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Les critiques de Bifrost

Planète interdite

Planète interdite

W. J. STUART
TERRE DE BRUME
192pp - 18,50 €

Bifrost n° 112

Critique parue en octobre 2023 dans Bifrost n° 112

Via leur collection patrimoniale « Terra Incognita », les éditions Terre de Brume viennent en l’espace d’un an de rééditer trois romans présentant la double particularité de n’avoir jamais connu pareille fête depuis leur parution originale française au « Rayon fantastique » dans les années 50, et d’avoir fait l’objet d’une adaptation cinématographique à la même époque.

En fait, Planète Interdite n’est que la novelisation tirée du film éponyme de Fred M. Wilcox de 1956. Les Survivants de l’Infini (1955), de Jack Arnold et Joseph Newman, est l’adaptation du roman de Raymond F. Jones paru aux USA en 1952, et traduit en 1956, après la sortie du film sur les écrans français. Quant au Choc des mondes, archétype du roman et film catastrophe, il est l’adaptation, par Rudolph Maté, en 1951, d’un livre nettement plus ancien, antérieur même à l’Âge d’or campbellien, datant de 1933, film et roman sortant simultanément en France en 1952. Terre de Brume fait suivre le roman souche de sa suite, Après le choc des mondes, publié outre-Atlantique en 1934, et traduit vingt ans plus tard, qui relève plutôt du planet opera.

Puisque tiré du scénario, lui-même inspiré de La Tempête de Shakespeare, Planète Interdite colle rigoureusement au film. Le Choc des mondes suit, à quelques détails près, la trame du roman dont le thème de base sera traité de manière radicalement différente par Lars von Trier dans Mélancholia (2011). Le film est un peu plus dur et un rien plus réaliste que le roman, bien qu’un optimisme radical reste de rigueur. Il en va tout autrement pour Les Survivants de l’infini. Le film suit le roman jusqu’au moment de l’abduction aérienne, mais à partir de là, il bascule dans ce qui reste comme l’un des premiers space opera filmiques tandis que le roman continue sur la thématique initiale de présence discrète d’extraterrestres se livrant une guerre de l’ombre sur notre globe. Le titre original This Island Earth convient à merveille au roman de Raymond F. Jones, alors que le titre français rend bien mieux compte du film.

Depuis Le Choc des mondes, le film catastrophe est quasiment devenu un genre en soi, à part du reste de la SF. Si le thème dans son acception littéraire ne connut pas la même vogue, il n’en fut pas moins traité avec qualité, par James G. Ballard, entre nombre d’autres. Aujourd’hui fleurissent certes des palanquées de romans « post-apo » (rarement la catastrophe en elle-même, mais plutôt ses conséquences pour les survivants), le plus souvent prétexte à des romans d’action violents et à peu près dénué d’intérêt. À l’écran, c’est bien pire…

Dans Planète Interdite où une mission vient enquêter sur la disparition de l’expédition précédente dont on est sans nouvelle, c’est le thème d’un pouvoir dénué de tout garde-fou qui est à l’honneur. Sur Altair 4, le professeur Morbius et sa fille Altaira ont seuls survécu. On trouve là une trace prométhéenne. Si le pouvoir corrompt, un pouvoir absolu rend fou et la mégalomanie de Morbius révèle sa part d’ombre.

Le Choc des Mondes est nettement marqué à droite – richesse valant moralité, idée qui n’a toujours pas cessé d’avoir cours. Le personnage d’Hendron préfigure, avec presque un siècle d’avance, quelqu’un comme Elon Musk.

Quelques exemples, donc, des nombreux marqueurs, tant techniques que socio-politiques, qu’il est indispensable de garder à l’esprit à la lecture de ces romans datés. Des livres qui nous rappellent des visions du monde n’ayant désormais plus cours, et c’est justement en cela que de telles rééditions sont précieuses.

Jean-Pierre LION

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