Exposition gratuite à Paris : dans l’enfer de Dado, le Jérôme Bosch du XXe siècle

Exposition gratuite à Paris : dans l’enfer de Dado, le Jérôme Bosch du XXe siècle
Détail du Triptyque de Bowery (1975) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », à la galerie Jeanne Bucher Jaeger à Paris, jusqu'au 10 février 2024 ©Connaissance des Arts / Guy Boyer

Deux livres et une exposition à la galerie Jeanne Bucher Jaeger (jusqu’au 10 février) remettent sur le devant de la scène l’œuvre de l’artiste monténégrin Dado (1933-2010). Inclassable, celui-ci relève aussi bien de l’Art brut que de la Figuration narrative (même s’il ne faisait pas partie de ce mouvement). Un monde étrange et monstrueux.

En novembre 2023, les éditions L’Atelier contemporain publiaient un livre d’entretiens de Dado avec Christian Derouet, qui avait monté une exposition sur l’œuvre de l’artiste au Centre Pompidou en 1982, et une présentation d’Amarante Szidon. Un an plus tard, le même éditeur faisait paraître un recueil de photographies de Domingo Djuric, le fils de l’artiste, laissant découvrir l’atelier d’Hérouval où Dado et sa femme Hessie, une autre grande artiste de l’art, figurent avec enfants, amis et volaille, comme le précise Germain Viatte dans le texte accompagnant les clichés en noir et blanc. Pour compléter ces deux parutions, la galerie Jeanne Bucher Jaeger propose un accrochage d’œuvres de qualité muséale, peintures, dessins et gravures. Une occasion formidable de redécouvrir les compositions étranges de Dado, où la mort rôde souvent, où le fantastique surprend toujours.

Monstres trop humains

Dado ne voulait pas que l’on rapproche son travail de la science-fiction même si ses toiles étaient peuplées de monstres. « Je travaille pour l’humanité entière », aimait-il dire. En effet, les réminiscences de sa jeunesse dans un Monténégro en flammes et en pleine guerre sont partout présentes et témoignent des atrocités qu’il a pu voir. Dramatiquement touché par la mort de sa mère en 1945, marqué par des scènes de mort, il conjure l’horreur en l’exprimant sur la toile ou la feuille de papier.

Détail du Triptyque de Bowery (1975) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

Détail du Triptyque de Bowery (1975) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

Science du trait

Formé à l’École des Beaux-Arts de Herceg Novi, puis dans celle de Belgrade, Dado fuit son pays et s’installe à Paris en 1956. C’est Jean Dubuffet qui le présente au galeriste Daniel Cordier, en voyant ses dessins et en comprenant la force des sujets. La galerie Jeanne Bucher Jaeger a déjà monté quatre présentations du travail de Dado depuis 1971, l’une d’entre elles étant centrée sur ses gravures à la pointe sèche. Un choix de huit d’entre elles montre sa science du trait.

 Estampes (1973-1974) de Dado, présentées dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

Estampes (1973-1974) de Dado, présentées dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

La vraie vie des collages

En 1975, Dado, insatisfait par ses dessins, décide de les transformer. « Il y avait trop de dessins qui attendaient d’être abattus, comme les animaux attendent à l’abattoir, raconte Dado. Alors, ces dessins-là, ils étaient tout prêt pour un massacre, il fallait absolument que j’intervienne avec mes couteaux d’équarrisseur pour les découper et améliorer, leur donner de la vraie vie aux collages, c’est ce que j’ai réussi à faire ».

Détail d’Atlas de dermatologie (1975) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

Détail d’Atlas de dermatologie (1975) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

Comme une peau de mouton

Pour ce grand collage vertical fait d’encre de Chine et d’acrylique sur papier, Dado découpe des dessins destinés à ses enfants. Même si c’est pour mieux faire, il a le sentiment viscéral d’une destruction. « Je me rappelle, raconte Dado, quand je le faisais, lorsqu’un personnage de Mayfair House était découpé et que je le tenais à la main, c’était comme une peau de mouton. J’avais l’impression d’avoir égorgé un mouton, que je le dépouillais ».

Mayfair House (1975) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

Mayfair House (1975) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

Composition maîtrisée

Malgré l’absence de dessins préparatoires, Dado réussit des compositions très équilibrées dans ses triptyques peints dans les années 1970. Chaque panneau du Triptyque de Narval, par exemple, est centré sur une fenêtre et est partagé en deux zones superposées : un mur à papier rayé et une pelouse remplie de montres et de têtes coupées. Une composition très maîtrisée.

À droite : Le Triptyque de Narval (1975) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

À droite : Le Triptyque de Narval (1975) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

Dans une brume laiteuse

Même si les cadavres figurant sur ce triptyque rappellent la bataille de Pali-Kao, mettant en scène les Français et les Britanniques à Pékin pendant la deuxième guerre de l’opium, ce triptyque fait plutôt référence à l’usine de Pali-Kao, devenue un lieu alternatif du quartier de Belleville dans les années 1980. Sous les grilles très graphiques d’un cimetière anglais s’agitent des corps mutilés, des morts vivants et des monstres à la Brueghel. Toute la composition baigne dans une sorte de brume laiteuse.

Triptyque de Pali-Kao (1972) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

Triptyque de Pali-Kao (1972) de Dado, présenté dans l’exposition « Dado. Portrait en fragments », galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, 2024 (©Guy Boyer).

« Dado. Accrochage Portrait en fragments »
Galerie Jeanne Bucher Jaeger, 5, rue de Saintonge 75003 Paris
du 1er au 10 février 2024
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