AGoras contemporaines
Les textes rassemblés dans ce volume sont, à l’exception des contributions de Neil Brenner,
Andy Merrifield et Laurent Viala, issus du colloque Agoras contemporaines.
Processus alternatifs de construction de l’espace public, organisé à l’École nationale supérieure
d’art de Dijon en mars 2019 dans le cadre du workshop Le design à l’échelle de la ville
contemporaine [École nationale supérieure d’art de Dijon / École des arts et du design
de l’université technologique d’Hubei à Wuhan (Chine)].
Cet ouvrage est publié par les éditions Loco en coproduction avec l’École nationale supérieure
d’art de Dijon, le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté et Dijon Métropole.
sous la direction de
Lambert dousson
AGORAS CONTEMPORAINES
Design, démocratie et pratiques
alternatives de l’espace public
SOMMAIRE
P.07 INTRODUCTION
par Lambert Dousson
P.19 I. Les espaces du dissensus
P.20 L’agora citoyenne. Affinités urbaines
et insurrections démocratiques
par Andy Merrifield
P.31 Jean Nouvel rue d’Aubagne et Marseille
hors les murs. Le droit à la ville à l’ère
du néolibéralisme urbain
par Lambert Dousson
P.55 Architecture(S) oppositionnelle(S).
Un chantier de recherche-création
par Étienne Delprat
P.69 II. Politiques des marges
P.71 Entre le voile islamique et les gilets jaunes.
La difficile contemporanéité de l’espace public
par Nilüfer Göle
P.83 Rendre visible l’accueil des migrants :
espace public et démocratie
par Antoine Hennion
P.100 L’autocollant militant dans l’espace public urbain
par Laurent Viala
P.127 III. Tactiques urbaines
P.129 Organiser le bazar
par Mathieu Zimmer
P.136 Le design des politiques publiques : co-concevoir
avec les usagers pour renouveler l’action publique
par Louise Guillot
P.141 « Agriculturisation » des villes et espace public :
De nouveaux lieux de convergence ?
par Jean-Pierre Bouanha
P.154 Urbanité alternative, design palettes
et production urbaine
par Jean-Pierre Charbonneau
P.159 CONCLUSION
L’urbanisme tactique est-il une alternative
à l’urbanisme néolibéral ?
par Neil Brenner
P.179 PRÉSENTATION DES AUTEURS
Neil Brenner
L’urbanisme tactique
est-il une alternative
à l’urbanisme néolibéral ?
Que peut offrir l’« urbanisme tactique » aux villes soumises à un
stress extrême du fait de leur croissance démographique rapide, de
l’intensification de la restructuration industrielle, de l’inadéquation des infrastructures sociales et physiques, des écarts croissants
entre les classes, de l’insuffisance des ressources des institutions
publiques, des catastrophes environnementales qui se multiplient,
ou encore de la désaffection, de l’opprobre et des troubles sociaux
qui affectent la population ? Une exposition tenue en 2014-2015 au
musée d’Art moderne (MoMA) de New York, et intitulée Uneven Growth
(« Croissance inégale »), proposait d’explorer cette question à travers
des hypothèses spéculatives présentées par des équipes d’architectes
dont la mission était d’élaborer des projets de design dans six « mégalopoles » du monde – Hong Kong, Istanbul, Lagos, Mumbai, New York
et Rio de Janeiro1. L’exposition a suscité un débat d’ampleur sur notre
condition urbaine planétaire contemporaine et plus spécifiquement
sur la capacité des architectes, designers et urbanistes à agir autour
de cette dernière de manière progressiste et constructive.
1. L’exposition s’est tenue au MoMA de New York City, du 22 novembre 2014 au 25 mai
2015. Elle a été documentée dans le catalogue établi sous la direction de Pedro Gadanho,
Uneven Growth: Tactical Urbanisms for Expanding Megacities, New York, The Museum of
Modern Art, 2014. Pour un compte-rendu, voir Mimi Zeiger, « Bottom-up, in-between and
beyond: On the Initial Process of Uneven Growth », post: Notes on Modern & Contemporary
Art around the Globe, February 4, 2014, <http://post.at.moma.org>. Je tiens à exprimer
ma reconnaissance auprès de Pedro Gadanho, commissaire de l’exposition, pour m’avoir
invité à contribuer au magazine en ligne du MoMA, post, et pour son intégrité intellectuelle
exemplaire en acceptant de publier un essai qui a constitué la première version du présent
texte, malgré son jugement critique du projet.
Conclusion | 161
Ce débat arrive à point nommé, notamment parce que les paradigmes de l’intervention urbaine dont nous avons hérité – des
programmes modernistes étatistes de l’après-guerre aux programmes
d’inspiration néolibérale impulsés dans les années 1980 par les fondamentalistes du marché – ne semblent plus viables. Pendant ce temps,
note David Harvey dans son commentaire de l’exposition du MoMA,
« la crise de l’urbanisation planétaire » s’intensifie. Les mégalopoles,
et les économies territoriales dont elles dépendent apparaissent mal
équipées, tant sur le plan opérationnel que politique, pour résoudre
les monstrueux problèmes de gouvernance et les conflits sociaux auxquels elles sont confrontées. Dans ces conditions, le verdict de Harvey
est sévère : « Nous sommes au beau milieu d’une crise énorme – une
crise écologique, sociale et politique – de l’urbanisation planétaire, et
ce, sans que personne ne semble le savoir ou même le remarquer2. »
Dans ce contexte inquiétant, l’« urbanisme tactique » peut-il
apporter des solutions concrètes ou à tout le moins ouvrir des perspectives fécondes à la réalisation d’un avenir urbain alternatif ? Il
serait irréaliste de s’attendre à ce qu’une approche unique de l’intervention urbaine résolve les « problèmes épineux » auxquels sont
confrontés les territoires contemporains en voie d’urbanisation, en
particulier à une époque où les modèles hérités pour façonner les
conditions urbaines sont si largement remis en question3. Pourtant,
malgré le ton prudemment exploratoire que les commissaires de
l’exposition ont adopté dans son catalogue en présentant les éléments de contextualisation, le projet Uneven Growth du MoMA donne
à voir un ensemble de revendications fortes concernant les potentialités qu’offre l’urbanisme tactique4. Le fait-même de consacrer les plateformes publiques du département Architecture et Design du MoMA
à un ensemble de propositions articulées autour de « l’urbanisme
tactique » signale la volonté d’affirmer ce concept. Dans l’ensemble
des textes et documents qui accompagnent l’exposition, la notion
d’urbanisme tactique est présentée comme un cadre d’interprétation solide permettant de comprendre une importante variété d’expériences émergentes en design urbain dans les mégalopoles contemporaines. Pedro Gadanho, conservateur au MoMA, explique avoir
choisi ce concept dans l’intention de susciter et stimuler le débat et
l’expérimentation pratique sur les futures voies possibles d’intervention en matière d’urbanisme, mais aussi et surtout comme moyen de
2. David Harvey, « The Crisis of Planetary Urbanization », in Pedro Gadanho (dir.), Uneven
Growth, op. cit., p. 29.
3. Sur les « problèmes épineux » auxquels se confronte l’urbanisme, voir Horst Rittel et
Melvin Webber, « Dilemmas in a General Theory of Planning », Policy Sciences 4 (1973), p. 155-169.
4. Voir Barry Bergdoll, « Preface », et Pedro Gadanho, « Mirroring Uneven Growth: A
Speculation on Tomorrow’s Cities Today », in Pedro Gadanho (dir.), Uneven Growth, op. cit.,
p. 11-25.
162 | Agoras contemporaines
promouvoir « la justice sociale dans la conception et dans l’appropriation de l’espace urbain5 ». Comme la recherche de nouvelles
approches de l’organisation de notre avenir urbain planétaire commun gagne en urgence, ces discours très positifs sur l’urbanisme
tactique exigent que nous portions sur eux un regard critique6.
