Journal de la Société de B iologie,
197 (2), 81-88 (2003)
Les inter-relations entre le système nerveux et le système immunitaire
par Robert Dantzer 1et Emmanuelle E. Wollman 2
1INRA-INSERM U394, Bordeaux
2 CNRS, 2, rue Michel-Ange, 75914 Paris Cedex 16
Neurobiologie intégrative INRA-INSERM U394, rue Camille Saint-Saëns, 33077 Bordeaux Cedex. France.
Tél. : 05 57 57 37 25. - Fax : 05 56 98 90 29. - E-mail : robert.dantzer@bordeaux.inserm.fr
Reçu le 20 novembre 2002
RÉSUMÉ
L ’id ée q u e le sy stèm e im m u n ita ire p u isse être
m odulé dans son fonctionnem ent par le cerveau est
issu e d es th éo ries du stress. Les d év e lo p p e m en ts
récen ts de la p sy ch o n eu ro im m u n o lo g ie qui vise à
l’étude des interactions entre le systèm e nerveux et le
systèm e im m unitaire ont révélé l’existence de tout un
réseau de com m unications entre ces deux systèm es.
Les organes lym phoïdes sont innervés par le systèm e
nerveux autonom e. Les cellules du systèm e im m uni
taire présentent à leur surface des récepteurs pour les
neurotransm etteurs classiques et les neuropeptides.
L ’activation de ces récepteurs se traduit par des m odi
fications fonctionnelles des cellules im m unes, sous la
form e de m odifications de la prolifération, du chim io
ta c tism e , de la d iffé r e n c ia tio n ou de la fo n ctio n
im m une des cellules considérées. Au regard de cette
circuiterie, il n ’est pas étonnant que des lésions céré
brales ou l’exposition à des agressions se traduisent
SUMMARY
par des altérations des réponses im m unes. Ces altéra
tions représentent en fait la contre-partie de la régu
lation du systèm e im m unitaire par le cerveau. Le sys
tèm e n erveu x est effectiv em en t ca p a b le de su ivre
l’activité du systèm e im m unitaire, par l’interm édiaire
des cytokines inflam m atoires libérées par les cellules
de l’im m unité innée et agissant sur le cerveau par
l’interm édiaire des nerfs afférents. Les motifs immuns
des agents pathogènes sont égalem ent capables d ’agir
sur le cerveau, au niveau des organes circum ventriculaires. Dans les deux cas, le signal immun périphérique
est relayé par la synthèse et la libération de cytokines
inflam m atoires dans le cerveau. Celles-ci diffusent à
travers le parenchym e cérébral et, en agissant sur
leurs cibles neuronales, organisent la com posante cen
trale de la réponse de l’hôte à l’infection, m arquée
par la fièvre, une activation neuroendocrinienne et le
développem ent du com portem ent de maladie.
R elationships betw een the brain and the im m une system : a review
The concept that the brain can m odulate activity
the im m une system stem s from the theory o f stress.
R ecent advances in the study o f the inter-relation
ships betw een the central nervous system and the
im m une system have d em onstrated a vast netw ork o f
com m unication pathw ays betw een the tw o system s.
L ym phoid organs are innervated by branches o f the
autonom ic nervous system . A ccessory im m une cells
and lym phocytes have m em brane receptors for m ost
neurotransm itters and neuropeptides. T hese recep
tors are fu n ctio n a l, and th eir a ctiv a tio n lead s to
changes in im m une functions, including cell prolife
ration, chim iotactism and specific im m une responses.
Brain lesions and stressors can induce a num ber of
changes in the functioning o f the im m une system . All
these changes are not necessarily m ediated by the
neuroendocrine system . They can also be dependent
on auton om ic nerve fu n ction . The com m u nication
pathw ays that link the brain to the im m une system
are norm ally activated by signals from the im m une
system , and they serve to regulate im m une responses.
These signals originate from accessory im m une cells
such as m onocytes and m acrophages and they are
represented m ainly by proinflam m atory cytokines.
P ro in fla m m a to ry cy to k in es p rod u ced at the p er
iphery act on the brain via two m ajor pathw ays : (1)
a hum oral pathw ay allow ing pathogen specific m ole
cular patterns to act on Toll-like receptors in those
brain areas that are devoid o f a functional bloodbrain barrier, the so-called circum ventricular a r e a s ;
(2) a neural pathw ay, rep resen ted by the afferent
nerves that innervate the bodily site o f infection and
injury. In both cases, p erip herally produced cyto
kines induce the expression o f brain cytokines that
are produced by resident m acrophages and m icro
glial cells. These locally produced cytokines diffuse
throughout the brain parenchym a to act on target
brain areas so as to organise the central com ponents
o f the host response to infection (fever, neuroendo
crine activation, and sickness behavior).
