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Articles }
L’indice de l’horreur chez Bret Easton Ellis.
Le Los Angeles ville morte de Moins que
zéro et Suite(s) impériale(s)
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B
ret Easton Ellis (1964) publia Moins que zéro (Less Than Zero) en 1986. Tout de suite
le succès fut phénoménal, le roman demeure, même aujourd’hui, une icône du
style de vie débridé d’une Amérique riche, blasée et cynique. Avec Moins que zéro ce
sont les principaux thèmes porteurs de l’œuvre de l’auteur d’American Psycho qui ont
été posés.
Roman de l’asphalte, Less Than Zero est essentiellement un livre sans histoire.
Le lecteur n’y est pas conduit par une trame discursive qui en démultipliant les
événements, les retournements, et les multiples interactions entre les personnages
ferait deviner un univers référentiel et sémantique, si ce n’est une fin projetée sous
forme d’achèvement, vis-à-vis desquels l’œuvre porterait sa ou ses voix narratives.
Le livre d’Ellis est d’abord et avant tout un roman sur la mort, non l’inquiétude de
la mort, mais simplement la présence de la mort, sa diffusion et son inhalation.
C’est un livre où la mort devient palpable par le fait qu’elle soit coulée dans tous les
détails.
Le déroulement des événements et la segmentation du temps sont déclenchés
par des éléments triviaux qui ne devraient constituer que l’arrière-fond de la substance concrète, « réaliste », du récit, mais qui sont ramenés sur l’avant-scène occupant ainsi, masquant si l’on veut, l’enjeu d’une action qui ne prend jamais place.
De tous ces éléments reliés entre eux émane un tableau qui non seulement
reflète le vide ontologique des personnages, mais qui de plus distille ce qu’on pourrait appeler une « substance mort » – en référence au titre francisé d’un roman de
Philip K. Dick (A Scanner Darkly en anglais) – à la place du sentiment, de l’envie, ou
de la joie, que l’on suppose être à l’origine d’une action humaine saine, positive.
nº 20, 2014 a contrario
143
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Helder MENDES BAIAO
L’indice de l’horreur chez Bret Easton Ellis....
{ Articles
Notre analyse va donc porter sur cet effet de narration, nous allons décrire la
façon dont Bret Easton Ellis construit la vacuité de son univers et la perdition de
ses personnages, et tenter de comprendre les enjeux fondamentaux tenus par la
pléthore d’objets-détails qui structurent et déterminent les normes de l’interactivité physique et mentale des protagonistes avec leur monde.
Ce faisant nous allons analyser l’œuvre d’Ellis comme une dystopie, ou
impériale(s) permettent cette lecture, car ils n’offrent aucune variation sur le thème
du bonheur, bien au contraire : contre la conception d’une cité idéale, Ellis nous
144
offre l’image d’un Los Angeles ville morte. Notre idée est cependant de montrer
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qu’à travers l’individualisme narcissique, l’expressivité trash, les représentations
gore et le minimalisme narratif, thématiques littéraires de prédilection chez
l’auteur américain, le narrateur accompagne pourtant le message délivré de sa
contre-image. L’œuvre d’Ellis serait alors un kaléidoscope sur le fond duquel les
travers de notre société s’affichant affreusement déformés, elle porterait notre
regard vers la dissolution du projet de libération et d’accomplissement humain qui
devait originellement la fonder.
Variations sur l’errance dans un monde à la dérive.
L’histoire débute par le retour de Clay, narrateur et héros du récit, à Los Angeles.
La première chose qu’il exprime, insérant aussitôt la narration dans un des thèmes
de prédilection de la littérature consacrée à la Cité des Anges, est l’angoisse du
système routier :
« Les gens ont peur de se retrouver sur les autoroutes de Los Angeles. C’est la
première chose que j’entends quand je reviens en ville. Blair vient me chercher à
l’aéroport de L.A. et marmonne ça pendant que sa voiture gravit la rampe d’ac1
Patrick O’Donnel fait le rapprochement entre le roman d’Ellis et celui de Joan Didion (1970),
Play It As It Lays (en français:
Maria avec et sans rien). Le roman
raconte l’histoire de Marie, une
actrice totalement à la dérive qui
parvient encore à unir le sens de
sa vie fragmentée en conduisant
à pleine vitesse dans le réseau des
routes et autoroutes qui forment
le grand système de communication de Los Angeles (Cf. O’Donnel
2010 : 62).
a contrario nº 20, 2014
cès. Elle dit: “Les gens ont peur de se retrouver sur les
autoroutes de Los Angeles.” Cette phrase ne devrait
pas m’ennuyer, mais elle s’incruste désagréablement
dans mon esprit. » 1 (Bret Easton Ellis 2008 : 9)
Clay, dont le père est bien placé dans l’industrie du
film, comme la majorité des parents des amis qu’il va
retrouver, habite avec sa mère et ses deux sœurs (ses
parents étant divorcés) dans une grande maison sur
le boulevard de Mulholland. Il revient à Los Angeles
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comme une utopie à l’envers. Les deux romans que sont Moins que Zéro et Suite(s)
L’indice de l’horreur chez Bret Easton Ellis....
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pour les vacances de Noël, ayant passé son premier semestre dans une université
privée de la Côte Est, Camden 2. À son retour il retrouve sa petite amie Blair et
va peu à peu renouer avec ses anciennes relations. Ses vacances seront une suite de
fêtes, de tours en voiture, de dîners, de séances de bronzage, de cocktails ou d’insomnies fébriles dans l’angoisse des nuits trop chaudes.
