LA SUCCESSION CONSTITUTIONNELLE DU PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN : ENTRE L’INTÉRIM ET LE DAUPHINAT
Emmanuel MOUBITANG
ISSN 2276-5328
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E. MOUBITANG : « La succession constitutionnelle du Président de la République du Cameroun : entre
l’intérim et le dauphinat », Revue libre de Droit, 2019, pp. 14-50.
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E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
LA SUCCESSION CONSTITUTIONNELLE DU PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN : ENTRE L’INTÉRIM ET LE
DAUPHINAT
Emmanuel Moubitang 1
Résumé : Toute succession engendre une guerre entre les prétendants en vue de gagner les faveurs
de l'arbitre de la succession. Ainsi, les guerres de succession peuvent créer des fissures profondes
au sein de l'appareil de l'État et du parti au pouvoir. La technique successorale avait été
opportunément adoptée au début des années 1980 par des chefs d’États africains préoccupés par
la survie des régimes qu'ils avaient bâtis. Au Cameroun, en cas de vacance de la Présidence de la
République, « l’intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu’à l’élection
du nouveau Président de la République, par le Président du Sénat ». Toutefois, la succession étant
considérée comme un véritable « test de stabilité des régimes en développement », une question
s’impose : entre l’intérim présidentiel et le dauphinat constitutionnel, quel est le modèle successoral
susceptible de garantir la paix et la stabilité politique du Cameroun, en cas d'empêchement définitif
du Chef de l'État Paul BIYA, âgé de 86 ans et visiblement sous le coup de l'usure du pouvoir ?
L’analyse des compétences de l’intérimaire, les leçons du passé et surtout les affres de la crise
socio-politique actuelle militent en faveur de sa disqualification au profit d’un Vice-président,
dauphin constitutionnel.
Mots-clés : droit constitutionnel, droit public, droit camerounais, droit comparé.
Abstract : Each succession creates a war between the suitors with a view to win the favor of the
estate arbitrator. Thus, succession wars can create deep cracks within the state apparatus and the
ruling party. The estate technique was conveniently adopted in the early 1980s by African Heads
of State concerned about the survival of the schemes they had built. In Cameroon, in case of vacancy
of the Presidency of the Republic, « the interim of the President of the Republic is exercised as of
right, until the election of the new President of the Republic, by the President of the Senate ».
However, the succession being considered as a true « stability test of schemes under development
», a question is needed : between the presidential interim and the constitutional dauphinat, what is
the succession model likely to guarantee peace and political stability in Cameroon, in case of
definitive impediment of the Head of State Paul BIYA, 86 years old and visibly under the power of
the wear of power ? The skills analysis, the lessons of the past and especially the throes of the
current socio-political crisis, argue for the disqualification of the interim for the benefit of a Vice
President, constitutional dolphin.
Keywords : Constitutional law – Public law – Cameroonian law – Comparative law.
M. Moubitang est chargé de cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Yaoundé II
(Cameroun), ainsi que secrétaire-permanent au Centre d’Études et de Recherche en Droit International et
Communautaire (CEDIC) de l’Université Yaoundé II. Spécialisé dans les domaines du droit international, du droit
de la CEMAC, ainsi qu’en droit constitutionnel, il est titulaire d’un Doctorat en droit international (Université
Yaoundé II, Cameroun). Email : emmanuel.moubitang@yahoo.fr
1
Mr. Moubitang is Lecturer in Law at the Faculty of Law and Political Science of the University of Yaounde II-Soa
(Cameroon). His areas of research are international law, cemac law and public law. He holds a Ph.D. in
International Law from the University of Yaoundé II-Soa (Cameroon). Mail : emmanuel.moubitang@yahoo.fr
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E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
INTRODUCTION
Depuis le 16ème siècle, période à laquelle remonte l'institutionnalisation du pouvoir, la
relégation au musée des citations, de la célèbre formule « L’État, c'est Moi »2 constitue un
processus irréversible de dépatrimonialisation du pouvoir. Devenu un bien commun, le pouvoir
ne saurait faire l'objet d'une appropriation privée3. « Il serait donc inopportun de dire ou de
pousser Paul Biya à jeter le témoin au sol au lieu de le passer à quelqu’un d’autre, en faisant
jouer l’alternance par des mécanismes institutionnels et constitutionnels clairs et solides »4.
Dans ce sens, la loi fondamentale dispose : « En cas de vacance de la Présidence de la
République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le
Conseil Constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République doit
impérativement avoir lieu vingt (20) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus tard après
l’ouverture de la vacance. L’intérim du Président de la République est exercé de plein droit,
jusqu’à l’élection du nouveau Président de la République, par le Président du Sénat. Et si ce
dernier est, à son tour empêché, par son suppléant suivant l’ordre de préséance au Sénat »5.
Cependant, depuis le voyage du Président Paul BIYA à l’Elysée en 2009, certains médias
nationaux6diffusent l’idée qu’un projet de loi serait en préparation dans le but de modifier la
Constitution pour réintroduire le poste de Vice-président de la République. Toutes nos
tentatives de retrouver ledit texte sont restées vaines. Toutefois, une source proche de
l’Assemblée nationale ayant requis l’anonymat a déclaré : « Nous avons rédigé l’essentiel,
seules des nuances rhétoriques des subtilités du langage, restent à être peaufinées »7. Depuis
« L’Etat, c’est moi » est une formule attribuée à Louis XIV et qu’il aurait prononcée le 13 avril 1655
devant les parlementaires parisiens. Elle est censée rappeler la primauté de l’autorité royale dans un
contexte de défiance avec le Parlement, qui conteste des édits pris en lit de justice le 20 mars 1655.
Néanmoins, des historiens contestent que cette phrase, qui n’apparaît pas dans les registres du Parlement,
ait réellement été prononcée par Louis XIV.
3
À ce propos, CADART écrit que « le pouvoir est une institution existant en dehors et au-dessus de son
titulaire du moment : il obéit à des règles de dévolution stables et supérieures à ceux qui l’exercent
temporairement ». Voir Jacques CADART, Institutions politiques et droit constitutionnel, Tome 1, 2ème
édition, L.G.D.J., Paris, 1979, p.13.
4
Voir Georges Alain BOYOMO, « Cameroun : pouvoir et usure », Mutations, 30 mai 2015.
5
Voir Loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la Loi n°96/06
du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution camerounaise du 02 juin 1972, article 6 (4).
6
Voir Yves Marc KAMDOUM, « Paul BIYA s’apprête à nommer un Vice-président », La Météo,
Yaoundé, 23 janvier 2014 ; Jules Romuald NKONLAK, « Cameroun-Succession : Questions autour du
poste de Vice-président », Le Jour, Yaoundé, 13 mars 2014 ; Koaci.com, « Vers la création d’un poste
de Vice-président de la République et dauphin officiel ? africapresse.com, « Succession au sommet de
l’Etat : contre l’instauration du poste de Vice-président ».
7
Voir J. R NKONLAK : « Cameroun-Succession : Questions autour du poste de Vice-président », Le
Jour, Yaoundé, 13 mars 2014.
2
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lors, la guerre de succession fait rage au Cameroun. Certains concitoyens des régions
anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest estiment qu’en toute logique, le pays ne peut se
payer un président et son vice, tous francophones. D’autres agitent à nouveau de sérieuses
menaces de la sécession, au cas où les francophones persisteraient à réclamer le poste 8. Le
Cameroun a déjà eu à expérimenter un tandem francophone-anglophone à la tête de l’État, ceci
dès la réunification en 19619. Toutefois, on note que la question a progressivement évolué.
Lorsqu'Ahmadou AHIDJO devient Président de la République en 1960, l'intérimaire est le
Président de l'Assemblée nationale. La Constitution du 1er septembre 1961 modifiée et
complétée par les lois n° 69/LF/14 du 10 novembre 1969 et 70/LF/1 du 4 mai 1970, en son
article 10 dispose : « En cas de vacance de la Présidence par décès ou incapacité physique
permanente constatée par la Cour Fédérale de Justice saisie à cet effet par le Président de
l'Assemblée Nationale Fédérale, les pouvoirs du Président de la République sont exercés de
plein droit par le Vice-président jusqu'à l'élection d'un nouveau président ». Successeur
constitutionnel du Chef de l’État, le Vice-président disparaît en 1972. La constitution du 2 juin
de cette année-là, en son article 7(nouveau), alinéa (b) fait du Président de l'Assemblée nationale
l'intérimaire du Président de la République et, en cas d'empêchement du Président de
l'Assemblée nationale, l'intérim est assuré par le Premier Ministre. C'est en 1979 que réapparaît
le statut de successeur constitutionnel qui échoit cette fois au Premier Ministre. C'est ce
mécanisme qui conduit le Président Paul BIYA à la magistrature suprême, après la démission
d'Ahmadou AHIDJO le 04 novembre 1982. A peine réélu le 25 octobre 2015 pour un nouveau
mandat de cinq (5) ans, le Chef de l’État ivoirien, Alassane OUATTARA, n’a pas fait de
mystère sur sa volonté de créer le poste de Vice-président de la République. Une façon pour lui
Les originaires du grand Nord veulent voir appliquer dans toute sa rigueur le fameux principe de l’axe
Nord-Sud édicté par les français à l’indépendance du Cameroun en 1960 et selon lequel le pays doit être
gouverné en alternance entre le Nord et le Sud. On entend ici par Nord, les trois régions actuelles de
l’Adamaoua, de l’Extrême-Nord et du Nord ; et par Sud, les régions du Centre, du Sud, de l’Est et parfois
du Littoral. Ainsi donc, selon ce principe, Ahmadou AHIDJO, un homme du Nord ayant gouverné et
transmis le pouvoir à un homme du Sud, Paul BIYA ; il est attendu que ce dernier retourne le pouvoir
après son départ. Les revendications viennent également du Sud natal du Président Paul BIYA et de la
région du Centre où des voix s’élèvent pour lui demander de mettre en place des mécanismes qui
permettent qu’il soit remplacé par un fils de l’une de ces deux régions au moment de quitter le pouvoir.
9
La loi constitutionnelle du 1er septembre 1961, en son article 8, prévoyait un poste de Vice-président
de la République Fédérale « élu sur une même liste au suffrage universel direct et secret ». Toutefois,
aux termes de l’article 9 de cette même loi, « le Président de la République Fédérale et le Vice-président
ne pouvaient être originaires d’un même Etat Fédéré ». C’est ainsi que le « ticket » AHIDJO-FONCHA
est élu à l’issue de l’élection présidentielle du 20 mars 1965. Salomon TANDENG MUNA sera le
deuxième Vice-président de la République Fédérale du Cameroun. C’est lui qui accompagne AHIDJO
sur le « ticket » présidentiel lors de l’élection du 28 mars 1970.
8
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de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
de régler sa succession « d’une manière plus transparente et démocratique »10 ; preuve qu’en
Afrique, « la question n’est plus un sujet tabou, encore moins une réalité nouvelle dans
l’environnement juridico-politique ; même si le plus souvent elle est source de frayeur et de
bouleversement au sein de l’ensemble de la classe politique »11.
La succession est le théâtre de déploiement des stratégies de reproduction politique, de
transposition du patrimoine et de conflits de normalisation de la présidence comme centre de
force12. Il s’agit d’une notion multidimensionnelle. On la retrouve aussi bien dans le droit
privé13 que dans le droit public. Dans le cadre du droit public, elle trouve traditionnellement
une place privilégiée en droit international14et, de plus en plus, en droit constitutionnel où on
l’étudie dans les chapitres relatifs au choix des gouvernants. Ce choix trouve son expression à
travers la dynamique du pouvoir de suffrage ou par le jeu des mécanismes prévus à cet effet par
la Constitution. La définition de la notion de succession met en relief l'intérêt de son étude dans
le régime politique camerounais. « Le Robert »15 la définit comme le fait de succéder, c'est-àdire de venir après quelqu'un, et, spécialement, d'obtenir le pouvoir d'un prédécesseur ; la
transmission du pouvoir politique selon des règles. Il ne s'agit donc pas d'une succession de
régime politique16, mais d'une succession de gouvernants au sein d'une infrastructure
constitutionnelle spécifique. L’étude des mécanismes de transmission du pouvoir politique
intéresse une variété de chercheurs venant de plusieurs disciplines complémentaires : le droit,
la science politique, l’histoire, la sociologie, l’anthropologie. La succession étant considérée
comme un véritable « test de stabilité des régimes en développement »17, l’objectif poursuivi
dans le cadre de ce travail consiste à repérer parmi les mécanismes successoraux expérimentés
ici et ailleurs celui qui a déjà fait la preuve de son efficacité, afin d’éviter une crise de la
Voir news.abidjan.net : « Création d’un poste de Vice-président : PDCI, RDR, Opposition, bataille à
l’horizon », 7 novembre 2015.
11
Voir C. TUEKAM TATCHUM, L’intérim du Président de la République dans le nouveau
constitutionnalisme des Etats d’Afrique d’expression française, Thèse de Doctorat/PhD en droit public,
Université de Dschang, juin 2015, p.2.
12
Voir L. SINDJOUN : « Le Président de la République au Cameroun (1982-1996) : Les acteurs et leur
rôle dans le jeu politique », GRAPS, n°50, 1996, p.3.
13
En droit privé, la succession invoque l’idée de transfert de biens d’un dé-cujus à ses héritiers.
14
Le droit international public des successions consacre deux principaux concepts en l’occurrence, la
succession d’Etats et la succession de gouvernements.
15
Voir Le Robert, Dictionnaire de la langue française, volume 9, p.3.
16
Cette forme de succession intervient lorsque le régime politique a été remplacé violemment (coup
d’Etat, révolution etc.) ou pacifiquement. Le nouveau régime se veut antagoniste au régime antérieur.
