ED 141 : Ecole doctorale Droit et Science Politique
UMR 7074 - Centre de Théorie et Analyse du Droit
Mathias PECOT
La fonction sociale des acteurs juridiques « professionnels » aux
marges des villes du Sud.
Cas de Guayaquil, Équateur
Thèse présentée et soutenue publiquement le 2 février 2017 en vue de l’obtention du grade de
docteur en droit de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Spécialité : Droit public
Sous la direction de Mme Véronique CHAMPEIL-DESPLATS
Jury :
Président :
M. Laurent Thévenot
Directeur d’études, École des hautes études
en sciences sociales
Rapporteur:
M. Jérôme Porta
Professeur à l’Université de Bordeaux
Rapporteur:
M. Carlos Herrera
Professeur à l’Université de Cergy-Pontoise
Examinateur:
M. Eric Millard
Professeur à l’Université Paris Ouest
Nanterre La Défense
Examinateur:
Mme. Véronique ChampeilDesplats
Professeure à l’Université Paris Ouest
Nanterre La Défense
Remerciements
Je remercie sincèrement tout d’abord ma directrice de thèse, Véronique Champeil-Desplats,
pour son accompagnement de longue date, sa disponibilité, ses conseils et relectures attentives, son
ouverture d’esprit et sa confiance sans lesquelles un projet de ce type n’aurait sans doute jamais pu se
concrétiser ;
J’adresse mes remerciements chaleureux aux membres du jury, Laurent Thévenot, Eric
Millard, Jêrome Porta et Carlos-Miguel Herrera, pour avoir manifesté leur intérêt pour le projet et le
dialogue.
Merci à Maria pour sa présence et ses encouragements, à ma famille franco-équatorienne
pour son soutien indéfectible, pour les sacrifices et les coups de pouce dans les moments les plus
ardus de cette aventure de longue haleine.
Merci au cercle des amis de toujours, pour sa constance à l’épreuve de la vie.
Merci à l’équipe de Concepto Azul- Inca’biotec pour m’avoir ouvert ses portes en Équateur,
au Pérou et communiqué sa passion durant de nombreuses années.
Merci à mes collègues et étudiants de l’Université polytechnique du littoral (ESPOL) pour un
accompagnement bienveillant durant la période de fin de thèse.
Une pensée spéciale pour toutes les personnes rencontrées sur le terrain, au fil des projets et
dans des situations parfois difficiles, pour la richesse de leurs enseignements. Ma pensée va, de
même, aux personnes qui nous ont quittés en cours de route.
2
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
La fonction sociale des acteurs juridiques « professionnels » aux marges des
villes du Sud.Cas de Guayaquil, Équateur.
Résumé : La réflexion proposée prend forme à partir d’un projet de vie établi entre l’Équateur et la
France. La thèse interroge les conditions de conduite du travail juridique dans l’orbite du
phénomène de territorialisation des « établissements humains informels » -asentamientos urbanos
informales- de Guayaquil, ailleurs connus comme « slums » ou « taudis ». La mise en cause de
l’incidence économique, sociale, culturelle ou environnementale des usages et pratiques
professionnelles du droit sur la ville en devenir, l’évocation d’une dimension éventuellement
marginalisante, discriminatoire ou traumatique du travail juridique depuis la perspective des
« usagers » ou des « administrés », paraissent troublantes au premier abord. Inscrits dans un
mouvement d’itération constante entre l’observation participante et la théorie de l’agir juridique, les
travaux entreprennent de poser les jalons épistémologiques et méthodologiques pour un travail de
situation de l’agir juridique aux portes de la ville Sud. La lecture renouvelée de la contextualité
urbaine marginale et le développement d’instruments de cartographie de la fonction sociale du
juriste « en situation » constituent les principaux résultats de l’investigation. Les développements
coïncident, par ailleurs et d’une manière générale, avec l’investiture du gouvernement de la
« Révolution citoyenne » -Revolucion ciudadana-. Ils offrent, dès lors et chemin faisant, un aperçu « vu
d’en bas » sur le devenir des réformes traversant le pays au lendemain de l’adoption de la
Constitution du « Buen vivir ».
GUAYAQUIL –ASENTAMIENTOS URBANOS INFORMALES- FONCTION SOCIALEAGIR JURIDIQUE--EQUATEUR
Mots-clés :
Abstract : The investigation is building upon a life project established between Ecuador and France.
The doctoral thesis questions legal work conditions in the ambit of Guayaquil’s informal human
settlements—elsewhere known as “slums” or “taudis”—. The mention of economic, social, cultural or
environmental downfalls associated to the development of legal practices in forthcoming cities, the
pointing out of ongoing discriminations, marginalization and traumas associated to the law does
create an awkward feeling among legal practicionners at the first glimpse. Through a continued
iteration between participative observation, fieldworks and legal theory, the doctoral thesis develops
epistemological and methodological tools in order to better situate legal work in city peripheries of
the South. Means to renew our understandings of marginal urban contexts, on the one hand, and to
reevaluate the social function of legal practices, on the other, are the principal outcomes of our
research. The fieldwork coincided, otherwise, with the investiture of the “Revolucion ciudadana
government”. Hence, the thesis does offer some bottom-up insights on the becoming of legal and
political reforms in the aftermaths of the “Buen vivir” Ecuadorian Constitution’s adoption.
Keywords :
GUAYAQUIL-INFORMAL URBAN SETTLEMENTS-SOCIAL FUNCION-LEGAL
ENDEAVOR- ECUADOR
3
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Droits d’auteur :
Droits d’auteur réservés. Toute reproduction sans accord exprès de l’auteur à des fins autres que
strictement personnelles est prohibée.
Citation:
PECOT Mathias, La fonction sociale des acteurs juridiques « professionnels » aux portes des villes du Sud. Cas de
Guayaquil, Équateur, thèse mention droit public sous la direction de Véronique Champeil-Desplats,
École Doctorale de Droit et de Sciences politiques Nanterre, CTAD-CREDOF, soutenue le 22
févirer 2017.
4
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
SOMMAIRE
La fonction sociale des acteurs juridiques « professionnels » aux marges des
villes du Sud. Cas de Guayaquil, Équateur.
Introduction
Partie 1 Travail et contraintes de situation : la marginalité urbaine au crible du
terrain « Guayaco »
Titre 1 Les enjeux épistémologiques du travail de situation
Chapitre 1 La mise en récit du droit
Chapitre 2 Le dépassement catégorique du « non-droit » et de « l’informel »
Titre 2 Les enjeux méthodologiques du travail de situation et la question
du « terrain »
Chapitre 1 Du travail « sur » et « à partir » du phénomène sociopolitique de
représentation de la croissance urbaine marginale (…)
Chapitre 2 (…) au travail de mise en contexte de l’agir juridique
« professionnel »
Partie 2 Travail et contraintes de légitimation du rôle social au lendemain de
« Montecristi »
Titre 1 Le désert fonctionnel
Chapitre 1 Entre la « fiche de poste » et le dédale des référentiels de
compétences : les foyers du questionnement fonctionnaliste
Chapitre 2 La revue des « totems » et l’édification du dogme fonctionnel
Titre 2 Jalons pour une théorie micropolitique du rôle social
Chapitre 1 La subjectivation du rôle
Chapitre 2 La contrainte de légitimation sociale
Conclusion
5
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Introduction.La référence à la croissance urbaine marginale des villes du Sud, désigne, dans notre contexte
d’étude latino-américain, l’ensemble des établissements humains dits « informels » « spontanés »,
« irréguliers », « illégaux », les « asentamientos », « invasiones », « barriadas », « colonias » ou « urbanisaciones
piratas ». Celle-ci relève d’un registre de langage désormais courant. L’introduction du concept d’«
établissements humains informels» en langue française renvoie a priori à la traduction littérale de la
terminologie «Informal Human Settlements» ou de son équivalent en castillan « asentamientos informales ».
L’ « Ofxord english dictionnary » propose ainsi une définition générale des « établissements
informels1 » par référence à « l’établissement non planifié ou non régulé en milieu urbain, érigé sur un espace qui
n’a pas été officiellement affecté à un usage de résidence». Illustrant l’usage du concept dans un contexte
littéraire l’article introduit ensuite une sélection de citations dans un ordre chronologique. Se trouve
reproduit tout d’abord un extrait de l’ouvrage « Challenge of squatter Settlements ; with special reference to the
cities of Latin America » de Harry Anthony : « les Nations Unies préfèrent la référence aux établissements
informels ou spontanés ; d’une certaine manière, ces mots sonnent mieux qu’établissements de squatters, un terme qui
conduit automatiquement à des connotations légales préjudiciables. » (1979) ; puis une citation extraite de
l’ouvrage d’EJ Haarhoff « Shelter in informal settlements » : « les Établissements informels pourraient être
illégaux dans le sens où l’occupation du sol ou les habitations ne sont pas conformes aux standards et aux procédures »
(1983) ; et finalement le bref passage d’un article du Baltimore Sun (US): « Deipsloot (Afrique du Sud)
commença comme un établissement informel temporaire, mais avec le déficit terrible de l’offre de logement et la
pauvreté, il a pris un sordide et fragile caractère permanent (2003).
Considéré dans le champ de la gouvernance et de la planification urbaine, la référence à
l’établissement informel fait figure de concept-parapluie, utilisé en vue d’assurer une « montée en
1
Traduction personnelle à partir des entrées “informal sector”, “informal economy”, “informal settlement”, Oxford
English Dictionnary, Third Edition, September 2009. Définition originale: “informal settlement: n. chiefly South African
an unplanned and unregulated urban settlement erected on land not officially proclaimed as a residential area.”
Considérés à partir d’une entrée différente, l’adjectif informel est abordé comme « secteur informel » ou de « économie
informelle » » - Informal, economy, informal sector- pour désigner « une activité ou la participation à une activité commerciale non
régulée réalisée en dehors de l’économie officielle ou principale, et qui est pratiquée à petite échelle sur la base de l’auto-emploi, sur une base
occasionnelle ou irrégulière.’».
6
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
généralité », jeter et signifier un pont entre le « local » et le « global » 2 . L’introduction de la
terminologie répond ici en règle générale, au traitement politique d’un patron migratoire. Des
familles convergent vers des zones s’inscrivant, par hypothèse, en porte à faux avec la norme sociale,
éventuellement juridique, de peuplement et d’habitabilité urbaine. Des centres-villes délaissés et
vétustes sont réinvestis. La trame urbaine s’étire vers l’espace « périurbain », sa « périphérie » ou sa
« banlieue » pour former un « secteur »3.
Le phénomène est ensuite rapproché de ce que le sociologue Santos Boaventura De Sousa
aborde, sur un volet plus critique, comme une « épistémologie du Sud ». L’auteur en propose la
définition suivante :
« Par ‘épistémologie du Sud’ j’entends une nouvelle production et évaluation des connaissances ou savoirs
valides, scientifiques ou non. J’entends également par-là de nouvelles relations entre différent types de savoir, sur la base
des pratiques des classes et des groupes sociaux qui ont systématiquement souffert des inégalités et des discriminations
dues au capitalisme et au colonialisme. Le Sud n’est donc pas un concept géographique même si la grande majorité des
populations concernées vivent dans l’hémisphère sud. Il s’agit plutôt d’une métaphore de la souffrance humaine causée
Sur l’évolution historique du concept: Sethuraman, Salem V. "Urban informal sector: Concept, measurement and
policy”, the." Int'l Lab. Rev. 114 (1976): 69; Abbott, John. "An analysis of informal settlement upgrading and critique of
existing methodological approaches." Habitat International 26.3 (2002): 303-315.
2
3
Entre les dénominations les plus fréquemment retenues en vue de désigner les établmissements informels le Rapport
Global sur les Etablissements Humains (GRHS) « The Challenge of Slums » produit par UN-Habitat en 2003 propose
une énumération élargie des équivalents selon un large panel de langues et zones géographiques. « The coverage of settlement
types is even more complex when one considers the variety of equivalent words in other languages and geographical regions: French: bidonvilles,
‘taudis’, habitat précaire, habitat spontané, quartiers irréguliers; Spanish: asentamientos irregulares, barrio marginal, barraca (Barcelona),
conventillos (Quito), colonias populares (Mexico), tugurios and solares (Lima), bohíos or cuarterias (Cuba), villa miseria; German:
Elendsviertel; Arabic: mudun safi, lahbach, brarek, medina achouaia, foundouks and karyan (Rabat- Sale), carton, safeih,ishash, galoos
and shammasa (Khartoum), tanake (Beirut), aashwa’i and baladi (Cairo); Russian: trushchobi; Portuguese: bairros da lata (Portugal),
quartos do slum, favela, morro, cortiço, comunidade, loteamento (Brazil); Turkish: gecekondu; American English: ‘hood’ (Los Angeles),
ghetto; Southern Asia: chawls/chalis (Ahmedabad, Mumbai), ahatas (Kanpur), katras (Delhi), bustee (Kolkata), zopadpattis
(Maharashtra), cheris (Chennai), katchi abadis (Karachi), watta, pelpath, udukku or pelli gewal (Colombo); Africa: umjondolo, (Zulu,
Durban), mabanda (Kiswahili, Tanzania). In Karachi, the local term katchi abadi (non-permanent settlements) is used, as well as the
English ‘informal subdivisions of state land.’ Terms such as villa miseria are specific to Argentina, favelas to Brazil, kampungs to Malaysia
and Indonesia, and bidonvilles to France and Francophone Africa – describing precarious settlements made out of iron sheets and tins
(bidons). In Egypt, the term aashwa’i is the only one used officially to indicate deteriorated or underserved urban areas », extrait de: Global
Report on Human Settlements, UN Habitat, 2003, version revisée 2010, p.12.
7
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
par le capitalisme et le colonialisme à l’échelle mondiale et de la résistance visant à la surmonter et à l’atténuer. Il
existe, par conséquent un Sud anticapitaliste, anticolonial et anti-impérialiste (...) »4.
Comme pendant sociohistorique des mutations traversant le monde rural, d’une
démographie ponctuée par un accroissement radical des inégalités, le processus d’exil socioéconomique ou environnemental vers les villes et le tout désigné « monde des taudis » s’accentue
inexorablement au fil du XXe siècle 5 . Offrandes aux totems de la ville et du modèle de
développement néolibéral, les « taudis » apparaissent tout désignés comme le foyer des populations
déplacées, diminuées ou vulnérables : le refuge, en somme, des « grands perdants de la
mondialisation ». Certains auteurs comme Manuel Castel ou David Harvey voient encore dans
l’urbanisation marginale le stigmate historique d’une situation de dépendance6.
Que ces « poches de pauvreté » soient par ailleurs situées dans des régions « riches » ou
« pauvres », « développées » ou « en transition », l’approche « épistémologies du sud » renvoie bien,
4
BOAVENTURA DE SOUSA Santos, « Épistémologies du Sud », Études Rurales, n°187, 2011, p.21-50 ; Ib Idem.,
« Hacia un entendimiento postmoderno del derecho », Fronésis, Volume 1, numero 2, 1994, p. 163-177.
Voir généralement sur la question des “slums”: DAVIS Mike, Planet of slums, Verso, New York, 2006; RAO
Vyjayanthi, “Slum as theory: the South/Asian city and globalization”, International Journal of Urban and Regional
Research, vol. 30, no 1, 2006, p. 225-232; GILBERT Alan, “The return of the slum: does language
matter?”, International Journal of Urban and Regional Research, vol., 31, no 4, p, 2007, 697-713; Arabindoo, Pushpa.
"Rhetoric of the ‘slum’ Rethinking urban poverty." City 15.6 (2011): 636-646; SIMON, David. "Situating slums:
Discourse, scale and place." City 15.6 (2011): 674-685.
5
Sur la théorie des espaces périphériques et dépendants Manuel Castel énonce : « De là résulte que le processus d’urbanisation
latino-américain soit le résultat de la succession historique des formes distinctes de dépendance sur l’espace spécifique de chaque société. Pensant
que ces formes de dépendance incluent les caractéristiques propres de chaque société et que par conséquent, il ne s’agit pas de l’application
mécanique du domino externe à l’espace sinon des formes urbaines résultant de l’interaction entre société(s) dépendante(s) et société(s)
dominantes(s) dans chaque contexte historique. De fait, le développement inégal qui s’exprime à travers les différences et les contradictions au
niveau mondial, se manifeste également à l’intérieur de chaque territoire national (avec des villes d’attraction et des zones rurales de répulsion,
ainsi comme au sein des structures urbaines de chaque grande ville. De manière plus concrète, dans les métropolis latino-américaines coexistent
des centres de commerce liés aux multinationales, les appareils administratifs dépendants de la centralisation étatique, les industries liées au
processus de substitution des importations et la masse de population structurellement flottante provenant de la destruction des secteurs productifs
et d’économies régionales dominées. La métropolis latino américaine se définit justement par la coexistence articulée de ces deux mondes : du
capitalisme dépendant des multinationales et des colonies prolétaires où s’agroupent les restent d’une société déstructurée. Et une telle coexistence
n’est pas une dualité accidentelle, sinon la forme spécifique des sociétés dépendantes dans une nouvelle phase de la dépendance : c’est le résultat
nécessaire du processus de développement économique et urbain (…) » : extraite et traduite personnellement de CASTEL Manuel,
Crisis urbana, estado y movimientos sociales en las sociedades dependientes latinoamericanas, México, FCE, 1979, p.1-2.
David Harvey observe que « dès leurs origines les villes ont été édifiées à travers la concentration géographique et sociale
du produit d’un surplus. L’urbanisation a toujours été lié donc à des phénomènes de classe considérant que ces surplus
ont êtes extraits de quelque part ou de quelqu’un (en général une paysannerie oppressée) alors que le contrôle sur les
dépenses de ce surplus repose typiquement dans un nombre limité de mains. » extrait de : HARVEY David, « The right
to the city », New Left review, volume 53, September-October 2008.
6
8
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
sur un plan symbolique, aux périphéries de la métropole moderne et de villes-vitrines « devenues
monde ».
Chemin faisant et affinant ce premier survol, l’histoire contée de la croissance urbaine
marginale des villes du Sud et, plus spécifiquement de l’urbanisation sud-américaine, laisse
rapidement apparaître des zones d’ombres. Le caractère dissonant et souvent même contradictoire
des mises en récit du taudis, d’une « vie de bidonvilles » interpelle. L’évocation du trait de
« marginalité », alors que la formation desdits « asentamientos » — slums, bidonvilles — apparaît
désormais comme un phénomène catalyseur de majorités, de « massivités » sans précédent à l’échelle
globale, trouble à divers égards :
-
La proportion de citadins occupant lesdits « asentamientos humanos » — estimée à une
personne sur sept soit prêt d’un milliard d’humains — ne définit-elle pas, par inertie, un
patron d’urbanisation mondiale ?
-
L’acquisition progressive des services d’eau, d’électricité, la contractualisation de services de
transport, de sécurité ou de gardiennage, en un mot, les produits tangibles d’un effort
collectif de « consolidation », d’une intelligence sociale inscrite dans l’espace et dans le
temps7, ne révèlent-ils pas une certaine versatilité du stigmate et de la temporalité urbaine
marginale ? L’aménagement des conditions de vie quotidienne, les échanges économiques et
modalités d’accès à l’emploi qui s’y organisent ne dessinent-ils pas, autrement dit, une norme
d’habitabilité urbaine “globale” au XXIe siècle ?
-
Le patron historique de croissance urbaine marginale des villes du Sud n’engage-t-il pas de
même, sur un registre voisin, l’empreinte de l’humanité sur l’écosystème terrestre ? La marge
urbaine ne constitue-t-elle pas, en ce sens, un chapitre des plus significatifs à l’heure de
mesurer le saut à l’aveugle de l’humanité dans l’Anthropocène8 ?
7
Voir : MONNET, Jérôme, 'Pitié pour les grandes villes !', Cybergeo : revue européenne de géographie / European journal of
geography, février 1997.
8
CORLETT Richard, 'Review: The Anthropocene concept in ecology and conservation', Trends in Ecology & Evolution,
2015, vol.30, p.36; STEFFEN, GRINEVALD, CRUTZEN, Paul, et al. “The Anthropocene: conceptual and historical
perspectives”, Philosophical Transactions of the Royal Society of London A: Mathematical, Physical and Engineering Sciences, 2011,
vol. 369, no 1938, p. 842-867.
9
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le phénomène ne relève-t-il pas en somme et finalement, d’un point de vue aussi bien
-
quantitatif que qualitatif9, du fait “majoritaire” plutôt que “marginal” ?
Une certaine précaution quant au choix des mots et, in fine, au primat du prisme intellectuel
“urbain marginal”, apparaît de rigueur à la lecture des questionnements soulevés ci-dessus.
L’opportunité axiologique du concept de “marginalité” semble devoir être nuancée. Les réflexions
en cours sur la décolonisation des épistèmes engagent, tout du moins, à la questionner ou à la
préciser10. « Vivre sur la ‘frontière’ c’est vivre à la marge sans pour autant vivre une vie marginale »11 : « marges »
et « marginalités » aux yeux de qui, de quelles temporalités, de quels modes de vie, là semble bien
résider la question à mettre à l’ordre du jour.
Le processus sociohistorique d’intégration des asentamientos à la trame urbaine emporte,
ensuite et de manière beaucoup moins questionnable, semble-t-il, un processus de
« territorialisation »
12
. Un pas en retrait de la fièvre « slumdog », le travail minutieux de
reconstruction des « histoires oubliées »13 de la « favela » ou du bidonville, met progressivement à
jour la mosaïque des patrons de consolidation de l’asentamiento humain. La phénoménologie d’un
rapport à l’espace urbain, à la « ville », caractéristique d’une formation progressive en « quartiers » ou
9
UN-HABITAT, « State of the world's cities 2010/2011: bridging the urban divide”, Earthscan, 2010.
10
VARLEY Ann, « Postcolonialising informality? », Society and Space, 31.1, 2013, p. 4-22; GROSFOGUEL Ramón,
« Decolonizing post-colonial studies and paradigms of political-economy: Transmodernity, decolonial thinking, and
global coloniality ». Transmodernity: Journal of Peripheral Cultural Production of the Luso-Hispanic World, 2011, vol. 1, No. 1; du
meme auteur: « Decolonizing Western uni-versalisms: decolonial pluri-versalism from Aimé Césaire to the zapatistas ».
Transmodernity, 1.3 (2012): 88-104.
11
BOAVENTURA DE SOUSA Santos, « Three Metaphors for a New Conception of Law: The Frontier, the Baroque,
and the South », Law and Society Review, 29, 4, 1995, p. 569-584.
Yannick Brun-Picard définit généralement le processus de ‘territorialisation’, terre ferme des propos à venir,
comme :« Une action de marquage, de définition, et d’institutionnalisation d’un territoire réalisée par la mise en œuvre de la différenciation
qui permet sa constitution, par l’emploi du concept de réentrée en spécifiant les nouveaux caractères en fonction du passé pour constituer le
futur, par l’utilisation du concept de rupture/continuité qui territorialise en fonction des données extérieures aux territoires ainsi constitués. Le
tout est inscrit au sein de l’interface humanité/espaces terrestres, du fait de l’imposition de règles propres aux hommes sur les espaces. Elle est
donc une étape menant au territoire, par la volonté de mise en forme de démonstrations et d’appropriations qui découlent de cette action. Elle
est une action naturelle (griffure pour l’ours, barrière pour l’homme) à la fois consciente et/ou inconsciente en plantant des piquets dans le sol
pour créer une délimitation ou en montrant de l’agressivité lorsqu’une personne pénètre dans un espace (territoire) cognitif qui nous sert
mentalement de tampon avec les agressions de la réalité.» in : Yannick BRUN-PICARD, L'humanisme géographique, Thèse présentée
à la faculté d'études supérieures de l'Université Laval, mars 2005, version consultée du 12 juillet 2010, p.345-346.
12
13
DE ALMEIDA Abreu Mauricio, LE CLERRE Gérard, « Reconstruire une histoire oubliée. Origine et expansion
initiale des favelas de Rio de Janeiro », Genèses, « Territoires urbains contestés », vol.16, 1994. pp. 45-68; GONÇALVES,
Rafael Soares, Les Favelas de Rio de Janeiro: Histoire et droit-XIXe et XXe siècles, Éditions L'Harmattan, 2010.
10
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
en « barrios » se dessine. Le schéma de consolidation intergénérationnelle des asentamientos urbains
marginaux répond, dans une large mesure, au paradoxe d’un pointage et d’une institutionnalisation
par ou à travers le marquage, à la fois spatial, symbolique et chemin faisant juridique d’une altérité.
La territorialisation de l’espace périurbain entérine un changement de destination du sol. La loi ratifie
l’acte de décès d’une campagne, « del campo ». Le phénomène nourrit inversement la promesse
d’une institutionnalité nouvelle, en devenir, du « secteur », « barrio » ou du « lotissement urbain ».
Le découpage de l’espace et de la réalité écologique des territoires procède, à l’évidence, d’un
entendement fortement anthropocentré de l’espace habité. La mobilisation de critères de
frontérisation tour à tour politiques, symboliques, ethniques ou idéologiques, imprime « de fait » une
marque très singulière sur la marche du système juridique. L’état de droit moderne, entendu, en
démocratie et « a minima », comme principale entité régulatrice à l’échelle du territoire national et, a
fortiori, urbain, œuvre généralement à la territorialisation des asentamientos. Le droit émanant des
actes de gouvernance publique participe activement, en d’autres termes, au démarquage des espaces
urbains marginaux. Le grand récit de la périphérie des villes du Sud, problématisée dans son rapport
à l’institution de l’état de droit « social » ou « moderne », offre des lectures souvent dissonantes d’une
« juridicité » somme toute latente14.
Un premier angle de vue, « aérienne » ou « panoramique », fait fréquemment état, à titre
préliminaire, d’une situation d’éloignement et de rupture avec l’ordre juridique étatique. Le
bouleversement des usages fonciers, des modes de vie et des écosystèmes habillant, par convention,
l’idée de croissance urbaine « marginale » interrompt le flux « ordinaire », s’il en était un, de
réalisation du droit en société. La présence de l’autorité publique est décrite comme résiduelle sur
des fragments a priori « oubliés », « reclus » du territoire de l’État-nation. La régulation de la vie
sociale échappe, dans un premier temps et suivant ce scénario, à l’emprise de l’état de droit moderne
et de la « revolucion ciudadana ». La mise en œuvre et la « modernisation » des régimes d’occupation du
sol, la réforme de la responsabilité civile, pénale, de même que l’ambition de garantir les droits
fondamentaux, se trouveraient a priori différées, altérées. C’est en somme l’image d’un « limbo »,
désert ou friche institutionnelle qui prédomine et engage, à terme, l’intervention normative de l’État.
Face aux carences administratives et régulatrices du passé, le droit transitoire de la « légalisation » et
14
SIMON David, “Situating slums: Discourse, scale and place”, City, 2011, vol. 15, No. 6, p. 674-685.
11
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
de la « régularisation » des asentamientos « spontanés » constitue au regard de ce premier type
d’approche la pierre angulaire du processus d’une territorialisation accompagnée par le droit.
Un second angle de vue, celui « de la rue », de « l’anthropologue », dépeint alternativement la
croissance urbaine marginale de la ville latino-américaine comme un phénomène producteur de droit
(s). La norme de survie est alors perçue comme point d’origine des règles organisatrices du vivre
ensemble. Le rapport du citoyen à la loi étatique, à l’autorité publique et territoriale, est retracé sous
les traits d’un phénomène luxuriant, à la fois complexe et hétérogène15. Les traits dominants de la
caricature n'apparaissent plus, peu ou prou, ceux du territoire de « non-droit », d’un « no man’s land »
ou d’une « tierra de nadie », mais bien ceux d’un pluralisme juridique « radical », orchestré par la
conquête du « droit à la ville ». Gunther Teubner énonce par exemple et avec une certaine éloquence
sur ce registre :
« Le pluralisme juridique est la loi des favelas brésiliennes, les contre-règles informelles du
patchwork de minorités, les quasi-lois des groupes ethniques, religieux et culturels
dispersés, les techniques disciplinaires de la « justice privée », la pluralité des lois non
étatiques en association, organisations formelles et réseaux informels où ils trouvent les
ingrédients de la postmodernité : le local, le pluriel, le subversif. La multitude des
« discours fragmentés » qui sont hermétiquement fermés les uns aux autres peuvent être
identifiés à travers de nombreuses formes de droit relativement informel qui génèrent de
manière relativement indépendante de l’Etat et qui opèrent à différents niveaux de
formalité. Regarder le « côté obscur » de la majestueuse règle de droit, le pluralisme
juridique redécouvre le pouvoir subversif des discours supprimés. Pluriel, informel, quasiGarcia Villegas dans le cadre des travaux engagés au sein de l’Institut latino-américain pour le développement du droit
alternatif (ILSA) livre son point de vue sur cette ambivalence qu’il étend à l’ensemble de la région latino-américaine :
« D’une part le droit suscite la méfiance, le recel, la rébellion ou simplement le manque d’autorité quand il s’agit de se soumettre aux normes
qui régulent la vie quotidienne. Le système juridique étatique réduit la visibilité des droits des citoyens. La citoyenneté est plus un devoir qu’un
droit. De ce constat nait un comportement citoyen complexe et hétérogène : la soumission à la loi est tout du moins exclue, négociée ou, dans le
meilleur des cas, adaptée à chaque nouvelle situation. D’ici l’existence en Amérique latine de nombreux environnements légalement autonomes
(pluralisme juridique), caractérisés a minima para la résistance individuelle et collective contre le droit et l’État. D’autre part, cependant, le
droit éveille des espérances et de la confiance quand il s’agit de créer ou de réformer le contrat social en vue d’une société plus juste. »
Traduction personnelle de: GARCIA VILLEGAS Mauricio, “notas preliminares para la caracterizacion del derecho en
Amreica Latina”, El otro derecho, n°26-27, Abril 2002, ILSA, Bogota, Colombia.
15
12
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
droit local sont vus comme des « suppléments » du centralisme formel de l’ordre juridique
moderne »16.
La purge des conflits de « normativités » ou de « proximité » nés de l’occupation irrégulière
du sol façonne progressivement la géographie du droit de la ville. La territorialisation de l’espace
urbain marginal accompagne autrement dit, un phénomène de densification normative « par le
bas »17. Au rythme des luttes pour la conquête des droits et d’un point de vue politique, des votes, le
système juridique mute, se réinvente. Le droit apparaît plus que jamais « vivant » : « ibi societas, ibi ius ».
Entendues dans un sens comme dans l’autre, les approches d’une territorialisation comme
« produit d’un processus normatif » ne manquent pas de soulever, juste retour des choses, la
question d’une « territorialité »18 du droit des établissements humains spontanés.
16
Traduction personnelle de: TEUBNER, Gunther, « Two Faces of Janus: Rethinking Legal Pluralism », The Cardozo
Law Review, vol. 13, 1991, p. 1443; Proposant une approche complémentaire Santos Boaventura de Sousa énonce:
« Legal pluralism is the key concept in a post-modern view of law. Not the legal pluralism of traditional legal anthropology in which the
different legal orders are conceived as separate entities coexisting in the same political space, but rather the conception of different legal spaces
superposed, interpenetrated and mixed in our minds as much as in our actions, in occasions of qualitative leaps of sweeping crises in our life
trajectories as well as in the dull routine of eventless everyday life » extrait de: Boaventura de Sousa Santos, "Law: A Map of
misreading. Toward a postmodern conception of law", Journal of Law and Society, 14, 1987, 293; du même auteur: “Modes
of production of law and social power”, International journal of the sociology of law, vol 13, 1984, pp. 115-138; voir aussi sur la
question du pluralisme juridique, la distinction entre « pluralisme vrai » et « pluralisme authentique » proposée par
Norbert Rouland: “Il existe deux types de pluralisme, dont seul le second est authentique: celui autorisé par l’Etat et celui qui échappe à
son contrôle. Le pluralisme étant l’adversaire fondamental de l’ambition unitaire de l’État (...) le pluralisme n’est que façade, et se coordonne
fort bien avec une politique unitaire et centralisatrice (l’État reste le seul maître du jeu).” In Rouland Norbert, Anthropologie juridique,
PUF, coll. “Droit fondamental”, Paris, 1988, 496 p., p.88-89; voir enfin: Sally Moore "Law and social change: the semiautonomous social fields as an appropriate object of study", Law and society, vol 7, 1973, p.719-746; TAMANAHA, Brian
Z. “Understanding legal pluralism: past to present, local to global”. Sydney L. Rev., 2008, vol. 30, p. 375; WOLKMER,
Antonio Carlos, Pluralismo jurídico: fundamentos de una nueva cultura del derecho, Colección universitaria/Mad.Textos juridicos,
2006; Maldonado, Daniel BONILLA "Extralegal Property, Legal Monism, and Pluralism." The University of Miami InterAmerican Law Review 40.2 (2009): 213-238.
17
Pour des approches méthodologiques similaires : RAJAGOPAL, Balakrishnan, International law from below : development,
social movements and Third World resistance, Cambridge University Press, 2003; voir aussi Santos, BOAVENTURA DE
SOUSA y al., El derecho y la globalización desde abajo: Hacia una legalidad cosmopolita, Anthropos Editorial, 2007.
Pour une définition générale du concept de « territorialité » : « Territorialité : ensemble non fini d’éléments, de caractères, de
valeurs, de composants, de référents, de rapports, de nature propre et de fonctionnalités constituant une structure et un corps à une construction
territoriale physique, cognitive ou virtuelle lui donnant son identité politique, économique ou sociale. Cette structure perceptible, déterminable et
reproductible est soumise à l’ambivalence de l’objectivité de ses acteurs et de la subjectivité de tout observateur. Cette structure associe, au sein
d’une mouvance phénoménologique, des constituants subjectifs et objectifs dépendants de la géographicité de chaque individu et collectivité qui
s’exprime dans/sur les espaces terrestres ou virtuels. La détermination de ces spécificités se réalise par l’emploi des concepts de différenciation,
de moindre contrainte, de rupture/continuité, de réentrée et de temporalité, regroupé au cœur de l’interface humanité/espaces terrestres, objet de
18
13
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Partant d’une telle hypothèse, rappelons, en guise de parenthèse introductive, que le projet
de recherche prend racine dans le terreau « guayaco ». Le travail s’inscrit dans une expérience de vie
nettement circonscrite à l’Équateur. Il laissera pleinement ouverte la question des possibilités, et des
conditions éventuelles, de son extrapolation à des réalités jumelles. Des scénarios emblématiques tels
que ceux de Quito, Bogota, Lima, Caracas, Panama, La Paz, Mexico et leurs consœurs brésiliennes
présentent en effet l’immense défaut, dans l’expectative du très prochain clonage humain ou d’un
ticket gagnant au « poso milionario » — la loterie nationale —, de ne pouvoir être « vécues » qu’à
travers le reflet déformant des discours de gouvernance internationale. La littérature apparaît bien
souvent parsemée à ce sujet. La comparabilité du cas de Guayaquil relève bien, en somme, d’une
simple et fragile hypothèse de recherche. La construction d’un tel critère ou « pont de
comparabilité » entre les villes du Sud constitue, autrement dit et jusqu’à preuve du contraire, l’objet
d’un programme de recherche en suspens.
Refermant la parenthèse, observons à présent dans quelle mesure la tectonique des plaques,
née du paradoxe « d’inclusion-dissociation » juridique des asentamientos à la trame urbaine, met en cause
le projet et les conditions fragiles du vivre ensemble, du « buen vivir ». Les retouches successives de
« régularisation-spécialisation » du « régime juridique » applicable à l’espace et à l’état des personnes
mettent en péril la légitimité sociale de l’action publique, les choix d’un gouvernement de la ville
« par et avec l’arme du droit ». La capacité de l’état à gouverner un territoire, à respecter et faire
respecter les règles du jeu démocratique, et, plus fondamentalement encore, à sauvegarder la valeur
intrinsèque des milieux, des individus et des communautés qui le composent — « l’habitat » —,
représente, en d’autres termes, une source de conflit social à l’aube de l’Anthropocène.
Le risque avéré de violences systémiques, d’une instrumentalité du droit et de ses usages, par
et au profit de groupes sociaux « dominants », fait planer l’ombre d’un rapport discriminatoire et
traumatisant aux formes et aux figures de l’institutionnalité, à un « droit des autres ». Le processus de
territorialisation exacerbe, en somme, certaines vulnérabilités rémanentes à l’entreprise de régulation
et de « pacification » des rapports sociaux par l’intermédiaire de l’État de droit moderne… Les
vagues d’éviction forcées, la chasse de l’autorité municipale aux vendeurs ambulants, en sonnent de
tristes et fréquents rappels dans l’actualité des asentamientos. Les idéologies du Développement,
la géographie. » Extrait de : Yannick BRUN-PICARD, L'humanisme géographique, Thèse présentée à la faculté d'études
supérieures de l'Université Laval, mars 2005, version consultée du 12 juillet 2010, p.345-346.
14
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
portées tour à tour par la municipalité, l’État central et, plus généralement, l’ensemble du réseau des
acteurs de gouvernance, trébuchent inévitablement sur la réalité des territoires.
À l’échelle du projet doctoral, l’énoncé du présupposé de recherche ira généralement de pair
avec l’observation et le vécu expérientiel d’un phénomène procédant de telles tensions. Les acteurs
juridiques « professionnels » s’exposent, du simple fait d’une immersion croissante de leurs pratiques
dans l’orbite de ces « contextualités » ou « territorialités » urbaines marginales’19, à un continuum de
contraintes, de dilemmes et de conflits de légitimation sociale. L’opportunité, les méthodes, ainsi que
les motifs de l’agir juridique professionnel, semblent questionnables.
Précisant la piste de réflexion, la mise en cause de la fonction sociale des acteurs juridiques
« professionnels » évoquée dans l’intitulé de la thèse ne relèverait pas, en ce sens et a priori, d’un
questionnement spontané. Cette dernière prend généralement racine dans le déchiffrage d’une
problématique rémanente d’acceptabilité socio-environnementale du droit, de ses usages et, plus
justement sans doute, de ses formes particulières d’expression et de réalisation aux prises avec la
formation et la consolidation desdits asentamientos.
Le tissage et la nature des liens établis entre l’acteur juridique « professionnel », l’ordre ou
système juridique « de référence » forgé dans l’ombre d’un lointain totem colonial, du mythe
constituant et fédérateur de l’état de droit social et de la « revolucion ciudadana », présentent la
particularité de placer les juristes dans une situation complexe à divers égards.
La doctrine déploie classiquement, face à l’état de différentiation des rapports individuels et
collectifs à l’institution du droit et à ses pratiques, un important arsenal analytique. La distinction
catégorique, classiquement opérée entre, d’un côté, le « juriste’
20
, le « travailleur’
21
ou le
19
Distinguons en terme général le concept de « contexte » de celui de « contextualité » dans une optique similaire à la
distinction pouvant être opérée entre « réel » et « réalité ». L’évocation de la « réalité » ou de la « contextualité » renvoient
respectivement au jeu d’habillage du « réel » et du « contexte » à travers la médiation du ‘soi’, de la psyché de l’acteur
juridique. Sur la question du ‘droit en contexte’: BAILLEUX, OST, « Droit, contexte et interdisciplinarité: refondation
d'une démarche », Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 2013, vol. 70, no 1, p. 25-44. ; GEA Frédéric, « Brèves
réflexions sur l'identité et la (con)textualité du droit », Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 2013/1 (Volume 70),
p. 99-107.
20
KOUAM, Siméon Patrice, 'La définition du juriste et la redéfinition de la dogmatique juridique (à propos du
syncrétisme méthodologique)', Les Cahiers de droit, vol.4, 2014 ; BAUZON Stéphane, Le métier de juriste : du droit politique
selon Michel Villey, Sainte-Foy Québec : Presses de l'Université Laval, Sainte-Foy, 2003 ; Véronique CHAMPEIL
DESPLATS observe sur ce registre : « Le mot « juriste » mérite lui-même d'être décomposé. Il peut renvoyer aux autorités normatives,
15
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« professionnel du droit » — « abogado » ou « lawyer » sur le plan du droit comparé — et, de l’autre, la
personne « biojuridique 22 » (rattrapée momentanément par sa condition « d’usagère du droit », de
« profane » et même parfois de « non-sujet ») éclaire une configuration structurelle des rapports
individuels ou collectifs « au droit » et, chemin faisant, des rapports « de droit ». Le processus de
dissociation et de catégorisation se trouve évoqué, d’une manière tout à fait éclairante, par Danièle
Lochak dont le propos est repris ci-dessous :
« Les détenteurs du savoir juridique sont donc en nombre limité. Il y a d’abord ceux que
l’on appelle les “praticiens” du droit :
avocats et magistrats, conseils juridiques,
notaires... ; ensuite, les professeurs de droit, qui transmettent le savoir juridique et jouent
un rôle capital dans sa formulation et sa systématisation ; on peut également inclure les
membres de certaines professions amenés à fréquenter et appliquer quotidiennement le
droit : cadre d’entreprise (…) ou fonctionnaires, formés pour la plupart dans les facultés
de droit ; enfin, il y a tous les acteurs individuels ou collectifs de la vie sociale qui
détiennent, à titre professionnel ou non, des fragments du savoir juridique dans les
domaines qui les concernent directement, tel le syndicat qui connaît sur le bout des doigts
le contenu des conventions collectives ou la législation sur le licenciement »23.
Dans quelle mesure cette distinction charnière, familiarisée à travers les théories « réalistes »
et « critiques » du droit, paraît-elle particulièrement significative dans l’orbite urbaine marginale ?
Pourquoi l’essai de transposition d’une telle approche, dans l’orbite des contextualités urbaines
marginales, paraît-il opportun ?
c'est-à-dire aux autorités habilitées à produire des normes juridiques (le législateur, les juges, l'administration…), ou à celles et ceux qui
analysent ou commentent l'activité de ces premières. » in CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, Méthodologies du droit et des sciences
du droit, Dalloz, 2014, p.11.
MÜLLER, Friedrich, Discours de la méthode juridique, voir en particulier « le sujet de la concrétisation », Ébauche d’une
méthodologie juridique, Presses universitaires de France, 1996, p.227-229 ; JOUANJAN, Olivier, "D’un retour de
l’acteur dans la théorie juridique », Revue européenne des sciences sociales. European Journal of Social Sciences XXXIX-121, 2001, p.
55-64.
21
22
BAUZON Stéphane, La personne biojuridique, Presses universitaires de France, 2006.
23
LOCHAK Danièle, « Conclusions, Les usages du savoir juridique », in : Les usages sociaux du droit, Presses
universitaires de France, 1989, p.328.
16
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Observons, dans le sillon de ces questionnements liminaires, une possible ramification des
angles d’attaque. Les registres à partir desquels spécifier le caractère problématique du rapport
institué entre « professionnels » et « usagers » du droit dans l’orbite des marges urbaines apparaissent,
de prime abord, multiples et variés. Exposés aux rayons de la territorialisation, les « travailleurs du
droit » ne sauraient tout d’abord échapper à la mise en cause du lien unissant la conduite des usages
et pratiques professionnelles à la figure symbolique de l’État, au gouvernement de la ville24 et à ce
que la doctrine désigne parfois comme l’univers des relations de « guichet’25. Les juristes ne sauraient
de même se soustraire au questionnement des modalités d’adaptation du « service », des normes et
méthodes du travail juridique à la contextualité urbaine marginale.
Affinant la circonscription des points névralgiques dont l’examen animera la suite des
analyses, les propos suivants remontent progressivement des racines vers les branches mères de
notre « arbre de problèmes ». Quatre artères d’excavation « transversales » sont distinguées cidessous.
-
Une première ramification de la problématique tiendra à l’état général d’instrumentalité
des usages et pratiques professionnels et à la mesure de leur placement au service d’une
politique de gouvernance urbaine. Comme acteurs juridiques « lato sensu », les travailleurs du
droit demeurent, en tout état de cause et par définition, les accessoires d’un pouvoir institué.
-
Es qualités, les acteurs juridiques « professionnels » intègrent, par convention, un groupe
d’agents auxquels l’ordre juridique étatique attribue, à travers la production d’énoncés
normatifs, un ensemble d’attributs et de fonctions réputées particulières au sein du groupe
social « dominant’ 26 . Ces derniers apparaissent, dès lors et en tout état de cause,
24
Le concept de « gouvernement de la ville » est entendu spécifiquement ici comme noyau dur du phénomène de
‘gouvernance urbaine’.
25
Voir généralement : Dubois. La vie au guichet relation administrative et traitement de la misère. 2e édition éd. Paris:
Économica, Études politiques, 2003; SARAT, Austin «The Law Is All Over": Power, Resistance and the Legal
Consciousness of the Welfare Poor," Yale Journal of Law & the Humanities, 1990, Vol. 2: Iss. 2, Article 6.
Pour une définition du concept d’acteur juridique voisine : « Système juridique : 1. Le système juridique est constitué
d’un ensemble d’énoncés à fonction prescriptive produits par les acteurs juridiques. 2. Les acteurs juridiques sont ceux
qui sont désignés comme tels par les énoncés du système juridique ». Extrait de : CHAMPEIL-DESPLATS Véronique,
« Proposition pour une théorie des contraintes juridiques » in : Michel TROPER, Véronique CHAMPEIL-DESPLATS
et Christophe GRZEGORCZYK, Théorie des contraintes juridiques, Bruylant/LGDJ, 2005, p.13.
26
17
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
particulièrement exposés au jeu des recompositions d’une condition d’agent : agents d’un
système de pensée, d’une idéologie27, d’un langage et, in fine, de pratiques coutumières d’un
gouvernement des humains, du vivant et des espaces par le droit.
-
Remontant progressivement vers le nœud de la discorde, l’éventail des pratiques
décisionnelles et argumentatives gravitant autour de la règle de droit et conformant, très
schématiquement, l’architecture centrale des usages et pratiques professionnelles du droit
« en sociétés », laisse par définition une empreinte singulière sur l’opération des systèmes
juridiques. Cette situation singulière tend, dès lors, à apparaître elle-même à la fois comme
l’attribut et la promesse d’un « pouvoir » — a fortiori, d’un « contre-pouvoir » ou pouvoir de
“résistance” —. Usages et pratiques professionnelles, entendues comme “pièces et rouages
constitutifs de l’appareil ‘droit’ », tendent, dès lors et à ce titre, à faire l’objet d’une régulation
politique et juridique propre. Lesdits acteurs de gouvernance — ‘communauté des professionnels
du droit’ incluse — s’affairent sur ce registre à des travaux de clôtures discursives, logiques et
normatives en vue de préserver la marche du système institué. La nébuleuse de l’État de droit
moderne — mais surtout la minorité des individus venant à constituer son enveloppe charnelle — veille,
en d’autres termes, à inscrire les conditions d’une ‘confiance légitime’ en ses institutions et
modes opératoires dans le temps et dans l’espace. L’administration publique et les acteurs de
gouvernance organisent et communiquent les termes de leur légitimité à intervenir sur la
réalité socio-environnementale du territoire urbain marginal. Chemin faisant, la ‘cathédrale’
répond ‘publiquement’ du pouvoir conquis et retenu par ses agents. L’agir juridique
‘professionnel’ et la variété des pratiques en périphérie des villes du Sud n’apparaissent pas, à
l’évidence et en guise de synthèse provisoire sur cette question, libre de tout déterminisme
systémique, méthodologique ou normatif 28 . Le système juridique produit et sécrète ses
propres contraintes de légitimité ou d’efficience au contact de la contextualité urbaine
marginale.
MILLARD, Eric, 'L’État de droit, idéologie contemporaine de la démocratie’, Boletín mexicano de derecho comparado,
2004, vol.37, p.111.
27
Lorsque l’on parle ici de liberté professionnelle, on se réfère bien à une liberté au sens « juridique »… « Dire que
l'interprète est juridiquement libre implique que son comportement est arbitraire et capricieux uniquement si la liberté, au sens juridique du
terme, c'est-à-dire le droit d'accomplir n'importe quelle action ou de donner n'importe quel contenu à ses décisions, était la même chose que la
liberté au sens philosophique, l'absence de tout déterminisme. » in : TROPER, Michel, CHAMPEIL-DESPLATS Véronique and
GRZEGORCZYK Christophe, Théorie des contraintes juridiques, Bruxelles Paris : Bruylant LGDJ, Bruxelles Paris 2005,
p. 3.
28
18
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
Poursuivant la logique d’une problématisation par ‘association’ ou ‘instrumentalisation’,
l’acteur juridique professionnel entretient, de qui plus est, une relation singulière de
dépendance avec cet ordre juridique étatique ‘de référence’. Ce dernier en tire très
généralement
un
parti,
qu’il
s’agisse
d’un statut
‘socioprofessionnel’
ou,
plus
pragmatiquement encore, les conditions économiques de sa subsistance. Usages et pratiques
professionnelles du droit en ville restent exposés en d’autres termes, depuis leur face ‘interne’
comme ‘externe29’, aux reflets d’une communauté identifiée sur la base d’un critère aussi bien
sociohistorique que juridique. Dépositaires présumés d’ « acquis », de « connaissances » ou de
« savoir-faire » techniques fondamentalement attachés à l’exercice et à l’expression de
l’autorité et de la puissance publique, le travailleur du droit demeure captif du rapport
entretenu au système juridique étatique. Cette posture intermédiaire ne manquera pas
d’ambigüité une fois considérée aux portes de l’asentamiento.
-
Une seconde ramification de la problématique tiendra ensuite à la mesure et à la
consolidation d’une fonction d’intermédiation juridique « professionnelle » dans les
interstices de l’entreprise de gouvernance urbaine.
-
Un corpus d’usages et de pratiques, conquis à la fois « dans » et « sur » le champ desdites
« possibilités institutionnelles », émerge dans l’entremise d’un rapport bien souvent accidenté
entre le foyer urbain marginal et les diverses figures de l’autorité publique. La « fonction sociale
de l’acteur juridique professionnel » se distingue, en somme et assez fondamentalement, de celle
préalablement assignée à « l’agent du droit » et de l’idéal type de l’acteur parachuté « au service
du droit, muni d’une trousse à outils biens calibrés en vue d’accomplir une « mission » ou
fonction régalienne.
-
La mise en culture du champ des libertés professionnelles -respectivement envisagées
comme « libertés d’entreprise du droit », « libertés d’exercice professionnel du droit » 30 et
« Les formes et les apparences que prend le droit pour celui qui l’observe de l’extérieur, c'est-à-dire sans vouloir connaître ou vouloir tenir
compte de sa logique propre, des articulations qu’il comporte et des artifices dont il se sert pour assurer son unité et sa cohérence. » extrait de :
ORIANNE, TERRÉ, Apprendre le droit: éléments pour une pédagogie juridique, Éd. Frison-Roche, 1990, p.159.
29
Alain Supiot, citant le Conseil d’État en France énonce sur ce registre que la liberté professionnelle désigne en droit en
droit du travail et dans son sens le plus générique un principe de « libre accès à l’exercice par les citoyens de toute activité
professionnelle n’ayant fait l’objet d’aucune limitation légale » extrait de : SUPIOT Alain, Le droit du travail, Les libertés
professionnelles (Chapitre IV), Que sais-je ? p.47.
30
19
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« libertés du travail juridique » essentielles à tout système démocratique — peut être observée
dans le giron d’une série de dialogues :
-
-
« travailleurs du droit et habitants de l’asentamiento »,
-
« travailleurs du droit et autorités publiques » et, finalement,
-
« travailleurs du droit et employeurs »
Se dessine, dans le sillon de ce processus de dissociation, un panel de figures publiques
gravitant autour de l’asentamiento. « Avocats des pauvres », « facilitateurs administratifs » ou
« tramitologos », « leaders populaires », « dirigeants communautaires » : tous adaptent et
mobilisent un fragment dudit savoir-faire juridique « professionnel ». Ils partagent une
séquence de gènes « codante » et, ici encore, porteuse d’une empreinte sociale significative.
-
Le rapport institué, de manière plus ou moins directe au profane et à la « communauté », se
diversifie. Une instrumentalité bien particulière des usages et pratiques du droit se définit
progressivement. Usages et pratiques professionnelles du droit participent, par exemple, à la
formation et à la défense des causes sociales ou environnementales. Ils accompagnent la
conduite de négociations avec les autorités publiques en vue du rattachement administratif et
sanitaire à la trame urbaine. Le travail juridique répond, inversement, à une logique de
substitution à l’autorité publique. Il facilite le déploiement de capacités normatives et
régulatrices « locales » face à la carence ou au dépassement temporaire des moyens publics
— organisation des conditions de vie collective, médiation des conflits de proximité et sanction des
comportements considérés comme « déviants ».
-
La résilience d’agendas et d’intérêts financiers fomente, en dernière instance, le
développement des marchés immobiliers. Usages et pratiques du droit potentialisent sur ce
registre la spéculation foncière et le trafic de parcelles habitables, promises par le jeu du
lobbying politique et juridique à une prochaine vague de « légalisations ».
-
Chacune des situations d’engagement des usages et pratiques professionnelles évoquées cidessus confirme l’émergence d’un pouvoir local, dans l’ombre de la gouvernance urbaine.
Chemin faisant, les risques de déraillement du système se précisent.
20
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
Une troisième ramification de la problématique tiendra ensuite au constat d’une
technicité croissante du droit des espaces urbains marginaux, virage épistémologique luimême révélateur d’un schéma de spécialisation des usages et pratiques professionnels. La
formation et la consolidation des asentamientos engagent — au même titre par ailleurs que
certains projets de démantèlements opérés dans le cadre de la légalité —, un chemin long et tortueux
d’arbitrage des conflits de proximité et de juridiction. Un méticuleux travail de réparation et
d’harmonisation des réseaux de normes sociales et juridiques court-circuités au fil de la
territorialisation s’engage sur une période de dix à trente ans. Le basculement progressif de
l’étiquette « “invasion” à celle “d’établissements humains consolidés”, le passage du captage artisanal
à la mise en réseaux des services » électricité, d’eau, de transport et d’assainissement, reflètent
assez nettement un processus de conquête des droits.
-
Pisarello Gerardo évoque sur ce registre l’enjeu primordial de consolidation des capacités
participatives du sujet de droit comme préalable à la réalisation des droits sociaux :
« Le pouvoir se discipline comme la conséquence d’actes externes qui l’hétérolimitent. Face
à cet état de fait, il semble évident qu’il n’existe pas de tutelle des droits sans institutions
obligées à les garantir. Mais il n’existe pas non plus d’institutions “obligées” en l’absence
de sujets capables “d’obliger”. Pour cela, les droits, surtout quand ils comportent des
limites ou des liens incisifs à l’encontre de l’exercice du pouvoir, sont conquis bien plus que
concédés. Et s’ils ne sont pas conquis, ils tendent à perdurer comme lettre morte. Le statut
fragilisé des droits sociaux dans les ordres juridiques contemporains s’explique, dans une
large mesure, par cette réalité. Ladite crise de l’État social ainsi que la perte progressive
de normativité des droits sociaux constitutionnellement reconnus, résulterait inintelligible
si l’on ne tenait pas compte de l’affaiblissement des sujets chargés de l’exiger. Cette réalité
justifie d’aborder la question de la garantie des droits depuis une autre perspective. Non
seulement ni tant comme un phénomène institutionnel, étatique, sinon comme un
phénomène social, citoyen »31.
31
Extrait et traduction personnelle à partir du passage original : « El poder sólo se disciplina como consecuencia de actos externos
que lo hetero-limiten. Así las cosas, resulta evidente que no hay tutela de los derechos sin instituciones obligadas a garantizarlos. Pero no hay
instituciones obligadas en ausencia de sujetos capaces de obligar. Por eso los derechos, sobre todo cuando comportan límites o vínculos incisivos
al ejercicio del poder, son conquistados más que simplemente concedidos. Y si no son conquistados suelen permanecer como letra muerta. El
estatuto debilitado de los derechos sociales en los ordenamientos contemporáneos se explica, en buena medida, por esta realidad. La llamada
21
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
Sous sa forme la plus courante et sans aucun doute la moins romantique, l’émergence de
sujets historiques capables d’obliger, de négocier, de transiger, d’interpréter, d’argumenter ou,
dans les cas extrêmes, de renverser la loi étatique, soulève, à un moment donné, la question
de l’accompagnement ou du conseil juridique. Un tiers « autorisé » par le système, rompu à
ses arcanes, intervient. Ledit processus de « conquête des droits » s’avère, autrement dit,
propice à la production et à la valorisation d’un savoir-faire technique souvent précieux. La
sollicitation et le développement d’une pratique du droit « de » et « à » la ville, elle-même
évocatrice d’une connaissance préalable de l’asentamiento et des grands enjeux de régulation
de la croissance urbaine, paraît somme toute évidente.
-
L’émergence d’une connaissance technique à l’image de tout processus d’innovation et de
mise en application de savoirs « acquis » et « reproductibles » soulève une série de problèmes
bien connus du droit. La question des modalités de circulation, de transmission et d’accès à
ce savoir-faire, celles d’une juste rétribution du travail juridique ; celles des risques d’une
entrée dans le commerce — « mercantilisation » ou « offre au plus offrant » —, et plus
spécifiquement, d’une instrumentalisation pathogène, à des fins contraires à l’ordre public ou
environnemental, paraissent incontournables.
-
Une quatrième branche de la problématique partira, finalement, d’un constat inverse:
l’expérience d’un état de déconnexion plus ou moins prononcée entre, d’un côté, des
« moyens » — a fortiori des présupposés aussi bien idéologiques que méthodologiques — généralement
attachés à l’usage du droit comme levier d’intervention dans le cadre de politiques et de
projets sociaux ou humanitaires et, de l’autre, la nature du besoin et des demandes
d’accompagnement juridique « professionnel ».
-
La fragilité, l’inefficience et le caractère bien souvent éphémère du dialogue entrepris entre
juristes et usagers du droit par l’intermédiaire desdits projets « d’aide ou de coopération au
développement », « de réforme de la justice », « d’accès au droit », « de participation et de
crisis del estado social, así como la progresiva pérdida de normatividad de derechos sociales constitucionalmente reconocidos, resultaría
ininteligible sin tener en cuenta el debilitamiento de los sujetos encargados de exigirlos. Esta realidad justifica abordar la cuestión de las
garantías de los derechos desde otra perspectiva. No sólo ni tanto como un fenómeno institucional, estatal, sino como un fenómeno social,
ciudadano” in: PISARELLO Gerardo, “Los derechos sociales y sus garantías: notas para una mirada "desde abajo"”,
extrait de, La protección judicial de los derechos sociales, Christian COURTIS y Ramiro Avila SANTAMARIA (eds.),
Serie Justicia y derechos humanos, Neo-constitucionalismo y sociedad, 1ra edición, octubre 2009, p.31-55.
22
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
renforcement des capacités locales » ou « d’empowerment’ 32 — au même titre par ailleurs le
dialogue instauré aux guichets des bureaux d’aide et des services d’assistance juridique gratuite 33 — invitent
généralement à questionner les conditions de sollicitation et de récursivité des usages et
pratiques professionnelles du droit au service du développement local.
-
Aux prises avec les limites et les artifices de son « art », la communauté des « juristes » « abogados » ou des « legal professionals » —, enrôlée dans les soubresauts du mythe
développementaliste, se trouve acculée à des questionnements auxquels elle ne « peut pas »
ou « ne sait pas » répondre avec simplicité, en termes « opérationnels ». Au risque du raccourci
trivial et contrairement au secouriste de la Croix rouge Internationale intervenant sur la scène
d’un accident ou d’une situation à risques, la probabilité pour que le juriste humanitaire
fraichement sorti d’usine demeure impuissant face à des traumatismes juridiques34 pourtant
bien réels paraît, à ce jour, une hypothèse largement commune. L’atrophie des moyens et des
méthodes de diagnostic, tout comme le défaut d’une codification des gestes de première
urgence, met directement en cause les déficits d’un cursus, parcours de formation
intellectuelle et humaine « aux pratiques du développement local ». Si la greffe des « usages et
pratiques sociales » du droit aux réalités d’un territoire et d’une communauté d’habitants ne
semble pouvoir prendre qu’à de très rares occasions, quelles sont-elles ? Il restera, aux prises
avec les circonstances, à définir si de telles difficultés méthodologiques peuvent, en dernière
instance, être dépassées ? À quelles conditions? Dans quelle mesure les usages « sociaux » du
droit, dans l’orbite « urbain marginal » sont-ils susceptibles d’être optimisés, systématisés,
vulgarisés ?
Voir: TAMANAHA Brian, “Primacy of Society and the Failures of Law and Development”, The Cornell International law
journal, 2011, vol. 44, p. 209; DAVIS Kevin, TREBILCOCK Michael, “The relationship between law and development:
optimists versus skeptics”, American Journal of Comparative Law, 2008, vol. 56, No. 4, p. 895-946.
32
Office partagé, en Équateur, entre les institutions de la ‘defensoria publica’ et ‘defensoria del pueblo’ et une poignée
d’organisations de la société civile.
33
Traumatismes généralement liés à l’accès et à l’exercice de la personnalité juridique ou à la destruction de biens et de
valeurs juridiquement protégés.
34
23
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
•... instrumentalisation
des usages et pratiques
professionnels au
service du
gouvernement urbain
•... « spécialisation » et
de « technicité » du
droit des espaces
urbains marginaux.
Problématisation
du rapport
« professionnel —
usager »...
Problématisation
du rapport
« professionelusager »...
... dans l’orbite du
gouvernement
urbain...
... dans l’orbite de
la contexturalité
urbaine marginale
•... résilience des usages
et pratiques
professionnels dans
l’ombre du
gouvernement urbain
•... extranéité et
d’inefficience des usages
et pratiques « sociales »
du droit.
Figure 1 Arbre des problèmes introductif : schéma général de questionnement du rapport
« professionnel-usager » en périphérie des villes du Sud
Les problèmes soulevés à titre de propos introductif — repris à titre de synthèse dans la figure
insérée ci-dessus (Figure 1) — attisent le débat touchant généralement aux conditions d’implication des
professionnels du droit au regard de la formation et de la consolidation des « asentamientos ». Ils
paraissent de même évocateurs d’un chemin restant à parcourir, non pas seulement sur le plan de la
« praxis », mais aussi de la gouvernance. L’accompagnement et l’ingénierie des usages et pratiques
professionnelles du droit dans l’orbite de la contextualité urbaine marginale des villes du Sud
apparaissent en ce sens comme des enjeux transversaux.
La territorialisation des asentamientos emporte, de manière somme toute évidente, une
recomposition à la fois normative, discursive et méthodologique de l’agir juridique aux portes de la
ville. Le sentiment d’obligation professionnelle, d’abord entendu comme le produit d’un état de
crainte — « imaginaire de la sanction » — puis comme celui d’une « responsabilité », au sens
24
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
philosophique de la préoccupation croissante pour un « avenir menacé35 », mute. Le panel des usages
et pratiques professionnels s’affirme à la fois comme facteur, outil, condition, mais aussi, et de
manière plus troublante, comme une entrave à la transformation sociale 36 . Sa dimension
éventuellement marginalisante, discriminatoire ou traumatique dans l’orbite périurbaine ne peut, en
tout état de cause, être éludée : des valeurs juridiquement protégées sont menacées.
Le risque du « désenchantement » 37 , au moment de toucher terre, paraît de même
particulièrement élevé :
-
des évènements, « situations de fait », contredisent le mythe de l’utilité socioenvironnementale des usages et pratiques professionnelles — états de dissonance entre le droit « en
action » et le droit « en projet » — ;
-
des systèmes normatifs alternatifs tels que la morale, la religion, la justice populaire ou la
coutume indigène court-circuitent la marche du système juridique étatique — états de mise en
concurrence des usages et pratiques professionnelles avec l’éventail des « us et coutumes » de l’asentamiento — ;
-
certains éléments fondateurs, rouages constitutifs de la « cathédrale » ou du « complexe
juridique », apparaissent de plus en plus invraisemblables. Le confort précaire de la fiction et
de la présomption juridiques s’évanouit — états d’incohérence entre « faits d’expérience » et « états de
connaissance » —.
Penser et concevoir la fonction socio-environnementale des acteurs juridiques constitue,
dans de telles circonstances, une condition à la fois particulière et nécessaire au projet d’inscription
35
Citant HANS Jonas : « Quelle que soit la faiblesse de la parole face à la contrainte des choses et face à la poussée des intérêts, elle peut
néanmoins contribuer à ce que cette conscience franchisse le pas de la crainte vers la responsabilité pour l’avenir menacé et que nous devenions
ainsi un peu plus disponibles pour ce que la cause de l’humanité exigera de nous avec une urgence croissante.», extrait de JONAS, Hans,
Le principe de responsabilité, Flammarion, 1995 p.20 cité in SCHÉOU, Bernard, Du tourisme durable au tourisme équitable: quelle
éthique pour le tourisme de demain?, De Boeck Supérieur, 2009, p.41.
Guy Rocher définit la transformation sociale comme « une transformation observable dans le temps qui affecte d’une
manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une
collectivité donnée et modifie le cours de son histoire”, Lexique de sociologie Dalloz, éd.2016.
36
37
Sur la question du « désenchantement » : CHAPELLON S ; TRUFFAUT J ; MARTY F., « Le Père Noël : fonction
sociale et destin psychique d’un culte enfantin », Nouvelle Revue de Psychosociologie, n° 16, 2013.
25
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
temporelle, spatiale et « qualitative » des usages et pratiques professionnelles dans l’orbite de la
contextualité urbaine marginale38.
Annonciateur du tournant micropolitique, auquel renvoie généralement l’idée d’une « pensée
de l’agir juridique » — entendue au sens d’une pratique réflexive et structurante du droit et de ses usages à la fois
« dans » et « au service de » l’action ou de l’engagement —, Carl Jung écrivait déjà en 1918 :
« Une minorité, trop faible encore, se demande si, en définitive, la meilleure façon de servir
la société et les hommes ne serait pas de commencer chacun par soi-même, d’essayer
d’abord et uniquement sur sa propre personne, dans sa propre économie interne, les
réformes prêchées à tous les carrefours. Un certain bouleversement de l’ordre établi, un
branle-bas de combat intime, la dissolution de ce qui existe et le renouveau intérieur sont
une nécessité pour chaque individu ; mais il ne s’agit pas de les imposer aux autres sous le
couvert hypocrite de l’amour chrétien du prochain, du sentiment de responsabilité sociale,
ou de je ne sais quel autre prétexte masquant des besoins inconscients de domination »39.
Le parcours doctoral s’érige suivant ce registre d’idées, en point d’étape. Un pas en retrait de
la pratique, la thèse se fixe pour objectif général de clarifier un certain nombre de valeurs et de
présupposés fondamentaux — à la fois épistémologiques et méthodologiques —, estimés déterminants au
regard d’une construction de l’agir juridique « en contexte ».
Joan Stavo-Debauge suivant une démarche voisine décrit les contours généraux d’une « pensée de la réalisation du
droit » en ces termes : « (…) penser la réalisation du droit, ce n’est pas uniquement s’inquiéter de l’effectivité du droit, c’est d’un même
tenant devoir penser la préparation de l’environnement, des situations et des personnes au cheminement et à la concrétisation des contraintes, des
objectifs, des garanties et des exigences du droit. En premier lieu, la pensée de la réalisation du droit ne se débloque que pour autant que l’on
considère que la déclaration des droits ou l’adoption des lois n’entraîne pas automatiquement leur effectivité. En second lieu, une réflexion sur
la réalisation du droit ne gagne sa véritable ampleur que pour autant que l’on estime que le droit ne se réalise pas seulement à l’occasion des
actions en justice et des procès auxquels ces actions peuvent donner lieu. Pour que le droit s’anime et que la question de sa réalisation vienne à
être posée, d’abord au juge que certains auteurs mettent au centre, il convient que les individus se fassent ou soient faits sujets de la norme
juridique, mobilisent le droit et le fassent valoir au titre de possesseurs de droits dont ils peuvent attendre la garantie, ou s’y affrontent en se
voyant opposé ses exigences à leurs conduites et manières de faire avec les autres et dans leurs coordinations d’avec une variété d’objets et de
choses. (…)» In : STAVO-DEBAUGE J., « Le droit et la pensée de la réalisation du droit », in A. Lyon-Caen & A. Perulli
(dir.), Efficacia e diritto del lavoro, Padova, Cedam, 2008.
38
JUNG, Carl Gustav, Psychologie de l’inconscient, Paris, Le Livre de Poche, 1993, p.26 cité in Bernard SCHEOU, Du
tourisme durable au tourisme équitable : quelle éthique pour le tourisme de demain ? De Boeck Supérieur, 2009.
39
26
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Partant du cas de Guayaquil et du point de vue d’une « heuristique positive », au sens de « ce qu’il
faut chercher et à l’aide de quelle méthode’40, le propos cherchera par le biais de la démarche scientifique —
entendue alors comme « méthode » ou « instrument » — à discerner des conditions générales de plasticité,
d’adaptabilité et, in fine, de « progressivité » des usages et pratiques professionnelles, dans l’orbite
urbaine marginale. Le développement méthodologique des capacités de « situation » et, a fortiori,
« d’anticipation » ou de « réaction » face aux problématiques esquissées au fil de l’introduction laisse
entrevoir une éventuelle marge d’infléchissement, un levier pour l’action.
L’étude couvrant, en Équateur, la période de l’après-Montecristi (2007 —) investira
parallèlement certains questionnements directement liés aux difficultés de « mise en œuvre » du droit
transitoire. La conduite des réformes du système d’éducation supérieure de formation en droit et
« au tour du droit » de même que l’évolution de la responsabilité éthique et professionnelle dans le
contexte sociopolitique dudit « socialisme du XXIe siècle » feront l’objet d’une attention particulière.
Sur la question des sources et de la méthode d’investigation employée, la thèse s’appuiera
d’une manière générale sur un travail continu de recherche et d’analyse bibliographiques mené
depuis l’Équateur et, plus ponctuellement, en France. Les sources littéraires et scientifiques
privilégiées s’inscrivent dans le large éventail des travaux gravitant dans la nébuleuse des
mouvements « droit et société », « droit et développement », des « théories réalistes et critiques du droit », des
« théories et pédagogies de la libération » ainsi que desdites « approches et pratiques “alternatives” ou “cliniques” du
droit ». Les écrits produits dans les champs des « études sur l’Amérique latine » et des « études urbaines »
seront, de même, fréquemment sollicités comme points de référence au fil des écrits.
La réflexion proposée répond ensuite, conformément à un souci critique d’authenticité et de
mise en perspective de la littérature existante, au traitement d’une information de « première main »,
recueillie dans le sillon d’une démarche exploratoire.
La levée d’information « primaire » répond en premier lieu à la mise en place d’une stratégie
d’imbrication des activités relevant de l’enseignement et de la recherche scientifique « traditionnelle »
avec des activités relevant, plus particulièrement, du travail social et du développement local
40
Dollo BEITONE, Rodrigues Gervasoni, Sciences sociales, Aide-mémoire, 7ème edition, Sirey, p.8.
27
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« explorations au tour de la posture intermédiaire du “praticien-chercheur41, du volontariat et de la gestion de projet” ».
Les observations proposées au fil de la thèse composent à partir d’une immersion prolongée dans
des initiatives locales menées dans la périphérie nord-ouest de Guayaquil, Équateur _la boucle
bénévolat, volontariat, coordination de projet — (période 2007-2014).
Elle fait de même suite, en second lieu, à l’imbrication progressive du travail « de terrain » —
« étude du cas de Guayaquil » — avec la construction d’un projet de vie « binationale » à cheval entre
deux continents « explorations au tour de la posture d’expatriation ».
Achevant à présent le propos introductif, la suite de l’argumentation suivra un plan de travail
conventionnel, de type analytique en deux parties. Les deux axes de développement, correspondant
respectivement aux parties « 1 » et « 2 » de la thèse, serviront l’objectif commun de poser les jalons
d’une pratique réflexive des « motifs » — les « pourquoi » comme enjeu de substantialisation — et des
« moyens » — les « comment « comme enjeu de potentialisation — de l’agir juridique professionnel en marge
des villes du Sud.
-
La première partie de la thèse s’attachera plus spécifiquement, partant du cas de Guayaquil, à
l’étude des conditions méthodologiques de production, de validation et, in fine, de “rupture”
des connaissances sur le fait urbain marginal. Le travail ou savoir-faire de “situation » sera
abordé à la fois comme composant et comme déterminant de l’agir juridique professionnel,
en marge des villes du Sud (Partie 1).
-
La seconde partie de la thèse s’attachera à l’étude de la contrainte et du travail de légitimation
sociale : comment (re) construire l’agir juridique professionnel, « l’engagement », la
micropolitique, dans l’orbite de l’État de droit social et dudit socialisme du XXIe siècle
appréhendé sous le jour de la « Revolucion ciudadana » et de l’après post-Montecristi (2007
—) (Partie 2).
Catherine De Lavergne décrit sur un registre d’idées voisin la posture du ‘praticien-chercheur’ : « L’expression « praticienchercheur » ne signifie pas seulement que le chercheur est engagé sur un autre terrain professionnel que celui de la recherche. Elle signifie que
l’activité professionnelle génère et oriente l’activité de recherche, mais aussi de façon dialogique et récursive, que l’activité de recherche ressource et
réoriente l’activité professionnelle. « La recherche peut se trouver ainsi au service de la professionnalité, comme la professionnalité au service de
la recherche, se découvrant, se métamorphosant mutuellement dans leurs aspects les plus irréductiblement vivants. » » (Perrault Soliveres,
2001, p. 46). (…) Le tiret qui relie les deux termes, est donc la revendication d’un espace d’interaction plus étroit, dans cet « étayage
mutuel » entre le monde professionnel et le monde scientifique (Couzinet, 2003, p. 125) -citations incluses dans l’article d’origine » in : DE
LAVERGNE, Catherine, « La posture du praticien-chercheur: un analyseur de l’évolution de la recherche
qualitative ». Recherches qualitatives, 2007, vol. 3, p. 28-43. »
41
28
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Partie 1 Travail et contraintes de situation : la marginalité urbaine au crible du
terrain « Guayaco »
Aux premiers jours de janvier 2010, afin de permettre la mise en place d’un Plan hydrique, le
décret présidentiel n° 607 déclare « zone de sécurité » une surface de près de 9700 hectares à la
périphérie nord-ouest de Guayaquil42. La mesure se traduit, en substance, par le tracé d’une zone
tampon séparant d’un côté, un réseau de canaux artificiels destinés au captage des eaux pluviales, et
de l’autre, des zones d’habitation.
Sous le sceau de la sécurité publique43, la zone en question est administrativement placée
sous le contrôle temporaire des forces armées. Motif absent de la lettre du décret, mais clairement
exposé à travers le discours hebdomadaire du président Correa — les « enlaces ciudadanos » -44 : le
gouvernement central souhaite mettre un point d’arrêt à l’occupation irrégulière dans le secteur
nord-ouest de la ville. « Zéro tolérance aux invasions », la sentence est prononcée. Les trafiquants de
terre seront pénalement poursuivis.
Une nouvelle autorité administrative sera créée dans la continuité de l’annonce
gouvernementale. La mission du « Comité interinstitutionnel de prévention des Établissements irréguliers 45 »
plus tard rebaptisée en « Secretaria Técnica de Prevención de Asentamientos irregulares » (STAPHI) consistera
à « proposer des politiques publiques pour prévenir, ordonner et contrôler les établissements humains irréguliers ainsi
que coordonner et évaluer l’exécution interinstitutionnelle des politiques publiques mises en œuvre dans le domaine46 ».
42
Registre officiel République d’Équateur (RORE) n° 358 du 8 janvier 2010.
43
Le décret n°607 opère un renvoi au décret n°433 du 21 juin 2007, ROE n°114 du 27 juin 2007 qui prévoyait « la
Délimitation des espaces géographiques nationaux réservés (…) dans le but de prévenir, minimiser, contrôler les risques, gérer et exécuter des
mesures pour éviter l’aggravation de la situation géographique du secteur. »
44
Enlace Ciudadano 197, allocution hebdomadaire du président Rafael Correa: « Este Gobierno, jamás va a apoyar una
invasión, porque por pobre que seamos no podemos invadir una propiedad privada, segundo, con esa estrategia pierden los más pobres, porque
es la ley de la selva y los pobres no son los más fuertes, son los más débiles » 20/11/2010.
-Comité Interinstitucional de Prevención de Asentamientos Irregulares-; En pratique, l’action du Comité se limite essentiellement à la
mise en œuvre d’une police des asentamientos à l’échelle nationale et à l’exécution d’une tâche de coordination interministérielle.
45
46
Article du décret dans sa version originale : « Artículo 1.- Créase el Comité Interinstitucional de Prevención de Asentamientos
Humanos Irregulares, con la finalidad de proponer política pública para prevenir, ordenar y controlar los asentamientos humanos irregulares;
29
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Près de 5000 familles des 28 000 installées dans le secteur du Monte Sinaï sont directement
concernées par l’exécution du décret n° 607. L’État central propose aux foyers affectés, un plan de
relogement dont la livraison des infrastructures est annoncée pour un futur proche -le plan de vivienda
« Ciudad Victoria » — .
Au lendemain de la déclaration et de l’annonce d’une prochaine adjudication de lots aux
familles établies à l’intérieur du périmètre de sécurité, ce sont près de 1125 familles — selon les relevés
géographiques satellitaires militaires — qui, incitées par la mesure de « compensation », sont venues
édifier, en l’espace de quelques semaines, des structures de base dans cette même zone de sécurité.
Les foyers qui nourrissaient clairement l’espoir d’intégrer le programme de relogement
proposé aux futurs déplacés sont désormais sous le coup de mesures d’éviction systématiques. Le
gouvernement mobilise les forces militaires et cordons de police afin de « sécuriser » l’évacuation.
Les principales voies d’accès au secteur sont placées sous surveillance. La vente de matériaux de
construction est interdite jusqu’à nouvel ordre. Les « envahisseurs » sont délogés. Les édifications de
bambou encore sur pieds sont détruites. Au détour de cet état de siège, une solution de principe
s’impose, verticalement, depuis l’État central :
-
une offre publique de relogement et l’adjudication de terrains pour les familles en situation
d’irrégularité établies antérieurement à l’entrée en vigueur de la mesure (antérieur à décembre
2010) ;
-
l’éviction des familles « opportunistes » établies dans les semaines ayant suivi l’annonce du
Plan de Vivienda sociale et la publication du décret n° 607 (après décembre 2010) ;
-
des poursuites pénales à l’encontre des « dirigeants » suspectés d’avoir réalisé des transactions
foncières illégales — vente de subdivisions irrégulières, fraudes, etc. — et de contribuer à la
spéculation immobilière47.
coordinar la ejecución interinstitucional de dicha política; y evaluar sus resultados » Decreto Ejecutivo 1227 del 28 de junio 2012,
publicado en el Registro oficial número 747 del 17 de julio 2012.
47
Base légale: Código Penal (art. 575-A) « Serán reprimidos con prisión de dos a cinco años los que con el propósito de sacar provecho
personal y a título de dirigentes, organicen sus cooperativas e invadan tierras, tanto en la zona urbana como en la rural, atentando el derecho
de propiedad privada ».
30
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Près de deux années après la parution du décret présidentiel n° 607, une nouvelle intervention
gouvernementale vient modifier pour partie le régime juridique de la zone de sécurité. Le motif
officiel relève cette fois de l’accomplissement d’une mesure de police environnementale et de la
création d’une aire naturelle protégée — « Déclaratoria de Bosque y vegetacion protector del « papagayo
Guayaquil » 48 —.
Au titre de ce reclassement en zone d’habitat naturel du « perroquet de Guayaquil » — une espèce
locale protégée en voie d’extinction —, une large portion de la zone de sécurité passe officiellement sous la
juridiction du ministère de l’Environnement 49 . Les symptômes du conflit de proximité lié aux
établissements irréguliers du nord-ouest de Guayaquil refont, une nouvelle fois, surface. L’encadré
ci-dessous traduit et reprend, à titre d’illustration, les considérants principaux du décret ministériel.
Recensement des principaux motifs en vue de la création d’une zone protégée dans le
secteur de Monte Sinaï — Déclaratoria de Bosque y vegetacion protector de « papagayo
Guayaquil — 18 septembre 2012 :
« (…) Que l’article 14 de la Constitution de la République (…) garantit la durabilité et
le bien-vivre, sumak kawsay. Est déclarée d’intérêt public la préservation de
l’environnement (…) la prévention des préjudices environnementaux et la récupération des
espaces naturels dégradés. (…)
Que l’article 406 de la Constitution de la République détermine que l’État régulera (…)
les limites au dominio pour les écosystèmes fragiles et menacés ; (…)
La ministre du Logement (MIDUVI), expose à la ministre de l’Environnement que les
asentamientos irréguliers à l’intérieur de l’Aire réservée de sécurité ont conduit à
la dégradation du site, suite à des changements d’usage du sol, exploitation de la forêt
tropicale sèche, des arbustes et des espèces endémiques du secteur, érosion accélérée,
migration d’oiseaux et de mammifères, de même que des espèces d’oiseaux emblématiques
de la ville de Guayaquil en péril d’extinction (Ara ambigua guayaquilensis ou perroquet
de Guayaquil), raisons pour lesquelles en raison des caractéristiques biologiques
48
Décret n°105 publié au registre officiel n°791 du mardi 18 septembre 2012.
49
–superficie de 3602 sur les 9700 hectares au total -
31
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
importantes, comme l’état de conservation des écosystèmes (…) il est nécessaire de
conserver la biodiversité du secteur (…)
La déclaration de “forêt et végétation protégées” permet de créer une barrière
naturelle afin d’empêcher de futures invasions dans l’Aire réservée de
sécurité incluant la récupération du site, dès lors que depuis la vision environnementale,
les asentamientos spontanés provoquent la dégradation du site (…) de plus les familles
établies dans cette zone recourent à la possession et construisent des logements sur les rives
du canal de dérivation des eaux de l’Aqueduc de Santa Elena, tout ceci en ajoutant que
les enfants utilisent les rives du canal pour des activités ludiques qui génèrent un grave
problème pour leur propre sécurité (…) »
À l’encontre de toute attente, l’initiative provient, non pas du ministère de l’Environnement,
mais bien du ministère du Logement). La stratégie gouvernementale d’endiguement des
asentamientos irréguliers s’inscrit dans la continuité directe du décret n° 607. La justification
technique quant au tracé de la zone naturelle protégée eu égard à l’état de dégradation avancée du
milieu, de même que les objectifs de récupération, a futuro, de la faune sauvage, demeurent relayés à
un second plan.
La parenthèse refermée, le régime juridique du secteur de Monte Sinaï fait, l’année suivante,
encore une fois l’objet d’une retouche d’ensemble. Le législateur revient sur le conflit de juridiction
ayant opposé la municipalité de Guayaquil au gouvernement central. À travers la « Loi de réforme à
la Loi de légalisation de la possession foncière en faveur des habitants et possessionaires de terrains localisés dans la
circonscription territoriale des cantons de Guayaquil ; Samborondón et El Triunfo50 », les coordonnées fixant les
limites du secteur urbain sont réévaluées et étendues.
Les terrains relevant du patrimoine privé de l’État ou ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité
publique ou d’intérêt social — la majorité du secteur de Monte Sinaï — sont placés sous la juridiction du
gouvernement central. Le Ministère du Développement urbain et de la vivienda (MIDUVI), secondé par le
“Ley Reformatoria a la Ley de Legalización de la Tenencia de Tierras a favor de los moradores y posesionarios de
predios que se encuentran dentro de la circunscripción territorial de los cantones Guayaquil, Samborondón y El
Triunfo”; Registro Oficial Nº 105, Lunes 21 de octubre de 2013.
50
32
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Comité de prévention des asentamientos irréguliers, prend en main la coordination des procédures de
« légalisation » des titres de propriété. Près de 7000 certificats de possession géoréférencés — sur
16 000 prévus au départ — sont remis aux familles dont l’installation, avant la date fatidique d’entrée
en vigueur du décret de décembre 2010, a pu être attestée par relevé satellitaire51.
Le reste du secteur est, quant à lui, placé sous la juridiction de la municipalité. Une partie des
coopératives du Monte Sinaï demeurera soumise à une procédure de régularisation concurrente, en
concordance avec le cadre réglementaire et l’agenda de consolidation fixé par l’autorité municipale52.
Alors que les vagues d’éviction se poursuivent, une série de questionnements demeure à vif :
Quid de la légalité du décret présidentiel n° 607 qui n’aura jamais été mise en cause sur le
-
fond ?
Quid de l’égalité de traitement des administrés alors qu’une seule et même population se
-
trouve, suite aux ultimes soubresauts de la loi, séparée par une frontière de papier, sujette à
deux juridictions, deux agendas de régularisation concurrents — l’un étant assumé par l’État
central, l’autre par la municipalité de Guayaquil53 — ?
Quid des conditions procédurales d’exécution des mesures d’évictions, des délais de
-
notification, de l’ouverture d’un droit de recours, de l’expertise technique et de l’accès aux
relevés satellitaires pris avant et après décembre 2010 et sur la base desquels les ordres
d’éviction continuent d’être délivrés au jour le jour ?
-
Quid de la viabilité des mesures compensatoires, du plan de relogement « Ciudad Victoria »
et de l’accès à des solutions de logement « alternatives » à travers l’offre publique de
‘Adjudicaciones se han entregado en Monte Sinai’, el Telegrafo, 22 février 2014.
51
Suivant la logique d’endiguement: Mera Gino, Illegal settlements in Guayaquil, and the proposal to compete with
them, Particular solution about progressive urbanization and low cost lots for the poorest of the poor,
http://www.hdm.lth.se/fileadmin/hdm/alumni/papers/SDD_2009_242b/Gino_Mera_Giler_-_Ecuador.pdf, dernier
accès 07/02/2013.
52
MERA Gino, “Illegal settlements in Guayaquil, and the proposal to compete with them, Particular solution about
progressive
urbanization
and
low
cost
lots
for
the
poorest
of
the
poor”,
http://www.hdm.lth.se/fileadmin/hdm/alumni/papers/SDD_2009_242b/Gino_Mera_Giler_-_Ecuador.pdf, dernier
accès 07/02/2013.
53
33
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« vivienda sociale » ? Vers quelles entités les populations affectées se tourneront-elles afin de
se reloger :
-
l’état-bourreau, alors que la « livraison » des lotissements s’effectue au compte-goutte
et, plus inquiétant sans doute, que le coût d’accès aux bénéfices du plan de relogement
demeure inaccessible pour une large partie des foyers sous le coup d’une éviction
prochaine54 ? ;
-
le spéculateur immobilier « informel » de toujours, le rôdeur-vendeur de parcellespromesses que les habitants savent entachées d’un avenir incertain, mais qui
demeurent, néanmoins, économiquement les plus accessibles — « los solares » — ?
Quelle sera l’issue éventuelle d’une politique de pénalisation des trafics de terre et
d’une demande de collaboration des victimes à l’instruction des enquêtes si l’on
considère ce dernier élément ?
La matérialité d’une pratique normative — production législative et réglementaire des autorités publiques
— l’instrumentalité du droit dans l’ombre de la procédure d’éviction, se font, au miroir de ces
questionnements préliminaires, évidents.
La parenthèse « éviction » en suspens, il ne reste, dans les jours suivant l’intervention des forces
de police, que les stigmates d’une histoire qui se répète inlassablement. Les habitants encore sous le
coup des mesures d’éviction, tout en nourrissant l’espoir de sauver leurs logements de fortune en
sont rendus, de fait, à envisager comme option « d’urgence » un séjour chez des proches. La tension
liée à l’occupation de l’espace périurbain si convoité, à la construction et à l’investissement personnel
dans un foyer dont l’avenir demeurera en pointillés durant, en moyenne, près d’une génération, reste
latente. Dans une majorité de cas, les familles évincées n’auront eu d’autre option que de retenter
leur chance, déménager leurs possessions. La quête d’un logement et d’une vie décente ne disparait
pas avec l’éviction. Son flux ne fait, par définition, qu’être redirigé vers un prochain point de
crispation de la territorialisation des asentamientos. De nouvelles vagues d’occupation, face à
l’intervention gouvernementale dans le secteur de Monte Sinaï, reprennent dans d’autres secteurs
périphériques ou, plus justement sans doute, n’ont jamais cessé.
54
Una mirada a la cooperativa Las Marías de Monte Sinaí: ¿qué dice el derecho internacional en torno a los, desalojos
forzosos?, PODERES - Inteligencia Política en la siguiente; 5 juin 2013.
34
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Par effet d’inertie, le principe de réalité prend progressivement le pas sur la situation de crise. La
situation de crise s’instaure, elle, comme un aléa du « quotidien’55. Le tumulte de l’éviction se noie
dans une série d’échos dissonants :
-
la construction d’un hôpital public dans le secteur de Monte Sinaï56 ;
-
la rentrée scolaire de dix mille étudiants retardée faute de capacités d’accueil57 alors que le
gouvernement vient d’annoncer la construction de nouveaux établissements scolaires58 ;
les travaux d’extension du réseau d’électricité publique, des canaux d’eau et d’assainissement
-
aux coopératives59 ;
-
les travaux de revêtement des principales voies de transit prolongeant l’avenue Casuarina ;
-
l’inquiétude pour maintenir les tarifs du transport urbain à 0,25 dollar (désormais à 0,30 ct.)60
auquel il faut ajouter celui de la moto taxi ou du taxi informel sur le dernier tronçon du
parcours ;
la construction d’un marché public et le déplacement des échoppes de vendeurs “informels”
-
qui congestionnaient le trafic sur la Casuarina61.
55
Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, Paris, L'Arche, 1981, vol. III ; Henri LEFEBVRE,
« QUOTIDIENNETÉ », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 13 septembre 2014. Citation de l’auteur :
« Dénominateur commun des activités, lieu et milieu des fonctionnalités, le quotidien peut aussi être analysé comme aspect uniforme des grands
secteurs de la vie sociale : le travail, la famille et la vie privée, les loisirs. Ces secteurs, distincts comme formes, imposent à la pratique une
structure, où se retrouve leur aspect commun : la passivité du spectateur devant des images, des paysages. Dans le travail, la passivité devant
des décisions auxquelles le travailleur n'a aucune part. Dans la vie privée, la consommation imposée, puisque les choix sont dirigés et les
besoins suscités par la publicité et les études de marché. Cette passivité générale est d'ailleurs inégalement répartie : elle pèse plus lourdement sur
les femmes, sur la classe ouvrière, sur les employés qui ne sont pas des technocrates, sur la jeunesse, bref sur la majorité ; cependant, pas de la
même façon, pas en même temps, pas sur tous à la fois ».
“Hospital en Monte Sinaí ya cuenta con el terreno donde será construido”, El universo, Lunes 18 de febrero del 2013;
56
“Alumnos de educación basica iniciaran clases el 2 de junio en Monte Sinai y Vergeles”, El Universo, 6 mai 2014.
57
58
Miércoles, 27 de junio, 2012, Gobierno ofrece construir 4 planteles para Monte Sinaí.
59
Las redes eléctricas llegan a 160 familias de Monte Sinaí, Esta noticia ha sido publicada originalmente por Diario EL
TELÉGRAFO, 28 février 2014.
“Pocas unidades de buses no bastan para las necesidades en Monte Sinaí”; pp digital, 24 février 2014.
60
35
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
La mise en cause de la récursivité socio-environnementale du droit, de ses formes particulières
d’expression et de réalisation aux prises avec la formation et la consolidation desdits asentamientos
dépasse, au regard de telles circonstances, le sombre épisode d’un déplacement forcé.
Les fragments d’actualité relaient de manière prématurée la menace de l’expulsion à un présent
intemporel et indéterminé. L’éviction ouvre, autrement dit, un jour particulier sur une réalité
parallèle, un Guayaquil qui, pour reprendre une expression locale, « se ha construido a punta de
invasiones » — construit à coups d’invasions —. Il est estimé, à titre indicatif, que la population urbaine du
canton a cru d’un facteur d’un à dix entre 1950 et 2010. Premier pôle migratoire de l’Équateur, la
zone d’influence métropolitaine compte une population qui avoisine désormais les trois millions
d’habitants62.
Le survol de la ville laisse apparaître un paysage profondément hétérogène, un patchwork
« d’asentamientos », de « barrios », de « ciudadelas » et condominiums. La phase d’approche dévoile aussi
une vitrine, le secteur « centre » et ses zones régénérées, la « 9 de Octubre, le « Cerro Santa Ana », le
« Malécon 2000 » la croisette locale et sa grande roue « La Perla ». Se dessine sous les yeux des
« voyageurs du droit » cet « autre Guayaquil », celui qui, pour reprendre l’expression d’une chronique
locale, « (…) s’écoule derrière les façades de maisons peintes aux tons pastel (…) un Guayaquil de carences,
d’insécurité, d’angoisses et avant tout de demandes (…) vivant dans l’attente que des promesses tant répétées un jour
soient honorées »63. Celui, dont l’office du tourisme ne parlera pas, un espace-temps de conquête des
droits et de la ville.
La naissance des quartiers « périphériques » coïncide historiquement avec l’installation, au cours
de la période cacaotière (fin XIXème-début XXe64) de campements de travailleurs temporaires et
61
Lunes, 22 de noviembre, 2010, Nuevo mercado de la Casuarina crea expectativa en vendedores, El Universo ; Solicitan
reubicación del mercado de av. Casuarina, 2 janvier 2014, El telégrafo.
-sur une population équatorienne totale de 15,5 millions dont 1,5 millions est établie à l’étrangers- Jueves 06 de marzo
del 2008, 1,5 millones de migrantes tiene Ecuador, El Universo.
62
63
« Hay otro Guayaquil. Ese que va más allá de los adoquines de las zonas regeneradas. O el que se cuela detrás de las fachadas de casas
pintadas en tonos pasteles. Es un Guayaquil de carencias, de inseguridad, de angustias, pero sobre todo de pedidos. Es ese otro Guayaquil que
espera cambios. Que aguarda que las promesas que tanto le han repetido, algún día se cumplan »
http://especiales.eluniverso.com/otroguayaquil/
64
Juan J. Paz y Miño Cepeda, « La época cacaotera en Ecuador », en Sonia Fernández Rueda, Pontificia Universidad
Católica del Ecuador, Facultad de Economía Quito, marzo/abril de 2011, No. 03.
36
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
saisonniers. Les terres occupées, réputées « sans maîtres », se concentrent, dans un premier temps, aux
abords du port et du parc industriel en rapide expansion. Les campements, « gagnés » sur la
mangrove et le fleuve Guayas, se sont multipliés en zones inondables, à proximité des artères de
communication principales et sur des espaces considérés comme impropres à l’habitat ou au
développement du commerce. Les travaux de consolidation de l’espace urbain se sont poursuivis
par terrassement, « relleno », — littéralement par « remplissage » —. Les collines boisées de forêt tropicale
sèche, dont il ne reste désormais que certains îlots menacés, auront servi de matériel de remblais65.
Le recul des écosystèmes et l’expansion par « poches » de peuplement acquièrent une visibilité
particulière dans la seconde moitié du XXe siècle. Les enjeux sociopolitiques et spéculatifs associés
au développement urbain marginal sont progressivement mis au jour. Les concepts « d’invasions »,
« d’asentamientos informales », de « prises de terres collectives » gagnent l’imaginaire collectif. Le patron de
peuplement prend ainsi progressivement, à partir des années 50, les traits d’une occupation
organisée, systématiquement associée au démembrement d’anciennes exploitations agricoles — les
haciendas —, de “communes” rurales ou de propriétés publiques demeurées en friche.
À ces capacités d’organisation collective accrues se voit tout particulièrement associée
l’émergence d’une figure publique locale, le « dirigeant » ou « leader populaire ». Intermédiaires rompus
aux stratégies de possession adverse et aux aléas de la politique des asentamientos, le succès des
dirigeants tient, de manière très générale, à une capacité de diagnostic juridique et logistique…
coordonner l’occupation collective de larges surfaces en des temps restreints, s’assurer d’avoir établi
auparavant qui en était le propriétaire, avoir évalué l’imminence des droits susceptibles d’être
revendiqués sur le sol.
Le travail du leader tient ensuite et de manière, tout aussi générale, au développement de savoirfaire perceptibles en matière de gestion et de médiation sociale : assurer la définition et la mise en
œuvre des règles de voisinage qui régiront la vie collective dans les premiers temps de
l’asentamiento, répartir des rôles, collecter des fonds, convoquer des réunions, fixer l’ordre du jour.
Godard Henry, « Quito, Guayaquil : Evolución y consolidación en ocho barrios populares », Travaux de l’IFEA,
Tomo n° XLIV, revista Ciudad, Quito, 1988,p. 253;; Pozo Ricardo, “Crecimiento urbano informal en el noroeste de
Guayaquil : de asentamientos piratas a zonas militarizadas”, extrait de “Habitabilidad básica para todos”, Auc revista de
arquitectura, Facultad de arquitectura y diseño de la universidad católica de Santiago de Guayaquil, Enero 2012; Tiepolo
Maurizio, “the “barrio marginado regularization in Guayaquil”, Centro città del terzo mondo, Politecnico di Torino,
working paper n°27, 2007
65
37
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Porte-voix des occupants, les dirigeants négocient avec les autorités publiques et les propriétaires
privés la “consolidation” des asentamientos ». Ils « facilitent » de même souvent la mobilisation des
votes en période électorale
66
— assurant l’appui au candidat le plus offrant —, arrangent
l’approvisionnement en eau, le raccordement « pirate » au point d’électricité le plus proche.
L’« avocat des pauvres », « barefoot lawyer » version guayaca, accompagne, en somme, les premiers
temps de l’acte de possession. La possession d’un ou de plusieurs terrains de la coopérative fera le
plus souvent office de rétribution.
La phase d’expansion la plus récente, initiée dans les années 1990, marque un sensible recul
de la figure charismatique du dirigeant. Les invasions et les prises de terre collectives cèdent
progressivement le pas au marché des parcelles habitables — prédios —. La formation des
asentamientos les plus récents tend, ainsi, à suivre plus nettement la loi de l’offre et de la demande.
Le mouvement de peuplement répond principalement à une logique de spéculation foncière. Les
« trafiquants de terre » anticipent l’action municipale, vendent une promesse d’avenir67. L’initiative de
la mise en vente provient même parfois des propriétaires terriens originaux faisant l’économie d’un
intermédiaire. L’opération tend, tout du moins, à s’effectuer avec leur consentement, « à portes
fermées », sous une forme négociée. La subdivision et le changement de destination de terrains
ruraux — les « macro-solar » — effectivement inscrit sur les registres de propriété publics, en marge
des cadres réglementaires, constituent, cette fois, le cœur de l’irrégularité administrative. Le
« raccordement » artisanal aux réseaux d’électricité part, symboliquement, d’un seul et même
compteur d’électricité. Le « service d’eau potable » relève toujours, dans la majorité des cas, d’un
approvisionnement quotidien par les « tanqueros ». Ricardo Pozo résume sur ce point :
« En Équateur le terme d’invasions a traditionnellement été utilisé afin de désigner les
établissements humains qui trouvaient leur origine dans une appropriation illégale ou
“prise de terre” par des groupements de familles disposant de faibles revenus, sans le
consentement de son propriétaire. Cependant, dans le cas d’étude présente une mécanique
différente. (…) les terrains ont été progressivement achetés légalement aux propriétaires
Godard Henry, « Quito, Guayaquil: Evolución y consolidación en ocho barrios populares », Travaux de l’IFEA, Tomo
n° XLIV, revista Ciudad, Quito, 1988, p. 253
66
67
La vente de subdivisions, lots de 100 mètres carrés, « sans titre », atteint un prix variant de 2000 à 12000 dollars selon
la localisation du lot, le degré de consolidation du secteur et le verbe du marchand de rêves.
38
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
originaux par divers promoteurs immobiliers informels ou trafiquants de terres.
L’illégalité se situe au niveau de la parcellisation et de la vente de terrains qui ne se
trouvent pas inscrits sur le registre de la propriété et qui n’appartiennent pas à des projets
d’urbanisation antérieurement approuvés par l’administration publique locale.
Cependant, dans la presse locale on continue à utiliser le terme de manière erronée » 68
(Traduction personnelle).
Localisées au nord-ouest de la ville, les coopératives du secteur Monte Sinaï comptent,
suivant les derniers recensements, près de 270 000 habitants. Le flux des arrivants n’a jamais cessé au
cours des vingt dernières années. Jusqu’à l’intervention du gouvernement central, l’affluence
alimentée par le fort exode rural, mais aussi par des mouvements de migrations internes à la zone
métropolitaine, était estimée, en moyenne, à soixante familles par semaine.
À quelques encablures du centre-ville et de ses zones régénérées, Monte Sinaï est un lieu
symbolique de la ville, de sa diversité culturelle et ethnique. Certains chauffeurs de taxi refusent
encore fréquemment de s’y aventurer — décochent un « hasta el fondo ?? — jusqu’au fond — ?? » —. Ils
évoquent avec un sourire le risque de s’y perdre ou tout simplement « d’y rester ». Les
problématiques humaines et environnementales d’une « vie de taudis » alimentées par l’imaginaire
collectif ne sont autres, ici, que celle d’un quotidien, d’une promesse de lendemain partagée par ses
habitants. Le tumulte des évictions n’y changera strictement rien. En quelques années, la « Entrada de
la 8 », carrefour symbolique et porte d’entrée principale vers la « jungle urbaine » est déjà
méconnaissable. Route asphaltée, échangeur routier, feux de circulation, unité de police, connexion
aux réseaux d’eau et d’assainissement, vitrines commerciales en lieu et place de la nuée d’échoppes et
de vendeurs ambulants... la rumeur gronde, la ville et sa conquête avancent.
Pozo Ricardo,” Crecimiento urbano informal en el noroeste de Guayaquil: de asentamientos piratas a zonas
militarizadas”, extrait de “Habitabilidad básica para todos” Auc. revista de arquitectura, Facultad de arquitectura y diseño
de la universidad católica de Santiago de Guayaquil, Enero 2012: « En el Ecuador se ha utilizado tradicionalmente el término
“invasión” para denominar a los asentamientos humanos que tienen su origen en la apropiación ilegal o toma de tierras sin consentimiento de
su propietario por familias de bajos recursos económicos organizados en grupos. Sin embargo, en el presente caso de estudio se produce una
mecánica diferente. Como se podrá observar en el caso de la conurbación analizada, los terrenos han sido progresivamente comprados
legalmente a sus propietarios originales por diversos promotores inmobiliarios informales o traficantes de tierras. La ilegalidad radica en la
parcelación y venta de terrenos no inscritos en el Registrador de la Propiedad y que no pertenecen a proyectos de urbanización debidamente
aprobados por la administración pública local. Sin embargo, en la prensa local se continúa utilizando el término de forma errónea. »
68
39
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Face à ces éléments introductifs, un constat préliminaire s’impose : l’onde de choc de la
territorialisation porte une marque indélébile sur la marche du droit, sur ses « vécus », sur
l’appréciation immédiate de ses modes de formation aussi bien que de réalisation.
-
De l’achat d’une promesse à l’acquisition d’un titre de propriété,
-
du raccord artisanal au point d’électricité du voisin à l’acquisition du sacro-saint compteur
électrique,
-
de l’achat de l’eau potable du « tanquero » à la première facture d’eau,
-
de la lettrine aux toilettes,
-
de la casa « Hogar de Cristo » au ciment,
-
du « botadero » et des déchets domestiques incinérés à l’inscription de la « cuadra » sur une
route de collecte de l’entreprise municipale
-
du cybercafé au plan internet de téléphonie mobile « movistar » ou « Claro »,
-
du trici-moto à l’échangeur de métro-via,
-
du campement scolaire à l’école fiscale,
-
du « dispensaire de fortune » à l’hôpital public (…)
(…) la succession incessante d’opérations juridiques, la formation de rapports de droit, jalonne, au
quotidien, la dynamique de consolidation de l’asentamiento urbano-marginal. Le droit de la ville
matérialise l’assimilation des nouveaux quartiers — « barrios » — à la trame urbaine. Il l’anticipe dans
certains cas, apporte un aval rétroactif, dans d’autres.
Le positionnement d’acteurs et de pouvoirs locaux « sur le terrain » — les dirigeants de quartier,
trafiquants de terre, cadres de l’administration municipale et des services d’urbanisme, les agents de la STAPHI, les
militants du Comité de défense des droits de l’homme — présente, au vu de telles circonstances et sous un
angle alternatif, une série de dénominateurs communs. Retenons-en pour le moins deux :
40
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
une réponse temporaire, plus ou moins éclairée, à la contrainte de « situation »69, une lecture
plus ou moins précise des faits de marginalité urbaine, d’un contexte « opérationnel » et
atypique de formation et de réalisation du droit ;
-
un positionnement, tout aussi partiel et embryonnaire, quant à l’épineuse question de la
« récursivité » des usages et pratiques professionnels dans l’orbite de la marginalité urbaine.
Ces acteurs locaux identifient, par la force des choses, des marges d’action, des réseaux
d’interlocuteurs publics et privés. Ils caractérisent chemin faisant des besoins, des demandes
de droit ; circonscrivent des vides ou des carences estimables sur le plan de la réalisation des
droits ; éprouvent de manière quotidienne les limites pacificatrices du système juridique ;
discernent enfin des phénomènes rémanents et localisés de défiance, de rejet, de résistance
ponctuant une relation complexe et accidentée des habitants au droit et à la figure de l’État
ou de la municipalité coloniale70.
Saisir le tour de passe-passe conduisant vers cette autre réalité du Monte Sinaï, apprendre à
composer avec ce contexte atypique de formation et de réalisation du droit, relève en somme d’un
apprentissage. La mutation et l’éventuel accroissement du pouvoir micropolitique d’agir et de penser
avec le droit, son placement au service d’une action, d’un engagement personnel ou institutionnel,
transite irrémédiablement par un travail continu d’observation et d’interprétation des faits de
marginalité urbaine ; pratiques et usages du droit inclus. La formation d’un critère de fonctionnalité
de l’agir juridique professionnel « en contexte » s’avère, ici plus qu’ailleurs, essentielle.
L’apprentissage et la pratique de l’interprétation ou de l’argumentation juridique tournent
rapidement court à défaut d’un travail continu de cartographie du fait urbain marginal.
Au-delà de la temporalité souvent limitée d’une mission, d’un projet ou d’une enquête de
« terrain », la connaissance renouvelée des faits de marginalité urbaine porte la promesse d’une
mutation des cadres et des modes d’engagement du travail juridique. Le processus expérientiel de
connaissance des faits de marginalité urbaine soulève un enjeu de travail sur le soi, de rupture à la
69
« La définition de la situation résulte de l'interprétation que fait chaque membre de la situation sociale dans laquelle il se trouve. Cette
définition concerne à la fois le contexte de l'interaction, les rôles sociaux des acteurs et la signification que les acteurs donnent à la situation.
Cette signification fait elle-même partie de la définition de la situation. » Lexique de sociologie Dalloz, 4e édition.
MÉNDEZ, Juan E., Guillermo A. O'Donnell, and Paulo Sérgio de Moraes Sarmento Pinheiro. “La (in) efectividad de la
ley y la exclusión en América Latina”. Vol. 9. Paidós, 2002; ARAUJO, Kathya. ¿Se acata pero no se cumple?: estudios sobre las normas
en América Latina. Lom Ediciones, 2009.
70
41
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
fois épistémologique et méthodologique des présupposés de l’être et de l’agir en collectivité. L’enjeu
de déconstruction systématique de l’(a)normal, de l’(in) — formel, de « l’infra — », du « sub — » ou
du « péri — » urbain, s’inscrit dans un lent travail de dépassement du « terrain » et d’épuration de la
praxis sociale71.
Au fil de l’argument, la sentence « d’absence de formes », comme phénomène de résilience des
discours sur l’informel ou le « non-droit » dans la sphère publique fera l’objet d’une attention
particulière. Elle apparaît, au vu de ces propos introductifs, sous les traits d’un artifice discursif.
Près de cinquante ans après les travaux Keith Hart 72 , le prisme déformant de l’informel, la
représentation de méandres asséchés de l’ordre juridique local, réapparaissent cycliquement comme
un biais empirique, une économie ou le signe d’un processus d’enclicage-anesthésie du travail
d’observation.
La résilience du discours sur l’informel relève, dans une autre série de cas, du glissement
idéologique73 et de la violence épistémique. La pratique de situation tend, dès lors, à se prolonger
naturellement vers l’analyse critique du phénomène sociopolitique de représentation des faits de
marginalité urbaine. L’annihilation symbolique et performatique de ce qui s’inscrirait sur le chemin
tout tracé des idéologies du Développement74, de l’État de droit75, du néolibéralisme urbain76, des
71
La proposition s’inscrit par ailleurs dans une réflexion plus générale, travail doctoral sur la fonction sociale des acteurs
juridiques professionnel dans l’orbite des phénomènes de marginalité urbaine à partir de l’étude de cas de Guayaquil,
Équateur.
72
HART K., Informal Income Opportunities and Urban Employment in Ghana, Journal of Modern African Studies,
vol. II, 1972; ILO, Employment, Incomes and Equality, A Strategy for Increasing Productive Employment in Kenya,
ILO, 1972, Geneva. Voir aussi: Charmes Jacques, les origines du concept de secteur ‘informel’ et la récente définition de
l’emploi ‘informel’, IRD, 2003 ; Voir pour une synthèse historique l’étude détaillée de Palmer Robert, The informal economy
in sub-Saharan Africa: unresolved issues of concept, character and measurement, occasional papers, n°98, Centre of African studies,
Edinburgh University, 2004.
73
Sur ce point : COURTIS Christian, Detras de la ley. Lineamientos de análisis ideológico del derecho, extrait de
l’ouvrage, Observar la ley, ensayos sobre metodología de la investigación jurídica, Edición de Christian Courtis,Trotta,
2006 p.349-392.
Jorge Esquirol note dans un même sens : « L’échec du droit latino-américain renvoie principalement à un discours en vue de faciliter
le réformisme légal. L’échec du droit latino-américain déni toute valeur au droit existant dans l’ensemble de la région. » ; ESQUIROL
Jorge, Continuing Fictions of Latin American Law, Florida Law review, volume 55, January 2003, p.41. « Law in Latin America
is routinely the target of systemic criticism by U.S. commentators. In addition, internationalizing reforms may actually undermine the general
goal of expanding democratic participation. Distancing the operation of law from local reach is likely to reinforce the very anomalies already
perceived in the region. In this light, we should reexamine our settled understandings of "Latin American law" and the latter's widely-noted
limitations. (...) As a result, no amount of simple law reform can undo such a constant and irrepressible image of failure. Viewed this way,
74
42
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
idéologies humanitaires ou religieuses
77
travaille l’imaginaire juridique de la ville et des
asentamientos78.
La première partie de la thèse reprend et développe les éléments introduits ci-dessus. La question
de la « situation » des usages et pratiques professionnels du droit dans l’orbite des phénomènes de
marginalité urbaine sera examinée en deux temps, à partir de deux points de vue complémentaires.
-
Sous les traits, premièrement, d’une éventuelle orientation épistémologique, il s’agira alors de
revenir sur l’expérience et la caractérisation d’une contrainte de situation. Comment et dans
quelle mesure le processus de connaissance des faits de marginalité apparaît-il comme une
condition et un moyen déterminant la construction de l’agir juridique professionnel « en
contexte » ? Dans quelle mesure l’opération contribue-t-elle à la formation d’un critère à la
fois fonctionnel et opérationnel d’engagement du travail juridique « en sociétés » — choix de la
voie du droit — (Titre 1) ;
-
Sous les traits, deuxièmement, d’une orientation méthodologique, travail sur les méthodes et
plus particulièrement sur la question du « terrain » et de ses éventuelles ouvertures. Le
processus de formation des connaissances sur les faits de marginalité urbaine sera alors
abordé sous l’angle d’une « technique » susceptible, comme telle, d’être questionnée,
systématisée, optimisée. (Titre 2).
Latin America's failed law is principally a discourse facilitating legal change. It also denies much of any value to existing law anywhere in the
región.” Lire du meme auteur, The Failed Law of Latin America, The American Journal of Comparative Law, volume 58,
Winter 2008, p.75.
75
Frank UPHAM, Mythmaking in the Rule of Law orthodoxy, Rule of Law Series, Democracy and Rule of Law Project,
Carnegie Working Papers, September, 2002.
GARCÉS Chris, “Exclusión constitutiva: Las organizaciones pantalla y lo anti-social en la renovación urbana de
Guayaquil”, Iconos, Revista de Ciencias Sociales, 2004, no 20, p. 53-63; ANDRADE, Xavier, " Mas ciudad", menos
ciudadanía: renovación urbana y aniquilación del espacio público en Guayaquil, Análisis, 2006.
76
77
GOIRAND, Camille, « Philanthropes » en concurrence dans les favelas de Rio, Critique internationale, 1999, vol. 4, no
1, p. 155-167; ILLICH Ivan, « Las sombras de la caridad », Cidoc informa, vol.4, n°3, febrero 1967
Mario Vargas LLosa et Gilles Bataillon observent : « Être pour « l’autre » l’incarnation de la fiction a laissé une curieuse séquelle :
beaucoup de Latino-Américains ont adopté ces images retouchées d’eux-mêmes, images retouchées par l’imagination ou l’aliénation religieuse et
idéologique occidentale. Et au lieu de se confronter à leur propre réalité, ils l’ont recréée conformément à ces modèles et à ces mythes importés ».
78
43
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Titre 1 Les enjeux épistémologiques du travail de situation
« La géographie physique, les avantages naturels et les moyens de la transformation
déterminent en avance les grandes lignes de l’agencement urbain. Au fur et à mesure de
l’augmentation de la population, les influences subtiles des affinités, des rivalités et de la
nécessite économique tendent à contrôler la distribution de la population. Le commerce et
l’industrie recherchent les espaces avantageux où s’établir et maintiennent à leurs
alentours une certaine partie de la population. Apparaissent à ce moment des quartiers en
vogue… Apparaissent ensuite les taudis, habités par la grande majorité des classes les
plus pauvres qui ne peuvent se défendre d’une assimilation (dans l’imaginaire populaire) à
la précarité et au vice. Au cours du temps, chaque espace de la ville, secteurs et quartiers,
imprime quelque chose du caractère et des particularismes de ses habitants. L’effet
principal est ici de convertir ce qui initialement était une simple expression géographique,
en quartiers, c’est à dire des localités avec des sentiments, des traditions, une histoire
propre. (…) De cette manière les distances physiques et ressenties se renforcent
mutuellement, et l’influence de la distribution de la population locale participe à
l’influence grandissante des classes et des origines raciales dans l’évolution de
l’organisation sociale. Chaque grande ville a ses colonies ethniques, comme les Chinatown
de San Francisco et de New York, Little Sicily à Chicago, et bien d’autres moins
prononcées. (…) Chaque grande ville a ses centres d’activités périphériques, comme Stock
yards à Chicago, et, ses banlieues résidentielles, comme Brooklyn à Boston, chacune ayant
la taille et les traits d’une ville à part entière, “villes dans la ville”, à l’exception prêt que
sa population est distincte » (Traduction personnelle)79.
Dynamiques intra-urbaines de populations qui migrent et se mêlent ; déplacements et
fragmentations des processus historiques, culturels et identitaires à l’échelle du quartier : le Chicago
des années vingt, traversant le boom du fordisme, devient rapidement, pour paraphraser les auteurs de
Vargas Llosa Mario et BATAILlon GILLES, « Rêve et réalité de l'Amérique latine », Problèmes d'Amérique latine, 2010/3
N° 77, p. 9-23.
79
Robert PARKS et Ernest BURGESs, Introduction to the Science of Sociology (with Ernest Burgess), University of Chicago
Press, 1921, p.151 et suiv.
44
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
la première école de Chicago, un laboratoire 80 à ciel ouvert. L’observation des dynamiques de
différentiation, de distribution, d’identification et éventuellement d’assimilation des vagues
migratoires à la ville nord-américaine met en évidence un phénomène d’écologie humaine. La ville se
dévoile sous le jour de l’habitat naturel d’une humanité entrée dans une compétition pour l’espace81.
Certains aspects pathologiques de la croissance urbaine nord-américaine à l’aube du XXe siècle sont
mis au jour. Le lien d’immédiateté historique, sociale et culturelle entre le « taudis » et l’explosion
urbaine se découvre progressivement.
De la construction de ces nouveaux objets d’étude, l’observation sociologique des
distorsions de l’ordre juridique local présente un attrait tout particulier. L’observation de la criminalité
et des soubresauts de la loi pénale82, le regard porté sur l’exercice des libertés civiles et politiques et
l’émergence d’un patron de ségrégation urbaine83 font figure de cas d’école.
Sous la direction de Robert Park, Nels Anderson, boursier du département de sociologie de
l’université de Chicago plonge dans l’univers des saisonniers et du travail journalier. L’auteur y côtoie
les Hobos, littéralement hoe-boy, manieurs de houes établis dans les quartiers mitoyens des grandes
infrastructures ferroviaires de Chicago. Il sillonne la Hobohémia, quartier des Hobos84. Ses travaux
décrivent un certain nombre de règles de vie « non écrites, mais observées » sur l’hygiène, l’entraide et
l’information, signes avant-coureurs d’un pluralisme juridique inscrit au cœur de la société urbaine
80
PARK, Robert E. The city as a social laboratory. Chicago: An experiment in social science research, 1929, p. 1-19.
81
« The ecological basis of community. -The human community may be considered as an ecological product, that is, as the outcome of
competitive and accommodative processes which give spatial and temporal distribution to human aggregations and cultural achievements…. The
internal structure of community.-The utilities, institutions, and inhabitants of a community are spatially distributed and territorially segregated
as a result of competition and selection. Redistribution and segregation are constantly in process as new factors enter to disturb the competitive
relations » extrait de McKenzie, The Ecological Approach to the Study of the Human Community, The American Journal
of Sociology, The University of Chicago, Vol. 30, No. 3, Nov 1924, pp. 287-301.
82
Alschuler Albert, « The Changing Purposes of Criminal Punishment: A Retrospective on the past Century and Some
Thoughts about the Next » , The University of Chicago Law Review, Vol. 70, No. 1, 2003, pp. 1-22, Stark, R., Deviant places:
a theory of the ecology of crime, Criminology, volume 25 , 1987, p.893–910.
83
WILLIAMS, Norman, « Discrimination and Segregation in Minority Housing », American Journal of Economics and
Sociology, 1949, vol. 9, No. 1, p. 85-102; Richard Thompson Ford, “The boundaries of race: political geography in legal
analysis”, Harvard Law review, volume 107, number 8, June 1994, p.1843; Harvey Warren Zorbaugh, The Gold Coast
and the Slum: A Sociological Study of Chicago's Near North Side, University of Chicago Press, 1983.
84
Nels Anderson, The Hobo: The Sociology of the Homeless Man, Chicago, University Of Chicago Press, 1923, p. 296 ; Tissier
Jean-Louis, « Sur les bancs de l'École de Chicago », Espace géographique, Tome 23, n°2, 1994, pp. 189-190.
45
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
nord-américaine85. Secteur populaire et modes de vie « en dehors des formes »… la question présente
le mérite d’être soulevée près d’une cinquantaine d’années avant la description du secteur
« informel » entreprise dans le cadre de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et, plus
précisément, des travaux de l’anthropologue anglais Keith Hart sur le travail des migrants officiant
dans la périphérie d’Accra au Ghana86.
Les explorations correspondantes à la première école de Chicago brièvement évoquées cidessus paraissent, à bien des égards, annonciatrices d’un tournant épistémologique. Près d’un siècle
plus tard, revenant au cas d’étude guayaquileño, les questionnements suscités depuis ces nouvelles
coordonnées d’observation du droit — quartiers émergents, périphérie des lieux et des temps communs du droit
— demeurent parfaitement d’actualité :
-
Combien d’enseignements universitaires assument-ils la production et la transmission de
connaissances sur les phénomènes de marginalité urbaine 87 comme un éventuel résultat
d’apprentissage, une étape constitutive de la formation juridique initiale du juriste ? Dans
quelle mesure la production de connaissance sur les faits de marginalité urbaine participe-telle au processus de production et de transmission des connaissances en droit et sur le droit ?
-
Quels cursus abordent, en Équateur, l’observation des phénomènes urbains « majoritaires »
et, plus généralement, la formation des connaissances sur l’univers des « faits sociaux » depuis
une perspective méthodologique, du développement des instruments de mesure ou
d’orientation nécessaires à la conduite du travail juridique en sociétés ?
-
Quels projets de recherche auront-ils consigné et mis en cause l’impact des usages et
pratiques professionnels eux-mêmes observés sous les traits de phénomènes sociaux urbains
marginaux ? Combien abordent-ils la convocation du travail juridique comme un éventuel
85
Kenneth L. Kusmer, Down & out, on the road the homeless in american history, Oxford University press 2002, Chapter 1 ;
Charles Elmer Fox, Tales of an American hobo; preface by Albert E. Stone; the University of Iowa Press, 1989.
Hart K., “Informal Income Opportunities and Urban Employment in Ghana”, Journal of Modern African Studies, vol. II,
1972; ILO, Employment, Incomes and Equality, A Strategy for Increasing Productive Employment in Kenya, ILO,
1972, Geneva.
86
ETCHEGORRY, Cristina, MAGNANO, Cecilia, MENDIBURU, María José, et al., “Fuera de programa: la ausencia
de los sectores vulnerables en la formación Jurídica”, Derecho y ciencias sociales, 2013, no 8, p. 4-24.
87
46
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
élément déterminant, éventuellement « causal » au regard de l’apparition et de l’agencement
des phénomènes de marginalité urbaine ? Que penser de la détection et de la caractérisation
des pratiques manifestement « déviantes » ou « pathogènes » dans l’orbite des asentamientos ?
-
Combien d’acteurs juridiques professionnels optent-ils enfin, plus ou moins intuitivement,
face à des phénomènes « périphériques », pour la carte magique du « non-droit » ou de
« l’informel ». Combien bottent-ils en touche et dans quelles circonstances le font-ils ?
La réponse à de telles inquiétudes ne renvoie pas seulement à la transposition opportune
d’un objet d’étude sociologique — travaux de « sociologie du curriculum universitaire88 », « sociologie
du droit et des usages professionnels », « sociologie urbaine » —. L’ouverture tient aussi, depuis la
perspective du juriste, à un problème de positionnement épistémologique89 :
-
situer le rôle et la place de l’interprétation des phénomènes de marginalité urbaine dans
l’orbite des connaissances en droit ou sur le droit ;
-
identifier un corpus de « savoirs », « savoir-faire » et, en dernière instance de « savoir-être »,
susceptibles d’être acquis, discutés, transmis par la voie d’apprentissages ;
-
émettre un critère d’ordre fonctionnel, c’est-à-dire déterminer dans quelle mesure, et à
quelles conditions, la mise en chantier des connaissances de fait contribue effectivement à
l’orientation et, chemin faisant, à la mutation des usages et pratiques professionnels du droit
aux portes de la ville ;
Françoise Ropé, « Pour une sociologie du curriculum universitaire », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 3 |
2004, 243249.
88
Du concept d’«épistémologie» Charles Atias retient la définition suivante: « l’étude critique des évènements qui émaillent
l’histoire du corps de connaissance qu’une collectivité savante alimente, corrige et travaille, et dont l’objet est relativement déterminé», extrait de
Charles Atias, Épistémologie juridique, Dalloz, collection Précis Droit privé, 1ère édition, 2002, p.3 ; Une seconde
approche énonce quant à elle: « L’épistémologie est une étude critique des principes des postulats des méthodes et des
résultats de la connaissance du droit. Elle ne se consacre qu’à l’étude des modes de connaissance du droit et est destinée
à diriger la pensée juridique, en se dégageant des réalités de la vie et des besoins saisissables pour ne considérer que les
notions pures, les ordonner en elles-mêmes, isolément des intérêts concrets qu’elles représentent, et parvenir à une
construction juridique par les seuls efforts de la pensée. », in Jean-Louis Bergel, Théorie générale du droit, Méthodes du
droit, Mars 2012, Dalloz, p.4.
89
47
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
déterminer comment et pourquoi « la connaissance du fait en droit’90 demeure bien souvent,
a contrario, dans l’ombre d’un second registre cognitif, la « connaissance des normes91 ». Le
traitement isolé des « fictions » et des « présomptions juridiques » fait figure d’exception à cet
égard. La situation d’objets « sui generis » témoigne de même et, assez généralement, d’un
rapport accidenté au traitement des faits sociaux dans le champ de la théorie du droit. Jean
Rivero n’observait-il pas sur ce thème :
« La fiction (…) est le refus délibéré de la réalité. Elle met consciemment, à la base de la
démarche du juriste, une affirmation dont il sait qu’elle ne correspond pas à la réalité.
(…) la présomption irréfragable ne témoigne pas, à l’égard de la vérité, d’un mépris aussi
radical : elle ne la refuse pas, simplement, elle s’en désintéresse. Elle n’est pas, comme la
fiction, une négation consciente de la réalité, mais refus de rechercher celle-ci (…) l’une
comme l’autre font bon marché de la réalité, et aboutissent à la tenir pour inutile »92.
À l’exception sans doute d’une thèse de droit dont on reproduit ci-dessous le résumé (à défaut d’accès au texte dans sa
version intégrale) : « Le plus souvent, lorsqu'est évoquée la connaissance en droit, c'est de la connaissance du droit qu'il s'agit. Pourtant la
connaissance du fait représente, par sa richesse, le lieu idéal d'observation des relations du droit et de cet état psychologique. Celles-ci peuvent
d'abord être saisies sous l'angle synchronique, c'est-a-dire a un moment donne de l'activité humaine. La connaissance - du fait, mais aussi du
droit - y apparait elle-même comme un fait. Elle permet de donner signification et valeur aux décisions ou comportements des sujets de droit.
Mais c'est également sur un plan diachronique que se nouent des liens entre connaissance du fait et droit. Le mouvement se dessine alors de
l'ignorance a l'acquisition de la connaissance, puis de la connaissance acquise a son utilisation. Enfin, au-delà de la diversité des relations de la
connaissance du fait et du droit, percent de communes considérations, permettant d'esquisser une théorie de la connaissance en droit. Elle y
apparait d'abord, comme le suggère la philosophie, en tant que situation cognitive, par laquelle le sujet se fait une exacte représentation de la
réalité. Par ailleurs, la connaissance consiste, sous les traits d'une relation cognitive, en un lien entre l'individu et la réalité. Ainsi apparait la
dialectique de la connaissance en droit : la connaissance, phénomène psychologique, s'impose au droit dans une certaine mesure, mais, en retour,
celui-ci lui imprime sa marque. » LEPAGE, Agathe. Recherche sur la connaissance du fait en droit. Thèse sous la direction de Yann
Paclot, Paris 11, 1998.
90
Sur la question de la centralité du processus de connaissance des normes, François Chenédé observe : “La connaissance
de la norme n’est jamais un point d’arrivée pour le juriste. Elle est un point de passage, un point d’appui, fréquemment le point de départ,
mais certainement pas, tant s’en faut, le point d’orgue de son activité”, in François Chénedé, « De la conception du droit à la
fonction de juriste », extrait de La place du juriste face à la norme, Association Henri Capitant, Dalloz, collection Thèmes et
commentaires, Journées nationales, Tome XVI, Rennes, avril 2012, p.3-27.
91
92
Jean Rivero, « Les présomptions en droit public français » in PERELMAN, Chaim et FORIERS, Paul (éd.), Les
présomptions et les fictions en droit, Bruylant, 1974, p.103 ; Jean Louis BERGEL énonce sur le sujet : « Le droit recourt
[observation personnelle : en réalité et plus justement «les juristes » (…)]à divers procédés de technique juridique pour concilier la stabilité de la
construction logique nécessaire à sa sécurité et les exigences de son adaptation à la plasticité des réalités sociales. À cette fin on utilise parfois
des artifices et on altère la vérité pour justifier des solutions adéquates sans remettre en cause l’armature du système juridique. On travestit
ainsi la réalité, en faisant « comme si » une situation existait ou n’existait pas, afin de parvenir à un résultat jugé satisfaisant.», extrait de
Jean-Louis BERGEL, « Le rôle des Fictions dans le système juridique », McGill Law Journal, 1987, vol. 33, p. 357. Voir
aussi : WICKER, Guillaume, « Les fictions juridiques : contribution à l'analyse de l'acte juridique », Thèse de doctorat,
48
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le fleurissement contemporain des théories critiques, alternatives ou réalistes offre un jour
théorique nouveau sur le front du dialogue « droit-sociétés ». La question du traitement des faits
d’expérience — entendu, alternativement, comme un aménagement de l’agir juridique professionnel
par le fait du contexte ou au service d’une meilleure adaptation au contexte — n’apparaît pas, en
revanche, clairement déterminée, identifiable comme une condition d’apprentissage, de
reproduction, d’instrumentalisation ou de progrès éventuel des usages et pratiques professionnelles.
