblent être passé sous silence, et en même temps, le cheminement (et son mélange action légales / ecoterrorisme) semble plus plausible que beaucoup de solutions proposées. Et puis, tout n’est pas rose.
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