17
Voir TARMAN « The Roots of Political Stability in Kenya », African Affairs, Volume 77, n°308, july
1978, p.319, cité par, EL HADJ MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel
africain : Analyse juridique et impact politique, Thèse de Doctorat en droit public, Université CHEIKH
ANTA DIOP, Dakar, 1991, p.5.
10
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E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
transition qui serait fatale pour le Cameroun. La technique d’approche du sujet combine les
méthodes juridique, historique et comparative pour mieux appréhender la question de la
succession constitutionnelle du Président de la République.
Dans le microcosme politico-juridique africain, le Président de la République est une autorité à
la fois prestigieuse et controversée, au point d’être considérée comme « le réceptacle de tous
les enjeux et le facteur de toutes les crispations »18. Objet de convoitises et d’appétits
multiformes, la fonction présidentielle est très souvent confondue avec la notion de Chef de
l’État à laquelle des auteurs ont consacré de très importants développements19. Pour certains,
« le chef (africain) est là et il entend demeurer. Il accède au pouvoir, le consolide, et s'y
maintient jusqu'à sa mort »20. De son vivant, « le problème de sa succession est renvoyé aux
calendes grecques »21. Dans ce sens, le Professeur Luc SINDJOUN écrit : « Le régime de
l’élection présidentielle concurrentielle inscrit l’alternance dans l’agenda politique. Et
pourtant, le Président Paul BIYA ne semble pas pour l’instant impliqué dans une stratégie
successorale. L’alternance néo-patrimoniale, au terme de laquelle un Premier Ministre
dauphin par exemple devient Président de la République en cas de vacance de pouvoir, n’est
plus possible au Cameroun (…)»22. Malgré son silence, le Chef de l’État écoute, suit de très
près ce qui se dit au sujet de sa succession qui pourrait se révéler très difficile et même
déstabilisatrice pour le pays. S’il ne dit mot, c’est parce qu’il a déjà arrêté une position sur ce
Jean du Bois DE GAUDUSSON, « Quel statut constitutionnel pour le Chef de l’Etat en Afrique ? »,
in Le nouveau constitutionnalisme, Mélanges en l’honneur de G. CONAC, Economica, Paris, 2001, p.
329. Lire aussi, sur la question du statut du Chef de l’Etat en Afrique, l’étude du Professeur Fabrice
HOURQUEBIE dans laquelle il aborde les enjeux nouveaux de la thématique, « Quel statut
constitutionnel pour le Chef de l'État africain ? Entre principes théoriques et pratique du pouvoir »,
Afrique Contemporaine, 2012/2, n° 242, pp. 73-86.
19
Lire à ce titre, Télesphore ONDO, La responsabilité introuvable du chef d’Etat africain : analyse
comparée de la contestation du pouvoir présidentiel en Afrique noire francophone. (Les exemples
camerounais, gabonais, tchadien et togolais), Thèse pour le Doctorat en Droit Public, Université de
Reims Champagne-Ardenne, Faculté de droit et de science Politique, juillet 2005, 682 pages ; El Hadj
MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel africain (Analyse juridique et impact
politique), Thèse précitée ; Paul BASTID, La notion de Chef d’Etat, Cours de Science politique, Paris,
1959-1960 ; Olivier DUHAMEL et Yves MENY (dir.), « Chef d’Etat, Chef de l’Etat », in Dictionnaire
constitutionnel, P.U.F., Paris, 1992, pp. 123-124 ; Hélène TOURARD, « La qualité de Chef de l’Etat »,
in Société Française pour le Droit International, Colloque de Clermont-Ferrand, « Le Chef d’Etat et le
droit international », Pedone, Paris, 2002, pp. 117-135.
20
Voir E. KODJO, in « La Démocratie est-elle possible en Afrique ? », JA. Plus, n°3, novembredécembre 1989, pp.16-17, cité par EL HADJ MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit
constitutionnel africain : Analyse juridique et impact politique, Thèse, Op.cit., p.15.
21
Ibid.
22
Luc SINDJOUN, « Le Président de la République au Cameroun (1982-1996) : Les acteurs et leur rôle
dans le jeu politique », Op.cit., p. 18.
18
18
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sujet qui déchaine parfois des passions au cours de vives discussions dans les chaumières. Il
sait, mieux que quiconque, qu'il devrait faire une concession de taille pour apaiser les tensions
nées de sa longévité au pouvoir. Cette importante concession pourrait alors voir le jour
maintenant, au lendemain de sa brillante réélection pour un septième mandat consécutif avec
71,28% de voix23, à l’issue du scrutin présidentiel du 7 octobre 2018. Le dauphinat24 a été
institué pour la première fois en Afrique, en 1967, « lorsqu'il s'était agi de préparer la
succession du Président gabonais : Léon MBA »25. La notion de dauphinat, qui est différente
de l’intérim26, n’apparait pas comme une catégorie juridique car, « l’expression ne figure dans
aucun texte »27. Cependant, l’histoire du droit constitutionnel de la vacance du pouvoir
présidentiel au Cameroun nous enseigne que le dauphinat a précédé l’intérim. Cette
déconstruction des techniques successorales n’est en réalité qu’une manifestation de la quête
permanente d’un modèle successoral adapté au contexte et surtout au régime politique toujours
en construction et à laquelle la présente étude voudrait contribuer.
Contrairement au Professeur Alain Didier OLINGA qui écrit : qu’« au moment où les sociétés
africaines entendent, vaille que vaille, enjamber le chemin de la démocratie pluraliste, en
consolidant la dévolution électorale du pouvoir politique, il peut être déroutant de raisonner
en termes de succession pour traiter du problème de la transition ou du changement au sommet
de la structure étatique ; la sémantique successorale, en soi, (pouvant) relever de la
provocation, ou à tout le moins de l'anachronisme analytique »28, nous épousons la thèse du
Professeur Maurice KAMTO qui soutient que : « Si, au plan du droit constitutionnel,
l’empêchement du Chef de l’État pose le problème de la garantie de la continuité du pouvoir,
Voir les résultats officiels de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun, tels que publiés
en audience solennelle, le 22 octobre 2018 par le Conseil Constitutionnel.
24
Pour approfondir, voir M.KAMTO, « Le dauphin constitutionnel dans les régimes politiques africains
(les cas du Cameroun et du Sénégal), Recueil Penant, n° 781-782, 1983, pp.256-282 ;
J.NJOYA, « Succession constitutionnelle en Afrique, idée républicaine et retour au dauphinat : parenté
et politique en imbrication », RASJ, n° 1, Volume 7, 2010, pp. 201-218.
25
Voir EL HADJ MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel africain : Analyse
juridique et impact politique, Op.cit. p.68.
26
L’intérim est un procédé de gestion provisoire des situations de parenthèses constitutionnelles ou des
vides définitifs au sommet de l’Etat prévues par le droit et destiné à assurer la transition politique tout
en sauvegardant la continuité de l’Etat, cf. C.TUEKAM TATCHUM, L’intérim du Président de la
République dans le nouveau constitutionnalisme des Etats d’Afrique d’expression française, Op.cit., p.
24.
27
Voir EL HADJ MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel africain : Analyse
juridique et impact politique, Op.cit., p.68.
28
Voir Alain Didier OLINGA, « Aspects juridiques de la succession à la tête de l’Etat au Cameroun »,
in Une succession démocratique est-elle (im) possible au Cameroun ? Dossier coordonné par Mathias
Éric OWONA NGUINI, Germinal, 28 juillet 2010, p.3.
23
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E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
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il semble que dans les États africains actuels il pose surtout celui de la continuité ou de la
survie du régime politique. Le problème se pose en termes de succession, et non en termes
d’intérim. Les cas du Cameroun et du Sénégal obéissent rigoureusement à la préoccupation
d’assurer par une transmission du pouvoir politiquement préparée et juridiquement garantie,
la sauvegarde d’un héritage politique »29.
Dans la plupart des sociétés africaines et au Cameroun en particulier, la succession est un
domaine très sensible. Il n’en demeure pas moins que le Président Paul BIYA s’apprête à passer
la main, compte tenu du poids de l’âge (85 ans) et surtout, de l’usure du pouvoir. Les citoyens
de ce pays déjà secoué par la guerre dans sa partie septentrionale qui est agressée par les
terroristes de la secte Boko Haram, et dans sa partie occidentale par la guerre de sécession à
laquelle se livrent forces séparatistes de l’« Ambazonie » et forces gouvernementales, ont à
cœur de préserver autant que faire se peut, la paix et la stabilité, en évitant l’implosion totale
du pays dont les nuages menaçants se dessinent à l’horizon. La question centrale révélatrice de
l’intérêt du sujet apparaît ici : entre l’intérim présidentiel et le dauphinat constitutionnel, quel
est le modèle successoral susceptible de « garantir en tout temps, la paix sociale, la sécurité
des personnes et des biens, et la stabilité politique du pays »30 en cas d'empêchement définitif
du Chef de l’État Paul BIYA âgé de 86 ans et visiblement sous le coup de l'usure du pouvoir ?
En fait, contrairement au président intérimaire (I), le dauphin constitutionnel est « un Président
plein »31 revêtu de tous les attributs nécessaires à l’accomplissement de sa lourde et exaltante
mission (II).
I - L’INTÉRIM PRESIDENTIEL : UN RISQUE POUR LA STABILITÉ
INSTITUTIONNELLE
D’après les conclusions des travaux réalisée par Charles TUEKAM TATCHUM32 et Ibrahim
David SALAMI33, la gestion de la transition en Afrique par un président intérimaire quel qu’il
soit peut être rendue difficile dans un contexte de conflit armé. Le Cameroun échapperait
29
Voir M. KAMTO : « Le dauphin constitutionnel dans les régimes politiques africains : les cas du
Cameroun et du Sénégal », Revue Penant, Volume 93, n°781/782, 1983, Résumé.
30
Voir P. BIYA, Discours d’ouverture de la Conférence économique internationale de Yaoundé, 17 mai
2016, www.prc.cm .
31
Voir C.TUEKAM TATCHUM, L’intérim du Président de la République dans le nouveau
constitutionnalisme des Etats d’Afrique d’expression française, Thèse Op.cit., p.12.
32
Ibid., p.321.
33
Voir I.D.SALAMI, « Le Chef d’Etat de transition en Afrique », Revue Béninoise des Sciences
Juridiques et Administratives, 2016, pp.86-92.
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difficilement à cette règle, compte tenu des obstacles conjoncturels (A) et des limites
constitutionnelles du pouvoir de l’intérimaire (B).
A. LES OBSTACLES CONJONCTURELS À L’EXERCICE DU POUVOIR PAR
L’INTÉRIMAIRE
La crise sécuritaire et humanitaire (1), et la guerre de préséance successorale au Parlement
camerounais (2) sont des circonstances graves qui militent en faveur de la recréation d’une
institution présidentielle de transition forte.
1.
LA CRISE SÉCURITAIRE ET HUMANITAIRE : UN CONTEXTE DÉFAVORABLE A
L’INTÉRIM PRÉSIDENTIEL
Le 31 décembre 2017, dans son message des vœux de nouvel an, le Chef de l’État a déclaré que
: « L’année s’achève dans un contexte difficile au Cameroun ». Un environnement marqué par
la guerre contre les sécessionnistes terroristes (a) ayant provoqué une crise humanitaire sans
précédent (b).
a. LA CRISE SÉCURITAIRE
Elle est orchestrée par les terroristes de la secte Boko Haram d’une part, et par les
indépendantistes de la « République d’Ambazonie », d’autre part.
*Boko Haram : une menace à la paix et la sécurité internationales
Même si Boko Haram a émergé́ sous la forme d’un groupe national avec des revendications
locales, les dynamiques de ses activités posent maintenant de sérieuses menaces pour la paix et
la sécurité́ dans la région ouest- africaine. En effet, depuis juillet 2009, quand Boko Haram a
engagé́ les forces de sécurité́ nigérianes dans un soulèvement anti-gouvernemental de courte
durée, le groupe a grandi pour devenir un sérieux problème aux niveaux national, régional et
international. Le groupe a attiré́ , une première fois, l’attention de la communauté́ internationale
en août 2011 quand il a bombardé le bâtiment des Nations Unies à Abuja, tuant 23 personnes.
Il a, depuis lors, maintenu son insurrection au Nigeria et a même intensifié ses violentes attaques
dans les États du Nord-Est du Nigeria. En avril 2014, le groupe a fait l’objet d’une attention
sans précédent, au niveau international, quand il a kidnappé plus de 200 jeunes écolières dans
le village de Chibok, déclenchant la campagne internationale « Bring back our Girls »34.
En 2014, OBIAGELI EZEKWESILI, aujourd’hui candidate à la présidentielle nigériane de février
2019, avait fondé le mouvement « Bring Back Our Girls », après l’enlèvement de 270 lycéennes par des
combattants de Boko Haram à Chibok. Un mouvement d’ampleur internationale s’est créé en ligne pour
obtenir la libération des jeunes filles.
34
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E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
Un peu moins d’un mois après sa visite dans la région du bassin du lac Tchad, effectuée du 2
au 7 mars 2017, le Conseil de sécurité a demandé aux pays de cette région de « persévérer »35
dans leur lutte contre Boko Haram, tout en appelant la communauté internationale à leur fournir
un appui plus solide pour vaincre ce groupe terroriste, répondre aux causes profondes ayant
permis son avènement et remédier à la crise humanitaire. En adoptant la résolution 2349 (2017),
à l’unanimité de ses membres, la première du genre sur le sujet, le Conseil a fait montre de son
engagement fort et résolu en faveur de ces pays. De son côté, le délégué du Cameroun, qui
s’exprimait au nom des pays du Bassin du lac Tchad, a précisé que Boko Haram, véritable
« nébuleuse terroriste », conservait une capacité de nuisance, même s’il a été battu frontalement
sur le plan militaire. Le groupe se singularise par le déplacement de ses actions vers les
frontières du Cameroun et menaçant l’intégrité territoriale du pays.
