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LivreDado l’inclassable reçoit son «Portrait en fragments»

«L’architecte», qui se trouve au centre Pompidou. Dans les réserves, naturellement…

Le nom n’est pas connu du grand public. Il semble pourtant facile à retenir. Dado ne comporte que quatre lettres. Il s’agit bien sûr au départ d’un sobriquet, que lui avait donné une maman biologiste. Comme elle est morte en 1945, alors qu’il avait seulement onze ans, le Monténégrin Miodrag Djuric l’a gardé en souvenir d’elle. Il a été élevé par une tante et un oncle, qui enseignait les beaux-arts. Discipline stricte. Le rideau de fer était descendu sur la Yougoslavie du maréchal Tito, où le l’on ne plaisant pas avec le «réalisme socialiste». Ce mode de peindre qui se devait en fait de cacher les réalités du monde…

«Ce n’est pas une peinture à mettre entre toute les mains. Ça évoque les aigreurs d’estomac, les irritations de muqueuse, pour ne pas dire la diarrhée et le vomissement.»

Dado

Dado réussira vite à arriver en France. C’était un 15 août, en 1956. Tout ira paradoxalement très vite. La même année, le nouveau-venu rencontrait Jean Dubuffet et Roberto Matta. Deux ans plus tard, notre homme se retrouvait chez Daniel Cordier, grand résistant (il fut le secrétaire de Jean Moulin) devenu galeriste en 1956. Il ne s’agissait pas là une maison comme les autres. Il y avait une ligne de crête, avec des artistes supposés difficiles. On peut s’en rendre compte à Beaubourg, quand le Centre Pompidou consent à faire pour une fois un pas de côté (1). Dado se lie alors avec Bernard Réquichot, qui se suicidera bientôt. C’est là un des sujets abordés dans le «Portrait en fragments» qui sort aujourd’hui aux éditions L’Atelier contemporain.

Un «cycliste» de Dado qui était un grand dessinateur.

Dado part ensuite pour la campagne. Il se sent mieux dans la France profonde des années 1950, où l’eau courante n’a pas encore atteint tous les villages. Les marginaux le fascinent, qu’ils soient clochards ou alcooliques, avec les stigmates sur le corps que cela suppose. Ses toiles, aux multiples couches et repentirs, en viennent à ressembler à une suite d’abcès magnifiques. «Ce n’est pas une peinture à mettre entre toute les mains. Ça évoque les aigreurs d’estomac, les irritations de muqueuse, pour ne pas dire la diarrhée et le vomissement.» Elle suinte aussi l’insatisfaction d’un auteur jamais satisfait de lui-même, qui reprend jusqu’à l’usure quand il ne détruit pas. Autant dire que même aujourd’hui, quatorze ans après la mort de Dado, les acheteurs ne se bousculent pas au portillon. Par rapport à son importance, l’homme reste une signature pratiquement hors cote.

Un portrait de Dado, vers 2000.

Dado a pourtant fait partie des grandes galeries, après le retrait d’un Cordier fermant la sienne en 1964. Il a été chez Jeanne Bucher, où l’accueillait Jean-François Jaeger. Un marchand américain s’est même lancé à New York. L’Etat français l’a un peu acheté. Un nouveau public s’est créé avec ses illustrations pour Buffon, bien plus belles à mon avis que celles de Picasso. Mais le plasticien est resté en marge du milieu parisien. Celui qui fait malheureusement l’opinion. Il faut dire que Dado lui-même se sentait mal à l’aise de montrer un sous-prolétariat comme avarié dans des vernissages supposés mondains. Il y a, comme cela, des peintres qui s’adressent presque volontairement à un petit public.

La couverture du livre actuel, le second publié par L’Atelier contemporain.

En 1981, puis en 1988, le Monténégrin a pourtant eu les honneurs de Beaubourg. Pas au sixième étage, naturellement, réservés aux vedettes incontestées. Mais dans le musée même. A cette occasion, Christian Derouet avait réalisé en vue de son texte dans le catalogue de longs entretiens informels. Ces bandes magnétiques à l’ancienne existaient toujours chez lui. Amarante Szidon, la fille de Dado, a pu les transcrire avec son aide. C’était une mine de renseignements, avec un Dado ne prenant jamais la pose. La chose méritait un livre, qui s’insère naturellement dans la production de L’Atelier contemporain de Strasbourg. Sans aucun verbiage, l’ouvrage se lit d’une traite, tant il se révèle vivant. Dado parle, et le lecteur l’écoute. Il lui vient du coup l’envie de le voir de manière sérieuse sur des murs. J’avoue garder un souvenir impressionné de l’exposition beaubourgeoise de 1988.

(1) Le fonds de Daniel Cordier a fini là, via une grande donation en 1989.

Pratique

«Portrait en fragments, Dado», propos recueillis par Christian Derouet, éditions établie et présentée par Amarante Szidon aux Editions L’Atelier contemporain, 260 pages avec l’appareil critique. L’Atelier contemporain avait déjà publié «Peindre debout, Dado» en 2016.

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