LEONARDO ARIEL CARRIÓ CATALDI, « LES ESPACES ET LES TEMPS
DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
Le Verger – bouquet XII, Octobre 2017.
LES ESPACES ET LES TEMPS DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS
AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA
Cet article se propose d’interroger, par une approche d’histoire sociale et intellectuelle,
ce lieu commun de l’historiographie des sciences et des techniques de la monarchie hispanique
qu’est le traité l’Arte de navegar (Valladolid, 1545) et la figure de son auteur, Pedro de Medina
(ca. 1493-1567). Pour ce faire, il invite, tout d’abord, à poser les premiers jalons dans le repérage
des lignes historiographiques qui ont forgé le nom presque mythique de Pedro de Medina, en
tant que « mathématicien », pour en identifier des points encore à éclaircir ainsi que la
prégnance d’une approche internaliste dans les études sur l’auteur. En contextualisant sa
trajectoire, l’article analyse les enjeux de la publication de son Arte pour les inscrire à la croisée
des rapports entre la Cour, la Casa de la Contratación et l’itinéraire de Medina lui-même.
L’examen des conditions historiques de la publication de l’Arte fait émerger la complexité de la
production des savoirs dans les sociétés d’Ancien Régime, permettant à la fois de replacer ce
traité dans un projet cosmographique plus large, où sillonner la mer et représenter le monde
ne se font pas sans maîtriser et calculer le temps. À rebours de l’importance considérable que
l’historiographie a accordée à la représentation de l’espace en articulation avec les techniques
de navigation comme exemple de la « modernité » de la science à la Renaissance, l’article met
en définitive l’accent sur le rôle crucial joué par le temps dans la littérature nautique et
cosmographique de la première moitié du XVIe siècle.
LES VOYAGES (HISTORIOGRAPHIQUES) DE PEDRO DE MEDINA, « MATHEMATICIEN »
La figure de Pedro de Medina (ca. 1493-1567) est largement connue de l’historiographie
en histoire des sciences et des techniques à l’époque moderne, notamment en Espagne. Elle a
été principalement associée à la production technique et cartographique liée à la Casa de la
Contratación, créée en 1503, à Séville, et destinée essentiellement au stockage, à la vente et à la
gestion des marchandises entre Castille et les Indes, la côte des Barbaresques et les Canaries1.
La Couronne castillane octroie des titres ou des privilèges, en lien étroit avec des
évolutions similaires dans la monarchie portugaise2, à une multitude d’individus de profils
intellectuels et sociaux très divers. Ces individus cherchent à se faire une place dans des
milieux urbains bouleversés, économiquement et socialement, par les voyages aux Indes
occidentales et orientales et la circulation de nouveaux produits. À certains de ces titres
correspondent des tâches liées à l’enseignement de connaissances nautiques et
cosmographiques, ainsi que le contrôle de la fabrication d’instruments et de cartes pour leur
1 La cédule de création est reproduite par Carlos Seco Serrano (ed.), Obras de D. Martín Fernández de Navarrete,
Biblioteca de autores españoles desde la formación del lenguaje hasta nuestros días, t. 75, Madrid, Atlas, 1954,
doc. Nº CXLVIII, p. 472-477 : « primeras ordenanzas para el establecimiento y gobierno de la Casa de la
Contratación de las Indias ».
2 Sur Lisbonne plus précisement, voir, entre autres, les chapitres « A casa da Guiné, Mina e Índias » et « Armazém
da Guiné e Índias » dans Francisco Mendes da Luz, O conselho da Índia. Contributo ao estudo da história da
administração e do comércio do ultramar português nos princípios do século XVII, Agência Geral do Ultramar,
Lisboa, 1952. Voir également António Adão da Fonseca, « Los precedentes portugueses: de la Casa da Mina a la
Casa da India », dans Guiomar de Carlos Boutet, (coord.), España y América : un océano de negocios…, Madrid,
SECC, 2003, p. 33-46. Pour une approche mettant Lisbonne et Séville en parallèle, je me permets de renvoyer
au chapitre de ma thèse, « Au bord de la mer. L’armazém, la Casa de la contratación et le collège de Santo
Antão », dans Temps, science et empire. Conceptions du temps dans les monarchies ibériques, p. 137-176
(EHESS/SNS, octobre 2015).
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DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
Le Verger – bouquet XII, Octobre 2017.
utilisation en mer. Parmi les titres les plus importants, en 1508 on attribue celui de pilote
majeur ; en 1523, celui de cosmographe et maître facteur de cartes et d’instruments pour la
navigation. En 1552, une chaire de cosmographie est créée, associée au « bachelier » Jerónimo
de Chaves (1523, sans que cela entraîne la création explicite d’un nouveau titre. D’autres
privilèges accordés par la Couronne valident, tout simplement, le droit de fabriquer et de
vendre ce type d’outils. Ils peuvent éventuellement faire mention du droit d’écrire des recueils
de conseils et de règles pour naviguer, nommés regimentos. Ces privilèges peuvent aussi
conférer le droit à la participation au jury des examens, instaurés en 1508, qui certifient les
connaissances des pilotes. Outre ce système de validation, les instruments doivent être soumis
à un contrôle. C’est le cas des cartes également, car elles doivent être en accord avec le dit
« padrón real ». )l s’agit, pour en donner une définition succincte, d’une carte corrigée et mise à
jour au fur et à mesure des voyages. L’ensemble de ces titres ouvre ainsi à leurs détenteurs la
porte à un marché concurrentiel de production d’outils et d’influences sociales.
Pedro de Medina, né vers la fin du XVe siècle, à Medina Sidonia ou à Séville, n’a occupé
aucune des trois principales fonctions citées en amont, devant se contenter d’une ordonnance
royale lui permettant de fabriquer, sous condition de validation par le pilote majeur et les
autres cosmographes, ce type d’instruments3. Cependant, une longue tradition
historiographique a fait de lui un des acteurs majeurs de l’aboutissement des connaissances
techniques de la Casa. Il n’y aurait principalement qu’une preuve de cela : la publication de son
livre Arte de navegar4 (Valladolid, 1545) vu comme un succès de la littérature nautique à la
lumière de ses éditions étrangères. Grâce à l’Arte, l’Europe aurait appris à naviguer en le
traduisant principalement en français mais aussi en italien, en néerlandais, en anglais, et en de
nombreuses éditions depuis la lyonnaise et la vénitienne, parues en 1554, respectivement chez
les imprimeurs Guillaume Rouillé et Aurelio Pincio, avec la participation de Giovanni Battista
Pederzano.
Proposer de revenir sur la figure de Medina met d’emblée en lumière deux questions
historiographiques différentes, peu approfondies jusqu’à présent. Elles dépassent largement le
propos de ce texte, mais il convient toutefois de les énoncer car elles représentent des limites à
l’enquête. La première concerne la nécessité d’une étude d’ampleur sur l’historiographie des
sciences et des techniques dans la péninsule Ibérique qui prendrait la bonne mesure des effets
profonds du moment positiviste du XIXe siècle et des dictatures portugaise et espagnole au
XXe siècle sur la lecture des sources de l’époque moderne. Dans ce dernier cas, la guerre civile
espagnole (1936-39) et la période franquiste (1939-75) qui la suit ont marqué profondément
tout le XXe siècle, notamment dans leur rapport aux acteurs liés à la « découverte » du
Nouveau Monde. La deuxième question touche à l’intérêt qu’il y aurait pour l’historiographie
récente de procéder à une remise à plat, dans son double contexte historique et
historiographique, du statut des « mathématiques » au début du XVIe siècle dans les milieux
sociaux des villes portuaires telles Lisbonne et Séville. Il est indispensable de signaler ici, ne
serait-ce qu’à titre indicatif et malgré l’ampleur de ces deux questions, quelques repères
représentatifs de la naissance d’un Medina « technicien » et « mathématicien » inscrite en
partie dans cette période, et sur lesquels l’historiographie n’a cessé de revenir. Ceux-ci ont
contribué à la constitution d’un corpus remarquable de présentation, d’indexation et de
transcription de sources.
3 20 décembre 1538, AGI, Indiferente, 1962, L. 6, F. 156r-156v. Document reproduit par José Toribio Medina,
Biblioteca hispano-americana, vol. 1, [fac-sim. 1ère éd. 1898-1907] Amsterdam, N. Israel, 1962, p. 193-94.
4 Le titre complet est le suivant : Arte de navegar en que se contienen todas las reglas, declaraciones, secretos, y
avisos, que a la buena navegacion son necessarios, y se deven saber, hecha por el maestro Pedro de Medina. Le
livre est imprimé chez Francisco Fernández de Córdoba. Pour une courte notice sur lui et l’atelier familial, voir
Juan Delgado Casado, Diccionario de Impresores españoles (siglos XV-XVII), Madrid, Arco libros, 1996, p. 219231.