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SOCIÉTÉ DE BIOLOGIE DE PARIS
INTRODUCTION
Le système immunitaire a longtemps été considéré par
les immunologistes comme un système auto-régulé. On
savait que son fonctionnement pouvait être modifié par des
facteurs d’environnement comme les événements de vie,
mais ces influences étaient considérées comme des épi
phénomènes. Ce n’est que depuis un peu plus d’une ving
taine d’années que le champ d’étude des inter-relations
entre le système nerveux et le système immunitaire a véri
tablement pris forme pour constituer une discipline scien
tifique autonome, la psychoneuroimmunologie (Ader et
al., 2001). Celle-ci se situe à l’intersection de plusieurs
disciplines, la psychologie, les neurosciences comporte
mentales, la neuroendocrinologie et l’immunologie prin
cipalement. Grâce aux développements de cette discipline,
il est maintenant possible de décrire les principales voies
de communication qui unissent le système nerveux central
aux organes lymphoïdes et de comprendre comment une
réponse immune peut retentir sur le fonctionnement céré
bral. Ces différents éléments renouvellent profondément
notre conception des relations entre le fonctionnement
mental et l’état de santé. L’objet du présent article est de
présenter les principaux acquis de la psychoneuroimmu
nologie et leurs implications pour la psychosomatique.
LES INFLUENCES DU SYSTÈME NERVEUX
SUR LES RÉPONSES IMMUNES
L’idée que le stress puisse altérer les réponses immunes
et retentir par ce biais sur la sensibilité de l’organisme aux
agents infectieux, voire aux processus tumoraux, n’est
pas nouvelle. Les biologistes du stress avaient montré, dès
les années 1950-1960, que l’exposition d’animaux de
laboratoire à divers agents agresseurs, des chocs élec
triques douloureux par exemple, altère la résistance de
l’hôte aux infections virales, bactériennes ou parasitaires,
et que cet effet est accompagné de modifications des titres
en anticorps circulants. Connaissant d’une part le rôle
des glucocorticoïdes dans la réaction de stress et, d’autre
part, la sensibilité du système immunitaire à ces hor
mones, le responsable était tout trouvé. Toutefois, l’exa
men attentif des données disponibles à l’époque montrait
déjà quelques discordances car il n’était pas rare d’obser
ver des effets paradoxaux du stress, les animaux stressés
s’avérant parfois plus résistants au processus patholo
gique que les animaux non stressés. De plus, l’adminis
tration de glucocorticoïdes à des doses physiologiques,
plutôt que pharmacologiques, n’avait que peu ou pas de
conséquences sur les réponses immunes et l’évolution de
divers processus pathologiques.
Grâce à la progression des connaissances dans le
domaine des relations entre le système nerveux et le sys
tème immunitaire, ces travaux ont été repris dans une
perspective moins phénoménologique dans les années
1980. Il faut dire que le contexte avait considérablement
changé puisqu’on était passé de la vision d’un système
immunitaire fonctionnant de façon autonome, tout en
étant soumis aux aléas du fonctionnement neuroendocri
nien, à une conception plus intégrée, faisant du système
immunitaire un ensemble régulé de façon extrinsèque par
le système nerveux central. L’application au système
immunitaire des mêmes techniques histologiques que
celles qui avaient permis de mettre en évidence la locali
sation des neurotransmetteurs dans le cerveau, a révélé
l’existence d’une innervation des organes lymphoïdes pri
maires (le thymus) et secondaires (la rate et les ganglions
lymphatiques) par les branches orthosympathique et vrai
semblablement parasympathique du système nerveux
autonome (Ader et al., 2001). Cette innervation suit les
vaisseaux sanguins et s’en sépare dans le parenchyme de
l’organe pour atteindre, par de nombreuses ramifications,
les zones de différenciation et de maturation des lym
phocytes. Parallèlement, les techniques d’étude de la liai
son de ligands radioactifs sur des préparations membra
naires de cellules immunocompétentes ont permis de
décrire, sur ces cellules, la présence de sites de liaison aux
neurotransmetteurs et aux neuropeptides, semblables,
dans leurs caractéristiques biochimiques, à ceux identifiés
sur les neurones. Les immunocytes ont également des
récepteurs intracytoplasmiques pour les médiateurs hor
monaux, comme les hormones stéroïdes. Qu’ils soient
membranaires ou intracytoplasmiques, ces sites de liaison
apparaissent fonctionnels puisque l’addition d’agonistes
ou d’antagonistes à des cultures d’immunocytes in vitro
modifie l’activité de ces cellules et leurs capacités de pro
lifération. De la même façon, l’administration in vivo de
substances interagissant avec ces médiateurs a des réper
cussions sur les réponses immunes.
Un exemple particulièrement illustratif est celui fourni
par l’hormone de croissance. Cette hormone hypophy
saire stimule la résistance de l’hôte aux agents infectieux,
l’effet étant d’autant plus net que l’animal est déficient en
cette hormone. Il a ainsi pu être montré que l’adminis
tration d’hormone de croissance est tout aussi efficace
pour diminuer la sensibilité du Rat normal ou hypophysectomisé à l’administration de Salmonella typhimurium
que l’administration d’antibiotiques de la classe des tétracyclines ou que la stimulation directe des cellules
immunes par l’interféron-y (Edwards et al., 1991). Les
neutrophiles sont une des cibles cellulaires privilégiées de
l’hormone de croissance. L’activité oxydative des neu
trophiles est augmentée par l’hormone de croissance et
ses dérivés, et les courbes de stimulation sont compa
rables à celles de l'IFN-gamma (Fu et al., 1992). Ces
résultats montrent que l’hormone de croissance se com
porte comme un facteur d’activation des granulocytes.
