Job est partout, par Dado, peintre

 ©Dado

« J’avais une chouette apprivoisée, je vivais seul dans un village, je ne sais pas si tu te rends compte ce que ça donne comme effet ! Les enfants étaient là à me lancer des cailloux, c’était assez épouvantable. »

Pour le Monténégrin Dado (1933-2010), la peinture est vie, sur-vie.

Elle est tellurique, dionysiaque, nietzschéenne, expression de puissance, mystère.

Ouvrage reprenant ses conversations – enregistrées – avec Christian Derouet, ayant eu lieu dans le cadre de l’exposition Dado. L’exaspération du trait (Centre Pompidou, novembre 1981), Dado. Portraits en fragments permet d’entendre dans toute son ampleur, après la publication en 2016 de Peindre debout par L’Atelier contemporain, la voix sans concession d’un artiste de haute singularité (dessin, peinture, sculpture, gravure, collage, photographie). 

 ©Dado

Formation à l’Ecole des beaux-arts de Herceg-Novi (Monténégro), auprès de son oncle maternel peintre – dispute épique à propos d’Emil Nolde que son aîné trouve décadent – puis installation à Belgrade, avant de partir en France, de rencontrer par l’intermédiaire de Jean Dubuffet le marchand Daniel Cordier et de partir vivre dans le Vexin.

« L’art moderne, ça n’existe pas, l’art a toujours été moderne. »

Découverte du Louvre, passion pour la peinture française (Ingres, Chardin, Le Nain…). 

« Aucune peinture n’est censée voyager ! Aucune ! Toutes les peintures se cassent la gueule sans exception en voyage, toutes sans exception ! Si tu veux aimer en profondeur un peintre, si tu veux te marier avec un peintre et faire des petits, il faut que tu passes trente ans dans un pays pour l’aimer. (…) Aucune peinture n’est universelle, elles sont toutes locales. »

Les hivers sont longs dans le Vexin, ses habitants par leur idiosyncrasie le frappent, Dado fait leur portrait, témoignant de beaucoup d’affection pour le Père Lévêque (qui roulait des pelles à la Mère Gérard pour lui dire au revoir).

 ©Dado

« Il y a des peintures aussi avec ces personnages-là, et je ressens une gêne. J’étais un voyeur, j’étais un salaud, qui les regardait, qui faisait des tableaux. Je les enlaidissais encore plus. Je ne suis pas très fier sur le plan humaniste, si tu veux, de la chose, mais c’était vraiment une chronique. »

Etre spectateur, entendre les corbeaux, côtoyer les marginaux.

Refuser la mollesse.

Aller à l’essentiel.

« Quand tu graves sur une plaque de cuivre vierge, si tu veux effacer, il faut que ça passe dans un atelier de polissage et tout ça. Il n’en est pas question. Alors donc, je grave par-dessus. »

 ©Dado

Vitesse, intensité, précision.

Aquarelles, encres diluées, lavis, crayons de couleur.

Habileté, refus de l’habileté, passages, nœuds, densité, labyrinthe.

C’est la valse des marchands – essentiellement Daniel Cordier et Jean-François Jaeger.

Sacrifier le beau – mais les bourgeois récupèrent tout.

Ne délivrer aucun message.

Interrogé sur ses influences, les peintres qu’il apprécie, ou moins, Dado évoque Chardin, Dürer, Goya, Vélasquez, Francis Bacon, Ben Shahn, Ivan Albright, Balthus, Pierre Klossowski, Pierre Bettencourt, Otto Dix, Jean Dubuffet, Le Douanier-Rousseau, Pierre Bonnard, Henri Matisse, Hans Bellmer, Öyvind Fahlström, Robert Malaval, Daniel Pommereulle…

Eloge de Bernard Réquichot : « Il était beau garçon, très distingué. Il avait un côté séminariste, parce que son père voulait le mettre au séminaire. Il me tuerait s’il m’écoutait, mais il est mort, le pauvre, mais il aurait fait un curé parfait, je crois ! C’était un homme de lettres, Réquichot. Il avait un goût littéraire, une sûreté, un raffinement incroyable, et une plume extraordinaire. (…) Son travail me paraissait une chose beaucoup plus importante que mon propre travail. C’était le moment où, hélas, j’étais pas mal jaloux de Réquichot, je me disais, celui-là, il a beaucoup plus de courage, beaucoup plus d’intelligence, mais d’intelligence suicidaire si je puis dire, dans son travail, qui m’intimidait, qui me donnait un sentiment proche de la jalousie et de l’admiration, c’est un mélange. »

Plus loin : « J’ai de la tendresse pour Gérard de Nerval, j’ai de la tendresse pour Grandville, j’ai de la tendresse pour Buffon peut-être le plus parce que j’aime ses textes qu’il écrivait sur les animaux. Ce sont des portraits fabuleux, très lyriques, des animaux, je trouve ça formidable. »

 ©Dado

Dado n’est pas un lecteur compulsif, mais un merveilleux lecteur intense.

