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La captive du temps perdu

Stéphane Manfredo (Traducteur), Vernor Vinge ( Auteur), Manchu (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/10/00  -  Livre
ISBN : 2253072281
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Eric   - le 27/09/2018

La captive du temps perdu

On connaît encore mal cet auteur à la vocation tardive qui n'avait connu jusqu'alors qu'une seule fois les grâces de la traduction dans notre belle langue. C'était il y a deux ans pour Un Feu sur l'Abîme, roman, il est vrai, auréolé du clinquant prestige d'un prix Hugo et dont la suite A Deepness In The Sky vient, elle aussi, de décrocher le cocotier du père Gernsback, ce qui devrait suffir à lui valoir la suprême félicité d'une traduction prochaine. Le temps pour nous d'un petit flashback dans la bibliographie de Vernor Vinge avec cette Captive du Temps Perdu, sixième roman du bonhomme, paru en 1986. Un livre qui confirme quel bel écrivain il est, puisqu'il soutient sans rougir l'immanquable comparaison avec ce Feu sur l'Abîme, space opera abouti, étonnant et d'un classicisme iconoclaste.

L'occasion de constater que Vernor Vinge connaît ses classiques, puisque cette fois c'est sur les sentiers balisés du voyage dans le temps qu'il nous entraîne. Le GR 8 de la SF qu'il biaise intelligemment avec ce voyage sans retour, à sens unique. Rassurez-vous, rien à voir avec Buck Rogers au XXIIIème Siècle, pas plus qu'avec Eternité Société Anonyme de Robert Sheckley. Ici, comme nous le rappelle Gérard Klein en introduction, pas de machines improbables, pas d'hibernation, mais l'habile manSuvre scénaristique de "la stase", bulle de non-temps programmée, qui propulse les derniers survivants de l'Humanité quelque cinquante millions d'années dans le futur. La nuance est d'importance puisque le voyage dans le temps n'est pas quelque chose d'instantané, seulement une parenthèse pour ceux qui sont du bon côté de la stase, alors qu'au-dehors, le temps suit son cours normal, celui que nous lui connaissons tous. La nuance est d'autant plus d’importance qu'elle recèle un ressort dramatique incontournable. Tellement incontournable qu'il devient même pour Vernor Vinge le point de départ de son intrigue.

Voyage dans le temps…et enquête policière !

Au tournant du XXIVème siècle l'Humanité a totalement disparu de la surface de la Terre. Quelques centaines de naufragés, en stase lors de cette "Singularité", repêchés au fil du temps se rassemblent auprès des Alpes Cambodgiennes en attendant l'heure d'une improbable renaissance de la Civilisation, orchestrée par Marta et Yélen Korolev. Le pari est ambitieux, mais pas impossible si paléo-techs et néo-techs parviennent à unir leurs forces. Les premiers sont les plus anciens voyageurs du temps, partis ou envoyés sans préparation vers l'avenir, souvent victimes d'une malfonction de leur système de stase. Ils sont les plus nombreux, et aussi les plus vulnérables, à la merci des incroyables ressources des néo-techs, démiurges cybernetiques, partis eux quelques décennies seulement avant la Singularité. Sans conteste, les plus puissants d'entre-eux sont les Korolev. Une fois la Singularité découverte, elles n'eurent d'autre rêve que de rebâtir une Humanité. Un Grand-Ruvre qui va les occuper mille années durant. Et c'est alors que s'enclenche la phase ultime de leur plan que Marta est assassinée. Exclue de la stase finale et condamnée à errer seule sur une Terre presque vierge pendant quarante ans. C'est à Wil Brierson, anti-héros dickien, paléo-tech, flic et légende qui s'ignore que reviendra le douteux privilège d'élucider cette affaire. Une enquête policière qui ne sera qu'un prétexte à une relecture particulièrement talentueuse du genre, et surtout à une réflexion sur le pouvoir.

Vinge n'apporte pas de réponse, son propos n'est pas d'une originalité à couper le souffle, mais l'argumentation est astucieuse. Et puis, après tout, il n'est pas inutile de réitérer les mises en garde contre l'abus de pouvoir, spécialement quand la redite est élégante. Car le bougre a du style. Un style même. Une patte pour ainsi dire. Comme dans Un Feu sur L'Abîme, on s'accommodera de son refus obstiné des scènes d'expositions. Du coup, pénétrer son Univers vous demandera un peu de temps. On s'y essaie d'abord. On se mouille le plexus pour commencer, puis la nuque, et finalement on y entre doucement. Et une fois qu'on est dedans. On a du mal à en sortir ! Entraîné dans une galerie de portraits parfois stéréotypée, une intrigue dense qui, certes, s'embrouille un peu quand l'action s'en mêle, on ne perd néanmoins pas une miette du parcours de ce héros décalé, joliment paumé dans un monde qu'il ne comprend plus tout à fait, et qu'il va pourtant lui falloir décrypter pour sauver sa vie.

Une confirmation...

Moins intense qu'Un Feu sur l'Abîme (après tout c'est normal puisqu'il lui est antérieur et que c'est en forgeant qu'on devient forgeron), La Captive du Temps Perdu confirme l'apparition trop tardive d'un auteur de grand talent, qui possède la magie du verbe et fait naître de ses pages la stase d'un univers riche, nous emmenant sans encombre à l'autre bout de quelques 370 pages de ce roman ; et ce n'est déjà pas mal.

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