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Il n’est pas anodin de noter ainsi que c’est notamment à la lumière du XVIIe siècle, alors
qu’une discussion séculaire sur le statut des mathématiques liée initialement au monde
universitaire italien se généralise5, que Medina devient un « mathématicien » célèbre, expert
dans l’art nautique. Il est présenté comme tel dans le grand catalogue d’auteurs espagnols du
XVIe siècle élaboré au siècle suivant par le théologien, diplomate et connaisseur des
bibliothèques des couvents espagnols et de la ville de Rome, Nicolás Antonio (1617-1684)6.
Depuis lors, les « monuments » d’érudition bibliographique du XIXe siècle n’ont fait que
conforter cette idée d’un Medina « mathématicien » dans une démarche visant, entre autres, à
construire le passé et le panthéon des « sciences exactes ». Dans son immense travail de
recherche documentaire autour de « l’histoire nautique et les sciences mathématiques »,
Martín Fernández de Navarrete (1756-1844), lui-même marin et directeur du Depósito
hidrográfico de Madrid, présente Medina et ses œuvres comme relevant des mathématiques7.
Dans la même lignée, pour le bibliophile libéral Felipe Picatoste (1834-1892), qui consacre son
répertoire de sources aux « sciences exactes, physiques et leurs applications », Medina est celui
qui a donné à l’Europe un bon traité nautique et s’est consacré à la navigation8.
C’est dans le prolongement de cette approche, inaugurée au siècle précédent, que cette
idée est reprise par Julio Guillén y Tato, militaire de la marine, responsable de nombreux
postes de pouvoir en lien avec des revues, institutions et musées dédiés à l’histoire de la
navigation et des « Découvertes » pendant le régime franquisme, ainsi que « conseiller de
l’hispanité »9. Dans son petit livre Europa aprendió a navegar en libros españoles10, l’auteur
décrit, dans le cadre d’une démarche d’appropriation nationaliste et laudative du passé,
certaines des publications du XVIe siècle liées à la navigation, présentant l’Arte de navegar
comme le premier « vrai » traité nautique.
Sous un angle d’analyse différent, celui de la littérature, l’arabiste et académicien
franquiste Angel González Palencia, secrétaire de la Commission destinée à « épurer » les
professeurs universitaires en Espagne (dès novembre 1936) et membre de la Real Academia
Española depuis 194011, attire l’attention dans son discours d’accès à l’Academia sur d’autres
travaux de Pedro de Medina. Il est question notamment du Libro de grandezas y cosas
5 Sur la question du statut des mathématiques, voir, entre autres, Paul Lawrence Rose, The Italian Renaissance of
mathematics : studies on humanists and mathematicians from Petrarch to Galileo, Genève, Droz, 1975 ;
Antonella Romano, La Contre-Réforme mathématique. Constitution et diffusion d’une culture mathématique
jésuite à la Renaissance (1540-1640), Rome, EFR, 1999 ; Luís Miguel Carolino, « João Delgado SJ e a "Quaestio de
Certitudine Mathematicarum" em inícios do século XVII », Revista Brasileira de História da Matemática, 6,
2006, p. 17-49.
6 Nicolás Antonio, Bibliotheca Hispana sive Hispanorum qui usquam unquamve sive Latina sive populari sive alia
quavis lingua scripto aliquid consignaverun notitia… qui post annum saecularem MD. Usque ad praesentem diem
floruere, I-II, Romae, ex officina Nicolai Angeli Tinassi, 1672. Un deuxième volume qui liste les auteurs depuis
le temps de l’empire d’Auguste paraîtra aussi à Rome sous le titre Bibliotheca Hispana Vetus, en 1696.
7 Martín Fernández de Navarrete, Biblioteca marítima española, Madrid, Imprenta de la Viuda de Calero, 1851, p.
581-585, ídem, Colección de los viages y descubrimientos, que hicieron por mar los españoles desde fines del siglo
XV, Madrid, Imprenta Nacional, 1837; ídem, Disertación sobre la historia náutica, y de las ciencias matemáticas
que han contribuido á sus progresos entre los españoles, Madrid, Imprenta de la viuda de Calero, 1846. Sur M.
Fernández de Navarrete, voir Ursula Lamb, Martín Fernández de Navarrete clears the Deck: The Spanish
Hydrographic Office, 1809-24, Revista da Universidade de Coimbra, vol. XXVIII, 1980, p. 29-45.
8 Felipe Picatoste y Rodríguez, Apuntes para una biblioteca científica española del siglo XVI. Estudios biográficos y
bibliográficos de ciencias exactas físicas y naturales y sus inmediatas aplicaciones en dicho siglo, Madrid,
Imprenta y fundación de Manuel Tello, 1891.
9 Pour une description succincte sur les liens avec le régime franquiste de Julio F. Guillén y Tato, voir Gonzalo
Pasamar Alzuria et Ignacio Peiró Martin (eds.), Diccionario Akal de Historiadores españoles contemporáneos,
Madrid, Akal, 2002, p. 318-19.
10 Julio F. Guillén y Tato, Europa aprendió a navegar en libros españoles, Instituto Histórico de Marina, Museo Naval,
Madrid, 1943, p. 10-13.
11 Gonzalo Pasamar Alzuria et Ignacio Peiró Martin (eds.), ibid. p. 311-313
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memorables de España (Domenico de Robertis, s.l., 1548) et du Libro de la verdad (Francisco
Fernández de Córdoba, Valladolid, 1555) ; le premier étant une chorographie et une histoire
d’Espagne largement axée sur le processus de Reconquista et le deuxième portant sur les
principes et les bases de la foi chrétienne12. Dans ce cadre interprétatif, González Palencia
souligne un point important, à savoir l’appartenance de Medina au clergé, point sur lequel
Palencia prend appui pour conclure à la contribution de Medina, en tant que religieux et
praticien des « sciences pures », à la « tâche civilisatrice de l’Espagne13 ».
L’historiographie postfranquiste a fortement contribué à surmonter les biais du
paradigme nationaliste du régime, y compris à partir d’études précises sur les arts de
naviguer14. Elle l’a fait principalement sous le mode d’une approche encyclopédique et
internaliste qui a peu interrogé le concept de « science » par une contextualisation historique
forte de la production des savoirs d’un point de vue social à l’époque moderne. Les raisons de
cela sont la configuration en cours, dans les dernières années du régime et celles qui l’ont
suiviet les suivantes du régime, d’un champ disciplinaire, l’histoire des sciences et des
techniques, par des choix historiographiques et une organisation institutionnelle qui restent
encore largement à analyser. À l’aune du grand élan scientifique et éditorial des
commémorations du cinquième centenaire de la « découverte » de l’Amérique, qui marque
largement l’historiographie espagnole jusqu'à la fin du XXe siècle, le positionnement de
certaines figures d’une « transición » historiographique est essentiel. Parmi eux, le médecin
José María López Piñero (1933-2010) s’écarte ouvertement, dans un dossier dédié à
l’historiographie de l’histoire des sciences, des propositions faites par l’épistémologie et la
sociologie des sciences des années 1960 et 1970 venues du monde anglo-saxon et français15. Ce
sont précisément en partie ces propositions, avec les concepts de « paradigme » et
d’« épistème », qui, en proposant un découpage de l’histoire autre que celui d’un progrès
linéaire depuis la « Révolution scientifique » au XVIIe siècle, ouvrent le champ à une discussion
sur l’importance de la relation entre production de savoirs, pouvoir et contexte historique16. En
revanche, c’est plutôt le concept de « Révolution scientifique » qui est retenu dans le dossier
comme clé de lecture d’un type d’histoire des sciences, incompatible avec le monde
catholique17. Ainsi, l’historien Navarro Brotóns conclut son article en affirmant que la Contre-
12 Réimprimé maintes fois en espagnol, à différence de l’Arte, les liens de ce livre avec le contexte spirituel de la
péninsule Ibérique restent à explorer. Il faut noter également la forte proximité du titre du livre avec celui de
João Soares, Libro de la verdad de la fe (Lisbone, 1543, Alcalá de Henares, 1545), où il s’agit de combattre le
protestantisme, l’islam et le judaïsme. Sur ce dernier point, voir Bruno Feitler, The Imaginary Synagogue…
Leiden/Boston, Brill, 2016, p. 12.
13 Angel González Palencia, Discurso, p.51. Avant González Palencia, deux autres auteurs attirent également
l’attention sur Medina : Luis Toro Buiza, Notas biográficas de Pedro de Medina , Revista de Estudios
Hispánicos, juillet, 1935, p. 31-35 et Francisco Vindel, Pedro de Medina y su “Libro de Grandezas y cosas
memorables de España, Madrid: [s.n.], 1927.
14 Parmi les premières études, on peut citer José María López Piñero, El arte de navegar en la España del
Renacimiento, Barcelone, Labor, 1979.
15 La critique de López Piñero cible principalement les propositions de Thomas Kuhn et de Michel Foucault.
16 José María López Piñero, « Las etapas iniciales de la historiografía de la ciencia. Invitación a recuperar su
internacionalidad y su integración », Arbor, 142, 1992, p. 21-67. Voir également dans ce dossier l’article de Pedro
Laín Entralgo, « Para qué la historia de la ciencia », p. 13-20.