Pour la troisième année consécutive, le Cameroun vit dans la hantise d’une déstabilisation
sécuritaire de Boko Haram. Or, personne ne voyait venir une autre menace. Pas contre la paix,
plutôt contre l’unité nationale : « la République d’Ambazonie »36.
* « La République d’Ambazonie » : une menace contre l’unité nationale
Le Cameroun a sérieusement mal à sa partie anglophone. La crise qui couvait depuis des
décennies a pris des proportions inquiétantes au point que l’unité territoriale du pays court le
risque d’être remise en cause. Le conflit a dégénéré le 1er octobre 2017, en marge de la
proclamation symbolique d’indépendance de « l’État d’Ambazonie » par des militants
sécessionnistes. Les violences ont fait « au moins des dizaines de morts et plus de 100 blessés
parmi les manifestants »37. Ces évènements sont le point culminant d’une nouvelle phase de
durcissement de la crise. Celle-ci est marquée par l’échec des missions officielles du
gouvernement à l’étranger en août 2017, qui a abouti à une augmentation du nombre
d’incendies criminels et des violences sporadiques de groupuscules non identifiés, à la
répression par les forces de sécurité des manifestations des indépendantistes, à « l’explosion de
bombes artisanales dans le Nord-Ouest et à l’imposition d’un état d’urgence de fait » 38dans
35
Voir Conseil de sécurité, 7911ème séance-après-midi, Résolution 2349 (2017) : « Le Conseil de
sécurité s’engage aux côtés des pays du Bassin du Lac Tchad face à la menace posée par Boko Haram »,
31 mars 2017.
36
C’est le nom que les sécessionnistes donnent à leur Etat fictif.
37
Voir Le Monde/Afrique : « Cameroun anglophone, en ébullition, compte ses morts », 03 octobre
2017.
38
Voir Joséphine Johnson, « Cameroun : psychose dans les régions anglophones », Le Point Afrique,
23 septembre 2017.
22
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
les régions concernées. Et pourtant, les choses avaient commencé sous d’heureux auspices, un
certain 1er octobre 1961. En effet, ce jour-là, les camerounais d’expression anglaise décidèrent
de rejoindre leurs compatriotes d’expression française sous un seul et même drapeau. Les
témoins de l’évènement rapportent le souvenir d’une journée rythmée par le Makossa et la bière
locale. C’est dans cette ambiance festive et grandiose que la République fédérale du Cameroun
a été portée sur les fonts baptismaux par son premier Président, Ahmadou AHIDJO. Des
promesses fermes d’un Cameroun nouveau, qui allait prendre sous ses ailles protectrices
l’ensemble de ses filles et fils, avaient été faites. Cinquante-huit (58) ans après, l’on se rend à
l’évidence que la mayonnaise n’a pas prise, puisque divers mouvements sécessionnistes
anglophones ne jurent que par leur désir de casser le mariage scellé en 1961. D’où l’exode
massifs des populations desdites régions fuyant la guerre vers les régions francophones à
l’intérieur du pays ou en direction du Nigeria, pays voisin.
b.
LA CRISE HUMANITAIRE
Dans une communication relative au Plan Spécial d’Urgence Humanitaire (PSUH) décidé par
le Président Paul BIYA, en faveur des populations civiles des régions du Nord-Ouest et du SudOuest, actuellement en proie aux violences perpétrées contre elles par des mouvements
sécessionnistes, le Premier Ministre, Philémon YANG, dresse un bilan partiel de la crise dite
anglophone : « La crise depuis 2016 enregistre 123 attaques perpétrées contre l’armée
régulière, avec 84 décès dont 32 militaires, 42 gendarmes, 7 personnels de Police et
pénitenciers et 1 éco-garde. Par ailleurs, 15 attaques ont été émises contre les chefs
traditionnels. De nombreuses filles sont actuellement mariées de force avec les membres des
groupes séparatistes »39. Il démontre également que ledit plan nécessite une enveloppe de près
de treize milliards de FCFA. Un budget qui vise à venir en aide aux réfugiés en termes de
logement, d’éducation, de santé, d’abris, d’eau, de l’hygiène et de la salubrité, l’assistance
sociale et la reconstruction du tissu économique. En effet, depuis 2016, le Cameroun connaît
dans ses régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, des perturbations socio-politiques. Cette
situation est partie des revendications corporatistes40auxquelles le Gouvernement a apporté des
réponses41. En dépit de ces bonnes dispositions, les extrémistes ont substitué aux revendications
Voir Cameroun : Plan d’Assistance Humanitaire d’Urgence dans les régions du Nord-Ouest et du
Sud-Ouest, Report from Government of Cameroon, 20 june 2018.
40
En mai 2015, les Avocats anglophones exigent le fédéralisme. Ils arguent qu’ils doivent préserver leur
culture et le Commun Law que l’Etat veut phagocyter. Voir le quotidien La Nouvelle Expression dans
son numéro 3971, p.3.
41
Le Président Paul BIYA est résolu à résoudre la crise politique qui sévit dans les régions du NordOuest et du Sud-Ouest. La preuve en a été donnée dans son décret de remaniement ministériel du 02
39
23
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
corporatistes, un projet sécessionniste. Les populations civiles, notamment dans les zones
rurales payent le plus lourd tribut à la guerre de sécession imposée au peuple camerounais.
Victimes de multiples exactions42 et la psychose créée par les menaces, intimidations, « fake
new », plusieurs d’entre elles se sont réfugiées43 à l’étranger ou dans les autres régions du
Cameroun44. L’ampleur des besoins nécessite toutefois que des efforts supplémentaires soient
faits par le Gouvernement, avec le concours de toutes les bonnes volontés. En plus de la crise
sécuritaire et humanitaire, une guerre de préséance successorale se déroule au Parlement
camerounais entre le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat ; signe avantcoureur de la contestation de ce dernier comme Président par intérim, le cas échéant.
avril 2018. Notamment à travers la nomination des ressortissants des régions anglophones à certains
postes clés du gouvernement. C’est le cas du ministère de l’Administration territoriale confié à Paul
ATANGA NJI et du département chargé des enseignements secondaires placé sous le magistère de
Nalova Lyongha Pauline Egbe. Il s’est agi d’une réponse à la crise anglophone débutée en novembre
2016 lorsque des ressortissants de la partie occidentale camerounaise ont commencé à dénoncer la «
marginalisation » dont ils seraient victimes de la part du reste du Cameroun. En effet, avant ces
nominations, le chef de l’Etat a une fois de plus démontré ses talents de « navigateur en eaux troubles
», en créant la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme. Laquelle
est dirigée par Peter MAFANY MUSONGE, un natif du Sud-Ouest. Tout en gardant la main ferme sur
la barre, Paul BIYA a par ailleurs pris la décision le 30 août 2017, de libérer par décret les principaux
meneurs de la contestation anglophone, ainsi que certaines autres personnes interpellées dans le cadre
des violences survenues dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Paul BIYA a également
prescrit un recensement des magistrats anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest en vue d’augmenter
les effectifs des magistrats anglophones au sein de la Cour suprême. Le redéploiement des magistrats
tenant compte du critère linguistique ; la poursuite des matières non-encore uniformisées dans les
Universités anglophones en respect des spécificités de la Common law ; la création d’une Faculté des
sciences juridiques et politiques à l’Université de Buea ; la création des départements de English law
dans les Universités de Douala, Maroua, Ngaoundéré et Dschang. A cette liste s’ajoute la création de la
section Common law au sein de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM),
principal moule de l’élite administrative du pays.
42
Il s’agit des assassinats, vols, viols, rapts, racket, etc.
43
S’agissant des réfugiés, à la date du 08 mai 2018, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les
réfugiés (HCR) en a recensé 21291 au Nigeria, localisés dans les Etats de Benue, Akwa-Ibom, Tarabaet
et Cross-River.
44
Dans le cadre de la solidarité nationale, expression du vivre ensemble prôné par le Gouvernement, de
nombreuses populations déplacées ont été accueillies par les membres de leurs familles installés dans
les grandes métropoles, notamment Bamenda, Buea, Limbe, Yaoundé, Douala et Bafoussam. D’autres
ont également bénéficié de l’assistance et des mesures de prise en charge au niveau local par les autorités
administratives : l’accueil et le recasement des personnes déplacées ; la distribution des effets de
couchage, matériel de toilette et denrées alimentaires de première nécessité.
24
Revue libre de Droit
2.
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
LA GUERRE DE PRÉSÉANCE SUCCESSORALE AU PARLEMENT : SIGNE
PRÉCURSEUR D’UNE CRISE DE LA TRANSITION
La bataille de la préséance successorale entre les présidents des deux chambres du Parlement45
doit être prise très au sérieux par tous ceux qui se préoccupent de la stabilité des institutions
nationales. Il convient de rechercher la cause (a) et de tirer la conséquence de ce conflit (b).
a.
LA CAUSE DU CONFLIT : UN BICAMÉRALISME RELATIVEMENT ÉGALITAIRE
Au Cameroun comme au Sénégal46, certains pouvoirs constitutionnels reconnus à l’Assemblée
nationale sont étendus au Sénat, permettant ainsi de parler d’un « bicaméralisme relativement
équilibré »47. Par conséquent, la deuxième chambre du Parlement dispose d’un véritable
pouvoir normatif ainsi que d’un réel pouvoir de contrôle.
*La contribution du Sénat à la fonction législative
Au Cameroun, « l’initiative des lois appartient concurremment au Président de la République
et aux membres du Parlement »48. Les projets et propositions de lois sont déposés à la fois sur
le bureau de l’Assemblée nationale et sur celui du Sénat49. Les textes adoptés par l’Assemblée
nationale sont aussitôt transmis au Président du Sénat par le Président de l’Assemblée nationale.
Le Président du Sénat soumet lesdits textes à la délibération des sénateurs dans un délai de dix
jours maximum ou cinq jours minimum en cas d’urgence signalée par le Gouvernement50. Le
Sénat peut adopter les textes, les rejeter totalement ou partiellement, ou alors les amender.
45
Les hostilités ont démarré au moment du vote du budget du Sénat nouvellement constitué. Les députés
ont exigé que les questeurs de la deuxième chambre du Parlement passent devant la commission des
finances de l’Assemblée nationale pour défendre leur enveloppe budgétaire. Depuis lors, la rivalité qui
oppose les présidents des deux chambres se manifeste constamment à l’occasion des vœux de nouvel
an. Cette fois encore, le Président de l’Assemblée nationale a reçu les souhaits de bonne année 2018,
peu de temps seulement après le Président de la République, question de devancer son homologue du
Sénat dans cet exercice apparemment banal, mais haut combien significatif de la bataille de
positionnement entre les éventuels successeurs du Président de la République. Cette guerre de
succession qui dépasse largement le cadre du Parlement a atteint son paroxysme avec les tournées du
Président de l’Assemblée nationale dans les dix régions du pays, sous le couvert du « réseau
parlementaire espérance jeunesse », escorté chaque fois par un impressionnant parterre de membres du
Gouvernement ; une véritable démonstration de force qui contraste avec l’inaptitude du Président du
Sénat.
46
Voir Papa Mamour SY : « Le bicaméralisme au Sénégal », Revue de l’Association sénégalaise de
droit pénal, n°9, 2010, p.156.
47
Ibid.
48
Voir Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, article 25.
49
Ibid. article 29.
50
Ibid. article 30.
25
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
Toutefois, les propositions et amendements formulés par les sénateurs ne sont pas recevables
lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques,
soit la création, ou l’aggravation d’une charge publique, à moins que ces propositions et
amendements ne soient assortis de propositions de recettes compensatrices51. Mais tel n’est pas
le cas du constituant français qui a institué une irrecevabilité absolue, sans aucune dérogation52.
Avant leur promulgation, les lois peuvent faire l’objet d’une demande de seconde lecture par le
Président de la République. Dans ce cas, les lois sont adoptées, à la majorité absolue des
sénateurs. A côté de sa fonction normative, le Sénat dispose d’une fonction de contrôle.
*La contribution du Sénat à la mission de contrôle du gouvernement
Le contrôle est une mission primordiale des parlements contemporains dans la mesure où il
permet de surveiller la mise en œuvre de la politique nationale, d’en vérifier la conformité aux
attentes des populations et de sanctionner éventuellement son inexécution ou sa mauvaise
exécution. Toutefois, cette fonction de contrôle n’est ni générale ni absolue. Elle s’exerce dans
le cadre de la Constitution et ses modalités varient en fonction de la nature parlementaire ou
présidentielle du régime politique en place53. Au Cameroun, le Sénat « contrôle l’action
gouvernementale
par voie des questions orales ou écrites et par la constitution des
commissions d’enquêtes sur des objets déterminés. Le Gouvernement, sous réserve des
impératifs de la défense nationale, de la sécurité de l’État, ou du secret de l’information
judiciaire, fournit des renseignements au Parlement. Au cours de chaque session ordinaire, une
séance est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du
Gouvernement »54. Le Sénat joue également un rôle important dans la préservation de l’État de
droit.
En effet, « Avant leur promulgation, les lois ainsi que les traités et accords internationaux
peuvent être déférés au Conseil Constitutionnel par (…) le Président du Sénat (…) ou un tiers
des sénateurs (…). La saisine du Conseil Constitutionnel suspend le délais de promulgation »55.
51
Ibid, article 23 (a).
L’article 40 de la Constitution française du 4 octobre 1958 institue une irrecevabilité absolue sans
préciser les instances ou autorités chargées d’apprécier la recevabilité des amendements ni la procédure
à suivre pour ce faire. Le constituant semble avoir voulu responsabiliser les différentes chambres du
Parlement dans la détermination des organes et procédures de mise en œuvre de l’article 40. Voir DIEYE
(A) : « Le droit d’amendement parlementaire devant le juge constitutionnel : les exemples du Sénégal
et de la France », Annales de l’Université de science sociale de Toulouse, Tome 1, 2008, pp.207-249.
