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À la recherche d’un modèle de justice transitionnelle efficace pour le Soudan du Sud Aboubacar Dakuyo Thèse soumise à l’Université d’Ottawa dans le cadre de l’accomplissement partiel des exigences du programme de doctorat (Ph.D) en droit Faculté de droit Université d’Ottawa © Aboubacar Dakuyo, Ottawa, Canada, 2021 Dédicace Aux milliers de victimes des conflits au Soudan du Sud, À mon père et à ma mère, À mon épouse, À ma famille élargie, À mes ami(e)s de près et de loin qui m’ont soutenu dans ce projet doctoral. ii Remerciements Je tiens tout d'abord à remercier l’Université d’Ottawa qui m’a admis aux études supérieures en droit en m’accordant la bourse d’admission. Mes études n’auraient sans doute pas été aisées sans son soutien financier. Mes remerciements vont ensuite tout particulièrement au Professeur Pacifique Manirakiza, mon directeur de thèse, qui m’a accompagné depuis mon début au programme doctoral, m’a encouragé et m’a guidé en des moments difficiles. À chacune de nos rencontres, son enthousiasme et sa confiance en l’aboutissement de ce projet me donnaient un regain d’énergie. Aussi, ses commentaires éclairants ainsi que les discussions que nous avions eues m'ont permis d'approfondir mes réflexions sur ce sujet. Qu’il trouve ici toute ma gratitude ! J’aimerais également remercier sincèrement les membres de mon comité de thèse, la Professeure Muriel Paradelle et le Professeur Yves LeBouthillier pour leur accompagnement et leurs commentaires constructifs depuis le début de ces études. Leurs appels à approfondir des aspects de mes réflexions ont gradement contribué à l’aboutissement de ce travail. Qu’ils trouvent ici toute ma reconnaissance ! Je tiens aussi à remercier la faculté des études supérieures en droit et particulièrement Sochetra Nget, la Doyenne adjointe aux études supérieures en droit, pour son accueil chaleureux au sein de la faculté de droit et les soutiens administratifs et moraux dont j’ai bénéficié d’elle durant tout le programme doctoral. Qu’elle veille trouver ici l’expression de toute ma reconnaissance. Aux autres membres du bureau des études supérieures en droit à savoir Elvira Evangelista, Lise Dazé et Valérie Jasik, je vous remercie pour vos soutiens administratifs multiformes. Je remercie aussi particulièrement le Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne (CREDP), son Directeur, le Professeur John Packer, sa Directrice adjointe, Viviana Fernandez, son Agente des communications, Caroline Faucher et son Directeur de la clinique des droits de l’homme, Salvador Herencia Carrasco, pour les soutiens multiformes dont j’ai bénéficié en étant membre du centre. Mes études ne seraient sans doute pas facilitées sans votre soutien. Veuillez trouver ici toute ma gratitude ! Mes remerciements vont également à l'ensemble du corps professoral, au personnel de la bibliothèque Brian Dickson, à la bibliothèque Morisset et à l’association iii des étudiants des cycles supérieurs en droit (GSLEDD) pour leur soutien pédagogique et moral tout au long de cette thèse doctorale. Je tiens finalement à remercier mon épouse Nadège Sidibé pour ses soutiens multiformes tout au long de ces études. À mes frères Maître Soumaila Dakuo et Professeur Awalou Ouédraogo et à leurs épouses respectives Dakuo Aissata W. Hélène Tamboura et Ouédraogo Bintou, ainsi qu’à mes neveux et nièces Éthan, Shanonne et Liora, Rianata et Djalilou, je témoigne toute ma reconnaissance pour leur soutien inconditionnel, moral et effectueux tout au long de ce travail. iv Liste des abréviations AAA American Anthropological Association AGP Accord global de paix AIR Autorité chargée des indemnisations et des réparations ALA Azania Liberation Army ALNT Assemblée législative nationale transitionnelle APLS Armée populaire de libération du Soudan ARCSS Agreement on the Resolution of the Conflict in the Republic of South Sudan BBC British Broadcasting Corporation CADHP Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples CDF Civil Defence Forces CDI : Commission du droit international CETC Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens CEUASS Commission d’enquête de l’Union Africaine au Soudan du Sud CIDH Commission interaméricaine des droits de l’homme CIJ Cour internationale de justice CISS Constitution Intérimaire du Soudan du Sud CLN Conseil de Libération Nationale CNHPR Committee on National Healing, Peace and Reconciliation Commission de vérité et de réconciliation CPI: Cour pénale internationale CPPR National Platform for Peace and Reconciliation CPS Cour pénale spéciale de la République Centrafricaine CRA Compensation and Reparation Authority CTRH Commission for Truth, Reconciliation and Healing CTSS Constitution Transitionnelle du Soudan du Sud CVRG Commission de vérité, de réconciliation et de guérison DESC Droits économiques sociaux et culturels DIDP Droit international des droits de la personne v DIH Droit international humanitaire DUDH Déclaration universelle des droits de l’homme DUP Democratic Union Party FDs Former Detainees FEDEFAM Fédération latino-américaine des associations de familles de détenusdisparus GoNU Government of Nnational Unity GoS Government of Sudan GoSS Government of South Sudan GTDFI Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires HCE Haut Conseil Exécutif HCSS Hybrid Court for South Sudan HLRF High-level Revitalization Forum IDH Indice du développement humain IDPs Internal Displaced Persons IGAD Autorité intergouvernementale pour le développement IGAD Intergovernmental Authority on Development IPC Indice de Perception de la Corruption JRC Judicial Reform Committee MPLS Mouvement populaire de libération du Soudan MPLS 7 Mouvement populaire de libération du Soudan 7 MPLS-Nasir Mouvement populaire de libération du Soudan de Nasir MPLS-Torit Mouvement populaire de libération du Soudan de Torit MPLS/O Mouvement populaire de libération du Soudan de l’opposition NCP National Congress Parti NIF National Islamique Front ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies OPP Other Political Parties PIB Produit Intérieur Brut PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et politiques vi PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels PNUD Programme des Nations Unies pour le développement PoC Camps de protection des civils PRIO Peace Research Institute Oslo R-ARCSS Revitalised Agreement on the Resolution of the Conflict in South Sudan R-TGoNU Revitalised Transitional Government of National Unity R-TGoNU Revitalised Transitional Government of National Unity RCC Revolutionary Command Council RCEUASS Rapport de la Commission d’Enquête de l’Union Africaine au Soudan du Sud REMNASA Revolutionary Movement for National Salvation SACDNU Sudan African Closed Districts National Union SAF Sudan Armed Forces SANU Sudan African National Union SPLA Sudan People Liberation Army SPLM Soudan People Liberation Movement SSDF Sudan Defence Forces SSLA Southern Sudan Liberation Army SSLS South Sudan Law Society SSOA South Sudan Opposition Alliance SSPT Troubles mentaux et de syndromes de stress post-traumatique SSWA outh Sudan Workers Association TGoNU Transitional Government of National Unity THSS Tribunal Hybride du Soudan du Sud TPI Tribunal pénal international TPIR Tribunal pénal international pour le Rwanda TPIY Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie TRC Truth and Reconciliation Commission TSI Tribunal Spécial Irakien TSL Tribunal Spécial pour le Liban vii TSSL Tribunal spécial pour la Sierra Leone UIC Unité d’intégration conjointe UNMAS Service de l’action anti-mine des Nations Unies UNMISS United Nations Mission in South Sudan/Mission des Nations Unies au Soudan du Sud UPDF Ugandan People’s Defense Force viii Résumé À la suite des conflits violents qui ont eu lieu au Soudan du Sud à partir du 15 décembre 2013, il se pose la question de savoir comment construire dans le pays une paix durable tout en rendant justice aux milliers de victimes des conflits? Pour répondre à cette interrogation, cette thèse doctorale fait recours à la discipline de la justice transitionnelle. Toutefois, en raison des limites constatées dans la mise en œuvre de ce processus dans de nombreux pays ces dernières années, la thèse adopte la théorie d’une “approche transformative de la justice transitionnelle” pour examiner dans quelle mesure le pays pourrait faire une transition réussie vers la paix durable. Ainsi, l’étude soutient que pour mieux appréhender les causes des conflits post-décembre 2013, il faut d’abord comprendre le contexte historique et socio-politique des conflits Nord-Sud au Soudan. Elle souligne que depuis la période coloniale, la région du Sud a été l’objet violences structurelles continues se manifestant par l’exploitation économique et politique, le sousdéveloppement, l’extrême centralisation du pouvoir entre les mains d’une minorité, la marginalisation et l’exclusion du Sud de la gouvernance du Soudan, le non-respect des accords de paix, l’instrumentalisation de la religion et de l’ethnicité à ses fins politiques, etc. L’étude révèle que toutes ces violences ont façonné le Soudan du Sud pour donner lieu – en raison des compétitions pour le contrôle du pouvoir politique et économique dans le nouvel État – aux violences graves que le pays a connu à partir de décembre 2013. Ensuite, pour la mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” dans le pays, l’étude soutient qu’en reconceptualisant les mécanismes ordinaires de la justice transitionnelle, ceux-ci peuvent jouer un rôle important dans la transformation du contexte conflictuel pour y édifier une paix durable. ix Abstract In the wake of the violent conflicts that have taken place in South Sudan since 15 December 2013, the question arises as how to secure a lasting peace in the country while dispending justice to the thousands of victims of the conflicts? To answer this question, this doctoral thesis uses the discipline of transitional justice. However, due to the limitations in the implementation of this process in many countries in recent years, the thesis adopts the theory of a “transformative approach to transitional justice” to examine the extent to which South Sudan could make a successful transition to sustainable peace. Thus, the study argues that in order to better understand the causes of the post-December 2013 conflicts, it is first necessary to understand the historical and socio-political context of the North-South conflicts in Sudan. It underlines that since the colonial period, the Southern region has been subject to continuous structural violence manifested by the economic and political exploitation and underdevelopment, the extreme centralisation of power in the hands of a minority, the marginalisation and exclusion of the South from the governance of Sudan, the non-compliance with peace agreements, and the manipulation of religion and ethnicity for political ends. The study adds that all of this violence has shaped South Sudan to give rise – because of the competition for political and economic power in the new state – to the severe violence that the country experienced from December 2013 onwards. Second, in terms of implementing the “transformative approach to transitional justice” in the country, the study argues that by reconceptualising the regular transitional justice mechanisms, they can play an important role in transforming the conflict context to build a sustainable peace. x TABLE DES MATIÈRES Dédicace ................................................................................................................................... ii Remerciements ....................................................................................................................... iii Liste des abréviations ............................................................................................................. v Résumé .................................................................................................................................... ix Abstract.................................................................................................................................... x Introduction générale ............................................................................................................. 1 Chapitre I. – Le contexte socio-politique et normatif des conflits au Soudan du Sud..... 8 Introduction du chapitre I ..................................................................................................... 9 Section I. – Le contexte socio-politique historique des conflits au Soudan du Sud ....... 10 1.– Les relations conflictuelles entre le Nord et le Sud du Soudan ...................................................... 10 1.1. – L’exploitation coloniale et la domination arabe du Soudan du Sud ...................................... 10 1.2. – Le sous-développement économique du Sud .......................................................................... 17 1.3. – La politique d’islamisation et la rébellion armée du Soudan du Sud .................................... 21 1.4. – Les divisions au sein des populations et parmi les leaders du M/APLS ................................ 25 1.5. – Les négociations pour la paix et la signature de l’AGP ........................................................ 29 2.– Le contexte socio-politique des conflits au Soudan du Sud indépendant....................................... 34 2.1. – L’absence d’unité politique et de structures étatiques garantes de la sécurité ..................... 35 2.2. – La situation économique “kleptocratique” ............................................................................ 38 2.3. – L’évolution de la crise : des tensions politiques à la guerre civile ........................................ 42 2.4. – La cartographie des violences commises durant la guerre civile .......................................... 43 2.4.1. – Les violences commises dans les États de l’Équatoria ................................................................... 44 2.4.2. – Les violences commises dans l’État du Jonglei ............................................................................. 48 2.4.3. – Les violences commises dans l’État de l’Unité .............................................................................. 50 2.4.4. – Les violences commises dans l’État du Haut-Nil ........................................................................... 51 Section II. – Le contexte normatif pluraliste du Soudan du Sud .................................... 53 1. 2. 3. 4. – L’émergence des normes coutumières du Soudan du Sud .......................................................... 54 – La nature hybride des droits coutumiers du Soudan du Sud ....................................................... 68 – Les conflits entre les droits coutumiers et les droits de la personne ........................................... 70 – La qualification juridique des conflits et des violations commises ............................................. 73 4.1. – La qualification juridique des conflits au Soudan du Sud ................................................... 74 4.2. – La qualification juridique des actes commis dans les conflits ............................................... 77 4.2.1. – Les violations des normes du DIH ................................................................................................. 77 4.2.2. – Les violations des normes du DIDP et du droit national ............................................................... 93 Chapitre II. – Le cadre théorique : l’“approche transformative de la justice transitionnelle” ................................................................................................................ 97 xi Introduction du chapitre II .................................................................................................. 98 Section I. – La justice transitionnelle : conception, évolution et limites .......................... 98 Section II. – L’“approche transformative de la justice transitionnelle” ....................... 109 1.– La justice transformative et ses rapports avec la justice transitionnelle ....................................... 110 2.– La légitimité des normes et des institutions comme fondement de la justice transformative ...... 120 3.– Le pluralisme juridique comme fondement de la justice transformative ..................................... 122 Chapitre III. – La mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” au Soudan du Sud.............................................................................. 125 Introduction du chapitre III .............................................................................................. 126 Section I. – La mise en contexte des mécanismes de justice transitionnelle ................. 126 1.– Le processus historique d’adoption des mécanismes de justice transitionnelle ........................... 127 2.– Les caractéristiques du THSS et de la CVRG .............................................................................. 131 2.1. – Les caractéristiques du THSS .............................................................................................. 131 2.2. – Les caractéristiques de la CVRG ......................................................................................... 137 2.3. – Les relations entre le THSS et la CVRG .............................................................................. 140 3. – Les facteurs explicatifs du choix du THSS.................................................................................. 144 3.1. – Les défaillances du système judiciaire national ................................................................... 145 3.2 – Les tensions entre l’Union africaine et la CPI ...................................................................... 146 3.3 – La préférence actuelle pour le modèle de tribunal hybride .................................................. 151 Section II. – Le rôle du THSS et des tribunaux pénaux nationaux dans la transformation du soudan du Sud ............................................................................... 153 1. – Le rôle du THSS dans la transformation du Soudan du Sud ....................................................... 153 1.1. – Le rôle de la légitimité du THSS dans la transformation du Soudan du Sud ....................... 154 1.1.1. – Le rôle transformateur de la légitimité internationale du THSS .................................................. 154 1.1.2. – Le rôle transformateur de la légitimité nationale du THSS .......................................................... 155 1.1.2.1. – La situation du tribunal au lieu de commission des crimes .................................................. 155 1.1.2.2. – La composition mixte du THSS ........................................................................................... 156 1.1.2.3. – La prise en compte par le THSS de la diversité culturelle ................................................... 157 1.1.2.3.1. – L’ouverture des enquêtes .............................................................................................. 158 1.1.2.3.2. – Les règles procédurales................................................................................................. 160 1.1.2.3.3. – Le régime de la preuve.................................................................................................. 162 1.1.2.3.4. – Le droit substantiel........................................................................................................ 163 1.1.2.3.5. – La détermination des peines ......................................................................................... 168 1.2 – Le rôle transformateur de la justice pénale du THSS ........................................................... 169 1.2.1. – La nécessité d’un séquençage judicieux entre la justice et la paix ............................................... 170 1.2.2. – La lutte contre l’impunité des crimes par des poursuites stratégiques ......................................... 173 1.2.3. – La contribution du THSS à la transformation démocratique ....................................................... 178 1.3. – La réparation des injustices structurelles et socio-économiques......................................... 182 2.– Le rôle des tribunaux pénaux nationaux dans la transformation du Soudan du Sud .................... 186 2.1. – La nécessité de poursuivre les réformes du système judiciaire national ............................. 186 2.2. – Le rôle transformateur des tribunaux pénaux nationaux ..................................................... 188 xii 2.2.1. – La nécessité d’engager des poursuites pénales contre les violences inter-communautaires ........ 189 2.2.2. – La nécessité d’engager des poursuites pénales contre les violences faites aux femmes .............. 191 2.2.3. – La nécessité d’une participation active du public aux processus de justice pénale...................... 194 Section III. – La justice restauratrice au Soudan du Sud .............................................. 197 1.– Le rôle de la CVRG dans la transformation du Soudan du Sud ................................................... 199 1.1. – Les conditions générales d’adoption et de fonctionnement effectif de la CVRG ................. 199 1.2. – L’établissement d’un registre historique précis (vérité historique) ..................................... 202 1.2.1. – Le régime juridique de la vérité sur les violations des droits de la personne ............................... 202 1.2.2. – La contribution de la vérité à la transformation ........................................................................... 207 1.3. – La réparation des violations commises ................................................................................ 211 1.3.1. – Le régime juridique de la réparation ............................................................................................ 211 1.3.2. – La contribution de la réparation dans la transformation ............................................................... 215 1.3.2.1. – La question des réparations après des conflits de masse ...................................................... 215 1.3.2.2. – La contribution des mesures de réparation individuelle et collective à la transformation du Soudan du Sud ............................................................................................................................... 218 1.3.2.3. – Le rôle transformatif des mesures de réparation pour les violations des DESC ................ 224 1.3.2.4. – Le rôle transformatif des mesures de réparation pour les violations des droits des femmes ....................................................................................................................................................... 230 1.4. – La réconciliation des populations ........................................................................................ 234 1.5. – La guérison des populations ................................................................................................ 238 1.6. – Les recommandations de réformes et de reddition des comptes .......................................... 241 1.7. – La transformation démocratique du Soudan du Sud ............................................................ 249 2.– Le rôle des systèmes de justice traditionnelle dans la transformation du Soudan du Sud............ 251 2.1. – Les controverses sur les systèmes de justice traditionnelle ................................................. 254 2.1.1. – Les polémiques sur le fonctionnement des juridictions traditionnelles ....................................... 254 2.1.2. – Les débats sur les fondements juridiques des juridictions traditionnelles à répondre aux crimes internationaux ..................................................................................................................................... 260 2.2. – La contribution des systèmes de justice traditionnelle à la transformation du Soudan du Sud ................................................................................................................................................. 264 2.2.1. – Le fonctionnement des systèmes de justice traditionnelle à travers les “normes transversales” . 264 2.2.2. – La nécessité d’arrimer les systèmes de justice traditionnelle avec les règles fondamentales des droits de la personne ........................................................................................................................... 270 2.2.3. – Les avantages et les domaines de contribution des systèmes de justice traditionnelle à la transformation du Soudan du Sud ...................................................................................................... 276 2.2.3.1. – Les avantages des systèmes de justice traditionnelle ........................................................... 277 2.2.3.2. – Les domaines de contribution des systèmes de justice traditionnelle à la transformation du Soudan du Sud ............................................................................................................................... 280 2.2.3.1.1. – La résolution des conflits inter-communautaires .......................................................... 281 2.2.3.1.2. – La résolution des violences sexuelles faites aux femmes ............................................. 282 2.2.3.1.3. – La résolution des crimes des enfants soldats ................................................................ 284 2.2.3.3. – La contribution à la réconciliation nationale ........................................................................ 286 Conclusion ........................................................................................................................... 288 Bibliographie générale ........................................................................................................ 292 xiii Introduction générale Dans les États qui connaissent des transitions politiques marquées par des crimes graves, la question de la forme de justice la plus appropriée pour répondre aux violations massives des droits de la personne et de la création des conditions idoines pour que de telles violences ne se reproduisent plus, constitue une préoccupation de la plus grande importance. Il en est ainsi du Soudan du Sud qui a connu des conflits violents à partir de décembre 2013, soit deux années et demie après sa sécession de la République du Soudan le 9 juillet 2011, à la suite du référendum d’autodétermination qui s’est tenu du 9 au 15 janvier 2011. Cette séparation, organisée conformément à l'Accord global de paix (AGP) du 9 janvier 20051, a mis fin à plus de quarante années de guerre civile entre, d’un côté, le pouvoir de Khartoum et de l’autre, le Soudan People Liberation Movement (SPLM) ou le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) et son bras armé, le Sudan People Liberation Army (SPLA) ou l'Armée populaire de libération du Soudan (APLS)2. Ce moment historique offrait l’espoir d’une paix durable, non seulement entre les deux Soudan, mais aussi, à l’intérieur du nouvel État notamment entre les leaders politiques et militaires qui ont longtemps combattu pour l’indépendance de la région. Cependant, les conflits internes que connaît depuis le Soudan du Sud se distinguent tant par le degré de leur intensité que par la complexité de leur ramification. Ils débutent par des rivalités politiques au sein du MPLS, en particulier, entre le Président Salva Kiir (du groupe ethnique majoritaire des Dinka) et son vice-Président Riek Machar (du second groupe ethnique des Nuer). Les tensions se transforment en conflits armés, puis en guerre civile, avec des affrontements à caractère interethnique entre les partisans des deux leaders, des combats entre factions rebelles pour des intérêts divers et des violences intercommunautaires reposant sur des griefs historiques 3. Les conflits impliquant le groupe 1 Comprehensive Peace Agreement Between the Government of the Republic of the Sudan and The Sudan People's Liberation Movement/Sudan People's Liberation Army, 9 janvier 2005, disponible en ligne sur <http://unmis.unmissions.org/Portals/UNMIS/Documents/General/cpa-en.pdf>, visité le 16 juin 2015 [AGP]. 2 Sur le récit historique de ce conflit, consulter, par exemple, Jacques Monnot, Le drame du Sud-Soudan : Chronique d’une Islamisation forcée, Paris, L’Harmattan, 1994 ; Francis M. Deng, War of Visions: Conflict of Identities in the Sudan, Washington D.C., The Brooklings Institution, 1995 ; Matthieu LeRiche et Matthieu Arnold, South Sudan : From Revolution to Independence, London, Hurst & Compagny, 2012; Kuel Maluil Jok, Conflict of National Identity in Sudan, Frankfurt, Peter Lang Gmbh, 2013. 3 International Crisis Group, South Sudan: A Civil War by Any other Name, Africa Report no 217, 10 avril 2014 aux pp 1-12, disponible en ligne sur <https://d2071andvip0wj.cloudfront.net/south-sudan-a-civil-war-by-any-other-name.pdf>, consulté le 18 août 2015. 1 armé de Machar ultérieurement dénommé MPLS de l’opposition (MPLS/O) se répandent dans plusieurs localités du pays telles que l’État de l’Equatoria Central, l’État du Jonglei, l’État du Haut-Nil, l’État de l’Unité4. Dans la période du 12 au 19 décembre 2013, les violences ont entraîné des déplacements internes de l'ordre de 1,4 millions de personnes, alors que 488 500 personnes fuyaient vers les pays voisins 5. Selon le rapport du Secrétaire général des Nations Unies du 6 mars 2014, le conflit aurait fait plusieurs milliers de victimes, et aucune des deux parties n'a respecté ni le droit international humanitaire, ni le droit international des droits de la personne6. Dans un rapport du 29 janvier 2015, l’organisation International Crisis Group soulignait que le nombre de victimes s’élèverait à tout au moins 50 000 morts7. La présente thèse a pour objectif de réfléchir sur des solutions adéquates pour l’édification d’une paix durable à la suite des violations massives des droits de la personne commises au Soudan du Sud. Pour ce faire, l’étude vise à rechercher, à travers une démarche diachronique, un modèle de justice transitionnelle efficace pour le contexte. Depuis sa conceptualisation au moment des révolutions politiques consécutives à la fin de la Guerre Froide jusqu’à nos jours, la justice transitionnelle a connu des transformations importantes. Les mécanismes auxquels elle a recours pour sa mise en œuvre sont le plus souvent tributaires de la synthèse des rapports de force présents tant sur le plan international que sur le plan interne8. Cette dépendance conjoncturelle fait que la justice transitionnelle n’a pas de définition unanimement partagée par les auteurs. Néanmoins, de façon générale, celle-ci peut être appréhendée comme « … the way in 4 Voir Rapport du Secrétaire général sur le Soudan du Sud, au Conseil de sécurité des Nations Unies, S/2014/158, du 6 mars 2014 aux pp 3-6. Selon l’article 161(1) de la Consititution Transitionnelle du Soudan du Sud (CTSS), « [t]he territory of South Sudan is composed of ten states governed on the basis of decentralization ». De 2011 à 2015, ces États et leurs capitales étaient subdivisés de la manière suivante : La région du Bahr el Ghazal était formée de l’État du Bahr el Ghazal du Nord (Aweil); l’État du Bahr el Ghazal Occidental (Wau); l’État des Lacs (Rumbek); de l’État de Warrap (Kuajok). La région de l’Équatoria était formée de l’État de l’Équatoria Occidental (Yambio); l’Équatoria Central (Juba); l’Équatoria Oriental (Torit). La région du Grand Haut-Nil était composée de l’État du Haut-Nil (Malakal); l’État du Jonglei (Bor); l’État de l’Unité (Bentiu). 5 Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (UNOCHA), South Sudan Crisis, Situation Report No. 67, 19 décembre 2014 à la p 1, disponible en ligne sur <https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/CrisisSitRep_South_Sudan_19Dec2014.pdf>, consulté le 18 août 2015. 6 Rapport du Secrétaire général sur le Soudan du Sud, supra note 4 au para 28. 7 International Crisis Group, Sudan and South Sudan’s Merging Conflicts, Africa Report No 223, 29 janvier 2015 à la p i, disponible en ligne sur ˂http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/africa/horn-of-africa/south%20sudan/223-sudanand-south-sudan-s-merging-conflicts.pdf˃, consulté le 18 août 2015. 8 Nous développerons ce point plus en détail dans la partie relative à l’évolution historique et conceptuelle de la justice transitionnelle. 2 which emerging democracies or post-conflict societies deal with the legacy of past human rights abuses perpetrated or permitted by former authoritarian regimes »9. Des expériences consécutives à la chute des régimes autoritaires en Amérique latine à la fin des années 1980 et au début des années 1990, notamment en Argentine, au Chili, au Guatemala, au Salvador, à celles amorcées à la suite des révolutions populaires dites du “Printemps arabe”, notamment, en Tunisie, en Égypte, en Libye, en Syrie, au Yémen, au Bahreïn et au Maroc, la justice transitionnelle est marquée par l’extrême diversité de ses contextes10. Cependant, deux caractéristiques lui semblent consubstantielles : elle se veut un processus rétrospectif qui cherche à punir et à réparer les violences du passé, et prospectif, c’est-à-dire, qui vise à guérir les sociétés meurtries et à édifier un État de droit démocratique11. Depuis sa conceptualisation jusqu’à ce jour, la justice transitionnelle est largement dominée par un paradigme légaliste stato-centré12, hérité des procès pénaux internationaux de Nuremberg et de Tokyo, qui considère les poursuites pénales comme la 9 Alexander Betts, « Should Approaches to Post-conflict justice and Reconciliation be Determined Globally, Nationally or Locally? », (2005) 17:4 European Journal of Development Research 735 à la p 737. Voir également, David A. Crocker, « Transitional Justice and International Civil Society », dans Aleksandar Jokic (éd.), War Crimes and Collective Wrongdoing, Oxford, Blackwell, 2001 à la p 270. Le concept de « post-conflit » dans cette définition est ambigu. Selon Padraig McAuliffe, Transformative Transitional Justice and the Malleability of Post-conflict States, Cheltenham (UK), Edward Elgar Publishing Limited, 2017 aux pp 5-10, trois situations peuvent faire l’objet d’une telle qualification. Il s’agit 1) d’une stabilité négociée entre parties d’un conflit dans lequel il n’y a pas eu de vainqueur ; 2) d’une situation de victoire d’une partie et 3) de la cessation d’un conflit sans qu’il y ait victoire d’une partie sur une autre. Dans la présente thèse, lorsqu’il n’est pas expressément fait mention du contexte post-conflictuel du Soudan du Sud, nous nous référons à des situations consécutives à un conflit de façon générale ou à des situations postérieures à un régime autoritaire. Dans le contexte du Soudan du Sud, le concept de « post-conflit » se rapporte à la période consécutive à l’Accord de paix global de 2005 (voir supra note 1). Sur l’étude des accords de paix ouvrant la voie à une justice transitionnelle, voir, par exemple, Christine Bell, Peace agreement and human rights, Oxford, Oxford University Press, 2000. 10 Sur la diversité des contextes et des enjeux qui sont au cœur des révolutions populaires du printemps arabe, lire, par exemple, pour la Tunisie, Bichara Khader, La Tunisie : est-ce l’hirondelle qui annonce le printemps arabe ?, La Collection CEPESS 2011, en ligne sur ˂http://cms.unige.ch/isdd/IMG/pdf/cahier_tunisie_BR.pdf˃, consulté le 28 août 2015; pour la Libye, Luis Martinez, « Révolution, contestation et insurrection en Libye (1969-2011) », (2012) Tumultes, n° 38-39 aux pp 173-183; pour la Syrie, Wael Sawah, « Syrie : l’ascension et le déclin du nouvel acteur politique », (2012) 19 alternatives Sud 93 ; pour le Yémen, Laurent Bonnefoy et Marine Poirier, « La structuration de la révolution yéménite. Essai d'analyse d'un processus en marche », (2012) 62 :5 Revue française de science politique 895 ; pour le Bahreïn, Claire Beaugrand, « Bahreïn : l’impasse du « printemps de Manama » », (2012) 19 Alternatives Sud 121 ; pour le Maroc, Abdellah Tourabi et Lamia Zaki, « Maroc : une révolution royale ? », (2011) Mouvements, n° 66 aux pp 98-103. 11 Ruti G. Teitel, Transitional Justice, Oxford, Oxford University Press, 2000 à la p 7. 12 Bien que ce paradigme légaliste soit une réalité frappante, il importe cependant de souligner que le champ de la justice transitionnelle est aussi étudié par diverses autres disciplines scientifiques dont la psychologie, l’anthropologie, la sociologie, la science politique, la criminologie et par bien d’autres auteurs issus d’autres disciplines scientifiques, qui ne se focalisent pas a priori sur le droit, mais plutôt sur des objets d’études propres à leurs disciplines. Sur le statocentrisme du droit en période transitionnelle, voir par exemple Kieran McEvoy, « Beyond Legalism : Towards a Thicker Understanding of Transitional Justice », (2007) 34:4 Journal of Law and Society 411 aux pp 421-424. Dans une perspective générale, voir, James C. Scott, Seeing Like State: How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed, New Haven, London, Yale University Press, 1998. 3 principale voie de règlement des crimes du passé 13. Ce faisant, le modèle de justice rétributive est généralement systématiquement adopté par les États qui sortent de conflits violents ou d’une dictature comme modèle privilégié de réponse aux violations graves des droits de la personne. Aujourd’hui, cette approche punitive est conceptualisée comme faisant partie du cadre normatif de la justice transitionnelle défini par les Nations Unies en tant que gage du retour à la paix dans les sociétés post-conflictuelles ou sortant d’un régime autoritaire. Ces normes sont : le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit aux réparations, et le droit aux garanties de non-répétition (réformes normatives et institutionnelles)14. Cette standardisation de la justice transitionnelle impulsée par le haut, par des acteurs internationaux tels que, notamment, l’ONU et ses agences spécialisés, les ONG de défense des droits de la personne telles qu’Amnistie Internationale, Human Rights Watch, a été présentée par des auteurs comme relevant d’une approche universaliste des droits de la personne15. L’universalisme est ainsi appréhendé comme la croyance en des droits de la personne uniformes à travers le monde et reposant sur l’idée selon laquelle les êtres humains partageraient une même nature humaine et les mêmes besoins16. Il serait associé à la rationalité occidentale du Siècle des Lumières et 13 À la suite des procès de Nuremberg et de Tokyo, le paradigme légaliste de la justice transitionnelle a été mis en œuvre à travers des tribunaux internationaux et/ou nationaux, par exemple en ex-Yougoslavie, au Rwanda, au Timor Leste, au Cambodge, en Sierra Leone etc. Il culmine aujourd’hui par l’adoption de la Cour pénale internationale (CPI) comme juridiction permanente de la répression des crimes les plus graves comme le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Voir sur ce point, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, A/CONF.183/9, (entrée en vigueur le 1er juillet 2002) [Statut de la CPI]. 14 Louis Joinet, Rapport au Conseil économique et social des Nations Unies sur la Question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme (civils et politiques), Rapport final révisé, E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1, 1997; Diane Orentlicher, Rapport de l’experte indépendante chargée de mettre à jour l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité, E /CN.4/2005/102/Add.1, 2005; Pablo de Greiff, Rapport du Rapporteur spécial sur la Promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, A/HRC/21/46, 9 août 2012; Pablo de Greiff Rapport du Rapporteur spécial sur la Promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de nonrépétition, A/67/368, 13 septembre 2012. Voir également les différents manuels du Haut-Commissariat des Nations Unies sur la justice transitionnelle, à savoir, Haut-Commissariat des Nations Unies sur la justice transitionnelle aux Droits de l'Homme, Les Instruments de l'État de droit dans les sociétés sortant d'un conflit : les Commissions de vérité, Nations Unies, HR/PUB/06/1, New York, Genève, 2006 à la p 27, disponible en ligne sur <http://www.ohchr.org/Documents/Publications/RuleoflawTruthCommissionsfr.pdf>, consulté le 15 avril 20017. The Office of the High Commissioner for Human Rights series, Rule-of-Law Tools for Post-Conflict States, Vetting: an operational framework, HR/PUB/06/5, New York, Geneva, 2006, disponible en ligne sur <http://www.ohchr.org/Documents/Publications/RuleoflawVettingen.pdf>, consulté le 15 avril 2017. The Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights, Rule-of-Law Tools for Post-Conflict States: Amnesties, United Nations Publications, Sales No. E.09.XIV.1 New York, Geneva, 2009, disponible en ligne sur <http://www.ohchr.org/Documents/Publications/Amnesties_en.pdf>, consulté le 15 avril 2017. Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme, Promotion et Protection des droits de l’Homme : Étude sur le droit à la vérité, E/CN.4/2006/91 du 8 février 2006. 15 David A. Crocker, David A. Crocker, « Transitional Justice and International Civil Society: Toward a Normative Framework », (1998) 5:4 Constellations 492 aux pp 508-514. 16 Lieselotte Viaene and Eva Brems, « Transitional Justice and Cultural Contexts: Learning from the Universality Debate », (2010) 28:2 Netherlands Quarterly of Human Rights 199 aux pp 204-205. 4 réclamerait une application à l’ensemble des êtres humains 17. Selon Makau Mutua, il est mis en œuvre à travers la métaphore “sauvages, victimes et sauveurs” dans les relations Nord-Sud. Les sauvages seraient des “mauvaises cultures” comme certaines pratiques d’Afrique sub-saharienne qui favorisent les violations des droits de la personne, créant ainsi des victimes auxquelles les gouvernements occidentaux, les Nations Unies et les ONG de protection des droits de la personne viennent au secours en tant que sauveurs18. Une telle approche est critiquée par certains auteurs comme relevant d’un « nouvel impérialisme »19 juridique ou procédant d’une approche néo-colonialiste20. Que ces critiques soient fondées ou non, elles soulèvent tout de même la question fondamentale de savoir si le modèle universaliste de traitement des conflits du passé peut réellement transformer des sociétés non-occidentales qui ont connu des crimes de masse21, en instaurant une réconciliation durable au sein des populations opposées par les conflits? Faisant écho à cette interrogation, des études, ces dernières années, ont contesté l’approche uniformisatrice de la justice transitionnelle, en dénonçant la marginalisation des savoirs, des pratiques et des normes des communautés locales dans ces processus22. En se fondant parfois sur le « relativisme culturel »23, des analystes ont soutenu qu’une approche locale de la justice transitionnelle serait le meilleur gage d’une paix durable 24 ; que l’approche consistant en la transplantation des règles globales de la justice 17 Ian Hacking, « Language, Truth and Reason », dans Martin Hollis et Steven Lukes (éd.), Rationality and Relativism, Oxford, Blackwell, 1982, cité par Alexander Betts, supra note 9 à la p 739. 18 Makau Mutua, « Savages, Victims, and Saviors: The Metaphor of Human Rights », (2001) 42:1 Harvard International Law Journal 201. 19 Rosa Ehrenreich Brooks, « The New Imperialism: Violence, Norms, and the “Rule of Law” », (2003) 101 Michigan Law Review 2275. 20 Voir par exemple Stephanie Vieille, « Transitional Justice A Colonizing Field? », (2012) 4 :3 Amsterdam Law Forum 58. Abdullahi Ahmed An-Na‘im, « Editorial Note: From the Neocolonial ‘Transitional’ to Indigenous Formations of Justice », (2013) 7 International Journal of Transitional Justice 197. Frédéric Mégret, « La Cour pénale internationale et néocolonialisme : Au-delà des évidences », 54 :1 (2014) Études internationales 27. 21 Voir Erin Daly, « Transformative Justice : Charting a Path to Reconciliation », (2001) 12:1-2 International Legal Perspectives 73. 22 Voir, notamment, l’édition spéciale de novembre 2009 de la revue International Journal of Transitional Justice consacrée à l’approche locale de la justice transitionnelle. Voir aussi, entre autres, Rosalind Shaw, Lars Waldorf, et Pierre Hazan, Localizing Transitional Justice : Interventions and Priorities After Mass Violence, Standford, Stanford University Press, 2010. 23 Selon Marie-Bénédicte Dembour, « Plaidoyers pour des droits humains universalistes mais non universels », dans Nicholas Kasirer, Lynne Castonguay et Jacques Vanderlinden (éds.), Étudier et enseigner le droit : hier, aujourd'hui et demain - Études offertes à Jacques Vanderlinden, Québec, Éditions Yvon Blais, 2007 à la p 28, « [l]e relativisme culturel tel que développé par Herskovits peut […] se comprendre comme proposant les trois axiomes suivants : chaque culture développe ses propres valeurs et façons de faire ; chaque culture doit se comprendre dans ses propres termes ; chaque culture ne peut faire l’objet d’une évaluation morale par référence à des critères extérieurs à elle ». 24 Patricia Lundy et Mark McGovern, « Whose Justice? Rethinking Transitional Justice from the Bottom Up » (2008) 35:2 Journal of Law and Society 265. 5 transitionnelle dans des sociétés non-occidentales est incapable de traiter efficacement le passé dans ces contextes en révélant la “vérité” sur les violences, en rendant justice aux victimes et en garantissant la réconciliation au niveau des communautés locales25. De ce fait, à l’opposé du modèle de justice rétributive, ces auteurs ont soutenu que les systèmes de justice restauratrice, qui peuvent se définir comme « … every action that is primarily oriented towards doing justice by restoring the harm that has been caused by a crime »26, constitueraient des outils efficaces de médiation entre les acteurs locaux et l’État, dans la résolution des conflits violents27 ; ou que des mécanismes de justice transitionnelle adaptés aux besoins des communautés directement affectées par les conflits seraient perçus comme plus légitimes que les institutions issues de l’approche universaliste 28. Devant ces débats, Rosemary Nagy souligne qu’aujourd’hui la question n’est plus vraiment de savoir si quelque chose doit être fait après des violences graves, mais plutôt comment cela devrait être fait. Il importe, en effet, affirme-t-elle, que la justice transitionnelle cherche à répondre aux questions préalables de pour quoi, pour qui et pour quelles finalités cette justice est rendue ? 29 Répondre à ces interrogations pertinentes dans le contexte particulier du Soudan du Sud est l’objectif visé par la présente étude. Elle a pour ambition de rechercher le modèle de justice transitionnelle qui serait le plus efficace pour le pays. Autrement dit, il s’agit de concevoir une approche de justice transitionnelle qui permettrait d’opérer un changement réel du contexte conflictuel en vue d’édifier une paix durable parmi les populations. Dans cette perspective, une délimitation de l’objet de cette étude s’impose avant de présenter la structure suivant laquelle l’analyse sera conduite. 25 Rosemary Nagy, « Centralizing Legal Pluralism? Traditional justice in Transitional contexts », dans Chandra Lekha Sriram et al., Transitional Justice and Peacebuilding on the Ground: Victims and ex-combatants, London, New York, Routledge, 2013 à la p 81. 26 Lode Walgrave et Gordon Bazemore, « Reflections on the Future of Restorative Justice for Juveniles », dans Bazemore G. et Walgrave L. (dir.), Restorative Juvenile Justice: Repairing the Harm by Youth Crime, Monsey (NY), Criminal Justice Press, 1999 à la p 48. 27 Anna Eriksson, « A Bottom-Up Approach to Transformative Justice in Northern Ireland », (2009) 3 International Journal of Transitional Justice 301. 28 Jaya Ramji-Nogales, « Designing Bespoke Transitional Justice: A Pluralist Process Approach », (2010) 32 :1 Michigan Journal of International Law 1 à la p 4. 29 Rosemary Nagy, « Transitional Justice as Global Project », (2008) 29:2 Third World Quarterly 275, reproduit dans une approche plus critique sous le titre « Transitional Justice as Global Project: Critical Reflections », dans Ruth Buchanan et Peer Zumbansen, (eds.), Law in Transition: Human Rights, Development and Transitional Justice, Oxford, Hart Publishing, 2014 aux pp 215-226. Dans le même sens, voir aussi, Kieran McEvoy, supra note 12 à la p 417. 6 Il convient tout d’abord de préciser que le Soudan du Sud est le produit d’une longue histoire de guerre civile caractérisée par des atrocités d’une extrême gravité 30. La présente étude sur la justice transitionnelle ne cherchera pas à présenter en détail toutes les violences qui ont eu lieu dans la région depuis la période coloniale jusqu’à son accession à la souveraineté internationale. Elle se focalisera sur les crimes graves commis dans le pays après son indépendance tout en recourant au passé lointain du pays pour indiquer des facteurs historiques qui nécessitent une réponse adéquate pour la réussite de la justice transitionnelle. Par ailleurs, il importe de souligner que cette thèse est théorique. En ne se fondant pas sur des recherches ethnographiques, son but est de montrer théoriquement à quoi ressemblerait la mise en œuvre d’une justice transitionnelle effective au Soudan du Sud, en présentant notamment les défis qui se poseraient au pays dans ce processus. Quant à la structure du travail, l’étude s’attachera, dans un premier temps, à présenter le contexte socio-politique historique et normatif des conflits au Soudan du Sud. Ce chapitre nous permettra de situer les violences qui ont eu lieu dans le nouvel État dans leur contexte historique afin de mieux comprendre les causes profondes qui les expliquent. Il nous permettra par ailleurs de présenter le contexte d’émergence de l’architecture normative pluraliste du pays (Chapitre I). Dans un second temps, nous définirons le cadre théorique qui nous semble le plus adéquat pour la mise en œuvre effective de la justice transitionnelle au Soudan du Sud. Ce cadre tiendra compte du contexte historique, politique et normatif du pays pour élaborer une approche théorique qui répond efficacement aux défis multiples de la justice transitionnelle dans le pays (Chapitre II). Finalement, dans une troisième partie, notre travail présentera les éléments structurants de la mise en œuvre d’une justice transitionnelle effective au Soudan du Sud. À cet égard, nous procèderons à l’application concrète du cadre théorique au contexte pour déterminer si celui-ci garantit l’effectivité de la justice transitionnelle dans le pays (Chapitre III). Sur le récit de cette longue histoire conflictuelle, notamment, avec l’État-mère dont le Soudan du Sud a fait sécession, consultez par exemple les ouvrages indiqués plus haut, supra note 2. 30 7 Chapitre I. – Le contexte socio-politique et normatif des conflits au Soudan du Sud 8 Introduction du chapitre I La réalisation d’une justice transitionnelle effective au Soudan du Sud requiert, il nous semble, d’adopter dans le pays des mesures qui apportent des solutions appropriées aux causes profondes des violences. De ce fait, la question pertinente qu’il convient de se poser est de savoir comment expliquer les violences politiques entre les leaders politiques du M/APLS et les conflits inter-communautaires d’une si grande cruauté commises dans le pays ? Comme tout phénomène social, il serait prétentieux de notre part de vouloir présenter l’ensemble des causes et facteurs qui expliquent ces violences dans toute leur complexité et exhaustivité. Toutefois, nous pensons qu’un examen du passé colonial et postcolonial du Soudan pourrait nous aider à comprendre les principaux facteurs à l’origine de l’écheveau socio-politique dans le nouvel État. Ainsi, nous soutiendrons dans ce chapitre que les violences actuelles peuvent se comprendre tout d’abord par l’état de rivalités inter-communautaires historiques qui caractérise la région bien avant la colonialisation, surtout entre les Dinka et les Nuer. En outre, nous affirmerons que les violences structurelles continues que la région a connues pendant les périodes coloniales et postcoloniales manifestées par l’esclavage, la domination politique, l’exploitation socio-économique, culturelle et religieuse ont contribué à l’émergence de mouvements armés de libération comme principaux moyens de revendication. Malgré les tensions inter-communautaires, ces groupes armés parviendront à s’unir pour combattre l’ennemi commun du Nord jusqu’à la sécession de la région du Soudan. Cependant, l’accession de la région à l’indépendance sans que l’on résolve au préalable les rivalités intercommunautaires et les violences structurelles historiques contribuera à créer un terreau fertile aux violences. Dans ce contexte, en raison des compétitions pour le contrôle du pouvoir politique et économique dans le nouvel État, les élites militaires procéderont à l’instrumentalisation des communautés. Ce qui conduira aux conflits armés violents que le pays connaîtra à partir du 15 décembre 2013 (Section I). Par ailleurs, la mise en œuvre d’une justice transitionnelle effective dans le pays requiert aussi une meilleure compréhension des conditions d’apparition de son architecture normative actuelle. Celle-ci a été façonnée par les actions de résistance des populations face aux contextes de domination des périodes coloniales et postcoloniales. Elle se caractérise tout d’abord par l’émergence, au moment de la colonisation, de « 9 droits coutumiers »31 des communautés locales comme instruments de régulation sociale. Ensuite, ces normes locales se développeront à la fois en marge et en association avec les droits coloniaux et postcoloniaux pour former le pluralisme normatif qui caractérise le Soudan du Sud aujourd’hui. Il conviendra d’exposer ce contexte normatif ainsi que son incidence sur la mise en œuvre de la justice transitionnelle dans le pays (Section II). Section I. – Le contexte socio-politique historique des conflits au Soudan du Sud Le contexte socio-politique historique des conflits au Soudan du Sud porte, d’une part, sur les relations conflictuelles entre le Nord et le Sud avant l’indépendance du Soudan du Sud (1); et, d’autre part, sur la situation des conflits qui ont lieu dans le Soudan du Sud indépendant (2). 1.– Les relations conflictuelles entre le Nord et le Sud du Soudan L’histoire de la région du Soudan du Sud est jalonnée de successions d’événements au cours desquels les populations ont été soumises, d’une part, à l’exploitation coloniale et à la domination arabe (1.1), au sous-développement socio-économique et à l’assimilation (1.2), à des politiques d’arabisation et d’islamisation (1.3), et d’autre part, en raison des divergences politiques et des contraintes socio-économiques, aux divisions au sein du leadership de l’ALPS et à l’exacerbation des tensions inter-communautaires (1.4). Ces processus historiques nous semblent constituer en grande partie les causes profondes qui expliquent l’état de conflictualité consécutive à l’indépendance de la région. 1.1. – L’exploitation coloniale et la domination arabe du Soudan du Sud Le Soudan – appelé en arabe Bilad al-Sudan, c’est-à-dire, la « Terre des Noirs » –, a pendant longtemps été en proie à des conflits internes violents entre les régions Nord et Sud dont les origines remontent à très loin dans l’histoire32. Au XVIIe siècle, le Nord du 31 Bien que les « droits coutumiers » existassent bien avant la colonisation, nous considérons que ces droits de nature mixte, tels que nous les connaissons aujourd’hui, ont émergé au moment de la colonisation et leur hybridation s’est ensuite poursuivie sous les différents régimes postcoloniaux. Nos développements porteront sur cette question dans la section à venir consacrée à l’émergence des normes coutumières au Soudan du Sud. 32 Sur l’étude de la période précoloniale, on peut se référer, entre autres, à l’ouvrage de A. J. Arkell, A History of the Sudan: From the Earliest Times to 1821, Westport (Connecticut), Greenwood Press Publishers, 1955; Peter Malcolm Holt et M. W. Daly, The History of Sudan: From the Coming of Islam to the Present Day, Boulder, Colorado, Westview Press, 1961 aux pp 1-43. On peut aussi mentionner Mandour El Mahdi qui souligne l’entrée de la civilisation Égyptienne au Soudan à partir de 1580 à 1100 avant J.C. Il soutient que le Pharaon Aahmes, après avoir réunifié 10 Soudan entre en contact avec les civilisations de l'Ancienne Égypte, du Christianisme, des Méroé et du monde arabo-musulman. Une arabisation et une islamisation véloce caractérise ainsi le Nord, tandis que le Sud reste dominé par une diversité ethnoculturelle et linguistique, de même que par l'absence d'une unité politique organisée 33. La conception de l’arabisme comme une culture supérieure pousse plusieurs Soudanais noirs du Nord à se convertir à l’Islam dans le but d’obtenir le respect dans leur communauté 34. De ce fait, l’arabisme se présentait plus au Nord comme une culture qu’une idéologie reliée à la race35. Pour Mahmood Mamdani, il constitue une identité politique, puisqu’il découle de l’appartenance de l’individu à une communauté politique 36. Durant cette période, le Sud du Soudan était séparé du Nord par de vastes marécages appelés Sudd et se caractérisait à la fois par un climat chaud et humide, et par de nombreuses maladies qui ont constitué pendant longtemps des obstacles naturels à la pénétration étrangère dans la région37. Le peu d’Arabes qui pénétrait le Sud, n’entendaient pas arabiser ou islamiser les Sud-Soudanais, car cela les aurait émancipés du dar al-harb (terre de guerre) et les aurait consacré en dar al-Islam (terre d’Islam), en les excluant, ce faisant, de la soumission à l’esclavage38. L’influence des Arabes au Soudan prend un accent tout particulier à partir des années 1820-1821 notamment lorsque l’administration turco-égyptienne mène au Nord du Soudan une expédition dirigée par un vice-Roi d’Égypte, Muhammad Ali Pasha39. l’Égypte sous la dix-huitième dynastie reconquit les anciennes possessions égyptiennes et s’étendit jusqu’au Soudan. Le Nord du Soudan devint alors une province égyptienne gouvernée par le Fils du Roi. Voir sur ce point, Mandour El Mahdi, A Short History of the Sudan, London, Oxford University Press, 1965 aux pp 9-11. On peut par ailleurs signaler la présence au Xe siècle du royaume nubien d’Alwa comme le plus important royaume chrétien du Dongola. Son effondrement après 1208 donne lieu à des razzias esclavagistes dans le Sud. Après 1250, les bonnes relations entre les rois nubiens des États Alwan et les Mamluks d’Égypte contribuent à la prospérité du commerce des esclaves dans la région. Voir sur ce point, Stephanie Beswick, Sudan’s Blood’s Memory: The Legacy of War, Ethnicity, and Slavery in Early South Sudan, Rochester (New York), University of Rochester Press, 2004 à la p 30. 33 Lam Akol, Southern Sudan: colonialism, Resistance and Autonomy, Eritrea, The Red Sea Press, 2007 aux pp 1-2. 34 Francis M. Deng, supra note 2 à la p 35. 35 Lam Akol, supra note 33 à la p 1. Voir également Heather J. Sharkey, « Arab Identity and Ideology in Sudan: The Politics of Language, Ethnicity, and Race », (2007) 107:426 African Affairs 21. 36 Mahmood Mamdani, Saviors and Survivors: Darfur, Politics, and the War on Terror, New York, Pantheon Books, 2009. 37 Scopas S. Poggo, The First Sudanese Civil War: Africans, Arabs, and Israelis in the Southern Sudan, 1955-1972, New Yok, Palgrave Macmillan, 2009 à la p 2. 38 Francis M. Deng, supra note 2 à la p 10. 39 Comme le souligne Peter Malcolm Holt, A Modern History of the Sudan: From the Funj Sultanate to the Present Day, London, Weidenfeld and Nicolson, 1961 à la p 37, le qualificatif le plus approprié de l’occupation du Soudan est de parler d’une « administration Turco-Égyptienne ». On ne peut parler ni de conquête égyptienne ni de conquête ottomane. En effet, l’expédition a été planifiée en Égypte par un gouvernement d’une province ottomane de l’Égypte sous contrôle de certains membres de l’élite ottomane ayant des relations avec les populations arabophones d’Égypte. En outre, alors que l’expédition a été menée par Muhammad Ali de sa propre initiative, les provinces soudanaises 11 Cette incursion pouvait s’expliquer par deux objectifs : il était à la fois politique et économique. D’une part, le vice-Roi voulait se débarrasser définitivement de ses adversaires politiques fugitifs, les Mamluks, qu’il avait renversé des années auparavant avant de prendre le pouvoir en Égypte. Les Mamluks avaient établi leur al‘Urdi (camp), aussi connu du nom de Nouveau Dongola, sur les rives du Nil à la frontière Sud entre le Berberistan et les domaines du Funj. D’autre part, Muhammad Ali voulait tirer profit du commerce des esclaves et des gisements d’or du Soudan 40. La traite des esclaves avait permis à l’Égypte en tant que puissance régionale d’avoir dans son armée 30 000 esclaves pour la seule période de 1822 à 1823 41. Dans les années 1830, des missions de commerce commanditées par l’Égypte sont envoyées au Soudan du Sud au moment où des colporteurs fortunés du Nord, les jallaba, s’étaient déjà établis parmi les Shilluk et dans le Bahr al-Ghazal dans un contexte d’essor du commerce de l’ivoire 42. En raison des grands profits liés à l’exploitation des animaux ainsi que du commerce des esclaves, les premiers bateaux à vapeur de l’administration turcoégyptienne parviennent à briser l’isolation du Soudan du Sud en 184143. Cette période se caractérise, cependant, par des luttes régulières des Sud-Soudanais contre l’occupation de leurs terres et leur soumission forcée à l’esclavage44. Les razzias (ou rezzous) d’esclaves, très souvent menées dans la violence, étaient organisées par des réseaux de marchands arabes, généralement de connivence avec des ressortissants du Sud 45. L’interdiction faite par la Sharia de soumettre des Musulmans à l’esclavage, explique les expéditions arabes dans le Soudan du Sud, notamment, dans les régions du Kordofan, du Darfour et du Nil Bleu, à la recherche spécifiquement d’esclaves africains Noirs46. Les esclaves provenant du Soudan du Sud étaient si nombreux au Nord que le terme abid (signifiant esclave en Arabe) était synonyme de Sud-Soudanais47. L’administration turco-égyptienne était par conquises étaient gérées par l’élite ottomane qui dirigeait l’Égypte. 40 Peter Malcolm Holt, supra, note 39 aux pp 35-37. 41 Richard Hill, Egypt in the Sudan 1820-1881, London, Oxford University Press, 1959 à la p 25, cité par Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, A History of South Sudan: from Slavery to Independence, Cambridge, Cambridge University Press, 2016 à la p 12. 42 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 13. 43 Scopas S. Poggo, supra note 37 à la p 21. 44 Bona Malwal, Sudan and South Sudan: from One to Two, St Antony’s Series, Oxford, Palgrave MacMillan, 2015 à la p 16. 45 Douglas H. Johnson, South Sudan: A New History for a Nation, Ohio, Ohio University Press, 2016 à la p 58. 46 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 10. 47 Lam Akol, supra note 33 à la p 4. 12 essence un régime d’exploitation. Elle avait le monopole du commerce des esclaves et prélevait des taxes sur les populations et les marchands de la région 48. Depuis ces moments, les Sud-Soudanais considéraient les mahométans du Nord comme des voleurs de leurs biens, de leurs femmes et de leurs enfants49. En août 1881, un mouvement islamique révolutionnaire dite Mahdiste (messianique islamique) débute au Soudan avec à sa tête, Muhammad Ahmad ibn al Sayyid abd Allah. Celui-ci se proclame le Mahdi d’Allah du monde entier et lance un mouvement djihadiste contre l’administration turco-égyptienne50. Après avoir conquis les régions d’El Obeid, la capitale de l’Ouest du Soudan, le centre et l’Est, les Mahdistes entreprennent leur marche sur Khartoum. Ils doivent alors combattre non seulement les Ottomans et les Égyptiens, mais aussi les Britanniques devenus maîtres de l’Égypte 51. En 1885, le Mahdi et ses partisans font tomber Khartoum et mettent fin au régime des Turques au Soudan. Ils proclament le Soudan, un État Mahdiste théocratique 52. Malgré l’existence des tribus au Soudan, le Mahdi parvient à les unifier sous l’idéologie islamique53. Cependant, les Mahdistes n’auront que très peu d’influence au Soudan du Sud. Ils ne gouvernaient la région que par des incursions 54, et n’y étaient en réalité intéressés que par la main-d’œuvre, l’ivoire, les céréales et le bétail qui s’y trouvaient 55. Bien que la grande majorité des Sud-Soudanais ne se convertissent guère à l’Islam, ils admiraient cependant que les Mahdistes constituaient une force de libération contre les envahisseurs étrangers turco-égyptiens 56. Les Mahdistes réussissent à repousser les Égyptiens qui parviennent à se maintenir uniquement à Dongola au Nord, Suakin à l’Est et dans la province de l’Équatoria au Sud 57. Après le décès du Mahdi en juin 1885, des divergences naissent, d’une part, entre les tribus de la vallée du Nil et ceux de l’Ouest du 48 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 16. Jacques Monnot, supra note 2 à la p 12. 50 Mandour El Mahdi, supra note 32 aux pp 88-89. 51 Bien que la Grande Bretagne, puissance occupante de l’Égypte ne fût pas intéressée par le Soudan, elle permit néanmoins au nouveau Khédive d’Égypte Muhammad Tawfiq de restaurer son autonomie en élevant une armée pour combattre les Mahdistes du Soudan. Cette armée essuiera une cuisante défaite par les Ansar et les Jihadiyya du Mahdi à Shaykan au Sud d’Obeid. Voir sur ce point, Peter Malcolm Holt and M. W. Daly, supra note 32 aux pp 91-98. 52 Scopas S. Poggo, supra note 37 à la p 22. 53 Peter Malcolm Holt, supra note 39 aux pp 35-37. 54 M. W. Daly, « Broken Bridge and Empty Basket: The Political and Economic Background of the Sudanese Civil War », dans M. W. Daly et Ahmad Alawad Sikainga, Civil War in the Sudan, London, New York, British Academic Press, 1993 à la p 4. 55 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 26. 56 Francis M. Deng, supra note 2 à la p 11. 57 Ibid à la p 101. 49 13 Soudan, et d’autre part, entre les Ashraf et les Khalifa du Mahdi58. Ces derniers parviennent à dominer le Soudan jusqu’à la bataille d’Omdurman en 1896 lors de laquelle ils sont vaincus par les troupes de l’alliance anglo-égyptienne, commandées par Kitchener59. Dans le même temps, alors que la Mission Marchande de la France, en provenance du Congo, s’employait à occuper le bassin du Nil, elle entre en confrontation avec Kitchener à Fachoda en juillet 1898. Il en résulte un incident diplomatique qui se conclut par l’humiliation de la France et le contrôle total, par les Britanniques, du bassin du Nil y compris le Soudan du Sud60. Après cet épisode qui a permis d’éviter la guerre entre des puissances européennes, Lord Salisbury décide de mettre en œuvre au Soudan une administration commune avec l’Égypte au lieu de la seule administration britannique 61. Les deux parties signent en 1899 un Accord d’administration conjointe du Soudan dénommé Condominium anglo-égyptien62. L’Accord octroie formellement la souveraineté du Soudan à la Grande Bretagne et à l’Égypte, mais dans la pratique, la Grande Bretagne détient le plein contrôle du territoire 63. Elle exerçait son administration sur le Soudan tandis que l’Égypte se contentait de la reconnaissance officielle du régime colonial conjoint et de son accès permanent aux eaux du Nil 64. C’est dans ce contexte que Lord Cromer, le Consul général britannique en Égypte, s’oppose à la présence égyptienne au Soudan du Sud. Il considère la région comme une « large tracts of useless territory which it would be difficult and costly to administer properly »65. Les Britanniques subdivisent le Soudan en différentes provinces dirigées chacune par un gouverneur. Ils érigent toute la région du Sud en une seule circonscription administrative jusqu’en 1901, date à laquelle la province du Bahr al-Ghazal est créée. Le reste de la région du Sud appelé Fachoda est 58 Mandour El Mahdi, supra note 32 à la p 104. Peter Malcolm Holt, supra note 39 aux pp 106-108. 60 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 33. 61 Lam Akol, supra note 33 à la p 5. 62 Sur les considérations qui ont prévalu à la signature du Condominium anglo-égyptien, voir par exemple Peter Malcolm Holt, supra note 39 aux pp 111-126. Voir également, Anne-Claire de Gayffier-Bonneville, « La rivalité angloégyptienne au Soudan : les enjeux de la décolonisation », (2008) Relations internationales no 133, 71. 63 Mandour El Mahdi, supra note 32 à la p 121. 64 Bona Malwal, supra note 44 à la p 16. 65 Lilian Passmore Sanderson et Neville Sanderson, Education, Religion and Politics in Southern Sudan, 1899-1964, Londres, Ithaca Press, 1981 à la p 14, cité par Lam Akol, supra note 33 à la p 5. 59 14 plus tard renommé le Haut-Nil en 190466. Durant cette année, les Britanniques parviennent à nettoyer le Sudd, ouvrant définitivement la région à leur occupation 67. Au moment de l’occupation coloniale, le Soudan du Sud était une région régulièrement en proie à des conflits violents entre des tribus rivaux68. Les principaux peuples qui y habitaient classés suivant des critères de similitude linguistique et culturelle sont : au centre, les Dinka, Nuer, Shilluk, Acholi; à l’est, les peuples parlant le latuho, le bari et le muri-didinga-taposa; et à l’ouest, les peuples constitués des Bongo-DakaBagirmi, des Madi-Moru et de ceux parlant l’Azandé69. Parmi ces peuples, les nilotiques Dinka et les Nuer ont été particulièrement dépeints depuis le XIX e siècle comme ayant toujours été en conflits continus 70. Leur rivalité historique a même été décrite par l’anthropologue britannique Evans-Pritchard comme étant au cœur de l’organisation politique des Nuer71. Dans la même veine, John Young présente cette animosité historique en ces termes: The Nuer looked down on the Dinka and their military skills, while the Dinka considered themselves to be culturally superior and “men of men”72 […]. In the Nuer language the Dinka are called jeing, which can be translated as “slave,” and is due to their claimed submission to various powers and their employment by the Nuer as farm laborers (the Nuer call themselves naath, or human being)73. Cependant, du fait de leur ressemblance sur les plans culturel et linguistique74, voire même de leur provenance d’un ancêtre d’origine commun 75, il demeure un mystère que les Nuer aient historiquement chassé les Dinka hors de leurs territoires, pris plusieurs 66 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 34. Robert O. Collins, A History of Modern Sudan, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 à la p 35. 68 Robert Collins et Richard Herzog, « Early British Administration in the Southern Soudan », (1961) 11:1 Journal of African History 119 à la p 120. 69 Paul W. Gore, « Notes sur l’ethnicité et les relations ethniques au Soudan », (1993) Égypte/Monde Arabe, n o 15-16, Première série, Les crises soudanaises des années 80 à la p 5, mis en ligne le 08 juillet 2008, <http://ema.revues.org/1105>, consulté le 21 juin 2017. 70 Douglas H. Johnson, « Tribal Boundaries and Border Wars: Nuer-Dinka Relations in the Sobat and Zaraf Valleys, c. 1860-1976 », (1982) 23 Journal of African History 183. 71 Edward Evan Evans-Pritchard, The Nuer: A Description of the Modes of Livelihood and Political Institutions of a Nilotic People, Oxford, Clarendon Press, 1940 aux pp 122-123. 72 Ibid, cité dans Brian Adeba, Making Sense of the White Army’s Return in South Sudan, CSG Paper No. 1, Kitchener, Centre for Security Governance, 2015. 73 John Young, Popular Struggles and Elite Co-optation: The Nuer White Army in South Sudan’s Civil War, Geneva, Switzerland, Small Arms Survey, 2016 à la p 21. 74 Certaines études soutiennent même que les Nuer sont originellement des Dinka. Voir sur ce point par exemple Peter J. Newcomer, « The Nuer Are Dinka: An Essay on Origins and Environmental Determinism », (1972) 7:1 Man New Series 5; H. C. Jackson, « The Nuer of the Upper Nile Province » (Part I), (1923) 6 Sudan Note Records 59 à la p 70; Edward Evan Evans-Pritchard, « Ethnological Survey of the Sudan », dans J. A. de C. Hamilton (éd.), The AngloEgyptian Sudan from within, London, Faber & Faber, 1935 à la p 89. 75 Robert O. Collins, The Southern Sudan in Historical Perspective, London, New York, Routledge, 2006 à la p 9. 67 15 de leurs femmes et bétails, et aient absorbé plusieurs d’entre eux au sein de la société Nuer76. L’administration britannique s’établit effectivement dans la région du Soudan du Sud à partir de 1909. Bien qu’elle ne veuille pas s’ingérer dans les coutumes africaines, elle y intervient néanmoins en premier lieu pour empêcher certaines pratiques comme les conflits intertribaux, l’esclavage à Bahr al-Ghazal, les punitions sous forme de mutilation dont par exemple le bengye (cérémonie consistant à avaler la boisson issue des racines de l’arbre Toppa – la consommation fait vomir l’innocent, tandis qu’elle fait mourir le coupable)77. En ce qui concerne les conflits intertribaux, ils étaient fortement meurtriers et se caractérisaient généralement par leur historicité en impliquant, le plus souvent, des ancêtres des parties 78. Le régime colonial prend la décision de mettre fin à cette rationalité, en décrétant en avril 1909 l’annulation de tous les conflits, en particulier, entre les Nuer et les Dinka avant 1908, comme le relate le récit historique : « On all present we impressed the necessity of forgetting old feuds, which would not be considered any more by the Government » 79. Durant la première décennie de l’administration coloniale du Sud, les Britanniques adoptent une approche de « pacification » des communautés ethniques, c’est-à-dire, en imposant par la force des armes, la loi et l’ordre, et en adoptant officieusement une « Politique du Sud » qui se caractérise par une administration indigène (Native administration)80. En plus, ils adoptent la Closed Districts Ordinance (zones fermées) qui empêche les agents publics, les marchands (les jallaba), la police et les soldats du Nord de pénétrer les régions du Sud sans autorisation du gouvernement colonial établi à Khartoum81. À partir de 1910, le Gouverneur général Sir Reginald Wingate du Soudan entreprend le retrait de la région du Sud des officiers égyptiens et soudanais musulmans nordistes, en les remplaçant par le corps de l’Équatoria, les « Equats », constitués exclusivement de recrues sud-soudanaises parlant l’anglais et 76 P. P. Howell, A Manuel of Nuer Law, Being an Account of Customary Law, its Evolution and Development in the Courts Established by the Sudan Government, African Ethnographic Studies of the 20th Century, Vol 37, London, New York, Routledge, 2018 à la p 7. 77 Robert Collins et Richard Herzog, supra note 68 aux pp 128-132. 78 Ibid à la p 122. 79 Voir Sudan Intelligence Report, 177, App. C, « Report on the Administrative Boundaries Between the Twi Dinkas and the Nuers », cité par ibid. 80 Lam Akol, supra note 33 aux pp 21-25. 81 Scopas S. Poggo, supra note 37 à la p 22. 16 encouragés à se convertir au Christianisme et à s’habiller comme des occidentaux 82. Dans la même période, le Soudan du Sud est ouvert aux missionnaires catholiques romains, anglicans et presbytériens qui évangélisent les Sud-Soudanais et contribuent à forger en eux le sentiment qu'ils sont différents des populations du Nord83. En outre, l’éducation est laissée aux mains des missionnaires qui accomplissent, ce faisant, deux aspects de la « Politique du Sud », à savoir, l’enseignement de la langue anglaise et la religion chrétienne84. Lors de la Conférence de la Langue de 1928, le gouvernement britannique réitère sa position contre l’adoption de l’Arabe comme la lingua franca du Soudan. Il recommande plutôt six groupes de langue comme véhicule d’éducation et de développement : ce sont le Nuer, le Dinka, le Bari, le Latuka, le Shilluk, et le Zande85. La « Politique du Sud » est formellement adoptée par le gouvernement colonial du Soudan en 193086. Elle vise à restreindre au Soudan du Sud les influences de la langue arabe et de la religion musulmane à travers une réduction significative du nombre des Arabes, et en promouvant l’anglais et les langues vernaculaires afin de mettre en œuvre une administration indigène87. En favorisant ainsi l’émergence de communautés ethnopolitiques arabes et islamiques au Nord et en les distinguant des communautés “ethnicisées” du Sud, le régime indirect britannique contribuera à façonner les identités nationales pendant la période postcoloniale 88. Dans la même période, les Britanniques adoptent au Soudan du Sud une politique économique qui contribuera à accroître davantage son sous-développement. 1.2. – Le sous-développement économique du Sud Pendant la période coloniale, alors que les Britanniques se servent des fonds égyptiens pour exécuter des programmes de développement au Soudan du Nord, ils ne réalisent presque rien au Sud 89. Ils imposent cependant aux populations du Sud plusieurs 82 Robert O. Collins, supra note 67 à la p 35. Jacques Monnot, supra note 2 à la p 13. 84 Lam Akol, supra note 33 aux pp 21-22. 85 Lam Akol, supra note 33 à la p 22. L’auteur cite Lilian Passmore Sanderson et Neville Sanderson, supra note 65 à la p 160; Robert O. Collins, Shadows in the Grass: Britain in the Southern Sudan, 1918-156, New Haven, Yale University Press, 1983 aux pp 217-219. 86 M. W. Daly, supra note 54 à la p 8. 87 Douglas H. Johnson, supra note 45 à la p 109. 88 Amir Idris, « Unpacking South Sudan’s Political Violence: History, Identity, and Citizenship », dans Amir Idris (éd.), South Sudan Post-Independence Dilemmas, London et New York, Routledge, 2018, à la p 7. 89 Scopas S. Poggo, supra note 37 à la p 22. Voir aussi, M. W. Daly, supra note 54 à la p 5. 83 17 contraintes: les travaux forcés, la confiscation des biens, la restriction des libertés individuelles et collectives et la prescription de taxes sans tenir compte des facultés contributives 90. Les taxes, payables en nature soit en bétail, en céréales, ou en travail, engendraient de grandes résistances de la part des groupes ethniques, dont en particulier, les Dinka et les Nuer91. Cette politique coloniale contribue à affaiblir l’économie du Soudan du Sud92. Au milieu des années 1930, l’administration britannique dépensait cinq fois moins dans les écoles du Sud qu’elle ne le faisait pour les écoles du Nord 93. Ainsi, durant les années 1940, les administrateurs locaux du Sud devenaient de plus en plus critiques quant au manque de projet de développement dans leur région 94. En effet, il s’y posait plusieurs défis structurels dont un déficit important d’unités administratives, d’infrastructures de développement socio-économiques et d’élites bien formées à même d’assurer la gouvernance locale95. Ces problèmes structurels continueront à affecter le Soudan du Sud jusqu’à ce jour, et expliqueront en grande partie l’état de développement économique et de gouvernance désastreuse qui prévaut encore dans le jeune État 96. Toutefois, en ce qui concerne l’impact de la « Politique du Sud » sur le développement socio-économique du Soudan du Sud, il demeure controversé. Alors que plusieurs auteurs soutiennent qu’il a largement contribué au sous-développement social et économique de la région97, M. W. Daly, par exemple, affirme que bien qu’elle ait été amorcée, la politique n’a jamais été effectivement mise en œuvre, puisque les mesures de restriction éducatives et plusieurs autres réformes n’ont point été accomplies, et qu’en plus, la politique a été complètement abandonnée vers la fin de la Seconde Guerre mondiale 98. En tout état de cause, au moment des négociations pour l’indépendance du Soudan, le Sud se 90 Jacques Monnot, supra note 2 à la p 14. Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 36. 92 M. W. Daly, Empire on the Nile, Cambridge, Cambridge University Press, 1986 à la p 417, cité par Lam Akol, supra note 33 à la p 24. 93 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 53. 94 Douglas H. Johnson, supra note 45 à la p 114. 95 Douglas H. Johnson, The Root Causes of Sudan’s Civil Wars, Bloomington, Indiana University Press, 2003 aux pp 16-19. 96 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 32. 97 Voir par exemple David Nailo N. Mayo, « The British Southern Policy in Sudan: An Inquiry into the Closed District Ordinances (1914-1946) », (1994) 1:2 Northeast African Studies 165; Linda de Hoyos, « Britain's 1930s apartheid policy in southern Sudan », (1995) 22:24 Executive Intelligence Review 47. 98 M. W. Daly, supra note 54 à la p 8. 91 18 trouvait énormément en retard par rapport au Nord. La première organisation active de la région, la South Sudan Workers Association (SSWA), voit le jour tardivement en 194699. Comme le souligne Jacques Mannot, lors de la Conférence de Juba en 1947 sur l’avenir du Soudan, les représentants du Sud, en particulier certains membres du SSWA, ont clairement exprimé leur inquiétude quant à la domination des Nordistes. Ils ont soutenu qu’ils ne pourraient faire partie d’un “seul Soudan” indépendant et être traité sur le même pied que les Nordistes que s’ils obtenaient la garantie que leur particularité sociale et économique serait prise en considération. Cependant, bien que les recommandations de la Conférence reconnaissent l’état de sous-développement du Sud, la proposition des Sudistes d’adopter un système étatique de type fédéral est rejetée par les Nordistes car considéré trop onéreux 100. En fait, l’élite dirigeante de Khartoum voulait coûte que coûte préserver l’unité du Soudan, en empêchant la continuation de la politique de division mise en œuvre par la colonisation 101. En mars 1951, une Commission de Modification de la Constitution est mise en place pour discuter des étapes à suivre pour l’adoption d’un gouvernement autonome. Elle était composée de plusieurs ressortissants du Nord et d’un seul Sud-Soudanais, Buth Diu Thung. Lors de la réunion, Thung demande la forme étatique du fédéralisme au Soudan. Mais sa proposition est rejetée. En protestation, il se retire des travaux de la Commission102. En février 1953, à la suite d'un accord entre Khartoum et les Égyptiens, le pays obtient l’autorisation de former son propre gouvernement. Les représentants du Sud n'ont pas été cependant associés à ces négociations au motif qu'ils n'ont pas de parti politique officiel103. Ce qui conduit les Sudistes à l’adoption de leur parti, le Parti Libéral, en 1954104. En février 1954, une commission est mise en place pour procéder à la « soudanisation » des administrations civiles coloniales en prélude à l’indépendance du Soudan105. Elle était composée exclusivement de Nord-Soudanais, et n’intégrait pas les Sud-Soudanais106. Il en résulte le contrôle par le gouvernement du Nord des provinces 99 Douglas H. Johnson, supra note 45 à la p 122. Jacques Monnot, supra note 2 à la p 16-18. 101 Francis M. Deng, supra note 2 à la p 12. 102 Scopas S. Poggo, supra note 37 à la p 32. 103 Lam Akol, supra note 33 à la p 44. 104 Jacques Monnot, supra note 2 à la p 19. 105 Beshir Mohammed Said, The Sudan: Crossroads of Africa, London, The Bodley Head, 1965 à la p 73. 106 Bona Malwal, supra note 44 à la p 153. 100 19 méridionales dont l'administration était naguère assurée par les Britanniques et l’introduction de l'Arabe comme la langue officielle du Soudan en dépit des diversités ethniques et culturelles du Sud107. En juillet 1955, les “Equats” stationnés à Torit reçoivent l’ordre de se rendre à Khartoum pour les festivités de l’indépendance. Ces policiers craignant qu’ils ne s’agissent d’un coup pour les éliminer, refusent d’embarquer dans le véhicule affrété par Khartoum. Ils s’en prennent aux officiers nordistes de Torit et les affrontements se propagent à Malakal, à Wau et à d’autres localités. Les morts s’élèveront à 336 dont 261 Nordistes 75 Sudistes108. En représailles, le gouvernement de Khartoum qualifie l’incident de mutinerie et expédie des troupes de soldats à Juba qui procèdent à l’exécution de nombreux policiers et civils du Sud, détruisent les stocks de vivres et brûlent de nombreux villages 109. Les troupes du Nord entreprennent en outre d’occuper tous les postes de police jadis occupés par les Sudistes. Certains “Equats” sont emprisonnés, d’autres parviennent à s’enfuir dans la brousse, entrainant, de ce fait, le démantèlement total du corps à partir d’octobre 1955 110. Les Sud-Soudanais ont ainsi très peu bénéficié du processus de “soudanisation”. Leur situation économique était très précaire. De 1955 à 1956, le revenu journalier par habitant au Soudan central (Khartoum) était estimé à 28 Livres Soudanaises (environ 0,78 CAD), alors qu’il était à 12 Livres (environ 0,33 CAD) au Soudan du Sud111. Ce qui indiquait combien les disparités étaient grandes entre le centre et la périphérie du Sud. Dans ces contextes, les Sud-Soudanais considéraient que leur histoire était une succession d’asservissement et estimaient que sous le régime de Khartoum, la seule chose qui avait véritablement changé était qu’ils étaient désormais sous la domination de nouveaux maîtres112. Pour Douglas H. Johnson, la période législative qui débute à la Conférence de Juba en 1947 et se poursuit jusqu’aux années 1950 a été une occasion manquée pour le 107 Zygmunt L. Ostrowski, Le Soudan à l'aube de la paix: le combat de John Garang, Paris, l'Harmattan, 2005 à la p 14. 108 M. W. Daly, Imperial Sudan : The Anglo-Egyptian Condominium 1934-56, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 à la p 386 ; Lilian Passmore Sanderson et Neville Sanderson, supra note 65 à la p 58. 109 Anne Mosely Lesch, The Sudan – Contested National Identities, Bloomington, Indiana University Press, 1998 à la p 36. Voir aussi, Scopas S. Poggo, supra note 37 à la p 53. 110 Scopas S. Poggo, supra note 37 à la p 53. 111 B. Yongo-Bure, « The Underdevelopment of the Southern Sudan Since Independance », dans M. W. Daly et Ahmad Alawad Sikainga, supra note 54 à la p 51. 112 Beshir Mohammed Said, supra note 105 à la p 82. 20 Soudan de construire son unité politique sur de nouvelles bases. Il renchérit qu’en refusant de tenir compte de la situation particulière du Soudan du Sud, Khartoum ne donnait à la région aucune autre alternative que la séparation 113. Le manque de volonté politique de la part de Khartoum de tenir compte des préoccupations culturelles, religieuses, socio-économique du Sud et surtout sa politique d’islamisation dans la région poussera ainsi le Soudan du Sud à recourir à la rébellion armée dans le but d’obtenir son droit à l’autodétermination. 1.3. – La politique d’islamisation et la rébellion armée du Soudan du Sud Le Soudan devient un État souverain le 1er janvier 1956114. Cette année marque également le début de la première guerre civile dans le pays 115. En effet, les premières années de son accession à la souveraineté internationale se caractérisent par une instabilité politique. En raison des problématiques liées à la gestion du Sud, les militaires prennent le pouvoir deux ans après l’indépendance. Le général Ibrahim Abboud instaure un régime militaire de 1958 à 1964. Il mène une répression brutale au Sud et s’emploie à détruire tout ce qui fait la particularité de la région, c’est-à-dire, sa culture, sa religion et sa langue116. Il conduit une politique d’islamisation et d’arabisation qui impose l’Islam aux écoles du Sud, réprime et expulse les missionnaires chrétiens 117. En conséquence, les relations entre le Nord et le Sud se détériorent dramatiquement. Les contestations et les réactions brutales de Khartoum poussent plusieurs leaders politiques du Sud à prendre le maquis ou à partir en exil. Plusieurs d’entre eux se retrouvent à Brazzaville où ils créent en 1962 la Sudan African Closed Districts National Union (SACDNU) qui devient en 1963, Sudan African National Union (SANU)118. En 1963, les exilés décident de la création d’un mouvement rebelle du Sud et proposent les deux noms suivants : Southern Sudan Liberation Army (SSLA) et Azania Liberation Army (ALA). Après des discussions, ils décident d’adopter l’appellation “Anya-Nya”, un nom issu du mot Mahdi, Inyi-nya ou Anya-nya qui signifie le poison mortel d’un serpent rare de la région 119. Le 113 Douglas H. Johnson, supra note 45 aux pp 124-125. Mandour El Mahdi, supra note 32 à la p 151. 115 Jacques Monnot, supra note 2 à la p 22 et suivant. 116 Lam Akol, supra note 33 à la p 75. 117 Scopas S. Poggo, supra note 37 aux pp 91-111. 118 Jacques Monnot, supra note 2 à la p 25. 119 Lam Akol, supra note 33 à la p 81. Voir également Robert O. Collins, supra note 67 à la p 80. 114 21 groupe s’organise en guérilleros et s’engage dans des offensives armées contre le gouvernement de Khartoum. Il avait en général un large soutien au sein de la population civile120. En revanche, Khartoum conduit des opérations punitives qui se caractérisent par des massacres, des détentions arbitraires, des tortures en Equatoria, au Bahr Al-Ghazal, dans le Haut-Nil, à Juba, à Wau et à Malakal121. L’objectif recherché par la SANU était l’autodétermination de la région du Sud 122. Pour ce faire, elle mène à travers le groupe Anya-Nya une des guerres civiles intestines les plus longues et les plus dévastatrices de l’Afrique du XXe siècle. Tel que mentionné au paravant, cette guerre est la conséquence de violences structurelles historiques se caractérisant par une marginalité au fondement racial, ethnique, religieux, culturel, économique et politique qui remontent depuis le régime turco-égyptien du Soudan de 1821123. Pendant que Khartoum était en conflit avec le Sud, en mai 1969, Jaafar Muhammad Nimeiri prend le pouvoir à Khartoum à la suite d’un coup d’État. La guerre civile menée par Anya-Nya contre Khartoum se poursuit encore quelques années et se termine en 1972 par les Accords d'Addis-Abeba qui offrent une autonomie politique aux provinces du Sud124. Ces Accords, adoptés essentiellement dans le but de mettre fin à la guerre, n’étaient toutefois pas à l’avantage du Sud, puisqu’ils ne prévoyaient pas d’autonomie économique pour la région 125. À partir de 1973, Nimeiri intervient régulièrement dans les élections régionales du Sud, notamment dans les décisions se rapportant à la désignation du président du Haut Conseil Exécutif (HCE). Il sème des divisions dans le Commandement Militaire du Sud en jouant sur les complaintes des populations de l’Équatoria du fait que les Dinka seraient trop nombreux dans l’administration régionale. Il encourage ainsi Lagu (un général Equatorien) à demander à l’Assemblée régionale la subdivision du Sud en trois régions, l’Equatoria, le Haut-Nil et le Bahr al-Ghazal. Mais l’Assemblée refuse au motif que cela serait contraire à la Loi sur l’autonomie gouvernementale et à la Constitution 126. Le 15 juillet 1976, après avoir échappé à un coup d’État qu’il a considéré comme fomenté par la Libye de Kadhafi, le 120 Bona Malwal, supra note 44 à la p 32. Scopas S. Poggo, supra note 37 aux pp 64-89. 122 Douglas H. Johnson, supra note 95 à la p 31. 123 Scopas S. Poggo, supra note 37 à la p 1. 124 Zygmunt L. Ostrowski, supra note 107 aux pp 14-15. 125 Bona Malwal, supra note 44 à la p 114. 126 Ann Mosely Lesch, supra note 109 à la p 50. 121 22 régime marxiste d’Éthiopie et Moscou, Nimeiri signe une alliance militaire avec l’Égypte et l’Arabie Saoudite127. Il amorce en 1980 une politique nationale d’islamisation qui se caractérise par l’unification sous le droit islamique des juridictions de droit civil et de celles appliquant la Sharia128. En outre, par l’Ordre Républicain no 1 du 5 juin 1983, il abroge les Accords d’Addis-Abeba et dissout le gouvernement régional du Sud 129. Cela entraine la rupture des dix années de paix dans les relations Nord-Sud. De plus, la question de l’union du Soudan avec le monde arabo-musulman a toujours été un sujet de préoccupation pour le Sud en raison de sa particularité historique, culturelle et religieuse. En septembre 1983, avec le soutien des Frères musulmans d’Égypte, le président fait adopter des Lois qui imposent la Sharia au Soudan (Les Lois de septembre), et procède formellement à la subdivision du Sud en trois régions toutes dépourvues des pouvoirs conférés par les Accords d'Addis-Abeba130. Il adopte des codes commercial et pénal qui consacrent les règles élaborées par le comité du guide spirituel Cheikh el-Tourabi chargé de la réforme du droit. Le droit pénal en particulier punissait, selon les Hudud131, les infractions comme le meurtre, le vol, la consommation d’alcool, l’adultère, la prostitution132. La subdivision du Sud par Nimeiri s’expliquait aussi, en partie, par la découverte du pétrole au Sud, notamment près de Bentiu, vers le milieu des années 1970133. Le régime prenait ainsi des mesures pour ne pas partager avec la région ni le pouvoir ni les ressources du pays, dont en particulier le pétrole 134. Cette politique sera une des raisons de conflits avec les Sud-Soudanais qui considéraient que les exploitations pétrolières faites dans leur région ne profitaient qu'au Nord et que Khartoum ne leur 127 Jacques Monnot, supra note 2 1994 à la p 36. Ann Mosely Lesch, supra note 109 à la p 55. 129 Robert O. Collins, supra note 67 à la p 139. 130 Douglas H. Johnson, supra note 95 aux pp 56-57. 131 Les Hudud (pluriel de Hadd) sont des infractions du droit islamique qui sont considérées comme des crimes contre Allah dont les punitions sont prévues dans le Coran et les Sunna. Les tribunaux islamiques n’auraient aucun pouvoir discrétionnaire quant aux peines applicables à ces crimes. Ces crimes portent sur la fornication punie par 100 coups de fouet; l’adultère punie par la mort par lapidation; le vol puni par la coupure de la main; la consommation d’alcool punie par 80 coups de fouet; le meurtre volontaire ou involontaire et les blessures corporelles punies selon le principe « œil pour œil, dent pour dent » ou par la compensation; le banditisme de grand chemin puni soit par l’amputation ou par l’exécution. Voir sur ces points, Etim E. Okon, « Hudud Punishments in Islamic Criminal Law », (2014) 10:14 European Scientific Journal 227. 132 Ann Mosely Lesch, supra note 109 à la p 55. 133 Elke Grawert and Christine Andrä, Oil Investment and Conflict in Upper Nile State, South Sudan, Bonn International center for Conversion, Brief no 48, 2013 à la p 17. 134 Bona Malwal, supra note 44 à la p 114. 128 23 garantissait pas le droit au développement comme prévu par les accords d'AddisAbeba135. En réaction au manque de volonté de prendre en compte les préoccupations du Sud et, particulièrement, la mise en œuvre par Khartoum d’une politique d’islamisation du Soudan, des mutineries successives éclatent au Sud. La mutinerie de Bor du 16 mai 1983 marque le début de la deuxième guerre civile 136. En raison de leur opposition à leur transfert au Nord, la garnison constituée essentiellement d’anciens rebelles Anya-Nya est sévèrement réprimée par l’armée soudanaise. Plusieurs des mutins s’enfuient en Éthiopie où ils s’établissent à Itang, Bonga et Dimma. Ils s’organisent par la suite en un groupe rebelle dénommé Anya-Nya II. Ce groupe se joint plus tard à d’autres déserteurs des Forces armées soudanaises pour créer le Mouvement/l’Armée populaire de libération du Soudan (M/APLS)137 dont l'objectif est l'édification d'un Nouveau Soudan, c’est-à-dire, un État démocratique et pluraliste qui tient compte de la diversité culturelle, religieuse et des disparités socio-économiques au Soudan 138. Cette deuxième guerre civile est conduite sous le leadership du Colonel John Garang 139. Cet officier de l’armée soudanaise, était présent à Bor et préparait de façon sous-terraine la révolte du 18 août en célébration de la mutinerie de Torit de 1955140. Au lieu de négocier avec le Sud, Nimeiri entreprend la stratégie du diviser pour régner. Il soutient des groupes armés locaux du Sud pour qu’ils affrontent les soldats de l’APLS. Par exemple, à l’Ouest du Bahr al-Ghazal, le gouvernement soudanais arme des groupes d’autodéfense des communautés Ferti, Arabes Baggara de Rizeiga et de Misseriya du Sud du Darfour et de Kordofan qui seront reconnus plus tard pour leur brutalité à l’égard des populations civiles 141. L’APLS inflige des défaites régulières à l’armée soudanaise et aux groupes armés qui lui sont alliés. En représailles, l’armée soudanaise s’en prend aux populations du Sud. C’est ainsi que par exemple, en mai et en octobre 1983, des populations, respectivement, de la région de Waat et de Bentiu dans la province du Haut-Nil sont prises pour cibles par des soldats de l’armée soudanaise. Il en résulte la mort d’un nombre important de civils, parmi lesquels 135 Lam Akol, supra note 33 aux pp 168-177. Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 105. 137 Douglas H. Johnson, supra note 45 à la p 141. 138 Francis M. Deng, supra note 2 aux pp 12-13. 139 Zygmunt L. Ostrowski, supra note 107 à la p 20. 140 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 106. 141 Ibid. 136 24 des femmes et des enfants 142. En outre, en plus des conflits intenses, la famine causée par des facteurs naturels et son utilisation par Khartoum comme arme de guerre, engendre une véritable catastrophe humanitaire au Soudan 143. Face à la particularité des massacres commis contre les populations du Soudan du Sud à travers la politique d’islamisation forcée adoptée par Khartoum, Jacques Mannot soutient que ces actes relèvent du crime de génocide144. Les conflits au Soudan du Sud auront ainsi des conséquences désastreuses sur les populations civiles. Elles seront non seulement en proie aux représailles meurtrières de Khartoum en raison de leur lien supposé avec l’APLS, mais en outre, le mouvement rebelle utilisera les communautés locales les unes contre les autres en fonction de ses stratégies. Ce contexte nébuleux engendrera de fortes divisions à la fois au sein des populations du Sud et parmi les leaders du M/APLS 1.4. – Les divisions au sein des populations et parmi les leaders du M/APLS Dans la guerre de l’APLS contre Khartoum, Rolandsen et Daly soutiennent que durant la période 1984-1988, les stratégies d’expansion du groupe s’organisaient en trois niveaux d’opération. Il s’infiltrait dans une localité et recrutait les populations locales qu’il envoyait en Éthiopie pour être formées. Après leur formation, les recrues revenaient pour prendre le contrôle des postes gouvernementaux de leur localité. En dernier lieu, un nombre important de recrues était réquisitionné pour prendre possession des grandes villes. Ainsi, le MPLS réussit en 1985 à s’établir au-delà du Sud dans les régions du Haut-Nil et du Bahr al-Ghazal. Le mouvement s’étend à Boma, à l’Est vers la frontière de l’Éthiopie et dans les Monts Nouba du Kordofan145. L’approche du mouvement consistait à mobiliser les chefs traditionnels et les communautés locales à participer à ses opérations146. En 1985, le régime Nimeiri est renversé par un régime parlementaire coalisé par les partis du Umma, du Democratic Union Party (DUP) et de la National Islamique Front (NIF), et dirigé par le Premier ministre Sadiq al-Mahdi. Chacun de ces partis demeurait attaché, dans une certaine mesure, à l’idée d’une Constitution islamique 142 Jacques Monnot, supra note 2 à la p 45. Francis M. Deng, supra note 2 à la p 13. 144 Jacques Mannot, Le génocide du Sud-Soudan, Paris, L’Harmattan, 1999. 145 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 106. 146 Ibid aux pp 108-109. 143 25 et refusait de discuter avec le MPLS sur la proposition d’un Nouveau Soudan 147. Dans ce contexte de conflit généralisé, à partir du début de l’année 1986, la guerre civile n’était plus seulement une affaire Nord-Sud, ni une affaire Musulman-Chrétien, ni encore moins une affaire Arabo-Africaine148. En effet, le commerce des esclaves du XIXe siècle, les migrations économiques des populations du Sud vers le Nord pour éviter la famine et la guerre civile, ont contribué à brouiller les anciens clivages 149. Ceux-ci s’estompaient pour donner lieu à plusieurs poches d’antagonismes au Soudan. L’APLS combattait dans différentes régions voisines du Sud en recrutant au sein des populations locales. Ces stratégies entrainaient une militarisation des communautés locales et, ce faisant, engendraient de profondes divisions au sein des populations 150. Pendant ces périodes, des divergences apparaissent au sein du leadership du MPLS quant à sa vision du groupe. Dans le contexte de tension sur l’islamisation du Soudan, une faction islamique radicale prend le pouvoir le 30 juin 1989, avec à sa tête le général Omar Hassan Ahmed al-Bashir. Il adopte une politique religieuse qui influence fortement les différentes composantes de la société soudanaise, allant même jusqu’à créer des divisions au Sud et en particulier sein du MPLS151. Ce faisant, la guerre civile au Soudan qui est souvent présentée comme une opposition Nord-Sud, intègre une autre dimension : il s’agit de la présence de rivalités et de conflits internes réguliers à l’APLS qui entraîneront la mort de milliers de personnes parmi les Sud-Soudanais152. Au sein du mouvement rebelle, des jeunes Anya-Nya comme John Garang, Kerubino Salva Kiir Mayardit, William Nyuon Bany et Kerubino Kuanyin Bol qui étaient présents à la mutinerie de Torit (MPLS-Torit) soutiennent le projet de la création du “Nouveau Soudan” fondé sur un gouvernement unique, tandis que les anciens Anya-Nya comme Samuel Gai Tut et Akwot Atem, défendent une vision sécessionniste du Soudan du Sud153. Dans les années 1987-1988, Kerubino Kuanyin Bol essaye d’obtenir l’aide du régime Mengistu pour renverser John Garang, mais c’est lui-même qui est finalement arrêté et emprisonné par l’APLS 154. En 147 Douglas H. Johnson, supra note 45 à la p 143. Ibid à la p 142. 149 M. W. Daly, supra note 54 à la p 2. 150 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 115. 151 Francis M. Deng, supra note 2 à la p 13. 152 Scopas S. Poggo, supra note 37 à la p 1. Voir également, Robert O. Collins, supra note 67 à la p 250. 153 Douglas H. Johnson, supra note 45 à la p 142. 154 Douglas H. Johnson, supra note 95 à la p 92. 148 26 1991, l’autorité de John Garang sur le M/APLS est considérablement contestée à Nasir vers la frontière de l’Éthiopie par les commandants Riek Machar, Lam Akol et Gordon Kong Chuol. La faction de Nasir (MPLS-Nasir) déclare être en faveur de l’indépendance du Sud au lieu d’une réforme du Soudan 155. Pour ce faire, elle considère que l’APLS devrait faire sécession du Soudan et laisser le NIF créer un État musulman homogène au Nord156. De ce fait, Akol entreprend de persuader Machar, le commandant de la garnison de Nasir, de renverser Garang afin de poursuivre la vision indépendantiste du mouvement. Dans la “Déclaration de Nasir” du 8 août 1991, la faction soutient avoir démis Garang de ses fonctions en raison de sa position anti-sécessionniste, sa gestion autocratique du M/APLS, sa mise en prison des officiers qui s’opposent à lui, et son recrutement de jeunes dans les rangs de l’APLS 157. Le factionnalisme s’intensifie encore davantage quand Riek Machar s’engage aux côtés des Nuer (sa communauté ethnique d’origine) dans une guerre civile visant à prendre le contrôle de la région occidentale des champs pétrolifères du Haut-Nil158. Soutenu par des groupes d’autodéfence de la communauté Nuer connus sous le nom de l’“Armée Blanche” (White Army), Machar mène des attaques à Bor et à Kongor qui font un nombre important de victimes et plus de 100 000 réfugiés 159. Ces combats vont entraîner l’un des pires conflits violents entre populations civiles suivant des lignes ethniques160. En effet, sur le fond des rivalités intercommunautaires historiques, les Dinka de Bor dans le Jonglei, particulièrement visés par les violences à caractère ethnique, font l’objet de massacres qui s’élèvent à plus de 5 000 morts en un seul jour161. Cependant, si ces conflits – connus comme des violences SudSud de la deuxième guerre civile (1983-2005) – ont été présentés comme opposant principalement les Dinka et les Nuer, il faut aussi noter qu’en plus de l’opposition de ces deux groupes, les conflits ont également eu lieu entre différentes milices de la communauté Nuer 162. Devant ces tensions, John Garang entame des tractations dans le but de mettre fin aux dissidences. À l’issue des négociations, le MPLS-Torit et le MPLS155 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 120. Ann Mosely Lesch, supra note 109 à la p 157. 157 Ibid à la p 157. Voir aussi, Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 121. 158 Douglas H. Johnson, supra note 45 à la p 145. 159 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 122. 160 International Crisis Group, supra note 3 à la p 5. 161 Bona Malwal, supra note 44 à la p 159. 162 Ingrid Marie Breidlid et Michael J. Arensen, Anyone who can carry a gun can go: The Role of White Army in the current conflict in South Sudan, Peace Research Institute Oslo (PRIO), 2014 à la p 3. 156 27 Nasir se réconcilient, toutefois sans que des excuses sérieuses ne soient formulées à l’endroit de la communauté Dinka de Bor décimée 163. Comme le souligne Douglas H. Johnson, la volonté de mettre fin aux divisions au sein du MPLS suivait un modèle similaire à la plupart des mouvements de libération africains. Le leadership à la tête du mouvement repose le plus souvent sur la force militaire que sur la cohésion entre les membres. Les dissensions sont supprimées sans qu’on apporte des solutions aux causes profondes des antagonismes164. La question de la domination des Dinka, particulièrement ceux de Jonglei, a été avancée comme une des causes des divisions au sein du MPLS 165. Mais, Rolandsen et Daly relativisent en soulignant que la mobilisation ethnique n’est que la résultante des contestations essentiellement politiques qui existaient au sein du M/APLS166. Dans ce contexte, la vision unitaire et pluraliste du Soudan s’érodait davantage quand des groupes rebelles émergeaient au Sud dans les régions non arabes du Nouba, du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu pour contester l’autorité du gouvernement de Khartoum167. Ces rivalités s’ajoutaient aux divisions déjà existantes au sein du MPLS et des populations pour complexifier davantage les conflits au Soudan. La stratégie de Khartoum – héritée de l’administration coloniale – consistant à diviser le Sud pour pouvoir le vaincre va entraîner la région dans des conflits internes qui feront environ 2.5 millions de morts 168. Le MPLS commence à s’unifier à partir de 1994 lorsque Garang et Machar signent un accord de courte durée à Washington en 1993169. Mais c’est surtout à partir de 1996 que John Garang réussit à unir le M/APLS sous son leadership. Il entame durant la saison sèche des offensives contre les troupes de Khartoum. En janvier 1997, la 13ème division de l’APLS lance l’opération Black Fox et prend les postes de Kurmuk, Qaissan et bien d’autres dans la région sud du Nil Bleu. Le gouvernement mobilise des troupes qui réussissent dans un premier temps à reprendre Kurmuk, Meban et Chali. Mais elles 163 Bona Malwal, supra note 44 à la p 160. Douglas H. Johnson, supra note 95 à la p 91. 165 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 aux pp 124-125. 166 Ibid à la p 124. 167 Francis M. Deng, supra note 2 à la p 13. 168 Andrew S. Natsios, Lords of the Tribes: The Roots of the Conflict in South Sudan, Foreign Affairs, July 9, 2015, disponible en ligne sur <https://www.foreignaffairs.com/articles/sudan/2015-07-09/lords-tribes>, consulté le 19 novembre 2018. 169 Ann Mosely Lesch, supra note 109 aux pp 163-166. 164 28 sont ensuite sévèrement battues par l’APLS qui décime environ 2000 soldats du Nord170. Les conflits infligent des défaites successives à Khartoum qui l’obligent à envisager des négociations de paix avec le M/APLS. 1.5. – Les négociations pour la paix et la signature de l’AGP Une des questions épineuses entre Khartoum et la région du Sud demeurait l’application du droit islamique au Soudan. Devant le coût très élevé d’assimiler le Sud par la force, le Revolutionary Command Council (RCC) de Bashir et le M/APLS entreprennent de se rencontrer pour discuter de la politique de Khartoum en matière religieuse et culturelle ainsi que des préoccupations notamment économiques du Sud. Des rencontres sont organisées à Addis-Abeba en août 1989, puis à Nairobi en décembre 1989. Au sortir de la deuxième rencontre, bien que les parties étaient en désaccord sur le plan de l’application du droit islamique, elles conviennent de poursuivre les discutions. La deuxième rencontre présidée par l’ex-Président américain Jimmy Carter a eu lieu à Nairobi en décembre 1989. Le gouvernement soudanais soumet, en prélude à une Conférence constitutionnelle, un plan de paix reposant sur un système étatique fédéral dans lequel les régions nonmusulmanes pourraient être exemptées de certains aspects du Hudud171. Mais Akol, le négociateur du M/APLS soutient plutôt l’annulation de la Charia, la restauration des libertés publiques et la formation d’un gouvernement d’unité nationale 172. Après plusieurs rencontres à Abuja au Nigeria qui aboutissent à un échec, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) 173 engage des consultations de paix entre les parties à partir de 1993. Ces négociations trainent jusqu’en 2001 quand suite aux attentats du 11 septembre, l’administration Bush décide de les soutenir en vue d’aboutir à la paix au Soudan 174. Le soutien des États-Unis à John Garang à partir de 2002 pour unifier les différentes tribus du Sud a été une des raisons qui ont poussé Khartoum à la table des négociations 175. Les tractations entre le gouvernement de Khartoum et le M/APLS se sont tenues dans plusieurs villes du Kenya et se sont conclues 170 Robert O. Collins, supra note 67 aux pp 245-260. Ann Mosely Lesch, supra note 109, 1998 aux pp 170-171. 