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Au cœur du cauchemar : Lovecraft Héros de Fiction - Interview de Patrick Marcel
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Au cœur du cauchemar : Lovecraft Héros de Fiction - Interview de Patrick Marcel

"Cthulhu est une création qui me semble correspondre à l’air du temps."

De Patrick Marcel, on connaît surtout ses traductions. On lui doit les versions françaises de certains romans de George R. R. Martin (dont les derniers volumes du Trône de Fer), d’Ellen Kushner, de Terry Pratchett, de Ray Bradbury, de Paolo Bacigalupi, de Neil Gaiman ou de Stephen Fry (et bien d’autres). Sacré C.V. !
Mais Patrick Marcel est aussi un érudit joyeux des littératures de l’imaginaire, publiant de temps à autre des essais comme Super-héros en série, Monty Python !Petit précis d’iconoclasme ou bien encore l’Atlas des brumes et des ombres. En 2009, il se lance dans un ouvrage particulier : Les Nombreuses Vies de Cthulhu pour les éditions Les Moutons électriques (réédition sous le titre Cthulhu ! en mars 2017). Il s’agissait d’écrire la biographie de la créature de Lovecraft… Nous sommes allés à sa rencontre pour voir comment il a approché le Grand Ancien…

Actusf : Que représente Cthulhu pour vous pour que vous ayez proposé ce livre aux Moutons électriques ?

Patrick Marcel : C’est un concours de circonstances. J’ai rencontré Cthulhu quand j’avais 15 ou 16 ans. Les livres de Lovecraft étaient alors dans la collection Présence du Futur mais ils étaient assez chers à l’époque, et je commençais à lire en anglais. C’est le moment où Penguin Books a décidé de ressortir tous les bouquins de Lovecraft avec, notamment, les jolies couvertures de Ian Miller. À l’époque, Cthulhu n’avait pas le renom qu’il a maintenant. On était peu nombreux à avoir lu Lovecraft. On était une secte à propos d’une secte. (Rires)

Il y a quelques années de cela, la collection de la Bibliothèque Rouge s’attachait chez Les Moutons électriques à écrire des biographies de personnages fictifs : Sherlock Holmes, Fantômas, Nestor Burma… Ils cherchaient des idées et, par plaisanterie, j’ai proposé Cthulhu. Évidemment, ils ont accepté… (Rires)

Le problème, c’est que ce n’est pas un bon sujet pour une biographie parce qu’on ne sait que très peu de choses sur lui, à part qu’il dort et que le jour où il va remonter, ce sera l’apocalypse. J’ai du coup opté pour une biographie des phénomènes « cthulhoïdes » qui se passent dans une période allant de 1925 à 1936.

Ce qui est amusant, c’est que Lovecraft s’est basé sur de nombreux faits réels et que l’on peut donc faire pareil. « L’Appel de Cthulhu » commence sur un tremblement de terre qui a vraiment eu lieu et qui a été ressenti jusqu’au Canada, avec pas mal de morts. Ou bien pour « Celui qui chuchotait dans les ténèbres », il part des crues qui ont eu lieu dans le Vermont cette année-là. J’ai trouvé des cartes postales de l’événement. En plus, on peut illustrer avec des photos d’époque. (Rires)

Et puis, il y a quelque chose de très bien, c’est que lorsqu’on commence à chercher avec une idée en tête, on trouve. Si, en 1926, on cherche des poètes et des artistes qui ont fait des rêves bizarres, on finit par en repérer. Toujours en 1926, par exemple, il y a une nouvelle de Jean Ray qui s’appelle Le Uhu, et qui raconte la sortie de l’eau d’une créature gigantesque qui enjambe l’horizon, qui passe sur la mer et qui disparaît. C’est Cthulhu !

Actusf : Génial !

Patrick Marcel : Oui ! Malheureusement, si on regarde les dates, ça ne colle pas. Jean Ray a écrit son texte un peu avant Lovecraft. Mais on s’en fout ! Personne n’ira regarder d’aussi près. J’ai aussi trouvé un peintre de marines italien qui est devenu fou en 1926 et qui a commencé à faire des tableaux de plus en plus bizarres. Cette biographie, c’était une sorte de puzzle pour lequel je cherchais les pièces qui m’arrangeaient. À la fin, j’avais une histoire du monde, des origines jusqu’à un futur lointain, fondée sur celle qu’a suggérée Lovecraft. Mais il me
manquait une chose : le Déluge. J’ai alors pensé à un très bon livre des années trente : Un mois sous les mers de Tancrède Vallerey. En gros, un morceau de la planète Mercure est tombé dans l’océan Pacifique, et certains survivants l’habitent encore. Je me suis dit : « Eh bien, voilà, je l’ai mon déluge ! » Et ça collait pile ! (Rires) C’était un jeu…

Actusf : Un simple jeu ou une réécriture de la mythologie ?