La caractéristique principale du roman est la perte de repères totale dans laquelle
habitant les beaux quartiers d’Hollywood sur les collines dominant la ville, et richissimes à souhait.
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Lorsqu’après une fête chez un personnage qui s’appelle Kim, où une de leurs
jeunes amies nommée Muriel s’est piquée à l’héroïne devant tout le monde, Clay
revient chercher sa veste oubliée, le lecteur peut assister à cet échange étonnant,
après que Clay ait demandé à Kim à quoi était occupée sa mère :
« “Elle va tourner ce film à Hawaii. Que fais-tu ?”
“Tu lui as parlé ?”
“Ne me demande plus rien sur ma mère.”
“Pourquoi pas ?”
“Ne dis pas ça.”
“Pourquoi pas ?” je répète.
» Elle trouve ma veste. “Tiens.”
“Pourquoi pas ?”
“Que fais-tu ?” elle me demande en me tendant ma veste.
“Que fais-tu, toi ?”
“Que fais-tu, toi ?” elle redemande d’une voix tremblante. “Me pose pas ce genre de question, s’il te plaît. Okay, Clay ?”
“Pourquoi pas ?”
» Elle s’assoit sur le matelas dès que je me lève. Muriel hurle.
“Parce que… je sais pas”, elle soupire.
» Je la regarde, je ne sens rien, je sors avec ma veste. » (Ellis 2008 : 168) 3
2
Le seul lieu imaginaire du
récit, qui revient d’ailleurs
régulièrement dans l’œuvre
d’Ellis. C’est là que se déroule
l’histoire de son deuxième
roman : Les Lois de l’attraction
(1987).
3
Nous nous sommes servis
des traductions françaises afin
de conserver une langue homogène dans l’article et parce que
la version originale en anglais
ne modifiait pas le contenu de
notre argumentation.
nº 20, 2014 a contrario
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évoluent les personnages de l’histoire, des Américains blancs de culture protestante,
{ Articles
L’indice de l’horreur chez Bret Easton Ellis....
Ce n’est pas seulement avec ses amis que Clay entretient ce genre de relations
beckettiennes, il en va de même, et là l’apathie est encore plus saisissante, avec
ses parents. On assiste par exemple à cette scène lorsqu’il retrouve sa mère dans un
restaurant chic à son retour de l’Est. Les deux personnages n’ont absolument rien à se
dire et Clay est en descente de cocaïne.
« Ma mère et moi sommes assis dans un restaurant de Melrose; elle boit du vin blanc,
demandant ce que j’aimerais pour Noël. L’effort que je dois faire pour lever la tête me
146
surprend.
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“Rien”, dis-je […].
» Je reste silencieux.
“Tu as l’air malheureux”, dit-elle soudain.
“Je ne le suis pas”, je lui réponds.
“Tu as l’air malheureux”, elle répète plus doucement. Une fois encore, elle touche ses
cheveux blonds décolorés.
“Toi aussi”, je dis en espérant qu’elle n’ajoutera rien.
» Elle ne dit rien d’autre avant d’avoir terminé son troisième verre de vin et de s’en être
versé un quatrième. » (Ellis 2008 : 20)
On le remarquera aisément, le roman tourne pour l’essentiel autour de la problématique de la consommation de drogues et de l’aliénation individuelle dans un
monde devenu superficiel et absurde. Cette thématique n’est pas inédite dans la littérature occidentale. Ainsi, comme nous le signale la critique, Moins que zéro s’inscrit
dans la lignée de la littérature de la dénonciation d’une décadence de la haute société
américaine. De Gatsby le magnifique (1925) de Fitzgerald en passant par Joan Didion,
Plays It As It Lays (1970, traduit en français par le titre: Marie avec et sans rien) ou pour
citer des œuvres cinématographiques, dans un film tel que Sunset Boulevard (1950),
le public peut retrouver la dénonciation de l’obsolescence vertigineuse avec laquelle
sont frappés les modes, les gens et les choses issus de la machine hollywoodienne à
produire du rêve. Ces œuvres structurent leur discours au sein d’une tendance critique forte dénonçant l’absence de sens moral parmi l’élite riche et libérale évoluant
dans les deux métropoles de la culture américaine que sont New York et Los Angeles.
S’inscrivant dans le discours de cette critique de la mondanité offerte par l’argent,
Bret Easton Ellis va cependant clairement la pousser dans ses ultimes retranchements métaphoriques.
a contrario nº 20, 2014
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elle a gardé ses lunettes de soleil, elle ne cesse de toucher ses cheveux, et je regarde
sans arrêt mes mains, à peu près sûr qu’elles tremblent. Elle essaie de sourire en me
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Dans Imperial Bedrooms (2010a), son dernier roman, l’auteur américain reprend les
personnages de Moins que zéro et s’interroge sur leur devenir une vingtaine d’années
plus tard. Dans les premiers chapitres, Clay – narrateur à nouveau – dénonce le
contenu, quoique véridique, du livre Moins que zéro – livre qui aurait été écrit par
un des « types de leur bande » – trouvant celui-ci « étonnamment conservateur, en
dépit de son immoralité apparente » (Ellis 2010a : 17). Assertion surprenante au su
de la réputation sulfureuse que la presse véhicule à propos d’Ellis, auteur supposé
fine, largement exacte.