172 Ibid à la p 171. 173 Il s’agissait en son temps de l’Autorité intergouvernementale sur la sécheresse et le développement (IGADD) créée en 1986 et devenue en 1996 l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD). 174 Douglas H. Johnson, supra note 45 aux pp 145-146. 175 Andrew S. Natsios, supra note 168. 171 29 par la signature, entre les parties, de Six protocoles qui forment l'Accord global de paix (AGP), le 9 janvier 2005. Ces protocoles portent successivement sur le Cadre général des principes directeurs de Machakos du 20 juillet 2002; l’Accord sur les questions sécuritaires du 25 septembre 2003; l’Accord sur le partage des richesses du 7 janvier 2004; le Protocole sur le partage du pouvoir du 26 mai 2004; le Protocole sur la résolution des conflits dans les États de Kordofan du Sud/des Monts Nouba et du Nile Bleu du 26 mai 2004; et enfin, le Protocole sur la résolution des conflits dans la zone contestée des régions Nord et du Sud d'Abyei du 26 mai 2004176. L'Accord prévoit aussi une autonomie accrue aux régions du Sud pendant une période de six mois à l'issue de laquelle un référendum d'autodétermination serait organisé 177. L’AGP est signé cependant dans un contexte de divisions accrues au Soudan du Sud. Il intervient au moment où des douzaines de milices tribales sont financées et armées par Khartoum pour attaquer l’APLS178. Lorsque la période intérimaire instaurée par l’AGP a commencé le 9 juillet 2005, elle visait deux objectifs : il s’agissait, dans un premier temps, de mettre fin à la longue guerre civile entre le Nord et le Sud, et dans un second temps, à travers l’inclusion du droit à l’autodétermination, de pousser le gouvernement du Soudan (GoS) à engager des réformes démocratiques en vue de l’émergence du “Nouveau Soudan” fondé sur la diversité culturelle et politique179. Ainsi, durant cette période, l’AGP enjoignait le GoS et l’APLS à « rendre l’unité attractive » au Soudan180. Ce faisant, la politique adoptée par le parti au pouvoir au Soudan, la National Congress Parti (NCP) consistait à reporter toute discussion sur les modalités pratiques de la sécession à l’après-référendum181. En outre, l’AGP n’avait pas prévu de mécanismes de reddition des comptes, ni de réparation des des violations graves des droits de la personne subies par les populations du Sud tout au long des années de guerre civile. En raison de ce silence, il a cautionné une amnistie de fait par rapport aux nombreux crimes commis et, du même coup, fait le lit à un climat d’impunité qui s’installera progressivement dans la région 182. Dans ce contexte, quelques 176 Voir AGP, supra note 1. Ibid à la p 8, notamment au para 2.5. 178 Andrew S. Natsios, supra note 168. 179 Amir Idris, supra note 88 aux pp 5-6. 180 Voir AGP, supra note 1 le chapeau à la p xii. 181 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 115. 182 Noha Ibrahim, « Post CPA: Restructuring and Enhancing the Sudanese Judiciary as a Means of Preserving Peace », 177 30 semaines après avoir prêté serment en vertu de l’AGP en tant que tout premier VicePrésident du Soudan et Chef du gouvernement autonome du Soudan du Sud (GoSS), John Garang trouve la mort lorsque l’hélicoptère qui le transportait s’écrase le 30 juillet 2005183. Sa mort met fin à la tendance au sein de l’APLS en faveur de l’unité du Soudan puisque le nouveau leader Salva Kiir et d’autres leaders politiques du Sud étaient plutôt en faveur de l’indépendance184. Après la mort de Garang, Salva Kiir entreprend de résoudre les divisions au sein de l’APLS et d’intégrer plusieurs services de sécurité ainsi que la Sudan Defence Forces (SSDF) – composé de milliers de combattants Nuer – dans l’APLS pour constituer une “grande tente”, c’est-à-dire, un corps unifié en préparation du référendum d’autodétermination à venir 185. Il a continué les années suivantes à incorporer d’autres groupes armés dans l’APLS à travers une “politique d’amnistie”186. Ainsi, dans la Déclaration de Juba de janvier 2006, Salva Kiir octroie l’amnistie à tous les groupes armés pour leurs activités liées aux conflits, en contrepartie de leur engagement et loyauté envers l’APLS187. Mais ces mesures n’ont jamais pu réussir à intégrer ces milices dans l’APLS et à assurer leur subordination à la hiérarchie militaire, en dépit du soutien militaire technique des États-Unies et de la Grande Bretagne188. De plus, la chute du prix du pétrole de 50% en 2014 a engendré des réductions de budgets et des suppressions d’emplois qui entameront davantage les loyautés au sein de l’APLS189. La période intérimaire sera, ce faisant, caractérisée par de grandes tensions. En particulier, à la frontière entre les deux Soudan, à Abyei notamment, les populations étaient partagées entre les deux parties. Les Dinka Ngok étaient en majorité en faveur du rattachement de la région au Soudan du Sud, alors que les populations nomades Misseriya étaient pour le Soudan 190. Ces situations nécessitèrent une force d’interposition des Nations Unies en attendant une solution politique191. En 2008, des conflits éclatent (2007) 40:4 Verfassung und Recht in Übersee / Law and Politics in Africa, Asia and LatinAmerica 471 à la p 492. 183 Matthew LeRiche et Mathieu Arnold, South Sudan: From Revolution to Independence, London, Hurst & Company, 2012 à la p 162. 184 Lovise Aalen, « Making Unity Unattractive: The Conflicting Aims of Sudan's Comprehensive Peace Agreement », (2013) 15:2 Civil Wars 173 à la p 183. 185 International Crisis Group, supra note 3 à la p 6. 186 Ibid. 187 Lesley Anne Warner, « The Disintegration of the Military Integration Process in South Sudan (2006–2013) », (2016) 5(1):1 Stability: International Journal of Security & Development 1 à la p 1. 188 Andrew S. Natsios, supra note 168. 189 Ibid. 190 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 152. 191 Ibid. 31 entre les forces armées soudanaises (SAF), l’APLS, les soldats de l’Unité d’intégration conjointe (UIC) des deux Soudan et les milices locales192. Après la cessation des hostilités à la suite d’un accord, les deux parties acceptent comme « final et contraignant » le rapport de la Commission sur la frontière Abyei, selon les recommandations du Protocole d’Abyei193. Mais il est dénoncé par le NCP. Les deux parties soumettent l’affaire à la Cour permanente d’arbitrage et s’engagent à accepter sa décision qui allait être rendue en 2009. Toutefois, les membres du SAF s’opposent au processus de démarcation194. Les 20-21 mai 2011, ils envahissent Abyei, causent la mort de plus 100 personnes et entraînent un déplacement de population estimé à 100 000195. Au mois de juin, des conflits éclatent dans les Monts Nouba sans que les soldats de l’APLS et les forces étrangères ne s’impliquent pour ne pas mettre en péril le processus d’indépendance196. Au mois de septembre, des conflits éclatent à propos du statut futur des anciens soldats de l’APLS dans le Nil Bleu. Les affrontements dans la ville de Damazin se dégénèrent en une véritable guerre qui mobilisa les sections locales de l’APLS de Kordofan du Sud, du Nil Bleu, connues sous la dénomination de l’APLS du Nord, et entrainèrent plus de 200 000 personnes dans des camps de réfugiés 197. Au regard des tensions liées à la mise en œuvre de l’AGP, on peut déduire que la période intérimaire a été une véritable occasion manquée pour opérer une transformation politique substantielle du Soudan. Au lieu de saisir l’opportunité pour opérer des réformes structurelles profondes au sein de l’État, le GoS a opté pour une continuité de la gouvernance répressive héritée de la colonisation. Mais il faut comprendre que les lacunes de l’accord s’expliquent par les conditions dans lesquelles il a été adopté. Il n’était ni le résultat d’une volonté délibérée des acteurs, ni l’aboutissement d’une victoire militaire d’une partie sur une autre, mais plutôt le produit d’un ensemble de variables : la fatigue de la guerre, l’équilibre incertaine des forces entre les parties, les capacités de négociation et le cadre de médiation accompagnant le processus198. Le grand défi de 192 Ibid aux pp 146-147. Ibid. Voire aussi AGP, supra note 1 au para 5.3 à la p 68. 194 Douglas H. Johnson, supra note 45, à la p 164. 195 Paul F. Harley et Ronald Bland (éds)., South Sudan: Challenges and Opportunities for Africa’s New Nation, New York, Nova Science Publishers, Inc., 2012 aux pp 6-7. 196 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 152. 197 Ibid. 198 Ibid à la p 139. 193 32 l’AGP demeurait toutefois de répondre aux causes profondes des conflits au Soudan pour éviter qu’il soit violé comme les accords du passé. Ces causes qui sont principalement structurelles se rapportent à l’extrême centralisation du pouvoir entre les mains d’une minorité, la marginalisation et l’exclusion des régions rurales du Soudan dans la gouvernance du pays, le non-respect des accords de paix et l’instrumentalisation de la religion et de l’ethnicité à ses fins politiques199. Pour répondre à ces facteurs structurels, les mécanismes adoptés par l’AGP étaient en eux-mêmes source de conflits. Par exemple, en procédant au partage des pouvoirs et des richesses entre les parties signataires de l’accord tout en excluant les populations du Darfour, du Kordofan du Sud, d’Abyei et du Nil Bleu, des négociations de paix, l’AGP compromettait en même temps, l’unité, la paix durable et la démocratie au Soudan 200. En effet, ces régions exclues partageaient les mêmes revendications politiques que le Soudan du Sud en voie de sécession201. Ce faisant, même si l’AGP a réussi à mettre fin à la longue guerre civile Nord-Sud, il a échoué d’apporter des solutions appropriées aux défis structurels du Soudan postcolonial qui portaient sur une racialisation de l’État au Nord et une ethnicisation des communautés locales du Sud202. En outre, l’AGP a privilégié une approche de paix libérale au lieu de chercher à apporter des réponses adéquates aux violences structurelles historiques dont les régions rurales ont fait l’objet depuis la période coloniale 203. Ces facteurs expliqueront, en grande partie, les tensions au Soudan du Sud. Avant l’indépendance de la région, plusieurs factions importantes avaient des plans pour renverser Salva Kiir qu’ils considéraient comme n’étant pas compétent pour diriger la région, et surtout, pour gérer les millions de dollars de revenus du pétrole qui entraient dans les caisses de la région204. À la fin de la période intérimaire de six ans, selon les termes de l’AGP, le Soudan du Sud organise du 9 au 15 janvier 2011 un référendum d’autodétermination pour demander l’avis de sa population si elle confirme l’unité du Soudan ou préfère la 199 Luka Biong Deng, « The Sudan Comprehensive Peace Agreement: Will It Be Sustained », (2005) 7:3 Civil War 244 à la p 245. 200 Lovise Aalen, supra note 184 à la p 174. 201 Amir Idris, supra note 88 à la p 7. 202 Ibid. 203 Voir Rapport de la Commission d’Enquête de l’Union Africaine sur le Soudan du Sud, 15 octobre 2014, disponible en ligne sur <http://www.peaceau.org/uploads/ceuass.rapport.final.pdf> à la p 21, [RCEUASS], consulté le 2 novembre 2018. 204 Andrew S. Natsios, supra note 168. 33 sécession de la région 205. Les populations du Soudan du Sud votent à 98,83% en faveur de leur séparation du Nord, donnant ainsi à la région l’accès à la souveraineté internationale en tant qu’État indépendant le 9 juillet 2011206. Cette séparation du Nord donnait l’espoir que le Soudan du Sud connaitrait finalement la paix et la stabilité après près d’un demi-siècle de guerre civile avec le Nord. Mais en même temps, l’accession de la région au statut d’État en dépit des nombreux défis structurels dus aux années de marginalisations notamment politiques, économiques et socio-culturelles, poussait à se demander si le pays disposait des capacités institutionnelles nécessaires pour assurer la sécurité de sa population et la protection des droits de la personne les plus fondamentaux. En outre, la séparation du Soudan du Sud du Soudan du Nord, était-elle la solution pour que la région retrouve finalement la paix? Deux années après s’être séparé de “l’oppresseur”, le Soudan du Sud ne connaîtra pas pour autant la paix et la stabilité. Les tensions internes suscitées par de nombreux défis structurels, politiques et sociaux internes au pays le feront basculer dans la guerre civile. Le contexte socio-politique des conflits dans le nouvel État indépendant est étroitement lié à l’histoire conflictuelle de la région depuis les périodes coloniales. Il convient de présenter ses principaux éléments structurants. 2.– Le contexte socio-politique des conflits au Soudan du Sud indépendant Le contexte socio-politique des conflits au Soudan du Sud indépendant se définit par la continuation des tensions politiques au sein de l’APLS, des griefs historiques intercommunautaires remontant à la période coloniale et exacerbées par les régimes politiques successifs du Soudan. L’accession de la région à l’indépendance sans que l’on apporte au préalable des solutions adéquates à ces tensions, en particulier aux divisions interethniques qui en ont résulté, a contribué à créer des conditions favorables aux conflits 207. Dans ces conditions, les crises politiques et militaires longtemps existantes au sein du M/APLS se sont prolongées pendant les deux premières années et ont culminées avec le déclenchement des affrontements armés à partir de décembre 2013. Ainsi, la mise L’AGP, supra note 1 à la p 4 au para 2.5. Voir sur ce point Le Monde Afrique, « Sud-Soudan : les résultats officiels donnent 98,83% de “oui” à la sécession », en ligne sur <http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/07/sud-soudan-les-resultats-officiels-donnent-98-83-deoui-a-la-secession_1476563_3212.html>, visité le 24 mars 2018. Voir la reconnaissance de l’indépendance par les Nations Unies dans la Résolution S/RES/1996, adoptée par le Conseil de sécurité à sa 6576e séance, le 8 juillet 2011. 207 Human Rights Watch, South Sudan’s New War: Abuses by Government and Opposition Forces, 2014 à la p 16. 205 206 34 en œuvre d’un modèle de la justice transitionnelle effectif dans le pays nécessite de mettre en lumière les facteurs structurels et socio-ethniques qui ont rendu possibles ces conflits. Il s’agit de l’absence d’une unité politique et des structures étatiques garant de la sécurité des biens et des personnes (2.1); de la situation économique et financière catastrophique du pays (2.2.); de l’évolution des tensions politiques vers des affrontements armés, puis vers la guerre civile (2.3); et finalement, de la commission d’atrocités de masse dans le pays (2.4). 2.1. – L’absence d’unité politique et de structures étatiques garantes de la sécurité Comme nous l’avons montré précédemment, les régimes coloniaux qui se sont succédé au Soudan du Sud ont fortement contribué à transformer les structures normatives et les liens communautaires du pays 208. En outre, l’approche de l’administration coloniale britannique consistant à ne pas investir économiquement dans la région, a maintenu les populations locales dans un état de sous-développement permanent209. En plus de cet héritage colonial, les années de guerre civile, et particulièrement celles de 1955-1972, ont participé à la destruction des institutions de développement 210 – qui pouvaient servir de fondement à la construction d’un État stable. Dans ces conditions, la mort de John Garang quelques temps après la signature de l’AGP s’est présenté comme une perte majeure qui a significativement compromis l’unité politique du Soudan du Sud 211. Avec la mort du leader, les tensions politiques qui existaient depuis longtemps au sein du M/APLS remontent à la surface entre les principaux leaders du mouvement, à savoir, Salva Kiir, Riek Machar, et un groupe de leaders proches de Garang 212. En outre, l’incapacité du GoSS à faire des réformes qui transforment le mouvement de guérilla qu’est le M/APLS en un parti politique, exacerbe les tensions et les rivalités au sein du groupe213. 208 Cherry Leonardi, « Violence, Sacrifice and Chiefship in Central Equatoria, Southern Sudan », (2007) 77:4 Africa 535. 209 Douglas H. Johnson, supra note 95 aux pp 16-19. 210 B. Yongo-Bure, supra note 111 à la p 65. 211 Amir Idris, supra note 88 à la p 6. 212 Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 à la p 154. 213 United Nations Development Programme, Business Case Assessment for Accelerating Development Investments in Famine Response and Prevention: Case Study South Sudan, UNDP, 2017, disponible en ligne sur <https://www.urbanresponse.org/system/files/content/resource/files/main/UNDP_FamineStudy_SouthSudan_2017.pdf>, consulté le 28 35 Les crises apparaissent lorsque le M/APLS devait élire son président qui serait presqu’automatiquement son candidat aux élections présidentielles qui se tiendraient en 2015. Dans ce contexte de paralysie du Bureau Politique du Conseil de Libération Nationale (CLN), Riek Machar soutient que Salva Kiir ne devrait pas se présenter aux élections présidentielles, mais plutôt prendre sa retraite après avoir assuré l’intérim à la tête du M/APLS à la suite de la mort de Garang. Salva Kiir et ses soutiens ne l’entendaient pas de cette oreille et comptaient bien représenter le mouvement aux élections 214. En outre, en raison des incertitudes de la période intérimaire relatives à la reprise probable des conflits avec le GoS, Salva Kiir n’a pas pu réformer l’APLS en une véritable armée professionnelle215. De plus, après la Déclaration de Juba de 2006, bien qu’il existât un projet de réforme du M/APLS et d’adoption d’une garde présidentielle multiethnique, Salva Kiir n’a point soutenu le projet pour des raisons de sécurité 216. Il choisît ses propres gardes de sécurité et de même firent les leaders Riek Machar et Paulino Matip217. Ainsi, après l’accession de la région à la souveraineté internationale, de nombreux défis se présentaient au jeune État. Le projet d’élaboration d’une Constitution permanente donnait lieu à de nombreuses tensions politiques, des groupes armés variés continuaient à défier l’autorité gouvernementale, la situation économique du pays était préoccupante218. Compte tenu de ces conditions, le GoSS ne détenait pas le monopole de la violence légitime. La militarisation du Soudan du Sud allait de pair avec l’insécurité à l’intérieur du pays. Dans une région où le seul lien qui unissait les groupes ethniques divers était leur opposition commune à la colonisation et à l’oppression du Nord, les rivalités entre ces groupes allaient vite commencer à remonter à la surface après l’indépendance219. Des conflits interethniques se produisaient dans plusieurs localités du pays. Ces conflits résultant de griefs historiques et de traumatismes dus à la longue guerre janvier 2019 à la p 9. International crisis Group, Politics and Transition in the New South Sudan, Africa Report No 172, 4 avril 2011 aux pp 12-13. 214 Ibid à la p 155. 215 Douglas H. Johnson, supra note 45 aux pp 173-174. 216 Hilde F. Johnson, South Sudan The Untold Story: From Independence to Civil War, London, New York, I.B. Tauris, 2016 à la p 228. 217 Ibid. 218 Matthew LeRiche et Mathieu Arnold, supra note 183 à la p 141. 219 Jok Maduk Jok, Diversity, Unity, and Nation-Building in South Sudan, Special Report, n° 287, Washington DC, United States Institute of Peace, 2011. 36 civile, des rebellions armées de milices reposant sur les communautés ethniques, ont sérieusement déstabilisé le pays 220. De plus, alors que les Sud-Soudanais espéraient qu’en raison de la paix ainsi que des revenus du pétrole, le GoSS leur fournirait des services de bases, les déceptions se transformeront en complainte. Le GoSS était critiqué pour la corruption, le tribalisme, le népotisme à tous les niveaux du gouvernement, les retards de payement des salaires dans la fonction publique, les attitudes prédatrices des forces de sécurité221. Le fait que Salva Kiir était occupé à résoudre les tensions politiques au sein du M/APLS, a eu des répercussions sur la construction de l’identité nationale, de structures étatiques solides et de l’économie du Soudan du Sud 222. Avant le début de la guerre civile, un haut fonctionnaire du MPLS soulignait les éléments précurseurs des conflits en ces termes : Ainsi, il existe cette situation [d’insécurité] provenant des faiblesses au sein de l’APLS et de la prolifération d’armes] et vous avez aussi des institutions très faibles, la police, l’armée, le judiciaire. Il existe tant de cas que l’on ne voit pas ; les communautés voient des criminels circuler en toute liberté, elles décident de s’arroger la loi, voilà où nous en sommes. Je vous dis cela parce que dans toutes ces régions, la communauté internationale collabore étroitement avec le gouvernement ; ils savent exactement où se trouvent les faiblesses, les problèmes. Ils ont investi certains lieux et ont abandonné d’autres, arguant que ce n’était pas leur responsabilité. Mais nous l’avons vue venir [la crise]223. Le Soudan du Sud se présentait dès lors comme un “État fragile”. Ce concept se réfère aux États qui conjuguent des impératifs de développement dans le système économique contemporain caractérisé par la globalisation avec une situation de conflit important à même de constituer une menace à la sécurité internationale 224. Le concept d’“État fragile” peut être assimilé au concept voisin d’“État failli” ou “défaillant” (failed state). Ce dernier renvoie non pas « à une simple “faillite” financière mais à un “échec” (failure en anglais) étatique plus massif qui s’apparente […] à un véritable effondrement (collapse) »225. Toutefois, au-delà de l’ambiguïté intrinsèque à ces concepts, ils ne peuvent rendre compte de toute la complexité de la situation du Soudan du Sud. En effet, dans son opinion séparée du RCEUASS, Mahmood Mamdani soulignait que « [t]o think 220 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 16. International crisis Group, supra note 3 aux pp 1-13. 222 Matthew LeRiche et Mathieu Arnold, supra note 183 aux pp 146-147. 223 RCEUASS, supra note 203 au para 55. 224 Jean-Denis Mouton, « “État fragile”, une notion de droit international? », (2012) Civitas Europas No 28, 5 à la p 7. 225 François Gaulme, « « États faillis », « États fragiles » : concepts jumelés d'une nouvelle réflexion mondiale », (2011) Politique étrangère No 1, 17 à la p 19. 221 37 of South Sudan as a failed state is to overlook the simple fact that the very political foundation for the existence of a state – a political compact – has yet to be forged, either within the elite or between the communities that comprise South Sudan »226. Cet état de défaillance accrue du Soudan du Sud bien avant même qu’il ne devienne juridiquement un État a été décrite par des commentateurs comme caractéristique d’une “pre-failed state”227. Dans ces conditions, certains analystes prédisaient même la future désintégration du pays 228. C’est dire combien le Soudan du Sud était caractérisé par une situation institutionnelle désastreuse qui posait avec acuité la question de la construction étatique. Dans cette perspective, l’ex-Représentant du Secrétaire général des Nations Unies au Soudan du Sud, Hilde Johnson, soutenait que le Soudan du Sud est un “pays sans État”. Elle précisait que du fait de la diversité des communautés ethniques et surtout de leur méconnaissance du mode d’organisation étatique, la construction de l’État et de la nation demeure problématique. En outre, elle soulignait que contrairement à d’autres pays africains qui ont hérité des institutions postcoloniales fonctionnelles après leur indépendance, le Soudan du Sud se trouve gouverné par des administrations militaires opérant sur la base de la corruption et du népotisme 229. Par ailleurs, ces situations se déroulent dans un contexte économique et financier très précaire qu’il convient de présenter. 2.2. – La situation économique “kleptocratique” Bien que le Soudan du Sud soit très riche en ressources naturelles, en bonne pluviométrie, en forêts, en terres fertiles et en eau, ceux-ci ont été longtemps sous-exploités en raison des décennies de conflits et du manque d’investissements dans des projets socioéconomiques et de développement 230. Avec la signature de l’AGP, il a été convenu que 2% des revenus du pétrole seraient alloués aux régions ou États producteurs 231. Après le paiement de ces régions ou États, 50% des revenus nets iraient au GoSS et les 50% 226 Mahmood Mamdani, African Union Commission of Inquiry on South Sudan: A Separate Opinion, 2014, disponible en ligne sur <http://www.peaceau.org/uploads/auciss.separate.opinion.pdf> au para 93, consulté le 2 novembre 2018. 227 Voir en particulier Mehari Taddele Maru, « Potential Causes and Consequences of South Sudan becoming a ‘Failed State’ », dans Marauhn Thilo et Elliesie Hatem (éds.), Legal Transformation in Northern Africa and South Sudan, The Netherlands, Eleven International Publishing, 2015 à la p 171. 228 Center for Strategic and International Studies (CSIS), « Negotiating Sudan’s North-South Future », CSIS, Washington, DC, 2010, cité par Jok Maduk Jok, supra note 219 à la p 2. 229 Hilde F. Johnson, supra note 216 à la p 16. 230 United Nations Development Programme, supra note 213 à la p 4. 231 AGP, supra note 1 Article 5.5. 38 restant iraient au GoS à partir du début de la Période Pré-Intérimaire232. En outre, 50% des revenus non pétroliers collectés au Soudan du Sud devaient aussi revenir au GoSS pour faire face aux coûts du développement durant la Période Intérimaire 233. Avant le début des conflits, 98% des revenus gouvernementaux provenaient de la production du pétrole234. Cependant, malgré les revenus liés à l’exploitation du pétrole, la plupart des dispositions de l’AGP n’ont pas été respectées ni par le GoS, ni par les compagnies pétrolières et ni par le GoSS lui-même235. Néanmoins, alors que selon Salva Kiir, les revenus annuels du pétrole qui entraient dans les caisses de l’État s’élevaient en moyenne à un milliard de dollars US236, selon un haut-responsable de la MINUSS, ils s’élevaient à 3,6 milliards de dollars US237. La réception de ces fonds importants semblait présager un futur meilleur pour le jeune État. Mais la mauvaise gestion de l’argent du pétrole va plutôt contribuer à précipiter le pays dans le gouffre. Dans son allocution le jour de l’indépendance du Soudan du Sud, le Président Salva Kiir concédait que le plus grand défi de la période de l’AGP était la corruption généralisée des agents publics238. Selon Hilde Johnson, la corruption au sein de l’APLS n’est pas une chose nouvelle. Elle a pris racine pendant les années de guerre civile quand le mouvement devait trouver ses propres moyens pour se financer239. Après la signature de l’AGP, faire partir de l’APLS était particulièrement lucratif. Les administrations dirigées par les anciens rebelles étaient vues par les populations comme des institutions d’enrichissement personnel des officiers 240. La corruption dans le pays atteignait des proportions impressionnantes. En 2006, Transparence international classait le Soudan cinquième parmi les pays les plus corrompus du monde et le deuxième en Afrique241. En 2012, alors que les observateurs externes se demandaient pourquoi le Soudan du Sud demeurait toujours si pauvre malgré les milliards de dollars qu’il recevait des revenus du 232 Ibid Article 5.6. Ibid Article 7.3. 234 International Crisis Group, supra note 3 à la p 15. 235 Elke Grawert and Christine Andrä, supra note 133 à la p 22. 236 Leben Nelson Moro, Still Waiting for the Bonanza: The Oil Business in South Sudan after 2005, South African Institute of International Affairs, Occasional Papers, No156, 2003 à la p 8. 237 Bereketeab Redie, « Les défis de la construction de l'État au Sud-Soudan », (2013) 2:246 Afrique Contemporaine 35 à la p 46. 238 Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 8. 239 Hilde F. Johnson, supra note 216 à la p 229. 240 Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 8. 241 Transparency International, Corruption Perception Index 2006, disponible en ligne sur <https://www.transparency.org/files/content/pressrelease/CPI_2006_presskit_eng.pd>, consulté le 9 février 2019. 233 39 pétrole, une réponse, on ne peut plus claire, venait du Président Salva Kiir lui-même. Dans une lettre envoyée à 75 officiels de l’État, il demandait à ce qu’ils remboursent quatre milliards de dollars US volés et déposés dans des banques étrangères 242. Il s’insurgeait contre le mode de gouvernance kleptocratique adopté par les anciens libérateurs du Soudan du Sud en ces termes : « [w]e fought for freedom, justice, and equlity. Many of our friends died to achieve these objectives. When we got to power, we forgot what we fought for and began to enrich ourselves at the expense of our people » 243. Le Rapport du département d’État des Etats-Unis de 2012 confirmait cela lorsqu’il soulignait que « [c]orruption was endemic in all branches of government and was compounded by poor record keeping, lax accounting procedures, absence of procurement laws, and the pending status of corrective legislation »244. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’indice du développement humain (IDH) du pays à ce jour soit de l’ordre de 0,388 soit parmi les plus faibles au monde, avec une espérance de vie de 57,3 ans245. De la population du Soudan du Sud qui était estimée en 2008 à 8,26 millions d’habitants, 50,6 % vivaient en dessous du seuil de la pauvreté (1,25 $US/jour) dont 24,4 % de la population urbaine et 55,4 % de la population rurale 246. Seulement 55% de la population avait accès à l’eau potable247. La mortalité infantile très élevée était de l’ordre de 102 sur 1000 naissances248. Le taux d’analphabétisme était de 84% chez les femmes et 70% chez les hommes 249. The Globe and Mail, « South Sudan’s $4-billion query answered: Oil revenue stolen by corrupt officials », 5 juin 2012, disponible en ligne sur <https://www.theglobeandmail.com/news/world/worldview/south-sudans-4-billion-queryanswered-oil-revenue-stolen-by-corrupt-officials/article4231805/>, consulté le 9 février 2019. 243 Cité par Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 5. 244 United States Department of State, Bureau of Democracy, Human Rights and Labor Country Reports on Human Rights Practices for 2012, South Sudan 2012 Human Rights Report, <https://acjr.org.za/resource-centre/us-departmentof-state-human-rights-report-south-sudan-2012>, consulté le 9 février 2019. 245 Human Development Report, Human Development Indicators, South Sudan, disponible en ligne sur <http://hdr.undp.org/en/countries/profiles/SSD>, consulté le 9 février 2019. 246 Southern Sudan Commission for Census, Statistic and Evaluation (SSCCSE), Poverty in Southern Sudan: Estimates from NBHS 2009, Juba, SSCCSE, 2010, disponible en ligne sur <https://www.yumpu.com/xx/document/read/37070927/poverty-in-southern-sudan-estimates-from-the-nbhs-2009>, consulté le 9 février 2019. Voir aussi Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 9. 247 Southern Sudan Commission for Census, Statistic and Evaluation (SSCCSE), National Baseline Household Survey 2009, Juba, SSCCSE, 2009. Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 9. 248 Southern Sudan Commission for Census, Statistic and Evaluation (SSCCSE), Sudan Household Heath Survey Report, South Sudan, 2006, Juba, SSCCSE, 2007. Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 9. 249 UN Women, Country Programme Ducument 2011-2013, Juba, UN Women, 2011 à la p 3. Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 9. 242 40 Dans ces conditions de corruption et de grande pauvreté, la dépendance du pays principalement du pétrole le mettait dans une situation financière vulnérable 250. Quelques temps plus tard, le GoSS a commencé à se plaindre que le gouvernement d’unité nationale (GoNU) et la Commission nationale du pétrole ne lui fournissaient pas les chiffres et les documents associés à la production du pétrole. Il se mit alors à suspecter le GoS de ne pas être honnête sur la quantité exacte du pétrole produit 251. Ces remontrances contribuent à accroître les tensions entre les deux parties. En son temps, le Ministre fédéral de l’énergie et des mines du Soudan, Ali Ahmed Osman, soulignait que le Soudan du Sud a besoin de coopération avec le Nord plus que le Nord, puisque les infrastructures et les ressources humaines nécessaires pour le traitement et l’exportation du produit se trouvent au Nord252. Il prédisait en outre que même si la production totale de pétrole par le Soudan s’élevait à 470 000 barils par jour, au nombre desquels seulement 115 000 étaient produits au Nord, d’ici l’année 2012, la production du Nord atteindrait les 325 000 barils par jour253. Ceci montrait à quel point l’économie pétrolière des deux pays était dépendante l’une de l’autre et était potentiellement source de conflit. Entre temps, le GoSS est allé jusqu’à refuser le partage du pétrole de moitié prévu par l’AGP et exigea à ce qu’il paye seulement le Nord pour l’utilisation de ses infrastructures pétrolières. Khartoum accepta l’idée, mais refusa le prix de moins d’un dollar par baril et proposa en lieu et place le prix de trente-six dollars par baril254. Cela entraina les violents conflits précédemment évoqués qui ont eu lieu à Abyei en mai 2011 255. Dans ce contexte, la décision du GoSS de 2012 de ne plus exporter le pétrole vers le Soudan va entraîner le pays dans un manque à gagner considérable 256. Pour faire face à la situation, des plans alternatifs ont été étudiés. C’est le cas par exemple de la pose de la première pierre le 15 novembre 2012 pour la construction de la raffinerie de Thiangrial dans le Haut-Nil qui devait s’achever dans les dix mois qui suivent; en mars 2013, la signature d’accord entre le GoSS et les gouvernements de l’Éthiopie et de Djibouti pour le transport du brut jusqu’à Douraleh au Djibouti, et du projet de la construction des pipelines jusqu’aux ports 250 International Crisis Group, supra note 3 à la p 16. Elke Grawert and Christine Andrä, supra note 133 à la p 22. 252 Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 11. 253 Ibid. 254 Ibid. 255 Paul F. Harley et Ronald Bland (éds)., supra note 195 aux pp 6-7. 256 International Crisis Group, supra note 3 à la p 16. 251 41 de Djibouti et du Kenya257. Les prêts contractés par le GoSS dans des conditions non transparentes et l’ouverture des pipelines pétroliers en 2013 ne permettront pas un regain de stabilité financière pour le jeune État 258. L’arrêt des productions pétrolières donne un coup dur à l’économie exsangue du pays. Ainsi, alors que de source non officielle, la Banque Mondiale présageait un effondrement de l’économie dans les mois qui suivraient, le pays s’en sort plutôt avec une forte inflation et la chute de la valeur de la monnaie locale face au dollar américain 259. Pour ne pas être en défaut de payement, le GoSS adopte une politique d’austérité économique. Il procède à des coupures dans les dépenses publiques et augmente les taxes. C’est surtout la réduction de 50% des allocations de logements et la suppression des indemnités liées à des emplois spécifiques à partir de juillet 2012 qui frappa de plein fouet les travailleurs du secteur public 260. Cela entraina des grèves dans les administrations publiques notamment dans les hôpitaux par exemple à Wau et au Bahr el Ghazal Occidental 261. Ces conditions de pauvreté et de vulnérabilité importantes des populations créent des terreaux fertiles aux conflits 262. La volonté de l’élite politico-militaire de contrôler les richesses du jeune État donne lieu à des rivalités politiques au sein du M/APLS qui se transformeront progressivement en affrontements armés, puis en guerre civile. 2.3. – L’évolution de la crise : des tensions politiques à la guerre civile Les divisions politiques longtemps présentes au sein du M/APLS et amplifiées après la mort de John Garang, se sont accrues dans le jeune État. Riek Machar qui est un Nuer de l’État de l’Unité avait exprimé son ambition présidentielle depuis 2008, puis l’a proclamé publiquement au mois de juillet 2013 263. Suivant cette annonce, le président Salva Kiir, qui est un Dinka de l’État de Warrap, l’a démis de ses fonctions de vice-président avec l’ensemble du personnel de son cabinet264. Le remaniement a été perçu par les citoyens sud-soudanais et par de nombreux analystes comme une réforme positive qui permettrait 257 Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 18. International Crisis Group, supra note 3 à la p 16. 259 Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 14. 260 Ibid. 261 Ibid. 262 Voir par exemple Frances Stewart (ed.), Horizontal Inequalities and Conflict: Understanding Group Violence in Multiethnic Societies, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2016. 263 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 16. 264 Ibid à la p 16. 258 42 d’économiser les ressources afin de les affecter aux services et aux infrastructures 265. Les tensions politiques entre les deux leaders se sont particulièrement accrues lorsque le CLN devait se réunir pour discuter des modalités d’élection aux postes de responsabilité 266. Depuis sa création en 1983, le MPLS n’a pourtant jamais pu établir un processus démocratique de choix de ses leaders 267. Le 6 décembre 2013, Riek Machar organise une conférence de presse au cours de laquelle il accuse Salva Kiir d’avoir une attitude dictatoriale et de prendre de façon unilatérale les décisions sur la gestion des affaires de l’État268. Dans une réponse du 8 décembre, le nouveau vice-président du MPLS et viceprésident du Soudan du Sud, James Wani Igga, lui répond que ces accusations sont inexactes et l’appelle à éviter toute rébellion 269. Plus tard, dans son discours sur la question, Salva Kiir compare les tensions politiques au sein du gouvernement à la crise au sein du M/APLS en 1991 lors de laquelle Riek Machar fit une tentative de coup qui entraina la division du mouvement270. Le factionnalisme au sein du M/APLS s’était poursuivi jusqu’en 2001, donnant lieu à des violences inter-communautaires qui firent de nombreuses victimes au Soudan du Sud271. C’est dans cette même ligne que les tensions politiques et les divisions subséquentes au sein du M/APLS vont entraîner le pays dans une guerre civile dévastatrice de 2013 à 2018. Il convient de présenter l’état des violences. 2.4. – La cartographie des violences commises durant la guerre civile Les atrocités qui ont été commises durant la guerre civile au Soudan du Sud sont si nombreuses et éparpillées sur l’ensemble des dix États (voir la carte ci-bas) qui composaient le Soudan du Sud que nous ne pouvons les présenter toutes de façon exhaustive dans cette thèse. Nous allons ce faisant exposer seulement les violences les plus documentées qui sont principalement de deux natures. Il y a, d’une part, les violences qui sont purement politiques car elles sont liées soit aux deux principaux 265 South Sudan Human Rights Commission (SSHRC), Interim Report on South Sudan Internal Conflict: December 15, 2013 – March 15, 2014, disponible en ligne sur <https://www.sudantribune.com/IMG/pdf/rreport_on_conflicts_in_south_sudan.pdf> à la p 2, consulté le 7 novembre 2018. 266 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 16. 267 International Crisis Group, supra note 3 à la p 4. 268 Rapport du Secrétaire général sur le Soudan du Sud, supra note 4 à la p 1. 269 Ibid. 270 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 17. 271 Voir par exemple Øystein H. Rolandsen et M. W. Daly, supra note 41 aux pp 120-132. 43 leaders politiques que sont Salva Kiir et Riek Machar ou soit à d’autres groupes luttant pour des motifs politiques. D’autre part, il y a les conflits inter-communautaires qui ne sont pas fondamentalement politiques mais qui sont très souvent instrumentalisés par les politiciens. Dans une présentation qui ne peut être que partielle, nous mettrons particulièrement l’accent sur le caractère collectif et interethnique des affrontements. Cela nous aidera à mieux comprendre l’ampleur et la nature des violations commises dans les conflits. Pour ce faire, nous allons présenter successivement les atrocités perpétrées dans les États de l’Équatoria (2.4.1), dans l’État du Jonglei (2.4.2), dans l’État de l’Unité (2.4.3) et dans l’État du Haut-Nil (2.4.4). 2.4.1. – Les violences commises dans les États de l’Équatoria Le 15 décembre 2013 dans la soirée, après une réunion du CLN à Juba dans l’Équatoria centrale, des affrontements armés ont eu lieu entre les soldats Dinka et Nuer de la garde présidentielle dite de la “division Tigre” pour le contrôle du dépôt de munitions du 44 quartier général de l’armée à Giyada 272. Le lendemain, les conflits se sont déplacés dans la caserne de l’APLS de Bilpam et dans son armoirie située à New Site. Les partisans de Salva Kiir ont vaincu ceux de Riek Machar et les a ensuite pourchassés dans les quartiers environnants de la ville273. Dans les quartiers de Gudele, New Site, Khor William, Munuki 107, Mangaten, Eden, Lologo et Mia Saba, les soldats Dinka ont recherché les civils Nuer dans les résidences pour les tuer274. Les soldats Dinka et autres forces de sécurité gouvernementales ont ainsi ciblés les civils suivant leur appartenance ethnique275. Les hommes Nuer particulièrement visés ont été tués massivement, faits l’objet de détentions arbitraires, de traitements inhumains et de tortures 276. Ils étaient identifiés par les scarifications du visage ou par la langue. Si la personne interrogée parlait la langue Nuer ou était incapable de répondre dans la langue Dinka, elle était exécutée277. Dans certains cas, les soldats Dinka identifiaient les familles Nuer après avoir discuté avec les Dinka des quartiers 278. Des témoins ont souligné que les Nuer étaient parfois sommés de sortir de leur résidence en laissant les femmes à l’intérieur. Ceux qui résistaient étaient tués et ceux qui sortaient étaient liés ensemble par leurs vêtements. Ils devaient ensuite lever les mains en signe d’abandon et marcher pendant que des membres de la communauté Dinka les insultaient 279. Plusieurs Nuer ont été torturés par les forces de sécurité Dinka en leur demandant des informations sur le lieu où se cache Riek Machar et en les menaçant sur les ambitions présidentielles de ce dernier280. Certains auraient été tuées dans les postes de polices, et d’autres auraient trouvées la mort après avoir été asphyxiées dans des conteneurs 281. Des jeunes de la garde présidentielle de Salva Kiir connus sous le nom de “Luri Boys” – environ un millier de berger Dinka recrutés en 2012 et 2013 sans formation militaire appropriée – auraient 272 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 23. United Nations Mission in the Republic of South Sudan (UNMISS), Conflict in South Sudan: A Human Rights Report, 8 mai 2014, disponible en ligne sur <https://unmiss.unmissions.org/sites/default/files/unmiss_conflict_in_south_sudan_-_a_human_rights_report.pdf> à la p 17, [A Human Rights Report], consulté le 7 novembre 2018. 274 RCEUASS, supra note 203 aux pp 131-132. Voir aussi Human Rights Watch, supra note 207 aux pp 32-42. 275 South Sudan Law Society et United Nations Development Plan, Search for a New Beginning: Perceptions of Truth, Justice, Reconciliation and Healing in South Sudan, UNDP South Sudan, 2015 à la p 2. 276 Human Rights Watch, supra note 207 aux pp 18, 23 et 26. 277 A Human Rights Report, supra note 273 aux pp 18-19. 278 Ibid à la p 21. 279 Ibid à la p 21. 280 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 27. 281 RCEUASS, supra note 203 à la p 132. 273 45 participé aux massacres des civils Nuer 282. Le recrutement de ces jeunes de sa propre province du Bahr el-Ghazal dès le début de l’indépendance témoignait du fait que Salva Kiir craignait en permanence un coup d’État 283. Les massacres de Juba ont causé à la communauté Nuer un traumatisme d’une ampleur telle que plusieurs se sont sentis ciblés par des opérations de nature génocidaire284. Dans cette ligne de pensée, dans une conférence de presse du 16 décembre, Salva Kiir soutient que les conflits de la veille étaient liés à une tentative de coup d’État dirigée par Riek Machar 285. Machar qui avait fui la capitale déclarait plus tard qu’il n’était pas impliqué dans les violences, mais annonçait plutôt être le leader d’une opposition armée qui sera dénommée M/APLS de l’opposition (M/APLS-O)286. Pour Machar, les violences du 15 décembre n’étaient pas un coup d’État, mais s’expliquaient par le fait que Salva Kiir et un petit groupe de Dinka de Warrap et de Bahr el Ghazal avaient utilisé les affrontements comme prétexte pour arrêter leurs rivaux politiques et autoriser la garde présidentielle, l’APLS, la sécurité nationale et la police à commettre des atrocités contre les Nuer de Juba287. Selon le RCEUASS, le nombre de civils Nuer et de soldats tués durant les trois premiers jours (15-18 décembre) est difficile à quantifier. Il s’élèverait à plus de 600 selon la Commission des droits de l’homme du Soudan du Sud, tandis que les rapports des communautés exilés allèguent entre 15 000 et 20 000 Nuer tués288. Ce nombre important de victimes s’expliquerait par le fait que le GoSS n’aurait pas pris les mesures qu’il faut, ne serait-ce qu’à travers par exemple des déclarations publiques, pour arrêter les attaques des forces de sécurité contre les populations civiles 289. Dans ce contexte, la nouvelle des attaques contre les civils Nuer de la capitale se répand rapidement dans les autres États du Soudan du Sud, entraînant la défection de plusieurs leaders Nuer du M/APLS pour joindre l’opposition, contribuant, ce faisant, à amorcer la guerre civile 282Human Rights Watch, supra note 207 à la p 26. Andrew S. Natsios, supra note 168. 284 Love Calissendorff, Johan Brosché et Ralph Sundberg, « Dehumanization Amidst Massacres: An Examination of Dinka-Nuer Intergroup Attitudes in South Sudan », (2019) 25:1 Journal of Peace Psychology 37 à la p 39. Voir aussi John Young, supra note 73 aux pp 27-30. 285 Conseil de sécurité des Nations Unies, supra note 268 à la p 2. 286 International Crisis Group, supra note 3 à la p 1. 287 Ibid. 288 RCEUASS, supra note 203 à la p 131. 289 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 28. 283 46 dans le pays 290. Des actes de vengeance des communautés Nuer contre les Dinka ont ainsi eu lieu dans plusieurs États. Les partisans de Salva Kiir comme ceux de Riek Machar commettront des actes de pillage et de vengeance ethnique inter-communautaire291. Ainsi, bien que les conflits étaient à l’origine principalement politiques, l’ethnicité contribuera largement à envenimer les violences, de sorte que les deux facteurs sont parfois difficiles à distinguer292. Les conflits se métastasent en oppositions entre différentes factions, et se fondent sur des motifs divers dont des tensions locales, des griefs inter-communautaires historiques et des compétitions sur les ressources naturelles du pays 293. Ainsi, dans les États de l’Équatoria, il n’y a pas qu’un seul conflit, mais plutôt plusieurs poches de tensions souvent préexistantes et maintenant aggravées par la guerre se déroulant au niveau national 294. Avec le début de la guerre civile, dans un premier temps, la pénétration des gardiens de bétails dans l’Équatoria occidentale a entrainé des tensions avec les agriculteurs locaux. Dans un second temps, la domination des Dinka dans l’APLS particulièrement après la défection des leaders Nuer du mouvement a changé les relations entre l’armée et les communautés de l’Équatoria occidentale 295. Par exemple, dans les régions de Mundri et de Wonduruba, les leaders du M/APLS-O Wesley Welebi et Kenyi Loruba combattaient non pas en tant que groupe rebelle, mais dans le but de protéger les gardiens des bétails de leur communauté296. De même, la création du Revolutionary Movement for National Salvation (REMNASA) en 2015 par Losuba Ludoru Won’go après sa défection de l’APLS a contribué à amener Juba à considérer les populations de l’Équatoria occidentale non plus comme des “neutres” mais comme des “rebelles”297. Les tensions entre les communautés agriculteurs et pasteurs se sont accrues dans la région lorsque les premiers considéraient que l’APLS soutenait les pasteurs Dinka. Les conflits n’ont point été cependant d’envergure jusqu’à l’attaque majeure 290 Ibid à la p 23. Ibid à la p 11. 292 International Crisis Group, supra note 3 à la p 1. 293 United Nations Development Programme, supra note 213 à la p 4. 294 International Crisis Group, South Sudan’s South: Conflict in the Equatorias, Africa Report No 236, 25 mai 2016 à la p 13. 295 Ibid. 296 Ibid. 297 Ibid. 291 47 opérée par les Arrow Boys – un group ne faisant pas partie du M/APLS-O – sur la ville de Yambio en septembre 2015 298. 2.4.2. – Les violences commises dans l’État du Jonglei En raison des attaques contre les Nuer de Juba, le général de la 8e division de l’APLS de Bor, capitale du Jonglei, Peter Gadet, fait défection avec plusieurs soldats pour se mettre du côté de l’opposition, et prennent contrôle de la ville 299. Des milliers de jeunes Nuer prennent les armes pour intégrer une milice communautaire Nuer dénommée l’“Armée blanche” et se battre du côté du M/APLS-O300. Historiquement, l’“Armée blanche” a émergé comme une force de combat durant la seconde guerre civile au Soudan (19832005)301. Il est un groupe informel de Nuer dont le rôle traditionnel est de protéger leur communauté contre le pacage ou le vol de bétail 302. Selon Breidlid et Arensen 303, l’“Armée blanche” et les jeunes Nuer sont habituellement en relation avec des leaders spirituels qui jouent un rôle important dans la communauté et dans la culture Nuer. Un de ces chefs spirituels influents a été Ngunden. Ses prophéties du XIX e siècle influencent encore considérablement les Nuer qui considèrent que la guerre civile post-décembre 2013 est l’accomplissement d’une de ses prophéties. Ils soulignent que les jeunes combattants ont recours aux leaders spirituels influents pendant les conflits pour recevoir des bénédictions et des visions du futur à travers des sacrifices de taureaux. Le leader spirituel actuel le plus influent serait le prophète Dak Kueth. Il aurait joué un rôle important durant le conflit entre les Lou Nuer et les Murle de la période postérieure à l’AGP. Selon des jeunes Lou Nuer, Dak Kueth les aurait protégés durant les combats et les aurait informés d’attaques avant qu’elles aient lieu304. Au regard des tueries des Nuer à Juba, l’objectif premier de l’“Armée blanche” n’était pas de se battre pour les projets politiques de Riek Machar, mais plutôt de venger 298 Ibid. Conseil de sécurité des Nations Unies, supra note 268 à la p 5. 300 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 20. 301 International Crisis Group, South Sudan: Jonglei - “We Have Always Been at War”, Africa Report No 221, 22 décembre 2014 à la p 15. 302 RCEUASS, supra note 203 à la p 166. Nos développements porteront davantage sur ce groupe dans la section relative à la qualification juridique des actes commis dans les conflits. 303 Ingrid Marie Breidlid et Michael J. Arensen, supra note 162 à la p 7. 304 Le rôle des leaders spirituels dans les conflits armés en Afrique a posé des problèmes juridiques importants notamment dans le processus de justice post-conflictuelle de la Sierra Leone. Nous analyserons ces questions en ce qui concerne le Soudan du Sud dans le chapitre 4 relatif à la mise en œuvre de l’approche transformative de la justice transitionnelle dans ce pays. 299 48 la mort des membres de leurs communautés, d’enlever Salva Kiir du pouvoir, et de “protéger” les Nuer dans les camps de réfugiés des Nations Unies305. Toutefois, Riek Machar a déclaré avoir le soutien de Dak Kueth et d’autres leaders spirituels Nuer pour affermir son pouvoir et s’assurer de la participation des jeunes Nuer à des combats en sa faveur306. Le 19 décembre, l’“Armée blanche” occupe la ville de Bor et se livre à des atrocités contre la population civile, indépendamment de leur nationalité, mais en ciblant principalement les Dinka307. Dans la première semaine de janvier, des combats d’une intensité jamais connue à Bor ont opposés les soldats gouvernementaux soutenus par l’Ugandan People’s Defense Force (UPDF). Au mois de février, le Service de l’action anti-mine des Nations Unies (UNMAS) a découvert dans le Sud de Bor des bombes à fragmentation utilisées soit par les forces du GoSS ou soit par l’UPDF308. Plus de 2000 personnes en majorité des femmes et des enfants ont été tuées à Bor, certains dans une église, d’autres sur leurs lits d’hôpital, et des femmes ont été violées 309. Au-delà de la guerre civile qui a commencé au mois de décembre 2013, le Jonglei a particulièrement toujours été en guerre. En effet, en raison de la recurrence des conflits, il semble que cette zone frontalière n’a jamais été concernée par l’AGP. Pendant près de deux siècles, les principaux groupes du Jonglei à savoir les Dinka, les Nuer et les Murle ont menés des raids de betails, de femmes et d’enfants, de même que des conflits politiques310. Ces violences s’expliquent par des griefs historiques non résolus, des actes de vengeance, la possession de nombreux bétails par l’élite politique et les révoltes contre le gouvernement en raison des faibles structures d’administration locale 311. Alors que les raids de bétails se fondent sur les normes sociales liées au besoin des hommes d’en posséder afin de pouvoir se marier, les conflits inter-communautaires sont nourris par les compétitions politiques au niveau national et sont soutenus par les politiciens 312. Les affrontements donnent souvent lieu à des tueries, des enlèvements de femmes et d’enfants, et à des violences sexuelles 313. Les pratiques de raids réciproques sur les 305 International Crisis Group, supra note 3 à la p 15. Ingrid Marie Breidlid et Michael J. Arensen, supra note 162 à la p 8. 307 South Sudan Human Rights Commission, supra note 265 à la p 5. 308 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 46. 309 South Sudan Human Rights Commission, supra note 265 à la p 5. Voir aussi RCEUASS, supra note 203 à la p 168. 310 International Crisis Group, supra note 3 à la p 4. 311 Ibid à la p 5. 312 Ibid. 313 Ibid. 306 49 femmes et les enfants sont souvent encouragées par des femmes, à travers des chants de louange et la préparation de repas spéciaux pour les “braves” hommes qui prennent part à ces opérations, et par l’humiliation de ceux qui n’y participent pas 314. Dans ce contexte, l’octroi d’armes et de munitions par la police locale et l’APLS à chacune des communautés ethniques contribue à accroître davantage les violences intercommunautaires315. 2.4.3. – Les violences commises dans l’État de l’Unité Le 18 décembre, après son retour de Juba, le gouverneur Monytuiel informa les responsables de la région que plusieurs Nuer avaient été tués, mais appela les Nuer au calme et à ne pas se venger 316. Le même jour et deux jours durant, les soldats Nuer et des jeunes ont pillé et brulé la deuxième ville de Rubkona et les combats se déportèrent sur les sites pétroliers 317. Le 21 décembre, le chef de la 4e division de l’APLS à Bentiu se rallie au M/APLS-O avec une grande partie des soldats en s’autoproclamant gouverneur de la région318. Le 10 janvier, l’APLS reprend le contrôle de la ville après de violents combats 319. Les conflits ont d’abord eu lieu entre les Nuer et les travailleurs Dinka des champs pétrolifères, et se sont par la suite propagés à travers toute la région 320. Les combats se sont poursuivis jusqu’à la frontière du Nord. Au Kordofan du Sud, le commandant Nuer de Jaw, le général brigadier Steven Bol rejoint le M/APLS-O321. Les soldats Dinka tuent quelques 200 collègues Nuer à Pariang et Jaw322. Les combats se poursuivent à Yida, à Ajuong, et dans les camps de réfugiés de Thok où les soldats Dinka éxécutent leurs collègues Nuer et des civils, y compris un humanitaire 323. Des femmes ont aussi été violées à l’intérieur et à l’extérieur des zones controlées par le gouvernement. Elles étaient systématiquement violées quand elles sortaient pour aller chercher de la nourriture, parfois, par des combattants de leur propre communauté, 314 Ibid aux pp 5-6. Ibid. 316 International Crisis group, supra note 7 à la p 10. 317 Ibid. 318 Conseil de sécurité des Nations Unies, supra note 268 à la p 5. 319 Ibid. 320 International Crisis group, supra note 7 à la p 10. 321 Ibid. 322 Ibid. 323 Ibid aux pp 10-11. 315 50 plusieurs sont tuées, certaines se sont suicidées, et d’autres ont choisi de fuir 324. Les forces gouvernementales mènent des attaques contre les villes et les villages en les brûlant, obligeant ainsi les populations à fuir 325. Dans le comté de Leer, la Commission d’enquête de l’Union Africaine au Soudan du Sud (CEUASS) a entendu des témoignages de civils tués, de maisons incendiées, de bétails massacrés, de violences sexuelles et de la tuerie d’enfants et d’adolescents 326. Le M/APLS-O reprend cependant la ville de Bentiu les 14-15 avril 2014 après avoir attaqué la ville et tué au moins 200 civils qui s’étaient réfugiés dans une mosquée et à l’hopital, et utilisé la Radio Bentiu pour inciter à des tueries à caractère ethnique 327. À partir du 17 avril, 236 000 civils s’étaient déplacés dans l’État de l’Unité et 22 500 civils cherchaient des réfuges dans les camps de protection des civils (PoC) de l’UNMISS à Bentiu328. Les civils ont fait l’objet de massacres généralisés, de mauvais traitements, de pillages et de destructions de leurs biens à Bentiu, à Rubkona et dans les comtés du Sud329. L’intensité des violences dans la ville était telle qu’elle avait fait dire aux Nations Unies que celles-ci « changeaient le jeu » dans le conflit au Soudan du Sud330. Au mois de juin 2014, BBC soulignait l’intensité des atrocités en informant que des jeunes filles ont été sexuellement abusées dans leurs maisons par des soldats de l’APLS avant d’être brulées vives 331. 2.4.4. – Les violences commises dans l’État du Haut-Nil L’“Armée Blanche” a attaqué la ville de Malakal, la capitale du Haut-Nil, le 25 décembre332. La ville est prise par le M/APLS-O ce même jour, puis reprise par l’APLS le 27 décembre, retombée entre les mains du M/APLS-O le 14 janvier et reprise à nouveau par l’APLS le 20 janvier333. En raison de l’intensité des combats dans la capitale Malakal, la majeure partie des infrastructures ont été détruites 334. Les soldats des deux 324 International Crisis group, supra note 7 à la p 11. Human Rights Watch, supra note 207 à la p 57. 326 RCEUASS, supra note 203 à la p 188. 327 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 57. 328 A Human Rights Report, supra note 273 à la p 40. 329 Ibid. 330 Cité par Ingrid Marie Breidlid et Michael J. Arensen, supra note 162 à la p 8. 331 British Broadcasting Corporation (BBC), South Sudan conflict: Army 'raped and torched girls', 30 juin 2014, disponible en ligne sur <https://www.bbc.com/news/world-africa-33326869>, consulté le 19 novembre 2018. Voir aussi, Andrew S. Natsios, supra note 168. 332 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 20. 333 Rapport du Secrétaire général sur le Soudan du Sud, supra note 4 à la p 6. 334 RCEUASS, supra note 203 à la p 203. 325 51 parties ont procédé à des fouilles dans les maisons faisant des détentions arbitraires et tuant de nombreux civils sur la base de leur appartenance ethnique 335. En plus des violences entre les Dinka et les Nuer, d’autres communautés ont aussi été ciblées dont les Shilluk, le troisième groupe ethnique d’importance du pays 336. Les tueries à caractère ethnique des membres d’autres communautés se faisaient en fonction des alliances existantes notamment avec les Dinka ou avec les Nuer 337. Dans d’autres localités dont le comté de Baliet, les populations civiles ont été ciblées et ont fait l’objet de nombreuses massacres 338. Entre le 30 décembre 2013 et le 3 janvier 2014, les Nations Unies estimaient que 218 corps ont été enterrés dans un seul cimétière tandis que Human Rights Watch a été informé par des travailleurs humanitaires locaux qu’ils ont collectés environ 500 corps au début du mois de janvier 339. Le 14 janvier, les combattants de l’“Armée Blanche” de l’opposition ont procédé à des portes à portes exigeant de l’argent, de la nourriture, des téléphones portables ou d’autres biens aux résidents principalement non Nuer, mais incluant quelques Nuer 340. Plusieurs personnes ont été tuées durant ces opérations de vols 341. Entre le 14 et le 15 janvier, les forces de l’opposition ont forcé les portes de la cathédrale Catholique Romaine Saint Joseph où 3000 à 4000 personnes s’étaient réfugiées. Ils ont tué les civils d’orgine ethnique Shilluk et ont pris l’argent des personnes déplacées (IDPs)342. À partir du 20 janvier et les semaines suivantes, il a été réporté à Human Rights Watch que les soldats du gouvernement ont arrêté et exécuté plusieurs jeunes hommes Nuer en âge de combattre343. Selon le rapport de la mission des Nations Unies au Soudan du Sud (UNMISS), aucun des parties au combat n’a respecté l’inviolabilité des églises. À l’Église Presbytérienne où plus de 4000 personnes s’étaient réfugiées, les forces de l’opposition dont l’“Armée Blanche” ont tiré de façon indiscriminée sur la foule, tuant environ 30 personnes d’origine principalement Shilluk. À l’Église Christ the King, des témoins ont rapporté qu’un groupe de soldats de l’opposition ont pris des femmes et les 335 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 69. RCEUASS, supra note 203 à la p 203. 337 Andrew S. Natsios, supra note 168. 338 RCEUASS, supra note 203 à la p 204. 339 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 70. 340 Ibid. 341 Ibid. 342 A Human Rights Report, supra note 273 à la p 36. 343 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 71. 336 52 ont abusés sexuellement. À l’Hôpital d’Enseignement de Malakal où s’étaient réfugiés environ 3000 personnes, des temoins ont indiqué que les forces de l’opposition sont entrées dans l’hôpital et ont emporté l’argent, les téléphones des personnes réfugiées et plusieurs matériels hospitaliers. Selon des informations, les patients Nuer ont été mis à part et détenus, et les autres ont été autorisés à quitter l’hôpital. Plusieurs des personnes restées, notamment les membres des communautés Dinka et Shilluk, ont été tuées 344. Après avoir exposé l’état des violences commises dans les conflits au Soudan du Sud, il nous semble à présent important d’exposer le contexte normatif sud-soudanais afin d’explorer les voies et moyens qu’il offre pour réparer les conséquences des atrocités. Ainsi, étant donné la coexistence de plusieurs foyers normatifs dans le pays, nous indiquerons que son architecture normative est essentiellement pluraliste. Cette présentation nous permettra de découvrir les normes qui régissent le pays, en particulier, leurs conditions d’apparition et leurs caractéristiques propres, et de déterminer dans quelle mesure elles peuvent être mobilisées pour la mise en œuvre effective de la justice transitionnelle. Section II. – Le contexte normatif pluraliste du Soudan du Sud Le contexte normatif du Soudan du Sud se caractérise tout d’abord par la présence de normes coutumières locales qui servent d’instruments de premier recours dans la résolution des différends sociaux. Dans le but de mettre en œuvre une justice transitionnelle effective dans le pays, il nous semble nécessaire d’étudier comment ces normes sont apparues dans l’histoire de la région, leur nature propre et les finalités qu’elles visent. Pour ce faire, nous montrerons dans un premier temps, l’émergence de ces normes, au moment de la colonisation, au sein des communautés locales et les modifications substantielles qu’elles ont par la suite progressivement subi durant les régimes postocoloniaux successifs du Soudan (1). En outre, les conditions historiques du Soudan du Sud marquées par des politiques de domination culturelle et religieuse, l’exploitation socioéconomique, ainsi que les longues années de guerres civiles qui en ont résulté ont contribué à altérer les normes coutumières et à leur attribuer une nature fondamentalement hybride (2). De plus, en raison de leurs caractéristiques particulières, 344 A Human Rights Report, supra note 273 aux pp 36-37. 53 ces normes entrent en contradiction avec certaines règles du droit étatique formel, en particulier, les droits de la personne (3). Finalement, l’architecture normative du Soudan du Sud prend aussi en compte les normes du droit international applicables au jeune État, plus particulièrement, celles qui régissent les conflits armés et le droit national (4). 1. – L’émergence des normes coutumières du Soudan du Sud Les sociétés d’Afrique précoloniales étaient régies par des normes fondées sur les traditions et coutumes des communautés locales345. Ces normes étaient intimément liées à la croyance animiste et impliquait à la fois des « forces du visible » et des « forces de l’invisible »346. Il en était ainsi du Soudan du Sud précolonial qui était une région occupée principalement par les nilotiques Nuer et Dinka, et administrée par des normes traditionnelles et coutumières étroitement connectées au surnaturel347. Le contact du Soudan avec la civilisation islamique à la suite de l’invasion du territoire en 1820-1821 par l’administration turco-égyptienne dirigée par Muhammad Ali Pasha 348, entame les débuts de la mutation des répertoires normatifs de la société soudanaise. Les pratiques sociales, coutumières et traditionnelles commencent à connaître l’influence de l’Islam. En effet, en 1881, le régime Mahdiste qui émerge du pays impose l’Islam comme religion malgré la diversité des tribus et des cultures 349. Toutefois, en dépit de l’adoption de la sharia par l’administration turco-égyptienne et par les Mahdistes, les régions rurales du Nord restent régies par des droits coutumiers qui prétendent réfléter les principes de l’islam alors qu’ils sont essentiellement indigènes 350. Quant aux régions du Soudan du Sud, elles restent hors du contrôle de ces deux régimes et sont gouvernées par les normes coutumières fondées sur des principes moraux, éthiques et religieux 351. L’administration du Soudan par le régime anglo-égyptien à partir de 1896, constitue un tournant important dans le processus de transformation des normes locales. Muna Ndulo, « African Customary Law, Customs and Women’s Rights », (2011) 18:1 Indiana Journal of Global Legal Studies 87 à la p 94. 346 Joseph John-Nambo, « Quelques héritages de la justice coloniale en Afrique noire », (2002) 2:51-52 Droit et société 325 à la p 329. 347 Robert Collins et Richard Herzog, supra note 68 à la p 120. 348 Voir Peter Malcolm Holt, supra note 39 à la p 37. 349 Ibid aux pp 35-37. 350 Francis M. Deng, « Customary Law in the Cross Fire of Sudan’s War of Identies », dans Deborah H. Isser, (éd), Customary Justice and the Rule of Law in War-Torn Societies, United States Institute of Peace Press, Washington, D.C., 2011 à la p 287. 351 Ibid. 345 54 Les Britanniques adoptent une approche d’apaisement à l’égard des Musulmans du Nord en leur permettant d’être régis par une sharia moins rigide352. Ils mettent en œuvre deux systèmes juridiques à Khartoum. D’une part, il y a la division civile dirigée par un juge en chef dont les domaines de compétence sont le droit privé portant notamment sur les contrats, les délits, la propriété et le commerce, et le droit public se référant essentiellement aux crimes. D’autre part, il y a la division de la sharia dirigée par le Grand Qadi (juge islamique) qui a compétence sur les affaires relevant du droit de la famille dont surtout le mariage, le divorce, l’héritage 353. Dans le but de paraître une autorité bienveillante et de se construire une légitimité parmi les Soudanais, l’administration coloniale britanniques privilégient le Qanoon al-maheliyya (“le droit de la localité”) en permettant aux régions rurales d’être régies par les normes traditionnelles pour autant qu’elles ne soient pas « répugnantes à la justice, à l’equité et à la bonne conscience »354, autrement dit, au droit européen 355. Cette “clause d’incompatibilité” considérait comme valides seuls les droits coutumiers conformes « à la justice, à la moralité ou à l’ordre »356 selon l’entendement britannique. Par ailleurs, malgré sa volonté d’appliquer le système juridique de la Common Law sur tout le territoire du Soudan, la Grande Bretagne opte de laisser les droits traditionnels africains se développer “sous surveillance” au Soudan du Sud 357. Considérant les chefs tribaux et les anciens locaux comme de concurrents potentiels, le régime colonial cherche à obtenir leur accord en les intégrant dans le processus d’administration coloniale 358. Il procède à la restauration de certaines familles dirigeantes et des pouvoirs locaux qui avaient été détruits pendant la 352 Ibid. Martin Chanock, « The Colonial Path to the Rule of Law, 1898-1956 », dans Mark Fathi Massoud, Law’s Fragile State: Colonial, Authoritarian, and Humanitarian Legacies in Sudan, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013 à la p 57. 354 Richard Robert, « Law, Crime, and Punishment in Colonial Africa », dans John Parker et Richard Reid (éds.), The Oxford Handbook of Modern African History, Oxford, Oxford University Press, 2013 à la p 173. 355 Leila Chirayath, Caroline Serge et Michael Woolcock, « Customary Law and Policy Reform: Engaging with the Plurality of Justice Systems », (2006) Background Paper for the World Development Report à la p 9. Une clause similaire était appliquée par la France, la Belgique, le Portugal. Voir Nagy Rosemary, « Traditional Justice and Legal Pluralism in Transitional Context: The Case of Rwanda's Gacaca Courts », dans Joanna R. Quinn (éd.), Reconciliation(s): Transitional Justice in Postconflict Societies, Montreal, McGill-Queen's University Press, 2009 à la p 89. 356 Mahmood Mamdani, Citoyens et Sujet. L’Afrique contemporaine et l’héritage du colonialisme tardif, Paris, Khartala, 2004 aux pp 166-167. 357 Mohamed Fadlalla, Customary Laws in the Southern Sudan: Customary Laws of Dinka and Nuer, New York, Bloomington, iUniverse, Inc, 2009 à la p xiv. 358 Martin Chanock, supra note 353 à la p 68. Voir aussi Peter Woodward, Sudan 1898-1989: The Unstable State, Boulder, CO: L. Rienner, 1990 à la p 30. 353 55 révolution madhiste et à la nomination de leaders locaux connus sous les noms de sheikhs (au Nord), de omdas, de sultans ou de chefs (au Sud)359. En 1900, le régime colonial adopte l’Ordonnance de Justice Civile. Celle-ci dispose en son article 3 que les affaires civiles portent sur la succession, l’héritage, la volonté, les legs, les dons, le mariage, le divorce, les relations familiales et le waqf (la fudicie islamique). La règle soutient également que lorsque les parties en cause sont des Musulmans, la sharia s’applique sauf si une coutume en décide autrement. Cette Section semblait ainsi mettre les droits coutumiers et traditionnels au-dessus du droit islamique360. En 1902, l’adoption de l’Ordonnance des Tribunaux de droit Mahométan subdivise l’organe judiciaire de la sharia en deux branches dont l’une administrative et l’autre judiciaire361. L’Ordonnance accorde cependant une grande autonomie au Grand Qadi de prendre des décisions, sous réserve de l’accord du Gouverneur général colonial, sur la procédure, la composition et la compétence des Tribunaux de droit Mahométan362. Au Soudan du Sud, les tribus qui avaient une organisation politique centralisée et hiérarchisée sont les Zande, les Shiluk et les Anyak 363. Dans les autres tribus nilotiques, les rois (ou prêtres) ne disposaient pas du monopole de la violence. Bien qu’ils disposassent parfois d’armées, celles-ci n’étaient pas les seules forces militaires des royaumes. Plusieurs groupes d’auto-défense y existaient364. Du fait de ces structures sociales, lorsque l’administration britannique parvient à dégager les vastes marécages qui séparait le Soudan du Sud du Nord et à pénétrer la région en 1904, elle ne trouve point chez les Nuer des institutions judiciaires formelles de résolution des différends et d’exécution des décisions coutumières 365. En effet, leur procédure n’était pas de nature à 359 John Ryle et al., The Sudan Handbook, London, James Currey, 2011 à la p 38. Albel Rahman Ibrahim ElKhalifa, Development and Future of English Law and Islamic Law in the Sudan, DCL Thesis, McGill, 1988 la p 192. Voir aussi, Francis M. Deng, supra note 350 à la p 305. 361 Albel Rahman Ibrahim ElKhalifa, supra note 360 à la p 192. 362 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, « A Study of Customary Law in Contemporary Southern Sudan », World Vision International and the South Sudan Secretariat of Legal and Constitutional Affairs, 2004 à la p 14. 363 Manuel for Traditional Authorities on Customary Law in South Sudan, UN Women, UNDP, Jannuary 2010 (revised December 2013) à la p 23, disponible en ligne sur <http://www.undp.org/content/dam/southsudan/library/Reports/Manual%20for%20Traditional%20Authorities%20on% 20Customary%20Law%20in%20South%20Sudan%20(1).pdf>, consulté le 2 décembre 2018. 364 Simon Simonse, « Human Rights and Cultural Values in Relief Operations in Wartorn South Sudan », A discussion paper produced by Lajour Consultancy, Commissioned by Operation Lifeline Sudan, Nairobi, 12 janvier, 1995 à la p 6, disponible en ligne sur <http://southsudanhumanitarianproject.com/wp-content/uploads/sites/21/formidable/SimonseUnknown-Human-Rights-and-Cultural-Values-in-Relief-Operations-in-Wartorn-South-Sudan.pdf>, consulté le 2 décembre 2018. 365 P. P. Howell, supra note 76 à la p 22. 360 56 prononcer la culpabilité ou l’innocence ou encore à infliger des punitions dissuasives, mais elle reposait plutôt sur un arbitrage fondé sur des principes d’obligations sociales sanctionnées par un ordre spirituel 366. Le “droit” Nuer n’était pas organisé comme dans les sociétés occidentales en tant que « contrainte émanant d’un pouvoir organisé spécialement à cette fin » 367. Les Nuer s’exprimaient en termes de “droit” appelé cuong et en termes de “tort” appelé duer qui pouvait conduire au “péché” appelé nueer. Entrait dans le nueer, le concept de thek qui pouvait être traduit par totem368. En raison de leur appartenance au lignage ou à la communauté, les Nuer considéraient qu’ils avaient à la fois des droits et des obligations envers leurs membres. Du fait que la sécurité de chaque membre et du groupe dépendait du groupe et de ses alliés, les droits individuels étaient étroitement liés à ceux de la communauté, de sorte que les deux étaient difficilement séparables 369. Les responsabilités étaient rarement individuelles, mais collective à la commununauté et les sanctions des torts ou duer étaient conduites à travers la vengence ou l’usage de la force370, ou encore à travers des sanctions sociales et sprituelles comme la malédiction prononcée à l’encontre des personnes fautives 371. De façon similaire, la justice chez les Dinka était fondée sur les concepts de cieng et de dheng. Le cieng faisait référence à l’idée d’entretenir de bonnes relations interpersonnelles, en traitant autrui avec bienveillance, générosité, hospitalité et gentillesse. Par sa conduite, une personne pouvait atteindre le statut de dheng qui signifie noble, grâce, élégance, charme 372. Le système normatif des Dinka ne faisait pas de distinction entre le droit, les coutumes et la moral. Les sanctions des violations du cieng et du dheng reposaient sur la réprobation sociale, la punition divine et des ancêtres plutôt que sur la force373. De plus, il n’existait pas chez les Dinka ce qu’on pourrait appeler un droit criminel, mais plutôt des règles coutumières qui portent sur la réparation 374. En 366 Douglas H. Johnson, « Judicial Regulation and Administrative Control: Customary Law and the Nuer, 1898-1954 », (1986) 27 Journal of African History 59 à la p 59. 367 Norbert Roulant, Aux confins du droit : anthropologie juridique de la modernité, Paris, Odile Jacob, 1991 à la p 137. 368 Edward Evan Evans-Pritchard, Nuer Religion, Oxford, Clarendon Press, 1956 aux pp 177-180. 369 Simon Simonse, supra note 364 à la p 7. 370 P. P. Howell, supra note 76 à la p 23. 371 Douglas H. Johnson, supra note 366 à la p 59. 372 William Twining, « Francis Deng on Dinka Culture and Human Rights », (2013) 46:2 Verfassung und Recht in Übersee / Law and Politics in Africa, Asia and Latin America 197 à la p 205. 373 Ibid aux pp 205-206. 374 S. F. Beswick, « Non-Acceptance of Islam in the Southern Sudan: The Case of the Dinka from the Pre-Colonial Period to Independence (1956) », (1994) 1: 2-3 Northeast African Studies, New Series 19 à la p 25. 57 raison de la similitude entre les normes coutumières Nuer et Dinka qui reposaient sur le payement de compensation en cas d’homicide par exemple, il était admis que le “droit Dinka” pouvait être appliqué à la gestion des communautés Nuer 375. Il y avait deux sortes de clans dans les sociétés nilotiques. Le premier clan était minoritaire mais occupait une position importante en raison des fonctions religieuses et spirituelles qu’il accomplissait. Le second clan était majoritaire et était constitué des guerriers376. Chez les Dinka, la fonction religieuse ou spirituelle était assurée par le clan des chefs spirituels appelés bany-bith ou les “maîtres de la lance de pêche”377, et les roturiers, les kic, qui n’occupaient aucune fonction religieuse ou politique 378. La fonction du maître de la lance était de prier pour la communauté surtout lorsqu’elle va en guerre et dans les situations de conflit au sein du groupe, de procéder à la médiation entre les parties. Il était un leader dont les pouvoirs résidaient non pas dans la coercition, mais plutôt dans la persuasion. Un maître de la lance qui avait d’importants pouvoirs spirituels avait une grande réputation et était régulièrement consulté 379. Chez les Nuer, le terme “chefs” qui a été utilisé par les Européens pour désigner le kuaar, peut être aussi traduit par “prêtre”. Le kuaar twac ou prêtre de la “peau de léopard” ou gwan twac ou possesseur de la “peau de léopard” ou encore kuaar muon ou prêtre de la terre se référait aux personnes distinctes des roturiers (dwek) qui étaient investies des fonctions religieuses ou spirituelles 380. Ces chefs spirituels avaient l’autorité morale et spirituelle pour contraindre les parties en conflit d’accepter leur solution. Pour ce faire, lorsqu’il y avait un différends, le kuaar twac conduisait les prestations de serment entre les parties, procédait à des sacrifices et organisait la médiation pour parvenir à une solution qui pouvait reposer sur la compensation ou sur la restitution 381. Par exemple, lorsqu’une personne commettait un homicide, le kuaar twac devait accomplir des actes rituels pour apaiser l’esprit du défunt, proposer le payement d’une compensation du sang (cut) afin 375 Douglas H. Johnson, supra note 366 à la p 63. LaVerle Berry (éd), Sudan a Country of Study, Federal Research Division, Library of Congress, 5th edition, Washington, DC., 2015 à la p 112. 377 Cette appellation fait référence à la fonction rituélique de l’instrument chez les nilotiques Dinka. 378 Stephanie Beswick, supra note 32 à la p 182. 379 LaVerle Berry (éd), supra note 376 à la p 112. 380 Edward Evan Evans-Pritchard, supra note 368 aux pp 290-291. 381 Samson S. Wassara, Traditional Mechanisms of Conflict Resolution in Southern Sudan, Berlin, Berghof Foundation for Peace Support, 2007 à la p 8, disponible en ligne sur <https://docs.southsudanngoforum.org/node/233>, consulté le 14 mars 2020. 376 58 d’empêcher des actes de vengence meurtriers de se produire dans la communauté 382. Edward Evan Evans-Pritchard ajoute que les compensations se faisaient par des vaches, le don d’une femme et des sacrifices pour éviter la vengeance 383. À partir de 1920, la mise en oeuvre de la “politique du Sud” par le régime colonial se traduit par l’adoption d’une administration indirecte indigène (Native administration)384. Cette politique régulièrement associée au Gouverneur général colonial en poste au Nigeria, Lord Lugard, reposait sur l’idée qu’une meilleure administration des colonies britanniques doit se fonder sur la reconnaissance officielle, la conservation et le recours aux normes locales et aux “autorités indigènes” qui les incarnent 385. Pour ce faire, l’administration coloniale britannique entreprend l’intégration des droits coutumiers locaux du Sud dans la gouvernance coloniale386. Elle s’appuie sur les structures coutumières et quand celles-ci font défaut, elle nomme des chefs en lieu et place 387. Le régime colonial indirect a ainsi accru les pouvoirs des élites locales en renforçant tantôt les distinctions ethniques et en regroupant tantôt certains groupes pour une meilleure administration388. Elle s’est par exemple servie du caractère mutable de l’ethnicité pour créer des communautés en alléguant leur appartenance à un ancêtre commun389. Les chefs jouissaient d’un pouvoir juridictionnel limité, parfois de nature pénale, créant un système dualiste dans l’administration de la justice 390. De plus, pour mieux mettre en œuvre l’administration indirecte, les Britanniques adoptent la Closed Districts Ordinance (zones fermées) qui donne le pouvoir aux gouverneurs généraux d'empêcher les échanges commerciaux et culturels entre notamment le Nord et le Sud du Soudan391. Cette politique contribue à l’essor des normes coutumières au Soudan du Sud392. En 1931, 382 Andrew Novak, « Capital Punishment in Precolonial Africa: The Authenticity Challenge », (2018) 50:1 The Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law 71 à la p 81. Voir également Edward Evan Evans-Pritchard, supra note 368 aux pp 293-303. 383 Edward Evan Evans-Pritchard, supra note 71 aux pp 155-156. 384 Lam Akol, supra note 33 aux pp 21-25. 385 Antony Nicolas Allott, « What is to Be Done with African Customary Law? The Experience of Problems and Reforms in Anglophone Africa from 1950 », (1984) 28:56 Journal of African Law 56 à la p 58. 386 L. Amede Obiora, « Reconsidering African Customary Law », (1993) XVII : 3 Legal Studies Forum 217 à la p 225. 387 Antony Nicolas Allott, supra note 385 à la p 58. 388 John Ryle et al., supra note 359 à la p 38. 389 Ibid. 390 Frédéric Mégret, supra note 20 à la p 41. 391 Éric Denis, « Inégalités régionales et rébellion au Soudan », (2007) Outre-Terre, no 20, 151 à la p 160. Voir aussi, LaVerle Berry (éd), supra note 376 à la p 111. 392 David Nailo N. Mayo, supra note 97. 59 l’administration coloniale adopte l'Ordonnance des Tribunaux de Chefs de 1931393. Cette loi reconnaît officiellement les juridictions de “droits coutumiers”, quoique ceux-ci fussent déjà reconnus par l'Ordonnance de Justice Civile de 1929394. Mais les juridictions de droits coutumiers connaîssent progressivement des changements tant dans leur nature que dans leurs caractéristiques propres. Par exemple, les cours indigènes adoptent graduellement le modèle juridictionnel britannique, en instituant des greffiers pour prendre des notes, en enregistrant leurs décisions et en les justifiant devant d’autres instances, en adoptant la procédure écrite pour convoquer les parties et les témoins, et en choisissant leur personnel sur la base de leur qualification et non pas en raison de leur position dans les structures coutumières395. En outre, au lieu de laisser libre-cours à des actes de vengence meurtrières à la suite d’un homicide par exemple, le régime colonial autorise que la famille de l’accusé paye une Dia (mot arabe qui signifie la “compensation de sang”) à la famille victime comme cela était de pratique dans les sociétés musulmanes 396. Les “droits coutumiers”, comme le souligne Martin Chanock, ne sont donc pas des produits de la survivance d’un passé lointain de l’Afrique, mais plutôt le résultat de relations coloniales conflictuelles relatives au foncier, au travail et à la propriété 397. Ils résultent des relations de pouvoirs entre les chefs coutumiers ou traditionnels et le marché économique capitaliste de l’administration indirecte des colonies 398. Ainsi, bien que la clause de répugnance ait permis aux administrateurs coloniaux de supprimer certaines normes coutumières contraires à la morale occidentale, elle n’était pas la principale cause des mutations de ces normes. La modification des normes coutumières s’explique en grande partie par l’agencéité des populations indigènes dans le contexte de leur introduction au système économique libéral avec des enjeux liés aux activités 393 Voir Alexander P. Danne, « Customary and Indigenous Law in Transitional Post-Conflict States: A South Sudanese Case Study », (2004) 30:2 Monash University Law Review 199. 394 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 14. 395 Antony Nicolas Allott, supra note 385 à la p 58. 396 Sir Donald Hawley, « Law in the Sudan under the Anglo-Egyptian Condominium », Durham Sudan Historical Records Conference, Durham University, April 14–16, 1982. Archive du Sudan, Durham University, HAW 43/6/45 à la p 40. Voir aussi Martin Chanock, supra note 353 à la p 69. 397 Martin Chanock, Law, Custom, and Social Order: The Experience in Malawi and Zambia, Heinemann, New York, Cambridge University Press, 1985 à la p 4 et s. 398 Sally Engle Merry, « Legal Pluralism and Legal Culture: Mapping the Terrain », dans Brian Z. Tamanaha, Caroline Sage et Michael Woolcock (éds.), Legal Pluralism and Development, Cambridge, Cambridge University Press, 2012 à la p 68. 60 génératrices de revenus, à la proprité foncière, à l’éducation et à la vie de familiale399. Ce sont ces conditions qui ont largement contribué à dénaturer, à effriter et à transformer les droits coutumiers et traditionnels qui existaient avant la colonisation. Ce qui a fait dire à Engle Merry que « les droits coutumiers n’ont pas été trouvés, mais qu’ils ont été fabriqués »400. En effet, les régimes juridiques de la période coloniale étaient étroitement liés à la distinction faite entre l’“ethnicité” et la “race”401. Le terme ethnie (ethnos) qui était utilisé dans l'Antiquité pour désigner les peuples païens est utilisé durant la période coloniale pour définir les populations conquises 402. Le concept se référait ainsi à des peuples se distinguant par une langue commune, une culture partagée, et d'autres éléments présentant une certaine stabilité à l'égard des autres groupes 403. Pour ce qui concerne le concept de “race”, il était appliqué aux non-indigènes, c’est-à-dire, aux Blancs, aux Asiatiques et aux Arabes. Ainsi, les populations de race étaient toutes assujetties à un seul régime juridique, le droit civil, tandis que les ethnies relevaient de différents droits coutumiers 404. Les répartitions ethniques ou tribales dans les sociétés africaines sont donc de pures inventions des régimes coloniaux pour satisfaire leurs stratégies de domination 405. Dans ce sens, Mahmood Mamdani soutient que des identités culturelles librement choisies ont bien existé avant la colonisation, mais que ce qu’il faut mettre en cause, c’est d’avoir fait de celles-ci – à travers le concept de l’ethnie – des identités juridiques et 399 Antony Nicolas Allott, supra note 385 à la p 59. Sally Engle Merry, « From Law and Colonialism to Law and Globalization », (2003) 28:2 Law & Social Enquiry 569 à la p 572 (Notre traduction). 401 Mahmood Mamdani, « Beyond Settler and Native as Political Identities: Overcoming the Political Legacy of Colonialism », (2001) 43:4 Comparative Studies in Society and History 651 à la p 654. 402 Raymond Verdier, « En deçà et au-delà de la modernité juridique », dans Andrée Lajoie et al., Théories et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, Éditions Thémis, Montréal (Québec), 1998 à la p 53. 403 Serge Paulin Akono Evang, « Contribution à une science africaine de l'ethnie à partir de l'expérience camerounaise », (2014) Droit et société no 56, 157 à la p 159. Deux principales approches essayent d’expliquer la formation des ethnies en Afrique. Il y a, d’une part, de l’approche primordialiste qui considère que l’identité ethnique est un phénomène naturel très ancien lié à la naissance, et, d’autre part, l’approche constructiviste qui appréhende l’ethnicité comme un objet socialement construit par les individus en fonction de leurs intérêts notamment économiques et politiques. Voir sur ce point Melchisedek Chétima, « On ne nait pas ethnique, on le devient ! », (2017) 112 Anthropos 179 à la p 179. Voir aussi de façon générale François G. Richard et Kevin C. MacDonald (éds.), Ethnic Ambiguity and the African Past: Materiality, History, and the Shaping of Cultural Identities, London, Routledge, 2015. 404 Mahmood Mamdani, « Race et ethnicité dans le contexte africain. Traduit de l’anglais par Thierry Labica », (2005) Actuel Marx, no 38, 65 aux pp 65-66. 405 Voir, par exemple, David D. Laitin, « Hegemony and Religious Conflict: British Imperial Control and Polical Cleavages in Yorubaland », dans Peter B. Evans, Dietrich Rueschemeyer et Theda Skocpol (éds.), Bringing the State Back In, New York, Cambridge University Press, 1985 aux pp 285-316; Mahmood Mamdani, supra note 404; Leroy Vail, The Creation of Tribalism in South Africa, Los Angeles, University of California Press, 1989. 400 61 politiques non plus volontairement choisies, mais imposées 406. Pour d’autres auteurs, les ethnies ou les tribus résultent plutôt de la résistance des peuples africains face à l’oppression coloniale407. Dans tous les cas, seuls les indigènes (natifs locaux) étaient répartis en groupes ethniques et seuls ceux-ci possédaient des droits coutumiers408. Les juridictions coutumières tranchaient les litiges locaux portant notamment sur la famille à travers les normes coutumières et religieuses 409. De façon générale, trois ordres juridiques conféraient aux droits coutumiers leur légitimité et leur caractère obligatoire. Il s'agit de l'ordre juridique parental qui organisait les relations d'autorité dans une lignée donnée, ainsi que les questions de filiation, de mariage, de succession et d'héritage; l'ordre juridique territorial qui règlementait l'usage de la terre pour les communautés résidentes; et enfin, l'ordre juridique religieux qui régissait les rapports entre les différents groupes et le monde invisible formé par les ancêtres et les esprits locaux 410. L’application de ces normes n’était pas toujours objective dans la mesure où les hommes qui les interprétaient privilégiaient généralement leurs propres intérêts 411. Il convient dès lors de ne point idéaliser ou “romancer” les mécanismes traditionnels de justice, car même si les normes qui les sous-tendaient étaient habituellement mises en œuvre au nom de la communauté, elles ne l’étaient pas toujours à l’avantage de toute la communauté 412. Elles cachaient des relations de pouvoir inégales en faveur des hommes et promouvaient un système social patriarcal préjudiciable aux droits des femmes et des enfants. Entre 1953 et 1956, l’administration britannique décide d’intégrer les cours indigènes dans le système judiciaire formel et d’accorder aux justiciables la possibilité d’interjeter appel devant les juridictions formelles de l’État413. Après l’indépendance du Soudan en 1956, malgré l’abrogation formelle du régime de l’administration indigène par Jaafar Nimeiri en 1971, des éléments du régime indirect dont les fonctions des chefs et des omdas ont continué et ont plus tard été restauré par les gouvernements du Nord et du 406 Mahmood Mamdani, supra note 404 à la p 69. Voir, par exemple, Georges Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique noire. Dynamique des changements sociaux en Afrique centrale, Paris, Presses universitaires de France, 1955. 408 Mahmood Mamdani, supra note 401 à la p 654. 409 Brian Z. Tamanaha, supra note 398 à la p 38. 410 Raymond Verdier, « Problématique des droits de l'homme dans les droits traditionnels d'Afrique noire », (1983) 5 Droit et cultures 97 à la p 100. 411 Fareda Banda, « Global Standards: Local Values », (2003) 17 International Journal of Law, Policy and the Family 1, à la p 8, cité par Nagy Rosemary, Nagy Rosemary, supra note 355 à la p 90. 412 Brian Z Tamanaha, supra note 398 à la p 39. 413 Antony Nicolas Allott, supra note 385 à la p 58. 407 62 Sud414. En 1977, bien qu’elle perpétue le modèle colonial d’administration indirecte, la Loi des Tribunaux locaux des Peuples est adoptée puis révisée en 1981 en abrogeant l'Ordonnance des Tribunaux de Chefs de 1931 et l’Ordonnance des Tribunaux indigènes de 1932. Cette nouvelle loi réaffirme la reconnaissance des droits coutumiers au Soudan du Sud et son Article 11(1) organise la composition des tribunaux locaux comme suite : un président, un vice-président et un nombre important de membres nommés par le juge en chef415. Toutefois, la plupart des juges de niveaux supérieurs tels que le président et le vice-président sont des leaders héréditaires dont la légitimité se fonde sur leur position au sein de leur communauté416. Les politiques d’islamisation et d’arabisation des régimes successifs de Khartoum contribueront à l’édification de la religion et de la culture arabe au Nord, tandis qu’au Sud, les résistances des Sud-Soudanais à leur assimilation, fait des normes coutumières locales héritées de l’administration indirecte, des normes de premier recours dans la gestion des affaires sociales 417. Aujourd’hui, les Sud-Soudanais revendiquent les droits coutumiers comme constituant l’identité culturelle pour laquelle, ils ont combattu pendant des décennies les régimes politiques de Karthoum. À ce titre, le premier Chef de la justice du Soudan du Sud de la période post-AGP, Ambrose Riiny Thiik, affirmait que « customary law is a manifestation of our customs, social norms, beliefs and practices. It embodies much of what we have fought for these past twenty years. It is self-evident that customary law will underpin our society, its legal institutions and laws for the future » 418. À la faveur de l’AGP, la Constitution Intérimaire du Soudan du Sud (CISS) de 2005, la Loi sur l’administration locale (Local Government Act, 2009) et la CTSS de 2011 reconnaissent toutes, les droits coutumiers locaux et subséquemment la pluralité des ordres juridiques qui caractérise le Soudan du Sud419. Le système juridique, administratif et politique du régime colonial britannique a ainsi contribué à accentuer la multiplicité et la complexité juridique qui est propre au Soudan de la période postcoloniale. 414 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 14. Francis M. Deng, supra note 350, aux pp 305-306. 416 Ibid à la p 306. 417 Francis M. Deng, supra note 2 à la p 9. 418 Beny Gideon Mador, « Human Rights in the administration of justice in South Sudan - challenges and recommendations », 28 novembre 2012, disponible en ligne sur <http://www.sudantribune.com/spip.php?article44672>, consulté le 8 décembre 2018. 419 Voir, notamment, les Sections 12, 19, 22, 97 et 98 de la Local Government Act 2009 ; les Articles 174 et 175 de la CISS de 2005 et les Articles 5, 166 et 167 de la CTSS de 2011. 415 63 L’ordonnancement juridique du pays repose sur trois niveaux de droit : le droit islamique, la Common Law britannique et les droits coutumiers des différents groupes ethniques 420. Mais dans la pratique, au Soudan du Sud, le droit islamique fait partie des droits coutumiers et sert à résoudre les litiges impliquant des Sud-Soudanais musulmans 421. En Afrique sub-saharienne, de façon générale, contrairement à la philosophie juridique occidentale qui repose sur l’autonomie individuelle et la reconnaissance de droits individuels 422, les droits coutumiers sont généralement des droits d’abord collectifs avant d’être individuels 423. Le groupe reconnaît des droits à l'individu, tout en le soumettant à des devoirs corrélatifs. Par exemple, la liberté d'expression, limitée par l'obligation de modération et de bienséance vis-à-vis des aînés 424. La légitimité de ces droits repose sur leur transmission intergénérationnelle et de leur qualité de représentation de l’identité et de la culture des peuples africains 425. Dans ces contextes de pluralisme juridique, l'individu se trouve dans une « situation d'indétermination des solutions »426 qui lui donne une pluralité d’avenues dans sa recherche de justice. Il est ainsi l’arbitre privilégié entre des répertoires normatifs concurrents et peut se référer soit au droit formel de l’État, soit aux normes coutumières de sa communauté d’appartenance, en procédant à travers une sorte de “foire aux normes” selon ses intérêts. Le Soudan du Sud compte aujourd’hui plus d’une cinquantaine de tribus ayant chacun ses propres droits coutumiers 427. Ces groupes ethniques se répartissent comme suite : les Dinka (35,8%), les Nuer (15,6%), les Shilluk, les Bari, les Kakwa, les Murle, les Mandari, les Didinga, les Ndogo, les Bviri, les Lndi, les Anuak etc. 428 La Loi sur l’administration locale de 2009 accorde aux juridictions coutumières seulement une 420 Alexander P. Danne, supra note 393 à la p 203. Sur cet héritage juridique colonial, de façon générale, voir Ali A. Mazrui, The Africans : A Triple Heritage, Boston, MA, Little Brown & Co., 1986. 421 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 aux pp 11-12. 422 P.C. Nwakeze, « A Critique of Olufemi Taiwo’s Criticism of Legal Positivism and African Legal Tradition », (1987) 27:1 International Philosophical Quarterly 101 à la p 103. 423 J. H. Driberg, « Primitive Law in Eastern Africa » (1928) 1:1 Journal of International African Institute 63 à la p 65. 424 Mutoy Mubiala, « Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et cultures africaines » (1999) 12:2 Revue québécoise de droit internationale 197 à la p 200 425 Muna Ndulo, supra note 345 à la p 94. 426 Jacques Vanderlinden, « Villes africaines et pluralisme juridiques » (1998) Journal of Legal Pluralism n o 42, 245 aux pp 248-249. 427 Francis M. Deng, supra note 350 à la p 317. 428 Central Intelligence Agency, « South Sudan », disponible en ligne sur <https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/print_od.html>, consulté le 27 novembre 2018. 64 compétence pour des litiges de nature coutumière. Elle dispose en son Article 98(1)(2) que: (1) The Customary Law Courts shall have judicial competence to adjudicate on customary disputes and make judgments in accordance with the customs, traditions, norms and ethics of the communities. (2) A Customary Law Court shall not have the competence to adjudicate on criminal cases except those criminal cases with a customary interface referred to it by a competent Statutory Court429. Au regard de cette disposition, en principe, les juridictions coutumières n’ont pas une compétence pénale à moins que les affaires qu’elles jugent aient une “interface coutumière” et qui leur soient déférées par une juridiction de droit formel430. Toutefois, du fait que les tribunaux étatiques n’ont pas été établis dans plusieurs comtés, les instances coutumières sont devenues pratiquement des juridictions de première instance dans les litiges civil et criminel dans les régions rurales 431. Ce faisant, de nos jours, plus de 90% des litiges sociaux sont soumis aux juridictions coutumières 432. Elles appliquent les droits coutumiers sur les matières civiles suivantes: • • • • • • • Le mariage; y compris la portée de l'union, les mariages successifs, la procréation, la cohabitation sexuelle, les frais de mariage et les cérémonies; L'adultère, y compris des sanctions; Le divorce, y compris les critères de nullité du mariage, les questions de consentement et la dot; La garde des enfants, y compris le choix de la loi dans le partage de la propriété; La propriété, y compris le transfert de propriété, la délimitation, les successions testamentaire et l'héritage, le droit foncier, biens personnels, le droit sur les ressources (y compris les minéraux, l'eau et les animaux) et la perte du titre; Les obligations sociales, y compris les contrats, la responsabilité délictuelle pour homicide et la responsabilité pour les blessures causées par les animaux; Les lois de procédure, y compris les principes fondamentaux de la gestion des affaires coutumière433. Les matières criminelles qui sont portées devant les juridictions coutumières sont, entre autres, les violences basées sur le genre comme le viol, les violences domestiques 429 Voir Government of South Sudan, Local Government Act, 2009, Section 98. David K. Deng, « Challenge of Accountability: An Assessment of Dispute Resolution Processes in Rural South Sudan », South Sudan Law Society, Pact, 2013 à la p 21, disponible en ligne sur <http://southsudanhumanitarianproject.com/wp-content/uploads/sites/21/formidable/Challenges-ofAccountability_FINAL-May-16-copy.pdf>, consulté le 10 juillet 2019. 431 Ibid. Voir aussi International Commission of Jurists, supra note 442. 432 Van Custsem Chantal et Galand Renaud, Equal Acess to Justice in South Sudan: Assessment Report, Bruxelles, Avocats Sans Frontières, RCN Justice & Démocratie, 2007, à la p 11. 433 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 13. 430 65 ou de la part d’une personne étrangère, et les homicides434. En ce qui concerne l’application des normes coutumières, le seul critère qui les rend contraignantes est la satisfaction du test de la “raisonnabilité”. Comme sous le régime indirect, les tribunaux du Soudan ont soutenu qu’une coutume est “raisonnable” lorsqu’elle est conforme à la « justice, à l’équité et à la bonne conscience » 435. Le problème que pose un tel critère est qu’il rend la justice coutumière totalement tributaire de la subjectivité des juges coutumiers ou des juridictions formelles 436. Mais cela peut être aussi considéré comme un atout qui fait que la justice coutumière est flexible et peut s’adapter à toutes les circonstances. Avec l’entrée en vigueur de la Constitution Transitionnelle du Soudan du Sud (CTSS), l’architecture juridictionnelle du pays se présente de la manière suivante : au niveau des juridictions de droit étatique formel, au sommet se trouve la Cour suprême en tant que la plus haute juridiction de la hiérarchie judiciaire. Ensuite, on a les Cours d’appel et les Hautes Cours dont une au niveau de chacun des dix États qui composent le pays. Enfin, on a les Cours de comté et d’autres Cours dont l’établissement seraient juger nécessaire en accord avec la CTSS et la loi437. La Cour suprême est présidée par un juge en chef qui est responsable de l’administration et de la supervision de toutes les Cours 438. Il peut émettre des circulaires judiciaires, des mandats d’établissement et des directives aux Cours pour une bonne administration de la justice439. La Cour suprême est le gardien de la CTSS et des Consitutions des autres États du pays440. Elle est compétente, inter alia, pour interpréter les dispositions constitutionnelles à la demande du Président, du gouvernement du Soudan du Sud et des gouvernements des autres États du pays, et de chacune des deux chambres législatives nationales; pour trancher en dernier ressort les litiges en vertu du droit national ou étatique, y compris le droit formel et les droits coutumiers441. La Cour suprême est située à Juba la capitale; les trois branches de la Cour d’appel (Cours régionaux d’appel) sont situées dans les villes de Juba, Malakal et 434 Tiernan Mennen, « Lessons from Yambio: Legal Pluralism and Customary Justice Reform in Southern Sudan », (2010) 2 Hague Journal on the Rule of Law 218. International Commission of Jurists, supra note 442 à la p 23. 435 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 12. 436 Ibid. 437 CTSS Article 124. 438 Ibid Article 127(1)(a). 439 Ibid Article 127(1)(b). 440 Ibid Article 128(1). 441 Ibid Article 128(2). 66 Rumbek; les dix branches de la Haute Cour sont situées dans les capitales des différents États du pays442. En ce qui concerne les Cours de Comté, selon la South Sudan Law and Society, en mars 2013, seulement très peu d’entre elles fonctionnaient et dans plusieurs comtés, il n’existait pas de Cour de comté 443. Au niveau des juridictions de droits coutumiers, la CTSS soutient que « [t]he institution, status and role of Traditional Authority, according to customary law, are recognised under this Constitution […]. The courts shall apply customary law subject to this Constitution and the law » 444. Ainsi, comme la plupart des pays africains postcoloniaux 445, le Soudan du Sud se caractérise par la coexistence de plusieurs répertoires normatifs qui régissent la vie sociale446. Ces situations dans lesquelles plusieurs ordres juridiques coexistent dans un même champ social sont qualifiées de “pluralisme juridique” 447. Le pluralisme juridique a d’abord émergé comme une théorie descriptive des sociétés non-occidentales avant de devenir un concept normatif d’analyse du droit et de la légalité dans le monde contemporain 448. À travers ses recherches, John Griffiths, a fait la distinction entre le “pluralisme juridique fort” et le “pluralisme juridique faible”. Pour lui, le pluralisme serait fort dans des situations où il existerait des ordres juridiques indépendants les uns des autres et qui ne sont pas reliés à l’État. En revanche, le pluralisme juridique serait faible lorsqu’il existerait plusieurs ordres normatifs subordonnés à la reconnaissance du droit étatique 449. Sally Engle Merry, de son côté, fait la différence entre le “pluralisme juridique classique” et le “nouveau pluralisme juridique”. Le “pluralisme juridique classique” serait associé aux sociétés coloniales et se manifesterait par des interactions complexes entre le droit indigène et le droit européen. Ce type de pluralisme se poursuivrait également dans les 442 International Commission of Jurists, supra note 442 à la p 21. David K. Deng, supra note 430 à la p 18. 444 CTSS, supra note 437 Article 166 (1) et 166 (3). 445 Sur le pluralisme juridique en Afrique, de façon générale, voir par exemple, Jean-Pierre Magnant, « Le droit et la coutume dans l’Afrique contemporaine » 48 (2004) Droit et cultures, mis en ligne le 9 mars 2010, disponible en ligne sur <http://droitcultures.revue.org/1775>, consulté le 10 janvier 2015 ; Semahagn G. Abebe, « The Relevance of African Culture in Building Modern Institutions and the Quest for Legal Pluralism » 57 (2013) Saint Louis University School of Law 429. 446 Le Soudan du Sud se caractérise par la coexistence de l’ordre juridique étatique avec divers ordres normatifs coutumiers. Voir à ce titre, The Interim Constitution of Southern Sudan, 2005, Article 5, disponible en ligne sur <http://www.refworld.org/pdfid/4ba74c4a2.pdf>, visité le 19 juin 2015 ; CTSS Article 5. 447 Sally Engle Merry, « Legal Pluralism », (1988) 22:5 Law & Society Review 869 à la p 870. 448 Berihun Adugna Gebeye, « The Janus Face of Legal Pluralism for the Rule of Law Promotion in sub-Saharan Africa », ((2019) 53:2 Revue Canadienne des études africaines 337 à la p 338. Voir aussi David Kennedy, « One, Two, Three, Many Legal Orders: Legal Pluralism and the Cosmopolitan Dream », (2007) 31:3 New York University Review of Law & Social Change 641. 449 John Griffiths, « What is Legal Pluralism », (1986) 24 Journal of Legal Pluralism & Unofficial Law 1 à la p 5. 443 67 sociétés postcoloniales. A contrario, le “nouveau pluralisme juridique” se produirait dans les sociétés non coloniales comme les pays industrialisés d’Europe et les États-Unis450. Woodman R. Gordon, dans son analyse sur le pluralisme juridique, fait la distinction entre le “pluralisme juridique profond” dans lequel le droit étatique coexisterait avec d’autres foyers juridiques non étatiques, et le “pluralisme juridique étatique” dans lequel il existe un pluralisme réel circonscrit à l’intérieur du droit étatique 451. Du fait de la reconnaissance constitutionnelle des droits coutumiers en plus du droit formel étatique 452, le contexte du Soudan du Sud se caractérise alors par un “pluralisme juridique faible” ou un “pluralisme juridique classique” ou encore un “pluralisme juridique étatique”. En raison de ce pluralism juridique, la Loi d’administration locale de 2009 dispose que « [t]here shall be established Customary Law Courts as follows: (a) “C” Courts; (b) “B” Courts or Regional Courts; (c) “A” Courts or Executive Chief’s Courts; and (d) Town Bench Courts » 453. Les Cours “C” sont situées au niveau des comtés (juridictions de niveau supérieur des villes), les Cours “B” ou régionales sont situées dans les Payam (juridictions de niveau intermédaire des villages), les Cours “A” sont situées au niveau des Boma, c’est-à-dire, des subdivisions des Payam (juridictions de premier degré), et les Town Bench Courts sont Cours spéciales des grandes villes454. Nonobstant la place importante qu’occupe les droits coutumiers au Soudan du Sud, il convient de souligner que ces normes ne sont pas totalement “traditionnelles” et séparées du droit formel de l’État. 2. – La nature hybride des droits coutumiers du Soudan du Sud Le contexte colonial de l’émergence des droits coutumiers au Soudan du Sud a contribué à accentuer l’effritement et la transformation de ces normes. Au Soudan du Sud, en particulier, les droits coutumiers actuellement en vigueur ont été si transformés et 450 Sally Engle Merry, supra note 447 aux pp 872-874. Woodman R. Gordon, « How State Courts Create Customary Law in Ghana et Nigeria », dans Morse W. Bradford et Woodman R. Gordon, Indigenous Law and the State, Dordrecht, Foris, 1988 aux pp 181-220. Du même auteur, « Ideological Combat and Social Observation: Recent Debate about Legal Pluralism », (1998) 42 Journal of Legal Pluralism 21 à la p 34. 