Questions de communication
21 | 2012
10 ans déjà, 10 questions de communication
Divina FRAU-MEIGS, Penser la société de l’écran.
Dispositifs et usages
Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, coll. Les fondamentaux de la Sorbonne
Nouvelle, 2011, 138 p.
Gilles Boenisch
Éditeur
Presses universitaires de Lorraine
Édition électronique
URL : http://
questionsdecommunication.revues.org/6801
ISSN : 2259-8901
Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2012
Pagination : 362-363
ISBN : 978-2-8143-0120-7
ISSN : 1633-5961
Référence électronique
Gilles Boenisch, « Divina FRAU-MEIGS, Penser la société de l’écran. Dispositifs et usages », Questions de
communication [En ligne], 21 | 2012, mis en ligne le 18 décembre 2012, consulté le 01 octobre 2016.
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Notes de lecture
Divina Frau-meiGs, Penser la société de l’écran.
Dispositifs et usages.
Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, coll. Les
fondamentaux de la Sorbonne Nouvelle, 2011, 138 p.
Penser la société de l’écran. Dispositifs et usages est
une enquête sur le développement de l’écran et
son insertion progressive dans la société occidentale,
caractérisée par un besoin accru de médiation
technique. Cette recherche prend pour hypothèse
que l’écran met en présence d’un nouveau mode
de pensée, fondé sur le déplacement de la culture
alphabétique au profit de la culture visuelle. Celle-ci,
non verbale, se caractériserait par un besoin accru
de médiation technique, en renforçant la co-évolution
homme-machine et l’hyper-visualité, tout en favorisant
le recyclage culturel de nos récits constitutifs. Les
questions qui étayent ces propositions sont énoncées
dans la partie introductive : « Pourquoi et comment
l’écran dynamique a-t-il acquis le statut hégémonique
[…] qui semble se renforcer ? […] En quoi peut-il être
considéré comme un artefact cognitif, qui prolonge
et modifie les formes de la représentation ainsi que
le registre de l’image […] ? Comment son potentiel
disruptif est-il identifié et canalisé par les acteurs
impliqués ? En quoi la mutation actuelle de l’écran
continue-t-elle cette évolution tout en lui posant de
nouveaux défis culturels ? » (p. 8).
Divina Frau-Meigs tente de répondre en dégageant
cinq étapes caractéristiques de l’évolution de
l’écran, l’invention, la domestication, la médiation, la
médiatisation, la socialisation, l’ensemble constituant
le cheminement progressif de la lecture. L’étape
de l’invention, « Le réseau d’acteurs à la naissance
de l’artefact cognitif » (pp. 11-32), décrit la genèse
historique et technologique de l’écran sous l’éclairage
expérimental en pointant le potentiel disruptif
insoupçonné et son contexte d’apparition. Ce
potentiel tient « en sa capacité de déplacement du
dispositif écrit, pour servir un dispositif qui en surface
est analogique et en profondeur numérique » (p. 31).
En effet, la perception de l’œil humain reste dans un
rapport analogique à la réalité. Et c’est en associant
vision et mémoire que Divina Frau-Meigs pense qu’il
est nécessaire de parler « d’artefact cognitif » pour
décrire la spécificité de l’écran, c’est-à-dire comme
un « outil artificiel conçu pour conserver, exposer
et traiter l’information dans le but de satisfaire une
fonction représentationnelle » (p. 31). Au terme de
cette partie, le constat est celui d’un écran qui pas
encore inclus dans un système, qui n’est pas encore
très graphique ni très pratique. Un écran qui se
dotera ensuite de nouvelles caractéristiques, dans
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la seconde étape de son développement, lorsqu’il
cherche à trouver un marché, et des usages pour le
grand public.