Crises urbaines, réponses tactiques
Dans le catalogue de l’exposition, Gadanho, ainsi que plusieurs
autres conservateurs et théoriciens de la ville de renommée internationale (parmi lesquels Barry Bergdoll, Ricky Burdett, Teddy Cruz,
Saskia Sassen et Nader Tehrani), établissent le cadre épistémologique
de l’urbanisme tactique à partir duquel s’articule l’exposition, proposant une variété de réflexions contextuelles et d’interprétations qui
permettent d’en expliciter les éléments essentiels. Au-delà des divergences dans les orientations et les préoccupations des auteurs, plusieurs points communs émergent :
– L’urbanisme tactique s’inscrit dans un contexte global de crise de
la gouvernance des villes contemporaines, alors que les États et les
marchés ont systématiquement échoué à fournir des biens publics de
base (comme le logement, les transports et l’espace public) aux populations urbaines en pleine expansion ;
– l’urbanisme tactique ne désigne pas un mouvement ou une technique unique, mais une catégorie générale au sein de laquelle on peut
appréhender un large éventail de projets urbains émergents, provisoires, expérimentaux et ad hoc ;
– l’urbanisme tactique est activé « d’en bas » par des interventions
organisationnelles, culturelles et idéologiques diverses, en vue de répondre aux nouveaux enjeux urbains ; si les concepteurs professionnels, comme les gouvernements, les promoteurs et les entreprises,
peuvent participer à l’urbanisme tactique et le stimuler activement,
ses initiateurs échappent cependant au contrôle de toute la clique des
experts comme au contrôle des institutions, d’une classe sociale ou
d’une coalition politique particulière.
– l’urbanisme tactique propose des modes d’intervention immédiats,
par « points d’acupuncture » appliqués aux problèmes locaux jugés
extrêmement urgents par ses défenseurs ; son horizon temporel est
5. Pedro Gadanho, « Mirroring Uneven Growth », loc. cit., p. 23.
6. Bien que le présent essai se concentre principalement sur les programmes et les
perspectives présentées dans l’exposition du MoMA, la notion d’urbanisme tactique a suscité
un intérêt, un engagement et un débat plus larges au sein des disciplines du design et au-delà.
Pour une première approche et une défense par ses promoteurs de l’urbanisme tactique, voir
Mike Lydon et Anthony Garcia, Tactical Urbanism: Short-Term Action for Long-Term Change,
Washington, DC, Island Press, 2015 ; Jaime Lerner, Urban Acupuncture, Washington, DC, Island
Press, 2014 ; Karen Franck et Quentin Stevens (éd.), Loose Space: Possibility and Diversity in
Urban Life, New York, Routledge, 2007.
Conclusion | 163
donc relativement restreint, voire « impulsif » et « spontané » ; de
même, son échelle spatiale tend à être elle aussi relativement circonscrite – par exemple, un parc, un bâtiment, une rue ou un quartier ;
– les projets particuliers d’urbanisme tactique évoluent de manière
fluide par rapport aux transformations à plus grande échelle qui
affectent les conditions politico-économiques, les dispositifs institutionnels ou la dynamique des coalitions ; leur plasticité et leur
ouverture sont largement saluées dans les discussions sur l’urbanisme tactique, ces qualités contrastant de manière générale avec les
planifications d’ensemble, le formalisme des codes juridiques et les
plans rigides qui caractérisaient les projets modernistes et étatiques
d’intervention urbaine ;
– l’urbanisme tactique promeut généralement une approche de la
restructuration urbaine « par le bas », participative, concrète et
« do it yourself », dans laquelle ceux qui sont le plus directement concernés par un problème se mobilisent activement afin de s’y attaquer,
et peuvent à tout moment se mobiliser afin d’agir sur l’évolution
des méthodes et des objectifs. C’est pourquoi l’urbanisme tactique
est souvent présenté comme un modèle d’action « open-source » et
comme une forme de « réappropriation » de l’espace urbain par ses
usagers.
La plupart des commentateurs impliqués dans l’exposition Uneven
Growth présentent les projets d’urbanisme tactique comme une alternative aux paradigmes modernistes-étatiques et néolibéraux d’intervention urbaine – parce qu’ils sont fondés sur la démocratie participative, qu’ils visent à promouvoir la cohésion sociale et qu’ils ne sont
ni programmés à l’avance ni pilotés « d’en haut ». Or, c’est la manière
dont l’urbanisme tactique s’oppose aux formes modernistes et globales
d’urbanisme qui est le plus clairement distinguée dans les nombreux
récits liés à l’exposition. Les modèles modernistes-étatistes d’intervention urbaine, affirme-t-on, ont reculé en raison de l’hégémonie idéologique du néolibéralisme et du « démontage des États-nations » (Saskia
Sassen) qui l’accompagne depuis les années 19807. Dans la mesure où
certains éléments et certaines ramifications de cette tradition sont encore mobilisés dans les mégalopoles des pays en développement par
le biais d’une planification holistique et globale et d’une « action descendante », ils sont souvent « empêtrés dans des politiques inefficaces,
une bureaucratie corrompue et un manque de moyens économiques8 »
(Pedro Gadanho). L’urbanisme tactique est donc présenté comme un
palliatif potentiel aux problèmes urbains que les institutions publiques,
7. Saskia Sassen, « Complex and Incomplete: Spaces for Tactical Urbanism », in Pedro
Gadanho, Uneven Growth, op. cit., p. 41.
8. Pedro Gadanho, « Mirroring Uneven Growth », loc. cit., p. 18.
164 | Agoras contemporaines
notamment dans les procédures formelles de planification urbaine, ne
sont pas parvenues à résoudre.
Subvertir l’urbanisme néolibéral ?
Cependant, malgré les affirmations confiantes de nombreux contributeurs de l’exposition Uneven Growth, il est beaucoup moins simple
de savoir comment les projets associés à l’urbanisme tactique pourraient contrer efficacement l’urbanisme néolibéral. En effet, surtout à
la lumière de la rhétorique résolument antiplanification qui imprègne
de nombreuses interventions urbaines tactiques et de leur tendance
à privilégier les mobilisations informelles, incrémentielles et ad hoc
par rapport aux programmes de réforme à plus grande échelle, à plus
long terme et financés par l’État, il semble raisonnable de se demander comment, en réalité, elles parviennent à créer de sérieuses frictions contre l’ordre néolibéral, voire à le subvertir9. Dans certains
cas, l’urbanisme tactique semble plus susceptible de renforcer l’urbanisme néolibéral en atténuant temporairement, ou peut-être simplement en déplaçant certains de ses effets sociaux et spatiaux perturbateurs, mais sans interrompre le fonctionnement des règles de base
associées au développement urbain axé sur le marché et la croissance,
ni contester la méfiance fondamentale envers les institutions gouvernementales qui sous-tend le projet néolibéral.
La relation entre formes tactiques et formes néolibérales de l’urbanisme est donc plus complexe, plus controversée et plus confuse que ce
qui est généralement reconnu dans les contributions au débat issu de
l’exposition du MoMA et par d’autres formulations contemporaines des
approches tactiques. On ne peut pas simplement supposer qu’en raison
de leurs logiques opérationnelles ou de leurs orientations normatives
et politiques, les interventions tactiques vont contrecarrer de fait l’urbanisme néolibéral. Au contraire, comme l’illustre la liste de scénarios
ci-dessous, pas moins de cinq types spécifiques de relations entre ces
projets peuvent être aisément dessinés, dont seulement deux (les scénarios 4 et 5 de la liste) pourraient éventuellement impliquer une sorte
de défi à la politique urbaine conduite par les fondamentalistes du marché. À l’inverse, il existe au moins trois scénarios très plausibles dans
lesquels l’urbanisme tactique aura des incidences négligeables sur un
régime urbain néolibéral, voire lui sera à son égard activement bénéfique.
9. Le texte de référence sur les formes néolibérales de gouvernance urbaine demeure
l’essai devenu classique de David Harvey, « Vers la ville entrepreneuriale. Mutation
du capitalisme et transformations de la gouvernance urbaine » (1989), traduit de l’anglais
par Max Rousseau et Nicolas Vieillescazes, in Cécile Gintrac et Matthieu Giroud (dir.), Villes
contestées. Pour une géographie critique de l’urbain, Paris, Les Prairies ordinaires, coll.
« Penser / croiser », 2014, p. 95-131. Voir aussi Neil Brenner, Critique of Urbanization: Selected
Essays, Basel, Birkhäuser, coll. « Bauwelt Fundamente », 2017, chapitres 3 et 10.
