Héctor, Léo HENRY

Héctor. Avec un « é » devant le « ct ». Donc un prénom d’origine étrangère. Mais encore ? Qui se cache donc derrière ces six lettres ? Héctor Germán Oesterheld, scénariste de BD argentin. Peu connu en France par le grand public à la différence d’Hugo Pratt qui a franchi le seuil des amateurs de bulles et avec qui il a travaillé, il est très célèbre dans son pays et tient une place particulière. En raison de sa vie, et de sa mort. Aussi grâce à une de ses œuvres, L’Éternaute. Il est le personnage central de ce superbe texte de Léo Henry.

Un homme au centre de la tourmente

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre mon introduction, Héctor n’est pas une biographie. Enfin, pas une biographie au sens classique. Bien sûr, j’ai appris beaucoup sur la vie de cet homme. Son amour pour sa ville et son pays. Ses choix difficiles, qui ont en partie conduit à l’éclatement de sa famille. Sous l’impulsion de ses filles, essentiellement, incapables de rester les bras croisés face à la tournure macabre de l’Argentine. Leur emprisonnement et leurs destins, différents, mais tous tragiques. Et, par voie de conséquence, j’ai appris beaucoup sur la période trouble et terrifiante qu’il a vécue et qui l’a conduit à la mort. Sur le péronisme et ses ambiguïtés. Sur la dictature effrayante et meurtrière de Videla. Sur les cadavres envoyés depuis les avions pour ne pas laisser de trace (ça, malheureusement, j’en avais déjà entendu parler), d’où les interrogations qui subsistent pour de nombreuses filles et fils de victimes de la dictature.

Une structure à la Borgès

Mais Héctor n’est pas que cela. Loin de là. On entre dans ce récit par le chapitre zéro, qui nous parle de Borgès, le célèbre écrivain argentin. Et d’Aquilea, ville imaginaire qui sert de centre au film Invasión, d’Hugo Santiago, présenté à Cannes en 1969. Aquilea, double cinématographique de Buenos Aires. Vous voyez venir la structure labyrinthique ? Tout, dans ce récit, va servir de reflet. Et tout est inscrit dans ces premières pages où Léo Henry nous donne son programme.

Aquilea est pure surface. Un reflet de Buenos Aires dans un sombre miroir.

Aussi, dès le chapitre un (en fait, le deuxième), un narrateur qui semble être l’auteur nous raconte son arrivée à Buenos Aires. Il va se renseigner sur Héctor Germán Oesterheld, qu’il cherche à mieux comprendre. Pour cela, il va se promener dans la ville à la recherche des lieux où le scénariste argentin a vécu. Mais aussi des lieux dans lesquels il a été détenu, voire torturé. Ce qui n’est pas facile car beaucoup d’entre eux ont disparu ou ont été transformés en tout autre chose. Comme si cette période noire de l’histoire argentine s’était évaporée. Ou mieux, n’avait jamais existé.

Nous sommes sur la scène de l’histoire comme des acteurs de théâtre traversant brièvement les planches, condamnés à improviser nos rôles. Le script ne nous en est délivré que d’une heure à l’autre. Personne ne sait d’avance celle où nous passerons en coulisses.

Et en parallèle, l’auteur nous place dans le monde de L’Éternaute, cette BD mythique pour nombre d’Argentins. Dans cette série, mise en dessin par Francisco Solano López au début, des extra-terrestres mènent une invasion sur la Terre. Ils envoient sur Buenos Aires une neige toxique qui éradique la vie. Pour sortir, il faut dorénavant porter une combinaison de protection. Juan Salvo est un survivant qui va tenter de s’échapper de cet enfer. Et donc, dans Héctor, nous suivons un Juan Salvo qui se confond parfois avec Héctor Germán Oesterheld, voire avec le narrateur.