53
Voir Papa Mamour SY : « Le bicaméralisme au Sénégal », Op.cit., p.166.
54
Voir Loi n°96/06 du 18 janvier 1996, Op.cit., article 35.
55
Ibid., article 47 (3).
52
26
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
A ce titre, le Sénat participe à la protection de l’ordre constitutionnel et subséquemment à celle
des libertés publiques et autres fondements de l’État de droit56. Pour autant, le bicaméralisme
institué au Cameroun est loin d’être entièrement, parfaitement égalitaire, au regard de la
prépondérance des pouvoirs de l’Assemblée nationale. D’où le risque de contestation de
l’autorité du Président par intérim.
b.
LA CONSÉQUENCE DU CONFLIT : UN INTÉRIMAIRE CONTESTABLE
L’élection de l’Assemblée nationale au suffrage universel direct57lui assure une position
dominante au sein du Parlement qui se traduit dans les dispositions constitutionnelles par la
détention de pouvoirs plus importants que ceux du Sénat, que ce soit en termes de compétences
législatives et représentatives ou de contrôle du Gouvernement.
*La primauté des compétences législatives et représentatives de l’Assemblée nationale
En matière législative, une navette58 est prévue entre les deux chambres du Parlement.
Mais, « les amendements proposés par le Sénat sont adoptés ou rejetés à la majorité simple des
députés. Le texte adopté définitivement est transmis par le Président de l’Assemblée nationale
au Président de la République pour promulgation »59. En outre, le rejet d’un texte de loi par le
Sénat doit être approuvé à la majorité absolue des sénateurs. Dans ce cas, le texte en cause,
accompagné de l’exposé des motifs de rejet, est retourné par le Président du Sénat à
l’Assemblée nationale, pour un nouvel examen. L’Assemblée nationale, après délibération,
adopte le texte à la majorité absolue des députés. Le texte adopté définitivement par
l’Assemblée nationale est transmis au Président de la République pour promulgation. En cas
d’absence de majorité absolue, le Président de la République peut provoquer la réunion d’une
commission mixte paritaire chargée de proposer un texte commun60sur les dispositions rejetées
par le Sénat. Le texte élaboré par la commission mixte paritaire est soumis par le Président de
la République pour approbation aux deux chambres. Si la commission mixte paritaire ne
Aujourd’hui, dans un pays comme la France, 40% des saisines du Conseil Constitutionnel sont
d’émanation sénatoriale. Voir Papa Mamour SY : « Le bicaméralisme au Sénégal », Op.cit., p.167.
57
Aux termes de l’article 15 (1) de la Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution
du 02 juin 1972, « L’Assemblée nationale est composée de cent quatre-vingt (180) députés élus au
suffrage universel direct et secret (…) », tandis que, conformément à l’article 20 (1), « Le Sénat
représente les collectivités territoriales décentralisées. Chaque région est représentée au Sénat par dix
(10) sénateurs dont sept (7) sont élus au suffrage universel indirect sur la base régionale et trois (3)
nommés par le Président de la République ».
58
Voir Loi n°96/06 du 18 janvier 1996, Op.cit., article 30.
59
Ibid.
60
Dans le même sens, voir l’article 45 (1) de la Constitution française du 4 octobre 1958.
56
27
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
parvient pas à l’adoption d’un texte commun, ou ce texte n’est pas adopté par l’une ou l’autre
chambre, le Président de la République peut « soit demander à l’Assemblée nationale de
statuer définitivement, soit déclarer caduc le projet ou la proposition de loi »61. Par
ailleurs, « lorsque le Parlement se réunit en congrès, le bureau de l’Assemblée nationale
préside les débats »62.
En matière de représentativité, « Le Président de la République élu entre en fonction dès sa
prestation de serment. Il prête serment devant le peuple camerounais, en présence des membres
du Parlement, du Conseil Constitutionnel et de la Cour Suprême réunies en séance solennelle.
Le serment est reçu par le Président de l’Assemblée nationale »63. La prépondérance de
l’Assemblée nationale en tant qu’institution la plus représentative des aspirations du peuple
camerounais est donc manifeste. Elle est consacrée par la Constitution à l’occasion du contrôle
de l’action gouvernementale.
*La prépondérance des compétences de contrôle de l’Assemblée nationale
La fonctionnalité d’un contrôle est conditionnée par son effectivité. Le contrôle doit déboucher
s’il y a lieu sur une sanction. Pour ces raisons, la Constitution camerounaise aménage des
mécanismes de mise en jeu de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale.
Il s’agit d’un procédé du régime parlementaire qui repose sur l’existence de moyens d’actions
réciproques entre l’Assemblée nationale qui peut renverser le gouvernement en votant une
motion de censure et l’exécutif qui peut dissoudre l’Assemblée nationale64. Certes, au
Cameroun, la deuxième chambre ne peut enclencher les mécanismes de contrôle emportant la
possibilité de contraindre le gouvernement à la démission, mais elle ne peut être dissoute par le
chef de l’État. Cela met le Sénat à l’abri de toute menace pouvant provenir de l’exécutif et lui
laisse la latitude d’aller aussi loin possible dans les procédures de contrôle du gouvernement.
Toutefois, la majorité obèse du Rassemblement Démocratique du peuple Camerounais
(RDPC)65 au Parlement et la discipline du parti qui est de rigueur66, neutralisent toutes les
61
Voir Loi n°96.06 du 18 janvier 1996, Op.cit., article 30.
Ibid., article 14 (4).
63
Ibid., article 7 (1-2).
64
Ibid., article 34.
65
Le RDPC pèse lui seul, 148 députés sur 180. Il se taille la part du lion avec 87 sénateurs sur 100.
66
Malgré sa victoire écrasante aux dernières élections tant législatives que municipales du 30 septembre
2013, le président national du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) a désigné
17 cadres du parti, membres d’une commission de discipline ad hoc pour statuer sur les cas des
indisciplinés recensés lors de ces élections dans le parti. Ayant pour président Peter MAFANY
MUSONGE, cette commission a infligé des sanctions allant des avertissements aux exclusions
définitives en passant par des exclusions temporaires. Ainsi, douze (12) militants ont reçu une lettre
62
28
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
possibilités de sanction. En plus de la guerre de préséance successorale au Parlement, les limites
constitutionnelles du pouvoir du Président de la République par intérim militent en faveur de
sa disqualification.
B. LES LIMITES CONSTITUTIONNELLES DU POUVOIR DE L’INTÉRIMAIRE
En période d’intérim, le Président ne dispose pas de pleins pouvoirs. Il n’est pas un « Jupiter
constitutionnel »67comme la plupart des Chefs d’État en Afrique francophone. Ses compétences
sont diluées en raison des limites aussi bien matérielles (1) que temporelles (2) qui encadrent
son action.
1.
LES LIMITES MATÉRIELLES AUX COMPETENCES DE L’INTÉRIMAIRE
Lesdites limites ont des fondements (a) et une consistance (b) qu’il convient de mettre
en évidence.
a.
LES FONDEMENTS DES LIMITES MATÉRIELLES AUX COMPETENCES DE
L’INTÉRIMAIRE
Les limites matérielles aux compétences de l’intérimaire reposent sur un double fondement
théorique et pratique.
*Sous l’angle théorique
Il est question pour le Président par intérim d’expédier les affaires courantes. La notion
d’affaires courantes est un legs du régime parlementaire caractérisé généralement par des
périodes de rupture faisant suite à des démissions, volontaires ou involontaires, du
gouvernement. Pour le Commissaire du gouvernement Jean DELVOLVE, dans ses conclusions
relatives à l’arrêt Syndicat National des quotidiens d’Algérie, parler d’affaires courantes,
d’observation, assortie d’un rappel à l’ordre, trente-huit (38) ont été avertis, trente-cinq (35) ont été
blâmés, parmi lesquels, le Professeur Pascal Charlemagne MESSANGA NYAMNDING. Les militants,
Jérémie SINGA et Martin NYAMSI ont été respectivement exclus du parti, pour une période temporaire
de 6 et 12 mois. D’autres exclusions temporaires de 18 mois concernaient quarante-deux (42) militants
dont l’ex-Maire de Yokadouma, Léon N’KANTIO. Ladite commission a exclu définitivement huit (8)
militants, huit (8) autres ont été acquittés. Un seul, à savoir, Justin AMOUGOU MANGA a reçu une
lettre d’encouragement du président national pour le respect de la discipline du parti. Voir Vivien
TONFACK : « Elections du 30 septembre : Paul BIYA prescrit des sanctions pour les indisciplinés du
RDPC », blog, 12 décembre 2013, consulté le 13 novembre 2018.
67
L’un des vices des textes constitutionnels africains est en réalité la monarchisation des régimes
africains. Ce virus constitutionnel est matérialisé par la reconnaissance d’un « Jupiter constitutionnel »
en la personne du Président de la République, qui accumule tous les pouvoirs ou, dans le meilleur des
cas, qui y a un pouvoir tentaculaire, lui permettant de soumettre à son haut patronage toutes les autres
institutions. Voir Pihame BARBAKOUA, La Constitution à l’épreuve des accords politiques dans le
nouveau constitutionnalisme africain, Mémoire de DEA en droit public fondamental, Université de
Lomé, 2008, p.78.
29
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
revient à caractériser « la compétence exceptionnelle d’un gouvernement dont les pouvoirs ne
reposent plus que sur les nécessités de l’État »68. En fait, les affaires courantes n’engagent pas
l’avenir, sauf si leur traitement est inévitable ou encore si elles sont commandées par
l’urgence69. Dans cette mouvance, il s’agit pour le Président intérimaire, à travers les pouvoirs
qui lui sont reconnus, d’assurer la gestion journalière indispensable à la continuité de l’État,
d’éviter d’opérer des choix politiques nouveaux qui seraient de nature à le détourner de sa
mission principale qui est de faciliter une succession pacifique et acceptée par tous. Le
Professeur DELPEREE à cet égard, distingue trois types d’affaires courantes à savoir
: « Les affaires banales, usuelles permettant à l’État de fonctionner ; les affaires en cours déjà
bien entamées lorsque le gouvernement était de plein exercice et qui doivent être finalisées et
les affaires qui doivent impérativement être traitées pour éviter de faire courir à l’État et aux
citoyens, à la vie économique et sociale du pays de très graves dangers »70.
*Au niveau pratique
De nombreuses raisons obligent l’intérimaire à ne jouer qu’un rôle politique mineur : les unes
d’ordre institutionnel ; les autres, de nature politique et sociale.
Au niveau institutionnel, l’obligation d’assurer la continuité de l’État a justifié le retrait de
certains pouvoirs à l’intérimaire. Il s’agit des pouvoirs dont l’exercice pendant la période
pourrait hypothéquer la réalisation de sa mission principale. C’est le cas, en l’occurrence, du
pouvoir de dissolution. Permettre à l’intérimaire de dissoudre l’Assemblée nationale pendant
l’intérim serait de nature à provoquer une situation de blocage due à la disparition de deux
institutions phares de l’État.
Sur le plan politique, l’intérimaire n’est pas supposé lancer de grandes réformes et marquer la
vie politique du sceau de ses idées et de ses actes. C’est pour cela qu’il est politiquement très
Voir CE, Ass, 4 février 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, S., 1952, III, p. 49,
conclusions DELVOLVE.
69
Dans le même sens, Maurice Faure, dans une réponse à une question orale du sénateur Michel DEBRE
affirme que : « Ce ne sont pas les affaires secondaires et subalternes, mais les affaires dont l’urgence
vient à échéance au moment où un gouvernement, bien que renversé, n’est pas encore remplacé par un
autre ministère ». Voir Fernand BOUYSSON, « L’introuvable notion d’affaires courantes : l’activité
des gouvernements démissionnaires sous la Quatrième République », Revue française de science
politique, 1970, (20-4), p.647.
70
Voir Francis DELPEREE, « Le Roi est dans son rôle », Archives, RTBF, 2010, p.4.
68
30
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
fragile, puisque de réelles difficultés pratiques71amenuisent ses facultés d’initiative. Ces
entraves de nature politique, qui obligent l’intérimaire à se limiter dans son rôle de gestionnaire
de transition et de garant de la continuité de l’État, s’accentuent par un facteur social lié à la
psychose dans laquelle baigne la population dont les inquiétudes sont fondées72.
b.
LA CONSISTANCE DES LIMITES MATÉRIELLES AUX COMPÉTENCES DE
L’INTÉRIMAIRE
Le Président de la République par intérim ne peut tout faire, ne serait-ce que pour des raisons
de commodité circonstancielle. De nombreuses compétences lui sont interdites. Ce qui peut
paraitre en contradiction avec la logique du serment73 qu’il prête avant son investiture. Au
Cameroun, il « ne peut modifier ni la Constitution, ni la composition du Gouvernement. Il ne
peut recourir au référendum. Il ne peut être candidat à l’élection organisée pour la présidence
de la République. Toutefois, en cas de nécessité liée à l’organisation de l’élection
présidentielle, le Président de la République par intérim peut, après consultation du Conseil
Constitutionnel, modifier la composition du gouvernement »74.
*L’interdiction absolue de modifier la Constitution et de recourir au référendum
« Le Président de la République par intérim, le Président du Sénat ou son suppléant, ne peut
modifier ni la Constitution (…) »75. L’interprétation stricte de cette disposition laisse subodorer
que seul le Président par intérim ne saurait procéder à une révision constitutionnelle. Or, on sait
que l’initiative de révision appartient à la fois au Président de la République et au Parlement76.
La question est alors de savoir si le Parlement pourrait pendant l’intérim initier une révision
constitutionnelle ? Toute initiative allant dans ce sens serait juridiquement valable et régulière.