De la même façon, les neuropeptides contenus dans les
fibres nerveuses sympathiques innervant les organes lym
phoïdes peuvent modifier la balance existant normale
ment entre l’immunité cellulaire et l’immunité humo
rale, au travers de la proportion relative de
lymphocytes T accessoires de type Thl (impliqués dans
l’immunité cellulaire) et de type Th2 (impliqués dans
l’immunité tumorale (Levite, 1998). Alors que les cel
lules Thl produisent normalement de lTFN-gamma et de
l’interleukine-2 (IL-2), l’exposition au peptide apparenté
au gène de la calcitonine (CGRP) ou au neuropeptide Y
SÉANCE DU
18 NOVEMBRE 2002
(NPY) les fait sécréter de l’IL-4, la somatostatine et la
substance P n’ayant le même effet qu’en présence de
leur antigène. De la même façon, sur des cellules Th2
produisant normalement de l’IL-4 et de l’IL-10, l’addi
tion de somatostatine et de CGRP entraîne la production
d’IL-2 et d’IFN-y, tandis que celle de NPY et de sub
stance P entraîne la production d’IFN-y. Ces résultats
sont importants car ils laissent penser à une action pos
sible du stress sur l’orientation des réponses immunes,
par l’intermédiaire des neuropeptides contenus dans les
fibres du système nerveux autonome.
L’influence du système nerveux autonome ne s’arrête
pas là. Des expériences récentes montrent que les nerfs
vagues qui innervent l’ensemble des viscères agissent
comme un véritable frein sur l’immunité innée, en blo
quant la production de cytokines pro-inflammatoires par
les monocytes et les macrophages, par l’intermédiaire
de récepteurs de type nicotinique présents sur ces cellules
et stimulés par l’acétyl-choline libérée par les terminai
sons vagales (Borovikova et al., 2000). Les conditions
exactes de mise en jeu de ce système à l’état physiolo
gique ne sont cependant pas connues.
Toutes ces données ont amené les chercheurs à pro
poser une conception du fonctionnement du système
immunitaire quelque peu différente de celle des immu
nologistes travaillant en culture cellulaire. Si les immu
nocytes baignent dans un micro-environnement dont la
composition dépend du niveau d’activité du système ner
veux autonome et du complexe hypothalamo-hypophy
saire, leur activité fonctionnelle doit refléter les variations
de composition de ce milieu en fonction de l’état de
l’organisme. L’exemple le plus frappant de cette inter
action entre système nerveux et système immunitaire est
fourni par les résultats d’une expérience de lésion élec
trolytique de la zone tubéro-infundibulaire de l’hypotha
lamus chez la Souris. Cette lésion supprime définitive
ment l’activité cytotoxique des cellules NK chez la
Souris, alors qu’une lésion du cortex cérébral ou l’acte
chirurgical par lui même n’a qu’un effet transitoire (Belluardo et al., 1987). Cet effet est relativement spécifique,
puisque les fonctions macrophagiques et lymphocy
taires T et B ne sont pas affectées. Il est à mettre au
compte d’une altération de la différenciation des cellules
NK, puisqu’il est accompagné d’une réduction impor
tante du nombre de gros lymphocytes granulaires. De
plus, l’activité cytotoxique des NK peut être restaurée par
l’acide poly-inosinique-polycytidylique (poly(I :C)),
l’interféron et l’IL-2.
L’influence du cerveau sur les réponses immunes n’est
pas limitée aux structures cérébrales classiquement impli
quées dans les régulations neuroendocriennes. A titre
d’exemple, les lésions du cortex cérébral modifient le
fonctionnement immunitaire et, qui plus est, les effets
observés dépendent du côté de la lésion. L’ablation du
cortex sensori-moteur entraîne une diminution de la
réponse d’immunité cellulaire lorsque la lésion est effec
tuée à gauche et une augmentation quand la lésion est
effectuée à droite (Renoux et al., 1983). Ces effets sur
viennent en l’absence de modification nette des princi
pales fonctions neuroendocriniennes. Ils reflètent l’exis
83
tence d’une asymétrie spontanée dans la modulation exer
cée par le cerveau sur le système immunitaire, puisque les
souris étiquetées comme « gauchères », en fonction de la
patte utilisée pour attraper une boulette de nourriture, pré
sentent des réponses d’immunité cellulaire plus élevées
que les souris « droitières » (Neveu et al., 1988).