Son intégration au curriculum demeure dans bien des cas, incertaine.
Plusieurs facteurs circonstanciels alimentent une telle hypothèse de travail.
Une série de problèmes s’attache, en premier lieu, à la question de la « visibilité » et, a fortiori,
du discernement des phénomènes de formation et de production des connaissances sur le fait dans
l’orbite des usages et pratiques professionnels. L’approche réflexive des faits de marginalité urbaine
demeure tapie dans l’ombre des pratiques décisionnelles, interprétatives et argumentatives
entreprises à partir d’un énoncé normatif. L’analyse des phénomènes sociaux apparaît sous le jour
restrictif d’un point d’étape du jugement individuel. Le symbolique et accessoire rappel des faits
précède la mise en œuvre des techniques et des fonctions proprement « juridiques ». La question des
modalités de « production » et de « communication » des faits ne dépasse que rarement celle de
l’énoncé des « antécédents » d’un contrat, d’une norme juridique, d’un article de doctrine.
L’« administration des preuves » se limite, par définition, au cadre extraordinaire du contentieux et de
la procédure judiciaire.
Une seconde série de problèmes s’attache, en second lieu, au cloisonnement des processus
cognitifs prenant le fait urbain marginal pour objet. Une division sociopolitique des tâches et des
savoir-faire de situation tend à s’opérer. Des phénomènes structurels tels que l’institutionnalisation
des pratiques de recherche93 ; la discontinuité entre pratiques empiriques, « cliniques » et processus de
Perpignan, 1994; CAYLA, Olivier. « Ouverture: Le jeu de la fiction entre" comme si" et" comme ça" ». Droits, 1995, no
21, p. 3. ; BIQUET, Christine, « Les fictions en droit », Revue de la Faculté de Droit de l'Université de Liège, 2013, no
1 ; ESQUIROL, Jorge L, «Continuing Fictions of Latin American Law », Florida Law Review, vol. 55, 2003, p. 41.
Gingras, Yves. « L’institutionnalisation de la recherche en milieu universitaire et ses effets », Sociologie et sociétés 23.1
(1991): 41-54.
93
49
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
conceptualisation-théorisation de l’autre94 ; l’édification de tranchées disciplinaires entre les sciences
sociales et le droit ; contribuent à bien des égards, au déplacement et à l’externalisation du processus
de formation des connaissances de fait « en droit ».
La reformulation des épistèmes de recherche et du travail « avec » le droit implique, par
définition et au vu de ces derniers éléments, un travail « sur » le droit, sur l’horizon de ses
conceptions, de ses significations. En sus du réaménagement micropolitique du champ des
connaissances perçues comme utiles et nécessaires à des pratiques « situées », le défaut d’un critère
d’engagement des acteurs juridiques professionnels dans l’orbite périurbaine constitue un frein au
déploiement de l’agir juridique.
Approfondissant l’exploration du concept de « contexte », Dominique Raynaud introduit une
nuance utile entre l’étude classique du contexte « per sé » et une seconde approche, plus aiguisée et
contemporaine : les pratiques de « contextualisation »95. L’auteur observe, en résumé, que : « il n’y a pas
de contexte sans contexte (…) Autrement dit, le contexte n’existe pas en tant que tel. Il émerge, ou se définit, pour une
finalité précise ». Il retient, plus particulièrement enfin, que « le contexte est un ensemble d’informations » et
que cet ensemble « structuré, partagé (...) évolue et sert l’interprétation (…) » 96.
Atterrissant progressivement ces analyses préliminaires au cas d’étude guayaquileño, l’enjeu
d’une mise en chantier des connaissances de fait, se préciseront en deux temps.
Le travail de situation répond, en premier lieu, au déploiement de fonctions informatives. Le
champ de la « cohérence narrative »97 s’étend progressivement vers la mise en récit des phénomènes
de juridicité urbaine marginale. Au-delà du simple et austère rappel des faits, le travail de
94
Sur la question : Jean-Yves Rochex, « Approches cliniques et recherche en éducation », Recherche et formation [En ligne], 65
| 2010.
RAYNAUD Dominique, Le contexte est-il un concept légitime de l’explication sociologique ? L’Explication
sociologique. Quels sont les niveaux d’abstraction légitimes ? Colloque organisé par P. Demeulenaere à Nancy, 17-19
octobre 2005.
95
REY Gaëtan, Adaptation et contexte, Méthode pour la modélisation du contexte d’interaction, System Research
Group Computer Science and Informatics, Center University College Dublin Belfield, RSTI - ISI – 11/2006, pages 141 à
166.
96
Ronald DWORKIn, L’empire du droit, Paris, PUF, coll. « Recherches politiques », (1986), trad. Française ; cité in :
Timsit, Gérard. "Le roman à la chaîne." Revue internationale de philosophie 3 (2005): 393-411.
97
50
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
contextualisation participe à la découverte de l’espace urbain marginal sous les traits d’un territoire
gouverné. L’empreinte socio-environnementale du travail juridique se matérialise à partir d’une
exploration du champ de la juridicité urbaine marginale. (Chapitre 1).
Le travail de situation répond, en second lieu, à la formation d’un critère décisionnel. La
démarche de projection partielle et partiale des faits de marginalité urbaine détermine en partie
l’opération de qualification juridique des faits. Face à l’appel du vide, vortex du « non-droit » et de
« l’informel », la connaissance renouvelée des faits de marginalité urbaine contribue, chemin faisant, à
situer des actions, des situations, des états dans l’orbite du droit. L’enjeu rémanent de rupture du
monopole étatique quant à l’usage des formes juridiques « modernes » et, à l’inverse, celui d’un
déplacement ou d’une résistance face aux formes imposées par l’état de droit colonial se précise
(Chapitre 2)
51
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Chapitre 1 La mise en récit du droit
Le survol des discussions doctrinales quant à la définition contemporaine du « droit »,
délimitation fonctionnelle du champ de la « juridicité » — entendue alternativement comme sphère
d’intervention ou de compétence des juristes —, met en évidence le caractère généralement incertain et
subjectif d’une telle démarche 98 . Le socle informationnel sur la base duquel pratiques et usages
professionnels sont pensés, entrepris, divulgués, et, par là même, susceptibles d’évoluer et de se
transformer se recompose invariablement d’un acteur à un autre.
Entendu comme un phénomène expérientiel par essence, l’horizon des faits de juridicité
évolue à l’épreuve du temps, de l’espace, des besoins, des rencontres et vécus émotionnels. Les
critères d’engagement du travail juridique en périphérie des villes du Sud apparaissent, par là même,
susceptibles d’une évolution d’ordre qualitative.
L’usage « informé » de la technique juridique dans l’orbite des phénomènes de marginalité
urbaine emporte, par définition, une tâche routinière de cartographie des secteurs informationnels
susceptibles de jouer un rôle d’intrants, déclencheurs, ou tout du moins perturbateurs, de l’agir
juridique en contexte. Dans la perspective d’un élargissement du champ des opérations juridiques, la
mise en récit du droit et de ses usages — action de « dire le droit »99 — débute par un nécessaire exercice
de classement et de hiérarchisation des « faits pertinents ». Dans la perspective d’une extension du
champ de la « cohérence narrative »
100
, les paragraphes suivants introduiront un gradient
informationnel à trois niveaux.
Ré Libchaber observe sur ce registre que « l'idée d'une essence du droit n'est autre qu'un postulat individuel », la catégorie ‘droit’,
« une présupposition, liée à la volonté d'abstraire pour synthétiser, et de synthétiser pour pouvoir décrire». LIBCHABER Ré, L’ordre
juridique et le discours du droit : essai sur les limites de la connaissance du droit, LGDJ-Lextenso éditions, Paris 2013. p.8 ; sur la
question de la juridicité : Le Roy, Étienne. « Autonomie du droit, hétéronomie de la juridicité ». Le nuove ambizioni del
sapere del giurista: antropologia giuridica e traduttologia giuridica. Roma: Accademia Nazionale dei Lincei (2009): 99-133 ; Chouraqui,
Alain. « Normes sociales et règles juridiques: quelques observations sur des régulations désarticulées », Droit et société 13.1
(1989): 417-435 ; Eberhard, Christoph. « De l'autre côté... La juridicité », Revue interdisciplinaire d'études juridiques 70.1
(2013): 77-83.
98
99
Guastini, Riccardo. « Théorie et ontologie du droit chez Dworkin », Droit et société 2.1 (1986): 15-22.
100
Lenoble, Jacques. « La théorie de la cohérence narrative en droit: le débat Dworkin-MacCormick », Archives de
philosophie du droit 33.33 (1988): 120-139.
52
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
À un premier niveau, l’exploitation d’une « situation factuelle » et l’extraction des « faits de
juridicité » renverront, suivant les canons de l’orthodoxie juridique moderne, au traitement limitatif
des circonstances auxquelles la loi associe, directement ou indirectement, des effets de droit. Pierre
Moore esquisse, sur ce registre, une feuille de route très claire :
-
« lorsqu’un juriste dit “faits”, il ne s’agit pas, du moins pas immédiatement, de ce qu’on
pourrait appeler la “réalité” et que je nommerai par la suite “situation factuelle”. Car, à
l’intérieur de l’ensemble, d’ailleurs infini en soi, des événements qui se nouent dans une
situation factuelle, seuls sont intéressants ceux dont la norme juridique applicable fait
dépendre son application. Il faudrait donc toujours, pour être rigoureux dans l’emploi des
termes, parler des “faits pertinents”, tels qu’ils sont extraits de la situation factuelle101 ».
Dans son sens le plus classique, la « juridicité urbaine marginale » procèderait, en somme, du
placement micropolitique de « faits pertinents » — état, personne, un groupe, des rapports, des choses, des
actions, des lieux, des situations, etc. — à la portée d’un champ ou d’un énoncé normatif — lui-même
intégré à un ordre juridique étatique —. L’intervention des acteurs juridiques professionnels se projette
alors en écho à la norme étatique, d’un curseur législatif ou réglementaire pointé vers les
asentamientos. « Faits sociaux » et « situations juridiques102 » se superposent. Ils sont mis en concordance
par un coup de baguette législative103. Certaines « circonstances de fait » deviennent éventuellement
justiciables, susceptibles d’être « entendues » par un arbitre ou un juge104.
101
Pierre Moor, « Logique scientifique et logique institutionnelle dans le discours juridique », Revue européenne des
sciences sociales, XLVI-141,2008, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 13 octobre 2012.
102
Le lexique des termes juridiques Dalloz définit en ce sens la situation juridique comme : «la situation dans laquelle se
trouve une personne vis-à-vis des autres sujets de droit, sur le fondement des règles de droit. Ainsi un fait, un état, un acte juridique favorisent
la naissance d’un faisceau de droits et de devoirs, de prérogatives et de charges au profit ou à l’encontre de la personne. », Lexique des
termes juridiques, Dalloz, 16e édition.
103
Voir généralement : MOTULSKY, Henri, Principes d'une réalisation méthodique du droit privé:(la théorie des éléments générateurs
des droits subjectifs). Librairie du Recueil Sirey, 1948.
104
Jean Carbonnier sur ce dernier point : « il se pourrait bien qu'en dernière instance la définition la moins improbable (du droit) fut
encore celle-ci : qu'est juridique ce qui est propre à provoquer un jugement, ce qui est susceptible de procès, justiciable de cette activité très
particulière d'un tiers personnage que l'on appelle arbitre ou juge. Mais de ce que la possibilité toujours latente d'un procès soit inhérente à la
notion du juridique, il ne s'ensuit pas que la réalité du droit se confonde avec le contentieux » extrait de Jean Carbonnier, flexible droit,
LGDJ, 10e édition, 2001, p.23 ; cité in LIBCHABER Ré, L’ordre juridique et le discours du droit : essai sur les limites de la
connaissance du droit, LGDJ-Lextenso éditions, Paris 2013. p19-21.
53
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
La récente « Loi organique d’ordonnancement territorial, d’usage et de gestion du sol » 105 prête par
exemple, à un processus de « constitution juridique du territoire »106. Le sol urbain « non consolidé » s’y
trouve expressément visé comme celui « qui ne compte pas avec l’ensemble des services, infrastructures et
équipements nécessaires et qui requiert un processus afin de compléter ou d’améliorer son édification ou
urbanisation »107 . Les « asentamientos de hecho — de fait — se trouvent de même définis comme des
« établissements humains caractérisés par une forme d’occupation des territoires qui n’a pas considéré les instruments de
planification urbaine municipale ou métropolitaine » 108 . La convocation du travail juridique — en première
instance, celui d’agents publics — répond au commandement divin et catégorique de la loi.
À un second niveau d’information, l’enjeu narratif se porte sur l’ensemble des actions, des
états ou des rapports attachés, par voie de causalité ou de conséquence, aux phénomènes de
formation et de réalisation du droit dans l’orbite de la marginalité urbaine. Ré Libchaer propose sur
un registre voisin d’incorporer à la notion de droit :
-
« tous les énoncés possibles, c’est-à-dire tous ceux qui pourraient s’insérer dans le tissu
juridique sans le déchirer, ceux qui se détachent de la stricte positivité des énoncés de détail
pour s’intégrer à la trame générale de l’ordre juridique. Cet ensemble cohérent de solutions
105
« Ley Orgánica de Ordenamiento Territorial, Uso y Gestión de Suelo », R.O. 790, Suplemento, de 05-07-2016; La
démarche trouve par ailleurs un écho sur le plan du droit régional comparé lorsque la législateur Mexicain institue une
loi-cadre sur les ‘Asentamientos Humanos irregulares’ Ley general de asentamientos humanos publicada en el Diario
Oficial de la Federación el 21 de julio de 1993, Última reforma publicada DOF 09-04-2012 (consulter en particulier sur
ce thème les articles 39, 40 et 60).
Citation de l’auteur : « Voilà pourquoi il sera question à travers le cas de la ville aujourd'hui de l'organisation, mieux :
de la constitution juridique du territoire. Tous ceux qui gèrent la ville, tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, la
pensent rencontrent le droit jusque dans sa matérialité : qu'il s'agisse du droit de l'État avec lequel la ville doit composer,
ou qu'il s'agisse des pratiques juridiques urbaines elles-mêmes. » CAILLOSSE Jacques, « La ville, le droit et la
redistribution des territoires administratifs », Politiques et management public, 1995, vol. 13, no 3, p. 83-119.
106
107
« Art.18.2 Suelo urbano no consolidado. Es el suelo urbano que no posee la totalidad de los servicios, infraestructuras y
equipamientos necesarios, y que requiere de un proceso para completar o mejorar su edificación o urbanización » Ley Orgánica de
Ordenamiento Territorial, Uso y Gestión de Suelo, R.O. 790, Suplemento, de 05-07-2016.
108
« Artículo 74.- Asentamiento de hecho. Se entiende por asentamiento de hecho aquel asentamiento humano caracterizado por
una forma de ocupación del territorio que no ha considerado el planeamiento urbanístico municipal o metropolitano establecido, o que se
encuentra en zona de riesgo, y que presenta inseguridad jurídica respecto de la tenencia del suelo, precariedad en la vivienda y déficit de
infraestructuras y servicios básicos ». Ley Orgánica de Ordenamiento Territorial, Uso y Gestión de Suelo, R.O. 790,
Suplemento, de 05-07-2016.
54
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
qui, par leur contenu comme par leur forme, pourraient être reçues, c’est ce que l’on peut
appeler la juridicité »109.
L’observation des « situations factuelles » s’étend alors à l’horizon des vécus de la norme et
du système juridique. L’ouverture phénoménologique implique, par définition, de porter un regard
sur l’éventail des « pratiques juridiques urbaines »
110
procédant de la territorialisation des
asentamientos. Le périmètre narratif s’étend, de même et en dernière instance, à l’observation des
faits de pluralisme juridique. La résilience de normativités spontanées nées des premiers temps de
l’occupation interpelle particulièrement à cet égard. Jacques Chevallier observe sur ce registre :
« La régulation juridique passe, dans les sociétés contemporaines, par l’intervention
d’acteurs multiples, situés dans des espaces juridiques différents et non hiérarchisés les uns
aux autres. Ce polycentrisme résulte d’un double mouvement. D’une part, l’État
n’apparaît plus comme le seul foyer de droit, la seule instance de régulation juridique :
d’autres producteurs de droit et de régulation sont apparus, soit à des niveaux différents,
soit parallèlement à lui ; le droit étatique est désormais “relayé”, lorsque l’État délègue ses
compétences régulatrices, “suppléé”, par le recours à d’autres modes de régulation,
“supplanté”, par le jeu de l’émergence d’autres ordres juridiques. D’autre part, le
pluralisme gagne le droit étatique lui-même, par le jeu du développement au sein de l’État
de foyers autonomes de production du droit »111.
À un troisième et dernier niveau d’information, la trame narrative s’étendra à l’ensemble de
« faisceaux » ou « signes » limitrophes de la juridicité. Le regard porté sur l’acte de représenter, de
« traduire » les phénomènes urbains marginaux en problèmes, théories, concepts de même que sur
l’explosion des flux d’information « scientifique » émergent, per sé, comme des enjeux
informationnels112. Les « faits de connaissance » de la ville, du droit, rejaillissent sur les usages et
LIBCHABER Ré, L’ordre juridique et le discours du droit : essai sur les limites de la connaissance du droit, LGDJLextenso éditions, Paris 2013. p.21.
109
110
CAILLOSSE Jacques, « La ville, le droit et la redistribution des territoires administratifs », Politiques et management
public, 1995, vol. 13, no 3, p. 83-119
111
Chevallier Jacques, « La régulation juridique en question », Droit et société, 2001/3, n°49, p. 827-846.
112
Goirand Camille, La politique des favelas, Recherches internationales Karthala, Ceri, 2001.
55
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
pratiques professionnels. Le phénomène sociopolitique et technologique de circulation des
représentations « autorisées » du fait urbain marginal participe pleinement, en ce sens, au
gouvernement des asentamientos. Les discours sur le droit pénètrent et façonnent de manière
performatique l’espace de juridicité113.
Au sens d’une pluridisciplinarité d’abord, une diversité de branches de savoir — connectées au
réseau des « sciences de l’homme et de la société » 114 — appréhende l’étude des phénomènes juridiques
comme des lignes de recherche opportunes et pertinentes. Le regard porté sur la juridicité urbaine
marginale s’incorpore à la construction d’une pluralité d’objets de recherche. La pensée économique
de la réalisation du droit aux abords du contexte urbain marginal rejaillit assez nettement, par
exemple, sur les processus de gouvernance, formation du droit des asentamientos. Au sens d’une
interdisciplinarité ensuite, le « rapprochement des questions posées, le croisement des problématiques élaborées,
l’utilisation des mêmes outils et des mêmes méthodes et la complémentarité des plans d’analyse » 115 bousculent
l’état des connaissances disponibles sur l’ensemble du réseau cognitif. Celle-ci modifie
progressivement la chaîne d’apprentissage et de reproduction du droit.
Le spectre informationnel sur la base duquel les acteurs juridiques professionnels sont amenés à
prendre et rendre compte du droit, de ses usages et de ses pratiques « en sociétés » apparaît, au vu de
Sur le rapprochement ‘droit et sciences humaines’ ; ‘droit et sciences sociales’, ARNAUD A.J., Les juristes face à la
société du XIXe siècle à nos jours, Paris, PUF, 1975; LASCOUMES P., , Le droit comme science sociale, in CHAZEL
F., COMMAILLE J., (éd.), Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, 1991, p.39-49 ; Audren Frédéric et
Halpérin Jean-Louis, « La science juridique entre politique et sciences humaines (XIXème-XXème siècles) », Revue
d'Histoire des Sciences humaines, 2001/1 no 4, p. 3-7.
113
L’auteur reprenant le postulat d’obsolescence de la distinction entre ‘sciences humaines’ et ‘sciences sociales’ observe: « Cette intégration croissante des sciences de l’homme en société met en œuvre des synergies multiples : croisements, partages et
réappropriations, interactions et transversalités, hybridations et fécondations croisées, etc. Leur finalité commune est la recherche de
représentations généralisables de processus complexes, expliquant les variations des répartitions dans le temps et dans l’espace de la dynamique
d’évolution des sociétés, sans gommer la complexité du jeu des acteurs et la variété des contextes, tout en identifiant les pertinences d’échelles et
de niveaux. » Grunberg Gérard et coll., Sciences de l’Homme et de la Société, Rapport de Conjoncture 2004, CNRS,
Dans le même sens : PIAGET Jean, « Problèmes généraux de la recherche interdisciplinaire et mécanismes
communs », Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines, première partie: Sciences
sociales, 1970, p. 559-628 ; PIAGET Jean, Epistémologie des sciences de l'homme, Gallimard, 1972.Sur le
rapprochement ‘droit et sciences humaines’ ; ‘droit et sciences sociales’, ARNAUD A.J., Les juristes face à la société du
XIXe siècle à nos jours, Paris, PUF, 1975; LASCOUMES P., , Le droit comme science sociale, in CHAZEL F.,
COMMAILLE J., (éd.), Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, 1991, p.39-49 ; Audren Frédéric et
Halpérin Jean-Louis, « La science juridique entre politique et sciences humaines (XIXème-XXème siècles) », Revue
d'Histoire des Sciences humaines, 2001/1 no 4, p. 3-7.
114
115
GRUNBERG Gérard et coll., Sciences de l’Homme et de la Société, Rapport de Conjoncture 2004, CNRS.
56
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
cet essai préliminaire de catégorisation, en mutation. Le paysage des « objets » susceptibles de
produire un soubresaut micropolitique, d’altérer le cours de la fonction sociale des acteurs juridiques
professionnels en milieu urbain marginal s’étoffe sensiblement. Poursuivant l’essai d’ouverture, les
propos suivants exploreront, dans l’ombre du processus politique de « revolucion ciudadana » et de
la constitution du « Buen-vivir », deux champs narratifs en friche :
-
le reflet, premièrement, d’une extrême « densité » des réseaux normatifs assurant la
territorialisation des « asentamientos » et l’assise d’un pouvoir local — mise en récit du droit
de la ville et du gouvernement urbain marginal — (Section 1) ;
-
un enjeu libertaire généralement attaché à la conquête des droits à la ville, le récit de luttes,
violences et traumatismes spécifiquement induits par l’irruption des formes juridiques
« modernes » — la « procédure », le dictat à ciel ouvert du droit colonial et des rapports de guichet —,
deuxièmement (Section 2).
Section 1 Le gouvernement urbain marginal et le tissage du droit de la ville
Une poignée d’agents municipaux, de cadres de la « Secretaria Técnica de Prevención de
asentamientos humanos irregulares-STAPHI- » et d’agents du MIDUVI se livrent, sur fond d’opposition
politique entre la municipalité de Guayaquil — aux mains du « Partido social cristiano (PSC) » depuis
1992116 — et Carondelet — siège de l’exécutif et du gouvernement de « Revolucion ciudadana » depuis 2007 —
une guérilla juridique117. La question de la « régularisation » des asentamientos du Monte Sinaï attise
de vieilles rancœurs. L’administration centrale et l’autorité municipale effectuent un travail continu et
minutieux de légistes, avancent stratégiquement leurs pions sur l’échiquier politique local par la voie
du droit. Une valse de règlements, de décrets présidentiels, d’ordonnances municipales, redéfinissent
des partages de juridictions, circonscrivent des zones, des secteurs d’intervention. La production
116
VILLAVICENCIO, Gaitán. « Políticas públicas y renovación urbana en Guayaquil: las administraciones social
cristianas (1992-2000) », Universitas, Revista de Ciencias Sociales y Humanas de la Universidad Politécnica Salesiana del Ecuador; 17,
(2012).
117
DE LARA, Felipe Burbano. « La lucha por Guayaquil », Íconos-Revista de Ciencias Sociales 33 (2013): 21-26.
57
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
frénétique des cadres normatifs — « vitrines de légitimité » — à grand renfort de services et d’expertises
juridiques forment partie intégrante du gouvernement de la ville118.
Les clivages historiques entre l’administration de « la côte » de « la Sierra » — la Costa y la
Sierra — d’une part, entre processus, bien souvent concurrents, de décentralisation et de
métropolisation, d’autre part, rejaillissent sur la configuration du réseau législatif et réglementaire.
Évoquant l’émergence d′un « droit de la ville », Yves Jegouzo évoque, sur ce registre, un
phénomène de « croissance du droit » et la « création d′un socle juridique… à l’appui des politiques de la
ville’ »119. Depuis la cellule souche urbaine, les phénomènes de formation et de réalisation du droit
tendent progressivement à être redécouverts à l’échelle de la ville. La territorialisation, arrimage
accidenté des asentamientos au tissu métropolitain se poursuit.
La découverte de l’espace urbain marginal guayaquileño sous le jour de ce territoire convoité,
administré et, in fine, gouverné sera restituée au fil de cette première section. L’enjeu narratif touche .
Il se précise au regard d’un triple registre :
-
la montée en puissance technico-administrative de la municipalité de Guayaquil (1992120 — ) et la
consolidation d’un patron de gouvernement métropolitain à la porte des asentamientos (A) ;
-
la production d’une nouvelle centralité à travers la symbolique de la régénération urbaine
(B) ;
-
le recul de la frontière urbaine et la consolidation juridique de la trame métropolitaine (C).
118
Voir généralement: FRUG Gerald, City as a Legal Concept, the Harvard Law Review, 1979, vol. 93, p. 1057; FRUG
&BARRON, International Local Government Law, Urban Law review, 2006, vol. 38, p. 1; BLANK Yishai, City and the
World, The Columbia Journal of Transnational Law, 2005, vol. 44, p. 875 ; BLANK, Yishai, Localism in the new global
legal order, Harvard International Law Journal, 2006, vol. 47, No. 1.
119
JEGOUZO Yves, « Droit de la ville et droit dans la ville », Revue française des affaires sociales, 2001/3 n° 3, p. 5570.
Pour une mise en contexte, renvoyons ici à l’allocution télévisée de Léon Febrès Cordero dans les jours suivant
l’investiture de 1992 “Alcalde denuncia situación y la forma como se manejaron los destinos de la ciudad en los últimos anos”.
https://www.youtube.com/watch?v=E0B2ao6HY9M (dernier accès 17/11/2016).
120
58
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
A)
L’administration métropolitaine
« Elle se profile devant les yeux, la ville idéale, la nouvelle Athènes. New York et Paris
en proposent déjà une image, sans compter quelques autres villes. Le centre de décision et
le centre de consommation se réunissent. Basée sur leur convergence stratégique, leur
alliance sur le terrain crée une centralité exorbitante. (…) » (Henri Lefebvre, 1968)121.
Le florilège de concepts représentant la ville à l’image d’un acteur international autonome
constitue l’un des axes de communication scientifique et politique majeurs de la gouvernance
internationale des villes 122 . Dans ses grands traits, la figure polymorphe de gouvernance
métropolitaine
123
évoque un positionnement stratégique, une projection des enjeux de
développement local vers un espace mondialisé et connecté -du « glocal » -124. Les objectifs de l’action
municipale sont redéfinis. De nouvelles capacités institutionnelles et modes de gestion de la ville
sont déployés. « Performance », « efficacité », « culture du résultat »: entre effet d’émulation et mutations
tangibles de l’agir administratif local, le « relooking » opère, bien souvent, depuis l’analogie avec le
secteur privé — « the corporate analogy »-125. La politique de la ville en emprunte les symboles, le langage
121
LEFEBVRE, Henri, Le droit à la ville, Préface de Rémy Hess, Éditions Anthropos, 2009, cité in : Cécile Gintrac
« penser la jungle des villes », les lettres françaises, 9 février 2012.
Saskia SASSEN (ed.), Global Networks, Linked Cities, 2002; FRUG et BARRON, “International Local Government
Law”, The Urban Lawyer, 2006, vol. 38, p.58; SCHLEICHER, David, “The City as a Law and Economic Subject”,
George Mason Law & Economics Research Paper, no 09-47, 2009,p. 1507-1564.
122
123
Les racines étymologiques latines, metropolis, et grecques, mêtropolis du terme métropole renvoient à la capitale d'une
province et plus généralement au concept de ville-mère d′un territoire par opposition à la figure politique et juridique
d′espaces sous tutelle de l′Empire ou de l′État. Voir : Centre National de ressources textuelles et lexicales en ligne, CNRS,
Atilf, 2013 ; http://www.cnrtl.fr/definition/métropole (dernier accès 15 novembre 2016).
124
AUGE Marc. Retour sur les « non-lieux ». In: Communications, 87, 2010. Autour du lieu [Numéro dirigé par Aline
Brochot et Martin de la Soudière] sous la direction de Aline Brochot et Martin de la Soudière. pp. 171-178.
BARRON David, “Reclaiming home rule”, Harvard Law Review, volume 116, n. 118, juin 2003, p. 2255-2386 ;
Briffault, Richard, and Laurie Reynolds, Cases and Materials on State and Local Government Law, West Group, 2004.
125
59
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
et les modèles de gestion 126. L’entrepreneuriat métropolitain se présente, en un mot, comme un
mode opératoire lissé et prêt-à-l’emploi127.
Daniel Mockle observe, à travers l’essor des pratiques de gouvernance locale un « dédoublement
progressif de la fonction normative entre un champ proprement juridique et un autre qui ne peut se définir que par
défaut (actes non réglementaires/non-droit) »128. L’espace urbain marginal se transforme sensiblement, dans
le sillon d’un tel dédoublement entre l’être et le paraître juridique, en objet de gouvernance locale
métropolitaine. Le gouvernement des asentamientos, entendu plus restrictivement comme une ligne
dure de la gouvernance, se manifeste, non plus seulement, au gré du flux et reflux négocié des
pouvoirs de l’État sur une fraction du territoire national — la décentralisation —. Il se matérialise aussi
de manière cumulative, alternative, voire concurrente comme l’assise du pouvoir métropolitain sur
des territoires aspirant à la supranationalité129, des villes appelées à devenir « mondes ».
L’administration de Guayaquil fait figure, à bien des égards de cas d’école sur les registres
tout désignés de la « bonne gouvernance » et de l’ingénierie institutionnelle. Lors de son discours
d’investiture à la municipalité, soit près de huit ans après l’arrivée à la mairie du « Partido socialcristiano », l’« abogado » Jaime Nebot, actuel maire sortant, évoquait déjà l’autonomie et
l’entrepreneuriat local comme des enjeux centraux de ses mandats à venir :
« Durant les huit dernières années, un Guayaquil détruit a été une nouvelle fois été
construit, pour redevenir enfin Guayaquil. Maintenant, nous allons lancer plus de
126
MOLOTCH, Harvey. « The city as a growth machine: Toward a political economy of place », American journal of
Sociology, 1976, p. 309-332, PADDISON, Ronan. “City marketing, image reconstruction and urban regeneration », Urban
studies, 1993, vol. 30, No. 2, p. 339-349.
127
INGRAHAM & LYNN(éd.), The Art of Governance: Analyzing Management and Administration, Georgetown
University Press, 2004.
Daniel Mockle, La gouvernance, le droit et l'État, Bruxelles, Bruylant, 2007, p.110 ; citation extraite de l’article,
Menétrey, S. Daniel Mockle, La gouvernance, le droit et l'état, Revue québécoise de droit international (RQDI), numero
20, 2008, p.345-348. Voir aussi, Voir dans le sens d′un droit de la gouvernance publique, Mockle Daniel, La gouvernance
publique et le droit, Les Cahiers de droit, vol.4, numéro 1, 2006, p.89-165.
128
129
NIJMAN Janne, The Future of the City and the International Law of the Future, FICHL Publication Series, No. 11,
2011, p. 213-229; NIJMAN Janne, Non-State Actors and the International Rule of Law: Revisiting the 'Realist Theory'
of International Legal Personality, extrait de Math Noortmann and Cedric Ryngaert (eds.), Non State Actors Dynamics
in International Law: From Law-Takers to Law-Makers, Amsterdam Center for International Law, Ashgate, 2010;AUBY
Jean-Bernard, Mega-Cities, Glocalization and Law of the Future, FICHL Publication Series, No. 11, 2011, p. 203-212.
60
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
chantiers publics, plus de sécurité, plus de santé, plus de régénération urbaine, plus de lots
équipés (services de base), plus d’action sociale… en somme, nous allons faire que
Guayaquil soit encore plus “ville”… !
Nous allons aussi faire plus de “Guayaquil pour la patrie”, mais surtout exiger que la
patrie face plus pour Guayaquil ! Nous allons lutter infatigablement pour la
décentralisation et l’autonomie, pas seulement jusqu’à ce qu’elles se convertissent en
normes constitutionnelles et légales, mais aussi, le plus important, jusqu’à ce qu’elles se
convertissent en réalités vécues et tangibles. (…) L’autonomie n’est pas un concept de
papier, c’est une attitude ! » (Abogado Jaime Nebot, traduction personnelle à
partir du discours d’investiture à la mairie de Guayaquil, 2000130).
Sur près d’un quart de siècle, la municipalité de Guayaquil a adopté plusieurs centaines
d’ordonnances. La mairie s’est dotée d’un appareil institutionnel et décisionnel dans la droite lignée
du modèle entrepreneurial. Le “cabildo” de Guayaquil, siège municipal, émerge à plusieurs égards
comme un acteur central, autorité de tutelle du processus de territorialisation des asentamientos.
L’activité normative acquiert dans ce contexte les traits d’une pratique organisationnelle. À l’interface
entre les asentamientos et des “ordres lointains” » 131 — « l’État », la « campagne », le « Nord » —
l’autorité municipale s’affirme à la fois comme :
-
un pôle d’expertise technique sur les problématiques de planification urbaine,
d’ordonnancement territorial et de « régularisation » juridique des asentamientos ;
-
un centre de gestion financière dès lors que la municipalité capte, gère et oriente la
distribution des fonds publics alloués au redéveloppement et à la consolidation des
infrastructures urbaines (la ville s’érige de fait comme interlocuteur direct et privilégié des
Enciclopedia del Ecuador, “Ab.Jaime Nebot”,
jaime-nebot/ (dernier accès 11/15/2016).
130
http://www.enciclopediadelecuador.com/personajes-historicos/ab-
L’expression est empruntée à Henri Lefebvre, l’auteur annonçait : « comme telle, la ville occupe un espace spécifique bien distinct
de l'espace rural. Par-là, la ville est une médiation entre un ordre proche et un ordre lointain. L’ordre proche, c’est celui de la campagne
environnante que la ville domine, organise exploite en lui rétorquant du surtravail. L'ordre lointain, c'est celui de la société dans son
ensemble » extrait de : Lefebvre Henri, La ville et l’urbain, Espaces et société, numéro 2, mars 1971, p.4.
131
61
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
organismes de financement et de coopération internationaux — CAF, BID, Banque mondiale132
-
;
le tout-puissant prestataire-délégataire des services de base dès lors que la municipalité
programme et supervise l’extension par secteurs des réseaux publics d’eau, d’assainissement,
d’électricité et de gestion des déchets ménagers — à travers un régime de concession et d’appels
d’offres internationaux — ;
-
un promoteur d’espaces publics et de services collectifs au rang desquels les transports, la
santé, la gestion des parcs et des espaces verts — le système mis en place par la municipalité présente
la particularité de reposer sur un processus de privatisation et la création d’un réseau de « fondations » 133
souvent qualifiées à juste titre de véritable « municipalité parallèle » 134 — ;
-
un promoteur immobilier, architecte et fournisseur d’une offre d’habitat social appelée à
« concurrencer » l’offre irrégulière — Programmes « Mi Lote » et « Mucho lotes135 tout particulièrement
—.
-
un prisme communicationnel136, perceptible à travers l’entreprise de création, de gestion et de
projection dans l’espace public d’une image de la ville métropolitaine 137 — à travers son
L’article 153 de l’Ordonnance établissant le « Plan régulateur de développement urbain de Guayaquil » du 21 juin
2000 émise par le conseil municipal de Guayaquil envisage une série d’instruments en vue de l’obtention de ressources
financières: « Les instruments présents répondront fondamentalement au besoin de financement destines à la réalisation d’investissements :
153.1 Les ressources financières requis en vue de la mise en œuvre du développement urbain pourront venir : a. du budget municipal, des
transferts de l’État central, de crédits négociés avec des entités nationales et internationales de développement et de crédit et, b. des ressources que
l’entreprise privée, les organisations de la société civile et les organismes non gouvernementaux obtiendront de leurs propres initiatives. 153.3
En ce qui concerne les ressources à investir dans le maintien des œuvres et des projets, un recours préférentiels sera effectué à la participation
d’organismes non gouvernementaux ou à l’entreprise privée comme entités indiquées à de telles fins.(traduction personnelle). »
132
En 1993 la "Loi de modernisation de l’État, privatisations et prestations de services publics par des entités du secteur
privé “Ley de Modernización del Estado, Privatizaciones y Prestación de Servicios Públicos por parte de la Iniciativa
Privada (Registro Oficial 349 del 31 de Diciembre de 1993).
133
134
Allán, Henry. Regeneración urbana y exclusión social en la ciudad de Guayaquil. Diss. Tesis de maestría. FLACSO Ecuador.
2010; Garcés Chris, Exclusión constitutiva: las organizaciones pantalla y lo anti-social en la renovación urbana de
Guayaquil, ICONO, Flacso-Ecuador, Quito, Numero 20, 2004, p.53-63.
135
Acosta María Elena, Políticas de vivienda en Ecuador desde la década de los 70, análisis, balance y aprendizajes, Tesis de maestría,
Quito, FLACSO, Marzo 2009.
62
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Règlement organique fonctionnel, la municipalité s’est munie d’une puissante “Direction du Tourisme, des
Relations internationales et de la compétitivité” —.
En syntonie avec la montée en puissance de la municipalité, la loi — en occurrence, l’article 55 du
“Code organique de l’organisation territoriale de l’autonomie et de la décentralisation (COOTAD)” faisant lui-même
écho à la norme constitutionnelle138 (article 264 de la Constitution “del Buen vivir”) — entérine sous les traits
d’une réserve de compétences locales, la production du lien d’immédiateté technique et
administrative entre la gestion de la ville et celle des asentamientos.
Poursuivant la lecture du cas, le flux continu des ordonnances municipales ne contribue pas
seulement à la production d’un centre décisionnel. L’appareillage technico-administratif du pouvoir
local participe, de même, à la production d’une nouvelle centralité symbolique et spatiale : la “zone
régénérée”.
136
Sur ce theme, PADDISON, Ronan, « City marketing, image reconstruction and urban regeneration », Urban studies,
1993, vol. 30, No. 2, p. 339-349; Andrea Lucarelli, Per Olof Berg, “City branding: a state-of-the-art review of the
research domain”, Emerald, 4, ,2011.
137
Voir en particulier article 119 du Règlement organique fonctionnel de la municipalité de Guayaquil du 9 octobre
2007.
« Les gouvernements autonomes municipaux décentralisés auront les compétences exclusives sans préjudice d’autres compétences que
viendraient à déterminer la loi de : a) planifier, avec d’autres institutions du secteur public et des acteurs de la société, le développement cantonal
et formuler les plans correspondants d’ordonnancement territorial, de manière articulée avec la planification nationale, régionale, provinciale et
paroissiale, et dans le but de réguler l’usage l’occupation du sol urbain (…); b) Exécuter le contrôle sur l’usage et l’occupation du sol dans le
canton; c) Planifier, construire et maintenir la viabilité urbaine; d) Fournir les services publics d’eau potable, d’égout, d’épuration des eaux
usées, de gestion des déchets solides, d’assainissement environnemental et ceux que la loi viendrait à établir; e) Créer, modifier, exonérer ou
supprimer à travers des ordonnances, des taxes, des tarifs et des contributions spéciales à des fins d’améliorations ; f) Planifier réguler et
contrôler le transit et les transports terrestres à l’intérieur de la circonscription cantonale; g) Planifier, construire et maintenir l’infrastructure
physique et les équipements de santé et d’éducation, ainsi que les espaces publics destinés au développement social, culturel et sportif en accord
avec la loi; i) Elaborer et administrer les cadastres immobiliers urbains et ruraux ; n) Gérer la coopération internationale pour la mise en
œuvre de ses compétences ».
138
63
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
B)
La production juridique du centre-ville et le symbolisme de la régénération urbaine
L’Ordonnance du 29 décembre 2000 — « Ordenanza de Regeneración Urbana para la ciudad de
Guayaquil »_ , dont les trois premiers articles sont reproduits dans l’encadré ci-dessous, constitue l’une des pièces
maîtresses de l’étroit maillage venant à constituer le « droit de la régénération urbaine »139.
Art.1 Cette ordonnance établit les normes et les procédures applicables pour que la
municipalité de Guayaquil entreprenne le Plan de régénération urbaine de la ville de
Guayaquil, dans le but de stimuler l’autogestion de la communauté, en harmonie avec le
travail municipal, en vue de revitaliser le développement architectural et urbanistique, à
travers la réparation, l’amélioration, la restauration, et l’entretien de la ville.
Art.2 Les normes de cette Ordonnance régulent l’intervention municipale dans l’exécution
des ouvrages de régénération urbaine suivants :
a) La reconstruction, rénovation, transformation ou amélioration des biens municipaux
d’usage public comme les rues, trottoirs, parterres, intersections et ronds-points, parcs, etc.
b) L’amélioration et la transformation d’immeubles du domaine particulier ou privé, à
travers l’exécution de travaux par la municipalité sur les façades, les colonnes, les
portails, etc. propices à revitaliser la valeur architecturale et paysagère ainsi qu’à travers
la délimitation et l’installation de clôtures aux terrains non édifiés.
Art.3 L’administration municipale entreprendra le Plan de régénération urbaine dans les
secteurs spécifiquement signalés par le Conseil Cantonal de Guayaquil à travers une
résolution.
Les secteurs clairement délimités ainsi que le type d’ouvrages que
l’administration municipale exécutera à la fois sur les biens d’usage public du secteur, les
immeubles de propriété particulière (privée) objet du Plan de régénération urbaine 140 ,
apparaîtront dans cette résolution.
139
Voir aussi: Perrone, María Gabriela Navas. Malecón 2000: el inicio de la regeneración urbana de Guayaquil: un enfoque proyectual.
Flacso-Sede Ecuador, 2012.
140
Extraits et traduit de « Ordenanza de Regeneración Urbana para la Ciudad de Guayaquil », publicada en el Registro
Oficial No. 234 del 29 de diciembre del 2000; Le document fait l’objet de retouches régulières: Ordenanza que Norma
los Programas de Regeneración Urbana de la Ciudad de Guayaquil”, publicada en el Registro Oficial No. 735 del 31 de
64
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
L’armature juridique de la régénération urbaine revêt, en première lecture et depuis une
perspective technique, une fonction relativement simple et précise : « instrumentaliser » et signifier le
processus de délimitation spatiale des zones « régénérées », établir les conditions préalables d’une
intervention paysagère et architecturale sur le bâti urbain, poser les jalons d’une gestion des futurs
secteurs régénérés. Cette modalité particulière de densification du réseau normatif répond
directement du processus de régénération urbaine. Elle revêt néanmoins une signification bien plus
profonde et ambiguë dans la vie quotidienne des guayaquileños.
L’entreprise de transformation radicale, dont les aspects paysagers et architecturaux ne
représentent, en tout état de cause, qu’une partie émergée de l’iceberg, produit et déplace les
frontières internes de l’archipel métropolitain 141. La production juridique du secteur-centre limite
ladite « régénération » à une poignée de « cuadras » et de zones piétonnes. Entre effets et discours de
rupture, la zone régénérée s’est progressivement définie a contrario du rural, de la campagne
périurbaine et des espaces satellitaires. Le « régénéré » répond, en d’autres termes, à la production
d’une norme d’habitabilité urbaine. L’empreinte spatiale et normative du projet de régénération
ambitionne à demi-mot une rupture historique avec le « dégénéré », les « barrios » et la lointaine
jungle des asentamientos. Le « Culturel », le « Touristique ». Les enseignes de « services commerciaux
et financiers » sont sanctifiées.
Fonctionnellement ensuite, la zone régénérée assume un rôle bien particulier de médiationfiltration entre le local et le global. La régénération urbaine répond, en d’autres termes, à une
entreprise de divulgation spatiale et régionale du projet métropolitain. La vitrine projette dans
l’espace public une image retouchée de la ville142… la fraîcheur du “Mall” offerte à ciel ouvert. Le
diciembre del 2002; “Ordenanza Rectificatoria a la Ordenanza que Norma los Programas de Regeneración Urbana de la
Ciudad de Guayaquil”, publicada en el Registro Oficial No. 126 del 16 de julio del 2003.
François Lionel définit sur un registre voisin le phénomène d’insularité comme la «combinaison de phénomènes sociospatiaux qui modifient la forme de la ville ainsi que les types d’interactions qui s’y déroulent et les pratiques urbaines. On voit apparaître des
villes composées d’îlots déconnectés, une ville ‘archipel » extrait de : François Lionel, « Vers la ville insulaire ? », Espaces et Sociétés,
n° 150, 2012 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2012, mis en ligne le 18 octobre 2012, consulté le 03 mai 2013.
URL : http://lectures.revues.org/9547
141
Voir : Caroline Lenoir-Anselme, Mises en scènes des villes : métropolisation et construction de l’image de la ville analyse des
théâtralités de l’espace public élargi à Toulouse, Thèse soutenue le 13 novembre 2008 en vue de l’obtention du doctorat
Université de Toulouse.
142
65
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
fantasme de « métapolis »143 s’invite au cœur de l’espace métropolitain. L’illusion d’optique semble
parfaite : « un bassin d’emploi, d’habitat et d’activités » ; un espace marchand144 « connecté » ouvert sur le
monde moderne et porteur d’une promesse d’avenir... « Guayaquil, Más Ciudad! ».
Le droit de la régénération urbaine c’est aussi et enfin, ultime prix de l’illusion, la mise en
place d’une police de l’espace public, des mœurs et de l’ordre moral. De l’espace « lissé » à l’espace
« policé » un pas est franchi. L’effort désespéré de rupture visuelle et architecturale avec le Guayaquil
« d’arrière-boutique », la production et l’alimentation du rêve collectif, s’accompagne d’une
restriction drastique des libertés publiques et de tout ce qui entrerait en dissonance avec l’image
d’Épinal.
La criminalisation de certains publics, la prohibition d’activités indésirables, la restriction de
certaines formes participatives aux abords des zones régénérées, les abus de pouvoir des
« métropolitanos » en uniformes, la chasse aux vendeurs ambulants 145 constituent des stigmates
quotidiens de la régénération146. Henry Allan Patricio Alegria observe sur ce registre :
« La régénération urbaine n’est pas seulement un projet de reconstruction et
d’embellissement des sites emblématiques de la ville (…) C’est aussi : a. un procédé de
transformation du rôle de la municipalité locale, b. une gestion privée de fonds publics qui
facilitent l’accumulation capitaliste des élites liées à la municipalité, c. une expulsion des
personnes considérées comme indésirables, ceci à travers un certain nettoyage social des
zones régénérées, d. une criminalisation de la protestation sociale accompagnée de
143
ASCHER François, Métapolis ou l'avenir des villes, Odile Jacob, Paris, 1995.
144
Lovering John, « The relationshop between urban regeneration and neoliberalism: two presumptuous theories and a
research agenda », International Planning studies, Volume 12, Issue 4, 2007
145
Pareena G., and Sandra Castro. "Government intervention in street vending activities in Guayaquil, Ecuador: a case
study of vendors in the municipal markets." Problemas del Desarrollo: Revista Latinoamericana de Economía 37.144 (2006): 14570; Swanson, Kate. "Revanchist urbanism heads south: the regulation of indigenous beggars and street vendors in
Ecuador." Antipode 39.4 (2007): 708-728.
Andrade, Xavier, and Nueva York. "“mas ciudad”, menos ciudadania: renovación urbana y aniquilación del espacio
público en Guayaquil." Ecuador Debate 68 (2006): 161-97. Du même auteur: “La domesticación de los urbanitas en el
Guayaquil contemporáneo (Dossier) = Disciplining urbanites in contemporary Guayaquil”, Íconos: revista de ciencias sociales,
Quito: FLACSO sede Ecuador, n.27, enero 2007: pp. 51-64.
146
66
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
tentatives réitérées de privatisation de la sécurité, e. une reconstruction de l’histoire locale
qui légitime les transformations opérées dans la ville (…) »147
La politique de régénération urbaine et la convocation du droit n’ont en somme d’aseptisées,
d’architecturales et de paysagères que la façade. Le coup de gomme ne saurait masquer bien
longtemps le fait majoritaire et l’extrême instrumentalité du droit. La transformation de l’espace
rénové ne fait, en définitive, qu’exacerber des contradictions qui demeurent, par ailleurs,
parfaitement connues et mesurées par l’autorité municipale.
C)
La consolidation de la trame métropolitaine par assimilation des asentamientos
La signification du gouvernement métropolitain répond, au fil des développements suivants,
à la projection de capacités institutionnelles d’anticipation et d’absorption territoriale des
asentamientos.
Face à une série de conjonctures adverses, la ville de Guayaquil s’est érigée en lieu de
rassemblement. L’administration portuaire tire parti de l’effet tampon historiquement assumé par les
asentamientos. La dette, les politiques d’ajustement structurel, la dollarisation, l’épisode du férié
bancaire — feriado bancario-
148
, le phénomène climatique du Niño, asphyxient les localités
périphériques. Le déroulé des évènements scelle, au contraire, le devenir métropolitain de Guayaquil.
Le rayonnement de la municipalité demeure, autrement dit, largement associé au
développement continu et progressif de capacités de réintégration physiques, symboliques et
discursives du « désert périurbain ». L’empreinte métropolitaine supplante l’ordre des localités
traditionnelles. L’univers des cantons, des paroisses et des communautés tombe progressivement en
désuétude. Le maillage du corpus de « régularisation », assure pas à pas le déplacement de la frontière
147
« La regeneración urbana no sólo es un proyecto de reconstrucción y embellecimiento de sitios emblemáticos de la ciudad -algunos de ellos
antiguos lugares de residencia de las élites locales- sino también a) un proceso de transformación del papel del Municipio local, b) un manejo
privado de fondos públicos que facilitan la acumulación capitalista de elites vinculadas al Cabildo, c) una expulsión de las personas
consideradas como indeseables, ello en una suerte de limpieza social de las zonas regeneradas, d) una criminalización de la protesta social
acompañada de reiterados intentos de privatización de la seguridad y e) una reconstrucción de la historia local que legitime las transformaciones
operadas en la ciudad durante los últimos 18 años ». extrait de Allán Alegría Henry Patricio, Regeneración urbana y exclusión
social en la ciudad de Guayaquil, Tesis para obtener el título de maestría en Ciencias Sociales con mención en Ciencia
Política, agosto 2010.
148
ESPINOSA Roque, La crisis económica financiera ecuatoriana de finales de siglo y la dolarización, Universidad
Andina Simón Bolívar, 2009.
67
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
urbaine. Les contradictions entre centralités métropolitaines et périphéries de la « urbe » font l’objet
de retouches périodiques aux pinceaux législatifs et réglementaires.
Artefact historique de ces pratiques administratives ayant assuré l’extension de la zone
d’influence métropolitaine, une première Ordonnance du 19 février 1956 édictée par le Conseil
cantonal de Guayaquil149 divise officiellement la ville en quatorze paroisses urbaines au lieu des six
initiales. L’exposé des motifs donne le ton :
-
« la division actuelle de la ville de Guayaquil en six paroisses urbaines ne correspond pas à l’augmentation de
population connue depuis sa création légale » (…) il devient nécessaire de réaliser une nouvelle division de la
ville en paroisses urbaines, en accord avec sa croissance démographique, pour faciliter aux citoyens l’exercice
des droits civils et politiques et pour une meilleure administration des intérêts municipaux »150.
-
La situation de fait ne cache qu’à demi-mot l’ambition d’expansion territoriale et l’enjeu
spéculatif associé à « une meilleure administration des intérêts municipaux »151. La montée au
créneau du gouvernement municipal se précise à travers une seconde ordonnance datée du
10 mai 1969, la Ordenanza de Parcelaciones y Urbanizaciones. La lecture a posteriori des mécanismes
mis en place par l’Ordonnance municipale de 1969 permet de retracer les origines d’un mode
opératoire. Des périmètres de transition sont créés et permettent l’extension progressive du
rayon d’action municipale en périphérie des limites territoriales de la ville.
-
Des propriétaires privés sont expropriés à des fins de planification, de développement
d’infrastructures ou d’équipements urbains et finalement d'adjudication.
149
Guayaquil est désignée officiellement comme canton pour la première fois par la Ley de Division Territorial de la
Republica de Colombia du 25 juin 1824 ; Le Canton ou Cabecera cantonal de Guayaquil compte selon les
nomenclatures en vigueur 16 paroisses urbaines -parroquias urbanas- auquelles s’ajoutent 5 paroisses rurales -parroquias
rurales-.
Extrait de l’Ordonnance dans sa versión originale: “Que la actual división de la ciudad de Guayaquil en seis parroquias urbanas,
no se corresponde con el aumento de población que ha experimentado la ciudad desde que tal división fue creada legalmente;
Que se hace necesaria una nueva división de la ciudad en parroquias urbanas, de acuerdo con su desarrollo demográfico, para facilitar el
ejercicio de los derechos civiles y políticos a los ciudadanos y para la mejor administración de los intereses municipales;”
150
151
Villavicencio, G. La lucha política por el control de Guayaquil, La Tendencia, Revista de análisis político, mayo 2012, p. 2932.
68
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
Des titres de propriété pour des parcelles irrégulièrement occupées sont émis lorsque celles-ci
se trouvent en situation de contiguïté directe avec les centres de population ou voies d’accès
principales à ces derniers.
-
Un cadre réglementaire restrictif soumet les urbanisations en cours et à venir à un régime
d’autorisation administrative. Cette mise en place assure, par la même occasion, la
reproduction des conditions initiales et nécessaires à la boucle de régularisation : « l’irrégularité
est programmée ».
Dans la continuité du cadre règlementaire établi par l’Ordonnance de parcellisation de 1969, le
rattachement des « asentamientos » et l’assise des pouvoirs de gouvernance municipale métropolitaine
se transforment progressivement en un véritable exercice de style. L’acquis de consolidation
contribue de facto à l’attribution d’une valeur marchande aux terrains inclus en périphérie directe des
plans de « contention » des asentamientos. La mécanique métropolitaine fonctionne à plein
régime152.
La loi n ° 2007-88 de « légalisation du régime d’occupation des terres à faveur des habitants de terrains se
trouvant à l’intérieur des circonscriptions territoriales des Cantons de Guayaquil, Samborondon et El Triunfo » 153
entérine la modalité expropriatrice. Le document déclare en son article premier :
-
« d’utilité publique, d’occupation immédiate, à des fins d’ordre social (particulièrement
d’habitat) et expropriés à faveur des municipalités de Guayaquil (…) avec l’obligation
pour ces dernières de vendre, d’attribuer et de légaliser la possession des actuels occupants
de terrains situés dans la juridiction des cantons de Guayaquil (…), les terrains qui sont
occupés par des établissements humains constitués en ciudadelas, coopératives de vivienda
et lotissements ainsi que les terrains destinés à la fourniture de services de base,
Jacome Lopez, “Legalización de la tenencia de la tierra de posesionarios ubicado en la parte urbana del Cantón”, Revista semestral,
CIUDAD, Numero Especial 20 años, n°14, 1998-1999, p.131-134; Rojas Milton y Villavicencio Gaitán, Mercado del suelo
urbano y las políticas de tierras urbanas en Guayaquil y sus incidencias en el desarrollo de los barrios populares, Corporación de
Estudios Regionales Guayaquil, 1987; Valencia Hernan, Invasiones de tierras y desarrollo urbano de la ciudad de Guayaquil, Tesis
para optar a la maestría en ciencias sociales, Flacso 1982.
152
153
Ley n°2007-88 de legalización de la tenencia de tierras a favor de los moradores y posesionarios de predios que se encuentran dentro de la
circunscripción territorial de los cantones Guayaquil, Samborondon y El triunfo »-
69
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
d’installations sanitaires et d’espaces verts (…) situés ou localisés à l’intérieure de leurs
circonscriptions territoriales »154.
Par effet domino, la régularisation administrative du régime foncier et de la propriété
emporte la modification des nomenclatures locales et l’inclusion de nouveaux “secteurs” aux
instruments de planification urbaine155. Par un effet de centralisation inversée, le “local” se trouve
progressivement assimilé au municipal 156 . La promesse de régularisation fonctionne comme un
dispositif de temporisation de l’action municipale — “une soupape de sécurité 157” —. De cet espace
gouverné, balloté entre les puissances coloniales de l’État souverain et de la métropole en devenir, la
question des droits, de l’être individuel et collectif en ville ressurgit invariablement. Les inquiétudes
visionnaires d’Henri Lefebvre paraissent toujours autant d’actualité :
« S’il est vrai que les mots et concepts : ‘ville’, ‘urbain’, ‘espace’, correspondent à une
réalité globale et ne désignent pas un aspect mineur de la réalité sociale, le droit à la ville
se réfère à la globalité ainsi visée. Ce n’est pas un droit naturel, certes, ni contractuel. En
termes aussi ‘positifs’ que possible, il signifie le droit des citoyens-citadins, et des groupes
qu’ils constituent (sur la base des rapports sociaux), à figurer sur tous les réseaux et
circuits de communication, d’information, d’échanges (...). Exclure de l’urbain des
groupes, des classes, des individus, c’est aussi les exclure de la civilisation, sinon de la
réalité urbaine par une organisation discriminatoire, ségrégative (...). Le droit à la ville
154
Article dans sa version originale : Decláranse de utilidad pública e inmediata ocupación, para fines de orden social, eminentemente de
vivienda; y, exprópianse a favor de los municipios de Guayaquil, Samborondón y El Triunfo, con la obligación de que éstos vendan,
adjudiquen y legalicen la tenencia de los terrenos a los actuales posesionarios de los predios ubicados dentro de la jurisdicción de los cantones
Guayaquil, Samborondón y El Triunfo, que están ocupados actualmente por asentamientos poblacionales constituidos en ciudadelas,
cooperativas de vivienda y lotizaciones, así como los terrenos que sean destinados para servicios básicos, sanitarios y espacios verdes, conforme a
la Ley Orgánica de Régimen Municipal y las ordenanzas que sobre la materia hayan dictado los ilustres concejos municipales y, cuya
singularización se encuentran ubicados o localizados dentro de sus circunscripciones territoriales
155
Réglements de planification municipale: Ordenanza Reformatoria de Delimitación Urbana de la ciudad de Santiago de Guayaquil,
publicada en el RO n 828 del 9 de Diciembre de 1991; la Ordenanza del Esquema urbano de Guayaquil, publicada en el R.O
número 846 el 20 de Diciembre 1995, Ordenanza del Plan regulador de Desarrollo urbano de Guayaquil, Registro Oficial numero
127, 25 julio 2000.
156
Boisier, Sergio. "Desarrollo territorial y descentralización: el desarrollo en el lugar y en las manos de la gente." Eure
(Santiago) 30.90 (2004): 27-40.
157
Scott, James C. "Infra-politique des groupes subalternes." Vacarme 3 (2006): 25-29.
70
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
signifie donc la constitution ou reconstitution d’une unité spatio-temporelle, d’un
rassemblement, au lieu d’une fragmentation” (Henri Lefebvre, 1972) »158.
Section 2 Le défi libertaire et les méandres de la conquête des droits : commentaires à partir
de l’article « La terre promise de Monte Sinaï », José Cabrera.
Vu du ciel et depuis une perspective régionale, le droit au logement fait, sans l’ombre du
doute, l’objet d’avancées remarquables. Les observations du Comité des droits économiques sociaux
et culturels — Observation générale n° 4159-7160 — ont reçu un écho significatif sur le sacro-saint registre
du droit positif. Les obligations internationales de l’État ont été précisées, les évictions forcées
proscrites par principe. La grande majorité des états d’Amérique du Sud se sont de même
juridiquement compromis à répondre « positivement » à la crise du logement urbain. L’Etat selon la
formule consacrée « s’engage » à assurer l’accessibilité, la jouissance et la sécurité du logement des
« sin » y de « con techos161 » — « avec » ou « sans » toit — sur son territoire.
La réception juridique des concepts de « logement convenable’162 et de « logement sain163 »,
développés dans le sillage de travaux doctrinaux sur les nécessités de base 164 (NBI) et l’habitabilité,
Lefebvre Henri, Espace et politique. Paris: Anthropos, 2000, p.21-22 ; voir aussi : Mark Purcell, “Excavating Lefebvre:
The right to the city and its urban politics of the inhabitant”, Geography Journal, Vol. 58, No. 2/3, “Social Transformation,
Citizenship, and the Right to the City” ,2002, pp. 99-108.
159
Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n o 4 (1991) sur le droit à un logement
suffisant (E/1992/23) ; A titre de rappel, l’Article 11-1 du PIDESC dispose : « Les États parties au présent Pacte
reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un
vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Les États parties prendront
des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une
coopération internationale librement consentie. »
158
“Observation générale nº 7 quant à la mise en œuvre du droit à un logement suffisant (art.11, §.1 du PIDESC) et au
cas des expulsions forcées”(16º período de sesiones, 1997), U.N. Doc. E/1999/22, anexo IV (1997).
160
161
Rodríguez, Alfredo, and Ana Sugranyes. "El problema de vivienda de los" con techo"." EURE (Santiago) 30.91 (2004):
53-65.
À titre de référence, le concept de logement convenable ou adéquat a été défini dans la cadre du Programme pour l’Habitat
adopté en 1996 lors de la Seconde Conférence mondiale pour l’Habitat tenue à Istanbul de la manière suivante : « Vivre
dans un logement convenable, ce n'est pas simplement avoir un toit au-dessus de la tête. Un logement convenable doit aussi être suffisamment
grand, lumineux, chauffé et aéré, offrir une certaine intimité, être physiquement accessible, permettre de vivre en sécurité, permettre de jouir de la
sécurité d'occupation, présenter une structure stable et durable, être équipé des infrastructures de base (approvisionnement en eau,
assainissement, gestion des déchets), être adéquat du point de vue écologique et sanitaire et, enfin, être situé à une distance raisonnable du lieu
de travail et des services de base, le tout, pour un prix abordable. (…) La notion de logement convenable est étroitement liée aux données
162
71
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
reflète de même une extension progressive du socle des droits individuels et collectifs susceptibles
d’être garantis à travers l’accès à un logement adéquat. Ces évolutions conceptuelles contribuent à
dresser les contours d’un habitat standardisé et inséré dans un cadre de vie intégral, un paysage
urbain planifié, administré, physiquement et légalement intégré au tissu urbain 165 . L’accès au
logement conditionne, matériellement et par un effet parapluie, la réalisation de certains droits
fondamentaux comme, par exemple, le droit à une vie digne, les droits à l’eau, à la santé, à
l’alimentation ou encore le droit au travail ménager. La réalisation des droits apparaît,
conceptuellement tout du moins, sous les traits d’un attribut fonctionnel, un accessoire de l’habitat
urbain166.
Le droit au logement constitue de même une figure désormais commune du
constitutionnalisme andin 167 . Les articles 30 168 et 375 169 de l’actuelle Constitution équatorienne
culturelles, sociales, écologiques et économiques, et de ce fait, elle varie souvent d'un pays l'autre.» (Programme pour l’Habitat, Istanbul,
1996, §60.).
163
Le second concept évoqué de logement sain -vivienda saludable- récemment promut dans le cadre notamment des
travaux de l’Organisation mondiale de la Santé sur l’Habitat renvoie à « un espace qui promeut la santé de ses habitants
et inclut : la maison (le refuge physique où réside l’individu), le foyer (le groupe d’individus qui vie sous un même toit,
l’entourage (l’environnement physique et psychosocial immédiatement extérieur à la maison) et la communauté (le
groupe d’individus identifiés comme voisins et résidents). Un logement sain est dépourvu ou présente des facteurs de
risques contrôlés et prévisibles et inclut certains agents promoteurs de santé et de bien-être. En particulier le logement
sain remplit les conditions fondamentales suivantes : sécurité foncière, emplacement sûr, dessin et structure architecturaux- adéquats et espaces suffisants pour une vie en commun saine ; des services de base de bonne qualité, des
meubles, des ustensiles domestiques et des biens de consommation sûrs et efficaces, un environnement adéquat qui
promeut la communication et la collaboration, des habitudes de vie favorisant la santé. » Vivienda saludable: Reto del
Milenio en los asentamientos precarios de América Latina y al Caribe, CEPAL, Organisation Panaméricaine de la Santé
et Programme UN-Habitat, 2006; vir aussi: SALAS, Julián, “Tugurización y necesidades de la habitabilidad básica en
Latinoamérica: rémoras a la cohesión social”, Pensamiento iberoamericano, 2007, no 1, p. 207-230.
Feres & Mancero, “El método de las necesidades básicas insatisfechas (NBI) y sus aplicaciones en América Latina”,
Naciones Unidas, CEPAL, División de Estadística y Proyecciones Económicas, 2001; Bey Marguerite, Recherches sur la
pauvreté: état des lieux, Contribution à la définition d'une problématique, Tiers-Monde. 1999, tome 40 n°160. pp. 871-895.
164
165
Pisarello, Gerardo. Vivienda para todos: un derecho en (de) construcción, el derecho a una vivienda digna y adecuada como derecho
exigible. Vol. 34., Icaria Editorial, 2003.
Pasqualucci Jo, “The Right to a Dignified Life (Vida Digna): The Integration of Economic and Social Rights with
Civil and Political Rights in the Inter-American Human Rights System”, Hastings International and Comparative Law Review,
Winter 2008, volume 31, p.1.
166
L’article 51 de la Constitution politique de la Colombie (1991) énonce que « tous les colombiens ont le droit à un logement
digne » et que « l’État fixera les conditions nécessaires pour faire effectif ce droit et promouvra la planification de logements d’intérêt social,
de systèmes adéquats de financement à long terme et de formes associatives d’exécution de ces programmes de logement social » ; Les article 19
167
72
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
témoignent d’une réception de principe contondante lors de l’Assemblée constituante de Montecristi
(2008).
À ces percées normatives et discursives répond ensuite une avancée sur le terrain de
l’exigibilité et de la justiciabilité des droits. Une série de précédents, décisions pionnières tant sur la
forme que sur le fond, assurent, du point de vue de la jurisprudence comparée et régionale170, un rôle
moteur au regard du renforcement des garanties juridictionnelles associées au logement. Un travail
continu de veille, de discussion, d’analyse doctrinale contribue, de même et finalement, à assurer le
rayonnement d’une promesse de progrès des droits et du droit par la voie du juge171.
et 20 de la Constitution Politique de l’État Bolivien (2009) dispose que : « I. Toute personne a le droit à un habitat et à un
logement adéquat, qui dignifient la vie familiale et communautaire » puis que « L’État à tous ses niveaux de gouvernement promouvra les
plans de logement d’intérêt social, à travers des systèmes adéquats de financement, se basant sur les principes de solidarité et d’équité. Ces plans
seront destinés de manière préférentielle aux familles à faible revenu, aux groupes les moins favorisés et à l’espace rural »(art.19) ; « I. Toute
personne a le droit d’accès universel et équitable aux services de base d’eau potable, d’égouts, d’électricité, de gaz domestique, postal et de
télécommunications. II. C’est la responsabilité de l’État, à tous ses niveaux de gouvernement, de fournir des services de bases à travers les
entités publiques, mixtes, corporatives ou communautaires. (…) III. L’accès à l’eau et aux réseaux d’évacuation constituent des droits
humains, ils ne sont pas objet de concession ni de privatisation et sont sujets à des un régime de licences et de registres en conformité avec la loi.
(art.20) ».
168
"La Constitucion del Buen Vivir, Sumak Kawsay énonce en ce sens que « les personnes ont le droit à un habitat sûr et sain, à un
logement adéquat et digne, indépendamment de leur situation sociale et économique” Version originale Art. 30.- las personas tienen
derecho a un hábitat seguro y saludable, y a una vivienda adecuada y digna, con independencia de su situación social y económica.
« L’État à tous ses niveaux de gouvernement garantira le droit à l’habitat et à un logement digne en vue duquel : 1. Il généra l’information
nécessaire pour la formulation de stratégies et de programmes qui comprennent les relations entre la vivienda, les services, l’espace et les
transports publics, l’équipement et la gestion du sol urbain. 2. Il maintiendra un cadastre national intégré géo-référencé, du logement et de
l’habitat. 3. Il élaborera, mettra en œuvre et évaluera les politiques, les plans et les programmes de l’habitat et de l’accès universel au logement
à partir des principes d’universalité, d’équité et d’interculturalité avec une attention particulière quant à la gestion des risques. 4. Il améliorera
le logement précaire, dotera de centres d’accueil, d’espaces publics et d’espaces verts et promouvra le régime spécial de location. 5. Il développera
les plans et les programmes de financement du logement social, à travers le système bancaire publics et les institutions de financement
populaires, avec une attention particulière pour les personnes à faible revenu économique et les femmes à la tête d’un foyer. 6. Il garantira la
dotation ininterrompue des services publics d’eau potable et d’électricité aux écoles et aux hôpitaux publics. 7. Il assurera que toutes les
personnes aient le droit de souscrire des contrats de location à un prix juste et sans abus(…) (traduction personnelle).
169
Éric Tardif, « Le système interaméricain de protection des droits de l’homme : particularités, percées et défis », La
Revue des droits de l’homme [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 04 décembre 2014, consulté le 05 décembre 2014.
170
171
ABRAMOVICH, Victor, COURTIS, Christian, "Hacia la exigibilidad de los derechos económicos, sociales y
culturales. Estándares internacionales y criterios de aplicación ante los tribunales locales", in: Abregu, Martin, Courtis,
Christian (coords), Aplicación de los tratados sobre derechos humanos en los tribunales locales, Buenos Aires, Editores del Puerto,
1997; des mêmes auteurs: ‘Apuntes sobre la exigibilidad judicial de los derechos sociales’, in: COURTIS Christian,
SANTAMARIA Ramiro, La protección judicial de los derechos sociales’, Los derechos sociales como derechos exigibles, seria
justicia y derechos humanos, Neoconstitucionalismo y sociedad, Ministerio de justicia y derechos humanos (Ecuador),
2009, p.3; spécifiquement sur la question du droit au logement et pour un recensement de cas: Courtis, Christian. "Notas
73
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Dans la perspective, non pas d’une rupture, mais bien d’une extension significative du
périmètre narratif, les propos suivants chercheront à mettre en lumière certaines zones d’ombres et
apesanteurs du processus d’appropriation et de conquête des droits. L’enjeu de mise en récit du droit
aux portes de l’asentamiento se focalise progressivement sur l’horizon des tensions, des détours et
des éventuelles impasses dialogiques inhérentes au cheminement des droits — voyages et transferts du
droit, processus d’universalisation172, d’inter et de transculturalisation de la conquête des droits 173 —. L’entreprise
d’institutionnalisation et de systématisation de certaines formes revendicatives depuis la société civile
apparaît, de même et fort naturellement, comme une source d’antagonismes et de frictions.
L’article traduit et reproduit, en partie, dans l’encadré ci-dessous est signé par José Maria
Léon Cabrera. Intitulé « La tierra prometida de Monte Sinaí174 » — la terre promise de Monte Sinaï —. Le
travail journalistique, publié dans la revue en ligne « Guayakill city » décrit une veillée dans la
coopérative « Las Marias », la nuit qui précède une vague d’éviction. Le point de vue proposé parait
d’une acuité remarquable dans la perspective d’une restitution des enjeux informatifs et narratifs
spécialement attachés à la réalisation des droits et libertés fondamentales dans les premiers temps de
la territorialisation — avant entrée en lice de la municipalité —.
Le récit fait état d’une rencontre manquée entre la foule anonyme des évincés et le groupe
des « acteurs institués » de la veillée — le CDH et son secrétaire exécutif, le porte-parole autodésigné de l’obscur
« Réseau des organisations communautaires et sociales de Monte Sinaï », l’intendant de police certainement resté à
l’écart du groupe —. Les tentatives d’orientation des débats sur les questions de légalité et de légitimité
de l’action publique, sur l’opportunité d’un recours judiciaire, tournent court. Les gesticulations du
Comité, celles d’Ante, l’étudiant en sciences politiques promu porte-voix des organisations de
quartier, illustrent une difficulté particulière à faire entendre l’option du droit. La promesse d’une
sobre la justiciabilidad del derecho a una vivienda adecuada." La protección judicial de los derechos sociales, ib idem, p.191; voir
aussi : Champeil-Desplats, Véronique. "Section 1. La justiciabilité des droits sociaux en Amérique du Sud." La Revue des
droits de l’homme. Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux 1 (2012): 120-139.
172
Lochak, Danièle. Le Droit Et Les Paradoxes De L'universalité. Paris : Presses universitaires De France, 2010. Print. Les
Voies Du Droit ; Médevielle Geneviève. "La Difficile Question De L'universalité Des Droits De
L'homme." Transversalités 3 (2008): 69. Web.
173
de Sousa Santos, Boaventura. "Vers une conception multiculturelle des droits de l'homme." Droit et société 35.1 (1997):
79-96.
74
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
lutte portée sur le terrain symbolique des droits de l’homme et du « Buen vivir » sonne faux. L’acquis
régional précédemment évoqué à titre introductif fait rapidement figure d’écho lointain et dissonant.
La narration saisit de même et sur le vif une série de non-dits, de silences et replis, porteurs de sens
en ce qu’ils modifient profondément le cours de la veillée.
« Éclairé par l’unique néon, au milieu de l’obscurité, un homme parle alors que ceux qui
l’observent restent silencieux. Certains sont concentrés et essaient de déchiffrer la tirade du maigrelet
qui leur fait face ; d’autres, tout simplement, n’y comprennent rien et se taisent. Avec l’ouïe et la vue,
se taire est un droit de l’homme que, selon un graffiti célèbre, les pauvres possèdent. La voix,
amplifiée et distordue par le mégaphone, appartient à Billy Navarrete, secrétaire exécutif du Comité
permanent des droits de l’homme de Guayaquil (CDH), une espèce d’Human Rights Watch version locale.
Navarrete explique les enjeux et le pourquoi du recours présenté par le CDH afin d’éviter l’éviction
des deux cent cinquante familles de la coopérative « Las Marias » du secteur Monte Sinaï, ordonnée
par la « Comisaria nacional de la policia U.C.V-Cuartel Modelo » et notifiée aux habitants la semaine
précédente. Il est environ neuf heures du soir, le 3 juin et depuis quatre heures de l’après-midi,
l’ONG et les habitants du secteur ont monté un piquet de veille. Dans trois heures s’achèvera le
délai octroyé pour se retirer de manière volontaire. À partir de minuit, les autorités auront la faculté
de les déloger et de recourir à la force si nécessaire. Pour les habitants de Monte Sinaï, pour les
pauvres en général, le futur a toujours été suspendu à une épée de Damoclès. Cette fois-ci, le fil qui
la soutient est sur le point de se rompre.
Ce n’est pas le Monte Sinaï de la bible, où Moise a reçu de Dieu les Tables de la loi. Le Monte Sinaï
de Guayaquil est situé au Nord Ouest de la ville, au-delà du canal de « Cédege », point de référence
laissant le secteur en dehors des limites urbaines. Administrativement, le secteur fut durant des
années une terre sans maîtres. En réalité, c’est la terre de deux cent soixante-quatorze mille
« personnes », les « sans nom" du poème d’Eduardo Galeano175. Une population comparable à celle
de Cuenca (la troisième ville du pays).
José Maria Leon Cabrera, “La tierra prometida de Monte Sinai”, Gkillcity,
junio 10, 2013
http://dev.gkillcity.com/articulos/el-mirador-politico/la-tierra-prometida-monte-sinai
175
Los nadies “Sueñan las pulgas con comprarse un perro y sueñan los nadies con salir de pobres, que algún mágico día llueva de pronto
la buena suerte, que llueva a cántaros la buena suerte; pero la buena suerte no llueve ayer, ni hoy, ni mañana, ni nunca, ni en lloviznita cae
del cielo la buena suerte, por mucho que los nadies la llamen y aunque les pique la mano izquierda, o se levanten con el pie derecho, o
empiecen el año cambiando de escoba.
Los nadies: los hijos de nadie, los dueños de nada.
174
75
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Xavier Burbano, intendant de police de la province du Guayas, soutient avec conviction que la
conduite du gouvernement est non seulement légale, mais aussi légitime. (...) Burbano, comme les
autres fonctionnaires participant à la procédure, est convaincu d’avoir la loi de son côté. Il reconnaît
que c’est une situation complexe et comprend que la décision est lourde de conséquences sur le plan
humain, mais il considère que c’est une mesure juste. Les évictions ont eu lieu. Les évictions ne
s’arrêteront pas. L’épée de Damoclès tombera, comme elle est déjà tombée sur la Thalia (une
coopérative voisine).
L’éviction forcée de la Thalia a donné lieu à une opération de grande envergure. Trois commissaires
et plus de miles trois cent policiers — brigade montée, et motorisée — se sont affrontés aux
habitants de la coopérative qui se refusaient à abandonner leurs logements. (…)
« Navarrete continue de parler. Le sac de nœuds légal qu’il essaie d’expliquer l’absorbe. Il ne trouve
pas les mots pour expliquer simplement l’action plantée par le comité devant la justice. Les près de
six cents voisins qui se sont rassemblés devant la tante (…) ne comprennent en rien cette abstraction
qui, hypothétiquement, pourrait stopper l’éviction, de manière temporaire au moins. Le secrétaire
exécutif du CDH (Comité para la defensa de los derechos humanos) n’a pas l’âme d’un politique, il
est trop sincère, il avertit : il est possible que la mesure n’ait aucun effet réel.
Il précise que ceci ne devrait pas constituer un motif pour se démobiliser, mais des soupirs se
laissent entendre. Il tente une nouvelle explication, essaie d’apporter de nouveaux arguments et
insiste, l’action entreprise à la force des actes symboliques. Il dit pour le moins deux fois “pour
terminer”, mais il poursuit. Jefferson Ante improvise un applaudissement repris par le public.
Navarette, souriant : “Je suppose que l’applaudissement c’est pour que je me taise”. Ante nie, mais
prend le microphone. Il demande avec insistance que les assistants apportent des chaises parce que
le piquet de vigilance durera jusqu’à six heures du matin. Ante est étudiant de quatrième année de
Los nadies: los ningunos, los ninguneados, corriendo la liebre, muriendo la vida, jodidos, rejodidos.
Que no son, aunque sean.
Que no hablan idiomas, sino dialectos.
Que no profesan religiones, sino supersticiones.
Que no hacen arte, sino artesanía.
Que no practican cultura, sino folklore.
Que no son seres humanos, sino recursos humanos.
Que no tienen cara, sino brazos.
Que no tienen nombre, sino número.
Que no figuran en la historia universal, sino en la crónica roja de la prensa local.
76
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
sciences politiques à l’Université de Guayaquil et s’identifie comme le porte-parole du Réseau des
organisations communautaires et sociales de Monte Sinaï. Il porte sur lui une constitution de poche,
la brandit et enseigne avec des aires de pasteur en plein prêche : “il est là camarade — companero —
, le droit qui garantit à vous et votre famille de ne pas être évincés.”
“La nuit avance et, peu à peu, le discours des droits de l’homme s’épuise. Celui de la religion, non.
Alors qu’une camionnette apporte une casserole de soupe, les interventions sont passées des
réclamations et cris d’indignation au refuge des louanges chrétiennes. Ils chantent, récitent des
psaumes. Réconfort des âmes en peine.”
Il est prêt d’une heure du matin et les habitants se sont dispersés. Ante récupère le microphone et
demande l’interruption des manifestations religieuses, quelqu’un lui a rapporté que plusieurs
personnes, gênées par le tournant pris par la veillée, quittent les lieux . Il incite à revenir sur la
question des droits, il demande aux voisins de lire la constitution et rappelle l'existence d'une loi
approuvée par l’assemblée en 2011 qui ordonne la régularisation des terrains dans le secteur de
Monte Sinaï. Il remercie la présence du CDH et salue l’initiative de la veillée. Il rappelle que
l’organisme de défense des droits de l’homme a avancé des arguments juridiques pour lesquels la
procédure d’éviction ne devrait pas donner suite (…)
“Dans un communiqué, le Comité a résumé ses préoccupations : de nombreux habitants de la
coopérative Thalia Toral ne se sont pas vu notifier l’éviction avec suffisamment d’avance. Leurs
chances de mettre des possessions en lieu sûr et de rechercher un autre endroit où s’installer ont été
niées. Les notifications se sont limitées aux seuls habitants résidents à proximité de l’avenue
Casuarina alors que la menace d’éviction s’étend en pratique à presque toute la coopérative”.
Alors que les arguments fusent, la terre promise du Monte Sinaï s’éloigne. Les incertitudes se font
sans cesse plus claires. Pour les habitants de la coopérative Las Marias, les réponses font défaut.
Quand les réponses manquent et que s’impose le désespoir. Hors microphone, Kevin — manabite à
écouter son accent — avertit : “au nom de Dieu, s’ils me virent d’ici je vais me consacrer au délit parce
que je dois trouver à manger pour mon fils”.
Los nadies, que cuestan menos que la bala que los mata.” Eduardo Galeano (1993)
77
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
La nuit s’est faite plus froide. Très peu de personnes sont encore là. Un groupe d’activistes du CDH,
Navarete en tête de rang, resteront sur place jusqu’à six heures du matin. Ils dormiront comme ils
peuvent dans la camionnette de l’organisation. Les habitants du Monte Sinaï chercheront à retrouver
le sommeil, même si beaucoup n’y parviendront pas : c’est vraisemblablement la dernière nuit qu’ils
passent là, en ce lieu où, depuis bien longtemps, malgré l’abandon et la précarité, ils étaient arrivés à
considérer comme leur foyer. »
José Maria Leon Cabrera, “La tierra prometida de Monte Sinai”, Gkillcity, junio 10, 2013
Un fossé se creuse visiblement entre « intervenants » et un « intervenus » ; « acteurs » et
« observateurs », « gouvernants » et « gouvernés », « juristes » et « profanes », mais quelle est sa nature
véritable ? Le tortueux continuum d’appropriation-idéalisation-revendication de droits « exigibles »,
« justiciables », marque visiblement un temps d’arrêt 176. La chimie délicate de la veillée pensée et
entreprise comme une action collective de résistance face à l’État n’opère pas, ou mal, pourquoi ?
Poussant l’analyse un peu plus loin, l’enjeu narratif se resserre autour d’une double ligne de
rupture : l’écueil de la formalisation et de la « signification » du processus revendicatif, en premier
lieu (A), la barrière des vécus du droit, en second lieu (B).
A) L’écueil du format de revendication
« Allez chercher des chaises », « s’assoir », « ne pas se démobiliser », « faire acte de présence », « faire silence »,
« attendre et écouter la prise de parole », « applaudir », « ne pas prier », « lire la constitution », « manger sa soupe »…
la production de la « consigne » au cours de la veillée répond visiblement à une norme de
comportement planifiée, codifiée, systématisée — « l’idée d’une veillée » —. L’action de revendication
instiguée par le Comité avec l’appui de son partenaire local s’inscrit, autrement dit, dans le cadre d’un
mode d’action institutionnalisé. Le format de la réunion, de la discussion et, in fine, de convocation
du discours des droits de l’homme, répondent à la réplication d’acquis et de « modus operandi », bien
plus qu’à une démarche de construction de l’action in situ. Le travail de situation apparaît, pour ainsi
dire inexistant, le partenariat social de pure forme.
176
Lochak Danièle, « Les droits de l'homme : ambivalences et tensions », Revue internationale de psychosociologie, 2004/23
Vol. X, p. 9-24.
78
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Au regard des circonstances, le regard porté sur le déroulement de l’action revendicative
dévoile une série de fissures conceptuelles et stratégiques. « Pour les habitants de la coopérative Las
Marias, les réponses font défaut »… remontant progressivement le fil des évènements, distinguons cidessous pour le moins trois zones d’ombre et de tension.
Un premier questionnement émerge quant à la temporalité et à la mesure du « timing » de
l’action revendicative. Les termes de la présence de l’ONG dans l’asentamiento, son temps
d’intervention opérationnelle s’inscrivent dans une temporalité singulière, celle de « l’action » et du
« happening ». Le Comité intervient spécifiquement, en d’autres termes, dans le cadre d’un « suivi »
des vagues d’éviction. Le dialogue avec les habitants de la coopérative « Las Marias » s’inscrit dans
une séquence, un mouvement routinier de prise de contact, de production du communiqué de
presse, de convocation des médias, de saisine et d’activation des réseaux sociaux, de rédaction
périodique de rapports sur l’état des droits
177
. Le mode opératoire décrit, certes très
schématiquement, n’évolue pas en fonction d’un « avant » et d’un « après » l’éviction. Il s’inscrit dans
un cycle d’intervention. À l’inverse, la veillée s’inscrit dans une temporalité beaucoup plus immédiate
et existentielle depuis la perspective des habitants. L’intervention des forces de l’ordre dans une
coopérative voisine « la Thalia Torral », dans des conditions strictement similaires, s’est soldée par
l’éviction des familles (420 habitations détruites). Que les familles aient reçu la notification ou non, le
bruit de l’éviction imminente se répand, précède celui des engins de chantier et des cordons de
« sécurité ». La présence de l’ONG annonce l’imminence d’une bataille perdue d’avance. La veillée
attise l’angoisse d’un « après ». Pour des raisons somme toute divergentes, le format de la rencontre
peine à atteindre le seuil du phénomène participatif, d’un concours de circonstances susceptibles de
modifier le cours de l’éviction, d’en changer la donne.
Une seconde source de tension émerge au regard de la posture d’intermédiation sociale du
Comité et du « représentant des représentants de quartiers ». La nature incertaine du rapport de droit
établi entre les organisateurs et le collectif des habitants rejaillit sur le déroulement des évènements.
Le rôle intermédiaire de l’ONG, la définition d’une posture éventuelle de représentation, de
partenariat, de conseil stratégique ou conseil juridique, de médiateur, de porte-voix, de témoin ou de
communiquant public (…) ne semble pas, en d’autres termes, faire l’objet d’un consensus. À l’heure
79
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
des barricades, du blocage éventuel et désespéré des voies d’accès, des pneus brulés, la question du
consentement informé et l’incertitude quant à la répartition des rôles face à l’éviction imminente
pèsent lourd. Le défaut d’un accord préalable, état de confiance minima à même de cimenter les
bases du partenariat, influe, a fortiori, sur le processus de médiatisation de la cause et sur l'affirmation
d'un droit collectif face à l’État.
Un troisième questionnement émerge enfin quant à la géographie du processus revendicatif.
L’élection du site de l’éviction comme site de la veillée apparaît, d’une manière générale, déconnectée
des lieux de formulation de la revendication — salles de réunions, assemblée et comités de quartier —, des
lieux de la décision administrative — bureaux de la STAPHI, du MIDUVI —. La distance avec les
lieux éventuels d’un recours et d’une décision juridictionnelle — palais de justice, « fiscalia » et tribunaux
— semble tout aussi significative. Les parvis et les couloirs inscrits, en règle générale, à proximité
immédiate des centres de décision « institués » ne sont pas occupés. Le dispositif de ségrégation
urbaine, d’exclusion de la prise de décision institutionnelle tourne à plein régime.
B)
La géométrie des vécus du droit
« Sac de nœuds légal », « abstraction susceptible de suspendre la mesure d’éviction », « voies
de recours dotées de la force des actes symboliques » (…) les paragraphes suivants reviennent sur
une série de barrières, non plus seulement attachées à la forme de revendication — la veillée —, mais
aussi et plus fondamentalement, au vécu du droit comme une option ou un canal d’action — « la voie
du droit ». Alors que le secrétaire général porte la discussion sur le terrain de la légalité de l’action
publique, évoque la régularité de la procédure et, plus généralement, la responsabilité de l’État, le
fossé entre le Comité, Ante et l’assemblée des habitants atteint son paroxysme. La démarche de
revendication des droits adossée au système « droit », à l’ordonnancement juridique étatique et, in
fine, à de lointaines institutions publiques provoque un repli défensif. Garcia Villegas, dans le cadre
des travaux de l’Institut latino-américain pour le développement du droit alternatif (ILSA), livre une perception
voisine de cette ligne de fracture :
« D’une part, le droit suscite la méfiance, le recel, la rébellion ou simplement le manque
d’autorité quand il s’agit de se soumettre aux normes qui régulent la vie quotidienne. Le
“Situación de los derechos humanos en Guayaquil, Comité permanente por la defensa de los derechos humanos”,
Informe 2013; “Informe sobre desalojo forzoso en isla trinitaria, Guayaquil”, Comité permanente por la defensa de los
derechos humanos Marzo 2015.
177
80
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
système juridique étatique réduit la visibilité des droits des citoyens. La citoyenneté est
plus un devoir qu’un droit. De ce constat nait un comportement citoyen complexe et
hétérogène : la soumission à la loi est tout du moins exclue, négociée ou, dans le meilleur
des cas, adaptée à chaque nouvelle situation »178.
Le réflexe immunitaire expose le projet d’universalisation des droits sous l’angle de sa
vulnérabilité, des distances restant à explorer.
Les distances qui séparent l’orateur formé aux droits, imprégné de l’idéologie de l’état de
droit179, familiarisé au langage de l’exigibilité et de la justiciabilité, des anonymes « condamnés » à
écouter et « se taire » se font évidentes. Reprenant une observation de Danièle Lochak, « le droit
apparaît ici non plus comme un élément d’encadrement ou un enjeu des pratiques sociales, mais comme une pratique
sociale en lui-même180 ». Le langage de revendication des droits « par le droit » rappelle paradoxalement
celui de la note d’éviction.
La question de la communicabilité écrite ou orale de l’information juridique181 retombe de
tout son poids sur le processus de conquête des droits par le droit. Si « comme tout langage, sa fonction
première est d’assurer la communication de la connaissance juridique »182, il n’en demeure pas moins que le
langage des droits se constitue historiquement comme un flux d’information codé. Sa
méconnaissance se manifeste sous les traits d’un « écran linguistique » 183 séparant les initiés « parlant le
Traduction de Garcia VILLEGAS MAURICIO, “notas preliminares para la caracterizacion del derecho en Amreica
Latina”, El otro derecho, n°26-27, Abril 2002, ILSA, Bogota, Colombia; voir aussi: Voir: LARREA, Tatiana, ¿En qué
pensamos los ecuatorianos al hablar de democracia, Quito, Corporación Participación Ciudadana, 2007.
178
179
MILLARD, Eric. "L'État de droit, idéologie contemporaine de la démocratie." Boletín mexicano de derecho
comparado 37.109 (2004): 111-140.
180
« C'est pourquoi ces stratégies de légitimation apparaissent avec une visibilité particulière dans ce que l'on pourrait
appeler par opposition aux ‘usages profanes’, les ‘usages savants’ du droit, qui sont le propre des professionnels du droit:
les juristes -Ia doctrine, les juges, les auxiliaires de justice... - et à un moindre degré les politiques, en tant qu'ils sont
habilités à produire et modifier les règles de droit. Le droit apparaît ici non plus comme un élément d'encadrement ou un
enjeu des pratiques sociales, mais comme une pratique sociale en lui-même. » Extrait de : LOCHAK, Danièle, Les
usages sociaux du droit, Presses universitaires de France, 1989 .
181
CARTIER, EMMANUEL. « Accessibilité et communicabilité du droit », Jurisdoctoria, Revue Doctorale de Droit
Publique Comparé et de Théorie juridique, 2008, vol. 1, p. 51-76.
182
183
F. TERRE, « Libres propos », Lettre de la mission de recherche Droit et Justice, printemps-été 2010, n°34, p. 2.
G. CORNU, Linguistique juridique, Paris, Montchrestien, 1990, p. 20.
81
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
droit’184 et les profanes185. Gérard Cornu rappelle ainsi que « le langage juridique (…) n’entre pas d’emblée
dans l’entendement de celui qui ne possède que la langue commune » et que « ce phénomène d’opacité est un fait
d’expérience » 186 . Ce dernier demeure, en somme, un langage « d’initiés » 187 vernis d’une fiction
juridique, le libre accès à l’information juridique.
La relation permanente de « savoir-pouvoir’
188
qui est instituée du fait de cette
disqualification des usagers précède l’action revendicative. Elle rejaillit à l’image d’un passif. Dans le
pire des cas, l’action de revendication des droits tend, elle-même, à établir et maintenir ce rapport de
force. Poursuivant l’étude des hiérarchies sociales et des mécanismes de domination Pierre Bourdieu
analysait :
« La constitution d’une compétence proprement juridique (inséparablement technique et
sociale) entraîne la disqualification du sens de l’équité des non-spécialistes. Ce décalage
entre la vision vulgaire du justiciable, c’est-à-dire du client, et la vision savante de
l’expert, juge, avocat, conseiller juridique, etc., est constitutif d’un monopole. Il résulte de
la structure et du fonctionnement même du champ où s’impose un système d’exigences
spécifiques dont le cœur est l’adoption d’une posture globale, visible notamment en matière
de langage. Le droit est sans doute la forme par excellence du pouvoir symbolique de
nomination et de classement qui crée les choses nommées et en particulier les groupes. Il
n’est pas trop de dire qu’il fait le monde social, mais à condition de ne pas oublier qu’il
est fait par lui »189.
184
M. DOMINgo, « Parler droit », Lettre de la mission de recherche Droit et Justice, printemps-été 2010, n°34, p. 1.
185
Voir généralement BOUGHRIET, Nora. Essai sur un paradigme d'alliance constructive entre droit et médecine : L'accès du
médecin à la connaissance juridique. 2013. Thèse de doctorat. Université du Droit et de la Santé-Lille II.
186
G. CORNU, Linguistique juridique, Paris, Montchrestien, 1990, p. 20.
187
J.-C. GEMAR, « Les fondements du langage du droit comme langue de spécialité », Revue générale du droit, Université
d’Ottawa, Faculté de droit, 1990, vol. 21, n°4, p. 719, cité in BOUGHRIET, Nora. Essai sur un paradigme d'alliance
constructive entre droit et médecine : L'accès du médecin à la connaissance juridique. 2013. Thèse de doctorat. Université du Droit et
de la Santé-Lille II, p. 21.
188
J.-L. SOURIOUX, Pour une fondation langagière du droit », Lettre de la mission de recherche Droit et Justice,
printemps-été 2010, n°34, p. 9.
189
BOURDIEU Pierre, La force du droit, éléments pour une sociologie du champ juridique, Actes de la recherche en
Sciences sociales, n°64, Septembre 1986, pages 3-19.
82
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Saisie à travers la lentille de la procédure d’éviction, la convocation de la forme juridique
présente les symptômes d’une intrusion. Le “cas” de l’éviction interpelle alors sous l’angle de ses
“généralités 190 ”. La rencontre avec le droit sous sa forme moderne amorce un lent processus
d’apprentissage expérientiel. La barrière du langage se dresse à l’occasion de chaque rencontre avec
le système : l’état civil et le processus d’obtention de la carte d’identité, la délivrance d’un numéro
d’affiliation à la sécurité sociale (IESS), l’obtention d’un justificatif d’un justificatif de domicile
(facture d’eau, d’électricité), l’inscription sur le registre de commerce, le permis de conduire…
À un second niveau d’observation, la “tranchée des vécus” se précise au regard de
l’expression des résultats espérés à travers le processus de revendication des droits. Si bien l’abandon
de la mesure d’éviction apparaît, de toute évidence, comme un objectif général commun et partagé
par l’ensemble des intervenants de la veillée, l’ordre des attentes s’avère en réalité beaucoup plus
complexe que ce que le raccourci discursif laisse transparaître.
Depuis la perspective du Comité le chemin des droits signifie tour à tour :
-
l’exercice d’une pression et la dénonciation de l’État dans l’espace public — action de
médiatisation, convocation de l’opinion publique —,
-
l’annulation ou la suspension administrative de la mesure d’éviction à travers la saisine des
institutions de recours — recours hiérarchique et le “formatage du cas” en vue d’une éventuelle
judiciarisation —,
-
l’ouverture, somme toute désespérée et tardive, d’un dialogue interinstitutionnel ; le Comité
ayant appelé à la table des négociations la “Gobernación del Guayas” (autorité administrative
déconcentrée), la STAPHI, le procureur général de l’État, la municipalité de Guayaquil, le
Défenseur public, les universités de la ville, le MIDUVI, le secrétariat national de gestion des
risques, les organismes de défense des droits de l’homme afin “d’aborder de manière
190
PASSERON Jean-Claude. « Penser par cas. Raisonner à partir de singularités. », In : PASSERON Jean-Claude,
REVEL Jacques, dir. Penser par cas. – Paris : Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, (Enquête, 4).
2005. p. 9-44.
83
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
adéquate la planification gouvernementale depuis une vision respectueuse des droits de
l’homme191”.
Il s’agit de même, à travers la veillée, d’affirmer une présence sur le terrain auprès d’éventuels
bailleurs de fonds et d’affirmer une position d’interlocuteur local dans la sphère de gouvernance des
droits de l’homme. L’agenda des habitants visés par la mesure d’éviction demeure quant à lui à
l’arrière-plan de la veillée. Le degré de spécification évoqué ci-dessus paraît bien loin d’être atteint.
À un troisième et dernier niveau, la distanciation opère quant au vécu du gouvernement local
et sur le terrain de la citoyenneté urbaine192. Le sentiment de bataille perdue, tel qu’il est perçu depuis
les soupirs de l’assemblée, renvoie cette fois au vécu d’une impasse sur le “droit à la ville193”. Le droit
Communiqué de presse du Mercredi 10 juillet 2013 : “Por los motivos expuestos, solicitamos varias acciones encabezadas por la
Gobernación del Guayas y la Secretaria Técnica de Asentamientos Irregulares: suspenda inmediatamente la ejecución de nuevos desalojos a los
asentamientos irregulares de Monte Sinaí. Abra una mesa de trabajo sobre la política de desalojos y los Derechos Humanos convocando a
Procuraduría General del Estado, Municipio de Guayaquil, Defensoría del Pueblo, Universidades de la ciudad, Miduvi, Secretaria
Nacional de Riesgos, organismos de Derechos Humanos y otras instituciones que permita abordar adecuada los planes gubernamentales desde
una visión de Derechos Humanos. Estamos firmemente convencidos que la sola existencia de una familia pobre dejada injustamente en el
desamparo y sin ninguna opción para garantizar sus derechos, justifica la decisión de detener los procedimientos que provocaron dicha situación
para revisarlos. En el caso de resultar inevitables los daños, recordamos que el Estado debe reparar e indemnizar por dicha afectación a
Derechos Humanos. Exhortamos a que suspenda los desalojos ordenados hasta que se revisen los procedimientos hasta ahora utilizados en el
tratamiento de esta desafiante problemática”.
192
JANOSCHKA, Michael. "Geografías urbanas en la era del neoliberalismo. Una conceptualización de la resistencia
local a través de la participación y la ciudadanía urbana." Investigaciones geográficas 76 (2011) : 118-132.
191
David Harvey observe sur ce registre : « …la question de savoir qu’elle ville nous voulons est indissociable de la question de savoir qui
nous sommes, quels types de relations sociales nous recherchons, quelle relation à la nature nous souhaitons établir, quelles sont les technologies
que nous estimons appropriées, quelles sont nos valeurs esthétiques. Le droit à la ville est donc par conséquent, bien plus qu’un droit individuel
aux ressources que la ville représente : c’est un droit à nous changer à travers le changement de la ville … c’est de plus, un droit collectif, plutôt
qu’individuel, dans la mesure où changer la ville dépend inévitablement de l’exercice d’un pouvoir collectif sur les processus d’urbanisation...
Revendiquer un droit à la ville tel que je l’entends, c’est revendiquer un certain pouvoir d’intervention sur les procédés d’urbanisation, sur les
manières dont nos villes sont faites et refaites, et le faire d’une manière fondamentale et radicale » ; Harvey David, The right to the city,
New Left review, volume 53, September-October 2008 .
193
84
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
d’intervenir sur le processus de territorialisation des asentamientos demeure sur le papier 194. Le vécu
du droit se limite sensiblement au vécu d’une sanction195.
Que signifie l’ordre d’éviction pour la “famille x”, “coordonnées x”, sommée de quitter les
lieux dans un délai de quarante-huit heures ? Que représente, aux yeux du citoyen se découvrant du
jour au lendemain “administré” d’un “État de droit social”, la délivrance d’un “écrit juridique” noyé
dans la tourmente de déplacements forcés imminents ? L’expérience citoyenne de la notification
administrative, de la forme juridique “dominante” sont-elles réellement, au regard des circonstances,
si différentes de celle du cordon de sécurité, du bulldozer ou de l’uniforme ?
Rien ne semble moins sûr, et pour cause. Le travail juridique de “signification” de l’éviction,
sa justification au regard d’une “procédure”, d’un réseau de normes étatiques, tel qu’il est entrepris
au nom de la “Secretaria técnica del comité interinstitucional de prevención de asentamientos humanos irregulares”,
définit la ligne de l’être individuel et collectif en ville.
Par delà l’enjeu de mise en cause des conditions de validité formelle et conjoncturelle,
touchant à l’exécution d’un acte de gouvernement, se sont, en d’autres termes et de manière
fondamentale, les conditions et modalités historiques de convocation du travail juridique au service
de la police des asentamientos qui interfèrent avec l’action revendicative. Il suffit pour s’en
convaincre, de parcourir un ordre d’éviction reproduit dans l’encadré ci-dessous à titre illustratif. La
traduction semble inutile tant la forme juridique paraît caractéristique…
La constitution équatorienne introduit, de fait, le droit à la ville dans le champ du droit positif, l’article 31 disposant en
ce sens : « Les personnes ont le droit à la pleine jouissance de la ville et de ses espaces publics, dans la lignée des
principes de durabilité, de justice sociale, de respect des différentes cultures urbaines et d’équilibre entre l’urbain et le
rural. L’exercice du droit à la ville est fondé sur la gestion démocratique de la ville, sur la fonction sociale et
environnementale de la propriété et de la ville, sur l’exercice entier de la citoyenneté. (Article 31 Constitution del Buen
Vivir, 2008, traduction personnelle.
194
Un recours interposé, dans des circonstances similaires, devant le défenseur du peuple s’est par ailleurs soldé par un
échec, Informe sobre desalojo forzoso en la Isla trinitaria, Comité permanente para la defensa de los Derechos Humanos’ (CDH),
p. 7.
195
85
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Guayaquil 05 de marzo del 2015,
Señor(a) Coordenadas: 619274, 9753167
Considerando
Que mediante Acuerdo Ministerial n°142 de fecha 15 de noviembre del 2002, publicado en el Registro Oficial n°5
del 22 de enero del 2003, el Ministerio del Ambiente declaro como "Reserva de Producción de Fauna Manglares El
Salado", una superficie de (…)ubicadas en la jurisdicción del cantón Guayaquil, provincia del Guayas , a su vez el
artículo 75 de la Ley Forestal y de Conservación de Áreas Naturales y vida Silvestre establece la prohibición de
ocupar las tierras del patrimonio de áreas naturales del Estado...
Que el Codigo Organico Integral Penal en su art.558, numeral 11, establece las medidas de protección cuando se esté
perpetrando una invasión o asentamiento ilegal,
Que mediante Oficio n° MAE-CGZ5-DPAG-2015-0667, de fecha 23 de febrero de 2015, suscrito por el
Coordinador General de la Zona 5- Director provincial del Ambiente del Guayas Ing......................, se concluye que,
revisado los datos de campos verificados en la base de datos del PANE existen viviendas que intersectan o se
encuentren dentro del área de influencia de la Reserva de Producción Faunística Manglares El Salado; por lo cual,
dicha Dirección Provincial del Ambiente recomienda canalizar la situación social y legal de las viviendas que se
encuentren dentro de la RPFMS, por medio de la Secretaria de Prevención de Asentamientos Humanos Irregulares »
En virtud de los fundamentos legales expuestos, esta Secretaria Técnica del Comité de Prevención de Asentamientos
Humanos Irregulares, de conformidad con el Decreto ejecutivo 1227 de fecha de junio 2012, (...) SOLICITA el
retiro de todas las personas que se encuentren en esta edificación por encontrarse la misma construida dentro de la
Reserva de Producción Faunística Manglares el Salado y/o en su área de influencia en un término de 48 HORAS.
Secretaria técnica del comité interinstitucional de prevención de asentamientos humanos
irregulares196.
La convocation des formes juridiques — le langage, l’interprétation et l’argumentation juridiques —
et, avec elle, la mobilisation d’usages et de pratiques professionnelles du droit ne participent pas
seulement à l’exercice du pouvoir. Elles en deviennent l’expression principale et caractéristique. Le
droit « ratifie » unilatéralement un cours d’action. Le droit et le langage du légalisme servent
l’entreprise de légitimation197 du pouvoir local, établissent un doute « légitime » quant à la portée de
l’action publique : « Xavier Burbano, intendant de police de la province du Guayas, soutient avec conviction que la
L’ordonnance en partie reproduite s’inscrit dans une vague d’éviction affectant un autre secteur urbain marginal de
Guayaquil, la « isla Trinitaria », la procédure et ses acteurs restent les mêmes que pour le cas du Monte Sinaï.
196
CORTEN Olivier. "Réflexions épistémologiques et méthodologiques sur les spécificités d’une étude politologique de
la légitimité’." Cahiers européens de Bruxelles 1 (2000): 21.
197
86
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
conduite du gouvernement est non seulement légale, mais aussi légitime. (...) Burbano, comme les autres fonctionnaires
participant à la procédure, est convaincu d’avoir la loi de son côté. » La convocation administrative de la
« forme » juridique, mise en scène de la légalité procédurale et substantielle de la mesure d’éviction
dans un « état de droit social » rappelle et fomente, en d’autres termes, une dérive bien particulière du
rapport social : « la violence symbolique198 », la fantaisie d’une violence légitime. La forme juridique
se pose tel un voile transparent sur la nature véritable du rapport de pouvoir. Le message de la forme
en vient progressivement à primer su celui du fond, la symbolique du droit sur sa substance.
La rencontre entre les habitants de la coopérative « Las Marias » et le Comité souffre en guise
d’observation finale d’un trouble de dissociation. L’empreinte sociohistorique du droit et plus
spécifiquement la dé-historicisation des vécus du droit précède et asphyxie la revendication des
droits.
Conclusion
Retenons en guise de conclusion du chapitre l’opportunité d’une extension significative du champ de
la narration. Loin des paysages lunaires du non-droit et de l’informel, l’empreinte d’un
gouvernement des asentamientos se fait toujours plus (op — ) pressante. La mise en évidence d’un
pouvoir local sur fond d’opposition entre la municipalité de Guayaquil et le gouvernement central, la
rémanence d’un enjeu libertaire directement associé à la territorialisation des asentamientos,
conduisent immanquablement à un questionnement demeuré en suspens : pourquoi au regard de
telles circonstances, le non-droit et l’informel apparaissent-ils encore au XXIe siècle comme des
prismes déterminant un retrait du droit à l’échelle des asentamientos ?
198
BOURDIEU, Pierre. "Sur le pouvoir symbolique." Annales (1977): 405-411 ; Terray, Emmanuel. "Réflexions sur la
violence symbolique." Les sociologies critiques du capitalisme. Presses universitaires de France, 2002. 11-23.
87
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Chapitre 2 Le dépassement catégorique du « non-droit » et de
« l’informel »
Les propos introductifs suivants aborderont l’enjeu d’un dépassement catégorique du « nondroit » et de « l’informel » sous l’angle d’un questionnement. Ce dernier prend forme au fil de la
participation à un projet de développement local (2010-2014). Le texte reproduit ci-dessous sous
forme d’un aparté correspond à un temps particulier du travail de recherche et de l’étude de cas
(2010-2013). La problématique liée cette fois à la catégorisation des phénomènes juridiques aux
portes de la ville s’y découvre à un état embryonnaire.
L’« École d’aquaculture et d’agriculture sociale » — Escuela de acuicultura y agricultura social —
(EDAS) émerge en 2011 d’une alliance stratégique entre deux organisations dont les sièges sont
établis à Guayaquil, la fondation jésuite Corporacion del Hogar de Cristo, d’une part, et l’entreprise
Concepto Azul, d’autre part. À l’image d’une « joint-venture » sociale, l’initiative émerge à la confluence
de deux philosophies du travail social bien distinctes. Chacune des entités présente, en revanche, une
« trajectoire » et un engagement de longue date dans des espaces réputés vulnérables et socialement
marginalisés sur l’ensemble du territoire équatorien.
La première organisation, la corporation jésuite établie en Équateur depuis une
quarantaine d’années, inscrit son action dans une perspective de restitution des droits aux personnes
en situation de pauvreté majeure, de vulnérabilité ou d’exclusion. Les lignes de développement
stratégique de l’organisation priorisent l’action sociale auprès des femmes — « las socias »,
littéralement ses « associées » ou « partenaires », avec qui elle interagit sur une base dialogique et
progressive. L’organisation s’est illustrée au niveau international dans le domaine de l’habitat social à
travers la fabrication en coopérative et la vente à crédit de solution habitationnelles d’urgence. La
corporation Hogar de Cristo dessine, produit industriellement et commercialise des maisons
préfabriquées de bambou et d’aggloméré. Conçues comme une solution habitationnelle d’urgence la
« casita Hogar de Cristo » s’est affirmée, au fil des années, comme une édification caractéristique des
zones urbaines marginales sur l’ensemble de la zone côtière équatorienne199. À ce cœur d’activité
historique, la compagnie des jésuites a par la suite intégré un ensemble d’approches « classiques » de
Le rapport institutionnel de l’organisation fait mention en ce sens de 186 000 maisons « livrées » depuis
1972 :« Memoria Institucional Hogar de Cristo, ‘El corazon de la esperanza’ », 2012.
199
88
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
développement local, la problématique de l’habitat d’urgence s’étend à celles du foyer ou de la
« vivienda » fonctionnelle. L’approche initiale d’une maison de type « un techo para les “sin techos”
prend, désormais, les traits d’une démarche holistique dite de “restitution des droits” et d’un
accompagnement — matériel, financier, technique, sanitaire, psychologique et religieux, etc. — du moyen au
long terme.
La seconde organisation, l’entreprise Concepto Azul, constituée en 2000 par une équipe
franco-équatorienne de consultants en biologie moléculaire se distingue pour avoir intégré une série
d’activités clairement orientées vers le travail social à sa culture d’entreprise200. Figurent pêle-mêle au
rang de ces initiatives autofinancées des activités de socialisation et de formation aux techniques de
production familiale, l’octroi de bourses d’études sur des critères sociaux, la tutelle de mémoires et
de projets d’investigation appliqués à des problématiques de développement local, l’ouverture
d’espaces de formation et de réinsertion sociale à l’attention de divers publics en situation de
vulnérabilité — enfants des rues, adultes en préliberté, communautés côtières —. Ces activités diverses menées
pendant près d’une quinzaine d’années l’ont été en règle générale sur la base de partenariats ou
d’alliances stratégiques — UNICEF, Direction nationale de la réhabilitation sociale, fondations et autorités
locales indépendantes, organisations non gouvernementales et universités —. Le mécanisme de “rétribution
sociale” institué implique, au-delà de l’investissement financier, la mobilisation d’un savoir-faire
technique et d’équipes à temps plein. La structure apparaît généralement comme une pionnière de la
responsabilité sociale des petites et moyennes entreprises à l’échelle locale et régionale.
Le rapprochement des deux organisations, schématiquement des composantes “sociales” et
“techniques”, apparait comme l’ouverture d’un espace de travail et d’initiative commune.
Physiquement hébergé par la corporation Hogar de Cristo, “l’EDAS” émerge comme une
plateforme en vue du développement de projets orientés vers la production familiale et le microentrepreneuriat, directement accessibles aux communautés environnantes. Reprenant dans ses
grandes lignes le document préparatoire qui établit les bases de cette Alliance stratégique hors
normes, les objectifs généraux ont pu être résumés comme tels :
200
El Universo, 11/08/2002, “Concepto Azul: causa solidaria”.
89
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
a) Établir un lien permanent de collaboration dans le cadre d’objectifs, de missions et de visions
institutionnelles communes (lien non conditionné par l’exécution d’un projet ou d’un programme en
particulier) ;
b) Unir des potentiels humains, logistiques et techniques en vue de la création d’espaces démonstratifs,
didactiques et productifs en zones urbaines, périurbaines, et rurales du pays ;
c) Canaliser des ressources et des investissements en vue du développement de programmes de recherche
pour le développement, de formation technique et de divulgation scientifique ;
d) Développer les capacités d’autofinancement des programmes et projets de l’alliance stratégique ;
e) Rechercher activement la participation des citoyens, acteurs et communautés du littoral équatorien ;
f)
Mettre en œuvre des stratégies de communication sociale qui permettent d’associer à terme de
nouvelles organisations publiques comme privées, et de diffuser des innovations techniques orientées
vers le développement des activités de production alimentaire sociales et durables201.
Dans la continuité de ces lignes directrices, une série d’activités pilotes d’optimisation des
unités de production familiale, de sensibilisation et de démonstration technique ont été organisées
sur une base régulière. L’un des principaux programmes développés à travers l’alliance est le
Programme d’Habitat social productif — Programa de vivienda social productiva —. Travaillant sur la base de
l’unité familiale de production et d’habitation, il est question de proposer aux participants un
accompagnement en vue de réaliser à l’échelle du foyer des aménagements simples et utiles au
quotidien. L’objectif est par ailleurs que ces adéquations soient parfaitement adaptables à la fois au
modèle “standard” de vivienda proposé par la fondation jésuite, de même qu’à la superficie utile
réduite des terrains ou “solares” -100 mètres carrés en moyenne — dans les secteurs urbains ciblés. De tels
aménagements optionnels prévoient, par exemple :
-
l’intégration de systèmes d’agriculture et d’aquaponie urbaines,
-
la création d’espaces de tris et de valorisation des déchets incluant le recours aux techniques
de compostage,
201
l’intégration de solutions sanitaires innovantes (filtration d’eau potable, toilettes sèches),
Document de travail personnel produit dans le cadre du projet.
90
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
l’aménagement d’espaces d’usage mixte — vie privée/entrepreneuriat familial — en vue de
l’élaboration et de la vente de produits alimentaires en conserve notamment, etc.
L’une dans l’autre, ces différentes approches ambitionnent de contribuer à l’amélioration de
l’environnement familial et tendent vers une approche de type “holistique” ou intégrale de
l’habitabilité sociale — la vivienda social productiva —.
Considérons à présent la vie interne du projet — depuis une poste de coordinateur sur les trois
premières années de son activité —. La configuration évoquée aura permis d’interagir sur une base
régulière avec un large éventail de professionnels, de volontaires et de bénévoles locaux et
internationaux 202 , d’explorer les registres de l’inter ou de la transdisciplinarité appliquée à des
problématiques de développement local. Une telle initiative n’aura en effet acquis une consistance
singulière qu’à travers la formation d’un noyau humain et par l’attrait suscité auprès d’agronomes et
d’aquaculteurs, d’architectes et d’ingénieurs civils, de psychologues et de travailleurs sociaux, de
communicants, d’enseignants et de pédagogues, de chercheurs universitaires, d’artisans — etc. —.
La présence et l’investissement de ces acteurs sur “le terrain”, leurs interactions diverses dans la
sphère du projet et dans sa périphérie directe, invitent à la formulation d’un constat
préliminaire d’ordre à la fois empirique et conjoncturel.
S’il existe bien, en tout état de cause, un écosystème du travail social203 dont le pouls se révèle
“palpable” au cœur d’un secteur urbain marginal comme “Monte Sinaï”, la participation des
professionnels du droit à ce type d’entrepreneuriat social, à la pratique du développement local
observée, demeure a priori purement et simplement nulle. Précisons ci-dessous les deux branches du
202
En incluant la phase préparatoire et critique de rapprochement des organisations et de formalisation des engagements
réciproques ‘l’alignement des planètes’.
Pour une tentative de conceptualisation du travail social : « le travail social, pris au sens large, au sens de l’action
sociale et/ou de l’action sur le « social » relève d’une construction et d’une histoire qui recouvrent une double dimension.
Tout d’abord il peut être approché comme un ensemble d’acteurs et d’actions visant à répondre à des situations
concrètes, immédiates, en faveur de personnes en difficultés, a priori exclues, marginalisées et/ou ignorées au regard des
grands mouvements de transformation et de progrès socio-économiques et citoyens. Mais au delà de ces pratiques, le
travail social a développé et développe encore une fonction d’interpellation sociétale. Ses évolutions, ses postures, mais
aussi ses crises, font système avec le contexte social, économique et politique au sein duquel il se situe. De ce point de
vue, il est aussi une composante du développement de la société et de la croissance économique » in Savignat Pierre, «Le
travail social aux défis du néolibéralisme », Entre le et la politique, Le sociographe, 2009/3, n° 30, p. 21-29.
203
91
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
diagnostic : le constat, d’un côté, d’une écologie fonctionnelle 204 du travail social aux abords du
Monte Sinaï (1) et, celui, de l’autre, d’une extranéité conjoncturelle des usages et pratiques sociales
du droit (2).
1)
L’écologie du travail social dans les secteurs du Monte Sinaï et de la “via perimetral”
Représenter la conduite du travail social aux abords de l’espace urbain marginal de Guayaquil à
l’image d’un écosystème 205 invite à orienter le regard dans deux directions : l’observation, en premier
lieu, d’une hétérogénéité des régimes “d’engagement” ou de “participation” au projet (a) ;
l’observation en second lieu, d’une dynamique ou mouvement d’ensemble qui, à l’image de toute
cellule ou de tout écosystème, se dévoile alternativement sous l’angle de sa biologie interne ou
externe — l’intégration de cet ensemble écosystémique à l’environnement urbain marginal, à la ville, au territoire
gouverné, etc. — (b).
a)
Hétérogénéité des registres d’engagement individuels
Affinons donc, premièrement, le constat d’hétérogénéité des régimes d’engagement ou de
participation observés depuis la sphère expérientielle du projet EDAS. L’idée généralement
poursuivie ci-dessous sera de mettre rapidement en évidence la mutabilité des conditions et des
motifs d’investissement personnel observés dans le cadre d’une seule et même initiative de référence.
Il s’agit, de même et sous un angle opposé, de mettre sous tension, un ensemble de dispositifs
classiques de “représentation”, de “catégorisation” ou encore de “formatage”, du “travail social” et
des régimes d’engagement aux abords du contexte urbain marginal de Guayaquil.
L’image, tout particulièrement, d’un engagement professionnel désintéressé évoquant de près
ou de loin les registres de l’assistanat et du travail social “humanitaire” — dans ce cas de figure,
“humanitariste” —, au cœur de la “favela” ou du “bidonville” apparaissent d’emblée comme aux
204
http://www.cnrs.fr/inee/communication/actus/docs/Brochure_Prospective_Eco_Fonct.pdf
205
« Ecosystème : Le terme écosystème désigne un ensemble d'êtres vivants (animaux et végétaux) et de composantes physiques et chimiques qui
agissent plus ou moins étroitement les uns sur les autres. L'écosystème est avant tout un moyen d'analyser la nature, même s'il correspond
fréquemment à des environnements concrets comme une mare ou une forêt (…) Les écosystèmes sont des objets bio-physico-chimiques qui
peuvent être caractérisés par une organisation et une dynamique, comme les autres niveaux d'organisation (individu, population, communauté)
de l'écologie (…) L'organisation et le fonctionnement des écosystèmes déterminent, pour une part importante, la qualité de notre environnement
et la disponibilité d'une partie de nos ressources, notamment biologiques. Ces services écologiques rendus par les écosystèmes – qu'il faut
aujourd'hui préserver, restaurer et optimiser –, contribuent à dynamiser l'écologie des écosystèmes. » Source : http://www.universalisedu.com.faraway.u-paris10.fr/encyclopedie/ecosystemes/#titre-i_26406
92
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
antipodes des trajectoires individuelles qui s’entrecroisent au fil de la période de référence. Il semble
bien plus opportun de restituer et mettre brièvement en balance une variété de registres
motivationnels — des “faisceaux d’engagements” — tel qu’ils auront été évoqués, exprimés, éprouvés par
les acteurs — collègues, amis — “à travers” leur participation matérielle au projet — par opposition à
l’exposé d’un idéal type de participation ou autre mirage participatif206 —.
Retenons-en, pour le moins, quatre devenus parfaitement familiers au fil de la participation
au projet.
Engagement social
« spontané » ou
« d’opportunité »
Engagement social
« négocié »
Engagement social
« initiatique ou
thérapeutique »
Engagement social
« vocationnel »
Figure 2 Classification des registres d’engagement individuels observés dans le contexte du
projet de développement local « EDAS »
Un premier faisceau d’engagements, d’ordre immédiat ou spontané, invite tout d’abord à
considérer la part essentielle du travail « social » effectuée en périphérie du projet et en marge de
toute action institutionnelle. La participation tacite des habitants à la consolidation physique de
« l’asentamiento » et des espaces de vie collective est considérée. Les alliances stratégiques, opportunes
et aléatoires d’habitants et de familles soumises à des contraintes et des nécessités contextuelles
communes entrent nécessairement en jeu en vue d’une juste représentation du travail social aux
206
PITHOUSE Richard, « Rethinking public participation from below », Critical Dialogue, N° 2, vol.6, 2006, p.23 ;
Cooke & Kothari (éds.), Participation: The new tyranny? , Zed Books, 2001 ; Ugalde A., « Las dimensiones ideológicas
de la participación comunitaria en los programas de salud en Latinoamérica », Cuadernos Médico Sociales, vol.42, 1987,
p.27-38 ; GOIRAND Camille, « Penser la participation politique en Amérique latine: questionnements et méthodes
d’enquête », Participations, vol.1, 2013, p.227-242.
93
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
abords du contexte urbain marginal de Guayaquil. La résurgence de pratiques coutumières de la
« Sierra’ ou de « l’Oriente » à l’image de « la minga207 » semble illustrative : il s’agit, par exemple, pour
les habitants d’un même secteur — « los bloques » o « quadras » — d’organiser et de collaborer au
nettoyage et parfois même à la construction d’une école, d’improviser un terrain de football ou de
volley, d’aménager un local de réunion ou « casa communal », de prêter main-forte à la construction
d’un talus ou d’un remblai à l’approche de la saison des pluies, de végétaliser un espace public (parc,
lieux de cultes, etc.).
Plus généralement, et de manière sans doute encore plus inaudible, on devine dans un
registre similaire, une série de négociations, d’arrangements entrepris en amont entre les mêmes
habitants de « l’asentamiento’ et les agents de l’entreprise électrique, les « tanqueros » — le service
d’approvisionnement en eau « potable », avec les coopératives de bus — en vue de l’installation desdits
« paraderos » —, avec les revendeurs et transporteurs de ciment et de matériaux de construction, etc.
La condition de voisin — de « vecino » o « vecina —, de connaissance — « el pana » ; « el conocido », « el
compadre » o « la comadre » — prend, aux abords du contexte urbain marginal, une signification tout à
fait singulière perceptible dès les premiers temps de l’asentamiento.
Un deuxième faisceau d’engagements isolé renvoie au travail social effectué à travers le
filtre ou la médiation d’un lien de subordination ou de dépendance, l’exercice d’une « mission », la
sollicitation d’une expertise, d’un service. C’est le cas, par exemple et fort classiquement, de
l’exécution des contrats de travail, de programmes de « volontariat » international ou encore des
conventions de stage établis dans le cadre du projet 208 . La dimension négociée, dialogique,
éventuellement synallagmatique, qui caractérise, en règle générale, la conduite du travail social
« rémunéré » dans un cadre institutionnalisé ressort nettement. À ce véritable « statut » de travailleur
social correspondent un certain nombre de taches d’ordre techniques ou administratives réalisées en
contrepartie d’avantages comparatifs — localement perçus comme tel — estimés sur le plan de la
rémunération, de l’accès à la sécurité sociale — IESS —, de la stabilité de l’emploi, etc. Le droit, de
pair avec l’entreprise de planification stratégique des ressources humaines — « talentos humanos » —,
207
Un parallèle et même parfois une continuité avec les traditions indigènes relevant des activités dites de « Minga »
semblent pouvoir être envisagé dans certains cas : voir, GUEVARA Darío C., Las mingas en el Ecuador, Editorial
Universitaria, 1957.
208
C’est de même le cas des travailleurs sociaux qui officient comme agents publics -servidores publicos-.
94
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
retiennent — avec une certaine froideur — la possibilité de mettre en mouvement la « raison sociale »
d’un projet, d’une personne morale ou, en occurrence, d’une alliance stratégique à travers un
« montage » — l’établissement d’une série de liens de subordination ou de dépendance établis entre une personne
morale et des « équipes de travail » —…, le risque d’une dilatation de la cause du travail social au cours de
l’exercice ne pouvant être totalement exclu. Sur les traces d’une sociologie des organisations de la
société civile ou des services sociaux, 209 ce second registre soulèvera, en d’autres termes et assez
implicitement, la question de la survivance des engagements individuels et collectifs à
l’institutionnalisation ou à la formalisation du travail social — ou, inversement, de leur « potentialisation »
—.
Un troisième faisceau d’engagements retenu relève d’une dynamique structurelle mise en
œuvre dans le cadre du projet et qui touche à la déconstruction/reconstruction du concept de travail
social lui-même. L’enjeu d’une participation individuelle au travail social se déplace. Sous cette
optique, la participation active à la marche quotidienne du travail social est elle-même appréciée
comme un processus d’apprentissage valorisable sur les registres technique et humain — l’acquisition
de « savoir-faire » et de « savoir-être210 » —.
Deux exemples éclairent cette dynamique socialisante « interne » invitant à décloisonner ou
réinvestir l’espace de travail social depuis le travail social lui-même. Le premier exemple renvoie à
l’intégration de personnes traversant ou sortant d’une période de crise ou de vulnérabilité particulière
— adultes et mineurs en situation de réinsertion sociale, accords de préliberté, adolescents et jeunes adultes en situation
de précarité ou d’exclusion sociale, etc. — Le travail social à l’image d’un stimuli implique la perception et la
définition d’un rôle au sein d’un groupe social déterminé, d’une équipe, d’un espace, tout en ouvrant
un espace de réflexion et de restructuration d’un projet de vie. Le « paria », le « délinquant » — los
« ex-convictos », los « chicos de la calle » — se trouve clin d’œil du destin, en situation « de travailleurs
209
LEGAULT Gisèle, « Travail social alternatif en Amérique du Sud », Nouvelles pratiques sociales, 1991, vol. 4, no 2, p.
193-204 ; ROUZEL Joseph, « Théoriser le social: socialiser la théorie », Vie sociale et traitements, 2002, vol. 75, no 3, p. 3031 ; THÉVENOT Laurent,, « L'action au pluriel: sociologie des régimes d'engagement », Paris, La découverte, 2006.
Paul Orianne et François Terré dans de le contexte plus spécifique de l’enseignement du droit évoquent une telle
distinction entre ‘savoir-faire’ et ‘savoir-être’ de la manière suivante : « Lorsqu’une formation n’entend pas déboucher sur un
ensemble d’aptitudes relevant d’une pratique spécialisée, sa finalité se confond avec celle du développement de la personnalité, à la faveur d’une
augmentation des connaissances de l’individu sur le monde et sur lui-même, source d’une plus-value monnayable au plan du dynamisme
intérieur et des relations à autrui. » extrait de ORIANNE Paul et TERRÉ François, Apprendre le droit: éléments pour une pédagogie
juridique, Éd. Frison-Roche, 1990, p.25.
