Enseignant et après ? : "J'ai croisé 200 reconversions réussies" nous dit Rémi Boyer 

Par François Jarraud



Le tabou est-il tombé ? Les propos de Luc Chatel ont pu donner à le croire puisque le ministre y juge positivement la démarche de ceux qui quittent l'enseignement pour commencer une seconde carrière. On sait que cette volonté de quitter est partagée par des milliers d'enseignants. Bien des études ont montré la souffrance des enseignants et calculé à quel âge elle se manifeste. On sait aussi que jusque là l'éducation nationale a été incapable de faciliter ces  départs. Alors comment faire ?


Alors comment faire ? Le petit livre de Rémi Boyer sera d'une très grande aide pour  tous ceux (ministre inclus !) qui veulent "préparer et réussir une seconde carrière". C'est que R. Boyer a fondé et animé une association qui aide les enseignants à franchir les obstacles. Et depuis plusieurs années vous pouvez lire dans le Café sa rubrique  qui conseille les candidats à une seconde carrière.


L'ouvrage qu'il publie aux éditions Les savoirs inédits est l'aboutissement de plusieurs années de coaching d'enseignants en route vers une autre vie. Il fait donc le point sur les compétences transférables des enseignants. Il montre comment créer sa propre entreprise. Il explique précisément comment trouver un emploi public dans un autre ministère. Tout un travail qui peut maintenant sortir de l'ombre.

Rémi Boyer, Enseignant... et après ? Comment préparer et réussir sa seconde carrière , Les savoirs inédits, 2009, 190 p.                

Présentation de l'ouvrage

http://www.lessavoirsinedits.fr/index.php?option=conte[...]

La seconde carrière sur le Café

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/20[...]



Entretien avec Rémi Boyer

En lisant "Enseignant et après" on se dit que la question de la seconde carrière des enseignants se pose avec une certaine urgence. Partagez-vous cet avis ? Pourquoi ?


La Loi Fillon de 2003 sur les retraites a conduit à allonger de 5 années la carrière d’un salarié. S’agissant des enseignants, le rapport Pochard indique début 2008 que les profs du 1er degré partent en moyenne à 59 ans après 36 ans d’activité et que ceux du 2nd degré partent en moyenne à 60 ans après 37 ans d’activité. Rares seront les professeurs à enseigner dans les conditions actuelles jusqu’à 67 voire 72 ans, puisque l’élévation de leur recrutement au niveau du master va conduire les jeunes à entrer dans ce métier vers l’âge de 26 à 30 ans.


Alors que beaucoup d’enseignants partent avant d’avoir obtenu leur retraite à taux plein, le manque de vision prospective dans le domaine des secondes et des fins de carrière fait actuellement peser ces risques :

-           une pénurie des « vocations » dans les années à venir, alors que nous entrons au cœur du papy boom appelé à renouveler près de la moitié des enseignants d’ici 2020,

-           la précarité financière une fois à la retraite, amputée des dernières années qui comptent le plus,

-           un accroissement des situations de démotivation, fréquentes à compter de dix ans d’ancienneté, et pour les professeurs de plus de 40 ans.


Il y a eu des promesses gouvernementales. En même temps dans les établissements on n'a pas l'impression d'un véritable changement. Où en est on concrètement aujourd'hui ?


Les promesses gouvernementales de 2003, 2005 et 2006  sur les secondes carrières n’ont pas été tenues. Depuis le début des années 2000, plus de 5000 postes de mise à disposition ont été supprimés, et plus de 6000 en détachement : d’un côté on détourne l’attention des profs avec un dispositif qui, on peut le dire désormais, a échoué en 3 ans dans sa mission de créer d’autres secondes carrières, de l’autre on supprime tous les postes de secondes carrières accessibles facilement aux profs, mais sur lesquels ils n’avaient pour l’instant aucune visibilité. La priorité est aux économies, pas au bien-être des personnes.


Le ministère a quand même mis en place l'IDV. Cela va-t-il changer la perspective ?


C’est un grand pas en avant en apparence, puisqu’il permet à un enseignant de disposer d’une somme proportionnelle au temps qu’il a passé à enseigner comme titulaire, dès lors qu’il a plus de 10 ans d’ancienneté et est à plus de 5 ans de son départ en retraite.


Dans les actes, c’est très variable… Si certaines académies appliquent convenablement la circulaire, d’autres refusent la démission de l’enseignant, au prétexte que « pour demander une chose pareille, il faut être en dépression », ce qui leur évite d’avoir à payer l’IDV, et d’autres encore refusent sans justification d’accorder l’IDV. Des profs nous ont contactés pour témoigner avoir été obligés de menacer l’administration d’en faire une « bonne publicité dans la presse » ou « de porter l’affaire devant le tribunal administratif pour en obtenir l’application. Je crois que la nouvelle DGRH aura beaucoup de travail à faire pour mettre fin à certains comportements.