Contrairement à un roman comme American Psycho (1991), qui a rendu Ellis monDocument téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.243.141 - 25/10/2016 15h01. © BSN Press
dialement célèbre, Moins que zéro et Suite(s) impériale(s) sont des espaces littéraires
où le minimalisme de l’écriture et le laconisme de l’expression viennent dessiner les
contours étranges et à peine visibles d’un monde fait de tours de cristal, de routes
qui défilent, de néons clignotants, de parkings vides et inquiétants et de béton,
beaucoup de béton. Los Angeles et sa banlieue constituant une zone bâtie de la taille
de l’Irlande, on comprend qu’Ellis puisse souligner en interview comment l’espace
immense de la ville, sa géographie isolée, entourée par le désert, l’ont inspiré dans
son travail d’écriture (J. Pearson, J. Hsu, 2011).
Dans ses deux romans Easton Ellis va saisir le monde par les yeux d’un narrateur
qui, la majorité du temps par écran interposé – la fameuse référence continue au
port de lunettes de soleil –, s’efforce avant tout de décrire les marques et les lieux à
la mode habillant son environnement. Les personnages, toujours insérés dans des
zones géographiques empruntées à la réalité et clairement identifiées, ne sont pas
intéressants pour eux-mêmes. On ne connaît rien d’eux, si ce n’est qu’ils sont riches
et habitent les plus beaux quartiers de la ville. Aucun personnage ne s’attache à
ses proches ou fait montre de la moindre émotion affective (Ellis, 2008 : 177), tous
s’efforcent pourtant de porter des marques connues et prestigieuses, de voir les
derniers films sortis, et de s’afficher dans les lieux à la mode. Voilà à peu près leurs
seules activités réelles.
Dans d’autres récits contemporains, les marques de commerce viennent apporter
une touche de vraisemblance, adresser un clin d’œil au lecteur, ou encore souligner
une appartenance de classe. Par contre, dans un récit comme Moins que zéro – procédé
qui est poussé jusqu’au délire dans American Psycho –, les marques et les objets structurent tout le rapport que les personnages entretiennent avec le monde, de même
que leur constant référencement va conditionner le déclenchement et le rythme
nº 20, 2014 a contrario
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décadent et pornographique. Celle-ci se révèle, cependant, après une analyse plus
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de la narration elle-même. Lorsqu’un nouvel espace-temps littéraire s’ouvre 4, Clay
décrit généralement ce qu’il porte, l’objet de marque qu’il est en train de manipuler
(beaucoup d’Iphones et de Blackberries dans Suite(s) impériale(s) par exemple) et la
façon dont son entourage est vêtu. L’attention portée à la mode, aux objets griffés et
à l’apparence est telle que, bien entendu, celle-ci devient la cause d’angoisses régulières et constantes, voire soudaines et d’une rare violence si un élément demeure
Cette répétition constante de noms de marques crée pour le lecteur un effet
« d’hyperréalité », d’omniprésence du réel, qui, allié à l’écriture analytique et froide,
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connote le récit d’une perspective clinique et médicale. Cette dernière est encore
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accentuée par le rapport que les individus entretiennent avec leurs corps.
Dans Moins que zéro, dès que Clay arrive de la côte Est, plusieurs de ses amis lui
répètent « qu’il a l’air pâle » et paraissent réellement inquiets et angoissés de cette
absence ou atténuation de bronzage 6. Bien entendu la chirurgie esthétique est omniprésente, et critiquée comme telle, celle-ci devenant même, remarquons l’ironie
du procédé, le révélateur de l’aspect maléfique qui habite les êtres. Clay décrit ainsi
Rip Millar (puisque les personnages acquièrent des noms de famille dans Imperial
Bedrooms) lorsqu’il le retrouve à son retour de New York :
« Je ne reconnais pas Rip tout de suite. Son visage lisse n’a rien de naturel, il est
refait de telle façon que ses yeux écarquillés ont l’air d’exprimer une surprise perpétuelle ; c’est un visage qui imite un visage, et qui paraît angoissé. Les lèvres sont
trop épaisses. La peau est orange. Les cheveux sont teints en jaune et soigneusement
plaqués au gel. On dirait qu’il a été trempé rapidement dans un bain d’acide ; tout
est tombé, la peau a été retirée. C’est d’un grotesque
4
Il est en effet totalement illusoire
de parler de chapitres : les plages de
narration sont trop courtes et ne renvoient à aucune structure littéraire
type, bien qu’un début et une fin
soient identifiables.
5
Cette angoisse du détail vient
régulièrement hanter Patrick Bateman, le personnage principal du
roman American Psycho.
qui confine à la gageure. Je me dis qu’il est drogué.
Rip est accompagné d’une fille si jeune que je la
prends pour sa fille, mais je me souviens ensuite
que Rip n’a pas d’enfant. La fille s’est fait refaire
tellement de trucs qu’elle a l’air déformée. Rip
était beau autrefois et sa voix est restée le même
murmure que lorsque nous avions dix-neuf ans. »
(Ellis 2010a : 40-41)
6
« Alana baisse les yeux, puis me
regarde et dit : “Tu as l’air vraiment
pâle, Clay. Tu devrais aller à la plage ou
faire quelque chose.” » (Ellis 2008 : 18)
a contrario nº 20, 2014
Comme la chirurgie, les séances d’U.V., de bronzage au soleil, de musculation, de régimes étranges
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méconnaissable ou inconnu 5.
