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Le roman-photo sorti des clichés

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Véritable phénomène culturel d’après-guerre, le roman-photo a bercé des tas de générations avec ses histoires à l’eau de rose. Moqué pour sa mièvrerie, considéré comme un sous-genre vulgaire, il sait aussi être drôle, subversif, politique et artistique. Au Mucem à Marseille, nous avons effeuillé chaque stéréotype. Le roman-photo, c’est quoi au juste ?

1. Des origines feuilletonesques

Si le roman-photo tel que nous le connaissons remonte, lui, à l’Italie d’après-guerre (le tout premier paraît dans Bolero en 1947), le genre s’enracine bien plus loin. Car aux sources du roman-photo, on trouve l’imagerie d’Épinal. Apparues en 1796, ces estampes vont constituer le premier média de masse par l’image. Parmi les sujets ? Politique, histoire, religion… Et des histoires d’amours contrariées qui vont séduire plus d’un cœur… Le XIXe siècle, où l’imprimerie tourne à plein régime, inventera les bandes dessinées, les romans dessinés et, avec eux, les cases, les bulles et les récits « à suivre au prochain numéro ». C’est l’époque où se vendent des cartes postales imprimées de photos que l’on envoie chaque jour à sa bien-aimée et qui construisent une histoire. La graine est semée. Progressivement, on tombe accro aux « feuilletons ».

La Blanchisseuse
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La Blanchisseuse, entre 1862 et 1905

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Extrait d’une série de cinq cartes postales, Paris • Coll. Mucem, Marseille • © Mucem / Yves Inchierman

2. Dans les pas des géants de la photo

Le choix des mots, le choc des images ! C’est dans Le Journal illustré du 5 septembre 1886 que paraît la toute première interview photographique. Le reportage, signé Nadar, montre que le roman-photo est déjà dans l’air du temps, faisant succéder des clichés du physicien Chevreul, légendés de ses propos. Même impression, mais des décennies plus tard, face à la centaine de photos de Germaine Krull, figure de l’avant-garde, qui viennent illustrer La Folle d’Itteville de Simenon en 1931. Trois ans de plus, et les lecteurs suivent dans l’hebdo Vu les aventures du Tueur au boomerang. Le feuilleton est illustré par les photos de Marie-Claude Vaillant-Couturier, pas encore résistante, et met en scène Robert Capa qui vient de fuir l’Allemagne nazie, appareil photo sous le bras.

Nadar, Le Journal illustré n°36
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Nadar, Le Journal illustré n°36, 4 septembre 1886

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p. 284–285

3. Un enfant du 7e art

En 1914, Les Mystères de New York, un serial (ancêtre de nos séries TV) muet de Louis Gasnier, cartonne dans les salles obscures. Et pas que ! L’histoire de cette riche héritière acoquinée à un détective pour venger son père s’arrache aussi sur papier grâce au Matin qui publie une adaptation du scénario bricolée à partir des clichés de plateau. Excellente façon de faire sa promo ! À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le roman-photo s’invite sur les plateaux et inspire même des scénarios. Particulièrement à Michelangelo Antonioni qui livre, dans un documentaire de 1949, son regard sur ce phénomène de société. La Nouvelle Vague surfe aussi sur la mode. En 1969, Raymond Cauchetier, photographe de plateau, adapte en ciné-roman À bout de souffle de Jean-Luc Godard. La série, réalisée à partir de 400 clichés du tournage, est publiée dans Le Parisien libéré. Cinquante épisodes réunissant Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg. Résultat : un tabac !

Raymond Cauchetier, Maquette originale du ciné-roman “A bout de souffle” paru dans Le Parisien libéré
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Raymond Cauchetier, Maquette originale du ciné-roman “A bout de souffle” paru dans Le Parisien libéré, 1969

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Adaptation du film de Jean-Luc Godard avec Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo sorti en 1960. Carton, tirages photographiques collés • © Raymond Cauchetier / Mucem / Yves Inchierman

4. Une machine à rêves

Pendant près d’un quart de siècle, ses lecteurs se sont comptés par millions. Les revues passaient de main en main. Tant et tant que, dans les années 1960, un Français sur trois en lisait. Le roman-photo sait fabriquer du rêve ! D’abord pour de nombreuses célébrités qui, de Sophia Loren à Brad Pitt, en passant par Gina Lollobrigida, s’y étalent sous pseudo pour se faire un nom. En France, c’est Cino del Duca, le fondateur de Nous Deux, qui en profite le plus. Il dope ses ventes (1,5 million d’exemplaires vendus par semaine en 1957 !) en faisant défiler dans « l’hebdomadaire qui porte bonheur » Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Dalida, Joe Dassin et la crème des yéyés. Mais il a beau incarner le plus gros succès éditorial de l’après-guerre, le roman-photo n’a pourtant pas bonne presse : ses détracteurs, en premier lieu l’Église, l’accusent de « porter atteinte à la morale et de désagréger les familles » ou d’être « plus obscène que Sade », comme le clame Roland Barthes.