452 Voir les Articles 174 et 175 de la CISS de 2005 et les Articles 5, 166 et 167 de la CTSS de 2011. 453 Local Government Act Article 97 (1). 454 International Commission of Jurists, « South Sudan: Court structure », 16 juin 2014, disponible en ligne sur <https://www.icj.org/cijlcountryprofiles/south-sudan/south-sudan-introduction/south-sudan-court-structure/>, consulté le 7 juin 2019. Voir aussi Cherry Leonardi et al. Local Justice in Southern Sudan, Washington DC., United States Institute of Peace, 2010 aux pp 22-25. 451 68 associés aux normes coloniales et postcoloniales qu’il faudrait désormais les concevoir comme étant essentiellement hybrides. Comme le soulignent Leonardi et autres, même dans les zones rurales les plus reculées du pays, on ne pourrait trouver des normes totalement traditionnelles ou coutumières qui reposent exclusivement sur la restauration de l’harmonie entre des parties en conflit455. C’est donc dire que les normes dites “coutumières” ou “traditionnelles” au Soudan du Sud ne sont pas en réalité fondées uniquement sur les coutumes ou les traditions locales. Par exemple, comme nous l’avons montré précédemmment, quoique des leaders aient existé dans les différentes communuautés locales, la notion de chef et les fonctions qui lui sont dévolues sont une pure création du régime colonial indirect456. Celui-ci a notamment choisi des chefs dépourvus de toute légitimité au sein de leurs communautés et diminué les pouvoirs d’autres chefs pour servir ses fins d’exploitation coloniale457. À travers la structure hiérarchique dans laquelle les chefs se trouvaient en bas de l’échelle pour éxécuter les ordres des supérieurs coloniaux 458, le système colonial a concouru à une modification substantielle des normes précoloniales 459. En outre, pendant les périodes de guerre civile au Soudan, la notion de chef et les mécanismes coutumiers ont connu de nouvelles mutations. Les chefs des tribunaux locaux ont été forcés à servir d’intermédiaires au recrutement des soldats parmi les communautés locales et à ravitailler les groupes armés notamment en nourriture460. Dans ces conditions, nombre de chefs qui ont résisté aux ordres ont été tués, d’autres ont fui et d’autres encore ont été obligés de s’enrôler dans les groupes armés pour mieux répondre aux impératifs militaires461. Ces situations ont contribué à éroder la légitimité des chefs, puisque leur position n’était plus fondée sur les règles traditionnelles de dévolution de l’autorité coutumière, mais sur leur qualité d’intermédiaire courageux entre l’APLS et les populations locales 462. Au regard de ces 455 Cherry Leonardi et al., supra note 454 à la p 27. Ibid à la p 23. 457 Robert Collins et Richard Herzog, supra note 68 aux pp 129-130. 458 Katharina Diehl, Ruben Madol Arol et Simone Malz, « South Sudan : Linking the Chiefs’ Judicial Authority and the Statutory Court System », dans Mattias Kötter et al., Non-State Justice Institutions and the Law: Decision-Making at the Interface of Tradition, Religion and the State, Hampshire et New Yok, Palgrave Macmillan, 2015 à la p 57. 459 Raymond Verdier, supra note 410 à la p 99. 460 Katharina Diehl, Ruben Madol Arol et Simone Malz, supra note 458 à la p 59. 461 Barbara Unger et Olivier Wils, Systemic Conflict Transformation and Inclusive Governance in Southern Sudan, Belin, Study Prepared for the Berghof Foundation for Peace Support, 2007, cité par Katharina Diehl, Ruben Madol Arol et Simone Malz, supra note 458 à la p 59. Voir aussi Peter Hakim Justin et Han van Dijk, « Land Reform and Conflict in South Sudan: Evidence from Yei River County », (2017) 52:2 Africa Spectrum 3 à la p 12. 462 Cherry Leonardi, supra note 208. 456 69 mutations des normes coutumières qui est caractérisées par leur hybridité, il serait plus approprié de les appréhender comme étant “informels”463 par rapport au droit formel de l’État du Soudan du Sud. Toutefois, dans le contexte de militarisation accrue du Soudan du Sud, en l’absence de structures étatiques crédibles de gouvernance, les chefs traditionnels occupent toujours une place importante au sein des communautés 464. Ils demeurent le premier recours en matière de résolution des conflits communautaires 465. Le pluralisme juridique étatique du pays ne signifie donc pas la coexistence de foyers normatifs distincts, mais plutôt mélangés qui s'entrelacent et se fécondent réciproquement466. Par ailleurs, si l’on ne peut nier que les normes coutumières occupent une place importante au Soudan du Sud, on ne doit pas non plus ignorer qu’ils posent des défis réels en ce qui concerne les droits de la personne. 3. – Les conflits entre les droits coutumiers et les droits de la personne L’architecture normative du Soudan du Sud est le lieu de conflits internormatifs entre plusieurs ordres dont particulièrement entre les droits coutumiers et le droit formel de l’État. Un des points de conflit apparaît par exemple en matière criminelle. Le droit pénal sud-soudanais est fondé sur le modèle juridique de la Common Law britannique, alors qu'une des particularités des droits coutumiers est l'absence de distinction entre le civil et le pénal467. Des matières qui font appel à ces deux branches de droit sont régies par une seule et même procédure coutumière, contrairement au droit formel de l’État qui leur attribue des procédures différentes. C’est le cas par exemple lorsque survient un meurtre. En droit traditionnel, la réconciliation entre le perpétrateur du crime et la famille de la victime est obtenue généralement par le payement d'une compensation appelée Dia dont la valeur dépend des droits coutumiers en cause. Chez les Dinka, les dommages – appelés apuk – sont payés suivant le statut social de la victime et les circonstances du meurtre, Voir Adam Kochanski, « The “Local Turn” in Transitional Justice: Curb the Enthousiasm », (2018) 0 International Studies Review 1 à la p 3. 464 Tiernan Mennen, supra note 434 à la p 239, cité par Katharina Diehl, Ruben Madol Arol et Simone Malz, supra note 458 à la p 60. 465 Marina Santschi, « Traditional Authorities, Local Justice and Local Conflict Resolution Mechanism in South Sudan », dans Sara Hellmüller, et Martina Santschi (éds.), Is Local Beautiful? Peacebuilding between International Interventions and Locally Led Initiatives, Heidelberg et New Yok, Springer, Swiss Peace, 2014 à la p 46. 466 Cherry Leonardi et al., supra note 454 à la p 17. 467 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 16. 463 70 mais ils s’élèvent normalement à trente vaches pour un homicide 468. Le payement de la Dia peut aussi se faire par le versement d'un certain montant d'argent ou par le don de jeunes filles à la famille victime 469. C’est ce qui est dénommé la “compensation de sang”. Le but visé par cette forme de résolution des différends n'est pas la punition de l'individu au sens de la tradition juridique occidental, mais plutôt d'aboutir à un compromis considéré par les parties comme équitable et conduisant à la restauration de l'unité et de l'harmonie sociale mises à mal 470. Ce système de justice entre toutefois en porte-à-faux par rapport à la justice pénale qui est par essence fondée sur la rétribution et la punition de l'individu coupable471. La compensation de sang est reconnue par le Code pénal de 2008 qui permet cette forme de réparation si les parents proches du défunt en décident ainsi472. L’un des avantages de la compensation est qu'elle permet d'éviter la vengeance des communautés victimes 473. Toutefois, si une telle pratique pose une question éthique à savoir si l’on peut véritablement “compenser” le meurtre d’une personne, elle choque encore davantage la conscience quand elle a tendance à favoriser les plus riches. C'est cette préoccupation que soulevait une décision de la Haute Cour du Soudan dans une affaire qui remonte à 1983. À la suite d’un différend relatif au foncier dans le comté de Tonj entre des Luo et des Konjok – des sous-tribus Dinka –, des affrontements entre les deux communautés ont fait 114 morts en deux jours. L'affaire a été jugée sur le fondement des droits coutumiers et s'est réglée par le payement de Dia aux familles victimes. Non satisfaites, les victimes ont porté le litige devant la Haute Cour qui a considéré que cette pratique coutumière encourage les familles les plus riches à des actes de violence en toute impunité, puisqu’elles savent qu'elles ont les moyens de se payer les Dia. La Cour a en conséquence rejugé l'affaire en tenant compte du droit étatique et a 468 Ibid à la p 40. Ibid à la p 22. 470 Francis Deng, supra note 350 à la p 317. 471 Martina Santschi, supra note 465 à la p 48. 472 L’Article 206 du The Penal Code Act, 2008, dispose que « Murder. Whoever causes the death of another person — (a) with the intention of causing death; or (b) knowing that death would be the probable and not only a likely consequence of the act or of any bodily injury which the act was intended to cause, commits the offence of murder, and upon conviction be sentenced to death or imprisonment for life, and may also be liable to a fine; provided that, if the nearest relatives of the deceased opt for customary blood compensation, the Court may award it in lieu of death sentence with imprisonment for a term not exceeding ten years ». 473 Marina Santschi, supra note 465 à la p 47. 469 71 imposé en sus des compensations, des peines d'emprisonnement, des amendes et des expropriations de terres 474. Un autre aspect des droits coutumiers en porte-à-faux par rapport au droit formel est la pratique du lévirat475. Cette coutume considère qu'une femme reste mariée à son défunt mari et ne peut se remarier à moins d'obtenir le divorce de ce dernier. Comme le mort ne peut donner le divorce, les frères ou les oncles du défunt mari héritent de sa femme et lui font des enfants qui continueront à porter le nom du mari décédé. Par ailleurs, les hommes qui meurent sans avoir d'enfants, sont représentés par leur frère ou leur oncle pour marier une femme en leur nom, à travers les procédures de “mariages fantômes” et ainsi assurer la pérennité de leur progéniture. Les enfants portent dans ce cas le nom du défunt mari476. La pratique de la dot est aussi fortement ancrée dans les droits coutumiers du Soudan du Sud. Elle consiste, de la part de l'homme, à offrir un montant important d'argent, ou des vaches à la famille de sa future femme. Pour H. J. Légier, la dot constitue un cadeau qui est fait à la famille de la future épouse pour exprimer sa gratitude pour le départ de la femme de sa famille d'origine vers une nouvelle famille 477. En revanche, pour Francis Deng, le problème est que le prix à payer pour obtenir une femme fait généralement de celle-ci, une fois mariée, presqu'un titre de propriété 478. En outre, le mariage étant une opportunité d'enrichissement, il n'est pas inhabituel de voir une famille donner sa fille en mariage à un richissime prétendant sans son consentement 479. C’est le cas par exemple d’Agnès Keji, une fille de treize ans qui a été proposée par sa famille en mariage à un vieux de soixante-dix ans sans son consentement. Quand elle a refusé, son frère l’a sévèrement blessé par sa machette pour l’y contraindre. En effet, il avait besoin de vaches pour pouvoir marier la fille qu’il voulait 480. Dans ces mariages traditionnels, 474 Cité par Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 50. Ibid à la p 33. 476 Ibid. 477 H. J. Légier, Les traditions africaines et les droits de l'homme, Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, Division des droits de l'homme et de la paix, 1977 à la p 6, disponible en ligne sur <http://unesdoc.unesco.org/images/0004/000467/046730FB.pdf>, coonsulté le 29 novembre 2018. 478 Francis Deng, supra note 350 à la p 314. 479 Chan Reec Madut, « customary law from the perspective of human rights », [document non publié] à la p 4, cité par Francis Deng, supra note 350 à la p 315. 480 Robyn Dixon, « Child brides sold for cows: The price of being a girl in South Sudan », 29 juillet 2016, en ligne sur <https://www.latimes.com/world/africa/la-fg-south-sudan-child-marriage-snap-story.html>, consulté le 29 novembre 2018. 475 72 les divorces sont très souvent difficiles à obtenir, même quand il s'agit de situations de violence conjugale avérée481. Par ailleurs, en matière de droit foncier, les coutumes du Soudan du Sud ont des caractéristiques communes, malgré leur grande diversité. Les femmes n'ont pas directement accès à la terre. Elles peuvent seulement en user à travers un parent male 482. Ces pratiques suscitent des critiques à l'égard des normes coutumières discriminatoires à l'égard des femmes, des jeunes et des groupes minoritaires 483. En outre, dans certaines régions du Soudan du Sud comme au Nord de Bahr al-Ghazal par exemple, les femmes ne peuvent participer aux débats devant les juridictions coutumières au même titre que les hommes484. Ces normes coutumières violent ainsi plusieurs instruments internationaux de protection des droits de la personne applicables au pays 485. En plus de ces normes, la situation conflictuelle du Soudan du Sud se trouve aussi régie par des règles de droit international humanitaire et coutumier. Dans le but de présenter ces règles, il convient tout d’abord de procéder à la qualification juridique des conflits et des violations. 4. – La qualification juridique des conflits et des violations commises Les actes commis dans la guerre civile au Soudan du Sud violent à la fois le droit international humanitaire (DIH), le droit international des droits de la personne (DIDP) et le droit national du pays. Nous procéderons tout d’abord à la qualification juridique des conflits qui ont eu lieu dans le pays (4.1), avant de présenter la nature juridique des actes perpétrés en droit international (4.2). 481 Francis Deng, supra note 350 à la p 315. Nadarajah Shanmugaratnam, « Post-War Development and the Land Question in South Sudan », Paper presented at the International Symposium on Resources Under Stress oragnised by the Afrasian Centre for Peace and Development, Ryukoku University, Kyoto Japan, 23-24 February 2008 à la p 7, disponible en ligne sur <http://southsudanhumanitarianproject.com/wp-content/uploads/sites/21/formidable/Shanmugaratnam-2008-Post-WarDevelopment-and-the-Land-Question-in-South-Sudan-1-annotated.pdf>, consulté le 30 novembre 2018. 483 Martina Santschi, supra note 465 à la p 48. 484 Ibid à la p 48. 485 Voir entre autres, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, adoptée le 18 décembre 1979, GA Rés. 34/180, 34 UN GAOR Supp. (No. 46), UN Doc. A/34/46 (1980) UNTS 13, entrée en vigueur le 3 septembre 1981; la Convention relative aux droits de l'enfant, Rés. A. G. 44/25, Annexe, 20 novembre 1989, (entrée en vigueur le 2 septembre 1990); le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, (1976) 943 R.T.N.U. 13 (entrée en vigueur le 23 mars 1976); le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171 (entrée en vigueur le 23 mars 1976). 482 73 4.1. – La qualification juridique des conflits au Soudan du Sud Les quatres Conventions de Genève du 12 août 1949486 reconnaissent deux sortes de conflits : les conflits armés internationaux et les conflits armés non-internationaux. Tout d’abord, il convient de définir ce qu’on entend par “conflit armé”. Selon la Chambre d’appel du TPIY, dans sa décision du 2 octobre 1995, « un conflit armé existe chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d'un État »487. Quant au conflit armé international, selon l’article 2 commun aux Conventions de Genève, il concerne des « cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles » 488. La jurisprudence internationale a établi, dans l’Arrêt Tadić, qu’« [i]l est indéniable qu’un conflit armé est de caractère international s'il oppose deux ou plusieurs États »489. Pour ce qui est du conflit armé noninternational, il a lieu seulement « sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes » 490. Selon le Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés non-internationaux (ci-après : Protocole additionnel II), les conflits armés non-internationaux : se déroulent sur le territoire d'une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il 486 Convention (I) de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, 12 août 1949 ouvert à signature le 12 août 1949, 6 U.S.T. 3114, T.I.A.S No. 3362, 75 U.N.T.S 31 (entrée en vigueur le 21 octobre 1950). Convention (II) de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, 12 août 1949, ouvert à signature le 12 août 1949, 6 U.S.T. 3217, T.I.A.S No. 3363, 75 U.N.T.S 85 (entrée en vigueur le 21 octobre 1950). Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août 1949, ouvert à signature le 12 août 1949, 6 U.N.T.S 3316, T.IA.S, No. 3364, 75 U.N.T.S. 135 (entrée en vigueur le 21 octobre 1950). Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, ouvert à signature le 12 août 1949, 6 U.S.T. 3516, T.I.A.S No. 3365, 75 U.N.T.S 287 (entrée en vigueur le 21 octobre 1950). 487 Procureur c. Dusko Tadić, allias “Dule”, Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, TPIY, (Chambre d’appel, Jugement du 2 octobre 1995) aux para 70. Cette définition est reprise et établie par la jurisprudence du T.P.I.Y. Voir par exemple, Procureur c. Ljube Boškoski et Johan Tarčulovski, IT-04-82A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, arrêt du 19 mai 2010) au para 21 ; Procureur c. Dario Kordić et Mario Čerkez, IT-9514/2-A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, arrêt du 17 décembre 2004) au para 336 ; Procureur c. Kunarac et al., IT-96-23 & IT-96-23/1-A, T.P.I.Y, (Chambre d’Appel jugement du 12 juin 2002) aux para 56. La C.P.I a aussi entériné cette définition dans nombre de ses décisions initiales. Voir, par exemple, Le Procureur c. Lubanga Dyilo, Chambre de première instance I, jugement No ICC-01/04-01/06 du 14 mars 2012 aux para 531 et s ; Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba, Chambre préliminaire II, décision N° ICC‐01/05‐01/08 du 15 juin 2009 aux para 229 et s. 488 Article 2 commun aux quatre Conventions de Genève, supra note 486. 489 Procureur c. Dusko Tadić, IT-94-1A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Arrêt du 15 juillet 1999) au para 84. 490 Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève, supra note 486. 74 leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le présent Protocole491. Dans cette même veine, l’Arrêt Tadić souligne qu’il existe un conflit armé noninternational lorsqu’il y a « un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d'un État » 492. Les deux conditions de « conflit armé prolongé » et de « groupes armés organisés » sont cumulatives et servent « au minimum, uniquement aux fins de distinguer un conflit armé du banditisme, d’insurrections inorganisées et de courtes durée ou d’activités terroristes, qui ne relèvent pas du droit international humanitaire »493. Toutefois, il convient de noter que le Statut de la CPI ainsi que la jurisprudence de la Cour ont consacré une nouvelle évolution quant aux critères qui définissent les conflits armés non-internationaux. Dans l’affaire Thomas Lubanga Dyilo du 14 mars 2012, la Chambre de première instance fait observer que l’article 8-2-f du Statut [de la CPI] exige seulement l’existence d’un conflit opposant « de manière prolongée » des « groupes armés organisés ». À la différence du Protocole additionnel II, il n’exige pas que les groupes armés « exercent sur une partie d[u] territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées ». Il n’est donc pas nécessaire que l’Accusation établisse que les groupes armés en cause exerçaient un contrôle sur une partie du territoire de l’État concerné. En outre, l’article 8-2-f n’incorpore pas l’exigence que les groupes armés organisés soient « sous la conduite d’un commandement responsable », telle qu’énoncée à l’article 1-1 du Protocole additionnel II. Au lieu de cela, les « groupes armés organisés » doivent présenter un degré d’organisation suffisant pour leur permettre de mener un conflit armé prolongé 494. En raison de cette jurisprudence, il n’est donc pas nécessaire que le groupe armé contrôle une partie du territoire et soit « sous la conduite d’un commandement responsable » pour satisfaire aux conditions d’un conflit armé non-international. La distinction entre conflit armé international et conflit armé non-international est importante en raison du droit applicable. En effet, si le DIH s’applique dans son entièreté aux conflits armés internationaux, seules quelques règles s’appliquent aux conflits noninternationaux495. Au regard de cette définition, les conflits qui se sont déroulé au Soudan 491 Article premier du Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non-internationaux, June 8, 1977, 1125 U.N.T.S. 609 [Protocole additionnel II]. 492 Procureur c. Dusko Tadić, allias “Dule”, Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Jugement du 2 octobre 1995) aux para 70. 493 Procureur c. Dusko Tadić, IT-94-1A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Arrêt du 15 juillet 1999) au para 562 ; Chambre Africaine Extraordinaire d’Assises, Ministère Public c. Hussein Habré, Jugement du 30 mai 2016 au para 1634. 494 Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Chambre de première instance I, Jugement N° : ICC-01/04-01/06, au para 536. 495 Voir Eric David, Principes de droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 4e édition, 2008 à la p 114. 75 du Sud à partir de décembre 2013 ont eu lieu principalement sur son territoire et ont opposé essentiellement l’APLS au M/APLS-O. De ce fait, ils sont des conflits armés noninternationationaux. La CEUASS est aussi parvenue à cette conclusion après son enquête dans le pays lorsqu’elle a affirmé que la guerre civile était « un conflit armé noninternational entre les forces armées du Soudan du Sud et les forces armées de l’opposition »496. Toutefois, le qualificatif de “conflit armé non-international” en tant que catégorie juridique ne doit pas être appréhendé comme ne pouvant pas inclure une dimension internationale. En effet, lorsqu’on observe les acteurs impliqués dans le conflit armé, on s’aperçoit de l’implication d’autres États. Il s’agit tout d’abord de l’intervention militaire de l’Ouganda aux côtés de l’APLS. Les troupes ougandaises de l’UPDF sont venues en appui à l’APLS dans les combats contre le M/APLS-O notamment à Juba et à Bor dans l’État du Jonglei497. On peut se demander si cette intervention avait pour but de répondre aux appels au cessez-le-feu lancés par l’Union Africaine, les Nations Unies et l’IGAD ou si elle avait pour motivation réelle de venir en aide à un allié en détresse. En tout état de cause, l’implication de l’Ouganda a permis à l’APLS d’éviter la prise de Juba par les troupes du M/APLS-O. Comme l’affirme l’ambassadeur de l’Ouganda au Soudan du Sud: « if it weren’t for the UPDF deployment, there wouldn’t be talks in Addis; there would be urban warfare for the control of Juba »498. Cependant, si le soutien de l’Ouganda à l’APLS par des soldats au sol et par son armée de l’air a ainsi permis de repouser les forces de l’opposition sur plusieurs fronts, il a aussi contribué à pousser davantage Khartoum à venir en aide au M/APLS-O. Un officiel soudanais soulignait l’animosité entre Khartoum et Kampala en affirmant que l’Ouganda était « the main reason why Sudan could be involved alongside SPLM-IO »499. Dans ce sens, l’organisation Conflict Armament Research soutenait dans son rapport de juin 2015 que le Soudan livrait régulièrement des armes et des munitions au M/APLS-O500. Dans la même veine plusieurs rapports du Centre de recherche Suisse Small Arms Survey 496 RCEUASS, supra note 203 au para 376. International Crisis Group, supra note 3 aux pp 22-23. 498 Ibid à la p 23. 499 International Crisis group, supra note 7 à la p 21. 500 Conflict Armament Research, Weapons and ammunition airdropped to SPLA-iO Forces in South Sudan, juin 2015, disponible en ligne sur <http://www.conflictarm.com/wpcontent/uploads/2015/06/Weapons_and_ammunition_airdropped_to_SPLA-iO_forces_in_South_Sudan.pdf>, visité le 21 novembre 2018. 497 76 documentait l’appui de Khartoum en armes et en argent aux milices et leaders locaux qui se rebellaient contre le GoSS501. Au regard de cette dimension internationale, le conflit armé au Soudan du Sud pourrait être qualifié de “conflit armé internationalisé”. Mais ce qualificatif n’est pas une catégorie juridique en droit international. Aussi, pour soutenir que ce n’est pas toute intervention d’un État étranger qui entraîne l’internationalisation d’un conflit, la Chambre d’appel du TPIY a statué, dans l’affaire Tadić, que « [p]our imputer la responsabilité d’actes commis par des groupes militaires ou paramilitaires à un État, il faut établir que ce dernier exerce un contrôle global sur le groupe, non seulement en l’équipant et le finançant, mais également en coordonnant ou en prêtant son concours à la planification d’ensemble de ses activités militaires »502. Étant donné qu’un tel contrôle global n’est pas établi au Soudan du Sud, on doit se résoudre à considérer le conflit comme étant non-international. Une telle dénomination emporte cependant des conséquences juridiques dans le domaine du DIH. 4.2. – La qualification juridique des actes commis dans les conflits Les actes qui ont été perpétrés dans les conflits au Soudan du Sud se rapportent tout d’abord aux violations des normes du DIH en tant que lex specialis applicable aux conflits armés non-internationaux (4.2.1). Ensuite, ces actes portent sur la violation des normes du DIDP et du droit national du Soudan du Sud (4.2.2). 4.2.1. – Les violations des normes du DIH Les normes du DIH qui régissent les conflits au Soudan du Sud sont les normes du droit international coutumier et du DIH se rapportant aux conflits armés non-internationaux. Le Soudan du Sud est partie depuis 2013 aux quatre Conventions de Genève de 1949 503. De ce fait, une des normes du DIH applicable aux conflits armés non-internationaux, et 501 Cité par Andrew S. Natsios, supra note 168. Procureur c. Dusko Tadić, IT-94-1A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Arrêt du 15 juillet 1999) au para 131. Voir aussi Chambre Africaine Extraordinaire d’Assises, Ministère Public c. Hussein Habré, Jugement du 30 mai 2016 au para 1627. 503 Voir RCEUASS, supra note 203 au para 11. Ces instruments juridiques ont été ratifiés le 25 janvier 2013. Voir à ce titre, International Committee of the Red Cross, « Treaties, States Parties and commentaries », disponible en ligne sur <https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/vwTreatiesByCountrySelected.xsp?xp_countrySelected=SS&nv=4>, consulté le 19 novembre 2018. 502 77 donc opposable au Soudan du Sud, est l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève. Cet article dispose que : En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes: 1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. À cet effet, sont et demeurent prohibées, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus: a) Les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices; b) les prises d’otages; c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants; d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. 2) Les blessés et malades seront recueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit. Les Parties au conflit s’efforceront, d’autre part, de mettre en vigueur, par voie d’accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention. L’application des dispositions qui précèdent n’aura pas d’effet sur le statut juridique des Parties au conflit. En plus de l’article 3 commun, il convient d’examiner si le Protocole additionnel II est applicable dans le contexte du Soudan du Sud. Pour ce faire, analysons l’Article 1 du Protocole qui définit son champ d’application ratione materia. Cet Article dipose que le protocole est applicable aux conflits armés non-internationaux : 504 1. […] qui se déroulent sur le territoire d’une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le présent Protocole. 2. Le présent Protocole ne s’applique pas aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés504. Article premier du Protocole additionnel II, supra note 491. 78 Au regard de cette disposition, quelle est l’interprétation du seuil pour l’application du Protocole II au Soudan du Sud? Tout d’abord, selon l’Article, pour que le Protocole additionnel II s’applique, il faudrait que le conflit interne oppose l’État et « des forces armées dissidentes ou des groupes armés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées ». Au regard de l’état des violences précédemment présenté, il apparaît clairement que les combattants de Riek Machar ont contrôlé des parties du territoire du Soudan du Sud. Toutefois, la situation des conflits a montré que bien que Riek Machar soit le leader politique du M/APLS-O, il ne commande pas totalement une grande partie des forces rebelles. En effet, comme le souligne International Crisis Group, le M/APLS-O n’est pas un corps unifié. Il émerge des divisions longtemps existantes au sein du M/APLS. De ce fait, la chaine de commandement de Riek Machar sur les leaders des différentes unités de l’opposition est faible505. La création du “MPLS 7” par les anciens partisans de John Garang en tant que groupe multiethnique après qu’ils eurent été emprisonnés et libérés par Salva Kiir, montre bien la complexité et le caractère disparate de l’opposition 506. En outre, dans la plupart des régions du Soudan du Sud, les communautés locales armées entrent régulièrement en conflit, non pas dans le cadre de la crise politique qui oppose Salva Kiir et Riek Machar, mais pour défendre des intérêts locaux qui reposent sur des griefs historiques non réglés ou sur des différends fonciers 507. De plus, en ce qui concerne l’“Armée Blanche” qui est l’un des principaux groupes armés de soutien à Riek Machar, des recherches effectuées par la Peace Research Institute Oslo (PRIO) montre que celle-ci n’est pas une force unifiée. Elle est formée de différents groupes organisés pour défendre leurs communautés Nuer. Les jeunes sont initiés pour faire partie du groupe à partir de dix ans dans certaines régions, alors que des hommes de la quarantaine font aussi partie du groupe 508. Les structures de mobilisation qui existaient depuis des générations ont été cependant transformées par l’économie politique de la seconde guerre civile et de la période post-AGP 509. Dans ce 505 International Crisis Group, supra note 3 à la p 8. Ibid à la p 13. 507 Ibid à la p 8. 508 Ingrid Marie Breidlid et Michael J. Arensen, supra note 162 aux pp 4-6. 509 Ibid. 506 79 contexte, les leaders Nuer ont mobilisé et armé l’“Armée Blanche” à travers l’instrumentalisation de l’identité et de la communauté, contribuant, ce faisant, à l’accroissement de la militarisation et du morcèlement des communautés Nuer 510. Chaque groupe de l’“Armée Blanche” est dirigé par un leader (kuaar burnam) choisi par les membres. La chaine de commandement et la coordination du groupe est très efficiente dans cette structure communautaire 511. Toutefois, bien que l’“Armée Blanche” coopère avec les forces de l’opposition (M/APLS-O) connues aussi sous le nom de l’“Armée Noire” (“Black Army”), elles ont des chaines de commandement différentes 512. L’“Armée Blanche” possède ses propres armes et est mobilisable très rapidement pour combattre sous les ordres du kuaar burnam513. Elle n’est donc une armée que par le nom. Comme le soutient Mohamed Babiker, les membres ne sont pas soldats mais des civils qui possèdent des armes. La différence se trouve dans la discipline et dans la motivation, souligne-til514. Au regard de la structure des groupes armés ci-dessus présentés et leurs motivations diverses dans les conflits, on peut soutenir que le commandement de Riek Machar sur ces forces est faible. Le témoignage donné à la CEUASS par le gouverneur de l’État du Jonglei confirme cet état de fait : Les membres de l’“Armée blanche” ne sont pas des soldats, ils sont des personnes mobilisées de leurs propres maisons avec leurs propres fusils. Riek a commis une erreur, vous ne pouvez mobiliser des personnes qui ne sont sous aucun commandement, parce que vous ne pouvez les contrôler. Le commandement de l’“Armée blanche” ne s’appelle pas un commandement. Ils s’organisent quand ils sont dans leurs propres maisons. Ils ne tombent sous aucun commandement comme les soldats. Quand ils sont en action, ils ont un chef. Chaque clan a son chef. Quand ils sont en combat, ils ne tombent pas sous un commandement unique515. Au regard de ces faits, peut-on en conclure que le Protocole additionnel II ne serait pas applicable au Soudan du Sud ? Tout d’abord il convient de noter que la question de l’interprétation du seuil pour l’application du Protocole a donné lieu à des 510 Ibid. Ibid. 512 Ibid. 513 Ibid. 514 Mohamed Babiker, « South Sudan’s hybride court: The challenge of redressing victims of international crimes », dans Steven C. Roach et Derrick K. Hudson (éds.), The Challenge of Governance in South Sudan: Corruption, Peacebuilding, and Foreign Intervention, Routledge, 2019 à la p 153. 515 RCEUASS, supra note 203 au para 516. Voir aussi Ibid à la p 153. 511 80 divergences de vues lors de la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés Genève (1974- 1977)516. Mais, il est clairement établi que le Protocole s’applique à des situations de conflits armés dont le degré d’intensité dépasse celui de l’Article 3 commun517. Ainsi, en ce qui concerne le commandement, la position du Comité international de la Croix Rouge soutenait que même s’il implique un certain degré d’organisation, il ne nécessite pas une organisation hiérarchique comme dans une armée régulière. Il signifie simplement la capacité d’entreprendre des opérations continues et d’imposer une certaine discipline518. En outre, un commandement total des groupes armés n’est pas nécessaire, il suffit qu’il y ait une certaine stabilité dans le contrôle d’une partie du territoire519. De ce fait, le caractère disparate des groupes armés et le peu de commandement que Rieck Machar avait sur eux ne sont donc pas suffisants pour exclure l’applicabilité du Protocole additionnel II. Un autre critère de l’Article 1(1) qui pourrait être le plus important est celui de la capacité à mener des « opérations militaires continues et concertées ». En déterminant l’applicabilité du Protocole dans la situation du Rwanda, le TPIR, a souligné dans l’affaire Akajesu que : [l]es forces armées opposées au gouvernement doivent agir sous la conduite d’un commandement responsable, ce qui suppose un degré d’organisation au sein du groupe armé ou des forces armées dissidentes. Ce degré d’organisation doit être de nature à permettre au groupe armé ou aux forces dissidentes de planifier et de mener des opérations concertées, et d’imposer la discipline au nom d’une autorité de facto. En outre, ces forces armées doivent être capables de contrôler une partie suffisante du territoire pour mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le Protocole additionnel II. Par définition, les opérations doivent être continues et planifiées. Le territoire sous leur contrôle est d’ordinaire celui qui a échappé au contrôle des forces gouvernementales520. Ces propos indiquent que pour satisfaire le critère des « opérations militaires continues et concertées », un certain niveau élevé d’intensité des hostilités est nécessaire. 516 Voir sur la question Official Records of the Diplomatic Conference on the Reaffirmation and Development of International Humanitarian Law Applicable in Armed Conflicts, Geneva (1974–1977); vols. 1–14; Berne, Federal Political Department, 1978. Pour une analyse des points de vue, voir Anthony Cullen, The Concept of NonInternational Armed Conflict in International Humanitarian Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2010 aux pp 62-114. 517 Anthony Cullen, supra note 516 à la p 102. 518 International Committee of the Red Cross, Commentary on the Geneva Conventions I, II, III, IV of 12 August 1949, vols. 1–4, Geneva, ICRC, 1995 à la p 1352 au para 4463. 519 Ibid aux pp 1352-1353 au para 4467. 520 Procureur c. Akajesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 2 septembre 1998) au para 626. 81 Des « opérations militaires continues et concertées » excluent ainsi la situation des conflits armés de faible intensité521. Étant donné que les conflits qui se sont déroulés au Soudan du Sud ont connu une intensité telle qu’ils étaient une “guerre civile” 522, on peut conclure qu’en plus de l’Article 3 commun, le Protocole additionnel II s’applique dans ce contexte. Le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies sur les règles humanitaires minimales va dans ce sens lorsqu’il soutient que le « double critère [défini à l’Article 1(1)(2)] semblerait limiter l'application du Protocole II aux situations de guerre civile ou de quasi-guerre civile et il est certain que peu de gouvernements sont disposés à admettre que le Protocole s'applique dans des situations moins graves »523. Il convient toutefois de souligner que bien que l’application de la disposition de l’Article 1(1) du Protocole n’est pas une question discrétionnaire laissée à la volonté des parties aux conflits, les conditions qui y sont définies peuvent donner lieu à diverses interprétations524. Les États refusent généralement l’applicabilité du Protocole dans des conflits internes, car cela signifierait implicitement qu’ils ont perdu le contrôle effectif d’une partie du territoire national525. Mais, en évaluant l’applicabilité du Protocole additionnel II, il est essentiel de garder à l’esprit son objectif qui est « d'assurer une meilleure protection aux victimes […] [des] conflits armés » 526. Étant donné le grand nombre des victimes des conflits postdécembre 2013 au Soudan du Sud, le but du Protocole justifie davantage son applicabilité à ce contexte. Ceci s’inscrit dans la même veine que la conclusion de la CEUASS selon laquelle le contexte du Soudan du Sud satisfait les conditions d’application du Protocole additionnel II527. Ainsi, au regard des violences qui ont eu lieu dans le pays à partir du 15 décembre 2013, plusieurs crimes internationaux tels que le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et d’autres violations graves de l’Article 3 commun du Protocole additionnel II pourraient avoir été perpétrés. Pour ce qui est du crime de génocide, selon 521 Anthony Cullen, supra note 516 à la p 105. Voir par exemple, International Crisis Group, supra note 3. 523 Commission des droits de l’homme, Règles humanitaires minimales : Rapport analytique soumis par le Secrétaire général en application de la résolution 1997/21 de la Commission des droits de l'homme, Rés. 1997/21, UN Doc. E/CN.4/1998/87, 5 Janvier 1998 au para 79. 524 Anthony Cullen, supra note 516 à la p 105. Voir par exemple Mohamed Babiker, supra note 514 à la p 153, qui soutient que la seule disposition du DIH positif qui s’applique au contexte du Soudan du Sud est l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève. 525 Anthony Cullen, supra note 516 à la p 105 à la p 110. 526 Voir Protocole additionnel II, supra note 491, au préambule. Voir aussi Ibid à la p 112. 527 RCEUASS, supra note 203 au para 377. 522 82 l’article II de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, un acte est punissable sous ce qualificatif lorsqu’il est « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel » 528. Au vu de cette définition, la jurisprudence en matière pénale internationale soutient que pour que le génocide soit commis, la réunion de deux éléments constitutifs est requise : il faut, d’une part, un élément matériel ou objectif ou actus reus qui prend la forme : a) d’un meurtre; b) d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale; c) de la soumission intentionnelle d’un groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique; d) de mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; ou e) du transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. Le Projet de Statut du THSS ajoute un autre élément matériel à savoir des actes de viol ou toute autre forme de violence sexuelle 529. Ceci traduit une évolution positive intervenue depuis l’affaire Akayesu qui a élevé le viol au rang des actes génocidaires dans le contexte du Rwanda530. D’autre part, il faut un élément subjectif ou mens rea qui se manifeste par l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel531. Cette intention est un dol criminel aggravé ou dol spécial : elle suppose que l’auteur ait intentionnellement voulu que les actes prohibés entraînent la destruction, en tout ou en partie, du groupe comme tel, et ait compris que ses actes pourraient conduire à la destruction, en tout ou en partie, du groupe comme tel 532. Cette intention fait en sorte que l'auteur du crime vise sa victime en se fondant spécialement sur son appartenance au groupe 533. Selon la jurisprudence internationale, 528 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948,78 R.T.N.U. 277, R.T. Cano 1949 no 27 (entrée en vigueur le 12 janvier 1951), article II. Statut de la C.P.I, supra note 13, Article 6. Voir aussi l’Article 2 du Projet de Statut du THSS. 529 Projet de Statut du THSS, Article 2 qui dispose que : « For the purposes of this Statute, “genocide” means any of the following acts committed with intent to destroy, in whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group, as such: a) Killing members of the group; b) Causing serious bodily or mental harm to members of the group; c) Deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring about its physical destruction in whole or in part; d) Imposing measures intended to prevent births within the group; e) Forcibly transferring children of the group to another group; and f) Acts of rape or any other form of sexual violence ». 530 Procureur c. Akajesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 2 septembre 1998) aux para 690-734. 531 Procureur c. Radislav Krstić, IT-98-33, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 2 août 2001) aux para 542-544. 532 Rapport de la Commission Internationale d'enquête sur le Darfour au Secrétariat général des Nations Unies du 25 janvier 2005, UN Doc. S/2005/60 [Rapport sur le Darfour] au para 491. Procureur c. Jelisić IT-95-10-A, T.P.I.Y, (Chambre d'appel, Jugement du 5 juillet 2001) au para 49. 533Procureur c. Niyitegeka, ICTR-96-14-A, T.P.I.R, (Chambre d'appel, Jugement du 9 juillet 2004) au para 47 et s. Procureur c. Akajesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 2 septembre 1998) aux para 521 et s. 83 l'intention de détruire le groupe en partie, doit se comprendre comme l'intention de détruire un nombre considérable d'individus 534 ou une partie substantielle du groupe535. Pour le TPIY, « [l]a partie du groupe visée sera considérée substantielle soit parce qu’elle concerne une forte proportion du groupe en question, soit parce qu’elle cherche à atteindre les membres les plus représentatifs de la communauté visée » 536. L'intention génocidaire peut ainsi porter sur les membres d'un groupe large vivant dans une place déterminée537. Il n'est pas non plus nécessaire que l'auteur ait planifié au préalable son acte, il suffit que l'intention destructrice soit présente au moment de l'exécution de l'acte criminel538. En théorie, le génocide peut être constaté sur la base d'un acte ponctuel 539. On peut aussi retenir comme preuve de l'intention, l'attitude calomnieuse de l'auteur par rapport au groupe victime, le projet de créer un État ethniquement homogène, le viol systématique des femmes appartenant au groupe visé, l'existence d'un plan ou d'une politique systématiquement dirigée contre le groupe540. Au regard de ces éléments, le crime de génocide a-t-il été commis dans les conflits au Soudan du Sud? Pour répondre à cette question, il convient d’analyser les éléments constitutifs du crime de génocide. Tout d’abord, la question se pose de savoir si les communautés ethniques victimes d’attaques et de meurtres constituent objectivement, comme l’a adopté le TPIR dans le contexte du Rwanda 541, des groupes protégés au sens de la Convention 534Procureur c. Kayishema et Ruzindana, ICTR-95-1-T, T.P.I.R., (Chambre de première instance, Jugement du 21 mai 1999) au para 97. 535Voir Rapport sur le Darfour, supra note 532 au para 492. Procureur c. Jelisić, IT-95-10, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 14 décembre 1999) au para 82 ; Procureur c. Bagilishema, ICTR-95-1A-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 7 juin 2001) au para 64. Pour Benjamin Whitaker, Revised and Updated Report on the Question of the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, E/CN.4/Sub.2/1985/6 (1985) au para 29, l'expression "en partie" renvoie à « une proportion raisonnablement forte du groupe ou une fraction représentative du groupe, telle que ses dirigeants ». 536 Procureur c. Jelisić, IT-95-10, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 14 décembre 1999) au para 82. 537Procureur c. Jelisić, IT-95-10, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 14 décembre 1999) au para 83. Procureur c. Krstić IT-98-33-T, (Chambre de première instance, Jugement du 2 août 2001) au para 590. Pour un point de vue critique, on peut consulter Claus Kress, « The Crime of Genocide under International Law », (2006) 6 International Criminal Law Review 461 aux pp 489 et s. 538Procureur c. Krstić IT-98-33-T, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 2 août 2001) au para 572. Un point de vue contraire a été toutefois adopté entre autres dans Procureur c. Kayishema et Ruzindana, ICTR-95-1-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 21 mai 1999) au para 91. 539 Vincent Chetail, « La banalité du mal de Dachau au Darfour : Réflexion sur l’évolution du concept de génocide depuis 1945 », (2007) 131 Relations internationales 49 à la p 54. 540 Anne-Marie La Rosa, Juridictions pénales internationales, la procédure et la preuve, Paris, PUF, 2003 à la p 415. 541 Dans Procureur c. Akajesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 2 septembre 1998) au para 513, le Tribunal a défini le groupe ethnique comme « un groupe dont les membres partagent une langue ou une culture commune ». En outre, dans l’affaire au Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, ICTR-95-1T, TPIR (Chambre de première instance II, Jugement du 21 mai 1999) au para 98, le Tribunal a soutenu que « [u]n groupe ethnique se définit comme un groupe dont les membres ont en un commun une langue et une culture ; ou un groupe qui se distingue comme tel (auto-identification) ; ou un groupe reconnu comme tel par d’autres, y compris les auteurs des 84 sur le génocide? Les communautés Nuer et Dinka qui se sont attaquées réciproquement sont considérées par des auteurs comme constituant originellement le même groupe ethnique542. Ils se ressemblent sur les plans culturels et linguistiques et auraient historiquement le même ancêtre 543. En outre, les mariages entre les membres de ces communautés sont courants544. Mais même si les deux communautés sont des éléveurs de bétails, elles ont cependant une différence principale qui réside dans le fait que les lignées des Nuer sont segmentaires et pyramidales tandis que les alliances chez les Dinka sont des agrégats temporaires et changeant sans la hiérarchie des Nuer 545. Toutefois, au-delà de ces critères objectifs qui indiquent une origine commune et une ressemblance entre les deux groupes, à l’image de la jurisprudence du TPIY dans le contexte de l’exYougoslavie546, peut-on subjectivement les considérer comme des groupes distincts? Il faut souligner qu’au fil du temps, les Nuer et les Dinka se sont perçus comme étant distincts. Les tensions et rivalités historiques entre les deux communautés 547 et la polarisation politique autour de Salva Kiir et Rieck Machar ont contribué à la formation d’identités distinctes entre les deux communautés. Pour ces raisons, on peut soutenir qu’elles constituent des groupes protégés au sens de la Convention sur le génocide. Comme il a été démontré ci-dessus, les éléments matériels pouvant constituer l’actus reus du crime de génocide existent dans le contexte des conflits au Soudan du Sud. Il s’agit en l’occurrence des attaques systémiques contre les membres de ces communautés, les meurtres, les viols, les déplacements forcés, etc. La question difficile comme dans toute situation où on soupçonne un génocide c’est d’en établir l’élément crimes (identification par des tiers) ». 542 Voir, entre autres, Peter J. Newcomer, supra note 74; H. C. Jackson, supra note 74 à la p 70; Edward Evan EvansPritchard, Ethnological Survey of the Sudan, dans J. A. de C. Hamilton (éd.), The Anglo-Egyptian Sudan from within, London, Faber & Faber, 1935 à la p 89. 543 Robert O. Collins, supra note 75 à la p 9. 544 P. P. Howell, supra note 76 à la p 7. 545 Maurice Glickman, « The Nuer and the Dinka: A Further Note », (1972) 7:4 Man New Series 586; Aidan Southall, « Nuer and Dinka Are People: Ecology, Ethnicity and Logical Possibility », (1976) 11:4 Man New Series 463. 546 Par exemple, dans l’affaire Procureur c. Jelisić, IT-95-10, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 14 décembre 1999) au para 70, le Tribunal soulignait que « [s]i la détermination objective d’un groupe religieux est encore possible, tenter aujourd’hui de définir un groupe national, ethnique ou racial à partir de critères objectifs et scientifiquement non contestables serait un exercice à la fois périlleux et dont le résultat ne correspondrait pas nécessairement à la perception des personnes concernées par cette catégorisation ». En outre, dans l’affaire le Prosecutor c. Brđanin, IT-99-36-T, T.P.I.Y, (Chambre de première instance II, Jugement du 1er September 2004) au para 683, le T.P.I.Y déclarait que « [c]onformément à la jurisprudence du Tribunal, on peut identifier le groupe visé en ayant recours au critère subjectif de la stigmatisation du groupe, notamment par les auteurs du crime, du fait de la perception qu’ils ont de ses traits nationaux, ethniques, raciaux ou religieux. La victime peut elle-même, dans certains cas, se considérer comme appartenant audit groupe » 547 Paul W. Gore, supra note 69 à la p 5. Douglas H. Johnson, supra note 70. 85 moral. Caractérisé par un dolus specialis, le génocide est en effet un crime assez difficile à démontrer548. Il se présente dès lors comme une véritable « prova diabolica »549 devant les juridictions pénales internationales. De ce fait, ces juridictions ont considéré les « plans » ou les « politiques » comme étant le plus important indicateur de la commission du crime de génocide. Ainsi, dans l’affaire Procureur c. Jelisić, le TPIY soutenait que « lorsqu’il s’agit d’établir une intention spécifique, l’existence d’un plan ou d’une politique peut, dans la plupart des cas, avoir son importance. Les éléments de preuve peuvent ne pas exclure ou peuvent même établir cette existence, laquelle peut, à son tour, aider à prouver le crime »550. De ce fait, sans plan génocidaire, les affaires devant les juridictions pénales internationales, comme l’affaire Jelisić par exemple, ont très souvent échoué 551. Pour prouver l’intention génocidaire, les tribunaux pénaux internationaux ad hoc ont pris en compte des circonstances spécifiques telles que le nombre de victimes, le choix des victimes en raison de leur appartenance au groupe cible 552, la planification, les actes et les propos tenus par les auteurs des crimes553, et la destruction de certains objets symboliques tels que les institutions culturelles, les monuments, les sites religieux et les maisons 554. Toutefois, le Statut de la CPI ainsi que la jurisprudence de la Cour ont consacré une évolution substantielle quant au plan ou à la politique génocidaire requis pour conclure à l’existence de l’élément intentionnel nécessaire à la constitution du crime de génocide. Dans dans Al Bachir du 4 mars 2009, la majorité des juges ont souligné que : la définition du crime de génocide énoncée à l’article 6 du Statut est la même que celle qui est exposée à l’article II de la Convention sur le génocide et que les Éléments des crimes la développent, notamment en exigeant un élément contextuel [à savoir une politique ou un plan génocidaire]555. 548 Cour pénale internationale, Chambre préliminaire I, Situation au Darfour (Soudan) affaire le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir (« Omar Al Bashir »), No ICC‐02/05‐01/09, 4 mars 2009 au para 147 et s. 549 Terme emprunté à Anne-Marie La Rosa, supra note 538 à la p 415. 550 Procureur c. Jelisić IT-95-10-A, T.P.I.Y., (Chambre d'appel, Jugement du 5 juillet 2001) au para 48. Voir aussi Procureur c. Krstić IT-98-33-T, (Chambre de première instance, Jugement du 2 août 2001) au para 572 ; Procureur c. Clement Kayishema et Obed Ruzindana, IT-95-1-A, T.P.I.R., (Chambre d’appel, Jugement du 1er juin 2001) au para 138 et s. 551 Procureur c. Jelisić IT-95-10-A, T.P.I.Y., (Chambre d'appel, Jugement du 5 juillet 2001) au para 48 et s. Voir aussi Nina H.B. Jørgensen, « The Definition of Genocide, Joining the Dots in the Light of Recent Practice », (2001) International criminal Law Review 285 à la p 297 et s. 552 Procureur c. Jelisić IT-95-10-A, T.P.I.Y., (Chambre d'appel, Jugement du 5 juillet 2001) au para 47 et s. 553 Procureur c. Popović IT-05-88-T, (Chambre de première instance II, Jugement du 10 juin 2010) au para 1175 et s. 554 Procureur c. Krstić IT-98-33-A, T.P.I.Y., (Chambre d’Appel, Arrêt du 19 avril 2004) au para 33 et s. 555 Cour pénale internationale, Chambre préliminaire I, Situation au Darfour (Soudan) affaire le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir (« Omar Al Bashir »), No ICC‐02/05‐01/09, 4 mars 2009 au para 121. 86 Dans le cas du Soudan du Sud qui nous concerne, certains des actes commis et relevés ci-dessus pourraient dénoter une intention génocidaire. C’est par exemple le fait de massacrer sélectivement les Nuer après avoir ciblé leurs domiciles dans les quartiers de Juba. Toutefois, d’autres éléments tendent à nier cette intention génocidaire. Il s’agit du fait que dans les États de l’Équatoria, les Nuer étaient sommés de sortir de leur résidence en laissant les femmes à l’intérieur. C’est seulement ceux qui résistaient qui étaient tués, tandis que ceux qui sortaient étaient liés ensemble par leurs vêtements. Ils devaient ensuite lever les mains en signe d’abandon et marcher pendant qu’ils sont insultés par les membres de la communauté Dinka556. En outre, lorsque les forces de sécurité Dinka de Salva Kiir torturaient les Nuer, elles leur demandaient des informations sur le lieu où se cache Riek Machar, en les menaçant sur les ambitions présidentielles de ce dernier557. Tout ceci semble indiquer que l’intention première n’était pas de détruire en tout ou en partie les Nuer de Juba, mais de les humilier et surtout d’empêcher qu’ils soutiennent les projets politiques de Machar. De plus, lors des actes de vengeance de l’“Armée blanche” à Bor dans l’État du Jonglei, le 19 décembre, celle-ci a attaqué la population civile, indépendamment des nationalités, mais en ciblant principalement les Dinka558. Ces attaques généralisées semblent indiquer que l’objectif de l’“Armée blanche” était de se venger des Dinka et de leurs alliés sans nécessairement avoir l’intention de les détruire en tout ou en partie. Un autre élément qui tend à soutenir l’absence d’intention génocidaire de la part des forces gouvernementales est que dans l’État de l’Unité, par exemple, elles ont mené des attaques contre les villes et les villages en les brulant et obligeant les populations à fuir 559. C’est dire donc que les civils qui survivaient aux attaques n’étaient pas purement et simplement exécutées afin d’éliminer les communautés qui y étaient présentes. En conclusion, nonobstant la présence de certains éléments objectifs du crime de génocide dans les conflits du Soudan du Sud, en raison des développements précédents, nous ne sommes pas à mesure d’affirmer que les forces gouvernementales ou les groupes rebelles alliés à Machar avaient un plan ou une politique génocidaire de destruction en 556 A Human Rights Report, supra note 273 à la p 21. Human Rights Watch, supra note 207 à la p 27. 558 South Sudan Human Rights Commission, supra note 265 à la p 5. 559 Human Rights Watch, supra note 207 à la p 57. 557 87 tout ou en partie des groupes ethniques ciblés. C’est aussi la conclusion à laquelle la CEUASS a abouti560. Néanmoins, il est souhaitable qu’une entité beaucoup plus outillée et habilitée à le faire comme le futur THSS s’y penche de manière plus approfondie afin de nous éclairer davantage sur la question. Ce souci se trouve en outre justifié par le fait que certaines personalités soit craignaient déjà le risque de génocide soit simplement affirment qu’il a été consommé. Ainsi, dans sa visite au Soudan du Sud en novembre 2016, le Rapporteur Spécial des Nations sur la prévention du crime de génocide soulignait que « I am dismayed to report that what I have seen and heard here has confirmed my concerns that there is a strong risk of violence escalating along ethnic lines, with the potential for genocide »561. De plus, dans un article de presse du 12 avril 2017, la Secrétaire d’État britannique pour le développement international, Priti Patel, soulignait que « [t]he killings and other atrocities going on in South Sudan amount to a genocide […] It is tribal, it is absolutely tribal, so on that basis it is genocide » 562. Les crimes contre l’humanité se rapportent à des actes comme le meurtre, l’extermination, la déportation ou le transfert forcé, la disparition forcée, la torture, commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile563. C’est dire donc que les crimes contre l’humanité sont constitués lorsqu’un des éléments matériels définis à l’Article 3 du Projet de Statut du THSS ou l’Article 7(1) du Statut de la CPI est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile. Cet élément contextuel ainsi que les éléments matériels font parti de l’élément mental des crimes contre l’humanité564. L’expression « population civile » renvoie à tout groupe humain « indépendamment de toute condition de nationalité́ , d’appartenance ethnique ou d’autres attributs distinctifs »565. Celle-ci est protégée tant en temps de paix qu’en temps de conflit armé566. Le critère La CEUASS est parvenue à la conclusion qu’elle « n’a pas de motifs raisonnables de croire que le génocide a été commis au cours du conflit qui a éclaté le 15 décembre 2013 ». Voir sur ce point RCEUASS, supra note 203 au para 805. 561 Adama Dieng, « Risk of ‘outright ethnic war’ and genocide in South Sudan, UN envoy warns », disponible en ligne sur <https://news.un.org/en/story/2016/11/545172-risk-outright-ethnic-war-and-genocide-south-sudan-un-envoywarns>, consulté le 23 novembre 2018. 562 Voir Elias Biryabarema, « UK says killings in South Sudan conflict amount to genocide », Reuters, 12 avril 2017, disponible en ligne sur <https://www.reuters.com/article/us-southsudan-war/uk-says-killings-in-south-sudan-conflictamount-to-genocide-idUSKBN17E2TF>, consulté le 5 décembre 2018. 563 Projet de Statut du THSS Article 3. Voir aussi le Statut de la C.P.I, supra note 13 Article 7(1). 564 Gerhard Werle et Florian Jessberger, Principles of International Criminal Law, Oxford, Oxford University Press, Troisième édition, 2014 à la p 333. 565 Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, C.P.I, Chambre préliminaire I, Jugement N° : ICC‐ 560 88 de l’« attaque généralisée » décrit un élément quantitatif dans la cible visée par la violence567. Le critère de l’« attaque systématique » se réfère à la nature qualitative de la violence, c’est-à-dire, au fait que les actes accomplis ont requis un certain degré d’organisation et de planification 568. Du fait qu’ils sont dirigés contre les populations civiles en mettant en cause leur humanité, les crimes contre l’humanité affectent non pas seulement la victime individuelle immmédiate mais aussi la communauté internationale dans son entièreté569. L’article 7(2)(a) du Statut de la CPI requiert que l’attaque généralisée ou systématique contre la population civile soit conduite « en application ou dans la pousuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque » 570. La CEUASS s’est située dans cette veine en soutenant qu’un des critères principaux des crimes contre l’humanité en droit international est qu’ils doivent être accomplis « conformément à la politique d’un État ou d’une organisation » 571. Cependant, s’il faut reconnaître que les commentaires de la Commission du droit international (CDI) sur le Projet de Code de 1996572 et les Tribunaux pénaux internationaux ad hoc573 exigeaient l’existence d’un « plan » ou d’une « politique » pour que le crime contre l’humanité soit 01/04‐01/07 du 30 septembre 2008 au para 399. 566 Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 564 à la p 335. 567 Murielle Delmas-Marty, « Violence and Massacres – Towards a Criminal Law of Inhumanity », 7 (2009) Journal of International Criminal Justice 5 à la p 6. 568 Helmut Satzger, International and European Criminal Law, München, Oxford, C.H. Beck, Hart, Nomos, 2012, § 14 au para 35. Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 564 à la p 340. 569 Procureur c. Dranzen Erdemovic, T.P.I.Y, (Chambre d’Appel, Arrêt du 7 octobre 1997), Opinion individuelle présentée conjointement par Madame le Juge McDonald et Monsieur le Juge Vohrah au para 21. 570 Voir aussi Cour pénale internationale, Chambre préliminaire II, Procureur c. Ruto et al. Jugement N° : ICC-01/0901/11 du 23 janvier 2012, au para 163, dans lequel la Cour a souligné qu’au regard des « articles 7-1 et 7-2-a du Statut et sur la base des Éléments des crimes, tous les crimes contre l’humanité doivent réunir les éléments contextuels suivants : i) une attaque a été lancée contre la population civile ; ii) l’attaque en question était généralisée ou systématique ; et iii) l’attaque a été menée en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque ». La Cour a affirmé par ailleurs, au para 210, « qu’une attaque « planifiée, dirigée ou organisée », par opposition à une attaque « constituée d’actes [...] spontanés ou isolés », satisfait à la condition attachée à l’existence d’une politique. La mise en œuvre d’une politique peut prendre la forme d’une abstention délibérée d’agir, par laquelle on entend consciemment encourager une telle attaque ». Pour une analyse critique de ce critère, voir, par exemple, Machtel Boot, Genocide, Crimes Against Humanity, War Crimes, Antwerp, Belgium Intersentia Publishers, 2002 aux pp 481 et s ; Phylilis Hwang, « Defining Crimes Against Humanity in the Rome Statute of the International Criminal Court », 22 (1998) Fordham International Law Journal 457 aux pp 502 et s. 571 RCEUASS, supra note 203 au para 378. 572 Projet de Code de 1996, Commentaire sur l’Article 18 au para 3 qui explique que « les actes inhumains doivent avoir été commis d'une manière systématique, c'est-à-dire en application d'un plan ou d'une politique préconçus ». Voir Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 564 à la p 341. 573 Procureur c. Akajesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 2 septembre 1998) au para 580 soulignait que « there must however be some kind of preconceived plan or policy ». Procureur c. Tadić, IT94-1-T, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 7 mai 1997) au para 648 qui affirmait qu’il devrait y avoir a « pattern or methodological plan ». 89 constitué, la Chambre d’appel du TPIY a abandonné ce critère dans l’affaire Kunarac et al lorsqu’elle a affirmé que « [c]ontrairement à ce qu’en disent les Appelants, il n’est pas nécessaire que l’attaque ou les actes des accusés soient le fruit d’une « politique » ou d’un « plan » quelconque », et que « [r]ien, dans le Statut ou le droit international coutumier tel qu’il existait à l’époque des faits allégués, n’exige la preuve de l’existence d’un plan ou d’une politique visant à la perpétration de ces crimes » 574. Depuis lors, la jurisprudence des Tribunaux pénaux internationaux ad hoc a confirmé ce critère, tout en précisant que les plans et les politiques peuvent être considérés pour rendre compte du caractère généralisé ou systématique des attaques 575. C’est probablement à la lumière de cette évolution juriusprudentielle que l’on peut remarquer que l’Article 3 du Projet de Statut du THSS ne mentionne pas la « politique » ou le « plan » dans sa définition des crimes contre l’humanité, faussant ainsi la compagnie au Statut de Rome dont il s’est pourtant largement inspiré outre mesure. Au regard des éléments constitutifs des crimes contre l’humanité, peut-on conclure que ces crimes ont été commis au Soudan du Sud? Nous soutenons que si on se fonde sur la jurisprudence de la CPI, les attaques massives généralisées et systématiques contre les populations civiles en raison de leur appartenance ethnique notamment dans les villes de Juba, de Bor, de Rubkona, de Malakal et dans de nombreux villages 576 remplissent les conditions des crimes contre l’humanité. Ces attaques et meutres ont été planifiées puis exécutées méthodiquement. Procureur c. Kunarac et al., IT-96-23 & IT-96-23/1-A, T.P.I.Y, (Chambre d’Appel jugement du 12 juin 2002) au para 98. 575 Voir, par exemple, Procureur c. Krstić IT-98-33-A, T.P.I.Y, (Chambre d’Appel, Arrêt du 19 avril 2004) au para 225 : « [d]e même, la Chambre d’appel a rejeté l’argument selon lequel les crimes contre l’humanité (et donc l’extermination) exigeraient la preuve de l’existence d’un plan ou d’une politique visant à la perpétration de ces crimes. L’existence d’un tel plan ou d’une telle politique peut avoir son importance pour prouver que l’attaque dirigée contre une population civile était généralisée ou systématique, mais elle ne saurait être considérée comme un élément constitutif d’un crime contre l’humanité » ; Procureur c. Blaškić, IT-95-14-A, T.P.I.Y, (Chambre d’Appel, Arrêt du 29 juillet 2004) au para 100 : « [d]e l’avis de la Chambre d’appel, l’existence d’un plan ou d’une politique peut avoir valeur de preuve, mais elle ne saurait être un élément juridique du crime. La Chambre d’appel reviendra sur ce point plus loin » ; Procureur c. Momčilo Perišić, IT-04-81-T, T.P.I.Y, (Chambre de première instance I, Jugement du 6 septembre 2011) au para 86 : « [i]l est de jurisprudence constante qu’il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un plan » ; Procureur c. Laurent Semanza, ICTR-97-20-A, T.P.I.R, (Chambre d’Appel, Arrêt du 20 mai 2005) au para 269 : « [c]ontrairement aux arguments de l'appelant, le Procureur n'était pas tenu d'établir l’existence d'une politique à un haut niveau contre les Tutsis : bien que l'existence d'une politique ou d'un projet puisse permettre d'établir que l'attaque était dirigée contre une population civile et qu'elle était généralisée et systématique, elle ne constitue pas un élément juridique indépendant » ; Procureur c. Sylvestre Gacumbitsi, ICTR-01-64-A, T.P.I.R, (Chambre d’Appel, Arrêt du 7 juillet 2006) au para 84 : « l'existence d'une politique ou d'un plan peut être pertinente au regard de la preuve, mais ne saurait être considérée en soi comme un élément constitutif distinct du crime contre l’humanité ». 576 Voir, par exemple, Human Rights Watch, supra note 207 à la p 27 et s. Rapport du Secrétaire général sur le Soudan du Sud, supra note 4 ; United Nations Mission in South Sudan (UNMISS), A State of Human Rights in the Protracted Conflict in South Sudan, disponible en ligne sur <https://www.ohchr.org/Documents/Countries/SS/UNMISS_HRD4December2015.pdf>, visité le 8 novembre 2018. 574 90 Par ailleurs, à Juba comme dans d’autres localités, les déplacements forcés des communautés ethniques ont été décrites par certains analystes comme relevant du “nettoyage ethnique”577. Selon la Cour internationale de justice (CIJ), le “nettoyage ethnique” consiste à « rendre une zone ethniquement homogène en utilisant la force ou l’intimidation pour faire disparaître de la zone en question, des personnes appartenant à des groupes déterminés »578. Le “nettoyage ethnique” entendu comme « déportation ou transfert forcé de population » constitue, selon le Projet de Statut du THSS, un crime contre l’humanité579. Pour ce qui concerne les crimes de guerre, le Statut de la CPI les organise en différentes catégories 580. Il y a, d’abord, les « infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 »581; ensuite, « [l]es autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux »582; « les violations graves de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949 »583, et enfin, « [l]es autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international » 584. Toutefois, dans le contexte particulier du Soudan du Sud, le Projet de Statut du THSS considère que les “crimes de guerre” se rapportent seulement aux violations de l’Article 3 commun aux Conventions de Genève et au Protocole additionnel II585. L’infraction de crime de guerre est donc fonction du type de normes de DIH qui ont été violées. Selon le Statut de Rome de la CPI, ces catégories de crimes doivent être accomplies « dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou lorsqu’ils font 577 Tom Miles et Ed Cropley, « Ethnic cleansing going on in South Sudan: U.N. commission », 1er décembre 2016, en ligne sur <https://www.reuters.com/article/us-southsudan-un/ethnic-cleansing-going-on-in-south-sudan-u-ncommission-idUSKBN13Q4SU>, consulté 5 décembre 2018. Andrew S. Natsios, supra note 168. 578 Voir l’arrêt de la Cour internationale de Justice (ci-après C.I.J.), sur l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, [ci-après : Arrêt sur le génocide] au para 190. 579 Article 3(d) du Projet de Statut du THSS. Voir aussi le Statut de la C.P.I, supra note 13 Article 7(1)(d). 580 Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 564 à la p 409. 581 Statut de la CPI, supra note 13 Article 8(2)(a). 582 Ibid Article 8(2)(b). 583 Ibid Article 8(2)(c). 584 Ibid Article 8(2)(e). 585 Voir l’Article 4 du Projet de Statut du THSS. Il mentionne quelques uns de ces actes comme suite : a) Violence to life, health and physical or mental well-being of persons, in particular murder as well as cruel treatment such as torture, mutilation or any form of corporal punishment; b) Collective punishments; c) Taking of hostages; d) Acts of terrorism; e) Outrages upon personal dignity, in particular humiliating and degrading treatment, rape, enforced prostitution and any form of indecent assault; f) Pillage; g) The passing of sentences and the carrying out of executions without previous judgement pronounced by a regularly constituted court, affording all the judicial guarantees for fair trial under African regional instruments and general international law; h) Threats to commit any of the foregoing acts. 91 partie d’une série de crimes analogues commis sur une grande échelle »586. Mais le Projet de Statut du THSS n’évoque pas cette condition. La caractérique principale des crimes de guerre est qu’ils visent à protéger les droits individuels fondamentaux pendant les conflits armés, comme le droit à la dignité, le droit à la vie et le droit à l’intégrité physique 587. À ce titre, le droit international humanitaire interdit certains moyens et méthodes de guerre car ceux-ci causent des souffrances inutiles à la fois aux populations civiles et aux combattants comme par exemple l’interdiction des mines antipersonnelles, des armes à laser aveuglant588. Au regard de ces caractéristiques des crimes de guerre, peut-on soutenir que ceux-ci ont été commis dans les conflits au Soudan du Sud? Nous répondons par l’affirmative. Les éléments crimes sous-jacents définis à l’Article 4 du Projet de Statut du THSS, comme les meutres, les traitement inhumains et cruels, les mutilations, les punitions collectives, les violences sexuelles, les exécutions sans procès, les pillages ont été commis dans les conflits qui ont eu lieu au Soudan du Sud. Par ailleurs, ayant qualifié le conflit au Soudan du Sud de conflit armé noninternational, nous avons soutenu que les normes du DIH qui s’appliquent dans ce contexte sont l’Articles 3 commun aux quatres Conventions de Genève de 1949 et le Protocole Additionnel II. Il faut noter cependant que jusqu’en mars 1993, dans un commentaire du Statut du TPIY, le Comité international de la Croix rouge indiquait que le concept de crimes de guerre était limité seulement aux conflits armés internationaux 589. Ceci ne concernait pas la punition du génocide et des crimes contre l’humanité puisque ces crimes ne nécessitaient pas leur connexion à un conflit armé international 590. C’est seulement en 1994, qu’avec la création du TPIR, la communauté internationale a étendu la criminalisation des violations du DIH aux conflits internes 591. Ainsi, l’Article 4 du Statut du TPIR accordait à la juridiction la compétence sur les violations de l’Article 3 commun of Conventions de Genève et du Protocole Additionnel II592. Cette disposition a 586 Statut de la C.P.I, supra note 13 Article 8(1)(2)(a). Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 564 à la p 409. 588 Voir sur ces questions Theodore Meron, « The Humanization of Humanitarian Law », (2000) 94 American Journal of International Law 239. 589 Cité dans Theordore Meron, « International Criminalization of Internal Atrocities », (1995) 89 American Journal of International Law 554 à la p 559. Voir aussi Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 564 à la p 406. 590 Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 564 à la p 406. 591 Voir Rosemary Abi-Saab, « Humanitarian Law and Internal Conflicts: The Evolution of Legal concern », dans A.J.M. Delissen et G.J. Tanja (éds), Humanitarian Law of Armed Conflict, Dordrecht, M. Nijhoff, 1991 à la p 209. 592 Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, résolution du Conseil de sécurité 955 du 8 novembre 1994, UN Doc. S/RES/955 (1994) [Statut du TPIR] Article 4. 587 92 marqué un tournant important dans la répression internationale des crimes commis dans les conflits internes. La décision de la Chambre d’Appel dans l’affaire Tadić du 2 octobre 1995 va confirmer ce changement de paradigme. Dans cette décision, le TPIY soutenait que les règles du DIH s’appliquant dans les conflits armés internationaux telles que l’interdiction de certaines armes s’étendaient aussi, au regard du droit international, coutumier aux conflits internes 593. Il précisait en outre que les actes qui sont inhumains et prohibés dans les conflits armés internationaux ne peuvent être considérés comme permises dans les guerres civiles 594. Il soulignait encore que les violations du DIH applicables aux conflits armés non-internationaux peuvent être criminelles au regard du droit international coutumier 595. Depuis cette jurisprudence, les violations de l’article 3 commun et du Protocole Additionnelle II peuvent être qualifiées de crimes de guerre 596. De plus, ces violations sont aussi consacrées dans le Statut de Rome de la CPI comme étant des crimes de guerre 597. Après avoir présenté les normes du DIH qui ont été enfreintes dans les conflits au Soudan du Sud, nous allons à présent examiner les violations des normes du DIDP et du droit national qui y ont été réalisées. 4.2.2. – Les violations des normes du DIDP et du droit national Le Soudan du Sud n’a pas ratifié les principaux instruments de protection des droits de la personne que sont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples (CADHP)598. De ce fait, aucun de Procureur c. Dusko Tadić, allias “Dule”, Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Jugement du 2 octobre 1995) aux para 120. 594 Ibid au para 119. 595 Ibid au para 128 et s. 596 Sandesh Sivakumaran, The Law of Non- International Armed Conflict, Oxford, Oxford University Press, 2012 aux pp 477-478. 597 Voir Statut de Rome de la C.P.I, supra note 13 Article 8(2). 598 Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, supra note 485 le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, supra note 485 ; la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981, OUA. Doc. CAB/LEG/67/3 Rev. 5 (entrée en vigueur : 21 octobre 1986). Par ailleurs, du fait que le Soudan du Sud est un État qui est issu de sa sécession de la République du Soudan, il convient de répondre brièvement à la question de savoir si les traités ratifiés par l’État-mère avant le 9 juillet 2011 demeurent toujours applicables au nouvel État. Pour ce faire, il faut tout d’abord distinguer la succession de la continuation d’États. En effet, en cas de continuation, due par exemple à un changement de gouvernement, l'État est considéré comme une entité juridique persévérant dans son être (même si certains de ses éléments constitutifs pourraient avoir changé). Par contre, la succession d'États s'entend de la substitution d'un État à un autre, ce qui implique un “changement de la personnalité juridique de l'État”, donc une certaine discontinuité. La Convention de Vienne sur la succession d'États en matière de traités, 1946 RTNU. 3, adoptée le 23 août 1978 et entrée en vigueur en 1996, définit l’État successeur en son Article 2(1)(f) comme un État « dont le territoire, immédiatement avant la date de la succession d’Etats, était un territoire 593 93 ces instruments juridiques n’est formellement contraignant pour l’État. Toutefois, le jeune État a ratifié quelques autres instruments dont la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que son Protocole facultatif le 30 avril 2015; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes le 30 avril 2015 ; la Convention relative aux droits de l’enfant le 23 janvier 2015, ainsi que le Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés le 27 septembre 2018 et le Protocole sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants le 27 septembre 2018599. Ces conventions et protocoles sont obligatoires pour le pays seulement à partir de leur date de ratification. Par ailleurs, certaines normes des droits de la personne sont contraignantes pour les États, qu’ils les aient ou non ratifiées. C’est le cas de l’essentiel des dispositions de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (DUDH) dont en particulier le droit à la vie (Article 3), le droit à ne pas être soumis à l’esclavage (Article 4), le droit à ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (Article 5), le droit à l’égalité devant la loi (Article 7), le droit à ne pas être soumis à une arrestation ou à une détention arbitraire (Article 9), qui ont acquis le statut de normes de droit international coutumier 600. Ces dipositions dépendant dont l’État prédécesseur avait la responsabilité des relations internationales ». Les règles qui régissent la succession d’États en droit international sont toutefois controversées. Le débat doctrinal sur la question a donné lieu a deux principales théories : Il s'agit notamment de la théorie de la continuité universelle des traités et de la théorie de la tabula rasa. La position dominante est cependant que, du fait du volontarisme en matière d’adhésion aux traités internationaux, le nouvel État débutera sa vie internationale libre des engagements internationaux contractés par l’Étatmère (voir sur ce point Abiy Chelkeba Worku, « State Succession in International Transboundary Water Obligations : South Sudan and the Nile Water Agreements », (2016) 10:1 Mizan Law Review 100, à la p 110). L'article 16 de la Convention de Vienne de 1978 semble s’inscrire dans cette optique lorsqu’il dispose qu’« [u]n Etat nouvellement indépendant n’est pas tenu de maintenir un traité en vigueur ni d’y devenir partie du seul fait qu’à la date de la succession d’Etats le traité était en vigueur à l’égard du territoire auquel se rapporte la succession d’Etats ». Au regard de cette disposition, nous soutenons que les traités relatifs au DIH, au DIDP et au DPI signés par la République du Soudan avant l’indépendance du Soudan du Sud ne sont pas applicables à ce dernier. 599 Voir United Nations Human Rights Office of the High Commissioner, « View the ratification status by country or by treaty », disponible en ligne sur <https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/TreatyBodyExternal/Treaty.aspx?CountryID=215&Lang=en>, consulté le 20 novembre 2018: la Convention contre la torture et autres peines et traitements inhumains ou dégradants, G.A. Res. 39/46, 39 U.N. GAOR Supp. (No. 51) at 197, U.N. Doc. A/39/51 (1985) (entrée en vigueur le 26 juin 1987); la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, G.A. Res. 34/180, U.N. Doc. Res/34/180 (1980) (entrée en vigueur le 3 septembre 1981); la Convention sur les droits de l'enfant, G.A. Res. 44/25, Article 21(d), U.N. Doc. A/44/49, 20 novembre 20, 1989 (entrée en vigueur le 2 septembre 1990); le Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, 2173 RTNU 222, Doc. A/RES/54/263, 25 mai 2000, (entrée en vigueur le 12 février 2002); Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, 2171 RTNU 227, Doc. A/RES/54/263, 25 mai 2000, (entrée en vigueur le 18 janvier 2002). 600 Déclaration universelle des droits de l'Homme, Rés AG 217 (III) A, Doc off AG NU, 3è sess, supp no 13, Doc NU A/810 (1948). Sur le caractère de norme de droit international coutumier, voir A Human Rights Report, supra note 273 à la p 11. Voir aussi, Hurst Hannum, « The Statut of the Universal Declaration of Human Rights in National and 94 s’appliquent au Soudan du Sud non seulement en raison de leur nature coutumière, mais aussi au regard de l’obligation qui pèse sur les membres des Nations Unies de promouvoir le respect des droits de la personne 601. De plus, lorsque certaines ou toutes ces violations ont eu lieu dans certaines conditions particulières ou avec une mens rea requise, elles peuvent aussi constituer des crimes contre l’humanité voire le génocide 602. Par ailleurs, la Penal Code Act de 2008, la Sudan Peoples’ Liberation Act de 2009 et la Constitution Transitionnelle du Soudan du Sud (CTSS) de 2011 assurent aussi aux citoyens la protection de certains droits considérés comme fondamentaux. Il s’agit par exemple du droit à la vie, du droit à la dignité, du droit à l’égalité et à la nondiscrimination, du droit à la liberté et à la sécurité personnelle, du droit contre l’arrestation et la détention arbitraires, du droit à un procès équitable et du droit à une protection égale par la loi603. En outre, selon le Code de procédure pénale de 2008, toute personne a droit à un procès juste, équitable et rapide, et est présumée innoncente jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie ; elle ne doit pas être soumise à des traitements inhumains et doit être indemnisée en cas d’atteinte à sa personne604. Pourtant, au regard de l’état des violences précédemment présenté, la violation de plusieurs de ces normes durant les conflits a été abondamment documentée. Par exemple, à la suite de l’éclatement des conflits à Juba le 15 décembre 2013, les soldats de la garde présidentielle de Salva Kiir, en particulier, les “Luri Boys” ont procédé, dans les différents quartiers, à des arrestations arbitraires de Nuer en majorité des hommes, à des exécutions extrajudiciaires, à des pillages, à des actes de violences sexuelles 605. Les actes de vengeance qui en ont suivi de la part des Nuer dans les autres villes et villages du pays International Law », (1995/1996) 25 Georgia Journal of International and Comparative Law 287. Voir aussi RCEUASS, supra note 203 au para 374. 601 Voir les Articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, 1 R.T.N.U. 993 (entrée en vigueur le 24 octobre 1945). 602 Voir nos développements précédents sur les violations des normes du droit international humanitaire. 603 Voir par, exemple, le droit à la vie, à la dignité et à l’intégrité physique (Article 11 de la CTSS de 2011) ; le droit à la liberté (Article 12 de la CTSS de 2011) ; le droit à ne pas être soumis à l’esclavage (Article 13 de la CTSS de 2011) ; le droit à l’égalité devant la loi (Article 14 de la CTSS de 2011) ; le droit à ne pas être soumis à la toture (Article 18 de la CTSS de 2011) ; le droit à la légalité des peines (Article 6 du Code pénal de 2008) ; le respect des droits fondamentaux de la personne par l’APLS (Article 6 de la South Sudan’s Peoples’ Liberation Act de 2009).. 604 Code of Criminal Procedure Act (2008), par exemple, le droit à la présomption d’innocence, à un procès équitable et rapide (Articles 6); le droit à ne pas faire l’objet de traitement contraire à la dignité humaine (Article 93). 605 Voir, par exemple, Human Rights Watch, supra note 207 à la p 27 et s. Rapport du Secrétaire général sur le Soudan du Sud, supra note 4. 95 ont donné lieu à différents actes de violence sur les populations civiles, dont des pillages, des violences sexuelles, des tortures, des meurtres, des viols606. Au regard des développements de ce chapitre, il apparaît que le Soudan du Sud a historiquement été marqué, d’une part, par des violences structurelles caractérisées par des politiques de domination culturelle et religieuse, d’exploitations socio-économiques et de marginalisation régionale et, d’autre part, par une architecture normative pluraliste qui a émergé pendant la période coloniale et s’est développée durant la période postcoloniale. En raison de ce contexte, la question se pose de savoir, quel est le modèle de justice le plus efficace pour construire la paix durable dans le pays? Pour répondre à cette interrogation, nous proposons de recourir au cadre théorique de la justice transitionnelle pour analyser le pays. Toutefois, de sa conceptualisation à ce jour, la justice transitionnelle a connu des évolutions significatives au regard des limites inhérentes à ces mécanismes. Ces développements ont conduit la discipline à rechercher, dans les sociétés post-conflictuelles, les outils conceptuels adéquats qui facilitent la “transformation” des structures qui ont rendu possibles les violences. C’est dans cette optique que nous proposons dans le chapitre suivant d’adopter, aux fins de notre analyse, le cadre théorique dénommé “approche transformative de la justice transitionnelle”. 606 United Nations Mission in South Sudan (UNMISS), Special Report: Attack on Bentiu, Unity State, 29 October 2014, disponible en ligne sur <https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/UNMISS%20HRD%20%20Attack%20on%20Bentiu%20October%202014.pdf>, visité le 8 novembre 2018 ; South Sudan Human Rights Commission (SSHRC), Interim Report on South Sudan Internal Conflict: December 15, 2013 – March 15, 2014, disponible en ligne sur <https://www.sudantribune.com/IMG/pdf/rreport_on_conflicts_in_south_sudan.pdf> à la p 2, consulté le 7 novembre 2018. A Human Rights Report, supra note 273. 96 Chapitre II. – Le cadre théorique : l’“approche transformative de la justice transitionnelle” 97 Introduction du chapitre II La justice transitionnelle est un cadre théorique et pratique à travers lequel les États qui sortent de conflits violents ou d’un régime autoritaire, cherchent à répondre à leurs héritages de violations graves des droits de la personne. Depuis sa conception à ce jour, elle a fait l’objet d’évolutions importantes. L’objectif de ce chapitre est, tout d’abord, de présenter l’émergence de la discipline, ses principaux mécanismes et leurs limites dans la résolution des défis qui se posent aux sociétés post-conflictuelles. Ensuite, le chapitre soutient qu’au regard des limites de la discipline, une “approche transformative de la justice transitionnelle” possèderait les outils conceptuels adéquats pour mieux répondre aux violences structurelles historiques qui sont à la racine des conflits au Soudan du Sud. Dès lors, les développements de ce chapitre chercheront à répondre aux questions suivantes : quel est le contenu de cette approche de la justice transitionnelle? À quoi fait référence l’élément transformatif dans cette conception de la justice transitionnelle? Pour répondre à ces questionnements, nous choisissons de subdiviser ce chapitre en deux sections. Dans la première, nous présenterons, tout d’abord, l’évolution et les limites de la justice transitionnelle depuis sa conception à ce jour, en soulignant les facteurs qui justifient la nouvelle conceptualisation qui s’opère au sein de la discipline (Section I). Ensuite, dans la deuxième section, nos développements consisteront en la présentation des éléments structurant de l’“approche transformative de la justice transitionnelle”. Nous soulignerons en quoi cette approche répond aux lacunes constatées ces dernières années dans la mise en œuvre de la justice transitionnelle, et pourquoi elle nous semble être le modèle de justice transitionnelle le plus efficace pour traiter les violences du contexte particulier du Soudan du Sud (Section II). Section I. – La justice transitionnelle : conception, évolution et limites La justice transitionnelle est apparue vers la fin des années 1980 lors des transitions démocratiques dénommée de la “troisième vague” dans les pays de l’Europe de l’Est, de l’Amérique latine et d’Afrique607. Contrairement aux affrontements armés des trois 607 Voir Samuel P. Huntington, The Third Wave : Democratization in the Late Twentieth Century, Norman, London, University of Oklahoma Press, 1991; Fionnuala Ní Aoláin et Colm Campbell, « The Paradox of Transition in Conflicted Democracies », (2005) 27:1 Human Rights Quarterly 172 ; Paige Arthur, « How “Transitions” Reshaped 98 derniers siècles qui étaient pour la plupart inter-étatiques, la majorité des conflits armés de la période consécutive à la fin de la Guerre Froide et depuis se caractérisent par leur nature intra-étatique et civile608. Les diverses causes qui expliquent ces violences sont notamment l’ethnicité, la religion, les inégalités sociales, l’exploitation des ressources naturelles ou la volonté d’un changement de régime politique 609. Ces conflits internes se manifestent couramment par des guerres de proximité et opposent très souvent différents groupes ou communautés voisines qui vont devoir réapprendre à vivre ensemble une fois les crises terminées. Du coup, ces situations obligent à repenser l’idée de la justice à mettre en œuvre après les conflits. Le modèle rétributif de justice pénale mis en œuvre par exemple à Nuremberg et à Tokyo n’apparaissant pas comme étant à lui seul capable de répondre efficacement aux défis multiples qui se posent à ces contextes nouveaux. C’est ainsi que les années 1990 se présentent véritablement comme les “années de formation” de la justice transitionnelle 610. Elle est conceptualisée pour la toute première fois par Ruti G. Teitel en 1991 pour décrire les transformations politiques qui ont cours dans les États en transition vers la démocratie 611. Mais c’est sans doute l’ouvrage collectif édité en 1995 en trois volumes par Neil J. Kritz intitulé, Transitional Justice : How Emerging Democracies Reckon with Former Regimes 612 qui contribue à l’expansion du concept de “justice transitionnelle”. Toutefois, d’un point de vue anachronique, l’idée qui sous-tend la justice transitionnelle, selon laquelle il est nécessaire aux communautés politiques de traiter les violences graves de leur passé pour que celles-ci ne se reproduisent plus, remonte à bien loin dans l’histoire 613. Human Rights : A Conceptual History of Transitional Justice », (2009) 31 Human Rights Quarterly 321; Bronwyn Anne Leebaw, « The Irreconcilable Goals of Transitional Justice », (2008) 30:1 Human Rights Quarterly 95. 608 Voir par exemple Muzaffer Ercan Yilmaz, « Intra-State Conflicts in the Post-Cold War Era », (2007) 24:4 International Journal on World Peace 11. 609 Voir par exemple James D. Fearon David D. Laitin, « Ethnicity, Insurgency, and Civil War », (2003) 97:1 American Political Science Review 75; David T. Mason, « Globalization, Democratization, and the Prospects for Civil War in the New Millennium », (2003) 5:4 International Studies Review 19; Bethany Lacina, « From Side Show to Centre Stage: Civil Conflict after the Cold War », (2004) 35:2 Security Dialogue 191. 610 Dustin N. Sharp, Rethinking Transitional Justice for the Twenty-First Century: Beyond the End of History, Cambridge University Press, 2018 à la p 27. 611 Lire les propos de l’auteure dans la note éditoriale de la revue International Journal of Transitional Justice de mars 2008, Ruti Teitel, « Editorial Note-Transitional Justice Globalized » (2008) 2 International Journal of Transitional Justice 1 à la p 1. 612 Neil J. Kritz, Transitional Justice: How Emerging Democracies Reckon with Former Regimes, Vol I, II et III, Washington DC, United States Institute of Peace Press, 1995. 613 Cette idée peut être située à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (voir par exemple Ruti G. Teitel, « Transitional Justice Genealogy », (2003) 16 Harvard Human Rights Law Journal 69, qui place l’origine de la discipline aux procès de Nuremberg); en Europe antique (voir par exemple John Elster, Closing the Books: Transitional Justice in Historical Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, qui fait remonter la pratique en 411 avant J.C., puis en 99 Dans les années 1990, la pratique a pris son essor avec la création par le Conseil de sécurité des Nations Unies de mécanismes juridiques ad hoc pour répondre aux violations graves du droit international humanitaire commises dans les conflits en exYougoslavie et au Rwanda, avec respectivement la création du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) en 1993614 et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1994 615. En 1998, bien que la Cour pénale internationale (CPI)616 ait été initialement envisagée pour répondre à des conflits armés inter-étatiques, elle est finalement adoptée pour répondre également à l’impunité des crimes dans des conflits intra-étatiques et, ce faisant, elle est devenue directement associée au discours sur la justice transitionnelle617. Puis, la discipline est entrée dans une sorte de phase de latence avant de réapparaître au-devant de la scène internationale à la suite des révolutions populaires dites du “Printemps arabe” à partir de décembre 2010 618. Elle est aujourd’hui un sujet largement débattu dans les cénacles internationaux de réflexion sur la paix dans les sociétés conflictuelles et post-conflictuelles, mobilisant des politiciens, des intellectuels, des bailleurs de fonds, des ONG de protection des droits de la personne, pour réfléchir à des solutions appropriées de justice et de réparation dans ces contextes. Lorsque la justice transitionnelle émerge vers la fin de la Guerre Froide, elle apparaît dans un contexte international où les États qui traverssent des convulsions politiques sont perçus comme expérimentant des processus de démocratisation alors appréhendés comme un paradigme universel619. Dans ce contexte, la justice transitionnelle est conceptualisée comme un moyen pour assurer une transition des pays post-conflictuels ou sortant d’une dictature vers des démocraties de type libéral 404-403 avant J.C. à Athènes, lorsque la démocratie – entendue comme « le gouvernement du peuple » – fut renversée par une oligarchie – comprise comme « le gouvernement d’un petit nombre » – suivi de la défaite des oligarques et du rétablissement de la démocratie ; en Afrique antique, par exemple après la guerre entre le roi hittite Mouwattali II (environ 1290-1272 avant J.C.) et l’Empire égyptien du Pharaon Ramsès II (1279-1213 avant J.C.), lors de laquelle les deux empires s’affrontèrent à Kadesh dans un conflit considéré comme le plus important de l’Antiquité et qui se termina par la signature d’un traité de paix (voir Christian Jacq, Ramsès : la Bataille de Kadesh, Paris, Robert Laffont, 1996; Schafik Allam, « Le Traité Égypto-hittite de paix et d’alliance entre les rois Ramsès II et Khattouchili III (d’après l’inscription hiéroglyphique au temple de Karnak) », (2011) 4 Journal of Egyptian History 1). 614 Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, résolution du Conseil de sécurité 827 du 25 mai 1993, UN Doc. S/RES/827 (1993) [Statut du TPIY]. 615 Statut du TPIR, supra note 592. 616 Statut de la CPI, supra note 13. 617 Christine Bell, « Transitional Justice, Interdisciplinary and the State of the "Field" or "Non-Field" », (2009) 3: 1 International Journal of Transitional Justice 5 à la p 8. 618 Pour une analyse du Printemps arabe, voir supra les auteurs de la note 10. 619 Thomas Carothers, « The End of the Transition Paradigm », (2002) 13:1 Journal of Democracy 5 à la p 6. 100 occidental620. Ce fondement normatif qui lui est originellement associé contribue à façonner le type de justice qui est produit par ses principaux mécanismes621 qui sont les poursuites pénales, les dispositifs de recherche de la vérité, d’octroi de réparation et de mise en œuvre de réformes institutionnelles (guaranties de non-répétition)622. La justice transitionnelle se présente ainsi comme « inherently short-term, legalistic and corrective »623. Ce trait caractéristique se manifeste par le réductionisme dont fait montre la discipline en se focalisant sur les violences physiques, et plus spécifiquement, sur les violations des droits civils et politiques, tout en marginalisant les droits économiques, sociaux et culturels624. L’objectif visé par la punition des auteurs des crimes est de rendre “justice” aux victimes, lutter contre l’impunité, réaffirmer les valeurs sociétales, favoriser la réconciliation et dissuader la perpétration de crimes futurs 625. Le besoin de connaître la “vérité” sur les crimes perpétrés conduit à l’adoption des toutes premières Commissions de vérité et de réconciliation (CVR) en Amérique latine. Ces mécanismes se définissent comme des « bodies set up to investigate a past history of violations of human rights in a particular country – which can include violations by the military or other government forces or by armed opposition forces »626. Ils visent à intégrer le désir de vérité, de réparation et de réconciliation dans la conception de la justice pour parvenir à la paix sociale. Adoptées initialement en Argentine, les CVR sont par la suite utilisées notamment au Salvador 627, en Uruguay, en Bolivie, au Zimbabwe, en Ouganda, en tant que forum de catharsis collective des victimes des conflits 628. 620 Paige Arthur, supra note 607 aux pp 325-326. Voir aussi Dustin N. Sharp, « Addressing Dilemmas of the Global and the Local in Transitional Justice », (2014) 29 Emory International Law Review 71 à la p 78. 621 Dustin N. Sharp, « Interrogating the Peripheries: The Preoccupations of Fourth Generation Transitional Justice », (2013) 26 Harvard Human Rights Journal 149 à la p 149. 622 Clara Sandoval Villalba, Transitional Justice: Key Concepts, Processes and Challenges, Essex, Institute for Democraty & Conflict Resolution, 2011 aux pp 3-10; United Nations, « Guidance Note of the Secretary-General: United Nations Approaches to Transitional Justice », 2010, disponible en ligne sur <https://www.un.org/ruleoflaw/files/TJ_Guidance_Note_March_2010FINAL.pdf>, [Guidance Note of the SecretaryGeneral] consulté le 23 juin 2017; Pablo De Greiff, « Articulating the Links between Transitional Justice and Development: Justice and Social Integration », dans Pablo de Greiff et Roger Duthie, (éds), Transitional Justice and Development: Making Connections, New York, Social Science Research Council, 2009 aux pp 56-57. 623 Lars Waldorf, « Anticipating the Past: Transitional Justice and Socio-Economic Wrongs », (2012) 21:2 Social and Legal Studies 171 à la p 179. 624 Voir Dustin N. Sharp, « Addressing Economic Violence in Times of Transition: Toward a Positive-Peace Paradigm for Transitional Justice », (2012) 35 Fordham International Law Journal 780; Paige Arthur, supra note 607 à la p 326. 625 Dáire McGill, « Different Violence, Different Justice? Taking Structural Violence Seriously in Post-Conflict and Transitional Justice Process », (2017) 6:1 State Crime 79 à la p 83; Padraig MacAuliffe, « Transitional Justice and the Rule of Law: The Perfect Couple or Awkward Bedfellows? », (2010) 2:2 Hague Journal on the Rule of Law 127. 626 Priscilla B. Hayner, « Fifteen Truth Commissions - 1974 to 1994: A Comparative Study », (1994) 16:4 Human Rights Quarterly 597 à la p 600. 627 Thomas Buergenthal, « The United Nations Truth Commission for El Salvador », (1994) 27 Vanderbilt Journal of 101 Toutefois, contrairement aux poursuites pénales de Nuremberg et de Tokyo au cours desquelles les alliés victorieux de la guerre ont pu imposer une justice pénale, la période post-Guerre Froide se caractérise généralement par l'absence, à proprement parler, de vainqueurs et de vaincus, entrainant des contingences politiques qui rendent les poursuites pénales difficiles et justifient le recours aux lois d'amnistie 629. Alors qu’historiquement, ces mesures d’exemption de peines étaient conçues en Amérique latine comme de véritables symboles de liberté individuelle mobilisant les masses en faveur des prisonniers politiques 630, elles sont utilisées par des dictateurs comme outils d'autoprotection631. Des régimes répressifs en Amérique latine, en particulier, font du pardon ou de l'amnistie, la condition de leur abandon du pouvoir632. Devant cette transformation de l’amnistie en une sorte de “prime à l’impunité”, des groupes de victimes s’organisent pour réclamer justice. C’est le cas par exemple, dans les années 1980, du mouvement des Mères de la place de Mai et de la Fédération latino-américaine des associations de familles de détenus-disparus (FEDEFAM)633. Dans ces contextes où la mise en œuvre d’une justice pénale punitive à la Nuremberg revêtait un caractère hautement déstabilisant, il se met en place des marchandages entre les membres de l’élite civile et militaire pour des transitions négociées. Dans d’autres contextes, l’état du droit ne se prêtait pas à des procès équitables. La mise en œuvre d’une justice pénale soulevait d’épineuses questions juridiques (dont par exemple le principe Nullem crimen sine lege nulla poena sine lege) en raison de l’inexistence d’un droit incriminant les actes commis ou à cause de la présence d’un droit légalisant les violences passées 634. En Uruguay par exemple, les poursuites posaient d’épineuses questions juridiques car le régime militaire Transitional Law 497. 628 Voir Priscilla B. Hayner, supra note 626. 629 Sandrine Lefranc, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », (2008) 56 Droit et Cultures 129, mis en ligne le 09 février 2009, disponible en ligne sur <http://droitcultures.revues.org/335> à la p 3 consulté le 05 avril 2017. 630 Sur ce point, on peut citer, dans les années 70, les Comités pour l’amnistie au Brésil, le Secrétariat international des juristes pour l’amnistie en Uruguay (SIJAU) et le Secrétariat pour l’amnistie et la démocratie au Paraguay (SIJADEP). 631 Ruffin Viclère Mabiala, La Justice dans les pays en situation de Post-conflit : la justice transitionnelle, Paris, l'Harmattan, 2009 à la p 99. 632 Alexander Laban Hinton, Transitional Justice: Global Mechanism and Local Realities after Genocide and Mass Violence, New Brunswick, New Jersey, London, Rutgers university Press, 2010 à la p 3. 633 Rapport de l’experte indépendante chargée de mettre à jour l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité, Diane Orentlicher, supra note 14 à la p 3. 634 Ce fut le cas par exemple en Afrique du Sud sous le régime appliquant la politique de l'Apartheid. Lire sur ce point, Alex Boraine, « Truth and Reconciliation in South Africa: The Third Way », dans Robert I. Rotberg et Dennis Thompson (éd.), Truth v. Justice, Princetone, Princetone University Press, 2000 aux pp 141-157. 102 avait légalisé certains de ses actes de répression 635. Dans ces situations, les acteurs politiques ont le plus souvent mis au-devant de la scène nationale et internationale la dichotomie de la justice et de la paix, forçant ce faisant des prises de position en faveur d’une realpolitik de la paix636. En outre, au moment de l’avènement des premiers régimes démocratiques, certains crimes comme les “disparitions forcées” ne correspondaient généralement à aucune qualification juridique dans les différents codes pénaux des pays de l’Amérique latine637. De ce fait, au lieu de privilégier une approche essentiellement punitive de la justice, la justice transitionnelle post-Guerre Froide a plutôt adopté une conception élargie de la justice. Se trouvant face à des dilemmes moraux, juridiques et politiques sur la réponse à apporter aux crimes en ces périodes délicates de flux politique638, la justice transitionnelle s’est généralement caractérisée par des “compromis politiques” afin de favoriser la construction de la nation639. Même si c’est en Amérique latine où les premières CVR ont d'abord été largement mises en œuvre, c’est surtout la Truth and Reconciliation Commission (TRC) de l'Afrique du Sud qui contribue à la promotion de ce dispositif devenu l’emblème de la justice transitionnelle. Adoptée en 1991 pour faire la lumière sur les crimes commis durant le régime d'apartheid (entre 1960 et 1994), la TRC avait pour missions : de faire la vérité sur les crimes, d'octroyer des réparations aux victimes des violations graves des droits de la personne et d'accorder une amnistie conditionnelle aux responsables de crimes politiques qui accepteraient d’en faire l’aveu640. En tant que lieu d’échange entre bourreaux et victimes, la TRC sud-africaine se présentait comme un forum d’application de la démocratie libérale641. Elle incarnait aussi un nouveau modèle de justice fondée sur 635 Sandrine Lefranc, supra note 629 à la p 5. Cherif M. Bassiouni (éd.), Post-Conflict Justice, Ardsley, New York, Transnational Publishers, 2002 aux pp xv-xvi. 637 Sandrine Lefranc, supra note 629 à la p 5. Toutefois, ces crimes étaient qualifiés en droit international. Voir notamment la résolution 666 (XIII-0/83) « Annual Report of the Inter-American Commission on Human Righs », 18 novembre 1983, dans Rapport annuel de la Commission interaméricaine, OEA/Ser.L/V/II.63, 24 septembre 1984. Cette qualification fut reprise dans la plupart des instruments internationaux relatifs aux disparitions forcées. Consulter sur ce point, la Déclaration de l'A.G.N.U. pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, résolution 47/133 (1992) ; la résolution 666 (XIII-0/83) de l’Assemblée générale de l’OEA ; le Projet des crimes de la C.D.I. de 1996 adopté par l'A.G.N.U. en 1996 sans modifications en tant que "Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité" des Nations Unies, Annuaire de la Commission du droit international, 1996, vol. II (deuxième partie). Voir aussi, le Rapport du Comité ad hoc sur l'établissement d'une Cour pénale internationale, 50è Sess., U.N. GAOR, 50th Sess., Supp. No. 22, U.N. Doc. A/50/22 (1995) Article 3 au para 1. 638 Chandra Lekha Sriram, « Justice as Peace? Liberal Peacebuilding and Strategies of Transitional Justice », (2007) 21:4 Global Society 579 aux pp 582-583. 639 Ruti G. Teitel, supra note 613 à la p 71. 640 Martha Minow, Between Vengeance and Forgiveness, Boston, Beacon Press, 1998 à la p 53. 641 Stéphane Leman-Langlois, « La vérité réparatrice dans la commission de vérité et de réconciliation d'Afrique du sud 636 103 la reconnaissance des souffrances endurées par les victimes 642. Toutefois, à la suite des travaux de la TRC, même si les idées de pardon et de réconciliation ont fortement imprégné la vie des citoyens, l’institution a largement été incapable d’apporter des réponses adéquates aux inégalités sociales et économiques profondes qui structurent la société sud-africaine643. Après les années d’expérience de la justice transitionnelle dans des contextes divers, il est de constat que sa “boîte à outils”, principalement répartie en mécanismes de justice rétributive et de justice restauratrice, n’arrive pas généralement à répondre efficacement à la complexité des besoins de justice et de réconciliation qui caractérise les sociétés qui sortent d’un épisode de conflits violents ou de crimes de masses 644. Au fait, ce qui est mis en cause, ce n’est pas l’importance du droit codifié comme instrument de justice et de réaffirmation des valeurs sociétales lors des processus de transition politique645, mais c’est surtout, son incapacité à résoudre les causes profondes très souvent structurelles qui expliquent en grande partie les conflits 646. À cet effet, Mark Drumbl souligne, à l’instar d’autres auteurs 647, l’inefficacité des mécanismes notamment rétributifs de la justice transitionnelle à contribuer efficacement dans les contextes de crimes de masse à la réconciliation des parties opposées 648. Le modèle de la justice rétributive ferait preuve d’une grande simplification des sociétés post-conflictuelles, en ne tenant pas significativement compte de la complexité des facteurs culturels, politiques et socio-économiques souvent en jeu dans les violences 649. Dans ce sens, Rama Mani soutient que la justice transitionnelle perdra de sa crédibilité dans les sociétés post- », (2006) Les cahiers de la justice no 1 209 à la p 211. 642 Sur la reconnaissance comme forme de justice, voire par exemple Nancy Fraser, Justice Interruptus : Critical Reflections on the “Postsocialist” Condition, New York, Routledge, 1997 aux pp 11-39. 643 Voir par exemple Lætitia Bucaille, « Vérité et réconciliation en Afrique du Sud : une mutation politique et sociale », (2007) 2 Politique étrangère 313. 