L’indice de l’horreur chez Bret Easton Ellis....
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et exotiques, et les descriptions de coachs de musculation survitaminés sont donc
légion au sein du récit. En fin de compte, la consommation et le paraître sont présentés comme l’éthos de l’Amérique riche et blanche du Los Angeles de Bret Easton Ellis.
Dans Moins que zéro, Clay est partout pourchassé par une publicité dont il n’arrive
jamais à comprendre le message concret et qui au travers de ses lunettes de soleil lui
envoie le leitmotiv « Disparaître ici ». Le personnage véhicule d’ailleurs la peur d’être
Patrick Bateman dans American Psycho.
D’autres objets rentrent avec une facilité déconcertante dans le quotidien de
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nos personnages et viennent combler le vide laissé par l’absence d’une quelconque
activité réelle, concrète. Ceux-ci ont pour nom Valium, Xanax, Klonopin, Vicodin,
Quaalude, cocaïne, etc. Régulièrement au cours du récit les personnages expriment leur incapacité à se dresser dans le monde par leur inaptitude à demeurer
sobres. Cependant, malgré les doses ingurgitées, rien ne paraît en mesure d’atténuer l’angoisse, la paranoïa et l’hostilité ambiante. La plupart des personnages
paraissant d’ailleurs avoir atteint un seuil de tolérance frisant l’indifférence aux
médicaments. Ainsi, après en avoir pris, Clay répète à plusieurs reprises qu’il ne se
sent « guère mieux ».
Cette angoisse donne lieu à la figure de style la plus utilisée dans Moins que zéro et
Suite(s) impériale(s) : la parataxe. Ce qui aboutit à des constructions syntaxiques par
juxtaposition sans qu’aucun mot de liaison (en dehors de et) n’indique le lien entre
les subordonnées, qui paraissent alors flotter étrangement sur la page blanche. Cela
dure généralement deux ou trois lignes, avant que l’interaction avec un autre personnage (les deux romans comportant beaucoup de dialogues) ne reprenne le dessus. A
la fin de Moins que zéro, on trouve par exemple cette séquence :
« Je ne sais pas pourquoi je me rappelle un dimanche soir à neuf heures et demie à
la fin du mois d’août dernier où j’attendais un coup de fil de Blair dans une cabine
publique d’une station-service de Palm Desert. […] Je portais un jean, un t-shirt,
un vieux chandail en synthétique, des tennis sans chaussettes, j’étais hirsute et je
fumais une cigarette. D’où j’étais, je voyais un arrêt de bus et quatre ou cinq personnes assises ou debout sous les néons de la rue, qui attendaient. Il y avait un jeune
type d’une quinzaine d’années qui faisait de l’auto-stop et je me sentais nerveux,
je voulais dire quelque chose à ce type, mais le bus est arrivé et le type est monté.
J’attendais dans cette cabine publique sans porte et la lueur du néon, très vive, me
nº 20, 2014 a contrario
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peu à peu avalé par le béton, ou par la « bouche du monde » expression qu’emploiera
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L’indice de l’horreur chez Bret Easton Ellis....
faisait mal à la tête. Une colonne de fourmis investissait un pot de yaourt vide dans
lequel j’avais éteint ma cigarette. Ce soir-là tout était bizarre. » (Ellis 2008 : 225-226)
Dans Moins que zéro on trouve de nombreuses références à la série la « Quatrième
dimension » (Twilight zone) qui ouvrent un cadre interprétatif au travers duquel la
réalité est perçue et émotionnellement scrutée comme une séquence de science-
D’ailleurs une vingtaine d’années plus tard, Clay, revenant à Los Angeles, fera cet
aveu parfaitement explicite depuis la véranda de son appartement au centre de la
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ville :
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« Les panneaux publicitaires numériques brillant dans la brume grise semblent tous
dire non et les poinsettias qui occupent la plate-bande centrale de Sunset Plazza sont
mourants et le brouillard ne cesse d’envelopper les tours de Century City et le monde
est en train de se transformer en film de science-fiction – parce que rien de ce qu’il
est n’a quoi que ce soit à voir avec moi en réalité. C’est un monde où se défoncer est la
seule option. » (Ellis 2010a : 75)
Cette absence omniprésente et étouffante de lien logique entre les objets (qui
se rapproche presque d’une objection, d’une révolte intérieure serpentant entre
les mots et les lignes) accentue dramatiquement l’angoisse que chacun ressent en
augmentant son instabilité et son désir de fuite, ce que les personnages illustrent
par des déplacements incessants et sans but.
« Après avoir quitté Blair, je descends Wilshire puis rejoins Santa Monica, je prends
ensuite Sunset et Beverly Glen vers Mulholland, puis de Mulholland à Sepulveda,
puis de Sepulveda à Ventura, puis je traverse Sherman Oaks vers Encino et puis Tarzana jusqu’à Woodland Hills. Je m’arrête chez Sambo qui est ouvert toute la nuit et je
m’installe seul dans un grand box vide […]. » (Ellis 2008 : 69)
Ce comportement qui accompagne un processus d’auto-destruction mené tambour battant illustre des naturels qui au-delà de leur absence de conscience critique
apparaissent comme des mécaniques rongées par une corrosion intérieure dont
l’apathie constante semble seule les empêcher de prendre définitivement feu.
Ce vide ontologique est soutenu, s’il n’est rendu possible même, par des facultés
d’oubli qui tiennent du rêve éveillé. Clay disant d’ailleurs dans Suite(s) impériale(s)
a contrario nº 20, 2014
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fiction.