Ce qui est à craindre, c’est son instrumentalisation à des fins politiciennes ; d’où la nécessité
d’une interdiction absolue de réviser. Si l’on comprend facilement l’interdiction du recours au
D’une part, il n’est pas au courant des affaires gouvernementales au moment où il entre en fonction,
et d’autre part il n’est pas évident pour lui de travailler avec un gouvernement qu’il n’a pas choisi et
dont il ne partage pas nécessairement les tendances.
72
Au Cameroun, on est en présence d’un Président charismatique qui a su conserver sa légitimité auprès
de son peuple, et du coup, on craint de ne trouver un remplaçant à sa mesure.
73
Pour approfondir, lire Ibrahima FALL, « Le droit constitutionnel au secours de l’authenticité et de la
négritude. Le serment du Président de la République, acculturation ou retour aux sources ? », Annales
africaines, 1973, pp.203-2018 ; Guillaume PAMBOU TCHIVOUNDA, « Le serment politique en
Afrique noire contemporaine », R.J.P.I.C., n°3, 1981, p.802.
74
Voir Loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°96/06
du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du02juin 1972, article 6 (4-c) (nouveau).
75
Ibid.
76
Conformément à loi n°96/06 du 18 janvier 1996, Op.cit., article 63.
71
31
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
référendum, le Général De Gaulle l’ayant détourné à deux reprises77 pour renforcer sa position
au sein de l’appareil institutionnel de son pays, il y a lieu de se méfier, au même titre que Jules
Bertrand TAMO78, de l’autorisation de modifier la composition du gouvernement.
*L’interdiction relative de modifier la composition du gouvernement
Le second amendement portant sur l’article 6 (4) c) de la Constitution consiste à conférer au
Président de la République par intérim le pouvoir de décider un remaniement gouvernemental,
après avis simple du Conseil Constitutionnel, « en cas de nécessité liée à l’organisation de
l’élection présidentielle ». La mesure fait partiellement droit à une préoccupation exprimée par
un député révisionniste du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), en
décembre 2007 : « un Président de la République par intérim qui ne pourrait modifier ni la
Constitution, ni le Gouvernement, ni organiser un référendum, n'aurait aucun pouvoir et ne
saurait se faire obéir par qui que ce soit ». Mais, partout dans le monde, les attributions
constitutionnelles du Chef de l’État intérimaire sont moindres que celles du titulaire ; et la loi
fondamentale gèle souvent, pour la durée de l’intérim, la composition du Gouvernement, de
manière à écarter, dans une période délicate, certaines manœuvres intempestives, susceptibles
d’entraver le libre choix par le peuple souverain du nouveau Président de la République. Que
vise donc cet amendement ? S’agit-il de donner au futur Président de la République par intérim
une base constitutionnelle pour s’imposer dans la course à la succession ? Dans l’affirmative,
l’article 6 (4-c) nouveau de la Constitution contredirait l’interdiction faite au Chef de l’État
provisoire par l’article 6 (4-b) de se porter candidat à l’élection présidentielle anticipée. En
outre, l’article 6 (4-c) nouveau de la Constitution permettrait à un Président de la République
par intérim d’écarter du Gouvernement un Ministre gênant, qui se présenterait contre le candidat
investi par le RDPC.
Ainsi, il y a lieu de maintenir une vigilance particulière par rapport aux prérogatives ainsi
confiées à l’intérimaire parce que la modification du gouvernement est un acte d’une haute
teneur politique ; tout dépendant à l’occasion dans une large mesure du pouvoir discrétionnaire
du Président intérimaire.
La première fois, ce fut avec succès. Le 20 octobre 1962, un nouveau mode d’élection du Président
de la République fut décidé par le peuple français. Quant au deuxième référendum, celui de 1969, son
objectif principal était de mettre en place la réforme régionale, mais il devait aussi supprimer le Sénat.
Le peuple français rejeta le projet de loi. Et comme le Général De Gaulle avait annoncé qu’il
démissionnerait en cas d’échec, il abandonna le pouvoir.
78
Voir J.B. TAMO, L’Assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990
et 2008, Mémoire de Master en droit public, Université de Dschang, 2011, p.25.
77
32
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
En ce qui concerne l’interdiction de dissoudre la Chambre basse du Parlement, la Constitution
camerounaise, à tort, ne la prévoit pas expressément. Si ce silence devait être interprété comme
une autorisation implicite, le risque d’un blocage institutionnel serait grand.
2.
LES LIMITES TEMPORELLES AUX COMPÉTENCES DE L’INTÉRIMAIRE
Les compétences de l’intérimaire sont enserrées dans un laps de temps bien court (a) dont il
convient d’analyser l’incidence sur la continuité du pouvoir (b).
a.
LA COURTE DURÉE DE L’INTÉRIM PRÉSIDENTIEL
De manière générale, le Président par intérim exerce des compétences dites provisoires, parce
que enserrées dans une limite de temps bien précise79.
Au Cameroun, depuis la révision constitutionnelle de 2008, « en cas de vacance à la Présidence
de la République (…), le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République doit
impérativement avoir lieu vingt (20) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après
l’ouverture de la vacance »80. Cette disposition mérite quelques observations au regard de
l’incidence de cette limite de temps sur la continuité de pouvoir.
b.
L’INCIDENCE DE LA COURTE DURÉE DE L’INTÉRIM PRÉSIDENTIEL SUR LA
CONTINUITÉ DU POUVOIR
Les délais prévus pour la conduite de l’intérim sont, de prime abord, des délais impératifs. Cela
signifie concrètement que rien ne peut être fait avant la borne minimale, et rien ne doit être fait
après la borne maximale. C’est du moins ce qui ressort de la Constitution camerounaise 81 qui
utilise l’expression « impérativement ». La question qui se pose alors est celle de savoir si,
compte tenu des contraintes financières, matérielles et opérationnelles liées à la conduite des
processus électoraux en Afrique en général et au Cameroun en particulier, avec notamment le
Au Mali, l’article 36 de la Constitution dispose que « l’élection du nouveau Président a lieu vingt et
un jours au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère
définitif de l’empêchement ». Au Niger, il est procédé à de nouvelles élections présidentielles quarantecinq (45) jours au moins et quatre-vingt-dix (90) jours au plus après l'ouverture de la vacance,
conformément à l’article 42 de la Constitution. Selon l’article 76 de la Constitution tchadienne, en cas
de vacance de la Présidence de la République, il est procédé à de nouvelles élections présidentielles
quarante-cinq (45) jours au moins et quatre-vingt-dix (90) jours au plus après l'ouverture de la vacance.
Au Togo, le Gouvernement convoque le corps électoral dans les soixante jours de l’ouverture de la
vacance pour l’élection d’un nouveau Président de la République pour une période de cinq ans, selon
les prescriptions de l’article 65 de la Constitution.
80
Voir Loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°96/06
du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du02juin 1972, article 6 (4) (nouveau).
81
Toutefois, au Gabon, conformément aux prescriptions constitutionnelles, la constatation d’une force
majeure a amené la Cour constitutionnelle à proroger la durée de l’intérim.
79
33
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
Revue libre de Droit
financement international des élections, il est possible d’organiser une élection présidentielle
crédible dans les limites de temps prévues par le constituant. En même temps, « il faut éviter
qu’un intérim trop long ne se transforme en moyen d’appropriation du pouvoir par les
institutions intérimaires, ce qui biaiserait le processus démocratique que l’on recherche
pourtant à garantir »82. A ce sujet, le Professeur Alain Didier OLINGA observe qu’« il faut
bien comprendre que la durée de l’intérim doit rester courte pour que le seul programme
d’action du Président par intérim soit de conduire l’élection du nouveau Président, et non de
gérer le pays, de prendre goût à l’exercice du pouvoir, et de prendre, éventuellement,
insidieusement, des dispositions pour y demeurer »83. Ainsi, limiter le champ temporel du
travail de l’intérimaire est bienvenu puisque cela lui permet de comprendre son rôle, qui est de
se mettre au-dessus des contingences, afin que son passage au sommet de l’État soit apprécié
par tous. Cependant, il ne faut pas organiser une élection dans la précipitation qui fera l’objet,
après, de contestations et crise politique comme cela a très souvent été le cas en Afrique.
L’intérim a duré plus d’un an au Mali, contrairement aux dispositions de la Constitution, à cause
des difficultés de la transition conduite dans un contexte de guerre au nord du pays contre les
islamistes et de violence sur l’intérimaire en la personne de DIONKOUNDA TRAORE.
L’examen des compétences et du contexte d’intronisation du Président de la République par
intérim au Cameroun laisse apparaitre un constat d’évidence. Il ne saurait, être à la hauteur de
la tâche. D’où la nécessité d’une révision de la Constitution en vue de la réintroduction du poste
de Vice-président de la République.
II - LE DAUPHINAT CONSTITUTIONNEL : UNE INSTITUTION
CIRCONSTANCIELLE
Le dauphinat constitutionnel a permis à des chefs d’État historiques, à l’instar du Président Paul
BIYA84, de « fabriquer de leur vivant un successeur socialisé dans les valeurs du régime et
apte à prendre en charge la continuité de l’œuvre du père-fondateur »85. En raison de son
Voir C.TUEKAM TATCHUM, L’intérim du Président de la République dans le nouveau
constitutionnalisme des Etats d’Afrique d’expression française, Thèse Op.cit., p.210.
83
Voir A.D. OLINGA, « La révision constitutionnelle du 14 avril 2008 au Cameroun », op.cit., p. 13.
84
Paul BIYA occupe le poste de Président de la République du Cameroun depuis le 06 novembre 1982.
85
Voir EL HADJ MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel africain : Analyse
juridique et impact politique, Op.cit., p.82.
82
34
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
efficacité, certains chefs d’États africains ont eu recours au dauphinat vécu86aux États-Unis (B)
et déjà expérimenté au Cameroun (A), pour organiser leur propre succession.
A. LE DAUPHINAT VÉCU AU CAMEROUN : UNE EXPÉRIENCE À RENOUVELER
Au Cameroun, le dauphinat institué à deux reprises par le Président Ahmadou AHIDJO, à
travers la création des postes de Vice-président de la République (1) et de Premier Ministre (2),
a permis de maintenir la paix, la cohésion sociale et la stabilité politique du pays.
1.
LE VICE-PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE 1961 À 1972 : UN DAUPHIN INDÉPENDANT
L’indépendance du Vice-président vis-à-vis du Président de la République Fédérale du
Cameroun était fondée sur des accords politiques (a) et juridiquement consacrée par la
Constitution du 1er septembre 1961 (b).
a.
LES FONDEMENTS POLITIQUES DE L’INDÉPENDANCE DU VICE-PRÉSIDENT : LES
ACCORDS DE BAMENDA ET DE FOUMBAN
Les principaux artisans de la réunification du Cameroun en l'occurrence John NGU FONCHA
et Ahmadou AHIDJO, pour mettre en application ce projet ambitieux, ont pensé à organiser la
conférence de Foumban. Mais avant, il fallait au préalable passer par le consensus de Bamenda.
* Le Consensus de Bamenda
Du 26 au 28 juin 1961 une conférence est organisée à Bamenda entre les représentants du
Cameroun méridional et ceux de la République du Cameroun pour arrêter une Constitution
Fédérale en prélude à la conférence constitutionnelle de Foumban. Il s'agit d'une conférence
inter partis appelée « All Party Constitutional Conference » convoquée par John NGU
FONCHA afin que le Southern Cameroons ne se rende pas en rangs dispersés à la conférence
de Foumban. Les leaders politiques anglophones renouvelèrent leur confiance à FONCHA qui
était le Premier Ministre du Southern Cameroons. Ils adoptèrent, après consensus, un projet de
Constitution calqué sur le modèle anglo-saxon. Pour les anglophones, la fédération à venir
devra conserver une certaine forme d'autonomie. Le Southern Cameroons assurera désormais
l'ordre et la sécurité sur son territoire. Les anglophones ne souhaitent pas que l'armée de la
république du Cameroun viole leur territoire après le 1er octobre 1961. FONCHA souhaite
comme mesure alternative, le maintien de la force britannique dans le Southern Cameroons
jusqu’à ce que cette partie du Cameroun soit capable de constituer une force de police capable
86
Le dauphinat vécu est une technique successorale caractéristique du régime présidentiel des EtatsUnis d'Amérique permettant le transfert du pouvoir présidentiel en dehors de toute élection.
35
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
de contrôler cette partie du territoire. Une proposition rejetée par les britanniques qui
n'envisagent même pas maintenir la moindre mission technique dans le Cameroun occidental
après la réunification87. L'un des faits majeurs à souligner au sortir de ce conciliabule de
Bamenda c’est que « FONCHA a omit de présenter aux différentes délégations des partis
politiques présents à cette réunion, le projet de Constitution rédigé par le pouvoir central de
Yaoundé et qui lui avait été remis par le Président Ahmadou AHIDJO au mois de mai 1961.
Cette omission le fragilisera plus tard dans son camp »88.
*L’Accord de Foumban
Du 17 au 21 juillet 1961, les leaders politiques du jeune État indépendant, le Cameroun Oriental
et leurs frères du Southern Cameroons vont se réunir dans le chef-lieu de l'actuel département
du Noun. Une conférence historique à plus d’un titre, notamment de par son objet qui, selon
certaines sources était de « fixer les conditions d’une réunification effective du Cameroun ».
Plusieurs leaders des deux parties y avaient pris part. Le Cameroun Oriental (francophone) y
était représenté notamment par Ahmadou AHIDJO, Charles ASSALE, Charles OKALA pour
ne citer que ceux-là. Quant aux Cameroun Occidental (anglophone), il était représenté par John
NGU FONCHA, Emmanuel LIFFAFFA ENDELEY et Salomon TANDENG MUNA entre
autres. Au cours de cette assise, les divergences de points de vue entre le Cameroun Oriental et
Occidental sont visibles : « Ahmadou AHIDJO souhaite que les deux entités forment un État
unitaire centralisé : la fédération n'étant qu'une étape devant conduire à l'État unitaire.