17 Cette « incompatibilité » est le résultat historiographique des propositions faites dans le sillage de la thèse de
RobertK. Merton, « Science, Technology and Society in Seventeenth Century England », Osiris, 4, 1938, p. 360632. Sur l’importance de la Révolution scientifique pour López Piñero voir, par exemple, Pedro González
Blasco, José Jiménez Blanco et José María López Piñero, Historia y sociología de la ciencia en España, Madrid,
Alianza, 1979. Voir également parmi ses premières contributions Pedro Laín Entralgo et José María López
Piñero, Panorama histórico de la ciencia moderna, Madrid, Ediciones Guadarrama, 1963 et La introducción de la
ciencia moderna en España, Barcelone, Ariel, 1969.
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Réforme catholique est une des causes qui a empêché l’Espagne de rejoindre le développement
de la « nouvelle astronomie »18.
Ce rappel historiographique, qui n’a pas prétention à être exhaustif 19, n’a d’autre
objectif que de signaler la longue durée et la persistance de certaines dynamiques
historiographiques, malgré le renouveau de l’intérêt pour Pedro de Medina avec la publication
de ses travaux manuscrits en 1998 par Cuesta Domingo20 et la réédition de quelques-uns de ces
textes21. Le travail de Cuesta Domingo complète les analyses historiques mais également les
traductions réalisées quelques décennies auparavant à l’étranger par l’historienne germanoaméricaine Ursula Lamb (1914-96)22. Par cetravail pionnier à de nombreux égards, Lamb ouvre
la voie à une histoire sociale, institutionnelle et légale de la production des connaissances
autour des « cosmographes » et des « pilotes » de la Casa de la contratación. Grâce, en partie, à
une lecture suggestive de la masse de sources fournie par une autre figure clé du XIXe siècle, le
bibliophile chilien José Toribio Medina23, Lamb fait émerger les conditions conflictuelles de la
production de savoirs à Séville et le monde hétéroclite d’acteurs qui peuple et qui anime la vie
autour de la Casa24.
Le renouveau historiographique international des quinze dernières années, réalisé en
partie sous l’enseigne d’« Iberian science »25, a fourni des éclairages intéressants, parfois
reconnaissant leur dette envers Lamb, pour lequel nous avons proposé une lecture plus
18 Víctor Navarro Brotóns, « La actividad astronómica en la España del siglo XVI : perspectivas historiográficas »,
Arbor, 152, p. 185-216
19 Une analyse historiographique exhaustive devrait également aborder l’importance du groupe de travail à
Valladolid autour de Mariano Esteban Piñeiro et de María )sabel Vicente Maroto, auteurs d’un important
travail documentaire historiographiquement proche de la lignée décrite en amont.
20 Mariano Cuesta Domingo, La obra cosmográfica y náutica de Pedro de Medina, Madrid, BHC-Banca corporativa,
1998. Cuesta Domingo transcrit les manuscrits en cosmographie de Pedro de Medina : Suma de cosmographia
(Biblioteca Nacional de España) et Suma de Cosmografía. Contiene muchas demostraciones reglas y avisos
(Biblioteca Colombina); Coloquio de cosmographia (Yale University Library) et Libro de cosmographia
(Bodleian Library). Le travail inclut également une transcription de l’Arte et du Regimento.
21 Pedro de Medina, Libro de las grandezas et Arte de navegar, éditions facsimilées chez Maxtor, Valladolid, 2009 ou,
encore, l’édition du Libro chez Vicent García, 2011.
22 Ursula Lamb (dir.), A Navigator’s Universe. The Libro de Cosmographía of 1538 by Pedro de Medina. Translated and
with an Introduction by Ursula Lamb, Chicago, University of Chicago Press, 1972. Il faut noter que certains de
ses travaux sur le monde nautique sévillan arrivent davantage par le les presses portugaises : Ursula Lamb, The
Quarti Partitu en cosmographia by Alonso de Chaves : an interpretation, Coimbra, Junta de Investigações do
Ultramar, 1969; idem, Nautical Scientists and their clients in Iberia (1508-1624) ; idem, Science from imperial
perspective, Lisboa : Instituto de Investigações Científica Tropical, Centro de Estudos de História e de
Cartografia Antiga, 1984. Elle participe cependant à la rédaction de plusieurs entrées dans le José María López
Piñero, et al. (dirs.), Diccionario histórico de la ciencia moderna en España, 2 vols. Barcelone, Península, 1983.
23 José Toribio Medina, El veneciano Sebastián Caboto …, Santiago de Chile, Imprenta Universitaria, 1879.
24 Voir notamment Ursula Lamb, « Science by litigation: a Cosmographic Feud », in Cosmographers and Pilots of
the Spanish Maritime Empire, 1995, Aldershot, Variorum, p. 40-57.
25 Parmi certains des principaux titres, voir : Jorge Cañizares-Esguerra, « New World, New Stars: Patriotic Astrology
and the Invention of Indian and Creole Bodies in Colonial Spanish America, 1600-1650 », The American
Historical Review, 104 (1), 1999, p. 33‑68 ; Alison Deborah Sandman, Cosmographers vs. Pilots: Navigation,
Cosmography, and the State in Early Modern Spain, thèse de doctorat non publiée, University of WisconsinMadison, 2001; Jorge Cañizares-Esguerra, « Iberian Science in the Renaissance: Ignored How Much Longer? »,
Perspectives on Science, 12 (1) 2004, p. 86-124 et idem, « Iberian Colonial Science », Isis, 96 (1) 2005, p. 64‑70 ;
Antonio Barrera-Osorio, Experiencing nature : The Spanish American Empire and the Early Scientific Revolution,
Austin, University of Texas Press, 2006 ; María M. Portuondo, Secret Science. Spanish Cosmography and the
New World, Chicago, University of Chicago Press, 2009; Daniela Bleichmar, Paula de Vos, Kristin Huffine, et al.
(eds.) Science in the Portuguese Spanish and Portuguese Empires, 1500-1800., Stanford, Stanford University
California, 2009.
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DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
Le Verger – bouquet XII, Octobre 2017.
étendue ailleurs26. Une partie de cette historiographie reste cependant largement ancrée dans
une analyse historique sous le prisme de la « Révolution scientifique », soit pour y proposer un
déplacement géographique et chronologique, soit pour y proposer une « autre » révolution
donnant accès à la « Modernité » par le biais de la cartographie, des savoirs nautiques et
naturels27.
À propos ou en lien direct avec la figure de Medina, un aspect crucial émerge des
dernières contributions d’Alison Sandman, avec Eric H. Ash28, d’une part, et de Stefano
Gulizia29, de l’autre, malgré les différences de positionnements. En étudiant la circulation des
acteurs ou des livres issus du contexte nautique sévillan, ces auteurs rappellent combien les
contextes de production ainsi que les cadres d’interprétation, réception et mobilisation
d’arguments au sein des différentes activités liées la cosmographie et à la navigation se font en
fonction d’itinéraires personnels et de cadres sociaux-politiques précis. L’hypothèse d’un
succès européen de l’Arte doit continuer à être interrogée à partir de l’analyse des processus et
des lieux de traduction tels que ceux qui sont examinés par Gulizia (Venise et Anvers). Cette
opération de réappropriation ne serait pas seulement intellectuelle, mais aussi matérielle,
impliquant ainsi des acteurs très divers : traducteurs, imprimeurs, commerçants et diplomates.
L’ART DE NAVIGUER ENTRE SEVILLE ET LA COUR
Sur le prestige de l’Arte dont témoigneraient les premières traductions, les mots du
« géographe royal » Nicolas de Nicolay30 dans la dédicace au roi Henri II de la traduction
française sont souvent repris :
Recourant donc au secours des livres, pour mettre au net mes
pérégrinations terrestres et marines, la pluspart faictes par votre
commandement, en m’aidant du livre Castillan de l’art de naviguer,
iadis composé par le Seigneur Pierre de Medine, Pilote du Roy
d’Espaigne sur les )ndes Occidentale, le trouvay tant utile &
necessesaire à ceux qui ont à voyager sur mer […]31.
Or, si Nicolay n’est pas connu pour être un spécialiste du voyage océanique, le livre de
Medina ne représente pas, non plus, une solution technique à certains des problèmes majeurs
de la navigation hauturière vers le Nouveau monde, notamment, celui de la déviation
magnétique. Contrainte physique plus stable et constante, cependant, dans la Méditerranée,
mer que le « géographe » français connaît davantage grâce à ses périples vers le Levant, la
déviation des aiguilles des boussoles reste, chez Medina, un point non résolu.
L’Arte se compose, à grands traits, de huit livres ou parties, incluant une carte du Vieux
et du Nouveau Monde. Le premier s’inspire du De Sphaera Mundi, écrit par Johannes de
Sacrobosco, professeur à l’université de Paris, au X)))e siècle. « Best-seller » des milieux
universitaires jusqu’au XV))e siècle, chez Medina, ce livre sur la sphère sert à proposer un cadre
conceptuel de compréhension et de représentation du monde ainsi que des notions mobilisées
26 Je me permets de renvoyer à l’introduction de ma thèse, déjà citée, notamment, la partie « Science et empire :
Iberian Science, never ignored, never existed ». Op. cit., p. 34-42.