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qu’à partir d’un certain moment de la nuit il rentre dans la « non-zone », celle où
tout est indiscernable, primaire, futile et substituable. Ainsi, à l’interchangeabilité
des gens, des lieux et des marques répond l’oubli qui, comme la brume qui entoure
occasionnellement la ville, emporte dans son secret souvenirs d’enfance, moments
de joies, de jeux, et de bonheur. Seule subsiste une mélancolie qui conserve vivace
le sentiment de la tristesse et de la perte intérieure. D’ailleurs, le seul qui s’intéresse
encore à ses souvenirs est Clay qui dans Moins que zéro, mais pas dans la suite,
était encore instinctif. Lors de ces flashbacks, le temps, contrairement à celui de la
narration quotidienne, statique et compact, indifférent et toujours le même, se fait
alors plus doux et porte avec lui les heures joyeuses des réunions familiales d’antan.
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Il paraît néanmoins très lointain et n’exerce plus sur le présent le moindre impact
positif. De ce fait, le passé même n’offre guère de solutions, seul demeure un présent
dévasté, véritable champ de ruines du bonheur.
La mort comme principe d’organisation narratologique.
Après cette description des éléments et particularités littéraires des romans
d’Ellis, penchons-nous sur la structure narrative du texte et notamment sur la stylistique du réalisme quotidien construit dans ces œuvres. En effet, c’est la présence
de nombreux détails « réalistes » – en particulier la répétition de nombreuses
marques de commerce – qui permettent le dévoilement des codes de critique
sociale mis en jeu par la littéralité.
Clay est un narrateur avare de détails. Les deux romans ne contiennent pas
de descriptions. Le lecteur comprend où se situe l’action par le rappel qui est fait
des noms de lieux relativement célèbres de Los Angeles. Ce qui frappe dans cette
narration très dépouillée c’est l’instantanéité des événements, il y a réellement
une imbrication entre le psychisme du personnage et les éléments qu’il manipule.
À tel point que les objets en viennent à définir le sujet. Un personnage qui utilise
un objet n’existe que pour passer à l’objet suivant et ainsi de suite, suivant les
signes des lois consuméristes qui régissent prioritairement les mondes sociaux
d’Easton Ellis. Cette structure donne lieu dans Moins que Zéro et Suite(s) impériale(s)
à une narration plutôt laconique, peu expressive et ramassée sur elle-même. La
juxtaposition de phrases concises et disparates participe d’une atmosphère de
l’angoisse urbaine que le rappel incessant d’éléments à connotation négative (la
drogue, l’alcool ou les anxiolytiques) alourdit indéfiniment. Ces descriptions
recèlent donc toujours une tension narrative qui conduit le lecteur à anticiper une
sorte d’effondrement cosmique de l’univers fictionnel. Celui-ci n’a pourtant pas
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essaie de se remémorer les choses comme « elles étaient avant », lorsque l’espoir
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lieu, les mondes d’Ellis ne basculant dans l’horreur absolue qu’en des occasions
très ponctuelles et paroxystiques. Ainsi, lorsque Clay décrit ses premiers pas dans
l’appartement de LA qu’il vient de retrouver à son retour de New York, au début de
Suite(s) impériale(s) :
« Le portable vibre dans ma poche. Je le regarde avec curiosité. Un SMS de Julian,
avec qui je n’ai pas eu le moindre contact depuis plus d’un an. Tu rentres quand ? Tu
vais dans la cuisine et je jette un œil à l’appareil. Identité cachée. Numéro caché. Au
bout de quatre sonneries, la personne qui appelle raccroche. Quand je regarde dehors
de nouveau, la brume continue de dériver au-dessus de la ville, enveloppant tout. »
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(Ellis 2010a : 23-24)
Il est paradoxal que l’épithète d’hyperréalité censée décrire les univers d’Ellis (et
en particulier celui d’American Psycho) vienne en réalité illustrer chez Clay l’éthos
d’un mode de vie tourné vers le vide, le néant et l’angoisse existentielle. Comme
nous l’avons dit en introduction, les différents éléments narratifs et descriptifs qui
ponctuent l’action des deux romans participent d’un Ordnungsprinzip qui, s’il ne
range pas les œuvres d’Ellis parmi la catégorie idéologique des romans à thèse, n’en
souligne pas moins l’évidence d’un processus d’esthétisation du réel organisé autour
d’une notion clé : la mort. C’est ce processus d’esthétisation et ses significations
symboliques que nous allons éclairer à partir de maintenant.
Le langage avec lequel Easton Ellis décrit les scènes de mouvement, les moments
de séduction ou d’introspection est un langage haché, millimétré, distant et froid.
Il y a là à l’œuvre une poésie qui émerge de la logique et du détachement. L’isolement
et l’ultra-subjectivisme individuel conduisent des personnages à la psychologie
restreinte à des comportements mécaniques inspirés par une théâtralité mondaine.
Dans Suite(s) impériale(s), lorsque Clay entame un processus de séduction avec un
autre personnage appelé Rain, les références au monde de la comédie jouée sont
autant un indice de l’absence de personnalité des protagonistes qu’une allusion au
monde du cinéma où s’est installée l’action du livre
7
Lorsque Clay séduit Rain, ils
miment tous les deux les gestes
à accomplir. Elle souhaite décrocher un rôle dans un film, et il
veut coucher avec elle : « Elle
sourit comme si elle était sidérée, puis elle lève un bras pour
me frapper. Je recule, par jeu. »
(Ellis 2010a : 51)
a contrario nº 20, 2014
et que l’auteur, Bret Easton Ellis, vise à parodier 7.
