Lexis
Journal in English Lexicology
Book reviews | 2019
Sandrine SORLIN, Langue et autorité : de l’ordre
linguistique à la force dialogique
Presse universitaires de Rennes, 2012, 212 pages
Abdelkader Sayad
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/lexis/2779
DOI : 10.4000/lexis.2779
ISSN : 1951-6215
Éditeur
Université Jean Moulin - Lyon 3
Référence électronique
Abdelkader Sayad, « Sandrine SORLIN, Langue et autorité : de l’ordre linguistique à la force dialogique »,
Lexis [En ligne], Recensions, mis en ligne le 11 février 2019, consulté le 23 septembre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/lexis/2779 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lexis.2779
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Sandrine Sorlin, Langue et autorité : de l’ordre linguistique à la force dial...
Sandrine SORLIN, Langue et autorité :
de l’ordre linguistique à la force
dialogique
Presse universitaires de Rennes, 2012, 212 pages
Abdelkader Sayad
RÉFÉRENCE
Sandrine SORLIN
Langue et autorité : de l’ordre linguistique à la force dialogique. Presses universitaires de
Rennes, Rivages linguistiques, Rennes, 2012. ISBN : 978-2-7535-2011-0, Prix : 16€, 212
pages
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Adoptant une perspective historique, Sandrine Sorlin se livre dans cet ouvrage à une
réflexion épistémologique sur les rapports entre la langue et l’autorité, plus
particulièrement sur les rapports entre le cadre social et l’établissement d’une norme
linguistique. Cette problématique, qui revient sans cesse dans les travaux récents en
sociolinguistique et en histoire des idées, sera abordée dans une démarche
diachronique qui consiste à passer en revue trois exemples particulièrement
intéressants : le premier concerne les langues universelles (ou philosophiques), le
deuxième revient sur « l’illusion » de la langue standard, et enfin celui de la
linguistique, considérée comme « science exacte ».
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De fait, de nombreux philosophes ont tenté au XVIIe siècle de concevoir une langue
universelle, parfaite et « incorruptible », qui serait la clé de toutes les autres langues,
une « langue modèle où se saisirait le tout du monde sans ambigüité aucune » (p. 7). Le
projet d’une langue universelle, de la connaissance, va de pair, au niveau national, avec
l’élaboration d’une langue standard, en l’occurrence l’anglais standard, qui s’établit sur
la croyance d’un « modèle linguistique originaire à sauvegarder », dont les garants
seraient les plus grands écrivains, et « qu’il s’agit de conserver en l’état une fois pour
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Sandrine Sorlin, Langue et autorité : de l’ordre linguistique à la force dial...
toute » (p. 8). La linguistique, présentée comme une discipline qui se propose d’isoler la
langue de l’hétérogénéité du langage en dessinant des frontières factices ne fait, au
final, que traduire les préoccupations politiques et culturelles propres à l’époque où
elle a vu le jour. La linguistique structurale dessine des frontières qui sont liées à la
vision d’une langue standard, « car il s’agit bien là aussi, afin d’en rendre compte de
façon cohérente, de dessiner les contours idéaux de la langue » (p. 10).
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Cet ouvrage s’attache donc à remettre en question ces constructions linguistiques, en
démontrant qu’elles ne relèvent pas d’un ordre naturel « ou modèle mythique
premier » (p. 8), mais qu’elles n’ont été créées que pour répondre à un « agenda social
ou politique ». Les langues universelles et standards n’existent pas réellement car elles
ne reposent sur aucun modèle linguistique rigide et ne sont que le résultat d’une sorte
de mode imposée par les instances dirigeantes, sur la base de présupposés idéologiques.
La linguistique est une science qui isole la langue de son contexte social, autrement dit,
de son milieu de vie. En distinguant ce qui est à l’intérieur de la langue et ce qui gravite
autour d’elle, elle met de côté l’un des aspects les plus importants de son
fonctionnement, à savoir les déterminations socioculturelles. Réputée être une science
neutre, la linguistique véhicule en réalité une vision idéologique, précisément parce
qu’elle a évacué « le pouvoir idéologique qui sous-tend tout énoncé » (p. 12).
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Ces trois exemples ont ceci de particulier qu’ils revoient à des conceptions
« totalisantes », qui doivent être remplacées par une conception « englobante » où l’on
n’aurait pas peur d’excéder les cadres établis, où le travail sur la langue « ne sera pas
découvert d’un sens ou d’un ordre préalable, mais construction et négociations de
sens » (p. 13). Ils seront par conséquent abordés de manière détaillée dans les chapitres
qui composent cet ouvrage, où l’auteure, pour justifier sa critique, s’appuie sur de très
nombreux repères historiques pour expliquer les bases idéologiques communes à ces
projets. L’ouvrage comprend ainsi quatre chapitres : les trois premiers reviennent,
respectivement et en détail, sur les exemples constituant le socle de ce travail. Le
quatrième chapitre cite quelques alternatives (ou contre-modèles) aux conceptions
« totalisantes » citées dans les chapitres précédents.