Un livre d’hommage tout en nuances

Avec Héctor, Léo Henry fait preuve de son talent et de sa finesse. Il sait jouer avec les ressemblances, avec les frontières entre réalité et fiction, rêve et souvenirs. Le fait d’avoir placé Borgès en ange (ou démon, car il ne fait pas l’impasse sur le silence assourdissant du vieil auteur argentin lors de la dictature ni sur sa complaisance apparente pour ce pouvoir criminel) tutélaire met tout de suite dans l’ambiance le lecteur. On ne saura jamais tout à fait où l’on est. Qui l’on est. D’un chapitre à l’autre, le point de vue change, comme on passe sans lien d’un endroit à un autre dans un rêve. On change de peau. Mais le propos reste le même. Comment Héctor Germán Oesterheld a-t-il vécu ces derniers moments ?

Cette écriture quasi onirique permet, me semble-t-il, de faire passer de façon plus forte encore l’horreur de cette situation, des disparitions, des tortures, des morts. Et cette volonté de tout écraser d’un voile d’oubli, de normalité, de nos jours. Comme, autre comparaison, on est dépaysé et décalé après un long voyage, on reprend difficilement pied dans cette réalité, ne sachant pas toujours sur quel pied danser. Mais le résultat est bien là : on a vécu avec Héctor Germán Oesterheld et on a appris à le connaître. De l’intérieur. De façon plus viscérale qu’avec une biographie classique.

Je vais vous dire ce que je crois : un récit, c’est presque exactement le contraire du réel. Prendre l’un pour l’autre est à la fois aisé et sans retour. Il est très facile de se perdre dans le presque contraire. Le contraire de la vie, c’est la mort. Le contraire de la parole, c’est le silence. Presque exactement son contraire, c’est le secret. Voilà, c’est là que je range le récit. Presque exactement à l’opposé du réel.

Pendant un moment, j’avais pensé insérer dans cette chronique une photographie d’Héctor Germán Oesterheld et aussi la reproduction d’une page de L’Éternaute. Mais finalement, je préfère vous laisser le choix si, comme moi, vous ne connaissiez ni l’un ni l’autre : vous faire vos propres images à la lecture de ce récit. Puis, si vous le désirez, aller voir à quoi ressemblait cet homme. À quoi ressemblait son œuvre. Ou non. Quoiqu’il en soit, si votre route croise celle de ce récit, n’hésitez pas : Héctor est une lecture dont il serait dommage de se priver.

Présentation de l’éditeur : Héctor Germán Oesterheld, scénariste culte de la bande-dessinée de science-fiction argentine, fut aussi, avec ses quatre filles, un des fameux « disparus » de la dictature militaire de Videla. Léo Henry le place au centre de son échiquier romanesque comme une pièce à la fois absente et omniprésente d’un jeu infini où la réalité et la fiction sont indémêlables, promenant son profil ombrageux entre les ruines de la ville imaginaire d’Aquilea et les galeries introuvables de la bibliothèque nationale de Buenos Aires. Fil rouge d’un récit que traversent les ombres de Borges ou de Hugo Pratt, sa figure énigmatique plonge le lecteur dans une Argentine méconnue, aussi fascinante qu’étrange.

Rivages – 1er février 2023 (roman inédit– 205 pages – 19,50 euros / numérique : 14,99 euros)

D’autres lectures : Hugues (Charybde 27)Weirdaholic


13 réflexions sur “Héctor, Léo HENRY

  1. labyrinthe : tu as dit le mot magique pour capter toute mon attention ^^
    je n’ai jamais lu cet auteur, je sais pas quel texte commencer, j’ai bcp aimé ta chronique. Merci beaucoup !

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  2. Merci à Léo Henry d’avoir salué la mémoire de cet auteur de BD, méconnu pour beaucoup.,tué par la junte militaire, mais qui n’est pas mort définitivement puisqu’il continue à vivre,comme beaucoup d’autres à travers ce type de témoignage.

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  3. Ce livre a vraiment l’air fascinant. Il me fait aussi un peu peur, mais je pense que je le tenterai à l’occasion tellement il semble sortir de l’ordinaire.
    Et toi, tu as continué tes recherches sur Héctor apres lecture ou tu en es resté là ?

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  4. Bonjour Claude,
    Je propose sur février une activité autour de la littérature latino-américaine, et j’aimerais ajouter dans le récapitulatif de l’activité un lien vers votre billet. En effet, bien qu’écrit par un auteur français, ce titre rentre par sa thématique dans le cadre de l’activité, et semble par ailleurs mériter une large diffusion…
    Bonne journée !

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