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Eugène SUE, Mathilde (1845) : un roman populaire

J’ai lu Mathilde, mémoires d’une jeune femme il y a déjà quelques années, pour un cours de M1 sur les romans populaires. Je vous recommande ce roman-fleuve qui fut d’abord publié sous la forme d’un feuilleton, c’est-à-dire en épisodes successifs, dans le périodique La Presse. Les épisodes ont ensuite été réunis en un ouvrage de plusieurs tomes, paru en 1845.

Cette composition en épisodes tient le lecteur en haleine : chaque épisode s’achève sur des scènes extraordinaires, des révélations à demi-mots ou des propos empreints de suspense. À l’époque, le Tout-Paris en attend impatiemment la parution.  

Ce roman-feuilleton est aussi ce que l’on nomme aujourd’hui un roman populaire. Il s’agit d’un genre qui regroupe des romans facilement accessibles à tous, liés à la production de masse. Selon Daniel Couégnas, « le roman populaire, par l’intermédiaire du feuilleton, reprend et amplifie la formule : son texte est avant tout narratif parce que l’attente curieuse de ce qui va arriver dans la suite du récit, au « prochain numéro », constitue la motivation la plus commune, la plus fédératrice d’un lectorat potentiellement immense ».

Voici quelques éléments de bibliographie qui peuvent vous éclairer à ce sujet :

ARTIAGA Loïc, « Lu, critiqué, consommé : le roman populaire et ses lecteurs », dans : Loïc Artiaga éd., Le roman populaire. Des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles, 1836-1960. Paris, Autrement, « Mémoires/Histoire », 2008, p. 117-135. DOI : 10.3917/autre.artia.2008.01.0117. URL : https://www.cairn.info/–9782746712003-page-117.htm

COMPÈRE, Daniel, les romans populaires, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2011.

COUÈGNAS, Daniel, « Qu’est-ce que le roman populaire ? », dans : Loïc Artiaga éd., Le roman populaire. Des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles, 1836-1960. Paris, Autrement, « Mémoires/Histoire », 2008, p. 35-53. DOI : 10.3917/autre.artia.2008.01.0035. URL : https://www.cairn.info/–9782746712003-page-35.htm

DUMASY-QUEFFÉLEC, Lise, « Univers et imaginaires du roman populaire », dans : Loïc Artiaga éd., Le roman populaire. Des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles, 1836-1960. Paris, Autrement, « Mémoires/Histoire », 2008, p. 75-95. DOI : 10.3917/autre.artia.2008.01.0075. URL : https://www.cairn.info/–9782746712003-page-75.htm

FRIGERIO, Vittorio, « Bons, belles et méchants (sans oublier les autres) : le roman populaire et ses héros », dans : Loïc Artiaga éd., Le roman populaire. Des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles, 1836-1960. Paris, Autrement, « Mémoires/Histoire », 2008, p. 97-115. DOI : 10.3917/autre.artia.2008.01.0097. URL : https://www.cairn.info/–9782746712003-page-97.htm

Quelques mots-clés : vertu, amour, amour, perversité, infidélité.

Les thèmes principaux abordés dans Mathilde apparaissent souvent binaires (on ne saurait toutefois appliquer systématiquement une dichotomie parfois artificielle) :

  • le milieu aristocratique et ses codes ;
  • le bien versus le mal ;
  • l’amour et la fidélité ;
  • la beauté versus la laideur ;
  • la vérité versus le mensonge ;
  • la candeur versus le calcul.

La crédulité de Mathilde doit être soulignée dans la mesure où elle ignore tout des codes dont chacun use en société, par-là elle est sans défense, livrée aux beaux parleurs, individus dont la malveillance est sans limite. Elle va ainsi d’illusion en désillusion, à grand renfort de réactions fortement « lacrymales ».

Cette dualité demeurera prégnante tout au long du récit : le bien opposé au mal, une dichotomie certes déjà évoquée, mais dont la simplicité finale correspond aux poncifs du roman populaire.

En quoi Mathilde est-il un exemple représentatif du roman populaire ?

Eugène Sue brosse dans Mathilde la peinture des mœurs d’une époque. Il met en lumière un certain milieu aristocratique, au sein duquel les préoccupations des jeunes filles et de leur mère – ou de leur tante – sont l’amour, les bals, le mariage, mais aussi la fidélité, la fortune, les sentiments. Pour l’héroïne, Mathilde, il s’agit surtout de la vertu ; elle considère la pureté morale comme un idéal. Mais les illusions s’estompent pour laisser place à la tromperie, la manipulation, le duel réparateur d’une offense.

On retrouve régulièrement l’opposition entre Mathilde, qui incarne le bien, et sa cousine Ursule, qui représente le calcul, l’immoralité, la séduction… Cette dualité apparaît en filigrane dès les premières pages ; elle n’est cependant ni naturelle ni innée, mais travaillée, obtenue par de laborieuses et systématiques démarches de sabotage affectif perpétrées par la tante de Mathilde, Mademoiselle de Maran.

Les motifs épistolaire et diariste abondent tout au long du récit. Leur importance en nombre n’en est pas moins qualitative, dans la mesure où ces motifs apportent des informations essentielles à la compréhension du récit ou de la personnalité de tel ou tel personnage.

Par-là, le fond et la forme s’entremêlent de façon significative. La curiosité que le feuilleton éveille chez le lecteur prend toute sa légitimité. Il s’agit fondamentalement d’atteindre la sensibilité du lecteur, c’est pourquoi notamment l’action prévaut dans le récit. Ce dernier est ainsi facile à lire, sa lecture étant guidée par la structure en deux parties, puis en tomes et chapitres : chacun possède un titre qui facilite d’autant la compréhension de l’intrigue.

Les rebondissements sont très nombreux, de surcroît ils sont souvent le résultat de la lecture d’une lettre, d’un journal intime… On note à ce propos que la répétition formelle ou en matière de fond est un trait propre au roman populaire. Pour Daniel Couégnas, dans le roman populaire, « les choses répétées plaisent ». Par ailleurs à chaque fois que le bonheur de Mathilde semble acquis, une nouvelle péripétie met à mal à pérennité. On peut en conclure que Mathilde, mémoires d’une jeune femme, par la forme qu’il arbore aussi bien que par les poncifs qu’il emploie, est bien représentatif de la littérature populaire.