Au musée d’Orsay, la Porte de l’Enfer de Rodin trône enfin en majesté

Au musée d’Orsay, la Porte de l’Enfer de Rodin trône enfin en majesté
La Porte de l'Enfer d'Auguste Rodin trône à présent entre les deux tours du musée d'Orsay. ©Agathe Hakoun

Depuis le 24 mai, le musée d'Orsay accueille les visiteurs avec une présentation repensée de la Porte de l'Enfer d'Auguste Rodin et de nouvelles salles autour du quartier de l'Opéra. Un parcours mettant en valeur le chef-d'œuvre de Rodin et des pièces sorties des réserves dans une muséographie à la fois aérée et plus cohérente.

Pour son premier projet validé en tant que président du musée d’Orsay (Paris, VIIe arrondissement), Christophe Leribault place au centre de la nef l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la sculpture du XIXe siècle. Lancés en 2021 sous Laurence des Cars, la nouvelle présentation de la Porte de l’Enfer (1880-1917) d’Auguste Rodin (1840-1917) et le réaménagement des salles autour du quartier de l’Opéra (au niveau 0, fond de nef), renommées à cette occasion « Paris, capitale d’une nation moderne » permettent de « proposer un parcours plus cohérent, une muséographie renouvelée et plus fluide ainsi que de sortir des œuvres des réserves, que l’on ne voyait plus », explique François Blanchetière, conservateur du patrimoine, sculpture et architecture (1848-1880) qui a travaillé sur les deux projets, la veille de leur inauguration.

La Porte de l’Enfer en majesté

En 1880, Rodin reçoit la commande de l’État du « modèle d’une porte décorative ornée de reliefs illustrant la Divine Comédie (début du XIV siècle, Ndlr) de Dante ». Destiné à orner la façade d’un futur musée des arts décoratifs (qui ne voit finalement pas le jour) ce projet devient au fil des années l’œuvre centrale de la carrière de Rodin. Après avoir créé plusieurs groupes et figures inspirés de L’Enfer (le premier livre de la Divine Comédie), tels que Paolo et Francesca du Baiser ou encore Ugolin, l’artiste intègre comme nouvelle source d’inspiration Les Fleurs du mal (1857) de Charles Baudelaire, notamment en reprenant l’atmosphère sensuelle, vénéneuse et voluptueuse de l’œuvre qui fascine Rodin.

Installation de la Porte de l’Enfer (entre 1880 et 1917) d’Auguste Rodin © Musée d’Orsay –Sophie Crépy

Installation de la Porte de l’Enfer (entre 1880 et 1917) d’Auguste Rodin © Musée d’Orsay –Sophie Crépy

La porte n’est exposée qu’une seule fois du vivant de l’artiste lors de l’Exposition universelle de 1900 où le sculpteur organise une rétrospective, mais elle est montrée sans la plupart des groupes et figures les plus saillants. En 1917, il fait réaliser une nouvelle épreuve en plâtre afin qu’elle puisse être exposée dans le futur musée Rodin à l’hôtel Biron. Cette version reste en place dans la salle d’exposition temporaire du musée avant d’être démontée en 1966 pour être mise en réserve. Pour éviter les doublons, voire triplons, avec les musées Rodin de Paris et Meudon, qui présentent respectivement deux bronzes de la porte, en 1986, elle est déposée au musée d’Orsay à l’ouverture de l’institution. L’œuvre monumentale y est installée de côté par rapport à l’axe de la nef « pour créer un effet de surprise au cours de la visite et apprécier la profondeur de l’œuvre dont certaines figures se détachent entièrement du fond, notamment Le Penseur de Rodin », précise le musée d’Orsay.

La Porte de l'Enfer de Rodin se voit à présent depuis l'entrée du musée d'Orsay. ©Agathe Hakoun

La Porte de l’Enfer de Rodin se voit à présent depuis l’entrée du musée d’Orsay. ©Agathe Hakoun

Un chef-d’œuvre visible dès l’entrée du musée

Jamais déplacée de son mur, la Porte de l’Enfer a été démontée pendant la première quinzaine de novembre 2021 en deux parties, reliées par un joint de plâtre et retenues par des tiges métalliques prises dans la paroi de la tour. Pour la première fois depuis 35 ans, le revers de l’œuvre a pu être entièrement dépoussiéré. Aussi, le musée a dressé un constat d’état complet pour repérer les zones de fragilité, d’encrassement ou d’altération. Dans un second temps, la porte a été nettoyée en profondeur et consolidée là où son état le nécessitait. Pour sa nouvelle présentation au centre de la terrasse, le plâtre de plus de 6 mètres de haut et d’1,6 tonne est adossé à une nouvelle cimaise pour la stabiliser et éviter qu’elle ne soit « visuellement écrasée par les deux tours », révèle François Blanchetière. À présent, le chef-d’œuvre de Rodin est visible dès l’entrée du musée et est devenu le point focal de la perspective. Une nouvelle localisation qui, bien qu’elle ne laisse plus place à une heureuse rencontre avec le visiteur, le met davantage en valeur.

La nouvelle présentation de la terrasse Rodin met en avant la Porte de l'Enfer. ©Agathe Hakoun

La nouvelle présentation de la terrasse Rodin met en avant la Porte de l’Enfer. ©Agathe Hakoun

Nouvelle place dit aussi présentation renouvelée. En plus de cartels développés et de panneaux supplémentaires de médiation, le musée développe actuellement un dispositif inédit de table numérique, permettant d’explorer en détail la Porte de l’Enfer. De plus, les œuvres disposées (appartenant aux collections du musée d’Orsay ou mises en dépôt par le musée Rodin) autour du plâtre ont été choisies pour donner aux visiteurs les clefs de compréhension de l’histoire de la porte et de son iconographie. À sa droite, les sculptures présentées révèlent le processus créatif de l’artiste et son entourage dans le milieu artistique. À sa gauche, les éléments mis en lumière témoignent du contexte de création de certains groupes de la porte qui ont pris, dans un second temps, leur autonomie pour devenir des œuvres à part entière.