FONCHA n'ayant pas obtenu de converger vers une confédération envisage que les travaux
aillent dans le sens d'une fédération dans laquelle le Southern Cameroons bénéficierait d'une
autonomie relative »89. Le camp FONCHA n'ayant pas examiné le projet de Constitution
proposé par le pouvoir de Yaoundé, suite à l'omission de FONCHA lors du consensus de
Bamenda, le projet constitutionnel d'AHIDJO s'impose alors comme base des discussions,
reléguant ainsi au second plan les conclusions de la précédente conférence interpartis des
anglophones. Les dates du 17, 18 et 19 juillet 1961 leurs sont accordées pour examiner le projet
de Constitution qui leur a été présenté pour la première fois à l'ouverture des travaux. Au finish,
c'est la fédération telle que proposée par Ahmadou AHIDJO qui est validée avec comme
principes fondateurs : un système fédéral avec deux États fédérés ; le Cameroun Oriental ayant
87
Voir Cameroon Tribune, Réunification, Hors-série, octobre 2011, p.68.
Ibid., p.77.
89
Voir Yves TCHAKOUNTE, « Accords de Foumban : aux origines du problème anglophone au
Cameroun », Politicus, 30 novembre 2016.
88
36
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
pour siège Yaoundé et le Cameroun Occidental dont le siège est Buea. La capitale de la
République Fédérale se trouve à Yaoundé et le Président du Cameroun Oriental devient le
Président Fédéral, tandis que le Premier Ministre du Cameroun Occidental devient le Viceprésident Fédéral. L’accord signé à Foumban le 21 juillet 1961 était considéré comme un
élément fondateur d’une gestion séparée et rigoureuse des deux États fédérés.
En vue de poser les bases de fonctionnement de la future fédération, une nouvelle Constitution
devait être rédigée par les différents protagonistes présents à cette réunion.
b.
LES FONDEMENTS JURIDIQUES DE L’INDÉPENDANCE DU VICE-PRESIDENT : LA
CONSTITUTION DU 1ER SEPTEMBRE 1961
La Constitution du 1er septembre 1961 crée une République Fédérale née de la réunification
entre la République du Cameroun indépendant le 1er janvier 1960 et le Southern Cameroons
qui avait choisi à l’issue du plébiscite onusien de 196190, son rattachement à la République du
Cameroun plutôt qu’au Nigeria comme le choix qui en était offert. Pour le Professeur Maurice
KAMTO, « c’est au regard de la science constitutionnelle, la IIème République
camerounaise »91. En effet, pour la première fois depuis la réunification intervenue le 1 er
octobre 1961 et conformément à l’article 8 de la nouvelle loi constitutionnelle, « Le Président
de la République Fédérale du Cameroun, Chef de l’État Fédéral et Chef du Gouvernement
Fédéral, veille au respect de la Constitution Fédérale, assure l’unité de la Fédération et la
conduite des affaires de la République. Il est assisté dans sa mission par un Vice-président de
la République Fédérale ». Cette nouvelle Constitution92 bouleverse profondément la structure
de l’État et modifie substantiellement la nature du régime politique au Cameroun. À l’État
unitaire de 1960, elle substitue un État composé avec un niveau fédéral et deux entités fédérés
dotées chacune de sa propre Constitution. Elle instaure au niveau fédéral un régime de type
90
Pour approfondir, voir Marcel MERLE, « Les plébiscites organisés par les Nations-Unies », Annuaire
Français de Droit International, 1961, 7, pp.425-445.
91
Voir M.KAMTO : « La dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », Revue Juridique
Africaine, 1995, p.44.
92
Pour le Professeur Maurice AMTO, « Ce que l’on appelle couramment la Constitution de la
République Fédérale du Cameroun » se désigne techniquement loi de révision constitutionnelle, qui
cependant, d’un point de vue matériel, établit une Constitution totalement nouvelle. Autrement dit, en
1961, sous prétexte de réviser la Constitution du 4 mars 1960 ou sous le couvert de la révision de cette
Constitution, on a doté le Cameroun d’une nouvelle Constitution sans toutefois suivre la procédure
consacrée à cette fin. Il y a donc eu fraude à la Constitution. Et la formule « Loi portant révision
constitutionnelle est à cet égard trompeuse ». Voir M.KAMTO, « La dynamique constitutionnelle du
Cameroun indépendant », Op.cit., p.45.
37
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
présidentiel presque à l’américaine, et au niveau des États fédérés des régimes parlementaires
d’inspiration variée.
*Au Cameroun Occidental (anglophone)
La Constitution de cet État fédéré adoptée le 26 octobre 196193 instituait un parlementarisme
très classique, modèle de Westminster encore appelé parlementarisme victorien, garantissant
l’équilibre entre l’exécutif et le législatif et leur dépendance réciproque, ainsi que le principe
de la responsabilité du gouvernement devant le parlement et le droit pour l’exécutif de dissoudre
ce dernier. Dans la tradition des institutions politiques des anciennes colonies britanniques, le
Parlement de l’État fédéré du Cameroun Occidental était bicaméral. Il comprenait une
assemblée législative de 37 membres et une assemblée des chefs traditionnels de 18 à 22
membres qui pouvait exercer certaines compétences législatives. La Constitution du Cameroun
Occidental fixait par ailleurs les règles fondamentales régissant la police (chapitre IV), les
finances (chapitre V) et la fonction publique (chapitre VI), toutes matières qui relèvent
traditionnellement, dans les systèmes français et francophones, du domaine de la loi et du
règlement.
*Au Cameroun Oriental (francophone)
La loi organique portant organisation des pouvoirs publics dans l’État fédéré du Cameroun
Oriental adoptée le 1er novembre 1961 organisait un régime parlementaire rationalisé à la
française, tout en consacrant également les principes classiques du parlementarisme, à savoir
un Premier Ministre chef du gouvernement, un gouvernement responsable devant une
Assemblée législative de 100 membres disposant des moyens de contrôle et de sanction
politiques que sont la motion de censure et le refus de la confiance, ainsi que des moyens
d’information et de contrôle, en l’occurrence les questions écrites et orales, le droit de pétition
et d’interpellation et les commissions d’enquêtes. Toutefois, les institutions des États fédérés
étaient placées sous la haute surveillance et l’autorité de l’État Fédéral, en particulier du
Président de la République, Chef de l’État Fédéral et chef du gouvernement fédéral. Celui-ci
était élu pour un mandat de cinq ans renouvelable et était assisté dans sa mission par un Viceprésident, tous deux étant élus sur une même liste au suffrage universel direct et secret, mais ne
pouvant être originaires d’un même État fédéré. A l’instar de son homologue américain, le Viceprésident camerounais jouissait d’une autorité lui permettant de garantir la continuité du
Voir Loi n°61-LW-1 du 26 octobre 1961 portant Constitution de l’Etat fédéré du Cameroun
Occidental.
93
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E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
pouvoir présidentiel en raison de sa légitimité populaire et démocratique résultant de son
élection simultanée avec celle du Président de la République94. Second d’un chef d’État
charismatique, il pouvait alors bénéficier d’un transfert progressif du pouvoir et être préparé
pour assurer la relève. Si la Constitution ne lui confiait pas de pouvoirs explicites, il pouvait
néanmoins jouir de délégations95 accordées en sa faveur par le chef de l’État. Le Vice-président
disposait d’une autorité résultant de son indépendance vis-à-vis du Président qui ne pouvait le
révoquer en cours de mandat. Vis-à-vis des États fédérés, le Président de la République Fédérale
avait le pouvoir de nommer les Premiers Ministres desdits États ainsi que les Secrétaires
d’États, membres de leurs gouvernements, et pouvait dans les mêmes conditions mettre fin à
leurs fonctions. Dans la mesure où il avait par ailleurs de nombreuses et importantes
compétences propres au niveau fédéral, « l’hypertrophie de la fonction présidentielle, renforcée
par la pratique du parti unique qui s’est mis en place cinq ans après la réunification, a
considérablement atténué le jeu parlementaire au sein des États fédérés et a transformé les
régimes politiques desdits États en des expériences de parlementarisme dominés, dans le cadre
d’un fédéralisme présidentialiste à tendance centralisatrice »96.
Contrairement à la vice-présidence, la primature n’a pas pour finalité d’introduire une dyarchie
au sommet du pouvoir exécutif97. Le Premier Ministre dans le régime camerounais a un rôle
très effacé parce que très dépendant du Président à qui il doit en toutes circonstances loyalisme
et soumission. Cette posture est confortée au plan théorique par son absence de légitimité qui
fragilise son statut de dauphin constitutionnel.
Aux termes de l’article 9 de la Constitution du 1er septembre 1961 modifiée par les lois n°69/LF/14
du 10 novembre 1969 et 70/LF/1 du 4 mai 1970, « Le Président de la République Fédérale et le Viceprésident, qui ne peuvent être originaires d’un même Etat Fédéré, sont élus sur une même liste au
suffrage universel direct et secret ».
95
Ibid., article 12, paragraphe 12.
96
Voir M.KAMTO, « La dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », Op.cit., p.45.
97
Voir Etienne KENFACK TEMFACK, « Conflit des majorités : L’hypothèse d’une dyarchie de
l’exécutif au regard de la Constitution du 18 janvier 1996 » in La Constitution en Afrique, Blog, 10 avril
2010, p.14.
94
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Revue libre de Droit
2.
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
LE PREMIER MINISTRE DE 1975 À NOS JOURS : UN DAUPHIN DEPENDANT
La réforme constitutionnelle de 1975 fait du Premier Ministre98, le successeur constitutionnel
du Président de la République99. Cependant, pour la doctrine, l’objectif recherché se ramène
simplement à « la déconcentration du pouvoir du Chef de l’État »100. En effet, le principe du
régime de séparation souple des pouvoirs est l’indépendance du chef du Gouvernement par
rapport au chef de l’État. Même si c’est ce dernier qui le nomme, il n’opère pas un choix mais
entérine en réalité le choix populaire101. La logique de la volonté du suffrage universel dans un
régime parlementaire est que le parti victorieux aux législatives puisse mettre en œuvre sa
politique par son accession au pouvoir. Le schéma classique est celui de la désignation de son
chef comme Premier ministre102. Cette hypothèse n’est pas celle que prévoit la Constitution
camerounaise. La subordination du Premier ministre, loin d’être un simple principe ou une
pratique constitutionnelle, est garantie par sa nomination discrétionnaire (a) et sa révocation ad
nutum (b) par le Président de la République.
a.
LA NOMINATION DISCRÉTIONNAIRE DU CHEF DU GOUVERNEMENT
Le choix de celui qui sera investi des fonctions de chef du Gouvernement n’est soumis à aucune
condition ni consultation préalable. D’ailleurs le fait que celui-ci ne soit chargé que de la
direction de l’action du Gouvernement en fait nécessairement un homme aux ordres du
président. Particulièrement dans le contexte camerounais caractérisé par ce que le Professeur
Roger Gabriel NLEP, de regrettée mémoire, appelait « Le triangle équilatéral »103, un seul
critère encadrerait ce choix : « le préposé doit être ressortissant d’une des provinces qui
98
Sur le statut du Premier Ministre camerounais de 1975 à 1979, voir J. OWONA, « La réforme politique
et constitutionnelle de la République Unie du Cameroun », R.J.P.I.C, n°4, 1975, pp.486-510. Pour une
analyse d’ensemble du Premier Ministre camerounais, voir Issa ABIABAG, Le Premier Ministre en
droit constitutionnel camerounais, Thèse de Doctorat d’Etat en droit, Université de Paris X-Nanterre,
1978, 410 pages.
99
Aux termes de l’article 7 (nouveau) de la Constitution révisée du 29 juin 1979, « En cas de vacance
de la Présidence, pour décès, démission ou empêchement définitivement constaté par la Cour suprême,
le Premier Ministre est immédiatement investi des fonctions de Président de la République pour la
période du reste du mandat présidentiel. Il prête serment dans les formes prescrites par la loi en cas
d’urgence devant le bureau de l’Assemblée nationale, assisté de la Cour suprême ».
100
Voir M. KAMTO, « La dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », Op.cit., p.45 ;
également, L. SINDJOUN, « Le Président de la République au Cameroun (1982-1996) : Les acteurs et
leur rôle dans le jeu politique », Op.cit., p.5.
101
Ibid.
102
Le modèle britannique veut que la Reine désigne comme Premier Ministre le chef du parti ayant
remporté les élections législatives. C’est aussi le cas en Allemagne, en Italie et même en Israël.
103
Pour approfondir, lire utilement, Albert MANDJACK, « Le triangle équilatéral du Cameroun.
L’hypothèse du pouvoir confisqué de Roger Gabriel NLEP », Revue Camerounaise de Droit et de
Science Politique, n° 3, mars 2011, pp.73-103.
40
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
formaient l’ancien État fédéré du Cameroun Occidental »104. A règle quasi similaire quant au
pouvoir de nomination, le Président MITTERRAND reconnaissait pourtant qu’« on ne pose
pas de conditions au Président de la République. Il nomme qui il veut, mais il doit se placer en
conformité avec la volonté populaire »105.
Cette absence de condition signifie qu’aucune règle constitutionnelle n’impose au Président de
la République de désigner comme Premier Ministre quelqu’un issu de la majorité parlementaire
lorsque celle-ci lui est politiquement hostile.
b.