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Dans le chapitre 1, intitulé « À la recherche de l’ordre perdu » (p. 17-60), Sandrine
Sorlin tente de dresser un panorama des projets de langue philosophique et universelle
en parcourant une période allant du XVIIe au XXe siècle. Ce projet, « ambitieux » pour
certains et « utopique » pour d’autres, a vu « l’investissement total de penseurs
éminents tels que Bacon, Descartes, Wilkins ou Leibniz » (p. 20) qui non seulement
voulaient résoudre les problèmes de communication rencontrés par les hommes
(voyageurs, marchands, etc.) mais cherchaient également à entretenir une science
empirique naissante en créant un langage approprié susceptible « d’apporter de l’ordre
dans un monde en pleine expansion ». Les langues universelles s’inscrivent donc dans
« la lignée de cette « écriture » de la science » (p. 23), ses concepteurs étant eux-mêmes
« proches des hommes de science ». Parmi les tentatives les plus notables de création
d’une langue universelle (ou philosophique), figure celle de l’évêque Wilkins, dont la
préoccupation majeure fut la création d’une « nomenclature scientifique » (p. 31), à
caractère encyclopédique. De fait, c’est « avec Wilkins que la langue philosophique
devient la plus taxonomique : sous-tendue par un idéal de visibilité totale et d’ordre
maximum » (p. 33). Cette nomenclature, qui fonctionne sur la base d’un processus
métonymique où la partie vaut pour le tout, « opère une réification totalisante des
branches du savoir qui mime par homologie parfaite l’arbre de la connaissance »
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Sandrine Sorlin, Langue et autorité : de l’ordre linguistique à la force dial...
(p. 13). Cependant, cette aspiration vers une langue « naturelle » universelle n’échappe
pas à la culture qui les a fait naître, et « s’avèrent être en réalité au service d’une
légitimation d’un pouvoir aux prises avec des crises culturelles, politiques et
économiques » (p. 35). Ces nomenclatures sont également liées à l’ordre politique, voire
cherchent à le maintenir en période de crise du pouvoir. Cet ordre « linguistique »
entretient la hiérarchie sociale et il est, par conséquent, loin d’être neutre.
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Le chapitre 2, intitulé « la ‘standardisation’ ou l’art de mettre de l’ordre » (p. 61-98),
revient sur « l’illusion » d’une langue standard, que l’auteure tente de définir en
prenant comme exemple la langue anglaise. Sandrine Sorlin soutient en effet que cette
langue suit le même principe métonymique abordé dans le chapitre précédent, dans la
mesure où l’on tente d’imposer une langue parlée par une infime partie de la
population à toute la nation anglaise. Ce projet visait aussi à préserver la langue de
toute forme de corruption, afin d’en conserver une forme pure. L’objectif derrière ce
projet de langue standard est de permettre à une partie de la population d’exercer une
forme d’autorité et de maintenir ainsi le consensus social. Les principaux outils de cette
forme de pouvoir sont « le dictionnaire et la grammaire », qui visent « la complétude »
et « l’immobilisation » de la langue, comme si cette dernière n’avait jamais connu et ne
connaitrait jamais d’autres formes de règles. Dans cette perspective, l’auteure soutient
que le dictionnaire propose le plus souvent des définitions culturelles, donc
essentiellement subjectives, reflétant la vision de leurs auteurs et dépendant du milieu
d’où ils sont issus. Ce chapitre aborde enfin les débats récents relatifs à la naissance de
l’anglais standard, où l’on met de plus en plus l’accent sur le rôle des dialectes non
standards présentés comme ayant contribué à l’enrichissement de l’anglais standard, ce
qui remet en question la croyance en une filiation unique de l’anglais standard.