En ce qui concerne les effets du stress sur l’immunité,
on peut s’attendre à ce que le système immunitaire soit
non seulement altéré dans son fonctionnement au cours
du stress, mais également que les variations observées
soient fonction des capacités d’ajustement plutôt que de
la nature physique de l’agent agresseur. D’une façon
générale, le contrôle comportemental, c’est-à-dire la pos
sibilité qu’a le sujet de modifier par ses actions la proba
bilité de survenue des agressions, se traduit par une
moindre activation physiologique, pourvu que l’effort
nécessaire pour contrôler la situation ne soit pas trop
important. Les effets du contrôle comportemental ont
d’abord été mis en évidence sur la croissance et le rejet
de cellules tumorales. L’exposition de rats à des chocs
électriques douloureux non contrôlables 24 h après
l’injection de cellules tumorales syngéniques entraîne un
développement tumoral plus rapide et une mortalité plus
importante que chez des rats exposés à des chocs élec
triques contrôlables, les animaux de ce dernier groupe ne
différant pas des animaux témoins non exposés aux chocs
électriques (Sklar et Ansiman, 1979). La probabilité de
rejet d’une tumeur non syngénique est également modi
fiée puisqu’elle est moins importante chez des rats expo
sés à des chocs électriques non contrôlables 24 h après
l’implantation de la tumeur que chez des rats exposés à
des chocs électriques contrôlables et des rats témoins
(Visintainer et al., 1982). Le contrôle comportemental
atténue la diminution de l’activité cytotoxique des cellules
NK induite par des chocs électriques inévitables (Laudenslager et al., 1983). Le même effet est observé sur la
prolifération lymphocytaire en réponse à des mitogènes
non spécifiques puisque celle-ci est réduite par l’exposi
tion à des chocs électriques non contrôlables alors que les
chocs contrôlables n’ont pas d’effet (Mormède et al.,
1988). On ne peut cependant dire pour autant que
l’absence de contrôle comportemental conduit à une
immunosuppression généralisée. Chez des rats immunisés
avec des globules rouges de Mouton au cinquième jour
de l’expérience et sacrifiés après 10 jours d’expérience,
les titres en anticorps sont plus faibles chez les animaux
exposés aux chocs électriques contrôlables, alors qu’ils
sont inchangés chez les animaux exposés aux chocs élec
triques non contrôlables. Cette différence entre l’immu
nité cellulaire et l’immunité humorale est retrouvée dans
d’autres situations de stress. Elle laisse penser à une alté
ration de la balance Thl/Th2 sous l’effet du stress.
La capacité de prévoir les événements désagréables
susceptibles de survenir a des effets comparables à ceux
du contrôle comportemental. A titre d’exemple, des rats
exposés à des chocs électriques précédés ou non d’un
signal avertisseur pendant deux séances quotidiennes et
sacrifiés à la fin de la deuxième séance présentent une
moindre prolifération des splénocytes en réponse à un
mitogène non spécifique par rapport à celle observée
84
SOCIÉTÉ DE BIOLOGIE DE PARIS
chez des rats exposés aux chocs électriques signalés
(Mormède et al., 1988).
Le caractère quelque peu artificiel des agressions uti
lisées dans ces expériences peut amener à douter de la
généralité des résultats obtenus. Toutefois, les travaux
réalisés avec des agressions moins artificielles que des
chocs électriques, par exemple l’exposition d’animaux à
un stress social, révèlent des résultats comparables. Chez
les sujets vivant en groupe, des relations sociales stables
favorisent l’adaptation à une situation menaçante, alors
que la rupture des relations sociales a souvent un effet
négatif. Chez le Macaque, la séparation du groupe social
est accompagnée d’une diminution de la prolifération
lymphocytaire en réponse à des mitogènes non spéci
fiques et les mêmes effets sont observés chez la mère
comme chez le jeune, après rupture de la relation entre
la mère et son enfant. Chez le jeune singe-écureuil, la
séparation maternelle et le changement de cage entraî
nent une diminution de la réponse d’immunité humorale
contre un antigène viral, et cet effet est d’autant plus
marqué que la réaction émotionnelle à la séparation,
mesurée par l’agitation comportementale et les cris, est
plus importante (Friedman et al, 1991). Si on fournit des
compagnons du même âge au jeune séparé de sa mère,
la réponse d’immunité hormonale n’est pas altérée.
L’exposition à des odeurs provenant de congénères
stressés a également des conséquences non négligeables
sur les réponses immunes. Des souris exposées pendant
24 h à l’odeur de congénères stressés présentent une dimi
nution de la production d’IL-2 par les splénocytes stimu
lés par un mitogène, une diminution de l’activité cyto
toxique des cellules NK et une augmentation des titres en
anticorps dirigés contre un antigène standardisé, par rap
port aux animaux témoins sacrifiés dans leur cage d’ori
gine ou exposés à l’appareillage (Cocke et al., 1993).
L’exemple le plus élaboré de la sensibilité du système
immunitaire aux facteurs psychologiques est le condi
tionnement des réponses immunes. Les expériences sur
le conditionnement des réponses immunes utilisent habi
tuellement l’administration d’un traitement immunomo
dulateur, la cyclosporine par exemple, comme stimulus
inconditionnel, et l’ingestion d’un aliment ayant un goût
particulier, par exemple une solution diluée de saccha
rine, comme stimulus conditionnel. Après un nombre
suffisant d’associations, la présentation du stimulus
conditionnel seul est censée évoquer l’image du traite
ment immunosuppresseur et accentuer ainsi l’immunodépression. De nombreux résultats obtenus dans diffé
rents contextes variant par le type de réponse immune
étudiée, la nature du stimulus conditionnel et celle du sti
mulus inconditionnel confirment la survenue d’une
immunodépression relative chez les animaux condition
nés mais pas chez les animaux témoins (Ader et Cohen,
1993). Compte tenu des modalités de tests, il n’est
cependant pas toujours facile de différencier un vrai
conditionnement de la réponse immune d’effets dus au
stress et au malaise ressenti par les animaux au cours de
la re-exposition à un signal associé à l’état de malaise
initial provoqué par le stimulus immun étudié (Kelley et
al., 1984).