Conclusion | 165
Scénario 1 : renforcement. L’urbanisme tactique atténue certains
échecs de gouvernance et certaines conséquences socio-spatiales
perturbatrices de l’urbanisme néolibéral, mais sans menacer son emprise sur le cadre réglementaire régissant le développement urbain.
Scénario 2 : enracinement. L’urbanisme tactique intériorise un programme néolibéral (par exemple, lié à une diminution du rôle des
institutions publiques et/ou à une extension des forces du marché)
et contribue ainsi à l’ancrage, à la consolidation et à l’extension de
l’urbanisme néolibéral.
Scénario 3 : neutralité. L’urbanisme tactique émerge dans des
espaces interstitiels qui ne sont ni fonctionnels, ni perturbateurs du
projet néolibéral. Il coexiste donc avec l’urbanisme néolibéral dans
une relation qui n’est ni symbiotique, ni parasitaire, ni destructrice.
Scénario 4 : contingence. L’urbanisme tactique ouvre un espace
d’expérimentation réglementaire qui, sous certaines conditions,
contribue à la subversion des programmes néolibéraux. Mais, dans
d’autres contextes, malgré des conditions similaires, cela ne se produit
pas. Les effets de l’urbanisme tactique sur l’urbanisme néolibéral sont
donc contingents ; ils dépendent de facteurs qui lui sont extrinsèques.
Scénario 5 : subversion. L’urbanisme tactique interrompt les
logiques de base d’une gouvernance urbaine indexée sur le marché et
la croissance et fait signe vers un avenir urbain alternatif fondé sur
l’approfondissement des formes d’inclusion, l’équité sociale, la démocratie populaire et la justice spatiale.
Si le discours sur l’urbanisme tactique tend à le présenter comme
une alternative évidente à l’urbanisme néolibéral, nous devons nous
poser la question suivante : est-ce vraiment le cas dans les faits ? Et
si oui, comment, où, dans quelles conditions, avec quelles méthodes,
avec quelles conséquences, et au bénéfice de qui ? L’analyse de ces
questions (indéniablement délicates) est essentielle à toute réflexion
sérieuse sur les pouvoirs et les limites de l’urbanisme tactique dans
les conditions actuelles.
Échecs et variations de l’urbanisme néolibéral
L’urbanisme néolibéral, il faut le souligner, ne constitue pas un modèle unifié et homogène de gouvernance urbaine, mais représente un
vaste syndrome d’institutions, de politiques et de stratégies de régulation obéissant à la discipline du marché10. Bien qu’il soit certaine10. Voir Neil Brenner, Critique of Urbanization, op. cit., ch. 10 ; Neil Brenner, Jamie Peck
et Nik Theodore, The Afterlives of Neoliberalism, Civic City Cahiers (CCC), London: Bedford
Press/Architectural Association, 2012 ; Neil Brenner, Jamie Peck et Nik Theodore, « Variegated
Neoliberalization: Geographies, Modalities, Pathways », Global Networks 10, no. 2 (2010),
p. 182-222 ; Jamie Peck, Nik Theodore et Neil Brenner, « Neoliberalism Resurgent? Market Rule
after the Great Recession », South Atlantic Quarterly 111, no. 2 (2012), p. 265-288.
166 | Agoras contemporaines
ment lié à l’idéologie du capitalisme de marché, ce syndrome a pris
des formes politiques, organisationnelles et spatiales très variées en
différents endroits et territoires du globe et ses expressions politicoinstitutionnelles ont considérablement évolué depuis les crises économiques mondiales et les chocs géopolitiques qui ont suivi les années 1970. Cependant, malgré cette diversité de contextes et les différentes mutations qui l’ont fait évoluer, le dénominateur commun de
toutes les manifestations de l’urbanisme néolibéral est le projet, mené au nom d’un fondamentalisme du marché, de donner aux acteurs
privés les moyens d’étendre la marchandisation à travers le tissu
social urbain, d’activer les institutions publiques locales en fonction
de cette fin, de coordonner la vie collective d’une ville par les relations
commerciales et de promouvoir la fermeture des espaces urbains
autogérés et résistant à la marchandisation.
Comme le note Teddy Cruz, l’ensemble de ces actions a favorisé
« le passage d’une urbanisation au service du plus grand nombre à des
modèles de profit urbain au bénéfice quelques-uns11 ». Alors que l’idée
d’une « urbanisation au service du plus grand nombre » correspond
largement aux mégaprojets et aux techniques de programmation
du modernisme étatiste, la promotion du « profit urbain au bénéfice
de quelques-uns » est la tendance dominante depuis les années 1980,
dans le vieux monde capitaliste, dans les anciens États communistes,
ainsi que dans l’essentiel des pays postcoloniaux et en voie de
développement. Malgré la grande hétérogénéité d’un territoire à l’autre,
les résistances que lui oppose la société, les contestations politiques
et les blocages liés aux différentes réglementations, cette tendance
s’est maintenue, voire intensifiée, à travers les nombreuses vagues de
restructuration industrielle et de crise financière qui se sont propagées
dans toutes les zones de l’économie mondiale depuis cette période,
y compris depuis la dernière « Grande Récession » des cinquante
dernières années. Les modèles de « croissance inégale » qui sont scrutés
dans l’exposition du MoMA doivent être compris comme ses retombées
et ses expressions directes. Nader Tehrani souligne de manière
féconde ce point fondamental dans sa contribution au catalogue de
l’exposition, en se demandant si la situation dans les mégalopoles
contemporaines ne résulte pas moins d’erreurs de conception antérieures,
d’une croissance démographique explosive ou d’une brutale expansion
spatiale, que du « manque de politiques aménageant les conditions
préalables au bien-être social : l’accès à l’éducation, à la santé et au
logement 12 ».
11. Teddy Cruz, « Rethinking Uneven Growth: It’s about Inequality, Stupid », in Pedro
Gadanho, Uneven Growth, op. cit., p. 51.
12. Nader Tehrani « Urban Challenges: Specifications of Form and the Indeterminacy of
Public Reception », in ibid., p. 60.
Conclusion | 167
Ce ne sont donc ni la condition urbaine contemporaine en tant que
telle, ni l’inefficacité de l’urbanisme moderniste et étatiste d’aprèsguerre, qui ont le plus directement déclenché les situations et les problèmes auxquels répondent les formes contemporaines d’urbanisme
tactique. Au contraire, celui-ci émerge aujourd’hui dans des contextes
qui ont été fortement détériorés et remodelés par des formes d’urbanisation néolibérale certes historiquement et géographiquement spécifiques, mais toutes fondées sur le projet social de restreindre aux
riches, aux élites et aux puissants « le droit à la ville » (Henri Lefebvre)
et de réorienter les grands investissements publics et les régimes politiques en donnant à ce projet social une place prioritaire13. Malgré
ses défaillances généralisées en matière de gouvernance, ses conséquences socio-environnementales fortement destructrices et ses fragilités idéologiques de plus en plus évidentes, le néolibéralisme incarne toujours l’évidence du « bon sens » à partir duquel les pratiques
de développement urbain à travers le monde continuent de se forger.
La question de savoir comment les concepteurs pourraient contribuer à un avenir urbain alternatif doit donc être formulée de manière
beaucoup plus directe – et à mon avis de manière beaucoup plus combative aussi – au regard de la résilience et de la plasticité apparentes
des formes néolibérales de gouvernance urbaine.
De ces observations, nous pouvons tirer une conséquence importante : à savoir la proposition selon laquelle les disciplines de l’architecture et du design pourraient considérablement améliorer leur capacité à mener des interventions urbaines durables et progressistes
en s’attaquant plus systématiquement aux questions de (re)conception institutionnelle – c’est-à-dire les systèmes de règles collectivement
contraignantes qui régissent la production, l’utilisation, l’occupation
et l’appropriation de l’espace14. Ces questions sont sans doute encore
plus essentielles aux visions ambitieuses des futures métropoles proposées dans Uneven Growth que les projets tactiques et par points
d’acupuncture de réorganisation infrastructurelle et spatiale auxquels
l’exposition est principalement consacrée. En effet, sans réaffirmation
offensive du rôle des institutions gouvernementales – financées publiquement par un régime fiscal équitable et juste, démocratiquement légitimées, publiquement responsables, légalement réglementées, contrôlées de manière transparente et orientées vers l’intérêt pu13. Neil Brenner, Critique of Urbanization, op. cit., ch. 3 et 10 ; David Harvey, Brève histoire
du néolibéralisme (2005), traduit de l’anglais par Antony Burlaud, Alexandre Feron, Victor
Gysembergh, Marion Leclair et Gildas Tilliette, Paris, Les Prairies ordinaires, coll. « Penser/
Croiser », 2014.