Il s’agit de l’étape de domestication, traitée dans la
deuxième partie « Le carrefour de consommation et
de la domestication de l’écran » (pp. 33-60). L’analyse
révèle une série de négociations et de modifications
par rapport à l’invention d’origine. Divina Frau-Meigs
parle de « ralentissements » (pp. 37-49) qui ne
sont pas accidentels, mais le résultat d’un processus
d’appropriation. À cela s’ajoute « la nécessité sociale
de l’écran qui doit s’affirmer et se différencier
suffisamment des autres technologies existantes
pour que le processus d’insertion s’enclenche de
manière industrielle et sociale » (p. 58). Mais, dans
ces ralentissements, il y a aussi des intérêts industriels
qui sont autres que l’attrait de la seule innovation,
et qui agissent comme des filtres dans la diffusion
« autorisée » des écrans, et la reconnaissance de son
utilité sociale. Il s’agit d’une récupération par les acteurs
établis, destinés à canaliser les secteurs qu’ils dominent,
et pour éviter de souffrir de toute nouvelle innovation,
mais plutôt en trouver bénéfice. Ces ralentissements
s’opèrent également à « des fins de domestication
progressive » en nivelant l’essentiel du potentiel
disruptif. Pourtant, il n’y a pas que le secteur industriel
qui a intérêt au ralentissement de l’écran, c’est aussi
la culture ambiante qui doit trouver les éléments de
légitimation culturelle de l’innovation. Il s’agit donc de
l’étape de médiation sociale, décrite dans le troisième
chapitre « La médiation socio-technique : imachiner
une techno-logique » (pp. 61-82) qui détermine les
conditions culturelles du processus amené à faire
adopter l’écran par le grand public. Divina FrauMeigs décrit l’imaginaire collectif face à l’arrivée des
nouvelles technologies où l’écran est devenu l’objet
de nombreuses extrapolations. Pourtant, au-delà
des fantasmes, l’écran est bien devenu une prothèse
extensive et intrusive. Extensif, il prolonge l’action
naturelle du corps, l’œil et le cerveau, et permet la
simulation de concepts et d’objets impossibles à
réaliser dans notre relation immédiate à la nature,
mais possibles dans la « médiateté du couple
Cerveau-Information » (p. 81). Intrusif, il permet « de
pénétrer dans l’arrière-scène du cerveau des autres
tout autant que dans le sien et d’accéder à toutes
sortes d’informations, tout en y reconnaissant des
états mentaux et représentationnels collectivement
partagés » (p. 80). Divina Frau-Meigs rappelle que
l’intervention humaine sur la représentation ne cesse
d’être négociée culturellement, et le recours à l’écran
prend toute sa profondeur de construction via le
rapport « support-surface ». Un rapport qui contribue
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à modifier des symboles et des normes qui règlent et
stabilisent la société et les représentations : le passage
d’une culture alphabétique à la culture analogique puis
numérique, tout en masquant la radicalité disruptive
qui rejaillit selon Divina Frau-Meigs dans l’étape
suivante qui est celle de la médiatisation. En effet, la
partie « Médiatisation et pensée visuelle » (pp. 83-104)
constitue l’écran en véritable dispositif social, qui passe
par le développement de registres spécifiques de
l’image, associés à la pensée visuelle. L’écran et les
nouvelles technologies nous obligent à repenser la
façon dont on se représente à soi-même ; il y aurait
« une seconde nature » réflexive, subjective, qui dépasse
la nature technique de l’objet. Celle-ci permettrait de
concevoir le cadrage cognitif socialisé, « où l’écran peut
devenir une surface virtuelle, un espace transactionnel,
un terrain de jeu potentiel ». Un espace qui ouvre des
pistes de socialisation pour l’avènement des humanités
numériques de l’ère « cybériste » (p. 104), dépendant
de la co-évolution et de la co-dépendance hommemachine par le biais de l’écran comme interface. Une
prise de position qui amène la dernière partie de
l’ouvrage, « La socialisation à l’écran et les figures de
l’usageré (pp. 105-126), à examiner certains aspects
contemporains de l’évolution du lien social, en relation
