Rosalie Lessard Capsule éclair Salon du livre de Montréal 2020
Ecoutez Rosalie Lessard nous parler de son dernier livre, Les îles Phoenix.
le soir se penche sur la chambre
et ménage une part d’ombre
oasis
à ton errance
à l’émotion
dans ta voix
chaque jour st un cul-de-sac
les rues de la ville t’ont laissé au désordre gonflé de visions
sur le point d’éclater
sur le lit je ratisse la savane intime de tes yeux
qui donnent sur un autre monde
où les chansons n’ont plus le même air
où les saisons passent inaperçues
où l’invisible
change de visage
je poursuis tes souvenirs
qu’ils déguerpissent
te donne les miens à boire
très chauds
pour rendre ce nouveau monde
présent
les vagues inondent l’horizon
où tu jettes nos corps
au large
chacun joue sa fragilité
la fièvre monte
le vide valse avec la mer
aucune maison à contre-courant
pas même une chambre d’écume
pour s’abriter
de l’immensité
que peut-on construire
sur fond d’errance perte éclatement
d’autres vagues
aussi je troque mes jambes pour un naufrage
comme la vie déguerpit avant que le ciel ne l’avale
sans un cri
lettre
où tu ne racontes
rien à personne
pas même une fissure
aucune lézarde
dans la corde des mots
lettre
douane piégée
mes mains qui se refusent
au papier
électrochoc en sourdine
la chambre où tu n’es pas
un corps à soi
correspondance espace
champ de couleurs et d’éclairs
souffle à souffle
un carré d’air sous tension
les montagnes sont si pâles
tes yeux craignent de traverser
ce décor de papier
où tu n’existes plus
que sous forme d’écho
comment recycler les secondes
sans repos
une à une en boucle avec le regard sans recul
à la dérive l’écho revêt-il
le cri défait
comment revenir tel que parti
À la limite des fosses océaniques
Il y a ce champ de rues
Aussi vertical qu’un papier peint
Vers lequel au soir vous marchez
Troupeau d’éléphants évitant les éclairs.
Autour c’est noir.
Ce lieu existe, on l’appelle
Votre maison parfois.
Lorsque le dernier mot se sera asséché
Il vous arrivera de tirer
Les plans de l’Abyssinie sans le ciel.
À cheval, en armes, vous descendrez le sable
Car en vous une fois au moins
Vous sentirez naître
Le sourire de quelqu’un d’autre –
Oh, devenir cet empereur
Tenant le silence captif
Sur un banc de parc
À deux pas du désert.
Je lis. Je ne rêve pas encore
(que je collectionne les grains de framboises,
que je sauve mon chinchilla
d’un labyrinthe en carton)
lorsqu’une alerte Google m’apporte
de très anciennes nouvelles
d’une amie imaginaire :
les bras du squelette
découvert sur Nikumaroro en 1940,
ces bras qu’on croyait d’homme
parce qu’ils étaient assez grands
pour contenir le ciel
des naufragés,
pourraient être ceux
d’Amelia Earhart.
Pourtant cette fois, rien ne chasse
cette vision que j’ai d’Amelia :
oubliant la soif, la faim et la douleur,
elle goûte encore un peu
au bonheur,
quelque temps,
assise sur une pierre en fleur,
à l’ombre de cocotiers indigo
(ciel et mer déteignent sur leurs palmes),
les yeux jetés au large,
là où se croisent tortues géantes,
évanescentes méduses et dauphins,
parmi les récifs de soleil.