14. Pour un argument comparable, voir Jerold Kayden, « Why Implementation Matters »,
Harvard Design Magazine 37 (2014), p. 57-59. On trouvera des réflexions similaires dans
l’ouvrage collectif dirigé par Simin Davoudi et Ali Madanipour, Reconsidering Localism,
London, Routledge, 2015.
168 | Agoras contemporaines
blic –, il est difficile d’imaginer comment les propositions d’urbanisme
tactique avancées au MoMA pourraient produire les effets durables et à
grande échelle dont parlent les participants de l’exposition.
C’est ici que réside une contradiction potentiellement grave. La rhétorique antiétatiste et antiplanificatrice de nombreuses interventions
d’urbanisme tactique peut, dans la pratique, éroder considérablement
sa capacité à relever le défi de l’amplification de ses impacts. Dans
la mesure où les partisans de l’urbanisme tactique définissent leur
programme comme une alternative à l’activisme des institutions
publiques dans la production de l’espace urbain, ils risquent de renforcer les régimes réglementaires profondément néolibéraux auxquels
ils s’opposent en apparence. Cela ne signifie nullement que les projets
d’urbanisme tactique doivent ignorer les carences graves de l’action
étatique dans les mégalopoles contemporaines. Au contraire, la critique de la façon dont les politiques étatiques axées sur le marché
(comprenant la privatisation, la déréglementation et la libéralisation)
érodent les institutions publiques en faveur de formes privatisées d’appropriation urbaine, est essentielle à tout projet contre-néolibéral et de
re-réglementation. Mais tout aussi importante, dans ce contexte, est la
demande collective d’un soutien public plus fort aux dimensions clés
de la reproduction sociale – les infrastructures de base associées au
logement, au transport, à l’éducation, à l’espace public, aux soins de
santé, aux loisirs, à l’expression culturelle, etc.15 Le fait est qu’il existe ici
de profondes tensions entre le projet visant à trouver des alternatives
viables au néolibéralisme et toute pratique d’intervention urbaine,
tactique ou autre, cherchant à se démarquer des institutions publiques,
de leurs pouvoirs et de leurs responsabilités.
Dans sa contribution au catalogue de l’exposition Uneven Growth,
Teddy Cruz propose une formulation précise et percutante des défis
majeurs liés à cet état de fait, notamment chez les architectes et les
designers :
Si elle renonce à modifier les politiques d’exclusion qui ont décimé
l’imagination civique en premier lieu, l’architecture restera un outil décoratif,
avec pour fonction de camoufler les politiques et l’économie néoconservatrices
du développement urbain qui ont érodé la primauté des infrastructures
publiques dans le monde [...] Les problèmes majeurs de l’urbanisation actuelle
[...] s’expliquent fondamentalement par l’incapacité des institutions de
développement urbain à s’impliquer de manière significative dans l’informel
urbain, les inégalités socio-économiques, la dégradation de l’environnement, ainsi
15. Voir Robert Lake, « Bring Back Big Government », International Journal of Urban and
Regional Research 26, no. 4 (2002), p. 815-822, dont les analyses sont d’une grande pertinence
au regard de ces questions.
Conclusion | 169
que par le manque de logements abordables, d’infrastructures publiques inclusives
et de participation civique16.
Voici comment se formule précisément le dilemme : comment
l’urbanisme tactique peut-il faire plus que servir de « camouflage »
aux aléas, aux bouleversements et aux crises tendancielles de
l’urbanisme néolibéral ? L’affirmation de Cruz met en évidence l’une
des principales conditions de la résolution de ce dilemme : réimaginer le design, non pas simplement comme un « outil décoratif »
ou un ensemble formel de techniques mises au service des classes
dirigeantes, mais à la fois comme une base permettant de poser des
questions critiques sur l’urbanisme contemporain, et comme un
ensemble de capacités créatives collectivement partagées permettant
de « coproduire la ville ainsi que de nouveaux modèles de cohabitation et de mixité en vue de promouvoir des programmes d’inclusion
socio-économique17 ». Ces objectifs ne peuvent pas être atteints simplement par le simple remaniement et l’appropriation de sites physiques
spécifiques dans la ville ; ils exigent aussi la création d’« un nouvel
espace pour une politique progressiste, [et] une forme de gouvernement plus efficace, transparente, inclusive et collaborative18 ». En
d’autres termes, la recherche de formes urbaines alternatives exige la
création non seulement de nouveaux espaces urbains, mais aussi de
nouveaux espaces publics.
Détour, reflux, régression...
Ces considérations offrent un regard critique à partir duquel il est
possible d’examiner certaines des propositions de design pour les
mégalopoles contemporaines exposées dans Uneven Growth. En tant
que conservateur au MoMA, le rôle de Gadanho auprès des six équipes
de conception n’était pas seulement de leur demander une intervention tactique sur une mégalopole spécifique – « des perspectives acupuncturales sur la façon dont un changement positif pourrait être
provoqué dans différents contextes urbains » – mais aussi, ce faisant,
d’offrir une nouvelle perspective sur ce que pourrait être une architecture engagée sur le plan social, aujourd’hui et dans le futur. Il faut
donc considérer les matériaux exposés à la fois comme des scénarios
possibles d’un urbanisme futur et comme des visions de la manière
dont les disciplines du design pourraient utiliser des approches
tactiques afin de contribuer à la réalisation de ces scénarios. Gadanho
16. Teddy Cruz, « Rethinking Uneven Growth », loc. cit., p. 51.
17. Ibid.
18. Ibid., p. 55.
170 | Agoras contemporaines
souligne que l’objectif de l’exposition n’est pas d’offrir des solutions
immédiates aux problèmes urbains actuels, mais de proposer des
perspectives spéculatives plus larges permettant également d’« alimenter le débat public sur ces questions ». En même temps, il insiste à
juste titre sur le besoin d’évolutivité, c’est-à-dire la perspective d’une
application translocale des idées progressistes et tactiques – « des
solutions qui pourraient être reproduites dans des contextes différents ». Même si elles exploitent les capacités spéculatives du
design, les propositions présentées dans l’exposition ne se veulent
pas de simples fictions – elles sont présentées comme des outils
critiques « pour réfléchir sur les problèmes d’aujourd’hui19 ».
Mon sentiment est que seules quelques-unes des propositions de
design présentées dans l’exposition répondent efficacement à cette
demande. Si les théoriciens de l’exposition s’accordent largement sur
les contours de l’urbanisme tactique, on perçoit évidemment chez les
concepteurs eux-mêmes beaucoup de confusion, ou peut-être simplement des divergences, quant au sens et aux implications de cette
notion. Bien que tous les scénarios de design soient présentés sous la
rubrique commune de l’urbanisme tactique, certains ne ressemblent
guère à une intervention par points d’acupuncture, participative et
open source. En effet, plusieurs des propositions de design présentées
dans Uneven Growth supposent des mégaprojets à grande échelle et
des transformations du paysage qui ne pourraient probablement être
mis en œuvre que grâce à un appareil d’État puissant et bien doté en
ressources ; il est difficile de les envisager comme quelque chose de plus
que des émanations lointaines des méthodes tactiques. D’autres propositions de design s’inscrivent certes dans des paramètres tactiques,
mais offrent une vision de l’avenir urbain tout à fait compatible avec les
priorités néolibérales. De telles interventions peuvent répondre efficacement aux questions spéculatives sur le futur des mégalopoles qui ont
été posées aux équipes de design, mais elles contournent les méandres
de l’exploration d’alternatives réelles au système actuel dominant dont
les règles sont établies par le marché.
Un certain nombre de propositions font totalement l’impasse
sur les questions de mise en œuvre. S’appuyant sur des travaux de
recherches locaux et des illustrations associées, les équipes, afin de
répondre aux problèmes urgents des mégalopoles en développement
– par exemple la pénurie d’eau, l’insuffisance de terrains pour le logement, les goulets d’étranglement dans les transports ou les problèmes
d’approvisionnement énergétique –, ont mis au point des « solutions »
de design relativement décontextualisées. En effet, plusieurs des propositions peuvent être plus facilement classées dans le genre assez
19. Pedro Gadanho, « Mirroring Uneven Growth », loc. cit. Toutes les citations
du paragraphe précédent sont extraites des pages 23 et 16.