27 Telle semble être la proposition d’Antonio Sánchez, La espada, la cruz y el Padrón. Soberanía, fe y representación
cartográfica en el mundo ibérico bajo la Monarquía Hispánica, 1503-1598, CSIC, Madrid, 2013, p. 28.
28 Alison Sandman et Eric H. Ash, « Trading Expertise: Sebastian Cabot between Spain and England », Renaissance
Quarterly, 2004, vol. 57, p. 813-846.
29 Stefano Gulizia, « Printing and Instrument Making in the Early Modern Atlantic, 1520–1600 », Nuncius, 2016,
vol. 31, no 1, p. 129-162.
30 Sur Nicolay, voir l’article d’Oury Goldman dans ce même numéro.
31 Pedro de Medina, L’art de Naviguer, trad. De Nicolas Nicolay, G. Rouillé, Lyon, 1554, fol. 2.
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LEONARDO ARIEL CARRIÓ CATALDI, « LES ESPACES ET LES TEMPS
DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
Le Verger – bouquet XII, Octobre 2017.
par la suite. Dans le deuxième livre, Medina puise dans la tradition aristotélicienne pour
proposer une description des phénomènes naturels liés à la mer. Les livres quatre et cinq
fournissent un ensemble de règles pour calculer la latitude (hauteur du soleil et celle des
pôles). Les livres trois et six sont consacrés à la question de la direction grâce aux vents et à la
boussole. Finalement, deux moyens de repères temporels sont proposés dans les livres sept et
huit : les mouvements de la lune et le calendrier (soli-lunaire). Ce qu’il faut ainsi retenir c’est
que la mesure de la distance, marquée par le temps, et la direction, guidée par la boussole et
avec l’appui de la latitude, restent les deux éléments principaux d’orientation pour tout voyage
en mer. Leurs routes sont représentées, tant bien que mal, dans des cartes ancrées dans le
système des cartes dites « portulans ». Lorsque celles-ci sont modifiées progressivement par
l’introduction des données latitudinales, l’historiographie les appelle alors cartes « carrées » ou
« plates »32.
)l n’est pas question cependant d’évaluer ici l’Arte à la lumière des progrès techniques
de l’époque que certains critiques et traducteurs du traité de Medina prennent en compte33,
mais de le comprendre comme un livre accumulatif, voire même collaboratif, résultat des
tensions sociales autour de la Casa de la contratación et de la capacité de Medina d’évoluer
dans différents milieux sociaux entre Séville et la cour.
Revenir sur ces contextes nous invite à rappeler et à réexaminer la chronologie des
activités de Medina et de certains documents d’archive, dont une grande partie a été identifiée
par les travaux cités en amont. Ce faisant, le but est de re-contextualiser la trajectoire de
Medina ainsi que celle de ses œuvres au sein des cadres sociaux et épistémologiques dans
lesquels ils se sont forgés.
)l faut s’accorder sur le fait que dans le premier document qui relie Pedro de Medina et
la production d’instruments et de cartes, le brevet royal du 20 décembre 1538 déjà mentionné,
il est identifié comme étant un clerc. Originaire ou non de Séville, peu importe, il est sans
doute nouveau sur le marché de la production de cartes, regimentos et instruments, soumise à
l’avis du pilote majeur « et des autres cosmographes présents dans la ville de Séville34 ». Pour
obtenir ce privilège, ce document explicite qu’il a présenté comme un regimento et un livre de
cosmographie au Conseil des Indes. Avant la date de ce brevet, comme cela est bien connu de
l’historiographie, Medina aurait été tuteur de Juan Claros (†
, héritier du duc Juan Alonso
Pérez de Guzmán y Zúñiga (1552-1558), de la maison de Medina Sidonia. Celle-ci est
particulièrement proche de la monarchie, importante, entre autres, pour son soutien à
Charles Quint dans les révoltes des « comuneros » (1520-21) ainsi que dans le financement de la
guerre contre l’Empire ottoman35 ; ses domaines se concentrent en des points géographiques
décisifs de Castille comme Sanlucar, porte maritime de Séville.
Un mois après ce premier document, le 24 janvier 153936, une nouvelle ordonnance du
roi s’adresse aux officiers de la Casa de la contratación. Le but est de notifier que Medina lui a
prié d’ordonner que le « patrón » lui soit montré pour qu’il puisse réaliser ses propres cartes. Il
s’agit, en effet, de la carte-modèle, élaborée par le collectif de pilotes et de cosmographes,
augmentée et corrigée, comme expliqué ci-dessus, au fur et à mesure des voyages sous la
32 L’historiographie sur ce sujet est abondante. Voir, par exemple, Abel Fontoura da Costa, A Marinharia dos
descobrimentos, Lisbonne, Arenada, 1933, p. 236 ; Ricardo Cerezo Martínez, La cartografía náutica española en
los siglos XIV, XV y XVI, Madrid, CSIC, 1994, p. 56 ; Joaquim Alves Gaspar, « Blunders, Errors and
Entanglements: Scrutinizing the Cantino Planisphere with a Cartometric Eye », 64 (2), Imago Mundi, 2012,
p. 181-200. Plus récent voir A. Sánchez, op. cit., p. 47-87.
33 Michel Coignet signale le problème de la représentation d’une trajectoire droite sur le cartes sans prendre en
compte la courbe loxodromique (Coignet, Anvers, 1580, 1581); William Burrough celui de la déviation
magnétique (1581). Eléments apportés par José Toribio Medina, Biblioteca hispano-americana, op. cit., p. 190.
34 20 décembre 1538, AGI, Indiferente, 1962, L. 6, F. 156R-156V.
35 Ursula Lamb, A Navigator’s Universe, 1972, p. 12 ; Medina, Crónica..., p. 344-46 ; 352-33.
36 Document reproduit par José Toribio Medina, Biblioteca Hispano-americana, op. cit. p. 194.
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DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
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tutelle du pilote majeur depuis 1508 37, et qui devait servir aux pilotes et cosmographes pour en
faire des copies38. En septembre de la même année, par une nouvelle ordonnance adressée aux
officiers de la Casa, on apprend que le roi a été informé du fait que le pilote majeur et les
cosmographes ont cependant refusé à plusieurs reprises les cartes et regimentos que Medina
leur a soumis pour validation. Pour cette raison, le roi demande qu’ils soient réexaminés afin
de savoir s’il est pertinent de laisser Medina utiliser sa licence39.
La première conséquence de cette situation est l’interdiction par le roi du monopole de
Sebastián Caboto (1474/6-1557), « pilote majeur » et de Diego Gutiérrez (†
ca. ,
cosmographe et maître facteur de cartes et d’instruments, qui empêchent ceux qui ont une
licence de vendre leurs instruments et cartes40. Ce refus ouvre une série de dénonciations
inscrites dans le cadre d’un procès judiciaire (1544-1545/1546) entre Medina et Diego Gutiérrez,
auquel se mêlent des conflits antérieurs liés à la réforme du « padrón real »41.
Lors de ce procès, chacun des litigants est soutenu par une longue liste de témoins,
parmi les plus connus, Alonso de Chaves (†
) et son fils, Jerónimo, Pedro Mexía (†
ca.),
ou Francisco Faleiro (†
ca. du côté de Medina et Sebastián Caboto et d’autres « pilotes »
pour Gutiérrez42. Dans leurs grandes lignes, les accusations se centrent sur la pratique menée
par Gutiérrez qui utilise un système à deux échelles de graduation différentes sur une même
carte et le refus de cette pratique pour le principe de l’homogénéité de la sphère du monde lue
et représentée en une carte sous la grille de parallèles et de méridiens. Tandis que Gutiérrez,
Caboto et les « pilotes » prétendent que leur pratique est en accord avec celle des marins, les
autres affirment que cela fausse certains principes des représentations cartographiques. Les
uns affirment que c’est le « padrón », et non pas leurs cartes, qui est faux car dans celui-ci les
avis et l’expérience des navigants n’ont pas été pris en compte. Les autres insistent sur le
monopole de Caboto et Gutiérrez et sur l’impossibilité d’accepter leurs pratiques en suivant
une manière de comprendre la cosmographie basée principalement sur une partie des
contributions de Ptolémée et de Sacrobosco.
Nous ne rentrerons pas ici dans l’analyse précise de ce procès si ce n’est pour mieux
contextualiser la publication de l’Arte de Medina, paru précisément en 1545 tandis que le
procès est en cours. Alors que les liens entre ce contexte et la parution du livre ont été peu
soulignés, il faut également faire remarquer que sur le plan du marché éditorial, l’Arte arrive à
un moment très précis. D’un côté, le privilège d’impression de dix ans octroyé à Francisco
Faleiro en 1535, auteur d’un livre dans lequel Medina a largement puisé43, touche à sa fin44.