Couverture du magazine Nous Deux n° 1277
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Couverture du magazine Nous Deux n° 1277, 1971

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© Nous Deux

5. Un manifeste politique !

Les apparences sont trompeuses. Le roman-photo n’a pas toujours senti l’eau de rose. Preuve concrète : dans son sillage, il a aussi porté des messages politiques. Ceux des communistes, qui y trouveront un formidable outil pour éduquer la classe ouvrière. Ou de Guy Debord et des situationnistes qui, dans les années 1960, vont détourner des romans-photos, ces purs produits de « la société du spectacle », pour dénoncer les phénomènes d’aliénation des masses. Le roman-photo se change en tract. Il est critique et subversif.

Guy Debord, Les Lèvres nues
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Guy Debord, Les Lèvres nues, 1958

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Affiche

6. Une bombe érotico-porno

Décidément, il n’a pas froid aux yeux ce roman-photo. En 1966 paraissent en Italie comme en France des « romans-photos érotico-sadiques » : Killing et Satanik racontent tous deux l’histoire d’un criminel qui torture et tue, costumé en squelette. Glauque ? C’est pourtant un vrai phénomène ! Trop trash, le titre est finalement interdit par la censure en France au bout de seulement 19 numéros. Il renaîtra en Argentine et en Turquie où seront même produites plusieurs adaptations cinématographiques.

Le Masque de la mort
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Le Masque de la mort, 1967

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Couverture de Satanik n° 14 • Coll. particulière • © Josselin Rocher

7. Un support pour rire de tout

Dans Hara-Kiri, on s’amuse sur des scénarios rédigés par Gébé ou Wolinski avec Georges Bernier alias « Professeur Choron ». Les Hara-Kiri girls s’invitent et parfois leurs amis, de Serge Gainsbourg à Thierry Le Luron. Dans Charlie Hebdo, chaque semaine entre 1979 et 1980, on retrouve Coluche aux manettes du feuilleton d’actualité politique « Les Pauvres sont des cons ». Tandis que chez Fluide Glacial, Bruno Léandri développe, avec Marcel Gotlib, des « photos-BD » qui titilleront longtemps l’imaginaire de la génération à suivre. Jusqu’à la grande époque des Nuls qui nous régalent en proposant « le premier roman-photo en direct live de Dunkerque ».

Georges Wolinski et Christine Reynolds lors du tournage des “Aventures de la reine de France contre la République française”, 2<sup>e</sup> épisode : « La Réconciliation », photographie de Michel Lépinay
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Georges Wolinski et Christine Reynolds lors du tournage des “Aventures de la reine de France contre la République française”, 2e épisode : « La Réconciliation », photographie de Michel Lépinay, 1965

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Extrait de Hara-Kiri n° 57, Paris • Coll. Maryse Wolinski • © Mucem / Yves Inchierman

8. Un art toujours vivant !

Le roman-photo se réinvente à travers les artistes, comme en témoigne La Jetée sorti en 1962, film « roman-photo » comme le sous-titre son auteur Chris Marker. Il prend aussi vie à leur contact. Tout en chair et en os ! En 1987, la compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe interprète un tournage de roman-photo qui vire au carnage dans Parfum d’Amnésium. Également intitulé « Roman-photo : tournage », ce spectacle rencontre un vif succès avec 240 représentations dans 22 pays, et reçoit de nombreux prix. Du bleu de Jacques Monory aux graphismes sous acide de Pierre La Police, à la fin des années 1990, il semble que le genre n’ait pas tout à fait fini de se raconter. To be continued

Jacques Monory et Franck Venaille, Extrait de Deux
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Jacques Monory et Franck Venaille, Extrait de Deux, 1973

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Coll. Jacques Monory • © Adagp, Paris, 2017 / Photo Josselin Rocher

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Roman-Photo

Du 13 décembre 2017 au 23 avril 2018

Retrouvez dans l’Encyclo : Nadar

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