Pratique récurrente qui atteste les différents niveaux
de réalité de l’œuvre d’Easton Ellis.
Ce type d’esthétique mécanique et surfait est en réalité une esthétique de la peur, car elle réfère, comme il
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es là ? On se voit ? Presque instantanément, la ligne principale se met à sonner. Je
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est dit régulièrement dans les deux textes, à l’incapacité des personnages à parvenir
à un bien-être à l’intérieur de l’environnement où ils évoluent. D’après le sociologue
Gilles Lipovetsky, il s’agit de comprendre la société moderne, celle qui a émergé en
Occident depuis le début du XXe siècle, comme une entité ayant tout pouvoir sur
elle-même ; ne cherchant même plus à se positionner par rapport à son passé et
encore moins par rapport à une divinité transcendante. Les réflexions du sociologue
sur l’idée d’individualisme se concentrent autour du concept de « narcissisme »
désirs privés de l’homme. Gilles Lipovetsky parle de « déstabilisation accélérée des
personnalités » et cherche à problématiser les questions de cet individualisme a
priori excessif. (Lipovetsky : 113-193)
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Les deux romans d’Easton Ellis participent de cette interrogation de l’individualisme post-moderne. Les enjeux des actions de leurs personnages sont portés par une
poétique du silence et du désenchantement. Ce silence traduit une absence : tout est
faux et joué. Il n’y a pas de joie, pas de cris d’enfants, juste des objets qui animent
l’espace des rues perdues et évanescentes dans la chaleur du soleil brûlant, où
illuminées la nuit par les faisceaux des hélicoptères de sécurité, balayant l’asphalte
éclaté. Les éléments de cette poétique picturale projettent donc sur le séquençage
de la cinématographie littéraire une noirceur indélébile et l’absence totale d’images
idéales. Cette absence d’horizon est si explicite, qu’elle est cyniquement réclamée par
Clay :
« Au Getty, il y a un dîner en l’honneur du commissaire d’une nouvelle exposition,
donné par deux responsables de Dreamworks, et je m’y rends seul et je suis de meilleure humeur, me contentant de flotter toute la soirée, beau comme il faut, un peu
pété, et je me retrouve sur une terrasse, le regard perdu là où le ciel est le plus noir à
me demander ce qu’en dirait Mara 8. » (Ellis 2010a : 135)
L’absence d’horizon, de croyances possibles et acceptées, est une constante du
genre littéraire que Sabine van Wesemael appelle le « roman transgressif contemporain », genre où l’on rencontre des auteurs comme Michel Houellebecq, ou Florian
Zeller pour la France, mais encore l’alter ego d’Ellis aux États-Unis : Jay McInerney,
ainsi que bien d’autres (Wesemael 2010). La particularité de ce genre, comme dans
l’œuvre d’Easton Ellis, est de mettre en scène des
individus en perdition, la plupart du temps drogués,
solitaires, désocialisés et totalement perdus dans des
univers qu’ils ne maîtrisent pas, ne comprennent pas
8
Mara est un personnage que
le lecteur ne connaîtra jamais et
qui n’est cité qu’ici, ce qui accentue encore l’effet d’étrangeté.
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grâce auquel il essaie de comprendre l’émergence d’un monde organisé autour des
{ Articles
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et qui leur sont hostiles. Le narrateur d’Easton Ellis, Clay, exprime ce sentiment
par la peur incessante qu’il ressent, son désir de disparaître et sa deshumanisation
progressive. Ces effets d’angoisse et de désenchantement omniprésents sont
perceptibles dans la narration par leur modélisation dans la répétition récurrente
des détails synthétisant, souvent de façon symbolique, le mode de vie dépensier et
matérialiste encouragé par la société de l’économie de marché généralisée.
taires sur l’espace urbain. Le narrateur de Big City, Bright Lights (1984) de Jay McIner-
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ney rentre se coucher après une nuit de folie, salué par une énorme affiche à la gloire
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du dentifrice Colgate, et Tyler Gordon dans le Fight Club (1996) de Chuck Palahniuk
organise, avec son équipe, des virées nocturnes de censure publicitaire, remplaçant
les réclames par des conseils pratiques ou des messages sympathiques. Nous l’avons
déjà vu, le Clay de Bret Easton Ellis n’échappe pas à cette omniprésence du panneau
publicitaire. Par contre, suivant une réception qui n’aurait pas été désavouée par les
surréalistes, l’affiche, qui en fin de compte n’est qu’un détail du mobilier urbain, va
synthétiser l’étrangeté du monde et l’effondrement des barrières le régissant.
Lorsque Clay rapporte qu’il s’est enfui d’une séance avec son psychologue après
que celui-ci lui a conseillé de se concentrer sur l’acceptation de la douleur pour
mieux vivre, il témoigne s’être réfugié dans un cinéma, or dès qu’il se retrouve de
nouveau à l’extérieur le monde se brouille complètement autour de lui :
« […] lorsque j’étais sorti du cinéma, j’avais regardé fixement un panneau publicitaire numérique surplombant le parking, l’image qu’il affichait : un lit défait, des
draps froissés, un corps nu à peine éclairé dans la pénombre d’une chambre, des
lettres blanches en Helvetica se découpant sur la couleur chair. » (Ellis 2010a : 53)
Les différents éléments qui composent cette description – autant de détails
bénins – étalent cependant d’un point de vue métaphorique des occurrences
thématiques qui font écho à toute l’œuvre d’Ellis et à son propre travail d’écriture.