Le MEN a préféré indiquer dans sa circulaire des fourchettes en pourcentage pour l’attribution de l’IDV, qui relève ainsi du domaine de l’arbitraire, contraignant tous ceux qui veulent en bénéficier à réaliser la demande au lieu d’obtenir simplement une information :

http://www.ac-clermont.fr/academie/circulaires/pdf/Cir[...]


Le Ministère de la Défense, lui, a procédé de manière beaucoup plus pédagogique : les montants exacts en fonction de l’ancienneté de la personne sont précisés, et l’on remarquera dans leur cas que l’IDV est accessible avec 6 ans d’ancienneté et jusqu’à 2 ans avant sa retraite, ce qui prouve que la loi n’est pas appliquée de la même manière dans tous les ministères :

http://www.cfdt-feae.com/articles/1244192816ACTU.pdf   et

http://213.139.102.176/modernisation/layout/set/print[...]



Page 81 vous posez une bonne question : "pourquoi le MEN supprime-t-il peu à peu les secondes carrières réellement accessibles aux enseignants en mobilité interne, en dépensant de l'argent pour en rechercher ailleurs ?". Vous avez une réponse ?


Tout simplement parce que cela permet de faire des économies de postes, et que cela coûte moins cher d’aller en chercher ailleurs, puisque les 10 postes occupés par d’anciens profs grâce au dispositif actuel qui mobilise depuis 3 ans 30 académies sont affectés sur la carte budgétaire des autres ministères.


A l’origine, ces économies ont été préconisées par les sénateurs (Rapport n°324 de 1998) puis par les députés (Rapport n°2215 de 2005) pour mettre fin aux situations de « ces enseignants qui n’enseignent pas », preuve qu’on ne reconnaît toujours pas aux professeurs la possibilité, en cours de carrière, de faire autre chose que ce que l’institution leur propose traditionnellement. D’un côté il y a l’administration, de l’autre les enseignants, et entre les deux un fossé d’incompréhensions: Monsieur Maurice Niveau m’a récemment écrit qu’il partageait cette vision des choses.


Il n’y a jamais eu de réelle motivation de la part du MEN de s’atteler à cette question des secondes carrières : l’article 77 de la Loi Fillon les y oblige, voilà tout. Les autres fonctionnaires des ministères voient d’un mauvais œil cette idée, considérant que les compétences d’un prof se limitent à enseigner devant ses élèves : on le lit régulièrement sur les forum sur le web. Cela explique que le dispositif actuel piétine.


Ce piétinement ne tient-il pas aussi aux enseignants eux-mêmes ? Sont-ils "réutilisables" ? Ont-ils des compétences intéressantes ?


Je prouve dans ce guide pratique que les enseignants disposent de nombreuses compétences transférables, un concept dont on ne parlait quasiment pas avant le travail que nous réalisons avec Aide aux Profs. Le « piétinement » dont vous parlez tient à chaque individu, pas aux enseignants ni à une quelconque autre catégorie professionnelle. Un enseignant qui ne réalise pas d’autre activité durant sa carrière que le strict face-à-face avec ses élèves a peu de chances de réaliser une seconde carrière, sauf s’il a moins de 5 ans d’ancienneté. Celui qui a su, dès l’entrée dans ce métier axé sur la créativité pour intéresser ses élèves, compléter sa formation initiale par des stages, des activités pédagogiques en équipe, et réaliser régulièrement une mutation pour changer de niveau d’établissement ou d’équipe dispose des meilleures chances de reconversion, même s’il a 50 ou 55 ans.

La majorité des compétences développées par les enseignants sont applicables sans reprise de formation dans les métiers d’aide à la personne, de la formation et de l’édition.


On peut citer des exemples de reconversion réussie ?


J’en ai croisé quasiment 200 depuis 3 ans, ce qui donne cette typologie :


-           beaucoup de professeurs créent leur activité en libéral, pour conserver la liberté et l’indépendance qu’ils ont appréciées durant leur vie d’enseignant : orthophoniste, coach, psychologue, psychothérapeute, sophrologue, conseiller en bilan de compétences, etc.

-           les anciens professeurs des disciplines professionnelles créent leur entreprise sous forme de EURL ou de SARL, rarement de SA : boulangerie, menuiserie, concepteurs de formations en présence ou à distance, électricité et informatique, restaurateur, etc.

