“Do New-York”, conseillait l’écrivain Henry James à Edith Wharton en 1902. L’écrivaine américaine se saisit alors du monde qu’elle a sous les yeux : une haute société new-yorkaise moribonde, qui peine à s'adapter aux bouleversements de la modernité. Face aux parvenus de la finance, les aristocrates se raccrochent au souvenir d’un monde en passe de disparaître. Immobilisme moral, richesse vaniteuse et ostentation caractérisent les personnages whartoniens. Dans un New-York en pleine ébullition, Edith Wharton donne à voir un monde en transition : celui d’une élite ancienne qui cède sa place aux hommes d’affaires modernes, devenus visages de Manhattan et de l’Amérique moderne.
Une rebelle de l’aristocratie new-yorkaise
Edith Wharton est née dans la bonne société new-yorkaise en 1862, au cœur de la guerre de Sécession. Elle connaît donc les codes, les valeurs, mais aussi les travers de cette haute société qu’elle décrit dans ses romans. "Bien qu'elle soit née dans une société des oisifs, Edith Wharton met un point d'honneur à travailler et à gagner son propre argent. Elle a également bénéficié d'un certain nombre d'héritages", explique Anne Ullmo.
Les nantis, une société moribonde
Edith Wharton fait de New York le théâtre d’une certaine décadence morale. Elle se moque en effet de son aristocratie d'origine, moribonde et oisive, mais aussi des "nouveaux-riches", saisissant un conflit social prégnant au sein des élites de la ville. Selon Alexia Blin, la guerre de Sécession cristallise ce rapport de force, prégnant dans la littérature d'Edith Wharton : "il y a une élite économique, culturelle, politique à New York qui est en grande évolution dans la période qu'Edith Wharton décrit, notamment avec le point de bascule qu'est la guerre de Sécession. Avant la guerre de Sécession, il y a deux groupes bien identifiés qui sont l'élite marchande, alors complètement dominante à New York, et une élite industrielle et financière qui est en train de monter (...). Le rapport de forces va s'inverser après la guerre de Sécession".
Un nouvel ordre économique : hommes d’affaires épiques et mystères de la finance
Ces nouveaux riches, nés de la Seconde Révolution industrielle, amusent Edith Wharton autant qu'ils l'intriguent. "C'est un monde assez mystérieux pour les femmes, mais aussi pour l'élite ancienne, qui n'a jamais trempé ses mains dans quoique ce soit, puisqu'elle attend des rentes, des dividendes. Ce sont des gens qui ne s'intéressaient plus à l'argent du tout", précise Anne Ullmo.
New-York, épicentre de la modernité américaine
À l'époque où Edith Wharton écrit, New York enregistre une croissance économique et démographique qui entraîne des bouleversements urbains. "La bourse de New York prend son essor dans les années 1870/1880 (...). L'activité devient frénétique à Wall Street, avec tout un monde qui se développe : des services financiers, des avocats d'affaires, des compagnies d'assurance... qui vont en plus prendre une place importante dans la ville, puisque tout le quartier d'affaires se développe. En 1906 par exemple, un an après la parution de 'Chez les Heureux du monde', la Metropolitan Life, la grande compagnie d'assurance-vie, va construire une tour de cinquante étages sur Madison Square", rappelle Alexia Blin.
Pour aller plus loin
- Edith Wharton : Chez les Heureux du monde (1905)
- Edith Wharton : Les beaux mariages (1913)
- Edith Wharton : Le temps de l’innocence (1920)
- Anne Ullmo et Emmanuelle Delanoë-Brun : Anatomie d'une illusion : The House of Mirth : Wharton et Davies (Belin, 2013)
- Anne Ullmo : Edith Wharton (Belin, 2001)
Références sonores
- Lecture d’un extrait de Le temps de l'innocence d’Edith Wharton (1920)
- Lecture d’un extrait de Chez les heureux du monde d’Edith Wharton (1905)
- Extrait du film Le temps de l’innocence, 1993, réalisé par Martin Scorsese
- Lecture d’un extrait de Chez les heureux du monde, d’Edith Wharton (1905)
Références musicales
- La marche de Radetzsky de Leonard Bernstein (Bande originale de l’adaptation, par Martin Scorsese en 1993, du roman Le temps de l’innocence d’Edith Wharton)
- Pure Smile Snake Venom de Eartheater