On y retrouve la ville, ses divertissements, ses illusions (le « cinéma »), son environnement (le « panneau publicitaire »), le sexe omniprésent (« lit », « draps », « corps
nu »), l’inquiétude et l’étrange (« la pénombre »), le goût du sang et les meurtres (« la
couleur chair ») et finalement, pour couronner le tout, la mise en évidence du jeu de
la fiction et de l’univers autre, ainsi que du rôle de l’écrivain par le glissement de la
description vers les « lettres » et le caractère d’imprimerie en majuscule.
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Un élément qui revient souvent dans les romans américains de ce « courant transgressif » est l’attention portée à la présence et aux messages des panneaux publici-
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La référence à ce panneau publicitaire anodin offre donc dans le jeu d’écriture
d’Ellis une porte vers la compréhension des enjeux de ses processus narratifs, de
même qu’il atteste de manière véritablement tautologique que le réalisme détaillé
que l’écriture propose est en vérité une codification de signes par lesquels l’auteur
dénonce le monde fictionnel qu’il décrit. Monde matériel qui détruit, aliène et annihile ses personnages. L’absence dans l’œuvre d’Ellis d’une quelconque dimension
spirituelle – autre que la défonce de la drogue, qui n’offre pas de paradis artificiels
mimésis hyperréaliste de Bret Easton Ellis est de procéder à la dénonciation de notre
mode de vie contemporain actuel en en caricaturant outrageusement les valeurs (ou
l’absence de valeurs) au sein des univers dystopiques qu’il élabore, véritables souriDocument téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Genève - - 129.194.243.141 - 25/10/2016 15h01. © BSN Press
cières nihilistes pour hommes.
La dimension matérielle et actuelle de l’œuvre d’Easton Ellis se répercute sur tout
un ensemble d’éléments très contemporains, prêtant à sourire, tout en immergeant
davantage le lecteur dans le jeu de la feintise ludique. Ce phénomène est bien entendu
nourri par le rappel incessant des marques de commerce en tout genre, et des noms
de lieux à la mode, mais il distingue surtout un processus très général. Par exemple,
l’allusion aux musiques et chansons que l’on écoute ou entend est une composante
essentielle de l’univers d’Easton Ellis. D’ailleurs, si l’on poussait l’analyse plus loin, on
pourrait sans doute remarquer que la musique est un des éléments les plus positifs,
ou en tout cas neutres, des romans de l’auteur américain. Suivant l’évolution technologique, les SMS par exemple contribuent au renforcement de l’inquiétude du monde :
Clay reçoit régulièrement des messages d’un numéro caché lui annonçant : « Je t’ai à
l’œil ».
À nouveau, tous ces éléments ne sont que des détails communs, et ils le paraissent
d’autant plus qu’ils semblent insérés de manière anodine et relâchée à l’intérieur des
monologues laconiques ou décousus du narrateur ou, encore, dans des dialogues
superficiels. Ce faisant, ils participent en réalité de l’évanescence ontique des personnages, de la similitude des êtres et de leur absence de personnalité. Ainsi lorsque le
Clay mature de Suite(s) impériale(s) rencontre un jeune garçon qui souhaite devenir
acteur et auquel le premier fait miroiter un rôle :
« L’acteur s’était contenté de soupirer : “On y va.” Je ne parvenais pas à voir si l’indifférence était réelle ou jouée. Il planifiait une carrière. C’était une étape nécessaire. C’était
simplement un autre personnage qu’il avait joué dans la chambre du quinzième étage
du Doheny Plaza, cette nuit-là. Le Blackberry sur la table de nuit qui ne cessait de s’al-
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– renforce cette dimension matérielle. Un des aspects sociaux de la technique de
{ Articles
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lumer, le faux bronzage et le trou du cul épilé, le dealer de la Valley qui n’était jamais
arrivé, les plaintes provoquées par l’ivresse et concernant la Jaguar qu’il fallait vendre
– les détails étaient si triviaux qu’il aurait pu être n’importe qui. » (Ellis 2010a : 48)
Les personnages, auquel le terme de « fantôme » est souvent appliqué, disparaissent donc derrière cette invasion de détails et de substituts matériels répétés,
soit ils « flottent » dans le monde menés par leurs pulsions consuméristes et cachés
tel qu’ils « fusionnent » simplement avec les objets. Tel est l’aveu psychologique de
Patrick Bateman, le serial killer virtuel d’American Psycho, lorsqu’il se parle à lui-
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même :
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« Je pense J&B. Je pense verre de J&B dans ma main droite. Je pense main. Charivari. Je pense fusili. […] L’année prochaine, j’aurai vingt-sept ans. Un Valium. Je
voudrais un Valium. Je pense, non, deux Valium. Je pense téléphone cellulaire. »
(Ellis 1993 : 109)
À cause de leur contenu controversé, les romans de Bret Easton Ellis, comme
ceux de Michel Houellebecq en France, connaissent toujours des sorties houleuses,
l’auteur d’American Psycho s’est même vu reprocher de signer de véritables appels
au meurtre et à l’assassinat (Rosenblatt 1990 ; Clavel 2010). Rien de nouveau sous le
soleil, c’est toujours la même remarque depuis Platon (quoique pour ce philosophe
les mythes grecs chantés par les poètes étaient plutôt de la théologie) : la fiction est
dangereuse, elle avilit les imaginations et corrompt les comportements humains.