Patrick Marcel : Les deux ! Il fallait, tout en restant aussi fidèle que possible à Lovecraft, trouver les éléments à inscrire dans le cadre de l’histoire réelle. Et ça marche plutôt bien, finalement. C’est assez fascinant.

"Le mystère, c’est ce qui fait fonctionner l’imagination, tout en se disant que ce que l’on imagine doit être en dessous de la réalité."

Actusf : Vous parlez de votre proposition aux Moutons en rigolant, mais pourquoi Cthulhu et pas un autre ?

Patrick Marcel : Il fallait que cela soit quelqu’un qui attire le lecteur. Il fallait que l’on ait envie de lire sa biographie. Cthulhu reste une grande figure de l’imaginaire.

Actusf : Et par rapport aux autres Grands Anciens ?

Patrick Marcel : Parce qu’ils sont moins connus… (Rires) Et puis, il faut rester dans un certain mystère. Je me souviens d’une nouvelle de Lin Carter sur Cthulhu, un grand connaisseur de la fantasy mais un piètre écrivain, et c’était une horreur. Un chercheur trouvait le Necronomicon, et il nous le racontait en détail. C’était épouvantable. On découvrait qui était l’oncle de Cthulhu, qu’il était passé par tel chemin dans l’espace pour venir sur Terre… C’est tout juste si on n’apprenait pas qu’il s’était arrêté au feu rouge avant d’aller à la supérette prendre de l’eau minérale. Ce n’est pas un bouquin qui rend fou mais un livre qui endort. Dès que l’on rentre dans les détails, on aplatit tout, et ça n’a plus d’intérêt. Le mystère, c’est ce qui fait fonctionner l’imagination, tout en se disant que ce que l’on imagine doit être en dessous de la réalité. Faire une bio, c’était contraire à ça. C’est d’ailleurs plus une chronique qu’une biographie, en fait. Si on réfléchit bien, mon livre est une escroquerie. (Rires)

"Une mythologie rationaliste."

Actusf : Vous l'avez écrite il y a quelques années de cela, maintenant. Depuis lors, on ne peut pas voir le moindre bout de tentacule sans que quelqu’un s’écrie : « C’est Cthulhu ! » Comment regardez-vous ce phénomène ?

Patrick Marcel : Apparemment, ça vient du jeu de rôle et du fait que Lovecraft soit tombé dans le domaine public il y a quelques années de cela. C’est un peu étonnant, mais Cthulhu est aussi une création qui me semble correspondre à l’air du temps.

Lovecraft est l’un des seuls qui ont inventé une terreur dégagée de la superstition. Il parle de sorcellerie, de sorciers, mais, chaque fois, il se base sur des phénomènes cosmiques, sur une science avancée qui ramène toujours à un inconnu plus vaste. C’est l’homme qui se retrouve minuscule face à l’univers qui le dépasse. Et, en général, le héros comprend qu’il se trouve dans un coin reculé où s’appliquent des règles particulières et que ces incursions se font selon des systèmes de pensée qui lui échappent.

On est dans une époque avec des progrès fulgurants en matière d’astronomie et de science. En quelques décennies, on est passé d’une vision ethnocentrique à une vision terriblement plus large. On a des gens qui se raccrochent à des croyances fermes, mais je pense qu’il y a aussi une sécularisation, une rationalisation générale. C’est peut-être ce qui explique ce succès de Lovecraft. C’est une mythologie rationaliste.