L’emprunt à d’autres textes ne constitue pas, à l’époque, une exception. Bien au contraire, il
s’agit d’une manière de constituer des textes par l’assemblage et la reprise, au sein d’une
culture écrite plus ou moins large en fonction du capital de l’auteur. Celle-ci est en
transformation, certes, mais est également limitée à des repères majeurs, classiques et
37 Tel que c’est décrit dans le brevet royal du titre du premier pilote majeur, Americo Vespucci. 6 aout 1508,
document reproduit par Pulido Rubio, El piloto mayor de la Casa de la Contratación de Sevilla, Séville, Escuela
de estudios hispano-americanos de Sevilla, CSIC, 1950 annexe 1, nº 1, p. 461-464.
38 Sur ce sujet, voir la contribution récente d’Antonio Sánchez, op. cit.
39 Ordonnance reproduite par José Toribio Medina, El veneciano, op. cit. p. 521.
40 17 février, 1540. Document reproduit par José Toribio Medina, ibid, p. 354.
41 La grande masse de documentation produite lors de ce procès continue à être explorée, depuis les contributions
d’Ursula Lamb, avec des hypothèses diverses. Une partie importante de cette documentation est recueillie par
José Toribio Medina, El veneciano, op. cit. Voir Ursula Lamb, « Science by litigation: a Cosmographic Feud », in
Cosmographers and Pilots, op. cit, 1995, p. 40-57 ; Alison Sandman, Cosmographers vs. Pilots: Navigation, op.
cit. et Antonio Sánchez, op. cit. 229-261.
42 Dossier AGI, Justicia, 1146.
43 Ursula Lamb, A Navigator’s Universe, op. cit. p. 27.
44 Francisco Faleiro, Tratado del esphera y del arte de marear, Séville, Juan Juan Cromberger, 1535. Les travaux sur
Faleiro restent rares, voir notamment Edward Collins, « Francisco Faleiro and Scientific Methodology at the
Casa de la Contratación in the Sixteenth Century », Imago Mundi, 2013, vol. 65, no 1, p. 25-36.
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DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
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médiévaux, des savoirs sur la nature, l’astronomie, l’astrologie, la théologie, ou la philosophie
naturelle, entre autres. D’un autre côté, l’utilisation du livre de la Sphère, traduit et publié en
espagnol à Séville par Jerónimo de Chaves en 1545 aussi45, comme une sorte d’introduction à
l’ensemble de règles nautiques qui le suivent généralement, représente encore un exemple du
pari fait par certains acteurs de la première moitié du XVIe siècle pour démontrer de qu’il est
possible de contourner les problèmes liés à la navigation et à la représentation cartographique
du globe grâce à une réhabilitation et à une meilleure connaissance des savoirs
astronomiques46. Ce positionnement, qui définit un espace de travail épistémologiquement et
socialement ouvert cependant, ne se fait pas de façon abstraite mais dans un rapport de forces
sociales. Ainsi, Jerónimo de Chaves, ayant lui-même sa propre trajectoire et agenda à la Casa,
reprend dans la préface de son livre presque verbatim les mots de son témoignage contre
Gutiérrez et la question des graduations à deux échelles dans le procès de Medina comme une
manière de se positionner sur la question de l’importance des cercles célestes dans la pratique
cartographique47.
Or, il faut souligner que, en comparaison avec les livres de Faleiro et de Jerónimo de
Chaves, références éditoriales qui lui sont les plus proches, l’Arte de Medina est le seul ouvrage
à ne pas être publié à Séville. Il est publié à Valladolid après avoir suivi un processus de
correction et de validation dont certains détails restent encore à éclaircir. Alors que le livre de
Faleiro, celui de Medina et celui de Chaves indiquent sur la couverture le privilège « impérial »
d’impression, seul celui de Faleiro inclut la cédule octroyée par le pouvoir royal. Cependant, le
colophon de l’Arte de Medina met en avant le double contrôle suivi par le livre. En effet, tel
qu’indiqué dans la dernière page, le livre a été validé, avant d’être publié, par le pilote majeur
et les cosmographes de la Casa de la Contratación et il a été envoyé au Conseil du roi qui se
trouvait, selon ce texte, avec l’ensemble de la cour à Valladolid. Ni le livre de Faleiro ni celui de
Chaves n’ont suivi ces mêmes contrôles. Le premier a été validé par le proto-médecin et
professeur de la chair en astrologie à l’Université de Salamanque, Salaya48 et le deuxième par
un tel « Docteur Constantino », à la demande de l’)nquisition. Outre l’importance de mettre en
relief la diversité des modalités d’inspection exercées par différents pouvoirs, un aspect qui
reste encore à explorer, ces informations invitent à interroger le triangle tissé par Medina entre
la Casa de la contratación, la cour et lui-même.
Envisager les développements des savoirs liés à la cosmographie et à la navigation dans
la péninsule ibérique au cours du XVIe siècle comme un processus linéaire
d’« institutionnalisation » risquerait de faire écran à une compréhension historique de ces lieux
de savoirs. Certains restent précaires, non fixés définitivement dans l’espace, et surtout
dépendants de l’assignation de titres personnels et de la mobilité des acteurs qui animent ces
espaces. L’importance de Séville et de la Casa de la contratación ne serait ainsi qu’un trompeœil si elle nous induisait à assumer le fait que l’ensemble des facteurs liés à sa structuration et
ses activités se jouerait exclusivement à une échelle sévillane. La publication de l’Arte et les
périples de Medina, qui a très fréquemment quitté la ville entre autres, pour suivre la cour, en
sont un bon exemple.
Sous cet angle d’analyse, les livres Grandezas de España (1543 ; 154849) et Crónica de los
duques de Medina Sidonia (1561, ms.), rédigés par Medina, lui servent à ancrer son parcours à la
45 Jerónimo de Chaves, Tractado de la Sphera, Séville, Juan de León, 1545.
46 Aux travaux déjà cités de Faleiro, Medina, Chaves, il faut ajouter celui de Pedro Nunes (Lisbonne, 1537) et de
Martín Cortés (Séville, 1551)
47 Voir Alison Sandman, op. cit. p. 183 et L. A. Carrió Cataldi, op. cit., p. 201.
48 )l s’agit certainement de Sancho de Salaya, fils de Juan de Salaya. Sancho a été médecin du Conseil de
l’)nquisition et, en
, participe à la réunion de Badajoz pour déterminer la position des îles Moluques.
49 Nous ne connaissons pas d’exemplaires de la première édition, de 1543. La deuxième date de 1548 et elle est
imprimée chez Dominico de Robertis, à Séville.
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DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
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fois dans la longue trajectoire de cette maison nobiliaire proche de la couronne depuis le
XIIIe siècle, œuvrant à un projet de reconquête territoriale et spirituelle, ainsi que dans une
société nobiliaire et de cour qu’il connaît de près. À partir de certains passages de ces ouvrages,
on peut comprendre qu’autour des deux moments importants du parcours de Medina —
l’obtention de ses deux premiers privilèges (décembre 1538, janvier 1539), signés tous les deux à
Tolède, et la publication de son Arte (octobre, 1545) — il se trouve proche du pouvoir royal. Il
aurait ainsi accompagné le duc de Medina Sidonia, Juan Alonso Pérez de Guzmán y Zúñiga,
aux Cortes de Tolède, convoquées par Charles Quint, entre fin 1538 et début de 1539. Faut-il lire
certains passages de ces brevets comme révélateurs du fait que Medina aurait montré
directement son premier « regimento » et un livre de cosmographie au Conseil des Indes et au
Conseil du roi50 ? Cela est fort probable, mais nous ne pouvons pas l’affirmer. Ce qui est plus
certain c’est que ce serait au sein de ce milieu courtisan, où le duc de la maison de Medina
Sidonia préside le rassemblement des nobles et est suivi lors de ses balades par plus de
chevaliers que l’empereur lui-même, assure Medina51 que ces compétences ont été validées.
Alors qu’il aurait pu être présent dans les années suivantes à Séville, notamment pour le
mariage de son seigneur qui y a lieu en 1542, selon la Crónica52, on sait que pour des problèmes
de santé, affirme-t-il, il séjourne à Cadix, et ne rentre à Séville que pour présenter la plainte
devant les juges de la Casa de la contratación car il considère que les cartes, les instruments et
les examens réalisés à Séville sont faux et n’ont aucun ordre. N’étant pas satisfait du
cheminement de son désaccord par la voie d’un procès ordinaire à la Casa (« pleito
ordinario »), Medina repart, écrit-il, à la Cour — à Valladolid, en 1544, certainement — pour
présenter ses arguments au Conseil des Indes. Sa présence est sûrement à l’origine de plusieurs
ordonnances adressées aux officiers de la Casa et à Diego Gutiérrez qui cherchent à
homogénéiser la production ainsi que la vente d’instruments et de cartes à Séville entre fin
1544 et début 154553. Le fait que Medina n’est pas à Séville est confirmé par des documents émis
par les juges de la Casa où il est explicite que pour le renseigner de l’état du procès54, ils le
cherchent dans la ville, en novembre 1544. L’ayant notifié par crieur du peuple dans des lieux
publiques de la ville et devant la porte où il aurait dit habiter, l’édit est affiché sur la porte de la
salle de l’audience55. En lisant son Libro de Grandezas de España, on apprend qu’il est
(encore ?) à Valladolid au moment de la mort de la princesse Maria Manuela de Portugal, vers
juillet 1545, en Espagne pour son mariage avec le prince Philippe. Medina rend compte de la
richesse des nobles de la ville dans les rues qu’il traverse, explique-t-il, accompagné des gens
de Valladolid56.