210
95
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
sociaux » et d’accompagnateurs. Le second exemple renvoie à l’intégration de bénévoles et de
volontaires internationaux à l’entreprise sociale. À l’image du rituel initiatique, un face à face
consenti avec ce qui initialement est perçu comme « altérité » est engagé à travers le projet. Le
passage d’un schéma d’extranéité à la fois « culturelle » et « professionnelle » à un schéma d’échange
et de dépassement des barrières physiques et psychologiques, qui stigmatisent généralement
l’environnement urbain « marginal », la pauvreté, le « Sud », la délinquance, est engagé. Sous cette
optique, le travail social facilite une mise à l’épreuve de ce qui, dans un premier temps, se verbalise le
plus souvent comme un désir « d’action » ou de « concrétisation » de croyances, de convictions et de
sensibilités individuelles. Ce passage à l’acte invite sur un registre éthique à une remise en cause assez
directe du rapport individuel au travail, au « professionnalisme ». À ce type de vécu initiatique
correspond, pour synthétiser, un processus identitaire de clarification des valeurs. Le « candidat à
l’aide » se retrouve finalement et encore une fois à travers un nouveau clin d’œil du destin, en
situation « d’aidé ».
Un quatrième et dernier faisceau d’engagement identifié, de type « entrepreneurial » ou
« vocationnel » renvoie d’une manière générale aux personnes dont l’investissement se révèle luimême « porteur de projet » au sein du projet. La participation au travail social se rapproche
effectivement et au plus près d’une pratique « professionnelle ». Elle imprime une teinte additionnelle
au travail social et dépasse le cadre de la « mission », du « résultat escompté » — « project output » ou
« entregables » —. Cet ultime faisceau d’engagements s’avère en revanche bien difficile à saisir dans sa
matérialité. De toute évidence, il ne se manifeste ni à travers la production d’un discours —
développementaliste, humaniste, économique, etc. — ni à travers l’initiative singulière, ponctuelle. Celui-ci
s’apprécie, au contraire, sur le plan du « leadership » et sous le signe d’une certaine résilience à l’aléa
de l’entreprise, du projet social. L’engagement s’inscrit dans une temporalité plus large, démontre les
signes d’une conscience ou perception aiguisée de l’espace urbain marginal, de la ville, de la
dialectique global-local, Nord-Sud — une « intelligence sociale, un état singulier de réalisme social ou,
paradoxalement, d’éveil si l’on se place sur le plan de la philosophie orientale… —.
Achevé ce bref recensement des vecteurs d’engagement, confortons à présent l’idée d’une
écologie du travail social fonctionnelle à l’échelle du secteur de Monte Sinaï.
96
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
b)
Complémentarité des démarches d’engagement dans la sphère du projet
La cohérence d’ensemble du travail social est appréciée sous deux angles au fil des prochains
paragraphes.
Sous l’angle de sa biologie interne, le projet EDAS se distingue par sa capacité à créer des
situations d’échange, de lien social sur la base d’une mise en actes continue des idées et des registres
d’engagement appréciés en amont — dont la convergence n’est jamais que relative ou dialogique —. Ces
points de friction, mouvements à la fois antagonistes et synergétiques fomentent un embryon de vie
sociale, s’avèrent porteurs d’expériences transformatrices à l’échelle du sujet ou de l’acteur individuel.
Lutte altermondialiste pour un “buen vivir”, assaut contre le “maldéveloppement”, “bonne action” — au
sens de devoir moral ou religieux accompli —, stratégie de développement local, douce utopie, opportunité
de travail… le choc constant et systématique des trajectoires individuelles et institutionnelles est
producteur, à l’image d’un nuage d’électron, d’une intensité créatrice.
Si l’on en mesure ensuite les effets sur le seul plan de l’évolution des pratiques et des usages
professionnels, un processus commun et mesurable de spécialisation se dessine progressivement
parmi ses protagonistes. La formation du rapport unissant une poignée d’individus partageant cette
“expérience de terrain” ou ce “travail en équipe” emporte l’évolution du rapport individuel à une
communauté élargie de professionnels. La constitution d’un espace professionnel intermédiaire ou
semi-autonome se fait plus évidente, mesurable en termes d’usages et de pratiques. La dynamique
interne du projet rejaillit donc, en d’autres termes, sur l’espace individuel de vie professionnelle. Elle
contribue à lever une partie du mystère attaché à l’idée de “métiers”, de “travail social” aux abords
du contexte urbain marginal 211 . Pour les architectes et les ingénieurs se précise, par exemple, un
travail immédiat sur le bâti et l’attention d’un besoin de solutions d’habitation “socialement”
pertinentes — en termes aussi bien économiques, culturels, énergétiques et fonctionnels, environnementaux,
esthétiques, productifs, etc. — ; pour les économistes, une demande d’instruments de microcrédit et la
modélisation de pilotes de micro-entrepreneuriat ; pour les biologistes, l’opportunité d’un
accompagnement technique des initiatives productives menées en milieu périurbain et la défense
d’une recherche appliquée au développement humain ; etc.
211
http://www.cnrtl.fr/etymologie/m%C3%A9tier
97
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Sous l’angle de sa biologie externe, l’idée essentielle retenue ensuite relève de l’observation
d’une démarche, d’un travail social construit sur la base de l’expérience acquise et purgé — en partie
tout du moins — de certains biais idéologiques relevant du “développement local”, de la “gouvernance
urbaine” — ou du tout aussi utopique projet “lecorbusien” d’édifier des communautés urbaines212. À travers de
subtils alignements de connaissances techniques et de savoir-faire, de compromis individuels et
d’une gestion appropriée des ressources matérielles, apparaissent en trame de fond, les modalités
d’une participation collective quotidienne à la vie locale de l’asentamiento. Le projet laisse une
empreinte mesurable aussi bien sur l’esprit des habitants, des communautés locales que sur l’espace
physique. Suivant l’idée du “service écologique213”, cette incidence systémique du travail social sur le
devenir collectif, le maintien et la reproduction de la vie aux abords du contexte urbain marginal est
susceptible d’être préservée, restaurée, optimisée… À l’inverse, ce service environnemental est, de
même, susceptible d’altérations profondes. Un écosystème appauvri et avec lui toute forme
d’ “autoritarisme social214” deviennent, par définition, un danger pour la communauté humaine dans
son ensemble.
Une fois restitué à grands traits l’environnement humain et professionnel du projet EDAS et
suivant une ligne de réflexion similaire, portons un regard rétrospectif sur les conditions de
participation des juristes à ce microcosme. L’exercice apparait de fait et assez immédiatement plus
ambigu. L’engrenage de spécialisation et la perception des usages et pratiques “sociaux” du droit
demeurent incertains.
212
Dans le même sens: « The next step will require great humility, so we are now so prone to confuse great building projects with great
social achievements. We will have to admit that it is beyond the scope of anyone’s imagination to create a community. We must learn to cherish
the communities we have, they are hard to come by. “Fix buildings, but leave the people” These must be the slogans if public housing is to be
popular.” In fact the political logic of Jane Jacobb’s case is that while the planner cannot create a functioning community, a functioning
community can, within limits, improve its own condition. Standing the planning logic on its head, she explains how a reasonably strong
neighborhood can, in a democratic setting fight to create and maintain good schools, useful parks, vital urban services, and decent housing.”,
extrait de SCOTT James, Seeing like a state: How certain schemes to improve the human condition have failed, Yale University Press,
1998, p.145.
213
GILLESPIE Alexander, International Environmental Law, Policy and Ethics, Oxford University Press, 2014, p.4 et suiv.
SANTOS,Boaventura de Sousa, “Sociedade providência ou autoritarismo social?”, Revista Critica de Ciensais Socias,
n°42, mai 1995.
214
98
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
2)
Scénario d’extranéité des usages et pratiques professionnelles dans l’orbite des
pratiques de développement local
Rien ne laisse présager, à l’origine du projet, le constat d’extranéité des usages et pratiques
“sociaux” du droit tel qui sera formulé au fil des paragraphes suivants. L’affinité prononcée du projet
avec l’idéal de justice sociale, sa syntonie avec le discours juridique sur le droit à l’alimentation, sur
les droits au logement, au travail, à la formation professionnelle, aux bénéfices du progrès
scientifique relève d’une certaine évidence. L’École d’aquaculture et d’agriculture sociale », à partir
notamment de son volet communicationnel, de sa projection stratégique dans l’espace public local
— par voie de presse, de réseaux sociaux, de journées « porte ouverte », etc. — emprunte sur une base régulière
aux langages, aux formes et aux dispositifs de ciblage du droit. Les registres discursifs d’une
« réalisation », d’une « mise en œuvre » voire d’une « conquête » des droits aux abords du contexte
urbain marginal sont fréquemment mobilisés (en guise d’illustration, voir la note ci-dessous).
99
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Figure 3 Reproduction du Boletin virtual Hogar de Cristo, janvier 2012, p1-3.
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
100
Lorsque l’alliance stratégique entre jésuites et biologistes revendique une production urbaine
à la portée de tous, lorsqu’elle nourrit l’idéal d’un habitat social à la mesure des nécessités de chaque
foyer, il semble logique, en première lecture, de soulever la question du droit. Les traces
d’une concrétisation ou d’une restitution des droits individuels et collectifs — droits du « Buen vivir »,
droits sociaux et « droit des pauvres’215, droit à la ville, etc. — par l’intermédiaire du travail social, par la voie
de l’initiative locale, sont intuitivement recherchées. En seconde lecture, la consonance ou synergie
présumée entre « travail social », d’un côté, et « réalisation du, ou des, droit(s) », de l’autre, peine
cependant à dépasser le registre discursif. Celle-ci s’accorde mal, en d’autres termes, avec le fil du
récit.
Remontant progressivement vers le nœud de la discorde, un double sentiment de
distanciation, décalage tangible entre l’expérience du projet — son vécu quotidien — et celle du droit se
précise.
Sur le registre premièrement de la géographie du droit et de ses usages, les rencontres avec
des professionnels du droit, au cours des trois années passées dans le secteur du Monte Sinaï, se
comptent symboliquement sur les doigts d’une main : des échanges de courrier et d’instruments dans
le cadre d’un projet financé à travers la coopération internationale, la visite des représentants d’une
communauté rurale accompagnée de leur conseil historique. Les juristes impliqués dans la vie
publique locale gravitaient, autrement dit, dans des sphères « physiquement » éloignées non
seulement du projet, mais, aussi et plus généralement, de son rayon d’intervention. Le travail
juridique sur les problématiques associées à la croissance urbaine marginale apparaît cantonné à la
périphérie de son objet. L’« input » des « barefoot lawyers », des « services légaux alternatifs », « des cliniques
mobiles », des « cause lawyers », des défenseurs des droits de l’homme et « abogados populares » 216 ne filtre vers
l’espace urbain marginal qu’au compte-goutte.
215
« Ces droits ont en premier lieu été affirmés contre la pauvreté : le droit au logement, le droit à la protection de la santé, à la sécurité sociale,
le droit à l’éducation, visent à réduire la logique marchande et à garantir à tout homme, quel que soit son revenu, l’accès au bien ainsi
distingué. Partant de cette idée, on peut ainsi définir la proclamation des droits sociaux comme une réponse juridique à la question sociale.»,
extrait de : « Droits des pauvres, pauvres en droit ? Recherche sur la justiciabilité des droits sociaux », Rapport intermédiaire à
l’attention de l ’ONPES et de la Mission Recherche Droit et Justice, Working Papers Octobre 2009 (p. 7).
216
JUNQUEIRA, Eliane Botelho, “Los abogados populares: en busca de una identidad”, El otro derecho, 2002, no 26-27.
101
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le Bureau du registre public de la propriété217, le Défenseur public — la Defensoria publica —,
le Défenseur du peuple — la Defensoria del pueblo —, les bureaux d’assistance légale des facultés de
droit, le Comité interinstitutionnel de prévention des établissements irréguliers — comme principaux
viviers de l’accompagnement juridique des personnes en situation de vulnérabilité — sont établis dans des secteurs
consolidés de la ville. Deux heures de transport, un dollar, des espaces et des bureaux situés dans des
secteurs souvent méconnus, des horaires d’attention au public correspondant aux heures de travail,
d’école ainsi que l’absence d’orientation « à la source »… constituent des obstacles rapidement
insurmontables d’une traversée entre deux rives du droit.
Sur le registre « stratégique » deuxièmement, les modalités de fonctionnement de l’alliance
stratégique demeurent tacites et intuitives. La médiation juridique — le recours au travail juridique — est
sollicitée, a priori et en règle générale, de manière exceptionnelle. Le recours au droit n’intervient que
dans l’optique de « formalisations » interinstitutionnelles ponctuelles, circonscrites à l’affectation de
ressources au projet ou à la gestion de financements externes — publics, régionaux, internationaux,
donations, etc. —. Plus généralement, l’influx du travail juridique se mesure corrélativement à une série
de contraintes « externes » à la logique d’association — contraintes d’ordre légales, réglementaires parfois
aussi de projection d’une image publique —. La convocation du formalisme juridique est vécue, de fait,
comme un ajustement nécessaire plutôt qu’une ressource fonctionnelle. Discutée dans le cadre de
réunions ponctuelles de direction, la dynamique d’alliance répond essentiellement à l’institution et au
maintien d’un état de confiance. La parole donnée sur le court ou moyen terme est valorisée, le
rapport de droit privé réduit à son plus simple appareil, le consentement mutuel.
Considérant ensuite l’éventail des initiatives portées depuis l’EDAS vers les communautés du
Monte Sinaï, le constat d’une impasse stratégique sur l’usage du droit comme levier d’action sociale
apparaît également de mise.
Lorsque l’Alliance stratégique s’engage dans un travail de restitution des droits, s’approprie la
revendication et la rhétorique du « Buen Vivir », celle-ci n’engage pas pour autant une dynamique
d’accompagnement « juridique » à la réalisation des droits. Le discours sur la restitution des droits
n’emporte pas de mobilisation du travail juridique. Le travail social peut, de fait, rechercher une
légitimité à travers la production d'un discours sur le droit ou sur les droits sans pour autant faire
appel au système étatique de protection et de mise en oeuvre de ces mêmes droits.
217
Registrador da asesoría para legalizar terrenos invadidos, El Universo, Lunes, 10 de enero, 2011
102
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le projet peut de même poursuivre une logique de renforcement des capacités individuelles
et collectives sans intervenir sur le registre des (in) capacités légales de l’individu ou des collectifs. Le
scénario du renforcement des capacités locales « social or local empowerment » ne répond pas
nécessairement à celui de renforcement de l’agir juridique « legal empowerment » — . En d’autres
termes, le traitement des problématiques de développement local se trouve matériellement dissocié
des problématiques de développement du droit et de protection des droits de l’homme218.
La manière dont est convoquée la réalisation du « droit à l’alimentation » illustre une telle
asymétrie. L’appréhension, au titre du projet de développement local, des situations de carence, de
malnutrition, la prise en compte de difficultés d’acheminement et de distribution des denrées ne se
conjugue pas avec le processus de défense ou de revendication du droit fondamental qui en répond.
La carence alimentaire tombe dans le registre de l’ordinaire, du quotidien urbain marginal. L’aléa
correspondant à la violation ou à la méconnaissance d’un droit de l’homme, au dysfonctionnement
de l’accès individuel et collectif au droit, à la réluctance de l’État à honorer une créance, passe sous
l’empire du silence. L’empreinte bien souvent pathologique des phénomènes juridiques sur l’usage et
la disponibilité des sols, sur l’accès à l’eau, sur la mobilisation des instruments de financement et de
microfinancement, sur la circulation et l’accès au savoir-faire technique, n’est pas abordée ni comme
lien de causalité ni comme un éventuel levier stratégique pour l’action.
Porter des revendications en termes de droits fondamentaux dans l’espace public relève en
définitive d’une phénoménologie alternative, politique, intuitivement liée au développement d’une
frange « spécialisée » de la société civile. L’intervention d’organisations locales de protection des
droits de l’homme au rang desquelles l’ONG « Asylum access Ecuador (Aae.) », le Comité permanent
des droits de l’homme (CDH), le Service jésuite pour les réfugiés et les migrants (SRJM),
l’Organisation hébraïque d’aide aux immigrants et réfugiés (HIAS) ou même l’ACNUR, l’Agence des
Nations Unies pour les réfugiés, demeure, sauf exception, limitée à une poignée de services : la
gestion de situations de crise, les cas d’urgence humanitaire, l’accompagnement légal des populations
réfugiées, le traitement ponctuel du risque d’éviction.
Refermant la parenthèse du projet une question demeure néanmoins en suspens : la
rencontre manquée avec la question des droits était-elle due à la configuration spécifique du projet ?
218
Sur ce thème : Abramovich, V. (2006). « Una aproximación al enfoque de derechos en las estrategias y políticas de
desarrollo”. Revista de la CEPAL, 88, p.35-50.
103
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Était elle due, à l’inverse, à un problème d’une tout autre nature, une myopie intellectuelle, difficulté
à reconnaître et percevoir le droit sous des formes « atypiques », « périphériques », « plurielles » ? Le
vécu de la territorialisation du Monte Sinaï coïncide-t-il nécessairement avec celui d’un recul du
droit, une disqualification des usages et pratiques professionnels envisagés sous leurs formes
conventionnelles — conseil, contentieux, enseignement et recherche — ?
L’état d’indécision touchant à la propriété du sol et au devenir du logement, l’absence
corrélative de recours et de précédents jurisprudentiels « locaux » face à la pratique administrative de
l’éviction forcée, l’opération spontanée du commerce vivrier, de la vente ambulante, des transports
urbains de même que celle des services de première nécessité en dehors des cadres réglementaires,
sèment un doute persistant. Les limites de l’agir juridique professionnel sont-elles atteintes ? Les
juristes seraient-ils, en sens inverse, condamnés à opérer dans l’orbite du système étatique, de l’état
de droit moderne ?
Face à l’impasse fonctionnelle, l’enjeu d’un dépassement épistémologique du « non-droit » et
de « l’informel » sera abordé au fil du chapitre suivant sous les traits d’un cheminement. Deux sites
alternatifs d’immersion dans la sphère d’action micropolitique du juriste — champ des possibles —
seront distingués. Le transit de l’un vers l’autre opère comme un éventuel prisme « déterminant » de
l’agir juridique aux abords du contexte urbain marginal. En lieu et place d’une rupture, il s’agira en
d’autres termes de mettre en évidence une continuité entre différents schémas d’interprétation et
d’analyse de la juridicité urbaine marginale. L’exploration des présupposés du non-droit et de
l’informel, leur épuisement symbolique, s’érigent en points d’étapes d’un retour vers la pratique du
droit.
-
La première étape du cheminement, sans doute la plus empruntée, table sur une exploration
préliminaire des cadres ontologiques et dogmatiques du « non-droit » et de « l’informel ». Il
s’agit de revenir sur les origines historiques d’un glissement d’épistèmes. Comment nombre
d’opérateurs juridiques professionnels en viennent-ils à assimiler les prismes du « non-droit »
et de « l’informel » ; à assumer l’existence d’un espace social mitoyen en repli du « monde du
droit ». Le devenir contemporain des options catégoriques du « non-droit » et de
« l’informel » trouve un éclairage significatif à travers la relecture des travaux de Jean
Carbonnier. Il s’illustre, de même et par la suite, au regard de l’établissement d’une
104
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
convention de langage, « un discours d’expertise », dans le cadre des politiques internationales
de développement et de « coopération » (Section 1).
-
– Passée la barrière du « non-droit » et de « l’informel », la seconde étape du cheminement
consistera à réinvestir l’opération de qualification juridique des faits, en dévoiler la texture
micropolitique. Par-delà le flux des images et des reflets du droit en société, l’opération de
qualification juridique des faits s’érige en chainon vital de l’écosystème juridique.
L’excavation et la mise en culture des juridicités urbaines marginales ne vont naturellement
pas de soi. Le processus de réversion de « l’informel » et du « non-droit » procède assez
fondamentalement de l’observation d’un aléa, de séquences interprétatives et décisionnelles
autonomes, contextuelles et dialogiques — un « choix diffus »-
219
. « Qualifier » ou
« catégoriser », adosser une forme juridique aux faits de marginalité urbaine renvoie à
l’exercice d’une liberté civile et politique de penser et d’agir avec et depuis le droit. Le juriste
réinvestit un espace social politiquement concédé au dogme et au déterminisme social.
(Section2)
Section 1 Les sirènes du « non-droit » et de l’informel
À l’exercice de théorisation du « non-droit » correspond, assez paradoxalement, une tentative
de mesurer l’empreinte du droit en sociétés. Juristes, sociologues, anthropologues, économistes
discernent et discutent les frontières du fait juridique, de la « juridicité ». Un registre d’actions, d’états
ou de situations inscrits, par hypothèse, dans un quotidien, dans « une certaine cosmogonie du
droit’220 fait l’objet d’une démarche analytique, éventuellement critique.
Jean Carbonnier utilise ici la terminologie voisine de « choix individuel du ‘non-droit’ » qu’il précise par la suite
comme relevant d’un « choix diffus », opéré au jour le jour. CARBONNIER Jean, Flexible droit : pour une sociologie
du droit sans rigueur, 10e édition, L.G.D.J, 2001 p.33.
219
AKUAVI Adonon, Caroline Plançon et Pauline Versini-Campinchi affirment à ce sujet : « Etant la manifestation d’une
certaine vision du monde, le droit restitue une cosmogonie. Il faut donc le rattacher au contexte qui lui a donné naissance pour comprendre la
logique de fonctionnement sous-jacente. Cette cosmogonie implique une hiérarchie de valeurs et d’ordonnancements sociaux précis qui ne sont
pas nécessairement partagés par les autres cultures juridiques. » Adonon, Campini-Versini, Planton, « Variations sur le pluralisme
juridique : au carrefour de trois chemins », extrait de : Les pluralismes juridiques, LAJP et Karthala, 2003, p.68-69 ;
Thomas JANVILLE; La qualification juridique des faits; préface de Serge Guinchard, Faculté de droit et de science
politique d'Aix-Marseille, Institut de droit des affaires, Texte remanié de Thèse de Doctorat Droit, 2002, Paris 2.
220
105
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
L’observation du “non-droit” relève d’une approche par contumace du phénomène juridique
— un regard porté sur l’empreinte rétinienne du droit, là où précisément il était attendu —.
L’opérateur juridique s’investit, par un travail sur le non-droit et partant du plus simple, à
cartographier son champ d’intervention, en deviner les frontières non visibles à l’œil nu. Il pétrit,
manipule la matière première du droit, le “fait de juridicité”. En d’autres termes, il redessine son
champ de compétence objective par défaut, redécouvre la substance de la “chose juridique” depuis
ce qui apparaît, au premier abord et de manière paradoxale, comme son envers, son “antimatière”.
La démarche, du point de vue doctrinal, poursuit clairement une logique de rétroalimentation
de la pensée juridique. Autrement dit, le prisme du “non-droit” interpelle naturellement le champ de
la théorie générale du droit dès lors que son observateur développe, dans l’antichambre de
l’orthodoxie juridique, un registre de connaissance alternatif sur la réalisation du droit en sociétés. Le
processus de formation, le fonctionnement du droit étatique se découvre sous un jour alternatif221.
Finalement et sur un plan pratique, les conditions de saisine des usages et pratiques d’un groupe
socioprofessionnel, la fonction sociale des acteurs juridiques professionnels évoluent dans le sillon
du dialogue entre droit et “non-droit”.
Partant de ces points d’accroche, un pont à la fois historique et analytique entre l’hypothèse
intemporelle et dogmatique du “non-droit”, d’une part, l’étude et la réalisation du droit dans le
contexte urbain marginal, d’autre part, est reconstitué. À un premier plan, c’est assez classiquement
l’héritage contemporain de la pensée sociologique du “non-droit” et le devenir d’un prisme
intellectuel proposé au siècle dernier par Jean Carbonnier222 qui est revisité, mobilisé au service du
dispositif analytique (1). À un second plan, se pose la question du rapprochement entre cette
Robert BADINTER témoigne de ce sentiment de redécouverte du Droit aux abords de l’hypothèse du ‘non-droit’ :
« Avec le doyen Carbonnier, j'ai pu mesurer ce qu'était l'art, la virtuosité de la science juridique. On comprenait que le Droit, ce n'était pas
seulement un ensemble de connaissances qu'on s'efforçait de maîtriser par des exercices de logique, de construction rigoureuse. Que c'était
beaucoup plus que ça. Que c'était une clef dont on se servait pour comprendre les mécanismes d'une société et s'interroger sur la meilleure façon
de remédier à ses imperfections. En même temps, cet art si prégnant nous a été révélé le jour où nous avons compris qu'il n'y avait pas de Droit
sans exploration du ‘non-droit’. », in Robert BADINTER, Intervention de Pierre Catala, Les colloques du Senat, Jean
Carbonnier (1908-2003), Art et science de la législation, 5-6 novembre 2008, Actes réunis par Sébastien DALMON et
Franck HURINVI p39 et s.
221
222
CARBONNIER Jean, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e édition, L.G.D.J, 2001. Consulter
en particulier Chapitre 2 L’hypothèse du ‘non-droit’, p.25-46 ; voir aussi du même auteur « Chapitre 3 La philosophie du
droit, §III Le ‘non-droit’, extrait de l’ouvrage Droit civil : introduction, 27e édition refondue, La Philosophie du droit
(Chapitre 3), P.U.F, 2002, p.107-108.
106
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
hypothèse de travail et les discours contemporains sur l’informel » aux abords du contexte urbain
marginal des villes du Sud223 (2).
A)
Genèse de l’hypothèse du « non-droit »
Retracer la genèse de l’hypothèse du « non-droit » semblerait une tache vaine sans une
référence au positionnement méthodologique soutenu par Jean Carbonnier dans le contexte de la
doctrine sociologique du droit française224. Au fil de « Flexible droit, pour une sociologie du droit
sans rigueur », un ouvrage de référence sur la question du non-droit, l’auteur oppose une science
du droit « dogmatique’ à une sociologie du droit dont il entreprend de préciser la méthode — « un
droit vu du dedans à un droit vu du dehors-225.
Sur ‘l’informel’: Ward P., Corruption Informality and Illegality In Urban Life, Area, Vol. 19, No. 2, Jun. 1987, pp.
178-179; Manuel Castells and Alejandro Portes, World underneath: the origins, dynamics, and effects of the informal
economy, pp, 11-37 in Alejandro Portes, Manuel Castells, and Lauren A, Benton (eds,), The Informal Economy: Studies
in Advanced and Less Developed Countries, Baltimore: Johns Hopkins University Press,1989. UPHAM, Frank K.,
Speculations on Legal Informality: On Winn's" Relational Practices and the Marginalization of Law": Comment, Law
and Society Review, 1994, p. 233-241; Sainz Perez J.P. The new faces of informality in Central America, Journal of Latin
American studies, volume 30, 1998, p.157-179; Clichevdky Nora, Informalidad y segregación urbana en América Latina,
Una aproximación, Série medio ambiente y desarollo, numero 28, Santiago de Chile, CEPAL, octubre de 2000; Larson
Jane, Informality, Illegality, and Inequality, Yale Law & Policy Review, volume 20, 2002, p.137; King W., Illegal
Settlements And The Impact Of Titling Programs., Harvard International Law Journal, volume 44, Summer 2003, p.
433; Bodson Paul et Roy, Survivre dans les pays en développement: approches du secteur ‘informel’, L’Harmattan, 2004;
HANSEN, Karen Tranberg et VAA, Mariken (éd.), Reconsidering informality: Perspectives from urban Africa, Nordic
Africa Institute, 2004; DAVIS, Mike, La planète bidonville: involution urbaine et prolétariat ‘informel’, Mouvements,
2005, no 3, p. 9-24 ; PERRY, Guillermo (ed.), Informality: Exit and exclusion, World Bank Publications, 2007 ;
LOAYZA, Norman V., SERVÉN, Luis, et SUGAWARA, Naotaka, Informality in Latin America and the Caribbean,
2009; Ellickson, Unpacking the Household: Informal Property Rights Around the Hearth, Yale law journal, 2009, p.226328 .
223
Dans le sens éventuel d’une incidence de cette doctrine sur le terrain du droit comparé : CARBONNIER, Jean,
Derecho flexible, Para una sociología no rigurosa del Derecho, 1974.; PERRIN, Jean-François, La autonomía de la
voluntad y el pluralismo jurídico en nuestros días, Sociologías, 2005, no 13, p. 162-178.; GLENDON, Mary Ann,
GORDON, Michael W., et WRIGHT-CAROZZA, Paolo Comparative legal traditions, Law Press, 2004; GUTWIRTH
Serge, Beyond identity?, Identity in the information society, 2008, vol.; LAJOIE, Nathalie González, El pluralismo
jurídico en Carbonnier, Anuario de filosofía del derecho, 1998, no 15, p. 165-186.
224
Pour une étude contemporaine détaillée de l’articulation entre « les sociologies du droit » d’une part et « les
formalismes attachés aux approches classiques des juristes » effectuons ici un renvoi général à : Véronique CHAMPEILDESPLATS, « L’édification de sociologies du droit », extrait de l’ouvrage, Méthodologie du droit et des sources du droit, Dalloz,
2014, p.239-244.
225
107
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Jean Carbonnier appréhende, comme d’autres avant lui, le droit à l’image d’un phénomène
ou d’une donnée immergée dans le social. La différence d’approche mise en cause ne concerne pas
l’objet de la prétention scientifique du juriste-sociologue per sé, celle-ci demeurant de toute évidence
attachée à la connaissance du phénomène juridique. En revanche, les « points de vue », les
coordonnées d’observation adoptées par celles et ceux qui cherchent à s’en saisir divergent 226. Le
propos milite, en ce sens, pour un dépassement des cadres épistémologiques « classiques » de la
science du droit. Paraphrasant Jean Carbonnier, le regard des juristes se projette par-dessus la haie
symbolique du dogme, vers la « réalité multiforme » qui composerait le « non-droit’227. L’auteur situe
sociologiquement le droit au regard d’un ensemble de systèmes concomitants de régulation de la vie
sociale. Au rang de ces phénomènes, et à titre d’illustration de cette diversité, des manifestations
aussi diverses que “la religion, la morale, les mœurs, l’amitié ou l’habitude228” sont classiquement
visées à titre d’illustration. D’une manière générale, l’hypothèse sociologique du “non-droit” met
sous tension la fiction commune et corporatiste visant à faire du droit un système de pensée et de
régulation sociale autonome, omnipotent et holistique. Les tentations du panjurisme229, d’un “toutjuridique” et l’inclination à “lire l’univers comme si c’était un livre de Droit230” y sont radicalement
écartées. Le message subliminal à l’encontre d’un sentiment “disciplinaire” hypertrophié chez les
juristes semble clair. Reprenant une formulation faisant date, Jean-Carbonnier indiquait en ce sens
que :
L’auteur signale en ce sens que « La sociologie connaît la séparation radicale, propre aux sciences expérimentales,
entre l’observateur et la matière observée. »J. Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, PUF, Quadrige 2004, p.17; cité in
Véronique Champeil-Desplats, Méthodologie du droit et des sources du droit, Dalloz, 2014, §.395, p.240.
226
227
Jean Carbonnier, Essais sur les Lois, Defrénois, 1979, p. 240 ; Cité in : Intervention de Pierre Catala, Les colloques du
Sénat, Jean Carbonnier (1908-2003), Art et science de la législation, 5-6 novembre 2008, Actes réunis par Sébastien
DALMON et Franck HURINVI , p.13 et s. Citation complète : « Le nouvel art législatif selon Carbonnier, « accepte de ne plus
regarder le Droit comme un système clos se suffisant à lui-même. La reconnaissance, par-dessus la haie, de cette réalité multiforme qu’est le
‘non-droit’ pourrait bien être la clé d’une stratégie législative ».
Ib Idem ; Citation complète : « Le ‘non-droit’ n’est pas le néant, même pas le chaos. L’hypothèse est que, si le Droit
est écarté, le terrain sera occupé, est peut-être même déjà occupé d’avance, par d’autres systèmes de régulation sociale, la
Religion, la Morale, les mœurs, l’Amitié, l’Habitude. Mais ce n’est plus du Droit. »
228
229
MOCKLE, Daniel, « Propos de Définitions du Droit », A. Can. JL & Soc., 1991, vol. 6, p. 181.
230
Jean CARBONNIER, Flexible Droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, 2e éd., Paris, LGDJ, 1971, p. 19 et 45.
108
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« L’essentiel dans l’hypothèse du ‘non-droit’ est le mouvement du droit au ‘non-droit’,
l’abandon par le droit, d’un terrain qu’il occupait ou qu’il aurait été de sa compétence
d’occuper. Le ‘non-droit’ en ce qu’il a de plus significatif, est le retrait ou la retraite du
droit. (…) Les violations du droit ne sont certainement pas des phénomènes de ‘non-droit’
par le seul fait qu’ils violent le droit (…) Pour isoler ce qui dans cette direction est
proprement du ‘non-droit’, nous avancerions un critère double : il faut cumulativement
que le droit ait renoncé à saisir les faits considérés, et que sa renonciation ait un caractère
de généralité. »231
L’auteur insistait, à la lecture de ce bref passage, sur l’observation du mouvement de retrait
du droit dans le milieu social. Le sociologue du droit s’attacherait, autrement dit et assez
fondamentalement du point de vue méthodologique, à circonscrire ce que le champ de la juridicité
n’est pas ou plus. L’observateur concède du terrain social tout en objectivant le rapport du droit à la
société232. Anne-Marie Ho Dinh dans un travail analysant les concepts de “vide juridique” et de “besoin
de loi”, retient en guise de synthèse de cette pensée originale du “non-droit” que “le droit est absent ou se
retire alors qu’il aurait eu, selon sa finalité dogmatique, vocation à être présent 233 ”. L’abandon d’espaces, de
séquences de vie sociale qui auraient eu a priori et théoriquement vocation à être régulés par le droit
relève sous cette optique d’une “donnée sociale »234 observable, quantifiable.
Les exemples avancés dans le contexte français des églises abritant des sans-papiers ou des
bâtiments occupés par des étudiants durant les évènements de mai 1968 demeurent des cas d’école
en ce sens.
Exploitant la symbolique du retrait du droit, la réflexion de Jean Carbonnier souligne ensuite
la dimension diachronique des phénomènes de “non-droit”. L’hypothèse du “non-droit” renvoie en
231
CARBONNIER Jean, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e édition, L.G.D.J, 2001.
232
« La constatation que, du moins dans nos sociétés modernes, coexistent deux ordres de règles, les règles juridiques et toutes les règles sociales
qui ne sont pas juridiques, nous impose de chercher un critère par lequel différencier les deux catégories, et puisque c'est le juridique qui fait
figure de phénomène particulier par rapport à l'ensemble social, il faut se mettre en campagne pour découvrir ce que peut être le critère du
juridique, la juridicité" » citation extraite de l’article suivant Alain CHOURAQUI, Normes sociales et règles juridiques:
quelques observations sur des régulations désarticulées, Droit et Société, N°13, 1989, p.415-430. Voir également cette
autre citation classique de Jean Carbonnier : "Le droit n'existant que par la société, on peut admettre que tous les phénomènes
juridiques sont d'une certaine manière au moins, des phénomènes sociaux. Mais l'inverse n'est pas vrai... Il existe un sociale non juridique.",
CARBONNIER JEAN, Sociologie juridique, Paris, P.U.F, 1978, p.16.
HO DINH Anne-Marie, Le « vide juridique » et le « besoin de loi ». Pour un recours à l'hypothèse du ‘non-droit’ »,
L'Année sociologique, 2007/2 Vol. 57, p. 419-453. DOI : 10.3917/anso.072.0419.
233
109
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
ce sens à une condition, un état temporaire et transitoire de recul du phénomène juridique en
société. La référence à une situation initiale, un “plancher du droit”, semble latente. Sur le même
registre d’idées et, pointant lui aussi vers la coexistence au sein d’un même espace-temps des
situations relevant du droit et du “» non-droit” », Philippe Jestaz retient que : « Les juristes appellent
zone de “non-droit” un secteur de la vie sociale où pour des raisons diverses, le droit ne pénètre pas ou par intermittence
seulement”235.
Pour ces auteurs les usages et les pratiques de droit conservent implicitement leur vocation à
occuper un espace momentanément « perdu » dans le champ de la vie sociale. L’éventualité ne peut
en être tout du moins exclue. L’état de « non-droit » ne demeure dès lors et par hypothèse
qu’« une baisse plus au moins considérable de la pression juridique236 » au sein d’une espace social donné. Si le
droit cesse de pénétrer la vie sociale par la grande porte, s’il en est même a priori volontairement
exclu par la propension individuelle ou collective à s’y soustraire, l’éventualité qu’il parvienne à s’y
immiscer en passant par une lucarne n’est jamais totalement écartée.
Scruter, recenser, catégoriser les points d’inflexion de la juridicité dans le contexte urbain
marginal ; décrypter les rouages d’une mise en retrait du droit face à des situations de vie quotidienne
que le système aurait pu avoir vocation à réguler ; dessiner à terme les contours d’un « idéal type » du
« non-droit » en périphérie des aspirations au panjurisme : c’est, en somme, la teneur d’une approche
sociologique du droit « compréhensive’237 reprise et explicitée dans ce premier temps du propos. En
guise d’observation transitoire et d’une « mise en contexte » de la théorie du non-droit au regard de la
poursuite des questionnements sur la fonction sociale du juriste aux portes de Guayaquil, observons
234
235
CARBONNIER Jean, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e édition, L.G.D.J, 2001, p.28 à 32.
JESTAZ, Philippe, Le droit, Dalloz, 2014, p. 93.
« Quand nous parlerons de ‘non-droit’, il sera donc loisible d'entendre, non pas le vide de droit, mais une baisse plus ou moins considérable
de la pression juridique. » Jean Carbonnier, Flexible droit, 2011, p. 26.
236
“Max Weber envisage en ce sens la sociologie du droit comme ‘la compréhension des comportements, c’est à dire
l’agir des hommes rapporté aux normes, les représentations que l’homme se fait de ces normes, ou encore, le devenir
réel’, Weber, Economie et société 1922, Paris, Plon, p.321 cité in : Véronique Champeil-Desplats, Méthodologie du
droit et des sources du droit, Dalloz, 2014, §.395. p.239. Un parallèle est effectué sur ce point avec les travaux engagés
dans le sillon du mouvement ‘Sociological jurisprudence’ aux États Unis : Véronique Champeil-Desplats, Méthodologie du
droit et des sources du droit, Dalloz, 2014, §.384, p.233 ; LLEWELLYN, Karl Nickerson, The common law tradition:
Deciding appeals, WS Hein, 1996; du même auteur LLEWELLYN, Karl N., Jurisprudence: Realism in theory and
practice, Transaction publishers, 2011; CLARK, Charles E. et TRUBEK, David M. The Creative Role of the Judge:
Restraint and Freedom in the Common Law Tradition, Yale Law Journal, 1961, p. 255-276; Oliver Wendell , Law in
Science and Science in Law, Harvard Law Review, Vol. 12, No. 7, Feb. 25, 1899, pp. 443-463; du même auteur, The
Theory of Legal Interpretation, Harvard Law Review, Vol. 12, No. 6, Jan. 25, 1899, pp. 417-420; POUND, Roscoe,
“Mechanical Jurisprudence”, Columbia Law Review, volume 8, December, 1908, p. 605-623.
237
110
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
qu’à ce stade du raisonnement, la « subjectivation » du non-droit, sa « réversion » micropolitique n’a
pas encore eu lieu. La question n’est pas, en d’autres termes et à ce stade de savoir, qui « produit » ou
« convoque » l’hypothèse de non-droit : celui-ci « est » ou, tout du moins, « serait » « observable »
« qualifiable », « mesurable », « quantifiable » à l’image d’une donnée sociale.
L’intersection entre la théorisation sociologique du « non-droit » et celle des phénomènes dits
« d’informalité » dans le contexte urbain marginal des villes du Sud peut facilement être introduite à
ce point du raisonnement.
B)
Proximité de l’hypothèse du « non-droit » et du discours contemporain sur « l’informalité »
À titre de repère historique et préliminaire, c’est l’Organisation internationale du travail
(OIT) qui introduit officiellement le concept de « secteur « informel »’ dans le registre lexical de la
gouvernance urbaine et des politiques de développement. L’anthropologue anglais Keith Hart 238,
mandaté par l’OIT pour travailler sur les conditions de l’emploi dans le contexte urbain marginal des
villes d’Afrique occidentale, détecte une scission entre le discours occidental sur les conditions du
développement économique et social et ses observations de terrain. L’auteur relevait :
« Les activités économiques du groupe à faible revenu — low-income — de la force de
travail à Accra (Ghana), le subprolétariat urbain dans lequel la majorité d’immigrants
Frafra sans formation professionnelle et illettrée est absorbée (…), les modes
d’enrichissement et de dépense, sont plus complexes que ce que l’analyse économique de la
situation des pays pauvres en retient. La planification gouvernementale et l’application
effective de la théorie économique dans ce domaine ont été entravées par le transfert non
pensé des catégories occidentales aux structures économiques et sociales des villes d’Afrique
(1973) »239.
238
HART K., Informal Income Opportunities and Urban Employment in Ghana, Journal of Modern African Studies,
vol. II, 1972; ILO, Employment, Incomes and Equality, A Strategy for Increasing Productive Employment in Kenya,
ILO, 1972, Geneva. Voir également: Charmes Jacques, les origines du concept de secteur ‘informel’ et la récente
définition de l’emploi ‘informel’, IRD, 2003 ; Voir pour une synthèse historique l’étude détaillée de Palmer Robert, The
informal economy in sub-Saharan Africa: unresolved issues of concept, character and measurement, occasional papers, n°98, Centre of
African studies, Edinburgh University, 2004.
Keith Hart, “Opportunities and Urban employment in Ghana”, the journal of modern African Studies, volume 11,
n°1 (mars 1973), pp.61-89.” the economic activities of the low-income section of the labour force in Accra (Ghana), the urban subproletariat into which the unskilled and illiterate majority of Frafra migrant are drawn... income and expenditure patterns are more complex
239
111
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le rapprochement entre ce regard anthropologique sur la frange de l’économie « informelle »
aux portes des villes du Sud — africaines en l’occurrence — , d’un côté, et l’hypothèse sociologique du
« non-droit », de l’autre, était explicitement pressenti par Jean Carbonnier. Probablement rédigé à la
même époque — la première édition de l’ouvrage Flexible droit (…) date de 1969 —, ce bref extrait ne laisse
aucune ambigüité quant à la filiation d’idées évoquée :
« Des dysfonctionnements localisés n’empêchent pas une société moderne d’être dominée
par l’économie, et même par l’économie de marché. Aussi peut-on s’attendre à ce que les
poches de “non-droit” les plus vivaces s’il doit s’en former, procèdent d’anomalies
économiques. Une fois de plus cependant il faut distinguer. Que par-ci par-là des
bricoleurs bricolent au noir, des vendeurs vendent sans factures, etc. ce ne sont que des
contraventions aux règlements — contre le droit au péril du droit. Ce n’est pas le “nondroit”. Mais que de tels actes se multiplient et s’articulent, que les acteurs prennent
conscience de participer à un système cohérent, une économie souterraine se constitue,
indépendante de l’autre, et du même coup, détachée du droit, qui est là-haut à la surface.
Engendré par les excès mêmes de l’intervention règlementaire, l’underground, l’économie
parallèle pourrait bien être l’espace de “non-droit” promis au plus bel avenir »240.
Dans une perspective plus proche de l’Amérique latine et plus contemporaine, l’économiste
péruvien Hernando de Soto place l’observation sociologique des phénomènes de retrait du droit et le
concept de « secteur « informel »’ au cœur d’une série de réflexions sur le développement
économique et la lutte contre la pauvreté. Ses deux ouvrages de référence, « L’Autre sentier, la
révolution “informelle” dans le Tiers-Monde241 » et « Les mystères du capital : Pourquoi le capitalisme triomphe en
Occident et échoue partout ailleurs ?242 » s’appuient sur un travail « de terrain » mené dans la périphérie de
than is normally allowed for in the economic analysis of poor countries. Government planning and the effective application of economic theory in
this sphere has been impeded by the unthinking transfer of western categories to the economic and social structures of African cities”.
240
CARBONNIEr Jean, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e édition, L.G.D.J, 2001 p.33.
Hernando DE SOTO, L'autre sentier : La révolution ‘informelle’dans le tiers monde traduction française de « El otro sendero: La
respuesta económica al terrorismo, La Découverte, 1994.
241
242
Hernando DE SOTO, Le mystère du capital : Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs ?, traduction
française de El misterio del capital: ¿Por qué el capitalismo triunfa en occidente y fracasa en el resto del mundo? »,
Flammarion, 2005.
112
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Lima au Pérou, fin des années 80, et d’une action entreprise par l’ILD 243 — Institute for Law and
democracy (acronyme d’origine en anglais), « think tank » dont Hernando de Soto est le fondateur. La
pensée économique libérale controversée de l’auteur doublé d’une plume convaincante a, de toute
évidence, contribué à cristalliser le débat théorique et politique sur « ’ l’informel » ». Le monde
mitoyen du droit se convertit rapidement en « donnée sociale » incontournable des villes du Sud.
L’auteur insiste expressément, dans le cadre de ces travaux, sur « le rôle des institutions légales
dans les transformations que vit la société — Péruvienne au premier plan — qu’il s’agisse de la misère, de la violence
des nouvelles manifestations culturelles, de l’informalité ou du retrait de l’État »244. Il promeut, en conséquence,
un degré avancé d’instrumentalisme légal. Hernando de Soto argumente en faveur d’une réforme
structurelle des systèmes juridiques nationaux. Des recours systématiques aux mesures dites de
« légalisation » ou de « titularisation de la propriété » sont préconisés comme une stratégie de premier
plan au regard de la lutte contre la pauvreté. La promotion et la protection de la propriété privée
occupent une place centrale de l’argument. L’organisation de l’économie liménienne contemporaine
— au sein desdits « secteurs « informels » — est d’ailleurs comparée, de manière assez symptomatique de
l’encrage du propos dans la pensée économique libérale occidentale, avec « le mercantilisme qui domina
du XV au XIX siècle, les politiques économiques et sociales européennes245 ».
Sans entrer dans le sillon des débats soulevés par le propos d’Hernando de Soto — ni
d’ailleurs sur l’influence manifeste que celui-ci a exercée pendant un certain temps sur la formation des politiques
internationales de développement local246 —, c’est la filiation entre d’un côté, l’approche des phénomènes
Créé en 1981, l’objet social de l’organisation est actuellement décrit ainsi “The ILD is focused on creating modern legal
frameworks that help the poor of the developing and ex-communist world access property and business rights and turn their assets into leverageable capital. The ILD has discovered not only how to locate extralegal businesses and assets, but also how to redesign and put into operation
legal and administrative property systems so that the owners of those businesses and assets will voluntarily move them from the extralegal
economy into the legal one.” http://www.ild.org.pe/index.php/es/
243
244
Hernando de Soto, L'autre sentier (…), p. 20.
Hernando de Soto, L'autre sentier (…), Introduction, annonce du plan de l’ouvrage p.20-22 ; du même auteur, « Trust,
institutions and entrepreneurship », International Research in the Business Disciplines, 2006, p. 3.
245
Dans l’optique d’une rétrospective chronologique des controverses : BROMLEY Ray, “A new path to development?
The significance and impact of Hernando De Soto's ideas on under development, production, and reproduction”,
Economic Geography, 1990, p, 328-348 ; GALIN Pedro, “El sector informal urbano: conceptos y críticas”, Nueva
sociedad, 1991, vol. 113, p.45-50; RIOFRÍO Gustavo, “Notas sobre el problema habitacional en" el otro sender””,
Bulletin de l’Institut français d’études Andines, 1988, vol. 17, no 1, p, 13-17; GILBERT Alan, “On the mystery of capital
and the myths of Hernando de Soto: What difference does legal title make?”, International Development Planning
246
113
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
d’informalité au sein des asentamientos de Lima, et, de l’autre, l’hypothèse du « non-droit », qui
suggère une fois encore une attention particulière. Versant dans le sens d’un tel rapprochement,
l’auteur prononce sa sentence :
« Ce ne sont pas les individus qui sont « « informels », mais leurs actes et leurs
occupations. « L’informel » n’est pas non plus un secteur précis ou statique de la société ;
c’est une frange d’ombre mitoyenne du monde légal où se réfugient les individus lorsque le
respect des lois coûte plus cher qu’il ne rapporte. L’informalité implique rarement le rejet
de toutes les lois ; dans la plupart des cas, seules certaines dispositions légales sont
contournées. Les activités « informelles sont aussi celles pour lesquelles l’État a créé un
système légal d’exception dans lequel un “‘informel »’ peut agir sans toutefois accéder à la
protection et aux avantages du système légal »247.
Constat sociologique des lais et relais du droit au sein de l’espace urbain marginal des villes
du Sud ; maintien en toile de fond d’un certain degré de disponibilité, d’un recours optionnel à la
régulation juridique étatique : hormis le parti pris de représenter le retrait du droit comme
essentiellement « subi » par les habitants de « las barriadas » ou « pueblos jovenes » — et non comme un choix
éventuel —, l’état d’informalité décrit s’encastre sans difficulté avec l’hypothèse sociologique du « nondroit » précédemment évoquée.
Dans le sens d’un approfondissement des bipolarités « “secteur formel et secteur ‘informel’’ » d’une
part, « “situation juridique et état de ‘non-droit’ » d’autre part, l’inventaire et la classification des situations
Review, 2002, vol. 24, No. 1, p. 1-19; FERNANDES Edésio, “La influencia de El misterio del capital de Hernando de
Soto”, CEPAL, Land Lines, 2002, vol. 14, no 1; MANDERS Jonathan, “Sequencing property rights in the context of
development: a critique of the writings of Hernando de Soto”, Cornell Int'l LJ, 2004, vol. 37, p. 177. Jacobson Arthur,
“The informal economy: The Other Path of the Law”, Yale Law Journal, May 1994, p.2213 LAVIGNE DELVILLE
Philippe, “Quelques mystères de l'approche de Hernando de Soto”, L'Économie politique, No. 4, 2005, p, 92-106,
SALAS Carlos, “El sector informal: auxilio u obstáculo para el conocimiento de la realidad social en América Latina”in:
Teorías sociales y estudios del trabajo: nuevos enfoques, 2006, p.130-148, Fandl Kevin, “Making Trade Liberalization
Work for the Poor: Trade Law and the Informal Economy in Colombia”, Texas International Law Journal, volume 43,
Spring 2008, p.161 Gonzales Carmen, “Squatters, Pirates, and Entrepreneurs: Is Informality the Solution to the Urban
Housing Crisis?” , University of Miami Inter-American Law review, 2008, volume 40, p.239 Jan Michel, OTTO, “ Rule
of law promotion, land tenure and poverty alleviation: questioning the assumptions of Hernando de Soto”, Hague
Journal on the Rule of Law, 2009, vol, 1, no 01, p, 173-194.
247
H. de Soto, L'Autre Sentier, p. 20.
114
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
de « non-droit » dans « Flexible droit » offrent un écho à la réflexion contemporaine relative aux
manifestations « tangibles » du secteur « informel » des villes du Sud.
En premier lieu, le « non-droit » et « l’informel » se manifesteraient matériellement dans des
espaces physiquement délimités — géographie de l’informel —. Il existerait des « lieux de “non-droit” » tout
comme des « quartiers », des « secteurs », des « zones », des « asentamientos » « “informels”. Il est de
même fréquent d’envisager l’existence de “poches de ‘non-droit’” au sein de l’espace urbain marginal. Le
dépôt régulier de déchets domestiques sur un même site, en vue de leur récollection par des
travailleurs indépendants — los chamberos dans le contexte guayaquileño- ou de leur incinération ultérieure,
en dehors de tout suivi administratif municipal ou étatique offre un exemple simple de localité
“informelle”. La référence à la “poche de criminalité”, le secteur où la police n’intervient pas, offre
de même un exemple de retrait spatial de l’empreinte du droit.
En second lieu, les phénomènes du “non-droit” et de “l’informel” se manifesteraient
communément par l’occurrence des “temps de ‘non-droit’” ou des “situations d’informalité” — temporalités
de l’informel — . Des personnes, des collectifs, des actions et interactions, des choses ou des objets,
disparaissent des radars du droit, traversent une “période”, un épisode » un « cycle » ou un « laps »
d’informalité. L’écho du fait social sur le sonar du droit s’estompe, silence radio. Le système
« droit’ a momentanément perdu de vue son objet, l’acteur juridique navigue à l’aveugle. La prise et
le maintien en possession de parcelles à usage d’habitation sont souvent représentés comme des
temps de « non-droit » (même si, en définitive, celle-ci revêt bien souvent une dimension
transactionnelle, calquée sur le modèle de la relation contractuelle). L’occupation du sol s’effectue
bien que la propriété foncière puisse en toute vraisemblance être revendiquée par des communes
rurales sur la base de droits ancestraux. Elle s’effectue encore bien que la possession de certains
démembrements de l’espace urbain marginal puisse encore faire l’objet de prétentions. L’observation
du temps de « non-droit » saisit, en ce sens, la soustraction temporaire du sol à un ordre de
revendications non éteintes, un temps de dormance, d’inactivités et plus vraisemblablement
d’adaptation des formes. L’établissement des conditions d’une possession « adverse », de l’usucapion,
n’est a priori, ni recherché par l’occupant, ni reconnu par l’autorité foncière. Winter King tente sur ce
registre une catégorisation depuis la surface des phénomènes d’informalité liés au logement : « ces
développements ne constituent en aucune mesure une portion réduite du logement à Lima, ou d’ailleurs de toute autre
ville du monde majoritaire. Selon les estimations, quatre-vingt-cinq pour cent de l’habitat urbain dans ces pays est
115
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
informel, c’est-à-dire “) construit en violation expresse des lois, (ii) ne remplit pas les conditions d’accès au sol (iii) était
initialement formel, mais devenu informel, (iv) a été construit par le gouvernement en marge des conditions légales 248.
(Traduction personnelle)”
La troisième et dernière variante du rapprochement épistémologique entre non-droit et
informel tient à la rencontre des “sujets de non-droit249” ou “des informels”. L’étiquette sociologique
retombe cette fois, en règle générale, sur la personne alternativement saisie comme habitant de
l’asentamiento non consolidé — “los informales”, “los invasores” ou encore “los pobladores” —, ou bien, par
rattachement à certaines activités commerciales comme, par exemple, la vente ambulante. Dans le
sens d’un approfondissement supplémentaire l’entreprise de catégorisation des sujets de non-droit,
se décline selon les auteurs en trois possibles accords d’un rapport accidenté à l’exercice de la
personnalité juridique250.
En premier lieu, la qualité de non-sujet de droit, d’informel renvoie au sujet effectuant
volontairement un pas de retrait face au droit étatique. Jean Carbonnier observe sur ce registre :
“l’autonomie de la volonté n’est pas seulement la liberté de créer du droit : elle est aussi la liberté, largement ouverte
aux hommes, de demeurer dans la pure absence qu’est le non-droit251”. L’option catégorielle trouve de même
“These developments by no means constitute a small portion of housing in Lima, or in any other city in the majority world. According to
one estimate, eighty-five percent of urban dwellings in these countries are informal--that is, they "(i) were built in violation of express laws, (ii)
did not comply with requirements for access to land, (iii) were originally formal but became informal, or (iv) were built by the government
without complying with legal requirements." Extrait de: King Winter, Illegal Settlements and the Impact of titling Programs”,
Harvard International Law Journal, volume 44, Summer 2003, p. 433.
248
249
Carbonnier, Jean. "Sur les traces du non-sujet de droit in Le sujet de droit." Archives de philosophie du droit 34 (1989):
197-207.
250
Voir genéralement : GRZEGORCZYK, Christophe. "Le sujet de droit: trois hypostases in Le sujet de droit." Archives
de philosophie du droit 34 (1989): 9-24 ; STRANGAS, J. « Les implications philosophiques de la notion de sujet de droit » in
Le sujet de droit. Archives de Philosophie du Droit, 1989, vol. 34, p. 123-157.
251
Carbonnier J., 2001, Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 10e éd., p.38 cité in Ho
Dinh Anne-Marie, « Le " vide juridique " et le " besoin de loi ". Pour un recours à l'hypothèse du non-droit », L'Année
sociologique, 2/2007 (Vol. 57), p. 419-453 ; Citation sur le même sujet:« L'individu a une option à exercer. Non pas
nécessairement ce que nous appellerons une option organique: entre droit et ‘non-droit’, comme entre deux routes
également bien tracées, qui s'ouvriraient devant lui une fois par toutes. Mais, plus fréquemment peut-être, une option
diffuse, une préférence marquée au jour le jour pour les solutions de ‘non-droit’ à l'intérieure d'une situation de droit. Au
demeurant, le mécanisme est toujours de même nature: c'est toujours l'individu qui, par sa volonté, fait reculer le droit,
crée du ‘non-droit. » Jean Carbonnier lui-même envisageait significativement et, dès l’origine, la situation de ‘non-droit’
comme le produit d’un choix individuel -comme une manifestation de volonté-. Son approche du dialogue entre droit et
‘non-droit’ gagne du reste à être relue dans cette direction »extrait de Carbonnier J., 2001, Flexible droit. Textes pour une
sociologie du droit sans rigueur, Chapitre 2 l’hypothèse du non-droit, LGDJ, Paris, 10e éd., p.25 et suiv.
116
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
un écho singulier dans le prolongement des travaux sur la question du “passe-droit252” et des “passes
du droit”. Pierre Lascoumes et Jean-Pierre Le Bourhis observent à partir des travaux de Pierre
Bourdieu :
« Contre le juridisme qui ne peut penser la mise en œuvre du règlement que comme
l’application exacte du texte, et réduit toute variation au statut de déviance, l’article
‘Droit et passe-droit’ montre que l’application, au sens de mise en œuvre, peut-être une
non-application du droit, une abstention volontaire, une autorisation de transgression, ou
une acceptation tacite d’un écart à la règle. En effet, la liberté inhérente à toute
application d’un règlement fait que l’agent dispose toujours, à des degrés divers, de la
capacité d’opter entre ‘l’application rigoureuse et stricte de la règle’, la ‘transgression
autorisée’, ou une situation intermédiaire entre ces deux pôles »253.
Le sujet de non-droit apparaît aussi sous cet angle comme l’individu ou l’organisation
susceptible de se jouer du droit. Il ou elle place délibérément certaines de ses actions en marge des
cadres légaux et réglementaires, pratique une personnalité juridique “à la carte” sans être inquiétée
par l’éventualité de la sanction.
En second lieu, la variante renvoie à l’idée d’une condition juridique d’informel ou de non-sujet
de droit. La catégorisation renvoie, dès lors, à la prise en considération d’une mécanique d’exclusion
ou de discrimination sociales. Jean Carbonnier une nouvelle fois anticipait : “le non-sujet de droit n’est
pas un sujet de non-droit, il a sa place dans le système juridique. C’est à l’intérieur du système juridique que le concept
de sujet de droit a opéré sa propre inversion.” (…) ; “il n’est de non-sujets de droit que ceux qui auraient vocation
théorique à être sujets de droit et qui sont empêchés de l’être. L’essentiel est dans un mouvement de rejet ou
d’inhibition. Parler de non-sujet de droit n’a de sens que si l’on pense ce non-sujet en couple avec le sujet qu’il voudrait
être ou qu’il regrette de n’être plus254”.
252
BOURDIEU, Pierre. "Droit et passe-droit [Le champ des pouvoirs territoriaux et la mise en oeuvre des
règlements]." Actes de la recherche en sciences sociales 81.1 (1990) : 86-96.
Pierre LASCOUMES, JEAN-Pierre Le Bourhis, « Des « passe-droits » aux passes du droit. La mise en œuvre sociojuridique de l’action publique », Droit et société, 32, 1996, p.57.
253
254
JEAN CARBONNIER, "Sur les traces du non-sujet de droit", in Flexible droit, L.G.D.J., 2001, p. 233.
117
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le mouvement de transposition à la problématique des asentamientos et à la visualisation d’une
éventuelle condition juridique de sujet de non-droit aux portes des villes du Sud trouve un écho
singulier à travers les travaux de Santos Boaventura de Soto. Ramón Grosfoguel en livre une
synthèse convaincante dont les passages principaux sont reproduits dans l’encadré ci-dessous.
Pour Sousa Santos, il existe dans la modernité une ligne dite abyssale entre deux sortes
d’êtres de la planète : ceux qui vivent au-dessus de cette ligne et ceux qui y vivent en
dessous255.
“Si nous comprenons cette ligne comme la ‘ligne de l’humain’ et si nous appelons ‘zone de
l’être’ ceux qui vivent au-dessus et ‘zone de non-être’ ceux qui vivent au-dessous, nous
pouvons ainsi enrichir notre compréhension de la modernité et du système-monde
capitaliste, impérial, patriarcal, racial/colonial dont nous faisons partie.
Pour Sousa Santos, les conflits qui ont lieu au-dessus de la ligne sont gérés à travers de ce
qu’il appelle les mécanismes de régulation et d’émancipation : il s’agit de codes de droits
(humanitaire, civil ou social), relations de civilité, formes d’action politique ou espaces de
négociation ouverts aux ‘autres’ opprimés dans leurs conflits avec le ‘soi’ impérial dans la
zone de l’être. L’émancipation se réfère à des concepts de liberté, d’autonomie et d’égalité
qui font partie des dispositifs discursifs, institutionnels et légaux de gestion des conflits
dans la zone de l’être. Les conflits dans la zone de l’être sont traités en général par des
méthodes non violentes, la violence étant l’exception.
En revanche, comme l’affirme Sousa Santos, en dessous de la ligne abyssale, les méthodes
utilisées par le ‘soi’ impérial/capitaliste/masculin/hétérosexuel et son système
institutionnel pour gérer les conflits, passent par l’usage de la violence et par la
dépossession ouverte et éhontée. En règle générale, ces conflits sont gérés avec des méthodes
qui seraient inacceptables dans la zone de l’être, car c’est seulement à des moments
exceptionnels qu’on emploie des méthodes relevant de la régulation ou de
l’émancipation256.
255
Boaventura DE SOUSA SANTOS, Epistemologias del Sur, Siglo XXI, Mexico, 2010.
256
GROSFOGUEl Ramón, Cohen Jim, « Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre Frantz Fanon et
Boaventura de Sousa Santos », Mouvements, 4/2012 (n° 72), p. 42-53.
118
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
En troisième et dernier lieu, cet informel, sujet de non-droit, faute d’identité se fond dans
une masse. Suivant toujours les orientations de Jean Carbonnier, il devient un ‘indiscernable257’. La
plongée dans les hautes mers du droit se produit alors lorsque ‘l’informel’ faute de contact avec
l’institutionnalité disparaît des registres officiels. L’accès aux services de l’état civil, au domicile légal,
au suivi médical, à l’école ou à l’éducation supérieure, au travail, à la liberté de mouvement, au temps
libre et aux joies de la consommation, au vote et à la représentation apparaissent en ce sens comme
des conditions matérielles du discernable, de la capacité à endosser un droit subjectif. Le dispositif
de massification et la dissolution du sujet de droit dans une groupalité pathogène opèrent encore et
de même comme un éventuel fait de racisme institutionnalisé258 — l’attribution d’une couleur ou
d’un genre au droit —. Le sujet de droit n’émergera alors qu’à la condition du partage ou de
l’acquisition des traits culturels d’un groupe social dominant. Certains usages et pratiques juridiques
contribuent à l’évidence à ce processus d’assimilation, de nivellement des différences par la
massification, lorsqu’ils n’en constituent pas le mécanisme principal.
257
Jean Carbonnier, Sur les traces du non-sujet de droit, in Flexible droit, L.G.D.J., 2001, p. 233 et suiv.
258
F. Fanon, Peau noire, masques blancs [1952], in Oeuvres, La Découverte, Paris, 2011, p. 64 cité in Grosfoguel Ramón
et Cohen Jim, « Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre Frantz Fanon et Boaventura de Sousa Santos »,
Mouvements, 2012/4 n° 72, p. 42-53. DOI : 10.3917/mouv.072.0042.
119
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
•asentamiento
•poches de criminalité
•lieux de réunions
•occupation et prise de
possession du solar
•construction du logement
•organisation des services
de base (eau, alimentation,
transport, assainissement,
électricité)
•spéculation immobilière
•organisation et régulation
de la vie quotidienne
•travail
•services de santé et
éducation
•transports
LES LIEUX DE
'L'INFORMEL'
LES ACTIVITÉS
'INFORMELLES'
LES TEMPS DE
'L'INFORMEL'
LES 'INFORMELS'
PAR DÉCISION,
CONDITION OU
MASSIFICATION
•habitants sans titres ou
sans toits
•les 'hors la loi', 'pillo'
•usagers du service
d'électricité par
raccordement artisanal
•les commerçants non
déclarés ou non
autorisés
Figure 3 Schémas d’interprétation ‘non-droit’ et ‘informalité’ — Diagramme de synthèse
Refermant à présent la boucle du non-droit et de l’informel, retenons, en guise de synthèse,
l’utilité du prisme analytique afin de mettre en évidence certains attributs caractéristiques du
phénomène de territorialisation des asentamientos : mise en tension des attributs de la personnalité
juridique, des régimes fonciers et mécanismes de régulation de l’accès au logement, du
fonctionnement de l’appareil judiciaire et administratif, de la régulation des activités économiques et
du commerce et, plus généralement encore, de la relation entre l’État et ses administrés.
Le dispositif interprétatif ‘d’alarme’ ainsi mis en évidence se révèle en revanche rapidement
encombrant. Dans chacun des scénarios évoqués — lieux, temps, actions et sujets de l’informel —,
l’appareil de qualification juridique se trouve temporairement mis hors tension. L’ambition
scientifique d’établir une connaissance d’ordre ‘nomothétique’ — renvoyant à la tentative de dégager des
120
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
lois ou des relations quantitatives 259 —, et de systématiser des phénomènes sociétaux à l’échelle de
l’infradroit260”, fait, par-delà la sentence d’absence de forme juridique, manifestement défaut. La vie
juridique des asentamientos se trouve, plus précisément sans doute, relayée au rang d’une externalité
du travail juridique, le miroir déformant d’une nature morte.
À un premier égard, l’usage du non-droit et de l’informel comme appareils de cartographie
de la juridicité urbaine marginale fait généralement fi de l’élément intentionnel, des micropolitiques
de l’instrumentalisation et du contournement de la norme juridique. La soustraction volontaire,
individuelle ou collective, publique ou privée, de la situation juridique “objective” à l’empire du droit
positif s’avère particulièrement problématique lorsqu’il s’agit de rendre compte d’un court-circuitage
des droits de l’homme, des libertés fondamentales ou du droit pénal et disciplinaire. Autrement dit
l’hypothèse du non-droit et de l’informel tourne court tant qu’elle ne contemple pas l’hypothèse de
sa propre instrumentalisation. Les dessous du divorce prononcé entre le traitement de la règle et
celui de sa violation — l’infraction, la conduite ou l’acte pathogène du point de vue social ou environnemental —,
entre l’individu ou le collectif et la qualité de sujet de droit, de citoyen ou d’habitant de la ville,
échappent aux langages du non-droit et de l’informel. Les questions de la portée, des pourquoi et du
comment du discours sur les lais et relais du droit dans les asentamientos, font naturellement
surface. Qui évoque en pratique cette dichotomie ? Dans quels contextes institutionnels et à quelles
fins le discours sur l’informel » est-il mobilisé ? — Ces questionnements émergents seront abordés au fil des
développements touchant au travail sur et à partir des représentations de la marginalité urbaine (titre 2 chapitre 1) —
À un second égard et quant à ses effets, la sentence d’absence de formes facilite d’une
manière générale, la mise en veille de l’appareil doctrinal et critique. Signe d’un cycle qui s’achève et
d’une pensée arrivée à maturité, l’hypothèse du glissement vers le non-droit pose désormais
problème. Les pensées du « non-droit » et de « l’informel » bien loin de leur ambition de départ,
apparaissent comme des appareils de simplification excessive. L’ensemble des transactions
quotidiennes entre spéculateurs fonciers, propriétaires et habitants, les arrangements provisoires
avec les agents de l’entreprise publique — l’importance du « para la cola »… « une petite contribution259
Madeleine Grawitz, Méthode des sciences sociales, Précis Dalloz, 11e éditon, p.77.
260
Arnaud, André-Jean. "Infra-droit." Dictionnaire encyclopedique de theorie et de sociologie du droit, 2de éd., LGDJ, Paris (1993).
Lochak, Danièle. "Observations sur un infra-droit." Droit social 5 (1976): 43-49 ; Salle Grégory, Chantraine Gilles, « Le
droit emprisonné ? Sociologie des usages sociaux du droit en prison », Politix, 3/2009 (n° 87), p. 93-117.
121
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
rafraîchissement en échange d’un “petit” service » —, l’activité normative et participative des collectifs,
échappent au prisme interprétatif.
L’hypothèse d’un recul « systématisé » et généralisable de la juridicité, du « chèque en blanc »,
perd du terrain. La mise en tension des présupposés du non-droit et de l’informel amorce le repli
vers une seconde option : la qualification juridique des faits. Pour un temps, il n’existe pas d’autre
prétention que celle d’observer et de s’aventurer au rattachement temporaire, opportun et contextuel
des faits de marginalité urbaine aux catégories juridiques existantes, quitte, au passage, à en inventer
ou réaménager quelques-unes...
Section 2 La micropolitique de la qualification juridique des faits de marginalité urbaine
« Revêtir une donnée concrète des qualités qui déterminent son régime et ses conséquences
juridiques en la rattachant par nature aux catégories abstraites dont elle possède les
critères distinctifs apparaît comme la technique générale de réalisation du droit. Elle
consiste en une opération intellectuelle d’analyse juridique d’une situation de fait ou de
droit pour en découvrir le régime. Autrement dit, à partir des traits significatifs qui
caractérisent cette situation, la qualification permet de l’identifier à des concepts et des
catégories connus pour lui appliquer les règles de droit correspondantes.261 »
« Revêtir une donnée concrète des qualités qui déterminent son régime », « rattacher aux catégories
abstraites », réaliser une « opération intellectuelle d’analyse juridique », « appliquer les règles de droit
correspondantes » : à l’image d’une synapse, le jeu de la qualification juridique des faits assure une
connexion nerveuse et fonctionnelle entre cellules de l’organisme sociétal.
L’opération de qualification juridique des faits depuis la perspective théorique apparaît, très
généralement et de prime abord, sous les traits d’une donnée technique. Le « pont établi entre le fait
et le droit » relève d’un ouvrage « complexe », spécialement si l’on considère la densification
normative associée au processus sociohistorique de territorialisation des asentamientos. L’opération
implique un choix de matériaux, de structures. C’est-à-dire le maniement rudimentaire des
catégories, des concepts, des langages du droit encapsulés par la norme juridique étatique. Suivant
Jean-Louis Bergel, Chapitre 2 « Classifications juridiques et qualifications des faits », extrait de l’ouvrage Méthodologie
juridique, Thémis, 2001, p.102.
261
122
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
cette première approche, la recherche de points d’appuis solides sur chacune des deux rives relève, à
proprement parler, de l’exercice d’une compétence ou d’un savoir-faire juridiques. Depuis une
perspective plus critique, rien n’est dit a priori sur l’auteur de la qualification ou de la catégorisation
juridique des faits de marginalité urbaine. Bien souvent, le travail doctrinal se limite significativement
à la description matérielle et technique de l’acte. Le ton impersonnel et dogmatique laisse entendre
que la pratique de la qualification juridique des faits relèverait d’un attribut, d’une fonctionnalité ou
extension « naturelle » de la personnalité juridique. Situer un rapport de fait à la portée d’une norme
juridique relèverait, assez fondamentalement, du libre arbitre de tout un chacun (e), une faculté innée
du sujet pensant et universel.
La pratique de la qualification juridique des faits revêt ensuite et, de manière somme toute
plus problématique, un signifiant politique. Si l’écho des phénomènes sociaux — droit et usages du droit
aux portes des asentamientos inclus — fait l’objet de distorsions, s’il cesse de raisonner dans l’enceinte du
droit, la distance entre le système institué et la communauté de ses usagers tend inexorablement à se
creuser. L’état de droit social, entendu comme système de régulation socio-environnementale perd
du terrain lorsque le « monde idéalisé » encapsulé par la norme juridique tourne au conte de fées.
Lorsque le charme n’opère pas, que la qualification juridique des faits ne va pas de soi pour les
« destinataires » de la norme, la subsistance du droit comme sous-ensemble socialement organisé à
travers l’Etat, apparaît en péril. Fragilisé à sa base, le droit souffre de sa propre insularité.
L’ordonnancement juridique apparaît lui-même sous les traits d’un échafaudage social
« vulnérable » 262 . La qualification est ici au système juridique ce que la photosynthèse est aux
organismes photosynthétiques. Privé de cette fonction vitale, lorsque l’énoncé normatif cesse
d’entrer en syntonie avec l’univers perceptif des administrés-usagers du droit, il ne reste rapidement
de l’organisme qu’une écorce creuse et sans vie. À l’inverse, la « qualification » envisagée sous les
traits d’une opération de « catégorisation juridique » agit à la manière d’une technique d’adaptation
du droit. À l’image d’une soupape de sécurité, celle-ci assure la mise en cohérence du droit avec un
champ de réalités. La qualification juridique des faits apparaît, sous ce jour, comme une pièce
charnière, une étape essentielle de l’évolution-formulation des catégories juridiques nouvelles. Elle
participe directement en ce sens au phénomène de formation-production de l’énoncé normatif.
GRATALOUP Sylvain, La vulnérabilité de la règle de droit, extrait de l’ouvrage : Vulnérabilité et droit, Le
développement de la vulnérabilité et ses enjeux en droit, Sous la direction et la coordination de Frédérique CohetCordey, UPMF Grenoble II, Presse universitaire de Grenoble, janvier 2000, p.33-45.
262
123
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Revenant sur un positionnement de François Gény, Véronique Champeil Desplats observe sur ce
registre :
« L’opération de catégorisation juridique est souvent pensée de façon très semblable à celle
de la formation des concepts. Chez Gény notamment, de façon assez proche du concept —
quoiqu’avec un essentialisme ici moins affirmé —, la catégorie juridique est “issue de la
réalité”. Néanmoins, elle “s’en détache par une abstraction nécessaire et constitue, en
vertu des définitions et des classifications qu’elle implique, le centre de la technique
fondamentale de réalisation du droit”263. L’opération de catégorisation consiste à réunir
sous un même terme ou une même étiquette, des éléments de la réalité réputés partager des
caractéristiques juridiques communes. Mais Gény accepte aussi que certaines catégories
puissent être construites, a priori, de façon purement abstraite et sans considération des
données du droit positif. Le vide de contenu qui peut en résulter n’est toutefois pas
dépourvu d’utilité. La formulation d’une catégorie (un jour) vide peut servir de comparatif
à l’existant pour mieux en dégager les caractéristiques singulières. Elle peut aider à
envisager ce qui, sans correspondre hic et nunc à des données du droit positif, est
intellectuellement pensable et empiriquement de l’ordre du possible. »264
Danièle Lochak saisit sur le vif les ramifications politiques de la catégorisation juridique des
faits :
« La transformation d’une notion en catégorie juridique n’est donc pas neutre. D’abord,
parce que cette transformation, qui se réalise par l’introduction de cette notion dans un
texte ou une norme juridique, résulte toujours d’un choix, fondé soit sur des considérations
pratiques, soit sur des valeurs, soit sur les deux à la fois. Ensuite, parce que cette
transformation produit à son tour des effets non seulement pratiques, mais aussi
symboliques : qualifier juridiquement une situation ou une conduite, la prendre en compte
pour la réglementer positivement, c’est-à-dire autrement qu’en l’interdisant purement et
simplement, cela revient nécessairement à lui conférer un minimum de reconnaissance
officielle, admettre la légitimité de son existence ; en sens inverse, l’incrimination de
263
F. GENY, Science et technique en droit privé positif: nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique,
LGDJ, 1922 ; p.265; https://archive.org/details/scienceettechniq01genyuoft
264
Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologie du droit et des sources du droit, Dalloz, 2014, §.526, p.323.
124
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
certains comportements par la loi n’est pas seulement dissuasive par la menace des
condamnations qu’elle fait peser sur les éventuels contrevenants, c’est aussi une façon de
signifier que la société les considère comme inacceptables. »265
Patiné de cette même subjectivité, l’usage quotidien de la qualification juridique des faits aux
portes de l’asentamiento apparaît en dernière instance sous les traits d’un phénomène
micropolitique. L’emprunt du pont, dans le sillon du processus de catégorisation, demeure lui-même
soumis et conditionné par un acte à la fois matériel et intentionnel : la signification du rattachement
du fait à l’énoncé normatif266. Usagers du droit et opérateurs juridiques «s’engagent» sur le pont267.
Lier le droit aux quotidiennetés urbaines marginales demeure, assez fondamentalement, une option.
La qualification juridique des faits répond, en ce sens et vice-versa, à la définition classique de l’acte
juridique :
« Acte juridique : Opération juridique (negotium [par opposition à instrumentum])
consistant en une manifestation de la volonté (publique ou privée, unilatérale, plurilatérale
ou collective) ayant pour objet et pour effet de produire une conséquence juridique
(établissement d’une règle, modification d’une situation juridique, création d’un droit, etc.)
… »268
265
LOCHAK Danièle. « La race : une catégorie juridique ? ». Mots, n°33, décembre 1992. «Sans distinction de ... race».
pp. 291-303.
266
Thomas JANVILLE, La qualification juridique des faits, PU Aix Marseille, 2004, Préf. Serges Guinchard ; François
Terré, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, LGDJ, 1956 ; Olivier Cayla, La qualification ou la
vérité du droit, Droits, revue française de théorie juridique, 1993, n° 18, p. 3-16 ; Gilles Dedeurwaerder, Théorie de
l’interprétation et droit fiscal, Préface de Guy Gest, Nouvelle bibliothèque des thèses, Dalloz, 2010, p.25 ; WILSON,
Woodrow, The Law and the Facts: Presidential Address, Seventh Annual Meeting of the American Political Science
Association, American Political Science Review, 1911, vol. 5, No. 01, p. 1-11 ; ISAACS, Nathan, The Law and the Facts,
Columbia Law Review, 1922, p. 1-13.
François TERRE, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, LGDJ, 1956, §.685 cité in Gilles
Dedeurwaerder, Théorie de l’interprétation et droit fiscal, Préface de Guy Gest, Nouvelle bibliothèque des thèses,
Dalloz, 2010, p.25.
267
Vocabulaire juridique : (Ass. Capitant, 7e édition par G. Cornu), cité in Malinvaud, 12e édition, Introduction à l’étude
du droit, p.359 ; de même : « Actes juridiques définis comme des manifestations de volonté destinée à produire des effets de droit. L’acte
juridique est alors l’acte qui apporte une modification à l’ordonnancement juridique. Actes subjectifs et actes objectifs: différenciés par la portée
individuelle des premiers (qui peuvent être aussi bien des actes unilatéraux que conventionnels et par la portée plus large des seconds (actes
règles). Ces deux sortes d’actes donnent naissance respectivement à des situations juridiques objectives et subjectives », Lexiques des termes
juridiques, Dalloz, 16e édition. Pour aller plus loin sur la théorie de l’acte juridique Rechtsgeschäftslehre : Witz Claude,
268
125
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le processus décisionnel détermine pour partie la fonction sociale des acteurs juridiques
« professionnels » aux portes des asentamientos. Une seule et même circonstance peut
alternativement être (re) découverte sous les traits du recul ou déni de juridicité, placée dans l’orbite
d’une norme juridique dite « objective » — un cadre légal et réglementaire —, ou faire l’objet d’un
exercice de conceptualisation-catégorisation. Le processus de conquête des droits individuels et
collectifs
269
se révèle, dans de telles circonstances, aléatoire et conditionnel. Il subsiste
schématiquement dans cette idée de réalisation micropolitique des droits un double aléa :
-
l’aléa associé, premièrement, au jeu de la qualification juridique des faits « per sé » c’est à dire
aux conditions et aux termes de la saisine des énoncés normatifs,
-
l’aléa associé, deuxièmement, au devenir matériel et social de cette saisine, à la formation
d’un éventuel consensus, accord de volontés quant à l’établissement ou à la modification
d’une situation juridique — dimension « intersubjective », « dialogique » et éventuellement
« synallagmatique » de la réalisation du droit dans le contexte urbain marginal —. Que l’emprunt du
pont, s’il se répète, se densifie, crée avec le temps un trafic, que l’affluence et le transit par cet
ouvrage soient porteur, en dernière instance, d’effets sociaux caractérisables : ces éléments
relèvent déjà d’un questionnement adjacent.
Retenons à ce stade de l’analyse, qu’après chaque passage, chaque emprunt du pont, la
relation entre les deux rives, entre les individus et l’ordre juridique local, n’est plus la même
qu’auparavant. Usages et pratiques de la qualification juridique des faits créent et modifient des
situations juridiques, des rapports au droit et à la norme 270 . Reprenant Eugen Ehrlich « le droit
vit271 ».
Contrat ou acte juridique, extrait de « Pour une réforme du droit des contrats, réflexions et propositions d’un groupe de
travail » sous la direction de François Terré, Dalloz 2009, p. 5.
BLANKENBURG, Erhard, La recherche de l’efficacité de la loi, Réflexions sur l’étude de la mise en œuvre Le
concept d’ « implementation », Droit et société, 1986, vol. 2, p. 59-75.
269
270
« La situation dans laquelle se trouve une personne vis-à-vis des autres sujets de droit, sur le fondement des règles de
droit. Ainsi un fait, un état, un acte juridique favorisent la naissance d’un faisceau de droits et de devoirs, de prérogatives
et de charges au profit ou à l’encontre de la personne. Lexiques des termes juridiques, Dalloz, 16e édition. »
271
RAISER Thomas. « Les relations entre la sociologie du droit et les sciences juridique »s. In: Droit et société, n°11-12,
1989.
126
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Au vu de ces observations préliminaires, le spectre d’une défaillance structurelle,
systématique et nettement paralysante de l’ordre juridique local se trouve progressivement écarté,
sans pour autant exclure l’hypothèse d’un « vote de sanction ». L’acteur juridique reprend
symboliquement la main sur la délimitation des juridicités urbaines marginales272. La réversion du
non-droit et de l’informel « passe », en d’autres termes, par le développement et l’analyse critiques
des pratiques de qualification juridique des faits aux portes de l’asentamiento. Le propos suivant
reprend et développe en guise d’approfondissement cette hypothèse du « oui » assurant
simultanément, d’un point de vue épistémologique, l’amarrage des usages et pratiques professionnels
du droit aux faits de marginalité urbaine (A) et la redéfinition d’un champ des possibles (B).
A)
Les mécaniques de la qualification juridique des faits de marginalité urbaine
Luis Fachin compare le rôle social du juriste à celui du « garimpeiro », l’orpailleur, chercheur
de pierres précieuses. L’auteur préconise l’excavation du bâti juridique, invite à « saisir à l’intérieur de
l’ordonnancement juridique en vigueur les possibilités d’opposition qui se trouvent au sein même de cet ordonnancement
(…) — ce — tant que celui-ci n’est pas altéré273 ». Là où certains acteurs juridiques assument et assènent
volontiers le « non-droit » ou l’informel, d’autres revendiquent l’usage d’une boîte à outils
catégorielle. Chercheurs, juges, avocats-conseils s’emploient à systématiser l’exploitation et la
production de catégories juridiques porteuses de sens au regard des ordonnancements juridiques
locaux274. La démarche d’interpellation, projection systématique de droits et d’obligations sur la carte
272
JOUANJAN, Olivier, « Nommer; Normer, Sciences et humanités, La dénomination », 1999, no 1, p. 105;
JOUANJAN, Olivier, « D'un retour de l'acteur dans la théorie juridique », Revue européenne des sciences sociales, 2001, p. 5564; Olivier Jouanjan et Friedrich Müller, Avant Dire Droit, Le texte, la norme et le travail du droit, Les Presses de l’Université
Laval, 2007; MAGGI Bruno, « Interpréter l'agir: un défi théorique. Interpréter l'agir: un défi théorique », Fondation
maison des sciences de l’Homme, n°5,2012.
Luiz Edson FACHIN. “Da Representação Constitucional: Pequeno Remédio contra abusos e Injustiças”, Direito
Insurgente. Anais de Fundação, Insituto Apoio Jurídico Popular, 1987-1988. Río de Janeiro, p22. Cité in Antonio de la
TORRE RANGEL, El derecho como arma de liberación en América Latina, Sociología jurídica y uso alternativo del
derecho, CENEJUS -Centro de Estudios Jurídicos y Sociales P. Enrique GutiérrezMéxico, 2006;
http://biblioteca.clacso.edu.ar/ar/libros/derecho/torre.pdf , p.107.
273
ARRUDA JÚNIOR Edmundo, “Direito alternativo: notas sobre as condições de possibilidade, Lições de direito
alternativo”, São Paulo: Acadêmica, 1991, vol. 1. p. 93.94 cité in Jesús Antonio de la TORRE RANGEL, “El derecho
como arma de liberación en América Latina, Sociología jurídica y uso alternativo del derecho”, CENEJUS -Centro de
Estudios Jurídicos y Sociales P. Enrique Gutiérrez- México, 2006; voir aussi: ENGELMANN, Fabiano, “Diversification
de l'espace juridique et invention de la «critique du droit» au Brésil dans les années 1990”, Droit et societé, 2007, no 1,
p. 153-169.
274
127
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
des asentamientos, apparaît d’ores et déjà porteuse de « précédents » significatifs sur le plan du droit
régional comparé.
Au Brésil par exemple, Junior Nelson Saule, à travers une démarche encore isolée, s’applique
par exemple à cartographier un ensemble de « passes » juridiques susceptibles d’être explorées en vue
d’assurer la protection du droit au logement dans les asentamientos illégaux 275 . Les axes de
rattachement identifiés (correspondant aux intitulés de chapitres de l’ouvrage) sont traduits et
reproduits dans l’encadré ci-dessous à titre illustratif.
a) L’application des principes fondamentaux de protection juridique du logement — moradia — dans
les « asentamientos » irréguliers ;
b) L’application des normes internationales de protection du droit au logement relevant du système de
protection internationale des droits de l’homme ;
c) L’application des principes et des objectifs fondamentaux de l’État brésilien pour la protection
juridique du logement ;
d) L’application des principes de fonctionnalité sociale de la ville et de la propriété en vue de la
protection juridique ;
e) L’application du droit au logement ;
f)
La responsabilité de l’Union, des États fédérés et des municipalités, de promouvoir la protection
juridique du droit au logement ;
g) L’application du Statut de la ville — Estatuto da Cidade — pour la protection juridique du
logement ;
h) Le droit aux villes durables comme fondement de la protection juridique du logement ;
i) L’application du Plan directeur ;
j)
L’application des instruments de promotion du développement urbain à des fins d’habitat d’intérêt
social ;
275
Saule Junior, Nelson, A proteção jurídica da moradia nos assentamentos irregulares, Porto Alegre, S.A. Fabris Editor, 2004.
128
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
k) L’application des instruments de politique urbaine à des fins d’habitation d’intérêt social (droit de
préemption, droit de superficie, permis de construire, consortiums urbains, etc.) ;
l)
Les fondements de la Politique de régularisation foncière ;
m) L’application des zones d’intérêt social spécial ;
n) L’application des instruments de régularisation foncière ;
o) L’application des instruments de régularisation foncière pour la protection du logement au sein des
favelas (usucapion urbaine, concession d’usage spécial à des fins de logement)
p) La prestation de services d’assistance juridique ;
L’activisme de la Cour constitutionnelle colombienne s’inscrit de même à l’avant-garde
régionale au moment de définir et préciser la responsabilité des administrations locales
métropolitaines et étatiques en matière de gouvernance des asentamientos de fait 276 . La pratique
judiciaire de la qualification juridique des faits et « l’idéologie normative du juge’277 transparaissent
avec une clarté remarquable. La recherche thématique dans le recueil électronique des décisions de la
Cour, utilisant la clé rudimentaire “asentamientos”, permet de recenser pas moins d’une quinzaine
d’entrées278.
En lien direct avec le gouvernement des asentamientos, la Cour intervient sur des
thématiques aussi variées que :
-
la répartition des compétences et des obligations de faire dans le cadre des politiques de
décentralisation (s. T-075/12, T-269/15),
Voir: Santiago DECASTRO, María Camila Hoyos, Verónica Umaña, “Legalización de barrios informales Prestación de
servicios públicos: ¿una medida constitucional paliativa o un paso hacia la legalización?” Trabajo realizado para el curso Propiedad y
Derechos
Reales,
durante
el
semestre
2011.
Document
de
travail
accessible
en
ligne:
http://programasocrates.uniandes.edu.co/pdfs/revista5/r5Decastro.pdf
276
277
Alf ROSS, On Law and justice, London, Stevens and sons limited, 1958, p.37 et s., cités in Véronique Champeil
Desplats, Méthodologie des sciences du droit, p.238 et s.
278
Point d’accès aux décisions de la Cour : http://www.corteconstitucional.gov.co/relatoria/
129
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
la gestion des ressources financières destinées à la consolidation urbaine, l’investissement
public, de même que la fourniture des services publics dans les asentamientos (s. C1189/08),
-
le suivi et la mise en œuvre des plans de prévention des risques naturels susceptibles
d’entraîner le déplacement de populations vulnérables (s. C-299/11, s. T-702/11),
-
la protection du droit au logement, la constitutionnalité des mesures d’éviction, les
conditions d’intervention des forces de police et la validité des offres de relogement (s. T075/12, t-109/15, s. T-417/15 ; s. T-188/16),
-
la planification urbaine et l’adoption par les autorités publiques de mesures de prévention des
asentamientos irréguliers (s. T-408/08, s. T-349/12),
-
le développement et la mise en œuvre d’un principe de confiance légitime entre
l’administration et les administrés279 (T.417/15, T.624/15, SU.658/15, T-617/05, T-403/06),
-
la protection des groupes de personnes en situation de vulnérabilité spéciale, résidant dans
les asentamientos illégaux parmi lesquels les mineurs, les victimes de déplacements forcés ou
les foyers en situation de pauvreté extrême (C-1189/08).
La déclaration d’inconstitutionnalité prononcée à l’occasion de l’adoption d’un Plan national
de développement — Plan Nacional de Desarollo 2006-2010- 280
constitue un développement
La Cour constitutionnelle énonce tout particulièrement : « Le principe de confiance légitime, s’appuie particulièrement sur trois
prémices : (i) la nécessité de préserver de manière péremptoire l’intérêt public ; (ii) une déstabilisation certaine, raisonnable et évidente de la
relation entre l’administration et les administrés ; (iii) la nécessité d’adopter des mesures pour une période transitoire permettant une mise en
adéquation de la situation actuelle à la réalité nouvelle. De cette manière, le principe de bonne foi, sous l’angle de la confiance légitime, oblige
les autorités ainsi que les particuliers à maintenir un cours d’actions cohérent, un respect pour les compromis effectués, une garantie de stabilité
et de durabilité de la situation qui, objectivement, permette la mise en œuvre des règles et la fluidité des affaires juridiques » Sentencia T075/12. Dans un arrêt antérieur la Cour constitutionnelle colombienne définit le principe de confiance légitime comme
celui qui « protège l’administré et le citoyen face à des changements brusques et intempestifs effectués par les autorités. » et ajoute « il s’agit
en somme de situations dans lesquelles l’administré ne détient pas réellement un droit acquis dans la mesure où sa situation juridique est
susceptible d’être modifiée par les autorités. Néanmoins si la personne a des raisons objectives pour confier en la stabilité de la régulation, et le
changement brusque de cette dernière altère de manière significative sa situation, alors le principe de confiance légitime le protège. Dans de tels
cas, sur le fondement juridique de la bonne foi, l’Etat doit fournir à la personne affectée, le temps et les moyens lui permettant de s’adapter à la
nouvelle situation. » Sentencia C-478/98.
279
280
Sentence C-1189/08 accessible en ligne : http://www.corteconstitucional.gov.co/relatoria/2008/c-1189-08.htm
130
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
particulièrement représentatif en vue de mesurer la portée du contrôle de constitutionnalité exercé281.
L’examen portait plus spécifiquement sur l’article 99 d’une Loi de 2003 (n° 812) — prorogée à
travers le Plan stratégique de développement national —. La disposition litigieuse, déclarée
inconstitutionnelle, avait pour effet principal d’interdire, de manière générale et à l’échelle nationale,
tout investissement public, de même que la fourniture de toute prestation de services publics au sein
des “asentamientos” établis suite à des invasions ou des parcellisations illégales. Le positionnement
de la Cour apparaît notable dans la mesure où le continuum entre le phénomène de territorialisation
des asentamientos et l’enjeu de protection des droits fondamentaux se trouve parfaitement établi.
Faisant œuvre de contextualisation et de pédagogie jurisprudentielle la Cour expose :
« dans de nombreux cas les invasions et occupations de fait (…) prennent racine dans des
situations d’extrême nécessité et même d’indigence des envahisseurs, élément qui relève par
sa nature d’une problématique sociale face à laquelle l’État colombien doit répondre,
évaluer et agir avec mesure, en vue de fournir des solutions globales qui garantissent la
réalisation des postulats constitutionnels ayant pour objet le respect à la dignité humaine
et les droits élémentaires des pauvres. (…) l’illégalité de l’habitat en Colombie est un
problème d’une gravité extrême, qui met en danger la jouissance effective des droits de
millions de personnes.
Les habitants des asentamientos illégaux se trouvent en situation de vulnérabilité
particulière à travers laquelle plusieurs droits sont susceptibles d’être affectés au rang
desquels : (i) ‘le droit à la vie et à l’intégrité physique (article 11 de la Charte) des
personnes établies dans des zones à risques ; (ii) le droit à une vie digne, à la santé et à
l’assainissement environnemental (art.49) des résidents d’urbanisations les moins
organisées et pour qui la fourniture de services publics à domicile est moins efficace ou de
qualité moindre (iii) le droit à un environnement sain (article 79) des habitants de villes
qui ne protègent pas leurs ressources naturelles et environnementales, (iv) le droit à un
logement digne (article 51) dès lors qu’il n’existe pas de développement rationnel et
ordonné de l’offre de logement à des conditions adéquates, (v) l’accès des individus à des
Pour une approche jurisprudentielle complète de la question des asentamientos d’origine illégale dans la jurisprudence
de la Cour constitutionnelle colombienne, consulter les sentences : T-908/12 ; T-702/11 ; T-349/12 ; T-408/08 ; T075/12 ; accessibles en ligne : http://www.corteconstitucional.gov.co/relatoria/
281
131
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
services publics à domicile, ce qui en soit favorise en une amélioration du bien-être et de la
qualité de vie (articles 365 et 366) et (vi) la protection de l’intégrité de l’espace public
(article 81) ».
La découverte à ce point de l’analyse, d’une situation juridique attentatoire aux droits
individuels et collectifs des habitants d’asentamientos, de même que la mise en cause avec succès
d’une loi étatique sur la base d’une situation initialement perçue comme soustraite au droit commun
de la ville, mérite une attention particulière. L’ordre juridique apparaît bien sensible, en l’espèce, à
l’agir micropolitique du juge constitutionnel colombien. Le travail de la juridiction supérieure sur
l’exigibilité des droits sociaux marque symboliquement un recul micropolitique et local du sentiment
ou du présupposé de ‘non-droit’282.
En guise de synthèse et au regard de ce bref survol doctrinal et jurisprudentiel retenons cidessous et a minima trois dispositifs types de forage catégoriel sur les territoires symboliques du nondroit et de l’informel :
-
la territorialisation de la réalisation des droits et la reconnaissance des asentamientos illégaux
— non plus ‘informels’ — comme une catégorie spatiale intermédiaire, la cartographie ‘annexe’
des centres d’accueils et de logements temporaires, des zones à risques ou de prévention des
risques et, plus généralement, des lieux apparaissant dans le sillon des politiques de
territorialisation ;
-
la spécification et la personnalisation des droits en raison de l’appartenance des habitants à
des groupes déterminés, la cartographie des collectifs sur la base de critères d’appartenance
282
RUSCHEL Ruy Ruben, A eficácia dos direitos sociais, Revista da Associação dos Juízes do Rio Grande do Sul
(AJURIS) nº1993, vol. 58, p. 291; ENGELMANN Fabiano, Diversificação do espaço jurídico e lutas pela definição do
direito no Rio Grande do Sul, Thèse de doctorat, Universidade federal do rio grande do sul, 2004, ; Plus généralement:
ABRAMOVICH Víctor et COURTIS Christian, Hacia la exigibilidad de los derechos económicos, sociales y culturales,
Estándares internacionales y criterios de aplicación ante los tribunales locales, La aplicación de los tratados
internacionales sobre derechos humanos por los tribunales locales, 1997, vol. 2., des mêmes auteurs: Apuntes sobre la
exigibilidad judicial de los derechos sociales, La protección judicial de los derechos sociales, 2003, vol. 3.; Los derechos
sociales como derechos exigibles, Trotta, 2002; CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, La justiciabilité des droits sociaux
en Amérique du Sud, La Revue des droits de l’homme, Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits
fondamentaux, 2012, no 1, p. 120-139; ROBITAILLE D., Normativité, interprétation et justification des droits
économiques et sociaux : les cas québécois et sud-africain, Bruxelles, Bruylant, 2011, p.38-41, cité in « Compte rendu »,
Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 2011/2 Volume 67, p. 157-170.
132
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
socio-économique, culturelle et ethnique, de dynamiques associatives et participatives283, mais
aussi et plus généralement, d’une situation d’administré dans le cadre du gouvernement des
asentamientos ;
283
WOLKMER, Antonio Carlos, Pluralismo jurídico: fundamentos de una nueva cultura del Derecho, MAD-Eduforma, 2006;
WOLKMER, Antonio Carlos, Pluralismo jurídico, movimientos sociales y prácticas alternativas, El otro derecho, 1991,
vol. 7, p. 29-46; Villegas Mauricio Garcia, Derecho y sociedad en América Latina: un debate sobre los estudios jurídicos
críticos.
Instituto
Latinoamericano
de
Servicios
Legales
Alternativos,
2003,
http://www.hostos.edu/downloads/coloquios/8vo_coloquio/lectura_derecho_sociedad_en_america_latina.pdf
133
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
DISPOSITIFS DE
TEMPORALISATION
ET DE
SÉQUENCIATION
DE LA RÉALISATION
DES DROITS
DISPOSITIFS DE
TERRITORIALISATION
ET DE LOCALISATION
DU DROIT
DISPOSITIFS DE
SPÉCIFICATION ET
PERSONNALISATION DES
DROITS
Figure 4 Dispositifs de caractérisation des faits de marginalité urbaine
-
la temporisation et le séquençage du processus de réalisation des droits, la production
catégorielle d’évènements et de situations intermédiaires au tour et en parallèle à l’illégalité et
à l’irrégularité foncière comme, par exemple, les temps de latence administrative, les temps
du dialogue entre l’administration et les administrés ;
Ayant appréhendé la qualification juridique des faits comme technique d’amarrage-
atterrissage des usages et pratiques professionnelles à la contextualité urbaine marginale — dans le
sens d’une éventuelle adaptation du droit aux faits — il reste à explorer et mesurer la dynamique inverse, la
mesure des effets et la portée de la qualification juridique des faits. Annonçant une telle inversion de
la vapeur Didier Linotte et Christian Atias observent :
« Il a été souvent soutenu [que le droit] doit s’adapter aux faits et qu’il
change ainsi. Si l’expression veut dire que les règles de droit ne peuvent être
posées et dégagées qu’en tenant compte des faits, des comportements
sociaux, des possibilités techniques et des conséquences de leur utilisation,
elle relève de l’évidence. En revanche, transformée en dogme, l’adaptation
du droit au fait est largement contestable. (…) Il n’est pas plus réaliste de se
134
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
soumettre à tous les faits que de résister à certains d’entre eux, ou au moins,
de s’efforcer de les endiguer 284»
B)
La portée micropolitique de la qualification juridique des faits de marginalité urbaine
La qualification juridique des faits, à l’image de l’« acte juridique », ne se constitue pas
seulement comme le produit d’une volonté individuelle ou collective. L’opération annonce, dans
certains cas, la création ou la suppression de situations ou de normes juridiques. Le jeu
micropolitique de la qualification juridique des faits modifie, en d’autres termes et lorsqu’il trouve sa
pleine mesure, l’ordonnancement juridique local au sens désigné par Léon Duguit d’un « état social
existant à un moment donné d’après les règles de droit s’imposant aux hommes du groupement social considéré et des
situations juridiques qui s’y rattachent285. »
Formuler et explorer le postulat d’effectivité de la qualification juridique des faits de
marginalité urbaine revient, d’une manière générale, à ouvrir, mesurer et en définitive parier sur un
champ des possibles. Le postulat de départ se réduit à son plus simple appareil : un pouvoir
micropolitique d’intervention sur l’ordre juridique local est exercé à travers l’usage et la pratique de la
qualification juridique des faits. Le rattachement volontaire des situations de vie courante, qui
parsèment le quotidien urbain marginal, à la sphère élargie de « juridicité » interfère avec le cours de
la vie juridique de l’asentamiento. Le spectre des effets sociaux consécutifs à cette modification
demeure, par essence et à l’image du battement d’aile de papillon imprévisible, inattendu, non
mesurable. Tant par son objet que par sa portée, la question sous-jacente et transversale d’une
mesure de l’agir juridique individuel et collectif — du déploiement des capacités juridiques de l’individu en
société — s’insère dans un environnement de recherche, phénoménologie du « rapport de droit » ou du
« rapport au droit » considérablement vaste.
La typologie provisoire, et en rien exhaustive proposée ci-dessous se veut représentative
d’une ramification possible. Un champ historique et technique des possibles se dessine en arrière
plan des théories classiques de l’agir juridique.
284
ATIAS, Christian. Devenir juriste: le sens du droit. LexisNexis, 2011, p.93-94.
285
Léon DUGUIT, droit constitutionnel, tome II, 2e édition, p.220, cité in Lexique des termes juridiques, Dalloz, 20142015.
135
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Depuis la perspective, en premier lieu, des cercles institutionnalisés du droit, limitant
matériellement, en d’autres termes, le jeu de la qualification juridique des faits à l’arène judiciaire, à
l’université, aux lieux de formation de la loi (assemblée, administrations), l’onde d’impact de
l’opération paraît relativement simple à saisir. En faisant jouer la qualification juridique des faits, les
acteurs juridiques agiraient, tout d’abord et très schématiquement, sur la dynamique de « réalisation du
droit ». L’opération détermine techniquement le passage des situations de droit dites « objectives » aux
situations de droit dites « subjectives »286. Elle interfère et conditionne, en ce sens, « la mise en œuvre »,
« l’effectivité », « l’efficience » et « l’efficacité’287 des règles de droit — au sens de “l’acte-règle288” —. C’est sans
doute et d’ailleurs en ce sens que Jean-Louis Bergel aborde l’opération comme une “technique générale
de réalisation du droit289” ou que François Gény propose d’en faire “le centre de la technique fondamentale de
réalisation du droit 290».
L’acte juridique subjectif apparaît, par définition « au regard de sa portée individuelle », comme un « acte volontaire,
spécialement accompli, dans les conditions du droit objectif, en vue de produire des effets de droit dont la nature et la
mesure sont elles-mêmes voulues. » Si l’on tend par convention dans le cadre du droit civil à séparer l’ « acte juridique »
du « fait juridique », ce dernier renvoyant à « un évènement qui, volontaire ou non en soi, produit les effets de droit
indépendants de la volonté des intéressés. » retenons, en périphérie du débat doctrinal, que le constat de l’existence « du
fait juridique » relève lui-même et en premier lieu d’un acte de qualification juridique. Autrement dit, c’est bien une
opération de ‘méta’-qualification juridique des faits qui différencie fondamentalement le « fait juridique » du « fait social »
et qui en détermine, à termes, le régime juridique. Citations extraites de : Flour, Aubert, Savaux, Droit civil, Les
obligations, L’acte juridique (1.), Sirey, 15e édition, p.40 ; Martin de la Mouette, L’acte juridique unilatéral, thèse,
Toulouse, 1951, n°17 et s. p.27; Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique, thèse, Paris, LGDJ, spéc.
n°50 et s. p.66; Droit, revue française de théorie juridique, L’acte juridique, n°7, 1988 ; plus généralement :
MOTULSKY, Henri et ROUBIER, Paul, Principes d'une réalisation méthodique du droit privé:(la théorie des éléments
générateurs des droits subjectifs), Librairie du Recueil Sirey, 1948.
286
BLANKENBURG Erhard, La recherche de l'efficacité de la loi/ Réflexion sur l'étude de la mise en œuvre (Le
concept "d'implementation"), Droit et Société, n°2, 1986, p.73-94 ; Heuschling Luc, « Effectivité», «efficacité»,
«efficience» et «qualité» d’une norme /du droit., Analyse des mots et des concepts, extrait de : L'efficacité de la norme
juridique. Nouveau vecteur de légitimité ? ouvrage collectif sous la direction de Marthe Fatin-Rouge Stefanini, Laurence
Gay, Ariane Vidal-Naquet, p.27-61, 2012 ; CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique, MILLARD, Eric, et coll. Efficacité et
énoncé de la norme. L'efficacité de l'acte normatif, Nouvelle norme, nouvelles normativités, 2013, p. 63-73.
287
La situation juridique objective est envisagée au regard de ‘l’acte juridique objectif’ ou ‘l’acte règle’ définit comme
« l’acte juridique dont l’effet est de créer de modifier ou de supprimer une situation juridique dite objective, c’est-à-dire
touchant un nombre de personnes physiques ou morales (souvent les deux en même temps) constituant un groupe placé
dans un cadre juridique uniforme du point de vue de l’acte générateur de cette situation. (Lexiques des termes juridiques,
Dalloz, 16e édition.) ».
288
289
Op. cit.
290
Op.cit.
136
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Toujours depuis la sphère institutionnalisée, les auteurs-acteurs juridiques influeraient
ensuite, et tout aussi fondamentalement, sur la dynamique de formation et de “spécialisation” du
droit des asentamientos par la voie de l’interprétation normative. Olivier Jouanjan et Friedrich
Müller, déplaçant sensiblement le centre de gravité de l’activité normative de l’institution vers
l’individu, du registre “macro” au “micro”, invoquent alors le pouvoir des acteurs juridiques — celui
du juge en première instance — de “nommer-normer” :
“Le langage n’est pas un système préexistant à la pensée et à l’agir. Au contraire, à chaque
degré, il s’exécute : dans l’usage, en tant qu’usage. Il en va de même pour le droit (qui ne peut être
qu’en tant que langage), il est exécuté : la norme qui gouverne le cas, qui en décide effectivement
n’est pas préexistante. Elle doit être créée dans le cas d’espèce par le travail juridique concret qui est
une forme particulière d’agir communicationnel291”.
Suivant la théorie de l’agir juridique proposée par ces deux auteurs, l’acteur juridique, par le
jeu de l’interprétation et de la reformulation constante de l’énoncé normatif, interfère sur le contenu
et le devenir de la norme juridique. L’intervention détermine en termes généraux la “concrétisation”
de la règle de droit, la production du rapport au réel. Le point crucial soulevé tient au rôle
transformateur et créateur d’une telle médiation292. Le jeu “linguistique” de la qualification juridique
des faits conditionne alors le développement de nouveaux prismes analytiques et catégoriques, le
recyclage des concepts désuets. L’acteur juridique assure l’adaptation du droit “pensé” et “normé” à
son contexte spatio-temporel : la fourmilière n’est rien sans ses légions d’ouvrières.
Depuis la perspective, en second lieu, des cercles de qualification juridique non institués et
dépourvus, a priori du sceau d’authenticité » ou d’autorité » conféré depuis les citadelles de la loi ou de la
doctrine juridique, un jaillissement de l’acteur juridique semble tout aussi envisageable. En faisant de
la qualification juridique des faits un acte de la vie courante, une pratique de rue, une inversion
intéressante se produit.
291
Olivier JOUANJAN et Friedrich MÜLLER, Avant Dire Droit. Le texte, la norme et le travail du droit, coll. « Dikè »,
Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007, p. 31, cité in : Guillaume Provencher « Compte rendu » , Les Cahiers
de droit, vol. 50, n° 2, 2009, p. 443-445.
Le rapprochement avec la théorie de l’interprétation réaliste se fait ici relativement évident, voir : TROPER, Michel,
Le gouvernement des juges, mode d'emploi, Presses Université Laval, 2006.
292
137
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
L’exercice de qualification juridique des faits renvoie aussi et en ce sens l’acteur juridique à
un travail réflexif, sur la condition d’être social, de sujet politique et juridique du droit des
asentamientos. L’opération recèle un acte d’affirmation-réalisation de la personne dans l’espace
public. L’usage et la pratique de la qualification juridique des faits imposent, par définition, et assez
intuitivement un exercice de situation sociopolitique de l’acteur juridique face à l’institution, face à la
ville. Repensée sous les traits d’un enjeu participatif la qualification juridique des faits constitue une
forme sui generis de «subjectivation293» de l’environnement urbain, du droit et de ses acteurs. Des
significations nouvelles ou transgènes du quotidien urbain marginal émergent naturellement au sortir
de cette confrontation. Postulons en ce sens l’impact civique et didactique — au sens d’un
autoapprentissage de l’être et de l’agir social à travers l’agir juridique — inhérent au jeu de la
qualification juridique des faits. Une filiation de pensée s’observe dans le contexte régional latinoaméricain avec l’héritage moderne des «théologies de la libération’294, de la “pédagogie des opprimés”
de Paulo Freire295, du “théâtre de l’opprimé” d’Augusto Boal 296 et, plus généralement, avec l’idée
d’une dimension émancipatrice inhérente à la pratique individuelle et collective du droit.
293
Pour une définition : « 1. Subjectivation, subjectivisation, subst. fém., philos. Action de subjectiver, de subjectiviser (infra rem. 2). Bien
souvent aussi un concept phénoménologique ne sera qu'une « subjectivisation » d'un concept beaucoup mieux connu par la voie
empirique (Ricœur, Philos. volonté, 1949, p. 16). Les techniques de recherche ont à subir une crise de subjectivation pour acquérir une plus
grande objectivité dans ce domaine (Traité sociol., 1967, p. 147).
2. Subjectiver, subjectiviser, verbe trans., philos. Rendre subjectif; faire dépendre d'un état de conscience. Il semble que beaucoup de faits
sociaux nous soient donnés d'abord objectivement, et que pour les connaître nous devions en quelque façon les subjectiver, en y restituant des
états de conscience (Lévy-Bruhl, Mor. et sc. mœurs, 1903, p. 118).[L'émotivité] tend à subjectiviser le sentiment religieux au point de le
réduire à un échauffement du cœur (Mounier, Traité caract., 1946, p. 740).Empl. pronom. passif. La conscience de classe ne peut ni se
substantifier comme une entité purement objective, ni se « subjectiviser » comme une entité purement psychique(Traité sociol., 1968, p. 367). »
Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) http://www.cnrtl.fr/definition/subjectivation ;
294
Jullien Claude-François, Théologie de la libération et Realpolitik, Politique étrangère, n°4, 1984, p. 893-905 ;
BERRYMAN, Phillip. Liberation Theology: Essential Facts about the Revolutionary Movement in Latin America--and
Beyond, Temple University Press, 1987.
295
PAULO Freire, Pédagogie des opprimés, François Maspéro, Paris, 1974; du même auteur: The politics of education:
Culture, power, and liberation, Greenwood Publishing Group, 1985; Pedagogy of freedom: Ethics, democracy, and civic
courage, Rowman & Littlefield, 1998 ; Pedagogía de la autonomía: saberes necesarios para la práctica educativa, siglo
XXI, 1997.
296
BOAL Augusto et LÉMANN Dominique, Théâtre de l'opprimé, François Maspero, 1977; du même auteur:
Legislative theatre: Using performance to make politics, Routledge, 2005; El arco iris del deseo, Alba Editorial, 2013;
138
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Conclusion
Discerner les ramifications de l’opération de qualification juridique des faits comme des
rouages centraux de l’agir juridique, en exploiter le plein potentiel, impliquent, des apprentis
alpinistes, la projection et la cartographie des prises et des points d’appui sur une paroi qui, à
première vue, paraissait imprenable : le mur du “non-droit”, de “l’informel”.
Il s’agit parallèlement et a contrario de visualiser une emprise du phénomène juridique sur des
situations et des espaces de vie sociale. Cette “juridicisation” symbolique de l’espace urbain marginal
de Guayaquil et, plus justement sans doute, des situations individuelles et collectives qui lui sont
attachées 297 , renvoie en termes généraux au postulat décrit par Jêrome Pélisse “d’une formalisation
juridique accrue des relations sociales, d’une extension du droit comme modèle et référence pratique pour les actions
(…) d’un resserrement des mailles du filet qu’est le droit’298”.
La découverte, l’observation et éventuellement la construction de ces “ponts de juridicité”,
connectant le monde du droit aux faits de marginalité urbaine ne vont pas pour autant d’ellesmêmes. La sortie de la zone de confort consistant à appréhender l’espace urbain marginal à l’image
d’un paysage lunaire porte son lot de difficultés méthodologiques, d’ajustements et d’adéquations
nécessaires du champ des connaissances juridiques. Le cheminement intellectuel n’est pas balisé,
normalisé. Le déploiement de l’agir juridique individuel et collectif manque matériellement
d’intensité, de contextualité, de praticité tant que le “lien” ou “critère” de juridicité urbaine marginale
n’est pas clairement affirmé. Les questionnements irrésolus soulevés en introduction, à l’approche de
l’étude du cas du secteur Monte Sinaï, le rappellent instamment. Il n’en demeure pas moins, qu’en
lieu et place du paradigme de non-droit et d’informalité, l’acte de qualification juridique des faits est
porteur d’une alternative. Il amorce un mouvement.
Les acteurs juridiques professionnels se trouvent, par définition, en situation de juges et
partis quant au tissage du lien de juridicité et aux déploiements consécutifs de l’agir juridique dans les
asentamientos. Infléchir l’état de somnolence et cesser de camper dans le non-droit et l’informel
implique de visualiser et de replanter depuis la sphère individuelle ou dialogique l’état d’avancement
297
-non par ‘le droit’, mais bien par ses usagers-.
298
Pélisse Jérôme, « Judiciarisation ou juridicisation ? » Usages et réappropriations du droit dans les conflits du travail,
Politix, 2009/2 n° 86, p. 73-96.
139
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
des juridicités urbaines marginales. L’entreprise s’est articulée au fil de ce premier titre à partir d’un
champ d’opération dual : “faire état”, “mettre en récit” le gouvernement des asentamientos
premièrement, qualifier et catégoriser juridiquement, en conséquence, dans l’ombre du non-droit et
de l’informel.
Bien loin de “l’aptitude à appliquer la règle générale à la singularité du fait299.” la question des moyens
et de la méthode d’appréhension des faits de marginalité urbaine se pose rapidement dans la
continuité du repositionnement épistémologique proposé.
Citation complète : « C’est essentiellement l’aptitude à appliquer la règle générale à la singularité du fait qui constitue l’essentiel de la
compétence juridique et donc l’enjeu de l’apprentissage du droit » extraite de : ORIANNE, Paul et TERRÉ, François, Apprendre le
droit: éléments pour une pédagogie juridique, Éd. Frison-Roche, 1990, p.83 ;
299
140
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Titre 2 Les enjeux méthodologiques du travail de situation et la
question du “terrain”
Une fois établis la marge urbaine et les asentamientos comme un espace-temps de formation
et de réalisation du droit — un phénomène qui s’impose sur le cours “normal” et “ordinaire” de la réalisation des
droits —, le titre suivant s’attardera sur la question des conditions de production et de circulation des
connaissances sur la marginalité urbaine “en droit”. La connaissance des faits de marginalités
urbaines sera entendue, en d’autres termes, comme un facteur déterminant la fonction sociale des
acteurs juridiques professionnels dans l’orbite des asentamientos. Elle le sera, de même et
généralement, comme un parcours susceptible de faire l’objet d’un travail réflexif et qualitatif. À
l’horizon, les possibilités d’un dialogue critique et d’un apprentissage technique seront entraperçues.
La question n’apparaît pas tant, en ce sens d’opter, entre une démarche “descriptive” ou
“prescriptive’ 300 . Il s’agit bien d’affirmer ou, plus humblement, de réaffirmer l’opportunité d’une
approche méthodologique au sens d’une ‘pensée du fait social dans l’action’. Rapporté au cas
d’étude, la question se posera de savoir dans quelle mesure et à quelles conditions le ‘terrain guayaco’
s’est érigé alternativement en dispositif de recherche et en une condition matérielle de l’engagement
de terrain. Comment et sur quelles bases, à la fois méthodologiques et éthiques construire la relation
de ‘proximité’ et de familiarité entre le juriste-chercheur et son terrain de recherche ou
d’engagements ?
La construction de ce point de vue structurant quant à l’appréhension des faits de
marginalité urbaine apparaît, près de dix ans après l’arrivée à Guayaquil, parsemée d’obstacles :
-
une première difficulté méthodologique du ‘terrain’ tient, d’une manière générale, aux coûts
du saut vers l’inconnu et à la sortie de la ‘zone de confort’ balisée à la fois par les lieux
institués du droit — l’administration, le cabinet, l’université, la bibliothèque, le cyberespace — et par
l’échange confiné à une communauté de ‘pairs’ ou de clients. Le développement d’une
300
Sur la question de la distinction entre méthodologies descriptives et méthodologies prescriptives Véronique Champeil
Desplats observe : « deux grands types de posture sont habituellement distingués : une posture descriptive qui se donne pour objet de
répondre à la question ‘comment se comporte de fait’ le juriste; une posture prescriptive qui tente de répondre à la question ‘comment doit se
comporter’ le juriste (…) les méthodologies prescriptives, pour leur part, s'emploient à dégager la ou les meilleures méthodes à suivre pour
parvenir à un résultat, observer ou analyser un objet. Elles fournissent des guides ou des modèles pour la pratique juridique ou la connaissance
scientifique. Elles partent de préconceptions de ce que serait une méthode correcte pour évaluer et réformer celles existantes, voire s'y
substituer », Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du droit et des sciences du droit, 2014, p.11-14.
141
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
connaissance des faits de marginalités urbaines engage, autrement dit, une pratique-approche
raisonnée de l’altérité et, plus amplement encore, du voyage et de l’interculturalité ;
-
une seconde difficulté tient ensuite à la mesure du phénomène urbain marginal et à l’enjeu de
‘connaissance’ d’un fait social dont l’empreinte et la profondeur dépassent inéluctablement le
champ de connaissance expérientielle de l’individu, du chercheur, du juriste. Le
questionnement méthodologique s’étend alors à la détermination des conditions d’extraction
et de mise en circulation des informations issues du terrain ;
-
une troisième et dernière difficulté méthodologique tient logiquement à la limitation des
moyens et des méthodes d’appréciation et de traitement des faits de marginalité urbaine dont
dispose l’acteur juridique ‘professionnel’ in situ… Il s’agit en d’autres termes, de ‘ramasser les
pots cassés’ d’une formation juridique ‘positiviste’, d’une réserve quant à l’assimilation de
démarches cognitives et critiques du fait social ‘en droit’. L’appréhension des faits de
marginalité urbaine plus généralement associés à l’épistémologie ‘Nord-Sud’, aux
problématiques du ‘monde majoritaire’, aux politiques de développement échappe, a priori, aux
cahiers des charges du juriste-chercheur fraichement sorti d’usine. La tradition pathogène de
délégation du travail ‘sur’ le fait social impose, en somme, d’envisager un dépassement de la
condition de ‘juriste’. Il s’agirait, en d’autres termes de réapprendre, ‘en cours de route’, à
colorer l’horizon des représentations de la vie sociale, qui constituent, il semble bon de le
rappeler, le paysage de l’interprétation et de l’argumentation juridique.
En dépit de telles difficultés et à défaut d’un sursaut, pratiques et usages du droit semblent
condamnés à établir leurs racines dans un sol appauvri, érodé. C’est sur la base d’une telle suspicion
méthodologique que la pertinence du terrain comme option méthodologique et dispositif de
recherche sera envisagée. Le passage par ‘un terrain’, demeure a priori une étape peu familière et
même entachée d’un certain flou aux yeux des techniques et des méthodes traditionnelles
d’appréhension” du contexte de l’étude et de la réalisation en droit. Ce sentiment d’extranéité doit donc
être méthodiquement décrypté, pris à rebours. Un espace de réflexion s’ouvre dans le sillon des
approches juridiques dites “cliniques”. L’intérêt théorique et pratique attaché à la formation d’un
registre de connaissance qualitative et in situ des faits de marginalité urbaine est progressivement
réaffirmé. L’opportunité quant à la construction de cet axe de recherche alternatif est envisagée sur
un double volet :
142
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
sur un premier volet, c’est un éventuel problème de structure, une brèche dans la pensée
méthodologique du fait social et, a fortiori, dans l’apprentissage du droit, qui est appréhendé
dans le sillon de la réflexion sur “le terrain”. Il importe, en d’autres termes, de mettre à nu
une série de biais tour à tour liés à l’abondance et à l’atrophie des sources d’information
guidant “classiquement” l’interprétation et l’argumentation juridique. Les conditions d’une
vigilance face aux phénomènes sociopolitiques de représentations de la croissance urbaine
marginale des villes du Sud sont envisagées. À l’image d’une écologie des sols, l’approche de
terrain facilite la détection de symptômes et l’anticipation de certains glissements discursifs
pathogènes. Elle dévoile les risques d’empirismes associés à une lecture “hors-sol” de la
croissance urbaine marginale affectant, à terme, le fonctionnement de l’écosystème juridique
dans son ensemble. Sur ce registre, le cheminement intellectuel se heurtera encore une fois à
la question du “non-droit” et de “l’informel” non plus cette fois comme une hypothèse,
“option catégorielle”, mais bien comme un discours idéologique dominant et résilient
(Chapitre 1)
-
Sur un second volet, et par-delà l’enjeu premier de contournement de certaines dérives
discursives, l’approche de terrain apparaît elle-même comme une technique, un programme
méthodologique au vu de la découverte, lecture et discussion du contexte d’intervention.
Poursuivant l’image d’une écologie des sols, l’approche de terrain émergera cette fois comme
une stratégie de bioremédiation. L’opération sollicite et mobilise une palette de “techniques
vivantes de recherche’ 301 . La familiarisation avec ces techniques contribue à reconstituer le
substrat de la pensée juridique, sa structure, sa complexité, rétablir ses flux énergétiques, en
un mot à en restituer la vitalité. (Chapitre 2)
301
Grawitz Madeleine, Méthodes des sciences sociales, Précis Dalloz, 11e édition, 2000.
143
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Les enjeux
méthodologiques du
travail de situation
Du travail « sur » et « à
partir » de la
représentation des faits
de marginalité urbaine
(...)
(...) au travail « de »
représentationproduction du contexte
de réalisation des droits
Figure 5 Enjeux méthodologiques du travail de situation
144
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Chapitre 1 Du travail « sur » et « à partir » du phénomène
sociopolitique de représentation technique et scientifique de la
marginalité urbaine (…)
Comment et en quoi phénomènes la production du discours sur la croissance urbaine
marginale des villes du Sud, constitue-t-elle per sé une donnée sociale, un objet d’étude tangible ?
Dans quelle mesure ce phénomène sociopolitique rejaillit-il sur l’étude du cas de Guayaquil et, plus
généralement peut-être, sur l’ensemble du réseau de production des connaissances sur les
asentamientos au Sud comme au Nord ?
L’état des connaissances sur la ville a longtemps été et demeure plausiblement à l’échelle
globale le fait du savoir empirique et technique d’architectes, d’ingénieurs civils, d’artisans,
d’ouvriers, d’urbanistes et de cartographes. Il semble, en effet, raisonnable de considérer, depuis une
perspective historique et comme point d'accroche, que la croissance de la ville, entendue tout du
moins comme celle de l’espace public urbain, est, avant toute autre considération, le fruit d’un
ouvrage technique, celui de bâtisseurs privés ou travaillant sur commande de l’État — dialectique de la
maitrise d’ouvrage —.
Or, c’est précisément à l’encontre de ce postulat initial que la sociologie urbaine va s’affirmer
comme champ disciplinaire dans le contexte de croissance des villes industrielles et postindustrielles
occidentales du début du XX siècle : bâtir les villes ne signifie pas nécessairement les connaître et les
comprendre. Dans ses grandes lignes, l’objet principal du courant sociologique urbain tend bien, en
ce sens, à porter un regard subversif sur le développement de la ville et de son gouvernement.
Tour à tour, la ville est découverte au fil des recherches comme la mise en espace des
problématiques sociales et la cristallisation de transitions radicales du rural à l’urbain, de l’industriel
au postindustriel, du postindustriel au global. C’est d’ailleurs sur la base de cet héritage sociologique
que la convergence des regards disciplinaires de la géographie, des sciences politiques, de
l’anthropologie et plus généralement des sciences humaines vers un terrain commun d’investigation,
les « études sur la ville » — urban studies302 — sont envisagées à l’époque actuelle303.
302
Harvey David, Consciousness and the urban experience: Studies in the history and theory of capitalist urbanization, Volume 1, Johns
Hopkins University Press, 1985.
145
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
La ville est érigée, par cet effort de synthèse en une unité spatiale fonctionnelle, échelle
« naturelle » de l’exercice du pouvoir et de la réalisation des droits304. À l’aplomb de ces premiers
éléments est reproduite, ci-dessous, une définition proposée par Henri Lefebvre dans un article
intitulé « La ville et l’urbain » paru en 1971 dans la revue Espaces et Société cofondée par l’auteur avec
Anatole Kop l’année précédente305.
« a) La ville est un objet spatial occupant un site et une situation et qu’il faut étudier
comme objet avec différentes techniques et méthodes : économiques, politiques,
démographiques, etc. Comme telle, la ville occupe un espace spécifique bien distinct de
l’espace rural.
b) Par-là, la ville est une médiation entre un ordre proche et un ordre lointain. L’ordre
proche, c’est celui de la campagne environnante que la ville domine, organise, exploite en
lui extorquant du surtravail. L’ordre lointain, c’est celui de la société dans son ensemble
(esclavagiste, féodale, capitaliste, etc.). En tant que médiation, la ville est aussi l’endroit
où se manifestent les contradictions de la société considérée, par exemple celles entre le
pouvoir politique et les différents groupes sur lesquels ce pouvoir s’établit.
c) La ville est une œuvre au sens d’une œuvre d’art. L’espace n’est pas seulement organisé
et institué, il est aussi modelé, approprié par tel ou tel groupe, suivant ses exigences, son
éthique et son esthétique, c’est-à-dire son idéologie. » 306
Outre le mérite de synthétiser les postulats centraux de l’un des auteurs les plus influents sur
la pensée contemporaine de la ville 307 , la définition proposée fournit un point d’accroche
303
Ramadier, Thierry. "Transdisciplinarity and its challenges: the case of urban studies." Futures 36.4 (2004): 423-439.
304
Lefebvre Henri, Réflexions sur la politique de l’espace, Revue Espaces et sociétés, numéro 1, novembre 1970, p.3-13.
Déployé notamment à travers la revue Espaces et sociétés : critique internationale de l’aménagement, de l’architecture et de
l’urbanisme, cofondée par Henri Lefebvre et Anatole Kop en 1970.
305
306
Lefebvre Henri, La ville et l’urbain, Espaces et société, numéro 2, mars 1971, p. 4.
Voir en ce sens la relecture contemporaine de l′héritage la pensée sociologique critique française de la ville dans le
contexte anglo-saxon et inversement de la sociologie urbaine Nord-Américaine dans le contexte francophone :
Merrifield Andy, Henri Lefebvre, A critical introduction, Merrifield Andy (éd.) 2006; Mark Purcell, Excavating Lefebvre: The
right to the city and its urban politics of the inhabitant, Geography Journal, Vol. 58, No. 2/3, Social Transformation, Citizenship, and
307
146
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
convaincant en vue d’envisager l’empreinte contemporaine des études urbaines sur le gouvernement
des villes. La consolidation du « paradigme urbain » apporte un éclairage quant au phénomène
sociopolitique de représentation et d’étude des asentamientos. Représenter la ville émerge
simultanément comme un enjeu de pouvoir. La production à flux constant du discours scientifique
et technique sur la ville, par un subtil glissement, constitue près d’un demi-siècle après, un support et
un instrument incontournable de la gouvernance locale. Partant des sources d’informations
recueillies au fil de l’étude de cas, la chaîne de production des études urbaines, à l’échelle de
Guayaquil, compte a minima et en accès libre, sept sources « d’approvisionnement » recensées dans
l’encadré ci-dessous.
