« Supposons qu’au lieu d’être désigné par l’élection, un député le soit par une pétition signée de quatre mille citoyens ; il représenterait alors effectivement ces quatre mille électeurs et n’aurait pas de minorité contre lui puisque s’il avait existé une minorité dans sa circonscription électorale, ses membres auraient parfaitement eu le droit de signer d’autres pétitions. » – Robert Heinlein, Révolte sur la Lune, 1966

Science-Fiction ?

Née de la rencontre du progrès scientifique et technique et de la réflexion sur l’avenir, la Science-Fiction entretient des rapports étroits avec l’idée que la liberté est une valeur essentielle qui mérite d’être défendue.

Ce lien est particulièrement présent dans la Science-Fiction nord-américaine et date des années 1940 après que John W. Campbell prit la direction du magazine Astounding Science Fiction. Sous son influence, la « SF » devient une littérature bien particulière avec ses règles et ses codes comme la plausibilité scientifique et la qualité d’écriture. Mais, et c’est ce qui nous intéresse ici, la plupart des récits de cette période mettent l’individu au premier plan, en particulier l’individu capable et compétent dont l’archétype est D.D. Harriman, le héros de L’homme qui vendit la Lune (1950) de Robert Heinlein. On constate aussi très souvent dans ces textes une méfiance instinctive à l’égard des solutions collectives ou collectivistes proposées pour résoudre les problèmes pouvant se poser aux sociétés ou aux hommes.

Que ces thèmes soient au cœur du récit ou fassent simplement partie de la toile de fond de celui-ci, voici pour le lecteur curieux quelques références de textes excellents et traduits en français. En notes, on trouvera la bibliographie évoquée dans ces pages.

Science-Fiction

Science-fiction libérale – Nuage des mots de l’article.

Quelques titres d’intérêt

Déjà mentionné, Robert Heinlein a souvent abordé et utilisé ces thèmes et son influence a été et reste toujours considérable. Révolte sur la Lune, son meilleur roman, commence par la révolte des habitants de la Lune contre une Terre politiquement unie et en proie à la disette et à la surpopulation. Les Lunatiques élaborent une nouvelle société libre et indépendante en même temps qu’ils luttent pour leur indépendance. Parallèlement aux péripéties passionnantes mises en scène par l’auteur, ce roman est une longue réflexion sur la nature du pouvoir politique et sur l’organisation d’une société libre. Des sujets comme la démocratie parlementaire, l’éducation, la famille mais aussi la médecine et la justice font l’objet de réflexions novatrices.

Jack Williamson publie en 1949 Les Humanoïdes, un roman dans lequel des robots, d’abord destinés à soulager et à protéger les hommes du mal, vont peu à peu leur interdire toute activité qu’ils jugent dangereuse, les hommes n’auront ainsi plus le droit de faire du vélo ni de se livrer à la recherche scientifique…

En 1953, Cyril M. Kornbluth décrit dans son roman Le Syndic une société libre où ce qui ressemble le plus à un gouvernement est constitué par les descendants des gangs et des mafias d’aujourd’hui. Ce pouvoir organise notamment les paris, les courses et la vente d’alcool mais sinon n’interfère pas avec la vie des gens. Il assure même une retraite décente aux personnes âgées.

Le thème de la dictature douce se retrouve dans la célèbre nouvelle de Poul Anderson Pas de trêve avec les rois (1963). Dans ce texte, l’humanité a régressé à un stade quasi-féodal, mais des extra-terrestres vont intervenir pour aider les humains à reconstruire la civilisation, ou du moins l’idée que ces extra-terrestres s’en font, ce qui ne sera pas du goût de tout le monde…

Parmi les textes devenus des classiques, je mentionnerai encore La Grande explosion (1962) du Britannique Eric Frank Russell : des envoyés de la Terre sillonnent l’espace afin de rétablir le contact avec des colonies perdues. L’une d’entre elles est tout à fait remarquable car il s’agit d’une société sans argent constituée de petites communautés où tout le monde se connaît. Les interactions sociales sont basées sur les obligations que les gens ont les uns envers les autres et qu’ils effacent en rendant un service ou un bien.