Malgré le manque de sources, à ma connaissance, permettant de creuser les liens que
Medina aurait pu établir avec l’imprimeur Francisco Fernández de Córdoba à Valladolid,
l’hypothèse selon laquelle ce serait grâce à une mobilité et une sociabilité plus proches de la
cour que de la mer que l’Arte aurait vu le jour dans cette ville s’avère convaincante. Tout au
moins, elle semble pouvoir expliquer l’impression du livre dans un lieu autre que Séville,
comme c’est le cas des principaux textes de la période. Or, c’est également par rapport au
contexte sévillan qu’il faut comprendre l’affirmation insistante du colophon de l’Arte sur la
50 hicistes presentación de un nuevo regimiento de la altura del sol y del norte, y un libro de cosmografía que
habies fecho…visto por los del nuestro Consejo de las )ndias… brevet
décembre
; visto por los del
nuestro Consejo, por cuanto ellos le han examinado y le hallan hábil brevet
janvier
.
51 Medina, Crónica…, p. 355.
52 Ibid. 358,
53 Documents reproduits par José Toribio Medina, El veneciano…, op.cit. p. 375-77 : ordonnances du Prince aux
Officiers (Valladolid, 5 novembre 1544) ; du prince à Diego Gutiérrez (Valladolid 22 janvier 1544) et du Prince
aux Officiers (Valladolid, 9 mars 1545).
54 )l s’agit plus précisément de le notifier du délai de trois mois demandé par Gutiérrez pour préparer sa défense.
55 AGI, Justicia, 1146,N.3,R.2 f. 36v-37. Voir sur ce point U. Lamb, « Science by litigation… » art. cit., p. 48.
56 Medina, Libro de grandezas, fol. XCVIII.
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large validation et le soutien que le livre aurait reçu : « il a été vu et approuvé dans l’insigne
Casa de la Contratación des Indes, par le pilote majeur et les cosmographes de sa Majesté. Et il
a été de même envoyé à voir et à examiner par le Conseil royal de sa majesté, dans la noble
ville de Valladolid, pendant le séjour du Prince, notre seigneur, et sa royale cour57 ». Il y a là
une tentative de donner une image de consensus autour du livre qui est, en réalité, inexistante.
En effet, profitant des distances entre Séville et Valladolid et des chevauchements de
fonctions entre la Casa et les différents Conseils, propres de la polysynodie de la monarchie
que Medina accentue lorsqu’il dépose ses plaintes auprès de la cour, l’Arte génère débat, avant
et après sa parution. Ainsi, lors du procès qui oppose Medina à Gutiérrez, des vingt-six
questions proposées par ce dernier pour interroger les témoins, les quatre dernières cherchent
à mettre en évidence la tâche de correction que pilotes et cosmographes ont menée sur les
travaux réalisés et présentés par Medina pour être validés. La question vingt-cinq porte
précisément sur son livre :
Savez-vous […] que Pedro de Medina […] a présenté devant les
seigneurs officiers de la Casa de la contratación un certain livre qu’il dit
avoir fait et compilé de différents auteurs intitulé Arte de navegar et il a
demandé aux dits seigneurs officiers qu’ils l’envoient voir et approuver
par le pilote majeur et les cosmographes de votre Majesté lesquels ont
vu le dit livre et ils ont trouvé qu’il avait environ soixante-dix erreurs et
des choses faussement dites et le dit pilote majeur et les cosmographes
de votre Majesté ont corrigé ces erreurs du dit livre […] ils ont signé à
chaque chapitre ; ils ont ajouté que ceci était fait, selon l’habitude, pour
indiquer que lui [Medina] n’était pas l’auteur [de ces corrections]58
La question contient des informations que le témoignage de Caboto, par exemple, ne
fera que confirmer et qui sont, par ailleurs, contrastées par d’autres sources, comme nous le
verrons59. Elles soulignent que Medina lui-même aurait premièrement présenté son travail
comme une recompilation. Les multiples corrections apportées par les différents pilotes et
cosmographes ne font qu’accentuer l’idée d’un travail plus collectif qu’individuel.
Loin de s’arrêter avec la publication du livre en octobre 1545, la recherche d’un
consensus autour de l’Arte se prolonge après sa publication. Le 27 novembre, la couronne
rédige deux nouvelles ordonnances. La première est adressée par le prince Philippe au pilote
majeur et aux cosmographes de l’empereur qui habitent à Séville. L’objectif est de mettre en
avant le fait que Medina l’a informé de l’utilité du livre qu’il dit avoir fait valider par les
officiers de la Casa et que, avec leur accord, il l’a imprimé. En paiement de ce travail et de son
expérience en la matière, Medina exprime son souhait d’être reçu comme cosmographe,
autrement dit, qu’on lui accorde, enfin, le titre de cosmographe, sans qu’il soit précisé s’il s’agit
de rattacher le titre à des activités de la Casa ou non. Le prince demande ainsi au pilote et aux
cosmographes de se réunir à la Casa et de lui faire parvenir un rapport signé contenant leurs
avis sur le livre, l’utilisation et les éventuels problèmes de celui-ci60. Le deuxième document,
que le prince adresse aux officiers de la Casa de la contratación, interdit directement la vente et
la circulation du livre de Medina — y compris par les maitres, pilotes et marins qui vont aux
Indes — tant qu’il n’aura pas été validé par le pilote majeur et les cosmographes 61.
57 Medina, El arte de navegar, colophon, 1545. C’est nous qui traduisons.
58 AGI, Justicia,1146,N.3,R.2, fol. 4 . C’est nous qui traduisons.
59 La réponse a été transcrite par José Toribio Medina, El veneciano, op. cit. p. 363.
60 Document reproduit par José Toribio Medina, Biblioteca Hispano-Americana, op.cit. p. 196.
61 Document reproduit par José Toribio Medina, Biblioteca Hispano-Americana, op.cit.p. 194.
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Face à cette situation, la réponse de Sebastián Caboto et des autres cosmographes, qui
sont aussi bien des opposants que des partisans de Medina lors du procès62, rend évident une
certaine perplexité devant le parcours de publication de l’Arte. Le document de réponse, en
s’adressant à la couronne, retranscrit les deux ordonnances citées en amont, ainsi que la
licence d’impression du livre accordée par le prince le 16 décembre 1545 avec l’avis positif du
Conseil royal (Real Consejo), plus d’un mois après sa publication. Puisque le livre est déjà
imprimé et qu’il existe une licence d’impression, le pilote majeur et les cosmographes
demandent au prince, depuis Séville, d’éclaircir la situation : faut-il encore corriger le livre
imprimé dont ils ont déjà corrigé et enlevé, sur le manuscrit présenté par Medina, ce qui leur
semblait erroné ? Si c’est le cas, ils demandent au prince d’exiger que Medina leur montre un
exemplaire du livre imprimé63. En prenant en compte cette information, on ne peut pas
s’empêcher de poser la question de l’impact réel de l’Arte et de sa circulation entre les mains
des marins et des pilotes à Séville.
À ce nœud déjà dense de documentation, il faut finalement ajouter que, lors de
l’impression d’un deuxième livre sur la navigation, intitulée Regimiento de la navegación
(Séville, J. Canalla, 1552) et que nous pourrions considérer une version résumée de son Arte,
Medina utilise le privilège d’impression qui lui avait été accordé pour son livre de 1545, sans
modifier un seul mot. De plus, il ajoute deux lettres à la fin du Regimiento. Dans la première, il
s’adresse à Alonso de Chaves, devenu pilote majeur cette même année 1552, pour lui demander
de corriger le présent livre. La deuxième lettre reproduit la réponse de celui-ci. Chaves rappelle
qu’il avait déjà participé à la correction de son Arte avant et après impression. L’ensemble
hétérogène de ces documents semble ainsi confirmer les questions et arguments mobilisés par
Gutiérrez, lors du procès tout comme l’effort de la part de Medina pour présenter des preuves
qui témoignent de l’acceptation de ses publications au sein d’une communauté dans laquelle il
cherche à s’insérer depuis des années.
Loin de témoigner d’un processus limpide d’impression, issu de l’œuvre d’une seule
personne, « prestigieux auteur de traités nautiques de l’humanisme sévillan », comme on a pu
récemment encore l’affirmer64, les périples de Medina et la documentation mettent clairement
à distance la construction historiographique autour du succès qui lui été accordé à partir de
l’Arte de navegar. L’analyse de ce processus fait émerger la recherche, inachevée, d’un
consensus autour du livre par des arguments de savoir, certes, tout comme par des
mécanismes sociaux et juridiques. Ces conditions, historiques, rendent compte du caractère
circonstanciel de la fabrique d’une technique et d’un savoir pour sillonner la mer et explorer le
monde qui demeurent, par là même, instables, tout au long de la période examinée.