Conclusion | 171
familier de la fantasmagorie dystopique où évolue un certain design
et celui des prophéties technologiques, genres par rapport auxquels
Gadanho tente de distinguer le projet MoMA, dont les orientations et
les motivations éthiques et sociales sont volontairement affirmées.
Parce qu’ils mettent entre parenthèses les formidables contraintes de
mise en œuvre sous un régime de règles néolibérales, ces scénarios
de design demeurent à l’état de pures hypothèses : visions d’un univers alternatif utopique au sens propre du terme – ils n’existent nulle
part. Au demeurant, ces scénarios mettent en valeur les capacités de
projection et d’imagination intellectuelles que possède le design, en
se servant souvent de propositions visuelles frappantes, mais avec
moins de force que si les conditions de leur actualisation potentielle
étaient plus sérieusement interrogées. De telles propositions peuvent
avoir d’autres mérites – par exemple, en tant que créations engagées dans des environnements de mégalopoles spécifiques et comme
contributions à la culture architecturale mondiale. Cependant, les
visiteurs de l’exposition du MoMA qui y cherchent des ressources
intellectuelles et pratiques en vue d’élaborer des alternatives à
l’urbanisme urbain néolibéral ont peu de chances de trouver ces offres
particulièrement adaptées à leurs préoccupations.
Ouvertures stratégiques ?
Parmi les contributions à Uneven Growth qui tentent de la manière la
plus franche de mobiliser des interventions tactiques dans la perspective d’une offensive plus large contre l’urbanisme néolibéral, les scénarios élaborés par les équipes de design pour Mumbai (URBZ/EnsamblePOP lab), Istanbul (Atelier d’Architecture Autogérée/Superpool) et New
York (CohStra) sont particulièrement féconds. Ces trois équipes ont
en commun, tout particulièrement, de proposer chacune un scénario
reflétant un engagement fort sur la question du logement, qui a été un
terrain fondamental d’intervention et de lutte politique tout au long
de l’histoire de l’urbanisation capitaliste, et qui le reste certainement à
l’époque du « bidonville global ». Face à ce terrain maintes fois sillonné,
les équipes donnent à voir comment une vision élargie du design – en
tant qu’ensemble de capacités combinées d’intervention spatiale, d’autonomisation sociale et de critique politique – peut contribuer à la lutte
en cours pour des urbanismes alternatifs.
La proposition pour Mumbai du laboratoire URBZ/Ensamble-POP
s’appuie sur des interventions tactiques afin de protéger les quartiers
réputés comme « bidonvilles » tels que Dharavi et Shivaji Nagar contre
les pressions massives du développement foncier exercées par l’économie financiarisée et profondément néolibérale de Mumbai. Il s’agit
172 | Agoras contemporaines
d’une proposition à multiples facettes, reflétant peut-être les différents
positionnements des équipes du projet par rapport au bidonville luimême (URBZ est un groupe de designers activistes fortement enracinés dans les quartiers pauvres de Mumbai, alors que le laboratoire POP
est basé au MIT). L’essentiel du projet consiste en une série de stratégies
de design mises en œuvre de manière graduelle et visant à promouvoir une vision alternative de l’approche du « bidonville » comme espace de productivité, de créativité et d’ingéniosité – une tabula pronta,
selon la formule de l’équipe, plutôt qu’une tabula rasa toujours susceptible d’être à son tour facilement rasée afin de faire place à de nouveaux
grands ensembles résidentiels à fonction unique. Au lieu d’imposer de
l’extérieur un nouveau prototype, les designers proposent de valoriser
les pratiques spatiales qui animent déjà ces quartiers, en particulier
l’intégration des espaces résidentiels aux espaces de travail ou « maisons outils ». En fournissant un modèle de construction en hauteur, qui
permet aux habitants de bâtir de nouvelles plates-formes de travail et
de vie quotidienne au-dessus de leur domicile, et en créant un réseau
de « supra-extructures » sur un plan tendu comme un « tapis volant »
au-dessus des toitures, de nouvelles possibilités de développement économique local endogène et d’interactions sociales sont envisagées. Les
potentiels de développement ainsi libérés serviraient, selon les concepteurs, de contrepoids puissants aux idéologies dominantes du bidonville en tant qu’espace pathologique de sous-développement, tout en
stimulant l’élaboration d’un modèle de croissance moins polarisé dans
le tissu métropolitain.
Des questions épineuses demeurent, bien sûr, quant à savoir dans
quelle mesure les interventions tactiques proposées pourraient, en
elles-mêmes, protéger les quartiers les plus stratégiquement situés
contre les pressions du développement foncier, surtout en l’absence
d’un mouvement politique plus large qui remette en question le modèle
de croissance urbaine axé sur le marché auquel le parti pour la croissance de Mumbai s’était engagé après la libéralisation de l’économie
indienne dans les années 1990. Par quels mécanismes institutionnels,
et avec quelles forces politiques les habitants des bidonvilles situés
dans des zones de la ville considérées comme attrayantes au regard des
intérêts de la machine de croissance pourraient-ils obtenir une certaine
sécurité foncière ? Comme le géographe radical Neil Smith l’a souligné
il y a quelque temps, lorsque les institutions gouvernementales locales
s’alignent sur les intérêts du développement économique afin d’exploiter un tel « écart de loyer » sur le marché foncier urbain, la résistance organisée risque de se heurter à une contre-offensive violente,
voire à une répression totale20. Toutefois, il ne fait aucun doute que le
20. Neil Smith, The New Urban Frontier: Gentrification and the Revanchist City, New York,
Routledge, 1996.
Conclusion | 173
design a un rôle fondamental à jouer dans la défense des populations
et des quartiers vulnérables contre de nouvelles tentatives de marginalisation, de dépossession et de déplacement territorial. La proposition
pour Mumbai du laboratoire URBZ/Ensamble-POP donne de manière
très féconde une priorité à cette question dans l’exposition du MoMA.
Elle incitera, je l’espère, d’autres designers à reprendre ce projet dans
d’autres mégalopoles, en collaboration avec les habitants et les mouvements sociaux locaux, et avec les organisations non gouvernementales
qui partagent leurs préoccupations21.
Si les propositions de design présentées par les équipes d’Istanbul
et de New York contiennent d’importants éléments architecturaux/
morphologiques (concernant, par exemple, les bâtiments, les infrastructures et les quartiers), leur radicalisme créatif est fortement ancré
dans des modèles de nouveaux agencements institutionnels qui permettraient aux habitants à faible ou à moyen revenu de chaque ville
d’occuper, de s’approprier et de régénérer des espaces actuellement
abandonnés, dégradés ou sujets à des formes nouvelles de vulnérabilité. Dans le contexte new-yorkais, l’équipe CohStra se concentre sur
une variété d’espaces interstitiels ou sous-utilisés dans le centre-ville
– aussi bien des terrains vacants et des immeubles abandonnés que
différents types de logements à faible densité –, afin de proposer un
cadre alternatif de la propriété foncière (Community Land Trusts), de
la mise à disposition de logements (Mutual Housing Associations),
de la gestion immobilière (Cooperative Housing Trust) et du
financement des ménages (Community Credit Union)22. Dans le cas
d’Istanbul, la proposition de design de l’Atelier d’architecture autogérée vise les grands ensembles résidentiels, construits dans des quartiers périphériques de la métropole en rapide expansion, à destination
des classes moyennes florissantes au cours de la période post-1990
par l’Agence turque de développement du logement, appelée TOKI. Ici,
les designers proposent de réaménager les ensembles de logements
TOKI existants et leur environnement immédiat de manière à inciter de nouvelles formes d’autogestion communautaire par les habi21. Pour plus de détails sur le travail en cours de l’équipe URBZ à Dharavi et sa puissante
critique des différentes idéologies développementalistes liées à ce qu’elle nomme « le
bidonville comme récit » (the slum narrative), voir Matias Échanove et Rahul Srivastava
(URBZ), The Slum Outside: Elusive Dharavi, Moscow, Strelka Press, 2014.
