Babx, poète mélancolique et fou chantant.

Après avoir assisté au concert organisé le jeudi 4 avril au Marché-Gare de Lyon (rue Casimir Périer dans le 2ème arrondissement, dans le quartier de Confluence), il m’est clairement apparu que Babx, de son vrai nom David Babin, est un grand artiste qui mérite à être plus reconnu par le « grand public », et ce d’autant plus qu’il fait partie de ces artistes dont la présence sur scène révèle l’enthousiasme (au sens étymologique du terme grec : « le fait d’être inspiré ou habité par un dieu ») et le génie. Les critiques l’ont parfois comparé à de grands compositeurs et paroliers de la chanson française, comme Gainsbourg ou Bashung, sans pour autant toujours parvenir à capturer par leurs mots ce qui fait son originalité, et sa touche singulière. Un conseil donc, dès que l’occasion se représentera, achetez vite vos places pour son concert : moment magique assuré !

Babx_carrousel

Avant tout, les textes de Babx se suffisent à eux-mêmes, et sont de véritables poèmes : la musique, comme il le dit lui-même dans l’interview ci-dessous (donnée à l’occasion de la sortie de son deuxième album, « Cristal Ballroom »), est en quelque sorte la prolongation de l’atmosphère qui ressort des paroles et qui est déjà sous-jacente dans les mots. Ainsi, selon les chansons, la musique et les choeurs se font angoissants (« Despote Paranoïa ») ou envoûtants (« Springtime »), mais toujours révélateurs des sentiments de leur auteur. D’ailleurs, puisque l’on fait l’analogie entre l’oeuvre de Babx et la poésie, il est bon de remarquer que ses albums sont souvent pensés comme un tout, de la même manière qu’un poète pense son recueil comme une sorte de « programme » qui tourne autour d’un même thème ou d’une même « ambiance » (le spleen chez Baudelaire, la négritude chez Césaire, etc.). Chacune des chansons concourt à apporter un élément nouveau à l’ensemble qui garde tout de même sa cohérence, avec des images, des références, des sentiments communs à un album.

Babx connaît la portée des mots, le pouvoir évocateur qu’ils acquièrent par leurs sonorités, et il prend le parti de s’amuser avec eux dans toutes ses chansons, comme « Crack Maniac », toute en allitérations… Même jeu sur les consonnes dans « Suzanne aux yeux noirs », avec la première phrase, où se répètent les « s » et les « z » : « Suzanne s’amuse à faire sonner les cloches de Zanzibar »… La paronomase (= figure de style reposant sur plusieurs mots à la prononciation proche) aussi est amplement utilisée : jeu sur « atoll »/ »atome » dans « Les Noyés », « bas résilles »/ »barillets » dans « Remington Requiem », et tant d’autres, qu’il serait amusant de relever, au fil des textes. Parfois, les jeux de mots reposent une homophonie osée mais toujours réussie : on entend ainsi parler des « soleils hâlés (=allers) sans retour » dans « Lady L ». Nous en parlions justement mercredi pendant l’exposé sur le rap : la chanson, qui est faite pour être prononcée, comme la poésie, joue avec les mots et leurs sons, qui s’associent, se marient, ou parfois, s’entrechoquent. Il ne s’agit pas ici de rap, mais la volonté est la même : les textes sont à l’honneur, et pour cette raison, ils sont travaillés jusque dans leurs sonorités (ici, la chanson « Crack Maniac » : http://www.deezer.com/track/3004369, et là, « Suzanne aux yeux noirs » : http://www.deezer.com/track/65292456). Preuve supplémentaire que Babx est un poète avant d’être un chanteur, ses inspirations lui viennent souvent de sa culture poétique (du XIXème siècle, principalement), et il nous a fait l’honneur hier soir d’une chanson inédite qui était en fait la mise en musique d’un poème de celui qui, selon lui, est « le plus vieux punk de France », à savoir….. Baudelaire!