 

-           on trouve les anciens enseignants comme salariés du privé dans des domaines qui exigent des capacités à communiquer : journaliste, chargé de communication, agent immobilier, directeur de centre de vacances, directeur de maison de retraite, directeur d’association sportive ou culturelle, directeur de galerie d’art, biographe, écrivain public, etc.

-           enfin n’oublions pas tous les anciens enseignants qui ont opté pour un détachement et y réalisent une carrière complètement différente, pour donner à cette reconversion un caractère définitif, mais pas forcément sur le même poste.


Des enseignants ont-ils monté leur entreprise ? Sont-ils aidés pour cela ?


Comme je viens de l’expliquer, oui, la création d’entreprise tente en moyenne 15% de ceux qui nous contactent. L’institution ne les aide pas, ce qui constitue un frein important dans la réussite de leur projet dès le départ. Ceux qui « s’accrochent et réussissent » sont épaulés par un membre de leur famille, un ami chef d’entreprise ou ont réalisé une formation spécifique pour « s’en sortir ».


Quitter l’enseignement avant 2009 pour créer son entreprise était périlleux, car les enseignants titulaires ne cotisent pas aux Assedic et n’ont donc pas droit aux allocations chômage après avoir démissionné. Depuis la mise en place de l’IDV, ce pécule, s’il est appliqué sans arbitraire et sans volonté de décourager l’enseignant de le demander, pourra leur permettre de « rebondir » rapidement ailleurs. Qu’est-ce qui coûte le plus cher à l’administration: une IDV, ou un congé de longue durée pour dépression ?


Luc Chatel a manifesté son souci de la seconde carrière et évoqué le thème de nouvelles missions pour les enseignants. Est ce une issue envisageable ?


Il a parlé de « deuxième carrière » et non de « seconde carrière », c’est troublant. Avec l’endettement actuel que connaît la France et la perspective d’un nouvel emprunt, je ne pense pas malheureusement qu’il y ait de changements majeurs pour le dispositif de « secondes carrières ». La marge de manœuvre budgétaire est très étroite.


Avec la réforme du lycée, des « missions » vont apparaître pour les enseignants volontaires, permettant peut-être d’inventer des fins de carrière pour les plus de 55 ans, mais ce ne seront pas des secondes carrières. Alain Bouvier partage notre vision des choses sur l’aménagement possible de fins de carrière destinées à alléger la pénibilité du métier au-delà d’un certain âge : c’est une piste qu’il nous semble intéressante d’explorer.


Monsieur Luc Chatel a réalisé deux pas en avant très importants dont Aide aux Profs se réjouit :

-           l’accès au DIF pour les enseignants : à effet immédiat, nous espérons que l’enseignant pourra l’utiliser comme il en a envie, et pas seulement pour les formations du PAF qui ne sont ni certifiantes, ni diplômantes,

-           la promesse d’une « nouvelle gestion des ressources humaines » avec la nomination de Madame Josette Théophile au poste de DGRH. Cependant, nous pensons que ce n’est pas que le pilote qu’il faut changer, c’est tout un ensemble de comportements qu’il faut métamorphoser, à tous les niveaux décisionnels. de plus, le système d’évaluation actuel des enseignants n’est plus adapté aux réalités du terrain, il faut inventer autre chose.


Quels conseils peut on donner à un enseignant qui voudrait changer de vie ?


- D’abord, de ne pas attendre d’avoir atteint le stade de la démotivation pour y penser, car cela constituera un frein important.

- Ensuite, de s’y préparer dès l’entrée dans sa carrière en réalisant des stages, des activités pédagogiques chaque année, pour, le moment venu, être facilement « employable » ailleurs.

- Enfin, d’être courageux, motivé, combatif, car le chemin vers une seconde carrière après plus d’une décennie d’enseignement quel que soit le niveau est difficile, cela prend par moments l’allure d’un calvaire, d’une nouvelle galère, avec ses épisodes de découragement, car les différents ministères et les entreprises ont encore du mal à imaginer qu’un enseignant puisse faire autre chose que d’enseigner. En cela, l’action que nous menons avec notre petite équipe à travers Aide aux Profs est très pédagogique, et tous ceux qui nous contactent louent la positivité de notre démarche, ce qui est bien plus encourageant que l’accueil que nous a réservé jusqu’ici le MEN.


Rémi Boyer


Rémi Boyer tient dans Le Café pédagogique une rubrique mensuelle dédiée aux secondes carrières.


La seconde carrière sur le Café

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2007/[...]



Sur le site du Café
Par fjarraud , le jeudi 15 octobre 2009.

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