22. NdT : Les « Community Land Trusts » sont des organismes fonciers solidaires dont la
vocation est de constituer un parc social d’accession où les logements sont structurellement
plus abordables grâce à des subventions publiques ou des donations privées. Les « Mutual
Housing Associations », organisations à but non lucratif elles aussi, mutualisent la gestion des
immeubles, permettant par exemple de régler les factures de gaz, de fuel, d’électricité, sans
payer de taxe. Une « Cooperative Housing Trust » est une société coopérative d’habitation,
parfois fondée sur le principe participatif, dont la finalité est d’offrir à ses membres les
meilleures conditions possibles de logement au moindre coût. « Community Credit Union »
désigne un organisme de crédit coopératif.
174 | Agoras contemporaines
tants – y compris, comme dans la proposition de CohStra pour New
York, les organismes fonciers solidaires (Community Land Trusts) et
les caisses populaires locales (Local Credit Unions), ainsi que d’autres
formes d’infrastructures gérées collectivement telles que l’agriculture
communautaire, les jardins communautaires, la pêche, les énergies
renouvelables et les ateliers de réparation.
À l’image de la proposition de l’équipe de Mumbai, chacune de ces
interventions tactiques est conçue en réponse à un ensemble spécifique et immédiat de menaces sur la vie urbaine imposées par le
modèle de croissance néolibéral dans la ville choisie – « La crise de
l’accessibilité financière » pour les travailleurs new-yorkais et la déstabilisation du modèle de consommation de la classe moyenne qui avait
été promu à Istanbul par les logements de masse TOKI. Cependant,
CohStra et l’Atelier d’Architecture Autogérée vont au-delà d’une posture défensive par rapport à ces questions, offrant plutôt une vision
de la manière dont les espaces dégradés par l’urbanisme néolibéral
pourraient devenir les points d’ancrage d’une vision alternative de la
ville comme espace de vie commune et d’autogestion collective. Dans
ces deux projets, le site d’intervention du design est considéré comme
un commun, un espace d’appropriation et de transformation continue et collective par ses utilisateurs. Les deux équipes proposent une
vision de ce bien commun comme processus auquel les concepteurs
peuvent contribuer de manière fondamentale, non seulement en élaborant des propositions spatiales de la réorganisation des fonctions
de logement ou d’autres dimensions de la reproduction sociale, mais
aussi en imaginant de nouveau comment des institutions aussi fondamentales que la propriété privée, les investissements immobiliers à
but lucratif, les marchés fonciers urbains et les bureaux municipaux
peuvent être transformées et même remplacées en sorte de répondre
aux besoins sociaux, donner plus de pouvoir aux habitants urbains et
de contribuer à créer un véritable espace public urbain.
Bien que les projets d’Istanbul et de New York soient présentés en
termes tactiques, ils sont clairement conçus comme des interventions
qui ne se limitent pas à leur dimension passagère et acupuncturale.
Une partie de leur attrait, selon moi, est précisément qu’ils offrent un
modèle d’urbanisme tactique qui peut être élargi et converti de manière offensive en contre-pouvoir au modèle néolibéral à l’échelle
d’une ville ou d’une métropole. Offrant d’abord une sorte d’enclave
protégée à destination d’une population vulnérable, chaque projet
se veut ensuite une alternative généralisable aux formes spécifiques
de marchandisation et d’accumulation par dépossession appliquées
au logement, qui ont soutenu et exacerbé la « croissance inégale »
dans leurs mégalopoles respectives. C’est cette tentative réflexive
Conclusion | 175
de relier les méthodes de l’urbanisme tactique à une redéfinition à
double tranchant des espaces urbains et des institutions qui rend les
propositions de ces équipes efficaces et en fait des outils permettant
d’envisager des alternatives à la ville néolibérale. Mais en procédant ainsi, les propositions de l’Atelier d’Architecture Autogérée et de
CohStra dépassent assez rapidement le simple cadre de l’urbanisme
tactique : plutôt que d’opérer sur un point focal d’investigation en
tant que tel, ce dernier devient une sorte de rampe de lancement afin
d’envisager et de mettre en œuvre une « politique de l’espace » (Henri
Lefebvre), c’est-à-dire une stratégie politique de transformation
socio-spatiale à grande échelle.
Ici aussi, bien sûr, les inévitables questions de mise en œuvre
se profilent à l’horizon immédiat. Comment cette vision du bien commun (et des pratiques communes) peut-elle se réaliser lorsque les
intérêts de la classe dominante et les alliances politiques dans chaque
mégapole continuent à promouvoir un modèle de croissance axé sur
le profit et la spéculation ? Où sont les forces sociales et les coalitions
politiques susceptibles de contrecarrer ce modèle ? Opteraient-elles
réellement en faveur du niveau de coordination collective et de partage communautaire proposé par ces équipes de design ? Comment
protéger les économies alternatives locales contre les incursions de
producteurs en recherche de rentabilité, qui pourraient (au moyen,
par exemple, d’économies d’échelle ou de formes plus rationalisées
d’exploitation du travail) être en mesure d’offrir des produits plus
abordables ou désirables aux consommateurs à court d’argent ?
Les designers ne peuvent pas répondre à ces questions, du moins
pas seuls ; elles ne peuvent être résolues que par la délibération politique, le débat public et la lutte permanente, tant à l’échelle locale que
supralocale. Mais parce que CohStra et l’Atelier d’Architecture
Autogérée ont pris la décision fondamentale d’intégrer ces considérations politiques et institutionnelles et ces horizons multiscalaires dans
leurs propositions spatiales, ils contribuent de manière féconde à ce
processus. Tout aussi important, étant donné le mandat de l’équipe de
conservateurs du MoMA : leurs propositions expriment également une
vision plus engagée socialement et plus combative politiquement de ce
que les disciplines du design ont à offrir à la sphère publique urbaine, à
une époque où les inégalités s’accentuent et où les visions de notre avenir urbain mondial sont polarisées de façon alarmante.
Retour à la planification ?
Étant donné les difficultés que certaines équipes de conception
semblent avoir éprouvé dans le cadre de l’urbanisme tactique, on
176 | Agoras contemporaines
ne peut s’empêcher de se demander si celui-ci ne leur offrait pas un
terrain trop étroit, ou une boîte à outils trop limitée, pour faire face
aux nombreux défis d’ampleur qui se présentent actuellement dans
les mégalopoles du monde. Dans sa préface au catalogue de l’exposition, le conservateur du MoMA Barry Bergdoll anticipe cette tension, constatant l’écart entre « l’échelle modeste de certaines interventions [tactiques] » et « les dimensions de la crise urbaine et économique mondiale qu’il est urgent de traiter23 ». Face à ces défis, on peut
difficilement critiquer les équipes qui ont choisi de se lancer dans de
grandes propositions ambitieuses plutôt que de se restreindre à de
simples « tactiques ».
Mais ici surgit une autre contradiction du projet Uneven Growth.
Une forme pure d’urbanisme tactique devrait être systématiquement
anti-programmatique ; une approche tactique cohérente ne peut se
maintenir qu’en résistant et en rejetant tout mouvement vers l’institutionnalisation24. Pourtant, dans la mesure où les experts en design
tactique exposés au MoMA présentent une vision élargie de l’urbanisme et de la transformation urbaine, ils dépendent nécessairement
de l’appréhension (éventuelle) d’une vision globale de l’ensemble.
La généralisation de l’urbanisme tactique impliquera donc son auto-dissolution ou, plus précisément, sa transformation en un projet
nécessitant une coordination à plus long terme, des règles stabilisées,
applicables et collectivement contraignantes et un certain type de
personnel affecté aux tâches de gestion territoriale, c’est-à-dire à la
planification. Nous revenons ainsi au terrain soi-disant discrédité et
démodé de la modernité étatiste, du royaume des grandes ambitions,
des projets à grande échelle, des procédures bureaucratiques détaillées et des plans d’ensemble, auxquels on oppose régulièrement les
préceptes de l’urbanisme tactique. Même si l’on préfère les méthodes
tactiques à celles des bureaucraties descendantes (ou, d’ailleurs, à
celles des promoteurs avides de profit et des sociétés transnationales), il semble bien qu’une discussion sérieuse sur les plans territoriaux à grande échelle, la (ré)organisation institutionnelle, les codes
juridiques et les stratégies politiques d’application soit inévitable,
du moins si l’on veut envisager avec réalisme pour les mégalopoles
23. Barry Bergdoll, « Preface », loc. cit., p. 12. Dans son introduction au catalogue
d’une exposition étroitement liée à celle du MoMA, Small Scale, Big Change: New Architectures
of Social Engagement (New York, Museum of Modern Art, 2010), Bergdoll propose
une évaluation similaire, suggérant qu’un « juste milieu potentiel » doit aujourd’hui être
trouvé entre les visions héroïques du modernisme et l’esthétisme radical du postmodernisme.