LA REVOCATION AD NUTUM DU CHEF DU GOUVERNEMENT
En effet, « le Président de la République nomme le Premier Ministre, et sur proposition de
celui-ci, les autres membres du Gouvernement. Il fixe leurs attributions. Il met fin à leurs
fonctions »106. Il suffit donc que le chef de l’État veuille simplement changer le Premier
Ministre. Cette liberté d’action constitue le fondement d’un régime qui consacre en réalité la
double responsabilité du Premier Ministre. La lecture du Général De GAULLE qui affirmait
dans ce sens que : « Il est normal que le Président de la République et le Premier Ministre ne
soient pas un seul et même homme. Certes on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au
sommet de l’État. Mais il n’en est rien. Le Président de la République qui choisit le Premier
Ministre, qui le nomme, ainsi que les autres membres du Gouvernement, qui a la faculté de le
changer, soit que se trouve accomplie la tâche qu’il lui destinait et qu’il veuille s’en faire une
réserve en vue d’une phase ultérieure, soit parce qu’il ne l’approuverait plus (…) »107 illustre
bien cette soumission du chef du Gouvernement. Au surplus l’analyse de ses attributions permet
de mesurer l’étendue de cette dépendance : « Le Premier ministre est le chef du Gouvernement
et dirige l’action de celui-ci. Le premier ministre exerce le pouvoir règlementaire et nomme
aux emplois civils, sous réserve des prérogatives reconnues au Président de la République dans
ces domaines »108. Cette définition extrêmement limitative et par défaut de ces pouvoirs suffit
pour dire qu’en réalité il ne s’agit que d’une déconcentration de l’exécutif et non pas d’une
véritable décentralisation qui suppose la constitution d’un champ autonome appartenant en
Voir Etienne KENFACK TEMFACK, « Conflit des majorités : L’hypothèse d’une dyarchie de
l’exécutif au regard de la Constitution du 18 janvier 1996 », Op.cit., p.15.
105
Ibid.
106
Voir Loi n°96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, article 10
(1).
107
Voir Etienne KENFACK TEMFACK, « Conflit des majorités : L’hypothèse d’une dyarchie de
l’exécutif au regard de la Constitution du 18 janvier 1996 », Op.cit., p.16.
108
Voir Loi n°96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, article 12,
alinéas 1 et 3.
104
41
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
propre au chef du Gouvernement ; une sorte de pouvoirs propres. Puisque cette sphère est
inexistante, il faut bien convenir avec le Professeur Yacouba MOLUH que : « l’insistance
médiatique sur l’appellation Premier Ministre, chef du Gouvernement, dissimule mal le quasi
vide qui caractérise l’institution »109.
Ce monocentrisme présidentiel qui explique les difficultés d'acclimatation du dauphinat au
Cameroun est en déphasage avec le dauphinat vécu dans la plupart des régimes présidentiels
des temps modernes.
B. LE DAUPHINAT VÉCU AILLEURS : UNE TECHNIQUE DE TRANSMISSION DU
POUVOIR SANS HEURTS
S’inspirant du modèle américain (2), certains dirigeants africains ont créé le poste de VicePrésident de la République afin d’éviter une crise de la transition dans leur pays (1).
1.
LE DAUPHINAT VÉCU EN AFRIQUE : UN MODÈLE EN EXPÉRIMENTATION
De plus en plus, le dauphinat constitutionnel administre la preuve de son efficacité en Afrique
(a) ; ce qui a motivé le Président ivoirien à créer le poste de Vice-président, successeur
constitutionnel du chef de l’État (b), contrairement au Gabon où ce dernier n’est qu’un simple
suppléant110du Président de la République.
Voir Y. MOLUH, « L’introuvable nature du régime camerounais issu de la Constitution du 18 janvier
1996 », in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun : Aspects juridiques et
politiques, Fondation Friedrich Ebert, Yaoundé, 1996 ; cité par Etienne KENFACK
TEMFACK, « Conflits des minorités : L’hypothèse d’une dyarchie de l’exécutif au regard de la
Constitution du 18 janvier 1996 », p.17.
110
Aux termes de l’article 14 (d-e) de la Constitution de la République gabonaise modifiée par la Loi
n°13/2003 du 19 août 2003, « Le Vice-président de la République supplée le Président de la République
dans les fonctions que celui-ci lui délègue. Les fonctions de Vice-président de la République cessent à
l’issue de la proclamation de l’élection présidentielle par la Cour Constitutionnelle et en cas de vacance
de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement définitif du
Président de la République ».
109
42
Revue libre de Droit
a.
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
LE DAUPHINAT CONSTITUTIONNEL : UN MODÈLE DE REUSSITE
L'Éthiopie111, l’Afrique du Sud112, le Ghana, le Malawi et le Nigeria sont des exemples de
succession sans heurts qui prouvent que l'Afrique réussit peu à peu ses transitions. L’analyse se
focalise particulièrement sur les trois derniers cas.
*L’exemple du Ghana
Élu de justesse à la fin de 2008 après deux tentatives manquées face à John KUFUOR, John
Atta-Mills dirigeait le Ghana depuis 2009. Il est mort subitement, mardi le 24 juillet 2012, à
l'âge de 68 ans. Au Ghana, pays de 25 millions d’habitants où la démocratie n’est pas un vain
mot, la procédure de transition constitutionnelle a été suivie à la lettre. Le Vice-président, John
DRAMANI MAHAMA a prêté serment devant une session extraordinaire du Parlement,
quelques heures après la mort du chef de l’État. « Je veux assurer les ghanéens que tout est en
ordre. Nous allons maintenir la paix, l’unité et la stabilité qui font la réputation du Ghana »113,
a-t-il dit aussitôt après son investiture.
*Le cas du Malawi
Le Malawi a connu une transition relativement harmonieuse après la disparition en avril 2012
du Président MUTHARIKA, mort d'une crise cardiaque à l'âge de 78 ans114. Le processus aurait
pu toutefois dérailler lorsque des membres du Conseil des ministres ont tenté d'installer au
pouvoir le frère cadet du défunt Président, le Ministre des affaires étrangères, Peter
MUTHARIKA, à la place de Joyce BANDA, Vice-Présidente et successeur d’après la
111
En Ethiopie, malgré quelques complications, le processus de succession a été couronné de succès
après la mort le 21 août 2012 du Premier Ministre Meles ZENAWI. On pensait au départ que le Vicepremier Ministre, HAILEMARIAM DESALEGN, quoique membre du cercle dirigeant, ne pourrait pas
accéder au pouvoir car il ne faisait pas partie du Front Populaire de Libération du Tigré (FPLT), un
ancien groupe militant autrefois dirigé par le défunt Président et encore une puissante faction au sein du
parti dirigeant. Paradoxalement, des considérations ethniques ont joué en faveur de M. DESALEGN. Il
s’agissait d’apaiser les tensions liées à la domination du FPLT pendant des années et de donner
satisfaction aux Wolaytas, une minorité ethnique n’ayant jamais eu un de leurs membres au sommet du
pouvoir. En fin de compte, les détenteurs du pouvoir se sont rassemblés autour de M. DESALEGN,
lequel a très vite promis de poursuivre la politique de M. ZENAWI sans aucun changement.
112
Le Vice-président sud-africain, Cyril RAMAPHOSA a été élu, jeudi le 15 février 2018 par la
Parlement pour succéder au Président de la République, Jacob ZUMA, qui a annoncé mercredi 14 février
sa démission « avec effet immédiat » au terme de plusieurs semaines d’un combat féroce avec son parti,
le Congrès National Africain (ANC). Eclaboussé depuis des années par des scandales de corruption,
Jacob ZUMA a en effet mis fin à son règne de neuf ans à la tête du pays en obtempérant aux injonctions
de son parti, qui le menaçait d’un vote de défiance au Parlement.
113
Voir Pierre-François NAUDE, « Ghana : décès du Président John Atta-Mills, l’intérim assuré par
John DRAMANI MAHAMA », Jeune Afrique, 25 juillet 2012.
114
Voir Malawi : la mort du président confirmée, la Vice-présidente doit lui succéder, AFRICA n°1, 07
avril 2012.
43
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
Constitution115. Le Président avait avant de mourir décidé d'exclure Mme BANDA du parti au
pouvoir afin d'ouvrir la voie à son frère. À sa mort, la classe politique s'est scindée en deux
camps. D'un côté, ceux qui invoquaient les intentions de l'ancien Président, de l'autre, ceux qui
souhaitaient respecter la Constitution. Bon nombre de Malawiens se sont insurgés contre un
manquement à la Constitution ; avec l’appui des bailleurs de fonds et notamment des ÉtatsUnis116, la Constitution fut respectée.
*L’expérience du Nigeria
Le Président nigérian Umaru Yar'Adua, âgé de 58 ans, est décédé le 5 mai 2010 des suites d'une
longue maladie. A l'annonce de son décès, le pays est resté calme et aucune scène de violences
n'a été déclarée. Le Vice-président de la République, GoodLuck Jonathan, a été officiellement
désigné Président par intérim, après une longue vacance du pouvoir qui a menacé la stabilité de
ce pays aux riches ressources pétrolières. La mort de Yar'Adua survient à un moment difficile
pour le Nigeria ; le pays le plus peuplé d'Afrique avec 150 millions d'habitants. Des violences
intercommunautaires ont fait des centaines de morts depuis le début de l'année dans le centre
du pays, tandis que l'amnistie promise aux rebelles du sud pétrolier, le Delta du Niger, par le
Président défunt tarde à donner ses effets, relançant les attaques contre la principale source de
devises du pays. Pour éviter que le 8ème exportateur de pétrole ne plonge dans le chaos, le
Parlement avait fini par demander au Vice-président d'assurer temporairement la présidence,
Yar'Adua ne lui ayant pas formellement transmis les pouvoirs exécutifs avant de partir.
b. LE DAUPHINAT CONSTITUTIONNEL : UN MODÈLE CHOISI PAR LA CÔTE D’IVOIRE
A travers le dauphinat, il s’agit, comme aux États-Unis, « de rendre la succession au plus haut
niveau de l’État plus automatique, plus transparente et plus simple, afin qu’aucun blocage
n’entraine des conséquences dommageables pour la paix, pour la sécurité des citoyens, pour
la stabilité politique de la Côte d’Ivoire »117.
Le paragraphe 4 de l’article 80 de la Constitution du Malawi dispose que « Le Premier Vice-président
est élu en même temps que le Président et le nom d’un candidat au poste de Premier Vice-président
figure sur le bulletin de vote que le nom du candidat à la présidence qui l’a désigné ».
116
Le Département d’Etat américain a envoyé un message sans ambiguïté : « Nous espérons que la Viceprésidente, première dans l’ordre de succession, sera rapidement investie à la tête du pays ».
117
Voir Déclaration du Président Henri KONAN BEDIE au terme de la séance plénière de l’Assemblée
nationale ivoirienne du 06 novembre 1990, in Fraternité-Matin, 7 novembre 1990, p.7.
115
44
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
*Un choix justifié par la crise post-électorale de 2010-2011
La Côte d’Ivoire a connu une décennie de crise politico-militaire, marquée par une partition
entre le Nord, aux mains de la rébellion, et le Sud, contrôlé par le camp de Laurent GBAGBO.
La période d’instabilité a culminé avec la crise post-électorale de 2010-2011, provoquée par le
refus du Président Laurent GBAGBO de reconnaître sa défaite et la victoire de son rival
Alassane DRAMANE OUATTARA à la présidentielle de novembre 2011.
Pendant la présidentielle de 2015, le Président Alassane OUATTARA avait promis une
nouvelle Constitution afin de remplacer celle de 2000, jugée responsable des crises en Côte
d'Ivoire, notamment en raison du concept d' « ivoirité »118. Un comité d'expert fut mis en place
en juillet 2016 afin de rédiger un projet de Constitution. Le projet définitif, adopté par le
Gouvernement et l'Assemblée nationale en octobre 2016 et publié au Journal Officiel, a été
soumis au peuple ivoirien par référendum. Le résultat a été l'adoption du nouveau texte,
promulgué par la Loi n° 2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République
de Côte d'Ivoire. Face à l’Assemblée nationale, le Président Alassane OUATTARA a expliqué
les motivations de cette loi fondamentale en ces termes : « L’objectif poursuivi par la nouvelle
Constitution est de pérenniser la stabilité et la paix de la Nation ivoirienne, de tourner
définitivement la page des crises »119. La nouvelle Constitution opère plusieurs changements
par rapport à la Constitution de 2000, notamment la création du poste de Vice-président calqué
sur le modèle américain.
*Un choix calqué sur le modèle américain
Le système ivoirien s’inspire du dauphinat américain par l’automaticité de la succession,
l’indépendance et la légitimité du dauphin. Ainsi, aux termes de l’article 62 de la Constitution
ivoirienne du 08 novembre 2016 : « En cas de vacance de la Présidence de la République par
décès, démission ou empêchement absolu du Président de la République, le Vice-président de
la République devient, de plein droit, Président de la République. Avant son entrée en fonction,
« L’ivoirité est, selon nous, une exigence de souveraineté, d’identité, de créativité. Le peuple ivoirien
doit d’abord affirmer son autorité face aux menaces de dépossession et d’assujettissement : qu’il
s’agisse de l’immigration ou du pouvoir économique et politique. (…) L’individu qui revendique son
ivoirité est supposé avoir pour pays la Côte d’Ivoire, être né de parents ivoiriens appartenant à l’une
des ethnies autochtones de la Côte d’Ivoire ». Définition extraite de la Revue Ethics, publiée en 1996
par un aréopage d’intellectuels proches du Président Henri KONAN BEDIE. Voir Archives, Comment
est née l’« ivoirité », Jeune Afrique, 13 avril 2004, www.jeuneafrique.com. Consulté le 11 novembre
2018.
119
Voir Réforme constitutionnelle : Le discours du chef de l’Etat à l’Assemblée nationale, www.gouv.ci,
05 octobre 2016, consulté le 14 novembre 2018.
118
45
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
il prête serment devant le Conseil Constitutionnel, réuni en audience solennelle. Les fonctions
du nouveau Président de la République cessent à l’expiration du mandat présidentiel en cours.