à l’écran et aux sous-cultures qu’il génère. Ainsi Divina
Frau-Meigs démontre-t-elle que l’écran introduit des
nouveautés qui semblent difficilement conciliables avec
les exigences du lien social traditionnel dans la réalité
avant son intervention. Sa force de changement est
telle que ce sont désormais les pratiques en ligne qui
redéfinissent les pratiques hors-ligne. Des changements
qui obligent « à la renégociation de toutes sortes de
limites, notamment entre travail et loisir, vie privée et
vie publique ; qui implique un équilibrage constant
entre centre de spectacle et centre de service, entre
modes-de-faire […] et savoir-faire liés à l’action et à la
situation » (p. 126). Ainsi l’écran exerce-t-il un pouvoir,
avec le risque que tout s’uniformise dans l’équivalence
qu’il impose avec la technologie numérique. Un risque
aussi avec l’avènement des nanotechnologies, de toutes
sortes de prothèses, de l’holographie et de la réalité
augmentée intrusive : des nouveautés qui déplacent
considérablement les positions analogiques de la vision
rétinienne, dans une post-humanité dissolue qui serait
« cybérienne ». Un nouveau paradigme en émergence,
où il devient urgent de définir « de nouveaux droits »
(p. 128) dans un contrat tacite de médiation technique
qui s’inscrit dans la maîtrise obligatoire d’une culture
visuelle et informationnelle.
Gilles Boenisch
CREM, université de Lorraine
gilles.boenisch@gmail.com
Malo Girod de l’Ain, 2010 Futur Virtuel.
M21 Éd., coll. Société, 2005, 250 p.
Publié en 2005, il est intéressant de parcourir cet
ouvrage riche en perspectives annoncées pour
la période actuelle. Exclusivement prospectifs, les
propos de Malo Girod de l’Ain semblent encore
tout à fait d’actualité, puisque les bouleversements
qu’il annonce pour 2010 sont toujours en marche,
mais semblent plus lents que prévu sur les aspects les
plus radicaux. La thèse de cette recherche est divisée
en deux grandes thématiques : l’accélération des
changements dus aux avancées technologiques, puis
l’utilisation croissante du « virtuel ». Les questions que
pose d’entrée de jeu Malo Girod de l’Ain restent en
filigrane jusqu’à la fin de l’analyse, aussi bien dans la
première partie strictement analytique (pp. 19-82),
que dans la seconde qui achève l’ouvrage de manière
ludique sous la forme d’un roman d’anticipation
(pp. 83-205) : « Quelles évolutions prévoir ? Pouvonsnous commencer à les appréhender dès aujourd’hui ?
Saurons-nous les maîtriser ? Quels nouveaux univers
de vie et de liberté s’ouvriront à nous ? De nouvelles
pratiques, de nouvelles intelligences collectives
nous permettront-elles de faire face aux défis qui
s’annoncent, de comprendre comment naviguer
sur les océans numériques dans lesquels nous
baignons ? » (p. 15).
L’ambition de cette recherche va au-delà des
constatations habituelles, puisque les thèmes abordés
traitent de l’émergence de paradigmes que l’on
pourrait rapprocher de la science-fiction. Néanmoins,
à la lecture des arguments, cela a du sens. Plus encore
que l’on pourrait initialement le croire. La mise en
perspective donne cet indéniable avantage de pouvoir
raccorder le futur proche décrit – qui est dépassé
au moment d’écrire ces lignes – et d’un plus lointain
qui n’est finalement plus si distant, questionnant
parfaitement l’impact des technologies actuelles sur
les générations suivantes. Les préoccupations sont
variées et traitent de l’émergence de l’intelligence
collective, du rapprochement entre intelligence
biologique et intelligence non biologique, de la
rencontre et de la proximité avec des êtres virtuels,
du clonage informatique et biologique, de l’évolution
de l’individualisme de groupe, de l’arrivée des robots
vivants, des nanobots et de la nanotechnologie, de
l’immortalité pour les générations suivantes.
Le postulat initial est que l’internet est passé de
produit technologique obscur à premier média
d’information de travail mondial. Nos modes de
travail, de divertissement et de pensée ont évolué
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