1— Cercle des organisations de la société civile locale et internationale
2— Cercle des autorités administratives et gouvernements autonomes décentralisés308
3— Cercle des organismes publics de planification et de recensement à l’échelle nationale
4— Cercle des organismes de coopération et développement régional
5— Cercle des organisations onusiennes
6— Cercle des universités locales et internationales
7— Cercle des bureaux et cabinets d’expertise privés, « think tanks »
De manière purement pratique et non hiérarchique, cette nébuleuse des sources participe, de
près ou de loin, au processus commun de production d’information à visée organisationnelle ou
administrative des asentamientos. Chaque cercle de recherche apporte au redécoupage de l’espace
intra-urbain. Telle ou telle école sera ainsi éligible ou non à un Programme d’éducation
environnementale extrascolaire financé par la coopération allemande. Tel ou tel bloc d’habitations
sera relié ou non aux réseaux d’assainissement géré par l’entreprise concessionnaire des réseaux
d’assainissement (Interagua), d’électricité (entreprise publique étatique), de télécommunications
the Right to the City , 2002, pp. 99-108, Costes Laurence, Le Droit à la ville d’Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientifique ?
Espaces et sociétés, n° 140-141, 2010, p. 177-191.
L’étude des asentamientos non consolidés fait désormais en Équateur l’objet d’une obligation légale et réglementaire.
L’article 75 de la récente loi organique d’ordonnancement territorial, usage et gestion du sol 308 énonce sur ce registre que
« les gouvernements autonomes décentralisés municipaux et métropolitains réaliseront une levée périodique d’information physique, social,
économique et légale de tous les asentamientos de fait localisés sur leur territoire (…) ». À l’échelle nationale la Secrétariat nationale de
planification et de développement (SNPD) et de l’institut national de statistique et de recensement produisent de même
des informations intéressant directement la réalisation des droits dans les asentamientos.
308
147
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
(entreprises privées et publiques), desservi ou non, par une coopérative de transports urbains, inscrit
ou non sur la feuille de route du service de collecte des déchets domestiques. Tel ou tel lotissement
sera assimilé ou non à la catégorie « convoitée » d′asentamiento consolidé par la mairie de Guayaquil,
objet ou non des mesures d’évictions gouvernementales dans le cadre de la politique de lutte contre
les invasions et les trafics de terre. L’écrit juridique sous sa forme normative ou contractuelle sert le
plus souvent de support en vue de consigner l’information technique ainsi produite. Le lien étroit
ainsi formé entre l’expertise technique sur la ville et l’expertise juridique vient progressivement à
constituer la pierre angulaire de la gouvernance urbaine.
Devant cette offre d’information exponentielle et la diversification des sources, « l’observation
d’appartement’309 » apparaît rapidement bien plus risquée qu’elle n’y paraît. La situation de dépendance
informationnelle des acteurs juridiques professionnels en vue de reconstituer un paysage
argumentatif ou interprétatif s’avère rapidement problématique310. Dans l’optique d’un travail sur et à
partir du phénomène de représentation technique et scientifique des asentamientos deux enjeux
fondamentaux seront abordés au fil des développements suivants : la validation des contenus
informationnels, en premier lieu (Section 1) ; l’observation du processus représentatif à la source et
le discernement du glissement idéologique vers l’informel, en second lieu (Section 2)
« L’observation d’appartement consistant à recourir à la méthode historico-comparative, aux statistiques de faits, aux documents et aux
études de cas (cas juridique, cas littéraire)» in : Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Direction des recherches 1961-1962,
Association corporative des étudiants de droit, rédigé d’après la sténotypie du cours avec l’autorisation de Jean
Carbonnier, sources: collection particulière, cité in, Véronique Champeil-Desplats, Méthodologie du droit et des sources
du droit, en particulier, p.242-243.
309
310
Sur la problématique de la représentation des asentamientos voir généralement : D Simon. 2011. « Situating Slums ».
City; 15:6 (674-685); P Arabindoo. 2011. “Rhetoric of the ‘slum’: Rethinking urban poverty”. City; 15:6 (636-646). DA
Ghertner. 2011. “The Nuisance of slums: Environmental law and the production of slum illegality in India”. In J Anjaria
and C McFarlane (eds), Urban Navigations: Politics, Space and the City in South Asia. New Delhi, Routlege, pp 23-49. A
Gilbert. 2007. “The Return of the Slum: Does Language matter?” International Journal of urban and Regional Research;
31(4):697-713. A.M Brousdelohoux, “Image Making, city Marketing, and the Aesthetization of Social Inequality in Rio
de Janeiro,” in Alsayyad, ed., Consuming Tradition, Manufacturing Heritage, p. 274; Roy, Ananya, “Transnational
Trespassing: the geopolitics of urban informality,” in Ananya Roy and Nezar Al-Sayyad, ed., Urban Informality,
Lexington Books, Lanham, 2004. Roy, Ananya. "Urban informality: toward an epistemology of planning." Journal of the
American Planning Association 71.2 (2005): 147-158.
148
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Section 1 Du terrain comme démarche de validation des contenus informationnels
-
Dans quelles conditions les discours sur la marginalité urbaine sont-ils produits et à quelles
fins ? S’inscrivent-ils dans le cadre d’une commande, d’un enseignement, d’une activité de
conseil ? Quels éléments d’ordre biographiques ou autobiographiques sont-ils perceptibles et
accessibles aux lecteurs ? L’auteur se réclame-t-il d’un mouvement de pensée sur le droit,
d’une mouvance politique, idéologique ou religieuse ?
-
Quelles auront été les conditions de format ou de fond « imposées » par l’éditeur et à quelles
fins ? Quels dispositifs de relecture, de correction séparent-ils le texte original de sa version
finale ? Quels sont les enjeux financiers associés à la production et à la diffusion de telle ou
telle recherche sur la croissance urbaine marginale ? ;
-
Les représentations de la croissance urbaine marginale ne relèvent-elles pas elles-mêmes
d’actes sociopolitiquement déterminés, conditionnés par l’accès aux études supérieures, à un
patrimoine, à une certaine disponibilité intellectuelle des auteurs, etc. ? Les représentations
des phénomènes juridiques au sein de l’espace urbain marginal, « l’étude du comportement
des opérateurs juridiques », ne seraient-ils pas de même conditionnés, « biaisés » par des
filtres d’ordre sociopolitiques ou culturels ?
Au détour de ces questionnements naissant, dressons un constat de départ d’ordre
empirique. Le contexte de production du discours sur la croissance urbaine marginale des villes du
Sud, « le terrain du terrain » demeure souvent posé tel un voile placé sur le processus de représentation
du réel dans la littérature juridique. Qu’il l’enseigne, l’écrive, la commente ou veille à sa mise en
œuvre, le centre de gravité de la réalisation du droit et a fortiori celui de son étude sont couramment
représentés comme gravitant autour de la norme juridique déployée dans le cadre de son
environnement systémique, le droit. L’entendement des situations individuelles ou collectives
relevant de l’ordre social, de la vie en société, tend, de fait, à être perçu d’un point de vue
épistémologique comme un phénomène périphérique au droit, une condition extérieure au
fonctionnement de l’ordre juridique. Celui-ci en retient seulement certaines séquences, des
configurations particulières estimées pertinentes dès lors que celles-ci sont porteuses de sens au
regard du système, de la norme juridique établie. Il est de coutume d’énoncer, en ce sens, que le droit
aurait une vocation naturelle à « s’appliquer au fait », que le juriste « traite le cas d’espèce ». C’est bien là,
149
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
semble-t-il, ce qui différencierait par ailleurs fondamentalement « l’atelier » du chercheur-juriste de
ceux du sociologue, de l’anthropologue ou du géographe contemporain. Chacune de ces disciplines
affirme une vocation commune à « travailler » à sa manière comme le ferronnier travaillerait le métal,
la connaissance du fait social urbain marginal. Elles cherchent à en saisir et à en restituer la matière.
Dans cet ordre d’idées, les sciences humaines et sociales, le champ des études urbaines en particulier,
contribuent et monopolisent, en un sens, l’exercice d’entendement des phénomènes sociaux qui se
produisent en milieu urbain marginal, la « réalisation du droit dans le contexte urbain marginal » inclue.
Poussant la logique, certains observateurs estiment qu’au cours de cette entreprise, les
représentations de la ville marginale divulguées en viennent à « coproduire l’ordre social ».
Autrement dit, les interprétations qu’elles en livrent seraient porteuses de sens auprès des acteurs
sociaux qui les intériorisent, les « reçoivent » consciemment ou non d’ailleurs. Situés aux confins de
cet engrenage de (re —) production ou de (co —) production de l’ordre social selon les points de
vue, les juristes adapteraient ainsi leurs comportements, leurs pratiques, leurs interprétations de la loi,
du système juridique dans son ensemble au contact de ces diverses représentations311. En tout état de
cause, le juriste n’apparaît dans ce schéma d’idée et, en règle générale, ni comme un interprète, ni
même comme un observateur potentiel du fait social « majoritaire ». Il apparaît plutôt, à l’inverse,
comme un sujet largement passif, « récepteur », à cet égard. Une telle distanciation se trouve d’autant
plus prégnante qu’à un second niveau de distanciation, les barrières disciplinaires érigées
symboliquement entre la pratique du droit, la recherche en droit et la recherche sur le droit demeurent
culturellement saillantes au regard des différentes traditions juridiques occidentales et européennes
en particulier.
La démarcation des lignes de pensée fondée sur une séparation d’objet disciplinaire entre la
science juridique d’un côté, les sciences de l’homme, de la société et les études urbaines, de l’autre,
établit en retour une distance épistémologique significative entre le champ de la recherche en droit et
celui de l’analyse des phénomènes sociaux. Sortir de ce propos, de ces divisions implicites des tâches
académiques revient pour le juriste à risquer la dilution de son champ de compétence gardée-la
réalisation du droit — et le pousserait, inversement, vers des sentiers inconnus aux frontières de la
311
R. Wohl and Anselm L. Strauss, Symbolic Representation and the Urban Milieu, American Journal of Sociology, The
University of Chicago Press, Vol. 63, No. 5, Mars 1958, pp. 523-532 Stable URL: http://www.jstor.org/stable/2773079 ;
Accessed: 11/06/2014 13:12.
150
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
transdisciplinarité. Tout porterait donc a priori à maintenir le statu quo, « chacun chez soi et dieu pour
tous » pour ainsi dire.
Seulement, et c’est ici l’enjeu analytique de fond, la synergie esquissée entre ces divers
champs disciplinaires ne convainc pas ou mal. Les cadres d’interprétation de la croissance urbaine
marginale des villes du Sud se révèlent, en substance, insuffisants et même trompeurs. Externaliser
l’analyse des dimensions sociopolitiques de la croissance urbaine marginale contribue dans les
circonstances décrites à désincarner, à saper en grande partie l’argument juridique d’une part de sa
légitimité, de son authenticité et in fine de son potentiel transformateur et novateur.
Le premier pan du dispositif mis en place à travers l’approche de terrain renvoie, en ce sens,
aux impératifs de réhabiliter, nourrir et fomenter un regard critique sur les représentations courantes
de la croissance urbaine marginale des villes du Sud. De telles représentations s’affirment au regard
de la formation et de la réalisation du droit comme des sources d’information, d’interprétation des
phénomènes sociaux urbains de premier ordre. Elles irriguent la pensée juridique. Cherchons dès
lors à instiguer à travers l’approche de terrain » une démarche de précaution méthodologique, de
traçabilité de l’information et des matériaux avec lesquels l’argument juridique se construit. Une
distance de sécurité avec un registre de connaissance constitué sur la base de données secondaires,
d’une lecture « médiatisée » des phénomènes sociaux, est instituée312 (en ce que le chercheur y accède
à travers le regard et une chaîne d’interprétation composée d’un ou de plusieurs tiers).
L’œuvre des législateurs, les manuels et traités, les encyclopédies, les recueils d’opinions, de
décisions et de jurisprudence, les revues et rapports institutionnels, les études de cas, la presse écrite
ou télévisée : ces « bibliothèques virtuelles » de la croissance urbaine marginale mondiale, accessibles
en un clic pour un nombre limité de chercheurs, tendent inexorablement à constituer la principale
voie d’accès à « la connaissance » présumée des réalités sociales. L’incidence et le poids des
représentations communes et courantes de l’espace urbain marginal circulant au sein des groupes
sociaux et des cercles dits « de pouvoir » ou « de gouvernance » prennent, eux-mêmes, les traits d’un
phénomène sociopolitique. Ce phénomène ne peut être discerné, explicité qu’à travers, non pas un
changement radical de perspective, mais plutôt une démarche de diversification et de densification
des sources d’interprétation du fait social en droit. Misant sur l’observation directe, sur l’immersion
312
En ce que le chercheur y accède à travers le regard et un chaine d’interprétation composée d’un ou de plusieurs tiers.
151
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
du juriste dans le contexte sociopolitique d’étude et de réalisation du droit, l’approche de terrain
présente paradoxalement un gage de recul. Elle exemplifie et potentialise à terme l’argument
juridique.
Ce changement de perspective constitue la première pierre angulaire du dispositif de
recherche retenu. La démarche associant l’étude de cas » à « l’approche de terrain » est précisée en deux
temps. Restituons la réversion, dans un premier temps, sur le plan théorique, dans la continuité
d’une pensée critique et contemporaine du rapport entre le droit et la société313 (A) puis, dans un
second, à travers un essai de recensement des principaux biais affectant les représentations littéraires
de la croissance urbaine marginale abordée comme contexte d’étude et de réalisation du droit (B).
C)
Situation de l’approche de terrain au regard de la pensée critique du rapport entre le droit et
la société
À travers le plaidoyer pour un « droit vivant » et définissant les fondements d’une sociologie du
droit, Eugen Ehrlich énonçait au début du siècle dernier une série de propos précurseurs au regard
des grandes évolutions de la pensée critique du droit contemporaine. Un tel propos prend
rapidement les traits d’une épistémologie d’avant-garde du fait juridique. L’extrait reproduit semble
d’une actualité largement intacte :
« Même dans le temps présent, comme à chaque époque, le centre de gravité du
développement du droit ne se trouve pas dans la législation, ni dans la science juridique, ni
dans la jurisprudence, mais dans la société elle-même »314.
En écartant l'éventualité d’une connaissance du « développement du droit », lui-même entendu
dans ce contexte littéraire comme un phénomène social, à travers la seule observation de la loi, de la
doctrine ou de la jurisprudence, l’auteur pointait déjà implicitement du doigt vers un déplacement,
ou, tout du moins, une circonscription questionnable des centres de gravité de l’étude du droit. La
critique adressée à ses contemporains, juristes et pionniers de la sociologie du droit, portait en effet
313
Instituto latinoamericano de servicios legales alternativos, Pluralismo jurídico y alternatividad judicial, El otro derecho, Bogotá Colombia
n°26-27, http://ilsa.org.co:81/biblioteca/dwnlds/od/elotrdr026-27/elotrdr026-27-00.pdf (dernier accès, 25 octubre 2011) ; LOBEL,
“Orly, The paradox of extralegal activism: critical legal consciousness and transformative politics”, Harvard Law Review, 2007, p. 937988.
314
Ehrlisch E, Grundlegung der Soziologie des Rechts, Duncker & Humblot, Berlin, 1913, p.38. Cité in Véronique ChampeilDesplats, Méthodologie du droit et des sources du droit, Dalloz, 2014, §277, p.172.
152
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
et de toute évidence sur les méthodes traditionnelles d’observation et d’interprétation du droit en
sociétés. Un siècle plus tard, l’idée d’un tel changement de coordonnées resituant l’observation, l’étude
et l’apprentissage de la matière juridique au cœur du « fait social » irrigue la pensée juridique.
Un rapprochement peut aisément être proposé en ce sens entre le discours pionnier sur le
« droit vivant » et les mouvements de pensée contemporains liés au réalisme juridique — Legal
realism315 —, aux théories critiques du droit — Critical legal studies316 —, au courant « droit et société »
— Law and Society mouvment -317, sans oublier les mouvances doctrinales « alternatives » et « cliniques »
bien enracinées en Amérique latine318. Invariablement, la réalisation du ou des droits en société y est
envisagée comme un phénomène sinueux et plurivoque. Un constat récurrent émerge : la
connaissance du fait juridique ne peut se former, s’acquérir ni se résumer à une vision éthérisée des
systèmes juridiques et de l’État. Une connaissance fonctionnelle, désincarnée de l’administration du
droit et de la justice ne peut suffire à embrasser pleinement les défis contemporains de la réalisation
du droit et des droits. C’est à l’inverse, et seulement au regard d’un champ de vision élargi qu’une
connaissance renouvelée du contexte local, des espaces et de situations juridiques individuelles ou
collectives « subjectives » semble envisageable.
Par conséquent, développer une approche méthodologique du fait de marginalité urbaine
« en droit » à partir d’un « paradigme de complexité 319 » ;
mettre en doute les simplifications, les
omissions ainsi que les fictions qui obscurcissent le rapport du droit à la territorialisation ;
315
Wilkins, David B. "Legal Realism for Lawyers." Harvard Law Review (1990): 468-524 ; Riccardo Guastini (traduction
Eric Millard), « Le réalisme juridique redéfini », Revus [Online], 19 | 2013 ; MILLARD Eric, « Le Réalisme scandinave et la
Théorie des contraintes », in: Michel Troper, Véronique Champeil-Desplats et Christophe Grzegorczyk, Théorie des contraintes
juridiques, Bruylant/LGDJ, 2005, p.150.
316
Posner Eric, « The regulation of social meaning », University Chicago law Review, Volume 62, 1995, p. 943.
317
FRIEDMAN Lawrence, “The law and society movement”, Stanford Law Review, 1986, p.763-780.
318
Correas, Oscar. "La teoría general del derecho y el derecho alternativo." El Otro Derecho 15 (1994): 61-74; Wolkmer,
Antonio Carlos. "Pluralismo jurídico, movimientos sociales y prácticas alternativas." El otro derecho 7 (1991): 29-46;
Pressburguer, Miguel. "Derecho insurgente: el derecho de los oprimidos." El otro derecho. 6. (1990).
Champeil-Desplats Véronique, L’Aménagement et dépassement des formalismes : l’attrait des sciences humaines et
sociales, Section 1, §4, §305, extrait de Méthodologie du droit et des sources du droit, Aménagement et dépassement des
formalismes : l’attrait des sciences humaines et sociales, Dalloz, 2014 Dalloz, 2014, p.187.
319
153
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
développer une connaissance de la norme au regard de son environnement sociohistorique 320 ,
politique, idéologique, économique et interculturel 321 ; redécouvrir enfin le pluralisme juridique
inhérent à la formation de la ville ; apparaissent rapidement comme des enjeux rémanents d’une
pratique de terrain. Jean-Louis Bergel observe sur ce registre que :
« En dépit de la permanence et de l’universalité de ses diverses finalités et de bon nombre
de ses ingrédients, le phénomène juridique se développe et évolue dans un contexte
temporel, géographique et social dont on ne peut le désolidariser. Même ceux qui se font
du droit une conception purement volontariste ou qui, rejetant tout déterminisme,
subliment le droit en une métaphysique inspirée de principes absolus, intemporels et
universels admettent l’influence du temps, de l’espace et des faits sociaux sur le droit.
Inversement, le droit objectif doit régir cet environnement, voir même tenter de le
modeler »322.
Sur le registre postmoderne, la sensibilité accrue aux phénomènes sociaux que le droit comme
sous-système entreprend de réguler ainsi que l’émergence d’un sujet capable d’observer le droit audelà l’état et la fenêtre d’un écran apparaissent comme une condition première d’adaptation de l’agir
juridique professionnel aux défis du monde majoritaire. L’acteur juridique professionnel est, semblet-il, inéluctablement porté à réduire, ou tout du moins, à questionner les distances ontologiques,
psychologiques, culturelles, mais aussi, et tout simplement, matérielles qui le séparent de sa
« fonction sociale » : contribuer à la réalisation du droit « en sociétés ». Les propos d’Eugen
Ehrlich sont, une nouvelle fois, limpides au regard de ces dimensions doctrinales et théoriques
longtemps inexploitées. Ce dernier invitait directement à :
320
GORDON, Robert W., “Critical legal histories”, Stanford Law Review, 1984, p. 57-125.
321
Van Hoecke and Warrington, Legal cultures, legal paradigms and legal doctrine: towards a new model for comparative
law, International and Comparative Law quarterly, volume 47, 1998, p.496 ; Ce dernier note “several authors have
recently advocated broader approaches to comparative law, and in doing so they attempt to move away from a "law as
rules" concept by using key concepts such as "tradition", "mentality "and "culture" Using such an approach they
essentially argue that law, and the understanding of law, involves much more than the mere reading of statutory rules
and judicial decisions. In other words, law cannot be understood unless it is placed in a broad historical, socio-economic,
psychological and ideological context.”
Bergel Jean-Louis, Théorie générale du droit, Titre 2, L’environnement du droit, §93, Méthodes du droit, Dalloz, 5e
édition.
322
154
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« l’observation directe de la vie sociale, des transformations, des habitudes, des usages de
tous groupes, non seulement de ceux reconnus juridiquement, mais aussi des groupes
ignorés ou négligés par le droit et enfin des groupes condamnés par lui »323.
Si ce n’est tout d’abord le rapprochement explicite entre la mention d’une « observation directe »
de la vie sociale et ce qui se profile, au loin, comme une éventuelle méthode ou « approche de
terrain », c’est ensuite la référence aux « groupes ignorés, négligés ou condamnés par le droit » qui paraît
porteuse de sens. Observer et prétendre au déploiement des pratiques du droit, c’est aussi à la lecture
de ce bref passage, observer et apprendre à composer avec ses inflexions, ses aspérités, avec le
caractère éventuellement discriminatoire et traumatisant de sa mise en œuvre. La croissance urbaine
marginale des villes du Sud, tout comme d’ailleurs l’activité d’observation des usages et pratiques
professionnels, constitue, en tout état de cause, deux textures inexplorées que le vécu individuel,
« l’observation directe » et in fine « une science du contexte » contribuent à découvrir.
Or c’est bien à ce point du raisonnement que les méthodes et techniques « classiques » ou
« traditionnelles » d’appréhension et de restitution des faits sociaux en droit apparaissent comme des
points d’inflexion éventuels du raisonnement juridique sur la croissance urbaine marginale des Pays
du Sud. La pensée critique du fait urbain marginal s’inscrit dans une continuité logique et pratique
avec la pensée critique des usages et pratiques professionnels dans l’orbite de la territorialisation. Elle
en assurerait même, à terme, une certaine pérennité, prévient un assèchement déjà constaté. La
place des opérations courantes d’interprétation, de rationalisation et en somme de « trituration » du
fait social nécessaires à la constitution d’un point de vue structurant quant aux représentations des
« asentamientos humanos irréguliers » ne relève pas de l’évidence. Au contraire, la projection de l’« état de
fait » fait bien souvent figure de « terre ferme » de la pensée et du raisonnement juridiques324. La
discussion soulevée en ces termes ne constituerait pas un enjeu visible ni au regard des pratiques de
recherche, ni d’ailleurs au regard de l’enseignement du droit.
E. Ehrlisch cité in Champeil-Desplats Véronique, La simplification des phénomènes juridiques (B), l’aveuglement face
à la réalité des sources du droit (1), le droit, produit social : du droit vivant au pluralisme juridique (a), ouvrage
Méthodologie du droit et des sources du droit, Aménagement et dépassement des formalismes : l’attrait des sciences
humaines et sociales, Dalloz, 2014, §277, p.172.
323
324
Voir en ce sens la référence à la distinction fondamentale entre les faits et les valeurs exposée à travers la Loi de
Hume : Champeil-Desplats Véronique, Méthodologie du droit et des sources du droit, Les soubassements formalistes
des méthodologies juridiques, La séparation des faits et des valeurs §.2, Dalloz, 2014, p.112-113.
155
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Proposons, dans la lignée de la crainte soulevée, de mettre en évidence et de retenir a minima
une série de biais couramment associés aux phénomènes de représentations « hors-sol » de la
croissance urbaine marginale.
D)
Recensement des principaux biais attachés au travail de représentation de la croissance
urbaine marginale
L’observation de terrain contribue sur ce point à poser des jalons pour la formation d’un critère
analytique. La démarche contribue en ce sens à établir une distance critique entre l’acteur juridique
professionnel et l’univers des représentations littéraires de la marginalité urbaine des villes du Sud —
l’extension discursive de la marginalité urbaine dans l’espace public —.
Deux biais méthodologiques, susceptibles d’affecter l’acte de représenter et, dans un même
temps, celui d’appropriation du contexte, seront considérés au fil des propos suivants : le premier
relève de l’empirisme — au sens commun de « procédé par tâtonnement, dénué de rigueur scientifique 325 » —
(1) alors que le second relève de l’instrumentalisme de la représentation contextuelle (2).
3)
L’empirisme
L’appréhension des « asentamientos » comme contexte d’étude et de réalisation du droit ne fait que
rarement l’objet d’une démarche consciente et explicite pour le juriste. La situation d’émetteur ou de
récepteur d’information contextuelle n’est pas remise en question. L’empirisme généralement attaché
au traitement de cette information et, plus spécifiquement, du large éventail des représentations,
discours et imaginaires de la marginalité urbaine est d’autant plus problématique que les
asentamientos ne constituent pas, sauf exception, un cadre de travail ordinaire pour les acteurs
juridiques professionnels. Approfondissant ces observations préliminaires le biais « empirique » sera
envisagé ci-dessous à un double niveau.
À un premier niveau d’empirisme envisagé, le plus courant probablement, le questionnement
est simplement déserté, absent du discours juridique. La scientificité du propos sur la croissance
urbaine marginale des villes du Sud se trouve, dans un tel cas de figure, simplement présumée sur la
Le dictionnaire Larousse définit l’empirisme comme ce « qui s'attache exclusivement à l'observation et au classement
des données sans l'intervention d'un système ou d'une théorie a priori. Qui manque de rigueur scientifique, qui procède
par tâtonnements. ». Larousse online, 2016.
325
156
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
base d’une série limitée de références bibliographiques concordantes. Il semble possible, en ce sens,
de retenir que l’appréhension des « faits pertinents » et, avec elle, l’opération de catégorisationqualification juridique des faits s’effectue, pour l’essentiel, sur la base d’une approche « externalisée »
des réalités sociales et des situations juridiques individuelles. La norme de scientificité se limite alors
à citer l’auteur ou l’institution la plus « cooptée » par un cercle de pairs, à évoquer le « rapport » de
telle ou telle institution. L’argument juridique s’appuie ici sur des représentations « clé en main » du
contexte urbain marginal. « Rupture avec la norme sociale d’occupation ou d’usage du sol urbain », d’une part,
« rupture avec la norme sociale de réalisation de l’individu au sein d’une société locale ou du cercle élargi de
l’humanité », d’autre part : voilà, semble-t-il, les pôles d’interprétation les plus fréquemment sollicités
pour entreprendre le droit dans l’orbite du phénomène majoritaire. Reprenant le thème de la
« Parabole des aveugles », la tendance redoutée est celle de la réification du contexte au sens d’un
processus de banalisation et de standardisation du propos. C’est bien, en somme, le risque de tomber
dans la caricature des conditions de vie d’un septième de la population mondiale qui se profile. Sur le
volet des solutions méthodologiques, Ben Fritpack propose d’ériger l’expérience, par exemple et sur
un registre voisin, en condition de l’activité de théorisation juridique :
« Nous reconnaissons le processus de théorisation pour ce qu’il est fort heureusement : un
commencement qui n’est pas particulièrement systématique, où nos institutions et nos
premières constructions de données interagissent de manière symbiotique pour produire une
sorte d’hypothèse contingente, qui est reconstruite de manière de plus en plus systématique
à mesure que sont construites les données. Dans ce cadre épistémologique, le rôle de la
recherche empirique dans la formation de la théorie juridique va heureusement de soi. En
réévaluant et en revitalisant les relations entre recherche empirique et construction
théorique, nous pouvons parvenir à une position où l’espace discursif qui existe entre les
conceptions structurelle et postmoderne du droit peut être comblé. En réanthropologisant
notre étude du droit, nous devenons capables à la fois de parler et, de manière tout aussi
importante, d’entendre le droit de manière différente. Il est possible, à travers cette
approche, de porter le droit et notre compréhension de celui-ci à un niveau significativement
pratique et utile, où le droit, comme il est “vécu” — en italique dans le texte original —
comme il “fonctionne” — idem —, peut être exprimé clairement »326.
326
Fitzpatrick, Ben. "Vers une «théorie expérientielle» du droit." Droit et société 36.1 (1997): 299.
157
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Au second niveau de dérive envisagé, l’enjeu critique tiendra cette fois au constat d’une
difficulté ou d’un renoncement des acteurs juridiques professionnels à saisir la marginalité urbaine
dans sa dimension phénoménologique, globale ou comparative. Le travail de contextualisation bute
ou échoue sur une difficulté non résolue. L’apport de la recherche, du parcours expérientiel, ne fait
pas lui-même l’objet d’un travail de contextualisation nécessaire ou propice à son extrapolation.
Jean-Yves Rochex envisage sur ce registre et plus précisément une double opération de
« décontextualisation » :
-
« décontextulation horizontale », en premier lieu, relevant de « mises en relation, de
comparaisons d’expériences ou de situations passées ou présentes se situant sur une même
échelle d’historicité » et visant à pouvoir « mieux anticiper, par l’élaboration et le déplacement
de sens et/ou d’affects, ou par la production de concepts, sur des situations à venir » ;
-
« décontextualisation verticale », en second lieu, qui s’attacherait ensuite à « reconstruire
l’historicité des singularités qui sont objet d’étude, à en penser la genèse et les contradictions
en lien avec celles des contextes sociohistoriques et socio-institutionnels dans lesquels elles
s’inscrivent » et s’efforcerait finalement « d’élaborer des principes et des cadres théoriques qui
permettent la description et l’analyse des relations entre les microrencontres ou expériences
et leurs macro-contextes327 ».
C’est en somme et a contrario par et comme suite à un échec du mouvement de formulation,
remontée et partage de l’expérience que l’empirisme refait surface. Le phénomène interfère avec le
travail de contextualisation. Un décalage pathogène s’immisce entre le contexte d’émission et le
contexte de réception de l’information contextuelle.
Poursuivant l’analyse, c’est ensuite l’absence de regard critique sur l’origine et la diversité des
intérêts attachés à la production du discours sur la croissance urbaine marginale des villes du Sud qui
doit être envisagée.
327
Jean-Yves Rochex, « Approches cliniques et recherche en éducation », Recherche et formation [En ligne], 65 | 2010,
mis en ligne le 01 septembre 2014. URL : http://rechercheformation.revues.org/165
158
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
4)
L’instrumentalisation des faits de marginalité urbaine
Le droit comme système de régulation sociale à taille humaine demeure, dans son ensemble
et par nature, traversé par des contraintes sociales, des intentions, des croyances et, en somme, par
une série d’enjeux tenant à la rencontre circonstanciée de ses acteurs sur l’échiquier social. Usages et
pratiques professionnels du droit constituent, souvent et par eux-mêmes, des vecteurs
d’expression et d’affirmation du pouvoir envisagés sous toutes ses formes : politique, économique,
idéologique, patriarcal… Le travail juridique relais, à l’inverse, des intentions de résistance au sein
d’un espace donné 328 , participe à la conquête des droits. Il semble inéluctable dès lors que la
connaissance du fait social, sa restitution comme point d’ancrage de l’argument ou de l’interprétation
juridique est elle-même sujette à des tensions du même ordre. En un mot, le constat quant à la
dimension sociopolitique des usages et des pratiques du droit en sociétés se transpose, en toute
logique, à la lecture et l’interprétation des faits sociaux « en droit ». Sur la question spécifique, de la
formation des fictions juridiques Jean-Louis Bergel observe de manière illustrative :
« L’appréciation de l’utilité des résultats auxquels doivent conduire les fictions relève
souvent, en effet, de la volonté de satisfaire une idéologie particulière, de promouvoir un
certain ordre social, de favoriser certains intérêts ou d’atteindre des fins considérées comme
justes, mais dont la détermination et l’appréciation sont éminemment variables selon les
convictions de chacun »329.
Les termes de « représentation » des asentamientos, « de mise en scène » des taudis prennent sous
cet aspect leur signification sans doute la plus authentique. Henri Lefebvre, invitait déjà à mettre en
cause radicalement toute prétention de scientificité attachée à la représentation de l’espace. L’auteur
exposait en ce sens :
« Or maintenant, il apparaît que l’espace est politique. L’espace n’est pas un objet
scientifique détourné par l’idéologie ou par la politique ; il a toujours été politique et
stratégique [...] L’espace a été façonné, modelé, à partir d’éléments historiques ou
328
Chazel F., Du pouvoir à la contestation, le concept de pouvoir, Droit et société, volume 36, 2003, p.21-65.
329
, BERGEL Jean-Louis, Le Rôle Des Fictions Dans Le Système juridique, McGill Law Journal, 1987, vol. 33, p. 374.
159
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
naturels, mais politiquement. L’espace est politique et idéologique. Il y a une idéologie de
l’espace. »330
James Holston sur un registre similaire observe quant à lui :
« Leurs identités, modes, formes, catégories et types se recombinent dans la matière grise des rues. Les récits de
la ville sont, par conséquent, à la fois évidents et énigmatiques. Les connaître relève, toujours, de
l’expérimental » 331.(traduction personnelle).
Qu’il s’agisse du magistrat, de l’avocat, des usagers du droit, de l’administration publique, et
plus généralement du cercle élargi des « opérateurs juridiques » : l’exposition à une telle tension ne
peut, en tout état de cause, être totalement exclue. Les flux d’informations « convergentes » sur la vie
au sein du « taudis » auront intuitivement vocation à être exploités, stylisés, formatés et optimisés au
service de l’argument juridique par certains ; les flux d’informations « divergentes » auront, quant à
eux, intuitivement vocation à être ignorés, écartés, nuancés au fil de l’argumentation juridique par
d’autres.
Le « fait social », « les circonstances de fait » aux prises avec le jeu des intentions, des luttes
sociales deviennent eux-mêmes et, une nouvelle fois en toute logique, des enjeux de lutte à
proprement parler dans le champ des usages et pratiques professionnelles. La lecture des
phénomènes sociaux associés à la marginalité urbaine comme, par exemple, ceux de la « pauvreté »,
de la « vulnérabilité » devront nécessairement être considérés à travers le moule des intérêts associés
à l’opération de catégorisation.
Le principe coutumier d’ordre procédural consistant à établir les faits par la preuve, son
régime procédural d’administration, ne trouve, en dehors de l’enceinte judiciaire, qu’un écho très
lointain. « En sociétés », les représentations de la croissance urbaine marginale tendent, autrement
dit, à circuler sans astreintes et tout particulièrement dans le cadre du discours juridique et des
politiques de gouvernance locales. Il existerait même potentiellement, sous cet angle, de vue autant
330
LEFEBVRE Henri, Espace et politique, Paris, Anthropos, 1972, p.187.
Citation originale: “Their identities, modes, forms, categories and types recombine in the gray matter of streets. City narratives are as a
result, both evident and enigmatic. Knowing them is always experimental.», in Holston James, Spaces of insurgent Citizenship, extrait de
Making the Invisible Visible: a Multicultural Planning History, Berkeley University of California Press, Leonie Sandercock,
(ed.), 1998, p.37-56.
331
160
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
de représentations « exactes » et « authentiques » du contexte de réalisation du droit que de centres
d’intérêts manifestés ou détectés. La question de l’éthique méthodologique point à l’horizon d’un
éventail de discours mobilisant la prétention de scientificité, réclamant un pouvoir de représentation
du réel.
Deux
exemples
contribuent
à
assoir
une
telle
observation
quant
au
risque
d’instrumentalisation des représentations de la croissance urbaine marginale en droit.
Référons-nous tout d’abord au cas de la restitution du contexte urbain marginal de (non — )
réalisation du droit dans le cadre du montage et de la coordination de projets de développement
local. Un projet intitulé « « L’expansionnisme juridique de voisinage à Mendoza’332est brièvement considéré
à titre illustratif. L’objectif général du projet établi était de “répondre aux attentes citoyennes et aux besoins
d’éducation civique, de création d’espaces pour le débat démocratique, d’enseignement général quant au fonctionnement
des institutions et des organismes compétents auprès desquels la justice ou une assistance peuvent être requises”. Le
même projet établissait comme situation de fait préalable à son exécution la série de points suivants :
-
“Différence claire dans l’accès des citoyens aux connaissances, entre ceux qui possèdent le savoir et ceux qui ne
le possèdent pas ;
-
Apathie générale des populations vulnérables : absence de volonté quant à la défense de leurs droits et à
l’exercice de leurs devoirs ;
-
Faiblesse des espaces vulnérables face aux détenteurs du pouvoir politique, légal ou financier
-
Intérêt limité de l’Etat quant aux besoins des citoyens et dans la promotion d’actions représentant une
amélioration de leurs ‘styles de vie’ ;
-
L’ensemble des facteurs mentionnés contribuent à une société fragmentée incapable de considérer un projet
social collectif.”
L’objectif de fond poursuivi par tel ou tel projet peut paraître légitime en tous points. La
sélection de l’information pertinente et la restitution du contexte social urbain marginal “justifiant”
la proposition ou bien l’exécution du projet demeurent sujettes à plusieurs contraintes. Leur impact
"Claudia Cedrón, Adriana Gamez, Mariana Montenegro y Lucía Temporini, “ Del derecho a los derechos" La
experiencia
del
extensionismo
juridico
vecinal
en
Mendoza
Argentina.,
El
Agora:
http://www.elagora.org.ar/site/documentos/Estudio-de-Caso-Extensionismo.pdf
332
161
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
n’est pour ainsi dire que rarement mis en cause ou mesuré. Le propos soutenu à travers cet exemple
relève bien d’une mise sous tension de “la fabrique” du contexte urbain marginal. Une série de
facteurs établis en amont comme en aval de l’opération de restitution du contexte d’étude et de
réalisation du droit sont considérés.
En amont du projet, un processus “d’enclicage” du “juriste-rédacteur” et plus généralement
des “informateurs privilégiés” de toute une chaine de productions scientifique qui gravite dans
l’environnement direct du projet “de terrain” doit nécessairement être envisagé. La restitution du
contexte urbain marginal évoquée dans l’exemple ci-dessus comme un espace “délaissé”,
“discriminatoire”, “désincarné”, s’effectue par le canal de certains réseaux, de groupes d’intérêts
particuliers. Les organisations non gouvernementales, institutions publiques locales, associations et
groupements d’habitants organisés en viennent, en réalité et au titre de “l’intérêt public”, à composer
de manière permanente entre leur propre agenda privé et un agenda “institutionnel” qui correspond
à celui d’un bailleur de fonds et plus généralement de l’ensemble des récepteurs de l’information
“contextuelle”. L’information produite et divulguée dans ces circonstances répond directement, en
ce sens, à un cahier des charges déterminé dans le cadre d’un concours d’accès à des fonds
compétitifs. Les lignes directrices de l’accès à ces fonds sont elles-mêmes élaborées sur la base d’une
stratégie politique de développement et d’une approche “de gouvernance internationale” des réalités
locales.
En aval du projet, les productions académiques sont souvent elles-mêmes “commanditées”.
Elles constituent en d’autres termes une condition de la finalisation du projet, un témoignage de “sa
pleine exécution”. En somme, la contrainte consistant à produire une information scientifique quant
à l’impact, la portée éventuellement transformatrice du projet exécuté vient s’ajouter aux contraintes
déjà existantes liées à la politique interne des universités, à des impératifs de rendement des
enseignants-chercheurs, à des systèmes d’évaluations et d’indicateurs internes plus ou moins
contraignants. En guise de synthèse, le biais instrumental ou finaliste ne semble pas pouvoir être
écarté de prime abord. Où que l’on porte le regard quant aux méthodes d’interprétation du fait social
urbain marginal, le doute plane. 333
333
GABEL, Peter et MICHAUT, F, Critical Legal Studies et la pratique juridique: la conception de la culture juridique et
de la pratique du droit comme interventions culturelles, Droit et Société, 1997, vol. 36, p. 37-1997.
162
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Une seconde illustration quant à la sensibilité du dispositif de production des connaissances
factuelles sur la croissance urbaine marginale des villes du Sud semble clairement perceptible au
regard d’un questionnement juridique récent soulevé dans le sillon du développement des activités
dites de “tourisme social”. Le cas des “favela tours”, conduisant des groupes de touristes à sillonner
des circuits de découverte des favelas de Rio de Janeiro demeure largement emblématique de cette
tendance334. Il semble aussi possible de relever la création d’une offre de volontariats internationaux,
de bénévolats, de stages dans le contexte urbain marginal, moyennant une contribution financière
des candidats au départ. Si, sur le fond et sans entrer dans le débat, le problème juridique s’échafaude
sur la tension évidente entre la liberté d’entreprendre, une logique de marché, d’une part, les droits
fondamentaux (notamment, la protection de la vie privée ou le droit à l'image des habitants), d’autre
part, il est aisé d’apercevoir à quel point l’interprétation et la représentation du contexte urbain
marginal constituent des étapes cruciales pour le développement de l’argument juridique. Dans le
premier cas de figure, le contexte urbain marginal tend à être représenté comme un phénomène
“extraordinaire”, extrême, risqué, dans le second cas de figure, comme un habitat, un espace urbain
de vie quotidienne.
Retenons, pour conclure sur ce point, que les biais ainsi balisés représentent autant d’écueils
attachés aux représentations courantes du fait social en droit, et se présentent par extension, comme
autant d’éléments perturbateurs au regard de l’étude et de la réalisation du droit en périphérie
urbaine. Dans l’optique d’une approche méthodologique, il semblerait inconcevable de ne pas
souligner la volatilité attachée à la production desdits “indicateurs sociaux” qui s’étend aux
soubassements du discours juridique. La malléabilité des représentations du fait social invite a minima
à mettre en doute nos paradigmes et présupposés de recherche. Dès lors que ces biais sont
inévitables, qu’ils rejaillissent de manière constante sur le raisonnement et le travail juridiques, les
nier ou les occulter renvoie inexorablement à une forme d’aveuglement. Les sublimer relève, à
l’inverse, du renoncement à la scientificité du raisonnement juridique. Toute éventualité d’une
connaissance “qualitative” de la croissance urbaine marginale au service de l’agir juridique serait
rejetée.
334
ROLFES Manfred, Poverty tourism: theoretical reflections and empirical findings regarding an extraordinary form of
tourism, GeoJournal, vol. 75, No. 5, 2010, p.421-442, ; MESCHKANK Julia, Investigations into slum tourism in
Mumbai: poverty tourism and the tensions between different constructions of reality, GeoJournal, vol. 76, No. 1, 2011p,
47-62.
163
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Une issue possible dans de telles circonstances serait de se tourner vers des stratégies de
gestion de tels biais, multiplier les techniques de contournement permettant, à terme, d’assouplir et
de fluidifier la lecture des faits de marginalité urbaine. Cette mise en perspective et la distanciation
nécessaire quant à la “mise en scène” sont propices au renouvellement des questionnements
méthodologiques, à la recherche permanente d’une démarche “expérimentale” et à un changement des
coordonnées 335 de la recherche en droit. Une telle démarche s’oppose par principe à toute mesure
d’évitement, de simplification ou de compromission touchant à la représentation des faits sociaux
comme contexte de réalisation du droit.
Loin du mythe ou du roman anthropologique, l’enquête de terrain émerge dans ce contexte
comme une approche raisonnée et stratégique en vue de rétroalimenter la connaissance du “fait
social” en droit. Favorisant l’émergence d’une alternative des points de vue, assurant une vigilance
méthodologique renforcée, le propos sur “l’enquête de terrain” évoqué s’inscrit au cœur d’une
politique de recherche336. L’observation de terrain » se profile non pas seulement sous les traits d'une
démarche critique. Elle émerge aussi comme une « science du contexte » à part entière.
Section 2 Du terrain comme point d’observation des phénomènes représentatifs « à la
source » : le discernement du glissement idéologique
Christian Courtis définit les lignes directrices d’une « analyse idéologique du droit » —
« Lineamientos de análisis ideológico del derecho 337 » —. La pertinence de cet axe de recherche en vue
d’appréhender la pratique et la production discursive des acteurs du développement local semble
assez capitale. L’idéologie s’y trouve classiquement appréhendée comme « une manière de voir,
d’appréhender, d’interpréter, d’apprécier, de symboliser ou de produire du sens »338. L’approche retenue s’inscrit
335
PISARELLO GERARDO, Los derechos sociales y sus garantías: notas para una mirada "desde abajo", extrait de La
protección judicial de los derechos sociales, Christian Courtis y Ramiro Avila Santamaria (eds.), Serie Justicia y derechos
humanos, Neo-constitucionalismo y sociedad, 1ra edición, octubre 2009, p.31-55.
336
Olivier de Sardan Jean-Pierre, La politique du terrain, Enquête, n°1, 1995, mis en ligne le 10 juillet 2013, consulté le 08
avril 2014. URL : http://enquete.revues.org/263.
Courtis Christian, Detras de la ley. Lineamientos de análisis ideológico del derecho, extrait de l’ouvrage, Observar la
ley, ensayos sobre metodología de la investigación jurídica, Edición de Christian Courtis,Trotta, 2006 p.349-392.
337
Citation complète : « Au-delà de la portée variable assignée au terme [l’idéologie], il existe dans chacune des approches
du terme [d’un côté à « l’approche classique ou neutre » et de l’autre à « l’approche critique ou négative »] une manière
de voir, d’appréhender, d’interpréter, d’apprécier, de symboliser ou de produire du sens sur la réalité, le monde ou tout
338
164
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
dans la continuité de définitions classiques de l’idéologie comme « système global d’interprétation du monde
historico-politique339 », manifestation du « particularisme des points de vue340 » ou encore comme :
« Un système (possédant sa logique et sa rigueur propres) de représentation (images,
mythes, idées ou concepts selon les cas) doué d’une existence et d’un rôle historiques au
sein d’une société donnée. Sans entrer dans le problème des rapports d’une science à son
passé (idéologique), disons que l’idéologie comme système de représentation se distingue de
la science en ce que la fonction pratico sociale l’emporte en elle sur la fonction théorique
(ou fonction de connaissance) » (L. Althusser, Pour Marx).341
Poursuivant avec la proposition centrale de Christian Courtis, la clé de lecture se trouve
reproduite ci-dessous et reprise dans ses grandes lignes en guise de propos introductifs :
« Indépendamment de la conception idéologique adoptée, l’analyse du droit sous le prisme
idéologique peut être appliquée à différents objets ou niveaux de discours (…) Au moins
trois d’entre eux doivent être signalés : les normes juridiques, le produit discursif des
opérateurs du droit, comme les juges, procureurs et avocats — de manière
paradigmatique, la jurisprudence — et le produit discursif des juristes — de manière
paradigmatique, la dogmatique et la doctrine juridique —. Au-delà de la continuité entre
ces différents niveaux de discours, il est possible de signaler certaines spécificités propres à
chacun et pour lesquelles l’analyse idéologique gagne en pertinence.
- Au regard des normes juridiques, les aspects pour lesquels l’analyse de la dimension
idéologique semble la plus fertile (…) renvoient au contenu matériel des normes, à celui de
du moins une partie de ceux-ci… » Courtis Christian, Detras de la ley. Lineamientos de análisis ideológico del derecho,
extrait de l’ouvrage, Observar la ley, ensayos sobre metodología de la investigación jurídica, Edición de Christian Courtis,
Trotta, 2006, p.350.
339
R. Aron, Trois essais sur l'âge industriel, Pion, 1966 Cité in : Joseph GABEL, « IDÉOLOGIE », Encyclopædia Universalis,
consulté le 17 décembre 2013.
340
RICOEUR Paul, Science et idéologie, Revue philosophique de Louvain, 1974, vol. 72, no 14, p. 328-356.
341
Althusser L., Pour Marx, Maspero, 1966, p. 266, cité in : Caire Guy, « Idéologies du développement et développement
de l'idéologie », Tiers-Monde. 1974, tome 15, n°57Cité in : Joseph GABEL, « IDÉOLOGIE », Encyclopædia
Universalis, consulté le 17 décembre 2013. Joseph GABEL, « IDÉOLOGIE », Encyclopædia Universalis [en ligne],
consulté le 17 décembre 2013. URL : http://www.universalis-edu.com.faraway.u-paris10.fr/encyclopedie/ideologie/
165
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
la forme du droit — la forma del derecho — et des possibles déséquilibres entre les fins et
l’efficacité des normes
— Au regard de la production discursive des opérateurs du droit, et en particulier, de la
jurisprudence ou du droit judiciaire, l’aspect central est celui de la construction des
décisions quand intercèdent des espaces d’indétermination ou de choix discrétionnaire au
vu de l’interprétation des normes que ces opérateurs sont appelés à appliquer.
- Au regard de la dogmatique ou de la doctrine juridique, les aspects qui ressortent comme
spécialement enclins à être lus à partir de leur dimension idéologique sont l’élaboration et
la proposition de points de vue, de catégories et de “théories” destinées à systématiser, à
interpréter et à opérer sur les normes, le travail de commentaire et d’analyse des normes et
de la jurisprudence, et les propositions de création ou de modification des normes, c’est-àdire, les formulations de “lege feranda” de la dogmatique» 342.
La trame idéologique des usages et pratiques du droit en société s’observe de manière
largement transversale à la lecture de ce bref exposé. Ordre et science juridique, processus classiques
de formation du droit — production de la norme juridique, jurisprudence et doctrine juridique —, de même
que l’usage « légitime » de la contrainte sociale au sein des asentamientos urbains — le gouvernement par
et avec le droit, l’État de droit » — apparaissent ici traversés par un même prisme. L’idéologie interfère
avec le processus de formation des normes juridiques, imprègne leur interprétation et l’éventail des
expressions jurisprudentielles — « l’idéologie normative des juges 343 » —. Le phénomène ressurgit, en
Courtis Christian, Detras de la ley. Lineamientos de análisis ideológico del derecho, extrait de l’ouvrage, Observar la ley, ensayos
sobre metodología de la investigación jurídica, Edición de Christian Courtis,Trotta, 2006 p.351-352.
342
343
Alf Ross: « A national law system is not only a vast multiplicity of norms, but it is at the same time subject to a
continuous process of evolution. In each case, therefore, the judge has to thread his way through to the norm of conduct
which he needs as the basis for his decision. If, in spite of all, prediction is possible, it must be because the mental
process by which the judge decides to base is decision on one rule rather than another is not a capricious and arbitrary
matter, varying from one judge to another, but a process determined by attitudes and concepts, a common normative
ideology, present and active in the minds of judges when they act in their capacity as judges. It is true that we cannot
observe directly what takes place in the mind of the judge, but it is possible to construct hypotheses concerning it, and
their value can be tested simply by observing whether prediction based on them have come true.” Alf Ross, On law and
justice, The law book exchange, Clark, New Jersey, 2004, p.75. Voir aussi: Riccardo GUASTINI, « Alf Ross : une théorie
du droit et de la science juridique », in Paul AMSELEK (sous la dir.), Théorie du droit et science, Paris, PUF, 1994, p.
249.p. 264 cité in : CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, Alf Ross: droit et logique. Droit et société, 2002, no 1, p. 2942.
166
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
d’autres termes, sur toute une chaîne des pratiques décisionnelles, interprétatives ou argumentatives
venant à conformer l’architecture centrale des usages et pratiques professionnels du droit. Plus
fondamentalement encore l’idéologie représente une clé de lecture historique permettant d’aborder
la formation, la diversification de même que l’entrée en concurrence des systèmes juridiques.
Philippe Malaurie et Patrick Morvan qualifient sur un registre voisin le « droit objectif », de « droit
politique » et notent en ce sens : « Le droit est lui-même le reflet et sous la dépendance des systèmes politiques, des
idéologies et des principes fondateurs — moraux et philosophiques — de la société qu’il régit.344 ».
Le discernement et l’analyse de cette résonnance des phénomènes idéologiques dans
l’enceinte du droit apparaissent comme une problématique désormais classique et éventuellement
fondatrice au regard de l’aspiration à la scientificité juridique. Son extension dans le champ de la
représentation des faits de marginalité urbaine apparaît, une fois encore, en point d’étape logique au
vu de l’entreprise de contextualisation.
S’appuyant toujours sur le cas guayaquileño la rémanence du phénomène idéologique au regard de
l’acte d’observation et de restitution des faits de marginalité urbaine sera envisagée à un double
égard :
-
l’intersection, premièrement, avec des « idéologies du développement » (A) ;
-
l’intersection, deuxièmement, avec « l’idéologie humanitaire345 » (B).
344
Malaurie et Morvan, Introduction générale au droit, 3e édition, Defrénois-Lextenso éd, 2009, voir en particulier « Les
droits subjectifs », Section III du Chapitre I (Le droit est un phénomène social et normatif), p.17 et suiv. Dans le même
sens les professeures Frug et Baron partagen une intuition très claire“We offer this analysis tentatively, aware that it is
too early to conclude definitively whether international local government law has an agenda-let alone a self-conscious
agenda-for the world's cities. It may be that international local government law is better described as embracing a variety
of contradictory (and inchoate) ideas regarding city life. It may even be that there are sufficient counter-examples to
suggest that a different idea of the city-including an opposite one-animates international local government law. Frug et
Barron (2006) ».
L’expression consacrée est empruntée à Bernard Hours Hours, Bernard. L'idéologie humanitaire ou le spectacle de l'altérité
perdue. L’Harmattan, 1998 ; du même auteur : Hours, Bernard. "L’idéologie humanitaire. Anthropophage de
l’altérité." Journal des anthropologues. Association française des anthropologues 77-78 (1999): 277-284.
345
167
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
E)
Les idéologies du développement
« Les taudis sont les manifestations physiques et spatiales de la pauvreté urbaine et des
inégalités intra-urbaines » (UN-Habitat, 2003) ».
« Les Établissements informels désignent des établissements humains/voisinages où
l’occupation du sol n’est pas conforme aux obligations afférentes au régime foncier, à la
configuration (dans le sens de planification), à la construction, aux services (basiques)
et/ou au régime fiscal. Il existe deux types d’établissements informels qui peuvent être
distingués selon le type de développement entrepris 346 : le premier est la spéculation
immobilière non autorisée -en général de terrains privés — où le sol fait l’objet de
subdivisions illégales, en règle générale par les agents immobiliers informels, et vendus par
lots. Le second type d’établissements informels est le squat de terrains publics ou privés.
Dans la mesure où la terre a été illégalement occupée et que l’activité de construction a été
menée indépendamment ou en violation des normes de développement de planification ou
de constructions, les occupants des squats n’ont pas de droits347 ».
« Plan d’action pour des villes sans taudis » (incorporé dans ses grandes lignes par la Déclaration des
Nations Unies sur les objectifs du Millénaire [2000)348), « Déclaration sur les villes et autres établissements humains
en ce nouveau millénaire349 », « Lignes directrices internationales sur la décentralisation et l’accès aux services de base
pour tous (2009)350 » : la gouvernance internationale des villes produit et diffuse, à l’image du rouleau
346
Pour une approche de la définition proposant une typologie similaire voir OCDE: « Les établissements informels sont : 1.
des zones où des groupements d’habitations ont été construit sans que les nouveaux occupants puisse en présenter le titre ou qu’ils occupent
illégalement. 2. des implantations non planifiées où les conditions de logement ne répondent pas aux conditions réglementaires de planification
et de construction urbaine (logement non autorisé) ».
Texte original: ‘Informal settlements designate settlements/ neighbourhoods, where land occupation does not comply with tenure, layout,
construction, services and or fiscal obligations. … Two main types of informal settlements can be distinguished depending on the type of
development. The first is unauthorised commercial land development – usually on private land – where land is subdivided illegally, usually by
informal developers, and sold as plots. The subdivision is illegal either because it violates zoning and planning regulations, or because the
required permission for land subdivision has not been obtained. The second type of informal settlement is squatter settlements on public or
private land. As the land has been illegally occupied and the building activity has taken place regardless of or in violation of development,
planning and construction norms, occupants in squatter settlements have no rights.’ Extrait du rapport: ‘Monitoring security of tenure in
cities’, UN HABITAT, GLTN, 2001.
347
349
Résolution S-25/2, Déclaration sur les villes et autres établissements humains en ce nouveau millénaire, 9 juin 2001.
350
Résolution 21/3 et Résolution 22/8.
168
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
compresseur, une norme internationale de croissance et d’habitabilité urbaine. La convocation et la
production de l’élément factuel, de l’évènement, font partie intégrante du processus normatif. Les
développements suivants interrogeront certains traits récurrents et caractéristiques de l’information
factuelle produite et véhiculée au titre de la gouvernance internationale et régionale des villes. Les
origines historiques du discours institutionnel sur « l’informalité », « l’illégalité », « la pauvreté », « les normes
de développement, de planification et de construction » visant les principaux foyers de populations urbaines
marginales d’Amérique latine351 sont recherchées à travers l’analyse du discours factuel produit dans
le cadre d’un cluster d’institutions regroupant classiquement :
-
les institutions et bureaux régionaux issus du système des Nations-Unies — CEPAL,
Programme régional UN-Habitat, etc. - et de l’Organisation des États d’Amérique (OEA)352,
-
les organismes de financement créés dans le cadre des accords de Bretton Woods et des actions
engagées dans le sillon du consensus de Washington353 — Banque Mondiale, BID, CAF — ;
-
les représentations diplomatiques, les services consulaires, les chambres de commerce et
d’industrie — associées la conduite des relations internationales — ;
-
le cercle des fondations privées354, des organisations non gouvernementales internationales,
des églises
355
et, plus généralement, des institutions associées à la « société civile
internationale’356et aux politiques dites de l’aide ou de la coopération au développement ;
Pour une introduction générale : « Ville et pouvoirs » au cours en ligne proposé par l’Université colombienne
d’Antioquia. Le professeur Oscar Calvo y présente dans une synthèse remarquable une série de problématiques
historiques touchant à la gouvernance de la croissance urbaine régionale et à la constitution des classes urbaines
populaires
comme
sujets
politiques.
Le
résumé
du
cours
est
disponible
en
ligne :
http://aprendeenlinea.udea.edu.co/lms/moodle/file.php/578/1_Programa_Ciudad_y_Poder_Maestria.pdf
351
La Commision économique pour l’Amérique latine et les caraïbes -Comisión Económica para América Latina y el Caribemise en place dans le cadre du Conseil Economique et social des Nations Unies ; Les organismes mis en place dans le
cadre de l’Organisation des États Américains (OEA) dont le Conseil Interaméricain économique et sociale -Consejo
Interamericano Económico y Social (CIEC)- créé en vue de la formation de personnel technique qualifié et de la
coordination entre les universités et les programmes officiels de développement économique ainsi que le centre
interaméricain d’expérimentation et de formation à la Vivienda-El Centro Interamericano de Experimentación y
Adiestramiento en Vivienda-.
352
Cecilia Zanetta, The evolution of the World Bank’s urban lending in Latin America: from sites and services to
municipal reform and beyond; Habitat International, n°25, 2001, p.513–533; Banco Interamericano de desarrollo (BID),
Ecuador,
Estrategia
de
País
del
BID,
20122017,
Septiembre
de
2012
http://idbdocs.iadb.org/wsdocs/getdocument.aspx?docnum=37889152
353
169
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
les entreprises multinationales dont la présence au sein des asentamientos urbains est
directement liée à l’investissement international — marchés publics d’infrastructures et d’ouvrages
publics, prestation de services publics, réseaux de transport, transferts de technologie, etc.-357 ;
Le contexte institutionnel de production contextuelle se caractérise, assez communément,
par le maintien d’organes décisionnels ou par le recours à des bailleurs symboliquement localisés au
nord de l’échiquier géopolitique — indépendamment des politiques de décentralisation ou de déconcentration
dont celles-ci font l’objet —, la zone « opérationnelle », « d’intervention » demeurant exclusivement
attachée quant à elle aux pays du Sud. L’évolution des relations multilatérales instaurées dans le cadre
de la politique étrangère des États-Unis — dans le sillon de la Charte de Punta Del Este et de l’Alliance pour
le progrès (1961) tout particulièrement-358, mériterait de toute évidence une attention particulière sous cette
optique359.
Le contexte géopolitique dépeint à grands traits s’illustre ensuite à travers un resserrement
concomitant des liens entre l’Université et les sphères de gouvernances engagées dans la poursuite
de l’aide internationale et de la coopération technique au développement. L’émergence dans les
354
SANBORN, Cynthia, « filantropía en américa latina: tradiciones históricas y tendencias actuales, Filantropía y cambio
social en América Latina », 2008, p. 25,; Bell, Peter D, The Ford Foundation as a Transnational Actor, International
Organization, vol.25, n°3, 1971, p.465-478; GOIRAND, Camille, " Philanthropes" en concurrence dans les favelas de
Rio, Critique internationale, 1999, vol. 4, no 1, p. 155-167 ; PETRAS, James, Imperialism and NGOs in Latin America,
monthly review-New York-,vol. 49, 1997, p. 10-27. FITZGERALD, Deborah, Exporting American Agriculture: The
Rockefeller Foundation in Mexico, 1943-53, Social Studies of Science, 1986, vol. 16, No. 3, p. 457-483.
355
ILLICH Ivan, Las sombras de la caridad, Cidoc informa, vol.4, n°3, febrero 1967; Rétif, André S.J, Los sacerdotes
obreros franceses, Mensaje vol.1, n°14, 1952, p.562-566.
356
KALDOR Mary, ANHEIER Helmut, GLASIUS Marlies, et al., Global civil society, Cambridge, Polity, 2003; ARTS
Bas, NOORTMANN Math, et REINALDA Bob, Non-state actors in international relations, Ashgate, 2001 ;
L'émergence de la société civile internationale, vers la privatisation du droit international?: actes du colloque des 2-3 mars
2001, organisé sous les auspices de M. Hubert Vedrine, Ministre des Affaires étrangères, avec l'appui du Ministère des
Affaires étrangères ; Éditions Pedone, 2003.
357
FREEMAN, Jody, Private Role in the Public Governance, The New-York University law review, vol. 75, 2000,
p. 543.
358
TAFFET, Jeffrey, Foreign aid as foreign policy: the Alliance for Progress in Latin America, Routledge, 2011.
359
HARDOY, Jorge, International cooperation for human settlements, Latin American Research Review, 1982, p. 3-28;
BENMERGUI, Leandro, The Alliance for Progress and housing policy in Rio de Janeiro and Buenos Aires in the
1960s, Urban History, 2009, vol. 36, No. 02, p. 303-326; BELL, Peter D, The Ford Foundation as a transnational actor,
International Organization, 1971, vol. 25, No. 03, p. 465-478.
170
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
années 60 des centres de recherche sur l’Amérique latine en Europe360, le mouvement des « LatinAmerican studies » au sein des universités nord-américaines sont associés à la mise en place
d’importants dispositifs institutionnels et financiers de recherche stratégique. Ils ont contribué à la
production continue dudit « discours de gouvernance internationale sur la croissance urbaine marginale des villes
du Sud ». Des rapports de force inversés en ce qui concerne la production scientifique et les
politiques de recherche tendent à s’instaurer. Les budgets, les volumes de production et les spectres
de diffusion de l’information « scientifique » issue des centres de recherche établis dans les pays du
Nord dépassent historiquement et, dans une large mesure, ceux des universités locales. Le devenir
des mythes factuels à l’échelle régionale apparaît intimement lié à l’exercice de ce pouvoir diffus —
soft power361 — attaché à la production scientifique ayant pris pour objet d’étude les problématiques
« transnationales » de développement urbain.
« Être pour “l’autre” l’incarnation de la fiction a laissé une curieuse séquelle : beaucoup
de Latino-Américains ont adopté ces images retouchées d’eux-mêmes, images retouchées
par l’imagination ou l’aliénation religieuse et idéologique occidentale. Et au lieu de se
confronter à leur propre réalité, ils l’ont recréée conformément à ces modèles et à ces mythes
importés. »362
360
En ce sens, The report on the future of Latin American studies in the UK, Comité Universitaire, composé par Parry, Charles
Boxer ou encore R.A Humphreys, The Parry report conduit à la création sur la fin des années 60 des départements
d’études ou centre de recherche sur l’Amérique latine des Universités de Londres, Cambridge, Glasgow Liverpool et
Cambridge. En France, dans le cadre de la revue Tiers-monde également lancée dans les années 60 sur l’initiative du
gouvernement s’offre lors de sa création comme objectif avec l’aide de l'Institut d'Étude du Développement
Économique et Social, « d'établir, et de proposer un ordre international de priorités dans les recherches indispensables concernant les
relations entre pays placés à des degrés de développement différents ». Près de 1100 articles sur près de 40 ans faisant références aux
villes du Tiers-Monde sont publiés. Renvoyons au texte de lancement de la revue, Laugier Henri, Préface, Tiers-Monde,
tome 1, n°1-2, 1960, pp. 1-2.
361
NYE, Joseph S, Soft power: The means to success in world politics, Public Affairs, 2004.
L’auteur introduit l’ouvrage: “What is soft power? It is the ability to get what you want through attraction rather than coercicion or
payments. It arises from the attractiveness of a country’s culture, political ideals, and policies. When our policies are seen as legitimate in the
eye of others, our sof power is enhanced… Seduction is always more effective thant coercicion, and many calues like democracy, human rights,
and individual opportunities are deeply seductive. (Préface, p.x).
362
Vargas Llosa Mario et Bataillon Gilles, Rêve et réalité de l'Amérique latine, Problèmes d'Amérique latine, 2010/3 N°
77, p. 9-23.
171
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le fait urbain marginal serait-il l’un de ces « modèles » ou « mythes importés » évoqués par
Mario Vargas LLosa et Gilles Bataillon363 ? La production scientifique régionale latino-américaine ne
se résume bien évidemment pas, ni qualitativement ni quantitativement, aux transferts ou à
l’importation de schémas ontologiques produits « dans le cadre » ou « au service » des doctrines
développementalistes Européennes et Nord-Américaines. Les éléments factuels avancés par la
doctrine urbaine ne peuvent, d’une manière similaire, s’expliquer à travers une simple assimilation
mimétique et instantanée de schémas interprétatifs importés ou de catégories analytiques exogènes.
Il semble notable, à l’inverse, que la sociologie urbaine et une certaine frange de la doctrine juridique
latino-américaine 364 aient historiquement répondu à une demande d’information comparative et
soutenu un dialogue transnational en vue de restituer aux yeux du monde occidental et à « flux
constant » les traits dominants d’une croissance urbaine régionale réputée « hors-norme ».
L’impact généralement lié à ces situations d’échanges et de transfert d’idées, à ce rôle
d’interface, est généralement source d'interrogation365. Le courant de décolonialisation des épistèmes
est porteur d’enseignements sur ce registre366. Le fil de cette approche critique signale la vitalité d’un
débat interuniversitaire Sud-Sud.
Face à la nécessité d’informer, d’analyser et de penser la réalisation du droit dans le contexte
urbain marginal certaines réserves sont émises. Les discours académiques sur le rapport de la
363
Wanda de Lemos Capeller observe sur ce registre : "Du point de vue des cultures dominées, une telle ethnocentrie épistémologique
a été à l'origine d'un processus de pulvérisation des cultures autochtones, et du développement d'un certain "mimétisme culturel" témoignant
parfois d'une acculturation ou d'une simple reproduction d'idées. Ici, un certain manichéisme, un véritable impérialisme culturel s'impose: seules
considérées comme "légitimes" les productions scientifiques du monde central » in : de Lemos Capeller Wanda. « Un regard différent :
l'Amérique latine, les juristes et la sociologie », Droit et société, n°22, 1992. Transformations de l’État et changements
juridiques : l'exemple de l'Amérique latine. pp. 363-373.
Voir dans le sens d’une revue de la production sociologique urbaine contemporaine en Amerique latine: Schteingart
M., La investigación urbana en América Latina, Papeles de población, enero-marzo, número 23, Universidad Autónoma
del Estado de México, 2000, p.9-27; dans le cas de l’Equateur voir également: Carrion Fernando, La investigación urbana
en el Ecuador, Revista Investigación Universitaria No. 2 CONUEP Quito, Septiembre 1989.
364
365
CARRIÓN MENA Fernando, La investigación urbana en América Latina. Caminos recorridos y por recorrer, Ed.
José Luis Coraggio, Ciudad, Quito, Volume 3, 1990, 137-174.
366
Ramón Grosfoguel, « Para descolonizar os estudos de economia política e os estudos pós-coloniais :
Transmodernidade, pensamento de fronteira e colonialidade global », Revista Crítica de Ciências Sociais [Online], 80 | 2008,
posto online no dia 01 Outubro 2012, consultado o 30 Janeiro 2013; Acemoglu, Daron, Simon Johnson, and James A.
Robinson. The colonial origins of comparative development: An empirical investigation. No. w7771. National bureau of economic
research, 2000 ; Quijano, Aníbal. Colonialidad del poder, eurocentrismo y América Latina. (2000).
172
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
marginalité urbaine à la construction démocratique367, font eux-mêmes et par exemple l’objet d’une
attention critique particulière, un travail collectif d’introspection368. Le rôle « proactif » des doctrines
et milieux académiques « locaux » ou « nationaux » au regard de la formation et de la diffusion d’un
discours sur le droit, sur le « non-droit » et « l’informel » dans le contexte urbain marginal transparaît
clairement à son issue.
Dans cette ligne de recherche, une frange de la doctrine équatorienne en sciences politiques
met directement en cause un important volume d’information scientifique relevant, pour reprendre
l’expression de Pablo Andrade, d’une authentique « littérature de la crise » 369 . Le corpus visé
contribue à maintenir un certain nombre de représentations stratifiées des usages et pratiques du
droit. Parmi ces dernières, le présupposé du non-droit et de l’informel occupe une place significative.
Franklin Ramirez Gallegos dénonce, dans un même sens, l’existence d’un tableau monocorde de la
construction démocratique équatorienne. L’auteur se réfère, en lieu et place du débat critique sur la
construction démocratique et identitaire, à l’image d’un « trou noir » — agujero negro370 —. La critique
de visions « dominantes » de la culture politique équatorienne systématiquement présentée en termes
de carences, d’enclaves institutionnelles, d’archaïsmes, de déficits de représentation et de
participation, de ruptures caractérisées de l’état de droit s’avère symptomatique. De tels discours
normatifs situent scientifiquement — et a fortiori sur le plan des enseignements du droit — la culture
politique et juridique locale au niveau d’une friche permanente. La vision téléologique et moderniste
du projet politique asphyxie la lecture critique des phénomènes sociaux — développement et réalisation
du droit inclus — dans le contexte urbain marginal équatorien.
367
A titre illustratif LARREA, Tatiana, ¿En qué pensamos los ecuatorianos al hablar de democracia?, Quito,
Corporación Participación Ciudadana, 2007.
368
Dans un parallèle sur le registre du droit comparé: Goirand Camille, Citizenship and poverty in Brazil, Latin American
perspectives, 2003, volume 30, p.226. L’auteure évoque dans le contexte brésilien : “The question of the relation between poverty
and citizenship is relevant in Brazil today because the consolidation of the New Republic implied at least two components of political
integration: recognition of the poor as fully fledged citizens and legitimation of this new political system in the opinion of these same poor. In
particular, the exclusions created by the economic and social changes of the 1980s and 1990s and the ubiquity of undemocratic practices such
as patronage call into question the reality of the democratization of Brazilian political life.” SEGAL, Silvia, DOYHAMBOURE,
Uxoa, et BARAHONA, Oscar, Marginalidad espacial, Estado y ciudadanía, Revista Mexicana de Sociología, 1981, p.
1547-1577.
369
ANDRADE, Pablo, El imaginario democrático en el Ecuador, Ecuador Debate, 1999, vol. 47, p. 259.
173
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Burbano de Lara Felipe propose à titre d’illustration implicite de cette propension au culte
du vide ou du chaos, une synthèse des points de crispation accompagnant le débat sur la
construction démocratique équatorienne. L’auteur relève en introduction d’une anthologie intitulée
« Démocratie, gouvernabilité et culture politique » publiée par la « Facultad Latinoamericana de
ciencias sociales » (FLACSO) pour le moins une quinzaine de travers affectant la démocratie
équatorienne :
« La démocratie en Équateur apparaît comme problématisée dans ses relations au conflit
(…), au populisme (…), à la citoyenneté (…), à une modernité absente ou précaire
(…) ; au régime des partis — “la partidocratie” — (…) ; à la gouvernance et la
pauvreté (…), au le système politique (…) ; et à la culture politique. En plus de cet
ensemble de thématiques diverses et émergentes, il existe des préoccupations relativement
partagées. L’absence de citoyenneté, la faiblesse des institutions démocratiques, la crise de
la représentation du système politique et des partis, la gouvernabilité et le clientélisme sont
des problèmes qui traversent la réflexion des auteurs apportant à cette anthologie »371.
La synthèse proposée évoque de toute évidence un débat doctrinal arrivé à maturité aux
abords de l’étude de la culture politique et juridique équatorienne. Il parait tout aussi évident en
revanche et en guise de remarque conclusive que le présupposé du « non-droit » et de « l’informel »
s’en trouve, de manière transversale et sous-jacente, alimenté à flux constant.
Corrélativement et approfondissant l’analyse dans cette direction, il semble utile ensuite et
ouvrant une brève parenthèse, de marcher sur les pas de l’analyse des « voyages du droit372 » et des
vecteurs de transferts informationnels. L’influence historique des convoyeurs d’idées sur les
processus locaux de formation et de développement du droit est mise en relief373. La production
Franklin Ramírez Gallegos RAMÍREZ, “Explorando en un agujero negro, Apuntes para una crítica de las visiones
dominantes sobre cultura política en el Ecuador”, Revista ICONOS, 1999, vol. 7.
370
371
Burbano de Lara Felipe, Democracia, cultura política y gobernabilidad -los estudios políticos en los años noventa-,
extrait de Antologia, Democracia, gobernabilidad y cultura politica, Felipe Burbano de Lara compilador, Flacso, Sede
Ecuador, Quito, 2003, p.13.
372
Rouland, Norbert, Introduction historique au droit, Les Transferts de droit (Chapitre 1), P.U.F, 1998 ; p.415 et suiv.
373
Norbert Rouland, se référant lui-même sur ce thème aux travaux de Jacques Vanderlinden, évoque principalement
d’un point de vue historique le rôle de transfert des marchands, des militaires et des administrateurs à l’époque coloniale.
Idem.
174
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
d’images quant à l’état de réalisation du droit dans le contexte urbain marginal transite et s’intensifie
à travers le discours de ces agents de transfert. Ces derniers mobilisent, sur une base plus ou moins
régulière et explicite, plus ou moins consciente, un discours factuel « autoréférencé ». Le diagnostic des
situations de droit ou « d’informalité » au sein des asentamientos urbains procède, autrement dit,
d’une grammaire d’interprétation factuelle allogène 374 . Un fond d’informations, de références, en
somme une base interprétative ou un « bagage juridique » individuels, est sollicité en vue d’apprécier
la juridicité urbaine marginale sous un angle factuel. Cette boîte à outils du voyageur professionnel
présente, au regard du droit local, un degré certain d’extranéité. Ces « bâtisseurs » fortuits du discours
factuel de gouvernance internationale pourront être alternativement recherchés dans les rangs :
-
des « experts » et consultants juridiques, des fonctionnaires en mission pour le compte
d’organismes internationaux ou régionaux de développement ou de coopération voire
d’universités et de centre de recherche étrangers375 ;
-
des juristes travaillant dans le cadre d’organisations de la société civile et notamment des
organisations non gouvernementales internationales, des églises, des trusts et des fondations
privées internationales ;
-
des juristes et avocats d’affaires — « corporate lawyers » — dont le travail est sollicité par des
entreprises publiques et privées étrangères. Ces derniers interviennent principalement dans le
contexte urbain marginal au titre de la poursuite d’investissements internationaux et par
l’intermédiaire des marchés publics d’infrastructure et de la fourniture de services publics de
base376 ;
374
En ce sens, Brahim BELAADI, Analyse critique de quelques approches des bidonvilles, El-Tawassol n°26 / Juin
2010.
Voir en ce sens et par exemple dans le contexte équatorien le Programme gouvernemental Prometeo: “Le projet
Prometeo est une initiative du gouvernement équatorien qui cherche à renforcer la recherche, l’enseignement et le
transfert de connaissance sur des thèmes spécialisés, à travers la formation d’un lien entre les chercheurs étrangers et
équatoriens résidents à l’extérieur. Il est dirigé aux universités, écolos polytechniques, instituts politiques de recherche et
autres instituions publiques ou cofinancées qui requièrent une assistance dans le développement de projets de recherche
sur des secteurs prioritaires. » ; http://prometeo.educacionsuperior.gob.ec/que-es-prometeo/
375
376
Dans le cas de Guayaquil, renvoyons ici à une recherche effectuée sur les modalités de fourniture des services
d’approvisionnement en eau potable et de récupération des eaux usées et notamment la concession opérée aux
consortiums internationaux (Interagua) : Emily Joiner, Aguita amarilla, « Una mirada al perpetuo laberinto del agua
potable y saneamiento en Guayaquil », Guayaquil, Movimiento Mi cometa, 2006.
175
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
des juristes volontaires et bénévoles internationaux.
L’incidence des voyageurs professionnels peut être considérée comme significative au regard
de la formation et de la circulation de l’information factuelle à un double égard :
-
à un premier égard, ces agents acquièrent eux-mêmes un rôle plus ou moins protagonique
d’acteurs locaux aux abords du contexte urbain marginal. Le transfert du « bloc
informationnel » s’effectue de manière consciente. Les « options catégoriques » de l’informel, de
l’illégal, de la pauvreté et de la vulnérabilité sont alors socialisées sans intermédiaires. Le cycle
de dissémination est amorcé in situ. C’est aussi de manière plus inconsciente et du seul fait
d’un simple « habitus 377 » de juriste ou de citadin que le lien entre des situations de vie
courante dans le contexte urbain marginal et des situations perçues comme factuelles
s’établit. Concepts et idéologies de l’espace urbain marginal voyagent au gré des dialogues
entre cultures urbaines et juridiques d’une manière beaucoup plus immédiates que les
argumentaires et les démonstrations qui les alimentent.
-
À un second égard, les voyageurs professionnels endossent un rôle de témoins avisés et pour
ainsi dire de rapporteurs privilégiés des phénomènes sociojuridiques géographiquement et
culturellement distants — fonction ethnosociologique des voyageurs du droit —. Ils contribuent à la
formation, au sein d’un « port d’attache », d’un cercle socioprofessionnel, d’une institution,
de cercles de lecteurs plus ou moins larges, d’une lecture du paysage urbain et juridique
étranger. Ils livrent une représentation écrite ou orale de l’état de réalisation du droit au sein
des
asentamientos
urbains.
Le
quorum
d’objecteurs
éventuels
à
l’observation
Deux courts énoncés de Pierre Bourdieu en vue de situer la perception possible d’un habitus des juristes et
éventuellement du citadin. Premier énoncé : « L'habitus, comme système de dispositions à la pratique, est un fondement objectif de
conduites régulières, donc de la régularité des conduites, et si l'on peut prévoir les pratiques (ici la sanction associée à une certaine
transgression), c'est que l'habitus est ce qui fait que les agents qui en sont dotés se comporteront d'une certaine manière dans certaines
circonstances. Cela dit, cette tendance à agir d'une manière régulière qui, lorsque le principe en est explicitement constitué, peut servir de base
à une prévision (équivalent savant des anticipations pratiques de l'expérience ordinaire), ne trouve pas son principe dans une règle ou une loi
explicite. C'est ce qui fait que les conduites engendrées par l'habitus n'ont pas la belle régularité des conduites déduites d'un principe législatif
: l'habitus a partie liée avec le flou et le vague » extrait de BOURDIEU, Pierre, « Habitus, code et codification », Actes de la
recherche en sciences sociales, 1986, vol. 64, no 1, p. 40. Second énoncé :« C'est l'habitus qui vient combler les vides de la règle et, aussi
bien dans les situations ordinaires de l'existence bureaucratique que dans les occasions extraordinaires qu'offrent aux pulsions sociales les
institutions totales (comme le camp de concentration), les agents peuvent s'emparer, pour le meilleur ou pour le pire, des marges de liberté
laissées à leur action, et transformer la position de supériorité -même tout à fait infime et provisoire, comme celle du guichetier- que leur
donne leur fonction, pour exprimer les pulsions socialement constituées de leur habitus. » extrait de BOURDIEU, Pierre, « Droit et
passe-droit », Actes de la recherche en sciences sociales, 1990, vol. 81, no 1, p. 88.
377
176
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
anthropologique du fait urbain marginal de la lointaine ville du Sud demeure, en règle
générale, limité. Il semble dès lors et de facto possible d’anticiper un certain pouvoir de
mobilisation sur les imaginaires collectifs et les sociologies locales. Le regard sur le fait urbain
marginal a naturellement tendance, dans cette mesure, à sédimenter. Nombre de juristes ne
font dès lors et par la suite que s’engager sur un pont bâti par d’autres, une qualification
« préfabriquée ».
À Guayaquil, le flux des visiteurs professionnels au fil ininterrompu des projets, des
missions, des expertises et plus généralement de la structuration de la société civile et des
programmes de coopération au développement s’est en partie normalisé378. La corporation Hogar de
Cristo évoquée en amont aura reçu à titre illustratif dans le contexte de Monte Sinaï près de 40
volontaires internationaux professionnels sur l’année 2012 pour une période d’un à deux ans 379 .
L’organisation travaille en outre sur une base régulière avec un réseau d’organisations relais
nationales dont la mission institutionnelle est elle-même de coordonner le recrutement et l’envoi de
volontaires internationaux380. Si en pratique l’afflux des juristes par cette voie est pour ainsi dire
inexistant, chacun de ces voyageurs professionnels est bien porteur d’une culture juridique allogène.
Les points de rencontre et de microtransferts entre cultures juridiques et urbaines se multiplient. La
question de l’empreinte de ces dialogues, la rémanence de fragments idéologiques demeure de toute
évidence difficilement évaluable sur une période de temps élargie. Symptômes persistants du
décalage horaire et difficulté réprimée de traduction factuelle jouent de même sur la représentation
des faits de marginalité urbaine à l’heure du retour. Le prisme idéologique tend, dans ce cas de
figure, à combler les vides de la mise en récit.
Refermant la parenthèse la question de la substance idéologique ne demeure ni explicite ni
univoque quand bien même le parti sera pris de limiter le propos à l’analyse des discours factuels
« officiels » — tel qu’ils ressortent exclusivement des stratégies de communication publique et de
« l’exposé des motifs » de gouvernance —. La mention récurrente selon laquelle « les propos rapportés et
Pour une approche statistique des flux migratoires de professionnels, d’étudiants et de volontaires internationaux en
Équateur:
Anuario
de
estadísticas
de
entradas
y
salidas
internacionales
2012;
http://www.ecuadorencifras.gob.ec/documentos/web-inec/Publicaciones/Migracion/2012/Anuario%20ESI_2012.pdf
378
379
Hogar de Cristo, En el corazon de la esperanza, Memoria Institucional, 2012.
380
Pour la France, organismes agréés de solidarité internationale : Délégation catholique pour la coopération (DCC),
France Volontaires, Service de Coopération au Développement.
177
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
les avis formulés par les auteurs n’engagent pas le discours officiel des institutions (…)381 » ne fait que renforcer
cette ambigüité latente. L’expression « apprendre à lire entre les lignes » prend, en somme, toute sa
dimension dans ce contexte analytique de mise au jour du prisme idéologique. Les multiples
déclinaisons du discours de gouvernance portant sur les phénomènes de « participation publique »,
d’« empowerment » apparaissent particulièrement illustratives sur ce registre 382 . Le discours factuel
fleurissant dans le sillon de la gouvernance internationale et régionale des asentamientos demeure en
somme largement protéiforme. La diversité des teintes discursives d’un contexte institutionnel à un
autre, voire même au sein d’une seule et unique organisation, complique le décryptage idéologique383.
Une fois formulée cette réserve, le propos suivant met en évidence certaines consonances
idéologiques du discours factuel de gouvernance internationale de la ville, à l’instar du volet le plus
critique du mouvement doctrinal « Law and Development384 » — plus spécifiquement du corpus des études sur
381
Clause type utilisée dans le cadre de la BID: "L'information et les opinions qui se présentent dans cette publication
sont exclusivement ceux de leurs auteurs et n'expriment ni impliquent l'aval de la Banque Interaméricaine de
Développement, son directeur exécutif ni les pays qu’ils représentent. (Enero 2010).
382
COOKE Bill et KOTHARI Uma, Participation: The new tyranny?, Zed Books, 2001 ; CORNWALL Andrea et BROCK
Karen, “Beyond Buzzwords" poverty Reduction"," participation" and" empowerment"” in Development Policy, UNRISD
overarching concerns- Paper, 2005 ; DE LA JARA Felipe, “Participación ciudadana institucionalizada: análisis de los marcos
legales de la participación en América Latina, La disputa por la construcción democrática en América Latina”, Fondo de
Cultura Económica, 2006, p. 367-398. JOUVE Bernard, Éditorial, « L'empowerment: entre mythe et réalités, entre
espoir et désenchantement », Géographie, économie, société, 2006, vol. 8, no 1, p. 5-15 ; CALVÈS, Anne-Emmanuèle,
«Empowerment»: généalogie d'un concept clé du discours contemporain sur le développement », Revue Tiers Monde, 2009,
no 4, p. 735-749.
L’analyse de la variabilité intra-institutionnelle des discours de ‘non-droit’ est mise entre parenthèses à ce point du
raisonnement. Le propos se limite au discours institutionnel ‘officiel’ et tel qu’il ressort d’une analyse conventionnelle
des stratégies de communication publique et de ‘l’exposé des motifs’ de gouvernance. Dans le sens d’une variabilité
intra-institutionnelle des discours de gouvernance internationale: CHRISTIANSEN, Thomas, « Intra-institutional
politics and inter-institutional relations in the EU: towards coherent governance? », Journal of European Public Policy, vol. 8,
no 5, 2001, p. 747-769.
383
DAVIS Kevin et TREBILCOCK, “The relationship between law and development: optimists versus skeptics”,
American Journal of Comparative Law, 2008, vol. 56, n° 4, p. 895-946; TRUBEK, David M, “Toward a social theory of
law: an essay on the study of law and development”. The Yale Law Journal, 1972, vol. 82, No. 1, p. 1-50; pour un
positionnement critique de reference: David Trubek and Marc Galanter, “Scholars in Self-Estrangement: Some
Reflections on the Crisis in Law and Development Studies in the United States”, Wisconsin Law Review, vol.4, 1974, p.
1062–1102.
384
178
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
l’Amérique latine385 — . Le postulat d’une continuité historique du présupposé développementaliste
est avancé. La représentation factuelle quant à l’état du droit sert ici la mise en concurrence des
modèles de développement du droit.
-
Le premier volet de l’analyse renverra à l’observation du discrédit et à la critique systématique
des systèmes juridiques locaux et nationaux — « the failure of law386 » — . Le récit institutionnel
et académique d’un « sous-développement du droit » est reconstitué387. La mobilisation du spectre
factuel d’un vide juridique, la convocation des idéaux types du « non-droit » ou de
« l’informel’388, servent, sous cet angle, la mise en évidence d’un décalage structurel, « factuel »
entre deux mondes, deux états présumés de développement du droit389. Louis Assier-Andrieu
évoque sur un registre similaire l’usage du « paradigme d’ignorance du droit »390. (1).
-
Le second volet d’analyse, matériellement indissociable du premier — car il en constitue le mobile
principal, son » amorce » — rend compte d’une logique de substitution et de sublimation
JÚNIOR, João Feres Histoire du concept d’Amérique latine aux États-Unis, l’Harmattan, collection Recherches Amériques
latines, 2010 ; EAKIN Marshall C. et DE ALMEIDA, Envisioning Brazil, A guide to Brazilian Studies in the United States,
University of Wisconsin Press, 2005, p.363.
385
Esquirol Jorge, “The Failed Law of Latin America”, The American Journal of Comparative Law, volume 58, Winter
2008, p.75.
386
Jorge Esquirol note dans un même sens : « L’échec du droit latino-américain renvoie principalement à un discours en vue de faciliter
le réformisme légal. L’échec du droit latino-américain déni toute valeur au droit existant dans l’ensemble de la région. » ; Esquirol Jorge,
« Continuing Fictions of Latin American Law », Florida Law review, volume 55, January 2003, p.41. « Law in Latin America
is routinely the target of systemic criticism by U.S. commentators. In addition, internationalizing reforms may actually undermine the general
goal of expanding democratic participation. Distancing the operation of law from local reach is likely to reinforce the very anomalies already
perceived in the region. In this light, we should reexamine our settled understandings of "Latin American law" and the latter's widely-noted
limitations. (...) As a result, no amount of simple law reform can undo such a constant and irrepressible image of failure. Viewed this way,
Latin America's failed law is principally a discourse facilitating legal change. It also denies much of any value to existing law anywhere in the
región.”
387
Emile Durkheim théorise l’idéal-type comme outil méthodologique… « vise à appréhender rationnellement des faits
en distinguant des éléments essentiels et des éléments contingents en vue d’une démonstration scientifique… » E.
Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1937 ; Quabridge, 1987 p.31 et s. cité in Véronique ChampeilDesplats, Méthodologie du droit et des sources du droit, Dalloz, 2014, p.240.
388
389
SHAPIRO, Martin, « The globalization of law », Indiana Journal of Global Legal Studies, 1993, p. 37-64; André-Jean
Arnaud, « De la régulation par le droit à l'heure de la globalisation, Quelques observations critiques », Droit et Société,
n°35, 1997, p.11-35.
ASSIER-ANDRIEU Louis, « L’Anthropologie et la modernité du droit » Anthropologie et sociétés, 1989, vol. 13, no 1,
p. 28.
390
179
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
factuelle de l’état de droit. Ce volet renvoie à la promotion d’un système juridique alternatif,
« curatif » face à l’état présumé de « non-droit » dans le contexte urbain marginal. Il
s’accompagne, matériellement, par la mise en place d’une dynamique de transfert —
académique, financière, stratégique, etc. — des cadres ontologiques établis dans le cadre de la
doctrine diplomatique européenne et nord-américaine. C’est l’empire postcolonial de la règle
ou de l’Etat de droit — the rule of law doctrine — qui se dessine391 (2).
5)
Chroniques d’une impasse sur la juridicité locale.
Inventorier le flot d’écueils et d’inconsistances attachés au constat factuel d’un retrait du
droit dans le contexte urbain marginal apparaît de prime abord comme une tâche bien hasardeuse.
Quand bien même cela constituerait une possible intention de recherche à l’échelle d’une localité
déterminée comme Guayaquil, la tache se révèle matériellement difficile compte tenu du volume des
rapports d’expertise, des diagnostics et des recommandations pointant vers le « non-droit » ou faisant
de « l’informel » un présupposé analytique de départ. La tache se révèle de même hasardeuse eu
égard à la diversité des problématiques abordées et des institutions intervenantes. Politiques du
logement social 392 , accès à la justice et offre d’assistance juridique 393 , participation et démocratie
UPHAM Frank, “Mythmaking in the Rule of Law orthodoxy, Rule of Law Series”, Democracy and Rule of Law Project,
Carnegie Working Papers, September 2002; Carothers Thomas, “The Rule of law revival”, The foreign affairs, 1998, vol. 77,
p. 95; Carothers Thomas et Barndt William, “Civil society”, foreign policy, 1999, p. 18-29; Tamanaha Brian, “On the rule of
law: history, politics, theory”, 2004, vol. 1; Hoff Karla et Stiglitz Joseph; “Exiting a lawless state”, The economic journal,
2008, vol. 118, no 531, p. 1474-1497; Kennedy Duncan, “Two globalizations of law and legal thought: 1850-1968”,
Suffolk University Law revue, 2002, vol. 36, p. 631; Davis Kevin et Trebilcock Michael, “What role do legal institutions play
in development?”, University of Toronto, 1999; Yves Dezalay , Bryant G. Garth (Eds.), Global Prescriptions: The Production,
Exportation, and Importation Of A New Legal Orthodoxy, 2002; Fogelklou Anders, P”rinciples of Rule of Law and Legal
Development”, extrait de Alfredsson Gudmundur, Legal assistance to developing countries: Swedish perspectives on the
rule of law, Per Sevastik, Martinus Nijhoff Publishers (éds.), 1997, p.32-59 ; Kennedy David, "Laws and developments",
The 'rule of law' as development, Chapitre 2 de l'ouvrage, Law and Development: facing complexity in the 21 st century,
Essays in honour of Peter Slinn, John Hatchard and AManda Perry-Kessaris (éds.), 2003, p1.17
391
392
Andrés M. Jarrin, Francisco Valdivieso, Letty Chang, Ines Mencias, Hernan Hidalgo, Silvia Amendariz, Perfil del
sector de la vivienda en Ecuador, Onu-Habitat, Abril 2012, version final revisada, p.163-164 (non publiée à notre
connaissance). Reproduisons à titre illustratif la série d’écueils et de problème associés à la politique du logement en
Équateur que le rapport souligne : « La participation du secteur municipal ainsi que celle des organismes de service public aux politiques
du logement n’a pas été instrumentée juridiquement (…). Les instruments légaux existants comme les ordonnances et les autres normatives ne
sont pas parvenues à s’adapter à la structure de ces lois 392. Nous comprenons que cette situation prendra plusieurs années à se perfectionner et
à être assimilée à travers de nouvelles ordonnances qui devront être mis en œuvre par les municipalités afin que l’esprit desdites lois puisse être
honoré et exécuté. »§. 1 ; Manque d’agilité et défaut de modernisation des procédures applicables en vue de la réalisation des démarches de
régularisation des terres. Les démarches de légalisation et de régularisation dans la plupart des cas d’informalité non légalisés nécessitent un
investissement financier élevé, des durées d’attente significative entre autre défis liés l’incertitude et du caractère discrétionnaire (…) de chaque
ville ou municipalité (…) §. 2 ; Manque de politiques publiques au niveau national et local quant aux démarches à entreprendre en vue de la
mise en œuvre de programmes de logements et de services basiques lesquels empêchent de dynamiser le marché immobilier formel et ‘informel’.
(§. 3) ; Absence de banques foncières (§. 4) ; Hausse des impôts, des tarifs et des redevances et absence de règlements pour certaines
180
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
locale, conditions de travail, accès à l’eau et aux services basiques, état des libertés publiques, de la
santé, de l’éducation, des régimes de propriété foncière394 : chacune de ces thématiques classiques de
la gouvernance internationale de la croissance urbaine marginale s’articule avec un volet juridique
distinct. L’idée est donc plutôt, en lieu et place du catalogage, de maintenir un questionnement
ouvert et de détecter, d’un point de vue critique, certains traits récurrents des discours « d’expertise »
portés depuis la gouvernance régionale sur le gouvernement de l’espace urbain marginal395.
Il s’agit de même, et encore, de prêter une attention particulière à ce que Cass Sunstein
désigne comme la fonction expressive du droit — The expressive function of law —. L’auteur observe
dans le sens de cette dimension « communicationnelle » du recours à la norme juridique :
« Il ne peut y avoir de doute, le droit, comme l’action en général, a une fonction
expressive. Certaines personnes font ce qu’ils font essentiellement du fait du message porté
lois.(§. 5) ; Cout des transferts de propriété élevés, variations élevées des tarifs notariaux (§. 6) ; Insuffisance des exonérations d’impôts de
droits notariaux et de registres d’inscription des titres de propriété au profit des programme de logement social et des citoyens à bas revenu tel
que prévu par la loi (§. 7) ; Imposition de la plus-value immobilière en hausse (§. 8) ; Législation embryonnaire en matière de location (§.
9) ».
393
OWEN et PORTILLO, Legal reform, externalities and economic development: measuring the impact of legal aid on
poor women in Ecuador, Stanford Institute for Economic Policy Research, n°2-32, 2003;; Marcela Rodríguez,
Empowering Women An Assessment of Legal Aid Under Ecuador’s Judicial Reform Project, World Bank 2000.
Reproduisons un extrait symptomatique : “En Amérique latine, le système judiciaire est trop distant, encombrant,
couteux, cher et lent pour les pauvres et vulnérables pour ne serait-ce que tenter d’y accéder. Et si ces derniers
parviennent à trouver un accès judiciaire, les preuves disponibles pointent souvent à des discriminations sévères et
systématiques. (…) beaucoup a été dit et écrit récemment concernant la règle de droit. À cette large quantité de discours
je souhaiterais ajouter la regrettable observation qu’à certains moments l’état de droit (ou quoi qu’il en soit la rhétorique
de l’Etat de droit) a été employé au service d’idéologies autoritaires. Très tôt, dans des pays déchirés par de sévères
inégalités comme le sont tant de pays d’Amérique latine les pratiques associées au droit n’étaient pas utilisées au service
de l’équité, mais plutôt pour renforcé les inégalités radicales et les multiples maux sociaux qui leurs sont associés 393»
Traduction de l’anglais, O'DONNELL Guillermo, Why the rule of law matters, Journal of Democracy, 2004, vol. 15, no
4, p. 32-46 ; du même auteur: Polyarchies and the (un) rule of law in Latin America. Instituto Juan March de Estudios e
Investigaciones, 1998.
Sur le registre d’une absence de gouvernance adéquate de la propriété foncière dans le contexte urbain marginal,
Hernando de Soto avance dans des hypothèses de travail devenues classiques « la difficulté des ‘informels’ à profiter de
leurs ressources et à les préserver » ; « l’impossibilité de transmettre leur propriété, de l'utiliser pour en tirer une plus
grande valeur et de l'hypothéquer », de même que « l’incapacité de leurs organisations à dépasser leur caractère
extralégal». L’Autre sentier, p.25.
394
Entendons classiquement le concept de ‘gouvernement’ comme la capacité respective des autorités locales et des
administrations de l’État à « mettre en œuvre de manière autonome, du fait de leur initiative, des dispositifs d’action
publique » contribuant à la régulation de la vie sociale dans le contexte urbain marginal Sur l’usage des concepts de
gouvernance urbaine et de gouvernement urbain voir : Payre Renaud, Ordre politique et gouvernement urbain, mémoire
d’habilitation à diriger les recherches, Université de Lyon, 9 juin 2008; Le Gales Patrick. Du gouvernement des villes à la
gouvernance urbaine. In: Revue française de science politique, 45e année, n°1, 1995. pp. 57-95.
395
181
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
par l’acte : il en est de même pour ceux qui cherchent à introduire des changements, à
faire évoluer le droit. De nombreux débats quant au contenu approprié du droit sont en
réalité des débats portant sur le message, l’énoncé que fait la loi, indépendamment de ses
conséquences (directes). J’ai suggéré que la fonction expressive du droit a dans une large
mesure à voir avec les effets du droit sur les normes sociales prédominantes. L’énoncé légal
est souvent dessiné en vue de déplacer la norme vers des directions nouvelles »396.
La vigilance critique envisagée dans la continuité de ce constat relève d’un questionnement
assez simple. Dans quelle mesure le dispositif factuel véhiculé par la norme juridique consistant à
faire état préliminaire d’une carence de réalisation du ou des droits, d’une absence d’effectivité et
d’efficacité397 à court ou moyen termes des corpus légaux et réglementaires en vigueur, d’un coût
prohibitif de l’accès au droit, du surpoids des démarches de « régularisation », du déficit de
planification locale (…) sont-ils mis en cause de manière systématique ? En quoi le diagnostic factuel
effectué dans le cadre de l’audit des systèmes de droit nationaux relève-t-il d’un dispositif
institutionnel ?
Sur plus d’un demi-siècle d’aide internationale au développement et de coopération
technique 398 , la projection de situations d’enclave face à un ordre démocratique imaginé 399 et le
paysage d’une faillite de l’État de droit se calcifient. Geoffrey Lloyd dénonce sur ce registre « la
mentalité occidentale’ prompte à cultiver l’image des « sociétés du manque (manque de pouvoir, d’État, de
396
Sunstein Cass, On the expressive function of law , University of Pennsylvania Law Review, volume 144, 1995-1996,
p.2021 ; Citation originale: “There can be no doubt that law, like action in general, has an expressive function. Some
people do what they do mostly because of the statement the act makes; the same is true for those who seek changes in
law. Many debates over the appropriate content of law are really debates over the statement that law makes, independent
of its (direct) consequences. I have suggested that the expressive function of law has a great deal to do with the effects of
law on prevailing social norms. Often law's "statement" is designed to move norms in fresh directions.. ».
Pour des précisons sémantiques : Heuschling Luc, «Effectivité», «efficacité», «efficience» et «qualité» d’une norme /du
droit. Analyse des mots et des concepts, extrait de : L'efficacité de la norme juridique. Nouveau vecteur de légitimité ?
ouvrage collectif sous la direction de Marthe Fatin-Rouge Stefanini, Laurence Gay, Ariane Vidal-Naquet, p.27-61, 2012 ;
Véronique Champeil-Desplats, Efficacité et énoncé de la norme, extrait de « L'efficacité de l'acte normatif, Nouvelle
norme, nouvelles normativités », Hammje, Janicot et Nadal, Collection LEJEP, 2013, p.63-73" ; disponible en ligne :
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/93/74/06/PDF/EfficacitA_.pdf
397
398
Jean-Michel Servet, Aide au développement : six décennies de trop dits et de non-dits, Revue de la régulation, volume
7, 1er semestre, été 2010, En ligne depuis 29 Novembre 2010, connexion 04/04/2013,
http://regulation.revues.org/7813
399
Andrade A, El imaginario democrático en el Ecuador, extrait de Antologia, Democracia, gobernabilidad y cultura
política, Felipe Burbano de Lara compilador, Flacso, Sede Ecuador, Quito, 2003, p. 383.
182
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
sciences, de productivité, de dieu, etc.) »400. Le spectre du regard factuel ethnocentré sur les pratiques et
usages du droit local, le mythe du « bon » ou du « mauvais sauvage » ne tarde pas à refaire surface401.
« Du passé faisons table rase », c’est bien, cette fois, la production d’un discours factuel au service de
l’idéologie et de le la norme de développement occidentale qui est mise en cause d’une manière
transversale. Le constat d’échec prépare le terrain au mouvement de réforme du droit. La production
factuelle du besoin de services juridiques appelle le service juridique et la convocation de l’expertise
du développement. Face au « vide » : plus de lois, plus d’expertise et plus de droits proclamés. La
gouvernance internationale et régionale des établissements humains « informels » prend les traits
d’un système autopoïétique402. Entrons dès lors dans le second volet de l’analyse de cette machine
développementaliste : la proposition d’une norme de développement du droit alternative.
6)
De « l’État de droit » comme norme de développement — « the Rule of law doctrine »
—
« Les gouvernements devraient examiner et adopter, de manière appropriée, des politiques
et des bases légales d’autres états qui mettent en œuvre des politiques de décentralisation
effective403 (§180 de l’Agenda Habitat) ».
La formulation reprise de manière anecdotique de cette recommandation formulée dans le
cadre de l’Agenda Habitat constitue une accroche sans équivoque d’une propension au « packaging »
et à une approche souvent « marketée » de l’état de droit404. La logique du transfert de la loi moderne,
et intuitivement celle de l’uniformisation des cadres ontologiques attachés au gouvernement de
l’espace urbain marginal, transparaît comme un symptôme récurrent du discours de gouvernance
Lloyd Geoffrey Ernest Richard, Pour en finir avec les mentalités, La Découverte, Coll. “Poche”, 1996, cité in
Ethnologie juridique, p.3.
400
« Ethnocentrisme: “Attitude collective consistant à répudier (...) les formes culturelles: morales, religieuses sociales,
esthétiques, qui sont les plus éloignées de la société donnée. Le barbare du monde gréco-romain, le Sauvage de la
civilisation occidentale sont des figures historiquement datées et pour ainsi dite métaphoriques qui traduisent ce refus de
la diversité culturelle et ce rejet, hors de la culture, dans la nature, de celui qui n’est pas conforme aux normes de la
société qui les emploie.” » Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, PUF, 2004, p.247, cité in NICOLAU Gilda,
PIGNARRE Geneviève, et LAFARGUE Régis, Ethnologie juridique: autour de trois exercices, Dalloz, 2007, p.168.
401
402
Introduction à l’œuvre de Niklas Luhmann, Droit et société, 1989, vol. 11/12, 1989.
“Governments should examine and adopt, as appropriate, policies and legal frameworks from other States that are
implementing decentralization effectively,
The Habitat Agenda recommends, in paragraph 180;
http://ww2.unhabitat.org/declarations/ch-4d-2.htm
403
404
Kennedy, David. "The" Rule of Law," Political Choices, and Development Common Sense." in The New Law and
Economic Development David M. Trubek, and Alvaro Santos, eds., Cambridge University Press, pp. 95-173 (2006).
183
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
internationale et régionale405. La modernisation du droit et de l’institution judiciaire est envisagée
comme un levier universel du développement local, un palliatif au non-droit. L’argument factuel
constitue souvent de même et de manière somme toute plus prosaïque un signal d’ouverture à
l’égard de l’investissement international 406 . Brian Tamanaha résume dans un même registre ce
mouvement général d’exportation-substitution des systèmes juridiques comme prémices au
développement économique libéral d’une manière concise :
« (…)Le capitalisme est actuellement promu séparément comme nécessaire à la création de
richesses, la démocratie est promue comme la pierre angulaire d’une société libre et en
paix, l’État de droit -The rule of Law — est présenté comme essentiel au développement
économique et au combat contre la tyrannie des gouvernements ; les droits de l’homme sont
invoqués comme universels. Si l’on observe ces éléments dans leur ensemble, il ne subsiste
néanmoins pas d’erreur possible, c’est un rappel pur et simple de la théorie de la
modernisation. Cela inclut ses présomptions implicites selon lesquelles cet agencement
politique, économique et légal collectif constitue le meilleur des choix disponibles et
représente la trajectoire future des sociétés dans le monde, tout du moins pour celles d’entre
elles qui aspirent au progrès. »407
405
De Soto Hernando, « Putting Aside Differing Cultures: It is Institutions and Systems », Law and Business Review of
the Americas, volume 13, Winter 2007, p. 3; James Cooper abordant une rétrospective de la réforme du système
juridique chilien observe dans le même registre d’idée une mise en concurrence des cultures juridiques occidentales.
L’auteur souligne en ce sens que « la culture juridique européenne comme la culture juridique nord-américaine,
influencent le développement des normes, des lois et des institutions (…) l’exportation des cultures juridiques constitue
l’une des branches de la politique étrangère et de l’agenda de l’aide au développement européenne, de celle des ÉtatsUnis, spécialement quant le monde devient économiquement politiquement et socialement interconnecté. »Cooper J.,
« Competing legal cultures and legal reform: The battle of Chile », Michigan Journal of International Law, spring 2008,
vol.39, p.501; sur le même thème: Delisle Jacques, « Lex americana? : United states legal assistance, American legal
models, and legal change in the post-communist world and beyond », University Pennsylvania journal of International
Economic law, Volume 20, 1999 p. 179.
406
Farber Daniel , Rights as signals, The journal of legal studies, the University of chicago press (éd.), vol. 31, no. 1,
january 2002, pp. 83-98.
407
Tamanaha B, The primacy of society and the failures of law and development, Cornell International law Journal, 2011, volume
209, p.215; Citation complete et originale: "However, there is little discernible difference between those supposedly abandoned ideas, and
contemporary ideas and approaches to development. What helps disguise this resurrection is that the elements are not bundled together as tightly
as before- Capitalism is now promoted separately as essential to wealth creation; democracy is championed as the touchstone of a free and
peaceful society; the rule of law is said to be essential for economic development and limiting government tyranny; and human rights are claimed
to be universal. When seen together, however, there is no mistaking it-this is modernization theory redux. This includes its attendant
assumptions (now implicitly maintained) that this collective political, economic, and legal arrangement is the best available and represents the
184
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Faisant clairement écho à ces affirmations, il semble possible d’effectuer un bref renvoi à
titre illustratif aux travaux de la « Commission des Nations Unies pour la démarginalisation des pauvres par le
droit » — The Commission on the legal empowerment of the poor (2005–2008). La commission placée sous la
direction d’une ancienne secrétaire d’État des États-Unis, Madeleine Albright, et de l’économiste
péruvien Hernando de Soto résume son positionnement sans détour :
« La démarginalisation par le droit peut être réalisée uniquement par le biais d’un
changement systémique ciblé sur le déblocage du potentiel civique et économique des
pauvres. Le programme de la Commission inclut les points suivants : accès à la justice et
État de droit, droits de propriété, droit du travail et “droits d’entreprendre”. Ces quatre
piliers se renforcent mutuellement et reposent les uns sur les autres. C’est dans leur
convergence et à travers leur synergie que la démarginalisation par le droit peut être
obtenue »408.
Face au paradigme du vide, l’aménagement d’un accès à la justice et à l’État de droit 409,
l’institution de mécanisme de protection du droit de propriété privée410, la consolidation du droit du
future trajectory of societies around the world, at least for societies that hope to thrive. Reality on the ground belied modernization theory
decades ago. The same realities are revealed again today for the plain reason that economic, political, and legal institutional arrangements
taken from one society do not work the same way in another society with different arrangements and underpinnings."
408
http://www.undp.org/content/dam/aplaws/publication/fr/publications/poverty-reduction/poverty-website/pourune-application-quitable-et-universelle-de-la-loi/VolI_FR.pdf
409
Pilier 1 Justice et accès au droit : « Garantir à chacun le droit fondamental à une identité légale, et à être enregistré lors
de sa naissance ; - abroger ou modifier les lois et les règlementations discriminatoires envers les droits, les intérêts et les
moyens d'existence des pauvres ; - faciliter la création d’organisations et de coalitions émanant de l’État et de la société
civile, regroupant des assistants juridiques qui travaillent dans l’intérêt des exclus ; - établir un monopole d’État légitime
sur les moyens de coercition à travers des forces de l’ordre efficaces et impartiales, par exemple ; - rendre plus accessible
le système judiciaire officiel, les systèmes d'administration foncière et les organismes publics concernés en reconnaissant
et en intégrant les procédures coutumières et légales ‘informel’les auxquelles les pauvres sont déjà habitués ; encourager les tribunaux à accorder la considération requise aux intérêts des pauvres ; - soutenir les modes alternatifs de
résolution des conflits ; - favoriser et institutionnaliser l’accès aux services juridiques de manière à ce que les pauvres
connaissent les lois et soient en mesure d'en tirer parti ; - soutenir les mesures concrètes de démarginalisation par le
droit des femmes, des minorités, des réfugiés et des personnes déplacées sur le territoire national, ainsi que des
populations indigènes. ».
410
Pilier 2 Droit de propriété: « Promouvoir une gouvernance efficace de la propriété individuelle et collective afin
d’intégrer l’économie extralégale dans l’économie formelle et s’assurer qu’elle reste facilement accessible à tous les
citoyens ; garantir que tous les biens reconnus dans chaque nation sont légalement soumis à la législation et que tous les
propriétaires ont accès aux mêmes droits et aux mêmes règles ; créer un marché fonctionnel pour l'échange des biens qui
soit accessible, transparent et responsable ; élargir la disponibilité des droits de propriété, y compris la sécurité des droits
185
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
travail 411et la facilitation d’un droit d’entreprendre 412 constitueraient une issue probable, enviable
tout du moins, sur le plan du développement économique et social. La logique de substitution de ce
cocktail juridique occidental aux arrangements juridiques nationaux apparait de manière explicite et
implacable. Le suffixe « — isme » du concept de « développementalisme » associé à l’agenda régional
de développement et de modernisation du droit trouve sa pleine expression413.
Alvaro Santos dans un registre similaire et à titre illustratif aborde les usages du discours sur
l’État de droit — et ses promesses en vue du développement économique — dans le cadre des politiques
fonciers, à travers des politiques sociales et autres politiques publiques, comme l’accès au logement, les prêts à faible taux
et la distribution des biens fonciers appartenant à l'État ; promouvoir un système de droits de propriété inclusif qui
reconnaisse automatiquement les valeurs immobilières et les biens immobiliers achetés par des hommes comme relevant
de la copropriété de leurs épouses ou de leurs partenaires de droit commun. »
Pilier 3 Droit du travail: « Respecter, promouvoir et concrétiser la liberté d’association, de manière à ce que l’identité, la voix et la
représentation des travailleurs pauvres soient renforcées dans le dialogue social et politique concernant la réforme et sa conception ; améliorer la
qualité de la réglementation du travail et le fonctionnement des institutions du marché du travail, créant ainsi une synergie entre la protection et
la productivité des pauvres ; assurer une mise en application efficace d’un ensemble minimal de droits du travail pour les travailleurs et les
entreprises de l’économie parallèle qui reprenne et aille au-delà de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail ;
accroître l’accès aux opportunités d’emploi dans l’économie de marché croissante et davantage inclusive ; étendre la protection sociale des
travailleurs pauvres en cas de chocs économiques et de changements structurels ; promouvoir des mesures qui garantissent l’accès aux soins
médicaux, à l’assurance maladie et aux retraites ; veiller à ce que la démarginalisation par le droit engendre l’égalité entre hommes et femmes,
respectant ainsi les engagements pris en vertu des normes de l’OIT, qui encouragent activement la suppression de la discrimination et l’égalité
des chances et de traitement pour les femmes, ces dernières ayant émergé comme une force importante dans la réduction de la pauvreté au sein
des communautés défavorisées. »
411
Le rapport de la Commission énonce tout d’abord : « Le terme de « droits d’entreprendre » ne doit pas encore être
considéré comme un nouveau terme de droit, mais plutôt comme un dérivé de droits existants liés à l’exercice d’une
activité économique par un individu, nouvellement regroupés sous ce terme sur la base de leur fonction vitale dans les
moyens d’existence des pauvres. » Pilier 4 Droit d’entreprendre : « garantir des droits d’entreprendre fondamentaux, y compris le
droit de vendre, d’avoir un espace de travail et d’avoir accès aux infrastructures et services nécessaires (locaux, électricité, eau, assainissement) ;
renforcer la gouvernance économique efficace qui facilite et permet de créer et de gérer une entreprise, d’accéder aux marchés et de se défaire d’une
activité si nécessaire ; élargir la définition de la « personne morale » afin d’inclure les sociétés de responsabilité légale qui permettent aux
propriétaires de séparer leur entreprise de leurs biens personnels personnels, autorisant ainsi une prise de risque prudente ; promouvoir des
services financiers inclusifs qui proposent aux entrepreneurs des pays en développement ce que nombre de leurs homologues des autres pays
considèrent comme allant de soi : épargne, crédit, assurance, pensions et autres outils de gestion des risques ; élargir l'accès aux nouvelles
opportunités économiques à travers des programmes spécialisés destinés à familiariser les entrepreneurs aux nouveaux marchés et à les aider à
se conformer aux règles et aux exigences, et qui soutiennent les liaisons amont-aval entre les grandes et les petites entreprises. »
412
413
Brian Tamanaha dans un sens tout aussi radical observe : « Le travail dans le domaine du développement du droit -law
and développement- est décrit de manière plus précise comme une agglomération de projet mus par des acteurs motivés
et appuyés par des financements externes. Les activités relevant du droit et développement sont guidées et se forment au
gré des flux d’argents qui les appuient et par les agendas des groupes qui en assurent le financement. » TAMANAHA
Brian, “Primacy of Society and the Failures of Law and Development”, The Cornell International law journal, 2011, vol.
44, p. 209.
186
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
d’investissement de la Banque mondiale. L’auteur souligne : « le droit est au centre des discours et pratiques
de developement (…) l’idée selon laquelle le développement du système légal est crucial pour la croissance économique
forme désormais partie du bon sens dans le cadre des théories du développement414 ». Il note ensuite — et c’est sans
doute là l’ouverture d’un regard opportun sur une mécanique puissante et silencieuse de propagation du sentiment de
« non-droit » — que la Banque mondiale a supporté près de 330 projets dans 110 pays consacrés à la
réforme du droit et des institutions. Près de 3,8 milliards d’investissements (USD) ont été engagés
sur cette voie depuis 1993415. Soutien technique et financier à l’harmonisation des systèmes de droit
nationaux, discours de modernisation de l’appareil étatique : la mécanique de substitution tourne à
plein régime. L’opportunité des réformes structurelles et du processus de modernisation semble
acquise. Les jugements factuels masqués d’une technicité d’apparat se multiplient. L’appareil
bureaucratique international supplante l’université dans ses fonctions de production des
connaissances et de foyer critique 416 . La vitalité du dogme demeure en outre soutenue par un
dispositif administratif et financier puissant, un « appareil de gouvernance internationale ».
La dérive factuelle ne constitue pas pour autant un phénomène exclusif aux discours de
gouvernance internationale. L’altération idéologique du discours semble de même détectable aux
détours d’une lecture critique du discours métropolitain.
F)
L’idéologie humanitaire et le discours factuel philanthropiste
Les phénomènes discursifs observés au fil des développements suivants assument
communément un certain degré d’autorité ou de légitimité informationnelle sur la base d’une
présence de terrain et de l’institution d’un lien direct avec les habitants de l’asentamiento. Des
groupements majoritairement issus de la société civile se placent stratégiquement sur l’échiquier
politique local et international comme intermédiaires ou relais communicationnels entre les habitants
Alvaro Santos, “The World Bank's Uses of the "Rule of Law" Promise in Economic Development, in The new law
and economic development: a critical appraisal”, extrait de: TRUBEK et SANTOS Alvaro, The new law and economic
development, Cambridge University Press, 2006, p.253-300. Mise en parallèle possible avec la série des rapports
« Governance maters » produit dans le cadre du discours de la Banque mondiale ; KAUFMANN, Daniel et al.,
Governance matters I (1999), Governance matters II (2002); Governance matters III (2004); Governance matters IV:
governance indicators for 1996-2004, World bank policy research working paper, 2005, no 3630.
414
415
Dakolias, Maria, Freestone, David Kyle, Peter, Legal and judicial reform: observations, experiences, and approach of the Legal
Vice Presidency, Washington, DC, World Bank, 2002.
DE SOUSA SANTOS, Boaventura, “La universidad del siglo XXI. Para una reforma democrática y emancipadora de
la universidad”, Ediciones Trilce, 2010.
416
187
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
des « asentamientos » et les sphères de pouvoir local — « la voz de los sin voz 417 » — . Thomas
Carothers et William Barndt définissent généralement le concept de « société civile » de la manière
suivante :
« Proprement entendue, la société civile (…) recouvre toutes les organisations et les
associations qui existent en dehors de l’Etat418 et du marché. Elle inclut la gamme des
organisations que les sciences politiques désignent traditionnellement comme les groupes
d’intérêts, pas seulement les Organisations non gouvernementales de défense des droitsadvocacy NGOs — mais aussi les syndicats de travailleurs, les associations
professionnelles (comme celles de docteurs ou d’avocats) les chambres de commerce, les
associations ethniques, et d’autres. Elle inclut aussi les nombreuses autres associations qui
existent pour des buts autres que celui d’avancer des agendas politiques et sociaux
spécifiques, comme les organisations religieuses, les groupes d’étudiants, les organisations
culturelles (des chorales aux clubs d’observation des oiseaux sauvages), clubs de sports et
des groupes communautaires “informels” » 419.
L’acte technique de représentation des faits de marginalité urbaine entre cette fois en tension
avec l’univers des pratiques participatives 420 . La revendication du mandat « populaire 421 » sert la
production d’un argument factuel lui-même aligné sur la poursuite d’un mandat institutionnel ou,
417
Hogar de Cristo, El proceso de comunicaciones, un aliado estratégico, En el Corazon de la esperanza, memoria
institucional, 2012, p.82.
418
-partis politiques inclus-
419
Thomas CAROTHERS et William BARNDT, Civil society, Foreign policy, 1999, p. 18.
420
WEINER, Myron définit la pratique participative comme : « L’ensemble des actions volontaires, réussies ou non, organisées ou
non, épisodiques ou continues, employant des moyens légitimes ou illégitimes, visant à influencer le choix des politiques, l’administration des
affaires publiques ou le choix des leaders politiques, l’administration des affaires publiques ou le choix des leaders politiques à tout niveau du
gouvernement (…) » in : WEINER, Myron, Political participation: Crisis of the political process, Crises and Sequences,
political development, 1971, p. 152 cité in Chagnollaud D., Science politique, Les pratiques de participation, Cours Dalloz,
7ème édition, p.152 .
421
KITSUSE John et SPECTOR Malcolm, Toward a sociology of social problems: Social conditions, value-judgments,
and social problems, Social problems, 1973, p. 407-419; MANIS Jerome, The concept of social problems: vox populi
and sociological analysis, Social Problems, 1974, p. 305-315; KITSUSE John et SPECTOR Malcolm, Social problems
and deviance: Some parallel issues, Social Problems, 1974, vol. 22, p. 584; MAYER Robert et LAFOREST Marcelle,
Problème social: le concept et les principales écoles théoriques, Service social, 1990, vol. 39, no 2, pp. 13-43.
188
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
tout du moins d’un objectif collectif. Or c’est bien à travers cette médiation sociopolitique ambiguë,
l’entrée en lice d’un tiers informant, que la résurgence du phénomène idéologique sur la formation
du discours factuel peut être mise en cause.
La société civile tend dans le contexte urbain marginal guayaco à se chevaucher en partie
avec un second cercle de collectifs, composé quant à lui des entreprises dites « de bienfaisances ». Les
organisations visées se caractérisent en règle générale par la poursuite d’initiatives privées relevant de
l’intérêt général et, plus précisément, par la conduite d’activités de type philanthropique 422. Camille
Goirand, dans le cadre de travaux effectués aux abords des favelas de Rio, invite clairement à
dépasser du point de vue analytique l’apparente convergence d’objets sociaux, attachée à la
philanthropie. L’auteure livre une description nettement plus complexe et plausible du tissu social en
question :
« dans ce contexte de carences multiples, tant des infrastructures et des ressources que de la
justice et de l’intégration, de nombreux acteurs extérieurs interviennent pour développer
une action sociale dont ils attendent des bénéfices en matière de pouvoir politique et de
contrôle social : s’y rencontrent, outre les services municipaux, les ONG humanitaires et
les associations, des hommes politiques en campagne électorale, des trafiquants de drogue
qui règnent sur leurs “territoires”, des représentants de l’Église catholique et des
nombreuses Églises protestantes traditionnelles et pentecôtistes, dont l’audience ne cesse de
croître. La rencontre de ces stratégies concurrentes dans ces quartiers d’exil est favorisée
par deux facteurs. La forte densité de la population confère à toute action sociale une large
notoriété ; et les autorités publiques (police, justice ou services d’action sociale) y sont peu
présentes ou peu légitimes. Les bidonvilles constituent ainsi un terrain propice à toutes
sortes d’entreprises de bienfaisance »423.
Le discours factuel des entreprises de bienfaisance dépasse sensiblement l’enjeu initialement
perçu de la divulgation d’une action immédiate auprès des populations en situation de vulnérabilité
— pour des motifs humanistes, religieux, moraux, etc. —. L’analyse du discours factuel des organisations de
422
Cynthia Sanborn y Felipe Portocarrero S. Filantropía y cambio social en América Latina / Eds. -- Lima, Centro de
Investigación de la Universidad del Pacífico ; David Rockefeller Center for Latin American Studies, 2008.
423
GOIRAND, Camille, " Philanthropes" en concurrence dans les favelas de Rio, Critique internationale, 1999, vol. 4,
no 1, p. 155-167.
189
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
bienfaisance fait largement écho en ce sens à l’idée d’une « politisation » de l’action philanthropique.
Jacques Lagroye évoque sur ce registre « toute tentative de dépassement des limites assignées par la sectorisation
à certain types d’activités » résultant généralement en « la prise de conscience chez les acteurs étrangers aux jeux
ordinaires de l’espace politique et à ses enjeux spécifiques, de ce qu’ils appellent la dimension ou la portée politique de
leurs activités424 ». L’ouverture au sein des organisations philanthropiques des départements dits de
« communication sociale », de même que la mise en place de véritables stratégies de gestion de
l’information, paraissent largement significatifs, sur ce registre, du risque latent d’habillage et de
distorsions des faits de « pauvreté » ou de « vulnérabilité ».
La démarche appelle dès lors non pas seulement une certaine vigilance critique et analytique,
mais aussi un questionnement sur les méthodes d’intervention et de travail « sur », « avec » et « au
nom de » la groupalité. Retenons, à ce point de l’argumentaire et de manière générale, qu’aux
versions « officielles » de la marginalité urbaine répond, en tout état de cause, une pluralité de
discours factuels issus du tissu de bienfaisance.
Dans l’écosystème politique guayaquileño, « la Junta de Beneficiencia de Guayaquil
425
»,
littéralement l’Union de bienfaisance de Guayaquil426 crée en 1888 la plus récente « Fundacion municipal siglo
XXI para la regeneracion urbana » — Fondation municipale Guayaquil XXI siècle pour la Régénération urbaine427
— de même que certaines organisations religieuses constituent sans doute les exemples les plus
emblématiques de ce type d’organisations philanthropiques ayant pleinement endossé un rôle
424
Jacques Lagroye (dir.), 2003, La politisation, Socio-histoires, Belin, Paris, p. 365.
L’objectif institutionnel statutaire de la fondation est « d’apporter une assistance solidaire, sans but lucratif, présentant
le niveau le plus élevé de qualité et de chaleur humaine auprès des personnes les plus nécessiteuses et de celles qui
requièrent nos services, contribuant à l’amélioration de la qualité de vie de la population. » ; L’organisation constitue de
fait un pouvoir politique local institué, la fondation est gérante du système de loterie nationale, de quatre hôpitaux, de
collèges et lycées, de centres d’accueil, d’hospices et maisons de retraite et de deux
cimetières.http://www.juntadebeneficencia.org.ec/es/nosotros/historia
425
426
"Celui qui fait du bien à autrui, bienfaiteur" http://www.cnrtl.fr/definition/dmf/bienfaiteur; qui tend dans la pratique
à
former
une
union
de
bénéfacteurs,
« ceux
qui
héritent
du
bienfait » ;
http://www.cnrtl.fr/definition/dmf/b%C3%A9n%C3%A9facteur
427
http://guayaquilsigloxxi.org/
190
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
historique d’acteur politique. Ces entreprises mobilisent un discours factuel dans le sillage d’une
action sociale exercée « au nom et au service » du « peuple’428.
Conclusion
Refermant à présent le propos sur ce premier cercle « philanthropique » d’acteurs, la suite des
propos composera avec une frange du discours universitaire régional et comparatiste.
La diversité des expressions et des images évoquées aura permis, en guise de conclusion, de
mettre à jour certains rouages idéologiques de la production de dispositifs factuels. Aborder la
marginalité urbaine et ses « sujets » sous les traits d’un phénomène social autonome, quantifiable,
prévisible s’avère porteur de systématisations questionnables429. Il résulte du risque de glissement
épistémologique, d’une déviation somme toute inévitable, que la mobilisation discursive des faits de
marginalité urbaine présente une ambivalence constitutive. Le processus sociohistorique de
formation du droit se trouve en partie éludé, réduit au silence au même titre que la phénoménologie
du travail juridique. À ce point du raisonnement, introduire une distance critique face à la découverte
factuelle d’un état du droit, aux données sociales « pauvreté », « vulnérabilité », reconsidérer leur
impact sur la pratique du droit paraît inévitable.
Face à de tels écueils, le virage méthodologique et micropolitique tient nécessairement à un
repositionnement des acteurs juridiques, situation à la fois d’électeurs et objecteurs, sur
l’échiquier représentatif.
428
Pour des points de vue critiques: GARCÉS Chris, Exclusión constitutiva: Las organizaciones pantalla y lo anti-social
en la renovación urbana de Guayaquil, Iconos, Revista de Ciencias Sociales, 2004, no 20, p. 53-63; ANDRADE, Xavier,
" Mas ciudad", menos ciudadanía: renovación urbana y aniquilación del espacio público en Guayaquil, Análisis, 2006.
429
Villegas Mauricio Garcia, notas preliminares para la caracterización del derecho en América Latina, El otro derecho
ILSA, Bogotá, Colombia, n°26-27, Abril 2002, p.13-48.
191
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Chapitre 2 (…) au travail de mise en contexte de l’agir juridique
professionnel
« Accorder une certaine primauté théorique aux manières dont le droit est vécu n’est pas
si vain d’un point de vue épistémologique qu’il pourrait paraître au premier abord. (…)
nos processus de théorisation sont, dans tous les cas basés sur la façon dont nous faisons
l’expérience des phénomènes (sur notre expérience des phénomènes), la manière dont nous
construisons nos données. Parler en termes d’expérience, c’est simplement articuler ses
méthodes plus ouvertement »430.