L'INFLUENCE DU STRESS SUR L'IMMUNITÉ
CHEZ LE SUJET HUMAIN
De nombreux travaux réalisés sur le sujet humain
confirment la sensibilité des réponses immunes aux évé
nements de vie et aux états émotionnels. Ces travaux
sont habituellement menés soit sur des individus nor
maux soumis à des agressions aiguës ou chroniques, sous
la forme d’événements de vie ou d’agressions expéri
mentales dans les conditions contrôlées du laboratoire,
soit chez des malades atteints de troubles psychiatriques
ou somatiques. La variable dépendante est représentée
par la sensibilité à divers processus pathologiques (infec
tions respiratoires, cancer, SIDA par exemple), ou la
réponse immune elle-même, mesurée habituellement à
partir de la réactivité des globules blancs circulants. Les
conséquences des événements de vie sur les défenses
immunes sont modulées par les stratégies d’ajustement
comme le montre une étude réalisée en Angleterre sur
des employés de bureau (Cobb et Steptoe, 1996). Le
pourcentage de troubles respiratoires d’origine infec
tieuse est plus élevé chez les personnes ayant été expo
sées au cours des douze derniers mois à de nombreux
événements de vie, par rapport aux personnes exposées
à un petit nombre d’événements de vie. Mais la diffé
rence n’est apparente que chez les sujets recourant à un
style cognitif vigilant pour faire face aux problèmes aux
quels ils sont confrontés. Chez des étudiants en première
année de médecine, des chercheurs américains ont mon
tré une diminution de la production d’interféron leuco
cytaire ainsi que du pourcentage de cellules tueuses natu
relles et de leur activité cytotoxique, au cours de la
période des examens (Kiecolt-Glaser et al, 1986). Chez
les veufs dont l’épouse est décédée à la suite d’un can
cer, une diminution de la prolifération lymphocytaire en
réponse à des mitogènes non spécifiques a été mise en
évidence dans les semaines qui suivent la mort de la
conjointe, par rapport aux valeurs observées avant le
deuil (Schleifer et al., 1983).
L’exposition aiguë à une situation difficile a des consé
quences appréciables sur l’immunité. Le passage d’une
épreuve de calcul mental durant 12 minutes est accom
pagné d’une libération de lymphocytes T cytotoxiques
suppresseurs CD8 positifs et de cellules tueuses natu
relles dans la circulation générale, avec une augmentation
de l’activité cytotoxique de ces cellules, mais qui n’est
apparente que chez les personnes les plus jeunes (Naliboff
et al., 1991). L’exposition pendant 30 minutes à des chocs
électriques douloureux, accompagnés d’un bruit intense et
survenant de façon intermittente et imprévisible, entraîne
une diminution de la prolifération lymphocytaire en
réponse à des mitogènes non spécifiques chez les sujets
qui peuvent contrôler ces stimulations alors qu’elles n’ont
pas d’effet chez les sujets qui ne peuvent les contrôler et
qui réagissent pourtant à cette situation par des réactions
de colère et de frustration (Weisse et al., 1990). Les rai
sons de cette différence par rapport aux résultats obser
vés chez l’animal ne sont pas connues.
L’idée qu’il puisse y avoir une relation à plus long
terme entre les réponses émotionnelles et l’immunité,
SÉANCE DU
18 NOVEMBRE 2002
peut être illustrée par un travail réalisé sur des étudiants
et consistant à rechercher la relation entre la répression
émotionnelle et les titres en anticorps contre le virus
d’Epstein-Barr (Esterling et Rabin, 1987). Après avoir
passé un questionnaire pour apprécier leur style émo
tionnel, les étudiants doivent décrire par écrit un épisode
particulièrement marquant de leur vie. Ce texte sert à
apprécier leur capacité d’extériorisation des émotions,
sur la base du rapport entre le nombre de mots à contenu
émotionnel et le nombre total de mots. Un prélèvement
de sang est effectué à la fin du test. Les personnes qui ont
tendance à réprimer leurs émotions ont des titres élevés
d’anticorps, indépendamment de leurs modalités
d’expression émotionnelle dans le texte. Il en va de
même chez ceux qui ont tendance à exprimer leurs émo
tions, mais n’ont pas recours à des termes chargés émo
tionnellement dans l’exercice qui leur est demandé.
Sachant que les titres en anticorps contre le virus
d’Epstein-Barr reflètent la défaillance des réponses
d’immunité cellulaire qui servent normalement à contrô
ler la prolifération virale, les auteurs en concluent que les
sujets qui sont conscients de l’importance de leur réponse
émotionnelle aux événements extérieurs mais choisis
sent de ne pas l’exprimer sont davantage à risque que
ceux qui ne sont pas inhibés. Les résultats de cette étude
s’inscrivent parfaitement dans toute la série des travaux
de recherche sur l’impact négatif de la répression émo
tionnelle sur l’état de santé, un thème récurrent dans le
domaine psychosomatique.
Les malades déprimés ont fait et font toujours l’objet
de nombreuses études en psychoneuroimmunologie
(Irwin, 1999). Au départ, il s’agissait essentiellement de
tester l’hypothèse d’une relation entre la dépression men
tale et la baisse des défenses immunitaires. Effective
ment, certains auteurs ont pu observer une diminution de
la prolifération lymphocytaire en réponse à des mito
gènes non spécifiques chez des patients atteints de
dépression majeure et hospitalisés, cette diminution
n’étant pas retrouvée chez les patients atteints de dépres
sion majeure et en traitement ambulatoire (Schleifer et
al., 1985). C’est cependant davantage la gravité de la
dépression que l’hospitalisation qui semblait en cause,
puisque l’atteinte lymphocytaire n’a pas été retrouvée
chez des schizophrènes hospitalisés. Deux méta-analyses
récentes montrent que, malgré la relative disparité des
résultats des études menées sur les relations entre dépres
sion et système immunitaire, les patients déprimés pré
sentent en général une lymphopénie, une réduction des
réponses lymphoprolifératives aux mitogènes non spéci
fiques et une baisse de l’activité cytotoxique des cellules
NK (Herbert et Cohen, 1993 ; Zorilla et al., 2001).
