Lolita Masques

Sous l'apparence du tranquille professeur d'université Humbert Humbert se cache en réalité un pervers qui étouffe la jeune Lolita dans une relation sexuelle et sentimentale exclusive. Pour mieux dissimuler sa nature aux yeux de la société, il endosse le rôle de père de la nymphette. Masque social qui ne nécessite aucun travestissement physique mais qui lui permet cependant de falsifier les apparences.

De son côté, Clare Quilty, auteur à succès, convoite lui aussi la jeune Lolita. Il traverse le film en apparaissant à chaque fois sous une identité différente : dans son propre rôle, mais aussi en policier soupçonneux, en psychologue scolaire de Lolita et en voix mystérieuse téléphonant à Humbert la nuit... Seul à déjouer la vraie nature d'Humbert, car animé par les mêmes penchants, Quilty le poursuit en incarnant différentes formes d'autorité (légale, psychique, morale) pour mieux lui faire peur. À travers ses différents avatars, il devient "la menace qui pèse, l'ombre suiveuse, l'espion d'une société qui chasse les sorcières mais dont la corruption dépasse celle de ses victimes" (1). Humbert, aveuglé par sa peur obsessionnelle d'être démasqué, ne le reconnaît pourtant jamais.

Si la fin du film révèle qu'Humbert aime réellement Lolita, Quilty, lui, n'a fait qu'utiliser l'adolescente avec un cynisme consommé. Dès lors, une nouvelle perception des personnages s'offre au spectateur : Humbert apparaît conformiste face à la duplicité et à la perversité de Quilty. Renversement troublant voulu par le réalisateur qui, ne pouvant filmer des scènes d'amour physique sous peine de censure, fait de Quilty "le chantre et le représentant privilégié de l'anormalité" (2), de la déviance.

(1) Michel Ciment, Stanley Kubrick, (Paris, Calmann-Lévy, 1980), p. 92.

(2) Monica Manolescu, Anne-Marie Paquet-Deyris, Lolita, cartographies de l'obsession (Nabokov, Kubrick), (Paris, CNED, Presses universitaires de France, 2009), p. 135.