24. Dans les écrits sur le droit à la ville et l’autogestion qu’il a publiés dans les années 1970,
le théoricien de la ville radical Henri Lefebvre s’est confronté à plusieurs reprises à ce dilemme
dans une forme plus ancienne. Voir, parmi d’autres textes, Le Droit à la ville, suivi de Espace et
politique, Paris, Seuil, coll. « Points », 1972. Voir également Henri Lefebvre, State, Space, World:
Selected Writings, ed. Neil Brenner et Stuart Elden, translation Gerald Moore, Neil Brenner and
Stuart Elden, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2009.
Conclusion | 177
un avenir plus juste, démocratique, viable et sain sur le plan social
et spatial, que ce que donne à voir notre situation urbaine mondiale
contemporaine.
Pour tous ceux qui sont favorables à l’urbanisme tactique et au
projet de transformation urbaine à grande échelle et progressiste,
cette contradiction est probablement inévitable. Peut-elle devenir
féconde ? Peut-elle être même revendiquée ? Le potentiel radical de
l’urbanisme tactique réside peut-être moins dans son rôle de méthode universelle de conception de l’avenir urbain que dans son rôle
de contrepoids radicalement démocratique à tout système institutionnel, qu’il soit étatique, dominé par le marché ou non. Certaines
des contributions les plus précieuses de l’exposition Uneven Growth
du MoMA servent précisément cet objectif : elles indiquent la possibilité que les capacités du design, plutôt que d’être instrumentalisées
pour l’ingénierie sociale, le contrôle politique, la jouissance privée
ou le profit d’entreprise, puissent être remobilisées comme outils
d’empowerment des usagers de l’espace, leur permettant d’occuper et
de s’approprier l’urbain, de le transformer continuellement et donc
de produire une ville différente de celle que n’importe qui aurait pu
programmer à l’avance.
Mais même dans cette perspective la plus optimiste de l’urbanisme
tactique, les grandes questions concernant la (re)conception de la
ville du futur – son économie, ses règles de développement immobilier et de relations de travail, ses espaces de circulation, de reproduction sociale et de vie quotidienne, ses modes de gouvernance, ses articulations aux flux mondiaux de capitaux, ses interfaces avec les processus environnementaux et biophysiques, etc. – restent absolument
sans réponse. Alors que le département d’architecture et de design du
MoMA poursuit son engagement fécond vers l’urbanisme, espérons
que ces questions resteront à l’ordre du jour et que les capacités créatives des designers pourront être exploitées afin de les affronter avec
toute la force critique, l’imagination politique et la vision systématique qu’elles requièrent.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Lambert Dousson
Texte initialement paru in Neil Brenner, Critique of Urbanization: Selected Essays, op. cit.,
p. 128-146 (ch. 8).
178 | Agoras contemporaines
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PRÉSENTATION
DES AUTEURS
Jean-Pierre Bouanha
est architecte. Depuis plus de quinze ans, il mène une réflexion sur ce qu’il nomme
« agriculturisation », à savoir l’invention et l’expérimentation collectives de nouvelles
typologies urbaines entre le monde agricole et les citoyens des villes. Initiée au sein du
Laboratoire international pour l’habitat populaire, qui lui a notamment permis d’intervenir
en Amérique latine où il a pu mettre en avant les potentialités du savoir agricole dans la cité
au travers d’un processus initié à Bogota avec des agriculteurs locaux, il poursuit son action
en cofondant en 2016 l’association Agreencity consacrée au retour de l’agriculture en milieu
urbain, et en dirigeant, depuis début 2019, la société Aeromate, qui exploite plusieurs sites
d’agriculture à Paris.
Neil Brenner
est professeur de théorie urbaine à la Harvard Graduate School of Design (GSD). Son
enseignement et ses recherches portent sur la question urbaine dans ses dimensions
théoriques, conceptuelles et méthodologiques, et l’ensemble de son travail s’inscrit dans les
champs de la critique urbaine, des études régionales, de l’économie géopolitique comparative
et de la théorie critique socio-spatiale. Ses recherches les plus importantes concernent tout
particulièrement les processus de restructuration régionale et urbaine ainsi que les inégalités
de développement : l’urbanisation à l’échelle planétaire ; les villes et leur arrière-pays dans
une perspective géohistorique et écologique globale ; le problème de la représentation de
l’espace dans les études urbaines ; les processus de restructuration des espaces étatiques
et plus spécifiquement les processus de reconfiguration de la gouvernance urbaine sous le
180 | Agoras contemporaines
capitalisme néolibéral. Auparavant professeur de sociologie et en études métropolitaines à
l’université de New York, il est également professeur invité à Singapour (National University
of Singapore), aux Pays-Bas (Amsterdam Institute for Metropolitan and Development
Studies), ainsi qu’aux États-Unis (Bard College). Auteur de très nombreux essais et articles
universitaires traduits en plusieurs langues, et comptant parmi les chercheurs en sciences
sociales les plus cités dans le monde, Neil Brenner a publié de nombreux ouvrages, dont les
plus récents sont : Is the World Urban? Towards a Critique of Geospatial Ideology (avec Nikos
Katsikis, Barcelona, Actar, 2019) ; New Urban Spaces: Urban Theory and the Scale Question
(New York, Oxford University Press, 2019) ; Critique of Urbanization: Selected Essays (Basel,
Birkhäuser Verlag, 2016) ; Teoría urbana crítica y políticas de escala (Barcelona, Icaria, 2016) ;
Stato, spazio, urbanizzazione (Milan, Guerini, 2016) ; The explosion of the urban / La explosion
de lo urbano (Santiago de Chile, ARQ ediciones, 2016) ; Implosions/Explosions: Towards a
Study of Planetary Urbanization (Jovis, 2014).
Jean-Pierre Charbonneau
est urbaniste et consultant en politiques urbaines ou culturelles. Son champ d’action
concerne tous les sujets de l’urbain : déplacements, quartiers difficiles, espaces publics,
habitat, commerce, espaces verts, transports urbains. Il travaille à donner à l’espace public
son rôle dans le confort des villes, quel que soit le lieu, intégrant dans certaines conditions
l’art ou la culture. Il s’intéresse aux usages, aux dimensions sociologiques, développant
la sollicitation des publics dans les projets. Outre les grandes métropoles françaises,
il intervient en Amérique du Sud et est l’un des membres fondateurs de la revue
Tous Urbains, dans laquelle il écrit régulièrement, entre autres publications.
Dernier ouvrage paru : Les Aventures de Monsieur Urbain (Éditions de l’Aube, 2019).
Étienne Delprat
est architecte et artiste, docteur en arts plastiques, maître de conférences à l’université
Rennes 2 et membre du laboratoire PTAC. Cofondateur de YA+K, il revendique une recherche
ancrée dans la pratique et l’expérimentation située. Développant des projets et actions au
croisement des disciplines (urbanisme, art et design) et des formats, les travaux de YA+K
interrogent les capacités de l’architecture – comme pratique, gestes, processus et production
– à expérimenter et construire collectivement de nouvelles configurations spatiales et
politiques. Il est auteur de plusieurs articles et ouvrages, dont le Manuel illustré de bricolage
urbain. Outils, pratique et ressources (éditions Alternatives, 2016).
Lambert Dousson
agrégé et docteur en philosophie, enseigne l’histoire et la théorie critiques du design
et de l’architecture à l’École nationale supérieure d’arts de Dijon, dont il coordonne l’unité
de recherche « Art et société ». Ses recherches, à l’intersection de la théorie esthétique
et de la théorie politique et fortement influencées par les thèses de Walter Benjamin et
Présentation des auteurs | 181
Michel Foucault, se déploient sur plusieurs champs : 1. les problèmes de la subjectivité et
du pouvoir dans les théories de l’écriture et de l’écoute musicales aux XXe et XXIe siècles (Une
manière de penser et de sentir. Essai sur Pierre Boulez, Presses universitaires de Rennes, 2017 ;
« … la plus grande œuvre d’art pour le cosmos tout entier ». Stockhausen et le 11 septembre.