Mais comme tout artiste qui se respecte, Babx a aussi ses propres obsessions et ses névroses particulières. Ainsi, on retrouve souvent dans ses textes certains thèmes récurrents : la paranoïa (« Despote Paranoïa », « 8h04 ») et l’autodestruction (dans « Mourir au Japon », ou « Kamikaze »), le Japon (dans « Springtime », « Kamikaze » ou « Mourir au Japon »), le voyage et le dépaysement (dans « Bons baisers d’Islamabad », ou « Helsinki » et les chansons sur le Japon), la fin du monde et l’apocalypse (dans « J’attends les E.T. », ou « 2012 »), l’amour perdu ou malheureux (dans « Lettera », « Je ne t’ai jamais aimé », en duo avec Camélia Jordana), les figures féminines (« Suzanne aux yeux noirs », « Naomi aime », « Tes lèvres »), l’enfance (« Sous l’piano de ma mère », « Dans mon Gulliver », « On S’amuse »), la recherche vaine de la célébrité (« Lettera » est à la base une chanson qui parle de Loana de Loft Story et de la télé-réalité en général, ou « Silicone Baby »).

Babx semble en outre avoir gardé en lui la mélancolie, l’Ennui (vu dans la première séquence avec le poème de Mallarmé) propre aux poètes de la fin du XIXème siècle. Certains des airs utilisés, joués au piano (instrument qui a une importance particulière dans l’oeuvre de Babx), sont d’ailleurs directement repris de Chopin (début du XIXème), ou inspirés des airs de Satie (fin du XIXème/début du XXème). Avec ses cheveux ébouriffés et sa tête de fou, on verrait volontiers Babx dans une chambre de bonne du Paris haussmannien en train de se triturer la cervelle, comme Verlaine ou Mallarmé face à sa page blanche, sur quelques vers qui retiennent son esprit. Il y a dans la plupart de ses chansons quelque chose de morbide qui fait leur beauté, une forme de nostalgie dans les chansons d’amour par exemple, et une volonté parfois de regarder le vide en face sans détourner le regard et sans tenter d’étouffer l’angoisse qui en surgit, comme dans « Mourir au Japon ». David Babin semble avoir une conscience de l’absurdité de la vie très aiguë, qui se ressent dans l’intégralité de son oeuvre.

La très belle musique qu’il compose, principalement électronique (avis aux amateurs!), permet souvent d’insister sur cet aspect angoissant et morbide, tout en préservant une atmosphère onirique et parfois même éthérée. Malgré cela, un certain nombre de chansons manifestent une légèreté toute particulière, et se dessinent avec poésie comme des souvenirs de moments certes douloureux puisqu’ils sont irrévocablement passés, mais aussi perçus sous l’angle positif du bonheur qui subsiste de les avoir vécus (« Je ne t’ai jamais aimé », « Sous l’piano de ma mère », etc.).

Le dernier album, sorti en mars, explore les différents univers mentaux de Babx en gardant toujours cette patte qui est la sienne propre. On peut y trouver des chansons empreinte de mélancolie comme il sait si bien les composer, telle que « Les noyés » (qui fait d’ailleurs une jolie référence à Ophélie de Shakespeare), ou des chansons bien plus mouvementées comme « Tchador Woman », qui fait référence à une Saoudienne, Manal Al-Sharif, arrêtée et emprisonnée pour avoir osé conduire une voiture (quelle indécence!). Babx adopte donc ainsi une autre figure du poète, non seulement il est celui qui joue sur les mots et leur évocation, mais il est aussi celui qui est là pour ramener les esprits à la conscience de certains faits révoltants : le poète, c’est aussi (comme je le disais mercredi à certains d’entre vous) le rebelle. Babx nous l’a bien rappelé hier soir en dédiant une chanson à Christiane Taubira, en l’honneur de qui il a entonné « My Man » (ici, la version « classique » chantée par Billie Holiday : http://www.deezer.com/track/10865783).

En guise de conclusion, des liens vers des sites qui vous permettront d’écouter ses albums et de rendre votre week-end peut-être plus poétique que prévu…? Ici, le dernier album, intitulé « Drones personnels » : http://www.deezer.com/album/6399605 ; là, le premier, « Babx » : http://www.deezer.com/album/291279 ; et là, le deuxième, « Cristal Ballroom » : https://itunes.apple.com/fr/album/cristal-ballroom/id309580763.

Alors, qu’en pensez-vous ? Après écoute, quelles sont vos chansons préférées ? Les paroles qui vous touchent ou vous plaisent le plus ?

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2 commentaires pour Babx, poète mélancolique et fou chantant.

  1. Un artiste que l’on connaît peu, et que le grand public se doit de connaître

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