644 Wendy Lambourne, « Transformative Justice, Reconciliation and Peacebuilding », (2009) 3 International Journal of Transitional Justice 28, reproduit dans Susanne Buckley-Zistel et al., Transitional Justice Theories, Routledge, New York, 2014 à la p 20. 645 Kieran McEvoy, supra note 12 à la p 413. 646 Padraig McAuliffe, « Structural Causes of Conflict and the Superficiality of Transition », dans Claudio Corradetti, Nir Eisikovits et Jack Volpe Rotondi (éds.), Theorizing Transitional Justice, Farnham, Ashgate, 2015 à p 93 et s. 647 Rama Mani, « Rebuilding an Inclusive Political Community After War », (2005) 36:4 Security Dialogue 511 aux pp 514-517 ; Kora Andrieu, La justice transitionnelle: de l’Afrique du Sud au Rwanda, Barcelone, Gallimard, Coll. Folio, 2012 aux pp 87-111 et aux pp 168-194; Martha Minow, supra note 640 aux pp 25-51. 648 Mark Drumbl, « Restorative Justice and Collective Responsibility: Lessons for and from the Rwanda Genocide », (2002) 5:1 Contemporary Justice Review 5 à la p 16. 649 Dustin N. Sharp, « Introduction: Addressing Economic Violence in Time of Transition », dans Dustin N. Sharp (éd.), Justice and Economic Violence in Transition, New York, Springer Series in Transitional Justice, 2014 à la p 3. 104 conflictuelles marquées par la pauvreté, si les praticiens du domaine ne prennent pas en compte les questions d’injustice sociale, d’inégalité économique, de marginalisation, de discrimination, de corruption et d’exploitation illégale/abusive des ressources minières et naturelles 650. En outre, en procédant à une individualisation des responsabilités, la justice pénale rétributive ignore habituellement la complexité étiologique des sociétés qui ont vécu des crimes de masse et les responsabilités souvent collectives sous-jacentes 651. En ce qui concerne les mécanismes non judiciaires représentés principalement par les CVR, alors qu’elles sont censées constituer des lieux de participation directe des communautés locales victimes des conflits, ces dernières sont parfois exclues de ces mécanismes 652. Quant à la vérité, non seulement ces dispositifs échouent généralement à la révéler entièrement et à conduire à une véritable réconciliation comme par exemple en Afrique du Sud653, dans certains contextes de crimes de masse, sa recherche est simplement abandonnée pour ne pas raviver les douleurs du passé, comme ce fut le cas par exemple au Maroc et au Mozambique 654. Si dans certains cas, les CVR sont parvenues à impulser une certaine réconciliation, elles sont critiquées du fait qu’elles partagent plusieurs aspects des procédures juridiques des procès pénaux : témoignage, collecte des preuves, principe du contradictoire 655. Qui plus est, il a été aussi démontré que les CVR ont fréquemment échoué à mener des investigations approfondies sur les causes économiques des violences et à expliquer les violences structurelles à la racine des conflits 656. Une des raisons de cet échec est que les CVR ont tendance à concevoir leur mandat de façon restrictive en se limitant aux seules violations des droits civils et politiques657. Matthew Mullen souligne ce point lorsqu’il affirme que les CVR sont 650 Rama Mani, « Editorial: Dilemmas of Expanding Transitional Justice, or Forging the Nexus Between Transitional Justice and Development », (2008) 2 International Journal of Transitional Justice 253 aux pp 253-264, cité par Lars Waldorf, supra note 623 à la p 172. 651 Mark Drumbl, « Sclerosis Retributive Justice and the Rwandan Genocide », (2000) 2:3 Punishment & Society 287 à la p 295. 652 Rama Mani, supra note 647. 653 Lœticia Bucaille, « La Commission Vérité et Réconciliation : vers une nouvelle Afrique du Sud ? », (2012) 4:88 Revue International Stratégique 91. 654 Voir sur ce point Priscilla B. Hayner, « International Guidelines for the Creation and Operation of Truth Commission: A Preliminary Proposal » (1996) 59 Law & Contemporary Problems 173 aux pp 176-178. 655 Krista K. Thomason, « Transitional Justice as Structural Justice », dans Claudio Corradetti, Nir Eisikovits et Jack Volpe Rotondi (éds.), supra note 646 à la p 72. 656 Zinaida Miller, « Effects of invisibility: In Search of the ‘Economic’ in Transitional Justice », (2008) 2 International Journal of Transitional Justice 266 aux pp 276-278. Ismael Muvingi, « Sitting on Powder Kegs: Socioeconomic Rights in Transitional Societies », (2009) 3:2 The International Journal of Transitional Justice 163. 657 Lisa J. Laplante, « Transitional Justice and Peace Building: Diagnosing and Addressing the Socioeconomic Roots of Violence throught a Human Rights Framework », (2008) 2 International Journal of Transitional Justice 331 à la p 335. 105 incapables de résoudre les violences structurelles compte tenu de leur concentration principalement sur les individus, les actions et les politiques658. De plus, dans bien de contextes, les populations considèrent que les mécanismes de justice transitionnelle mis en œuvre ne leur appartiennent pas, puisqu’ils sont administrés par des spécialistes nationaux et internationaux dans un langage technique qui ne leur est pas accessible 659. Pour toutes ces raisons, les CVR ont très souvent du mal à apporter des transformations importantes dans les sociétés post-conflictuelles et à y impulser une véritable réconciliation. En raison de l’incapacité de la justice transitionnelle à fournir une justice effective, une vérité qui libère réellement les victimes, des mesures de réparations et de réformes institutionnelles adéquates, et une réconciliation véritable des populations divisées dans les sociétés post-conflictuelles, la pratique a commencé à connaître, au début du XXIe siècle, des turbulences au niveau de ses principes, concepts et objectifs cardinaux. La discipline se caractérise par ce que Jacques Darrida appelle une “instabilité sémantique”660. En effet, elle est marquée, d'une part, par son expansion verticale, c'est-àdire, la multiplication des acteurs qui interviennent dans le domaine, et des secteurs dans lesquels elle est déployée, et d'autre part, son expansion horizontale, consistant en son extension au-delà des situations originelles de transitions paradigmatiques, c’est-à-dire, des flux politiques d’une dictature vers la démocratie ou du passage d’un conflit violent vers la paix (négative) 661. Dans cette veine, Naomi Roth-Arriaza soutient que le concept de la justice transitionnelle est devenu a « “bit slippery” », puisqu’on ne peut plus déterminer avec certitude la finalité poursuivie par la transition 662. Elle intègre désormais 658 Matthew Mullen, « Reassessing the Focus of Transitional Justice: The Need to Move Structural and Cultural Violence to the Centre », (2015) 28:3 Cambridge Review of International Affairs 462 à la p 469. 659 Voir par exemple, Timothy Longman, Phuong Pham et Harvey M. Weinstein, « Connecting Justice to Human Experience: Attitudes Toward Accountability and Reconciliation in Rwanda », dans Eric Stover et Harvey M. Weinstein (éds.), My Neighbor, My Enemy: Justice and Community in the Aftermath of Mass Atrocity, Cambridge, Cambridge University Press, 2004; John Hagan et Sanja Kutnjak Ivkovic, « War Crimes, Democracy, and the Rule of Law in Belgrade, the Former Yugoslavia and Beyond », (2006) 605 Annals of the American Academy of Political and Social Science 130; Jose E. Alvarez, « Crimes of State/Crimes of Hate: Lessons from Rwanda », (1999) 24 Yale Journal of International Law 365. 660 L’expression originelle de l’auteur est, « semantic instability ». Voir Jacques Darrida, « Autoimmunity : Real and Symbolic Suicides » dans Giovanna Borradori (éd.), Philiosophy in a time of terror: Dialogues with Jürgen Habermas and Jacques Darrida, Chicago, London, University of Chicago Press, 2003 à la p 105, cité par Catherine Turner, « Deconstructing Transitional Justice », (2013) 24 Law Critique 193 à la p 203. 661 Stephen Winter, « Towards a Unified Theory of Transitional Justice », (2013) International Journal of Transitional Justice 224 à la p 227. 662 Naomi Roth-Arriaza, « The New Landscape of Transitional Justice », dans Naomi Roth-Arriaza et Javier Mariezcurrena (éds.), Transitional Justice in the Twenty-First Century: Beyond Truth versus Justice, Cambridge, New 106 des situations de transition non-démocratiques, des transitions d'un conflit violent vers la paix, des contextes dans lesquels il n'y a point de transition politique 663, des situations qui pourraient être qualifiées d’“injustice transitionnelle”664, ou encore des contextes dans lesquelles il serait simplement question de revendications socio-économiques en lien, ce faisant, avec le développement665. Dans l’objectif de remédier aux lacunes de la justice transitionnelle dont notamment sa marginalisation des questions socioéconomiques et de favoriser une paix durable, des auteurs ont adopté des approches dites holistiques pour analyser les sociétés post-conflictuelles. Celles-ci soutiennent l’idée d’une conception large de la justice comprenant une justice à la fois rétrospective, c'est-à-dire, visant à réparer les torts du passé, et prospective, c’est-à-dire, consistant à construire un environnement de paix durable666. Pour ce faire, ces approches adoptent généralement des mesures à la fois punitives, restauratrices, socio-économiques, distributives et politiques en faveur des victimes au sens large des conflits667. Laurel E. Fletcher et Harvey M. Weinstein ont dans ce sens élaboré un “modèle écologique” qui vise à examiner les situations conflictuelles pour mieux identifier des solutions appropriées pour la réparation sociale 668. Par ailleurs, d’autres auteurs ont élaboré une nouvelle conception de la justice transitionnelle en l’inscrivant dans le cadre plus global des processus de consolidation de la paix 669 qui est défini par les Nations Unies comme un ensemble de programmes et de dispositifs qui affecte la politique, le développement, l’aide humanitaire et les droits de l’homme, et qui vise à empêcher le commencement, le retour ou la poursuite des conflits armés 670. York, Cambridge University Press, 2006 à la p 1. 663 Thomas Obel Hansen, « The vertical and horizontal expansion of transitional justice », dans Susanne Buckley-Zistel et al., supra note 644 aux pp 105-106. 664 Cyanne Loyle et Christian Davenport, « Transitional Injustice: Subverting Justice in Transition and Postconflict Societies », (2016) 15 Journal of Human Rights 126. 665 Roger Duthie, « Toward a Development-sensitive Approach to Transitional Justice », (2008) 2 International Journal of Transitional Justice 292. Voir par exemple, le cas des revendications contre la corruption durant les révolutions du Printemps arabe, Kora Andrieu, « Dealing with a “New” Grievance: Should Anticorruption Be Part of the Transitional Justice Agenda », (2012) 11 Journal of Human Rights 537; Pablo de Greiff et Roger Duthie, (éds), supra note 622. 666 Jeremy Webber, « Forms of Transitional Justice », dans Melissa S. Williams, Nagy Rosemary, et John Elster, Transitional Justice, New York, London, New York University Press, 2014. 667 Wendy Lambourne, supra note 644 aux pp 19-39. 668 Laurel E. Fletcher et Harvey M. Weinstein, « Violence and Social Repair: Rethinking the Contribution of Justice to Reconciliation », (2002) 24 Human Rights Quarterly 573. Voir aussi Eric Stover et Harvey M. Weinstein, (éds), supra note 659. 669 Voir par exemple Lisa J. Laplante, supra note 657; Chandra Lekha Sriram et al., (éds), supra note 25. 670 Conseil de sécurité des Nations Unies, « Déclaration du Président du Conseil de sécurité », S/PRST/2001/5, 20 février 2001 à la p 1. 107 Pourtant du fait de l’enracinement des deux disciplines dans les valeurs idéologicoinstitutionnelles du libéralisme politique, elles partagent les mêmes critiques qui sont généralement leur administration par le haut (“top down”), leur stato-centrisme et leur marginalisation des normes, priorités et agencéités locales671. Ce qui a conduit des analystes à porter leurs réflexions sur le rôle que les pratiques, les valeurs et les normes des communautés locales peut jouer dans les processus de justice transitionnelle afin de favoriser la paix durable672. Toutefois, la volonté d'expansion continue de la justice transitionnelle pour prendre en compte des problématiques nouvelles inquiète des auteurs. Frédéric Mégret, par exemple, considère la “justice transitionnelle” comme une “expression attrapetout”673. Abondant dans le même sens, Naomi Roht-Arriaza met en garde en soulignant qu’« élargir le domaine de ce que nous entendons par justice transitionnelle pour la construction d’une société juste et paisible, peut requérir tellement d’efforts que la discipline devient sans valeur analytique » 674. James McAdams, de son côté, soutient que le problème de la justice transitionnelle est que plusieurs auteurs l’appréhendent comme “objectif” alors qu’elle devrait plutôt être conceptualisée comme un “processus”. Cette dernière conception permettrait ainsi d’éviter les déceptions liées à la pratique de la discipline, en considérant que bien que les résultats escomptés soient incertains, les efforts réalisés dans le traitement du passé révêtent en eux-mêmes une importance capitale675. Dans ce contexte de tension au sein de la discipline, Christine Bell observe que la justice transitionnelle a atteint un “moment paradoxal” en tant que champ d'étude et qu’elle doit impérativement définir clairement ses frontières676. D’autres auteurs ont tenté de remplacer l’expression “justice transitionnelle” par celle de “justice postconflictuelle”, mais ils n'ont pas été suivis par la majorité des analystes 677. Si une telle réticence peut s'expliquer par la souplesse du concept à s’adapter aux contingences 671 Voir notamment Dustin N. Sharp, « Beyond the Post-Conflict Checklist: Linking Peacebuilding and Transitional Justice Through the Lens of Critique », (2013) 14 Chicago Journal of international Law 165. 672 Voir notamment les auteurs mentionnés en supra note 22. 673 L’auteur parle de « catch-all expression of “transitional Justice” ». Voir Frédéric Mégret, « The Politics of International Criminal Justice », (2002) 13 European Journal of International Law 1261 à la p 1262. 674 Naomi Roht-Arriaza, supra note 659 à la p 2, [notre traduction]. 675 A. James McAdams, « Transitional Justice: The Issue that Won’t Go Away », (2011) 5 The International Journal of Transitional Justice 304 à la p 312. 676 Christine Bell, supra note 614 à la p 13. 677 Voir par exemple, Cherif M. Bassiouni, « Introduction », dans Cherif M. Bassiouni (éd.), supra note 633 aux pp xvxx. 108 locales et internationales des sociétés post-conflictuelles, les limites manifestées ces dernières années dans la discipline ont posé la nécessité de nouvelles analyses pour qu’elle puisse répondre efficacement aux causes profondes des conflits et assurer une paix durable. À cet effet, récemment, des auteurs ont poussé davantage la réflexion en mettant en relation le concept de “justice transitionnelle” avec celui de “justice transformative”. En nous inscrivant dans la suite de leurs études, nous allons procéder à l’élaboration d’une théorie que nous considérons plus adéquate à analyser les crimes graves qui ont été commis dans les conflits au Soudan du Sud. Cette théorie prendra en compte la complexité des causes des conflits, la diversité des acteurs et des foyers normatifs en présence dans le pays. En sciences sociales, on entend par théorie, des « conceptions logiquement reliées entre elles, et d’une portée non pas universelle mais volontairement limitée [...] qui partent d’un maître-schéma conceptuel d’où l’on espère tirer un grand nombre de régularités du comportement social accessibles à l’observateur » 678. Une théorie n’a donc pas la prétention à expliquer tous les phénomènes sociaux. Elle vise simplement à mettre en lumière certains aspects de la réalité sociale. Pablo de Greiff souligne qu’une théorie éclaire sur la légitimité ou non des connaissances que la politique et l’histoire semblent nous imposer679. Ainsi, nos développements porteront sur l’“approche transformative de la justice transitionnelle” avec de nouveaux outils conceptuels pour qu’elle puisse répondre aux limites rencontrées par la justice transitionnelle dans le passé. La section suivante s’attachera à définir les éléments structurant de cette approche. Section II. – L’“approche transformative de la justice transitionnelle” Au regard des limites constatées ces dernières années dans la discipline de la justice transitionnelle, des analystes ont proposé qu’elle soit reconceptualisée pour mieux répondre aux défis qui se posent aux sociétés qui sortent de conflits violents. Le cadre théorique que nous proposons pour notre étude sur le Soudan du Sud dénommée “approche transformative de la justice transitionnelle” répond à ce besoin et se structure 678 Robert K. Merton, Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Armand Colin, 1997 aux pp 9-10. Pablo de Greiff, « Theorizing Transitional Justice », dans Melissa S. Williams, Nagy Rosemary et John Elster, supra note 663 à la p 61. 679 109 en trois volets. Dans un premier temps, elle met en relation la notion de “justice transformative” avec celle de la “justice transitionnelle” (1). Ensuite, elle soutient que les acteurs et les parties prenantes au processus de justice transitionnelle doivent s’engager pleinement dans le fonctionnement des mécanismes adoptés en se soumettant aux principes et règles que ces derniers véhiculent. Autrement dit, il faudrait qu’ils considèrent ces dispositifs comme étant légitimes. Dans cette optique, nous procéderons à une conceptualisation de la légitimité des institutions et des normes en période transitionnelle et transformationnelle (2). En outre, l’approche affirmera que la réalisation d’une telle légitimité au Soudan du Sud requiert le recours à la théorie du pluralisme juridique qui caractérise l’architecture normative du pays. Nous présenterons les avantages de cette théorie dans la mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” (3). 1.– La justice transformative et ses rapports avec la justice transitionnelle La justice transformative est à l’origine apparue dans les études sur la justice restauratrice alors appréhendée comme alternative à la justice pénale classique en matière de violences interpersonnelles reposant sur la masculinité ou sur des structures masculinistes 680. Elle est à ce titre étroitement liée au concept de “transformation de conflit” défini par John Paul Lederach comme « […] creating constructive change processes that reduce violence, increase justice in direct interaction and social structures, and respond to real-life problems in human relationships »681. Transposée dans le domaine des études postconflictuelles dans les États, la justice transformative est conceptualisée comme cherchant à dépasser la justice transitionnelle en élargissant les mesures habituellement mobilisées pour rendre justice à la sortie d’un conflit armé violent682. Comme le Jelke Boesten et Polly Wilding, « Transformative Gender Justice: Setting an Agenda », (2015) 51 Women’s Studies International Forum 75 à la p 77. Les auteurs citent John Braithwaite, « Restorative justice: Assessing optimistic and pessimistic accounts », (1999) 25 Crime and Justice 1; John Braithwaite et Kathleen Daly, « Masculinities, violence and communitarian control » dans Tim Newburn et E. A Stanko (eds.), Just boys doing business: Men, masculinity and crime, London, Routledge, 1994; Dona K. Coker, « Transformative justice: Anti-subordination process in cases of domestic violence » dans Heather Strang and John Braithwaite (éds.), Restorative justice and family violence, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 aux pp 128–152. 681 John Paul Lederach, « Conflict Transformation », dans Guy Burgess et Heidi Burgess (éd.), Beyond Intractability, Boulder, CO: Conflict Information Consortium, 2003 à la p 14. 682 Matthew Evans, « Structural Violence, Socioeconomic Rights, and Transformative Justice », (2016) 15 Journal of Human Rights 1 à la p 5. 680 110 soulignent Paul Gready et Simon Robins683, le concept est utilisé différemment par les auteurs comme ayant pour finalité, soit la consolidation de la paix 684, soit la réconciliation et la dissuasion685, soit la justice restauratrice686. C’est dire que l’objectif poursuivi par la justice transformative n’est pas une simple transition, mais d’utiliser tous les outils nécessaires pour parvenir à une transformation effective du contexte conflictuel. Dans cette perspective, Erin Daly soutient que bien que la “transition” et la “transformation” sont des termes très souvent utilisés de façon interchangeable687, il faudrait les distinguer688. Pour l’auteur: [t]ransition suggests movement from one thing to another – from oppression to liberation, from oligarchy to democracy, from lawlessness to due process, from injustice to justice. Transformation, however, suggests that the thing that is moving from one place to another is itself changing as it proceeds through the transition; it can be thought of as radical change689. C’est dire qu’alors que la “transition” viserait essentiellement une mobilité sociale d’un point à un autre, la “transformation” s’intéresserait à un changement profond de tout le corps social. La justice transformative va donc au-delà du traitement superficiel des symptômes des conflits pour s’attaquer aux causes profondes qui les sous-tendent. Elle procède d’une approche substantielle qui cherche à soigner à leurs racines les maux à l’origine des conflits, en cherchant notamment à répondre adéquatement aux violences structurelles pour contruire une paix durable. Dans ses études sur les conflits et la paix, Johan Galtung fait la distinction entre trois niveaux de violence : la violence directe, la violence structurelle et la violence culturelle. Selon l’auteur, la violence directe est un acte de violence commis par un acteur, elle est « évènementielle ». Elle porte atteinte à l’intégrité physique des personnes. La violence structurelle n’est pas perpétrée par un acteur mais résulte de la souffrance causée par les structures existantes, elle est un « processus », elle est « conjoncturelle ». Enfin, la violence culturelle se rapporte aux aspects symboliques d’une société qui justifient les violences structurelles ; elle se 683 Paul Gready et Simon Robins, « From Transitional to Transformative Justice: A New Agenda for Practice », (2014) 8 International Journal of Transitional Justice 339 à la p 350. 684 Voir Wendy Lambourne, supra note 644. Wendy Lambourne et Vivianna Rodriguez Carreon, « Engendering Transitional Justice: A Transformative Approach to Building Peace and Attaining Human Rights », (2015) 17:1 Human Rights Review 71. 685 Erin Daly, supra note 21. 686 Anna Eriksson, supra note 27. 687 Voir par exemple Ruti Teitel, supra note 11 aux pp 4-6. 688 Erin Daly, supra note 21 à la p 74. 689 Ibid. 111 caractérise par sa « permanence » 690. Pour Galtung, alors qu’on pourrait clairement retracer l’auteur d’une violence directe, il n’existerait pas directement une personne responsable des violences structurelles. Celles-ci sont enchâssées dans les structures sociales et se manifestent par des inégalités de pouvoirs et de chances dans la vie691. Les violences structurelles et les violences culturelles vont généralement de pair. C’est la combinaison des deux qui crée un environnement favorable à la déshumanisation et, plus tard, à la cruauté692. Pour Paul Farmer, la violence structurelle relève d’une “machinerie sociale de l’oppression” qui est constitutive d’une société et qui se manifeste par des inégalités sociales et de genre 693. Cette situation d’“injustice sociale” est décrite par la politologue Iris Marion Young à travers son concept d’“injustice structuelle”. Pour elle, les injustices structurelles apparaissent […] when social processes put large groups of persons under systematic threat of domination or deprivation of the means to develop and exercise their capacities, at the same time that these processes enable others to dominate or to have a wide range of opportunities for developing and exercising capacities available to them. Structural injustice is a kind of moral wrong distinct from the wrongful action of an individual agent or the repressive policies of the state. Structural injustice occurs as a consequence of many individuals and institutions acting to pursue their particular goals and interests, for the most part within the limits of accepted rules and norms694. Les injustices structurelles se manifestent donc dans la vie de tous les jours à travers des structures sociales et peuvent inclure la violence de groupes armés, la violence des trafiquants d’armes et de drogues, la prédation des ressources naturelles et minières, la violence politique et économique d’un groupe sur d’autres groupes sur la base de leur ethnicité, genre, religion ou condition sociale, les violences contre certaines personnes sur le fondement des normes coutumières, des valeurs et des pratiques locales. Par ailleurs, des études ont démontré des corrélations entre la violence publique et la violence privée 695, entre la violence politique et la violence domestique696. C’est dire donc qu’il existe 690 Johan Galtung, « Cultural Violence », (1990) 27:3 Journal of Peace Research 291. Johan Galtung, « Violence, Peace, and Peace Research », (1969) 6:3 Journal of Peace 167 aux pp 170-171. 692 Matthew Mullen, supra note 658 à la p 465. 693 Paul Farme, « An Anthropology of Structural Violence », (2004) 45:3 Current Anthropology 305 à la p 307. 694 Iris Marion Young, Responsibility for Justice, Oxford, Oxford University Press, 2011 à la p 52, cité par Krista K. Thomason, supra note 655 à la p 74. 695 Voir Polly Wilding, « 'New Violence': Silencing Women's Experiences in the "Favelas" of Brazil », (2010) 42:4 Journal of Latin American Studies 719; Mo Hume, « The Myths of Violence: Gender, Conflict, and Community in El Salvador », (2008) 35 Latin American Perspectives 59. 696 Jelke Boesten, « Analyzing Rape Regimes at the Interface of War and Peace in Peru », (2010) 4:1 The International Journal of Transitional Justice 110. 691 112 une relation de causalité entre les violences structurelles et les violences directes. Parmi les facteurs déclencheurs des conflits, nombre d’auteurs ont souligné le rôle déterminant des variables socio-économiques697. Ils ont soutenu que pour que la justice transitionnelle puisse garantir une paix durable, elle doit mettre au centre de ses préoccupations la recherche de solutions adéquates pour une justice redistributive effective dans les sociétés post-conflictuelles 698. Pourtant, les mécanismes de justice transitionnelle ne sont pas généralement outillés pour répondre aux injustices structurelles qui sont à l’origine des crimes de masse699 en raison de leur circonscription à des espaces temporels courts et leur focalisation sur la réparation des violences directes700. Quand ils traitent des questions économiques, ces mécanismes se préoccupent habituellement des mesures d’indemnisation et de restitution à adopter en faveur des victimes immédiates des violations701. Ils ne visent ainsi que ce que Galtung appelle la “paix négative”, c’est-àdire, l’absence de violence directe et personnelle. Pourtant, après des crimes de masse, pour s’assurer que les atrocités ne se reproduisent plus dans l’avenir, il faudrait surtout entreprendre la construction d’une “paix positive”, autrement dit, un environnement dans lequel les violences structurelles ou systémiques et les inégalités socio-économiques et politiques sont elles aussi éradiquées 702. Au regard de ces limites de la justice transitionnelle, il apparait nécessaire de reconceptualiser les mécanismes sur lesquels elle se fonde pour qu’ils puissent répondre efficacement aux impératifs de transformation sociale. C’est dans ce contexte qu’intervient la “justice transformative”. Elle cherche à apporter des réponses appropriées aux structures d’inégalités sociales et économiques 703 et qui violent particulièrement les droits des femmes et autres groupes vulnérables ou 697 Voir, entre autres, Amanda Cahill-Ripley, « Foregrounding Socio-economic Rights in Transitional Justice: Realising Justice for Violations of Economic and Social Rights », (2014) 32:2 Netherlands Quarterly of Human Rights 183 à la p 185; Shedrack C. Agbakwa, « A Path Least Taken: Economic and Social Rights and the Prospect of Conflict Prevention and Peacebuilding in Africa », (2003) 47:1 Journal of African Law 38. 698 Voir par exemple Lisa Laplante, supra note 657; Zinaida Miller, supra note 656; Louise Arbour, « Economic and Social Justice for Societies in Transition », (2007) 40:1 New York University Journal of International Law and Politics 1; Pablo de Greiff et Roger Duthie (éds.), supra note 622. 699 Krista K. Thomason, supra note 655 aux pp 73-74. 700 Catherine Turner, supra note 660 à la p 206. 701 Zinaida Miller, supra note 656 à la p 278. 702 Johan Galtung, supra note 691 aux pp 183-185. 703 Jelke Boesten et Polly Wilding, supra note 680. Niamh Reilly, « Seeking Gender Justice in Post-Conflict Transitions: Towards a Transformative Women’s Human Rights approach », (2007) 3:2 International Journal of Law in Context, 155. 113 marginalisés dans les contextes pre-conflictuels, conflictuels et post-conflictuels 704. Elle n’est pas seulement centrée sur les victimes, mais vise également à répondre aux besoins des auteurs de crimes et des ex-combattants afin d’assurer une transformation effective des conflits705. La justice transformative serait ainsi une approche qui reconstruit les normes et les institutions qui sont sources d’injustice et de violence dans une société 706. Elle peut dès lors être appréhendée comme un ensemble de mesures inclusives d’une grande légitimité sociale qui visent une transformation normative et sociale profonde du contexte conflictuel à travers des réponses adéquates aux crimes commis, aux inégalités socio-économiques et aux injustices structurelles qui sont à la racine des conflits. La reconceptualisation de la “justice transformative” soulève cependant des questions. Elle amène à se demander si ce concept signifie l'apparition d’un sous-champ au sein de la justice transitionelle ou plutôt une complète scission707. Pour Padraig McAuliffe, la discipline de la justice transitionnelle se trouve indubitablement à un “tournant transformatif” où elle ne peut plus se limiter à ses traitements légers mais doit rechercher des solutions adéquates aux facteurs structurels qui ont rendu les violences possibles708. À ce titre, comme nous l’avons souligné, il existe plusieurs approches de la justice transformative. Nous proposons de présenter les principales approches adoptées par les auteurs et indiquerons laquelle réflète le cadre théorique que nous choisissons pour cette thèse ainsi que les raisons qui justifient ce choix. Tout d’abord, Wendy Lambourne conceptualise son approche à travers une inscription de la justice transitionnelle dans le cadre global de la consolidation de la paix. Pour elle, la justice transformative est reliée à quatre éléments qui sont : 1) la responsabilité ou la justice légale; 2) la justice psychologique qui inclut la vérité et la guérison; 3) la justice socioéconomique; et 4) la justice politique. Elle ajoute que cette approche incorpore six principes qui s’appliquent à l’ensemble des quatres éléments à savoir : 1) des mesures symboliques et ritueliques; 2) prospectives; 3) participatives et de renforcement des 704 Wendy Lambourne et Vivianna Rodriguez Carreon, supra note 684. Fionnuala Ní Aoláin, « Advancing Feminist Positioning in the Field of Transitional Justice », (2012) 6:2 International Journal of Transitional Justice 205. 705 Voir par exemple Rebecca Friedman, « Implementing Transformative Justice: Survivors and ex-Combatants at the Comisión de la Verdad y Reconciliatión in Peru », (2018) 41:4 Ethnic and Racial Studies 701. 706 Jaya Ramji-Nogales, supra note 28 à la p 3. 707 Voir Lauren Marie Balasco, « Locating Transformative Justice: Prism or Schism in Transitional Justice », (2018) 12 The International Journal of Transitional Justice 368. 708 Padraig McAuliffe, supra note 9 à la p 285. 114 capacités; 4) de transformation structurelle et de réforme institutionnelle; 5) de transformation des relations et de réconciliation; 6) holistique, intégrées et globales (voir Figure 1)709. C’est dire que l’approche de Lambourne confond les mécanismes de la justice transformative à ceux de la justice transitionnelle tout en les distinguant par un élargissement substantiel à la fois des instruments mobilisés et des objectifs visés. Toutefois, Lambourne, elle-même, reconnaît le risque que son approche soit trop large à mettre en œuvre dans les contextes transitionnels. Mais, elle soutient que son but est de montrer la complexité des défis et des besoins des personnes en période post-conflictuelle afin d’éviter les analyses simplistes avec des formules toutes faites710. Elements or aspects of transformative justice Principles of transformative justice 1 accountability, or legal justice, that reconciles 1 symbolic and ritual, as well as substantive aspects of retributive and restorative justice (rectificatory justice, justice restores public order and the rule of law, remove culture 2 prospective (future oriented, long term) as well as of impunity) present (including procedural) and historical justice 2 ‘truth’ and healing, or psychological justice: (dealing with the past) knowledge and acknowledgment (factual/forensic truth, 3 local ownership and capacity-building personal/narrative truth, social/dialogical truth, 4 structural transformation and institutional reform healing/restorative truth) 5 relationship transformation and reconciliation 3 socioeconomic justice (reparation, restitution, 6 holistic, intergrated and comprehensive compensation, distributive justice) 4 political justice (political reform, governance, democratisation) Figure 1. Transformative justice Souce: Wendy Lambourne, supra note 373, à la p 33. Une autre conception de la justice transformative est élaborée par Paul Gready et Simon Robins. Les deux auteurs considèrent que la justice transformative ne vise pas à remplacer la justice transitionnelle, mais plutôt à déplacer son centre de gravité du juridique vers le social et le politique, de l’État et des instutions vers les communautés 711. La justice transformative est ainsi conçue non pas comme le résultat d’une imposition par le haut, mais plutôt comme un processus émergeant de la vie et des besoins des 709 Wendy Lambourne, supra note 644 aux pp 19-35. Ibid à la p 37. 711 Paul Gready et Simon Robins, supra note 683 à la p 340. 710 115 populations locales712. Ils définissent la justice transformative en tant que « transformative change that emphasizes local agency and resources, the prioritisation of process rather than preconceived outcomes and the challenging of unequal and intersecting power relationships and structures of exclusion at both the local and the global level »713. Ils ajoutent que les outils de la justice transformative ne se limitent pas aux procès et aux CVR, mais incluent des politiques qui se répercutent dans la vie des acteurs politiques, sociaux et économiques 714. Autrement dit, dans ce modèle, la justice transitionnelle et la justice transformative se confondent. Mais, la particularité de la dernière est qu’elle chercherait à reformer et au besoin à élargir les mécanismes de la première pour parvenir au résultat escompté de transformation sociale. Pour ce faire, les deux auteurs expliquent l’inadéquation de la justice transitionnelle à assurer une transformation effective des sociétés post-conflictuelles par ce qu’ils appellent les « foundational limitations » de la discipline. Selon eux, ces handicaps se rapportent à l’idéologie de la paix libérale et au stato-centrisme dans lesquels la pratique s’opère. L’idéologie de la paix libérale privilégierait la protection des droits civils et politiques et l’édification d’institutions favorables à l’économie néolibérale, tout en marginalisant les besoins socio-économiques et culturels des populations affectées par les conflits, tandis que le stato-centrisme se manifesterait par des processus de justice transitionnelle totalement dominés par des acteurs internationaux et mis en œuvre à travers les institutions de l’État715. Par ailleurs, une autre conception de la justice transformative est élaborée par Matthew Evans en la distinguant de la justice transitionnelle. Pour lui, la justice transformative ne vise ni à améliorer ni à étendre les outils classiques de la justice transitionnelle puisque ceux-ci ont démontré leur incapacité à impulser les transformations structurelles et socio-économiques nécessaires 716. Selon l’auteur, pour que la justice transformative soit pertinente, il faudrait qu’elle se déroule en déhors du cadre légaliste et élitiste de la justice transitionnelle, et qu’elle se focalise sur la recherche 712 Ibid. Ibid à la p 340. 714 Ibid. 715 Ibid aux pp 341-343. 716 Matthew Evans, supra note 682 à la p 7. 713 116 de réponses adéquates aux injustices socio-économiques et aux violences structurelles 717. Aussi, ajoute-t-il, bien que la justice transitionnelle et la justice transformative reposent sur des mécanismes distincts, elles ont le même point de départ dans la période postconflictuelle. Toutefois, l’auteur reconnaît que la justice transitionnelle peut avoir un aspect transformatif (voir Figure 2)718. En somme, contrairement à Lambourne, Gready et Robins qui adoptent une approche holiste, l’approche d’Evans se veut différentielle dans la mesure où elle appréhende la justice transformative comme un champ séparé et autonome par rapport à la justice transitionnelle. Transitional Justice . Truth commissions . Trials and amnesties . Focused on "bodily integrity" civil and political rights" . Short term, change "at the top" Transformative Justice . Economic component . Addresses structural violence . Focused on socioeconomic rights and inequality . Longer term, "radical change throughout society" Transformative aspects of transitional justice Figure 2. Relationship between transformative justice and transitional justice. Source: Matthew Evans, « Structural Violence, Socioeconomic Rights, and Transformative Justice », (2016) 15 Journal of Human Rights 1, à la p 8. Le dernier modèle de justice transformative que nous présentons est celui proposé par Erin Daly. Pour l’auteur, la « nature des injustices » dans les régimes révolus est souvent telle que la justice retributive ne peut y répondre. Elle souligne que dans ces contextes, le besoin de justice pourrait être ressenti non pas seulement au niveau individuel, mais aussi à travers toute la société719. Selon elle, la forme de la justice à mettre en œuvre dans les sociétés post-conflictuelles doit donc dépendre de la nature des 717 Ibid aux pp 7-9. Ibid à la p 9. 719 Erin Daly, supra note 21 à la p 79. 718 117 injustices présentes au moment de la transition 720. Ces injustices peuvent porter sur des inégalités socio-économiques, des divisions de nature religieuse ou raciale, des manques de besoins élémentaires comme le logement adéquat, l’éducation, la santé etc. 721 De ce fait, Daly considère que la justice transformative doit avoir deux objectifs reliés qui sont la réconciliation et la dissuation 722. Par la réconciliation, elle entend que les populations doivent apprendre à vivre ensemble et par la dissuasion, qu’elles continuent de le faire dans le futur de sorte que le pays connaisse une paix continue723. Matthew Evans trouve qu’une telle conceptualisation de la justice transformative n’est pas satisfaisante. Selon lui, d’une part, cette approche confondrait les buts de la justice transformative avec ceux de la justice transitionnelle, et d’autre part, pour lui, l’approche serait vouée à l’échec puisque la justice transitionnelle est décriée du fait de son incapacité à assurer la réconciliation724. Au regard des conceptions ci-dessus présentées de la justice transformative, quelle approche réflète notre “approche transformative de la justice transitionnelle”? Notre approche part de l’idée du caractère unique et exceptionnel de toute période de transition politique. En raison des violences structurelles profondes dans la société qui sont le plus souvent à l’origine des violences physiques graves, la période transitionnelle post-conflictuelle pourrait être appréhendée comme un moment crucial pour réimaginer le vivre-ensemble harmonieux. La période de transition pourrait se présenter comme une fenêtre d’opportunité à utiliser par les acteurs politiques ou militaires et la société tout entière pour une véritable introspection. Celle-ci pourrait viser à poser les fondements solides d’une transformation sociale profonde pour que les violences du passé ne se reproduisent plus dans l’avenir. De ce fait, notre “approche transformative de la justice transitionnelle” se rapproche plus de celle proposée par Wendy Lambourne, Paul Gready et Simons Robins. En effet, considérant que la transition doit être perçue comme un continuum politique725, elle doit donner lieu à la mobilisation de tous les outils nécessaires pour assurer une véritable transformation du contexte conflictuel. Par 720 Ibid à la p 80. Ibid à la p 79. 722 Ibid aux pp 84-95. 723 Ibid à la p 84. 724 Matthew Evans, supra note 682 à la p 6. 725 Voir Eric A. Posner et Adrian Vermeule, « Transitional Justice as Ordinary Justice », (2003-2004) 117 Harvard. Law Review 762 à la p 763. 721 118 conséquent, contrairement à Padraig MacAuliffe qui suggère de ne pas être trop ambitieux avec la justice transformative 726, nous préconisons le contraire. La période transitionnelle pourrait être le lieu où les bonnes bases de la transformation socioéconomique et politique sont posées pour qu’elles se poursuivent dans l’avenir. Nous comprenons cependant la position de Lars Wardorf lorsqu’il affirme que la conception originelle de la justice transitionnelle est qu’elle était une affaire de courte durée, et que, ce faisant, les questions de réformes économiques étaient laissées aux régimes suivants après que la période transitionnelle ait produit un ordre constitutionnel plus démocratique727. Il est vrai que la justice transitionnelle a depuis son origine été plus préoccupée par le présent, – en témoigne les mandats des CVR et des procès qui couvrent généralement seulement une courte période temps – et, de ce fait, s’intéressent moins aux injustices structurelles historiques 728. Nous pensons toutefois que la justice transitionnelle doit changer cette façon de procéder si elle espère aboutir à des résultats probants de paix positive. Bien que cette démarche paraît, a priori, étendre davantage le domaine de la justice transitionnelle en hypothéquant potentiellement la réalisation de ses objectifs originels 729, elle a pour but de surmonter les défaillances constatées ces dernières années dans la mise en œuvre de cette théorie, afin de construire un environnement de paix durable. En tout état de cause, l’objectif de notre approche “transformative de la justice transitionnelle” ne vise pas à résoudre, en un laps de temps plus ou moins court, toutes les violences structurelles que le Soudan du Sud a connues depuis les nombreuses années de son histoire conflictuelle. Un tel projet ne serait pas pratiquement possible. Plusieurs injustices structurelles notamment socio-économiques, éducatives et sanitaires devront certainement être poursuivies sur le long terme à travers des projets de développement730. Mais dans l’immédiat, une “approche transformative de la justice transitionnelle” est possible lorsqu’elle vise à amorcer un processus de transformation réelle des principales sources de violence dans la société, à travers un engagement soutenu de l’ensemble de la société. Cependant, dans le contexte particulier du Soudan du Sud, une telle approche 726 Voir par exemple Padraig McAuliffe, supra note 9 à la p xiv. Lars Waldorf, supra note 623 à la p 173. 728 Jennifer Balint, Julie Evans et Nesam McMillan, « Rethinking Transitional Justice, Redressing Indigenous Harm: A New Conceptual Approach », (2014) 8 The International Journal of Transitional Justice 194 à la p 201. 729 Voir, par exemple, Lars Waldorf, supra note 623. 730 Ibid. 727 119 doit nécessairement se fonder sur la légitimité des normes et des institutions qui seront adoptées dans le pays pour faire face aux actes de violences graves qui y ont été commis. 2.– La légitimité des normes et des institutions comme fondement de la justice transformative Dans le but de favoriser une transformation effective de la société post-conflictuelle du Soudan du Sud, l’“approche transformative de la justice transitionnelle” vise à répondre au déficit de légitimité expérimenté dans le passé dans le fonctionnement des mécanismes locaux et internationaux de la justice transitionnelle731. Nonobstant la complexité et les ambiguïtés qui sont inhérentes à la notion de légitimité 732, on peut l’utiliser pour concevoir des mécanismes de justice transitionnelle transformatifs. En effet, des mécanismes de justice transitionnelle légitimes seront plus facilement appropriés et acceptés par les parties prenantes, et permettraient, ce faisant, une véritable transformation sociale du contexte post-conflictuel. Dans cette veine, David A. Strauss soutient que lorsqu’une institution, une norme ou une décision n’est pas légitime, celle-ci peut facilement faire l’objet de défiance, voire de désobéissance. Il renchérit que c’est également affirmer que les recommandations que l’institution émettent ne sont pas valides, sont fausses, illégales voire immorales 733. Selon Ian Hurd, « [l]egitimacy contributes to compliance by providing an internal reason for an actor to follow a rule. When an actor believes a rule is legitimate, compliance is no longer motivated by the simple fear of retribution, or by a calculation of self-interest, but instead by an internal sense of moral obligation »734. La légitimité peut dès lors être appréhendée, « en raison inverse de la contrainte » 735. La légitimité est donc nécessaire au Soudan du Sud pour que les populations acceptent les normes et les mécanismes de justice transitionnelle pour que ceux-ci puissent contribuer à une véritable transformation de la société. 731 Par Engstrom, « Transitional Justice and Ongoing Conflict », dans Chandra Lekha Sriram et al., supra note 25 à la p 49. Pour des exemple en ex-Yougoslavie et au Rwanda, voir, entre autres, Kora Andrieu, supra note 647 aux pp 87-95 et aux pp 168-173. 732 Voir sur ce point, par exemple, Brigitte Bouquet, « La complexité de la légitimité », (2014) 8 Vie Sociale 13 ; Richard H. Fallon, Jr., « Legitimacy and the Constitution », 118:6 (2005) Harvard Law Review 1787 aux pp 1791 et s. Jeanne Becquart-Leclercq, « Légitimité et pouvoir local », (1977) 27:2 Revue française de science politique 228 aux pp 228-229. 733 David A. Strauss, « Reply: Legitimacy and Obedience », 118:6 (2005) Harvard Law Review 1854 à la p 1854. 734 Ian Hurd, « Legitimacy and Authority in International Politics », (1999) 53:2 International Organization 379 à la p 387. 735 Mattei Dogan, « La légitimité politique : nouveaux critères, anachronisme des théories classiques », (2010) 196 Revue internationales des sciences sociales 21 à la p 22. 120 Max Weber fut probablement un des premiers auteurs à théoriser la légitimité. Il attribue trois fondements à ce concept. La légitimité traditionnelle, c’est-à-dire celle qui repose sur les valeurs sociales dont le respect est enraciné en l’homme; la légitimité rationnelle, c’est-à-dire, celle qui découle d’une loi ou de la validité d’une norme, et la légitimité charismatique, c’est-à-dire, celle fondée sur les qualités et valeurs personnelles d’un individu736. On peut établir une certaine équivalence entre ces trois types de légimité et les trois types de légitimité élaborés par Richard H. Fallon qui sont : la légitimité sociologique, la légitimité juridique et la légitimité morale. Pour Fallon, une légitimité est juridique lorsqu’elle se fonde sur des normes juridiques. Elle est de nature sociologique, lorsqu’elle est acceptée comme devant être respectée ou obéie par la société. La légitimité est morale lorsqu’elle repose sur des motifs d’ordre moral, qu’il s’agisse d’une loi ou d’une institution737. En outre, il faut noter que la légitimité des normes et des institutions ne signifie pas leur acceptation par toutes les parties prenantes 738. En raison de la diversité des acteurs et de leurs intérêts propres, en contexte transitionnel en particulier, il faudrait situer la légitimité sur « une échelle imaginaire allant d’un maximum à un minimum de légitimité, de l’approbation massive à un consentement plus ou moins réservé pour finir avec un rejet en bonne et due forme. C’est là, et là seulement que l’on peut vraiment parler d’illégitimité »739. Pour Lipset, cet état de crise de la légitimité apparaît généralement pendant les périodes de transition vers une nouvelle structure sociale, plus particulièrement, lorsque les grandes institutions sont menacées pendant une période de changement structurel, ou lorsque des groupes dominants n’ont plus accès au système politique, ou du moins, dès qu’ils expriment des revendications politiques 740. L’“approche transformative de la justice transitionnelle” soutient donc que les normes et les mécanismes de justice transitionnelle au Soudan du Sud se fondent sur les formes de légitimité élaborées par Weber et H. Fallon pour qu’ils puissent contribuer à la transformation du contexte post-conflictuel. Pour ce faire, il faudrait que le processus de justice transitionnelle prenne en compte la diversité des répertoires normatifs en vigueur 736 Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Presses Électroniques de France, 2013 à la p 36. Richard H. Fallon, Jr., supra note 732 aux pp 1790-1791. 738 Voir sur ce sujet, par exemple, Jean Rouvier, Du pouvoir dans la République romaine, réalité et légitimité, étude sur le consensus, Paris, Nouvelles éditions latines, 1963. 739 Mattei Dogan, supra note 735 à la p 21. 740 Seymour Martin Lipset, Political Man, New York, Anchor Books, 1963 à la p 65. 737 121 dans le pays, tout en cherchant aussi à transformer les normes qui sont contraires aux droits fondamentaux de la personne. 3.– Le pluralisme juridique comme fondement de la justice transformative Le pluralisme juridique est pertinent à la mise en œuvre de notre “approche transformative de la justice transitionnelle” au Soudan du Sud, dans la mesure où, celuici, quelle que soit sa dénomination, se positionne contre l’approche positiviste du droit 741. Il envisage le droit, non pas comme un système figé mais plutôt comme un processus dynamique dans lequel participe une pluralité d’acteurs locaux, étatiques et internationaux742. Le pluralisme juridique se dissocie donc d’une conception étroite (thin) de la légalité pour en adopter une qui se veut large (thick)743. Cette légalité n’est pas conçue exclusivement en termes purement juridiques (droit positif), pour ne pas privilégier l’élite dirigeante744, mais elle prend en compte l’ensemble des acteurs dans le processus de production normative. Le normatif fait ici référence de façon générale et abstraite à la norma, autrement dit, à ce qui sert d’« instrument de référence », qui constitue un « modèle à suivre », ou encore ce qui doit ou devrait être745. Le pluralisme juridique considère de ce fait que les agents sociaux sont des acteurs à part entière de l’élaboration des normes juridiques 746. Il considère que le droit étatique n’est pas un système clos et autonome, mais qu’il est ouvert à des normativités infra et supraétatiques, donnant lieu à des relations de pouvoir inégales faites de domination et de résistance747. Aussi, le pluralisme juridique accepte-t-il la théorie de l'inter-normativité en 741 Sur le positivisme juridique ou jus positivum, voir notamment Gény François, Science et technique en droit privé positif, 4 vol., Paris, Sirey, 1913 ; H.L.A. Hart, « Positivism and the separation of the law and morals », (1958) 71:4 Havard law review 593 ; H.L.A Hart, The concept of law, Oxford, Oxford University Press, 1961 ; Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Traduction Française par Eisenmann, Charles de la 2è éd., de la Reine Reschslehre, Paris, Dalloz 1962 ; Christian Atias, Épistémologie juridique, Coll. Droit fondamental, Paris, Presses universitaires de France, 1985 ; Amselek, Paul, « Lois juridiques et lois scientifiques », (1987) 6 Droits ; Uberto Scarpelli, Qu’est-ce que le positivisme juridique?, Paris, Bruxelles, Librairie générales de Droit et de Jurisprudence, Bruylant, 1996. 742 Jaya Ramji-Nogales, supra note 28 à la p 67. Voir plus généralement Sally Falk Moore, Law as Process: An Anthropological Approach, Piscataway, New Jersey, Transaction Publishers, 1978. 743 Pour une distinction entre conception étroite (thin) et large (thick) de la légalité, voir par exemple, Kieran McEvoy, supra note 12 à la p 414. 744 Christine Bell, Colm Campbell et Fionnula Ní Aoláin, « Transitional Justice: (Re)conceptualising the Field », (2007) 3:2 International Journal of Law and Context 81 à la p 83. 745 Catherine Thibierge, « Au Cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règles de droit », (2008) 51 Archives de philosophie du droit 341 aux pp 344-345. 746 Roderick A. Macdonald, « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques avancées », (2002) 33 Revue de droit l'université de Sherbrooke 133. 747 Nagy Rosemary, supra note 355 à la p 105. 122 référence à l'étude « de la dynamique des interfaces des systèmes normatifs » 748. En d’autres termes, il admet des échanges tant harmonieux que conflictuels entre différents répertoires normatifs 749. Le pluralisme juridique n’appréhende donc pas la justice transitionnelle en tant qu’exclusivement une norme globale émergente750. Il l'analyse dans une perspective inter-normative qui prend en compte les niveaux global, national et local d’élaboration du droit. En se fondant sur le pluralisme juridique, l’“approche transformative de la justice transitionnelle” se veut cependant prudente, en évitant toute essentialisation du local. En reconnaissant que le droit est fondé sur des rapports de pouvoirs inégaux, elle prend en compte le fait que les mécanismes locaux de la justice transitionnelle peuvent faire l’objet de luttes politiques et par conséquent donner lieu à des contestations sur leur légitimité. La pertinence de la théorie du pluralisme juridique comme fondement de l“approche transformative de la justice transitionnelle” s’explique par ailleurs par sa vocation à admettre une pluralité de conceptions de la justice. Dans cette perspective, l’approche admet le cadre normatif de la justice transitionnelle élaboré par exemple par David A. Crocker, à savoir, la nécessité de déterminer les objectifs du processus, la recherche de la vérité, la création d’un espace d’expression pour les victimes et leur indemnisation, l’exigence de reddition des comptes et la punition des auteurs, l’édification de l’État de droit, la mise en œuvre de réformes institutionnelles en vue du développement et des mesures de promotion de la réconciliation 751. Pour ce faire, l’approche soutient l'idée d’une « justice relative », c’est-à-dire, qui est dépendante des contingences du contexte socio-politique752. En outre, en tant que processus inclusif, l’“approche transformative de la justice transitionnelle” va au-delà de la focalisation habituelle de la justice transitionnelle sur les principaux auteurs et les “victimes directes” des crimes. Elle cherche à impliquer l’ensemble des populations (“victimes indirectes”) Guy Rocher, « Les ‘phénomènes d’internormativité’ : faits et obstacles », dans Belley, Jean-Guy, (dir.), Le droit soluble : contributions québécoises à l’étude de l’internormativité, Paris, LGDJ, 1996 à la p 28. 749 Sur l’internormativité, voir, par exemple, Jean Carbonnier, « Les phénomènes d’inter-normativité », dans B. M. Blegvad, C. M. Campbell et C. J. Schuyt, European Yearbook in Law and Sociology, The Hague, Martinus Nijhoff Publishers, 1977 aux pp 42-52. Sur les conflits internormatifs, voir par exemple Paul Schiff Berman, « Global Legal Pluralism », (2007) 80 Southern California Law Review 1155. 750 Rosemary Nagy, supra note 29 aux pp 215-226. 751 David A. Crocker, « Reckoning with Past Wrongs: A Normative Framework », (1999) 13:1 Ethics and International Affairs 43. 752 Hans Kelsen, Qu'est-ce que la justice ? Parue en 1953 chez Franz Deuticke à Vienne, Traduit de l'Allemand par Pauline Le More et Jimmy Plourde, Genève, Éditions Markus Haller, 2012. 748 123 dans le processus de transformation normative et sociale du contexte conflictuel753. Elle vise à faire en sorte que les victimes à la fois directes et indirectes des violences sentent que justice leur a été rendue754. Dans cet objectif, elle rompt avec les conceptions de “justice distante” des populations locales telles que celles centrées sur l’État politique et/ou mises en œuvre par la communauté internationale755. Elle vise ainsi à instaurer une paix qui touche « la vie de tous les jours » des citoyens ordinaires, autrement dit, une “paix populaire”756. C’est dire donc que l’“approche transformative de la justice transitionnelle” fait appel à un ensemble d’instruments judiciaires et non judiciaires qui se veulent complémentaires plutôt que hiérarchiques 757. Après avoir présenté les éléments structurant de l’“approche transformative de la justice transitionnelle”, le chapitre suivant s’attachera à démontrer la mise en œuvre concrète de cette approche au Soudan du Sud. 753 Rama Mani, supra note 647. Naomi Cahn, « Beyond Retribution and Impunity: Responding to War Crimes of Sexual Violence », (2005) 1 Stanford Journal of Civil Rights and Civil Liberties 217 à la p 269. 755 Paul Gready, « Reconceptualising Transitional Justice: Embedded and Distanced Justice », (2005) 5 Conflict, Security and Development 2, cité par Kieran McEvoy, supra note 12 à la p 425. 756 David Roberts, « Post-Conflict Peacebuilding, Liberal Irrelevance and the Locus of Legitimacy », (2011) 18:4 International Peacekeeping 410. 757 Joya Ramji-Nogales, supra note 28 à la p 4. 754 124 Chapitre III. – La mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” au Soudan du Sud 125 Introduction du chapitre III Au regard du contexte socio-politique et normatif des conflits précédemment présenté, à quoi ressemblerait la mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” au Soudan du Sud? Répondre à cette question est l’objectif du présent chapitre. Pour ce faire, nous allons démontrer que cette approche théorique comporte des outils conceptuels qui aideraient à surmonter les lacunes de la justice transitionnelle dans sa réponse aux violences structurelles qui sous-tendent les conflits. Au Soudan du Sud, en particulier, l’approche nous permettra de reconceptualiser les mécanismes de la justice transitionnelle pour qu’ils puissent répondre aux structures d’inégalité et aux injustices sociales et économiques qui sont à la racine des violences physiques. Dans le but de mettre en œuvre cette approche, nous procéderons tout d’abord à une mise en contexte descriptive des dispositifs de justice transitionnelle adoptés par le R-ARCSS pour le Soudan du Sud (Section I). Ensuite, nous entrerons dans le fond de notre analyse en étudiant le rôle, d’une part, du Tribunal hybride pour le Soudan du Sud (THSS) et, d’autre part, des juridictions pénales nationales, dans la transformation du pays (Section II). En troisième lieu, nos développements porteront sur le rôle que peuvent jouer les mécanismes de justice restauratrice qui sont, d’une part, la Commission de vérité, de réconciliation et de guérison (CVRG), et d’autre part, les systèmes de justice traditionnelle, dans la transformation du pays (Section III). Nous soutiendrons que chacun de ces mécanismes peut contribuer à une véritable transformation du pays et nous exposerons les arguments qui soutiennent cette position. Section I. – La mise en contexte des mécanismes de justice transitionnelle Dans cette mise en contexte, nous étudierons tout d’abord le processus historique d’adoption des mécanismes de justice transitionnelle au Soudan du Sud (1) ; ensuite, nous analyserons les caractéristiques des deux principaux mécanismes que sont le THSS et la CVRG (2) ; et enfin, nous étudierons quelques facteurs qui ont présidé au choix du THSS en particulier comme mécanisme transitionnel de justice pénale pour le contexte du Soudan du Sud (3). 126 1.– Le processus historique d’adoption des mécanismes de justice transitionnelle L’idée d’adopter des mécanismes de justice transitionnelle au Soudan du Sud, et en particulier, de poursuivre les crimes graves qui ont été commis durant la guerre civile post-décembre 2013, remonte à la 411e réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPSUA) siégeant au niveau des Chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA) tenue à Banjul en Gambie le 30 décembre 2013 758. Lors de cette rencontre, le Conseil a demandé à la Présidente de la Commission de l’Union africaine d’établir, en consultation avec la Présidente de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et d’autres organes pertinents de l’Union africaine, la CEUASS pour enquêter sur les violations graves des droits de la personne et d’autres abus perpétrés au Soudan du Sud, de faire des recommandations sur les voies et moyens pour assurer la reddition des comptes, la réconciliation et la guérison au sein de toutes les communautés locales759. Les termes de référence de la mission présentés dans la Note conceptuelle de la CEUASS se rapportaient notamment à mener des investigations pour déterminer les causes profondes des conflits, l’étendue, la nature et les circonstances des violations des droits de la personne commises à partir du 15 décembre 2013760. La CEUASS a interprété ce mandat comme devant être articulé suivant quatre axes qui sont : la guérison, la réconciliation, la réddition des comptes et les réformes institutionnelles 761. C’est dans ce contexte que, pour la première fois, la société civile du Soudan du Sud a évoqué l’idée d’adopter un tribunal hybride pour juger les crimes graves qui ont été commis dans le pays762. Pour obtenir le soutien politique des États-Unis dans la création d’un tel tribunal, 758 Peace and Security Council 411th Meeting at the Level of Head of State and Government, « Communiqué », PSC/AHG/COMM.1(CDXI) Rev.1, 31 décembre 2013. 759 Ibid au para 8. 760 De façon détaillée, la Note conceptuelle donnait mandat à la CEUASS de « a) établir les causes immédiates et sousjacentes du conflit ; b) enquêter sur les violations des droits de l’homme et d’autres violences commises par toutes les parties au cours du conflit à partir du 15 décembre 2013; c) établir les faits et circonstances qui auraient entouré et qui constituent ces violations et tout crime qui aurait été perpétré ; d) compiler les informations fondées sur ces enquêtes et contribuer ainsi à identifier les auteurs de ces violations et de ces violences afin que ceux qui en sont responsables répondent de leurs actes (reddition de comptes) ; e) compiler des informations sur les institutions et les processus, ou leur inexistence, qui auraient aidé ou aggravé le conflit, entraînant des violations des droits de l’homme et d’autres violences ; f) examiner les moyens de faire avancer le pays en termes d’unité, de coopération et de développement durable ; g) présenter au CPSUA un rapport écrit complèt de la situation générale au Soudan du Sud dans un délai maximum de trois (3) mois à partir du début de ses activités ; h) formuler des recommandations fondées sur les enquêtes […] ». Voir sur ce point, RCEUASS, supra note 203 au para 3. 761 RCEUASS, supra note 203 au para 4. 762 David Deng et Elizabeth Deng, South Sudan Talks Must Make Provision for Justice and Reconciliation, African Arguments, 8 janvier 2014, disponible en ligne sur <http://africanarguments.org/2014/01/08/an-integrated-response-tojusticeand-reconciliation-in-south-sudan-by-david-deng-and-elizabeth-deng/>, consulté le 8 juin 2019. 127 des organisations non gouvernementales (ONG) ont fait des plaidoyers auprès du gouvernement américain 763. Sur ces entrefaites, plus de 50 membres du Congrès américains, y compris les co-présidents des caucus du Congrès sur le Soudan et le Soudan du Sud, ont écrit une lettre au Secrétaire d’État d’alors, John Kerry, pour qu’il demande au gouvernement des États-Unis de soutenir l’établissement d’un tribunal hybride au Soudan du Sud 764. À la suite de ces actions diplomatiques, en mai 2014, lorsque la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) a publié son rapport sur les violations des droits de la personne perpétrées dans le pays, elle a recommandé la création d’un tribunal hybride comme mécanisme de reddition des comptes 765. Quelques temps après sa visite du Soudan du Sud, l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, dans une séance d’information au Conseil de sécurité, a recommandé la mise en place d’un tribunal hybride dans le pays 766. Dans cette foulée, le 15 mai 2014, la CEUASS indiquait dans une déclaration de presse qu’elle « […] is leaning towards the creation of a hybrid court along the lines of the Extraordinary African Chambers in Senegal (Hissène Habré Tribunal) » 767. Finalement, dans son rapport du 15 octobre 2014, la Commission recommandait qu’un « mécanisme juridique mené et approprié par l’Afrique et doté de ressources africaines, sous l’égide de l’Union africaine et soutenu par la communauté internationale, en particulier les Nations Unies » soit adopté pour poursuivre les personnes qui portent « 763 David K. Deng, Special Court for Serious Crimes (SCSC): A Proposal for Justice and Accountability in South Sudan, South Sudan Law Society, Working Paper, May 2014, disponible en ligne sur <https://www.cmi.no/file/2760SSLS-SCSC-Proposal-for-a-Hybrid-Court.pdf>, consulté le 8 juin 2019. L’auteur se réfère au rapport présenté par John Prendergast, « “Peace Must Come Soon”, A Field Dispatch from South Sudan », The Enough Project, 19 Février 2014, disponible en ligne sur <http://www.enoughproject.org/files/South-Sudan-Dispatch-Peace-Must-Come-Soon.pdf>, consulté le 8 juin 2019. 764 Dans la Lettre du Congrès des États Unis addressee à John Kerry, le 20 mars 2014, disponible en ligne sur <http://lee.house.gov/imo/media/doc/South%20Sudan%20letter%20to%20Kerry-%20March%2020.pdf>, consulté le 8 juin 2019, les members du Congrès américain soutiennent que : « [W]e encourage the Office of Global Criminal Justice and Bureau of Democracy, Human Rights and Labor to work with the Government of South Sudan to consider the establishment of an independent hybrid or mixed special court with both international and domestic representation for South Sudan. Doing so would help hold perpetrators of grave human rights abuses accountable, while respecting South Sudanese sovereign legal authority and building indigenous capacity in the judiciary sector ». Voir également David K. Deng, supra note 763. 765 A Human Rights Report, supra note 273. 766 Eye Radio, « Ki-moon Recommends a Hybrid Court to Tackle Rights Violations in RSS », 13 mai 2014, disponible en ligne sur <http://eyeradio.org/ki-moon-recommends-establishment-special-court-tackle-rights-violations-rss/>, consulté le 8 juin 2019. 767 Reliefweb, « The Commission of Inquiry on South Sudan undertakes consultations in Nairobi », 15 mai 2014, disponible en ligne sur <https://reliefweb.int/report/south-sudan/commission-inquiry-south-sudan-undertakesconsultations-nairobi>, consulté le 8 juin 2019. 128 la plus grande responsabilité au plus haut niveau »768. Dans ce contexte, sous le leadership de l’IGAD, les négociations pour la résolution des conflits ont abouti à la signature, par les protagonistes des conflits et les parties prenantes, d’un accord de paix, dénommé Agreement on the Resolution of the Conflict in the Republic of South Sudan (ARCSS) à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 17 août 2015769. Toutefois, compte tenu des violations de cet accord, et particulièrement de la reprise des combats en juillet 2016, l’IGAD a initié un Forum de haut niveau sur la revitalisation (High-level Revitalization Forum (HLRF)) de l’accord dont le mandat était « to restore permanent ceasefire, to full implementation of the Peace Agreement and to develop a revised and realistic timeline and implementation schedule towards a democratic election at the end of the transition period »770. Au regard de ce mandat, plusieurs dispositions de l’ARCSS devaient être révisées puisqu’elles étaient devenues caduques. Ainsi, de nouvelles négociations ont été engagées par le HLRF pour parvenir à un nouvel accord. Ces tractations ont abouti à la signature entre les différents acteurs des conflits et les parties prenantes du Revitalised Agreement on the Resolution of the Conflict in South Sudan (R-ARCSS), le 12 septembre 2018771. L’accord modifie substantiellement les Chapitre I et II de l’ARCSS portant respectivement sur le Government transitionnel d’unité nationale (Transitional Government of National Unity (TGoNU)) et les Arrangements de cessez-le-feu et de sécurité transitionnelle (Permanent Ceasefire and Transitional Security Arrangements)772. Le R-ARCSS établit aussi un Gouvernement transitionnel d’unité nationale revitalisé (Revitalised Transitional Government of National Unity (R-TGoNU)) dont le siège est fixé à Juba pour diriger la période transitionnelle 773. Il redéfinit les modalités de partage du pouvoir entre les protagonistes des conflits dans le but de 768 RCEUASS, supra note 203 au para 1148. Agreement on the Resolution of the Conflict in the Republic of South Sudan, Addis Ababa, Ethiopia, 17 August 2015, disponible en ligne sur <https://unmiss.unmissions.org/sites/default/files/final_proposed_compromise_agreement_for_south_sudan_conflict.pd f>, consulté le 24 août 2016, [ci-après: ARCSS]. 770 Intergovernmental Authority on Development (IGAD), « Communiqué of the 31st Extra-Ordinary Summit of IGAD Assembly of Heads of State and Government on South Sudan », IGAD, June 12, 2017, disponible en ligne sur: <https://igad.int/communique/1575-communique-of-the-31st-extra-ordinary-summit-of-igad-assembly-of-heads-ofstate-and -government-on-south-sudan>, visité le 12 février 2019. 771 Revitalised Agreement on the Resolution of the Conflict in South Sudan, 12 September 2018, disponible en ligne sur <https://www.dropbox.com/s/6dn3477q3f5472d/R-ARCSS.2018-i.pdf?dl=0>, consulté le 23 janvier 2019, [ci-après: RARCSS]. 772 Ibid. 773 Ibid Chapitre I Articles 1.1.1. à 1.1.3. 769 129 favoriser la cessation des hostilités et le retour de la paix dans le pays. L’accord prévoit dans son Chapitre V des mécanismes de justice transitionnelle, à savoir, une Commission de vérité, de réconciliation et de guérison (CVRG) (Commission for Truth, Reconciliation and Healing (CTRH))774, un Tribunal hybride pour le Soudan du Sud (THSS) (Hybrid Court for South Sudan (HCSS))775 et une Autorité chargée des indemnisations et des réparations (AIR) (Compensation and Reparation Authority (CRA))776. Ces dispositifs visent à traiter le passé douloureux du Soudan du Sud afin de le conduire vers un futur apaisé. Selon le R-ARCSS, après une période pré-transitionnelle de huit (8) mois ou 240 jours, la période transitionnelle débute pour une durée de trente six (36) mois 777. Soixante (60) jours avant la fin de la période transitionnelle, le RTGoNU devra organiser des élections en vue de mettre en place un gouvernement démocratiquement élu 778. Les responsabilités au sein de l’exécutif du RTGoNU devront être partagées entre le gouvernement transitionnel d’unité nationale (Transitional Government of National Unité (TGoNU)), l’APLS-O, l’Alliance de l’opposition du Soudan du Sud (South Sudan Opposition Alliance (SSOA)), les Anciens détenus (Former Detainees (FDs)) et les Autres partis politiques (Other Political Parties (OPP))779. Le RTGoNU a pour mandat, entre autres, de mettre en œuvre l’accord et de veuiller à restaurer la paix durable, la sécurité et la stabilité du pays 780. Il assurera aussi, en coordination avec les Nations Unies et d’autres agences internationales, la protection, le retour volontaire, le rapatriement dans la dignité, la réhabilitation, le réétablissement et la réintégration des persones déplacées (IDPs)781. Le RTGoNU devra aussi mettre en œuvre un processus d’adoption d’une Constitution permanente et s’assurer de son succès d’ici la fin de la période transitionnelle782. Toutefois, il est à noter qu’il y a eu des retards dans l’adoption des mécanismes de justice transitionnelle en raison de désaccords entre les acteurs des conflits. De ce fait, le RTGoNU qui devrait être mis en place, selon le R-ARCSS, au mois 774 Ibid Chapitre V Article 5.2. Ibid Article 5.3. 776 Ibid Article 5.4. 777 Ibid Chapitre I Article 1.1.2. 778 Ibid aux Articles 1.1.4. à 1.1.5. 779 Ibid Articles 1.1.6 et 1.3.1. 780 Ibid Article 1.2.2. 781 Ibid Article 1.2.3. 782 Ibid Article 1.2.5. 775 130 de mai 2019 a été finalement formé le 22 février 2020. Ce retard va sans doute avoir des répercutions sur l’adoption des autres mécanismes. Mais, en général, le processus transitionnel est en cours au Soudan du Sud. Dans les lignes qui suivent, nous proposons d’anlyser les caractéristiques des principaux mécanismes de justice transitionnelles que sont le THSS et la CVRG. 2.– Les caractéristiques du THSS et de la CVRG Cette étude consistera à présenter, tout d’abord, les caractéristiques du THSS (2.1), ensuite celles de la CVRG (2.2), et enfin, les relations établies par le R-ARCSS entre les deux institutions (2.3). 2.1. – Les caractéristiques du THSS Au-delà de sa dénomination de “tribunal hybride”, le THSS doit-il être classé dans la catégorie des tribunaux pénaux hybrides ou internationalisés ou doit-il être rangé dans la catégorie de juridiction nationale dotée d’une compétence spéciale comme certains auteurs l’ont sugéré pour le Tribunal spécial Irakien et les Chambres bosniaques de crimes de guerre783 ? Pour répondre à cette interrogation, il importe de se référer au droit qui régit ces tribunaux et au besoin à la doctrine. Depuis leur apparition, une des caractéristiques principales des tribunaux hybrides est le métissage qu’ils font du droit international et du droit national784. En effet, leur composition, les règles procédurales et substantielles qu’ils appliquent relèvent à la fois du droit international et du droit national785. Devant ces juridictions, les juges appliquent le droit national qui a été réformé pour être en conformité avec les normes du droit international 786. Dans le contexte du Soudan du Sud, le fondement juridique de l’adoption du THSS provient du mandat donné à la Commission de l’Union africaine par le R-ARCSS, d’établir la 783 Voir Spiga Valentina, « Non-retroactivity of Criminal Law : A New Chapter in the Hussène Habré Saga » (2011) 9:1 Journal of International criminal justice 5 à la p 20; Raymond Ouigou Savadogo, « Les Chambres africaines extraordinaires au sein des tribunaux sénégalais », (2014) 45:1 Études internationales 105 à la p 112. 784 Photini Pazartzis, « Tribunaux pénaux internationalisés : une nouvelle approche de la justice pénale (inter)nationale ? », 49 (2003) Annuaire français de droit international 641 à la p 652. 785 Anne-Charlotte Martineau, Les juridictions pénales internationalisées : un modèle de justice hybride ? Paris, Pédone, 2007. 786 Laura A. Dickinson, « The Promise of Hybrid Courts », (2003) 97:2 The American Journal of International Law 295 à la p 295. 131 juridiction, en accord avec le R-TGoNU787, pour répondre aux crimes graves qui ont été perpétrés dans le pays. Pour ce faire, selon Human Rights Watch, un mémorandum d’accord sur l’adoption du Statut du tribunal a été transmis par l’Union africaine au gouvernement du Soudan du Sud et est en attente d’être signé 788. Au regard du retard qu’accuse le Soudan du Sud à signer l’accord, Amnesty International a demandé à l’Union africaine d’établir un délai clair à l’issue duquel si l’accord n’est toujours pas signé que l’organisation régionale l’adopte de façon unilatérale 789. Que le THSS soit adopté par accord bilatéral entre l’État du Soudan du Sud et l’Union africaine ou de façon unilatérale par l’Union africaine, la question se pose de savoir quelle serait sa nature juridique en droit international. Il convient tout d’abord de noter qu’en droit international il existait jusqu’à récemment seulement deux catégories de tribunaux qui sont les tribunaux pénaux nationaux et les tribunaux pénaux internationaux 790. On peut d’ores et déjà affirmer que le THSS ne serait pas une juridiction pénale internationale à l’image de la CPI qui a été créée par un traité multilatéral791. Il ne serait pas non plus un tribunal pénal international ad hoc comme le TPIY 792 et le TPIR793 qui ont été créés de façon unilatérale par des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies agissant suivant le mandat que lui confère le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Toutefois, ces deux dernières décennies ont vu naître dans la pratique internationale un autre type de juridiction pénale. Il s’agit des tribunaux dits internationalisés, mixtes ou hybrides. Le qualificatif “hybride” renvoit le plus souvent à la composition du tribunal, à sa compétence matérielle et à son droit applicable794. Ces tribunaux sont généralement créés “sur mesure” dans l’objectif premier de répondre aux besoins d’un contexte particulier 795. Ils sont conçus pour conjuguer les avantages que possèdent à la fois la justice pénale 787 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Aricle 5.3.1.1. Human Rights Wathch, « South Sudan: Stop Delays on Hybrid Court Four Years into Conflict, Rampant Abuse », 14 décembre 2017, disponible en ligne sur <https://www.hrw.org/news/2017/12/14/south-sudan-stop-delays-hybridcourt>, consulté le 8 avril 2020. 789 Amnesty International, « South Sudan: Justice for war crimes must not be delayed any longer », 8 novembre 2019, disponible en ligne sur <https://www.amnesty.org/download/Documents/AFR6513672019ENGLISH.PDF>, consulté le 8 avril 2020. 790 Voir Roger O’Keef, International criminal Justice, Oxford, Oxford University Press, 2015 aux pp 86-87. 791 Dans un raisonnement similaire, mais concernant les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, voir Raymond Ouigou Savadogo, supra note 780 aux pp 113-114. 792 Voir Statut du TPIY, supra note 614. 793 Voir Statut du TPIR, supra note 592. 794 Ibid. 795 Anne-Charlotte Martineau, supra note 785 aux pp 11-67. 788 132 nationale et la justice pénale internationale796. Mais il faut noter que les tribunaux hybrides sont si divers dans leur composition et droit applicable qu’il est parfois difficile de savoir s’ils tendent plus vers un tribunal national ou vers un tribunal international ou encore s’ils sont tout simplement de nature sui generis. Aussi, au regard de leur contextualité, les tribunaux hybrides n’ont pas de définition juridique précise et le qualificatif “hybride” semble de plus en plus simplement formuler une expression “attrape-tout” pour décrire des juridictions qui ne sont précisément ni nationales ni internationales 797. Nonobstant leur nature juridique indéterminée, dans la doctrine, Sarah Williams a élaboré six critères cumulatifs qui permettraient de distinguer des tribunaux hybrides: 1) le tribunal exerce une fonction judiciaire de nature pénale ; 2) le caractère temporel ou transitoire de l’institution (ou du moins de sa composante internationale) ; 3) il doit y avoir au moins la possibilité d’une participation de juges internationaux aux côtés des juges nationaux ou de l’implication internationale dans certains organes du tribunal ; 4) l’assistance internationale dans le financement du tribunal (même si ce critère à lui seul n’internationalise pas une institution nationale ; 5) un mélange entre le droit national et international dans la compétence matérielle du tribunal ; 6) l’implication d’une entité autre que l’État affecté, telle que les Nations Unies, une organisation régionale ou un ou plusieurs autres États798. Au regard du premier critère, le tribunal doit exercer une fonction juridictionnelle de nature pénale. À ce titre, nous nous réfèrerons à la fois au R-ARCSS qui, en tant qu’accord de paix, apparaît exceptionnellement détaillé sur les caractéristiques du tribunal et au Projet de Statut du THSS. Le R-ARCSS précise que la compétence ratione materiae du tribunal porte sur le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les autres crimes graves du droit international relevant des lois du Soudan du Sud dont en particulier les crimes basés sur le genre et les violences sexuelles 799. Quant au Projet de Statut du THSS, il dispose en son Article 1(1) que « [t]he Hybrid Court shall have the power to investigate and prosecute persons responsible for serious violations of Sarah M.H. Nouwen, « ‘Hybrid Courts’ The Hybrid Category of a New Type of International Crimes Courts », (2006) 2:2 Utrecht Law Review 1990 à la p 190. 797 Ibid à la p 193. 798 Sarah Williams, Hybrid and Internationalised Criminal Tribunals: Selected Jurisdictional Issues, London, Hart Publishing, 2012 à la p 249. 799 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.3.2.1.4. 796 133 international law and or the laws of South Sudan committed in the territory of South Sudan since 15 December 2013 through the end of the Transitional Period […] », et en son Article 1(2) que « [t]he Hybrid Court shall have jurisdiction with respect to the following crimes: a) Genocide; b) Crimes Against Humanity; c) War Crimes; and d) Other serious crimes under international law and relevant laws of South Sudan, including gender-based crimes and sexual violence »800. Ainsi, étant donné que la fonction juridictionnelle du THSS est de poursuivre spécifiquement des crimes internationaux et nationaux, on peut en déduire qu’il est une juridiction de nature pénale. Pour le deuxième critère, le tribunal doit être temporel ou transitoire. À cet effet, seulement le R-ARCSS précise que le tribunal s’assurera de laisser un héritage permanent au Soudan du Sud à la fin de son mandat 801. Le Projet de Statut du THSS n’évoque pas la durée du mandat de l’institution. Toutefois, en s’en tenant au R-ARCSS, on peut aisément comprendre que le THSS sera institué seulement de façon ad hoc pour juger les crimes entrant dans son mandat. Sa compétence ratione temporis n’est donc pas illimitée, mais dépendra de l’épuisement des affaires qu’elle aura à juger sur la période de sa compétence. Cependant, en disposant que le Tribunal est compétent seulement pour les crimes commis du 15 décembre 2013 à la fin de la période transitionnelle, on peut se demander pourquoi une telle limitation de sa compétence temporelle, alors que l’on sait que plusieurs atrocités, pour lesquelles justice n’a point été rendue 802, ont eu lieu au Soudan du Sud durant plus d’un demi-siècle ? La première explication à cette délimitation temporelle nous semble être d’ordre politique. Elle tiendrait à la relation dialectique consubstantielle entre le droit et la politique803. Plus particulièrement, elle se justifie par la volonté de la communauté internationale et de l’Union africaine, en particulier, de ne pas fouiller loin dans le passé lointain au risque de devoir juger les crimes impliquant le Soudan, voire même la Grande Bretagne. Ce qui pourrait compromettre le processus de paix engagé dans la région. La deuxième explication est d’ordre technique. Elle tiendrait à la difficulté que pourrait avoir le THSS à rassembler 800 Projet de Statut du THSS Article 1(1)(2). R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Aricle 5.3.5.6. 802 Amanda Lucey et Liezelle Kumalo, How the AU Can Promote Transitional Justice in South Sudan, Institute for Security Studies, Peace Research Institute Oslo, East Africa Report 14, 2017 à la p 3. 803 Voir Aboubacar Dakuyo, « Insurrection populaire et justice transitionnelle au Burkina Faso : entre dyanamique « révolutionnaire » et réalisme politique », (2019) 38:2 Politique et Société 27 à la p 31. 801 134 les éléments de preuve nécessaires à la poursuite des crimes qui ont été perpétrés par exemple durant la colonisation ou lors la première ou la deuxième guerre civile. Mais de telles poursuites ne seraient pas totalement impossibles. Elles dépendent fondamentalement de la volonté des acteurs politiques et de l’Union africaine en particulier dans la situation d’espèce. Le troisième critère porte sur la composition internationale du tribunal. À cet égard, le R-ARCSS soutient que, que ce soit en première instance ou en appel, la composition du tribunal doit être faite en majorité de juges ressortissant d’États africains autres que le Soudan du Sud ; et qu’il appartient aux membres d’élire leur président 804. De plus, les procureurs et le conseil de la défense du tribunal doivent être composés de personnels des États africains autres que le Soudan du Sud, sans préjudice cependant du droit des accusés de choisir leurs propres conseils de défense en plus ou en remplacement du personnel de service du tribunal 805. Le greffier du THSS doit aussi être choisi parmi les États africains autres que le Soudan du Sud 806. En outre, les juges, les procureurs, les conseils de défense et le greffier doivent être nommés par le président de la Commission de l’Union africaine807. Cette procédure de sélection s’applique tant aux juges du Soudan du Sud qu’aux juges des autres pays africains 808. Ceci montre que les juges qui siègeront au THSS ne seront pas que des Sud-Soudanais. Ils seront associés à des juges d’autres pays mais exclusivement africains. Quant au Projet de Statut du THSS, il dispose en son Article 14(2) que « [a] Trial Chamber shall be composed of three judges, one of whom shall be a national of South Sudan and the remainder shall be from member states of the African Union (“Member States”). Any additional trial chambers shall be composed in the same manner », et dans son Article 14(3) que « [t]he Appeals Chamber shall be composed of five judges, two of whom shall be nationals of South Sudan, and the remainder from other Member States »809. C’est dire donc que l’Union africaine a choisi de faire du THSS, à l’image des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises810, une juridiction purement africaine dans sa composition. 804 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.3.3.2. Ibid Article 5.3.3.3. 806 Ibid Article 5.3.3.4. 807 Ibid Article 5.3.3.5. 808 Ibid. 809 Projet de Statut du THSS Article 14(2)(3). 810 Aux termes de l’article 11 du Statut des Chambres africaines extraordinaires du Sénégal, sur les vingt juges dont 805 135 Mais, cela n’enlève pas pour autant au THSS sa nature de juridiction pénale internationalisée, même si cette internationalité n’est en réalité qu’une régionalité. Le quatrième critère est relatif à l’assistance internationale dans le financement du tribunal. À ce niveau, même si le R-ARCSS ne mentionne pas expressis verbis le recours à des donateurs externes du Soudan du Sud pour assurer le fonctionnement du tribunal, on peut raisonnablement soutenir que le fait qu’il soit établi par la Commission de l’Union africaine811 sous-entend qu’au moins l’organisation contribuera à son budget de financement, et en plus ou à défaut, sollicitera d’autres contributions internationales. Quant au cinquième critère, c’est-à-dire que sa compétence matérielle soit un mélange entre le droit national et international, il se trouve tout d’abord satisfait par l’affirmation du R-ARCSS selon laquelle le THSS a pour mandat d’« enquêter et, le cas échéant, poursuivre les individus qui portent la responsabilité de violations du droit international et/ou du droit soudanais applicable à partir du 15 décembre 2013 jusqu’à la fin de la période transitionnelle » 812. En outre, comme mentionné précédemment, le Projet de Statut du THSS aussi dispose en son Article 1(1) que « [t]he Hybrid Court shall have the power to investigate and prosecute persons responsible for serious violations of international law and or the laws of South Sudan committed in the territory of South Sudan since 15 December 2013 through the end of the Transitional Period […] »813. Cela montre que le corpus juris applicable du tribunal conjuguera bien le droit national et le droit international. Finalement, le sixième critère portant sur la nécessité de l’implication d’entités autres que l’État affecté se trouve satisfait par le fait que le THSS sera adopté par la Commission de l’Union africaine, avec le soutien des Nations Unies 814. Au regard de la satisfaction des six critères proposés par Sarah Williams, on peut soutenir que le THSS relèvera de la catégorie des tribunaux internationalisés, mixtes ou sept suppléants que comptent les Chambres, seulement, les deux juges qui sont respectivement le président de la Chambre africaine d’assises de la Cour d’appel de Dakar et le président de la Chambre d’assises d’appel sont des nationaux d’autres États membres de l’Union africaine. Tous les autres juges des deux Chambres sont de nationalité sénégalaise. 811 Voir R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Aricle 5.3.1.1. 812 Ibid Aricle 5.3.1.1. 813 Projet de Statut du THSS Article 1(1). 814 Voir R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Aricle 5.3.1.1. 136 hybrides. Une fois ainsi établies ces caractéristiques du THSS, il nous faut aussi analyser les attributs de la Commission de vérité, de réconciliation et de guérison (CVRG). 2.2. – Les caractéristiques de la CVRG Pour ce qui sont des caractéristiques de la CVRG, à défaut d’avoir le texte législatif d’adoption de l’institution, nous nous limiterons au R-ARCSS. Selon ce dernier, « [t]he RTGoNU shall establish the CTRH as a critical part of the peacebuilding process in South Sudan, to spearhead efforts to address the legacy of conflicts, promote peace, national reconciliation and healing »815. La CVRG a par conséquent un triple objectif: la paix, la réconciliation nationale et la guérison des populations du Soudan du Sud. Pour parvenir à ces fins, le R-ARCSS définit le mandat de la CVRG en ces termes : the CTRH shall inquire into all aspects of human rights violations and abuses, breaches of the rule of law and excessive abuses of power, committed against all persons in South Sudan by State, non-State actors, and or their agents and allies. In particular, the CTRH shall inquire into the circumstances, surrounding the aforementioned and any other connected or incidental matters. Such inquiry shall investigate, document and report on the course and causes of conflict and identify or review cut-off timeframes for the operations of the CTRH, as may be determined by legislation, this Agreement or both. In that regard, the CTRH shall recommend processes for the full enjoyment by victims of the rights to remedy, including by suggesting measures for reparations and compensation816. Au regard de cette disposition, la CVRG apparaît comme une institution quasijudiciaire dont la compétence matérielle est large. Elle porte sur la documentation de toutes les violations des droits de la personne commises non seulement par l’État du Soudan du Sud mais aussi par des entités non étatiques, ainsi que les circonstances et les causes des conflits. Aussi, la disposition donne la possiblité de réviser la compétence temporelle de la CVRG par voie de législation, ce qui lui permettra de s’adapter aux réalités qui se présenteront à elle dans l’exercice de ses fonctions. Le mandat de la CVRG doit en outre aboutir à des recommmandations concrètes qui offrent aux victimes des recours effectifs et des mesures de réparation et d’indemnisation. Qui plus est, le RARCSS précise que les fonctions de la CVRG sont d’« [e]stablish an accurate and impartial historical record of human rights violations, breaches of the rule of law and excessive abuses of power, committed by State and non-state actors from the date of the 815 816 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.1.1. Ibid Article 5.2.2.1. 137 signing of the Agreement to July 2005 »817. En situant la compétence temporelle de la CVRG à partir de juillet 2005, c’est-à-dire, à partir du début de la période intérimaire instaurée par l’AGP jusqu’en 2018, cela signifie que pour les crimes graves commis durant la guerre civile post-décembre 2013, le THSS et la CVRG s’intéresseront aux mêmes faits818. Cela veut dire aussi qu’il sera nécessaire de coordonner les relations entre les deux institutions durant cette période. En ce qui concerne les caractéristiques particulières de la CVRG, selon le RARCSS, l’institution doit tout d’abord être adoptée par législation promulguée pas plus de trois mois après la formation du TGoNU et doit commencer ses travaux pas plus d’un mois après819. Une telle procédure d’adoption distingue la CVRG des autres dispositifs de paix et de reconciliation mis en place dans le passé dans le pays, dont par exemple, l’adoption par décret présidentiel en 2013 du Committee on National Healing, Peace and Reconciliation (CNHPR)820. L’adoption de la CVRG par législation pourrait théoriquement donner à l’institution une plus grande indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et, partant, plus de légimité821. En outre, alors que la grande majorité des CVR du passé étaient entièrement nationales 822, le R-ARCSS fait de la CVRG un mécanisme hybride823. Elle devra être composée de sept commissaires dont quatre devront être des nationaux du Soudan du Sud parmi lesquels deux devront être des femmes. Les trois autres commissaires devront être des nationaux d’autres pays africains parmi lesquels au moins un doit être une femme. L’institution devra être présidée par un Sud-Soudanais et avoir comme vice-président un non-Sud-Soudanais824. Pour ce faire, l’exécutif du RTGoNU devra nommer quatres commissaires de nationalité sud-soudanaise et les présenter à l’Assemblée législative nationale transitionnelle (ALNT) pour recueillir son approbation. Ensuite, l’exécutif de la R-TGoNU, en consultation avec la Commission de l’Union africaine et du Secrétaire général des Nations Unies devra nommer trois 817 Ibid Article 5.2.2.3.1. David K. Deng et Rens Willems, « Observations on the Mandate of South Sudan’s Commission on Truth, Reconciliation and Healing (CTRH) », South Sudan Law Society, University for Peace, Pax, April 2016, disponible en ligne sur <http://www.upeace.nl/cp/uploads/hipe_content/Observations-on-the-CTRH-Mandate---Policy-Brief.pdf>, consulté le 17 juillet 2019. 819 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.1.2. 820 Voir David K. Deng et Rens Willems, supra note 818. 821 Ibid. 822 Voir Priscilla B. Hayner, supra note 626. 823 Voir sur ce point David K. Deng et Rens Willems, supra note 818. 824 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.3.2. 818 138 commissaires issus des autres pays africains et présenter la liste à l’ALNT pour obtenir son approbation825. Le R-ARCSS dispose aussi que dans le but de promouvoir la paix et la réconciliation, le CNHPR de 2013 et la National Platform for Peace and Reconciliation (NPPR) adoptée en 2014, devront transférer leurs dossiers à la CVRG dans les quinze jours qui suivent son installation 826. La CVRG devra produire des rapports trimestriels d’activité pour informer le TGoNU sur ses progrès dans l’accomplissement de son mandat. Elle doit également prendre des dispositions pour informer les populations sur ses activités, en organisant des séances de sensibilisation envers les jeunes et les femmes en particulier 827. Elle devra délivrer son rapport final d’activités trois mois avant la fin de la période transitionnelle 828. De ce fait, étant donné que la période transitionnelle aura une durée de trente six (36) mois829, on peut en déduire que la durée du mandat de la CVRG sera de 29 mois, soit deux ans cinq mois. Un tel délai parait court au regard de l’ampleur des atrocités commises au Soudan du Sud. En comparaison, la TRC du Libéria a été adoptée en février 2006 et son rapport a été rendu public en juin 2009, soit en une durée de trois ans et quatre mois; la TRC de la Sierra Leone a été adoptée en février 2000 et son rapport a été soumis au président Ahmed Tijan Kabbah en octobre 2004, soit en une durée de quatre ans et neuf mois ; la TRC de l’Afrique du Sud a été établie en juillet 1995 et son rapport a été présenté au président Nelson Mandela en octobre 1998, soit en une durée de trois ans et quatre mois 830. Selon Deng et Willem, en raison de l’insécurité au Soudan du Sud et des difficultés logistiques qui pourraient se poser, la CVRG aura probablement besoin d’un délai de trois à cinq ans pour accomplir son mandat. Ils soutiennent en outre, qu’un délai plus long que cinq ans pourrait cependant rendre peu pertinentes les recommandantions qui seraient formulées par la Commission 831. Par ailleurs, le R-ARCSS établit une relation entre la CVRG et les juridictions traditionnelles. Il précise que pour la détermination des recours pour les victimes et les 825 Ibid Article 5.2.3.3. Ibid Article 5.2.1.4. 827 Ibid Article 5.2.2.4. 828 Ibid Article 5.2.2.5. 829 Ibid Chapitre I Article 1.1.2. 830 Priscilla B. Hayner, Unspeakable Truths: Transitional Justice and the Challenge of Truth Commissions, New York, London, Routledge, 2e édition, 2011. 831 David K. Deng et Rens Willems, supra note 818. 826 139 mesures de réparation et d’indemnisation, la CVRG peut se fonder sur les pratiques, les processus et les mécanismes traditionnels lorsque cela est nécessaire 832. L’accord va en outre plus loin en soulignant qu’une des fonctions de la CVRG sera de, « where appropriate, supervise proceeding of traditional dispute resolution, reconciliation, and healing mechanisms ». Il ajoute que la CVRG devra « [i]n this regard, and without prejudice to traditional justice mechanisms, develop standard operating procedures for the latter, in accordance with the principles of natural justice » 833. Au regard de ces dispositions, le R-ARCSS semble non seulement mettre la CVRG au dessus des mécanismes de justice traditionnelle du Soudan du Sud, mais aussi faire de celle-ci l’organe de coordination de leurs activités. Nous analyserons cette question plus tard dans la section sur le rôle transformatif de la CVRG. En attendant, examinons les relations que le R-ARCSS établit entre le THSS et la CVRG. 2.3. – Les relations entre le THSS et la CVRG Dans les sociétés post-conflictuelles, les Commissions de vérité et les tribunaux mis en place pour répondre aux crimes commis sont généralement intéressées par les mêmes évènements, les mêmes victimes, les mêmes témoins, les mêmes auteurs présumés et les mêmes preuves 834. Dans le contexte du Soudan du Sud, le R-ARCSS souligne que le THSS, la CVRG et l’AIR « shall independently promote the common objective of facilitating truth, reconciliation and healing, compensation and reparation in South Sudan »835. Toutefois, en dépit de cet objectif commun entre le THSS et la CVRG, il faut noter que ce sont des institutions de nature différente. Le THSS est une institution judiciaire qui vise l’engagement de la responsabilité pénale des personnes suspectées d’avoir commis des violations du droit international et du droit sud-soudanais applicable à partir de décembre 2013 836. A contrario, la CVRG pourrait être considérée comme une institution quasi-judiciaire dont le rôle est « to spearhead efforts to address the legacy of conflicts, promote peace, national reconciliation and healing » 837. Mais malgré leurs 832 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.1.5. Ibid Article 5.2.2.3.9. 834 Voir Elizabeth M. Evenson, « Truth and Justice in Sierra Leone: Coordination between Commission and Court », (2004) 104:3 Columbia Law Review 730 à la p 744. 835 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.1.3. 836 Ibid Article 5.3.1.1. 837 Ibid Article 5.2.1.1. 833 140 mandats qui partagent les mêmes objectifs, le R-ARCSS n’établit pas une relation juridique claire entre les deux institutions. Quant au Projet de Statut du THSS, il se borne seulement à souligner que « [t]he Hybrid Court may, subject to the interests of justice, refer to the Commission on Truth, Reconciliation and Healing any matter which is not of sufficient gravity to warrant prosecution before the Hybrid Court and which has not been or will not be referred to a national jurisdiction » 838. De ce fait, plusieurs approches pourraient être envisagées pour encadrer cette relation. Il y a d’abord l’approche selon laquelle les deux institutions ont une relation coordonnée. Un premier exemple de cette situation a été constaté en Afrique du Sud à la fin du régime de l’apartheid. En effet, bien que le pays n’ait pas adopté de tribunal pénal spécial pour poursuivre les crimes commis, les poursuites devant les juridictions nationales étaient étroitement liées à la recherche de vérité devant la TRC. La prise en considération d’une affaire par le Comité des amnisties de la TRC avait un effet suspensif sur les poursuites civiles ou pénales pour les mêmes infractions, et toute amnistie accordée par le Comité exemptait le bénéficiaire de toute poursuite civile ou pénale 839. L’amnistie était ainsi conçue comme un incitatif qui permettait aux personnes qui avaient commis des infractions à motivation politique d’avouer leurs forfaits au Comité des amnisties afin de ne pas être poursuivies pour ces violations 840. Dans ce contexte, la vérité était prioritaire sur les poursuites pénales puisque ces dernières étaient conçues juste comme une menace en vue d’obtenir des confessions 841. Un autre exemple est le Timor oriental où la Commission de vérité et de réconciliation devait déférer au bureau du Procureur Général les situations de violations graves des droits des personnes et lui faire des recommandations quant à des poursuites à entreprendre842. Contrairement à l’Afrique du Sud, les poursuites étaient prioritaires dans ce contexte 843. Ce faisant, aucune personne ne pouvait être obligée à témoigner devant la Commission sans son 838 Projet de Statut du THSS, Article 10(4). Voir Afrique du Sud, Promotion of National Unity and Reconciliation Act, No 34, 1995, Sections 19(6) et 20(7)(a), disponible en ligne sur <http://www.justice.gov.za/legislation/acts/1995-034.pdf>, consulté le 26 juin 2019. Voir aussi Alison Bisset, Truth Commissions and Criminal Courts, Cambridge, Cambridge University Press, 2012 à la p 75. 840 Martha Minow, supra note 640 à la p 53. 841 Alison Bisset, supra note 839 à la p 77. 842 Voir United Nations Transitional Administration Administration in East Timor (UNTAET), Regulation No 2001/10 on the Establishment of a Commission for Reception, Truth and Reconciliation in East Timor, UNTAET/REG/2001/10, 13 juillet 2001, Section 3.1(e). 843 Alison Bisset, supra note 839 à la p 85. 839 141 consentement en s’auto-incriminant ou en incriminant les membres de sa famille 844. En conséquence, la Commission était relativement faible du fait qu’elle n’avait pas le pouvoir d’obtenir les informations dont elle avait besoin845. Une autre approche de gestion des relations entre une Commission de vérité et un tribunal est l’absence de coordination entre les deux institutions. Ce qui semble être le cas entre la CVRG et le THSS au regard du Projet de Statut du THSS. Un exemple de cette situation est la relation entre le TSSL et la Truth and Reconciliation Commission (TRC) de la Sierra Leone. Cette Commission résulte de l’Accord de paix de Lomé signé entre le gouvernement de la Sierra Leone et le Front révolutionnaire Uni en 1999 846. Du fait qu’elle a été créée ultérieurement en raison de la reprise des combats, la TRC de la Sierra Leone et le TSSL ont été établis de façon indépendante 847 et leur relation n’a pas été formellement clarifiée848. Cela a créé des difficultés quant au partage d’informations, la protection des témoins, le partage des ressources et les procédures d’enquête 849. En effet, la TRC avait le pouvoir de convoquer ou de sommer toute personne à comparaître850. Cependant, en vertu de son Statut, le TSSL avait la primauté sur toutes les juridictions sierra-léonaises 851. Le TSSL a interprété son Statut comme étant au-dessus de toutes les institutions de la Sierra Leone et en conséquence au dessus de la TRC. Il déclarait que : the Special Court, which has an overriding duty to try those accused of bearing greatest responsibility for the war, was not in prospect when the TRC was given statutory form. In consequence, the provisions of the TRC Act do not envisage that indictees may testify to it or any basis upon which they might do so. The Special Court was given, by Article 8 of its Statute, a primacy over the national courts of Sierra Leone (and, by implication, over national bodies like the TRC). It has an overriding duty to prosecute those alleged to bear the greatest responsibility for the war, with which duty the Government bound itself to co-operate. There was nothing in the Court's Agreement or Statute which required the 844 Voir United Nations Transitional Administration Administration in East Timor (UNTAET), supra note 839 Section 17(1)(2)(3)(4)(5). 845 Alison Bisset, supra note 839 à la p 86. 846 Peace Agreement between the Government of Sierra Leone and the Revolutionary United Front of Sierra Leone, Lomé, Togo, 7 juillet 1999. 847 Alison Bisset, supra note 839 aux pp 90-91. 848 Voir William A. Schabas et Shane Darcy (éds.), Truth Commissions and Courts: The Tension Between Criminal Justice and the Search for Truth, Dordrecht, The Netherlands, 2004 aux pp 3-54. 849 Elizabeth M. Evenson, supra note 834 aux pp 732-733. Voir aussi William A. Schabas, « The Relationship between Truth Commissions and International Courts: The Case of Sierra Leone », (2003) 25 Human Rights Quarterly 1035. 850 Sierra Leone, Truth and Reconciliation Commission Act 2000, Section 8.1(g). 851 Statut du TSSL, adopté par accord du 16 janvier 2002 est annexé au Rapport de la mission de planification en vue de la création d’un Tribunal spécial pour la Sierra Leone, transmis par la Lettre datée du 6 mars 2002, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, S/2002/246, 8 mars 2002 [Statut du TSSL] Article 8(2). 142 Court to compromise its justice mission by deferring to local courts or national institutions852. Ce faisant, la population était confuse quant à la relation entre les deux institutions853. L’affaire Samuel Hinga Norman a mis en lumière les difficultés d’une telle absence de coordination. Dans cette affaire, la TRC a voulu auditionner des personnes inculpées devant le TSSL en toute confidentialité 854. En réponse à cette demande, le TSSL a voulu en profiter pour obtenir des informations qui pourraient lui être utiles dans ses poursuites futures. Dans le but de respecter les procédures d’équité, la TSSL a adopté une directive qui stipule que l’audition des inculpés devait se faire par des juristes, de façon enregistrée et transcrite, et mise à la disposition de n’importe quelle partie à la demande du juge qui préside le tribunal 855. La TRC a réprouvé une telle directive en la considérant méprisant à l’égard de ses auditions qui doivent être confidentielles 856. Sur ces entrefaites, elle a changé de méthode en décidant plutôt d’auditionner publiquement Samuel Hinga Norman, l’ancien leader des Forces de défense civile. Cette démarche a donné lieu à un procès devant la Chambre d’appel du TSSL, à l’issue duquel la requête de la TRC a été déboutée 857. Cette affaire est illustrative des tensions qui peuvent survenir entre une Commission de vérité et un tribunal si leur relation n’est pas clairement définie ex ante. Pour éviter ces conflits potentiels et surtout pour faire en sorte que les deux institutions ne soient pas pour l’une et l’autre un obstacle 852 Voir TSSL, Prosecutor v. Samuel Hinga Norman (Case No. SCSL-2003-08-PT-122), Decision on Appeal by the Truth and Reconciliation Commission for Sierra Leone and Chief Samuel Hinga Norman JP against the Decision of his lordship, Mr Justice Bankole Thompson Delivered on 30 November 2003 to Deny the TRC’s Request to Hold a Public Hearing with Chief Samuel Hinga Norman JP, 28 novembre 2003 au para 4. 853 Alison Bisset, supra note 839 aux pp 90-91. Voir aussi Marieke Wierda, Priscilla Hayner et Paul van Zyl, Exploring the Relationship Between the Special Court and The Truth and Reconciliation Commission of Sierra Leone, The International Center for Transitional Justice, New York, 24 juin 2002; Elizabeth M. Evenson, supra note 834; Abdul Tejan-Cole, « The Complementary and Conflicting Relationship Between the Special Court for Sierra Leone and the Truth and Reconciliation Commission », (2003) 6 Yale Human Rights and Development Law Journal 139. 854 Voir la lettre du 9 septembre 2003 de la TRC au greffier du Tribunal spécial, Robin Vincent, cité dans TRC, Witness to Truth : The Report of the Sierra Leone Truth and Reconciliation Commission, Chapter 6, 2004, disponible en ligne sur <http://www.sierraleonetrc.org/index.php/view-the-final-report/download-table-of-contents/volume-threeb/item/witness-to-the-truth-volume-three-b-chapter-5-2>, consulté le 26 juin 2019, au para 87. Voir aussi Alison Bisset, supra note 839 à la p 93. 855 Voir TSSL, Practice Direction on the procedure following a request by a State, The Truth and Reconciliation commission, or other legitimate authority to take a statement from a person in custody of the Special Court for Sierra Leone, adopté le 9 septembre 2002, disponible en ligne sur <http://www.rscsl.org/Documents/PRACTICE_DIRECTION_Request_for_Statement.pdf>, consulté le 26 juin 2019. Voir aussi également Alison Bisset, supra note 839 à la p 93. 