Michel Hastings, Avec Pierre Sansot. Flâneur du sensible

Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces Littéraires », 2023, 274 p.

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Michel Hastings, Avec Pierre Sansot. Flâneur du sensible, Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces Littéraires », 2023, 274 p.

Texte

L’ouvrage de Michel Hastings intitulé Avec Pierre Sansot, Flâneur du sensible pourrait s’apparenter à une promenade, documentée, riche, dans les méandres de la pensée du philosophe et anthropologue Pierre Sansot (1928-2005), dont l’œuvre, inclassable, a déjà dérouté beaucoup d’universitaires et autres lecteurs. Michel Hastings propose de la découvrir au travers de trente-deux courts chapitres. Le sous-titre, Flâneur du sensible, donne déjà le ton : Pierre Sansot est, en effet, présenté comme un « rêveur de mots » et le lecteur découvre les rêveries, la poésie, les émotions et la sensibilité traduites dans les écrits de cet auteur trop peu connu.

Michel Hastings étudie l’œuvre de Pierre Sansot à travers différents thèmes qui sont au cœur de ses ouvrages : l’enfance, l’art de la conversation, le souci de la description de détails ordinaires de la vie sociale, le rapport au politique, la ville et les paysages, le rapport au temps qui passe, ou encore la notion de crise et d’urgence. Le lecteur se laisse prendre au jeu, il découvre progressivement la pensée et le style de Pierre Sansot, dans une écriture très dense et riche en références bibliographiques (Gaston Bachelard, Georges Pérec, Erving Goffman, Michel Foucault, Gilles Deleuze, et bien d’autres auteurs sont cités). À travers cette analyse, Michel Hastings s’introduit de manière très furtive et ponctuelle dans l’esprit du lecteur en mentionnant quelques bribes de sa propre vie, mais toujours avec une grande réserve et pudeur.

L’ouvrage débute par quelques précisions concernant la nature du récit : il ne s’agit ni d’une biographie au sens classique du terme ni d’une analyse littéraire au sens strict du terme de l’œuvre de Pierre Sansot, analyse qui n’aurait pour objectif que de « faire sauter un verrou » afin de découvrir le sens caché de ses œuvres. Michel Hastings, professeur émérite de science politique, donne un autre sens à ce livre et le précise dès la première page : « Ce livre raconte un auteur en son œuvre. Visite posthume à celui que je n’ai jamais rencontré, mais que des lectures tardives m’auront permis, j’aime à le croire, d’approcher. » (p. 11) Il s’agit d’une balade documentée permettant de découvrir l’univers particulier de Pierre Sansot, dont les œuvres ont pu paraître assez insaisissables dans le champ académique, même si sa thèse intitulée La Poétique de la ville (1973, réédité chez Armand Colin en 1997) est souvent citée. Son approche se différencie alors des traités « classiques » de sociologie urbaine ou encore d’urbanisme et témoigne, comme le souligne un article du journal Le Monde publié juste après sa mort en 2005, de cette double volonté de rigueur et de liberté. Cette liberté de ton et d’analyse caractérise bien Pierre Sansot, présenté le plus souvent comme un vagabond, un rêveur, un flâneur, un poète, qui ne se souciait que trop peu des apparences et des codes prescrits et exigés par le monde académique.

La méthode d’observation du social de Pierre Sansot est illustrée dans ses ouvrages tels que Les Gens de peu, Du bon usage de la lenteur ou encore Le Goût de la conversation. Promouvant plutôt une approche « sensible » de la réalité du social plutôt que de vouloir appliquer une méthode sociologique jugée trop rigide, chargée de décortiquer la vie réelle au scalpel, au risque de vider de son sens et des émotions les phénomènes observés, son œuvre a pu dérouter et être jugée, par certains universitaires, inclassable. La description de détails devient essentielle :

La réalité sociale se lit plus justement dans les détails, dans les plis cachés, les récits officieux, dans le va-et-vient permanent que la singularité, voire l’anomalie, noue avec l’histoire lente des normes. Peut-être suffit-il de succomber à une certaine candeur pour évoquer l’univers des choses minuscules, conserver son regard d’enfant le plus longtemps possible. [] La vie sociale se met en ordre sous un aspect brouillon, fait de griffonnages, de ratures et de réécritures. (p. 131)

Pierre Sansot pouvait créer ses propres catégories d’analyse, déjouant ainsi les catégories scientifiques utilisées en histoire, sociologie ou encore anthropologie. Les « gens de peu », comme il les appelle, se trouvent entre les ouvriers et les pauvres, et conservent une certaine forme de dignité. Il ne veut pas les figer dans une catégorie spécifique, telle que les classes populaires, au risque de les réifier et de les « instrumentaliser » dans certaines de ses analyses sur les jardins publics ou encore la ville. Il veut saisir la réalité du social « par le bas » en décrivant la beauté des « petites choses », des détails qui l’entourent comme pouvait le faire l’auteur Georges Pérec. Pierre Sansot étudie les choses en prenant en compte les vicissitudes de la vie réelle, porte un regard vif sur la réalité pour mieux appréhender sa complexité, en comprenant les individus non par un statut ou encore un rôle qu’ils auraient dans la société via une profession, un niveau de capital culturel, social ou encore économique, mais davantage par leurs émotions, leurs conversations, leurs déambulations, leurs mobilités. Pierre Sansot cherche à traduire, par l’écriture, de manière la plus fidèle possible, ce qu’il observe.

Jugé vagabond ou encore « poète du social », Pierre Sansot adopte une méthode bien spécifique pour observer ce qui l’entoure. Michel Hastings cherche à rendre compte de la richesse de l’approche adoptée par Pierre Sansot sur des thématiques aussi diverses que les parcs publics, la ville, les paysages, le temps, l’enfance, les conversations avec les « petites gens » si riches qu’elles suffisent à rendre compte de la beauté du monde. L’ouvrage est dense, mais permet au lecteur, tant novice qu’initié, de découvrir un autre regard sur le social qu’un sociologue ou un anthropologue « classique » pourrait avoir. Michel Hastings souligne la nécessité de lire les trente ouvrages de Pierre Sansot comme une invitation à la déambulation poétique dans les méandres de la vie sociale, afin de mieux en saisir toute la complexité. L’ouvrage est déroutant mais très riche, tant le lecteur découvre l’univers particulier de Pierre Sansot, qui reste un auteur insaisissable dans sa manière de percevoir le monde.

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Référence électronique

Caroline Clair, « Michel Hastings, Avec Pierre Sansot. Flâneur du sensible », IRIS [En ligne], 44 | 2024, mis en ligne le 09 février 2024, consulté le 07 mai 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3916

Auteur

Caroline Clair

PRAG en sciences sociales, Sciences Po Lille
Doctorante en science politique, CERAPS, université de Lille
caroline.clair@sciencespo-lille.eu

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