Essai sur la musique et la violence, Éditions MF (à paraître 2020) ; 2. la manière dont les
technologies de pouvoir (de classe, de genre, de race) configurent les espaces architecturaux
et urbains ; 3. les relations entre image et violence (d’Abu Ghraib à la représentation
des sans-papiers en passant par le cinéma d’horreur). Il a également une activité de
traducteur, tant dans le champ de la théorie de l’architecture (N. Brenner, K. Frampton, S.
Graham, A. Merrifield), que dans celui de la philosophie de la musique (Lydia Goehr, Politique
de l’autonomie musicale, La rue musicale, 2016, avec Élise Marrou).
Nilüfer Göle
est directrice d’études en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris.
Elle travaille sur la visibilité de l’islam, le sécularisme et les controverses interculturelles dans
les espaces publics européens. Son approche sociologique apporte une nouvelle lecture de la
modernité à la lumière des expériences non-occidentales et engage une critique eurocentrée
et universaliste des définitions de la modernité séculière. Ses livres ont été traduits dans
plusieurs langues et ont remporté plusieurs prix. Elle est l’auteur d’Islam and Secularity:
The Future of Europe’s Public Sphere (Duke University Press, 2015), Musulmans au quotidien.
Une enquête européenne sur les controverses autour de l’islam (La Découverte, 2015), Islam and
Public Controversy in Europe (Routledge, 2014), Interpénétrations. L’Islam
et l’Europe (Galaade Éditions, 2005) et Musulmanes et modernes. Voile et civilisation
en Turquie (La Découverte, 1993). Son actuel projet de recherche, Public Space Democracy,
porte sur les mouvements de contestation Maïdan et la démocratie à l’ère globale.
Louise Guillot
rejoint la 27e Région en janvier 2017 pour contribuer aux projets et au développement
de l’association. Diplômée en politiques urbaines et stratégies territoriales (2017) à l’Institut
d’urbanisme de Lyon et en sciences de l’information (2011) à l’université de Nantes,
elle s’intéresse aux usages émergents dans la fabrique de la ville et aux nouveaux récits
de l’action publique. Elle a travaillé auparavant dans le secteur de l’éducation populaire.
Antoine Hennion
est directeur de recherche au Centre de sociologie de l’innovation (Mines ParisTech,
université de recherche Paris-Sciences et Lettres / CNRS). Ingénieur des Mines, il a un DEA de
musicologie et il est docteur en sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales.
Au CSI où s’élaborait la théorie de l’acteur-réseau, il a mené des travaux en sociologie de la
musique et de la culture, sur les médias, sur le goût. Il y a développé une problématisation de
la médiation, laquelle l’a progressivement conduit à réfléchir aux formes d’attachement qui,
182 | Agoras contemporaines
outre un art de l’attention et un sens de la situation et du geste juste, partagent l’exigence
d’une œuvre à faire, sur des terrains aussi différents que la musique, le sport, le vin,
l’agriculture bio, la dépendance ou les migrations. Il a écrit et coécrit notamment La Passion
musicale. Une sociologie de la médiation (Métailié, 1993, rééd. 2007) ; Figures de l’amateur.
Formes, objets et pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui (avec Sophie Maisonneuve
et Émilie Gomart, La Documentation française / DEP – Ministère de la culture, 2000) ; La
Grandeur de Bach. L’amour de la musique en France au XIXe siècle (avec Joël-Marie Fauquet,
Fayard, 2000) ; Le Design : l’objet dans l’usage. La relation objet-usage-usager dans le travail de
trois agences de design (avec Sophie Dubuisson, Presses de l’École des Mines, 1996) ; Le Vin et
l’environnement. Faire compter la différence (collectif, Presses de l’École des Mines, 2013). Il
est membre du collectif PEROU.
Andy Merrifield
né à Liverpool en 1960, quitte l’école à l’âge de seize ans pour voyager et vivre de petits
boulots. Diplômé en géographie, philosophie et sociologie, il obtient un doctorat en
géographie humaine à l’université d’Oxford sous la direction de David Harvey, puis enseigne
durant de nombreuses années l’urbanisme, la théorie sociale et la littérature, aussi bien dans
des contextes académiques (université de Southampton, King’s College London, université
Clark aux États-Unis, université de Manchester, Murray Edwards College de l’université de
Cambridge) que non académiques. Rompant momentanément avec le milieu universitaire,
il s’installe en Auvergne, qu’il traverse à pied en compagnie d’un âne, expérience dont il tire
un récit de voyage, The Wisdom of donkeys. Finding Tranquility in a Chaotic World, traduit
en français sous le titre L’Âne de Schubert (Actes Sud, 2008). Chercheur indépendant, il est
l’auteur de nombreux essais, articles et comptes rendus parus dans The Nation, Harper’s
Magazine, New Left Review, Adbusters, The Guardian, Literary Hub, Brooklyn Rail, Radical
Philosophy et Dissent. Ouvrages parus : The New Urban Question (Pluto Press, 2014) ;
The Politics of the Encounter: Urban Theory and Protest under Planetary Urbanization
(University of Georgia Press, 2013) ; John Berger (Reaktion Books, 2012) ; Magical Marxism:
Subversive Politics and the Imagination (Pluto Press, 2011) ; Henri Lefebvre: A Critical
Introduction (Routledge, 2006) ; Guy Debord (Reaktion Books, 2005) ; Dialectical Urbanism,
2002 ; Metromarxism: A Marxist Tale of the City, 2002 ; The Urbanization of Injustice (avec Erik
Swyngedouw, NYU Press, 1997).
Laurent Viala
est maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture de Montpellier.
Géographe, urbaniste, il développe ses recherches dans le cadre du Laboratoire innovation
formes architecture milieux (LIFAM). Celles-ci portent notamment sur les représentations
de l’architecture, de la ville et leurs impacts sur les territorialités à l’œuvre. Cette voie
lui offre également l’occasion de scruter les imaginaires mobilisés tout à la fois dans les
projets architecturaux et urbains, mais également dans les œuvres de fiction. Récemment
parus : « The political mission of contemporary urban statuary. Image, history and territorial
Présentation des auteurs | 183
identity in Montpellier (France), What images in public space do? », Articulo. Journal of
urban research, 19, 2019 ; « La ville-tour. Fiction et visée prospective. Regards croisés sur
deux romans d’anticipation : I.G.H. de J. G. Ballard et Les Monades Urbaines de R. Silverberg »,
Géographie et cultures, 102, 2018, p. 101-120.
Mathieu Zimmer
est urbaniste et géographe, fondateur de l’agence de stratégie et de médiation territoriale
deux degrés, qui est également une maison d’édition. Il s’intéresse aux modes de vie,
à la diversité des usages, des usagers et des représentations territoriales. Son travail repose
sur de l’observation de terrain, des enquêtes, de l’analyse culturelle et des comparaisons
urbaines. Il milite pour la diversité territoriale (et la bonne adéquation avec les usagers
sur place), la simplicité de l’aménagement et la montée en puissance des habitants dans
l’animation du cadre de vie. Il a cofondé l’observatoire des villes moyennes. Pour les éditions
deux degrés, il a coécrit et édité plusieurs livres sur les territoires et les modes de vie :
Le Petit Paris (2013), Le Méga Grand Bordeaux (2017), Bordeaux Safari, Nantes Safari,
Brest Safari, Saint-Étienne Safari, Grenoble Safari, Bureau Safari.
OUVRAGE COÉDITÉ PAR
L’École nationale supérieure d’art de Dijon
Direction éditoriale
Lambert Dousson
Éric Cez
CRÉATION GRAPHIQUE
Christian Kirk-Jensen
CORRECTIONS
Antiopées
achevé d’imprimer
en février 2020 sur les presses
de l’imprimerie Kopa
Imprimé en Union européenne.
ISBN 978-2-843140-25-9
Dépôt légal : mars 2020
© Éditions Loco, 2020
www.editionsloco.com