Comme le laissent penser les travaux sur les effets du
stress sur les réponses immunes, les patients déprimés ne
présentent cependant pas une immunodépression géné
ralisée, puisqu’on peut noter des signes d’activation du
système immunitaire au niveau de l’immunité acquise
(Maes et al., 1995). Ces observations, jointes aux don
nées disponibles sur les effets sur l’humeur et le com
portement des cytokines pro-inflammatoires libérées par
les monocytes et les macrophages, ont permis de propo-
85
ser la théorie macrophagique de la dépression, qui attri
bue à cette activation immune un rôle dans la physiopa
thologie de la dépression (cf. infra).
LES MÉCANISMES DES EFFETS DU STRESS
SUR L'IMMUNITÉ
En termes de mécanismes, ce ne sont pas nécessaire
ment les glucocorticoïdes dont les concentrations plas
matiques sont plus élevées chez les animaux exposés à
des chocs électriques inévitables ou imprévisibles, qui
sont responsables des effets du stress sur l’immunité.
Chez le Rat, l’ablation chirurgicale de la surrénale, com
pensée ou non par la pose sous la peau d’un implant de
corticostérone, ne modifie pas la diminution des réponses
d’immunité cellulaire sous l’effet de chocs électriques
inévitables (Keller et al., 1983). Les catécholamines sont
certainement en cause puisque l’administration d’un βbloquant à des rats empêche l’apparition de la réduction
de la réponse d’immunité cellulaire qui est observée
lorsque les animaux sont replacés dans la cage dans
laquelle ils ont préalablement reçu les chocs électriques
(Lysle et al., 1991). D’autres médiateurs ont également
été invoqués, qu’il s’agisse des opioïdes endogènes ou de
la corticolibérine. Il est vraisemblable cependant qu’il
n’y a pas un seul médiateur en cause, mais une combi
natoire, variable suivant la situation de stress et l’effec
teur immun considéré.
S’il est clair que les facteurs psychosociaux retentis
sent sur le fonctionnement du système immunitaire, les
conséquences des altérations ainsi induites ne sont pas
faciles à apprécier car, en dehors de situations extrêmes
comme le syndrome d’immunodéficience acquise, il n’y
a pas de relation évidente entre l’immunocompétence,
appréciée par les tests réalisés en immunologie clinique,
et le processus pathologique sous-jacent. De plus, les
médiateurs comportementaux et cognitifs que représen
tent par exemple les altérations de l’hygiène de vie sous
l’effet du stress et les altérations de la perception des
symptômes jouent un rôle au moins aussi important que
les médiateurs biologiques dans la relation entre facteurs
psychosociaux et maladie (Cohen et Williamson, 1991 ).
Ce biais est fréquemment amplifié dans les enquêtes épi
démiologiques par l'utilisation d’indicateurs subjectifs
de l’état de santé.
LA SIGNIFICATION BIOLOGIQUE
DES INTERACTIONS ENTRE LE SYSTÈME
NERVEUX ET LE SYSTÈME IMMUNITAIRE
L’existence de tout un réseau d’interactions entre le
système nerveux et le système immunitaire amène à se
poser la question de la signification, au sens téléolo
gique, d’un tel réseau. On dispose maintenant de plu
sieurs éléments de réponse à cette question. Le premier
niveau de communication cellulaire est celui du système
physiologique considéré. Les immunocytes utilisent pour
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leur propre compte tout un certain nombre de molécules
de signalisation identifiées initialement dans le système
nerveux. A titre d’exemple, les monocytes sont capables
de synthétiser et de libérer de la corticolibérine ou CRH.
La CRH monocytaire est identique moléculairement au
CRH hypothalamique, et elle favorise la réaction inflam
matoire locale (De Souza, 1995). Les lymphocytes pro
duisent également de l’hormone de croissance ; celle-ci
sert d’une part à activer les macrophages, par un effet de
type paracrine et, d’autre part, à stimuler la prolifération
lymphocytaire, par un effet de type autocrine (Kelley et
al., 1992). En miroir à cette utilisation par les immuno
cytes des médiateurs du système nerveux, on sait main
tenant que les cellules nerveuses utilisent les cytokines,
non pas pour des fonctions de neurotransmission clas
sique, mais pour la signalisation gliale ainsi que la
prolifération et la différenciation cellulaire tant des pré
curseurs neuronaux que des cellules gliales. A titre
d’exemple, la libération de LHRH dans l’éminence
médiane par les terminaisons nerveuses d’origine hypo
thalamique est contrôlée, au moins en partie par du TGFbeta (Transforming Growth Factor) d’origine astrocytaire (Patterson et Nawa, 1993).
Le deuxième niveau de communication cellulaire est
celui des interactions entre les systèmes. Au cours de la
réponse inflammatoire, la libération d’endorphines par
les immunocytes envahissant le site lésionnel, contribue
à calmer la douleur par un effet sur les terminaisons ner
veuses locales (Stein, 1993). A l’inverse, la libération de
tachykinines et en particulier de la substance P par les
terminaison nerveuses afférentes, sous l’effet d’un phé
nomène de réflexe d’axone, contribue au développement
de la réaction inflammatoire locale (Maggi, 1997).
