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Document généré le 12 juin 2020 17:17 Revue d'histoire de l'Amérique française GROULX, Lionel, Journal, 1895-1911. Édition critique par Giselle Huot et Réjean Bergeron, sous la direction de Benoît Lacroix, Serge Lusignan et Jean-Pierre Wallot ; biochronologie, notices biographiques et index thématique de Juliette Lalonde-Rémillard ; préface de Benoît Lacroix. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1984. 2 vol. (XIV-1108 p. en pagination continue). Pierre Trépanier Histoire de la famille Volume 39, numéro 2, automne 1985 URI : https://id.erudit.org/iderudit/304361ar DOI : https://doi.org/10.7202/304361ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Institut d'histoire de l'Amérique française ISSN 0035-2357 (imprimé) 1492-1383 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu Trépanier, P. (1985). Compte rendu de [GROULX, Lionel, Journal, 1895-1911. Édition critique par Giselle Huot et Réjean Bergeron, sous la direction de Benoît Lacroix, Serge Lusignan et Jean-Pierre Wallot ; biochronologie, notices biographiques et index thématique de Juliette Lalonde-Rémillard ; préface de Benoît Lacroix. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1984. 2 vol. (XIV-1108 p. en pagination continue).] Revue d'histoire de l'Amérique française, 39 (2), 286–289. https://doi.org/10.7202/304361ar Tous droits réservés © Institut d'histoire de l'Amérique française, 1985 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ 286 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE GROULX, Lionel, Journal, 1895-1911. Édition critique par Giselle Huot et Réjean Bergeron, sous la direction de Benoît Lacroix, Serge Lusignan et Jean-Pierre Wallot; biochronologie, notices biographiques et index thématique de Juliette Lalonde-Rémillard; préface de Benoît Lacroix. Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1984. 2 vol. (XIV-U08 p. en pagination continue). Le compte rendu d'une édition critique doit être double car il doit porter sur le texte et le travail d'édition. Commençons par ce dernier. Il faut féliciter la remarquable équipe qui s'en est chargée et les Presses de l'Université de Montréal. L'industrie québécoise (et même canadienne) du livre ne nous a guère habitués à ce genre d'entreprise, surtout poussée à un tel degré de qualité. On peut affirmer, sans risque de se tromper, que le Journal de Groulx établit un ensemble de normes par rapport auxquelles sera désormais jugée, COMPTES RENDUS 287 chez nous, toute édition scientifique. L'établissement du texte, l'heureux dosage de fidélité à l'original et de normalisation, l'abondance et l'intérêt des notes textuelles, historiques et littraires, la savante introduction, la bibliographie détaillée et les copieux index, tout recommande cette édition critique. Les historiens, les linguistes, les sociologues et la plupart des spécialistes des sciences humaines pourront y trouver leur profit. Les éditeurs ont raison, par exemple, d'y voir une mine de renseignements sur l'élaboration d'une langue et d'un style par un étudiant qui se sent des aspirations littéraires et qui doit partir des matériaux bruts que lui fournit le milieu populaire où il est né et qui l'a vu grandir. Le collège le munit à cet égard des outils dont il a besoin, mais il déforme autant qu'il forme: le véritable tempérament littéraire réussit à se libérer du moule scolaire, après en avoir tiré toute la valeur assimilable. Le Journal nous offre le fascinant spectacle, jour après jour, du long enfantement d'une vocation littéraire. Mais une oeuvre d'érudition n'est jamais parfaite. Comment échapper tout à fait aux oublis, aux erreurs et aux lacunes? Il est fatal que chaque lecteur attentif découvre ici et là un sujet de critique ou relève une faiblesse. Il me semble, par exemple, que la langue des éditeurs n'est pas toujours aussi correcte qu'on le souhaiterait. Motion gagnée, motion perdue, seconder une motion, dévoilement d'une statue, aviseur légal, s'est mérité, académique (au sens de scolaire), à l'effet que, etc. déparent