856 Alison Bisset, supra note 839 aux pp 93-94. 857 TSSL, Prosecutor v. Samuel Hinga Norman (Case No. SCSL-2003-08-PT-101), Decision on the Request by the the Truth and Reconciliation Commission of Sierra Leone to Conduct a public Hearing with Samuel Hinga Norman, 29 octobre 2003. 143 dans l’accomplissement de leurs missions respectives, il nous semble nécessaire que des mesures soient prises bien avant le début de leurs activités afin de coordonner leur relation. Pour ce faire, des canaux de communication pourraient être établis entre le bureau du procureur et la Commission de vérité pour étudier ces questions 858. En examinant le mandat de la CVRG, le R-ARCSS précise que « [w]ithout prejudice to the administration of and access to justice, the CTRH shall inquire into all aspects of human rights violations »859. Par cette disposition, on pourrait déduire que le R-ARCSS considère l’exécution de la mission de la CVRG comme devant se faire en complète coopération et surtout en subordination au THSS dans le but de ne pas entraver le processus de la justice pénale. Toutefois, pour que les deux institutions puissent contribuer pleinement à la transformation du Soudan du Sud, elles pourraient fonctionner de façon autonomes car elles ne sont pas de même nature, n’ont ni les mêmes mandats ni les mêmes méthodes de travail. Ainsi, le fait que le R-ARCSS précise que le THSS aura la primauté sur tous les tribunaux nationaux du Soudan du Sud860, ne doit donc pas être interprété comme lui donnant préséance sur la CVRG. En tout état de cause, il sera plus utile que dans la foulée de l’adoption de la législation qui devra régir le THSS et la CVRG que des dispositions soient prévues pour mieux coordonner la relation entre les deux instutitions. Cela éviterait des conflits comme ce fut le cas en Sierra Leone. Après avoir défini les spécificités juridiques des mécanismes de justice transitionnelle, il convient à présent d’examiner quelques facteurs qui ont présidé au choix du THSS en particulier. 3. – Les facteurs explicatifs du choix du THSS Plusieurs facteurs peuvent expliquer le choix des négociateurs du R-ARCSS pour l’adoption du THSS comme juridiction pénale transitionnelle pour le Soudan du Sud. Ceux-ci sont d’abord endogènes car ils se rapportent à l’incapacité des juridictions nationales, en leur état actuel, à mener à bien des poursuites de crimes internationaux (3.1) ; ensuite, il y a des facteurs exogènes qui portent sur les tensions actuelles entre l’Union africaine et la Cour pénale internationale (3.2) ; enfin, il existe des facteurs Voir Haut-Commissariat des Nations-Unis, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit : Les Commissions de vérité, supra note 14 à la p 27. 859 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.2.1. 860 Ibid Article 5.3.2.2. 858 144 conjoncturels relatifs à la préférence actuelle de la communauté internationale pour le modèle de tribunal hybride au lieu de tribunal international ad hoc (3.3). L’analyse de chacun de ces facteurs pourrait faire l’objet de longs développements. Mais, pour les besoins de l’objectif principal de ce chapitre qui vise à démontrer le rôle transformatif des mécanismes de justice transitionnelle, nous allons seulement présenter ces facteurs de façon succincte. 3.1. – Les défaillances du système judiciaire national Selon le rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, au Soudan du Sud, « [t]he justice institutions are under-funded and are characterized by a lack of financial and material resources, poor or non-existent infrastructure, particularly outside of urban centres, a lack of transportation and a living wage » 861. Plusieurs facteurs expliquent cet état de faiblesse du système judiciaire du pays. Il y a d’abord les longues années de marginalisation politique et économique, et les guerres civiles que la région a connues depuis la période coloniale jusqu’à sa sécession du Soudan. L’AGP de 2005 avait cependant donné l’espoir de voir l’érection de quelques institutions au Soudan du Sud. Mais la guerre civile qui a commencé en décembre 2013, a non seulement presque totalement détruit le peu d’institutions qui existaient dans la région, mais en plus, elle a installé une crise de confiance profonde entre celles-ci et les populations locales 862. En effet, en dépit des garanties constitutionnelles 863, l’indépendance de l’appareil judiciaire n’est pas encore effective dans le pays. Les pouvoirs exécutifs et militaires s’immisceraient régulièrement dans le fonctionnement de la justice 864. L’appareil judiciaire du nouvel État n’est pas en mesure de garantir la protection des victimes de violations des droits de la personne, d’accorder de l’aide juridique aux défendeurs qui ne peuvent pas se payer un avocat et de garantir un procès juste et équitable 865. En outre, la justice connaîtrait d’autres défaillances comme des détentions abitraires et abusives, l’utilisation non appropriée des recours civils et des sanctions pénales par les autorités 861 Human Rights Council, Report of the Commission on Human Rights in South Sudan, Thirty-seventh session, A/HRC/37/CRP.2, 6 March 2018 au para 667. 862 RCEUASS, supra note 203 au para 988. Voir aussi Amanda Lucey et Liezelle Kumalo, supra note 802 à la p 5. 863 CTSS Articles 123(2) ; 125(1)(2). 864 RCEUASS, supra note 203 au para 281. 865 Human Rights Council, Report of the Commission on Human Rights in South Sudan, Thirty-seventh session, A/HRC/37/CRP.2, 23 February 2018 au para 669. 145 traditionnelles, l’absence de défense juridique pour toutes les personnes accusées d’infraction capitale et la protection des femmes et des jeunes filles contre les violences sexuelles866. Sur le plan du droit substantif, au moment de l’indépendance du Soudan du Sud, le pays avait choisi de quitter le système juridique soudanais dominé par la sharia pour adopter celui de la Common Law. De ce fait, la plupart des juges de Comté qui ne s’exprimaient qu’en arabe et n’appliquaient que le droit islamique devait désormais rendre justice en anglais et dans la tradition juridique de la Common Law. Ce faisant, il prendra beaucoup de temps au système judiciaire du jeune État pour s’adapter à ce changement867. En outre, la situation de pluralité des ordres normatifs et des systèmes judicaires qui caractérise le pays pose de sérieux défis quant à l’accès à la justice, particulièrement pour les femmes et les enfants868. En raison de la technicité et de la complexité qui caractérise les crimes internationaux, leur poursuite requiert une certaine expertise qui n’est pas encore disponible au sein des juridictions pénales nationales du pays. Dans ces conditions, il aurait fallu attendre au préalable que soient réalisés des réformes substantielles et des renforcements de capacité au sein du système judiciaire national avant de procéder aux poursuites pénales des crimes internationaux. Les négociateurs du R-ARCSS ne pouvaient manifestement pas attendre ces réformes qui pourraient prendre du temps, et ce faisant, pourraient compromettre la recherche des preuves nécessaires aux inculpations. Il fallait donc rapidement adopter un autre mécanisme. Le choix du THSS s’explique par ce contexte. Mais, celui-ci n’est pas le seul élément explicatif. Des facteurs exogènes liés aux tensions entre l’Union africaine et le système de justice pénale internationale tel qu’incarné par la Cour pénale internationale ont largement aussi pesé dans la balance en faveur de l’adoption du THSS. 3.2 – Les tensions entre l’Union africaine et la CPI Le choix du THSS comme mécanisme de poursuite et de justice des crimes qui ont été commis au Soudan du Sud s’explique également par des facteurs exogènes. Ceux-ci 866 David K. Deng, supra note 430 à la p 14. Human Rights Council, Report of the Commission on Human Rights in South Sudan, Thirty-seventh session, A/HRC/37/CRP.2, 23 February 2018 au para 668. 868 Justice Africa, « Justice in Practice: South Sudan », 2015, disponible en ligne sur <https://blogs.lse.ac.uk/jsrp/files/2015/05/FINAL_JA-SouthSudanSpring2015.pdf>, consulté le 4 juin 2019. Voir aussi Ibid aux paras 679-681. 867 146 portent notamment sur les relations tendues entre l’Union africaine et le système de justice pénale internationale depuis une vingtaine d’années. En effet, ces tensions remontent à 2000 lorsque la Belgique lance un mandat d'arrêt contre le ministre des affaires étrangères de la République Démocratique du Congo Abdoulaye Yerodia Ndombasi pour des crimes constituant des violations graves du droit international humanitaire. Cette affaire qui a été portée devant la Cour internationale de justice (CIJ)869 a commencé à susciter des inquiétudes en Afrique sur la question de l’immunité des officiels de l’État870. De plus, en 2008, le Chef de protocole du Président Kagame du Rwanda est arrêté en Allemagne à la suite d’un mandat d'arrêt lancé contre elle par la France en raison de sa responsabilité présumée dans les tirs sur l'avion du Président Habyarimana – un incident qui a conduit au génocide rwandais de 1994 871. En plus, il convient de signaler que l’Espagne avait émis plusieurs mandats d’arrêt contre une quarantaine de responsables politiques et militaires rwandais, y compris le Président Kagame872. Cette situation déplut à Kagame qui la porta devant le l’Assemblée générale des Nations Unies, en avertissant contre le risque de « chaos juridique » qui surviendrait du fait que des États se considérant puissants font un usage abusif du principe de la compétence universelle à l’égard d’autres États considérés faibles 873. Réagissant à ces évènements, l’Union africaine soutient que les dirigeants africains font effectivement l’objet d’une application abusive de la compétence universelle par des États non africains et que cela « est une violation flagrante de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de ces États »874. En conséquence, elle demande à ses États membres de ne pas exécuter ces mandats d’arrêt875. 869 Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, CIJ, Recueil 2002 à la p 3. Voir Max du Plessis, Tiyanjana Maluwa et Annie O’Reilly, Africa and the International Criminal Court, disponible en ligne: ˂http://www.chathamhouse.org/sites/default/files/public/Research/International%20Law/0713pp_iccafrica.pdf ˃, 2013, visité le 29 mai 2019 à la p 3. 871 Le Figaro, « Paris fait arrêter une proche du président rwandais », disponible en ligne sur <http://www.lefigaro.fr/international/2008/11/10/01003-20081110ARTFIG00422-paris-fait-arreter-une-proche-dupresident-rwandais-.php>, consulté le 29 mai 2019. 872 Stéphanie Maupas, « Un juge espagnol émet 40 mandats d'arrêt contre les chefs de l'armée rwandaise », publié en ligne le 07 février 2008 dans Le Monde Afrique sur <https://www.lemonde.fr/afrique/article/2008/02/07/un-jugeespagnol-emet-40-mandats-d-arret-contre-les-chefs-de-l-armee-rwandaise_1008523_3212.html>, visité le 29 mai 2019. 873 United nations, General Assembly, Official Records, Sixty-third session, 6th plenary meeting, A/63/PV.6, 23 September 2008 à la p 6. Voir aussi Max du Plessis, Tiyanjana Maluwa et Annie O’Reilly, supra note 867. 874 Assembly/AU/Dec.199 (XI), Décision sur le rapport relatif à l'utilisation abusive du principe de compétence universelle – Doc. Assembly/AU/14(XI), 30 juin-1er juillet 2008. 875 Ibid. 870 147 La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est intervenue lorsque la CPI a lancé un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre contre l’ex-Président du Soudan M. Oumar el Béchir, le 4 mars 2009, pour son rôle présumé dans les conflits qui ont eu lieu au Darfour à partir de 2003 876, à la suite du renvoi de la situation devant la Cour par le Conseil de sécurité des Nations Unies 877. Considérant que ce mandat compromettrait ses démarches de paix au Darfour, l’Union africaine saisit le Conseil de sécurité pour obtenir la suspension du mandat pour une période d’une année comme le prévoit l’article 16 du Statut de la CPI878. N’ayant pas obtenu gain de cause, et se considérant victime d’un traitement différencié et discriminatoire de la part des pays occidentaux, l’Union africaine a commencé à s’attaquer vertement au système de justice pénale internationale en le fustigeant d’être biaisé à l’égard du continent africain 879. Elle réitère sa décision demandant aux États africains de ne pas coopérer avec la CPI et rejète temporairement la demande de la Cour d’ouvrir un bureau d’attache au siège de l’organisation à Addis-Abeba en Éthiopie880. Pour Jean Ping, alors Président de la Commission de l’Union africaine, « la justice internationale ne semble appliquer les règles de la lutte contre l’impunité qu’en Afrique, comme si rien ne se passait ailleurs en Irak, à Gaza, en Colombie ou dans le Caucase » 881. Dans ce contexte, les relations entre la CPI et les États africains se détériorent davantage lorsque le Procureur de la Cour fait usage de ses pouvoirs proprio motu pour enquêter sur la situation des violences postconflictuelles au Kenya en considérant comme présumés auteurs, Uhuru Kenyatta et 876 Cour pénale internationale, Chambre préliminaire I, Situation au Darfour (Soudan) affaire le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir (« Omar Al Bashir »), No ICC‐02/05‐01/09, 4 mars 2009. Toutefois, en 2010, le Procureur de la CPI interjeta appel sur le mandat d’arrêt de 2009 et le génocide fut ajouter aux chefs d’accusation, voire Cour pénale internationale, Chambre préliminaire I, Situation au Darfour (Soudan) affaire le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, No ICC‐02/05‐01/09, 12 juillet 2010. 877 Conseil de sécurité des Nations Unies, S/RES/1593 (2005) du 31 mars 2005. 878 En évoquant les modalités de « sursis à enquêter ou à poursuivre », l’Article 16 du Statut de la C.P.I, supra note 13, dispose que « [a]ucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions ». 879 Pour comprendre davantage sur cette question, voir par exemple Charles C. Jalloh, Dapo Akande et Max du Plessis, « Assessing the African Union Concerns about Article 16 of the Rome Statute of the International Criminal Court » 4 (2011) African Journal of Legal Studies 5 ; Kamari Maxine Clarke et Sarah-Jane Koulen, « The Legal Politics of the Article 16 Decision: The International Criminal Court, the UN Security Council and Ontologies of a Contemporary Compromise », 7 (2014) African Journal of Legal Studies 297. 880 Assembly/AU/Dec.296(XV), Decision sur la mise en œuvre de la decision Assembly/AU/Dec.270 (XIV) relative à la deuxieme reunion ministerielle sur le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), Doc. Assembly/AU/10(XV), 25-27 juillet 2010. 881 Propos rapportés par Pacifique Manirakiza, « L'Afrique et le système de justice pénale internationale » (2009) 3 African Journal of Legal Studies 21 aux pp 32-33. 148 William Ruto, alors respectivement vice-Premier Ministre et Ministre de l’éducation. À la suite de ces poursuites, le Kenya a demandé un sommet extraordinaire de l’Union africaine pour discuter de l’avenir de la relation entre l’Afrique et la CPI882. À l’issue du sommet, les Chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine ont décidé « qu’aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un chef d’État ou de gouvernement en exercice ou toute autre personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité durant son mandat »883. Après cette décision, les critiques de leaders africains envers la CPI ont continué de plus belle, allant même jusqu’à qualifier la Cour d’institution néo-colonialiste au service de l’Occident884. Toutefois, l’Union africaine a souligné que ses réprobations de la CPI ne doivent pas être interprétées comme une opposition à la justice, mais plutôt comme la reconnaissance qu’une imposition de la justice sans la prise en compte des préoccupations légitimes de l’Afrique pourrait bien desservir la justice885. Ces situations pourraient avoir contribué à ce que l’Union africaine ne demande pas au Conseil de sécurité de déférer la situation du Soudan du Sud à la CPI. Après ces évènements, l’organisation régionale a plutôt entamé un processus législatif qui a abouti à l’adoption du projet de Protocole de Malabo sur le Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme886. Celle-ci résulte de la fusion de deux juridictions de l’Union africaine qui sont la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples 887 et la Cour de justice de l’Union africaine888. La nouvelle Cour envisagée 882 Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 564 à la p 24. Décision sur les relations entre l'Afrique et la Cour pénale internationale (CPI) Ext/Assembly/AU/Dec.1(Oct.2013), 12 octobre 2013. Voir aussi Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 561 aux pp 24-25. 884 Pour en savoir plus sur ce point, voir par exemple Patryk I. Labuda, « The International Criminal Court and Perceptions of Sovereignty, Colonialism and Pan-African Solidarity » (2013-2014) 20 African Yearbook of International Law 289. 885 African Union Panel of the Wise, Peace, justice, and reconciliation in Africa: opportunities and challenges in the fight against impunity, The African Union Series, International Peace Institute (IPI), February 2013, <https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/ipi_e_pub_peacejusticeafrica.pdf>, consulté le 7 juin 2019. 886 Protocole sur les amendements au Protocole relatif au Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, adopté lors de la Vingt-troisième session ordinaire de l’Assemblée de l’Union africaine, 26-27 juin 2014, Malabo, Guinée Équatoriale, Décision sur les projets d’instruments juridiques, Doc. Assembly/AU/8(XXIII), [ci-après : Protocole de Malabo relatif au Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme]. 887 Elle est compétente pour juger les requêtes alléguant de violations de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples supra note 598. En vertu du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples [Protocole sur la Cour africaine], adoptée le 10 juin 1998, AU Doc. AU/LEG/MIN/AFCHPR/PROT.1 rev. 2 (1997), entré en vigueur le 25 janvier 2004, la Cour reçoit des plaintes provenant des États parties. Toutefois, pour que des requêtes soient reçues de la part des individus et des ONG, il faudrait que l’État qui accepte la compétence de la Cour fasse une déclaration autorisant l’acceptation de telles requêtes (Protocole sur la Cour africaine, Articles 5(3) & 34(6)). 888 La Cour de justice de l’Union africaine fonctionne (CJUA) à l’image de la Cour internationale de justice. Voir sur ce point Abdoul Kader Bitié, « L’africanisation de la justice pénale internationale : entre motivations politiques et 883 149 aura une compétence qui s’étend aux poursuites des crimes internationaux et transnationaux. Elle se présente ainsi comme la toute première juridiction pénale régionale compétente pour juger les crimes internationaux et d’autres crimes graves commis sur le continent africain 889. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la politique d’“africanisation de la justice pénale internationale”890, c’est-à-dire, de l’idée que “les crimes commis en Afrique soient jugés seulement en Afrique” dont une des étapes importantes a été engagée par les procès de l’ancien Président tchadien Hussène Habré devant les juridictions sénégalaises. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les négociations sur l’adoption d’un tribunal hybride pour répondre aux crimes graves qui ont été commis dans la guerre civile au Soudan du Sud. À la question de savoir pourquoi avoir adopté ce type de tribunal alors que les parties prenantes et les négociateurs auraient pu tout simplement déférer la situation devant la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, la réponse est que le Statut créant cette Cour n’est pas encore en vigueur. Le protocole et le Statut de la Cour entreront en vigueur 30 jours après le dépôt des instruments de ratification de 15 États membres 891. En septembre 2020, 15 États avaient signé le Protocole portant amendements au Protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme et aucun État ne l’avait ratifié892. Il nous semble en outre que les négociateurs du R-ARCSS aient préféré adopter le modèle de tribunal hybride au Soudan du Sud pour des raisons liées à la préférence actuelle de la communauté internationale pour ce type de juridiction pénale. Il convient de présenter brièvement les facteurs qui expliquent ce choix. juridiques », (2017) Revue québécoise de droit international 143 à la p 161. La CJUA est compétente pour juger des litiges qui opposent les États parties au Protocole de la Cour de justice de l’Union africaine, Doc off UA (2003), adopté par la 2è session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine à Maputo, le 11 juillet 2003, entrée en vigueur le 11 février 2009. Voir en particulier les Articles 18 et 19. 889 Pacifique Manirakiza, « Complementarity between the International Criminal Law Section and Human Rights Mechanisms in Africa », dans Charles C. Jalloh, Kamari M. Clarke et Vincent O. Nmehielle (éds.), The African Court of Justice and Human and Peoples’ Rights in Context: development and challenges, Cambridge, Cambridge University Press, 2019 aux pp 989-990. 890 Voir sur ce point Abdoul Kader Bitié, supra note 888. 891 Voir Union africaine, Protocole portant sur le statut de la cour africaine de justice et des droits de l’homme, adopté par la onzieme session ordinaire de la conférence tenue le 1er juillet 2008 à Sharm El-Sheikh (Égypte), Doc off UA (2008), Article 9 du Chapitre III intitulé « Dispositions finales ». 892 Union africaine, « Liste des pays qui ont signé, ratifié/adhéré le Protocole portant amendements au Protocole portant Statut de la Cour Africaine de Justice et des Droits de l'Homme », 6 février 2019, disponible en ligne sur <https://au.int/sites/default/files/treaties/36398-slPROTOCOL%20ON%20AMENDMENTS%20TO%20THE%20PROTOCOL%20ON%20THE%20STATUTE%20OF %20THE%20AFRICAN%20COURT%20OF%20JUSTICE%20AND%20HUMAN%20RIGHTS.pdf>, consulté le 7 juin 2019. 150 3.3 – La préférence actuelle pour le modèle de tribunal hybride Depuis ces deux dernières décennies, nonobstant la contribution importante des tribunaux pénaux internationaux ad hoc comme le TPIY et le TPIR dans la répression des crimes internationaux893, la tendance est à la préférance des tribunaux pénaux internationalisés ou “hybrides”. Ainsi, les juridictions hybrides qui ont été créées à ce jour sont : les Panels spéciaux pour les crimes graves commis du Timor oriental (2000)894; les Panels de la Résolution 64 du Kosovo (2000)895; les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens (CETC) (2001) 896; le Tribunal Spécial Irakien (TSI) (2003) 897; le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) (2002) 898; la Chambre pour les crimes de guerre du Tribunal d’État de Bosnie-Herzégovine (2004)899; le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) (2009)900; les Chambres africaines extraordinaires du Sénégal (2013)901; la Cour pénale spéciale (CPS) de la République Centrafricaine (2015)902. En plus des caractéristiques précédemment indiquées qui définissent la nature “hybride” de ces Voir sur ce point David Cohen, « “Hybrid” Justice in East Timor, Sierra Leone, and Cambodia: “Lessons Learned” and Prospects for the Future », (2007) 43:1 Stanford Journal of International Law 1 aux pp 1-6. 894 Voir United Nations Transitional Administration in East Timor (UNTAED), Regulation No 2000/15, UNTAET/REG/2000/15 du 6 June 2000, [ci-après: UNTAED, Résolution No 2000/15], disponible en ligne sur <https://www.legal-tools.org/doc/c082f8/pdf/>, consulté le 12 juin 2019. 895 Voir United Nations Interim Administration in Kosovo (UNMIK), Regulation No 2000/64, UNMIK/REG/2000/64 du 15 décembre 2000, [ci-après: UNMIK, Résolution No 2000/64]. La resolution est disponible sur <http://www.unmikonline.org/regulations/2000/re2000_64.htm>, consulté le 11 juin 2019. 896 Voir General Assembly of the United Nations, Resolution A/RES/57/228 B du 22 Mai 2003. 897 Voir Autorité Provisoire de la Coalition (APC), Ordre Numéro 48 du 10 décembre 2003. 898 Statut du TSSL supra note 851. 899 Le paquet de lois portant sur la structure des Chambres pour crimes de guerre du Tribual d’État de BosnieHerzégovine (CCGTBH), les attributions du bureau du procureur et le transfert des affaires du T.P.I.Y vers les Chambres ont été adoptées entre novembre et décembre 2004 (Voir Law on Amendments to the Law on the Court of Bosnia & Herzegovina, Official Gazette of Bosnia & Herzegovina 35/04; Transfer of Cases from the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia to the Prosecutor's Office of Bosnia & Herzegovina and the use of Evidence Collected by the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia in Proceedings Before the Court of Bosnia & Herzegovina, Official Gazette of Bosnia & Herzegovina 61/04; Law on Amendments to the Law on the Prosecutor's Office of Bosnia & Herzegovina, Official Gazette of Bosnia & Herzegovina 35/04; Law on Amendments to the Law on the Prosecutor's Office of Bosnia & Herzegovina, Official Gazette of Bosnia & Herzegovina 61/04). 900 Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 1757, avec en annexe, l’Accord entre l’Organisation des Nations Unies et la République libanaise sur la création d’un Tribunal spécial pour le Liban, S/RES/1757 (2007), 30 mai 2007, [Statut du TSL]. 901 Voir Accord entre l’Union africaine et la République du Sénégal sur la création de Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, 22 août 2012, avec en annexe, le Statut des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990, [ci-après : Statut des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises], disponible en ligne sur <https://ordredesavocats.sn/accord-entre-le-gouvernementde-la-republique-du-senegal-et-lunion-africaine-sur-la-creation-de-chambres-africaines-extraordinaires-au-sein-desjuridictions-senegalaises/>, consulté le 15 juin 2019 ; République du Sénégal, Loi n° 2012-29 du 28 décembre 2012 modifiant l’Article premier de la loi n° 84-19 du 2 février 1984 fixant l’organisation judiciaire, 29 décembre 2012, Journal Officielle N° 6712 du samedi 9 Février 2013. 902 Voir Cour Constitutionnelle de Transition, Décision sur le contrôle de constitutionnalité de la loi organique portant création, organisation et fonctionnement de la Cour pénale spéciale, 6/15/CCT, 20 Mai 2015. 893 151 tribunaux, il faut ajouter que ces juridictions ont généralement pour objectif de « marry the best of two worlds – the expertise of the international community with the legitimacy of local actors »903. Aussi, contrairement aux TPI qui se distnguent par leurs coûts exhorbitants, les tribunaux hybrides se caractérisent par leur coût relativement faible904. En outre, le recours au THSS au Soudan du Sud semble également vouloir résoudre des difficultés à deux niveaux. Au niveau national, comme nous l’avons montré, il n’existe pas d’appareil judiciaire performant à même de mener à bien des procès pénaux internationaux. Au niveau régional, il nous semble qu’en raison des tensions qui existent entre l’Union africaine et la la CPI, et du fait du rôle controversé joué par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans le système de justice pénale internationale, les négociateurs du R-ARCSS auraient préféré une juridiction hybride pour répondre aux crimes commis dans le pays. Par ailleurs, d’autres facteurs en faveur du choix des tribunaux hybrides se rapportent à leurs avantages particuliers. Même s’il n’y a pas encore d’études empiriques suffisantes qui soutiennent la préférance des communautés locales pour ces juridictions 905, un premier avantage du recours à ces tribunaux est qu’ils sont généralement situés au locus commissi delicti, c’est-à-dire, au lieu où les faits répréhensibles ont été accomplis 906. Cela fut le cas dans presque tous les exemples de tribunaux hybrides mentionnés plus haut, à l’exception seulement du Tribunal spécial pour le Liban qui est situé à la Haye et des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises qui ont été créées spécifiquement pour juger les crimes commis par Hissène Habré lorsqu’il était président du Tchad. Les juridictions hybrides exposent ainsi directement aux populations les crimes commis et les personnes qui en sont les auteurs 907. Cela permet de porter le blâme sur les coupables et d’amorcer ce faisant un processus de guérison et de réconciliation parmi les populations908. 903 James Cockayne, « The Fraying Shoestring: Rethinking Hybrid War Crimes Tribunals », (2005) 28 Fordham International Law Journal 616 à la p 619. 904 À titre comparatif, les budgets annuels approximatifs du TPIY et du TPIR étaient respectivement de $173.7 millions et de $133.7 millions alors que le budget total du Tribunal spécial pour la Sierra Leone était de $89 millions. Voir sur ce point Lindsey Raub, « Positioning Hybrid Tribunals in International Criminal Justice », (2009) 41 New York Uinversity Journal of International Law and Politics 1013. Voir aussi David K. Deng, supra note 763 à la p 4. 905 Elizabeth M. Bruch, « Hybrid Courts: Examining Hybridity Through A Post-Colonial Lens », (2010) 28:1 Boston University International Law Journal 1 à la p 2. 906 Lindsey Raub, supra note 904 à la p 1042. 907 Antonio Cassese, « The Role of Internationalized Courts and Tribunals in the Fight Against International Criminality », dans Cesare Romano, Andre Nollkaemper et Jann K. Kleffner (eds.), Internationalized Criminal Courts: Sierra Leone, East Timor, Kosovo, and Cambodia, Oxford, Oxford University Press, 2004 à la p 6. 908 Lindsey Raub, supra note 904 à la p 1042. 152 En outre, les juridictions hybrides, de par leur emplacement in situ, créent des conditions d’enracinement de l’État de droit et de la démocratie à travers les formations qu’elles peuvent offrir aux personnels de ces juridictions, comme ce fut le cas par exemple au Timor Est, au Cambodge et au Sierra Leone909. Pour ces raisons, les tribunaux hybrides, en général, et le THSS, en particulier, seraient préférables à la CPI. En effet, du fait que cette dernière juridiction soit située à la Haye, les tribunaux hybrides, en raison de leur emplacement en général in situ, favoriseraient davantage le renforcement des capacités de l’État à poursuivre les crimes internationaux selon les normes du droit international. Par ailleurs, à travers le personnel local qui leur est associé, les juridictions hybrides peuvent rendre la justice en tenant compte de la culture locale, de la langue et des normes coutumières du contexte910. Ainsi, en raison du meilleur équilibre qu’ils peuvent établir entre le relativisme culturel et l’universalisme des droits de la personne, les tribunaux hybrides seraient nettement préférables aux tribunaux internationaux ad hoc911. Après avoir exposé les raisons qui justifient la préférence actuelle du modèle de tribunal hybride, nous allons maintenant présenter le rôle du THSS et des tribunaux pénaux nationaux dans la transformation du Soudan du Sud. Section II. – Le rôle du THSS et des tribunaux pénaux nationaux dans la transformation du soudan du Sud Dans cette section, nous étudierons successivement le rôle du THSS (1) ainsi que le rôle des tribunaux pénaux nationaux (2) dans la transformation du Soudan du Sud. 1. – Le rôle du THSS dans la transformation du Soudan du Sud Nous analyserons le rôle transformateur du THSS, tout d’abord, par rapport à la légitimité de la juridiction (1.1) ; ensuite, au regard des poursuites qu’il va entreprendre (1.2), et finalement, quant à son rôle dans la réparation des injustices structurelles et socio-économiques commises durant les longues années de conflits (1.3). 909 Antonio Cassese, supra note 907 à la p 6. Lindsey Raub, supra note 904 aux pp 1042-1043. Voir aussi Markus Benzing et Morten Bergsmo, « Some Tentative Remarks on the Relationship Between Internationalized Criminal Jurisdictions and the International Criminal Court », dans Cesare Romano, Andre Nollkaemper et Jann K. Kleffner (eds.), Internationalized Criminal Courts: Sierra Leone, East Timor, Kosovo, and Cambodia, Oxford, Oxford University Press, 2004 à la p 409. 911 Ida L. Bostian, « Cultural relativism in International War Crimes Prosecutions: The International Criminal Tribunal for Rwanda », (2005-2006) 12 ILSA Journal of International & Comparative Law 1 à la p 34. 910 153 1.1. – Le rôle de la légitimité du THSS dans la transformation du Soudan du Sud Le rôle transformateur de la légitmité du THSS sera analysé, tout d’abord, au niveau international (1.1.1.) et, ensuite, au niveau national (1.1.2). 1.1.1. – Le rôle transformateur de la légitimité internationale du THSS Les expériences passées ont montré que l’adoption des tribunaux internationaux ou hybrides par les Nations Unies leur offre une légitimité internationale 912. Dans le contexte du Soudan du Sud, le THSS est une juridiction mixte qui sera créée avec l’accord de l’Union africaine. Malgré cette nature régionale, la juridiction maintiendrait tout de même une légitimité internationale au regard de la coopération étroite entre l’organisation régionale et les Nations Unies à travers l’implication constante du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies dans le processus. Cette collaboration est effective depuis le début des conflits au Soudan du Sud en 2013 jusqu’à l’adoption du THSS par le RARCSS comme juridiction pénale spéciale pour répondre aux crimes internationaux commis dans le pays913. De plus, les Nations Unies font régulièrement pression sur le gouvernement du Soudan du Sud pour qu’il signe avec l’Union africaine le mémorandum d’accord sur la création du tribunal914. Le soutien international dont bénéficie ainsi le THSS du fait du caractère abject et infamant des crimes qu’il vise à punir contribuera à la transformation du Soudan du Sud. Il indiquera que les crimes commis ne concernent pas seulement le Soudan du Sud, mais affectent toute la communauté internationale dans la mesure où leurs auteurs sont des humani hostis generis. Toutefois, il faut reconnaître que la légitimité internationale du THSS, quoiqu’importante, ne peut avoir que des effets modestes sur le terrain. La légitimité du THSS au plan national est surtout ce qui pourrait avoir un grand impact sur la transformation du pays. Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit : Poursuites du parquet, Nations Unies, New York, Genève, HR/PUB/06/4, 2006 aux pp 34-35. 913 Voir par exemple, Human Rights Council, Report of the Commission on Human Rights in South Sudan, Thirtyseventh session, A/HRC/37/CRP.2, 23 February 2018. 914 Voir Akira Tomlinson, « UN urges South Sudan government to create a hybrid court for war crimes », 19 septembre 2019, disponible en ligne sur <https://www.jurist.org/news/2018/09/un-urges-south-sudan-government-to-create-ahybrid-court-for-war-crimes/>, consulté le 11 juillet 2019. 912 154 1.1.2. – Le rôle transformateur de la légitimité nationale du THSS Au niveau national, nous considérons que trois facteurs peuvent concourrir à la légitimité du THSS : il s’agit de la situation du tribunal au locus commissi delicti (1.1.2.1), de la composition mixte du tribunal (1.1.2.2), et de la prise en compte par le THSS de la diversité culturelle (1.1.2.3). 1.1.2.1. – La situation du tribunal au lieu de commission des crimes La situation éventuelle du THSS au lieu où les infractions ont été commises, c’est-à-dire, au Soudan du Sud, pourrait contribuer, à plus d’un titre, à sa légitimité et, ce faisant, à sa capacité de contribuer à la transformation du pays. Tout d’abord, les expériences du TPIY et du TPIR ont montré que lorsque le tribunal international est situé en dehors du pays où les crimes ont été commis, sa légitimité peut être contestée. À ce titre, l’ancien Ambassadeur amércain des crimes de guerre, nommé par l’administration Bush pour participer aux poursuites contre Akayesu, Pierre-Richard Prosper, soulignait que de son expérience les tribunaux pénaux internationaux de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda étaient trop éloignés des lieux de commission des crimes et qu’ils posaient des problèmes de légitimité915. De même, l’ancien président du TPIY, Theodor Meron, soulignait que « war crimes trials in the area where crimes have been committed have the greatest resonance because they would then take place close to the victims, close to the people, and not thousands of miles away »916. La présence du tribunal au lieu de commission des crimes permettrait ainsi de renforcer son acceptation par les populations locales 917. En outre, dans le contexte des crimes de masse caractérisé par une large participation ou complicité des agents étatiques, les tribunaux étatiques peuvent manquer de volonté à poursuivre les représentants de l’État impliqués dans les crimes 918. Comme l’a souligné Cassese, la présence du tribunal in situ pourrait contribuer à l’édification de l’État de droit et au 915 Propos rapportés par Andrew England, « UN Tribunal Struggles to Be Model of International Justice in Remote African Town », Associated Press, 4 mai 4, 2002, disponible sur <http://www.globalpolicy.org/intljustice/tribunals/rwanda/2002/0504remote.htm>, consulté le 24 juillet 2019, cité par Etelle R. Higonnet, « Restructuring Hybrid Courts: Local Empowerment and National Criminal Justice Reform », (2006) 23:2 Arizona Journal of International & Comparative Law 347 à la p 371. 916 Interview du président du TPIY, Theodor Meron, par B92, à Belgrade en Serbie, 2003, disponible en ligne sur <http://www.b92.net/intervju/eng/2003/meron.php>, consulté le 24 juillet 2019, cité par Etelle R. Higonnet, supra note 912 à la p 371. 917 Laura A. Dickinson, supra note 786 à la p 302. 918 Antonio Cassese, supra note 907 à la p 4. 155 renforcement des capacités du personnel des juridictions locales 919. Par exemple, au moment de la mise en place du TSSL, le Conseil de sécurité soulignait ce fait en affirmant qu’« une coopération internationale [était] (…) nécessaire d’urgence pour aider au renforcement du système judiciaire de ce pays »920. Au Kosovo par exemple, les juges internationaux des Panels de la Résolution 64 ont apporté de la crédibilité aux procès et plusieurs juges locaux ont bénéficié de l’expertise de leurs collègues internationaux 921. De plus, les poursuites permettent plus facilement de confronter les auteurs et les témoins des crimes en favorisant une catharsis des victimes et de la société entière922 à travers la vérité judiciaire quoique celle-ci soit quelque peu limitée à révéler la vérité historique des conflits 923. Après avoir présenté la contribution de la situation du THSS au lieu où les infractions ont été commises à la transformation du pays, nous allons examiner le rôle que pourrait jouer la composition mixte du tribunal. 1.1.2.2. – La composition mixte du THSS La composition mixte du THSS pourrait contribuer à la transformation du pays à travers le renforcement des capacités des juridictions nationales 924. En effet, l’opportunité pour les juges et autres juristes sud-soudanais de travailler aux côtés de juristes internationaux plus expérimentés et pouvant servir de mentors pourrait être très bénéfique pour l’appareil judiciaire du pays. Elle permettrait de développer l’expertise des juridictions nationales, contribuant à long terme à l’édification du système juridique du pays, bien après la cessation de ses activités 925. La composition mixte du tribunal pourrait accroître aussi la perception de sa légitimité sociologique et de son indépendance. Par exemple, au Kosovo et Timor Oriental, l’addition de juges et de procureurs internationaux aux juges nationaux pour la poursuite des violations graves des droits de la personne a accru la légitimité du processus judiciaire en permettant des consultations entre ces juges pour une 919 Ibid à la p 6. Conseil de sécurité des Nations Unies, U.N. Doc. S/RES/1315, adoptée par le Conseil de sécurité́ à sa 4186e séance, le 14 août 2000, au préambule. 921 Tom Perriello et Marieke Wierda, Lessons from the Deployment of International Judges and Prosecutors in Kosovo, International Center for Transitional Justice, March 2006, disponible en ligne sur <https://www.ictj.org/sites/default/files/ICTJ-FormerYugoslavia-Courts-Study-2006-English_0.pdf >, consulté le 22 avril 2020. 922 Ibid à la p 6. 923 Priscilla B. Hayner, supra note 830 à la p 108. Voir aussi Martti Koskenniemi, « Between Impunity and Show Trials », (2002) Max Planck Yearbook of United Nations Law 6 aux pp 1-35. 924 Etelle R. Higonnet, supra note 915 à la p 367. 925 Lindsey Raub, supra note 904 à la p 1043. 920 156 bonne administration de la justice926. En outre, au Kosovo, la présence des juges internationaux a permi d’accroître l’indépendance de la justice et la perception des populations par rapport à ses procédures. En effet, les tentatives initiales de justice avaient échoué du fait du manque de soutien des Serbes. Les juges serbes avaient refusé de coopérer avec la justice et les verdicts étaient considérés par la population serbe comme étant ethniquement colorés. En revanche, les juridictions hybrides ont connu un soutien considérable auprès de la population serbe927. En plus du rôle transformateur de la composition mixte du THSS, il convient de noter que la prise en compte par le tribunal de la diversité culturelle pourrait aussi jouer un rôle important dans sa fonction transformative. 1.1.2.3. – La prise en compte par le THSS de la diversité culturelle La prise en compte de la diversité culturelle pourrait favoriser la légitimité du tribunal et ce faisant constituer une source de transformation du Soudan du Sud. En effet, pour que la justice pénale internationale soit acceptée et appropriée par les communautés locales affectées par les crimes, une option serait qu’elle soit traduite et rendue dans le langage et dans la culture qu’elles comprennent 928. Il est important qu’à la fin du processus de justice pénale internationale, que les populations perçoivent que justice a été effectivement rendue et qu’elle n’a pas été une justice étrangère ou une imposition à connotation impérialiste ou néocolonialiste. Ainsi, la justice pénale internationale pourrait se présenter comme une interface qui permet des fertilisations croisées entre le local et l’international929. À ce titre, José Alvares soutient qu’il arrive souvent que les populations préfèrent leurs normes et institutions locales que la justice internationale mise en œuvre par les Nations Unies930. Il affirme cet état de fait dans le contexte des poursuites pénales consécutives au génocide des Tutsis du Rwanda, en ces termes : 926 Ibid à la p 306. Voir Organisation for Security and Co-operation in Europe Mission in Kosovo, Department of Human Rights and the Rule of Law, Legal Systems Monitoring Section, Report 9 On the Administration of Justice, March 2002, disponible en ligne sur <https://www.osce.org/kosovo/12561?download=true>, consulté le 24 juillet 2019. 928 Etelle R. Higonnet, supra note 912 à la p 360. 929 Antoine Garapon, « Three Challenges for International Criminal Justice », (2004) 2 Journal of International Criminal Justice 716 à la p 716. 930 Jose E. Alvares, « Crimes of States/Crimes of Hate: Lessons from Rwanda », (1999) 24 Yale Journal of International Law 365 à la p 403. 927 157 To many surviving family members of the victims of the Rwandan genocide, it matters a great deal whether an alleged perpetrator of mass atrocity is paraded before the local press, judged in a local courtroom in a language that they can understand, subjected to local procedures, and given a sentence that accords with local sentiments, including perhaps the death penalty931. Les juridictions mixtes se présentent ainsi comme des fora adéquats où, à travers un processus de dialogue internormatif, les acteurs internationaux peuvent prêter une oreille attentive aux normes et aux approches locales de justice, et de même, les acteurs locaux peuvent apprendre des normes internationales de justice pénale 932. En effet, bien que le Projet de Statut du THSS ne mentionne pas expressément les normes coutumières locales comme faisant partie du corpus juris du tribunal, la prise en considération de ces normes semble être envisagée dans certaines dispositions du Projet de Statut. On pourrait considérer au moins cinq niveaux dans lesquels le THSS pourrait prendre en compte les normes locales dans sa procédure. Il s’agit de l’ouverture des enquêtes (1.1.2.3.1), des règles procédurales (1.1.2.3.2), du régime de la preuve (1.1.2.3.3), du droit substantiel applicable (1.1.2.3.4) et de la détermination des peines (1.1.2.3.5). 1.1.2.3.1. – L’ouverture des enquêtes La prise en compte de la diversité culturelle par le THSS peut être envisagée dès l’ouverture des enquêtes. Nous allons examiner cela d’abord dans le droit applicable devant la CPI avant d’en tirer des conséquences pour le THSS. La question s’est posée devant cette juridiction à savoir si en raison des « intérêts de la justice », le Procureur pourrait décider de ne pas ouvrir des enquêtes sur des crimes internationaux. Le Statut de la CPI ne définit pas ce qu’on entend par les « intérêts de la justice », mais il donne des critères sur lesquels le Procureur devrait se fonder pour décider de ne pas enquêter. Ainsi, l’Article 53(1)(c) du Statut de la CPI dispose que : [l]e Procureur, après avoir évalué les renseignements portés à sa connaissance, ouvre une enquête, à moins qu’il ne conclue qu’il n’y a pas de base raisonnable pour poursuivre en vertu du présent Statut. Pour rendre sa décision, le Procureur examine : […] s’il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice 933. 931 Ibid aux pp 403-404. Laura A. Dickinson, « The Relationship Between Hybrid Courts and International Courts: The Case of Kosovo », (2002) 37 New England Law Review 1059 à la p 1070. 933 Article 53(1)(c) du Statut de Rome de la C.P.I, supra note 13. Cette phrase apparaît dans plusieurs Articles du Statut 932 158 Des auteurs ont essayé de donner une interprétation à la notion des « intérêts de la justice ». Darryl Robinson et Carten Stahn ont souligné que la notion pourrait être considérée comme large pour inclure des mécanismes restaurateurs comme les Commissions de vérité934. Cependant pour les organisations de défense des droits de la personne, la meilleure interprétation devrait être restrictive. Ainsi, pour Amnestie internationale, en l'absence d'une justification convaincante et en gardant à l'esprit le préambule du Statut de Rome, les « intérêts de la justice » sont toujours servis lorsque les crimes tombant sous la juridiction de la Cour sont poursuivis 935. Dans le même sens, Human Rights Watch soutient que seule une lecture étroite est conforme avec l'objet et le but du Statut de Rome936. Dans ce contexte, le Bureau du Procureur de la CPI a publié une note d’orientation politique en 2007 937 dans laquelle il a précisé qu’il relève tout d’abord de la responsabilité des États parties à son Statut de poursuivre les crimes internationaux relevant de sa compétence à titre complémentaire, mais qu’il pourrait prendre en compte d’autres facteurs avant d’ouvrir des enquêtes comme la gravité du crime, l'intérêt des victimes, les circonstances particulières de l'accusé et bien d'autres considérations938. Ces situations qui pourraient inclure les Commission de vérité et les systèmes de justice traditionnelle. Dans la même veine, le Projet de Statut du THSS évoque aussi la notion des « intérêts de la justice » sans toutefois les définir. Il precise aussi les conditions que le de Rome de la CPI, supra note 13 dont les Articles 55(2)(c), 65(4), et 67(1)(d) ainsi que dans les Règles de procédure et de preuve 69, 73, 82, 100, 136 et 185. Voir aussi, CPI, Bureau du Procureur, Policy Paper, « The interest of Justice », September 2007, disponible en ligne sur <http://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/772c95c9-f54d-4321-bf0973422bb23528/143640/iccotpinterestsofjustice.pdf>, consulté le 1 juin 2020. 934 Darryl Robinson, « Serving the Interest of Justice: Amnesties, Truth Commissions and International Criminal Court », (2003) 14:3 European Journal of International Law 481 aux pp 495-498. Voir aussi Carten Stahn, « Complementarity, amnesties and alternative forms of justice: some interpretative guidelines for the International Criminal Court », (2005) 3 Journal of International Criminal Justice 695 aux pp 697-698; Jessica Gavron, « Amnisties in light of developmnts in international law and the establishment of the International Criminal Court », (2002) 51 International and Comparative Law Quarterly 91. 935Amnesty International, « Open letter to the Chief Prosecutor of the International Criminal Court: Comments on the concept of the interests of justice », 17 June 2005, disponible en ligne sur <https://www.amnesty.org/download/Documents/84000/ior400232005en.pdf>, consulté le 1er juin 2020. 936Human Rights Watch, « Policy paper: the meaning of ‘‘the interests of justice’’ in Article 53 of the Rome Statute », June 2005, aux pp 4–6, disponible en ligne sur <http://hrw.org/campaigns/icc/docs/ij070505.pdf>, consulté le 1er juin 2020. 937 Voir Bureau du Procureur de la CPI, « Policy Paper », « The interest of Justice », September 2007, disponible en ligne sur <http://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/772c95c9-f54d-4321-bf0973422bb23528/143640/iccotpinterestsofjustice.pdf>, consulté le 1er juin 2020. 938 Ibid. 159 Procureur du Tribunal pourrait prendre en considération pour ne pas ouvrir des enquêtes au regard des « intérêts de la justice ». Le Projet de Statut dispose que : The Hybrid Court may, subject to the interests of justice, refer to the Commission on Truth, Reconciliation and Healing any matter which is not of sufficient gravity to warrant prosecution before the Hybrid Court and which has not been or will not be referred to a national jurisdiction939. In carrying out the investigation and prosecution of cases, the Prosecutor shall take into account the gravity of the crime, the leadership or other position formally or informally held by the suspect or accused, the interests of victims and witnesses, as well as the nature of the crime the suspect or accused has committed in particular sexual and gender based violence and violence against children940. Ces deux dispositions nous semblent exprimer un droit applicable devant le THSS qui est ouvert à la diversité culturelle et juridictionnelle. De ce fait, nous soutenons, dans une approche prospective, que si le Procureur du THSS tient compte des affaires pendantes devant la CVRG et devant les systèmes de justice traditionnelle pour ne pas ouvrir certaines enquêtes lorsque cela est conforme aux « intérêts des victimes » qui doivent être compris dans les « intérêts de la justice », cela contribuerait davantage à la légitimité du THSS et, partant, à la transformation du pays. En effet, la reconnaissance par la juridiction, de la CVRG et des systèmes de justice traditionnelle comme formes de justice valable, participerait à accroître sa propre légitimité et, ce faisant, à l’acceptation de la part des populations du rôle qui lui est dévolu d’assurer la répression des crimes graves commis dans le pays. Après l’ouverture des enquêtes, examinons la prise en compte par le THSS de la diversité culturelle au niveau des règles procédurales. 1.1.2.3.2. – Les règles procédurales Sur le plan des règles procédurales, la question de la diversité culturelle s’est tout d’abord posée devant les juridictions pénales internationales ad hoc lorsque des témoins étaient confrontés à des barrières linguistiques durant la procédure pénale. Nous nous servirons de l’expérience du TPIR pour analyser le contexte du Soudan du Sud. Devant cette juridiction, il s’est posé des défis culturels quant à la possiblité accordée aux accusés, aux témoins ou aux conseils de défense de s’exprimer dans la langue de leur choix 941. Il était 939 Projet de Statut du THSS Article 10(4). Ibid Article 18(7). 941 Voir Article 3 du Règlement de procédure et de preuve du TPIY et du TPIR. 940 160 quelques fois difficile pour le tribunal de saisir le sens réel de certaines expressions utilisées par les témoins dans la langue locale, le Kinyarwanda. Dans l’affaire Akayesu, par exemple, le tribunal a souligné qu’il y avait des difficultés d’« interprétation du kinyarwanda en langues française et anglaise » et que cela soulevait des « facteurs d’ordre culturel de nature à empêcher de cerner les éléments de preuve produits » 942. Par exemple, les « termes gusambanya, kurungora, kuryamana et gufata ku ngufu ont été utilisés indifféremment par les témoins et traduits par les interprètes par “viol” » 943. Le tribunal a accordé à ces questions culturelles une attention particulière dans la mesure où elles étaient importantes pour une interprétation juste des termes utilisés afin de garantir un procès juste et équitable. En outre, en raison de la culture rwandaise de l’oralité, les témoins avaient du mal à lire les cartes, à interpréter des films et des représentations graphiques pour déterminer les lieux ou décrire les situations avec exactitude944. Dans le contexte du Soudan du Sud, la prise en compte de l’usage par les accusés et les témoins des expressions culturelles comme les termes linguistiques et les normes coutumières ou traditionnelles locales pour décrire les faits lors des procédures devant le THSS contribuerait à accroître davantage la légitimité de la juridiction et, partant, à l’acceptation de ses décisions par les populations locales. En effet, à l’exception de faux témoignages, les personnes qui se présentent devant le tribunal doivent être confiantes qu’elles peuvent expliquer les faits et les circonstances dans lesquelles ils ont eu lieu selon leur culture et en particulier dans leur langue, et que ceux-ci seront considérés tout de même comme valides par les juges. Une telle approche permettrait au THSS de jouer plus efficacement son rôle à la fois de dire le droit et d’éduquer les Sud-Soudanais sur le respect des droits de la personne. Par ailleurs, un autre domaine dans lequel la prise en compte des normes locales aurait aussi des effets positifs dans la transformation du Soudan du Sud concerne le régime de la preuve. 942 Tribunal pénal international, Procureur c. Jean Paul Akayesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance I, Jugement du 2 septembre 1998) au para 130. 943 Ibid au para 152. 944 L. Aleni, « Diversité culturelle et tribunaux pénaux internationaux », (2010) Revue de droit international et de droit comparé, no 3, 289 à la p 295. 161 1.1.2.3.3. – Le régime de la preuve Au niveau du régime de la preuve, le THSS peut aussi s’inspirer de l’expérience des tribunaux pénaux internationaux ad hoc. Il s’est posé devant ces juridictions la question de savoir si le ouï-dire ou la preuve indirecte, c’est-à-dire, les témoignages de faits pour lesquels le témoin n’avait pas personnellement assisté, mais qui lui ont été rapportés par une autre personne, pouvait être considérés comme une preuve probante. Devant le TPIY, dans l’affaire Blaškić, le tribunal soutenu qu’elle était d’avis que la recevabilité des preuves indirectes ne saurait souffrir d’aucune prohibition de principe, la procédure étant conduite devant des juges professionnels disposant de l’aptitude nécessaire pour entendre d’abord des éléments de preuve indirects, les évaluer ensuite pour se prononcer quant à leur pertinence et à leur valeur probante 945. Cette question s’est par la suite posée devant le TPIR avec une importance particulière en raison du contexte culturel du Rwanda, en particulier, quant à la façon de rapporter les faits ou de se les approprier. Le tribunal soulignait que « la plupart des Rwandais vivent dans une tradition orale, dans laquelle l’individu rapporte les faits tels qu’il les perçoit, peu importe qu’il ait été le témoin occulaire ou qu’il les tienne d’un tiers », et que « [c]ela étant, la Chambre n’a pas tiré de conclusions négatives quant à la crédibilité des témoins du simple fait de leur réticence et de ce qu’ils avaient parfois répondu par détour aux questions qui leur avaient été posées » 946. Si le TPIR n’a pas ainsi écarté la preuve indirecte de la façon de rapporter comme ayant une valeur probante, il faudrait noter cependant que cela ne s’expliquait pas seulement par une question culturelle. Elle se justifiait aussi en raison du contexte, notamment, par la nature et l’ampleur des crimes commis. En effet, du fait que la majorité des victimes avaient été tuées et que plusieurs avaient dû s’enfuir ou se cacher, la preuve directe était difficile à apporter lorsque les auteurs des crimes refusaient de les avouer. Le THSS devrait prendre en compte éventuellement des situations semblables dans le contexte du Soudan du Sud pour une meilleure administration de la justice qui contribue davantage à sa légitimité et à Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Décision sur la requête de la défense portant opposition de principe à la recevabilité des témoignages par ouï-dire sans conditions quant à leur fondement et à leur fiabilité, Le Procureur c. Blaškić, IT-95-14-T, T.P.I.Y, (Chambre de première instance I, Jugement du 21 janvier 1998) au para 10. 946 Tribunal pénal international, Procureur c. Jean Paul Akayesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance I, Jugement du 2 septembre 1998) aux para 155-156. Voir aussi sur la même question Tribunal pénal international pour le Rwanda, jugement et sentence, Le Procureur c. Kajelijeli, ICTR-98-44A-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance II, Jugement du 1er décembre 2003) aux para 34 et suivant. L. Aleni, supra note 944 à la p 298. 945 162 une véritable transformation du pays. Qu’en est-il cependant de la prise en compte de la diversité culturelle au niveau du droit substantiel du THSS ? 1.1.2.3.4. – Le droit substantiel Contrairement aux règles procédurales et au régime de la preuve dans lesquels la diversité culturelle peut être prise en considération, celle-ci n’est pas encore acquise au niveau du droit substantiel dans la mesure où ce dernier est adopté pour la plupart du temps par des conventions auxquelles les États souscrivent librement 947. Toutefois, nous allons présenter deux situations dans lesquelles le droit substantif en lien avec la diversité culturelle fait débat. Ces situations ont une résonnance particulière avec le Soudan du Sud du fait du contexte des conflits. Le premier concerne le recrutement des enfants soldats dans la guerre civile post-décembre 2013 dont le nombre est estimé à 19 000 selon le rapport annuel 2017-2018 de l’ONG Child Soldiers International948. Tout d’abord, sur le plan normatif, au niveau national, la CTSS de 2011 et la Loi sur l’enfant de 2008 disposent que l’enfant est une personne qui a moins de dix-huit ans 949. En outre, la CTSS dispose que « [e]very child has the right (…) not to be subjected to exploitative practices or abuse, nor to be required to serve in the army », et la Loi sur l’enfant affirme que « [t]he minimum age for conscription or voluntary recruitment into armed forces or groups shall be eighteen years » 950. Cette dernière loi définit aussi les sanctions qu’encourent les personnes qui enrôlent les enfants dans les groupes armés en précisant que les coupables peuvent être « sentenced to imprisonment for a term not exceeding ten years or with a fine or with both » 951. Au niveau international, le droit international humanitaire et le droit international coutumier qui lient le Soudan du Sud prohibent le recrutement des 947 Bing Bing Jia, « Multiculturalism and the Development of the System of International Criminal Law », dans Sienho Yee and Jacques-Yvan Morin, (eds.), Multiculturalism and International Law: Essays in Honour of Edward McWhinney, Martinus Nijhoff, Leiden, 2009 aux pp 645-646. Voir aussi L. Aleni, supra note 944 à la p 300. 948 Child Soldiers International, « Annual Report 2017-2018 », 2018, disponible en ligne sur <https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/CSI_annual_report_2018.pdf>, consulté le 8 juillet 2019. 949 CTSS Article 17. Loi sur l’enfant, 2008, Article 5. 950 CTSS Article 17. Loi sur l’enfant, 2008, Article 31(1). 951 Loi sur l’enfant, 2008, Article 32. Il faudrait, toutefois, noter que le droit national sur les enfants présente aussi quelques ambiguïtés. Par exemple, l’Article 25 de la Loi sur l’enfant considère que l’âge minimum pour un enfant d’acquérir un emploi rémunéré est de quatorze ans. Il énumère les travaux prohibés pour les enfants parmi lesquels se trouve toute « herding which jeopardizes the interest of the child » (Loi sur l’enfant, 2008, Article 25). Pourtant, l’élévage des troupeau sous la responsabilité d’enfants est l’une des principales activités économiques des communautés locales du Soudan du Sud, particulièrement, celles des régions hostiles à l’agriculture (voir Marisa O. Ensor, « Participation under Fire: Dilemmas of Reintegrating Child Soldiers Involved in Soudan Sudan’s Armed Conflict », (2013) 3:2 Global Studies of Childhood 153 à la p 156). Dans ces situations, les enfants qui paissent du bétail sont en violation de la Loi sur l’enfant. 163 enfants de moins de quinze ans dans les groupes armés étatiques et non-étatiques 952. Le pays a aussi adhéré à d’autres normes de droit international conventionnel relatives aux droit de la personne qui prohibent la participation des enfants de moins de dix-huit ans dans les conflits armés 953. Quant au Projet de Statut du THSS, il exclut de la compétence de la juridiction les enfants de moins de dix-huit ans954. Ainsi, le concept d’enfant est défini selon le droit international humanitaire comme une personne de moins de quinze ans; et selon le droit international des droits de la personne, comme une personne de moins de dix-huit ans955. En ce qui concerne l’implication des enfant dans les conflits armés, le Statut de Rome de la CPI fait la distinction entre la conscription et l’enrôlement956. La conscription criminalise le recrutement forcé des enfants, tandis que l’enrôlement incrimine la participation volontaire des enfants dans les groupes armés 957. Une des raisons de la distinction des deux termes par les négociateurs du Statut de Rome semblait être la volonté d’affirmer clairement que la contrainte n’est pas un élément 952 Voir notamment le Protocol additionnel II, supra note 491 Article 4(3)(c) qui dispose que « les enfants de moins de quinze ans ne devront pas être recrutés dans les forces ou groupes armés, ni autorisés à prendre part aux hostilités ». Le droit international coutumier aussi considère comme un crime le recrutement des enfants de moins de quinze ans dans les groupes armés. Voir sur ce point les Règles 136 et 137 dans Jean-Marie Henckaerts et Louise Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles, Bruxelles, Bruylant, CICR, 2006 aux pp 636-644. En outre, même si le Soudan du Sud n’est pas partie au Statut de la CPI, supra note 13, celui-ci prohibe « [l]e fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités » (Article 8(2)(b)(xxvi) et 8(2)(e)(vii)). Par ailleurs, plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies dont les Resolutions 1261 (1999), 1314 (2000) 1379 (2001), 1460 (2003), 1539 (2004), 1612 (2005), 1882 (2009), et 1998 (2011) condamnent aussi la participation des enfants dans les groupes armés. 953Il s’agit par exemple de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) adoptée et ouverte à la signature, ratification et adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, disponible en ligne sur <https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/crc.aspx>, consulté le 8 juillet 2019 et du Protocole facultatif à la Convention relatives aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, disponible en ligne sur <https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/OPACCRC.aspx> consulté le 8 juillet 2019 auquel le pays a adhéré le 20 novembre 2013. Toutefois, l’instrument d’adhésion à la CDE a été déposé au bureau du Secrétaire général des Nations Unies en avril 2015 et le protocole n’a toujours pas été déposé en date de novembre 2015 (voir Human Rights Watch, « “We Can Die Too” Recruitment and Use of Child Soldiers in South Sudan », 2015 à la p 25, disponible en ligne sur <https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/southsudan1215_4.pdf>, consulté le 8 juillet 2019). Cette convention dispose en son Article 38 que « [l]es États parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce que les personnes n'ayant pas atteint l'âge de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités ». Le protocole facultatif stipule en son Article 1 que « [l]es États Parties prennent toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les membres de leurs forces armées qui n'ont pas atteint l'âge de 18 ans ne participent pas directement aux hostilités » (voir Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés, supra note 950 Article 1). 954 Selon l’Article 9 du Projet de Statut du THSS, « [t]he Hybrid Court shall have no jurisdiction over any person who was under the age of 18 years at the time of the alleged commission of a crime ». 955 Ingrid Roestenburg-Morgan, « Child Soldiers: Cultural Challenges », (2011) Culture and Human Rights, disponible en ligne sur <http://culture-human-rights.blogspot.com/2011/07/child-soldiers-cultural-challenges.html>, consulté le 8 juillet 2019. 956 Statut de Rome de la CPI, supra note 13 Article 8(2)(b)(xxvi). 957 Voir Le Procureur c. Lubanga Dyilo, CPI (Chambre de première instance I, jugement du 14 mars 2012), N o ICC01/04-01/06 aux para 607-608. 164 nécessaire dans la constitution du crime958. Cependant, la criminalisation du recrutement volontaire ou forcé des enfants soulève des questions entre le droit à la protection de l’enfant et son droit à l’autonomie, c’est-à-dire, sa liberté de participer à des conflits armés. Sur ce point, deux normes de la Convention relative aux droits de l’enfant sont potentiellement conflictuelles. Il s’agit, d’une part, de l’“intérêt supérieur de l’enfant” (Article 3) qui est le principe cardinal de la Convention et, d’autre part, le droit de l’enfant d’exprimer librement son opinion sur toute question qui l’intéresse (Article 12). Au regard de ces dispositions, il convient de souligner que la restriction imposée par le droit international sur l’âge minimum de recrutement des enfants entre en conflit avec leurs droits dont notamment la liberté d’association et d’expression959. La question devient plus complexe, en Afrique de façon générale, et au Soudan du Sud de façon singulière quand la satisfaction des besoins économiques, le manque d’éducation, la nécessité de défendre leur communauté sont des facteurs qui justifient le choix des enfants de s'engager dans les conflits 960. En outre, l’implication des enfants dans les conflits armés au Soudan a longtemps été une réalité sociale, que ce soit dans les guerres contre Khartoum que dans les conflits inter-communautaires du Sud961. Dans ces conditions, certains auteurs ont considéré que les personnes qui ont enrôlé des enfants dans les groupes armés peuvent utiliser la défense culturelle pour obtenir des juges que leurs actes soient constitutifs de motif d’exonération de la sanction pénale962. La question a été soulevée particulièrement dans le jugement en appel devant le TSSL dans l’affaire Fofana and Kondewa. Lors de ce procès, le juge Winter a soutenu 958 Gerhard Werle et Florian Jessberger, supra note 564 à la p 464. Voir la Convention relative aux droits de l’enfant, supra note 953 Article 13(1) qui dispose que « [l]'enfant a droit à la liberté d'expression. […] » ; Article 15(1) qui dispose que « 1. Les Etats parties reconnaissent les droits de l'enfant à la liberté d'association et à la liberté de réunion pacifique ». Voir également Geraldine Van Bueren, « The International Legal Protection of Children in Armed Conflicts » (1994) 43:4 The International and Comparative Law Quarterly 809 à la p 816. 960 E. Mark Cummings et al., « Children and Political Violence from a Social Ecological Perspective: Implications from Research on Children and Families in Northern Ireland », (2009) 2:1 Clinical Child Family Psychology Review 16; Ed Cairns, Children and political violence, Oxford, Blackwell, 1996. 961 Voir, par exemple, Ingrid Marie Breidlid et Michael J. Arensen, supra note 162; Christine Ryan, Children of War: Child Soldiers as Victims and Participants in the Sudan, London, New York, I.B. Tauris, 2012; Marisa O. Ensor, supra note 951 à la p 157; Marisa O. Ensor « Child Soldiers and Youth Citizens in South Sudan's Armed Conflict », (2012) 24:3 Peace Review 276; International Labor Office, Wounded Childhood: The Use of Childern in Armed Conflict in Central Africa, Genève, International Labor Office, 2003. 962 Fabián O. Raimondo, « For Further Research on the Relationship between Cultural Diversity and International Criminal Law », (2011) 11 International Criminal Law Review 299 à la p 310. Voir aussi Ingrid Roestenburg-Morgan, supra note 955; SCSL, Prosecutor v. Samuel Hinga Norman - Dissenting Opinion of Justice Robertson (SCSL-04-14AR72(E)) [2004] SCSL 117, 31 May 2004. Susan Shepler, Childhood Deployed: Remaking Child Soldiers in Sierra Leone, New York et London, New York University Press, 2014. 959 165 que le TSSL n’étant pas un tribunal étatique, il ne pouvait pas accepter des facteurs culturels comme motifs de défense valables 963. Toutefois, bien qu’il ne semble pas encore exister une reconnaissance de la “défense culturelle” en vertu du droit international coutumier, cette question mériterait une attention particulière de la part du THSS. En effet, nous pensons que la question de l’implication des enfants dans des groupes armés en Afrique sub-saharienne doit faire l’objet d’un examen spécial si l’on veut que la justice pénale internationale bénéficie d’une plus grande légitimité au niveau national. Ingrid Roestenburg-Morgan pose bien la question de savoir comment peut-on faire dans ces situations pour poursuivre des auteurs de crimes si ces crimes ne sont pas perçus comme tels dans le contexte socio-culturel? Ou comment prouver l’élément psychologique ou mental du crime (mens rea) si celui-ci n’existait pas au moment de sa commission?964. À notre avis, ces questions sont pertinentes lorsqu’il s’agit de poursuivre et de punir les personnes responsables d’avoir enrôlé des enfants dans des groupes armés. Dans ces conditions, pour que la justice pénale internationale soit acceptée par les populations locales et participe à la construction de la paix, il faudrait qu’elle procède d’une approche équilibrée entre la protection des enfants et leur autonomie au regard du contexte dans lequel la conflictualité a longtemps été une norme 965. Pour ce faire, le THSS pourrait prendre en considération le contexte social, économique et culturel qui a favorisé la participation des enfants dans les groupes armés en le considérant comme une circonstance atténuante constitutive de motifs d’exonération des peines qui seraient infligées aux personnes coupables d’enrôlement des enfants dans les groupes armés966. La deuxième situation de tension entre la diversité culturelle et la justice pénale internationale porte sur la responsabilité du commandant ou du supérieur sur ses troupes lorsque celles-ci commettent des crimes internationaux. Selon la doctrine, ce commandement doit être de jure ou de facto pour entraîner la responsabilité du supérieur967. En outre, pour que le supérieur soit tenu pénalement responsable, il faudrait 963 SCSL, Prosecutor v. Fofana and Kondewa, Appeals Chamber (SCSL-04-14-A), Partially Dissenting Opinion of Judge Renate Winter, 28 May 2008 au para 4. Voir aussi Fabián O. Raimondo, supra note 962 à la p 310. 964 Ingrid Roestenburg-Morgan, supra note 955. 965 Marisa O. Ensor, supra note 951 à la p 160. 966 Ingrid Roestenburg-Morgan, supra note 955. 967 Ilias Bantekas, « The Contemporary Law of Superior Responsibility » (1999) 93:3 The American Journal of International Law 573. Voir aussi Fabián O. Raimondo, supra note 958 à la p 312. 166 qu’il soit capable de prévenir ou de réprimer les actes criminels de ses subordonnés 968. Autrement dit, le supérieur doit avoir un contrôle effectif sur ses soldats969. L’affaire Civil Defence Forces (CDF) devant le TSSL a mis en exergue une situation de diversité culturelle en matière de responsabilité d’un commandant sur des soldats. Nous pensons que le THSS pourrait s’inspirer de cette affaire dans ses procès futurs. En effet, dans l’affaire, il était question de savoir si Kondewa, en tant que chef spirituel chargé des cérémonies d’initiation des Kamajors pour qu’ils soient blindés contre des balles, pouvait être tenu pour responsable des crimes commis par ces derniers sur le fondement de l’Article 6(3) du Statut du TSSL970. La Chambre de première instance n’a pas voulu s’engager dans le rapport que peut entretenir les pouvoirs mystiques de Kondewa avec le droit pénal international. Elle a plutôt conclu que Kondewa n’a aucune relation de supérieur-subordonné avec les Kamajors impliqués dans les crimes commis; et que bien qu’il « possessed command over all the Kamajors from every part of the country, this was, however, limited to the Kamajors’ belief in mystical powers which Kondewa allegedly possessed ». De ce fait, en soutenant que “[t]his evidence is inconclusive, however, to establish beyond reasonable doubt that Kondewa had an effective control over the Kamajors, in a sense that he had the material ability to prevent or punish them for their criminal acts », le TSSL conclut en l’absence de la responsabilité pénale de Kondewa pour le fait des Kamajors 971. Cette affaire qui met en évidence la relation entre un chef spirituel et des soldats, peut être mise en parallèle avec les prophètes et autres leaders spirituels comme Dak Kueth qui initient les membres de l’“Armée blanche” au Soudan du Sud en vue de les préparer pour les combats. Peut-on tenir compte du pouvoir mystique qu’ils exercent sur les combattants pour soutenir une responsabilité du supérieur? Si le raisonnement du TSSL qui a exclu la responsabilité de Kondewa semble 968 Fabián O. Raimondo, supra note 962 à la p 312. Voir Arrêt sur le génocide, supra note 578 au para 401. Voir aussi Darryl Robinson, « How Command Responsibility Got So Complicated: A Culpability Contradiction, Its Obfuscation, and a Simple Solution », (2012) 13 Melbourne Journal of International Law 1; United States of America v. Yamashita, (1948) 4 LRTWC 1 aux pp 36-37, dans re Yamashita, 327 US 1(1945). 970 L’Article 6(3) du Statut du TSSL, supra note 851 dispose que « [l]e fait que l’un quelconque des actes [de crimes contre l’humanité, de violations de l’article 3 Commun aux Conventions de Genève et du Protocole Additionnel II, et des autres violations graves du droit international humanitaire ] a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs ». 971 SCSL, Prosecutor v. Fofana and Kondewa, Trial Chamber (Case No. SCSL-04-14-T), Judgement of 2 August 2007 aux para 853-855. 969 167 avoir été motivé par une question de preuve972, pour certains auteurs, l’affaire aurait dû faire l’objet d’une analyse approfondie du fait qu’en Afrique, de façon générale, des chefs spirituels sont parfois impliqués dans des crimes internationaux 973. Pour René Provost, ces situations poseraient des questions de philosophie juridique qu’il faudrait dépasser si on veut que toutes les personnes qui ont joué un rôle actif dans la commission des crimes internationaux puissent subir des punitions appropriées. Il critique l’approche de la Chambre de première instance dans l’affaire CDF, en soulignant que la distinction entre le droit et les faits est une caractéristique de la pensée juridique occidentale. Il soutient en outre que les pouvoirs mystiques sont réels en Afrique, et que, ce faisant, la justice pénale internationale devrait en tenir compte pour mieux opérer une “vernacularisation” de la justice qui la rendrait plus proche de la réalité 974. En s’inscrivant dans cette veine, la prise en compte par le THSS, de pratiques culturelles et occultes comme le rôle joué par les prophètes et autres leaders religieux dans les conflits, permettrait, il nous semble, à la justice pénale de mieux contribuer à la transformation du contexte conflictuel du pays. Dans le même sens, la prise en compte de la diversité culturelle dans la détermination des peines pourrait aussi être un facteur de changement social dans le contexte d’instablité socio-politique du pays. 1.1.2.3.5. – La détermination des peines Au regard de la disposition selon laquelle « [t]he Hybrid Court shall have the power to investigate and prosecute persons responsible for serious violations of international law and or the laws of South Sudan »975, on pourrait déduire que puisque le droit sudsoudanais inclut formellement les normes coutumières locales, le THSS pourrait admettre la possibilité de dialogue entre ces normes et le droit international. En outre, on pourrait aussi considérer la disposition du Projet de Statut du THSS selon laquelle « [i]n determining the terms of imprisonment for the crimes provided for in this Statute, the Trial Chamber shall, as appropriate, have recourse to African state and international practice regarding prison sentences and where deemed necessary to the practice of the 972 Ibid. Voir Tim Kelsall, Culture Under Cross-Examination: International Justice and the Special Court for Sierra Leone, New York, Cambridge University Press, 2009 à la p 143 et s; Fabián O. Raimondo, supra note 962 à la p 313. 974 René Provost, « Magic and modernity in Tintin au Congo (1930) and the Sierra Leone Special Court », (2012) 16 Law Text Culture 183 aux pp 190-211. 975 Projet de Statut du THSS Article 1(1), (nos italiques). 973 168 national courts of South Sudan »976. À cet égard, étant donné que dans la pratique des tribunaux sud-soudanais de droit formel, il n’y a pas une distinction ferme entre la rétribution et la restauration 977, on peut penser que les juges africains du THSS pourraient être créatifs en tenant compte des normes coutumières locales en matière de détermination de la peine. Ils pourraient, par exemple, en s’inspirant de la coutume au Soudan du Sud, soit imposer de façon cumulative aux coupables des compensations d’un certain nombre de vaches à donner aux victimes et des peines d’emprisonnement de courte durée ou soit décider seulement de mesures de compensation. En effet, dans la culture du Soudan du Sud, en général, et chez les Dinka, en particulier, les vaches ont une grande valeur symbolique. Le fait d’en posséder est non seulement un symbole de richesse, mais bien plus, pour les hommes, ils servent à payer la dote de mariage pour assurer la continuité de la procréation 978. Si cette norme coutumière locale est prise en considération, elle favoriserait une meilleure adhésion des populations aux décisions du THSS. Par ailleurs, au-delà du rôle transformateur de sa légitimité, le THSS pourrait aussi contribuer substantiellement à la transformation du Soudan du Sud à travers la poursuite des crimes graves commis dans le pays. 1.2 – Le rôle transformateur de la justice pénale du THSS Pour que la justice pénale du THSS puisse contribuer à la transformation du contexte conflictuel du Soudan du Sud, il est, tout d’abord, nécessaire qu’elle soit mise en œuvre à travers un séquençage judicieux entre la paix et la justice (1.2.1) ; ensuite, elle pourrait engager ses poursuites pénales de façon stratégique de sorte à répondre fermement à l’impunité des crimes dans le pays (1.2.2). En outre, le THSS pourrait inscrire son travail dans l’objectif de contribuer significativement à la transformation démocratique du pays (1.2.3). Finalement, le THSS pourrait chercher à réparer, au-delà des violations des droits civils et politiques, les injustices structurelles et socio-économiques longtemps présentes dans la région (1.2.4). 976 Ibid Article 27(1), (nos italiques). Francis M. Deng, supra note 350 aux pp 302-304. 978 William Twining, supra note 372 à la p 206. 977 169 1.2.1. – La nécessité d’un séquençage judicieux entre la justice et la paix Dans les pays qui sortent de période de conflits violents marqués par des atrocités de masse, comme le Soudan du Sud, il y a généralement un dilemme entre, d’une part, le besoin d’assurer la stabilité du pays et, d’autre part, l’exigence de reddition des comptes pour les violations commises. Dans ces contextes, les débats entre universitaires et ONG de protection des droits de l’homme ont généralement porté sur la question à savoir s’il faut sacrifier ou différer la justice pénale à cause de la paix ou si les deux pourraient être mises en œuvre simultanément même si elles pourraient être déstabilisantes. En effet, certains disent qu’« il n’y a pas de paix durable sans justice », alors que d’autres affirment qu’« il n’y a pas de justice durable sans paix »979. Le retard qu’accuse le GoSS pour signer le mémorandum d’accord sur le Statut du THSS nous semble s’inscrire dans cette dynamique complexe. De ce fait, le choix du meilleur moment pour mettre en œuvre un tribunal hybride dépend non seulement du contexte politique, social et culturel du pays, mais aussi des rapports de force résultant des interactions croisées entre le local, le national et l’international. Devant la complexité d’une telle situation, Lafontaine et Tachou-Sipowo soulignent que ce qui est certain dans les sociétés sortant de conflits violents, c’est que « le progrès de la justice pénale internationale est de manière frappante symétrique à la prise en compte de leurs intérêts de sécurité nationale, ceci tant comme paix durable que comme paix immédiate » 980. Dans ce contexte, il convient de souligner que le gouvernement du Soudan du Sud a signé un contrat avec le groupe de lobby américain Gainful Solutions Inc. pour qu’il l’aide à convaincre l’administration américaine de retarder et finalement bloquer la mise en place du THSS 981. Mais dans une déclaration de presse du 7 mai 2019, Gainful Solutions Inc. affirmait que le contrat précédent avec le gouvernement du Soudan du Sud avait été résilié et remplacé par un 979 Voir sur ce point Fannie Lafontaine et Alain-Guy Tachou-Sipowo, « Le débat paix/justice après 10 ans de Cour pénale internationale : une réévaluation à la lumière de la stratégie de poursuite limitée aux plus hauts responsables », (2013) Revue de droit pénal et comparé 1 à la p 7, disponible en ligne sur <https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2536709>, consulté le 18 juillet 2019. 980 Ibid. 981 Voir le site internet de Human Rights Watch qui renvoie au document du contrat signé entre le gouvernement du Soudan du Sud et le groupe de lobby américain Gainful Solutions Inc., Elise Keppler, « South Sudan’s Cynical Bid to Block War Crimes Court African Union Should Step Up on Justice », 30 avril 2019, disponible en ligne sur <https://www.hrw.org/news/2019/04/30/south-sudans-cynical-bid-block-war-crimes-court>, consulté le 17 juillet 2019. Selon The EastAfrican, le gouvernement du Soudan du Sud aurait payé la somme de 3,7 millions de dollars US pour ce contrat. Lire sur ce point Fred Oluoch, « Justice close as South Sudan Hybrid Court gets AU nod », 6 juillet 2019, disponible en ligne sur <https://www.theeastafrican.co.ke/news/ea/Justice-close-as-south-sudan-hybrid-court-gets-aunod/4552908-5185550-xc16e7/index.html>, consulté le 18 juillet 2019. 170 nouveau du fait que le travail demandé n’y était pas clairement défini. Il ajoutait que le Président Salva Kiir a réitéré dans le nouveau contrat son engagement à la paix, à la justice, à la transparence, à l’unité et à la sécurité des populations du Soudan du Sud 982. Dans ce contexte qui semble montrer un manque de volonté réelle de la part du gouvernement du Soudan du Sud d’adopter THSS, l’Union Africaine aurait affirmé son engagement pour la création du THSS, à travers la signature par le Bureau du Conseiller juridique de l’Union africaine d’un projet de formation du tribunal au Soudan du Sud 983. En raison des pressions continues de l’organisation continentale, finalement, le 29 janvier 2021, le gouvernement du Soudan du Sud annonçait avoir donné son approbation pour l’établissement du tribunal984. Si une telle décision a été bien accueillie par le Président de la Commission de l’Union Africaine Mr. Moussa Faki Mahamat 985, la communauté internationale reste toujours dans l’attente de voir l’adoption concrète du tribunal pour qu’il puisse poursuivre et punir les crimes graves qui ont été commis dans le pays. Dans les sociétés post-conflictuelles comme le Soudan du Sud, la pratique de la justice transitionnelle repose non seulement sur la nécessité de traiter le passé violent afin d’éviter qu’il ne se reproduise plus, mais aussi, d’édifier un État de droit et des institutions démocratiques. Que ce processus émerge d’un consensus national ou qu’il soit imposé par la communauté internationale, il est de constat que chaque expérience de justice transitionnelle est unique en soi et qu’il n’existe pas de solution applicable universellement. Au Soudan du Sud, en particulier, étant donné le maintien aux affaires des élites politico-militaires du MPLS en vertu du R-ARCSS986, en dépit de l’état des violences du régime pré-conflictuel, il pourrait être difficile qu’ils soutiennent dans 982 Gainful Solutions inc, « Press Release on Contract with the Government of South Sudan », 7 mai 2019, disponible en ligne sur <https://efile.fara.gov/docs/6667-Informational-Materials-20190507-2.pdf>, consulté le 17 juillet 2019. 983 Propos rapporté par Fred Oluoch, supra note 981. 984 Benjamin Takpiny, « South Sudan approves establishment of Hybrid Court », disponible en ligne sur <https://www.aa.com.tr/en/africa/south-sudan-approves-establishment-of-hybrid-court/2127899>, consulté le 15 février 2021. 985 Voir African Union, « Statement by H.E. Mr. Moussa Faki Mahamat, Chairperson of the African Union Commission, on African Union Hybrid Court of South Sudan », disponible en ligne sur <https://au.int/es/node/39911>, consulté le 15 février 2021. 986 Selon le R-ARCSS, supra note 771 l’exécutif du R-TGoNU est être composé d’un Président, d’un Premier vicePrésident et de quatre autres vice-Présidents (Article 1.5.1.). L’ensemble appelé la « Présidence » sera composé comme suite : Salva Kiir assume le poste de Président de la République du Soudan du Sud (RSS) (Article 1.5.1.1.), le président de l’APLS-O, le Dr Riek Machar, occupe le poste de Premier vice-Président (Article 1.5.1.2.). Pendant la période transitionnelle, les quatres vice-Présidents seront nommés comme suite : un vice-Président nommé par le TGoNU, un vice-Président nommé par l’Alliance de l’opposition du Soudan du Sud (South Sudan Opposition Alliance (SSOA)), un autre vice-Président nommé par le TGoNU et un vice-Président nommé par les les Anciens détenus (Former Detainees (FDs)) qui doit être une femme (Article 1.5.2.). 171 l’immédiat l’idée de rendre compte de leurs méfaits. C’est pourquoi, il nous paraît important que la communauté internationale s’implique significativement dans le processus pour la mise en œuvre de mécanismes transformateurs dans le pays. Dans cette optique, il faut noter que lorsque la justice pénale internationale ou, en particulier, le tribunal hybride est adopté longtemps après la cessation des conflits, il pourrait n’avoir qu’un faible effet sur la transformation du contexte. C’est ce qu’ont révélé des études sur les tribunaux hybrides que sont les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens et la Chambre pour les crimes de guerre du Tribunal d’État de BosnieHerzégovine. En adoptant ces tribunaux quinze années après la fin des conflits dans ces pays987, ces juridictions n’ont eu qu’un impact limité sur la consolidation de la paix 988. Au regard de ces risques, Joanna Quinn soutient que la “fenêtre d’opportunité” qui permet aux décideurs politiques de répondre efficacement aux méfaits du passé par des programmes de réformes, d’assainissement des institutions, des procédures judiciaires est courte d’une année et peut aller jusqu’à cinq ans, période après laquelle les transformations peuvent être difficiles à mettre en œuvre989. Ce faisant, pour l’adoption du THSS, la communauté internationale pourrait faire pression sur les acteurs politiques et militaires pour mettre en œuvre la justice pénale sans pour autant compromettre la paix. Les négociations peuvent viser à prioriser d’abord la paix tout en cherchant le moment idéal pour mettre en œuvre la justice pénale. Celles-ci peuvent être accompagnées de mesures de pression politiques ou économiques qui indiquent aux différents acteurs l’importance de la justice pour l’édification d’un État de droit et la consolidation de la démocratie. Le retard dans l’adoption des tribunaux hybrides apparaît comme un des problèmes généraux de ces juridictions. En effet, comme nous l’avons souligné, si un des attraits des tribunaux hybrides réside dans le fait qu’ils sont moins onéreux comparativement aux TPI, il apparaît cependant très souvent difficile à ces tribunaux de réunir les fonds nécessaires pour leur établissement et fonctionnement. L’exemple du TSSL est illustratif à ce sujet. En effet, au regard des expériences des TPI, la majorité des États membres des Nations Unies ne voulaient plus que le budget de fonctionnement des juridictions hybrides soit inscrit sur le budget régulier de l’Assemblée générale (voir Pazartzis Photini, « Tribunaux pénaux internationalisés : une nouvelle approche de la justice pénale (inter)nationale ? », (2003) 49 Annuaire français de droit international 641, à la p 656). Ce faisant, le Conseil de sécurité dans sa résolution 1315 n’a envisagé que des contributions volontaires des États pour le fonctionnement du TSSL. C’est cette approche qui a été adoptée dans l’accord du 16 janvier 2002 qui a créé le TSSL (voir Statut du TSSL, supra note 851 Article 6). Ainsi, alors que le TSSL devait entrer en vigueur, selon la mission de planification, à la fin mai 2002, les juges ont pris fonction le 2 décembre 2002 et émis leurs premiers actes d’accusation en mars 2003. 988 Voir Chandra Lekha Sriram, Olga Martin-Ortega et Johanna Herman, « Justice Delayed? Internationalised Criminal Tribunals and Peace-Building in Lebanon, Bosnia and Cambodia », (2011) 11:3 Conflict, Security & Development 335. 989 Joanna Quinn, « Haiti’s Failed Truth Commission: Lessons in Transitional Justice », (2009) 8:3 Journal of Human Rights 265. 987 172 Par ailleurs, Antonio Cassese définit les conditions nécessaires pour le fonctionnement effectif d’un tribunal hybride. Pour lui, il faut tout d’abord qu’il y ait un appareil judiciaire national totalement ou partiellement fonctionnel sur lequel le tribunal peut compter en raison notamment de l’expertise nationale dont il a besoin; ensuite, il doit y avoir le besoin d’apaiser les revendications nationalistes des populations, surtout lorsque les gouvernants considèrent que l’administration de la justice relève de la souveraineté étatique990. Au regard de ces conditions, il est nécessaire de s’assurer au préalable non seulement de la disponibilité de juges sud-soudanais compétents qui n’étaient pas complices des violences du passé, mais aussi, le gouvernement en place doit être disposé à collaborer étroitement avec le tribunal. Pour que ces conditions soient réunies, un échelonnement raisonnable de la justice pénale du THSS pourrait être nécessaire. À ce titre, la flexibilité des tribunaux hybrides est généralement un de leurs plus grands atouts. En effet, le gouvernement local et la communauté internationale peuvent travailler ensemble pour mettre en œuvre une justice légitime qui répond véritablement aux besoins des populations locales 991. Une fois que le THSS parviendra à être adopté, pour qu’il puisse contribuer substantiellement à la transformation du pays, il faudrait que ses poursuites pénales soient stratégiques de manière à avoir un impact réel sur la lutte contre l’impunité des crimes dans le pays. 1.2.2. – La lutte contre l’impunité des crimes par des poursuites stratégiques La justice pénale internationale ou internationalisée est nécessaire dans les sociétés postconflictuelles dans la mesure où elle s’inscrit dans un processus de moralisation de toute la société internationale en véhiculant le message que certains crimes sont si graves qu’ils sont totalement indamissibles. Faisant échos aux procès de Nuremberg et de Tokyo consécutifs à la Deuxième Guerre mondiale, le caractère abject de ces crimes a été affirmé par la communauté internationale à la sortie de la Guerre Froide, à travers l’adoption des Tribunaux pénaux internationaux ad hoc de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda, et des tribunaux pénaux hybrides précédemment mentionnés pour réprimer les crimes internationaux. Cette volonté de lutter contre l’impunité des crimes graves s’est davantage matérialisée par l’adoption du Statut de Rome instituant la CPI comme 990 991 Antonio Cassese, supra note 907 à la p 5. Lindsey Raub, supra note 904 à la p 1043. 173 juridiction internationale permanente à vocation universelle dont le rôle est d’assurer la répression de ces crimes. Son préambule attire l’attention de tous les États que « des crimes d’une telle gravité, menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde » et que, par conséquent, ils ne doivent pas être laissés impunis992. Selon le rapport de l’experte indépendante chargée de mettre à jour l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité, Diane Orentlicher: [l]’impunité se définit par l’absence, en droit ou en fait, de la mise en cause de la responsabilité pénale des auteurs de violations, ainsi que de leur responsabilité civile, administrative ou disciplinaire, en ce qu’ils échappent à toute enquête tendant à permettre leur mise en accusation, leur arrestation, leur jugement et, s’ils sont reconnus coupables, leur condamnation à des peines appropriées, y compris à réparer le préjudice subi par leurs victimes993. En décidant, par exemple, de saisir la CPI le 31 mars 2005 des crimes de masse commis au Darfour, malgré les divergences parmi ses membres 994, le Conseil de sécurité indiquait, par-là, sa volonté de lutter contre l’impunité de ces crimes qui choquent la conscience humaine. L’idée qui sous-tend la justice pénale internationale ou internationalisée se trouve ainsi exprimée par le principe énoncé par Hegel en 1821 à savoir « fiat justitia ne pereat mundus (que justice soit faite sinon le monde périra) » 995. En d’autres termes, la lutte contre l’impunité des crimes graves relève étroitement du droit à la vie – droit qui est « suspendu à l’accès à un juge » 996 – pour sanctionner les personnes qui en portent atteinte. C’est à ce titre que David A. Crocker affirmait que « [e]thically defensible treatment of past wrongs requires that those individuals and groups responsible for past crimes be held accountable and receive appropriate sanctions or punishment »997. Ruti Teitel abondait dans la même veine en affirmant que « [t]rials offer a transitional mechanism for normative transformation to express public condemnation of 992 Statut de la CPI, supra note 13 au préambule. Rapport de l’experte indépendante chargé de mettre à jour l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité, Diane Orentlicher, supra note 4 à la p 6. 994 Les pays qui se sont abstenus sont l’Algérie, le Brésil, la Chine et les États-Unis. Les deux derniers ont toutefois renoncé à l’utilisation de leur droit de véto. Voir ONU Info, « Soudan : le Conseil de sécurité saisit la Cour pénale internationale de la situation au Darfour », 1 avril 2005, disponible en ligne sur <https://news.un.org/fr/story/2005/04/70682>, consulté le 30 juin 2019. 995Voir Assemblée générale et Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport du tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, A/49/342, S/1994/1007, 29 août 1994 au para 18. 996 Olivier Beauvallet, « La lutte contre l'impunité : concept et enjeux modernes de la promesse démocratique », (2017) Les Cahiers de la Justice no 1, 15 à la p 24. 997 David A. Crocker, supra note 751 à la p 53. 993 174 aspects of the past, as well as public legitimation of the new rule of law »998. La Chambre de première instance du TPIY soutenait « qu’« [i]l est juste que l’auteur de l’infraction soit puni non seulement parce qu’il a enfreint la loi (punitur quia peccatur), mais également pour que personne ne soit plus tentée de l’enfreindre (punitur ne peccatur) » et qu’elle « considère que la peine a deux fonctions importantes, le châtiment et la dissuasion »999. En outre, lors des procès du génocide des Tutsis du Rwanda, le TPIR soulignait que les poursuites « dissuade for ever others who may be tempted in the future to perpetrate such atrocities » 1000. Dans la même ligne de pensée, des auteurs ont soutenu que l’engagement des poursuites pénales déconseille à la fois les individus, les groupes et les leaders à commettre des crimes en créant une culture de reddition des comptes 1001. D’autres auteurs ont affirmé que les poursuites pénales auraient au moins une « utilité symbolique » du fait qu’« on punit pour renforcer l’efficacité de la norme, raffermir un interdit, renforcer la conscience collective » 1002. Les poursuites permettraient donc d’édifier un État de droit surtout lorsque celles-ci ne sont pas expéditives ou simplement des simulacres, mais qu’elles s’inscrivent sur le long terme et se fondent sur le respect des règles fondamentales de procédure 1003. Elles favoriseraient également la prévention des violations futures des normes du droit international 1004. Il est donc du devoir de chaque État membre de la communauté internationale, et du Soudan du Sud en particulier, de veiller à mettre fin à l’impunité des crimes graves1005. Comme nous l’avons déjà mentionné, le Soudan du Sud a été historiquement 998 Ruti Teitel, « Transitional Jurisprudence: The Role of Law in Political Transformation », (1997) 106 Yale Law Journal 2009 à la p 2037. 999 Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, Chambre de première instance, Le Procureur c. Anto Furundžija (IT-9517/1-T), TPIY, (Chambre de première instance, Jugement du 10 décembre 1998) au para 288. 1000 Prosecutor v. Rutaganda (Case No. ICTR-96-3-T), T.P.I.R, (Chambre de première instance I, Jugement du 6 décembre 1999) au para 456. 1001 Padraig McAuliffe, supra note 9 aux pp 139-140. Voir aussi Hunjoon Kim and Kathryn Sikkink, « Explaining the Deterrence Effect of Human Rights Prosecutions for Transitional Countries », (2010) 54:4 International Studies Quarterly 939. Payam Akhavan, « Beyond Impunity: Can International Criminal Justice Prevent Future Atrocities? », (2001) 95 American Journal of International Law 7; Jan Klabbers, « Just Revenge? The Deterrence Argument in International Criminal Law », (2001) 12 Finnish Yearbook of International Law 249. 1002 Diane Bernard, « Un (possible) apport africain à la justice internationale pénale », (2014) 45:1 Études internationales 51 à la p 58. 1003 Elisabeth Andersen, « Transitional Justice and the Rule of Law: Lessons from the Field », (2015) 47 Case Western Reserve Journal of International Law 305 à la p 309. 1004 Voir par exemple Principes de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, adoptés le 3 décembre 1973, Rés. de l’AG 3074, 28 UN GAOR Supp. (No.30) au para 78, Doc. ONU A/9030/(1973). 1005 C’est dans ce sens que la Commission des droits de l’homme des Nations Unies soulignait dans sa Résolution 2004/72 que : « Reaffirming the duty of all States to put an end to impunity and to prosecute, in accordance with their obligations under international law, those responsible for all violations of human rights and international humanitarian 175 une région habitée par des communautés ethnoculturelles qui ont été en proie à des conflits violents depuis la période précoloniale1006. Au regard de cet état de violences historiques, les violations graves des droits de la personnes commises surtout pendant la première et la seconde guerre civile auraient dû donner lieu à des redditions de compte, au moment de l’AGP, pour ne pas favoriser l’édification d’une culture d’impunité dans la région1007. Cependant, l’absence de sanction des auteurs des crimes a contribué à entretenir le climat de violence qui a culminé aux atrocités que le pays a connues dans la guerre civile qui a commencé en décembre 2013. Celle-ci a été caractérisée non seulement par la participation des plus hauts leaders du gouvernement comme de l’opposition aux violences, mais aussi par l’implication des populations locales 1008. Ce faisant, bien que dans une perspective primordialiste, on pourrait soutenir que les violences générales dans la région prennent leur source dans les rivalités tribales d’origine précoloniale1009, comme nous l’avons souligné, la guerre civile post-décembre 2013 est avant tout politique et s’explique essentiellement par le contexte d’impunité dans lequel des seigneurs de guerre et des prédateurs économiques se rivalisent la suprématie dans un État en formation. Au regard de cette situation, lors des interviews de la Commission d’enquête de l’Union africaine dans le nouvel État, « [t]ous les groupes rencontrés ont souligné la nécessité de rendre des comptes pour les atrocités commises, en particulier compte tenu de l’impunité à la suite de l’APG [Accord de paix global] 1010 »1011. En outre, des sondages effectués par la South Sudan Law Society (SSLS) en law that constitute crimes, including genocide, crimes against humanity and war crimes, in order to promote accountability, respect for international law and justice for the victims, deter the commission of such crimes and fulfil the responsibility of States to protect all persons from such crimes ». Voir Office of the High Commissioner for Human Rights, Impunity, Commission on Human Rights Resolution 2004/72. Voir chap. XVII.- E/2004/23 – E/CN.4/2004/127, April 21, 2004. 1006 Voir par exemple Stephanie Beswick, supra note 32; Douglas H. Johnson, supra note 70. 1007 Voir la section précédente intitulé « Les négociations pour la paix et la signature de l’AGP ». 1008 Voir Conseil de sécurité des Nations Unies, Letter dated 22 January 2016 from the Panel of Experts on South Sudan established pursuant to Security Council resolution 2206 (2015) addressed to the President of the Security Council, S/2016/70 du 22 janvier 2016 qui souligne que « there is clear and convincing evidence that most of the acts of violence committed during the war, including the targeting of civilians and violations of international humanitarian law and international human rights law, have been directed by or undertaken with the knowledge of senior individuals at the highest levels of the Government and within the opposition », cité par Rens Williams et David K. Deng, Perceptions of Transitional Justice in South Sudan, South Sudan Law Society, University for Peace, Pax, Juba, 2016 à la p 7, disponible en ligne sur <http://www.upeace.nl/cp/uploads/hipe_content/Perceptions-of-Transitional-Justice-inSouth-Sudan---Final-Report.pdf>, consulté le 30 juin 2019. 1009 Voir de façon générale par exemple Jack Paine, « Ethnic Violence in Africa: Destructive Legacies of Pre-Colonial States », (2019) 73 International Organization 645. 1010 L’Accord de paix global (APG) est équivalent à l’Accord global de paix (AGP). Voir supra note 1. 1011 RCEUASS, supra note 203 au para 832. 176 collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), entre octobre 2014 et avril 2015, sur 1525 personnes dans onze localités des dix États du pays, y compris Abyei, ont montré que 93% des répondants étaient en faveur des poursuites pénales1012. Ces sondages ont ainsi clairement révélé qu’une importante partie de la population du Soudan du Sud est favorable aux poursuites pénales contre les personnes responsables des pires crimes commis dans le pays. Pour contribuer à la transformation du Soudan du Sud, le THSS doit engager ses poursuites de façon stratégique en visant les personnes responsables de crimes de sorte à avoir un grand impact sur la lutte contre l’impunité des crimes dans le pays. Pour ce faire, bien que ni le R-ARCSS, ni le Projet de Statut du THSS n’indiquent explicitement que le tribunal visera les personnes qui portent “la plus grande responsabilité” des crimes commis1013, le Projet de Statut affirme clairement que « [t]he Hybrid Court shall have no jurisdiction over any person who was under the age of 18 years at the time of the alleged commission of a crime »1014. C’est dire donc que le THSS se focaliserait uniquement sur les personnes majeures responsables des crimes commis dans le pays. En outre, du fait que son droit applicable exclut expressément l’immunité, la position officielle, l’amnistie ou le pardon dont pourraient bénéficier des accusés1015, nous pensons que le tribunal devrait viser à punir les “plus grands responsables” des crimes perpétrés. Cela enverra un message important aux élites du pays que s’ils commettent des crimes, ils en payeront les conséquences. Cela contribuera à lutter contre l’impunité des crimes dans la région. En plus de cet avantage, les poursuites pénales du THSS peuvent aussi favoriser la transformation démocratique du pays. Nous analyserons cette question dans la section 1012 South Sudan Law Society, Search for a New Beginning: Perception Survey on Truth, Justice, Reconciliation and Healing in South Sudan, South Sudan Law Society, South Sudan Law Society, UNDP, 2005 à la p vi. 1013 Selon l’Article 5.3.1.1. du R-ARCSS, supra note 771 « [t]he Court shall be established by the African Union Commission to investigate and where necessary prosecute individuals bearing responsibility for violation of international law and/or applicable South Soudanese law committed from 15th December 2013 through the end of the Transitional Period ». Selon l’Article 1 du Projet de Statut du THSS, « [t]he Hybrid Court shall have the power to investigate and prosecute persons responsible for serious violations of international law and or the laws of South Sudan committed in the territory of South Sudan since 15 December 2013 through the end of the Transitional Period ». 1014 Article 9 du Projet de Statut du THSS. En revanche, le le droit applicable du TSSL permettait au tribunal de juger les personnes âgées entre 15 et 18 ans au moment de la commission des infractions (Article 4 du Statut du TSSL, supra note 851). Toutefois, le tribunal n’a poursuivi aucun enfant soldat. Voir sur ce point Lindsey Raub, supra note 901 à la p 1037. 1015 L’Article 8(3) du Projet du Statut du THSS dispose que « [i]mmunities or special procedural rules which may attach to the official capacity of a person, whether under national or international law, shall not bar the Court from exercising its jurisdiction over such a person ». L’Article 13 du Projet du Statut du THSS dispose que « [a]n amnesty or pardon granted to any person falling within the jurisdiction of the Hybrid Court in respect of crimes referred to in this Statute and any statutes of limitation shall not be a bar to prosecution ». 177 suivante. 1.2.3. – La contribution du THSS à la transformation démocratique Comme nous l’avons précédemment mentionné, au moment de sa conceptualisation à la fin de la Guerre Froide, la justice transitionnelle était appréhendée comme un ensemble de dispositifs dont l’objectif était de faciliter la transition des pays qui sortaient de conflits violents ou d’une dictature vers des régimes démocratiques fondés sur l’État de droit et les droits de la personne 1016. Aujourd’hui, même si on constate que plusieurs expériences passées de justice transitionnelle n’ont pas abouti à des démocraties, il n’en demeure pas moins qu’un tel régime politique reste généralement le but visé ou plutôt le plus désiré1017. De ce fait, pour mieux appréhender comment le THSS pourrait contribuer à la transformation démocratique au Soudan du Sud, il est nécessaire de comprendre au préalable ce qu’on entend par “démocratie” ou tout au moins les facteurs qui participent à sa consolidation. À ce titre, il faut noter que la démocratie est un concept atone, en ce sens qu’il comporte une pluralité d’interprétations et qu’il n’existe pas d’accord sur les facteurs qui font que certains États réussissent à la consolider, alors que d’autres n’y parviennent pas 1018. Ainsi, au nombre des diverses compréhensions possibles de la démocratie1019, ce concept peut être défini de façon minimaliste comme « un régime politique caractérisé par le suffrage adulte universel, la tenue d’élections périodiques, libres, compétitives et équitables, l’existence de plusieurs partis politiques et de plusieurs 1016 Paige Arthur, supra note 607 aux pp 325-326. Voir aussi Dustin N. Sharp, supra note 620 à la p 78. Nour Benghellab, « Des mythes aux réalités de la justice transitionnelle : catharsis thérapeutique, (re)constructions nationales et légitimation politique », (2016) XIII Champ pénal/Penal field 1 à la p 11; Noémie Turgls, « La justice transitionnelle, un concept discuté », (2015) Les Cahiers de la Justice n° 3, 333 à la p 333; Christian Nadeau, « Conflits de reconnaissance et justice transitionnelle », (2009) 28:3 Politique et Sociétés 191 à la p 191. 1018 Valérie Arnould, « Transitional Justice and Democracy in Uganda: Between Impetus and Instrumentalization », (2015) 9:3 Journal of Eastern African Studies 354 à la p 355. 