L’INSTABILITE DE L’IMAGE DU MONDE ET LE TEMPS DU CLERC
Alors que le terme « mathématicien » n’est pas présent de manière significative dans la
documentation sur Medina, et alors qu’il peine à être reçu en tant que « cosmographe », il faut
souligner qu’il est l’un des rares auteurs à utiliser le mot « cosmographie » pour nommer
certains de ses traités. Au XVIe siècle, il y a eu plusieurs définitions de la cosmographie et de
ses objectifs. Dans un de ses livres manuscrits, par exemple, Medina explique que l’utilité
première de la cosmographie est celle de mieux connaître Dieu à travers l’étude des cieux.
Deuxièmement, écrit-il, la cosmographie doit faciliter la compréhension des passages bibliques
traitant de l’univers et des parties du monde habitées. Enfin, elle sert de préambule et
d’explication au corpus aristotélicien qui reste, au XVIe siècle, un fondement sous-jacent de
62 Le document est signé par Pedro Mexía, Alonso de Chaves et Diego Gutiérrez.
63 José Toribio Medina, ibid., p. 197.
64 Antonio Sánchez, op. cit. p. 232.
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LEONARDO ARIEL CARRIÓ CATALDI, « LES ESPACES ET LES TEMPS
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tous les savoirs, de l’étude des cieux à celle des livres des poètes, en passant par la philosophie
naturelle65. Cet objectif n’est pas loin de celui qu’il accorde à son art de naviguer, dont les
fondements sont rattachés, tels qu’il les présente dans l’Arte et le Regimiento, aux textes
bibliques, soit par l’origine de la navigation, le Déluge et la construction de l’arche de Noé, soit
par ses objectifs, le profit de la « république chrétienne » et l’expansion de la foi. Les bénéfices
économiques et politiques vont ainsi de pair66.
Il y a là un enjeu majeur des savoirs cosmographiques et des techniques pour parcourir
le monde qu’il convient donc de souligner. Au XVIe siècle, toute représentation de la Terre,
radicalement transformée par les voyages océaniques, se place entre l’instabilité des apports de
ceux-ci saisis par des savoirs en construction et son ancrage dans le récit de la Création divine
qui demeure, malgré des nuances de lectures, stable depuis le « Début ».
Les difficultés de la maîtrise des cartes et des techniques pour sillonner l’espace,
comme celles qui sont présentées dans l’Arte de Medina, ne relèvent pas exclusivement d’un
problème technique ou politique de la monarchie dont la dimension religieuse servirait
uniquement à justifier l’expansion territoriale. En effet, ces difficultés soulèvent également la
question de leur intégration au sein d’un projet de connaissance de la Création divine porté de
manière singulière et conjoncturelle par un regroupement de connaissances qu’on nomme
« cosmographie ». Dans cet espace intellectuel, chaque acteur mobilise et agence un nombre
large et varié de savoirs en fonction de son capital savant et technique. Mais il le fait également
au sein d’une organisation, sociale et épistémologique, où la théologie et les théologiens sont
au sommet de la hiérarchie.
Si l’historiographie a pu discuter le fait que, au XVIe siècle, tout voyage ou son récit
entraînent et se mesurent par une connaissance du temps ou de l’espace de ce monde en
exploration67, c’est parce que sa connaissance, au sens large, mobilise ces deux notions. Elle le
fait soit comme une expérience dont il faut rendre compte, soit comme un moyen pour se
repérer. La primauté accordée jusqu’à présent par les historiens à l’étude des cartes, comme
résultat et/ou moyen de cette exploration, n’épuise ainsi ni l’ampleur du domaine des savoirs
cosmographiques, ni les enjeux des techniques pour se repérer pendant le voyage. Elle laisse
notamment de côté la place d’une réflexion sur le temps et son calcul mené au sein des savoirs
cosmographiques et sur le pont des navires. Question conceptuelle autant que pratique,
l’intérêt des pilotes et cosmographes converge vers une quête et une maîtrise du temps.
Au bord de la mer et autour des lieux de production d’instruments et de savoirs
cosmographiques, différents acteurs prennent ainsi appui sur une définition polyphonique du
mot temps afin de fournir aux marins des repères pour se situer dans le monde qu’ils
parcourent. En s’appuyant sur l’arithmétique, le temps devient central dans le calcul des
distances et de la position en mer, alors que la terre n’est plus à portée de vue. Grâce à un
complexe bagage astrologique, la qualité du temps est soulignée également comme moyen de
prévoir les marées, des phénomènes atmosphériques ou d’agir en cas de maladie. Dans son
Arte, Medina explicite l’intérêt d’une connaissance du temps en mer68. C’est par ailleurs, une
des rares fois où il mentionne avoir navigué :
Le Philosophe dit que l’art suit la nature, tant qu’elle peult, et souvent
supplit au deffault de nature : comme voyons quand la veue deffault en
65 Pedro de Medina, Libro de cosmographia, fol. 6; ms. Bodleian Library, [1538?]. Texte reproduit par Mariano
Cuesta Domingo, op. cit. 233 et Ursula Lamb, Navigator’s Universe, op.cit.
66 Voir les préfaces de ces deux livres.
67 João Rocha Pinto, « A Viagem, memória e espaço: a literatura portuguesa de viagens - os primitivos relatos de
viagem ao Indico, 1497-1550 », Cadernos da revista de história económica e social, 11-12, 1989; Ricardo Padrón,
« Mapping Plus Ultra: Cartography, Space, and Hispanic Modernity », Representations, 2002, vol. 76, p. 28-60.
68 Cette problématisation des sources cosmographiques et nautiques à partir de ces trois temporalités est au
cœur de ma thèse doctorale, déjà cité, où je l’ai largement développée.
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LEONARDO ARIEL CARRIÓ CATALDI, « LES ESPACES ET LES TEMPS
DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
Le Verger – bouquet XII, Octobre 2017.
l’homme par nature, lors l’art donne industrie de regarder par verrieres
et lunettes […]. Et l’on pourroit dire le semblable de la memoire, qu’elle
deffault souvent aux hommes […] )l me souvient que navigant une fois,
estions dixneuf hommes en un navire, sept passagers, et douze
mariners, et pource la mer et le temps nous avoyent esté contraires,
advint que l’escrivain devoit escrire quelque partie pour mettre sur son
compte, mais luy ne les autres ne sçavoyent quel iour il estoit du moys
car on ne sçavoit quand il estoit commencé, isque es à ce ie leur di,
aussi n’y avoit il livre pour y regarder. […] pourtant m’a semblé
convenable de mettre un Calendrier, poy ayder la memoire, et tenir bon
compte du moys et iour […] Et comme ceux qui vont par un chemin qui
n’est grandement frequenté, font enseignes […] pour mieux s’addresser,
aussi ay ie fait le Calendrier, avec les festes fixes, pour ceste mesme
raison, que ceux qui naviguent sont obligez de savoir, comme vons
Chrestiens69.
D’après la citation, il n’y a pas de doute que ce que cet Arte doit à la philosophie
d’Aristote -le Philosophe-, c’est la définition d’art comme un ensemble de procédés par le
moyen desquels l’homme est capable, comme la nature, de produire ou d’agir 70. La traduction
française ne rend pas entièrement compte à quel point le texte original en espagnol souligne le
« profit spirituel » que les marins devront tirer en suivant l’ordre d’un calendrier qui organise
et est constitutif de la vie de la communauté chrétienne 71. Ceci est d’autant plus important
quand il s’agit de préserver les mœurs et les moments de recueillement en voyage et en terres
lointaines, alors que l’Europe en général, et la péninsule Ibérique en particulier, est confrontée
à une diversité doctrinale et spirituelle à l’intérieur et à l’extérieur du christianisme. Au-delà
donc de l’impératif technique de maîtriser le temps, donnée essentielle pour calculer ensuite la
hauteur du soleil par laquelle on parvient à avoir une estimation de la latitude, il existe une
exigence qu’on pourrait appeler doctrinale et « spirituelle ». Dans les deux cas, alors que les
moyens pour parvenir à une image cartographique du monde génèrent une forte discussion,
c’est par le temps qu’on cherche à se repérer dans l’espace, physique, social et spirituelle.
Ce rapport du temps et de l’espace dans le cas des textes et cartes nautiques n’a rien de
nouveau. Bien au contraire, il s’inscrit dans la continuité d’un ensemble d’informations et de
connaissances sur le temps qu’on commence à inclure dans les portulans dès le X))) e siècle72.