un ouvrage d'aussi belle venue. A la page 710, la note 252 manque. Les index ne sont pas complets. Quelques coups de sonde dans l'index thématique et dans l'index onomastique le démontrent aisément. L'index ne vous indique pas qu'il est question d'Henri Perreyve à la page 614. Pourtant Groulx y déclare, plein d'enthousiasme: «Henri Perreyve lui-même sait-il de quelle amitié j'aime sa belle, sa royale âme de prêtre, royale de la double royauté du coeur et du génie!» Parfois, les éditeurs n'ont pas su reconnaître des réminiscences littéraires assez évidentes et même des références conscientes. A la page 681, lignes 24-26, Groulx écrit: «toujours entendre croître et pleurer [...] votre blessure fine et profonde.» Cela ne vous rappelle-t-il rien? Le Vase brisé de Sully Prudhomme, bien sûr! Quand Groulx note, au sujet de New York, que «la vie intense [y] coule à pleins bords» (p. 792,1.11), il reprend une formule de l'époque qu'il emprunte peut-être à l'abbé Félix Klein, professeur à l'Institut catholique de Paris (Au pays de «la vie intense», 6e éd., Paris, 1905). Il arrive que certaines notes étonnent le lecteur. Ainsi, à la suite d'une allusion de Groulx à Ménénius Agrippa et à l'apologue des membres et de l'estomac, les éditeurs précisent que Groulx «a probablement pris connaissance de cet apologue à travers Jean de La Fontaine» (p. 806, n. 43). Oui, mais pas uniquement chez La Fontaine. Les éditeurs oublient qu'ils ont affaire à un diplômé de collège classique qui a huit ans de latin derrière lui sans compter une courte expérience de professeur de lettres. Groulx aura traduit du Tite-Live, comme tout le monde. L'ordinateur a facilité la tâche des éditeurs. La transcription est presque exempte d'erreur (à la page 824, première ligne, les eux est certainement de trop dans cet alexandrin: «On m'avait dit: contre eux, les eux, les meurtriers perfides»). Plus loin, les éditeurs parlent de variantes d'ortographe (sic) [p. 932]. Quelques noms propres sont estropiés: Macdonald en deux mots dans l'index (p. 1083 - il s'agit du premier Premier ministre du Canada) et Gabriel au lieu de Gabriels (p. 412, n. 194). D'ailleurs ce dernier nom, qui est celui 288 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE de l'évêque d'Ogdensburg, ne figure pas dans l'index. Mais ce sont là des vétilles. L'ouvrage refermé, il vous reste un sentiment d'admiration sans borne devant une tâche aussi imposante. Songez seulement à la patience qu'il a fallu pour établir les notices biographiques des personnages secondaires mentionnés dans le Journal. Mais cette minutie et cette érudition n'ont de valeur que parce qu'elles ont été mises au service du Journal, sur lequel il y aurait tant à dire. Cette oeuvre jusque-là inédite révèle une époque et un milieu, mais surtout elle fait pénétrer dans l'intimité de Groulx. Sur Groulx lui-même, à part quelques détails et quelques corrections mineures, le Journal ne nous apprend rien de considérable par rapport à ce que nous avaient livré les Mémoires. D'autre part, après 1902, le diariste se fait inconstant; ainsi, au cours de l'année 1905, il n'a rien consigné dans son cahier. Le titre retenu par les éditeurs est à cet égard trompeur. En outre, comme ce journal n'était pas tenu en vue de la publication, il abonde en redites. Cependant, si le lecteur fait un effort pour ne pas se laisser rebuter par les défauts du Journal, il sera bien récompensé. Parmi ces défauts, il y a la fâcheuse habitude de multiplier les bulletins météorologiques; une irrépressible manie de versifier - mal, la plupart du temps; un abus du vocabulaire noble ou abstrait; un goût - douteux - pour les préciosités; une propension à l'amplification, pour ne pas dire au remplissage; beaucoup trop de pleurnicherie et de sentimentalisme à la mode romantique. Mais tous ces défauts s'atténuent avec le temps. A côté de quoi, on trouve d'excellentes pages relevées d'humour; des confidences poignantes; des passages d'une belle franchise; d'utiles témoignages sur son temps. C'est précisément quand le jeune Groulx ne s'applique