1019 Pour une revue de quelques compréhensions de la démocratie, voir par exemple Gerardo L. Munck, « What is Democracy ? A Reconceptualization of the Quality of Democracy », (2014) Democratization 1, qui appréhende que la démocratie comme la synthèse de la liberté politique et de l’égalité politique; Dankwart A. Rustow, « Transitions to Democracy: Toward a Dynamic Model », (1970) 2: 3 Comparative Politics 337, qui définit trois phases à l’émergence des régimes démocratiques : 1) la phase préparatoire caractérisée par l’émergence d’une nouvelle élite; 2) la décision de la formation d’un nouveau système politique; et 3) la stabilisation de nouvelles institutions; Martin Seymour Lipset, Political Man, Anchor Books, New York, 1963 à la p 64 qui définit deux conditions préalables à la démocratie. La première est institutionnelle ou précédurale et se caractérise par l’élaboration d’une Constitution, la formation d’une élite politique capable de prendre des décisions importantes de gestion du pouvoir. La seconde condition est sociétale ou susbtantielle et se rapporte à la situation économique et à la légitimité du système politique. Dans la même ligne que Lipset, Robert A. Dahl, Polyarchy : Participation and Opposition, New Haven & London, Yale University Press, 1971 à p 3 et s considère aussi les dimensions institutionnelles et sociétales comme préalables à la démocratie. 1017 178 sources d’information »1020. Quant à ce qu’on pourrait qualifier de “démocratie de qualité intermédiaire”, Terry Lynn Karl considère qu’elle se réfère à « a set of institutions that permits the entire adult population to act as citizens by choosing their leading decision makers in competitive, fair, and regularly scheduled elections which are held in the context of the rule of law, guarantees for political freedom, and limited military prerogatives »1021. Par ailleurs, en se fondant sur les critères de procédure, de contenu et de résultat de la démocratie, Leonardo Morlino a décrit ce qu’on pourrait qualifier de “démocratie de qualité” ou de “bonne démocratie”, comme la démocratie dont « la structure institutionnelle stable assure la liberté et l’égalité des citoyens grâce au fonctionnement légitime et correct de ses institutions et de ses mécanismes » 1022. Il faudrait noter également que les études sur la démocratie font aussi la distinction entre des types de démocratie selon leur durabilité (les démocraties fragiles, les nouvelles démocraties, les démocraties établies) et selon leur politique économique et sociale (les démocraties libérales, les démocraties socialistes) 1023. Mais, ce qui est sûr, que ce soit la “démocratie de qualité intermédiaire” ou la “démocratie de qualité”, le respect de l’“État de droit” est au cœur de ces régimes politiques1024. L’“État de droit” peut être défini comme « un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble des individus [et] des institutions […] ont à répondre de l’observation de lois promulguées publiquement […] et compatibles avec les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme »1025. Au regard de ces définitions, étant donné que les dirigeants pré-conflictuels du Soudan du Sud n’ont pas été établis à la suite d’élections générales, on ne peut considérer le régime comme étant une démocratie. De ce fait, nous considérons que pour que le THSS puisse contribuer à la transformation démocratique du pays, il faudrait qu’il ait un 1020 Leonardo Morlino, « Légitimité et qualité de démocratie », (2010) Revue internationale des sciences sociales, n o 196, 41 à la p 42. Voir aussi Robert A. Dahl, supra note 1019. 1021 Terry Lynn Karl, « Dilemmas of Democratization in Latin America », (1990) 23:1 Comparative Politics 1 à la p 2. 1022 Leonardo Morlino, supra note 1020 à la p 43. 1023 Elin Skaar, Camila Gianella et Trine Eide, « Towards a Framework for Impact Assessment », dans Elin Skaar, Camila Gianella et Trine Eide, (éds.), After Violence, Transitional Justice, Peace, and Democratie, Oxon, New York, Routledge, 2015 à la p 33. 1024 Nous considérons l’État de droit comme indicateur de la “qualité de la démocratie”, en nous fondant sur l’étude de Valérie Arnould, supra note 1018 à la p 357, qui élabore trois critères de la démocratie. Il s’agit de l’existence d’un État de droit, de la subordination des forces de sécurité aux civils, et de la participation égalitaire des citoyens à la vie politique. 1025 Olivier Beauvallet, supra note 996 à la p 27. 179 impact sur l’État de droit. Pour ce faire, nous utiliserons les instruments de mesures de (de)légitimation, de réforme et d’autonomisation des institutions étatiques 1026. Les procès du THSS pourraient contribuer à la (de)légitimation des agents et instutions de l’État. Les procès pénaux internationaux consécutifs à la Deuxième Guerre mondiale ont mis en lumière la relation de causalité entre les procès et la (de)légitimation de certains agents de l’État. À l’ouverture des procès de Nuremberg, le Procureur Robert H. Jackson soulignait que « [w]e must never forget that the record on which we judge these defendants today is the record on which history will judge us tomorrow. To pass these defendants a poisoned chalice is to put it to our own lips as well » 1027. Jackson persuadait ainsi les puissances victorieuses de la guerre du fait qu’une simple exécution des criminels nazis par vengeance les desservirait eux-mêmes, alors que l’organisation de procès “justes et équitables”1028 légitimerait non seulement leur propre intervention dans la guerre1029, mais en plus, elle contribuerait à la transformation de l’Allemagne en un État de droit démocratique1030. En effet, du fait de l’égalité qu’il exprime entre le souverain et les sujets, le rejet de l’impunité des crimes est l’un des principaux attributs du régime démocratique1031. En poursuivant, par exemple, les plus grands responsables des crimes internationaux comme, d’une part, l’influent leader nationaliste serbe Momcilo Krajisnik et le Président serbe de la Bosnie, Radovan Karadzic, par le TPIY ; l’architecte du plan d’extermination des Tutsi, Théoneste Bogosora et le premier ministre du gouvernement intérimaire rwandais de 1994, Jean Kambanda, par le TPIR et, d’autre part, le Président irakien Saddam Hussein par le TSI, l’ancien Président Charles Taylor par le TSSL ou l’ancien Président Hussène Habré par les Chambres africaines 1026 Valérie Arnould, supra note 1018 à la p 357. Office of the United States Chief of Counsel for Prosecution of Axis Criminality, Nazi Conspiracy and Agression, Vol I, Washington, The United States Government Printing Office, 1946 à la p 116. 1028 Ces procès ont néanmoins fait l’objet de plusieurs critiques comme étant une “justice des vainqueurs” et n’étant pas été justes et équitables. Sur ce point, voir par exemple Yuma Totani, The Tokyo War Crimes Trial: The Pursuit of Justice in the Wake of World War II, Cambridge, Mass, Harvard University Press, 2009; Guénaël Mettraux (éd), Perspectives on the Nuremberg Trial, Oxford, Oxford University Press, 2008; Neil Boister and Robert Cryer, The Tokyo International Military Tribunal: A Reappraisal, Oxford, Oxford University Press, 2008; Gary Jonathan Bass, Stay the Hand of Vengeance. The Politics of War Crimes Tribunals, Princeton, Princeton University Press, 2000 aux pp 147-205; Herbert Wechsler, « The Issues of the Nuremberg Trial », (1947) 62:1 Political Science Quarterly 11; Charles E. Wyzanski, « Nuremberg: A Fair Trial? A Dangerous Precedent », (1946) The Atlantic, disponible en ligne sur <https://www.theatlantic.com/magazine/archive/1946/04/nuremberg-a-fair-trial-a-dangerousprecedent/306492/>, consulté le 26 avril 2020. 1029 Ruti G. Teitel, supra note 613 à la p 73. 1030 Voir par exemple Sanya Romeike, Transitional Justice in Germany after 1945 and after 1990, Occasional Paper No. 1, International Nuremberg Principles Academy, Nuremberg 2016. 1031 Olivier Beauvallet, supra note 996 à la p 16. 1027 180 extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, la justice pénale internationale ou hybride est parvenue à mettre derrière les barreaux des personnes qui étaient jadis considérées comme toutes puissantes et intouchables. Cette justice contribue ainsi doublement au projet de démocratisation des États qui sortent de conflits violents : elle soustrait de la vie politique les criminels qui violent les droits les plus fondamentaux de leurs concitoyens en les mettant derrière les barreaux, et lancent un message clair à leurs subordonnées qu’ils doivent dorénavant réfléchir par deux fois avant d’obéir aux ordres d’exécuter des actes incontestablement immoraux1032. La justice pénale internationale ou hybride permet, ce faisant, de délégitimer certains leaders du régime violent précédent et en légitimer d’autres en vue de l’émergence d’un nouveau régime démocratique 1033. La délégitimation peut se faire aussi en nommant et en humiliant les prédateurs politiques et économiques à la suite du procès pénal1034. La capacité de légitimation et de délégitimation de la justice pénale internationale ou hybride pourrait aussi favoriser l’alternance au pouvoir d’État et la stabilité politique dans la société postconflictuelle1035. Les poursuites pénales du THSS peuvent aussi contribuer à la transformation démocratique du Soudan du Sud à travers les réformes institutionnelles, constitutionnelles et législatives qu’elles peuvent induire dans le pays. Elles peuvent par exemple exposer certaines causes profondes des violences et ensuite rendre indispensable notamment le démantèlement de certains groupes et institutions abusifs, la création de structures de surveillance des droits de la personne, la réforme des services de sécurité militaire et de la police et la garantie de l’indépendance de la justice1036. Finalement, les poursuites pénales du THSS peuvent aussi contribuer à la transformation démocratique à travers l’autonomisation qu’elles peuvent inférer à certaines institutions étatiques. Elles peuvent, par exemple, non seulement, mettre en exergue l’exclusion ou la marginalisation historique de certains groupes ou minorités 1032 Cécile Aptel, « Justice pénale internationale : entre raison d'État et État de droit », (2007) Revue internationale et stratégique no 67, 71 aux pp 75-76. 1033 Anja Mihr (éd.), Transitional Justice: Between Criminal Justice, Atonement and Democracy, Utrecht, Universiteit Utrecht, SIM Special 37, 2012 à la p 17. 1034 Valérie Arnould, supra note 1018 à la p 358. 1035 Olivier Beauvallet, supra note 996 à la p 19. 1036 Valerie Arnould Chandra Lekha Sriram, « Pathways of Impact: How Transitional Justice Affects Democratic Institution-Building », (2014) Impact of Transitional Justice Measures on Democratic Institutions-building Policy Paper 1. 181 ethniques, politiques ou religieuses pour qu’ils soient soutenus par les institutions étatiques en vue de leur participation pleine à la vie démocratique, mais aussi déceler des relations de pouvoir inégalitaires au sein de certaines institutions et rendre nécessaires des réformes 1037. Après avoir présenté les contributions du THSS à la transformation démocratique du Soudan du Sud, il faut noter que de tels apports seront insuffisants s’ils ne sont pas associés à d’autres mesures1038. C’est pourquoi, un autre facteur de contribution à la transformation sociétale du pays est que la justice pénale associe à ses peines des mesures de réparation des injustices structurelles et socio-économiques du pays. 1.3. – La réparation des injustices structurelles et socio-économiques Comme nous l’avons souligné précédemment, la justice transitionnelle s’est historiquement focalisée sur les réparations des violations des droits civils et politiques, alors que les réponses aux violences structurelles et les violations des droits économiques et sociaux ont été généralement invisibles dans ses dispositifs1039. Par exemple, dans les années 1980 et 1990, dans les pays de l’Amérique latine comme l’Argentine, le Salvador, l’Uruguay et le Chile, et en Afrique du Sud, la justice transitionnelle s’est largement focalisée sur les violations des droits civils et politiques, en marginalisant les violations des droits économiques et sociaux1040. Ceci s’explique par le fait que les violences structurelles ou systémiques ne sont pas généralement causées par des actions directes des individus mais sont attribuables aux structures sociales et étatiques. Elles sont légitimées par des représentations, des normes ou des aspects symboliques qui sont qualifiées de violences culturelles 1041. Les violences structurelles s’expriment aussi par des relations de pouvoirs inégaux qui désavantagent certains membres de la société en les privant des mêmes chances que les autres et en les empêchant de satisfaire leurs besoins 1037 Valérie Arnould, supra note 1018 à la p 359. Matthew Mullen, supra note 658 à la p 468. 1039 Voir Zinaida Miller, supra note 656; Louise Arbour, supra note 698; Dáire McGill, supra note 625. 1040 Dustin N. Sharp, supra note 671 aux pp 169-170. 1041 Voir John Galtung, Peace by Peaceful means, London, Sage, 1996 à la p 31, cité par Matthew Mullen, supra note 658 aux pp 464-465. 1038 182 de base1042. C’est le cas par exemple de la situation d’inégalité sociale, raciale, économique et politique en Afrique du Sud pendant le régime de l’Apartheid 1043. Au Soudan du Sud, en particulier, les violences structurelles se rapportent notamment au colonialisme, à l’exploitation socio-économique, à la guerre, à la domination politique, religieuse et culturelle, au sous-développement, à la pauvreté, au patriarcat, au tribalisme. Ces violences structurelles empêchent la pleine réalisation des droits fondamentaux de la personne1044. Alors que les violences culturelles et structurelles sont de nature invisible comparativement aux violences physiques (tortures, meurtres, viol, etc.), elles produisent pourtant de la vulnérabilité, de la déshumanisation et sont parfois la cause profonde des crimes de masse. Ce sont ces violences structurelles qui engendrent les tensions et rendent possible l’éruption des conflits de masse. La structure ou le système nourri par la culture du milieu détermine ainsi les actions des agents. Il existe donc une relation dialectique entre les violences culturelles, structurelles et physiques car elles se légitiment mutuellement 1045. En ce qui concerne les violences socio-économiques, elles se manifestent par exemple, au Soudan du Sud, par la gouvernance patrimonialiste, “kleptocratique” et tribaliste des ressources du pays par le M/APLS pendant la période intérimaire jusqu’à la guerre civile. Elles portent aussi sur la corruption, la gabegie1046, et l’utilisation des revenus du pétrole à des fins d’enrichissement personnel des membres du M/APLS1047. Qui plus est, elles se rapportent à des situations de dépossession des propriétés foncières des plus faibles dont les femmes en particulier 1048. C’est cette situation de prédation des ressources par les dirigeants du M/APLS qui a, en partie, contribué à l’implication des populations civiles dont surtout les jeunes, dans les conflits, suivant les lignes ethniques, et qui a poussé le Soudan du Sud dans le précipice. Le pays est classé parmi les États ayant le niveau de développement humain le plus faible au monde1049. 1042 Padraig McAuliffe, supra note 646 à la p 93. Voir par exemple Mavis B. Mhlauli, End Salani et Rosinah Mokotedi, « Understanding Apartheid in South Africa Through the Racial Contract », (2015) 5:4 International Journal of Asian Social Science 203. 1044 Jolle Demmers, Theories of Violent Conflict: An Introduction, London, New York, Routledge, 2012 à la p 59. 1045 Ibid à la p 63. 1046 Hilde F. Johnson, supra note 216 à la p 229. 1047 Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 8. 1048 Martina Santschi, supra note 465 à la p 48. 1049 Human Development Report, supra note 245. 1043 183 Bien que l’objectif premier de la justice pénale internationale en général et du THSS en particulier ne soit pas d’apporter des réponses aux violences structurelles et socio-économiques, il pourrait constituer indirectement un outil efficace de répression de ces crimes qui contribuera à la transformation structurelle du Soudan du Sud. Pour ce faire, comme nous l’avons mentionné précédemment, il faudrait que le tribunal soit stratégique dans ses poursuites. Il pourrait, par exemple, viser plusieurs objectifs à la fois comme poursuivre des auteurs présumés de crimes graves qui sont en même temps impliqués dans des affaires de corruption et de détournement des deniers publics. De ce fait, le tribunal pourrait, à la suite de ces procès pénaux, non seulement condamner ces auteurs à des peines d’emprisonnement, mais aussi ordonner la saisie des propriétés et autres biens mals acquis ou acquis par suite d’activités criminelles et les retourner à leurs vrais propriétaires ou à l’État comme le prévoit l’Article 28(3)(4) du Projet de Statut du THSS1050 et l’Article 5.3.5.2 du R-ARCSS1051. Nous pensons aussi que bien que le Projet de Statut du THSS ne mentionne pas, expressis verbis, la compétence du tribunal en matière de trafics, de crimes économiques et de corruption, contrairement, par exemple, aux Panels de la Résolution 64 du Kosovo1052 et des Chambres pour crimes de guerre du Tribual d’État de Bosnie-Herzégovine1053, le tribunal pourrait se fonder sur l’Article 2(d) qui lui donne compétence sur « [o]ther serious crimes under international law and relevant laws of South Sudan, including gender-based crimes and sexual violence »1054. Le THSS pourrait ainsi s’inspirer, d’une part, des panels hybrides des juridictions de base du Kosovo qui ont statué, en 2015, sur 559 affaires de corruption impliquant 1239 personnes parmi lesquelles 28 ont été condamnées à la prison et 20 à payer une amende1055; et, d’autre part, des Chambres pour crimes de guerre de la Bosnie- Selon l’Article 28(3)(4) du Projet de Statut du THSS : « 3. In addition to imprisonment, the Trial Chamber may order the forfeiture of the property, proceeds and any assets acquired unlawfully or by criminal conduct, and their return to their rightful owner or to the State of South Sudan without prejudice to the right of bona fide third parties. 4. The Trial Chamber may make an order directly against a convicted person specifying appropriate reparations to, or in respect of victims, including restitution, compensation and rehabilitation ». 1051 Le R-ARCSS, supra note 771 au Chapitre V à l’Article 5.3.5.2 soutient que le THSS « may order the forfeiture of the property, proceeds and any assets acquired unlawfully or by criminal conduct, and their return to their rightful owner or to the state of South Sudan ». 1052 Voir UNMIK, Résolution No 2000/64, supra note 895. 1053 Voir Law on the Prosecutor’s Office of Bosnia and Herzegovina, Article 3. 1054 L’Article 2 du Projet de Statut du THSS dispose que: « The Hybrid Court shall have jurisdiction with respect to the following crimes: a) Genocide; b) Crimes Against Humanity; c) War Crimes; and d) Other serious crimes under international law and relevant laws of South Sudan, including gender-based crimes and sexual violence ». 1055 Ehat Miftaraj et Betim Musliu, « Fighting Corruption in Kosovo: Priority in Paper », Kosovo Law Institute, Pristina, December 2015, disponible en ligne sur <https://kli-ks.org/wp-content/uploads/2015/12/2.-Fighting1050 184 Herzégovine qui, en 2019, ont jugé 189 affaires de corruption durant l’année 2018 parmi lesquelles 111 affaires ont donné lieu à des condamnations 1056. Les affaires de crimes économiques impliquant les multinationales pourraient aussi être déférées devant la future Cour africaine de justice et des droits de l’homme lorsqu’elle entrera en vigueur au regard de l’Article 46C du Protocole instituant la Cour qui dispose que « la Cour a compétence sur les personnes morales, à l’exception des États » 1057. Par ailleurs, selon l’Article 29(1) du Projet de Statut du THSS, le tribunal pourrait ordonner des « reparations to victims, individually or collectively, whether or not they participated in the proceedings before the Hybrid Court ». Nous pensons que le tribunal pourrait faire une interprétation large de cette disposition pour ordonner, en plus de condamnations pénales, de vastes mesures de réparation des droits économiques et sociaux en faveur des victimes des violences. L’Article 29(2) du Projet de Statut précise que les réparations peuvent comprendre la restitution, la compensation et la réhabilitation. Il ne faudrait pas que ces réparations soient purement symboliques. Il faudrait que ces mesures aient un impact fort sur les populations et contribuent à dissuader les personnes au pouvoir à commettre des actions similaires dans l’avenir et, ce faisant, qu’elles participent effectivement à la transformation structurelle du Soudan du Sud. En tout état de cause, même s’il est certain que le THSS n’arrivera pas à poursuivre la grande majorité des auteurs des crimes commis au Soudan du Sud, en engageant des poursuites stratégiques, il pourrait avoir un effet significatif sur la transformation structurelle du pays. Mais le THSS n’est qu’une juridiction spéciale à durée limitée. En principe, il revient en grande partie aux tribunaux nationaux du pays de jouer un rôle important dans la répression des crimes de droit commun et des crimes internationaux afin de contribuer à une transformation susbtantielle du Soudan du Sud. Corruption-in-Kosovo-Priority-in-letter1.pdf>, consulté le 21 juillet 2019. 1056 Organization for security and Co-operation in Europe (OSCE) Mission to Bosnia and Herzegovina, « Assessing Needs of Judicial Response to Corruption Through Monitoring of Criminal Cases (ARC): Trial Monitoring of Corruption Cases in BIH: Second Assessment », OSCE, 2019, disponible en ligne sur <https://www.osce.org/missionto-bosnia-and-herzegovina/417527?download=true>, consulté le 21 juillet 2019. 1057 Pour une analyse des implications et des contraintes d’une telle compétence, voir notamment Amissi Melchiade Manirabona, « La compétence de la future Cour pénale africaine à l’égard des personnes morales : propositions en vue du renforcement de régime inédit », (2017) 55 Annuaire canadien de droit international 293. 185 2.– Le rôle des tribunaux pénaux nationaux dans la transformation du Soudan du Sud Les tribunaux nationaux peuvent contribuer considérablement à la transformation du Soudan du Sud. Pour ce faire, le gouvernement doit, tout d’abord, poursuivre les programmes de réforme et de renforcement des capacités du secteur de la justice (2.1). Ensuite, en tant que juridictions de premier ordre chargées du respect de la primauté du droit dans le pays, les tribunaux nationaux doivent punir sans tarder les crimes de droit commun dont surtout les violences sexuelles faites aux femmes ainsi que les violences inter-communautaires qui visent à perpétuer le cycle de la violence (2.2). 2.1. – La nécessité de poursuivre les réformes du système judiciaire national De tous les types de juridictions qui sont généralement habilités à répondre aux crimes internationaux, il est établi que le meilleur modèle demeure les tribunaux pénaux nationaux1058. En effet, il appartient d’abord prioritairement aux États dans lesquels les crimes internationaux ont été commis de remplir leurs obligations internationales en poursuivant ces crimes devant leurs juridictions compétentes. En outre, du fait que ces juridictions sont généralement situées sur le lieu des crimes, elles ont facilement accès aux preuves, aux victimes et aux présumés auteurs des crimes. Cela rend plus aisée leur mission d’assurer la poursuite pénale des crimes. Qui plus est, les juridictions nationales peuvent aussi avoir directement un impact significatif dans la vie des citoyens dans la mesure où elles sont dirigées par des nationaux qui connaissent bien le contexte dans lequel les crimes ont été commis. Toutefois, les juridictions du Soudan du Sud ne pourront jouer effectivement ces rôles et contribuer à la transformation du contexte conflictuel du pays que lorsque des réformes significatives du système judiciaire sont adoptées pour résoudre les défaillances précédemment soulignées dans ce secteur1059. Dans cette optique, les autorités politiques ont adopté un Projet de stratégie nationale de développement (2018-2021) qui considère le secteur de la justice comme un de ses axes prioritaires d’intervention1060. Ce plan donne l’espoir que le renforcement des 1058 Antonio Cassese, supra note 907 à la p 4. Voir section précédente intitulée « La faiblesse du système judiciaire national ». 1060 Gouvernement du Soudan du Sud, Consolidate Peace and Stabilize the Economy, Republic of South Sudan National Development Strategy (2018-2021), 12 avril 2018, disponible en ligne sur <http://grss-mof.org/wpcontent/uploads/2018/11/NDS-4-Print-Sept-5-2018.pdf>, consulté le 6 juin 2019. 1059 186 capacités des juridictions nationales sera effectif afin qu’elles soient capables de relever le défi de la justice dans le pays. On comprend dès lors pourquoi l’ARCSS soulignait que « [t]here shall be reforms of the Judiciary that shall include but not be limited to the review of the Judiciary Act during the Transition. Notwithstanding, efforts shall be made to build the capacity of the judicial personnel and infrastructure » 1061. Autrement dit, l’accord soulignait la nécessité d’entreprendre certaines réformes indispensables au domaine de la justice pour assurer son effectivité et son efficacité. À cet égard, il mettait le doigt sur une des principales faiblesses du système de justice national du Soudan du Sud en précisant que « [t]he Judiciary of South Sudan shall be independent and subscribe to the principle of separation of powers and the supremacy of the rule of law with the TCRSS, 2011 »1062. Toutefois, l’ARCSS semblait laisser l’initiative et les modalités de ces réformes au TGoNU. Le R-ARCSS va ainsi plus loin que l’ARCSS dans sa prise en compte de la nécessité des réformes. Contrairement à l’approche de l’ARCSS, les négociateurs du R-ARCSS instituent un Comité chargé de la réforme judiciaire (Judicial Reform Committee (JRC)) qui doit être créé par le R-TGoNU. Son mandat consiste à faire des recommandations au R-TGoNU quant aux réformes à entreprendre durant la période transitionnelle1063. En examinant les défaillances du système national de justice, on peut soutenir que pour que les réformes envisagées soient efficaces et transformatrices, elles doivent nécessairement comprendre notamment1064 : • Le renforcement des capacités de la justice par le développement du droit et le recrutement de personnel qualifié afin de permettre une meilleure poursuite des crimes dont, en particulier, les violences sexuelles et sexistes. • Le financement adéquat du secteur de la justice en vue de sa dotation en infrastructure et en matériel afin de la rendre opérationnelle non seulement dans les centres urbains, mais aussi dans les zones rurales. Pour ce faire, on pourrait adopter des mesures incitatives en vue de retenir les juges dans ces zones ou créer des tribunaux spéciaux et de juges mobiles pour résoudre en particulier les 1061 ARCSS, supra note 769 Article 12.2. Ibid Article 12.1. 1063 R-ARCSS, supra note 771 Article 1.17.3. 1064 Ces propositions de réformes s’inspirent également des recommandations faites par le RCEUASS, supra note 203 aux para 1092 à 1101; par David K. Deng, supra note 430; Rens Williams et David K. Deng, supra note 1008 aux pp 44-47. 1062 187 situations de violences inter-communautaires résultant par exemple des raids de troupeaux, des questions foncières, d’enlèvement des femmes etc. • La garantie du droit des victimes et des défendeurs à la justice à travers l’octroi d’aide juridique aux personnes qui ne peuvent se payer un avocat afin de leur assurer un procès juste et équitable. • La garantie de l’indépendance de la justice en évitant les immixtions de l’exécutif et des militaires dans le processus judiciaire. Cela peut se faire à travers la nomination, la sanction et la révocation des juges suivant une procédure transparente fondée sur des critères clairement prédéfinis. • La mise en œuvre de politiques qui interdisent les détentions arbitraires et abusives et l’usage inapproproprié des recours civils et pénaux par les mécanismes traditionnels de justice. • L’organisation de formations de la langue anglaise pour le personnel judiciaire afin de favoriser la transition rapide du personnel judiciaire de la langue de travail de l’Arabe de Juba et le système juridique du droit islamique vers l’adoption de la Common Law. • L’organisation du pluralisme juridique à travers, par exemple, la création d’un lien entre les tribunaux de droits coutumiers et les tribunaux de droit formel de première instance. Cela permettrait un meilleur accès à la justice surtout pour les personnes vulnérables comme les femmes et les enfants et permettrait d’arrimer adéquatement les droits coutumiers avec les droits de la personne et les principes constitutionnels. Si ces réformes sont mises en œuvre, elles doteront certainement les juridictions nationales du Soudan du Sud des capacités nécessaires à la poursuite des crimes graves commis dans le pays. Elles pourront, ce faisant, largement contribuer à une transformation substantielle du contexte conflictuel du pays. 2.2. – Le rôle transformateur des tribunaux pénaux nationaux Les tribunaux nationaux du Soudan du Sud peuvent jouer un rôle important dans la transformation du pays, en mettant fin à la culture de l’impunité des crimes. Pour ce faire, selon la Section consultative sur l’État de droit de la Mission des Nations Unies au 188 Soudan du Sud, au plan formel, il existerait déjà un cadre juridique adéquat pour la poursuite des crimes de droit commun dont par exemple ceux relatifs aux violences faites aux femmes et aux enfants1065. Toutefois, dans la pratique, divers problèmes apparaissent dans le fonctionnement de la justice. De ce fait, les réformes en cours permettront à l’État de se doter de juridictions compétentes et effectives capables de mettre en œuvre les obligations internationales de l’État en matière de poursuite non seulement des crimes de droit commun, mais aussi des crimes internationaux perpétrés dans les conflits. En ce qui concerne les crimes de droit commun, nous allons souligner particulièrement deux types de violences physiques en raison de leur nature historique et structurelle. Il s’agit de la nécessité d’engager des pousuites pénales ciblées pour réprimer particulièrement les instigateurs de violences inter-communautaires (2.2.1) et les auteurs de violences faites aux femmes (2.2.2), en s’assurant d’une participation effective du public aux processus de la justice pénale (2.2.3). 2.2.1. – La nécessité d’engager des poursuites pénales contre les violences inter-communautaires Au Soudan du Sud, les violences inter-communautaires sont généralement de plusieurs ordres. Elles peuvent être des conflits intertribaux, comme les violences entre les Buya et les Didinga à Budi ou entre les Lou Nuer, les Dinka Bor et les Murle à Jonglei ; des conflits intersectionnels comme les violences entre les Lou Nuer d’Akobo et les Jikani Nuer de Nasir ; des conflits interclaniques comme les violences parmi les Dinka Abaliang de Rink ou encore les conflits parmi les sous-groupes des Lango d’Ikotos1066. Dans le Jonglei, en particulier, des conflits qui remontent à des siècles concernent les Dinka, les Nuer et les Murle et se rapportent non seulement aux raids de bétails, de femmes et d’enfants, mais aussi à des rivalités de nature politique1067. Les divisions au sein du MPLA en 1991 entre Garang et la faction dirigée par Riek Machar et l’accès aux armes 1065 Voir Human Rights Council, Report of the Commission on Human Rights in South Sudan, Thirty-seventh session, A/HRC/37/CRP.2, 23 February 2018 au para 668. 1066 David K. Deng, supra note 430. 1067 International Crisis Group, supra note 301 à la p 4. Voir aussi Gabriel Giet Jal, History of South Sudan’s Jikany Nuer Ethnic Group 1500-1920, Nairobi, Africawide Network, 2013; Douglas H. Johnson, Nuer Prophets: A History of Prophecy from the Upper Nile in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Oxford, New York, Clarendon Press of Oxford University Press, 1994. 189 modernes ont exacerbé les violences à la fois politiques et inter-communautaires 1068. Selon David K. Deng, en raison de ces violences inter-communautaires, ces dernières années, plusieurs milliers de civils, y compris des femmes et des enfants ont été tués ou enlevés et leurs propriétés détruites dans le Jonglei et un peu partout dans le pays. Pourtant, souligne Deng, le système de justice étatique n’est pas encore en mesure de punir les auteurs de ces crimes, car ils sont le plus souvent protégés par des groupes armés ou réussissent à s’échapper en traversant les frontières administratives ou internationales 1069. En outre, comme nous l’avons déjà souligné, les griefs historiques sont aussi sources de violences inter-communautaires récurrentes1070. Pour mettre fin à ces conflits, précise Deng, le gouvernement procède habituellement par une approche holistique qui conjugue les amnisties générales, les conférences de paix et de réconciliation, les solutions militaires de désarmement forcé de certains groupes armés et les procédures judiciaires mises en œuvre à travers le pays sous forme de tribunaux spéciaux ou de juges mobiles. Toutefois, l’auteur souligne que ces mesures n’ont jamais été adoptées pour répondre aux violences qui impliquent des agents du gouvernement, et, ce faisant, elles ne sont pas consistantes en termes de reddition des comptes et demeurent très peu durables 1071. Dans ce contexte, bien que le Président Salva Kiir ait reconnu le rôle catalysant des acteurs politiques dans ces conflits, ces personnes bénéficient d’une totale impunité1072. Ainsi, alors que les mécanismes de justice traditionnelle auraient pu jouer un rôle dans la résolution de ces conflits, dans la plupart des situations, les parties appartiennent à des communautés différentes et ne sont pas enclines à accepter les compensations coutumières 1073. En outre, tandis que des panels de chefs traditionnels existent dans les zones urbaines pour résoudre des différends impliquant différents groupes ethniques, ces types de mécanismes n’existent pas dans les zones rurales pour résoudre des conflits inter-communautaires de grande envergure 1074. Dans ces conditions, l’environnement d’impunité qui prévaut crée un cercle vicieux de vengences qui 1068 International Crisis Group Report, supra note 3 à la p 5. David K. Deng, supra note 430. 1070 International Crisis Group Report, supra note 4 aux pp 5-8. 1071 David K. Deng, supra note 430. 1072 United Nations Mission in South Sudan (UNMISS), « Incidents of Inter-Communal Violence in Jonglei », June 2012 à la p 28, disponible en ligne sur <https://www.refworld.org/docid/4feac8632.html>, consulté le 10 juillet 2019. 1073 David K. Deng, supra note 430. 1074 Ibid. 1069 190 perpétuent les violences 1075. Il est par conséquent nécessaire que le GoSS soutienne fortement les juridictions nationales pour qu’elles poursuivent les auteurs de ces violences inter-communautaires et surtout les agents étatiques qui les entretiennent à des fins politiques. Ceci contribuera à briser le climat d’impunité qui prévaut dans la région et à dissuader la continuation de ces crimes dans l’avenir. En plus de ces conflits, les juridictions nationales du Soudan du Sud doivent aussi être dôtées de moyens nécessaires pour poursuivre les violences faites en particulier aux femmes. 2.2.2. – La nécessité d’engager des poursuites pénales contre les violences faites aux femmes Dans des enquêtes conduites par le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), entre octobre et novembre 2015 sur quatre sites de protection des civils à Juba, il ressortait que 72% des femmes avaient été victimes de viols et autres violences sexuelles de la part des soldats ou des membres de la police depuis le début des conflits. En outre, 75% avaient été forcées à regarder d’autres femmes être violées 1076. En janvier 2017, un rapport des Nations Unies soulignait que les violences sexuelles qui ont été perpétrées à Juba en juillet 2016 ont été commises par des soldats de l’APLS, de l’APLSO et des groupes armés qui leur sont alliés dont les membres des Services nationaux de sécurité et de la police1077. Selon le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, les violences sexuelles et sexistes sont un trait charactéristique principal des conflits au Soudan du Sud utilisées par toutes les parties comme stratégie de guerre en vue de semer la terreur1078. Le Conseil a documenté plusieurs cas de viols individuels et collectifs perpétrés devant les enfants des victimes et des cas de mutilation sexuelle, de mariage 1075 Ibid. Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, Trentequatrième session, 27 février-24 mars 2017, A/HRC/34/63, 6 mars 2017 au para 35. 1077 OHCHR et UNMISS, « Violations and abuses of international human rights law and violations of international humanitarian rights law in the context of the fighting in Juba », South Sudan, in July 2016, January 2017, disponible en ligne sur <https://www.ohchr.org /Documents/Countries/SS/ReportJuba16Jan2017.pdf>, consulté le 12 juillet 2019. 1078 Human Rights Council, Report of the Commission on Human Rights in South Sudan, Fortieth session, A/HRC/40/69, 12 mars 2019 au para 38. L’organisation mondiale de la santé définit la violence sexuelle de façon extensive comme « [t]out acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité́ d’une personne en utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s’y limiter, le foyer et le travail ». Voir Organisation mondiale de la santé, Rapport mondiale sur la violence et la santé, Genève, Organisation mondiale de la santé, 2002 à la p 165. 1076 191 forcé, et d’enlèvements de femmes, de femmes âgées, de filles et de garçons 1079. Selon un rapport de l’ONG Care Emergencies, les violences sexuelles et sexistes se fondent sur des normes sociales discriminatoires et des relations de pouvoirs inégalitaires entre les hommes et les femmes 1080. L’ONG ajoute que le viol et les agressions sexuelles sont utilisés dans les conflits comme moyens pour intimider, humilier, déplacer et traumatiser les communautés 1081. En dépit de ce contexte de violations graves des droits de la personne, et des femmes en particulier, les autorités du Soudan du Sud n’ont pas encore réussi à mettre sur pied un système judiciaire effectif qui garantit aux populations l’accès à la justice 1082. L’affaire The Terrain démontre que des pressions internationales sont nécessaires dans le pays pour que des poursuites pénales soient engagées contre les soldats de l’APLS. Cette affaire remonte au 11 juillet 2016, après l’échec de l’ARCSS, lorsque les soldats de Salva Kiir et les partisans de Riek Machar se sont engagés dans des affrontements armés à Juba. Dans la foulée de ces combats, les soldats de Kiir ont attaqué les locaux de l’hôtel The Terrain, y ont torturé les occupants, violé collectivement au moins cinq femmes travailleuses humanitaires et tué un journaliste local1083. À la suite de ces évènements, le gouvernement Kiir a d’abord manifesté un manque de volonté à poursuivre les soldats présumés auteurs de ces crimes. Mais à la suite de pressions internationales, dont notamment de la part des États-Unis1084, le Président a fini par mettre en place une Cour martiale pour juger et punir les responsables de ces crimes. Selon le récit rapporté par Human Rights Watch, les procès ont commencé à la fin du mois de mai 2017 avec douze 1079 Human Rights Council, Report of the Commission on Human Rights in South Sudan, Fortieth session, A/HRC/40/69, 12 mars 2019 au para 38. 1080 Care Emergencies, ‘The Girl Has No Rights’: Gender-Based Violence in South Sudan, Juba, 2014 à la p 3, disponible en ligne sur <https://insights.careinternational.org.uk/media/k2/attachments/CARE_The_Girl_Has_No_Rights_GBV_in_South_Su dan.pdf >, consulté le 12 juillet 2019. 1081 Ibid. 1082 South Sudan Law Society, The Nuhanovic Foundation, Law Legal Action Worldwide, « Accountability for Sexual Violence Committed by Armed Men in South Sudan », Juba, 2016 aux pp 11-12, disponible en ligne sur <https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Legal-Action-Worldwide-Report-on-Accountability-for-SexualViolence-Committed-by-Armed-Men-in-South-Sudan.pdf >, consulté le 12 juillet 2019. 1083 Voir The Guardian, « South Sudan soldiers jailed for murder and rape in hotel attack », disponible en ligne sur <https://www.theguardian.com/world/2018/sep/06/south-sudan-soldiers-jailed-for-and-in-hotel-attack>, consulté le 10 juillet 2019. 1084 Voir Flora McCrone, « War Crimes and Punishment: The Terrain Compound Attack and Military Accountability in South Sudan, 2016–18 », (2019) HSBA Briefing Paper, disponible en ligne sur <http://www.smallarmssurveysudan.org/fileadmin/docs/briefing-papers/HSBA-BP-Terrain.pdf>, consulté le 6 mai 2020. 192 soldats de rang inférieur accusés du meurtre du journaliste sud-soudanais John Gatluak, de viol, de harcèlement sexuel, de vol d’armes, de vol, de pillage, d’intrusion criminelle dans une propriété privée et de violation d’ordres militaires 1085. Selon Amnesty International, à l’issue de ces procès, deux soldats ont été jugés coupables du meurtre du journaliste et condamnés à la prison à vie; trois autres ont été trouvés coupables de viol et de harcèlement sexuel et un a été jugé coupable de viol et de vol d’armes. Ces derniers ont été condamnés à des peines allant de sept à quatorze années de prison 1086. Quant aux mesures de réparation, Sasha Ingber rapporte que la Cour a aussi ordonné au gouvernement de payer $4000 à chacune des victimes de viol; $2,2 millions pour le propriétaire de l’hôtel pour la destruction de sa propriété et 51 vaches à la famille du journaliste tué1087. Toutefois, l’avocat représentant les victimes du viol, Denis Dumos, n’a pas été satisfait par ces condamnations. Il les a trouvé « very embarrassing and […] an insult to the victim » 1088. On peut aisément percevoir dans cette décision le plus de valeur que le tribunal a accordé aux biens matériels qu’aux droits à la vie et à l’intégrité physique. Cependant, pour le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, ces condamnations constituent des premiers pas vers la reddition des comptes dans le contexte du Soudan du Sud caractérisé par la culture de l’impunité 1089. Si ces procès qui ont finalement eu lieu sont hautement louables, ils lancent un signal alarmant quant à la volonté du gouvernement de mettre fin à l’impunité des crimes dans le pays. Ces procès indiquent ainsi la nécessité de pressions fortes sur les autorités du pays pour qu’elles s’investissent activement dans la répression des crimes. Pour Amnesty International, le Soudan du Sud doit absolument continuer dans le bon sens en adoptant le THSS, qui est déjà beaucoup en retard, pour poursuivre les crimes internationaux commis dans la guerre 1085 Propos rapportés par Human Rights Council, Report of the Commission on Human Rights in South Sudan, Thirtyseventh session, A/HRC/37/CRP.2, 6 March 2018 au para 682. 1086 Décision rapportée par Amesty International, « South Sudan: Sentencing of soldiers for killing journalist and raping aid workers a step forward for justice », 6 septembre 2018, disponible en ligne sur <https://www.amnesty.org/en/latest/news/2018/09/south-sudan-sentencing-of-soldiers-for-killing-journalist-andraping-aid-workers-a-step-forward-for-justice/>, consulté le 10 juillet 2019. 1087 Sasha Ingber, « South Sudan Soldiers Convicted of Raping Aid Workers and Killing a Journalist », 6 septembre 2018, disponible en ligne sur <https://www.npr.org/2018/09/06/645215324/south-sudan-soldiers-convicted-of-rapingaid-workers-and-killing-a-journalist>, consulté le 10 juillet 2019. 1088 Denis Dumos, « South Sudan soldiers sentenced to jail for murder, rape in 2016 hotel raid », 6 septembre 2018, disponible en ligne sur <https://www.reuters.com/article/us-southsudan-security/south-sudan-soldiers-sentenced-to-jailfor-murder-rape-in-2016-hotel-raid-idUSKCN1LM0XK>, consulté le 10 juillet 2019. 1089 Human Rights Council, Report of the Commission on Human Rights in South Sudan, Thirty-seventh session, A/HRC/37/CRP.2, 6 March 2018 au para 683. 193 civile post-décembre 20131090. Si la justice pénale est absolument nécessaire pour le pays, elle ne peut toutefois atteindre les objectifs de transformation sociale escomptés sans une participation active du public aux processus. 2.2.3. – La nécessité d’une participation active du public aux processus de justice pénale La justice transitionnelle a très souvent été critiquée du fait de son stato-centrisme, de ne pas suffisamment prendre en compte les réalités sociales locales, les besoins des survivants des conflits, les initiatives et les savoirs locaux dans le processus de la justice1091. Bien que les Commissions de vérité et les systèmes de justice traditionnelle soient habituellement considérés comme plus centrés sur la population et laissant plus de place aux victimes et aux témoins des violences que les procès pénaux, ces derniers doivent aussi être marqués par une participation active du public à leur procédure pour aboutir à une véritable transformation sociale. En effet, dans le processus de justice pénale, les procès qui visent à établir les responsabilités des crimes commis ont tendance généralement à se focaliser sur les auteurs des violations. Ce qui a parfois donné lieu à une re-victimisation des victimes et des témoins lorsqu’ils racontent leurs récits à des juges et à des avocats qui ne sont intéressés d’entendre que des portions qui les aideront à réussir les poursuites 1092. De ce fait, au cours de ces dernières années, la justice transitionnelle a soulevé des questions quant à l’appropriation locale du processus par les populations qui ont le plus souffert des conflits 1093. À ce titre, dans le Rapport du 23 août 2004 du Secrétaire général des Nations Unies sur le Rétablissement de l’État de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, il précisait que « aucune initiative en matière d’administration de la justice pendant une période de transition n’a de chances d’aboutir 1090 Amesty International, supra note 1086. Voir, par exemple, Mijke deWaardt et Sanne Weber, « Beyond Victims’ Mere Presence: An Empirical Analysis of Victim Participation in Transitional Justice in Colombia », (2019) 11 Journal of Human Rights Practice 209; Kieran McEvoy and Kirsten McConnachie, « Victims and Transitional Justice: Voice, Agency and Blame », (2013) 22:4 Social & Legal Studies 489; Simon Robins, « An Empirical Approach to Post-Conflict Legitimacy: Victims’ Needs and the Everyday », (2013) 7:1 Journal of Intervention and Statebuilding 45; Patricia Lundy and Mark McGovern, « The Role of Community in Participatory Transitional Justice », dans Kieran McEvoy et Lorna McGregor (éds), Transitional Justice from Below: Grassroots Activism and the Struggle for Change, Oxford, Hart Publishing, 2008 aux pp 99–120. 1092 Mijke deWaardt et Sanne Weber, supra note 1091 à la p 212. 1093 Timoty Donais, « Empowerment or Imposition? Dilemmas of Local Ownership in Post-Conflict Peacebuilding Processes », (2009) 34:1 Peace and Change 3. 1091 194 durablement si elle est imposée de l’extérieur ». Il ajoutait en outre qu’« il est essentiel de s’appuyer sur une participation réelle du public, en associant à ces efforts les membres des professions juridiques, les pouvoirs publics, les femmes, les minorités, les groupes affectés et la société civile » 1094. De plus, selon le Guide du Secrétaire général des Nations Unies sur la justice transitionnelle de 2010, la participation des populations aux processus de justice transitionnelle est essentielle car elle « reveals the needs of communities affected by conflict or repressive rule, allowing States to craft an appropriate context-specific transitional justice programme » 1095. Dans cette ligne, notre “approche transformative de la justice transitionnelle” considère impérative l’implication des communautés locales dans le processus de justice pénale au Soudan du Sud. La participation des populations dans ce processus s’explique par le fait qu’une justice plus proche des masses aura un impact plus fort sur leur éducation quant aux droits de la personne, à la dignité humaine et à la lutte contre l’impunité des crimes. Dans cette perspective, une première approche serait en premier lieu la consultation des populations par rapport aux processus de justice pénale. En tant qu’approche basée sur les droits de la personne, la consultation suppose la participation des populations aux projets de traitement des violences du passé en ayant pour objectif leur émancipation1096. La participation est ainsi utilisée comme un instrument qui favorise l’agencéité des populations en leur permettant de s’exprimer sur les mécanismes de la transition. Dans les sociétés post-conflictuelles, comme le Soudan du Sud, la participation des populations, en tant que victimes directes ou indirectes, permettrait notamment la transformation de leur personnalité pour qu’elles puissent penser et agir en toute autonomie1097. La participation exprime ainsi une nouvelle forme de gouvernance qui reconfigure la relation entre les citoyens et les institutions de l’État, de sorte que les premiers deviennent des acteurs de la transformation des secondes1098. La consultation et Rapport du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de sécurité sur le Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, S/2004/616 du 23 août 2004 au para 17. 1095 Guidance Note of the Secretary-General, supra note 622. 1096 Simon Robins et Erik Wilson, « Participatory Methodologies with Victims: An Emancipatory Approach to Transitional Justice Research », (2015) 30:2 Canadian Journal of Law and Society / Revue Canadienne Droit et Société 219 aux pp 221-222. 1097 Tshepo Madlingozi, « On Transitional Justice Entrepreneurs and the Production of Victims », (2010) 2:2 Journal of Human Rights Practice 208 à la p 209. 1098 Andrea Cornwall, « Locating Citizen Participation », (2002) IDS Bulletin 33, no 2. 1094 195 la participation permettraient donc à la masse une production démocratique de savoirs capable de défier les réponses prescriptives externes aux violences et les relations de pouvoir exclusives en matière d’administration de la justice en période postconflictuelle1099. Toutefois, il faut noter que malgré le fait que les communautés locales soient aussi régies par des relations de pouvoir qui s’opèrent suivant des lignes ethniques, de race et de genre, on peut soutenir que du fait que leurs décisions soient prises dans les communautés, elles peuvent réfléter les vues et les intérêts de la majorité 1100 Concrètement, la participation des populations aux procès pénaux peut se faire en amenant la justice auprès des populations qui ont été victimes des violences. Elle peut se faire soit en organisant les procès en plein air dans les villages ou dans les unités administratives du Soudan du Sud comme cela a été fait par les juridictions traditionnelles gacaca du Rwanda. Les populations étaient appelées à participer à la résolution des crimes qui ont été commis dans leurs localités, non pas simplement à titre d’observatrices passives, mais surtout en tant que participantes ayant droit à la parole au même titre que les plaignants et les accusés1101. Au Soudan du Sud, une telle justice participative permettrait aux populations de se prononcer sur les crimes qui ont eu lieu dans leur communauté, de confronter les arguments des accusés et ainsi contribuer activement à l’administration de la justice. Cela pourrait inculquer à la population la culture du droit et, ce faisant, contribuer à la transformation de la société sud-soudanaise. Une autre possibilité de participation des populations dans les procès pénaux au Soudan du Sud pourrait être sous forme d’un système de jury. Comme cela se fait dans plusieurs pays comme, le Canada1102 par exemple, le système de jury permet à des membres de la population de participer à un procès pénal portant sur des crimes relevant d’une certaine gravité1103. Le rôle du jury consiste, dans ces situations, à déterminer la culpabilité ou la non-culpabilité ou encore la responsabilité pénale d’un accusé. Le jury participe de ce fait pleinement au procès pénal, écoute les arguments à charge et à 1099 Simon Robins et Erik Wilson, supra note 1096 à la p 221. Mijke deWaardt et Sanne Weber, supra note 1091 à la p 213. 1101 Murielle Paradelle et Hélène Dumont, « L’emprunt à la culture, un atout dans le jugement du crime de génocide ? Étude de cas à partir des juridictions traditionnelles gacaca saisies du génocide des Tutsis du Rwanda », (2006) 39:2 Criminologie 97 à la p 104. 1102 Voir l’Article 471 du Code criminel du Canada qui dispose que « Sauf disposition expressément contraire à la loi, tout prevenu inculpé d’un acte criminel doit être jugé par un tribunal composé d’un juge et d’un jury ». 1103 Pacifique Manirakiza, « Les juridictions traditionnelles et la justice pénale internationales », (2003) 41 Canadian Yearbook of International Law 51 à la p 73. 1100 196 décharge des accusés afin de pouvoir se prononcer sur leur culpabilité ou leur innocence. La mise en œuvre de ce système au Soudan du Sud permettrait aux populations de contribuer à l’administration de la justice, et partant, à être actrices de la transformation de la culture de l’impunité des crimes dans le pays. Par ailleurs, en plus du rôle que le THSS et les tribunaux pénaux nationaux peut jouer dans la transformation du Soudan du Sud, nous soutenons que l’“approche transformative de la justice transitionnelle” ne peut être pleinement efficace dans le pays que si les systèmes de justice restauratrice sont fortement impliqués dans le processus. Section III. – La justice restauratrice au Soudan du Sud En tant que champ de recherche, la justice restauratrice a historiquement émergé au début des années 1970 dans la discipline de la criminologie et plus spécifiquement dans le domaine de la délinquance juvénile. À l’origine, elle faisait partie des mécanismes alternatifs de résolution des conflits mis en œuvre, notamment en Amérique du Nord. Elle se rapportait alors à « une procédure judiciaire qui substitue au rapport asymétrique entre le délinquant et le juge, un face-à-face entre délinquant et victime, le cas échéant en présence de membres de la “communauté” »1104. La justice restauratrice ou réparatrice a été plus tard appréhendée comme une autre façon de rendre justice. Elle n’a toutefois pas une définition unique mais se rapporte à une diversité de pratiques en fonction des contextes dans le but de réparer les situations conflictuelles1105. Par exemple, Tony Marshall considère que « [r]estorative justice is a process whereby parties with a stake in a specific offence collectively resolve how to deal with the aftermath of the offence and its implications for the future »1106. En analysant cette définition, Andrew Ashworth affirme qu’elle comporte des caractéristiques qui sont essentielles à tout processus de justice restauratrice, à savoir : le processus, les parties prenantes et le résultat 1104 Sandrine Lefranc, supra note 629 à la p 9. Voir par exemple Kathleen Daly, « Restorative Justice: The Real Story », (2002) 4:1 Punishment and Society 55 à la p 57. Brenda E. Morrison et Dorothy Vaandering, « Restorative Justice: Pedagogy, Praxis, and Discipline », (2012) 11:2 Journal of School Violence 138 aux pp 140-141. Joanna Shaplant et al., « Situating Restorative Justice Inside Criminal Justice », (2006) 10:4 Theoretical Criminology 505 à la p 506. 1106 Tony F. Marshall, Restorative Justice: An Overview, Occasional Paper, London, Home Office Research Development and Statistics Directorate, 1999 à la p 5, disponible en ligne sur <http://www.antoniocasella.eu/restorative/Marshall_1999-b.pdf>, consulté le 5 août 2019. 1105 197 escompté1107. Cependant, Walgrave et Bazemore ne sont pas d’un tel avis. Ils considèrent qu’une telle approche est limitée et ne prend pas assez en compte l’essence même de la justice restauratrice. Ils l’appréhendent ce faisant comme « … every action that is primarily oriented towards doing justice by restoring the harm that has been caused by a crime »1108. La justice restauratrice se présente dès lors, dans sa conception occidentale, « comme une nouvelle manière de faire justice, remettant en question l’ancienne façon de définir et de traiter le crime »1109. Ainsi, Walgrave soutient que la justice restauratrice ne conçoit le fait dommageable ni comme une violation de la règle de droit qui nécessite la justice rétributive, ni comme une réponse aux besoins du coupable qui requiert une justice réhabilitative1110. Quant à Kathleen Daly, elle affirme qu’en réalité la justice restauratrice n’est ni l’opposé de la justice rétributive, ni une forme pré-moderne de justice représentée par la justice coutumière ou traditionnelle, ni une approche féministe de la justice en comparaison avec la justice pénale qui serait masculine, enfin, ni forcément une approche de justice qui engendre des transformations significatives dans la vie des personnes1111. Une telle pluralité de conceptions de la justice restautrice montre que celle-ci est utilisée de différentes façons en fonction des contextes. Quoiqu’il en soit, Morrison et Vaandaring considèrent que la justice restauratrice se focalise fondamentalement non pas sur la sanction des infractions, mais plutôt sur la réparation des relations sociales 1112. Dans cette perspective, nous analyserons dans les lignes qui suivent le rôle que différents mécanismes de justice restaurative pourraient jouer dans la transformation du Soudan du Sud. Il s’agit, d’une part, de la Commission de vérité, de réconciliation et de guérison (CVRG) (1) et, d’autre part, des systèmes de justice traditionnelle (2). 1107 Andrew Ashworth, « Responsibilities, Rights and Restorative Justice », (2002) 45 British Journal of Criminology 578 à la p 578. 1108 Lode Walgrave et Gordon Bazemore, supra note 26 à la p 48. 1109 Véronique Strimelle, « La justice restaurative : une innovation du pénal ? », Champ pénal/Penal field, Séminaire Innovations Pénales, mis en ligne le 29 septembre 2007, disponible en ligne sur <http://champpenal.revues.org/912>, consulté le 20 août 2019 1110 Lode Walgrave, « La justice restaurative : à la recherche d’une théorie et d’un programme », (1999) 32:1 Criminologie 7 à la p 9. 1111 Kathleen Daly, supra note 1105. 1112 Brenda E. Morrison et Dorothy Vaandering, supra note 1105 aux pp 139-140. 198 1.– Le rôle de la CVRG dans la transformation du Soudan du Sud Depuis les expériences d’Amérique latine et d’Afrique du Sud dans les années 1980 et 1990, la recherche de la vérité a le plus souvent été appréhendée comme un des piliers de la justice transitionnelle. En effet, des résultats des CVR mis en œuvre dans ces contextes, NaomiRoht-Arriaza et Margaret Popkin ont distingué quatres avantages principaux qui peuvent découler des Commissions de vérité. Ils sont : établir un régistre d’autorité sur les violences passées, répararer les préjudices faites aux victimes, formuler des recommandations pour des réformes et promouvoir la reddition des comptes 1113. Il a été aussi attribué aux CVR plusieurs vertues transformatrices comme notamment la guérison et la réconciliation des populations victimes des violences. De ce fait, nous étudierons le rôle de la CVRG dans la transformation du Soudan du Sud en présentant tout d’abord les conditions générales d’adoption et de fonctionnement qu’elle doit respecter pour être effective (1.1). Ensuite, nous analyserons les objectifs dévolus à l’institution, à savoir, l’établissement d’un registre historique précis sur les causes des violences (vérité historique) (1.2), la réparation des violations subies par les victimes des conflits (1.3), la réconciliation (1.4) et la guérison des populations meurtries par les nombreuses années de conflit (1.5), les recommandations de réformes et de reddition des comptes (1.6). Enfin, nos développements porteront sur la contribution de l’institution à la transformation démocratique du pays (1.7). 1.1. – Les conditions générales d’adoption et de fonctionnement effectif de la CVRG Selon le R-ARCSS, la CVRG a pour mandat d’enquêter sur les violations des droits humains, de l’État de droit et de l’utilisation abusive du pouvoir par les agents étatiques, non-étatiques et leurs alliés 1114. Pour parvenir à cette fin, le rapport Orentlicher de 2005 définit les conditions d’établissement des CVR pour qu’elles puissent assurer un fonctionnement effectif. Elles doivent tout d’abord être établies à la suite de vastes consultations publiques afin de connaître les avis des victimes et des survivants 1115, et 1113 Naomi Roht-Arriaza et Margaret Popkin, « Truth as Justice Investigatory Commissions in Latin America », (1995) 20 Law & Social Inquiry 79. 1114 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.2.1. 1115 Rapport de l’experte indépendante chargé de mettre à jour l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité, Diane Orentlicher, supra note 14 Principe 6. 199 suivant des procédures qui leur garantissent l’indépendance, l’impartialité et la compétence1116. Il s’agit là de faire en sorte que, tant dans leur adoption qu’au moment de leur fonctionnement, ces commissions bénéficient d’une légitimité sociologique aux yeux des populations. Cette légitimité pourrait influencer l’effectivité de l’institution en favorisant l’adhésion des populations à ses résultats 1117. Un élément clé de la légitimité des CVR est l’équité procédurale. Elle s’exprime par le fait que non seulement les commissaires doivent avoir une approche neutre en s’en tenant aux faits, mais aussi ils doivent accorder aux parties la possibilité d’exprimer leurs opinions en toute liberté 1118. En outre, à l’égard des parties, les commissaires doivent faire preuve d’écoute dans les auditions et de justice dans le processus de prise de décision 1119. La CVR doit donc être une institution qui vise à transformer la condition victimaire des participants, en les aidant à surmonter leur victimité et à être résilientes dans la société post-conflictuelle. Elle doit pour ce faire mettre l’accent sur le processus plutôt que sur le résultat, en constituant spécialement un forum qui transforme à la fois les participants eux-mêmes et leurs situations 1120. À ce titre, Wendy Lambourne et Viviana Carreon soulignent que les CVR n’ont pas initialement prêté attention aux questions de genre dans le processus de recherche de la vérité. Elles précisent que du fait que les femmes soient généralement réticentes à exposer leurs souffrances en ce qui concerne les violences sexuelles et sexistes, ces mécanismes doivent encourager leur participation et leur permettre de raconter leur histoire et d’exprimer leurs priorités en ce qui concerne la justice1121. En outre, les membres de ces commissions doivent bénéficier de privilèges et d’immunités indispensables à leur protection au cours de leur mandat et même lorsqu’ils ne sont plus en fonction contre les poursuites civiles ou pénales1122. De plus, dans la détermination de la composition de la commission, les femmes ainsi que les autres groupes vulnérables à des violations de leurs droits doivent être adéquatement représentés 1123. En outre, le 1116 Ibid Principe 7. James L Gibson, « On Legitimacy Theory and the Effectiveness of Truth Commissions », (2009) 72 Journal of Contemporary Legal Issues 123 à la p 138. 1118 Ibid à la p 137. 1119 Merryl Lawry-White, « The Reparative Effect of Truth Seeking in Transitional Justice », (2015) 64 International and Comparative Law Quarterly 141 à la p 152. 1120 Paul Gready et Simon Robins, supra note 683 à la p 358. 1121 Wendy Lambourne et Vivianna Rodriguez Carreon, supra note 684 à la p 79. 1122 Rapport de l’experte indépendante chargé de mettre à jour l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité, Diane Orentlicher, supra note 14 Principe 7(b). 1123 Ibid Principe 7. 1117 200 rapport soutient que les hommes et les femmes doivent participer aux délibérations de la commission sur le même pied d’égalité 1124. Par ailleurs, le rapport recommande que les CVR fournissent aux accusés des garanties sur la non-publication de leur identité et qu’elles leur donnent la possibilité d’apporter des arguments de décharge lors d’une déposition 1125. En outre, il faudrait que la future loi sur la CVRG comporte des dispositions sur le bien-être physique et psychologique et, éventuellement, le respect de la vie privée des témoins et des victimes qui font une déposition devant elle. Dans le but d’éviter des pressions sur les témoins, le mandat de la Commission doit prévoir la possibilité de témoignages confidentiels 1126. L’institution doit aussi disposer de ressources suffisantes pour faire son travail en toute indépendance1127. Son mandat doit inclure des recommandations sur des mesures législatives à prendre pour une lutte effective de l’impunité des crimes commis 1128. Il est aussi important que le rapport final des Commissions fasse l’objet d’une diffusion large1129 et que les archives soient préservées 1130. Ces archives devront être accessibles aux victimes et à leurs proches pour des besoins de justice ou de réparation 1131. Finalement, une coopération doit être établie entre les services d’archives, les tribunaux et les Commissions non judiciaires d’enquête pour une meilleure exploitation des résultats 1132. En outre, des dispositions spécifiques doivent être prises concernant les archives à caractère nominatif et les processus de rétablissement de la démocratie et/ou de la paix ou de la transition vers la paix. Pour les premiers, il s’agit du droit de toute personne de savoir si son nom figure dans ces archives afin qu’elle puisse contester les informations qui s’y trouvent1133. Pour les seconds, il s’agit de placer les centres d’archives sous la responsabilité de services clairement désignés et d’enregistrer explicitement les centres de détentions et les lieux où les violations des droits de la personne et du DIH ont été commises et de requérir au cas échéant l’aide des États tiers 1124 Ibid Principe 6. Ibid Principe 9. 1126 Voir Ibid Principe 10. 1127 Ibid Principe 11. 1128 Ibid Principe 12. 1129 Ibid Principe 13. 1130 Ibid Principes 14. 1131 Ibid Principe 15. 1132 Ibid Principe 16. 1133 Ibid au Principe 17. 1125 201 pour la communication ou la restitution des archives en vue de l’établissement de la vérité1134. Après avoir établi ces conditions générales d’adoption et de fonctionnement effectif des CVR en général, il faut noter qu’en ce qui concerne la CVRG en particulier, des consultations nationales sont en préparation sur sa création. Les membres du Comité technique chargé de ces consultations se sont réunis en août 2017 au Grand Hôtel de Juba pour développer des méthodologies de consultations publiques basées sur les droits de l'homme, en général, et sur les droits des victimes des conflits, en particulier1135. Depuis lors, le processus est en attente d’être amorcé. En attendant de voir, dans le futur, si l’établissement de la CVRG respectera les conditions générales de son adoption et de son fonctionnement adéquat, nous allons analyser un des objectifs principaux que les CVR, en général, et la CVRG, en particulier, visent, à savoir l’établissement de la vérité historique sur les causes des violences commises dans les conflits au Soudan du Sud. 1.2. – L’établissement d’un registre historique précis (vérité historique) Avant de déterminer la contribution que la vérité historique pourrait apporter dans la transformation du Soudan du Sud (1.2.2), nous allons au préalable présenter brièvement le régime juridique applicable à la recherche de la vérité sur les violations des droits de la personne en droit international (1.2.1). 1.2.1. – Le régime juridique de la vérité sur les violations des droits de la personne Les origines historiques de la nécessité de la vérité sur les violations des droits de la personne dans les contextes de conflits violents peuvent être situées dans le droit international humanitaire notamment dans l’obligation de renseignement ou au droit de savoir le sort des personnes disparues. À cet effet, les Conventions de Genève du 12 août 1949 comportent plusieurs dipositions qui obligent les parties belligérentes à établir une agence de renseignement sur les combattants disparus 1136. En plus, le Protocole 1134 Ibid au Principe 18. Voir UNDP South Sudan, « Technical Committee for the Commission for Truth, Reconciliation and Healing Completes Training in Conducting Inclusive Consultations », 25 août 2017, disponible en ligne sur <https://www.ss.undp.org/content/south_sudan/en/home/presscenter/pressreleases/2017/08/25/technicalcommittee-for-the-commission-for-truth-reconciliation-and-healing-completes-training-in-conducting-inclusiveconsultations.html>, consulté le 2 septembre 2020. 1136 Voir la Convention (III), supra note 486, à l’Article 123 qui dispose qu’« une agence centrale de renseignements sur les prisonniers de guerre sera créée en pays neutre. Le Comité́ international de la Croix-Rouge proposera aux 1135 202 additionnel I aux Conventions de Genève consacre le droit de savoir la vérité dans ses Articles 32 et 33. Le premier de ces Articles évoque, inter alia, le « droit qu’ont les familles de connaître le sort de leurs membres »1137. Le second dispose en son alinéa 1 que : « [d]ès que les circonstances le permettent et au plus tard dès la fin des hostilités actives, chaque Partie au conflit doit rechercher les personnes dont la disparition a été signalée par une Partie adverse » 1138. Par la suite, le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDFI) des Nations Unies et la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) vont travailler à l’élaboration du corpus normatif du droit à la vérité sur les personnes disparues 1139. Ce droit sera en outre expressément reconnu à l’Article 24(2) de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées qui dispose que : [...] [t]oute victime a le droit de savoir la vérité sur les circonstances de la disparition forcée, le déroulement et les résultats de l’enquête et le sort de la personne disparue. Tout État partie prend les mesures appropriées à cet égard » 1140. Pourtant, en dépit de sa consécration en DIH et en DIDP, le contenu juridique du droit de savoir la vérité sur les disparitions forcées n’est pas totalement clair1141. Dans ses travaux, le GTDFI a apporté des clarifications quant à la Puissances intéressées, s’il le juge nécessaire, l’organisation d’une telle agence. Cette agence sera chargée de concentrer tous les renseignements intéressant les prisonniers de guerre qu’elle pourra obtenir par les voies officielles ou privées ; elle les transmettra le plus rapidement possible au pays d’origine des prisonniers ou à la Puissance dont ils dépendent ». 1137 Protocole additionnel I aux Conventions de Genève du 12 août 1949, 1125 UNTS 3 du 8 juin 1977, (entrée en vigueur le 7 décembre 1979), Article 32. 1138 Ibid Article 33(1). 1139 Par exemple, la CIDH va beaucoup contribuer à l’expansion du droit à la vérité dans le cadre des exécutions extrajudiciaires et de la torture (voir Inter-American Court of Human Rights (IACHR), Report No. 136/99, Case 10.488 Ignacio Ellacuría et al., au para 221). En outre, à partir des années 1970, au moment de la Guerre Froide et des transitions politiques en Amérique latine, grâce au travail du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDFI), l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a adopté plusieurs résolutions évoquant le droit à la vérité sur les personnes disparues et les victimes de disparition forcée (Voir notamment les Résolutions de l'AGNU 3220 (XXIX) du 8 novembre 1974 ; A/RES/33/173 du 20 décembre 1978 ; A/RES/45/165 du 18 décembre 1990 et A/RES/47/132 du 18 décembre 1992). De plus, l'Assemblée générale de l'Organisation des États américains (OEA) a aussi demandé dans nombre de ses résolutions, sans toutefois utiliser l'expression “droit à la vérité”, d'informer les familles des victimes de disparitions forcées du sort de leurs proches (AG/RES. 666 (XIII-0/83), 18 Novembre 1983 au para 5. AG/RES. 742 (XIV-0/84), 17 novembre 1984 au para 5). La CIDH reconnait aussi depuis longtemps le droit à la vérité, de façon générale aux victimes de violations des droits de la personne et à leurs proches, et plus spécifiquement aux victimes et proches de membres ayant fait l’objet de disparitions forcées (Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, 1985-1986, OEA/Ser.L/V/II.68, Doc. 8 rev 1, du 28 septembre 1986 à la p 205 ; Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, 1987-1988, OEA/Ser.L/V/II. 74, Doc. 10 rev 1, du 16 septembre 1988 à la p 359. Cour Interaméricaine des Droit de l’Homme, jugement du 29 juillet 1988, Cas de Velásquez Rodríguez au para 181. Rapport de la Cour Interaméricaine des Droit de l’Homme No. 136/99, Igancio Ellacuría et al c. El Salvador au para 221). 1140 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, RTNU 2716 à la p 3, adoptée le 20 décembre 2006, entrée en vigueur le 23 décembre 2010. 1141 Voir, sur ce point, Yasmin Naqvi, « The Right to Know in International Law: Fact or Fiction? », (2006) 88:862 International Review of the Red Cross 245 à la p 255. 203 portée de ce droit. Il a soutenu que dans le cas des disparutions forcées, « [l]es principales obligations qui découlent pour l’État du droit à la vérité sont d’ordre essentiellement procédurales »1142. Il a ajouté en outre qu’il existe « une obligation absolue de prendre toutes les mesures nécessaires pour retrouver la personne disparue, mais il n’y a pas d’obligation absolue de résultat » 1143. Finalement, en ce qui concerne la nature coutumière de ce droit, quoiqu’elle soit en émergence, elle ne serait pas encore totalement établie1144. Le droit de connaître la vérité sur les personnes disparues va plus tard s’élargir aux violations des droits de la personne dans les États sortant de conflits violents. En ce qui concerne l’administration de la justice dans ces contextes, plusieurs rapports officiels des Nations Unies vont reconnaître le droit à la vérité sur les violations des droits de la personne comme faisant partie des mesures de justice transitionnelle. Ainsi, par exemple, le Rapport de 2005 de l’experte indépendante chargée de mettre à jour l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité, Diane Orentlicher, soutient dans son Principe 2 que : « [c]haque peuple a le droit inaliénable de connaître la vérité sur les événements passés relatifs à la perpétration de crimes odieux, ainsi que sur les circonstances et les raisons qui ont conduit […] à la perpétration de ces crimes ». Le Rapport ajoute que [l]'exercice plein et effectif du droit à la vérité constitue une protection essentielle contre le renouvellement des violations »1145. En soulignant que « [c]haque peuple a le droit inaliénable de connaître la vérité […] », le Rapport semble soutenir que ce droit n’est pas seulement individuel mais qu’il est aussi collectif. Il appartient à l’État d’adopter les mécanismes nécessaires afin de donner effet à ce droit. Pour ce faire, dans le but de garantir le droit de savoir, le Rapport soutient que « [l]a connaissance par un peuple de l'histoire de son oppression appartient à son patrimoine, et comme telle, doit être préservée par des mesures appropriées au nom du devoir de mémoire qui incombe à l'État […] » et que « [c]es mesures ont pour but de préserver de l'oubli la mémoire collective Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDFI), Compilation d’Observations générales sur la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées à la p 31 au para 4, disponible en ligne sur <http://www.ohchr.org/Documents/Issues/Disappearances/GeneralCommentsDisappearances_fr.pdf>, Consulté le 25 août 2019. 1143 Ibid à la p 33, au para 5. 1144 Voir, sur ce point, Yasmin Naqvi, supra note 1141 à la p 267. Alice M. Panepinto, « The Right to Truth in International Law: The Significance of Strasbourg’s Contribution », (2017) Legal Studies 739 aux pp 757-764. 1145 Rapport de l’experte indépendante chargée de mettre à jour l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité, Diane Orentlicher, supra note 14 Principe 2. 1142 204 notamment pour se prémunir contre le développement de thèses révisionnistes et négationnistes »1146. Quant au droit individuel de savoir la vérité, le Rapport soutient qu’« [i]ndépendamment de toute action en justice, les victimes, ainsi que leurs familles et leurs proches, ont le droit imprescriptible de connaître la vérité sur les circonstances dans lesquelles ont été commises les violations et, en cas de décès ou de disparition, sur le sort qui a été réservé à la victime » 1147. En outre, selon le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies de 2006 sur la promotion et la protection des droits de l’homme, le droit à la vérité se rapporte à la « […] la vérité absolue et complète, quant aux évènements qui ont eu lieu, aux circonstances spécifiques qui les ont entourés, et aux individus qui y ont participé, y compris les circonstances dans lesquelles les violations ont été commises et les raisons qui les ont motivés » 1148. Le rapport ajoute qu’alors que le droit de savoir résultait à l’origine de la nécessité de connaître le sort des personnes disparues et le lieu où elles se trouvaient, le champ du droit international sur la vérité a évolué et s’est aujourd’hui étendu pour inclure d’autres éléments sur les violations graves des droits de la personne, et que ce faisant le droit à la vérité porte sur : les causes de la victimisation de la personne concernée, les motifs et les modalités des violations flagrantes du droit international relatif aux droits de l’homme et des violations graves du droit international humanitaire, les progrès et résultats de l’enquête, les circonstances et les raisons de la commission de crimes au regard du droit international et de violations flagrantes des droits de l’homme, les circonstances qui ont entouré les violations et, en cas de décès, de disparition ou de disparition forcée, le sort des victimes et l’endroit où elles se trouvent ainsi que l’identité des auteurs1149. En plus, en Décembre 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé le 24 mars comme « Journée internationale pour le droit à la vérité en ce qui concerne les violations flagrantes des droits de l’homme et pour la dignité des victimes » 1150. Le 29 septembre 2011, le Conseil des droits de l’homme a adopté la résolution 18/17 qui nommait le premier Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la 1146 Ibid Principe 3 intitulé, « Le devoir de mémoire ». Ibid au Principe 4 intitulé, « Le droit de savoir des victimes ». 1148 Conseil économique et social, Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme sur la Promotion et Protection des droits de l’Homme : Étude sur le droit à la vérité, supra note 14 au para 59. 1149 Ibid au para 38. 1150 Assemblée Générale des Nations Unies, Désignation du 24 mars comme Journée internationale pour le droit à la vérité en ce qui concerne les violations flagrantes des droits de l’homme et pour la dignité des victimes, UN Doc A/RES/65/196, 21 décembre 2010. 1147 205 réparation et des garanties de non-répétition1151. Dans son rapport de 2013, le Rapporteur spécial définissait le droit à la vérité comme un « processus d’établissement des faits et événements qui ont réellement eu lieu, afin de contribuer à la lutte contre l’impunité, au rétablissement de la primauté du droit et finalement à la réconciliation »1152. De ce qui précède, il apparaît clairement que le droit international reconnaît le droit de savoir la vérité à la suite de violations des droits de la personne. Toutefois, la question se pose de savoir à quelle “vérité” ce droit se rapporte-t-il? Il faut noter que la “vérité” est par nature subjective et plurivoque. Dans les sociétés post-conflictuelles marquées par des divisions profondes, découvrir la Vérité peut être une tâche extrêmement ardue1153. En effet, il n’y aurait pas une seule “vérité”, mais plusieurs “vérités” concurentes. À cet égard, la TRC d’Afrique du Sud a défini quatre sortes de vérité dans ses rapports sur les violences commises durant le régime d’apartheid. Il y a 1) la vérité légale ou factuelle c’est-à-dire celle qui est coroborée par des preuves obtenues à travers une procédure impartiale et objective; 2) la vérité personnelle ou narrative qui est le récit commun des opinions subjectives des individus; 3) la vérité sociale ou dialogique qui est construite à travers les débats au niveau collectif sur les faits; et 4) la vérité guérissante ou restauratrice qui est celle tributaire du contexte dans le but de comprendre les expériences individuelles 1154. Au regard de cette nature élusive et polysémique de la vérité sur la violation des droits de la personne, même si la TRC a largement contribué à la construction d’un récit commun de l’apartheid, celui-ci demeure encore contesté dans la mesure où les Blancs refusent toujours d’assumer la responsabilité de ce passé douloureux1155. Dans la même veine, Robert Rotberg souligne qu’il ne pouvait y avoir une seule histoire de l’apartheid, mais nécessairement plusieurs perceptions 1156. Après Conseil des droits de l’homme, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, A/HRC/RES/18/7 du 29 septembre 2011. 1152 Conseil des droits de l’homme, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, A/HRC/RES/24/42 du 28 août 2013. 1153 Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit : Poursuites du parquet, supra note 912, à la p 36, soulignait cette difficulté en ces termes : « Une commission de vérité́ est en effet une entreprise difficile et même risquée, qui se déroule souvent dans le contexte d’une transition encore fragile. Quelle que soit l’importance des avantages potentiels escomptés et compte tenu de la nécessité de mettre à plat et de reconnaitre le passé, il ne faut pas s’attendre à mener à bien un processus facile et sans risque ». 1154 Truth and Reconciliation Commission, Truth and Reconciliation Commission of South Africa Report, 1998, vol I, Chapitre 5 aux pp 29-45, disponible en ligne sur </www.doj.gov.za/trc/>, consulté le 11 mai 2020. 1155 Voir par exemple Lætitia Bucaille, supra note 643. 1156 Robert I. Rotberg, « Truth Commissions and the Provision of Truth, Justice, Reconciliation », dans Robert I. Rotberg et Dennis Thompson (eds), supra note 634 à la p 6. 1151 206 avoir présenté le régime juridique applicable à la vérité sur les violations des droits de la personne, nous allons maintenant examiner la contribution de celle-ci à la transformation du contexte conflictuel du Soudan du Sud. 1.2.2. – La contribution de la vérité à la transformation Selon le R-ARCSS, la mission dévolue à la CVRG est non seulement d’enquêter sur les violations des droits humains, de l’État de droit et de l’utilisation abusive du pouvoir par les agents étatiques, non-étatiques et leurs alliés, mais aussi, de documenter et de produire des rapports sur les causes des conflits 1157. Pour ce faire, le R-ARCSS assigne à la commission la fonction d’« établir un registre historique précis et impartial » des violations commises dans le pays depuis la signature du R-ARCSS jusqu’à la date de juillet 20051158. L’institution a ainsi pour rôle de révéler la vérité historique tant sur les violations que sur les causes des violences. L’objectif de l’établissement de la vérité par les Commissions de vérité, en général, et par la CVRG, en particulier, possède plusieurs avantages qui peuvent contribuer à la transformation sociale. Dans cette section, nous nous focaliserons sur la contribution de la vérité historique à la guérison et à la réconciliation des populations meurtries par les conflits du Soudan du Sud. Cette contribution de la vérité à la guérison et à la réconciliation des populations fera cependant l’objet d’un exposé succinct puisque nous développerons plus loin davantage sur sa contribution à la transformation du pays dans le cadre de l’analyse des avantages de la CVRG de façon générale. Avant de procéder à la présentation des contributions de la vérité à la transformation sociale, des précisions préalables sont nécessaires. Compte tenu de la subjectivité de la vérité, de ses versions multiples et très souvent contradictoires 1159, son établissement pourrait être on ne peut plus ardu. Étant donné les polarisations des communautés locales au Soudan du Sud suivant des lignes ethniques et les divisions politiques, il peut s’avérer difficile que les acteurs partagent la même vérité sur les violations et sur les causes des conflits. En effet, du fait que les principaux leaders de l’APLS et de l’APLS-O au pouvoir à Juba sont responsables des violences, il n’est pas 1157 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.2.1. Ibid Chapitre V Article 5.2.2.3.1. 1159 Erin Daly, « Truth Skepticism: An Inquiry into the Value of Truth in Times of Transition », (2008) 2 The International Journal of Transitional Justice 23 à la p 28. 1158 207 certain qu’ils soutiennent la révélation de la vérité, mais optent plutôt de tout faire pour brouiller les pistes ou faire en sorte que les “vérités” soient tellement contradictoires qu’elles sont sans importance. Depuis déjà le début de la guerre civile post-décembre 2013, on perçoit des contradictions sur les motivations qui sont à la base des conflits. Pour Salva Kiir, Riek Machar et son groupe étaient en train de mettre en œuvre un coup d’État, tandis que pour Machar, les conflits s’expliquent par la gouvernance autocratique et clanique de Kiir 1160. Dans les sociétés post-conflictuelles, il y a généralement un enjeu politique important concernant la vérité, surtout celle qui est inscrite dans les rapports des Commissions de vérité. Le plus souvent, les gouvernants se servent de ces rapports pour affermir leur légitimité nationale et internationale 1161. Il n’est donc pas à exclure que les membres de l’APLS, de l’APLS-O et des autres groupes militaires et politiques cherchent à construire une “vérité” des conflits qui va dans le sens de leur propre légitimation. Il est nécessaire de prêter attention à cette possibilité si l’on veut que la vérité puisse jouer pleinement un rôle de transformation au lieu de division sociale. Il est toutefois vrai que la composition hybride de la CVRG1162 pourrait renforcer son indépendance nominale vis-à-vis du gouvernement et ainsi permettre l’établissement d’une vérité plus objective. Il est possible qu’elle puisse parvenir à réduire les contestations et les dénis sur les causes des conflits et faire émerger une compréhension partagée du passé 1163. Cela n’exclut pas cependant le besoin de prudence car les gouvernants des sociétés post-conflictuelles disposent généralement de plusieurs moyens pour dénaturer la vérité, surtout lorsqu’elle n’est pas en leur faveur. Une fois prise en considération la nature polymorphe de la vérité, examinons les contributions de celle-ci à la transformation du Soudan du Sud. Il est généralement reconnu à la vérité sa capacité à guérir les victimes dans les sociétés post-conflictuelles1164. Pour Daniel Golebiewski, par exemple, en permettant aux survivants des atrocités de masse et à leur famille de raconter leur histoire et d’évaluer les mécanismes de justice transitionnelle, cette pratique se caractériserait par sa grande 1160 International Crisis Group, supra note 3 à la p 1. Erin Daly, supra note 1159 à la p 28. 1162 Voir R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.3.2 et Article 5.2.3.3. Voir aussi David K. Deng et Rens Willems, supra note 815. 1163 Erin Daly, supra note 1159 à la p 28. 1164 Voir Sandra Young, « Narrative and Healing in the Hearings of the South African Truth and Reconciliation Commission », (2004) 27 Biography 145. 1161 208 capacité de guérison1165. Dans la même veine, Martha Minow soutient que les Commissions de vérité favorisent la guérison lorsqu’elles permettent d’écouter les victimes directes dans le but de restaurer leur dignité et de mettre les populations devant leur responsabilité quant à leur échec à prévenir les violences 1166. De ce fait, au Soudan du Sud, l’écoute des populations sur les violences qu’elles ont connues pourrait contribuer à leur guérison comme cela a été expériementé, par exemple, en Afrique du Sud. Dans ce pays, la TRC aurait été un forum qui a favorisé une catharsis à la fois des victimes-survivants des violences et de la nation entière1167. La publicité des récits des victimes et des coupables par la TRC a contribué à la guérison et de réconciliation des populations1168. Le fait que la TRC ait articulé les souffrances des individus et de la nation entière sous forme thérapeutique a fait de la révélation de la vérité un instrument de guérison et de réconciliation 1169. L’archevêque Desmond Tutu, président de la TRC, soulignait que l’objectif des auditions de l’institution était que « healing will happen, and so contribute to national unity and reconciliation »1170. Dans le même sens, en attribuant à la CVRG une fonction de guérison aux niveaux local et national 1171, il est attendu de cette institution qu’elle mette en œuvre des processus qui contribuent à apaiser les souffrances, les blessures physiques et émotionnelles endurées par les populations durant les conflits. Pour ce faire, la CVRG devra être un forum de « reconnaissance symbolique » 1172 de la vérité sur les causes et les auteurs des violations graves des droits de la personne. Cette reconnaissance pourrait se faire en publiant les récits des victimes, en montrant le caractère abject des souffrances qui leur ont été infligées, et en les articulant de sorte à ce qu’ils engendrent la guérison des individus et des communautés. Une telle reconnaissance de la douleur des victimes aura un pouvoir psycho-thérapeutique qui permettra aux populations de surmonter leur douleur et de s’engager dans la réconciliation nationale. Dans cette optique, il faudrait que les auteurs des crimes commis dans chacun des États 1165 Daniel Golebiewski, « The Arts as Healing Power in Transitional Justice », (2014) E-International Relations, disponible en ligne sur <https://www.e-ir.info/pdf/46995>, consulté le 13 mai 2020. 1166 Martha Minow, « The Hope for Healing: What Can Truth Commissions Do? », dans Robert I. Rotberg et Dennis F. Thompson, supra note 634 à la p 239. 1167 Sandra Young, supra note 1164 aux pp 153-157. 1168 Voir Erin Daly, supra note 21 à la p 128. 1169 Claire Moon, « Healing Past Violence: Traumatic Assumptions and Therapeutic Interventions in War and Reconciliation », (2009) 8:1 Journal of Human Rights 71 aux pp 78-79. 1170 Truth and Reconciliation Commission, HRV Hearings, Durban, May 10, 1996, cité par Ibid à la p 78. 1171 R-ARCSS, supra note 771 Article 5.2.2.3.8. 1172 Stanley Cohen, States of Denial: Knowing About Atrocities and Suffering, Cambridge, Polity Press, 2001 à la p 13. 209 du Soudan du Sud témoignent devant la Commission en avouant leurs crimes et en indiquant les motifs qui les ont poussés à les commettre. Des mesures incitatives comme des amnisties conditionnelles pourraient être mises en place comme ce fut le cas devant TRC d’Afrique du Sud. En outre, au regard de l’ampleur des violations commises dans le pays, une approche qui pourrait faciliter les témoignages des populations est la mise en place de sous-Commissions de la CVRG dans chacun des États du pays. Cette approche répondrait non seulement à un besoin de proximité de la CVRG des populations, mais aussi à leur participation active à ses activités. Paul Gready et Simon Robins attirent cependant l’attention sur le fait que les Commissions de vérité peuvent être des véhicules de transformation sociale, seulement lorsqu’elles ne sont pas instrumentalisées, c’est-àdire, utilisées comme des fora dans lesquels les victimes sont utilisées comme de simples acteurs qui accomplissent leur rôle sans avoir la possibilité de changer les relations de pouvoir en vigueur ou dire leur mot quant au choix des dispositifs et comment ils doivent être mis en œuvre pour répondre à leurs besoins 1173. C’est pourquoi le gouvernement du Soudan du Sud et ses partenaires internationaux doivent tout mettre en œuvre pour que la CVRG ne serve pas simplement à faire valoir ou à légimiter leur pouvoir post-conflictuel sans changer effectivement la vie des victimes directes des violences et des communautés affectées. En outre, comme l’a souligné Priscilla B. Hayner, il faudrait prendre en compte les besoins multi-dimensionnels des populations, en général, et des victimes des violences, en particulier, en matière de guérison et de réconciliation. Pour plusieurs victimes, la guérison pourrait requérir, non pas seulement la vérité sur les circonstances de la mort de leurs membres, mais aussi, la construction de structures formelles de soins de longue durée ou des systèmes de restauration au niveau communautaire, et la réconciliation pourrait ne pas avoir lieu par un exposé contradictoire du passé 1174. C’est pourquoi, dans une perspective transformative, la CVRG devra prendre en compte la situation particulière des victimes dans une approche à la fois globale et individuelle. Elle devra non seulement écouter les communautés sur les violences de nature ethnique qu’elles ont subi pendant les conflits et les individus sur les crimes et dommages dont ils 1173 Paul Gready et Simon Robins, supra note 683 à la p 357. Priscilla B. Hayner, « Past Truths, Present Dangers: The Role of Official Truth Seeking in Conflict Resolution and Prevention », dans Paul C. Stern and Daniel Druckman (éds.), International Conflict Resolution After the Cold War, Committee on International Conflict Resolution, Commission on Behavioral and Social Sciences and Education, Washington, DC., National Academy Press, 2000 à la p 353. 1174 210 ont été victimes. Chacun de ces groupes doivent pouvoir s’exprimer et indiquer ses besoins en matière de guérison, de réconciliation interpersonnelle et intercommmunautaire. Ainsi, le Soudan du Sud pourra entamer son processus de transformation sociale dans lequel la réparation des violations commises aura un rôle important à jouer. 1.3. – La réparation des violations commises Cette étude portera, tout d’abord, sur une présentation du régime juridique de la réparation (1.3.1), ensuite, sur l’exposé proprement dit du rôle de la réparation des violations des droits de la personne et du DIH dans la transformation du Soudan du Sud (1.3.2). 1.3.1. – Le régime juridique de la réparation Avant la Deuxième Guerre mondiale, alors que le droit international ne s’appliquait principalement qu’aux États, les réparations pour les dommages causés aux personnes relevaient essentiellement de la responsabilité internationale de l’État et étaient mises en œuvre seulement à travers une procédure de plainte inter-étatique1175. Une des décisions de justice de référence en la matière était celle rendue par l’arrêt de la Cour permanente de justice internationale en 1927 dans l’affaire Usine de Chorzow, dans laquelle la Cour soulignait que « [c]’est un principe du droit international que la violation d’un engagement implique l’obligation d’offrir une réparation sous une forme adéquate » 1176. La réparation reposait ainsi sur le principe selon lequel elle devait « effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis »1177. À l’époque, il était considéré que les actes criminels ou délictueux de l’État envers ses propres ressortissants relevaient essentiellement de son droit interne, et que lorsque ceux-ci étaient perpétrés contre les ressortissants d’un autre 1175 Voir Christine Evans, The Right to Reparation in International Law for Victims of Armed Conflict, Cambridge, Cambridge University Press, 2012 à la p 17; Dinah Shelton, Remedies in International Human Rights Law, Oxford, Oxford University Press, 2è édition, 2005 aux pp 48-49; Ian Brownlie, Principles of Public International Law, Oxford, Clarendon Press, 6è edition, 2003 aux pp 432-476; Antonio Cassese, International Law, Oxford, Oxford University Press, 2001 aux pp 182-210; Commission des droits de l’homme, Étude concernant le droit à restitution, à indemnisation et à réadaptation des victimes de violations flagrantes des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Rapport final présenté par M. Theo van Boven, Rapporteur spécial, E/CN.4/Sub.2/1993/8, 2 juillet 1993. 1176 Arrêt Usine de Chorzow, Cour permanente de justice internationale (CPJI) 1927, (série A) no 9 à la p 21. 1177 Ibid à la p 47. 211 État, ils devaient donner lieu à une plainte de l’État victime contre l’État fautif et éventuellement engager la responsabilité internationale de ce dernier 1178. Plus tard, avec la création du système des Nations Unies et le développement des droits de la personne, le droit à la réparation fut consacré dans divers instruments de protection des droits de la personne1179, de droit international humanitaire1180 et de droit pénal international1181. Depuis lors, il appartient aux juridictions nationales et, au cas échéant, aux juridictions internationales de donner effet au droit à la réparation en faveur des victimes lorsqu’elles ont souffert de préjudices graves 1182. Le droit à la réparation s’inscrit alors dans la lutte contre l’impunité des auteurs de violations des droits de la personne. À ce titre, le rapport actualisé de 2005 sur la mise à jour de l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité précisait que « [t]oute violation d'un droit de l'homme fait naître un droit à la réparation en faveur de la victime ou de ses ayants droit qui implique, à la charge de l'État, le devoir de réparer et la faculté de se retourner contre l'auteur »1183. Ce droit à la réparation des victimes peut se faire par recours pénal, civil, administratif ou disciplinaire 1178 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit: Programmes de réparation, Nations Unies, New York et Genève, 2008 à la p 5. 1179 En matière de droit international des droits de l’homme, on peut citer la Déclaration universelle des droits de l'Homme, supra note 600 Article 8 ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, supra note 485 Article 2 ; la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, supra note 599 Article 6 ; la Convention contre la torture et autres peines et traitements inhumains ou dégradants, supra note 599 Article 14 ; la Convention sur les droits de l'enfant, supra note 599 Article 39. Au niveau conventionnel régional, voir la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, supra note 598 article 7 ; la Convention américaine relative aux droits de l'Homme, OAS Official Records, OEA/Ser.K/XVI/1.1, Doc. 65, Rev. 1, Corr. 1 (1970) (entrée en vigueur le 18 juillet 1978), Article 25 ; la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ou Convention européenne des droits de l’homme), 213 U.N.T.S. 222, 4 novembre, 1950, (entrée en vigueur le 3 septembre 1954), Article 13. Voir aussi Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit: Programmes de réparation, supra note 1178. Richard Falk, « Reparations, International Law, and Global Justice: A New Frontier », dans Pablo de Greiff, (éd.), The Handbook of Reparations, Oxford, New York, Oxford University Press, 2006 aux pp 478-503. 1180 Dans le domaine du droit international humanitaire, voir la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe: Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, La Haye, 18 octobre 1907, disponible en ligne sur <https://ihl-databases.icrc.org/dih-traites/INTRO/195>, consulté le 25 janvier 2019 Article 3 ; Convention (I) de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, supra note 486 Article 40-42; Convention (II) de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, supra note 486 Articles 96-98; Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, supra note 486 Article 388 ; le Protocole additionnel I, supra note 1137. Voir aussi notamment Emanuela-Chiara Gillard, « Reparation for Violations of International Humanitarian Law », (2003) 85(851) International Review of the Red Cross 529 aux pp 529–53. 1181 Dans le Statut de la CPI, supra note 13 Articles 68 et 75. 1182 Voir Assemblée générale des Nations Unis, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à la réparation des victimes de violations flagrantes de droit international relatif aux droits de l'Homme et de violations graves du droit international humanitaire, Rés. 2005/35 (19 avril 2005), adoptés par la résolution A/RES/60/147 (2006) sur la base des rapports de Théo Van Boven (E/CN.4/Sub2/1996/17) et de Chérif Bassiouni (E/CN.4/2000/62), [ci-après : Principes fondamentaux et directives]. 1183 Rapport de l’experte indépendante chargé de mettre à jour l’Ensemble des principes pour la lutte contre l’impunité, Diane Orentlicher, supra note 14 à la p 16 au Principe 33. 212 et bénéficie de la protection de la loi contre les intimidations et les représailles 1184. De plus, les règles de procédures ad hoc qui permettent aux victimes de jouir de leur droit à la réparation doivent être publiques 1185. Selon les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à la réparation des victimes de violations flagrantes de droit international relatif aux droits de l'Homme et de violations graves du droit international humanitaire, les victimes de ces violations ont droit aux garanties suivantes : « a) Accès effectif à la justice dans des conditions d’égalité; b) Réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi; et c) Accès aux informations utiles concernant les violations et les mécanismes de réparation »1186. La réparation doit être fonction du manquement et du dommage subi conformément aux droits national et international, et l’État doit l’assurer lorsque le responsable direct du préjudice ne peut pas ou ne veut pas satisfaire à ses obligations 1187. Toutefois, au regard des Principes fondamentaux et directives, « la mise en œuvre [du droit à la réparation] et du devoir correspondant est en substance une question de droit et de politique internes »1188. En tant qu’instrument de “droit mou” (soft law)1189, les États bénéfient donc d’une certaine flexibilité dans l’exécution des obligations découlant de ces principes 1190. Au regard de la pratique des mesures de réparation par les États, et de l’opinio juris subséquente, en 2007, la Cour internationale de justice déclarait que le droit à la réparation avait acquis le statut de droit international coutumier 1191. Par ailleurs, dans Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit de 2008 sur les programmes de réparation, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme signalait la responsabilité qui pèse sur les États de réparer les violations des droits des personnes se trouvant sous leur juridiction 1192. Le rapport 1184 Ibid au Principe 34. Ibid au Principe 35. 1186 Principes fondamentaux et directives, supra note 1182 au Principe 11. 1187 Ibid aux Principes 15 et 16. 1188 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit: Programmes de réparation, supra note 1178 à la p 7. 1189 The Redress Trust, Implementing Victims’ Rights: A Handbook on the Basic Principles and Guidelines on the Right to a Remedy and Reparation, March 2006 à la p 3, disponible en ligne sur <https://redress.org/wpcontent/uploads/2018/01/MAR-Reparation-Principles.pdf>, consulté le 28 janvier 2019. 1190 Commentaires sur le Projet d’Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, (2001) II (2) Annuaire de la Commission du droit international, A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2), Article 34, au para 6. 1191 Arrêt sur le génocide, supra note 578 au para 462. 1192 Voir Haut-Commissariat des Nations Unis aux droits de l’homme, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit: Programmes de réparation, supra note 1178 aux pp 5-8. Consulter aussi, Richard Falk, supra note 1179 aux pp 478-503. 1185 213 soutenait qu’en droit international, le droit à la réparation comporte deux variantes : a) une composante substantielle qui se manifeste par l’obligation de réparer les préjudices causés par des mesures de : restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et, éventuellement par des garanties de non-répétition ; et b) une composante procédurale qui consiste à assurer la réparation substantielle en tant que telle. Cette dernière variante se manifeste à travers l’obligation d’octroyer des « recours internes utiles » 1193. Selon les Principes fondamentaux et directives, la restitution peut se manifester, par exemple, par la remise en liberté, la protection des droits de la personne, la restitution des emplois et des biens confisqués 1194. Quant à l’indemnisation, elle prend la forme d’une « estimation financière » du dommage subi et peut porter sur des atteintes à l’intégrité physique ou psychologique, des pertes d’opportunités y compris professionnelles et éducatives, des préjudices matériels et moraux 1195. La réadaptation se rapporte à « une prise en charge médicale et psychologique ainsi qu’à l’accès à des services juridiques et sociaux » 1196. Quant à la satisfaction, elle consiste en des actions qui visent à arrêter la continuation des violations comme la publication de la vérité, la remise aux familles de la dépouille de leur disparue, la déclaration de leur identité, l’aide à la réinhumation selon les normes culturelles des communautés et des familles, les décisions officielles ou de justice qui affirment le préjudice des victimes et les réparations dont elles ont droit, les repentirs publics et les monuments symboliques de reconnaissance1197. Pour ce qui concerne les “garanties de non-répétion”, elles se rapportent par exemple à des mesures de réformes des institutions civiles et politiques, des forces armées et des pouvoirs judiciaires conformément aux normes internationales 1198. Naomi Roht-Arriaza attire toutefois l’attention que les Principes fondamentaux et directives organisent les mesures de réparations en trois catégories à savoir : 1) la restitution, la réhabilitation, l’indemnisation et les guaranties de nonrépétition ; 2) la différenciation entre les réparations matérielles et les réparations symboliques, et 3) la distinction entre les réparations individuelles et les réparations Haut-Commissariat des Nations Unis aux droits de l’homme, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit: Programmes de réparation, supra note 1178 à la p 6. 1194 Principes fondamentaux et directives, supra note 1182 au Principe 19. 1195 Ibid au Principe 20. 1196 Ibid au Principe 21. 1197 Ibid au Principe 22. 1198 Ibid au Principe 23. 1193 214 collectives1199. Examinons comment ces différentes catégories de réparation peuvent être mises en œuvre au Soudan du Sud afin de contribuer à sa transformation. 1.3.2. – La contribution de la réparation dans la transformation L’étude du rôle de la réparation dans la transformation du Soudan du Sud requiert tout d’abord d’exposer les difficultés d’ordre pratique que cette mesure pose après des conflits violents de masse (1.3.2.1). Ensuite, nous indiquerons comment les mesures de réparations tant individuelles que collectives peuvent contribuer à la transformation du contexte conflictuel du Soudan du Sud (1.3.2.2), en mettant un accent particulier sur la réparation des violations des droits économiques, sociaux et culturels (1.3.2.3), et sur la réparation des droits des femmes (1.3.2.4). 1.3.2.1. – La question des réparations après des conflits de masse Bien que le droit à la réparation soit consacré en droit international, sa mise en œuvre pose des questions importantes dans les contextes de violations massives des droits de la personne. La réalisation de ce droit demeure encore d’autant plus problématique lorsque les violences physiques de masse sont le résultat de violences culturelles et structurelles chroniques qui se sont traduites par des inégalités socio-économiques, des marginalisations, des structures sociales produisant des inégalités de genre et violant particulièrement les droits des femmes et des enfants. Dans ces situations où presque toute la population est victime, comment peut-on mettre en œuvre le droit à la réparation? Telle est la question qui se pose au Soudan du Sud. D’emblée, Naomi Roht-Arriaza souligne qu’il existe un paradoxe dans l’essence même de la réparation, dans la mesure où, qu’elle ne peut jamais complètement restaurer la situation qui prévalait avant le préjudice commis. Par exemple, soutient-elle, comment peut-on réparer la destruction d’une vie humaine, d’une famille, d’une génération d’amis, d’une communauté ou d’une culture? 1200 Au Soudan du Sud, en particulier, pendant la guerre civile post-décembre 2013, une bonne partie de la jeunesse, fer de lance de la société, a été décimée, des familles entières, des communautés et leurs cultures ont été détruites, des biens 1199 Voire Naomi Roht-Arriaza, « Reparations and Economic, Social, and Cultural Rights », dans Dustin N. Sharp (éd.), supra note 649 à la p 114. 1200 Naomi Roht-Arriaza, « Reparations Decisions and Dilemmas » (2004) 27 Hastings International and Comparative Law Review 157 aux pp 158-160. 