Dans quelle mesure l’approche « de terrain » entendue comme une méthode de recherche
commune à la sociologie qualitative, à l’anthropologie, à l’ethnologie ou encore à la géographie
humaine, mais a priori étrangère à la démarche investigatrice du juriste est-elle susceptible d’un
transplant, d’une incorporation à l’arsenal des techniques et des ressources servant l’objectif d’une
« juste » appréciation des faits sociaux en droit ?
Paraphrasant le propos de Véronique Champeil-Desplats, retenons comme point d’accroche
de ce développement la proposition théorique selon laquelle l’étude des « méthodologies et des sciences du
droit » renvoie en substance à celle « des méthodes et des programmes méthodologiques associés aux prétentions
qui visent à construire un savoir scientifique sur le droit’431. La méthodologie juridique pourrait se définir,
autrement dit, en référence à l’étude “de la pluralité des conceptions de la science juridique’432.
Poursuivons en retour l’idée selon laquelle l’intégration d’un regard méthodologique sur les
techniques d’appréhension de la croissance urbaine marginale des villes du Sud s’intègre pleinement
à l’objectif général et sous-jacent de constitution d’un savoir scientifique et technique sur le droit et
ses pratiques. La démarche contribue, plus prosaïquement sans doute, à la production de l’argument
juridique duquel relève nécessairement une ‘thèse de droit’. L’étude et la méthode d’observation des
430
FITZPATRICK B (traduit par Nathalie Jean-Alexis), « Expérientialisme et réflexivité dans le développement de la
théorie juridique, Vers une « théorie expérientielle » du droit: One side of a dialogue. Exemples actuels de Socio-Legal
Studies au Royaume-Uni ». Droit et société, 1997, no 36-37, p. 295-306.
431
Véronique Champeil-Desplats, Méthodologie du droit et des sources du droit, 2014, p.26-27.
432
V. G. Kalinowski, Querelle de la science normative, Paris, LGDJ, 1973, p.3 et s. cité in Véronique Champeil-Desplats,
Méthodologie du droit et des sources du droit, 2014, p.26-27.
192
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
phénomènes sociaux sont, en d’autres termes, considérées comme indissociables d’un processus
intermédiaire d’approfondissement des connaissances de fait attachées à la croissance urbaine
marginale de Guayaquil.
Une fois cette hypothèse de travail avancée, le questionnement suivant apparaît,
logiquement, celui de la caractérisation de ce volet ‘proactif’ de l’approche de terrain. Le travail
d’observation directe et intersubjective du fait social, l’immersion que celui-ci suppose, ne s’inscrit
pas dans une continuité évidente ou intuitive avec la recherche en droit, avec le processus
‘traditionnel’ ou ‘classique’ de construction de l’argument ou de l’interprétation juridique. Son
intégration au dispositif de recherche, relève bien au contraire, du procédé, d’une démarche rationnelle
et argumentative visant à établir un dialogue de principe entre ‘le travail de terrain’ et l’activité de
production scientifique.
Ce point de contact ne se substitue en aucune mesure aux méthodes d’appréhension des
phénomènes sociaux déjà évoquées, à ‘la bibliothèque virtuelle’ ou à ‘l’observation d’appartement’. Il
s’y adjoint, se glisse dans ses interstices, le vivifie. Il reste, dans ce contexte et dès lors, à cerner sa
spécificité, à intégrer les éléments d’une ‘démarche réfléchissante’ alternative prenant pour objet
l’appréhension et la restitution de la croissance urbaine marginale comme contexte de formation et
de réalisation du droit.
Érigée comme objet de recherche, per sé, envisageons par la suite l’approche de terrain
comme l’ouverture matérielle du champ de la méthodologie juridique à l’étude et à l’usage d’une
palette de techniques d’investigation développées dans le cadre des sciences humaines et sociales433.
Suivant Madeleine Grawitz, cet ensemble peut encore être désigné symboliquement comme le
corpus des ‘techniques vivantes de recherche’’434.
À l’image de la prise d’un train en marche, l’axe de recherche engage le juriste à suivre l’état
d’une discussion heuristique initiée en périphérie du droit, mais dont l’issue affecte directement la
qualité de ses sources et, plus largement, la fluidité de ses hypothèses de travail435. Cette discussion
Anitua Gabriel Ignacio, Notas sobre la metodología de investigaciones empíricas en derecho, extrait de l’ouvrage,
Observar la ley, ensayos sobre metodología de la investigación jurídica, Christian Courtis (éd.), p.349-392.
433
434
Grawitz Madeleine, Méthodes des sciences sociales, Précis Dalloz, 11 e édition, 2000, p.524 et s.
435
Consulter au sujet du tissage de la relation entre le droit et la géographie : Patrice Melé, « Pour une géographie du
droit en action », Géographie et cultures [En ligne], 72 | 2009, mis en ligne, le 07 mai 2013, consulté le 15 avril 2014.
193
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
incite, en particulier, à explorer et à se familiariser avec le registre des techniques de recherche
relevant alternativement de ‘l’observation participante’, de la ‘grounded theory
436
’, des ‘démarches
ethnographiques’ ou ‘anthropographiques’ appliquées au droit, de saisir les clés méthodologiques d’une
‘observation microscopique’’437ou ‘par le bas’438, ainsi que, tout simplement, des ‘approches dites ‘in situ’ des
faits de marginalité urbaine.
Démembrés, recombinés, entrecroisés dans la pratique au gré des circonstances et selon les
besoins de l’argumentation poursuivie, les instruments de cette boîte à outils présentent le trait
commun d’emprunter aux registres de l’expérience sensible et de l’observation directe. Poursuivons
cet élagage du concept ‘d’approche de terrain’ à la fois aperçu théoriquement, mais aussi reconstitué
a posteriori au regard d’une expérience de vie à Guayaquil couvrant l’ensemble de la période de
recherche. Revenons plus spécifiquement sur deux traits constitutifs du programme méthodologique
qui sert d’ossature à la réflexion amorcée.
Sera poursuivie à travers l’approche de terrain une représentation du contexte urbain
marginal qui est, premièrement, dessinée à l’épreuve d’une unité de temps, d’espace et
d’acteurs sociaux (Section 1) ; une représentation qui est, deuxièmement, à même de restituer la
dimension ‘intersubjective’ du contexte d’étude et de réalisation du droit envisagé (Section 2).
Section 1 La mise à l’épreuve du temps et de l’espace
URL : http://gc.revues.org/2199 ; DOI : 10.4000/gc.2199 ; Fabrizio Maccaglia et Marie Morelle, « Pour une géographie
du droit : un chantier urbain », Géocarrefour [En ligne], Appels à contribution, mis en ligne le 16 avril 2013, consulté le
03 mai 2013. URL : http:// geocarrefour.revues.org/8722
« Une théorie fondée est une théorie qui découle inductivement de l’étude du phénomène qu’elle présente. C’est à dire qu’elle est découverte,
développé et vérifiée de façon provisoire à travers une collecte systématique de données et une analyse des données relatives à ce phénomène.
Donc, collecte des données, analyse et théorie sont en rapports réciproques étroits. » (Anselm Strauss, 1990) Cité in Beitone, Dollo,
Gervasoni, Rodrigues, Sciences sociales, Aide-mémoire, Sirey 7e édition
436
437
Sawicki Frédéric, Les politiques et le microscope, in CURAPP, Les méthodes au concret, Paris, Presse universitaires
de France, 2000n, p.146 ; Jacques Revel, Micro-analyse et construction du social, in Jacques Revel : “L (dir.) Jeux
d’échelles: la micro-analyse à l’expérience, Paris EHESS 1996, p.30 ; cités in Geoffray Marie Laure, Conteste à Cuba,
Préface de Olivier Dabène, Nouvelle bibliothèque de thèses, Science Politique, Dalloz.
438
Lorelei Lingard, Mathieu Albert and Wendy Levinson, Qualitative Research: Grounded Theory, Mixed Methods, and
Action Research, BMJ: British Medical Journal, Vol. 337, No. 7667, 23 aug. 2008, pp. 459-461; URL:
http://www.jstor.org/stable/20510644 .Accessed: 11/06/2014 10:12
194
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le processus de familiarisation ou d’imprégnation du chercheur avec ‘le terrain’ s’érige
schématiquement et, de prime abord, sur la base d’un pari. Cette présomption initiale c’est celle d’un
ajustement progressif et, in fine, d’un approfondissement de la connaissance des phénomènes sociaux
à travers l’induction d’un rapport à l’espace, au temps et aux acteurs ‘locaux’. S’agissant, plus
précisément, dans le cas présent de la zone métropolitaine de Guayaquil, cette maturation s’effectue
dans le sillon d’un contact direct et prolongé avec la ville. La reconstruction de ce cadre de vie patine
au fil du temps l’objet de la recherche. Utilisant la métaphore d’une boîte noire de l’observation de
terrain, Olivier de Sardan note justement dans un article original intitulé ‘les politiques de terrain’ :
‘Ce que le chercheur observe, voit, entend, durant un séjour sur ‘le terrain’, comme ses
propres expériences dans les rapports avec autrui, tout cela va ‘entrer’ dans cette boîte
noire, produire des effets au sein de sa machine à conceptualiser, analyser, intuiter,
interpréter, et donc pour une part va ensuite ‘sortir’ de ladite boîte noire pour structurer en
partie ses interprétations, au cours du processus de recherche, que ce soit pendant le travail
de terrain, lors du dépouillement des corpus ou quand vient l’heure de rédiger439.’
Prenant les traits d’une technique d’échantillonnage du fait social, l’approche de terrain
implique un mouvement ‘d’enclosure’ au sens d’une circonscription à la fois matérielle et symbolique
de l’objet de la recherche. Revenons plus en détail sur les deux principaux présupposés
méthodologiques du processus d’imprégnation entrepris : l’épreuve de l’espace guayaco (A) puis
celle du temps d’immersion (B).
G)
L’épreuve de l’espace
Quant à sa dimension spatiale, premièrement, le processus d’imprégnation peut, en guise de
propos introductif, être utilement rapproché de ce que les sciences humaines et sociales, la géographie
humaniste440 en particulier, désignent techniquement comme relevant de l’approche phénoménologique des
439
OLIVIER DE SARDAN, Jean-Pierre. "La politique du terrain. Sur la production des données en
anthropologie." Enquête. Archives de la revue Enquête 1 (1995): 71-109.
BRUN-PICARD Yannick, L’humanisme géographique, Thèse présentée à la faculté des études supérieures de
l’Université Laval pour l’obtention du grade de Philosophiae Doctor, Faculté de géographie de l’Université de Laval
Québec mars 2005.
440
195
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
espaces urbains441. À cette démarche à la fois cognitive et perceptive correspond généralement un
renvoi préalable au registre philosophique d’ouverture et de priorisation de l’expérience vécue, le
‘Lebenswelt’442. À cette tentative de calibrage de la recherche à une échelle humaine s’ajoute la mise en
perspective de cette expérience, de ce vécu, à celui ou celle d’autrui. Maurice Merleau-Ponty
représentait cette ‘phénoménologie de la perception’443 par le postulat suivant :
« II est vrai qu’un livre de géographie contient un large savoir scientifique sur les paysages, les
fleuves, les mers, mais ce savoir n’est accessible que sur la base d’une expérience individuelle
originale plus fondamentale et plus absolue. Cette expérience nécessite un contact quotidien avec les
paysages, les fleuves et les mers »444.
S’écartant ensuite du registre philosophique la circonscription ‘spatiale’ du dispositif
d’imprégnation, du terrain, trouve un point d’équilibre pratique au regard d’une exigence de ‘densité’,
d’intensité du contact entre la réalité sociale et son observateur. L’enjeu poursuivi est d’accéder à un
degré de perception qui permette de relier des sphères, des acteurs, des situations normalement
disjointes par l’analyse. Ces mêmes données ne sont généralement pas retenues au cours du
processus traditionnel d’élagage des faits pertinents. Reprenant une nouvelle fois » Olivier de Sardan
l’enjeu est bien alors de ‘prendre en compte des données qui sont de référence, de pertinence et de fiabilité variables,
dont chacune permet d’appréhender des morceaux de réel de nature différente, et dont l’entrecroisement, la convergence et
le recoupement valent garantie de plausibilité accrue.’
Le ‘terrain’ suppose du juriste qu’il navigue dans les divers circuits sociaux qui composent la
trame urbaine, se heurte à leur complexité, leurs imbrications, leurs distorsions. Cet accès du
441
MEYOR, Lamarre, Thiboulot, L'approche phénoménologique en sciences humaines et sociales, Questions
d'amplitude, Recherches qualitatives, Vol.25 (1), 2005, p.1-8 ; LYOTARD Jean-François, La phénoménologie, 14e éd.,
Paris, Presses universitaires de France « Que sais-je ? », 2004, 128 pages.
442
« Lebenswelt » : Concept introduit par Husserl Edmund, Idée de phénoménologie, Paris, Presses universitaires de
France collection Epiméthée 1978 2e édition ; Le Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris,
Presses universitaires de France, collection « Quadrige », 1990, pages 235-236 ; et Maurice MerleauPonty, Phénoménologie de la perception, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1976, pages II-III et p. 240, et p.
348 ; et Maurice Merleau-Ponty, Le Primat de la perception et ses conséquences philosophiques, Éditions Verdier, 1996,
page 67.
443
Merleau-Ponty Maurice, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard 1945.
444
Cité in SANGUIN Andre-louis, La géographie humaniste ou l'approche phénoménologique des lieux, des paysages et
des espaces, Annales de Géographie, n°501, 1981, pp. 560-587.
196
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
chercheur aux ‘sous-ensembles d’états physiques et conceptuels445’ permet, éventuellement, de représenter le
contexte urbain marginal à travers le filtre d’un vécu individuel. Il se trouve matériellement
conditionné par sa capacité réelle, ‘expérientielle’ d’accès à l’espace et d’entendement de la vie
quotidienne au sein des ‘asentamientos humanos’ sur une période d’investigation limitée dans le temps.
Suivant cet ordre d’idées, soutenir un propos ‘de terrain’ sur la croissance urbaine marginale
de Guayaquil se limite d’abord, dans le cadre de la recherche envisagée, au champ d’une expérience,
d’un ‘vécu’ limité à la zone métropolitaine. Les ‘asentamientos humanos’ émergent ensuite à travers
l’expérience de la frontière. L’espace urbain marginal se découvre par le contraste, la mise en
perspective avec la mosaïque des zones urbaines régénérées, des espaces consolidés, des
urbanisations privées ‘ciudadelas’, des programmes de logement social, les ultimes espaces ruraux du
canton de Guayaquil et une poignée d’espaces naturels protégés. L’ensemble de ce tissu urbain est
‘physiquement’ accessible au quotidien et fort bien desservi par le réseau des transports urbains.
L’enjeu tient alors en tout état de cause à se rapprocher au plus près du niveau perceptif de l’acteur
‘local’, ou tout du moins, à écarter le risque de s’y soustraire totalement. Le dispositif d’itération et de
triangulation spatiale central de la recherche est représenté à travers le diagramme ci-dessous.
445
PASCOE, Adding generic contextual capabilities to wearable computers, In Wearable Computers, 1998. Digest of
Papers, Second International Symposium on, pages 92–99, octobre 1998. Cité in SANCHO Germán, Adaptation
d'architectures logicielles collaboratives dans les environnements ubiquitaires, Contribution à l'interopérabilité par la sémantique, Thèse,
Université Toulouse 1 Capitole, soutenue en 2010 p. 13.
197
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
PROJET EDAS —
MONTE SINAI,
SECTEUR URBAIN
MARGINAL —
PARROQUIA XIMENA
— CENTRO-SUR
PARQUE FORESTAL,
SECTEUR URBAIN
CONSOLIDÉ)
UNIVERSITÉ ESPOL
— CAMPUS ESPOLPROSPÉRINA —
ZONE NATURELLE
PROTÉGÉE,
PÉRIPHÉRIE DIRECTE
DU SECTEUR URBAIN
MARGINAL)
SECTEUR-CENTRE -9
DE OCTUBRE,
MALÉCON 2000,
ZONE RÉGÉNÉRÉE —
Figure 6 Dispositif de triangulation spatiale
H)
L’épreuve du temps
Quant à sa dimension diachronique 446, le travail du juriste-chercheur sur le fait social est
méthodologiquement abordé à l’épreuve du temps, au sens d’une durée d’exposition au contexte
observé 447 . La connaissance du fait social, en droit, ne présente en aucune mesure un caractère
linéaire. Michel Berry formule sur ce plan un constat de bon sens selon lequel « une bonne thèse n’est
La démarche ethnographique selon Daniel Cefai relève d’“une observation prolongée (...) d’un milieu, de situations et
d’activités, adossée à des savoir-faire qui comprennent l’accès au(x) terrains, (...) la prise de notes la plus dense et la plus
précise possible et/ou l’enregistrement audio ou vidéo de séquences d’activités in situ” ; Daniel Cefai (dir.),
L’engagement ethnographique, Paris, Éditions de l’EHESS, 2010 cités in Geoffray Marie Laure, Conteste à Cuba,
Préface de Olivier Dabène, Nouvelle bibliothèque de thèses, Science Politique, Dalloz.
446
447
OST, François, Le temps du droit, Odile Jacob, 1999.
198
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
pas une continuité tranquille avec le travail de terrain »448. La connaissance des phénomènes sociaux urbains
marginaux tend à s’établir au contraire par itération, autrement dit par un « mouvement de va-et-vient »
entre l’atelier « littéraire » du juriste et « le terrain ». Il semble en ce sens intéressant de retenir une
nouvelle fois une proposition d’Olivier de Sardan lorsque ce dernier affirme :
« L’observation n’est pas le coloriage d’un dessin préalablement tracé : c’est l’épreuve du
réel auquel une curiosité préprogrammée est soumise. Toute la compétence du chercheur de
terrain est de pouvoir observer ce à quoi il n’était pas préparé (alors que l’on sait combien
forte est la propension ordinaire à ne découvrir que ce à quoi l’on s’attend) et d’être en
mesure de produire les données qui l’obligeront à modifier ses propres hypothèses »449.
Envisagée comme un questionnement méthodologique face à l’imprévu, l’observation de
terrain se matérialise, pour réinvestir une distinction introduite par le même auteur, à un double
niveau. À un premier niveau, lui correspond un processus d’itération concrète désignant simplement
« les va-et-vient d’un chercheur sur le terrain ». À un second niveau, lui correspond un processus d’itération
abstraite, symbolique, qui désigne un va-et-vient entre la problématique juridique et le volume des
données, des interprétations et des expériences qui se sédimentent.
Appréhendons en l’occurrence le processus d’itération concrète pour désigner le « butinage »
continu entre des espaces de recherche distincts. À cette mixité des espaces de recherche
correspond, en toute logique, une diversité d’interlocuteurs, des points de vue et des ressentis sur le
fait social urbain marginal. Référons-nous en l’occurrence principalement aux espaces d’implantation
et d’exécution des projets, « au bureau », à l’Université locale (ESPOL), au temps passé dans les
transports publics, dans « l’espace de migration pendulaire » et à la discussion incontournable avec
les chauffeurs de taxi, au point d’étape annuel à l’université de Nanterre et aux échanges avec notre
directrice de thèse, etc.
Abordons ensuite l’itération abstraite pour désigner la succession des temps et des rythmes
d’observation du contexte urbain marginal guayaquileño. L’imprégnation avec le terrain revient sous
cet aspect à consentir et à jouer avec un état de crise. La mise en danger permanente des hypothèses
de travail « depuis le terrain » en vient à constituer une méthode, une constante du travail de
448
BERRY Michel, « Diriger des thèses de terrain, Gérer et comprendre », 2000, vol. 62, no 2000, p. 88-97.
449
Olivier de Sardan Jean-Pierre, « La politique du terrain », Enquête, n°1, 1995.
199
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
recherche. Dans les premiers temps de cette gymnastique intellectuelle, l’espace de réflexion
s’ouvrant sur « le fait social », le temps dédié à l’observation paraît s’entrechoquer avec l’espace de
réflexion « sur le droit » et même parfois s’y substituer totalement. Suivre la voie du terrain implique
dès lors effectivement d’embrasser le risque d’un égarement, d’une perte de repères induite par les
aléas de l’observation participante, directe et prolongée. Il aura donc fallu sur un plan personnel
apprendre à « mesurer » ce mouvement d’itération abstraite, à préserver ou recréer un espace pour
l’analyse et le « traitement du vécu », apprendre, ensuite, à anticiper et parfois même, à provoquer des
situations de rupture allant jusqu’à la nécessité d’un retrait, d’une extraction pure et simple « du
terrain ». La dimension diachronique de l’approche de terrain s’effectue paradoxalement à la fois
« pour le salut » de la connaissance du fait social, mais aussi au « péril » de la recherche doctorale et
du travail de terrain.
Le potentiel perturbateur de la démarche dans le temps, sa « causticité », peut s’observer de
manière très simple et illustrative à travers les transformations successives de notre problématique de
recherche initiale. Celle-ci se déplace, se modifie, se plie et finalement se reconstruit à l’épreuve du
fait social, du vécu individuel et des informations recueillies au compte-goutte de l’itération. Dans le
cas présent, reproduisons de manière anecdotique une série de trois observations extraites d’une
note de travail rédigée à l’issue de notre première année de recherche qui avec le recul paraissent
assez symptomatiques de l’incidence silencieuse du « terrain » sur l’ensemble du processus de
recherche :
«
1. La question de l’accès des populations vulnérables à l’alimentation est
supplantée en Équateur par les questions d’accès au logement social — la Vivienda —
principalement et plus généralement par celle de l’accès aux services essentiels en milieu
urbain : eau, électricité, voirie et transports publics, santé, éducation, sécurité, etc. Le droit
à l'alimentation et le principe la souveraineté alimentaire, bien que tous deux consacrés
constitutionnellement, restent des thèmes marginaux dans la vie politique et juridique
locale.
2. La question de “la mise en œuvre” et en particulier de la justiciabilité des droits
sociaux au sein des établissements humains informels si elle est effectivement présente sur
le plan théorique n’est pas non plus au centre du débat juridique actuel en Équateur. On
trouve une première explication possible dans les orientations politiques de l’action
200
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
gouvernementale : le gouvernement du président Rafael Correa se montre très critique face
à l’approche traditionnelle des Droits de l’homme impliquant la possibilité d’une mise en
jeu de la responsabilité juridique de l’État et conteste publiquement la juridiction de la
Cour Interaméricaine des droits de l’homme. Comme seconde explication plus structurelle,
la mise en œuvre des droits sociaux, et en particulier, le droit à l’alimentation initialement
visé, n’est que très rarement invoquée par les personnes “vulnérables” et, quand elle l’est,
c’est essentiellement dans une dimension discursive ou revendicative plus que la prétention
à faire valoir un droit au sens juridique.
3. La dialectique “formel-informel”, “légal-illégal”. Si celui-ci demeure l’un des aspects
fondamentaux du sujet, le prisme tend à offrir une vision limitée et même trop rigide des
modes de réalisation du droit au sein des établissements humains informels qui ne
correspond pas à la diversité et à la complexité des situations observées sur “le terrain”. »
(2013).
Des observations similaires se sont poursuivies au fil des années. « L’accès des populations
vulnérables et marginalisées à l’agriculture dans les Pays du Sud : entre informalité et légalisation » l’intitulé
provisoire du projet de thèse en 2011 apparaît nettement et avec le recul comme relevant de cette
« curiosité préprogrammée » mentionnée par Olivier de Sardan. L’intitulé s’est ensuite mué vers
« L’accès à l’alimentation des populations marginales urbaines et périurbaines de la périphérie nord-ouest de
Guayaquil ». Il a ensuite pris la forme de « L’approche dialogique des modes de réalisation du droit au sein des
Établissements humains informels » pour se stabiliser sur la fin du processus et face à la nécessité de
marquer un point d’étape, sur « La fonction sociale du juriste à l’épreuve de la croissance urbaine marginale des
villes du Sud : jalons pour une micropolitique des usages et des pratiques du droit (…) ».
Achevant à présent ce bref tour d’horizon du processus d’imprégnation et de ses principales
implications d’ordre méthodologiques, abordons le second volet du programme de restitution du
contexte urbain marginal en droit : la gestion et le travail sur le registre de l’intersubjectivité.
201
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Section 2 La mise à l’épreuve des subjectivités individuelles et collectives
« Le juriste ne peut se dérober à l’obligation de prendre parti sur le fait qui a provoqué ou
provoque l’intervention de la loi ; il ne peut se dispenser de choisir parmi les buts dont la
réalisation peut être poursuivie. Le jugement de valeur est une étape décisive de la
réflexion juridique450. »
Une fois identifiés les risques inhérents d’une instrumentalisation et d’un usage finaliste ou
idéologique des données contextuelles, il convient d’aborder la question du repositionnement et de
l’éventuelle réhabilitation des subjectivités individuelles et collectives. Les subjectivités sont
appréhendées cette fois comme des aléas inhérents à l’opération technique de restitution du contexte
urbain marginal. L’approche de terrain doit composer, en vue de cette reconfiguration avec une
difficulté technique qui touche tout d’abord à la formation d’un critère, point de vue personnel.
Le point d’origine de cette tension semble pouvoir être restitué dans ce que Peter Gabel
désigne justement comme le champ des « séparations (…) entre l’esprit et le corps, la pensée et les sentiments,
l’analyse et la compréhension, telles qu’elles se manifestent dans l’espace public de la scène juridique. 451 » La
subjectivité du chercheur, celles des acteurs locaux et, plus généralement, de l’ensemble des
« informateurs » sur le fait social n’est plus envisagée dans cette optique comme une contrainte de
recherche, mais bien comme une ressource, une texture additionnelle du fait social qu’il faudrait
parvenir à appréhender, intégrer au dispositif de représentation factuelle.
Décomposons ce dispositif en deux temps. Dans un premier temps, appréhendons
l’approche de terrain à l’image d’un « audit des subjectivités individuelles ». Une distanciation
systématique avec ce qui, reprenant la terminologie wébérienne, relève a priori du principe de neutralité
axiologique et de la construction du rapport aux valeurs de l’observateur du fait social452 est amorcée. La
450
Christian ATIAS et Didier LINOTTE, «Le mythe de l'adaptation du droit au fait», D. 1997, p.251, cité in KOUAM,
Siméon Patrice. La définition du juriste et la redéfinition de la dogmatique juridique (à propos du syncrétisme
méthodologique). Les Cahiers de droit, 2014, vol. 55, no 4, p. 877-922.
451
GABEL, Peter et MICHAUT, F, Critical Legal Studies et la pratique juridique: la conception de la culture juridique et de la
pratique du droit comme interventions culturelles, Droit et Société, 1997, n° 36/37, p.390.
“Neutralité axiologique” : Pour Max Weber, le savant et le professionnel doivent s’interdire de confondre jugement de
fait et jugement de valeur et exercer une vigilance épistémologique à l’égard de leurs propres croyances et de leurs
452
202
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
production des connaissances factuelles passe alors par la réhabilitation des points de vue personnels
et collectifs (A). L’observation passe de même et simultanément par la mise en place de dispositifs
ou techniques de « triangulation » conditionnant l’arbitrage entre subjectivités individuelles et
collectives (B).
A)
Le terrain à l’épreuve du « je »
L’audit de subjectivités prend ci-dessous pour objet la subjectivité de l’observateur 453 en
premier lieu puis celle des acteurs rencontrés au fil du parcours expérientiel.
Quant à sa dimension personnelle et émotionnelle, l’imprégnation renvoie plus spécialement
à un continuum idée, volonté, tentative d’immersion dans un quotidien. L’observateur de terrain
appréhende les faits de marginalités urbaines, les personnes et les situations qu’il découvre sous les
traits de « l’altérité », d’une réalité qui lui paraît, à un premier égard, éloignée de son point d’origine
géographique et culturelle. Je me rappelle à titre d’anecdote d’un volontaire international qui, après
trois mois passés sur le terrain, évoquaient encore systématiquement les habitants de l’asentamiento
par un « ils » et son institution d’accueil par un « nous » ou un « on ». Le discours trahissait bien, à ce
stade de l’immersion, l’impossibilité d’un « je » actant ou d’un « nous » inversé, associant les
participants au projet à une entreprise collective.
Le processus d’immersion et l’intention d’aller plus loin impliquent de « se déplacer plus que
géographiquement (…), de faire un travail particulier d’attention aux choses qui justifie que l’on revienne sur la façon
de regarder, jusqu’à l’intérieur de soi.454 » L’approche de terrain » prend clairement sous cet angle les traits
d’un parcours initiatique, d’une expérience de vie, d’une recherche des situations d’interaction sociale
propres engagements. (Lexique de sociologie, p.253). Le concept trouve sa signification au titre de la définition d’un
rapport aux valeurs du chercheur. “Rapport aux valeurs” : chez Max Weber tout chercheur en sciences sociales a des
valeurs ou des convictions qui interviennent notamment dans le choix des objets de recherche, mais ce rapport aux
valeurs dont il doit être conscient, ne doit pas conduire à mettre en cause la neutralité axiologique. L’existence d’un
rapport aux valeurs ne doit donc pas conduire à formuler des jugements de valeurs ou à s’affranchir des règles du champ
scientifique. (Lexique de sociologie, p.253).
453
de Sardan, Jean-Pierre Olivier. "Le" je" méthodologique: Implication et explicitation dans l'enquête de terrain." Revue
française de sociologie (2000): 417-445.
454
Nicolau Gilda, Geneviève Pignarre, Lafargue Régis, Ethnologie juridique autour de trois exercices, Méthodes du droit,
L’expérience de “terrain”, Dalloz, 2007, p.59-71.
203
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
nées de ce quotidien. L’observateur se doit « d’être physiquement et psychologiquement traversé 455 » de ce
qu’il pressentait comme un éventuel objet de connaissance et qu’il entreprendra plus tard de décrire,
de restituer.
Cet apprentissage du « vivre ensemble » implique nécessairement du juriste placé en situation
d’observateur du fait social l’acquisition d’un registre de communication spontanée. « Il épouse les
formes du dialogue ordinaire456, découvre et expérimente par la même occasion l’extranéité du langage
juridique. Il alterne des postures d’observations passives avec des procédés délibérés d’interaction,
de dialogue. Il se familiarise, au-delà de la langue, avec un parler local, un vocabulaire juridique, des
« jergas » — dictons — et expressions nouvelles.
Dans le cadre de la recherche entreprise, un tel processus aura pris indistinctement les traits
d’une intégration à la fois humaine, professionnelle et personnelle, et, en somme, de l’établissement
d’un espace de vie sur plusieurs années (incluant l’exercice d’acquisition d’une carte d’identité
équatorienne). C’est au regard de cet environnement et au détour de situations de vie courante, dans
les salles de classes, de réunions, de « taller », aux guichets de l’administration, aux échoppes de
restaurant et, finalement, à l’interface entre les espaces urbains marginaux et la ville dans son
ensemble que le dialogue interne sur le droit, son contexte de formation et de réalisation fait
progressivement surface. La découverte de la « sabiduria criolla » et d’expression locales remontant à
l’époque coloniale comme « la ley se acata pero no se cumple 457», que l’on pourrait tenter littéralement de
traduire par « la loi oblige, mais ne s’applique pas » permet par exemple une introduction authentique
aux problématiques de réalisation du droit dans les asentamientos.
Initiant donc à partir d’une réhabilitation du rapport entre le chercheur-observateur et la
subjectivité individuelle, l’enquête de terrain prend les traits d’un travail méthodique sur et à partir
Merleau-Ponty Maurice, LEFORT Claude, Le visible et l’invisible : suivi de notes de travail, Paris, Gallimard, 1964.
cité in Nicolau Gilda, Geneviève Pignarre, Lafargue Régis, Ethnologie juridique autour de trois exercices, Méthodes du
droit, L’expérience de “terrain”, Dalloz, 2007, p.59-71.
455
456
G. Althabe, Ethnologie du contemporain et enquête de terrain, Terrain, 14, 1990, p. 130, cité in Olivier de Sardan
Jean-Pierre, La politique du terrain, Enquête, n°1, 1995, mis en ligne le 10 juillet 2013, consulté le 08 avril 2014. URL :
http://enquete.revues.org/263
457
Sur la question: Araujo, Kathya. ¿ Se acata pero no se cumple ? : estudios sobre las normas en América Latina. Lom Ediciones,
2009.Méndez, Juan E., Guillermo A. O'Donnell, and Paulo Sérgio de Moraes Sarmento Pinheiro. La (in) efectividad de la ley
y la exclusión en América Latina. Vol. 9. Paidós, 2002.
204
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
d’une série d’éléments porteurs de valeurs — culturelles, politiques, idéologiques, etc. — qui ne
passeraient pas a priori le filtre de la neutralité axiologique. L’appréhension de la croissance urbaine
marginale restituée dans le cadre du discours juridique se trouve en général et par convention
dissociée du parcours individuel de recherche, du « désir social » qui anime le chercheur en droit. Il
en irait ainsi de la scientificité du propos juridique. Les préconceptions du taudis, entendues au sens
de « ce que l’observateur pensait trouver sur le terrain », de « ce qu’il estime y avoir découvert », de ce
qu’il voudrait en retenir et placer sur un terrain de « comparabilité scientifique », disparaissent
systématiquement au cours de l’opération de restitution du contexte.
L’entreprise de connaissance du fait se trouve en d’autres termes artificiellement
« objectivée » ou, tout du moins, minimisée. Le « je » s’efface symboliquement et stylistiquement du
point de vue rédactionnel au profit du « on » ou du « nous » impersonnels, d’une recherche aseptisée.
L’envers de cette neutralité axiologique est une susceptibilité marquée à « la perte de matière » ou à la
dématérialisation du fait social urbain marginal. L’écart constaté pose de même, au regard plus
spécifiquement de l’activité de recherche, des conditions de production et de transmission des
connaissances « scientifiques » un problème d’ordre éthique. Un certain « scientisme » du propos
juridique sur la croissance urbaine marginale semble même à redouter dans ce cas de figure. C’est
ainsi que Peter Gabel, plaide, dans une optique similaire, en faveur d’une représentation « éthicoémotionnelle » des faits sociaux en droit et dénonce les dérives d’une construction « technico-rationnelle »
de l’élément factuel :
« La formation que subissent les juristes les conduit à devenir principalement des
techniciens analystes, qui apprennent comment “construire une argumentation” comme si
leur processus de pensée était purement et simplement conditionné par le droit en tant que
discours d’autorité, externe. (…) Il — le raisonnement juridique — devrait aspirer à
une compréhension sympathique qui exige du penseur qu’il s’immerge tout entier dans les
soi-disant “faits” et qu’il interprète leur signification par rapport à la finalité morale ou
sociale qu’il croit que le droit devrait viser. Cependant les méthodes de formation et de
pratiques juridiques existantes tendent en fait à délégitimer et à supprimer ce type de
compréhension globale, valorisant une approche objectivante et froide des situations de
205
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
“fait” et la “rigueur analytique” aussi bien dans l’application des règles que dans la
réalisation d’analyses politiques... »458
S’inscrivant dans la continuité de ce propos, il semble possible de retenir que l’approche de
terrain matérialise sur le plan méthodologique ce souci de visibilité, voire de transparence du point
de vue subjectif individuel.
Les subjectivités collectives apparaissent quant à elles bien plus difficiles à cerner si l’on
considère spécifiquement le caractère et la nature changeante du phénomène participatif dans les
asentamientos. Le regard porté sur les dénominations des quartiers apparaissant sur les documents
de planification urbaine, mais aussi et uniquement parfois sur l’itinéraire des lignes de transports
urbains, s’avère particulièrement enrichissant. Celui-ci apporte un éclairage dans une perspective de
découverte de la ville émergente ou périphérique sous l’angle des subjectivités collectives.
La démarche en facilite tout d’abord et a minima le recensement et une cartographie intuitive
dans la mesure ensuite où se sont les nouveaux habitants qui nomment les lieux dans les premières
heures de l’occupation. Les dénominations retenues offrent la possibilité d’un regard rétrospectif sur
le mouvement fondateur à l’origine du quartier. Tout fait social représentant « un moment de l’histoire
d’un groupe”459 l’acte de dénomination permet de saisir, telle une image instantanée, un état d’esprit de
l’occupant(e) des premières heures. Si cet état d’esprit s’évanouit de toute évidence avec le temps et
selon les aléas de la consolidation du quartier, la toponymie permet d’en suivre la trace. La démarche
ouvre une fenêtre sur l’imaginaire collectif et dévoile la perception du groupe sur son acte
d’intégration au paysage urbain existant460. La faculté de nommer constitue, en ce sens, un mode
d’expression psychosociologique461 et un prélude au développement au rapport de droit. C’est tout
458
GABEL, Peter et MICHAUT, F (trad.), Critical Legal Studies et la pratique juridique: la conception de la culture juridique et de la
pratique du droit comme interventions culturelles, Droit et Société, 1997, 1997, n° 36/37, p.390.
459
M.MAUSS, Oeuvres III cité in Grawitz Madeleine, Méthodes des sciences sociales, Les exigences de la recherche,
Droit public, science politique, Dalloz, Précis, 11e édition, p.392.
460
Sur ce thème consulter aussi: GUILLOREL HERVE, Onomastique, marqueurs identitaires et plurilinguisme. Les
enjeux politiques de la toponymie et de l'anthroponymie, Droit et culture, Revue internationale interdisciplinaire, volume
64, 2012, p.11-50.
Pour une définition du concept d’ « approche psychosociologique » : « Etude de la psychologie des êtres humains dans leurs
relations avec d’autres individus. Discipline frontière entre la psychologie et la sociologie, elle est quelquefois appelée psychosociologie et plus
461
206
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
du moins dans cette optique, sans prétendre à l’exhaustivité, loin de là, que sera restituée ci-dessous
une sélection de dénominations de quartiers aux symboliques les plus évidentes.
Sur cette carte des subjectivités figurent tout d’abord et principalement des dénominations se
référant à la symbolique du foyer, dénominations qui sont elles-mêmes souvent encrées dans une
référence aux registres spirituels et religieux. C’est le cas par exemple des quartiers et secteurs
informels dénommés « Coopérativa Monte Sinaï », « Hogar de Nazareth », « Volontad de Dios », « Regalo de
Dios », « Viernes Santos ».
Ce sont ensuite des dénominations relevant de symboliques touchant aux luttes sociales
comme « Bastion Popular », « el Batallon del Suburbio », « la Prospérina », « Proletarios sin tierras » que l’on
relève. D’autres, plus exotiques, mais tout aussi évocatrices comme « Miami Beach » et la « Florida »
attirent le regard.
Les dénominations incluant des connotations ethniques et celles faisant référence aux
populations afrodescendantes ou indigènes se distinguent : « Barrio Nigeria », « Barrio Cuba »,
« Coopérativa Mayaycu », « Isla la Trinitaria ».
Poursuivant l’exploration apparaissent des dénominations de quartiers historiquement
associées aux politiques gouvernementales ou municipales de logement social qui, si bien
formellement constituées se sont étendus par la suite de manière informelle 462 . C’est le cas par
exemple de la « Ciudadela Martha de Roldos », de la « Ciudadela Victoria » ou encore de « Mucho lote »463.
C’est enfin, à l’inverse, et poursuivant une approche relevant de l’odonymie cette fois, la
multiplication des quartiers portant le nom de figures publiques et des « dirigeants » précédemment
évoqués qui peut être observée. C’est le cas par exemple des coopératives « Sergi Torral » ou « Balerio
Estacio ».
rarement encore socio-psychologie. Cette dernière notion est également employée comme synonyme de psychologie collective, branche de la
psychologie sociale qui étudie les conduites collectives. » Lexique d’économie, Dalloz, 12e édition.
462
Voir sur ce theme: Aguirre María, La acción habitacional del estado en Guayaquil 1972-1979, Tesis para optar a la
maestría en ciencias sociales, con mención en estudios del desarrollo, Flacso, 1980.
Littéralement traductible par « Beaucoup de lots » révélateur au passage d’un certain « parler » populaire qui marque
l’action des autorités publiques dans le domaine.
463
207
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Retenons enfin les dénominations des quartiers plus anciens, désormais parties intégrantes
du centre-ville, qui font référence aux anciennes exploitations agricoles, les « haciendas » comme le
« Guasmo » ou l’« Atarazana »464 de même que les références à des zones conquises au siècle passé
sur l’écosystème de mangrove et sur la forêt tropicale sèche465.
Ce bref survol de la diversité des dénominations des quartiers émergents de Guayaquil
appelle d’emblée une série d’observations qui présentent un intérêt sur le terrain de l’histoire locale
du droit. La dénomination renseigne en effet sur la dynamique accidentée d’intégration à la ville et
semble révélatrice d’un contexte social et juridique protéiforme d’assimilation des nouveaux
habitants au tissu urbain. Il existe dès lors un référentiel commun évident attenant à la logique de
restitution des droits, au progrès social et plus généralement aux attentes touchant à l’amélioration
des conditions de vie. La référence à l’idée de consolidation légale, à une chronologie de l’intégration
des quartiers à la carte administrative et politique urbaine semble de même assez claire.
La croissance marginale de la ville opère par « étapes » et révèle une trajectoire propre à
chaque quartier ou secteur. Il existe par exemple non pas une seule coopérative « Sergi Toral », mais
bien quatre coopératives « Sergi Toral 1, 2, 3, 4 » auxquels correspondent en retour des états « de
consolidation » différents au regard de la loi et du régime d’occupation des sols.
Nonobstant une profonde hétérogénéité des situations de fait, c’est en dernier lieu une
aspiration collective à la reconnaissance formelle du quartier qui peut être devinée. Les références
courantes aux nomenclatures administratives existantes, « officielles », mais aussi coutumières qu’il
s’agisse du « Barrio », de la « Coopérative », de la « Précoopérative », de l’« Association », du « Secteur »,
de la « Ciudadela », de l’« Urbanisation » ou enfin de la « Paroisse » apparaissent comme autant de
références explicites aux registres de la consolidation, de la régularisation voir de la titularisation. Les
dichotomies « légal-illégal », « régulier-irrégulier », « formel-informel » sont de toute évidence mises à
mal par cette parcellisation extrême du territoire urbain.
Refermant ce regard sur le contexte urbain marginal de Guayaquil à partir de l’approche
toponymique abordons par la suite la question de la triangulation.
Voir sur ce thème l’article paru dans el Universo en date du 15 mai 2005, ‘la Atarazana una hacienda transformada en
zona
urbana’,
accessible
en
ligne :
http://www.eluniverso.com/2005/05/15/0001/18/1FF91D82FF4E45B3827AD4F697BC440E.html (09/04/2013)
465
Il en est ainsi de l’ « Estero salado », des « lomas de Mapasingue » ou encore du « Bosque del salado ».
464
208
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
B)
L’enjeu de triangulation
« Le dispositif clinique lui-même est donc convocation, tant pour le clinicien que pour les
sujets ou collectifs avec lesquels il travaille, de plusieurs expériences, de plusieurs contextes
et temporalités466. »
Le programme de recherche s’inscrit ici dans un souci de gestion des subjectivités
individuelles et collectives résurgentes, le travail sur et à partir de l’émergence du « point de vue ».
Les figures du « professionnel », de « l’expert », de « l’enseignant-chercheur », du « légiste », du
« sociologue », de « l’anthropologue » ou de l’historien » du droit tout comme celle de « l’usager du
droit », de « l’habitant », du « profane » fournissent autant de « lectures » préliminaires, sources de
production contextuelle envisageables de la croissance urbaine marginale. Chacune ouvre une
fenêtre sur un registre discursif permettant d’entreprendre la restitution des faits de marginalité
urbaine. Chacune relève d’un certain registre d’observation et serait susceptible d’une réception en
tant que telle dans la sphère de l’étude juridique. Admettre comme hypothèse de travail que chacun
de ces acteurs locaux et institutionnels est effectivement porteur d’un fragment de réalité et d’un
regard légitime sur le fait urbain majoritaire, ouvre une question épineuse au regard de l’étude de
cas : la connaissance factuelle n’apparaît accessible qu’aux détours du dialogue et de la rencontre.
L’enjeu méthodologique poursuivi sur ce point est d’inscrire la connaissance de la croissance
urbaine marginale en droit dans un registre d’intersubjectivité permanente, de remettre les points de
vue recensés et éventuellement concurrents dans l’orbite d’une même représentation du fait social.
Dans une logique similaire, un auteur décrit schématiquement l’interprétation ethnographique des
phénomènes sociaux comme « toujours produite dans une situation d’interlocution » et comme « le résultat
d’une véritable négociation entre le chercheur et ses informateurs » 467 . Ce travail de recensement, la
diversification des points de référence et leur mise en relation renvoient, en substance et
466
Jean-Yves Rochex, « Approches cliniques et recherche en éducation », Recherche et formation [En ligne], 65 | 2010, mis
en ligne le 01 septembre 2014. URL : http://rechercheformation.revues.org/165
R. POTTIER, Y-a-t-il une méthode en ethnologie, L. Obadia (dir.), L’ethnographie comme dialogue immersion et intéraction dans
l’enquête de terrain, Publisud, 2003, p.109, cité in Nicolau Gilda, Pignarre Geneviève, Lafargue Régis, Ethnologie juridique,
p.44.
467
209
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
techniquement au procédé de triangulation évoqué dans le cadre des sciences humaines 468 . Ils
permettent à terme d’identifier, de retenir et de mettre en valeur des sensibilités particulières. La
triangulation permet de découvrir les rapports de force et schémas interprétatifs « dominants » qui
tendent à s’instaurer sous couvert de neutralité axiologique et de représentation monolithique du
réel.
Reformulons le propos quant aux présupposés méthodologiques de l’approche de terrain et
à la dynamique de recherche instituée en vue d’appréhender la croissance urbaine marginale des
villes du Sud comme contexte d’étude et de travail juridique. Il semble possible de retenir, dans ses
grands traits, l’ouverture d’un questionnement heuristique. L’approche de terrain éveille et précise
l’intérêt du juriste pour le cheminement intellectuel qui conduit, en tant que tel, à fomenter une
connaissance du fait social au service des pratiques. Le juriste placé en situation d’observateur
« primaire » redécouvre son travail sur et avec le fait social en périphérie des cadres épistémologiques
« traditionnels » d’étude et de réalisation du droit en sociétés.
Un tel élargissement du champ de prospection se justifie dès lors qu’il facilite une prise de
recul et le dépassement des schémas interprétatifs du type « dominants-dominés », « riches-pauvres »,
« centre-périphérie »,
« formel-informel »,
« Nord-Sud »
qui
ternissent
l’appréhension
des
phénomènes urbains marginaux en droit. L’approche de terrain n’offre pas, en revanche et à
l’inverse, une quelconque garantie de connaissance du fait social urbain marginal dans sa globalité. Sa
fonction principale n’est autre que de faciliter et d’organiser le rapprochement du chercheur avec
une réalité sociale complexe. Le terrain met à jour les difficultés d’accès et de production de
l’information contextuelle. Il signifie au chercheur les limites de son art, de ses ambitions, le
caractère éventuellement aléatoire des prétentions touchant à une connaissance globale du fait social
dans laquelle le droit et les pratiques des juristes sont cependant immergés. D’ici émerge la nécessité
d’exclure une nouvelle fois toute idée de « continuité tranquille » entre le terrain et la connaissance du
fait urbain marginal en droit. La reconstitution du contexte urbain marginal des villes du Sud relève
d’un travail d’alchimiste. Son enjeu principal serait de saisir les composantes d’une matière en
mouvement, de se familiariser avec une tectonique des plaques. Penser le droit en dehors de cette
468
DENZIN N.K. (1978) The research act, 2e éd., New York,; Smith H.W, Strategies for Social Research: The Methodological
Imagination. Englewood Cliffs, NJ, Prentice Hall 1985 cités in AUDET Caroline, Bouchard Marc-André, « Pour un
paradigme intensif et pluraliste (quantitatif et qualitatif) dans l'étude du processus psychothérapeutique », Psychothérapies
n°4, vol.22, 2002, p. 199-212.
210
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
complexité serait synonyme d’un renoncement. Il en va en grande partie de l’utilité, de la pertinence
et de la légitimité du discours juridique et des hypothèses de recherche sur la fonction sociale du
droit et des juristes.
Conclusion
Retenons en guise de synthèse que c’est bien en ce sens qu’il convient de limiter
matériellement l’approche de terrain à une unité de temps, d’espaces et d’acteurs sociaux. Le jeu des
échelles, le passage du local au global, du cas de Guayaquil aux villes andines, aux métropoles du Sud
ne se trouve pas pour autant exclu par « l’approche de terrain ». Il relève essentiellement du choix de
la démarche comparative et de l’extrapolation sur le terrain de la théorie générale du droit prenant
racine dans un procédé d’échantillonnage, d’un processus expérientiel et transparent préliminaire de
vécu du droit.
Le projet scientifique de restitution du contexte d’étude et de réalisation du droit ne peut se
limiter à « définir », à « restituer » voire même à « potentialiser » une lecture « normative » singulière
du fait social, de la croissance urbaine marginale. Il se doit, à l’inverse, de restituer la friabilité du fait
social, apprendre, à percevoir, à composer avec sa tectonique des plaques. Produire une
connaissance mutuelle, aussi partielle qu’elle puisse être du fait juridique, de l’élément générateur de
droit, se présente dès lors comme un questionnement d’ordre épistémologique en soit. Ce dernier
dépasse le simple champ des pratiques de recherche et, plus généralement, de l’activité juridique.
211
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Conclusion de la Partie 1
Insérons ci-dessous et en guise de « conclusion visuelle » du travail de situation une sélection
de photographies et d’images qui présentent un lien direct avec l’espace urbain marginal de
Guayaquil et le secteur du Monte Sinaï en particulier469 (. L’introduction de ces supports dans le
cadre de l’exercice de représentation du contexte d’étude et de réalisation du droit repose sur le
postulat scientifique simple et clairement établi selon lequel l’image, comme support
communicationnel, active des mécanismes cognitifs alternatifs à ceux de l’écrit. À l’image et aux
stimuli visuels est associé un traitement inné d’informations 470. Le scénario recherché est ensuite
celui d’une personnalisation de l’approche contextuelle 471 , son appropriation par le lecteur. Un
espace de questionnement individuel est recherché. Une approche dynamique, réflexive et
éventuellement dialogique du contexte guayaquileño urbain marginal se voit facilitée à travers
l’exercice d’imprégnation par l’image 472 . L’observation de la série d’images reproduites à la suite
ouvre idéalement le champ à un exercice de groupe et à la conduite d’un exercice d’interprétation
collective du contexte urbain marginal. Les images fournies permettent en dernière instance
d’amorcer le dialogue sur la fonction sociale du juriste à l’épreuve de la croissance urbaine marginale.
Retenons a minima deux axes de questionnement susceptibles d’en orienter la lecture.
-
Le premier axe de lecture suggéré renvoie au jeu d’observation et d’interprétation du
phénomène social urbain marginal per sé. L’observateur est incité à projeter sa présence dans
l’espace urbain marginal représenté. Il essaie d’adopter différents points de vue, de visualiser
469
Prises de vue personnelles en majorité, les images restantes se trouvent disponibles en libre accès.
470
SHEPARD, Roger N. et COOPER, Lynn A, Mental images and their transformations. The MIT Press, 1986;
STOKES, Suzanne, Visual literacy in teaching and learning: A literature perspective, Electronic Journal for the
Integration of technology in Education, 2002, vol. 1, No. 1, p. 10-19; WILEMAN, Ralph E., Visual communicating,
Educational Technology, 1993.
GONZÁLEZ CASTILLA Francisco; Derecho y Revé; “Una propuesta video gráfica para el diálogo jurídico en el
aula” , extrait de GARCÍA AÑÓN, José. Miradas a la innovación: experiencias de innovación en la docencia del Derecho,
Universitat de Valencia,2009.
471
JOHANSEN, Steven J. and Robbins, Ruth Anne,” Art-Iculating the Analysis: Systemizing the Decision to Use
Visuals as Legal Reasoning” (July 1, 2015). 20, Journal of the Legal Writing Institute ,57, (2015); Lewis & Clark Law School
Legal Studies Research Paper No. 2015-11; PORTER, Elizabeth G. "Taking images seriously." Columbia Law
Review (2014): 1687-1782; SILBEY, Jessica. "Images in/of Law." NYL Sch. L. Rev. 57 (2012): 171.
472
212
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
le quotidien d’une famille, d’un groupe, d’une communauté locale, d’un groupe professionnel
dans le contexte représenté. Il approfondit par la suite ce niveau de perception primaire.
L’exercice s’oriente alors vers le recensement des références et de référents d’ordre politiques
et culturels qui surgissent au cours de cet exercice d’observation : souvenirs personnels,
voyages, lectures, récits, œuvres artistiques, films, reportages, documentaires, etc. Dans
quelle mesure ces supports d’informations additionnels s’articulent-ils avec la séquence de
photos proposée ? Dans quelle mesure rappellent-ils ou s’inscrivent-ils à l’inverse en porte-àfaux avec les éléments du contexte urbain marginal décrits en amont. Finalement et assez
fondamentalement, l’observateur est incité à travers l’observation à reconstituer un récit, à
établir le fil conducteur qui unit ces images et représentations subjectives les unes aux autres.
-
Le second axe d’observation amorce plus spécifiquement un mouvement de retour vers le
questionnement juridique et la fonction sociale du juriste. C’est la mécanique intuitive de
qualification juridique des faits qui est cette fois stimulée par l’image, à travers le contexte
urbain marginal représenté. L’observation incite à reconstituer un environnement juridique, à
rechercher les manifestations physiques ou symboliques du droit dans l’espace urbain
marginal tel qu’il est représenté, à s’interroger sur l’éventualité d’un droit applicable. Quels
droits subjectifs ou quelles branches de droit sont-ils mis en cause à travers ces images ? Estil possible d’établir des liens entre les situations de vie courante représentées et l’exercice
quotidien des métiers du droit (juge, avocat, auxiliaire de justice, notaire, enseignant et
chercheur, etc.) ? Quelle est, pourrait, ou devrait être, le rôle des opérateurs juridiques à
l’épreuve du contexte projeté ? Cette présence relèverait-elle d’une quelconque obligation au
sens légal, moral, déontologique ou, à l’inverse, de l’exercice d’une liberté professionnelle ? Si
oui, lesquelles ?
213
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
214
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
215
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
216
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
217
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
218
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
219
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
220
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
221
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
473
473
Source: «El presidente Rafael Correa saluda con los concurrentes al enlace ciudadano número 354, que se transmitió
desde Monte Sinaí.” Préfecture du Guayas, 28 décembre 2013.
222
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
223
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
224
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
225
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
474
« Tant qu’existent la pauvreté, la faim, la misère, l’injustice et que l’homme nécessite un endroit où abriter ses rêves avec sa famille (cette
lutte populaire commence et jamais ne mourra). Avocat Sergio Toral, leader populaire. »
« Ta famille mérite de vivre dans la dignité, dénonce les trafiquants de terre, Information auprès de notre Unité Mobile d’attention citoyenne ».
474
226
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
475
475
Source: “Drama, impotencia y rabia en Monte Sinaí por desalojos”, El Universo, Viernes, 10 de mayo, 2013.
227
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
476
477
476
‘Ustedes tienen casa y nosotros no’ fue el grito en Monte Sinaí’, El universo, sábado, 11 de mayo, 2013.
477
Quejas de saqueos tras desalojos en Monte Sinaí, El universo, martes, 14 de mayo, 2013.
228
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
478
478
Mural del Cabildo Porteño, Luis Peñaherrera Bermeo.
229
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
230
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
231
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
232
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
233
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
234
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
479
480
479
480
Aquarela, Walter Handro, Brésil.
Aqualera, Walter Handro, Brésil.
235
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
236
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
481
481
Manuel Cabrera Patiño, El Telegrafo.
237
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
238
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
239
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
240
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
241
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
482
483
482
Ivan Guayasamin, Borrasca en azul, 1997.
483
Ecuador a colores, edicion n°10, octubre 2011, photographe inconnu.
242
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
484
484
Photographe inconnu.
243
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Partie 2 Travail et contrainte de légitimation du rôle social au lendemain de
« Montecristi »
Pourquoi la mise en cause de l’incidence socio-environnementale du travail juridique paraîtelle généralement troublante, détachée de considérations pratiques et de la marche courante des
affaires juridiques ? Comment cet ordre des connaissances touchant pourtant au rôle des usages et
pratiques professionnels du droit en sociétés peut-il éventuellement être inversé ? Par quels moyens
le champ des possibles « juridiques » considéré au regard de l’espace-temps de territorialisation des
asentamientos peut-il être mesuré, aménagé, orienté ou étendu ?
Soutenons au fil de cette seconde partie que la marge de manœuvre viendrait non pas
seulement d’une lecture contextuelle renouvelée, mais aussi d’un travail de situation du rôle socioenvironnemental des usages et pratiques professionnelles485. La conscience du rôle « dans l’action »,
le questionnement de l’agir juridique en mouvement, interfèrent avec la routine décisionnelle du
juriste, engagent la qualité de ses jugements au quotidien. Comprendre les mécaniques intellectuelles
de projection et de signification de l’agir professionnel en sociétés, percevoir les modes de
« fabrique », d’« apprentissage » ou de « (re) production 486 » du droit par la voie de ses usages,
constituent, autrement dit, des points d’étape nécessaires en vue du décryptage, de la consolidation
et du déploiement de registres d’engagement dans l’orbite périurbaine.
Il paraît ensuite possible d’avancer, comme hypothèse de départ, que la communauté des
juristes, au sein d’une société donnée, se trouve légalement, moralement et, plus généralement
encore, socialement astreinte à assimiler, d’une manière ou d’une autre, le registre de l’intérêt général
dans le cadre de ses usages et pratiques quotidiennes. Que les acteurs disposent des moyens et des
méthodes adéquats — généralement mesurables en termes de vécus expérientiels, de « capacités » et de
« compétences » — pour s’en acquitter ou, plus simplement, pour mesurer l’impact social du travail
485
Pour une définition du concept de « situation » en sociologie : « La définition de la situation résulte de l'interprétation que fait
chaque membre de la situation sociale dans laquelle il se trouve. Cette définition concerne à la fois le contexte de l'interaction, les rôles sociaux
des acteurs et la signification que les acteurs donnent à la situation. Cette signification fait elle-même partie de la définition de la situation. Par
exemple, les comportements sexués supposent en permanence de la part des acteurs un travail de définition de la situation : un homme ou une
femme n'accompliront pas les mêmes gestes, n'utiliseront pas le même vocabulaire, etc., selon le contexte de la situation. Cette expression est
notamment utilisée par Robert Park, Harold Garfinkel et Erving Goffman. » ; Lexique de sociologie Dalloz, 4e édition, 2013.
486
KENNEDY Duncan, and Paul Carrington, Legal education and the reproduction of hierarchy: A polemic against the system: A
critical edition, New-York University Press, 2004.
244
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
juridique semble, en revanche, bien moins acquis. L’analyse des mécanismes de contrainte sociale —
éventuellement « juridique » — et l’identification des déterminants de l’agir juridique « en situation »,
paraît, de fait, un terrain escarpé.
Au toucher de cette corde sensible, l’examen préliminaire de l’objet « fonction sociale » — et plus
précisément « socio-environnementale du juriste » — provoque une gêne. Depuis la perspective du terrain et
en périphérie des querelles de clocher, les « travailleurs du droit487 » peinent à attribuer une juste valeur
— non-monétaire tout du moins — aux gestes du quotidien — en termes d’effectivité immédiate, de contribution
à la concrétisation du ou des droit(s) —. Et pour cause, la mise en cause, au sortir du dogme fonctionnel,
de l’incidence économique, sociale, culturelle ou environnementale des pratiques et des usages du
droit sur une ville en devenir, sa dimension éventuellement marginalisante, discriminatoire ou
traumatique, paraît troublante au premier abord.
Pointant implicitement vers ce vertige, à quelques milliers de kilomètres et de manière
somme toute anecdotique, le propos par Denis Mazeaud tenu à l’occasion d’un séminaire consacré à
« la place du juriste face à la norme » semble évocateur. L’auteur commençait ses observations par une
remarque révélatrice du malaise évoqué dans les termes suivants :
« J’ai rarement éprouvé un tel sentiment de vertige à l’orée d’un exercice de synthèse...
parce que nous avons consacré l’essentiel de nos exposés et de nos débats à des questions
quasiment existentielles, à nous interroger sur notre métier, sur notre fonction, sur notre
mission de juriste au sein de la Cité.”488
487
MÜLLER, Friedrich ; Discours de la méthode juridique, Presses universitaires de France, 1996, p.227-229.
488
Denis MAZEAUD, « Observations conclusives », extrait de : La place du juriste face à la norme, Association Henri
Capitant, Dalloz, collection Thèmes et commentaires, Journées nationales, Tome XVI, Rennes, avril 2012, p151-156 ;
Pierre Moore formule une observation préliminaire voisine : « Se disant sans doute qu’il était difficile de traiter de l’éthique sans
aborder la question du droit, les organisateurs de ce colloque ont invité un juriste à présenter un exposé. D’un certain côté, ils ont eu raison.
L’ordre juridique est un édifice normatif, et pose ainsi dans toute sa clarté le problème de l’impérativité des normes; d’autre part, il est la
transposition autoritaire de valeurs socialement reconnues comme bonnes. Il y a donc bien quelque part, dans le droit, quelque chose qui doit
avoir un rapport avec l’éthique. D’un autre côté, je dois avouer qu’ils ont eu tort. Car, me mettant à ma table de travail, il y a quelques
semaines, mon embarras a été total. Me disant que dans le titre devaient figurer nécessairement les mots politique et éthique, et que je
m’exprimerais comme représentant de la discipline dite « droit », cela me donnait trois termes en interrelations nécessaires – trois, donc une
trinité, unité composée de trois entités.(…) » in : Pierre MOOR, « Éthique, juridique, politique : trinité laïque ? », Revue européenne
des sciences sociales [En ligne], XXXVIII-118 | 2000.
245
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Par-delà l’écueil existentialiste, il semble de même tout aussi difficile de déterminer par quels
moyens le travail juridique, fait éventuellement l’objet d’une gouvernance publique ou privé 489 et
même, au regard de notre cas d’étude, d’un acte de gouvernement socialiste. Raisonnent alors, en
guise de synthèse et comme une litanie, certains questionnements d’abord « suscités » puis restés
« irrésolus » au regard des premiers temps d’immersion à Guayaquil.
-
Dans quelle mesure les usages « sociaux » du droit aux abords du contexte urbain marginal
sont-ils susceptibles d’être optimisés, systématisés, socialisés, vulgarisés, etc. ? Quels sont les
principaux déterminants de l’agir juridique en contexte ? Quel est l’impact social du
processus constituant de Montecristi, de la constitution du « Buen vivir », du droit de
transition sur la vie dans les asentamientos (2007 — ) ?
-
En quoi la volonté de systématisation par voie normative et plus spécifiquement législative
de la fonction sociale du juriste, l’institutionnalisation de concepts tels que la « participation
citoyenne » ou le « droit à la ville » emportent-elles assez paradoxalement une perte de
substance et la dilution de l’idéal « encapsulé » par la loi, transfiguré en langage d’État ? Le
problème est-il spécifiquement lié au format informationnel « la norme juridique », ou, plus
fondamentalement au droit, aux modalités de circulation des contenus informationnels, de
formation et de socialisation des connaissances « juridiques » en sociétés ?
-
Comment prévenir ensuite la dissociation entre les registres de la pensée, de l’agir et du vécu
du droit ? Par quels moyens anticiper et mitiger les divers glissements d’ordres rhétoriques,
idéologiques, logico-déductifs inhérents à la production du discours juridico-normatif
lorsque celui-ci prend pour objet la « fonction sociale des juristes » — la función social del
abogado — ?
-
Dans quelle mesure l’étude du rôle et la mise en question des usages sociaux du droit offrentelles une perspective structurante au service de la pratique, de l’engagement ? Quelles sont les
perspectives sur le terrain de la recherche et de l’enseignement ?
Le concept de « gouvernance du droit professionnel » est alors précisément entendu au sens d’un processus de
transformation et de recomposition des modes d’action publique mettant en jeu la construction de mécanismes de
régulation des opérateurs juridiques et des usages professionnels du droit au titre de l’administration de la justice et du
droit.
489
246
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le constat d’une carence interprétative soulevé au détour de ces interrogations liminaires et
lancinantes incite à ouvrir une parenthèse réflexive. Un repli temporaire et nécessaire vers les
« cuisines du droit »’490 est amorcé. Du point de vue d’une heuristique positive, au sens de « ce qu’il faut
chercher et à l’aide de quelle méthode’ 491 », les idées de constance, de transversalité et, en somme, de
structuration des questionnements sur le rôle social seront approfondies au fil de cette seconde
partie.
Olivier Jouanjan élabore à partir des travaux de Friedrich Müller. L’auteur offre une lecture
particulièrement explicite des enjeux à la fois épistémologiques et méthodologiques attachés à
l’adoption d’une démarche pouvant être qualifiée de « structurante ». L’explication est reprise dans
l’encadré ci-dessous.
« À la différence de la Théorie pure du droit, qui pose a priori son concept de la norme et
renvoie la distinction du Sein et du Sollen, de l’Être et du Devoir-Être, à une donnée
immédiate de la conscience, la Théorie structurante du Droit part de l’analyse des
pratiques décisionnelles – spécialement juridictionnelles dans la mesure où la motivation
des décisions de justice en facilite l’étude – au sein d’un système politique et juridique
donné. Elle n’est pas “une théorie achevée qui, partant de ses concepts fondamentaux,
voudraient en déduire ce qu’est un texte juridique par essence, et en quoi devrait consister
l’activité des titulaires de fonctions juridique (...) La Théorie structurante du Droit se
comprend comme la réflexion d’accompagnement d’une pratique du droit, pratique dans
laquelle les règles décisives de la rationalité juridique sont déjà là, mais disséminées. Elle
considère que sa tâche consiste à ordonner ces divers moments en un modèle provisoire et
ouvert à de nouvelles évolutions. Ainsi, les positions théoriques adoptées ne sont pas le
présupposé, mais la conséquence d’une analyse de la pratique, et le critère de rationalité
n’est pas importé depuis la philosophie pour être, dans un second temps, appliqué au
droit ; il est immanent au jeu de langage juridique”. Le déplacement de problématique —
Expression empruntée à F. JAMIN, La cuisine du droit, L’École de Droit de Sciences Po: une expérimentation française, Iextenso
editions, Paris, 2012.
490
491
Dollo BEITONE, , Rodrigues GERVASONI, , Sciences sociales, Aide-mémoire, 7e édition, Sirey, p.8.
247
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
du droit conçu comme un emboîtement ordonné de normes au droit conçu comme un
système d’action — lui impose ce point de départ inductif492. »
Abondant significativement en faveur d’un « réarmement » théorique
493
de nos
épistémologies du rôle, les travaux et analyses d’Emmanuelle Bernheim entrepris dans le contexte de
l’internement psychiatrique au Canada, dont un bref extrait est reproduit ci-dessous, semblent
particulièrement inspirants en vue d’affirmer à l’opportunité du questionnement fonctionnel sur le
fond.
En matière de droit vivant, nos résultats de recherche dévoilent des éléments inédits sur la
fonction de l’individu dans la dynamique normative, en tant que détenteur d’une certaine
marge de liberté. Toutefois, nous avons constaté que cette liberté est inséparable du rôle
que l’acteur entend jouer et du sens qu’il donne à son action. Il s’agit d’abord de la
manière dont l’individu définit sa fonction dans les liens actifs au sein de la configuration,
mais également, plus largement, dans la conception qu’il se fait de son rôle social. Ainsi,
la norme, en tant que source de motivation à l’action, s’inscrit dans un imaginaire
personnel et collectif lié à la conception de la société « idéale ». La configuration met en
scène l’acteur dans un rôle par rapport aux autres acteurs avec qui il est directement lié,
et, indirectement, par rapport au public, c’est-à-dire la collectivité dans laquelle la
configuration se met en place. En outre, la configuration elle-même n’a plus de sens si elle
n’est pas arrimée à sa fonction collective et sociale. Il s’ensuit que le choix de la norme
traduit une certaine compréhension et une certaine vision du monde. Les différentes
postures décisionnelles dépendent donc a priori de ces éléments. Elles préexistent à
Olivier JOUANJAN, « D’un retour de l’acteur dans la théorie juridique », Revue européenne des sciences sociales [Online],
XXXIX-121 | 2001, §.14 ; Sont cités par l’auteur dans la le passage reproduit : KELSEN, Théorie pure du droit, 2e éd., trad.
par Ch. Eisenmann, Bruxelles, Paris, Bruylant, LGDJ, 1999, p. 14 ; F. MÜLLEr, R. Christensen et M. Sokolowski,
Rechtstext und Textarbeit, Berlin, Duncker & Humblot, 1997, p. 15. ; F. Müller, Methodik, Theorie, Linguistik des Rechts,
Berlin, Duncker & Humblot, 1997, p. 71 ; du même auteur, Discours de la méthode juridique, trad. O. Jouanjan, Paris, PUF,
1996, p. 32.
492
Véronique CHAMPEIL-DESPLATS observe sur ce registre : “dans la très grande majorité des cas, les théories générales du
droit se concentrent sur l’analyse de concepts et phénomènes transversaux aux différents ordres juridiques: concepts de droit, d’ordres ou de
systèmes juridiques, de normes, de hiérarchies des normes, identification des types de normes (normes primaires, secondaires ou de
reconnaissance), distinction entre être et devoir être, propriétés systémiques ou institutionnelles des ordres juridiques, détermination des relations
entre les normes (rapports logiques, rapports hiérarchiques, etc.) » in : CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, Méthodologie du droit et
des sources du droit, Dalloz, 2014, p.120.
493
248
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
l’adhésion au contenu de la norme. En effet, la pluralité des acteurs engagés dans la
construction du sens de la norme le font non seulement comme membres d’un groupe
professionnel, mais aussi en tant qu’individus. Ainsi, bien que celui qui agit en matière
de garde en établissement ou d’autorisation de soins le fasse à titre de juge ou de
psychiatre, il ne peut faire abstraction du citoyen, du père, du voisin ou de l’ami qu’il est
également. C’est que, comme nous l’avons dit, la normativité prend forme dans le lien
social, elle existe « dans et par rapport à autrui ». Ainsi, le processus qui préside au
choix normatif illustre jusqu’à un certain point la conception générale que l’acteur se fait
des rapports sociaux, à travers les rôles de chacun au sein de la configuration. En effet,
comment expliquer autrement les différentes postures par lesquelles les acteurs se posent
tantôt en protecteur de la personne vulnérable, tantôt en protecteur des droits, ou encore en
protecteur de la santé ? C’est bien dans l’espace du lien social, soit avec une personne
vulnérable, un citoyen ou un patient, que l’acteur se définit et définit en même temps le
sens de l’action qu’il accomplit. C’est la nature de ce lien et de son propre rôle qui place
l’individu dans une posture spécifique par rapport au choix normatif. Sur ce chapitre, il
existe une pluralité de possibilités, allant du rapport le plus personnel ou intime au
rapport de convenance, selon l’engagement personnel de l’acteur et sa place dans le lien
social.494
L’atrophie des méthodes et des moyens de conceptualisation de la fonction sociale des
acteurs juridiques professionnels aux portes de la ville du Sud semble révélatrice, en un sens et à la
lecture des passages reproduits ci-dessus, d’un chemin restant à parcourir en termes de méthodes et
de « praxis » de la recherche fonctionnelle « en situation ». Face à cette page demeurée en partie
vierge, l’entreprise de cartographie du rôle s’érige en point d’étape et levier potentiel du travail social,
« en communauté » et, a futuro, comme un travail préparatoire pour des projets à venir.
Ce second temps de la réflexion correspond généralement, d’un point de vue
méthodologique, à un changement de perspective et à l’immersion au sein d’une équipe enseignante
à l’université polytechnique du littoral (ESPOL).
494
BERNHEIM, Emmanuelle, « De l'existence d'une norme de l'anormal-Portee et Valeur de la Recherche Empirique au
Regard du Droit Vivant: Une Contribution a la Sociologie du Droit », Les Cahiers de droit, 2011, vol. 52, p. 494.
249
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le vécu des marges urbaines est envisagé depuis un angle de vue alternatif. Le lien de
proximité avec la question des asentamientos est abordé, depuis la vie universitaire, sous un jour
différent et complémentaire à celui de la participation au projet de développement local. Par-delà le
hasard d’une contiguïté géographique entre le campus universitaire « ESPOL Prospérina » et le secteur
de Monte-Sinaï, les points d’observations se multiplient. La problématique de la marginalité urbaine
est progressivement redécouverte au fil d’échanges quotidiens avec les étudiants, des enseignantscollègues, du personnel administratif et plus généralement, d’une institution publique en mutation.
Derrière l’étiquette « université » se dessine, de manière subtile, une série de points de
rencontre privilégiés avec la question du droit, de sa formation, de ses usages et vécus. La difficulté
technique et logistique à embrasser, près d’une décennie après l’adoption de la constitution du
« Buen vivir », certains changements de paradigme — éducatifs, productifs, organisationnels — sera mise
en perspective 495 . Un décalage significatif entre l’énoncé des normes de transition et l’agenda
constitutionnel d’un côté, la vie publique et la marche des institutions, de l’autre, se précise. La
distorsion entre signaux émetteurs et récepteurs de l’énoncé légal se fait plus évidente. Les travers
d’un modèle de « gouvernance par la loi » et d’un paradigme révolutionnaire partiellement réduit à
des normativités étatiques « de transition » se font plus saillants et questionnables.
La méthode d’observation fait écho, dans ces grandes lignes et de manière encore
approximative, à certaines approches développées dans le champ des sociologies du monde
universitaire — sociologies du « curriculum », de la pédagogie ou des publics universitaires496 —. De ces sites
privilégiés d’observation, propices au moissonnage d’information, pour le moins cinq régulièrement
fréquentés sur une période de près de deux ans (2015 —) sont retenus:
-
la salle de réunion et l’espace de coordination administrative. S’y prépare au jour le jour
la « réforme du curriculum ». L’entreprise de longue haleine répond directement à la mise en
œuvre de la Loi organique d’éducation supérieure, matrice opératoire renvoyant elle-même à la
formalisation du lien entre l’université, la planification du « Buen vivir » et le suivi du mandat
495
POST, David. "Las Reformas Constitucionales en el Ecuador y las Oportunidades para el Acceso a la Educación
Superior desde 1950." Archivos Analíticos de Políticas Educativas 19.20 (2011) : 1-24.
496
Mathias MILLET, Les étudiants et le travail universitaire, Paris, PUL, 2003, p.17, cité in : Françoise Ropé, « Pour une
sociologie du curriculum universitaire » À propos de l’ouvrage de : Mathias MILLET, Les étudiants et le travail
universitaire, Paris, PUL, 2003, Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 3 | 2004, 243-249.
250
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
constitutionnel n° 14 497 . L’ensemble du personnel académique s’y trouve directement
confronté à une évolution substantielle des résultats d’apprentissage espérés 498 . Les
référentiels de compétence, généralement associés à la formation universitaire, font l’objet
d’une redéfinition systématique. L’effort d’ajustement de la « matrice disciplinaire » invite
notamment, pour ce qui retient plus particulièrement notre regard, à porter une attention
particulière à la question du traitement des droits, du civisme et de la responsabilité éthique
et professionnelle des juristes et non-juristes499. La discussion des enjeux de « qualité », la
situation psychopédagogique des étudiants au cœur du processus d’apprentissage, les
questions du rôle de l’université dans la société équatorienne et, plus particulièrement, celle
d’un positionnement stratégique face aux problématiques du développement local et national
traversent le quotidien universitaire ;
-
la salle de classe et les amphithéâtres. La démocratisation de l’accès à l’enseignement
supérieur et l’adoption du principe de gratuité du premier cycle facilitent une évolution
substantielle quant à la « morphologie des publics étudiants ». Le brassage d’étudiants issus
des secteurs populaires ou émergents de la ville, d’adultes déjà insérés dans la vie active
accédant pour la première fois aux bancs de l’université, avec le public étudiant « historique »
issu des classes moyennes et favorisées constitue un laboratoire d’étude privilégié. Les
matières abordées — « législation touristique et environnementale », « méthodologie de la recherche » et
« éthique et leadership » — offrent, par ailleurs, un point d’accroche satisfaisant pour aborder la
question du droit, des droits, de la ville et des asentamientos avec les étudiants ;
-
les espaces d’extension universitaire en formation — « proyectos de vinculación con la
comunidad » — et la mise en place des projets de « liaison sociale » entendus simultanément
497
Mandato Constituyente n°14, Evaluacion de desempeño institucional de las universidades y escuelas políticas del Ecuador, Consejo
nacional de evaluacion y acreditación de la educación superior del Ecuador, Quito, 4 de noviembre 2009.
Jaime ROJAS, “Reforma universitaria en el Ecuador. Etapa de transición”, Innovación Educativa, Instituto Politécnico
Nacional Distrito Federal, México, vol. 11, núm. 57, octubre-diciembre, 2011, pp. 59-67.
498
L’article 124 de la LOES énonce en ce sens : « Les institutions du système d’éducation supérieure sont responsables de fournir aux
diplômés de toute formation ou cursus, une connaissance effective de leurs devoirs et de leurs droits comme citoyens, de même qu’une
connaissance de la réalité socioéconomique, culturelle et écologique du pays (…), Article 124 (LOES) ».
499
251
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
comme services universitaires à la communauté et comme espaces d’apprentissage
« clinique » ou « par la pratique » du service juridique ;
-
les espaces de suivis personnalisés — las « consejerias » — facilitant d’une manière
générale un échange direct et confidentiel avec les étudiants au cours du processus de
formation ;
-
les espaces « intermédiaires ». Les conversations de couloirs, de cafétéria, le trajet en
« expreso » (transport universitaire reliant le campus à la ville) les couloirs, les réunions entre
collègues en dehors du cadre institutionnel constituent autant d’espaces de communication et
de dialogue logés dans les fissures de l’institutionnalité.
L’immersion dans le microcosme universitaire et la redécouverte de la problématique des
asentamientos depuis cette autre « périphérie » arrime symboliquement la réflexion sur le rôle social
des usages et pratiques professionnels du droit au contexte guayaquileño.
De cette réflexion toujours en cours, la seconde partie de la thèse envisagera une synthèse
préliminaire. Deux enjeux transversaux traversent tout particulièrement la réflexion. Le premier
tient, d’une manière générale à la découverte et à la description d’un patron de gouvernement social
et socialiste du travail juridique dans l’orbite des asentamientos, caractéristique depuis la vie politique
locale d’un « après Montecristi » (2007 —). Le second renvoie au développement d’un appareil
méthodologique de situation fonctionnelle de l’agir juridique professionnel aux portes des villes du
Sud.
Le choix du plan signale et reprend les principaux points d’étape du parcours analytique. Le
plan de route qui se dessine fera état, dans un premier temps, d’un risque d’impasse. Le premier
volet de l’argumentation revient, en ce sens, sur la découverte et le passage par une zone aride, la
traversée du « désert fonctionnel » et point zéro des travaux sur le rôle (Titre 1).
Le second volet de l’argumentation s’attachera, une fois « l’obstacle » signalisé, à mettre en
place une stratégie de contournement et établir les avant-postes d’une théorie micropolitique de
l’agir juridique professionnel « en situation ». Seront posés les premiers jalons à la fois théoriques et
méthodologiques permettant de faciliter et d’accompagner le travail réflexif sur le rôle social. Les
252
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
développements éclaircissent à cette fin les contours d’un positionnement axiologique, précisent les
termes d’une option micropolitique (Titre 2).
253
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Titre1 Le désert fonctionnel
« (…) dans leur activité concrète, leur pratique, les juristes ne se posent guère la question
de la justice de ce qu’ils font : ils se contentent d’établir la conformité au droit et, celle-ci
établie, s’en satisfont. C’est ce qu’ils appellent le droit “positif”, c’est-à-dire celui qui est
— plus ou moins — effectivement appliqué dans une région et à une époque déterminée.
Certes, ils sont parfois conscients qu’une application stricte d’une loi particulière peut
amener un résultat que, intuitivement, ils seraient portés à rejeter. Il existe dans l’ordre
juridique quelques instruments qui permettent alors de s’écarter de l’aboutissement légal
pour imaginer une autre solution : le principe de la bonne foi, la notion d’abus de droit, la
théorie des lacunes. Ils ne sont qu’exceptionnellement utilisés dans la jurisprudence : celleci adapte Pascal, et part de l’hypothèse (juridiquement : de la présomption) que, ne
pouvant faire en sorte “que ce qui est juste soit juridique, on a fait que ce qui est juridique
fût juste” ; il faut donc laisser les juristes à leur labeur quotidien et se tourner vers les
philosophes — ou vers ceux des juristes qui ont tenté de réfléchir à ce qu’ils faisaient500. »
Ce titre reprend et approfondit l’hypothèse du risque de désarmement, de la distanciation à
la fois théorique et méthodologique des acteurs juridiques professionnels face à la question de la
fonction socio-environnementale du travail juridique en sociétés. Le constat positiviste
d’externalisation et de désincarnation des questionnements liés tour à tour au « rôle », à
« l’acceptabilité », à la « légitimité » ou à l’utilité sociale » du travail juridique dans l’orbite des
asentamientos n’apparaît, en ce sens, que partiel.
Imperceptible à première vue, le « désert fonctionnel » abrite une vie propre, microscopique
et inaudible, observable depuis la marche quotidienne des affaires juridiques. Un pas en retrait du
tumulte de la territorialisation, les contours d’une bulle « fonctionnaliste »se dessinent
progressivement, aux détours du regard porté sur l’actualité. Il s’agira alors et tout d’abord de
discerner, « vu d’en bas », de la presse quotidienne et des vécus de terrain, les traits caractéristiques
d’un glissement, circonscription et polarisation sociopolitique des points de contact entre le travail
juridique et la problématique du rôle.
500
Pierre MOOR, « Éthique, juridique, politique : trinité laïque ? », Revue européenne des sciences sociales [En ligne], XXXVIII118 | 2000 ; p.30.
254
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le phénomène sociopolitique d’institutionnalisation des espaces-temps de discussion et de
traitement du rôle social dévoile un premier pan de l’écosystème désertique — les « foyers
sociohistoriques » du questionnement fonctionnaliste — (Chapitre 1).
Observé ensuite depuis la perspective d’un dogme, l’enjeu fonctionnel refait surface sous les
traits d’un imposant répertoire figuratif. Le paysage fonctionnel se recompose alors à la lumière
d’une série de postures intrigantes, lointains totems et idéaux types dressés par de savants juristes à
l’effigie d’un juriste anonyme (Chapitre 2).
255
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Chapitre 1 Entre la « fiche de poste » et le dédale des référentiels de
compétence : les foyers du questionnement fonctionnaliste
Cinq foyers sociohistoriques de questionnement fonctionnaliste au détour desquels une
poignée d’acteurs juridiques professionnels se trouvent momentanément confrontés à la question du
rôle social sont recensés ci-dessous. L’hypothèse d’un « glissement fonctionnaliste » entendu comme
processus sociohistorique d’institutionnalisation et de polarisation des travaux et discours sur le rôle
social des juristes en sociétés se dessine en ligne de fond. La démarche, essentiellement descriptive,
correspond, au plus prêt des perceptions de terrain, au recensement des premiers points de contact
« apparents » avec la problématique du rôle social des usages et pratiques professionnels — une
approche de surface- Section 1 Le gouvernement de « Revolucion ciudadana » et la réforme du droit et de la
justice.
Le premier foyer de questionnement fonctionnaliste envisagé tient, tout d’abord, à la
participation des juristes à l’activité normative et régulatrice du gouvernement de la « Revolucion
ciudadana ». « Professions » et « compétences » juridiques sont constituées en objets de gouvernance
et de planification publique de l’État socialiste. La dimension politique attachée à la formation du
droit professionnel et à la régulation du rôle des acteurs juridiques au regard du fonctionnement de
la justice et du droit est saisie au vol depuis la sphère gouvernementale.
L’acte de gouvernement, guidé par une politique de gauche, génère un corpus de normes et
de discours sur la destination sociale des usages et pratiques professionnels du droit. Une série de
transferts du « concept » à « la norme » sont entrepris. L’entreprise de modernisation du système
juridique emporte une redéfinition « par le haut » de la fonction sociale du système juridique et des
métiers du droit. L’université et plus spécifiquement les facultés de droit se trouvent de même toutes
désignées comme acteurs publics de la réalisation des droits et du « Buen vivir ».
256
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
L’article 323 du nouveau « Code organique de la fonction judiciaire » énonce, à titre d’exemple :
« La abogacía es una función social al servicio de la justicia y del derecho » —
(Article 323 COFJ).501 ». — le travail de juriste est une fonction sociale au service de la
justice et du droit (traduction personnelle) —
L’introduction littérale du concept de « fonction sociale du juriste » dans la législation
équatorienne justifie l’ouverture d’une brève parenthèse sur le terrain du droit régional comparé.
L’idée tient, en ce sens, à éclairer un pan de généalogie du discours légal fonctionnaliste et à retracer
le parcours d’une idée de sa formulation à sa traduction en énoncé normatif502.
Le concept de « fonction sociale du juriste » postulé depuis la citadelle législative trouve
vraisemblablement ses origines dans un emprunt à la « doctrine de la fonction sociale du droit de propriété ».
La proposition émerge en Europe, à l’aube du XXe siècle. L’usage contemporain de la terminologie
par le légiste équatorien demeure fortement associé, en ce sens, aux pérégrinations de la pensée du
juriste français Léon Duguit503. L’auteur en résumait l’idée centrale comme suit :
« La propriété n’est pas un droit, elle est une fonction sociale. Le propriétaire c’est-à-dire
le détenteur d’une richesse a, du fait qu’il détient cette richesse, une fonction sociale à
remplir ; tant qu’il remplit cette mission, ses actes de propriétaire sont protégés. S’il ne la
remplit pas, ou la remplit mal, si par exemple il ne cultive pas sa terre… l’intervention
des gouvernants est légitime pour le contraindre à remplir sa fonction sociale de
En français, la traduction littérale -La pratique du métier d’avocat est une fonction sociale au service de la justice et du
droit- pose difficulté.
501
502
Pour une démarche similaire: CALVES, Anne-Emmanuèle. "«Empowerment»: généalogie d'un concept clé du
discours contemporain sur le développement." Revue Tiers Monde 4 (2009): 735-749.
MIROW, Matthew C., “Origins of the Social Function of Property in Chile”, Fordham Law Review, 2011, vol. 80, p.
1183-1217; SÁEZ ARJONA, Elena, Duguit, Léon, “Soberanía y Libertad, Lecciones dadas en la Universidad de
Columbia”, Revista de estudios histórico-jurídicos, 2013, no 35, p. 814-816; BECKET, James, “Land reform in Chile”,
Journal of Inter-American Studies, 1963, p. 177-211.Abelardo LEVAGGI, “Ideas acerca del derecho de propiedad en la
Argentina entre 1870 y 1920”, Revista electrónica del Instituto de Investigaciones “Ambrosio Gioja”, Año I, Numero I, Invierno
2007, Daniel BONILLA, “Liberalism and Property in Colombia: Property as a Right and Property as a Social Function”,
80 Fordham L. Rev. 1135 (2011); Pereira Eliécer BATISTA et Lucero James Iván CORAL, “La función social de la
propiedad: la recepción de León Duguit en Colombia”, Criterio Jurídico, 2011, vol. 10, no 1.
503
257
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
propriétaire, qui consiste à assurer l’emploi des richesses qu’il détient conformément à leur
destination 504».
La doctrine exposée ci-dessus se présente, au premier abord, comme un point d’inflexion
historique et idéologique quant aux conditions générales d’accès, d’usage et de jouissance de la
propriété privée 505 . L’image pittoresque d’une liberté absolue du propriétaire, le « dominus’ 506
disposant de son bien en « bon père de famille », s’y trouve écornée. Léon Duguit mettait
généralement en cause la capacité du personnage juridique à exclure « à juste titre » et de « bon droit »
les tiers, la collectivité, de la gestion de l’espace ou de la chose possédée — « property as “exit’507 » —.
La référence normative à la doctrine de la « fonction sociale » sous-tend à la fois l’idée de légitimité et
d’opportunité d’un droit de regard de l’autorité publique sur les conditions d’exercice de la propriété
privée au nom de l’intérêt général.
Enracinée dans une projection caractéristique de l’espace et de l’intérêt public, la pensée de
Léon Duguit se distingue assez nettement des prescriptions marxistes et de l’approche dite « sociale »
504
Léon DUGUIT, , Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon, Francisco Beltrán, 1920, p.86 cité in
Ferretjans Pierre, Essai sur la notion de propriété sociale : l’expérience yougoslave de socialisation de l’agriculture, éd. R. Pichon, R.
Durand-Auzias, 1963, p.245 ; Léon DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, tome III : Théorie générale de l’État, 2e éd., Paris,
de Broccard, 1923 ; M. Waline, « Les idées maîtresses de deux grands publicistes français : Léon Duguit et Maurice
Hauriou », L’Année politique, 16 novembre 1929 ; Aurore CHAIGNEAU, « Des droits individuels sur des biens d'intérêt
collectif, à la recherche du commun », Revue internationale de droit économique, 2015, vol. 28, no 3, p. 335-350.
Louis Josserand reprendra le mouvement inscrit au cœur de la doctrine de la fonction sociale du droit de propriété
afin de préciser la théorie de l’abus de droit: "Les prétendus droits subjectifs sont des droits-fonction; ils doivent demeurer dans le plan
de la fonction à laquelle ils correspondent, sinon leur titulaire commet un détournement, un abus de droit; l'acte abusif est l'acte contraire au
but de l'institution, à son esprit et à sa finalité (...) nos prérogatives individuelles supposent un consentement de la communauté sociale, soit que
ce consentement émane expressément des pouvoirs publics, comme c'est le cas d'ordinaire, soit qu'il se dégage directement et instinctivement de la
conscience collective (...)"JOSSERAND L , De l'esprit des droits et de leur relativité : théorie dite de l'Abus des droits,2è éd., Paris,
Dalloz, 1939, p. 11; p.320 cité in MOYSE, Pierre-Emmanuel. « Kraft Canada c. Euro-Excellence: I ‘insoutenable légèreté
du droit ». McGill LJ, 2008, vol. 53, p. 741 ; PIROVANO Antoine, La fonction sociale des droits: réflexions sur le destin des
théories de Josserand. 1972.
505
506
Sur un registre similaire de remise en question des approches absolutistes de la propriété privée : SINGER Joseph,
ALEXANDER Gregory, PE. Edwardo, et al. , A Statement of Progressive Property, Cornell Law Review, p.743, 2009;
ALEXANDER Gregory, “Social-Obligation Norm in American Property Law”, The Cornell Law Review, 2008, vol. 94, p.
745 ; du meme auteur, “Complex Core of Property”, The Cornell Law Review, vol. 94, 2008, p. 1063 ; PENALVER
Edwardo, “Land Virtues” Cornell Law Review, vol. 94, 2008, p. 821; SINGER Joseph William, “Democratic Estates:
Property Law in a Free and Democratic Society”, Cornell Law Review, vol. 94, 2008,p. 1009; MACLEOD Adam,
“Identifying Values in Land Use Regulation” Kentucky Law Journal, 2012, vol. 101, p. 55; Craig ANTHONY, “The
Reconstitution of Property: Property as a Web of Interests”, Harvard Environmental Law Review, Vol. 26, No. 2, p. 281,
2002 (dernier accès 06/02/2013); Rose CAROL M., “Crystals and Mud in Property Law”, Stanford Law Review, volume
40, 1987-1988, p.577; SINGER Joseph William, “The reliance interest in property”, Stanford Law Review, volume 40,
1987-1988, p.611.
507
Eduardo PENALVER, “Property as entrance”, Virginia law review, volume 91, 2005, p.1889.
258
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
ou « socialiste » de la propriété508. Par opposition à des lectures corporatives et collectivistes de la
propriété qui abordent la question de l’intérêt général sous l’angle du titulaire de la propriété, de sa
forme ou de sa distribution au sein du corps social, la doctrine de la fonction sociale met en cause la
nature même des démembrements « classiques » du droit de propriété — l’usus, fructus et abusus ou le
« bundle of sticks » dans sa version nord-américaine —. Saisissant au vif l’impact associé à l’exercice
quotidien des prérogatives du dominus sur l’espace de vie collective
509
, une redéfinition
« fonctionnelle » de la propriété privée, « par destination », est prescrite.
Concept à géométrie variable, la théorie de fonction sociale du droit de propriété connaît des
fortunes diverses au fil des voyages, de ses interprétations doctrinales et jurisprudentielles 510 . La
Dans le contexte des républiques d’Europe de l’Est : Pierre FERRETJANS, Essai sur la notion de propriété sociale :
l’expérience yougoslave de socialisation de l’agriculture, éd. R.Pichon, R. Durand-Auzias, 1963, p.227; En France, le concept de
propriété « sociale » ou « socialiste » est d’abord repris par Proudhon qui propose une « propriété fédéraliste » puis par
Jean Jaurès. Ce dernier écrivait : « ainsi un droit social de propriété se constitue nécessairement au profit des travailleurs ; et ce droit social
se communique aux associations diverses, communes, coopératives, syndicats, qui peuvent de plus près que la nation et avec plus de souplesse,
garantir le droit des individus, leur activité enfin affranchie. Ainsi à la propriété capitaliste, relativement simple et brutale, se substituera une
propriété infiniment complexe, où le droit social de la nation servira à assurer, par l’intermédiaire de groupements multiples, locaux ou
professionnels, le droit essentiel de toute personne humaine, l’essor libre de toute activité… la propriété nouvelles en sa complexité vaste,
nationale, communale, corporative, sera en même temps individuelle : car aucun individu ne sera livré ou à l’exploitation d’autres individus, ou
à la tyrannie des groupes, ou au despotisme de la nation ; et le droit de chacun sera garanti par des contrats précis et souples qui seront, jusque
dans la propriété commune, la forme épurée de la propriété individuelle. », Jean JAURES, Etudes socialistes, 1902, p.159.
508
Rashmi DYAL-CHAND, “Exporting the ownership society: a case study on the economic impact of property rights”
Rutgers Law Journal, volume 39, Fall 2007, p.59.
509
En Europe, la doctrine va faire l’objet d’une première et brève réception conceptuelle dans le contexte du droit
constitutionnel Allemand de l’entre-deux-guerres. L’article 153 de la Constitution de la République de Weimar (1919)
établissait en ce sens non seulement que la propriété telle que garantie par la constitution « obligeait », mais aussi que son
usage devait, dans un même temps, présenter les traits d’ « un service rendu à l’intérêt général. ». Dans la période d’aprèsguerre la doctrine de la fonction sociale du droit de propriété marque ensuite principalement de son empreinte
l’évolution des régimes fonciers en milieu rural. Elle sera appelée à jouer comme un mécanisme de levier facilitant,
depuis le volet juridique, la mobilisation des fermes et des surfaces agraires au service de l’effort de reconstruction
économique. Cette sollicitation du concept de fonction sociale du patrimoine foncier à vocation agricole marque à
différents égards les prémices des politiques publiques de modernisation et d’intensification de l’agriculture à l’échelle
européenne. « La propriété est garantie par la Constitution. Son objet et ses limites sont établis par la loi. (…)La propriété oblige. Son
usage doit être en même temps un service rendu à l'intérêt général. Article 153.» ; MONGOUACHON, Claire, « Les débats sur la
Constitution économique en Allemagne », Revue française de droit constitutionnel, 2012, no 2, p. 303-337, p.329 ; En Italie,
l’article 44 de la Constitution du 27 décembre 1947 énonce qu’ : « Afin de réaliser l’exploitation rationnelle du sol et d’établir des
rapports sociaux équitables, la loi impose des obligations et des limitations à la propriété foncière privée ; elle fixe des limites à son étendue
selon les régions et les zones agraires ; elle favorise et impose la bonification des terres, la transformation des latifundia -grands domaines- et la
reconstitution des unités de production. Elle aide la petite et moyenne propriété». En Grande Bretagne, la même année,
l’ « Agricultural Act de 1947 » imposera systématiquement au propriétaire, suivant une logique similaire et dans le but de
sauvegarder la production agricole, non seulement de tenir en état ses terres et les installations fixes, mais encore de
satisfaire à tels ou tels travaux d’amélioration de l’équipement. Le tout, sous peine de sanctions qui pouvaient aller
510
259
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
pensée de Léon Duguit trouve à de nombreux égards sur le continent latino-américain un écho des
plus significatifs. La doctrine se fond progressivement dans le paysage juridique tout au long du XXe
siècle, réception à « droit constant » sur les plans de la production normative, de la jurisprudence et
de la pensée du droit511. Elle fera écho, un temps au moins, aux luttes paysannes et indigènes contre
l’accaparement des terres arables et des ressources productives. La lecture de l’article 27 de la
constitution mexicaine de 1917 offre, pour aller plus loin, un aperçu de premier ordre sur ce registre
d’application historique du concept de « fonction sociale »512.
Le champ des valeurs protégées à partir du discours fonctionnaliste s’étend dans la seconde
moitié du vingtième siècle. Le devenir des droits du propriétaire foncier est progressivement mis en
balance avec la protection de l’environnement, la sécurité alimentaire, la dignité au travail ou encore
le droit à la ville. L’usage du concept gagne du terrain sur le plan du droit constitutionnel et fait
l’objet d’une série de développements jurisprudentiels513.
jusqu’à une dépossession des terres au profit de l’État. « Agriculture Act 1947 Part.II Good estate management and good
husbandary: "The following provisions of this Part of this Act shall have effect for the purpose of securing that owners of agricultural land
fulfil their responsibilities to manage the land in accordance with the rules of good estate management, and that occupiers of agricultural land
fulfil their responsibilities to farm the land in accordance with the rules of good husbandry."
Thomas T. ANKERSEN, et Thomas, RUPPERT, “Tierra y Libertad: the social function doctrine and land reform in
Latin America”, Tul. Envtl. LJ, 2006, vol. 19, p. 69; Sheila FOSTER, et Daniel BONILLA, , “The Social Function of
Property: a comparative Law Perspective”, Fordham Law Review, 2011, vol. 80, p. 101; Colin, CRAWFORD, “Social
Function of Property and the Human Capacity to Flourish”, The Fordham L. Rev., 2011, vol. 80, p. 1089.
511
512
Plus spécifiquement pour le Mexique : « Art. 27.- La propiedad de las tierras y aguas comprendidas dentro de los límites del
territorio nacional, corresponde originariamente a la Nación, la cual, ha tenido y tiene el derecho de transmitir el dominio de ellas a los
particulares, constituyendo la propiedad privada. Esta no podrá ser expropiada sino por causa de utilidad pública y mediante indemnización.
La Nación tendrá en todo tiempo el derecho de imponer a la propiedad privada las modalidades que dicte el interés público, así como el de
regular el aprovechamiento de los elementos naturales susceptibles de apropiación, para hacer una distribución equitativa de la riqueza pública
y para cuidar de su conservación. Con este objeto se dictarán las medidas necesarias para el fraccionamiento de los latifundios; para el
desarrollo de la pequeña propiedad; para la creación de nuevos centros de población agrícola con las tierras y aguas que les sean indispensables;
para el fomento de la agricultura y para evitar la destrucción de los elementos naturales y los daños que la propiedad pueda sufrir en perjuicio
de la sociedad. Los pueblos, rancherías y comunidades que carezcan de tierras y aguas, o no las tengan en cantidad suficiente para las
necesidades de su población, tendrán derecho a que se les dote de ellas, tomándolas de las propiedades inmediatas, respetando siempre la
pequeña propiedad. Por tanto, se confirman las dotaciones de terrenos que se hayan hecho hasta ahora de conformidad con el Decreto de 6 de
enero de 1915. La adquisición de las propiedades particulares necesarias para conseguir los objetos antes expresados, se considerará de utilidad
pública.(…) ».
513
Plus spécifiquement pour le Brésil : La constitution énonce : « Art. 186. A função social é cumprida quando a propriedade
rural atende, simultaneamente, segundo critérios e graus de exigência estabelecidos em lei, aos seguintes requisitos: I - aproveitamento racional e
adequado; II - utilização adequada dos recursos naturais disponíveis e preservação do meio ambiente; III - observância das disposições que
regulam as relações de trabalho; IV - exploração que favoreça o bem-estar dos proprietários e dos trabalhadores”; MARES, C.F, “La
260
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Revenant vers l’Équateur, la doctrine de la fonction sociale de la propriété est introduite
pour la première fois comme principe de droit constitutionnel en 1946. Elle sera reconduite sous
diverses formes jusqu’à la constitution actuelle du « Buen Vivir »514. La doctrine y fait l’objet, dans un
registre parfaitement similaire, d’une lecture extensive et transversale en droit constitutionnel.
propiedad de la tierra en la Constitucion brasilera de 1988”, in “Derecho a la tierra, Conceptos, experiencias y desafíos”,
el Otro derecho, n°31-32, ILSA, Bogota, Colombia; Dos Santos CUNHA Alexandre, “Social Function of Property in
Brazilian Law”, The Fordham L. Rev., vol. 80, 2011, p. 1171; Plus spécifiquement pour la Colombie les sentences T523/94 ; Sentencia C-223/94 § IV, Sentencia C-595/95, T-427/98. Sentencia T-523/94: “El propietario de un predio donde
brotan naturalmente aguas para el consumo de la comunidad no puede abusar de su propiedad en menoscabo de la pureza del agua y esta
lógica restricción establece una diferencia con otros predios que no tengan tal característica, diferencia razonable, proporcionada, motivada por
situaciones de hecho, que apunta a una finalidad social y que, en últimas, responde al principio de la EQUIDAD dentro de un proceso de
desarrollo sostenible”. Sentencia C-223/94 § IV: “La propiedad está sometida entonces a las restricciones y limitaciones que el legislador
juzgue necesario introducir en aras del superior beneficio de la comunidad. En cuanto atañe concretamente a la propiedad rural, la explotación
de la tierra tiene que beneficiar a la comunidad, puesto que dentro de la concepción constitucional de este derecho, no se puede entender ni
aplicar en exclusivo y egoísta beneficio personal del propietario. § IV ); Sentencia C-595/95 : « La función social de la propiedad se
incorpora al contenido de ella para imponer al titular del dominio obligaciones en beneficio de la sociedad. En otros términos, el contenido
social de las obligaciones limita internamente el contenido individual de facultades o poderes del propietario, según la concepción duguitiana de
la propiedad función. En el caso de las tierras baldías rurales dicha función social se traduce en la obligación de explotarla económicamente y
destinarla exclusivamente a actividades agrícolas, en no explotar el terreno si está destinado a la reserva o conservación de recursos naturales
renovables, etc, en una palabra, la función social consiste en que el derecho de propiedad debe ser ejercido en forma tal que no perjudique sino
que beneficie a la sociedad, dándole la destinación o uso acorde con las necesidades colectivas y respetando los derechos de los demás. » ;
Sentencia T-427/98. « Con la expedición de la Constitución de 1991, el concepto de propiedad ha asumido nuevos elementos que le han
dado una nueva connotación y un perfil de profunda trascendencia social. La propiedad privada ha sido reconocida no solo como un derecho
sino como un deber que implica obligaciones, y en esa medida el ordenamiento jurídico garantiza no solo su núcleo esencial, sino su función
social y ecológica, que permite consolidar los derechos del propietario con las necesidades de la colectividad, debidamente fundamentadas. En ese
orden de ideas y reivindicando el concepto de la función social, el legislador le puede imponer al propietario una serie de restricciones a su
derecho de dominio en aras de la preservación de los intereses sociales, respetando sin embargo, el núcleo del derecho en sí mismo, relativo al
nivel mínimo de goce y disposición de un bien que permita a su titular obtener utilidad económica en términos de valor de uso o de valor de
cambio que justifiquen la presencia de un interés privado en la propiedad. Es por ello que la propiedad se protege a nivel constitucional de
conformidad con el análisis y las circunstancias de cada caso, y en especial si se encuentra conexa y relacionada con otros derechos
fundamentales específicos. También debe ser entendida como deber, teniendo en cuenta que su función social, como elemento constitutivo y no
externo a la misma, compromete a los propietarios con el deber de solidaridad plasmado en la constitución. La configuración legal de la
propiedad, entonces, puede apuntar indistintamente a la supresión de ciertas facultades, a su ejercicio condicionado o, en ciertos casos, al
obligado ejercicio de algunas obligaciones ». Pour aller plus loin : Ana Luiza KRINGS, Silva SPINOLA, “Evolucao do conceito de
funcao socioambiental da propriedade urbana entre 1916 e 2004”, Thèse de doctorat, Universidade de São Paulo, Faculdade de Saúde
Pública, Departamento de Saúde Ambiental, 2005; Mauricio Jorge PEREIRA DA MOTA, , “A função socioambiental da
propriedade: a compensação ambiental como decorrência do princípio do usuário pagador” Revista Quaestio Iuris, 2011,
vol. 4, no 1, p. 785-814; Ana Carolina Del Picchia, DE ARAUJO, “Função sócio-ambiental do direito de propriedade”,
Revista Em tempo-, 2014, vol. 12, n° 1.
514
Article 30 de la Constitution de 1998, Sección 1 « de la propiedad » du chapitre 4 « De los derechos económicos, sociales y
culturales »: « Art. 30.- La propiedad, en cualquiera de sus formas y mientras cumpla su función social, constituye un derecho que el Estado
reconocerá y garantizará para la organización de la economía. Deberá procurar el incremento y la redistribución del ingreso, y permitir el acceso
de la población a los beneficios de la riqueza y el desarrollo. Se reconocerá y garantizará la propiedad intelectual, en los términos previstos en la
ley y de conformidad con los convenios y tratados vigentes.”
261
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
L’encadré ci-dessous reproduit les articles 66, 282 et 321 qui mobilisent communément le concept
de « fonction sociale ».
« Article 66 — Droits de libertés — Sont reconnus et garantis aux personnes (…)
26. Le droit à la propriété sous toutes ses formes, incluant la fonction et la responsabilité
sociale et environnementale. Le droit d’accès à la propriété sera rendu effectif à travers
l’adoption de politiques publiques, entre autres mesures. »
« Article 282. L’État nommera l’usage et l’accès à la terre qui devra remplir sa
fonction sociale et environnementale. Un fonds national de terres, établi par la loi,
régulera l’accès équitable des travailleurs ruraux — de campesinos y campesinas — à la
terre. Le latifundium et la concentration des terres, de même que l’accaparement ou la
privatisation de l’eau et de ses sources est interdit. L’état régulera la gestion et l’usage de
l’eau d’irrigation destinée à la production d’aliments, suivant les principes d’efficience et de
durabilité environnementale. »
« Article 321. L’Etat reconnaît et garantit le droit à la propriété sous ses formes
publique, privée, communautaire, étatique, associative, coopérative, mixte et qui devra
remplir sa fonction sociale et environnementale515. »
Une fois explicités les contextes idéologiques et historiques qui accompagnent l’introduction
verticale — sur un mode descendant, du haut vers le bas- du concept de « fonction sociale » dans le champ
du droit positif équatorien, de même que son extension de principe au champ du droit
professionnel, refermons la parenthèse.
Retenons en guise de synthèse préliminaire que la production et l’institutionnalisation, à flux
législatif constant, du « droit de la fonction sociale » et l’entreprise « d’humanisation 516 » du droit
515
Traduction personnelle : « Capítulo sexto Derechos de libertad Art. 66.- Se reconoce y garantizará a las personas: 26. El derecho a
la propiedad en todas sus formas, con función y responsabilidad social y ambiental. El derecho al acceso a la propiedad se hará efectivo con la
adopción de políticas públicas, entre otras medidas; “Art. 282.- El Estado normará el uso y acceso a la tierra que deberá cumplir la función
social y ambiental. Un fondo nacional de tierra, establecido por ley, regulará el acceso equitativo de campesinos y campesinas a la tierra. Se
prohíbe el latifundio y la concentración de la tierra, así como el acaparamiento o privatización del agua y sus fuentes. El Estado regulará el
uso y manejo del agua de riego para la producción de alimentos, bajo los principios de equidad, eficiencia y sostenibilidad ambiental.”;“Art.
321.- El Estado reconoce y garantiza el derecho a la propiedad en sus formas pública, privada, comunitaria, estatal, asociativa, cooperativa,
mixta, y que deberá cumplir su función social y ambiental. » Constitution de la République d’Équateur, 2008.
262
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
professionnel guidée par la vision sociale socialiste au lendemain de Montecristi requièrent, par
définition, l’intervention et le travail d’une poignée de « légistes » et d’agents publics. Le travail de
légiste demeure, par définition, une pratique minoritaire et excentrée. Face à l’interpellation
normative, la « masse des juristes » demeure cantonnée à une situation d’observation passive.
Section 2 « L’université du XXIe siècle » et la consolidation de la responsabilité éthique et
professionnelle comme champ d’étude et de recherche
Le deuxième foyer de questionnement fonctionnaliste renvoie à l’observation, depuis
l’espace universitaire, d’un jaillissement des champs d’enseignements et de recherche appelés à
prendre pour objet d’étude l’exercice des métiers du droit. Une série de questionnements plus
spécifiquement attachés à l’éthique du droit — legal ethics517 — ou à la défense des causes d’intérêt
public518 se renouvelle et pénètre l’espace universitaire équatorien.
La tendance s’inscrit directement dans une évolution des fins assignées à l’université depuis
la sphère de gouvernance publique. Les dispositions légales traduites et reproduites donnent le ton
quant au changement de cap évoqué. L’approche fonctionnelle de la formation professionnelle
universitaire au regard de la planification du Buen vivir ressort nettement.
« “Humaniser le droit” est une manière euphémisée, pour ne pas dire déniée, d’introduire “le social” dans le droit, compris au double sens
de réalités historiques et culturelles propres à un milieu et à un groupe professionnel d’un côté, d’un souci de prendre en compte des situations
financières et matérielles d’exploitants à la limite de la rupture professionnelle, de l’autre (au sens où l’on dit communément qu’“il faut être
social”. » MOULEVRIER, RETIERE et SUAUD 2005 : 120 cité in CHRISTIN Angèle, « Jurys populaires et juges
professionnels en France », Genèses, no 65, vol.4, 2006, p. 138-151
516
Andrew Boon définit le champ de l’éthique juridique -legal ethics- comme : « l’étude de la relation entre la morale et
le droit, les valeurs sous-jacentes attachées au système juridique et à la régulation du marché des services juridiques, les
institutions, les rôles professionnels et l’éthique des professions juridiques et institutions judiciaires (traduction
personnelle) » extrait de BOON Andrew, « Legal ethics at the Initial stage: a model curriculum, working paper », The
Law society, December 10, p.17.
517
518
COURTIS, Christian. "El desarrollo del derecho de interés público en la Argentina: avances, obstáculos,
desafíos." Clínicas de interés público y enseñanza del derecho. Argentina, Chile, Colombia, México y Perú (2003): 69-96; MONTOYA
VARGAS, Juny. Educación jurídica en América Latina: dificultades curriculares para promover los temas de interés
público y justicia social. El otro derecho, ilsa, 2009, vol. 29, p. 42; La educación legal y la garantía de los derechos en
América Latina, ILSA, el Otro derecho, n°38, Bogota, Junio 2009; DALY, Mary C, Ethical Implications of the
Globalization of the Legal Profession: A Challenge to the Teaching of Professional Responsibility in the Twenty-First
Century, The Fordham International Law Journal, 1997, vol. 21, p. 1239; LASSWELL, Harold D., and Myres S.
McDougal. "Legal education and public policy: Professional training in the public interest." The Yale Law Journal 52.2
(1943): 203-295.
263
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« Le système d’éducation supérieure poursuit comme finalité la formation académique et professionnelle avec une
vision scientifique et humaniste ; la recherche scientifique et technique, l’innovation, la promotion, le développement et la
diffusion des savoirs et des cultures ; la construction de solution face aux problèmes du pays en relation avec les objectifs
du régime de développement. » (Article 350, Constitution de la République d’Équateur) ;
« L’éducation supérieure de caractère humaniste, culturelle et scientifique constitue un droit des personnes et un
bien public social qui, conformément à la constitution de la République, répond à l’intérêt public et ne sera pas au
service des intérêts individuels et corporatifs. » (Artículo 3, Objectifs de l’éducation supérieure, LOES).
« L’éducation supérieure poursuivra les fins suivantes : (…) d) former des universitaires et des professionnels
responsables, dotés d’une conscience éthique et solidaire, capables de contribuer au développement des institutions de la
République, à la vigueur de l’ordre démocratique, et de stimuler la participation sociale ;(…) f) Générer et exécuter des
programmes de recherche à caractère scientifique, technique et pédagogique qui aident à l’amélioration et à la protection
de l’environnement et qui favorisent le développement le développement national durable ; (…) g) Constituer des espaces
en vue du renforcement de l’État constitutionnel, souverain, indépendant, unitaire, interculturel, plurinational et
laïque ; (…) h) Contribuer au développement local et national de manière permanente, à travers le travail
communautaire ou l’extension universitaire. (Article 8 LOES)
« L’éducation supérieure est la condition indispensable pour la construction du droit “del buen vivir” dans le
cadre de l’interculturalité, du respect à la diversité et d’une cohabitation harmonieuse avec la nature. » (Article 9
LOES).
L’université polytechnique du littoral (ESPOL) établit, sur ce registre, comme premier des sept
résultats d’apprentissage visés à l’échelle institutionnelle « l’aptitude à comprendre la responsabilité éthique et
professionnelle ». Comment générer depuis l’espace d’enseignement et de recherche une telle aptitude ?
Dans un contexte général de circulation, voyage, transferts et mises en concurrence
internationale des champs de recherche et des contenus pédagogiques, la responsabilité éthique et
professionnelle fait l’objet de débats contemporains significatifs. Portant le regard « outre pacifique »,
l’université de Sydney offre, à titre illustratif, une unité de formation intitulée « the legal profession »
dont la description des contenus est traduite ci-dessous :
264
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« L’unité sur la profession légale — « the legal profession » — examine de manière
critique les notions de profession légale et de régulation du marché des services juridiques,
les pratiques juridiques et les praticiens. La première partie du cours examine la nature
du professionnalisme dans le champ du droit, la structure de la profession juridique et
l’appréhension des contours du marché des services juridiques. La deuxième partie du
cours explore la régulation de la profession, ses enjeux historiques et la diversité des
approches théoriques et des modèles de régulation. La troisième partie explore les
spécialités dans le cadre des pratiques professionnelles, met en lumière les principales forces
économiques et culturelles qui mettent en jeu les paramètres du professionnalisme juridique
et la régulation de la profession. Des formes alternatives d’organisation de la pratique
professionnelle et du marché des services juridiques sont balayées tout en portant une
attention particulière à la question de l’impact des technologies modernes et de la
globalisation. La quatrième partie évalue la relation entre les avocats et leurs clients et
suggère des stratégies en vue de faciliter l’égalité et une communication effective dans le
cadre de la fourniture de services juridiques. (…) »519
Érigeant l’action des professionnels du droit en objet d’étude à l’intersection entre les
langages de l’éthique, du politique, de la philosophie et du droit, la revue internationale anglophone
« Legal ethics » évoque toujours à titre illustratif une orientation : « suffisamment ample pour couvrir la
recherche empirique sur l’éthique et la conduite des professions juridiques et judiciaires, les études sur l’éducation
déontologique et le développement moral, le développement de l’éthique dans l’activité professionnelle, les responsabilités
éthiques des facultés de droit, des corps professionnels, du gouvernement, et des réflexions jurisprudentielles ou
philosophiques sur le droit comme un système éthique et sur les obligations morales individuelles des juristes520. »
519
« The Legal Profession critically examines notions of legal professionalism and the regulation of legal services markets, legal practice and
practitioners. Part 1 of The Legal Profession examines the nature of legal professionalism, the structure of the legal profession and the contours
that shape legal services markets. Part 2 explores the regulation of the profession including historical challenges and diverse theoretical views
and models of regulation are examined. Part 3 explores specific forms of legal practice, highlights the major cultural and economic forces that
challenge the parameters of legal professionalism and regulation of the profession. Alternative ways of organising legal practice and the legal
services market are canvassed focusing in particular, on the impacts of modern technology and globalisation. Part 4 evaluates the lawyer-client
relationship and suggests strategies to facilitate equality and effective communication in the delivery of legal services. Furthermore, it examines
lawyers' duties to clients, the Court and third parties, and the ways in which the rules and principles of confidentiality and conflicts of interest
shape the advice and representation lawyers provide to clients ».
Original: « … broad enough to encompass empirical research on the ethics and conduct of the legal professions and judiciary, studies of
legal ethics education and moral development, ethics development in contemporary professional practice, the ethical responsibilities of law schools,
520
265
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Allant dans le sens de l’interdisciplinarité, de nombreux auteurs convoquent et utilisent le
discours sur l’éthique professionnelle comme un instrument de cadrage de la réflexion
fonctionnaliste 521 . Deux exemples d’une telle imprégnation du questionnement fonctionnel par
l’éthique peuvent être évoqués dans le contexte doctrinal français.
Christian Vigouroux dans un ouvrage sur la « Déontologie des fonctions publiques » aborde
l’éthique du serviteur public comme « l’interrogation identitaire d’une personne ou d’une collectivité en elle-même
et par rapport aux autres dans les différentes sphères de la vie522 ».
D’une manière similaire, Antoine Garapon dans le cadre d’un essai sur la déontologie du
juge, place l’éthique à la source de la réflexion fonctionnelle qu’il aborde simultanément comme
« une règle morale juridiquement facultative » et comme « un questionnement une préoccupation jamais arrêtée, une
démarche positive et identitaire ». L’auteur ajoute finalement que :
« L’éthique correspond à une juste manière d’être, à la sagesse dans l’action ; elle suppose
une réflexion personnelle sur la meilleure manière de vivre autrui, une distinction réfléchie
entre le bien et le mal. (…)Appréhendée de manière collective l’éthique est alors une
composante importante de l’identité professionnelle qui se construit autour de pratiques et
de valeurs partagées par un même groupe professionnel » 523
Poursuivant le survol, Richard O’Dair, sur un registre similaire, introduit l’ouvrage « Legal
ethics : text and materials » en définissant comme son objet d’étude :
professional bodies and government, and jurisprudential or wider philosophical reflections on law as an ethical system and on the moral
obligations of individual lawyers », in: Legal ethics, Volume 1, Issue 1, 1998.
Carmen LAVALLEE, « À la frontière de l’éthique et du droit », Revue de droit de l'Université de Sherbrooke, vol. 24,
1993, p.1-70 ; Monique Castillo observe sur un registre voisin « Ce qui change, ce dont les professionnels sentent qu’il doit changer,
c’est le professionnalisme dont ils doivent faire preuve, un changement d’ordre culturel autant que professionnel, car est en train d’émerger une
nouvelle culture du rapport au travail et une nouvelle sensibilité à la dimension sociale des activités économiques. L’éthique professionnelle est
bien plus qu’un appel à la vertu, elle entend s’inscrire à part entière dans la scientificité professionnelle elle-même. » in : CASTILLO
Monique, Du professionnalisme à l'éthique professionnelle », Études, 2011/7 Tome 415, p. 55-64.
521
522
Christian VIGOUROUX, Déontologie des fonctions publiques, Dalloz, Praxis, 2006.
523
A. GARAPON, L'éthique du juge, le juge et son éthique, les cahiers de l'IHEJ, 1993, n 1 p.27 et s., cité dans
CARNIVER Guy et JOLY-HURARD Julie, La déontologie du magistrat, Connaissance du droit, Chapitre I , Le terme
déontologie, Dalloz, 2e édition; 2009, p. 7.
266
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
« les accords d’une société quant à la fourniture de services juridiques et en particulier
quant à la profession du droit, ses structures, ses rôles, ses responsabilités (parfois désigné
comme macro-legal ethics) ; les rôles et les responsabilités individuelles des avocats quant à
la fourniture de services juridiques et les implications éthiques associées à de tels rôles
(parfois désignés comme “micro legal ethics”) ; et le contexte social en général,
spécialement, le contexte philosophique, économique et social dans lequel les avocats
travaillent en vue d’identifier et, si possible, de résoudre les difficultés éthiques auxquelles
les professionnels du droit font face afin de leur permettre de voir la pratique du droit
comme moralement défendable et par conséquent personnellement épanouissante »524.
La « VII conférence internationale sur la « legal ethics » organisée par l’université de Fordham (New
York), pour terminer ce bref passage en revue, embrasse les axes de recherches suivants :
-
culture, technologie, éthique et société — « Culture, Technology, Ethics and Society
Culture » —,
-
perspectives empiriques sur les professions juridiques et les éthiques du droit — Empirical
Perspectives on the Legal Profession and Legal Ethics-
-
approches interdisciplinaires des professions juridiques — Interdisciplinary Approaches to the
Legal Profession-
-
philosophie et éthiques du droit — Philosophy and Legal Ethics-
-
régulation des professions juridiques et judiciaires — Regulation of the Legal Profession and
Judiciary-
-
éthique et enseignement du droit — Ethics and Legal Éducation-
-
globalisation et profession du droit — Globalization and the Legal Profession-
524
« The arrangements made by society for the delivery of legal services and in particular of the legal profession, its structures, roles and
responsibilities (sometimes termed as macro legal ethics); the roles and responsibilities of individual lawyers in the provision of legal services
together with the ethical implications of those roles (sometimes termed micro legal ethics); and the wider social context, especially the
philosophical, economic and sociological context in which lawyers work with a view to identifying and, if possible, resolving the ethical
difficulties which face professional lawyers so to enable them to view legal practice as morally defensible and therefore personally satisfying ».
O'DAIR, Legal Ethics: Text and Materials, London, Butterworth, 2001, p. 5.
267
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
Etat de droit et profession juridique — Rule of Law and the Legal Profession. —
À l’image de ce que, par voie de comparaison, le développement contemporain de l’éthique
apporte à la morale, la réversion épistémologique consisterait bien, à la lumière des cas et exemples
rapportés ci-dessus, à déplacer une présomption simple. Acquise sur les bancs de l’université et
largement enracinée dans le mythe occidental fonctionnaliste d’homo juridicus, l’image du juriste
citoyen et acteur de la Cité est mise sous tension. Un champ d’observation et d’apprentissage à trois
branches se substitue progressivement à la fiction originale. L’horizon fonctionnaliste, depuis la
perspective académique et universitaire, se redessine et envisage :
-
l’étude critique de ce que la fonction socio-environnementale du juriste « est » ;
-
l’étude et l’interprétation de ce que la norme sociale, éventuellement juridique, désigne
comme « fonction socio-environnementale du juriste » et finalement ;
-
le développement d’un regard prospectif sur le vide ou l’inconnu, ce que devrait ou pourrait
être une fonction socio-environnementale du juriste dans les asentamientos.
L’appropriation et l’entreprise pratique de développement du champ de la responsabilité
éthique et professionnelle, le travail de relecture, de mise en contexte et d’opérationnalisation
pédagogique à l’échelle de l’université équatorienne, du contexte guayaquileño, s’affirment encore
une fois, à cet égard, sous les traits d’un phénomène « émergent ».
Section 3 La corporatisme et la résurgence des enjeux disciplinaires
Le troisième foyer de questionnement fonctionnaliste s’inscrit historiquement dans le sillon
du phénomène corporatif525 et, plus spécifiquement, de la production du discours déontologique.
Le corporatisme se présente, classiquement et de prime abord, comme une modalité
d’organisation de la vie économique qui engage, sous sa forme contemporaine, l’ouverture d’un
espace de dialogue et de négociation entre les corps professionnels et l’État. Dominique
Chagnollaud indique sur ce registre que « le néocorporatisme est un système de reconnaissance mutuelle et
Entendu comme phénomène historique le corporatisme renvoie d’une manière générale à « l’organisation d’une société en
corporation industrielles et professionnelles servant d’organes de représentation politique et exerçant un contrôle sur les personnes et les activités
sous leur juridiction (traduction personnelle)». Britannica, Academic edition, 2014.
525
268
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
d’échange assez développé entre l’État et les groupes »526. Les organisations professionnelles poursuivent un
agenda, protègent « leurs frontières extérieures contre les concurrents qui cherchent à s’infiltrer dans leurs
“juridictions”. Elles signent des armistices, négocient des accords qui réactualisent et revivifient leurs frontières
(…). 527 ». Lucien Karpik et Terence Halliday, analysant de même la dimension politique du
phénomène corporatif, observent sur un registre voisin :
« Ce n’est pas la politique de l’avocat pris en tant qu’individu, mais la politique du
“legal complex” — complexe juridique —, la constitution des professions juridiques,
centrées sur les figures de l’avocat et du juge, qui engage les progrès et les revers du
libéralisme politique. (Traduction personnelle) »528
L’intersection entre l’activité corporative et le travail en réseaux des professionnels sur la
déontologie des métiers du droit, d’un côté, la question du rôle social, de l’autre, semble pouvoir être
réaffirmée à divers égards.
Le concept de déontologie dont l’origine est attribuée à un ouvrage de Jeremy Bentham —
« Déontologie ou science de la morale529 » — renvoie étymologiquement à « la connaissance ou au discours sur ce
qui est convenable »530. La « déontologie des juristes531 » s’érige, historiquement et à un premier abord,
526
CHAGNOLLAUD Dominique, Sciences politiques, Dalloz, 7e édition, §176, p.257 ; voir aussi : Laval, N., « Intérêt
collectif, ordre collectif » dans M. Hecquard-Thérond (dir.), Le groupement et le droit : corporatisme, néo-corporatisme, Presse de
l’Université de sciences sociales de Toulouse, 1996, p.155.
527
ABBOTT, Andrew, The system of professions: An essay on the division of expert labor, University of Chicago Press, 1988 cité
in: PARADEISE, Catherine. "Comprendre les professions: l’apport de la sociologie." Sciences humaines 139 (2003): 26-29 ;
voir aussi: MORET-BAILLY et TRUCHET, la déontologie des juristes, p. 28.
528
KARPIK, Lucien et HALLIDAY, Terence C, The legal complex, Annual Review of Law and Social Science, 2011, vol.
7, p. 217-236, « It is not the politics of lawyers alone but the politics of a “legal complex” of legally-trained occupations, centred on lawyers
and judges, that drives advances or retreats from political liberalism » ; Voir aussi, COMMAILLE Jacques, Les vertus politiques du
droit. Mythes et réalités, Droit et société, 2011, no 3, p. 695-713.
529
BENTHAM, J. « Déontologie ou Science de la morale », éd. J. Bowring. Translation by B. Laroche. Charpentier, Libraireéditeur: Paris (1834).
530
Etymologiquement dérivé de déon-tos, « ce qui est convenable », et de logos- « connaissance ou science ».
Jorët Moret-Bailly et Didier Truchet visent ici : « l’ensemble des règles destinées à encadrer le comportement des juristes ainsi que de
l’ensemble de leurs relations professionnelles avec les autres juristes, les usagers du droit, leurs employeurs, ainsi qu’avec les différentes
institutions professionnelles, juridictionnelles ou administratives.» in : MORET-BAILLY, Joël et TRUCHET, Didier, Déontologie des
juristes, Presses universitaires de France, 2010, p.55 ; CARNIVER Guy et JOLY-HURARD Julie évoquent à leur tour,
531
269
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
comme en enjeu communicationnel. Abordée comme discours corporatif, la déontologie contribue à
instiguer et maintenir un état de confiance auprès d’un nombre limité d’acteurs sociaux — l’Etat en
première instance. L’entreprise octroie le crédit nécessaire, estimé par calcul stratégique, à la « bonne
marche » des affaires juridiques532. Hervé Croze et Élisabeth Joly-Sibuet observent sur ce plan :
« La déontologie est l’ensemble des règles de conduite, quelles que soient leurs formes,
applicables à une catégorie de professionnels libéraux, que la communauté professionnelle
concernée reconnaît comme nécessaire pour garantir que l’activité professionnelle sera
exercée conformément à l’intérêt général et dans des conditions de nature à préserver
l’intégrité de l’image de la profession. Les règles déontologiques ne peuvent donc être
qualifiées de règles juridiques, mais constituent un “infradroit” qui peut “accéder à la
juridicité” s’il est sanctionné par la jurisprudence ou la loi »533.