pas à faire de la littérature qu'il écrit le mieux, que sa langue devient concrète et savoureuse. Alors il parle d'expérience et met en scène son village et sa famille, son collège et ses camarades. Très tôt, Groulx se reconnaît deux passions: la patrie et la religion. Au Séminaire de Sainte-Thérèse, il penche nettement pour un engagement de catholique laïc. Ses héros sont Montalembert, Ozanam, Veuillot, Moreno, Cortès. La religion personnelle de Groulx est peu présente à cette époque dans le Journal. L'idée du sacerdoce ne vient le hanter que tardivement. Son directeur spirituel prend sur lui de mettre fin à ses hésitations: il sera prêtre, prêtre enseignant. Cette décision n'entame en rien son militantisme, au contraire. Sa conception du métier d'éducateur, son désir d'innover, son option en faveur de l'action catholique des jeunes, ses convictions nationalistes, une certaine vivacité de caractère rendront intenable sa position au Collège de Valleyfield, que finalement il quittera. Entre-temps, son séjour d'études en Europe le confirmera dans ses vues, qui en acquerront plus d'âpreté. Groulx jugeait sévèrement son temps. A 19 ans, en 1897, il condamnait le 19e siècle, «siècle de décadence et de démoralisation» (p. 360). En 1907, à Rome, il s'en prend à «la société moderne, oeuvre de la raison et de la philosophie humaine hors de Dieu» (p. 827). La mollesse de la riposte des catholiques aux attaques des anticléricaux en Italie lui arrache ce cri d'indignation: «C'est par de pareilles stupidités qu'on semble convaincre le monde que le catholicisme fait de nous des lâches et des abêtis.» (p. 831). D'ailleurs, l'Église lui paraît en proie à une tragique crise doctrinale, travaillée qu'elle est par le modernisme et la théologie positive. Il est convaincu que l'irréligion et l'anticléricalisme menacent déjà le Canada français: «Ah! que j'aurais souhaité voir à côté de moi, ceux- COMPTES RENDUS 289 là de chez nous qui veulent avec entêtement dormir toujours leur profond sommeil d'optimistes acharnés et ne pas entendre les crépitements du sol qui déjà tremble sous nos pieds! Quelle curieuse mentalité que la nôtre, d'avoir les éblouissantes lumières qui ne nous permettent point d'ignorer l'enchaînement des principes et des faits, de savoir où mènent les doctrines subversives, et cependant de n'avoir jamais pu prévenir le succès du mal, de nous être toujours laissé devancer, et de ne songer à sauver le peuple que quand une moitié est déjà irrémédiablement perdue! Qu'il faudra travailler pour éveiller au Canada la conscience du péril», (p. 822-823) Syndrome de Y histoire parallèle ainsi que certains l'ont cru? perspicacité? Maintenant que l'on récrit l'histoire de l'Église québécoise non plus dans l'intoxication de la Révolution tranquille, mais plutôt au milieu des débris de la fête, peut-être conviendrait-il d'y regarder d'un peu plus près. Le Journal, constitue un document précieux sur la vie de collège et le milieu intellectuel québécois au tournant du siècle. Une chose frappe: le collège et le Journal paraissent plutôt imperméables à la question économique et sociale. Le nationalisme groulxien de cette époque, du moins tel que le traduit le Journal, reste insensible à la dimension économique et aux défis de l'industrialisation et de l'urbanisation. Entre ceci et ce qu'on a dit plus haut de l'Église, il y a certainement des relations à scruter. Toutefois, cela ne signifie pas que Groulx ne voit pas la misère (cf. le paragraphe sur «l'antithèse sociale Rome», p. 810). Si le Journal,, avec les années, se fait moins abondant puis cesse tout à fait, c'est que Groulx se laisse prendre par l'action et par son oeuvre et qu'il consacre beaucoup de temps à la correspondance. Les éditeurs, par les références qu'ils font à cette correspondance, nous fournissent un aperçu de sa richesse et de son intérêt. Elle est la suite toute naturelle au Journal. Souhaitons qu'on veuille bien nous la donner dans une édition scientifique d'aussi grande classe. Département d'histoire Université de Montréal PIERRE TREPANIER