L’histoire de l’urbanisme de Paris entre 1848 et 1914

Le déplacement de la Porte de l’Enfer a nécessité un échafaudage de 13 mètres de haut qui a lié le chantier à celui du réaménagement des salles du quartier de l’Opéra, situées juste en dessous. François Blanchetière, Fabienne Chevallier, de la mission inventaires et histoire institutionnelle des collections, Isabelle Morin Loutrel, conservatrice générale du patrimoine, chargée des monuments historiques à la direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, Paul Perrin, conservateur peinture au musée d’Orsay et Isolde Pludermacher, conservatrice en chef peinture au musée d’Orsay, ont repensé l’espace qui se déploie autour de la maquette du quartier de l’Opéra.

Paris, capitale d’une nation moderne © Musée d’Orsay –Sophie Crépy

Paris, capitale d’une nation moderne © Musée d’Orsay –Sophie Crépy

Intitulées à présent « Paris, capitale d’une nation moderne », ces salles n’illustrent plus seulement la place de l’Opéra Garnier mais toute l’histoire de l’urbanisme de Paris, entre 1848 et 1914 (les deux extrémités des bornes chronologiques du musée), pour « donner des repères évidents aux visiteurs », à travers plusieurs thématiques fortes. Au XIXe siècle, les capitales européennes se modernisent dans un élan d’émulation et de compétition. Sous le Second Empire (1852-1870), Napoléon III souhaite faire de Paris une capitale prestigieuse d’un État puissant à l’égal de Londres. Il nomme Georges-Eugène Haussmann préfet de la Seine en 1853. Le baron transforme alors le cœur de la ville ancienne avec de nombreuses percées, crée de vastes boulevards, pour faciliter le flux des hommes et des marchandises vers les gares tout en menant une politique d’assainissement de Paris, de création d’espaces verts. L’industrie et ses nouveaux matériaux (comme le fer) ont également une place importante dans l’urbanisme parisien, que l’on retrouve dans l’architecture de monuments emblématiques.

Johan Barthold Jongkind, La Seine et Notre-Dame de Paris, 1864, huile sur toile, 42 x 56,5 cm © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Johan Barthold Jongkind, La Seine et Notre-Dame de Paris, 1864, huile sur toile, 42 x 56,5 cm © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Sortir les œuvres des réserves

Témoins des bouleversements de cette seconde moitié du XIXe siècle, les artistes ont représenté ces transformations et disparitions en posant un regard pittoresque sur la ville ancienne ou en célébrant la métropole moderne. Chaque salle propose d’aborder une des facettes de l’urbanisme parisien. « Paris social et bâtisseur » traite du prestige de l’architecture française à l’étranger, à travers l’innovation de la conception des bâtiments sociaux mais aussi des techniques et procédés avancés pour construire ou restaurer des monuments phares. « Un regard pittoresque sur Paris » rappelle le mouvement pittoresque en France qui révèle le visage champêtre des monuments médiévaux, ponts et faubourgs populaires dans une approche intimiste de Paris avec les tableaux de Jongkind et Lépine, suiveurs de Corot. En contrepoint, « Paris industriel » montre le rôle central de la Seine dans l’approvisionnement de la capitale et les vues de l’intense activité de ses quais, notamment avec un magnifique « Monet des villes », tel que le désigne Fabienne Chevalier, présenté précédemment dans l’exposition « Enfin le cinéma ! ». La section « Les monuments, entre glorification et contestation » souligne quant à elle les vues qui immortalisent les édifices emblématiques du pouvoir et de la religion. Elle comprend également l’incendie des monuments, comme l’Hôtel de Ville, les Tuileries et le palais d’Orsay (Cour des comptes), le ministère des Finances et le Palais de Justice lors de la Commune.

Un accrochage temporaire est aussi disposé au cœur des salles. Pour son premier thème, celui-ci met à l’honneur « Les Expositions universelles, un terrain de jeu architectural » et revient sur l’un des phénomènes les plus marquants de la seconde moitié du XIXe siècle, véritable terrain de jeu pour les architectes à Paris entre 1885 et 1900.

Victor Navlet, Vue générale de Paris, prise de l'Observatoire, en ballon, en 1855, musée d'Orsay, acquis sur la liste civile de Napoléon III en 1855 et resté au Louvre ©RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Jean Schormans

Victor Navlet, Vue générale de Paris, prise de l’Observatoire, en ballon, en 1855, musée d’Orsay, acquis sur la liste civile de Napoléon III en 1855 et resté au Louvre ©RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Jean Schormans

Ce nouvel espace thématique, qui s’est agrandi avec la destruction du café de l’Opéra, met à la fois à l’honneur l’architecture du bâtiment, comme les colonnes de fonte, et des œuvres sorties des réserves. C’est le cas de la Vue générale de Paris, prise de l’Observatoire, en ballon (1855) de Victor Navlet, un des plus grands tableaux du musée qui était en réserves depuis 2007. Peintures, dessins, maquettes anciennes et sculptures dialoguent sur le même piédestal. Enfin, ces deux présentations donnent un aperçu du nouveau design du mobilier du musée d’Orsay (notamment des nouvelles banquettes assez sobres) qui va peu à peu s’installer dans les salles réaménagées de l’institution célébrant le XIXe siècle.

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