Dans le sillage d’une tradition médiévale à caractère encyclopédique, la cosmographie
s’approprie, au XVIe siècle, une réflexion sur l’espace et le temps, ainsi que les moyens pour les
organiser et calculer, menée tout au long du Moyen Âge. Ayant comme point de départ,
certainement parmi d’autres, le De natura rerum d’)sidore de Séville, V))e siècle, où les deux
thématiques sont abordées dans un seul livre, Bède le Vénérable, au VIIIe siècle, sépare la
matière concernant le calcul du temps de celle concernant la nature pour en faire des traités
69 J’utilise ici le une édition en français, Pedro de Medina, L’art de naviguer, Lyon, 1569, fol. 155.
70 L’idée de l’art qui imite la nature est probablement tirée d’Aristote, Physique, II, 2, 194a, (éd. Belles Lettres, 1996).
Parmi les nombreuses études sur Aristote, pour une explication plus large sur sa conception du savoir, voir
León Robin, Aristote, Vendôme, Presses universitaires, 1944. Ce que l’Arte de Medina doit à une opération de
« réduire en art », tel que cella á été proposé par Pascal Dubourg Glatigny et Hélène Vérin (Réduire en art : la
technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Maison des sciences de l'homme, 2008) reste à étudier.
71 « Enlo qual demas de provecho grande que para lo suso dicho puede tener, se sacara otro mas principal, que es el
provecho espiritual […] obligados son los que navegan a hazer esto como christianos, y mas obligacion por el
peligro en que van, pues llevan la muerte tan vezina que dellos a ella no ay mas que dos dedos de tabla , Pedro
de Medina, El arte de navegar, 1545, fol. lxviii.
72 Voir, par exemple, Evelyn Edson, Mapping Time and Space. How Medieval Mapmakers Viewed their World,
Londres, The British Library, 1997 et Ramon Josep Pujades i Bataller, Les cartes portolanes la representació
medieval d'una mar solcada, Barcelone/Lunwerg, Institut Cartogràfic de Catalunya/Institut d'Estudis Catalans,
Institut europeu de la Mediterrània, 2007.
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LEONARDO ARIEL CARRIÓ CATALDI, « LES ESPACES ET LES TEMPS
DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
Le Verger – bouquet XII, Octobre 2017.
différents : De temporum ratione et De Temporibus Liber Major, d’un côté, et De natura rerum,
de l’autre. Cette distinction forge un cadre de compréhension et d’organisation de l’étude de la
nature dans lequel il faut inscrire le choix fait par Sacrobosco, au XIIIe siècle, de rédiger son De
annii ratione, séparément du De sphaera mundi, ainsi que l’importance de traduire ce dernier,
comme le fera Jerónimo de Chaves en 1545 suivi de la publication de sa Chronographia (1548).
La conceptualisation d’une description et d’une représentation du monde est tissée
d’un amalgame de textes et de traditions à l’intérieur duquel se définit, au XVIe siècle, le
concept de Terre à la croisée de l’astronomie, de la physique, de la théologique et, de plus en
plus, de la géographie73. De la même manière, le temps est également considéré via un
hybridisme de traditions et de bagages qui est au cœur même des démarches cosmographiques
développées, à Séville, en lien étroit avec l’art de naviguer. Que ce soit dans le déploiement
d’un regard vers le passé dans lequel s’installe la Création, ou dans une réflexion sur sa
conceptualisation et son calcul comme moyen de se repérer et de parcourir le monde, le temps
demeure un point central et commun aux pilotes et cosmographes, qui brouille les frontières
du théorique et du pratique.
L’ensemble des gravures du traité de Medina, intitulé Suma de cosmographia74,
pourraient être interprétées dans ce sens. En effet, dans les liminaires de ce manuscrit, trois
gravures représentant trois femmes sont collées sur le parchemin juste avant une carte du
monde en double page. Au-dessus de chaque représentation, une légende distingue, de gauche
à droite, le temps à venir, le temps passé et le temps présent. Au pied de chaque image, on
peut lire, également de gauche à droite, « je ne possède rien dans ce qui est à venir », « et le
passé n’est plus à moi », « et dans le présent je suis froide ». À la fin du traité, des gravures de
la même série ont été collées. Cette fois-ci, deux femmes désignent une horloge dessinée sur le
parchemin. L’inscription de deux initiales dans la première image permet d’identifier avec
certitude le graveur. )l s’agit du liégeois Lambert Suavius (1510-1576) et de sa série de sibylles
réalisées à partir des compositions de celui qui est considéré comme une figure centrale de la
« Renaissance septentrionale », le liégeois Lambert Lombard (1505/1506-1566). Malgré le
manque de sources, la forte ressemblance entre la graphie du manuscrit et celle qui est sur les
gravures laisse penser qu’il s’agit de la même main et qu’il y a une cohérence dans le projet de
ce manuscrit dans son ensemble75. La représentation du temps par les sibylles et de l’espace
par la carte ne peut-elle pas être lue comme représentant le cadre et les moyens pour
représenter le monde qui se déploient dans les seize pages composant le traité ?
73 Sur la configuration de ce concept, voir principalement Jean Marc Besse, Les grandeurs de la Terre. Aspects du
savoir géographique à la Renaissance, Lyon, ENS, 2003.
74 Le traité, rédigé sur un parchemin de
par
cm, est composé d’à peine
pages. Il est illustré par onze
représentations en couleur avec des décorations en or qui illustrent et accompagnent les explications sur la
composition du monde, de ses sphères, sur la manière de mesurer la hauteur du pole, c’est-à-dire, la latitude,
sur les signes du zodiaque, la hauteur du soleil et la manière de la mesurer, sur sa déclinaison, ainsi que des
informations, adressées aux navigateurs, sur les marées. Les dernières pages portent sur l’utilisation des
moyens d’orientation en mer comme la boussole ou l’étoile du nord. Il est conservé à la Biblioteca Nacional de
España.
75 L’étude paléographique des inscriptions ainsi que celle de l’encre semblent indiquer que les images ont été
collées lors de la rédaction de l’ouvrage. Sur ce plan, on aurait du mal à en dire davantage.
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LEONARDO ARIEL CARRIÓ CATALDI, « LES ESPACES ET LES TEMPS
DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
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EN GUISE DE CONCLUSION
Après avoir mis en lumière des apports et certains biais de l’abondante littérature sur
l’Arte de navegar, ainsi que sur son auteur, Pedro de Medina, comme exemple de l’articulation
entre techniques et problématiques d’empire — la navigation hauturière et la représentation
cartographique de l’espace principalement —, le prisme sous lequel plusieurs traditions
historiographiques ont analysé ce sujet a été réexaminé. La proposition de rendre compte des
voyages « historiographiques » de Medina veut attirer l’attention sur deux pistes. La longue vie
d’une approche internaliste, d’un côté, et de l’autre, l’intérêt d’un regard distant, en attendant
des études plus approfondies, sur la question des « mathématiques » dans les milieux urbains
et maritimes de la péninsule Ibérique de la première moitié du XVIe siècle. Le choix fait d’une
histoire sociale et intellectuelle de la production des savoirs et des techniques dans les sociétés
d’Ancien Régime met ainsi à l’épreuve l’image traditionnelle construite autour de la figure de
Medina comme un des nombreux exemples d’une histoire des sciences longuement axée sur
l’idée de la « Révolution scientifique » et le paradigme de la Modernité.
De ce point de vue, l’analyse de la publication de l’Arte fait davantage émerger les
ficelles et les enjeux de la mobilisation de ressources savantes et sociales diverses d’un
nouveau-venu sur le marché ouvert par l’expansion de la monarchie que les éléments d’une
œuvre de génie ayant réconcilié la technique et les nouveaux besoins des empires modernes.
L’appropriation de sources et de traditions — classiques et médiévales — ainsi que la
production de connaissances s’opère par la diversité d’une sociologie d’acteurs et
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LEONARDO ARIEL CARRIÓ CATALDI, « LES ESPACES ET LES TEMPS
DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
Le Verger – bouquet XII, Octobre 2017.
l’hétérogénéité des voies de circulations au sein de structures monarchiques d’Ancien Régime,
porteuses, parfois, du titre d’empire. Le triangle Medina-cour-Casa de la contratación au sein
duquel l’Arte voit le jour le démontre ainsi. L’obtention des droits pour imprimer ou pour
fabriquer des cartes et des instruments repose, de cette manière, sur l’articulation sociale d’un
ensemble varié d’acteurs et de médiations de pouvoir où la figure du « privilège » est la pièce
angulaire dans une société d’Ancien Régime structurée, précisément, sur la valeur de la
différence.
Dans ce cadre, la définition de la cosmographie demeure plurielle et sa pratique
diverse, comprenant à la fois une réflexion sur l’espace et le temps du monde et au monde, et
l’Arte de navegar est le résultat d’un rapport de forces conjoncturel livré par des acteurs aux
parcours hétérogènes. Ceux-ci font du naviguer, un art, servant à évoluer dans des contextes
sociaux bouleversés par les voyages océaniques.
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LEONARDO ARIEL CARRIÓ CATALDI, « LES ESPACES ET LES TEMPS
DE L’ART DE NAVIGUER : NOUVELLES REFLEXIONS AUTOUR DE PEDRO DE MEDINA »,
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