Enfin, la nouvelle Pauvre surhomme (1961) de Kurt Vonnegut est une dénonciation du désir d’égalité à tout prix puisque dans ce texte, les danseuses doivent porter des poids afin de ne pas être plus gracieuses que les non danseuses et les personnes intelligentes portent un casque qui périodiquement leur envoie dans les oreilles un signal strident pour les déconcentrer.

Dans les dernières décennies, ces thèmes sont toujours présents dans la Science-Fiction américaine mais ont parfois pris un tour plus ouvertement revendicatif : il existe désormais une Science-Fiction ouvertement libertarienne, comme on dit parfois aujourd’hui.

Le coup d’envoi a été donné en 1975 par Robert Shea et Robert Anton Wilson dans leur trilogie Illuminatus. Malheureusement, seuls les deux premiers volumes ont été traduits en français sous les titres L’œil dans la pyramide et La Pomme d’or. Ces romans brassent quasiment toute l’histoire de l’humanité et narrent l’opposition éternelle entre les tenants de l’Ordre (les Illuminés) et les tenants de la liberté et du Chaos (les Discordiens).

Du côté des scientifiques purs et durs, Vernor Vinge a publié en 1986 La Captive du temps perdu qui réunit avec brio une enquête policière, des concepts scientifiques avancés (comme la Singularité) et des réflexions sur la possibilité d’existence d’une société libertarienne.

Cette trop courte liste ne serait pas complète si j’oubliais Snow Crash (1992), le chef-d’œuvre de Neal Stephenson. Relevant du Cyberpunk, ce roman situe l’action dans un monde où les gouvernements ont quasiment perdu tout pouvoir et toute influence au profit d’entités politiques de petite taille et entièrement privées.

Les thèmes de la défense de la liberté et de la résistance à l’oppression se retrouvent bien sûr dans la SF provenant d’autres pays et notamment de Russie. Je ne ferai que mentionner La Seconde Invasion des Martiens (1967) et L’Escargot sur la pente (1968) des frères Strougatski car ceci est une autre histoire…

Bien d’autres textes auraient bien sûr eu leur place ici, donc, à suivre…

 

Sylvain Gay, in Libres !, 2012

Couverture de Libres !

La liste des ouvrages évoqués est la suivante :

  • Poul Anderson, Pas de trêve avec les rois, in Le Chant du barde, Le Bélial, 2010.
  • Robert Heinlein, Révolte sur la Lune, Gallimard coll. Folio SF n°320, 2008.
  • Robert Heinlein, L’homme qui vendit la Lune, in Histoire du Futur – Tome 1 : L’homme qui vendit la Lune, Gallimard Folio SF n°207, 2005.
  • Cyril M. Kornbluth, Le Syndic, OPTA coll. Club du livre d’’anticipation n°66, 1977.
  • Eric Frank Russell, La Grande Explosion, in Prisonniers des étoiles, Bragelonne, 2010.
  • Robert Shea et Robert Anton Wilson, Illuminatus, Tome 1 : L’œil dans la pyramide et Tome 2 : La Pomme d’or, Librairie des Champs-Élysées coll. Abysses, 1998.
  • Neal Stephenson, Snow Crash, Bragelonne, 2009.
  • Arcadi et Boris Strougatski, L’escargot sur la pente, Le Champ libre, 1972.
  • Arcadi et Boris Strougatski, La Seconde invasion des Martiens, L’Esprit des péninsules coll. Domaine russe, 2002.
  • Vernor Vinge, La Captive du temps perdu, Livre de Poche n°7228, 2000.
  • Kurt Vonnegut, Pauvre surhomme, in Histoires de demain, Livre de Poche n°3771, 1989.
  • Jack Williamson, Les Humanoïdes, Terre de Brume coll. Poussière d’étoiles, 2009.