Le travail collectif de signification, d’argumentation et de communication sur le rôle s’inscrit
pleinement au vu de ces propos dans la logique corporative. La production du discours fonctionnel
corporatif ainsi que son « positionnement » dans l’espace public renvoient alors, assez nettement, à la
maîtrise d’un art de la parole et du discours déontologique.
Répondant aux besoins de légitimation du corps professionnel, le discours corporatif
permettrait ainsi et, par exemple, de signifier la « capacité d’une profession de réfléchir sa fonction dans des
valeurs en adéquation avec les attentes du public et en contrepartie des pouvoirs qui lui sont attribués 534 ».
Entretenant le mythe de l’autorégulation fonctionnelle535, le discours corporatif signifie de même au
"l'ensemble des devoirs comportementaux qu'imposent à des professionnels l'exercice de leur métier » in La déontologie du magistrat,
Connaissance du droit, Chapitre I , Le terme déontologie, Dalloz, 2e édition; 2009, p7-18.
532
KARPIK Lucien, Les Avocats, Entre l’État, le public et le marché, XIII e–XX e siècles, Gallimard, Paris, 1995.
533
H.CROZE et E. Joly SIBUET, Professions juridiques et judiciaires- Quelles déontologies pour 1993 ?, Commissariat général du
plan, 1993, p.4-6 cité in MORET-BAILLY, Joël et TRUCHET, Didier, Déontologie des juristes, Presses universitaires de
France, 2010, p. 47.
534
SALAS D., Rapport français sur la conduite l'éthique et la responsabilité des juges, Groupe de travail du conseil consultatif des
juges européens, mai 2002.
Gérard Cornu abondant dans le sens d’une emprise professionnelle sur le processus de formation et de sanction des
règles déontologiques définit la déontologie comme: « l’ensemble des règles et des devoirs imposés aux membres d’un corps ou d’une
profession, ou attachés à l’exercice d’une fonction et dont le régime de sanction est autonome tant en ce qui concerne les instances compétentes
que la définition des infractions et la nature des peines » in : Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Déontologie, PUF,2011.
535
270
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
monde extérieur l’existence d’un ordre normatif virtuellement autonome, « relativement libre des
contraintes de la production juridique traditionnelle »536.
L’énoncé du discours fonctionnaliste, la production du sens et l’autodétermination du rôle
servent, suivant cette configuration d’idées, la production d’une vitrine. La corporation projette une
vision esthétisée et normée des usages et pratiques professionnels vers le corps social.
L’adoption, en 1969, d’un Code d’éthique professionnel par la « Fédération nationale des avocats
équatoriens » marque vraisemblablement le point d’origine quant à la production d’un discours
corporatif sur le terrain déontologique en Équateur. Prônant une approche nettement caritative de
l’accompagnement juridique, le code en question énonçait que l’exercice de la profession d’avocat(e)
imposerait, en règle générale, de « défendre gratuitement les pauvres (…) ». Le non-respect de ce devoir
déontologique était du reste représenté comme une « une faute grave », déshonorant « l’essence même de la
profession », et affectant « la notoriété du métier »537. Le pouvoir de sanction consécutif aux manquements
de l’avocat à ses obligations déontologiques revenait enfin classiquement à une formation collégiale,
les « tribunaux d’honneur », — tribunales de honra —.
Le transfert récent du contentieux disciplinaire des avocats aux Directions régionales du Conseil de
la Judicature 538 , dans le sillon des réformes de la justice et du droit, replace le questionnement
536
Carmen LAVALLEE pousse la logique du discours corporatif à son paroxysme : « L'assimilation par les professionnels des
valeurs traditionnelles les force à adopter une conduite appropriée, c'est-à-dire conforme à celle d'une personne capable d'exercer, sur elle-même,
un contrôle moral efficace. Dans cette optique, les codes et les comités disciplinaires ne joueraient plus qu'un rôle supplétif puisque le
professionnel serait un individu imprégné du sens du devoir et capable de bien agir sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours aux pressions ou
aux sanctions. »in LAVALLÉE, Carmen. « À la frontière de l’éthique et du droit ». Revue de droit de l'Université de Sherbrooke,
1993, vol. 24, p. 1-70 ; voir aussi : CABROL Valérie, « La déontologie : l'impossible définition? », Revue de recherche juridique-Droit
prospectif, 2004, n°1, p.563 ; de la même auteure, Déontologie et droit : contribution à l'étude des rapports entre ordres normatifs,
Thèse de droit public sous la direction de Jean-Pierret THERON, soutenue en 2001 à Toulouse ; voir aussi
DECOOPMAN N., Droit et déontologie: contribution à l’étude des modes de régulation, Les usages sociaux du droit, 1989, p. 87105.
537
Original : « Art. 6.- La profesión de abogado impone defender gratuitamente a los pobres, sea cuando éstos lo
soliciten directamente o cuando medie nombramiento de oficio. El incumplimiento de este deber, salvo excusa
justificada, es falta grave que desvirtúa la esencia misma y afecta el alto concepto de la abogacía ».
L’article 13 du Règlement en vue de l’application du régime disciplinaire des avocats dans le cadre de leurs activités de
défense des intérêts d’autrui énonce sans ambages : « l’action disciplinaire est de nature administrative, publique et indépendante de
toute autre action civile ou pénale à laquelle la faute disciplinaire donnerait lieu. », Reglamento para la aplicación del régimen disciplinario de
los abogados en el patrocino de las causas, Resolución 121-2012, Conseil de la Judicature faisant écho directement à l’article 336
du « Codigo Organico de la Funcion Judicial », RO 544, 2009.
538
271
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
fonctionnel au cœur d’une tractation entre le gouvernement et les corporations professionnelles539.
Le recours à la loi et à l’autorité d’une chambre spécialisée du « Consejo de la judicatura », dans un
registre historiquement réservé à l’autorégulation des collèges professionnels, représente un virage
significatif sur le plan du droit et polémique sur celui de sa politique. L’éveil des lobbyismes
corporatistes d’un côté, le risque tout aussi réel d’un empiètement du pouvoir exécutif sur
l’indépendance de l’avocat et sur l’exercice des libertés professionnelles traverse le débat
fonctionnaliste.
Section 4 L’ONG et l’organisation des services d’assistance et d’accompagnement juridique
gratuits
Le quatrième foyer de questionnement fonctionnaliste observé renvoie à l’activité d’une
frange particulière de la vie associative locale. Les organisations de la société civile spécialisées sur la
question de l’accès aux droits — défense et revendication des droits de l’homme, protection des réfugiés —
« travaillent » la question du rôle à divers moments clés de la vie associative. Prenons comme cas
d’étude l’organisation non gouvernementale Asylum Access, particulièrement active dans les
asentamientos de Guayaquil et spécialisée en matière de défense du droit des réfugiés (en grande
majorité d’origine colombienne). La question du rôle ressurgit sur la vie associative à un triple égard.
À un premier égard, le travail juridique sur le rôle intervient au regard de la période décisive
de formation du mouvement associatif et de constitution de l’organisation. La question stratégique
de la fonction sociale des usages et pratiques professionnels du droit fait, en ce sens, l’objet d’une
formalisation écrite à travers la rédaction de statuts ou la conduite des démarches administratives
d’implantation comme organisation étrangère souhaitant travailler en Équateur. Une tractation
s’engage, à l’occasion, auprès des autorités publiques. Certaines formes et activités associatives se
voient, à l’image des activités de service ou d’assistance juridique gratuits, soumises non pas
seulement à déclaration, mais aussi à un régime d’autorisation et de contrôle administratif.
“Los abogados, sometidos a un CJ (consejo de la Judicatura) que vigila sus acciones”, El Universo, Domingo 10 de febrero del
2013 ; Pardo GATO, José RICARDO, Las sanciones disciplinarias impuestas por los colegios de abogados: su revisión judicial, 2007 ;
VARELA, fernando, La “mision publica de la abogacia”, la formacion profesional y el rol de la colegiación; Thèse de doctorat Salas
yuqui, german, La necesidad de incorporar en el codigo civil la responsabilidad del profesional del derecho por los daños ocasionados a la
actividad judicial, 2012; AYALA Andrade, EDISON Fabricio, Incongruencias jurídicas del principio de buena fe y lealtad que limitan
el ejercicio profesional de los abogados en el ecuador y su necesidad de reforma, thèse de doctorat, 2010.
539
272
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
À un second égard, le travail juridique sur le rôle rejaillit au moment d’établir des règles de
fonctionnement internes de l’association. L’approche fonctionnaliste rejaillit, tout particulièrement,
au moment d’établir un standard, un protocole ou un règlement prenant pour objet la gestion
systématisée des cas et la conduite des entretiens auprès des publics cibles éligibles à
l’accompagnement. L’adoption du Code de Nairobi semble, en ce sens, parfaitement représentative
quant à la production d’une normativité technique d’origine associative, s’attachant à la question de
l’accomplissement par les agents de l’ONG d’une fonction sociale « institutionnalisée »540.
À un troisième et dernier égard, la question du rôle rejaillit de manière tout aussi évidente au
regard de la gestion des ressources et talents humains. Le développement et l’énoncé vertical des
référentiels de compétences professionnelles du conseiller juridique, la rédaction d’une fiche de
poste et la conduite de l’entretien « d’embauche » impliquent, par définition, une activité continue de
conceptualisation de la fonction sociale des acteurs juridiques professionnels « depuis » et « aux
services » de l’ONG. Il suffit, pour s’en convaincre de parcourir la fiche de poste traduite et
reproduite ci-dessous à titre d’exemple.
Le candidat idéal sera un professionnel avec une formation ou une expérience en droit
d’asile et attention aux personnes réfugiées. Précision du profil :
– Fournir des services légaux individuels aux demandeurs d’asile ou réfugiés quant à la détermination
de la condition de réfugié, accès aux droits et détentions arbitraires
– Fournir des services de représentation légale pour des enfants et adolescents nécessitant une
protection internationale en coordination avec les autorités locales.
– Préparer et corriger des écrits juridiques
– Organiser des activités de liaison avec la communauté locale, des sessions de formation à
destination des personnes ayant besoin d’une protection internationale de la part des autorités ou
institutions publiques
– Rapporter les services et les activités réalisées dans la base de données et utiliser les instruments de
gestion, suivi et évaluation de l’organisation
– Respecter le Code de Nairobi et les normes éthiques applicables à la prestation de l’assistance
juridique aux personnes nécessitant une protection internationale.
« Le Code de Nairobi, Code d’éthique et règles de conduite à l’attention des Conseillers Juridiques pour les réfugiés »,
Promulgué à SOUTHERN REFUGEE LEGAL AID CONFERENCE (SRLAC), Nairobi, Kenya 1er février 2007.
540
273
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
– Rétroalimenter, informer de manière permanente la Coordination quant à l’avancement des cas, les
tendances observées, la consolidation des réseaux et du travail communautaire
– Réaliser des recherches sur le pays d’origine et le droit d’asile en relation avec le droit national et
international
– Représente l’organisation auprès des institutions publiques, privées d’autres ONG et des agences
des Nations Unies sur délégation de la coordination
Répondre à l’ensemble des conditions techniques et administratives suivantes :
– Diplômé de droit et autorisé à conseiller et représenter juridiquement (…)
– Expérience du processus de conseil et détermination de la condition de réfugié
– Expérience dans le domaine de la protection de l’enfance et de l’adolescence
– Expérience dans le domaine du travail en communauté, travail avec des populations en situation
de vulnérabilité
– Expérience du travail en réseau
– Capacités d’organisation et de systématisation du travail (…)
– Familiarité avec le travail au sein d’une équipe diverse et multiculturelle
– Familiarité avec les institutions des Nations unies et spécialement ACNUR541
La préparation de la fiche de poste et le référencement des compétences préfigurent dans
une large mesure, la formulation d’un contenu obligationnel de nature contractuelle entre l’ONG et
ses employé(e)s. Le point de rencontre pratique entre le travail juridique et le travail sur le rôle des
usages et pratiques professionnels se fait, une nouvelle, tangible.
541
Source : Asylum Access, http://asylumaccess.org
274
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Section 5 L’exercice libéral et le marché des services juridiques
Le cinquième foyer de questionnement fonctionnaliste observé tient finalement au
développement de l’activité « libérale » et à la fourniture des services juridiques marchands dans
l’orbite de la territorialisation des asentamientos. La démarche fonctionnaliste renvoie
simultanément à l’organisation de la survie économique et à l’adaptation de l’offre des services
juridiques au « milieu » social. Le travail d’autodéfinition du rôle répond cette fois à une perception
opportune du marché. Reprenons, en guise d’illustration, les cas spécifiques du spéculateur
immobilier, du trafiquant de terre, du dirigeant ou du représentant communautaire. Le travail sur la
fonction du service juridique dans l’orbite des asentamientos émerge comme une condition « sine qua
non » de l’agir juridique professionnel.
Ce groupe d’acteurs locaux présente, en ce sens, la caractéristique commune d’interagir sur
l’offre et la demande locale des services juridiques. Le développement d’une offre
« d’accompagnement », de « médiation » ou de « représentation » dans l’orbite des asentamientos
répond, en somme et nécessairement, à l’assise sociale d’une série de « fonctions » :
-
fonctions de diagnostic et d’évaluation du régime de propriété, lecture et interprétation des
instruments de planification urbaine, consultation et interprétation des documents
cadastraux ;
-
fonctions techniques de découpage de la propriété mère en parcelles — solares —,
négociation et formalisation des promesses de vente « dans » ou « sous » l’empire de la
situation d’irrégularité, démarches ultérieures de régularisation de cette même propriété du
sol ;
-
production de discours normatifs et de discours sur les normes juridiques, fonctions de
représentation, de médiation sociale, capacité d’influer sur le cours des relations entre
propriétaires et occupants, sur relations de voisinage,
-
représentation et lobbying auprès des autorités publiques locales, tractation avec les
prestataires de services.
275
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Conclusion
Retenons, en guise de conclusion, que le passage en revue des foyers sociohistoriques du
questionnement fonctionnel permet une circonscription préliminaire des espaces d’intersection entre
la conduite du travail juridique d’une part, et l’émergence du questionnement sur le rôle social des
usages et pratiques professionnels du droit, d’autre part. Le travail sur le rôle participe, en d’autres
termes et depuis une perspective réaliste, à la formation et à l’adaptation des normes et usages
professionnels du droit. Le questionnement sur le rôle apparaît d’une manière générale fragmenté et
disperse, contingent. Depuis la perspective de l’acteur, la mise en cause de la fonction sociale du
juriste relève dans la grande majorité des cas évoqués du phénomène induit, d’un jeu de contraintes.
276
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Chapitre 2 La revue des « totems » et l’édification du dogme
fonctionnel
« (…) Les gens ont toujours tendance à édifier des théories universelles qui seraient
“valables partout” et à faire le récit de grands événements, laissant en dehors du champ
théorique le monde de la vie. Pourtant, ce dernier forme la base culturelle sur laquelle les
individus tentent de vivre et de prospérer au quotidien. De ce fait, nos sciences sociales
regorgent de signifiants généraux, vides, flous, théâtre d’un véritable “carnaval de
signifiants”. En un sens, l’abstraction et l’abandon du monde de la vie restent un fléau
persistant au sein des sciences philosophiques et sociales542. »
À l’image d’une parole révélée543, observons au fil de la section suivante dans quelle mesure le
traitement juridique de la question du rôle social fait l’objet d’une approche et d’un discours
dogmatique caractéristique. L’idée initiale du désert fonctionnel revêt, à ce point du parcours
exploratoire, une teinte additionnelle. La question sur le rôle social rejaillit, non plus sous les traits
d’une activité circonstanciée et opportune, mais bien, cette fois, comme un encart, un discours
doctrinal aux accents prophétiques qui s’intercalent dans la marche du droit.
La « fonction sociale du juriste » renvoie, depuis la perspective dogmatique, à un « état » de
connaissance acquise, un produit de la raison « pure », un « type idéal544 » éclairant le développement
de la pratique. La matière qui sépare l’acteur juridique professionnel du travail sur le rôle tient, sur ce
registre, de l’étrange. Ce dernier peine à reconnaître l’image apparaissant dans le miroir déformant de
la doctrine juridique. Le divorce est prononcé entre vécus et pratiques figuratives du rôle. La
connaissance empirique et contextuelle du système juridique se heurte à une série de figures
énigmatiques, solitaires et intemporelles, érigées à la gloire d’un juriste qu’il ne reconnaît pas :
dénommons-les « totems » ou « moaï » du paysage fonctionnel.
542
Junqing Yi, « À propos de la philosophie micropolitique », Diogène, 2008/1 n° 221, p. 58-72. DOI :
10.3917/dio.221.0058.
543
Jean-Pierre JOSSUA, définition de DOGME, Encyclopédie Universalis en ligne, consulté le 28 mars 2014.
544
Pour une définition « type idéal » dans la sociologie de Max Weber, comme « une construction utopique ou irréelle destinée à
mettre en évidence des relations réelles et empiriques. Il constitue un type, puisqu'il est un concept permettant de saisir les diverses relations dans
277
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Les développements suivants proposent à titre exploratoire un tour d’horizon, point de
rencontre avec les statues les plus impressionnantes du paysage fonctionnel. Les doctrines
fonctionnalistes françaises et nord-américaines sont spécialement considérées comme point d’entrée
dans l’imaginaire des professeurs de droit.
La visite commence immanquablement par la rencontre avec le simple « agent du droit » :
« Le but social du droit ne peut, en l’état actuel de l’évolution humaine, être atteint que
par sa force. La règle de droit a donc un caractère nécessairement coercitif ; elle implique
une sanction au moins virtuelle, et par sa nature sociale une sanction externe. Elle
comporte autrement dit, l’intervention possible de la contrainte sociale. Il suit de là que
l’impératif juridique a normalement deux catégories de destinataires : il impose leur
conduite aux individus ; mais en même temps, il enjoint aux détenteurs du pouvoir social
de prêter leurs concours à la réalisation du Droit »545..
Contigu au poste d’agent se découvre celui des « techniciens » ou des « ingénieurs du droit » :
Un premier technicien à notre droite :
« Le juriste c’est l’ingénieur des normes juridiques, celui qui sait certes comment en
dégager la signification et la portée, mais aussi celui qui sait par quels processus ces
normes adviennent à l’existence, selon quelles trajectoires ces normes vivent, évoluent,
interagissent, somnolent, sombrent dans l’oubli, vieillissent, se périment, se réveillent,
comment éventuellement elles ressuscitent ou sont réactivées. Celui qui a saisi et maintient
en éveil la compréhension et la maîtrise de la naissance, de la “composition du droit”, de
la vie et de la mort des normes juridiques »546.
leur singularité ; il est idéal, parce qu'il est une abstraction rationnelle et pure qui correspond rarement aux phénomènes empiriques.»,
Encyclopédie Universalis, article de Julien FREUND sur Max Weber (1864-1920).
545
Henri MOTULSKY, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, §11, p.14.
546
Jean MATRINGE, « Sur la composition du droit », R.D.P. 2011.247 ; cite in KOUAM, Siméon Patrice. « La
définition du juriste et la redéfinition de la dogmatique juridique (à propos du syncrétisme méthodologique) ». Les Cahiers
de droit, 2014, vol. 55, no 4, p. 877-922.
278
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Un second technicien à notre gauche :
« Au vingtième siècle, les non-juristes percevaient fondamentalement les juristes de la
même manière qu’ils percevaient les plombiers. On avait affaire à eux lorsque quelque
chose coulait ou était sur le point de couler. Les juristes étaient perçus comme des experts
au sens qu’ils donnent eux-mêmes à ce concept, c’est-à-dire, comme des personnes choisies
pour leurs connaissances techniques, capables de faire des constatations et des
appréciations de fait sur ce que disent la Constitution, la loi et la jurisprudence. Cette
image du juriste-plombier est encore fortement ancrée dans notre culture : l’utilité du
juriste semble résider avant tout dans le tranchant de ses opinions juridiques
techniques »547.
La visite se poursuit naturellement avec le passage en revue des juristes «engagés548» et de
leurs homologues anglo-saxons les «cause-lawyers549». Le portrait de famille réuni alors les juristes
engagés pour une cause sociale, leurs comparses chinois les «barefoot lawyers 550 » ou latinoaméricains les «abogados populares551». Relevons à titre illustratif :
« Parce qu’ils sont porteurs d’un savoir spécialisé, les juristes sont susceptibles de mettre
leur compétence et leur expertise au service de la société, pour garantir une plus grande
justice sociale ou défendre une cause particulière à laquelle ils croient. L’intérêt porté aux
usages du droit à des fins sociales et politiques implique de s’interroger sur le rôle potentiel
547
TREMBLAY, Luc B. « Positivisme juridique versus l'Herméneutique juridique », Le. RJT ns, 2012, vol. 46, p. 249.
CHEVALLIER Jacques, Juriste engagé (e) ?, Frontières du droit, critique des droits, Billets d’humeur en l’honneur de Danièle
LOCHAK, Paris, LGDJ, 2007, p. 387-390.
548
549
SARAT, Austin, and Stuart A. SCHEINGOLD. Cause lawyers and social movements. Stanford University Press, 2006;
SCHEINGOLD, Stuart, and Austin SARAT. Something to believe in: Politics, professionalism and cause lawyering. Stanford
University Press, 2004; HILBINK, Thomas M. “You know the type: Categories of cause lawyering”. Law & Social
Inquiry, 2004, vol. 29, No. 3, p. 657-698.
550
HSING, You-tien, and CHING Kwan Lee, eds. Reclaiming Chinese society: The new social activism. Routledge, 2009 ; Xing,
Ying. "Dissemination of Law and Access to Justice at the Village Level: A Case Study of Barefoot Lawyers in the
Villages of China." positions 22.3 (2014): 603-633.
551
JUNQUEIRA, Eliane Botelho. "Los abogados populares: en busca de una identidad." El otro derecho 26-27 (2002) ;
VÉRTIZ, Francisco. "Los abogados populares y sus prácticas profesionales. Hacia una aplicación práctica de la crítica
jurídica." Crítica Jurídica. Revista Latinoamericana de Política, Filosofía y Derecho 35 (2013) ; FLORES, Joaquín Herrera, and
David Sánchez Rubio. "Aproximación al derecho alternativo en Iberoamérica." Jueces para la democracia 20 (1993): 87-93.
279
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
que peuvent jouer les juristes en vue de transformer la société... Leur maitrise du droit et
de ses codes constitue une ressource spécifique pour l’action »552.
Très rapidement, les formes et les vocations du juriste engagé se diversifient. Ce dernier opte
pour la cause du «Développement »553, pour celles des droits de l’homme, de la paix, des «juristes de
gauche »554.
À l’extrémité du découpage catégoriel se dresse finalement « le résistant » :
« Face à la norme injuste, face à la loi scélérate, du peuple des juristes surgissent parfois
des hommes d’exception qui délaissent alors toges et robes pour lutter contre la barbarie et
pour la liberté. Mais alors ce ne sont plus des juristes qui résistent, mais des hommes tout
simplement (...) qui refusent de prêter serment devant une juridiction d’exception au
risque de sacrifier leur carrière et leur vie »555.
552
LEJEUNE, Aude, Le droit au droit, Paris: Éditions des archives contemporaines, 2011, p.9. Dans un second passage
l’auteure observe : « Bien que spécifique, l'action politique des professionnels du droit peut se manifester selon différentes voies: la défense de
causes, la contestation du pouvoir en place, mais également la promotion de nouveaux rapports des individus au droit. Les professionnels du
droit ne sont alors plus uniquement les "bouches de la loi" dont parlait Montesquieu, mais également les "voix du droit", porte-parole des
messages multiples et pluriels véhiculés par le droit et les acteurs qui s'en saisissent. Selon Jacques Commaille, "les professionnels du droit ne
sont pas de simples supports passifs d'une régulation juridique imposée. Ils s'affirment comme des agents actifs d'une pratique immergée dans le
social et le politique et témoignent d'une efficacité potentielle particulière dans le cadre d'une régulation sociale et politique plurivoque" Si leur
mission consiste à transmettre et à représenter le droit, les juristes sont néanmoins capables de contester ce même droit. », idem, p.10.
553
FRIEDMANN, Wolfgang G. "Role of Law and the Function of the Lawyer in the Developing Countries, The." Vand.
L. Rev. 17 (1963): 181.; HAGER, L. Michael, "The Role of Lawyers in Developing Countries." American Bar Association
Journal (1972): 33-38; GUDMUNDUR, Legal assistance to developing countries: Swedish perspectives on the rule of law, Martinus
Nijhoff Publishers, 1997, p.32-59; Alvaro SANTOS, “The World Bank's Uses of the "Rule of Law" Promise in
Economic Development”, in: The new law and economic development: a critical appraisal, David TRUBEK & Alvaro SANTOS
eds., New York, Cambridge University Press 2006, p.253-300; IBRAHIM, E. I. “Legal Framework for Development:
The World Bank's Role in Legal and Judicial Reform”, Judicial Reform in Latin America and the Caribbean: Proceedings
of a World Bank Conference, World Bank Publications, 1995. p. 13; SEN, Amartya, “What is the role of legal and
judicial reform in the development process?”, The World Bank Legal Review, 2006, vol. 2.; DAVIS Kevin et
TREBILCOCK Michael, “The relationship between law and development: optimists versus skeptics”, American Journal of
Comparative Law, 2008, vol. 56, No. 4, p. 895-946.
554
HERRERA, Carlos Miguel. "Un juriste aux prises du social." Revue française d'histoire des idées politiques 1 (2005): 113137 ; Herrera, Carlos-Miguel. Droit et gauche: pour une identification. Presses Université Laval, 2003.
555
Denis MAZEAUD, Observations conclusives, extrait de La place du juriste face à la norme, Association Henri
Capitant, Dalloz, collection Thèmes et commentaires, Journées nationales, Tome XVI, Rennes, avril 2012, p.156 ; voir
aussi Eric DESMONS, Droit et devoir de résistance en droit interne, contribution à une théorie du droit positif, (texte
remanié de : Thèse de doctorat Droit public, Paris 2, 1994), Paris, LGDJ, 1999, p36-66.
280
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Passée la salle des « juristes engagés », la visite se poursuit avec l’échantillonnage des « bons »
et des « mauvais » juristes556. Un extrait traduit ci-dessous du discours prononcé à l’occasion de la
première cérémonie de remise des diplômes de l’École de droit et de sciences politiques de Panama
— Escuela de Derecho y Ciencias Políticas de Panamá —, constitue un artefact historique relativement
convaincant :
« C’est la carrière de juriste — abogacía — qui conduit aux jugements, concepts et
résultats les plus contradictoires. Il n’existe pas d’autre profession qui puisse faire autant
de torts ou de biens à la personne qui l’exerce. Elle est l’instrument de l’escroquerie et de
l’imbroglio dans les mains du charlatan et du sacerdoce de la justice dans celle du juriste
honorable. Elle s’abaisse avec l’avocaillon au terrain stérile de l’empirisme et s’élève vers
les hauteurs de la philosophie avec le jurisconsulte qui recherche, découvre et enseigne les
causes premières et les ultimes raisons dans la science du juste et de l’injuste. De celle-ci se
sert le tyran pour déguiser ses attaques et à elle en appelle l’homme libre pour combattre la
tyrannie. De celle-ci se sert l’iniquité pour condamner l’innocent ou pour sauver le
coupable. De celle-ci se sert aussi la justice pour sécher les larmes de l’opprimé ou pour
rendre la liberté, l’honneur ou la terre de ceux qui ont étés dépossédés de leurs biens. En
un mot, dans des mains pures ou impures, la pratique du droit — abogacía — souille ou
nettoie, détruit ou ravive, hôte ou donne, usurpe ou restitue, ruine ou sauve »557.
556
En langue anglaise: LUBAN David, The Good Lawyer: Lawyers' Roles and Lawyers' Ethics, Rowman & Littlefield
Publishers, 1983; KENNEDY Duncan, “Responsibility of Lawyers for the Justice of Their Causes”, The Tex. Tech L.
Rev., 1987, vol. 18, p. 1157; CLARK, “Robert, Why So Many Lawyers? Are They Good or Bad”, Fordham L. Rev., 1992,
vol. 61, p. 275; RAMOS Manuel, “Legal malpractice: the profession's dirty little secret”, Vand. L. Rev., 1994, vol. 47, p.
1657; RAND Josep, “Understanding Why Good Lawyers Go Bad: Using Case Studies in Teaching Cognitive Bias in
Legal Decision-Making”, Clinical L. Rev., 2002, vol. 9, p. 731, CUMMINGS, Scott, “The politics of pro bono”, UCLA
Law Review, 2004, vol. 52, n° 1, p. ; CUMMINGS, Scott, “What Good Are Lawyers?” In The paradox of professionalism:
lawyers and the possibility of justice, Cambridge University Press, 2011, p. 1-27; En espagnol: LA TORRE Massimo, “Juristas,
malos cristianos', Abogacía y ética jurídica”, Derechos y libertades, 2007, no 17, p. 71-108; SALAS Minor, “¿Es el Derecho
una profesión inmoral? Un entremés para los cultores de la ética y de la deontología jurídica”, DOXA, Cuadernos de
Filosofía del Derecho, 2007, vol.30, pp. 581-600 2007
557
Citation originale : « Es la carrera de la abogacía la que da origen a juicios, concepto y resultados más contradictorios. No existe otra
profesión en que pueda hacer más daño o más bienes la persona que la ejerce. Es instrumento de la estafa y el enredo en manos del rábula y
sacerdocio de la justicia en las del abogado honorable. Desciende con el leguleyo al terreno estéril del empirismo y se eleva a las alturas
inmarcesibles de la filosofía con el jurisconsulto que investiga, descubre y enseña las causas, primeras y las razones últimas en la ciencia de lo
justo y de lo injusto. De ella se sirve el tirano para disfrazar sus atentados y a ella apela el hombre libre para combatir la tiranía. De ella se
ha servido la iniquidad para condenar al inocente o para salvar al culpable. Y de ella se ha servido también la justicia para enjugar las
lágrimas del oprimido o para devolver la libertad, honor o hacienda a quienes han sido despojados de esos bienes. En una palabra, en manos
281
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Suit ensuite l’assemblée des cerbères, des « gardiens du droit » :
Un premier « gardien » à l’entrée :
« Le juriste est, en somme, à la fois un technicien, dépositaire d’une certaine manière de
saisir l’objet juridique, le possesseur d’une expertise qui peut être vendue [...] et le vigile
des évolutions systémiques affectant l’ordre juridique dans ses rapports avec l’ordre social
global, pour le progrès de sa communauté et de l’humanité en général »558.
Un deuxième « gardien » au centre de la salle :
« Face à la norme qui constitue sa matière première, son pain quotidien, et le centre de
gravité de son activité, le juriste, dissimulé sous sa toge d’expert impartial, va, en réalité,
faire œuvre d’un système de défense d’un système ou d’un ordre qui dépasse la norme (…)
le juriste fait œuvre politique, en ce sens qu’il se positionne en tant que gardien du droit,
entendu comme un système d’essence supérieure à la norme, dans lequel celle-ci, qu’elle soit
créée, interprétée, expliquée, contrôlée, critiquée, est intégrée. Système que le juriste tend
naturellement ou fonctionnellement à protéger, à défendre contre la norme. » 559.
Un troisième « gardien » dépeint en agent conservateur que l’on découvre sur le chemin de la
sortie :
« Le savoir juridique confisqué par les juristes a finalement fonctionné comme principe de
méconnaissance et d’occultation des rapports sociaux réels : retranchés derrière la
fallacieuse objectivité de la règle de droit, fermant
obstinément les yeux sur les enjeux
et les luttes qu’elle recouvre, enclins à considérer comme normal et naturel ce qui - et
seulement ce qui — est pris en compte par le droit, les juristes se sont révélé les meilleurs
puras o en manos impuras, la abogacía enmaraña o limpia, destruye o revive, quita o da, usurpa o restituye, arruina o salva. » Cité in in,
Vega, Isaac CHANG, “El abogado, su función social”, Revista de derecho Iustitia y pulchritudo, Universidad Santa
Laria, La Antigua, n°24, 2010, p. 5.
558
A.D. OLNGA Qu'est-ce être juriste ? Éléments pour une dogmatique éthique, Yaoundé, Éditions CLÉ, 2013, note 1,
p. 111 cité in KOUAM, Siméon Patrice. La définition du juriste et la redéfinition de la dogmatique juridique (à propos
du syncrétisme méthodologique). Les Cahiers de droit, 2014, vol. 55, no 4, p. 877-922.
559
Denis MAZEAUD, Observations conclusives, extrait de La place du juriste face à la norme, Association Henri Capitant,
Dalloz, collection Thèmes et commentaires, Journées nationales, Tome XVI, Rennes, avril 2012, p151-156.
282
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
défenseurs de l’ordre établi, les loyaux serviteurs du statu quo, les agents implicites du
conservatisme social »560.
Suit ensuite le passage en revue des formats « hybrides », les produits de synthèse.
Premier résultat d’expérience :
« Se sont dessinées à l’occasion des contributions deux figures du juriste dans sa mission
d’appréhension de la norme : le juriste-technicien, le juriste-expert, en premier lieu ; le
juriste-citoyen, le juriste engagé, en second lieu. À côté de la fonction technique
traditionnelle du juriste, professionnel de la norme qui a pour charge d’instiller de la
raison dans le débat, a émergé la mission politique plus exceptionnelle du juriste,
combattant pour ou contre la norme, qui distille la passion dans le débat »561.
Second résultat d’expérience :
« Vainement, les juristes inquiets des querelles philosophiques prétendraient rester
neutres. S’ils étaient vraiment neutres, ils ne seraient que les admirateurs de l’ordre
juridique établi qu’ils considéraient comme l’expression même de la justice. Quelques-uns
pensent ainsi et se bornent à expliquer les lois et les arrêts. Ils abdiquent. Un juriste ne
doit pas seulement être le technicien habile qui rédige ou explique avec toutes les ressources
de l’esprit des textes de loi ; il doit s’efforcer de faire passer dans le droit son idéal moral,
et, parce qu’il a une parcelle de la puissance intellectuelle, il doit utiliser cette puissance en
luttant pour ses croyances »562.
Le tour de piste se termine par le panthéon immanquable des « grands juristes »563.
560
LOCHAK, Danièle, Les usages sociaux du droit, Conclusions, Presses universitaires de France, 1989.
561
Denis MAZEAUD, Observations conclusives, extrait de La place du juriste face à la norme, Association Henri
Capitant, Dalloz, collection Thèmes et commentaires, Journées nationales, Tome XVI, Rennes, avril 2012, p151-156.
562
Georges.RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, 4e édition, LGDJ, 1949, réeed. 2000, n°18, p.29 cité
in : François Chénedé, De la conception du droit à la fonction de juriste, in La place du juriste face à la norme,
Association Henri Capitant, Dalloz, collection Thèmes et commentaires, Journées nationales, Tome XVI, Rennes, avril
2012, p. 13.
Lauréline FONTAINE, Qu’est-ce qu’un “grand” juriste ? Essai sur les juristes et la pensée juridique moderne, Lextenso éditions
2013.
563
283
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Un premier « grand juriste » :
« Aucun des “grands” juristes n’a été positiviste ; aucun n’a estimé que sa mission était
de décrire et d’expliquer le droit, que “la loi c’est la loi”, un point c’est tout : cette
fonction, c’est celle des “petits” juristes et des laborieux, ou pour parler comme Pantagruel
des “cuysiniers” ou des “marmiteux” du droit [...] Le “grand” juriste est celui qui a soif
de la justice, l’horreur des injustices et qu’anime le ferment de la foi » 564.
Un second « grand juriste » :
« Le juriste supérieur [...] est celui qui a été saisi par la conscience de l’importance éthique
de son savoir [...] d’un savoir devant être résolument mis au service de la dignité de la
personne humaine [...] le juriste est l’adepte d’un code méthodologique ; toutefois, tel que
nous ne pouvons ne pas le concevoir, il est nécessairement le serviteur d’une éthique
humaniste ; pour concilier rigueur méthodologique et impératif humaniste, le juriste doit
être le défenseur permanent d’une dogmatique éthique »565.
Philippe MALAURIE, « Les “grands” juristes », dans Mélanges en hommage à Roland Drago. L’unité du droit, Paris,
Économica, 1996, p.89 cité in : Siméon Patrice KOUAM, La définition du juriste et la redéfinition de la dogmatique
juridique (à propos du syncrétisme méthodologique), Les Cahiers de droit Volume 55, numéro 4, décembre 2014, p. 877922.
564
565
Alain Didier OLNGA, Qu'est-ce être juriste ? Éléments pour une dogmatique éthique, Yaoundé, Éditions CLÉ, 2013, p. 30;
cite in KOUAM, Siméon Patrice. La définition du juriste et la redéfinition de la dogmatique juridique (à propos du
syncrétisme méthodologique). Les Cahiers de droit, 2014, vol. 55, no 4, p. 877-922.
284
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Conclusion
S’essayant à présent à mettre en perspective le catalogue des totems, le symptôme d’une
rencontre manquée entre la communauté des juristes et ses doubles imaginaires trouve, semble-t-il,
un début d’explication logique. De fait, les constructions énoncées ci-dessus ne répondent pas à une
démarche pédagogique ou à un souhait d’accompagnement méthodologique du travail sur le rôle
social. La production des totems répond, plus vraisemblablement à un souci partagé de clôture
logique. Les « moaï » ne retrouvent, autrement dit, un éventuel signifiant qu’à la lumière de la quête
fonctionnelle de leurs créateurs. Ils ne constituent que les éléments de surface d’un souci persistant
de signification du rôle vécu par l’auteur : retour à la question de la contextualité. La représentation
totémique tient plus vraisemblablement, autrement dit, de l’exposition au grand jour d’une série de
puzzles dont les pièces et formes finales diffèrent, plus ou moins fondamentalement, d’un auteur à
un autre. Elle reprend éventuellement un intérêt pratique sous cet angle de vue singulier.
285
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Conclusion du Titre 1
Le titre précédent aura permis de discerner avec plus de précision les contours d’une bulle
fonctionnaliste.
Le travail sur le rôle social se découvre, en premier lieu, sous les traits d’un archipel d’îlots
isolés. Abordée depuis une perspective systémique, la fonction sociale du juriste fait l’objet d’une
série de processus croisés et largement autonomes :
-
formation de normes professionnelles et édiction du « droit de la fonction sociale du juriste » ;
-
construction d’une compétence susceptible d’un apprentissage et de recherche universitaire ;
-
production du discours déontologique et défense des intérêts corporatifs,
-
interprétation et consolidation d’un corpus d’usages et de services professionnels dans la
cadre des organisations de la société civile ;
-
formulation et offre d’un « produit » d’assistance et d’accompagnement juridiques.
De telles observations fournissent un éclairage intéressant sur la construction du rapport des
juristes au rôle social. Celui-ci se redessine tour à tour et ponctuellement autour des
questionnements pragmatiques d’obéissance-désobéissance à la norme professionnelle, de
préparation ou d’évolution de l’employabilité, de défense d’un territoire politique, d’une liberté
professionnelle, mais aussi de la protection d’avantages sociaux, de l’engagement et du travail social
et, finalement, de l’impératif d’adéquation d’une offre à une demande de services juridiques
professionnels. L’ouverture du questionnement de la fonction sociale des usages et pratiques
professionnels aux portes des asentamientos relève d’une manière générale d’un élément
conjoncturel, de l’expérience d’une contrainte sociale.
Le travail sur le rôle social se découvre, en second lieu, sous les traits d’un exercice figuratif.
Que l’acteur juridique professionnel s’y trouve systématiquement réduit à une condition plus ou
moins élaborée d’agent, « pion » d’un système juridique complexe et invariablement perfectible ; que
286
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
le souci de cohérence esthétique et fonctionnelle566 pose un voile sur la complexité objective des
modes de formation et de réalisation du droit en sociétés, que le paysage fonctionnel se réduise à des
artifices discursifs, des flux d’images retouchées de l’acteur juridique professionnel façonné par un
idéal de complétude ou de cohérence… là, semble bien être le cœur du problème. Le totem se révèle
bien vite un géant au pied d’argile. Reprenant l’image du dieu Janus567 — deux visages pointant dans des
directions opposées —, l’exercice d’interprétation et de représentation de la fonction sociale du juriste en
sociétés apparaît relativement circonscrit, balisé et, in fine, captif d’un dialogue inaudible entre des
idéaux types antagonistes. Séparant les diverses polarités observées, se dessine un « secteur médian »
ou « zone grise » de la fonction sociale du juriste en société, produit caractéristique du dogme.
De cet état des lieux préliminaire, une conviction émerge. L’approfondissement du travail sur
le rôle social passe, en toute vraisemblance, par une étape de désinstitutionnalisation-appropriation
du questionnement fonctionnel. La démarche impose de prendre un recul face à l’entreprise de
standardisation de la fonction « par l’usage du droit ». Il s’agirait, en d’autres termes, de déplacer
définitivement la polarité du questionnement fonctionnel, établir une distance critique et vitale face à
la Loi, au contrat de travail, au statut, au discours déontologique. La sphère de travail sur la fonction
socio-environnementale du juriste promise au plus bel avenir serait, en somme, la personne, la
construction du soi dans son rapport au monde, à l’autre et au vivant. Il reste dès lors à transposer et
déployer la proposition dans un langage juridique.
Paul Orianne et François Terré désignent comme la face externe du droit et qu’ils définissent généralement comme :
« Les formes et les apparences que prend le droit pour celui qui l’observe de l’extérieur, c'est-à-dire sans vouloir connaître ou vouloir tenir
compte de sa logique propre, des articulations qu’il comporte et des artifices dont il se sert pour assurer son unité et sa cohérence.» extrait de :
ORIANNE, Paul et TERRÉ, François, Apprendre le droit: éléments pour une pédagogie juridique, Éd. Frison-Roche, 1990,
p.159.
566
L’image de Janus apparaît fréquente en doctrine dès lors qu’il s’agit de représenter l’idée de dualité intrinsèque voire de
contradiction : TEUBNER, Gunther, Two Faces of Janus: Rethinking Legal Pluralism, The.Cardozo L. Rev., 1991, vol.
13, p. 1443, COMMAILLE Jacques et PERRIN Jean-François, Le modèle de Janus de la sociologie du droit, Droit et
société, 1985, vol. 1, p. 95-110 ; COMMAILLE, Jacques. The Janus Model of Legal Regulation: Changes in the Political
Status of Justice, RCCS Annual Review, A selection from the Portuguese journal Revista Crítica de Ciências Sociais,
2010, No. 2.
567
287
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Titre 2 Jalons pour une théorie micropolitique du rôle social
Comment mesurer l’empreinte socio-environnementale du travail juridique dans l’orbite
périurbaine ? À partir de quelles grammaires et quels schémas d’interprétation le travail sur rôle peutil être porté au service de l’action ? Sur quelles bases méthodologiques former un critère d’utilité
socio-environnementale du travail juridique ?
En syntonie avec ces questionnements préliminaires, les arguments suivants plaideront
généralement pour l’abandon radical d’une fiction à double entrée : l’innocuité socioenvironnementale de l’agir juridique professionnel en sociétés, l’instrumentalité de la technique
juridique sous l’Anthropocène. La conduite du travail juridique sera bel et bien appréhendée sous les
traits d’un phénomène éminemment politique et instrumental, porteur d’une empreinte socioenvironnementale qu’il appartiendrait à chacun(e) d’apprendre à mesurer. L’incidence des usages et
pratiques professionnels sur l’opération du droit comme système de régulation sociale, sur ses
« voyages », ses « transferts », sa « réalisation » dans l’orbite des marges urbaines, apparaît, en ce sens,
profondément plurivoque. Les mises en scène modernistes éprouvées tenant tour à tour à
l’acceptabilité et à l’effectivité systémique des actes professionnels568 au sein de la « Polis », sont mises
en cause de manière systématique. L’aspiration première à l’uniformité, de même qu’à une
certaine symétrie de l’engagement et des usages sociaux du droit en sociétés apparaîtra, de même,
fondamentalement suspecte. Le portrait de famille, image d’Épinal d’une communauté de sujets, de
fonctions ou de valeurs, vole nécessairement en éclats. Le philosophe Noberto Bobbio n’observait-il
pas, sur un registre voisin, que : « il n’existe pas une unique “science juridique” (…), mais autant de “sciences
juridiques” qu’il y a d’images que le juriste a de lui-même et de sa fonction dans la société569 ». Émergent, en toute
vraisemblance, autant d’expressions tangibles des « fonctions sociales » du juriste, que de projectionsrevendications quant à la conduite du travail juridique aux marges de la ville Sud. Le premier pas en
direction d’une saisine de la fonction sociale apparaît paradoxalement, dans ce contexte d’idées, celui
du renoncement ontologique à l’unité discursive et méthodologique, les adieux au « grand juriste ».
568
HORTAL Augusto, Ética general de las profesiones, Desclée de Brouwer, Bilbao, 2002, p.51.
569
Norberto BOBBIO, Essais de théorie du droit, Paris, LGDJ, 1998, p. 75 cité in Véronique CHAMPEILDESPLATS, Méthodologies du droit et des sciences du droit, 2014, p.26.
288
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le carcan orthodoxe et dogmatique cède progressivement du terrain au registre
phénoménologique. Dressant un parallèle avec la pensée de Husserl570, toute « tendance à réduire la
réalité aux lois que l’esprit peut en dégager » 571 devrait, ainsi, être fondamentalement écartée. La
phénoménologie des usages et pratiques du droit en sociétés s’opposerait, par principe, à la
standardisation de la fonction sociale.
Retenons alors une hypothèse de départ. Le rapport au rôle social constitue un espace dont
l’interférence avec la réalisation du droit semble de prime abord, non mesurable, plus ou moins
consciente, plus ou moins assumée ou « transparente », mais dont la portée s’avère axiologiquement
irréductible. L’utilité socio-environnementale des usages et pratiques professionnelles du droit en
milieu urbain marginal relève, assez fondamentalement, du fait social, d’un évènement à la fois
conjoncturel, intersubjectif et temporel.
Le paradigme postmoderne de complexité de l’engagement social « par » et « pour » le droit
ne prend lui-même corps que par l’intermédiaire d’une dynamique micropolitique d’intériorisation
ou de « subjectivation » du rôle. La découverte et l’analyse de cette dimension, temporalité
particulière de l’agir juridique professionnel retient l’attention. Les présupposés méthodologiques et
autres routines décisionnelles ou interprétatives constitutives de l’agir juridique professionnel varient
significativement, non seulement d’un individu à l’autre, mais surtout chez un même individu au fil
du temps. L’enjeu apparaît donc, dans de telles circonstances et d’un point de vue aussi bien
scientifique que stratégique, de décrypter les éléments décisifs au regard de cette mobilisation du
droit. Une série de points névralgiques dont la compression ou le relâchement faciliterait le flux et le
reflux du travail juridique dans le temps et dans l’espace de marginalisation urbaine seront identifiés,
cartographiés. Poursuivant une logique de renouvellement de nos clés interprétatives, il s’agira en
somme, au fil des développements suivants, de poser certains jalons permettant d’affiner l’appareil
analytique et de discerner, avec plus de précision, l’éventail des leviers et déterminants de l’agir
juridique professionnel aux portes de la ville du Sud.
L’entreprise analytique se heurte, dès ses origines, à une série de difficultés.
570
LYOTARD Jean-François, La phénoménologie, 14e éd., Paris, Presses universitaires de France « Que sais-je ? », 2004.
571
SANGUIN, A.-L, « La géographie humaniste ou l'approche phénoménologique des lieux, des paysages et des
espaces », Annales de Géographie, 1981, vol. 90, no. 501, p. 560-587.
289
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
En premier lieu, le discours sur le rôle anticipe et dépasse bien souvent la portée socioenvironnementale des actes professionnels — partition entre le mouvement et le geste —. Notre feuille de
route se heurte inexorablement, en d’autres termes, aux voiles et aux miroirs déformants d’un
langage et d’un savoir-faire argumentatif. Si la « demande sociale de droit »572 paraît, effectivement et
à bien des égards, difficilement mesurable, il semble néanmoins nécessaire d’anticiper le procédé de
« fabulation573 » et le romanticisme qui accompagne, bien souvent, la production du discours sur le
rôle.
En second lieu, les actes et les engagements professionnels du juriste s’affranchissent
souvent, en sens inverse, de démarches évaluatrices ou socialisatrices. L’intention de recherche se
heurte, cette fois, au voile d’une inconnue, à la trop grande volatilité de son objet.
En troisième lieu, le discours sur le rôle socio-environnemental revêt « par nature » et dans
une large mesure une dimension « performative’ 574 . Dit autrement, le discours de légitimation
semble, lui-même et dans certaines circonstances, faire acte de légitimation — function of law in
« making statements » as opposed to controlling behavior directly 575 —. L’approche structurante du rôle se
heurte alors au tour de passe-passe, au risque d’évanescence et d’épuisement prématuré de son
objet576.
572
MEMMI, Dominique, ''Demande de droit' ou 'vide juridique'? Les juristes aux prises avec la construction de leur
propre légitimité', Les usages sociaux du droit, 1989, Paris, PUF 13.
573
EDELMAN, Bernard. Quand les juristes inventent le réel: la fabulation juridique. Hermann, 2007.
574
SEARLE, John R. Expression and meaning: Studies in the theory of speech acts. Cambridge University Press, 1985.
SUNSTEIN Cass, “On the expressive function of law”, University of Pennsylvania law review, 1996, vol. 144, No. 5,
p. 2021-2053.
575
Robert Futrell décrit une telle pratique : « La gouvernance performative est marquée par un processus de maîtrise de l’impression
provoquée à travers lequel des manifestations de gouvernance concertée sont mises en scène par les fonctionnaires, alors que l’inclusion effective
des citoyens dans les activités de prise de décision (affichée comme la principale raison d’être des débats de la commission) est dans les faits
négligeable. Les commissaires et les administrateurs, qui sont obligés de maintenir au moins l’impression d’une gouvernance ouverte et
participative, ont recours à des usages procéduraux, à des techniques discursives et à des stratégies d’interaction s’appuyant sur le travail
d’équipe pour éviter le conflit et étouffer les perturbations. L’interaction est configurée dans des formes qui préservent l’impression d’une prise de
décision démocratique. Ces apparences masquent certaines limites qui restreignent une participation démocratique active. » in FUTRELL
Robert. « La gouvernance performative. Maîtrise des impressions, travail d’équipe et contrôle du conflit dans les débats
d’une City Commission. », Politix. Vol. 15, N° 57. Premier trimestre 2002. pp. 147-165.
576
290
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
En quatrième et dernier lieu, les sources du discours sur le rôle socio-environnemental des
acteurs juridiques professionnels — l’État, la doctrine, la loi, l’acteur individuel, la corporation — entrent en
concurrence, se superposent. Les échos dissonants et les redondances tendent à se multiplier.
Du « déclic micropolitique » envisagé dans ses grandes lignes au fil du propos introductif
reprenons deux mécanismes charniers : la subjectivation du rôle premièrement (Chapitre 1) ; le vécu
et le discernement d’une contrainte de légitimation sociale deuxièmement (Chapitre 2).
291
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Chapitre 1 La subjectivation du rôle
Le parti pris fonctionnaliste écarté, la section suivante met en relief un premier levier,
« gradient » du travail sur le rôle. L’habilitation d’un espace opérationnel, la visualisation d’une marge
de manœuvre attachée à l’état d’acteur immergé dans un système de régulation sociale étatique, le
droit, émerge comme une première ligne d’action micropolitique. Il s’agit, d’un point de vue
pratique, de prendre position face à la « condition » d’acteur, d’exorciser la proximité, évoquée en
introduction de la thèse, avec les figures coloniales de l’« État de droit social », du « savoir » et du
« langage juridique ». L’option considérée semble plus aisément introduite à travers la mise en
perspective de deux points de vue, deux axes de lecture, quant à la condition « d’acteur ». Ces
dernières apparaissent éventuellement antagonistes, mais plus surement complémentaires 577 . Le
contraste entre une première clé de lecture « orthodoxe » ou « dogmatique » (Section 1) et une
seconde clé de lecture « rémanente », facilite le changement de coordonnées (Section 2).
Section 1 Schéma de subjectivation « orthodoxe » ou « dogmatique »
Le personnage dramatique porté à la scène par l’acteur — juridique — est, suivant cette
première configuration d’idées, le personnage tel qu’il a été imaginé par l’auteur dramatique, amené à
la vie par le travail d’un interprète « authentique », « autorisé » : le metteur en scène.
La vocation primaire de l’acteur demeure, pour ainsi dire, la « juste » incarnation d’un
personnage fictif. Son « interprétation » réside dans la projection fidèle d’un esprit dramatique — un
discours juridique d’autorité (loi, doctrine, coutume, etc.) — porté à la scène de vie collective. Le corps et
l’esprit de l’acteur ne sont symboliquement autres que des vecteurs, instruments performants mis à
disposition de l’œuvre. L’acquisition de la technique de jeu, la « préparation » constituent les acquis
nécessaires et préalables à l’incarnation. L’acteur institué assure la transmission générationnelle de
l’œuvre, de grands thèmes et « mythes » du théâtre classique.
Pour une démarche voisine voir: Olivier JOUANJAN, « D’un retour de l’acteur dans la théorie juridique », Revue
européenne des sciences sociales, XXXIX-121 | 2001.
577
292
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
De cette fonction instituée de l’acteur, reprenons les partitions classiques inscrites à la base
d’échafaudages plus complexes et contemporains entendus comme «référentiels de compétence» :
«lire, écrire et dire le droit»; pratiquer «l’interprétation juridique», «l’argumentation juridique», «le
jugement de droit 578 », «la communication juridique 579 ». L’agir juridique professionnel se compose
alors, en guise de synthèse, par l’intermédiaire d’un dispositif de calibrage normatif et social, la
norme de conduite professionnelle sacralisée au service de l’œuvre dramatique.
Section 2 Schéma « rémanent » de subjectivation
La convocation du concept de rémanence», du latin «remanere», renvoie symboliquement,
suivant le second schéma de subjectivation proposé, à la description du phénomène qui dénote,
transparaît et déborde, à l’état «appelé à perdurer après la disparition de sa cause580».
Le personnage dramatique porté à la scène n’est autre, cette fois, que l’incarnation d’un
rapport personnifié, individualisé aussi bien au rôle d’acteur, à l’auteur dramatique qu’au travail de
mise en scène. L’œuvre dramatique se réduit à un point de référence, un argument au service de
l’activité créatrice et du jeu. L’auteur dramatique devient lui-même un partenaire de jeu, un acteur à
part entière. La construction du rapport de l’acteur au rôle interprété sur scène relève de l’expérience
partagée, d’une dynamique groupale 581 . Le travail autrement dit de « composition » individuelle
immergé au sein d’un collectif redéfinit le personnage dramatique initial. La technique ne tient plus
de l’acquis, mais bien du processus, travail de remise en cause continue des règles du jeu. L’acteur
insuffle un nouveau signifiant au personnage alors que l’idée même d’espace scénique, de
«représentation» chancelle. La «scène» du travail ne se limite plus, autrement dit, à un espace de jeu
et de représentation cathartique, elle devient elle-même une scène de vie, une réalité sociale à part
entière.
578
THEVENOT, Laurent. « Jugements ordinaires et jugement de droit », Annales (1992): 1279-1299.
579
ARNAUD André-Jean. « Du bon usage du discours juridique. » In: Langages, 12ᵉ année, n°53, 1979. Le discours
juridique : analyse et méthode. pp. 117-124.
580
Dictionnaire de Français LAROUSSE, online.
581
BEAUJOUAN, J., COUTAREL, F., & DANIELLOU, F, « Quelle place tient l'expérience des autres dans la
formation d'un professionnel ? Apport et limite du récit professionnel », Éducation permanente, vol.151, 2013, p.25-38.
293
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Jouant un peu plus sur l’analogie entre le droit et le théâtre 582, le regard alternatif sur le
voyage parcouru par les personnages d’Hamlet et d’Ophélie au fil du temps et des interprétations se
trouve par exemple cristallisé, poussé à son paroxysme, à travers l’œuvre et la mise en scène de
Hamlet Machine en 1977par Heiner Muller. L’expérience évoquée met en scène la partition assez
fondamentale, performatique, entre le personnage dramatique imaginé par l’auteur dramatique, d’une
part, et le personnage dramatique interprété par les acteurs, d’autre part. Le point de catharsis de
l’œuvre s’en trouve déplacé583.
Investir, cultiver, conquérir cet espace de jeu et de liberté rémanente relèverait,
alternativement et en retour, de l’évènement émancipateur, point d’entrée en «micropolitique». Yi
Junging observe sur ce registre :
« De la même manière, pour préserver un ordre social fondé sur la liberté, la justice,
l’égalité et la démocratie, et pour défendre l’autonomie de notre monde de la vie contre les
risques de “colonisation” par un pouvoir économique ou politique global, il ne faudra pas
remplacer un macro-pouvoir centralisé par un autre, mais plutôt raviver les différents
micropouvoirs présents à tous les niveaux de la société et de la vie, pour ainsi former un
système diversifié de contrôle social » 584.
L’évolution du rapport à la connaissance, aux savoirs, aux valeurs, à l’information et à
l’expérience, son induction éventuelle par la voie d’un apprentissage étend les horizons du travail
juridique585 aux marges de la ville du Sud.
582
Pour des démarches similaires : FLÜCKIGER, Alexandre. "L'acteur et le droit: du comédien au stratège." Revue
européenne des sciences sociales 39.2 (2001): 5-5 ; ESTENNE CELINE, « Droit du théâtre et théâtre du droit dans Six
personnages en quête d'auteur » , Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 2009/1 Volume 62, p. 153-177.
583
LAUNAY Philippa, « Le devenir d'Hamlet-machine, une expérience théâtrale », Sociétés, 2001/1 no 71, p. 103-111.
584
JUNQING Yi, « À propos de la philosophie micropolitique », Diogène, 2008/1 n° 221, p. 58-72.
François Chenédé observe : “A l’issue de cette réflexion, j’ai au moins une conviction, qui n’est toutefois qu’une évidence : c’est que la
réponse que l’on apporte à la question de la fonction du juriste dépend de la conception que l’on adopte -consciemment ou non- du droit. Quels
sont ces conceptions ? (…) » François CHENEDE, « De la conception du droit à la fonction de juriste » extrait de : La place
du juriste face à la norme, Association Henri Capitant, Dalloz, collection Thèmes et commentaires, Journées nationales,
Tome XVI, Rennes, avril 2012, p. 4.
585
294
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Marcel Lesne observe de manière limpide et en écho direct à l’idée de rémanence sur la
question du rapport au savoir :
« Le rapport au savoir concerne la conception et les options relatives au contenu que
véhicule tout acte de formation. Ce rapport au savoir peut être conçu, comme un rapport
avec les connaissances produites par la société savante et qu’il convient de diffuser dans la
société, soit comme un rapport avec le savoir partagé d’une certaine façon par toute la
société, dont il faut mettre en relation les différents dépositaires, soit comme un rapport de
production personnelle du savoir par l’appropriation de constructions théoriques
empruntées à la société savante pour favoriser les ruptures et les reconstructions dans
l’univers personnel de la connaissance »586.
Michel Foucault, sur la question du rapport à la morale tranche à son tour :
« Une action, pour être dite morale, ne doit pas se réduire à un acte ou à une série d’actes
conformes à une règle, une loi ou une valeur. Toute action morale, c’est vrai, comporte un
rapport au réel où elle s’effectue et un rapport au code auquel elle se réfère, mais elle
implique aussi un certain rapport à soi ; celui-ci n’est pas simplement conscience de soi,
mais constitution de soi comme un sujet moral, dans laquelle l’individu circonscrit la part
de lui-même qui constitue l’objet de cette pratique morale, définit sa position par rapport
au précepte qu’il suit […] ; et pour ce faire, il agit sur lui-même, entreprend de se
connaître, se contrôle, s’éprouve, se perfectionne, se transforme »587.
Conclusion
Ces émergences symboliques de l’acteur, sa constitution en sujet pensant dont les décisions
individuelles, le sens donné aux usages et pratiques professionnelles sont porteurs de sens sur la
scène de vie collective, au sein de la Cité, apparaît en guise de synthèse, comme un premier
déterminant de l’agir juridique en situation.
Marcel LESNE, Travail pédagogique et formation d’adultes, 1977, PUF., pp 35-36 cité in Marie-Louise Martinez,
« Approche(s) anthropologique(s) des savoirs et des disciplines », Tréma [En ligne], 24, 2005.
586
FOUCAULT, M., L’Usage des plaisirs. Paris : Gallimard, 1984 p. 35, cité in Bernard SCHÉOU, Du tourisme durable au
tourisme équitable: quelle éthique pour le tourisme de demain? Chapitre 1, La pensée éthique, De Boeck Supérieur, 2009.
587
295
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Chapitre 2 La contrainte de légitimation sociale
« Ce qu’on entend ici par “liberté” n’est pas une situation privée de toute détermination,
mais seulement une liberté “juridique”. Une autorité est juridiquement libre, si elle peut
choisir entre plusieurs conduites également valables en droit, même si le choix est en fait
produit du déterminisme588. »
Dans quelle mesure la circulation des contraintes de légitimation sociale, leurs forces
d’interpellation, de persuasion ou de dissuasion, « déterminent-elles », ne serait-ce que partiellement,
la conduite des actes professionnels engagés « en droit » ou « au titre » du droit ? En quoi l’expérience
de la contrainte de légitimation sociale s’avère-t-elle porteuse d’effets structurels sur la conduite du
travail juridique aux portes de la ville du Sud ? Comment définir la contrainte de légitimation
sociale ?
Abondant dans le sens d’une détermination ou tout du moins d’une médiation « rationnelle »
de l’agir juridique par le biais de faisceaux décisionnels proprement liés à des modes de pensée
« légitimants », Éric Millard évoque l’existence d’une double « contrainte de légitimation » pesant, de
manière générale, sur les acteurs juridiques. L’auteur observe en ce sens :
« d’une part que l’acteur juridique “se comporte dans la société en fonction de valeurs
sociales et (…) apparaît comme contraint par la perception générale que la société se fait
du bien social, de l’utilité publique”, et ;
d’autre part, que celui-ci serait appelé à tenir compte “(…) d’une contrainte générale
pesant sur les acteurs juridiques, et particulièrement les acteurs institués (pouvoirs publics,
juridictions, etc.) dont le pouvoir repose en dernière instance sur une forte dose de croyance
de la part des gouvernés, de se justifier, d’apparaître comme légitimes, rationnels, et de
correspondre jusqu’à un certain degré à l’image sociale qui est la leur et de laquelle ils
tirent en grande partie leur position… »589.
Michel TROPER, « Une théorie réaliste de l’interprétation » in Dossier Théories réalistes du droit, Presses de l’université de
Strasbourg, 2000, p.43-62.
588
589
Eric MILLARD, « Le Réalisme scandinave et la Théorie des contraintes », in : Michel TROPER, Véronique
Champeil-DESPLATS et Christophe GRZEGORCZYK, Théorie des contraintes juridiques, Bruylant/LGDJ, 2005, p.150.
296
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le spectre d’action de la contrainte de légitimation sociale, son pointage au regard d’une
géographie des parcours décisionnels de l’acteur juridique se précisera, dès lors, à partir d’un
présupposé élémentaire : l’ensemble des processus délibératifs, argumentatifs, décisionnels et
communicatifs que l’on trouve inscrits au cœur du travail juridique passent au crible d’un contrôle
social590 diffus. L’acteur juridique “professionnel” ne saurait s’en départir totalement. À l’image d’un
faisceau électrique, la contrainte de légitimation sociale module, transforme et redessine le champ
des possibles juridiques.
D’un point de vue anthropologique, la contrainte de légitimation sociale se manifeste alors à
travers :
-
une “phénoménologie des actes de légitimation sociale” entendue comme processus d’aménagement,
à la fois substantiels et processuels, des usages professionnels — dialectique “contrainte de
légitimation sociale/agir juridique” — en premier lieu,
-
une “phénoménologie des langages et discours de légitimation sociale”, entendue comme dynamique
d’aménagement des discours attenants au rôle et à l’utilité sociale des usages et pratiques
professionnelles du droit en sociétés — dialectique “contrainte de légitimation sociale/langage et
discours sur le droit et ses usages professionnels” —. (représentées dans le diagramme ci-dessous »).
Sur le processus de socialisation de l’autorité : « La théorie du contrôle social enseigne en substance que la justification de
l'obéissance ne peut pas venir d'une source transcendantale (ainsi, le droit naturel qui fonde le contrat social), mais de l'expérience acquise dans
l'intersubjectivité et l'interdépendance des relations humaines. Le savoir et la morale ne sont pas innés ou révélés, et l'homme à l'état de nature
est une pure fiction (ce qui implique l'inanité du contrat social). Au rebours des théories wébériennes de la domination légale-rationnelle, la
théorie du contrôle social enseigne que l'homme n'obéit pas pour des raisons purement formelles, mais seulement parce qu'il a acquis dans et par
ses échanges avec les autres, le sens de la responsabilité sociale. C'est de la responsabilité qu'est supposé naître le lien social. L'obéissance est
fondée non pas sur la domination, mais dans les mécanismes de la réflexivité sociale et dans les codes sociaux que l'individu acquiert dans sa
communauté et son environnement social. Le pouvoir n'est pas extérieur à la société ; il ne prend pas la figure d'un État extérieur au corps
social ; il est la société elle-même ; ou, pour dire les choses autrement, l'autorité est socialisée. » extrait de : V., J. P. DIGGINS, « The
Socialization of Authority and the Dilemmas of American Liberalism », Social Research, vol. 46 (1979), p. 454 s. citation et
traduction in.Élisabeth ZOLLER, Introduction au droit public, Précis, 1re édition, 2006, p.142-143.
590
297
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Contrainte de
légitimation sociale
« Phénoménologie des actes de
légitimation »
« Phénoménologie du langage et des
discours de légitimation »
travail juridique
Figure 7 Flux général d’effectivité de la contrainte de légitimation sociale
La mise en lumière et l’expérience desdites contraintes de légitimation sociale, l’observation,
depuis la surface, de leur assimilation au cours normal, « ordinaire » du travail juridique aux portes de
la ville transite, inévitablement, par la mise en cause de registres d’affiliation pluriels : l’affiliation
sociale du juriste au groupe, à la société équatorienne, à une organisation, au système
d’administration du droit et de la justice — le « système juridique 591 » —, à certains courants et
mouvements de pensée du droit — l’évolution générale d’un état de connaissances « en droit » et « sur le droit’592
—.
Pour une définition possible : « Système juridique : 1. Le système juridique est constitué d’un ensembler d’énoncés à
fonction prescriptive produits par les acteurs juridiques. 2. Les acteurs juridiques sont ceux qui sont désignés comme tels
par les énoncés du système juridique » TROPER Michel, CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, GRZEGORCZYK
Christophe, Théorie des contraintes juridiques, Bruylant/LGDJ, 2005, p. 13.
591
Concept à géométrie variable, le label ‘théories générales du droit’ s’accommode généralement aux besoins de
l’argumentation et de la construction du discours académique. Véronique Champeil Desplats observe : “dans la très grande
majorité des cas, les théories générales du droit se concentrent sur l’analyse de concepts et phénomènes transversaux aux différents ordres
juridiques: concepts de droit, d’ordres ou de systèmes juridiques, de normes, de hiérarchies des normes, identification des types de normes
(normes primaires, secondaires ou de reconnaissance), distinction entre être et devoir être, propriétés systémiques ou institutionnelles des ordres
592
298
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le retour à la source, et la consultation des travaux dirigés par Michel Troper, Véronique
Champeil-Desplats et Christophe Grzegorczyk fournit une clé de lecture de premier ordre en vue
d’aborder le spectre des déterminants, plus spécifiquement “juridiques”, de l’agir professionnel en
situation. La “contrainte juridique” s’y trouve généralement définie au regard d’un premier passage
comme :
« une situation de fait dans laquelle un acteur de droit est conduit à adopter cette solution
ou tel comportement plutôt qu’une autre, en raison de la configuration du système
juridique qu’il met en place ou dans laquelle il opère. En d’autres termes, la contrainte
juridique est celle qui est produite par le droit et qui, contrairement à la conception
traditionnelle, doit être perçue comme une contrainte de fait »593.
Les auteurs observent ensuite, à la lecture d’un second passage :
« il est
possible d’identifier dans les systèmes juridiques des facteurs qui les contraignent à
agir ou interpréter tel ou tel énoncé d’une façon plutôt que d’une autre, c’est-à-dire à
choisir un comportement parmi le grand nombre de ceux qui seraient permis par les
règles »594.
Partant dès lors d’un présupposé déterministe similaire, le phénomène de reconfiguration des
“habitus” professionnels “sous les effets” de la contrainte de légitimation sociale se déclinera
opportunément à partir d’un triptyque axiologique. Approfondissons le travail de décantation et
délimitons, au fil des paragraphes suivants, un périmètre de formation et d’effectivité de la contrainte
de légitimation sociale. Trois pôles ou “registres d’effectivité” (représentés à travers le diagramme
inséré ci-dessous) entreront en ligne de compte :
-
un registre d’effectivité “normative” en première instance (Section 1),
-
un registre d’effectivité “interprétative” en seconde instance (Section 2),
juridiques, détermination des relations entre les normes (rapports logiques, rapports hiérarchiques, etc.) » in Véronique CHAMPEILDESPLATS, Méthodologie du droit et des sciences du droit, Dalloz, 2014, p.120.
593
V. Champeil-Desplats et M. Troper, « Proposition pour une théorie des contraintes », in TROPER Michel,
CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, GRZEGORCZYK Christophe, Théorie des contraintes juridiques, Bruylant/LGDJ,
2005, p. 12.
594
TROPER Michel, CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, GRZEGORCZYK Christophe,
juridiques, Bruylant/LGDJ, 2005, p. 3.
Théorie des contraintes
299
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
un registre d’effectivité “dialogique” en troisième et dernière instance (Section 3).
REGISTRE
D’EFFECTIVITÉ
« NORMATIVE »
REGISTRE
D’EFFECTIVITÉ
« INTERPRÉTATIVE »
REGISTRE
D’EFFECTIVITÉ
« DIALOGIQUE »
Figure 8 Schéma d’imbrication des registres d’effectivité de la contrainte de légitimation
sociale
Section 1 L’effectivité normative et l’empreinte du devoir-être professionnel, le « sollen »
Dans quelle mesure et à travers quels canaux le juriste se trouve-t-il exposé, interpelé, placé
en situation d’aménager la conduite ordinaire de ses pratiques et usages professionnels sous l’effet
d’une pratique de gouvernement ? Dans quels espaces et au regard de quelles temporalités les
signaux normatifs émis par l’Etat atteignent-ils leur pic d’effectivité ?
La désignation, en premier lieu, du registre d’effectivité « normative », sans doute le plus
familier à la pensée du travail juridique, permet d’envisager l’hypothèse d’une réception de la
contrainte de légitimation sociale par le biais de sa « traduction » en vécus et perceptions
normatives 595 . À la genèse du sentiment d’obligation, le flux de la contrainte débouche sur la
cristallisation temporaire du « devoir-être ». L’agir juridique professionnel s’imprègne d’un signal
595
CORTEN, Olivier, 'La persistance de l'argument légaliste : éléments pour une typologie contemporaine des registres
de légitimité dans une société libérale' (2002)(1) Droit et société 185.
300
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
injonctif. Les relais du message normatif, précèdent et préemptent l’agir juridique professionnel. Ils
rejaillissent sur son flux.
Retenons, pour le moins, deux faisceaux informationnels normatifs susceptibles d’orienter
l’agir juridique professionnel aux portes de la ville : la norme juridique étatique stricto sensu et
l’évolution du droit de transition révolutionnaire premièrement (A), l’évolution coutumière des
usages et pratiques « sociales » du droit, deuxièmement (B).
A)
La norme étatique et le droit de transition révolutionnaire
Posons dans un premier temps l’hypothèse d’effectivité du signal normatif étatique (1).
Observons, dans un second, comment ce signal se manifeste au regard de l’évolution du droit de
transition révolutionnaire deuxièmement (2).
1)
Hypothèse d’effectivité du signal normatif étatique
L’institution de l’état de droit moderne tout comme l’ouvrage des institutions appelées à en
répondre apparaissent simultanément traversés par des impératifs structurels de légitimation sociale.
La « vulnérabilité596 » de l’état de droit moderne, aussi bien structurelle que conjoncturelle, joue, à
l’évidence, un rôle de catalyse au regard de la production et de la diversification des faisceaux
normatifs. Le système établit à travers l’énoncé des lois, les conditions de sa propre subsistance dans
le temps et dans l’espace. Catherine Thibierge introduit, sur ce registre d’idées, le concept de
« densification normative » de la manière suivante :
« En tant que processus normateur, c’est à dire créateur et transformateur de norme(s) ; la
densification normative donne à voir comment la normativité émerge, se déploie et évolue
dans le temps et dans l’espace. Elle permet ainsi de saisir dans une continuité l’accès à la
normativité, l’entrée en juridicité et la conquête de l’obligatoriété. Plus précisément,
déclinée au singulier, la densification normative désigne le processus par lequel la norme
prend forme et force »597.
GRATALOUP Sylvain, La vulnérabilité de la règle de droit, extrait de l’ouvrage : Vulnérabilité et droit, Le développement de
la vulnérabilité et ses enjeux en droit, Sous la direction et la coordination de Frédérique COHET-CORDEY, UPMF Grenoble
II, Presse universitaire de Grenoble, janvier 2000, p.33-45.
596
597
L'auteure identifie par ailleurs comme marqueurs de densification normative : « l'accroissement du nombre de destinataires et
d'acteurs, multiplication et diversification des sources, matérialisation des formes normatives, intensification de la force normative,
301
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le message normatif adressé d’une administration aux cercles de ses agents et administrés
constitue l’un des principaux moyens d’assurer la continuité du gouvernement agissant au titre de
l’autorité étatique. L’émission de la norme juridique participe, dans un contexte pluraliste, à la
conquête d’une assise territoriale de L’État. Le faisceau normatif s’étend opportunément, sur ce
registre et dans certains cas, à la parole juridique « authentifiée » par le système juridique officiel, celle
du juge.
Dans cet ordre d’idées, ouvrons, à titre illustratif, une parenthèse opportune de droit
comparé avec un pays frontalier de l’Équateur, la Colombie. Saisi dans le cadre du contrôle de
constitutionnalité d’une loi 1123 de 2007 introduisant le « Code disciplinaire de l’avocat » et dans des
conditions relativement similaires aux réformes de la responsabilité professionnelle des avocats
connues en Équateur, le juge constitutionnel colombien a été amené à statuer sur la question de la
compétence du législateur en matière de droit professionnel des avocats598. Avalisant l’intervention
du législateur colombien par une déclaration de constitutionnalité, le dispositif retenu suscite une
attention particulière si l’on considère l’intention normative des juges, la volonté manifeste d’établir
un « précédent ». Le juge y affirme notamment que :
« L’exercice inadéquat ou irresponsable de la profession, met en danger l’effectivité de
divers droits fondamentaux, comme l’honneur, l’intimité, l’image, le droit de pétition, le
droit de la défense et, spécialement, l’accès à l’administration de la justice ainsi que
l’application de principes constitutionnels devant guider la fonction judiciaire comme
l’efficacité, la célérité et la bonne foi ».
Considérant la fonction de l’avocat à la fois dans le cadre de la procédure judiciaire, mais
aussi à titre de conseiller, le juge colombien, revient ensuite sur les « fins du contrôle de la profession
d’avocat au sein d’un État démocratique ». Il lance un appel au fil de l’argumentaire à la pertinence sociale
spéciale — la especial relevancia social — acquise par la profession. L’avocat, à travers l’usage
professionnel du droit, se trouverait lié juridiquement à la recherche « d’un ordre juste et de l’achèvement
de la paix sociale — una convivencia pacifica — », et ce, du seul fait que celui-ci constitue « un lien nécessaire
enrichissement du contenu normatif, augmentation du volume normatif, extension du champ couvert et des domaines concernés. » in
THIBIERGE Catherine, “La densification normative : découverte d'un processus”, Paris, Mare & Martin, 2013.
598
Sentencia C290-08 Sobre la función social y los riesgos de la profesión de abogado, ver sentencia C-540 de 1993 (M.P.
Antonio Barrera Carbonell).
302
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
pour que le citoyen accède à l’administration de la justice.’ 599 ». Le mode opératoire et la prise de position
normative fournissent, au-delà des frontières colombiennes, un précédent doublement significatif à
l’échelle régionale :
-
un juge qui « dit » le droit, produit de la norme professionnelle légitimante, premièrement,
-
un juge qui, deuxièmement, établit sans équivoque un lien de causalité entre, d’une part,
l’édiction de cette norme professionnelle et, d’autre part, le niveau de réalisation des droits et
des libertés inscrits au sommet de l’ordonnancement juridique étatique.
Refermant la parenthèse, retenons que plus le signal normatif étatique paraît fort, plus la
possibilité qu’il rejaillisse sur la conduite du travail juridique, en aval de la chaîne de gouvernance des
métiers du droit semble élevée. L’usage systématique de la norme de transition ou de réforme et
l’intensification des signaux normatifs d’origine étatique constituent des traits caractéristiques au
regard de l’assise du gouvernement de « Revolucion ciudadana600 ».
2)
Radiographie du signal normatif dans le sillon de la « Revolucion ciudadana »
Temps fort du mouvement politique « Alianza pais » et érigé en acte fondateur de la
« Revolucion ciudadana601 », la Constitution du « Buen vivir » est adoptée par voie de référendum au
cours de l’année 2008. À l’issue d’un processus constituant internationalement remarqué, le
document final marque symboliquement l’entrée dans une période de renouveau de la vie politique
et institutionnelle équatorienne. L’Assemblée constituante de Montecristi établit, par un texte
imposant — près de quatre cent quarante-quatre articles —, un pacte d’approfondissement des garanties
constitutionnelles. La norme fondamentale planifie l’établissement d’une démocratie participative,
599
Sentencias C-540 de 1993 (M.P. Antonio Barrera Carbonell), C-060 de 1994 (M.P. Carlos Gaviria Díaz) y C-196 de
1999 (M.P. Vladimiro Naranjo Mesa); C-884 de 2007 (M.P. Jaime Córdoba Triviño).
Pour un point de comparaison quant à l’usage de la loi par le régime Cubain : Evenson Debra. L'évolution du rôle du
droit dans la Cuba révolutionnaire. In: Droit et société, n°22, 1992. Transformations de l’État et changements juridiques :
l'exemple de l'Amérique latine. pp. 375-392.
600
ACOSTA, Alberto. ‘El Buen Vivir en el camino del post-desarrollo. Una lectura desde la Constitución de
Montecristi’. Policy Paper, 2010, vol. 9, p. 63-72; du même auteur: ‘El Buen (con) Vivir, una utopía por (re) construir:
Alcances de la Constitución de Montecristi’. Otra Economía, 2011, vol. 4, no 6, p. 8-31.
601
303
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
inclusive, plurinationale et interculturelle 602 . L’architecture centrale d’un État de droit social —
Estado social de derecho — est édifiée. Le « Buen vivir » et la protection des droits fondamentaux, la
réforme de l’administration de la justice et de l’accès au droit, l’éducation et l’enseignement
supérieur, s’affirment, a fortiori, comme des thématiques stratégiques transversales et prioritaires de la
nouvelle matrice constitutionnelle.
Le faisceau normatif produit par le continuum « constitution-loi-règlements » pose les jalons
pour un gouvernement des usages et pratiques professionnels du droit. Le spectre du message
normatif portant sur l’utilité socio-environnementale des usages professionnels s’étend de la période
de formation universitaire des juristes (a) à l’ensemble des pratiques associées, de près ou de loin, au
fonctionnement de l’administration du droit et de la justice (b).
a)
La norme d’utilité sociale et la période de formation au droit
La lecture combinée de la Constitution de 2008 et de la Loi organique d’Éducation supérieure
(LOES)603 — associée à son règlement d’application — engage une refonte profonde de l’Université et du
système d’éducation supérieure en Équateur 604 . La nouvelle orientation politique emporte un
processus d’intervention administrative auprès de l’ensemble des universités du pays. À l’interface
entre l’action gouvernementale et l’espace universitaire, deux organismes publics assument d’un côté,
le pilotage stratégique de la réforme, et, de l’autre, la mise en œuvre d’un processus d’évaluation et de
certification de l’offre éducative -605.
Cette nouvelle approche de l’exercice et de la séparation des pouvoir s’observe d’une manière générale à travers
l’institution aux côtés de la fonction judiciaire d’organes indépendants chargés d’assurer le contrôle et la transparence de
l’action publique -Consejo de participacion ciudadana y de contrôle social- ainsi que des processus électoraux -le Conseil
national électoral-.
602
603
Ley Orgánica de Educación Superior, Registro Oficial, Quito, Martes 12 de Octubre 2010, n°298.
604
ROJAS, Jaime E. Reforma universitaria en el Ecuador; Etapa de transición, Innovación Educativa, 2011, vol. 11, no 57,
p. 59-67; “Hacia posgrados en inclusión social y equidad en América Latina. Experiencias y reflexiones” Actas del II
Congreso
Internacional
de
MISEAL,
San
José,
Costa
Rica,
18-22
noviembre
2013;
http://www.flacsoandes.edu.ec/libros/digital/54083.pdf
Respectivement «Secretaria de Educación superior Ciencia, Tecnología e Innovación » –SENECYT- Conseil
d’évaluation, d’accréditation, et d’assurance de la qualité de l’éducation supérieure-Consejo de evaluación, acreditación, y
aseguramiento de la calidad de la educación superior (CEAACES). La Ley Orgánica de Educación Superior (LOES) en
el Artículo 174.- Funciones del Consejo de Evaluación, Acreditación y Aseguramiento de la Calidad de la Educación
Superior, dispone como funciones del CEAACES: Planificar, coordinar y ejercer las actividades del proceso de
evaluación, acreditación, clasificación académica y aseguramiento de la calidad de la educación superior; así como
aprobar la normativa para dichos procesos.
605
304
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Les facultés de droit n’échappent pas, en toute logique à cette mécanique de « mise en
conformité » de l’offre éducative avec l’idéal de développement socialiste. « Modernisation »,
« démocratisation », « gratuité », « innovation », « interculturalité » et « plurinationalité », « excellence
académique », « éthique et responsabilité professionnelle » : les axes stratégiques majeurs de la refonte
universitaire induisent une reformulation substantielle des conditions d’accès à l’éducation juridique.
Les facultés de droit se trouvent légalement astreintes à organiser et maintenir une offre de services
d’assistance et de conseil juridique à la communauté « aux personnes disposant de faibles ressources
économiques ainsi qu’aux groupes nécessitant une attention prioritaire (article 193 de la Constitution de la
République d’Équateur) ».
L’objet normatif « fonction sociale du juriste » représente, depuis la perspective des étudiants,
une composante centrale de la réglementation du cursus universitaire. L’approche normative du rôle
social de l’avocat en formation conditionne, d’une manière générale, les modalités d’apprentissage et
d’évaluation auxquelles les apprentis juristes seront soumis pendant près de quatre années de
formation universitaire.
Point culminant du cursus, l’étudiant est obligé d’investir près de quatre cents heures dans la
conduite d’une activité formative en lien direct avec la fourniture d’un service d’assistance juridique.
La mesure se fonde sur une logique contractuelle de restitution des bénéfices perçus par l’étudiant au
cours de sa formation, contrepartie matérielle à la gratuité. Entendue de la sorte, l’opération
conditionne matériellement la délivrance du « Certificat d’aptitude professionnelle » par le « Conseil
national de la Judicature » — Consejo Nacional de la Judicatura-606. C’est tout du moins ce qui ressort, en
substance, de la lecture des dispositions traduites et reproduites dans l’encadré ci-dessous.
606
Original : « Art. 341.- CERTIFICADO DE APTITUD PROFESIONAL.- Al finalizar el año de práctica pre profesional, el
Consejo de la Judicatura de acuerdo a la evaluación de la entidad que se encargó de recibir al alumno de derecho, emitirá el Certificado de
Aptitud Profesional, requisito indispensable para el ejercicio de la profesión de abogado ».
305
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« Les étudiants et étudiantes inscrits dans les deux dernières années du cursus universitaire
de droit ou de sciences juridiques ainsi que ceux ayant complété l’ensemble des unités d’enseignement
devront réaliser de manière obligatoire une année universitaire de service juridique à la citoyenneté au
sein de dépendances comme l’Assemblée nationale, le Défenseur public, le Procureur général de
l’État, des organes judiciaires, les bureaux d’assistance juridique gratuite des universités, les
institutions publiques des secteurs ruraux et urbains marginaux, au sein d’entités qui intègrent les
gouvernements autonomes centralisés et dans toute autre institution du secteur public ou dans des
communautés, peuplements et nationalités indigènes qui exercent des fonctions juridictionnelles ;
toujours quand les pratiques maintiennent un lien avec l’assistance juridique. Ce service au peuple
— la ciudadanía — constituera une condition en vue de l’obtention du titre professionnel. »
(Article 339 du Code organique de la fonction judiciaire607)
« L’année d’assistance juridique communautaire constitue un mode de restitution à la
société équatorienne d’une part du bénéfice de l’éducation supérieure reçue. » Elle représente en outre
une contribution en vue « d’établir la fonction sociale des juristes — la abogacía — au service de la
justice et du droit. » (Article 340 du Code organique de la fonction judiciaire608).
« Le stage préprofessionnel s’institue comme un engagement indéfectible des futurs
professionnels du droit envers une meilleure justice et la démocratisation du droit. (Art.3 du
Règlement d’application des stages préprofessionnels des étudiantes et étudiantes des facultés de
jurisprudence, de droit et de sciences juridiques) » 609
607
Original: Art. 339 « Las y los estudiantes quienes están cursando los dos últimos años de estudio de tercer nivel en derecho o ciencias
jurídicas, y las y los egresados deberán realizar en forma obligatoria un año lectivo de servicio legal a la ciudadania en dependencias como la
Asamblea nacional, la defensoría publica, la fiscalía general del estado, órganos jurisdiccionales, consultorios jurídicos gratuitos de las
universidades, en instituciones públicas de los sectores rurales o urbano marginales, en entidades que integran los gobiernos autónomos
centralizados, en cualquier otra institución del sector público, o, en comunidades, pueblos, y nacionalidades indígenas que ejerzan funciones
jurisdiccionales ; siempre que las practicas se relacionan con la asistencia legal. Este servicio a la ciudadanía será requisito para obtener el
título profesional, según el reglamento que para el efecto dictara el Consejo de la Judicatura ».
608
Original : Art. 340.- « NATURALEZA.- El año de asistencia legal comunitaria constituye un modo de restituir en parte a la
sociedad ecuatoriana el beneficio de la educación superior recibida de ella y por constituir la abogacía una función social al servicio de la justicia
y del derecho ».
Original: Article 3: « La practica pre-profesional se constituye como “un compromiso ineludible de los futuros profesionales del derecho
hacia una mejor justicia y una democratización del derecho » Reglamento de prácticas pre profesionales de las y los estudiantes de
las facultades de Jurisprudencia, Derecho y Ciencias Jurídicas, Lunes 15 de diciembre 2014, R.O n°396.
609
306
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
La mise en œuvre d’une telle conditionnalité emporte, en retour, une chaîne d’enjeux
logistiques au sein des institutions d’accueil. Relevons-en pour le moins trois principales :
-
établir un espace physique et fonctionnel au sein de l’institution : le stagiaire nécessite en ce
sens l’accès à un espace de travail, le contact avec un référent et la planification d’une
dynamique de travail ;
-
apporter une garantie quant à la qualité du stage et démontrer la capacité de l’institution à
« générer des pratiques préprofessionnelles participatives qui bénéficient à la communauté et
à la formation académique des participants(es) »610 ;
-
mettre en place un dispositif de suivi et d’évaluation du stagiaire, ce dernier étant lui-même
tenu par le règlement d’application à la Loi organique d’éducation supérieure d’« offrir un
service légal opportun, chaleureux et de qualité aux usagers »611.
Si le bienfondé d’une immersion « clinique » de l’apprenti juriste dans une activité sociale
d’accompagnement et de service juridique à la communauté ne semble plus en question, dépasser le
stade du mouvement d’idées, du pilote « clinique », valider et socialiser l’innovation pédagogique
représentent, en pratique, un défi d’une tout autre envergure612. La question qui se pose en premier
ressort n’apparaît pas tant, dès lors, celle de l’accompagnement des étudiants, mais bien, plutôt, celle
de la capacité des structures d’accueil à fournir ce type de services.
610
Original : « Artículo 9: son obligaciones de las instituciones y organizaciones donde se desarrollan las prácticas fomentar una práctica preprofesional participativa que aporte a la comunidad y a la formación académica de las y los participantes ». Voir Résolution 040-2013 du
Consejo de la judicatura.
Lecture combinée avec l’Article 7 du Règlement Offrir un service légal opportun, chaleureux et de qualité aux usagers
(art. 7 du règlement) « Articulo 7 Son obligaciones de las y los practicantes cumplir eficientemente las tareas encomendadas por la o el
Coordinador que designe cada institución para la realización de las practicas pre profesionales. Cumplir tiempo y horario. Informe final.
Brindar un servicio legal oportuno, de calidad y calidez a las personas usuarias ».
611
BLOCH Frank S., The ‘Clinical’ dimension of global clinical movement, Access to Justice and the Global Clinical
Movement, Wash. U. J. L. & Policy, vol.28, n°111, 2008, p. 121 : « To begin, three elements stand out as constituting the most
important commonly conceived notions of clinical legal education around the world: professional skills training, experiential learning, and
instilling professional values of public responsibility and social justice. These three elements interact, with varying degrees of emphasis, to form
the core of a global conception of clinical legal education » ; Marta VILLARREAL, Christian COURTIS (coordinación), Enseñanza
clínica del derecho: una alternativa a los métodos tradicionales de formación de abogados, Instituto Tecnológico Autónomo de México,
septiembre de 2007.
612
307
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Qu’est-ce qu’un service légal « opportun » ? Sur quels critères évaluer la qualité d’un tel
service ? Comment identifier les bénéficiaires de l’aide, sur la base de quels critères ? Quels moyens
mettre au service de l’extension universitaire613 ?
Relevant l’éventail des écueils techniques et pédagogiques associés à la concrétisation du
« service social » Christian Courtis observe :
« Depuis le point de vue pédagogique et depuis celui de l’usage de ressources et d’efforts
limités, il semble possible d’observer un paradoxe présent dans de nombreuses universités
– publiques comme privées — d’Amérique latine : si bien dans de nombreux pays de la
région la réalisation d’un “service social” constitue une condition à l’obtention du diplôme
universitaire, la réalité, pour diverses raisons, est que ce service n’assure aucune fonction
pédagogique, ne maintient aucune sinon très peu de lien avec les compétences, aptitudes et
connaissances qui s’apprennent à l’université, qu’il est mal supervisé et — dans le pire
des cas — qu’il ne consiste en rien de plus qu’offrir une main-d’œuvre gratuite, en vue de
réaliser un travail ne nécessitant pas de qualification pour des bureaux juridiques ou
entreprises privées animés par des fins lucratives. Ceci est d’autant plus inadmissible
quand c’est l’université qui “place” des étudiants en service social dans le secteur
privé »614.
Le signal normatif, pour révolutionnaire qu’il puisse sembler sur le fond, demeure soumis et
dépendant de la mise en œuvre d’un système d’amplification. L’intelligence du lien à la fois politique
et juridique unissant la faculté de droit, l’étudiant, les organismes publics centraux — Conseil de la
Judicature la SENECYT, le CEEACES — à la foule anonyme des usagers du droit « en demande de
613
BERNHEIM, Tunnermann, El nuevo concepto de extensión universitaria, Memorias V Congreso Iberoamericano de
extensión, México. 2000.
614
Original : « Desde el punto de vista pedagógico y desde el del empleo de recursos y esfuerzos escasos, se señala además una paradoja
presente en muchas universidades —tanto públicas como privadas— de América Latina: si bien en muchos países de la región constituye un
requisito para obtener un título universitario la realización de un “servicio social”, lo cierto es que, por distintas razones, este servicio no
cumple ninguna función pedagógica, tiene poca o ninguna relación con las destrezas, habilidades y conocimientos que se aprenden en la facultad,
están pésimamente supervisados o —en el peor de los casos— consisten simplemente en ofrecer mano de obra gratuita, para realizar trabajo no
calificado, a despachos jurídicos o empresas privadas con finalidad lucrativa. Esto último es más injustificable aún cuando la que “coloca” a
alumnos que realizan el servicio social en el sector privado es la universidad pública ». VILLARREAL, Marta, COURTIS Christian,
Enseñanza clínica del derecho: una alternativa a los métodos tradicionales de formación de abogados. CLIP, Clínica
Legal de Interés Público, 2007, p.23.
308
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
services juridiques » demeure, sur ce registre, à inventer. Si le périmètre tracé par la réforme de
l’enseignement supérieur semble s’y prêter, rien ne garantit la qualité du jeu une fois les protagonistes
entrés sur le terrain.
b)
La norme d’utilité sociale des usages et pratiques professionnelles
La question de la gouvernance « révolutionnaire » du travail juridique615 se pose, depuis la
sphère étatique — et par-delà la mystérieuse formule déjà évoquée selon laquelle « l’activité juridique est une
fonction sociale au service du droit et de la justice »616 d’une manière tout à fait classique.
Les ressorts du mécanisme de régulation normative des professions juridiques semblent
relativement simples et reposent sur un quadruple faisceau informatif.
-
La loi étatique entérine, en premier lieu, le phénomène de concentration des savoirs et
pratiques professionnelles aux mains des diplômés et de sa « communauté de connaissance et de
méthodes617 ». Pour se faire, la condition de titularité d’un diplôme de droit garantit l’accès aux
professions réglementées.
-
La loi étatique présume, en second lieu, l’effet d’inertie de l’action publique et du
resserrement des mailles du droit professionnel sur les usages et pratiques des juristes. Le
message normatif encapsule des fins d’orientation fonctionnelle, des normes de
comportements et d’action.
-
La loi étatique présume en troisième lieu, l’effet d’inertie des usages et pratiques
professionnelles des juristes sur l’efficience et l’utilité socio-environnementale du système
Le terme « gouvernance du droit professionnel» est précisément entendu au sens d’un processus de transformation et
de recomposition des modes d’action publique mettant en jeu la construction de mécanismes de régulation des
opérateurs juridiques et des usages professionnels du droit au titre de l’administration de la justice et du droit.
615
616
« La abogacía es una función social al servicio de la justicia y del derecho» - (Article 323 COFJ) ».
Un tel ’acquis tend à être alternativement présumé par les auteurs au regard du passage initiatique sur les bancs d’une
faculté de droit -l’enseignement du droit-, d’un critère formaliste -octroi d’un titre par une autorité légalement habilitée
par l’Etat-, de la reconnaissance d’une expérience professionnelle -légale ou corporative-, etc. ; Danièle Lochak observe
en en ce sens que les professionnels du droit possèdent « une connaissance plus théorique et plus abstraite du fonctionnement de
l’ordre juridique, une familiarité avec la conceptualisation et le raisonnement juridiques, s’appuyant sur un apprentissage préalable et
méthodique » extrait de D. LOCHAK, « Les usages du savoir juridique », in L’état des sciences sociales, Paris, La Découverte,
1986, p. 328 ; également cité in Nora BOUGHRIET,.Essai sur un paradigme d'alliance constructive entre droit et médecine: L'accès
du médecin à la connaissance juridique. Thèse de doctorat, Université du Droit et de la Santé-Lille II, 2013, p. 17.
617
309
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
juridique lui-même — appréhendé ici du point de vue sociopolitique un comme outil de régulation macrosociale, un relais de la Revolucion ciudadana.
-
La loi étatique institue une norme de spécialisation des usages et pratiques professionnelles
en vue de la fourniture des services d’assistance, d’accompagnement et plus généralement de
facilitation de l’accès au droit des personnes en situation de vulnérabilité.
Reprenons ci-dessus en aparté une série d’observations, notes de recherche, émises dans les
premiers temps de l’immersion à Guayaquil (2013-2014) et s’inscrivant dans la droite lignée des axes
de gouvernance évoqués ci-dessus. L’information reproduite dans l’encadré n’a d’autre intérêt, avec
le recul des années, que celui d’illustrer l’intensité d’un flux informationnel, la production d’un
labyrinthe des normes de transition ayant directement suivi l’entrée en vigueur de la nouvelle
Constitution. Une difficulté pratique à suivre la trace du signal normatif et l’émergence de
questionnement amenant à l’espace de réflexion micropolitique en ressortent assez nettement.
La Constitution équatorienne énonce un principe général de responsabilité individuelle au
titre de la conduite des actes professionnels. Son article 54 dispose, de manière significative, que « les
personnes seront responsables pour la faute commise dans l’exercice de leur profession, de leur art ou de leur office et
spécialement celles mettant en cause l’intégrité ou la vie des personnes 618 ». La norme fondamentale énonce
encore qu’il en va du devoir et de la responsabilité des Équatoriens et Équatoriennes, dans l’exercice
de leurs professions et de leurs offices, de « se soumettre à l’éthique » (article 83-12). Les serviteurs
publics sont finalement tenus personnellement, dans le cadre de leur office de « rendre effectifs la
jouissance et l’exercice des droits reconnus dans la constitution619 ».
618
Original : « Art.54 alinea 2 Las personas serán responsables por la mala práctica en el ejercicio de su profesión, arte u oficio, en especial
aquella que ponga en riesgo la integridad o la vida de las personas ». ; Art.83 alinea 12, Constitución de 2008 « Son deberes y
responsabilidades de las ecuatorianas y los ecuatorianos, sin perjuicio de otros previstos en la Constitución y la ley: (…) 12. Ejercer la
profesión u oficio con sujeción a la ética ».
Original : « (…) las servidoras o servidores públicos y las personas que actúen en virtud de una potestad estatal ejercerán solamente las
competencias y facultades que les sean atribuidas en la Constitución o por la ley. Tendrán el deber de coordinar para el cumplimiento de sus
fines y hacer efectivo el goce y ejercicio de los derechos reconocidos en la constitución ». (Art 226 Constitucion). À lire en concordance
avec la disposition suivante : « Le profil des serviteur(e)s de la fonction judiciaire devra correspondre à celui d’un professionnel du droit
avec une solide formation académique, une capacité d’interprétation et de raisonnement juridique, avec une trajectoire personnelle éthiquement
irréprochable, dédié au service de la justice, ayant une vocation pour le service public, initiative, capacité d’innovation, créativité et compromis
avec le changement institutionnel de la justice619. (Article 37 du Code de la fonction judiciaire équatorien) ».
619
310
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Avec l’adoption en 2009 du Code organique de la fonction judiciaire — Codigo organico de la
Funcion Judicial620 — entre en vigueur un « schéma transformateur » de l’administration du service public
de la justice. L’administration publique se voit assigner la mission générale de : « rompre (…) les
barrières économiques, sociales, culturelles, générationnelles, géographiques et de tout type qui rendent impossible l’accès
à une justice, effective, impartiale et guidée par la défense des droits de toute personne ou collectivité »621.
Par le biais d’une consultation populaire réalisée en juin 2011, les citoyens équatoriens se
sont prononcés sur une série de questions touchant directement à l’administration de la fonction
judiciaire. Le scrutin, favorable aux propositions émises par la majorité et présentant en réalité les
traits d’un vote de confiance — observation personnelle compte tenu de la technicité et de la teneur générale du
questionnaire —, ouvre la voie à une participation directe de l’exécutif au pilotage des réformes de la
justice622 et met sous tension la démarcation constitutionnelle des pouvoirs exécutif et judiciaire. La
gestion du « Consejo de la judicatura »623 — dont la mission institutionnelle vise précisément la restructuration de
l’administration de la justice à l’échelle nationale — se voit temporairement placée, au lendemain de la
consultation et par la voie d’un amendement constitutionnel, sous la direction d’un comité de
direction transitoire. Un rapport de force d’un nouvel ordre entre l’État et la « communauté des
juristes » au sens large se dessine dès lors progressivement sur le plan normatif. La gouvernance des
métiers du droit se fait particulièrement évidente dans l’actualité au regard de la régulation des
modalités d’accès à la fonction judiciaire et de la refonte du système de contractualisation publique.
Le champ d’application du Code organique de la fonction judiciaire (COFJ) s’étend désormais non
seulement à l’exercice des fonctions de juge, de serviteur public, mais plus amplement encore à
l’ensemble des agents appelés à intervenir, de près ou de loin, dans l’administration du droit et de la
620
Publié au Registro Oficial de 09-mar-2009.
621
Original : « Que, es, además, indispensable que este nuevo diseño transformador permita romper las barreras económicas, sociales,
culturales, generacionales, de género, geográficas y de todo tipo que hacen imposible el acceso a una justicia, efectiva, imparcial y expedita para
la defensa de los derechos de toda persona o colectividad ».
622
Registro oficial n°490, Gobierno del Ecuador, Suplemento, Resultados del referéndum y consulta popular, Miércoles
13 de julio del 2011, voir en particulier, Question n°4 : « Está usted de acuerdo en sustituir el actual Pleno del Consejo de la
Judicatura por un Consejo de la Judicatura de Transición, conformado por tres miembros designados, uno por la Función Ejecutiva, uno por
la Función Legislativa y uno por la Función de Transparencia y Control Social, para que en el plazo improrrogable de 18 meses, ejerza las
competencias del Consejo de la Judicatura y reestructure la Función Judicial, ENMENDANDO LA CONSTITUCIÓN COMO LO
ESTABLECE EL ANEXO 4? ».
623
http://www.funcionjudicial.gob.ec/index.php/es/inicio.html
311
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
justice624. L’article 37 du Code énonce en ce sens : « Le profil des serviteurs (e) s de la fonction judiciaire devra
correspondre à celui d’un professionnel du droit avec une solide formation académique, une capacité d’interprétation et
de raisonnement juridique, avec une trajectoire personnelle éthiquement irréprochable, dédié au service de la justice,
ayant une vocation pour le service public, initiative, capacité d’innovation, créativité et compromis avec le changement
institutionnel de la justice »625. Confirmant l’extension du spectre de gouvernance, l’article 57 du code
énonce au rang des conditions spécifiques d’intégration des carrières judiciaires, du ministère public
— la fiscalia — ou des bureaux du défenseur public, une obligation pour chaque postulant(e) « d’être
effectivement avocat ou avocate — “abogada” ou “abogado” — et d’être en possession d’un diplôme d’éducation
supérieure en droit »626. (…)
La conduite d’activités et de services spécifiquement liés à l’assistance juridique des
personnes en situation de vulnérabilité fait l’objet, dans le sillon de Montecristi, d’une dynamique
croisée d’institutionnalisation, de professionnalisation et de spécialisation. Reprenons brièvement cidessous ces axes saillants de la gouvernance contemporaine du service public de l’accès au droit en
Équateur.
La dynamique d’institutionnalisation tout d’abord s’entend simplement au sens de
l’établissement d’une mission de service public qui supplante la compétence traditionnellement
réservée aux collèges professionnels d’avocats.
624
Original : « Art. 2.- AMBITO.- Este Código comprende la estructura de la Función Judicial; las atribuciones y deberes de sus órganos
jurisdiccionales, administrativos, auxiliares y autónomos, establecidos en la Constitución y la ley; la jurisdicción y competencia de las juezas y
jueces, y las relaciones con las servidoras y servidores de la Función Judicial y otros sujetos que intervienen en la administración de justicia ».
625
Original : « Art. 37.- PERFIL DE LA SERVIDORA O SERVIDOR DE LA FUNCION JUDICIAL.- El perfil de las
servidoras o servidores de la Función Judicial deberá ser el de un profesional del Derecho con una sólida formación académica; con capacidad
para interpretar y razonar jurídicamente, con trayectoria personal éticamente irreprochable, dedicado al servicio de la justicia, con vocación de
servicio público, iciativa, capacidad innovadora, creatividad y compromiso con el cambio institucional de la justicia ».
626
Original : « Art. 57.- REQUISITOS ESPECIFICOS PARA INGRESAR A LAS CARRERAS JUDICIAL
JURISDICCIONAL, FISCAL Y DE DEFENSORIA PUBLICA. - Además de reunir los requisitos generales, la o el postulante a
ingresar a las carreras judicial jurisdiccional, fiscal y de defensoría pública, deberá ser abogada o abogado con título de tercer nivel legalmente
reconocido, (…) ».
312
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Organisé de manière centralisée le système d’assistance juridique publique se voit placé entre
les mains de deux administrations publiques autonomes : la « defensoria publica », d’un côté, la
« defensoria del pueblo », de l’autre. Le mandat constitutionnel du « Défenseur public » — la defensoria publica
— enjoint le premier organisme à : « garantir le plein et égal accès à la justice des personnes qui, par leur état de
vulnérabilité — indefensión — ou leur condition économique, sociale ou culturelle ne peuvent contracter les services de
défense légale pour la protection de leurs droits (Article 191 de la Constitution)627 ». À l’obligation d’offrir une
« prestation gratuite et opportune de services d’orientation, d’assistance, de conseil et de représentation judiciaire 628 » en
régie directe, correspond généralement ensuite l’exercice d’un pouvoir de police administrative629.
L’institution réglemente, autrement dit, les modalités d’exercice de services d’assistance juridique
proposés en dehors de ses murs 630 . Le Défenseur public exerce, de même et par extension, un
627
Original : Artículo 191 de la Constitución ecuatoriana del 2008 « La Defensoría pública es un órgano autónomo de la Función
judicial cuyo fin es garantizar el pleno e igual acceso a la justicia de las personas que, por su estado de o condición económica, social o cultural,
no puedan contratar los servicios de defensa legal para la protección de sus derechos ». Concordance avec l’Article 286.1 du Code
Organique de la fonction judiciaire lequel dispose « la prestation gratuite et opportune de services d’orientation, d’assistance, de conseil
et de représentations judiciaire, conformément aux dispositions du Code de la fonction judiciaire aux personnes qui ne peuvent en bénéficier en
raison de leur situation économique et sociale ». (Article 286 du Code de la fonction judiciaire ».
628
Original : « 1. La prestación gratuita y oportuna de servicios de orientación, asistencia, asesoría y representación judicial, conforme lo
previsto en este código, a las personas que no puedan contar con ellos en razón de su situación económica o social; 5. Garantizar que las
personas que tengan a su cargo la defensa pública brinden orientación, asistencia, asesoría y representación judicial a las personas cuyos casos se
les haya asignado, intervengan en las diligencias administrativas o judiciales y velen por el respeto a los derechos de las personas a las que
patrocinen. En todo caso primará la orientación a los intereses de la persona defendida; 6. Garantizar la defensa pública especializada para
las mujeres, niños, niñas y adolescentes, víctimas de violencia, nacionalidades, pueblos, comunidades y comunas indígenas; 8. Contratar
profesionales en derecho particulares para la atención de asuntos que requieran patrocinio especializado, aplicando para el efecto el régimen
especial previsto por la Ley del Sistema Nacional de Contratación Pública, y el procedimiento que se establezca en el reglamento que dicte el
Defensor Público General; 9. Autorizar y supervisar el funcionamiento de los servicios jurídicos prestados en beneficio de personas de escasos
recursos económicos o grupos que requieran atención prioritaria por parte de personas o instituciones distintas de la Defensoría Pública; 10.
Establecer los estándares de calidad y normas de funcionamiento para la prestación de servicios de defensa pública por personas o instituciones
distintas de la Defensoría Pública y realizar evaluaciones periódicas de los mismos. Las observaciones que haga la Defensoría Pública son de
cumplimiento obligatorio(Article 286 du Code de la fonction judiciaire ) ».
Pour que d’autres organisation puissent offrit ce service celle-ci devront être accréditée et évaluée par le Défenseur
public. (Article 193 de la Constitution 2008) Original : « Art. 294.- EVALUACION DE LOS CONSULTORIOS
JURIDICOS GRATUITOS.- Los Consultorios Jurídicos Gratuitos a cargo de las Facultades de Jurisprudencia, Derecho o Ciencias
Jurídicas, organismos seccionales, organizaciones comunitarias y de base y asociaciones o fundaciones sin finalidad de lucro, serán evaluados en
forma permanente por la Defensoría Pública, la cual analizará la calidad de la defensa y los servicios prestados. De encontrarse graves
anomalías en su funcionamiento, se comunicará a la entidad responsable concediéndole un plazo razonable para que las subsanen; en caso de
no hacerlo, se prohibirá su funcionamiento ».
629
630
Elle produit « des standards de qualité et des normes de fonctionnement en vue de la prestation de services de défense publique par des
personnes ou des institutions distinctes du Défenseur public ».
313
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
pouvoir d’évaluation et de sanction administrative à l’égard de l’ensemble des opérateurs, publics ou
privés, engagés dans une activité en lien avec l’offre et la réalisation de services d’accès au droit631.
La tutelle s’étend de fait aux organisations non gouvernementales spécialisées dans la
protection de l’intérêt public poussant certains observateurs à soulever avec ironie la question de
savoir « qui les défendra du Défenseur public 632 ». Le devenir d’initiatives privées mobilisant des
conceptions alternatives, voire divergentes, de l’accompagnement juridique semble en partie
suspendu aux décisions de l’administration centrale. La question rejoint directement sous cet angle
celle des conditions de mise en œuvre du second mandat constitutionnel évoqué. Le Défenseur du
peuple — la defensoria del pueblo — endosse une mission spéciale de protection des droits
fondamentaux et des libertés publiques633.
L’institution « (…) autorise et supervise le fonctionnement des services juridiques prêtés au bénéfice des personnes à faible revenu par des
personnes ou des institutions distinctes du Défenseur public » ; Article 294 Evaluation des bureaux d’assistance juridique gratuites... Les
bureaux d’assistance juridique gratuite pris en charge par les Facultés de jurisprudence, de droit ou de sciences juridiques, par des organismes
de section, des organisations communautaires et de base, des associations et des fondations sans but lucratif seront évalués de manière
permanente par le Défenseur Public, lequel analysera la qualité de la Défense et des services rendus. Dans le cas où se présenteraient de graves
anomalies dans leur fonctionnement, celles-ci seront dument notifiées et un délai raisonnable de régularisation leur sera concédé ; en l’absence de
mise aux normes, leur fonctionnement sera interdit ». Original : « Art. 294 COFJ- EVALUACION DE LOS CONSULTORIOS
JURIDICOS GRATUITOS.- Los Consultorios Jurídicos Gratuitos a cargo de las Facultades de Jurisprudencia, Derecho o Ciencias
Jurídicas, organismos seccionales, organizaciones comunitarias y de base y asociaciones o fundaciones sin finalidad de lucro, serán evaluados en
forma permanente por la Defensoría Pública, la cual analizará la calidad de la defensa y los servicios prestados. De encontrarse graves
anomalías en su funcionamiento, se comunicará a la entidad responsable concediéndole un plazo razonable para que las subsanen; en caso de
no hacerlo, se prohibirá su funcionamiento ».
631
632
http://www.larepublica.ec/blog/opinion/2014/04/11/defensa-defensor/
633
Original : « Sección V DEFENSORÍA DEL PUEBLO Art. 214.- La Defensoría del Pueblo será un órgano de derecho público
con jurisdicción nacional, personalidad jurídica y autonomía administrativa y financiera. Su estructura será desconcentrada y tendrá delegados
en cada provincia y en el exterior. Art. 215.- La Defensoría del Pueblo tendrá como funciones la protección y tutela de los derechos de los
habitantes del Ecuador y la defensa de los derechos de las ecuatorianas y ecuatorianos que estén fuera del país. Serán sus atribuciones, además
de las establecidas en la ley, las siguientes: 1. El patrocinio, de oficio o a petición de parte, de las acciones de protección, hábeas corpus, acceso a
la información pública, hábeas data, incumplimiento, acción ciudadana y los reclamos por mala calidad o indebida prestación de los servicios
públicos o privados. 2. Emitir medidas de cumplimiento obligatorio e inmediato en materia de protección de los derechos, y solicitar
juzgamiento y sanción ante la autoridad competente, por sus incumplimientos. 3. Investigar y resolver, en el marco de sus atribuciones, sobre
acciones u omisiones de personas naturales o jurídicas que presten servicios públicos. 4. Ejercer y promover la vigilancia del debido proceso, y
prevenir, e impedir de inmediato la tortura, el trato cruel, inhumano y degradante en todas sus formas ». Constitución de la República
del Ecuador, 2008.
314
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Considérant finalement l’évolution du service d’assistance juridique sur les volets de sa
professionnalisation et de sa spécialisation, les services d’accompagnement juridique et de
démocratisation de l’accès au droit comptent, d’un point de vue statutaire, de ressources humaines et
matérielles propres. Ces derniers se voient garantir un certain niveau d’autonomie et
d’indépendance634.
Le Code de la fonction judiciaire appelle ensuite le Défenseur public à prêter un service de
représentation et de conseil « spécialisé » au regard de son domaine d’intervention. Celui-ci présente
la particularité de s’étendre, en principe, à « toutes matières et à toutes instances 635’. L’administration se
trouve dans ce même registre enjointe de « contracter des professionnels du droit spécialisés pour des cas
requérant un accompagnement particulier (art.286-8 COFJ) ». Souvent limitée en pratique à la matière
pénale et au droit de la famille, la question de l’élargissement du champ de l’assistance judiciaire aux
contentieux des droits sociaux, des droits de l’homme et de l’environnement, à ceux du droit civil et
de la propriété urbaine marginale se pose donc avec acuité636.
La dynamique de professionnalisation et de spécialisation des services d’accès au droit
s’illustre, de même, en termes de personnalisation ou subjectivation des bénéficiaires de
l’accompagnement juridique. L’institution se trouve enjointe sur ce dernier registre à garantir une
défense publique particulière, « especializada » pour les femmes les enfants et les adolescents, les
victimes de violence, les nationalités, les peuples et communautés indigènes (art.286-6 COFJ).
Simple redondance de la loi ou impératif de mise en œuvre d’une politique de discrimination
« positive » dans le cadre même du service public d’assistance juridique : l’administration et ses agents
se trouvent une nouvelle fois en situation d’interprète du droit et d’éclaireur sur le terrain des
pratiques et des usages « sociaux » du droit.
634
Version originale : « La Defensoría Pública es indivisible y funcionará de forma desconcentrada con autonomía administrativa,
económica y financiera; estará representada por la Defensora Pública o el Defensor Público General y contará con recursos humanos,
materiales y condiciones laborales equivalentes a las de la Fiscalía General del Estado » (Article 191. alinea 3 de la Constitution).
635
Original : Article 191 alinéa 2. « La Defensoría Pública prestara un servicio legal, técnico, oportuno, eficiente, eficaz, gratuito en el
patrocinio y asesoría jurídica de los derechos de las personas, en todas las materias e instancias ».
636
El impacto de los servicios de asistencia jurídica en Ecuador, Departamento Jurídico Banco Mundial, n°26915, 2003.
315
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
La problématique de connaissance de l’ordonnancement juridique « en vigueur » et de
décryptage du droit « transitionnel » refait surface dans le sillon de cette obligation générale de « due
diligence » pesant sur le serviteur public. Clarifier la mission individuelle des juristes travaillant dans
le cadre d’institutions et de services nouveaux ou en mutation fait, dans l’actualité, figure d’impératif
à la fois pratique et fonctionnel. L’entreprise soulève en pratique une nouvelle série de
questionnements.
De quelle manière le registre d’obligations professionnelles des auxiliaires de justice relevant
d’un service public « pensé » à partir d’une feuille de route « conceptuelle et idéologique », « légitimé »
par le vote en assemblée d’un parti majoritaire, « spécifié » par voie réglementaire, imprègne-t-il, « en
bout de course », les us et coutumes de l’agent public ; interfère-t-il avec l’exercice de sa fonction
sociale « statutaire »? Si à l’évidence la loi « dispose », la question de savoir dans quelle mesure et par
quels moyens le juriste travaillant au service de l’administration publique dispose lui aussi, du simple
fait de sa « participation » au service, d’une fraction de pouvoir « constituant » se pose avec acuité.
Quid, en somme, d’un « pouvoir de l’interprète » dont la mesure demeure à son tour intimement liée,
au sens de « déterminée par » un entendement du nouvel environnement législatif et réglementaire
« post-Montecristi » ; par quels moyens évaluer ensuite la pratique de l’accompagnement juridique
« aux guichets » et « dépasser », sur un registre méthodologique, l’illusion d’un produit
d’accompagnement juridique « universel » ? ; comment dépasser l’incertitude que suscite
manifestement le tracé d’une ligne de démarcation séparant la responsabilité individuelle des agents,
de celle, aussi bien politique que juridique, de l’administration publique. Dans quelle mesure cette
distinction structurante du droit de la responsabilité administrative atteint-elle un niveau de
pertinence, d’intérêt pratique dans le silence du « contentieux administratif » ?
Les « distorsions », les « mutations », les « dénaturations », et même sans doute, les
« sublimations » quotidiennes de l’« éthique laïque et sociale », de la recherche active de la « paix sociale »,
de l’objectif de réalisation « pleine et efficace » des droits recomposent, dans une certaine mesure, le
paysage de la fonction sociale du juriste équatorien, mais comment et dans quelle mesure ?.
316
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Inaperçus depuis la chaîne de gouvernance administrative, le registre de l’intersubjectivité, les
« non-dits » et les chuchotements de l’agent public confronté à l’évolution de sa mission, de son
environnement de travail, apparaissent, en toute vraisemblance, comme les véritables ouvrages de
microproduction du droit de la fonction sociale du juriste. La rémanence du facteur humain dans le
champ de l’interprétation du concept innovant se fait plus évidente.
Refermant à présent l’aparté, il reste à cette étape du parcours, à pointer du doigt une série de
risques associés à la normativité fonctionnelle « de transition ». Derrière l’apparence sécurisante de la
production législative, du formalisme, de la médiation des pouvoirs de décision administrative par le
jeu de la norme et de l’État de droit social, pointe une réalité complexe. L’envers de l’inflation
normative durant la période post-Montecristi se manifeste à plusieurs égards.
Les vœux pieux de « transition révolutionnaire », « de démocratisation du service public »,
« de justice participative », « d’état de droit social », encapsulés dans le texte de loi supplantent
progressivement le vécu et l’expérience de la conquête des droits. La forme l’emporte
symptomatiquement sur le fond. La portée véritablement révolutionnaire du principe et de la cause
entre en dormance au lendemain du processus d’institutionnalisation. Le risque de dérive
bureaucratique paraît latent.
La convocation de l’argument légaliste sert ensuite plus fréquemment de marqueur social.
Au-delà du message normatif, l’argumentation juridique contribue au maintien ou à la reconstitution
des hiérarchies sociales637. Le fossé entre « have » et « have not638 » se creuse. L’usage pathologique de
la technique juridique sert d’instrument de hiérarchisation sociale.
Un coup d’arrêt est finalement porté au travail « constituant » ayant caractérisé l’esprit de
Montecristi. L’agenda politique du Buen vivir et la pression du résultat électoral éteignent, à petit
feu, la démarche constructiviste.
Ces réserves formulées, la seconde voie d’effectivité normative envisagée tient à la formation
coutumière des normes et usages professionnels procédant de l’exercice des libertés professionnelles.
637
KENNEDY Duncan, and Paul Carrington, Legal education and the reproduction of hierarchy: A polemic against the system: A
critical edition, New-York University Press, 2004.
GALANTER, Marc, Liliane Umubyeyi, and Liora Israël. « ‘Pourquoi c'est toujours les mêmes qui s' en sortent bien?’ :
réflexions sur les limites de la transformation par le droit », Droit et société 3 (2013): 575-640.
638
317
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
B)
La formation coutumière des usages et pratiques « socio-environnementaux » du droit
« Abogacía popular », « pratiques alternatives et critiques du droit », « servicios legales
populares », « cause lawyering », « social justice lawyering », « public interest lawyering », « lawyering
for the poor », « progressive or transformative lawyering », « barefoot lawyering », « juriste
engagé »639… soutenons ci-dessous que l’entreprise doctrinale de recensement et de catégorisation
d’usages et pratiques « sociales » du droit revêt, à bien des égards, les traits d’une pratique
normative 640 . La démarche comparative, et chemin faisant, les travaux de décontextualisation,
montée en généralité, formulation d’énoncés normatifs émergent, à cet égard, comme des procédés
d’accompagnement stratégique à la formation coutumière d’un modus operandi. Des normes
techniques d’engagement socio-environnemental du travail juridique en sociétés font surface.
Le propos doctrinal sert alors, non pas seulement, de dispositif de socialisation ou d’analyse
critique, mais aussi, et surtout, d’appareil participant à la consolidation desdits usages et pratiques
alternatives ou transgressives. Le travail sur les pratiques sociales du droit définit une norme
d’intervention. L’expérience est édifiée en « pratique », en norme d’action et de comportement
« applicable » à une situation prédéterminée. Par une démarche de recensement, de comparaison et,
in fine, d’alignement des usages, certaines gammes d’action, répertoires de coups à jouer sous l’effet
des pressions de légitimation sociale se précisent. Le signal normatif émis par la doctrine s’inscrit, a
priori et par hypothèse, en « réaction » ou en « résistance » face à ce qui, depuis une perspective
critique, relèverait de pratiques professionnelles inadaptées, aseptisées et réduites à de simples
contingences techniques. Un patron de spécialisation est mis en exergue641.
Les exemples reproduits ci-dessus en guise d’accroche ne représentant en réalité que les échantillons d’un vaste
répertoire d’usages et de pratiques professionnelles : JUNQUEIRA, Eliane Botelho. « Los abogados populares : en busca
de una identidad ». El otro derecho 26-27 (2002); Vergel, Tovar Carolina, 'Usages militants et institutionnels du droit à propos de la
cause des femmes victimes du conflit armé en Colombie', thèse de droit public, Université Paris-Ouest Nanterre, 2013.
639
Ou, tout du moins, d’une pratique contribuant de manière significative à la formation des normes professionnelles
coutumières.
640
GALANTER, Marc, Liliane UMUBYEYi and LIORA Israël, ‘« Pourquoi c'est toujours les mêmes qui s’en sortent
bien?»: réflexions sur les limites de la transformation par le droit' (2013)(3) Droit et société 575.
641
318
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Le positionnement méthodologique, dans le contexte de la doctrine nord-américaine évoqué
par Ruth Bachanan et Louise Trubek sur la question du « public interest lawyering » exemplifie
parfaitement le propos. Les auteures introduisant leurs travaux énoncent :
« nous décrivons essentiellement une lutte idéologique au sujet de la construction et de la
reconstruction du sens attribué aux pratiques des juristes. Notre but est d’identifier les
arènes dans lesquelles cette lutte intervient, ou des variations partielles et temporaires de
sens, que l’on nomme “moments transformateurs” tendent à se produire »642.
Les auteures définissent ensuite les tenants centraux de leur « Critical lawyering vision », et d’une
norme d’action professionnelle en devenir :
« Humaniser : résister à la réduction de l’histoire des clients à des catégories juridiques,
planter les problèmes en termes humains.
Politiser : faire usage de la théorie critique afin d’éclairer la nature contingente des
situations d’impuissance dans laquelle se retrouve le client, appliquer les filtres d’analyse
féministes et antiracistes afin de résister à la marginalisation du discours des clients.
Collaborer : encourager la participation des clients et des collectifs à la prise de décisions ;
s’essayer à démanteler la hiérarchie avocat/client.
Travail stratégique : chercher à discerner les expériences du client sur la question des
stratégies de luttes et de résistances ; développer un scepticisme au regard des voies
traditionnelles d’exercice des activités de défense, réévaluer continuellement l’effectivité de la
défense depuis la perspective du client.
Traduction personnelle de l’extrait suivant « What we are describing is essentially an ideological struggle over the constitution and
re-constitution of the meaning of lawyer's practices. Our goal is to identify those arenas in which this struggle is located, where partial and
provisional shifts in meaning, which we call "transformative moments" can and do occur ». Extrait de: Ruth Buchanan and Louise G.
TRUBEK, «Resistances and possibilities: A critical and practical look at public interest lawyering", New York University
of Law and Social Change, 1992, vol. 19, p. 687 ; GAÏTI, Brigitte et ISRAËL, Liora. Sur l'engagement du droit dans la
construction des causes. Politix, 2003, vol. 16, No. 62, p. 17-30.
642
319
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Organiser : encourager l’organisation et l’effort collectif des clients, collaborer avec les
mouvements sociaux existants et les groupes de clients 643(traduction personnelle) ».
Carrie Menkel-Meadow définit, sur le même registre, le « cause lawyering » comme :
« Toute activité qui poursuit la mise en œuvre de moyens juridiques ou la transformation
de la loi en vue d’assurer une plus grande justice sociale — à la fois pour des individus
particuliers (via l’assistance aux personnes) et pour des groupes en situation de
vulnérabilité — »644.
Sur une fréquence plus proche de l’Amérique latine, relevons encore le travail d’Antonio
Carlos Wolkmer. L’auteur invoque quant à lui une « pluralité alternative dans l’espace de droit non officiel ».
Il la caractérise comme :
« des procédures autorégulatrices qui peuvent émerger et être appliquées par une pluralité
d’acteurs sociaux, d’association communautaires et autres corps intermédiaires, subsistant
spontanément avec une relative autonomie face à la volonté de l’État et indépendamment
du droit positif officiel :
a) au niveau de la résolution des conflits : de nouvelles modalités non institutionnelles de
médiation, de conciliation, de jugements arbitraux et de jury populaire ; des formes
non conventionnelles, amplifiées et socialisées de jury des “petites causes” ; extension
Ruth BUCHANAN and Louise G. TRUBEK, “Resistances and possibilities: A critical and practical look at public
interest lawyering", New York University of Law and Social Change, 1992, vol. 19, p. 687, citation originale : « The following is
our overview of the central tenets of the critical lawyering vision: Humanize: resist reduction of client stories to legal categories, frame issues in
human terms. Politicize: use critical legal theory to provide insight into the contingent nature of client disempowerment; apply feminist and antiracist analysis to help resist marginalization of clients' voices. Collaborate: encourage participation of clients and client groups in practice
decisions; attempt to dismantle the lawyer/client hierarchy. Strategize: seek to access client experiences regarding strategies for struggle and
resistance; develop a healthy skepticism regarding traditional advocacy arenas; continually re-evaluate advocacy effectiveness from a client
perspective. Organize: encourage organization and collective efforts by clients, work with existing social movements and client groups ».
643
644
Original : « cause lawyring is 'any activity that seeks to use law-related means or seeks to change law or regulations to achieve greater
social justice-both for particular individuals (drawing on individualistic 'helping' orientations) and for disadvantaged groups » in MENKELMEADOW, Carrie. « The causes of cause lawyering: Toward an understanding of the motivation and commitment of
social justice lawyers ». Extrait de Austin Sarat and Stuart Scheingold (eds.) Cause Lawyering: Political commitments and
professional responsibilities, 1998, vol. 31, p. 32. Sarat, Austin, and Stuart A. Scheingold. Cause lawyers and social movements.
Stanford University Press, 2006. Scheingold, Stuart, and Austin Sarat. Something to believe in: Politics, professionalism
and cause lawyering. Stanford University Press, 2004.
320
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
et fragmentation des comités ou des conseils populaires de justice ; création des
tribunaux de quartiers et de voisinage, justice de district ;
b) au niveau des sources de production législatives : réappropriation et amplification de
nouvelles formes de “conventions collectives” de travail, de consommation et d’usage
social ; formation d’“accords collectifs”, de négociations consensuelles, d’arrangements
politico-juridiques d’intérêt commun, imposition d’accords communautaires à travers
la mobilisation et la pression émergente des carences et nécessités des nouveaux sujets
individuels et collectifs »645.
Retenons, en guise de synthèse, que la consignation des évènements historiques qui émaillent
la connaissance « critique » des savoir-faire juridiques professionnels en sociétés, la mise au jour des
« mouvements » et des « courants » participe directement à la formation des normes professionnelles.
La doctrine érige des critères « distinctifs » ou « constitutifs » desdits usages et pratiques sociales du
droit en sociétés. Elle en signifie la dimension normative, assure et participe, par l’émission d’un flux
de « prétentions normatives », la réception systémique d’une coutume en formation646 (voir le schéma
récapitulatif ci-dessous).