Laissons-là ces considérations antiques – pourquoi les rappeler alors que notre
civilisation ne s’intéresse plus à grand-chose de très classique ? – et observons ce qui
est : les romans de Bret Easton Ellis sont des satires. La culture littéraire anglophone
a toujours été prodigue de son ironie caustique et les satires sociales (comme les
romans d’anticipation ou les utopies – dont le genre est né en Angleterre) sont légion.
En tant qu’auteur satirique, il y a chez Bret Easton Ellis – n’en déplaise aux esprits
chagrins et bien pensants – un plaisir du texte, de la lecture, du jeu surprenant des
scènes sadiques et perverses, qui surgissent parfois même de manière inattendue,
et toujours généreuses. Nous savons que la littérature américaine a toujours été un
genre populaire (selon Jay McInerney c’est aujourd’hui qu’elle est en passe d’être produite en majorité par des auteurs universitaires), elle s’est donc très tôt imprégnée
des parlers, des scènes, des lieux communs et des problèmes triviaux du quotidien.
Lequel de ces écrivains ne respecte pas cela : Herman Melville, William Faulkner,
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derrière leurs acquisitions matérielles, soit le vertige de leur vide spirituel s’avère
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F. S. Fitzgerald, Hemingway, Henry Miller, John Fante ou Jack Kerouac ? Ce ne sont
pourtant là que les plus grands noms de la culture littéraire américaine et Bret
Easton Ellis appartient à cette tradition.
La jouissance énergique avec laquelle s’étale l’écriture d’Easton Ellis se coule avec
une aisance remarquable dans tous les recoins du genre satirique générant autour
d’elle l’une des images les plus noires qu’il nous soit donné de contempler des travers
souvent le cynisme ironique avec lequel celle-ci est menée – la satire se métamorphose et transparaît alors, dans des scènes d’une brutalité clinique inouïe, le regard
sans expression de la figure de la mort. À n’en point douter c’est bien cela le message
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d’Easton Ellis : la société de consommation, et le capitalisme sont des cultures de
mort. Au-delà même de l’exploitation, de la pollution, de la quête de profit, de l’individualisme, et des philosophies libérales agressives (le struggle for life – le « combat
pour la vie », du chacun contre tous) l’ontologie déshumanisée que l’on devine avoir
servi de moule aux personnages de cet auteur va encore plus loin. Bret Easton Ellis
essaie de rendre palpable une sorte d’expérience mentale du mal capitaliste absolu
en construisant minutieusement, détail après détail, une représentation sociale
dont aucun paramètre n’est viable 9. De plus, comme chacun des éléments de cette
construction est corrompu et instable, des individus sans repères se retrouvent
dans un climat hostile où aucune règle officielle n’est fixée, voire même où elles
sont toutes illusoires. Si elles sont illusoires, n’importe qui peut être piégé en les
respectant et devenir une proie pour les autres : c’est tout le système qui se révèle être
un gigantesque jeu de dupes. Mais un jeu où l’on peut perdre sa vie. Comme avertissement à cet état des choses on trouve en exergue au récit Moins que zéro une phrase
signée X (comme si un scellé avait été collé à la porte qu’il ne faut pas ouvrir) : « Les
règles de ce jeu se modifient à mesure qu’on y joue… »
Les « effets de réel » dans l’œuvre de Bret Easton Ellis et dans le Los Angeles de nos
deux romans font clairement rentrer les œuvres de l’auteur américain dans le cadre
des dystopies, en effet, l’écrivain à succès donne à ses récits un foisonnement de
détails qui noient dans un quotidien que nous reconnaissons tous, une morale qui
serait bien plus accessible si offerte sous la forme courte et synthétique de la fable.
En effet, comme l’auteur américain l’a déjà plusieurs
fois révélé en interview, parfois même devant un
public hilare et incrédule, c’est bien de morale que
traitent ses livres. C’est dans le sens d’une réflexion
sur l’éthique que les différents détails consuméristes
9
Relations, amis, petites amies,
familles, collègues, institutions,
si ce n’est la volonté propre des
individus : tout est absolument
corrompu.
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de l’Amérique riche et blanche d’aujourd’hui. Par la puissance de la caricature – et
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répandus dans ses œuvres se transforment en symboles de la contre-image qu’ils
véhiculent. Nouvelle facette du monde de l’utopie, où les valeurs sont inversées
sous le jeu de l’ironie. Comme dans l’Utopie de Thomas More, où foisonnent les jeux
étymologiques érudits, les néologismes et où se concentrent les idéaux et la culture
des humanistes du début du XVIe siècle, il s’agit d’inverser chez Ellis le jeu sadique
de ses représentations trash. Une fois cette opération menée, on se retrouve face à
une question obsolète dans notre monde post-moderne, mais qui était de première
continue toujours à hanter les débats politiques de ce pays : quel est le rôle actuel de
la vertu en société ? Bret Easton Ellis répond de manière très figurée et passablement
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baroque : une société qui n’aspire plus à la justice et oublie ses valeurs communes est
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un monde infernal, livré aux psychopathes et autres tueurs en série.
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importance pour les pères fondateurs de la république des États-Unis – et qui
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