L’empêchement absolu du Président de la République, pour incapacité d’exercer ses fonctions,
est constatée immédiatement par le Conseil Constitutionnel, saisi à cette fin par une requête du
Gouvernement approuvée à la majorité de ses membres »120. L’efficacité du modèle se traduit
par une succession qui exclut tout vide au sommet du pouvoir exécutif. Comme le précise le
garde des sceaux, « c’est dans le souci d’assurer la continuité du pouvoir sans recourir à un
intérim qui peut être générateur de confusion, qu’il est apparu indispensable de régler de façon
simple et immédiate le processus de succession du chef de l’État »121. Le constituant ivoirien
de 2016 ne tient pas compte de ce que le Professeur Patrick JUILLARD appelle « la continuité
structurelle » qu’il oppose à « la continuité fonctionnelle »122. Alors que « la continuité
fonctionnelle se situe dans l’ordre positif du fait qu’elle requiert que les mécanismes de
remplacement ou de suppléance soient aussi simples et efficaces que possibles, de sorte que le
vide ouvert à la tête de l’exécutif n’affecte ni la fonction, ni le pouvoir dans leur permanence ;
la continuité structurelle, elle, se situe dans l’ordre normatif en ce sens qu’elle commande que
les mécanismes de dévolution présentent un degré minimal de compatibilité aux principes
généraux du système constitutionnel dans lequel ils s’insèrent »123. Conformément à cette
finalité double de la continuité, il est posé la logique124que dans les régimes parlementaires, une
autorité législative peut assumer la suppléance d’une autorité exécutive, alors que dans le
régime présidentiel, le dauphin doit émaner du pouvoir exécutif en raison de la séparation rigide
des pouvoirs exécutif et législatif.
Voir Journal Officiel de la République de Côte d’Ivoire, numéro spécial, 58ème année, n°16, mercredi
9 novembre 2016, p.134.
121
Voir Fraternité-Matin, Op.cit.
122
Voir Patrick JUILLARD, « La continuité du pouvoir exécutif », in Mélanges BURDEAU, L.G.D.J.,
Paris, 1977, pp.159-177.
123
Ibid.
124
Voir l’exposé des motifs de la révision constitutionnelle de 1980 instituant la vice-présidence : « Le
libre choix par le peuple de ses représentants à tous les niveaux va entraîner un renouveau de nos
institutions organisées sur le principe de l’équilibre des pouvoirs obtenu par une stricte séparation des
pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Le pouvoir exécutif étant détenu par le Président de la
République élu du peuple, la logique du système commande que sa succession soit assurée par un Viceprésident choisi par lui. L’adoption du présent projet de loi aura pour effet d’achever de donner à notre
régime politique son vrai visage de régime présidentiel démocratique ». Voir Bulletin de l’Assemblée
nationale ivoirienne, n°1072 du 10 décembre 1980.
120
46
Revue libre de Droit
2.
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
LE DAUPHINAT VÉCU AUX ÉTATS-UNIS D’AMERIQUE : UN MODÈLE EN EXPANSION
Deux traits caractérisent le dauphinat vécu aux États-Unis : il s'agit d'une part d'un dauphinat
arbitré (a) et d'autre part d'un dauphinat inaliénable (b).
a.
UN DAUPHINAT ARBITRE
La légitimité du Vice-président est à titre principal populaire et exceptionnellement
institutionnelle.
* La légitimité populaire du dauphin
Elle est la conséquence logique de la participation du corps électoral à l'élection du Viceprésident. Aux États-Unis, il y a une coïncidence sinon une confusion des électorats du
président de la République et de celui qui a vocation à recueillir l'héritage en cas d'interruption
prématurée du mandat présidentiel. Le vice-président bénéficie d'une investiture populaire à
peu près comparable à celle du président de la République dans la mesure où les suffrages
exprimés par le peuple portent sur le ticket présidentiel sorti des conventions nationales des
partis. La coïncidence des électorats présidentiel et vice présidentiel doit cependant être
nuancée. La désignation du candidat à la vice-présidence obéit à des considérations stratégiques
qui tiennent non à la valeur intrinsèque du candidat à la vice-présidence, mais aux voix qu'il est
susceptible d'apporter au candidat à la présidence125, à la volonté du candidat à la présidence de
panser les blessures au sein du parti à l'issue des primaires, de ménager les faveurs du
Congrès126 ou enfin d'exercer un leadership unique insusceptible d'être voilée par le Viceprésident127. Ainsi, malgré la succession non élective du président par le vice-président, ce
125
Quelques exemples de tickets électoralistes. En 1864, le pacifiste Abraham Lincoln choisit un
« démocrate belliqueux » du Nord en la personne d’Andrew Johnson espérant qu'il renforcerait sa liste.
En 1960, John Kennedy, un jeune démocrate libéral du Nord choisit un vieux démocrate conservateur
du Sud, Lindon B. Johnson, pour l'aider à obtenir les suffrages des électeurs du Sud. En 1976, Jimmy
Carter, un outsider inconnu du public avant les primaires, choisit un sénateur populaire en la personne
de Walter Mondale pour surmonter son handicap.
126
En 1964, Lyndon B. Johnson, le vieux conservateur du Sud, choisit un homme de parti et un
progressiste de longue date, Hubert Humphrey, pour l'aider à maintenir l'unité du parti. De même au
cours des élections de 1980, Ronald Reagan, un ultraconservateur républicain, fit un geste en direction
des modérés de son parti en prenant Georges Bush, candidat malheureux à l'investiture républicaine,
comme colistier.
127
Le choix de Dan Quayle par Georges Bush à l'occasion des élections de 1988 peut s'analyser comme
une volonté de M. Bush, ancien Vice-président de Reagan pendant toute la durée du mandat de ce
dernier, de manifester sa suprématie totale au sein de l'exécutif et de réduire toute tension pouvant
résulter de la coexistence de deux fortes personnalités au sommet de l'exécutif. Rappelons qu'après
l'attentat manqué contre le président Reagan en 1981, il y eut une confusion totale à la suite d'une
conférence de presse nationale convoquée par l’ancien secrétaire d'Etat, Alexandre Haig, au cours de
laquelle il déclara assumer la suppléance du chef de l'Etat, nonobstant les dispositions constitutionnelles
47
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
dernier est investi d'une légitimité populaire. En effet, en se prononçant pour les candidats
présentés par les partis politiques, les américains se prononcent principalement sur l'homme
appelé à prendre en charge les destinées de la nation et, de manière latente, sur celui qui peut
sortir un jour de l'ombre128pour assurer la continuité du pouvoir présidentiel.
* La légitimité institutionnelle du dauphin
La légitimité populaire du dauphin peut cependant faire défaut si en cours de mandat, le Viceprésident décède, démissionne ou est définitivement empêché. Le XXVème amendement
(Section 2) de la Constitution est à cet égard une pièce maîtresse du dispositif
successoral : « Whenever there is a vacancy in the office of the Vice President, the President
shall nominate a Vice President who shall take office upon confirmation by a majority vote of
both Houses of Congress ». Cette disposition semble parfaitement logique et en harmonie avec
l'évolution subie par la vice-présidence. Si le parti reconnaît la possibilité pour le candidat à la
présidence de choisir son colistier, la Constitution permet au président en place de désigner un
coéquipier pouvant garantir l'harmonie de l'équipe exécutive au pouvoir. Ce qui imprime un
caractère démocratique à ce processus de nomination du dauphin, c'est l'intervention indirecte
du peuple par le biais des représentants de la volonté nationale à la ratification du choix
présidentiel qui n'est pas un choix exclusif.
b.
UN DAUPHIN INDÉPENDANT
Le qualificatif indépendant est utilisé pour rendre compte des limites des prérogatives du chef
de l’État vis-à-vis de son dauphin. Dans les régimes africains, le chef de l’État est généralement
investi d'un droit de vie et de mort politiques vis-à-vis de son dauphin qu'il peut changer pour
n'importe quel motif. La situation est autre aux États-Unis où le chef de l’État est obligé de
composer avec son dauphin pendant toute la durée de son mandat. Cette inaliénabilité du
dauphin est la conséquence logique de l'indépendance du Vice-président vis-à-vis des organes
constitués et particulièrement du président de la République. Une fois élu ou nommé, le dauphin
devient politiquement irresponsable à la fois devant le chef de l'État qui ne dispose pas d'un
faisant du Vice-président la seule autorité habilitée à exercer les prérogatives du Président de la
République en cas d'empêchement de ce dernier.
128
Les américains ont instauré une pratique constitutionnelle hors du commun pour s’assurer que,
lorsque sont réunis dans un même lieu le Président des Etats-Unis d’Amérique et tous ses successeurs
potentiels en vertu du « Presidential Succession Act », un membre du cabinet présidentiel américain soit
désigné et mis en lieu sûr pour assurer la présidence dans l’hypothèse où un évènement tragique viendrait
les empêcher tous. Pour approfondir, voir Nolwenn DOCLOS, « Le « survivant désigné » : un excès de
l’ordre de succession présidentielle américain ? Revue française de droit constitutionnel, 2017, pp.881898.
48
Revue libre de Droit
E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
pouvoir de révocation à son égard, et devant le Congrès qui ne peut mettre en jeu la
responsabilité de l'exécutif aux États-Unis. Seule sa responsabilité pénale en cas
d' « impeachment » demeure. Le statut du dauphin est consolidé par l'absence de pouvoirs
propres129. Or, dans les démocraties, il est admis que la responsabilité suit le pouvoir. Dépourvu
de pouvoirs réels, le dauphin est sauvegardé de l'usure qui frappe souvent les détenteurs du
pouvoir. Les rapports qui existent entre lui et le président de la République ne peuvent être
conflictuels. Le Vice-président n'est ni le collaborateur, ni l'assistant du chef de l'exécutif.
Certes dans la pratique on constate un certain processus de responsabilisation du Viceprésident. Seulement cette valorisation est sans fondement constitutionnel. Elle dépend
uniquement de la nature des rapports pouvant exister entre les deux personnalités.
CONCLUSION
Après la suppression de la disposition constitutionnelle qui faisait du Président de l’Assemblée
nationale le successeur constitutionnel du chef de l’État et sa résultante : la guerre de préséance
successorale entre le « Très Honorable » CAVAYE YEGUIE Djibril, Président de l’Assemblée
nationale, digne représentant du grand Nord et son rival, NIAT NJIFENJI Marcel, Président du
Sénat, digne plénipotentiaire du grand Ouest, sans oublier la guerre contre les
sécessionnistes/terroristes anglophones ; l’idée d’une révision de la Constitution, fortement
envisagée depuis la visite du Président Paul BIYA à l’Elysée en 2009, reste d’actualité130.
Cependant, à propos de ladite réforme, trois tendances s’affrontent : les conservateurs131 qui
prônent le maintien de l’intérim présidentiel ; les progressistes qui militent en faveur de
l’arrimage au dauphinat constitutionnel et les anarchistes qui soutiennent la thèse
de « l’alternativité régionale »132 consistant en une rotation du pouvoir suprême entre toutes les
129
Le Vice-président ne fait même pas partie du pouvoir exécutif qui est entièrement dévolu au Président
de la république conformément à l'art.2 de la constitution de 1787. Certes, l'art.2, &1, al 1 parle de
l'élection simultanée du Président de la république et du Vice-président, l'art.2, &1, al.3 de l'élection
éventuelle du Vice-président par le Sénat, l'art.2, &1, al.6 de la succession du Président par le Viceprésident, l'art.2, &4 de la responsabilité pénale du Président de la république, du Vice-président et des
membres de l'exécutif suite à la procédure de l'impeachment, mais aucun pouvoir exécutif n'a été conféré
expressément au vice-président par la constitution. En droit, le Vice-président est une autorité
essentiellement législative dans la mesure où l'art.1, &3, al.4 fait de lui le Président du Sénat, dépourvu
de droit de vote à moins d'un égal partage des voix, ce qui est tout à fait exceptionnel.
130
Certains leaders politiques, tant de la majorité au pouvoir que de l’opposition, envisagent le retour
au régime successoral du Président de la République de 1961 comme l’une des issues de sortie de la
crise sécessionniste/terroriste au Cameroun.
131
Alain FOGUE, « Succession au sommet de l’Etat : contre l’instauration du poste de Vice-président »,
Mutations, Yaoundé, 7 juin 2014.
132
Voir Joseph OWONA, Les systèmes politiques précoloniaux au Cameroun, L’Harmattan, Paris,
2015, pp.95-96.
49
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E. MOUBITANG La succession constitutionnelle du Président
de la République du Cameroun : entre l’intérim et le dauphinat
régions du pays. La transition réussie au Nigéria pendant la longue période de maladie qui s’est
soldée par la mort du Président Oumarou Moussa Yar'Adua et la prestation de serment de son
Vice-président, Goodluck Jonathan EBELLE ; le transfert du pouvoir sans heurts entre le
Président Jacob ZUMA démissionnaire et son successeur constitutionnel, le Vice-président
Cyril RAMAPHOSA, et biens d’autres ; confortent la thèse progressiste. L’histoire des idées
politiques nous enseigne que le poste de Vice-président de la République Fédérale du Cameroun
a été créé par le Président Ahmadou AHIDJO pour maintenir le fragile équilibre entre la
République du Cameroun Oriental et le Southern Cameroons après la réunification. Cette
nouvelle réforme constitutionnelle que nous appelons de tous nos vœux serait l’occasion idoine
pour le Président Paul BIYA de concrétiser les engagements qu’il a pris le 06 novembre 2018,
pour améliorer la qualité de la vie des camerounais et qui : « supposent en premier lieu que des
conditions adéquates de stabilité et de sécurité soient réunies »133.
Voir Discours de S.E. M. Paul BIYA, Président de la République du Cameroun, à l’occasion de la
prestation de serment, 06 novembre 2018. www.prc.cm.
133
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