« C’est vrai, je lis très peu. Mais quand je lis, je pense que je lis vraiment. Je n’ai pas pris l’habitude, je ne suis pas un lecteur diplômé qui lit, qui dévore les livres, non. Quand j’ai lu un livre que j’ai aimé, c’est un des grands souvenirs. C’est comme un tableau, comme une architecture, comme quelqu’un, non ? C’est ça qui m’intéressait dans la lecture, c’est d’être proche finalement du type qui vient d’écrire. Et ce qui me fascine dans la littérature, c’est certaines pages que j’ai lues, j’avais l’impression que le bonhomme venait de les écrire. Tu vois ce que je veux dire ? Qu’il venait de les écrire, que l’encre était encore mouillée. C’est un peu le sentiment qu’on a devant un très beau tableau quand on reste en arrêt devant. Il vient d’être « écrit » pour toi exprès. Une espèce d’énorme luxe. Je ressens ça comme ça. »

Le poète Georges Limbour (1900-1970), le critique d’art britannique Michael Peppiatt (1941-), Patrick Walberg sont quelques-uns des critiques reconnus ayant écrit sur son œuvre.

Le texte de Peppiatt lui agrée-t-il ? « Absolument pas ! Il était complètement crétin son texte ! Complètement crétin ! Mais puisque je lui avais demandé, je n’avais rien à dire. »

Confession : « Au bout de mon pinceau, c’est con de dire ça, au bout de mon crayon de couleur, il ressasse là, il se met à respirer, cette espèce de cœur – si cœur il y a – se met à battre à ce moment-là. Mais moi, en dehors de l’acte de travailler, je ne suis rien. (…) Moi, je ne suis pas habilité à donner une échelle ; je trouve hyper gonflé et très antipathique lorsque les artistes parlent de leur travail. Ils assomment les gens […] avec le sens profond de ce qu’ils veulent dire, je trouve ça épouvantable ! Je trouve ça très laid et indécent. »  

Dado ©DOmingo Djuric

Maintenant place aux photographies de Domingo Djuric, François-Marie Deyrolle publiant conjointement en format italien un volume d’ampleur consacré à l’atelier du moulin d’Hérouval (Vexin) – acheté pour lui par son premier marchand, l’incroyable Daniel Cordier -, qui considérait cette série comme « un enfer transformé en Eden ».

Le chauffage manquait souvent, il n’y avait pas l’eau courante, les animaux étaient les bienvenus, en liberté évidemment, souligne sa fille Amarante Szidon – Dado les considérait comme des individus à part entière.

Un étang, une forêt, une vie naturelle.

Fils de l’artiste Hessie (1933-2017), dont on peut voir çà et là les créations de poupées, et de Domingo Ramirez-Arce (1933-2017), Domingo Djuric (1961-2022) fut adopté par Dado en 1962.

Leur ami Erro a décrit le couple que formait Hessie et Dado comme des extraterrestres.

Germain Viatte connaissait la planète de l’atelier : « Voici un lieu où tout était vivant, jusqu’au désastre et à la mort-même. Malgré un dénuement extrême, il semblait enchanteur. »

Photographié sur plus d’une décennie, l’atelier principal se remplit peu à peu de tableaux, d’objets hétéroclites, de sculptures.

Voici Dado, en noir et blanc, marchand près de chez lui, puis, peignant en blouson dans le froid.

Le peintre danse avec sa toile, alors que son chien se roule par terre devant le photographe.

D’une toile à l’autre, comme un navigateur.

 ©Dado

Germain Viatte commente : « Le peintre navigue dans son océan de chimères, son délicieux cloaque de corps béants, illustrant la maxime de Buffon : « l’intérieur, dans les êtres vivants, est le fond du dessin de la nature ». Chaque touche génère de nouvelles métamorphoses. »

Il n’y a pas de séparation entre la vie et l’art, tout est matière, matériau, processus, monde commun.

Les enfants, merveilleux, traversent les pièces, posent parfois.

Dado aimait les fauteuils, ce sont ses trônes, modestes, défoncés, surfaces à peindre.

Un capharnaüm ? non, un carnaval, un espace vaudou.

L’artiste dort en chaussettes, sur une peau de bête, près de son poêle, il y est toujours peut-être.

 ©Dado

Le temps d’Hérouval est un document exceptionnel.

Des poupées, des gravures, un chat.

Des mains noircies, des cigarettes, des fétiches, des canards.

Une vierge à l’enfant, des brocs, une vache.

La maison d’Hérouval était un royaume.

Dado, Portraits en fragments, propos recueillis par Christian Derouet, édition établie et présentée par Amarante Szidon, L’Atelier contemporain, 2023, 262 pages

https://www.editionslateliercontemporain.net/collections/ecrits-d-artistes/article/portrait-en-fragments

Dominigo Djuric, Dado, Le temps d’Hérouval, préface Amarante Szidon, photographies commentées par Germain Viatte, L’Atelier contemporain, 2023, 274 pages

https://www.editionslateliercontemporain.net/collections/photographie/article/dado-le-temps-d-herouval

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