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Le chapitre 3, « Science & Linguistique » (p. 99-145), interroge le rapport entre la
linguistique et la science. La linguistique, en tant que discipline, a l’ambition d’analyser
la langue, considérée comme un objet autonome, analysable de manière objective,
abstraction faite de tous les éléments hétéroclites qui peuvent empêcher un travail
d’exploration essentiellement théorique. Mais derrière ce semblant d’objectivité, la
linguistique reste influencée par certaines idéologies, comme par exemple celle de la
langue standard, et ne vise finalement qu’à prolonger « les aspirations à
l’homogénéisation des grammaires du passé » (p. 99). Sandrine Sorlin va jusqu’à établir
un rapport entre « l’émergence des dictionnaires comme formes d’autorité et
l’assimilation de la langue saussurienne à un dictionnaire dans le Cours de linguistique
générale » (p. 100). Pour toutes ces raisons, la linguistique saussurienne n’est qu’un
« des effets de l’historicisation de la langue standard du XIXe siècle » (p. 101). De la
même manière, les positivistes logiques du XXe siècle se fondent dans leur théorie du
langage formel sur « l’illusion » de la langue universelle, en tentant de proposer un
langage entièrement neutre et objectif, présupposant « que le monde extra-linguistique
se découpe intrinsèquement selon des lignes logiques formalisables » (p. 122). Mais
cette conception s’est heurtée à la nature même du langage, qui se veut à la fois « juge »
du monde mais, en même temps, ne peut s’en détacher. Ce qui remet en question son
objectivité, étant donné « sa nécessaire participation » (p. 123).
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Le chapitre 4, « Éthique & Éducation » (p. 147-189), propose une synthèse des contremodèles possibles des modèles de langue proposés dans les chapitres précédents. Ainsi,
dans la partie intitulée « Horizontalité et Plurilinguisme », Sandrine Sorlin revient-elle
sur les cas de l’espéranto et du Cadre Européen Commun de Référence pour les
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Langues. Par rapport à l’espéranto, la position de l’auteure est très claire dès le départ :
« nous avons choisi d’extraire l’espéranto de la liste des « utopies linguistiques » dans
laquelle il est généralement classé parce qu’il constitue, selon nous, une langue à part »
(p. 147). Cette langue, dont l’usage procure une grande liberté, est partie d’un « élan
humanitaire », et a été créée par le docteur Zamenhof dans le but de mettre fin aux
conflits entre les peuples. Partant des études de linguistique comparative du XIXe
siècle, dont le but était de mettre en évidence les racines communes aux langues
européennes, le créateur de cette langue adopte un vocabulaire tiré des langues
d’origine latine avec des mots empruntés à l’anglais et au russe, entre autres langues.
Cette langue adopte aussi des mécanismes de dérivation, la rendant non seulement
facile à apprendre et à comprendre, mais facilitant grandement la création de
nouveaux termes qui n’existent dans aucune autre langue. Mais malgré cette grande
flexibilité, l’un des principaux reproches à l’espéranto reste l’absence d’une culture qui
lui est propre. « Si l’espéranto repose bel et bien sur un socle interculturel, on lui
reproche de n’être la langue d’aucune culture nationale propre et unique, riche de tout
un patrimoine » (p. 152). Par ailleurs, le Cadre Européen Commun de Référence pour les
Langues vise en premier lieu à offrir « un cadre commun pour l’enseignement des
langues en Europe », le but ultime étant de consolider l’identité européenne, en misant
« clairement » sur le plurilinguisme afin de rapprocher les peuples. Même si
« l’approche par tâches » qu’il prône comporte le risque de transformer le langage en
un instrument purement utilitaire, au service du marché économique. « Mettre l’accent
sur des techniques de communication, c’est risquer de développer des réflexes
linguistiques qui retirent au locuteur une certaine forme de liberté langagière »
(p. 159).
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Enfin, nous pouvons dire que le principal intérêt de cet ouvrage est de proposer au
lecteur des pistes de réflexion sur la conception de la langue et sur la meilleure manière
de la transmettre et de l’enseigner. Ce qui semble relier les trois constructions abordées
dans cet ouvrage est principalement la recherche de l’ordre, qui est le seul garant de
« l’entente cordiale entre les peuples », par un langage transparent et dépourvu
d’ambigüité (les langues philosophiques), apte à souder une nation (la langue standard).
La linguistique, en tant que science, n’échappe pas à ces présupposés idéologiques, et
« ne peut être « objective » qu’au prix d’une trahison de l’hétérogénéité du langage »
(p. 194), même si des travaux récents ont démontré que Saussure, dans son Cours de
linguistique générale, accorde une grande place à l’interprétation en abordant les
différentes facettes du signe dans son inscription dans les usages sociaux.
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AUTEURS
ABDELKADER SAYAD
Abdelkader SAYAD, Université de Mostaganem, Algérie.
Abdelkader SAYAD est maître de conférences en sciences du langage à l’université de
Mostaganem (Algérie) et chercheur associé à MoDyCo (Université Paris Ouest). Ses recherches
portent sur le discours de la presse écrite, notamment la dimension argumentative des articles
d’opinion, ainsi que sur les genres du discours. Il s’intéresse également à la communication
électronique et aux caractéristiques et enjeux des nouveaux médias basés sur NTIC.
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