215 individuels et collectifs ont été anéanties. De plus, de son héritage de sousdéveloppement socio-économique depuis la période coloniale s’est ajoutée la chute drastique de la production du pétrole comme conséquence des conflits dans le nouvel État. Ces évènements ont entrainé une baisse considérable du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays qui, à son tour, a engendré une forte inflation et un accroisement extrême de la pauvreté1201. À cela s'est adjoint la corruption qui s’est métastasée dans la plupart des secteurs de l’administration publique. L’Indice de Perception de la Corruption (IPC), en 2019, classait le Soudan du Sud au 179è rang sur 1801202, soit parmi les États les plus corrompus de la planète. Dans ce contexte, il convient de souligner que si la guerre de libération et l’indépendance ont contribué à enrichir l’élite politico-militaire, elles n’ont pratiquement rien changé à la vie des citoyens ordinaires 1203. Au contraire, leur histoire se résume en une série de tragédies. Après avoir été des victimes de l’esclavage sous le régime colonial turco-égyptien, de domination culturelle sous le régime mahdiste, d’exploitation socio-économique sous le régime anglo-égyptien et d’oppression politique, culturelle et économique sous les régimes post-coloniaux successifs de Khartoum, ce sont leurs “libérateurs” d’hier qui leur infligent les pires atrocités et pillent les ressources naturelles qui devraient servir à leur offrir une vie meilleure. Comment peut-on réparer de si graves préjudices? Il nous semble que la réalisation de cette réparation de façon parfaite est impossible. En effet, quelles que soient les mesures de réparation adoptées dans ce contexte, elles ne pouront jamais totalement restaurer les préjudices qui ont été commis et surtout les vies qui ont été perdues à jamais. Le constat est que nombre de sociétés post-conflictuelles échouent à mettre en œuvre des programmes de réparation adéquats qui satisfont les victimes des violences 1204. Dans ces conditions, en tenant compte de la complexité des besoins des victimes après des violences graves comme celles perpétrées au Soudan du Sud, toutes les catégories de réparation précitées doivent être mises à contribution dans le cadre d’une approche plurale de la réparation. 1201 United Nations Development Programme, supra note 213 à la p 4. Voir Transparency International, South Sudan, 2019, en ligne sur <https://transparency-france.org/wpcontent/uploads/2020/01/2019_CPI_Report_FR.pdf>, consulté le 7 février 2019. 1203 Voir notamment Leben Nelson Moro, supra note 236. 1204 Pablo de Greiff, Report by the Special Rapporteur on the Promotion of Truth, Justice, Reparation and Guarantees of Non-recurrence, A/69/518, 8 October 2014. 1202 216 En comparaison aux tribunaux pénaux, un des principaux avantages des Commissions de vérité est la place centrale qu’elle accorde aux victimes des violences1205, en cherchant à réparer les préjudices qu’elles ont subi 1206. À ce titre, le RARCSS souligne qu’une des fonctions de la CVRG est de « record the experiences of victims, including but not limited to women and girls »1207 afin de déterminer « the type and size of compensation and reparation for victims »1208. À ce titre, la difficulté qui pourrait se poser est comment faire en sorte que le maximum de victimes participe aux activités de la commission et bénéficient de ses mesures de réparation. Généralement, plusieurs victimes ne peuvent pas participer aux activités des Commissions de vérité pour diverses raisons, soit parce qu’elles habitent dans des endroits très reculées, soit parce qu’elles sont trop blessées physiquement ou émotionnellement pour se déplacer ou pour parler1209. En Afrique du Sud, le mandat de la TRC était seulement limité à enquêter sur les « violations graves des droits de la personne », laissant ainsi de côté les oppressions socio-économiques subies par la grande majorité des Noirs Sud-Africains pendant le régime d’apartheid. De plus, même parmi les 21 000 personnes identifiées par la TRC comme étant des victimes de violations graves des droits de la personne, seulement 10% de celles qui se sont rendues devant la commission ont pu donner leur témoignage1210. Au Sierra Leone, alors que la TRC a reconnu que la guerre a pris la vie de plusieurs dizaines de milliers de personnes et donné lieu à des violations des droits de la personne de plusieurs milliers de personnes, seulement 7 706 témoignages ont été enrégistrés par la commission1211. Dans le contexte du Soudan du Sud, au regard des dizaines de milliers de victimes des conflits, sera-t-il possible qu’elles participent toutes aux auditions de la CVRG afin de bénéficier de ses mesures de réparation? Cela est peu probable, puisque l’expérience a montré que les Commissions de vérité n’ont généralement ni assez de temps ni les ressources nécessaires pour répondre aux besoins de toutes les victimes1212. De ce fait, David Mendeloff soutient que des sociétés post-conflictuelles comme la 1205 Martha Minow, supra note 640 à la p 60. Naomi Roht-Arriaza et Margaret Popkin, supra note 1113. 1207 Voir R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.2.3.5. 1208 Ibid Chapitre V Article 5.2.2.3.4. 1209 Erin Daly, supra note 1159 à la p 30. 1210 Truth and Reconciliation Commission, Truth and Reconciliation Commission of South Africa Report, 1998, vol I, Chapitre 11, à la p 11, disponible en ligne sur </www.doj.gov.za/trc/>, consulté le 11 mai 2020. 1211 Voir Witness to Truth: The Report of the Sierra Leone Truth and Reconciliation Commission, supra note 851. 1212 Erin Daly, supra note 1159 aux pp 30-31. 1206 217 Russie, la Chine, l’Espagne, le Liban, la Namibie, ou encore le Mozambique ont choisi carrément la voie de l’oubli du passé sans pour autant retomber dans la guerre civile 1213. Ainsi, au regard des limites que peuvent avoir les Commissions de vérité à satisfaire toutes les victimes, il faudrait relativiser son rôle de soutien à l’ensemble des victimes. Il est vrai que si la CVRG est dotée de ressources importantes, elle pourrait recueillir les témoignages de milliers de victimes et leur accorder des réparations adéquates. Mais, il faudrait avoir des attentes modestes à l’égard de cette institution et plutôt concevoir ses travaux comme une contribution aux côtés de plusieurs autres mesures à mettre en œuvre dans le pays pour parvenir à une véritable transformation. Dans cette optique, quelle pourrait être néanmoins la contribution des mesures de réparation individuelle et collective à la transformation du Soudan du Sud? 1.3.2.2. – La contribution des mesures de réparation individuelle et collective à la transformation du Soudan du Sud Dans l’expérience de la justice transitionnelle, les mesures de réparation se sont principalement fondées sur les violations des droits civils et politiques, et accessoirement sur les violations des droits économiques, sociaux et culturels 1214. Dans le contexte du Soudan du Sud, le R-ARCSS affirme que « [t]he RTGoNU, in recognition of the destructive impact of the conflict to the citizens of South Sudan, shall establish within six (6) months from the commencement of the Transitional Period, a Compensation and Reparation Fund […] » qui sera géré par l’AIR1215. En ce qui concerne l’utilisation de ce fonds, le R-ARCSS souligne que l’AIR « shall provide material and financial support to citizens whose property was destroyed by the conflict and help them to rebuild their livehoods […] »1216. Il semble donc que l’AIR vise seulement la réparation des propriétés et n’indique pas clairement la possiblité d’accorder des indemnités aux proches des parents morts ou aux enfants orphelins1217. En outre, le R-ARCSS se borne simplement à dire que l’AIR « shall receive applications from victims including natural and legal 1213 David Mendeloff, « Truth-seeking, Truth-telling, and Postconflict Peacebuilding: Curb the Enthusiasm? », (2004) 6:3 International Studies Review 355 à la p 369. 1214 Voir Dustin N. Sharp, supra note 671 aux pp 169-170. 1215 R-ARCSS, supra note 771 Article 5.4.1. 1216 Ibid Article 5.4.2.4. 1217 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, supra note 1076 au para 71 à la p 15. 218 persons from CTRH and make the necessary compensation and reparation […] »1218. De cette affirmation, on peut se demander de quelles victimes naturelles s’agit-il? Quelle est la nature des indemnités et des réparations qui leur seront octroyées? Nous le saurons lors de la mise en œuvre concrète de ces mesures. Mais, d’ores et déjà, il semble y avoir des réserves quant à l’octroi des indemnités à l’ensemble des victimes des conflits. En effet, au moment de la signature de l’ARCSS, le Président Salva Kiir exprimait sa prudence à l’égard d’une telle mesure en proposant plutôt que les fonds soient dirigés vers « la reconstruction des infrastructures et la restauration des moyens de subsistance des communautés dans les États les plus durement touchés par le conflit »1219. Pourtant, dans une étude effectuée par la South Sudan Law Society au mois d’octobre 2014 à avril 2015 dans onze localités de six États du Soudan du Sud, incluant Abyei, 81% des répondants ont soutenu que le gouvernement devrait founir des indemnisations pour les violations des droits de la personne – 40% étaient en faveur de leur octroi aux individus, 26% aux communautés et 34% aux deux 1220. C’est dire donc que pour les populations sudsoudanaises, le gouvernement doit mettre en œuvre à la fois des mesures de réparation individuelle et collective. Une telle préférence peut s’expliquer par l’histoire de la région jalonnée de violences structurelles qui ont créées une grande pauvreté des populations conjuguée à l’état de sous-développement profond du pays. Mais, dans les sociétés postconflictuelles comme le Soudan du Sud, il peut y avoir des compétitions en matière de récits sur les conflits et sur la victimisation1221. Si les mesures de réparations sont dirigées seulement vers les individus, des communautés pourront considérer que leur préjudice n’a pas été reconnu et vis-versa. Du coup, pour que les mesures de réparation soient véritablement transformatrices, il faudrait qu’elles soient nécessairement à la fois individuelles et collectives. Tout d’abord, les mesures de réparation individuelle ont le rôle symbolique de reconnaître les souffrances des victimes et de les aider à surmonter les préjudices qu’elles ont subies1222. À ce titre, elles se fondent fondamentalement sur l’idée plus générale de la 1218 R-ARCSS, supra note 771 Article 5.4.2.6. Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, supra note 1076 au para 71 à la p 15. 1220 South Sudan Law Society, supra note 1012 à la p ix. 1221 Voir notamment Luke Moffett, « Reparations for “Guilty Victims”: Navigating Complex Identities of Victimperpetrators in Reparation Mechanisms », (2016) 10:1 International Journal of Transitional Justice 146. 1222 Brandon Hamber, « Repairing the Irreparable: Dealing with the Double-binds of Making Reparations for Crimes of 1219 219 justice1223 et, plus spécifiquement, sur l’idée de la justice restauratrice qui vise à réparer ou à restaurer les violations faites aux victimes1224. Ces mesures restaurent ainsi la dignité des victimes; ce qui contribuerait à reconstruire en eux la confiance civique dans les institutions de l’État1225. Selon des analystes, les réparations de nature pécuniaire peuvent constituer pour les victimes des violences, une reconnaissance de leur douleur, une mesure qui leur permettrait de mieux gérer la perte matérielle engendrée et contribuerait à dissuader l’État de violations futures en raison du poids financier qu’elles font peser sur lui1226. Cependant, il faut noter que la mise en œuvre des mesures de réparations individuelles sous forme d’indemnité financière soulève généralement des questions importantes quant à leur pertinence dans les sociétés post-conflictuelles. Cela pose tout d’abord la question de ce qu’on entend par “victimes” des conflits. Les Principes fondamentaux et directives définissent les victimes, au sens large, comme les individus ou groupes d’individus ou les familles qui ont souffert de préjudices lors des violences1227. C’est dire donc que dans les contextes de violence de masse, comme au Soudan du Sud, chaque membre de la population peut être considéré, selon le degré qui lui est propre, comme victime des conflits 1228. Sur quels critères va-t-on donc se fonder pour réparer les dommages subis par l’ensemble de la population ? C’est pourquoi, audelà des avantages des réparations individuelles, il faut noter qu’elles peuvent être problématiques dans des situations d’exploitations socio-économiques systémiques, comme au Soudan du Sud, où elles peuvent se substituer à la redistribution en entravant, ce faisant, la transformation structurelle de ces contextes1229. Les réparations individuelles pourraient ainsi servir de paravent pour ne pas résoudre les violences the Past », (2000) 5:3/4 Ethnicity and Health 215 à la p 218; Jemima Garcia-Godos, « Victim Reparations in Transitional Justice - What Is at Stake and Why », 26 (2008) Nordisk Tidsskrift for Menneskerettigheter 111, à la p 119. 1223 Lisa L. Laplante, « The Plural Justice aims of Reparation », dans Susanne Buckley-Zistel et al., supra note 644 à la p 66. 1224 Jemima Garcia-Godos, supra note 1222 à la p 119. 1225 Lisa Magarrell, « Reparations for Massive or Widespread Human Rights Violations: Sorting out Claims for Reparations and Social Justice », (2003) 22 Windsor Yearbook of Access to Justice 85 à la p 94. 1226 Neil Kritz, « The Dilemmas of Transitional Justice », dans Neil J. Kritz (éd.), supra note 612 à la p xxvii, cité par Zinaida Miller, supra note 656 à la p 280. 1227 Les Principes fondamentaux et directives, supra note 1182 Principe 8. 1228 Luke Moffett, « Transitional justice and reparations: Remedying the past? », dans Cheryl Lawther, Luke Moffett et Dov Jacobs (éds.), Research Handbook on Transitional Justice, Cheltenham, Edward Edgard Publishing, 2017 à la p 384. 1229 Naomi Roht-Arriaza, supra note 1200 à la p 180. 220 structurelles 1230 – qui sont pourtant les causes réelles des conflits. Les réparations individuelles peuvent aussi créer des conflits entre les ressources prévues pour les pauvres et celles affectées aux victimes 1231. En outre, en raison des violences structurelles chroniques comme c’est le cas au Soudan du Sud, les réparations peuvent être compliquées en raison des sommes importantes qu’elles nécessitent et de la difficulté à déterminer les bénéficiaires 1232. Les réparations sous forme d’indemnités financières peuvent aussi créer des divisions au sein des familles. Par exemple, bien que ces indemnités puissent permettre aux femmes de s’autonomiser, dans les sociétés paternalistes, comme au Soudan du Sud, ces dédommagements peuvent être récupérés par les hommes, entamant ce faisant l’objectif initial recherché 1233. C’est pour toutes ces raisons que les pouvoirs publics préfèrent parfois mettre en œuvre des mesures de réparations collectives. En raison de leur nature impersonnelle, celles-ci sont parfois considérées comme ayant plus d’avantages que les réparations individuelles. Les réparations collectives dépendent généralement du contexte. Elles peuvent être matérielles ou symboliques et se manifester par l’indemnisation, la restitution, la satisfaction, la réhabilitation ou les garanties de non-répétition. Les réparations matérielles peuvent se faire sous forme d’indemnité ou de restitution de terre à une communauté ou en faisant justice à une communauté devant les autorités coutumières. L’État peut aussi mettre en œuvre des mesures de réparation collective en pourvoyant aux frais médicaux ou de justice d’une communauté ou de familles ciblées, en entreprenant des réformes au sein des forces armées, de la justice et de l’exécutif, en construisant des routes, des hôpitaux, des écoles, des conduits d’eau potable en faveur des populations 1234. Dans les endroits les plus dévastés par les violences, l’État peut associer les mesures de réparation aux projets de développement en impliquant les communautés locales 1235. Quant aux réparations symboliques, elles peuvent prendre la forme de cérémonies de reconnaissance de la responsabilité des torts commis et/ou de demande de pardon, de construction de monuments, de centres culturels, de musées, de dénomination des routes, 1230 Priscilla B. Hayner, supra note 830 aux pp 165-166. Naomi Roht-Arriaza, supra note 1200 à la p 111. 1232 Ibid. 1233 Ibid à la p 117. 1234 Friedrich Rosenfeld, « Collective Reparation for Victims of Armed Conflict », (2010) 92:879 International Review of the Red Cross 731 à la p 733. 1235 Priscilla B. Hayner, supra note 830 à la p 166. 1231 221 des édifices. Les autorités gouvernementales préfèrent généralement les réparations collectives à celles individuelles du fait qu’elles sont considérées moins dispendieuses que les secondes et que les attributaires y voient une certaine générosité du gouvernement1236. C’est probalement cette réflexion qui a amené le Président Salva Kiir à manifester sa préférence pour les investissements dans des projets de développement socio-économiques des communautés victimes des violences 1237. Pourtant, comme le souligne Naomi Roht-Arriaza, les organisations de défense des droits de la personne critiquent les réparations collectives car elles y voient une duperie du gouvernement qui consiste à faire passer des mesures de réparation pour des projets de développement qui relèvent pourtant de sa responsabilité 1238. Comment les mesures de réparation peuvent donc être mises en œuvre pour être véritablement transformatives? Dans le contexte du Soudan du Sud, au regard des nombreuses années de violences structurelles et physiques, l’objectif politique de la réparation doit être qu’elle contribue à créer une nouvelle communauté politique dans laquelle les victimes sont restaurées en vue d’un futur plus apaisé1239. Pour ce faire, il faut d’abord que les mesures de réparation soient conceptualisées de manière inclusive tant dans leur substance que dans leur procédure1240. La conception substantielle se réfère aux mesures nécessaires d’indemnisation, de restitution, de satisfaction, de réhabilitation ou de garanties de nonrépétition. La conception procédurale se réfère à la participation aux procédures des personnes qui ont subi les préjudices, à savoir les victimes. En prenant en compte les voix des victimes, cela favorise non seulement leur agencéité dans la transformation de leur victimité, mais aussi l’atteinte de résultats satisfaisants dans les mesures de réparation 1241. En outre, la consultation et la participation des victimes aux processus de prise de décision sur les réparations consolident leur statut de citoyen dans le nouvel ordre politique en construction 1242. Cela aide aussi à créer un sentiment d’appartenance à la communauté nationale et infra-nationale et à surmonter les traumatismes du passé 1243. 1236 Naomi Roht-Arriaza, supra note 1200 à la p 119. Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, supra note 1076 au para 71 à la p 15. 1238 Naomi Roht-Arriaza, supra note 1200 à la p 119. 1239 Luke Moffett, supra note 1228 à la p 381. 1240 Dinah Shelton, supra note 1175 à la p 65. 1241 Luke Moffett, supra note 1228 à la p 392. Voir aussi Dinah Shelton, supra note 1175 à la p 7. 1242 Luke Moffett, supra note 1228 à la p 392. 1243 Brandon Hamber, « The Dilemmas of Reparations: In Search of a Process-driven Approach », dans Koen De Feyter 1237 222 De plus, au regard de la nature interethnique des conflits au Soudan du Sud, des communautés entières ont été prises pour cibles par les violences. Les mesures de réparation collective cherchent à réparer dans ces situations des “préjudices collectifs”1244. Ces préjudices sont particuliers en ce sens qu’ils ont été accomplis sur des personnes en raison de leur appartenance à une certaine communauté comme ce fut le cas, par exemple, de l’Holocauste des Juifs ou du génocide des Tutsi du Rwanda1245. De ce fait, les mesures de réparation transformatives doivent viser à porter une attention particulière aux structures sociales et idéologiques qui ont rendu les atrocités possibles1246. Les animosités historiques notamment entre les communautés Dinka et Nuer, et entre les autres groupes ethniques qui ont été ou non exacerbées par les tensions politiques doivent faire l’objet de réparation à travers la médiation des autorités religieuses et coutumières, avec le soutien de l’État et de ses partenaires internationaux. À ce titre, les réparations collectives ne cherchent pas seulement à restaurer les préjudices immédiats des conflits, elles servent également à construire sur le long terme une société de paix1247. Dans l’affaire Al Mahdi du 17 août 2017 devant la CPI, [l]a Chambre a ordonné l'octroi de réparations pour trois catégories de préjudices : l'endommagement des bâtiments historiques et religieux attaqués, les pertes économiques indirectes et le préjudice moral. Les réparations doivent être collectives pour permettre la réhabilitation des sites et pour que la communauté de Tombouctou dans son ensemble se relève des pertes financières et du préjudice économique subis, ainsi que de la détresse affective ressentie du fait de l'attaque. Les réparations peuvent également inclure des mesures symboliques — comme l'édification d'un monument ou une cérémonie de commémoration ou du pardon —, afin que soit reconnu publiquement le préjudice moral subi par la communauté de Tombouctou et ses membres1248. Toutefois, nonobstant l’importance des réparations collectives, il faut aussi prendre en compte le fait qu’en regoupant les souffrances des victimes dans des communautés et al. (éds.), Out of the Ashes. Reparation for Victims of Gross and Systematic Human Rights Violations, Antwerpen, Oxford, Intersentia, 2005 à la p 141. 1244 Paul Dubinsky, « Justice for the Collective: The Limits of the Human Rights Class Action », (2004) 104 Michigan Law Review 1052 à la p 1182. 1245 Friedrich Rosenfeld, supra note 1234 à la p 734. 1246 Ernesto Verdeja, « A Normative Theory of Reparations in Transitional Democracies », (2006) 37:3/4) Metaphilosophy 449 à la p 455. 1247 Linda M. Keller, « Seeking Justice at the International Criminal Court: Victims’ Reparations’ », (2007) 29 Thomas Jefferson Law Review 189 à la p 212. 1248 Cour pénale internationale, Chambre de Première Instance VIII, le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi, décision N° : ICC-01/12-01/15 du 17 août 2017, au para 90. Voir aussi Cour pénale internationale, Chambre d’appel, le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, décision No ICC-01/04-01/06 A A 2 A 3 du 3 mars 2015. 223 abstraites, il est possible de réduire plusieurs voix au silence 1249 ou de marginaliser les plus vulnérables comme les personnes âgées, les femmes et les enfants 1250. C’est pourquoi, il faut nécessairement associer aux réparations collectives des réparations individuelles en identifiant les victimes qui ont fait l’objet des plus graves violations. La TRC de la Sierra Leone a, par exemple, recommandé que les réparations individuelles soient dirigées vers les personnes qui ont été les plus affectées par les violences comme les amputées, les veuves, les orphelins, les victimes de violences sexuelles ou de torture1251. Au Soudan du Sud, malgré l’ampleur des violations, en raison de l’extrême pauvreté des populations, il faudrait que des mesures de réparations individuelles soient adoptées en particulier pour les violations des droits économiques sociaux et culturels et pour les violences faites aux femmes. Nous étudierons dans la section suivante le rôle des premières et, plus loin, le rôle des secondes dans la transformation du Soudan du Sud. 1.3.2.3. – Le rôle transformatif des mesures de réparation pour les violations des DESC Les mécanismes de justice transitionnelle ont en général, dans leur expérience passée, marginalisé les violations des droits socio-économiques et culturels dans les mesures de réparation adoptées à la suite des conflits 1252. Par exemple, en particulier, les Commissions de vérité adoptées en Amérique latine dans les années 1980 et 1990 en Argentine, au Salvador, en Uruguay et au Chilie ont largement priorisé les violations des droits civils et politiques, en minimisant le rôle joué par les violations des droits économiques et sociaux dans les violences 1253. Si cette marginalisation s’explique par le défaut général d’attention à l’égard des droits économiques, sociaux et culturels, elle se justifie également par le fait que dans les contextes de conflits armés, les violations des droits civils et politiques sont habituellement les plus visibles 1254. Cependant, plus tard, 1249 Luke Moffett, supra note 1228 à la p 387. Déclaration de Nairobi sur le droit des femmes et des filles à un recours et à réparation tenue à Nairobi du 19 au 21 mars 2007 au para 7, disponible en ligne sur <https://www.legal-tools.org/doc/1eac36/pdf/>, consulté le 1er septembre 2019. 1251 Witness to Truth: The Report of the Sierra Leone Truth and Reconciliation Commission, supra note 854 Vol II, chap 4 aux paras 69–70. 1252 Voir Lisa Laplante, supra note 657; Zinaida Miller, supra note 656; Louise Arbour, supra note 698. 1253 Voir James Cavallaro et Sebastián Albuja, « The Lost Agenda: Economic Crimes and Truth Commissions in Latin America and Beyond », dans Kieran McEvoy et Lorna McGregor (éds.), supra note 1091 à la p 122. 1254 Voir aussi International Commission of Jurists, Corporate Accountability for Abuses of Economic, Social & Cultural Rights in Conflict, Février 2020 à la p 31, disponible en ligne sur <https://www.icj.org/wp1250 224 les Commissions de vérité mises en œuvre notamment en Afrique ont identifié des violences économiques comme faisant partie des causes profondes des conflits et ont, ce faisant, fait des recommandations en vue de les résoudre : c’est le cas par exemple des Commissions de vérité du Tchad (1990-1992), de la Sierra Leone (2002-2004), du Ghana (2003-2004) et du Libéria (2006-2009)1255. Quoique ces mesures de qualités variées aient constitué des actions importantes de prise en compte des violences économiques dans les mécanismes de justice transitionnelle, elles n’ont toutefois pas pu aller plus loin en aboutissant à des réformes d’envergure qui ont transformé de façon substantielle ces sociétés 1256. En outre, la Note d’orientation du Secrétaire général des Nations Unies de 2010 a adopté comme un de ses principes le fait que « transitional justice processes and mechanisms [should] take account of the root causes of conflict and repressive rule, and address violations of all rights […] including civil, political, economic, social and cultural rights »1257. De ce fait, au Soudan du Sud, il est absolument nécessaire de mettre la question des violences économiques au cœur des projets de reconstruction du pays. Par violence économique nous faisons référence aux pillages des ressources naturelles, à la corruption et aux autres violations des droits économiques et sociaux 1258. Il doit donc être réalisé au Soudan du Sud, ce que Wendy Lambourne a appelé une “justice socioéconomique”. Pour l’auteure, il s’agit d’une justice qui conjugue, d’une part, des mesures financières ou des indemnisations, des réparations ou des restitutions pour les crimes ou violations du passé et, d’autre part, des dispositifs de justice distributive pour le futur 1259. Il s’agit donc d’une justice qui répare non seulement les préjudices au niveau individuel, mais aussi, qui veille à une redistribution des richesses au niveau collectif. Pour ce faire, une possibilité pourrait être que le Soudan du Sud demande par exemple la coopération des États où l’argent public volé (ou les biens immobiliers mal acquis) est placé par l’élite politique du pays en vue de sa restitution éventuelle. Pour ce qui concerne le pillage des ressources naturelles et la corruption, il est important que les autorités du Soudan du Sud mettent en œuvre des mécanismes de bonne content/uploads/2020/02/Universal-ESCR-accountability-guide-Publications-Reports-Thematic-report-2020ENG.pdf>, consulté le 20 mai 2020. 1255 Dustin N. Sharp, supra note 671 à la p 172. 1256 Ibid à la p 173. 1257 Guidance Note of the Secretary-General, supra note 622 aux pp 2-3 (nos italiques). 1258 Voir sur ce point Dustin N. Sharp, supra note 610 à la p 21. 1259 Wendy Lambourne, supra note 644 aux pp 28-29. 225 gestion. Pour ce faire, le R-ARCSS exige que le RTGoNU adopte pour les agents publics un code d’éthique et d’intégrité qui promeut les valeurs d’honnêtété et d’intégrité. En outre, le R-ARCSS demande au RTGoNU d’étendre le programme du système éducatif pour y inclure la promotion de l’honnêtété, de l’intégrité et du respect de la propriété publique1260. De plus, le R-ARCSS soutient que le RTGoNU devra établir un mécanisme de haut niveau compétent qui assurera un contrôle effectif des revenus, la budgétisation, l’allocation et les dépenses des revenus. Il ajoute que les actions de ce mécanisme se fonderont sur le consentement mutuel en matière de reddition des comptes 1261. Le RARCSS affirme aussi que les richesses du Soudan du Sud devront être partagées équitablement pour permettre à chaque niveau du gouvernement de satisfaire ses charges de développement, de reconstruction et de mise en œuvre de ses obligations constitutionnelles 1262. Le R-ARCSS enjoint également le Ministère des finances et de la planification de réviser et de mettre en œuvre, dans les neuf (9) mois qui suivent l’accord, la feuille de route pour le développement économique et social en vue d’accélérer la réalisation d’une économie nationale résiliente 1263. Par ailleurs, pour lutter contre la corruption, le R-ARCSS exige que le RTGoNU révise, dans les cinq (5) mois de la transition, la Loi sur la Commission contre la corruption de 20091264 pour permettre à celle-ci de remplir efficacement ses missions de protection des biens publics, d’investigation et de poursuite des cas de corruption et de mauvaise gestion dans l’administration publique1265. Le R-ARCSS demande aussi au RTGoNU d’adopter un cadre législatif adéquat pour accompagner l’exécution des décisions de la Commission contre la corruption 1266. En outre, il demande une implication des médias, de la société civile, des organisations des femmes, des jeunes et des religieux dans la lutte contre la corruption et la prise de conscience du public contre la corruption1267. Le R-ARCSS sollicite de plus le RTGoNU de réviser, dans les trois (3) mois qui suivent la période transitionnelle, la Loi de 2011 sur la Chambre nationale 1260 R-ARCSS, supra note 771 Article 4.1.2. Ibid Article 4.1.4. 1262 Ibid Article 4.1.5. 1263 Ibid Article 4.3.1.1. 1264 Government of South Sudan, The Southern Sudan Anti-Corruption Commission Act, 2009. 1265 Ibid Article 4.4.1.1. 1266 Ibid Article 4.4.1.3. 1267 Ibid Article 4.4.1.5. 1261 226 d’audit1268 et de garantir son indépendance des interférences politiques 1269. Le rôle de la Chambre nationale d’audit est de jouer la fonction d’audit national général des finances publiques1270. Nous pensons que si ces mesures sont soutenues par une volonté politique ferme et effectivement mises en œuvre, elles permettront au Soudan du Sud de lutter efficacement contre le pillage des ressources de l’État et la corruption. En ce qui concerne les réparations des DESC, elles se rapportent à une diversité de droits dont la violation doit être réparée en période post-conflictuelle pour assurer une transformation effective du contexte. Ces droits sont par exemple le droit des peuples à jouir de leurs ressources naturelles et de leurs richesses, le droit au travail, le droit à la sécurité sociale, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à l’alimentation, le droit au logement, le droit à la santé, le droit à l’éducation, le droit de participer à la vie culturelle1271. Toutefois, de nos jours, les réparations des DESC en contexte postconflictuel sont largement concentrées sur les confiscations des terres et d’autres titres de propriété1272. Pour mieux comprendre les enjeux qui sont liés au foncier au Soudan du Sud, il convient de procéder à un bref aperçu historique de cette situation. Historiquement, le foncier a joué un rôle important dans le déclenchement des conflits dans la région. Ces tensions prennent leur source au début de la période coloniale en 1898 avec la décision de l’administration coloniale britannique de procéder à l’enregistrement des terres indigènes. Le 27 mai 1899, le régime coloniale adopte deux Ordonnances qui posent les fondations du régime foncier au Soudan à travers l’enregistrement des terres. Il s’agit du “Khartoum, Berber and Dongola Town Lands Ordinance” et du “Title of Lands Ordinance” qui organisent les procédures de reconnaissance de la propriété foncière des indigènes; la première crée un mécanisme d’enregistrement des terres dans les villes, tandis que la seconde crée un mécanisme d’enrégistrement des terres dans les zones rurales 1273. À travers ces mesures, l’État colonial était arrivé à un moment donné à réclamer 80% des 1268 Government of South Sudan, The Southern Sudan National Audit Chamber Act, 2011. Ibid Articles 4.5.1. et 4.5.2. 1270 Ibid Article 4.5.3. 1271 Voir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, supra note 485. Voir aussi International Commission of Jurists, supra note 1254 aux pp 35-36. 1272 Naomi Roht-Arriaza, supra note 1200 à la p 121. 1273 Steven Serels, « Political Landscaping: Land Registration, the Definition of Ownership and the Evolution of Colonial Objectives in the Anglo-Egyptian Sudan, 1899-1924 », (2007) African Economic History, No. 35, 59 à la p 60. 1269 227 terres, la plupart dans les régions rurales du Soudan 1274. De ces ordonnances suivront plus tard, durant la période postcoloniale, le Unregistered Land Act (1970) et du Civil Transaction Act (1984). Ces deux lois, comme sous le régime colonial, permettent à l’État d’accroître son emprise sur la terre 1275 et favorisent l’acquisition par les élites de titres fonciers à des prix faibles1276. Les conflits commencent lorsqu’en application de ces lois, les gouvernements postcoloniaux s’accaparent des terres que les communautés indigènes considéraient comme leurs propriétés 1277. En effet, en liant les communautés ethniques à l’utilisation et au contrôle de leurs terres, le droit foncier postcolonial sera source de conflits entre les populations rurales et l’État 1278. Qui plus est, alors que les accords d’Addis-Abeba de 1972 octroyaient une gouvernance autonome au Soudan du Sud séparé du Nord par la frontière héritée de la colonisation, le gouvernement de Khartoum continuait d’interférer dans les ressources du Sud dont en particulier la terre. Les interférences portaient sur les locations des terres aux hommes d’affaires du Nord ainsi que le projet de construire le Canal du Jonglei 1279. Les tensions liées au droit foncier contribueront, par exemple, largement au déclenchement de la seconde guerre civile en 19831280. En outre, à la suite de la découverte du pétrole au Sud à la fin des années 1970, Khartoum a commencé redessiner les frontières Nord-Sud pour que les zones pétrolifères lui reviennent. C’est le cas, par exemple, de la région Ouest du Haut Nil que Khartoum, renommée El Wehda (qui signifie unité), Panthou et Higlig1281. Sur ce fond de conflits portant sur la terre, l’AGP a posé les bases juridiques de la réforme du droit foncier. En attendant des réformes appropriées du droit foncier, l’AGP a 1274 Peter Hakim Justin et Han van Dijk, « Land Reform and Conflict in South Sudan: Evidence from Yei River County », (2017) 52:2 Africa Spectrum 3 à la p 8. Voir aussi Liz Alden Wily, « Tackling Land Tenure in the Emergency to Development Transition in Post-Conflict States: From Restitution to Reform », dans Sara Pantuliano (ed.), Uncharted Territory: Land, Conflict and Humanitarian Action, Rugby, Practical Action Publishing, 2009 aux pp 27–50. 1275 L’Article 4(1) de la Loi sur les terres non enrégistrées (Unregistered Land Act, 1970) disposait que « [a]ll land of any kind whether waste, forest, occupied or unoccupied, which is not registered before the commencement of this Act shall, on such commencement, be the property of the government and shall be deemed to have registered as such, as if the provisions of the Land Settlements and Registration Act of 1925, have been duly complied with ». 1276 Christopher Zambakari, « Land Grab and Institutional Legacy of Colonialism: The Case of Sudan », (2017) 18:2 Consilience: The Journal of Sustainable Development 193 à la p 200. 1277 Voir notamment Peter Hakim Justin et Han van Dijk, supra note 1274 à la p 8. Voir aussi Douglas H. Johnson, supra note 95. 1278 Sara de Simone, « Building a Fragmented State: Land Governance and Conflict in South Sudan », (2015) 10:3 Journal of Peacebuilding & development 60. 1279 Voir aussi Douglas H. Johnson, supra note 95. 1280 Voir Peter Hakim Justin et Han van Dijk, supra note 1274 à la p 8. 1281 Ibid à la p 9. Douglas H. Johnson, « The Heglig Oil Dispute between Sudan and South Sudan », (2012) 6:3 Journal of Eastern African Studies 561. 228 institué des droits coutumiers sur la terre rurale et a établi une Commission nationale du foncier (National Land Commission) dont le rôle est d’arbitrer les litiges fonciers 1282. Ce faisant, des slogans tels que « the land belongs to the community » et « taking towns to the people » étaient caractéristiques de cette période de réformes foncières au Soudan du Sud1283. Dans ce contexte, la Loi sur le foncier de 2009 donne la gestion de la terre aux autorités communautaires1284, mais la Loi sur l’administration locale de 2009 reconnaît les chefs coutumiers à la fois comme des autorités traditionnelles et des agents de l’État1285. Cette confusion des rôles – caractéristique de la réforme du droit foncier – conduit les chefs traditionnels à jouer la fonction de monye menu, c’est-à-dire, de gardien du foncier traditionnel1286. Le droit foncier fait la distinction entre les terres publiques, privées, et les terres communautaires dont les propriétaires sont respectivement l’État, les personnes privées, et les communautés en raison de l’autochtonie 1287. De ce fait, étant donné que plus de 80% des Sud-Soudanais vivent dans les milieux ruraux, une importante superficie de terres devait donc revenir aux communautés locales 1288. Mais, les rivalités politiques de l’élite dirigeante pour le contrôle des ressources les poussent à l’instrumentalisation de l’ethnicité et à des conflits inter-communautaires 1289. Le plus souvent, le foncier apparait soit comme étant à l’origine des conflits ou soit comme un étant un des éléments de grief 1290. En conséquence, au lieu que les réformes du droit foncier servent à réparer les injustices historiques que les communautés locales du Soudan du Sud ont subi, le processus de construction de l’État du haut vers le bas (“top down”) tend à créer des pressions et des tensions sur le foncier rural 1291. La consécration des chefs traditionnels comme agents de l’État contribue à l’ambiguïté du droit sur la gestion des terres et induit potentiellement des conflits entre communautés. Il est donc 1282 AGP, supra note 1 aux pp 48-51. Peter Hakim Justin et Han van Dijk, supra note 1274 à la p 9. 1284 Government of South Sudan, Laws of Southern Sudan: The Land Act, Juba, Southern Sudan: The Government of Southern Sudan, 2009 [The Land Act] Article 15. 1285 Ibid Article 14. Voir aussi Peter Hakim Justin et Han van Dijk, supra note 1274 à la p 10. 1286 Peter Hakim Justin et Han van Dijk, supra note 1274 à la p 10. 1287 The Land Act supra note 1277 aux pp 13-14. Voir aussi Peter Hakim Justin et Han van Dijk, supra note 1274 à la p 10. 1288 Peter Hakim Justin et Han van Dijk, supra note 1274 à la p 10. 1289 Ibid à la p 11. Voir aussi Lotje De Vries et Peter Hakim Justin, « Un mode de gouvernement mis en échec: Dynamiques de conflit au Soudan du Sud, au-delà de la crise politique et humanitaire », (2014) 135 :3 Politique Africaine 159. 1290 Peter Hakim Justin et Han van Dijk, supra note 1274 à la p 11. 1291 Ibid à la p 18. 1283 229 important que les mesures de réparation post-conflictuelles du Soudan du Sud tiennent compte des cas de violations des DESC engendrées par la situation confuse de la gestion du foncier rural et des préjudices subséquents causés aux communautés locales. Pour ce faire, l’État doit poursuivre son projet de réforme du droit foncier en adoptant un cadre législatif légitime qui respecte les droits des communautés locales sur leurs terre et en procédant à des réparations par restitution ou par indemnisation des personnes victimes d’expropriations inappropriées de leurs propriétés foncières. Une telle démarche est indispensable à une transformation substantielle du contexte conflictuel du pays. Par ailleurs, du fait que les femmes aient été en général les cibles de violences pendant les conflits, et en raison des préjudices graves qu’elles ont subi particulièrement durant la guerre civile post-décembre 2013, il est nécessaire de mettre en œuvre des mesures de réparation sexo-spécifiques adéquates en leur faveur. 1.3.2.4. – Le rôle transformatif des mesures de réparation pour les violations des droits des femmes Dans les sociétés post-conflictuelles comme le Soudan du Sud, il est important que les femmes fassent l’objet d’une attention particulière lors de la mise en œuvre des mesures de réparation. Cela s’explique non seulement par les violences sociales et économiques dont les femmes souffrent très souvent1292, mais aussi et surtout par les violences sexuelles et sexistes dont elles sont généralement victimes pendant les conflits 1293. Pourtant, aux origines de la justice transitionnelle, les femmes n’étaient vraiment pas la préoccupation première de cette pratique 1294. Pour pallier cette défaillance, depuis ces 1292 Voir par exemple Amanda Cahill-Ripley, supra note 697 à la p 209; Lucy Fiske et Rita Shackel, « Gender, Poverty and Violence: Transitional Justice Responses to Converging Processes of Domination of Women in Eastern DRC, Northern Uganda and Kenya », (2015) 51 Women's Studies International Forum 110. 1293 Voir par exemple Sara Meger, « The Fetishization of Sexual Violence in International Security », (2016) 60:1 International Studies Quarterly 149; Paul Kirby, « Ending Sexual Violence in Conflict: The Preventing Sexual Violence Initiative and Its Critics » (2015) 91:3 International Affairs 457; Baaz Maria Eriksson et Maria Stern, Sexual Violence as a Weapon of War? Perceptions, Prescriptions, Problems in the Congo and Beyond, London, New York, Nordiska Afrikainstitutet, Zed Books, 2013; Paul Kirby, « How Is Rape a Weapon of War? Feminist International Relations, Modes of Critical Explanation and the Study of Wartime Sexual Violence », (2013) 19:4 European Journal of International Relations 797; Amber Peterman, Tia Palermo et Caryn Bredenkamp, « Estimates and Determinants of Sexual Violence against Women in the Democratic Republic of Congo » (2011) 101:6 American Journal of Public Health 1060; Sara Meger, « Rape of the Congo: Understanding Sexual Violence in the Conflict in the Democratic Republic of Congo » (2010) 28:2 Journal of Contemporary African Studies 119; Ruth Seifert, « The Second Front: The Logic of Sexual Violence in Wars », (1996) 19:1-2 Women’s Studies International Forum 35; Ruth Seifert, « War and Rape: A Preliminary Analysis », dans Alexandra Stiglmayer (éd.), Mass Rape: The War Against Women in BosniaHerzegovina, Lincoln, University of Nebraska Press, 1994 aux pp 54–72. 1294 Niamh Reilly, supra note 703 aux pp 155–172. 230 dernières années, les femmes sont de plus en plus intégrées dans les procédures de justice transitionnelle et plus particulièrement dans des programmes de réparation qui répondent spécifiquement à leurs besoins. Par exemple, au Pérou, les femmes victimes de viol et les enfants nés de ces relations ont été inclus dans des programmes de réparation individuelle et collective consistant à bénéficier de soins de santé, de logement et d’éducation 1295. Aussi, les rapports des Commissions de vérité de la Sierra Leone et du Timor Leste ont tous recommandé des mesures spécifiques de réparation pour les victimes de violences sexuelles et sexistes1296. Cependant, ces réparations, quoiqu’importantes, ont du mal à apporter des changements substantiels dans la situation des femmes après les conflits. L’“approche transformative de la justice transitionnelle” vise à apporter des solutions à ce problème en allant au-delà des simples réparations matérielles ou symboliques. Elle préconise des mesures de réparation qui opèrent des transformations sociales profondes dans la condition des femmes. Selon la Déclaration de Nairobi sur le droit des femmes et des filles à un recours et à réparation du 21 mars 2007, les mesures de réintégration et de restitution mises en œuvre à la suite de conflits violents ne sont généralement pas suffisantes à elles seules pour redresser les préjudices faits aux femmes. Le rapport recommande que ces mesures puissent, « une fois le conflit terminé, susciter le redressement des injustices socioculturelles et des inégalités politiques et structurelles qui façonnent la vie des femmes et des filles »1297. Au Soudan du Sud, en particulier, les violences sexuelles et sexistes dont les femmes ont été victimes résultent de structures inégalitaires et de discriminations en vigueur bien longtemps avant les conflits 1298. Ces violences sexuelles ont été commises à la fois par des soldats de l’APLS, de l’APLS-O et par d’autres hommes faisant partie de milices non identifiés 1299. Il faudrait dès lors adopter des mesures appropriées pour résoudre les fondements structurels de ces violences afin d’assurer une transformation réelle dans la vie des femmes. Dans le contexte du Pérou, par exemple, Jelke Boesten montre qu’il existe un lien de connexité direct entre les hiérarchies de race, de genre et de 1295 Wendy Lambourne et Vivianna Rodriguez Carreon, supra note 684 à la p 81. Ruth Rubio-Marín (éd.), What happened to the women? Gender and reparations for human rights violations, Social Science Research Council, New York, 2006, cité par Ibid. 1297 Déclaration de Nairobi sur le droit des femmes et des filles à un recours et à réparation, supra note 1250. 1298 Care Emergencies, supra note 1080 à la p 3. 1299 United Nations Security Council, Rapport du Secrétaire général sur Les violences sexuelles liées aux conflits, 23 mars 2015, S/2015/203 au para 48-50. 1296 231 classe pendant les temps de paix et les violences dont les corps des femmes sont l’objet en temps de conflit1300. Dans le même sens, pour Fionnuala Ní Aoláin, le défaut de prise en compte des préoccupations des femmes est intimément lié aux structures patriarcales dans lesquelles le droit international est enchâssé depuis ses origines, notamment à travers la domination masculine et la dépendance des femmes et des enfants aux mâles1301. Dans la même ligne d’analyse, dans ses études sur les procédures judiciaires engagées devant le TPIY sur les violences sexuelles commises lors du conflit yougoslave, Kirsten Campbell est parvenue à la conclusion que les normes juridiques et les pratiques du tribunal reproduisaient et réaffirmaient les hiérarchies de genre existantes entre les hommes et les femmes 1302. Au regard de ces situations qui reflètent la condition des femmes au Soudan du Sud, les programmes de réparation doivent être conçus de sorte à opérer une transformation profonde des structures inégalitaires de genre comme le patriarcat qui violent les droits des femmes. Ils doivent être bien adaptés pour répondre aux conséquences diverses des violences surtout sexuelles faites aux femmes lors des conflits post-décembre 2013 qui peuvent être des stigmatisations, le rejet par la société, les dommages faites aux familles et aux communautés 1303. Par ailleurs, il faudrait aller audelà de la simple catégorisation des femmes en « victimes de violences sexuelles ». Des études ont montré que la soumission des femmes victimes de violences sexuelles à des procédures interrogatoires qui les assujettissent à des examens minitieux et les qualifient de « victimes de violences sexuelles » est un processus qui les traumatise davantage1304. Les expériences ont révélé que plusieurs femmes ne bénéficient pas de mesures de réparation du simple fait de leur refus de subir ce traumatisme. Wendy Lambourne et 1300 Jelke Boesten, Sexual violence in war and peace. Gender, power and postconflict justice, London, New York, Palgrave McMillan, 2014, cité par Jelke Boesten et Polly Wilding, supra note 680 à la p 78. 1301 Fionnuala Ní Aoláin, « Women, Security, and the Patriarchy of Internationalized Transitional Justice », (2009) 31:4 Human Rights Quarterly 1055 à la p 1060. 1302 Kirsten Campbell, « The Gender of Transitional Justice: Law, Sexual Violence and the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia », (2007) 1 The International Journal of Transitional Justice 411. 1303 Stephen Oola et Luke Moffett, Reparations in South Sudan: Prospects and Challenges, Reparations, Responsibility & Victimhood in Transitional Societies à la p 23, disponible en ligne sur <https://reparations.qub.ac.uk/assets/uploads/South-Sudan-Report.pdf>, consulté le 9 avril 2020. Voir aussi, de façon générale, Carlo Koos, « Sexual violence in armed conflicts: research progress and remaining gaps », (2007) 38:9 Third World Quarterly 1935. 1304 Voir par exemple Katherine Franke, « Gendered subjects of transitional justice », (2006) 15 Columbia Journal of Gender and Law 813. Karen Engle, « Feminism and its (dis)contents: Criminalizing wartime rape in Bosnia and Herzegovina », (2005) 99 The American Journal of International Law 778. 232 Viviana Rodriguez Carreon soutiennent, par exemple, qu’en limitant les réparations seulement aux femmes qui témoignent devant les Commissions de vérité, comme cela a été le cas en Afrique du Sud, au Timor Leste et au Kenya, cela a empêché plusieurs femmes qui en ont été victimes de bénéficier des mesures de réparations 1305. Les programmes de réparation doivent donc chercher à respecter l’intimité des victimes en adoptant par exemple une approche confidentielle. En outre, les auteurs soulignent que pour que les programmes de réparation soient véritablement transformatifs, ils doivent viser à résoudre les inégalités sociales existantes parmi surtout les personnes les plus vulnérables dans la société et être associés de garanties de non-répétition et de programmes de développement qui cherchent à résoudre les causes profondes des conflits1306. Ainsi, Nahla Valji soutient que les programmes de réparation pour les femmes peuvent être aussi d’ordre administratif, c’est-à-dire, consister au payement d’indemnité individuelle ou collective dans le but de réparer les injustices ou d’octroyer des soins médicaux ou psychologiques tout en assurant la confidentialité pour éviter que les femmes ne soient exposées à plus de stigmatisation 1307. Elle ajoute que les réparations collectives doivent surtout viser à corriger les discriminations, les inégalités structurelles et les injustices dont sont victimes les femmes 1308. Pour ce faire, au Soudan du Sud, il faudrait mettre en œuvre des programmes de sensibilisation, surtout des hommes, dans les villes comme dans les villages et adopter des mesures éducatives dans les écoles et à l’Université pour susciter une prise de conscience en faveur de l’égalité de genre dans la société. En outre, l’État du Soudan du Sud doit lui-même donner l’exemple en travaillant à proscrire les discriminations sur la base du sexe et à traiter tous les citoyens sur le même pied d’égalité. Les programmes à mettre en œuvre peuvent aussi être d’ordre symbolique lorsqu’ils se rapportent à l’édification de structures mémoriales ou à l’organisation de demandes de pardon officielles ou encore à l’exhumation des corps et à leur re-enterrement selon les traditions ou la culture des familles 1309. Ils peuvent également se faire en recourant à des mesures de justice sociale notamment à l’égard des 1305 Wendy Lambourne et Vivianna Rodriguez Carreon, supra note 684 à la p 82. Ibid. 1307 Nahla Valji, A window of opportunity: Making transitional justice work for women, UN Women, New York, 2è édition, 2012 aux pp 16-20. 1308 Ibid. Voire aussi ONU Femmes, 2011-2012 Le progrès des femmes dans le monde, New York, ONU Femmes, 2011 aux pp 97-98. 1309 Nahla Valji, supra note 1307 à la p 18. 1306 233 groupes vulnérables, à travers la satisfaction des droits violés comme la restitution des propriétés foncières et d’autres biens et la réalisation de projets de développement économique et social1310. Par exemple, au Soudan du Sud, les maris de plusieurs femmes ont été tués et, pour d’autres, ils ont été totalement handicapés en raison de blessures subies lors des conflits. En conséquence, plusieurs de ces femmes se retrouvent sans source de revenus pour prendre soin de leurs familles1311. De ce fait, des réparations sous formes d’indemnisation financière pourront aider ces femmes à être résilientes et à surmonter leur victimité. Pour nombre d’entre elles, une autre forme de réparation effective pourrait être la construction de centres de santé adéquats pour obtenir des soins appropriés 1312. Finalement, les programmes de réparation doivent être mis en œuvre dans une approche holistique qui recourt à des mécanismes juridiques et non juridiques pour répondre aux besoins complexes des victimes. C’est à ce titre, qu’ils pourront assurer la transformation des relations de genre inégalitaires qui ont constituées des facteurs de causalité des violences à l’encontre des femmes, avant, pendant et après les conflits 1313. L’adoption de ces mesures de réparation qui prennent en compte la condition sexospécifique des femmes en période conflictuelle et post-conflictuelle au Soudan du Sud est essentielle à une transformation véritable au sein de la société. Une telle transformation peut être aussi facilitée lorsque les populations du pays sont réconciliées entre elles. Examinons donc dans quelle mesure la réconciliation peut contribuer à la transformation du pays. 1.4. – La réconciliation des populations Selon le R-ARCSS, une des fonctions de la CVRG est de faciliter la réconciliation locale et nationale1314. Après les atrocités que le pays a connues, un tel projet est absolument nécessaire pour que le pays puisse se reconstruire. La réconciliation est une notion ancienne. Elle remonte, pourrait-on dire, à la nuit des temps, puisqu’elle répond au besoin 1310 Ibid. Stephen Oola et Luke Moffett, supra note 1303 à la p 22. 1312 Ibid. 1313 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, Rashida Manjoo, A/HRC/14/22, 22 avril 2010 au para 31. Voir aussi Jelke Boesten et Polly Wilding, supra note 677 à la p 78. 1314 R-ARCSS, supra note 771 Article 5.2.2.3.8 1311 234 impératif de toutes les communautés politiques de savoir faire la paix sur les violences du passé pour que la vie puisse continuer. Toutefois, dans l’histoire des États modernes, le concept de la réconciliation a été surtout utilisé lors des transitions politiques des années 1980 et 1990 dans les pays de l’Amérique latine et en Afrique du Sud. Dans ces sociétés qui étaient marquées par des divisions profondes dues à des conflits violents, la nécessité de la réconciliation parmi les groupes opposés était devenue un enjeu majeur de survie qui suscitait des débats parmi les acteurs politiques, religieux et de la société civile 1315. Pourtant, malgré la pertinence incontestée du concept, celui-ci demeure ambigu, complexe, et sa signification exacte est loin de faire l’unanimité1316. James L. Gibson souligne cet état de fait dans le contexte de l’Afrique du Sud post-apartheid lorsqu’il affirme que personne ne semble savoir ce que c’est que la “réconciliation”, alors que tout le monde est convaincu qu’elle a échoué ou du moins n’est pas à la hauteur des attentes 1317. Bien que le concept de réconciliation soit amibigu et équivoque, il est cependant d’une importance capitale dans les sociétés post-conflictuelles comme le Soudan du Sud caractérisé par des tensions, des divisions et des rivalités politiques et inter-communautaires importantes. En effet, sans elle, les tensions continueront et les conflits risqueront de se reproduire à tout moment. Au regard du caractère élusif de la notion de réconciliation, nous n’avons pas la prétention de lui donner une définition universelle. Nous considérons que toute entreprise de définition est forcement une esquisse compte tenu de la contextualité qui caractérise les processus de justice transitionnelle et de la complexité des besoins de justice et de réparation en faveur des populations pour parvenir à un tel résultat. Toutefois, dans une perspective heuristique, il convient de souligner quelques compréhensions du concept élaborées par certains auteurs. David A. Crocker, par exemple, considère qu’il existe au moins trois acceptions à la notion de réconciliation qui vont de la conception restrictive 1315 Nevin T. Aiken, « Rethinking Reconciliation in Divided Societies: A Social Learning Theory of Transitional Justice », dans Susanne Buckley-Zistel et al., supra note 644 à la p 39. Voir aussi Laurel E. Fletcher et Harvey M. Weinstein, supra note 668; Linda Radzik et Colleen Murphy, « Reconciliation », dans Edward N. Zalta (éd.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Fall 2019 Edition), disponible en ligne sur <https://plato.stanford.edu/archives/fall2019/entries/reconciliation/>, consulté le 15 septembre 2015. 1316 James Hughes et Denisa Kostovicova, « Introduction: Rethinking Reconciliation and Transitional Justice After Conflict », (2018) 41:4 Ethnic and Racial Studies 617 à la p 618. Voir aussi, de façon Générale, Carol A. L. Prager et Trudy Govier (éds.), Dilemmas of Reconciliation: Cases and Concepts, Waterloo (Ontario), Wilfrid Laurier University Press, 2000. 1317 James L. Gibson, « Does Truth Lead to Reconciliation? Testing the Causal Assumptions of the South African Truth and Reconciliation Process », (2004) 48:2 American Journal of Political Science 201 à la p 202. 235 (“thin”) à la conception large (“thick”). Il soutient qu’au niveau minimal, la réconciliation peut renvoyer à la « simple coexistence » dans le sens que les anciens ennemis se conforment à la loi et arrêtent de s’entretuer. La seconde acception, pour l’auteur, est que les anciens ennemis vont au-delà de la simple coexistence pour se respecter les uns les autres en tant que citoyens. Il appelle cette forme de réconciliation la « réciprocité démocratique ». Quant à la troisième acception qui est large, il l’associe à la notion de pardon et de miséricorde au lieu de la justice, de vision et de guérison commune, voire même d’harmonie. Il lie cette forme de réconciliation à la notion d’Ubuntu de Desmond Tutu qu’il critique comme étant trop idéaliste 1318. Il est évident que dans les sociétés postconflictuelles, généralement, l’acception restrictive est plus facile à atteindre que celle large. Pour Elin Skaar, la réconciliation pourrait être aussi appréhendée comme un but ou comme un processus ou les deux à la fois 1319. Pour ce faire, il1320 se réfère à Susan Dwyer qui considère que « reconciliation is fundamentally a process whose aim is to lessen the sting of tension: to make the sense of injuries, new beliefs, and attitudes in the overall narrative context of a personal or national life » 1321. La réconciliation se présente dès lors comme une procédure qui vise à instaurer la concorde et l’harmonie entre les parties à travers une transformation de leurs relations conflictuelles. Par ailleurs, Jonathan Sisson définit le cadre conceptuel de la réconciliation après un épisode douloureux dans la vie d’une société comme devant nécessairement reposer sur le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit aux mesures de réparation et la mise en œuvre de garanties de nonrépétition1322. Quel que soit le cadre conceptuel de la réconciliation, la question se pose de savoir comment celle-ci doit être mise en œuvre pour qu’elle contribue à une transformation effective du Soudan du Sud divisé suivant des clivages politiques et ethno-communautaires? Pour répondre à cette interrogation, nous nous référerons dans un 1318 David A. Crocker, « Punishment, Reconciliation, and Democratic Deliberation », (2002) 5:2 Buffalo Criminal Law Review 509 aux pp 525-530. Voir aussi David A. Crocker, « Reckoning with Past Wrongs: A Normative Framework », dans Carol A. L. Prager et Trudy Govier (éds.), supra note 1316 aux pp 54-55. 1319 Elin Skaar, « Reconciliation in a Transitional Justice Perspective », (2013) 1:1 Transitional Justice Review 54 à la p 65. Voir aussi Daniel Bar-Tal et Gemma H. Bennink, « The Nature of Reconciliation as an Outcome and as a Process », dans Yaacov Bar-Siman-Tov (éd.), From conflict resolution to reconciliation, New York, Oxford University Press, 2004 aux pp 11-38. 1320 Elin Skaar, supra note 1319 aux pp 65-66. 1321 Susan Dwyer, « Reconciliation for Realists », dans Carol A. L. Prager et Trudy Govier (éds.), supra note 1316 aux pp 54-55. 1322 Jonathan Sisson, « A Conceptual Framework for Dealing with the Past », (2010) Politorbis, No 50 aux pp 12-16. 236 premier temps à Elin Skaar qui soutient que chacun des types de réconciliation peut se faire soit au niveau individuel entre une victime et son agresseur ou au soit au niveau sociétal ou national en impliquant toutes les composantes de la société 1323. Pour ce faire, nous renvoyons à Nevin T. Aiken qui propose l’idée d’une approche d’« apprentissage sociale » entre les parties opposées à travers une redéfinition des normes sociales antagoniques par de nouvelles plus conciliantes 1324. Pour lui, la période consécutive à des conflits de masse, est une opportunité unique de transformation pour la réconciliation. En effet, souligne-t-il, ce moment est l’occasion où les anciens adversaires ont l’opportunité de réfléchir sur les violences du passé, de remettre en cause leurs perceptions du réel afin de rédéfinir leurs relations futures. Les mécanismes de résolution des conflits mis en place doivent donc servir de propulseurs dans le but de conduire les anciens ennemis à un état de réconciliation et de paix durable. Dans cette perspective, Aiken propose trois formes d’apprentissage social. Il s’agit tout d’abord de l’« apprentissage instrumental » qui consiste à utiliser les dispositifs existants pour engager les parties opposées à une collaboration et à un dialogue qui aboutissent à la transformation des relations conflictuelles; ensuite, il y a l’« apprentissage socioémotionnel » qui s’appréhende comme une procédure à travers laquelle les émotions négatives du passé sont confrontées à travers la justice et la vérité pour qu’elles ne fassent pas obstacle à la réconciliation; et enfin, l’« apprentissage distributive » qui consiste à adopter des mesures qui visent à transformer les inégalités sociales structurelles à la racine des oppositions 1325. L’ensemble de ces approches d’« apprentissage social » proposé par Aiken indique que la réconciliation est un processus holistique qui doit nécessairement intégrer plusieurs variables. Pour que celle-ci soit durable et transformatrice, il faudrait qu’elle soit fondée sur la réparation des injustices structurelles politiques, sociales et économiques 1326. Dans cette optique, l’“approche transformative de la justice transitionnelle” qui a comme objectif principal la consolidation de la paix cherche à prendre en compte les attentes des 1323 Elin Skaar, supra note 1319 aux pp 66-68. Nevin T. Aiken, supra note 1315 à la p 42. Voir aussi Yaacov Bar-Siman Tov, « Dialectics between Stable Peace and Reconciliation », dans Yaacov Bar-Siman Tov (éd.), From Conflict Resolution to Reconciliation, Oxford, Oxford University Press, 2004 aux pp 61-80. 1325 Nevin T. aiken, supra note 1315 aux pp 43-57. Voir aussi Arie Nadler, Thomas E. Malloy et Jeffrey D. Fisher, « Intergroup Reconciliation: Dimensions and Themes », dans Arie Nadler, Thomas E. Malloy et Jeffrey D. Fisher (éds.), Social Psychology of Intergroup Reconciliation, Oxford, Oxford University Press, 2008 aux pp 3-12. 1326 Luc Huyse, « Theory and Practice », dans Grainne Kelly et Brandon Hamber (éds.), Reconciliation: Rhetoric or Relevant? Belfast, Democratic Dialogue, 2005 à la p 10. 1324 237 communautés locales, ainsi que la relation entre la gestion des crimes passés et l'édification de la paix et de la réconciliation pour le futur1327. La paix dont il est question, n’est pas seulement négative (absence de violence physique), mais elle est aussi et surtout positive (présence de justice sociale) 1328. Pour ce faire, l’approche conceptualise la réconciliation non pas comme déroulant du haut vers le bas (“top down”) à travers les acteurs étatiques, mais surtout en tant que processus inclusif et participatif procédant du bas vers le haut (“bottom up”) et intègrant toutes les couches sociales dans les négociations et discussions en vue de trouver des solutions idoines aux défis et enjeux nationaux1329. Aussi, la réconciliation doit-elle se faire en adoptant des mesures de conciliation à la fois aux niveaux individuel et national et en mettant en œuvre des mesures de réintégration des auteurs des crimes 1330. Ce faisant, la réconciliation se rapporte au concept de transformation des conflits élaboré par John Paul Lederach pour qui l’expression renvoie à un processus continu de transformation d’une situation négative à une autre caractérisée par des relations, des attitudes et des structures positives 1331. Cependant, dans le contexte du Soudan du Sud caractérisé par des crimes de masse, pour que la réconciliation dure, il est nécesssaire qu’elle soit accompagnée de la guérison des populations. Dans la section qui suit nous analyserons comment une telle guérison peut être mise en œuvre dans le but de contribuer à la transformation du pays. 1.5. – La guérison des populations Le R-ARCSS souligne qu’une des fonctions de la CVRG est de favoriser la guérison locale et nationale1332. La guérison, qu’elle soit physique, émotionnelle ou mentale n’est cependant pas a priori une question d’ordre juridique. Elle est une question médicale, psychothérapeutique voire psychiatrique. Toutefois, après la perpétration d’atrocités à grande échelle comme au Soudan du Sud et les divisions et ressentiments qui en ont 1327 Voir Wendy Lambourne, supra note 644 aux pp 19-22. Johan Galtung supra note 691. 1329 Christopher D. Zambakari « Conceptualizing Reconciliation in Transitional Processes », (2018) 30:3 Peace Review 373 à la p 379. 1330 Alfred Allan et Marietjie Allan « The South African Truth and Reconciliation Commission as a Therapeutic Tool », (2000) 18 Behavioral Sciences and the Law 459 à la pp 463-465. 1331 John Paul Lederach, « Conflict Transformation in Protracted Internal Conflicts: The Case for a Comprehensive Framework », dans Kumar Rupesinghe (éd.), Conflict Transformation, New York, St. Martins Press, Basingstoke, Macmillan, 1995 aux pp 201-222; John Paul Lederach, The Little Book of Conflict Transformation, Intercourse, PA, Good Books, 2005. 1332 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.2.3.8 1328 238 résulté, il est absolument indispensable que les dispositifs de justice transitionnelle prennent en compte dans leur “boite à outils” des mesures qui visent la guérison physique et surtout émotionnelle afin d’enraciner une réconciliation durable. En effet, des études conduites par la South Sudan Law Society et le Programme des Nations Unies pour le développement en 2015 ont montré que 36 à 48% de la population du Soudan du Sud souffrent de troubles mentaux et de syndromes de stress post-traumatique (SSPT) avec une majorité de femmes victimes qui sont sceptiques quant au processus de paix 1333. Ce niveau de traumatisme est considéré comme étant caractéristique des pires zones de guerre du monde1334. Le RCEUASS admet que « le traumatisme semble être une des principales conséquences du conflit » et que la « brutalité des atrocités dont elles ont été témoins ou auxquelles elles ont survécu hante de nombreuses victimes » 1335. Dans une perspective comparative, des études effectuées au Rwanda, en Ouganda, en République Démocratique du Congo, au Kosovo et en Colombie ont montré que les personnes victimes de SSPT n’ont pas confiance aux procès comme moyens de punition des auteurs des crimes, n’ont pas une vision positive de l’avenir, mais ressentent plus de la haine et le désir de vengence1336. Dans ces constats, la guérison apparait comme absolument nécessaire si l’on veut parvenir à une réconciliation véritable. Sur le plan sanitaire, vu l’importance des besoins, le seul hôpital à même d’administrer des soins, – l’hôpital universitaire de Juba – manque de ressources suffisantes, car ne disposant que de douze lits pour les patients 1337. Par ailleurs, dans une étude commanditée par le United States Institute of Peace, Judy Barsalou soutient que les sociétés qui sortent d’une longue période de conflits, développent des comportements sociaux et politiques destructeurs. Il peut y avoir un accroissement de la prostitution, du viol, de la violence domestique, des violences entre des groupes sociaux, ethniques et politiques qui contribuent à la formation d’identités nouvelles 1338. Elle ajoute que ces maux peuvent par la suite servir 1333 Lauren C. Ng et al., « Posttraumatic stress disorder, trauma, and reconciliation in South Sudan », (2017) 52 Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology 705 à la p 705. 1334 South Sudan Law Society et United Nations Development Plan, supra note 275 à la p 23. 1335 RCEUASS, supra note 203 au para 895. 1336 Lauren C. Ng et al., supra note 1333 à la p 705. 1337 Amesty International, « “Nos cœurs se sont assombris”. Les répercussions du conflit sur la santé mentale au Soudan du Sud – extraits », London, Amesty International, 2016 à la p 3, disponible en ligne sur <https://www.amnesty.org/download/Documents/AFR6532032016FRENCH.PDF>, consulté le 21 septembre 2019. 1338 Judy Barsalou, Trauma and Transitional Justice in Divided Societies, Special report of the United Institute for Peace, Washington, DC., United Institute for Peace, 2005 à la p 4. 239 de catalyseurs à des spirales de haines et de violences interminables 1339. Dans ces conditions, la guérison des populations est absolument nécessaire au Soudan du Sud pour assurer une transformation effective de la société entière. Les mesures à mettre en œuvre doivent apporter des remèdes en particulier aux victimes des violences physiques et émotionnelles, aux personnes atteintes de SSPT et aux femmes qui ont subi des violences sexuelles et sexistes. Par exemple, dans ses études sur les violences qui ont eu lieu au Timor Leste et aux Îles Salomon, Holly L. Guthrey montrent que les Commissions de vérité jouent un rôle de guérison sur les victimes car elles constituent un forum de reconnaissance sociale de leur souffrance, qui leur permet une catharsis personnelle et qui leur donne la force pour surmonter leur victimité1340. Martha Minow abonde dans le même sens lorsqu’elle souligne la force restauratrice, réconciliatrice et de guérison de toute une nation à travers le récit de la vérité de la part des auteurs des crimes en présence de témoins et en engageant la responsabilité morale des spectateurs 1341. Toutefois, tout en reconnaissant le rôle de la CVR du Timor Leste quant à la construction de la fondation de la démocratie, Silove, Zwi et Le Touze relativisent l’impact de la commission dans la guérison de toutes les victimes des conflits dans le pays 1342. Dans une autre étude sur le pays, les auteurs soulignent la présence de victimes malades de SSPT en raison de l’impunité dont ont bénéficié plusieurs auteurs des crimes. Ils en déduisent qu’on ne peut parler de guérison d’une société postconflictuelle en ignorant le volet de la justice punitive 1343. D’autre part, Alfred Allan et Marietjie Allan soutiennent que les mesures de guérison doivent impliquer à la fois les auteurs des crimes et les survivants en tenant compte de la culture du contexte. Ils ajoutent que contrairement à l’Occident où les problèmes émotionnels sont traités par des séances de thérapie individuelle, les Africains, en général, n’acceptent pas de discuter de problèmes de cette nature, et surtout avec des étrangers1344. En raison de l’importance des normes coutumières locales au Soudan du Sud, il pourrait être nécessaire de prendre en 1339 Ibid. Holly L. Guthrey, Victim Healing and Truth Commissions Transforming Pain Through Voice in Solomon Islands and Timor-Leste, Springer, Cham Heidelberg, New York, 2015 aux pp 69-151. 1341 Martha Minow, supra note 1166 aux pp 240-255. 1342 Derrick Silove, Anthony B Zwi et Dominique Le Touze, « Do Truth Commissions Heal? The East Timor Experience », (2006) 367:9518 The Lancet 1222 à la p 1223. 1343 Dominique Le Touze, Derrick Silove et Anthony Zwi, « Can there be healing without justice? Lessons from the Commission for Reception, Truth and Reconciliation in East Timor », (2005) 3:3 Interventions 192. 1344 Alfred Allan et Marietjie Allan, supra note 1330 à la p 465. 1340 240 compte l’aspect culturel dans les travaux de la CVRG qui visent la guérison du pays. Pour cela, la composition hybride de l’institution pourrait être un avantage qui permettrait aux commissaires locaux de soutenir la prise en compte des valeurs culturelles spécifiques aux communautés locales et aux victimes directes des violences. À la suite de ces développements, il apparaît que la guérison des populations du Soudan du Sud est une nécessité pour la transformation du pays. Mais, pour ce faire, elle doit procéder d’une approche holistique qui prend en compte la complexité des besoins de justice et de réparation des victimes. Elle doit reposer sur les quatres piliers de la justice transitionnelle, à savoir, le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit aux mesures de réparations matérielles et symboliques et le droit aux garanties de nonrépétition. En outre, le processus de guérison doit être organisé de manière inclusive et participative à travers des consultations nationales qui vont du bas vers le haut en permettant aux victimes d’exprimer leurs besoins en matière de guérison. Aussi, pour qu’elle soit durable, la guérison doit chercher à apporter des réponses adéquates aux injustices et inégalités structurelles qui constituent les causes profondes des conflits. Après avoir présenté la guérison comme une des contributions de la CVRG à la transformation du Soudan du Sud, il convient d’examiner un autre avantage de ce mécanisme qui est sa capacité à susciter des réformes normatives et institutionnelles, et des programmes de reddition des comptes. 1.6. – Les recommandations de réformes et de reddition des comptes Un autre avantage reconnu aux Commissions de vérité est qu’elles permettent d’exposer les causes des violences dans le but de susciter des réformes appropriées pour que les violences ne se reproduisent plus 1345. À ce titre, le R-ARCSS souligne qu’une des fonction de la CVRG est de « make recommendations regarding possible ways of preventing recurrence » des conflits1346. Pour ce faire, elle doit « develop detailed recommendations for legal and institutional reforms to ensure non-repetition of human rights abuses and violations, breaches of the rule of law and excessive use of power » 1347. En réalisant leur mission, généralement, les Commissions de vérité recommandent dans 1345 Naomi Roht-Arriaza et Margaret Popkin, supra note 1113. R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.2.3.6. 1347 Ibid Article 5.2.2.3.7. 1346 241 leurs rapports des réformes constitutionnelles et législatives, des mesures de réparation à l’égard des victimes, des réformes institutionnelles du secteur de la sécurité et de la justice pour une meilleure protection des droits de la personne, l’adoption de nouvelles politiques économiques pour lutter contre la corruption, la prédation des ressources et pour une meilleure justice redistributive. Il faut toutefois noter que cet avantage des Commission de vérité est généralement tributaire de la réception de ces rapports par les gouvernants de la période post-conflictuelle. En effet, un rapport qui expose des vérités et fait de bonnes recommandations mais est largement marginalisé par les gouvernants n’aura pas la capacité d’impulser les réformes politiques nécessaires 1348. Au Soudan du Sud, en particulier, étant donné l’implication des hautes autorités du pays dans les violences, il y a un fort risque que les résultats de la CVRG ne soient mis dans les tiroirs surtout lorsqu’ils recommandent des réformes qui vont à l’encontre des intérêts de l’élite dirigeante. C’est pourquoi, pour que les travaux de la CVRG conduisent à des réformes substantielles, il faudrait nécessairement au préalable procéder à une large consultation de toutes les couches sociales du pays. De plus, il serait nécessaire que la communauté internationale à travers les Nations Unies, l’Union Africaine, les pays de la “Troika” (les États-Unis, la Grande Bretagne, et la Norvège)1349 et la Chine fassent pression sur les gouvernants en les poussant à mettre en œuvre des réformes transformatrices du pays1350. En effet, comme nous l’avons précédemment souligné, en raison de son histoire coloniale et conflictuelle, le Soudan du Sud se caractérise par une faiblesse générale de ses institutions à résoudre les conflits. Cette incapacité résulte du fait que, contrairement à plusieurs pays africains, au moment de son indépendance la région ne disposait point d’institutions solides à même de constituer les fondements d’un État fort 1351. De ce fait, les rivalités pour le contrôle du pouvoir politique et des ressources économiques du pays ont conduit l’élite politico-militaire à instrumentaliser les faibles institutions existantes pour assouvir leurs intérêts. Ce faisant, celles-ci sont rapidement devenues productrices de violences politiques, économiques et sociales qui ont conduit le conduit le pays dans la guerre civile post-décembre 2013. Le Soudan du Sud est ajourd’hui qualifié d’“État en 1348 Erin Daly, supra note 1159 à la p 33. Les pays de la “Troika” sont des parrains historiques et principaux bailleurs de fonds qui accompagnent le pays depuis son indépendance. 1350 Le choix de la Chine se fonde sur son poids économique et commercial dans le pays. 1351 RCEUASS, supra note 203 aux para 108-109. 1349 242 déroute”, en raison des conflits armés, de l’insécurité, de la corruption, du pillage des ressources et des violations graves des droits de la personne qui y sont commis 1352. Pour venir à bout de ces violences aux fondements structurels, la CVRG doit collaborer avec les autorités traditionnelles pour faire des recommandations légitimes de réformes institutionnelles et normatives1353. De telles mesures doivent viser à changer les institutions et normes “violentes” par de nouvelles qui favorisent la transition du pays vers la démocratie, l’État de droit et la paix durable1354. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, les réformes institutionnelles contribuent doublement à assurer une justice transitionnelle effective : elles favorisent la prévention des violations futures des droits de la personne et permettent aux institutions publiques notamment des secteurs de la sécurité et de la justice de garantir les redditions de comptes sur les violations du passé 1355. Au Soudan du Sud, alors que des réformes institutionnelles auraient dû être mises en œuvre lors de l’adoption de la Constitution Transitionnelle de 2005, le processus a été décriée par la société civile comme n’ayant pas été inclusif et clair 1356. Ce faisant, les violences structurelles, institutionnelles et normatives ont continué et ont finalement contribué au déclenchement de la guerre civile post-décembre 2013. Dans ce contexte, il faudrait que les recommandations de la CVRG visent à remplacer les institutions inéquitables, dysfonctionnelles et productrices de violences par de nouvelles plus équitables et qui jouissent d’une grande légitimité auprès des populations 1357. De même, les symboles et les normes producteurs de violence, comme par exemple la possession d’armes modernes, et le raid des femmes et des enfants doivent être abandonnés pour assurer la paix. La reddition des comptes comme contribution des Commissions de vérité se présente généralement de deux façons : il y a, d’une part, la révélation de la vérité, avec quelques fois la mention des noms des auteurs des violations des droits de la personne et 1352 Ibid au para 111. Paul Van Zyl, « Transitional Justice: Conflict Closure and Building a Sustainable Peace », (2003) Dispute Resolution Magazine 6. 1354 Guidance Note of the Secretary-General, supra note 622. 1355 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit, Assainissement : cadre opérationnel, Nations Unies, New York et Genève, 2006 à la p 3. 1356 RCEUASS, supra note 203 au para 114. 1357 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, supra note 1355 à la p 3. 1353 243 la honte publique qui pourrait en résulter et, d’autre part, les mesures de réparation et de justice restauratrice1358. Nous avons déjà mentionné le rôle que la vérité et la réparation pourraient jouer dans la transformation du Soudan du Sud. Quant à la contribution des mécanismes de justice restauratrice, elle sera présentée dans les sections qui suivent. Par ailleurs, la CVRG pourrait aussi faire des recommandations pour l’engagement de poursuites pénales à l’encontre de certains auteurs des crimes. Toutefois, de telles suggestions ne font généralement pas partie des principaux objectifs des Commissions de vérité1359. C’est probablement la raison pour laquelle le R-ARCSS se limite à souligner parmi les fonctions de la CVRG d’« identify perpetrators of violations and crimes »1360, sans aller plus loin en lui demandant de proposer des pousuites pénales à l’encontre des auteurs présumés des violations. La réforme des institutions doit aller aussi de pair avec des mesures d’assainissement des institutions. Ce processus de reddition des comptes vise à révoquer des services publics les représentants de l’État qui sont responsables des crimes commis durant les conflits 1361 et à procéder à « une évaluation de l’intégrité des personnes afin de déterminer leur aptitude à travailler dans la fonction publique » 1362. Dans le contexte du Soudan du Sud, une telle démarche peut s’avérer cependant difficile en raison de la l’implication des structures étatiques et d’une grande partie de l’élite politique et militaire dans les violences. Les personnes qui ont longtemps bénéficié des conditions préconflictuelles voudront maintenir le statut quo ante et résisteront vigoureusement à tout changement qui pourrait compromettre leurs intérêts. Malgré ces conditions difficiles, les réformes sont nécessaires, car sans elles la contruction d’un État de droit et de paix sera compromise. Il faudrait cependant nécessairement faire preuve de pragmatisme dans la mise en œuvre des réformes tout en maintenant une volonté ferme de changement1363. Il nous semble que si un tel processus réussit à évincer et à traduire en 1358 Erin Daly, supra note 1159 à la p 35. Ibid à la p 28. 1360 R-ARCSS, supra note 771 Chapitre V Article 5.2.2.3.3. 1361 Voir aussi Rapport du Secrétaire général des Nations Unies publie sur le Rétablissement de l'état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit, supra note 1094 au para 52. 1362 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, supra note 1355 à la p 3. Voir aussi Rapport du Secrétaire général des Nations Unies publie sur le Rétablissement de l'état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit, supra 1094 au para 52. 1363 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, supra note 1355 à la p 9. 1359 244 justice certains principaux auteurs des violations graves des droits de la personne, cela enverrait un signal fort sur la volonté de mettre fin à l’impunité et d’édifier un nouvel ordre politique et social fondé sur l’État de droit. L’ensemble de ces mesures doit s’inscrire dans un nouveau pacte politique et social qui pose les fondements d’un “Nouveau Soudan du Sud” de paix durable. Il doit être l’occasion de créer en chaque Sud-Soudanais le sentiment d’appartenir à un ensemble qui le transcende, à savoir l’État. Cet État doit s’appréhender comme une unité dans laquelle tous les citoyens ont une place, sont traités sur le même pied et ont une égale chance de participer à la gestion des affaires publiques. Pour ce faire, les réformes à entreprendre – ou la justice politique – doivent être accompagnées de transformations substantielles notamment des secteurs politiques et socio-économiques 1364. Elles doivent être accompagnées de la réforme des secteurs de la police, de la justice et de l’exécutif pour répondre sérieusement à la corruption 1365. Dans cette perspective, pour une plus grande légimité des nouvelles institutions, elles doivent être adoptées à travers un processus participatif et inclusif qui prend en compte les préoccupations et les besoins de tous les acteurs des conflits, de la société civile et des populations en général. Selon les Nations Unies, les procédures de consultation nationale « are a critical element of the human rights-based approach to transitional justice, founded on the principle that successful transitional justice programmes necessitate meaningful public participation, including the different voices of men and women »1366. Celle-ci appelée « dialogue nationale » a déjà été amorcée par les acteurs politiques et de la société civile. Ses objectifs se structurent autour des dix axes suivants : 1) mettre fin à toutes les formes de violence dans le pays; 2) redéfinir et rétablir une unité nationale plus forte; 3) renforcer le contrat social entre les citoyens et l’État; 4) aborder les questions de diversité; 5) convenir d'un mécanisme d'allocation et de partage des ressources; 6) résoudre les différends historiques et les sources de conflit entre les communautés; 7) préparer le terrain pour une stratégie de développement national intégrée et inclusive et pour la reprise économique; 8) convenir de mesures et de garanties pour assurer des élections 1364 Matthew Mullen, supra note 658 à la p 475. Leben Nelson Moro, supra note 236 à la p 8. Hilde F. Johnson, supra note 216 à la p 229. Steven C. Roach et Derrick K. Hudson, supra note 514. 1366 Guidance Note of the Secretary-General, supra note 622. 1365 245 sûres, libres, équitables et pacifiques et l'après-transition en 2019; 9) convenir d'une modalité pour un retour plus rapide et plus sûr des personnes déplacées et des réfugiés dans leurs foyers; 10) poursuivre la guérison, la paix et la réconciliation nationales 1367. Le R-ARCSS a pris soin de souligner l’importance de l’inclusion de la majorité des acteurs sociaux, politiques et militaires dans la gestion du nouvel État, car cette question a été une des questions qui ont contribué à l’échec de l’ARCSS1368. Il faudrait donc que l’élite sud-soudanaise continue dans ce sens et fasse de l’inclusion et de la participation des différentes composantes de la société le socle des institutions futures qui engendreront des réformes importantes et la Constitution permanente en particulier. Toutefois, en ce jour 13 février 2021, le processus de dialogue national semble être dans l’impasse. Dans un rapport du Conseil des droits de l’homme du 5 octobre 2020 intitulé « Transitional justice and accountability: a roadmap for sustainable peace in South Sudan », les Nations Unies soulignaient que deux éléments principaux empêchent la mise en oeuvre des recommandations du dialogue national amorcé en 2016: Il s’agit (1) du manque de volonté politique et (2) de l’impact du Covid-19 sur la mise en œuvre de ces mécanismes. En effet, le comité directeur du dialogue national a réuni des informations tant de l’intérieur comme de l’extérieur du Soudan du Sud en vue de l’organisation d’une conférence nationale en mars 2020. Mais, la conférence a été réportée initialement pour des raisons d’indisponibilité du Président Salva Kiir, et ensuite pour des contraintes liées à la pandémie du Covid-191369. Le R-ARCSS peut être appréhendé comme le début de l’élaboration de ce pacte national dont l’aboutissement serait l’adoption de la Constitution permanente du Soudan du Sud. La décision selon laquelle dès le début de la période pré-transitionnelle, les parties devront s’engager solennellement envers la population du pays ainsi qu’à l’égard de la communauté internationale à ne plus reprendre la guerre et à travailler collectivement pour la paix, participe à la formation de ce nouvel ordre politique 1370. Ce nouveau contrat social pourrait en outre s’inspirer de la distinction faite par Mahmood 1367 Voir les travaux de ce dialogue national en ligne sur <https://www.ssnationaldialogue.org>, consulté le 10 décembre 2019. 1368 Voir la section précédente sur l’accord-cadre de règlement de la crise politique. 1369 Human Rights Council, Transitional justice and accountability: a roadmap for sustainable peace in South Sudan, A/HRC/45/CRP.4, October 5, 2020. 1370 R-ARCSS, supra note 771 Article 1.4.2. 246 Mamdani entre identité politique et identité culturelle 1371. Pour l’auteur, le régime colonial indirect a non seulement divisé les populations colonisées en autochtones et nonautochtones, mais elle a aussi divisé les autochtones eux-mêmes en plusieurs groupes ethniques, en “fabriquant” pour chacun d’eux un “droit coutumier”1372. Ce faisant, ce contexte de pluralisme juridique fondé sur plusieurs identités culturelles a engendré des identités politiques correspondantes1373. Les discriminations subséquentes introduites par le régime colonial sont à la base des tensions dont l’instrumentalisation politique a conduit aux violences. Toutefois, il ne faudrait pas considérer comme irréversibles les tensions interethniques d’origine coloniale, en particulier l’opposition Dinka-Nuer, en ignorant les relations interethniques complexes dues aux mariages entre les groupes ethniques, aux processus de médiation et de restauration comme modes de résolution des conflits, au commerce etc. 1374. De plus, l’historien Douglas H. Johnson soutient que la présentation des Nuer dans les études antérieures comme étant par nature belliqueux relèverait plus du « stéréotype » que d’une réalité empirique1375. Quoi qu’il en soit, le pacte politique et social du “Nouveau Soudan du Sud” devra chercher à corriger les structures historiques injustes qui sont sources de division, de haine et de conflit. Pour ce faire, la question de la domination des Dinka dans l’administration publique du pays1376 doit être sérieusement examinée par la CVRG1377. La diversité ethnique et culturelle qui caractérise le Soudan du Sud doit nécessairement se refléter dans les institutions de l’État. Le Soudan du Sud post-conflictuel en construction ne doit pas être dominé par une seule 1371 Mahmood Mamdani, When Victims Become Killers: Colonialism, Nativism, and the Genocide in Rwanda, Princeton et Oxford, Princeton University Press, 2001 aux pp 19-39. 1372 Ibid. Voir également Martin Chanock, supra note 397 à la p 4 et s. Sally Engle Merry, supra note 400 à la p 572. 1373 Mahmood Mamdani, supra note 1363 aux pp 19-39. 1374 Reliefweb, South Sudan Protection Cluster, Macro Analysis of Conflict in South Sudan, August 2014, disponible en ligne sur <https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Macro%20Analysis%20of%20Conflict%20in%20South%20Su dan%20SSPC%20August%202014.pdf>, consulté le 17 avril 2019. 1375 Douglas H. Johnson, « The Fighting Nuer: Primary Sources and the Origins of a Stereotype », (1981) 51:1 Africa 508. 1376 Voir International Crisis Group, supra note 294 à la p 13. 1377 En effet, depuis 2011 déjà, les analystes de la Society for International Development (SID) pour le Greater Horn of East Africa (GHEA) mettait le doigt sur le problème en ces termes: « In the South, the very strong sense among the people is that the SPLM government represents Dinka hegemony, dominated by a tribe with a sense of entitlement and equipped with the guns to enforce their domination. The Dinka are seen by others as the ‘new oppressors.’ There is a strong perception that the SPLM which runs government, is Dinka-dominated, leading to significant unhappiness among the other communities. A large measure of Dinka magnanimity is needed to assure them of fair and equitable representation and access to public resources (including funds and jobs). Voir à ce titre, Society for International Development, « Juba: Fears of Dinka Domination Drive Rebel Action and Threaten Long-term Stability », disponible en ligne sur <https://www.sidint.net/content/juba-fears-dinka-domination-drive-rebel-action-and-threaten-long-termstability>, consulté le 16 avril 2019. 247 ethnie, celle-ci fut-elle majoritaire. En effet, en raison de l’histoire coloniale et postcoloniale du pays marquée par l’exploitation et l’oppression, et face à laquelle les populations du Soudan du Sud ont résisté jusqu’à l’indépendance, toute tentative de domination d’un groupe sur les autres pourrait donner lieu à des oppositions qui peuvent engendrer des violences. Le Soudan du Sud doit donc veiller à bâtir une identité nationale qui réflète la diversité de ses groupes ethno-culturels. Toutes les communautés avec leur mode de vie distincts et leurs droits coutumiers singuliers doivent avoir la possibilité de participer, sur le même pied d’égalité, aux affaires politiques et contribuer au développement du pays. Pour ce faire, en plus du projet de construction de l’État, les acteurs politiques, civils et militaires doivent mettre au centre de leur agenda la construction de la nation. Alors que la construction de l’État requiert principalement la sécurité des biens et des personnes, le développement de l’économie et des institutions étatiques, la construction de la nation nécessite une politique nationale qui promeut l’appartenance à un ensemble qui transcende les particularismes ethniques et régionaux, et qui prône l’unité nationale1378. Pour que cette dernière puisse se matérialiser, le GoSS doit veiller à mettre fin au tribalisme, au népotisme et au régionalisme en recrutant les agents de la fonction publique sur la base du mérite. S’il doit, il lui faudra recourir à la discrimination positive que ce soit pour une meilleure représentation des différents groupes sociaux dans les organes de l’État. L’élite politique et militaire du pays doit donner le meilleur exemple en faisant preuve d’intégrité et de probité dans leur gestion des ressources de l’État. En d’autres termes, elle doit mettre au-dessus des intérêts personnels, partisans et tribaux, l’intérêt supérieur de la nation. Après cette présentation de la contribution des réformes et des redditions des comptes à la transformation du Soudan du Sud, il faut noter que les Commissions de vérité et de réconciliation, en général, possèdent aussi la capacité de contribuer substantiellement à la transformation démocratique des sociétés post-conflictuelles. Nous analyserons dans la section suivante comment cela peut se faire au Soudan du Sud. 1378 Jok Maduk Jok, supra note 219 à la p 4. 248 1.7. – La transformation démocratique du Soudan du Sud La CVRG, à travers les fonctions qui lui sont dévolues, pourrait contribuer à la transformation démocratique du Soudan du Sud de diverses façons. En révélant la vérité historique, en contribuant à la guérison et à la réconciliation des populations, en éduquant la société sur les causes des violences et en suscitant des réformes institutionnelles et normatives, les CVR, en général, participent à l’émergence de la démocratie dans les sociétés post-conflictuelles 1379. Le principal argument de la contribution des CVR est qu’une “démocratie de qualité” ne peut être fondée sur le mensonge sur les méfaits du passé1380. Ceux-ci doivent être révélés pour entrainer la reddition des comptes, des mesures de réparations pour les victimes afin de susciter la confiance et l’engagement civique des populations envers les institutions étatiques. Dans cette optique, le processus de la démocratie délibérative apparaît comme la meilleure voie. Celle-ci peut se définir comme le droit des citoyens de participer aux processus de prise de décisions en contestant les mesures prises par les gouvernants en leur nom et en proposant d’autres qui répondent véritablement à leurs besoins 1381. C’est ce qu’ont fait, par exemple, les Commissions de vérité du Pérou et de l’Afrique du Sud. Au Pérou, la Commission de vérité, conçue comme une instance démocratique délibérative, a organisé ses auditions et ses entrevues publiques suivant un processus démocratique qui donnait la voix aux communautés marginalisées du passé1382. De même, en Afrique du Sud, la TRC conçue comme un forum de délibérations publiques a favorisé la révélation de la vérité scientifique et subjective en permettant une catharsis à la fois des victimes de l’apartheid, des responsables de la politique de répression et des personnes qui ont profité du régime de représsion1383. Dans ces contextes, en permettant aux victimes d’exprimer leurs souffrances et en recevant les aveux des auteurs de violences, de façon publique, les Commissions de vérité ont ainsi contribué à renforcer dans ces pays la construction démocratique dans laquelle la participation citoyenne est essentielle. 1379 David Mendeloff, supra note 1213. Elin Skaar et Camila Gianella, « Transitional Justice Alternatives: Claims and Counterclaims », dans Elin Skaar, Camila Gianella et Trine Eide, (éds.), supra note 1023 à la p 9. 1381 Amy Gutmann et Dennis Thompson, « The Moral Foundations of Truth Commissions », dans Robert I. Rotberg et Dennis Thompson, (éds.), supra note 634 aux pp 35-36. 1382 Sandrine Lefranc, supra note 629 à la p 6. 1383 Ibid. Voir aussi Sandra Young, supra note 1164 aux 153-157. 1380 249 Toutefois, comme nous l’avons précédemment souligné, au Soudan du sud, il faudrait être prudent quant au rôle de la vérité comme instrument de transformation sociale, et donc comme agente de démocratisation. La vérité pourrait avoir un impact faible si non négligeable dans le pays si les gouvernants ont des ambitions autocratiques et des projets de prédation des ressources1384. Il a été soutenu qu’en raison des traumatismes que certaines victimes expérimentent durant les conflits, leur participation aux audiences des CVR pourrait aggraver leur traumatisme et leur santé mentale 1385. Dans ces conditions la CVRG pourrait même compromettre la réconciliation et la paix. Snyder et Vinjamuri soulignent dans ce sens que les CVR peuvent seulement consolider la démocratie lorsqu’elles opèrent dans des contextes où les gouvernants post-conflictuels sont des partisans de la démocratie et que les institutions de l’État sont déjà assez fortes. Ils ajoutent que si tel n’est pas le cas, les CVR peuvent accroître les tensions sociales 1386. En outre, les CVR peuvent aussi contribuer à la transformation démocratique à travers les mesures de réparations matérielles et symboliques qu’elles mettent en œuvre. Ces mesures étant au cœur des processus de consolidation de la paix, elles expriment aux yeux des victimes l’engagement des gouvernants en faveur de la transformation politique et sociale1387. Elles montrent aux victimes qu’une certaine justice a été rendue. De plus, si elles sont bien conduites selon les Principes fondamentaux et directives à la fois sous forme de restitution, d’indemnisation, de réhabilitation, de satisfaction et de garanties de non-répétition1388, les réparations donnent une image de justice qui peut avoir indirectement un impact fort sur la démocratie par la confiance qu’elles créent entre les populations et les institutions de l’État1389. Qui plus est, pour que la CVRG puisse contribuer à la démocratie dans le contexte fortement polarisé du Soudan du Sud, il faudrait qu’elle prête une attention particulière aux zones grises entre perpétrateurs de crimes et victimes 1390. En effet, tant dans les conflits politiques entre Salva Kiir et Riek 1384 Elin Skaar et Camila Gianella, supra note 1380 à la p 9. Lisa J. Laplante et Kimberly Theidon, « Truth with Consequences: Justice and Reparations in Post- Truth Commission Peru », (2007) 29:1 Human Rights Quarterly 228 à la p 237. 1386 Jack Snyder et Vinjamuri Leslie, « Trials and Errors: Principle and Pragmatism in Strategies of International Justice », (2003) 28:5 International Security 5 à la p 20. 1387 García- Godos, Jemima et Chandra Lekha Sriram, « Introduction », dans Chandra Lekha Sriram et al., supra note 25 à la p 11. 1388 Principes fondamentaux et directives, supra note 1182. 1389 Elin Skaar et Camila Gianella, supra note 1380 à la p 11. 1390 Ibid à la p 10. 1385 250 Machar que dans les violences inter-communautaires instrumentalisés par les politiciens, il ne faudrait pas considérer victimes et auteurs de violence comme des groupes homogènes et distincts, mais il faudrait prendre en compte l’agencéité politique de ces acteurs pour assurer une meilleure transformation sociale du pays. Par ailleurs, en plus des fonctions importantes que la CVRG pourrait jouer dans la transformation du Soudan du Sud, en raison du contexte de pluralisme culturel et normatif du pays, il faudrait aussi accorder une place importante aux juridictions traditionnelles dans l’administration de la justice et des réparations. En effet, en dépit des faiblesses propres à ces instances informelles, elles possèdent de fortes capacités de transformation sociale que nous proposons d’examiner dans la section suivante. 2.– Le rôle des systèmes de justice traditionnelle dans la transformation du Soudan du Sud L’utilisation des systèmes de justice traditionnelle pour répondre aux crimes remonte sans doute à la nuit des temps. Toutefois, les travaux de recherche de l’anthropologue Bronislaw Malinowski publiés en 1926 dans son ouvrage intitulé Crime and Custom in Savage Society1391 ont été les premiers à jeter la lumière sur le fait que le droit dépend essentiellement de la culture et répond à des logiques qui lui sont propres1392. Sur ce fondement, Melville Hershovitz considérait en 1948 au nom de l’American Anthropological Association (AAA), que les droits inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ne pouvaient prétendre à l’universalité au regard des fondements culturels, idéologiques et politiques qui les sous-tendent, mais reposaient plutôt essentiellement sur des présupposés judéo-chrétiens occidentaux1393. Depuis cette période, la doctrine du relativisme culturel s’est posée comme une critique du discours de l’universalisme des droits de la personne 1394. Le rôle des systèmes de justice 1391 Bronislaw Malinowski, Crime and Custom in Savage Society, New York, Harcourt, Brace & company, inc.; 1926. Ses études ont constitué de base à des études d’autres anthropologues comme par exemple Laura Nader, The ethnography of law, Menasha, Wisconsin, American Anthropological Association, 1965; Sally Falk Moore, Social Facts and Fabrications: "Customary" Law on Kilimanjaro, 1880-1980, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1986; Steward Macaulay, Lawrence M. Friedman et Elizabeth Mertz, Law in Action: A Socio-Legal Reader, New York, Foundation Press, 2007. 1392 Confère Alexander Betts, supra note 9 à la p 737. 1393 Diana J. Fox, « Women’s Human Rights in Africa: Beyond the Debate over Universalism or Relativy of Human Rights », (1998) 2:3 African Studies Quarterly 3 à la p 7. 1394 Voir, entre autres, Marie-Bénédicte Dembour, supra note 23 aux pp 27-29. John J. Telly, « Cultural Relativism », (2000) 22 Human Rights Quarterly 501, en particulier, fait une revue des différentes conceptions du relativisme 251 traditionnelle comme mécanismes de justice post-conflictuelle peut être situé dans le cadre de ce débat. Ces systèmes ont commencé à faire l’objet d’une institutionalisation comme devant faire partie des outils à mobiliser pour répondre à l’héritage des crimes de masse perpétrés dans les sociétés post-conflictuelles surtout à partir du milieu des années 19901395. Ils font suite aux critiques de la justice transitionnelle considérée comme étant une justice élitiste ou des experts procédant “d’en haut” dans son projet de résolution des conflits, alors qu’elle devrait être “locale” ou administrée “d’en bas” par les communautés directement victimes des violences1396. En outre, il faut noter que les pays de l’Amérique latine dans lesquels la justice transitionnelle a donné lieu à des transitions paradigmatiques vers la démocratie, étaient pour la plupart parvenus à un certain niveau d’encrage institutionnel où le droit étatique arrivait à résoudre la plupart des différends sociaux1397. Ce qui n’était toutefois pas le cas pour de nombreux États postcoloniaux d’Afrique sub-saharienne comme par exemple le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, la Sierra Leone, la République démocratique du Congo et, plus particulièrement, le Soudan du Sud caractérisés, au moment de leur indépendance, par la faiblesse institutionnelle de l’État et une grande importance des normes traditionnelles comme instruments de régulation sociale. Dans ces contextes, à défaut d’un droit étatique bénéficiant d’une grande légitimité, le recours aux systèmes informels de justice traditionnelle se présentait comme une nécessité. Ainsi, dans son rapport de 2004, le Secrétaire général des Nations Unies recommandait pour la première fois de prendre en considération les répertoires juridiques non étatiques dans l’administration de la justice dans les pays sortant de conflits violents1398. Ce faisant, alors que ces normes étaient naguère considérées comme des culturel. 1395 Tim Allen et Anna Macdonald, « Post-Conflict Traditional Justice: A Critical Overview », (2013) 3 The Justice and Security Reasearch Programme Paper 1 à la p 1. 1396 Voir par exemple Everisto Benyera, Indigenous, Traditional, and Non-State Transitional Justice in Southern Africa: Zimbabwe and Namibia, Rowman and Littlefield, New York, 2019; Rosalind Shaw, Lars Waldorf et Pierre Hazan (éds.), supra note 22; Patricia Lundy et Mark McGovern, « Whose Justice? Rethinking Transitional Justice from the Bottom Up » (2008) 35:2 Journal of Law and Society 265. 1397 Pablo de Greiff, « Some Thoughts on Transitional Justice », (2013) Middle & East-North Africa e-bulletin N°4 à la p 2, disponible en ligne sur <https://www.apt.ch/content/files_res/mena_bulletin04_en-1.pdf >, consulté le 14 novembre 2019. 1398 Rapport du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de sécurité sur le Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, supra note 1094 au para 7-8 et 36. Voir, également, Ronald Janse, « A Turn to Legal Pluralism in Rule of Law Promotion », (2013) 6:3/4 Erasmus Law Review 181 aux pp 184-185. 252 obstacles au développement, des organisations internationales comme la Banque mondiale, l’United States Institute for Peace, l’International Development Law Organisation, Open Society Justice Initiative et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ont commencé à les prendre au sérieux dans les projets de développement et de consolidation de la paix 1399. Il en a résulté la publication ces dernières années de nombreux ouvrages et rapports sur la question du pluralisme juridique1400. Mais, malgré l’abondance de ces études, il existe encore de la méfiance visà-vis des normes traditionnelles. Dans la plupart des pays africains où elles sont reconnues, elles sont subordonnées aux droits fondamentaux protégés par la Constitution1401, et dans certains cas, elles doivent, en plus, faire l’objet d’une transcription écrite (ascertainment) pour qu’on puisse surveiller sa conformité avec le droit étatique1402. Au Soudan du Sud, des procédures de transcription 1403 des normes coutumières de plusieurs communautés ethnoculturelles sont déjà en cours dans le but de les harmoniser avec la Constitution Transitionnelle du Soudan du Sud (CTSS) et le droit international des droits de la personne1404. Si ces projets se justifient selon leurs initiateurs par les raisons ci-dessus évoquées, il faudrait aussi noter que la transcription de ces normes risque de les rendre rigides en leur enlevant leur flexibilité qui est l’une de leur principale caractéristique. Dans tous les cas, au regard du fait de l’impossibilité de la justice pénale à rendre justice dans les sociétés post-conflictuelles caractérisées par des crimes de masse, il est, de plus en plus, admis qu’il faudrait recourir aux systèmes de 1399 Ronald Janse, supra note 1398 aux pp. 183-185. On peut citer, entre autres, les ouvrages ci-après: Brian Z. Tamanaha, Caroline Sage et Michael Woolcock, supra note 398; Deborah H. Isser (éd.), supra note 350; Erica Harper (éd.), Working with Customary Justice System: PostConflict and Fragile States, Italy, International Development Law Organization, 2011. 1401 C’est le cas par exemple des articles 280 et 281 de la Constitution du Zimbabwe de 2013; de l’article 166 de la CTSS de 2011; des articles 30 et 31 de la Constitution Finale de l’Afrique du Sud de 1996; de l’article 66 de la Constitution de la République de la Namibie de 1997. 1402 C’est le cas par exemple de la Namibie, voir l’article 102 (V) de la Constitution de la République de Namibie de 1997 et le Council of Traditional Leaders Act, 1997 (No. 13 de 1997). 