Ces interactions réciproques entre systèmes intervien
nent non seulement dans la régulation de la réponse
locale de l’hôte à l’infection, mais également dans la
réponse systémique. Le syndrome de fièvre représente le
meilleur exemple de ce dernier type d’interactions. On
sait que la réaction locale inflammatoire se double d’une
réponse systémique, caractérisée par de la fièvre, une
activation de l’axe corticotrope et de profondes modifi
cations comportementales et psychiques. La fièvre
correspond à une élévation du point de consigne de la
régulation thermique. L’individu fébrile a froid aux tem
pératures habituelles. Pour lutter contre cela, il augmente
sa température corporelle de façon régulée, c’est-à-dire
en conservant la chaleur engendrée par l’accroissement
de la thermogenèse. La fièvre définit en fait un nouvel
état homéostatique, avec tout son accompagnement com
portemental, métabolique et neuroendocrinien (Hart,
1988). Cet état de maladie représente un ensemble réac
tionnel cohérent au plan métabolique, physiologique,
comportemental et psychique, et tout aussi adapté face à
un agent infectieux que la réaction de peur face au dan
ger. Il correspond à l’expression de ce que les psycho
logues appellent un état motivationnel central, dont la
fonction est de réorganiser les perceptions et les actions
du sujet. Il est important de souligner que cette concep
tion motivationnelle du comportement de maladie est
très différente de la conception médicale traditionnelle de
la maladie qui fait habituellement du comportement de
l’individu malade la simple conséquence d’un état de
faiblesse transitoire.
L’induction de l’état de maladie est due à l’action sur
le cerveau des cytokines pro-inflammatoires synthétisées
et libérées par les monocytes et les macrophages péri
phériques. Comme les cytokines, à l’instar de la plupart
des neuropeptides, ne passent pas la barrière hémato
encéphalique, on pensait initialement qu’elles agissent au
niveau des zones du cerveau dépourvues de barrière, les
organes circumventriculaires, pour entraîner là la syn
thèse et la libération de prostaglandines capables de dif
fuser librement dans le parenchyme cérébral. Cette hypo
thèse s’est cependant révélée fausse. On sait maintenant
que les cytokines libérées à la périphérie entraînent la
synthèse et la libération des mêmes cytokines par les
macrophages et les cellules microgliales du cerveau. Ce
sont ces dernières cytokines produites dans le cerveau
qui sont à l’origine de la fièvre et des modifications com
portementales et neuroendocriniennes qui l’accompa
gnent (Dantzer, 2001 ; Konsman et al., 2002). La com
munication entre les cytokines de la périphérie et les
cytokines du cerveau passe par l’intermédiaire des ter
minaisons nerveuses innervant la zone infectée.
L’activation de l’axe corticotrope par les cytokines
inflammatoires joue un rôle important dans la régulation
des composantes locale et systémique de la réponse
inflammatoire. Les glucocorticoïdes libérés par le cortex
surrénalien inhibent la synthèse des cytokines inflamma
toires non seulement à la périphérie, mais également dans
le cerveau. Le dysfonctionnement de cette boucle de régu
lation, par l’incapacité du cerveau de reconnaître le signal
d’origine immunitaire, se traduit par une exagération de
la réponse inflammatoire qui peut aller jusqu’à favoriser
la mise en place d’une pathologie auto-immune, comme
le montrent les expériences réalisées sur divers modèles
animaux de maladies auto-immunes, l’arthrite rhumatoïde
par exemple (Sternberg et al., 1989).
L’ampleur et la durée des actions physiologiques et
comportementales des cytokines pro-inflammatoires sont
régulés par des molécules endogènes qui inhibent leur
synthèse et s’opposent à leurs actions. Outre les gluco
corticoïdes déjà évoqués, ces molécules comprennent
des neuropeptides comme la vasopressine et l’α-mélanotropine, ainsi que des cytokines dites anti-inflamma
toires. Ces dernières peuvent être spécifiques d’une cyto
kine, comme l’antagoniste endogène des récepteurs de
l’IL-1, ou agir sur plusieurs cytokines, comme l’IL-10 et
le TGF-beta.
Les cytokines ont de profonds effets sur le fonction
nement cérébral, comme en témoignent les symptômes
du comportement de maladie précédemment décrits et les
profondes altérations de l’humeur et de la cognition qui
surviennent chez les patients traités par des cytokines
pour le traitement d’infections virales et de certains can
cers (Capuron et al., 2000; Dantzer et al., 1999). Cet
aspect est d’autant plus important à prendre en compte
que les cytokines pro-inflammatoires sont induites dans
le cerveau soit au cours de processus neuro-dégénératifs
(la maladie d’Alzheimer par exemple), soit à l’occasion
SÉANCE DU
18 NOVEMBRE 2002
de l’envahissement du parenchyme cérébral par des
monocytes sanguins (traumatisme cérébral par exemple)
ou des lymphocytes T activés (sclérose en plaques par
exemple). Les cytokines exprimées dans ces conditions
jouent un rôle causal important dans la mort neuronale
par nécrose ou par apoptose ainsi que dans les altérations
gliales associées, la démyélinisation par exemple ou la
formation d’une cicatrice astrogliale. En plus de cette
contribution à la neuropathologie, les cytokines sont res
ponsables d’une partie au moins des altérations psycho
pathologiques qui accompagnent la maladie, comme
l’état de démence apparaissant chez les patients souf
frant du SIDA.