645
WOLKMER, Antonio Carlos, Pluralismo jurídico: fundamentos de una nueva cultura del derecho, Colección
universitaria/Mad.Textos juridicos, 2006, p.266. Texte original : « procedimientos auto regulables que pueden emerger y ser
aplicados por una pluralidad de actores sociales, asociaciones comunitarias y demás cuerpos intermedios, subsistiendo espontáneamente con
relativa autonomía frente a la voluntad estatal e independientemente del derecho positivo oficial: a) En el nivel de la resolución de conflictos:
nuevas modalidades no institucionales de mediación, conciliación, juicios arbitrales y juzgados populares; formas no convencionales, ampliadas y
socializadas de juzgados especiales de pequeñas causas (justicia de mínima cuantía); extensión y fragmentación de comités o consejos populares
de justicia; creación de tribunales de barrios y de vecindad, justicia de distrito; b) En el nivel de las fuentes de producción legislativa:
reapropiación y ampliación de nuevas formas de "convención colectiva" de trabajo, de consumo y de uso social; formación de "acuerdos
colectivos", negociaciones consensuales, arreglos político jurídicos de suma de intereses; imposición de acuerdos comunitarios mediante la
movilización y la presión surgidas de las carencias y necesidades de los nuevos sujetos individuales y colectivos ».
646
Richard ABEL, Lawyers for Liberalism: Axiom, Oxymoron, or Accident? , Books on Law, nov. 1998, p. 9-15.
321
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Contrainte de légitimation
sociale
Formation des épistémologies du rôle
pro-social ou pro-environnemental des
acteurs juridiques professionnels
(discours)
Spécialisation des savoir-faire
juridiques au service des causes socioenvironnementales (actes)
Normes professionnelles coutumières
Figure 9 Formation coutumière des usages et pratiques socio-environnementales
Le dispositif d’effectivité normative une fois signalé, la question de l’interprétation juridique
ressurgit en toute logique. La construction de la fonction sociale de l’acteur juridique professionnel
s’inscrit dans un chemin ne demeurant que partiellement balisé par le faisceau normatif. L’écho du
dicton populaire « el papel aguanta todo » — littéralement, le papier supporte tout — ne tarde pas à faire
surface. Pierre Moore observe sur ce registre :
« Plus une norme est dense [autrement dit, plus son pouvoir de caractérisation,
d’énonciation et d’évocation s’avère élevé (observation personnelle)] plus la signification
que prend son application concrète sera la reproduction pure et simple du sens qu’elle a
déjà` complètement défini dans l’abstrait : elle la prédétermine entièrement. Moins, au
contraire, elle est dense, plus la signification de l’acte d’application concrète découle de
l’évaluation des circonstances individuelles visées par cet acte ; et c’est par là que le droit
écrit n’est plus tout le droit »647.
MOOR Pierre, 'Pour une théorie micropolitique du droit’, in Paris, Presses universitaires de France, 2005, p.64 cité in
TUSSEAU, Guillaume. "Review Paper: État (postmoderne) de droit, logique textuelle et théorie micropolitique du droit:
sur un exemple de pensée juridique “soft”." International Journal for the Semiotics of Law-Revue internationale de Sémiotique
juridique 22.1 (2009): 123-139.
647
322
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Lorsqu’il ne s’agit plus clairement « d’obéir » ou de « mettre en œuvre » des normes
professionnelles, mais bien, plutôt, d’élaborer à partir de celles-ci, le flux de la contrainte de
légitimation sociale se redirige. Paul Orianne et François Terré identifient clairement un point de
basculement annonçant le jaillissement du registre d’effectivité interprétative :
« Le problème proprement juridique (et non sociologique) de l’application du droit
commence là où la mise en œuvre spontanée et quasi automatique de la règle n’est plus
possible et où une initiative personnelle doit être prise en vue de déterminer, dans une
situation concrète donnée, le mode de comportement qu’il convient d’adopter »648.
Par-delà la délimitation des domaines de l’inacceptable, de l’usage ou de la pratique
professionnelle « pathogène », du « passe-droit » le signal normatif s’avère en définitive bien faible.
Derrière l’impulsion à la fois déclaratoire, symbolique, discursive et séductrice de la loi « de transition
révolutionnaire », ressurgissent les questions de l’initiative, de la conquête et de l’exercice des libertés
professionnelles.
Section 2 L’effectivité interprétative et l’irréductibilité du facteur humain
La désignation, en second lieu, du registre d’effectivité « interprétative » permet d’envisager,
au fil des paragraphes suivants, l’effet déterminant de la contrainte de légitimation sociale au regard
du champ de l’interprétation juridique.
La contrainte de légitimation sociale change de forme, elle mute. Objet caméléon, celle-ci ne
rejaillit plus cette fois sous la forme de l’impératif normatif vécu et acté à travers les usages et
pratiques professionnelles. Le flux de la contrainte de légitimation sociale revêt, cette fois, la parure
d’un faisceau décisionnel. Il trouble les routines intellectuelles d’arbitrage et de trituration des
éléments de « fait » et de « droit » qui se trouvent inscrites au cœur du travail d’interprétation
juridique.
La saisine du jeu de la contrainte de légitimation sociale apparaît directement conditionnée,
sur ce registre, à l’évolution, dans l’air du temps, d’un état de connaissance portant sur
l’interprétation juridique elle-même. Impossible, pour aller au plus simple, de déployer le schéma
648
ORIANNE, Paul et TERRÉ, François, Apprendre le droit: éléments pour une pédagogie juridique, Éd. FrisonRoche, 1990, p. 82.
323
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
d’effectivité interprétative des contraintes de légitimation sociales sans, parallèlement, édifier
l’interprétation juridique comme paradigme fonctionnel de l’état de droit socio-environnemental. La
relecture des enjeux associés à la connaissance de l’interprétation juridique permet et conditionne, en
d’autres termes, l’excavation du nouveau chantier de légitimation sociale. Le champ des possibles
attachés à la fonction sociale du juriste s’étend considérablement par le biais de cet exercice.
Les propos suivants identifient, a minima, quatre lignes de rupture. L’analyse permet, chemin
faisant, de cartographier et de préciser le présupposé d’effectivité interprétative des contraintes de
légitimation sociale.
A)
Première ligne de rupture : le spectre des facteurs « déterminants » l’interprétation juridique
La première ligne de rupture envisagée tient, d’une manière générale, à la réception des
enseignements attachés aux « théories réalistes de l’interprétation ». Les travaux de Michel Troper, dans le
contexte de la doctrine juridique française, constituent un point d’appui propice en vue d’introduire
la saisine réaliste de l’interprétation juridique. L’auteur résume son approche en trois propositions :
« La théorie réaliste de l’interprétation proposée par Michel Troper qu’il résume en trois
propositions : 1. L’interprétation est une fonction de la volonté et non de la connaissance ;
2. Elle n’a pas pour objet des normes, mais des énoncés ou des faits ; 3. Elle confère à
celui qui l’exerce un pouvoir spécifique »649.
Il observe, ensuite, à la lecture d’un second passage abordant les « pouvoirs de l’interprète » :
« Le fait qu’une autorité a eu recours à telle ou telle méthode d’interprétation n’a aucune
incidence sur la validité. Cela ne tient pas à la distinction bien connue du “context of
justification” et du “context of discorvery”, c’est-à-dire au fait que la décision a pu être
prise pour des raisons toutes différentes de celles qui sont invoquées pour la justifier.
L’ordre juridique en effet attache des conséquences non à la méthode, invoquée ou
Michel TROPER, Une Théorie réaliste de l’interprétation, in :Timsit Gérard, Pfersmann Otto, Centre de recherche de
droit constitutionnel Paris. (2001). Raisonnement juridique et interprétation journée d'étude internationale, 14 juin 1999,
Paris: Publications de la Sorbonne.
649
324
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
réellement employée, mais seulement à l’exercice pour une autorité habilitée de la
compétence qui lui a été conférée »650.
La théorie réaliste de l’interprétation replace le sujet juridiquement habilité au centre du
processus interprétatif. Un élément volontariste est associé à la connaissance de l’interprétation
juridique.
Le champ de l’interprétation juridique est revisité. L’authenticité de la démarche
interprétative se trouve attachée à l’exercice d’une compétence d’attribution et, non plus seulement à
une question de méthode. Reformulant l’observation, la théorie réaliste de l’interprétation
réintroduit, l’espace de subjectivité inhérent à la lecture juridique des faits et des énoncés normatifs.
L’analyse proposée les sort de l’ombre à certains égards. Pierre Moore relève, sur ce registre et dans
un même sens, l’existence d’« un noyau irréductible de liberté dans l’application des schémas normatifs 651 ».
L’auteur situe ce noyau au niveau de l’application « quotidienne, banale » de la loi « aux épisodes les plus
courants de la vie sociale »652.
La boîte de Pandore ouverte, retenons alors que tout comme la composition du petitdéjeuner, la formation des traits de personnalité, l’éventail d’expériences vécues aussi diverses et
variées que l’enfance, l’éducation, la croyance, le sentiment d’appartenance au groupe ou la méthode,
la perception d’un certain ordre contraignant de valeurs socio-environnementales 653 , apparaît
susceptible d’agir à l’image d’un faisceau décisionnel.
Autrement dit et prolongeant l’optique réaliste, l’enjeu épistémologique apparaît bien
d’appréhender le jeu de la contrainte de légitimation sociale — entendu ici au sens d’une contrainte
Michel TROPER, Une Théorie réaliste de l’interprétation, in :Timsit Gérard, Pfersmann Otto, Centre de recherche
de droit constitutionnel Paris. (2001). Raisonnement juridique et interprétation journée d'étude internationale, 14 juin
1999, Paris: Publications de la Sorbonne.
650
651
Pierre MOOR, Logique scientifique et logique institutionnelle dans le discours juridique, Revue européenne des
sciences sociales [En ligne], XLVI-141, 2008, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 13 octobre 2012 ; URL : http://
ress.revues.org/148 ; DOI : 10.4000/ress.148
Citation originale « On croit souvent que la politique s’arrête à l’adoption des lois. En réalité, elle se poursuit dans leur application
quotidienne, banale, aux épisodes les plus courants de la vie sociale » (…) » Pierre Moor, « Logique scientifique et logique
institutionnelle dans le discours juridique », Revue européenne des sciences sociales [En ligne], XLVI-141 | 2008, mis en
rôle structurel du droit dans un procesus de gestation et de consolidation des causes socialesligne le 01 mai 2011,
consulté le 13 octobre 2012. URL : http:// ress.revues.org/148
652
653
Alex KOZINSKI, « What I Ate for Breakfast and Other Mysteries of Judicial Decision Making », Loyola of Los Angeles
Law Review, vol.26, issue 4, 1993, p.993.
325
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« d’acceptabilité ou d’opportunité socio-environnementale » — dans la continuité d’une série d’évènements, et
de facteurs constitutifs du processus interprétatif « mis à nu ». Ces derniers éléments rejaillissent
inlassablement sur des pratiques aussi institutionnalisées, normées et, en somme, « socialement
codifiées », que « le jugement » ou « l’argumentation juridique » sans pour autant affecter leur validité.
La contrainte de légitimation sociale pénètre, au même titre que l’énoncé normatif, la matière de ce
que
les acteurs
juridiques
tendent
à
percevoir,
intuitivement, philosophiquement
ou
méthodologiquement, comme « déterminant » ou « contraignant » à l’égard de la conduite et de la
« durabilité » de leurs offices dans un contexte donné.
De ce « pool » de facteurs comment isoler la contrainte de légitimation socioenvironnementale ? La nécessité d’aller plus loin, de dépasser une simple (re) connaissance de
principe, renvoie, d’une manière générale, les théoriciens du droit face à des difficultés
méthodologiques inhérentes à l’entrée en considération d’éléments contextuels, « facteur humain654 »
inclus, au regard de la conceptualisation de l’agir juridique professionnel en sociétés. L’effectivité
interprétative de la contrainte de légitimation sociale ne pourra être entendue, en d’autres termes et
par définition, isolément d’un attachement du juriste aux systèmes socioculturels constitutifs d’un
terrain d’action655.
La cartographie du registre d’effectuation interprétative impose dès lors une embardée sur le
terrain de l’anthropologie juridique 656 . En vue de saisir « l’ordre contraignant de valeurs socioEvoquant la thématique du mépris du travail individuel Alain Supiot observe dans un registre d’idée similaire: « Quant
aux pratiques contemporaines de management, elles traitent les hommes comme des ordinateurs programmables. La
gestion par indicateurs de performance, la quantification visent toujours à rendre transparent ce qui ne peut l'être
totalement. L'homme n'est pas une machine et dans l'accomplissement de son travail, il y a une part irréductible de
subjectivité. En la niant, on donne naissance à des institutions pathogènes. » Alain Supiot, Homo juridicus, Essai sur la
fonction anthropologique du droit ; Seuil, 2005, cité in HALPERN Catherine , « Rencontre avec Alain Supiot. Penser la
justice sociale », Sciences humaines 12/ 2010 (N°221), p. 48-48. URL : www.cairn.info/magazine-sciences-humaines2010-12-page-48.htm
654
655
ASSIER-ANDRIEU Louis, Le juridique des anthropologues, Droit et société, 1987, vol. 5, no 1, p. 89-108.
Norbert Rouland propose la définition suivante du champ d’investigation : «l'anthropologie juridique se donne pour objet de
comprendre les règles de comportement des sociétés, mais en privilégie l'aspect juridique, tout en décrétant l'impossible insularité du droit : ce
dernier n'est qu'un des éléments d'un système culturel et social global propre à chaque société, et diversement interprété et réalisé par chacun de
ses sous-groupes. » ROULAND Norbert, L’anthropologie juridique, Les presses universitaires de France, 1 ère édition 1988, p.913 ; voir aussi : ASSIER-ANDRIEU Louis, Le juridique des anthropologues, Droit et société, 1987, vol. 5, no 1, p. 89-108.
656
326
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
environnementales » susceptibles de rejaillir sur l’interprétation du juridique, le regard devrait ainsi
nécessairement se porter, a minima, sur un double faisceau informationnel :
ce que l’acteur juridique professionnel perçoit comme « fonction anthropologique du droit »
-
premièrement (1) ;
-
l’ordre des valeurs socio-environnementales que ce dernier assume comme « siennes »657 (2).
1)
La « fonction anthropologique du droit »
L’acteur juridique aux abords du contexte urbain marginal apparaît confronté, au regard
d’une première coupe d’observation, à un dilemme de compatibilité entre sa pratique et ce que ce
dernier assimile de manière plus ou moins consciente comme « fonction anthropologique du droit » 658 .
L’expérience individuelle de cette « fonction-fiction », le vécu de la condition d’acteur juridique,
entendue, en son essence, comme fait d’appartenance à un groupe social « dominant » ou
« majoritaire » — « celui qui connaît, dit et fait le droit » —, expose les acteurs juridiques professionnels
au bâti d’un idéal type, projection aux accents culturels et folkloriques, du rôle socialement attribué
au système juridique et à ses agents. L’âpre négociation de dénominateurs communs, les réécritures
successives de « contrats sociaux » et, plus récemment dans l’histoire des idées de « contrats
naturels »659, relèvent bien, en ce sens, de phénomènes sociaux aussi structurels que structurants à
l’échelle des groupes sociaux au sein desquels les juristes évoluent en immersion. La réception
« systémique » de tels arrangements conditionne le maintien des écosystèmes juridiques dans le
temps et l’espace. Elle constitue bien, en ce sens, une manifestation de la contrainte de légitimation
sociale.
SIMARD Jeanne, Marc-André MORENCY,Daniel Marc WEINSTOCK. « L’interprétation du droit par les juristes :
la place de la délibération éthique ». Ateliers De L'éthique 6.2 (2011): 26-48. Web.
657
658
Alain Supiot observe sur ce registre : « Le Droit est une Parole qui s'impose à tous et s'interpose entre chaque homme et sa
représentation du monde. (...) C'est une technique de l'Interdit, qui interpose dans les rapports de chacun à autrui et au monde, un sens
commun qui le dépasse et l'oblige, et fait de lui un simple maillon de la chaîne humaine. » ; « Le droit n'est ni révélé par Dieu ni découvert
par la science, c'est une œuvre pleinement humaine, à laquelle participent ceux qui font profession de l'étudier, et qui ne peuvent l'interpréter
sans prendre en considération les valeurs qu'il véhicule. L'œuvre juridique répond au besoin, vital pour toute société, de partager un même
devoir-être qui la prémunisse de la guerre civile » in Alain SUPIOT, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du
droit ; Seuil, 2005.
659
SERRES, M. (1992). Le contrat naturel (Champs 241). Paris: Flammarion.
327
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
En se donnant justement pour objet d’étudier la variabilité du système de valeurs, des
besoins ou des attentes sociétales inscrites à la base du « complexe » juridique, l’approche
anthropologique permet de mettre en lumière la diversification des discours, pratiques et
représentations de la légitimité sociale. La pratique anthropologique précise un seuil d’acceptabilité
socio-environnementale du droit comme pratique sociale. L’apprentissage essentiellement
expérientiel de la fonction anthropologique du droit détermine un ordre de prévisibilité, d’attributs
professionnels socialement « contraignants ».
Franklin Gallegos expose, sur un registre relativement proche, un postulat méthodologique à
deux volets en vue de faciliter l’approche des cultures politiques. Il paraît intéressant de le
reprendre :
« (a) reconstruire et interpréter la formation des cultures politiques existantes oblige à
mettre en dialogue la mémoire que les acteurs sociaux conservent du système politique et
les représentations/actions contemporaines vécues dans le temps présent ; c’est un appel en
vue de récupérer une vision historique sur l’état des choses : avec Robert Castel, j’assume
que le présent n’est pas seulement contemporain, c’est plutôt un héritage, et la mémoire de
cet héritage nous est nécessaire en vue de comprendre et d’agir aujourd’hui. Il s’agit de
mobiliser la mémoire comme un exercice intellectuel qui implique un retour vers le passé
avec le questionnement qui est le nôtre ; la possibilité de comprendre les angoisses de la
démocratie et écrire le récit de l’avènement et les principales péripéties du présent.
(b) il existe une diversité pratique et discursive quant à l’exercice de la citoyenneté : le
monde des cultures politiques où se recréent les différentes interprétations et subjectivités
sociales en conflit et concurrence politique permanente »660.
660
« El preámbulo teórico que pongo en juego a continuación tiene como objetivo llamar la atención sobre dos aspectos: a) reconstruir e
interpretar la formación de las culturas políticas existentes obliga a poner en diálogo la memoria que los actores sociales guardan sobre el
sistema político y las actuales representaciones/actuaciones en su torno; es un llamado de atención para recuperar una visión histórica sobre el
estado de las cosas: con Robert Castel, asumo que el presente no es sólo lo contemporáneo, es más bien un efecto de herencia, y la memoria de
esta herencia nos es necesaria para comprender y obrar hoy. Se trata de movilizar la memoria, como un ejercicio intelectual, que implica volver
al pasado con un interrogante que es actualmente el nuestro, la posibilidad de entender las angustias de la democracia, y escribir el relato del
advenimiento y las principales peripecias de lo actual (1997: 26); b) existe una diversidad práctica y discursiva de ejercicio de la ciudadanía: es
el mundo de las culturas políticas donde se recrean distintas interpretaciones y subjetividades sociales que están en permanente conflicto y
competencia política ». Extrait de Ramírez GALLEGOS, Franklin. « Explorando en un agujero negro: hacia una crítica de las visiones
dominantes sobre cultura política en el Ecuador », Revista Iconos 7 (1999).
328
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Suivant la ligne directrice exposée ci-dessus et afin de s’aventurer un peu plus loin sur les
terres de la « fonction anthropologique du droit » en Équateur, il paraît intéressant de s’interroger sur
ce que Pablo Andrade désigne comme « discours démocratique original”661. L’entreprise permet en
outre de replacer la période récente de la « Revolucion ciudadana » dans une perspective
sociohistorique. Le saut dans le temps sera entrepris, ci-dessous, à travers la reprise et la traduction
d’un discours historique du président du « retour à la démocratie », Jaime Roldos, suivi d’un bref
commentaire.
Jaime Roldós Aguilera, Ex-président de la République d’Équateur, Discours d’investiture,
Quito, 10 aout 1979
« Savoir comprendre l’histoire et poursuivre son mandat, quelle importance ! Immergés dans
le tourbillon de l’existence nous manquons de voire juste dans la plupart des cas, d’avoir la notion du
présent et la perspective du futur. Questionnons-nous équatoriens, questionnons-nous latinoaméricains, questionnons-nous illustres visiteurs, le sens, ici en Équateur de cette matinée d’aout
1979.
L’histoire des peuples est l’histoire de la liberté. L’histoire présente de l’Amérique latine est
l’histoire d’une recherche angoissée, mais consciente des formes démocratiques d’exister, où
l’humanité ne soit pas la pâture du totalitarisme ni nos richesses naturelles l’aliment pour la voracité
du pillage propre et étranger.
Pour qui est-ce que je parle ? Pour qui dois-je parler ? Je me suis répondu : pour aujourd’hui
et sans n’exclure à personne. Je parle pour les humbles frères équatoriens qui au bord des chemins
espèrent de longues heures le passage du compagnon Roldós. Je parle pour les centaines de milliers
d’Indiens, pour mes frères indigènes équatoriens, évoqués dans les discours, personnages de récit,
objets de poésie, objets permanents de l’exploitation sociale… pour eux l’histoire est restée dans la
colonie.
661
ANDRADE A., El imaginario democrático en el Ecuador, extrait de Antologia, Democracia, gobernabilidad y cultura politica,
Felipe Burbano de Lara compilador, Flacso, Sede Ecuador, Quito, 2003,p. 383.
329
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Kuman punchaka, mana iankalla ñaupa uata shina pushaita japinchik. Kunanka, tukui
runajuna pushaita japinchikmi. Uakin millai runaku-namanta y pushaita japishpa, tukui makipura
ima-tapish rurashpa kausakrinchikmi. ¿Kunanka, pikunaman rimani? ¿Mishuku-namanlla?
¿lachakkunamanlla? Mana… Nukaka, tukui kai llaktapi kausak runakunamanmi rimani. Inti llukshina
llaktapi kausak runakuna-man: shuara, uaukrani, sikuja, siuna, kuphan-man, tukui urkupi kausak
runakunaman; inti chinkana llaktapi kausak runakunaman; puka, kaiapaman; tukui kastillakunaman;
tukui uaranka uaranka runakuna, ñukanchik Mana llaktapi kausakukkunaman: iurak runakunaman,
iana runakunaman, karu llaktamanta shamushka runakunamanpish. Tukuipura ianapanakushpa,
ñaupakman rishunchik. Mana shimiuanlla ianka uairaman rimashpa, imatapisa, iuiashkata ruraiuan
paktashunchik,
uakchakunapak
llakikunata
allichinkakaman.
Shina
rurashpa,
kishpirinata
maskashunchikmi. (Quechua dans le texte original)
Je parle pour les montubios, pour les noirs du Chota et d’Esmeraldas, pour les A'i Cofán,
pour les Shuars, pour les Jibaros et autres factions ; pour ceux qui dans l’Amazonie orientale
affirment la patrie ; pour les colons de Galápagos, pour les pêcheurs de nos côtes, pour les centaines
de milliers d’habitants suburbains, qui pour une benne de gravier ou une citerne d’eau souffrent des
peines indicibles.
Je parle pour la jeunesse équatorienne, un des piliers de mon triomphe, avec la conscience
que je suis le désespoir troqué pour l’espérance d’une génération ; je parle pour les femmes,
participantes comme jamais, avec leurs compétences et compromis, force de décision indémaillable
dans les forces du changement. Je parle pour les éducateurs, les travailleurs et les paysans, pour les
industriels, les commerçants et les agriculteurs. Je parle aux artisans et aux professionnels. Je parle à
mes compagnons du CFP — Concentración de Fuerzas Populares — et à ceux de la Démocratie
populaire-Union démocrate-chrétienne ; je parle pour les civils et pour les forces armées. Je leur
parle pour dire que c’est l’heure de dépasser les paroles et traduire en actes l’affirmation souveraine
et démocratique à laquelle l’Équateur aspire. Je parle pour les distingués visiteurs et tout le peuple,
pour leur dire que le soleil de la liberté qui nait aujourd’hui pourra seulement avoir une chance au
prix de nos propres existences.
330
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Plus d’un million d’électeurs ; deux votants sur trois ; ont décidé pour le changement, pour
un changement prudemment audacieux, sans stridence ni mensonge. Un changement d’ordre peut
être lent pour certains et trop rapide pour d’autres, de toute manière affirmé, et sans sacrifices des
libertés bien sûr.
Et le changement s’impose parce que l’analyse la plus sommaire déterminera que notre
situation nationale se caractérise pour la présence et l’opposition de deux tendances fondamentales :
une, qui préconise le changement, qui propose et recherche une solution historique, qui essaie de
regrouper toutes les forces sociales capables de garantir le progrès et l’indépendance nationale et qui
considère l’être humain comme protagoniste et destinataire du développement.
Et une autre, qui prétend maintenir intouché le système actuel de retard économique et
d’injustice sociale, responsable de la structure socio-économique caduque, la domination oligarque,
la dépendance, la violation des droits de l’homme et l’affaiblissement du régime démocratique. Pour
avancer sur le chemin du changement possible et nécessaire, il faut prendre en compte la base
sociale minimale qui serve au maintien de la gestion du gouvernement. Pour cela, je n’ai pas offert de
miracles, que le pays n’espère pas de miracles.
La capacité paternaliste de faire des miracles est une forme de démagogie, et des plus
indignes, incompatible avec le sérieux du gouvernement populaire qui aujourd’hui s’initie. Le pays
attend, ça oui, un changement juste et démocratique, à travers lequel la participation populaire ne
peut se limiter à déposer le bulletin de vote le jour des élections, sinon à mobiliser les consciences et
les volontés afin de générer le voyage qualitatif proposé.
Le peuple équatorien doit être conscient que sa fonction dans le processus de changement
n’est pas passive sinon active. La course en vue de transformer l’Équateur en un pays d’économie
moderne et de démocratie participative, justice intégrale et conscience solidaire, non seulement sera
le résultat de la gestion du gouvernement sinon la participation organisée de vastes secteurs du pays.
Nous voulons, pour autant, une démocratie dynamique incarnée dans l’âme des Équatoriens. Plus
qu’une démocratie de représentation, que nous souhaitons, nous aspirons aussi à une démocratie de
participation : participation aux services de la société moderne, participation aux décisions qui
compromettent le destin individuel et collectif.
331
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
L’identité idéologique, la cohérence du programme et le compromis politique seront les
piliers sur lesquels s’appuiera la force organique et unitaire du changement et qui feront naître dans
le pays une conscience humaniste solidaire et démocratique, les deux grandes parallèles
sociopolitiques guideront l’action du gouvernement populaire : le développement économique et la
justice sociale. L’équilibre entre elles permettra au pays de dépasser ensemble le retard et l’injustice.
Le pays peut être certain qu’à aucun moment, face aux circonstances les plus adverses, nous
transigerons ou nous renoncerons à ces grands principes directeurs, en faire autrement reviendrait à
frustrer l’aspiration nationale au changement.
Le développement économique sans justice sociale — le développementalisme pur — qui
bénéficie à peu au préjudice de beaucoup est loin du programme pour lequel s’est prononcé le
peuple équatorien. Et la justice sociale éloignée du développement économique, qui satisfait avec
démagogie les ambitions et les appétits contingents au préjudice de tout le progrès matériel, n’a rien
de commun avec l’urgence réelle du pays. Le développementalisme injuste augmente la brèche
sociale et le réformisme purement démagogique consolide le retard économique.
Nous cherchons en conséquence une démocratie intégrale et pluraliste, où le l’ouvrage de
l’homme et des communautés se réalise dans un environnement de respect et de liberté. Que
personne ne soit poursuivi pour ses croyances ou favorisé de manière illégitime pour son adhésion.
Une démocratie pluraliste suppose une riche controverse, oriente la réalisation du bien commun, qui
ne définisse pas seulement des grands principes, mais encore qui réalise des actions concrètes.
Face à l’orthodoxie caduque qui prétend assigner à l’État une fonction contemplative devant
les problèmes socio-économiques, d’un côté, et la tendance qui cherche à tout faire sous une tutelle
absolue, de l’autre, je déclare sans équivoque que mon gouvernement agira de manière responsable
dans le cadre signalé par la constitution, et que je n’adhère pas au critère de l’État omnipotent ni à
celui de l’État irresponsable.
La démocratie dépend du gouvernement que nous initions, de la conduite et du
discernement des mandataires exécutifs, de la chambre nationale des représentants, de la fonction
judiciaire, des forces armées, des partis politiques, de l’opinion publique, du peuple. Rien ne prime.
Tout prime.
332
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Unité dans la décision politique et décentralisation dans l’administration du service seront
des normes suprêmes de l’État. À travers la première, nous atteindrons la cohérence dans la gestion
du gouvernement dans toutes les aires de la vie nationale, et, à travers la seconde, nous obtiendrons
l’efficacité dans les démarches administratives et l’égalité des régions et des provinces, fréquemment
repoussées et punies par l’abandon et l’hégémonie. Combattre le centralisme et le régionalisme est
un ouvrage commun de tous les Équatoriens. Défendre l’unité nationale sur les bases de l’égalité et
de la justice est une tache inéluctable pour ceux qui aspirent à une patrie harmonieuse, démocratique,
juste et souveraine.
Avec le retour aujourd’hui à la démocratie dans toutes les dimensions de la cohabitation
nationale, renaît aussi le principe de la division et de l’indépendance des fonctions de l’État.
Je suis convaincu que la chambre nationale des représentants a clairement conscience de la
responsabilité partagée de garantir une démocratie réelle et stable. Le peuple équatorien, qui nous a
confié le devoir historique de diriger l’État, attend qu’on soit loyaux à ses aspirations de changement.
Nous nécessitons des lois agiles, opportunes, objectives et adéquates, pour instrumenter les
réformes : administratives, agraires, sociales, éducationnelle, tributaire et économique. Mais nous
légiférons avec bon sens. Rappelons-nous d’Olmedo, dans la conclusion de son célèbre discours
devant la cour de Cadix : « Seules sont bonnes les lois qui font le bonheur des peuples ». Douloureux
d’affirmer que la faillite de la justice s’institutionnalise chaque fois plus en Équateur.
On a mis un prix à la justice, pour certains de l’argent, pour d’autres des larmes et de
l’impuissance. Les forces armées font partie de la Nation et de la structure de l’État. Elles sont
appelées à défendre la souveraineté nationale et à soutenir la démocratie et la légitimité. Les relations
du gouvernement avec les forces armées se baseront sur le strict respect des normes juridiques. En
retournant à leurs fonctions spécifiques, je souhaite leur exprimer ma reconnaissance pour leur
loyauté face au compromis du retour au régime de droit qui a fait honneur à la parole donnée.
333
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Une bonne partie du jour qui se fait à l’horizon nous la devons à l’opinion publique du pays
et avec elle aux médias de communication sociale. Par principe, avant que par reconnaissance, qui je
souhaite également démontrer, je ratifie ma détermination de respecter la liberté de la presse comme
toute liberté qui doit être démocratiquement respectée. J’encourage à ce propos l’urgence d’une
responsabilité partagée dans laquelle la communication et la publicité projettent l’affirmation de
valeurs substantielles, prohibant celles qui conduisent à l’égoïsme, la superficialité, le gaspillage et la
médiocrité.
Nous devons être bien conscients qu’il n’y a pas de peuple plus fort qu’un peuple informé et
orienté et qu’un gouvernement démocratique dépend, entre autres facteurs, de la presse, mais que la
presse ne peut dépendre du gouvernement.
Sans ces prémices la justice sociale et la démocratie participative ne pourront voir le jour.
Sur le plan économique, mon gouvernement entreprendra la tâche ardue de moderniser
l’appareil productif du pays, afin de le rendre cohérent avec l’impulsion fulgurante de la science et de
la technique du XXe siècle. J’invoque tous les Équatoriens à rompre les chaînes du retard et de la
corruption, les chaînes qui maintiennent le pays encré dans des formes productives dépassées par
l’histoire.
La constitution signale l’existence de quatre aires économiques : étatique, privée,
communautaire et mixte. Dans la mesure où les initiatives dans ces aires ont du succès, nous
obtiendrons la croissance économique et la justice sociale. Les entrepreneurs agissant dans le cadre
de la loi n’auront rien à craindre du nouveau gouvernement.
Soutenons le Développement économique et la justice sociale. Notre grand compromis est
avec les exploités, les humbles, les marginaux. J’endosse le gouvernement du peuple par l’élection.
J’endosse le gouvernement du peuple par l’action. La politique du bien-vivre social et la promotion
du peuple seront une priorité de notre action. Nous abandonnerons le paternalisme.
Notre politique intérieure se caractérisera par le dialogue et la fermeté. Nous ne tomberons
pas dans la revanche, l’arrogance, l’abus et nous ne le permettrons en retour à personne.
L’opposition pondérée et constructive méritera notre crédit.
334
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
La politique internationale du pays s’appuiera sur les principes de non-intervention,
d’autodétermination, d’égalité juridique des états ; la défense des droits de l’homme, le respect au
pluralisme idéologique, l’ouverture de relations avec tout le pays ; le rejet de toute forme d’agression,
d’intervention et d’usage de la force, le rejet du colonialisme et du néo-colonialisme ; nous
défendrons le principe du règlement pacifique des différends. Mon gouvernement dynamisera sa
politique extérieure comme un instrument efficace, contribuant au développement interne et luttera
dans le cadre des organismes et des instruments pour l’application de la justice et de la liberté.
Je crois avec fermeté que le monde est un seul et que nous devons accepter la possibilité que
des États avec différents systèmes économiques, sociaux et politiques puissent cohabiter sous un
même soleil et sur une même terre.
Admettant les différences fondamentales qui peuvent nous séparer, mon gouvernement se
propose d’établir et de conforter les relations avec tous les pays du monde, apprendre à coexister
ente des pays différents et à découvrir dans celle-ci des éléments favorables au progrès, à la
coopération et à l’amitié, signifie que la problématique internationale est comprise.
Présents dans ce salon se trouvent les représentants du gouvernement et du peuple du
Nicaragua. Le pays centre-américain fraternel, qui durant quatre décades a supporté la dictature
institutionnalisée de la dynastie Samoza, vient de s’incorporer au camp de la démocratie latinoaméricaine. Ceci est un grand évènement qui remplit de joie les peuples du monde et constitue un
avertissement aux tyrannies qui caressent le rêve d’une dictature perpétuelle. Au sortir d’énormes
souffrances et sacrifices, le peuple nicaraguayen a réussi à renverser le gouvernement de Somoza et à
restaurer l’institution républicaine. Je veux rendre ici — comme je l’ai fait dans la propre terre de
Sandino, mon hommage de respect, d’admiration et de solidarité avec votre longue lutte.
Je réitère à ses illustres représentants que l’identité de destin de nos pays, née depuis Alfaro,
sera amplement renforcée à travers des actions et des programmes de coopération réciproque.
Nous recherchons une solution pacifique aux controverses et nous nous alignerons
exclusivement au droit, pour ceci il est impératif d’élever notre voix équatorienne en vue de faire
entendre l’exigence de justice en vue de l’imposition du Protocole de Rio de Janeiro.
335
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Ceux qui offrent l’impossible et ceux qui espèrent des miracles se trompent mutuellement.
Créer des mirages en vue d’exploiter des frustrations équivaut à trahir la plus profonde espérance du
peuple. L’indépendance nationale et le progrès social n’ont jamais été le fruit de l’action isolée d’un
gouvernement, sinon le résultat de la fermeté théorique, de l’honnêteté politique, de la persévérance
et du sacrifice de toute la communauté. Le destin n’est pas écrit à l’avance, il se bâtit au jour le jour,
sans haine, sans vengeance, sans renoncements. Unis, nous devons construire une nouvelle période
historique, à travers laquelle le peuple ne conservera pas seulement sont inaliénable droit à
l’autodétermination, mais exercera aussi sa fonction de protagoniste d’une véritable démocratie. Je
conclus : je l’ai dit durant la campagne et le réitère avec force. Mon pouvoir dans la constitution et
mon cœur dans le peuple équatorien. Que Dieu guide notre chemin ! Nous allons écrire une page de
l’histoire !
Merci »
Source : Archives, EL COMERCIO662
Pourquoi ce discours paraît-il instructif en vue d’une première approche de la « fonction
anthropologique du droit » en Équateur ? Avançons pour le mois cinq arguments.
Premièrement et tout d’abord parce que le discours pose les jalons d’un idéal démocratique
et abonde dans le sens d’une continuité du discours démocratique en Équateur. Le texte préfigure, à
bien des égards, le Préambule de l’actuelle constitution du Buen vivir que l’on reproduit ci-dessous.
Il contribue à relativiser le discours politique contemporain de « rupture ».
Préambule de la Constitution de la République d’Équateur
Nous femmes et hommes, le peuple souverain de l’Équateur
Reconnaissant nos racines millénaires, forgées par des femmes et des hommes de peuples
distincts
Célébrant la nature, la Pacha Mama, de laquelle nous sommes parties et qui est vitale pour
notre existence,
invoquant le nom de Dieu et reconnaissant nos diverses formes de pratiques religieuses et
spirituelles,
662
Discours reproduit par Diario El Comercio, 10 de agosto de 1979 "Mi poder en la Constitución y mi corazón en el
pueblo ecuatoriano", Jaime Roldos.
336
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
faisant un appel à la sagesse de toutes les cultures qui nous enrichissent comme société,
comme héritiers des luttes sociales de libération face à toutes les formes de domination et de
colonialisme
Et avec un compromis profond pour le présent et futur,
Avons décidé de construire
Une nouvelle forme de cohabitation citoyenne, dans la diversité et en harmonie avec la
nature en vue d’atteindre le « buen vivir », « el sumak kawsay » ;
Une société qui respecte, dans toutes ses dimensions, la dignité des personnes et des
collectivités ;
Un pays démocratique, engagé en vue de l’intégration latino-américaine — rêve de Bolivar et
de Alfaro —, la paix et la solidarité avec tous les peuples de la terre et,
Dans l’exercice de notre souveraineté, depuis la ville d’Alfaro, Montecristi, province de
Manabí, nous adoptons la présente : Constitution de la République d’Équateur (Traduction
personnelle663)
663
Texte original : « CONSTITUCIÓN DE LA REPÚBLICA DEL ECUADOR PREÁMBULO NOSOTRAS Y
NOSOTROS, el pueblo soberano del Ecuador RECONOCIENDO nuestras raíces milenarias, forjadas por mujeres y hombres de
distintos pueblos, CELEBRANDO a la naturaleza, la Pacha Mama, de la que somos parte y que es vital para nuestra existencia,
INVOCANDO el nombre de Dios y reconociendo nuestras diversas formas de religiosidad y espiritualidad, APELANDO a la sabiduría
de todas las culturas que nos enriquecen como sociedad, COMO HEREDEROS de las luchas sociales de liberación frente a todas las
formas de dominación y colonialismo, Y con un profundo compromiso con el presente y el futuro, Decidimos construir Una nueva forma de
convivencia ciudadana, en diversidad y armonía con la naturaleza, para alcanzar el buen vivir, el sumak kawsay; Una sociedad que respeta,
en todas sus dimensiones, la dignidad de las personas y las colectividades; Un país democrático, comprometido con la integración
latinoamericana -sueño de Bolívar y Alfaro-, la paz y la solidaridad con todos los pueblos de la tierra; y, En ejercicio de nuestra soberanía, en
Ciudad Alfaro, Montecristi, provincia de Manabí, nos damos la presente: CONSTITUCIÓN DE LA REPÚBLICA DEL
ECUADOR ».
337
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Deuxièmement, parce qu’il pose les jalons d’un discours sur le sujet des droits sociaux et
sur l’exercice de la citoyenneté dans le contexte latino-américain664 La question de la titularité des
droits et des conditions de vie dans les asentamientos fait l’objet d’une mention explicite.
Troisièmement, parce que pour la première fois, un président équatorien s’adressait, dans le
cadre d’un discours officiel, aux nations indigènes en quechua. Le texte préfigure, en ce sens, le
débat national sur la question de la plurinationalité. Le processus de revendication et la conquête des
droits des communautés indigènes, afro-équatoriennes, du peuple montubio et des communes
ancestrales, émergent comme des enjeux de stabilité politique et démocratique du régime665.
Quatrièmement, parce que le texte aborde un positionnement sur le terrain de la politique
étrangère, du régionalisme et des droits de l’homme. La ligne de conduite, la « doctrina Roldos » se
confirme l’année suivante par la signature à Riobamba de la « Carta de conducta » — Carte de conduite
— le 11 septembre 1980 par les présidents colombien, vénézuélien, péruvien, costaricain et
Panaméen. Le texte aborde de manière pionnière la question de l’exigibilité des droits de l’homme
dans la région.
Cinquièmement et dernièrement, parce qu’en 1981, Jaime Roldos et son épouse Martha
de Roldos meurent dans un « accident » d’avion dont les enquêtes, toujours en cours à l’échelle
régionale, ont clairement permis d’établir un lien avec la conduite du sinistre « Plan Condor 666. » La
664
BANDEIRA Lourdes, La citoyenneté sociale en Amérique latine, Éditions L'Harmattan, 1995 ; MARQUES-PEREIRA,
Beréngère et RAJCHENBERG, Enrique, Ciudadanía social y democratización: la sociedad civil frente al neoliberalismo, Estudios
latinoamericanos, 1998, vol, 5, no 10, p, 7-21 ; KYMLICKA Will et NORMAN, Wayne, El retorno del ciudadano, Una revisión
de la producción reciente en teoría de la ciudadanía, La política, 1997, vol, 3, p, 5-39.
665
Julie MASSAl, Les mouvements indiens en Équateur. Mobilisations protestataires et démocratie, Paris, Karthala, 2005 ; CHÁVEZ,
Chávez Vallejo. « De la exclusión a la participación: pueblos indígenas y sus derechos colectivos en el Ecuador ». Editorial
Abya Yala, 2000.
ABRAMOVICI Pierre, “Opération Condor”, cauchemar de l’Amérique latine, Le Monde Diplomatique, 2001, p. 2425 ; MCSHERRY, J. Patrice. Predatory states: Operation Condor and covert war in Latin America. Rowman & Littlefield, 2005 ;
CALLONI, Stella. Los años del lobo: Operación Cóndor, Icaria Editorial, 1999 ; DINGES, John. Os anos do Condor. Uma
década de terrorismo internacional no Cone Sul. São Paulo: Companhia das Letras, 2005. GOIRAND, Camille, La politique des
favelas, KARTHALA Editions, 2001 ; GOIRAND, Camille. Démocratisation et mobilisation populaire a Rio de Janeiro,
des années 1970 aux années 1990, Thèse de doctorat,1998, INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES PARIS. ; CUEVA,
Agustín, Las democracias restringidas de América Latina: elementos para una reflexión crítica, Planeta, 1988.
666
338
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
mise en évidence du stigmate des dictatures militaires et de l’autoritarisme667, l’enjeu de réparation et
de la lutte contre l’oubli, apportent de même un indice quant à ladite « fonction anthropologique du
droit » en Équateur.
2)
L’ordre des valeurs sociales et environnementales assumées comme « siennes »
Considérant une seconde coupe d’observation, l’acteur juridique se trouve généralement
confronté à un dilemme de compatibilité entre la conduite des usages et pratiques professionnels du
droit en milieu urbain marginal et l’ordre des valeurs socio-environnementales venant à être
assumées comme siennes. Le corpus des croyances, des idéologies, des principes et des règles de vie
en collectivité, assimilé à travers le processus de socialisation et l’éventail des apprentissages formels,
informels et expérientiels, véhicule par définition des valeurs. L’éthique socio-environnementale du
juriste recompose, depuis la perspective anthropologique, l’horizon interprétatif. La séparation entre
une conviction intime, des impulsions premières en tant que citoyen habitant d’une ville, agent d’une
administration publique, produit d’un système d’enseignement du droit, d’une part, et le champ des
pratiques juridiques d’autre part 668 présente sur ce registre un caractère fictif et ambigu. La
recomposition ponctuelle d’identités de quartier, urbaines, nationales ou régionales, œcuméniques ou
globales au même titre, d’ailleurs, que celle des identités biologiques, de genre ou générationnelles,
déplacent, en somme, les seuils d’acceptabilité, d’opportunité et in fine d’utilité socioenvironnementale des usages professionnels du droit en sociétés.
Observons, en guise de remarque conclusive, que la démarche de caractérisation de la
fonction anthropologique du droit, associée à l’essai de détermination des valeurs socioenvironnementale, soulève, en soit, un nouveau problème de méthode face auquel les juristes
ROLDOS Santiago, “Ecuador a cambiado su rostro pero no su alma”, 8 de septiembre 2014, Mirador político,
édicion 168, Gkill city, http://gkillcity.com/articulos/el-mirador-politico/santiago-roldos-ecuador-ha-cambiado-surostro-pero-no-su-alma
667
Dans le sens d’une telle distinction radicale Henri Batiffol affirmait par exemple : « La critique de la loi est l’affaire
d’opinions individuelles sur la conception générale de la vie… Elle peut certes aller jusqu’au renversement violent de l’ordre établi, mais ce ne
sera pas un droit, au sens juridique, qui aura été exercé: l’ordre juridique aura été détruit au nom d’une conviction qui lui est extrinsèque, les
révolutions ne sont pas juridiques, ceux qui les fomentent en prenne la responsabilité personnelle (...) » ; Henri Batiffol, Problèmes de
base de la philosophie du droit, LGDJ, 1979, p.32-33, cité in François Chénedé, De la conception du droit à la fonction
de juriste, extrait de La place du juriste face à la norme, Association Henri Capitant, Dalloz, collection Thèmes et
commentaires, Journées nationales, Tome XVI, Rennes, avril 2012, p.3-27.
668
339
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
apparaissent bien souvent démunis. Olivier de Sardan, évoquant le risque d’un « piège culturaliste »
énonce :
« (…) il faut tenir compte, bien sûr, d’un dernier ensemble de normes locales, à savoir les
normes sociales en vigueur au sein des groupes destinataires. On a vu qu’elles étaient
souvent en contradiction avec les normes importées par les institutions de développement
(comme la remise de l’argent des transferts monétaires aux seules femmes). De ce fait, les
pratiques des bénéficiaires consistent alors à suivre en apparence les normes importées (les
femmes se présentent lors des distributions) tout en revenant de fait “en douce” aux
normes sociales (les femmes redonnent l’argent au mari). Mais attention : les normes
sociales locales ne sont pas nécessairement partagées par tous, et elles ne s’ancrent pas
nécessairement dans les coutumes du passé. Le piège de l’idéologie “culturaliste”, avec ses
effets d’homogénéisation et de traditionalisation, n’est pas loin »669.
B)
Seconde ligne de rupture : le champ et les temporalités de l’interprétation juridique
La seconde ligne de rupture envisagée tient à l’évolution générale et contemporaine du champ
des phénomènes constitutifs de l’interprétation juridique. Cantonné, depuis une perspective
classique, à l’exégèse — entendue classiquement comme l’interprétation des énoncés normatifs à partir de la
ressource textuelle —, le spectre des pratiques interprétatives du juriste se diversifie.
Retenons a minima trois ouvertures possibles du champ de l’interprétation « juridique » :
– l’ouverture, premièrement, des pratiques interprétatives au temps de formation-concrétisation
des normes non spécifiquement juridiques. Le jeu structurel de la contrainte de légitimation sociale
rejaillit non plus seulement quant à la détermination des seuils de légalité ou de régularité des usages
et pratiques professionnelles du droit dans les asentamientos. Il ressort, de même et avec la même
intensité, sur l’identification des pratiques « déviantes », contraires au signal déontologique ou
éthique en premier lieu, sur l’interprétation des normes coutumières d’utilité socioenvironnementale, en second lieu (voir schéma ci-dessous).
669
Olivier DE SARDAN Jean-Pierre, « La manne, les normes et les soupçons » Les contradictions de l'aide vue d'en bas,
Revue Tiers Monde, 2014/3 n° 3, p. 197-215.
340
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Lecture des normes
d'utilité socioenvironnementalecalculs
d'opportunité-
Lecture des
pratiques
"déviantes",
situation de non
conformité aux
normes éthiques et
déontologiques
Lecture des
pratiques
illégales ou
irrégulières
Figure 10Extension du champ des pratiques d’interprétation normative
-
l’ouverture, deuxièmement, des pratiques interprétatives au temps d’habillage des « situations
de fait » en « situations de droit » — le jeu de la « qualification juridique des faits » 670 .
L’interprétation juridique engage, de manière concomitante et continue, la lecture de
situations de fait — la production du « contexte »671 —. La mise en abyme des environnements,
670
« Aussi longtemps que seules les règles de l'interprétation (explication de texte) sont données pour des "méthodes" de la pratique et de la
science juridiques, la structure de la réalisation pratique du droit reste incomprise, et ce de deux manières. Certes l'interprétation du texte de
norme est l'un des éléments les plus importants du processus de concrétisation. Mais elle n'est que l'un de ces éléments. La méthodologie du
positivisme légaliste méconnaît cet état des choses. La première incompréhension touche à l'axe norme/réalité. L'exclusivité avec laquelle le
positivisme oppose la norme juridique et la réalité méconnaît le fait que le texte de norme -comme d'ailleurs tout texte- ne peut être compris
sans se rapporter au modèle de la réalité auquel il se réfère. En conséquence, le positivisme ne peut intégrer cet indispensable rapport à la réalité
que de manière déguisée et irréfléchie à travers certaines notions attrape-tout (Blankettbegriffe).La seconde incompréhension concerne l'axe
norme/espèce. La logique de la métaphore de l'explication (Auslegungsmetapher) implique que l'interprétation juridique ne serait que la
réexécution de quelque chose déjà pré exécutée. De ce fait, le positivisme ne peut situer la dimension créatrice du travail juridique qu'au-delà de
la loi et en dehors de la sphère d'interprétation normative. » François Muller, Discours de la méthode juridique, p.204.
671
Abondant dans ce sens : « La première tâche du juriste est de découvrir les règles du droit qui sont applicables dans un temps donné et
dans un lieu déterminé. C'est là un travail d'observation, d'enregistrement de la réalité sociale, caractéristique de la science, nul ne le conteste »
(…) B. Stark, H. Roland, L. Boyer, Introduction au droit, Paris, Litec, 1996, 4e éd., p. 96 cité in CHAMPEILDESPLATS Véronique, Méthodologies du droit et des sciences du droit, 2014 p.91
341
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
« lieux » ou « temps » de concrétisation de la norme juridique suppose elle aussi, autrement
dit, une succession d’opérations intellectuelles, de calculs routiniers et stratégiques en proie à
la contrainte de légitimation sociale ;
-
l’ouverture, troisièmement, des pratiques interprétatives du juriste au temps de mise en
abyme, non plus seulement de la norme ou des circonstances de fait engageant la
concrétisation ou la mise en œuvre de la règle juridique, mais bien, cette fois, du « rapport de
droit 672 » produit de la rencontre « professionnel-usagers du droit ». La contrainte de
légitimation rejaillit sur l’examen d’opportunité des voies et des modes d’interaction
socioprofessionnelle du juriste.
Temps de formationconcrétisation des
normes.
Temps d’habillage des
« situations de fait » en
« situations de droit »
Temps de
contextualisation des
rapports de droit
– micropolotique de la
qualification juridique
des faits —
Registre
d’effectivité
interprétative
Figure 11 Typologie des temps d’effectivité « interprétative » de la contrainte de légitimation
sociale
Entendons par « rapport de droit » le spectre élargi des rapports humains impliquant la médiation d’une « activité
juridique », elle-même entendue de manière générale comme la prestation de service, le conseil, l’acte de représentation,
le travail, l’office, la mission ou le jugement impliquant la conduite, à titre principal ou accessoire, d’un acte
d’interprétation ou d’argumentation juridique (effectué sur la base d’un énoncé normatif reconnu comme tel dans le
cadre du fonctionnement ordinaire d’un système juridique).
672
342
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
C)
Troisième ligne de rupture : les effets de l’interprétation juridique
La troisième ligne de rupture envisagée tient d’une manière générale à la mesure des effets de
l’interprétation juridique. Les enjeux du virage épistémologique tenant à l’édification de l’interprète
en sujet et responsable de la « concrétisation » des normes juridiques transparaissent avec clarté des
travaux, Friedrich Müller (l’auteur recommande néanmoins l’usage du concept de « concrétisation »
en lieu et place de celui « d’interprétation673 »). L’encadré ci-dessous reproduit un bref exposé de la
« théorie structurante du droit » en guise d’éclairage :
« La Théorie structurante du Droit vise à larguer ces amarres métaphysiques de la science
juridique. Pour ce faire, elle ne considère plus le système juridique comme un « système de
normes », mais comme un système d’acteurs, comme un système social de production des
normes. Les « normes juridiques », dans l’usage qu’elle fait de ces mots, ne renvoient pas
à cette signification « objective » des textes juridiques, mais aux résultats de l’activité
pratique de ceux qui sont appelés, dans des circonstances, avec des objectifs et des
contraintes variables, à « travailler » ces textes. Ces « travailleurs » du droit, qui
« concrétisent » les normes juridiques, c’est-à-dire les produisent dans un certain contexte
pragmatique, sont les sujets responsables de la production des normes : « Ce sont les
juristes, en tant qu’ils agissent, qui, suivant le fil directeur des textes de normes et les
limites qu’ils imposent dans un État de droit, décident, justifient, communiquent et, le cas
échant, engagent l’exécution concrète de la norme-décision. Le “sujet” du processus de
concrétisation n’est jamais la norme juridique. Puisqu’elle n’est pas donnée à l’avance —
on ne peut le dire en effet que du texte de norme —, mais qu’elle est seulement produite
par le juriste à l’occasion du cas d’espèce pour être ensuite individualisée en une normedécision, c’est lui le juriste qui est proprement le sujet et le responsable de la réalisation du
droit »674.
Friedrich Müller, Discours de la méthode juridique, Ebauche d’une méthodologie juridique, Presses universitaires de
France, 1996, p.204.
673
674
Olivier JOUANJAN et Friedrich MÜLLER, Avant Dire Droit. Le texte, la norme et le travail du droit, coll. « Dikè »,
Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007, p.82. Les auteurs font ici référence à une description plus ancienne de la
théorie structurante que l’on reproduit afin de pouvoir reconstituer le chemin parcouru par l’auteur : « Pour la théorie
structurante du droit, ce ne sont pas les normes ni leurs textes, ce ne sont pas davantage les instructions méthodologiques qui résolvent une
question de droit. Ce sont les juristes, en tant qu’ils agissent, qui, suivant le fil directeur des textes de normes et les limite qu’ils imposent dans
343
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Retenons, à la lumière des arguments reproduits ci-dessus, que la contrainte de légitimation
sociale par le biais de l’effectivité interprétative vient, suivant ce dernier rebond, à jouer un rôle sur le
processus de formation-concrétisation des normes juridiques.
Un pas en retrait, retenons que l’interprétation juridique, revisitée sous l’angle de ses effets,
participe alternativement à la définition des seuils de « juridicité 675 », de « normativité », de
« justiciabilité » et, en dernière instance, de « communicabilité » de l’information juridique.
D)
Quatrième ligne de rupture : l’auteur de l’interprétation juridique
La quatrième et dernière ligne de rupture envisagée tient, d’une manière générale, à la
désignation des auteurs de l’interprétation juridique et au possible dépassement d’une division
liminaire classique au regard de la pensée « moderne » et occidentale. La distinction s’estompe entre,
en premier lieu, les autorités « habilitées » à produire des normes juridiques, celles qui, en second lieu,
analysent ou commentent l’activité des premières et celles, en troisième et dernier lieu, qui
« écoutent » et se « taisent ». L’acte micropolitique d’interprétation juridique, « profane » ou « non
authentifiée », produit de la norme. Il participerait, dans une certaine mesure, à sa « concrétisation ».
À évoquer la hiérarchisation des auteurs de l’interprétation juridique, l’examen d’effectivité de la
contrainte de légitimation sociale prend ici, un nécessaire tournant dialogique. Avançant l’hypothèse
d’un pluralisme juridique radical Roderick MacDonald observe :
« Le pluralisme juridique radical nous permet de voir dans quelle mesure le sujet de droit
est effectivement celui qui crée le droit et celui qui façonne les ordres juridiques. Il révèle
également que c’est le sujet de droit qui permet à toutes les institutions juridiques,
un Etat de droit, décident, justifient, communiquent et, le cas échéant engagent l’exécution concrète de la norme-décision. Le sujet du processus
de concrétisation n’est jamais la norme juridique. Puisqu’elle n’est pas donnée à l’avance -on ne peut en effet le dire que du texte de la norme-,
mais qu’elle est seulement produite par le juriste à l’occasion du cas d’espèce pour être ensuite individualisée en une norme-décision, c’est lui, le
juriste, qui est proprement le sujet et le responsable de la réalisation du droit. Le travailleur du droit, qui produit la norme, guidé par les
méthodes, résout l’espèce au moyen d’un norme-décision qui doit découler de la norme juridique (élaborée à partir des circonstances de l’espèce,
des hypothèses textuelles et du champ factuel). Cette norme doit elle-même pouvoir être rationnellement et méthodiquement comprise et être
imputée à certains textes précis du droit en vigueur. La concrétisation n’est donc pas une reconstruction. La concrétisation d’une norme signifie
la construction d’une norme juridique, de laquelle il reste encore à dériver la norme-décision » in : Friedrich Müller, Discours de la
méthode juridique, Ebauche d’une méthodologie juridique, Le sujet de la concrétisation, Presses universitaires de France,
1996, p.227-228.
675
PELISSE Jérôme. "Judiciarisation Ou Juridicisation ?" Politix, no. 2 (2009): 73.
344
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
étatiques ou non étatiques, de fonctionner en leur accordant ou en leur refusant leur
légitimité.
Il faut reconstituer la norme non pas comme une règle imposée, mais plutôt comme une
règle négociée. Il faut reconcevoir la décision non pas comme l’énoncé officiel d’un
magistrat, mais plutôt comme le fruit d’un accord entre les justiciables. Et il faut revoir le
décideur non pas comme le sage qui tranche un débat contradictoire, mais plutôt comme
un facilitateur dans le cadre d’une médiation interpersonnelle, culturelle et sociale »676.
676
MACDONALD, Roderick A, « L'Hypothèse du pluralisme juridique dans Les sociétés démocratiques avancées, Les
transformations du droit et la Théorie normative du droit », RDUS, 2002, vol. 33, p. 133-399, l’auteur observe dans le
même sens : « Les normes informelles, les règles ambiguës et équivoques, les décisions contradictoires et les actions discrétionnaires démontrent
que les sujets de droit sont eux-mêmes en train de construire le droit et les institutions. En d’autres termes, les régimes normatifs ne sont pas
des entités empiriques. Ils constituent plutôt des hypothèses pour l’exploration de la mêlée sociale. Dans l’optique de la théorie du pluralisme
juridique, si les citoyens et les citoyennes préfèrent mener cette exploration -- s’ils veulent débattre des rapports conflictuels -- dans les
institutions non étatiques, c’est davantage la preuve d’une société ouverte, libre et démocratique que l’indice d’une pathologie à surmonter. »,
Idem.
345
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Section 3 L’effectivité dialogique et la transaction de légitimation
L’identification, en troisième et dernier lieu, d’un registre d’effectivité « dialogique677 » situe les
effets de la contrainte de légitimation sociale au regard de la dialectique engageant les « acteurs
juridiques professionnels (AJP) », d’un côté, les « profanes » ou « usagers du droit », de l’autre. Le flux de la
contrainte
de
légitimation
sociale
rejaillit,
en
d’autres
termes,
dans
le
champ
de
« l’intersubjectivité678 » Etienne Le Roy observe avec clarté sur ce registre :
« il ne peut exister d’expérience juridique sans que la mise en relation entre acteurs n’ait
été réalisée par une négociation, si on entend par négociation non une confrontation entre
offre et demande, mais, plus substantiellement, une mise en rapport de ces acteurs saisis
dans leurs positions spécifiques et devant gérer des intérêts différents. La négociation est
alors synonyme de maillage relationnel (…) »679.
Cette approche un écho particulier dans l’émergence des concepts de “communauté dialogique”, « de relations
dialogiques » de « dialogue horizontal » ; de « succession indifférenciée de points de décisions », de « dialogue
relationnel ». Voir notamment pour la référence à ces concepts dans l’ordre d’apparition : FREEMAN JODY, The private
role in public governance, New York University law Review, Volume 75 2000, p. 543 ; BLANKENBURG ERHARD, La
recherche de l'efficacité de la loi/ Réflexion sur l'étude de la mise en œuvre (Le concept "d'implementation"), Droit et Société, n°2, 1986,
p.73 ; HANDLER JOEL, Dependent people, the state, and the modern/postmodern search for the dialogic community,
UCLA law Review, Volume 35, 1987-1988, p. 999 ; NICOLAS Jean, L’informel dans la société française d’Ancien
régime, extrait de : L’informel en question, Revue Tiers Monde, Coquery Vidrovitch C. (dir.), L’Harmattan, Paris, p.7178 . Voir aussi, ESTENNE CELINE, Droit du théâtre et théâtre du droit dans Six personnages en quête d'auteur , Revue
interdisciplinaire d'études juridiques, 2009/1 Volume 62, p. 153-177 et en particulier le regard porté sur les travaux de
François Ost et la « triangulation éthique » tels qu’ils ressortent de l’ouvrage, Raconter la loi : aux sources de l’imaginaire
juridique, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 340.
677
Pour une proposition de définition de l’intersubjectivité : « Intersubjectivité: En sociologie, concept (emprunté notamment à
Edmund Husserl) utilisé par Alfred Schütz qui met l’accent sur le fait que le monde social est une co-construction des sujets qui sont en
relations les uns avec les autres et qui sont dotés d’une capacité réflexive. Toute la sociologie interactionniste est donc concernée par
l’intersubjectivité: les sujets sont capables de compréhension, ils donnent du sens aux interactions avec autrui, ils ont recours au langage pour
communiquer, ils sont capables de partager des significations, etc. L’accent mis sur l’intersubjectivité peut conduire au subjectivisme, mais ce
n’est pas nécessairement le cas. Pour Pierre Bourdieu par exemple, au sein du champ scientifique, l’intersubjectivité joue un rôle essentiel
(controverses scientifiques), mais cette intersubjectivité débouche sur une objectivité du savoir. De même chez Jurgen Habermas, les débats au
sein de l’espace public à propos des valeurs et des choix politiques permettent d’échapper au relativisme: l’éthique de la discussion permet de
fonder rationnellement les normes sociales sur une base intersubjective. » Lexique de sociologie Dalloz, 4e édition.
678
679
LE ROY, Étienne. L’ordre négocié. À propos d’un concept en émergence”. Droit négocié, Droit imposé, 1996,
p. 41-351.
346
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
La contrainte de légitimation sociale, suivant cette ultime configuration, émerge sous la
forme d’une série de « demandes » et de « prétentions » formulées sur les registres de l’opportunité,
de l’acceptabilité et de l’utilité sociale du travail juridique. Ses effets sont perceptibles, en retour, dès
lors que les acteurs juridiques professionnels mobilisent et développent « en retour » des répertoires
et séquences argumentatives qu’ils utilisent à des fins de légitimation. Au rang des principaux
arguments de légitimation, susceptibles d’être convoqués, se trouvent pêle-mêle, à titre d’exemple :
des arguments jouant sur les registres du besoin, de la légalité 680 , du consensus et de la logique
contractuelle, de l’éthique professionnelle.
La rencontre des demandes et des arguments de légitimation sociale peut, dès lors, être
appréhendée comme univers des transactions de légitimation sociale. Approfondissons ce tableau
introductif. Observons au fil des paragraphes suivants dans quelle mesure le circuit d’effectivité
dialogique de la contrainte de légitimation sociale se ramifie.
Le champ des « tractations de légitimation » varie tout d’abord quant à l’origine des
demandes de légitimation sociale :
-
il s’ouvre en premier lieu, au regard d’une problématique de reconnaissance mutuelle à
l’intérieur du rapport de droit. L’usage et la rétribution d’un savoir-faire, d’une « compétence
professionnelle », génèrent une pression de légitimation « es qualités ». Qui se cache derrière
la robe, la toge ou le costume à trois pièces de l’interlocuteur « professionnel » ? L’acteur
juridique « professionnel » s’expose, en d’autres termes, à des demandes de réitérer,
divulguer, préciser et expliquer les enjeux associés à l’usage et à la pratique professionnelle du
droit dans les asentamientos ;
-
il s’ouvre, en second lieu, au regard d’une problématique d’acceptabilité socioenvironnementale du lien social établi par l’intermédiaire du travail juridique. Le rapport de
droit institué entre professionnel et usagers du droit est alors mis en cause par un tiers —
processus d’effectivité dialogique « secondaire » ratione sociabilis (fonction de ce qui peut être uni) —.
Le champ des tractations de légitimation varie ensuite quant à la teneur des demandes de
légitimation sociale. La contrainte de légitimation sociale rejaillit alternativement sous les traits d’une
680
Olivier Corten, « La persistance de l'argument légaliste : éléments pour une typologie contemporaine des registres de
légitimité dans une société libérale », Droit et société 2002/1 (n°50), p. 185-208.
347
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
demande de concrétisation —alignement de la parole avec les actes — ; d’une demande de mise en
conformité — alignement des actes sur une norme d’action — ; d’une demande de signification —
accompagnement des actes par la parole ou action « par la parole » —.
Conclusion.
Retenons, en guise de synthèse, que la découverte du jeu de la contrainte de légitimation
sociale associée au processus de subjectivation agite, perturbe et réintroduit une nécessaire touche de
chaos dans le paysage apaisé et somme toute confortable d’une fonction sociale abordée depuis la
perspective dogmatique-normative. L’observation du jeu de la contrainte de légitimation sociale
éclaire, d’une manière générale, le constat général et préalable de complexité opératoire des usages et
pratiques professionnelles du droit dans l’orbite de l’état de droit social. Le travail de légitimation
s’affirme en retour à la fois comme « condition » et « déterminant » de l’agir juridique professionnel
« en sociétés ». Le juriste se voit contraint de mobiliser des ressources discursives lui permettant de
justifier la poursuite de ses activités. Développer ces répertoires argumentaires et discursifs émerge,
en retour, comme un levier éventuel de la fonction sociale du juriste en situation.
348
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Conclusion de la Partie 2
Reprenons en guise d’ouverture sur la question du travail et de la contrainte de légitimation
du rôle social au lendemain de « Montecristi » la réflexion l’historien italien Haim Burstin :
« (…), le protagonisme n’est pas un phénomène univoque : il s’agit au contraire d’un
mécanisme à double entrée. Cela rend cette notion plus complexe, plus dense, plus riche
d’enjeux et la soustrait au simple domaine de la psychologie sociale pour l’insérer dans un
cadre spécifiquement politique. Autrement dit, si l’événement révolutionnaire engendre du
protagonisme et en représente en quelque sorte le bouillon de culture, le protagonisme, dans
une dimension largement partagée, participe à son tour à la consolidation du système qui
l’a produit, en versant dans le mécanisme révolutionnaire des éléments qui en renforcent la
prise sur un vaste public et la capacité hégémonique. Il ne s’agit donc pas d’un simple
penchant comportemental, mais d’une notion relationnelle axée sur le rapport entre
l’action des individus et la capacité du pouvoir révolutionnaire de l’encadrer et de la
subsumer. Deuxièmement, cet ensemble d’attitudes caractéristiques du protagonisme sert
aussi à mieux préciser et caractériser ce que peut être effectivement un apport “d’en bas” et
à donner ainsi une portée concrète à une définition en soi très vague et abstraite. En effet,
l’apport d’en bas se réalise ici par un dynamisme tout à fait particulier qui permet de
renforcer le consensus du nouveau régime révolutionnaire par des voies nouvelles
d’adhésion. La spécificité de cette poussée interpelle et conditionne ainsi la politique “d’en
haut”, qui est obligée d’en tenir compte et d’élaborer une stratégie à même de prendre en
charge les interventions individuelles et de les valoriser. Cela se traduit par l’effort
d’élaborer toute une politique du mérite civique et révolutionnaire, visant à maîtriser les
énergies activées et à les classer dans un champ de forces. Car ce mécanisme comporte aussi
des inconnues difficiles à gérer. Le protagonisme tend en effet à se reproduire par inertie,
échappe potentiellement à tout contrôle et peut devenir un facteur de radicalisation. En
prolongeant l’état de tension et de crise, il est susceptible d’engendrer une révolution
“interminable”. L’enjeu pour les autorités révolutionnaires est alors de faire refluer les
énergies mobilisées et de désamorcer une poussée de protagonisme tout à la fois nécessaire
— elle augmente l’énergie révolutionnaire — et nuisible — elle empêche la révolution de
se normaliser. Il en résulte une dialectique singulière entre cette poussée spécifiquement
349
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
“d’en bas” et les politiques “d’en haut”, dialectique qui représente un autre volet du
protagonisme et dont la politique du mérite révolutionnaire est une traduction directe, avec
son cursus honorum spécifique qui évolue et se modifie au fur et à mesure des évolutions de
la conjoncture et des rapports de force. L’un de ses aspects centraux consiste à tracer les
jalons du patriotisme par une action normative : élaborer des notions-cadres (citoyen,
patriote, sans-culotte, vertu) à même de contenir les poussées parfois imprévisibles du
protagonisme et de normaliser l’accès à la cité »681.
La réflexion sur le protagonisme introduite ci-dessus offre un écho particulièrement
captivant aux conclusions auxquelles nous arrivons à l’issue de cette seconde partie :
-
l’acteur juridique professionnel s’érige en sujet du processus « Révolutionnaire » : le
gouvernement de la « Revolucion ciudadana » convoque l’usage et la pratique professionnelle
du droit au service d’une politique publique ;
-
l’acteur juridique professionnel demeure le principal acteur et sujet d’un autre terrain
révolutionnaire : la « révolution intérieure », le « branle-bas de combat intime » et la mise sous
tension des usages et pratiques professionnels sur la base d’une pratique réflexive du rôle
social ;
-
la conquête de cette liberté professionnelle demeure par définition, une « conquête », l’usage
et la pratique sociale du droit évoluent au gré de la perception des contraintes de légitimation
sociale ;
-
au rang des déterminants de l’agir juridique professionnel en situation émerge, tout d’abord,
le gouvernement « révolutionnaire » des usages et pratiques professionnels. L’essai de
canaliser l’univers des révolutions intérieures fait planer un risque liberticide. Émerge,
ensuite, l’inévitable reformulation des usages et pratiques professionnels au détour d’une
rencontre avec les autres, un « toi », un « il(s), nous, elle(s) » eux même traversés par un vécu
expérientiel du droit et du processus révolutionnaire.
L’extrait renvoie à la transcription d’un dialogue avec l’historien italien Haim Burstin extraite de : Avec Haim Burstin
et coll., « Protagonisme et crises politiques : histoire et sciences sociales. Retours sur la Révolution française et février-juin
681
350
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Conclusion générale
Assignons classiquement à la conclusion générale de la thèse un double enjeu.
Le premier enjeu consistera à mettre en perspective l’argument juridique et la dynamique de
recherche arrivée à son terme. Le travail de « bouclage » invite à synthétiser le produit d’un
cheminement intellectuel, pensée de l’agir juridique « en situation ».
La conclusion s’inscrit, en ce
sens, dans une logique de socialisation et de synthèse des résultats de recherche. Il s’agit encore de se
risquer à extraire le fil conducteur, s’assurer en toute conscience, à l’image d’un électricien, que le
contact entre l’introduction, les deux parties principales du développement et la ligne de sortie a bien
été assuré. Diagnostiquer et questionner, en cas de diagnostic de pertes d’énergies entre le point
d’entrée et le point de sortie, les difficultés et les écueils ayant perturbé le flux de la recherche.
Le second enjeu s’inscrira, en retour, dans une démarche prospective d’extension et
d’ouverture de la recherche. Il s’agira, en d’autres termes, de resituer le processus d’investigation au
regard d’une échelle de temps, s’interroger sur son devenir, le contexte général de sa diffusion et de
sa valorisation. Se distingue notamment, sur ce point, une prospective « académique », au sens d’une
connectivité envisagée du produit de la recherche avec des flux d’informations et de pensées
allogènes. Évoquant l’enjeu de progrès du droit Christian Atias énonce sur ce registre :
« Très souvent, les juristes, pour la plupart d’entre eux, ne se préoccupent pas des
conditions du progrès de la science du droit entendue comme activité de connaissance ; et la
réflexion sur les méthodes mises en œuvre est assez rarement approfondie ».
Pourtant,
« les progrès de la connaissance du droit [...] pourront être à l’origine de progrès du droit »
par un changement fondamental qui sera d’ordre à la fois idéologique et
méthodologique »682.
Se distingue, par la suite, une prospective « extra-académique » invitant à situer l’intérêt de la
recherche au regard d’une chaîne de valorisation sociale. Il s’agit à ce point et, en d’autres termes,
d’envisager les conditions de connectivité entre les idées et la « mise en acte » des résultats. Le pont
1848 », Politix 2015/4 (n° 112), p. 131-165
351
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
projeté entre « pratiques de recherche » et « pratiques sociales » — même si, la recherche apparaît elle-même
et per sé comme une pratique éminemment sociale — serait alors mesurable en matière d’ajustement des
conduites et, éventuellement de formulation de nouveaux projets.
Approfondissons ces deux axes de conclusion.
1)
Perspective
Assurons-nous au fil des développements suivant que le parcours de recherche a produit des
« résultats ». Par « résultats », n’entendons pas des acquis fondamentaux, au sens courant, de
« connaissances », de « progrès de la science du droit » ou de « savoirs ». Cette dernière ambition, de
toute évidence démesurée, répondrait en effet et, par définition, d’évènements et de circonstances
non prévisibles : l’œuvre du temps, des voyages de la thèse achevée, de ses (non — ) rencontres et
de ses (non —) frictions avec le cheminement et la pensée d’autres chercheurs — entendus au sens très
large de protagonistes d’une réflexion, démarche constructiviste —. Par « résultats de recherche », entendons,
bien plus ici, une série de constats objectivés attestant l’évolution d’un positionnement face à la
problématique de recherche initiale que l’on reformule : les acteurs juridiques « professionnels »
jouent-ils ou ont-ils un rôle à jouer dans le contexte de territorialisation des asentamientos ? Si oui
quelle serait la portée de cette « fonction sociale » ? Comment la mesurer ? Quels en seraient les
éventuels déterminants ?
Retenons au sortir du parcours de recherche trois points de rupture tangibles entre notre
« point d’entrée » et notre « point de sortie » :
-
l’évolution et la consolidation d’une pratique de recherche adaptée au questionnement
portant sur la fonction sociale du juriste aux marges des villes du Sud (a) ;
-
la construction et la consolidation d’un argument, schéma interprétatif général en vue de
faciliter la cartographie de la fonction sociale du juriste aux portes de la ville (b) ;
682
ATIAS Christian, « Progrès du droit et progrès de la science du droit», R.T.D. civ., 1983, 104, p. 692, cité in KOUAM,
Siméon Patrice. La définition du juriste et la redéfinition de la dogmatique juridique (à propos du syncrétisme
méthodologique). Les Cahiers de droit, 2014, vol. 55, no 4, p. 877-922.
352
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
une série de positionnements épistémologiques d’ordre critiques ou réalistes, des convictions
contribuant, d’une manière générale à la formation d’un critère de jugement ou
d’appréciation, quant (c).
a)
L’évolution d’une pratique de recherche…
De l’évolution et de la consolidation des pratiques de recherche au fil de la thèse, retenons
pour le moins, trois axes :
-
l’opportunité d’une mise en relation systématique entre les questionnements de nature
épistémologiques, d’une part, et les questionnements de nature, méthodologiques, d’autre
part. L’évolution de la pensée sur le terrain épistémologique — la « ville », la « marginalité
urbaine », le « Sud » — implique le développement et l’acquisition de nouvelles pratiques de
recherche, de nouvelles méthodes d’immersion du travail juridique dans le contexte urbain
marginal —« techniques vivantes de recherche », « développements des savoir-faire de situation et de
légitimation sociale » —. La méthode questionnée, retouchée expérimentée emporte, en retour
et par définition, un déplacement des affects et des connaissances initiales.
-
l’opportunité d’une mise en relation systématique entre les phénomènes de connaissance et
les phénomènes d’expérience. Le vécu expérientiel de la marginalité urbaine apparaît, à bien
des égards, comme une condition sine qua non de la production des savoirs sur la ville.
L’immersion à Guayaquil, le « vivre l’Équateur depuis les asentamientos », aura de même
permis de dépasser à l’échelle du projet de recherche la prénotion de « marginalité urbaine ».
La recherche aura permis sur ce terrain d’affiner notre entendement du rôle de l’expérience
et de la réflexivité au regard du développement de la théorie juridique. Nous concordons
encore une fois ici avec Ben Fitzpatrick : « Accorder une certaine primauté théorique aux manières
dont le droit est vécu n’est pas si vain d’un point de vue épistémologique qu’il pourrait paraître au premier
abord. (…) nos processus de théorisation sont, dans tous les cas basés sur la façon dont nous faisons
l’expérience des phénomènes (sur notre expérience des phénomènes), la manière dont nous construisons nos
données. Parler en termes d’expérience, c’est simplement articuler nos méthodes plus ouvertement 683 ».
Retenons enfin que le champ de l’expérience, « le terrain », détermine, par définition, le
champ des objectifs de recherche. Le regard porté vers la périphérie du cas de Guayaquil
683
Fitzpatrick, Ben. « Vers une «théorie expérientielle» du droit », Droit et société 36.1 (1997): 295-306.
353
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
relève en ce sens d’une démarche comparative ou de l’extrapolation. L’ambition d’extension
du propos, du point de vue de l’éthique de la recherche, devrait nécessairement et
systématiquement être signalée. Sont ici éprouvées par la même occasion les limites
inhérentes à toute « théorie du développement ».
b)
la nécessité finalement d’une ouverture de la recherche sur les champs de
l’inter et de la pluridisciplinarité. Les travaux de contextualisation du travail
juridique dans l’orbite des asentamientos ne sauraient faire l’économie d’une
ouverture sur des disciplines voisines du droit : les sociologies et
anthropologies urbaines, la géographie, l’histoire, la philosophie, la
pédagogie, etc.
c)
La production d’un argument et un schéma général d’interprétation de la
fonction sociale du juriste en situation
Nous énoncions, au début de la recherche : « Concevoir la fonction sociale du juriste » nous sera en ce
sens progressivement apparu non pas seulement comme un « point d’étape » du travail de terrain, mais bien, plutôt,
comme l’ouverture nécessaire d’un espace de clarification des valeurs et d’approfondissement des questionnements
attachés à l’impact et aux potentialités du travail juridique aux abords du contexte urbain marginal. Préciser le
propos nous conduit à évoquer les besoins ressentis de constituer et mobiliser un argumentaire juridique, d’orienter et de
développer dans le sillon de la recherche en droit, des instruments de réflexion, de délibération, « exploitables » à la fois
par la communauté des juristes, mais aussi et, plus largement, par le cercle élargi des usagers droits. (2010) ».
L’argument central de la thèse se résume ici en trois temps :
-
La fonction sociale des acteurs juridiques professionnels aux portes des asentamientos
procède assez fondamentalement de l’exercice et de la conquête d’une liberté professionnelle.
-
L’évolution de la fonction sociale du juriste aux portes des asentamientos relève d’un
phénomène micropolitique. Elle repose, en ce sens, principalement, sur l’apprentissage et le
développement
d’une
pratique
réflexive.
Elle
se
prolonge
sur
le
terrain
de
« l’intersubjectivité », de la pratique relationnelle et de la rencontre avec l’Autre.
354
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
L’évolution de la fonction sociale du juriste en situation demeure soumise à une série de
« déterminants ». Retenons-en principalement deux : « le travail et la contrainte de situation »
premièrement, « le travail et la contrainte de légitimation du rôle social » deuxièmement.
d)
Des positionnements analytiques et critiques,
Des positionnements analytiques et critiques ont émergé au fil de la réflexion. Retenons-en a
priori trois principaux :
-
l’impératif d’un dépassement méthodologique de la « recherche de bibliothèque » aux abords
des questionnements sur la ville, les usages et pratiques sociales (droit et usages
professionnels du droit inclus) ;
-
l’opportunité d’un dépassement épistémologique définitif du concept « d’informalité » associé
au constat adjacent et paradoxal de « résilience et d’instrumentalité sociopolitique des
discours sur l’informel » ;
-
l’opportunité d’un dépassement épistémologique de la vision normative-dogmatique de la
fonction sociale du juriste, l’abandon du totem érigé en l’honneur des « grands juristes » ;
l’intérêt renouvelé pour des approches biographiques retraçant le parcours des penseurs du
droit, une mise en lien sociohistorique entre l’émergence des idées et l’évolution de la société.
2)
Prospective
Sur le terrain de la prospective, la recherche doctorale arrivée à son point final ouvre
vraisemblablement les portes sur trois axes de travail :
-
le développement d’une pratique de la recherche locale, à Guayaquil et pour Guayaquil. Le
parcours de recherche aura, en ce sens, permis d’ouvrir les yeux sur un ensemble d’univers
sociaux méconnus de formation et de réalisation du droit. Il aura de même permis de mettre
au jour la circulation d’un ensemble de visions retouchées du réel. Il s’agira a futuro,
d’exploiter ses brèches, et de cultiver un champ de recherche. Le développement d’une
pratique d’enseignement de la méthodologie de l’investigation, tel que je l’expérimente
actuellement à l’université polytechnique du littoral (ESPOL), paraît en ce sens
particulièrement prometteur et encourageant ;
355
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
-
l’approfondissement d’une démarche d’internationalisation et de métissage, non seulement
du travail universitaire, mais plus généralement de nos projets de vie. Comment et par quels
moyens ériger la mobilité internationale — Sud-Nord, Nord-Sud et Sud-Sud — en condition de
mobilité et d’agitation des esprits.
-
l’approfondissement du dialogue avec des non-juristes, l’intérêt de maintenir, développer,
entretenir nos visions périphériques et interdisciplinaires du droit.
******
356
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS .................................................................................................................................. 2
SOMMAIRE........................................................................................................................................................................ 5
INTRODUCTION.-................................................................................................................................................................ 6
PARTIE 1 TRAVAIL ET CONTRAINTES DE SITUATION : LA MARGINALITE URBAINE AU
CRIBLE DU TERRAIN « GUAYACO »........................................................................................ 29
TITRE 1 LES ENJEUX EPISTEMOLOGIQUES DU TRAVAIL DE SITUATION.................. 44
CHAPITRE 1 LA MISE EN RECIT DU DROIT ........................................................................................... 52
SECTION 1 LE GOUVERNEMENT URBAIN MARGINAL ET LE TISSAGE DU DROIT DE LA VILLE ......................... 57
A) L’administration métropolitaine............................................................................................................................. 59
B) La production juridique du centre-ville et le symbolisme de la régénération urbaine ................................... 64
C) La consolidation de la trame métropolitaine par assimilation des asentamientos .......................................... 67
SECTION 2 LE DEFI LIBERTAIRE ET LES MEANDRES DE LA CONQUETE DES DROITS : COMMENTAIRES A
PARTIR DE L’ARTICLE « LA TERRE PROMISE DE MONTE SINAÏ », JOSE CABRERA................................................ 71
A) L’écueil du format de revendication ...................................................................................................................... 78
B) La géométrie des vécus du droit ............................................................................................................................ 80
CONCLUSION..................................................................................................................................................................... 87
CHAPITRE 2 LE DEPASSEMENT CATEGORIQUE DU « NON-DROIT » ET DE « L’INFORMEL » ............... 88
SECTION 1 LES SIRENES DU « NON-DROIT » ET DE L’INFORMEL .......................................................................... 105
A) Genèse de l’hypothèse du « non-droit » .............................................................................................................. 107
B) Proximité de l’hypothèse du « non-droit » et du discours contemporain sur « l’informalité » .................... 111
SECTION 2 LA MICROPOLITIQUE DE LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES FAITS DE MARGINALITE URBAINE
............................................................................................................................................................................................ 122
A) Les mécaniques de la qualification juridique des faits de marginalité urbaine .............................................. 127
B) La portée micropolitique de la qualification juridique des faits de marginalité urbaine ................................. 135
CONCLUSION................................................................................................................................................................... 139
TITRE 2 LES ENJEUX METHODOLOGIQUES DU TRAVAIL DE SITUATION ET LA
QUESTION DU “TERRAIN” ..................................................................................................... 141
CHAPITRE 1 DU TRAVAIL « SUR » ET « A PARTIR » DU PHENOMENE SOCIOPOLITIQUE DE
REPRESENTATION TECHNIQUE ET SCIENTIFIQUE DE LA MARGINALITE URBAINE (…).................... 145
Section 1 Du terrain comme démarche de validation des contenus informationnels ......................................... 149
A) Situation de l’approche de terrain au regard de la pensée critique du rapport entre le droit et la société 152
B) Recensement des principaux biais attachés au travail de représentation de la croissance urbaine marginale
156
1) L’empirisme ............................................................................................................................................................. 156
2) L’instrumentalisation des faits de marginalité urbaine...................................................................................... 159
357
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Section 2 Du terrain comme point d’observation des phénomènes représentatifs « à la source » : le
discernement du glissement idéologique ..................................................................................................................... 164
A) Les idéologies du développement ........................................................................................................................ 168
1) Chroniques d’une impasse sur la juridicité locale. ............................................................................................. 180
2) De « l’État de droit » comme norme de développement — « the Rule of law doctrine » — ..................... 183
B) L’idéologie humanitaire et le discours factuel philanthropiste ........................................................................ 187
CONCLUSION................................................................................................................................................................... 191
CHAPITRE 2 (…) AU TRAVAIL DE MISE EN CONTEXTE DE L’AGIR JURIDIQUE PROFESSIONNEL ........ 192
SECTION 1 LA MISE A L’EPREUVE DU TEMPS ET DE L’ESPACE .............................................................................. 194
A) L’épreuve de l’espace ............................................................................................................................................. 195
B) L’épreuve du temps ................................................................................................................................................ 198
SECTION 2 LA MISE A L’EPREUVE DES SUBJECTIVITES INDIVIDUELLES ET COLLECTIVES .............................. 202
A) Le terrain à l’épreuve du « je »............................................................................................................................... 203
B) L’enjeu de triangulation ......................................................................................................................................... 209
CONCLUSION................................................................................................................................................................... 211
CONCLUSION DE LA PARTIE 1 ..................................................................................................................................... 212
PARTIE 2 TRAVAIL ET CONTRAINTE DE LEGITIMATION DU ROLE SOCIAL AU
LENDEMAIN DE « MONTECRISTI » ..................................................................................... 244
TITRE1 LE DESERT FONCTIONNEL ................................................................................................... 254
CHAPITRE 1 ENTRE LA « FICHE DE POSTE » ET LE DEDALE DES REFERENTIELS DE COMPETENCE : LES
FOYERS DU QUESTIONNEMENT FONCTIONNALISTE .............................................................................................. 256
SECTION 2 « L’UNIVERSITE DU XXIE SIECLE » ET LA CONSOLIDATION DE LA RESPONSABILITE ETHIQUE ET
PROFESSIONNELLE COMME CHAMP D’ETUDE ET DE RECHERCHE ....................................................................... 263
SECTION 3 LA CORPORATISME ET LA RESURGENCE DES ENJEUX DISCIPLINAIRES .......................................... 268
SECTION 4 L’ONG ET L’ORGANISATION DES SERVICES D’ASSISTANCE ET D’ACCOMPAGNEMENT JURIDIQUE
GRATUITS ......................................................................................................................................................................... 272
SECTION 5 L’EXERCICE LIBERAL ET LE MARCHE DES SERVICES JURIDIQUES .................................................... 275
CONCLUSION................................................................................................................................................................... 276
CHAPITRE 2 LA REVUE DES « TOTEMS » ET L’EDIFICATION DU DOGME FONCTIONNEL................................. 277
CONCLUSION................................................................................................................................................................... 285
CONCLUSION DU TITRE 1............................................................................................................................................. 286
TITRE 2 JALONS POUR UNE THEORIE MICROPOLITIQUE DU ROLE SOCIAL ....................................... 288
CHAPITRE 1 LA SUBJECTIVATION DU ROLE .............................................................................................................. 292
Section 1 Schéma de subjectivation « orthodoxe » ou « dogmatique » ................................................................... 292
Section 2 Schéma « rémanent » de subjectivation ...................................................................................................... 293
CONCLUSION................................................................................................................................................................... 295
CHAPITRE 2 LA CONTRAINTE DE LEGITIMATION SOCIALE................................................................................... 296
Section 1 L’effectivité normative et l’empreinte du devoir-être professionnel, le « sollen » ............................... 300
A) La norme étatique et le droit de transition révolutionnaire ............................................................................. 301
1) Hypothèse d’effectivité du signal normatif étatique.......................................................................................... 301
2) Radiographie du signal normatif dans le sillon de la « Revolucion ciudadana » ........................................... 303
B) La formation coutumière des usages et pratiques « socio-environnementaux » du droit ........................... 318
358
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Section 2 L’effectivité interprétative et l’irréductibilité du facteur humain ........................................................... 323
A) Première ligne de rupture : le spectre des facteurs « déterminants » l’interprétation juridique .................. 324
1) La « fonction anthropologique du droit » ........................................................................................................... 327
2) L’ordre des valeurs sociales et environnementales assumées comme « siennes »......................................... 339
B) Seconde ligne de rupture : le champ et les temporalités de l’interprétation juridique ................................. 340
C) Troisième ligne de rupture : les effets de l’interprétation juridique ................................................................ 343
D) Quatrième ligne de rupture : l’auteur de l’interprétation juridique................................................................. 344
Section 3 L’effectivité dialogique et la transaction de légitimation ......................................................................... 346
CONCLUSION................................................................................................................................................................... 348
CONCLUSION DE LA PARTIE 2 ..................................................................................................................................... 349
CONCLUSION GENERALE.............................................................................................................................................. 351
1) Perspective ............................................................................................................................................................... 352
a) L’évolution d’une pratique de recherche… ........................................................................................................ 353
b) –la nécessité finalement d’une ouverture de la recherche sur les champs de l’inter et de la
pluridisciplinarité. Les travaux de contextualisation du travail juridique dans l’orbite des asentamientos ne
sauraient faire l’économie d’une ouverture sur des disciplines voisines du droit : les sociologies et
anthropologies urbaines, la géographie, l’histoire, la philosophie, la pédagogie, etc. ........................................... 354
c) La production d’un argument et un schéma général d’interprétation de la fonction sociale du juriste en
situation ............................................................................................................................................................................ 354
d) Des positionnements analytiques et critiques, ................................................................................................... 355
2) Prospective ............................................................................................................................................................... 355
****** ................................................................................................................................................................................ 356
TABLE DES MATIÈRES ............................................................................................................................................ 357
TABLE DES ILLUSTRATIONS ................................................................................................................................ 360
SIGLES ET ABRÉVIATIONS ................................................................................................................................... 361
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................................................ 363
1. OUVRAGES ET MANUELS GENERAUX ................................................................................................................. 363
2. MONOGRAPHIES, OUVRAGES ET TRAVAUX COLLECTIFS ................................................................................ 364
3. DICTIONNAIRES, LEXIQUES, ARTICLES D’ENCYCLOPEDIE ............................................................................ 379
4. CHAPITRES D’OUVRAGES, ACTES DE COLLOQUES, COURS ............................................................................. 380
5. THÈSES, MÉMOIRES ................................................................................................................................................ 386
6. ARTICLES .................................................................................................................................................................. 387
7. ENQUETES, RAPPORTS, DECLARATIONS ............................................................................................................ 424
8. LOIS, ORDONNANCES ET REGLEMENTS ............................................................................................................. 425
359
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Figure 1 Arbre des problèmes introductif : schéma général de questionnement du rapport « professionnelusager » en périphérie des villes du Sud......................................................................................................................... 24
Figure 2 Classification des registres d’engagement individuels observés dans le contexte du projet de
développement local « EDAS »....................................................................................................................................... 93
Figure 3 Reproduction du Boletin virtual Hogar de Cristo, janvier 2012, p1-3. .................................................. 100
Figure 4 Dispositifs de caractérisation des faits de marginalité urbaine................................................................. 134
Figure 5 Enjeux méthodologiques du travail de situation ........................................................................................ 144
Figure 6 Dispositif de triangulation spatiale ............................................................................................................... 198
360
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
SIGLES ET ABRÉVIATIONS
AGNU
Assemblée générale des Nations Unies
ALBA
Alliance bolivarienne pour les Amériques
BID
Banque Interaméricaine de Développement
BIRD
Banque internationale pour la reconstruction et le développement
BIT
Bureau international du travail
BM
Banque Mondiale
CADH
Convention Américaine des Droits Humains
CDH
« Comité permanente para la defensa de los Derechos Humanos »
CELAC
Communauté d’États latino-américains et caraïbes
CEPAL
Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes
CLACSO
Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales
Commission IDH
Commission Interaméricaine des Droits Humains
COP
Conférence des États Parties
Cour IDH
Cour Interaméricaine des Droits Humains
DESC
Droits Économiques, Sociaux et Culturels
DIDH
Droit international des Droits Humains
DUDH
Déclaration universelle des droits de l’Homme
ECOSOC
Conseil économique et Social des Nations Unies
FAO
Food and Agriculture Organization
FLACSO
Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales
FMI
Fond Monétaire International
IESS
Institut équatorien de sécurité sociale
ILSA
Institut des Services Légaux Alternatifs
LGDJ
Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence
MIDUVI
OCDE
Ministère du développement urbain et de l’habitat
Organisation de Coopération et de Développement économique
361
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
OEA
Organisation des États Américains
ONG
Organisation Non Gouvernementale
ONU
Organisation des Nations Unies
PNUD
Programme des Nations Unies pour le Développement
STAPHI
Secretaria Técnica de Prevención de Asentamientos irregulares
UNESCO
Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture
UN-HABITAT
Programa de las Naciones Unidas para los Asentamientos Humanos
UNICEF
Fondo de las Naciones Unidas para la Infancia (UNICEF)
UNRISD
United Nations research Institue for social development
USAID
Organismo de los Estados Unidos para el Desarrollo Internacional
WHO
World Health Organisation
362
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
BIBLIOGRAPHIE
1. Ouvrages et manuels généraux
ATIAS Charles, Épistémologie juridique, Dalloz, collection Précis Droit privé, 1ère édition, 2002,
AUBERT Jean-Luc et SAVAUX Éric, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Sirey
Dalloz, Paris 2008.
BARTHELEMY J. et P. DUEZ, Traité élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1926
BERGEL Jean-Louis, Méthodologie juridique, Presses universitaires de France, Paris, 2001.
__, Théorie générale du droit. 5e édition Dalloz, Méthodes Du Droit.2012.
__. Droit et déontologies professionnelles. Aix-en-Provence : Libr. De L’Université, Ethique Et
Déontologie, 1997. .
CARBONNIER Jean, Droit civil : introduction, 27e édition refondue, La Philosophie du droit
(Chapitre 3), P.U.F, 2002.
__, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e édition, L.G.D.J, 2001
__, Sociologie juridique, Paris, P.U.F, 1978
CHAGNOLLAUD Dominique, Sciences politiques, Dalloz, 7e édition
CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, Méthodologies du droit et des sciences du droit, Dalloz, Paris 2014.
CORNU Gérard, Droit civil : introduction au droit, Montchrestien, Paris 2007.
__, Linguistique juridique Montchrestien, Paris 1990.
FLOUR, AUBERT, SAVAUX, Droit civil, Les obligations, L’acte juridique, Sirey, 16e édition, 2014
JESTAZ et JAMIN, La doctrine, Dalloz, 2004
JESTAZ Philippe, Le droit, Dalloz, 2014
MALAURIE et MORVAN, Introduction générale au droit, 3e édition, Defrénois-Lextenso, 2009
MALINVAUD Philippe, Introduction à l’étude du droit, LexisNexis, Paris 2013.
MILLARD, Éric. Théorie générale Du Droit, Dalloz, Connaissance Du Droit, 2006.
MORET-BAILLY, Joël et TRUCHET, Didier, Déontologie des juristes, Presses universitaires de France,
2010
363
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
ROULAND Norbert, Introduction historique au droit, Les Transferts de droit (Chapitre 1), P.U.F, 1998
___, L’anthropologie juridique, Les presses universitaires de France, 1ère édition 1988
____, Introduction Historique Au Droit, Collection droit fondamental droit politique et théorique,
Paris : Presses universitaires De France, 1998.
STARCK, ROLAND, BOYER, Introduction au droit, Paris, Litec, 1996, 4e éd
ZOLLER Élisabeth, Introduction au droit public, Précis Dalloz, 1re édition, 2006
2. Monographies, ouvrages et travaux collectifs
ABBOTT, Andrew, The system of professions: An essay on the division of expert labor, University of Chicago
Press, 1988
ABRAMOVICH Víctor, “La enseñanza del derecho en las clínicas legales de interés público, Materiales para una
agenda temática”, Cuaderno de Análisis Jurídico, Serie Publicaciones Especiales, 1999.
ALFREDSSON Gudmundur, “Legal assistance to developing countries: Swedish perspectives on the rule of law”.
Martinus Nijhoff Publishers, 1998.
AMSELEK Paul (dir.), Théorie du droit et science, Léviathan, 1994
ARAUJO, Kathya. ¿ Se acata pero no se cumple ? : estudios sobre las normas en América Latina. Lom
Ediciones, 2009.
ARCOS Carlos, Demandas y conflictos en el sistema político ecuatoriano, Quito, CORDES, Cooperación
Española, 1998.
ARENDT Hannah et DE LAUNAY Michelle-Irène Brudny, Eichmann à Jérusalem : rapport sur la
banalité du mal, Gallimard, 1991. ;
ARNAUD A. J., Les juristes face à la société du XIXe siècle à nos jours, Paris, PUF, 1975 ;
ARON, R, Trois essais sur l’âge industriel, Pion, 1966 ;
ASCHER François, Métapolis ou l’avenir des villes, Odile Jacob, Paris, 1995
ATIAS, Christian, Devenir juriste : le sens du droit, Lexis Nexis, 2011 ;
AUBY Jean-Bernard, Droit de la ville : du fonctionnement juridique des villes au droit à la ville, LexisNexis,
2013.
AUSTIN John, “How to do things with words”, Oxford University press, 1975
364
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
AYRES Ian, Optional law: the structure of legal entitlements, University of Chicago Press, 2010.
BACHE Ian and FLINDERS Matthew (eds), Multi-level Governance, Oxford, 2004.
BANIK, Dan (ed.). Rights and legal empowerment in eradicating poverty, Ashgate, 2008.
BATIFFOL Henri, Problèmes de base de la philosophie du droit, LGDJ, 1979
BAUZON Stéphane, Le métier de juriste : du droit politique selon Michel Villey, Presses de l’Université
Laval, Sainte-Foy Québec, 2003.
BAUZONStéphane, La personne biojuridique, Presses universitaires de France, 2006.
BEETHAM David, The legitimation of power, Palgrave Macmillan, 2013.
BELLEY Jean-Guy, Le droit soluble : contributions québécoises à létude de linternormativité, LGDJ, 1996.
BENNETT Walter, The lawyer’s myth: Reviving ideals in the legal profession, University of Chicago Press,
2001;
BENTHAM, J. « Déontologie ou Science de la morale, éd. » J. Bowring. Translation by B. Laroche.
Charpentier, Libraire-éditeur : Paris (1834).
BERNSTEIN Basil, Langage et classes sociales : codes socio-linguistiques et contrôle social, Éd. de Minuit,
Paris 1975.
BERRYMAN, Phillip. Liberation Theology: Essential Facts about the Revolutionary Movement in Latin
America—and Beyond, Temple University Press, 1987.
BINDER Amy, Facilitating student engagement, the legal professions obligation to serve the public interest: applying
transformative learning and non-substantive public interest theories to Osgoode Hall Law Schools curricular reform
initiatives, Proquest, 2008.
BLOCH, Frank S. (ed.), The Global Clinical Movement: educating lawyers for social justice, Oxford University
Press, 2011
BOAL Augusto et LÉMANN Dominique, Théâtre de l’opprimé, François Maspero, 1977
__, El arco iris del deseo, Alba Editorial, 2013;
__, Legislative theater: Using performance to make politics, Routledge, 2005;
__, Théâtre de lopprimé, Maspero, Paris, 1977
BOBBIO, Noberto Essais de théorie du droit, Paris, LGDJ, 1998
BODSON Paul et Roy, Survivre dans les pays en développement : approches du secteur « informel »,
L’Harmattan, 2004 ;
365
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
BORJA Jordi, La ciudad conquistada, Alianza, 2003.
BURBANO DE LARA Felipe (compilador), Antologia, Democracia, gobernabilidad y cultura política,
Flacso, Sede Ecuador, Quito, 2003.
__, Cultura Política y democracia en el Ecuador, una aproximación a nuestros vacíos, Quito, CORDES, 1998
BURBANO DE LARA Felipe, ROWLAND Michel, Pugna de Poderes, Presidencialismo y partidos
políticos en el Ecuador 1979-1997, COREDES, Quito, 1998
CARBONNIER Jean, Essais sur les Lois, 2e éd., Defrénois, 1995
CARNIVER Guy et JOLY-HURARD Julie, La déontologie du magistrat, Connaissance du droit, Dalloz,
2e édition ; 2009
CARRION Fernando (éd.), Procesos de descentralización en la Comunidad Andina, Foro, 2003
CARRIÓN Fernando, CORAGGIO José Luis and UNDA Mario, La investigación urbana en América
Latina, Ciudad, 1991.
CARVALHO Celso Santos, ROSSBACH, Anaclaudia, ‘O estatuto da cidade comentado’, Cities Alliance
and Ministry of Cities, Brazil, 1st Edition, 2010
CASTEL Robert, L’insécurité sociale : qu’est-ce qu’être protégé ?, Seuil, 2013.
CEFAI Daniel (dir.), L’engagement ethnographique, Paris, Éditions de l’EHESS, 2010
CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, FERRE Nathalie (Textes réunis par), Frontières du droit, critique
des droits, Billet d’humeur en l’honneur de Danièle Lochak, Droit et Société, Recherches et travaux, 14,
L.G.D.J, 2007
CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, Méthodologie du droit et des sources du droit, Dalloz, 2014
CHAUBET François, Que sais-je ?, La mondialisation culturelle, PUF, 2013
CHAZEL F., COMMAILLE J. (éd.), Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, 1991
CHAZEL François, Du pouvoir à la contestation, LGDJ, Paris 2003.
CHENEY George, “Just a job? : communication, ethics, and professional life”, Oxford University Press,
2009.
CHILUNGU, Simeon W., et al. Issues in the ethics of research method: an interpretation of the Anglo-American
perspective [and comments and reply]. University of Chicago Press, 1976.
COHET-CORDEY (éd.), Vulnérabilité et droit, Le développement de la vulnérabilité et ses enjeux en droit,
UPMF Grenoble II, Presse universitaire de Grenoble, janvier 2000
366
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
COOKE & KOTHARI (éds.), Participation : The new tyranny? , Zed Books, 2001
COOKE Bill and KOTHARI Uma, “Participation: The new tyranny?”, Zed Books, 2001.
CORNU G., Linguistique juridique, Paris, Montchrestien, 1990
COURTIS Christian y SANTAMARIA Ramiro Avila (éd), Neoconstitucionalismo y sociedad, Ministerio
de Justicia y Derechos humanos, Serie Justicia y derechos humanos, Quito, Octubre 2009.
COURTIS Christian, Detrás de la ley, Lineamientos de análisis ideológico del Derecho, in, Observar la ley :
ensayos sobre metodología de la investigación jurídica, Trotta, 2006
COURTIS, Christian, ATIENZA Manuel, « Observar la Ley ensayos sobre metodologia de la investigacion
juridica ». e-libro, Corp., 2006.
CROSS John and MORALES Alfonso, ‘Street entrepreneurs: People, place, & politics, local and global
perspective “, Routledge, 2007.
CROZE H. et E. Joly SIBUET, Professions juridiques et judiciaires — Quelles déontologies pour 1993 ?,
Commissariat général du plan, 1993
CUEVA Agustín, Las democracias restringidas de América Latina : elementos para una reflexión crítica,
Planeta, 1988.
CUMMINGS, Scott, “What Good Are Lawyers?, The paradox of professionalism: lawyers and the
possibility of justice”, Cambridge University press, 2011
CZARNIAWSKA Barbara, “A tale of three cities: Or the glocalization of city management”, Oxford
University Press on Demand, 2002.
DAVIS Kevin, TREBILCOCK Michael, What role do legal institutions play in development?, University of
Toronto, 1999
DAVIS Mike, Planet of slums, Verso, New York, 2006;
DE BOULOIS Xavier Dupré, KALUSZYNSKI Martine, Le droit en révolutions : regards sur la critique du
droit des années 1970 à nos jours, colloque, 13 et 14 mars 2008, à Grenoble, LGDJ-Lextenso éd., 2011.
DE LA TORRE Carlos, Un solo toque, populismo y cultura política en Ecuador, Centro Andino de Acción
Popular, 1996
DE LA TORRE RANGEL Antonio, El derecho como arma de liberación en América Latina, Sociología
jurídica y uso alternativo del derecho, CENEJUS -Centro de Estudios Jurídicos y Sociales P. Enrique
Gutiérrez- México, 2006
367
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
DE SOTO Hernando, L’autre sentier: La révolution « informelle’dans le tiers monde traduction française de
“El otro sendero: La respuesta económica al terrorismo », Ghersi Enrique, Ghibellini Mario and Instituto
Libertad y democracia Lima (éd.)La Découverte, 1994.
__, Le mystère du capital : Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs ?, traduction
française de El misterio del capital : ¿Por qué el capitalismo triunfa en occidente y fracasa en el resto del mundo? »,
Flammarion, 2005.
DE SOUSA SANTOS Boaventura, La universidad del siglo XXI. Para una reforma democrática y
emancipadora de la universidad, Ediciones Trilce, 2010
__, Toward a new common sense: law, science and politics in the paradigmatic transition, London, Routledge,
1995.
DE SOUSA SANTOS Boaventura and RODRÍGUEZ-GARAVITO César A., “Law and globalization
from below: towards a cosmopolitan legality”, Cambridge University Press, 2005.
DELMAS-MARTY Mireille, Le flou du droit, Paris, PUF, 1986.
DELVOLVE P., L’acte administratif, Paris, Sirey, 1983
DESCHAMPS Emmanuelle, Le droit public et Ia ségrégation urbaine (1943-1997), LCDJ, 1998 ;
DESMONS Éric, Droit et devoir de résistance en droit interne : contribution à une théorie du droit positif, LGDJ,
Paris 1999.
DEWEY John, Expérience et éducation, Carroi Marie-Anne (éd.), A. Colin, Paris 1968.
DEZALAY Yves, GARTH Bryant (Eds.), Global Prescriptions: the production, exportation, and importation
of a new legal orthodoxy, The University of Michigan Press, 2002
DION-LOYE Sophie, (éd.), La pauvreté saisie par le droit, Centre d’étude et de recherche politique
Dijon, Seuil, Paris 2002.
DONNELLY Jack, “The relative universality of human rights.” The Johns Hopkins University Press,
2007
DUBOIS Vincent, La vie au guichet relation administrative et traitement de la misère. 2e édition éd. Paris :
Économica, 2003. Print. Études Politiques.
EDELMAN Bernard, Quand les juristes inventent le réel : la fabulation juridique, Hermann, 2007.
ESCOBAR Arturo, ‘La invención del Tercer Mundo: construcción y deconstrucción del desarrollo’, Norma, 1998.
ESPINOSA Roque, La crisis económica financiera ecuatoriana de finales de siglo y la dolarización, Universidad
Andina Simón Bolívar, 2009.
368
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
FACHIN Luiz Edson. “Da representação constitucional: pequeno remédio contra abusos e injustiças”, Direito
Insurgente. Anais de Fundação, Insituto Apoio Jurídico Popular, Río de Janeiro, 1987-1988
FALCÃO Joaquim, « Democratización y servicios legales en América Latina », in « Los abogados y la
democracia en América Latina », ILSA 1986.
FASSIN Didier and Richard Rechtman, L’empire du traumatisme : enquête sur la condition de victime,
éditions Flammarion, 2010.
FATIN-ROUGE Marthe Stefanini, GAY Laurence, VIDAL-NAQUET Ariane (dir.), L’efficacité de la
norme juridique. Nouveau vecteur de légitimité, Bruylant, 2012
FERRETJANS Pierre, Essai sur la notion de propriété sociale : l’expérience yougoslave de socialisation de
l’agriculture, éd. R. Pichon, R. Durand-Auzias, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1963
FILLIEULE Olivier, Éric AGRIKOLIANSKY and Isabelle SOMMIER, Penser les mouvements
sociaux : conflits sociaux et contestations dans les sociétés, La Découverte, 2010.
FINKIELKRAUT Alain, La mémoire vaine : du crime contre l’humanité, Editions Gallimard, 1989.
FONTAINE Lauréline, qu’est-ce qu’un « grand juriste » ? : Essai sur les juristes et la pensée juridique
contemporaine, Forum, Lextenso, 2013
FORIERS Paul (éd.), Les présomptions et les fictions en droit, E. Bruylant, Bruxelles 1974.
FORQUIN, Jean-Claude. Sociologie Du Curriculum, Presses universitaires De Rennes, Collection
Paideia éducation, Savoir, Société, 2008.
FOUCAULT M. L’Usage des plaisirs. Gallimard, 1984.
FOX Charles Elmer, “Tales of an American hobo”; preface by Albert E. Stone; the University of Iowa
Press, 1989.
FRANÇOIS Lucien, Le cap des tempêtes. Essai de microscopie du droit, Bruylant/LGDJ, 2012.
FREIRE PAULO, Pedagogía de la autonomía: saberes necesarios para la práctica educativa, siglo XXI, 1997.
__, Pédagogie des opprimés suivi de « Conscientisation et révolution », trad. du Brésilien, F. Maspero,
Paris 1983.
__, Pedagogy of freedom: Ethics, democracy, and civic courage, Rowman & Littlefield, 1998;
__, The politics of education: Culture, power, and liberation, Greenwood Publishing Group, 1985;
FRERE Bruno et Sebastien Laoureux, La phénoménologie à l’épreuve des sciences humaines, Bruxelles :
Peter Lang, 2013.
FRIEMEL Thomas, “Why context matters”, Springer, 2008.
369
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
GARCÍA AÑÓN, José. Miradas a la innovación : experiencias de innovación en la docencia del Derecho,
Universitat de Valencia, 2009
GENY F., Science et technique en droit privé positif : nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique,
LGDJ, 1922
GILLESPIE Alexander, international Environmental Law, Policy and Ethics, Oxford, 2014.
GLENDON, GORDON, WRIGHT-CAROZZA, Comparative legal traditions, Law Press, 2004
GODARD Henry, Quito, Guayaquil : Evolución y consolidación en ocho barrios populares, Travaux de
l’IFEA, Tomo n° XLIV, revista Ciudad, Quito, 1988
GOIRAND, Camille, La politique des favelas, KARTHALA Editions, 2001 ;
GONÇALVES Rafael Soares, Les Favelas de Rio de Janeiro : Histoire et droit-XIXe et XXe siècles, Éditions
L’Harmattan, 2010.
GRAWITZ Madeleine, Méthodes des sciences sociales, Les exigences de la recherche, Droit public, science
politique, Précis Dalloz, 11e édition, 2000
GRZEGORCZYK Christophe, Le sujet de droit, Sirey, Paris 1989.
GUDMUNDUR, Legal assistance to developing countries: Swedish perspectives on the rule of law, Martinus
Nijhoff Publishers, 1997
GUEVARA Darío, Las mingas en el Ecuador, Editorial Universitaria, 1957.
HALL, Rodney Bruce et BIERSTEKER, Thomas, “The emergence of private authority in global governance”,
Cambridge University Press, 2002.
HALLIDAY Terence Charles, KARPIK Lucien, “Lawyers and the rise of western political liberalism:
Europe and North America from the Eighteenth to Twentieth Centuries”, Oxford University Press on
Demand, 1997.
HALPÉRIN Jean-Louis. Les professions judiciaires et juridiques dans l’histoire contemporaine : modes
d’organisation dans divers pays européens. Centre lyonnais d’histoire du droit, 1992.
HAMILTON Sheryl, “Impersonations: Troubling the person, law and culture”, University of Toronto Press,
2009.
HANSEN, Karen Tranberg et VAA, Mariken (éd.), Reconsidering informality : Perspectives from urban
Africa, Nordic Africa Institute, 2004;
HARDOY Jorge et al., “Ensayos histórico-sociales sobre la urbanización en América Latina, Buenos Aires,
SIAP, 1978.
370
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
HARDY VAUX James, Vocabulary of the flash langage, 1812
HARVEY David, “The condition of postmodernity: an enquiry into the origins of cultural change”, Oxford
Carlton, Australie, 1989.
HATCHARD John, PERRY-KESSARIS Amanda (éds.), ‘Law and Development: facing complexity in the
21 st century’, Essays in honour of Peter Slinn, Cavendish publishing, 2003
HECQUARD-Théron Maryvonne, GALLIANO Lionel, La pédagogie au service du droit : actes du colloque
des 28 et 29 janvier 2010, Centre de recherches sur les institutions publiques Toulouse, LGDJ, 2011.
Herrera Carlos-Miguel, Derecho y socialismo en el pensamiento jurídico, (trad. de V. Lozano et C. Bernal
Pulido), Bogotá : Universidad Externado de Colombia, 2002.
HERRERA Carlos-Miguel, Droit et gauche. Pour une identification, Québec : Presses de l’Université
Laval, 2003
__, Les juristes face au politique : le droit, la gauche, la doctrine sous la IIIe République, tome II, Paris : Kimé,
2005.
__, Los derechos sociales entre Estado y doctrina juridica, Bogota : Universidad Externado de Colombia,
2008.
__, Par le droit, au-delà du droit. Textes sur le socialisme juridique, Paris : Kimé, 2003.
HOLSTON James, “Insurgent citizenship: Disjunctions of democracy and modernity”, Brazil, Princeton
University Press, 2008.
HOLSTON James, “The modernist city: An anthropological critique of Brasília”, University of Chicago
Press, 1989.
HORTAL Augusto, Ética general de las profesiones, Desclée de Brouwer, Bilbao, 2002
HOURS Bernard. L’idéologie humanitaire ou le spectacle de l’altérité perdue, Montréal, LHarmattan, 1998.
HUSSERL Edmund, Idée de phénoménologie, Paris, Presses universitaires de France collection
Epiméthée 1978 2e édition ;
INGBER Léon and HAARSCHER Guy (éd.), Justice et argumentation : essais à la mémoire de Chaïm
Perelman, Éd. de l’Université de Bruxelles 1986.
ISRAËL Liora, L’arme du droit, Sciences Po, les Presses, Paris 2009.
ISRAËL Nicolas, Généalogie du droit moderne : l’état de nécessité, Gryn Laurent (éd.), Payot & Rivages,
Paris 2006.
371
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
JAMIN F., La cuisine du droit, L’École de Droit de Sciences Po : une expérimentation française, lextenso
editions, Paris, 2012.
JANVILLE Thomas La qualification juridique des faits, Préf. Serges Guinchard, PU Aix Marseille, 2004,
JAURES Jean, Etudes socialistes, 1902, p.159.
JOINER Emily, Aguita amarilla, Una mirada al perpetuo laberinto del agua potable y saneamiento en
Guayaquil, Guayaquil, Movimiento Mi cometa, 2006.
JONAS, Hans, Le principe de responsabilité, Flammarion, 1995
JOSSERAND L, De l’esprit des droits et de leur relativité : théorie dite de l’abus des droits, 2è éd., Paris,
Dalloz, 1939
JOUANJAN Olivier (éd.), Théories réalistes du droit, dossier, Presses universitaires de Strasbourg, 2000.
JOUANJAN Olivier et MÜLLER Friedrich, Avant Dire Droit, Le texte, la norme et le travail du droit,,
coll. « Dikè », Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007 ;
JOVCHELOVITCH Sandra, PRIEGO Jacqueline, “Hernandez, Underground sociabilities: identity, culture
and resistance, Rio de Janeiros favelas”, UNESCO, 2013.
JÚNIOR João Feres, Histoire du concept d’Amérique latine aux Etats-Unis, l’Harmattan, collection
Recherches Amériques latines, 2010 ;
KARLIN William, New York slum clearance and the law. Academy of Political Science, 1937.
KARPIK Lucien, Les Avocats, Entre l’État, le public et le marché, XIIIe–XXe siècles, Gallimard, Paris,
1995.
KENNEDY Duncan, “The rise and fall of classical legal thought”, BeardBooks, Washington, DC 2006.
KENNEDY Duncan, and Paul Carrington, Legal education and the reproduction of hierarchy: A polemic
against the system: A critical edition, New-York University Press, 2004.
KOURILSKY-AUGEVEN Chantal, « Socialisation juridique et conscience du droit : attitudes individuelles,
modèles culturels et changement social colloque international », 21 et 22 mai 1996, LGDJ, Maison des sciences
de l’homme Paris and Réseau européen Droit et société (éd.), 1997.
LAGROYE Jacques (dir.), La politisation, Socio-historiques, Belin, Paris, 2003.
__, Sociologie politique, 6e éd., 2012.
LARONDE-CLERAC Céline (éd.), Quelle pédagogie pour l’étudiant juriste ? : Expérimentations,
modélisations, circulation, Bruylant, Bruxelles 2012.
372
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
LARREA, Tatiana, ¿En qué pensamos los ecuatorianos al hablar de democracia, Quito, Corporación
Participación Ciudadana, 2007.
LE CORBUSIER La ville radieuse, Paris, Vincent, Fréal & Cie, 1935,
LEFEBVRE Henri, La production de l’espace, Anthropos, Paris, 1974
__, « Le droit à la ville » suivi de « Espace et politique », Éditions anthropos, 1972.
LEJEUNE Aude, Le Droit au droit, les juristes et la question sociale en France, édition des archives
contemporaines, 2011
LIBCHABER Ré, L’ordre juridique et le discours du droit : essai sur les limites de la connaissance du droit,
LGDJ-Lextenso éditions, Paris 2013.
LLEWELLYN Karl, Jurisprudence: Realism in theory and practice, Transaction publishers, 2011
__, The common law tradition: Deciding appeals, WS Hein, 1996
LLOYD P, Slums of hope? shanty towns of the third world., English.. Sociology & Anthropology,
Harmondsworth Penguin Books Ltd, 1979.
LOCHAK Danièle, Étrangers, de quel droit ?, Presses universitaires de France, Paris 1985.
__, Les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et politiques
Amiens, Presses universitaires de France, 1989.
__, « Le rôle politique du juge administratif français », LGDJ — Lextenso éditions, 2015.
LUBAN David, The good lawyer: lawyers’ roles and lawyers’ ethics, Rowman & Littlefield Publishers, 1983;
LYOTARD Jean-François, La phénoménologie, 14e éd., Paris, Presses universitaires de France « Que
sais-je ? », 2004
MALINVAUD Philippe, Introduction à l’étude du droit, LexisNexis, Paris 2013.
MANGEZ, Éric. Réformer les contenus d’enseignement une sociologie du curriculum. Paris : Presses
universitaires De FrancePrint, Éducation Et Société., 2008.
MARIÁTEGUI Carlos José, Siete ensayos de interpretación de la realidad peruana, Amauta, Lima, 1944.
MAX-NEEF; ELIZALDE; HOPENHAYN, Development and human needs, Real-Life Economics:
understanding wealth creation, Routledge, London, 1992
MAYOUKOU Célestin, Le système des tontines en Afrique: un système bancaire informel le cas du Congo,
Lelart Michel (éd.), l’Harmattan, Paris 1994.
373
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
MCSHERRY, J. Patrice, “Predatory states: Operation Condor and covert war”, Rowman & Littlefield
Publishers, 2012.
MCSHERRY, J., Tracking the origins of a state terror network: Operation Condor. Sage Publications, 2002.
MEILLET A., Linguistique historique et linguistique générale, Paris, Champion, 1982, p. 245 ;
MÉNDEZ, Juan E., Guillermo A. O’Donnell, and Paulo Sérgio de Moraes Sarmento Pinheiro. La
(in) efectividad de la ley y la exclusión en América Latina. Vol. 9. Paidós, 2002.
MERLEAU-PONTY Maurice, LEFORT Claude, Le visible et l’invisible : suivi de notes de travail, Paris,
Gallimard, 1964.
__, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard 1945 ;
__, La structure du comportement, Paris, Presses universitaires de France, collection « Quadrige », 1990
__, Le primat de la perception et ses conséquences philosophiques, Éditions Verdier, 1996
MERRIFIELD ANDY, Henri Lefebvre, A critical introduction, Merrifield Andy (éd.) 2006;
MERTZ Elizabeth (éd.), “The role of social science in law”, Aldershot, England Burlington, 2008
MERTZ Elizabeth, ‘The language of law school: learning to” think like a lawyer", Oxford University Press,
2007.
MILLET Mathias, Les étudiants et le travail universitaire, Paris, PUL, 2003, 253 p.
MOCKLE Daniel, La gouvernance, le droit et l’État, Bruylant, 2007
MONTÚFAR, César. ‘La reconstrucción neoliberal: Febres Cordero o la estatización del neoliberalismo en el
Ecuador 1984-1988,’ Abya-Yala, 2000.
MOOR Pierre, « Pour une théorie micropolitique du droit », Presses universitaires de France, 2005.
MOREANO Alejandro, Las diversas lecturas del populismo y su función política, Populismo, Quito, ILDIS,
1992.
MORET-BAILLY Joël, TRUCHET Didier, La déontologie des juristes, Presses universitaires de France,
2010.
MOTULSKY Henri, ROUBIER, Paul, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé : (la théorie des
éléments générateurs des droits subjectifs), Librairie du Recueil Sirey, 1948.
MÜLLER Fréderich, JOUANJAN Olivier, Avant dire droit : le texte, la norme et le travail du droit, Les
presses de l’université Laval, Saint-Nicolas Québec, 2007.
374
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
MÜLLER Friedrich, Discours de la méthode juridique, Jouanjan Olivier (éd.), Presses universitaires de
France, 1996
NEDELEC Serge (éd.), Tiers-Monde : linformel en question ?, l’Harmattan, Paris 1991.
NELS Anderson, The Hobo: The Sociology of the Homeless Man, Chicago, University Of Chicago Press, 1923
NICOLAU Gilda, PIGNARRE Geneviève, et LAFARGUE Régis, Ethnologie juridique : autour de trois
exercices, Méthodes du droit, L’expérience de « terrain », Dalloz, 2007
NYE Joseph, Soft power : The means to success in world politics, Public Affairs, 2004.
O’Dair, Legal Ethics: Text and Materials, London, Butterworth, 2001, p. 5.
OLNGA Alain Didier, Qu’est-ce être juriste ? Éléments pour une dogmatique éthique, Yaoundé, Éditions
CLÉ, 2013
ORIANNE Paul et TERRÉ, François, Apprendre le droit : éléments pour une pédagogie juridique, Éd.
Frison-Roche, 1990.
OST & Van De Kerchove. De la pyramide au réseau ? pour une théorie dialectique du droit, Publications des
facultés universitaires Saint-Louis, 2002
OST François, Raconter la loi : aux sources de l’imaginaire juridique, Paris, Odile Jacob, 2004
__, Le temps du droit, Odile Jacob, 1999 ;
PALMER, Robert, “The informal economy, Sub-Saharan Africa: unresolved issues of concept, character and
measurement”, University of Edinburgh, Center of African Studies, 2004.
PEREIRA Anthony W., “Political in-justice: Authoritarianism and the Rule of Law, Brazil, Chile, and
Argentina”, University of Pittsburgh Press, 2005.
PERELMAN Chaim et FORIERS Paul (éd.), « Les présomptions et les fictions en droit », Bruylant, 1974.
PERROUTY Pierre-Arnaud (éd.), Obéir et désobéir : le citoyen face à la loi, Éd. de l’Université de
Bruxelles, 2000.
PIAGET Jean, Epistémologie des sciences de l’homme, Gallimard, 1972.
PÍREZ, Pedro, Buenos Aires metropolitana: política y gestión de la ciudad, Centro editor de América latina,
1994
POOLE Derqui Diego, ‘El derecho de los juristas y sus implicaciones: un diálogo con Lombardi Vallauri’,
Dykinson, Madrid 1998.
375
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
PORTES Alejandro, CASTEL Manuel, and BENTON Lauren (eds,), “The informal economy:
studies in advanced and less developed countries”, Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1989
RAJAGOPAL Balakrishnan, “International law from below: development, social movements, and Third World
resistance”, Cambridge New York: Cambridge University Press, Cambridge New York 2003.
REGLADE Marc, Valeur sociale et concepts juridiques : norme et technique étude de philosophie du droit et de
théorie générale du droit, Recueil Sirey, Paris 1950.
REVEL Jacques, Micro-analyse et construction du social, in Jacques Revel : « L (dir.) Jeux d’échelles : la microanalyse à l’expérience, Paris EHESS 1996
REVON Christian (dir.), Boutiques de droit, ouvrage collectif, Paris, Solin, 1979.
RIPERT G., La règle morale dans les obligations civiles, 4e édition, LGDJ, 2000 ;
RIST Wes, RONALD Brand, The export of legal éducation: its promise and impact, transition countries’,
Ashgate Publishing, Ltd., 2013.
ROBINSON Jennifer, “Ordinary cities: between modernity and development”, Psychology Press, 2006.
ROBITAILLE D., Normativité, interprétation et justification des droits économiques et sociaux : les cas québécois
et sud-africain, Bruxelles, Bruylant, 2011
ROJAS Milton y VILLAVICENCIO Gaitán, Mercado del suelo urbano y las políticas de tierras urbanas en
Guayaquil y sus incidencias en el desarrollo de los barrios populares, Corporación de Estudios Regionales
Guayaquil, 1987 ;
__. ‘El proceso urbano de guayaquil, 1870-1980’. ILDIS, 1988.
ROPE Françoise, « Pour une sociologie du curriculum universitaire », Cahiers de la recherche sur
l’éducation et les savoirs, 3 | 2004, 243-249.
ROSS Alf, ‘On Law and justice’, London, Stevens and sons limited, 1958
ROY Ananya and ALSAYYAD Nezar, ‘Urban Informality: transnational perspectives from the Middle East,
Latin America, and South Asia’, Lexington Books, 2004.
SAGAUT J-F et M.LATINA, Manuel de déontologie notariale, Defrénois, Lextenso éditions 2009
SANBORN, Cynthia, Filantropía en América latina: tradiciones históricas y tendencias actuales, Filantropía y
cambio social en América Latina, 2008,
SANTOS Alvaro, ‘The new law and economic development’, Cambridge University Press, 2006, p.253-300.
__, ‘The World Bank’s Uses of the “Rule of Law” Promise in Economic Development,’ in ‘The new law and
economic development: a critical appraisal’, 2012, p.253-300.
376
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
SARAT Austin and Stuart SCHEINGOLD (eds.) Cause Lawyering: Political commitments and professional
responsibilities, Oxford University Press, 1998
SARAT, Austin, and Stuart SCHEINGOLD. Cause lawyers and social movements. Stanford University
Press, 2006.
SAULE Junior, Nelson, A proteção jurídica da moradia nos assentamentos irregulares, Porto Alegre, S.A.
Fabris Editor, 2004
SAYAG and TERRE François Conscience et connaissance du droit, 1975.
SCHEINGOLD Stuart, SARAT Austin, Something to believe in: Politics, professionalism and cause lawyering.
Stanford University Press, 2004.
SCOTT James C., ‘Domination and the arts of resistance: Hidden transcripts’, Yale University press, 1990.
__, ‘Seeing like a state: How certain schemes to improve the human condition have failed’, Yale University Press,
1998
SENECAL Gilles, MONNET Jérôme, L’urbanisme dans les Amériques. Modèles de ville et modèle de société.
Paris, Éditions Karthala, Coll. « Hommes Et Sociétés », 2001
SERRES, M., Le contrat naturel, Paris : Flammarion, 1992.
SEVASTIK Per (éd.), ‘Legal assistance to developing countries: Swedish perspectives on the rule of law’, Kluwer
Law International, Cambridge, 1998.
SHDAIMAH Corey Silberste, ‘Negotiating justice: progressive lawyering, low-income clients, and the quest for
social change’, New York University Press, 2009.