1403William Tate Olenasha et al., In Search of a Working System of Justice for a New Nation: The Ascertainment of Customary Laws of the Toposa, Lokuto (Otuho), Lango and Lopit Communities of the Eastern Equatoria State of South Sudan, South Sudan: United Nation Development Program (UNDP) South Sudan Serie 1, Volume 1, 2012. William Tate Olenasha et al., In Search of a Working System of Justice for a New Nation: The Ascertainment of Customary Laws of the Balanda Bviri, Bongo, Ndogo and Mundari Communities of the Western Bahr El Ghazal and Central Equatoria States of South Sudan, South Sudan, United Nation Development Program (UNDP) South Sudan, Serie 1, Volume 2, 2012. William Tate Olenasha et al., In Search of a Working System of Justice for a New Nation: The Ascertainment of Customary Laws of the Avukaya, Moru, Baka, Wa’di and Jur-Bel Communities of the Western Equatoria and Lakes State of South Sudan, South Sudan, United Nation Development Program (UNDP) South Sudan, Serie 1, Volume 3, 2012. 1404 Voir Tiernan Mennen, The Study on the Harmonization of Customary Laws and the National Legal System in South Sudan, South Sudan United Nations Development Program (UNDP) South Sudan, 2016. 1400 253 justice traditionnelle comme compléments des autres dispositifs de justice. Ainsi, par exemple, Roth-Arriaza soutient que la justice transitionnelle doit faire l’objet d’une approche intégrée qui privilégie non seulement les mécanismes juridiques pour traiter le passé, mais qui associe aussi d’autres dispositifs, dont notamment la culture, dans le cadre d’une démarche plurielle de la justice 1405. Dans cette perspective, quel rôle faut-il accorder aux systèmes de justice traditionnelle du Soudan du Sud dans le processus de la mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle”? Il convient de préciser que malgré les nombreux appels à prendre en considération ces systèmes informels dans l’administration de la justice dans les sociétés post-conflictuelles, ils soulèvent des controverses importantes qu’il convient d’examiner. Nous présenterons tout d’abord ces controverses (2.1), avant d’examiner le rôle que ces systèmes informels de justice peuvent jouer dans la transformation du Soudan du Sud (2.2). 2.1. – Les controverses sur les systèmes de justice traditionnelle Les débats sur les systèmes de justice traditionnelle se rapportent, d’une part, au fonctionnement de ces juridictions dans l’administration de la justice post-conflictuelle. Nous présenterons ces polémiques à la fois au niveau général et au niveau particulier du Soudan du Sud (2.1.1). Ces controverses portent, d’autre part, sur l’aptitude des systèmes informels de justice à répondre effectivement aux crimes internationaux (2.1.2). 2.1.1. – Les polémiques sur le fonctionnement des juridictions traditionnelles Dans les États caractérisées par le pluralisme juridique classique, comme c’est le cas du Soudan du Sud, plusieurs modalités d’interactions avec les répertoires juridiques informels peuvent exister. Brynna Connolly définit quatre façons par lesquelles les États organisent cette relation : l’abolition des répertoires informels, leur incorporation dans le droit étatique, leur autonomie sous la tutelle du droit étatique, ou leur reconnaissance comme des foyers normatifs complètement séparés du droit étatique 1406. Miranda Forsyth, de son côté, distingue sept modes d’interaction avec les ordres normatifs informels, qui vont de leur suppression à leur incorporation complète dans le droit 1405 Naomi Roth-Arriaza, supra note 662 à la p 4. Brynna Connolly, « Non-State Justice Systems and the State: Proposals for a Recognition Typology », (2005) 38:2 Connecticut Law Review 239. 1406 254 étatique1407. Dans ces conditions, la première controverse que soulèvent les systèmes de justice traditionnelle ou informelle est que même lorsqu’ils sont théoriquement reconnus comme séparés du droit étatique, ces systèmes sont très souvent influencés par l’État, surtout dans les situations de violations graves des droits de la personne. En effet, en dépit de leur dénomination “traditionnel”, les États ont généralement tendance à s’interférer dans ces systèmes informels de justice1408. Rosemary Nagy met en exergue cet état de fait lorsqu’elle soutient que dans la mise en œuvre de la justice traditionnelle, non seulement, le droit est intimément lié à la politique, mais aussi, cette justice est l’objet de « forces centralisatrices » de la part des acteurs internationaux et de l’État1409. Luc Huyse et Mark Salter soulignent aussi que puisque les mécanismes de justice traditionnelle dépendent du contexte culturel, ethnique ou religieux dans lequel ils sont mis en œuvre, ils peuvent faire l’objet d’une utilisation politique dans le but de soustraire certaines personnes de leur responsabilité1410. Un exemple de cette immixtion serait le cas des tribunaux gacaca du Rwanda. Des auteurs ont souligné comment le pouvoir rwandais aurait utilisé ces tribunaux pour contrôler les processus de justice et de réconciliation au niveau national1411. Toutefois, d’autres auteurs ont avancé une situation plus complexe en soutenant que les gacaca n’étaient pas entièrement homogènes, mais qu’il arrivait que les populations les instrumentalisent en fonction de leur intérêts1412. Dans le contexte particulier du Soudan du Sud, les normes traditionnelles ne sont pas totalement distinctes de l’État. S’inscrivant dans une situation de pluralisme étatique, elles sont reconnues par le droit formel de l’État qui organise le fonctionnement des systèmes coutumiers de justice1413. De plus, comme nous l’avons précédemment souligné, en raison de leur nature 1407 Voir Miranda Forsyth, « A Typology of Relationship Between State and Non-State Justice Systems », (2007) 56 Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law 67 à la p 70. 1408 Tim Allen et Anna Macdonald, supra note 1395 à la p 9. 1409 Rosemary Nagy, supra note 25 à la p 82. 1410 Luc Huyse et Mark Salter (dir.), Justice traditionnelle et réconciliation après un conflit violent : la richesse des expériences africaines, Strömsborg, Stockholm, International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA), 2009 à la p 189. 1411 Voir par exemple Jennie E. Burnet, « (In)Justice: Truth, Reconciliation, and Revenge in Rwanda's Gacaca », dans Alexander Laban Hinton (éd.), Transitional Justice: Global Mechanism and Local Realities after Genocide and Mass Violence, New Brunswick, New Jersey, London, Rutgers university Press, 2010 aux pp 103-114; Bert Ingelaere, « Does the Truth Pass Across the Fire Without Burning Locating the Short Circuit in Rwanda’s Gacaca Courts », (2008) 47:4 Journal of Moderne African Studies 507; Lars Waldorf, « Mass Justice for Mass Atrocity: Rethinking Local Justice as Transitional Justice », (2006) 79:1 Temple Law Review 1. Eugenia Zorbas, « Reconciliation in Post-Genocide Rwanda », (2004) 1:1 African Journal of Legal Studies 29. 1412 Phiplip Clark, The Gacaca Court, Post-Genocide Justice and Reconciliation in Rwanda: Justice Without Lawyers, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, cité par Tim Allen et Anna Macdonald, supra note 1395 à la p 10. 1413 Voir, notamment, les Sections 12, 19, 22, 97 et 98 du Local Government Act de 2009 ; les Articles 174 et 175 de la 255 propre, ces normes ne sont totalement “traditionnelles” ou “coutumières”, mais elles se caractérisent par leur hybridité1414. En outre, les juridictions étatiques ont chaque fois la possibilité de modifier les normes traditionnelles à travers les appels interjetés par les parties devant les juridictions de droit étatique formel. De plus, les programmes de transcription et d’harmonisation des droits coutumiers en vue de les rendre conforme aux droits fondamentaux garantis par la CTSS participent aussi à cette politique d’inspection des systèmes de justice traditionnelle afin de les mettre sous le contrôle de l’État. Tous ces facteurs font que, même si les systèmes de justice traditionnelle du Soudan du Sud conservent une certaine autonomie, ils demeurent néanmoins sous le contrôle de l’État. Un autre sujet de polémique porte sur la question se pose de savoir si les systèmes de justice traditionnelle font partie du champ disciplinaire de la justice restauratrice. Comme nous l’avons vu précédemment, il n’y a pas d’accord sur la définition de la justice restauratrice. Pourtant, dans le contexte de l’Afrique du Sud, Desmond Tutu a soutenu que la justice de la TRC fondée à la fois sur la tradition chrétienne du pardon et sur la tradition africaine de l’Ubuntu relevait de la justice restauratrice 1415. De plus, les systèmes de justice traditionnelle comme les gacaca du Rwanda ont été considérés comme relevant de la justice restauratrice 1416. Toutefois, à observer de près, la justice transitionnelle post-apartheid en Afrique du Sud n’était pas totalement restauratrice. Elle a imposé une seule approche de gestion du passé en mettant sous silence les opinions contraires qui voulaient de la rétribution 1417. En outre, dans l’étude conduite par Luc Huyse et Mark Salter sur la justice traditionnelle au Rwanda, au Mozambique, en Ouganda, au Sierra Leone et au Burundi, les auteurs sont parvenus à la conclusion que cette justice comportait, dans ces pays, des éléments d’engagement de la responsabilité des accusés 1418. Autrement dit, ceux-ci devaient reconnaître d’abord leur culpabilité avant d’être restaurés au sein de leurs communautés. En outre, dans nombre de pays africains, certains actes sont même punis, selon les normes traditionnelles, avec une grande CISS de 2005 et les Articles 5, 166 et 167 de la CTSS de 2011. 1414 Voir supra la section intitulée « La nature hyride des normes coutumières du Soudan du Sud ». 1415 Voir Helena Cobban, Amesty After Atrocity: Healing Nations After Genocide and War Crimes, Boulder, Paradigm, 2007 à la p 10. 1416 Voir par exemple Brynna Connolly, supra note 1406. 1417 Tim Allen et Anna Macdonald, supra note 1395 à la p 11. 1418 Luc Huyse et Mark Salter (dir.), supra note 1410. 256 sévérité. C’est le cas par exemple de certaines catégories de sorcellerie1419. On peut donc en déduire que la justice restauratrice n’est pas totalement exempte d’éléments de rétribution et que les distinctions “justice restauratrice” et “justice rétributive” sont très souvent démesurées et ne réflètent pas toujours la réalité du terrain 1420. John Braithwaite, un des auteurs de premier plan de la justice restauratrice, soutient qu’il ne faut pas perdre de vue que le concept de “justice restauratrice” est d’origine occidentale et que, de ce fait, « [i]t can be crudely simplifying and Westernizing to think of traditional form of dispute resolution in a village society as restorative justice »1421. Padraig McAuliffe abonde dans le même sens en soulignant l’approche « orientaliste »1422 dont sont coupables certains auteurs de la justice restauratrice en Occident lorsqu’ils appliquent le concept aux communautés traditionnelles, dans une démarche réifiante qui ignore les identités diverses dont elles sont porteuses1423. Ainsi, même si on peut considérer certaines procédures de justice traditionnelle telles que la médiation, la conciliation et la recherche de l’harmonie sociétale comme étant restauratrices, il serait trop poussé d’appréhender ces systèmes dans leur ensemble comme relevant totalement de la justice restauratrice. Au Soudan du Sud, les mécanismes de justice traditionnelle sont caractérisés par des analystes comme reposant sur la restauration de l’équilibre social1424. Mais, comme 1419 Voir par exemple Tim Allen et Anna Macdonald, supra note 1395 à la p 12; Tim Allen et Laura Storm, « Quest for Therapy in Northern Uganda: Healing at Laropi Revisited », (2012) 6:1 Journal of Eastern African Studies 22; Peter Geshiere, Witchcraft and the State: Cameroon and South Africa: Ambiguities of ‘Reality’ and ‘Superstition’, Past and Present, 2008, supplement 3 aux pp 313-335; Henrietta Moore et Todd Sanders, « Witchcraft in the New South Africa: From Colonial Superstition to Post-Colonial Reality », dans Henrietta Moore et Todd Sanders (éds.), Magical Interpretations, Mystical Realities: Modernity, Witchcraft and the Occult in Postcolonial Africa, London, Routledge, 2001. 1420 Tim Allen et Anna Macdonald, supra note 1395 à la p 12. Voir aussi deux importants rapports sur le sujet, Luc Huyse et Mark Salter (dir.), supra note 1410; Penal Reforme International, Access to Justice in Sub-Saharan Africa : The Role of Traditional and Informal Justice Systems, London, Penal Reforme International, 2000. 1421 John Braithwaite, « Traditional Justice », dans Jennifer J. Llewellyn et Daniel Philpott (éds.), Restorative Justice, Reconciliation and Peacebuilding, Oxford, New York, Oxford University Press, 2014 à la p 218. 1422 Edward Saïd, L'Orientalisme, l'Orient créé par l'Occident, Paris, Seuil, 1980, définit l’orientalisme de plusieurs façons : « « Il doit être clair pour le lecteur (...) que, par orientalisme, j'entends plusieurs choses qui, à mon avis, dépendent l'une de l'autre (...). Est orientaliste toute personne qui enseigne, écrit ou fait des recherches sur l'Orient en général ou dans tel domaine particulier (...) et sa discipline est appelée orientalisme » (à la p 14). L'orientalisme est aussi un « style de pensée fondé sur la distinction ontologique et épistémologique entre l’Orient et (le plus souvent) l’Occident » (à la p 15). Et, troisième sens, c'est « l'institution globale qui traite de l'Orient, qui en traite par des déclarations, des prises de position, des descriptions, un enseignement, une administration, un gouvernement : bref, l'orientalisme est un style occidental de domination, de restructuration et d'autorité́ sur l'Orient » (à la p 15) ». Nous avons tiré ces définitions du compte rendu de l’ouvrage fait par Harpigny Guy, « Edward Saïd, L'Orientalisme, l'Orient créé par l'Occident, 1980 », (1981) 3 Revue théologique de Louvain 357 à la p 357. 1423 Padraig MacAuliffe, « Romanticization Versus Integration? Indigenous Justice in Rule of Law Reconstruction and Transitional Justice Discourse », (2013) 5:1 Goettingen Journal of International Law 41 à la p 67. 1424 Francis Deng, supra note 350 à la p 317. Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 aux pp 16-17. 257 Leonardi et autres l’ont souligné, en raison du brassage entre les normes coutumières et les régimes coloniaux et post-coloniaux, même dans les zones rurales les plus reculées, il n’existerait pas de normes totalement “traditionnelles” ou “coutumières” et reposant uniquement sur la restauration1425. Ces auteurs précisent qu’il n’y a pas, dans les systèmes de justice traditionnelle, une distinction claire entre procédure judiciaire contradictoire, restauratrice, punitive et retributive 1426. De ce fait, on ne peut affirmer que ces mécanismes relèvent exclusivement de la justice restauratrice. Un autre aspect des systèmes de justice traditionnelle qui fait l’objet de critique est qu’ils sont généralement discriminatoires à l’égard de certains groupes sociaux. En Afrique, de façon générale, la justice traditionnelle repose sur des hiérarchies de genre qui subordonnent, par exemple, les femmes aux hommes 1427. Selon Luc Huyse et Mark Salter, au Mozambique, par exemple, seuls les esprits des hommes morts durant la guerre civile peuvent retourner parmi les vivants et réclamer justice; les esprits des femmes ne peuvent réaliser cela. En outre, ajoutent-t-ils, qu’au Burundi, les femmes ne sont pas autorisées à devenir individuellement membres des Ubushingantahe (juges traditionnels), elles peuvent seulement participer aux délibérations en tant qu’épouses ou veuves d’un membre homme1428. Par ailleurs, au Sierra Leone, la justice coutumière est du ressort des hommes âgés, ce qui crée des conflits avec les jeunes notamment dans le domaine de l’attribution des terres1429. Dans ces contextes, au lieu que les systèmes de justice traditionnelle servent à rendre une justice juste et équitable, ils tendent très souvent à maintenir ou à reconstituer les structures patriarcales inégalitaires qui existaient avant les conflits 1430. Ce qui pose le problème de leur légitimité. Ce faisant, ces jeunes n’hésitent plus à défier ces systèmes dans lesquels ils n'ont plus totalement confiance1431. Au Soudan du Sud, nous avons montré que les systèmes de justice traditionnelle violent généralement les droits des femmes et des enfants. Ces violations se manifestent par les 1425 Cherry Leonardi et al., supra note 454 à la p. 27. Ibid à la p 17. 1427 Tim Allen et Anna Macdonald, supra note 1395 à la p 11. Penal Reforme International, supra note 1412 à la p 2. 1428 Luc Huyse et Mark Salter (dir.), supra note 1410 à la p 183. 1429 Rosalind Shaw, Lars Waldorf et Pierre Hazan (éds.), supra note 22 à la p 16. Il faut toutefois noter que l’exclusion légendaire des femmes des Ubushingantahe est en train de perdre du terrain. Voir à ce titre, Félix Nzorubonanya, « Rumonge : une femme à la tête des Bashingantahe », disponible en ligne sur <https://www.iwacuburundi.org/rumonge-une-femme-a-la-tete-des-bashingantahe/>, consulté le 13 février 2021. 1430 Tim Allen et Anna Macdonald, supra note 1395 à la p 14. 1431 Luc Huyse et Mark Salter (dir.), supra note 1410 à la p 186. 1426 258 compensations de sang qui sont parfois exécutées par le don de jeunes filles, la pratique du lévirat, de la dot pour le mariage, l’exclusion des femmes de la propriété foncière1432. Ces normes et pratiques sont donc foncièrement discriminatoires à l’égard des femmes en particulier et ne respectent pas plusieurs de leurs droits. Une dernière controverse majeure qui est soulevée à l’égard des juridictions traditionnelles ou informelles se rapporte à leur capacité à répondre aux crimes de masse. En effet, la question s’est généralement posée de savoir si ces mécanismes sont adaptés pour répondre à des crimes internationaux commis sur une longue période de conflits qui ont détruit les fondements sociologiques mêmes sur lesquels se reposaient les traditions1433. Comme nous l’avons précédement souligné, au Soudan du Sud, les normes coutumières ont été transformées, d’abord, sous la colonisation, et ensuite par les différents régimes post-coloniaux et les nombreuses années de guerre civiles. Cela a entrainé la transformation de ces droits en engendrant l’hybridité qui les caractérise aujourd’hui1434. Luc Huyse et Mark Salter soutiennent dans leur rapport que les juridictions traditionnelles ne sont faites que pour résoudre un petit nombre d’infractions et qu’elles sont de ce fait inadaptées pour répondre à des crimes de masse comme les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité1435. Cette conclusion réflète aussi la réalité au Soudan du Sud. En effet, les systèmes de justice traditionnelle sont généralement mieux outillés pour résoudre des conflits intra-communautaires, et éprouvent très souvent des difficultés à résoudre des conflits inter-communautaires de grand ampleur. Toutefois, au Soudan du Sud, est-ce qu’il faut totalement exclure ces systèmes de justice informelles comme un des mécanismes de réponse aux crimes qui ont été commis dans le pays à partir de décembre 2013? Nous répondrons à cette question dans les sections à venir. En attendant, en plus des polémiques sur la nature et le fonctionnement des mécanismes de justice traditionnelle, il faut noter qu’ils font également l’objet de débats recurrents quant au fondement juridique en vertu duquel ils peuvent répondre aux crimes internationaux. Nous examinerons ces controverses dans la section suivante. 1432 Voir supra la section précédente intitulé « Les conflits entre les droits coutumiers et les droits de la personne ». Tim Allen et Anna Macdonald, supra note 1395 à la p 16. 1434 Voir par exemple Cherry Leonardi et al., supra note 454 la p 23. 1435 Luc Huyse et Mark Salter (dir.), supra note 1410 à la p 185. 1433 259 2.1.2. – Les débats sur les fondements juridiques des juridictions traditionnelles à répondre aux crimes internationaux Les débats sur les juridictions traditionnelles quant à leur fondement juridique à répondre aux crimes internationaux, sont de plusieurs ordres. D’abord, en raison du degré élevé d’expertise que ces crimes requièrent pour leur justice, il est soutenu que les juges de droits coutumiers ne sont pas compétents à les connaître1436. Par exemple, le fait que généralement les juges traditionnels méconnaissent la complexité du droit applicable aux crimes internationaux et qu’ils jouent le double rôle de juges et de parties aux procès coutumiers, sont considérés comme portant en soi des éléments structurant de procès inéquitables 1437, surtout dans les sociétés post-conflictuelles comme le Soudan du Sud caractérisés par des tensions politiques et inter-communautaires. En outre, les procédures devant les juridictions traditionnelles sont généralemement caractérisées par l’absence de représentation légale en faveur des accusés. Au Rwanda par exemple, les organisations de défense des droits de la personne ont critiqué les tribunaux communautaires gacaca en affirmant que leurs procédures violaient les droits fondamentaux des accusés du fait qu’elles interdisaient la représentation par un conseil juridique et qu’une demande de réexamen des affaires n’y était pas toujours garantie1438. De même au Soudan du Sud, les parties aux procès devant les juridictions traditionnelles ne sont pas représentées par des avocats 1439. Pourtant, compte tenu de la gravité des crimes internationaux, le droit pénal international accorde une grande importance au droit de recourir à un conseil juridique dans le but de permettre aux accusés de mieux se défendre et, au cas échéant, de s’assurer que les coupables sont punis à la hauteur de leurs crimes 1440. Au Soudan du Sud, en particulier, nous avons souligné plusieurs conflits qu’entretiennent les normes coutumières avec les droits de la personne. Ceux-ci portent, par exemple, sur le don de 1436 Pacifique Manirakiza, supra note 1103 à la p 66. Ibid à la p 68. 1438 Jennie E. Burnet, supra note 1411 à la p 99. 1439 Benjamin Baak Deng, « Traditional Justice Methods and Their Possible Impact on Transtional Justice Models in South Sudan », (2018) 21 Max Planck Yearbook of United Nations Law Online 331 à la p 338. 1440 Pacifique Manirakiza, supra note 1103 à la p 69. Sur les fondements juridiques du droit à un conseil juridique, voir par exemple, la Convention (I) de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, supra note 486 Article 19 au para 4; la Convention (II), Convention (II) de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, supra note 486 Article 50 au para 4 ; la Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, supra note 486 Article 129, au para 4 et la Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, supra note 486 Article 146, au para 4. 1437 260 jeunes filles aux familles victimes de meurtre en tant que compensation de sang sans tenir compte du consentement de ces dernières 1441; les discriminations à l’égard des femmes, des jeunes et des groupes minoritaires; le mariage des victimes de viol à leur agresseur comme forme de réparation et les violences structurelles de genre contre les femmes par rapport à la propriété foncière1442. En outre, comme nous l’avons signalé précédemment, l’application des normes coutumières n’est pas toujours objective dans les communautés traditionnelles car il arrive très souvent que les hommes qui les interprétent privilégient leurs propres intérêts au lieu de l’intérêt de la communauté 1443. De plus, ces mécanismes de justice, par leur nature, perpétuent des systèmes sociaux patriarcaux s’exprimant par des relations de pouvoir inégales en faveur des hommes et au détriment des femmes et des enfants. Au regard de ces insuffisances des systèmes de justice traditionnelle, il semble à première vue justifié de leur nier la compétence pour les crimes les plus graves qui affectent toute la communauté internationale. Mais à observer de près, est-ce que le droit international exclut totalement toute compétence à ces juridictions à connaître les crimes internationaux? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’étudier les instruments pertinents de droit international. À ce titre, tout d’abord, les Conventions de Genève de 1949 ratifiées par le Soudan du Sud le 25 janvier 2013, disposent que : Les Hautes Parties contractantes s'engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l'ordre de commettre, l'une ou l'autre des infractions graves à la présente Convention définies à l'article suivant. Chaque Partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'avoir commis, ou d'avoir ordonné de commettre, l'une ou l'autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes1444. 1441 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 22. Martina Santschi, supra note 465 à la p 48. 1443 Fareda Banda, supra note 411 à la p 90; Brian Z Tamanaha, supra note 398 à la p 39. 1444 Voir la Convention (I) de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, supra note 486 Article 49; la Convention (II) de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, supra note 486 Article 50; la Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, supra note 486 Article 129; la Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, supra note 486 Article 146; le Protocole additionnel I, supra note 1131 Article 85. 1442 261 De façon plus spécifique, nous avons montré précédemment que les dispositions du DIH qui s’appliquent au Soudan du Sud sont l’Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève et le Protocole additionnel II. Nous avons aussi souligné qu’en l’absence d’une obligation conventionnelle de la part du Soudan du Sud, même s’il n’existe pas une obligation coutumière à poursuivre le génocide, les crimes de guerre, la torture et les crimes contre l’humanité commis dans le cadre de conflits noninternationaux1445, il est de plus en plus accepté qu’une telle obligation est en émergence1446. De plus, les Principes de coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l’arrestation, l’extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité affirment que « [l]es individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu’ils ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité doivent être traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, châtiés, en règle générale, dans les pays où ils ont commis ces crimes » 1447. Malgré le fait que ces principes ne soient pas par essence juridiquement contraignants à l’égard des États, les tribunaux français1448 et belges 1449 ont considéré qu’ils étaient obligatoires 1450. Selon Pacifique Manirakiza, le juge belge s’est fondé sur le caractère normatif du terme « doivent » contenu dans l’Article 1 de la résolution 3070 (XXVIII) pour justifier son caractère contraignant1451. La jurisprudence de ces deux juridictions confirmait à travers cette résolution l’émergence de l’opion juris d’une norme internationale coutumière en matière d’obligation de poursuite des crimes les plus graves comme les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en contexte de conflits armés non- 1445 Res schuerch, The International Criminal Court at the Mercy of Powerful States: An Assessment of the NeoColonialism Claim Made by African Stakeholders, Zürich, Asser Press, 2017 aux pp 107-108. 1446 Voir Robert Cryer et al., An Introduction to International Criminal law and Procedure, 3è edition, Cambridge University Press, Cambridge, 2014 à la p 78. 1447 Principes de coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l’arrestation, l’extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, Doc. NU, A/RES 3074 (XXVIII), 3 décembre 1973 au Principe 5. 1448 Voir l’Affaire Javor et autres, Cour d’appel de Paris, Quatrième chambre d’accusation, appel d’une ordonnance d’incompétence partielle et de recevabilité de constitution de parties civiles, Dossier N A 94/02071, Arrêt du 24 novembre 1994, disponible en ligne sur <https://competenceuniverselle.files.wordpress.com/2011/07/arret-ca-24novembre-1994-javor.pdf>, consulté le 9 novembre 2019, qui souligne que « [l]e magistrat instructeur a également considéré que les principes de coopération internationale concernant le dépistage et le châtiment des individus coupables notamment de crimes de guerre avaient bien la force obligatoire et l’effet direct d’un texte conventionnel ». 1449 Voir Tribunal de première instance (Bruxelles), juge d’instruction, Ordonnance no 216/98, (1999) 2 Revue de droit pénal et criminel 286, à la p 288. 1450 Pacifique Manirakiza, supra note 1103 à la p 63. 1451 Ibid. Voire aussi Tribunal de de première instance (Bruxelles), juge d’instruction, supra note 1449 à la p 288. 262 internationaux1452. À ce jour, on peut affirmer qu’une telle opinio juris s’est presque cristalisé, dans la mesure où comme l’a souligné Rosemary Nagy, il ne s’agit plus aujourd’hui de savoir si quelque chose doit être faite après des conflits de masse, mais plutôt comment cela doit être fait1453. Aussi, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale affirme que les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale »1454. En mettant ainsi l’accent sur la primauté de compétence des tribunaux des États, le Statut de Rome précise que la Cour est « complémentaire des juridictions pénales nationales »1455. Si le droit international accorde clairement aux États la priorité de juger les crimes graves commis sur leur territoire ou à l’étranger (généralement sur le fondement de la compétence personnelle active ou passive), celui-ci ne fait pas la distinction entre les juridictions qui opèrent dans les États, autrement dit, il ne privilégie pas les tribunaux pénaux classiques aux dépens des juridictions traditionnelles ou informelles1456. Cependant, même si le droit international ne fait pas de distinction entre les ordres juridiques internes des États, il convient de se demander si les systèmes de justice traditionnelle sont tout de même assez outillés pour répondre aux crimes internationaux selon les exigences du droit international. Ce débat qui se pose au Soudan du Sud n’a pas de réponse tranchée. Mais, en raison des limites inhérentes aux mécanismes classiques de justice transitionnelle et compte tenu du contexte particulier du Soudan du Sud, il nous semble absolument nécessaire de donner une place importante aux systèmes de justice traditionnelle pour mieux répondre aux besoins de justice des populations et surtout pour contribuer à une transformation effective du Soudan du Sud. 1452 Pacifique Manirakiza, supra note 1103 à la p 63. Voir également la jurisprudence de la CIJ, Affaire de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaire, CIJ, Avis consultatif, 8 juillet 1996 au para 70, qui soutient que malgré le caractère en principe non obligatoire des résolutions de l’assemblée nationale des Nations Unies, celles-ci peuvent indiquer l’émergence d’une norme juridique. 1453 Rosemary Nagy, supra note 29 aux pp 215-226. 1454 Statut de la C.P.I, supra note 13, Préambule. 1455 Ibid Article 1. 1456 Pacifique Manirakiza, supra note 1103 à la p 64. 263 2.2. – La contribution des systèmes de justice traditionnelle à la transformation du Soudan du Sud Pour que les systèmes de justice traditionnelle puissent contribuer à une transformation effective du Soudan du Sud, nous pensons tout d’abord, qu’en raison de leur diversité, leur fonctionnement devrait s’organiser au niveau national autour des “normes transversales” qui les unissent (2.2.1). Ensuite, nous soutenons que le fonctionnement des systèmes de droits coutumiers doit se faire en adéquation avec les règles fondamentales des droits de la personne (2.2.2). Enfin, nous présenterons quelques domaines dans lesquels les systèmes de justice traditionnelle pourraient contribuer à la transformation du Soudan du Sud (2.2.3). 2.2.1. – Le fonctionnement des systèmes de justice traditionnelle à travers les “normes transversales” Du fait que la plupart des communautés du Soudan du Sud n’ont pas connu une historicité étatique caractérisée par des autorités politiques qui assurent la protection des individus1457, et que ces groupes se sont régulièrement fondés sur leurs normes coutumières pour le règlement des différends sociaux, nous soutenons qu’un processus de justice transitionnelle transformative doit accorder un rôle important aux systèmes de justice traditionnelle. À ce titre, bien qu’elles soient des juridictions communautaires, elles ne doivent pas être confondues avec d’autres types de juridictions communautaires telles que par exemple les Resistance Committee Courts d’Ouganda ou les Comrade courts mises en œuvre dans le passé dans certains États du bloc communiste. Dans le premier cas, les juges étaient élus dans les villes ou dans les villages, tandis que dans le deuxième cas, ils procédaient du principe de participation des populations à la gestion des affaires de la cité en application de l’idéologie marxiste 1458. Comme nous l’avons souligné précédemment, le Soudan du Sud est composé de plus d’une cinquantaine de tribus qui ont chacun leurs propres droits coutumiers 1459. Les principaux groupes ethniques sont toutefois les Dinka (35,8%) et les Nuer (15,6%)1460. Mais, bien que la 1457 Simon Simonse, supra note 364 à la p 18. Voir sur ce point Pacifique Manirakiza, supra note 1103 aux pp 56-57. 1459 Francis M. Deng, supra note 350 à la p 317. 1460 Central Intelligence Agency, « South Sudan », disponible en ligne sur <https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/print_od.html>, consulté le 27 novembre 2018. 1458 264 guerre civile post-décembre 2013 ait principalement opposé les Dinka et les Nuer, toutes les communautés ont été affectées par les conflits. Dans ce contexte, au niveau national quelle(s) norme(s) coutumière(s) devrai(en)t-on mettre à contribution pour contribuer à une transformation effective du Soudan du Sud? Pour y répondre, notre thèse ne procèdera pas à l’étude du rôle que peut jouer individuellement chacun des droits coutumiers du Soudan du Sud dans la résolution des conflits. Une telle étude, quoique envisageable, n’est pas l’approche que nous adoptons. Pour nous, la mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” au Soudan du Sud, peut se satisfaire de recourir aux “normes coutumières transversales” des différents groupes ethniques. Par “normes coutumières transversales”, nous entendons les principales normes communes à l’ensemble de ces groupes. Dans cette perspective, selon le rapport de Vision Mondiale de 2001 sur la justice traditionnelle au Soudan du Sud, les normes coutumières de la cinquantaine de tribus ont plus de ressemblances que de dissemblances en ce qu’en réalité « [d]ifferences tend to be ones of style rather than substance » 1461. Les systèmes juridiques traditionnels d’Afrique, en général, et ceux du Soudan du Sud, en particulier, ne connaissaient pas des sanctions pénales se mettant en œuvre par l’emprisonnement des fautifs 1462. Le principe du contradictoire serait aussi complètement étranger chez la plupart des Sud-Soudanais 1463. La principale norme commune à tous les droits coutumiers serait l’objectif de restauration de l’harmonie communautaire au lieu de la punition 1464. Ainsi, contrairement à la tradition juridique occidentale en matière criminelle, la justice traditionnelle vise la restitution au lieu de la rétribution 1465. Cette pénologie partagée qui privilégie la réconciliation entre les parties en conflit au lieu de la punition se retrouve dans les concepts de cieng des Dinka et de ciang des Nuer qui reposent sur l’unité, la solidarité et l’harmonie entre les membres des groupes 1466. 1461 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 21. Benjamin Baak Deng, supra note 1439 aux pp 333-334. 1463 Francis M. Deng, supra note 350 aux pp 302-303. Voir aussi Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 16. 1464 Voir Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 21. Martina Santschi supra note 465 à la p 47. 1465 Taslim Olawale Elias, The Nature of African Customary Law, Manchester, Manchester University Press, 1956 à la p 130. 1466 Francis M. Deng, supra note 350 aux pp 293-295. 1462 265 Cette norme coutumière renvoie à ce que Oche Onazi et autres ont qualifié d’« attribut le plus commun à la vie en Afrique sub-saharienne » à savoir, l’« Afrocommunautarisme »1467. Thaddeus Metz définit l’Afro-communautarisme par le fait de partager la vie avec autrui, d’être solidaire et de se préoccuper de son bien-être; en d’autres termes, le fait d’entretenir une relation amicale ou amoureuse avec son prochain1468. Tout en reconnaissant la grande diversité qui caractérise les peuples d’Afrique et du fait que les attributs du communautarisme ne puissent pas exister dans les toutes les sociétés traditionnelles d’Afrique sub-saharienne, les auteurs soutiennent néanmoins son existence de façon générale dans les traditions et cultures africaines 1469. Celui-ci se trouve dans le concept d’Ubuntu théorisé par Desmond Tutu comme signifiant que « mon humanité est inextricablement liée à la vôtre »1470. Cette philosophie que l’on retrouve dans la notion de Unhu du Zimbabwe qui signifie « je vais bien si tu vas bien aussi » s’aperçoit aussi en dehors de l’Afrique par exemple chez les communautés autochtones d’Amérique du Nord à travers les concepts de Royaner chez les Iroquois ou de Ceneca chez les Mohawk et les Hoyane1471. Ceci, pour dire que le communautarisme n’est pas seulement propre à l’Afrique mais se retrouve aussi ailleurs chez d’autres peuples du monde. Toutefois, nous soutenons que la norme de l’Afro-communautarisme en vigueur au Soudan du Sud peut constituer le fondement sur lequel les différents droits coutumiers peuvent se poser pour contribuer à la transformation du pays. L’Afro-communautarisme est la philosophie qui sous-tend les décisions des Cours de Chef lorsqu’elles sont appelées à trancher les différends sociaux. Les Chefs traditionnels résolvent les différends en adoptant une procédure inquisitoire qui impliquent les parties dans le but de parvenir à la réconciliation1472. Le processus peut être d’abord enclenché par une des parties devant le conseil des anciens. Si le coupable reconnaît son tort, une procédure de médiation est alors mise en œuvre par les anciens dans le but de parvenir à la réconciliation. Cette procédure, qui a lieu en dehors des Cours 1467 Oche Onazi (éd.), African Legal Theory and Contemporary Problems: Critical Essays, Ius Gentium Comparative Perspectives on Law and Justice, Vol. 29, Dordrecht, Heidelberg, New York, London, Springer, 2014 à la p 1. 1468 Thaddeus Metz, « African Conceptions of Human Dignity: Vitality and Community as the Grounds of Human Rights », (2012) 13 Human Rights Review 19 à la p 27. 1469 Oche Onazi (éd.), supra note 1467 à la p 1. 1470 Desmond Tutu, Il n’y a pas d’avenir sans pardon, Paris, Albin Michel, 1999 à la p 39. 1471 Bernedette Muthien, « Egalitarianism and Nonviolence: Gifts of the Khoe-San », (2008) 38:1 Off Our Backs 57 à la p 57. 1472 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 16. 266 de Chefs, peut suivre un certain formalisme en fonction de la gravité de l’affaire et du statut des personnes impliquées1473. La partie demanderesse peut cependant choisir de porter l’affaire directement devant la Cour de Chef. Ainsi, en fonction de la nature du conflit, les Chefs procèdent à des consultations, à des dialogues, à des médiations, voire à des conférences interpersonnelles dans le but d’aboutir à un compromis entre les parties 1474. Finalement, en cas de non-satisfaction d’une partie, l’affaire peut être portée devant les tribunaux étatiques formels. Même dans ce cas, la norme commune des droits coutumiers est présente. Les parties ne voient pas le juge comme jouant le rôle d’arbitre d’une procédure accusatoire, mais plutôt comme un médiateur qui cherche à conduire les parties vers la réconciliation 1475. On voit ainsi qu’au Soudan du Sud, il n’y a pas de cloisonnement entre les normes traditionnelles et le droit formel étatique. Comme l’a souligné Elias T. Olawale, dans la tradition juridique africaine de la justice, la punition de l’auteur des crimes et la satisfaction des victimes sont deux questions différentes qui doivent faire l’objet de traitement séparé 1476. La justice traditionnelle, en général, considère les affaires d’homicide à la fois comme une question délictuelle qui requiert de la réparation envers la victime et une question de responsabilité collective1477. Selon l’Article 98 de la Loi d’administration locale du Soudan du Sud, en principe, les juridictions coutumières n’ont pas une compétence criminelle, à moins qu’il ne s’agisse d’affaires qui leur sont déférées par une juridiction de droit formel du fait de l’existence d’une “interface coutumière”1478. Toutefois, tel que mentionné précédemment, en raison de l’absence de tribunaux étatiques dans les zones rurales, les tribunaux coutumiers sont devenus de facto les juridictions de première instance dans la résolution des litiges civils et criminels dans ces régions. Pourtant, une des particularités des droits coutumiers est qu’ils ne font pas la distinction entre le civil et le pénal. Une seule et même procédure régit les deux branches de droit devant les juridictions coutumières. Au cœur de ce système basé sur la réconciliation des parties se trouve le principe de compensation par Dia en fonction des coutumes de la communauté d’appartenance de la 1473 Francis M. Deng, supra note 350 aux pp 23-24. Benjamin Baak Deng, supra note 1439 à la p 339. 1475 Francis M. Deng, supra note 350 aux pp 23-26. 1476 Taslim Olawale Elias, supra note 1465 à la p 287. 1477 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 22. 1478 Government of South Sudan, Local Governance Act, 2009, Section 98. 1474 267 victime1479. Cette norme coutumière considère que lorsqu’un membre d’une communauté commet un crime envers un membre d’une autre communauté, tous les membres de la communauté de l’auteur de l’infraction sont tenus pour collectivement responsables 1480. En conséquence, le meurtrier ou sa tribu doit dédommager la tribu de la victime par le payement d'un certain nombre de vaches ou un certain montant d’argent ou encore par le don de jeunes filles 1481. La préférence des communautés locales de la compensation par Dia en cas de meurtre a été pendant longtemps un sujet de débat au Soudan du Sud, qui remonte à la période coloniale et reste encore d’actualité aujourd’hui. La Dia ou la “compensation de sang” en cas de meurtre est finalement reconnue dans le Code pénal du Soudan du Sud de 2008. Son Article 206 dispose que « if the nearest relatives of the deceased opt for customary blood compensation, the Court may award it in lieu of death sentence with imprisonment for a term not exceeding ten years » 1482. L’un des attraits de la compensation de sang réside dans ce qu'elle permet d'éviter des actes de vengeance de la part des communautés victimes1483. Elle est accompagnée généralement de cérémonie de purification. Chez les Dinka par exemple, l’homicide engendre la souillure du coupable qui ne peut être purifiée que par des cérémonies de purification. L’accusé qui ne reconnaît pas sa culpabilité doit prêter serment devant un banybith ou maître de la lance. Après le serment, s’il ne meurt pas ou n’est pas frappé de calamité durant un certain temps, il est considéré comme innocent1484. Chez les Nuer, le kuaar twac ou prêtre de la “peau de léopard” est la personne investie des fonctions religieuses de médiation et de résolution des parties en conflit1485. Le dédommagement par Dia ressemble à la cérémonie de purification des coupables dite du Mato Oput d’Ouganda à travers laquelle le coupable boit un breuvage amer pour consacrer la résolution du conflit par compensation 1486. En effet, cette justice traditionnelle africaine met autant d’emphase sur la punition des crimes, que sur le besoin de restitution. En cas de meurtre, pour les victimes, la justice traditionnelle implique que 1479 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 22. Benjamin Baak Deng, supra note 1439 à la p 337. 1481 Justice Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 à la p 40. 1482 Government of South Sudan, The Penal Code Act, 2008, Section 206. 1483 Marina Santschi, supra note 465 à la p 47. 1484 Benjamin Baak Deng, supra note 1439 aux pp 335-337. 1485 Edward Evan Evans-Pritchard, supra note 368 aux pp 290-291. 1486 Tim Allen, « Ouganda : la justice traditionnelle est-elle une alternative viable à la Cour pénale internationale ? », (2008) 53:1 Mouvements 118 à la p 119. 1480 268 le meurtrier leur paye la “compensation de sang” avant d’aller éventuellement en prison selon le droit étatique1487. Elias T. Olawale soutient que dans le contexte africain, la justice pénale peut satisfaire la communauté internationale, mais elle ne satisfait pas forcément les besoins des familles meurtries par les crimes 1488. Dans cette veine, Joseph H. Abraham souligne que « [what] is lacking in Western penology [is that] the offender is punished without making restitution. On emerging from prison, he is reconciled neither to himself, his victim nor the society » 1489. En cas de meurtre, l’équilibre social est perturbé. La procédure de sa restauration n’est donc point pénale au sens de la théorie juridique africaine, elle se fait, soit par l’exécution du coupable, ou à travers le payement de la “compensation de sang”1490. C’est pourquoi, il nous paraît essentiel que la justice coutumière joue un rôle important dans la justice transitionnelle au Soudan du Sud. En tout état de cause, la justice pénale classique ne peut non seulement pas juger toutes les personnes impliquées dans les massacres, mais aussi, elle a montré son incapacité à poursuivre les auteurs des crimes commis. En outre, du fait que la justice traditionnelle ou informelle permet d’engager la responsabilité collective de la communauté d’appartenance du coupable, elle pourrait constituer un lieu idéal pour comprendre le rôle joué par les institutions ou les organisations sociales dans la perpétration des crimes de masse1491. Toutefois, comme nous l’avons souligné précédément, il ne faut pas non plus penser que les systèmes de justice traditionnelle jouissent d’une légitimité absolue auprès des populations. Les Chefs traditionnels sont très souvent critiqués pour leur corruption ou incapacité ou encore pour avoir été complice d’une des parties aux conflits durant la guerre civile1492. Mais, cela n’entame pas l’autorité dont ils sont généralement investis dans les communautés. Alors que les populations n’ont pas confiance en la police et au gouvernement, les Chefs traditionnels demeurent écoutés et, en cas de décision de justice imposant une compensation, ce sont les Chefs qui collectent les vaches 1493. 1487 Jare Oladosu, « Choosing a Legal Theory on Cultural Grounds: An African Case for Legal Positivism », (2001) 2:2 West Africa Review 1 à la p 14. 1488 Taslim Olawale Elias, supra note 1465 à la p 286. 1489 Joseph Hayim Abraham, Sociology: A Historical and Contemporary Outline, London, Holder & Stoughton, 2nd ed., 1975 à la p 187. 1490 J. H. Driberg, supra note 423 à la p 231. 1491 Pacifique Manirakiza, « La contribution africaine au développement de la justice pénale internationale », (20092010) 40 Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 409 à la p 460. 1492 Cherry Leonardi et al, supra note 454 à la p 25. 1493 Ibid à la p 25. 269 En prenant en considération l’histoire du Soudan du Sud caractérisée par des conflits continus qui ont émaillé la vie des populations de la région depuis les périodes précoloniales à ce jour, et qui ont empêché la formation de structures étatiques mais plutôt accru l’importance des revendications identitaires communautaires et des normes coutumières, au détriment de l’appartenance à un État-nation, ne relève-il pas du bon sens à vouloir que les mécanismes traditionnels jouent un rôle de premier plan dans l’administration de la justice et des réparations pour les crimes commis dans le pays? À notre avis, malgré les insuffisances et les imperfections de ces mécanismes notamment en matière de protection des droits de la personne, au regard de l’ampleur des crimes commis dans le pays et surtout de l’incapacité de l’État à rendre justice, il est nécessaire de leur accorder une place importante dans l’administration de la justice. Il serait toutefois nécessaire de veiller à ce que ces mécanismes informels soient en harmonie avec les droits fondamentaux de la personne. 2.2.2. – La nécessité d’arrimer les systèmes de justice traditionnelle avec les règles fondamentales des droits de la personne Pour que les systèmes de justice traditionnelle puissent jouer un rôle transformatif au Soudan du Sud, il faudrait qu’ils soient en harmonie avec les droits fondamentaux de la personne. Comme nous l’avons souligné précédemment, bien que les populations locales du Soudan du Sud veuillent jouir de la protection des droits de la personne, elles craignent que les standards internationaux de protection de ces droits ne viennent détruire leurs identités culturelles construites dans la résistance contre les différentes vagues de colonisation1494. À cet égard, les initiatives de réformes des droits coutumiers entreprises dans le pays par le passé pour les arrimer aux droits de la personne n’ont pas réussi, et pire, elles ont dégradé davantage la condition de protection de ces droits1495. Dans ce contexte, comment concilier la protection des droits de la personne avec les droits culturels reconnus à la fois par la Loi sur l’administration locale de 20091496, la CTSS de 20111497 et par de nombreux instruments juridiques internationaux 1498 ? En effet, la 1494 Jan Arno Hessbruegge, « Customary Law and Authority in a State under Construction: The Case of South Sudan », (2012) 5 African Journal of Legal Studies 295 à la p 308. 1495 Cherry Leonardi et al., supra note 454 à la p. 84. 1496 Voir par exemple les Articles 12, 19, et 22 de la Loi sur le Local Government Act de 2009. 1497 Voir, en particulier, les Articles 5, 166 et 167 de la CTSS de 2011. 270 Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001 soutient que « [l]a défense de la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine », et qu’en conséquence, « [e]lle implique l’engagement de respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales »1499. Dans la même veine, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005 dispose que « [l]a diversité culturelle ne peut être protégée et promue que si les droits de l’homme et les libertés fondamentales […] sont garantis ». Elle ajoute en outre que « [n]ul ne peut invoquer les dispositions de la […] Convention pour porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée » 1500. On peut donc affirmer que les droits de la personne constituent le fondement normatif qui garantit le développement et la sauvegarde de la diversité entre les cultures et dans les cultures1501. Pour répondre à la question de la tension entre les normes culturelles et les droits de la personne, nous pensons qu’il faudrait d’abord situer le sujet dans le cadre des débats entre universalisme des droits de la personne et relativisme culturel présentés précédemment. À ce titre, comme nous l’avons souligné, une des critiques que l’on peut faire à l’encontre de l’universalisme est qu’il est étroitement lié au contexte culturel occidental tout en prétendant à une application à l’échelle de la planète 1502. Quant au relativisme culturel, nous en convenons avec Marie-Bénédicte Dembour qui soutient qu’il pose problème essentiellement à deux niveaux : le premier est d’ordre éthique et repose sur le fait qu’il refuse qu’on porte de l’extérieur un jugement moral sur la culture, et ce faisant, les critiques ou les condamnations de pratiques culturelles contraires à la Voir la par exemple la Déclaration universelle des droits de l’homme, supra note 597 Article 27; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, supra note 485 art 15; le Pacte international sur les droits civils et politiques, supra note 485 art 27; la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, supra note 595, Articles 17 et 29. UNESCO, Notre diversité créatrice, Paris, Commission mondiale de la culture et du développement, 1995; UNESCO, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée le 20 octobre 2005 (entrée en vigueur : 18 mars 2007); UNESCO, Déclaration universelle sur la diversité culturelle, adoptée par la conférence générale de l’UNESCO le 20 novembre 2001. 1499 Voir UNESCO, Déclaration universelle sur la diversité culturelle, supra note 1498 Article 4. 1500 UNESCO, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, supra note 1490; UNESCO, Déclaration universelle sur la diversité culturelle, supra note 1498. 1501 Yvonne Donders, « Do Cultural Diversity and Human Rights Make a Good Match », (2010) International Social Science Journal 15 à la p 31. 1502 Ian Hacking, « Language, Truth and Reason », dans Martin Hollis et Steven Lukes (éd.), Rationality and Relativism, Oxford, Blackwell, 1982, cité par Alexander Betts, supra note 9 à la p 739. 1498 271 dignité humaine sont prima facie rejetés ou invalidés. Dans cette perspective, le relativisme culturel appelle à la non-ingérence face à des pratiques culturelles rétrogrades, inhumaines et dégradantes. Le deuxième problème du relativisme culturel est d’ordre épistémologique, en ce sens qu’il repose sur une conception erronée de la notion de “culture”. En effet, le relativisme culturel fait de la culture une chose, ce faisant, il la réifie, alors que la culture est, par essence, dynamique, évolutive et changeante au gré du temps et des circonstances1503. La culture serait alors un construit social dont les contours sont déterminés par les membres du groupe. De ce fait, les normes culturelles ne présentent pas toutes les mêmes légitimités sociologiques 1504. Les droits culturels du Soudan du Sud dont par exemple le don de jeunes comme compensation, la pratique du lévirat qui oblige les femmes contre leur volonté à marier le frère ou l’oncle de leur défunt mari, la pratique de la dot du mariage qui se présente comme un “achat de la femme”, l’exclusion des femmes de la propriété foncière peuvent être à juste titre remis en cause. Mais, étant donné que chaque culture ou tradition repose sur une certaine conception de la dignité humaine, comme par exemple le concept de dheng chez les Dinka, les droits de la personne ne sont pas totalement antinomiques avec les cultures non-occidentales en général et celles du Soudan du Sud en particulier. Les deux peuvent être être conciliés sans que les premières ne soient imposées sur les seconds à travers une nouvelle forme d’impérialisme1505. Pour ce faire, plusieurs approches peuvent être envisagées pour mieux accomoder les droits culturels. Une première approche est le dialogue interculturel. Elle se présente sous la forme de l’ouverture de chaque culture pour apprendre des autres sans qu’il y ait une imposition d’une culture sur une autre1506. Suivant cette approche, puisque la culture est par essence évolutive, on pourrait de l’extérieur modifier la direction qu’elle prend à travers le dialogue interculturel1507. Ainsi, à la lumière des droits de la personne, on pourrait avoir des conversations sur les droits culturels afin d’amender les normes qui ne sont pas 1503 Selon Marie-Bénédicte Dembour, supra note 23 aux pp 28-29. David Pimentel, « Rule of Law Reform without Cultural Imperialism? Reinforcing Customary Justice through Collateral Review in Southern Sudan », (2010) 2:1 Hague Journal on the Rule of Law 1 à la p 7. 1505 Voir par exemple Rosa Ehrenreich Brooks, supra note 19. 1506 Holeman Warren Lee, The Human Rights Movement - Western Values and Theological Perspectives, New York, Praeger, 1987 aux 214-215. 1507 Abdullahi Ahmed An-Na'im, « Introduction », dans Abdullahi Ahmed An-Na'im, (éd.), Human Rights in CrossCultural Perspectives - A Quest for Consensus, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1992 à la p 4. 1504 272 acceptables1508. Mais cela doit se faire à travers le dialogue en reconnaissant les aspects “positifs” de la culture non-occidentale. En effet, il serait très difficile de changer la culture d’un groupe lorsque de prime abord on considère qu’elle est foncièrement “mauvaise”. En ce qui concerne les droits culturels, il faut noter qu’il n’en existe pas de définition juridique, puisque la liste de ces droits est généralement tributaire de la définition qu’on donne à la “culture”1509. En tenant compte de la nature ambiguë du concept de “culture”, Yvonne Donders fait la distinction entre les droits culturels au sens restrictif et les droits culturels au sens large. Au sens restrictif, ces droits se rapporteraient à ceux faisant explicitement référence à la culture tels que par exemple le droit de participer à la vie culturelle défini aux Articles 27 de la DUDH et Article 15(1)(a) du PIDESC. Au sens large, les droits culturels renverraient non seulement aux droits clairement culturels précités, mais également, aux droits civils, politiques, économiques et sociaux liés à la culture tels que les libertés de religion, d’expression, d’association et d’éducation1510. La “culture” dont il s’agit renvoie aux « valeurs culturelles africaines positives » que les Africains ont le devoir de préserver en vertu de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples 1511. En l’absence d’une définition de cette expression, on peut retenir qu’elle fait référence aux droits culturels qui ne rentrent pas en opposition avec les droits fondamentaux des femmes, des enfants et des groupes minoritaires. De ce fait, pour changer les aspects “négatifs” d’une culture, il faudrait engager des dialogues avec les présupposés qui lui sont propres comme par exemple le concept de dignité humaine (dheng) chez les Dinka pour qu’éventuellement elle se remette en cause et épouse d’autres valeurs plus émancipatrices. Une autre approche de conciliation des droits traditionnels avec les droits de la personne est le dialogue intraculturel. Selon cette approche, en mettant la culture en contact avec les droits de la personne, il y a la possibilité de changer sa position sur ses propres valeurs fondamentales 1512. Ce dialogue interne permettait de réfléchir sur la rationalité et l’interprétation des normes culturelles 1513. Il peut se faire à travers des 1508 Raymond John Vincent, Human Rights and International Relations, Cambridge, Cambridge University Press, 1986 aux pp 53-57. 1509 Yvonne Donders, supra note 1501 à la p 18. 1510 Ibid à la p 19. 1511 Voir l’Article 29(7) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, supra note 595. 1512 Abdullahi Ahmed An-Na'im, supra note 1507 à la p 4. 1513 Richard Falk, « Cultural Foundations for the International Protection of Human Rights », dans Abdullahi Ahmed 273 mesures de sensibilisation sociale ou d’éducation sous forme de débats intellectuels ou scolaires, d’expressions artistiques ou littéraires, d’actions politiques ou sociales, voire à travers des projets de développement1514. Puisque le droit est généralement dépendant des structures sociales, au Soudan du Sud, la promotion des droits individuels s’inscrirait dans un mouvement inévitable de transformation de l’organisation politique des communautés ethnoculturelles1515. Celles-ci pourraient être sensibilisées à la nécessité d’accorder à leurs membres la liberté de prendre part aux processus de prise de décisions et le droit de renoncer aux normes coutumières de leur communauté ou d’opter pour le forum juridique de leur choix 1516. Il faut noter que ces changements dans la culture sont inévitables, en raison notamment de l’implication de la communauté internationale dans la résolution des conflits, des nouvelles technologies de la communication, du retour des réfugiés, du contexte de la transition politique, de la dislocation et du déplacement interne des personnes1517. Toutefois, il ne faudrait pas que les droits de la personne soient imposés de l’extérieur; le changement doit provenir de l’intérieur1518. Cette approche donnerait plus de légitimité aux droits de la personne et engendrerait subséquemment une plus grande adhésion des populations à ces normes. Par ailleurs, il faudrait aussi tenir compte des relations de pouvoir qui se sont développées à la suite des transformations substantielles subies par les communautés ethnoculturelles durant les périodes coloniales et postcoloniales. De nos jours, en Afrique, de façon générale, les liens traditionnels qui liaient l’individu à sa communauté sont devenus fragiles : les besoins personnels des individus ont supplanté l’appartenance communautaire 1519. Les individus ne privilégient plus toujours systématiquement les normes culturelles et collectives de leur communauté d’appartenance sur leurs intérêts individuels. De ce fait, pour assurer une protection effective des droits de la personne, il ne faudrait pas que ces droits soient perçus comme An-Na'im, (éd.), supra note 1507 à la p 49. Bonny Ibhawoh, « Between Cultural and Constitution: Evaluating the Cultural Legitimacy of Human Rights in the African State », 22 (2000) Human Rights Quarterly 838 aux pp 855-856. 1514 Yvonne Donners, « Human Rights and Cultural Diversity: Too Hot to Handle », (2012) 30:4 Netherlands Quarterly of Human Rights 377 à la p 378; Abdullahi Ahmed An-Na'im, supra note 1507 à la p 4. 1515 Simon Simonse, supra note 364. 1516 Yvonne Donners, supra note 1514 à la p 381. 1517 Aleu Akechak Jok, Robert A. Leitch et Carrie Vanderwint, supra note 362 aux pp 26-29. 1518 David K. Deng supra note 430. 1519Sakah S. Mahmud, « The State and Human Rights in Africa in the 1990s: Perspectives and Prospects », (1993) 15:3 Human Rights Quarterly 485 aux pp 491-492. 274 une contrainte étrangère ou de l’élite, mais plutôt comme des normes issues d’un processus de négociation 1520. Les droits culturels du Soudan du Sud peuvent également être conciliés avec les droits de la personne à travers une procédure de révision collatérale1521. À ce titre, Raymond Verdier souligne que « l’universalisme [des droits de la personne] est un idéal commun à l’humanité et qu’il ne peut cependant se réaliser que si chaque culture y contribue selon sa propre voie » 1522. Cette approche reconnaît non seulement la nature et les caractéristiques particulières aux droits traditionnels, mais aussi le rôle qu’ils jouent dans la résolution des conflits sociaux. L’approche s’oppose dès lors à la transcription de ces normes au Soudan du Sud dans la mesure où celle-ci pourrait priver les communautés qui les produisent et les chefs qui les appliquent de leur rôle de façonner ces normes. Ce faisant, la transcription pourrait retirer à ces normes leur caractéristique de droit vivant qui s’adapte à l’évolution de la communauté qu’elles régissent1523. La préférence de laisser vivre les droits traditionnels selon leurs modalités propres a été soulignée par Martin Chanock au regard de l’expérience coloniale des Britanniques au Congo au début du XXè siècle. Il précisait qu’en ce qui concerne le choix des chefs coutumiers, « the emphasis lay on identifying the true chief so as not to upset the local hierarchy », et qu’une fois établis, ces chefs devaient mettre en œuvre « […] customary law on the assumption that this practice gave official sanction to an indigenous institution » 1524. Cette pratique visait ainsi d’éviter de dénaturer dès l’abord les normes coutumières pour ne pas les rendre ineffectives. Fort de ce constat, l’approche de révision collatérale recommande de laisser libre-cours aux droits culturels de fonctionner selon leur rationalité propre et de les soumettre à une révision par des mécanismes habilités auprès des juridictions de droit formel, non pas sur le mérite, mais plutôt sur la procédure, le résultat ou lorsque les réparations octroyées sont en deçà du standard minimum défini par la Constitution1525. Pour David Pimental, il ne faudrait donc pas réviser les droits coutumiers lors des appels interjetés devant les juges de droit formel, puisque soit ces 1520 Roderick A. Macdonald, supra note 746 à la p 144. David Pimentel, supra note 1504 à la p 3. 1522 Raymond Verdier, supra note 410 à la p 97. 1523 David Pimentel, supra note 1504 à la p 19. 1524 Martin Chanock, supra note 397 à la p 45, cité par David Pimentel, supra note 1504 à la p 20. 1525 David Pimentel, supra note 1504 aux pp 22-23. 1521 275 juges n’ont pas une connaissance adéquate des normes coutumières appliquées ou soit du fait que la procédure et la décision des systèmes coutumiers ne sont pas écrites. Un mécanisme qui pourrait jouer ce rôle de révision collatérale au Soudan du Sud pourrait être la Commission des droits de la personne (Human Rights Comnmission) dont la fonction constitutionnelle est de veiller à la protection des droits de la personne 1526. Pour Pimental, une telle approche contribuerait à renforcer l’autonomie de ces normes qui est fondamentale à leur efficacité à résoudre les différends sociaux1527. Au regard de ces possibilités d’arrimer les droits traditionnels avec les droits de la personne, la situation de pluralisme juridique du Soudan du Sud ne serait pas en tant que telle un problème, mais plutôt une opportunité qui offre au pays la possibilité de construire un État de droit pluraliste qui favorise l’accès à la justice à toute sa population. Ainsi, en dépit de leur particularité, les juridictions traditionnelles possèdent des avantages qui font qu’elles peuvent être mises à contribution dans la mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” au Soudan du Sud. Nous examinerons dans la section suivante ces avantages ainsi que les domaines de contribution de ces mécanismes à la transformation du pays. 2.2.3. – Les avantages et les domaines de contribution des systèmes de justice traditionnelle à la transformation du Soudan du Sud Nous présenterons, dans un premier temps, les avantages que possèdent les systèmes de justice traditionnelle (2.2.3.1) et, dans un second temps, quelques domaines dans lesquels ces mécanismes informels peuvent jouer un rôle important dans la transformation du Soudan du Sud (2.2.3.2). Selon l’Article 146 (1) de la CTSS de 2011, la fonction de la Commission des droits de la personne est de: « […] (a) monitor the application and enforcement of the rights and freedoms enshrined in this Constitution; (b) investigate, on its own initiative, or on a complaint made by any person or group of persons, against any violation of human rights and fundamental freedoms; (c) visit police jails, prisons and related facilities with a view to assessing and inspecting conditions of the inmates and make recommendations to the relevant authority; (d) establish a continuing programme of research, education and information to enhance respect for human rights and fundamental freedoms; (e) recommend to the National Legislative Assembly effective measures to promote human rights and fundamental freedoms; (f) create and sustain within society awareness of the provisions of this Constitution as the fundamental law of the people of South Sudan; (g) educate and encourage the public to defend their human rights and fundamental freedoms against all forms of abuse and violation; (h) formulate, implement and oversee programmes intended to inculcate in the citizens awareness of their civic responsibilities and understanding of their rights and obligations as citizens; (i) monitor compliance of all levels of government with international and regional human rights treaties and conventions ratified by the Republic of South Sudan; (j) express opinion or present advice to government organs on any issue related to human rights and fundamental freedoms; and (k) perform such other function as may be prescribed by law ». 1527 David Pimentel, supra note 1504 aux pp 24-25. 1526 276 2.2.3.1. – Les avantages des systèmes de justice traditionnelle Les juridictions traditionnelles ont plusieurs avantages qui font d’elles des dispositifs qui peuvent être utilisés pour satisfaire la demande de justice à la suite de crimes de masse comme ceux commis au Soudan du Sud. Le premier avantage de ces mécanismes de justice est lié à leur mode de fonctionnement propre et à leur proximité des communautés locales. Leonardi et autres résument ces bénéfices au Soudan du Sud comme suit : les Cours de chefs sont accessibles; les frais de recours n’y sont pas chers; elles favorisent l’accès à la justice; elles reposent sur une grande transparence et responsabilité; la possibilité qu’offre ces Cours d’opter pour le forum de son choix favorise une compétition positive entre elles, accroissant ce faisant leur efficacité; elles sont flexibles dans la rétribution et dans la restauration; elles ont un lien avec la justice étatique à travers les procédures d’appels; il existe une coopération entre elles et les organes étatiques; elles sont un lieu de dialogue entre différentes générations; elles sont flexibles et adaptables par rapport au droit coutumier vivant; elles sont efficaces dans la résolution des conflits individuels1528. À ces avantages s’ajoute le fait que les juridictions traditionnelles sont généralement mises en œuvre dans le locus commissi delicti, autrement dit près des victimes des crimes et elles fonctionnent dans la langue et la culture de la communauté1529. Un tel fondement social et culturel a pour corollaire une plus grande légitimité de ces dispositifs auprès des populations locales, ce qui favorise leur pleine participation à ces procédures. Au Rwanda par exemple, au début des jugements du crime de génocide, il avait été constaté que lorsque les procès avaient lieu dans le cadre formel du tribunal, les accusés pouvaient facilement préparer des témoins à décharge pour nier les faits. Pourtant, lorsque la Cour se déroulait dans les communautés, les accusés ou leurs témoins ne pouvaient aisément mentir sur les faits, car la population intervenait sur le champ pour relater la vérité1530. C’est ce qui a conduit le gouvernement à adopter les juridictions communautaires gacaca. La Loi organique du 26 janvier 2001, portant création de ces juridictions, dispose dans son préambule que puisque les « infractions ont été commises publiquement sous les yeux de la population, qu’ainsi elle doit relater les 1528 Cherry Leonardi et al., supra note 454 à la p 72. Pacifique Manirakiza, supra note 1491 aux pp 432-434. 1530 Murielle Paradelle et Hélène Dumont, supra note 1101 à la p 106. 1529 277 faits, révéler la vérité́ et participer à la poursuite et au jugement des auteurs présumés » et que du fait que « le devoir de témoignage est une obligation morale, nul n’étant en droit de s’y dérober pour quelque cause que ce soit » 1531. Toutefois, les gacaca ne constituaient pas seulement un forum communautaire de révélation de la vérité, elles ont été également conçues par les autorités rwandaises comme un vecteur de dialogue entre les communautés divisées par les violences 1532. Mark Drumbl abonde dans cette même veine, en soulignant que du fait que les délibérations étaient publiques et accessibles à toute la population, cette justice traditionnelle fortifiait les victimes et les personnes présentes lors des violences et aidait les communautés fragmentées à se reconstruire 1533. Le Soudan du Sud pourrait bien s’inspirer de cette expérience rwandaise. Les systèmes de justice traditionnelle ont aussi l’avantage d’être rapides. En raison de la simplicité des procédures, ces systèmes de justice prennent généralement, selon la gravité du litige, un à deux jours pour que les médiateurs traditionnels parviennent à un compromis entre les parties 1534. Cette rapidité s’explique en outre par le fait que les populations connaissent déjà les crimes qui ont été commis puisqu’ils ont eu lieu en leur présence et souvent avec leur complicité active ou passive. En outre, les populations sont généralement familiarisées avec les normes et aux procédures coutumières. Tout cela permet à ces mécanismes de ne pas passer trop de temps à réunir les preuves et à expliquer les normes et les procédures coutumières, mais plutôt à se focaliser sur la recherche de compromis et de moyens pour restaurer l’harmonie entre les parties et de la société dans son ensemble. Cette rapidité des juridictions traditionnelles s’apprécie aussi plus aisément lorsqu’on la compare aux procédures devant les juridictions pénales internationales. À titre d’exemple, le procès devant la Cour pénale internationale de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé pour crimes contre l’humanité commis dans le cadre des violences post-électorales du 16 décembre 2010 au 12 avril 2011 s’est ouvert le 28 janvier 2016 et a donné lieu à leur acquittement de toutes les 1531 Assemblée Nationale de Transition de la République du Rwnada, Loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des « Juridictions Gacaca » et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, au préambule. 1532 Murielle Paradelle et Hélène Dumont, supra note 1101 à la p 106. 1533 Mark Drumbl, « Punishment, Postgenocide: From Guilt to Shame to Civis in Rwanda », (2000) 75 New York University Law Review 1221 à la p 1264. 1534 Pacifique Manirakiza, supra note 1491 à la p 436. 278 charges le 15 janvier 2019 1535. Le Procureur de la Cour ayant fait appel de cette décision, les deux acquittés, dont la liberté est soumise à des conditions, sont à la disposition de la Cour en attendant la décision de la Chambre d’appel1536. C’est dire que la justice pénale internationale peut prendre plusieurs années avant d’arriver à une décision finale, contrairement aux juridictions traditionnelles qui rendent généralement leur décision en l’espace de quelques jours. Par ailleurs, du fait que la justice pénale classique se focalise sur les responsabilités pénales individuelles, elle n’est pas assez outillée pour résoudre les responsabilités collectives très souvent à l’origine des crimes de masse1537. Du fait de la collectivité qu’ils engagent dans leurs procédures, les mécanismes de justice traditionnelle se présentent dès lors comme des fora appropriés pour engager la responsabilité collective. Le rôle de la collectivité dans ce contexte pourrait s’analyser en cherchant notamment à répondre aux violences structurelles ou systémiques, c’est-à-dire, aux rôles des institutions et des communautés dans la commission des atrocités. Mark Drumbl souligne par exemple qu’au Rwanda, le génocide s’est produit avec une telle agencéité, qu’à défaut d’engager la culpabilité collective des populations, il faudrait au moins engager la responsabilité collective des structures politiques et sociales qui ont rendu possibles les atrocités 1538. Une telle responsabilité se mettrait en œuvre à travers des sanctions non pénales telles que la responsabilité civile, les services communautaires, la réprobation publique suivie de la réinsertion à l’égard des groupes ou des institutions pour leur action ou leur inaction durant les conflits 1539. Les systèmes de justice traditionnelle du Soudan du Sud peuvent ainsi être le cadre idéal pour engager ces responsabilités. Après avoir présenté les avantages des systèmes de justice traditionnelle, nous étudierons dans la section suivante quelques domaines de contribution de ces mécanismes dans la transformation du Soudan du Sud. 1535 Voir Cour pénale internationale, Le Procureur c. Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, Chambre de première instance I, No ICC-02/11-01/15, 16 juillet 2019. 1536 Cour pénale international, « La Chambre d'appel de la CPI impose des conditions à la mise en liberté de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé suite à leur acquittement », 1er février 2019, disponible en ligne sur <https://www.icccpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1436&ln=fr>, consulté le 8 décembre 2019. 1537 Voir Mark Drumbl, « Collective Violence and Individual Punishment: The Criminality of Mass Atrocity », (2005) Nothwestern University Law Review 539 aux pp 571-577. 1538 Mark Drumbl, supra note 651 à la p 11. 1539 Mark Drumbl, « Collective Responsibility and Post-Conflict Justice », dans Tracy Isaacs et Richard Vernon (éds.), Accountability for Collective Wrongdoing, Cambridge, Cambridge University Press, 2011 à la p 25. 279 2.2.3.2. – Les domaines de contribution des systèmes de justice traditionnelle à la transformation du Soudan du Sud Nous avons déjà montré que le système de justice pénale internationale classique ne peut à lui seul complètement épuiser la demande de justice et de réconconciliation nationale dans les contextes de crimes de masse1540, et que sa pertinence culturelle se pose aussi sérieusement dans les sociétés non-occidentales. De ce fait, nous l’avons montré, le Soudan du Sud est caractérisé par l’incapacité de l’État et le manque de volonté politique de ses dirigeants à mettre en œuvre une justice pénale nationale ou internationalisée crédible pour répondre aux crimes graves qui y ont été perpétrés. Une telle situation commande à penser, malgré les normes que les systèmes de justice traditionnelle appliquent, au rôle qu’ils peuvent jouer dans l’administration de la justice. Dans cette perspective, Pacifique Manirakiza souligne que « dans la mesure où ils engagent toute la société dans la recherche de solutions à ses problèmes, ces mécanismes constituent un atout complémentaire aux efforts des institutions judiciaires classiques », et d’ajouter qu’ils « contribuent à asseoir une véritable justice considérée dans ce contexte comme une profonde transformation de l’ordre social, politique et juridique »1541. Dans la même veine, dans son document de Politique de justice transitionnelle adopté en février 2019, l’Union Africaine affirmait qu’il faudrait « [r]econnaître la contribution des pratiques traditionnelles positives et des normes coutumières africaines qui se sont avérées des compléments utiles aux poursuites pénales en ce qui concerne certaines catégories de crimes » et que, ce faisant, ces mécanismes « devraient être adaptés et utilisés parallèlement aux mécanismes formels pour résoudre les problèmes liés à la justice, à la paix, à la responsabilité́ , à la cohésion sociale, à la réconciliation et à la guérison »1542. Le recours aux systèmes de justice traditionnelle pourrait ainsi permettre de désengorger les tribunaux étatiques qui ont des difficultés importantes à rendre justice. En ce qui concerne leur mise en œuvre, en raison de leur nature propre, leur compétence personnelle peut être limitée aux présumés auteurs qui se trouvent en bas de l’échelle de 1540 Voir, entre autres, Murielle Paradelle, Hélène Dumont et Anne-Marie Boivert, « Quelle justice pour quelle réconciliation ? Le Tribunal pénal international pour le Rwanda et le jugement du génocide », (2005) McGill Law Journal 359. 1541 Pacifique Manirakiza, supra note 1491 à la p 455. 1542 Union Africaine, Politique de justice transitionnelle, adoptée en février 2019, disponible en ligne sur <https://au.int/sites/default/files/documents/36541-doc-au_tj_policy_fre_web.pdf>, consulté le 9 décembre 2019. 280 la criminalité, à savoir les exécutants, alors que les “plus grands responsables”, c’est-àdire, les personnes qui ont donné les ordres, pourraient relever de la compétence des juridictions étatiques ou internationales 1543. Quant à leur compétence matérielle, elle pourrait porter sur certaines violences dont par exemple les conflits inter-communautaires (2.2.3.1.1), les violences sexuelles faites aux femmes (2.2.3.1.2), et les crimes des enfants soldats (2.2.3.1.3). Nous analyserons ces questions dans les sections suivantes. 2.2.3.1.1. – La résolution des conflits inter-communautaires Dans le cadre de la mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” au Soudan du Sud, les systèmes de justice traditionnelle pourraient être utilisés pour résoudre les violences inter-communautaires. Comme nous l’avons précédemment souligné, ces conflits sont assez complexes dans la mesure où ils sont polycentriques et s’opèrent à plusieurs niveaux 1544. Ils portent généralement sur des différends relatifs à l’accès aux zones de pâturage, à la terre, aux raids de femmes, de jeunes filles et de bétails 1545. Habituellement, ce sont les conflits intra-communautaires qui sont jugés par les juridictions traditionnelles. Pour les conflits inter-communautaires, ils sont résolus par des Cours spéciales, des rencontres inter-communautaires et par des conférences de paix1546. La composition de ces mécanismes diffère selon les localités et selon l’ampleur des conflits. Ils peuvent être composés soit de chefs traditionnels, soit de différentes autorités telles que les chefs traditionnels, les leaders d’église, les représentants des femmes, les représentants des jeunes, les hommes politiques, les organisations communautaires, les organisations internationales 1547. Malgré le fait que ces conflits ont entrainé la mort de milliers de personnes 1548, le R-ARCSS ne s’est pas assez penché sur les réponses à leur apporter. Les mécanismes de justice transitionnelle qu’il a prévus se focalisent plutôt sur les conflits de nature politique. Pourtant ces conflits sont généralement assez difficiles à résoudre. Tel que mentionné auparavant, en plus du fait que les coupables parviennent très souvent à fuir en 1543 Pacifique Manirakiza, supra note 1491 à la p 471. United Nations Development Programme, supra note 213. 1545 Peter Hakim Justin et Han van Dijk, supra note 1274 à la p 10. Voir aussi Lotje De Vries et Peter Hakim Justin, supra note 1289. 1546 Marina Santschi, supra note 465 à la p 49. 1547 Ibid. 1548 David K. Deng, supra note 430. 1544 281 traversant les frontières administratives ou internationales, le fait que les coupables et les victimes ne sont pas issus des mêmes communautés ethniques rendent les réparations suivant les procédures coutumières difficiles 1549. Leonardi et autres soulignent que lorsque ces conflits ont conduit à des morts, les chefs traditionnels hésitent très souvent à les trancher, puisqu’ils mettent leur propre vie dans danger. Ils préfèrent être associés à d’autres autorités locales dont les leaders d’église pour procéder aux négociations afin de parvenir aux mesures de réparation qui assureront la paix 1550. Au regard de ces complexités, nous recommandons que ces conflits soient pris en compte dans le cadre de la justice transitionnelle et que les chefs traditionnels soient associés à d’autres autorités locales et appuyés par des agents d’organisations internationales pour résoudre ces conflits. En plus des violences régulières dont les raids de femmes, de bétails que ces instances résolvent habituellement, ils peuvent aussi avoir la compétence pour des infractions contre la propriété commises dans le cadre des crimes internationaux perpétrés dans les conflits1551. L’adoption de mécanismes ad hoc qui associent les chefs traditionnels, les autorités religieuses et des acteurs internationaux pourrait ainsi contribuer à une transformation effective de ces conflits. En plus des conflits intercommunautaires, les systèmes de justice traditionnelle pourraient aussi jouer un rôle important dans la résolution des violences sexuelles faites aux femmes, du fait du pluralisme juridique étatique qui caractérise le Soudan du Sud. 2.2.3.1.2. – La résolution des violences sexuelles faites aux femmes Au Soudan du Sud, bien que les violences sexuelles soient de la compétence des juridictions du droit formel de l’État, elles relèvent aussi des systèmes de justice traditionnelle en raison du lien entre ces crimes et le droit de la famille 1552. Dans certaines localités, les crimes de violence sexuelle sont systématiquement déférés devant les juridictions étatiques de droit formel, alors que dans d’autres, ils sont jugés par les 1549 Ibid. Cherry Leonardi et al., supra note 454 à la p 66. 1551 Pacifique Manirakiza, supra note 1103 à la p 71. 1552 Haki, « Combatting Gender-Based Violence in the Customary Courts of South Sudan », 2011 à la p 42, disponible en ligne sur <https://static1.squarespace.com/static/53f7ba98e4b01f78d142c414/t/53ffdb13e4b0bf4098a1194d/1409276691505/Co mbatting+GBV+in+South+Sudan_Haki.pdf>, consulté le 26 mai 2020. 1550 282 juridictions traditionnelles en application des normes coutumières 1553. Dans ces dernières situations, les actes de viol et autres violences sexuelles ne sont pas appréhendées comme des crimes individuels qui concernent seulement le coupable et la victime, mais ils sont considérés comme des crimes collectifs qui affectent aussi leur(s) communauté(s) d’appartenance. Les réparations dépendent généralement de l’âge de la victime, de son statut marital et social et de la “valeur” qui lui est accordée dans sa communauté 1554. Elles prennent généralement la forme de compensations déterminées par les chefs coutumiers1555. À Rumbek, par exemple, ville où il y a le taux le plus élevé de violences sexuelles, les Cours de chefs ignorent habituellement les affaires dans lesquelles la femme est battue pour une faute qu’elle aurait commise, à moins qu’elle ne soit enceinte. Lorsque la femme est fautive, elle est généralement punie de 30 coups de fouets. Dans une affaire de viol, l’accusé a été condamné à trois mois de prison et à des droits de compensation de cinq vaches1556. Ceci démontre davantage la nature hybride de la justice traditionnelle qui comporte des éléments de rétribution en sus de l’aspect restaurateur. Du fait de l’ampleur des violences sexuelles commises au Soudan du Sud durant les conflits et en raison de leur gravité, notre “approche transformative de la justice transitionnelle” suggère que ces crimes contre les femmes fassent l’objet à la fois de procédure pénale devant les juridictions de droit formel et de procédure coutumière devant les juridictions de droits coutumiers. Cette approche holistique permettrait à ces crimes d’être non seulement punis par des peines d’emprisonnement, mais en plus de faire l’objet de compensation sous la forme d’un certain nombre de vaches à donner aux victimes, et de purification selon les normes coutumières locales. En outre, du fait que ces normes tendent généralement à renforcer les structures de discrimination et d’inégalité de genre à l’encontre des femmes et des jeunes filles 1557, même s’il faut les laisser fonctionner selon leur rationalité propre, leur procédure doit se dérouler en veillant à leur arrimage adéquat avec les droits fondamentaux de la personne. Par ailleurs, 1553 Legal Action Worldwide (LAW), Accountability for Sexual Violence Committed by Armed Men in South Sudan, South Sudan Law Society, Nuhanovic Foundation, 2016 à la p 26, disponible en ligne sur <http://www.legalactionworldwide.org/wp-content/uploads/2016/05/Legal-Action-Worldwide-Report-onAccountability-for-Sexual-Violence-Committed-by-Armed-Men-in-South-Sudan.pdf>, consulté le 27 mai 2020. 1554 Ibid à la p 16. 1555 Ibid. 1556 Haki, supra note 1552 à la p 45. 1557 David K. Deng, supra note 430 à la p 47. 283 comparativement aux juridictions de droit formel et à la CVRG, un avantage des instances traditionnelles est qu’elles ne sont pas sujettes à la double victimisation dont les femmes font généralement l’objet devant les mécanismes formels de justice lorsqu’elles sont soumises à des procédures parfois humiliantes de contradictoire et de contreinterrogation1558. En effet, bien qu’elles exigent des témoins, ces instances ne soumettent pas généralement les femmes victimes de violences sexuelles, et particulièrement celles qui sont tombées enceintes et les filles-mères, à de longues interrogatoires dans le but de déterminer la crédibilité de leur témoignage. Elles cherchent simplement à les réinserrer dans la communauté locale à travers les rites traditionnels. C’est pourquoi selon les Principes de Paris, « [p]our les faire accepter, il faut prévoir des mesures telles que la pratique des rituels traditionnels, les réparations, la fourniture de soins médicaux et l’aide à la recherche d’un gagne-pain, et l’instauration de liens avec les groupes féminins »1559. En plus des contributions qu’ils peuvent faire concernant les violences sexuelles faites aux femmes, les systèmes de justice traditionnelle peuvent aussi jouer un rôle important dans la résolution des crimes commis par les enfants soldats. 2.2.3.1.3. – La résolution des crimes des enfants soldats Selon le Projet de Statut du THSS, « [t]he hybrid Court shall have no jurisdiction over any person who was under the age of 18 years at the time of the alleged commission of a crime »1560. En outre, en droit international, la question se pose de savoir si les enfants soldats doivent être tenus pour responsables des crimes qu’ils ont commis dans les conflits ou s’ils devraient au contraire être considérés comme des victimes de la guerre1561. Pour les Principes de Paris, les enfants ayant commis des crimes alors qu’ils étaient associés à des groupes armés doivent être considérés principalement comme des victimes et non comme des auteurs présumés de ces crimes 1562. Au regard de ces normes, plusieurs jeunes combattants et particulièrement de l’“Armée Blanche” qui ont commis 1558 Voir Julie Martus, « Shouting from the Bottom of the Well: The Impact of International Trials for Wartime Rape on Women’s Agency », (2004) 6 International Feminist Journal of Politics 110 à la p 112. 1559 Les Principes de Paris, Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, février 2007 [Principes de Paris] Principe 7.61. 1560 Projet de Statut du THSS, Article 9. 1561 Voir, entre autres, Mark A. Drumbl, Reimagining Child Soldiers in International Law and Policy, Oxford, Oxford University Press, 2012; Pieter Brits & Michelle Nel, « The Criminal Liability of Child Soldiers: In Search of a Standard », (2012) 22:3 Journal of Psychology in Africa 467; Matthew Happold, « Child Soldiers: Victims or Perpetrators », (2008) 29 University of La Verne Law Review 56. 1562 Les Principes de Paris, supra note 1559 au Principe 3.6. 284 des crimes graves pendant les conflits se trouveront, en raison de leur bas âge, exclus de toute poursuite par le THSS. De plus, ces jeunes pourraient aussi échapper à toute poursuite au plan interne en raison non seulement du manque de volonté politique, mais aussi du fait de la législation ambiguë sur le statut des enfants mineurs tel que précédemment présenté. De ce fait, pour que les crimes commis par ces enfants ne tombent pas dans l’impunité totale, il faudrait que d’autres mécanismes puissent travailler à engager leur responsabilité. Nous pensons que les systèmes de justice traditionnelle peuvent pleinement jouer ce rôle. Selon le Groupe de travail inter-institutions sur le désarmement, la démobilisation et la réintegration, « [c]ultural, religious, and traditional rituals can play an important role in the protection and reintegration of girls and boys into their communities, such as traditional healing, cleansing and forgiveness rituals, the development of solidarity mechanisms based on tradition »1563. Les juridictions traditionnelles peuvent ainsi constituer des fora adéquats de responsabilisation des enfants par rapport à leurs actes tout en leur accordant des mesures adéquates de rééducation et de reinsertion sociale 1564. À la suite de la guerre civile du Mozambique (1977-1992), par exemple, à travers les cérémonies de purification, les guérisseurs traditionnels et religieux sont parvenus à réconcilier les enfants avec leur passé criminel et à les réinsérer dans leur famille et dans leur communauté d’origine1565. En Ouganda, la justice traditionnelle a joué également un rôle important dans la réinsertion des enfants soldats. Les cérémonies traditionnelles ont été utilisées diversement par les communautés, parfois en organisant des rituels de purification et de guérison des enfants avant leur réintégration dans la communauté, et en laissant de côté d’autres procédures coutumières comme la demande de pardon, la responsabilité, le remords, et la compensation 1566. Cela met en exergue la nature flexible et adaptable des normes coutumières qui fait en sorte qu’elles peuvent être modifées par les chefs traditionnels suivant les situations. Le Soudan du Sud pourrait donc soumettre 1563 Inter-Agency Disarmament, Demobilization and Reintegration Working Group (IDDRWG), IDDRS Module 05.30: Children and DDR, 4 octobre 2005 à la p 24, disponible en ligne sur <https://bettercarenetwork.org/sites/default/files/Children%20and%20DDR.pdf>, consulté le 27 mai 2020. 1564 Pacifique Manirakiza, supra note 1491 aux pp 470-473. 1565 Voir N. Boothby, J. Crawford, & J. Halperin, « Mozambique Child Soldier Life Outcome Study: Lessons Learned in Rehabilitation and Reintegration Efforts », (2006) 1:1 Global Public Health 87. 1566 Hope Among, « The Application of Traditional Justice Mechanisms to the Atrocities Committed by Child Soldiers in Uganda: A Practical Restorative Justice Approach », (2013) 13 African Human Rights Law Journal 441 à la p 452. 285 les enfants soldats aux systèmes de justice traditionnelle afin qu’ils soient purifiés avant d’être réinsérés dans leurs communautés respectives. Par ailleurs, en plus du rôle que les systèmes de justice traditionnelle peuvent jouer dans la résolution des crimes des enfants soldats, il convient de noter qu’à travers leurs procédures, ils peuvent aussi fortement contribuer à la réconciliation nationale. 2.2.3.3. – La contribution à la réconciliation nationale Du fait que les conflits aient touché toutes les couches de la société sud-soudanaise et que les populations en aient été à la fois des victimes directes et indirectes, leur participation aux mécanismes de justice traditionnelle pourrait contribuer à la réconciliation entre des familles, des communautés et, partant, de la nation entière. Cette justice participative pourrait suivre l’exemple du Rwanda post-génocide où 169 442 citoyens-juges ont été élus pour rendre justice dans 12 103 tribunaux gacaca et où les populations des villes comme dans les villages ont été associées à la recherche de la justice et la réconciliation1567. Le Soudan du Sud pourrait s’inspirer de cette expérience, en se fondant essentiellement sur leur aspect restaurateur, afin de juger les crimes commis dans les communautés. Pour ce faire, il est nécessaire que les juridictions traditionnelles donnent la parole aux populations des villes et des villages pour qu’elles s’expriment sur les violations dont elles ont été victimes afin que les chefs traditionnels procèdent aux médiations et aux conciliations nécessaires selon les droits coutumiers. Comme nous l’avons souligné précédemment, la reconnaissance des victimes est en soi une justice qui participe à leur guérison et à leur réconciliation avec les personnes fautives. En se focalisant sur la restauration de l’équilibre communautaire au lieu du modèle des gacaca réinventées qui était plus rétributif que restaurateur1568, les juridictions traditionnelles pourraient fortement contribuer à la réconciliation des familles et des communautés. Par ailleurs, la mise en œuvre de mesures de compensation selon les normes coutumières en vue de réparer les préjudices subis par les familles et les communautés pourrait aussi faciliter le processus de réconciliation. Celles-ci pourraient se faire à travers le paiement d’un certain montant d’argent ou un certain nombre de vaches selon les droits coutumiers 1567 1568 Pacifique Manirakiza, supra note 1491 aux pp 422-423. Ibid à la 425. 286 des victimes. À travers ces mesures, ces mécanismes informels pourraient ainsi contribuer à la réconciliation nationale. 287 Conclusion À la suite de cette thèse, il ressort que la théorie et la pratique de la justice transitionnelle ont connu des développements importants depuis la conceptualisation de la discipline au début des années 1990. Elle a fait l’objet de critiques virulentes quant à la capacité de ses mécanismes classiques à savoir la justice pénale et les Commissions de vérité et de réconciliation à répondre effectivement aux crimes internationaux et à transformer substantiellement les sociétés post-conflictuelles. Ces reproches ont notamment souligné l’enracinement de ces dispositifs dans l’idéologie du libéralisme politique à travers leur focalisation sur les violations des droits civils et politiques, tout en marginalisant les violations des droits sociaux, économiques et culturels. Autrement dit, il est soutenu que ces mécanismes ne répondent pas assez aux causes structurelles qui sont le plus souvent à la source des violences. C’est dans ce contexte que cette thèse s’est proposée de rechercher le modèle de justice transitionnelle qui serait le plus efficace pour le Soudan du Sud. Pour ce faire, elle a adopté comme cadre théorique l’“approche transformative de la justice transitionnelle” pour analyser les défis structurels, sociaux, économiques, politiques et conflictuels qui se posent au Soudan du Sud. Au terme de l’étude, la question se pose de savoir si cette approche théorique garantit véritablement l’effectivité de la justice transitionnelle dans le pays? À cette interrogation, nous répondons qu’au regard du contexte historique du pays et de l’analyse qui a été faite, nous pouvons affirmer que cette approche se présente comme possédant des éléments conceptuels pertinents pour analyser le contexte conflictuel dans le but de contribuer à sa transformation profonde. En effet, en raison des violences structurelles politiques, sociales et économiques, et les violences physiques que la région a connu durant les périodes coloniale et postcoloniale, cette “approche transformative de la justice transitionnelle” permettrait de punir les crimes commis dans le pays, guérir et réconcilier les communautés opposées et poser les fondements d’un nouvel ordre politique et social. Elle permettrait également de concevoir la mise en œuvre de chacun des mécanismes de justice transitionnelle, à savoir, les juridictions nationales, le THSS, la CVRG, et les systèmes de justice traditionnelle, non pas simplement comme des instuments qui visent, selon les expériences passées, la transition des conflits vers la paix ou de l’autocratie vers la démocratie sans posséder les outils conceptuels adéquats pour atteindre ces objectifs, 288 mais plutôt comme des dispositifs réinventés dans leur substance propre pour contribuer à une véritable transformation du pays. Pour cela, il faudrait tout d’abord que les tribunaux nationaux mettent en œuvre les réformes suggérées pour résoudre les défaillances du systèmes de justice nationale. La justice pénale devra ensuite engager des pousuites ciblées pour réprimer particulièrement les instigateurs de violences inter-communautaires et les auteurs des violences faites aux femmes, tout en s’assurant d’une participation effective des populations à son processus. En ce qui concerne le THSS, il devra tenir compte de la diversité culturelle et normative dans la justice à rendre et jouer un rôle important dans la réparation des injustices structurelles et socio-économiques du pays. Quant à la Commission de vérité, de réconciliation et de guérison (CVRG), elle doit faire l’objet d’une grande implication des populations locales afin d’être réellement transformative. À ce titre, nous avons montré que les victimes tant directes qu’indirectes doivent avoir une attention particulière. Elles ne doivent pas être considérées comme de simples acteurs de la CVRG, mais comme des agents qui changent les relations de pouvoir et les inégalités structurelles existantes. Elle doit être une institution qui transforme les victimes elles-mêmes et leur condition. Aussi, en ce qui concerne notamment les femmes, la CVRG doit éviter d’être un forum qui leur suscite de nouvelles traumatisations. Par ailleurs, la CVRG doit mettre en œuvre des mesures de réparation à la fois individuelles ou collectives. Mais, il convient de noter que bien que les premières aient des avantages se rapportant à la reconnaissance, à la compensation, à la restauration des victimes des conflits, elles peuvent aussi avoir des revers quand elles sont utilisées par l’État pour ne pas opérer les transformations structurelles nécessaires au pays. C’est pourquoi les réparations doivent être aussi collectives en se rapportant à la construction d’infrastructures communautaires et à la résolution des violations des droits économiques, sociaux et culturels, et en particulier, les droits de proprité. Les réparations doivent aussi consister en des mesures symboliques comme des monuments commémoratifs qui constituent des outils mémoriels qui éduquent la nouvelle génération sur les violences du passé pour que celles-ci ne se reproduisent plus. Nous avons aussi montré comment la réconciliation et de la guérison peuvent également contribuer à la transformation du Soudan du Sud en engageant l’ensemble de la population dans la recherche de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition. Par 289 ailleurs, nous avons également souligné le rôle que peuvent jouer les systèmes de justice traditionnelle ou communautaire dans la transformation du pays, en dépit des controverses dont ils sont souvent l’objet. Nous avons démontré que pour que ces mécanismes puissent contribuer à la transformation du Soudan du Sud, ils doivent être mis en œuvre à travers les normes transversales des droits coutumiers, dans une conception pluraliste du droit, en harmonie avec les droits de la personne. Les avantages de ces mécanismes sont le désengorgement des tribunaux étatiques, leur capacité à répondre rapidement à certains crimes comme ceux des enfants, ceux contre la propriété, les conflits inter-communautaires, et les violences sexuelles faites aux femmes. Ainsi, au regard des développements de cette thèse, nous pouvons affirmer que la mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” est complètement réalisable au Soudan du Sud pour autant qu’elle bénéficie d’au moins deux ordres de conditions. À défaut d’un engagement politique ferme de la part des autorités politiques et militaires du pays, il faudrait une pression forte de la part des membres de la communauté internationale. Ces acteurs doivent veiller à ce que les mécanismes de justice transitionnelle bénéficient d’une grande légitimité tout au long de leur mise en œuvre. Pour cela, ils doivent s’assurer que ces dispositifs reposent sur le principe d’une participation active des populations dans leur diversité à la fois au cours de leur mise en place, de leur fonctionnement, des délibérations et des prises de décision comme cela a été amorcé lors du processus de dialogue national. Aussi, ces mécanismes doivent bénéficier de l’indépendance institutionnelle et des moyens logistiques nécessaires pour fonctionner et mener à bien leurs activités pour contribuer effectivement à la transformation du contexte conflictuel. Par ailleurs, il convient de souligner que plusieurs défis majeurs pourraient menacer la mise en œuvre effective de l’“approche transformative de la justice transitionnelle”. Il s’agit tout d’abord du fait qu’elle pourrait être considérée comme trop ambitieuse de part ses objectifs et, de ce fait, les décideurs politiques pourraient succomber à la tentation, toujours présente en contexte transitionnel, de se limiter à une mise en œuvre superficielle des mécanismes de justice transitionnelle de manière à donner l’impression que “quelque chose a été faite” alors que rien n’a substantiellement changé. Cette situation qui dépend du contexte socio-politique et des intérêts des acteurs 290 est fortement présente au Soudan du Sud dans la mesure où ce sont les mêmes acteurs préconflictuels qui sont encore au pouvoir dans la période postconflictuelle. En outre, du fait que le processus de justice transitionnelle en cours ne fait pas suite à la victoire militaire ou politique d’une partie au conflit sur une autre, mais plutôt à un accord de paix arraché sous la pression de la communauté internationale, il y a une forte probabilité que le processus de justice transitionnelle soit fortement contrôlé par ces acteurs politiques et militaires pour s’assurer qu’il ne compromette pas leurs intérêts politiques et économiques. La mise en œuvre de la justice transitionnelle pourrait ainsi se limiter juste à la poursuite de la paix négative sans que l’on ne cherche à résoudre les causes profondes des conflits. Cela pourrait fortement hypothéquer la réalisation de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” dans le pays. Pour éviter cela, comme nous l’avons souligné, il faudrait que cette approche de la justice transitionnelle soit fortement accompagnée par la communauté internationale et s’inscrive dans le long terme en s’assurant de poser progressivement les bases d’une transformation substantielle du contexte conflictuel à partir du début de la période transitionnelle. Un autre défi majeur qui menace l’“approche transformative de la justice transitionnelle” au Soudan du Sud est le risque qu’elle ne se fonde principalement sur l’idéologie de la paix libérale et le stato-centrisme, et finalement fasse l’objet des mêmes critiques de la justice transitionnelle classique qui ont conduit à l’émergence de la “justice transformative” dans la discipline. Pour ce qui est du premier défi, il faudrait que la mise en œuvre de l’“approche transformative de la justice transitionnelle” prête attention à ne pas créer de hiérarchie entre les droits civils et politiques, d’une part, et les droits économiques, sociaux et culturels, de l’autre. En ce qui concerne le statocentrisme, l’approche devrait veiller à ce que l’adoption et le fonctionnement des différents mécanismes de justice transitionnelle procède principalement par le bas, c’està-dire, à travers la participation active de toutes les couches sociales du pays. La prise en considération de ces défis majeurs permettra, il nous semble, à l’“approche transformative de la justice transitionnelle” d’être mise en œuvre de manière effective et de favoriser l’édification d’une paix durable au Soudan du Sud. 291 Bibliographie générale 1. Doctrine 1.1. Monographies Akol Lam, Southern Sudan: colonialism, Resistance and Autonomy, Eritrea, The Red Sea Press, 2007. Arkell A. 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Akajesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 2 septembre 1998). Procureur c. Anto Furundžija (IT-95-17/1-T), T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 10 décembre 1998). Procureur c. Bagilishema, ICTR-95-1A-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 7 juin 2001). Procureur c. Blaškić, IT-95-14-A, T.P.I.Y, (Chambre d’Appel, Arrêt du 29 juillet 2004). Procureur c. Blaškić, IT-95-14-T, T.P.I.Y, (Chambre de première instance I, Jugement du 21 janvier 1998). Procureur c. Clement Kayishema et Obed Ruzindana, IT-95-1-A, T.P.I.R., (Chambre d’appel, Jugement du 1er juin 2001). Procureur c. Dario Kordić et Mario Čerkez, IT-95-14/2-A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, arrêt du 17 décembre 2004). Procureur c. Dranzen Erdemovic, T.P.I.Y, (Chambre d’Appel, Arrêt du 7 octobre 1997), Opinion individuelle présentée conjointement par Madame le Juge McDonald et Monsieur le Juge Vohrah. Procureur c. Dusko Tadić, allias “Dule”, Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, TPIY, (Chambre d’appel, Jugement du 2 octobre 1995). Procureur c. Dusko Tadić, allias “Dule”, Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Jugement du 2 octobre 1995). Procureur c. Dusko Tadić, allias “Dule”, Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Jugement du 2 octobre 1995). 334 Procureur c. Dusko Tadić, IT-94-1A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Arrêt du 15 juillet 1999). Procureur c. Dusko Tadić, IT-94-1A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Arrêt du 15 juillet 1999). Procureur c. Dusko Tadić, IT-94-1A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, Arrêt du 15 juillet 1999) au para 131. Voir aussi Chambre Africaine Extraordinaire d’Assises, Ministère Public c. Hussein Habré, Jugement du 30 mai 2016. Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, C.P.I, Chambre préliminaire I, Jugement N° : ICC‐01/04‐01/07 du 30 septembre 2008. Procureur c. Jean Paul Akayesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance I, Jugement du 2 septembre 1998). Procureur c. Jean Paul Akayesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance I, Jugement du 2 septembre 1998). Procureur c. Jean-Pierre Bemba, Chambre préliminaire II, décision N° ICC‐01/05‐01/08 du 15 juin 2009. Procureur c. Jelisić, IT-95-10, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 14 décembre 1999). Procureur c. Kajelijeli, ICTR-98-44A-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance II, Jugement du 1er décembre 2003). Procureur c. Kayishema et Ruzindana, ICTR-95-1-T, T.P.I.R., (Chambre de première instance, Jugement du 21 mai 1999). Procureur c. Krstić IT-98-33-A, T.P.I.Y., (Chambre d’Appel, Arrêt du 19 avril 2004). Procureur c. Krstić IT-98-33-T, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 2 août 2001). Procureur c. Kunarac et al., IT-96-23 & IT-96-23/1-A, T.P.I.Y, (Chambre d’Appel jugement du 12 juin 2002). Procureur c. Laurent Semanza, ICTR-97-20-A, T.P.I.R, (Chambre d’Appel, Arrêt du 20 mai 2005). Procureur c. Ljube Boškoski et Johan Tarčulovski, IT-04-82-A, T.P.I.Y, (Chambre d’appel, arrêt du 19 mai 2010). Procureur c. Lubanga Dyilo, Chambre de première instance I, jugement No ICC-01/04335 01/06 du 14 mars 2012. Procureur c. Momčilo Perišić, IT-04-81-T, T.P.I.Y, (Chambre de première instance I, Jugement du 6 septembre 2011). Procureur c. Niyitegeka, ICTR-96-14-A, T.P.I.R, (Chambre d'appel, Jugement du 9 juillet 2004). Procureur c. Akajesu, ICTR-96-4-T, T.P.I.R, (Chambre de première instance, Jugement du 2 septembre 1998). Procureur c. Popović IT-05-88-T, (Chambre de première instance II, Jugement du 10 juin 2010). Procureur c. Radislav Krstić, IT-98-33, T.P.I.Y, (Chambre de première instance, Jugement du 2 août 2001). Procureur c. 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