CONCLUSION
Il y a plusieurs grilles de lecture de la psychoneu
roimmunologie. La première et la plus courante est d’en
faire un prolongement des théories du stress, les méca
nismes des interactions entre le système nerveux et le
système immunitaire ne représentant au bout du compte
que le substratum biologique par lequel un fonctionne
ment mental inadéquat retentit sur le fonctionnement
somatique (la psychosomatique vue sous l’angle de la
psychogenèse). Pour séduisantes que paraissent les
constructions ainsi élaborées pour aller du stress à la
maladie, il ne faudrait pas oublier de s’interroger sur la
réalité de ce pouvoir prêté au stress et sur les raisons qui
nécessitent d’invoquer ce pouvoir. Cet exercice est
d’autant plus nécessaire que les thérapies dites alterna
tives puisent allègrement dans la psychoneuroimmuno
logie afin de justifier leurs recettes. Tel thérapeute va
proposer à ses patients cancéreux des séances d’image
rie mentale pour visualiser leurs cellules tueuses natu
relles et stimuler leur pouvoir cytotoxique, tel autre va
prétendre effacer par les émotions positives le désordre
somatique qui a été engendré par les émotions négatives.
En fait, l’existence d’interactions réciproques entre le
système nerveux et le système immunitaire oblige à
reconsidérer l’importance des influences somatiques sur
le fonctionnement mental et donc la capacité de s’ajus
ter aux agressions psychosociales. Si les cytokines sont
capables d’entraîner des modifications de l’humeur et de
la cognition, il n’est pas étonnant que l’on trouve une
relation entre les facteurs psychologiques et l’apparition
ou l’évolution de maladies impliquant le système immu
nitaire. Ce n’est pas là une simple spéculation, comme
l’attestent les résultats des travaux menés sur la relation
entre les facteurs psychologiques et les maladies coro
nariennes. A titre d’exemple, on sait maintenant que
l’athérosclérose résulte d’un processus inflammatoire au
niveau de l’endothélium vasculaire sous l’action de
micro-organismes pathogènes comme Chlamydia pneu
moniae. Le fait que de nombreux patients se sentent pro
fondément épuisés avant la survenue d’un épisode coro
narien peut être lié aux effets sur le cerveau des
cytokines pro-inflammatoires. Cet état d’épuisement vital
peut lui-même favoriser la baisse des défenses immunes
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envers les micro-organismes en cause et contribuer donc
à augmenter l’amplitude de la réaction inflammatoire.
Effectivement, chez des patients faisant l’objet d'une
angioplastie coronarienne, les concentrations plasma
tiques de cytokines pro-inflammatoires se sont avérées
d’autant plus élevées que les patients étaient davantage
épuisés et ces concentrations élevées de cytokines étaient
associées à des titres élevés d’anticorps contre Chlamy
dia et le cytomégalovirus (Appels et ai, 2000).
Au plan scientifique, la psychoneuroimmunologie
amène à considérer les inter-relations entre le système
nerveux et le système immunitaire sous l’angle des théo
ries de la communication cellulaire, c’est-à-dire en s’inté
ressant aux conséquences pour le fonctionnement des sys
tèmes d’une communauté de messagers et de récepteurs
et des différentes modalités de communication
qu’empruntent ces messagers. L’étude des interactions
entre le système nerveux et le système immunitaire a
révélé l’existence de toute une gamme de signaux de
communication cellulaire communs aux deux systèmes,
les neuropeptides pour les immunocytes, les cytokines
pour les cellules cérébrales. La frontière entre ces diffé
rentes catégories de facteurs moléculaires est ténue. Des
facteurs typiquement neuroendocriniens comme la corticolibérine ou l’hormone de croissance auraient facile
ment pu être qualifiés de cytokines s’ils avaient été ini
tialement découverts par les immunologistes, alors qu’à
l’inverse des molécules typiquement immunitaires
comme l’IL-1 auraient pu être qualifiées de neuropeptides
par les neurobiologistes. L’existence d’une communauté
de signaux de communication entre systèmes, avec des
influences régulatrices exercées par les signaux d’un des
systèmes sur les signaux de l’autre système, et cela de
façon bidirectionnelle attire l’attention sur les possibilités
de dysfonctionnement de la communication entre sys
tèmes. On peut très bien imaginer qu’un des systèmes
devienne insensible à l’action des signaux de l’autre sys
tème ou que les facteurs de communication se mettent à
fonctionner dans l’un des systèmes en l’absence de signal
déclencheur de l’autre système. De plus, l’action des
signaux appartenant à un système peut modifier la
réponse de ce système à d’autres signaux d’une classe
totalement différente. En conséquence, une pathologie
d’organe peut très bien ne pas naître dans l’organe affecté
mais être secondaire à une pathologie de la communica
tion entre systèmes. Une telle communication, même per
turbée ne saurait pour autant emprunter les voies de la
métaphore. Elle restera très prosaïquement inscrite dans
le matérialisme des éléments moléculaires sous-tendant
les interrelations entre systèmes.
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