« Quand on songe aux années 1927-1928 et à la véritable offensive que les Anciens semblent y avoir déployée, on s’interroge. Nous avons dit que nous étions tributaires, pour nos informations, des documents qu’a composés H. P. Lovecraft à partir d’affaires locales. Ressentant depuis longtemps un intérêt pour ces sujets, intérêt revigoré par les événements entourant l’émersion de Cthulhu, il s’était rapproché de diverses sources universitaires et avait réussi à se faire communiquer des renseignements précieux, qu’il exposait sous couvert de fiction. Mais, par nature, ce sont des fictions centrées autour de la Nouvelle-Angleterre. Et nous ne pouvons que nous interroger. Pourquoi la Nouvelle-Angleterre ? Est-ce que la concentration de textes interdits portant sur les Anciens, ajoutée à la géographie d’un lieu riche par ses associations avec les Anciens, avait focalisé sur cette région les efforts et les manifestations des Anciens ? Ou y a-t-il eu d’autres lieux, d’autres tentatives qui ont de toute évidence échoué, mais qui nous sont restés inconnus ? »

Extrait tiré de Cthulhu ! aux éditions Les Moutons électriques

Actusf : Il y a des tas d’images drôles avec Cthulhu qui circulent. Est-ce que jouer avec cette figure pourtant peu sympathique, c’est appréhender notre angoisse ?

Patrick Marcel : Oui, peut-être. C’est une figure mythique, un personnage fort mais qui est finalement très familier. Donc on en plaisante. C’est une réaction sociétale. Mais lorsqu’on est seul dans le noir, on tremble… (Rires)

Actusf : Y a-t-il pour vous de bonnes adaptations de Cthulhu ? Y a-t-il des choses intéressantes ?

Patrick Marcel : J’avais lu une biographie d’Abdul al-Hazred par Donald Tyson, et j’avais trouvé ça très bien. On n’a pas du tout une ambiance lovecraftienne et, du coup, ça la rend plus crédible. C’est écrit sans référence trop claire à Lovecraft, ça laisse l’imaginaire établir les ponts implicites. Il y a aussi Re-Animator, Herbert West, bien entendu. J’ai toujours été persuadé que c’était une sorte d’erreur. Lovecraft a écrit la série des nouvelles sur Herbert West parce qu’il avait besoin d’argent, mais en se pinçant un peu le nez et en injectant un certain humour. Il en surajoute dans le gore, pour l’époque. Or pour le réalisateur du flm, Stuart Gordon, plus gore, lui, le lovecraftien n’est pas vraiment son style. Ils se sont donc retrouvés à mi-chemin, chacun en dehors de sa chapelle. Le film suivant, From Beyond, est par contre pour moi un ratage total, avec une pin-up aux seins moulés par des glaires des créatures de l’espace qui attaquent. J’ai vu aussi Die Farbe, une adaptation allemande de « La Couleur tombée du ciel » qui est pas mal.

Et puis il y a L’Appel de Cthulhu fait par la H. P. Lovecraft Historical Society, un truc en noir et blanc muet, exécuté comme si on l’avait tourné au moment de son écriture. Je l’ai vu dans un ciné-concert à Bordeaux, avec un groupe de métal industriel. C’était épatant !

Il y a aussi The Thing de Carpenter, qui a un esprit lovecraftien. En revanche, je n’aime pas trop L’Antre de la Terreur qui doit pour moi plus à Stephen King, malgré ses allusions lovecraftiennes. Alien, aussi, avant que Ridley Scott ne saccage la franchise avec Prometheus. Et je serais curieux de voir ce que Guillermo del Toro en ferait. J’ai plutôt confiance en lui pour rendre l’atmosphère.

Propos recueillis par Jérôme Vincent

« La clef de ces déplacements interdimensionnels semble se trouver dans l’emploi de géométries non euclidiennes. Les courbes et les angles tracés par la sorcière lors de son évasion semblent avoir été pour elle le moyen d’ouvrir la porte menant hors de sa cellule vers d’autres lieux, la représentation plane de figures indicatrices d’un trajet non immédiatement appréhendable dans notre univers. Lors de l’affaire de Dunwich, nous avons déjà rencontré dans le journal de Wilbur Whateley des allusions à des angles et des surfaces, lorsque l’hybride notait ses réflexions sur le processus qui permettrait d’ouvrir la porte à Yog-Sothoth. Clairement, les principes mathématiques mis en jeu étaient du même ordre. Ainsi que l’a expliqué Walter Gilman en avril 1928 devant sa classe et le professeur Upham, il s’agit d’ouvrir un passage sur un espace supérieur aux trois dimensions de l’univers et d’en émerger aux points choisis grâce à des calculs très précis. L’expérience de Gilman a prouvé qu’il devenait alors possible d’atteindre des lieux éloignés par des distances inimaginables, comme la planète des êtres en barrique. Avec la pratique, l’exemple de Keziah Mason le démontre, une certaine intuition remplace avantageusement les calculs sophistiqués. »

Extrait tiré de Cthulhu ! aux éditions Les Moutons électriques

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