SHEPARD Roger, COOPER Lynn, Mental images and their transformations. The MIT Press, 1986;
SILBEY Susan, ‘The common place of law: Stories from everyday life’, University of Chicago Press, 1998;
SMITH H., Strategies for social research: the methodological imagination. Englewood Cliffs, NJ, Prentice
Hall 1985
SMOLKA, MULLAHY. “Perspectivas urbanas: temas críticos en políticas de suelo en América Latina”.
Lincoln institute of land policy, 2007
SOJA Edward, ‘Seeking spatial justice’, University of Minnesota Press Minneapolis, 2010.
SOMMER Doris, ‘Foundational fictions: The national romances of Latin America’, University of California
Press, 1991.
SUPIOT Alain, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du droit ; Seuil, 2005
TAFFET, Jeffrey, ‘Foreign aid as foreign policy: the Alliance for Progress in Latin America’, Routledge, 2011.
377
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
TAM Waikeung, ‘Legal mobilization under
Kong Cambridge University Press, 2012.
authoritarianism:
the
case of
post-colonial’,
Hong
TAMANAHA Brian, ‘On the rule of law: history, politics, theory’, Cambridge University Press, 2005
TERRE François, Anthologie du droit, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, LGDJ, 1956
__, Regards sur le droit, Dalloz, Paris 2010.
__, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, préface de Robert Le Balle, coll. « Anthologie
du Droit », LGDJ Lextenso éditions, éd. 1957 — réimpression 2014, 570 p.
THÉVENOT Laurent, L’action au pluriel : sociologie des régimes d’engagement » Paris, La découverte, 2006.
__ Une science de la vie ensemble dans le monde. La Découverte, 2004.
THIBIERGE Catherine, La densification normative : découverte d’un processus, Paris, Mare & Martin,
LGDJ, 2014.
TIMSIT Gérard (coord.), Raisonnement juridique et interprétation : journée d’étude internationale, 14 juin 1999,
Centre de recherche en droit constitutionnel Paris et Centre d’études et de recherches sur
l’administration publique, Publications de la Sorbonne, Paris 2001.
TODOROV Tzvetan, La conquête de l’Amérique : la question de l’autre, Seuil, 2013.
TROPER Michel, CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, GRZEGORCZYK Christophe, Théorie des
contraintes juridiques, Bruylant/LGDJ, 2005.
TROPER, Michel, Le gouvernement des juges, mode d’emploi, Presses Université Laval, 2006 ;
TRUBEK David, Alvaro SANTOS, ‘The new law and economic development: a critical appraisal’, Cambridge
University Press, 2006.
VANDERLINDEN Jacques, Les pluralismes juridiques, Penser le droit, Bruylant, 2013.
VELASQUEZ, Juan. “El feminismo barrial en la construcción de la ciudad y la ciudadanía.: sus movilizaciones,
diagnósticos y formas de participación en la planificación en Medellín, Cochabamba y Caracas. Caracas: Caracas”,
Ediciones de la Facultad de Arquitectura y Urbanismo Universidad Central de Venezuela, 2011.
VERDESOTO Luis, La gobernabilidad, Temas para una sociedad en crisis, Quito, 1996;
VIDROVITCH Coquery (dir.), L’informel en question, Revue Tiers Monde, L’Harmattan, Paris.
VIGOUROUX Christian, Déontologie des fonctions publiques, Dalloz, Praxis, 2006
VILLAREAL Marta, COURTIS Christian (coordinación), Enseñanza clínica del derecho: una alternativa a
los métodos tradicionales de formación de abogados, Instituto Tecnológico Autónomo de México, septiembre
de 2007.
378
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
VILLARREAL Marta, COURTIS Christian, Enseñanza clínica del derecho: una alternativa a los métodos
tradicionales de formación de abogados. CLIP, Clínica Legal de Interés Público, 2007.
VILLEGAS Mauricio García, Derecho y sociedad en América Latina: un debate sobre los estudios jurídicos
críticos. Instituto Latinoamericano de Servicios Legales Alternativos (ILSA), Bogota, 2003,
WALINE M., Les idées maîtresses de deux grands publicistes français : Léon Duguit et Maurice Hauriou,
L’Année politique, 1929 ;
Weber, Economie et société, Plon, 1922
WEINER Myron, Political participation: Crisis of the political process, Crises and Sequences, political
development, Princeton University Press 1971, p. 159–204.
WOLKMER Antônio Carlos, ‘Pluralismo jurídico: fundamentos de una nueva cultura del derecho’, Sánchez
Rubio David and Suárez Villegas Juan Carlos (éd.), Sevilla, 2006.
ZOLEZZI Ibárcena, ‘Derecho en contexto’, Fondo éditorial de la Pontificia Universidad Católica del
Perú, Lima 2012.
3. Dictionnaires, lexiques, articles d’encyclopédie
CAYLA Olivier, HALPÉRIN Jean-Louis, ANNOUSSAMY David. Dictionnaire des grandes
œuvres juridiques. Dalloz, 2008.
Centre National de ressources textuelles et lexicales en ligne, CNRS, Atilf, 2013, accessible en ligne :
http://www.cnrtl.fr/etymologie/m%C3%A9tropole
Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, PUF, 2004
LEFEBVRE Henri, « QUOTIDIENNETÉ », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 13
septembre 2014.
Lexique d’économie, Dalloz, 12e édition.
Lexique de sciences politiques, Dalloz, 2de édition, 2011
Lexique de sociologie Dalloz, éd.2016
Lexique des termes juridiques, Dalloz, 20e édition, 2013
Vocabulaire juridique, Ass. Capitant, 7e édition par G. Cornu
379
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
4. Chapitres d’ouvrages, actes de colloques, cours
ABEL Richard, ‘Lawyers for Liberalism: Axiom, Oxymoron, or Accident?’, in: Terence C. Halliday and
Lucien Karpik, Reviewing Lawyers and the Rise of Western Political Liberalism, Oxford University
press 1998, p. 9–15
ABRAMOVICH Víctor, COURTIS Christian, ‘Apuntes sobre la exigibilidad judicial de los derechos sociales’,
in: COURTIS Christian, SANTAMARIA Ramiro, La protección judicial de los derechos sociales”, Los
derechos sociales como derechos exigibles, seria justicia y derechos humanos;
Neoconstitucionalismo y sociedad, Ministerio de justicia y derechos humanos (Ecuador), 2009, p331
ABRAMOVICH, Victor, COURTIS, Christian, "Hacia la exigibilidad de los derechos económicos, sociales y
culturales. Estándares internacionales y criterios de aplicación ante los tribunales locales", in: Abregu, Martin,
Courtis, Christian (coords), Aplicación de los tratados sobre derechos humanos en los tribunales locales, Buenos
Aires, Editores del Puerto, 1997.
ACOSTA María Elena, Políticas de vivienda en Ecuador desde la década de los 70, análisis, balance y
aprendizajes, Tesis de maestría, Quito, Flacso, Marzo 2009
ADONON, CAMPINI, PLANÇON, « Variations sur le pluralisme juridique : au carrefour de trois chemins »,
in : Les pluralismes juridiques, Cahiers d’anthropologie du droit, LAJP et Karthala, 2003, p.68-69 ;
AGUIRRE María, La acción habitacional del estado en Guayaquil 1972-1979, Tesis para optar a la
maestría en ciencias sociales, con mención en estudios del desarrollo, Flacso, 1980
ANITUA Gabriel Ignacio, “Notas sobre la metodología de investigaciones empíricas en derecho”, in: Observar la
ley, ensayos sobre metodología de la investigación jurídica, Christian Courtis (éd.), p.349-392
Association Henri Capitant, La place du juriste face à la norme, Dalloz, collection Thèmes et
commentaires, Journées nationales, Tome XVI, Rennes, Dalloz, 2012
AYALA Andrade, Incongruencias jurídicas del principio de buena fe y lealtad que limitan el ejercicio profesional de
los abogados en el ecuador y su necesidad de reforma, thèse de doctorat, 2010.
BANIK Dan, “Rights, Legal Empowerment and Poverty: An Overview of the Issues”, in: BANIK D. (ed.),
Rights and legal empowerment in eradicating poverty, Ashgate, 2008, p. 1.
BARAONA Rafael, “Cambios en tenencia de la tierra y la demanda externa. Algunas observaciones sobre la costa
ecuatoriana », in: Les réformes agraires des Amériques latines, CNRS, 1967, p.421.
BAUZON Stéphane, « Villey et la dialectique dans l’enseignement du Droit », in : BAUZON Stéphane, Le
métier de juriste, Du droit politique selon Michel Villey, Diké, Les presses de l’université de Laval, 2003,
p.194-197 ;
380
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
BERNHEIM Emmanuelle « Repenser la vulnérabilité sociale en termes d’égalité réelle : une contribution des
droits de la personne », in : La protection des personnes vulnérables, Développements récents - Volume 330
sous la dir. de Service de la formation permanente, Barreau du Québec. Cowansville, Yvon Blais,
2011.
BOUGHRIET Nora, Essai sur un paradigme d’alliance constructive entre droit et médecine : L’accès du médecin à
la connaissance juridique. Thèse de doctorat, Université du Droit et de la Santé-Lille II, 2013
BOURDIEU, Pierre, « Les juristes, gardiens de l’hypocrisie collective », Bourdieu, Pierre. « Les
juristes, gardiens de l’hypocrisie collective. » In: F. Chazel y J. Comaille (direc.) Normes juridiques et
régulation sociales, Paris. LGDJ, coll. Droit et société (1991) : 95-99.
BOY X, Le concept de personne humaine en droit public, Dalloz Sirey, coll. « Nouvelle bibliothèque des
thèses », 2003
BRUN-PICARD Yannick, L’humanisme géographique, Thèse présentée à la faculté des études
supérieures de l’Université Laval pour l’obtention du grade de Philosophiae Doctor, Faculté de
géographie de l’Université de Laval Québec mars 2005 ;
BURBANO DE LARA Felipe, Democracia, cultura política y gobernabilidad -los estudios políticos
en los años noventa-, in: Antologia, Democracia, gobernabilidad y cultura politica, Felipe Burbano
de Lara compilador, Flacso, Sede Ecuador, Quito, 2003, p.13
CABROL Valérie Déontologie et droit : contribution à l’étude des rapports entre ordres normatifs, Thèse de droit
public sous la direction de Jean-Pierret Théron, soutenue en 2001 à Toulouse ;
CALVO Oscar, « Ville et pouvoirs », cours en ligne proposé par l’Université colombienne
d’Antioquia.http://aprendeenlinea.udea.edu.co/lms/moodle/file.php/578/1_Programa_Ciudad_y_
Poder_Maestria.pdf
CARRIÓN Fernando, “La descentralización andina:¿ tema supranacional?,” in: Carrión et al., Procesos de
descentralización en la Comunidad Andina, FLACSO, OEA, Parlamento Andino, Quito, 2003, p. 105–
124,
CASTELLS Manuel, Alejandro PORTES, “World underneath: the origins, dynamics, and effects of the
informal economy” in: Portes, Castells, Benton (eds,), The Informal Economy: Studies in Advanced and Less
Developed Countries, Baltimore: Johns Hopkins University Press,1989, pp, 11–37
CASTRO-BUITRAGO, ESPEJO-YAKSIC, PUGA, VILLAREAL, “Clinical legal education in Latin
America, Toward public interest” in: BLOCH, Frank S. (ed.), The Global Clinical Movement: Educating
Lawyers for Social Justice, Oxford University Press, 2011, p.69-85
CATALA Pierre, « Jean Carbonnier (1908-2003), Art et science de la législation, » Actes réunis par
Sébastien DALMON et Franck HURINVI, Les colloques du Sénat, 5-6 novembre 2008
381
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, « Efficacité et énoncé de la norme », in : HAMMJE, JANICOT,
NADAL, L’efficacité de l’acte normatif, nouvelle norme, nouvelles normativités, Collection LEJEP, LGDJ,
2013, p.63-73 »
__, « Proposition pour une théorie des contraintes juridiques » in : Michel Troper, Véronique ChampeilDesplats, Christophe Grzegorczyk, Théorie des contraintes juridiques, Bruylant/LGDJ, 2005, p.13
CHENEDE François. « De la conception du droit à la fonction de juriste. » in : La place du juriste face à la
norme Thèmes et Commentaires Association Henri Capitant.Tome XVI : Journées nationales,
Rennes, Dalloz, 2012, pp.3-26
CHEVALIER Jacques, « Juriste engagé(e) ? », in : Frontières du droit, critique des droits, Billet d’humeur en
l’honneur de Danièle Lochak, Textes réunis par Véronique Champeil-Desplats et Nathalie Ferré,
Droit et Société, Recherches et travaux 14, L.G.D.J, 2007, p. 387-390
COURTIS Christian, « La educación clínica como práctica transformadora », in : VILLARREAL y
__, Enseñanza clínica del derecho, Una alternativa a los métodos tradicionales de formación de abogados, México,
CLIP/ITAM, 2007
__, “Notas sobre la justiciabilidad del derecho a una vivienda adecuada”, in: Christian Courtis y Ramiro Avila
Santamaria (éd), La proteccion judicial de los derechos sociales, Serie Justicia y derechos humanos,
Neoconstitucionalismo y sociedad, Ministerio de Justicia y Derechos humanos, Quito, Octubre
2009.
CRUTZEN, Paul J. “The ‘anthropocene’.” in: Earth system science in the anthropocene. Springer, Berlin
Heidelberg, 2006. pp. 13-18.
DE LA JARA Felipe, “Participación ciudadana institucionalizada: análisis de los marcos legales de la
participación en América Latina”, in: DAGNINO, OLVERA RIVERA, PANFICHI. La disputa por la
construcción democrática en América Latina. CIESAS, 2006, p.367-398.
DE LA MOUETTE Martin, L’acte juridique unilatéral, thèse, Toulouse, 1951
DE LA TORRE Carlos, “Los usos políticos de las categorías de pueblo y democracia, Ciudadanía e identidad”,
in: DE LA TORRE Carlos, Populist Seduction in Latin America, Ohio University Press, 2010 p. 231
DE LEMOS CAPELLER Wanda, « Un regard différent : l’Amérique latine, les juristes et la sociologie », in :
Dossier Transformation de l’État et changements juridiques : l’exemple de l’Amérique latine, Droit et société,
n° 22, 1992, p.363-73 ;
DECOOPMAN N., « Droit et déontologie : contribution à l’étude des modes de régulation », in : Lochak,
Danièle. Les usages sociaux du droit. Presses universitaires de France, 1989, p. 87-105.
382
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
DEDEURWAERDER Gilles, Théorie de l’interprétation et droit fiscal, Préface de Guy Gest, nouvelle
bibliothèque des thèses, Dalloz, 2010, p.25 ;
DESCAT, Sophie, Eric Monin, and Daniel Siret. « L’émergence du développement durable au regard
des mutations de l’histoire urbaine (XVIIIe-XXe siècles). » Actes de colloque. Vol. 2. Presses
universitaires François-Rabelais/Maison des Sciences de l’Homme, 2004
DESMONS Eric, Droit et devoir de résistance en droit interne, contribution à une théorie du droit positif, (texte
remanié de : Thèse de doctorat Droit public, Paris 2, 1994), Paris, LGDJ, 1999, p36-66
DUPUIS G., « Définition de l’acte administratif », in : WALLINE Marcel, Recueil d’études en l’hommage à
Charles Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, p. 213 ;
ENGELMANN Fabiano, Diversificação do espaço jurídico e lutas pela definição do direito no Rio Grande do
Sul, Thèse de doctorat, Universidade federal do rio grande do sul, 2004, ;
FOGELKLOU Anders, “Principles of Rule of Law and Legal Development”, in: Alfredsson Gudmundur,
Legal assistance to developing countries: Swedish perspectives on the rule of law, Per Sevastik, Martinus Nijhoff
Publishers (éds.), 1997, p.32-59;
GEOFFRAY Marie Laure, Conteste à Cuba, Préface de Olivier Dabène, nouvelle bibliothèque de thèses, Science
politique, Dalloz
GOIRAND, Camille. Démocratisation et mobilisation populaire a Rio de Janeiro, des années 1970 aux
années 1990, Thèse de doctorat, 1998, INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES PARIS.
GRATALOUP Sylvain, « La vulnérabilité de la règle de droit », in : Vulnérabilité et droit, Le développement de
la vulnérabilité et ses enjeux en droit, sous la direction et la coordination de Frédérique Cohet-Cordey,
UPMF Grenoble II, Presse universitaire de Grenoble, janvier 2000, p.33-45.
HAUSER, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique, thèse, Paris, LGDJ, spéc. n° 50 et s. p.66 ;
Droit, revue française de théorie juridique, L’acte juridique, n° 7, 1988 ;
HEUSCHLING Luc, « “Effectivité”, “efficacité”, “efficience” et “qualité” d’une norme/du droit. Analyse des
mots et des concepts », in : L’efficacité de la norme juridique. Nouveau vecteur de légitimité ?, Ouvrage collectif
sous la direction de Marthe Fatin-Rouge Stefanini, Laurence Gay, Ariane Vidal-Naquet, p.27-61,
2012
HOUILLON G., « Pédagogie et efficacité du droit », in Ph. Raimbault (Dir.), La pédagogie au service du
droit, Presses de l’université de droit et sciences sociales de Toulouse, 2011, pp. 327-355.
HOUTART, François, “Los movimientos sociales y la construcción de un nuevo sujeto histórico”,
in: La teoría marxista hoy: problemas y perspectivas, Buenos Aires, CLACSO, 2006, p. 435-44.
383
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
JOUBERT Sylvie, Droit de la ville, droit à la ville, thèse sous la direction de Jacques Moreau, Paris 2,
1997.
KENNEDY David, “Laws and developments”, The “rule of law” as development”, in: Law and Development:
facing complexity in the 21 st century, Essays in honour of Peter Slinn, John Hatchard and AManda PerryKessaris (éds.), 2003, Chapitre 2.
KRINGS Ana Luiza, Silva Spinola, Evolucao do conceito de funcao socioambiental da propriedade urbana entre
1916 e 2004, Thèse de doctorat, Universidade de São Paulo, Faculdade de Saúde Pública,
Departamento de Saúde Ambiental, 2005;
KUSMER Kenneth L., “Down & out, on the road the homeless in: American history”, Oxford University
press 2002, Chapter 1; Charles Elmer Fox, Tales of an American hobo; preface by Albert E. Stone;
the University of Iowa Press, 1989.
La gouvernance urbaine : entre complications et complexités, comment s’orienter ?, Communication de Claude
Jacquier, directeur de recherche au CNRS, présentée lors du colloque « Vers une Nouvelle
Gouvernance des Territoires » organisé le 15 septembre 2008 à Reims par JM Beaupuy, président de
l’intergroupe Urban-Logement au Parlement européen.
LAGROYE Jacques (dir.), 2003, La politisation, Socio-histoires, Belin, Paris, p. 365
LASCOUMES P.,, Le droit comme science sociale, in : CHAZEL F., COMMAILLE J., (éd.),
Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, 1991, p.39-49 ;
LAVAL N., « Intérêt collectif, ordre collectif » in : M. Hecquard-Thérond (dir.), Le groupement et le droit :
corporatisme, néocorporatisme, Presse de l’Université de sciences sociales de Toulouse, 1996, p.155.
LE ROY Étienne, « Autonomie du droit, hétéronomie de la juridicité », in : ‘Le nuove ambizioni del
sapere del giurista: antropologia giuridica e traduttologia giuridica’, Roma, Accademia Nazionale dei Lincei,
2009, p. 99-133.
__, « L’ordre négocié. À propos d’un concept en émergence » in Droit négocié, Droit imposé, 1996,
p. 341-351.
LENOIR-ANSELME Caroline, Mises en scènes des villes : métropolisation et construction de l’image de la ville
analyse des théâtralités de l’espace public élargi à Toulouse, soutenue le 13 novembre 2008 en vue de
l’obtention du doctorat Université de Toulouse. Thèse accessible en ligne : http://tel.archivesouvertes.fr/docs/00/34/06/63/PDF/THESEdecarolineLenoirAnselme.pdf ;
LEPAGE, Agathe, Recherche sur la connaissance du fait en droit, 1998, Thèse de doctorat ;
http://www.sudoc.fr/049464736
LOCHAK Danièle., « La doctrine du positivisme sous Vichy ou les mésaventures du positivisme »,
en Les usages sociaux du droit, CURAPP, PUF, 1989, p. 254 ;
384
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
__., « Les usages du savoir juridique », in : L’état des sciences sociales, Paris, La Découverte, 1986,
p. 328 ;
__, « La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme », in : Les usages sociaux du droit, 1989,
p. 252-285 ;
MARKS Gary and Liesbet Hooghe, Contrasting visions of multi-level governance, chapitre 2, in: l
ouvrage Multi-level Governance, Ian Bache and Matthew Flinders eds, Oxford 2004, p.15-31
MAZEAUD, Denis « Observations conclusives », in : La place du juriste face à la norme, Association
Henri Capitant, Dalloz, collection Thèmes et commentaires, Journées nationales, Tome XVI,
Rennes, avril 2012, p.151-156 ;
MEMMI, Dominique, « “Demande de droit ‘ou ‘vide juridique’ ? les juristes aux prises avec la construction de leur
propre légitimité », in : LOCHAK Danièle, Les usages sociaux du droit, Paris, PUF, 1989, p. 13-31.
MILLARD Eric, « Le Réalisme scandinave et la Théorie des contraintes », in : Michel Troper, Véronique
Champeil-Desplats et Christophe Grzegorczyk, Théorie des contraintes juridiques, Bruylant/LGDJ, 2005,
p.150.
NICOLAS Jean, « L’informel dans la société française d’Ancien régime », in : : L’informel en question, Revue
Tiers Monde, Coquery Vidrovitch C. (dir.), L’Harmattan, Paris, p.71-78.
NIORT, J-F,, « Jean-Carbonnier » in : Cayla, Halpérin, Dictionnaire des grandes œuvres juridiques, p.81
PARK, Robert E. “The city as a social laboratory”. In: Chicago: An experiment in social science research,
1929, p. 1–19.
PAYRE Renaud, Ordre politique et gouvernement urbain, Mémoire d’habilitation à diriger des recherches,,
Université de Lyon II, 2008.
PISARELLO GERARDO, “Los derechos sociales y sus garantías: notas para una mirada "desde abajo" », in :
La protección judicial de los derechos sociales, Christian Courtis y Ramiro Avila Santamaria (eds.),
Serie Justicia y derechos humanos, Neo-constitucionalismo y sociedad, 1ra edición, octubre 2009,
p.31-55
POTTIER R., « Y-a-t-il une méthode en ethnologie », in Obadia L. (dir.), L’ethnographie comme dialogue
immersion et intéraction dans l’enquête de terrain, Publisud, 2003
POZO Ricardo, « Crecimiento urbano informal en el noroeste de Guayaquil : de asentamientos piratas a zonas
militarizadas”, in: Habitabilidad básica para todos, Auc revista de arquitectura, Facultad de
arquitectura y diseño de la universidad católica de Santiago de Guayaquil, Enero 2012;
QUINTAINE Guy, « Du sujet à l’homme de droit », in : Mélanges à la mémoire de Patrick Courbe, « Mélanges
à la mémoire de Patrick Courbe : » Le droit entre tradition et modernité", Dalloz, 2012.
385
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
RANGEON François, « Réflexions sur l’effectivite du droit », in : LOCHAK Danièle, Les usages sociaux du
droit, 1989, p. 126.
RAYNAUD Dominique, « Le contexte est-il un concept légitime de l’explication sociologique ? » in L’Explication
sociologique. Quels sont les niveaux d’abstraction légitimes ? Actes du colloque organisé par P. Demeulenaere
à Nancy, 17-19 octobre 2005
REYES Don Alejandro, « Abogacía, lo que es esta noble profesión », Discurso leído por su
incorporación a la Facultad de Ciencias Políticas de la Universidad, el 14 de agosto de 1862., Anales
de la Universidad de Chile, 2015, p.122.
RODNEY Hall, BIERSTEKER Thomas, “The emergence of private authority in the international system” in:
The emergence of private authority in: global governance, Cambridge University Press, 2002, p.3-22
SANCHO Germán, Adaptation d’architectures logicielles collaboratives dans les environnements ubiquitaires,
Contribution à l’interopérabilité par la sémantique, Thèse, Université Toulouse 1 Capitole, soutenue en
2010 p.13
STAVO-DEBAUGE J. « Le droit et la pensée de la réalisation du droit », in A. Lyon-Caen & A. Perulli
(dir.), Efficacia e diritto del lavoro, Padova, Cedam, 2008
UPHAM Frank, “The illusory promise of the rule of law” in: SAJO Andras, Human rights with modesty: the
problem of universalism, Springer, 2004, p.279-313.
5. Thèses, mémoires
TIETZMANN E SILVA José António, Vers un droit pour les établissements humains durables, Thèse
présentée pour le doctorat en droit, et soutenue publiquement le 17 décembre 2007, Université de
Limoges, Faculté de droit et des sciences économiques Centre de Recherches Interdisciplinaires en
Droit de l’Environnement, de l’Aménagement et de l’Urbanisme (CRIDEAU)
TROPER Michel, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in : Dossier Théories réalistes du droit, Presses de
l’université de Strasbourg, 2000, p.43-62.
__, « La doctrine et le positivisme (à propos d’un article de Danièle Lochak) », in : Danièle LOCHAK, Les usages
sociaux du droit, 1989, p. 286-292
VARELA Fernando, La « mision publica de la abogacia », la formacion profesional y el rol de la colegiación ;
Thèse de doctorat Salas yuqui, german, La necesidad de incorporar en el codigo civil la
responsabilidad del profesional del derecho por los daños ocasionados a la actividad judicial, 2012;
VERGEL, Tovar Carolina, « Usages militants et institutionnels du droit à propos de la cause des femmes victimes
du conflit armé en Colombie », thèse de droit public, 2013.
386
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
WICKER, Guillaume, « Les fictions juridiques : contribution à l’analyse de l’acte juridique », Thèse de
doctorat, Perpignan, 1994 ; WITZ Claude, « Contrat ou acte juridique », in : Pour une réforme du droit des
contrats, réflexions et propositions d’un groupe de travail sous la direction de François Terré, Dalloz 2009, p.5
6. Articles
ABBOTT Kenneth W. and Duncan SNIDAL, “Hard and Soft Law in International Governance”,
International Organization, volume 54, numero 3, summer 2000, pp. 421–456
ABELLA Rosalie Silberman, “International law and human rights: the power and the pity”, McGill
Law Journal 55.4, 2010, p. 871-87.
ABRAMOVICI Pierre, « “Opération Condor”, cauchemar de l’Amérique latine », Le Monde
Diplomatique, 2001, p. 24-25 ;
ABRAMOVICH, Víctor. "Una aproximación al enfoque de derechos en las estrategias y políticas de
desarrollo." Revista de la CEPAL, (2006). 88, 35-50.
__, La enseñanza del derecho en las clínicas legales de interés publico: materiales para una agenda temática, extrait
de La educación clínica como practica transformadora, Enseñanza clínica del derecho, Una alternativa a los métodos
tradicionales de formación de abogados, Marta Villarreal y Christian Courtis, coordinadores, 2007, p.91-123
ACEMOGLU Daron, JOHNSON Simon, ROBINSON James A., “The colonial origins of
comparative development: an empirical investigation”, The American Economic Review, 91.5, 2001,
p.1369-401.
ALEXANDER Gregory, “Complex Core of Property”, The Cornell Law Review, vol. 94, 2008,
p. 1063;
__, “Social-obligation norm in American property law”, The Cornell Law Review, 2008, vol. 94, p. 745;
ALEXIS, Spire, « Vivre avec le nom d’un autre », Plein droit.2, 2010, p. 7.
ALSCHULER Albert, “The changing purposes of criminal punishment: a retrospective on the past
century and some thoughts about the next”, The University of Chicago Law Review, Vol. 70, No. 1, 2003,
pp. 1–22, disponible en ligne (Accessed: 21/04/2013);
Althabe G., « Ethnologie du contemporain et enquête de terrain », Terrain, 14, 1990, p. 130, cité in
ALVAREZ Alicia, La educación clínica : hacia la transformación de la enseñanza del derecho, La educación clínica
como practica transformadora, extrait de Enseñanza clínica del derecho, Una alternativa a los métodos tradicionales
de formación de abogados, Marta Villarreal y Christian Courtis, coordinadores, 2007, p.225-247
387
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Amis, Philip. “Symbolic politics, legalism and implementation: the case of street vendors in India.”
Commonwealth Journal of Local Governance, 18, 2015, p36-47.
ANDRADE, Pablo, « El imaginario democrático en el Ecuador », Ecuador Debate, 1999, vol. 47,
p. 259.
ANDRADE, Xavier, Nueva York, “‘mas ciudad’, menos ciudadania: renovacion urbana y
aniquilacion del espacio público en Guayaquil”, Ecuador Debate 68, 2006, p. 161-97.
ANDRE Antoine, « Causerie sur la mise en scène », Revue de Paris, avril 1903, p.596-612
ANDRE-JEAN Arnaud, « De la régulation par le droit à l’heure de la globalisation, Quelques
observations critiques », Droit et Société, n° 35, 1997, p.11-35
ANKERSEN, Thomas T. et Thomas, RUPPERT, « Tierra y Libertad : the social function doctrine
and land reform in Latin America”, Tul. Envtl. LJ, 2006, vol. 19, p. 69;
ARJONA SÁEZ, Elena, Duguit, Léon, “ Soberanía y Libertad, Lecciones dadas en la Universidad de
Columbia”, Revista de estudios histórico-jurídicos, 2013, no 35, p. 814-816;
ARRUDA JÚNIOR Edmundo, “Direito alternativo: notas sobre as condições
possibilidade, Lições de direito alternativo », São Paulo : Acadêmica, 1991, vol. 1. p. 93,94
de
ASSIER-ANDRIEU Louis, « L’Anthropologie et la modernité du droit », Anthropologie et sociétés,
1989, vol. 13, no 1, p. 28
__, « Le juridique des anthropologues », Droit et société, 1987, vol. 5, no 1, p. 89-108.
ATIAS Christian et Didier LINOTTE, « Le mythe de l’adaptation du droit au fait », Dalloz. 1997,
p.251,
ATIAS Christian, « Progrès du droit et progrès de la science du droit », R.T.D. civ. 1 983 692, 695 ;
AUBY Jean-Bernard, “Mega-Cities, Glocalisation and the Law of the Future”, FICHL Publication Séries
No. 11, 2011, p. 203
AUDET Caroline, BOUCHARD Marc-André, « Pour un paradigme intensif et pluraliste (quantitatif
et qualitatif) dans l’étude du processus psychothérapeutique », Psychothérapies n° 4, vol.22, 2002,
p. 199-212
AUDREN Frédéric et Halpérin Jean-Louis, « La science juridique entre politique et sciences
humaines (XIXème-XXème siècles) », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2001/1 no 4, p. 3-7.
Azuela DE LA CUEVA, Antonio, “El orden jurídico en la intepretación sociológica de la
urbanización popular en América Latina”, Sociologica.12, 1990, p. 95-111.
388
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
BAILLEUX Antoine, OST François, « Droit, contexte et interdisciplinarité : refondation d’une
démarche », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2013, vol. 70, no 1, p. 25-44. ;
BAKTIR, Hasan, “Speech act theory: Austin, Searl Derrida’s Response and Deleuze’s Theory of
Order-Word”, Epiphany 6.2, 2014.
BALL Alina, “An imperative redefinition of ‘community’: incorporating reentry lawyers to increase
the efficacy of community economic development initiatives”., Cover Story.”, UCLA Law
Review 55.6, 2008, p. 1883-907.
BAILLEUX, ré, Adèle Chené, Gé Roy, « Évolution de la notion d’apprentissage expérientiel en
éducation des adultes : vingt-cinq ans de recherche », Revue des sciences de l’éducation 26.2, 2000, p. 26386.
BANIK, Dan, “Legal empowerment as a conceptual and operational tool in poverty eradication”,
Hague Journal on the Rule of Law, 2009, vol. 1, No. 01, p. 117–131;
BARANGER Denis, « Le temps du droit », La Revue administrative, 2000, vol. 53, no 1, p. 32-40
BARRON Anne, Discours juridique et colonisation du moi dans l’État moderne, Droit et Société, n° 13,
1989, p.357-370
BARROS Benjamin, “Home as a legal concept”, Santa Clara Law Review, 2006, vol. 46, p. 255;
BEAUJOUAN, Coutarel & Daniellou, « Quelle place tient l’expérience des autres dans la formation
d’un professionnel ? Apport et limite du récit professionnel », Éducation permanente, vol.151, 2013,
p.25-38.
BECKET, James, “Land reform in Chile”, Journal of Inter-American Studies, 1963, p. 177–211.
BECQUART-LECLERCQ Jeanne, « Légitimité et pouvoir local. », Revue française de science politique,
27e année, n° 2, 1977. pp. 228-258.
BEETHAM, David. « Max Weber et la légitimité politique. » Revue européenne des sciences sociales, 33 101
(1995) : 11-22.
BELAADI Brahim, « Analyse critique de quelques approches des bidonvilles », El-Tawassol
n° 26/Juin 2010
BELL, Peter D, “The Ford Foundation as a transnational actor”, International Organization, vol.25, n
° 3, 1971, p.465-478;
BENMERGUI, Leandro, “The Alliance for Progress and housing policy in Rio de Janeiro and
Buenos Aires in the 1960s”, Urban History, 2009, vol. 36, No. 02, p. 303–326;
389
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
BERGEL Jean-Louis, « Le rôle des fictions dans le système juridique », McGill Law Journal, 1987, vol.
33, p. 357-374.
BERGER Mark T, “Civilising the south: the US rise to hegemony in the Americas and the roots
of’latin American studies’ 1898–1945”, Bulletin of Latin American Research 12.1, 1993, p. 1–48.
BERNHEIM Emmanuelle, « De l’existence d’une norme de l’anormal-Portee et Valeur de la
Recherche Empirique au Regard du Droit Vivant : Une Contribution a la Sociologie du Droit », Les
Cahiers de droit, 2011, vol. 52, 2011, p. 461-96.
BERRY Michel, « Diriger des thèses de terrain », Gérer et comprendre, 2000, vol. 62, no 2000, p. 88-97.
BEY Marguerite, « Recherches sur la pauvreté : état des lieux, Contribution à la définition d’une
problématique », Tiers-Monde. 1999, tome 40 n° 160. pp. 871-895 ;
BHOWMIK Sharit, “Legal protection for street vendors”, Economic and Political Weekly, 45.51, 2010,
p. 12-5.
BIQUET Christine, « Les fictions en droit », Revue de la Faculté de Droit de l’Université de Liège, 2013,
no1.
BLAKEMORE Harold, “Latin American studies in British universities: progress and prospects”,
Latin American Research Review 5.3, 1970, p. 111-34.
BLANK Yishai, “City and the World”, The Columbia journal of transnational law, 2006, vol. 44, n ° 3,
p. 875.
BLANKENBURG Erhard, « La recherche de l’efficacité de la loi, Réflexions sur l’étude de la mise
en œuvre, Le concept d’“implementation” », Droit et société, 1986, vol. 2, p. 59-75.
BLOCH Frank, “The ‘Clinical’ dimension of global clinical movement, Access to Justice and the
Global Clinical Movement”, Wash. U. J. L. & Policy, vol.28, n°111, 2008, p. 121
BOAL Augusto, EPSTEIN Susana, “Invisible theatre: liege, Belgium, 1978”, TDR, 34.3, 1990, p. 2434.
BOAVENTURA DE SOUSA Santos, “Three Metaphors for a New Conception of Law: The
Frontier, the Baroque, and the South”, Law and Society Review, 29, 4, 1995, p.569-584.
__ “Sociedade providência ou autoritarismo social?”, Revista Critica de Ciensais Socias, n°42, mai 1995 ;
__, « Épistémologies du Sud », Études Rurales, n° 187, 2011, p.21-50
__, « Hacia un entendimiento postmoderno del derecho », Fronésis, Volume 1, numero 2, 1994, p.
163-177.
390
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
BOBBIO Norberto, « Sur le principe de légitimité », Droits, n° 32, 2000
BOISIER Sergio, “Desarrollo (local): ¿ de qué estamos hablando”, Estudios sociales, 2001, vol. 103,
BOITTIN, Margaret L, “New perspectives from the oldest profession: abuse and the legal
consciousness of sex workers in China”, Law & Society Review 47.2, 2013, p. 245-78.
BONILLA Daniel, “Liberalism and Property in Colombia: Property as a Right and Property as a
Social Function”, 80 Fordham L. Rev. 1135 (2011), http://ir.lawnet.fordham.edu/flr/vol80/iss3/6;
BOON, Andrew, “Legal ethics at the Initial Stage: A model curriculum”, The Law Society, 2010, p. 10.
BORJA Orozco, Henry, Idaly Barreto, Vanessa Sánchez, “Actitudes del vendedor ambulante de la
localidad de chapinero frente a sus condiciones laborales y políticas”, Diversitas 4.2, 2008, p. 279-90.
BOTÍA, Antonio Bolívar. "El lugar de la ética profesional en la formación universitaria." Revista
mexicana de investigación educativa 10.24 (2005): 93-123.
BOURDIEU Pierre. « La force du droit [Eléments pour une sociologie du champ juridique] », Actes
de la recherche en sciences sociales. Vol. 64, septembre 1986. pp. 3-19.
__, « Droit et passe-droit [le champ des pouvoirs territoriaux et la mise en œuvre des règlements] »,
Actes de la recherche en sciences sociales 81.1, 1990, p. 86-96.
__, « Habitus, code et codification », Actes de la recherche en sciences sociales, 1986, vol. 64, no 1, p.
BRAHY, Rachel, « Le politique a-t-il déserté le théâtre-action ? » Mouvements.1, 2011, p. 79-90.
__, Didier Vrancken, « Se réaliser comme sujet dans un atelier-théâtre pour tenter de “s’en sortir”.
mises en scène de tensions au sein d’une politique de la subjectivité », SociologieS, 2012.
BROMLEY Ray, “A new path to development? The significance and impact of Hernando De Soto’s
ideas on under development, production, and reproduction”, Economic Geography, 1990, p, 328–348;
BRUNET, Pierre. « Le raisonnement juridique : une pratique spécifique ? » International Journal for the
Semiotics of Law-Revue internationale de Sémiotique juridique 26.4 (2013): 767–782.
BRUNSCHWIG, Colette R, “On visual law: visual legal communication practices and their scholarly
exploration”, Zeichen und Zauber des Rechts: Festschrift für Friedrich Lachmayer, Erich Schweihofer et al.
(eds.), Bern: Editions Weblaw (2014): 899–933.
BRUSTIN, Stacy, “Expanding our vision of legal services representation—the hermanas unidas
project”, Am. UJ Gender & L. 1, 1993, p. 39.
BUCHANAN Ruth and Louise G. Trubek, “Resistances and possibilities: A critical and practical
look at public interest lawyering”, New York University of Law and Social Change, 1992, vol.19, p.687
391
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
BUMILLER, Kristin, “Victims in the shadow of the law: a critique of the model of legal
protection”, Signs 12.3, 1987, p. 421-39.
BURGOS Rafael, “Guayaquil y la región: desarrollo territorial e inclusión social”, Eutopia, Revista de
Desarrollo Económico Territorial, Numero 2, octubre 2011, p.55-77;
CABROL Valérie, « La déontologie : l’impossible définition ? » Revue de recherche juridique-Droit prospectif,
2004, n° 1, p.563 ;
CAILLOSSE Jacques, « La ville, le droit et la redistribution des territoires administratifs », Politiques
et management public, 1995, vol. 13, no 3, p. 83-119 ;
CAIRE Guy, « Idéologies du développement et développement de l’idéologie », Tiers-Monde. 1974,
tome 15,
n°
57,
Pouvoir,
mythes
et
idéologies.
pp. 5-30 ;
/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1974_num_15_57_1983, Consulté el 23
septembre 2014 ;
CALVÈS, Anne-Emmanuèle, « Empowerment » : généalogie d’un concept clé du discours
contemporain sur le développement, Revue Tiers Monde, 2009, no 4, p. 735-749 ;
CANESTRARO, María Laura. "Ilegales, irregulares, informales...?: aportes para un debate sobre el
acceso al suelo1/illegal, Irregular, informal...?: Contributions to a debate on access to
land.” Nómadas (2013): 1.
CARNEIRO, MARIA FRANCISCA, POTIGUARA ACÁCIO PEREIRA, “Considerações sobre o
sujeito de direito: problema de conhecimento, objeto e predicados”, Revista da Faculdade de Direito
UFPR 30, 1998.
CAROTHERs Thomas et Barndt William, “Civil society”, foreign policy, 1999, p. 18–29;
__, “The rule of law revival”, The foreign affairs, 1998, vol. 77, p. 95;
CARRION Fernando, “La investigación urbana en el Ecuador”, Revista Investigación Universitaria
No. 2 CONUEP Quito, Septiembre 1989.
CARRIÓN MENA Fernando, “La investigación urbana en América Latina. Caminos recorridos y
por recorre”r, Ed. José Luis Coraggio, Ciudad, Quito, Volume 3, 1990, 137-174
CARTIER, EMMANUEL, « Accessibilité et communicabilité du droit », Jurisdoctoria : revue doctorale de
droit publique comparé et de théorie juridique 1, 2008, p. 51-76.
CARVAJAL, JoRge. « La Educación Legal y los Centros de Investigación Sociojurídica en
Colombia. » El Otro Derecho (2009): 73-102.
CASTEL Robert, « La citoyenneté sociale menacée », Cités, 3, 2008, p. 133-141.
392
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
__, « La dynamique des processus de marginalisation : de la vulnérabilité à la désaffiliation », Cahiers
de recherche sociologique.22, 1994, p. 11-27.
CASTILLO Monique, « Du professionnalisme à l’éthique professionnelle », Études, 2011/7
Tome 415, p. 55-64.
CAYLA Olivier, « La qualification ou la vérité du droit », Droits, revue française de théorie juridique, 1993,
n° 18, p. 3-16 ;
CAYLA Olivier, « Le jeu de la fiction entre comme si et comme ça », Droits, 1995, n° 21, p.3 ;
CHAIGNEAU Aurore, « Des droits individuels sur des biens d’intérêt collectif, à la recherche du
commun », Revue internationale de droit économique, 2015, vol. 28, no 3, p. 335-350.
CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, « Alf Ross : droit et logique. » Droit et société, 2002, no 1, p. 2942.
__, « Efficacité et énoncé de la norme », in : HAMMJE, JANICOT, NADAL, L’efficacité de l’acte
normatif, nouvelle norme, nouvelles normativités, Collection LEJEP, LGDJ, 2013, p.63-73 »
__ La justiciabilité des droits sociaux en Amérique du Sud, La Revue des droits de l’homme, Revue du
Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, 2012, no 1, p. 120-139 ;
CHARMONT Joseph, « La socialisation du droit (Leçon d’introduction d’un cours de droit civil) »,
Revue de métaphysique et de morale, 1903, p. 1.
CHAUVIERE, Michel. « Les référentiels, vague, vogue et galères. » Vie sociale 2 (2006) : 21-32.
CHAUVIGNE, Christian, and Jean-Claude Coulet. « L’approche par compétences : un nouveau
paradigme pour la pédagogie universitaire ? » Revue française de pédagogie. Recherches en éducation 172
(2010) : 15-28.
CHAVES, Miguel, Stoller Richard, “Organizational empowerment versus clientelism”, Latin
American Perspectives 29.5, 2002, p. 7–19.
CHAZEL F., « Du pouvoir à la contestation, le concept de pouvoir », Droit et société, volume 36, 2003, p.21-65
CHOURAQUI Alain, « Normes sociales et règles juridiques : quelques observations sur des
régulations désarticulées », Droit et Société, N° 13, 1989, p.415-430
CHRISTIANSEN, Thomas, « Intra-institutional politics and inter-institutional relations in the EU:
towards coherent governance?”, Journal of European Public Policy, vol. 8, no 5, 2001, p. 747-769.
CHRISTIN Angèle, « Jurys populaires et juges professionnels en France », Genèses, no 65, vol.4,
2006, p. 138-151, URL : www.cairn.info/revue-geneses-2006-4-page-138.htm.
393
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
CLARK, Charles E. et TRUBEK, David M. “The creative role of the judge: restraint and freedom in
the common law tradition”, Yale Law Journal, 1961, p. 255–276;
CLARK, Robert, “Why So Many Lawyers? Are They Good or Bad”, Fordham L. Rev., 1992, vol. 61,
p. 275;
COHEN-CRUZ Jan, “An introduction to community art and activism”, Community Arts Network, 16,
2002.
COLOMA, Rodrigo, Claudio Agüero San Juan, “Los abogados y las palabras: una propuesta para
fortalecer competencias iniciales en los estudiantes de derecho”, Revista de derecho, Coquimbo. 19.1,
2012, p. 39-69.
COMMAILLE Jacques et PERRIN Jean-François, « Le modèle de Janus de la sociologie du
droit », Droit et société, 1985, vol. 1, p. 95-110 ;
COMMAILLE Jacques, « Les vertus politiques du droit. Mythes et réalités », Droit et société, 2011, no
3, p. 695-713.
__, « La négociation comme expression d’une nouvelle économie de la légalité », Ouvertures
sociologiques, 2008, p. 39-49.
__. “The janus model of legal regulation: changes in the political status of justice”, RCCS Annual
Review, A selection from the Portuguese journal Revista Crítica de Ciências Sociais, 2010, No. 2.
CONNOLLY, Kim Diana. “Elucidating the Elephant: Interdisciplinary Law School Classes.” Wash.
UJL & Pol’y 11 (2003): 11.
Cooper J., “Competing legal cultures and legal reform: The battle of Chile”, Michigan Journal of
International Law, spring 2008, vol.39, p.501;
CORCUFF, Philippe, « De l’ethnométhodologie au problème micro/macro en sciences sociales.
introduction au texte d’Aaron V. Cicourel, “micro-processus et macro-structures”, 1981. »,
SociologieS, 2008.
CORLETT Richard, “Review: The Anthropocene concept in ecology and conservation”, Trends in
Ecology & Evolution, 2015, vol.30, p.36-41;
CORNU, Laurence. « Normalité, normalisation, normativité : Pour une pédagogie critique et
inventive. » Le télémaque 2 (2009) : 29-44.
CORTEN Olivier, « La persistance de l’argument légaliste : éléments pour une typologie
contemporaine des registres de légitimité dans une société libérale », Droit et société 2002/1 (n° 50),
p. 185-208.
394
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
__. « Réflexions épistémologiques et méthodologiques sur les spécificités d’une étude politologique
de la légitimité ». » Cahiers européens de Bruxelles, 1 (2000) : 21.
__, « La persistance de l’argument légaliste : éléments pour une typologie contemporaine des
registres de légitimité dans une société libérale » (2002) (1) Droit et société 185.
COSLOVSKY, Salo Vinocur, “The ‘sociological citizen’ relational interdependence in law and
organizations”, L’Année sociologique.1, 2009, p. 201.
COSTES Laurence, « Le Droit à la ville d’Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientifique ? »
Espaces et sociétés, n° 140-141, 2010, p. 177-191
COURTIS Christian, El desarrollo del derecho de interés público en la Argentina: avances, obstáculos, desafíos,
extrait de La educación clínica como practica transformadora, Enseñanza clínica del derecho, Una alternativa a los
métodos tradicionales de formación de abogados, Marta Villarreal y Christian Courtis, coordinadores, 2007 p.
__, La educación clínica como practica transformadora, Enseñanza clínica del derecho, Una
alternativa a los métodos tradicionales de formación de abogados, Marta Villarreal y Christian
Courtis, coordinadores,2007, p.9-25
__. "El desarrollo del derecho de interés público en la Argentina: avances, obstáculos,
desafíos." Clínicas de interés público y enseñanza del derecho. Argentina, Chile, Colombia, México y Perú (2003):
69-96.
__. "Enseñanza jurídica y dogmática en el campo jurídico latinoamericano: apuntes acerca de un
debate necesario." M. García Villegas y C. Rodríguez. Derecho y sociedad en América Latina: un debate sobre
los estudios jurídicos críticos. Bogotá : Universidad Nacional de Colombia e ILSA (2003).
COVER, Robert, M. “Violence and the Word”, Yale Law Journal, 1986, p. 1601–1629
CRAIG Anthony, “The reconstitution of property: property as a web of interests”, Harvard
Environmental Law Review, Vol. 26, No. 2, p. 281, 2002
CRAMTON Roger, “Beyond the ordinary religion”, Journal of Legal Education 37.4, 1987, p. 509-18.
CROSS, John C, “Debilitando al clientelismo: la formalización del ambulantaje en la ciudad de
México”, Revista Mexicana de Sociología 59.4, 1997, p. 93-115.
CUKIER, Judie, Geoffrey WALL, “Informal tourism employment: vendors in Bali, Indonesia”,
Tourism Management 15.6, 1994, p. 464-7
CUMMINGS Scott, “Critical legal consciousness in action”, Harvard Law Review Forum, 120, 2007,
p. 62.
__, “The politics of pro bono”, UCLA Law Review, 2004, vol. 52, n ° 1, p.;
395
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
DALY Mary, “Ethical implications of the globalization of the legal profession: a challenge to the
teaching of professional responsibility in the twenty-first century”, The Fordham International Law
Journal, 1997, vol. 21, p. 1239;
DAVIS Diane E, “Undermining the rule of law democratization and the dark side of police reform
in Mexico”, Latin American Politics and Society, 48.1, 2006, p. 55–86.
DAVIS Kevin, TREBILCOCK Michael, “The relationship between law and development: optimists versus
skeptics”, American Journal of Comparative Law, 2008, vol. 56, No. 4, p. 895–946.
DAVIS Mike, « La planète bidonville : involution urbaine et prolétariat “informel” », Mouvements,
2005, no 3, p. 9-24 ;
DE ALMEIDA Abreu Mauricio, Le Clerre Gérard, « Reconstruire une histoire oubliée. Origine et
expansion initiale des favelas de Rio de Janeiro », Genèses, « Territoires urbains contestés », vol.16, 1994.
pp. 45-68 ;
DE LA CUEVA Antonio Azuela, “Los asentamientos populares y el orden jurídico en la
urbanización periférica de América Latina”, Revista Mexicana de Sociología, 1993, p. 133-68.
DE LAVERGNE Catherine, « La posture du praticien-chercheur : un analyseur de l’évolution de la
recherche qualitative », Recherches qualitatives, 2007, vol. 3, p. 28-43.
DE SARDAN OLIVIER Jean-Pierre, « La politique du terrain », Enquête, n° 1, 1995, p. 71-109.
DE SOTO Hernando, “Putting aside differing cultures: it is institutions and systems”, Law and
Business Review of the Americas, volume 13, Winter 2007, p.3
__, “Trust, institutions and entrepreneurship”, International Research in the Business Disciplines, 2006,
p. 3.
DEL PICCHIA, DE ARAUJO Ana Carolina, “Função sócio-ambiental do direito de propriedade”,
Revista Em tempo-, 2014, vol. 12, n° 1.
DELGADO A, “Guayaquil”, Journal Cities, 31, 2013, p.515
DELISLE Jacques, “Lex americana? : United states legal assistance, American legal models, and legal
change in the post-communist world and beyond”, University Pennsylvania journal of International
Economic law, Volume 20, 1999 p. 179
DELMAS-MARTY, LAMY, PELLET, “Les voies d’un ordre mondial”, le Débat n ° 142, Gallimard,
Novembre-Décembre 2006/5, p.4-18;
DELPEUCH Thierry, « La cooperation internationale au prisme du courant de recherche “droit et
développement” “, Droit et société.1, 2006, p. 119-75.
396
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
DONOVAN Michael G, “Informal cities and the contestation of public space: the case of bogotá’s
street vendors, 1988–2003”, Urban Studies 45.1, 2008, p. 29–51.
__, “La guerra por el espacio en Bogotá: la" recuperacion" del espacio público y su impacto sobre
los vendedores ambulantes”, Territorios 12, 2010.
DOS SANTOS Cunha, “Tracking the origins of a state terror network: operation condor”, Latin
American Perspectives, Vol.29, No. 1, Brazil: The Hegemonic Process in Political and Cultural
Formation, Jan. 2002, pp.38-60, URL: http://www,jstor,org/stable/3185071, Accessed: 10/01/2014
DOS SANTOS CUNHA Alexandre, Social Function of Property in Brazilian Law, The Fordham L.
Rev., vol. 80, 2011, p. 1171;
DOS SANTOS Theotonio, « La crise de la théorie du développement et les relations de dépendance
en Amérique latine », L’Homme et la Société, 1969, p. 43.
DUHAU Emilio,, « Les conflits de proximité au mexique : entre mobilisation de rue et mobilisation
du droit », Géocarrefour.1, 2012, p. 15.
DUQUE Quintero, Sandra Patricia, Elvia María González Agudelo, and Marta Lucía Quintero
Quintero. "La popularización del conocimiento y el consultorio jurídico." (2013).
DYAL-CHAND Rashmi, Exporting the ownership society: a case study on the economic impact of
property rights, Rutgers Law Journal, volume 39, Fall 2007, p.59
EAKIN Marshall C. et DE ALMEIDA, Envisioning Brazil, A guide to Brazilian Studies in the
United States, University of Wisconsin Press, 2005, p.363
EBERHARD, Christoph, “Alguna implicaciones de los enfoques alternativos”, El Otro Derecho.30,
2004.
EDGAR S. and Jean C. Cahn, “The war on poverty: A civilian perspective”, The Yale law journal,
Volume 73, Number 8, July 1964
EDWARDS, Harry T. “The growing disjunction between legal education and the legal
profession.” Michigan Law Review 91.1 (1992): 34–78.
ELLICKSON, “Unpacking the Household: Informal Property Rights Around the Hearth”, Yale law
journal, 2009, p.226-328
ELLMANN, Stephen, “Ethic of care as an ethic for lawyers, the”, Geo. LJ 81, 1992, p. 2665.
ENGELMANN Fabiano, « Diversification de l’espace juridique et invention de la “critique du
droit” au Brésil dans les années 1990 », Droit et societé, 2007, no 1, p. 153-169.
397
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
ESQUIROL Jorge L, « ¿ Hacia dónde va latinoamérica? una crítica al enfoque sociojurídico sobre
latinoamérica”, , 2003.
__, “Legal latin americanism”, Yale Hum.Rts.& Dev. LJ 16, 2013, p. 145.
__, “Titling and untitled housing in Panama City”, Tenn. JL & Pol’y 4, 2008, p. 243.
__, “Writing the law of Latin America”, Geo. Wash. Int’l L.Rev, n ° 40, 2008, p. 693.
__, “Continuing Fictions of Latin American Law”, Florida Law review, volume 55, January 2003, p.41.
__, « The failed law of Latin America », The American Journal of Comparative Law, volume 56.1,
Winter 2008, p.75-124
ESTENNE CELINE, « Droit du théâtre et théâtre du droit dans Six personnages en quête
d’auteur », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2009/1 Volume 62, p. 153-177
ETCHEGORRY, Cristina, MAGNANO, Cecilia, MENDIBURU, María José, et coll., « Fuera de
programa: la ausencia de los sectores vulnerables en la formación Jurídica”, Derecho y ciencias sociales,
2013, no 8, p. 4-24.
EVENSON Debra, « L’Évolution du rôle du droit dans la cuba révolutionnaire », Droit et société, 22,1,
1992, p. 375-92.
EWICK Patricia, SILBEY Susan, « La construction sociale de la légalité », Traduction de Guilhem
Cassan et coll.,, Terrains & travaux, 1, 2004, p. 112-38.
__., “Conformity, contestation, and resistance: An account of legal consciousness.”, New England.
Law Revue, 1991, vol. 26, p. 731;
__, “Narrating Social Structure: Stories of Resistance to Legal Authority.” American Journal of Sociology,
vol.108, no. 6, 2003, p. 1328-372.
FAGAN, Jeffrey et TYLER, Tom R, “Legal socialization of children and adolescents”, Social justice
research, 2005, vol. 18, No. 3, p. 217–241.
FAGUNDES, David, “Note, what we talk about when we talk about persons: the language of a legal
fiction”, Harvard law review 114.6, 2001.
FANDL Kevin, “Making trade liberalization work for the poor: trade law and the informal economy
in Colombia”, Texas International Law Journal, volume 43, Spring 2008, p.161
FARBER, Daniel A., and Suzanna Sherry. “Telling stories out of school: An essay on legal
narratives.” Stanford Law Review (1993): 807–855.
__, “Rights as signals”, The journal of legal studies, the University of Chicago press (éd.), vol. 31, no.
1, january 2002, pp. 83–98,
398
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
FERNANDES Edésio, “La influencia de El misterio del capital de Hernando de Soto”, CEPAL,
Land Lines, 2002, vol. 14, no 1
FINNEY, Stanley C., Lucy E. Edwards, “The ‘Anthropocene’ epoch: scientific decision or political
statement?” GSA Today 26.3, 2016, p. 4–10.
FISHER William F, “Doing good? the politics and antipolitics of ngo practices”, Annual Review of
Anthropology, 1997, p. 439-64.
FITZGERALD, Deborah, “Exporting American Agriculture: The Rockefeller Foundation in
Mexico”, 1943-53, Social Studies of Science, 1986, vol. 16, No. 3, p. 457–483;
FLÜCKIGER Alexandre, « L’acteur et le droit : du comédien au stratège », Revue européenne des sciences
sociales. European Journal of Social Sciences.XXXIX-121, 2001, p. 15–30.
FORD, Richard Thompson. The boundaries of race: political geography in legal analysis. Harvard
Law Review Association, 1994.
FOSTER Sheila, et BONILLA Daniel, , “The Social Function of Property: a comparative Law
Perspective”, Fordham Law Review, 2011, vol. 80, p. 101; Colin, CRAWFORD, “Social Function of
Property and the Human Capacity to Flourish”, The Fordham L. Rev., 2011, vol. 80, p. 1089
FOX Lorna, “The meaning of home: A chimerical concept or a legal challenge?”, Journal of Law and
Society, 2002, vol. 29, No. 4, p. 580–610.
FRANCOU Lionel, « Vers la ville insulaire ? », Espaces et Sociétés, n° 150, 2012 », Lectures [En ligne],
Les comptes rendus, 2012, mis en ligne le 18 octobre 2012, consulté le 03 mai 2013. URL :
http://lectures.revues.org/9547
FRASER Nancy, GORDON Linda, “‘Contrato’ versus ‘caridad’: una reconsideración de la relación
entre ciudadanía civil y ciudadanía social”, Isegoría, 6, 1992, p. 65.
FREEMAN JODY, “The private role in public governance”, New York University law Review,
Volume 75 2000, p. 543;
FRIED, Charles. “The lawyer as friend: the moral foundations of the lawyer-client relation”. The
Yale Law Journal Company, 1976.
FRIEDMAN Lawrence M, The law and society movement, Stanford Law Review, 1986, p.763-780.
FROMENTIN, Thomas L’unilatéralité en changement. Le prisme de l’enquête publique, Pyramides, 1 ; 2005,
90-105.
FRUG Gerald & BARRON, International Local Government Law, Urban law, volume 38, n ° 1, 2006,
p.1-62
399
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
FURFARO, Cristian A. "La alfabetización jurídica en las facultades de Derecho:¿ extensión o
comunicación?." Anales de la Facultad de Ciencias Jurídicas y Sociales 7 (2010).
GABEL, Peter et MICHAUT, F (trad.), Critical Legal Studies et la pratique juridique : la conception de la
culture juridique et de la pratique du droit comme interventions culturelles, Droit et Société, 1997, 1997, n° 36/37,
p.390
GALANTER, Marc, Liliane Umubyeyi and Liora Israël, « “Pourquoi c’est toujours les mêmes qui
s’en sortent bien ?” : réflexions sur les limites de la transformation par le droit » (2013) (3) Droit et
société p.575-640.
GALIN Pedro, El sector informal urbano: conceptos y críticas, Nueva sociedad, 1991, vol. 113, p.4550;
GALLEGOS RAMÍREZ Franklin Ramírez, Explorando en un agujero negro, Apuntes para una
crítica de las visiones dominantes sobre cultura política en el Ecuador, Franklin. Explorando en un
agujero negro. Revista ICONOS, 1999, vol. 7.
GARAPON Antoine, « Michel Foucault, visionnaire du droit contemporain », Raisons politiques.4,
2013, p. 39.
__, L’éthique du juge, le juge et son éthique, les cahiers de l’IHEJ, 1993, n 1 p.27 et
GARCÉS Chris, Exclusión constitutiva : Las organizaciones pantalla y lo anti-social en la renovación
urbana de Guayaquil, Iconos, Revista de Ciencias Sociales, 2004, no 20, p. 53-63 ;
GARNIER Jean - Pierre, « Du droit au logement au droit à la ville : de quel(s) droit(s) parle-ton ? » L’Homme et la société.4, 2011, p. 197.
GARTH, Bryant G., and Joanne Martin. “Law schools and the construction of competence.” Journal
of Legal Education 43.4 (1993): 469–509.
GAUDREAULT-DESBIENS Jean-Francois, « Identitarisation du droit et perspectivisme
epistemologique. quelques jalons pour une saisie juridique complexe de l’identitaire », Canadian
Journal of Law and Jurisprudence 13, 2000, p. 33-251.
GEA Frédéric, « Brèves réflexions sur l’identité et la (con) textualité du droit », Revue interdisciplinaire
d’études juridiques, 2013/1 (Volume 70), p. 99-107.
GESLIN Albane, « États et sécurité environnementale, états de l’insécurité environnementale : de la
recomposition normative des territoires à l’esquisse d’un droit de l’anthropocène », États et sécurité
internationale, Bruylant, 2010, p. 87-104.
400
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
GIFFORD, Robert, and Andreas Nilsson. “Personal and Social Factors That Influence Proenvironmental Concern and Behaviour: A Review.” International Journal of Psychology: Journal
International De Psychologie 49, no. 3 (2014): 141-57.
GILBERT Alan, “The return of the slum: does language matter?”, International Journal of Urban and
Regional Research, vol., 31, No. 4, p, 2007, 697–713.
__, On the mystery of capital and the myths of Hernando de Soto: What difference does legal title
make?, International Development Planning Review, 2002, vol. 24, No. 1, p. 1–19;
GILLESPIE Alexander, international Environmental Law, Policy and Ethics, Oxford University Press,
2014, p.4 et suiv.
GINGRAS,
MAHEU,
LAURIN-FRENETTE,
DANDURAND,
OLLIVIER.
« L’institutionnalisation De La Recherche En Milieu Universitaire Et Ses Effets. » Sociologie Et
Sociétés 23.1 (1991) : 41-54.
GINGRAS, Yves. « L’institutionnalisation de la recherche en milieu universitaire et ses
effets. »Sociologie et sociétés 23.1 (1991) : 41-54.
GOIRAND Camille,, « « Penser La Participation politique En Amérique latine : questionnements et
méthodes d’enquête » «, Participations.1, 2013, p. 227.
__, « Les gauches en Amérique latine : avant-propos », Revue internationale de politique comparée.3, 2005,
p. 267.
__ « Participation institutionnalisée et action collective contestataire », revue internationale de
politique comparée.4, 2013, p. 7.
__ Citizenship and poverty in Brazil, Latin American perspectives, 2003, volume 30, p.226.
__, « Philanthropes » en concurrence dans les favelas de Rio, Critique internationale, 1999, vol. 4, no 1,
p. 155-167 ;
GONÇALVES Rafael Soares, « Le marché de la location informelle dans les favelas de Rio de
Janeiro et sa régularisation dans une perspective historique », Revue Tiers Monde, 2, 2011, p. 21-36.
GONÇALVES Rafael Soares, BAUTÈS Nicolas, « De la qualification juridique à l’usage social du
droit : les favelas en prise avec l’intervention publique », Géocarrefour, vol. 88, no 3, 2013, p. 217-226
GONZALES Carmen, Squatters, Pirates, and Entrepreneurs: Is Informality the Solution to the
Urban Housing Crisis?, University of Miami Inter-American Law review, 2008, volume 40, p.239
GONZALES Luis Giancarlo Torreblanca, “Right to the true in iberoamerica”, Ius humani, Revista de
Derecho 3, 2012, p. 9.
401
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
GONZÁLEZ CASTILLA Francisco; Derecho y Revé; Una propuesta video gráfica para el diálogo
jurídico en el aula
GONZALEZ, Carmen G. “Bridging the North-South Divide: International Environmental Law in
the Anthropocene.” Pace Environmental Law (PELR) Review 32,407 (2015).
GORDON, Robert W., Critical legal histories, Stanford Law Review, 1984, p. 57–125.
GORELIK Adrián, « Rôles de la périphérie. Buenos aires : de la ville expansive à la ville archipel »,
Problèmes d’Amérique latine.3, 2013, p. 17.
GOUGH, I., Human well-being and social structures relating the universal and the local, Global Social Policy,
volume 4, numéro 3, 2004, p.289-311;
GROSFOGUEL Ramón et Cohen Jim, « Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre
Frantz Fanon et Boaventura de Sousa Santos », Mouvements, 2012/4 n ° 72, p. 42-53. DOI:
103,917/mouv.072.0042
GROSFOGUEL Ramón, “Decolonizing Western uni-versalisms: decolonial pluri-versalism from
Aimé Césaire to the zapatistas.” Transmodernity 1.3 (2012): 88–104.
GROSFOGUEL Ramón, “Decolonizing post-colonial studies and paradigms of political-economy:
Transmodernity, decolonial thinking, and global coloniality”. Transmodernity: Journal of Peripheral
Cultural Production of the Luso-Hispanic World, 2011, vol. 1, No. 1.
GRUBBA, Leilane Serratine, Horácio Wanderlei Rodrigues, “The discourse on human rights
protection and peripheral domination”, Filosofia Unisinos 13.2, 2012, p. 163-81.
GRUFFYDD Jones, Branwen, “‘Bankable Slums’: The global politics of slum upgrading”, Third
World Quarterly 33.5, 2012, p. 769-89.
GRZEGORCZYK Christophe, « Ordre juridique comme réalité », Droits.1, 2002, p. 103-18.
GUARDERAS, Augusto Barrera, Estado, sociedad y territorio: el debate actual sobre descentralización y
autonomías en la región andina, Nueva sociedad, 2007, no 210, p. 189-202.
GUASTINI Riccardo, « Alf Ross : une théorie du droit et de la science juridique »,
Guayaquil una ciudad en crisis, Proyecto de investigación « Urbanización y políticas en el Ecuador »
(FASE II) TOMO IV, Centro de investigaciones CIUDAD, Octubre 1990
GUERRERO Rafael, Regionalismo y democracia social en los orígenes del CFP, Quito, CAAP
Diálogos, 1994 ;
GUERRERO RAUL, « Idéologies du développement, enjeux socio-environnementaux et
construction de l’aire métropolitaine de Concepción, Chili. », Annales de géographie.6, 2013, p. 662.
402
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
GUILLOREL HERVE, Onomastique, marqueurs identitaires et plurilinguisme. Les enjeux
politiques de la toponymie et de l’anthroponymie, Droit et culture, Revue internationale interdisciplinaire,
volume 64, 2012, p.11-50
GULYANI, S. and E. M. BASSETT, « Retrieving the baby from the bathwater: slum upgrading in
Sub-Saharan Africa’, Environment and Planning C, 25(4), 2007, p.486-515
GUTWIRTH Serge, “Beyond identity?, Identity in the information society”, IDIS - Identity in the
information society, Vol. 1, 2009.
HALPERN Catherine, “Rencontre avec Alain Supiot. Penser la justice sociale”, Sciences
humaines 12/2010, n° 221, p. 48-48.
HAMEL, Jacques, Mikhaël Elbaz, Roberto Miguelez, “Pour la méthode de cas. considérations
méthodologiques et perspectives générales”, Anthropologie et Sociétés 13.3, 1989, p. 59-72.
HANDLER JOEL, Dependent people, the state, and the modern/postmodern search for the
dialogic community, UCLA law Review, Volume 35, 1987–1988, p. 999;
HANKE LEWIS, “The development of latin-american studies in the United States, 1939–1945”,
The Americas 4.01, 1947, p. 32–64.
HARDOY, Jorge, International cooperation for human settlements, Latin American Research Review,
1982, p. 3–28;
HART Keith, Informal income opportunities and urban employment in Ghana, the journal of modern
African Studies, volume 11, n ° 1, mars 1973, pp.61-89
HARVEY Warren Zorbaugh, The Gold Coast and the Slum: A Sociological Study of Chicago’s Near North
Side, University of Chicago Press, 15/07/1983 - 287 páginas.
HARVEY, David, “From managerialism to entrepreneurialism: the transformation in urban
governance in late capitalism”, Geografiska Annaler. Series B: Human Geography, 1989, p. 3–17.
HARVEY, David, “The condition of postmodernity an enquiry into the origins of cultural change”,
, 1989.
HENDERSON, Lynne N. Legality and empathy. University of Michigan Law School, 1987.
__, “Authoritarianism and the rule of law”, Ind. LJ 66, 1990, p. 379.
HERMITTE, Marie-Angèle., Le droit est un autre monde, Enquête, Archives de la revue Enquête, 1999,
no 7, p. 17-37.
HERNÁNDEZ-PEÑA, Patricia, et al, “Condiciones de trabajo, fatiga laboral y bajo peso al nacer
en vendedoras ambulantes”, Salud Pública de México 41.2, 1999, p. 101-9.
403
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
HERRERA Carlos Miguel, “Anti-formalisme et politique dans la doctrine juridique sous la IIIe
République”, Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2011/1 n° 29, p. 145-165.
HEUSCHLING Luc, “‘Effectivité’, ‘efficacité’, ‘efficience’ et ‘qualité’ d’une norme/du droit.
Analyse des mots et des concepts”, in : L’efficacité de la norme juridique. Nouveau vecteur de légitimité ?,
Ouvrage collectif sous la direction de Marthe Fatin-Rouge Stefanini, Laurence Gay, Ariane VidalNaquet, 2012, p.27-61
HILGARTNER, Stephen. “The dominant view of popularization: conceptual problems, political
uses.” Social studies of science 20.3 (1990): 519–539.
HIRATA, Daniel Veloso, “Commerce ambulant à são paulo et à Rio de Janeiro : groupes de pouvoir
et instruments de gouvernement”, Brésil(s), 2014.
HO DINH Anne-Marie, Le “vide juridique” et le “besoin de loi”. Pour un recours à l’hypothèse du
“non-droit” », L’Année sociologique, 2007/2 Vol. 57, p. 419-453. DOI : 10.3917/anso.072.0419
HOFF Karla et STIGLITZ Joseph ; Exiting a lawless state, The economic journal, 2008, vol. 118, no
531, p. 1474–1497;
Hogar de Cristo, El proceso de comunicaciones, un aliado estratégico, En el Corazon de la
esperanza, memoria institucional, 2012, p.82
HOLSTON, James, “Dangerous spaces of citizenship: gang talk, rights talk, rule of law in Brazil”,
2009.
HOULE, France, « La zone fictive de l’infradroit : l’integration des regles administratives dans la
categorie des textes reglementaires », McGill LJ 47, 2001, p. 161.
HURTADO, Fernando Rojas. « Les services juridiques alternatifs en Amérique latine. Réflexions à
propos des résultats d’une recherche. » Droit et société 22.1 (1992) : 409-431.
ILLICH Ivan, Las sombras de la caridad, Cidoc informa, vol.4, n° 3, febrero 1967 ;
Introduction à l’œuvre de Niklas Luhmann, Droit et société, 1989, vol. 11/12, 1989
IO, Gaitán, « La Lucha Política Por El Control De Guayaquil, Coyuntura. »,, 2012.
ISAACS, Nathan, The Law and the Facts, Columbia Law Review, 1922, p. 1–13.
Jacobson Arthur, The informal economy: The Other Path of the Law, Yale Law Journal, May 1994,
p.2213
JANUS, Eric, Clinical Teaching at William Mitchell College of Law: Values, Pedagogy, and
Perspective,
“William
Mitchell
Law
Review:
Vol. 30:
Issue 1,
2003;
en
ligne http://open.wmitchell.edu/wmlr/vol30/iss1/7
404
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
JEGOUZO Yves, « Droit de la ville et droit dans la ville », Revue française des affaires sociales, 2001/3
n° 3, p. 55-70.
JENS, David Ohlin, “Is the concept of the person necessary for human rights?” Columbia law review,
105, 2005, p. 209-2409.
JOHANSEN, Steven J., Ruth Anne Robbins, “Art-iculating the analysis: systemizing the decision to
use visuals as legal reasoning”, , 2015.
JONES, Susan R, “Current issues in the changing roles and practices of community economic
development lawyers symposium issue: lawyering for a new democracy”, Wisconsin Law Review 2002,
2002, p. 437-68.
__, “Small business and community economic development: transactional lawyering for social
change and economic justice”, Clinical L.Rev. 4, 1997, p. 195.
__, “Supporting urban entrepreneurs: law, policy, the role of lawyers in small business
development”, W.New Eng. L.Rev. 30, 2007, p. 71.
JONNAERT, Philippe, et coll. « Contribution critique au développement des programmes d’études :
compétences, constructivisme et interdisciplinarité. » Revue des sciences de l’éducation 30.3 (2004) : 667696.
JORDANA, Jacint, David LEVI-FAUR, “The diffusion of regulatory capitalism in Latin America:
sectoral and national channels in the making of a new order”, The Annals of the American Academy of
Political and Social Science 598.1, 2005, p. 102-24.
JOSSE Raymond, Grands ensembles, Banlieues nouvelles, Annales de Géographie, 1969, t. 78, n° 427,
pp. 341-344
JOUANJAN Olivier, « Faillible droit », Revue européenne des sciences sociales, XXXVIII-119, 2000, p. 6578.
__ « D’un retour de l’acteur dans la théorie juridique », Revue européenne des sciences sociales, XXXIX-121
| 2001, mis en ligne le 11 décembre 2009, consulté le 11 octobre 2012. URL : http://
ress.revues.org/646 ; DOI : 10.4000/ress.646 ;
__, « Nommer/Normer. Droit et langage selon la “Théorie structurante du Droit” », Le Temps des
savoirs, n° 1, La Dénomination, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 39sq.
__, « qu’est-ce qu’un discours “juridique” nazi ? » Le Débat.1, 2014, p. 160.
JOUVE Bernard, Éditorial, « L’empowerment : entre mythe et réalités, entre espoir et
désenchantement », Géographie, économie, société, 2006, vol. 8, no 1, p. 5-15 ;
JUERGENS Ann, “Poverty law: foreword”, William Mitchell College of Law, 2009, volume 35, p.754
405
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
JULLIEN Claude-François, « Théologie de la libération et Realpolitik », Politique étrangère, n° 4, 1984,
p. 893-905 ;
JUNQING Yi, « À propos de la philosophie micropolitique », Diogène, 2008/1 n° 221, p. 58-72.
JUNQUEIRA, Eliane Botelho, “Los abogados populares: en busca de una identidad”, El otro derecho,
2002, no 26-27.
KARPIK, Lucien et HALLIDAY, Terence C, « The legal complex », Annual Review of Law and Social
Science, 2011, vol. 7, p. 217-236,
KARSENTI Bruno, « Les droits de l’homme et la politique de la pitié », Cités.1, 2001, p. 43.
KARST, Kenneth L, “Boundaries and reasons: freedom of expression and the subordination of
groups”, U.Ill.L.Rev., 1990, p. 95.
KAUFMAN, Risa E., Martha F. Davis, Heidi M. Wegleitner, “The interdependence of rights:
protecting the human right to housing by promoting the right to counsel”, Columbia Human Rights
Law Review 45.3, 2014, p. 772–815.
KENNEDY Duncan, “Political significance of the structure of the law school curriculum”, the Seton
Hall L.Rev., 14, 1983, p. 1
__, “Responsibility of Lawyers for the Justice of Their Causes”, The Tex. Tech L. Rev., 1987, vol. 18,
p. 1157;
__, “Two globalizations of law and legal thought: 1850–1968”, Suffolk University Law revue, 2002,
vol. 36, p. 631;
__. "La responsabilidad de los abogados por la justicia de sus casos." Academia: revista sobre enseñanza
del derecho de Buenos Aires 6.12 (2008): 135-143 ;
__. “The social justice element in legal education in the United States.” Unbound 1 (2005): 93–591.
KING W., “Illegal Settlements And The Impact Of Titling Programs”., Harvard International Law
Journal, volume 44, Summer 2003, p. 433;
KITSUSE John et SPECTOR Malcolm, “Social problems and deviance: Some parallel issues”, Social
Problems, 1974, vol. 22, p. 584;
__, “Toward a sociology of social problems: Social conditions, value-judgments, and social
problems”, Social problems, 1973, p. 407–419;
KLABBERS Jan, “The Idea(s) of International Law”, FICHL Publication Series No. 11, 2011, p. 74
KLEINHANS Martha-Marie, MACDONALD Roderick A., “What is a critical legal pluralism?”,
Canadian Journal of Law and Society, 12.02, 1997, p. 25–46.
406
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
KOUAM, Siméon Patrice. « La définition du juriste et la redéfinition de la dogmatique juridique (à
propos du syncrétisme méthodologique) ». Les Cahiers de droit, 2014, vol. 55, no 4, p. 877-922.
KOZINSKI, Alex “What I Ate for Breakfast and Other Mysteries of Judicial Decision Making”,
Loyola of Los Angeles Law Review, vol.26, issue 4, 1993, p.993
KRISHNAN, Jayanth, « Cause lawyering et transgression dans un pays en développement : le cas de
l’Inde », Droit et société.3, 2003, p. 629-55.
LA TORRE Massimo, “Juristas, malos cristianos', Abogacía y ética jurídica”, Derechos y libertades,
2007, no 17, p. 71-108;
LABATUT, Jean-Michel, Mikhaël Elbaz, Roberto Miguelez, « La méthode anthropologique et la
petite production marchande en Afrique », Anthropologie et Sociétés 13.3, 1989, p. 73-98.
LAJOIE, Nathalie González, “El pluralismo jurídico en Carbonnier”, Anuario de filosofía del derecho,
1998, no 15, p. 165-186.
LANDOWSKY Eric (dir.), « Le discours juridique. Langage, signification et valeurs », Droit et société,
n° 8, 1988
LARSON Jane, “Informality, Illegality, and Inequality”, Yale Law & Policy Review, volume 20, 2002,
p.137;
LASCOUMES et Serverin, « Théories et pratiques de l’effectivité du Droit », Droit et société, n° 2,
1986, p.127-150 ;
LASCOUMES Pierre, Jean-Pierre LE BOURHIS, « Des “passe-droits” aux passes du droit. La mise
en œuvre socio-juridique de l’action publique », Droit et société, 32, 1996, p.57.
LASSWEL and Myres, “Professional training in the public interest”, Yale law journal, volume 52,
1942–1943, p. 203;
LASSWELL, Harold D., and Myres S. McDougal. “Legal education and public policy: Professional
training in the public interest.” The Yale Law Journal 52.2 (1943): 203–295.
__, “Legal education and public policy: Professional training in the public interest.” The Yale Law
Journal 52.2 (1943): 203–295.
LAUGIER Henri, Préface, « Tiers-Monde », tome 1, n° 1-2, 1960, pp. 1-2.
LAUNAY Philippa, « Le devenir d’Hamlet-machine, une expérience théâtrale », Sociétés, 2001/1 no 71,
p. 103-111.
LAUTIER Bruno, « Gouvernement moral des pauvres et dépolitisation des politiques publiques en
Amérique latine », Revue Tiers Monde. 2, 2013, p. 169.
407
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
LAVALLEE Carmen, « À la frontière de l ‘éthique et du droit », Revue de droit de l’Université de
Sherbrooke, vol. 24, 1993, p.1-70.
LAVIGNE DELVILLE Philippe, « Quelques mystères de l’approche de Hernando de Soto »,
L’Économie politique, no 4, 2005, p, 92-106,
LE GALES Patrick, « Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine », Revue française de science
politique, 45e année, n° 1, 1995. pp. 57-95 ;
LEFEBVRE Henri, « La ville et l’urbain », Espaces et société, numéro 2, mars 1971, p.4
__, « Réflexions sur la politique de l’espace », Revue Espaces et sociétés, numéro 1, novembre 1970, p.3-13
__, « Réflexions sur la politique de l’espace », Espaces et sociétés 1, 1970, p. 57-61.
__, Les mythes dans la vie quotidienne, Cahiers Internationaux de Sociologie, 33, 1962, p. 67-74
LEFÈVRE, CHRISTIAN, « Gouverner les métropoles : l’improbable gouvernement métropolitain »,
Sociologie & Sociétés 45.2, 2013, p. 223-42.
LEFRANC Sandrine, « La Professionnalisation d’un militantisme réformateur du droit : l’invention
de la justice transitionnelle », Droit et société, 3, 2010, p. 561-89.
LEGAULT Gisèle, « Travail social alternatif en Amérique du Sud », Nouvelles pratiques sociales, 1991,
vol. 4, no 2, p. 193-204 ;
LEJEUNE Aude, « L’expertise juridique au service de l’engagement politique ; using legal expertise
to serve political cause”, 2011.
__, « Conscientiser les individus au droit : la construction sociale des besoins et demandes
juridiques », Canadian journal of Law and society 26.03, 2011, p. 563-83.
LESSIG, Lawrence, “The regulation of social meaning”, The University of Chicago Law Review 62.3,
1995, p. 943-1045.
LEVAGGI Abelardo, “Ideas acerca del derecho de propiedad en la Argentina entre 1870 y 1920”, Revista
electrónica del Instituto de Investigaciones “Ambrosio Gioja”, Año I, Numero I, Invierno 2007. (Fecha de
consulta : 3 de enero de 2012
LÉVESQUE, Benoît, « Fonction de base et nouveau rôle des pouvoirs publics : vers un nouveau
paradigme de l’État », Annals of Public and Cooperative Economics, 2003, vol. 74, no 4, p. 489-514.
LILLEY, Stephen, “The hard work of ‘hard work’: the legal elite’s rhetoric of diligence and the
professionalization of the law, 1850–1920”, Widener Law Journal 17.1, 2007, p. 145–243.
408
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
LINGARD Lorelei, Mathieu Albert and Wendy Levinson, “Qualitative Research: Grounded Theory,
Mixed Methods, and Action Research”, British Medical Journal, Vol. 337, No. 7667, 23 aug. 2008, pp.
459–461;
LOBEL, Orly, “The paradox of extralegal activism: critical legal consciousness and transformative
politics”, Harvard Law Review, 2007, p. 937–988.
LOCHAK Danièle, « Écrire, se taire… Réflexions sur la doctrine antisémite de Vichy », Le genre
humain, 1996, no 30-31 : http://www.antirev.org/textes/Lochak96a,
__« Les droits de l’homme : ambivalences et tensions », Revue internationale de psychosociologie, 10,23,
2004, p. 9-24.
__, « Penser les droits catégoriels dans leur rapport à l’universalité », La Revue des droits de l’homme,
2013.
LÖWY MICHAËL, « Le Marxisme en Amérique Latine de José Carlos Mariategui aux Zapatistes du
Chiapas », Actuel Marx.2, 2007, p. 25.
LUCARELLI, rea, Per Olof Berg, “City branding: a state-of-the-art review of the research domain”,
Journal of Place Management & Development, 4.1, 2011, p. 9.
LUHMANN, Niklas, « Le droit comme système social », Droit et société, 1989, vol. 11, no 12, p. 61.
MACCAGLIA Fabrizio et Marie MORELLE, « Pour une géographie du droit : un chantier urbain »,
Géocarrefour [En ligne], Appels à contribution, mis en ligne le 16 avril 2013, consulté le 03 mai 2013.
URL : http:// geocarrefour.revues.org/8722
MACCAGLIA Fabrizio, « Introduction. illégalité et gouvernement des territoires. rapports au droit
et usages du droit dans la production, la gestion et la régulation des territoires », Annales de
géographie.6, 2014, p. 1251.
MACDONALD Roderick A, “Decolonizing law school”, Alberta Law Review 51, 2014, p. 717–925.
__, « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques avancées », Revue de Droit
de l’université de Sherbrooke, 33.1-2, 2002, p. 133-52.
__, “Legal bilingualism”, McGill LJ, 42, 1996, p. 119.
__, “Metaphors of multiplicity: civil society, regimes and legal pluralism”, Ariz. J. Int’l & Comp.
L. 15, 1998, p. 69.
__, « Pour La reconnaissance d’une normativité juridique implicite et « inférentielle » «, Sociologie et
sociétés 18.1, 1986, p. 47-58.
409
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
MACLEOD Adam, ‘Identifying Values in Land Use Regulation’, Kentucky Law Journal, 2012,
vol. 101, p. 55;
MANDERS Jonathan, ‘Sequencing property rights in the context of development: a critique of the
writings of Hernando de Soto’, Cornell Int’l LJ, 2004, vol. 37, p. 177.
MANDERSON, Desmond, ‘The law of the image and the image of the law: colonial representations
of the rule of law’, New York Law School Law Review 57.1, 2012, p. 153-68.
MANIS Jerome, ‘The concept of social problems: vox populi and sociological analysis’, Social
Problems, 1974, p. 305–315;
MARCHAL Hervé, « Les conditions d’une totalisation éthique de l’autre. entre humanisation,
catégorisation et personnalisation », Revue du MAUSS.1, 2013, p. 265.
MARES, C.F, “La propiedad de la tierra en la Constitucion brasilera de 1988”, in Derecho a la tierra,
Conceptos, experiencias y desafíos, el Otro derecho, n°31-32, ILSA, Bogota, Colombia;
MARGULIES, Peter, ‘Who are you to tell me that: attorney-client deliberation regarding nonlegal
issues and the interests of nonclients’, NCL Rev. 68, 1989, p. 213.
MARIE, Morelle, « Introduction pour une géographie du droit : un chantier urbain », Géocarrefour.1,
2014, p. 163.
MARKOVITS, Daniel. ‘Legal Ethics from the Lawyer’s Point of View.’ Yale JL & Human. 15
(2003): 209.
Marta VILLARREAl y Christian Courtis La educación clínica como practica transformadora, Enseñanza
clínica del derecho, Una alternativa a los métodos tradicionales de formación de abogados, , coordinadores, 2007
MARTIN, Nina, ‘Food fight! immigrant street vendors, gourmet food trucks and the differential
valuation of creative producers in Chicago’, International Journal of Urban and Regional Research 38.5,
2014, p. 1867-83.
MARTINE Kaluszynski, « Sous les pavés, le droit : le mouvement “critique du droit” ou quand le
droit retrouve la politique », Droit et société.3, 2010, p. 523.
MATRINGE Jean, « Sur la composition du droit », R.D.P. 2011.247
MAX, Travers, « Ethnométhodologie, analyse de conversation et droit », Droit et société.2, 2001,
p. 349.
MAYER Robert et LAFOREST Marcelle, « Problème social : le concept et les principales écoles
théoriques », Service social, 1990, vol. 39, no 2, pp. 13-43.
410
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
MC SHERRY Patrice, ‘Predatory States: Operation Condor and Covert War in Latin America’,
Review by: By Julio E, Moreno, The American Historical Review, Oxford University Press on behalf of
the American Historical Association, Vol. 111, No. 3, June 2006, p, 873, Stable URL:
http://www,jstor,org/stable/10,1086/ahr,111,3,873, Accessed: 10/01/2014 10:32
MCKENZIE, ‘The ecological approach to the study of the human community’, The American
Journal of Sociology, The University of Chicago, Vol. 30, No. 3, Nov 1924, pp. 287–301
MEDICI Alejandro, ‘Teoría constitucional y giro decolonial: narrativas y simbolismos de las
constituciones. reflexiones a propósito de la experiencia de Bolivia y Ecuador”, Otros Logos, Revista
de Estudios Críticos 1.1, 2010.
Melé, Patrice « Pour une géographie du droit en action », Géographie et cultures [En ligne], 72 |
2009, mis en ligne, le 07 mai 2013, consulté le 15 avril 2014. URL : http://gc.revues.org/2199 ;
DOI : 10.4000/gc.2199 ;
MEMMI, Dominique. « “Demande de droit'ou'vide juridique » ? Les juristes aux prises avec
construction de leur propre légitimité. » Les usages sociaux du droit, Paris, PUF (1989) : 13-31.
MENETREY, S. Daniel Mockle, « La gouvernance, le droit et l’état », Revue québécoise de droit
international (RQDI), n° 20, 2008, p.345-348.
MENKEL-MEADOW, Carrie, “Can they do that? Legal ethics in popular culture: of characters and
acts”, legal ethics in popular culture: of characters and acts. UCLA Law Review 48, 2001.
__, “Excluded voices: new voices in the legal profession making new voices in the law”, U.Miami
L.Rev. 42, 1987, p. 29.
MERA Gino, “Illegal settlements in Guayaquil, and the proposal to compete with them, Particular
solution about progressive urbanization and low cost lots for the poorest of the poor”,
http://www.hdm.lth.se/fileadmin/hdm/alumni/papers/SDD_2009_242b/Gino_Mera_Giler__Ecuador.pdf, dernier accès 07/02/2013.
MESCHKANK Julia, “Investigations into slum tourism in Mumbai: poverty tourism and the
tensions between different constructions of reality”, GeoJournal, vol. 76, No. 1, 2011p, 47–62,
MEYOR, LAMARRE, THIBOULOT, “L’approche phénoménologique en sciences humaines et
sociales”, Questions d’amplitude, Recherches qualitatives, Vol.25 (1), 2005, p.1-8;
MICHEL Aurélia, ERIC Denis, SOARES GONÇALVES Rafael, « Les enjeux du foncier urbain
pour le développment », Tiers monde : Revue Tiers monde. 206, 2011, p. 7-20.
MIGNOLO Walter D Walter D. “La idea de América Latina: la herida colonial y la opción
décolonial”. Gedisa, 2007.
411
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
MILGRAM, B. LYNNE, “Remapping the Edge: Informality and Legality in the Harrison Road
Night Market, Baguio City, Philippines”, City & Society 26.2, 2014, p. 153-74.
MILLARD Eric, « ¿ Por qué un derecho a la memoria ? » Revista Derecho del Estado 0.32, 2014.
___ « L’État de droit, idéologie contemporaine de la démocratie », Boletín mexicano de derecho comparado,
2004, vol. 37, no 109, p. 111-140.
MIRAFTAB, Faranak, “Flirting with the enemy: challenges faced by ngos in development and
empowerment”, Habitat International 21.4, 1997, p. 361-75.
MIROW, Matthew C., “Origins of the Social Function of Property in Chile”, Fordham Law Review,
2011, vol. 80, p. 1183–1217;
MKADMI Basma. « La juridicité du concept de développement durable dans la jurisprudence au
Québec », 2013.
Mockle Daniel, « La gouvernance publique et le droit », Les Cahiers de droit, vol.4, numéro 1, 2006,
p.89-165, accessible en ligne : http://www.erudit.org/revue/cd/2006/v47/n1/043881ar.pdf
MOCKLE, Daniel, « Deux variations sur le thème des normes », Cahiers de droit, 38,2, 1997, p. 43759.
__, « Mondialisation et état de droit », Cahiers de droit, 41,2, 2000, p. 237-88.
__, « Propos de Définitions du Droit », A. Can. JL & Soc., 1991, vol. 6, p. 181.
MONGOUACHON, Claire, « Les débats sur la Constitution économique en Allemagne », Revue
française de droit constitutionnel, 2012, no 2, p. 303-337, p.329 ;
MONIN E., Descat S., Siret « L’émergence du développement durable au regard des mutations de
l’histoire urbaine », Annales de la Recherche urbaine, N° 92, 2002, pp. 7 - 15
MONNET Jérôme, « Le commerce de rue, ambulant ou informel et ses rapports avec la
métropolisation : une ébauche de modelisation », Autrepart.3, 2006, p. 93.
MONNET Jêrome, “The Symbolism of place: a geography of relationships between space, power
and identity”, Cybergeo: revue européenne de géographie, 2011.
MONNET, Jérôme, « Dissociation et imbrication du formel et de l’informel : une matrice coloniale
américaine », Espaces et sociétés.3, 2010, p. 13.
MONNET, Jérôme, « Ambulantage et métropolisation », Cybergeo : revue européenne de géographie,, 2014.
MONNET, Jérôme, “El territorio reticular”, Enfoques y métodos en estudios territoriales, 2013, p.
137-67.
412
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
MONNET, Jérôme, « La Symbolique des lieux : pour une géographie des relations entre espace,
pouvoir et identité », Cybergeo : revue européenne de géographie,, 1998.
__, « Pitié pour les grandes villes ! », Cybergeo : revue européenne de géographie, février 1997
__
« L’ambulantage : Représentations
du
commerce
ambulant ou
informel
et
métropolisation », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], politique, Culture,
Représentations, document 355, mis en ligne le 17 octobre 2006
MONTECINOS, E, “Los estudios de descentralización en América Latina: una revisión sobre el
estado actual de la temática”, EURE, Santiago, vol. 31, n.93, 2005, p. 73-88.
MONTGOMERY, John, “Cultural quarters as mechanisms for urban regeneration. part 1:
conceptualising cultural quarters”, Planning Practice & Research 18.4, 2003, p. 293–306.
MONTOYA VARGAS, Juny. Educación jurídica en América Latina: dificultades curriculares para
promover los temas de interés público y justicia social. El otro derecho, ilsa, 2009, vol. 29, p. 42.
MOOR Pierre, « Logique scientifique et logique institutionnelle dans le discours juridique », Revue
européenne des sciences sociales [En ligne], XLVI-141, 2008, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté
le 13 octobre 2012 ; URL : http:// ress.revues.org/148 ; DOI : 10.4000/ress.148
__, « Savoirs juridiques et savoirs sur le droit », Revue européenne des sciences sociales 43.1, 2005, p. 2 — .
MOUTAKKI SABIR KARIM, « La coutume internationale : sujets de droit, consentement et
formation de la norme coutumière », Ottawa Law review, volume 35, numero 22 004, p.255
MOYSE Pierre-Emmanuel. « Kraft Canada c. Euro-Excellence : I “insoutenable légèreté du droit ».
McGill LJ, 2008, vol. 53, p. 741 ;
NAFFINE, Ngaire, “Who are law’s Persons? from cheshire cats to responsible subjects”, The Modern
Law Review 66.3, 2003, p. 346-67.
NAKAMURA, Shohei, “Revealing invisible rules in slums: the nexus between perceived tenure
security and housing investment”, Habitat International 53, 2016, p. 151-62.
NGOASONG, Michael Z., Albert N. Kimbu, “Informal microfinance institutions and
development-led tourism entrepreneurship”, Tourism Management 52, 2016, p. 430-9.
NIJMAN Janne, “The future of the city and the international law of the future”, FICHL Publication
Series, 2011, No. 11, p. 213–229.
NORA Semmoud, « Marginalisation et informalité : d’une domination à une autre. cherarba au sudest de la périphérie d’Alger », Annales de géographie.5, 2014, p. 1146.
413
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
NOREAU, Pierre « L’épistémologie de la pensée juridique : de l’étrangeté… à la recherche de soi »,
Les Cahiers de droit, vol. 52, n° 3-4, 2011, p. 687-710, http://id.erudit.org/iderudit/1006807ar
__, « Comment la legislation est — elle possible ? objectivation et subjectivation du lien social »,
McGill Law Journal 47, 2001, p. 195
O’DONNELL Guillermo « Polyarchies and the (un) rule of law in Latin America ». Instituto Juan
March de Estudios e Investigaciones, 1998 ;
__, “Why the rule of law matters”, Journal of Democracy, 2004, vol. 15, No. 4, p. 32–46;
OLIVESI, Stéphane, « Le terrain : une mythologie scientifique ? » questions de communication, 2013.
OTTO Jan Michel, “Rule of law promotion, land tenure and poverty alleviation: questioning the
assumptions of Hernando de Soto, Hague Journal on the Rule of Law, 2009, vol, 1, No. 01, p, 173–194.
OWEN et PORTILLO, “Legal reform, externalities and economic development: measuring the
impact of legal aid on poor women in Ecuador”, Stanford Institute for Economic Policy Research, n
°2–32, 2003; http://www-siepr.stanford.edu/papers/pdf/02-32.pdf;
PACHANO Simón, “Democracia sin sociedad”, Quito, ILDIS, 1996; Sánchez Parga José, La Pugna
de Poderes, Análisis Crítico del Sistema Político Ecuatoriano, Quito, Abya Yala, 1998;
PALMER Robert, “The informal economy in sub-saharan africa: unresolved issues of concept,
character and measurement”, occasional papers, n ° 98, Center of African studies, Edinburgh
University,
2004,
accessible
en
ligne
http://www.cas.ed.ac.uk/__data/assets/pdf_file/0020/27362/No_098_the_informal_economy_in
_sub-saharan_africa-_unresolvec.pdf
PARADEISE Catherine, “Comprendre les professions: l’apport de la sociologie”, Sciences humaines,
volume 6, n °139 2003 p. 26-26,
PARDO Gato, José Ricardo, “Las sanciones disciplinarias impuestas por los colegios de abogados:
su revisión judicial”, 2007;
PASQUALUCCI Jo, “The Right to a Dignified Life (Vida Digna): The Integration of Economic and
Social Rights with Civil and Political Rights in the Inter-American Human Rights System”, Hastings
International and Comparative Law Review, Winter 2008, volume 31, p. 1
PAZ Juan J. y Miño CEPEDA, “La época cacaotera en Ecuador”, en Sonia Fernández Rueda,
Pontificia Universidad Católica del Ecuador, Facultad de Economía Quito, marzo/abril de 2011,
No. 03
PELISSE Jérôme, « A-t-on conscience du droit ? autour des legal consciousness studies”, Genèses.2,
2005, p. 114-30.
414
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
PELISSE Jérôme, « Judiciarisation ou juridicisation ? » Politix.2, 2009.
PELISSE Jérôme, « Judiciarisation ou juridicisation ? » Usages et réappropriations du droit dans les
conflits du travail, Politix, 2009/2 n ° 86, p. 73-96.
PENALVER Eduardo, “Property as entrance”, Virginia law review, volume 91, 2005, p.1889
PENALVER Eduardo, Moises, Sonia K. KATYAL, “Property outlaws”, University of Pennsylvania
Law Review 155, 2007, p. 1095-981.
PENALVER Edwardo, “Land Virtues”, Cornell Law Review, vol. 94, 2008, p. 821;
PEREIRA DA MOTA Mauricio Jorge, , “A função socioambiental da propriedade: a compensação
ambiental como decorrência do princípio do usuário pagador” Revista Quaestio Iuris, 2011, vol. 4, no
1, p. 785-814;
PEREIRA Eliécer Batista et Lucero James Iván Coral, “La función social de la propiedad: la
recepción de León Duguit en Colombia”, Criterio Jurídico, 2011, vol. 10, no 1;
PERRENOUD, Philippe. « L’université entre transmission de savoirs et développement de
compétences. » Congrès de l’enseignement universitaire et de l’innovation (2004).
PERRIN, Jean-François, “La autonomía de la voluntad y el pluralismo jurídico en nuestros días”,
Sociologías, 2005, no 13, p. 162-178.;
PETRAS, James, “Imperialism and NGOs in Latin America”, monthly review-New York—, vol. 49,
1997, p. 10–27.
PIAGET Jean, « Problèmes généraux de la recherche interdisciplinaire et mécanismes
communs », Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines, première partie : Sciences
sociales, 1970, p. 559-628 ;
PIETRANTONIO Linda, “Égalité et norme. pour une analyse du majoritaire social », Mots. Les
langages du politique.78, 2005, p. 117-27.
PIRON Olivier, « Du langage de l’urbano-centrisme, » Urbanisme, Lire et écrire la ville, Revue Urbanisme,
no 379, juillet-août 2011, p.6
PITHOUSE Richard, “Rethinking public participation from below”, Critical Dialogue, n ° 2, vol.6,
2006, p.23;
__, “Producing the poor: the World Bank’s new discourse of domination”, African Sociological
Review, 7.2, 2004, p. 118-48.
415
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
POIRIER, Marc R, “Brazilian regularization of title in light of ‘moradia’, compared to the United
States understandings of homeownership and homelessness”, The University of Miami Inter-American
Law Review 44.2, 2013, p. 259–312.
PORRAS, Ileana, “Appropriating Nature: Commerce, Property, and the Commodification of Nature
in the Law of Nations”, Leiden Journal of International Law, 2014, vol. 27, No. 03, p. 641–660.
PORTER, Elizabeth G, “Taking images seriously”, Columbia law review, 2014, p. 1687-782.
POSNER Eric, “The regulation of social meaning”, University Chicago law Review, Volume 62, 1995,
p. 943
POSNER Richard, “The decline of law as an autonomous discipline: 1962–1987”, Harvard law
Review, Volume 100, 1986–1987, p. 761
POST, David. "Las Reformas Constitucionales en el Ecuador y las Oportunidades para el Acceso a
la Educación Superior desde 1950." Archivos Analíticos de Políticas Educativas 19.20 (2011): 1-24.
POUND, Roscoe, “Mechanical Jurisprudence”, Columbia Law Review, volume 8, December, 1908, p.
605–623.
PURCELL Mark, “Excavating Lefebvre: The right to the city and its urban politics of the inhabitant,”
Geography Journal, Vol. 58, No. 2/3, Social Transformation, Citizenship, and the Right to the City, 2002,
pp. 99–108,
RABIN, Robert L, “Lawyers for social change: perspectives on public interest law”, Stanford law
review, 1976, p. 207-61.
RADIN, Margaret Jane, “Property and personhood”, Stanford law review, 1982, p. 957-1015.
RAISER Thomas, « Les relations entre la sociologie du droit et les sciences juridiques », Droit et
société, 1989, vol. 11, no 12, p. 121-138.
RAMÍREZ René, « Tercera Ola de Transformación de la Educación Superior en Ecuador. Hacia la
constitución de la sociedad del buen vivir.” Quito, Ecuador: SENPLADES. (2013).
__ “Introducción”. En Transformar la Universidad para transformar la sociedad, Senplades
(Comp.): Quito, Ecuador: Senplades. (2010). Págs. 7–26.
RAMOS, Manuel R, “Legal malpractice: the profession’s dirty little secret”, Vanderbilt Law Review 47,
1994, p. 1657-939.
RAND Josep, Understanding “Why good lawyers go bad: using case studies in teaching cognitive
bias in legal decision-making”, Clinical L. Rev., 2002, vol. 9, p. 731,
RAO Vyjayanthi, “Slum as theory: the South/Asian city and globalization”, International Journal of
Urban and Regional Research, vol. 30, No. 1, 2006, p. 225–232;
416
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
RE Edward, “The causes of popular dissatisfaction with the legal profession”, St. John’s Law Review,
68.1, 2012, p. 3.
Rétif, André S.J, “Los sacerdotes obreros franceses”, Mensaje vol.1, n°14, 1952, p.562-566
REY Gaëtan, « Adaptation et contexte, Méthode pour la modélisation du contexte d’interaction »,
System Research Group Computer Science and Informatics, Center University College Dublin
Belfield, RSTI - ISI – 11/2006, pages 141 à 166
RHODE, Deborah L. « Institutionalizing Ethics. » Case W. Res. L. Rev. 44 (1993): 665.
__. “Missing questions: Feminist perspectives on legal education.” Stan. L. Rev. 45 (1992): 1547.
__, “legal education, feminist values, gender bias: missing questions: feminist perspectives on legal
education”, Stanford law review 45, 1993, p. 1547–2211.
__, “symposium on the law firm as a social institution: ethical perspectives on legal practice”,
Stanford law review 37, 1985, p. 589-1573.
__, “The future of the legal profession: institutionalizing ethics”, Case Western Reserve law review 44,
1994, p. 665-1129.
RIBARDIERE, Antonine, Jean-François Valette, « La pauvreté urbaine à mexico : une approche de
la diversité des colonies populaires », EchoGéo.30, 2014.
RICŒUR Paul, « Science et idéologie », Revue philosophique de Louvain, 1974, vol. 72, no 14, p. 328356.
RIOFRÍO Gustavo, « Notas sobre el problema habitacional en » el otro sendero, Bulletin de
l’Institut français d’études Andines, 1988, vol. 17, no 1, p, 13-17 ;
RIVERO Jean, « Consensus et légitimité », Pouvoirs, 1978, n° 5, p.57
ROBERT, Lafore, « La juridicisation des problèmes sociaux : la construction juridique de la
protection sociale », Informations sociales.1, 2010, p. 18.
ROCHEX Jean-Yves, « Approches cliniques et recherche en éducation », Recherche et formation, 65,
2010,
ROJAS, Jaime E. « Reforma universitaria en el Ecuador. Etapa de transición” Innovación Educativa,
vol. 11, núm. 57, octubre-diciembre, 2011, pp. 59-67 Instituto Politécnico Nacional Distrito Federal,
México
ROMÁN, Marcela. "¿Por qué los docentes no pueden desarrollar procesos de enseñanza aprendizaje
de calidad en contextos sociales vulnerables." Persona y sociedad 17.1 (2003): 113-128.
417
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
ROMERO VICENTE, « Du nominal “latin” pour l’autre Amérique. notes sur la naissance et le sens
du nom “Amérique latine” autour des années 1850 », Histoire et Société de l’Amérique latine.7, 1998,
p. 57-86.
ROSE Carol M., “Crystals and Mud in Property Law”, Stanford Law Review, volume 40, 1987–1988,
p.577;
ROUZEL Joseph, « Théoriser le social : socialiser la théorie », Vie sociale et traitements, 2002, vol. 75,
no 3, p. 30-31 ;
ROY Ananya, “Slumdog cities: rethinking subaltern urbanism”, International journal of urban and
regional research 35.2, 2011, p. 223.
RUSCHEL Ruy Ruben, “A eficácia dos direitos sociais”, Revista da Associação dos Juízes do Rio Grande
do Sul (AJURIS) nº1993, vol. 58, p. 291;
RUWEN Ogien et Tappolet Christine, « Les concepts de l’éthique, Faut-il être conséquentialiste ? »
Herman, Paris, 2008, revue par BÉRUBÉ, Micaël, Philosophiques, 2010, vol. 37, no 2, p. 551-555.
SAINZ Perez J.P. “The new faces of informality in Central America”, Journal of Latin American studies,
volume 30, 1998, p.157-179;
SALAS Carlos, “El sector informal: auxilio u obstáculo para el conocimiento de la realidad social en
América Latina”, Teorías sociales y estudios del trabajo: nuevos enfoques, 2006, p.130-148,
SALAS Minor, “¿Es el Derecho una profesión inmoral? Un entremés para los cultores de la ética y
de la deontología jurídica”, DOXA, Cuadernos de Filosofía del Derecho, 2007, vol.30, pp. 581-600 2007;
SALAS, Julián, “Tugurización y necesidades de la habitabilidad básica en Latinoamérica: rémoras a la
cohesión social”, Pensamiento iberoamericano, 2007, no 1, p. 207-230.
Salinger Lillian, Poverty Law: What Is It?, Legal reference services quartelerly, volume 12, 12, 1992, p.
5
SANGUIN Andre-louis, « La géographie humaniste ou l’approche phénoménologique des lieux, des
paysages et des espaces », Annales de Géographie, n° 501, 1981, pp. 560-587 ;
SARAT Austin, “Law is all over: power, resistance and the legal consciousness of the welfare poor,
the”, Yale JL & Human. 2, 1990, p. 343.
Savignat Pierre, « Le travail social aux défis du néolibéralisme », Entre le et la politique, Le sociographe,
2009/3, n° 30, p. 21-29.
SCHILTZ, Lony, et al, « Précarité sociale, marginalisation et pathologie limite : étude comparative de
plusieurs groupes de sujets en rupture de projet de vie », L’Evolution psychiatrique 72.3, 2007, p. 45368.
418
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
SCHINDLER, Seth, “Producing and contesting the formal/informal divide: regulating street
hawking in Delhi, India”, Urban Studies 51.12, 2014, p. 2596-612.
Schteingart M., “La investigación urbana en América Latina”, Papeles de población, enero-marzo,
número 23, Universidad Autónoma del Estado de México, 2000, p.9-27;
SCOTT, James C, « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme.3, 2006, p. 25-9.
SEGAL, Silvia, DOYHAMBOURE, Uxoa, et BARAHONA, Oscar, « Marginalidad espacial, Estado
y ciudadanía », Revista Mexicana de Sociología, 1981, p. 1547-1577 ;
SEGUY Jean, Guillaume Marc (éd) L’État des sciences sociales en France. Archives de sciences sociales
des religions, 1987, vol. 63, no 2, p. 253-254.
SEN, Amartya, “What is the role of legal and judicial reform in the development process?”, The
World Bank Legal Review, 2006, vol. 2.
SERIAUX A., « Question controversée : la théorie du “non-droit” », RRJ 1995-1, p.13
SERVET Jean-Michel, « Aide au développement : six décennies de trop dits et de non-dits », Revue
de la régulation : Capitalisme, Institutions, Pouvoirs, volume 7, 1er semestre, été 2010,
SHAFFER, Thomas L. « On teaching legal ethics in the law office. » Notre Dame L. Rev. 71 (1995) :
605.
SHAPIRO, Martin, “The globalization of law”, Indiana Journal of Global Legal Studies, 1993, p. 37–64;
SHAVELL STEVEN, “The fundamental divergence between the private and the social motive to
use the legal system”, Journal of Legal Studies, Volume 26, 1997, p. 575–612
SHERWIN, Richard K. “A Manifesto for Visual Legal Realism.” Loyola of Los Angeles Law Review 40
(2007): 08-2.
SHEUYA, S. “Improving the health and lives of people living in slums”, Annals of the New York
Academy of Science , (2008), 1136, p.1–9
SILBEY S., Patricia EWICK, « Devant la loi : la construction sociale du juridique », Droit et Société,
Recherches et Travaux 2, 1997, p. 33-57.
SILBEY JESSICA, “I. visualizing law in the digital age: images in/of law”, New York Law School Law
Review 57, 2012, p. 171–971.
__ M, “Images in/of Law”, New York Law School Law Review 57, 2012, p. 171.
SILBEY, Susan S, “After legal consciousness”, Annual Revue Law Soc. Sci., 2005, vol. 1, p. 323-368 ;
419
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
SILVA Londoño, Diana Alejandra, “Comercio ambulante en el centro histórico de la ciudad de
México, 1990-2007.”, Revista mexicana de sociología 72.2, 2010, p. 195-224.
SIMARD Jeanne, Marc-André Morency, Daniel Marc Weinstock, « L’interprétation du droit par les
juristes : la place de la délibération éthique », ateliers de l’éthique 6.2, 2011, p. 26-48.
SIMON David, “Situating slums: discourse, scale and place”, City, 2011, vol. 15, No. 6, p. 674–685.
SINGER Joseph William, “Democratic estates: property law in a free and democratic society”,
Cornell Law Review, vol. 94, 2008, p. 1009;
SINGER Joseph William, “The reliance interest in property”, Stanford Law Review, volume 40, 1987–
1988, p.611
SINGER Joseph, ALEXANDER Gregory, PE. Edwardo, et al., “A Statement of Progressive
Property”, Cornell Law Review, p.743, 2009;
SIRVEN Nicolas, « De la pauvreté à la vulnérabilité :
méthodologiques », Mondes en développement.4, 2007, p. 9.
Évolutions
conceptuelles
et
SOARES Gonçalves Rafael, « La Politique, le droit et les favelas de Rio de Janeiro. un bref regard
historique », Journal des anthropologues. Association française des anthropologues.104-105, 2006, p. 3763.
STAMMERS Neil, “Human rights and social movements: theoretical perspectives”, Revue
interdisciplinaire d’études juridiques 73.2, 2016, p. 67–89.
STARK R., “Deviant places: a theory of the ecology of crime”, Criminology, volume 25, 1987, p.893–
910
STAVENHAGEN Rodolfo, Repensar América Latina desde la subalternidad: el desafío de Abya Yala,
extrait de América Latina y el Caribe: Globalización y conocimiento. Repensar las Ciencias Sociales, Fransisco
Rojas Aravena y Andrea Alavarez-Marin (éds.), UNESCO, 2011,p.167-197
STAVO-DEBAUGE, Joan. « Le droit et la pensée de la réalisation du droit ». Efficacia e diritto del
lavoro, à paraître, 2007.
STEFFEN, GRINEVALD, CRUTZEN, “The Anthropocene: conceptual and historical
perspectives”, Philosophical Transactions of the Royal Society of London A: Mathematical, Physical and
Engineering Sciences, 2011, vol. 369, no 1938, p. 842–867.
STOKES, Suzanne, “Visual literacy in teaching and learning: A literature perspective”, Electronic
Journal for the Integration of technology in Education, 2002, vol. 1, No. 1, p. 10–19. ;
SUNSTEIN Cass, “Social norms and social roles”. Columbia law review, 1996, vol. 96, No. 4, p. 903–
968.
420
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
SUNSTEIN Cass, “On the expressive function of law”, University of Pennsylvania law review, 1996,
vol. 144, No. 5, p. 2021–2053.
SUPIOT Alain, « Grandeur et petitesses des professeurs de droit », Cahiers de droit, 42,3, 2001, p. 595614.
SUPIOT Alain, « La pauvreté au miroir du droit », The journal of field actions, Special Issue 4, 2012.
__, « Ontologie et déontologie de la doctrine », Recueil Dalloz.21, 2013, p. 1421-8.
SUR SERGE, « Gouvernance : le mot et la chose », Questions internationales, n° 43, mai-juin 2010
SWANSON, Kate, “Revanchist urbanism heads south: the regulation of indigenous beggars and
street vendors in Ecuador”, Antipode, 39.4, 2007, p. 708-28.
SWANSON, Kate. “Revanchist urbanism heads south: the regulation of indigenous beggars and
street vendors in Ecuador.” Antipode 39.4 (2007): 708–728.
TAMANAHA Brian, “Primacy of Society and the Failures of Law and Development”, The Cornell
International law journal, 2011, vol. 44, p. 209
TARDIF, Jacques, and Bruno Dubois. « De la nature des compétences transversales jusqu’à leur
évaluation : une course à obstacles, souvent infranchissables. » Revue française de linguistique
appliquée 18.1 (2013) : 29-45.
TEUBNER, Gunther, “Two faces of Janus: rethinking legal pluralism », The.Cardozo L. Rev., 1991,
vol. 13, p. 1443,
THERY Irène, Expertises de service, de consensus, d’engagement : essai de typologie de la mission d’expertise en
sciences sociales, Droit et Société, N° 60, 2005, p.311
THÉVENOT, Laurent. “Jugements ordinaires et jugement de droit”. Annales, 1992, p. 1279-1299 ;
THIBEAULT, Rachel, ‘Globalisation, universities and the future of occupational therapy:
Dispatches for the majority world’, Australian Occupational Therapy Journal, 2006, vol. 53, No. 3, p.
159–165.
Thompson Ford Richard, ‘The boundaries of race: political geography in legal analysis’, Harvard Law
review, volume 107, number 8, June 1994, p.1843
THOMPSON James, SCHECHNER Richard, ‘Why “social theater”?’ TDR, 48.3, 2004, p. 11-6.
TIEPOLO Maurizio, ‘The barrio marginado regularization in Guayaquil’, Centro città Del terzo
mondo, Politecnico di Torino working paper n ° 27, 2007
Timsit, Gérard. “Le roman à la chaîne.” Revue internationale de philosophie 3 (2005) : 393-411.
421
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
TISSIER Jean-Louis, “Sur les bancs de l’École de Chicago”, Espace géographique, Tome 23, n° 2, 1994,
pp. 189-190
TOMAS, François, “La irregularidad en el desarrollo urbano de América Latina”, Revista mexicana de
sociología, 1995, p. 27-34.
TREMBLAY Paul, ‘Theoretics of practice: the integration of progressive thought and action:
rebellious lawyering, regnant lawyering, street-level bureaucracy’, Hastings Law Journal 43, 1992, p.
947-1573.
TREMBLAY, Luc B. “Positivisme Juridique versus l’Herméneutique Juridique”, Thémis, 46.2, 2012,
p. 249.
TRUBEK David, GALANTER Marc, ‘Scholars in Self-Estrangement: Some Reflections on the
Crisis in Law and Development Studies in the United States’, Wisconsin Law Review, vol.4, 1974, p.
1062–1102.
TRUBEK, David M, Toward ‘a social theory of law: an essay on the study of law and
development’. The Yale Law Journal, 1972, vol. 82, No. 1, p. 1–50
TUSSIE Diana y Descanso Melisa, La construcción del saber académico en América Latina:? voz de los
excluidos o sostén de la tecnocracia?, extrait de América Latina y el Caribe: Globalización y conocimiento.
Repensar las Ciencias Sociales, Fransisco Rojas Aravena y Andrea Alavarez-Marin (éds.), UNESCO,
2011, p.93-117
UGALDE Antonio, « Las dimensiones ideológicas de la participación comunitaria en los programas
de salud en Latinoamérica », Cuadernos Médico Sociales, vol.42, 1987, p.27-38 ;
UPHAM Frank, ‘Mythmaking in the Rule of Law orthodoxy’, Rule of Law Series, Democracy and
Rule of Law Project, Carnegie Working Papers, September, 2002, p. 7.
__., ‘Speculations on Legal Informality: On Winn’s’ Relational Practices and the Marginalization of
Law”: Comment”, Law and Society Review, 1994, p. 233–241;
VAN HOECKE and Warrington, “Legal cultures, legal paradigms and legal doctrine: towards a new
model for comparative law”, International and Comparative Law quarterly, volume 47, 1998, p.496;
VARGAS Llosa Mario et Bataillon Gilles, « Rêve et réalité de l’Amérique latine », Problèmes
d’Amérique latine, 2010/3 N° 77, p. 9-23.
VARLEY Ann, “Postcolonialising informality?”, Society and Space 31.1, 2013, p. 4–22.
VEGA, Isaac Chang, “El abogado, su función social”, Revista de derecho Iustitia y
Universidad Santa Laria, La Antigua, n°24, 2010, p. 5.
pulchritudo,
422
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
VELASQUEZ, Juan, Rickard Lalander, “La ciudadania insurgente de las mujeres de barrios
populares en Venezuela: reflexiones sobre los consejos comunales y las salas de batalla social”,
Espacio Abierto 24.3, 2015, p. 45-68.
VELEDA DA SILVA, S, “El comercio callejero y la nueva geografía cultural: una propuesta teóricametodológica”, Anales de Geografía de la Universidad Complutense 26, 2007.
VIDAL Gilles, « Négation de l’autre et violence institutionnelle », Champ psy.1, 2004, p. 105.
VIDAS Davor, “The Anthropocene and the international law of the sea” Philosophical Transactions of
the Royal Society of London A: Mathematical, Physical and Engineering Sciences, 369.1938, 2011, p.909-925;
VIDAS, FAUCHALD, JENSEN, TVEDT M., “International law for the Anthropocene? Shifting
perspectives in regulation of the oceans, environment and genetic resources”, Anthropocene,
Volume 9, March 2015, Pages 1–13
VILLAVICENCIO, G. “La lucha política por el control de Guayaquil, La Tendencia”, Revista de análisis
político, mayo 2012, p.29-32
VILLEGAS GARCIA Mauricio, “notas preliminares para la caracterizacion del derecho en Amreica
Latina”, El otro derecho, n °26–27, Abril 2002, ILSA, Bogota, Colombia, p. 13–48.
VRANCKEN Didier, Rachel Brahy, « Se réaliser comme sujet dans un atelier-théâtre pour tenter de
“s’en sortir” “, SociologieS, 2012.
WAHNSCHAFFT, Ralph, “Formal and Informal Tourism Sectors”, Annals of Tourism Research 9.3,
1982, p. 429-51.
WARD P., “Corruption Informality and Illegality In Urban Life”, Area, Vol. 19, No.
WENDELL, Oliver “The Theory of Legal Interpretation”, Harvard Law Review, Vol. 12, No. 6, Jan.
25, 1899, pp. 417–420;
WENDELL Oliver, “Law in Science and Science in Law”, Harvard Law Review, Vol. 12, No. 7, Feb.
25, 1899, pp. 443–463;
WILEMAN, Ralph E., “Visual communicating”, Educational Technology, 1993.
WILLIAMS, Norman, “Discrimination and Segregation in Minority Housing”, American Journal of
Economics and Sociology, 1949, vol. 9, No. 1, p. 85–102.
WILSON, Woodrow, “The Law and the Facts: Presidential Address”, Seventh Annual Meeting of
the American Political Science Association, American Political Science Review, 1911, vol. 5, No. 01, p. 1–
11;
423
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Wohl R. and Anselm L. Strauss, “Symbolic Representation and the Urban Milieu”, American Journal of
Sociology, The University of Chicago Press, Vol. 63, No. 5, Mars 1958, pp. 523–532 Stable URL:
http://www.jstor.org/stable/2773079; Accessed: 11/06/2014 13:12
WOLKMER, Antonio Carlos, “Pluralismo jurídico,
alternativas”, El otro derecho, 1991, vol. 7, p. 29-46;
movimientos
sociales
y
prácticas
WOODFORD BRAY Marjorie, “Latin American Studies in the Twenty-First Century: Why?
How?”, Latin American Perspectives, Vol. 31, No. 1, Critical Approaches to Teaching Latin American Studies,
Jan., 2004, pp. 23-38Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3185165.
WROBLEWSKI Jerzy, ‘Les langages juridiques : une typologie’, Droit et société, 1988, vol. 8, p. 15-30 ;
WRONG Dennis, “Some problems in defining social power”, American Journal of Sociology, 1968, p.
673–681
ZALASIEWICZ Jan, “Are we now living in the Anthropocene?”, Gsa Today, 18.2, 2008, p. 4.
ZANETTA, Cecilia. “The evolution of the World Bank’s urban lending in Latin America: from sites
and services to municipal reform and beyond.”, Habitat international, 25.4, 2001, p.513-533.
7. Enquêtes, rapports, déclarations
‘Nunca mas, Informe de la Comision nacional sobre la desaparicion de personas’, Eudeba, Buenos Aires, 1984
‘The urban challenge’ du rapport ‘Our Common future » connu également sous le nom de ‘rapport
Bruntland’, Report of the World Commission on Environment and Development adopté par
Résolution de l’AGNU 42/187 le 11 du décembre 1987, accessible en ligne http://www.undocuments.net/our-common-future.pdf (08/04/2013)
Aclaración Institucional en relación a la situación legal de los predios de Monte Sinaí, 16 mai 2013, Procureur
Général de l’État, CS/09.
Mandato Constituyentente n°14, Evaluacion de desempeno institucional de las universidades y escuelas politicas
del Ecuador, Consejo nacional de evaluacion y acreditacion de la educacion superior del Ecuador,
Quito, 4 de noviembre 2009
PASARA Luis, Independencia judicial en la reforma de la justicia ecuatoriana, Fundación para el derecho al
debido proceso, Centro de estudios de Derecho, Justicia y sociedad; 2014
Rapport annuel 2009, de la Cour de Cassation sur Les personnes vulnérables dans la jurisprudence
de la Cour de cassation, La Documentation française, 2009.
424
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Rapport annuel 2009, Les personnes vulnérables dans la jurisprudence de la Cour de cassation, La
Documentation française, 2009, §1.4.2
Rapport de Dominique Perben présenté à l´Assemblée nationale, Imaginer les métropoles d´avenir,
Janvier 2008, XIIIe législature, p.18
Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, United Nations publication, chap.
II, sect. B, 63/A/9575. http://www.un-documents.net/unche.htm.
Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, United Nations publication, chap.
II, sect. B, 63/A/9575, http://www.un-documents.net/unche.htm.
Rapport de la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II), Istanbul, 314 juin 1996, §. 117
Rapport du Directeur exécutif du Programma UN-Habitat sur le Renforcement de la Fondation des
Nations Unies pour l’Habitat et les établissements humains, HSP/GC/19/2/Add.4, 21 mars 2003,
Rapport Global Report on Human Settlements, A World of Slums, 2003, UN-Habitat, version
révisée 2010,
disponible
en
ligne http://www.unhabitat.org/content.asp?typeid=19&catid=555&cid=5373,
dernier
accès
07/04/2013)
SALAS D., Rapport français sur la conduite l’éthique et la responsabilité des juges, Groupe de travail du
conseil consultatif des juges européens, mai 2002
Vivienda saludable : Reto del Milenio en los asentamientos precarios de América Latina y al Caribe,
CEPAL, Organisation Panaméricaine de la Santé et Programme UN-Habitat, 2006
WORK Robertson, “Overview of decentralization worldwide: A stepping stone to improved governance and human
development”, Working Papers for the 2nd International Conference on Decentralization and
Federalism. UNDP, 2002. p. 25–27.
8. Lois, ordonnances et réglements
Código Orgánico de Organización Territorial, Autonomía y Descentralización
Suplemento, del 19/10/2010
RO
303,
Código orgánico de organización territorial, autonomía y descentralización, registro oficial nº 303 -martes 19 de octubre del 2010
Código orgánico integral penal, registro oficial nº 180 -- lunes 10 de febrero de 2014
Constitución Política del Ecuador (2008)
425
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Estatuto de la Escuela Politécnica Nacional (2013)
Instructivo para la presentación del Informe de Autoevaluación Institucional, de Carreras o
Programas para las Universidades y Escuelas Politécnicas del Ecuador (2015)
Ley Orgánica de Educación Superior (2010)
Ley Orgánica de Educación Superior RO 298, Suplemento, del 2010-10-12
Ley Orgánica de Garantías Jurisdiccionales y Control Constitucional RO 52, 2do Suplemento, del
2009-10-22
Ley Orgánica de Gestión de la Identidad y Datos Civiles
04-02-2016
R.O. 684, Segundo Suplemento, del
Ley Orgánica de Ordenamiento Territorial, Uso y Gestión de Suelo, R.O. 790, Suplemento, de 0507-2016
Ley Orgánica de Recursos Hídricos, Usos y Aprovechamiento del Agua
Suplemento, del 06-08-2014
RO
305,
Segundo
Ley Orgánica de Tierras Rurales y Territorios Ancestrales, R.O. 711, Suplemento, del 14-03-2016
Ley Orgánica para la Defensa de los Derechos Laborales
2012-09-26
RO 797, Segundo Suplemento, del
Ley Orgánica para la Justicia Laboral y Reconocimiento del Trabajo en el Hogar
Tercer Suplemento, del 20-04-2015
RO
483,
Ley para la Fijación de Límites Territoriales Internos RO 934, Suplemento, del 2013-04-16
Ley para la Reparación de las Víctimas y la Judicialización de Graves Violaciones de Derechos
Humanos y Delitos de Lesa Humanidad Ocurridos en el Ecuador entre el 4 de Octubre de 1983 y el
31 de Diciembre de 2008
RO 143, Suplemento, del 2013-12-13
Ley Reformatoria a la Ley de Legalización de la Tenencia de Tierras a favor de los moradores y
posesionarios de predios que se encuentran dentro de la circunscripción territorial de los cantones
Guayaquil, Samborondón y El Triunfo
RO 105, Suplemento, del 2013-10-21
Ley Reformatoria a la Ley de Legalización de la Tenencia de Tierras a favor de los moradores
posesionarios de Predios.
RO 359, 2011-01-10
Ley Reformatoria a la Ley de Propiedad Horizontal
RO 543, Suplemento, del 2011-09-27
Plan Nacional para el Buen Vivir 2013-201
Reglamento de Evaluación Externa de las Instituciones de Educación Superior (Septiembre 2014)
426
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017
Reglamento de Evaluación, Acreditación y Categorización de Carreras de las Instituciones de
Educación Superior (Noviembre 2015)
Reglamento General a la Ley Orgánica de Educación Superior (2011)
Reglamento para el Diseño, Aplicación y Evaluación del Examen de Habilitación para el ejercicio
profesional (Septiembre 2015)
Reglamento para la Determinación de Resultados del Proceso de Evaluación, Acreditación y
Categorización de Universidades y Escuelas Politécnicas y de su Situación Académica e Institucional
(Enero 2016)
Reglamento para los Procesos de Autoevaluación de las Instituciones, Carreras y Programas del
Sistema de Educación Superior (Julio 2015)
Reglamento Transitorio para la Tipología de Universidades y Escuelas Politécnicas y de los Tipos de
Carreras o Programas que podrán ofertar (junio 2012)
427
PECOT MATHIAS | Thèse de doctorat | Université Paris Ouest | 2017